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Mélanges d'archéologie et

d'histoire

Boèce et l'école d'Alexandrie


Pierre Courcelle

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Courcelle Pierre. Boèce et l'école d'Alexandrie. In: Mélanges d'archéologie et d'histoire, tome 52, 1935. pp. 185-223.

doi : 10.3406/mefr.1935.7261

http://www.persee.fr/doc/mefr_0223-4874_1935_num_52_1_7261

Document généré le 16/10/2015


BOÈGE ET L'ECOLE D'ALEXANDRIE

Uui veut connaître l'influence qu'exerça la pensée grecque à Rome


et en étudier la diffusion à travers l'Occident doit d'abord répondre
à la question suivante : où et comment les auteurs latins ont-ils
acquis leur culture grecque? S'ils ne savaient pas la langue, ils se sont
évidemment servis de traductions. Mais, les traducteurs eux-mêmes,
où et comment ont-ils appris le grec? A quelle école furent-ils
formés? La solution précise de ce problème éviterait bien des erreurs
dans la recherche des sources grecques et des influences subies et
montrerait l'inanité de tant de rapprochements vagues qui ont été
proposés.
Il nous a paru qu'il serait relativement aisé de fournir cette
solution précise à propos de Boèce, dont l'œuvre est presque entièrement
conservée. On s'accorde, en effet, à reconnaître que les commentaires
de ce traducteur d'Aristote ont une originalité très restreinte, mais
l'étude de ces commentaires n'a guère été poussée; quant à la
Consolation, elle est mieux connue, mais tant d'éruditsont proposé tant
de sources différentes pour un même passage qu'ils n'ont nullement
résolu le problème précis que nous nous sommes posé1. A quoi
sert-il, en effet, de savoir que tel lieu commun de Boèce se retrouve
chez Cicéron, Sénèque, Plutarque et vingt auteurs grecs ou latins?
Ce qui nous intéresse, c'est de préciser, au moins pour un certain
nombre de cas privilégiés, auquel de ces auteurs Boèce emprunte le

1 Sur les sources de la Consolation, voir notamment : G. A. Müller,


Die Trostschrift des Boelhius (Berlin, 1912), et F. Klingner, De Boethii
consolatione philosophiae, dans Philologische Untersuchungen, Heft 27
(Berlin, 1921).
186 boèce et l'école d'alexandrie

lieu commun, quel maître le lui a transmis. Cette enquête n'est pas
d'un médiocre intérêt, si l'on songe que Boèce s'est formé aux
alentours de l'an 500, époque où l'histoire des études est à peu près
inconnue, où les rapports entre Rome et l'Orient sont d'une effroyable
complexité, et surtout si l'on se rappelle que l'influence de Boèce
s'est prolongée sur la philosophie, les lettres et les arts du moyen
âge. De qui tient-il donc ce qu'il a transmis?
L'opinion traditionnelle veut que Boèce soit allé à Athènes. Cette
légende ne repose sur aucun fondement : elle apparaît pour la
première fois dans le De disciplina scholarium dont l'inauthenticité et
le manque de valeur historique ne font plus de doute pour personne1,
et l'on s'étonne qu'elle trouve encore crédit2. Le seul indice qui
semble à la base de cette légende est un passage de la fameuse lettre
par laquelle Théodoric commande à Boèce deux horloges pour le roi
des Burgondes : « Hoc te inulta eruditione saginatum ita nosse didi-
cimus, ut artes, quas exercent vulgariter nescientes, in ipso discipli-
narum fonte potaveris; sic enim Atheniensium scholas longe posi-
tus introisti, sic palliatorum choris miscuisti togam, ut Graecorum
dogmata doctrinam feceris esse Romanam3. » La suite du passage
montre clairement que Théodoric désigne ici les traductions et les
commentaires de Boèce; les mots Atheniensium scholas longe posi-
tus introisti signifient que Boèce a pénétré, malgré l'éloignement,
les écoles d'Athènes, sans préciser qu'il y soit jamais allé; ils avivent
notre curiosité sans la satisfare.
Seul, le témoignage de Boèce lui-même, et de ses œuvres, peut

1 Migne, P. L., t. LXIV, col. 1232 Β : « Annis duobus de viginti Athe-


nis convalui. » Voir les positions de thèse de l'École des chartes de M. J.
Porcher, Le « De disciplina scholarium », traité du XIIIe siècle
faussement attribué à Boèce, 1921.
2 Par exemple, M. R. Bonnaud, L'éducation scientifique de Boèce, dans
Speculum, t. IV (1929), p. 199, persiste à admettre cette légende, dont le
Pauly-Wissowa, le Schanz et le Manitius ne font même plus mention.
3 Cassiodore, Variae, éd. Th. Mommsen, dans M. G. //., Auctores an-
tiquissimi, t. XII, p. 40, 5 et suiv.
boèce et l'école o'alexandrie 187

donc guider notre recherche; en un passage capital, Boèce indique


l'immense plan de travail qu'il s'était assigné :
« Mihi autem, si potentior divinitatis adnuerit favor, haec fixa sen-
tentia est, ut quamquam fuerint praeclara ingenia, quorum labor a c
studium multa de his quae nunc quoque tractamus Latinae linguae
contulerit, non tamen quendam quodammodo ordinem filumque et
dispositione disciplinarum gradus ediderunt, ego omne Aristotelis
opus, quodcumque in manus venerit, in Romanum stilum vertens
eorum omnium commenta Latina oratione perscribam, ut si quid ex
logicae artis subtilitate, ex moralis gravitate peritiae, ex naturalis
acumine veritatis ab Aristotele conscriptum sit, id omne ordinatum
transferam atque etiarn quodam lumine commentationis inlustrem
omnesque Platonis dialogos vertendo vel etiam commentando in La-
tinam redigarn formam; his peractis non equidem contempserim
Aristotelis Platonisque sententias in unam quodammodo revocare
concordiam eosque non ut plerique dissentire in omnibus, sed in
plerisque et his in philosophia rnaAimis consentire demonstrem1. »
Traduire et commenter dans un ordre donné, que n'avaient pas
connu les précédents traducteurs latins, toute l'œuvre logique,
morale et physique d'Aristote, puis traduire et commenter tout Platon,
enfin montrer que les deux philosophes sont, au fond, d'accord,
c'était un programme si vaste, que Boèce, mis à mortà l'âge de
quarante-quatre ans, n'en devait réaliser qu'une faible partie2. Du
moins cet ambitieux programme nous révèle-t-il les intentions
profondes de Boèce : par l'ampleur même de ses vues, il prétend faire
œuvre originale par rapport aux traducteurs et commentateurs
latins qui l'ont précédé.
Nul doute que ce vaste programme dérive de l'école de Porphyre,

1 In librum Aristotelis ME PI ΒΡΜΕΝΕΙΑΣ, éd. sec. (Meiser, Leipzig,


p. 79, 9 et suiv.).
2 Sur la date de naissance de Boèce, voir H. Usener, Anecdoton Hol-
deri (Bonn, 1877), p. 40.
188 BOÈCE et l'école d 'Alexandrie
qui a commenté à la fois Aristote et Platon1. Non seulement Boèce
connaissait les commentaires de Porphyre sur Platon, perdus
aujourd'hui2, mais M. Bidez a bien montré tout ce que l'œuvre logique
de Boèce doit à Porphyre3 : non content d'avoir commenté Y Isagoge
de Porphyre d'après la traduction de Marius Victorinus, Boèce l'a
traduit lui-même et commenté une seconde fois ; son commentaire
sur les Catégories d'Aristote suit pas à pas, parfois sous forme de
traduction pure et simple, le commentaire κατά πεΰσιν και άπόκρισιν
de Porphyre sur le même traité ; il déclare en plusieurs endroits de
son commentaire sur le De interpretalione d'Aristote qu'il adopte
l'opinion du commentaire correspondant de Porphyre; enfin, dans
son Introducilo ad categoricos syllogismos, c'est Porphyre que suit
Boèce4. Tout cela est suffisamment démontré par M. Bidez pour que
nous n'ayons pas à y revenir5.
Mais l'œuvre de Porphyre, vieille déplus de deux siècles, comment
Boèce l'a-t-il connue? A-t-il simplement imité l'exemple de Marius
Victorinus et son œuvre résume-t-elle la tradition d'une foule de
commentateurs latins ignorés ou perdus? Lui-même, nous l'avons vu,

1 Voir le catalogue des œuvres de Porphyre, dans J. Bidez, Vie de


Porphyre {Recueil de travaux publiés par la Faculté de philosophie et lettres
de Gand, fase. 43 (1913), p. 65*-67*).
2 Le commentaire de Porphyre sur le Sophiste de Platon est cité par
Boèce, De divisione (Migne, P. L., t. LXIV, col. 876 D).
3 Bidez, Boèce et Porphyre, dans Revue belge de philologie et
d'histoire, t. 11 (1923), p. 189-201. Cf. les Comptes-rendus de l'Académie des
inscriptions et belles-lettres, 1922, p. 346-350.
4 Nous citerons les œuvres de Boèce d'après les éditions suivantes :
In Isagogen Porphyrii, éd. Brandt [C. S. E. L., t. XL VIII, 1906).
De consolatione philosophiae, éd. Peiper (Teubner, 1871), dont le compte
des lignes est reproduit par l'éd. Weinberger (C. S. E. L., t. LXVII, 1934).
De institutione anthmetica, De institulione musica, Geometria, éd.
Friedlein, Teubner, 1867.
In librum Arislotelis ΜΕΡΙ ΕΡΜΕΝΕΙΑΣ, éd. Meiser, Teubner, 1877-
1880.
Les autres œuvres seront citées d'après Migne, P. L., t. LXIIl-LXIV.
5 Bidez, art. cit., p. 193 et 198.
boèce et l'école d'alexandrie 189
s'en défend et prétend faire œuvre originale1. Ou bien a-t-il connu
directement, lui qui savait le grec, cette série de commentaires qui,
depuis Porphyre, se succèdent sans interruption « dans les chaires
d'Alexandrie et d'Athènes, jusqu'à Syrianus, Ammonius et Simpli-
cius2 »? Et par quelles voies les a-t-il connus?
Il est certain que si Boèce a connu les commentateurs latins, ce
sont pourtant presque exclusivement les grecs qu'il utilise : il cite à
maintes reprises, notamment dans le commentaire De interpreta-
tione, les anciens commentateurs : Andronicus, Aspasius,
Herminus, Alexandre d'Aphrodisias, mais ne connaît pas moins bien les
plus récents, puisqu'il précise qu'il a lu le texte grec du
commentaire de Thémistius sur les Analytiques3 et le commentaire de
Syrianus sur le De Interpretationen. Si l'on songe que Syrianus n'est mort
qu'une cinquantaine d'années avant la publication des premières
œuvres de Boèce, on est conduit à se demander s'il n'y a pas trace
d'un contact direct entre Boèce et les commentateurs grecs
contemporains, issus de l'école de Syrianus.
Une remarque chronologique très simple permet d'orienter cette
recherche : on admet généralement, depuis la démonstration d'Use-
ner, que Boèce est né vers l'an 480 5; on sait par Ennodius qu'il fut
d'une précocité exceptionnelle6; vers l'an 500, selon Brandt, pa-

1 Bidez, art. cit., p. 199 et suiv., n'en croit rien. Boèce, lui-même,
cite Vetins Praetextatus et Albinus (Meiser, éd. sec, p. 3 et 4), mais pour
dire que le premier plagie Thémistius et que l'œuvre logique du second
s'est perdue.
2 Bidez, Vie de Porphyre, p. 62.
3 Meiser, éd. sec, p. 4.
4 Voir Y Index nominum de l'éd. Meiser, au mot Syrianus.
5 Usener, Anecdoton Holderi, p. 40.
β Ennodi opera, éd. Vogel, dans M. G. //., Auct. Ant., t. VII, p. 314 :
« Est Boetius patricius, in quo vix discendi annos respicis et intellegis pe-
ritiam sufflcere jam docendi, de quo emendatorum judicavil electio », et
p. 236 : « Cui inter vitae exordia ludus est lectionis assiduitas et deliciae
sudor alienus. »
190 boèce et l'école d'Alexandrie

raissent ses premières œuvres1. Or, à cette époque, l'école d'Athènes,


depuis la mort de Proclus (485), était en pleine décadence, comme le
note Aeneas de Gaza2. C'est alors Alexandrie qui devient le centre des
études philologiques, philosophiques et médicales3. Le grand nom
qui domine cette école est celui d'un disciple de Proclus, Ammonius,
fils d'Hermias, qui, après la mort de son mattre, se retira à
Alexandrie où il connut la gloire : il compta parmi ses élèves Damascius,
Simplicius, Asclépius, Olympiodore, Théodote, Jean Philopon, toute
la dernière génération, singulièrement féconde, des commentateurs
grecs; or, cette génération est exactement contemporaine de Boèce4.
N'y "a-t il pas lieu d'examiner si l'œuvre de Boèce, composée tout
entière entre l'an 500 et l'an 524, ne doit rien à Ammonius qui,
depuis 485, enseigne à Alexandrie avec tant de succès?

Un tel examen soulève plusieurs difficultés : il faut avouer tout


d'abord que Boèce, s'il cite volontiers les commentateurs d'Aristote,
depuis les plus anciens jusqu'à Syrianus, ne fait jamais mention ni
de Proclus, disciple de Syrianus, ni d'Ammonius, disciple de Proclus,
ni d'aucun élève d'Ammonius. Ce silence sur les commentateurs
contemporains ne doit pourtant pas étonner; on sait que la plupart
des auteurs anciens ou médiévaux ont l'habitude de ne pas
mentionner leurs sources les plus directes, surtout lorsqu'elles n'ont pas
encore le lustre de l'antiquité. D'autres difficultés sont plus graves;
pour un même traité d'Aristote, tantôt le commentaire d'Ammonius,
tantôt celui de Boèce est perdu et, de ce fait, l'étude des rapports

1 S. Brandt, Entstehungszeit und zeitliche Folge der Werke von Boe-


thius, dans Philologus, t. LXII (1903), p. 237.
2 Migne, P. G., t. LXXXV, col. 877 A : και παρ' 'Αθηναίοι; ΐίνθα μάλιστα
διεφάνη φιλοσοφία, παντελώς άγνωστος και ές το μηδέν άπέρριπται.
3 Voir F. Schemmel, Die Hochschule von Alexandreia im IV. und
V. Jahrhundert, dans Neue Jahrbücher für das klassische Altertum,
Geschichte und deutsche Literatur, Bd. XXIV (1909), p. 438-457.
4 Sur cette génération, voir le Pauly-Wissowa et E. Zeller, Die
Philosophie der Griechen, III, 2 (4e éd., Leipzig, 1903), p. 894 et suiv.
boèce et l'école d'alexandrie 191

entre Ammonius et Boèce ne peut porter que sur trois œuvres : Y


Isagoge de Porphyre, les Catégories et le De interpretation d'Aristote;
de plus, Ammonius lui-même plagie certainement des commentaires
grecs antérieurs, perdus aujourd'hui, entre autres ceux de Jamblique
et de Proclus; on devra toujours se demander si les parallèles qu'il
est possible de noter entre les commentaires de Boèce et
d'Ammonius ne viennent pas de ce qu'ils dérivent d'une source commune,
sans qu'Ammonius soit nécessairement la source directe de Boèce;
enfin, comme Ammonius expliquait oralement les traités d'Aristote1
et qu'un même cours oral a été l'objet de plusieurs rédactions de la
part de ses élèves2, Boèce peut avoir utilisé une autre rédaction que
celle qui nous est conservée. Ces remarques étaient nécessaires pour
que l'on puisse apprécier à leur juste valeur les emprunts généraux
ou particuliers que Boèce semble avoir faits aux œuvres d'
Ammonius.
Notons d'abord que l'ordre chronologique des traductions et
commentaires de Boèce, tel que Brandt l'a établi3, correspond très
exactement à l'ordre logique préconisé par Ammonius pour l'explication
de YOrganon : il faut commencer par Ylsagoge de Porphyre, puis
étudier dans^l'ordre les Catégories, le De interpretatione, les deux
Analytiques, les Topiques et les Sophistici elenchi*; Boèce s'est
conformé au précepte en vigueur dans l'école d'Alexandrie; notons
encore que, comme Ammonius, il a commenté Γ Arithmétique deNi-
comaque et la Physique d'Aristote5.

1 La plupart des manuscrits portent : Άπό φωνής 'Αμμωνίου.


2 Par exemple, le commentaire d'Ammonius sur les Catégories a été
rédigé une seconde fois par Jean Philopon, sous une forme à peine
différente.
3 Brandt, Enlstehungszeü.. ., p. 267-268.
4 Cet ordre est donné par Ammonius, in Analytica priora (éd. Wal-
lies, dans Commentarla in Aristotelem Graeca, IV, 6), p. 1-4, d'où
pourrait bien provenir Boèce, In Isag. I, p. 13-14, qui n'a pas d'équivalent
dans le commentaire d'Ammonius sur Y Isagoge.
6 Voir la liste des écrits d'Ammonius dans Zeller, op. cit., p. 894,
192 boèce et l'école d'alexandrie
Mais c'est surtout par la méthode scolastique de ses commentaires
que Boèce rappelle Ammonius : en tète de chaque commentaire Boèce
a l'habitude de placer des Prolégomènes divisés en un certain
nombre de points; la référence à Ammonius semble évidente à
première vue :
Ammonius1 : Boèce2 :
« Δει δε ή μας ειπείν καί τα προς « Sex omnino, inquam, magis-
των φιλοσόφων ούτω προσαγορευό- tri in omni expositione praeli-
μενα προλεγόμενα ήτοι προτεχνολο- bant; praedocent enim quae sit
γούμενα επί παντός βιβλίου " εστί δε cujuscumque operis intentio,
ταΰτα ' ό σκοπός, το χρήσιμον, το quod apud illos σκοπός vocatur;
γνήσιον, ή τάξις της αναγνώσεως, ή secundum, quae utilitas, quod a
αιτία της επιγραφής, ή εις τα Graecis χρήσιμον appellatur; ter-
κεφάλαια διαίρεσις, και υπο ποΤον μέρος tium, qui ordo, quod τάξιν vo-
ανάγεται το παρόν σύγγραμμα ». cant; quartum, si ejus cujusesse
opus dicitur, germ anus proprius-
que liber est, quod γνήσιον inter-
pretari soient; quintum, quae sit
ejus operis inscriptio, quod έπι-
γραφήν Graeci nomfinant; ... sex-
tum est id dicere, ad quam par-
tem philosophiae cujuscumque
libri ducatur intentio, quod Grae-
ca oratione dicitur εις ποΐον μέρος
φιλοσοφίας ανάγεται ; haec ergo om-
nia in quolibet philosophiae libro
quae ri convenit atque expediri. »

Dirons-nous, parce que Boèce omet l'un des sept points indiqués

n. 1. Pour le commentaire perdu de Boèce sur la Physique, voir Brandt,


art. cit., p. 237.
1 Ammonius, In Isag. (éd. Busse, dans C. A. G. IV, 3), p. 21, 6 et suiv.
2 Boèce, In Isag., éd. Brandt, p. 4, 17 et suiv.
boèce et l'école d'alexandrie 193

par Ammonius, la division en chapitres, qu'il modifie le plan des


prolégomènes du maître? Ce serait une erreur : la meilleure preuve,
c'est que dans Y Ars Geometriae Boèce traite ce point1; de plus, le
schéma d'Ammonius lui-même n'est pas invariable : il ne traite que
six points dans les prolégomènes du commentaire sur les Catégories,
et cinq points dans les prolégomènes du commentaire sur le De
inter pretatione; et l'ordre des points traités varie légèrement chaque
fois. Ce qui est à retenir, c'est que Boèce, comme tous les disciples
d'Ammonius et comme les rhéteurs grecs du vie siècle, adopte, avec
quelques variantes de détail, le schéma des prolégomènes qui était
en usage depuis Ammonius. Sans doute Ammonius ne se donne pas
pour l'inventeur de ce schéma ; il ajoute : Ταΰτα έχενόησαν οι
φιλόσοφοι χρολέγειν2. Mais ce schéma n'est pas ancien : ni Alexandre
d'Aphrodisias, ni Porphyre ne divisent les prolégomènes en plus de
trois points; ni Syrianus, ni Sopater ne connaissent un schéma
fixe; au contraire, à partir d'Ammonius, philosophes et rhéteurs
adoptent les prolégomènes en six points au moins; à la fin du
vie siècle, ce schéma deviendra encore plus précis et comprendra
neuf points3. L'usage qu'adopte Boèce est donc tout à fait
caractéristique d'une certaine école de commentateurs grecs
contemporains; bien plus, dans ses prolégomènes au commentaire sur les
Catégories, quoiqu'il plagie Porphyre, comme M. Bidez l'a montré, il
se croit obligé de conserver le schéma en six points, tandis que
Porphyre n'en traitait que trois4.
Mais ce n'est pas seulement par sa méthode que Boèce se rattache

1 Migne, P. L., t. LXIII, col. 1359 A. Il convient d'ajouter que dans


son état actuel cette œuvre semble un remaniement postérieur à Boèce.
2 Ammonius, In Isag., p. 21, 10 et suiv.
3 Pour l'évolution du schéma, voir, dan's Prolegomenon sylloge
(Leipzig, Teubner, 1931), l'excellente préface de Rabe, p. vi-vn, De protheoriis
singulorum librorum.
4 Migne, P. /,., t. LX1V, col. 160 Β {intentio), 161 Β {ulilitas), 161 C
(òrdo), 161 D (ad quant parlent philosophiae hu/us libri ducatur intentio et
Aristotelis vero neque ullius alterius liber est), 162 Β (inscriplio).

Mélanges d'Arch. et d'Hist. 1935. 13


494 BOÈCE ET l'ÉCOLK d'alEXANDRIE

à une école déterminée; l'examen comparatif des commentaires


conservés d'Ammonius et de Boèce montre que le contenu de l'un se
retrouve presque intégralement dans l'autre.
Ce fait a été noté avec beaucoup de pénétration par Brandt à
propos du commentaire de Boèce sur Γ Isagoge : après avoir dressé un
bilan consciencieux des ressemblances et différences entre les deux
commentaires correspondants d'Ammonius et de Boèce, aussi bien
dans les prolégomènes1 que dans le corps du commentaire2, Brandt
se croit autorisé à conclure qu'ils ont pu avoir une source commune,
mais que plus vraisemblablement Ammonius est la source directe de
Boèce. Il est inutile de répéter la démonstration de Brandt, qui nous
semble très convaincante. Notons seulement que plusieurs des
prétendues différences auraient apparu au contraire comme des points
de contact, si Brandt avait pris la peine de se reporter aux autres
œuvres d'Ammonius. Ainsi, le développement de Boèce sur l'ordre
dans lequel il faut lire Aristote n'a pas d'équivalent dans le
commentaire d'Ammonius sur Y Isagoge, mais en a un dans les prolégomènes
de son commentaire sur les Analytiques3. Mais il est encore un
rapprochement plus curieux, sur l'importante question de savoir si la
logique est une partie ou un instrument de la philosophie, que Brandt
a mal interprété :

Ammonius4 : Boèce5 :
« ... ή §ε λογική ου [χέρος της «... quam quidem arte m qui-
φιλοσοφίας , άλλ 'όργανον, ώς av dam partem philosophiae, qui-
έτερω δείξομεν. » dam non partem, sed ferramen-
tum et quodammodo supellecti-
lem judicarunt, qua autem id
utrique impulsi ratione credide-

1 Boelhii in Isag. Porphyrii commenta, éd. Brandt, p. lxxviii-lxxix.


2 Ibid., p. xxii-xxvi.
3 Voir les références ci-dessus, p. 191, n. 4.
4 Ammonius, In Isag. (éd. Busse), p. 23, 23.
5 Boèce, In Isag. (éd. Brandt), p. 10, 2.
boèce et l'école d' Alexandrie 195
rint, alio erit in opere
commemorandum. »

Brandt a d'abord cru que Boèce renvoyait à la seconde édition de


son commentaire sur l' Isagoge1, puis, ayant constaté que rien dans
la première édition n'annonce la seconde, il se ravisa et soutint que
le passage de Boèce était une transcription étourdie de la phrase
d'Ammonius2. Cette interprétation de Brandt appelle les plus graves
réserves : en effet, la phrase d'Ammonius annonce les prolégomènes
de son commentaire sur les Analytiques où il traite à fond cette
question ; pourquoi le passage correspondant de Boèce ne serait-il
pas lui aussi un renvoi au commentaire sur les Analytiques que
Boèce écrivit en effet3, mais qui est perdu aujourd'hui? Cela
confirmerait qu'en commençant son grand travail de commentaires, Boèce
suivait le plan même d'Ammonius. Or, nous avons la preuve que
Boèce s'est, en effet, reporté au début du commentaire d'Ammonius
sur les Analytiques ; car, tandis qu'Ammonius commentant Γ
Isagoge soutenait que la logique est un simple instrument de la
philosophie, il déclare au contraire dans son commentaire sur les
Analytiques qu'elle n'est pas une partie, comme croient les Stoïciens, ni
un simple instrument, comme croient les Péripaléticiens, mais à la
fois partie et instrument, comme croit Platon et comme c'est la
vérité4. Boèce, qui s'est reporté à ce passage, a, pensons-nous, noté le
changement d'opinion d'Ammonius; aussi se garde-t-il bien,
lorsqu'il transcrit la phrase d'Ammonius sur X Isagoge, de prendre parti
comme lui, car il veut éviter la contradiction évidente entre les deux
œuvres d'Ammonius; en effet, c'est à l'opinion définitive
d'Ammonius sur la question que Boèce se rallie ; nous en avons la preuve, à
défaut du commentaire perdu de Boèce sur les Analytiques, par un

1 Brandt, Entstehungszeit..., p. 151.


2 Boèce, In Isag. (éd. Brandt), p. xn, n. 6.
3 II y renvoie deux fois expressément dans son De syllogismo
categorico (Migne, LXIV, 822 Β et 830 D).
4 Ammonius, In Anal. (éd. Wallies), p. 8, 15, à 11, 21.
196 BoÈGE et l'école d'alexandrie

long développement de la seconde édition du commentaire de Boèce


sur Y Isagoge1; comme Ammonius, il se sépare de l'opinion
stoïcienne et péripatéticienne et déclare que la logique est à la fois
instrument et partie de la philosophie. Le parfait accord d'Ammonius
et de Boèce sur cette question est d'autant plus notable que les autres
commentateurs qui la traitent sont d'un avis opposé : Alexandre
d'Aphrodisias2 et, dans l'école même d'Ammonius, Jean Philopon3
et Elias4 pensent tous que la logique est un simple instrument de la
philosophie.
Brandt, qui n'avait pour tâche que d'éditer le commentaire de
Boèce sur Y Isagoge, n'a pas non plus examiné s'il y avait des
rapports entre les commentaires d'Ammonius et de Boèce sur les
Catégories et le De interpretatione . Cet examen n'est pourtant pas
infructueux. Sans doute, le commentaire de Boèce sur les Catégories
plagie, comme M. Bidez l'a bien montré, le commentaire
correspondant de Porphyre, mais l'influence d'Ammonius ne s'en fait pas
moins sentir : tandis que le commentaire de Porphyre est un
dialogue par questions et réponses, Boèce adopte la forme du discours
continu ; à la brève introduction en trois points de Porphyre, il
substitue les prolégomènes en six points, habituels à l'école d'Ammonius,
et semble bien emprunter la matière de certains d'entre eux au
commentaire d'Ammonius sur les Catégories5. Enfin, contrairement à
Porphyre, Boèce illustre son commentaire au moyen de figures
explicatives ; or, deux de ces figures, au moins, reproduisent celles dont
Ammonius avait orné son commentaire. L'une, il est vrai, quoique

1 Boèce, In hag. (éd. Brandt), p. 140, 12, à 143, 7.


2 Alexandre d'Aphrodisias, In Anal. (éd. Wallies, dans C. A. G. II, 1),
p. 4, 30.
3 Philopon, In Anal. (éd. Wallies, dans C. A. G. XIII, 2), p. 6, 19, à 9,
20. Il réfute même, p. 8, 30, un argument qui est celui de Boèce, In Isag.,
p. 142, 25.
4 Elias, In Isag. (éd. Busse, dans C. A. G. XVIII, 1), p. 26, 36, et 39, 31.
5 Sur Y utilité, cf. Boèce, col. 161 B, et Ammonius, p. 13, 3-6; sur
Y ordre, cf. Boèce, col. 161 C, et Ammonius, p. 13, 6-11 ; sur Y authenticité,
cf. Boèce, col. 161 D, et Ammonius, p. 13, 20, à 14, 2.
BOECE ET L ECOLE D ALEXANDRIE 197

facilement reconnaissable, a été quelque peu déformée par les copistes


médiévaux du texte de Boèce1. Mais l'autre, qui est annoncée par
Boèce lui-même dans le contexte, s'est conservée intacte et reproduit
fidèlement la figure d'Ammonius, comme on en peut juger :
Ammonius2 :

ασυστατον συμβεβηκός

καθ εν υποκείμενο)
'υποκειμένου και οΰκ εν και ού καθ '
ΰποκειμένω υποκειμένου

καθόλου ασυστατον μερικον

Boèce3 :

subslantia asystaton accidens

de subjecto est in
dicitur et in subjecto et de
subjecto non subjecto non di-
est. citm·.

universale asystaton parti cul are

( Cf. Boèce, col. 261 B-C, et Ammonius, p. 106. Cette figure


d'Ammonius est, du reste, reproduite également dans les commentaires sur les
Catégories de ses élèves Philopon et Simplicius.
2 Ammonius, In Categ., p. 25, 12.
3 Boèce, In Categ., col. 175 C. Cf. Prantl, t. I, p. 685, n. 92.
198 boèce et l'école d'alexandrie
Si pourtant l'on s'étonnait que le commentaire de Boèce sur les
Catégories doive beaucoup moins à Ammonius que le commentaire
sur Y Isagoge, il faudrait prendre garde que Boèce lui-même
vient-il"
s'explique à ce sujet : à peine de définir, d'après Porphyre, le
but du livre d'Aristote, qu'il renvoie le lecteur à une seconde édition
de son commentaire où sera adoptée une définition beaucoup plus
savante; il s'excuse de suivre toujours Porphyre, sans entrer dans les
discussions entre les doctes; mais il n'adopte que provisoirement la
définition donnée par Porphyre, parce qu'elle est plus facile à saisir
pour les débutants1.
Or, au même endroit des prolégomènes, Ammonius, dans son
commentaire sur les Catégories, expose trois opinions différentes des
commentateurs sur le but que poursuit Aristote, notamment celle de
Porphyre, les rejette toutes trois comme insuffisantes et donne enfin
la sienne2. N'est-il pas au moins vraisemblable que Boèce, dans la
seconde édition de son commentaire, reproduisait l'exposé d'Ammo-
nius et adoptait son opinion? Si cette seconde édition nous était
conservée, elle nous révélerait sans doute beaucoup d'emprunts à
Ammonius.
Le traité de Boèce sur le De interpretation e, dont nous pouvons
encore lire les deux éditions, montre mieux encore tout ce que Boèce
doit au professeur d'Alexandrie; chez l'un et l'autre le commentaire
commence de la même façon :

Ammonius : Boèce :
« Πολύ μεν έν σοφοΐσι y-où/, àvoj- « Magna quidem libri hujus

1 Boèce, In Catcg., col. 160A-B. Il est vrai que Schepss, Biälter f. d.


bayr. Gymnasialschulwesen, XXXIII (1897), p. 2^2, croit à une interpolation
et que Brandt, Entstehungszeil, p. 275, en conclut que Boèce n'indique pas
une seconde édition; mais M. Bidez, ari. cit., p. 192, fait remarquer que
l'interpolation serait, en tous cas, de Boèce lui-même; l'existence d'une
seconde édition, perdue aujourd'hui, est d'autant plus certaine que les
manuscrits de notre commentaire lui donnent pour titre : editto prima.
2 Ammonius, in Categ., p. 8, 20, à 9, 17.
boèce et l'école d'alexandrie 199
νυμ,ον το ΠερΊ ερμηνείας τοΰ Άρισ- apud Peripateticam sectani pro-
τοτέλους βιβλίον της τε πυκνοτητος batur auctoritas ; ... sed ejus se-
ενεκα των εν αύτω TcapaotSopivojv ries scruposa impeditur semita
θεωρημάτων και της χέρι την λέξιν et subtilibus pressa sententiis
δυσκολίας1. » aditum intellegentiae facilem non
relinquit2. »

II ne faudrait pourtant pas croire que tous les rapprochements


qu'il est possible de signaler entre les deux commentaires sont
également probants et démontrent une influence directe de l'un sur
l'autre ; la plupart de ceux que Brandis signale s'expliquent par le
fait qu'Ammonius et Boèce ont une source commune : le
commentaire perdu de Porphyre sur le De interpr e tationez . Mais, s'il est vrai
que Boèce, ici encore, suit Porphyre, il prend soin d'ajouter qu'il
utilise aussi d'autres commentateurs et parfois il rejette
l'interprétation de Porphyre4.
Faut-il croire avec Lehnert que Boèce utilise dans ce commentaire
les rhéteurs grecs ou latins5? Sans doute, en quatre endroits du
commentaire, apparaît une classification des cinq formes du
discours : oratio deprecativa , imperativa , interrogativa , vocativa,
enuntiativa6, qui correspond exactement à celle des Prolegomena in

1 Ammonias, In Aristotelis de interpretatione (éd. Busse, dans C. Α.


G. IV, 5), p. 1, 1 et suiv.
2 Boèce, In Aristolelis de inlerpretatione (Meiser), éd. pr., p. 31, 1 et
suiv.
3 Scholia in Arislotelem (éd. Brandis, Berlin, 1836), p. 93 à 139; les
citations correspondantes de Boèce sont en note.
4 Boèce, De interpr., éd. sec, p. 7, 5 : « expositionem nos scilicet quam
maxime a Porphyrio quamquam etiam a ceteris transferentes Latina ora-
tione digessimus », et p. 121, 25 : « sed hanc expositionem (quod adhuc
scianti), neque Porphyrius nec ullus alius commentatorum vidit ».
5 G. Lehnert, Eine rhetorische Quelle für Boetius Commentare zu
Aristoteles ΠΕΡΙ ΕΡΜΗΝΕΙΑΣ, dans Philologus, t. LIX (1900), p. 574-
577.
6 Boèce, De interpr., éd. pr., p. 35, 12, et 71, 1, et éd. sec, p. 9, 6, et 95,
9. Sans doute par erreur, Boèce, dans le second passage (p. 71, 1), omet
200 boèce et l'école d'Alexandrie
Hermogenis ΠΕΡΙ ΣΤΑΣΕΩΝ et des Scholia in Aphthonium :
λόγος εύκτιχ,ός, χροστχκτίκός, ερωτηματικός, κλητικός, άποφαντικός1; mais
Lehnert n'a pas remarqué que ces prolégomènes et scholies
empruntent cette classification au commentaire d'Ammonius sur le De
interprelatione, dont ils reproduisent même certains exemples; il est
évident, quoique cette classification soit certainement antérieure à
Ammonius, que Boèce l'emprunte à Ammonius, puisque chez l'un
et l'autre elle apparaît dans les prolégomènes du commentaire sur le
De interpretation2 : la seule originalité de Boèce a consisté à
remplacer les exemples grecs tirés d'Homère par des exemples tirés de
Térence, Cicéron et Virgile; mais l'un et l'autre, -après avoir donné
la classification des Péripatéticiens, ajoutent que le De interpreta-
tione ne traite que de Yoratio enuntiativa (λόγος άχοφαντικός) qu'ils
subdivisent d'ailleurs en enuntiativa simplex (εΤδος κατηγορικόν) et
enuntiativa duplex atque hypothetica nec non etiam conditionalis
(είδος υτυοθετικόν) dont ils proposent le même exemple3 ; la dépendance
de Boèce par rapport à l'école d'Ammonius est patente. Il ne faut
donc pas croire avec Lehnert que la source de Boèce est quelque
rhéteur ou grammairien grec ou latin ; les Péripatéticiens cités par Boèce
désignent les plus récents commentateurs d'Aristote.

Voratio interrogativa et lui substitue Yoralio optaliva qui fait double


emploi avec Voratio deprecativa.
1 Cf. les Prolegomena in Hermogenis 11 E PI ΣΤΑΣΕΩΝ, dans
Prolegomenon sylloge, éd. Rabe, p. 186-187, et les Scholia in Aphthonium, dans
Rhetores graeci, éd. Walz, t. II, p. 661, 25 et suiv.
2 Ammonius, De interpr., p. 2, 9 et suiv. Cf. In Anal., p. 2, 3. Thé-
mistius devait déjà connaître cette classification, car le plagiaire de Thé-
mistius, qui a écrit les Categoriae decem ex Aristotele decerptae, attribuées
à saint Augustin, la reproduit (Migne, P. L., t. XXXII, col. 1425).
3 Cf. Ammonius, De interpr., p. 2, 9, à 3, 14 : εί μή εστίν ήμερα, ούκ
εστίν ήλιος υπέρ γήν, et Boèce, De interpr., ed. pr., p. 34, 10 et 35 : « si sol
super terram est, dies est ».
Cf. encore Ammonius, De interpr., p. 2, 26 : Καλοΰσι δέ οί Στωϊκοί τον
μέν άποφαντικον λόγον αξίωμα, et Boèce, De interpr., ed. sec, p. 9, 26 : « et
Stoici quoque in his libris, quos περί άξκ^μάτων appellant, de isdem nihi-
lominus disputant ».
BOECE ET L ECOLE D ALEXANDRIE 201
Le parallélisme d'Ammonius et de Boèce au cours de leur
commentaire sur le De interpretatione est aussi frappant que dans leur
commentaire sur Y Isagoge de Porphyre; à propos d'un même passage du
De interpretatione, tous deux se reportent, pour l'éclairer, à un même
passage d'une autre œuvre d'Aristote1; ils discutent et résolvent de
la même façon la question de l'authenticité, qu'Andronicus de Rhodes
avait mise en doute2; ils mettent leur exposé à la portée du lecteur
au moyen de la même figure :
Ammonius3 :

πας άνθρωπος περιπατεί ουδείς άνθρωπος περιπατεί

καταφατικό» αποφαντικαι
υπάλληλοι υπάλληλοι

μ,ερικαι ου πας άνθρωπος περιπατεί


τις άνθριοπος περιπατεί ύπεναντίαι

Boèce
'

CONTRARIAE
Adfirmatio universalis Negatio universalis
Omnis homo Justus est Nullus homo Justus est
S S
U U
Β Β
A A
L L
Τ Τ
E E
R R
Ν Ν
A A
E E
Adfirmatio particulars Negatio particularis
Quidam homo Justus est Quidam homo Justus non est
SUBCONTRARIAE

1 Renvoi à la Métaphysique (Ammonius, p. 71, 6, et Boèce, éd. pr.,


p. 74, 22, éd. sec, p. 102, 26), aux Sophistici elenchi (Ammonius, p. 85,
202 boèce et l'école d 'Alexandrie
Ailleurs, à propos d'une phrase d'Aristote sur les choses mobiles et
immobiles, l'accord des deux commentaires est si précis que Busse
a pu utiliser le texte de Boèce pour corriger la leçon des manuscrits
d'Ammonius1.
Même identité jusque dans les termes entre les développements
qu'Ammonius et Boèce consacrent à distinguer le bruit du son
articulé; en voici le début :

Ammonius2 : Boèce3 :
« Αιαφέρει γαρ ο ψόφος της φωνής « Distai enim sonus voce : so-
ώς γένος ει'οους και ψόφος μεν έστι nus enim est percussio aeris sen-

28, et Boèce, éd. pr., p. 82, 1, éd. sec, p. 134, 4), à la Poétique
(Ammonius, p. 12, 30 et suiv., et Boèce, éd. sec, p. 6, 16, et 8, 7), etc.. La forme
même, sous laquelle est fait le renvoi aux Sophistici elenchi f est identique
chez les deux auteurs.
Ammonius : Boèce :
« ΓΙερί τούτων ουν ό 'Αριστοτέλης τε- « Sed diligentius haec in libro
λειότατα μεν έν τη (Περ\) των σοφιστι- quern σοφιστικών έλε'γχων inscripsit
κών έλεγχων έπιγραφομε'νΛΐ πραγματεία edisserit ; illic enim sophistarum,
διείλεκται, τους τε τρόπους απαντάς εκ- g fallaces argumentaires La-
τιθέμενος
r , τρισκαίδεκα
, , ,ο'ντας, ,καθ'- ους
„ \ οί tine
.. possumus dicere,,· qui per hu-
,
σοφισται τους ανεπιστατως αυτοί ς οιαλε- .
, ,y ,, »
γομενους πειρωντοα παραλογιζεσϋαι. Jjusmodi propositiones
ri quae
-α veruni
inter se falsumque non dividunt
mendaces colligunt syllogismos,
argumenta distinxit, quibus capere
respondentem atque innectere con-
suerunt. »
Le texte de Boèce, très sur en cet endroit, montre que l'éditeur d'Am-
monius a eu tort d'ajouter un περί qui, du reste, ne se trouve dans aucun
manuscrit.
2 [Page précédente.] Cf. Ammonius, p. 5, 27 et suiv., et Boèce, éd. sec,
p. 11, 13 et suiv.
8 Ammonius, p. 93, 10 et suiv.
4 Boèce, éd. pr., p. 87, et éd. sec, p. 152.
1 Ammonius, p. 243, 22 et suiv. (voir l'apparat critique pour la
ligne 35), et Boèce, éd. pr., p. 202, 25 et suiv.
2 Ammonius, p. 30, 7 et suiv.
3 Boèce, éd. sec, p. 53, 16 et suiv.
BOECE ET L KCOLE D ALEXANDRIE 203

πληγή αέρος αισθητή άκοη, φωνή δε sibilis, vox vero flatus per quas-
ψόφος εμψύχου γινόμενος όταν δια dam gutturis partes egrediens,
της συστολής του θα>ρακος έκθλιβό- quae arteriae vocantur, qui ali-
μενος άπο του πνεύμ,ονος ό είσπνευ- qua linguae impressione forme-
θεις αήρ προσπίπτη αθρόους χύ\ τε tur...
τραχεία καλούμενη αρτηρία και τΤ|
υπερώα ήτοι τω γαργαρεώνι, ... της
γλώττης και των οδόντων καΐ των
/ειλεών ... αναγκαίων όντων...
«... ί'δοι δε αν τις και έπι ανθρ<ό- « ... sed sunt quaedam voces
πων τοιαύτας φωνάς, ας έν τοις σφο- quae significent quidem, sed no-
δροΐς πάθεσιν δντες φθεγγόμεθα, οίον mina non sint, ut ea quae a no-
στεναγμον λέγω καΐ καγχασμον καΐ bis in aliquibus affectibus profe-
ό'περ έλέγομεν έπι των έκ γενετής runtur, ut cum quis gemitum
κωφών ή των παίοων των άδιαρθρώ- edit vel dolore concitus emittit
tojç φθεγγομένων, πριν δύνασθαι πα- clamorem ; illud enim doloris
ρακολουθεΐν αίς έοίκασιν αι των άλό- animi, illud corporis signum
γων ζώο^ν φωναί ποτέ μεν θόρυβο)- est...; mutorum quoque anima-
δώς ποτέ δε προσηνώς και μετά τίνος lium sunt quaedam voces quae
γαληνιαίας διαθέσεως υπ' αυτών προ- significent, ut canum latratus
αγόμεναι... » iras significat canum, alia vero
mollior quaedam blandi menta
désignât... »

Boèce.ne prend même pas la peine de changer les exemples du


commentaire d'Ammonius :

Ammonius1 : Boèce2 :
« ... τον γαρ Άριστοκλέα εδοξε ... saepe singulorum homi-
τοις παλαιοΐς καλέσαι Πλάτωνα και num sunt permutata vocabula;
τον Τύρταμον Θεόφραστον. » quern enim nunc vocamus Pla-

1 Ammonius, p. 20, 19.


2 Boèce, ed. sec, p. 56, 1.
204 boèce et l'école d'alexandrie

tonem, Aristocles ante vocabatur


et qui Theophrastus nunc diei-
tur, ante Aristotelem a suis pa-
rentibus Tyrtamus appellaba-
tur. »

Des rapprochements aussi frappants et qu'il serait possible de


multiplier à volonté1 semblent prouver à l'évidence que Boèce dépend
d'Ammonius. Pourtant, même dans ces cas-limites où le texte de
Boèce est la traduction du texte d'Ammonius, un certain doute
subsiste : ne peut-on pas toujours imaginer, lorsqu'on connaît les
procédés des commentateurs grecs d'Aristote, qui se plagiaient
indéfiniment, que cette identité de textes s'explique par une source
commune qu'Ammonius et Boèce auraient chacun plagiée mot à mot? Il
faudrait, pour rendre tout à fait invraisemblable cette hypothèse
d'une source commune perdue, démontrer que Boèce emprunte à
Ammonius non seulement un bagage de logique formelle, mais le
fond même de sa philosophie. L'examen de la Consolation, qui est le
testament philosophique de Boèce, permet, croyons-nous, de
conclure que, sur les problèmes capitaux de la philosophie à cette époque,
Boèce adopte les positions d'Ammonius.
Les vers grecs cités par Boèce dans sa Consolation fournissent
déjà une précieuse indication sur les origines de sa culture même
littéraire : presque tous, en effet, étaient couramment utilisés dans
l'école de Proclus et d'Ammonius pour orner les commentaires sur
Aristote ou Platon. Le vers d'Homère que le personnage de la Phi-

1 Entre autres sur les deux sortes d'interrogation (Ammonius, p. 199,


19, et Boèce, éd. sec, p. 361, 6), sur les deux sortes de nécessité
(Ammonius, p. 153, 13, et Boèce, éd. sec, p. 241, 1), etc.. On peut même se
demander si dans son développement sur les deux sortes d'interrogation
Boèce ne citait pas Ammonius : en effet, tous les manuscrits portent : si-
cut audivimus döcet, que Meiser (p. 361, 9) corrige arbitrairement en sicul
Eudemus docet; la correction en sicut Ammonius docet nous semble beau
coup plus admissible du point de vue paléographique.
boèce et l'école d'alexandrie 205
losophie rappelle à Boèce pour lui rendre courage : « Nonne adules-
centulus δοιους ττίθους, τον μεν ενα κακών, τον δε έτερον έάων in Jovis
limine jacere didicisti ' ? » se retrouve trois fois utilisé ou cité dans
les œuvres de Proclus2. Un autre vers d'Homère, qu'utilise Boèce3,
est cité dans les commentaires de Proclus, d'Hermias et d'Olympio-
dore4. Un autre encore, interprété par Boèce comme une preuve de
la monarchie divine5, était couramment interprété de même par les
commentateurs de l'école d'Alexandrie6. Quant à la citation de Par-
ménide7, elle revient deux fois chez Proclus et sept fois dans le
commentaire de Simplicius sur la Physique d'Aristote8. Boèce semble
donc bien avoir acquis sa culture littéraire hellénique parmi les
commentateurs alexandrins.
Il est impossible de résumer brièvement tout ce que la Consolation
doit aux théories de Proclus9; mais nous voudrions montrer que
toute la dernière section de cette œuvre (section à laquelle les éru-

1 Boèce, Consolation, éd. Peiper, p. 28, 38.


2 Proclus, in remp., éd. Kroll, t. II, p. 96, 14; In Crai,., éd. Pasquali,
p. 51, 25; De malorum subsistcnlia, éd. Cousin, 18G4, col. 237. Cf. Syné-
sius, De Providenlia (M igne, P. G., t. LXVT, col. 1275); De insomniis
{ibid., col. 1298).
3 Peiper, 125, 1, citant II. III, 277.
4 Proclus, In Crat., éd. Pasquali, p. 37, 8, et in Tim., éd. Diehl, t. II,
p. 82, 8; Ilermias, In Phaedr., éd. Couvreur, p. 68, 9; Olympiodore, In
Phaed., éd. Norvin, p. 26, 27. Cf. Synésius, De Regno, col. 1100.
5 Peiper, 18, 11, citant //. II, 204.
6 Cf. Ammonius, De interpr., éd. Busse, p. 96, 23; Olympiodore, In
Gorgiam, éd. Jahn, p. 518; Philopon, De aeternitate mundi, éd. Rabe,
p. 179, 21, et p. 88, 20. Ce vers d'Homère s'est répandu chez les
commentateurs à cause de la citation qu'en fait Aristote, Métaphysique, p. 1076 a, 4.
Néanmoins, Zacharias s'en fait une arme contre Ammonius auquel il
reproche d'admettre le polythéisme (Migne, P. G., t. LXXXV, col. 1053 A).
7 Peiper, p. 85, 98, citant Parménide, v. 103 (éd. Mullach).
8 Proclus, In Tim., éd. Diehl, t. II, p. 69, 20, et Theol. Plat. III, 20;
Simplicius, In Phys., p. 52, 23; 89, 22; 126, 22; 127, 31; 137, 16; 143,
6; 146, 30.
9 Voir, sur ce point, Klingner, De cons, ph., passim, auquel il y aurait
encore beaucoup à ajouter.
206 BOÈCE ET L'ÉCOLE d' ALEXANDRIE

dits ont supposé une source néo -platonicienne1) a pour sources


probablement le commentaire d'Ammonius sur le Gorgias de Platon et
très certainement les commentaires d'Ammonius sur le De interpre-
tatione et sur la Physique d'Aristote.
Klingner a mis en lumière que toute la première moitié du
livre IV de la Consolation suivait le Gorgias de Platon ou plutôt un
commentaire néo-platonicien du Gorgias2; mais il n'ose proposer le
nom du commentateur. Nous en connaissons quatre : Eubulos, Hié-
roclès, dont le cours oral fut rédigé par son élève Théosébios, Am-
monius, fils d'Hermias, et Olympiodore; les trois premiers
commentaires sont perdus sans remède, et l'on ignorerait l'existence même
d'un commentaire d'Ammonius sur le Gorgias s'il n'était une fois
mentionné expressément par Olympiodore3; du moins le
commentaire d'Olympiodore peut-il nous donner une idée de celui de son
maître; il permet d'expliquer un passage de la Consolation qui a fait
couler beaucoup d'encre : Boèce, coupant le fil de l'exposé que la
Philosophie lui fait d'après le Gorgias, demande : « Sedquaeso, inquam,
te, nullane animarum supplicia post defunctum morte corpus relin-
quis? — Et magna quidem, inquit, quorum alia poenali acerbitate,
alia vero purgatoria dementia exerceri puto; sed nunc de his disse-
rere consilium non est4. » Comme Boèce, dans la Consolation, ne
revient plus sur ce sujet, les anciens érudits en avaient conclu qu'il se
réservait d'écrire après sa Consolatio Philosophiae une consolation
théologique qui aurait traité des sanctions d'outre-tombe; mais le
passage s'explique bien plus simplement si l'on admet que Boèce suit

1 Cf. E. K. Rand, On the composition of Boethiiis' Consolatio


philosophiae, dans Harvard Studies in classical philology, t. XV (1904), p. 16 et
suiv.
2 Klingner, De cons, ph., p. 85 et suiv.
8 Cf. Victor Cousin, Du commentaire inédit d'Olympiodore. .. sur le
Gorgias de Platon, dans Journal des Savants, 1832, p. 750 au bas ; c'est le seul
passage décisif, car les autres anecdotes qu'Olympiodore attribue à Am-
monius pourraient être sans rapport avec le Gorgias.
4 Peiper, p. 102, 70 et suiv.
boèce et l'école d'alexandrie 207

un commentaire néo-platonicien du Gorgias ; à la même place, Olym-


piodore interrompt son développement : πώς τοίνυν λέγεται αιωνία ή
ύχο γήν κόλασις, εν τω μύθω μαθησόμεθα4 ; c'est chez lui un simple
renvoi au mythe final du Gorgias, à propos duquel il reprendra la
question plus à fond et dans des termes fort proches de ceux qu'emploie
Boèce2. On peut donc imaginer sans invraisemblance que Boèce suit
ici la source d'Olympiodore, c'est-à-dire le commentaire d'Ammonius
sur le Gorgias'A.
De même, on n'a pas remarqué que le livre V de la Consolation
reprend, parfois mot à mot, les développements du commentaire de
Boèce sur le De interpretation; tout entier consacré au problème
rebattu de la conciliation entre la prescience divine et le libre arbitre
humain, va-t-il répéter les arguments traditionnels des
innombrables traités sur le destin ou le libre arbitre qui ont vu le jour en
Occident depuis le temps de Gicéron jusqu'à saint Augustin? Boèce
s'en défend et son personnage de la Philosophie prétend apporter
une solution nouvelle : « Vêtus, inquit, haec est de providentia
querela Marcoque Tullio, cum divinationem distribuit, vehementer
agitata tibique ipsi res diu prorsus multumque quaesita, sed haudqua-
quam ab ullo vestrum hactenus satis diligenter ac firmiter expe-
dita '. » De fait, Boèce ne traite ni le problème païen de la
divination", ni le problème chrétien de la grâce et du libre arbitre, mais le

1 Olympiodore, In Gorgiam, éd. Jahn, dans Neue Jahrbücher für


Philologie und Pädagogik, Supplement XIV (1848), p. 278.
2 ibid., p. 545 : « ... αί μετρία ήμαρτηκυϊαι ψυχαί έπ ' ολίγον χρόνον
κρίνονται και λοιπόν καθαιρόμεναι ανάγονται..., αί δε μέγιστα άμαρτήσασαι εΰθυς εις τον
Τάρταρον πέμπονται··· και αεί αύται κρίνονται, μηδέποτε καθαιρόμεναι ' και άξιον
άπορΐ)σαι διατί λέγει άεί. .. »
8 Ajoutons qu'à propos de la métempsycose platonicienne Boèce adopte
(Peiper, p. 97, 46 et suiv.) l'interprétation symbolique qui était à la mode
au temps d'Ammonius. Cf. Proclus, in Tim., t. III, p. 295, 30; Aeneas de
Gaza, éd. Migne, P. G., t. LXXXV, col. 894 Α-B; Olympiodore, In Phaed.,
éd. Norvin, p. 166, 24 et suiv.
* Peiper, 131, 1-5.
5 Klingner, De. cons< ph., p. 102 et suiv., a déjà démontré que le nom
208 BOÈCE ET L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE

problème purement logique qu'avait soulevé parmi les derniers


commentateurs grecs le chapitre ix du De interpretatione d' Aristote : Des
propositions contingentes relatives à l'avenir. Nous croyons pouvoir
montrer qu'il pose le problème et qu'il le résout à la lumière du
commentaire d'Ammonius sur ce chapitre du De interpretatione.
Boèce, comme Ammonius, commence par poser l'omniscience de
Dieu, plus puissante que la lumière du soleil, puisqu'elle ne laisse
rien dans l'ombre1. Mais, si l'on admet l'omniscience divine, comment
le futur peut-il être contingent? Le hasard et le libre arbitre ne
sont-ils pas abolis? C'est cette question de logique pure que traite
Ammonius dans son commentaire sur le De interpretatione ; Boèce,
lui, ne fait que l'effleurer dans son commentaire2; au contraire, dans
la Consolation, il va la traiter dans toute son ampleur, et toujours
d'après Ammonius.
Ammonius combat ceux qui, comme Alexandre d'Aphrodisias3,
éludent la difficulté en disant que les dieux eux-mêmes ont une
connaissance indéfinie du futur et prévoient les possibles en tant que
possibles4; ils en donnent pour preuve la forme ambiguë sous
laquelle les dieux rendent généralement leurs oracles, mais Ammonius
les réfute sur ce point5; Boèce, comme Ammonius, expose, puis
repousse expressément leurs théories6.
Il est vrai que Boèce semble aussi repousser expressément la
solution que propose Ammonius.

de Cicéron était un pur ornement et que Boèce, à supposer qu'il eût


connu le De divinatione, ne l'avait sûrement pas utilisé.
1 Peiper, p. 125, 1 et suiv. Cf. Ammonius, De interpr., p. 132, 25 et
suiv.
2 Meiser, p. 232, 10 : « sed haec majora sunt quam ut nunc digne per-
tractari queant ».
3 Alexandre d'Aphrodisias, De fato (éd. Bruns, dans C. A. G., suppl.
II, 2), p. 201, 13 et suiv.
4 Ammonius, De interpr., p. 132, 12.
5 Ibid., p. 137, 13 et suiv.
β Boèce, De interpr., éd. sec, p. 225, 1 et suiv.; Cons, ph., p. 128, 64
et suiv.
boèce et l'école d' Alexandrie 209
Ainrnonius1 : Boèce2 :
« Neque enim illam probo
rationem qua se quidam credunt
hunc quaestionis nodum posse
« Και cù /ρή νομίζειν οτι άναγ- dissolvere; aiunt enim non ideo
καίαν εξει την εκβασιν α λεγομεν quid esse eventurum, quoniam
Ινδε/όμενα δια το υπό 6εών γινώσ- id providentia futurum esse pros-
κεσθαι ώρισμένως " où γαρ διότι γι- pexerit, sed e contrario poti us,
να>σκουσιν αυτά ot θεοί, δια τοΰτο quoniam. quid futurum est, id di-
άναγκαίως έκβήσεται, άλλ' επειδή vinam providentiam latere non
φύσιν έχοντα ένδε/ομένην και αμφί- posse eoque modo necessarium
βολον πέρας εξει πάντως ή τοΐον ή hoc in contrariant relabi partenti,
τοΐον, Sia τοΰτο τους Οεους είοέναι neque enim necesse esse contiii-
άναγκχΐον όπως έκβήσεται. » gère quae providentur, sed
cesse esse quae futura sunt
provi deri. »

Mais telle n'est pas la vraie pensée de Boèce, car la Philosophie,


après lui avoir montré que cette solution est la bonne3, va lui
répondre par les paroles mêmes d'Ammonius qui suivent
immédiatement le passage cité :

Ammonius4 : Boèce5 :
« και εστί το αυτό τη μεν φύσει τη « Respondebo namque idem
εαυτού ένδε/όμενον, τν\ δε γνώσει futurum, cum ad divinarli notio-
τών θεών ούκέτι αόριστον άλλ' ώρίσ- ne r.n refertur, necessarium, cum
μενον. » vero in sua natura perpenditur,

1 Ammonius, p. 136, 25 et suiv.


2 Boèce, Cons, ph., p. 126, 15 et suiv.
3 /bid., p. 131, 12 : « Quaero enim cur illam solventium rationem
minus efficacem pûtes... »
4 Ammonius, p. 137, 1.
5 Boèce, Cons, ph., p. 142, 96.

Mélanges d'Arch. et d'Hist. 1935. 14


210 boèce et l'école d'alexandrik
liberum prorsus atque absolutum
videri. »

C'est donc une analyse plus poussée du mode de connaissance


divin qui permet de résoudre cette antinomie apparente. Ammoniuset
Boèce démontrent longuement que la connaissance est relative au
sujet qui connaît1; si Dieu est l'éternel présent, il peut connaître de
façon déterminée l'événement des futurs contingents :

Amnionius2 : Boèce3 :
« Τούτων ουν ούτως εχόντων, ρη- « Quoniam igitur omne judi-
τέον τους θεούς γινώσκειν μεν πάντα cium secundum sui naturanti
τα γεγονότα και τα όντα καΐ τα έσό- quae sibi subjecta sunt compre-
μενα η μέλλοντα τον θεοΤς προσή- hendit, est autern deo semper ae-
κοντα τρόπον, τούτο οέ έστι μια και ternus ac praesentarius status :
ώρισμέντ) καΐ άμεταβλήτω γνώσει, scientia quoque ej us omnem tem-
διόπερ και των ένδε/ομένοιν περιει- poris supergressa motionem in
ληα<έναι τήν εί'οησιν. » suae manet simplicitate praesen-
tiae infinitaque praeteriti ac
futuri spatia complectens omnia
quasi jam gerantur in sua simpli-
ci cognitione considérât. »

Dira-t-on encore que l'omniscience divine détruit le libre arbitre


en rendant les événements nécessaires? Amnionius et Boèce résolvent
l'aporie en distinguant deux sortes de nécessité :

Ammonius : De interpr. : Consolation :


« Διττον είναι φησι « Duplex modus « Duae sunt ete-
το άναγκαΐον, το μεν necessitatis ostendi- nim necessitates, si m-

1 Boèce, Cons, ph., p. 133, 71 ; 135, HO; 139, 2; 141, 57. Cf. Ammonius,
p. 135, 14 et suiv. Klingner, p. 106 et suiv., a déjà noté ce rapprochement,
mais pense que la source de Boèce est Jamblique, et non pas Ammonius.
2 Ammonius, p. 136, 1.
3 Boèce, Cons, ph., p. 141, 57 et suiv.
boèce et l'école u'alexandrie 211
το απλώς και κυρίως tur : unus qui cum a- plex una, veluti quod
λεγομενον, 'όπερ έστι licujus accidentis ne- necesse est omnes ho-
το άεί υπάρχον τω υπο- cessitate proponitur, mines esse mortales,
κε'.μένω ως ουδέ υφεσ- alter qui simplici altera conditionis, ut
τάναι /ωρις αυτοΰ δυ- praedicatione profer- si aliquem ambulare
ναμένω (του άει ήτοι tur, ut cum dicimus scias, eum ambulare
κατά τον άπειρον γ pò- solenti moveri necesse necesse est ; quod e-
vov λαμβανομένου ώς est... altera vero quae nim quisque novit,
επί των άιδίων , οίον cum conditione dici- id esse aliter ac no-
οταν λέγωμεν έξ άνάγ- tur talis est : ut cum turn est nequit, sed
κης κινεΐσθαι τον η- dicimus Socratem se- haec conditio mini-
λιον... η εως αν υπάρ/η dere necesse est, cum me secum illam sim-
το ύποκείμ,ενον, ώς όταν sedet, et non sedere plicem trahit; hanc
εϊπωμεν έξ ανάγκης necesse est, cum non enim necessitatem
τόδε το πυρ θερμ-òv είναι sedet... sed ista cum non propria facit na-
ή τον Σωκράτην ζωον conditione quae pro- tura, sed conditionis
εΐναι), το δε ου τοιοΰ- ponitur nécessitas adjectio; nulla eniin
τον άλλα μετά μεν προ- non illam simpliceni nécessitas cogit ince-
διορισμου τοΰ εως αν vj secum trahit (non dere voluntate gra-
το κατηγορούμενον υπό enim quicumque se- dientem , quamvis
τοΰ λέγοντος οΰτως αυ- det simpliciter eum eum tu m cum gradi-
10 lyew άληθεΰον, ά- sedere necesse est, tur incedere necessa-
πλώς οεουκέτι, είτε άί- sed cum adjectione rium sit3. »
διον εΓη το υποκείμενον ea quae est : tune cum
εί'τε φθαρτόν * το γαρ έξ sedet2). »
ανάγκης... καθέζεσθαί
σε η βαδιζειν, εως αν τι
τούτων υπάρχη σοι
αληθές, απλώς δε ουκέτι1. »

1 Ammonius, p. 153, 13 et suiv.


2 Boèce, De interpr., ed. sec, p. 241, 1 et suiv.
3 Boèce, Cons, ph , p. 143, 1 et suiv.
212 BOÈCE ET l'ÉCOLE D'ALEXANDRIE
On le voit : non seulement les commentaires d'Ammonius et de
Boèce sont parallèles, mais l'argumentation de Boèce dans le dernier
^ivre de sa Consolation est empruntée au commentaire d'Ammonius
sur le De interpretatione ; une fois môme il l'a cité expressément,
mais sans vouloir livrer le nom de l'auteur, sous la forme vague :
quidam... aiunt1.
Il y a plus : nous croyons pouvoir prouver d'une façon certaine
que les développements du cinquième livre de la Consolation qui
n'ont pas d'équivalent dans le commentaire d'Ammonius sur le De
interpretatione dérivent du commentaire d'Ammonius sur la
Physique.
Qu'on examine le parallèle suivant entre les deux œuvres de
Boèce :
Comm. de interpr.2 : Consolation^ :
« Peripatetici enim, quorum « Aristoteles meus id, inquit,
Aristoteles princeps est... casum in Physicis et brevi et veri pro-
quidem esse in Physicis probant : pinqua ratione definivit. ... Quo-
quotiens aliud quiddam evenit tiens, ait, aliquid cujuspiam rei
per actionem quae geritur quam gratia geritur aliudque quibus-
speratur, illud evenisse casu Pe- dam de causis quam quod inten-
ripatetica probat auctoritas; si debatur obtingit, casus vocatur :
quis enim terram fodiens vel ut si quis colendi agri causa fo-
scrobem demittens agri cultus diens humum defossi auri pon-
causa thesaurum reperiat, casu dus inveniat. Hoc igitur fortuitu
ille thesaurus inventus est, non quidem creditur accidisse : verum
sine aliqua quidem actione (terra non de nihilo est, nam proprias

1 Le rapprochement qui a été fait entre le texte d'Ammonius et celui


de Boèce dispense, croyons-nous, de s'attarder à l'opinion de Klingner,
De cons, ph., p. 97, η. 6, selon laquelle ces quidam désigneraient Origène,
Chrysostome et Jérôme.
2 Meiser, éd. sec, p. 193, 26 et suiv.
3 Peiper, p. 122, 34 et suiv.
boèce et l'école d'alexandrie 213
enim fossa est, cum thesaurus causas habet quaru m improvisus
inventus est), sed non illa erat inopinatusque concursus casum
agentis intentio, ut thesaurus in- videtur operatus; nam nisi cul-
veniretur... » tor agri humum foderet, nisi eo
loci pecuniam suam depositor
obruisset, aurum non esset in-
ventum... »

II serait vain de chercher dans les lignes de la Consolation une


citation précise de la Physique d'Aristote, puisque dans le
commentaire sur le De interpretatione Boèce attribue cette définition du
hasard aux commentateurs péripatéticiens. De fait, s'il est vrai qu'Aris-
tote traite la question du hasard dans sa Physique* , l'exemple du
pot d'or ne se trouve que dans la Métaphysique au chapitre de Γ
accident'1. L'union des deux passages est le fait des commentateurs
d'Alexandrie et apparaît dans les commentaires de Philopon et de
Simplicius sur la Physique d'Aristote3. Dès lors, sachant que ces
commentaires dérivent tous deux du commentaire perdu
d'Ammonius sur la Physique, sachant d'autre part que Boèce lui-même,
antérieurement à la seconde édition de son commentaire sur le De
interpretatione, avait écrit un commentaire sur la Physique11, est-il
trop hardi de présumer que le commentaire perdu de Boèce utilisait
le commentaire perdu d'Ammonius et que les deux passages cités en
proviennent?
Cette présomption se change en certitude, si l'on peut montrer
qu'un autre passage de ce cinquième livre de la Consolation dérive
également du commentaire d'Ammonius sur la Physique. En effet,

1 Aristote, Physique, II, 4-5. Boèce renvoie encore expressément à ce


passage dans ses Comm. in Top. Cic. (Migne, t. LXIV, col. 1152 C etsuiv.).
2 Aristote, Métaphysique, IV, 30, p. 1025 a, 16.
3 Philopon, In Phys. (éd. Vitelli, dans C. A. G., t. XVI), p. 276, 18;
Simplicius, In Phys. (éd. Diels, dans C. A. G., t. IX), p. 337, 25 et suiv.
4 Cf. Brandt, Entstehungszeit..., p. 237.
214 boèce et l'école d'alexandrie
pour saisir ce que peut être la prescience divine, Boèce a été obligé
d'entrer dans une digression sur l'éternité de Dieu comparée à la
condition des choses temporelles; par suite, il nous livre sa pensée sur
un point capital : le problème de l'éternité du monde, qui faisait
alors l'objet de controverses passionnées entre chrétiens et païens, au
sein même de l'école d'Alexandrie.
Le point de départ de la discussion est la phrase du Timèe où
Platon déclare que le monde est engendré, mais ajoute qu'il est né avec
le temps. Proclus nous apprend, dans son commentaire sur le Ti-
mèe\ que les néo-platoniciens n'étaient pas d'accord pour
l'interprétation de ce passage : Plutarque, Atticus et beaucoup d'autres
considéraient cette genèse comme temporelle, mais Plotin, Porphyre,
Jamblique, auxquels se rallie Proclus, veulent que Platon n'ait cru
qu'à une genèse causale, non à une genèse temporelle du monde :
Platon dit que le monde est engendré, parce qu'il a une cause, mais
ne croit pas qu'il soit né dans le temps; il lui attribue, au contraire,
une infinie durée2. Au reste, Proclus distingue soigneusement cette
infinie durée (άιδιότης), qu'il attribue à l'univers, de l'éternité divine
(aiojvtov), qui est hors du temps3.
Boèce, à plusieurs reprises, touche cette question et précise peu à
peu sa doctrine et son vocabulaire : dans le commentaire sur Y
Isagoge, il emploie perpetuitas et aeternitas comme synonymes4; dans
le commentaire sur le De interpretatione, il applique les épithètes
sempiternus et immortalis aux corps célestes et déclare suivre en cela
les Péripatéticiens3 ; dans les Opuscules théologiques, il distingue

1 Proclus, In Tim. (éd. Diehl), t. I, p. 276, 30 et suiv.


2 Ibid., p. 286, 20 et suiv.
3 Ibid., p. 238, 15 et suiv. Cf. J.-F.-A. Berger, Proclus, exposition de
sa doctrine (Thèse, 1840), p. 73.
4 Boèce, In Isag. (éd. Brandt), p. 257, 6. Cf. E. K. Rand, Der dem Boe-
thius zugeschriebene Traktat de fide catholica, dans Jahrb. für classische
Philologie, Suppl. XXVI (1901), p. 438 : Anmerkung über die Chronologie
der Werke des Boethius.
5 Boèce, De interpr., ed. sec, p. 412, 6, et 414, 19. Cf. l'index au mot :
sempiterna = τα ά tòta.
boèce et l'école d'alexandrie 215

déjà la sempitemitas ou durée infinie qui, selon les philosophes, peut


se dire du ciel et des autres corps immortels, de Y aeternitas divine
qui est hors de la durée1 ; enfin la Consolation reprend et développe
longuement la distinction entre la durée infinie ou perpétuité, qui est
l'apanage du monde, et l'éternité, qui est réservée à Dieu : « Quod igi-
tur temporis patitur conditioner!!, licet illud, sicuti de mundo cen-
suit Aristoteles, nec coeperit umquam esse nec desinat vitaque ejus
cum temporis inimitate tendatur, nondum tamen tale est, ut aeter-
num esse jure credatur... Itaque si digna rebus nomina velimus ini-
ponere, Platonem sequentes deu m quidem aeternum, mundum vero
dicamus esse perpetuum2. »
On le voit, la théorie de Boèce semble bien dériver de celle de
Proclus, mais sa citation d'Aristote nous avertit qu'il y a entre eux
comme intermédiaire un commentaire sur la Physique ou le De
coe/o. Quel est cet intermédiaire? Nous allons pouvoir le préciser
très exactement grâce au passage où Boèce combat ceux qui
critiquent cette théorie : « Unde non recte quidam qui, cum audiunt
visum Platoni mundum hunc nec habuisse initiurn temporis nec ha-
biturum esse defectum, hoc modo conditori conditum mundum fieri
coaeternum putant3. » Qui sont ces quidam? On pense d'abord au
gros traité de Jean Philopon, Κατά των Πρόκλου χέρι άιδιότητος κόσμου
έπιχείρημάτιον. Le principal argument de Philopon. contre Proclus
est, en effet, qu'il rend le monde coéternel (συναΐδιος) à Dieu, ce qui
est attentatoire à la majesté divine et contraire a la pensée de
Platon selon lequel le monde est engendré4. Il va sans dire que ce re-

* Boèce, Opusc. theol. (éd. Peiper), p. 158, 60 et suiv.


- Boèce, Cons, ph., p. 139, 17, et 141, 55. Notons que le traducteur
byzantin de la Consolation, Maxime Planude, confirme l'équivalence des
termes chez Proclus et Boèce, puisqu'il a traduit aeternum par αϊώνιον et
perpetuum par άίδίόν (éd. Bétant, p. 114).
3 Boèce, Cons, ph., p. 140, 30 et suiv.
4 Philopon, De aeternitate mundi, éd. Rabe, p. 14, 10 et suiv. Cf.
l'index au mot συναΐδιος. Klingner, De cons, ph., p. 108 et suiv., croyait que
ces quidam désignaient saint Augustin.
216 boèce et l'école d'alexandrie
proche est injuste, puisque Proclus se garde bien d'employer le mot
συναΐδιος et distingue soigneusement Γάιδιότης temporelle du mond#
et Γαιών divin. On serait donc tenté de croire que Boèce s'en prend i£i
à Philopon, si l'on ne savait que le traité de Philopon fut écrit/ à
Alexandrie en 529, cinq ans après la mort de Boèce1.
Un précieux document permet par bonheur de connaître la sour)ce
de Boèce et le personnage auquel s'adressent ses critiques : c'est Ile
traité de Zacharias de Mitylène intitulé 'Αμμώνιος · ότι ου συνα'ίοιοςτω
Θεω Ό κόσμος, άλλα δημιούργημα αύτου τυγχάνει. Ce curieux libelle
reproduit une discussion que le chrétien Zacharias fit éclater au cours
d'Ammonius d'Alexandrie, en 486, alors qu'Ammonius expliquait la
Physique d'Aristote2. A propos d'un passage de la Physique
concernant le ciel, Ammonius avait développé la thèse de la perpétuité du
monde, dirigée contre les chrétiens; Zacharias, alors, le prend à
partie, engage une longue discussion et finit, dit-il, par mettre de son
côté la plupart des élèves d'Ammonius. Il ne faudrait pas croire que
tout est historique dans ce récit; l'intention apologétique y est trop
évidente; de plus, M. Cumont a montré que Zacharias n'hésitait pas
à mettre dans la bouche d'Ammonius des phrases textuelles de Phi-
Ion le Juif3; il utilise aussi pour sa réfutation le traité d'Aeneas de
Gaza4. D'une façon générale, il prend Ammonius comme le type des

1 Philopon, De aeternilate tnundi, p. xii et 579, 14.


2 Cf. Zacharias, Ammonius (Migne, P. G., t. LXXXV, col. 1028 Α-B et
1057 B). La date de 486 est obtenue par le calcul suivant : Zacharias est
censé instruire un jeune étudiant à Béryte lorsqu'il lui narre la discussion
qu'il a eue l'an passé (col. 1021 C : πέρυσι) avec Ammonius, récemment
installé à Alexandrie (col. 1020 A). Or, Ammonius est venu d'Athènes à
Alexandrie en 485, à la mort de Proclus, et Zacharias est arrivé au plus
tard à Béryte en octobre 487 (sur ce point, voir Kugener, La compilation
historique de Pseudo- Zackarie le rhéteur, dans Revue de l'Orient chrétien,
t. V (1900), p. 205). La discussion ayant eu lieu l'été (col. 1028 B), il ne
peut s'agir que de l'été 486, ou peut-être 487.
3 Philonis de aeternitate tnundi, éd. Cumont (Berlin, 1891), p. xn et
suiv.
4 Cf. Démosthène Roussos, Τρεις Γαζαΐοι (Constantinople, 1893), p. 50 et
52 et suiv.·
BOÈCE ET L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE 217

maîtres païens qui ont soutenu que le monde n'a pas un


commencement temporel et il traite la question dans toute son ampleur. Mais,
sur les circonstances dans lesquelles s'est engagé le débat, Zacharias
nous donne des renseignements trop précis et qui cadrent trop bien
avec ce que nous savons de sa vie, pour que l'anecdote ne soit pas
historique. Du reste, nous pouvons vérifier qu'A mmoniu s soutenait,
en effet, la perpétuité du monde. Non seulement il est naturel que ce
disciple de Proclus ait repris exactement les théories de son maître
dont il suivait encore les cours à Athènes l'année précédente, mais
une phrase de son commentaire sur le De intet'pretatione, où il
appelle les dieux τών μεν άιδίων ουσιών αίτιους..., των δε γεννητών προαι-
τίους1, confirme qu'il appliquait le terme άίοιος aux choses célestes.
Enfin et surtout nous pouvons nous faire une idée très précise de ce
que contenait le commentaire d'Ammonius sur la Physique par le
commentaire de Simplicius qui le plagie. Or, le passage de la
Physique où Aristote critique Platon d'avoir écrit que le monde et le ciel
étaient engendrés fait chez Simplicius l'objet d'un long
développement : il s'efforce de prouver qu'Aristote et Platon, s'ils diffèrent
dans les termes, sont d'accord pour penser que le monde a une cause,
mais qu'il est infini dans le temps; une fois de plus est reprise la
distinction entre άίξιος et αιώνιος2. Nous pouvons être sûrs que le
commentaire d'Ammonius, au môme endroit, contenait un
développement analogue qui fut le point de départ de sa discussion avec
Zacharias. Mais, comme Philopon pour Proclus, Zacharias déforme
sans vergogne la pensée d'Ammonius et lui fait soutenir la théorie
de la coéternité : Γεγενήσθαι μεν λέγων (τον ούρανόν), κατ' αίτίαν δε
μόνον, συναίδιον είναι τω χεποιηκότι, και ούκ αν ποτέ φθαρήναι τόδε το -αν3.

1 Ammonius, De interpr., p. 13β, 4.


2 Simplicius, In Phys. (éd. Diels, dans C. A. G., t. X), p. 1154 et 1155
(notamment 1. 13 et suiv.), commentant Aristote, Physique, p. 251 b, 17.
Boèce, on l'a vu, cherche également à montrer l'accord d'Aristote et de
Platon; Zacharias, au contraire, dans sa discussion contre Ammonius,
met en relief leur désaccord fondamental (col. 1108 A).
3 Zacharias, col. 1022 B.
218 boèce et l'école d'alexandrie

C'est contre ce reproche de rendre le monde coéternel à Dieu que


proteste Boèce. Et, quoique chrétien, il reprend très exactement la
théorie d'Ammonius qui avait paru si dangereuse à ses élèves chrétiens
Zacharias et Philopon :

Ammonius, in Phys.f : Boèce2 :


« Ε»! γαρ έν χρόνω γέγονε τόδε το « Neque Deus conditis rebus
παν, και δεύτερον έστι του Δημιουρ- antiquior videri débet temporis
γοΰ, ου τη άξια (τοΰτο γαρ και quantitate, sed simplicis potius
ήμεΐς συνορ.ολογου[χεν), άλλα τω proprietate naturae. »
χρόνω, ώς εκ μεταμέλειας δ Θεός
επί τήν τούτου δημιουργιαν δδευσας
φαίνεται. »

Ainsi le cinquième livre de la Consolation s'inspire tout entier,


croyons-nous, des commentaires d'Ammonius sur le De interpreta-
tione et la Physique qui étaient déjà la source des commentaires
correspondants de Boèce. Il nous permet de déterminer la place exacte
de Boèce dans l'école d'Alexandrie.

Nous croyons donc possible de préciser le milieu sous l'influence


duquel s'est développée la pensée de Boèce : il fait peu de cas des
traducteurs et commentateurs latins qui l'ont précédé; s'il les a connus,
il ne les a guère utilisés ; le fait qu'il substitue sa propre traduction
de Y Isagoge à celle de Marius Victorinus est significatif. En ce sens,
Boèce a le droit de dire qu'il apporte quelque chose de neuf au monde
latin. Il en est fier; il se rend compte, lui qui sait le grec, qu'il
travaille pour un monde qui commence à l'ignorer.
En revanche, par rapport aux commentateurs grecs, il fait figure
non de novateur, mais de disciple fidèle et d'imitateur consciencieux.
Il n'est qu'un numéro dans la série des commentateurs qui, depuis

1 Ammonius, in Phys., ap. Zachar., col. 1032 A.


2 Boèce, Cons, ph., p. 140, 37.
boèce et l'école d Alexandrie 219

Porphyre, se sont préoccupés de mettre Aristote à la portée d'un pu-


hlic étendu. Il a connu directement presque tous les commentaires
d' Aristote et il les cite; c'est même par ses seules citations qu'un
grand nombre sont connus. Mais, alors qu'il ne cite pas les plus
récents, l'examen auquel nous nous sommes livré montre que, parleur
méthode comme par leur contenu, ce sont eux que les commentaires
de Boèce utilisent le plus : ils s'inspirent nettement des
commentaires d'Ammonius et portent la marque de son école alexandrine :
mêmes procédés de classification ; mêmes tendances pédagogiques ;
mêmes figures pour faciliter l'intelligence du texte d'Aristote;
souvent, enfin, emprunts littéraux. Mais ce n'est pas tout : les vers grecs
que Boèce cite dans la Consolation indiquent une culture littéraire
issue de l'école d'Ammonius; et les théories les plus chères au cœur de
Boèce, celles qu'il réserve pour le dernier livre de la Consolation,
celles aussi qui touchent aux plus graves problèmes de la
philosophie et de la foi, il les tient encore d'Ammonius; bien plus, lui
chrétien, il n'hésite pas à mentionner jusque dans ses Opuscules thèolo-
gùjues et à adopter, pour son propre compte, le dogme de la
perpétuité du monde, professé par le païen Ammonius, mais ardemment
combattu par ses élèves chrétiens Zacharias et Philopon.
Nous inclinons donc à croire, malgré l'absence de renseignements
historiques sur ce point1, que Boèce a appris le grec et reçu sa cul-

{ Un seul texte fournit peut-être une piste : YHistoire ecclésiastique de


Zacharias mentionne (éd. Brooks, Louvain, 1924, dans Corpus scriptorum
christianorum orientalium, Scriptores Syri, ser. III, t. V, p. 218, 19, et
trad. p. 151, 17) l'existence d'un Boetios, préfet d'Alexandrie, sous le
patriarcat de Timothée Elure revenu d'exil, donc entre novembre 475 et
juillet 477 (cf. Duchesne, Histoire ancienne de l'Église, t. III, p. 490-499).
On s'expliquerait que Boèce, né, selon les divers auteurs, entre 475 et 482,
ait été élevé à Alexandrie, si l'on pouvait identifier ce Boetios avec son
père. Voici les indices favorables à cette identification :
La traduction syriaque de Zacharias suppose le texte grec Βοέτιος, oar
l'iota est attesté par le texte syriaque. La correction en Βοηθός faite par
Cantarelli {La serie dei prefelli di Egitto, dans Alti della R. Accademia
dei Lincei, serie V, t. XIV (1909), p. 405) est donc purement arbitraire,
220 boèce et l'école d'alexanprie

ture philosophique non pas à Rome, mais à Alexandrie. L'école


païenne d'Ammonius était, en effet, le rendez-vous d'une foule de

comme le juge avec raison Maspero dans R. E. G., t. XXVIII (1915),


p. 62. Or, le nom Βοέτος ne semble attesté que chez Procope où il s'agit
de notre Boèce {De bello Gothico, éd. Haury, t. II, p. 9, 13; 10, 9; 11, 4;
389, 9 et 20).
De plus, la charge de préfet d'Egypte menait souvent à la préfecture
du prétoire : tels Anthémius, préfet d'Egypte en 477 et préfet du prétoire
en 496, Eustathe, préfet d'Egypte en 501 et préfet du prétoire en 505, Hé-
phaestos-, préfet d'Egypte sous Justinien et préfet du prétoire en 551. Or,
le diptyque de Brescia nous apprend que le père de Boèce fut préfet du
prétoire.
Mais un Occidental comme le père de Boèce pouvait-il être nommé
préfet d'Egypte par l'empereur d'Orient et poursuivre ensuite sa carrière en
Occident? Le cas ne serait pas unique : Artémidore nommé praefectus
urbi par Théodoric venait de la cour de Byzance (cf. Cassiodore, Variae,
I, 43). Un certain Sévère, consul en 470, s'était réfugié à Alexandrie après
le massacre d'Anthémius par Ricimer en 472 (Damascius, Vie d'Isidore,
dans Photii Bibliotheca, 340 a). Le père de Boèce ne peut-il avoir été dans
le même cas et avoir été nommé dans ces circonstances préfet
d'Alexandrie par l'empereur d'Orient? Les attaches des Boèce avec les empereurs
d'Orient sont très nettes : la nomination du père comme consul sans
collègue en 487 est ratifiée par Byzance; de même est ratifié le consulat du
fils en 510; enfin, la nomination des deux fils de celui-ci comme consuls
en 522 est notée par Mommsen (Ostgothische Studien, dans Neues Archiv,
t. XIV (1889), p. 244) comme une preuve de la faveur tout à fait
exceptionnelle dont jouissait Boèce auprès de l'empereur Justin. Ajoutons que
son beau-père, Symmaque, avait également été reconnu par l'Orient
comme consul sans collègue en 485, savait le grec et était allé à Byzance
où Priscien lui dédia trois traités. Enfin, n'oublions pas que Boèce et
Symmaque furent mis à mort par Théodoric sous l'inculpation d'avoir
intrigué contre lui avec l'empereur d'Orient.
Une dernière difficulté que rencontre cette identification ne semble pas
insoluble : Zacharias nous apprend que le Boetios d'Alexandrie était eu-
tychien; Boèce, au contraire, a écrit un traité Contra Eutychen et Neslo-
rium, dont Y Anecdo ton Holderi confirme l'authenticité. Mais certaines
expressions, qui avaient fait douter de l'authenticité, ne s'expliquent que si
Boèce a été nourri antérieurement d'idées eutychiennes : il se déclare
bouleversé par l'étrange nouveauté de la définition catholique (éd. Pei-
per, p. 186, 11 : « cujus dicti novitate percussus ») et ajoute : « Tandem
igitur patuere pulsanti animo fores et veritas inventa quaerenti omnes
nebulas eutychiani reclusit erroris » (éd. Peiper, p. 187, 34). Ces paroles
s'expliquent dans notre hypothèse, selon laquelle Boèce serait le fils du
boèce et l'école d'alexandrie 221

jeunes étrangers, même chrétiens1; à Rome, au contraire, on ne


trouve plus trace d'un enseignement philosophique à cette époque.
A supposer qu'il y en eût ou que Boèce fût un autodidacte
travaillant dans sa bibliothèque2, comment aurait-il pu se procurer et
s'assimiler si rapidement, sans être allé lui-même à Alexandrie, les cours
d'Ammonius qui venaient seulement de paraître? Enfin, les propres
paroles de Boèce dans la Consolation semblent indiquer qu'il a été
élevé au sein d'une école de philosophie grecque3.
Quoi qu'il en soit, un fait est certain : c'est que Boèce transmet au
monde occidental la pensée des commentateurs alexandrins les plus
récents. Le fait est important, car il ne s'agit pas d'une tentative
isolée. A la même époque, Symmaque, le propre beau-père de Boèce qui
lui avait dédié son premier livre de traductions4, commande
plusieurs ouvrages à Priscien, professeur de langue latine à Byzance ; la
dédicace de Priscien nous indique la pensée profonde de Symmaque :
« ... de figuris, sicut jussisti, numerorum breviter collecta demons-
trabo et de nummis vel ponderibus, praeterea de Terentii metris,
necnon etiam de praeexercitamentis rhetoricis, quae Graeci progym-

Boetios eutychien d'Alexandrie : il s'agirait d'une conversion récente. Au


contraire, elles s'expliquent mal si Boèce a été élevé à Rome, où le pape
Gélase I'1' venait de définir la position catholique en cinq livres Adver-
sus Neslorium et Eutychem, à ce que rapporte la notice du Liber
Pontifica lis.
Néanmoins, il ne faut pas se dissimuler la fragilité de to ut cet
échafaudage d'hypothèses.
1 Sur les rapports entre païens et chrétiens dans les dernières écoles
d'Alexandrie, cf. Zacharias le Scholastique, Vie de Sévère, dans Pair. (Jr.,
t. II; Praechter, Christlich-neuplatonische Beziehungen, dans Byzantinische
Zeitschrift, t. XXI (1912), p. 1-27; Maspero, Horapollon et la fin du
paganisme égyptien, dans Bulletin de l'Institut d'archéologie orientale, t. XI
(1914), p. 184 et suiv.
2 Voir Cons, ph., éd. Peiper, p. 10, 7, et 19, 20.
3 Ibid., p. 5, 36 : « eleaticis et academicis studiis innutritum » ; p. 8,
4 : « respicio nutricem meam cujus ab adulescentia laribus obversatus
fueram Philosophiam »; p. 28, 38 : « Nonne adulescentulus Ποιους πίθου;,
τον μεν ένα κακών, τον δε έτερον εάων in Jovis limine jacere didicisti? »
4 Boèce, Institutio arithmetica, éd. Friedlein, p. 3.
222 BOÈCE ET L'ÉCOLE D'ALEXANDRIE
nasta vocant, quoniam diligentius ea sophistae juniores, quos sequi-
mur, aptioribusque divisionibus ad exercendos juvenes ad omne rhe-
toricae genus exposuisse creduntur1. » Le but de Symmaque,
lorsqu'il faisait sa commande à Priscien, était donc de rendre accès- ,
sibles aux jeunes Romains les plus récents travaux des écoles
grecques dans le domaine de la grammaire et de la rhétorique. Cette
œuvre est exactement celle que Boèce réalisait alors, sans doute à
l'instigation de Symmaque, dans le domaine de la philosophie
dialectique.
L'idée ne devait pas être perdue : dix ans après la mort brutale de
Boèce et Symmaque, Cassiodore, avec le concours du pape Agapit,
essayait de fonder une sorte d'université chrétienne qui rappelât
celles d'Alexandrie et de Nisibe2. Quand le projet eut échoué par le
malheur des temps, il rédigea du moins, à l'usage de ses moines de
Vivarium, une somme qui condense les derniers résultats de la
science religieuse et profane de son temps et préconise tout un
programme de lectures. Or, dans le chapitre de ces Institutionen qui est
consacré à la dialectique, Cassiodore ne se contente pas de résumer
l'œuvre logique de Boèce et d'en conseiller la lecture : il connaît
encore les commentaires d'Ammonius et, sans le citer, en transcrit
textuellement tout ce qui concerne la définition et les subdivisions de la
philosophie3.

1 Priscien, Opera minora, dans Grammatici latini ex recensione /Jen-


rid Keilii, t. HT, p. 405.
2 Cf. H. -I. Marrou, Autour de la bibliothèque du pape Agapit, dans
Mélanges de l'École de Home, t. XLVIÏI (1931), p. 128.
3 Le tableau Divisio philosophiae de Cassiodore (Migne, P. L·., t. LXX,
col. 1167 C) reproduit jusque dans les détails la division d'Ammonius, /n
/sag., p. 11, 6. Les définitions de la philosophie sont également tirées
d'Ammonius :
Cassiodore, col. 1167 D : Ammonius, In /sag. :
« Philosophia est divinarum hu- P. 3, 3 : φιλοσοφία ΙστΙ θείων τε
manarumque rerum... probabilis και ανθρωπίνων πραγμάτων γνώσις.
scientia; aliter philosophia est ars P. 6, 27 : φιλοσοφία εστί τέχνη τεχ-
boèce et l'école d'alexandrie 223

Ainsi, par la volonté de Boèce et de Cassiodore, tout le travail


logique de la dernière école païenne d'Alexandrie allait faire
autorité parmi les moines d'Occident, qui en avaient oublié l'origine.
Pierre Gourcelle.

artium et disciplina disciplinarum. νών και επιστήμη επιστημών.


Rursus, philosophia est meditatio P. 4, 15 : φιλοσοφία εστί μελέτη Οα-
mortis... Philosophia est assimilari νάτου.
Deo secundum quod possibile est P. 3, 7 : φιλοσοφία εστί όμοίωσι?
nomini. » ®εΦ κατά το δυνατόν άνθρώπω.
Il faut noter que tout le passage est introduit par les mots : « Consue-
tudo itaque est doctoribus philosophiae, antequam ad Isagogen veniant
exponendam, divisionem philosophiae paucis attingere » (col. 1168 B). La
référence au prologue du commentaire d'Ammonius sur Y Isagoge est
évidente. Boèce, au contraire, omettait les définitions et modifiait
légèrement la division proposée par Ammonius.

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