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GOLITSIS
Les Commentaires
ISBN 978-3-11-019541-5
I S S N 18 6 4 - 4 8 0 5
w ww.deGruyter.com
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4 Avant-Propos
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7 Le prsent ouvrage est une version rvise de la premire partie de ma thse de
8 doctorat, consacre lhistoire de linterprtation de la Physique dAristote
9 dans lantiquit tardive et Byzance, que jai soutenue lcole Pratique des
10 Hautes tudes (Paris) le 27 septembre 2006. Les deux directeurs de ma thse,
11 Henri Hugonnard-Roche et Philippe Hoffmann, mont apport leur appui et
12 leurs encouragements constants ; je les en remercie le plus vivement. Philippe
13 Hoffmann, je dois un remerciement tout particulier : il ma gentiment permis
14 danticiper sur un projet men en commun, qui aboutira une traduction
15 commente des deux Corollaires de Simplicius sur le lieu et le temps ; il a mis
16 ma disposition la traduction quil en a faite et men a gnreusement autoris
17 une premire publication. Mais cest l dire trs peu. Le lecteur averti
18 comprendra combien mon travail a puis dans cette source rpeqpk^qgr que sont
19 son enseignement et sa personnalit.
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21 Luc Brisson, Bernard Flusin, Paraskevi Kotzia et Alain Lernould, tous membres
22 du jury de ma thse, mont fait part de leurs prcieuses remarques et
23 suggestions ; quils reÅoivent ici lexpression de ma vive reconnaissance. Un
24 mot de reconnaissance toute particulire est d Paraskevi Kotzia : sans elle, je
25 naurais vraiment jamais entrepris des recherches sur le commentarisme et son
26 histoire.
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28 Toute ma gratitude va galement Dieter Harlfinger, qui ma fait lhonneur de
29 proposer la publication du prsent ouvrage dans la collection des Commentaria
30 in Aristotelem Graeca et Byzantina. Marwan Rashed a eu la gentillesse de relire
31 le tout et de me proposer des amliorations, voire des corrections, que je ne
32 saurai jamais faire. Philippe Soulier a trs amicalement voulu revoir mon
33 franÅais. Il va sans dire que je suis le seul responsable pour toutes les
34 dfaillances qui subsistent.
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36 La prsente publication a t rendue possible grce une gnreuse subvention
37 de la Fondation « Alexandros S. Onassis », qui, une fois de plus, ne ma pas
38 mnag son soutien.
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40 Berlin, mai 2008 Pantelis Golitsis
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Table des Matires
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Appendice
Les digressions traduites et annotes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
1) Simplicius, Histoire des recherches naturelles (In Phys., 6.31 – 8.15) . . 207
2) Simplicius, Sur lharmonie des philosophes (In Phys., 28.32 – 37.9) . . 210
3) Simplicius, Sur les significations de lun chez Parmnide (In Phys.,
86.19 – 90.22) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220
4) Simplicius, Sur lUn-qui-est parmnidien (In Phys., 142.28 – 148.24) . 225
5) Simplicius, Sur la matire (In Phys., 227.23 – 233.3) . . . . . . . . . . . . . . . 232
6) Simplicius, Sur la nature (In Phys., 282.31 – 289.35) . . . . . . . . . . . . . . . 240
7) Simplicius, Sur le hasard (In Phys., 356.31 – 361.11) . . . . . . . . . . . . . . . 252
8) Simplicius, Sur la notion de mouvement chez Platon et Aristote (In
Phys., 404.16 – 406.16) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259
9) Simplicius, Sur les notions de mouvement et de changement (In Phys.,
821.12 – 823.4) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263
10) Simplicius, Sur la notion dautomoteur (In Phys., 1247.27 – 1250.31) . 266
11) Simplicius, La physique thologique et la constitution de lunivers (In
Phys., 1359.5 – 1360.23) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271
12) Philopon, Sur le commencement du temps (In Phys., 456.17 – 459.1) . 274
13) Philopon, Sur le mouvement contre nature (In Phys., 639.3 – 642.26) . 277
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
I. ditions, traductions et commentaires de textes antiques . . . . . . . . . . 281
II. tudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285
Indices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 292
Index des notions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 292
Index des auteurs modernes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 295
Index des noms anciens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 296
Index des passages cits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297
Proposition de correction des textes grecs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305
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4 Introduction
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7 « Ja· eWmai to»r kºcour to¼sde
8 lµ jaimo»r lgd³ mOm, !kk± p²kai
l³m eQq/shai lµ !mapeptal´myr,
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to»r d³ mOm kºcour 1ngcgt±r
10 1je¸mym cecom´mai… »
11 Plotin, Ennades, V 1 (10), 8, 10 – 13
12
13 Lexgse, on le sait, fut de lpoque romaine jusqu la rvolution cartsienne
14 le moyen principal pour tudier et faire de la philosophie. Pour retour aux textes
15 quelle se voult, la pratique antique de lexgse nest pas reste dpourvue de
16 valeur proprement philosophique. Il y a maintenant quarante ans que Pierre
17 Hadot formulait clairement lobservation selon laquelle lacte de lexgse de
18 textes faisant autorit est un acte lui-mÞme philosophique1 : par ses systma-
19 tisations souvent arbitraires et par les contresens quelle produit, lexgse a
20 nourri de manire fconde la rflexion philosophique et, contrairement ce que
21 lon tait jadis prÞt admettre, elle est mÞme parvenue en assurer parfois
22 loriginalit.
23 Le prsent livre se propose dtudier loriginalit de lexgse philosophique
24 de Simplicius et de Jean Philopon, telle quelle se laisse apprhender par une
25 analyse systmatique de leurs Commentaires sur la Physique dAristote.
26 Commentant le mÞme texte fondateur de la pense antique, les deux exgtes,
27 contemporains lun de lautre et nourris dans le mÞme modle philosophique,
28 celui du noplatonisme tardif, sont loin de nous proposer une interprtation de
29 la Physique identique ou semblable, et cela dans une poque o la nouveaut, la
30 « jaimopq]peia », fut gnralement dvalue. Cest dire que la tradition – ce de
31 quoi loriginalit tient la fois sa diffrenciation et son identit – pesait lourd
32 sur les paules des derniers philosophes de lantiquit.
33 Simplicius et Philopon furent en effet les hritiers communs dune tradition
34 exgtique trs vigoureuse ( coup sr depuis lpoque dAlexandre dAphro-
35 dise) qui dlimitait a priori leur activit philosophique. Ils ont crit tous les deux
36 des commentaires sur Aristote,2 ils ont donc poursuivi une tradition scolaire qui
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39 1 P. Hadot, « Philosophie, exgse et contresens », dans Akten des XIV. Internationalen
Kongress fr Philosophie, Vienne, 1968, t. I, p. 333 – 339 [repris dans P. Hadot, tudes de
40 philosophie ancienne, Paris, 1998, p. 3 – 10].
41 2 Simplicius : 1) sur le De caelo ; 2) sur la Physique ; 3) sur les Catgories ; 4) sur le De
42 anima daprs la tradition manuscrite. Toutefois, comme F. Bossier et C. Steel lont
2 Introduction
1 mis part les excursus contra Philoponum de Simplicius et les quatre Corollaria
2 (sur le lieu et le temps, de Simplicius, et sur le lieu et le vide, de Philopon).4
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4 Une telle t che dpasse de beaucoup les limites de ce livre. Une traduction commente
40 des Corollaires de Simplicius sur le lieu et le temps fait lobjet dun projet que nous
41 menons en commun avec Philippe Hoffmann. De mÞme, nous envisageons de donner
42 dans les annes venir une traduction commente des deux Corollaires de Philopon.
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9 Premire partie.
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11 Reprer la tradition dans les commentaires
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4 Chapitre 1.
5 La tradition scolaire ou les prsupposs pdagogiques
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Simplicius de Cilicie et Jean dAlexandrie, dit Philopon ou Grammairien,
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taient des contemporains – la date de leur naissance doit Þtre place vers 485 –,
10
le premier tant peut-Þtre lgrement plus g que le second. Dans son
11
Commentaire au De caelo, Simplicius affirme quil na pas le souvenir davoir vu
12
Philopon,1 cest--dire Alexandrie o il avait lui-mÞme jadis tudi. On peut
13
raisonnablement expliquer ce manque de souvenir si lon considre que
14
Philopon est entr dans la communaut philosophique dAlexandrie une
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poque o Simplicius tait dj parti pour Athnes, ayant complt ses tudes.2
16
Mais cela ne fait pas ncessairement de Philopon un tudiant plus jeune.
17
Simplicius lui reproche dÞtre un « axilah^r » en philosophie,3 et lon sait que
18
Philopon tait ex titulo grammairien ; il se peut donc que, stant dabord
19
consacr des tudes pousses de grammaire, il se soit mis tardivement la
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philosophie.
21
Malgr la diffrence de leurs convictions religieuses et philosophiques – ce
22
qui dclenchera une vive polmique de la part de Simplicius contre ce
23
« chasseur de la gloire […] qui sest montr un accusateur dAristote, en
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sengageant dans le seul but, comme il laffirme, de dmontrer que le monde est
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corruptible pour quil se fasse dcerner un grand prix par le dmiurge »4 –, les
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29 1 In De caelo, 26.17 – 19 (Trad. H.–D. Saffrey) : « Que dailleurs nul ne men veuille si je
parais quelquefois lancer mes arguments contre cet homme dune faÅon trop brutale. Je
30 nai contre lui nulle querelle personnelle, jignore mÞme si je lai jamais vu. »
31 2 Cf. H.–D. Saffrey, « Le chrtien Jean Philopon et la survivance de lcole dAlexandrie
32 au VIe sicle », Revue des tudes Grecques 67 (1954), p. 396 – 410, en particulier p. 402,
33 n. 4. Comme lexplique I. Hadot, Le problme du noplatonisme alexandrin : Hirocls
34 et Simplicius, Paris, 1978, p. 25, le dpart de Simplicius pour Athnes doit Þtre situ
avant 517, puisque, au cas contraire, il aurait certainement connu Philopon. Si, comme
35 nous le pensons (voir infra, p. 23 – 24), en 517 Philopon enseignait la philosophie, et cela
36 depuis quelque peu de temps, et que, avant cette poque, il publiait les cours
37 dAmmonius, le dpart de Simplicius devrait Þtre situ vers 510.
38 3 Cf. In De caelo, 159.3 ; In Phys., 1133.9.
39 4 Simplicius, In De caelo, 25.23 – 27 : t_m d´ tir 1vû Bl_m dºngr, ¢r 5oijem, hgqatµr […]
jat¶coqor !m´du toO )qistot´kour sjop¹m l³m t¹m fkom 1mstgs²lemor, ¦r vgsi, vhaqt¹m
40 !pode ?nai t¹m jºslom ¢r 5pahkºm ti l´ca paq± toO dgliouqcoO kgxºlemor. Sur la
41 polmique de Simplicius et ses connotations philosophiques et religieuses, lire
42 Ph. Hoffmann, « Sur quelques aspects de la polmique de Simplicius contre Jean
8 Chapitre 1. La tradition scolaire ou les prsupposs pdagogiques
1 gnraux (t± jah|kou), les seuls avoir un contenu suffisamment universel pour
2 Þtre proprement philosophique. Parmi ceux-ci, il fallait galement liminer les
3 crits « hypomnmatiques », qui ntaient que des collections de matriaux
4 rassembles par Aristote pour mmoire, et aussi les dialogues, qui ne conte-
5 naient pas son propre dessein philosophique. On tait ainsi amen tudier
6 seulement les crits « syntagmatiques » o Aristote parle en son nom propre (t±
7 aqtopq|sypa). En fonction de leur objet et selon une classification des sciences
8 labore en partie dj par Aristote,14 ces crits taient regroups leur tour en
9 trois ensembles : 1) crits « instrumentaux » ; 2) crits « pratiques » diviss en
10 « politiques », « conomiques » et « thiques » ; 3) crits « thortiques » diviss
11 en « physiques », « mathmatiques » et « thologiques ». Lordre de leur lecture
12 suivait du bas vers le haut – conformment lopposition aristotlicienne entre
13 ordo cognoscendi et ordo essendi – la hirarchie que se voyaient assigner les
14 sciences au sein de leur classification : aprs avoir parcouru les traits logiques
15 de lOrganon, dits « instrumentaux » car ils fixent le jugement du vrai et du faux
16 (« instrument » ncessaire toute enquÞte philosophique), on devait tudier les
17 traits pratiques (thiques, Politique) qui sont infrieurs aux thortiques, parce
18 quils se donnent comme objet la contingence de laction humaine. Abordant
19 ensuite les crits thortiques, on commenÅait par les crits physiques (Physi-
20 que, Du ciel etc.), qui portent sur lÞtre en tant que matriel et mobile, puis on
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passait aux mathmatiques, qui portent sur lÞtre en tant quimmobile par
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abstraction, et lon terminait avec les traits thologiques (Mtaphysique), qui
23
portent sur lÞtre immobile en soi, autrement dit lÞtre en tant quÞtre.
24
Ceci dit, il faut se garder de considrer que la prsentation pralable du
25
corpus aristotlicien se concrtisait telle quelle dans la suite du cursus
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noplatonicien. On aura remarqu que plusieurs lments remontent une
27
tradition ancienne qui ntait certes pas vigoureuse lpoque des noplato-
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niciens,15 et le tout semble Þtre plutt adapt une conception dorigine
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pripatticienne pour une classification idale des sciences. Il est peu probable,
30
par exemple, que lon tudiait les mathmatiques en lisant Aristote, et lon sait
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que les noplatoniciens eux-mÞmes rdigeaient cette fin des commentaires sur
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dautres auteurs, par exemple Euclide ou Nicomaque de Grase. Qui plus est,
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14 Sur les divers types de classification des sciences dans lantiquit et leurs structures
35 conceptuelles, voir P. Hadot, « Les divisions des parties de la philosophie dans
36 lAntiquit », Museum Helveticum 36 (1979), p. 201 – 223 [article repris dans P. Hadot,
37 tudes de philosophie ancienne, p. 125 – 158].
38 15 Une classification semblable des crits dAristote se rencontre dj dans la liste que
39 nous transmet Diogne La
rce et dont lorigine remonte trs probablement la fin du
IIIe sicle av. J.–C. (cf. P. Moraux, Les listes anciennes des ouvrages dAristote, Louvain,
40 1951 [qui soutient que la liste fut originairement rdige par Ariston de Cos] et I.
41 Dring, « Ariston or Hermippus ? », Classica et Mediaevalia 17 (1956), p. 11 – 21 [qui
42 voit, rebours, lauteur de la liste en la personne dHermippe]).
12 Chapitre 1. La tradition scolaire ou les prsupposs pdagogiques
1 rien ne permet daffirmer que les crits thiques dAristote taient enseigns de
2 faÅon systmatique dans les coles noplatoniciennes : on ne dispose daucun
3 commentaire qui puisse confirmer un tel enseignement et on ne trouve pas non
4 plus de rfrences des lectures scolaires des thiques dans les autres
5 commentaires. Au contraire, il parat que dans la ralit du cursus, ltude de
6 lthique prcdait celle de la logique.16 Sagissant pourtant dun enseignement
7 prparatoire, cest--dire non scientifique, on ne lisait pas les traits thiques
8 dAristote mais dautres ouvrages, comme les discours parntiques dIsocrate,
9 le Carmen aureum pythagoricien quavait comment Hirocls, ou encore le
10 Manuel dEpictte qua comment Simplicius.17
11 Il parat donc quaprs ltude de la logique, qui culminait dans les Seconds
12 Analytiques (car portant sur le syllogisme dmonstratif, l« instrument » par
13 excellence), les matres noplatoniciens passaient directement lenseignement
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de la physique. Les traits aristotliciens sur les animaux et les plantes tant
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exclus du cursus, la partie physique de la philosophie dAristote se limitait aux
16
quatre traits suivants : Physique, Du ciel, De la gnration et de la corruption et
17
Mtorologiques. Sous la mÞme rubrique on rangeait habituellement le De
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anima, tout en prcisant que ce trait tait en effet intermdiaire entre les crits
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physiques et les crits thologiques.18 Que ces traits taient effectivement
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enseigns dans les coles noplatoniciennes, en tmoignent les diffrents
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commentaires qui ont survcu jusqu nos jours.19
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Lordre de lecture des traits physiques stablissait la fois partir du
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degr duniversalit et de « dignit » ontologique de leur objet, pralablement
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dfini dans le kephalaion du skopos du trait, et partir de la division des crits
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dAristote, elle-mÞme tablie en fonction de cette diversit dobjets scientifi-
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29 16 Cf. lordre dans lequel Simplicius, traitant du kephalaion de lordre de lecture dans In
Phys., 5.29 – 31, mentionne les diffrentes disciplines aristotliciennes : « Aprs avoir
30 parcouru les traits thiques, qui faÅonnent notre morale, et les traits logiques, qui
31 forment notre critre de la vrit, il faut aborder les traits physiques ». Voir encore
32 Simplicius, In Cat., 5.3 – 6.5 ; lias (David), In Cat., 118.25 – 31.
33 17 Lire ce propos I. Hadot, Le problme du noplatonisme alexandrin, p. 160 – 164.
34 18 Olympiodore, In Meteor., 4.5, dit que le trait De lme ressemble un animal amphibie
(!lvib_\ f]\ 5oije), en ce sens quil peut Þtre class la fois parmi les traits physiques
35 et parmi les traits thologiques. Cf. aussi [Simplicius], In de anima, 3.3 – 5 : di¹ oute
36 vusijµ "pk_r oute let± t± vusij± B peq· xuw/r heyq¸a, !kkû !lvo ?m 1wol´mg.
37 19 Sur la Physique : Simplicius, Philopon ; sur le Du ciel : Simplicius ; sur le De la
38 gnration et de la corruption : Philopon (Ammonius) ; sur les Mtorologiques :
39 Philopon, Olympiodore ; sur le De lme : [Simplicius], Philopon, Stphanos (?).
Comme nous le verrons plus bas, les commentaires de Simplicius et de Philopon la
40 Physique permettent de dduire que ce trait a t galement enseign par Ammonius.
41 Par contre, aucun commentaire noplatonicien aux traits aristotliciens sur les animaux
42 et sur les plantes ne nous est connu, ni de manire directe ni de manire indirecte.
1.1 Lenseignement philosophique dans les coles dAthnes et dAlexandrie 13
1 deux volets du cursus, car, en principe, Aristote ntait pas tudi pour lui-mÞme
2 mais en tant que propdeutique ltude de Platon.
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5 1.1.2 Le cursus platonicien
6
7 Lauteur anonyme des Prolgomnes la philosophie de Platon, qui sont des
8 notes de cours prises Alexandrie au VIe sicle, nous fait savoir que Platon
9 devait Þtre lu et tudi suivant le canon tabli par Jamblique.23 Celui-ci avait
10 privilgi douze dialogues quil avait regroups en deux cycles : (a) le premier
11 comprenait dix dialogues dont lordre de lecture tait obtenu partir de la
12 hirarchie noplatonicienne des vertus distingues en « politiques », « catharti-
13 ques » et « thortiques ». CommenÅant par (1) le Premier Alcibiade, qui sert
14 dintroduction puisquil enseigne la connaissance de soi-mÞme, on devait ensuite
15 lire (2) le Gorgias et (3) le Phdon, car le premier correspond lexercice des
16 vertus « politiques », le second lexercice des vertus « cathartiques ». Les
17 vertus « thortiques » tant progressivement exerces par ltude des noms, des
18 notions et des ralits, la suite du canon imposait que lon lise dabord (4) le
19 Cratyle, qui porte sur les noms, ensuite (5) le Thtte, qui porte sur les notions,
20 et enfin (6) le Sophiste et (7) le Politique, qui portent sur les ralits physiques,
21 ainsi que (8) le Phdre et (9) le Banquet, qui portent sur les ralits
22 thologiques. (10) Le Philbe, qui dlivre un premier enseignement sur le
23 Bien, achevait par la suite le premier cycle. (b) Le deuxime cycle couronnait le
24 premier et consistait en ltude, dabord, du Time, dialogue « physique » en ce
25 quil rend compte de la constitution du monde sensible, puis du Parmnide, qui
26 fut pour les noplatoniciens un dialogue minemment thologique, voire sacr.
27 Comme dans le cas du cursus aristotlicien, il vaut mieux considrer le
28 canon jambliquen comme tablissant un ordre de lecture idale qui, dans la
29 ralit scolaire, pouvait Þtre appliqu avec une certaine libert, en ce sens que
30
lon pouvait omettre certains dialogues selon les circonstances. Nous ne
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disposons par exemple daucun tmoignage qui nous permette daffirmer que
32
le Politique et le Banquet ont t systmatiquement comments et tudis dans
33
les coles. Dautre part, un ouvrage aussi important que la Rpublique ne saurait
34
35 23 Prolgomnes la philosophie de Platon, 26.13 – 44. Lautorit du canon jambliquen
36 semble avoir t dfinitivement tablie par Proclus (cf. In Alc., 11.14 – 21). Sur tout cela,
37 lire A.–J. Festugire, « Lordre de lecture des dialogues de Platon aux Ve-VIe sicles »,
38 Museum Helveticum 26 (1969), p. 281 – 296 [repris dans A.–J. Festugire, tudes de
39 philosophie grecque, Paris, 1971, p. 535 – 550] ; L. G. Westerink-J.Trouillard-A.Ph.
Segonds Prolgomnes la philosophie de Platon, p. LXVIII-LXXIII avec les notes ad
40 locum ; J. Mansfeld, Prolegomena. Questions to be settled before the Study of an
41 Author, or a Text, p. 28 – 30 ; B. Reis, Der Platoniker Albinos und sein sogennanter
42 Prologos, Wiesbaden, 1999, p. 138 – 144.
1.1 Lenseignement philosophique dans les coles dAthnes et dAlexandrie 15
1 a priori manquer au cursus, et, de fait, Proclus y a consacr une longue exgse,
2 mÞme sil sagit plutt dune srie de dissertations sur des thmes choisis que
3 dun commentaire de texte suivi. De mÞme, Syrianus avait comment les Lois.24
4
5
6 1.1.3 Le « cursus » spirituel
7
8 On voit dj bien les structures conceptuelles sous-jacentes lorganisation du
9 cursus dtudes dans les coles noplatoniciennes : prise en compte de la
10 hirarchie des sciences et, par consquent, des objets scientifiques pour ltude
11 dAristote, rflexion sur la hirarchie des vertus pour ltude de Platon. Mais ce
12 nest l quun aspect de la chose. Ainsi que la montr P. Hadot,25 la
13 classification noplatonicienne des parties de la philosophie, telle quelle se
14 laisse restituer partir du programme denseignement propos par les coles,
15 prsente un caractre fondamentalement pdagogique dans la mesure o elle
16 part de lide du progrs spirituel que prsuppose la formation du futur
17 philosophe. De ce point de vue, la philosophie nest pas donne une fois pour
18 toutes, comme cela est prsuppos dans une classification idale de type
19
platonicien ou aristotlicien, mais elle sinstalle progressivement dans lme de
20
lauditeur, cest--dire du disciple, lors dun discours formateur qui se dveloppe
21
le long des diffrentes tapes dun progrs spirituel, lequel sachve dans la
22
contemplation du Bien. Ds lors, on comprend mieux le sens et la place de la
23
formation thique prparatoire, qui purifie pralablement lme de lauditeur de
24
manire la rendre apte recevoir lenseignement proprement philosophique,
25
lui-mÞme dlibrment articul : le discours physique, qui fait la fois connatre
26
et dpasser le monde sensible, doit naturellement prcder le discours tholo-
27
gique qui fait convertir lme de lauditeur vers lIntellect, puis vers lUn.
28
En tudiant dans la mÞme perspective les prologues des commentaires
29
30
noplatoniciens, Ph. Hoffmann a montr quel point cette dimension pdago-
31
gique de la pense noplatonicienne est lie la pratique exgtique elle-
32 mÞme.26 Les schmas introductifs qui prcdent les commentaires, loin dÞtre
33 « scolastiques » au sens pjoratif du terme, manifestent le souci du matre pour
34 prsenter sous forme lmentaire, au bnfice du disciple, lintention de sa
35 dmarche exgtique et lessentiel des doctrines quil va expliciter au fur et
36 mesure de son commentaire. De ce point de vue, le commentaire en tant que
37
38 24 Cf. Simplicius, In Phys., 618.26 – 28.
39 25 P. Hadot, « Les divisions des parties de la philosophie dans lAntiquit », p. 213 – 221
[=tudes de philosophie ancienne, p. 139 – 149] ; voir aussi du mÞme auteur, Exercices
40 spirituels et philosophie antique, Paris, 2002 (4me d.), p. 57 – 60 et p. 69.
41 26 Ph. Hoffmann, « La fonction des prologues exgtiques dans la pense pdagogique
42 noplatonicienne », dans J.–D. Dubois (d.), Entrer en matire, Paris, 1997, p. 209 – 245.
16 Chapitre 1. La tradition scolaire ou les prsupposs pdagogiques
1 Mais cen est assez, car nous risquons de paratre « avoir saut par-dessus les
2 creuss », comme cest le dicton, en introduisant les choses les plus extrÞmes de la
3 thologie dans un trait de physique.
4 Parler de thologie sagissant dexpliquer la physique, cest franchir les limites et
5 ne pas respecter les dmarcations exiges par la logique anagogique du cursus.
6 Pourtant, Simplicius la fait : six pages de son commentaire sont effectivement
7 consacres lÞtre parmnidien et son identit avec lUn-tant des nopla-
8 toniciens, deuxime hypostase plotinienne tire de la seconde hypothse du
9 Parmnide ; cest de la thologie la plus pure. Nous verrons plus loin que ce nest
10 pas la seule digression de cette sorte. Qui plus est, on trouve dans les
11
commentaires aristotliciens de Simplicius tant de citations de Platon que lon a
12
du mal les considrer comme des citations « prparatoires ». Dans le
13
Commentaire sur la Physique de Philopon, par contre, il y a un seul passage
14
platonicien cit, provenant prcisment du Time sans pour autant que le nom
15
du dialogue soit donn, ainsi que quatre rfrences nominales (sans citation
16
prcise) au mÞme dialogue, trois au Sophiste, deux au Phdon et une au
17
Philbe. 30 Et si lon veut croire que Philopon na pas eu une connaissance
18
adquate de lœuvre de Platon par manque dinstruction et dassiduit, en
19
acceptant de la sorte un renseignement fourni par Simplicius,31 considrons un
20
autre commentaire « physique », celui sur le trait De la gnration et de la
21
22
corruption qui est rdig daprs les cours dAmmonius : nous y trouvons une
23
citation du Time, une citation du Politique, deux rfrences et une citation du
24 Phdon, deux rfrences au Sophiste et deux au Thtte. 32 En revanche,
25 Simplicius cite dans son Commentaire sur la Physique trente fois le Time, onze
26 fois les Lois, neuf fois le Sophiste, huit fois le Phdre, cinq fois le Parmnide,
27 trois fois le Phdon et une fois la Rpublique. 33 Quant aux rfrences aux
28 dialogues de Platon, elles sont si nombreuses quil ne serait gure trop de dire
29 que ce commentaire direct sur Aristote est aussi un commentaire indirect sur
30 Platon. Pourrait-on donc voir dans ce fait un indice de ngligence de la part de
31
32 30 In Phys., 182.18 – 20 (citant Time, 50b 8-c) et 5.22, 515.25, 516.20, 520.29 (rfrences au
33 Time) ; 49.23, 62.30, 81.26 (rfrences au Sophiste) ; 111.31, 229.10 (rfrences au
34 Phdon) ; 287.4 (rfrence au Philbe). Il y a videmment bien plus de mentions de
Platon sans rfrence aux dialogues.
35 31 Cf. In De caelo, 84.11 – 13 : 1pe· d´, oqj oWda fpyr, t± Pk²tymor !q´sjeim to¼t\ (scil. t`
36 cqallatij`) doje ? l¶te didasj²kym 1m aqto ?r, ¦r vasi, tuwºmta l¶te aqt¹m vikolah_r
37 1 fgtgjºta t¹m toO Pk²tymor moOm…
38 32 In De gen. et corr., 1.19 – 20 (citant Time, 28b 2 – 4) ; 1.21 (citant Politique, 269d 7 – 8) ;
39 285.14 – 19 (citant Phdon, 100c 10-d 7) et 128.21, 281.26 (rfrences au Phdon) ; 44.13,
226.22 (rfrences au Sophiste) ; 165.8, 168.11 (rfrences au Thtte).
40 33 Cf. les « Loci platonici » rpertoris par H. Diels (CAG X, p. 1456 – 1457), qui ne
41 distingue pourtant pas entre
citation (proprement dite) et
rfrence (sans citation
42 prcise).
18 Chapitre 1. La tradition scolaire ou les prsupposs pdagogiques
1 qui pourrait Þtre en contradiction avec leurs opinions ou de changer les croyances
2 de leurs ancÞtres.
3 Beaucoup dencre a coul afin que lon sache o Simplicius sest finalement
4 rendu. La possibilit, envisage jadis par P. Tannery,44 que ce ft Alexandrie,
5
est discrdite par Simplicius lui-mÞme qui affirme dans son Commentaire sur le
6
De caelo quil na pas connu Philopon.45 La thse dfendue par A. Cameron,46
7
selon laquelle lcole dAthnes aurait pu survivre ldit de Justinien et
8
quaprs lexil perse Simplicius y serait revenu sans toutefois enseigner, est
9
contredite par des donnes archologiques et historiques et na pas t
10
largement accepte.47 Enfin, lhypothse dernirement mise par M. Tardieu,48
11
et fortement appuye par I. Hadot,49 selon laquelle Simplicius se serait tabli
12
H. arrān, ville situe dans lempire byzantin mais proche de la frontire persane,
13
o il aurait crit et enseign ses commentaires dans une cole noplatonicienne
14
encore vivante au Xe sicle, a t rfute par C. Luna, qui a montr que tous les
15
16
17 44 P. Tannery, art. cit., p. 240. Notons pour lhistoire que Tannery a aussi envisag la
18 possibilit que Simplicius soit finalement retourn Athnes.
19 45 Voir supra, p. 7 et n. 1. Nous ne voyons aucune raison particulire pour penser avec K.
Verrycken, « The development of Philoponus thought and its chronology », dans R.
20 Sorabji, Aristotle transformed : the Ancient Commentators and their Influence, Londres/
21 Ithaca, 1990, p. 233 – 274, en particulier p. 263 – 264, que Simplicius ment (hypothse
22 envisage aussi par H. Blumenthal, « 529 and its Sequel : What Happened to the
23 Academy ? », Byzantion 48 (1978), p. 369 – 385, en particulier p. 379), voulant faire
24 entendre que Philopon tait pour lui une quantit ngligeable. Une telle interprtation
ignore le contexte et contredit lintention mÞme de Simplicius qui ne veut pas Þtre
25 accus dhumeur querelleuse (vikomeij_a). Or, faire entendre quun homme est
26 tellement ngligeable quil est comme si on ne le connat pas, alors quon le connat,
27 cest prcisment faire preuve de « vikomeij_a ».
28 46 A. Cameron « The Last Days of the Academy at Athens », Proceedings of the
29 Cambridge Philological Society 195 (1969), p. 7 – 29 [repris dans A. Cameron, Literature
and Society in the Early Byzantine World, London, 1985, no XIII].
30 47 Voir A. Frantz, « Pagan Philosophers in Christian Athens », Proceedings of the
31 American Philosophical Society 119 (1975), p. 29 – 38 ; Ead., The Athenian Agora.
32 Results of excavations conducted by the American School of Classical Studies at Athens,
33 vol. XXIV : Late Antiquity : A. D. 267 – 700, Princeton, 1988, p. 84 – 92 ; H. Blumen-
34 thal, art. cit. ; R. Thiel, Simplikios und das Ende der neuplatonischen Schule in Athen,
Stuttgart, 1999, p. 32 – 40.
35 48 M. Tardieu, « Şābiens coraniques et » Şābiens « de H . arrān », Journal Asiatique 274
36 (1986), p. 1 – 44, en particulier p. 22 – 25 ; Id., « Les calendriers en usage Harrān
37 daprs les sources arabes et le commentaire de Simplicius la Physique dAristote »,
38 dans I. Hadot (d.), Simplicius : sa vie, son œuvre, sa survie, p. 40 – 57.
39 49 Voir I. Hadot, « La vie et lœuvre de Simplicius daprs des sources grecques et
arabes », p. 10 – 21 ; Ead., Simplicius. Commentaire sur le Manuel dEpictte, d. I.
40 Hadot (editio maior), Leiden, 1996, p. 28 – 50 ; Ead., Simplicius. Commentaire sur le
41 Manuel dEpictte, d. I. Hadot (editio minor), Paris, 2001, p. VII-XXXIII. Lhypothse
42 de M. Tardieu est aussi accepte par R. Thiel, op. cit., p. 41 – 55.
1.2 Une spcificit de Simplicius 21
1 arguments avancs par M. Tardieu se fondent sur une interprtation soit errone
2 soit exagre des textes de Simplicius.50 Elle est galement contredite par la
3 nature mÞme des commentaires de Simplicius, qui ne manifestent, comme nous
4 lavons dit, aucun trait qui puisse les lier une activit scolaire, ft-ce H
. arrān
5 ou ailleurs.51
6 La seule chose que lon doit retenir comme tablie, suite aux donnes
7 archologiques, cest que Damascius retourna en Syrie, cest--dire « dans son
8 pays propre », ainsi que larticle sign par Chosros et Justinien le lui ordonnait
9 prcisment. Il faudrait donc envisager aussi la possibilit que le dernier
10 « diadoque platonicien » ait t accompagn dans ses dernires demeures par le
11 reste de la chore des philosophes. Lexpression « 1vû 2auto ?r », dont une
12 traduction littrale serait « en eux-mÞmes » (« amongst themselves », pour le
13 dire selon P. Foulkes) indique en effet que les philosophes exils pouvaient
14 continuer constituer un groupe, condition quils vivent titre priv. Mais
15 quest-ce que cela peut signifier, sinon ne pas communiquer ouvertement leur
16 savoir et leur culture, autrement dit ne pas former une vritable « cole »?
17 MÞme si Justinien ne sest pas personnellement port contre les philosophes
18 dAthnes, comme cela est dernirement cru,52 il semble que linterdiction
19 denseigner ait t formellement maintenue dans le trait de paix conclu avec
20 Chosros,53 ne ft-ce que pour empÞcher les philosophes de retourner
21 Athenes. Si notre raisonnement est bien vrai, le sentiment de « rdaction
22 isole » que nous avons voqu plus haut propos de Simplicius peut trouver sa
23 justification : Simplicius sadonnait lcriture dun genre littraire en principe
24 scolaire sans avoir dlves.54
25
Notre hypothse peut trouver un appui sur deux paradoxes de lhistoire de
26
la transmission des commentaires noplatoniciens : (1) lattribution Simplicius
27
dun Commentaire sur le De anima d vraisemblablement Priscien de Lydie,55
28
et (2) lattribution Damascius du premier livre du Commentaire de Simplicius
29
30 50 Cf. C. Luna, Mnemosyne 54 (2001), p. 482 – 504 (recensio du livre de R. Thiel dj cit).
31 51 I. Hadot, Commentaire sur le Manuel dEpictte (editio minor), p. XIX-XX, reporte un
32 tmoignage dIbn al-Qiftı̄, selon lequel Simplicius tait un mathmaticien clbre, qui
33 avait compos un commentaire sur les lments dEuclide et avait rassembl autour de
34 lui des lves. Laissant de cte la date trs tardive de ce renseignement (XIIIe sicle),
force est dadmettre quaucun argument ne peut Þtre tir dun commentaire non
35 existant.
36 52 Voir E. Watts, « Justinian, Malalas, and the End of Athenian Philosophical Teaching in
37 A.D. 529 » ; C. Wildberg, « Philosophy in the Age of Justinian », p. 330.
38 53 Comme il a t dj suggr par L. G. Westerink, Prolgomnes la philosophie de
39 Platon, p. XXI.
54 Se pose bien entendu la question de savoir pour quelle raison Simplicius, matre sans
40 cole, aurait continu pratiquer un genre littraire scolaire. Nous aurons bien sr y
41 revenir.
42 55 Voir supra, p. 1 – 2, n. 2.
22 Chapitre 1. La tradition scolaire ou les prsupposs pdagogiques
1 pq÷nir ».58 Plus prcisment, dans les commentaires de Philopon, comme dans
2 ceux dOlympiodore, dlias, de David et de Stphanos dAlexandrie, on
3 observe la « technique de la double exgse », selon la terminologie propose
4 par E. vrard : le matre dlivre dans un premier temps la th ria ou explication
5 gnrale du texte en question, qui est mise sous un long lemme liminaire dont il
6 traite de manire continue, puis il passe lexplication de la lexis, autrement dit
7 de la phrase du texte, qui reprend le lemme liminaire, cette fois en le divisant et
8 en le commentant par petites portions. Les units ainsi formes par une th ria
9 et une lexis constituent des praxeis diffrentes qui, le long du commentaire, se
10 succdent lune lautre. Le seul commentaire de Philopon qui fait exception
11 la rgle de la « double exgse » et, de ce fait, nentre pas, du moins pas
12 directement, dans la catgorie des « commentaires oraux » est celui sur le
13 premier livre des Mtorologiques.
14 Nous avons la chance de savoir avec une grande prcision quand lune des
15 « pq\neir » sur la Physique fut prononce. En expliquant la phrase dAristote
16 selon laquelle les parties du temps nexistent pas simultanment, moins que
17 lune ne contienne lautre,59 Philopon fournit un exemple quil tire de son
18 moment actuel60 :
19
Nous disons, en effet, quen ce moment coexistent et lan et le mois et le jour : on
20 est lan de Diocltien deux cent trente-trois, le mois pachn, le jour dix. Ces trois
21 temps existent donc simultanment, mais en effet lan contient le mois, et le mois
22 contient le jour.
23
Le 10 pachn 233 partir du rgne de Diocltien nous donne le 10 mai 517 ap.
24
J.–C. Une ngligence a fait que lon a considr quen 517 ou peu aprs,
25
Philopon publiait les cours de son matre Ammonius,61 si bien que lon a vu dans
26
cette date un terminus post quem sr pour la mort du matre alexandrin.62 La
27
lecture du commentaire affirme pourtant le contraire. prÞter foi la tradition
28
manuscrite, le commentaire nest pas « 1j t_m sumousi_m )llym_ou toO
29
:qle_ou ».63 Qui plus est, dans son Corollarium de loco, Philopon critique
30
31
32
33 58 Cf. E. vrard, Lcole dOlympiodore et la composition du commentaire la Physique
34 de Jean Philopon, Dissertation, Lige, 1957.
59 Phys., IV 10, 218a 11 – 14.
35 60 In Phys., 703.16 – 19 : Val³m c±q 1mestgj´mai mOm ja· 1miaut¹m ja· l/ma ja· Bl´qam,
36 1miaut¹m DiojkgtiamoO 5tor skc, l/ma paw¾m, Bl´qam dej²tgm· ûla owm oxtoi tqe ?r
37 wqºmoi, !kk± peqi´wei l³m b 1miaut¹r t¹m l/ma, oxtor d³ tµm Bl´qam.
38 61 H. D. Saffrey, « Le chrtien Jean Philopon et la survivance de lcole dAlexandrie au
39 VIe sicle », p. 401.
62 Comme laffirme encore H.–D. Saffrey, « Ammonios dAlexandrie », DPhA, t. I,
40 p. 168 – 169.
41 63 Le tmoignage des manuscrits cet gard, qui permet de trancher entre ce qui remonte
42 Ammonius et ce qui remonte Philopon, est souvent nglig par les interprtes, qui
24 Chapitre 1. La tradition scolaire ou les prsupposs pdagogiques
1 sans rserve son matre, qui, lors dun cours dexplication de la Physique jadis
2 donn, avait essay de dfendre la doctrine dAristote au sujet du lieu, malgr
3 les objections de Philopon.64 Sil ne faut pas dduire quen 517, Ammonius tait
4 dj mort,65 il faut au moins accepter qu lpoque Philopon stait ostensi-
5 blement cart de son matre. De ce fait, tous les commentaires de Philopon qui
6 sont des reportationes des cours dAmmonius, savoir les Commentaires sur les
7 Premiers et les Seconds Analytiques, le trait De lme ( lexception du
8 troisime livre qui est attribuable Stphanos dAlexandrie) et le trait De la
9 gnration et de la corruption, doivent Þtre dats davant 517.
10 En 517, Philopon enseignait lui-mÞme la philosophie et publiait par la suite
11 ses propres cours.66 Avant la Physique, et conformment la progression du
12 cursus, il avait dlivr une srie de cours au moins sur lIsagog 67 et les
13 Catgories,68 dont le commentaire qui nous est parvenu sous son nom peut Þtre
14 une version crite. Il avait trait en outre dune srie de Miscellanea (S¼llijta
15 heyq^lata)69 et avait comment le huitime livre de la Physique.70 Quant son
16
17 voient dans les commentaires de Philopon tantt du pur Ammonius tantt du pur
18 Philopon.
19 64 Cf. In Phys., 583.13 – 584.4. On pourrait rtorquer que les Corollaires et, par consquent,
les remarques critiques de Philopon lgard de son matre ont t ultrieurement
20 ajoutes au commentaire, mÞme si ce ne fut pas forcment aprs 529, comme le pense
21 Verrycken (dont nous examinerons dici peu lhypothse). Nous verrons pourtant que
22 les deux Corollaires se trouvent en une telle relation avec le commentaire proprement
23 dit que cette possibilit est exclure.
24 65 L. G. Westerink, Prolgomnes la philosophie de Platon, p. XI, tablit la date de
naissance dAmmonius entre 435 et 445. Si Ammonius tait encore vivant en 517, il
25 aurait donc entre 72 et 82 ans. tant donn quOlympiodore, dont le Commentaire sur
26 les Mtorologiques est postrieur 565, peut difficilement avoir suivi les cours
27 dAmmonius sur le Gorgias avant 515 (cf. Olympiodore, In Gorgiam, 199.8 – 10), il
28 faudrait peut-Þtre placer sa mort entre 515 et 517.
29 66 Ce faisant, il utilisait videmment des matriaux provenant des cours dAmmonius. Pour
une illustration, voir infra, p. 61 et 149.
30 67 Cf. In Phys., 250.28 : jat± tµm 1m EQsacyc0 paqadedol´mgm Bl ?m l´hodom. Un
31 Commentaire de Philopon sur lIsagog est attest dans deux listes byzantines de
32 commentaires sur Aristote, contenues dans les manuscrits Marcianus gr. 203 et
33 Vaticanus gr. 241.
34 68 deux reprises dans le Commentaire sur la Physique (414.21 – 22 ; 705.21 – 22),
Philopon prcise : « comme il a t dit dans les Catgories » (¢r eUqgtai ja· 1m Jatg-
35 coq¸air), cest--dire dans lenseignement des Catgories.
36 69 Cf. In Phys., 156.16 – 17 : fti dû ¢r s_la !let²bkgtºm 1sti t¹ de¼teqom rpoje¸lemom,
37 d´deijtai Bl ?m 1m to?r Sull¸jtoir heyq¶lasi.
38 70 Cf. In Phys., 458.30 – 31 : fti d³ oq d´deijtai 1n !m²cjgr !¸dior owsa B j¸mgsir, Rjam_r 1m
39 ta ?r swoka ?r toO acdºou t/sde t/r pqaclate¸ar 1de¸nalem. 639.7 – 9 : ja· eUqgtai l´m loi
pq¹r toOto t¹ he¾qgla l´tqia 1m ta ?r swoka ?r toO acdºou ta¼tgr t/r pqaclate¸ar.
40 762.7 – 9 : fti d³ B j¸mgsir !e· 5stim, 1m t` acdº\ ta¼tgr t/r pqaclate¸ar peiq÷tai l³m
41 deijm¼mai, p÷m d³ l÷kkom de¸jmusim C toOto, ¢r 1m ta ?r swoka ?r 1je¸mou toO bibk¸ou
42 !pede¸nalem. Lantriorit du commentaire sur le livre VIII au commentaire sur les
1.3 Lenseignement de Jean Philopon 25
1 parce quil avait t forc ou soudoy par les chrtiens, ainsi quune explication
2 similaire propose par al-Fārābı̄ dans son Contre Philopon, Verrycken pense que
3 cette rupture a t leffet de lopportunisme : avec son contra Proclum, Philopon
4 a voulu ouvertement abjurer son pass philosophique auprs dAmmonius et se
5 prsenter dsormais la puissante communaut chrtienne comme un vrai
6 penseur chrtien qui tait jusqualors forc de taire ses propres opinions.84
7 Le pass philosophique que Philopon a voulu abjurer est prcisment celui
8 qui sexprime travers ses Commentaires sur les Catgories, les Premiers
9 Analytiques, le De anima et le De la gnration et de la corruption. Ce sont des
10 commentaires qui adhrent pleinement au noplatonisme dAmmonius et ne
11 mettent gure en cause les doctrines proprement paennes. Tout au contraire, le
12 Commentaire sur les Mtorologiques, compos aprs le contra Proclum, fait
13 preuve du systme de pense anti-paen que Philopon sest forg aprs sa volte-
14 face. Les choses savrent plus compliques pour le Commentaire sur la
15 Physique : Verrycken croit quil contient des doctrines contradictoires, prove-
16 nant des deux phases de Philopon, et il en conclut quil a t partiellement rvis
17 aprs 529. De ce fait, la date de 517 atteste dans le commentaire devrait
18 correspondre la premire version du commentaire. Il en est de mÞme du
19 Commentaire sur les Seconds Analytiques, qui a t lui aussi rvis mais dans un
20 moindre degr : Philopon ny a ajout que quelques lignes (In Anal. post.,
21 242.14 – 243.25), et cela pour rejeter la thse selon laquelle Aristote a accept la
22 doctrine platonicienne des Ides. Laissant de ct les raisons « psychologiques »
23
de la volte-face de Philopon, qui relvent videmment de la pure conjecture,
24
nous examinerons dans la suite si cette volte-face est aussi certaine que la cru
25
Verrycken.
26
Plusieurs des contradictions doctrinales qui pourraient servir de base pour
27
poser une « rupture » de Philopon disparaissent si, en partant de la tradition
28
manuscrite, on distingue entre les propres commentaires de Philopon et les
29
commentaires qui portent son nom titre dditeur de son matre Ammonius.85
30
Tel est en effet le cas des Commentaires sur les Premiers Analytiques, sur le De
31
la gnration et de la corruption et sur le De anima, que Verrycken attribue
32
inconsidrment un Philopon encore noplatonicien. Si ces commentaires ne
33
contiennent que du pur noplatonisme, cest en effet parce quils sont des
34
versions crites de lexgse orale du noplatonicien Ammonius. Et si, dans le
35
Commentaire sur les Seconds Analytiques, est formule lopinion selon laquelle
36
Aristote a vritablement critiqu la doctrine des Ides, ce qui de fait ne saurait
37
se conformer avec lexgse dAmmonius, sans doute est-ce d Philopon : cest
38
39
84 Art. cit., p. 258 – 263 (« The motives for Philoponus volte-face »).
40 85 Un lecteur sceptique pourrait assurment contester les titres attests dans les
41 manuscrits. Leur tmoignage se trouve pourtant a posteriori confirm par ltude de
42 leur contenu.
1.3 Lenseignement de Jean Philopon 29
1 lune de ces « remarques personnelles » dont nous avertissent, encore une fois,
2 les titres des manuscrits.86 Et rien ne suggre que cette remarque ait t ajoute
3 aprs 529.87 Philopon manifeste le mÞme scepticisme lgard des Ides dans
4 lIn Phys., 225.29 – 226.11, moins de considrer que ce passage est, lui aussi, le
5 fruit dune rvision (mais Verrycken ne le signale pas). Quant au Commentaire
6 sur les Catgories, qui nest pas « de la voix dAmmonius », Verrycken a tort de
7 le classer parmi les commentaires manifestant du pur noplatonisme ammonien.
8 La place du trait dans le cursus aussi bien que son statut pistmologique
9 invitent plutt la neutralit, si bien que des positions nettes lgard de
10 problmes comme celui de lternit du monde ne sauraient y trouver place.88
11 Nanmoins, on y trouve un point dexgse qui, comme le signale Ph.
12 Hoffmann,89 distingue Philopon des autres commentateurs des Catgories 90 :
13
14 En effet, laporie est le commencement de leuporie et la voie qui mne la
possession du savoir. Il (scil. Aristote) dit ces choses-l, parce quil veut que nous
15
ne nous reposions pas sur ses discours, mais que nous menions la recherche par
16 nous-mÞmes et que nous ne soyons pas mus par un principe extrieur.
17
18 Dans son propre Commentaire aux Catgories, Ammonius se contente de dire
19 que91 :
20 Aristote parle <ici> avec beaucoup de philosophie ; il veut que nous ne dclarions
21 pas notre avis au hasard et inconsidrment, dautant plus quil sagit des
22
23
24 86 Quil sagisse dune « remarque personnelle » de Philopon, cela se laisse entendre par le
dbut de la phrase qui introduit lobjection : In Anal. post., 243.13 : « Quant moi, cette
25 justification me semble totalement invraisemblable » (1lo· d³ p²mu doje ? !p¸hamor B
26 toia¼tg !pokoc¸a). Par
justification, Philopon entend lexplication donne par
27 Ammonius propos dAnal. post., I 22, 83a 32 : t± c±q eUdg waiq´ty· teqet¸slata c²q
28 1sti.
29 87 Pour affirmer cela, Verrycken avance largument que la doctrine des Ides est aussi
rejete dans le contra Proclum (art. cit., p. 257). Cest un argument fallacieux auquel les
30 anciens reprocheraient dÞtre construit partir dune « k/xir toO fgtoul]mou ».
31 88 Quant la doctrine des catgories, que Philopon ne touche pas dans son Commentaire
32 sur les Catgories, alors quil la critique dans son Commentaire sur la Physique, la seule
33 conclusion que lon peut en tirer, ainsi que le fait remarquer R. Sorabji, « John
34 Philoponus », dans R. Sorabji (d.), Philoponus and the Rejection of Aristotelian
Science, p. 38, cest que le Commentaire sur les Catgories est antrieur au Commentaire
35 sur la Physique. Les deux Commentaires tmoignent donc dune volution de sa pense.
36 89 Ph. Hoffmann, « La fonction des prologues exgtiques dans la pense pdagogique
37 noplatonicienne », p. 232.
38 90 Philopon, In Cat., 133.1 – 4 : J c±q !poq¸a !qw¶ 1stim eqpoq¸ar ja· bdºr tir 1p· l²hgsim.
39 taOta d´ vgsi boukºlemor Bl÷r lµ 1pamapa¼eshai to ?r aqtoO kºcoir, !kk± ja· aqto»r
Bl÷r fgte ?m t± toiaOta ja· lµ 2teqojim¶tour eWmai.
40 91 Ammonius, In Cat., 79.25 – 80.1 : P²mu 1lvikosºvyr vgs¸· bo¼ketai c±q Bl÷r lµ eQj0
41 lgd³ ¢r 5tuwem !pova¸meshai ja· l²kista peq· heyqgl²tym pokk/r fgt¶seyr deol´mym,
42 let± pokk/r d³ bas²mou ja· jq¸seyr.
30 Chapitre 1. La tradition scolaire ou les prsupposs pdagogiques
1 thormes qui exigent beaucoup de recherche, mais aprs avoir mis les choses
2 lpreuve et les avoir mticuleusement juges.
3 En dclarant, pour sa part, quil ne faut pas « nous reposer sur les discours
4 dAristote, mais que nous menions la recherche par nous-mÞmes », Philopon
5
donne lexplication dAmmonius, que certes il utilisait, une tournure person-
6
nelle qui rvle en effet le trait saillant de son esprit et de sa mthode : lattitude
7
librement critique envers les autorits, que lon peut prcisment qualifier de
8
principes de raisonnement « extrieurs ». Nous aurons y revenir.
9
Venons-en maintenant lide de la rvision, partielle mais assez tendue,
10
que Verrycken juge ncessaire pour expliquer les apparentes incohrences qui
11
caractrisent le Commentaire sur la Physique. Pour faire ressortir cette
12
ncessit, Verrycken voque des thses contradictoires de Philopon lgard
13
des trois thmes fondamentaux : lternit du temps, que Philopon tantt
14
affirme tantt nie, et les doctrines aristotliciennes au sujet du lieu et du vide,
15
que Philopon tantt accepte tantt rejette.92 Puisque le cas le plus frappant est,
16
selon Verrycken, celui qui concerne la doctrine du lieu, commenÅons par celle-
17
ci.
18
19
Cest un fait bien connu que dans son Corollarium de loco (In Phys., 557.8 –
20
585.4), Philopon rfute la doctrine de Phys. IV 4, selon laquelle le lieu est la
21
premire limite immobile de lenveloppant. En dpit des arguments dAristote,
22 Philopon soutient dans son Corollaire que le lieu est un intervalle trois
23 dimensions qui est vide de corps si on le considre en lui-mÞme. Cette thse est
24 tablie par une argumentation rigoureuse qui se dveloppe en trois temps : a)
25 rfutation des arguments dAristote contre le lieu conÅu comme intervalle ;
26 b) rfutation des arguments dAristote en faveur du lieu conÅu comme premire
27 limite de lenveloppant ; c) tablissement de la thse selon laquelle le lieu est un
28 intervalle. Selon Verrycken, cette dmarche si rflchie de Philopon est
29 contredite par lui-mÞme dans lexplication qui prcde le Corollaire, puisque
30 dans celle-ci Philopon accepte, sans gure critiquer Aristote, que le lieu soit la
31 limite de lenveloppant et nie, en suivant Aristote, quil puisse Þtre un intervalle.
32 Le Corollaire devrait donc avoir t ajout par Philopon au moment de la
33 rvision du Commentaire aprs 529.
34 Mais serait-il en effet possible que Philopon ait dvelopp la doctrine du
35 lieu quil expose dans son Corollaire, tellement hostile Aristote, lors de
36 lexplication du texte aristotlicien, ainsi que le pense tacitement Verrycken ?
37 La doctrine de Philopon ne se formule pas partir dun approfondissement de
38 ce que dit Aristote au sujet du lieu mais partir dune rfutation de ses thses,
39 qui ne saurait trouver aisment place au cours dun commentaire proprement
40 dit ; par contre, elle saurait clairement sexprimer et mieux convaincre dans un
41
42 92 Art. cit., p. 244 – 249.
1.3 Lenseignement de Jean Philopon 31
1 est dit, et clairer dabord le sens du texte antique et interprter les doctrines
2 dAristote, puis mettre son jugement personnel.
3 Les passages auxquels Verrycken renvoie pour montrer que Philopon avait accept
4 dans un premier temps la doctrine dAristote,101 ne sont que des passages purement
5
exgtiques qui reprennent le texte dAristote pour le mettre au clair, ainsi que cela
6
est prcisment requis dun exgte. Il suffira den citer le contexte ou de juxtaposer
7
le commentaire et le texte comment pour tablir que dans ces passages (Verrycken
8
ne les cite pas in extenso) Philopon nmet pas un « jugement personnel » mais est
9
en train d « interprter la doctrine dAristote ». Quatre dentre eux sont carter
10
ds labord, puisquils ne contredisent en rien ce qui est affirm dans le Corollaire,102
11
et dun autre passage, lIn Phys., 555.25 – 27, il a t dj question.103 Voici donc les
12
huit passages qui restent (nous mettons entre barres verticales les phrases isoles
13
auxquelles renvoie Verrycken) :
14
15
16
Phys., III 5, 205b 35 – 206a 2 : "pk_r dû eQ [1] In Phys., 454.23 – 25 (th ria) : tq¸tom·
!d¼matom tºpom eWmai %peiqom, 1m tºp\ d³ jp÷r tºpor v¼sei pep´qamtai (p´qar c²q
17 p÷m s_la, !d¼matom %peiqom eWmai ti s_la. 1sti toO peqi´womtor)j· eQ owm p÷m l³m s_la
18 « De manire absolue, sil est impossible 1m tºp\, p÷r d³ tºpor pep´qamtai, <p÷m
19 quil existe un lieu illimit et si tout corps %qa s_la pep´qamtai>. « Troisime (scil.
20 argument dAristote); jtout lieu est par sa
21
22 101 Art. cit., p. 247, n. 73 – 77.
23 102 Ils sont les suivants : 1) In Phys., 444.5 – 6 : ja· t/r c/r ousgr pepeqasl´mgr ja· toO
24 tºpou toO peqi´womtor aqt^m. « La terre tant limite et, aussi, le lieu qui lenveloppe » ;
2) In Phys., 447.18 – 20 : fti p÷r tºpor pep´qamtai jat± l´cehor (peqi´wei c±q t¹ 1m tºp\
25 s_la), pepeqasl´mou d³ emtor toO tºpou ja· t¹ 1m aqt` s_la pepeq²mhai !m²cjg.
26 « Parce que tout lieu est limit en grandeur (en effet, il enveloppe le corps qui est en
27 lui), et puisque le lieu est limit, il est ncessaire que le corps qui est en lui soit, lui aussi,
28 limit » ; 3) In Phys., 448.20 – 21 : oqd³ c±q eWmai fkyr 1m tºp\ 5kecem, Vma lµ ta¼t, eqh»r
29 ja· pepeqasl´mom poi¶s,. « En effet, il (scil. Anaxagore) disait quil (scil. le mlange)
nest gure en un lieu, afin de ne pas en faire de la sorte une ralit demble limite » ;
30 4) In Phys., 499.25 – 27 : t± aqt± ja· 1p· t_m jo¼vym 1qoOlem· ja· to¼toir c±q eXr tºpor
31 jat± v¼sim, B jo¸kg t/r sekgmiaj/r sva¸qar 1piv²meia. « Nous dirons la mÞme chose
32 pour les corps lgers aussi ; en effet, pour eux aussi, il y a un seul lieu par nature, la
33 surface concave de la sphre lunaire ». Pour ce qui est du (1) et du (2), il faut dire que
34 Philopon na jamais soutenu que la terre ou le lieu sont infinis, ni il na ni que le lieu
enveloppe (ou contienne) ce qui est en lui ; ce quil a ni, cest que ce lieu enveloppant
35 (ou contenant) puisse Þtre une limite, comme la pens Aristote. Le passage (3) ne
36 concerne ni Philopon ni Aristote mais Anaxagore. Le passage (4) ne contredit pas, lui
37 non plus, ce qui est dit dans le Corollaire ; il concerne limpulsion inhrente aux corps
38 vers leurs lieux naturels, ce qui est affirm dans le <De loco>, 581.26 – 28 : v´qetai owm
39 1p· t¹ %my t± joOva, oqw "pk_r ûpteshai t/r 1pivame¸ar toO peqi´womtor 1vi´lema, !kk±
t/r t²neyr Dm b dgliouqc¹r aqto ?r 1p´meile. « Les corps lgers se portent donc vers le
40 haut, non parce quils dsirent simplement datteindre la surface de ce qui les enveloppe,
41 mais parce quils dsirent datteindre lordre qui leur a t attribu par le dmiurge ».
42 103 Voir supra, n. 94.
34 Chapitre 1. La tradition scolaire ou les prsupposs pdagogiques
1 est en un lieu, il est impossible quil existe nature limit (car le lieu est la limite de
2 un corps illimit. » lenveloppant) ;j si donc tout corps est en
3 un lieu et que tout lieu est limit, <il
sensuit que tout corps est limit>. »
4
[2] In Phys., 463.3 – 5 (lexis) : Tq¸tom
5 1piwe¸qgla. !d¼matom, vgs¸, t¹m tºpom
6 %peiqom eWmai· jp÷r c±q tºpor peqato? t¹ 1m
7 tºp\ ja· peqi´wei aqtº,j t¹ d³ peqatoOm,
8 l÷kkom d³ oRome· p´qar cm toO 1m aqt`, oqj
%peiqom. « Troisime argument. Il est
9
impossible, dit-il (scil. Aristote), que le
10 lieu soit infini ; jcar tout lieu limite ce qui
11 est en lui et lenveloppe ;j or, ce qui limite,
12 tant plutt comme la limite de ce qui est
13 en lui, ne saurait Þtre illimit. »
14
[3] Philopon, In Phys., 526.18 – 23 (th ria) : taOta eQp¾m, !joko¼hyr !matq´wei 1p· t¹
15
de ?nai t¸ 1stim b tºpor, ja· t± aqt` dojoOmta peq· toO tºpou 1jh´shai· jto¼tou c±q
16 deiwh´mtor, k´cy dµ toO t¸ 1stim b tºpor, k¼omtai p÷sai aR !poq¸ai 1n ¨m 1dºjei lµ eWmai b
17 tºpor, ja· l²kista fsai 1j toO jaj_r kalb²meim t¹ t¸ 1sti toO tºpou !mev¼omto, ¢r aR
18 kalb²mousai fti b tºpor tqiw0 1sti diastatºm.j « Ayant dit cela, il (scil. Aristote) se met
19 montrer ce quest le lieu et exposer sa propre doctrine au sujet du lieu.104 jUne fois
que ceci est montr, je veux dire ce quest le lieu, se rsolvent toutes les apories partir
20
desquelles il tait apparu que le lieu nexiste pas, notamment celles qui ont surgi du fait
21 daccepter lessence du lieu de manire errone, comme celles qui acceptent que le lieu
22 est tridimensionnel.j »
23
24 Aristote, Phys., IV 3, 210b 22 – 27 : d d³ [4] Philopon, In Phys., 536.3 – 8 (th ria) :
25 F¶mym Apºqei, fti eQ b tºpor 1st¸ ti, 5m timi 1pe· owm pokkaw_r t¹ 5m timi, 5stai ja· b
5stai, k¼eim oq wakepºm· oqd³ c±q jyk¼ei 1m tºpor 5m timi l³m oqj 1m tºp\ d´, !kkû
26
%kk\ eWmai t¹m pq¾tyr, lµ l´mtoi ¢r 1m ¦speq aR 6neir ja· t± p²hg eQs· l³m 5m timi,
27 tºp\ 1je¸m\, !kk ¦speq B l³m rc¸eia 1m oXom 1m t` s¾lati, oqw ¢r 1m tºp\ d³ !kkû
28 to?r heqlo?r ¢r 6nir, t¹ d³ heql¹m 1m ¢r 1m rpojeil´m\, jovty dµ ja· b juq¸yr
29 s¾lati ¢r p²hor. « Ce que Znon a tºpor, k´cy dµ t¹ p´qar toO peqi´womtor,j
30 soulev titre daporie, savoir que si le 5m timi l³m 5stai (1m s¾lati c²q), oq lµm ¢r
lieu est quelque chose, il doit Þtre dans 1m tºp\, !kkû ¢r p´qar 1m peqatoul´m\,
31
quelque chose, ce nest pas difficile taqt¹m d³ eQpe ?m ¢r 1m rpojeil´m\. « Puis
32 rsoudre. En effet, rien nempÞche que le donc que le
dans quelque chose se dit de
33 lieu premier soit en quelque chose, sans plusieurs manires, le lieu sera lui aussi
34 que ce soit comme en un lieu, mais comme dans quelque chose mais pas dans un lieu ;
35 la sant est dans les choses chaudes en tant au contraire, de mÞme que les tats et les
affections sont dans quelque chose, par
36
37
38 104 La phrase liminaire, que Verrycken ne marque pas, fait demble voir que Philopon est
39 en train dexpliciter la mthode dAristote. On prÞtera bien entendu attention
lexpression « t± aqt` dojoOmta ».
40 105 Verrycken a tort de renforcer le sens de mots comme « k´cy dµ » et dy voir une
41 approbation clairement exprime ; il sagit en effet de copules ayant une simple valeur
42 explicative.
1.3 Lenseignement de Jean Philopon 35
1 qutat et le chaud dans le corps en tant exemple dans le corps, non comme en un
2 quaffection. » lieu mais comme en un substrat, jde mÞme
3 le lieu au sens propre, je veux dire105 la
limite de lenveloppant,j est en quelque
4
chose (de fait, en un corps) non comme en
5 un lieu, mais comme une limite en une
6 chose limite, cest--dire comme en un
7 substrat. »
8 [5] Philopon, In Phys., 539.5 – 6 (lexis) :
jT¹m p q ¾ t y r !mt· toO t¹m juq¸yr, oxtor
9
d´ 1sti t¹ p´qar toO peqi´womtor.j toOto d³
10 eWpe… « <Il (scil. Aristote) dit le lieu>j
11 titre premier au lieu de dire
au sens
12 propre ; celui-ci est la limite de
13 lenveloppant.j Il a dit cela… »
14 Aristote, Phys., IV 4, 211a 29 – 31 : ftam [6] Philopon, In Phys., 542.16 – 20
15 l³m owm lµ di,qgl´mom × t¹ peqi´wom !kk± (the ria) : taOta eQp½m diajq¸mei !pû
sumew´r, oqw ¢r 1m tºp\ k´cetai eWmai 1m !kk¶kym t± ¢r 1m fk\ ja· t± ¢r 1m tºp\,
16
1je¸m\, !kkû ¢r l´qor 1m fk\. « Chaque j1pe· ja· pokk± t_m rpaqwºmtym t` pq¾t\
17 fois donc que lenveloppant nest pas tºp\, dr ja· juq¸yr 1st· tºpor, k´cy dµ t`
18 spar mais continu < ce quil pqosew_r 6jastom peqi´womti,j rp²qwei ja·
19 enveloppe>, on ne dit pas que celui-ci y t` fk\· ja· c±q t¹ fkom peqi´wei t± l´qg,
20 est comme dans un lieu, mais comme une ja· oute le ?fom aqt_m oute 5kattºm 1stim.
partie dans un tout. » « Ayant dit cela, il (scil. Aristote) distingue
21
entre les choses qui sont comme dans un
22 tout et les choses qui sont comme dans un
23 lieu, jdu fait que plusieurs attributs du lieu
24 premier, qui est le lieu au sens propre, je
25 veux dire du lieu qui enveloppe chaque
chose de manire immdiate,j sont aussi
26
des attributs du tout ; car le tout
27 enveloppe, lui aussi, les parties et nest ni
28 plus grand quelles ni plus petit. »
29
30 [7] Philopon, In Phys., 542.34 – 543.4 (lexis) : = t i t ¹ m p q _ t o m l ¶ t e 1 k ² t t y
31 l ¶ t e l e ¸ f y [Phys., IV 4, 211a 1 – 2]. ja· p_r, eQ peqi´wei b tºpor, oute le¸fym oute
1k²ttym 5stai. t¹ c±q peqi´wom le ?fom toO peqiewol´mou. jvgl· owm fti eQ l³m t¹ fkom
32
s_la toO !´qor k´coir peqi´weim ja· tºpom eWmai, t` emti le ?fom #m eUg t¹ peqi´wom, eQ d³
33 lµ toOto eUg tºpor b p÷r !¶q, !kk± t¹ p´qar aqtoO t¹ pqosew_r peqi´wom ja· juqi¾tata
34 Ç
cm tºpor, oute le ?fom 5stai toOto oute 5kattom·j 1vaqlºfousi c±q !kk¶kair aR 1pivmeiai,
35 F te topijµ ja· B toO 1m tºp\. « Au s s i , q u e l e l i e u p r e m i e r n e s t n i p l u s p e t i t n i
36 p l u s g r a n d . Comment donc, si le lieu enveloppe, ne sera-t-il ni plus grand ni plus petit ?
En effet, ce qui enveloppe est plus grand que ce qui est envelopp. jJe rponds donc (scil.
37
en dissimulant Aristote) que si tu dis que cest la totalit du corps de lair qui enveloppe
38 et est le lieu, lenveloppant sera de fait plus grand ; en revanche, si le lieu nest pas cela,
39 cest--dire lair tout entier, mais sa limite, qui enveloppe de manire immdiate et est le
40 lieu de manire propre, dans ce cas il ne sera ni plus grand ni plus petit.j Car les surfaces,
41 celle du lieu et celle de ce qui est dans le lieu, se rattachent lune lautre. »
42
36 Chapitre 1. La tradition scolaire ou les prsupposs pdagogiques
1 Aristote, Phys., IV 4, 211a 36 – 211b 1 : ja· [8] Philopon, In Phys., 546.14 – 17 (lexis) :
2 1²m te jim/tai t¹ peqi´wom 1²m te l¶, oqd³m j#m b tºpor d´, vgs¸, jim/tai, oXom t¹
Httom. « Et il nen est pas moins ainsi, que !cce ?om, oq s»m aqt`, !kkû 1m aqt` jime ?tai
3
lenveloppant se meuve ou non. » t¹ vdyq· jfkyr c±q oqd´ 1sti pq_tor tºpor
4 t¹ !cce ?om, !kkû B jo¸kg aqtoO 1piv²meia,
5 Ftir ja· !j¸mgtºr 1stim.j « Et si le lieu, dit-il
6 (scil. Aristote), se meut, par exemple le
7 vase, leau ne se meut pas avec lui mais en
lui. j De manire absolue, ce nest pas le
8
vase qui est le lieu premier mais sa surface
9 concave, laquelle est immobile.j »
10
11 Il serait inutile de passer au crible les passages auxquels Verrycken renvoie par
12 la suite afin de montrer que, dans un premier temps, Philopon saccordait avec
13 Aristote pour nier lexistence du vide, avant quil naffirme le contraire dans son
14 Corollarium de inani (In Phys., 675.12 – 695.8), ultrieurement insr dans le
15
commentaire.106 Pour Philopon, lieu et vide sont identiques, et sil ny pas de
16
raison particulire pour faire du Corollarium de loco le produit dune rvision, il
17
ny en a pas non plus pour le Corollarium de inani. Il suffira de citer un passage,
18
qui a chapp lattention de Verrycken, dans lequel Philopon annonce quil va
19
dabord parcourir tout le discours dAristote au sujet du vide, puis quil se
20
lancera la recherche de la vritable doctrine (comme il la dj fait propos du
21
lieu)107 :
22
23 Cest donc jusquici quAristote avance pour sa part son discours afin dtablir
24 partir de lingalit des corps mus, telle quelle se produit cause du milieu
travers lequel seffectue le mouvement, que si le vide existait, il ne serait pas
25
26
27 106 Entre autres passages, Verrycken renvoie lIn Phys., 2.21 – 22 (jat² timar d³ t_m
28 vusij_m ja· t¹ jem¹m ja· t¹ %peiqom p÷si paqajokouhe ? to ?r vusijo ?r pq²clasi), en
29 voulant suggrer, semble-t-il, que si Philopon avait accept depuis le dbut lexistence
du vide, il aurait crit « jat 1l] » (cf. art. cit., p. 248 : « Outside the Corollary the idea of
30 a necessary concomitance of body and void is rather emphatically ascribed to
some
31 physicists »), et lIn Phys., 2.25 – 27 : !kkû fti l³m oqdaloO d¼matai eWmai t¹ jem¹m
32 de¸jmusim 1m t` tet²qt\ t/r pqojeil´mgr pqaclate¸ar b )qistot´kgr. Laissant du ct la
33 question de savoir si ces deux passages peuvent effectivement prouver quelque chose,
34 signalons quils sont extraits du kephalaion concernant le skopos du trait et que, de ce
fait, ils remontent une tradition antrieure que Philopon navait qu reproduire la
35 lettre.
36 107 In Phys., 650.27 – 651.4 : T` l³m owm )qistot´kei l´wqi t_m 1mtaOha pqºeisim b kºcor, 1j
37 t/r !misºtgtor t_m jimoul´mym t/r paq± t¹ diû ox B j¸mgsir cimol´mgr jatasjeu²fomti ¢r
38 oqj #m 1md´woito, eQ jem¹m Gm, j¸mgsim diû aqtoO cem´shai· ft\ d³ sjop¹r t/r !kghe¸ar
39 pamtawoO tuwe?m, peqiahqe¸ty fsg d¼malir l¶ pou t0 deimºtgti ja· t` dusheyq¶t\ t_m
1piweiqgl²tym toO sjopoO dial²qtoi. j²kkiom d³ Usyr pq_tom t¹m p²mta diekhe ?m peq· toO
40 Ç
jemoO kºcom, eWta ovtyr !makabºmtar 1n !qw/r 6jastom 1pisj´xashai t_m 1piweiqgltym,
41 fp, !kghe¸ar 5wei C xe¼dour, lgd³m aQdesh´mtar, lgd³ t/r !kghe¸ar t¹ toO !mdq¹r
42 rpeikgll´mom 1p¸pqoshem h´mtar.
1.3 Lenseignement de Jean Philopon 37
1 possible que le mouvement seffectue travers lui. Mais que celui qui se donne
2 comme but datteindre tout moment la vrit se renforce autant que possible, afin
quil ne se trompe pas sur son but cause de lhabilet des arguments et de la
3
difficult les saisir. Peut-Þtre serait-il mieux de parcourir dabord tout le discours
4 <dAristote> au sujet du vide, puis de le reprendre depuis le dbut et dexaminer
5 chacun de ses arguments, o il y a de la vrit et o du mensonge, nayant crainte
6 de rien et ne mettant gure les conceptions de cet homme avant la vrit.
7
Ainsi que la fait remarquer Chr. Wildberg,108 le dtachement de Philopon par
8
rapport lautorit philosophique, quelle soit celle dAristote, de Platon ou
9
encore de Proclus, est lun des traits desprit qui, avec le rejet de lharmonie des
10
philosophes et le dpouillement de la philosophie lgard de sa fonction
11
« salvatrice », ont dblay, pour ainsi dire, le terrain sur lequel Philopon a pu
12
manifester sa nouveaut doctrinale. Ce dtachement est ostensiblement annon-
13
c ds les titres de ses traits polmiques contre Proclus et contre Aristote. Mais
14
il ny a ni dvidence ni de ncessit logique pour poser que cette indiffrence
15
envers les autorits fut le fruit soudain dune illumination ou dune rupture avec
16
un pass coupable. Elle sest dj annonce dans le Prologue du Commentaire
17
sur les Catgories, puis clairement exprime dans le Commentaire sur la
18
Physique sous un mode moins ostensible et peut-Þtre moins assur. Pour nier les
19
autorits, il faut dabord les connatre, et pour devenir philosophe dans la fin de
20
lantiquit, il faut dabord passer par lexgse. Mais lon voit que dj pour
21
lexgte Philopon, vrit et exgse sont deux choses diffrentes : la deuxime
22
ne conduit pas ncessairement la premire, et la vrit que Philopon exposera
23
plus tard dans ses crits non exgtiques nest certes pas celle de Proclus ou
24
dAristote.
25
Quant la cration ou lternit du monde, qui daprs Verrycken sont
26
toutes les deux affirmes dans le Commentaire sur la Physique, il ne vaut pas la
27
peine que nous nous y attardions. Une fois que lon sait que, chez Philopon,
28
vrit et exgse ne se confondent pas, on saura aussi reprer les passages dans
29
lesquels Philopon exprime sa propre opinion.109
30
31
32
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34
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37
38
39
108 C. Wildberg, « Impetus theory and the hermeneutics of science in Simplicius and
40 Philoponus ».
41 109 In Phys., 54.8 – 55.26 : sur lengendrement de lÞtre ; In Phys., 191.9 – 192.2 : sur
42 lengendrement de la matire ; In Phys., 456.17 – 458.31 : sur lengendrement du temps.
1
2
3
4 Chapitre 2.
5 La tradition commentariste ou les prsupposs exgtiques
6
7
8
On peut affirmer que les Commentaires de Simplicius et de Philopon
9
sinscrivent dans un cadre scolaire, quoique de faÅon diffrente. Le Commen-
10
taire de Philopon sur la Physique est le fruit dune srie de cours assurs
11
Alexandrie, et celui de Simplicius, bien que purement littraire, manifeste
12
parfois des traits dune pense pdagogique quil sest faÅonne sans doute
13
lpoque de son apprentissage Alexandrie et, plus tard, Athnes. On pourrait
14
donc parler dune tradition scolaire qui prcde la ralisation des commentaires.
15
Mais quen est-il de la ralisation du commentaire lui-mÞme ? En cette fin de
16
lantiquit dans laquelle crivent Simplicius et Philopon, le commentaire nest
17
certes pas une nouveaut ; cest un genre littraire attest bien avant et avec le
18
temps strictement codifi, dont les deux exgtes de la Physique poursuivent
19
effectivement la tradition.
20
21
22
2.1 Les prolgomnes la Physique
23
24
Les commentateurs noplatoniciens, suite une rflexion pdagogique
25
laquelle nous avons dj prÞt notre attention, accordaient une grande
26
importance lintroduction. Avant daborder les diffrentes tapes du cursus,
27
des prolgomnes taient indispensablement dlivrs, et nous avons vu que,
28
suite une systmatisation effectue principalement par Proclus, le dernier
29
point des prolgomnes la philosophie dAristote posait a priori les six ou sept
30
kephalaia prciser avant dentamer la lecture de chacun des traits aristot-
31
liciens compris dans le cursus : 1) le skopos du trait ; 2) son utilit ; 3) sa place
32
dans lordre de lecture ; 4) la raison dÞtre de son titre ; 5) son authenticit ; 6)
33
sa division en chapitres et, parfois, 7) sa classification quant aux diffrentes
34
parties de la philosophie.1 Lexgte de la Physique avait donc prciser ces
35
36
37
38 1 Cf. Simplicius, In Cat., 8.9 – 13 : d´jatom koip¹m Gm t_m pqoteh´mtym, pºsa wqµ jev²kaia
39 ja· t¸ma t_m )qistot´kour pqaclatei_m pqodiaqhqoOshai. ja· 5sti taOta b sjopºr, t¹
wq¶silom, B t/r 1picqav/r aQt¸a, B t²nir t/r !macm¾seyr, eQ cm¶siom toO vikosºvou t¹
40 bibk¸om, B eQr t± jev²kaia dia¸qesir· oqj %topom d³ Usyr fgte ?m ja· rp¹ po ?om l´qor aqtoO
41 t/r vikosov¸ar !m²cetai. Philopon omet le dernier point : In Cat., 7.1 – 3 : pas_m d³ t_m
42 )qistot´kour pqaclatei_m t± pqok´ceshai ave¸komta 6n 1stim, b sjop¹r t¹ wq¶silom B
2.1 Les prolgomnes la Physique 39
1 points (certains tant facultatifs, sils taient clairs),2 avant quil nentame la
2 lecture et lexplication du texte.
3 Fidles cette tradition, Simplicius et Philopon font prcder leurs
4 commentaires de prolgomnes, le premier tant plus prolixe que le second,
5 ainsi quon peut le constater grce au tableau suivant :
6
7 Kephalaia Simplicius Philopon
8
Le skopos 1.3 – 4.7 1.3 – 3.1
9
Le titre 4.8 – 16 2.13 – 15
10
Lutilit 4.17 – 5.26 -
11
Lordre 5.27 – 31 -
12
Lauthenticit 5.32 – 6.3 -
13
La division 6.4 – 30 3.1 – 10
14
15
16 Mais, pour lessentiel, les deux commentateurs ne font que reprendre des
17 prcisions faites dj avant eux, comme cela ressort dune comparaison de leurs
18 dveloppements.
19
20 2.1.1 Le skopos du trait
21
22 Simplicius et Philopon saccordent dire que le but de la Physique est
23 denseigner au sujet « des choses qui existent en commun dans toutes les ralits
24 naturelles »,3 cest--dire les principes. Simplicius explique pralablement que
25
26 aQt¸a t/r 1picqav/r B t²nir t/r !macm¾seyr B eQr t± jev²kaia dia¸qesir ja· eQ cm¶siom toO
27 vikosºvou t¹ bibk¸om.
28 2 Cf. Philopon, In Cat., 8.7 – 11 : EQd´mai d³ wqµ fti oq pamtaw0 taOta p²mta wqµ fgte ?m,
29 !kkû 1m oXr t¹ sav³r !poj´jquptai· pokk²jir c±q t` sjop` sumamava¸metai ja· t¹
wq¶silom, oXom 1m t0 Peq· oqqamoO C 1m t0 Peq· xuw/r d/kor ja· b sjop¹r ja· t¹ wq¶silom
30 ja· B 1picqav¶. 1m l´mtoi ce to ?r Tºpoir oqd³ 4m to¼tym d/kom. « Il faut savoir quil nest
31 pas ncessaire de chercher prciser tous ces points dans tous les cas, mais seulement
32 dans les cas o la prcision est cache. Souvent en effet lutilit apparat en mÞme temps
33 que le but ; dans les traits Du ciel et De lme, par exemple, et le but et lutilit et le
34 titre sont clairs. Par contre, dans les Topiques, rien de cela nest clair » ; Simplicius, In
Cat., 8.31 – 9.3 (Trad. Ph. Hoffmann) : Qst´om d´, fti oqj !e· taOta p²mta de ?tai diaq-
35 hq¾seyr· pokk²jir c±q t¹ wq¶silom t` sjop` sumamava¸metai ja· B 1picqavµ pamt· d¶kg
36 jah´stgjem, ¢r B Peq· xuw/r, ja· t¹ cm¶siom oqj 1p· p²mtym de ?tai jatasjeu/r, !kkû 1vû
37 ¨m 5stim tir fkyr !mtikoc¸ar !voql¶. « Il faut bien savoir quon na pas toujours besoin
38 dexpliquer tous ces points. Souvent en effet lutilit apparat en mÞme temps que le but,
39 et le titre est clair pour tout le monde (par exemple, le titre De lme). Quant
lauthenticit, elle ne demande pas dans tous les cas Þtre tablie : elle ne doit lÞtre que
40 dans les cas o il y a, de manire gnrale, motif la contester. »
41 3 Simplicius, In Phys., 3.13 – 15 : t/r d³ pqojeil´mgr pqaclate¸ar b sjop¹r peq· t_m joim0
42 p÷sim rpaqwºmtym to ?r vusijo ?r pq²clasi jahû fsom eQs· vusij², taqt¹m d³ eQpe ?m
40 Chapitre 2. La tradition commentariste ou les prsupposs exgtiques
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22
23
24 Sans doute la division est-elle dorigine pripatticienne. Les matres nopla-
25 toniciens auraient certes peu dintrÞt ltaler jusquaux crits zoologiques
26 dAristote, et Simplicius dit dailleurs explicitement quil reproduit une division
27 pripatticienne.9 Les commentateurs prcisent deux fois quils ont donn une
28 version abrge de la division.10 Elle devait donc Þtre plus dtaille lorigine,
29 fournissant probablement davantage de prcisions sur les crits zoologiques et
30 les Parva naturalia, auxquels les commentateurs noplatoniciens se rfrent
31 naturellement assez vaguement,11 puisquils ne comptaient pas les enseigner. Il
32
33
34 9 In Phys., 3.10 – 12 : B l³m owm dia¸qesir toia¼tg t¸r 1sti toO vusijoO t/r vikosov¸ar jat±
tµm peqipatgtijµm aVqesim ¢r sumekºmti eQpe ?m.
35 10 Simplicius, In Phys., 3.12 : ¢r sumekºmti eQpe ?m. Philopon (daprs les cours dAmmo-
36 nius), In De gen. et corr., 2.19 – 20 : B l³m owm dia¸qesir t_m vusij_m pqacl²tym ja· t_m
37 eQr taOta pqaclatei_m toO )qistot´kour, ¢r sumtºlyr eQpe ?m, avtg 1st¸m.
38 11 Cf. Simplicius, In De caelo, 3.4 – 8 : ja· dµ ja· peq· vut_m aqt` c´cqaptai ja· peq· f]ym,
39 t± l³m joim_r ¢r t± peq· cem´seyr aqt_m ja· peq· loq¸ym diavoq÷r ja· wqe¸ar ja· peq·
jim¶seyr ja· 1meqce¸ar, 1m oXr t² te Peq· poqe¸ar f]ym ja· Peq· lm¶lgr ja· 1cqgcºqseyr,
40 t± d³ Qd¸yr jahû 6jastom eWdor t_m f]ym B Peq· f]ym Rstoq¸a paqad¸dysi. In Phys., 3.6 –
41 10 : peq· l³m owm f]ym 1m ta ?r peq· f]ym pamtodapa ?r pqaclate¸air diek´whgsam p0 l³m
42 Rstoqij_r t± peq· aqt_m !vgco¼lemoi ¢r 1m ta ?r Peq· f]ym Rstoq¸air, p0 d³ aQtiokocij_r
42 Chapitre 2. La tradition commentariste ou les prsupposs exgtiques
1 comme cela sest pass avec le skopos du trait Du ciel et linterprtation quen
2 ont donn Jamblique, Syrianus et, aussi, Simplicius.20
3 Contrairement au skopos du trait Du ciel, celui de la Physique, tel quil a
4 t pralablement dtermin ou accept par Alexandre, na point suscit de
5 discussion. Les exgtes noplatoniciens affirment unanimement que le trait
6 porte sur les choses qui existent en commun dans toutes les ralits naturelles.
7 Et celles-ci, expliquent-ils, sont leurs principes, cest--dire la matire et la
8 forme, et, aussi, leurs concomitants ou accidents insparables (t± paqajo-
9 kouhoOmta),21 cest--dire le mouvement, le lieu et le temps. Voil ce quen dit
10 Philopon22 :
11
Comme il a t dit, le livre prsent porte sur les concomitants qui sont communs
12 toutes les ralits naturelles. Cest pourquoi il a nomm le trait proprement
13 « Physique ». Ces concomitants sont au nombre de cinq : la matire, la forme, le
14 lieu, le temps et le mouvement.
15
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19
20
21 20 Simplicius conclut son expos en disant que le but du trait est denseigner au sujet des
22 corps simples (peq· t_m "pk_m syl²tym), cest--dire le corps cleste et les quatre
23 lments sublunaires (cf. In De caelo, 4.27 – 5.4 ; voir aussi In Phys., 2.11 – 30). Le
24 dsaccord de Simplicius avec Alexandre part pour lessentiel de lexpression utilise par
ce dernier, lequel dit que le trait porte prcisment sur « le Monde et les cinq corps
25 simples » (peq· jºslou owm vgsim b )k´namdqor ja· peq· t_m 1m aqt` p´mte syl²tym).
26 Simplicius a considr quAlexandre assignait de la sorte au trait deux diffrents objets
27 dtude : (1) le monde et (2) les cinq corps, ce qui abme la fois lunit du skopos et
28 lunit du trait ; cf. In De caelo, 5.4 – 6 : « Si Alexandre navait pas dit que le but porte
29 aussi sur le monde (ja· peq· jºslou), mais quil porte seulement sur les corps simples, je
naurais pas t en dsaccord avec lui ». Dans ce contexte, Simplicius prenait le mot
30 « monde » au sens large, comme dsignant tout ce sur quoi porte prcisment le Time
31 de Platon, qui va des principes des ralits naturelles jusqu la constitution de lhomme
32 et de ses parties. Or, Aristote, explique Simplicius (In De caelo, 3.10 – 27), la diffrence
33 de Platon, a expos sa doctrine du monde ainsi compris dans lensemble de ses traits
34 physiques et non pas dans un seul trait, f t-il le trait Du ciel ou un autre. En revanche,
Ammonius faisait du « monde » du skopos alexandrique le terme gnrique qui englobe
35 les cinq corps simples ; de ce fait, il assignait au « ja· » de la phrase dAlexandre une
36 valeur explicative.
37 21 Ainsi que H. Hugonnard-Roche, « La formulation logique de largumentation dans les
38 commentaires dAverros au De caelo », dans M.–O. Goulet-Caz et alii (ds), Le
39 commentaire entre tradition et innovation, Paris, 2000, p. 388, rend en franÅais le terme
latin consequentia qui reprend le grec parakolouthounta travers larabe lawāhiq.
40 22 In Phys., 2.13 – 16 : t¹ d³ pqoje¸lemom bibk¸om 1st¸m, ¢r eUqgtai, peq· t_m joim0 p÷si to?r
41 vusijo?r pq²clasi paqajokouho¼mtym, di¹ ja· Qd¸yr Vusijµm tµm pqaclate¸am ¡mºlase.
42 taOta d´ 1sti p´mte· vkg eWdor tºpor wqºmor j¸mgsir.
2.1 Les prolgomnes la Physique 45
1 qui subsistent c
t delle28 […]. Sur tous ces sujets nous enseignent les livres du
2 trait intitul LeÅon de physique.
3 Il ajoute enfin le continu29 :
4
Puisque la nature, qui est en quelque sorte cause productrice immdiate des
5
ralits naturelles, sera montre principe de mouvement, et que toute ralit
6 naturelle, qui est un corps, possde en lui son principe de mouvement, il est
7 ncessaire que le physicien discoure aussi sur le mouvement. Et puisque tout corps
8 m est mesur par le temps selon son mouvement et que, tant un corps, il est en
9 un lieu, il faut galement enseigner au sujet du temps et du lieu. Et puisque et le
corps et le lieu et le temps et le mouvement sont continus, il est ncessaire de
10
traiter aussi du continu. Voil donc les choses qui accompagnent les principes
11 naturels.
12
13 Que la Physique porte galement sur la nature et le continu, ce nest assurment
14 pas une nouveaut de Simplicius. De pareilles prcisions se retrouvent en effet
15 dans les promes de Philopon aux livres suivants de la Physique. 30 Linnovation
16 de Simplicius sur ce point, sans doute peu importante, consiste plut
t dans le fait
17 quil a compris, par rigueur exgtique, la nature et le continu parmi les thmes
18 majeurs de la Physique, tels quils sannoncent traditionnellement dans les
19 prolgomnes du trait.
20 Enfin, selon tous les deux commentateurs, la Physique porte aussi sur le vide
21 et linfini qui, bien quen ralit (cest--dire selon Aristote) ils naccompagnent
22 pas les ralits naturelles, mritent tout de mÞme dÞtre tudis31,32 :
23
24
25 28 Il sagit du hasard et de la spontanit, quAristote examine avec la nature dans le livre
26 II de la Physique.
27 29 In Phys., 3.25 – 32 : 9pe· d³ B v¼sir poigtijºm pyr pqosew_r aUtiom owsa t_m vusij_m
28 !qwµ jim¶seyr owsa deiwh¶setai ja· p÷m vusij¹m s_la cm !qwµm 1m 2aut` jim¶seyr 5wei,
29 !macja ?or b peq· jim¶seyr kºcor t` vusij`. 1pe· d³ t¹ jimo¼lemom rp¹ wqºmou letqe ?tai
jat± tµm j¸mgsim ja· s_la cm 1m tºp\ 1st¸, de ? ja· peq· wqºmou ja· peq· tºpou did²nai.
30 1peidµ d³ ja· t¹ s_la ja· b tºpor ja· b wqºmor ja· B j¸mgsir sumew/ 1sti, ja· peq·
31 sumewoOr !m²cjg diakabe ?m. ja· taOta l³m paqajokouhe ? ta ?r vusija ?r !qwa ?r.
32 30 Voir infra, n. 50.
33 31 Philopon, In Phys., 2.21 – 29 : Jat² timar d³ t_m vusij_m ja· t¹ jem¹m ja· t¹ %peiqom p÷si
34 paqajokouhe ? to ?r vusijo ?r pq²clasi […]. !kkû fti l³m oqdaloO d¼matai eWmai t¹ jem¹m
de¸jmusim 1m t` tet²qt\ t/r pqojeil´mgr pqaclate¸ar b )qistot´kgr, t¹ d³ %peiqom fti
35 l³m jatû 1m´qceiam eWmai oq d¼matai oqdû fkom ûla blo¸yr de¸jmusi, dum²lei d³ lºmom ja·
36 jat± l´qg sumest²mai.
37 32 Simplicius, In Phys., 3.32 – 4.5 : 9lp¸ptei d³ fgt¶lata ja· peq· !pe¸qou ja· peq· jemoO,
38 peq· !pe¸qou l³m fti !m²cjg ja· t± vusij± s¾lata ja· tµm j¸mgsim ja· t¹m tºpom ja· t¹m
39 wqºmom sumew/ emta ja· di²stasim 5womta 1pû %peiqom eWmai diaiqet± ja· C %peiqa eWmai C
pepeqasl´ma C p0 l³m t¹ %peiqom 5weim p0 d³ t¹ pepeqasl´mom· 1pe· d³ b tºpor 5don´ tisi
40 di²stgl² ti jem¹m eWmai s¾lator 1steqgl´mom, eQjºtyr b peq· jemoO kºcor 1lp¸ptei t`
41 peq· toO tºpou, ja· diºti tim³r t_m vusi j_m ja· oqw oR tuwºmter ja· t¹ jem¹m 1m !qw/r
42 5hemto kºc\. peq· to¼tym owm b t/r vusij/r !jqo²seyr sjopºr, $ joim0 p÷si to ?r
2.1 Les prolgomnes la Physique 47
1 Selon certains physiciens, le vide et linfini accompagnent, eux aussi, toutes les
2 ralits naturelles […]. Toutefois, que le vide ne peut exister nulle part, Aristote le
3 montre dans le quatrime livre du prsent trait. Quant linfini, il montre
galement quil ne peut pas exister ni en acte ni tout entier la fois, mais quil
4
subsiste seulement en puissance et selon ses parties.
5
6
Des points de recherche sur linfini et le vide entrent galement <dans le trait>.
Sur linfini, parce que et les corps naturels et le mouvement et le lieu et le temps,
7
tant continus et ayant une distanciation, sont ncessairement divisibles linfini et
8 sont ou bien infinis ou finis ou bien ils possdent sous un mode linfini et sous un
9 autre le fini. Dautre part, puisquil parut certains que le lieu est une sorte
10 dintervalle vide et dpourvu de corps, le discours sur le vide entre bon droit dans
11 le discours sur le lieu ; et aussi parce que certains physiciens, et assurment pas les
12 premiers venus, ont assign au vide un r
le de principe.
13 « Voil donc », sexplique Simplicius en concluant le kephalaion du skopos, « sur
14 quoi porte le but de la Physique : sur les choses qui existent en commun dans
15 toutes les ralits naturelles ou qui semblent y exister mais qui en ralit
16 nexistent pas ».33 Llucidation du skopos ne pose en effet pas de problme aux
17 exgtes de la Physique. En reprenant une tradition bien antrieure, Philopon et
18 Simplicius sont pour lessentiel daccord quant aux thmes ou concepts sur
19 lesquels porte le trait. Mais il nen est pas de mÞme quant au contenu quils
20
donneront ces concepts dans le cours du commentaire. Comme nous le
21
verrons, ils dveloppent tous les deux des digressions pour tablir leurs propres
22
doctrines au sujet de la matire, de la nature, du lieu, du temps et du vide.
23
24
25
2.1.2 Le titre (et les sous-titres) du trait
26
27
Ainsi que le prcise Simplicius, llucidation du skopos rend aussit
t clair le
28
titre34 :
29
30 La raison dÞtre du titre est dornavant claire. En enseignant au sujet des choses
31 qui existent en commun dans toutes les ralits naturelles en tant quelles sont
naturelles, le trait porte bon droit le nom commun <de toutes les ralits
32
naturelles>, ayant t prcisment intitul « Physique » (Vusij¶). Dautre part, <il
33 a t nomm> « audition » (!jqºasir), parce quil est tellement revÞtu de
34 prcision quil faut le prfrer aux autres, sil est faire lire haute voix.
35
36 vusijo?r rp²qwei C doje ? l´m, oqw rp²qwei d´. Cf. aussi In De caelo, 2.22 – 23 : ja· 5ti t_m
37 dojo¼mtym l³m rp²qweim to ?r vusijo ?r, lµ rpaqwºmtym d´, ¢r peq· jemoO ja· !pe¸qou.
38 33 In Phys., 4.5 – 7 : peq· to¼tym owm b t/r vusij/r !jqo²seyr sjopºr, $ joim0 p÷si to ?r
39 vusijo?r rp²qwei C doje ? l´m, oqw rp²qwei d´.
34 In Phys., 4.8 – 11 : Ja· B aQt¸a t/r 1picqav/r koip¹m d¶kg. peq· c±q t_m joim_r p÷si to?r
40 vusijo?r jah¹ vusij² 1stim rpaqwºmtym did²sjousa eQjºtyr t¹ joim¹m emola !pg-
41 m´cjato «Vusij¶» 1picqave ?sa, «!jqºasir» d³ ¢r eQr !jq¸beiam ovtyr Asjgl´mg ¢r eQr
42 !jqºasim %kkym pqotehe ?shai.
48 Chapitre 2. La tradition commentariste ou les prsupposs exgtiques
1 A. Mansion avait dj fait remarquer que, dans son Commentaire sur le De
2 caelo, Simplicius situe la division des deux parties du trait non pas entre les
3 livres V et VI, comme il le fait dans le Commentaire sur la Physique, mais entre
4 les livres IV et V,39 comme le fait prcisment Philopon. La divergence,
5 explique-t-il, est due au fait que le Commentaire au trait Du ciel est antrieur
6 celui la Physique ; il remonte donc une priode pendant laquelle Simplicius
7 avait fait moins amplement connaissance avec la tradition de ses prdces-
8 seurs.40 Ainsi que le signale Simplicius lui-mÞme, le prdcesseur qui il doit sa
9 nouvelle opinion est principalement Adraste.41 Or, le fait que le tmoignage
10 dAdraste soit expressment voqu deux reprises dans les prolgomnes la
11 Physique suggre que Simplicius a t bien conscient quen plaÅant la division
12 entre les livres V et VI, il rompait avec la thse communment reÅue son
13 poque, par Philopon, par exemple,42 et par lui-mÞme dans un temps antrieur.
14 Ce ne fut donc quen composant son Commentaire sur la Physique quil prit
15 connaissance de lopinion dAdraste et se rsolut placer la division entre les
16 livres V et VI. Nanmoins, la connaissance quil a eue de louvrage canonique
17 dAdraste ne fut vraisemblablement pas directe. En effet, une seule scholie de
18 ce philosophe figure dans le Commentaire de Simplicius, provenant sans doute
19 du commentaire de Porphyre,43 et cest encore Porphyre que Simplicius voque
20
21
22
23
24
39 Simplicius, In De caelo, 226.19 – 21 : jake ? d³ «peq· !qw_m» t± t´ssaqa pq_ta bibk¸a t/r
25 Vusij/r !jqo²seyr, ¦speq t± koip± t´ssaqa «peq· jim¶seyr» 1j²kei pq¹ ak¸cou
26 k´cym…
27 40 Cf. A. Mansion, Introduction la Physique aristotlicienne, 2me d. revue et augmente,
28 Louvain-la-Neuve, 1945, p. 49 – 50, n. 28.
29 41 Dans le prome au livre VI, Simplicius voque galement en faveur de la division « 5 +
3 » Thophraste et Andronicos de Rhodes (In Phys., 923.7 – 16) et cite encore Damas, le
30 biographe dEudme (In Phys., 924.12 – 14 : fti d³ t± tq¸a 1st· t± Peq· jim¶seyr, ja· t±
31 p´mte Vusij², laqtuqe ? ja· D²lar b t¹m b¸om Eqd¶lou cq²xar k´cym «ja· t_m 1j t/r
32 Peq· v¼seyr pqaclate¸ar t/r )qistot´kour t_m Peq· jim¶seyr tq¸a»). Cest pourtant
33 lautorit de louvrage canonique dAdraste qui est initialement voque, et cela ds les
34 prolgomnes au trait.
42 La mÞme position est adopte par Philopon, comme par Olympiodore, dans lexplica-
35 tion du prome des Mtorologiques ; cf. Philopon, In Meteor,, 4.30 – 31 : j a · p e q ·
36 p ² s g r d³ j i m ¶ s e y r v u s i j / r 1m to ?r rst´qoir aqt/r (scil. t/r Vusij/r !jqo-
37 \seyr) t´ssaqsi kºcoir die¸kejtai. Olympiodore, In Meteor., 7.12 – 14 : di± d³ toO eQpe ?m
38 j a · p e q · p ² s g r j i m ¶ s e y r v u s i j / r rpºlmgsim 1po¸gse t_m tess²qym kºcym
39 e, st, f, g· 1m to¼toir c±q peq· p²sgr vusij/r jim¶seyr b kºcor. Il faut en dduire que,
avant eux, Ammonius tait du mÞme avis. Dans son propre Commentaire aux
40 Mtorologiques, Alexandre dAphrodise ne prcise pas quelles parties de la Physique
41 sont dsignes dans le prome du trait.
42 43 Voir infra, p. 71 et n. 223.
50 Chapitre 2. La tradition commentariste ou les prsupposs exgtiques
1 quatre derniers livres lui sont consacrs. Il restait donc prciser de quelle
2 manire les autres thmes majeurs de la Physique se rpartissent dans la
3 premire partie.
4 Comme attendu, Philopon est plus succinct que Simplicius. Il se contente de
5 signaler que dans le premier livre du trait, il est principalement question de la
6 matire, dans le deuxime, de la forme, dans le troisime, du mouvement et de
7 linfini, et dans le quatrime, du lieu, du temps et du vide.47 On retrouve donc les
8 sept thmes majeurs de la Physique, tels que Philopon les avait dj fait
9 apparatre en traitant du skopos. Simplicius explicite lui aussi la division du
10 trait en fonction des lments explicatifs dont il stait servi dans le mÞme
11 kephalaion. Il laisse de c
t la partie intitule « Peq· jim^seyr » et, en adoptant
12 la division propose par Adraste, il prcise avec plus de dtails le contenu des
13 cinq premiers livres, regroups sous le titre « Peq· !qw_m »48 :
14
15
16 47 Cf. Philopon, In Phys., 3.1 – 9 : 1m d³ t` pq¾t\ bibk¸\ !masjeu²fei ja· t±r t_m pakaio-
17 t´qym peq· t_m vusij_m !qw_m dºnar ja· did²sjei peq· toO eUdour ja· t/r vkgr, 1m d³ t`
18 deut´q\ peq· toO eUdour (diak´cetai d³ ja· peq· t/r vkgr, ¦speq ja· 1m t` pq¾t\ peq· toO
19 eUdour· !kk± l÷kkom 1m t` pq¾t\ peq· t/r vkgr Epeq toO eUdour, ¢r ja· 1m t` deut´q\
peq· toO eUdour l÷kkom Epeq t/r vkgr), 1m d³ t` tq¸t\ did²sjei peq· jim¶seyr ja· !pe¸qou,
20 1m d³ t` tet²qt\ peq· tºpou wqºmou jemoO, 1m d³ to ?r koipo ?r t´tqasi peq· jim¶seyr ja·
21 p²mtym [ja·] t_m paqajokouho¼mtym aqt0. « Dans le premier livre, Aristote rfute les
22 doctrines professes par les plus anciens au sujet des principes et enseigne sur la forme
23 et la matire ; dans le deuxime livre, il enseigne sur la forme (il discourt aussi de la
24 matire, comme il discourt de la forme dans le premier livre ; mais il discourt plus de la
matire que de la forme dans le premier livre, de mÞme que dans le deuxime livre il
25 discourt plus de la forme que de la matire) ; dans le troisime livre, il enseigne sur le
26 mouvement et linfini ; dans le quatrime, sur le lieu, le temps et le vide ; dans les quatre
27 livres qui restent, il enseigne sur le mouvement et toutes les proprits qui laccom-
28 pagnent. »
29 48 In Phys., 6.10 – 30 : T_m d³ Peq· !qw_m 1m l³m t` pq¾t\ peq· t_m sumait¸ym did²sjei, t/r
te vkgr vgl· ja· toO eUdour ja· t/r !mtijeil´mgr t` eUdei steq¶seyr7 1m d³ t` deut´q\
30 peq· toO pqosew_r poigtijoO aQt¸ou, fpeq tµm v¼sim eWma¸ vgsi, ja· l´mtoi ja· peq· toO
31 tekijoO. 1peidµ d´ 1st¸ tima ja· %kka poigtij± dojoOmta aUtia, jat± sulbebgj¹r 5womta
32 toOto ¦speq B t¼wg ja· t¹ aqtºlatom, oqd³ t¹m to¼tym dioqisl¹m !di²qhqytom jata-
33 k´koipem. bqis²lemor d³ tµm v¼sim !qwµm jim¶seyr ja· fkyr t_m vusij_m jat± j¸mgsim
34 waqajtgqifol´mym, 1m t` tq¸t\ t¸ potû 5stim B j¸mgsir F te joimµ ja· 6jastom aqt/r eWdor
!madid²sjei. 1pe· d³ sumewµr B vusijµ j¸mgsir, t¹ d³ sumew³r 1pû %peiqom diaiqetºm, ja·
35 peq· sumewoOr ja· peq· !pe¸qou diak´cetai jat± t¹ tq¸tom bibk¸om. s¾lata d³ emta t±
36 vusij± ja· h´sim 5womta tºpou de ?tai 1m è te 5stai ja· 1m è jimgh¶setai. di¹ ja· peq·
37 tºpou di´neisim 1m t` tet²qt\. jem¹m d³ di²stgla tim_m t¹m tºpom rpokalbamºmtym ja· 1m
38 !qw/r kºc\ t¹ jem¹m tih´mtym tim_m, eQjºtyr ja· t±r peq· toO jemoO fgt¶seir !majime ?.
39 p²sgr d³ jim¶seyr rp¹ wqºmou letqoul´mgr, !macja ?om Gm ja· peq· wqºmou t¹m vusij¹m
pokupqaclome ?m. ja· ovtyr t¹ t´taqtom sumepeq²mato bibk¸om. 1m t` p´lpt\ d³ tµm
40 j¸mgsim !jqib_r !p¹ t_m %kkym letabok_m di´jqime ja· tµm !mt¸hesim t_m te jim¶seym
41 pq¹r !kk¶kar ja· t_m Aqeli_m pqºr te t±r jim¶seir ja· pq¹r !kk¶kar di¾qise ja· tµm
42 l¸am j¸mgsim Ftir pot´ 1sti peqi´cqaxem.
52 Chapitre 2. La tradition commentariste ou les prsupposs exgtiques
1 Quant aux livres « Sur les principes », Aristote enseigne dans le premier au sujet
2 des causes accessoires, cest--dire la matire, la forme et la privation qui soppose
3 la forme49 ; dans le deuxime, il enseigne au sujet de la cause productrice
immdiate, dont il dit que cest la nature, et, assurment, de la cause finale aussi.
4
Mais puisquil y a galement certaines causes qui semblent Þtre productrices, mais
5 qui en ralit ne le sont que par accident, comme le hasard et la spontanit, il na
6 pas pass outre la dtermination de ces causes non plus. Et puisquil a dfini la
7 nature comme principe du mouvement et quen gnral toutes les ralits
8 naturelles se caractrisent par le mouvement, il nous apprend dans le troisime
9 livre ce quest le mouvement, aussi bien le mouvement commun que chacune de ses
espces. Et puisque le mouvement naturel est continu et que le continu est
10
infiniment divisible, il discourt galement dans le troisime livre du continu et de
11 linfini. Et puisque les ralits naturelles sont des corps et possdent une position,
12 elles ont besoin dun lieu, dans lequel elles puissent Þtre et se mouvoir. Cest
13 pourquoi il traite du lieu dans le quatrime livre. Dautre part, puisque certains
14 philosophes ont considr que le lieu est un intervalle vide et lui ont assign valeur
15 de principe, il reprend bon droit les recherches sur le vide. Et puisque tout
mouvement est mesur par le temps, il est ncessaire que le physicien sadonne
16
aussi ltude du temps. Ainsi sachve le quatrime livre. Dans le cinquime, il
17 distingue avec prcision le mouvement des autres changements, dtermine
18 lopposition des mouvements entre eux et celle des repos par rapport aux
19 mouvements, et dcrit ce quest le mouvement considr comme un.
20
Simplicius est donc plus prcis que Philopon et indique galement quelques
21
thmes « mineurs » de la Physique, comme la privation, le hasard et la
22
spontanit. Mais en fait ces prcisions supplmentaires de Simplicius se
23
retrouvent dans les promes de Philopon aux livres suivants de la Physique. 50
24
25
26
2.1.4 La place du trait dans lordre de lecture
27
28
La division pripatticienne des traits physiques dAristote, qui dtermine leur
29
30
skopos, dtermine galement la place de chaque trait dans lordre de lecture51 :
31
en empruntant un sens descendant, on devait aller du plus universel au moins
32
33 49 On remarquera que Simplicius passe sous silence la rfutation aristotlicienne des
34 anciennes doctrines des principes, laquelle se rfre Philopon. Ce nest pas au hasard,
comme nous verrons plus loin.
35 50 Cf. Philopon, In Phys., 194.16 –195.13 (prome au livre II), propos de la nature en tant que
36 cause productrice et propos du hasard et de la spontanit en tant que causes par accident ;
37 In Phys., 339.10 –340.13 (prome au livre III), propos de la liaison dmonstrative qui unit
38 la nature, le mouvement, le continu, linfini, le lieu, le vide et le temps.
39 51 Voir supra, p. 12–13. Citons ici un passage caractristique tir de Simplicius, In De caelo,
3.8– 10 : toia¼tgr owm ousgr t/r diaiq´seyr d/kom, fti let± tµm Vusijµm !jqºasim ta¼tgm
40 !makgpt´om tµm pqaclate¸am (scil. tµm Peq· oqqamoO) jat± p²mtar to»r 1ngcgt±r t_m
41 )qistot´kour. « La division tant donc telle, il est clair quaprs la Physique il faut aborder
42 ce trait-ci (scil. le trait Du ciel) selon tous les exgtes de la philosophie dAristote. »
2.1 Les prolgomnes la Physique 53
1 avons voque plus haut en parlant des Commentaires de Philopon.69 Il est vrai
2 que la thria dlivre lexplication de la doctrine – elle recouvre donc ce qui est
3 ailleurs dsign comme « moOr » ou « di²moia/5mmoia » –, mais elle dsigne par
4 surcrot la premire explication, gnrale et continue, dune portion de texte,
5 premire par rapport lexplication de la lexis, qui reprend par la suite la mÞme
6 portion de texte en la divisant en petites units minutieusement commentes.
7 Cest une manire de faire « scolastique », contraignant parfois lexgte la
8 rptition, qui ne se rencontre pas avant Ammonius, du moins daprs le
9 tmoignage des commentaires existants. Il semble donc que cela ait t une
10 conception lui, adopte ensuite par ses lves Philopon et Olympiodore et,
11 plus tard, par lias, David et Stphanos dAlexandrie.70
12 Philopon, nous venons de le dire, procde dans son exgse selon la
13 mthode scolaire dAmmonius. Simplicius, dautre part, qui a certainement
14 connu cette mthode, ne lapplique pas, et pour cause : en composant un
15 commentaire qui ntait pas destin lenseignement oral, il avait tout intrÞt
16 viter les contraintes et les rptitions imposes par la pratique scolaire
17 alexandrine. Ses commentaires sapparentent plut
t ceux de Proclus, o
18 lintrÞt est principalement port lexplication de la doctrine, la lexis ntant
19 traite que lorsquil en est besoin.
20
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22
23
24
25
26 69 Voir supra, p. 22 – 23.
27 70 Des occurrences du mot « heyq¸a » valeur exgtique se rencontrent videmment bien
28 avant Ammonius. Il suffit de penser la « moeq± heyq¸a » de Jamblique ou de citer le
29 passage suivant de Proclus, In Tim., I, 299.19 – 21 : Bl÷r d³ pq_tom wqµ tµm k´nim aqtµm
jah artµm 1net²samtar 5peita ovty pq¹r tµm fkgm heyq¸am !madqale ?m. Cf. aussi
30 Hermias (« de la voix » de Syrianus), In Phaedrum, 202.25 : de ? d³ aqt± heyqgtij¾teqom
31 1jkalb²meim, ja· lµ ¢r doje ? 5weim B k´nir. Mais avec Ammonius le mot sert dsigner
32 une partie de lexgse, qui se reflte dans la version crite en tant quunit textuelle
33 dmarque ; cf., titre indicatif, Asclpius (« de la voix » dAmmonius), In Metaph.,
34 77.27 – 28 : toOto owm vgsim fti oR !jqib´statoi t_m kºcym ja· t_m pqºr ti poioOsim Qd´ar,
¢r eQq¶jalem 1m t0 heyq¸ô. 81.9 : eQq¶jalem d³ 1m t0 heyq¸ô fti Qd´a 1st·… 93.7 – 8 : di±
35 t¹ !¸diom oR mogto· paqajtijo· rp²qwousi t_m aQshgt_m, ¢r 1m t0 heyq¸ô lelah¶jalem.
36 Philopon (daprs les cours dAmmonius), In De gen. et corr., 276.13 – 14 : …ta¼tgm tµm
37 diavoq±m t_m sglaimol´mym, Dm ja· %my pqoeiq¶jalem jat± tµm heyq¸am. Ne prÞtant pas
38 assez dattention aux articulations des Commentaires dAmmonius et de Philopon, les
39 diteurs des CAG les ont mal imprims : le lemme qui introduit en effet lexplication de
la lexis apparat comme faisant partie de la thria. Dans sa traduction dernirement
40 parue, C. Osborne, Philoponus. On Aristotle Physics 1.1 – 3, Londres, 2006, a heureu-
41 sement rtabli la structure de la « double exgse » du Commentaire la Physique de
42 Philopon.
58 Chapitre 2. La tradition commentariste ou les prsupposs exgtiques
1 non pas alexandrique.75 Faut-il dire que Philopon a dcoup lui-mÞme le texte
2 de la Physique ? Quelques prcisions de Simplicius permettent en effet
3 dapporter une rponse.
4 deux endroits de son Commentaire, Simplicius se rfre trois prcisions
5 exgtiques dAmmonius, livres videmment lors dun cours oral sur la
6 Physique auquel il avait assist.76 La premire, se rapportant la lexis,
7 concernait la manire dont il fallait comprendre Phys., I 5, 188a 27 : de ? c±q t±r
8 !qw±r lµ 1n !kk¶kym eWmai. Contrairement lexplication traditionnelle,
9 propose apparemment par Alexandre, qui consistait dire que les principes,
10 cest--dire les contraires, ne doivent pas Þtre mutuellement issus les uns des
11 autres parce quil est impossible que les contraires subsistent tous les deux la
12 fois, Ammonius soutenait quAristote voulait simplement dire quil est impos-
13 sible que, des deux contraires, lun soit plus principiel (!qwoeid´steqom) que
14 lautre.77 La deuxime et la troisime visaient clairer ce que dit Aristote en
15 Phys., I 6, 189a 13 – 14 : l¸a te 1mamt¸ysir 1m pamt· c´mei 2m¸. La « contrarit
16 unique », expliquait Ammonius, est celle qui se manifeste principalement dans
17 le genre de la substance (B peq· t¹ c´mor t/r oqs¸ar heyqoul´mg), autrement dit
18 la contrarit entre la forme et la privation, « parce que nous recherchons les
19 principes de la subsistence des substances, dans lesquelles trouvent leur Þtre les
20 autres catgories aussi ».78 Par « genre unique », poursuivait-il, il ne faut pas
21
22 75 C. DAncona Costa, « Syrianus dans la tradition exgtique de la Mtaphysique
23 dAristote », dans M.–O. Goulet-Caz et alii (ds), Le commentaire entre tradition et
24 innovation, p. 311 – 327 (voir aussi du mÞme auteur, « Commenting on Aristotle : from
Late Antiquity to the Arab Aristotelianism », dans W. Geerlings et C. Schulze (ds),
25 Der Kommentar in Antike und Mittelalter. Beitr ge zu seiner Erforschung, p. 201 – 251,
26 en particulier p. 206 – 226) souligne juste titre limportance et la postrit du style de
27 commentaire alexandrique chez les commentateurs noplatoniciens. Il faudrait pourtant
28 nuancer son affirmation selon laquelle ce style de commentaire, rhabilit par Syrianus,
29 sest par la suite impos Proclus, Ammonius et ses lves. Les commentaires
dAmmonius et de ses lves se diffrencient dj sensiblement de ceux de Proclus et de
30 Syrianus, et, en gnral, il vaut mieux voir dans le style de commentaire alexandrique
31 (employ, il est vrai, dj par Aspasius) une matrice que les philosophes noplatoniciens
32 ont largie et modifie conformment leurs besoins.
33 76 Cf. In Phys., 183.18 : b d³ Bl´teqor jahgcel½m )ll¾mior oqj An¸ou… 192.14 : pq¹r d³ t¹
34 de¼teqom 5kecem b Bl´teqor jahgcel½m )ll¾mior… 193.1 : b d³ )ll¾mior 5kece…
77 Simplicius, In Phys., 183.18 – 35 : b d³ Bl´teqor jahgcel½m )ll¾mior oqj An¸ou t¹ l µ
35 1 n ! k k ¶ k y m e W m a i t± 1mamt¸a ovtyr !jo¼eim, ¢r lµ 1n rpojeil´mym ja· di± toOto
36 rpolemºmtym, !kk± jahû Dm 5mmoiam eUqgtai t¹ l µ 1 n % k k y m aqt± eWmai, ¢r oqdû 1m¹m
37 t_m pq¾tym 1mamt¸ym %kka kalb²meim !qwoeid´steqa […]. jat± toOto owm 5oije t¹
38 sglaimºlemom ja· mOm k´ceshai t¹ lµ de ?m 1 n ! k k ¶ k y m e W m a i t± 1mamt¸a, ¢r oq
39 dumat¹m cm h²teqom hat´qou !qwoeid´steqom ja· jahokij¾teqom eWmai d i ± t ¹ 1 m a m -
t ¸ a , vgs¸m, aqt± eWmai, tout´stim Qsosheme ?m !kk¶koir, ja· lgd³m 5weim pk´om t¹ 6teqom
40 aqt_m toO 2t´qou pq¹r t¹m t/r !qw/r kºcom.
41 78 Simplicius, In Phys., 192.15 – 16 : t/r t_m oqsi_m rpost²seyr t±r !qw±r fgtoOlem, 1m aXr
42 ja· aR %kkai jatgcoq¸ai t¹ eWmai 5wousim.
2.2 Larticulation et la composition du commentaire 61
1 nous permettra galement de nous faire une ide de la manire dont un exgte
2 composait son commentaire :
3
4 Asclpius (« de la voix » dAmACHTUNGREmonius), Alexandre dAphrodise, In Metaph.,
5 In Metaph., 5.33 – 7.18 : 1.3 – 2.2 :
6 {980a21 P²mter %mhqypoi toO eQd´mai {980a21 P²mter %mhqypoi toO eQd´mai
7 aq´comtai v¼sei. sgle ?om d³ B t_m aq´comtai v¼sei}
8 aQsh¶seym !c²pgsir}
9 9peidµ B cm_sir tekeiºtgr 1st· t/r xuw/r,
10 Aqtovu_r bql_sim aR xuwa· 1p· t±r jahºkou l³m t/r "pk_r cicmysjo¼sgr,
cm¾seir ja· 1v¸emtai toO !cahoO· !cah¹m d´ l÷kkom d³ t/r kocij/r, ja· ta¼tgr 5ti
11
1sti t/r xuw/r B juq¸yr cm_sir. diºti l÷kkom Hr heyq¸a t¹ t´kor, p÷sa d³
12 cim¾sjei t± he ?a ja· 1meqce ? jat± t¹m tekeiºtgr 2j²stou t¹ 2j²stou !cahºm
13 heyqgtij¹m moOm· t¹ d³ toioOto teke¸ys¸r 1stim, 1m d³ t` !cah` 6jastom 5wei t¹ eWma¸
14 1sti t/r xuw/r. di¹ pacj²kyr vgs·m b te ja· s¾feshai, di± toOto jahºkou
15 )qistot´kgr p ² m t e r % m h q y p o i t o O
1p¶cacem fti p ² m t e r % m h q y p o i t o O
e Q d ´ m a i a q ´ c o m t a i v ¼ s e i , 1peidµ
eQd´mai aq´comtai v¼sei,
16
B cm_sir tekeiºtgr 1st¸m. fti c±q p²mter tout´stim aqtovu_r 1q_si t/r cm¾seyr ¢r
17 %mhqypoi aqtovu_r 1q_si t/r cm¾seyr, ta¼tgr tekeiºtgtor ousgr aqt_m. sgle?om
18 sgle?om l´cistom B t_m aQsh¶seym vik¸a· d³ to¼tou paq´heto 1maqc´statom tµm pq¹r
19 wa¸qolem c±q ta ?r aQsh¶sesim, 1peidµ diû t±r aQsh¶seir vik¸am· wa¸qolem c±q ta ?r
20 aqt_m hgq_lem t± pq²clata. aQsh¶sesim, 1peidµ diû aqt_m tµm t_m
%kkyr te d³
aQshgt_m pqacl²tym kalb²molem cm_sim.
21
ja· wyq·r toO 1meqce ?m ti C pq²tteim jat± !kk± ja· wyq·r to¼tou aqt±r diû 2aut±r
22 t±r aQsh¶seir !cap_lem aqt²r, ja· l²kista !cap_lem t±r aQsh¶seir, ja· l²kista pk´om
23 pk´om t_m %kkym tµm aptij¶m· ja· wyq·r t_m %kkym tµm bqatijµm aUshgsim· ja· c±q
24 c±q toO pq²tteim ja· 1meqce ?m t¹ bq÷m wyq·r toO pq²tteim ja· 1meqce ?m t¹ bq÷m
25 aRqo¼leha !mt· p²mtym ¢r eQpe?m t_m aRqo¼leha !mt· p²mtym ¢r eQpe?m t_m
%kkym. %kkym. avtg owm B bqatijµ l²kista t_m
26
%kkym aQsh¶seym poie? Bl÷r cmyq¸feim oq
27 t¹ d³ aUtiom, 1peid¶, ¦r vgsi lºmom !kk¶kour !kk± ja· t± he ?a ja·
28 Pk²tym 1m t` Va¸dymi, di± ta¼tgr t/r oqq²mia s¾lata. ja· c²q, ¦r vgsi Pk²tym,
29 aQsh¶seyr t¹ t/r vikosov¸ar 1poqis²leha di± ta¼tgr t/r aQsh¶seyr t¹ t/r
30 c´mor. !tem¸fomter c±q eQr t¹m oqqam¹m ja· vikosov¸ar 1poqis²leha c´mor· !tem¸fomter
heyqoOmter tµm t²nim ja· t¹ %vqastom c±q eQr t¹m oqqam¹m ja· heyqoOmter tµm
31
j²kkor 1qwºleha eQr 5mmoiam toO t²nim ja· t¹ %vqastom j²kkor 1qwºleha eQr
32 dgliouqc¶samtor. avtg owm B aptijµ 5mmoiam toO dgliouqc¶samtor.
33 l²kista t_m aQsh¶seym poie? Bl÷r
34 cmyq¸feim, oq k´cei !kk¶kour !kk± t± he ?a.
35 oute c±q diû %kkgr aQsh¶seyr ovtyr !kk± ja· oqd³ diû %kkgr
sulp²swolem to?r pq²clasim ¢r di± aQsh¶seyr ovty sulp²swolem to?r
36
ta¼tgr. j a · p o k k ² r , vgs¸, d g k o ? pq²clasim ¦speq di± ta¼tgr· di¹ ja¸ vgsim
37 d i a v o q ± r t± letan» t_m bqat_m aqt0· fti p o k k ± r d g k o ? d i a v o q ± r avtg
38 letan» c±q toO keujoO ja· toO l´kamor t_m aQshgt_m. pokka· c±q aR t_m wqyl²tym
39 pokk± rp²qwei wq¾lata, oXom eQ t¼woi diavoqa· letan» t_m %jqym keujoO ja·
40 vaiºm, namhºm, puqqºm, 1quhqºm. letan» d³ l´kamor tucw²mousim, oXom vaiºm, namhºm,
heqloO ja· xuwqoO oqd³m rp²qwei Ecoum puqqºm, 1quhqºm, ¡wqºm· letan» d³ heqloO
41
ngqoO ja· rcqoO.
42
2.2 Larticulation et la composition du commentaire 63
1 {980b 24 Lamh²mei d³ fsa pq¹r t0 lm¶l, cmystij¾teqa· t± c±q lelmgl´ma t_m f]ym
2 ja· ta¼tgm 5wei tµm aUshgsim} cmyq¸fei ¨m B …Qd¾m84 te c±q l´lmgtai ja·
OXom j¼ym, xittajºr, Vppor, emor ja· fsa d¼matai t¹ oQje ?ºm te ja· t¹ !kkºtqiom
3
%kka toiaOta. diacicm¾sjeim. […]
4
5 {980b 25 T± l³m owm %kka ta ?r vamtas¸air {980b 25 T± l³m owm %kka ta ?r vamtas¸air
f0 ja· ta ?r lm¶lair} f0 ja· ta ?r lm¶lair}
6
7
On se rend facilement compte que, pour faire son exgse, Ammonius sappuie
8
fortement sur le Commentaire dAlexandre. Il y emprunte des passages entiers, il en
9
modifie dautres, il en omet, certes, quelques-uns, il en ajoute aussi de son propre
10
cru.85 Mais le nom dAlexandre ny apparat gure. Si lon compare minutieusement
11
les deux commentaires, on trouvera en effet dans le commentaire dAmmonius
12
plusieurs emprunts Alexandre non signals,86 sauf sil sagit de diverger nettement
13
de son opinion ou, rebours, de lvoquer pour rsoudre un subtil problme
14
exgtique.87 Cette remarque invite la prudence quant au fait de dterminer
15
loriginalit dun exgte. Les rfrences nominales ne sont certainement pas un
16
critre dcisif. On prfrera se fier plut
t au ton clairement personnel de certains
17
passages et, dfaut, on prÞtera une extrÞme attention aux articulations qui
18
annoncent les diffrents moments du discours exgtique. Les passages introduits
19
avec la formule « l^pote d³…» (« mais peut-Þtre que… »), peuvent contenir, par
20
exemple, lopinion propre de lexgte, qui sajoute prcisment celle de ses
21
prdcesseurs relativement un difficile problme exgtique. Mais le cas le plus
22
obvie est celui des « paqejb\seir », sorte de diatribes autonomes qui sintercalent
23
dans le commentaire proprement dit : en rompant avec lexgse, faÅonne au
24
cours dune longue tradition, elles nous rvlent directement la pense de lexgte.
25
Nous aurons assurment en reparler.
26
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29
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32
33
34
35
36 85 On remarquera aussi la multiplication des lemmes de la part dAmmonius, conform-
37 ment aux besoins du commentaire par thria et lexis.
38 86 Cf., titre indicatif, Asclpius (« de la voix » dAmmonius), In Metaph., 15.17 – 16.16, et
39 Alexandre, In Metaph., 9.19 – 10.13 ; Asclpius (« de la voix » dAmmonius), In
Metaph., 227.38 – 228.33, et Alexandre, In Metaph., 239.34 – 240.29.
40 87 Cf., titre indicatif, Asclpius (« de la voix » dAmmonius), In Metaph., 155.27 : b
41 )k´namdqor «oqj %kkgr» cq²vei. 212.30 : b )k´namdqor ovtyr 1ngce ?tai t¹ wyq¸om.
42 311.27 : b )k´namdqor oUetai peq· toO sumh´tou k´ceim aqt¹m 1mtaOha.
1
2
3
4 Chapitre 3.
5 La tradition livresque ou le matriau bibliographique
6
7
8
Nous venons de dire que la rdaction dun commentaire est un acte de
9
recomposition, en ce sens quelle part dau moins une exgse dj existante,
10
quelle complte, corrige ou met jour. Cette exgse de « dpart » devient
11
galement le moyen pour accder dautres ouvrages que le commentateur ne
12
connat pas de premire main. Pour ce qui est du Commentaire de Philopon,
13
nous venons de voir que les quelques rfrences au Commentaire dAlexandre
14
dAphrodise ne proviennent vraisemblablement pas dune consultation directe
15
de louvrage : elles lui sont plutt communiques travers lexgse dAmmo-
16
nius, que Philopon a utilise ct de la Paraphrase de Thmistius pour faire sa
17
propre exgse de la Physique.
18
part Thmistius, Ammonius et Alexandre, Philopon nvoque essentiel-
19
lement pas dautres exgtes ou philosophes quil aurait pu utiliser comme
20
sources directes pour son Commentaire. Nous ne nous y attarderons donc pas
21
davantage.1 Nous passerons pour le reste au Commentaire de Simplicius qui fait
22
preuve, de prime abord, dune vaste documentation. Il suffit de parcourir lindex
23
nominum tabli par H. Diels la fin du volume X des CAG, pour se faire
24
rapidement une ide des noms des exgtes et des philosophes quil voque.
25
Mais est-ce que cela signifie quil a vraiment lu tous ces ouvrages ? Un passage
26
du Prologue du Commentaire sur les Catgories montre clairement que cela
27
nentrait pas dans les principaux soucis de lexgte : « Quant moi, jai lu
28
29
1 Il ny a que deux rfrences Thophraste, lune (In Phys., 4.8) la Physique, lautre (In
30 Phys., 62.6) sans prcision douvrage. Les rfrences parallles chez Simplicius (In
31 Phys., 9.7 – 10 et 115.12 – 13) permettent dtablir que ces propos de Thophraste sont
32 communiqus Philopon moyennant une source commune, directe (Ammonius) ou
33 indirecte (Alexandre ; Simplicius prcise en effet quil a reproduit la deuxime rf-
34 rence partir du Commentaire dAlexandre, qui cite la « Vusijµ Rstoq_a » de Tho-
ACHTUNGREphraste). Une seule citation de Porphyre (Philopon, In Phys., 125.27 – 30 [=141bF
35 Smith]), citant un vers de Xnophane, ne suffit certes pas pour tablir que Philopon a
36 directement utilis le Commentaire sur la Physique de Porphyre. On trouve la mÞme
37 citation chez Simplicius, In Phys., 188.32 – 189.1 (=141aF Smith), o le vers est pourtant
38 attribu Anaximne. Soit dit en passant, lIn Phys. 130.5 – 12, o Philopon voque une
39 remarque de Porphyre relative aux genres et aux diffrences, est assez vague pour Þtre
considr comme un fragment du Commentaire sur la Physique de Porphyre, comme le
40 pense Smith (143F) en suivant F. Romano, Porfirio e la fisica aristotelica, Catania, 1985
41 (Fr. 27). Ces prcisions ne signifient pour autant pas que Philopon tait ignorant de
42 labondante littrature disponible Alexandrie, pripatticienne ou autre.
66 Chapitre 3. La tradition livresque ou le matriau bibliographique
1 certains des crits que jai mentionns », prcise Simplicius,2 non sans nous
2 surprendre, aprs avoir fait le bilan de divers types de commentaires consacrs
3 au trait liminaire de lOrganon. Il faudra dsormais distinguer nettement entre
4 les livres pris en mains et utiliss comme sources directes et les auteurs cits de
5 manire mdiate ou invoqus comme autorits. Pour ce qui est du Commentaire
6 sur les Catgories, les codices que Simplicius a eus en mains furent principa-
7 lement les Commentaires respectifs de Porphyre et de Jamblique, ce dernier
8 permettant Simplicius daccder au faux pythagoricien Des notions universel-
9 les, attribu Archytas de Tarente et considr comme la source dAristote.3
10 Nous nous appliquerons tudier dans cette perspective le Commentaire
11 sur la Physique. En prÞtant attention, dune part, aux allusions qui impliquent
12 un recours aux textes mÞmes, cest--dire des units bibliographiques
13 distinctes, et, dautre part, la stratgie de citation employe par Simplicius,
14 il nous sera possible de reprer les ouvrages quil a directement utiliss.
15
16
17 3.1 Les commentaires sur la Physique
18
19 Les commentaires antrieurs ont valeur de modles suivre et sont indispen-
20 sables pour la ralisation dun nouveau commentaire. Les exgtes de la
21 Physique que Simplicius invoque divers endroits de son Commentaire sont les
22 suivants : Alexandre dAphrodise, Adraste dAphrodise, Ammonius, Androni-
23 cos de Rhodes, Aspasius, Bothos de Sidon, Maxime dEphse, Porphyre,
24 Syrianus et Thmistius. Mais il faut videmment distinguer entre ce que
25 Simplicius a directement utilis et ce quil a connu de manire mdiate.
26
27
28 3.1.1 Les sources directes : Alexandre dAphrodise, Porphyre, Thmistius
29
30 Simplicius na directement utilis que les trois ouvrages qui se trouvent
31 rcapituls dans le passage qui suit, relatif la fin du livre V de la Physique :
32
In Phys., 918.11 – 15 : l´wqi to¼tou t¹ p´qar 1st· toO bibk¸ou 5m tisim !mticq²voir, 1m
33 d³ %kkoir ja· t± 2n/r Nghgsºlema pqºsjeitai, ûpeq oqd³ b Poqv¼qior sumox¸feim
34 oqd³ b Hel¸stior paqavq²feim eVketo. b l´mtoi )k´namdqor 1pisglgm²lemor, fti 5m
35 tisim !mticq²voir oq v´qetai, 1ngce ?tai flyr aqt².
36
37
38
39 2 In Cat., 3.2 : 1c½ c±q 1m´tuwom l³m ja¸ tisi t_m eQqgl´mym succq²llasim.
3 Cf. Ph. Hoffmann, « Bibliothques et formes du livre la fin de lantiquit. Le
40 tmoignage de la littrature noplatonicienne des Ve et VIe sicles », dans G. Prato
41 (d.), I manoscritti greci tra riflessione e dibattito, Florence, 2000, p. 601 – 632, en
42 particulier p. 619 – 620.
3.1 Les commentaires sur la Physique 67
1 possible que si Simplicius avait sous les yeux une version intgrale du
2 Commentaire dAlexandre. Invoquons enfin un passage rvlateur :
3
In Phys., 332.20 – 22 : t± d³ toO )ken²mdqou rpolm¶lata ja· 1kkip´steq² pyr 1m
4 to¼toir ja· rposucjewul´ma loi doje ?, t²wa toO letacqaxal´mou tµm t²nim t_m
5 eQqgl´mym taq²namtor.
6
Cette remarque dordre philologique, sans doute personnelle (loi doje ? ),
7
prsuppose un accs direct louvrage dAlexandre. RenonÅant, en effet,
8
reproduire ou discuter, sur ce point prcis, le commentaire dAlexandre,
9
Simplicius signale quil est peu intelligible, peut-Þtre parce quil a t mal copi.
10
ct du Commentaire dAlexandre, Simplicius consultait galement celui
11
de Porphyre. Dans le commentaire aux quatre premiers livres du trait,
12
Porphyre est cit nommment environ cinquante fois, ses explications tant
13
souvent juxtaposes celles dAlexandre. Contentons-nous de citer un passage
14
dans lequel Simplicius explicite que, sur un point prcis, il a prfr le
15
commentaire de Porphyre celui dAlexandre6 :
16
17 Cest en suivant principalement Porphyre que jai prsent de cette manire la
18 division dAristote et, ensuite, les objections chaque partie de la division.
Cependant, le trs studieux Alexandre a rattach la division selon lÞtre et selon
19
lun de la manire suivante…
20
21 Toutefois, dans le Commentaire aux livres V VIII, il ny a de Porphyre que
22 trois citations. Cette disproportion entre les deux parties de la Physique (50
23 contre 3 citations) sexplique aisment, si lon suppose que Porphyre a arrÞt
24 son commentaire proprement dit avec la fin du livre IV.7 Pour le reste du trait,
25 il a pu se contenter de faire des synopses, ainsi que nous le suggre Simplicius
26 dans le Prologue au livre V,8 et aussi dans le passage relatif la fin du livre V
27 que nous avons cit plus haut.9 Il faut encore en dduire que cest en suivant la
28
29
inverse est signal en 1245.2 – 8 : 5m tisi d³ !mticq²voir let± t¹ j i m e ? t a i d ³ B t ¹ B
30 l º m o m pqºsjeitai t ¹ d ³ C r p ¹ t o O A o q j ´ t i · ! d ¼ m a t o m c ² q. oqj oWde d³
31 tµm pqosh¶jgm ta¼tgm b )k´namdqor, oqd³ t± pke¸oma, ¢r 5oije, t_m !mticq²vym. Voir
32 aussi 167.30 – 168.6 ; 356.7 – 10 ; 495.8 – 12 ; 756.7 – 9 ; 876.22 – 27 ; 1051.5 – 1051.9 ;
33 1086.20 – 25 ; 1093.3 – 12 ; 1288.3 – 6 ; 1317.3 – 7.
34 6 In Phys., 73.2 – 5 : !kkû 1c½ l³m t` Poqvuq¸\ t¹ pk´om jatajokouh_m ovtyr t¶m te
dia¸qesim toO )qistot´kour 1poigs²lgm ja· tµm jahû 6jastom tl/la t/r diaiq´seyr
35 5mstasim. b l´mtoi 1pilek´stator )k´namdqor sum/xe tµm jat± t¹ cm ja· tµm jat± t¹ 4m
36 dia¸qesim ovtyr…
37 7 Ainsi que la dj suggr F. Romano, Porfirio e la fisica aristotelica, p. 53 – 56.
38 8 In Phys., 802.7 – 8 : haul²fy d³ t¹m vikosov¾tatom Poqv¼qiom, p_r 1m t0 sumºxei toO
39 p´lptou to¼tou bibk¸ou… (voir supra, p. 50 et n. 44). Le fait que la synopse de Porphyre
soit voque par Simplicius seulement dans le commentaire au livre V ne suffit pas pour
40 penser, avec F. Romano, que Porphyre avait entirement nglig les livres VI VIII.
41 9 In Phys., 918.12 – 14 : …1m d³ %kkoir ja· t± 2n/r Nghgsºlema pqºsjeitai, ûpeq oqd³ b
42 Poqv¼qior sumox¸feim oqd³ b Hel¸stior paqavq²feim eVketo. On remarquera que les
3.1 Les commentaires sur la Physique 69
1 IVe sicle, tant trs probablement lune des personnes que frquentait
2 Plutarque dAthnes.58 Nous pouvons de la sorte penser un fonds « plutar-
3 quen » contenant des manuscrits annots dexplications issues de lcole (au
4 sens large) de Jamblique, qui se serait trouv, plus dun sicle plus tard, entre les
5 mains de Simplicius. Dans un tel manuscrit aussi, Syrianus pourrait avoir ajout
6 entre-temps sa scholie concernant la dfinition aristotlicienne de la nature.
7 Ce fonds athnien ntait videmment pas le seul disponible Simplicius. Le
8 trait consacr par son matre Ammonius la causalit du dieu aristotlicien,
9 dont Simplicius copie des extraits dans ses Commentaires sur la Physique et sur
10 le De caelo, nous fait du coup voir quil possdait des livres depuis ses jours
11 alexandrins. Et lon peut facilement imaginer un Simplicius « aristotlicien » se
12 constituant Alexandrie une collection douvrages pripatticiens, quil aurait
13 par la suite transporte Athnes.
14 Enfin, en composant ses commentaires dans ses demeures isoles, Simplicius
15 se serait mis lui-mÞme en quÞte de livres. Cest ce quil a vraisemblablement fait
16 pour acqurir un exemplaire du « Peq· v¼seyr » de Diogne dApollonie, et il
17 doit en Þtre de mÞme pour le Pome de Parmnide. La recherche a depuis
18 longtemps fait remarquer que Simplicius nous transmet une version du Pome
19 de Parmnide diffrente de celle que nous prsente Proclus (et meilleure). Au
20 lieu de penser deux exemplaires diffrents qui seraient prsents dans la
21 bibliothque de l cole dAthnes, il vaut mieux penser un manuscrit non-
22 athnien que Simplicius aurait ultrieurement acquis. Cela rendrait dailleurs
23 raison du renseignement quil est en mesure de nous fournir, savoir que
24 « lcrit de Parmnide est difficilement trouvable ».
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41 58 Cf. H. D. Saffrey et L. G. Westerink, Proclus. Thologie platonicienne, t. I, p. XLI-
42 XLIII.
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9 Deuxime partie.
10
11 Les digressions : lieux de rflexion personnelle
12 et moyens dinnovation philosophique
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4 Chapitre 4.
5 Les digressions : esquisse dune typologie
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Cherchant saisir l « innovation » dans les Commentaires de Simplicius et de
9
Philopon sur la Physique, nous avons commenc notre enquÞte en essayant de
10
reprer la « tradition » dont ils ont t les hritiers. Il sest agi de reprer ces
11
lments qui, vhiculs dune gnration de commentateurs lautre, prcdent
12
et conditionnent la composition du commentaire en ce sens quils prdtermi-
13
nent ses traits formels et, dans une certaine mesure, son contenu. Par souci de
14
systmaticit, nous les avons regroups sous trois « types » de tradition qui sont
15
bien entendu strictement lis lun lautre : 1) les lments appartenant une
16
tradition que lon peut nommer « scolaire », autrement dit les prsupposs
17
pdagogiques inhrents aux cursus dtudes des coles noplatoniciennes
18
dAlexandrie et dAthnes ; 2) les lments appartenant une tradition
19
20
proprement « commentariste », autrement dit les prsupposs formels et
21
exgtiques qui dlimitent a priori le modus operandi du commentateur ; 3)
22
enfin, les lments appartenant une tradition « livresque », autrement dit la
23 bibliographie utilise, exgtique ou autre.
24 Lexamen de ces lments nous permet maintenant de marquer deux
25 diffrences entre les dmarches exgtiques de Simplicius et de Philopon : 1)
26 alors que Philopon poursuit Alexandrie la tradition des commentaires oraux,
27 issus dun acte direct denseignement, Simplicius crit ses commentaires – peut-
28 Þtre en Syrie – en dehors de tout cadre rellement scolaire ; 2) alors que
29 Simplicius fait valoir dans son exgse de la Physique plusieurs « autorits »,
30 noplatoniciennes et autres, Philopon nen reconnat explicitement aucune. Le
31 dernier point fait aisment voir lcart qui spare les deux commentateurs quant
32 la rception de la tradition : alors que Simplicius se retourne explicitement
33 vers elle pour faire valoir ses diffrents acquis, Philopon semble tenir par
34 rapport elle une position indiffrente. Avant den dire davantage, il faut
35 prsent dvelopper notre recherche sur la spcificit, la fois exgtique et
36 doctrinale, des deux commentateurs. Pour ce faire, nous nous rabattrons sur
37 larticulation et les units textuelles du commentaire.
38 Nous avons insist plus haut sur le fait que le commentaire est essentiel-
39 lement un acte de recomposition en ce sens quil part, la plupart des fois
40 tacitement, de commentaires dj existants. Ceci dit, une grande partie de ce
41 quon lit dans les Commentaires de Simplicius et de Philopon nest que la
42 reprise, souvent la lettre, dune ou plusieurs exgses antrieures, si bien que
84 Chapitre 4. Les digressions : esquisse dune typologie
1 lapport personnel des deux commentateurs dans des commentaires qui, malgr
2 tout, portent leur nom, se trouve a principio considrablement rduit. Ce nest
3 en effet quune lecture minutieuse qui pourrait rvler leur contribution tel ou
4 tel point dexgse, consigne par exemple dans des passages o un ton
5 personnel rsonne. Il nest certainement pas question de traiter de tous les
6 passages de cette sorte, ce qui ncessiterait un commentaire du commentaire.
7 En revanche, dans ce qui suit, nous allons passer au crible une srie dunits
8 textuelles nettement dmarques dans les deux Commentaires la Physique,
9 qui contiennent de manire claire des rflexions personnelles et laissent
10 apparatre en filigrane la spcificit philosophique, au sens large, de chacun des
11 deux exgtes : les digressions qui rompent avec lexgse proprement dite pour
12 faire place lopinion du philosophe.
13 Pour se faire demble une ide de ce quest une « digression », dont le
14 terme quivalent en grec est « paq´jbasir », il suffit de penser aux quatre
15 Corollaria qui apparaissent dans les ditions des deux Commentaires sur la
16 Physique : de loco et de tempore dans le Commentaire de Simplicius (In Phys.,
17 601.1 – 645.19 et 773.8 – 800.25), et de loco et de inani dans le Commentaire de
18 Philopon (In Phys., 557.8 – 585.4 et 675.12 – 695.8).1 tant dune tendue
19 considrable et « couronnant » lexgse des doctrines aristotliciennes au
20 sujet du lieu, du temps et du vide, ces units textuelles ont t ainsi nommes
21 par H. Diels, et sa suite par H. Vitelli, pour marquer la rupture quelles
22 prsentent avec le commentaire proprement dit, cest--dire la mthode de
23 jalonner lexplication du texte dAristote par le moyen de lemmes. Cette ide de
24 rupture est clairement exprime par Simplicius lui-mÞme dans les premires
25 lignes du Corollaire sur le lieu2 :
26
Si donc <avec mon expos sur le lieu> je parais mavancer en dehors du
27
commentaire, que les lecteurs en accusent la difficult et la diversit daspects du
28 problme.
29
30 Nanmoins, en marquant seulement quatre units textuelles de ce type, Diels et
31 Vitelli ont leur insu fait perdre de vue les autres digressions prsentes dans les
32 commentaires, qui ne sont pas peu nombreuses. E. Sonderegger a propos de
33
34 1 Il est remarquer que dans la premire dition du Commentaire de Philopon (Venise,
1535), V. Trincavelli a dsign les Corollaires sur le lieu et sur le vide comme des
35 « PAQEJBASEIS » (voir les renseignements fournis par H. Vitelli dans CAG XVI, p. xv,
36 et lapparat critique ad 557.8 et 675.12). Ainsi que le rapporte E. Sonderegger, Sim-
37 plikios, ber die Zeit. Ein Kommentar zum Corollarium de tempore, Gçttingen, 1982,
38 p. 23 – 24, dans la premire traduction latine du Commentaire de Simplicius (Venise,
39 1543) les Corollaires sur le lieu et le temps ont t galement dsigns comme
« PULCHRA ADMODUM DIGRESSIO QUA IN IO. GRAMMATICO VIDE TE
40 IUVABIT » et « DIGRESSIO DE TEMPORE PULCHRA ».
41 2 In Phys., 601.12 – 13 : ¦ste j#m 5ny toO rpolmglatisloO pqoz´mai dºny, t¹ wakep¹m ja·
42 pokueid³r toO pqobk¶lator oR 1mtucw²momter aQti²shysam.
Chapitre 4. Les digressions : esquisse dune typologie 85
1 - Philopon :
2 1) 456.17 – 459.1 : Contre un argument posant la ncessit logique de lternit
3 du temps.
4 2) 557.8 – 585.4 : Sur le lieu (Corollarium de loco).
5 3) 675.12 – 695.8 : Sur le vide (Corollarium de inani).
6
7 On peut par la suite rpartir ces digressions de la manire suivante :
8
9 - Selon leur contenu :
10 a. Digressions portant de faÅon gnrale sur des concepts ou notions philoso-
11 phiques qui constituent lobjet propre de la Physique ; telles sont les
12 digressions consacres par Simplicius la matire, la nature, au hasard, au
13 lieu et au temps, et par Philopon au lieu et au vide. Elles sont places la fin
14 des units thmatiques correspondantes du trait aristotlicien.
15 b. Digressions portant plut t sur des points dexgse ; telles sont les digres-
16 sions consacres par Simplicius aux doctrines des principes professes par les
17 philosophes prplatoniciens, linterprtation du Pome de Parmnide et
18 aux notions de mouvement et dautomoteur chez Platon et Aristote, ainsi
19 que la brve digression de Philopon consacre lternit du temps. Ces
20 digressions sont faites en raison du contenu de certains passages aristotli-
21 ciens et elles suivent en principe leur exgse.
22
23 - Selon leur finalit :
24
a. Digressions qui visent mieux articuler ou rectifier un concept aristot-
25
licien dont lexplication laisse dsirer. Elles concident avec celles de la
26
premire branche de la rpartition prcdente (sur la matire, sur la nature,
27
sur le lieu, sur le vide et sur le temps), exception faite de la digression
28
consacre au hasard. Nous les appellerons digressions « scientifiques » en ce
29
sens quelles se proposent de confrer plus de prcision aux analyses
30
correspondantes dAristote, voire de les remplacer.
31
b. Digressions visant mettre en harmonie des doctrines ou des thses
32
philosophiques qui, dans lanalyse dAristote, prsentent un caractre
33
contradictoire. Ces digressions ne sont prsentes que chez Simplicius : celles
34
consacres lenseignement des principes selon les philosophes prplatoni-
35
ciens, au Pome de Parmnide et aux notions de mouvement et dautomoteur
36
chez Platon et Aristote, ainsi que la digression consacre au hasard, qui veut
37
harmoniser la doctrine aristotlicienne avec les considrations relevant du
38
culte de la desse correspondante du panthon traditionnel (Tuch). Nous les
39
nommerons digressions « concordistes ».
40
c. Enfin, digressions dallure polmique ; ce sont les quatre rfutations du
41
contra Aristotelem de Philopon par Simplicius, ainsi que la brve digression
42
88 Chapitre 4. Les digressions : esquisse dune typologie
1 de Philopon qui rfute lun des arguments voqus par les paens en faveur
2 de la ncessit logique de lternit du temps.
3
Pour lanalyse qui va suivre, nous allons nous fonder sur la deuxime rpartition,
4
tout en prcisant que les digressions ne prsentent une finalit singulire quau
5
niveau thorique. La digression de Simplicius sur la matire, par exemple, c t
6
dimportantes prcisions, de fond noplatonicien, quelle livre sur le statut de la
7
matire, rfute galement la doctrine soutenue par Philopon dans son trait
8
contra Proclum. Si nous la qualifions de « scientifique » au lieu de « polmi-
9
que », cest parce quelle contient plus de prcisions au niveau de la doctrine et
10
moins de rfutations contre tel ou tel argument. De la mÞme manire, les
11
Corollaires de Philopon sur le lieu et sur le vide rfutent ouvertement les
12
arguments dvelopps par Aristote en faveur du lieu conÅu comme limite de
13
lenveloppant et contre lexistence du vide. Mais ils veulent moins rfuter une
14
argumentation errone quils ne veulent proposer de nouvelles doctrines, plus
15
valides et plus scientifiques que celles du Stagirite.10
16
Nous allons dabord examiner les digressions concordistes de Simplicius,
17
auxquelles nous ajouterons une partie de lpilogue du Commentaire (In Phys.,
18
1359.5 – 1360.23) qui met prcisment en liaison les dmarches physiques de
19
Platon et dAristote quant leur vise thologique ; puis la digression
20
polmique de Philopon, en omettant les rfutations du contra Aristotelem
21
auxquelles sadonne Simplicius, qui prsentent un caractre plus spcifique et
22
ncessitent pour cette raison un long examen part.11 Enfin, nous tudierons les
23
digressions scientifiques des deux commentateurs, auxquelles nous ajouterons le
24
bref excursus de Philopon consacr la question du mouvement contre nature
25
(In Phys., 639.3 – 642.26), o il dveloppe sa clbre thorie de limpetus. Cette
26
partie du Commentaire ne constitue pas une digression selon les critres formels
27
que nous avons adopts plus haut ; elle se situe nanmoins dans la mÞme
28
perspective que les deux Corollaires sur le lieu et sur le vide et mrite dÞtre
29
tudie avec eux.
30
31
32
33
34 10 On peut dire aussi que les digressions « concordistes » de Simplicius sont galement des
digressions « polmiques », puisquelles sen prennent, en dernire analyse, aux auteurs
35 chrtiens qui accentuent la discorde des philosophes.
36 11 Les passages consacrs par Simplicius la rfutation du contra Aristotelem de Philopon
37 sont rassembls, traduits en anglais et comments par C. Wildberg dans Philoponus.
38 Against Aristotle on the Eternity of the World, transl. by C. Wildberg, Londres, 1987,
39 et Philoponus. Corollaries on place and void, transl. by D. Furley, with Simplicius.
Against Philoponus on the eternity of the world, transl. by C. Wildberg, Londres, 1991,
40 p. 95 – 128. Sur le contexte religieux et spirituel de cette polmique, on se reportera
41 ltude de Ph. Hoffmann, « Sur quelques aspects de la polmique de Simplicius contre
42 Jean Philopon : de linvective la raffirmation de la transcendance du Ciel ».
1
2
3
4 Chapitre 5.
5 Analyse des digressions
6
7
5.1 Les digressions « concordistes » de Simplicius
8
9
Il convient de commencer notre examen par Simplicius et la premire digression
10
que lon rencontre dans son Commentaire, place entre les prolgomnes au
11
trait et le commentaire du texte aristotlicien proprement dit. On y trouvera en
12
effet une esquisse du principe hermneutique qui rgit toute sa dmarche
13
concordiste.
14
15
16
5.1.1 La digression liminaire : lhistoire des recherches naturelles et
17
lachvement confr par Aristote (In Phys., 6.31 – 8.15)
18
19
Arrivant la fin des kephalaia traits traditionnellement dans les prolgomnes,
20
Simplicius nentame pas demble son commentaire la Physique : « Mais
21
jajouterai quelques mots davantage, avant de me mettre au texte <dAristo-
22
te> », sexplique-t-il. Ce qui suit est une toute premire digression, dans laquelle
23
24
est brivement prsente lvolution des recherches sur la nature au sein de la
25
philosophie grecque. Lhistoire commence avec les philosophes prplatoniciens,
26 qui ont vaguement nonc leurs thories, et sachve avec Aristote, qui a hauss
27 les recherches naturelles leur point culminant en leur confrant les nuances et
28 la dfinition dobjet qui leur manquaient lorigine.
29 La digression de Simplicius sinspire sans doute dun excursus parallle de
30 Proclus, quelle veut prcisment complter, voire corriger.1 Traitant du skopos
31 du dialogue dans les prolgomnes de son Commentaire sur le Time, Proclus
32 distingue en effet dans lhistoire de la philosophie entre trois physiques, qui se
33 diffrencient en fonction de leur objet dtude2 : 1) la physique des philosophes
34 prplatoniciens, qui tudie la matire et les causes matrielles ; 2) la physique
35 postplatonicienne, notamment celle dAristote, qui tudie la fois la matire et
36 la forme ; 3) la physique des Pythagoriciens et, surtout, de Platon, qui rduit ces
37
38
39 1 On peut assurment dire quelle sinspire aussi, mais de manire moins directe, de
lhistoire de la philosophie dveloppe par Aristote dans le livre A de la Mtaphysique
40 (voir notamment 983b 6 sqq.).
41 2 In Tim., I, 1.24 – 4.5. Lire sur ce sujet les remarques dA. Lernould, Physique et
42 thologie. Lecture du Time de Platon par Proclus, Villeneuve dAscq, 2001, p. 32 – 35.
90 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 causes des causes accessoires (suma_tia) et tudie les vraies causes (!kghim±
2 aUtia), autrement dit les causes primordiales (juq_yr aUtia).
3 On remarquera que la systmatisation quopre Proclus se fait autour de
4 lœuvre de Platon, en particulier du Time, quelle veut prcisment clbrer
5 comme rvlateur de la vraie physique, qui est concevoir comme une physique
6 « thologique ». Nanmoins, en vertu de cet exhaussement de la dmarche
7 platonicienne, la philosophie antrieure peut Þtre vue comme du pass aberrant
8 et, qui plus est, la physique dAristote comme une sorte de recul qui perd
9 ncessairement une partie de sa lgitimit scientifique. Simplicius veut cepen-
10 dant proposer une construction historique diffrente.
11 linstar de Proclus, Simplicius commence son histoire avec les philosophes
12 prplatoniciens, tels Thals et Anaximandre. Ces philosophes, explique-t-il, dits
13 « physiciens » ou « physiologues » bon droit, ont centr leurs recherches
14 autour des productions de la nature (t± v¼sei cim|lema). Cest pourquoi ils ont
15 t amens saisir le principe (ou la cause) lmentaire quest prcisment la
16 matire (reprsente par leau chez Thals, par linfini chez Anaximandre).
17 Disposant pourtant dun langage philosophique assez primitif, ils se sont encore
18 exprims de manire indfinie, comme sils faisaient apparatre les principes de
19 tous les Þtres.3 Xnophane, Parmnide et les Pythagoriciens, qui leur ont
20 succd, ont conduit la rflexion philosophique un premier achvement, en
21 distinguant clairement entre la philosophie des principes naturels et la philo-
22 sophie des principes surnaturels, cest--dire les intelligibles. Ayant pourtant
23 dlivr leurs thories de manire nigmatique,4 il restait encore faire pour que
24 la distinction entre les deux domaines de la ralit ft bien tablie. Ce fut
25 finalement Platon qui opra, de manire nette et avec le langage appropri, la
26 distinction de ces deux branches de la philosophie5 :
27
Platon, en rendant plus claires les doctrines des Pythagoriciens et des lates,
28
clbra dune part dignement les ralits surnaturelles, et dautre part, en se
29 rapportant aux ralits naturelles et engendres, il distingua les principes lmen-
30 taires des autres principes et donna ces principes, lui pour la premire fois, le nom
31 dlments, comme le raconte Eudme. Cest lui encore qui vit et distingua entre la
32 cause productrice, la cause finale et, en plus, la cause paradigmatique, cest--dire
les Ides.
33
34 Nanmoins, Platon a plut t men lachvement la philosophie surnaturelle,
35 comme on peut le constater par les trois causes (transcendantes : le Bien, le
36
37 3 Cf. In Phys., 6.36 : 1n´vgmam !dioq¸styr ¢r p²mtym t_m emtym t±r !qw±r 1jva¸momter.
38 4 Cf. In Phys., 7.3 : !kkû aQmiclat¾dg tµm 2aut_m vikosov¸am paqaded¾jasim.
39 5 In Phys., 7.10 – 15 : n ce Pk²tym t² te t_m Puhacoqe¸ym ja· t_m 9keatij_m 1p· t¹
sav´steqom pqoacac½m t² te rp³q tµm v¼sim 1n¼lmgsem !n¸yr, j!m to ?r vusijo ?r ja·
40 cemgto ?r t±r stoiwei¾deir !qw±r t_m %kkym di´jqime ja· stoiwe ?a pq_tor aqt¹r ¡mºlase
41 t±r toia¼tar !qw²r, ¢r b Eudglor Rstoqe ?, ja· t¹ poigtij¹m aUtiom ja· t¹ tekij¹m ja· 5ti
42 pq¹r to¼t\ t¹ paqadeiclatijºm, t±r Qd´ar, aqt¹r heas²lemor di´jqime.
5.1 Les digressions « concordistes » de Simplicius 91
1 En entendant parler dun aussi grand nombre de diffrences, il ne faut pas estimer
2 que les discours des philosophes se contredisent les uns les autres, comme
prcisment entreprennent de le soutenir, en affectant le mpris, des gens qui ne
3
lisent que des recueils dopinions classes par ordre chronologique et qui ne
4 comprennent rien ce quils lisent, et cela alors quils sont eux-mÞmes scinds en
5 dinnombrables sectes, non pas sur la question des principes naturels (ils nont en
6 effet pas la moindre ide sur la question) mais sur la faÅon de dgrader la
7 transcendance divine. Peut-Þtre ne serait-ce pas une mauvaise ide que je fasse une
brve digression pour montrer aux plus studieux de quelle faÅon, mÞme sils
8
semblent avoir des positions diffrentes concernant les principes, les anciens se
9 trouvent tout de mÞme en parfaite harmonie.
10
11 Le prome de la digression laisse apprhender larrire-plan de la dmarche de
12 Simplicius, qui prsente en ralit deux aspects : il ne sagit pas seulement
13 dtablir la concorde des philosophes, mais aussi de montrer laberration de ceux
14 qui accentuent leur discorde, savoir les chrtiens.15 On prÞtera bien entendu
15 attention au but « pratique » de la digression : sa raison dÞtre nest pas
16 lapplication fidle dun principe formel dexgse (celui de laccord des
17 philosophes) mais la prise en compte, et par la suite lannulation, des prmisses
18 desquelles part rellement linvective laquelle sadonnent les auteurs chr-
19 tiens, « qui ne lisent que des recueils dopinions classes par ordre chronolo-
20 gique (Rstoqija· !macqava_),16 et qui ne comprennent rien ce quils lisent ».
21 Quils ny comprennent rien, cela est manifeste, laisse entendre Simplicius, par
22 le fait quils voient des diffrences et des contradictions l o
celles-ci nexistent
23 pas. On remarquera le contraste que font ces « recueils dopinions classes par
24 ordre chronologique » avec laperÅu qui prcde la digression, crit non pas
25 selon le temps de lapparition des diffrentes doctrines mais selon leur parent.
26 Savoir lire les recueils doxographiques est en effet une affaire de paideia
27 philosophique. Pour Simplicius, ces recueils sont destins des dbutants et
28 constituent de la sorte une tape dinitiation lapprentissage philosophique.
29 Passer une tape ultrieure et acqurir ainsi une vraie formation de
30 philosophe, cest avant tout une question de philomatheia, autrement dit
31 paqejb²mta to ?r vikolahest´qoir 1pide ?nai, p_r ja¸toi diav´qeshai dojoOmter oR pakaio·
32 peq· t±r t_m !qw_m dºnar, 1maqlom¸yr flyr sulv´qomtai.
33 15 Cela a t bien vu par Plthon ; cf. Contra Scholarii pro Aristotele obiectiones,
34 1.20 – 2.4 : Silpk¸jior toOto lºmor poie ?, ja· d/kºr 1sti jat± t/r 1jjkgs¸ar aqt¹ poi_m7
!poteimºlemor c±q pq¹r t_m t/r 1jjkgs¸ar to»r 1m ame¸dei pqov´qomtar to ?r :kk¶mym
35 vikosºvoir tµm pq¹r !kk¶koir diavym¸am, aqto»r l´m vgsim 1sw¸shai 1r l¼qia jat± t/r
36 he¸ar rpeqow/r -ovty c±q ja· t0 k´nei vgs¸-, to»r d þkkgmar 1r toOto sulv´qeshai.
37 16 Ce type de recueils, qui appartient la tradition doxographique entame avec
38 Thophraste, a t amplement utilis par les sceptiques avant de passer aux mains des
39 auteurs chrtiens, comme Clment dAlexandrie et Eusbe de Csare, qui sen sont
servi pour montrer les incohrences de la philosophie paenne ; voir H. Baltussen,
40 « Philology or Philosophy ? Simplicius on the Use of Quotations », dans I. Worthing-
41 ton – J. M. Foley (ds.), Epea & Grammata. Oral and Written Communication in
42 Ancient Greece, Leiden, 2002, p. 183, n. 26.
96 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 damour du savoir, dont les chrtiens sont totalement dpourvus.17 Sans avoir la
2 moindre instruction, ils se contentent de lire des recueils doxographiques, sur
3 lesquels ils btissent leur littrature polmique qui reflte leur propre tat
4 intellectuel, puisquils sont eux-mÞmes rpartis en maintes hrsies. Affirmer la
5 discorde des philosophes, comme le font les chrtiens, cest demeurer inculte,
6 alors que la nier, cest faire preuve de culture et de vritable connaissance
7 philosophique.
8 Comme attendu, lharmonisation des philosophes par Simplicius se fait sur
9 le fond du systme noplatonicien. Elle est opre selon une distinction entre
10 trois domaines de recherches sur les principes, qui divisent respectivement la
11 digression en trois parties ranges selon un ordre descendant :
12
13 A. 29.5 – 30.14 : Les philosophes traitant des principes de lintelligible : Xno-
14 phane, Mlissos, Parmnide.
15 B. 30.14 – 35.21 : Les philosophes traitant la fois des principes de lintelligible
16 et des principes du sensible : Parmnide, Empdocle, Anaxagore.
17 C. 35.22 – 36.14 : Les philosophes traitant des principes du sensible : les
18 Atomistes, Time le Pythagoricien et les Physiciens.
19
20 Chacun de ces groupes de principes est susceptible dadmettre davantage de
21 nuances. (A) Ainsi, Xnophane, Parmnide et Mlissos, dont les recherches ont
22 port sur le principe premier et intelligible ont tous trait de lUn. Ils lont
23 pourtant envisag selon des points de vue diffrents. Xnophane et Parmnide,
24 pour lesquels le premier principe est un et fini, ont parl de lUn qui prexiste au
25 multiple et lui confre de la sorte la limitation ncessaire. Mais alors que pour
26 Parmnide lUn est immobile, pour Xnophane il transcende toute dualit, il
27 nest donc ni mobile ni immobile. La divergence nest valide que dans un
28 premier niveau dinterprtation : elle se lve, si lon tient compte du fait que
29 Xnophane se rfre lUn radical, celui dont parlera plus tard Platon dans la
30 premire hypothse du Parmnide, alors que Parmnide pense lUn-qui-est,
31 autrement dit lUn de la seconde hypothse du mÞme dialogue platonicien.
32 Mlissos, pour sa part, a considr lUn-qui-est en saccordant avec Parmnide.
33 Si, par la suite, il a affirm que lUn est infini, cest parce quil la envisag du
34 point de vue de sa puissance, qui est inpuisable, et de son existence, qui na ni
35 commencement ni fin dans le temps. « Il ny a aucune contradiction entre les
36
37
38
39
40 17 La « vikol\heia » est pour Simplicius lune des qualits requises du bon tudiant en
41 philosophie ; cf. In Cat., 8.1 (elle fait dfaut dans les dveloppements parallles
42 dAmmonius et de Philopon). Le contre-exemple par excellence est Philopon.
5.1 Les digressions « concordistes » de Simplicius 97
1 intrÞt limit. Elle permet pour autant de saisir aussit t le trait saillant du
2 modus philosophandi de cet exgte, savoir son concordisme, qui lance ici une
3 systmatisation de lensemble de la philosophie grecque, construite selon des
4 principes du noplatonisme.
5 Pour systmatisation quelle soit, elle est « arbitraire » et opre partir de
6 « citations disparates extraites de contextes nayant aucun rapport », pour
7 reprendre la fine terminologie de P. Hadot.19 De fait, tout au long de la
8 digression, on trouve plusieurs citations, plus ou moins longues, de Parmnide,
9 de Mlissos, dEmpdocle et dAnaxagore, qui se rapportent videmment des
10 thmes et des objectifs diffrents, mais qui font tout de mÞme systme
11 harmonieux, une fois quelles sont lues la lumire des prsupposs nopla-
12 toniciens, tels linterprtation onto-thologique du Parmnide, la procession et
13 la diversit des niveaux constitutifs de la ralit ou le rapport causal entre
14
modle et image. Les philosophmes prplatoniciens sont livrs de la sorte des
15
contresens frappants de la part de Simplicius, issus dune rfection noplato-
16
nicienne qui escamote les divergences doctrinales des philosophes en les
17
rduisant des diffrences de perspective20 :
18
19 Ainsi donc, les uns considrant le diacosme intelligible, les autres le diacosme
20 sensible, les uns recherchant les lments immdiats des corps, les autres les
lments plus principiels, les uns saisissant la nature lmentaire dun point de vue
21
plus particulier, les autres dun point de vue plus universel, les uns recherchant
22 seulement les lments, les autres toutes les causes et les causes accessoires, ils
23 disent des choses diffrentes dans leurs discours de physique, qui nanmoins ne
24 sont pas contraires pour qui peut juger correctement.
25
Aristote lui-mÞme est cens avoir pleinement reconnu cette diffrence des
26
perspectives21 :
27
28 Cest Aristote lui-mÞme, celui qui semble rendre ostensibles les dsaccords des
29 philosophes, qui dira aprs coup que « les philosophes diffrent les uns des autres
en ce que certains prennent des ralits antrieures, les autres des ralits
30
postrieures, et en ce que certains prennent des ralits qui sont plus connues selon
31
la raison, les autres des ralits qui sont plus connues selon la sensation ». « De
32
33
34 19 P. Hadot, « Philosophie, exgse et contresens », p. 337 [=tudes de philosophie
ancienne, p. 8].
35 20 In Phys., 36.15 – 20 : Ovtyr owm oR l³m eQr mogtºm, oR d³ eQr aQshgt¹m di²joslom !vo-
36 q_mter, ja· oR l³m t± pqosew/ stoiwe ?a t_m syl²tym, oR d³ t± !qwoeid´steqa fgtoOmter,
37 ja· oR l³m leqij¾teqom, oR d³ bkij¾teqom t/r stoiwei¾dour v¼seyr jatadqattºlemoi, ja·
38 oR l³m t± stoiwe ?a lºmom, oR d³ p²mta t± aUtia ja· suma¸tia fgtoOmter, di²voqa l³m k´cousi
39 vusiokocoOmter, oq lµm 1mamt¸a t` jq¸meim aqh_r dumal´m\.
21 In Phys., 36.20 – 24 : Ja· aqt¹r d³ b )qistot´kgr b t±r diavym¸ar aqt_m 1pideijm¼mai
40 doj_m 1qe ? pqoekh½m ak¸com fti «diav´qousim !kk¶kym t` to»r l³m pqºteqa, to»r d³
41 vsteqa kalb²meim, ja· to»r l³m cmyqil¾teqa jat± t¹m kºcom, to»r d³ jat± tµm aUshgsim».
42 «¦ste, vgs¸, taqt± k´ceim pyr ja· 6teqa !kk¶kym».
5.1 Les digressions « concordistes » de Simplicius 99
1 sorte quils disent », poursuit-il, « en un sens, les mÞmes choses et, en un autre sens,
2 des choses diffrentes les unes des autres. »
3 Lautorit dAristote, dont lanalyse a paru nourrir au dpart une « fausse »
4 impression de discorde parmi les philosophes, est ainsi invoque par Simplicius
5 en faveur de la concorde, lencontre de toute prtention des auteurs chrtiens.
6 En finissant cette premire digression, Simplicius claire pralablement, dans un
7 acte, on dirait, de providence lgard de ses lecteurs, la position interprtative
8 quil faudra prendre, chaque fois quAristote apparatra objecter ses prdces-
9 seurs22 :
10
11 Nous avons t contraints de nous tendre davantage l-dessus cause de ceux qui
ont vite fait daccuser les anciens de discorde. Et puisque nous entendrons Aristote
12
critiquer les doctrines de ses devanciers, et que, avant Aristote, Platon parat le
13 faire aussi, et de mÞme, avant tous les deux, Parmnide et Xnophane, il faut savoir
14 que cest en prenant soin de leurs auditeurs superficiels que ces philosophes
15 critiquent ce qui semble absurde dans les discours de leurs devanciers, dautant plus
16 que les anciens avaient coutume dexprimer leurs opinions de manire nigma-
tique. En tmoigne Platon, qui admirait Parmnide tel point – bien quil paraisse
17
le critiquer – quil dit que sa pense exige un plongeur de fond <pour Þtre
18 atteinte>. De mÞme, Aristote fait manifestement allusion la profondeur de la
19 sagesse de cet homme, lorsquil dit : « Parmnide semble parler en observant
20 davantage ». Ces philosophes donc, (1) tant t en compltant ce qui a t omis, (2)
21 tant t en claircissant ce qui a t dit de faÅon obscure, (3) tant t en sparant ce
22 qui a t dit propos des ralits intelligibles, parce que cela ne peut pas
sappliquer aux ralits naturelles (comme cela sest pass avec les philosophes qui
23
affirment que lÞtre est un et immobile), (4) tant t en cartant pralablement les
24 interprtations faciles des auditeurs superficiels, cest de tous ces points de vue
25 quils semblent faire des critiques. Quant nous, nous essaierons de prÞter
26 attention tous ces points dans notre commentaire des objections quAristote
27 adresse chacun de ses devanciers. Mais il faut prsent reprendre le texte
dAristote et parcourir minutieusement tout ce qui y est dit.
28
29
22 In Phys., 36.24 – 37.9 : )kk± taOta l³m di± to»r eqjºkyr diavym¸am 1cjakoOmtar to ?r
30 pakaio ?r 1p· pk´om Amacj²shglem lgjOmai. 1peidµ d³ ja· )qistot´kour 1k´cwomtor
31 !jousºleha t±r t_m pqot´qym vikosºvym dºnar ja· pq¹ toO )qistot´kour b Pk²tym
32 toOto va¸metai poi_m ja· pq¹ !lvo ?m f te Paqlem¸dgr ja· Nemov²mgr, Qst´om fti t_m
33 1pipokaiºteqom !jqoyl´mym oxtoi jgdºlemoi t¹ vaimºlemom %topom 1m to ?r kºcoir aqt_m
34 diek´cwousim, aQmiclatyd_r eQyhºtym t_m pakai_m t±r 2aut_m !pova¸meshai cm¾lar.
dgko ? d³ b Pk²tym haul²fym ovtyr t¹m Paqlem¸dgm, dm diek´cweim doje ?, ja· bah´or
35 jokulbgtoO de ?shai k´cym tµm di²moiam aqtoO. ja· )qistot´kgr d³ t¹ b²hor aqtoO t/r
36 sov¸ar rpomo_m va¸metai, ftam k´c, «Paqlem¸dgr d³ <l÷kkom bk´pym> 5oij´ pou
37 k´ceim». ja· oxtoi owm pot³ l³m t¹ paqakekeill´mom !mapkgqoOmter, pot³ d³ t¹ !sav_r
38 eQqgl´mom savgm¸fomter, pot³ d³ t¹ 1p· t_m mogt_m eQqgl´mom ¢r lµ dum²lemom to?r
39 vusijo?r 1vaqlºtteim diajq¸momter ¢r 1p· t_m 4m t¹ cm ja· !j¸mgtom kecºmtym, pot³ d³ t±r
eqjºkour 1jdow±r t_m 1pipokaiot´qym pqoamast´kkomter, ovtyr 1k´cweim dojoOsi. ja·
40 peiqasºleha to¼toir ja· Ble ?r 1vist²meim 1m ta ?r pq¹r 6jastom toO )qistot´kour !mti-
41 koc¸air. !kk± !makgpt´om p²kim tµm )qistot´kour k´nim ja· t± 1m aqt0 kecºlema diaq-
42 hqyt´om.
100 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 Le principe dintelligibilit des critiques des anciens est dsormais fourni. Ces
2 critiques sont en effet « phnomnales », en ce sens quelles valent uniquement
3 dans un tout premier niveau soit dinterprtation soit de formation philosophi-
4 que. Dans le premier cas, il sagit de rendre plus prcis ou de dployer par le
5 moyen de la critique ce qui est dj contenu dans lancienne doctrine (points no
6 1 et no 2). Dans le deuxime cas, la critique est issue du souci pdagogique que
7 les philosophes manifestent lgard de leurs lves « dbutants », qui ayant
8 encore une comprhension simpliste de la philosophie risquent de mal
9 comprendre les anciennes doctrines, dautant plus que celles-ci ont t nonces
10 sous forme nigmatique (points no 3 et no 4). On peut dire sans gure trahir
11 lesprit de Simplicius que les mÞmes lves, lorsquils auront atteint, grce leur
12 philomatheia, une formation philosophique plus leve, se rendront compte que
13 ces critiques nont t nonces que pour protger et faire progresser leurs mes
14 philosophantes, lpoque dbutantes.
15 Comme il la prcisment annonc, Simplicius appliquera ce principe
16 dintelligibilit du discours critique des philosophes, notamment celui dAris-
17 tote, tout au long du commentaire.23 Mais la critique qui, aux yeux du
18 noplatonicien, mrite un examen tout particulier est celle qui est adresse
19
Parmnide dle.
20
21
22
5.1.3 Deux digressions propos de la doctrine de Parmnide
23
(In Phys., 86.19 – 90.22 et 142.28 – 148.24)
24
25
Les digressions que Simplicius consacre la doctrine de Parmnide visent
26
clairer non seulement la critique que lui adresse Aristote, mais aussi,
27
larrire-plan du commentaire, celle de Platon. La premire digression (In
28
Phys., 86.19 – 90.22) suit lexplication de Phys., I 2, 185b 5 – 25, o
Aristote
29
rfute le monisme de l « cole » late en faisant apparatre les diffrents sens
30
quadmet le nom d « un ». Quand on dit que quelque chose est un, explique le
31
Stagirite, on entend quelle est : 1) soit continue ; 2) soit indivisible ; 3) soit une
32
et identique avec une autre chose en vertu de leur dfinition commune. La
33
considration de ces trois sens conduit Aristote tablir que, contrairement ce
34
quaffirment Parmnide et Mlissos, le tout ne peut pas Þtre un, car : 1) sil est
35
un en tant que continu, il est en mÞme temps multiple, puisquil est infiniment
36
divisible ; 2) sil est un en tant quindivisible, il ne peut Þtre ni limit, comme
37
laffirme Parmnide, tant donn que cest la limite qui est indivisible et non pas
38
39
23 Cf., entre autres, In Phys., 107.29 – 30 ( propos de la doctrine de Mlissos) : ja· taOta
40 l³m jak_r b )qistot´kgr !mte¸qgje, pq¹r t¹ vaimºlemom rpamt_m. 461.10 – 11 : fti d³ b
41 l³m )qistot´kgr t¹ pqovaimºlemom Rstoqe ? t/r )manacºqou dºngr… 487.18 – 19 : ovtyr
42 l³m owm pq¹r t¹ vaimºlemom t/r )manacºqou dºngr rp¶mtgsem b )qistot´kgr.
5.1 Les digressions « concordistes » de Simplicius 101
1 le limit, ni illimit, comme laffirme pour sa part Mlissos, tant donn que
2 linfinit relve de la quantit, et que lindivisible na pas de quantit ; 3) sil est
3 un parce quil admet la mÞme dfinition quune autre chose, force est
4 dadmettre que la thse latique est absurde, puisque, dans ce cas, toutes les
5 choses seront identiques. Lanalyse aristotlicienne provoque aussit t ltonne-
6 ment de Simplicius24 :
7
Je mtonne assurment du fait quAristote soppose ces significations de lun
8 dont Parmnide dit prcisment quelles appartiennent lUn-qui-est. Et en effet,
9 il clbre lun comme continu :
10 « Il est tout entier continu ; car lÞtre sapproche de lÞtre »,
11 et il dit quil est encore indivisible :
12 « Car il est tout entier semblable ».
Mais quil y ait aussi pour toutes les choses une seule et mÞme dfinition, celle
13
de ltre, Parmnide laffirme dans les vers suivants :
14 « Il faut que ce qui se dit et se pense soit ltre, car lÞtre est, alors que le nant
15 nest pas ».
16 Si donc, quoi quon dise ou pense, cest lÞtre, il y aura une dfinition unique
17 pour toutes les choses, savoir celle de ltre.
18 Ltonnement nest pourtant que provisoire. Simplicius prcise aussit t que tant
19 Parmnide que Mlissos auraient pleinement approuv la critique dAristote,
20 dans la mesure o
celle-ci est conÅue en fonction dune interprtation
21 « superficielle », qui considrerait que lUn-qui-est, dont parlent les deux
22 philosophes, est un corps. On a donc affaire une critique qui, comme lexgte
23 lavait prdit dans la digression prcdente, sadresse par souci pdagogique
24 des dbutants. Mais lÞtre qui est rellement, autrement dit lIntelligible, auquel
25 se rfrent en ralit Parmnide et Mlissos, nest assurment pas un corps25 :
26
27 Si lon veut les couter avec bienveillance, <on comprendra que> ces hommes
auraient assurment admis comme absurdes les dductions auxquelles est arriv
28
29
24 In Phys., 86.19 – 30 : Haul²fy d³ 5cyce toO )qistot´kour pq¹r 1je ?ma toO 2m¹r t±
30 sglaimºlema !mteiqgjºtor, $ ja· b Paqlem¸dgr t` 2m· emti pqose ?ma¸ vgsi. ja· c±q
31 sumew³r aqt¹ !mulme ?
32 «t` numew³r p÷m 1stim· 1¹m c±q 1ºmti pek²fei»,
33 ja· !dia¸qetºm 1stim,
34 «1pe· p÷m 1stim blo ?om».
!kk± ja· t¹ p²mtym 6ma ja· t¹m aqt¹m eWmai kºcom
35 t¹m toO emtor b Paqlem¸dgr vgs·m 1m to¼toir
36 «wqµ t¹ k´ceim te moe?m tû 1¹m 5llemai· 5sti c±q eWmai,
37 lgd³m dû oqj 5stim«.
38 eQ owm fpeq %m tir C eUp, C mo¶s, t¹ em 1sti, p²mtym eXr 5stai kºcor b toO emtor.
39 25 In Phys., 87.2 – 7: Ja· t± 1pacºlema d³ rp¹ toO )qistot´kour ¢r %topa ta¼tair ta ?r
rpoh´sesi d´naimto #m oR %mdqer 1je ?moi, eU tir eqcmylºmyr aqt_m !jo¼seiem. !dia¸qetom
40 c±q cm t¹ paqû aqto ?r 4m cm oute pepeqasl´mom oute %peiqom ¢r s_la 5stai· ja· c±q ja· b
41 Paqlem¸dgr t± s¾lata 1m to ?r donasto ?r t¸hgsi, ja· b L´kissor «4m 1ºm, vgs¸, de ? aqt¹
42 s_la lµ 5weim. eQ d³ 5woi p²wor, 5woi #m lºqia ja· oqj´ti 4m eUg.»
102 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 Aristote partir de ces hypothses. Car tant selon eux indivisible, lUn-qui-est
2 nest ni limit ni illimit en tant que corps. En effet Parmnide pose les corps parmi
3 les choses opines, et Mlissos aussi dit : « tant un, il faut quil nait pas de corps.
Sil avait de lpaisseur, il aurait des parties et ne serait plus un ».
4
5 Les absurdits auxquelles mne le raisonnement dAristote ne valent pour
6 Simplicius que si lon transpose – de manire errone comme le feraient les
7 ignorants (=les chrtiens), ou par souci pdagogique comme la prcisment fait
8 Aristote – la doctrine parmnidienne de lIntelligible au plan corporel.26 Dans la
9 suite immdiate de la digression, qui peut se diviser en trois parties traitant
10 respectivement (A) de lindivisibilit (87.7 – 18), (B) de la continuit (87.18 –
11 88.4) et (C) de lunit dfinitionnelle de ltre parmnidien (88.4 – 8), Simplicius
12 prcise que ces trois attributs de lUn sont en effet valides sur le plan intelligible.
13 Qui plus est, ils ont t admis aussi bien par Platon que par Aristote.
14 (A) On retrouve lindivisibilit de lUn parmnidien dans lIntellect
15 dAristote, cause immobile et indivise de toutes choses. (B) Sa continuit est
16 celle dont fait tat Platon dans la deuxime hypothse du Parmnide (142e-
17
143a), lorsquil montre que lUn-qui-est est constitu de deux parties, lun et
18
lÞtre, qui ouvrent sur une pluralit illimite. (C) Quant au fait que tout soit
19
identique, il nen est pas autrement sur le plan intelligible : en vertu de lunion
20
confre par lUn-qui-est, chaque chose l-bas, autrement dit chaque forme
21
intelligible, est toute chose et, rebours, toute chose est chaque chose. De ce
22
point de vue, les formes intelligibles admettent une seule dfinition, celle de
23
ltre, et prcontiennent sous un mode causal toutes les dfinitions des Þtres qui
24
apparaissent sous un mode caus au niveau morcel du sensible. Quil y ait ces
25
deux faÅons de considrer les Þtres – lune relevant de la cause, lautre de leffet
26
– cela, conclut Simplicius, a t affirm par Aristote lui-mÞme.27
27
28
Trouvant ainsi leur postrit chez Platon et Aristote, les trois attributs
29
accords lUn par Parmnide nadmettent pas de vritable objection. Dans le
30
dveloppement qui suit cette premire analyse, Simplicius va jusqu montrer
31
32 26 Rappelons-nous les remarques conclusives de Simplicius dans la digression prcdente,
33 qui prcisent que la discorde des philosophes nest valide que pour ceux qui, par
34 ignorance, ne peuvent pas distinguer entre les diffrents plans de la ralit auxquels se
rapportent les diffrentes doctrines. N.–L. Cordero, « Simplicius et l » cole « elate »,
35 dans I. Hadot (d.), Simplicius : sa vie, son œuvre, sa survie, p. 166 – 182, en particulier
36 p. 177 – 178, voit dans les explications de Simplicius un reproche llate davoir trop
37 accept les sensibles et davoir transfr au niveau du sensible des considrations qui se
38 rapportent lintelligible. Or, cest exactement le contraire que suggre linterprtation
39 de Simplicius : cette « transposition » en un sens fallacieuse a t dlibrment effectue
par Platon et Aristote suite une rflexion pdagogique.
40 27 Cf. In Phys., 88.8 – 11 : ja· taOta ja· aqt` oWlai t` )qistot´kei doje ? p²mtym aUtiom t¹m
41 paqû aqt` pq_tom moOm k´comti ja· dittµm val´m\ tµm t²nim, tµm l³m 1m t` aQt¸\, tµm d³ 1m
42 t` !potek´slati.
5.1 Les digressions « concordistes » de Simplicius 103
1 sera multiple, ou bien il se dit dune seule faÅon, et dans ce cas il sera soit une
2 substance soit un accident. Or il est clair que rien de cela ne convient
3 lIntelligible, puisque cette division apparat dans le devenir et que, par consquent,
elle est pralablement reÅue sous un mode causal <non pas dans lIntelligible
4
mais> dans la distinction intellective.
5
6 Ainsi comprises, les critiques de Platon et dAristote nont quune validit
7 partielle : elles sont vraies si, en dpit de ce que voulait dire Parmnide, on
8 rabaisse la vise de sa doctrine au niveau de lintellectif, comme la prcisment
9 fait Platon dans le Sophiste, ou au niveau du devenir, comme le fait Aristote
10 dans la Physique. Cependant, le contresens nest pas blmer. Une fois de plus,
11 il est utile ceux qui ne sont pas encore en mesure de saisir les diffrents
12 niveaux du rel et qui, de ce fait, accordent une valeur absolue la doctrine
13 parmnidienne35 :
14
Que personne ne blme pour autant Platon et Aristote davoir contredit
15 Parmnide selon des conceptions autres <que les siennes>. En effet, par souci
16 humain <envers leurs auditeurs>, ils cartent pralablement les contresens qui
17 risquent de se produire.
18
Tant Platon quAristote se voient raisonner dlibrment partir de lobjet
19
prcis du rel qui sont en train dtudier, conformant ainsi leur discours aux
20
besoins du « progrs spirituel » de leurs lves. Quitte faire des contresens, le
21
22
philosophe veut Þtre ( la rflexion noplatonicienne, peut-Þtre avant toute
23
autre chose) un pdagogue.
24
25 Sans doute les deux digressions que Simplicius consacre la doctrine de
26 Parmnide trouvent-elles leur raison dÞtre dans la place privilgie que doit
27 occuper llate dans la conception quil propose de la philosophie des
28 Hellnes, vue comme un ensemble harmonieux et cohrent. Platon lui-mÞme est
29 cens avoir repris et mis au point la doctrine de Parmnide dans le dialogue
30 homonyme et, rebours, la doctrine parmnidienne de ltre est comprendre
31 la lumire de la lecture du dialogue de Platon.36 Mais cest l lune des deux
32 raisons, lautre relevant de la psychologie personnelle de lauteur : ladmiration
33 que Simplicius prouve devant Parmnide. Son Pome est cit et interprt dans
34 le Commentaire plus que tout autre ouvrage prplatonicien, et bien que
35 Simplicius voque dans la deuxime digression la raret de lcrit parmnidien,
36
37
38 35 In Phys., 148.11 – 13 : Lgde·r d³ t` Pk²tymi ja· t` )qistot´kei lelv´shy pq¹r %kkar
39 1mmo¸ar !mtik´comti. vikamhq¾pyr c±q t±r cemgsol´mar paqajo±r pqoamast´kkousim.
36 Cette approche du Pome de Parmnide est dj atteste chez Plotin et Proclus, comme
40 la mis au clair C. Gurard, « Parmnide dle chez les Noplatoniciens », dans
41 P. Aubenque (sous la dir. de), tudes sur Parmnide, t. II : Problmes dinterprtation,
42 Paris, 1987, p. 294 – 313, en particulier p. 312.
108 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 ainsi que son dsir de justifier linterprtation quil propose,37 il faut accorder
2 limportance ncessaire ce que lexgte dit la fin de la premire
3 digression38 :
4
Mais si tout ceci a ncessit une digression assez longue, quil me soit pardonn
5 cause de lamour que jprouve pour ces choses. Passons maintenant la suite <du
6 texte>.
7
On sait que, dans le vocabulaire noplatonicien, lers (Amour) forme avec
8
laltheia (Vrit) et la pistis (Foi) une triade de « puissances lvatrices », qui
9
rendent possible la remonte de lme jusqu l« union » la plus heureuse avec
10
11
le Dmiurge,39 et nous avons vu que, daprs Simplicius, ltude de la physique
12
est utile dans la mesure o
elle sordonne cette fin ultime de la philosophie.40
13
Ceci dit, lamour quil voque en concluant sa digression prend une signification
14
prcise, et la prsence du Pome de Parmnide dans le Commentaire se justifie
15
autrement : sa lecture veille dans lme de lexgte lAmour pour la ralit
16 intelligible et facilite de la sorte sa remonte vers elle.
17
18
19 5.1.4 Sur les deux tuchai (In Phys., 356.31 – 361.11)
20
21 La digression que Simplicius consacre tuch permet de voir ce mlange de
22 philosophie et de religion si caractristique du noplatonisme tardif. Elle
23 couronne lexgse de Phys., II 4 – 6, o
Aristote tudie le hasard (t¼wg) et la
24 spontanit (aqt|latom) en tant que causes des vnements naturels. De ce fait,
25 E. Sonderegger a vu dans la digression un « Corollarium de casu », que H. Diels
26 avait pass sous silence.41 La digression est effectivement introduite de manire
27 analogue celle du Corollarium de tempore 42 :
28
29 37 Cf. In Phys., 144.25 – 28 : ja· eU t\ lµ doj_ ck¸swqor, Bd´yr #m t± peq· toO 2m¹r emtor 5pg
toO Paqlem¸dou lgd³ pokk± emta to ?sde to ?r rpolm¶lasi paqacq²xaili di² te tµm p¸stim
30 t_m rpû 1loO kecol´mym ja· di± tµm sp²mim toO Paqlemide¸ou succq²llator.
31 38 In Phys., 90.20 – 22 : !kk± taOta l³m j#m paq´jbas¸m tima lajqot´qam 5swem, jewaq¸shy
32 t` peq· aqt± 5qyti· 1p· d³ t± 2n/r Qt´om.
33 39 Voir Ph. Hoffmann, « La triade chaldaque 5qyr, !k^heia, p_stir de Proclus
34 Simplicius ».
40 Voir supra, p. 53 – 55.
35 41 Voir supra, p. 84 – 85.
36 42 In Phys., 356.31 – 357.1 : )kkû 1peidµ l´wqi toOde to ?r peq· t¼wgr ja· aqtol²tou keco-
37 l´moir rp¹ toO )qistot´kour paqajokouh¶sar ¢r dumat¹m Gm 1lo· t_m eQqgl´mym 6jasta
38 di¶qhqysa, jak_r #m 5woi sumtºlyr 1jh´lemom t± t` )qistot´kei dojoOmta peq· to¼tym,
39 ovtyr t± to ?r meyt´qoir vikosºvoir dedocl´ma pqoshe ?mai ja· de ?nai lgd³m t/r pakai÷r
paqadºseyr diav´qomta. Cf. <Corollarium de tempore>, 773.8 – 15 : TaOta l³m owm
40 !qje¸ty pq¹r sav¶meiam t_m rp¹ toO )qistot´kour peq· wqºmou kecol´mym. 2j²stoir c±q
41 !pû !qw/r %wqi t´kour t_m rpû aqtoO Ngh´mtym paqajokouh_m tµm dumatµm 1poigs²lgm
42 di²qhqysim· 1peidµ d³ oq toOto pqºjeitai lºmom t´kor Bl ?m t/r vikolahoOr culmas¸ar…
5.1 Les digressions « concordistes » de Simplicius 109
1 Mais puisque jai suivi jusquici de prs ce quAristote dit propos du hasard et de
2 la spontanit, et que jen ai donn, autant quil ma t possible, un expos
3 articul, il serait bon que (1) je prsente brivement la doctrine dAristote sur ces
sujets, et (2) que jajoute ensuite les doctrines professes par les philosophes plus
4
rcents, en montrant quelles ne diffrent en rien de la tradition ancienne.
5
6 Il aurait t pourtant plus plausible de parler dun Corollarium de fortuna et/ou
7 de Fortuna, vu que Simplicius se donne la peine de la digression pour distinguer
8 entre deux significations de tuch : lune, celle qui est mise au net par Aristote
9 dans la Physique, se restreint au domaine des recherches naturelles ; lautre,
10 celle laquelle se rfrent aussi bien la tradition ancienne que les « philosophes
11 plus rcents », savoir les Stociens,43 a un contenu thologique qui correspond
12 la Tuch du panthon traditionnel. En distinguant entre ces deux significations,
13 Simplicius vise lever la discorde laquelle peut donner lieu lanalyse
14 aristotlicienne, une fois confronte aux croyances religieuses paennes.44 Si en
15 effet, comme laffirme Aristote, tuch est une cause par accident, qui se rend
16 manifeste lorsquune ralit naturelle choue sa fin, comment peut-elle Þtre
17 une desse, comme ladmettent pour leur part les Stociens et la tradition
18 ancienne ? La rponse fournie par Simplicius ne veut pas seulement rsoudre
19 un paradoxe dordre philosophique et religieux ; bien plus, elle veut rendre
20 justice au culte paen et, en dernire analyse, clbrer la desse elle-mÞme.
21 (1) Suivant le plan tabli dans le prome de digression, Simplicius rcapitule
22 en premier lieu la doctrine aristotlicienne du hasard et de la spontanit
23
(357.1 – 358.4). Fidle au principe de la prise en compte de lobjet prcis tudi,
24
25 43 Quil sagisse des Stociens, cela est prcis par Simplicius en In Phys., 333.2 – 5 :
26 « Quest-ce que le hasard, certains nont pas dire en considrant quil ne se montre pas
27 lintelligence humaine, puisquil est quelque chose de divin et dextraordinaire et quil
28 dpasse pour cette raison la connaissance humaine ; cest ce que semblent dire les
29 Stociens » ; cf. SVF, II, fr. 965 – 971. Quant la tradition ancienne, elle comprend non
seulement le culte religieux mais aussi Orphe et Platon ; cf. In Phys., 333.7 – 17 : « Il
30 semble que lopinion suivant laquelle le hasard est quelque chose de divin soit atteste
31 chez les Grecs mÞme avant Aristote, et que les Stociens ne soient pas les premiers qui
32 laient cru, comme certains le pensent [cf. Alexandre dAphrodise, De fato, 174.1 – 3]. En
33 effet, Platon aussi dit dans les Lois » que cest un Dieu, et de concert avec ce dieu le
34 Hasard et lOccasion qui gouvernent toutes les affaires humaines sans exception «. Le
fait aussi que certaines cits honorent des Tuchai et quelles btissent des temples
35 <en leur honneur> semble Þtre devenu une coutume ultrieurement. En effet nous ne
36 trouvons pas de rcits <relatifs> chez les anciens propos de lieux consacrs Tuch ni
37 de rapports sur des fÞtes correspondantes. Nanmoins, nous savons bien que les anciens
38 vnraient, eux aussi, le nom de Tuch ; Delphes, il prsidait dans les questions : »
39 Tuch et Loxias, veux-tu rendre tes oracles celui-ci ? «. Et il est encore mentionn par
Orphe ».
40 44 La critique de la doctrine stocienne du hasard, mise en oeuvre par Alexandre
41 dAphrodise dans le trait De fato (et, ventuellement, dans le Commentaire sur la
42 Physique) peut aussi avoir tacitement fourni un point de dpart pour la digression.
110 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 il signale aussit t que ltude dAristote sapplique clairer les causes qui sont
2 immanentes aux Þtres en devenir, autrement dit aux ralits naturelles45 :
3
Aristote recherche en effet les causes des vnements qui se produisent dans les
4 ralits naturelles, et puisquil dcouvre quil y a des vnements dont on dit quils
5 se produisent spontanment ou par hasard, il se donne comme but dexpliciter leurs
6 significations en les considrant du point de vue de leur notion superficielle.
7 Lanalyse aristotlicienne consiste pour lessentiel en une tude smantique qui
8 sen tient lapplication habituelle des noms de hasard et de spontanit dans la
9 description des causes actives dans le domaine naturel. Daprs Aristote,
10 explique Simplicius, toute relation causale naturelle se dfinit ncessairement
11 par un terme antcdent, qui est la cause efficiente de quelque chose, et un
12 terme consquent, qui en est la cause finale. Le plus souvent, lun des termes suit
13 lautre : ce en vue de quoi est active la cause efficiente est effectivement
14 produit, comme cest le cas, par exemple, lorsquun homme sort pour rencontrer
15 son ami et que, de fait, il le rencontre, ou lorsquune pierre tombe vers le bas
16 pour occuper son lieu naturel et que, de fait, elle loccupe. Mais il y a des fois o
1 ces causes afin que chacune des ralits nchoue pas < son but> mais quelle
2 obtienne ce quil lui faut selon le Juste, autrement dit selon sa propre dignit. […]
Et nous disons que la cause de la distribution selon la dignit est Dik, alors que la
3
cause du fait dobtenir ce qui est ainsi distribu est Tuch.
4
5 Tuch veille ce que chaque chose obtienne ce que Dik a distribu, et
6 contribue de la sorte la prservation de la hirarchie harmonieuse de
7 lUnivers. De ce fait, elle nest pas partout prsente de la mÞme manire, mais
8 elle manifeste sa puissance selon une proportion inverse au degr de lunit et,
9 par consquent, de la dignit dune chose.50 Or, le plan de lunivers le moins
10 digne est le plan morcel du monde sublunaire dans lequel vit lhomme. Cest
11 pourquoi la tradition paenne, reconnaissant la puissance bnfique de Tuch, a
12 su illustrer dignement la desse dans son iconographie et la clbrer justement
13 par ses cultes51 :
14 En effet, la domination de Tuch met en ordre plus que toute autre chose la part de
15 lunivers qui est au-dessous de la lune, dans laquelle apparat prcisment la nature
16 du contingent, qui en elle-mÞme est en dsordre, et que la Tuch, de concert avec
17 les autres causes gouvernantes, dirige, ordonne et gouverne. Cest pourquoi on lui
fait tenir en main un gouvernail, pour montrer quelle gouverne les choses qui
18
naviguent dans le pont du devenir ; et lon installe ce gouvernail sur une sphre
19 pour montrer quelle dirige linstabilit du devenir. Et dans lautre main, on lui met
20 la corne dAmalthe pleine de fruits pour montrer quelle est la cause du fait
21 dobtenir tous les fruits divins. Cest pourquoi nous honorons encore les Tuchai de
22 nos cits et de nos maisons, et aussi la Tuch de chacun de nous, puisque nous
sommes carts loin de lunion divine et que nous risquons ainsi dchouer la
23
participation quil nous faut. Nous avons donc besoin de Tuch la desse pour y
24
25
26
27 50 On reconnatra derrire ce dveloppement de Simplicius lide de la providence divine
28 exerce tout au long de la procession constitutive de lunivers, parfaitement rsume par
29 Proclus dans la proposition 144 des lments de Thologie : P²mta t± emta ja· p÷sai t_m
emtym aR diajosl¶seir 1p· tosoOtom pqoekgk¼hasim, 1vû fsom ja· aR t_m he_m diat²neir.
30 ja· c±q 2auto ?r oR heo· t± emta sulpaq¶cacom, ja· oqd³m oXºm te Gm rpost/mai ja· l´tqou
31 ja· t²neyr tuwe ?m 5ny t_m he_m· ja· c±q tekeioOmtai p²mta jat± tµm aqt_m d¼malim, ja·
32 t²ttetai ja· letqe ?tai paq± t_m he_m. On peut dire, au sens de Simplicius, que le dieu
33 qui fait quun Þtre obtienne (tuwe?m) selon sa propre puissance sa mesure et son ordre,
34 cest Tuch.
51 In Phys., 360.27 – 37 : Ja· c±q B t/r T¼wgr 1pijq²teia tµm rp¹ sek¶mgm l²kista toO
35 pamt¹r lo ?qam diajosle ?, paqû Ø ja· B toO 1mdewol´mou v¼sir, Dm %tajtom owsam jahû
36 2autµm B T¼wg let± t_m %kkym !qwgcij_m aQt¸ym jateuh¼mei ja· t²ttei ja· jubeqmø. di¹
37 ja· pgd²kiom aqt0 didoOsi jqate ?m ¢r jubeqm¾s, t± 1m t` pºmt\ t/r cem´seyr pk´omta
38 ja· t¹ pgd²kiom 1p· sva¸qar Rdq¼ousim, ¢r t¹ %statom t/r cem´seyr jateuhumo¼sgr· j´qar
39 d³ )lakhe¸ar 1m t0 2t´qô ta ?m weqo ?m jaqp_m pk/qer, ¢r toO tuwe ?m p²mtym t_m he¸ym
jaqp_m aQt¸a. di± toOto d³ ja· pºkeym ja· oUjym ja· 2m¹r 2j²stou til_lem T¼war, fti
40 pºqqy diast²mter t/r he¸ar 2m¾seyr jimdume¼olem dialaqte ?m t/r 1pibakko¼sgr
41 leh´neyr. ja· deºleha pq¹r t¹ tuwe?m t/r te heoO T¼wgr ja· t_m 1m to ?r jqe¸ttosi
42 c´mesi tµm aqtµm 1wous_m Qdiºtgta.
114 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 russir (pq¹r t¹ tuwe ?m), et aussi des desses qui ont la mÞme proprit <quelle>
2 dans les genres <de causes> suprieurs.
3 On voit bien que le concordisme de Simplicius ne concerne pas uniquement la
4 philosophie. Suivant une dmarche bien atteste dans le noplatonisme, il veut
5
justifier lensemble de la tradition paenne, philosophique aussi bien que
6
religieuse et culturelle.
7
8
9
5.1.5 Trois digressions propos de lharmonie de Platon et dAristote au sujet du
10
mouvement (In Phys., 404.16 – 406.16, 821.12 – 823.4 et 1247.27 – 1250.31)
11
12
Ltablissement de lharmonie entre Platon et Aristote est lun des traits
13
marquants du modus explicandi de Simplicius.52 Le Commentaire sur la
14
Physique prsente toute une srie de telles harmonisations, chose gure
15
tonnante vu que la Physique scarte ostensiblement de la doctrine platoni-
16
cienne.53 Mais ce qui, dans le cadre de lexplication de ce trait, se prsente
17
comme une dissidence majeure entre Platon et Aristote et, de ce fait, mrite un
18
examen particulier, cest la doctrine professe par lun et lautre philosophe au
19
sujet du mouvement. Simplicius sefforce de dissoudre la dissidence par le
20
moyen de trois brves digressions.
21
22
La premire digression (In Phys., 404.16 – 406.16) vient aprs lexgse du
23
passage suivant de la Physique 54 :
24 Il ny a pas de mouvement part des choses. En effet, ce qui change change
25 toujours soit selon la substance, soit selon la quantit, soit selon la qualit, soit
26 selon le lieu, et, disons-nous, on ne peut rien trouver qui soit commun ces
changements et qui ne soit ni un ceci, ni une quantit, ni une qualit, ni aucun des
27
autres prdicats catgoriels. De sorte quil ny aura ni mouvement ni changement
28
de quoi que ce soit part des catgories quon a dites, du fait que rien nexiste
29 part de ces catgories quon a dites.
30
31 La phrase liminaire de ce passage contredit videmment la dtermination du
32 mouvement comme genre suprÞme dans le Sophiste. Une remarque relative de
33
34 52 Dans un passage des prolgomnes la philosophie dAristote (In Cat., 7.29 – 32), sur
lequel nous reviendrons plus tard, Simplicius prcise que ltablissement de laccord
35 entre les deux philosophes est lune des tches du bon exgte.
36 53 Cf. In Phys., 222.29 – 225.20 et 245.19 – 246.16 (pour quelle raison Platon, la diffrence
37 dAristote, na pas parl de la privation) ; 295.12 – 299.12 ( propos de la critique des
38 Ides en Phys., II 2, 193b 35 – 194a 1) ; 421.3 – 422.9 (pour quelle raison Aristote, la
39 diffrence de Platon, naccepte pas le mouvement de lme) ; 540.3 – 542.14 (sur les
doctrines des deux philosophes au sujet du lieu) ; 717.21 – 718.12 (sur la diffrence des
40 deux philosophes, voque par Alexandre dAphrodise, au sujet du temps) ; 1154.3 –
41 1156.3 (sur le sens de « cemgt|m » chez lun et lautre philosophe).
42 54 Phys., III 1, 200b 32 – 201a 3 (Trad. P. Pellegrin)
5.1 Les digressions « concordistes » de Simplicius 115
1 part des choses », il pense au mouvement qui se manifeste dans les ralits
2 naturelles. Car ce mouvement-ci ne peut pas se produire en dehors de la ralit
3 naturelle, qui se meut effectivement en agissant ou en ptissant. Or, cela signifie
4 que lapproche dAristote ne contredit pas celle de Platon, vu que ce dernier
5 envisage le mouvement sur le plan intellectif (voir largument prcdent).
6 3) Troisime argument : Aristote se donne comme but de rfuter lide que
7 le mouvement puisse Þtre un genre. Mais il faut prudemment distinguer entre
8 deux significations du genre, qui correspondent prcisment des usages
9 particuliers chez Platon et chez Aristote. Parlant des genres de ltant, Platon
10 dsigne les monades liminaires et transcendantes qui sont prsentes, sous mode
11 de participation dgressive, dans tous les membres des sries qui procdent
12 delles ; il sagit du genre dit ab uno (!v 2m|r), qui est une cause transcendante
13 existant en soi. En revanche, Aristote parle du genre que lon peut qualifier de
14 logique, lequel se rpartit en espces qui participent au genre de manire gale ;
15 tant « logique », ce genre nexiste pas en dehors des espces et aussi des
16 individus quil englobe. Une fois de plus, les deux philosophes ne parlent pas de
17 la mÞme chose.
18 4) Quatrime argument : La diffrence smantique stend aussi la notion
19 de mouvement chez lun et lautre philosophe. Le mouvement dont parle Platon
20 se situe au plan mtaphysique ; il est, par consquent, totalement inchangeable.
21 Cest en effet une faÅon de dsigner la premire extension de ltre premier, en
22 vertu de laquelle se manifestent la Vie et la Pense. Par contre, le mouvement
23 auquel se rfre Aristote correspond au changement constant du monde dici-
24 bas, conÅu comme actualisation de len puissance de ce qui est en puissance ;
25 cest pourquoi il est toujours absorb dans les ralits mues. La raison de cette
26 diffrence smantique, explique Simplicius, rside dans les conceptions diff-
27 rentes de Platon et dAristote quant la formation et lutilit du langage
28 philosophique58 :
29
Je crois que la cause de cette saisie diffrente est le fait que Platon exige que les
30 causes paradigmatiques des ralits dici-bas soient dsignes avec les mÞmes noms
31 <que les ralits dici-bas>, alors quAristote prend garde cette homonymie, en
32 considrant quelle peut projeter en nous, de par lidentit de noms, une identit de
33 notions aussi.
34
35
36
37 lectives (acte pur, cest--dire exempt de tout besoin dactualisation). Cest pourquoi
38 lacte en tant que mouvement des ralits naturelles est, proprement parler, plus un
39 « p²hor 1meqcgtijºm » quune « 1m´qceia ».
58 In Phys., 406.12 – 16 : AUtiom d³ oWlai t/r diavºqou ta¼tgr 1pibok/r t¹ t¹m l³m Pk²tyma
40 !nioOm t± paqadeiclatij± t_m t0de aUtia to ?r aqto ?r amºlasi jake?shai, t¹m d³ )qisto-
41 t´kg tµm toia¼tgm blymul¸am eqkabgh/mai ¢r jat± t¹ emola ja· tµm 5mmoiam blo¸am
42 pqobakkol´mgm 1m Bl ?m.
5.1 Les digressions « concordistes » de Simplicius 117
12 Aristote dit que certains sont davis que tout moteur est lui-mÞme m,
13 Simplicius prend la peine de rpondre brivement une remarque dAlexandre
14 dAphrodise, qui considrait que la doctrine platonicienne du mouvement
15 automoteur de lme tait concerne dans ce passage.71 Selon Platon lme est
16 automotrice, alors que pour Aristote elle est motrice : elle meut le corps, tant
17 elle-mÞme immobile. De ce point de vue, ce nest pas lme mais le vivant (t¹
18 f`om) qui est automoteur au sens propre. La question est plus amplement
19 aborde dans la prsente digression qui, une fois de plus, vise rsoudre la
20 discorde par le moyen dun raisonnement smantique72 :
21
La diffrence sest produite assurment dans la mesure o
Platon appelle toute
22
sorte de changement, quil soit actif ou passif, « mouvement ». […] En revanche,
23 Aristote exige que seuls les changements naturels soient dits mouvements, et il
24 considre que lme ne se meut pas mais quelle sactive.
25
26
La divergence est due en effet la mthode et la prcision langagire du
27
Stagirite73 :
28 Par consquent, la diffrence des philosophes sur ce point ne porte pas sur la chose
29 mais sur le nom, comme cest le cas de la plupart de leurs diffrences. La raison en
30 est souvent, je crois, le fait quAristote veuille conserver lusage habituel des noms
et quil constitue son argumentation partir des choses videntes la sensation,
31
32
33 70 Phys., VIII 5, 258a 18 – 20 : !m²cjg %qa t¹ aqt¹ 2aut¹ jimoOm 5weim t¹ jimoOm !j¸mgtom d´,
34 ja· t¹ jimo¼lemom lgd³m d³ jimoOm 1n !m²cjgr.
71 Cf. In Phys., 421.3 – 422.9.
35 72 In Phys., 1248.21 – 31 : J to¸mum diavoq± c´come, paqû fsom b l³m Pk²tym p÷sam tµm
36 bpoiamoOm letabok¶m, t¶m te 1meqcgtijµm ja· tµm pahgtij¶m, j¸mgsim blokoce ?. […] b
37 l´mtoi )qistot´kgr lºmar t±r vusij±r letabok±r jim¶seir !ni_m jake ?m, tµm xuwµm
38 1meqce ?m, !kkû oqw· jime ?shai mol¸fei.
39 73 In Phys., 1249.12 – 17 : ®ste oq peq· pq÷cla mOm, !kk± peq· emola to ?r vikosºvoir 1st·m
B diavoq², ¦speq ja· 1m to ?r pke¸osi t_m %kkym. aUtiom d³ oWlai <c¸me>tai pokkawoO t¹
40 t¹m l³m )qistot´kg tµm sum¶heiam t_m amol²tym bo¼keshai vuk²tteim ja· !p¹ t_m t0
41 aQsh¶sei 1maqc_m t±r 1piweiq¶seir poie ?shai, t¹m d³ Pk²tyma to¼tym l³m jatavqome ?m
42 pokk²jir, pq¹r d³ t±r mogt±r heyq¸ar eqjºkyr !matq´weim.
5.1 Les digressions « concordistes » de Simplicius 121
1 alors que Platon mprise plusieurs fois les noms et recourt sans peine aux thories
2 intelligibles.
3 Ds la digression liminaire, Simplicius attirait lattention sur le fait que le point
4 de dpart des analyses dAristote est souvent fourni par lvidence, langagire
5 aussi bien que sensitive.74 Aristote apparat ainsi avoir employ le nom de
6 mouvement selon son usage habituel, savoir pour dsigner les changements
7 qui se manifestent dans les ralits naturelles. Or, si une telle ralit se meut,
8 cest parce que son me meut son corps. Un tel mouvement – passif et, de ce fait,
9 corporel –, lme ne peut assurment ladmettre, et de ce point de vue elle est
10 immobile. Si, en revanche, on sapplique voir les choses selon la « thorie
11 intelligible » de Platon, on comprendra en quel sens lme est automotrice :
12 toutes les raisons qui sont contenues en elle ne sont pas actives de manire
13 intgrale, mais les unes sactivent le moment venu par les autres. Lorsque, par
14 exemple, lme ne connat pas quelque chose, elle lapprend delle-mÞme, et
15 lorsquelle cherche quelque chose, elle le dcouvre par elle-mÞme. Or, ce
16 faisant, elle se « meut » elle-mÞme.75
17 Ceci dit, lme, tout comme une ralit simplement naturelle, possde len
18 puissance quelle amne delle-mÞme lactualisation. De l surgit un paradoxe,
19 vu quAristote propose une telle dfinition du mouvement en Phys., III 1, 201a
20 10 – 11. Comment donc peut-il affirmer que lme est immobile ? Certes,
21 Aristote ne peut pas Þtre en contradiction avec lui-mÞme76 :
22
Peut-Þtre donc que cette dfinition, qui dit que le mouvement est lentlchie du
23
potentiel en tant quil est potentiel (Phys., III 1, 201a 10 – 11), est la dfinition
24 commune de tout changement, psychique aussi bien que naturel, et, en gnral, du
25 changement qui savance de len puissance vers len acte. La dfinition propre du
26 mouvement en tant que mouvement est la suivante : lentlchie du mobile en tant
27 quil est mobile (Phys., III 1, 201a 27 – 29).
28 Les diffrents moments de la dfinition aristotlicienne du mouvement (passant
29 du « dumat|m », qui se rapporte la fois lme et au corps, au « jimgtºm », qui se
30 rapporte uniquement au corps), sont comprendre, videmment contresens,
31 la lumire de la doctrine platonicienne de lautomotricit de lme. Une fois de
32 plus, il sest agi de dployer la doctrine du devancier en lui confrant une
33 prcision qui tient compte des diffrents plans de la ralit.
34
35
36
37
38 74 Cf. In Phys., 8.13 – 14.
39 75 Cf. In Phys., 1249.17 – 35.
76 In Phys., 1250.22 – 26 : L¶pote owm oxtor l³m b bqisl¹r b k´cym 1mtek´weiam toO dumatoO
40 Ø dumat¹m joim¹r p²sgr 1st· letabok/r ja· xuwij/r ja· sylatij/r ja· fkyr t/r !p¹ toO
41 dum²lei eQr t¹ 1meqce¸ô pqopodifo¼sgr. b d³ t/r jim¶seyr ¢r jim¶seyr Qd¸yr bqislºr
42 1stim· 1mtek´weia toO jimgtoO Ø jimgtºm.
122 Chapitre 5. Analyse des digressions
3 Aristote prcise que « sil nexiste pas dinfini au sens absolu, il en rsulte
4 nombre dimpossibilits ».88 Lune de ces impossibilits est que le temps aura un
5 commencement et une fin. Philopon commente ce propos, dans un premier
6 temps, de la manire suivante89 :
7
Ayant montr lappui de tous ces arguments quil est impossible quil y ait un
8 corps infini en acte, il (scil. Aristote) entreprend dans la suite une argumentation
9 inverse. Si en effet, dit-il, linfini nexiste absolument pas, il en rsultera nombre
10 dimpossibilits, ainsi quil la dj dit. Le temps, dit-il, ne sera pas infini, mais il y
11 aura un commencement et une fin du temps, ce qui est impossible. En effet, dire
que le temps a commenc une fois de se produire nest rien dautre que de dire que
12
le temps tait lorsque le temps ntait pas. Car tout ce qui se produit se produit
13 dans le temps, et le
une fois est prdiqu du temps. De la sorte se montre
14 galement que le mouvement est ternel, dont le temps est un concomitant.
15
En se proposant la digression, Philopon se donne comme but de rfuter la
16
ncessit dmonstrative de la position dAristote. Toutefois, largument repro-
17
duit (« dire que le temps a commenc une fois de se produire nest rien dautre
18
que de dire que le temps tait lorsque le temps ntait pas… ») na pas t
19
formul par le Stagirite. On le retrouve en effet tel quel dans la Paraphrase de
20
Thmistius.90
21
La digression consiste pour lessentiel en une analyse grammaticale et
22
smantique de la phrase en question (456.17 – 458.16),91 laquelle est annexe
23
(458.17 – 30) une rfutation de la deuxime branche de largument (« car tout ce
24
qui se produit se produit dans le temps »). Philopon entame sa rfutation par un
25
renversement dialectique92 :
26
27
28 88 Phys., III 6, 206a 9 – 10 (Trad. P. Pellegrin).
29 89 In Phys., 456.1 – 8 : Ja· di± p²mtym to¼tym de¸nar fti !d¼matom s_l² ti 1meqce¸ô %peiqom
eWmai, 1ven/r eQr t¹ 1mamt¸om 1piweiqe ?. eQ c²q, vgs¸, lgdal0 lgdal_r eUg t¹ %peiqom, luq¸a
30 !d¼mata 6xetai, ¦speq ja· pqºteqom eWpem. oute c±q b wqºmor, vgs¸m, !¸dior 5stai, !kkû
31 5stai tir aqtoO !qwµ ja· tekeut¶, pq÷cla !d¼matom· t¹ c±q k´ceim ¢r Eqnatº pote
32 cem´shai b wqºmor, oqd³m %kko k´ceim 1st¸m, C fti wqºmor Gm fte wqºmor oqj Gm· p÷m c±q t¹
33 cimºlemom 1m wqºm\ c¸metai, ja· t¹ «pot´» wqºmou jatgcoqe?tai, de¸jmutai d³ ja· j¸mgsir
34 owsa !¸dior, Ø paqajoko¼hgla b wqºmor.
90 Cf. Thmistius, In Phys., 91.10 – 16 : fti d³ ja· "pk_r !maiqoOsi t¹ %peiqom pokk±
35 !d¼mata sulba¸mei, eUqgtai l³m ja· pqºteqom Edg, kec´shy d³ ja· mOm. toO te c±q wqºmou
36 5stai tir !qwµ ja· tekeut¶, pq÷cla t_m p²mtym !lgwam¾tatom· t¹ c±q k´ceim, ¢r Eqnatº
37 pote c¸meshai wqºmor, oqd³m %kko 1st·m C fti wqºmor Gm, fte wqºmor oqj Gm. p÷m c±q t¹
38 cimºlemom 1m wqºm\ c¸metai, ja· t¹ «pot´» wqºmou jatgcoqe?tai, de¸jmutai d³ ja· B j¸mgsir
39 owsa !¸dior, Hr paqajoko¼hgla b wqºmor.
91 On reconnatra en effet derrire ce dveloppement Jean le « Grammairien ».
40 92 In Phys., 456.17 – 23 : EQ t` k´ceim fti Gm pote fte oqj Gm wqºmor %topºm ti !jokouhe ?, t¹
41 eWmai wqºmom fte oqj Gm wqºmor, ja· di± toOto xeudµr B !pºvasir avtg, diºti ja· t¹ «Gm»
42 ja· t¹ «pot´» wqomij± pqosq¶lata, $ k´colem rp²qweim pq¹ toO wqºmou, !m²cjg d¶pou
126 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 Il nous est dailleurs possible de nous pargner ces inepties ridicules en disant
2 simplement : « le temps ntait pas toujours ». Nous pourrions contr ler davantage
la bÞtise de ces arguments, mais en guise de digression ce que nous venons de dire
3
est suffisant.
4
5 La Paraphrase de Thmistius donne Philopon loccasion de toucher aux thses
6 aristotliciennes qui ne sont pas conformes sa pense chrtienne (comme
7 lternit du temps), et sur lesquelles il reviendra amplement plus tard, dans ses
8 crits contre Proclus et contre Aristote.96 On comprend alors mieux pour quelle
9 raison il passe sous silence le nom de Thmistius : son attaque veut dlibr-
10 ment se diriger non pas contre le Paraphraste mais contre le Philosophe lui-
11 mÞme.
12 La brve digression que Philopon met en place pour rfuter la ncessit
13 admise de lternit du temps permet de saisir la diffrence non seulement de sa
14 pense mais aussi de son style et de sa mthode, vis--vis de Simplicius. Nous
15 allons en effet retrouver ce ton mprisant et cette sret de soi dans ses deux
16 Corollaires sur le lieu et le vide.
17
18
19 5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs
20
21 Les dmarches concordistes et polmiques mises part, Simplicius et Philopon
22 se rejoignent dans ce que nous avons appel leur dmarche « scientifique »,
23 consigne dans un bon nombre de digressions. Par de telles digressions,
24 Simplicius tente dclaircir davantage les conceptions de la matire, de la nature,
25 du lieu et du temps, et Philopon celles du lieu et du vide. Mais l encore, les deux
26 exgtes divergent. Les Corollaires que tous les deux consacrent ltude du
27 lieu (dont les Corollaires sur le temps et le vide ne sont chacun que la suite)
28 nous permettront de saisir assez facilement lcart intellectuel qui les spare.
29 CommenÅons pourtant par la premire digression « scientifique » du Commen-
30 taire de Simplicius. Nous verrons aussit t quelle nest pas sans rapport avec
31 Philopon.
32
33
5.3.1 Simplicius, Sur la matire (In Phys., 227.23 – 233.3)
34
35
La conception que Simplicius se fait de la matire nest pas sans une nouveaut
36
philosophique, ce qui a dj attir lattention des savants.97 lappui de
37
considrations pythagoriciennes et platoniciennes, Simplicius conÅoit la matire
38
39
96 De mÞme en In Phys., 54.8 – 55.26 et 191.9 – 192.2, Philopon met en cause la thse
40 paenne qui affirme lternit de la matire.
41 97 Voir N. Tsouyopoulos, « Die Entstehung physikalischer Terminologie aus der neupla-
42 tonischen Metaphysik », Archiv fr Begriffsgeschichte 13 (1969), p. 7 – 33, en particulier
128 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 philosophes, dit-il, considraient que la matire toute premire est le corps sans
2 qualit100 :
3
Mais puisque certains, qui ne sont pas des ignorants en matire de philosophie,
4 affirment que la matire toute premire est, aussi bien selon Platon que selon
5 Aristote, le corps sans qualit, comme le font, parmi les anciens, les Stociens et,
6 parmi les nouveaux, Pricls de Lydie, il serait bon dexaminer de prs cette
7 opinion.
8 En se proposant de fournir des prcisions supplmentaires sur le statut
9
ontologique de la matire, Simplicius ne vise pas clairer davantage la pense
10
dAristote ou rendre ses paroles plus claires. Aristote, en effet, na pas dit ce
11
quest la matire, il a seulement dit comment on peut la connatre, savoir par
12
analogie. Si Simplicius se met crire davantage, cest prcisment parce quil
13
veut rejeter la doctrine dominante – et aussi courante (on soulignera le prsent
14
auquel est form le participe « jqatoOsa ») – au sujet de la matire. Or, une telle
15
entreprise implique que, une fois la doctrine courante rfute, il faudra la
16
remplacer par une autre qui soit la vraie. De la pure exgse de textes faisant
17
autorit, Simplicius passe la vive discussion philosophique qui lui permet
18
dexprimer une opinion personnelle. Ceci mis en vidence, la question que se
19
pose Simplicius dans la digression nest pas « comment connat-on la matire, et
20
corrlativement quest-ce que la matire ? », comme Saffrey et Westerink lont
21
pens, mais « la matire est-elle le corps sans qualit, comme on laffirme
22
23
couramment, et si elle ne lest pas, quest-ce quelle est ? »
24
La digression se donne donc comme but de rfuter au dpart la thse selon
25
laquelle la matire est le corps sans qualit, que Simplicius attribue prcisment
26 aux Stociens et Pricls de Lydie. Mais sont-ils bien les seuls philosophes
27 laffirmer ? Quune thse stocienne soit dominante lpoque de Simplicius,
28 cela parat du moins bizarre. Puis, Pricls de Lydie est un philosophe peu
29 connu, dont lœuvre ne semble pas avoir eu une postrit remarquable.101 De
30 lautre c t, on aura remarqu que dans lintroduction de la digression
31 Simplicius ne qualifie pas la doctrine stocienne de la matire, admise plus
32 tard par Pricls, de « dominante ». Au premier abord, il semble la prendre en
33 considration, parce quelle est historiquement importante, dans la mesure o
34 elle a t soutenue par des philosophes « qui ne sont pas des ignorants en
35 matire de philosophie ». Ce nest quen concluant son propos quil avoue avoir
36 rfut l« opinion dominante », dune manire qui fait penser ses contempo-
37
38 100 In Phys., 227.23 – 26 : )kkû 1peid¶ timer ja· oqd³ oR tuwºmter 1m vikosov¸ô t¹ %poiom s_la
39 tµm pqyt¸stgm vkgm eWma¸ vasi ja· jat± )qistot´kgm ja· jat± Pk²tyma, ¦speq t_m l³m
pakai_m oR Styijo¸, t_m d³ m´ym Peqijk/r b Kudºr, jak_r #m 5woi ta¼tgm 1pisj´xashai
40 tµm dºnam.
41 101 En effet, sa seule apparition dans le discours philosophique est celle que nous fait
42 connatre ici Simplicius.
130 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 rains. Or, cest prcisment Philopon qui affirmait dans son crit contre Proclus
2 que la matire premire est le corps sans qualit.102 Et pour renforcer son
3 argument, il reprenait en effet des considrations stociennes.103
4 Simplicius dit clairement dans lIn De caelo quil na pas lu le contra
5 Proclum et quil en a pris connaissance travers le contra Aristotelem. Il se
6 rfre pourtant explicitement la thse « arrogante » de Philopon, qui nie
7 lexistence de la matire sans forme pour la rduire une matire sans
8 qualit104 :
9
10
11 102 Cf., titre indicatif, la description du troisime chapitre de la « rsolution du 11e
12 argument de Proclus », consacr au statut de la matire ; De aet. mundi contra Proclum,
13 405.8 – 12 : nti, diû ¨m de¸jmutai kºcym, fti 5stim tir l¸a joimµ p²mtym vkg, diû aqt_m
14 to¼tym !pode¸jmutai, fti oqj 5stim B hqukoul´mg !s¾lator ja· !me¸deor vkg, !kk± t¹
%poiom s_la toOtº 1stim t¹ 5swatom rpoje¸lemom ja· B pq¾tg vkg. « Que par les
15 arguments laide desquels il est montr quil existe une matire commune toutes
16 choses, par les mÞmes arguments il est dmontr que la soi-disant matire incorporelle
17 et sans forme nexiste pas, mais cest le corps sans qualit qui est le dernier substrat et la
18 matire premire ». Le dveloppement de la thse de Philopon a principalement lieu en
19 412.15 – 415.10. Sur la conception philoponienne de la matire, lire les remarques de C.
Wildberg, John Philoponus criticism of Aristotles theory of aether, Berlin, 1988,
20 p. 204 – 221.
21 103 Cf. De aet. mundi contra Proclum, 410.1 – 3 : t_m d³ !p¹ t/r Sto÷r oR pke ?stoi pq¹r t0
22 vk, t¹ tqiw0 diastat¹m eWmai rp´hemto. « La plupart des philosophes du Portique ont
23 suppos quil faut attribuer le tridimensionnel la matire ». Le « tridimensionnel » (ou
24 le
ce-en-trois-dimensions) est le corps sans qualit. En rsumant la doctrine tradition-
nelle, autrement dit aristotlicienne, de la matire, Philopon distingue en effet entre
25 trois niveaux : 1) la matire sans forme ; 2) la matire tridimensionnelle et sans qualit ;
26 3) les quatre lments. En suivant les Stociens, il considre que la matire du premier
27 niveau na aucune raison dÞtre, si bien que cest le corps sans qualit, autrement dit le
28 pur tridimensionnel, qui se voit accorder le statut de matire premire ; cf. De aet.
29 Mundi contra Proclum, 413.24 – 414.5 : toO owm tqiw0 diastatoO, tout´stim toO !po¸ou
s¾lator, Ø s_l² 1stim, lµ letab²kkomtor, !kkû C jah¹ pepo¸ytai C jat± l´cehor C
30 slijqºtgta p²sgr syl²tym letabok/r cimol´mgr, t¸r 5ti ke¸petai !m²cjg, diû Hr %m tir
31 sukkoc¸saito t¹ ja· t` tqiw0 diastat` 6teqºm ti rpoje ?shai !s¾latom ja· lµ aqt¹ eWmai
32 t¹ pq_tom p²mtym rpoje¸lemom ja· tµm "pk_r vkgm, ¢r ja· to ?r Styijo ?r jak_r 5donem.
33 « Si donc le tridimensionnel, cest--dire le corps sans qualit, en tant quil est corps, ne
34 change pas, et que tout changement des corps se produit soit selon les qualits quil
reÅoit soit selon la grandeur et la petitesse, quelle ncessit y a-t-il, au demeurant, pour
35 infrer quune autre ralit, incorporelle, est sous-jacente au <corps> tridimensionnel ?
36 <Nest-il pas plus logique de penser> que cest le corps tridimensionnel lui-mÞme qui
37 est le premier substrat de toutes choses et la matire absolue, comme lont pens avec
38 raison les Stociens ? »
39 104 In De caelo, 135.26 – 136.2 : 9peidµ d³ dusweqa¸mym va¸metai pq¹r tµm !s¾latom vkgm ja·
!podedeiw´mai vgs·m 1m t` 2mdej²t\ kºc\ t_m 1k´cwym t_m pq¹r t± Pqºjkou, fti
40 !d¼matºm 1sti tµm luheuol´mgm !s¾latom ja· !me¸deom vkgm eWmai, !kkû eQr 5swatom t¹
41 tqiw/ diastat¹m !mak¼etai t± s¾lata, to ?r l³m 1je ? jejolpasl´moir aqt` oute 1m´tuwom
42 oute Bd´yr #m 1mt¼woili pkat´si vkgm²voir, bpºte ja· mOm oqj oWda fpyr t± Peq· oqqamoO
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 131
1 Les arguments tant donc dvelopps, de lun comme de lautre c t, de cette
2 manire, il est vident que le substrat des formes ne doit pas Þtre lui-mÞme une
forme. Cest pourquoi, si le corps est une forme, le substrat nest pas un corps.
3
Dautre part, que la matire doive Þtre ce qui existe en commun dans toutes les
4 ralits naturelles et sensibles en tant que telles, cela aussi, je crois, est trs vident.
5 Or, ce qui leur est commun, cest le fait de stendre en volume et en distanciation.
6 Cest pourquoi « la science de la nature », comme le dit Aristote, « traite des corps
7 et des grandeurs, ainsi que de leurs affections ». Peut-Þtre donc faut-il poser que le
corps se dit en deux sens : dune part, en tant quil subsiste comme forme et
8
dfinition rationnelle et quil est dtermin par les trois dimensions, dautre part,
9 en tant quil est relchement, extension et indtermination hors de la nature
10 incorporelle, indivisible et intelligible ; ce corps nest pas dtermin formellement
11 par les trois dimensions, mais il est totalement relch et dissout, et il scoule
12 compltement de lÞtre en direction du non-Þtre. Peut-Þtre faut-il poser que la
13
matire est une distanciation telle que nous venons de la dcrire, et non la forme
corporelle qui a dj mesur et dtermin lillimitation et lindtermination de
14 cette distanciation, et qui a arrÞt sa fuite loin de lÞtre. Car il faut observer que
15 cest ce en quoi diffrent les ralits matrielles des ralits immatrielles que doit
16 Þtre la matire. Or, les ralits matrielles diffrent <des ralits immatrielles>
17 par leur volume, leur distanciation, leur morcellement et les autres caractres de ce
18
type, non pas ceux qui sont dtermins selon les mesures, mais ceux qui sont sans
mesure, indtermins et qui sont virtuellement dtermins par les mesures
19 formelles.
20
21 Simplicius sapplique en effet dpasser la confrontation des deux thses
22 opposes – celle des Stociens, peut-on dire, et celle de Plotin : dune part, Plotin
23 a bien montr quil est impossible que la matire soit un corps, car dans ce cas
24 elle sera dj une forme ; dautre part, les Stociens ont bien vu que ce qui est
25 commun toutes les ralits engages dans la matire, cest le volume, la
26 distanciation et le morcellement, autrement dit les proprits qui appartiennent
27 essentiellement au corps.107 On arrive ainsi une antinomie (la matire est la
28
29 eWmai wqµ tµm vkgm, ja· toOto oWlai t_m pqodgkot²tym 1st¸. joim¹m d³ p÷si t¹ eQr ecjom
1jte¸meshai ja· di²stasim. di¹ «B peq· v¼seyr 1pist¶lg, ¦r vgsim )qistot´kgr, peq¸ te
30 s¾lata ja· lec´hg ja· t± to¼tym 1st· p²hg». l¶pote owm ditt¹m het´om t¹ s_la t¹ l³m ¢r
31 jat± eWdor ja· jat± kºcom rvest½r ja· tqis·m ¢qisl´mom diast²sesi, t¹ d³ ¢r p²qesim ja·
32 5jtasim ja· !oqist¸am t/r !syl²tou ja· !leq¸stou ja· mogt/r v¼seyr, oq tqis· toOto
33 diast²sesim eQdgtij_r ¢qisl´mom, !kk± p²mt, paqeil´mom te ja· 1jkekul´mom ja· pam-
34 tawºhem !p¹ toO emtor !poqq´om eQr t¹ lµ em. ja· tµm toia¼tgm Usyr di²stasim tµm vkgm
het´om. !kkû oqw· t¹ sylatij¹m eWdor t¹ letq/sam Edg ja· bq¸sam t¹ %peiqom ja· !ºqistom
35 t/r toia¼tgr diast²seyr ja· st/sam !pove¼cousam aqtµm !p¹ toO emtor. 1pist/sai c±q
36 %niom, fti è diav´qei t± 5muka t_m !¼kym, toOto eWmai pqos¶jei tµm vkgm. diav´qei d³
37 ecj\ ja· diast²sei ja· leqisl` ja· to ?r toio¼toir, oq to ?r jat± l´tqa ¢qisl´moir, !kk±
38 to ?r !l´tqoir ja· !oq¸stoir ja· bq¸feshai dumal´moir rp¹ t_m eQdgtij_m l´tqym.
39 107 Le vocabulaire, de mÞme que le raisonnement, fait en effet cho Proclus ; cf. In
Euclidem, 49.27 – 50.2 : 5jtasir c±q ja· ecjor ja· fkyr di²stasir to ?r kºcoir di± tµm
40 rkijµm rpodowµm paqac¸metai, t± l³m !l´qista leqist_r, t± d³ !di²stata diastat_r, t±
41 d³ !j¸mgta jimoul´myr dewol´mgm. « En effet lextension, le volume et, en gnral, la
42 distanciation adviennent aux raisons cause du rceptacle matriel, qui reÅoit les
134 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 Cette connaissance de la matire par analogie, <dont parle Aristote>, Platon la
2 appele « raisonnement btard », parce quelle se produit non pas par lappui dune
3
forme mais par un dnuement et une ngation des formes, et cest comme en
clignant les yeux que la raison voit la matire. Lintellection sur la matire nest pas
4
une intellection mais plut t une absence dintellection. Cest pourquoi sa repr-
5 sentation <dans notre me> nest pas lgitime mais btarde. En effet, de mÞme
6 que nous ne connaissons pas ce qui transcende la Forme premire en vertu dun
7 appui formel, mais quen apprenant par la nature mÞme des Formes, qui est
8 distingue et doit avoir avant elle lUni et lUn, que les Formes ne sont pas
premires, nous arrivons connatre ce qui les transcende par la ngation des
9
Formes – cette opration ngative ne nous jetant pas dans lindtermination
10 absolue mais dans la cause des Formes et dans ce qui est install au-dessus de la
11 limite formelle –, de mÞme, en voyant que les formes dernires sont des images qui
12 se transmuent lune en lautre et que, pour cette raison, elles ont besoin dun
13 substrat qui, tant diffrent, puisse par sa nature recevoir les contraires, nous
14
arrivons saisir la matire par la ngation des formes <sensibles>, qui nous amne
prcisment ce qui les reÅoit. Si en effet, en recherchant la matire, nous
15
supposons quelle est un « quelque chose » qui est diffrent des autres Þtres de
16 manire dtermine, nous sommes tombs sur quelque chose dautre et non pas sur
17 la matire. Car la matire ne possde aucune diffrence relative quelque chose,
18 puisque toute diffrence est une qualit formelle. Par consquent, la connaissance
19 de la matire est plut t ignorance, puisque les ralits qui se transmuent autour
delle, tant les ultimes des formes, admettent la connaissance ultime, savoir la
20
connaissance sensitive.
21
22 Ntant pas un « quelque chose », la matire se voit situe la fois en deÅ de
23 toute existence et de toute connaissance formelles. En finissant la digression,
24 Simplicius soppose ceux qui voient dans la matire la « pire des formes » ou,
25 encore, l « cho de lUn tout premier »110 :
26
Quant ceux qui veulent comprendre la matire, du point de vue de lÞtre, comme
27 la pire des formes ou, du point de vue de lun, comme lcho de lUn tout premier,
28 je ne sais comment ils y russissent. En effet, lorsque lUn et ltre sont envisags
29 comme ntant rien dautre quun et Þtre, ils sont au sens propre et titre premier
30 ce quils se disent prcisment Þtre. Or, la matire est la chose ultime, et ayant
dchu de ltre et, bien plus, de lUn, elle a subsist dans sa diffrenciation et sa
31
dviation par rapport ltre, parce quen raison de la puissance fertile de ltre, il
32 fallait que subsiste encore ce en quoi ltre se reflte.
33
34 Si en effet la matire est le « reflet » qui subsiste en vertu de « la puissance
35 fertile » de ltre, elle ne relve pas immdiatement de lUn et, de ce fait, elle
36 1j hat´qou oqj !kghoOr ja· let± toO 2t´qou kºcou sucje¸lemom. Ja· t²wa eQr toOto
37 bk´pym b Pk²tym «mºh\ kocisl`» eWpe kgptµm eWmai.
38 110 In Phys., 232.30 – 233.2 : nsoi d³ jat± t¹ cm t¹ we ?qom t_m eQd_m C jat± t¹ 4m t¹ toO
39 pqyt¸stou 2m¹r !p¶wgla tµm vkgm moe ?m !nioOsim, oqj oWda fpyr jatoqhoOsi. t¹ l³m c±q
4m ja· t¹ cm ftam lgd³m %kko C 4m ja· cm heyq_mtai, juq¸yr 1st·m fpeq k´comtai ja·
40 pq¾tyr· B d³ vkg t¹ 5swatºm 1sti ja· toO emtor 1jba ?mom ja· pokk` l÷kkom toO 2m¹r ja·
41 1m t0 paqakk²nei ja· paqejtqop0 t0 pq¹r t¹ cm rv´stgjem, 1peidµ di± tµm cºmilom toO
42 emtor d¼malim 5dei ja· tµm 5lvasim toO emtor rpost/mai.
136 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 nen est pas l « cho ».111 Elle se trouve tout de mÞme en relation avec ltre,
2 puisquelle subsiste sous un mode de « diffrenciation » (paq²kkanir) ou de
3 « dviation » (paqejtqop¶) par rapport lui. Que faut-il comprendre par ces
4 deux termes composs partir de la prposition « paq² » ( c t de) ? Pour le
5 dire la manire de Proclus,112 la matire nappartient pas la srie numrique
6 dont la monade souveraine est ltre premier et dont elle-mÞme, suite une
7 « 1jtqop^ » processionnelle, serait le dernier degr, autrement dit la « pire des
8 formes ». En effet, elle est « c t de la srie » ou « hors srie » (paq-²kkanir,
9 paq-ejtqop¶), et toute tentative pour la dcrire et la connatre doit partir de ce
10 statut particulier.113
11
12 5.3.1.4 Lappui de la tradition : Porphyre et Modratus
13
Simplicius fait remonter la doctrine de la matire comme distanciation
14
indtermine aux Pythagoriciens et Platon, en raisonnant partir dune
15
assimilation de la notion (no)pythagoricienne du « posºm » la « w~qa »
16
platonicienne, traditionnellement conÅue comme identique la matire. Pour ce
17
faire, il sappuie sur Porphyre, qui dans son trait Sur la matire voquait ce
18
propos le tmoignage du (no)pythagoricien Modratus114 :
19
20
21 111 Comme son matre Damascius semble lavoir pens ; cf. In Parm., I, 72.4 – 6 (Trad. J.
22 Combs) : « La matire nest rien, mais non pas comme le nant absolu, ni comme
23 indicible, mais comme tout dernier cho de labsolument premier (5swatom !p¶wgla toO
24 pqyt¸stou) » ; Des premiers principes, I, 38.12 – 14 (Trad. J. Combs) : « …de mÞme qu
loppos la matire est le dernier cho du sans besoin (toO !memdeoOr 5swatom !p¶wgla),
25 en vertu de cela mÞme quelle est, savoir lun le plus affaibli (4m !ludqºtatom) ». On
26 remarquera la prudence avec laquelle Simplicius avance son objection (« …je ne sais
27 comment ils y russissent »), pensant vraisemblablement son matre.
28 112 Cf. la proposition 21 des lments de Thologie : P÷sa t²nir !p¹ lom²dor !qwol´mg
29 pqºeisim eQr pk/hor t0 lom²di s¼stoiwom, ja· p²sgr t²neyr t¹ pk/hor eQr l¸am !m²cetai
lom²da. « Toute classe qui commence par une monade procde vers une pluralit
30 coordonne la monade, et la pluralit de toute classe remonte une monade. »
31 113 En tudiant un autre mot ayant la prposition « paq² » comme premier composant, A.
32 C. Lloyd, « Parhypostasis in Proclus », dans G. Boss-G. Seel (ds), Proclus et son
33 influence, Zrich, 1987, p. 156, prcise que parhypostasis, qui est employ par Proclus
34 notamment propos des maux, signifie « existence which is dependent on the existence
of that to which it is opposed ». De ce point de vue, on peut galement dire que la
35 matire est une parhypostasis en ce sens que son existence dpend de (la puissance
36 fertile de) ltre, auquel elle soppose par sa nature « distancie ».
37 114 In Phys., 230.34 – 231.20 : Ta¼tgm d³ peq· t/r vkgr tµm rpºmoiam 1o¸jasim 1swgj´mai
38 pq_toi l³m t_m :kk¶mym oR Puhacºqeioi, let± d 1je¸mour b Pk²tym, ¢r ja· Lod´qator
39 Rstoqe ?· oxtor c±q jat± to»r Puhacoqe¸our t¹ l³m pq_tom 4m rp³q t¹ eWmai ja· p÷sam
oqs¸am !pova¸metai, t¹ d³ de¼teqom 6m, fpeq 1st· t¹ emtyr cm ja· mogt|m, t± eUdg vgs·m
40 eWmai, t¹ d³ tq¸tom, fpeq 1st· t¹ xuwijºm, let´weim toO 2m¹r ja· t_m eQd_m, tµm d³ !p¹
41 to¼tou tekeuta¸am v¼sim tµm t_m aQshgt_m owsam lgd³ let´weim, !kk± jat 5lvasim
42 1je¸mym jejosl/shai, t/r 1m aqto ?r vkgr toO lµ emtor pq¾tyr 1m t` pos` emtor ousgr
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 137
1 Une telle conception propos de la matire, il semble bien que les premiers la
2 professer, parmi les Grecs, ce furent les Pythagoriciens, et aprs eux Platon, ainsi
3 que le raconte Modratus lui aussi : « En effet, cest en se conformant la doctrine
des Pythagoriciens que <Platon> affirme que le premier Un est au-dessus de lÞtre
4
et de toute essence, tandis quil dit que le deuxime Un, qui est prcisment lÞtre
5 qui est rellement, cest--dire lIntelligible, est identique aux Formes, et que le
6 troisime <Un>, qui concide avec la ralit psychique, participe de lUn et des
7 Formes, et que la nature ultime, qui drive de celui-ci et qui est la nature des
8 ralits sensibles, ne participe pas <de lUn et des Formes> mais est mise en ordre
selon un reflet de ceux-l, parce que la matire qui est dans les sensibles est une
9
ombre du non-Þtre qui existe titre premier dans le quantifi et que, plus encore,
10
elle a mÞme dchu de celui-l ». Et citant ces paroles de Modratus dans le
11 deuxime livre de son trait Sur la matire, Porphyre poursuit : « La Raison
12 unitaire ayant voulu, comme le dit Platon quelque part, produire partir delle-
13 mÞme la gnration des Þtres, fit une place la quantit par une privation delle-
14 mÞme, en la privant de tous ses principes rationnels et de toutes ses formes. Et elle
a appel cela quantit sans forme, indivisible et sans figure, mais qui reÅoit forme,
15
figure, division, qualit et toute dtermination de ce type. Il semble que ce soit
16 propos de cette quantit-l, poursuit <Porphyre>, que Platon a prdiqu le plus de
17 dnominations, lorsquil dit par exemple
rceptacle universel qui est sans forme,
18
invisible,
pouvant trs difficilement participer de lintelligible,
Þtre peine saisie
19 par un raisonnement btard et toute autre qualification semblable celles-
20 ci. Cette quantit-l, poursuit-il, cest--dire cette forme qui est conÅue selon la
privation de la Raison unitaire qui enveloppe en elle-mÞme tous les principes
21
rationnels des Þtres, est le modle de la matire des corps, dont <Modratus>
22 disait quelle est appele, elle aussi,
quantifi tant par les Pythagoriciens que par
23
24 sj¸asla ja· 5ti l÷kkom rpobebgju¸ar ja· !p¹ to¼tou. ja· taOta d³ b Poqv¼qior 1m t`
deut´q\ Peq· vkgr t± toO Lodeq²tou paqatih´lemor, c´cqavem fti «boukghe·r b 2mia ?or
25 kºcor, ¦r po¼ vgsim b Pk²tym, tµm c´mesim !v 2autoO t_m emtym sust¶sashai, jat±
26 st´qgsim artoO 1w¾qgse tµm posºtgta p²mtym aqtµm steq¶sar t_m artoO kºcym ja·
27 eQd_m. toOto d³ posºtgta 1j²kesem %loqvom ja· !dia¸qetom ja· !swgl²tistom, 1pidewo-
28 l´mgm l´mtoi loqvµm sw/la dia¸qesim poiºtgta p÷m t¹ toioOtom. 1p· ta¼tgr 5oije», vgs¸,
29 «t/r posºtgtor b Pk²tym t± pke¸y amºlata jatgcoq/sai,
pamdew/ ja· !me¸deom k´cym
ja·
!ºqatom ja·
!poq¾tata toO mogtoO leteikgv´mai aqtµm ja·
kocisl` mºh\ lºkir
30 kgpt¶m ja· p÷m t¹ to¼toir 1lveq´r. avtg d³ B posºtgr», vgs¸, «ja· toOto t¹ eWdor t¹ jat±
31 st´qgsim toO 2mia¸ou kºcou moo¼lemom toO p²mtar to»r kºcour t_m emtym 1m 2aut`
32 peqieikgvºtor paqade¸clat² 1sti t/r t_m syl²tym vkgr, Dm ja· aqtµm pos¹m ja· to»r
33 Puhacoqe¸our ja· t¹m Pk²tyma jake ?m 5kecem», oq t¹ ¢r eWdor posºm, !kk± t¹ jat±
34 st´qgsim ja· paq²kusim ja· 5jtasim ja· diaspasl¹m ja· di± tµm !p¹ toO emtor
paq²kkanim, di $ ja· jaj¹m doje ? B vkg ¢r t¹ !cah¹m !pove¼cousa ja· jatakalb²metai
35 rpû aqtoO ja· 1nekhe ?m t_m fqym oq sucwyqe ?tai, t/r l³m 1jt²seyr t¹m toO eQdgtijoO
36 lec´hour kºcom 1pidewol´mgr ja· to¼t\ bqifol´mgr, toO d³ diaspasloO t0 !qihlgtij0
37 diajq¸sei eQdopoioul´mou. Depuis que E. R. Dodds, « The Parmenides of Plato and the
38 Origin of the Neoplatonic One », The Classical Quarterly 22 (1928), p. 129 – 142, y a
39 attir lattention, linterprtation de ce texte de Simplicius, qui dpend pour lessentiel
du dcoupage que lon en fait, est vivement discute par les savants. Nous proposons de
40 notre part un nouveau dcoupage du texte (et, par consquent, une nouvelle
41 interprtation) dont les fondements sont exposs dans une publication paratre,
42 organise de manire zttique avec Philippe Hoffmann.
138 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 Platon »,
quantifi entendu non pas comme forme mais comme privation,
2 dissolution, extension et dispersion, qui sont produites cause de la diffrenciation
par rapport lÞtre.
3
4 Parlant de la « raison unitaire qui a voulu, comme le dit Platon quelque part,
5 produire partir delle-mÞme la gnration des Þtres », Porphyre pense au
6 « sumist±r he|r » du Time, 29d 7 – 30a 6, comme lont fait remarquer Saffrey et
7 Westerink.115 Mais l o
Platon ne parle que de la cration du monde par le
8 Dmiurge, Porphyre explique au surplus la manire dont la cration a t faite :
9 par une privation de lui-mÞme, dit-il, qui donna ainsi lieu la quantit. Ce
10 faisant, Porphyre ne prtendait pas la nouveaut : bien avant lui, Modratus
11 disait prcisment que la matire est « posºm ».
12 Simplicius trouve ainsi un tmoignage faisant autorit pour la doctrine sur la
13 matire quil propose. travers Porphyre et Modratus, la matire comme
14 distanciation indtermine est assimile la « quantit », dont faisaient tat
15 Platon et les Pythagoriciens. Cest en vertu de cette distanciation ou quantit
16 indtermine que les ralits matrielles prsentent de manire indiffrencie
17 (cest--dire toutes leurs proprits formelles mises part) ce qui les diffrencie
18 des ralits intelligibles : extension et dispersion. La tradition ancienne lavait
19 dj bien vu, avant que toute opposition se produise.
20 Si les ralits matrielles sont tendues et disperses, cest aussi quelles
21 apparaissent. Or, ce en quoi elles apparaissent cest la matire, dans laquelle se
22 refltent les formes qui leur confrent la dtermination de la grandeur et du
23 nombre. Lanalyse de Simplicius rejoint ainsi la « w¾qa » platonicienne,
24 autrement dit le fond de lapparition des ralits sensibles116 :
25
26 La matire est comme lemplacement des ralits engendres et sensibles, non pas
en tant que forme dtermine mais en tant que condition de leur subsistence, la
27
manire dont ltre rel, indivis, intendu, immatriel etc. est la condition de la
28 subsistence de la nature intelligible. Et toutes les formes sont la fois l-bas et ici-
29 bas, mais l-bas elles sont de manire immatrielle, alors quici-bas elles sont de
30 manire matrielle, ce qui revient dire : l-bas de manire indivise et vraie, ici-bas
31 de manire divise et ombreuse. Cest pourquoi toute forme dici-bas est tendue
selon la distanciation matrielle.
32
33 La « distanciation matrielle » nest pas une tendue corporelle dtermine,
34 comme lont pens les Stociens, Pricls de Lydie et, surtout, Philopon. Pour
35 lexgte noplatonicien, une telle tendue ne peut rendre compte de lappa-
36
37 115 Proclus. Thologie platonicienne, t. II, p. XXXI.
38 116 In Phys., 231.37 – 232.6 : Ja· 5stim oXom w¾qa avtg t_m cemgt_m te ja· aQshgt_m oqj eWdºr
39 ti !vyqisl´mom rp²qwom, !kk rpost²seyr jat²stgla, ¦speq t¹ !leq³r ja· !di²statom
ja· %ukom ja· emtyr cm ja· t± toiaOta jat²stgl² 1sti t/r mogt/r v¼seyr, p²mtym l³m
40 emtym t_m eQd_m ja· 1je ? ja· 1mtaOha, !kk 1je ? l³m !¼kyr, 1mtaOha d³ rkij_r, taqt¹m d³
41 eQpe ?m, 1je ? l³m !leq¸styr ja· !kgh_r, 1mtaOha d³ leqist_r ja· sjioeid_r. di¹ ja·
42 6jastom eWdor 1mtaOha di´stg jat± tµm rkijµm di²stasim.
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 139
1 Mais puisquil parat que ce qui a t dit sur la nature arrive sa fin, il serait bon de
2 reprendre le discours et de rechercher quelle est la nature selon Aristote et quelle
puissance prcisment elle a parmi les Þtres.
3
4 Une pareille tude de la nature deux volets (nom et essence) se retrouve en
5 effet chez Proclus. Avant de conclure le prologue de son Commentaire sur le
6 Time, Proclus se livre une digression relative la nature (I, 9.31 – 12.25), dont
7 voici le prome121 :
8
Mais puisque le nom de « Nature » est pris diversement chez tel ou tel, et que cette
9 diversit cause de la confusion chez ceux qui aiment scruter la pense de Platon,
10 car ils se demandent en quel sens enfin il entend le mot et ce quil veut que soit
11 lessence de la Nature, eh bien allons, traitons dabord de ce point. En effet, comme
12 le dialogue se donne pour programme la considration de la Nature, il doit y avoir
convenance savoir ce quelle est, do
elle sort, jusquo
elle fait stendre ses
13
productions.
14
15 Dans le cadre de lexplication du dialogue le plus « physique » de Platon,
16 savoir le Time, Proclus entreprend de clarifier pralablement la notion de
17 nature par une tude de son nom et de son essence. En se proposant la mÞme
18 chose dans le cadre de lexgse dun trait par excellence physique, Simplicius
19 sinspire nouveau de lui.122
20
21
22
23
24
25
26 119 Bien que Simplicius nemploie pas directement la terminologie consacre, il articule sa
27 digression selon la squence « dfinition du nom et du concept correspondant (amola-
28 t~dgr, 1mmoglatij¹r k|cor) ! dfinition de lessence (oqsi~dgr k|cor) », la premire
29 ouvrant la voie pour une meilleure saisie de la deuxime. La mthode se fonde sur un
raisonnement dordre pdagogique. Lire sur ce sujet P. Kotzia-Panteli, « EMMOGLA-
30 TIJOS und O£SIYDGS KOCOS als exegetisches Begriffspaar », Philologus 144 (2000),
31 p. 45 – 61. Dans le cas de la « nature », ltude la fois du nom et du concept est dautant
32 plus indispensable que le nom admet plusieurs significations.
33 120 In Phys., 285.30 – 32 : )kk 1peidµ t± peq· t/r v¼seyr eQqgl´ma t´kor 5weim doje ?, jak_r
34 #m 5woi t¹m kºcom !makabe ?m ja· fgt/sai, t¸r B jat± t¹m )qistot´kgm v¼sir ja· t¸ma
5wousa d¼malim 1m to ?r owsi.
35 121 In Tim., I, 9.31 – 10.5 (Trad. A.–J. Festugire) : !kk 1pe· t¹ t/r v¼seyr emola paq %kkoir
36 %kkyr veqºlemom taq²ttei to»r t/r Pk²tymor diamo¸ar vikohe²lomar p0 pote aqt` doje ?,
37 ja· t¸ma bo¼ketai tµm oqs¸am eWmai t/r v¼seyr, v´qe peq· to¼tou pq_tom di´khylem·
38 pq´poi c±q %m pou ja· t` diakºc\ t¹ sj´lla vusijµm 5womti tµm heyq¸am eQd´mai, t¸r B
39 v¼sir ja· pºhem pqºeisi ja· l´wqi t¸mor diate¸mei t±r 2aut/r poi¶seir.
122 Simplicius sadonne pourtant une dmarche plus tendue et plus labore que Proclus.
40 Ltude du nom de nature ne stale dans le Commentaire sur le Time que sur une
41 dizaine de lignes (I, 10.6 – 13) et, comme le fait remarquer A.–J. Festugire, elle a un
42 caractre plut t doxographique qui veut simplement introduire la doctrine de Platon.
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 141
1 Nanmoins, Aristote na pas jug bon dappeler « nature » ni la matire en soi (en
2 effet, la matire en elle-mÞme est un substrat inerte) ni la forme (en effet, celle-ci
est naturelle et non pas nature), mais il a appel « nature » la disposition de la
3
matire se mouvoir et changer de la manire qui lui est propre, chaque fois
4 quelle change de telle forme telle autre. Car aussi bien le rejet que la rception
5 de la forme adviennent la matire selon la disposition naturelle. […] tant la
6 disposition <de la matire> la subsistence de la forme, la nature prexiste en
7 quelque sorte la forme en tant en puissance dans la matire, et elle reprsente
pralablement en elle-mÞme la forme en tant sa nature et sa pousse et son
8
panouissement partir de la matire.
9
10 On retrouve dans ce passage toutes les cinq significations de la « nature »,
11 rattaches maintenant lune lautre travers la notion de disposition : la
12 nature, cause productrice des ralits naturelles (5me signification), est la
13 disposition de la matire (1re signification) la rception de la forme (2me
14 signification), au long de lpanouissement (4me signification) de lunit de
15 matire et de forme (3me signification). Lensemble de la rflexion philosophi-
16 que sur la nature se voit ainsi ordonne la reconnaissance du mÞme concept,
17 savoir celui qui identifie la nature avec ce qui procure la matire la puissance
18 de recevoir la forme. la fin de la digression, Simplicius en sait encore
19 tacitement gr ses prdcesseurs immdiats142 :
20 Cest pourquoi ceux qui disent que la nature est la vie ultime, disent bien. En effet,
21 de la mÞme faÅon que cette sorte dbullition qui procde de lÞtre premier pour
22 aboutir la distinction de lhypostase eidtique, et la sortie depuis lÞtre en
23 direction de lagir sont la puissance premire et la vie premire qui subsiste selon le
premier mouvement de lÞtre, de la mÞme faÅon la pousse de la forme engage
24
dans la matire partir de la matire et le mouvement vers elle, considr selon
25 len puissance de la forme, sont la puissance ultime et la vie ultime. Pour cette
26 raison, lÞtre, qui est en haut, est au-dessus de la vie, et la matire, qui est en bas, est
27 aprs la nature, puisque les causes suprieures ont davantage dextension que les
28 causes infrieures. Et tant la vie de la forme, la nature nest pas seulement la
pousse delle mais aussi, une fois que la forme est engendre, la cohsion et la
29
surrection de la forme pour faire et subir tout ce quoi elle est naturellement apte.
30
31
32
33
34 dum²lei owsa 1m t0 vk,, pqo{pova¸mei d³ 1m 2aut0 t¹ eWdor v¼sir owsa aqtoO ja· oXom
5jvusir ja· !mabk²stgsir !p¹ t/r vkgr.
35 142 In Phys., 289.25 – 35 : Di¹ ja· oR fyµm 1sw²tgm k´comter tµm v¼sim jak_r k´cousim. ¢r c±q
36 B !p¹ toO pq¾tou emtor oXom !m²fesir eQr di²jqisim t/r eQdgtij/r rpost²seyr ja· B !p¹
37 toO eWmai eQr t¹ 1meqce ?m 5jstasir B pq¾tg 1st· d¼malir ja· B pq¾tg fyµ jat± tµm pq¾tgm
38 toO emtor j¸mgsim rpost÷sa, ovtyr B !p¹ t/r vkgr toO 1m¼kou eUdour 5jvusir ja· B 1pû
39 aqt¹ j¸mgsir jat± t¹ dum²lei toO eUdour heyqoul´mg B 1sw²tg d¼mal¸r 1sti ja· B 1sw²tg
fy¶. ja· di± toOto %my l³m t¹ cm rp³q tµm fy¶m 1sti, j²ty d³ B vkg let± tµm v¼sim, fti t±
40 rp´qteqa aUtia 1p· pk´om vh²mei t_m jatadeest´qym. fyµ d³ owsa toO eUdour B v¼sir oq
41 lºmom 5jvus¸r 1stim aqtoO, !kk± ja· cemol´mou Edg sumowµ ja· diam²stasir pq¹r t¹
42 poie ?m ja· p²sweim $ p´vuje.
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 147
1 Ceux qui disent que la nature est la vie ultime sont en effet Proclus et
2 Damascius.143 Partant deux, Simplicius parvient expliciter ce quest la « vie
3 ultime », en lattachant clairement la matire et la providence de ltre.
4 Dans cet immense processus de la manifestation intelligible aussi bien que
5 sensible, auquel aspire la philosophie noplatonicienne de lUn et de ltre,144 la
6 nature se voit assigner par Simplicius le r le du dernier ressort de la Vie, dans un
7 ultime niveau de constitution, auquel lme ne peut pas intervenir. La nature est
8 la « vie » de la forme matrielle, qui non seulement la fait apparatre mais aussi
9 la maintient, de sorte quelle puisse faire et subir tout ce qui lui appartient par
10 nature. Elle assure ainsi aux corps, mÞme ceux qui ont entirement sombr
11 dans la matire, une forme eux et, par l, une existence qui leur soit propre.
12
13 5.3.2.4 Corollaire : Philopon, In Phys., 197.30 – 198.8
14
15 en juger par la digression de Simplicius, lanalyse et la dfinition de la nature
16 par Aristote laissaient dsirer. Le mÞme point de vue est partag par Philopon,
17 qui dans la thria de Phys., II 1, 192b 8 – 193a 9, fait la remarque suivante145 :
18 Telle est donc la dfinition de la nature. Il faut pourtant savoir que cette dfinition
19 nest pas significative de ce quest la nature, mais de lactivit de la nature ; car
20 nous navons pas appris ce quest la nature en apprenant quelle est principe de
21 mouvement et de repos, mais ce quelle fait. Afin donc de donner la dfinition de
22
23 143 Cf. Proclus, In Remp., II, 311.10 – 13 (Trad. A.–J. Festugire lgrement modifie) :
24 « Que la nature est la vie ultime du corps (s¾lator 1sw²tg fy¶), cest manifeste ; cest
en elle donc, issue du Tout, que lme pntre, et elle nentre pas dans un vivant – car
25 cest elle-mÞme qui en fait un vivant – mais dans un corps naturel » ; Damascius, In
26 Parm., III, 50.23 – 25 : « Le corps est donc la forme ultime, et la nature la vie ultime qui
27 est attache au corps (ja· 1sw²tg fyµ B v¼sir B sumoOsa t` s¾lati), et lÞtre ultime
28 cest celui qui est cach dans le corps » ; III, 52.10 – 16 (Trad. J. Combs lgrement
29 modifie) : « Que lon ne stonne donc pas que la nature soit la vie ultime (eQ B v¼sir
1sw²tg 1st· fy¶), et cela en tant suspendue la vivification intellective, et que lon ne
30 cherche pas non plus une trace de vie en deÅ de la nature, procdant partir de lau-
31 del de la totalit de la vie intellective ». Simplicius dveloppe la mÞme ide, en
32 simplifiant un peu et en utilisant un vocabulaire moins mtaphysique.
33 144 Lire P. Hadot, « Lapport du noplatonisme la philosophie de la nature en occident »,
34 Eranos 37 (1968), p. 91 – 132, en particulier p. 118 – 128.
145 In Phys, 197.30 – 198.8 : j l³m owm fqor t/r v¼seyr oxtor. 1pist²seyr d³ %niom, fti oxtor
35 b bqisl¹r oqj 5sti toO t¸ 1stim B v¼sir sglamtijºr, !kk± t/r 1meqce¸ar t/r v¼seyr7 oq
36 c±q t¸ 1stim B v¼sir 1l²holem di± toO lahe ?m fti !qw¶ 1sti jim¶seyr ja· Aqel¸ar, !kk± t¸
37 poie ?. Vma owm ja· t/r oqs¸ar aqt/r t¹m bqisl¹m !pod_lem, kejt´om ovtyr, fti 1st·m B
38 v¼sir fyµ Etoi d¼malir jatadeduju ?a di± t_m syl²tym, diapkastijµ aqt_m ja· dioijg-
39 tij¶, !qwµ jim¶seyr owsa ja· Aqel¸ar 1m è rp²qwei pq¾tyr jah4 art¹ ja· oq jat±
sulbebgjºr. fti d³ oq lºmom t_m 1lx¼wym 1st· dioijgtijµ B v¼sir, !kk± ja· t_m !x¼wym,
40 d/kom (5wei c±q 6jastom d¼malim vusijµm sumejtijµm toO eWmai7 5vhaqto c±q #m ja· eQr t¹
41 lµ cm let´stg lgdem¹r emtor toO sum´womtor), !kk± d/kom fti ¦speq t¹ eWdor 1m to ?r
42 1lx¼woir tqam´steqom, ovty ja· B t/r v¼seyr pqºmoia.
148 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 son essence, il faut dire de la manire suivante : la nature est une vie ou une
2 puissance qui plonge dans les corps, les faÅonne et les gouverne, principe de
mouvement et de repos pour ce dans quoi elle existe immdiatement par soi et non
3
par accident. Que la nature ne gouverne pas seulement les ralits animes mais
4 aussi les ralits inanimes, cest vident (en effet, chaque ralit inanime possde
5 une puissance naturelle qui maintient son Þtre ; sil ny avait rien qui puisse la
6 maintenir, elle prirait et passerait au non-Þtre). Mais il est aussi clair que, de
7 mÞme que la forme est plus manifeste dans les ralits animes, de mÞme la
providence de la nature est plus manifeste sur elles.
8
9 Ce passage du Commentaire sur la Physique de Philopon a fait lobjet de deux
10 tudes qui ont essay de tirer au clair, entre autres, son caractre stocien.146 Ce
11 faisant, les auteurs ont omis de remarquer la parent quil y a entre ce bref
12 dveloppement de Philopon et lanalyse fournie par Simplicius dans sa
13 digression, tous les deux identifiant la nature une sorte de vie et de puissance.
14 Nous tcherons donc, pour notre part, dexpliquer cette parent en reprant la
15 source commune des deux commentateurs. Celle-ci est en effet la digression sur
16 la nature annexe par Proclus aux prolgomnes de son Commentaire sur le
17 Time. 147
18 En prcisant que la dfinition aristotlicienne de la nature nous apprend ce
19 que la nature fait et non ce que la nature est, et cherchant par la suite dfinir
20 lessence de la nature, Philopon se livre en effet une dmarche pareille celles
21 de Simplicius et de Proclus. Simplicius, on la vu tout lheure, consacre la
22 deuxime partie de sa digression la dcouverte de lessence de la nature selon
23 Aristote, et Proclus se propose de faire une digression pour expliciter « ce que
24 Platon veut que soit lessence de la Nature ». La dfinition de lessence de la
25 nature par Philopon (celle de lacte ayant t dj formule par Aristote)
26 provient en effet de Proclus, ainsi que cela apparat grce au tableau suivant :
27
28 Philopon, In Phys., 197.34 – 198.4 : 1st·m B Proclus, In Tim., I, 10.25 – 11.23 : B l³m c±q
29 v¼sir fyµ Etoi d¼malir jatadeduju?a di± v¼sir t_m syl²tym 1st¸, d¼mousa jatû
30 t_m syl²tym, diapkastijµ aqt_m ja· aqt_m ja· owsa !w¾qistor !pû
31 dioijgtij¶, !qwµ jim¶seyr owsa ja· aqt_m. […] B to¸mum v¼sir 1sw²tg l´m 1sti
Aqel¸ar 1m è rp²qwei pq¾tyr jah4 art¹ ja· t_m t¹ sylatoeid³r toOto ja· aQshgt¹m
32
oq jat± sulbebgjºr. fti d³ oq lºmom t_m dgliouqco¼mtym aQt¸ym […], podgcetoOsa
33 1lx¼wym 1st· dioijgtijµ B v¼sir, !kk± ja· d³ t¹m fkom jºslom ta ?r 2aut/r dum²lesi
34 t_m !x¼wym, d/kom (5wei c±q 6jastom ja· t¹m l³m oqqam¹m t0 2aut/r !jqºtgti
35
36 146 Cf. J. E. McGuire, « Philoponus on Physics ii 1 : v¼sir, d¼malir, and the Motion of the
37 Simple Bodies », Ancient Philosophy 5 (1985), p. 241 – 267 ; E. M. Macierowski-R. F.
38 Hassing, « John Philoponus on Aristotles Definition of Nature », Ancient Philosophy 8
39 (1988), p. 73 – 100.
147 E. M. Macierowski-R. F. Hassing, art. cit., p. 83, citent quelques passages du
40 Commentaire sur le Time, quils considrent prcisment comme relatifs la dfinition
41 philoponienne de la nature ; mais tonnamment, ils passent sous silence la digression de
42 Proclus sur la nature.
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 149
1 d¼malim vusijµm sumejtijµm toO eWmai7 sum´wousa, tµm d³ c´mesim di± toO oqqamoO
2 5vhaqto c±q #m ja· eQr t¹ lµ cm let´stg jubeqm_sa, pamtawoO d³ t± leqij±
3 lgdem¹r emtor toO sum´womtor), !kk± sumuva¸mousa to ?r fkoir. toia¼tg d³ owsa
d/kom fti ¦speq t¹ eWdor 1m to ?r 1lx¼woir pqoek¶kuhem !p¹ t/r f\ocºmou he÷r […],
4
tqam´steqom, ovty ja· B t/r v¼seyr !vû Hr p÷sa fyµ pqºeisim, F te moeq± ja· B
5 pqºmoia. !w¾qistor t_m dioijoul´mym.
6
7 La formulation de Philopon est certes dnue de lallure thologique du
8 dveloppement de Proclus, qui fait mÞme intervenir dans son texte trois vers des
9 Oracles chalda
ques. Il nen reste pourtant pas moins que lide de nature
10 comme vie ou puissance qui plonge dans les corps et, ensuite, les gouverne et les
11 maintient (sum´wousa), est emprunte la digression de Proclus. Simplicius
12 exprime en effet la mÞme ide, lorsquil dit que « tant la vie de la forme, la
13 nature nest pas seulement la pousse delle mais aussi, une fois que la forme est
14 engendre, la cohsion (sumow^) et la surrection de la forme pour faire et subir
15 tout ce quoi elle est naturellement apte ». Dune manire qui, premire vue,
16 parat paradoxale, Philopon et Simplicius saccordent quant la dtermination
17 de lessence de la nature, bien que le second soit plus analytique et, peut-on dire,
18 plus mtaphysique que le premier.148
19 La dfinition « enrichie » de Philopon prsente ainsi une influence plus
20 proclienne que stocienne. Cependant, on nen dduira pas que Philopon a
21 directement puis chez Proclus. Tout dabord, le Commentaire sur le Time de
22 Proclus napparat que tardivement dans les ouvrages de Philopon,149 puis
23 chercher combiner la dfinition aristotlicienne de la nature avec les
24 spculations de Proclus aurait certes peu dintrÞt pour lui. Lexpression « dioi-
25 je ?tai rp¹ v¼seyr » se retrouve en effet dans un passage du Corollaire de
26 Philopon sur le lieu, qui se rapporte explicitement lenseignement dAmmo-
27 nius.150 On pensera donc plus vraisemblablement quen reformulant la dfinition
28 de la nature, Philopon reprenait des notes issues de lenseignement dAmmo-
29 nius, qui fut lve de Proclus. La strate proclienne de ce passage du
30 Commentaire de Philopon explique par ailleurs sa parent avec la digression
31 de Simplicius.
32
33
34
35
36
37
38 148 Philopon parle simplement de « vie » et non pas de « vie ultime », et lide de
39 laccrochage de cette vie la vie tout premire de ltre napparat pas dans son texte.
149 Cf. De aet. mundi contra Proclum, 364.5.
40 150 Philopon, <De loco>, 583.14 – 16 : 5kecem b vikºsovor [scil. b )ll~mior] !pokoco¼lemor,
41 ¢r fti vusij¹r £m b )qistot´kgr peq· to¼tym poie ?tai t¹m kºcom t_m pqacl²tym, fsa ja·
42 5sti ja· dioije ?tai rp¹ v¼seyr.
150 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 A. 601.1 – 24 : Prologue : plan du corollaire suivi dun aperÅu prliminaire sur les
2 diffrentes doctrines du lieu prsentes par mthode de division.
3 B. 601.25 – 611.7 : Examen de la doctrine dAristote.
4 1. 601.25 – 607.24 : Les objections la doctrine dAristote.
5 i) Contre laffirmation dAristote que le ciel nest pas en un lieu (601.25 –
6 604.11).
7 ii) Le dsaccord entre la dfinition aristotlicienne du lieu et les axiomes
8 pralablement poss (604.12 – 607.24).
9 2. 607.25 – 611.7 : La cause du paralogisme observ au sujet du lieu : le concept
10 erron de la limite enveloppante.
11 C. 611.8 – 645.19 : Examen des doctrines aprs Aristote.
12 1. 611.8 – 618.7 : La doctrine de Proclus : le lieu comme corps luminaire.
13 2. 618.-7-624.36 : Une doctrine rpandue : le lieu comme intervalle.
14 3. 624.37 – 645.19 : La doctrine de Damascius : le lieu comme mesure de
15 lextension spatiale.
16
17 5.3.3.3 Les insuffisances de la doctrine aristotlicienne
18 du lieu et lhistoire du problme
19
La dfinition aristotlicienne du lieu comme premire limite immobile de
20
lenveloppant155 a t trs t t mise en cause. Ainsi que le rapporte Simplicius,
21
Thophraste a aussit t formul les apories suivantes156 :
22
23 Il faut savoir que Thophraste, dans sa Physique, adresse au discours dAristote sur
24 le lieu les apories suivantes : (1) le corps sera dans une surface ; (2) le lieu sera en
mouvement ; (3) tout corps ne sera pas en un lieu (car la sphre des fixes ne sera
25
pas en un lieu) ; (4) si les sphres sont rassembles, le ciel tout entier ne sera pas en
26 un lieu ; (5) mÞme si les choses qui sont en un lieu ne se dplacent pas, elles ne
27 seront plus dans <le mÞme> lieu, si ce qui les enveloppe leur est supprim.
28
Bien que brivement rapportes, les apories de Thophraste font le point sur la
29
faiblesse et les antinomies contenues dans lanalyse aristotlicienne du lieu, et
30
doivent avoir nourri par la suite toutes les discussions relatives aux problmes
31
de la nature du lieu.157 Simplicius, en tout cas, les dveloppe presque toutes :
32
33
34
155 Phys., IV 4, 212a 20 – 21 : ¦ste t¹ toO peqi´womtor p´qar !j¸mgtom pq_tom, toOtû 5stim b
35 tºpor.
36 156 <De loco>, 604.5 – 11 (Fr. 146 FHSG) : Yst´om d³ fti ja· b Heºvqastor 1m to ?r Vusijo?r
37 !poqe ? pq¹r t¹m !podoh´mta toO tºpou kºcom rp¹ toO )qistot´kour toiaOta· fti t¹ s_la
38 5stai 1m 1pivame¸ô, fti jimo¼lemor 5stai b tºpor, fti oq p÷m s_la 1m tºp\ (oqd³ c±q B
39 !pkam¶r), fti 1±m sumawh_sim aR sva ?qai, ja· fkor b oqqam¹r oqj 5stai 1m tºp\, fti t± 1m
tºp\ emta lgd³m aqt± letajimgh´mta, 1±m !vaiqeh0 t± peqi´womta aqt², oqj´ti 5stai 1m
40 tºp\.
41 157 Voir R. Sorabji, Matter, Space and Motion, p. 201 (une analyse des apories de
42 Thophraste est fournie aux p. 192 – 201). Lire aussi lanalyse (en partie diffrente de
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 153
1 1. Le corps sera dans une surface (604.12 – 605.5) : Aristote pose pralable-
2 ment au sujet du lieu une srie daxiomes, dont les deux premiers sont les
3 suivants : i) le lieu contient ce dont il est le lieu sans en Þtre une partie ; ii) le
4 lieu est gal ce qui est en lui.158 Le lieu entendu comme limite de lenveloppant
5 et non pas de lenvelopp nest videmment pas une partie du corps quil
6 contient.159 Mais comment peut-il contenir ce dont il est le lieu, tout en lui tant
7 gal ? Le lieu contient effectivement un corps. Or, tout corps est tridimension-
8 nel, alors que le lieu comme limite est une surface et, de ce fait, pourvu de deux
9 dimensions. Comment donc est-il possible quune surface soit gale un solide ?
10 Est-ce vrai que le vÞtement qui mentoure est gal mon corps ? Sil est vrai
11 que le lieu est une surface et quil est gal au corps quil contient, il est vrai aussi
12 que le corps est dans une surface, ce qui est absurde.
13 2. Le lieu sera en mouvement (603.28 – 604.5, 605.26 – 32, 606.36 – 607.9) :
14
Aristote veut que le lieu soit immobile ; sinon, il sera comme un vase.160 Or,
15
dans lunivers, il ny a rien dimmobile qui enveloppe quelque chose. Les corps
16
clestes sont envelopps par le ciel qui se meut circulairement, et les corps du
17
monde sublunaire sont tous envelopps par quelque chose de mobile : si la terre
18
et peut-Þtre leau, en tant que touts, ne se meuvent pas, lair qui les enveloppe se
19
meut. Il en est de mÞme de la masse igne, situe lextrmit du monde
20
sublunaire, qui enveloppe lair : elle aussi, entrane par la rotation de la sphre
21
de la lune, se meut circulairement. Si donc le lieu est une limite enveloppante, il
22
nest pas immobile.
23
3 et 4. La sphre des fixes ne sera pas en un lieu ni le ciel tout entier (601.26 –
24
25
603.22) : Aristote affirme que le ciel (tant dans sa plus haute zone, savoir les
26
fixes, que tout entier, si on le considre comme un) nest pas en un lieu : si le lieu
27 est la limite du corps enveloppant et quil ny ait rien lextrieur du ciel qui
28 puisse lenvelopper, il sensuit que le ciel nest pas en un lieu.161 Mais Aristote
29 affirme encore, en explicitant davantage sa dfinition, que tout ce qui est
30
31 celle de Sorabji) de K. Algra, Concepts of Space in Greek Thought, Leiden/New York/
32 Kçln, 1995, p. 234 – 237.
33 158 Phys., IV 4, 210b 32 – 211a 2 : T¸ d´ potû 1st·m b tºpor, ¨dû #m c´moito vameqºm. k²bylem
34 d³ peq· aqtoO fsa doje ? !kgh_r jahû art¹ rp²qweim aqt`. !nioOlem dµ t¹m tºpom eWmai
pq_tom l³m peqi´wom 1je ?mo ox tºpor 1st¸, ja· lgd³m toO pq²clator, 5ti t¹m pq_tom l¶tû
35 1k²tty l¶te le¸fy.
36 159 Partant de l, Aristote exclut par la suite la forme et la matire comme lieux possibles
37 des corps.
38 160 Cf. Phys., IV 4, 212a 14 – 16 : 5sti dû ¦speq t¹ !cce ?om tºpor letavoqgtºr, ovtyr ja· b
39 tºpor !cce ?om !letaj¸mgtom. Bien que cette phrase ne figure pas parmi les axiomes
pralablement poss par Aristote, elle a t considre comme un axiome par
40 Thophraste et Eudme ; cf. Simplicius, <De loco>, 606.32 – 34 (Fr. 147 FHSG).
41 161 Cf. Phys., IV 5, 212b 8 – 10 : b dû oqqamºr, ¦speq eUqgtai, ou pou fkor oqdû 5m timi tºp\
42 1st¸m, eU ce lgd³m aqt¹m peqi´wei s_la.
154 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 envelopp par un lieu est prcisment ce qui est mobile selon le lieu.162 Or, le
2 mouvement circulaire, dont le ciel est anim, nest-il pas un mouvement selon le
3 lieu ? Sil en est bien ainsi, le ciel est en un lieu, et Aristote se contredit lui-
4 mÞme. Ou faut-il entendre que daprs Aristote seul le mouvement rectiligne est
5 un mouvement local ? Mais Aristote dit le contraire dans le trait Du ciel et
6 dans le livre VIII de la Physique, o
il divise le mouvement local en trois espces
7 prcisment : le mouvement circulaire, le mouvement en ligne droite et le
8 mouvement mixte. Si donc Aristote ne se contredit pas, comment est-il possible
9 que le ciel se meuve selon le lieu sans Þtre en un lieu ?
10 5. MÞme si les choses qui sont en un lieu ne se dplacent pas, elles ne seront
11 plus dans le mÞme lieu, si ce qui les enveloppe leur est supprim : Cette aporie
12 ntant pas dveloppe par Simplicius, nous tenterons de le faire sa place.163
13 Au dbut de son expos sur le lieu, Aristote prcise que lune des observations
14 qui nous amnent la saisie de lexistence du lieu est le remplacement des corps
15 (!mtilet\stasir)164 : l o
se trouve, dans un moment t1, un corps quelconque,
16 par exemple de leau dans un vase, lorsque, dans un moment t2, leau est verse,
17 lair prend sa place. Ou, plus simplement, le mÞme vase peut contenir de leau
18 dans t1 et du vin dans t2. Le remplacement des corps ainsi conÅu prsuppose en
19 effet lide dun lieu statique, dans lequel des corps, on dirait dynamiques, se
20 dplacent. Laporie de Thophraste semble vouloir dire que le lieu entendu
21 comme limite de lenveloppant implique en ralit le contraire. MÞme quand un
22 corps ne se meut pas, ce qui lenveloppe, par exemple lair, se meut, vu quil ny
23 a rien denveloppant qui soit immobile (voir laporie no 2). Si donc le lieu dun
24 corps est la limite de ce qui lenveloppe, il arrivera que le mÞme corps se trouve
25 en des lieux diffrents sans sÞtre dplac.
26 En concluant cette premire partie du Corollaire, Simplicius prcise que les
27 paralogismes observs dans la doctrine aristotlicienne du lieu sont fondamen-
28 talement dus deux points de dpart errons : i) la conception aristotlicienne
29 de lenveloppement (peqiow^) ; et ii) la considration que les corps qui se
30 meuvent selon le lieu sont uniquement ceux qui changent de place.165 Partant de
31
32
33 162 Phys., IV 4, 212a 6 – 7 : k´cy d³ t¹ peqiewºlemom s_la t¹ jimgt¹m jat± voq²m.
34 163 Notre analyse est proche de celle de R. Sorabji, op. cit. K. Algra, Concepts of Space in
Greek Thought, p. 236 et n. 105, considre que cette aporie de Thophraste consiste en
35 un pur « thought experiment » qui pose une suppression totale des limites de
36 lenveloppant.
37 164 Cf. Phys., IV 1, 208b 1 – 2 : fti l³m owm 5stim b tºpor, doje ? d/kom eWmai 1j t/r !mti-
38 letast²seyr.
39 165 Cf. <De loco>, 607.25 – 30 : Pokk± l³m owm ja· %kka 1p²ceim 5sti t` kºc\· d d³ l²kista
eQr di²qhqysim t_m peq· tºpou docl²tym sumteke ?, toOtº 1stim oWlai t¹ t±r juqiyt²tar
40 !qw±r !meuqe ?m, !vû ¨m toioOtor sumawhe·r b tºpor tosoOtom !m´wetai t_m 1mst²seym.
41 pq_tom l³m owm oWlai tµm t/r peqiow/r toO tºpou 5mmoiam aQt¸am cem´shai, de¼teqom d³ tµm
42 k/xim toO jahû art¹ jimoul´mou jat± tºpom. « On peut ajouter bien dautres arguments
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 155
1 la thse communment admise que le lieu enveloppe (ou contient) ce dont il est
2 le lieu, Aristote sest tromp en ce quil a pens lenveloppement comme une
3 sorte dentourage extrieur (peqij\kuxir), la manire dont par exemple le
4 vÞtement enveloppe le corps. Il a t ainsi amen affirmer quune limite, celle
5 du corps enveloppant, peut contenir un corps en sa totalit. Mais en ralit, pour
6 que cela soit vrai, il faut que le lieu ne soit pas lentourage mais lemplacement
7 ou le rceptacle de cette totalit.166 Qui plus est, Aristote a restreint le champ de
8 sa recherche aux corps qui changent de place, autrement dit aux corps qui se
9 meuvent en ligne droite. Ce faisant, il sest trouv soutenir la thse absurde que
10 le ciel, qui se meut circulairement et qui, de ce fait, ne change pas de place, nest
11 pas en un lieu. Partant ainsi de fausses prmisses ou, mieux, de prmisses
12 partiellement vraies, lenquÞte aristotlicienne ne prtendait pas une validit
13 absolue, ni elle ne voulait rendre compte du lieu de tous les corps167 :
14
Mais Aristote semble vouloir dire que seules ont besoin dun lieu les choses qui, en
15
leur totalit, changent de place et viennent occuper un lieu quelles navaient pas
16 auparavant […]. Si donc ce quoi le lieu semble Þtre utile, cest aux dplacements
17 des ralits qui ne peuvent ni demeurer ni se mouvoir dans le mÞme, on aura raison
18 de dire que seules ces ralits sont en un lieu. Mais remarque comment la
19 discussion dAristote ne sest pas lance vers la nature entire de lobjet de
20 lenquÞte, mais seulement vers ce qui nous est immdiatement connu.168 Toutefois,
en quel sens les ralits qui peuvent effectivement demeurer et se mouvoir dans le
21
mÞme, comme le ciel, sont-elles dites « dans le mÞme » ? Est-ce au sens o
une telle
22 ralit est en elle-mÞme ? Mais, dit Aristote, aucun corps nest en lui-mÞme, parce
23 quil y a une distinction entre ce qui est en quelque chose et ce en quoi il est.
24 Pourtant, mÞme si lon dit que le ciel ne se meut pas, parce quil ne passe pas dun
25 lieu un autre, il demeure du moins dans le mÞme, et on dit quil est immuable,
26 ce discours ; mais ce qui contribue surtout dresser un expos articul des doctrines du
27 lieu, cest, je crois, de dcouvrir les principes les plus fondamentaux partir desquels on
28 a conclu cette dfinition du lieu qui admet tant dobjections. Je crois donc que la cause
29 en est, tout dabord, la conception du lieu comme enveloppement et, ensuite, la prise en
compte de ce qui se meut selon le lieu par soi. »
30 166 Cf. <De loco>, 608.4 – 5 : ja¸toi w¾qa tir b tºpor eWmai doje ? ja· rpodowµ toO fkou, !kkû
31 oqw· peqij²kuxir.
32 167 <De loco>, 610.30 – 611.7 : )kkû 5oijem b )qistot´kgr lºma de ?shai tºpou k´ceim t±
33 letaba¸momta jahû fka 2aut± ja· 1pikalb²momta tºpom dm oq pqºteqom eWwom […]. eQ owm
34 pq¹r toOto wqei¾dgr eWmai doje ? b tºpor pq¹r t±r letab²seir to ?r l¶te 2st²mai 1m taqt`
l¶te jime ?shai dumal´moir, eQjºtyr taOta lºma va¸g #m 1m tºp\. ja· fqa fpyr oqj 1p· tµm
35 fkgm v¼sim toO fgtoul´mou !m´dqalem b kºcor, !kkû 1p· t¹ pqosew³r Bl?m ja· cm¾qilom.
36 ja¸toi ja· t± dum²lema 1m t` aqt` l´meim C jime ?shai, ¦speq b oqqamºr, p_r k´cetai 1m t`
37 aqt`. üqa ¢r 1m 2aut`. !kkû oqd´m, vgs¸m, 5stim 1m 2aut` s_la, fti %kko t¹ d ja· %kko t¹
38 1m è. j#m lµ jime ?shai d³ b oqqam¹r k´cgtai, fti oq letaba¸mei tºpom 1j tºpou, !kk± l´mei
39 ce 1m taqt` ja· !let²bator k´cetai oq jat± tµm oqs¸am, !kkû ¢r t¹m aqt¹m jat´wym tºpom.
ovtyr %qa t¹ lµ tµm wqe¸am toO tºpou pqo{poh´shai tek´yr toOto t_m 1mst²se¾m 1stim
40 aUtiom.
41 168 Elle se conforme donc avec la mthode aristotlicienne, qui tablit souvent les
42 dmonstrations partir de la « sensation » ; cf. In Phys., 8.13 – 14.
156 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 de Proclus ne parvient pas, elle non plus, claircir la raison pour laquelle tous
2 les corps, et pas seulement le corps du monde, ont besoin dun lieu. Autrement
3 dit, Proclus a chou rendre manifeste l« utilit » du lieu176 :
4
Mais prsent, la pense me vient de demander ceux qui ont pos que le lieu est
5 un corps immatriel : est-ce le lieu des corps parce quil est corps ou parce quil est
6 immatriel ? Mais ils nauraient pas rpondre « parce que cest un corps » mais
7 plut t « parce que cest un corps immatriel ». Pourtant, bien quils disent que les
8 firmaments situs au-dessus du monde matriel sont, eux aussi, immatriels, ils ne
9 disent pas que ce sont des lieux, mais quils ont besoin dun lieu. Si donc ce nest ni
en tant que corps ni en tant que corps immatriel quil na pas besoin de lieu, en
10
devenant lui-mÞme lieu pour les autres ralits, quelle autre raison donneront-ils ?
11
Deuximement : si cest parce quil est immatriel quil na pas besoin de lieu, il
12 semble que ce soit la matire qui, au sens propre, a besoin dun lieu. Pourtant, qui
13 dirait que la matire est en un lieu de par sa dfinition ? Et si lon dit que <ce nest
14 pas la matire> mais le matriel, comment les ralits immatrielles <comme les
15 firmaments> seront-elles, elles aussi, en un lieu ? Troisimement, et cest l le
point le plus important, on peut faire aux tenants de cette thse, juste titre, les
16
mÞmes reproches quaux prcdents : ils ont nglig de rechercher la particularit
17
propre du lieu, cest--dire ce quelle peut bien Þtre, et aussi quel bnfice il apporte
18 aux choses qui sont en lui. Car, mon avis, si lon ne dcouvre pas ce bnfice, il
19 nest pas possible dapprendre si le lieu est un corps ou quelque chose dincorporel.
20
Le mÞme reproche mthodologique vaut galement pour les philosophes qui
21
ont soutenu que le lieu est un intervalle incorporel.177 Simplicius saccorde
22
23
pourtant avec eux contre les deux arguments suivants, lappui desquels
24
Aristote a ni la possibilit dexistence dun lieu-intervalle : 1) Si le lieu est un
25 intervalle qui existe en soi, cest--dire indpendamment du corps qui est en lui,
26 il y aura un nombre infini de lieux. Car de mÞme que le corps tout entier est
27
28 176 <De loco>, 617.33 – 618.5 : MOm d³ 1qyt÷m 5peis¸ loi to»r s_la t¹m tºpom %ukom rpo-
29 hel´mour, pºteqom di± t¹ s_la eWmai tºpor 1st· syl²tym C di± t¹ %ukom. !kkû oqj #m
eUpoiem diºti s_la, !kkû fti %ukom s_la. ja¸toi ja· t± rp³q t¹m rka ?om jºslom steqe-
30 ¾lata %uka k´comter flyr oq tºpom, !kk± de ?shai tºpou vas¸m. eQ owm l¶te ¢r s_la l¶te
31 ¢r %ukom s_la !memde¶r 1stim aqt¹r tºpou to ?r %kkoir tºpor cimºlemor, di± t¸ %kko
32 kec´tysam. de¼teqom eQ di± t¹ %ukor eWmai oq de ?tai tºpou, 5oijem B vkg juq¸yr eWmai B toO
33 tºpou deol´mg. ja¸toi t¸r #m 1m tºp\ k´coi jat± t¹m 2aut/r kºcom tµm vkgm. eQ d³ t¹
34 5mukºm tir va¸g, p_r ja· t± %uka 1m tºp\. tq¸tom d³ ja· juqi¾tatom %m tir ja· to¼toir t±
aqt± 1cjak´soi dija¸yr ûpeq to ?r pqot´qoir, fti tµm Qdiºtgta toO tºpou paq/jam fgte ?m,
35 Ftir pot´ 1sti, ja· t¸ma paq´wetai to ?r 1m aqt` ¡v´keiam, Hr lµ erqehe¸sgr oWlai oute eQ
36 s_la oute eQ !s¾latºm 1stim b tºpor lahe ?m dumatºm.
37 177 Les tenants de cette thse se divisent selon Simplicius en deux groupes (cf. <De loco>,
38 601.20 – 24 et 618.16 – 25) : i) ceux qui, comme Dmocrite et picure, considrent que
39 lintervalle existe en soi-mÞme en tant illimit (il sagit du vide que pose la physique
atomique) ; ii) ceux qui adhrent la physique continuiste dAristote et considrent que
40 lintervalle est coextensif au monde et, de ce fait, jamais dpourvu de corps. Telle tait
41 lopinion de Straton de Lampsaque et de philosophes platoniciens clbres que
42 Simplicius ne nomme pourtant pas. Telle tait aussi, rajoutons-le, lopinion de Philopon.
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 159
1 dans son propre intervalle, de mÞme les parties du corps sont dans leurs propres
2 intervalles. Or, comme un corps est infiniment divisible, il sensuit quil y a aura
3 un nombre infini dintervalles. 2) Il arrivera encore quil y ait un lieu du lieu et
4 que le lieu se meuve selon le lieu. Car, lorsquun corps se dplace et se produit
5 ainsi dans un autre lieu-intervalle, se dplace aussi lintervalle que le corps
6 occupe.178 Simplicius fait remarquer que cette double reductio aristotlicienne,
7 ad infinitum et ad absurdum, prend appui sur la considration que lintervalle,
8 de par sa continuit, pntre la totalit du corps qui est en lui.179 Sil en est ainsi,
9 le corps et toutes ses parties se trouvent de fait en un lieu, dune manire qui
10 conduit des absurdits : le lieu se rpartit linfini, et un lieu du lieu apparat
11 ncessairement.180 Le raisonnement se fonde pourtant sur une fausse prmisse.
12 Car ni le corps ni lintervalle, explique Simplicius, ne sont divisibles linfini, si
13 ce nest en puissance, et, qui plus est, ils ne sont mÞme pas actuellement diviss
14
lun par lautre. De mÞme que le corps subsiste la fois en tant que tout et en
15
tant que parties, de mÞme lintervalle qui le pntre subsiste, lui aussi, la fois
16
en tant que tout et en tant que parties181 :
17
18 En effet, de mÞme que le corps est continu, de mÞme aussi les tenants de cette
19
thse posent que lintervalle est continu et immobile. Donc, de mÞme que les
parties du corps ne sont pas dans un tat de distinction acheve (car ce ne seraient
20
plus des parties mais plut t des fragments et des units), et quelles ne sont pas non
21 plus dans un tat de rassemblement parfait (car cest l la nature des lments),
22 mais que toute leur subsistence rside dans la distinction en train de se faire, il en
23 est de mÞme des parties du lieu. Et comme Aristote a coutume de le dire, les
24 parties du corps comme celles du lieu sont en puissance et non en acte.
25 Bien que les parties dun corps soient en un lieu, il nest pas ncessaire quelles
26 soient dans ce lieu sous un mode actuellement divis, ce qui conduirait
27
admettre les absurdits auxquelles mne largumentation aristotlicienne.182 Un
28
29
178 Cf. Phys., IV 4, 211b 14 – 29.
30 179 Cf. <De loco>, 621.1 – 3 : ja· eUqgtai p÷r b kºcor 1j toO ja· t± lºqia toO 1m tºp\ jahû
31 art± eWmai 1m tºp\, eUpeq diû 2j²stou t_m loq¸ym wyqe ? t¹ di²stgla.
32 180 Si, en revanche, le lieu est la limite de lenveloppant, comme le soutient Aristote, aucune
33 absurdit de ce type ne ressort : les parties du corps sont en un lieu par accident, cest--
34 dire du fait quelles sont les parties du corps entier qui, lui, est en un lieu au sens propre,
sans quil soit pntr et, par consquent, divis par le lieu-limite.
35 181 <De loco>, 621.9 – 16 : ªr c±q t¹ s_la sumew´r, ovty ja· t¹ di²stgla sumew³r oR
36 k´comter rpot¸hemtai ja· !j¸mgtom. ¢r owm t± toO s¾lator lºqia oqj 5stim oupy dia-
37 jejqil´ma (oq c±q #m 5ti lºqia eUg, !kk± j´qlata ja· lom²der l÷kkom) oute l´mtoi
38 sucjejqil´ma tek´yr (stoiwe¸ym c±q avtg v¼sir 1st¸m), !kkû 1m t` diajq¸meshai tµm
39 p÷sam 2aut_m rpºstasim 5kawem, ovty d³ ja· t± toO tºpou· ja· ¢r aqt¹r eUyhe k´ceim,
dum²lei 1st·m !kkû oqj 1meqce¸ô t± l´qg toO te s¾lator ja· toO tºpou.
40 182 La dernire phrase du passage cit laisse entendre quAristote tait bien conscient de la
41 « faiblesse » de son argumentation ; on lattribuera donc, au sens de Simplicius, la
42 vise « partielle » de son tude.
160 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 Il faut dire tous ceci : si lon ne dtermine pas bien lutilit du lieu, on ne peut
2 apprendre si le lieu est un corps, ni sil est incorporel, sil a une nature tendue ou
3 une nature intendue.
4 Telle fut, comme nous lavons dit, la mthode de Damascius, qui sest mis
5 dcouvrir lessence du lieu en raisonnant partir de son « utilit ». Ce faisant,
6 Damascius sest diamtralement oppos, du point de vue pistmologique,
7 toutes les doctrines du lieu qui ont t proposes avant lui ( lexception peut-
8 Þtre de la doctrine de Proclus). Dans une perspective fondamentalement
9 aristotlicienne, on recherchait jusqualors la nature du lieu en songeant
10 pralablement aux aspects « locaux » des corps, cest--dire au fait que les corps
11 sont dits Þtre quelque part, se meuvent ou se remplacent lun lautre. Le lieu
12 existe, parce que les corps existent. Partant de ce principe, toute doctrine
13
cherchait dsormais adapter la nature du lieu une « localisation » des corps
14
pralablement affirme. Tel fut, par exemple, le cas de ceux qui optaient pour le
15
lieu comme intervalle : leur souci principal tait de concevoir un lieu qui puisse
16
saccorder au mouvement du ciel. Dans un tout autre sens, Damascius songe
17
l « utilit » du lieu en ce sens quil sinterroge sur ce que le lieu confre aux
18
ralits « localises ». Le lieu se voit ainsi assigner une antriorit pistmo-
19
logique qui provoque un bouleversement au niveau ontologique : si les corps
20
sont pourvus dune « localisation » dans lespace ou, mieux, dune organisation
21
spatiale, cest parce que le lieu existe avant eux et que, de la sorte, il est capable
22
de la leur assurer. Pour voir comment cela est possible, reproduisons un extrait
23
du trait Du nombre, du lieu et du temps que Simplicius cite la lettre185 :
24
25 Toutes les choses en devenir, ayant dchu de la nature indivise et intendue, et ce
26 du double point de vue de leur substance et de leur activit, ont eu une double
27 distanciation, lune selon la substance, lautre selon lactivit ou la passion ; et celle
quelles ont eue selon lactivit a t double aussi : lune est connaturelle la
28
substance, et cest selon elle que la substance est dans un flux continu, lautre
29
30 185 Damascius apud Simplicium, <De loco>, 625.4 – 32 : T± 1m cem´sei p²mta t/r !leq¸stou
31 ja· !diast²tou v¼seyr 1jpesºmta jat² te oqs¸am ja· jatû 1m´qceiam, dittµm 5swe tµm
32 di²stasim tµm l³m jatû oqs¸am tµm d³ jatû 1m´qceiam C p²hor, ja· tµm jatû 1m´qceiam ditt¶m,
33 tµm l³m t0 oqs¸ô s¼lvutom, jahû Dm 1m sumewe ? No0 1stim B oqs¸a, tµm d³ !p¹ t/r oqs¸ar
34 pqozoOsam, jahû Dm %kkote %kka 1meqce ? […]. B d´ ce t/r oqs¸ar di²stasir dittµ ja· aqtµ
c´comem, B l³m eQr pk¶hour diaspaslºm, B d³ eQr ecjom rpekhoOsa […]. t± c±q diast¶lata
35 p²mta tµm Bmyl´mgm suma¸qesim !pok´samta t¹ 1m aqto ?r eWmai eQr t¹ 1m %kk\ c¸meshai
36 let´bakem, 1m è ja· je ?shai k´cetai, oXom paqemh´mta ja· t¹ aqtojqat³r !pok´samta·
37 ¦speq ja· 1m ta ?r 1meqce¸air !vû 2aut_m 1jst²mta jime ?shai k´cetai ja· letab²kkeim.
38 to¼tym owm t_m diast²seym, Vma <lµ> pamtek_r eQr t¹ !ºqistom rpemewh_si, l´tqa
39 sumacyc± rp´stg t/r l³m jat± tµm 1m jim¶sei 1m´qceiam b wqºmor, t_m d³ jat± tµm oqs¸am
t/r l³m jat± di²jqisim t¹ ¢qisl´mom pk/hor fpeq 1st·m b !qihlºr, t/r d³ jat± sum´weiam
40 t¹ ¢qisl´mom l´cehor oXom pgwua ?om E ti toioOtom, t/r d³ jat± tµm t/r h´seyr di²qqixim b
41 tºpor. di¹ 1m wqºm\ l³m k´cetai jime ?shai t± jimo¼lema, 1m tºp\ d³ tµm h´sim t/r oqs¸ar
42 5weim ja· aqt/r t/r jim¶seyr, jahºsom ja· aqtµ toO jime ?shai let´swe.
162 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 Les choses qui ont t distingues ont subi la distinction de plusieurs manires :
2 dun c t, elles se sont tendues du point de vue de la grandeur ou de la puissance
3
de la substance, comme les quantits que lon appelle continues ; dun autre, elles
se sont distingues selon la pluralit, comme les choses que lon appelle
4 proprement discontinues ; et dun autre c t, elles se sont tales selon lextension
5 de lÞtre, et ce sont les choses dont on dit quelles sont ternelles ou que leur
6 existence a une telle ou telle dure. tant, donc, sorties hors de la limite unitaire et
7 stant lances vers lillimitation et lindtermination, elles ont eu besoin de
8 mesures et de dterminations qui les conservent dans un tat de dtermination et
les protgent de la confusion ; et elles ont eu besoin dautres mesures pour
9
<viter> leffusion linfini et dautres pour <viter> la confusion mutuelle qui
10 risque datteindre les parties qui sont dj distancies. Ce qui arrÞta donc le
11 dchirement linfini de la pluralit discontinue, ce fut le nombre, qui, par des
12 formes dtermines, a enserr la distinction ; ce qui donna une dtermination
13 leffusion indtermine de la quantit en train de stendre, ce fut la mesure de la
grandeur, comme, pour donner une illustration, la coude ou le doigt ; quant
14
lextension de lÞtre, ce qui en mesura et ressembla dans lunit la grandeur, pour
15 ainsi dire, immobile, ce fut lternit, et ce qui en mesura et ressembla dans le
16 nombre la grandeur mobile, ce fut le temps. Telles sont les mesures qui ont
17 empÞch la quantit – une fois advenue la distinction – de se perdre dans une
18 indtermination illimite, et ce aussi bien au niveau des modles que des images.
19 Mais il y a encore quelque chose [=le lieu] qui est la cause qui, en toutes ces
ralits, enlve toute confusion entre les choses qui se sont distingues : elle
20
empÞche que les parties se confondent les unes avec les autres dans la totalit qui
21 leur est propre, et fait que chaque partie reÅoit la place et la position qui lui
22 conviennent.
23
linstar de lUn tout premier, « mesure » de toutes choses, les quatre
24
« mesures » unifient les ralits sensibles, faisant ainsi preuve de la providence
25
qui rgit lensemble de lunivers. Sil y a au niveau du sensible des formes
26
dtermines dans lespace et dans le temps, cest que des mesures leur sont
27
coordonnes.187
28
On peut maintenant mieux comprendre l« utilit » que le lieu procure aux
29
corps. Lorsque la corporit, autrement dit la matire, sort de lunit originaire
30
31
et que, au tout dernier niveau ontologique, la premire « formation » des corps
32 jat± tµm eQr %peiqom 5jwusim, %kkym d³ jat± tµm 1m !kk¶koir t_m Edg diest¾tym loq¸ym
33 (scripsi : lºmym codd. : leq_m coni. Diels) jimdume¼ousam 1picem´shai s¼cwusim. ja· toO
34 l³m diyqisl´mou pk¶hour t¹m eQr %peiqom diaspasl¹m 5stgsem !qihl¹r ¢qisl´moir eUdesi
peqikab½m tµm di²jqisim, toO d³ diistal´mou posoO tµm !ºqistom 5jwusim ¦qise t¹
35 lecehij¹m l´tqom, oXom ¢r eQjºma v²mai t¹ pgwua ?om C dajtukia ?om. t/r d³ jat± t¹ eWmai
36 paqat²seyr t¹ oXom l´cehor t¹ l³m !j¸mgtom 1l´tqgse ja· sum¶cacem eQr 4m b aQ¾m, t¹ d³
37 jimo¼lemom eQr !qihl¹m b wqºmor. ja· toiaOta l³m t± l´tqa t± lµ sucwyq¶samta t¹ pos¹m
38 eQr %peiqom !oqist¸am 1nemewh/mai diajqih³m l¶te 1m to ?r paqade¸clasi l¶te 1m ta ?r
39 eQjºsim. %kko d´ t¸ 1sti t/r 1m p÷si to¼toir t_m diajqih´mtym sucw¼seyr !maiqetij¹m
aUtiom toO lµ 1pisucwe ?shai !kk¶koir t± l´qg jat± tµm oQje¸am bkºtgta, !kkû 6jastom
40 t²nim te ja· h´sim tµm pqos¶jousam !pokalb²meim.
41 187 Les « mesures » cordonnes tirent leur existence sous mode de participation partir des
42 « mesures » transcendantes ; cf. <De loco>, 634.13 – 24 et 636.34 – 637.21.
164 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 mais que chacun, comme le lieu prsente une pluralit daspects, a contempl un de
2 ces aspects diffrents et sest prononc conformment celui-ci.
3 En voquant la fin du Corollaire la « pluralit daspects » du lieu, Simplicius
4 renoue avec le prome, dans lequel la mÞme pluralit lui sert dexcuse pour
5 laffranchissement des limites du commentaire. Mais la pluralit daspects du
6 lieu est ici mise au service de laffirmation pralable de laccord des philosophes,
7 lencontre de toute prtention contraire : cause delle, les philosophes ont
8 abord le lieu de points de vue diffrents, sans pour autant quils sopposent
9 vritablement les uns aux autres.197 Car ils ont tous conÅu le lieu comme une
10 sorte de « dtermination » de la position distincte des Þtres198 :
11
Ajoutons maintenant tout ce que nous avons dit quil y aurait un concept
12
commun propos du lieu : celui qui dit que le lieu est la dtermination de la
13 position de chacun des Þtres qui sont dans un tat de distinction acheve. Or la
14 dtermination peut sentendre (1) soit du point de vue du rceptacle (2) soit du
15 point de vue de lenveloppement (3) soit du point de vue de lordre de la position
16 de chaque chose relativement aux autres.
17 Les trois catgories embrassent presque toute la tradition philosophique. la
18 premire catgorie appartiennent assurment Platon, qui dans le Time assimile
19 le lieu la matire qui reÅoit la position tendue des formes et dtermine ainsi
20 leur distanciation,199 puis les philosophes qui ont soutenu que le lieu est un
21 intervalle, ceci tant une sorte de moule dans laquelle la position des corps est
22 pralablement dtermine.200 la deuxime catgorie appartient Aristote qui,
23 en dernire analyse, a envisag le corps comme un tout dont la position est
24 dtermine par le tout qui lenveloppe.201 Enfin, la troisime catgorie
25 appartiennent Thophraste, Jamblique et Damascius. Chacun de ces philoso-
26 phes se voit ainsi avoir reconnu la proprit essentielle du lieu, savoir le fait de
27 dterminer ce qui est en lui, puis lavoir dcrite de points de vue diffrents202 :
28
29
197 On reconnatra bien entendu le topos concordiste de la « diffrence de perspectives ».
30 198 <De loco>, 641.23 – 27 : MOm d³ pqosje¸shy to ?r eQqgl´moir, fti joim¶ tir #m eUg tºpou
31 pamt¹r 5mmoia B k´cousa !voqisl¹m aqt¹m eWmai t/r 2j²stou t_m 1m to ?r owsi diaje-
32 jqil´mym h´seyr. b d³ !voqisl¹r b l³m jat± tµm rpodow¶m 1stim, b d³ jat± tµm peqiow¶m,
33 b d³ jat± tµm 2j²stou pq¹r t± %kka t²nim t/r h´seyr.
34 199 Cf. <De loco>, 643.5 – 7 : ja· b Pk²tym d³ tµm vkgm tºpom t_m eQd_m eWpe ja· w¾qam ¢r
rpodewol´mgm tµm h´sim t_m eQd_m t_m eQr aqtµm 1jpesºmtym ja· !voq¸fousam aqt_m tµm
35 di²stasim.
36 200 Cf. <De loco>, 643.12 – 13 : !kk± lµm ja· t¹ di²stgla tºpor ¢r pqo{pocqavµ ja· t¼por
37 t_m 1m aqt` cimol´mym syl²tym.
38 201 Cf. <De loco>, 642.31 – 34 : ja· 5oijem eQr toOto l²kista toO tºpou t¹ sglaimºlemom
39 !pide ?m b )qistot´kgr, jahû d %kko 1m %kk\ je ?tai t_m syl²tym, fkom l³m 1m fk\ oXom
1c½ 1m t` !´qi, leqij¾teqom d³ 1m bkijyt´q\, j#m b pqosewµr tºpor Usor eWmai bo¼kgtai
40 t` 1m tºp\.
41 202 <De loco>, 644.4 – 9 : npeq owm 1n !qw/r eWpom, ja· mOm 1q_, fti t_m peq· tºpou
42 kecºmtym 6jastor !pe ?dem eQr !kgh/ tima peq· tºpou 5mmoiam ja· toO joimoO waqajt/qor
168 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 Ce que jai dit, donc, depuis le dbut, je le rpterai maintenant : chacun de ceux
2 qui ont parl propos du lieu a envisag une conception vritable et na pas
3 manqu le caractre commun du lieu. Et sils nont pas tous abord toutes les
varits du lieu, il ny a rien dtonnant. Car il nest gure invraisemblable quil y
4
ait encore dautres varits qui ne sont pas encore devenues videntes.
5
6 Stant propos dexaminer les diffrentes doctrines du lieu dune manire plus
7 scientifique quAristote ne lavait fait – en mettant en relief la doctrine de son
8 matre Damascius –, Simplicius ne sabstient pas de fournir finalement, cette fois
9 grce au concept de « dtermination », la preuve de lharmonie qui parcourt la
10 tradition philosophique des Hellnes.
11
12
13 5.3.4 Simplicius, Sur le temps (<Corollarium de tempore>, 773.8 – 800.25)
14
15 Par manire danalogie avec le Corollaire sur le lieu, le Corollaire sur le temps
16 couronne lexgse des chapitres quAristote consacre lexamen du temps
17 (Phys., IV, 10 – 14).
18
19 5.3.4.1 Le prologue, la structure et le contenu du Corollaire
20
Voici comment ce deuxime Corollaire est introduit203 :
21
22 Que ce que jai dit jusqu prsent soit suffisant pour clairer le discours dAristote
23 sur le temps ; car en suivant du dbut la fin chacune de ses analyses, jen ai fait,
24 autant que possible, un expos articul. Mais puisque lexercice que nous
pratiquons en amis de la science na pas pour seul but dapprendre ce que peut
25
bien Þtre sur le temps lopinion dAristote, mais plut t de comprendre ce quest le
26 temps (en effet, cest encore de cette manire, je pense, que nous serons plus
27 proches des conceptions dAristote sur le temps), consacrons ce sujet un examen
28 concis. Aprs cela, nous tudierons aussi les conceptions de ceux qui ont
29 philosoph sur le temps. Et puisque Aristote a dvelopp au dbut de son tude
30 une argumentation vigoureuse qui allait dans le sens dun non-Þtre du temps et
31
32 oqj !p´pesem, eQ d³ lµ p²sair p²mter 1p´bakom ta ?r toO tºpou diavoqa ?r, haulast¹m
33 oqd´m· oqd³ c±q !peijºr 1sti ja· %kkar eWma¸ timar oupy cemol´mar jatavame ?r.
34 203 <De tempore>, 773.8 – 19 : TaOta l³m owm !qje¸ty pq¹r sav¶meiam t_m rp¹ toO )qi-
stot´kour peq· wqºmou kecol´mym. 2j²stoir c±q !pû !qw/r %wqi t´kour t_m rpû aqtoO
35 Ngh´mtym paqajokouh_m tµm dumatµm 1poigs²lgm di²qhqysim· 1peidµ d³ oq toOto
36 pqºjeitai lºmom t´kor Bl ?m t/r vikolahoOr culmas¸ar t¹ tµm )qistot´kour dºnam Ftir
37 pot´ 1sti peq· wqºmou lahe ?m !kk± l÷kkom t¸ pot´ 1stim b wqºmor jatalahe ?m (ovty c±q
38 oWlai ja· t_m )qistot´kour 1mmoi_m t_m peq· wqºmou 1ccut´qy cemgsºleha), toOto sum-
39 tºlyr dieujqim¶sylem. let± d³ toOto ja· t_m peq· wqºmou vikosovgs²mtym t±r 1mmo¸ar
1pisjex¾leha· toO d³ )qistot´kour 1m !qw0 toO kºcou dqil´yr 1piweiq¶samtor eQr t¹ lµ
40 eWmai t¹m wqºmom ja· t± 1piweiq¶lata lµ k¼samtor 1je ?ma, jak_r #m 5woi pq¹r t` t´kei ja·
41 aqt± diakOsai jat± t¹ dumatºm· t´kor c±q oqj #m %kkyr b peq· wqºmou kºcor !pokal-
42 b²moi.
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 169
1 quil na pas rsolu ces arguments, il serait bon de finir par les rsoudre dans la
2 mesure du possible. En effet, ltude du temps ne saurait prendre fin autrement.
3 Le Corollaire sur le temps va donc comprendre trois parties :
4
5 A. 773.19 – 785.11 : Lessence du temps.
6 B. 785.12 – 795.26 : Les autres doctrines du temps.
7 C. 795.27 – 800.25 : Les apories dAristote sur lexistence du temps.
8
9 La premire de ces parties se prsente comme la plus importante : elle va se
10 dtacher de la doctrine aristotlicienne du temps pour donner apprendre ce
11 quest le temps en lui-mÞme.204 La dmarche rappelle en effet le Corollaire sur
12 le lieu. Il y a pourtant une diffrence capitale : alors que, dans le premier
13 Corollaire, la dfinition aristotlicienne du lieu comme limite de lenveloppant
14 est amplement mise en cause, afin quune tude de lessence du lieu nouveaux
15 frais puisse se justifier, aucune ncessit pareille ne ressort de lanalyse
16 aristotlicienne du temps. Aristote dfinit le temps comme « le nombre dun
17 mouvement selon lantrieur et le postrieur » ou « la mesure du mouvement et
18 du fait de se mouvoir »,205 et Simplicius nprouve aucune difficult pour
19 adapter cette dfinition la doctrine damascienne des « mesures rassemblan-
20 tes ». Citons ce propos le commentaire quil propose de Phys., IV 12, 221a 4 – 5
21 (ja· 5stim t0 jim¶sei t¹ 1m wqºm\ eWmai, t¹ letqe ?shai t` wqºm\ ja· aqtµm ja· t¹
22 eWmai aqt/r)206 :
23
24
204 Mais cela ne veut assurment pas dire quAristote ignorait lessence du temps. On doit
25 prÞter attention la parenthse explicative de Simplicius (« cest encore de cette
26 manire, je pense, que nous serons plus proches des conceptions dAristote sur le
27 temps »)
28 205 Phys., IV 11, 219b 1 – 2 : toOto c²q 1stim b wqºmor, !qihl¹r jim¶seyr jat± t¹ pqºteqom
29 ja· vsteqom. IV 12, 220b 32 : 1pe· dû 1st·m b wqºmor l´tqom jim¶seyr ja· toO jime ?shai…
206 In Phys., 735.17 – 736.1 : De¸jmusi d³ fpyr B j¸mgsir 1m wqºm\ ovtyr· b wqºmor letqe ? tµm
30 j¸mgsim, t¹ d³ letqe ?m tµm j¸mgsim tµm lµ ûla owsam, !kkû 1m t` c¸meshai t¹ eWmai 5wousam
31 juq¸yr taqtºm 1sti t` letqe ?m t¹ eWmai aqt/r, tout´stim 1vû fsom 1st·m B j¸mgsir.
32 letqe ?tai l³m c±q B j¸mgsir ja· jat± t¹ di²stgla t¹ 1vû ox B j¸mgsir, ftam k´cylem
33 stad¸ou tµm j¸mgsim eWmai. !kk± toOto jat± sulbebgj¹r 5wei t¹ l´tqom ja· oqw Ø j¸mgsir.
34 ¢r c±q rpol´momtor toO pqot´qou ovtyr 5wei t¹ toioOtom l´tqom, ¢r d³ j¸mgsir ja· ¢r 1m
t` c¸meshai t¹ eWmai 5wousa l´tqom 5wei t¹m 1vû fsom c¸metai wqºmom. toOto c±q aqt/r toO
35 eWmai l´tqom 1m t` c¸meshai t¹ eWmai 1wo¼sgr. ja· Qdo» mOm ¢r oWlai b )qistot´kgr sav_r
36 paqad´dyje, p_r l´tqom jim¶seyr b wqºmor, fti jat± tµm toO eWmai paq²tasim aqt/r, jahû
37 Dm l²kista ja· rv´stgjem· «1p· c±q t/r jim¶seyr, ¦r vgsim )k´namdqor, taqt¹m t¹ eWmai
38 ja· t¹ jim¶sei eWmai ¦speq ja· 1p· t_m %kkym t_m 1m t` c¸meshai t¹ eWmai 1wºmtym. ja· di±
39 toOto taqtºm 1sti t¹ letqe ?m tµm j¸mgsim ja· t¹ eWmai t/r jim¶seyr.» d/kom d³ fti %kko
toOtº 1sti t¹ eWmai paqû 1je ?mo t¹ sum¶hyr rp¹ toO Peqip²tou kecºlemom ja· t¹ eWdor
40 sgla ?mom· toOto c±q tµm paq²tasim t/r rp²qneyr ja· oXom tµm 1m´qceiam toO emtor dgko ?.
41 1pe· owm B t/r jim¶seyr oqs¸a 1m´qcei² 1sti paqatetal´mg (1mtek´weia c±q Gm toO jimg-
42 toO), eQjºtyr taqtºm 1sti j¸mgsir ja· t¹ eWmai t/r jim¶seyr. di¹ ja· aqt¹r l´tqom
170 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 Aristote montre la manire dont le mouvement est dans le temps comme suit : le
2 temps mesure le mouvement, mais le fait de mesurer le mouvement, qui nest pas
tout entier la fois mais a son Þtre principalement dans le devenir, cest la mÞme
3
chose que de mesurer lÞtre du mouvement, autrement dit la dure pendant
4 laquelle le mouvement est. En effet, le mouvement peut galement Þtre mesur
5 daprs ltendue sur laquelle il se produit, lorsque nous disons par exemple quun
6 mouvement est dun stade. Mais le mouvement possde cette mesure par accident
7 et non pas en tant quil est mouvement ; car cest en tant que lantrieur perdure
quil possde cette mesure, alors quen tant que mouvement, qui a prcisment son
8
Þtre dans le devenir, il a comme mesure le temps pendant lequel il se produit. Cest
9 bien cela la mesure de lÞtre du mouvement qui a son Þtre dans le devenir. Voil
10 donc : comme je le crois, Aristote a livr maintenant avec clart la manire dont le
11 temps est la mesure du mouvement, savoir selon lextension de lÞtre le long de
12 laquelle le mouvement subsiste. Et comme le dit Alexandre : « Dans le cas du
mouvement, Þtre et Þtre mouvement, cest la mÞme chose, comme cest le cas de
13
toutes les autres choses qui ont leur Þtre dans le devenir. Cest pourquoi mesurer le
14 mouvement et mesurer lÞtre du mouvement, cest la mÞme chose ». Il est clair que
15 cet Þtre est diffrent de celui dont les Pripatticiens parlent habituellement, lequel
16 signifie la forme. En effet, ceci signifie lextension de lexistence et, pour ainsi dire,
17 lactivit de lÞtre. Puis donc que lessence du mouvement est lactivit tale (car le
mouvement est lentlchie du mobile), le mouvement et lÞtre du mouvement sont
18
bon droit la mÞme chose. Cest pourquoi Aristote, ayant dit que le temps est
19 « mesure du mouvement », poursuit « et du fait de se mouvoir » ; par cela, il ne
20 veut pas rajouter quelque chose, mais il veut montrer que le mouvement est
21 activit, et que le temps est la mesure de cette activit.
22
Tant le vocabulaire que le contenu du passage rappellent la doctrine des quatre
23
mesures de Damascius. Il avait t dit dans le Corollaire sur le lieu que lune des
24
modalits de la distanciation qui fonde la pluralit du devenir est la distancia-
25
tion selon lactivit, laquelle coexiste le mouvement tout premier207 et que le
26
temps « mesure ».208 Le temps rassemble lextension de lÞtre, cest--dire
27
lactivit dÞtre (eWmai), diffrente du fait dÞtre, qui caractrise la substance (em,
28
oqs_a).209 Quant l« utilit » du temps, elle aussi a t rendue claire : le temps
29
30
31
32
33
34 jim¶seyr eQp½m t¹m wqºmom 1p¶cace ja· toO jime ?shai, oqw ¢r %kko toOto pqostihe¸r, !kkû
fti 1m´qcei² 1stim B j¸mgsir 1mdeijm¼lemor, ja· ¢r 1meqce¸ar l´tqom 1st·m b wqºmor.
35 207 Cf. <De loco>, 625.9 – 10 (citation de Damascius) : « Et la distanciation de lactivit a
36 eu aussit t besoin du mouvement, et le mouvement sest mis lui coexister. »
37 208 Cf. <De loco>, 625.27 – 29 (citation de Damascius) : « Pour toutes ces distanciations,
38 donc, et afin quelles ne descendent pas compltement dans lindtermin, des mesures
39 rassemblantes sont apparues : le temps qui rassemble la distanciation selon lactivit
dploye dans le mouvement… »
40 209 Sur la distinction entre Þtre-infinitif et tant-participe, voir Ph. Hoffmann, « Paratasis.
41 De la description aspectuelle des verbes grecs une dfinition du temps dans le
42 noplatonisme tardif », Revue des tudes Grecques 96 (1983), p. 1 – 26.
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 171
1 Pour le dire en deux mots, je pense quil est impossible de voir le temps tout entier
2 la fois dans la participation. Par analogie avec lternit, je suis moi aussi arriv
3 concevoir le premier temps, qui est au-dessus de toutes les choses situes dans le
temps, et qui en les faisant participer de lui-mÞme, les temporalise, cest--dire
4
donne une bonne disposition lextension de leur Þtre, la mesure et fait que les
5 parties de cette extension aient un ordre.
6
7 De cette manire Simplicius pense avoir rgl sa divergence par rapport son
8 matre. Le temps tout entier la fois, cest la « mesure » transcendante qui fait
9 que les ralits cosmiques soient « mesures », cest--dire temporalises. Mais
10 Damascius avait en tÞte une conception diffrente.216
11
12 5.3.4.3 Le « temps intgral » selon Damascius et la rsolution des apories sur
13 lexistence du temps
14
Pour saisir la conception de son matre, Simplicius se rabattait en effet sur la
15
« moeq± heyq_a » de Jamblique, projete sur les Catgories et le trait Des
16
notions universelles du pseudo-Archytas.217 Le temps qui subsiste tout entier la
17
fois se voyait ainsi assimil au temps intellectif, auquel sordonne lautomotion
18
de lffme en produisant le mouvement temporel de lunivers. Mais cela ayant
19
t montr par Jamblique, Damascius navait pas le reprendre. Ce quil a fait
20
de plus, cest quil a appliqu lide du temps subsistant tout entier la fois
21
directement sur le temps cosmique. Il est parvenu de la sorte rsoudre les
22
apories poses par Aristote en Phys., IV 10.
23
Le temps, disait Aristote, semble nÞtre absolument pas ou Þtre peine et
24
25
confusment.218 La raison en est quil est compos de non-tants : quelque chose
26
de lui est pass et quelque chose de lui est venir. Les parties du temps
27 nexistant donc pas, le temps non plus ne peut exister. Ce qui semble exister,
28 cest le
maintenant (t¹ mOm) qui distingue le pass de lavenir. Toutefois, le
29
maintenant nest pas une partie du temps mais une limite du temps ; il ne peut
30 donc constituer le temps. La solution apporte par Damascius consiste
31 1c½ toO pq¾tou wqºmou toO rp³q p²mta t± 5cwqoma emtor ja· ta ?r 2autoO leh´nesim
32 1je ?ma wqom¸fomtor, tout´sti tµm toO eWmai paq²tasim aqt_m eqhet¸fomtor ja· letqoOmtor,
33 ja· t²nim 5weim poioOmtor t± t/r toia¼tgr paqat²seyr lºqia.
34 216 Sur Damascius et sa doctrine du temps, voir M.–C. Galprine, « Le temps intgral selon
Damascius », Les tudes philosophiques 3 (1980), p. 325 – 341. Pour une analyse moins
35 « intellective », lire S. Sambursky, « The Concept of Time in Late Neoplatonism »,
36 Proceedings of the Israel Academy of Sciences and Humanities 2 (1968), p. 153 – 167, en
37 particulier p. 164 – 166.
38 217 Cf. Simplicius, <De tempore>, 786.11 – 788.32 (voir aussi In Cat., 350.10 – 352.21, o
la
39 thorie de Jamblique est diffremment prsente par Simplicius). Sur Jamblique et sa
doctrine du temps, voir Ph. Hoffmann, « Jamblique exgte du pythagoricien Archytas :
40 trois originalits dune doctrine du temps », Les tudes philosophiques 3 (1980), p. 307 –
41 323.
42 218 Phys., IV 10, 217b 32 – 33 : lºkir ja· !ludq_r.
174 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 prcisment dans le fait de penser le « mOm » non pas comme limite du temps
2 mais comme temps prsent (1mest½r wq|mor).219 Le mOm-limite, qui est indivis
3 (!leq]r) et, de ce fait, hors du devenir temporel, est un
maintenant ponctuel
4 que lme particulire projette sur la continuit du temps lorsquelle essaie de le
5 penser. Or, tout ce que lme pense, elle le pense formellement, cest--dire en
6 le circonscrivant et en limmobilisant ; elle arrÞte ainsi en elle-mÞme le flux
7 perptuel du temps, et pour cette raison elle se voit dans laporie.220 Mais le
8 « mOm » est aussi temps. Parce que le temps subsiste au niveau intellectif tout
9 entier la fois, le temps cosmique qui subsiste en devenant nest pas compos de
10 non-tants mais dun « mOm » toujours scoulant,221 qui est la fois temps et
11 partie du temps. Il y a de la sorte non pas une succession discontinue de
12 « passs » et d « avenirs » distingus dans lme par un mOm-limite, mais une
13 concrtion des parties du temps dans le temps prsent, autrement dit un « temps
14
intgral » qui fonde la continuit et, par l, lexistence du temps.
15
16
17
5.3.5 Philopon, Sur le lieu (<Corollarium de loco>, 557.8 – 585.4)
18
19
Comme Simplicius, Philopon sinscrit avec son Corollaire sur le lieu (et son
20
Corollaire sur le vide) dans le courant des philosophes qui, depuis Thophraste
21
dj, ont voulu remdier aux insuffisances de la doctrine aristotlicienne du lieu.
22
Toutefois, la dmarche de Philopon se diffrencie considrablement de celle de
23
Simplicius, tant par son mode de raisonnement que par la doctrine quelle vise
24
tablir. Philopon ne cherche pour sa part aucun fondement dans la tradition
25
philosophique, du moins pas expressment. Tout au contraire, il se prsente
26
comme un libre penseur qui sintresse avant tout la « nature mÞme des
27
choses ». Si pourtant Simplicius avait lu son Commentaire, il aurait inscrit avec
28
29
219 Cf. <De tempore>, 796.27 – 28 : ta¼tar to¸mum t±r !poq¸ar b vikºsovor Dal²sjior k¼eim
30 1piweiqe ? t¹m 1mest_ta wqºmom oq jat± t¹ !leq³r mOm kalb²meim !ni_m.
31 220 Cf. <De tempore>, 798.26 – 799.8.
32 221 Cf. <De tempore>, 798.20 – 26 : ovtyr owm ja· t¹ 1mest½r ja· t¹ paqekgkuh¹r ja· t¹
33 l´kkom jatû eWdor l³m 1m t` 2m· eUdei sume¸kgptai toO wqºmou, !mek¸ttetai d³ 1m t0 cem´sei,
34 t¹ l³m !e· pqoz¹m eQr t¹ eWmai rvest½r kecºlemom, t¹ d³ 1vhaql´mom paqekgkuhºr, t¹ d³
l¶py cm l´kkom. wqºmor d³ b s¼lpar 1st·m 1mdekew_r N´ym ¦speq ja· B j¸mgsir, j#m
35 !pokab½m t¹m 1mest_ta ¢r 1meqce¸ô to ?r mOm 2jat´qyhem peqato¼lemom !hqºom st¶s,,
36 !pok´sar t¹ toO wqºmou eWdor 1m t` c¸meshai t¹ eWmai 5wom, ¦speq B j¸mgsir. « Le prsent,
37 le pass et le futur sont formellement rassembls dans la forme une du temps, mais se
38 dveloppent dans le devenir : ce qui toujours procde vers lÞtre est dit subsistant, ce qui
39 est dtruit est dit pass, ce qui nest pas encore est dit venir. Le temps en son entier est
continuellement en train de scouler, comme aussi le mouvement, mÞme si, en
40 dtachant un prsent considr comme en acte, limit des deux c ts par les maintenant,
41 on immobilise ce prsent comme un tout ramass, dtruisant ainsi la forme du temps
42 qui, comme le mouvement, a lÞtre dans le devenir. »
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 175
1 raison sa doctrine parmi celles qui soutiennent que le lieu est un intervalle.
2 Daprs Philopon le lieu est un espace vide (w~qa jem^) qui, considr pour lui-
3 mÞme, nest rien dautre que trois pures dimensions (t¹ tqiw0 diastat|m, dia-
4 st\seir l|mai jema· s~lator).222 Il ne se trouve pourtant jamais dpourvu de
5 corps, puisquil est rempli du corps du Monde auquel il est gal en tendue.
6
7 5.3.5.1 La structure du Corollaire sur le lieu
8
Le Corollaire est dvelopp selon une stratgie bien rflchie. Philopon
9
commence par rfuter les deux arguments dAristote contre le lieu conÅu
10
comme intervalle, puis il met en vidence les paradoxes auxquels amne la
11
dfinition aristotlicienne du lieu comme limite de lenveloppant. Ayant ainsi
12
ni la validit de lanalyse dAristote, il passe ltablissement positif de sa
13
thse, en sappuyant sur plusieurs arguments. Philopon achve sa dmarche par
14
une attaque contre la dfense que son matre Ammonius avait propose en
15
faveur dAristote :
16
17
A. 557.8 – 563.24 : Rfutation des arguments dAristote contre le lieu conÅu
18
comme intervalle :
19
1. 557.10 – 560.15 : Premier argument dAristote (ad infinitum) : si le lieu est
20
intervalle, il y aura un nombre infini de lieux.
21
2. 560.16 – 563.25 : Deuxime argument dAristote (ad absurdum) : si le lieu est
22
intervalle, il y aura un lieu du lieu et le lieu se mouvra selon le lieu.
23
B. 563.26 – 567.28 : Rfutation de la dfinition aristotlicienne du lieu comme
24
premire limite de lenveloppant.
25
C. 567.29 – 583.12 : La vritable dfinition du lieu : le lieu comme intervalle
26
trois dimensions.
27
D. 583.13 – 585.4 : Corollaire : sur linvalidit de la dfense propose par
28
Ammonius en faveur dAristote.
29
30
5.3.5.2 Contre Aristote
31
32 En Phys., IV 4, 211b 14 – 29, Aristote exclut lintervalle des quatre « lieux
33 possibles » (les trois autres tant la matire, la forme et la limite de lenvelop-
34 pant) par une reductio ad infinitum et ad absurdum. 223 Philopon traite en
35
36
37
38
39
222 Une tude de la conception du lieu chez Philopon a t propose par D. Sedley,
40 « Philoponus Conception of Space », dans R. Sorabji (d.), Philoponus and the
41 Rejection of Aristotelian Science, p. 140 – 153.
42 223 Voir supra, p. 159.
176 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 ne se divisent les unes par les autres, et que, pareillement, mÞme si dinnombrables
2 lignes se rattachent les unes aux autres, elles ne provoquent aucune division les
3 unes aux autres et aucune augmentation, mais que, au contraire, elles peuvent se
rattacher les unes aux autres dans le mÞme endroit par milliards (et il ny en a pas
4
dautre raison que le fait quelles sont incorporelles), de mÞme il est vident que,
5 mÞme si quelque chose de tridimensionnel se rattache un autre tridimensionnel
6 en tant incorporel, il ne lui provoquera aucune division et aucune affection, mÞme
7 pas une.
8
Accentuant davantage la faiblesse du raisonnement, Philopon renverse par la
9
suite le sens de largument dAristote et lapplique contre la conception du lieu
10
comme limite de lenveloppant. Si le lieu est gal au corps qui est en lui – cest
11
bien lun des axiomes pralablement poss par Aristote –, il faut ncessairement
12
que les deux limites, celle de lenveloppant et celle de lenvelopp, qui sont en
13
effet des surfaces, se rattachent lune lautre. Rien nempÞche alors que dans
14
15
ce cas aussi lune divise lautre linfini, vu que les surfaces sont galement des
16
grandeurs, et que toute grandeur est infiniment divisible228 :
17 En effet, tant donn quil y a trois intervalles, la longueur, la largeur et la
18 profondeur, il nest pas possible dadmettre la fois, <comme le fait Aristote>,
19 que, dune part, la longueur et la largeur puissent se rattacher lune lautre sans se
diviser mutuellement, et que, dautre part, la profondeur divise la profondeur
20
laquelle elle se rattache. Par consquent, ce nest pas lintervalle de manire
21
absolue, de quelque nature quil soit, qui est cause de division, mais lintervalle qui
22 comporte de la matire ; et ceci est le corps. Car cest bien la matire la cause de
23 lagir et du ptir pour les formes qui sont naturellement aptes agir et ptir. En
24 effet, mÞme les contraires ne subiront rien lun par lautre, si ce qui agit et ce qui
25 ptit (je parle des affections naturelles et corporelles) ne se trouvent pas dans la
26
matire. Par consquent, si lintervalle local est un tridimensionnel incorporel et
immatriel, il ne produira pas daffection au corps qui se trouve en lui ni il ne
27
subira quelque chose par le corps. Car ce sont seulement les ralits ayant la mÞme
28 matire qui agissent et ptissent mutuellement. Il en rsulte quil ny a aucune
29 ncessit pour que le vide, mÞme sil traverse le corps, le divise ou < rebours> soit
30 divis par lui.
31
Aristote se voit ainsi accus de ne pas avoir distingu entre lintervalle du corps
32
et lintervalle incorporel quest prcisment le lieu. Le mÞme principe danalyse
33
34
228 <De loco>, 559.7 – 18 : )pojkgqytij¹m c±q tqi_m emtym t_m diastgl²tym, l¶jour
35 pk²tour b²hour, l/jor l³m ja· pk²tor 1vaqlºfomta 1pû %kkgka lµ diaiqe ?m %kkgka, b²hor
36 d³ b²hei 1vaqlºfom diaiqe ?m. oqjoOm oq t¹ di²stgla "pk_r bpo ?om #m × diaiq´se¾r 1stim
37 aUtiom, !kk± t¹ let± vkgr, toOto d´ 1sti t¹ s_la· B c±q vkg toO poie ?m ja· p²sweim aQt¸a
38 to ?r eUdesi, to ?r fkyr poie ?m ja· p²sweim pevujºsim. oqd³ c±q t± 1mamt¸a pe¸somta¸ pote
39 rpû !kk¶kym lµ 1m vk, emtor ja· toO poigtijoO ja· toO pahgtijoO, k´cy dµ t± vusij² te
ja· sylatij± p²hg. ¦ste eQ t¹ topij¹m di²stgla tqiw0 diastat¹m !s¾latºm 1sti ja·
40 %ukom, oute p²hor ti 1lpoi¶sei 1m t` 1ccemol´m\ s¾lati, oute pe¸setai rpû aqtoO· poie ?
41 c±q ja· !mtip²swei lºma t± tµm aqtµm vkgm 5womta. oqdel¸a %qa !m²cjg, j#m eQ di± toO
42 s¾lator wyqo¸g t¹ jemºm, diaiqe ?m aqt¹ C rpû aqtoO diaiqe ?shai.
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 179
1 est aussi appliqu propos du deuxime argument aristotlicien qui veut que,
2 lorsquun corps se dplace, lintervalle occup par le corps se dplace aussi, ce
3 qui fait admettre la thse doublement absurde selon laquelle le lieu est en un
4 lieu et le lieu se meut selon le lieu. Une fois de plus, explique Philopon,
5 labsurdit tient au fait de confondre lintervalle corporel avec lintervalle local.
6 Sil nest pas vrai que deux corps peuvent Þtre dans le mÞme endroit, il est
7 cependant vrai quune ralit incorporelle peut Þtre dans le mÞme endroit avec
8 une ralit corporelle. Tel est le rapport existant entre le lieu et les corps qui
9 sont en lui : tant incorporel, lintervalle local reÅoit les tendues corporelles qui
10 se dplacent en lui. Ce nest donc pas le lieu du corps mais ltendue du corps
11 qui se meut avec le corps et, de ce fait, selon le lieu, ce dernier demeurant
12 toujours immobile.
13 Dans la suite du Corollaire (563.26 – 565.9) Philopon se met tirer au clair
14 les paradoxes quentrane la dfinition aristotlicienne du lieu comme premire
15 limite du corps enveloppant. Vu lhistoire du problme, il est premire vue
16 tonnant quil nvoque ce propos aucun philosophe antrieur. Nanmoins,
17 une comparaison de ses arguments avec les cinq apories de Thophraste
18 rapportes par Simplicius229 suffit pour tablir avec beaucoup de vraisemblance
19 quil puisait tacitement dans la Physique du successeur dAristote. On retrouve
20 en effet dans le dveloppement de Philopon quatre des cinq apories (comme
21
chez Simplicius, la cinquime aporie est contourne) prsentes sous forme
22
dobjections.230 Comme attendu, lobjection la plus importante est celle qui
23
concerne le mouvement local du ciel, et particulirement le mouvement de la
24
sphre des fixes231 :
25
26 Ainsi, du fait quAristote na pas dlivr un discours correct sur le lieu, bien que
tout corps soit videmment en un lieu, ses explications ne sappliquent pas
27
facilement tous les corps. Cest pourquoi <ses exgtes>, voulant expliquer
28
comment la sphre des fixes se meut selon le lieu, bien que <selon Aristote> elle
29 ne soit pas en un lieu, mÞlent tout plut t quils ne disent quelque chose de clair et
30 de convaincant. Car ils ne peuvent pas nier que la sphre des fixes se meut selon le
31 lieu (ils ne peuvent mÞme pas simaginer le mouvement selon lequel elle pourrait
32
33 229 Voir supra, p. 152 – 154.
34 230 Cf. <De loco>, 563.27 – 567.7.
231 <De loco>, 565.10 – 21 : Ta¼t, coOm t` lµ aqh_r rpû )qistot´kour !podedºshai t¹m peq·
35 tºpou kºcom, ja¸toi pamt¹r s¾lator 1m tºp\ emtor, oqj 1p· p²mtym aqt` eqode ? t_m
36 syl²tym b kºcor. fhem !podoOmai boukºlemoi p_r #m B !pkamµr jimo ?to jat± tºpom lµ
37 owsa 1m tºp\, p²mta juj_si l÷kkom C k´cous¸ ti sav³r ja· pe ?sai dum²lemom·
38 !qm¶sashai l³m c±q t¹ lµ jat± tºpom jime ?shai tµm !pkam/ oq d¼mamtai (oqd³ c±q
39 oqd³ pk²sashai d¼mamtai t¸ma #m jimo ?to j¸mgsim), t¸r l´mtoi #m eUg b tºpor jahû dm
jime ?tai !podoOmai oqj 5wousim, !kkû ¦speq to»r j¼bour oR pette¼omter %kkote %kkyr t¹m
40 kºcom letav´qousi, ja· di± p²mtym t±r 1n !qw/r h´seir ja· blokoc¸ar !maiqoOsim. b l³m
41 c±q )qistot´kgr t¹ !shem³r toO kºcou t0 !save¸ô peqijak¼xar d´dyje to ?r bouko-
42 l´moir, ¢r #m 1h´kysi, letastq´veim to»r kºcour.
180 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 autrement se mouvoir), mais quel est ce lieu dans lequel elle se meut, ils ne savent
2 pas lexpliquer. Comme les gens qui jouent aux ds, ils forment leurs propos chaque
fois diffremment et contredisent totalement leurs positions et leurs accords
3
originels. Car Aristote a dissimul sous lobscurit la faiblesse de son discours, et il
4 a permis ainsi ceux qui le dsirent, de tourner ses propos comme ils veulent.
5
6 On remarquera comment la clbre obscurit dAristote, conÅue pour exercer la
7 sagacit (!cw_moia) de ses lecteurs,232 se transforme ici en un moyen de
8 dissimulation de la faiblesse de la doctrine. Emports par lautorit dAristote,
9 les exgtes ont en vain essay de rendre compte du mouvement local du ciel en
10 se conformant la conception du lieu comme limite. Il aurait suffi quils aient
11 opt pour lintervalle, lieu rempli du corps du Monde.
12
13 5.3.5.3 Le lieu comme intervalle trois dimensions
14 La conception de Philopon au sujet du lieu devient claire ds la premire partie
15 du Corollaire233 :
16
17 Que le lieu nest donc pas la limite de lenveloppant, il est possible de le voir de
manire modre partir de ce que nous venons de dire. Quil est, en revanche,
18
une sorte dintervalle trois dimensions autre que les corps qui entrent en lui et
19 incorporel par sa propre dfinition, autrement dit de pures dimensions vides de
20 corps (en effet, du point de vue du sujet, le vide et le lieu sont en ralit la mÞme
21 chose), cela peut tout dabord se montrer par la rfutation des autres possibilits
22 <quAristote a proposes pour le lieu>. Si donc le lieu nest ni la matire ni la
forme ni la limite de lenveloppant, il reste que le lieu est lintervalle. Mais il est
23
galement possible de montrer que le lieu est un tel intervalle compltement
24 diffrent des corps qui se trouvent en lui, en examinant la question par elle seule.
25
26
On saisira facilement lcart qui spare la conception philoponienne de celle
27
que dveloppe Simplicius dans son propre Corollaire. Selon Philopon, le lieu est
28
un intervalle trois dimensions, diffrent des tendues corporelles qui se
29
trouvent et se dplacent en lui. Il est un rceptacle incorporel partout rempli de
30
corps.234 Or, tant incorporel et tendu, il est identique au vide, et de ce fait il ne
31
32 232 Lire, dans les prolgomnes la philosophie dAristote, le kephalaion se rapportant
33 lobscurit du style aristotlicien.
34 233 <De loco>, 567.29 – 568.1 : nti l³m owm oqj 5sti t¹ p´qar toO peqi´womtor b tºpor, 1j
to¼tym letq¸yr 5sti sumide ?m, fti d³ di²stgl² t¸ 1sti tqiw0 diastat¹m 6teqom t_m
35 syl²tym t_m 1lpiptºmtym eQr aqt¹m !s¾latom cm t` oQje¸\ kºc\ ja· diast²seir lºmai
36 jema· s¾lator (taqt¹m c±q t` emti t¹ jem¹m ja· b tºpor jat± t¹ rpoje¸lemom), deiwhe¸g #m
37 ja· 1j t/r t_m koip_m !maiq´seyr· eQ c±q l¶te vkg l¶te eWdor l¶te t¹ p´qar toO
38 peqi´womtor, ke¸petai t¹ di²stgla eWmai t¹m tºpom. ja· aqt¹ d³ jahû art¹ deiwhe¸g #m fti
39 5sti ti toioOtom di²stgla 6teqom p²mt, paq± t± 1ccimºlema 1m aqt` s¾lata.
234 Cest pourquoi le lieu en lui-mÞme est accessible par la seule pense, en ce sens que,
40 pour le connatre, la pense doit supprimer les corps qui sont en lui. Toutefois, cela ne
41 signifie pas que pour Philopon lexistence du lieu soit exige en dernire analyse par la
42 seule raison, comme le pense D. Sedley (cit supra, n. 222). Philopon entreprend en effet
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 181
1 peut rien sur les corps. On est bien loin de la puissance salvatrice du lieu qui
2 assure la bonne organisation spatiale du monde et des corps qui se trouvent en
3 lui. Dans un raisonnement (et dans un univers) philosophique diamtralement
4 oppos celui de Damascius et de Simplicius, lontologie du corps fonde en
5 dernire analyse, chez Philopon, lontologie du lieu.
6 En poursuivant son enquÞte sur la vritable nature du lieu en dehors du
7 contexte aristotlicien (567.29 – 583.12), Philopon fournit quatre arguments
8 supplmentaires, qui se partagent entre lobservation et la spculation :
9 1. Le remplacement des corps (568.3 – 569.17) : Quentendons-nous quand
10 nous disons que deux corps se remplacent lun lautre ? Prenons par exemple
11 lair et moi-mÞme : quand je me dplace et occupe un lieu occup premirement
12 par lair, lair me cde une place qui est de volume gal au volume de mon corps.
13 Si donc le lieu est ce en quoi se produit le remplacement des corps et que les
14
corps soient tous tridimensionnels, il sensuit que le lieu aussi est tridimension-
15
nel, cest--dire intervalle.
16
2. La violence ou la suppression du vide (B toO jemoO b_a) (569.18 – 573.21) :
17
Philopon qualifie la « suppression du vide »235 de clbre (pokuhq¼kgtor), ce qui
18
suggre quelle ait t largement employe dans la description de certains
19
phnomnes naturels. Il sagit dune ide bien atteste dans la littrature
20
scientifique grecque (notamment celle qui se rapporte la dynamique),236 qui
21
sapplique clairer le comportement non naturel des corps (par exemple, le
22
mouvement de leau vers le haut) que lon observe sous certaines conditions.
23
Philopon voque ce propos deux expriences, celle de la clepsydre et celle du
24
25
tube : a) si lon remplit deau une clepsydre, cest--dire un vase dont la bouche
26 de prouver lexistence dun intervalle qui se trouve, pour ainsi dire, « au-dessous » de
27 ltendue corporelle en ayant aussi recours lexprience (voir dans la suite les
28 arguments relatifs la « suppression du vide »). Il exige, par ailleurs, que la raison
29 sadapte la « nature » mÞme des choses.
235 Il nous semble plus probant de traduire « b_a » par « suppression » et non pas par
30 « force » (« force of the void » est la traduction anglaise propose par D. Furley,
31 Philoponus. Corollaries on place and void, Londres, 1991) qui, notre avis, rend mal
32 lide qui veut Þtre exprime ici : cest le plein qui exerce sa force sur le vide et non pas
33 linverse. « Violence du vide » serait une autre traduction plausible.
34 236 Elle est, par exemple, abondamment employe dans les Pneumatica de Hron. Lide
est pourtant bien plus ancienne, puisquon la rencontre comme « B pq¹r t¹ jemo¼lemom
35 !jokouh_a » dans des fragments du mdecin rasistrate (IIIe sicle av. J.–C.) conservs
36 par Galien. Elle a dj t employe dans un contexte philosophique par Straton de
37 Lampsaque. Sur tout cela, voir en dernier lieu D. Lehoux, « All voids large and small,
38 being a discussion of place and void in Strato of Lampsacuss matter theory », Apeiron
39 32 (1999), p. 1 – 36, qui corrige en bien des points lanalyse prcdemment fournie par D.
J. Furley, « Stratos Theory of the Void », dans J. Wiesner (d.), Aristoteles Werk und
40 Wirkung. Paul Moraux gewidmet, t. II, Berlin/New York, 1987, p. 594 – 609 [repris dans
41 D. J. Furley, Cosmic Problems. Essays on Greek and Roman Philosophy of Nature,
42 Cambridge, 1989, p. 149 – 160].
182 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 est troite et le fond lgrement trou, et que lon bloque sa bouche avec le
2 doigt, leau ne coule pas des trous, ce qui est contraire son mouvement naturel
3 (leau devrait se porter naturellement vers le bas en sortant du vase) ; b) si lon
4 met une paille ou un petit tube dans un vase, comme le font les gens qui veulent
5 vider une amphore remplie de vin, et que lon suce ensuite le tube pour
6 quelques instants, le vin continue de scouler en dehors de lamphore jusqu
7 terme. Ces phnomnes, prcise Philopon, sexpliquent par la « suppression du
8 vide » qui fait prcisment que les corps se meuvent ou se reposent contrai-
9 rement leur nature afin dempÞcher quun vide se produise. Ainsi, dans la
10 premire exprience, leau ne sort pas du vase, parce que lair qui devrait
11 immdiatement remplacer leau sortante ne peut pas entrer dans le vase,
12 puisque la bouche est bloque par le doigt et que les trous sont trop petits pour
13 que leau et lair puissent y passer simultanment. Afin donc quil ny ait pas de
14 vide dans le vase, leau reste immobile. Lexplication de la deuxime exprience
15 va dans le mÞme sens : une fois que le tube est rempli de vin, lair ne peut pas y
16 entrer. Afin donc que le tube ne soit pas laiss vide, le vin continue de le
17 remplir, jusquau moment o
lair arrive y entrer. Pour Philopon, la
18 « suppression du vide », qui est bien un phnomne naturel en ce sens quil
19 est empiriquement observ, prsuppose quil y a un intervalle diffrent de
20 ltendue des corps, que les corps se prcipitent prcisment de remplir. Elle
21 montre galement que, dans la ralit, le vide nest jamais dpourvu de corps.
22 3. Le besoin des corps dÞtre dans un intervalle qui leur soit gal (573.22 –
23 574.12) : Philopon fait encore appel lobservation. Pourquoi, demande-t-il, les
24 outres et les tonneaux se rompent-ils, lorsque le mot subit le mutage
25 lalcool ? Cest parce que lalcool est un deuxime corps, autre que le jus de
26 raisin, qui cherche se produire dans un intervalle qui puisse recevoir sa propre
27 tendue. Cest pourquoi loutre, dont ltendue est prdispose recevoir
28 ltendue du jus de raisin mais non pas ltendue de lalcool, se rompt. Or, cela
29 implique lexistence dune tendue « fondatrice », qui permet prcisment que
30 lalcool puisse stendre. Cette tendue est le lieu.
31 4. La suppression par hypothse des corps de lunivers (574.13 – 575.20) : Le
32 raisonnement consiste en un « thought experiment » ; si lon supprime par la
33 pense les corps de lunivers, cest--dire la terre, leau, lair et le feu, que
34 subsistera-t-il ? Rien que le vide. On pourra, tout de mÞme, encore tracer des
35 lignes droites partir du centre de cet univers « vacu » vers chaque point de sa
36 priphrie. Or, cela indique quil y a un intervalle autre que lintervalle des
37 corps.
38 lappui de ces arguments, surtout du deuxime et du troisime, Philopon
39 veut montrer que lexistence dun intervalle local incorporel, diffrent de
40 ltendue corporelle, est ncessaire, si lon veut rendre compte de certains
41 phnomnes. Lintervalle local nest, cependant, « !s~latom » que par sa propre
42 dfinition, autrement dit considr pour lui-mÞme. Philopon souligne particu-
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 183
1 lirement le fait que lintervalle (ou le vide) est toujours rempli de corps, comme
2 le montre dailleurs le phnomne de la « suppression du vide » : ds quun vide
3 risque de se produire, un corps se prcipite pour le supprimer. De mÞme en effet
4 que lon distingue la matire de la forme, bien que la matire nexiste jamais
5 sans forme, de mÞme il faudra distinguer entre lintervalle incorporel et
6 ltendue corporelle, bien que lun nexiste jamais sans lautre237 :
7
Je ne dis assurment pas que cet intervalle existe ou puisse jamais exister en tant
8 vide de tout corps ; non, en aucun cas. Jaffirme pourtant quil est autre que les
9 corps qui entrent en lui et quil est vide par sa propre dfinition, bien quil ne soit
10 jamais sans corps, de la mÞme manire que nous affirmons sans hsiter que la
11 matire est autre que les formes, bien quelle ne puisse jamais exister sans forme.
De manire analogue, donc, nous pensons lintervalle comme autre que tout corps
12
et comme vide par sa propre dfinition. Il nen reste pourtant pas moins que des
13 corps diffrents entrent chaque instant en lui, alors que lui-mÞme reste immobile
14 tant en son tout quen ses parties : en son tout, parce que lintervalle cosmique, qui
15 a reÅu la totalit du corps de lunivers, ne pourrait jamais se mouvoir ; en ses
16 parties, parce quil est impossible que lintervalle incorporel, qui est vide par sa
propre dfinition, se meuve.
17
18 La mention de « lintervalle cosmique qui reÅoit la totalit du corps de
19 lunivers », en ce sens quil est rempli de lui, fait penser la doctrine de Straton
20 de Lampsaque, en juger du moins par ce que dit Simplicius238 :
21
Il y a des philosophes qui posent que lintervalle est de mesure gale au corps du
22 monde, cest pourquoi ils disent que, du point de vue de sa nature, il est vide, mais
23 quil est toujours rempli de corps, et que lon ne lenvisage comme existant en soi
24 que par la seule pense. Cest la thse adopte par la plupart des philosophes
25 platoniciens. Straton de Lampsaque lui aussi a t, je crois, de cet avis.
26
27
28
29
30
31 237 <De loco>, 569.7 – 17 : Ja· oq d¶pou toOto k´cy, fti t¹ di²stgla toOto E 1st¸ pote C
32 d¼matai eWmai jem¹m pamt¹r s¾lator· oqdal_r, !kkû eWmai l´m vgli 6teqom paq± t±
33 1lp¸ptomta s¾lata ja· t` Qd¸\ kºc\ jemºm, lgd´pote l´mtoi wyq·r s¾lator, ¦speq
34 !l´kei ja· tµm vkgm val³m t_m l³m eQd_m 2t´qam eWmai, lgd´pote l´mtoi wyq·r eUdour eWmai
d¼mashai. ovtyr owm ja· t¹ di²stgla 6teqom l³m eWmai pamt¹r s¾lator ja· jem¹m t` Qd¸\
35 kºc\ mooOlem, !kkû !e· letelp¸ptei eQr aqt¹ %kkote %kka s¾lata aqt¹ !j¸mgtom l´mom ja·
36 jahû fkom ja· jat± lºqia, jahû fkom l³m diºti t¹ joslij¹m di²stgla t¹ den²lemom t¹ toO
37 jºslou pamt¹r s_la oqd´potû #m jimghe¸g, jat± lºqia d³ diºti jime ?shai t¹ !s¾latom
38 di²stgla ja· t` Qd¸\ kºc\ jem¹m !d¼matom.
39 238 Simplicius, <De loco>, 618.20 – 25 [= fr. 60 Wehrli] : OR d³ Qsºletqom aqt¹ t` joslij`
s¾lati poioOsi, ja· di± toOto t0 l³m 2autoO v¼sei jem¹m eWmai k´cousi, pepkgq_shai d³
40 aqt¹ syl²tym !e¸, ja· lºm, ce t0 1pimo¸ô heyqe ?shai ¢r jahû art¹ rvest¾r, oXo¸ timer oR
41 pokko· t_m Pkatymij_m vikosºvym cecºmasi· ja· Stq²tyma d³ oWlai t¹m Kalxajgm¹m
42 ta¼tgr cem´shai t/r dºngr.
184 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 Philopon aussi affirme que les limites de lintervalle local concident avec les
2 limites des corps cosmiques239 :
3
En effet, lorsque le lieu des corps a pris subsistence, il a subsist autant quil lui a
4 fallu pour pouvoir recevoir les corps cosmiques. Et il sachve avec les limites des
5 corps.
6
7
La totalit de lintervalle local se prsente comme tant coextensive au corps de
8
lunivers, comme le voulait prcisment Straton. Il y a l une concidence
9 doctrinale remarquable. Qui plus est, un lment essentiel de la dmonstration
10 de Philopon est la mise en valeur de la « suppression du vide », dont la
11 conception remonte effectivement Straton.240 Il est donc vraisemblable de dire
12 que Philopon puisait tacitement dans le trait Sur le vide de Straton.241 Mais il a
13 pu sans doute enrichir de son propre cru la doctrine du lieu comme intervalle,
14 comme on peut le constater par son attitude lgard des autorits.
15
16 5.3.5.4 Un esprit libre dautorits
17
En introduisant son argument qui prend appui sur la suppression du vide,
18
Philopon sadresse celui qui dirige son regard vers la vrit242 :
19
20 La suppression du vide fera encore voir clairement, du moins celui qui dirige son
regard vers la vrit, les deux choses la fois : quil existe un intervalle autre que
21
les corps qui entrent en lui, et quil nest jamais dpourvu de corps.
22
23 Chercher la vrit et chercher le sens de ce que dit Aristote sont pour Philopon
24 deux choses dissocies. Philopon met en cause lanalyse dAristote dune
25
26 239 Philopon, <De loco>, 582.32 – 34 : 9peidµ c±q tºpor t_m syl²tym rp´stg, tosoOtom l³m
27 rp´stg fsom oXºm te Gm wyq/sai t± joslij± s¾lata, sulpeqatoOtai d³ to ?r t_m syl²tym
28 p´qasim.
29 240 Voir supra, n. 236.
241 Le rapport de Philopon avec Straton de Lampsaque et lintrÞt que le Corollaire sur le
30 lieu prsente comme tmoin ventuel de Straton (comme, par ailleurs, de Thophraste)
31 nont pas t, notre connaissance, suffisamment pris en considration. Les dvelop-
32 pements correspondants de Philopon pourraient en effet lucider les tmoignages
33 relatifs la doctrine de Straton, comme le suivant qui provient encore de Simplicius,
34 <De loco>, 601.22 – 24 [=fr. 59 Wehrli] : oR d³ di²stgla ja· !e· s_la 5wom ja· 1pi-
t¶deiom pq¹r 6jastom ¢r oR jkeimo· t_m Pkatymij_m ja· b Kalxajgm¹r Stq²tym.
35 « Certains disent que le lieu est un intervalle qui possde toujours un corps et est
36 appropri chacun ; cest la thse dfendue par les Platoniciens les plus clbres et par
37 Straton de Lampsaque ». Que faut-il en effet comprendre par « intervalle appropri » ?
38 Lexemple du mot qui, cherchant lintervalle convenable, rompt loutre qui le contient,
39 en fournit effectivement une illustration. Pourrait-on aller jusqu dire que Philopon la
mÞme emprunt Straton ?
40 242 <De loco>, 569.18 – 20 : =ti B toO jemoO b¸a !lvºteqa sav_r paqast¶sei t` ce pq¹r
41 tµm !k¶heiam bk´pomti, k´cy dµ t¹ ja· eWma¸ ti t¹ di²stgla 6teqom paq± t± 1lp¸ptomta
42 s¾lata, ja· lgd´pote toOto 1jt¹r s¾lator eWmai.
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 185
1 manire qui laisse entrevoir quil ne lui reconnat aucune autorit. Il nhsite
2 mÞme pas slever au mÞme niveau que le Philosophe, comme cela apparat de
3 faÅon caractristique dans le passage suivant, o
le balancement de la
4 construction (1c½ l]m/b d³ )qistot´kgr) est rvlateur243 :
5
Les lments tant donc quatre, dont deux sont lgers et deux lourds, moi, pour ma
6 part, je peux dire, sil faut dterminer cela dune manire gnrale, que le lieu haut
7 est la partie de lintervalle qui reÅoit les corps lgers et que le lieu bas est celui qui
8 reÅoit les corps lourds. Aristote, par contre, ne saurait dire quel est le lieu haut au
9 sens propre et quel est le lieu bas.
10 La dmarche exgtique de Philopon est profondment marque par cet esprit
11 rformateur, qui se rvle amplement dans un excursus du Corollaire relatif la
12 doctrine des catgories. Si en effet le lieu nest que pures dimensions nayant
13 aucun substrat, et que les dimensions relvent de la catgorie de la quantit,
14 certains penseront avec raison que Philopon spare, de manire inadmissible, la
15 quantit de la substance244 :
16
17 Mais peut-Þtre que lon soulve propos de notre discours laporie que nous nous
sommes dj hts dnoncer : si le lieu est un intervalle sans aucune substance et
18
sans matire, ayant prcisment son Þtre dans de pures dimensions, et que les
19 dimensions appartiennent la quantit, il arrivera que la quantit soit spare,
20
21 243 <De loco>, 581.32 – 582.2 : Tess²qym owm emtym t_m stoiwe¸ym, ja· d¼o l³m jo¼vym d¼o
22 d³ baq´ym, 1c½ l´m, eU ce de ? fkyr !voq¸feim, vgl· %my l³m tºpom eWmai t¹ lºqiom toO
23 diast¶lator t¹ !peikgv¹r t± joOva s¾lata, j²ty d³ t¹ !peikgv¹r t± baq´a, b d³
24 )qistot´kgr oqj #m 5woi k´ceim t¸r 1sti juq¸yr b %my tºpor ja· t¸r 1stim b j²ty.
244 <De loco>, 578.5 – 32 : )kkû 1je ?mo Usyr !poq¶sei´ tir pq¹r t¹m kºcom, d Edg vh²samter
25 eUpolem, fti eQ b tºpor di²stgl² 1stim %meu oqs¸ar p²sgr ja· vkgr 1m lºmair ta ?r dia-
26 st²sesi t¹ eWmai 5wom, aR d³ diast²seir toO posoO, sulb¶setai t¹ pos¹m wyqist¹m eWmai
27 %meu oqs¸ar. !kkû !d¼matom· p÷sai c±q aR %kkai jatgcoq¸ai 1m t0 oqs¸ô t¹ eWmai 5wousim. eQ
28 to¸mum !d¼matom t¹ pos¹m jahû art¹ rpost/mai wyq·r t/r oqs¸ar, !d¼matom eWmai t¹
29 toioOtom di²stgla. vgl· owm 1c½ fti l²kista l³m oq ta ?r Blet´qair h´sesim !m²cjg tµm
t_m pqacl²tym !jokouhe ?m v¼sim, !kk± to?r pq²clasi sulv¾mour eWmai t±r Blet´qar
30 blokoc¸ar. oqj 1peidµ to¸mum ovty diyqis²leha ¢r !d¼matom posºm ti rpost/mai %meu
31 oqs¸ar, Edg pou !m²cjg ja· tµm t_m pqacl²tym v¼sim ovtyr 5weim· eQ c±q 1peidµ p²mtyr
32 1m to ?r s¾lasi let± oqs¸ar bq_lem t¹ posºm, di± toOto jahû art¹ oqj #m rpost/mai
33 !povaimºleha, ¦qa ja· aqt±r t±r oqs¸ar lµ aqhupost²tour eWmai k´ceim. p÷sa c±q vusijµ
34 oqs¸a posoO timor ¢qisl´mou de ?tai eQr t¹ eWmai· !d¼matom coOm 1m t` tuwºmti lec´hei t¹
tuw¹m eWdor rpost/mai, ¢r 1m t` pq¾t\ kºc\ ta¼tgr t/r pqaclate¸ar 1de¸whg, !kk± ja·
35 s±qn ja· %mhqypor ja· astoOm ja· t± %kka p²mta vusij± eUdg oqj #m rposta¸g lµ 5m timi
36 ¢qisl´m\ pos`, !kk± toO posoO, 1m è p´vujem B s±qn rv¸stashai, vhaq´mtor sumevh²qg
37 ja· t¹ eWdor. ta¼t, owm eUpoili #m t± vusij± eUdg ¢r 1m rpojeil´m\ t` pos` t¹ eWmai 5weim.
38 ja· t¸ de ? peq· toO posoO k´ceim. oqd³m c±q t_m vusij_m eQd_m %meu vkgr rpost/mai
39 d¼maitû %m· p²mta owm sulbebgjºta #m eUg t0 vk,. taOta l³m owm fpyr 5wei, lajqoO #m ja·
kºcou d´oi ja· wqºmou pq¹r t¹ cm_mai, fpeq d³ eWpom 1n !qw/r, ja· mOm k´cy, fti C
40 dein²tysam fti oqj 5sti t¹ toioOtom di²stgla ja· ku´tysam t± paqû Bl_m dedeicl´ma, E,
41 5stû #m 1je ?ma l´mysim, oqj !maiq¶solem tµm t_m pqacl²tym v¼sim, 1peidµ tis·m ovtyr
42 5donem !pov¶mashai, ¢r !d¼matom t¹ pos¹m jahû art¹ rpost/mai.
186 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 cest--dire quelle sera sans substance. Mais cela est impossible ! En effet, toutes
2 les autres catgories ont leur Þtre dans la substance. Si donc il est impossible que la
quantit subsiste par soi-mÞme, cest--dire spare de la substance, il est aussi
3
impossible quun tel intervalle existe. Moi, donc, je dis quil ny aucune ncessit
4 que la nature des choses suive nos positions, mais quen revanche nos paroles
5 saccordent avec les choses. Ce nest pas parce que nous avons dtermin quil est
6 impossible quune quantit subsiste sans substance, quil est maintenant ncessaire
7 que la nature des choses soit telle en ralit. Si en effet, parce que nous voyons
toujours dans les corps la quantit avec la substance, nous dclarons que la quantit
8
ne peut pas subsister en elle-mÞme, il est temps de dire aussi que les substances non
9 plus ne subsistent en elles-mÞmes. En effet, toute substance naturelle a besoin
10 dune certaine quantit dtermine afin quelle puisse exister. Il est impossible, par
11 exemple, que nimporte quelle forme subsiste dans nimporte quelle grandeur,
12 comme il a t montr dans le premier livre de ce trait, mais tant la chair que
lhomme, los et toutes les autres formes naturelles ne peuvent pas subsister sinon
13
dans une certaine quantit dtermine ; et lorsque la quantit, dans laquelle la
14 chair peut naturellement subsister, prit, la forme aussi prit avec elle. De ce point
15 de vue, je peux donc dire que les formes naturelles ont leur Þtre dans la quantit en
16 tant que celle-ci leur sert de substrat. Mais quoi bon ne parler que de la quantit ?
17 En effet, aucune des formes naturelles ne peut subsister sans la matire ; elles
seraient donc toutes des accidents de la matire. Mais pour savoir ce quil en est de
18
ces choses-l, il nous faudrait de longs propos et du temps. Je me contenterai donc
19 de rpter ce que jai dit depuis le dbut : ou bien quils nous montrent quun tel
20 intervalle nexiste pas et quils rsolvent tout ce que nous avons montr ou bien, aussi
21 longtemps que ce que nous avons montr maintient sa validit, nous ne boulever-
22 serons pas la nature des choses, parce quil a sembl bon certains dnoncer quil
est impossible que la quantit subsiste en elle-mÞme.
23
24 En anticipant en quelque sorte sur la philosophie moderne, Philopon nonce un
25 principe pistmologique qui postule la ncessit dune vrit empiriquement
26 vrifiable. Or, cela implique que dsormais la doctrine de lautorit devra Þtre
27 mise en cause. la fin du Corollaire, mÞme le matre Ammonius nest pas
28 pargn par la critique quentrane la « nouvelle mthode »245 :
29
30 245 <De loco>, 583.13 – 584.4 : )kk± c±q taOta Bl_m to ?r paq± toO )qistot´kour peq· toO
31 tºpou eQqgl´moir !mtikecºmtym 5kecem b vikºsovor !pokoco¼lemor, ¢r fti vusij¹r £m b
32 )qistot´kgr peq· to¼tym poie ?tai t¹m kºcom t_m pqacl²tym, fsa ja· 5sti ja· dioije ?tai
33 rp¹ v¼seyr, 5sti d³ B v¼sir !qwµ jim¶seyr ja· Aqel¸ar, ¦ste eQ toOtº 1stim B v¼sir, fsa
34 %qa vusij² 1sti t_m pqacl²tym, taOta 1m arto ?r !qwµm 5wei jim¶seyr ja· Aqel¸ar· fsa
owm oqj 5wei 1m arto ?r !qwµm jim¶seyr ja· Aqel¸ar, taOta oqd³ vusij² 1stim, ¦ste oqd³
35 diak´netai peq· to¼tym b vusiokºcor. t¹ owm di²stgla t¹ toioOtom, oqdel¸am 5wom 1m
36 2aut` !qwµm jim¶seyr ja· Aqel¸ar (oqd³ c±q aunetai oqd³ !kkoioOtai oqd³ jat± tºpom
37 jime ?tai· oqd³ c±q c¸metai ja· vhe¸qetai), oqd³ vusij¹m #m eUg. toO owm kºcou emtor t`
38 )qistot´kei peq· t_m vusij_m pqacl²tym, fgte ? mOm t¸ pot´ 1stim b t_m vusij_m pqac-
39 l²tym tºpor vusij¹r £m dgkomºti ja· aqtºr. eQjºtyr owm t¹ l³m toioOtom di²stgla ou
vgsi tºpom eWmai t_m vusij_m syl²tym eUte 5stim eUte l¶ (oqd³ c²q 1sti vusijºm), lºmom
40 d³ erq¸sjei 1m to ?r vusijo ?r emta tºpom to ?r s¾lasi vusij¹m t¹ p´qar toO peqi´womtor
41 jah¹ peqi´wei t¹ peqiewºlemom. 9c½ d³ pq¹r taOt² vgli, fti eQ l³m t` emti lgd´ma kºcom
42 1poie ?to b )qistot´kgr eUte 5stim eUte lµ toioOtºm ti di²stgla, lºmom d³ deijm¼eim
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 187
1 Tout cela ayant t object par nous au discours dAristote sur le lieu, le philosophe
2 [=Ammonius] disait en plaidant pour Aristote quAristote est un physicien, cest
pourquoi il parle uniquement des choses qui sont subordonnes la nature et sont
3
gouvernes par elle. Or, la nature est un principe de mouvement et de repos. Si
4 donc cest cela la nature, toutes les ralits qui sont naturelles ont en elles-mÞmes
5 un principe de mouvement et de repos. En revanche, les ralits qui nont pas en
6 elles-mÞmes un principe de mouvement et de repos ne sont pas naturelles. Par
7 consquent, le physicien ne discourra pas delles. Or, un tel intervalle, qui na en
lui-mÞme aucun principe de mouvement et de repos (car il ne grandit pas, il ne
8
saltre pas et il ne se meut pas selon le lieu ; en plus, il ne vient pas lÞtre et ne
9 prit pas), ne saurait Þtre naturel. Par consquent, du fait que son discours porte
10 sur les ralits naturelles, Aristote recherche prsent ce quest le lieu des ralits
11 naturelles, qui est videmment lui-mÞme naturel. Cest donc bon droit quil
12 affirme quun tel intervalle nest pas le lieu des ralits naturelles, quil existe ou
non, car il nest pas naturel. Le seul lieu naturel quil trouve pour les corps dans le
13
domaine de la nature, cest la limite de lenveloppant par laquelle le lieu enveloppe
14 le corps envelopp. Moi, je dis propos de cela que, si Aristote navait vraiment
15 pas parl de lexistence ou non dun tel intervalle, et quil avait seulement tent de
16 montrer quun tel intervalle – jentends lintervalle trois dimensions – nest pas le
17 lieu des corps naturels, la tentative du philosophe de montrer quAristote ne rfute
pas lexistence de lintervalle, mais la possibilit que lintervalle soit le lieu des
18
corps naturels tant lui-mÞme naturel, aurait pu avoir une possibilit <dmons-
19 trative>. Toutefois, puisque Aristote essaie au contraire de montrer tout prix,
20 tant ici que dans son discours sur le vide, quil ny a pas dintervalle autre que les
21 intervalles corporels, il savre que la dfense du philosophe en faveur dAristote
22 est fictive.
23 Lors dune discussion en classe, relative aux insuffisances de la doctrine
24 aristotlicienne du lieu, Ammonius tentait de dfendre Aristote en ayant
25 recours au principe traditionnel de la diversit des objets de la science qui
26 provoque un changement de perspective. Simplicius laurait certes admis, mais
27 pour Philopon un tel principe dexplication tait a priori invalid par la lecture
28 mÞme du texte dAristote.
29
30
31
32
33
34
35
36
37 1peiq÷to fti b tºpor t_m vusij_m syl²tym oqj 5sti toioOtºm ti di²stgla, k´cy dµ t¹
38 tqiw0 diastatºm, j#m t¹ piham¹m eWwem Usyr B 1piwe¸qgsir toO vikosºvou, oq t¹ eWmai
39 toioOtom di²stgla !maiqoOmta deijm¼ousa t¹m )qistot´kgm, !kk± t¹ eWmai aqt¹ tºpom
t_m vusij_m syl²tym vusij¹m emta ja· aqtºm, 1peidµ d³ b )qistot´kgr %mtijqur di±
40 p²mtym deijm¼eim peiq÷tai ja· 1mtaOha ja· 1m to ?r peq· toO jemoO kºcoir, fti oqd³ 5sti
41 di²stgla %kko paq± t± sylatij± diast¶lata, pkaslat¾dgr de¸jmutai B toO vikosºvou
42 rp³q )qistot´kour !pokoc¸a.
188 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 5.3.6 Philopon, Sur le mouvement contre nature (In Phys., 639.3 – 642.26)
2
3 Lexcursus, dans lequel Philopon dveloppe sa clbre thorie connue sous le
4 nom de limpetus,246 trouve son point de dpart dans les deux explications,
5 lgrement diffrentes, quAristote propose pour le mouvement contre nature
6 des projectiles dans le but daffirmer que ce type de mouvement nest pas
7 possible travers le vide247 :
8
De plus, les projectiles se meuvent encore, alors que ce qui les a mis en branle ne
9 les touche plus, soit du fait dun change rciproque (diû !mtipeq¸stasim) comme le
10 disent certains, soit du fait que lair qui a t mis en branle produit un mouvement
11 plus rapide que le transport de lobjet mis en branle qui porte cet objet dans son
12 lieu propre. Mais dans le vide rien de cela ne peut Þtre, et il ny aura pas de
transport, moins que le projectile ne soit vhicul par quelque chose.
13
14 Le projectile est vhicul par lair, qui se voit ainsi jouer un r le efficient dans la
15 ralisation du mouvement contre nature : le projectile continue se mouvoir
16 sous leffet de la pression de lair, qui pousse le projectile jusqu ce que sa
17 capacit motrice soit puise.248 En revanche, le vide ne peut pas Þtre mis en
18 mouvement ni devenir son tour force motrice. Il constitue ainsi un mdium
19 travers lequel le mouvement contre nature ne saurait se raliser et, de ce fait,
20 son existence est discrdite. Sauver lexistence du vide, cest lobjectif que se
21 donne en dernire analyse Philopon, en rfutant les deux explications admises
22 par Aristote. De ce point de vue, lexcursus consacr au mouvement contre
23 nature des projectiles corrobore ce qui a t dit dans le Corollaire sur le lieu et
24 anticipe sur ce qui sera dit dans le Corollaire sur le vide.
25 Lexcursus se divise pour lessentiel en deux parties qui examinent
26 respectivement les deux explications proposes par Aristote propos du
27 mouvement des projectiles. Dans la deuxime partie est expose la thorie de
28 limpetus :
29
30 A. 639.12 – 641.6 : Contre la thorie de lantiperistasis (interversion ou change
31 rciproque).
32 B. 641.7 – 642.26 : Contre lexplication par le mouvement plus rapide de lair qui
33 empÞche le mouvement naturel du projectile vers le bas.
34
35
36
37 246 Voir R. Sorabji, Matter, Space and Motion, p. 227 – 239 ; M. Wolff, « Philoponus and the
38 Rise of Preclassical Dynamics », dans R. Sorabji (d.), Philoponus and the Rejection of
39 Aristotelian Science, p. 84 – 120, avec la critique de C. Wildberg, « Impetus theory and
the hermeneutics of science in Simplicius and Philoponus ».
40 247 Phys., IV 8, 215a 14 – 19 (Trad. P. Pellegrin).
41 248 La doctrine veut sauver, au bout du compte, la thse selon laquelle tout mouvement se
42 ralise du fait dun contact continu et immdiat entre la ralit motrice et la ralit mue.
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 189
1 la pierre, mais que cest seulement en poussant lair que le lanceur meut la pierre
2 ou la corde de larc la flche, quelle ncessit y a-t-il pour que la pierre soit en
3 contact avec la main ou que la corde darc soit en contact avec lextrmit
chancre de la flche ? Il serait possible de les mouvoir sans Þtre en contact avec
4
elles ; on pourrait, par exemple, placer la flche ou la pierre sur le bout dun bois,
5 comme sur une ligne trs mince, et mettre en mouvement laide dinnombrables
6 machines tout lair qui se trouve larrire. Il faudrait videmment que, plus lair
7 serait forc, plus il pousse et plus il lance <le projectile>. Mais en ralit, mÞme si
8 tu places la flche ou la pierre sur une ligne ou sur un point tout fait dpourvus de
9 largeur, et que tu mettes en mouvement, avec tout llan possible, tout lair qui se
trouve larrire <du projectile>, la flche navancera pas dune seule coude. Si
10
donc lair, tant m avec le plus dlan, ne peut pas mouvoir, il est vident que lair
11 qui est pouss par la main ou la corde de larc nest pas celui qui meut les
12 projectiles.
13
14
Le raisonnement de Philopon, qui prend appui sur lobservation et lvidence, le
15
conduit donner dans la suite sa propre explication, que lon a assimile au
16 concept de limpetus 252 :
17 partir de ces choses et dautres encore, on peut comprendre quil est impossible
18 que les ralits mues par force se meuvent de cette manire. Par contre, il est
19 ncessaire quune certaine force motrice incorporelle soit imprime par le lanceur
20
au projectile, et que lair ne contribue en rien au mouvement du projectile ou y
contribue trs peu. Si donc cest de cette manire que se meuvent les ralits mues
21
par force, il est clair que, mÞme si on lance par force et contre nature une flche ou
22 une pierre travers le vide, cest la mÞme chose qui se produira, voire plus, et quil
23 ny aura aucun besoin dun agent qui pousse de lextrieur.
24
Le mouvement contre nature tant expliqu de cette manire, la causalit
25
26
efficiente quAristote accordait au mdium travers lequel se ralise le
27
mouvement perd toute sa validit, et le vide se voit sauv de linexistence. La
28
question de la possibilit du mouvement naturel travers le vide est traite par
29 Philopon quelques pages plus loin, dans le Corollaire sur le vide.
30
31
32 5.3.7 Philopon, Sur le vide (<Corollarium de inani>, 675.12 – 695.8)
33
34 Le Corollaire sur le vide se donne pour but dtablir non seulement que le
35 mouvement est possible travers le vide, contrairement ce quAristote a voulu
36 dmontrer, mais aussi que le mouvement ne serait mÞme pas possible, si le vide
37
38 252 In Phys., 642.3 – 9 : 9j to¼tym dµ ja· pokk_m %kkym sumide ?m 5stim ¢r !d¼matom to¼t\
39 jime ?shai t` tqºp\ t± b¸ô jimo¼lema, !kkû !m²cjg jimgtij¶m tima d¼malim !s¾latom
1md¸doshai rp¹ toO NiptoOmtor t` Niptoul´m\, ja· C lgdû fkyr t¹m ¡sh´mta !´qa pq¹r
40 ta¼tgm tµm j¸mgsim sulb²kkeshai, C bqaw¼ ti. eQ d³ ta¼t, jime ?tai t± b¸ô jimo¼lema, d/kom
41 d¶pou fti j#m 1p· jemoO Nipt0 tir b´kor C k¸hom b¸ô ja· paq± v¼sim, t¹ aqt¹ pokk` l÷kkom
42 sulb¶setai, ja· oq de¶seta¸ timor 5nyhem toO ¡hoOmtor.
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 191
1 nexistait pas. Par une mthode analogue celle suivie dans le Corollaire sur le
2 lieu, Philopon commence par rfuter la doctrine aristotlicienne, puis tablit par
3 des arguments supplmentaires la doctrine quil tient pour vritable. Voici plus
4 exactement la structure du Corollaire :
5
6 A. 675.12 – 676.3 : Lobjet dtude : la possibilit du mouvement travers le
7 vide.
8 B. 676.4 – 689.25 : Rfutation des arguments dAristote contre la possibilit du
9 mouvement travers le vide.
10 C. 689.26 – 695.8 : Examen du problme en soi.
11 1. 689.32 – 693.27 : Que rien nempÞche que le mouvement local se ralise
12 travers le vide.
13 2. 693.28 – 695.8 : Que si le vide nexistait pas, le mouvement local serait mÞme
14 impossible.
15
16 Ds le prologue, il devient manifeste que le nouveau Corollaire est conÅu dans
17 la mÞme perspective que le Corollaire sur le lieu253 :
18
Ici sachve le discours dAristote sur le vide. Il nous faut donc reprendre son
19 discours et examiner chacun de ses arguments. Nous ne commencerons pas par l
20 o
Aristote entame son discours sur le vide (nous avons en effet dj rpondu
21 certains de ses arguments dans les lieux appropris), mais par l o
il sest mis
22 montrer que, si le vide existe, il nest pas possible que le mouvement se ralise
travers lui, comme cest possible travers lair ou leau. <Nous examinerons> les
23
arguments qui sont les plus habiles et qui, par leur vraisemblance, ont persuad
24 presque tous ; jentends ceux qui sappuient sur le mouvement des ralits mues
25 vitesse ingale. Avant pourtant que jaborde mon analyse, je rpte ce que jai dit
26 dans mon discours sur le lieu, savoir que le discours que je propose ne veut pas
27
28 253 <De inani>, 675.12 – 676.3 : L´wqi l³m owm t_m 1mtaOha p´qar 5wousi t` )qistot´kei oR
29 peq· toO jemoO kºcoi, de ? d³ Bl÷r %myhem !makabºmtar t¹m kºcom 6jastom t_m 1piwei-
qgl²tym 1pisj´xashai. poigsºleha d³ tµm !qwµm oqj 1n ox t¹m peq· jemoO ja· aqt¹r
30 Eqnato poie ?shai kºcom (pq¹r tim± c±q 5vhglem Edg t_m 1piweiqgl²tym 1m t` 2j²stou
31 tºp\ rpamt¶samter), !kkû fhem Eqnato 1piweiqe ?m ¢r oq dumat¹m jemoO emtor diû aqtoO
32 cem´shai j¸mgsim, ¢r mOm diû !´qor C diû vdator, ûpeq l²kista t_m 1piweiqgl²tym ckavuq²
33 t´ 1sti ja· p²mtar swed¹m eXke t0 pihamºtgti, k´cy dµ t± 1j t/r !misotawoOr t_m jimou-
34 l´mym jim¶seyr. pq·m d³ toO kºcou %qnashai, 1je ?mº vgli fpeq Edg ja· 1m to?r peq· toO
tºpou kºcoir eWpom, fti b paqû Bl_m kºcor oq toOto jatasjeu²feim bo¼ketai, fti 5sti ti
35 jem¹m aqt¹ jahû art¹ jewyqisl´mom ja· lgd³m 5wom s_la, ja· diû aqtoO tµm j¸mgsim
36 c¸meshai· oqdal_r, !kkû fti l³m oqd³m 5sti jem¹m jewyqisl´mom p²mt, s¾lator ja· aqt¹r
37 blokoc_ peihºlemor 5j te t/r jakoul´mgr toO jemoO b¸ar ja· pokk_m %kkym, B d³
38 5mstas¸r loi pq¹r t± )qistot´kour 1piweiq¶lata deijm¼mai peiqyl´mou, fti eQ Gm jemºm,
39 oqj #m 1jim¶hg ti diû aqtoO, ja· fti eQ ja· lµ jem¹m 5sti jewyqisl´mom p²mt, t_m syl²tym,
!kkû owm 5sti t¹ ¢r pepkgqyl´mom jemºm, fpeq ja· tºpor 1st· t_m syl²tym, ¢r ja· 1m to?r
40 5lpqoshem !pede¸nalem. ja· mOm d³ to»r !maiqoOmtar toOto kºcour de¸nolem oqdel¸am
41 !m²cjgm 5womtar, eQ ja· t` piham` sumaqp²fousi. pq_tom d³ 1m sumtºl\ t_m 1piweiqg-
42 l²tym 1pilmgsh/mai !macja ?om.
192 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 montrer que le vide existe en soi-mÞme, tant spar et dpourvu de corps, et que
2 le mouvement se fait <par consquent> travers lui. En aucun cas. Je dclare moi-
mÞme quil ny a aucun vide qui soit totalement spar du corps, et jen suis
3
persuad par ce quon appelle la suppression du vide et par dautres <arguments>.
4 Mon objection porte prcisment sur les arguments dAristote qui essaient de
5 montrer que, si le vide existe, rien ne pourra se mouvoir travers lui. <Et je veux
6 montrer> que, mÞme sil ny a pas de vide qui soit totalement spar du corps, le
7 vide existe cependant en tant quil est rempli, lequel vide est prcisment le lieu
des corps, comme nous lavons dmontr plus haut. Et nous montrerons ici aussi
8
que les arguments qui veulent rfuter lexistence du vide nont aucune ncessit
9 <dmonstrative>, mÞme sils peuvent saisir <le rsultat cherch> par leur
10 vraisemblance. Mais il est dabord ncessaire que nous nous rappelions brivement
11 les arguments <dAristote>.
12
Les arguments dAristote contre la possibilit du mouvement travers le vide,
13
qui prennent appui sur la diffrence de vitesse des mobiles, sont trois ; les deux
14
premiers font valoir la diffrence des milieux, alors que le troisime fait valoir la
15
diffrence des corps : 1) Puisquil y a un rapport entre les temps des
16
mouvements et les milieux travers lesquels les mouvements se ralisent, il y
17
a aussi un rapport entre le temps dun mouvement travers le plein et le temps
18
dun mouvement travers le vide. Or, le plein est un corps, alors que le vide est
19
un non-corps, il est donc impossible quil y ait un rapport entre les deux ; par
20
extension, il ny a pas de rapport entre les temps des mouvements travers le
21
plein et travers le vide, ce qui est absurde254 ; 2) Un milieu plein dun corps,
22
dont le rapport avec lair est le mÞme que le rapport du vide avec lair, se
23
traverse en temps gal au temps de traverse du vide, ce qui est absurde255 ; 3)
24
La raison pour laquelle deux corps se transportent vitesse ingale travers le
25
mÞme milieu, cest quil y a une proportion inverse entre le poids du corps et le
26
temps pendant lequel le corps traverse le milieu ; or, puisque le vide ne peut pas
27
Þtre travers (cest--dire divis, tant donn quil ne procure pas de rsistance),
28
tous les corps se mouvront travers lui vitesse gale, ce qui est absurde.256
29
CommenÅant par le troisime argument, Philopon explique, sur la base des
30
propos dAristote, que les mouvements vitesse ingale sont galement dus la
31
lourdeur des corps mus257 :
32
33
34 254 Cf. Phys., IV 8, 215a 24-b 22, et Philopon, <De inani>, 676.5 – 22.
255 Cf. Phys., IV 8, 215b 22 – 216a 11, et Philopon, <De inani>, 676.22 – 30.
35 256 Cf. Phys., IV 8, 216a 11 – 21, et Philopon, <De inani>, 676.30 – 677.8.
36 257 <De inani>, 678.13 – 29 : %kkyr te aqt¹r eQqgj½r d¼o eWmai aQt¸ar t/r !misotawoOr
37 jim¶seyr, tº te diav´qeim t¹ diû ox ja· t¹ diav´qeim t¹ veqºlemom, p_r 1sti t¹ diû ox
38 diavºqou jim¶seyr aUtiom pqos´hgje· «t¹ l³m owm diû ox v´qetai» vgsim «aUtiom, fti
39 1lpod¸fei ja· !mtiveqºlemom ja· l´mom», di± t¹ de ?shai diaiq´seyr. eQ to¸mum d¼o l³m aUtia
toO lµ Qsotaw_r p²mta jime ?shai t± jimo¼lema, F te diavoq± t_m diû ox ja· B diavoq± t_m
40 veqol´mym, B d³ paq± t¹ diû ox aQt¸a ¢r 1lpodistijµ aQt¸a 1st¸m, B %qa paq± tµm diavoq±m
41 t_m jimoul´mym aQt¸a ¢r poigtijµ aQt¸a 5stai· oq c±q #m %kkgm 1pimo¶sei´ tir. 1±m %qa
42 rpenaiqeh0 t¹ 1lpod¸fom, l´mei oqd³m Httom B 1m to?r jimoul´moir t/r !m¸sou jim¶seyr
5.3 Les digressions « scientifiques » des deux commentateurs 193
1 Cest Aristote lui-mÞme qui a dit quil y a deux causes pour le mouvement vitesse
2 ingale : la diffrence des milieux et la diffrence des corps qui se transportent. Et
il ajoute mÞme la manire dont le milieu est la cause de la diffrence des
3
mouvements : « Le milieu », dit-il,258 « travers lequel une ralit se transporte en
4 est cause parce quil fait obstacle, aussi bien quand il est anim dun transport
5 contraire que quand il demeure ». Si donc il y a deux causes du fait que toutes les
6 ralits mues ne se meuvent pas vitesse gale, savoir la diffrence des milieux et
7 la diffrence des corps qui se transportent, et que la diffrence du milieu est cause
en tant que cause faisant obstacle, la diffrence des corps qui se transportent est
8
donc cause en tant que cause productrice. En effet, on ne saurait simaginer une
9 troisime cause. Si donc la cause qui fait obstacle est supprime, il ne reste pas
10 moins la cause productrice du mouvement ingal, qui est prcisment dans les
11 ralits mues. Car la lourdeur na certes pas son Þtre dans son rapport avec une
12 autre chose, mais elle est une qualit qui appartient par elle-mÞme aux corps. Puis
donc que la lourdeur est la cause efficiente du mouvement vers le bas, comme
13
Aristote le pense aussi, et quil existe la fois lintervalle travers par le corps m –
14 je parle du vide – et la cause productrice du mouvement ingal, mÞme quand il ny
15 a rien qui fait obstacle, il est ncessaire que le mouvement ingal se produise aussi
16 travers le vide.
17
Aristote se voit se contredire plusieurs reprises259 :
18
19 Le mÞme intervalle ne sera jamais parcouru en temps gal, lorsquil est plein et
20
lorsquil est vide. Aristote a dduit le contraire en contredisant ses propres
hypothses, je parle de celle qui affirme que la diffrence des mouvements se
21 produit indpendamment de la diffrence des corps mus.260 Si en effet un temps
22 diffrent se produit indpendamment de la diffrence de poids <des corps mus>,
23 et quun autre temps sajoute cause de la division du corps travers lequel le
24 mouvement se ralise, le mÞme intervalle ne sera jamais travers en temps gal, en
25
tant plein et en tant vide.
26 Suit la clbre observation de Philopon, relative la loi des corps en chute,261
27 qui contredit la thse aristotlicienne selon laquelle le temps de chute dun corps
28 est en proportion inverse avec son poids262 :
29
aQt¸a poigtijµ owsa. oq c±q dµ B baq¼tgr 1m sw´sei %kkou t¹ eWmai 5wei· poiºtgr c²q 1stim
30 aqtµ jahû artµm rp²qwousa to ?r s¾lasim. 1pe· owm B baq¼tgr t¹ poigtijºm 1stim aUtiom
31 t/r 1p· t¹ j²ty jim¶seyr, ¢r ja· aqt` doje ?, emtor ja· diast¶lator diû ox 1mewhe¸g t¹
32 jimo¼lemom, k´cy dµ toO jemoO, ousgr ja· t/r poigtij/r aQt¸ar t/r jim¶seyr diavºqou, ja·
33 lgdem¹r emtor toO 1lpod¸fomtor, !m²cjg p÷sa %misom cem´shai ja· tµm di± toO jemoO
34 j¸mgsim· ¦ste ja· eQ jem¹m Gm, oqj !m-qgto B %misor j¸mgsir.
258 Phys., IV 8, 215a 29 – 30.
35 259 <De inani>, 682.18 – 24 : ®ste oqd´pote 1m Us\ wqºm\ t¹ aqt¹ di²stgla pk/q´r te cm
36 dieneke¼setai ja· jemºm. toOto d³ sum¶cacem b )qistot´kgr di± t¹ t±r Qd¸ar rpoh´seir
37 !meke ?m, k´cy dµ t¹ c¸meshai diavºqour t±r jim¶seir ja· paqû aqtµm tµm t_m jimoul´mym
38 diavoq²m. eQ c±q c¸meta¸ tir wqºmor ja· paq± t±r diavºqour Nop±r di²voqor, c¸metai d´ tir
39 ja· %kkor wqºmor di± tµm toO s¾lator dia¸qesim diû ox B j¸mgsir c¸metai, oqd´pote t¹ aqt¹
di²stgla 1m Us\ wqºm\ jimgh¶seta¸ ti pk/q´r te cm ja· jemºm.
40 260 Cf. Phys., IV 8, 215a 26.
41 261 Lire M. Wolff, Fallgesetz und Massebegriff. Zwei wissenschafthistorische Untersuchun-
42 gen zur Kosmologie des Johannes Philoponos, Berlin, 1971, p. 11 – 103.
194 Chapitre 5. Analyse des digressions
1 Si le vide existait, dit Aristote, il serait ncessaire que le corps qui est mis dans le
2 vide, occupe en lui une tendue gale sa propre tendue. Par consquent,
poursuit-il, tant donn que le corps nest en un lieu quen tant quil est lui-mÞme
3
une tendue, si nous lui supprimons tout ce selon quoi il nest pas en un lieu, par
4 exemple sa couleur, sa lourdeur et tous les autres caractres de ce type, il ne restera
5 rien que son tendue. Par consquent, le vide ne diffrera gure de ltendue. Mais
6 si ltendue du corps et ltendue du vide ne diffrent en rien, quoi bon revÞtir les
7 corps dune autre tendue qui leur soit extrieure, vu que tout corps a de lui-mÞme
sa propre tendue ? Les corps nont donc aucun besoin du vide. Et si deux
8
tendues semblables peuvent se traverser lune lautre, deux corps se traverseront
9 aussi <lun lautre> […]. Et si deux corps peuvent traverser lun lautre, pourquoi
10 pas plusieurs ? Et si ltendue en tant quelle est tendue a besoin dune autre
11 tendue, le vide aura aussi besoin dun autre vide (car le vide est une tendue), si
12 bien que le vide sera dans le vide. Moi, je dis propos de tout cela, tout dabord
que, si nous avons montr dans notre discours sur le lieu quil y a ncessairement
13
parmi les Þtres un intervalle qui par sa propre dfinition est vide de corps, et qui est
14 prcisment le lieu des corps, il est vain de dire que, puisque chaque corps a une
15 tendue, il est superflu quune autre tendue lentoure de lextrieur. En effet, ce
16 nest pas nous qui faÅonnons les natures des choses, mais comment sont les choses,
17 cest cela que nous nous appliquons savoir ; et si nous ne pouvons pas dire les
causes de certaines ralits, il ne sensuit pas que nous devons supprimer leur Þtre.
18
Par consquent, dans ce cas aussi, ou bien quils contr lent les arguments lappui
19 desquels nous avons montr que lintervalle existe, ou bien, si nos arguments sont
20 vrais, il est vritablement vain de vouloir supprimer son Þtre, parce quon ne peut
21 pas dire la cause de son Þtre ou parce quon ne peut pas rsoudre ce qui parat
22 difficile dans le discours relatif. Cest comme si quelquun qui ne peut pas dire la
cause de lune des parties de lanimal, affirmait que cette partie nexiste pas. Puis
23
donc que la chose est, il faut tenter de rsoudre les difficults qui surgissent du
24 discours son sujet, et non pas cause delles supprimer sa nature.
25
26 Philopon poursuit son discours et sapplique montrer dans la suite du
27 Corollaire que le vide est non seulement un milieu possible du mouvement, mais
28 quil en est aussi la condition ncessaire. Mais nous ne nous y attarderons pas
29 davantage ici. Il suffit pour notre propos davoir constat que Philopon contredit
30 ouvertement Aristote, en voquant la vrit de la « nature des choses », vrifie
31 parfois par lexprience, qui est nettement dissocie de la vrit contenue dans
32 un texte faisant autorit. Rien de plus tranger la manire philosophique de
33 Simplicius.
34
35
36
37
38
39
40
41
42
1
2
3
4 Chapitre 6.
5 Les fondements et la finalit des digressions : divergences
6
7 dorientation dans lantiquit finissante
8
9
10 Lexamen des digressions nous a permis de tirer au clair la spcificit exgtique
11 de Simplicius et de Philopon. Faisons maintenant une rcapitulation :
12 1. Partant du commentaire de certains passages critiques du trait aristo-
13 tlicien, Simplicius met en œuvre par une srie de digressions « concordistes »
14 ltablissement de lharmonie des philosophes. Celle-ci est principalement
15 opre par deux moyens : i) une lecture spcifique des critiques anciennes, qui
16 fait prcisment apparatre leur valeur pdagogique intentionnelle. Si, par
17 exemple, Platon et Aristote critiquent Parmnide, ils le font intentionnellement
18 au profit de leurs auditeurs « superficiels », dont lme philosophante dbutante
19 nest pas encore en mesure de saisir la profondeur de la doctrine de llate et
20 risque ainsi de la comprendre contresens ; ii) une mise en valeur du « souci
21 langagier » dAristote, qui revÞt le discours philosophique dune prcision
22 scientifique qui manquait lorigine. Si, par exemple, Aristote apparat
23 contredire Platon au sujet du mouvement, cest parce quil sabstient demployer
24 propos dune thorie « intellective » le langage commun tous les gens, qui est
25 orient vers le sensible. Si, encore, il critique les philosophes prplatoniciens,
26 cest quil rend plus prcis leur discours nigmatique sans mettre vritablement
27 en cause la vrit quils noncent. Faisant ainsi valoir le caractre la fois
28 spcifique et complmentaire du discours de chaque philosophe, annonc depuis
29 la toute premire digression consacre lhistoire des recherches physiques,
30 Simplicius parvient rcapituler dans un univers harmonieux toute la tradition
31
philosophique des Hellnes. Mais il ne sen tient pas cela. La digression quil
32
consacre Tuch la desse montre de faÅon caractristique comment la tradition
33
philosophique et la tradition religieuse se rejoignent dans son exgse, selon une
34
mthode qui est typique du noplatonisme athnien. De telles approches font
35
totalement dfaut dans le Commentaire de Philopon. Celui-ci non seulement
36
renonce rendre raison des critiques quAristote adresse ses prdcesseurs
37
mais, rebours, critique lui-mÞme Aristote ouvertement. Et la religion nentre
38
pas dans son exgse. Bien quun arrire-fond chrtien, au sens du cration-
39
nisme, soit prsent dans sa pense – ses doctrines du lieu et de limpetus laissent
40
effectivement supposer lactivit dun Dieu qui cre les corps (et avec eux
41
lespace originellement vide quils remplissent) et leur imprime leur principe de
42
Chapitre 6. Les fondements et la finalit des digressions 197
1 chaque chose, en mettant la vrit avant Aristote, si une telle chose arrive. Cest de
2 cette manire que lexgte doit expliquer <les traits dAristote>. »2
3 Philopon, In Cat., 6.30 – 35 : « Quant Simplicius, In Cat., 7.23 – 32 (Trad. Ph.
4 lexgte, il doit sabstenir de tenter de Hoffmann lgrement modifie) : « Le
5 confirmer avec partialit les mauvaises digne exgte des traits dAristote ne doit
6
opinions dAristote et de les recevoir pas Þtre totalement en reste par rapACHTUNGREport la
comme si elles venaient du trpied <de la grandeur intellectuelle de ce phiACHTUNGREloACHTUNGREsophe. Il
7 Pythie>, de mÞme quil doit sabstenir de doit aussi Þtre familier avec les crits du
8 recevoir avec malveillance les bonnes philosophe en tous leurs passaACHTUNGREges, et avoir
9 opinions. Tout au contraire, il doit Þtre un une bonne connaisACHTUNGREsance des habitudes de
10 juge indiffrent de tout ce qui y est dit, et langage aristoACHTUNGREtliciennes. Il doit aussi
11
clairer dabord le sens du texte antique et possder un jugeACHTUNGREment intgre qui lui vite
interprter les doctrines dAristote, puis de comprendre paresACHTUNGREseuseACHTUNGREment les
12 mettre son jugement personnel. »3 affirACHTUNGREmaACHTUNGREtions correctes et de les faire
13 paratre comme inaccepACHTUNGREtables ; qui lui vite
14 galement, si un point a besoin dÞtre
15 examin, de sacharACHTUNGREner dmontrer quil
16
est en tout absoluACHTUNGREment infaillible, comme si
lexgte stait enrl dans la secte du
17 philosophe. Il faut aussi, mon avis, quil ne
18 regarde pas seulement la lettre de ce que dit
19 Aristote contre Platon, et quil condamne
20 les deux philosophes pour dsaccord, mais,
21
au contraire, il faut quil en vise le sens et
quil dcouvre ainsi laccord qui, sur la
22 plupart des points, existe entre eux. »4
23
24
25
26 2 D´jatom 1p· p÷si de ? fgte ?m bpo ?om de ? eWmai t¹m 1ngco¼lemom t± )qistot´kour suc-
27 cq²llata. ja· k´colem fti de ? ja· %qista eQd´mai aqt¹m $ l´kkei 1ngce ?shai, eWmai l´mtoi
28 ja· %mdqa 5lvqoma, ¢r t¹ l³m paqist÷m tµm toO vikosºvou di²moiam t¹ d³ tµm 1m to?r
29 kecol´moir !k¶heiam 1net²feim· oqd³ c±q de ? ¦speq 1jlelishyj´mai p²mtyr 2aut¹m ja·
!m´weshai f ti #m k´cgtai ja· spoud²feim p²mtyr 1je ?ma jqatOmai $ 1ngce ?tai ¢r !kgh/
30 p²mta, j#m lµ ovtyr 5w,, !kk± de ? 6jastom jq¸momta basam¸feim 1p¸pqoshem )qisto-
31 t´kour h´lemom, eQ t¼woi, tµm !k¶heiam. ovtyr owm 1ngce ?shai wqµ t¹m 1ngco¼lemom.
32 3 j d³ toOtom 1ngco¼lemor ave¸kei l¶te jatû eumoiam 1piweiqe ?m t± jaj_r kecºlema sumi-
33 st÷m ja· ¢r !p¹ tq¸podor taOta d´weshai l¶te t± jak± jajotqºpyr d´weshai jat±
34 !p´wheiam, !kk± jqitµr !pahµr t_m kecol´mym rp²qweim, ja· pq_ta l³m tµm di²moiam toO
!qwa¸ou savgm¸feim ja· 2qlgme¼eim t± aqt` dojoOmta, 5peita tµm paqû 2autoO 1piv´qeim
35 jq¸sim.
36 4 T¹m d³ %niom t_m )qistotekij_m succqall²tym 1ngcgtµm de ? lµ p²mt, t/r 1je¸mou
37 lecakomo¸ar !poke¸peshai. de ? d³ ja· t_m pamtawoO t` vikosºv\ cecqall´mym 5lpeiqom
38 eWmai ja· t/r )qistotekij/r sumghe¸ar 1pist¶loma. de ? d³ ja· jq¸sim !d´jastom 5weim, ¢r
39 lgd³ t± jak_r kecºlema jajoswºkyr 1jdewºlemom !dºjila deijm¼mai lgd³ eU ti d´oito
1pist²seyr, p²mt, p²mtyr %ptaistom vikomeije ?m !pode ?nai, ¢r eQr tµm aVqesim 2aut¹m
40 1ccq²xamta toO vikosºvou. de ? d³ oWlai ja· t_m pq¹r Pk²tyma kecol´mym aqt` lµ pq¹r
41 tµm k´nim !pobk´pomta lºmom diavym¸am t_m vikosºvym jataxgv¸feshai, !kkû eQr t¹m
42 moOm !voq_mta tµm 1m to?r pke¸stoir sulvym¸am aqt_m !miwme¼eim.
Chapitre 6. Les fondements et la finalit des digressions 199
1 Il ressort clairement de tous les trois dveloppements que le bon exgte ne doit
2 pas faire preuve de sectarisme dans son travail. La vrit et la pense du
3 philosophe ne sont pas toujours identiques, il faut donc trancher entre les deux.5
4 Ammonius laisse pourtant entendre que la vrit ne se dissocie pas habituel-
5 lement de la pense dAristote (eQ t¼woi), et, en gnral, le postulat ne saurait
6 Þtre cause de difficults pour un exgte noplatonicien. Daprs Simplicius,
7 lexgte doit galement chercher tablir laccord (sulvym¸a) entre Platon et
8 Aristote, qui, malgr les apparences verbales, se manifeste clairement au niveau
9 de leur pense. Si donc il faut que lexgte mette au clair la fois la vrit et
10 laccord des deux philosophes, cest que les deux choses ne peuvent pas se
11 dissocier. La bonne exgse conduit la vrit, et dans cette vrit Aristote et
12 Platon ont des parts gales.
13 On na pas tellement insist sur le fait que le postulat exgtique de laccord
14 entre Platon et Aristote est un ajout de Simplicius. La sumphnia est certes la
15 rgle dor de lexgse noplatonicienne, pratique bien avant Simplicius,6 mais
16 elle napparat parmi les qualits requises de lexgte que dans le Commentaire
17 sur les Catgories de Simplicius. On comprend maintenant mieux pour quelle
18 raison. Ayant expliqu un trait dans lequel Platon est critiqu plusieurs fois par
19 Aristote (on se rappellera que le Commentaire sur la Physique prcde
20 chronologiquement celui sur les Catgories), Simplicius a conduit la pratique
21 exgtique de la sumphnia son apoge, dune manire que nont pratique ni
22 Ammonius ni aucun autre de ses successeurs. Lexgse du trait devient
23 souvent chez lui une explicitation de la sumphnia prsuppose, au cours dune
24 dmarche dialectique qui condamne, sur ce point prcis, tous ceux qui ne lont
25 pas vue : Alexandre dAphrodise, par exemple, ou encore Proclus. Mais cest l
26 pour Simplicius la premire tape dune sumphnia encore plus gnrale : celle
27 qui parcourt toute la philosophie des Hellnes et laquelle il a consacr un bon
28 nombre de ses digressions.
29
Chez Philopon, en revanche, la sumphnia ne constitue gure un prsuppos
30
de lexgse. Selon lui, le bon exgte est un juge indiffrent (jqitµr !pah^r) qui
31
doit dabord clairer ce qui est dit dans le texte, puis exprimer son opinion
32
personnelle (5peita tµm paqû 2autoO 1piv´qeim jq¸sim). Lexgte a donc
33
distinguer entre deux choses, on pourrait dire entre deux « vrits » : la vrit du
34
35 5 Sur ce sujet, lire L. Tarn, « Amicus Plato sed magis amica veritas. From Plato and
36 Aristotle to Cervantes », Antike und Abendland 30 (1984), p. 93 – 124.
37 6 On pensera tout dabord aux deux traits (perdus) de Porphyre, « Peq· toO l_am eWmai tµm
38 Pk\tymor ja· )qistot]kour aVqesim » et « Peq· diast\seyr Pk\tymor ja· )qisto-
39 t]kour », sur lequels voir maintenant G. Karamanolis, Plato and Aristotle in Agree-
ment ? Platonists on Aristotle from Antiochus to Porprhyry, Oxford/New York, 2006,
40 p. 245 – 266. Ammonius lui-mÞme tait un partisan fervent de laccord des deux
41 philosophes (on trouve dans ses commentaires plusieurs dveloppements consacrs la
42 sumphnia), comme lont t, aprs lui, Simplicius, Olympiodore et lias.
200 Chapitre 6. Les fondements et la finalit des digressions
1 texte, que rvle lexgse objective, et la vrit des choses, que lexgte
2 sapplique atteindre en exprimant sa propre opinion. Comme le postulat de
3 l« accord » chez Simplicius, le postulat du « jugement personnel » est un ajout
4 de Philopon, qui permet de saisir le point le plus essentiel de sa manire
5 exgtique. En posant pralablement une vrit en dehors du texte et diffrente
6 de celle du texte, Philopon nonce en effet un principe pistmologique qui lui a
7 permis de contredire ouvertement Aristote et de formuler dans ses digressions
8 « scientifiques » des doctrines personnelles qui sont conformes, comme il le
9 veut, la « nature des choses ».
10 Sil faut attribuer la spcificit de la dmarche philoponienne lorigine ou
11 la culture chrtienne de son auteur, qui lui a prcisment permis de se librer
12 dune tradition philosophique pa enne, depuis longtemps fonde sur des
13 autorits,7 il faut aussi penser pour quelle raison Simplicius revint la mÞme
14 tradition de la manire dont il la fait. On voquera certainement le climat
15 intellectuel polmique de son poque. « Les commentaires de Simplicius », crit
16 Ph. Hoffmann, « sont […] le fruit dun travail personnel de composition et
17 dcriture : il sagit dune vritable
œuvre, parfois polmique, anime par le
18 souci de rcapituler la tradition philosophique, et de dfendre la religion
19 ancestrale des Hellnes ».8 Lallure polmique des digressions elles-mÞmes est
20 souvent vidente : « Il ne faut pas estimer que les discours des philosophes se
21 contredisent les uns les autres, comme prcisment entreprennent de le soutenir,
22 en affectant le mpris, des gens qui ne lisent que des recueils dopinions classes
23
par ordre chronologique et qui ne comprennent rien ce quils lisent, et cela
24
alors quils sont eux-mÞmes scinds en dinnombrables sectes » ; « mais jai t
25
contraint de mtendre davantage l-dessus cause de ceux qui ont vite fait
26
daccuser les anciens de discorde », qui ne sont nuls autres que les chrtiens ;
27
« mais je me suis rsolu prolonger tout cela cause de la conception
28
dominante au sujet de la matire, qui ne mest pas chre », celle en ralit du
29
chrtien Philopon. La dmarche concordiste de Simplicius rejoint ainsi sa
30
dmarche polmique contre Philopon, amplement dploye dans le livre VIII
31
du Commentaire la Physique et aussi dans le Commentaire au De caelo. On
32
fera remarquer dans cette perspective que le choix des traits et lordre dans
33
lequel Simplicius les a comments nest gure arbitraire. Si en effet il a voulu
34
emprunter la voie ascendante du « cursus spirituel », se faisant de la sorte lve
35
de lui-mÞme, il a cependant fait intervenir entre le commentaire thique du
36
Manuel dEpictte et le commentaire logique des Catgories deux commentaires
37
sur des traits physiques. Ctait lpoque o il a pris connaissance quun
38
39
7 Cf. C. Wildberg, « Impetus theory and the hermeneutics of science in Simplicius and
40 Philoponus », p. 118 – 119.
41 8 Ph. Hoffmann, « Bibliothques et formes du livre la fin de lantiquit. Le tmoignage
42 de la littrature noplatonicienne des Ve et VIe sicles », p. 608.
Chapitre 6. Les fondements et la finalit des digressions 201
1 [Platon]
2 Mais assurment Platon, en rendant plus claires les doctrines des Pythagoriciens
3 et des lates, clbra dune part dignement les ralits surnaturelles, et dautre
4 part, en se rapportant aux ralits naturelles et engendres, il distingua les
5 principes lmentaires des autres principes et donna ces principes, lui pour la
6 premire fois, le nom dlments, comme le raconte Eudme.4 Et cest lui encore
7 qui vit et distingua entre la cause productrice, la cause finale et, {7.15} en plus, la
8 cause paradigmatique, cest--dire les Ides (en effet, cest en usant des mÞmes
9 concepts quAristote dcouvrit plus tard la matire et aussi la forme). Il pose
10 comme cause productrice lIntellect divin et comme cause finale la bont par
11 laquelle lIntellect divin a assimil toute image sensible au paradigme intelli-
12 gible.
13
14 [Aristote]
15 Quant Aristote, il se diffrencia des physiciens prplatoniciens {7.20} non
16 seulement en ce quil prÞta attention la cause productrice mais aussi en ce quil
17 considra mÞme les causes matrielles de faÅon plus principielle : alors que les
18 physiciens supposaient <comme principe matriel> soit les homomres5 soit
19 lun quelconque des quatre lments soit plusieurs dentre eux soit tous,6 ou
20 quils arrivaient mÞme considrer les corps inscables,7 Aristote dcomposa
21 aussi bien les homomres que les quatre lments, et rsolut toute la nature
22 corporelle en matire et {7.25} forme, comme lavaient fait, avant lui, Platon et,
23 avant Platon, Time le Pythagoricien, qui firent des quatre lments les
24 lments immdiats <des ralits naturelles> et posrent avant eux les solides,
25 et <avant eux>, en tant que principes premiers et lmentaires, la matire et la
26 forme. Mais en plus, Aristote se diffrencia la fois de Platon et de tous les
27 philosophes prplatoniciens en ce que, l o certains des philosophes prpla-
28 toniciens discouraient des ralits naturelles comme sils discouraient de tous les
29 Þtres {7.30}, et l o Platon lui-mÞme et certains de ses devanciers en
30 discouraient comme sils discouraient de lunivers ou des parties de lunivers,
31 en transposant de la sorte la recherche sur les choses dici-bas aux recherches sur
32 lunivers <tout entier>,8 Aristote distingua lordre des ralits naturelles parmi
33 les Þtres, et il nous enseigne sur le corps naturel lui-mÞme, comme si lunivers
34 nexistait pas. Cest lui encore qui dmontra que, dans les lments, la privation
35
36 4 Fr. 31 Wehrli.
37 5 Anaxagore et Archlaos dAthnes ; cf. In Phys., 27.2 – 28.3.
38 6 Ainsi quil apparatra au cours du commentaire au livre I, Simplicius pense ici Thals
39 et Hippon (posant comme premier principe leau), Anaximne et Diogne
dApollonie (posant comme tel lair), Hippasos et Hraclite (posant le feu) et
40 Empdocle (posant tous les quatre lments).
41 7 Les atomistes, en particulier Leucippe et Dmocrite.
42 8 Le Time de Platon reprsente par excellence un discours de ce type.
1) Simplicius, Histoire des recherches naturelles 209
1 est autre que la matire, la diffrence de Platon {8.1} qui la comprise dans la
2 matire. Et alors que les uns laissaient de cot la cause productrice et
3 quAnaxagore et Platon (il en est de mÞme des Pythagoriciens) posaient comme
4 telle lIntellect divin, Aristote chercha la cause productrice immdiate des
5 productions naturelles, savoir la nature, {8.5} que Platon a place dans la cause
6 instrumentale, dans la mesure o elle est mue par une autre chose et meut
7 dautres choses. Nanmoins, Aristote nen resta pas la nature, comme si ctait
8 elle la cause premire ou productrice au sens propre, mais il remonta lui-mÞme
9 la cause immobile et motrice de toute chose, et dans la fin du prsent trait il
10 attacha elle toutes les choses mues.9 Quant au caractre de la physique de cet
11 homme {8.10}, il diffre dune part de celle des anciens en ce quil rendit plus
12 clair leur style nigmatique et quil ajouta aux dmonstrations la prcision qui
13 leur manquait, et dautre part de celle de Platon en ce quil met plus en vidence
14 le caractre valide des dmonstrations et quil prend soin de poser leurs
15 principes partir de la sensation et des opinions communes. Enfin, il diffre de
16 tous les philosophes la fois en ce quil labora toutes {8.15} les parties de la
17 physique, y compris les plus partielles.
18
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39
9 Il a donc retrouv lIntellect divin dAnaxagore et de Platon. Simplicius prdispose ici
40 son lecteur une lecture « thologique » (autrement dit, de perspective platonicienne)
41 de la Physique. Il rectifie en cela Proclus, qui voyait de la « thologie » seulement dans le
42 Time de Platon (cf. In Tim., I, 2.29 – 3.16).
210 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 Ils ont dcid de nommer les apparences selon deux points de vue
2 dont il ne faut pas faire un seul, ce en quoi <certains> se sont tromps.14
3 Ils ont dtermin deux corps contraires et ont pos des signes
4 dissocis les uns des autres, dun ct le feu thr de la flamme,
5 doux, trs peu dense, lger, partout le mÞme que lui-mÞme,
{31.1} mais pas le mÞme que lautre ; bien plus, lautre lui est
6
contraire, une nuit tnbreuse, corps dense et lourd.
7
8 Dailleurs, un petit passage en prose est interpol parmi les vers, comme tant de
9 Parmnide lui-mÞme, qui dit :
10 Dans celui-ci se trouvent le rare, le chaud, la {31.5} lumire, le mou et le lger,
11 tandis que dans le dense sont nomms le froid, les tnbres, le dur et le lourd. Car
12 tous ceux-ci ont t dissocis les uns des autres de lun et de lautre ct.
13
Cest dune manire aussi claire que Parmnide a pris deux lments contraires.
14
Cest pourquoi il a reconnu plus haut l
tre comme un,15 et il dit <maintenant>
15
que ceux qui nont pas apprhend lopposition des lments constitutifs du
16
devenir, ou qui ne lont pas clairement rvle, se sont tromps. Cest
17
prcisment en le {31.10} suivant quAristote a pos comme principes les
18
contraires. En outre, Parmnide a clairement livr une cause productrice non
19
20
seulement des corps qui sont en devenir mais aussi des ralits incorporelles qui
21
compltent le devenir, en disant16 :
22 <Les couronnes> qui suivent <sont pleines> de nuit ;
23 et aprs schappe une part de flamme
et au milieu deux <se trouve> la divinit qui gouverne tout,
24
{31.15} car elle commande partout lodieux enfantement et lunion
25 envoyant la femelle sunir au m le et son tour le contraire,
26 le m le la femelle.
27
28
29 14 t_m l¸am oq wqe¾m 1stim, 1m è pepkamgl´moi eQs¸m : laberration consiste dans le fait de ne
pas avoir saisi (ou, mieux, de ne pas avoir clairement exprim) le rle ncessaire des
30 contraires dans la constitution du devenir. Tel est prcisment le cas des « physiciens »,
31 qui ont opt pour lun quelconque des lments. Nous ne pouvons pas souscrire au
32 jugement dA. Stevens (op. cit., p. 56), qui considre que, selon linterprtation de
33 Simplicius, Parmnide bl me ceux qui nont pas pu « unifier lopposition des lments
34 premiers ». Les prcisions de Simplicius en ce point portent exclusivement sur le devenir
(cf. infra, 31.8 – 9 : « Parmnide dit que ceux qui nont pas apprhend lopposition des
35 lments constitutifs du devenir, ou quils ne lont pas clairement rvle, se sont
36 tromps »), dans lequel une telle unification na pas de place.
37 15 di¹ pqºteqom 4m t¹ cm di´cmy : Diels corrige la leÅon unanime des manuscrits en « d¼
38 5cmy » (scil. stoiwe ?a). Comme le remarque B. M. Perry, Simplicius as a source for and
39 an interpreter of Parmenides, Washington, 1983, p. 111, la correction est superflue, tant
donn que Simplicius veut ici distinguer entre lunit du monde intelligible, savoir
40 lUn-qui-est auquel Parmnide sest rfr dans laltheia, et la dualit du devenir, dont
41 il est question dans la doxa.
42 16 28 B 12,2 – 6 DK (Trad. A. Stevens lgrement modifie).
214 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 Mais Empdocle aussi, qui enseigne la fois sur le monde intelligible et sur le
2 monde sensible et considre lun comme modle archtypique de lautre, pose
3 comme principes et lments pour {31.20} chacun des deux mondes les quatre
4 que voici : le feu, lair, leau et la terre, et comme causes productrices lamour et
5 la haine. Nanmoins, il affirme que dans le monde intelligible les lments sont
6 davantage assembls gr ce lamour, puisque <l-bas> ils sont domins par
7 lunion intelligible, alors que dans le monde sensible ils sont davantage dissocis
8 cause de la haine. Cest en le suivant de prs que Platon et, avant Platon,
9 Time {31.25} ont dit que les quatre Ides qui sont caractrises daprs les
10 quatre lments <dici-bas> prexistent dans le premier paradigme intelligible
11 et produisent, en dernier lieu, ce monde sensible quatre parts, puisque, ici-bas,
12 cest la haine qui domine cause de la distinction qui sest dgrade partir de
13 lunion intelligible. Et il a produit un discours commun pour tous les deux
14
mondes, except que lui, en posant aussi les quatre lments {31.30} titre de
15
matire, a considr lopposition de lamour et de la haine qui les entoure. Que
16
ce ne soit pas uniquement lamour qui, selon Empdocle, a produit le monde
17
sensible, et uniquement la haine qui a produit {32.1} le monde sensible, comme
18
le pensent la plupart <des interprtes>, mais quil admet partout, de manire
19
propre, et lamour et la haine, coute ce quil en dit dans ses Physiques, o il
20
affirme que Vnus, cest--dire lamour, est la cause du mlange crateur dici-
21
bas. Il appelle le feu Hphaistos, soleil ou flamme, leau pluie et lair ther. Il dit
22
{32.5} cela dans plusieurs endroits et aussi dans les vers suivants17 :
23
24 La terre les rencontra, au mieux elle tait leur gale,
25 Hphaistos, pluie et lther blouissant,
jetant lancre chez Cypris dans ses havres daccomplissement,
26 ou alors elle est plus forte un peu ou moindre de beaucoup.
27 {32.10} De l naquirent le sang, et aussi les formes de toute chair.
28
Et avant ces vers, il nous livre dans dautres passages laction de lamour et de la
29
haine18 :
30
31 Quand la discorde atteignit tout en bas le fond
32 du tournoiement, lamour perÅa au centre du tourbillon.
{32.15} L tous, ils sassemblent pour nÞtre plus quun seulement,
33
sans brusquerie, de bonne gr ce, ils sunissent venus chacun dun autre ct.
34 Et comme ils se rencontraient, se rpandaient les myriades de tribus mortelles.
35 Beaucoup, parmi les autres qui se mÞlaient, restaient purs,
36 que la discorde retenait en haut. Car ce nest pas sans dfaut,
37 {32.20} ce nest pas tout entire encore quelle sest retire aux frontires du cercle.
Ici, elle rsistait, l, elle tait sortie des membres,
38
mesure quelle schappait, partout la suivait,
39 toute douceur, de lirrprochable amour limmortel lan.
40
41 17 31 B 98 DK (Trad. J. Bollack).
42 18 31 B 35,3 – 17 DK (Trad. J. Bollack adapte).
2) Simplicius, Sur lharmonie des philosophes 215
1 Mais nous avons t contraints de nous tendre davantage l-dessus cause de
2 ceux {36.25} qui ont vite fait daccuser les anciens de discorde. Et puisque nous
3 entendrons Aristote critiquer les doctrines de ses devanciers, et que, avant
4 Aristote, Platon parat le faire aussi, et de mÞme, avant tous les deux, Parmnide
5 et Xnophane, il faut savoir que cest en prenant soin de leurs auditeurs
6 superficiels que tous ces philosophes critiquent ce qui semble absurde dans les
7 discours de leurs devanciers, {36.30} dautant plus que les anciens avaient
8 coutume dexprimer leurs opinions de manire nigmatique. En tmoigne
9 Platon, qui admirait Parmnide tel point – bien quil paraisse le critiquer –
10 quil dit que sa pense exige un plongeur de fond <pour Þtre atteinte>.40 {37.1}
11 De mÞme, Aristote fait manifestement allusion la profondeur de la sagesse de
12 cet homme, lorsquil dit41 :
13
Parmnide semble parler en observant davantage.
14
15 Ces philosophes donc, tantt en compltant ce qui a t omis, tantt en
16 claircissant ce qui a t dit de faÅon obscure, tantt en sparant ce qui a t dit
17 propos des ralits intelligibles, parce que cela ne peut pas sappliquer aux
18 {37.5} ralits naturelles (comme cela sest pass avec les philosophes qui
19 affirment que lÞtre est un et immobile), tantt en cartant pralablement les
20 interprtations faciles des auditeurs superficiels, cest de tous ces points de vue
21 quils semblent faire des critiques. Quant nous, nous essaierons de prÞter
22 attention tous ces points dans notre commentaire des objections quAristote
23 adresse chacun de ses devanciers.
24 Mais il faut prsent reprendre le texte dAristote et parcourir minutieu-
25 sement tout ce qui y est dit.
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38 40 ja· bah´or jokulbgtoO de ?shai k´cym tµm di²moiam aqtou : cf. Thtte, 184a 1 : ja¸ loi
39 1v²mg b²hor ti 5weim pamt²pasi cemma ?om. Simplicius combine (ou confond) ce propos de
Platon avec un dicton prononc par Socrate propos dHraclite (cf. Diogne Larce,
40 II, 22, 6 – 8 : $ l³m sum/ja, cemma ?a· oWlai d³ ja· $ lµ sum/ja· pkµm Dgk¸ou c´ timor de ?tai
41 jokulbgtoO).
42 41 Metaph., A 5, 986b 27.
220 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 sensible nadmet pas lunion intelligible. Et nous ne pouvons pas voir dans les
2 ralits sensibles lunion acheve de lUn, la manire dont il nous est rebours
3 possible de contempler dans les ralits intelligibles la distinction multiplie que
4 lexistence unifie contient sous un mode causal. Ce qui est donc, <du point de
5 vue d> ici-bas, indivisible, continu et commun selon une dfinition unique ne
6 peut pas sappliquer lUn.
7
8 [Une critique non polmique : le tmoignage de Platon]
9 {88.30} Que ce ne soit pas par amour pour la polmique que sest produite
10 lopposition Parmnide, Platon lui-mÞme le rend manifeste, puisque, dun
11 ct, il admet dans le Parmnide lUn-qui-est parmnidien et rvle partir de
12 lui ce qui est au-dessus de lui – quil ne veut mÞme pas appeler un –, et quil nous
13 livre encore <dans le mÞme dialogue> les ordres de lun qui viennent aprs lui.
14 Mais de lautre ct, dans le Sophiste, {89.1} il soppose clairement Parmnide
15 qui affirme que lÞtre est un, dans la mesure o il spare, dune part, lun de
16 lÞtre en tant que suprieur lÞtre, et quil montre, dautre part, que lÞtre
17 premier est unifi gr ce sa participation de lUn, alors que ce qui vient aprs se
18 distingue et se multiplie cause de laltrit. Mais peut-Þtre ne serait-il pas
19 mauvais que je cite, en vue dune prparation aux {89.5} conceptions de Platon,17
20 ce quil dit lui-mÞme dans le Sophiste 18 :
21
– Quoi alors ? Ne devons-nous pas nous enqurir autant que possible auprs de
22
ceux qui affirment que tout est un, de ce quils veulent dire par « Þtre » ? – Cela me
23 parat indispensable. – Quils rpondent donc cette question : « Vous affirmez,
24 peut-Þtre, quil nexiste quune chose ? », « Nous laffirmons », diront-ils, nest-ce
25 pas ? – Oui. – « Eh bien ! Appelez-vous quelque chose » Þtre « ? – Oui. – » Est-ce
26 la mÞme chose que lun, de sorte que vous appliquez deux noms au mÞme objet, ou
quest-ce dautre ? « – Quelle rponse feront-ils {89.10} cela, Etranger ? – Il est
27
vident, Thtte, que celui qui soutient cette thse ne saurait rpondre facilement
28 quelque question que ce soit, ni celle-ci ni une autre. – Comment cela ? – Il est
29 quelque peu ridicule daccorder quil y a deux noms aprs avoir suppos quil ny a
30 rien lexception dune seule chose. – Comment ne le serait-ce ? – Qui plus est,
31 approuver quelquun disant quil y a un nom, na pas de sens. – Comment ? {89.15}
32 – Celui qui soutient que le nom est diffrent de lobjet affirme en quelque sorte
deux choses. – Oui. – Si, au contraire, il soutient que le nom est identique la
33
chose, il se verra contraint daffirmer quil nest nom de rien. Et sil soutient que le
34 nom est nom de quelque chose, la consquence en sera que le nom nest nom que
35 dun nom, et de nulle autre chose. – Cest ainsi. – Et il y aura lun de la seule chose
36 qui est et, encore, lun du nom. – Ncessairement. – Mais alors affirmeront-ils que
37
38 17 pqopaqasjeu/r eVmeja t_m toO Pk²tymor 1mmoi_m : la prparation ne vaut en effet que
39 sur le plan thorique, le commentaire de Simplicius tant crit en dehors dun cadre
scolaire rel. Ceci dit, on constate que, dans lesprit du noplatonicien, ltude
40 dAristote est essentiellement conÅue comme prparation ltude de Platon, que celle-
41 ci relve dun cursus dtudes en train de se dvelopper ou non.
42 18 Sophiste, 244b 6 – 245e 5 (Trad. N.–L. Cordero adapte).
224 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 le tout est diffrent de la seule chose qui soit ou quil lui est identique ? {89.20} –
2 Comment ne le diront pas ? Ils le disent maintenant. – Si donc il est tout, comme le
3 dit Parmnide19 :
4 Il est partout semblable la masse dune sphre bien arrondie,
5 absolument quidistant partir du centre, car il ne faut pas
6 quil soit ici et l plus grand ou plus petit.
7 {89.25} Tel tant, lÞtre a un milieu et des extrmits, et ayant ceux-ci, il est tout
8 fait ncessaire quil ait des parties, nest-ce pas ? – En effet. – Mais rien nempÞche
9 ce qui est ainsi partag de possder dans toutes ses parties lunit comme proprit
et qutant de la sorte un tout et une totalit, il soit aussi un. – Comment en serait-il
10
autrement ? – Mais nest-il pas impossible que ce qui subit ces choses soit lun lui-
11
mÞme ? – Comment ? – Je suppose que ce qui, selon un raisonnement correct, est
12 proclam comme vritablement {90.1} un, doit Þtre totalement dpourvu de parties.
13 – Cela doit Þtre. – Toutefois, ce qui est tel, tant constitu de plusieurs parties, ne
14 correspondra pas cette dfinition. – Je comprends. – Quoi donc, est-ce que le tout,
15 qui possde lunit comme proprit, sera un et tout, ou bien contesterons-nous
que lÞtre est tout ? – Le choix que tu proposes est difficile. – Certes, tu dis bien
16
vrai. {90.5} Car mÞme si lÞtre possde dune certaine manire lunit comme
17
proprit, il ne se montrera pas identique lun, et, par consquent, la totalit sera
18 plus nombreuse que lun. – Oui. – Et, dailleurs, si lÞtre, parce quil possde lunit
19 comme proprit, nest pas le tout, et si, toutefois, le tout existe, il sensuit que
20 lÞtre est priv de lui-mÞme. – Absolument. – Et selon le mÞme raisonnement,
21 lÞtre, priv de lui-mÞme, ne sera pas lÞtre. – Tout fait. – Et la {90.10} totalit ne
22
sera-t-elle pas plus nombreuse que lun, puisque lÞtre et le tout ont acquis
sparment une nature propre ? – Oui. – Mais encore, si le tout nexistait daucune
23
manire, il en serait de mÞme de lÞtre, qui, en plus de ne pas Þtre, ne pourrait pas
24 non plus devenir lÞtre. – Pourquoi donc ? – Ce qui sest produit sest toujours
25 produit en tant que tout, de sorte que, si lun ou le tout ne trouvent pas une place
26 parmi les Þtres, il faut proclamer que la ralit ni nest ni ne devient. {90.15} – Il
27 semble bien quil en soit toujours ainsi. – Et il est galement ncessaire que ce qui
28 nest pas un tout ne possde aucune quantit que ce soit, car une chose, si elle en
possde une, quelle quelle soit, est imprativement un tout de mÞme quantit. –
29
Parfaitement. – Ainsi donc, celui qui affirme que lÞtre est soit un couple soit
30 seulement une unit, se trouve achemin vers des milliers dautres impasses
31 infranchissables. – Celles que nous venons de trouver mettent cela en vidence.
32 Mais chaque difficult entranant une autre, elle provoque une dviation de plus en
33 plus grande et {90.20} prilleuse par rapport ce que nous avons toujours dit
34 prcdemment.
35 Mais si tout ceci a ncessit une digression assez longue, quil me soit pardonn
36 cause de lamour que jprouve pour ces choses.20 Passons maintenant la
37 suite.
38
39
19 28 B 8, 43 – 45 DK.
40 20 t` peq· aqt± 5qyti : savoir pour la ralit intelligible. Dans le vocabulaire
41 noplatonicien, lers quivaut une puissance de l me, qui facilite sa remonte vers
42 le Dmiurge.
4) Simplicius, Sur lUn-qui-est parmnidien 225
1 fois de lun et de lÞtre. Cest pourquoi {144.15} Znon disait que, si quelquun
2 lui montrait lun, lui, il lui donnerait lÞtre, non parce quil niait lun mais parce
3 que lun subsiste la fois avec lÞtre. cet Un-qui-est saccordent toutes les
4 conclusions que nous avons nonces : le fait dÞtre inengendr et incorruptible,
5 ainsi que « complet et dun seul genre », car, de fait, ce qui est avant toute
6 distinction ne peut pas Þtre second avec une autre chose.11 Il lui convient aussi
7 dÞtre {144.20} tout entier la fois et de ne point laisser de place au non-Þtre, et
8 encore dÞtre indivisible et immobile selon toute sorte de division ou de
9 mouvement, identique et dans le mÞme tat, et de constituer aussi la limite de
10 toutes les choses. Si, enfin, il est ce en vertu de quoi il y a lintelliger, il est
11 vident quil est lIntelligible ; car lintelliger et lintellect existent en vertu
12 de lintelligible. Et si lintelliger {144.25} et lintelligible sont la mÞme chose dans
13 la mÞme chose, lexcs de leur union serait de fait indicible.
14 Si je ne parais pas importun, je citerai avec plaisir les vers de Parmnide sur
15 lUn-qui-est, qui dailleurs ne sont pas nombreux, tant pour le bien-fond de
16 mes paroles que parce que lcrit parmnidien est rare. Il va donc ainsi, aprs la
17 rfutation du non-Þtre12 :
18
{145.1} Il ne reste plus quun chemin dire,
19 celui de lÞtre. Sur celui-ci se trouvent de trs nombreux
20 signes quil est inengendr et incorruptible,
21 complet et dun seul genre, inbranlable et sans fin,
22 {145.5} et jamais il ntait ni ne sera, puisquil est maintenant la fois tout entier
un et continu. Quelle naissance en effet chercherais-tu pour lui ?
23
Comment et do a-t-il surgi ? Du non-Þtre, je ne te laisserai
24 ni le dire ni le penser. Car il nest ni dicible ni pensable
25 quil ne soit pas. Quelle ncessit alors la fait pousser
26 {145.10} plus tard ou plus tt, sil a commenc du nant ?
27 Ainsi il faut quil soit entirement ou pas du tout.
Jamais la force de la conviction ne laissera que du non-Þtre
28
naisse quelque chose ct de lui. Cest pourquoi
29 la justice ne permet ni quil naisse ni quil meure, en rel chant ses liens,
30 {145.15} mais le maintient. Et la dcision sur ces choses se trouve ici :
31 Il est ou il nest pas. Mais il a t jug que ncessairement
32 lun des chemins, impensable et innommable, est laisser.
Car ce nest pas un vrai chemin, cest lautre qui existe et est vritable.
33
{145.20} Comment l
tre pourrait-il exister aprs, comment pourrait-il natre ?
34 Car sil est n, il nest pas, et il ne va jamais Þtre.
35 Ainsi la naissance est teinte et la mort inconnaissable.
36
37 11 t` c±q emti lehû 2t´qou de¼teqom oqj #m eUg t¹ pq¹ p²sgr cm diajq¸seyr : l
tre nest pas
38 de deuxime rang, cest--dire avec une autre chose, parce quil est prcisment d « un
39 seul genre » (lomocem]r), cest--dire dune seule origine ou dune seule « race » non-
mlange (« c]mor » est pris ici dans son sens premier et littral). Plus bas (147.14 – 16),
40 Simplicius sappuiera sur cette qualification de lUn-qui-est pour suggrer que Parm-
41 nide a aussi conÅu, au-dessus de lUn-qui-est, lUn radical.
42 12 28 B 8,1 – 52 DK (Trad. A. Stevens modifie).
228 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 sappliquent aussi aux ralits qui viennent aprs lUn-qui-est. Le fait dÞtre
2 « inengendr et imprissable », par exemple, convient aussi bien l me qu
3 lintellect, et le fait dÞtre « immobile et de {147.5} demeurer en lui-mÞme »
4 convient lintellect <tout entier>. Nanmoins, si lon considre toutes ces
5 choses ensemble et de manire pure, elles ne sont dignes que de lUn-qui-est.
6 Car, mÞme si, dans un sens, l me et lintellect sont inengendrs, ils ont t tout
7 de mÞme produits en vue de lIntelligible. Et cest encore lui qui est immobile au
8 sens propre, ce dans quoi mÞme le mouvement selon lacte nest pas distingu.
9 Le fait aussi de demeurer en lui-mÞme convient ce qui demeure au sens
10 propre ; or, l me et lintellect trs honorable {147.10} ont procd de ce qui
11 demeure et se sont convertis vers lui. Et il est vident que tout ce dont on dit
12 quil lui appartient est pralablement reÅu en lui sous un mode unifi : il
13 apparat et procde partir de lui et aprs lui, sous un mode distinct et selon sa
14 propre dfinition.
15
Il semble que lUn-qui-est ait t livr par Parmnide en tant que cause
16
premire, puisquil est « tout entier la fois » et « limite extrÞme ». Toutefois,
17
Parmnide ne la pas nomm « Un » tout court mais « Un-qui-est », {147.15} et
18
sil dit quil est « dun seul genre » et que, bien quil soit une limite, il est
19
nanmoins « achev », peut-Þtre veut-il insinuer que, au-dessus de lui, est
20
installe la cause ineffable de toutes choses.
21
22
[La nature des objections de Platon et dAristote]
23
De quelle manire donc Platon et Aristote contredisent-ils Parmnide ? La
24
rponse est que Platon, en contredisant Parmnide doublement, dune part
25
parce quil a dit que lÞtre est un, et dautre part parce quil a totalement ni
26
lexistence du non-Þtre, {147.20} a formul ses objections en raisonnant du point
27
de vue du diacosme intellectif, lequel est distingu. Dans celui-ci en effet, tant
28
lÞtre est distingu de lun, de sorte que les deux ne font plus un, que les parties
29
30
sont distingues du tout. Partant de l, Platon a montr que les Þtres ne sont pas
31
un mais plus nombreux que lun. Quant au non-Þtre, il a montr <quil existe>
32 partir de laltrit qui apparat dans les formes distingues, en vertu de laquelle
33 lÞtre qui est l, considr selon lune de ses proprits, est, dune part, Þtre, mais
34 nest pas, dautre part, mouvement ou repos ; et {147.25} chacune <de ces
35 formes> est ce quelle est mais nest pas les autres. Il est vident que le non-Þtre
36 est l o sont apparues la distinction et laltrit : dans les intellectifs sous un
37 mode formel et dans les sensibles sous un mode extensif. Ce non-Þtre <relatif>,
38 Parmnide lui-mÞme ladmet manifestement pour les ralits opines, puisquil
39 appelle trompeur lordre des vers qui concerne les opinions des mortels. Or, l
40 o il y a de la tromperie, il y a aussi {147.30} le non-Þtre ; car se trompe celui qui
41 considre que le non-Þtre est ou que lÞtre nest pas. Quant au non-Þtre absolu,
42
230 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 ce nest pas seulement Parmnide qui le rfute, mais Platon aussi, qui contourne
2 mÞme la recherche du non-Þtre en disant15 :
3
Alors, quon ne dise pas que lorsque nous avons eu le courage daffirmer que le
4 non-Þtre existe, nous pensions mettre en vidence le contraire de lÞtre. En ce qui
5 nous concerne, il y a dj longtemps {148.1} que nous avons envoy promener
6 nimporte quel contraire de lÞtre, soit quil existe soit quil nexiste pas, quil
7 possde un certain sens ou quil soit compltement irrationnel. propos de ce que
nous venons de dire sur lexistence du non-Þtre, ou bien il faut que quelquun nous
8
rfute en nous convainquant que nous navons pas parl comme il fallait, ou bien,
9 pour autant quil en est incapable, quil dise aussi les mÞmes choses que nous
10 disons.
11
Et il ny a rien dtonnant ce que lon montre que dans un tel Þtre, dtermin
12
selon lune de ses proprits, il y a {148.5} un non-Þtre analogue, alors que dans
13
lÞtre qui est entier, intelligible et tout avant tout sous un mode unifi, mÞme ce
14
non-Þtre na pas de place. Quant Aristote, en procdant dans ses objections
15
par manire de division, ou bien, dit-il, lÞtre se dit de plusieurs faÅons, et dans
16
ce cas il sera multiple, ou bien il se dit dune seule faÅon, et dans ce cas il sera
17
soit une substance soit un accident. Or il est clair que rien de cela ne convient
18
lIntelligible, {148.10} puisque cette division apparat dans le devenir et que, par
19
consquent, elle est pralablement reÅue sous un mode causal <non pas dans
20
lIntelligible mais> dans la distinction intellective.
21
Que personne ne bl me pour autant Platon et Aristote davoir contredit
22
Parmnide selon des conceptions autres <que les siennes>. En effet, par souci
23
humain <envers leurs auditeurs>, ils cartent pralablement les contresens qui
24
risquent de se produire.16 Car tous les deux montrent clairement quils prennent
25
Parmnide pour un sage, Platon {148.15} en accordant sa pense « une
26
profondeur en tous points noble »17 et en le prsentant comme matre de Socrate
27
dans les matires les plus leves, Aristote en laissant entendre que Parmnide
28
« regarde ailleurs »18 et en le contredistinguant des physiciens. Qui plus est,
29
Platon a livr lUn-qui-est dans le Parmnide, en clbrant sa transcendance, et
30
Aristote aussi, dans la Mtaphysique, maintient quil est un, et {148.20} avant
31
cela il proclame que « le gouvernement de plusieurs nest pas bon »,19 en
32
clbrant lui aussi lunion, et en voyant bien que l-bas lintellect, lintelligible,
33
la substance, la puissance et lacte sont la mÞme chose.
34
35
36
37 15 Sophiste, 258e 6 – 259a 4 (Trad. N.–L. Cordero lgrement modifie).
38 16 vikamhq¾pyr c±q t±r cemgsol´mar paqajo±r pqoamast´kkousim : lun des topoi pour
39 ltablissement de la concorde des philosophes; cf. In Phys., 37.6 – 8 : pot³ d³ t±r
eqjºkour 1jdow±r t_m 1pipokaiot´qym pqoamast´kkomter, ovtyr 1k]cweim dojoOsi.
40 17 Thtte, 184a 1 (cf. aussi In Phys., 36.32).
41 18 Metaph., A 5, 986b 27 (cf. aussi In Phys., 37.2).
42 19 Metaph., K 10, 1076a 4 (cf. aussi In Phys., 87.10).
4) Simplicius, Sur lUn-qui-est parmnidien 231
1 Mais cen est assez, car nous risquons de paratre « avoir pass les bornes »,20
2 comme cest le dicton, en introduisant les choses les plus extrÞmes de la
3 thologie dans un trait de physique.
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40
41 20 rp³q t± 1sjall]ma pgd÷m : littralement « avoir saut par-dessus les creuss » ; cf.
42 Platon, Cratyle, 413a 7-b 1.
232 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 Si donc ce sont les formes des lments que le dmiurge a premirement mises
2 dans la matire, et que {228.10} le substrat commun de ces formes soit le corps
3 sans qualit, voil quil serait la matire.
4 Daprs Aristote aussi, il peut sembler que le corps sans qualit soit le
5 premier substrat et la matire. Si en effet le corps, comme nimporte quelle autre
6 forme, advient la matire et sen va de la matire, il est clair que, avant quil
7 advienne et aprs quil sen soit all, cest la privation du corps qui est autour de
8 la matire, autrement dit {228.15} lincorporel. Il y aura, par consquent, une
9 substance naturelle incorporelle, ce quAristote ne peut pas avoir admis,
10 puisquil dit plusieurs endroits que les ralits naturelles sont des corps ou
11 autour des corps.
12
13 [Rfutation de la thse selon laquelle la matire est le corps sans qualit]
14 Nanmoins, que Platon ne veuille pas que le premier substrat – ce que nous
15 appelons matire – soit le corps, cela peut devenir clair par le fait quil prend
16 comme lments avant le corps les plans, qui sont {228.20} videmment plus
17 principiels <que le corps>. Il crit en effet dans le Time 5 :
18
Et dabord que le feu, la terre, leau et lair soient des corps, cest une vidence
19
pour tout le monde, je suppose ; or, tout ce qui appartient lespce des corps
20 possde aussi la profondeur. Mais, son tour, la profondeur contient, de toute
21 ncessit, la nature du plan.
22
23
Dailleurs, le corps est selon lui tridimensionnel : cest ce que signifie en effet
24 « possder la profondeur ». Or, ce qui est tel {228.25} a dans sa substance un
25 nombre et une figure – surtout si le corps entier est limit, comme cest lavis
26 aussi bien de Platon que dAristote. Pourtant, la matire, dit-il, ne possde ni le
27 nombre ni la figure, mais lorsquelle participe des formes, elle se transforme
28 alors selon des formes et des nombres.
29 QuAristote ne veuille pas non plus que le premier substrat soit le corps, il
30 la clairement manifest {228.30} en disant6 :
31 La matire dun grand corps et dun petit est la mÞme.
32
33
En effet, la matire du corps ne peut pas Þtre elle-mÞme un corps, et le substrat
34 commun du grand et du petit ne peut Þtre ni grand ni petit. Or, le corps, surtout
35 celui qui est limit,7 est dune certaine quantit, et {229.1} le mÞme corps ne peut
36 pas Þtre la fois grand et petit en soi. En gnral, le corps est comprhensible
37 par une dfinition et connaissable lappui <dune forme>. Or, Platon dit que
38
39 5 Time, 53c 4 – 7 (Trad. L. Brisson adapte).
6 Phys., IV 9, 217a 26 – 27.
40 7 ja· l\kista t¹ pepeqasl]mom : en insistant sur le fait que le corps est « limit »,
41 Simplicius prpare en effet la rsolution du problme quil va proposer plus bas, savoir
42 que la matire est corps mais, nanmoins, corps « illimit ».
234 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 la matire est « saisissable par un raisonnement b tard »,8 alors quAristote et,
2 avant lui, Time le Pythagoricien <disent quelle est connaissable> seulement
3 par analogie.9 Par consquent, il nest pas possible que le {229.5} corps soit la
4 matire premire. Dailleurs, dans le quatrime livre de ce trait, Aristote veut
5 que la matire de la grandeur soit une distanciation (di\stasim) indtermine
6 qui se dtermine par la grandeur formelle. Il dit en effet10 :
7
De sorte quil paratra que le lieu est la forme et la figure de chaque chose, par
8 laquelle se dtermine la grandeur et la matire de la grandeur.
9
10 Ayant dit « la grandeur », et dans la mesure o il y a aussi la grandeur formelle,
11 {229.10} il complta « cest--dire la matire de la grandeur » en expliquant la
12 mÞme chose.11
13 Qui plus est, si lon envisage la question pour elle-mÞme, on comprendra
14 quil est impossible que la matire premire soit le corps sans qualit, comme la
15 dmontr Plotin.12
16 (1) Si en effet aucune forme naturelle nappartient essentiellement la
17 matire qui est sous-jacente toutes les ralits naturelles, il est vident que ni
18 la figure ni la grandeur nappartiendront elle {229.15} (car celles-ci sont des
19 formes). Et pourtant elle sera configure et pourvue dune grandeur, si elle est
20 un corps, et elle ne sera pas simple mais compose de matire et de corps. Or, la
21 matire est simple. Tu peux donc raisonner de la manire suivante : – la matire
22 en elle-mÞme ne possde ni grandeur ni figure ni nombre ; le corps en lui-mÞme
23 possde une grandeur, une figure et un nombre ; par voie de consquence, la
24 matire nest pas un corps ; – la matire {229.20} nest pas compose de matire
25 et de forme ; le corps est compos de matire et de forme ; <par voie de
26 consquence, la matire nest pas un corps>.
27 (2) Qui plus est, si la matire est un corps, elle aura sa propre grandeur. Le
28 dmiurge ne pourra donc plus produire toutes les formes partir de lui-mÞme
29 selon son propre vouloir, ni la nature selon les raisons formelles qui sont en elle,
30 mais ils seront tous les deux contraints de sassujettir la grandeur de la matire.
31 (3) Qui plus est, si la matire a une grandeur, elle aura {229.25} par sa propre
32 dfinition une figure. Or, cela est absurde non seulement parce que la figure est
33 une forme et une qualit, mais aussi parce que la matire, tant domine par une
34 certaine figure dtermine, ne sera plus approprie recevoir toute figure.
35 (4) Qui plus est, la forme qui advient la matire comporte avec elle toutes
36 ses proprits et, par consquent, la grandeur aussi (en effet, autre est la
37
38 8 Time, 52b 2.
39 9 Cf. Aristote, Phys., I 7, 191a 7 ; [Time], De natura mundi et animae, 206.9.
10 Phys., IV 2 209b 2 – 4.
40 11 1p¶cace «ja· B vkg B toO lec´hour» t¹ aqt¹ 1ngco¼lemor : Simplicius assigne au « ja· »
41 de la phrase aristotlicienne une valeur explicative.
42 12 La plupart des arguments qui suivent sont tirs des Ennades, II 4 (12), ch. 8 et 9.
5) Simplicius, Sur la matire 235
1 Peut-Þtre donc faut-il poser que le corps se dit en deux sens : dune part, en tant
2 quil subsiste comme forme et dfinition rationnelle et quil est dtermin par
3 les trois dimensions, dautre part, en tant quil est rel chement, extension et
4 indtermination hors de la nature incorporelle, indivisible et intelligible ; ce
5 corps nest pas dtermin {230.25} formellement par les trois dimensions, mais il
6 est totalement rel ch et dissout, et il scoule compltement de lÞtre en
7 direction du non-Þtre. Peut-Þtre faut-il poser que la matire est une distanciation
8 telle que nous venons de la dcrire, et non la forme corporelle qui a dj mesur
9 et dtermin lillimitation et lindtermination de cette distanciation, et qui a
10 arrÞt sa fuite loin de lÞtre. Car il faut observer que cest ce en quoi diffrent
11 {230.30} les ralits matrielles des ralits immatrielles que doit Þtre la
12 matire. Or, les ralits matrielles diffrent <des ralits immatrielles> par
13 leur volume, leur distanciation, leur morcellement et les autres caractres de ce
14 type, non pas ceux qui sont dtermins selon les mesures, mais ceux qui sont
15 sans mesure, indtermins et qui sont virtuellement dtermins par les mesures
16 formelles.
17
18 [Justification historico-philosophique de la doctrine : Platon et les
19 Pythagoriciens]
20 Une telle conception propos de la matire, il semble bien que les premiers la
21 professer, {230.35} parmi les Grecs, ce furent les Pythagoriciens, et aprs eux
22 Platon, ainsi que le raconte Modratus lui aussi15 :
23
En effet, <Platon>, en se conformant la doctrine des Pythagoriciens, affirme que
24
le premier Un est au-dessus de lÞtre et de toute essence, tandis quil dit que le
25 deuxime Un, qui est prcisment {231.1} lÞtre qui est rellement, cest--dire
26 lIntelligible, est identique aux Formes, et que le troisime <Un>, qui co
ncide
27 avec la ralit psychique, participe de lUn et des Formes, et que la nature ultime,
28 qui drive de celui-ci et qui est la nature des ralits sensibles, ne participe pas <de
lUn et des Formes> mais est mise en ordre selon un reflet de ceux-l, parce que la
29
matire qui est dans les sensibles est une ombre du non-Þtre {231.5} qui existe
30 titre premier dans le quantifi et que, plus encore, elle a mÞme dchu de celui-l.
31
32 Et citant ces paroles de Modratus dans le deuxime livre de son trait Sur la
33 matire, Porphyre poursuit :
34 La Raison unitaire ayant voulu, comme le dit Platon quelque part,16 produire
35 partir delle-mÞme la gnration des Þtres, fit une place la quantit par une
36 privation delle-mÞme, en la privant de tous ses principes rationnels et de toutes ses
37 formes. {231.10} Et elle a appel cela quantit sans forme, indivisible et sans figure,
mais qui reÅoit forme, figure, division, qualit et toute dtermination de ce type. Il
38
semble que ce soit propos de cette quantit-l, poursuit <Porphyre>, que Platon
39 a prdiqu le plus de dnominations, lorsquil dit par exemple « rceptacle
40
41 15 Le dveloppement qui suit est emprunt au trait Sur la matire de Porphyre.
42 16 Cf. Time, 29d 7 – 30a 6.
5) Simplicius, Sur la matire 237
1 universel qui est sans forme », « invisible », « pouvant trs difficilement participer
2 de lintelligible », « Þtre peine saisie par un raisonnement b tard » {231.15} et
toute autre qualification semblable celles-ci.17 Cette quantit-l, poursuit-il, cest-
3
-dire cette forme qui est conÅue selon la privation de la Raison unitaire qui
4 enveloppe en elle-mÞme tous les principes rationnels des Þtres, est le modle de la
5 matire des corps, dont <Modratus> disait quelle est appele, elle aussi,
6 « quantifi » tant par les Pythagoriciens que par Platon,
7
« quantifi » entendu non pas comme forme mais comme privation, dissolution,
8
{231.20} extension et dispersion, qui sont produites cause de la diffrenciation
9
par rapport lÞtre.18 Cest pourquoi la matire semble Þtre le mal, au sens o
10
elle essaie dchapper au Bien, mais elle est saisie par lui et ne peut pas
11
saffranchir des limites, puisque son extension reÅoit la dfinition de la grandeur
12
formelle et, de la sorte, est dfinie par elle, et que sa dispersion est forme par la
13
distinction numrique.
14
15
[Rcapitulation de la doctrine]
16
{231.25} Selon ce raisonnement, donc, la matire nest rien dautre que la
17
diffrenciation des formes sensibles par rapport aux formes intelligibles, les
18
sensibles ayant dvis de l-bas et tant emports par leur chute vers le non-
19
Þtre. Quil faille distinguer entre le volume qui appartient en propre aux formes
20
sensibles et la grandeur formelle, et quil faille aussi distinguer entre la
21
dispersion des formes sensibles et la distinction numrique, cela est clair par le
22
fait que les unes {231.30} sont des raisons et des formes intendues et indivisibles
23
(en effet, tant la raison de la grandeur de trois coudes que la raison de la triade
24
sont intendues, indivisibles et incorporelles), tandis que les autres, qui
25
appartiennent en propre aux formes sensibles, sont irrationnels, corporels et
26
morcels, ayant dchu vers le volume et la dispersion en raison de leur
27
procession en direction du devenir et du niveau ultime, ce qui revient dire : en
28
direction de la matire. Car en effet le niveau ultime est toujours sdiment
29
{231.35} et matire. Cest pourquoi les gyptiens affirmaient que la matire est
30
le « sdiment » de la vie premire – quils appelaient symboliquement eau –
31
comme une sorte de boue.19 La matire est comme lemplacement des ralits
32
engendres et sensibles {232.1}, non pas en tant que forme dtermine mais en
33
tant que condition de leur subsistence,20 la manire dont l
tre rel, indivis,
34
35
36 17 Cf. Time, 51a 7 sqq.
37 18 oq t¹ ¢r eWdor posºm, !kka t¹ jat± st´qgsim ja· paq²kusim ja· 5jtasim ja· diaspasl¹m
38 ja· di± tµm !p¹ toO emtor paq²kkanim : ainsi quil apparat par le vocabulaire utilis,
39 cette phrase est une glose de Simplicius au texte de Porphyre. Elle fait cho, par ailleurs,
avec ce que Simplicius a dit en In Phys., 229.31 – 34.
40 19 Qk¼m : on remarquera le jeu (par)tymologique entre ce mot et « vkgm ».
41 20 Contrairement Plotin et Porphyre, Simplicius ne sintresse pas ici au substrat des
42 formes intelligibles, autrement dit la matire intelligible. Sa prsente analyse concerne la
238 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 subisse quelque modification que ce soit. Ainsi {283.15} donc, pour tout corps
2 naturel, la nature serait ce qui demeure le mÞme dans toutes les sortes de
3 changement quil subit. Or, ce qui demeure cest la matire. Antiphon, pour sa
4 part, a tent de montrer la persistance de la matire partir du bourgeonnement
5 du semblable,5 bien que le bourgeonnement fasse voir que cest une forme qui
6 est engendre par une forme plutt quune matire par une matire. Car
7 lhomme est engendr par lhomme et le bois par le bois. {283.20} Le bois aussi
8 est une forme, mÞme sil a un rapport de matire lgard du lit.
9
10 [Deuxime signification : la forme lie la matire]
11 Selon une deuxime signification, « nature » se dit de la forme qui est lie la
12 matire.6 En effet, de mÞme que la statue ne peut pas se dire selon le nom dart,
13 si elle na pas encore reÅu la forme selon lart, de mÞme la matire ne peut pas se
14 dire selon le nom de nature, si elle na pas encore reÅu la forme. En effet, la
15 matire est seulement en puissance ce {283.25} dont elle est la matire, par
16 exemple le sperme est un animal en puissance. Or, chaque ralit <naturelle>
17 est caractrise selon len acte, et ceci est la forme. Cest donc bon droit que la
18 forme semble Þtre « nature » plus que la matire.
19
20 [Troisime signification : lunit de matire et de forme]
21 Selon une troisime signification, est dit « nature » ce qui est constitu de
22 matire et de forme, par exemple lhomme.7 En effet, de mÞme que la substance
23 se dit en trois sens, cest--dire en tant que matire, {283.30} en tant que forme et
24 en tant que lunit des deux, de mÞme la nature peut se dire en ces trois sens.
25 Cependant, Aristote affirme que le compos de matire et de forme « nest pas
26 une nature mais par nature ». Car si chacun des deux composants est une nature,
27 et que le compos qui subsiste selon eux soit diffrent des deux composants, le
28 compos ne peut pas Þtre une « nature » au sens propre, mais « par nature ».
29 Nanmoins, si la phrase « cest celle-ci qui est nature plus que la matire »8 est
30 dite pour la nature compose, {283.35} ainsi que Porphyre la entendue,9 il est
31 clair que le compos nest certes pas une nature au sens propre (en effet ni
32 mÞme lun quelconque des deux simples nest une nature au sens propre) ; il est
33 cependant nature plus que la matire, parce quil possde en lui la forme, qui est
34 « nature » plus que la matire. {284.1} Selon laphorisme dAntiphon aussi
35
36 5 Cf. Phys., II, 1, 193a 13 – 18.
37 6 Cf. Phys., II, 1, 193a 30 – 31.
38 7 Cf. Phys., II, 1, 193b 5 – 6.
39 8 Phys., II, 1, 193b 6.
9 Cf. In Phys., 277.24 – 27 : « Porphyre comprend la phrase : » cest celle-ci qui est nature
40 plus que la matire «, comme portant sur le compos qui, bien quil ne soit pas une
41 nature au sens propre mais plutt par nature, est nature plus que la matire, parce
42 quil possde en lui la forme, qui est nature plus que la matire. »
242 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 (puisquun homme est engendr dun homme, un compos est engendr dun
2 compos), le compos serait galement une nature. Voil donc les trois
3 significations de la nature, savoir le compos et les lments du compos.
4
5 [Quatrime signification : la pousse ou le mouvement vers la forme]
6 {284.5} Selon une quatrime signification, est dite « nature » cette sorte de
7 pousse (5jvusir), dengendrement et de mouvement,10 selon laquelle ce qui
8 pousse pousse par ce qui le fait pousser. En effet, de mÞme que dans le cas du
9 vÞtement il y a ce qui tisse, cest--dire le tisseur, ce qui est tiss, cest--dire le
10 vÞtement, et aussi une troisime chose, cest--dire le tissage, qui est une sorte
11 de mouvement partir du sujet producteur vers lobjet produit, de mÞme dans le
12 cas de la ralit naturelle il y a ce qui pousse et ce qui fait pousser, et entre
13 {284.10} les deux une autre nature qui est comme le mouvement de la nature
14 productrice, la manire dont la mdication est le mouvement de la mdecine.
15
16 [Cinquime signification : la cause du mouvement des ralits naturelles]11
17 Selon une cinquime signification, qui est la signification capitale, la nature est
18 la cause du fait que les ralits naturelles se meuvent. En effet, de mÞme
19
qu « art » se dit < la fois> de la cause productrice des artefacts et du
20
mouvement de lart,12 <de la mÞme faÅon> se dit la nature13 : elle commence
21
par la {284.15} « nature » selon la matire et aboutit la « nature » selon la
22
forme, en produisant ainsi la « nature » selon lunit des deux. De ce point de
23
vue, la nature productrice communique avec lart ; elle diffre pourtant en ce
24
que lart, tant en dehors, commence par ses propres rgles thoriques et aboutit
25
un rsultat qui est diffrent de lui : la mdecine, par exemple, aboutit la
26
sant. La nature, pour sa part, {284.20} tant inhrente ce qui pousse, aboutit
27
travers la pousse la nature de ce qui sachve, <tant> une nature qui conduit
28
une nature travers une nature. moins que lart, en aboutissant travers le
29
mouvement technique un artefact homogne, ne conserve de ce point de vue
30
31
sa similitude avec la nature. Quoi quil en soit, la nature diffre assurment de
32
lart en ce que son activit est immanente < la ralit naturelle> et vient du
33 dedans.
34
35 [Les significations et la dfinition de la nature]
36 {284.25} Les significations de la nature tant plusieurs, le nom (phu-sis)
37 correspond notamment la nature en tant que mouvement et pousse (en effet, il
38
39 10 Cf. Phys., II, 1, 193b 12 – 13.
11 Cette signification de la nature ne se trouve pas, du moins pas de manire explicite, dans
40 le texte dAristote ; do laporie souleve plus bas (285.13 – 29).
41 12 ja· B ta}tgr j_mgsir : cest--dire le « mouvement » le long duquel se produit lartefact.
42 13 v¼sir kecol´mg codd. Diels : <ovtyr ja·> v¼sir kecol´mg fort. supplendum est
6) Simplicius, Sur la nature 243
1 est analogue aux noms iatreu-sis, huphan-sis et, en gnral, kin-sis), tandis que
2 le concept du nom correspond plutt la nature au sens propre, cest--dire la
3 nature en tant que productrice des ralits naturelles. Nanmoins, la dfinition
4 de la nature sapplique toutes les significations,14 condition quelle soit
5 proprement prise lgard de chaque signification.15 {284.30} En fait, la nature
6 au sens propre est effectivement principe et cause de mouvement et de repos,
7 mais la nature comme mouvement lest aussi en tant que principe instrumental.
8 En effet, cest par le moyen de la nature comme mouvement que la nature
9 productrice accomplit le mouvement et le repos des ralits naturelles, la
10 manire dont le mdecin parvient la sant par le moyen de la mdication.
11 Quant la matire et la forme, elles sont principes de lactivit attribue la
12 nature en tant que principes lmentaires. Eudme affirme quelles admettent,
13 elles aussi, la dfinition de la nature16 :
14
15 Il semble que la matire et le en vue de quoi {285.1} soient, eux aussi, principes de
mouvement. En effet cest la matire sous-jacente que nous considrons comme
16
cause du fait que le plomb tombe en bas, puisque cest parce quil est fait dune
17 telle matire quil se porte vers le bas. Dautre part, il a un principe de mouvement
18 en soi-mÞme et par soi-mÞme, cest--dire en tant quil est plomb.
19
20
La forme peut Þtre principe de mouvement en tant que fin aussi, puisque cest
21 en visant la forme {285.5} que la nature œuvre sur les ralits naturelles. Mais
22
23 14 Ce point exgtique est emprunt Syrianus ; cf. In Phys., 269.10 – 17 : « Le grand
24 Syrianus attire lattention sur le fait que la dfinition attribue <par Aristote> la
nature peut sappliquer plus ou moins toutes les significations de la nature, condition
25 quelle soit proprement prise lgard de chaque signification (oQje¸yr 1vû 2j²st\
26 kalbamºlemor). En effet, de mÞme que le nom de nature est prdiqu de manire
27 homonyme la matire, la forme et la pousse, bien quil sapplique au sens propre
28 la cause des corps naturels, de mÞme la dfinition, qui sentend videmment en relation
29 avec la nature dite au sens propre, peut aussi sentendre en relation avec les autres
principes. Car les autres » natures « sont galement des principes de mouvement,
30 quoique non pas de la mÞme faÅon ».
31 15 En corrigeant le « 2j\stym » fourni par les mss. D et E en « 2j²st\ », daprs le passage
32 cit dans la note prcdente. Diels adopte la variante du ms. F, savoir « 2j²teqa ».
33 16 Diels, en suivant Spengel, hsite quant la dmarcation de la citation dEudme
34 (« Sp[engel]… non distinxit neque ego distinguo »). Wehrli marque, pour sa part, la
phrase suivante (fr. 51) : !qwµ c±q doje ? jim¶seyr eWmai ja· B vkg ja· t¹ ox 6meja. Il
35 faudrait pourtant inclure galement dans la citation dEudme la suite immdiate du
36 texte (toO c±q Veshai j²ty t¹m lºkubdom tµm rpojeil´mgm vkgm aQti¾leha· fti c±q 1j
37 toia¼tgr 1st· j²ty v´qetai. 5wei d³ [scripsi : dµ codd. Diels] jim¶seyr !qwµm 1m 2aut` ja·
38 jahû 2autºm, Ø c±q lºkubdºr 1sti), tant donn quelle contient deux exemples qui
39 clairent la thse bipartite dEudme (do la correction du « dµ » en « d³ »). Simplicius
fournit ensuite de son propre cru une prcision supplmentaire qui concerne unique-
40 ment la forme (t¹ d³ eWdor !qwµ #m eUg ja· ¢r t´kor). Enfin, on peut ajouter un argument
41 stylistique : lemploi de la combinaison rare « Ø c±q », qui nest gure atteste chez
42 Simplicius.
244 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 elle est »28 suffit pour rpondre cela, et aussi ce qui est dit de faÅon plus claire
2 dans la suite, cest--dire que la nature est « dans un sujet ».29 En effet, chaque
3 me possde une puissance motrice au sens propre et transcende le corps m. Si
4 pourtant cette explication ne suffit pas ceux qui considrent que {287.5} l me
5 vgtative et l me irrationnelle se trouvent galement dans des corps-sujets,
6 cest la remarque suivante qui va leur suffire, laquelle est tout fait capitale
7 aussi bien pour la saisie de lessence naturelle que pour la distinction de la
8 nature davec l me.
9 En effet, Aristote ne dit pas que la nature est pour les corps principe de
10 mouvement la manire dont aussi bien lui que Platon disent que l me lest.
11 En effet, {287.10} daprs tous les deux, l me est motrice des corps, tandis que la
12 nature est principe de mouvement non pas selon le mouvoir mais selon lÞtre
13 m, et principe de repos non pas selon le fait de mettre en repos mais selon
14 lÞtre en repos. Cest pourquoi on ne dit pas que les ralits naturelles se
15 meuvent par elles-mÞmes. Elles devraient en effet Þtre capables de sarrÞter
16 elles-mÞmes, dit Aristote,30 si elles pouvaient se mouvoir par elles-mÞmes.
17
18 [La nature en tant que disposition]
19 La nature semble donc Þtre une certaine disposition lÞtre m et ordonn,
20 comme <cela se manifeste> par exemple, quand elle pousse du bas {287.15} vers
21 le haut et invite elle-mÞme, gr ce lheureuse disposition naturelle qui lui est
22 propre, les causes ordonnatrices. En effet, si elle tait principe de mouvement en
23 tant quelle meut quelque chose, elle ne diffrerait pas cet gard de l me ni de
24 la cause motrice titre premier.31 Nanmoins, puisque les corps se sont carts
25 loin de la substance indivise et intendue et, <par consquent>, de la vie qui
26 existe selon lÞtre lui-mÞme,32 ils sont devenus en eux-mÞmes des cadavres sans
27 aspiration et {287.20} ont t refroidis lgard de toute vie. Il est rest pourtant
28 en eux une ultime sorte de vie, celle qui est selon la puissance et la disposition et
29 que nous appelons prcisment nature, gr ce laquelle les cadavres aussi33
30
31 28 t¹ 1m è 1st_m : cf. Phys., II, 1, 192b 22 : ousgr t/r v¼seyr !qw/r tim¹r ja· aQt¸ar toO
32 jime ?shai ja· Aqele ?m 1 m è r p ² q w e i pq¾tyr jahû art¹ ja· lµ jat± sulbebgj|r.
33 29 Cf. Phys., II, 1, 192b 34 : rpoje¸lemom c²q ti, ja· 1 m r p o j e i l ´ m \ 1st·m B v¼sir !e¸.
34 30 Diels avoue : « nescio ubi », tandis que B. Fleet, Simplicius. On Aristotles Physics 2,
Londres, 1997, p. 170, n. 113, suggre comme passage correspondant Phys., VIII, 4, 255b
35 13 – 256a 3. Le renvoi est en ralit Phys., VIII, 4, 255a 5 – 7 (Trad. P. Pellegrin
36 adapte) : « En effet, dire que ces choses (scil. les ralits naturelles) se meuvent par
37 elles-mÞmes, cest impossible. Cela, en effet, est quelque chose de vital, cest--dire de
38 propre aux Þtres anims ; et elles devraient Þtre capables de sarrÞter elles-mÞmes (ja·
39 Rst²mai #m 1d¼mato aqt± art²). »
31 Cest--dire de lIntellect.
40 32 ja· <t/r> jat aqt¹ t¹ eWmai fy/r rpaqwo¼sgr supplevi
41 33 ja· t± mejq± : ce sont les corps les moins dignes, qui sont dpourvus de toute trace
42 danimation, comme la pierre, los et le bois. Cf. Simplicius, In Phys., 262.31 – 263.4 :
248 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 nature se dit principe de mouvement non pas en tant que moteur mais en tant
2 que principe de lÞtre m.
3 Si pourtant {288.10} la nature est de telle sorte, savoir de lordre de len
4 puissance et une disposition lÞtre m, en quel sens avons-nous dit plusieurs
5 reprises que la nature est productrice ? Aristote lui-mÞme dit dans ce livre que
6 la nature est analogue lart, et vers la fin du livre il dmontre que la nature
7 produit en vue de quelque chose.37 Et en concluant son discours, il dit encore38 :
8
Il est donc manifeste que la nature est cause, et <cause> en ce sens : en vue de
9
quelque chose.
10
11 {288.15} Et dans le premier livre du trait Du ciel, il rattache clairement la
12 production de la nature la production divine :
13 Le Dieu et la nature, dit-il,39 ne font rien en vain.
14
15 ceci, je crois, il faut rpondre que toute ralit engendre est engendre la
16 fois partir dun certain sujet, qui est en puissance ce quelle va devenir, et par
17 ce qui le produit, qui est <tel> en acte ; et il est besoin de tous les deux pour
18 que le rsultat soit accompli. {288.20} Pour cette raison, bien que la nature soit
19 une disposition du sujet, elle se dit produire en ce sens quelle contribue
20 laccomplissement du rsultat. Lorsque Aristote dit que la nature produit en vue
21 de quelque chose, il le dit en ce sens que lengendrement des ralits naturelles
22 vise une certaine fin : elles ne sont pas le fait du hasard ou de la spontanit,
23 mais elles sont naturellement aptes Þtre engendres la manire dont elles
24 sont engendres. Il dit par exemple dans ce livre que40 :
25
Dans les ralits o il y a une certaine fin, {288.25} cest en vue de cette fin que se
26 produit une chose et la chose suivante. Par consquent, comme chacune de ces
27 ralits se produit, ainsi elle est naturellement apte se produire, et comme elle est
28 naturellement apte se produire, ainsi elle se produit, si elle nen est pas empÞche.
29
Tu te rends videmment compte que par « naturellement apte », il entend la
30
ralit naturelle. Si donc il dit que « le Dieu et la nature ne font rien en vain », il
31
le dit en ce sens que la nature procure den bas la disposition qui vise la fin qui
32
est son bien, {288.30} alors que Dieu illumine partir du haut ce qui est tel en
33
acte.
34
35
[La doctrine de la nature en tant que disposition dans son volution historique]
36
Mais cest ainsi quAristote a dcouvert lessence de la nature, cest--dire
37
partir de la diffrence entre les ralits naturelles et les ralits non naturelles.
38
39
37 Phys., II, 8.
40 38 Phys., II, 8, 199b 32 (Trad. P. Pellegrin).
41 39 Du ciel, I, 4, 271a 33.
42 40 Phys., II, 8, 199a 8 – 11.
250 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 Les plus anciens ont manifestement eu, eux aussi, une telle conception de la
2 nature, cest--dire considre selon la disposition de chaque chose au mouve-
3 ment, par lequel se caractrisent les ralits naturelles. {289.1} Toutes les ralits
4 naturelles possdant la fois une matire et une forme, les uns ont attribu cette
5 puissance la matire, dune part en disant que la nature est ce selon quoi les
6 ralits naturelles sont naturellement aptes se mouvoir, et dautre part en
7 voyant que les ralits naturelles changent principalement selon leur matire,
8 comme le lit change par exemple selon le bois. Les autres, en disant que la
9 nature est ce selon quoi les ralits naturelles ont leur Þtre, {289.5} et puisque la
10 forme est le caractre de chaque chose selon lequel chaque chose subsiste et est
11 dite Þtre ce quelle est, pour cette raison ils ont affirm que la nature est la
12 forme (en effet, cest en raison de cette conception de la « nature », savoir
13 comme le caractre propre une chose, que nous employons le nom de
14 « nature » partout, en ne cessant de parler de la « nature » de l me ou de
15 lintellect et, plus encore, de la « nature » de dieu). Toutefois, Aristote {289.10}
16 na pas jug bon dappeler « nature » ni la matire en soi (en effet, la matire en
17 elle-mÞme est un substrat inerte) ni la forme (en effet, celle-ci est naturelle et
18 non pas nature), mais il a appel « nature » la disposition de la matire se
19 mouvoir et changer la manire qui lui est propre, chaque fois quelle change
20 de telle forme telle autre. Car aussi bien le rejet que la rception de la forme
21 {289.15} adviennent la matire selon la disposition naturelle. La forme aussi,
22 cest selon la nature qui lui est propre quelle sengendre partir de son
23 contraire et que, une fois engendre, elle se conserve et se meut en p tissant et
24 en agissant ou, mieux, en agissant de manire passive. Par consquent, aussi bien
25 la matire que la forme sont naturelles, mais ni lune ni lautre ne sont une
26 nature, et de mÞme le compos ne lest pas non plus (en effet, la forme serait
27 une nature plus que la matire, gr ce son caractre et sa puissance, {289.20}
28 et le compos serait une nature plus que la matire gr ce la forme, puisque, de
29 manire gnrale, telle ou telle chose devient naturelle lorsquelle a reÅu sa
30 forme ; car la matire en elle-mÞme est indtermine).
31 tant la disposition <de la matire> la subsistence de la forme, la nature
32 prexiste en quelque sorte la forme en tant en puissance dans la matire, et
33 elle reprsente pralablement en elle-mÞme la forme en tant sa nature et sa
34 pousse {289.25} et son panouissement partir de la matire. Cest pourquoi
35 ceux qui disent que la nature est la vie ultime,41 disent bien. En effet, de la mÞme
36 faÅon que cette sorte dbullition qui procde de lÞtre premier pour aboutir la
37 distinction de lhypostase eidtique,42 et la sortie depuis lÞtre en direction de
38
39
40 41 Cf. Proclus, In Remp., II, 311.10 – 13 ; Damascius, In Parm., III, 50.23 – 25 et 52.10 – 16.
41 42 B !p¹ toO pq¾tou emtor oXom !m²fesir eQr di²jqisim t/r eQdgtij/r rpost²seyr : le
42 vocabulaire est en fait emprunt Damascius ; cf. Des premiers principes, II, 199.4 – 5 :
6) Simplicius, Sur la nature 251
1 lagir sont la puissance premire et la vie premire qui subsiste selon le premier
2 mouvement de lÞtre, de la mÞme faÅon la pousse de la forme engage dans la
3 matire partir de la matire {289.30} et le mouvement vers elle, considr selon
4 len puissance de la forme, sont la puissance ultime et la vie ultime. Pour cette
5 raison, lÞtre, qui est en haut, est au-dessus de la vie, et la matire, qui est en bas,
6 est aprs la nature, puisque les causes suprieures ont davantage dextension
7 que les causes infrieures.43 Et tant la vie de la forme, la nature nest pas
8 seulement la pousse delle mais aussi, une fois que la forme est engendre, la
9 cohsion et la surrection {289.35} pour faire et subir tout ce quoi elle est
10 naturellement apte.
11
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39
ja· B fyµ to¸mum (¡mºlastai) !p¹ toO fe ?m te ja· !mafe?m eQr di²jqisim. III, 123.16 – 17 :
40 1c´meto to¸mum No¶ tir ja· f´sir, Dm jakoOlem fy¶m.
41 43 fti t± rp´qteqa aUtia 1p· pk´om vh²mei t_m jatadeest´qym : l
tre stend sur la matire
42 du corps avant que la Nature lui confre une vie.
252 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 consquent <qui sest finalement produit> et, de ce fait, il a agi en vain du point
2 de vue du consquent aussi.2 Cest pourquoi il a t nomm bon droit
3 « spontan » (aqt|latom) en ce sens quil a agi en vain (aqt¹ l\tgm)3 quant
4 cette fin. Il est nanmoins appel une cause, parce que sil navait pas prcd,
5 <cette fin> ne se serait pas produite, et aussi parce que nous ne voyons pas une
6 autre cause en examinant les choses du point de vue de la nature. Il nest
7 pourtant pas une cause en soi de cette fin mais une cause par {357.30} accident.
8 Des vnements qui se produisent spontanment, on dit que ceux qui
9 arrivent de surcrot par suite dactions faites selon un choix rflchi se
10 produisent par hasard, le hasard tant la cause qui subsiste ct du choix
11 rflchi et de laction selon le choix rflchi, comme par exemple la cause <qui
12 subsiste> ct de la sortie faite pour rencontrer lami, lorsque la fin qui a suivi
13 nest pas la fin en vue de laquelle la sortie a t faite mais une fin diffrente.
14 Quant aux autres vnements qui se produisent spontanment, on appelle selon
15
le nom commun ceux qui {357.35} adviennent de surcrot par suite dactions
16
irrationnelles ou naturelles, <en disant> quils se produisent spontanment, et
17
<on appelle> spontan la {358.1} cause antcdente que la fin na pas suivie en
18
soi mais par accident. Voil donc pour ce qui est de lanalyse dAristote, qui a
19
voulu expliciter lusage commun des noms selon les mesures qui conviennent
20
un enseignement « naturel » au sujet des causes.
21
22
[Quelques prcisions smantiques supplmentaires]
23
{358.5} Je veux pourtant attirer lattention sur le fait que les anciens appelaient
24
peut-Þtre « par hasard » non seulement les vnements qui adviennent de
25
surcrot la suite de mouvements rflchis mais aussi les consquents des forces
26
naturelles. Pour que je passe sur plusieurs usages de cette sorte – jen ai cit
27
certains tirs dEmpdocle plus haut4 –, celui cit par Aristote lui-mÞme suffira.
28
29
Parlant de lair {358.10}, Empdocle dit en effet5 :
30 Parfois cest de cette manire quil courut les rencontrer, mais souvent dune autre
31 manire.6
32
Platon aussi, en racontant les doctrines des premiers physiciens au sujet des
33
vnements produits par hasard, affirme que ceux-ci voquaient le hasard
34
35 2 Il y a donc une « vanit » tant du point de vue de lantcdent que du point de vue du
36 consquent, de sorte que, en dernire analyse, cest la relation causale qui doit Þtre
37 qualifie de spontane.
38 3 On remarquera bien videmment le raisonnement (par)tymologique de Simplicius
39 (aqt¹ l\tgm> aqt|latom), qui est en fait emprunt Aristote, Phys., II 6, 197b 29 – 30.
4 In Phys., 327.13 sqq.
40 5 31 B 53, 10 DK ; Phys., 196a 22 – 23 (Trad. P. Pellegrin).
41 6 Simplicius suggre que par « de cette manire » il faut comprendre « par hasard » ; cf. In
42 Phys., 327.15 – 18 et, supra, 358.25 – 26.
254 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 comme cause dans la description des lments et des mlanges des lments ; il
2 dit prcisment7 :
3
Le feu, leau, la terre et lair, {358.15} tout cela, disent-ils, est d la nature et au
4 hasard,
5
6 et aussi dans ce qui suit, que jai cit tout lheure.8 Pour ce qui est aussi des
7 vnements qui adviennent de surcrot la suite de choix rflchis, les anciens
8 les appellent dans plusieurs endroits « spontans » et spontanment produits.
9 Tel est par exemple ce quon lit chez Homre9 :
10 Mnlas au puissant cri de guerre arrive sans quon lappelle (aqtºlator).
11
12
En effet, larrive de Mnlas est advenue de surcrot linvitation des autres
13
nobles, faite par Agamemnon {358.20} selon un choix rflchi.
14
Si donc les anciens emploient de manire indiffrencie le hasard et le
15
spontan propos des mÞmes choses, en prenant le hasard non pas dans le sens
16
dobtenir <quelque chose> (jat± tµm toO tuwe ?m 5mmoiam) mais dans le sens de
17
« nimporte comment » (jat± tµm toO ¢r 5tuwe), lorsquils ne peuvent pas
18
prciser la cause <dun vnement>, et quils posent par le mÞme raisonnement
19
que le spontan est ce qui est sans cause (en effet, nous avons coutume de dire
20 {358.25} « nimporte comment » et <dvoquer> le spontan propos des
21 choses dont il ny a pas de cause dtermine), le « rencontrer » <dont parle
22 Empdocle> a aussi le mÞme sens. En effet, ce sens drive de l « obtenir » (!p¹
23 toO tuwe ?m), mais <il veut dire> obtenir non pas selon la raison ni selon un but
24 prcdent, mais <obtenir> sans dessein et de quelque manire que ce soit (eQj0
25 ja· fpyr %m). Cest effectivement ce que « nimporte comment » signifie. Voil
26 donc ce que jai distinguer propos de la diffrence des noms.
27 Mais je veux aussi examiner si le hasard se trouve seulement dans les
28 vnements produits selon un choix rflchi et, qui plus est, sil se trouve
29 seulement dans les vnements qui se produisent le moins souvent.10 Si en effet
30 le fait dobtenir ou de russir <quelque chose> (t¹ tuwe ?m ja· 1pituwe ?m) se dit
31 de toute faÅon partir du mot « tuch », et que nous disons que le bon archer
32 atteint sa cible (tucw\meim toO sjopoO)11 et que le bon scribe russit en crivant
33
34 7 Lois, 889b 1 – 2 (Trad. L. Brisson-J.–F. Pradeau).
8 In Phys., 355.22 – 356.3.
35 9 Iliade, B 408 (Trad. P. Mazon).
36 10 1m to ?r 1pû 5kattom : ainsi que le prcise Aristote en Phys., II 5, 196b 10 – 13, le hasard est
37 naturellement voqu comme cause dvnements qui narrivent ni ncessairement et
38 toujours ni le plus souvent.
39 11 Il est difficile de rendre en franÅais tout ce vocabulaire construit partir de la racine
« tuw- », auquel a recours Simplicius pour soutenir son argument. Pour remdier cela,
40 nous mettons entre parenthses, lorsque cest ncessaire, tous les mots grecs apparte-
41 nant ce registre. Pour la mÞme raison, nous prfrerons ne pas traduire dans certains
42 cas le mot « t¼wg » mais le translittrer.
7) Simplicius, Sur le hasard 255
1 alors que le mauvais choue (!potucw\meim), tuch nest pas dans le moins
2 souvent mais dans le plus souvent. Par ailleurs, Eudme dit que12 :
3
Si <lartiste> accomplit ce qui est selon son art, cela se dit succs (eqtuw_a) ; si,
4 dautre part, il accomplit {359.1} ce qui est malgr son art, cela se dit chec
5 (!tuw_a).
6
Mais propos aussi de celui qui envisage de faire quelque chose, lorsquil fait ce
7
quil a envisag de faire, nous disons quil a atteint la fin quil a envisage
8
(tucw²meim toO oQje¸ou t´kour), de mÞme que nous disons quil a chou (!po-
9
tucw\meim), lorsquil ny est pas arriv. Par consquent, chaque fois que
10
quelquun atteint <la fin> envisage, cette obtention (teOnir) nest pas par
11
accident.
12
13
[La tradition ancienne et les philosophes plus rcents : tuch comme desse]
14
Si donc nous considrons quil y a des causes divines qui prexistent toutes les
15
16
autres {359.5} proprits – par exemple la beaut, la sant et la victoire –,
17
partir desquelles sont prcisment transmises les participations ceux qui en
18
participent, et que nous osions dsigner ces causes daprs les noms des biens
19
quelles nous transmettent, il faut galement savoir que le fait dobtenir le bien
20
quil faut est aussi une chose grande et digne de la donation divine. Comment
21
donc nest-il pas ncessaire que nous appelions la bont divine, qui est pour nous
22
la cause du fait dobtenir, {359.10} Tuch ? Cest donc avec raison que certains
23
ont pens que13 :
24 Le hasard est bien une cause, mais qui demeure cache lintelligence humaine,
25 dans la mesure o elle est divine et trop surnaturelle.
26
Si donc nous disons que le hasard est cause surtout des vnements dont nous ne
27
voyons pas de cause par soi qui soit connue par nous, il ne faut pas croire pour
28
cette raison que la cause par soi dune chose, lorsquelle devient cause
29
accidentelle dune autre chose, sappelle alors hasard {359.15}, et son effet « par
30
hasard ». Au contraire, il faut considrer que la cause par soi est la cause de ce
31
qui se produit prcisment. Le fait, par exemple, que nous sommes alls
32
jusquau march pour rencontrer notre ami est la cause du fait que nous nous
33
trouvons dans le march ; si donc nous avons rencontr notre dbiteur, et que
34
nous sommes alls jusque l en vue de cela aussi, notre choix rflchi et notre
35
marche sont en effet des causes accessoires, la cause primordiale tant le hasard,
36
qui a prcisment fait {359.20} que nous rencontrions (tuwe?m) notre dbiteur,
37
notre choix rflchi tant lui aussi de concert. Si, dautre part, nous ne sommes
38
pas alls jusque l pour le rencontrer, le hasard semble en Þtre la seule cause,
39
40 12 Fr. 57 Wehrli.
41 13 Phys., II 4, 196b 6 – 7 (Trad. P. Pellegrin). Au sens de Simplicius, par certains (tis_m) il
42 faut comprendre non seulement les anciens mais aussi les Sto
ciens.
256 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 mais notre choix rflchi a t de concert aussi dans la mesure o il nous a fait
2 aller jusque l ; mais dans la mesure o il ne nous a pas fait aller jusque l pour
3 rencontrer notre dbiteur, notre choix rflchi a eu manifestement besoin dune
4 cause qui puisse le diriger.14
5 Aristote assurment, comme je lai dit plusieurs reprises, en faisant une
6 distinction sur le plan naturel, laisse {359.25} aux thologiens le soin de nous
7 livrer cette cause invisible. Quant la cause dont nous sommes conscients,
8 lorsquelle atteint une fin autre que celle quelle a envisage, il lappelle alors
9 hasard, et son effet « par hasard ».
10
11 [Le pouvoir de Tuch]
12 Si nous cherchons savoir sur quels domaines stend la domination de Tuch,
13 nous trouverons quelle est dans toutes les ralits qui ont besoin dobtenir. Et
14 ont besoin dobtenir les ralits qui ont besoin de participer, {359.30} et les
15 ralits qui participent sont celles qui sont distingues les unes des autres. Il y a
16
donc besoin de Tuch dans la distinction des formes intellectives aussi, afin
17
quelles puissent participer lune de lautre. Toutefois, cette distinction est
18
indistincte, et la participation nest pas tellement une participation mais plutt
19
une cosubsistence, si bien que la proprit de Tuch nest pas manifeste dans ces
20
formes-l. En revanche, dans lunivers corporel, o la distinction acheve
21
{359.35} et le morcellement se sont dj produits, et dans lequel la participation
22
et lobtention sont videntes, Tuch expose sa puissance de manire plus
23
vidente aussi. {360.1} Et en effet, cest gr ce Tuch que le soleil et chacun des
24
astres errants atteignent leur habitation dans chacun des signes du zodiaque, et
25
cest encore gr ce elle quils atteignent leurs constellations et que la lune
26
27
atteint la lumire solaire, et les autres toiles les irradiations des autres. {360.5}
28
Toutefois, la puissance de Tuch nest pas si manifeste dans le Ciel, cause de
29 lordre ncessaire <qui y rgne>. Cest en revanche dans le monde sublunaire,
30 o le danger de ne pas obtenir est grand, puisque des causes nombreuses et
31 indtermines y interviennent, que Tuch montre au degr le plus haut la
32 domination qui est la sienne : elle rassemble toutes les causes afin que chacune
33 des ralits nchoue pas < son but> mais quelle obtienne ce quil lui faut
34 {360.10} selon le Juste, autrement dit selon sa propre dignit ; la faÅon dont la
35 Sant est aussi une divinit qui se manifeste dans les ralits auxquelles
36 interviennent les maladies et, encore plus, dans les ralits dans lesquelles les
37 causes plus particulires ne sont pas prsentes.15 Et nous disons que la cause de
38 la distribution selon la dignit est Dik, alors que la cause du fait dobtenir ce
39 qui est ainsi distribu est Tuch.
40
41 14 savoir le Hasard.
42 15 Une telle cause particulire serait par exemple la Force (corporelle).
7) Simplicius, Sur le hasard 257
1 {361.5} nous parlons dune tuch heureuse lorsquelle est la cause qui nous fait
2 obtenir les biens titre principal, et dune tuch malheureuse lorsquelle nous
3 dispose pour obtenir un ch timent ou une punition. Cette tuch tout entire,
4 Platon nous la livre coordonne au dmiurge dans les Lois, en disant
5 prcisment17 :
6
Que cest un Dieu, et de concert avec ce dieu le Hasard et lOccasion qui
7 gouvernent toutes les affaires humaines sans exception.
8
9 {360.10} Mais revenons maintenant la suite de ce que dit Aristote.
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42 17 Lois, 709b 7 – 8 (Trad. L. Brisson-J.–F. Pradeau).
8) Simplicius, Sur la notion de mouvement chez Platon et Aristote 259
1 traverse toutes les ralits qui viennent aprs lui, bien quil ne soit prsent dans
2 ces ralits ni de manire gale {405.15} ni selon la mÞme proprit.11 Il nest
3 donc gure tonnant que Platon appelle le mouvement « genre » selon cette
4 signification prcise du genre. En revanche, Aristote, en niant que le mouve-
5 ment puisse Þtre un genre, veut quil ne soit pas un genre selon la premire
6 signification. Par ailleurs, il veut que ce quil appelle « genre » nexiste pas en
7 soi-mÞme ni quil subsiste sans les espces {405.20} ni que les espces subsistent
8 sans les individus, chaque fois quil les considre comme des genres et des
9 espces, cest--dire comme des lments des individus, et non pas comme des
10 causes transcendantes. Car dans ce dernier cas, il exige que les causes
11 prexistent aux ralits qui reÅoivent delles la mÞme proprit.
12
13 [Quatrime argument : les deux significations du « mouvement »]
14 En quatrime lieu, je demande ceux qui philosophent quils prÞtent attention
15 ce quune chose est {405.25} le mouvement que Platon pose comme un genre de
16 ltant en le considrant selon une autre signification, et autre chose – et
17
appartenant une autre considration – le mouvement sur lequel nous enseigne
18
maintenant Aristote. En effet, le mouvement selon Platon signifie la premire
19
sortie depuis lÞtre vers des puissances et des actes vitaux et intellectifs, et il est
20
compltement inchangeable, ainsi que le montre ce qui est dit dans le Sophiste
21
{405.30}, do le mouvement semble avoir t dcouvert12 :
22
23 – Mais alors, par Zeus ! nous laisserons-nous si facilement convaincre que le
24 mouvement, la vie, l me et la pense ne sont pas vritablement prsents chez
lÞtre total, que celui-ci ne vit ni ne pense et que, en revanche, solennel et sacr,
25
dnu dintellect, il se dresse immobile ? – Dans ce cas, Etranger, nous
26 accepterions certainement une doctrine terrible ! – Admettrons-nous alors quil
27 possde un intellect mais pas la vie ? – Comment serait-ce possible ? {405.35} –
28 Mais tout en disant que ces deux choses se trouvent en lui, ne dirons-nous pas alors
29 quil les possde dans une me ? – De quelle autre faÅon pourrait-il les avoir ? –
30 Mais certes, ayant un intellect, une vie et une me, comment ce qui est anim
pourrait-il {406.1} se dresser totalement immobile ? – Tout cela me semble ridicule.
31
– Il faut donc admettre que ce qui est m, ainsi que le mouvement, sont des Þtres.
32 Et assurment, il arrive, Thtte, que si les Þtres sont immobiles,13 il ny a
33 nullement dintellect, ni dans un sujet ni par rapport un objet.
34
35
Remarque <dans ce texte> comment le mouvement que Platon a dcouvert, et
36
quil numre parmi les autres genres, a t contempl au sein {406.5} des Þtres
37 en ce sens quil a surgi avec la vie et la pense de l
tre pur. Et puisque l-bas,
38
39
11 j#m lµ 1pû Usgr lgd³ jat± tµm aqtµm Qdiºtgta p÷sim rp²qw, to ?r 2n/r : voir la note
40 prcdente.
41 12 Sophiste, 248e 6 – 249b 6 (Trad. N.–L. Cordero adapte).
42 13 En corrigeant « jimgt_m » en « !jim^tym » conformment au texte de Platon.
262 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 comme je lai dit plus haut,14 toutes les choses ont, de concert avec lunion non
2 confondue, une distinction autonome et non morcele, il a t possible de
3 contempler le mouvement pour lui-mÞme et de le considrer comme un genre
4 de ltant. En revanche, le mouvement qui nous est ici enseign <par Aristote>
5 est un changement en {406.10} flux perptuel et un acte de ltant en puissance
6 en tant quil demeure en puissance. Cest pourquoi ce mouvement est mesur
7 par le temps, alors que lautre est mesur par lternit. Et il na pas de
8 subsistence par lui-mÞme, cest pourquoi il est absorb dans les ralits mues.
9 Je crois que la cause de cette saisie diffrente est le fait que Platon exige que
10 les causes paradigmatiques des ralits dici-bas soient dsignes avec les mÞmes
11 noms <que les ralits dici-bas>, alors quAristote {406.15} prend garde cette
12 homonymie, en considrant quelle peut projeter en nous, de par lidentit de
13 noms, une identit de notions aussi. Mais en voil assez sur ces choses-l.
14 Passons la suite.
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42 14 In Phys., 404.25 – 26.
9) Simplicius, Sur les notions de mouvement et de changement 263
1 plus vnrable, qui est « essence »,4 mouvement. Car celui qui entend le nom
2 « mouvement » comprend demble « changement », et il croit quil sagit de
3 quelque chose qui se meut passivement, en ramenant demble dans son esprit,
4 avec le mouvement, le temps.
5 En voyant par la suite une certaine diffrence parmi les changements, dans
6 la mesure o les uns seffectuent en tant que ce qui change est dj en acte et
7 demeure, comme cela se produit avec {822.1} laltration, laccroissement, le
8 dcroissement et le changement selon le lieu (dans tous ces changements ce qui
9 change, par exemple lhomme qui se blanchit ou crot ou marche, change selon
10 ces points de vue en tant homme en acte et en demeurant homme), tandis que
11 dautres changements5 seffectuent non pas partir de lÞtre en acte {822.5} mais
12 partir de lÞtre en puissance, qui ne demeure pas mais qui devient toujours
13 autre (comme lengendrement de lhomme partir du sperme : le sperme a son
14 essence dans le fait dÞtre homme en puissance, mais en acte il nest rien ; cela
15 est clair par le fait quil ne demeure pas dans la forme du sperme, ce qui
16 appartient aux Þtres achevs qui sont dj en acte, mais il devient toujours autre
17 {822.10} jusqu ce quil aboutisse lÞtre en acte) ; en voyant donc cette
18 diffrence parmi les changements, et aussi parce que les changements partir de
19 len puissance vers len acte et partir de ce qui nest pas tel vers ce qui est tel
20 sont plutt passifs, mÞme sil y a en eux quelque chose de trs peu actif (en effet,
21 ce qui est en puissance est par excellence passif ; quant aux changements partir
22 des Þtres qui sont dj en acte et sont capables dagir, bien quils soient eux aussi
23 {822.15} passifs, ils ont une activit qui est plus manifeste), et puisque le
24 mouvement, bien quil soit un changement et une passion de la ralit mue,
25 semble nanmoins Þtre une activit aussi, imparfaite <bien sr> parce quelle
26 est trs mlange avec la passion mais est tout de mÞme une activit, pour cette
27 raison Aristote appelle les changements actifs « mouvements », alors que les
28 changements passifs, il les appelle {822.20} seulement « changements », dans la
29 mesure o ils sont caractriss surtout daprs la passion, mÞme sils ont eux
30 aussi quelque chose de trs peu actif. Jadmire la sagesse de lonomatothte,
31 <qui a fait> que le verbe « changer », bien quil soit la voix active, dnote
32 cependant une passion.6
33 Si donc Platon prend le nom de mouvement selon une autre signification –
34 en appelant mouvement la sortie de toute sorte dÞtre partir de lÞtre –,
35 {822.25} et quAristote, en se conformant aux notions communes des noms
36
37 4 Cf. De anima, III 5, 430a 17 – 18 : ja· oxtor b moOr wyqist¹r ja· !pahµr ja· !licµr t0
38 oqs¸ô £m 1m´qceia. Voir aussi infra, 823.1. P. Lautner, Simplicius. On Aristotles Physics
39 5, Londres, 1997, p. 129, n. 49, renvoie Metaph., K 7, 1072b 21 – 22 et 1073a 3, et K 9,
1074b 20.
40 5 savoir la gnration et la corruption.
41 6 Simplicius pense lemploi intransitif du verbe « letab²kkeim », amplement attest dans
42 le grec.
9) Simplicius, Sur les notions de mouvement et de changement 265
1 cette ralit mÞme {1248.15} que nous dsignons tous en utilisant prcisment le
2 nom me.
3 Quil veuille, dautre part, que le vivant soit automoteur parce que l me est
4 automotrice, il la dclar dans le Phdre en disant6 :
5
6 Tout corps qui reÅoit son mouvement de lextrieur est inanim ; mais celui qui le
reÅoit du dedans, de lui-mÞme, est anim, puisque cest en cela mÞme que consiste
7
la nature de l me,
8
9 cest--dire en ce que l me se meut elle-mÞme et quelle {1248.20} fait
10 apparatre ce qui participe delle comme automoteur. Platon a donc fait de
11 lautomotricit du vivant la preuve de lautomotricit de l me, et de lautomo-
12 tricit de l me la cause de lautomotricit du vivant.
13
14 [La cause de la divergence]
15 La diffrence sest produite assurment dans la mesure o Platon appelle toute
16 sorte de changement, quil soit actif ou passif, « mouvement ». Il dit <par
17 exemple> dans le Time que l me « dit en tant mue delle-mÞme tout
18 entire »,7 et dans le dixime livre {1248.25} des Lois 8 :
19
Ainsi tout ce quil y a dans le ciel, sur la terre et dans la mer, l me le dirige par ses
20 mouvements elle, dont les noms sont : souhaiter, examiner, prendre soin,
21 examiner, dlibrer, avoir une opinion vraie ou fausse, prouver du plaisir ou de la
22 douleur, de la confiance ou de la crainte, de laversion ou de lamour et tous les
23 mouvements apparents ceux-l qui sont les premiers intervenir.
24 En revanche, Aristote exige que seuls {1248.30} les changements naturels soient
25 dits mouvements, et il considre que l me ne se meut pas mais quelle sactive
26 (1meqce ?m).
27
28 [Le vritable accord des deux philosophes]
29 Aristote nie manifestement les mouvements naturels de l me dans le premier
30 livre du trait De lme, lorsquil dit9 :
31
32 Puisque le fait dÞtre en mouvement se dit de deux manires (cest--dire ou bien
en soi ou bien par accident), examinons maintenant au sujet de l me si cest en
33
elle-mÞme quelle se meut et participe au mouvement. Or, les mouvements tant
34 quatre : le transport, laltration, le dcroissement et laccroissement, elle pourrait
35 se mouvoir soit {1249.1} selon lun dentre eux soit selon plusieurs soit selon tous.
36
Platon aussi nie ces mouvements de l me, puisque dans le dixime livre des
37
Lois il les numre parmi les neuf mouvements qui prcdent <lnumration
38
39
6 Phdre, 245e 4 – 6 (Trad. L. Brisson).
40 7 Time, 37a 6 – 7.
41 8 Lois, 896e 8 – 897a 4 (Trad. L. Brisson-J.–F. Pradeau).
42 9 De lme, I 3, 406a 10 – 14.
268 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 un mouvement ternel dans les Þtres, et que pour cette raison le m est lui aussi
2 ternel, puisque le mouvement est dans le m. Il montra encore que toute
3 ralit mue se meut par quelque chose, et que le premier moteur est
4 ncessairement immobile, et quil est pour les ralits qui sont mues par lui
5 de manire immdiate3 la cause inchangeable de leur mouvement ternel.
6
7 [Laccord profond des deux philosophes]
8 {1359.30} Que lengendrement chez Platon et le mouvement chez Aristote
9 signifient tous les deux le changement, il est facile de lapprendre partir du fait
10 que Platon oppose ce qui est le mÞme et dans le mÞme tat, ce qui est en
11 devenir en ce sens quil change, et quAristote, lorsquil affirme que toute ralit
12 mue se meut par quelque chose, affirme cela non seulement pour les {1359.35}
13 ralits qui sont mues au sens propre4 mais aussi pour les ralits engendres et
14 corruptibles, et en gnral pour toutes les ralits qui changent. Qui plus est, il
15 appelle dans plusieurs endroits limmobile « inchangeable ». Car limmobile
16
transcende non seulement le mouvement au sens propre mais aussi lengendre-
17
ment et la corruption.
18
Il me semble que cet homme admirable a renonc appliquer nettement le
19
nom dengendrement propos des ralits perptuelles, parce que notre
20
imagination suppose facilement un commencement temporel pour les ralits
21
dont nous disons quelles sont engendres. Cest {1360.1} ce qui est arriv
22
prcisment plusieurs, qui taient incapables de stendre, par le moyen de
23
leurs conceptions, le long des crations perptuelles : ils ont ajout un
24
commencement temporel ce qui subsiste du fait dune cause et qui est dit
25
<pour cette raison> engendr, et ils ont cru quils pourraient apprendre plus
26
facilement, si quelquun supposait <pour eux> un commencement, des milieux
27
28
et une fin de la cration sous un mode temporel.5 Et en effet, {1360.5} cest en
29
pensant la comprhension facile de leurs auditeurs que la plupart des sages ont
30 livr des cosmopes, en disant que des choses premires, secondes et troisimes
31 ont t engendres les unes aprs les autres. Peut-Þtre ont-ils cru quils seraient
32 excuss, puisque les thologiens eux-mÞmes ne renonÅaient pas faire
33 apparatre les engendrements des dieux de cette manire, au profit de la
34 comprhension facile des auditeurs. Aristote pourtant, en voyant, parat-il, que
35 certains faisaient dj de faux sens sur ce qui tait dit {1360.10} et quils
36 simaginaient un commencement temporel, na pas accept de livrer une
37
38
39 3 savoir les corps clestes, dont le mouvement est ternel et uniforme.
4 Cest--dire celles qui saltrent, saccroissent, dcroissent ou se transportent.
40 5 Bien que Simplicius se rfre ici une priode de la pense grecque avant Aristote (cf.
41 les thogonies orphique et hsiodique), on peut tout de mÞme penser quil y a aussi dans
42 son propos une allusion lesprit vulgaire des chrtiens.
11) Simplicius, La physique thologique et la constitution de lunivers 273
1 (2) Dire que tout ce qui se produit se produit dans le temps,5 cela aussi est
2 faux. Jappelle ce qui se produit de manire absolue tout ce qui est
3 antrieurement non-tant et postrieurement tant. Quil y ait maintes ralits
4 de ce type,6 Aristote lui-mÞme le montre dans les derniers livres {458.20} de ce
5 trait ; telles sont les points, les contacts et pas seulement ; telles sont aussi
6 toutes les formes. En effet, cest sous un mode intemporel quelles adviennent
7 aux substrats et quelles prissent. Dailleurs, bien quils disent que le temps ne
8 se produit pas au sens absolu, ils ne peuvent pas nier pour autant quun certain
9 temps se produit, par exemple cette anne-ci, dans la mesure o ils disent
10 galement que lhomme ne se produit pas au sens absolu, mais quun certain
11 homme {458.25} se produit ; cela est clair du fait que toutes les ralits
12 particulires prissent. Puis donc que ce jour-ci ou cette anne-ci se produisent,
13 il est ncessaire quils se produisent dans le temps, tant donn que « tout ce qui
14 se produit au sens absolu se produit dans le temps ». Il faudra donc quil y ait un
15 autre temps dans lequel le jour se produira. Il y aura donc deux temps la fois,
16 par exemple deux jours. Quelle est donc la diffrence de lune des propositions
17 par rapport lautre ?7 Mais dire ces choses-l, cest vraiment {458.30} digne de
18 rire.
19 (3) Le fait quil na pas t montr que le mouvement est ncessairement
20 ternel,8 nous lavons montr de manire satisfaisante dans notre commentaire
21 au huitime livre de ce trait. {459.1} Mais revenons au point do nous avons
22 dvi.
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35 5 Cf. Thmistius, In Phys., 91.14 : p÷m c±q t¹ cimºlemom 1m wqºm\ c¸metai.
36 6 savoir des ralits qui se produisent, mais non pas dans le temps.
37 7 ja· t¸r B pq¹r %kkgka aqt_m diavoqa : il ne sagit pas de la diffrence entre les deux
38 temps dont il est question immdiatement plus haut (comme le pense M. J. Edwards
39 [voir note ad locum]), mais de la diffrence entre la proposition qui vient dÞtre nonce
(tout ce qui se produit se produit dans le temps) et la proposition qui a dclench la
40 digression (il tait une fois o le temps ntait pas).
41 8 Cf. Thmistius, In Phys., 91.15 – 16 : de¸jmutai d³ ja· B j¸mgsir owsa !¸dior, Hr paqa-
42 joko¼hgla b wqºmor.
13) Philopon, Sur le mouvement contre nature 277
1 qui lui fait obstacle, et une fois arriv larrire de la flche, rebrousser chemin
2 et pousser <ainsi> la flche. <Sil en est ainsi>, il est ncessaire en effet que
3 lair se meuve selon trois mouvements : il faut quil soit <dabord> pouss en
4 avant par la flche, quil fasse ensuite demi-tour et que <finalement> il rebrousse
5 chemin. Pourtant lair est agile, et une fois quil a reÅu son principe de
6 mouvement, il slance avec vhmence. Comment donc se fait-il que lair pouss
7 par la {640.1} flche ne se meuve pas selon le principe qui lui a t imprim, mais
8 fasse au contraire demi-tour, comme sur ordre, et rebrousse chemin, et que,
9 faisant demi-tour, il ne se disperse pas dans lespace mais vise avec prcision
10 lextrmit chancre de la flche, se retourne vers elle et se tienne elle ? Toutes
11 ces choses {640.5} sont totalement impossibles et ressemblent plutt des fictions.
12 Dailleurs, il est manifeste que lair lavant, qui est pouss par la flche, se meut
13 selon un mouvement continu comme la flche. Comment donc est-il possible que
14
lair pouss par la flche change sa place avec la flche et quil se produise dans
15
le lieu que la flche vient dabandonner ? En effet, avant que lair fasse demi-tour,
16
aussi bien lair latral {640.10} que lair larrire de la flche tomberont lun sur
17
lautre et rempliront sous un mode intemporel le lieu abandonn par la flche
18
cause de la suppression du vide, surtout lair larrire qui se meut avec la flche.5
19
Et si quelquun dit que lair pouss par la flche, aprs avoir fait demi-tour, pousse
20
lair qui a chang sa place avec la flche, et que celui-ci6, se produisant larrire
21
de la flche, pousse la flche vers le lieu de lair <initialement> pouss,7 {640.15}
22
<il faut quil sache qu>il est dautant plus ncessaire <dans ce cas> que la flche
23
ne se meuve pas continuellement. Car, avant que lair latral soit pouss, il est
24
25
clair que la flche ne se meut pas, puisque lair latral ne peut pas mouvoir <la
26
flche de lui-mÞme>. Si en effet il pouvait la mouvoir, quelle ncessit y aurait-il
27 pour que lair lavant fasse demi-tour ? Comment lair pouss lavant a-t-il
28 reÅu, en gnral ou par une certaine cause, le principe de son mouvement
29 larrire ? Si en effet {640.20} il est capable de pousser en gnral lair qui tombe
30 sur lui, comme dans ce cas lair latral, pourquoi ne le fait-il pas conformment au
31 principe du mouvement quil a reÅu par la flche, cest--dire en poussant lavant
32
33 5 Le rle de lair, qui par son agilit supprime instantanment le vide, est aussi voqu
34 dans le Corollaire sur le vide (694.25 – 27) : rcq¹r c±q £m b !µq ja· eqj¸mgtor oq suc-
wyqe ? pote jemµm jatakeivh/mai w¾qam, !kk± h÷ttom !mtileh¸statai to ?r s¾lasi, pq·m
35 rpokeivh/mai t¹ jemºm. « En effet lair, qui est humide et agile, ne permet jamais quun
36 espace soit laiss vide, mais il prend plus rapidement la place des corps, avant que le vide
37 ne puisse subsister. »
38 6 En corrigeant « ovtyr » (640.14) en « oxtor ».
39 7 Cest un argument que lon pourrait objecter Philopon qui vient de faire appel la
suppression du vide : lair qui pousse la flche nest pas lair qui se produit de lavant
40 larrire de la flche, mais lair ct de la flche, lequel est pouss par lair lavant,
41 initialement pouss par la flche. Il y a donc une succession des mouvements qui ne
42 laisse pas de place au vide et discrdite de la sorte la ncessit de sa « suppression ».
13) Philopon, Sur le mouvement contre nature 279
1 lair qui tombe sur lui, mais au contraire fait-il de doubles et de triples courses
2 indpendamment de sa cause motrice ? Il nous est possible de dire et de contrler
3 davantage le caractre fictif de cette hypothse, mais pour notre propos ce que
4 nous venons de dire est suffisant. {640.25}
5 (2) Quant lautre hypothse, qui affirme que cest lair latral qui change sa
6 place <avec la flche>, lequel air tant pouss par lair initialement pouss
7 {641.1} – celui qui a t pouss avec la flche – pousse ainsi la flche, je dis que, si
8 lair latral, bien quil soit agile, peut changer sa place avec la flche et se
9 produire ainsi dans le lieu de la flche, il est beaucoup plus raisonnable de dire
10 que cest lair qui pousse la flche de larrire, et qui se meut si rapidement quil
11 peut galement mouvoir lair latral, {641.5} <cest cet air-l> qui change sa
12 place avec la flche, et qui la pousse jusqu ce que le principe du mouvement qui
13 lui a t originellement imprim soit puis.
14 Voil ce que jai dire propos de ce discours, qui affirme que les corps se
15 meuvent contre nature du fait de leur change rciproque avec lair.8
16
17 [La thorie de limpetus]
18 Quant lautre explication, qui affirme que lair initialement pouss, qui reÅoit de
19 cette manire un principe de mouvement, est plus rapide que {641.10} le transport
20 naturel du projectile9 et pousse ainsi le projectile tout au long de son trajet,
21 jusqu ce que la force motrice qui lui a t imprime soit puise (cette
22 explication est en effet plus vraisemblable), il est possible de faire les remarques
23 suivantes (le raisonnement qui suit vaut galement pour lexplication par
24 lchange rciproque). Il faut tout dabord poser ceux qui pensent cela la
25 question suivante : lorsquon lance une pierre selon un mouvement forc, est-ce
26 en poussant lair larrire de la pierre que {641.15} lon contraint celle-ci se
27 mouvoir contre sa nature ? Ou bien le lanceur imprime-t-il une force motrice la
28 pierre galement ? Si en effet il nimprime aucune force la pierre, mais que cest
29 seulement en poussant lair que le lanceur meut la pierre ou que la corde de larc
30 meut la flche, quelle ncessit y a-t-il pour que la pierre soit en contact avec la
31 main ou que la corde de larc soit en contact avec lextrmit chancre de la
32 flche ? Il serait possible de les mouvoir sans Þtre en contact avec elles ; on
33 pourrait, {641.20} par exemple, placer la flche ou la pierre sur le bout dun bois,
34 comme sur une ligne trs mince, et mettre en mouvement laide dinnombrables
35 machines tout lair qui se trouve larrire. Il faudrait videmment que, plus lair
36 serait forc, plus il pousse et plus il lance <le projectile>. Mais en ralit, mÞme si
37 tu places la flche ou la pierre sur une ligne ou sur un point tout fait dpourvus
38 de largeur, et que tu mettes en mouvement, avec tout {641.25} llan possible, tout
39 lair qui se trouve larrire <du projectile>, la flche navancera pas dune seule
40
41 8 Cf. Phys., IV 8, 215a 15.
42 9 Cf. Phys., IV 8, 215a 15 – 17.
280 Appendice. Les digressions traduites et annotes
1 coude. Si donc lair, tant m avec le plus dlan, ne peut pas mouvoir, il est
2 vident que lair qui est pouss par la main ou la corde de larc nest pas celui qui
3 meut les projectiles. Quoi donc, cela devrait plutt se produire lorsque le lanceur
4 est en contact avec le projectile ? Mais sil y a un contact continu entre la flche et
5 la corde de larc, et entre la main et la pierre, et {642.1} quil ny ait rien
6 dintermdiaire, quel sera lair m larrire ? Et si cest lair latral, en quoi cela
7 concerne-t-il le <mouvement du> projectile ? Lair latral est en effet cart par
8 le projectile.
9 partir de ces choses et dautres encore, on peut comprendre quil est
10 impossible que les ralits mues par force se meuvent de cette manire. Par
11 contre, il est ncessaire quune certaine force motrice {642.5} incorporelle soit
12 imprime par le lanceur au projectile, et que lair ne contribue en rien au
13 mouvement du projectile ou y contribue trs peu. Si donc cest de cette manire
14 que se meuvent les ralits mues par force, il est clair que, mÞme si on lance par
15 force et contre nature une flche ou une pierre travers le vide, cest la mÞme
16 chose qui se produira, voire plus, et quil ny aura aucun besoin dun agent qui
17 pousse de lextrieur.
18
19 [Arguments supplmentaires]
20 Assurment {642.10} cette thse, qui est confirme par lvidence (je mexplique
21 nouveau : un acte moteur incorporel est imprim par le lanceur au projectile, cest
22 pourquoi le lanceur doit Þtre en contact avec le projectile), ne peut pas Þtre mise
23 en cause plus que celle qui affirme que des actes des ralits visibles atteignent
24 notre vision, comme Aristote le pense.10 Nous voyons en effet certains actes
25 procder aussi des couleurs sous un mode incorporel {642.15} et colorer les corps
26 solides, lorsquun rayon de soleil atteint <un corps> travers les couleurs, comme
27 nous pouvons lobserver clairement lorsquun rayon solaire atteint <un corps>
28 travers des spectres colors : le corps qui est atteint par le rayon travers un
29 spectre est color de la couleur du spectre travers lequel le rayon est pass. Il est
30 donc clair que {642.20} certains actes adviennent dune ralit une autre sous un
31 mode incorporel.
32 Dailleurs, si le projectile est la pierre ou la flche, et celui qui meut et force
33 est lhomme, quest-ce qui empÞcherait lhomme de lancer quelque chose, si
34 lintermdiaire tait vide ? Si en effet lintermdiaire est maintenant un corps qui
35 heurte les mouvements des corps, et que les corps, qui ont diviser cet
36 intermdiaire, se meuvent malgr tout, quest-ce qui empÞcherait {642.25} de
37 lancer une flche, une pierre ou quelque chose dautre, mÞme si lintermdiaire
38 tait vide, vu quil y a la fois le lanceur, le projectile et lespace ?
39
40
41
42 10 Cf. De anima, II 7.
1
2
3
4 Bibliographie*
5
6 I. ditions, traductions et commentaires de textes antiques
7
8 Les prplatoniciens
9
J. Bollack, Empdocle. II : Les origines, Paris, 1969.
10 J.–P. Dumont, Les prsocratiques, Paris, 1988.
11
12 Platon (427 – 347)
13
Platon, Le Sophiste. Traduction et prsentation par N.–L. Cordero, coll. « GF
14
Flammarion », Paris, 1993.
15 Platon, Les Lois, vols. I-II, Traduction par L. Brisson et J.–Fr. Pradeau, coll. « GF
16 Flammarion », Paris, 2006.
17 Platon, Parmnide. Traduction et prsentation par L. Brisson, coll. « GF Flammarion »,
18 Paris, 1994, 19992.
19 Platon, Phdre. Traduction et prsentation par L. Brisson, coll. « GF Flammarion »,
Paris, 1989, 20002.
20
Platon, Time. Critias. Traduction et prsentation par L. Brisson, coll. « GF Flamma-
21 rion », Paris, 1992, 20015.
22 Platonis Opera, vols. I-V, ed. J. Burnet, Oxford, OCT, 1900 – 1907.
23
24 Aristote (384 – 322)
25
Aristote, Physique. Traduction et prsentation par P. Pellegrin, coll. « GF Flamma-
26 rion », Paris, 2000.
27 Aristote, Trait du ciel. Traduction par C. Dalimier et P. Pellegrin, coll. « GF
28 Flammarion », Paris, 2004.
29 Aristotelis Opera, vols. I-II, ed. I. Bekker, Berlin, 1831 (rimpr. Darmstadt, 1960).
30 Aristotles Physics. A revised Text with Introduction and Commentary by W. D. Ross,
Oxford, 1936.
31
32 Thophraste (370 – 288)
33
Theophrastus of Eresus : sources for his life, writings, thought and influence, ed. and
34 transl. by W. F. Fortenbaugh, P. M. Huby, R. W. Sharples et D. Gutas, coll.
35 « Philosophia antiqua » 54, Leiden, 1993.
36
37 Eudme de Rhodes (seconde moiti du IVe sicle av. J.–C.)
38
F. Wehrli, Die Schule des Aristoteles : Texte und Kommentar, vol. VIII, Ble, 1969.
39
40 * Abrviations utilises : BT=Bibliotheca Teubneriana ; CAG=Commentaria in Aristo-
41 telem Graeca ; CUF=Collection des Universits de France ; OCT=Oxford Classical
42 Texts.
282 Bibliographie
1 Simplicius, Commentaire sur les Catgories, publi sous la direction de I. Hadot, fasc. I :
2 traduction (p. 1 – 9,3 Kalbfleisch) par Ph. Hoffmann, notes par I. Hadot, appen-
3 dices de P. Hadot et J.–P. Mah ; fasc. III : traduction (p. 21 – 40,13 Kalbfleisch) par
Ph. Hoffmann, notes par C. Luna, coll. « Philosophia antiqua » 50 – 51, Leiden,
4
1990.
5 Simplicius, Corollaries on Place and Time, translated by J. O. Urmson, annotated by L.
6 Siorvanes, coll. « The Ancient Commentators on Aristotle », Londres, 1992.
7 Priscian, On Theophrastus on Sense-Perception, translated by P. Huby, with Simplicius,
8 On Aristotle On the Soul 2.5 – 12, translated by C. Steel in coll. with J. O. Urmson,
9
notes by P. Lautner, coll. « The Ancient Commentators on Aristotle », Londres,
1997.
10
Simplicius, On Aristotle On the Soul 3.1 – 5, translated by H. J. Blumenthal, coll.
11 « The Ancient Commentators on Aristotle », Londres, 2000.
12 Simplicius, On Aristotles Physics 2, translated by B. Fleet, coll. « The Ancient
13 Commentators on Aristotle », Londres, 1997.
14 Simplicius, On Aristotles Physics 3, translated by J. O. Urmson, notes by P. Lautner,
15
coll. « The Ancient Commentators on Aristotle », Londres, 2002.
Simplicius, On Aristotles Physics 5, translated by J. O. Urmson, notes by P. Lautner,
16
coll. « The Ancient Commentators on Aristotle », Londres, 1997.
17 Simplicius, On Aristotles Physics 8.6 – 10, translated by R. McKirahan, coll. « The
18 Ancient Commentators on Aristotle », Londres, 2001.
19
20 Jean Philopon (ca. 485 – ca. 570)
21
Ioannis Philoponi in Aristotelis analytica posteriora commentaria cum Anonymo in
22 librum II, ed. M. Wallies, CAG XIII.3, Berlin, 1909.
23 Ioannis Philoponi in Aristotelis libros de generatione et corruptione commentaria, ed. H.
24 Vitelli, CAG XIV.2, Berlin, 1897.
25 Ioannis Philoponi in Aristotelis meteorologicorum librum primum commentarium, ed.
26 M. Hayduck, CAG XIV.1, Berlin, 1901.
Ioannis Philoponi in Aristotelis physicorum libros octo commentaria, ed. H. Vitelli,
27
CAG XVI-XVII, Berlin, 1887 et 1888.
28 Ioannis Philoponi (olim Ammonii) in Aristotelis categorias commentarium, ed. A.
29 Busse, CAG XIII.1, Berlin, 1898.
30 Ioannes Philoponus, De aeternitate mundi contra Proclum, ed. H. Rabe, Leipzig, BT,
31 1899 (rimpr. Hildesheim, 1963).
32 Philoponus, Against Aristotle on the Eternity of the World, translated by C. Wildberg,
coll. « The Ancient Commentators on Aristotle », Londres, 1987.
33
Philoponus, Corollaries on place and void, translated by D. Furley, with Simplicius,
34 Against Philoponus on the eternity of the world, translated by C. Wildberg, coll.
35 « The Ancient Commentators on Aristotle », Londres, 1991.
36 Philoponus, On Aristotle On the Soul, translated by W. Charlton, coll. « The Ancients
37 Commentators on Aristotle », Londres, 2000.
38 Philoponus, On Aristotle Physics 1.1 – 3, translated by C. Osborne, coll. « The Ancients
Commentators on Aristotle », Londres, 2006.
39
Philoponus, On Aristotle Physics 2, translated by A. R. Lacey, coll. « The Ancients
40 Commentators on Aristotle », Londres, 1993.
41 Philoponus, On Aristotle Physics 3, translated by M. J. Edwards, coll. « The Ancients
42 Commentators on Aristotle », Londres, 1994.
II. tudes 285
1 E. Lamberz, « Proklos und die Form des philosophischen Kommentars », dans J. Ppin-
2 H. D. Saffrey (ds), Proclus lecteur et interprte des anciens. Actes du colloque
3
international du CNRS (Paris, 2 – 4 octobre 1985), coll. « Colloques internationaux
du Centre national de la recherche scientifique » 9, Paris, 1987, p. 1 – 20.
4
D. Lehoux, « All voids large and small, being a discussion of place and void in Strato of
5 Lampsacuss matter theory », Apeiron 32 (1999), p. 1 – 36.
6 A. Lernould, Physique et thologie. Lecture du Time de Platon par Proclus, coll.
7 « Problmatiques philosophiques. Philosophie ancienne », Villeneuve dAscq,
8 2001.
9
A. C. Lloyd, « Parhypostasis in Proclus », dans G. Boss-G. Seel (ds), Proclus et son
influence. Actes du colloque de Neuchtel (juin 1985), Zrich, 1987, p. 145 – 157.
10
G. E. R. Lloyd, Une histoire de la science grecque, trad. de langlais par J. Brunschwig,
11 coll. « Points. Srie Sciences » 92, Paris, 1990.
12 C. Luna, Compte rendu de R. Thiel, Simplikios und das Ende der Neuplatonischen
13 Schule in Athen, Mnemosyne 54 (2001), p. 482 – 504.
14 J. P. Lynch, Aristotles School : A Study of a Greek Educational Institution, Berkeley/
Los Angeles/Londres, 1972.
15
E. M. Macierowski-R. F. Hassing, « John Philoponus on Aristotles Definition of
16
Nature », Ancient Philosophy 8 (1988), p. 73 – 100.
17 J. Mansfeld, Prolegomena. Questions to be settled before the Study of an Author, or a
18 Text, coll. « Philosophia antiqua » 61, Leiden/New York/Kçln, 1994.
19 ——, « Theophrastus and the Xenophanes Doxography », Mnemosyne 40 (1987),
20 p. 286 – 312.
A. Mansion, Introduction la physique aristotlicienne, 2me d. revue et augmente,
21
Paris/Louvain-la-Neuve, 1946.
22
J. E. McGuire, « Philoponus on Physics ii 1 : v¼sir, d¼malir, and the Motion of the
23 Simple Bodies », Ancient Philosophy 5 (1985), p. 241 – 267.
24 P. Moraux, Der Aristotelismus bei den Griechen : von Andronikos bis Alexander of
25 Aphrodisias, vol. I : Die Renaissance der Aristotelismus im I. Jh. v. Chr. ; vol. II :
26 Der Aristotelismus im I. und II. Jh. n. Chr., coll. « Peripatoi » 5 – 6, Berlin/New
York, 1973 et 1984.
27
——, Les listes anciennes des ouvrages dAristote, Louvain, 1951.
28 B. M. Perry, Simplicius as a Source for and an Intepreter of Parmenides, Washington,
29 1983.
30 S. Pines, « An Arabic summary of a lost work of John Philoponus », Israel Oriental
31 Studies 2 (1972), p. 320 – 352.
32 K. Praechter, « Richtungen und Schulen im Neuplatonismus », dans Genethliakon C.
Robert, Berlin, 1910, p. 105 – 155 [repris dans K. Praechter, Kleine Schriften,
33
Hilsdesheim/New York, 1973, p. 165 – 216].
34 M. Rashed, « Alexandre dAphrodise et la Magna Quaestio », Les tudes Classiques
35 63 (1995), p. 295 – 351.
36 ——, « Alexandre dAphrodise lecteur du Protrptique », dans J. Hamesse (d.), Les
37 prologues mdivaux. Actes du colloque international organis par lAcademia
38 Belgica et lcole franÅaise de Rome (Rome, 26 – 28 mars 1998), coll. « Textes et
tudes du Moyen ffge » 15, Turnhout, 2000, p. 1 – 37.
39
——, Die berlieferungsgeschichte der aristotelischen Schrift De generatione et
40 corruptione, coll. « Serta Graeca » 12, Wiesbaden, 2001.
41 ——, Essentialisme. Alexandre dAphrodise entre logique, physique et cosmologie, coll.
42 « Commentaria in Aristotelem Graeca et Byzantina » 2, Berlin/New York, 2007.
290 Bibliographie
1 B. Reis, Der Platoniker Albinos und sein sogennanter Prologos, coll. « Serta Graeca » 7,
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M. Richard, « )p¹ vym/r », Byzantion 20 (1950), p. 191 – 222.
3
F. Romano, Porfirio e la fisica aristotelica, coll. « Symbolon » 3, Catania, 1985.
4 H. D. Saffrey, « Accorder entre elles les traditions thologiques : une caractristique
5 du noplatonisme athnien », dans E. P. Bos-P. A. Meijer (ds), On Proclus & his
6 Influence in Medieval Philosophy, coll. « Philosophia antiqua » 53, Leiden, 1992,
7 p. 35 – 50 [repris dans H. D. Saffrey, Le noplatonisme aprs Plotin, coll. « Histoire
8
des doctrines de lAntiquit classique » 24, Paris, 2000, p. 143 – 158].
——, « Ammonios dAlexandrie », Dictionnaire des philosophes antiques, t. I, Paris,
9 1989, p. 168 – 169.
10 ——, « Le chrtien Jean Philopon et la survivance de lcole dAlexandrie au VIe
11 sicle », Revue des tudes Grecques 67 (1954), p. 396 – 410.
12 S. Sambursky, « Place and Space in Late Neoplatonism », Studies in History and
13 Philosophy of Science 8 (1977), p. 173 – 187.
——, « The Concept of Time in Late Neoplatonism », Proceedings of the Israel
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Academy of Sciences and Humanities 2 (1968), p. 153 – 167.
15 ——, The Physical World of Late Antiquity, Londres, 1962.
16 L. P. Schrenk, « Proclus on Corporeal Space », Archiv fr Geschichte der Philosophie
17 76 (1994), p. 151 – 167.
18 D. Sedley, « Philoponus Conception of Space », dans R. Sorabji (d.), Philoponus and
the Rejection of Aristotelian Science, Londres, 1987, p. 140 – 153.
19
E. Sonderegger, Simplikios, ber die Zeit. Ein Kommentar zum Corollarium de
20 tempore, coll. « Hypomnemata » 70, Gçttingen, 1982.
21 R. Sorabji, « John Philoponus », dans R. Sorabji (d.), Philoponus and the Rejection of
22 Aristotelian Science, Londres, 1987, p. 1 – 40.
23 ——, Matter, Space and Motion, London/Ithaca N.Y., 1983.
C. Steel, « Puissance active et puissance rceptive chez Proclus », dans F. Romano et
24
R. Loredana-Cardullo (ds), Dunamis nel Neoplatonismo, coll. « Symbolon » 16,
25 Florence, 1996, p. 121 – 137.
26 A. Stevens, Postrit de l tre. Simplicius interprte de Parmnide, coll. « Cahiers de
27 philosophie ancienne » 8, Bruxelles, 1990.
28 P. Tannery, « Sur la priode finale de la philosophie grecque », Revue philosophique 42
(1896), p. 266 – 287 [repris dans P. Tannery, Mmoires scientifiques, t. VII,
29
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30 L. Tarn, « Amicus Plato sed magis amica veritas. From Plato and Aristotle to
31 Cervantes », Antike und Abendland 30 (1984), p. 93 – 124.
32 ——, Parmenides. A Text with Translation, Commentary and Critical Essays, Princeton,
33 1965.
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34
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35 Simplicius : sa vie, son œuvre, sa survie, Berlin/New York, 1987, p. 40 – 57.
36 R. Thiel, Simplikios und das Ende der neuplatonischen Schule in Athen, Stuttgart, 1999.
37 N. Tsouyopoulos, « Die Entstehung physikalischer Terminologie aus der neuplatoni-
38 ACHTUNGREschen Metaphysik », Archiv fr Begriffsgeschichte 13 (1969), p. 7 – 33.
39
K. Verrycken, « The development of Philoponus thought and its chronology », dans R.
Sorabji (d.), Aristotle transformed : the ancient commentators and their influence,
40 London/Ithaca, 1990, p. 233 – 274.
41 E. Watts, « Justinian, Malalas, and the End of Athenian Philosophical Teaching in A.D.
42 529 », Journal of Roman Studies 94 (2004), p. 168 – 182.
II. tudes 291
1 Nature 45, 46, 47, 52, 69, 80, 86, 87, 88, Quantit (pos|m, pos|tgr), Quantitatif
2 90, 91, 92, 110, 127, 139-149, 172, 197, 101, 117, 128, 132, 138-139, 157-158, 185,
3 213, 240, 246, 251 239, 260
4 Noplatonicien, Noplatoniciens, No- - quantitas materiae 128
5 platonisme 7-18, 28-29, 38, 41-45, 55, 60,
6 67, 78, 83, 88, 96-98, 100, 103, 105-107, Remplacement (!mtilet\stasir) 154,
7 108, 114, 128, 139, 147, 199, 223, 224 181
8 - N. athnien 196
9 Nopythagoricien, Nopythagoriciens skopos 12, 13, 36, 38-47, 51, 52, 67, 89
10 77, 136, 137 Spontan, Spontanit (aqt|latom) 46,
11 Nombre (!qihl|r) 132, 134, 138, 139, 52, 85, 108-110, 253
12 162, 169 Stocien, Stociens 94, 109, 111, 129-131,
13 133, 139, 217, 246, 255
14 Paganisme 202 Substance (oqs_a) 60, 162, 171, 185, 260
15 Paradigmes 45, 238 Substrat, Sujet (rpoje_lemom) 61, 117-
16 118, 131, 132, 185, 238
paq]jbasir (Digression) 3, 84
17 - second substrat 32
Participation 112, 116, 134, 164, 173
18
Pripatticien, Pripatticiens 11, 41,
19 Temps 13, 44, 47, 51, 52, 53, 86, 87, 88,
42, 45, 48, 50, 52, 53, 61, 65, 72-74, 80 118, 119, 127, 162, 164, 168-169, 171-173,
20
philomatheia 95-96, 100, 201 197, 275, 276
21
22
Physiciens 90, 96, 213, 218 - ternit du T. 26, 30, 86, 87, 88, 124,
23 Platonicien, Platoniciens, Platonisme 127
24 14-16, 45, 77, 79, 90, 104, 114, 119-121, - T. intgral (s}lpar wq|mor) 173-174
25 128, 159, 136, 203, 209, 212, 217, 260, 269 - voir aussi « Extension temporelle »
26 - « diadoque (successeur) platonicien » Thologie 16-17, 25, 27, 122, 209
27 8, 21 Tout-parties 153, 162, 164, 168, 176, 221,
28 Polmique 7, 19, 25, 27, 37, 87, 88, 96, 263
29 104, 123, 125, 127, 133, 200 Tradition
30 Prplatonicien, Prplatoniciens 55, 75, - T. ancienne 11, 109, 111, 138
31 85, 87, 89-90, 98, 107, 196 - T. commentariste 2, 3, 38
32 Principes (!qwa_) 13, 39, 44-45, 50, 52, - T. exgtique 1, 58
33 53, 60, 77, 85, 86, 87, 90, 93-94, 96-97, - T. livresque 2, 3, 65
34 119, 208 - T. manuscrite 1, 23, 28
35 Privation (st]qgsir) 52, 60-61, 94, 114, - T. philosophique 167-168, 175, 196,
36 138 200, 202
37 Providence, Providentiel 99, 113, 119, - T. scolaire 1, 3, 7, 8, 38
38 123, 145, 147, 164 t}wg, Hasard 46, 52, 85, 86, 87, 108-113,
39 Puissance 96, 108, 136, 139, 143, 145- 196, 254, 256, 257
40 146, 148, 149, 161, 166, 177
41 - P. bnfique 112-113, 257 Un, Unification 96, 132, 135, 147, 161,
42 - P. salvatrice 181 163-164, 171, 213
43 - voir aussi « Puissances de lme » Unit
44 Pythagoricien, Pythagoriciens 12, 66, 77- - U. et dignit 113
45 78, 89, 90, 94, 128, 132, 136-138, 197 - U. dfinitionnelle 102-103, 222
46 - U. textuelle 2-3, 23, 57, 58, 83-85
47 Qualit (poi|m, poi|tgr), Qualitatif 117, Univers, Monde 13, 54, 113, 122-124,
48
132, 232, 239, 260 139, 153, 161, 164-165, 173, 182-184
49 Universalit 12
- voir aussi « Corps sans qualit »
50 Utilit 16, 38-39, 42
Indices 295
1
2
3 Proposition de correction des textes grecs
4
5 Alexandre dAphrodise Simplicius
6 In Metaph. In Phys.
7 4.3 : 63, n. 84 88.12 : 103, n. 28 ; 222, n. 14
8 269.13 : 69, n. 14
9 Philopon 284.14 : 242, n. 13
10 In Phys. 284.29 : 243, n. 15
11 558.1 : 177, n. 226 285.3 : 243, n. 16
12 639.19 : 277, n. 3 287.18 : 247, n. 32
13 640.14 : 278, n. 6 406.2 : 261, n. 13
14 640.34 : 163, n. 186
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
41
42
43
44
45
46
47
48
49
50