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Bulletin Monumental

Les vitraux de la cathédrale d'Évreux


Louis Grodecki, Marcel Baudot, René Dubuc

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Grodecki Louis, Baudot Marcel, Dubuc René. Les vitraux de la cathédrale d'Évreux. In: Bulletin Monumental, tome 126, n°1,
année 1968. pp. 55-73;

doi : https://doi.org/10.3406/bulmo.1968.4898

https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1968_num_126_1_4898

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.— -^

MÉLANGES

Les vitraux de la cathédrale d'Évreux

N. D. L. R. — La publication par M. Marcel Baudot d'un article suivi d'un ouvrage


sur les vitraux de la cathédrale d'Evreux vient de soulever entre spécialistes une petite
polémique concernant l'identification de plusieurs d'entre eux. L'importance de ce qui pourrait
sembler à première vue un détail se révèle en fait à la lecture de ces articles. Aussi la Rédaction
du Bulletin monumental a-t-elle jugé nécessaire d'ouvrir ses colonnes A cette joute amicale
dont le seul but est de faire avancer nos connaissances sur Vart du vitrail au XIVe siècle (1).

Note, par Louis GRODECKl


Les études des vingt-cinq dernières années ont confirmé l'avis d'Emile Mâle,
selon lequel les chefs-d'œuvre du vitrail français du xive siècle se trouvent à la cathé-
(1) Pour plus de clarté, nous résumons ici les identifications proposées pour les personnages
représentés sur ces vitraux et ces dessins.
— Vitrail baie 115 (fig. 1).
Charles II le Mauvais (tradition du xixe siècle).
Pierre de Mortain, comte d'Évreux (Mme Honoré-Duvergé, MM. J. Lafond et L. Grodecki).
Charles III le Noble (première opinion de M. Baudot).
Charles II le Mauvais, en tant que fondateur de la confrérie du Pardon (seconde opinion de
M. Baudot).
— Dessin de Boudan pour Roger de Gaignières (Bouchot n° 447) (fig. 2).
Charles III le Noble (inscription portée sur le dessin).
Pierre de Mortain (hypothèse de Mme Honoré-Duvergé ; le dessin reproduit le vitrail de la
baie 115).
Charles III le Noble (M. Baudot; le vitrail reproduit par ce dessin est perdu).
— Vitrail baie 125 (fig. 3).
Charles III le Noble (tradition du xixe siècle).
Charles VI, roi de France (Mme Honoré-Duvergé et M. J. Lafond).
Philippe VI, roi de France (M. Baudot).
— Dessin de Boudan pour Roger de Gaignières (Bouchot n° 540) (fig. 4).
Charles le Mauvais (inscription portée sur le dessin).
Charles VI, roi de France (Mme Honoré-Duvergé et M. J. Lafond, pour qui ce dessin reproduit
le vitrail de la baie 125).
Philippe, comte d'Évreux, père de Charles le Mauvais (hypothèse de M. Baudot, selon lequel
le vitrail reproduit par ce dessin est perdu).
56 LES VITRAUX DE LA CATHÉDRALE d'ÉVREUX
drale d'Évreux ; depuis, les travaux de Jean Lafond ont permis de mettre en parallèle
avec ceux-ci les verrières de Saint-Ouen et de la cathédrale de Rouen, d'une qualité
égale et d'un style semblable (1). Il n'est pas exagéré d'affirmer aujourd'hui que ces
séries normandes constituent, pour cette période, le meilleur de toute la peinture
française, dont la qualité n'est pas toujours atteinte par les miniaturistes, Jean Pu-
celle ou les enlumineurs de Charles V. Aussi tout ce qui concerne ces vitraux nous
paraît être de grande importance ; l'intérêt historique des vitraux d'Évreux
s'augmente du fait qu'ils ont été offerts par de hauts dignitaires ecclésiastiques ou civils
et, finalement, par la maison royale d'Évreux-Navarre.
Dernièrement, M. Marcel Baudot reprit ces questions dans deux textes (un
article des Nouvelles de VEure et un volume de belles diapositives) (2). Les
conclusions historiques fort nouvelles qu'il nous propose méritent une considération
attentive.
Il existe à, Ëvreux un certain nombre de panneaux du xine siècle, outre les
grisailles — en mauvais état et presque « dévitrifiées » des fenêtres hautes de la nef. Ces
panneaux, provenant des fenêtres basses, ne constituent plus aujourd'hui aucun
ensemble complet ; ce sont pour la plupart des scènes de la vie du Christ, sous
architectures peintes, qui appartiennent au dernier quart du siècle (3). Au début du xive
doivent appartenir des « portraits » de donateurs (l'évêque agenouillé de la fenêtre 12
d'une des chapelles nord du chœur) (4), une très belle Vierge assise, où l'influence
italienne se fait sentir dans le traitement de la perspective linéaire, une admirable
scène de saint Martin, où l'on voit l'emploi du jaune d'argent (5).
L'essentiel appartient aux xive et xvè siècles : dans le chœur, décoré après son
achèvement de 1318, mais remanié dès le xve siècle en sa travée la plus occidentale
et dans le pourtour de ses chapelles rayonnantes; aux fenêtres hautes de la nef, où
des vitraux nouveaux ont remplacé partiellement les grisailles du xine ; au transept,

(1) É. Mâle, La peinture sur verre en France, dans Histoire de l'art d'A. Michel, vol. II, 1, p. 895 ;
J. Lafond, Le vitrail du XIVe siècle en France, dans L'art du XIVe siècle en France, de L. Lefrançois-
Pillion et J. Lafond, Paris, 1954, p. 191-204.
(2) M. Baudot et R. Dubuc, Les verrières de la cathédrale d' Évreux : cinq siècles d'histoire, dans
Nouvelles de VEure, n° 27, p. 26-55, et Vitraux et boiseries de la cathédrale d'Évreux, numéro spécial
des Nouvelles de l'Eure, juin 1967 ; le texte sur le vitrail de M. Baudot, p. 3-37, fîg1. et diapositives.
(3) Je ne pense pas que l'on trouve des panneaux antérieurs à 1270 environ; la présentation
architecturale et le style excluent une telle date : notamment pour la Vierge de l'Annonciation (diape-
sitive n° 2) ou la Crucifixion (diapositive n° 1).
(4) La fenêtre est composite ; les panneaux nos 5-6 que M. Baudot attribue au temps de l'évêque
Geoffroi de Bar (1298-1299) sont nettement plus récents : le jaune d'argent y est employé à
profusion, le décor d'architecture est identique à celui des vitraux des chapelles droites du chœur de Saint-
Ouen de Rouen (vers 1315-1325). On peut penser que le personnage représenté est Geoffroy du Plessis
(avant 1327).
(5) J. Lafond, op. cit., p. 201-202.
LES VITRAUX DE LA CATHEDRALE D EVREUX 57
qui fut rebâti et redécoré, aux frais de Louis XI, pendant le dernier tiers du xve siècle
et plus tard jusque vers 1525. C'est dans ces séries que surgissent les problèmes les
plus difficiles, qui tiennent pour beaucoup à ces remaniements de la fin du Moyen Age,
mais surtout aux nombreux transferts et nombreuses restaurations du xixe siècle,
que M. Baudot décrit rapidement.
La décoration primitive du haut chœur, entre 1318 et 1345 environ, a été
certainement modifiée dès 1420 par l'installation de deux verrières auxquelles nous
reviendrons, dites de Bernard Carit, et vers 1450, lors de la reconstruction de la travée la
plus occidentale, ce qui nous a valu le « Vitrail des Trois Marie », lié à toute une suite
d'événements historiques intéressant la Normandie et la ville d'Évreux. Ce qui
subsiste de l'état primitif est bien connu et bien daté : le vitrail de Guillaume d'Harcourt,
grand queux de France (mort en 1327), et de sa femme, Blanche d'Avaugour ; celui
d'un chanoine (?) « mestre R. de Molin », avec les figures de saint Taurin et de saint
Aquilin ; celui de Raoul de Ferrière, chanoine mort en 1330, qui est un pur chef-
d'œuvre et que, sur l'initiative de Jean Verrier, Jean-Jacques Gruber isola, après la
dernière guerre, entre deux lancettes de grisaille (1). Tous ces vitraux, exécutés entre
1325 et 1335 environ, ne posent guère de problèmes historiques ; une étude attentive
de leur style n'a pas encore été faite. La plupart des verrières du rond-point, d'une
époque semblable, offertes par les évêques Jean du Pré (1328-1334) et Geofîroi Faé
(1335-1340) — il se peut pourtant que certaines soient légèrement plus récentes que
1350 — d'une extraordinaire qualité, à la fois « monumentales » par l'échelle et «
raffinées » par l'exécution et l'ornement — n'ont été, rare privilège, presque pas modifiées
depuis le Moyen Age. Les choses se gâtent, et considérablement, quand on aborde les
vitraux de la fin du xive siècle, dits « royaux » depuis une mémorable étude de Mme Ho-
noré7Duvergé et Jean Lafond (2).
Il s'agit surtout de deux verrières à quatre lancettes, installées, depuis 1954-
1955, dans les baies hautes de la troisième travée du chœur. Au nord, recomposée
alors, apparaît la scène de « présentation » d'un prince de la famille Évreux-Navarre
à la Vierge par un saint Pierre et un saint Denis ; au sud, on voit un roi de France,
agenouillé, occupant deux lancettes, présenté à la Vierge par saint Denis. On
rappellera que ces verrières étaient dispersées, avant la dernière guerre, dans plusieurs

(1) Sur cette restauration, que précédèrent des « essais » aux expositions de Rotterdam en 1952
et de Paris en 1953, voir L. Grodecki, La restitution des vitraux « royaux » de la cathédrale d'Évreux,
dans Les monuments historiques de la France, 1956, p. 201-208 et fig. p. 207.
(2) S. Honoré- Duvergé, Le prétendu vitrail de Charles le Mauvais à la cathédrale d'Évreux, et
J. Lafond, Les vitraux « royaux » du XIVe siècle à la cathédrale d'Évreux, dans Bulletin monumental,
1944, p. 3-39. Cf. aussi Le vitrail français, Paris, 1958, p. 185-187 (texte de J. Lafond). J'ai adopté
ces propositions dans mon article, cité à la noté précédente, et ailleurs encore.
58 LES VITRAUX DE LA CATHEDRALE d'ÉVREUX
fenêtres de la cathédrale (1). M™ Honoré-Duvergé, pour identifier ces personnages
(que la tradition tenait pour
Charles le Mauvais et Charles le
Noble, rois de Navarre), fit appel
au recueil de Gaignières, aux
dessins exécutés par Boudan au
début du xvme siècle (2). Elle
compara le prince d'Évreux-
Navarre (baie 115, au nord
aujourd'hui) au dessin du fol. 19
du recueil O 14 de la

* *$■. ■■1|è|:<. Bibliothèque


n° 447), et
nationale
le roi de(Bouchot,
France
(baie 125, au sud aujourd'hui)

au 540).
dessinLedupremier
fol. 17de(Bouchot,
ces
dessins est désigné comme le «
portrait » de Charles III le Noble
de Navarre-Évreux ; le second,
comme celui de Charles II le
Mauvais, le père du précédent.
#»*i||:;£i;; Mme Honoré-Duvergé refusa ces
identités ; selon elle, le
dessinateur du xvme siècle a complété
abusivement les effigies : dans
le premier cas, par une
couronne royale, un blason et une
inscription sur le socle ; dans le
second cas, par des armes de
Navarre-Évreux dans le fond et
:"'""■ lÉsiliW älilF^gig g g^-^~~~ ^y '^|ɧip^.. ,u ^§*0*""

(1) Reproduction et description


de l'état antérieur à la dernière guerre
Cl. Arch. phot. dans mon article des Monuments
FIG. 1. BAIE 115 historiques de la France, p. 202-206.
(2) Paris, Bibliothèque nationale
LES VITRAUX DE LA CATHÉDRALE d'ÉVREUX 59

par une inscription. Les vitraux conservés ne montrant rien de cela (et la critique
d'authenticité des parties de ces vitraux permet de l'affirmer en toute certitude), elle
identifia le « prince de Navarre »
comme Pierre, comte de Mortain,
frère cadet de Charles III le
Noble, mort au siège de Bourges
en 1412, et le « roi de France »
comme Charles VI, roi régnant,
ami et protecteur de Pierre de
Mortain. Ceci comportait comme
conséquence l'exécution des
verrières avant 1412 (et même
avant 1404, année de l'échange
du comté d'Évreux contre le
duché de Nemours) et après 1390
environ. Les deux verrières
auraient été données à la cathédrale
par le comte de Mortain.
M. Baudot n'accepte pas
cette thèse. Il refuse d'admettre
que les dessins de Boudan soient
inexacts. En ce qui concerne le
« roi de France » de l'actuelle
baie 125, le vitrail ne correspond
pas au dessin du fol. 17 du
recueil, qui montrait un personnage
en une lancette et non en deux ;
,irMtt dans la utf titl'tym dttl.li.
le vitrail dessiné par Boudan, J'fvrrux au ctf '
CHARLES J. Ju nom Xydt NAVARRE
montrant Charles le Mauvais,
est perdu ; le vitrail qui subsiste Karohw j.'Rex Navarre.
n'a pas été dessiné. En ce qui CI. Bibl. nat.
concerne le « prince d'Évreux- FIG. 2. DESSIN DE LA COLLECTION GAIGNIERES
Navarre », le vitrail a dû être

restauré ; c'est
c'est-à-dire celle
le dessin
de Charles
qu'il faut
le Noble.
croire De
et retenir
toute manière,
l'identification
le vitrail
donnée
ne peut
au xvme
pas siècle,
représenter Pierre de Mortain, car sa cotte d'armes ne montre pas la bordure engrêlée des
cadets (qui orne le surcot de ce prince sur son tombeau au Louvre). Si le personnage
* *! -■ *•**■ ;-'- . .*.' ■ ^f*sfiilf -;» «if

*%ß>
■•.

Cl. Arch. phot.


FIG. 3. BAIE 125
LES VITRAUX DE LA CATHEDRALE d'ÉVREUX 61

n'est pas Pierre de Mortain, rien n'oblige plus à reconnaître dans le roi de France
son protecteur, Charles VI. Il faut penser que tous ces « vitraux royaux », ceux qui
sont perdus et ceux qui
subsistent, ont été offerts par la
grande bienfaitrice de la
cathédrale, Blanche de Navarre, sœur
de Charles le Mauvais, femme du
roi de France Philippe VI. Le
« roi de France » de la baie 125
doit être Philippe VI ; ce vitrail
commémoratif s'accompagnait
sans doute d'une verrière de
Blanche de Navarre elle-même,
dont des fragments subsistent
dans la fenêtre 124 du chœur (1).
A vrai dire, cette thèse est
incertaine sur plus d'un point.
Le vitrail de « Pierre de Mortain-
Charles le Noble » est beaucoup
moins restauré que ne le dit
M. Baudot : le bonnet à perles
à la place de la couronne est
authentique; il n'y eut jamais
de blason dessiné par Boudan ni
d'inscription sur le socle... Si
l'on tient les dessins pour exacts,
il faut reconnaître que le vitrail
dessiné par Boudan est perdu
et qu'un autre, qu'il n'a pas
dessiné, est conservé... Il y
aurait ainsi, côte à côte, dans Kamin* n.'Rcx Navarre me donavit. oé. iäm.
la nef d'Évreux deux vitraux re- ri Bibl.
U. „.,, nat.
FIG. 4. DESSIN DE LA COLLECTION GAIGNIERES
(1) Mais, contrairement à ce que
l'on en a dit, l'effigie de la reine de la fenêtre 124 n'a jamais appartenu à la série qui nous
intéresse : elle est beaucoup plus petite et vient d'une fenêtre basse. Par contre, le blason sous cette
effigie, qui est celui de Blanche de Navarre, vient d'une fenêtre supérieure de la nef et devait
appartenir aux « verrières royales ».
62 LES VITRAUX DE LA CATHÉDRALE d'ÉVREUX
présentant Charles le Noble, presque identiques, l'un avec inscription et l'autre sans
inscription... Un de ces Charles aurait été présenté à la Vierge par un saint Pierre
et ne porterait pas de couronne royale.
M. Baudot, à qui nous avons présenté ces objections, les admit partiellement,
tout en se refusant catégoriquement de reconnaître Pierre de Mortain, pour des
raisons d'héraldique citées plus haut. La coiffe du prince serait une « couronne de rosés »,
insigne de la confrérie du Pardon, fondée en 1350 par Charles le Mauvais (avant son
élévation à la couronne de Navarre), Mais ceci ferait penser que le prince est Charles
le Mauvais et non Charles le Noble ; ce prince aurait été représenté deux fois, en tant
que roi (dessin de Gaignières) et en tant que fondateur d'une confrérie... Mais cela
aussi est contestable, car la coiffe du prince ne s'orne pas de rosés, mais de perles...
Que conclure, dans ces conditions? Je crois que l'hypothèse de M. Baudot sur la
donation de ces « verrières commémoratives » par Blanche de Navarre est très
vraisemblable ; et alors il est admissible que le roi de France figurant dans la série des
verrières soit Philippe VI, son époux. Les deux rois de Navarre — dessinés par
Gaignières — y figurèrent à coup sûr ; leurs effigies sont perdues. Quant au « prince »
conservé, sous une coiffe non royale et sans engrêlure à la cotte d'arme, présenté à
la Vierge par saint Pierre, c'est quand même Pierre, l'héritier de Blanche de Navarre
(morte en 1399), sa tante, le seul prince de la famille qui eut manqué dans un tel
ensemble (1). De toute manière, la date d'exécution de ces verrières doit être située
pendant les dernières années du xive siècle, vers 1395-1400.

Une autre œuvre à la cathédrale est du même temps et sans doute du même
atelier, les verrières de la chapelle du Rosaire (baies 14, 15 et 16 de la nomenclature
habituelle) (2) ; on a daté ces vitraux de 1370 environ, malgré la présence, dans les
réseaux des fenêtres, du chiffre de Charles VI, roi de France, que l'on tenait pour
adjonction. M. Baudot fait observer que ces vitraux se rapportent à la fondation de la
chapelle de Saint-Jean-Baptiste, en 1397, et qu'ils ne sauraient être antérieurs à cette

(1 ) M. Baudot ne discute pas l'argument qui a été souvent avancé depuis 1 953 sur la ressemblance
frappante entre l'effigie de ce vitrail et le « portrait» funéraire de Pierre de Mortain qui est au Louvre.
A l'exposition de 1953, le tombeau fut déposé à proximité du vitrail et l'on a pu constater cette
ressemblance. L'identité du patron-présentateur, saint Pierre, est également significative (même si elle
n'est pas décisive). On serait tenté de supposer que, dans cette série de portraits de famille royale
d'Évreux, le frère de Charles le Noble était suffisamment caractérisé par l'absence de couronne royale.
(2) Sur ces vitraux, J. Lafond, Le vitrail du XIVe siècle en France, p. 206-207, et Le vitrail
français, p. 185. Il ne nous paraît pas possible de placer ces vitraux aussi tard que le propose M. B
dot (vers 1420). La proximité de 1400 paraît s'imposer.
date. On devra sans doute admettre
ces vues, après un nouvel examen
de ces 1res beaux vitraux.
L'étude de M. Baudot apporte
aussi des éléments nouveaux au
problème du célèbre couple de verrières
du rond-point du chœur (baies 117-
118) dites de Bernard Carit (ou Ca-
riti). Elles comptent parmi les
grands chefs-d'œuvre du vitrail
français ; jusqu'à une époque
récente, on les datait des années
1376-1383; un évêque y est
présenté à la Vierge par saint Taurin (?)
et par un saint cistercien, peut-
être saint Bernard (1). Il est admis
aujourd'hui que cet évêque
appartient à la famille de Malestroit, qui
a donné un évêque, Thibaud, à
Tréguier et à Quimper, un
chancelier, prénommé Jean, au duché de
Bretagne et — peut-être, car l'affaire
n'est pas tout à fait certaine — un
évêque, Gaspard, au siège d'Évreux ;
celui-ci, non reconnu par le Saint-
Siège, élu en 1418, aurait laissé la
place à Paul Capranica en 1420 ; c'est
lui que représenterait ce vitrail (2).

(1) Pour ce vitrail, l'hypothèse de


Bernard Carit et de la date de 1376-1383
a déjà été abandonnée par J. Lafond, dans
Bulletin de la Société nationale des
Antiquaires de France, 1962, p. 144-151, qui
proposait d'identifier le donateur comme
Thibaud de Malestroit, évêque de Cor-
n ouailles (Quimper).
(2) Je me demande pourtant s'il ne
faut pas penser au chancelier Jean de
Malestroit, évêque de Saint-Brieuc en 1404,
puis donation
une de Nantesà laencathédrale
1419, qui d'Évreux.
fit, en 1411,

CARITI-MALESTROJT
64 LES VITRAUX DE LA CATHÉDRALE d'ÉVREUX
Ces rapprochements seront accueillis avec joie par les historiens de l'art... Depuis
quelque temps, nous pensions, M. Charles Sterling, M. Jean Lafond et moi-même, que
ces vitraux devaient être datés des années 1415-1420 (1).

L'étude des vitraux du xve et du xvie siècle, par M. R. Dubuc, apporte moins de
contestations de thèses admises, mais — surtout sur le plan de l'héraldique et de
l'histoire — des précisions utiles sur plusieurs vitraux. Ce qu'il dit du vitrail de Guillaume
de Cantiers, évêque élu en 1400, est admirablement documenté, mais n'aboutit pas à
la solution de tous les problèmes. Cette verrière, installée dans une fenêtre du xnie siècle
de la nef, est <c signée et datée » et — fait heureux — répond dans ses détails
héraldiques aux dessins de Gaignières (Bouchot, nos 2348 et 6731). L'évêque est représenté
à genoux devant une Vierge à l'Enfant, présenté (on ne sait pas pourquoi) par sainte
Catherine, qui a poussé la complaisance jusqu'à porter à la main, en plus de la palme
de son martyre, la mitre épiscopale ; mais le vitrail offre une seconde figure de
donateur, présenté à la Vierge par l'ange de l'Annonciation (ce qui n'est pas habituel).
Les blasons qui accompagnent ce personnage semblent se rapporter à la famille de
La Ferté-Fresnel ; mais on ne sait pas quelle est la raison de la présence de ce
personnage (peut-être Jean, fils d'un autre Jean, maréchal de Normandie), ni la signification
d'une fleur de lis sur son épaule... En plus, les armes de France, de Philippe le Hardi
de Bourgogne et de Jean sans Peur ornent le réseau... Il y a là un faisceau de
problèmes historiques, presque politiques, à résoudre... Le style de la verrière est
également inhabituel (ce n'est pas l'atelier des « vitraux royaux » qui l'exécuta), la
merveilleuse clarté de la verrière s'opposant aux teintes plus montées, plus dramatiques,
des vitraux des princes d'Évreux-Navarre.
Le vitrail « des Trois Marie », dans le chœur, a déjà été souvent commenté et
expliqué dans ses nombreux portraits de chanoines et dignitaires, comme aussi dans
sa signification « politique ». « Cet admirable ensemble, écrit M. Dubuc, postérieur à
la bataille de Formigny (15 avril 1450) qui marquait l'expulsion définitive des Anglais
hors de la France, commémorait aussi, outre la fin du Grand Schisme d'Occident
(1429), la donation au chapitre d'Évreux par René d'Anjou, roi de Jérusalem et de
Sicile..., de deux parties notables des côtes des saintes Marie- Jacobé et Marie-Salomé
en décembre 1449. » Louis XI fit orner les fenêtres du bras sud du transept, où appa-

(1) Voir L. Grodecki, Les verrières d'Évreux, dans VŒU, mai 1957, p. 24 ; tout en maintenant les
identifications traditionnelles, je disais qu'une date plus récente que 1400 s'accorderait bien mieux
avec le style de la verrière.
LES VITRAUX DE LA CATHEDRALE D EVREUX 65
raît son portrait très « réaliste », et surtout, fit agrandir et décorer la chapelle de la
Vierge au chevet. M. Dubuc présente ce décor comme un « mémorial du sacre » du
roi, en 1461; tous les dignitaires du sacre, portant les instruments de la cérémonie,
figurent en buste dans les réseaux des fenêtres. Les vitraux, parfaitement décrits à
plusieurs reprises déjà, ont été malheureusement assez restaurés au xixe siècle et
n'offrent pas la merveilleuse qualité des verrières plus anciennes. Personnellement
nous leur préférons les vitraux de la même époque, et d'un style semblable, de l'église
Saint-Taurin à Évreux.

Ces études, qui dépassent, on le voit, malgré le format réduit de la publication


périodique normande, les habituelles « descriptions sommaires », attirent à nouveau
notre attention sur cet ensemble exceptionnel, qui mérite maintenant une semblable
étude sur le plan de l'histoire de l'art, précisant la provenance et la place de ces œuvres
dans l'évolution de la peinture. Le volume publié sous les auspices de la même revue,
accompagnant quarante-huit diapositives d'excellente qualité, rendra de grands
services à l'enseignement ; il eût été souhaitable que des publications semblables — avec
un nombre accru de diapositives — soient entreprises pour d'autres ensembles de
vitraux français, ce qui existe pour Chartres, Bourges, Strasbourg ou la
Sainte-Chapelle de Paris étant manifestement insuffisant.

Note, par Marcel BAUDOT


La mise au point de M. Louis Grodecki attire opportunément l'attention sur la
place eminente que doivent occuper, dans l'histoire de la peinture sur verre, les
vitraux de Haute-Normandie ; leur importance dans l'évolution de l'art français mérite
qu'on s'y attache avec application. Mais le fait qu'ils ont été, pour la plupart, offerts
par de très hauts personnages étroitement liés à la famille royale et à son entourage
et qu'ils émanent généralement d'ateliers royaux usant de techniques
particulièrement évoluées doit garder l'archéologue de la tentation de postdater ces œuvres
d'art. Il est indispensable, d'autre part, de ne pas négliger les précisions d'ordre
historique qui permettront d'écarter certaines identifications traditionnelles et d'étàyer
de nouvelles hypothèses plus plausibles. Il y a lieu enfin de s'en tenir strictement à
l'enseignement de l'héraldique dont il ne faut jamais oublier qu'il a au Moyen Age
un caractère intangible (i). C'est pourquoi il faut sans la moindre hésitation exclure
(1) La présentation architecturale et le style des fragments de vitraux du xme siècle de la
cathédrale excluent au jugement particulièrement autorisé de M. Grodecki une date antérieure
66 LES VITRAUX DE LA CATHÉDRALE d'ÉVREUX
toute possibilité de voir Pierre de Mortain dans la figuration du prince de la maison
de Navarre de la baie 115 de la cathédrale d'Ëvreux, étant donné que la bordure
engrêlée est obligatoire pour ce cadet, telle qu'elle figure sur toutes les
représentations connues des armes de ce prince. L'argumentation tirée de la ressemblance
frappante des visages et basée sur l'effigie funéraire de Pierre de Mortain ne serait
pleinement valable que si nous avions la preuve que les traits du père étaient très
différents de ceux du fils. Au sein d'une même famille et après des unions consanguines,
les similitudes de traits sont très fréquentes. Le choix n'est dotic possible qu'entre
Charles le Mauvais et son fils aîné, Charles le Noble; nous avions tout d'abord opté
pour ce dernier, incités à cela par un des dessins exécutés parBoudan pour Gaignières.
Or, s'il est certain que Boudan est loin d'être un dessinateur très scrupuleux,
pourquoi aurait-il donné libre cours à son imagination dans le tracé des décors et le recours
à des inscriptions de son invention? La vérité, c'est que ces dessins ne comportent
qu'un choix de verrières historiées des monuments prospectés et que les
intempéries et la négligence ont détruit une notable partie de ces ensembles de verre peint
offerts par les grands bienfaiteurs de nos plus illustres sanctuaires ; nous connaissons
par des textes l'état de ruine du décor vitré de Notre-Dame d'Évreux au début du
xixe siècle, et il laut bien admettre que la série des vitraux royaux attribuables,
nous le pensons, à Blanche de Navarre s'est trouvée de la sorte très appauvrie, ce
qui explique que plusieurs des verrières dessinées par Boudan aient totalement disparu.
Aussi sommes-nous amenés à penser que le vitrail de la baie 115 figure en fait,
conformément à l'opinion traditionnelle, Charles le Mauvais lui-même, non en tant
que roi de Navarre, mais comme fondateur, en 1350, de la confrérie du Pardon. A
cette date, Charles n'est pas encore roi de Navarre, il ne porte donc pas la couronne
royale, mais soit un simple bonnet de perles, comme le suggère M. Louis Grodecki,
soit, plus vraisemblablement encore, un chapel de rosés, décoré, selon l'usage pour
un roi de confrérie, d'une garniture de boutons de rosés. La présence de saint Pierre
est traditionnelle au côté de saint Denis pour accompagner un prince de la maison
de France à cette époque ; on doit, d'autre part, remarquer que la confrérie du Pardon
à 1270. La bordure aux armes de France et de Castille implique cependant qu'une partie pour le
moins de ces vitraux du xme siècle dataient du règne de saint Louis, au temps de la régence de
Blanche de Castille.
La présence du blason de l'évêque Geoffroy de Bar, décédé en 1299, dans la bordure du vitrail
de la fenêtre 12, imposerait l'identification de l'évêque figuré avec ce personnage s'il n'y avait pas
eu remaniement du vitrail. Mais le style des architectures justifie une datation nettement
postérieure. Nous possédons, il est vrai, une certitude d'emploi du jaune d'argent en Normandie, au
Mesnil-Villeman, dans une église rurale, grâce à l'inscription datant de 1313 cette verrière. On
pourrait aussi admettre que, par suite de la mort rapide de ce Geoffroy, sa donation n'a pu être
réalisée que tardivement par les soins du chanoine Alain de Balau et de son frère qui figurent avec
leur nom sur le vitrail.
LES VITRAUX DE LA CATHEDRALE D EVREUX 67
à Notre-Dame d'Évreux était sous le patronage des saints apôtres Pierre et Paul.
Quant au vitrail figurant un roi, dessiné par Boudan et portant l'inscription de
sa donation par le roi Charles II, il diffère trop considérablement, en effet, de la
verrière de la baie 125 de la cathédrale pour pouvoir justifier le rapprochement proposé
par Mme Honoré-Duvergé. Le décor héraldique de la tenture de fond portant une
suite d'écussons alternés aux armes d'Évreux et aux armes de Navarre ne peut en
fait convenir qu'au comte d'Évreux, Philippe, père de Charles le Mauvais, après son
accession au trône de Navarre. Il s'agit là aussi, bien entendu, d'un vitrail commé-
moratif, donné par Charles le Mauvais en souvenir de son père. Ainsi Charles le
Mauvais n'aurait pas été représenté deux fois dans cette série de verrières commémo-
ratives.

M. Grodecki se demande (p. 63, n. 2) si l'évêque de la famille de Malestroit figurant


dans la baie 118 ne serait pas le chancelier du duché de Bretagne, Jean de
Malestroit, évêque de Saint-Brieuc, puis de Nantes, et bienfaiteur de la cathédrale d'Évreux.
La présentation par saint Taurin, premier évêque d'Évreux, implique qu'il
s'agit bien d'un évêque de ce siège, mais il n'est pas exclu que le vitrail ait été offert
par le chancelier, proche parent, sans doute, de ce Gaspard de Malestroit, évêque
d'Évreux. En tout cas, les hermines de Bretagne décorent le fond (au vitrail au-dessus
de l'évêque représenté ; ce peut être la marque du chancelier de Bretagne comme ce
peut être aussi celle du duc de Bretagne, Jean V, dont le père, Jean IV, époux de
la fille de Charles, le Mauvais, Marie, avait été le fondateur de l'ordre de l'Hermine
en 1381.
Le caractère politique d'une notable partie des verrières de la cathédrale, illustré
par les vitraux royaux du xive siècle, se poursuit au xve siècle avec l'encadrement
bourguignon du vitrail de Guillaume de Cantiers, la marque bretonne des verrières
de Gaspard de Malestroit, la commémoration de la libération d'Évreux, de la fin du
Grand Schisme et de la donation d'insignes reliques par le roi René d'Anjou avec le
magnifique vitrail des Trois Maries et enfin par la célébration du sacre du roi Louis XI,
qui contribua si généreusement à l'embellissement de la cathédrale. M. Grodecki
signale à juste titre, à propos des verrières du mémorial du sacre, à la chapelle de la
Mère-de-Dieu, que ce décor de verre a été malheureusement assez restauré au xixe siècle
et, ajoutons-le, mal reposé après la dernière guerre. Il y a Heu cependant d'appeler
l'attention sur le grand intérêt historique et iconographique de la série des pairs de
France qui ont participé au sacre du roi à la cathédrale de Reims le 15 août 1461.
Nous connaissons le détail de l'événement grâce à deux témoignages d'historiens
68 LES VITRAUX DE LA CATHEDRALE d'ÉVREUX

contemporains, à savoir la chronique de Georges Chastellain (t. IV, ch. ix) et les
chroniques du continuateur d'Enguerrand de Monstrelet (ch. xxxn). Nous avons
par ailleurs deux figurations également contemporaines du sacre, les vitraux ornant les
fleurs de lis des baies de la chapelle absidale de la cathédrale d'Évreux et la
décoration d'un bahut en excellent état de conservation donné par Louis XI à l'église
Saint-Aignan d'Orléans et aujourd'hui conservé dans le bureau du maire de cette ville.
Des deux textes narratifs, il faut retenir les précisions suivantes : d'après
Chastellain, le duc de Bourgogne était en habit royal « riche et moult bel, avec un chapeau
d'or sur la tête, large plus d'une palme et le plus riche que on vit oncques, fait de
grosses et resplendissantes pierres » ; son cousin, le comte de Ne vers, était vêtu de son
habit fourré d'hermine ; l'abbé de Saint-Rémy, à cheval, apporta la sainte Ampoule ;
l'évêque de Leon releva le roi qui s'était agenouillé à la présentation de la sainte
Ampoule, puis s'approchèrent les prélats et princes pairs de France qui se plaçaient à
leur rang, à savoir le duc de Bourgogne avec son neveu le duc de Bourbon, le comte
de Nevers, le comte d'AngouIême, le comte de Dunois et les autres qui déshabillèrent
le roi et le menèrent devant l'autel où avait été posée la sainte Ampoule et où se
tenaient les pairs, prélats à leur rang, mitres en tête et crosses en main. L'archevêque
de Reims, levant l'Ampoule, la remit à l'évêque de Laon et, après avoir mis un peu
de saint chrême sur une patène d'or, en oignit le roi au front, sur les deux joues, la
bouche, le nombril, les aisselles, les épaules et au long des reins, puis releva le
souverain et, avec les autres pairs, le vêtit « de chemise blanche, de pourpoint de surcotte
et de royal habit d'azur » ; les ducs de Bourgogne et de Bourbon et le comte d'An-
goulême lui montèrent des chausses qu'ils attachèrent à son pourpoint, après quoi le
roi fut revêtu de tous vêtements et habits royaux semés de fleurs de lis d'or et mené
jusqu'à son trône haut de vingt-sept marches, tandis que le duc de Bourgogne, premier
pair, le coiffait d'un bonnet et, après avoir tenu un peu longuement au-dessus de sa
tête la couronne, la lui posait sur le chef doucement en criant « Vive le roy, Montjoie
Saint Denis », que répétait la foule en ajoutant « Noël ».
Les Chroniques de Monstrelet rapportent, pour leur part, que, le jour de
l'Assomption, le roi fut sacré en la cathédrale de Reims par l'archevêque, en présence des pairs
de France ou de leurs remplaçants, que le duc de Bourgogne qui était pair doublement
fit « habillier comme pair représentant sa personne son nepveu le duc de Clefves ».
Go def roy, dans le Cérémonial françois (éd. 1649, t. I, p. 172-178), se référant aux
chroniques et au continuateur de Monstrelet, note que l'évêque de Laon manquait.
Nous savons qu'en fait, l'évêque de Paris, Guillaume Chartier, remplaçait non l'évêque
de Laon, mais celui de Noyon. Le duc de Bourbon tenait lieu de duc de Guyenne, le
comte d'Angoulême de duc de Normandie, le comte de Nevers de comte de Flandre,
LES VITRAUX DE LA CATHEDRALE D EVREUX 69

le comte de Vendôme de comte de Champagne, le comte d'Eu enfin de comte de


Toulouse.
Sur le coffre de Saint-Aignan d'Orléans, naguère étudié par Henri Stein dans un
article de la revue Musées et monuments de France (1906, p. 135-137), le huchier a
sculpté, sous une frise de tiges de feuilles de vigne et de houx alternant avec des
fleurs de lis, une série de sept arcatures géminées formant niches pour les douze
personnages figurant les douze pairs de France. Au centre, le roi Louis XI, agenouillé

Cl. Service photographique des Archives du Loiret.


COFFRE DE SAINT-AIGNAN D'ORLEANS

devant un prie-Dieu armorié, reçoit l'onction sainte de l'archevêque de Reims qui lit
l'oraison dans un livre que lui présente un clerc. A droite se voient successivement
l'évêque de Laon tenant la sainte Ampoule, le duc de Guyenne portant le fanion
royal, puis l'évêque de Noyon tenant le ceinturon, le duc de Normandie tenant un
bouclier aux armes de la province et la bannière royale, l'évêque de Châlons portant
l'anneau et le comte de Toulouse avec les éperons, tandis qu'à gauche s'échelonnent
le duc de Bourgogne tenant la couronne, l'évêque de Beauvais avec le manteau royal,
le comte de Flandre avec l'épée, l'évêque de Langres avec la main de justice, le
comte de Champagne tenant les armes de la province et l'étendard de guerre et enfin
l'archange transporteur de la sainte Ampoule portant une banderole où on lit les
mots « vive le roy ».
70 LES VITRAUX DE LA CATHÉDRALE d'ÉVREUX

Aux fleurs de lis des baies de la chapelle de la Mère- de- Dieu, à la cathédrale
d'Ëvreux, la disposition est semblable en ce qui concerne la fenêtre où sont représentés
l'archevêque de Reims sacrant le roi avec, à droite, l'évêque de Laon tenant la sainte
Ampoule et, à gauche, le duc de Bourgogne portant la couronne royale. A droite de
cette fenêtre étaient représentés le duc de Normandie avec la bannière royale, l'évêque

CI. Arch. phot. CI. Arch. phot.


BAIE 28 BAIE 28

de Langres avec la main de Justice et le duc de Guyenne avec le fanion, puis, dans la
fenêtre suivante, le comte de Flandre, l'évêque de Noyon et le comte de Toulouse. A
gauche, les trois fleurs de lis étaient occupées par l'évêque de Beau vais portant le
manteau royal d'azur fleurdelisé d'or, l'évêque de Châlons et le comte de Champagne
avec l'étendard de guerre.
Il n'y avait pas, à la date du sacre de Louis XI, de ducs de Guyenne, de
Normandie, de comtes de Flandre, de Champagne et de Toulouse, mais le protocole du sacre
exigeait la présence de ces grands dignitaires, et les princes du plus haut lignage qui
étaient choisis en raison de leur rang pour les remplacer portaient au sacre les insignes
LES VITRAUX DE LA CATHEDRALE d'ÉVREUX 71
des pairs dont ils tenaient le rôle. En fait, au sacre de Louis XI, à côté du duc de
Bourgogne Philippe le Bon, les autres rôles traditionnels furent tenus par des remplaçants,
le duc Jean II de Bourbon au nom du duc de Guyenne, le comte d'Angoulême,
Jean, au nom du duc de Normandie, le comte de Nevers, Jean de Bourgogne, aux
lieu et place du comte de Flandre, le comte Jean II de Bourbon, comte de Vendôme,
aux lieu et place du comte de Champagne, le comte d'Eu, Charles d'Artois, lieutenant
du roi en Normandie et Guyenne, aux lieu et place du comte de Toulouse. De même
l'évêque de Paris tint le rôle de l'évêque de Noyon, empêché. Ce sont ces remplaçants
des pairs traditionnels qui sont figurés aussi bien sous les arcatures du bahut
d'Orléans que dans les tympans des baies de la chapelle absidale de la cathédrale d'Évreux.

Note sur la verrière 106, par René DUBUC


Une intéressante identification vient d'être obtenue en rapprochant le
majestueux blason (d'azur à trois roues d'or, à la bordure engrêlée de gueules) qui, dans la
nef, orne la rosace au tympan de la verrière 106, d'un sceau apposé sur une quittance
de 1393 conservée dans la collection des pièces originales de la Bibliothèque nationale.
La partie centrale de cette verrière est occupée par deux grands panneaux
représentant un chanoine en grand habit de chœur, à genoux, présenté par son patron,
saint Pierre, qui offre en son nom un vitrail à la sainte Vierge aux pieds de laquelle
s'est agenouillé l'ange de l'Annonciation.
Il s'agit de messire Pierre Beaublé, alors archidiacre d'Ouche au diocèse d'Ëvreux
après avoir poursuivi ses études de bachelier, puis de docteur es loix à l'Université
de Paris, où il fut notamment mêlé de près, entre 1386 et 1388, au long procès soutenu
par maître Aymé du Breuil contre le doyen et la Faculté de décret de Paris.
Familier du roi Charles V dont il était devenu le conseiller, il avait déjà été
chargé, vers 1385, d'une mission en Hongrie, peut-être pour s'informer de la
situation difficile laissée depuis trois ans à la reine Marie par la mort de son père, le
glorieux roi Louis le Grand.
Il s'était également attaché au duc Louis d'Orléans, frère du roi Charles VI, et
avait su gagner la confiance de l'un et de l'autre, qui l'avaient à leur tour nommé leur
conseiller. Dès lors, il fut chargé d'importantes missions dans le cadre des visées
italiennes qui constituaient à ce moment l'une des préoccupations de la cour de France.
En mai 1394, il part en Lombardie pour négocier le rattachement de Savone à la
France et, le 30 novembre, il assiste, triomphant, è l'échange des confirmations de la
capitulation de la ville. Puis il est envoyé à Gênes dès décembre 1394 pour entamer
les pourparlers tendant à la réunion de cette ville à la France. De longues et délicates
72 LES VITRAUX DE LA CATHÉDRALE d'ÉVREUX

négociations occupent l'année 1395 et, en mars 1396, le roi Charles VI le charge à
nouveau, avec Pierre Fresnel, évêque de Meaux, d'une mission à Gênes, qui devait
aboutir à l'accord souhaité.

Cl. Arch. phot.


BAIE 106

Mais la riche ville italienne peut être de quelque utilité pour les finances obérées
du roi de France : le 29 décembre 1396, Charles VI désigne comme ambassadeurs,
outre Enguerrand de Luxembourg, comte de Ligny et de Saint-Pol, gouverneur de
Gênes pour le roi de France depuis deux mois, l'évêque Pierre Fresnel et maître Pierre
Beaublé pour négocier un emprunt de 10.000 florins. Celui-ci est heureusement conclu
le 16 mai 1397.
LES VITRAUX DE LA CATHÉDRALE d'ÉVREUX 73
Charles VI, en récompense de sa fructueuse diplomatie, désigne alors son
conseiller pour l'évêché d'Uzès, vers 1389, mais sans l'agrément du pape d'Avignon,
Benoît XIII, qui, en 1400, au cours d'une audience orageuse, refusera son investiture
à celui qui venait, en termes à peine voilés, le sommer d'abdiquer au nom du roi
de France. Toutefois, c'est avec le titre d'évêque d'Uzès que Pierre Beaublé assiste
aux séances du Parlement et que, le 19 octobre 1403, il est choisi par le duc
d'Orléans comme l'un de ses exécuteurs testamentaires.
Quelques mois plus tard, le 16 septembre 1405, Benoît XIII se résigne enfin à
le nommer évêque de Séez, pour succéder à Guillaume Langlois, décédé le 13 mai 1404.
Le début de l'année 1405 l'avait à nouveau conduit sur les routes d'Italie, où,
accompagné entre autres de Nicolas le Dur, qui lui avait succédé à l'archidiaconé d'Ouche,
il avait été envoyé au maréchal Boucicaut, devenu gouverneur de Gênes, pour tenter
d'apaiser le différend qui avait éclaté avec la République de Venise : le 13 juillet 1405,
il ordonnait au maréchal de suspendre toutes les hostilités.
Ce fut sans doute sa dernière chevauchée. En janvier 1407, on le retrouve à Séez
chargé de la délicate fonction de président de la Chambre des aides ordonnés pour
la guerre. Et, le 23 novembre 1407, tombe sous le poignard son protecteur et ami Louis
d'Orléans.
Sa santé s'affaiblit. Il demeure volontiers en son hôtel de Paris, d'où il se rend
plus facilement au Parlement, où il paraîtra encore' le 5 septembre 1408.
Mais, dès le 10 mars 1408, son testament est rédigé de sa propre main : il
n'oubliera ni ses sœurs ni ses neveux, de l'avenir desquels il se préoccupe avec soin, ni ses
familiers ni sa paroisse d'origine, Saint- Amand-en-Puisaye, à laquelle il léguera des
ornements pour le service funèbre qu'il y instaure. L'inventaire de ses biens, qui
accompagnait le testament, n'a malheureusement pas été conservé ; il devait être
assez important si l'on considère les legs qu'il a prévus : manuscrits précieux,
vaisselle d'or, vêtements de fourrure, chevaux y figurent en bonne place.
Quelques semaines après que sa présence eut été constatée au Parlement, sa vie
mouvementée s'achevait, sans qu'on sache exactement à quelle date. En effet, le
30 octobre 1408, Jean III, désigné comme nouvel évêque de Séez, faisait promesse
d'obéissance entre les mains de Louis, archevêque de Rouen.
Le rôle de Pierre Beaublé est assez important, en cette époque tourmentée, pour
mériter quelque attention et sa générosité envers la cathédrale d'Évreux, si meurtrie
à l'époque, lui aura valu cette évocation inattendue qu'un prochain travail
s'efforcera de préciser.

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