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Annales littéraires de l'Université

de Besançon

Salve lucrum ou L'expression de la richesse et de la pauvreté chez


Plaute
Monique Crampon

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Crampon Monique. Salve lucrum ou L'expression de la richesse et de la pauvreté chez Plaute. Besançon : Université de
Franche-Comté, 1985. pp. 5-371. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 319);

doi : https://doi.org/10.3406/ista.1985.2592

https://www.persee.fr/doc/ista_0000-0000_1985_mon_319_1

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CENTRE DE RECHERCHES D'HISTOIRE ANCIENNE

Volume 63

Monique CRAMPON

SALVE LUCRUM

OU

L'expression de la richesse
et de la pauvreté chez Plaute

Annales Littéraires de l'Université de Besançon, 319


Les Belles Lettres, 95, boulevard Raspail - 75006 PARIS
1985
Maison de Siricus

Vestibule . Salve lucrum


AVANT-PROPOS

I Les objectifs

Noua avons voulu étudier le vocabulaire de la richesse et de la


pauvreté tel qu'il se présente dans le corpus le plus ancien de la langue
latine qui ait une certaine ampleur , c'est-à-dire dans les comédies de Plau-
te. Notre démarche est à la fois limitée et ambitieuse. Limitée parce que
nous nous attachons constamment au corpus annoncé , seuls extrapoler c'est-
à- dire que nous nous interdisons de recourir aux textes postérieurs. Ce
faisant , nous éliminons de notre recherche l'aspect diachroaique pour
réserver toute notre attention au corpus considéré. Mais notre démarche est
ambitieuse en ce qui concerne la méthode. En effet, cette étude synchroni-
que est menée selon des critères scientifiquement reconnus, ceux de la
décomposition sémique , comme l'explique en détail notre introduction
méthodologique. Quels sont les avantages et les inconvénients de notre choix ?
Il nous semble que le recours à un corpus limité évite les
dispersions et entraîne une plus grande rigueur scientifique. Nous verrons par
ailleurs que dans ce corpus se trouvent examinés tous les emplois et pas
seulement ceux qui seraient jugés les plus significatifs , de sorte que
l'étude est menée à partir d'un nombre non négligeable de données. Quant
à la méthode de décomposition de la signification en éléments minimaux,
elle découle , à notre avis , du premier choix opéré : puisque le corpus
est délimité de façon très nette , les emplois sont en situation , c'est-
à-dire entourés d'un contexte donné , par conséquent la signification
précise de chacun de ses emplois peut être dégagée de façon assez exacte, en
fonction de cet environnement et non en relation avec d'autres éléments
comme l'étymologie par exemple (1).
Une telle recherche qui se limite à un corpus donné présente donc
l'avantage d'aboutir à des faits de langue très précis mais comporte aussi
l'inconvénient de ne pas déboucher sur une étude diachronique qui serait
ici l'évolution d'emploi des vocables en question. Cette étude d'histoire
des mots serait possible à l'issue de divers travaux dont chacun proposerait
de semblables coupes dans d'autres corpus postérieurs, échelonnés dans le
temps.
Notre propos est donc d'étudier les divers termes de richesse et de
pauvreté tels qu'ils apparaissent dans les comédies de Plaute. Nous les
avons répertoriés et nous avons analysé leur signification en essayant de
mettre l'accent sur les écarts de sens que présentent des termes par
ailleurs voisins tels quo diues et opulentus , ou egens et inops.
Mais nous avons vite constaté que les notions de richesse et de
pauvreté pouvaient aussi être exprimées par des vocables qui ne sont pas
spécialisés dans ce domaine , ainsi par le biais de litotes ou d'images. Il
nous a semblé fâcheux de laisser de côté ces faits de langue
particulièrement évocateurs de la manière dont on se représentait à l'époque le riche
et le pauvre. D'autant plus que dans la série des images des éléments auss
importants que le thème de l'éclat ou celui de la plénitude se retrouvent
dans la signification intrinsèque de certains mots appartenant au champ de
la richesse comme luculentus ou beatus. Suit donc la d«>· -:ription propremen
lexicale des termes en situation une étude qui pourrait être qualifiée de
stylistique puisqu'elle examine les emplois imagés de ces divers vocables
notamment dans les expressions antithétiques.
Ainsi notre premier objectif, l'examen d'un vocabulaire précis ,
devient , grâce au style de l'auteur , l'étude d'une réalité plus vaste ,
l'expression de la possession chez Plaute.
Avec la désignation du riche et du pauvre , les liens qui existent
entre le riche et son bien font partie intégrante de notre sujet. Or
l'étude approfondie de ces rapports entre le possesseur et le bien possédé,
étude constamment menée par des moyens strictement linguistiques, permet
de mettre en lumière l'étroitesse du lien tissé entre l'homme et son bien
dans le corpus plautinien. Le bien possédé est en effet considéré par son
possesseur comme un être cher , un ami , voire une partie de lui-même ...
C'est cette assimilation progressive entre l'homme et son avoir ( qui
devient alors son être ) qui permet de comprendre l'amour du bien tel qu'il
apparaît dans le théâtre de Plaute et que nous avons voulu souligner en
choisissant comme titre une expression qui n'est pas plautinienne mais
qui correspond à l'état d'esprit sous- tendu par les données linguistiques
de notre corpus , SALVE LVCRVM , inscription remarquée sur le seuil d'une
des maisons de Pompéi (2) .
- 9 -

Cet appétit de possession et cet amour du bien possédé peuvent-ils


être interprétés en relation avec le contexte socio-économique de l'époque?
Il convient ici de se poser plusieurs questions relatives au genre théâtral
que nous avons choisi d'examiner et touchant aux conditions dans lesquelles
est née la palliata à Rome.
En effet , le discours théâtral en général ne saurait être qualifié
de réaliste au m6*me titre qu'un plaidoyer par exemple. Le langage théâtral
correspond, on le sait , au moins à trois fonctions , la représentation
des réalités, l'expression du personnage qui parle et la communication
puisqu'il s'adresse à un interlocuteur , sans compter ce que l'auteur dit
directement aux spectateurs. Une telle complexité rend donc difficile
l'évaluation du réalisme dans le discours plautinien , d'autant plus que ce
discours est comique , c'est-à-dire avant tout destiné à faire rire le
public en lui montrant éventuellement le contraire de la réalité (3) ·
De plus , Plaute s'est inspiré de modèles grecs aujourd'hui perdus
et il est pratiquement impossible de distinguer ce qui est proprement
plautinien de ce qui est le reflet du donné grec.
Dans ces conditions , il s'avère totalement illusoire de fournir une
interprétation d'ensemble aux faits linguistiques et stylistiques qui se
trouvent dégagés. Contrairement aux études portant sur des textes réalistes,
qui peuvent être confrontés avec des documents contemporains (k) , nous ne
pouvons ici que formuler de prudentes affirmations qui restent au niveau
des généralités. Il est possible ainsi que cet appétit de possession qui
s'exprime dans la palliata corresponde à la période d'enrichissement de
Home consécutive aux conquêtes (5) · Mais nous ne pouvons aller plus loin
dans notre investigation car ce désir profond du bien qui devient l'être
même du possesseur pourrait aussi être un phénomène universel et nous
touchons alors le domaine de l'anthropologie.
- 10 -

II Etat de la question
II faut maintenant situer notre étude parmi les travaux qui se sont
donné pour tâche d'examiner des sujets proches de celui de la possession
chez les auteurs latins de l'époque républicaine.
Nous relevons d'abord des études un peu anciennes , ainsi une
dissertation de W. Meyer : Laudes Inopiae , Diss. Gottingen , 1915 ,8^ p.,
ou des articles assez rapides , comme celui de V.d'Agostino : Sul concet-
to di povertà e di richezza negli scrittori antichi , Rivista di Studi
Classici, Τ V, 1957, p. 236-2V7 , ou encore des travaux assez ambitieux
et traitant d'une manière un peu superficielle de très vastes problèmes,
comme l'ouvrage de P.Shaner Dunkin : Post aristophanic comedy, Studies
in the social outlook of middle and new comedy at both Athens and Rome,
Urbana , The University of Illinois Press, 192 p.
Si nous considérons maintenant les études plus récentes traitant
de l'expression des problèmes sociaux sous la République , nous devons
mentionner avant tout l'ouvrage de J. Hellegouarc'h : Le Vocabulaire
Latin des relations et des partis politiques sous la République (Paris
Les Belles-Lettres , 1972 ) . Dans cette étude très documentée et dont
le sujet par son ampleur dépasse notre champ d'investigation réduit à
la richesse et à la pauvreté , nous rencontrons de nombreux termes
classés dans le vocabulaire social et politique mais qui font également
partie du lexique de la possession ainsi diues et diuitiae , opulentus,
locupletee , pauperes ... Cela n'est d'ailleurs pas surprenant puisque
chez les Anciens richesse et puissance politique ont partie liée ,
notamment à cause de la gratuité des magistratures (6). Toutefois , la
démarche de J. Hellegouarc'h est assez différente de la nôtre puisque son
propos est de situer tous ces termes dans un contexte politique donné , celui
de la République et notamment celui de l'époque cicéronienne.
En 1968 , une thèse de Doctorat d'Université a été soutenue à la
Faculté des Lettres de Strasbourg par P. Brind 'Amour sur : La Richesse et
la Pauvreté chez Plaute et Térence . Cette étude , même si elle examine les
termes de possession , réserve toutefois la plus grande part à l'aspect
littéraire de la question . L'auteur montre en effet comment "Plaute a
exploité pour lui-même et pour son public les éléments sociaux que lui permettaient
ses modèles grecs " (7)· Ainsi , comme la visée de P. Brind 'Amour est
essentiellement àirschronique , le tableau synchronique de l'expression de
la possession no peut être traité avec toute l'ampleur qu'il mérite ,
notamment dans ses aspects thématiques.
Enfin , en décembre 1980 , L. Nadjo a soutenu une thèse de Doctorat
d'Etat sur : L'argent chez Plaute , Etude d'un vocabulaire technique et
de son utilisation littéraire chez les comiques et satiriques latins de
l'époque républicaine . Dans cet ouvrage , L. Nadjo ne pratique pas
l'analyse sémique des différents termes désignant l'argmt ni ne considère les
prolongements thématiques de leurs emplois mais étud.e de façon
traditionnelle , notamment par le recours à l'étymologie , les vocables latins et
grecs qui , dans la palliata , ont trait à l'argent.
Ainsi nous nous trouvons devant deux sortes d'ouvrages : les uns
s'attachent , du point de vue de la littérature et tout particulièrement
de l'histoire littéraire , à éclairer la position de Plaute et de Térence
dans le domaine social , les autres étudient un vocabulaire plus ou moins
vaste qui concerne , de près ou de loin , le thème de l'argent. A quoi
bon dès lors consacrer une nouvelle étude à un sujet déjà traité et de
deux manières différentes ?
Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour justifier la démarche
que nous entreprenons .
D'abord notre ouvrage a l'ambition de traiter d'une manière plus
exhaustive la description lexicologique abordée de manière
nécessairement rapide dans la thèse de P. Brind 'Amour . En effet , pour donner un
exemple , dans notre travail , chaque terme est étudié avec toutes ses
occurrences , et pas seulement avec celles qui sont jugées les plus
significatives. Notre étude sera donc sur ce point plus approfondie (8).
Ensuite , pour légitimer notre démarche par rapport aux ouvrages
axés essentiellement sur le vocabulaire , nous répondrons d'abord que
notre étude est menée selon des critères scientifiquement reconnus , ceux de
la décomposition sémique . D'autre part , notre description des champs
- 12 -

sémantiques nous a conduite à reconnaître de vastes ensembles orientés


autour d'un thème . Ainsi la description purement lexicologique cède le pas
à l'étudo des représentations et ce , à partir de données stylistiques ,
ensentiellement par le biais des images. Or une telle démarche n'avait
jamais été entreprise , dans ce domaine du moins (9) ·
Al?

INTRODUCTION METHODOLOGIQUE A L'ETUDE DU VOCABULAIRE


DE LA RICHESSE ET DE LA PAUVRETE CHEZ PLAUTE

Une étude qui se fixe pour but la description d'un vocabulaire


donné est ordinairement constituée d'un inventaire des termes
appartenant à ce vocabulaire et d'un examen de leur signification
Quelle sera précisément la méthode adoptée dans le relevé des
termes ? Dans le vocabulaire que nous avons choisi d'examiner , le
relevé des termes est assez délicat et cela pour deux raisons. D'une
part, il s'agit d'une langue apprise et non de la langue maternelle
et , qui plus est , d'une langue qui n'est plus parlée aujourd'hui
bien qu'elle nous soit familière puisque le latin fait partie de
notre patrimoine culturel occidental et que nous disposions pour
l'étudier d'un nombre considérable de textes. Parmi ceux-ci, nous avons
choisi un ensemble cohérent , les comédies de Plaute. D'autre part,
les notions de richesse et de pauvreté que nous avons décidé
d'examiner sont des abstractions et le rôle de la subjectivité et de
l'intuition sera forcément assez important dans l'établissement de la
liste des termes à retenir (10).
Pour la seconde démarche , l'étude de la signification , il
nous a paru opportun d'adopter la méthode analytique de
décomposition de la signification en éléments distinctifs (11). Le choix de
cette méthode entraîne l'adoption d'une terminologie que nous nous
efforcerons de rendre à la fois simple et efficace. Ainsi ,pour les
éléments minimaux de signification , nous reprendrons l'appellation
presque constante chez les linguistes de sàmes. Ces sèmes entrent
ea combinaison dans des unités lexicologiques appelées lexèmes (12).
La décomposition de la signification a été en particulier utilisée
par B. Pottier, notamment avec l'exemple bien connu de la série des
sièges (13)·
Comment peut-on en latin exploiter cette méthode et en
particulier dans le domaine qui nous occupe , celui de la richesse et
de la pauvreté ? Une telle analyse en éléments minimaux est possible
et nous pouvons citer un exemple emprunté à la série des adjectifs
- 14 -

de couleur , étudiée par J. André d^f). On sait en effet que deux


éléments au moins interviennent dans la composition de certains de ces
adjectifs, à savoir la tonalité chromatique et l'éclat. Ainsi se
répartissent les adjectifs latins signifiant blanc et noir:

tonalité chromatique éclat

albus
candidus
niger
ater

L'ensemble des lexèmes ater, niger , albus , candidus ainsi


que des autres , ruber , flauus etc.. constitue le champ
sémantique de la couleur en latin , l'élément commun "doué d'une
qualité chromatique " étant une sorte de noyau sémique.
Il est bien évident qu'on retient comme traits de
signification les seuls éléments distinctifs dits pertinents (15) , ceux
qui permettent aux lexèmes de s'opposer entre eux. Ainsi, la
qualité de spectrale commune à certaines couleurs , ne serait pas retenue
ici.
Parmi les traits de signification des lexèmes, il faut encore
distinguer les traits qui sans faire partie intégrante de la
signification du lexème lui confèrent des effets de sens, les sèmes virtuels.
Nous touchons ici le domaine de la connotation. Ainsi candidus
possède un sème virtuel d'épanouissement et de bonheur ( sans doute issu
du sème d'éclat) bien exploité par des auteurs comme Catulle (16).
De même ater possède un sème virtuel de mauvais augure et d'horreur
(qu'on est tenté de rapprocher du sème d'absence d'éclat )(17).

Nous apercevons alors que les termes se définissent les uns par
rapport aux autres ; ainsi ater se différencie de niger à cause de
l'éclat, de même albus et candidus, tandis qu' albus et ater se dis-
- 15 -

tinguent par la qualité chromatique de même que candidus et niger,


constituant ainsi une série d'oppositions à deux termes (18).
Le champ sémantique que nous considérons ici s'articule
autour d'une opposition majeure :
qui possède peu / qui possède beaucoup.
A l'intérieur de ces deux sous-ensembles, nous essaierons de définir
d'autres oppositions. Par cette méthode d'opposition binaire, nous
découvrirons que tous les termes du champ sémantique de la possession
entretiennent entre eux un système complexe de relations que l'on
peut définir comme la structure du champ considéré (19)·

Notre démarche comportera donc trois phases:


I Un inventaire des termes de richesse et de
pauvreté dans le corpus plautinien
II Une analyse de chaque lexème en sèmes
III Une étude des relations existant entre ces
lexèmes et un essai de structuration du champ.

Après les principes généraux suivis dans notre étude , il faut


établir la méthode susceptible de s'adapter au corpus que nous nous
sommes donné , en ce qui concerne l'analyse de la signification.
- 16 -

METHODE ADOPTEE AU COURS DE CES TROIS PHASES

Dans l'inventaire des termes, nous préciserons à chaque fois le


nombre d'occurrences dans le corpus. C'est justement le nombre
d'occurrences qui déterminera l'ordre dans lequel nous étudierons chacun des
termes retenus, du moins pour les lexèmes spécifiques.

L'analyse sémique exige certaines explications préalables. En


effet, pour cerner la signification d'un terme d'une langue que nous
n'appréhendons que par des textes, nous ne pouvons que nous référer
au contexte au sens strict du terme. Le contexte socio-culturel nous é-""
chappe par définition et il ne peut nous apparaître qu'à partir des
textes; ce n'est pas un point de départ mais une conclusion. C'est donc
l'environnement lexical du terme qui nous renseignera sur ses valeurs
(les sèmes), constantes ou virtuelles.

Il faut alors essayer de définir les modes de relation qu'un


terme établit avec son contexte (20). Prenons comme exemple l'étude du
lexème"pauvre"dans la fable de La Fontaine, La mort et le Bûcheron . Le
Le lexème apparaît deux fois, au vers 1 : "un pauvre bûcheron" et au vers
8 : "en est-il un plus pauvre en la machine ronde?" , dans un contexte
tel que se dégagent facilement les relations suivantes :
pauvre qui a une chaumine enfumée, c'est-à-dire une
cabane misérable
pauvre qui n'a pas toujours de quoi manger c'est-à-
dire le nécessaire
pauvre qui est accablé par le travail
pauvre qui souffre
pauvre qui se désespère
pauvre qui finalement se résigne (21).

Ces relations peuvent donner naissance par généralisation à des


éléments de signification ou sèmes <
- 17 -

Ainsi les deux relations :


qui a une misérable cabane
qui n'a pas toujours le nécessaire

fondent le sème de possession modeste.


De même, les relations:
qui est accablé
qui souffre
qui se désespère
fondent le sème de souffrance.

Parmi ces sèmes, une fois dégagés, certains apparaissent comme


plus essentiels que d'autres; ils correspondent en effet à un élément
nécessaire à la qualité de pauvre ; c'est le cas du sème de possession
modeste. Nous pouvons en effet écrire la proposition dans les deux
sens :
Tout homme qui possède peu > est pauvre
Tout homme pauvre ;> possède peu.

Cette relation, bilatérale, sera appelée une identité. En


revanche, on ne peut écrire que tout homme qui souffre est pauvre ,
puisque la souffrance peut avoir bien d'autres causes telles que la
maladie ou la solitude par exemple. De même tout homme pauvre n'est pas
nécessairement malheureux. Ainsi cette relation entre la pauvreté et la
souffrance sera appelée une association. La souffrance est donc un élément
qui peut entrer dans la composition sémique de l'adjectif pauvre. Ce
type d'élément sera appelé sème virtuel tandis que les premiers , les
essentiels, seront qualifiés de constants ou nucléaires.
Les sèmes virtuels, par les associations , permettent d'entrevoir
le contexte socio-économique de l'époque.
Il apparaîtra aussi que certains termes peuvent avoir dans un
contexte donné une signification et dans un second contexte une autre
signification. Ces deux éléments , qui diffèrent , peuvent même s 'exclu-
- 18 -

re l'un l'autre. Ainsi verrons-nous que le terme diuitiae tantôt


s'applique aux biens en général ( donc considérés dans leur mobilité),
tantôt concerne les biens d'un individu ( et par nature liés à lui c'est-
à-dire immobiles en quelque sorte) . On appellera ces éléments des
sèmes à exclusion t puisque la réalisation de l'un empêche celle de
l'autre.
Les termes retenus dans l'inventaire ont par hypothèse des points
communs puisque le vocabulaire de la richesse et de la pauvreté
n'englobe que des termes:
qui concernent l'homme
qui s'appliquent à la possession ou à l'absence de
possession de l'homme.
A ce niveau, une question se pose. Le vocabulaii 'e la riches-
et de la pauvreté comprend des termes qui désignent un état, une
situation caractérisant un homme. Ainsi, d'une part , richesse et
pauvreté sont des qualités, des notions abstraites. Mais d'autre part, ces
qualités sont fondées sur l'absence ou la présence plus ou moins
importante, d'éléments matériels tels que l'argent, les terres , les
maisons etc..
Cette ambivalence se présente-t-elle de la même manière à
propos de tous les termes ? Certains ne privilégient-t-ils pas l'un des
deux aspects, le quantitatif ( accent mis sur l'aspect matériel de la
fortune ou de la pauvreté ) ou le qualitatif ( accent mis sur la
mentalité du riche ou du pauvre ? Seule l'analyse sémique de chacun des
termes permettra de répondre à cette question. Mais nous pouvons dès
maintenant imaginer que l'aspect qualitatif concernera avant tout les
sèmes virtuels, domaine des effets de sens, tandis que l'aspect
quantitatif, le premier logiquement , sera défini par les sèmes constants,
domaine des sens.
Ainsi, par l'intermédiaire des relations, les termes seront a-
nalysés grâce à leur environnement lexical ou contexte. Toutefois, c'est
précisément l'étude comparée des différents contextes qui permettra
d'éclairer la signification des termes. En effet , le contexte ne peut
- 19 -

donner toute la signification d'un lexème comme le fait remarquer J.


Dubois dans Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à
1872 , mais livre la valeur ou la position relative d'une unité
par rapport aux autres unités à l'intérieur du système linguistique.
C'est pourquoi il importe de considérer pour un terme donné toutes
ses occurrences dans le corpus et non seulement celles qui sont
jugées les plus significatives.
Mais devrons-nous considérer uniquement le plan du lexique pour
cerner la signification de chacun des termes du champ ? La fonction
syntaxique d'un terme donné est sans doute susceptible d'apporter des
précisions , des confirmations , notamment en ce qui concerne les
composantes sémiques. Par exemple le terme pauvre dans les deux
propositions suivantes
- cette famille est plutôt pauvre
- le pauvre est digne
a des rôles bien différents , adjectif attribut dans un cas , adjectif
substantivé sujet du verbe , dans l'autre, rôles qui correspondent à
une double valeur du terme pauvre en français, tantôt en quelque sorte
quantitative ou descriptive, la définition d'une situation financière
modeste, tantôt qualitative, la définition d'un type d'homme moralement
et socialement bien caractérisé. C'est pourquoi , à l'analyse sémique :
proprement dite, succédera, lorsque ce sera possible , une partie plus
brève consacrée à la manifestation syntaxique du lexème.
L'analyse sémique une fois menée, dans son double aspect
lexical et syntaxique, pour chacun des lexèmes , il apparaîtra que
certains sèmes se retrouvent d'un lexème à l'autre. Une série de
groupements concernera les lexèmes dont certains sèmes se distribuent
progressivement sur un axe orienté. Pour les champs lexicaux que noue
étudions, il est évident que la quantité des biens possédés constituera un
des principaux axes sur lequel se situent les lexèmes. Nous pourrons
alors probablement établir une série progressive comparable à celle du
français , que l'on pourrait ainsi formuler ( sans qu'elle soit
exhaustive bien entendu ) :
milliardaire
r*che aisé pauvre démuni indigent
richissime
- 20 -

Mais des sous-ensembles peuvent aussi se laisser deviner , ainsi


toujours en français , celui de l'activité du sujet :
activité passivité
: démuni
pauvre assisté
indigent

Toutefois, si cette structuration méthodique est rigoureuse et


satisfaisante pour l'esprit, elle est souvent délicate à mener et
surtout elle n'épuise pas la richesse d'expression du champ considéré. C'est
pourquoi nous avons jugé utile d'entreprendre une thématique de la
richesse et de la pauvreté.
Dans La Mort et le Bûcheron, il apparaît justement que le thème
du poids , du fardeau qui écrase , caractérise le pauvre:
tout couvert de ramée
sous le faix du fagot aussi bien que des ans
courbé , marchait à pas pesants.
Ces images comportent plusieurs éléments , en particulier,
l'infériorité, l'écrasement et la douleur. Or cette image du fardeau , dans
l'exemple cité , n'est pas la seule car s'y adjoint celle de la noirceur.
Rappelons ici que le détail "chaumine enfumée" n'est pas gratuit : le
pauvre évolue ainsi dans une zone basse et sombre. Et nous pouvons deviner
que les thèmes adverses, hauteur et éclat, caractériseront le champ de la
richesse.
INVENTAIRE DES TERMES APPARTENANT AU

CHAMP SEMANTIQUE DE IiA POSSESSION

Les relevés portent arbitrairement, d'abord sur le domaine


de la pauvreté, ensuite sur celui de la richesse. A l'intérieur de
chacun de ces domaines, nous distinguons les termes dont tous les
emplois se situent à l'intérieur du champ de la pauvreté et de la
richesse, de ceux qui appartiennent aussi à d'autres champs et qui sont
dits pour cette raison polysémiques.
Comment seront alors classés ces termes? Le classement
adopté à ce niveau n'est pas tout à fait arbitraire car nous utilisons le
critère du nombre des occurrences (du moins en ce <v.ii concerne les
termes spécifiques) .

PAUVRETE

I Termes appartenant au seul champ de la pauvreté:


Pauper et sa famille(51 emplois)
Egere et sa famille ( ko emplois)
Inops et sa famille (29 emploie)
Mendicus et sa famille ( 2k emplois)
II Terme appartenant à un autre champ:

Parasitus

RICHESSE
I Termes appartenant au seul champ de la richesse:

Diues (32 occurrences) , diuitiae (39 occurrences)


Opulentus (14 emplois)
locuples Cf emplois)
II Termes appartenant à d'autres champs:
- 22 -

Fortunatus
Luculentus
Beatus
Rex
Res
Bona
Opes
Copiae
Argentum
Aurum
Pecunia
Lucrum

Ν *Β * Le tableau ne fait pas état


> des expressions qui n'appartiennent
pas en propre au domaine lexical mais auxquelles le contexte donne une
valeur qui a trait à la possession; ainsi le tour mihi est domi a un sens
voisin de : "je suis dans l'aisance" . Or aucun des termes qui le
composent n'est spécifique de la possession. Toutefois, ces expressions ne
seront pas laissées de côté ; en effet, nous verrons qu'elles
accompagnent de près ou de loin les termes spécifiques que nous étudions. Se
plus, certains de ces tours font partie des expressions métaphoriques
que nous examinerons dans la seconde partie.

Au cours des relevés qui ont étayé l'inventaire, il nous est


apparu que certains termes antithétiques s'opposaient au niveau du syntagme.
Nous trouvons ainsi formulées au niveau syntagmatique les oppositions
suivantes:
diues vs pauper
opulentus vs pauper
opulentissumus vs mendicus
Ces couples seront étudiés méthodiquement, notamment dans leur
aspect stylistique car l'antithèse ainsi constituée est souvent soulignée
par différents effets de style.
- 23 -

II apparaît aussi d'après le tableau des occurrences que les deux


termes les plus employés sont, d'un côté pauper et sa famille, de
l'autre diues et diuitiae, c'est-à-dire justement les deux termes qui
s'opposent parfois, nous venons de le signaler , sur le plan syntagmatique.
Les autres termes, plus rares, ont peut-être les sèmes les plus
spécifiques. Ce sont ces sèmes qui permettront d'établir en plus des axes
fondamentaux comme celui de la quantité (des biens) , ceux, plus
excentriques, de la manifestation ou de la qualité ( des biens).
De plus, la εί£πίΓ ication première de certains polysémiques
comme luculentus, beatus ou fortunatus fait prévoir une thématique centrée
les points suivants :

RICHESSE vs PAUVRETE
hauteur vs bassets*1
lumière vs obscurité
- 24 -

PAVPER

LES OCCURRENCES

Pauper se rencontre 28 fois dans les comédies de Plaute, dont


15 fois dans la seule Aulularia (22). De plus, 10 fois sur les 28,
(5 fois dans l 'Aulularia et 5 fois dans le reste de l'oeuvre ), pjau-
per est explicitement opposé à diues ou à opulentus (23).
Ainsi « une fois sur trois, l'antithèse est formulée. Les autres
fois, il s'agit d'une considération sur l'origine de cet état , ou
sur ses manifestations dans le comportement ou la mentalité qu'il
entraîne. Quelquefois enfin, pauper qualifie des choses (2*0 .
Peux constatations s'imposent déjà :
a) la prédominance accordée à l'Aululaire, puisque cette
comédie totalise plus de la moitié des emplois
b) la place privilégiée attribuée au couple diues/pauper»
- 25 -

THAITS DE SIGNIFICATION DE PAVPER

A) Dans 1 'Aululaire
L'emploi de l'adjectif pauper dans l'Aululaire de Plaute est
particulièrement intéressant, d'abord à cause de ses occurrences
relativement nombreuses puisqu'elles sont au nombre de 15 (2.5), ensuite
parce que le personnage principal, l'avare Euclion, veut se faire
passer pour pauvre alors qu'il ne l'est pas, et par conséquent exagère
dans ses paroles et dans son attitude les différents traits inhérents
à cette caractérisation. Enfin, l'intrigue utilisée par Plaute oppose
à ce pseudo-pauvre un homme riche, Mégadore , qui veut épouser sa
fille. Les deux types d'homme sont donc plusieurs fois confrontés et se
définissent l'un par rapport à l'autre.

Nous distinguons dans l'Aululaire les identités suivantes:

Identités positives
Pauper "qui possède une maison, sale et vide",
identité obtenue à partir des vers 82 sqq.:
Staphyla: "Ego intus seruem? an nequis aedes auferat?
Nam hic apud nos nihil est aliud quaesti furibus
Ita inaniis sunt oppletae atque araneis "

"Vraiment oui! garder la maison? de peur qu'on ne


l'emporte sans doute? Qu'est-ce que les voleurs
pourraient y gagner d'autre ? Elle n'est pleine
que de vide, et de toiles d'araignées "
Euclio, vers 87»8:" Araneas mihi ego illas seruari uolo.
Pauper sum, fateor, patior; quod di dant fero"
"Je veux qu'on me garde ces toiles d'araignées,
moi. Je suis pauvre, je l'avoue, je m'y résigne
ce que les dieux me donnent, je l'accepte"

Pauper " qui possède une fortune modique "


identité obtenue à partir des vers 5^5 sqq:
- 26 -

" Imrao est et ... di faciant ut siet ,


Plus plusque istuc sospitent quod nunc habes "
" Mais si, (tu en as bien assez) et veuillent les dieux en
y ajoutant de plus en plus te conserver ce que tu possèdes·'

C'est la réponse de Mégadore à Euclion qui se plaint de son dénuement;


cette déclaration implique qu 'Euclion possède réellement quelque chose,
c'est ce que prouvent les expressions est (_domi) et quod nunc habes.

Pauper "qui possède assez pour vivre heureux"


identité tirée des vers i8*f sqq. :
" Non temerariumst, ubi diues blande appellat pauperem

Ain tu te ualere ?
Pol ego haud perbene a pecunia
Pol si est animus aequus tibi, sat habes , qui bene uitam
colas"

"Ce n'est pas sans raison que le riche aborde le pauvre


avec des flatteries...
Alors, dis-moi, tu vas bien?
Ma foi, pas trop bien du côté de l'argent.
Ma foi, si tu sais te contenter, tu en as bien assez pour
vivre heureux "

Le dernier vers est prononcé ici encore par Mégadore; cette


définition sat habes qui bene uitam colas, donnée par un riche à un pauvre,
même si le pauvre n'y souscrit pas , prouve par le fait même que le
riche ait pu la prononcer, que la situation du pauper n'est pas le dénuée
ment total.
Le mouvement des vers 18^· sqq et des vers 5^5 sqq. est donc
comparable :
Euclion : Je n'ai pas grand chose
Mégadore : Tu as cependant quelque chose de réel.
- 27 -

Identités négatives

Pauper " qUi n«a dans sa maison rien qui puisse tenter le voleur"
identité obtenue à partir du passage déjà évoqué des vers 83
sqq.:
" Nam hic apud nos nihil est aliud quaesti furibus"
" Qu'est-ce que les voleurs pourraient y gagner
d'autre ?"
Pauper " qui n'a pas trouvé de trésors"
identité obtenue à partir du vers 240 :
" Eo dico , ne me thesauros repperisse censeas "
" Je te le dis pour que tu n'ailles pas te figurer
que j'ai trouvé des trésors "
Pauper " Qui n'a pas de bien caché à la vue du public"
identité comparable qu'établissent les vers 5^3-5^ :
" Neque Pol, Megadore, mihi neque cuiquam pauperi
Opinione melius res structa est domi "
"Chez moi, Megadore, et chez tous les pauvres comme
moi, il n'y a pas , sois-en sûr, plus d'aisance
qu'on ne croit "

Ces trois formules sont d'ailleurs assez piquantes , puisqu'elles


«entent exactement la situation réelle d'Euclion.

Pauper "qui n'est pas un rex, le roi Philippe en particulier


ou un Darius ( nous dirions Crésus)
identité qui découle des vers 85-86 :
" Mirum quin tua me causa faciat Iuppiter
Philippum regem aut Dareum, triuenefica "
" C'est étonnant que , pour te faire plaisir,
Jupiter ne fasse pas de moi un roi Philippe ou Darius,
vieille sorcière !"

Pauper "qui ne peut doter sa fille "


Deux passages établissent cette définition :
1) vers 226 sqq.
" Venit hoc mihi, Megadore, in mentem, te esse hominem
diuitem
- 28 -

Factiosum, me item esse hominem pauperum pauperrimum


vers 238 * ...<. At nihil est dotis quod dem "

" Vois-tu , Megadore, je ne puis m'empêcher de penser que


tu es un homme riche, un parti considérable, que je suis
au contraire le plus pauvre d'entre les pauvres ...
... Mais je n'ai rien à lui donner comme dot "

2) vers V78 sqq.


" Nam meo quidem animo si idem faciant ceteri,
Opulentiores pauperiorum filias
Vt indotatas ducant uxores domum"(26)
" Car m'est avis que si tous les autres faisaient comme
moi, si les riches épousaient sans dot les filles des
citoyens pauvres "
Ces différentes identités , positives et négatives , fondent le sème
constant:
PAVPER QUI POSSEDE PEU
contenu qui pourrait aussi se décomposer en deux éléments, possession et
modicité de la possession.
De ce sème constant de nature double dérive le sème:
Pauper " qui vit de peu " ou bien "qui est économe".
Deux passages l'illustrent bien dans l'Aululaire :
Vers 111-112
" Nam non est ueri simile hominem pauperem
Pauxillum parui facere quin nummum petat "
" Car il n'est pas vraisemblable qu'un pauvre homme
fasse fi d'un denier, si peu que ce soit, et n'aille
le chercher "
(Il s'agit ici d'une allusion à une distribution publique)
vers 87-88
"Araneas mihi ego illas seruari uolo
Pauper sum ..."
"Je veux qu'on me garde ces toiles d'araignée, moi.
Je suis pauvre..."
Ici encore, Euclion grossit le trait normal et transforme l'économie
inhérente à la condition du pauper en avarice.
- 29 -

Le sème d'économie n'est pas constant , car il ne se déduit pas


d'une relation d'identité. En effet, nous ne pouvons écrire la double
formulation :
tout pauvre est économe
tout homme économe est pauvre
C'est donc un sème virtuel , mais son originalité est d'être une
conséquence logique du sème constant " qui possède peu". En effet, celui
qui possède peu , pour maintenir cette possession, quelque minime
qu'elle soit , doit vivre chichement ; s'il perd le peu qu'il détient , il
change de catégorie et devient par exemple inops.
Les associations ( relations unilatérales ) concernent
essentiel ement le pauper en face des autres et en particulier du riche.
Il s'agit des associations suivantes :

Pauper " qui se résigne"

Pauper " qui avoue son état"


associations vérifiées par le vers 88 :
"Pauper sum, fateor, patior, quod di dant fero"

Pauper " qui a peur du riche"


d'après trois passages , vers 196» 2^7 sqq. et 483 ?

" Nemini credo qui large blandust diues pauperi"


Je me défie d'un riche qui prodigue tant de flatteries
à un pauvre "

2) v. 2V7 sqq.
" Nam si opulentus it petitum pauperioris gratîam,
Pauper metuit congrediri; per metum maie rem gerit"
" Qu'un riche aille de lui-même solliciter les bonnes
grâces d'un plus pauvre, le pauvre n'ose pas rentrer
en rapport avec lui; sa timidité lui fait manquer
l'affaire"
' * ^" Et illae malam rem metuant quam metuunt magis"
" Et elles (les filles des pauvres) craindraient plus
nos rigueurs que ne le font les filles des riches ".
30 -

Les deux premières de ces trois citations peuvent aussi illustrer


l'association :

Pauper "qui se méfie du riche".


En effet, la crainte du pauper prend essentiellement la forme
d'une méfiance qui s'exerce dès que le riche semble quitter l'attitude
d'indifférence et de mépris qu'il observe habituellement avec le
pauvre ; ce dernier flaire alors un piège, comme le montre la métaphore
des vers 196-198 :

"Nemini credo qui large blandust diues pauperi


Vbi manum inicit bénigne, ibi onerat aliquam zamiam.
Ego istos noui polypos qui ubi quicquid tetigerunt tenent"

Pauper "qui est malmené par le riche"


Cette association découle de la citation précédente (v.196-198)
ainsi que des vers 460-462 :
" . . .Di immortales, facinus audax incipit
qui eum opulento pauper homine coepit rem habere aut ne-
gotiura
Veluti Megadorus temptat me omnibus miserum modis ".
Ici encore, le piège où le riche veut faire tomber le pauvre est
suggéré par le verbe temptat. Le pauvre , malmené par le riche n'a
pourtant en lui-même aucune mauvaise intention; c'est ce que prouvent
les vers 220-221 :
" Heia, Megadore, haud décorum facinus tuis factis facis
Vt inopem atque innoxium abs te atque abs tuis me
inrideas"
" Ah! Megadore, c'est une chose indigne de toi, de ton
caractère que de te moquer d'un pauvre homme , qui ne
t'a jamais rien fait, à toi ni aux tiens ",
qui étayent l'association suivante :
Pauper "qui ne fait pas de mal aux autres".

Une remarque importante s'impose ici. Toutes ces associations


sont obtenues à partir de déclarations faites par le pauvre
lui-même, Euclion en l'occurrence. Elles définissent son personnage comme
31

une victime. Une autre série d'associations peut être établie si nous
nous référons aux affirmations du riche Megadore :
Pauper "qui est respectable"
d'après le vers 174:
"Scio quid dictura es : hanc esse pauperem. Haec pauper
placet"
" Je sais ce que tu vas me dire : qu'elle est pauvre.
Pauvre elle me plaît".
Ici , c'est la fille d' Euclion que Megadore déclare apprécier
assez pour en faire sa femme; d'ailleurs , la bonne réputation de
toute la famille est suggérée par le nom même d' Euclion qui
signifie "Bienfaraé" (27)· De là à poser que tout pauvre est par nature
honnête et respectable , il n'y a qu'un pas.
Au respect du riche vis-à-vis du pauvre (28) s'ajoute parfois une
condescendance bienveillante , comme le montre l'emploi du diminutif
à valeur affective au vers 171 (c'est Megadore qui parle à sa soeur):
"Nostin hune senem Euclionem ex proximo pauperculum"
permettant d'établir l'association :

Pauper " qui inspire au diues une certaine pitié".


Ces différentes associations sont complexes, elles sont même
contradictoires; si Euclion se définit lui-même, il insiste sur les
vexations qu'il doit subir de la part du riche ; en revanche , si c'est
Megadore qui parle d· Euclion, il le considère favorablement , même
si c'est avec une certaine condescendance. L'avis d'autres personnes
de l'entourage d'Euclion serait intéressant à considérer. Or, il est
remarquable que ses proches, ses serviteurs en particulier, ne
mentionnent pas sa pauvreté mais font allusion à sa pingrerie(29) . Peut-
être pourrons-nous privilégier certaines de ces associations
contradictoires en examinant les données des autres comédies. Mais à supposer
que l'ambiguïté subsiste, il ne faudrait pas s'en étonner : un mot,
une fois le sème nucléaire réalisé, peut recevoir, dans certaines
circonstances, diverses acceptions qui s'excluent mutuellement.
- 32 -

Toutes ces associations peuvent être ainsi groupées:

a) la personne du pauvre est


résignée(l )
malheureuse (1) (2)
économe

b) les autres , en face du pauvre:


l'exploitent (1) (2)
le plaignent (1) (3)
le respectent (3)
c) le pauvre en face des autres :
avoue son état
se plaint (1)
a peur (1)
est lucide et méfiant
n'est pas méchant (3)

Presque tous ces éléments peuvent se grouper et se cristalliser ainsi:

passivité (1)
faiblesse (2)
innocence (3)·

Ces divers traits relevés d'après les identités et les associations


constituent un type social nettement caractérisé, comme le prouvent
les deux passages suivants
Aux vers 5^3-5^ ? Euclion définit sa situation en l'assimilant à
celle de tous les pauvres en général:
"Neque pol, Megadore, mihi neque cuiquam pauperi
Opinione melius res structa est domi "
" Chez moi, Megadore, et chez tous les pauvres comme moi,
il n'y a pas , sois-en sûr, plus d'aisance qu'on ne
croit ".
- 33

Un passage est particulièrement instructif ( vers 228 sqq...) où


Euclion a recours à une fable qui assimile le pauvre à un âne et le
riche à un boeuf; si l'âne est attelé avec le boeuf , il tombera car il
ne pourra supporter la même charge ; de même, il ne faut pas que le
pauvre essaie de s'élever à la hauteur du riche ; s'il le tente, il sera
maltraité par le riche et raillé par ceux de sa classe , par 1 ' ordo
auquel il appartient :
"Nunc si filiam locassim meam tibi, in mentem uenit
Te bouem esse et me esse asellum; ubi tecum *7oniunctus siem,
Vbi onus nequeam ferre pari ter, iaceam ego asinus in luto
Tu me bos magis haud respicias , gnatus ^uasi numquam siem

'
Cette expression est amusante car en parodiant 'ordo sénatorial
elle suggère que les pauperes constituent une sorte de groupe social
organisé, une classe (30).

TABLEAU DE LA COMPOSITION SEMIQUE DE PAVPEE


Sème constant : QUI POSSEDE PEU
Sèmes virtuels: qui vit de peu
qui se résigne
qui avoue son état
qui a peur du riche
qui est maltraité par le riche
qui est méprisé par le riche
sèmes à exclusion qui est respecté par le riche

( les derniers traits définissant l'appartenance des pauperes à une


classe sociale)
- 34

B) Traits de signification do pauper dans le reste de l'oeuvre


Tous les traits décelés dans l'Aulularia se trouvent-ils vérifiés
dans les autres comédies ? L'étendue des textes examinés ne va-t-elle
pas nous amener à en découvrir de nouveaux ?
Il est possible de répondre à ces questions en considérant les
différents passages où un pauper se définit lui-même ou est défini
par un autre personnage. On peut ainsi voir confirmés les traits
essentiels rencontrés dans l'Aulularia.
Pauper "qui possède peu"
Cette identité est obtenue à partir des vers 515 sqq. du Poenulus
par exemple :
"Heus tu, quamquam nos uidemur t?"^"» -n^beii et pauperes"
" Ho! Ho ! l'ami, quoique nous ne soyons à tes yeux que
des plébéiens, des pauvres gens ..."
que l'on rapproche des vers 536-538 de la même pièce :
"...quamquam sumus pauperculi,
Est domi quod edimus ; ne nos tam contemptim conteras
Quicquid est pauxillulum illuc, nostrum id omne, non
tuumst ;"
"... si mal pourvus que nous soyons, nous avons de quoi
manger à la maison; ne nous écrase pas tellement de
ton mépris. Si peu que ce soit que nous ayons là-bas,
ce peu est tout entier à nous , non à toi ".
Cette identité, pauper "qui possède peu" , peut prendre la forme
d'une association. Ainsi, à partir des vers 290 sqq. du Rudens,

" Omnibus modis qui pauperes sunt homines miseri uiuunt,


Praesertim quibus nec quaestus est nec didicere artera
ullam.
Necessitate quicquid est domi id sat est habendum.
Nos iam de ornatu propemodum ut locupletes simus scitis
Hisce hami atque haec harundines sunt nobis quaestu et
cul tu"
11 Que la vie des pauvres gens est malheureuse, surtout
quand ils ne font pas de commerce et n'ont pas appris c
métier ! Si peu qu'ils aient à la maison, force leur
est de s'en contenter. Pour nous , rien qu'à cet
accoutrement , vous savez déjà sans doute quelles peuvent
être nos richesses. Ces hameçons que voici, et ces
roseaux sont tout notre gagne-pain, tout notre entretien'
- 35 -

nous pouvons tirer l'association suivante :

Pauper "qui ne possède que ses moyens de production"


(ici les hameçons et les roseaux).
D'autres relations découlent aussi de ce passage :

Pauper "qui est à plaindre "(miseri)

Pauper "qui se contente de peu ".

Un élément relativement nouveau s'ajoute au portrait du pauper grâce


à une série de considérations sur l'origine de la pauvreté,
dans le Rndens au vers 1234 :
"Isto tu pauper es , quom nimis sancte piu's"
" C'est avec des raisonnements comme cela que tu es pauvre;
tu as trop de scrupules , trop d'honnêteté "( à cause de
la valise trouvée qu'il veut rendre),
et aux vers 373 »374 du Trinummus :
"...Em istoc pauper es.
Plus pollicere quam abs te posco aut postulo "
" Holà! C'est pour cela que tu es pauvre. Tu m'offres
plus que je ne veux et que je ne demande ".
On peut alors établir l'association :
Pauper "qui est excessivement honnête et scrupuleux".

Dans ces emplois originaux, on retrouve cependant un détail déjà


vu dans l'Aululaire, à savoir la notation que pauvreté et
honnêteté ne s'excluent pas , au contraire ( cf. Au. 174) .
Quant aux rapports qui unissent le pauvre et les autres, ils
sont divers.

1) Pauper " respectable"


En effet dans l'Epidiqne , au vers 169, le pauper apparaît
comme respectable, ou plutôt, il ne suscite pas a priori chez l'hom-
- 36

me riche un sentiment de mépris :


"...(Quid est quod pudendum siet)
Génère natam bono pauperem domum
( Ducere te uxorem) "
" (Quel scrupule peux- tu avoir à épouser) une fille
pauvre mais de bonne famille ".

Mais cette phrase peut aussi être exploitée inversement.


Le fait même que l'interlocuteur suppose une réticence chez celui
qui songe à épouser une fille pauvre montre bien que la première
réaction du riche en cette situation est faite de méfiance et
d'hésitation.
Cette dignité que le riche lui reconnaît parfois , le
pauvre en est lui-même bien conscient. Ainsi il proclame son
indépendance au vers 539 à.\i Poenulus après le passage déjà cité:
" Neque nos quemquam flagitamus neque nos quisquam
flagitat"
"Nous ( les pauvres) ne demandons rien à personne
comme personne ne nous demande rien ".
La dignité du pauper se manifeste aussi dans la révolte
qui lui est inspirée par les insultes du maître qui lui reproche
I
sa lenteur aux vers 515 sqq. du Poenulus :
" ( Nisi eum pedicis condidicistis istoc grassari
gradu)
Heus tu , quamquam nos uidemur tibi plebeii
et pauperes,
Si nec recte dicis nobis diues de summo loco,
Diuitem audacter solemus mactare infortunio "
" ( Il faut que ce soit avec les fers aux pieds
que vous ayez appris à traîner d'un tel train),
Ho! Ho! l'ami, quoique nous ne soyons à tes yeux
que des plébéiens, de pauvres gens, si tu nous
insultes, tout riche et tout gros personnage que
tu es, nous ne nous gênons pas poiir envoyer
promener les riches".
Mais il ne faut pas considérer ce sentiment de révolte comme
inhérent à la condition du pauper. Il est motivé ici par une circon -
37 -

stance particulière , les insultes du riche, et c'est plutôt la


résignation que la révolte aue ressent le pauvre face à sa condition ( cf. Au.
88).
2) D'autres passages permettent de poser une association différent

:
Pauper " qui est méprisé par le riche"

Ainsi , aux vers 578-579 clés Ménechmes , un personnage de la


catégorie des optimi , " gens de la haute" , déclare :
" Si est pauper atque haud malus , ne qui un habetur;
Sin diues malust , is cliens frugi habetur "
" Est-il ( le client ) honnête mais pauvre, il passe
pour un homme de rien ; est-il malhonnête mais riche
on le tient pour le meilleur des clients ".
Le personnage qui fait cette déclaration n'est pas dupe de
cette injustice , pourtant il n'associe pas d'emblée honnêteté et pauvreté,
ni richesse et malhonnêteté ; simplement il considère que ce sont des
catégories d'ordre différent, des qualités qui s'ajoutent mais qui ne
sont pas impliquées les unes par les autres.

3) Une dernière relation se tire du vers 532 de la Cistellaria :


" Postremo quando aequa lege pauper eum diuite
( Non licet )..."
" Puisque la loi n'a pas les mêmes complaisances pour
le pauvre que pour le riche ..." ,
Pauper " qui est injustement traité par la loi"
Ces traits spécifiques permettent , comme dans l'Aululaire,
de considérer le pauper comme un type nettement caractérisé, ainsi que
le suggèrent les vers 75-76 des Ménechmes :

"Modo hic agitât leno, modo adulescens, modo senex,


Pauper, mendicus, rex, parasitus , hariolus "
" Le même(acteur ) est tantôt leno, tantôt jeune homme,
tantôt vieillard, pauvre , mendiant , roi, parasite,
charlatan ..."

Ainsi , d'une manière générale , les mêmes traits se trouvent


représentés dans les autres comédies. On peut alors dresser un tableau
tout à fait comparable à celui qui évoquait les traits de pauper d'après
l'Aululaire.
- 38 -

COMPOSITION SEMI QUE DE PAVPER D'APRES L'ENSEMBLE DES COMEDIES

Sème constant : qui possède peu

Sèmes virtuels : qui se contente de peu


qui a la dignité de ne rien réclamer
qui est respectable
qui doit sa pauvreté à son honnêteté
qui est méprisé par le riche
qui est traité injustement par la loi
qui ne supporte pas les insultes
qui constitue un type social bien défini

A comparer ce tableau avec le précédent p. 27 , on note ici


une insistance sur l'honnêteté du pauper et sur sa dignité.
Il faut aussi noter un emploi curieux de pauper avec des noms
de choses, emploi qui n'était pas illustré dans l'Aululaire. Mais il
est imprudent de le commenter longuement. En effet , le texte est peu
sûr dans un cas (31) et le vers fait partie des fragmenta dans
l'autre (32). Dans le troisième emploi , c'est encore le mot res qui est
qualifié de pauperculae au vers 3^5 du Per sa. Il apparaît donc que
dans les trois cas, c'est le substantif res qui est qualifié de pauper
ou de paupercula ? Si l'on pense à la façon dont le Romain se sent
proche de son bien en se considérant comme atteint dans sa personne s'il
est dépouillé de sa fortune , on comprend cet emploi qui semble
assimiler la possession au possesseur , emploi au premier abord étonnant
dans un état de langue où pauper qualifie presque toujours un homme
ou une femme ( avec toutes les implications morales et affectives ,
qui seront d'ailleurs de plus en plus nombreuses , cf. le destin du
mot pauvre en français ) .
Toutefois , l'origine de cet emploi curieux peut être décelée
dans l'histoire de la langue. Pauper qualifiant une chose serait alors
- 39

une survivance puisqu'aux dires des grammairiens latins , l'adjectif


a dû se dire d'abord à propos d'une terre qui rapporte peu (paui-
paros_) . Cette évolution n'est d'ailleurs pas unique en latin où nous
rencontrons un grand nombre de termes dont l'origine est agraire. Ainsi
frugi qui s'est spécialisé dans le sens d'honnête en parlant d'un homme
a commencé par signifier " pour un bon rapport " en parlant d'un champ.
Chacun des deux éléments de pau-per se retrouve dans d'autres
formations comme pau-cus et puer-pera. Nous pouvons d'ailleurs ici
anticiper et évoquer la formation de l'adjectif opiparus (33)·
40

MANIFESTATION SYNTAXIQUE DE PAVPER

Après avoir examiné les traits de signification de pauper dans


l'ensemble des comédies , il faut considérer sa manifestation syntaxique dans
les mêmes oeuvres.
L'analyse syntaxique qui va suivre est extrêmement délicate dans
la mesure où nous appliquons à la réalité de la langue latine des
structures valables pour la langue française. Prenons à titre d'exemple le vers
227 de l'Aululaire :
" ... haec pauper placet".
Sans référence au contexte , cette phrase peut être interprétée de
plusieurs manières :

1) Pauper adjectif épithète, haec pronom:

Haec pauper placet


cette fille pauvre me plaît
2) Pauper adjectif attribut, hec pronom:

Haec pauper placet


cette fille bien qu'elle me plaît
soit pauvre ou
parce qu'elle est
pauvre
3) Pauper substantif, haec adjectif :

Haec pauper placet


cette fille pauvre me plaît.

On voit bien alors que l 'ambiguïté réside dans l'impossibilité


d'exprimer en termes de syntaxe française le statut de haec à la fois
adjectif et pronom. Ce statut , double en français, mais unique en
latin fait apparaître comme double le statut de pauper : pauper semble
être tantôt adjectif , tantôt nom, et à l'intérieur de son statut
d'adjectif , il apparaît aussi bien comme épithète que comme attribut.
Etant donné cet état de fait, les problèmes qui vont être
maintenant soulevés sont peut-être d'un point de vue strictement latin
- 41

de faux problèmes. Cependant en l'absence jusqu'à maintenant d'une


syntaxe réellement structurale du latin (3*0 nous sommes obligée de
nous référer aux catégories et aux fonctions traditionnelles.
Nous pouvons classer les emplois de pauper en trois groupes:

I Pauper comme adjectif épithète


II Pauper comme substantif
III Pauper comme adjectif attribut

I Pauper comme adjectif épithète


Ce groupe comporte six emplois dont quatre associent pauper à
homo ou à son équivalent négatif neque. . .quisquam (35)·
Dans ces derniers cas, l'ensemble homo pauper semblerait
fonctionner comme le simple pauper substantive . La présence de homo
serait peut-être la trace de l'ancien état de langue où pauper ne
pouvait être qu'adjectif qualifiant un nom de chose et
particulièrement ager, le champ. Il y aurait eu alors emploi métaphorique et
ensuite métaphore lexicalisée (36).

II Pauper remplissant les fonctions de substantif

Dans la majorité des cas , 10 fois sur 12 (37), pauper


s'oppose à diues. Le onzième emploi présente une opposition
implicite (38) , quant au douzième, il n'oppose pas le pauper au diues,
mais à d'autres types qui sont également matière à représentation
théâtrale (39).
Cette opposition se manifeste surtout dans l'Aululaire, qui,
nous l'avons-vu, privilégie par son intrigue ce couple antithétique.
Ainsi, puisque dans la grande majorité des cas, pauper substantive
s'oppose explicitement ou implicitement à diues ( ou opulentus ) , nous
renvoyons à l'étude du couple qu'ils constituent (40) .

III Pauper comme adjectif attribut


Cette catégorie se distingue nettement des deux autres. En effet,
les 10 emplois (4l) permettent de poser les points suivants :
- 42 -

1 II s'agit toujours d'une expression à valeur particulière, et


non générale, comme c'est souvent le cas pour l'emploi substantive ou
celui de l'adjectif épithète, ainsi au vers 88 de l'Aululaire:
" Pauper sum, fateor, patior ; quod di dant fero "
ou bien au vers 1234 du Rudens :
" Isto tu pauper es , quom nimis sancte piu's".
Il n'y a qu'au vers 578 des Ménechmes que l'expression
semble avoir une valeur générale ; il ne s'agit pas toutefois de
l'homme en général mais d'un ensemble d'hommes bien définis , celui des
clientes : " Si est pauper atque haud malus, nequam habetur;
( Sin diues malust, is cliens frugi habetur) ".

2 On attribue ainsi à soi-même, ou à un autre, la qualité de pau<


per, assortie d'une autre qui en résulte, ou la motive , ou
l'accompagne. Il n'y a donc pas assimilation de la personne et de la qualité
(comme dans l'emploi substantive ) , il y a même parfois, comme au
vers 220 du Truculentus , distorsion complète :
" Nos diuitem istum meminimus atque iste pauperes
nos "
" Nous l'avons vu riche comme il nous a vues pauvrej
On voit nettement dans cet emploi que la qualité attribuée est
isolée abstraitement de son support , puisqu'une autre la remplace et
qu'il y a une sorte d'échange. La même vision séparée de la personne et
de la qualité peut aussi s'effectuer grâce à l'emploi de paupertas au
vers 206 de l'Aululaire :
" Neque illo quisquam est alter hodie ex paupertate
parcior "
" Il n'y a personne au monde que la pauvreté rende
plus regardant " .
L'intérêt de cet emploi est de permettre un portrait nuancé
du pauper dans des formules telles que:
" Il est pauvre parce que trop généreux, ou trop honnête"
(Tru.373 ou Ru.1234)
" Elle est pauvre et de bonne famille" (Ep.169).
43

Nous nous trouvons alors devant une ébauche d'analyse


psychologique (sentiments prêtés au pauvre ou qu'il inspire), de par la mention ,
même rapide , des causes et des conséquences de cet état de pauper .

En conclusion de cette étude, nous pouvons dresser un tableau sur


le thème :

DISTRIBUTION SYNTAXIQUE ET COMPOSANTES SEMIQUES

Adj. épithète (homo pauper)


Ad j . substantive ( pauper metuit) adj. attribut (pauper sum)

expression à valeur générale expression à valeur


particulière
fréquence de l'opposition' s'accompagne souvent d'une
illustration de la pauvreté
pauper/ diues (pauper sum . . .aedes~~ inani-
pauper homo/ diues homo is sunt oppletaël
ou de sa motivation ( tu
pauper es quom nimis sânc -
te piu's )

N'entre pas dans ce tableau le type unique du vers 603 de


l'Aululaire:
" Nam erus meus amat filiam huius Euclionis pauperis"
qui présente un emploi de pauper :
- adjectif épithète
- à valeur particulière
- avec opposition , non au type du riche mais au
riche de la pièce , Megadore , cité au vers
suivant.

Ainsi l'originalité de pauper semble être son double statut, celui


d'un nom avec de nombreuses composantes sémiques ( c'est un type social
bien caractérisé) et aussi celui d'un adjectif. Son comportement de
- 44 -

substantif a été nettement mis en valeur, notamment par son opposition


au type du diues (42). Mais un trait jusqu'ici laissé dans l'ombre va
peut-être faire ressortir la valeur adjectivale de pauper. Il s'agit de
sa faculté de prendre les formes comparative et superlative.
Il y a en effet trois emplois ( 2 comparatifs et un
superlatif), mais un seul peut donner lieu à des conclusions intéressantes.
Pour les comparatifs, il s'agit dans un cas du comparatif
à valeur classificatrice au vers 479 de l'Aululaire qui oppose deux
groupes , celui des opulentiores et celui des pauperiores . Dans
l'autre cas, nous avons une comparaison établie entre un pauvre et un riche
et non entre deux pauvres :
" Nam si opulentus it petitum pauperioris gratiam "
(Au. 247)
" Qu'un riche aille de lui-même solliciter les bonnes
grâces d'un plus pauvre ".
L'emploi superlatif se rencontre encore dans l'Aululaire,
au vers 227 :
"(Venit hoc mihi, Megadore, in mentem te esse hominem diuitem
Factiosum, me item esse hominem pauperum pauperrimum "
" ( Vois- tu, Megadore, je ne puis m 'empêcher de penser
que tu es un homme riche ) un parti considérable , que
je suis au contraire le plus pauvre d'entre les pauvres".
Il est cependant possible , même dans ce cas , d'éluder la
variation de l'adjectif sur le plan sémantique : l'emploi que fait
Euclion du superlatif de pauper ne serait pas à prendre au pied de la
lettre; la tournure est hyperbolique et elle est destinée dans l'esprit
d' Euclion à faire bien comprendre à son interlocuteur Megadore qu'ils
ne sont pas du même rang sur le plan social. Nous pouvons la rapprocher
des expressions , également hyperboliques, voire absurdes , que laisse
échapper Euclion, fou de douleur d'avoir perdu sa marmite ( "perii "
cf. vers 713 sqq· )· Dans cette hypothèse, il n'y aurait pas , en
principe de variation quantitative de pauper : une fois franchi un certain
seuil, on est pauper , mais on ne peut pas l'être plus ou moins.
Toutefois le vers 290 du Rudens semble indiquer que , parmi les pauvres, les
plus à plaindre sont ceux qui n'ont pas de métier; il y a cependant ici
45 -

une nuance à respecter : il ne s'agit pas des plus pauvres , mais ,


parmi les pauvres , des plus pitoyables.
Ainsi , chez Plaute , la variation quantitative de pauper,
incontestable sur le plan morphologique, reste douteuse sur le plan
de la signification. Elle semble pourtant exister à l'état de traces;
toutefois, peut-être un mot de la famille , le verbe pauperare , ren-
verra-t-il plus nettement à la notion de variation quantitative ,
peu nette dans le cas de l'adjectif; autrement dit , pauperare signifie-
t-il:
de pauvre rendre plus pauvre
( ce qui confirmerait la variation de pauper)

ou bien
de riche rendre pauvre
( ce qui l'infirmerait) ?
La réponse à cette question sera donnée par l'examen des
emplois de pauperare , dans la série des mots de la famille de pauper
que nous abordons maintenant.
46 -

PAVPERARE

La réponse à la question posée n'est pas simple car on ne dispose


que de trois emplois dans le corpus. Il s' ^it du vers 1128 du Pseudolus :

" Boni me uiri pauperant, improbi augent "


" Les honnêtes gens m'appauvrissent, les mauvais m'enrichissent"

et des passages suivants :

Fr. I d'Acharistio :
" Quam ego tanta pauperaui per dolum pecunia "
" Elle que j'ai dépouillée frauduleusement de tant d'argent "

Mi. 729 :
" (quae probast mers pretium ei statuit, pro uirtute ut ueneat,)
quae improbast, pro mercis uitio dominum pretio pauperet ; "
" (les bonnes marchandises, il en règle le tarif de manière
qu'elles soient vendues pour ce qu'elles valent) ; et les
mauvaises, pour qu'elles appauvrissent leur propriétaire
à proportion des défauts qu'elles présentent. "

Sur les trois emplois, le fragment est le plus net mais le moins sûr :
paupero signifie alors "ruiner", c'est-à-dire "de riche rendre pauvre".
Mais de toutes façons, il est imprudent de tirer des conclusions trop
précises d'un fragment, c'est-à-dire d'un vers dépourvu de contexte.

Les deux autres emplois offrent des points communs :


a) ils contiennent tous lts deux une expression antithétique :

pauperant / augent (Ps.1128)

pauperet / pro uirtute ut ueneat (Mi. 729)


(qu'elle soit (la marchandise)
vendue à sa valeur, c'est-à-dire
qu'elle enrichisse (le propriétaire)
- 47 -

Notons, en passant, l'absence de formation analogue à pauperare


du côté de diues
Plaute utilise alors des tours périphrastiques (Mi_.729) ou des
expressions contenant un terme de la famille de délies comme uocare ad
diuitias (Ci .559).

b) ils se situent tous les deux dans un contexte commercial.


Dans le premier cas, le leno Ballio affirme cyniquement devoir ses
gains à la présence des débauchés qui lui payent un bon prix les moments
passés avec les courtisanes. Dans le second cas, l'esclave Palestrion
compare la vie des hommes, bonne ou mauvaise, à une marchandise qui
serait payée plus ou moins cher par les dieux, comptables de nos destinées 1
Ainsi, pour le second passage (Mi.) surtout, pauperare semble
renvoyer à une variation limitée de fortune ; une marchandise ne peut ruiner
définitivement son propriétaire, il ne peut s'agir que d'une perte
progressive. Mais pour le vers 1128 du Ps . , le trafic dont il s'agit est
bien plus lucratif : si le leno n'avait autour de lui que des gens de
bien, il serait dans la misère (puisqu'il ne gagnerait rien) ; comme il
est entouré de jeunes gens débauchés, il s'enrichit fabuleusement.
L'exemple du vers 729 du Miles est donc le seul qui permette
d'affirmer que paupero signifie "de pauvre rendre plus pauvre". Mais ce vers est
remarquable par son archaïsme : le sujet de paupero est une chose, merx,
la "marchandise", ce qui correspond à un état de langue où pauper se
disait d'une terre qui produisait peu, et où pauperies qualifiait le dommage
causé par un animal
A l'époque de Plaute, paupero ne signifie donc plus "de pauvre rendre
plus pauvre" mais "de riche rendre pauvre".
- 48 -

PAVPEECVLVS

A côté de formes intensifiées, en -ior et -imus, il existe une


autre forme également adjectivale , qui est dérivée de pauper, pauper-
culus .
On a l'habitude de considérer -culus comme un suffixe diminutif;
en est-il bien ainsi chez Plaute (V?) à propos de pauperculus du moins?
Il y a 5 emplois de pauperculus dans les comédies ; nous pouvons
les classer en deux catégories.
1) Dans trois cas, un personnage parle d'un pauvre ou d'une
pauvresse qu'il considère avec condescendance et pitié:

11 ... Virgini pauperculae


Tuaeque matri me leuare paupertatem ?"(Ep.555)
" Que je soulage la pauvreté d'une pauvre fille et
de ta mère ?"

"(east... quam )
Pauperculara raemini coraprimere "(Ερ.5^·Ο c)
11 (C'est ) il m'en souvient , cette pauvre fille
à qui je fis violence "
11 Nostin hune senem Euclionem ... pauperculum "(Au. 171)
" Tu connais Euclion, ce pauvre vieux ...".

Ainsi , le suffixe -culus semble souligner certains traits latents


de pauper, comme le sentiment qu'on a de son infériorité sociale , de
sa dépendance vis-à -vis d1 autrui. Les sèmes virtuels se trouvent donc
développés et nous ne pouvons pas dire que le sème constant de pauper
se trouve altéré comme si nous avions affaire à un véritable diminutif
qui voudrait dire modérément pauvre.

2) Rencontre -t-on alors cette valeur diminutive dans les deux autres
exemples ? „
"... quamquam sumus pauperculi
. .
Est domi quod edimus" (Poe 536-7)

" Quamquam res nostrae sunt , pater, pauperculae


Modice et modeste meliust uitam uiuere "
(Per .
- 49 -

En réalité, ici aussi , pauperculus ne signifie pas


modérément pauvre ; dans les deux derniers emplois, nous disposons en effet
d'éléments qui tendent à prouver que les personnages qualifiés de gau-
perculi sont en fait des pauperes :

Dans le Poenulus , au vers 535» les pauperculi sont


précédemment définis comme des plebeii et pauperes (vers 5^5) ·
Dans le Persa , la fille du parasite Saturion qualifie,
aussitôt après le vers 3^5 ι la situation de son père et d'elle-même
de paupertas ( res pauperculae = paupertas) .
Il est dès lors bien clair que pauperculus n'est pas un diminutif
de pauper, il le remplace :
1) lorsque le diues qui évoque le pauper veut souligner,
avec la supériorité qu'il a sur lui , la bienveillance qu'il lui
manifeste ( Au vers 171 de l'Aululaire , c'est Mégadore qui emploie ce terme
et au vers 555 de l'Epidique le riche vieillard Périphane )
2) lorsque le pauper lui-même qualifie avec une certaine
complaisance sa situation , tout comme en français nous disposons de
litotes ou de formules imagées dans des expressions telles que "nous ne
sommes pas bien riches" , surtout lorsqu'elles précèdent des séquences
comme " mais nous avons le nécessaire" ou encore"nous avons notre
dignité " ( ce qui recouvre exactement le mouvement des phrases latines
citées , avec leur subordonnée introduite par quamquam ( Poe. 536 et Per.

Par conséquent , comme pauperculus n'est pas un diminutif


mais un équivalent à valeur affective de pauper , et que pauperior n'est
pas un véritable intensif mais un terme à valeur classificatrice ,
pauper et sa famille s'appliquent essentiellement , plutôt qu'au pauvre
considéré isolément et selon l'intensité de sa pauvreté , au type
nettement tranché du pauvre en face du riche.
- 50 -

PAVPEHTAS PAVPEKIES

En essayant de cerner la valeur de pauperculus, nous avons posé


ρΛ;5 l'équivalence res pauperculae = paupertas.
Mais quelle est précisément chez Plaute la valeur de paupertas ?
Cet abstrait de qualité, obtenu comme un grand nombre de termes
par adjonction du suffixe -tati- à un adjectif, suscite, .lorsque nous
considérons ses emplois chez Plaute, deux remarques :
1-11 est employé concurremment avec pauperies, qui est, lui aussi,
un abstrait de qualité.
2-11 n'existe pas de terme absolument antithétique, sur le plan
formel du moins (en effet, sur le plan de l'emploi, diuitiae fonctionne
comme paupertas)
Il faudra donc, d'une part voir les rapports de paupertas avec
pauperies, d'autre part étudier en quoi les relations pauper / paupertas
sont spécifiques et n'ont pas d'équivalent exact avec diues / diuitiae.
Il semble dès maintenant que l'état de pauper est plus caractéristique
que colui de diues, puisque dans le cas de diues.il n'existe pas de
terme marquant l'état, alors que dans celui de pauper il y a non seulement
un mais deux termes désignant la situation.
Nous développerons d'abord la première remarque et reprendrons
l'étude comparée de paupertas / diuitiae quand nous étudierons les couples
antithétiques (^7) ·
Examinons les emplois des deux termes dans les différentes comédies
à partir de l'environnement lexical et d'après la manifestation syntaxique.

Paupertas est employé 10 fois (^+8), pauperies k fois seulement (^9) ·


Peut-être le terme pauperies, archaïque, a-t-il été remplacé p^u à
peu par paupertas, plus fréquent déjà chez Plaute ? Mais il faut en
revenir au plan synchronique et se demander si les deux termes ont chez
Plaute exactement la même valeur. Il ne le semble pas. Considérons donc
les traits de signification de chacun d'eux.
- 51 -

PAVPERTAS

Le lexème a pour sème constant : état de celui qui possède peu.


Ce trait se déduit de vers tels que Per. 3^5-3^8 où paupertas et res pau-
perculae semblent avoir une valeur analogue :

" Quamquam res nostrae sunt, pater, pauperculae,


Modice et modeste meliust uitam uiuere,
Nam ad paupertatem si admigrant infamiae
Qrauior paupertas fit , fides sublestior "
" Cependant , si pauvrette que soit notre condition, mieux
vaut, mon père, garder une certaine retenue. Car, si à
la pauvreté vient s'adjoindre mauvaise renommée , la
pauvreté devient plus pesante et le crédit plus léger ".

Le second sème , virtuel, est : état accablant.


Il se trouve réalisé quand le lexème paupertas est associé à des
verbes comme tolerare ou leuare ( soulager) ou à des termes tels que
l'adjectif grauior au vers 3^8 du Persa précédemment cité. Notons
ticulièrement l'emploi du vers 55& de l'Epidique

" ... Virgini pauperculae


Tuaeque matri me leuare paupertatem ?"
" Que je soulageai la pauvreté d'une jeune fille et de ta
mère ?"

et celui du vers 9lS du Rudens;

" ... experiri expetiui


Paupertatem eri qui et meam seruitutem
Tolerarem ..."
11 Je voulais essayer si je trouverais de quoi soulager la
pauvreté de mon maître et ma servitude à moi ;"

Une troisième série de relations concerne les réactions de celui


qui souffre de la paupertas et le comportement de celui qui l'observe.
Il s'agit de:
- 52 -

paupertas " état qui est à l'origine d'une attitude


ticulière, essentiellement un train de vie
modeste "
(C'est ce que montre le vers 206 de l'Aululaire :

11 Neque illo quisquam est alter hodie ex paupertate parcior"


" II n'y a personne au monde que la pauvreté rende plus
regardant ")

et de
Paupertas " état qui suscite chez autrui une réaction
d'assistance"
comme l'indiquent les vers cités à la page précédante , Ep.556 et
Ru. 918 , ( avec les séquences "paupertatem leuare " et " paupertatem
tolerare" ) .
Ces deux relations s'appuient sur le sème virtuel:

11 qui fonctionne comme une cause agissante".


Ainsi , en plus du sème constant , état de celui qui possède peu,
le terme comporte les deux sèmes virtuels:

-état qui accable


-état qui suscite des réactions chez autrui.

Ces deux derniers sèmes peuvent sembler contradictoires; en fait,


ils sont complémentaires , le fardeau de la pauvreté pouvant être
allégé par autrui.
- 53 -

PAVPERIES

Le lexèrae a le même sème constant que paupertas , état de celui


qui possède peu. Aussi bien , il s'applique à la situation d'Euclion
dans l'Aulularia , qui se définit lui-même (vers 88) comme pauper .
( Notons que ce même Euclion emploie pauperies pour désigner son
état , avant et après la perte de sa marmite. Avant cette perte , il
se lamente ainsi :

11 ... Meam pauperiem conqueror.


(Virginem habeo grandem , dote cassam atque inlocabilem)"
"...Je me lamente sur ma misère. (J'ai une fille déjà
grande, (T.ais sans dot , et d'un placement impossible)" .

Après la perte de sa cassette, le terme est à nouveau utilisé par


Euclion au vers 722:

" Tantum gemiti et mali maestitiaeque hic dies mi optulit


famem et pauperiem "
" Tant cette fatale journée m'apporte de larmes, de maux, de
chagrin, sans compter la faim et la pauvreté ".

Dans ce dernier vers , pauperies est associé à famés : tous deux


constituent un groupe qui s'oppose à un autre , formé de malum et maes-
titia ; le premisr ensemble famem et pauperiem concerne l'aspect
matériel de la nouvelle situation d1 Euclion , et le second, 1 'aspect moral.
Nous pouvons ainsi tirer de ces deux passages de l'Aululaire la
relation :
Pauperies "état dont on se plaint vivement ".
Cependant , cette gêne va au-delà du domaine matériel , comme il
ressort des vers 572-573 du Truculentus , où intulit in pauperiem est
glosé par priuauit bonis, luce, honore atque amicis. Certes , priua-
uit bonis est cité en premier lieu, parce que c'est la conséquence la
plus immédiate, mais les autres effets , du domaine social, suivent de
près.
- 54 -

Un autre trait de signification de pauperies est la vision résul-


tative du terme. Alors que paupertas est vue comme une cause agissante,
pauperies apparaît toujours comme un aboutissement. D'ailleurs, le terme
ne se rencontre qu'à l'accusatif, chez Plaute et chez la plupart des
écrivains.
Ce sème résultatif est réalisé dans les emplois de Au. 722 et Tru.
573i déjà cités page précédente , avec leurs formules , hic dies rai op-
tulit famem et pauperiem et intulit in pauperiem , littéralement "ce
jour m'a apporté la faim et la misère" et " m'a jeté dans la misère".
Et cette valeur résultative explique qu'on ait pu lire ad pauperiem
au vers 109 du Trinummus :

11 (Nam postquam hic eius rem confregit filius)


Videtque ipse ad paupertatem protractura esse se"
" (Quand son fils eut dissipé toute sa fortune)
et qu'il se vit réduit à la misère "
Pauperiem est plus satisfaisant pour le sens que paupertatem,
puisque cet état de pauvreté est vu comme la conséquence de la débauche du
fils. Cependant certains éditeurs donnent paupertatem (50). On
pourrait toutefois objecter que , dans ce vers , s'il y a valeur
résultative , il y a aussi valeur causative , puisqu'il est suivi de

" Quoniam hinc iturust ipsus in Seleuciam"


" Dans ces conditions, il prit le parti de s'en aller en
Séleucie ( sans doute pour y faire fortune) " vers 112

En conclusion de l'étude de pauperies, nous pouvons dire que, bien


que les deux ternes pauperies et paupertas s'appliquent à une même
réalité , la pauvreté d'Euclion, aux vers 190 et 206, nous sommes tentée
de voir dans la signification de pauperies un dénuement plus intense.
En fait , il n'en est rien; c'est seulement le sème pathétique qui
donne cotte impression. Aussi bien , au vers 206 , c'est un esclave qui
emploie le mot paupertas et au vers 190, c'est Euclion lui-même qui u-
fcilise en se lamentant le terme pauperies.
- 55 -

Par conséquent , pauperies semble être la forme que prend pcupertas


quand cet état de pauvreté est ressenti d'une façon particulièrement
cruelle; c'est le cas à certains moments de la vie où il est plus que nécessaire
d'avoir de l'argent , par exemple pour donner une dot à sa fille , c'est le
cas d'Euclion au vers 190 de 1 'Aululaire.

Nous pouvons désormais figurer de façon systématique les composantes


sémiques des deux termes et leurs distribution.·? syntaxiques.

PAVPERIES PAVPERTAS
état de celui qui possède peu
état dont on se état qui accable
plaint vivement le patient

avec valeur avec valeur


résultative causative

toujours à emploi au nominatif


l'accusatif ou avec préposition
introduisant un
complément de cause:
propter, ex
- 56 -

REMARQUES SUR LE TABLEAU D'EMPLOI DE PAVPERIES ET PAVPERTAS

A) La présence des deux sèmes virtuels de pauperies


gêne )- vue comme un résultat
l - et source de lamentation
explique l'ancien emploi qui a été fait de pauperies dans des textes
juridiques. Le terme signifie alors "dommage causé par un animal"
(52). Or pauperies évoque chez Plaute un état défectueux (du
patrimoine) que l'on n'a plus qu'à constater et à déplorer (tout comme on
assiste impuissant aux dommages causés par un animal).

B) En fait, la distinction entre paupertas (valeur causative) et pauperies


(valeur résultative) ne s'applique pas exactement dans tous les cas.
Dans un passage, en particulier, paupertas est attendu ; or,
nous trouvons pauperies, ou plus précisément pauperiem :

"Propter pauperiem hoc adeo nomen repperi,


Eo quia paupertas fecit ridiculus forem" (St.17o)
"La pauvreté m'a fait trouver ce nom (c'est le parasite
Gélasime qui parle) car c'est elle qui m'a contraint à
prendre le métier de bouffon".

Ici, la valeur est causative dans les deux cas. Or pauperiem


figure en face de paupertas au vers 177, alors que c'est bien le
même état qui est désigné.
La raison semble d'ordre métrique : paupertatem est
impossible, en cet endroit du vers du moins ; mais il est significatif de
constater qu'un manuscrit donne l'amétrique paupertatem (B), et deux
autres paupertem(C,D) oui n'existe pas. C'est bien la preuve que
logiquement paupertaiem paraissait plus satisfaisant.
- 57 -

CONCLUSION SUR PAVPER

Dans le champ sémantique de la possession, pauper occupe une place


importante. Du point de vue quantitatif, c'est en effet la famille la
mieux représentée.
Etant donné que pauper se définit essentiellement comme "qui possède
peu", le terme implique possession réelle (maison, moyens de production...)
Mais aussi, cette possession est limitée, ce qui constitue une information
assez vague. Où commence en effet la notion de peu ? Où finit-elle ?
Si le terme pauper est assez vu{;uenent défini quand on cherche à
le caractériser positivement, il est en revanche bien net dans son
opposition à diues et sa famille. Aussi bien, un emploi sur deux présente
explicitement ou implicitement cette opposition.
Ainsi, c'est surtout par ses sèmes virtuels que pauper correspond
à un terme chargé de sens. Ces traits latents (accablement, crainte,
sentiment d'être traité injustement, esprit de caste...) se manifestent
au gré des contextes (présence d'un diues en scène, moments particuliers
de la vie) . Ils se réalisent aussi plus aisément dans certains mots de
la famille (pauperculus par exemple) ou dans certains tours privilégiés
(pauper comme substantif) .
C'est donc le type du pauper qui s'impose à nous plutôt que la
qualité de pauper. En effet, pauper ne peut être conoidéré comme un adjectif
ordinaire, susceptible de variations d'intensité : on est pauper ou on
ne l'est pas, on ne l'est pas plus ou moins.
- 58 -

EGERE

Nous relevons 29 emplois du verbe egere , aux modes personnel et


impersonnel, avec et sans complément (yf>) .
Ces emplois relativement nombreux interviennent dans des contextes
souvent comparables, ce qui facilite la description que nous
entreprendrons.

I TRAITS DE SIGNIFICATION

A partir du vers 581 des Captifs :

" Quia tute ipse eges in patria nec tibi qui uiuas domist"
" Parce que dans ton pays tu n'es qu'un -&\\ '.>'.:;; et que tu
n'as pas chez toi de quoi vivre ",

et des vers 120 et 123 du Persa :

"Nihili parasitus est cui argentum domi est


Cynicum esse egentem oportet parasitum probe "
" Un parasite ne vaut rien s'il a quelque argent chez lui "
Un parasite doit être aussi démuni qu'un philosophe cynique"
(5<0,

nous pouvons établir la relation:


egere "manquer du nécessaire".

Cette relation peut aussi être formulée inversement :


egere vs être dans la richesse,
si nous considérons le vers 683 du Trinummus , où egere est opposé ,
grâce à la particule adversative autem à esse in ditiis et agrum habere .
Comme ces deux expressions impliquent un état ( esse in ) d'opulence
basé notamment sur la possession foncière ( agrum habere) , egere signifie
nécessairement " être dans l'indigence " , c'est-à-dire qu'il marque un
état (55) de possession encore inférieur à celui que désigne esse pauper.
- 59 -

Le passage du Trinummus est précisément :

" (... non conuenit)


Me , qui abusus sum tantam rem patriam , porro in ditiis
Esse agrumque habere , egere illam ..."
" (... Il est inadmissible que moi, qui ai gaspillé un tel
patrimoine, je continue à vivre dans l'aisance et à
posséder ce champ , tandis qu'elle serait dans la misère ..."

Le caractère extrême de l'indigence impliquée dans le verbe egere


apparaît aussi nettement au vers 230 de la Mostellaria , dans lequel
egere est mis sur le même plan que mendicare . , verbe de sens très fort
(56) ;

"(... uenibit multo potius)


Quam te me uiuo umquam sinam egere aut mendicare "
" (...Je le vendrai plutôt , mon père, ) plutôt que de te
laisser , moi vivant , manquer du nécessaire ou être réduite
à mendier ".

Une autre illustration de la gravité de l'état désigné par egere


est à noter au vers 684 de l'Asinaire :

" (Quaeso hercle, Libane, sis erum tuis factis sospitari)


Da mihi istas uiginti minas : uidcs me amantem egere"
"( Je t'en prie , Liban, si tu veux que ton maître te doive
la vie), donne -moi ces vingt mines : tu le vois ,
j'aime et je n'ai pas le sou ".

Les nombreux exemples cités précédemment permettent de déceler dans


egere le sème de nécessité extrême. Les contextes eux-mêmes peuvent
donner une preuve de la gravité du dénuement désigné par egere . Si nous
relevons l'identité des personnages qualifiés d'egentes, nous constatons
qu'ils appartiennent à quatre catégories :
- 60

1 - Jeunes gens amoureux ruinés par les exigences de leur


maîtresse ( Cu.l42 , Per.1 , Ps-273 , Tri . 330 )
2 - Jeunes filles absolument démunies , à l'issue d'un
frage (Ru. 274 )
3 - Matrones privées de leurs époux partis faire fortune
sur la mer (St. 283 sqq.)
4 - Parasites tenaillés par la faim (St. 331 ...)

Un autre sème , entraîné d'ailleurs par le premier, peut être


relevé à partir de séquences telles que :
" Eraeque egenti subueni " (St. 282)
ou "...argenti mutui ut ei egenti opem adferam " (Per .256)
ou encore " Da mihi istas uiginti minas : uides me amantem egere"
(As. 684),

séquences qui fondent l'association :

egere " être dans un état qui suscite l'aide d'autru

Un sème virtuel d'activité s'ajoute donc parfois au sème constant


de dénuement extrême. D'ailleurs le Thésaurus glose ainsi une série
d'emplois d' egere " accedit quaedam nécessitas = desiderare , postulare ".
D'une certaine manière, egere est donc plus proche de l'actif mendicare
que de pauper esse , passif et résigné.

Un autre sème virtuel est réalisé dans les contextes où un amant


ressent cruellement son indigence. Sur les 29 emplois d' egere , 8
associent l'amour et l'indigence (57)·
On s'attendrait à ce que les deux notions d'amare et d· egere soient
mises en rapport logique et chronologique et qu'à la débauche succède
l'indigence , il n'en est rien : les deux verbes amare et egere sont mis
sur le même plan : c'est ce que prouvent les parallélismes syntaxiques de
- 61 -

" Amatur et egetur acriter "(Ps.273)


"Qui amans egens ingressus est princeps in Amoris uias" (Per.I)
" ... Edepol qui amat, si eget, misera adficitur aerumna"
(Cu.142).

Certes , au vers 684 de l'Asinaire, nous lisons "amantem egere",


ce qui implique que les deux éléments ne sont pas mis sur le même plan.
En fait , si egere a été préféré à egens , c'est que , semble-t-il , il
contient plus nettement qu· egens l'idée verbale active qui rapproche
egere de postulare, ce qui n'est pas étonnant , étant donné que le
contexte est celui d'une demande d'argent.
Ainsi les deux notions , amare et egere , sont vues parallèlement
alors qu'inopia et luxuria sont associées dans un rapport logique , ino-
pia succédant invariablement à luxuria ; dans le cas d ' 'igere , on
n'insiste pas sur le caractère d'imprudence ou d'immoralité de la
dissipation , mais sur la douleur causée par la coïncidence amare-egere. Nous
rencontrons en effet dans des contextes analogues la même vive douleur
causée par l'association amare-egere , douleur figurée souvent par
l'image du fardeau douloureux, aerumna (58) :

" Qui amans egens ingressus est princeps in Amoris uias,


Superauit aerumnis suis aerumnas Herculi " ( Per. 1,2)
" . . .Edepol , qui amat , si eget , misera adficitur aerumna"
(Cu.142).

La même comparaison avec une douleur pesante a déjà été rencontrée


à propos de la famille de pauper , avec paupertas et pauperies (59) ;
ii faut alors croire que c'est une catégorie qui appartient à l'ensemble
des termes du champ sémantique de la pauvreté (60) .
Une autre image accompagne parfois egere, c'est celle de
l'aiguillon lancinant qui tourmente l'amant sans le sou, comme le montre la
présence de l'adverbe acriter au vers 273 du Pseudolus.

Après la douleur impliquée par la coïncidence amare - egere, nous


relevons un autre trait sémique fondé sur l'association:

egere " être dans un état qui provient du gaspillage"


62 -

Un certain nombre de vers étayent cette relation:

" Qui quidera nusquam per uirtutem rem confregit atque eget"
(Tri. 336)
"...festo die si quid prodegeris
Profesto egere liceat, nisi peperceris " (Au.380,38l)
"Et per nos quidem hercle egebit qui suum prodegerit"
(Mer. 1020).

Les deux derniers exemples sont particulièrement intéressants;


dans les deux cas , l'antériorité logique de prodigo par rapport à egeo
est nettement exprimée par le jeu des temps , subjonctif parfait /
subjonctif présent dans un cas , futur antérieur / futur simple dans
l'autre. Le rapport entre les deux termes est d'ailleurs souligné par la pa-
ronomase. Nous devons noter ici que prodigo n'est employé par Plaute
que deux fois et à chaque fois avec egeo ( voir les deux exemples cités) .
Cette association n'est peut-être pas fortuite ; l'histoire de prodigo
semble montrer que le verbe a dû appartenir anciennement au vocabulaire
de la possession (61).

Le dernier sème d' egere est peut-être le moins apparent; il est


établi par l'association suivante :
egere "être dans un état qui inspire le mépris".
Nous avons vu au contraire le pauper parfois entouré de respect
(62). Le mépris dans lequel est tenu 1' egens apparaît nettement au vers
257 du Trinummus :

"Vbi qui eget, quam preti sit parui"


"( quand je songe) au mépris dans lequel est tenu celui qui
n'a rien ".
L' egens ne vaut rien ; la métaphore latine , qu'il est d'ailleurs
possible de rendre en français, caractérise bien le monde mercantile
que Plaute met souvent en scène et dans lequel les êtres comme les choses
semblent monnayés. Nous notons le même mépris au vers 331 du Stiehus et ai
vers $3^ du Trinummus.
- 63 -

Les sèmes 2 (activité qui provoque le secours d'autrui)


et 4 ( état qui inspire le mépris)
ne sont pas contradictoires. On peut très bien , en effet, aider
matériellement un être dit egens , tout en le méprisant dans le fond , en le
considérant comme une nullité sociale (63).
Rappelons brièvement les sèmes d· egere.

Sème constant : manquer du nécessaire


ce qui provoque ce qui entraîne ce qui résulte ce qui
l'aide d'autrui douleur(avec d'un cause
amare ) gaspil age le
mépris

sème virtuel sèmes virtuels passifs


actif
fc

II MANIFESTATION SYNTAXIQUE

Considérons maintenant la manifestation dans la phrase du verbe


egere. Nous avons déjà en fait abordé cette question quand nous avons
noté la valeur particulièrement active de l'infinitif egere (associé
au participe amans au vers 684 de 1 ' Asinaria cf . supra p. 55)'· Nous
insisterons ici simplement sur deux points, la prédominance du
participe egens et la double construction (avec ou sans complément) du
verbe egere.
L'importance accordée au participe egens (10 emplois sur 28 en
tout) résulte du développement de la valeur d'état comprise dans egeo,
valeur d'état que réalisent les deux sèmes passifs du verbe (64). De
plus, le participe a, comme son nom l'indique, un statut qui se situe
à mi-chemin entre les deux catégories verbale et nominale.
C'est en revanche une réalisation du sème actif, provocation de
l'aide d'autrui, qu'illustre l'emploi d· egere avec un complément. Les
emplois avec complément sont les plus rares. Ces compléments peuvent
désigner trois ordres de réalités :
a) une personne chère (dont on est privé)
b) un secours matériel (dont on est privé)
c) une notion morale .

a) La première série comprend trois emplois :

"...Quia tui amans abeuntis egeo" (As .591)


"Quia tin egeat quia te careat..." (Mi. 1033).

Les emplois comparables d'egeo dans ces deux passages, même


structure syntaxique (quia...) et même contexte, celui de l'amour, développent
le sème virtuel affectif contenu dans egere .
Même contexte amoureux dans le troisième emploi de cette première
série au vers 450 de la Cistellaria ; l'amant parle à sa maîtresse et
la prie instamment de venir chez lui ; seulement, il s'exprime d'une
- 65 -

manière un peu détournée (et précieuse ?) et, au lieu d'utiliser la


première personne du singulier, il se sert de l'expression aedes meae,
"ma maison" :

"Meae issula sua aedes egent..."

Mais il est imprudent de commenter longuement ce vers qui est


corrompu.

b) Les deux ou trois emplois (65) qui donnent à egere un


complément désignant un élément matériel (secours en argent ou d'une nature
non précisée), correspondent au sème virtuel actif du besoin. Nous
trouvons ainsi l'accusatif (de relation) au vers 121 des Ménechmes :

"... nec quicquam eges"

et le génitif au vers 274 du Rudens :

"...egentes opum".

c) Le troisième groupe d'emplois fait dépendre d' egere une notion


morale (pudoris au vers 819 de 1 'Amphitryon) ou intellectuelle (consili
au vers 651 des Bacchides) . Il s'agit ici d'une utilisation dérivée du
verbe egere, qui n'a plus alors qu'une valeur affaiblie. Il ne contient
plus que le sème de nrii. ue, sans aucune idée de nécessité matérielle
(ainsi, à la limite, i ne concerne plus notre propos). Egens est alors
synonyme de la préposition sine. Nous pensons alors à une influence de
careo sur egeo. En effet, la valeur et la construction d'egeo dans ces
doux cas (manque d'un élément qui n'entraîne pas forcément de douleur
et présence d'un complément) évoquent celles de careo (manque d'un
élément pas nécessairement ressenti comme pénible et présence constante
d'un complément).
Ainsi l'emploi d'egeo avec complément ou bien accentue certains
éléments déjà contenus dans le verbe construit absolument, ou bien
manifeste l'influence dans la construction d'un verbe de sens voisin,
careo (66).
III FAMILLE D' EGERE

La famille d' egere comme celle de pauper a plusieurs


représentants . Nous notons ainsi chez Plaute le substantif abstrait egestas
qui fait pendant à paupertas, l'adjectif egenus , rarement employé il
est vrai , et le composé indigere , peu fréquent lui- aussi.

A) EGESTAS

Le terme se trouve 11 fois chez Plaute , dans des constructions


souvent analogues ; ainsi , sur ces 11 emplois , nous notons à trois
reprises la tournure tolerare egestatem alicui (67).

Les traits de signification sont les suivants :

Egestas " état de 1· egens c'est-à-dire de celui qui


manque du nécessaire "

Cette relation se tire par exemple du contexte des vers 683 sqq.
du Trinummus. En effet , dans ce passage , egere s'oppose à in ditiis
esse et à agrum habere (vers 682,3 ) . Or , quelques vers après,
egestatem exsequi s'oppose à agrum habere (vers 686,7). Il est clair
par la similitude de l'élément antithétique agrum habere que
egestatem exsequi a pratiquement le même sens qu' egere. Il s'y ajoute , certes,
l'idée de l'entrée dans l'état ( exsequi = obtenir) , mais l'état en
question est le même dans les deux cas , celui d'une grande nécessité.

La seconde relation est la suivante :

Egestas " état qui tourmente celui qui en est


atteint d'une sorte d'aiguillon ".
Deux passages réalisent particulièrement bien cette relation:

" Quiduis egestas imperat ..." (As.671)


" Viden egestas quid negoti dat homini misero mali" (Tri. 847).
67 -

Dans ces vers, 1 'egestas est vue comme une force qui torture
l'homme. Son rôle actif est nettement mis en valeur par sa fonction de sujet
d'un verbe d'action ou de volonté dans la phrase (68).

La troisième relation est logiquement issue de la seconde :

egestas " état qui suscite l'aide d'autrui "

Ainsi s'explique la fréquence du tour tolerare egestatem alicui,


"soulager la pauvreté de quelqu'un ". Etant donné que presque tous les
emplois que Plaute fait de ce verbe tolerare (69) sont compris dans
l'ensemble de ceux que nous étudions ici , c'est-à-dire comportent ce
complément egestatem , il faut étudier l'affinité qui existe entre les
deux termes et ce qui constitue l'originalité de cette tournure par
rapport à d'autres de sens voisin.
Tolerare est de la famille de tollo , mais le sens originel de
porter, supporter n'est plus guère sensible à l'époque de Plaute ( sauf si
on lit au vers 598 de l'Aululaire toleret et non tolleret ). Toutefois,
il semble que la valeur première subsiste quelque peu dans l'expression
egestatem tolerare. En effet , la situation de 1' egens est alors
considérée comme un état qui pèse. Or nous avons déjà rencontré , notamment
avec paupertas cet élément d'accablement. D'ailleurs Plaute emploie
parallèlement le tour paupertatem tolerare ( Ru. 919) et egestatem
tolerare ( Tri. 371, 338 ,358).

La quatrième relation présente un contenu moral :

egestas " état qui inspire à autrui des sentiments


de mépris " (70) .

Ainsi , au vers 163 de l'Asinaire , l'amant déclare avoir tiré sa


ma îtresse de la misère ( egestate) et de l'état d'isolement , de
rantaine" (solitudine) qui en découle.
Au vers 35& du Trinummus , nous observons le même blâme moral
décerné au jeune homme ruiné par une vie de plaisir:
- 68 -

" Qui quidem nusquam per uirtutem rem confregit atque eget".

Dernière relation qui complète le parallélisme de la composition


sémique d' egestas et de celle d' egere :

Egestas " état qui résulte d'un gaspillage des biens",

En effet , sur les 11 emplois d* egestas , 5 au moins contiennent le


sème "résultat d'un gaspillage antérieur".
Qu'il s'agisse de la misère du jeune Calidore ruiné par les
exigences de Phénicie au vers 695 du Pseudolus , de celle de Lesbonicuà
qui a dissipé son patrimoine dans une vie consacrée au plaisir , deli-
ciae ( Tri. 334, 689) ), ou d'une façon générale de l'indigence du
citadin , urbana egestas (Vi.32), indigence qui s'explique par les
nombreuses occasions de dépense qu'entraîne la vie à la ville, alors que
le séjour à la campagne est rude ( laboriosa . . .uita est rustica Vi.31)
mais incite moins à la dissipation, dans tous ces cas , 1 'egestas
provient d'un gaspillage d'une richesse antérieure. Dans les trois autres
emplois , egestas est un état qui n'est pas dû à une vie de dissipation.
Le terme caractérise en effet la situation de la courtisane Philénie
avant de connaître un riche amant (As_.l63) ou lorsqu'il l'abandonnera
(As. 139), et celle de l'indigent Sycophante (Tri. 847) .

Ainsi, tantôt egestas qualifie l'amant ruiné par les exigences de


la courtisane , tantôt la courtisane elle-même lorsqu'elle est
dépourvue de riche amant. Nous sommes alors amenée à constater une sorte
d'échange , 1 'egestas passant d'un personnage à un autre, de la courtisane
à l'amant et vice versa si la courtisane est délaissée (71 ) . Tout ceci
montre bien que l'état d 'egestas qui désigne un dénuement plus radical
nue paupertas, est temporaire (72).

Si nous pouvons parler de parallélisme à propos de la composition


sémique d' egere et d'egestas , il n'en est pas de même au niveau de la
construction dans la phrase. En effet, alors qu· egere peut avoir un
69 -

complément désignant l'objet que l'on implore , egestas n'en a jamais


ainsi d'ailleurs que son homologue paupertas.

Avant d'étudier les autres mots de la famille d' egere , (indigeo,


indigus , egenus ) , notons la présence , contestée , il est vrai
d'egentiorem . Le fait mêrre qu'on ait pu lire ce mot est intéressant (72);
il prouve en effet qu'egons peut être senti à la limite comme un
adjectif. Il est en effet traité comme tel puisqu'il posséderait une forme
comparative. Nous pouvons toutefois nous demander si le sens des mots
de la famille d' egere admet un adjectif au comparatif; il ne le semble
pas; en effet, le seul egere signifie déjà être dans une grande
nécessité, c'est-à-dire qu'il a déjà une valeur extrême. Mais toutes les
langues présentent cette particularité d'accentuer, d'une manière ou d'une
autre ,les termes de sens radical, pour la raison de l'expressivité,
phénomène qui entraîne par la suite l'affaiblissement de sens des termes.

B) AUTRES MOTS DE LA FAMILLE D' EGERE

Indigeo
Ce verbe, relativement rare, (4 occurrences seulement) est toujours
complété par un mot au génitif qui désigne un conseil ou un secours
espérés . Ainsi lisons-nous au vers 642 du Rudens:

"Duae innocentes intus hic sunt, tui indigentes auxili",

et aux vers 29 et 31 de la Cistellaria :

"... Suarum opum nos uolunt esse indigentes ;


Nostra copia nil uolunt nos potesse
Suique omnium rerum nos indigere "
" . . .Elles veulent toujours que nous ayons besoin de leur
protection; elles veulent toujours que nous ne puissions rien
par nous-mêmes et qu'en toutes choses nous ayons besoin de
recourir à leur aide "

ainsi qu'au vers 9^3 du Rudens :


- 70 -

" Non edepol piscis expeto quam tui sermonis sum indigons"
" Ce n'est pas du poisson que je te demande parbleu !
C'est d'une conversation avec toi que j'ai besoin ".

Notons que sur ces 4 emplois , esse indigens est employé 2 fois,
indigens seul une fois et l'infinitif indigere , une fois seulement.
Le sens des deux expressions , indigere et esse indigens semble le
même, comme il apparaît dans le parallélisme des vers 29 et 31 de la Cis-
tellaria ( cf. supra ). L'emploi presque identique des deux tours
rappelle le parallélisme de egere/ esse egens.
Les deux périphrases , esse egens et esse indigens , tendraient
donc à supplanter egere et indigere. C'est bien la preuve qu' egens et
indigens sont de plus en plus sentis comme des adjectifs au même titre
que pauper et inops.

Essayons maintenant de déceler la nuance que contient le composé


indigere par rapport à egere ? En face d' egere, à valeur souvent
indéterminée , "être dans le besoin" , indigere joue le rôle d'un verbe
déterminé , "avoir besoin de tel ou tel secours , qu'on implore auprès de
la personne susceptible de le fournir " (cf. la présence de tui aux vers
642 et 943 du Rudens) . Cette répartition, verbe simple plutôt transitif
et indéterminé/ verbe composé transitif et déterminé , reflète un
schéma courant dans la langue qui possède là une façon de noter l'aspect.
La présence du complément avec le composé à valeur déterminée s'explique
d'ailleurs très facilement ; il faut se rappeler le stade où le
préverbe n'était pas soudé au verbe et où il pouvait alors accompagner un
substantif.

Indigus

Comme le seul emploi d' indigus se trouve dans un des arguments du


Pseudolus , nous ne pouvons le commenter longuement. Le tour évoque
celui du vers 274 du Rudens : egentes opum .

Egenus
Quant à l'adjectif egenus, il ne se trouve que deux fois chez
Plaute. Dans les deux cas , il se rapporte au substantif res qu'il qualifie
d'ailleurs avec d'autres épithètes (74) :
- 71 -

". . .res. . .
Dubias, egenas, inopiosas consili"
"...affaires douteuses, pauvres d'argent , démunies de plan"
(Poe. 130)
"Rébus in dubiis , egenis " (Cap.4o6)
" dans mes périls et dans ma détresse "
L'association d'egehas à dubias n'est d'ailleurs pas gratuite; c'est
probablement parce que le personnage n'a pas d'argent ou que sa
situation est critique qu'il est obligé de recourir à n'importe quel moyen
pour soulager son indigence , réalisant ainsi des affaires mal préparées,
res inopiosas consili (75)·

Ainsi le verbe egere et l'abstrait egestas représentent presque


tous les emplois de la famille, famille bien illustrée dans le corpus
plautinien , car réservée essentiellement à la peinture de deux catégories
de personnages privilégiées par son théâtre , l'amant ruiné par sa
prodigalité et la courtisane qui ne vit que des largesses de ce dernier.
72 -

INOPS

Nous relevons 11 occurrences du terme , toujours employé seul, a-


lors qu'inopia régit 8 fois sur 18 un complément (76).

I Traits sémiques

1 ) La première relation est la suivante :

inops "qui n' a pas de ressources pour vivre"

Elle est déduite des oppositions suivantes :

a) inops vs "qui a un thésaurus"

d'après le vers 11 de l'Aululaire :

" Inopemque optauit potius eum relinquere


Quam eum thesaurum commonstraret filio"

b) inops vs "qui a de quoi vivre"

d'après le vers 87 de l'Aululaire:

" Qum mihi qui uiuam copiam inopi facis".

Cette identité négative s'extrait plus directement de deux sortes


de phrases ; les premières soulignent en quelque sorte phoniquement
le caractère négatif d'inops en lui donnant un écho grâce à un autre
terme lui aussi préfixé en in- négatif. C'est le cas du vers 221 de
l'Aululaire :

" Vt inopem atque innoxium . . .me inrideas "

Ici inopem est coordonné à innoxium , " qui n'a pas de ressources et n'a
pas d'intention de faire du mal ".
Nous relevons le même écho négatif au vers 689 du Trinummus :

" Sed ut inops infamis ne sim ..."


" (Mais fais en sorte qu') étant privé de ressources , je
- 73 -

ne sois pas aussi privé de ma réputation".

Le procédé tourne à la paronomase au vers 517 des Bacchides :

" Igitur mihi inani atque inopi subblandibitur"


" Et quand j'aurai la bourse plate et les mains vides, elle
viendra me cajoler".
En effet, inani n'est pas un terme préfixé mais il a un sens
négatif : " qui n'a pas de poids réel". Les seconds syntagmes qui soulignent
le caractère négatif d'inops sont ceux qui lui opposent les termes de
sa famille non pourvus du préfixe négatif . de façon à rétablir un
équilibre, comme dans le vers déjà cité de la Vidularia :

"Qum mihi qui uiuam copiam inopi facis"


" A moi qui n'ai pas la possibilité de vivre , tu donnes
cette possibilité",
ou bien au vers 637 des Bacchides :

" ...opem mihi ferre putem posse inopem te"


" Que je pense que toi qui es sans secours tu me portes
secours" .

2) Le second trait sémique , corollaire du premier, est le trait


d'inanité, de vanité ; en effet, si le personnage qualifié d'inops ne
possède rien de solide , il a souvent pour lui les belles paroles , c'est-
à-dire la seule apparence , comme le reconnaît le parasite des Captifs,
au vers 470 :

"Ita iuuentus iam ridiculos inopesque ab se segregat"


"La jeunesse d'aujourd'hui relègue loin d'elle les pauvres
bouffons qui crSvent de faim "
Dans ce vers, le parasite Ergasile se lamente sur le sort des
pauvres bouffons sans le sou , qui n'ont pour subsister que leurs beaux
discours. Dans cette même ligne, il faut citer le vers 241 du Trinummus,
dans lequel Amor est une allégorie opposée à Res ; parmi les
qualificatifs d'Amor , il faut citer inops à côté de blandus et non loin de blan-
- 74 -

diloquentuxus. Il y a donc chez l'être qualifié d'inops une sorte


d'ostentation. Mais peut-être est-ce l'amour qui confère cette éloquence
au personnage ? Dans ce cas , inops n'a rien à voir avec cette
ostentation. En fait, nous trouvons aussi cette propension à la manifestation
dans d'autres contextes que ceux de l'amour. Ainsi , au vers 257 du
Rudens , les pauvres rescapées étalent pathétiquement leur situation
désespérée. Peut-être alors l'exhibition du dénuement n'est-elle qu'une façon
de susciter le secours d'autrui ? Il est certain que cette dernière
remarque se vérifie particulièrement bien à propos de ce vers du Rudens
où les jeunes filles sollicitent l 'aide du dieu honoré dans le temple
qu'elles viennent de découvrir sur le rivage. Cette tendance à
l'exhibition, quelle qu'en soit la raison , peut d'ailleurs être rapprochée d'un
trait qui semble inhérent aux mots de la même famille. C'est le trait de
manifestation (77) ·

3) Le trait constant de privation entraîne parfois le sème du


mépris, de la raillerie inspirée à autrui. Ce sème se fonde sur la relation:

inops "qui est méprisé par autrui",


relation sensible dans les syntagmes suivants :
" Vt inopem atque innoxium abs te atque tuis me inrideas"
(Au. 221)
"Ita iuventus iam ridiculos inopesque ab se segregat"
(Cap. 470).

Nous pouvons aussi parler de blâme moral encouru par 1' inops
lorsque son dénuement est entraîné par les exigences de l'amour. Nous
relevons en effet les oppositions suivantes ( qui rappellent ce qui a déjà
été noté à propos des conséquences de l'association egere/amare cf.
supra p. 55) i l'amator devenu inops (Tri. 255b) est méprisé ( parui sit
preti vers 257) tandis que les bons citoyens jouissent de la richesse et
de la considération:

"Boni sibi haec expetunt, rem, f idem, honorem,


Gloriam et gratiam; hoc probis pretiumst" (Tri. 272, 3).

Enfin à partir de tours tels que celui du vers 255 du Trinummus:


- 75 -

" Fit ipse, dum illis comis est


Inops amator "

il est tentant de voir dans inops un sème résultatif. En réalité, la


valeur résultative ne vient pas précisément de la présence d'inops.
Comme le trait essentiel est celui du manque (de ressources), lorsque
le contexte met en scène un personnage qui possède une grande fortune
et qu'il l'a perdue (avec les courtisanes en particulier), on ne peut
pas ne pas comparer les deux états successifs, la richesse passée et le
dénuement actuel, ou bien la richesse actuelle et le dénuement futur.

TABLEAU DE LA SIGNIFICATION D'INOPS

sème constant : manque du nécessaire

sèmes virtuels : inanité du personnage propension à la


manifestation =
lamentation

mépris dont il est l'objet

II MANIFESTATION DANS LA PHRASE

Comme tous les adjectifs, inops est tantôt épithète, tantôt


attribut. Ce qu'il faut noter, et qui le différencie de pauper déjà
étudié (78), c'est qu'il ne présente pas d'emploi substantive.
Les conséquences de cette particularité sont les suivantes :
1 - La qualification d'un personnage par inops constitue un élément
de son portrait, mais ne suffit pas à le définir en tant qu'individu.
2 - De même qu' inops ne peut devenir un terme générique (du type
"Les Misérables" en français), de même il n'y a pas de statut social
caractérisé de 1' inops. Il n'existe pas avec inops de couple privilégié
sur le modèle de pauper / diues, (79)·

La preuve que la qualité d'inops ne suffit pas à déterminer un


- 76 -

type social nettement caractérisé est fournie par le fait que le terme
s'applique à toutes sortes de personnages, à savoir :

- l'amant ruiné (Ba. 517,637; Tri. 241,255


- le viveur qui a gaspillé son patrimoine (Tri. 689)
- les pauvres gens rescapés d'un naufrage (les jeunes filles
Vi.87'
du Rudens et le jeune homme de la Vidularia) (Ru. 257;
- un homme démuni, sans plus de caractérisation (c'est le
grand père d 'Euclion) (Au. 11 )
- Euclion lui-même (Au. 221)
- le temple misérable sur le rivage (Ru. 282) (80)

III Mots de la famille

Avant d'aborder l'étude du principal mot de la famille, le


substantif inopia , il convient d'évoquer rapidement le cas de l'adjectif ino-
piosus. Ce terme employé une seule fois par Plaute dans le Poenulus au
vers 132 avec le tour res inopiosas consili "affaires manquant de plan"
ne possède que l'élément de "manque". Il ne comporte donc pas la valeur
de "manquant du nécessaire" qui est celle d'inops.
Dans le domaine adverse, celui de la richesse, nous rencontrons
chez les écrivains postérieurs , une formation comparable , avec
l'adjectif copiosus qui signifie tantôt " abondant en" avec complément,
tantôt riche sans complément (8l).

Inopia

Ce terme se rencontre 18 fois chez Plaute (82) . Dans un tiers des


emplois , il est suivi d'un complément au génitif ( argent , objet
indéfini ), ou d'une épithète accordée ( comme argentaria) . Dans les douze
autres emplois, le seul inopia signifie "manque d'argent". Mais quels
sont plus précisément ses traits de signification ?
- 77 -

A) Analyse sémique d'inopia

D'après une série d'équivalences rencontrées au début du Pseudolus,


nous pouvons établir mne première définition d'inopia. Rappelons la
situation . Le jeune Calidore voudrait retirer sa belle des mains du leno
qui vient de la vendre à un militaire étanger. Mais le jeune homme
éperdu d'amour n'a pas d'argent et ne peut en trouver. L'argument II le
présente d'ailleurs comme étant nummorum indigus . Lui-même expose à
plusieurs reprises sa situation . C'est le cas au vers 81 :

"...neque intus nummus ullus est ",

puis aux vers 97,98 :

" Quoi nec paratus nummus argenti siet


Neque libellae spes sint usquam gentium ",

et à nouveau au vers 300:

"Ita miser et amore pereo et inopia argentaria " .


Ainsi 1' inopia argentaria caractérise celui qui n'a pas du tout
d'argent , pas le moindre sou (nummus ullus) ou celui à qui on ne
prête plus (neque libellae spes). Le sème constant d'inopia est donc le
dénuement absolu.

Une autre équivalence est fournie par les vers 51k- et 519 :

"(Verura quam illa umquam de mea pecunia


Ramenta fiât ,- plumea propensior)
Mendicum malim mendicando uincere"
"C Mais plutôt que de l'enrichir avec mon argent de la valeur
d'un brin de plume ) j'aimerais mieux être plus misérable
que le dernier des mendiants ",

"(Sed autem quam illa umquam meis opulentiis


Ramenta fiât grauior aut propensior)
Mori me malim excruciatum inopia "
" ( Mais plutôt que de la voir jamais par mes largesses plus
lourde ou plus riche d'un fétu) , j'aimerais mieux mourir
torturé par la misère".
- 78 -

Ce rapprochement permet de constater que celui qui souffre de l'i-


nopia a une situation comparable à celle du mendicus (cf. infra p. 82 sqq.)
Il faut toutefois noter que , pour certains éditeurs (83) , il s'agit
dans un cas de vers interpolés. Mais l'équivalence des significations
subsiste.
Qu'est-ce donc alors qui caractérise inopia par rapport aux autres
termes de sens extrême comme les mots de la famille de mendicus ou d'e_-
gestas ? Déjà au vers 519 àes Bacchides que nous venons de citer , inopia
apparaît comme un instrument de torture avec le tour mori excruciatum
inopia . La même association de la mort et de 1' inopia apparaît aussi
au vers jJOO du Pseudolus : " Et amore pereo et inopia argentaria ".
Enfin, inopia fait partie des fléaux dont on fait le catalogue dans
les pièces suivantes :Mercator , Trinummus et Vidularia . Examinons les
passages concernés dans les différentes comédies.

a) A trois reprises , dans le Mercator, le personnage énumère les


calamités (uitia) qui accompagnent l'amour :
- dans le prologue , aux vers 24sqq.:
" Sed amori accedunt etiam haec quae dixi minus
Insomnia , aerumna, error, terror et fuga
Ineptia, stultitiaque adeo et temeritas
Incogitantia excors , immodestia,
Petulantia et cupiditas, maliuolentia.
Inhaeret etiam auiditas, desidia, iniuria,
Inopia, contumelia et dispendium,
Multiloquium, parumloquium. . .
- au vers 162:
" Vim , metum, cruciatum, curam ,iurgium atque inopiam"

- aux vers 8^5 sqq., nous rencontrons le cortège des maux


habituels, parmi lesquels figure inopia , auquel se trouve opposé
celui des biens :
"..Sex sodales repperi
Vitam, amicitiam , ciuitatem, laetitiam, ludum,iocum
Eorum inventu res simitu pessumas pessum dedi
Iram, inimicitiam, maerorem,lacrumas, exilium, inopiam,
Solitudinem, stultitiam, exitium, pertinaciam ".
- 79 -

Ces énumérations appellent les remarques suivantes :


1 - Les maux qui accompagnent inopia peuvent être rangés dans
différentes catégories dont les principales sont : chagrin, folie,
bavardage ou plutôt logorrhée, peur, paresse. Ainsi, avec un petit nombre
de termes comme dispendium ou exitium, inopia constitue l'élément matériel
d'un ensemble de fléaux pour la plupart psychologiques.
2 - Lorsqu'il y a comparaison, comme aux vers 8^5 et suivants du
Mercator, des maux et des biens, les premiers sont développés avec
beaucoup plus de complaisance que les seconds. Ainsi, uitam, au vers 846, ne
s'oppose pas seulement à inopiam mais aussi à exitium ; uitam peut être
analysé ici en : ressources / pour vivre ; la première composante,
"ressources", est l'antithèse d'inopia et la seconde, "pour vivre", celle
d' exitium.
b) Dans le ïrinummus, la mise en scène du prologue rappelle qu'Amor
entraîne invariablement les calamités citées précédemment. La figure
allégorique Luxuria s'adresse à sa fille Inopia :

"Tum hanc mihi gnatam esse uoluit inopiam" (vers 9)


"(Plaute) a fait de celle-ci ma fille et l'a nommée Misère"

Inopia est donc vue volontiers comme un fléau résultant des débordements
de l'amour. Nous avons déjà fait une remarque analogue à propos d'inops

c) Inopia fait aussi partie des séries de maux indépendants de


l'amor. Le terme figure parmi les malheurs qui affligent les rescapés
d'un naufrage, les jeunes filles du Rudens et le jeune homme de la
Vidularia. La mise en scène est d'ailleurs tout à fait comparable d'une
pièce à l'autre.
Il s'agit en effet dans la Vidularia des conséquences fâcheuses d'un
naufrage pour des rescapés absolument démunis. Nous lisons dans la
Vidularia :

"Eiusdem Bacchae fecerunt nostram nauem Pentheum.


- 80 -

Inopiam, luctum, maerorem, paupertatem, algum, famem


(fgmt I et II)

ainsi que la réponse de Gorgines à Nicodème qui se plaint de son malheur :

"Paupera haec res est.


Haec myrtus Veneris est." (fgmt III et IV)

Gorgines précise donc qu'il ne trouvera sur le rivage aucun


établissement opulent, mais probablement une misérable cabane et le bois consacré
à Vénus. La situation est analogue au vers Z^b du Rudens : de malheureuses
jeunes filles ont échoué sur le rivage, elles rencontrent une prêtresse
compatissante malgré la pauvreté de l'établissement qu'elle dessert.
Telle est en effet la prière d'Ampélisque :

"( . . .ueneror. . .)
Miseras, inopes, aerumnosas ut aliquo auxilio adiuuet"

et l'accueil de la prêtresse (vers 280 et suivants) :

"Manus mihi date, exurgite a genibus ambae ;


Misericordior nulla me est feminarum.
Sed haec pauperes res sunt inopesque, puellae :
Egomet uix uitam colo, Veneri cibo meo seruio."

Plus loin, l'esclave Trichalion appellera au secours, pour qu'on


vienne protéger les deux jeunes filles, que le leno est venu outrager,
alors même qu'elles étaient sous la protection de la déesse (vers 617) '

"Ferte opem inopiae atque exemplum pessimum pessum date."

Ainsi, la calamité que constitue Inopia peut être entraînée par


la malchance (le naufrage), ou par les débordements de l'Amor. Mais ce
n'est que dans le second cas qu'un blâme moral est jeté sur ceux qui
souffrent de 1' inopia. En fait, le blâme n'est pas exprimé nettement
dans les passages du Trinummus ou du Mercator, étudiés plus haut. On
aurait plutôt tendance à s'apitoyer sur l'aveuglement de ces amants
- 81 -

ruinés. Cependant, dans plusieurs passages, l'inopia semble inspirer


un blâme ; c'est notamment le cas au vers 653 du Trinummus :

"ne omnino inopiao


(Ciues obiectare possint tibi quos tu inimicoa habes).1

Mais dans d'autres passages, le blâme laisse parfois place à la


pitié. C'est le cas au vers 53^ de l'Asinaria où la mère de la courtisane
Philénie accorde un ultime sursis à l'amant ruiné de sa fille :

"Hic dies summust apud me inopiae excusatio."

Mais cette indulgence n'est pas destinée à durer longtemps ( summus


dies). En revanche, la pitié inspirée par les jeunes rescapées du Rudens
est sans mélange.
Il est désormais possible de représenter schématiquement les
différents sèmes d'inopia :

sème constant : dénuement absolu

sèmes virtuels qui entraîne une senti comme un fléau,


impuissance totale résultant des excès
de la malchance ou de
la luxuria, suivi dans
ce cas d'un blâme moral

Β / Manifestation dans la phrase

Dans un tiers des cas à peu près (puisqu'il y a en tout 18 emplois),


inopia est suivi d'un complément au génitif ou d'une épithète accordée.
Le terme signifie avec cette construction "manque de quelque chose". Le
complément peut renvoyer à des signifiés divers :
- des objets particuliers, comme ceux que contenait la valise
perdue du Rudens (Ru. 398)
- des serviteurs (Ps_.799» où il est question de cuisiniers,
et probablement Vi.26, "inopia seruum'O
- un objet indéfini (Tri.671)
- 82 -

- l'amour (Mer .(
- l'argent (As. 72^, Cu_.33^, Ps.3OO)

Ainsi, assez souvent (trois fois sur huit), le complément désigne


l'argent. Nous ne nous étonnons pas dans ces conditions de voir dans les
autres emplois le seul inopia signifier manque d'argent, indigence.
Il est intéressant de comparer les compléments d' inopia et ceux que
peuvent avoir les termes proches, dans le champ sémantique de la pauvreté.
Comme pauper et paupertas n'ont pas de compléments, la famille qui pourrait
offrir matière à comparaison est celle d'egere ; nous constatons alors
qu'egestas n'a jamais de complément mais qu'egere en a assez souvent et
qui se situent à peu près dans les mêmes catégories que ceux d' inopia.
En effet, les compléments d'egere désignent les ressources, un objet
indéterminé, ou encore une personne chère, le maître ou la maîtresse de
maison (85) . Toutefois, en comparant attentivement les deux séries de
compléments, ceux d'egere et ceux d· inopia, nous sommes amenée à
constater quelques différences :les compléments d· inopia désignent plutôt des
réalités matérielles telles que de l'argent, des objets matériels ou des
individus capables de fournir un travail matériel comme les serviteurs,
alors que ceux d'egere s'appliquent surtout à des personnes chères ou
à des secours qui ne sont pas uniquement matériels, consilium par exemple.
Si, toujours à propos de la construction avec complément, nous
ne limitons pas notre comparaison aux seuls egere et inopia, mais si
nous 1· étendons aux différents membres des deux familles, nous
aboutissons au tableau suivant :

Emploi avec complément possible Emploi absolu

egere inops
inopia egestas

Ce tableau appelle les remarques suivantes :


1 - Nous devons d'abord noue demander pourqàoi inops n'est jamais suivi
- 83 -

de complément chez Plaute. C'est sans doute parce que le terme indique
lui-même de quoi il y a privation, par sa composition : inops "qui n'a
pas d'opes" (de ressources). Il est certain en effet qu'à l'époque de
Plaute la composition des mots de cette famille est bien sentie , à
preuve le rapprochement assez fréquent des deux termes antithétiques
comme inpps et copia (86) .
En principe, inopia devrait se construire absolument puisque le
terme est composé du radical de la famille d'opes et du préfixe privatif.
Or , il se trouve qu' inopia admet un complément déterminatif . Comme la
signification du préfixe négatif n'est pas sujette à variation, nous
devons nous demander si le radical contenu dans inopi» ne renvoie pas
à une autre valeur de cette même famille. Il apparaît alors que les mots
de cette famille renvoient à deux valeurs fondamentales ; la première est
celle d'abondance ( = grande quantité de ) quel que soit le point
d'application ; c'eût iiulumment la valeur de copia au vers 671 du Trinummus,
(voir le vers cité en note page précédente); la seconde , plus dense,
est celle de ressources pour vivre ; c'est ainsi que nous verrons chez
Plaute opes avoir parfois le même sens que diuitiae. Ainsi , l'absence
d*un complément avec inops se rattache à la seconde de ces deux valeurs:
inops "qui n'a pas de ressources", tandis que la présence d'un
complément avec inopia renvoie à la première : inopia "manque (de quelque
chose)" (87).

La seconde remarque concerne la différence de construction entre


egere et egestas . La présence d'un complément avec egere a déjà été
examinée (cf. supra p. 58). Nous avons vu qu'elle peut être attribuée tantôt
au développement de certains sèmes contenus dans le verbe , à savoir les
traits de demande ( de secours) et d'affectivité ( douleur) , tantôt à
l'influence analogique de careo. Mais pourquoi l'abstrait egestas n'est-
il jamais suivi d'un complément ? La réponse pourrait être donnée à
partir de l'examen des syntagmes où figure ce terme. Nous relevons en effet
deux types de propositions , qui peuvent être ainsi schématisées :
Egestas aliquem impellit ... la misère pousse quelqu'un à...
Egestatem tolérât alicui... il soulage la pauvreté de quelqu'un.
- 84 -

II devient clair désormais que l'indigence que caractérise egestas et


qui se manifeste le plus souvent de façon pathétique , comme une force
qui écrase ou qui tenaille l'individu , ne peut être vue que globalement,
comme un fardeau qu'il faut supporter.
Une autre explication , plus simple , serait que le lexème egestas
correspond avant tout ( comme paupertas d'ailleurs) à un état , valeur
que souligne la présence du suffixe tati . Les deux explications ne sont
d'ailleurs pas contradictoires.

IV Comparaison des significations des deux familles:


egere / inops

Après avoir étudié successivement les mots de la famille d' egere et


d1 inops , il convient de les situer les uns par rapport aux autres dans
le champ sémantique de la pauvreté .
Les deux familles impliquent un dénuement total. Quelles sont
cependant les différences de signification ? L'examen d'un dernier
passage , celui du Budens vers 257 sqq. , servira de point de départ à la
comparaison des deux séries. Les deux rescapées se définissent ainsi
successivement :

" (Quisquis est deus, ueneror ut nos ex hac aerumna eximat)


Miseras , inopes, aerumnosas, ut aliquo auxilio adiuuet"
"(Quel que soit le dieu , je lui adresse ma prière, pour
qu'il nous délivre de nos peines présentes ) et qu'à deux
infortunées^, dénuées de tout, accablées de maux, il prête
quelque assistance " (vers 257)

" Nunc tibi amplectimur genua egentes opum"


" Maintenant , dénuées de toutes ressources, nous embrassons
tes genoux" (vers 27^)

" ( ex malis multis metuque summo )


Capitalique ex periculo, orbas auxilique opumque ..."
"(Echappées à des maux sans nombre, à une affreuse terreur),
à un péril mortel, sans secours , sans ressources ..."
(vers 349)
- 85 -

" Vt lepide , ut liberaliter, ut honeste atque haud grauate


Timidas , egenteis, uuidas, eiectas , exanimatas
Accepit ad sese haud secus quatn si ex se simus natae "
"Avec quelle amabilité, quelle générosité , quels égards,
quel empressement, elle nous a recueillies chez elle ,
apeurées, dépouillées, mouillées , naufragées, inanimées;
elle nous a traitées comme ses propres filles "(vers ^08-

D'une manière générale , dans tous ces exemples , il s'agit de


caractériser un état d'indigence extrême , mais les significations varient
dans le détail.
Au vers 257 , inopes met l'accent sur la passivité des puellae
privées de tout secours et accablées par la malchance ( notons la
présence d'aerumnosas ). Il est vrai que Palestra formule ici une prière mais
elle n'attend pas un secours immédiat , en s'adressant à ce dieu inconnu.
Au vers 27^, ce ne sont plus le manque et la passivité qui sont
soulignés , mais le caractère actif de la nécessité qui presse les jeunes
filles et les pousse à demander secours à la première personne
rencontrée, au moyen d'une supplication en bonne et due forme (amplectimur ge-
nua) . Et c'est bien une valeur d' egere que ce besoin qui incite à
demander. Nous avons d'ailleurs suffisamment illustré cette activité (88).
Le groupe "orbas auxilique opumque" constitue , au vers 3^9 1 une
expression qui développe pathétiquement (orbas) les virtualités ( manque
et inhibition ) contenues dans inops . Ampélisque raconte alors avec
complaisance l'aventure qui lui est arrivée avec sa maîtresse.
Enfin , au vers 409, à la fin de son récit à l'esclave Trachalion ι elle
donne à voir la détresse qui les accablait avant la rencontre de la
prêtresse Ptolémocratie . Egentes est employé ici avec exanimatas et timidas
parce que l'hospitalité de Ptolémocratie est évoquée au vers précédent
et au vers suivant .
Ainsi la famille d'inopia suggère passivité et inhibition , et celle
d' egere activité et nécessité qui pousse à quémander.

Nous pouvons d'ailleurs opposer plus généralement les composantes


sémiques des deux familles:
- 86 -

Inopia / inops MANQUE DU NECESSAIRE


catégorie - situation vue comme
un résultat
du
nom — torture, fléau(pour inopia)

- passivité (infamie)
Egera / egestas MANQUE DU NECESSAIRE
catégorie - source de tourment
du - besoin de secours ,
verbe - activité( infamie)

Ce tableau donne lieu à une remarque.


Etant donné qu1 egestas est vue volontiers par Plautc comme une
force qui tourmente l'individu jusqu'à le pousser à demander secours
(sème d'activité) , nous nous attendrions à voir egestas plutôt qu'i-
nopia s'abattre comme un fléau sur l'homme. D'ailleurs c'est egestas
et non inopia qui chez de nombreux auteurs figure parmi les calamités.
Ainsi, Térence cite egestas au nombre des fléaux dans sa comédie des
Adelphes , au vers 303 ί
"Vis, egestas, iniustitia, solitudo, infamia",
et nous rencontrons d'ailleurs des enumerations comparables dans
lesquelles figure egestas chez Pacuvius, Cicéron ou Salluste (89).
Nous devons alors nous demander pourquoi chez Plaute c'est inopia
qui joue ce rôle. Il semble que nous disposions de plusieurs éléments
de réponse. Les deux premiers se fondent sur la signification des deux
termes , le dernier sur leur forme.
1 ) Nous avons observé que chez Plaute inopia désigne un dénuement
total qui réduit à l'impuissance celui qui en est atteint. Au contraire,
egestas caractérise un état qui est vu comme agissant, réduisant
l'individu à n'importe quelle tâche ou prière adressée à autrui. Il apparaît
alors que le terme le plus pathétique est inopia , puisqu' egestas
n'exclut pas , bien au contraire, le secours d' autrui. Il semble alors
normal que ce soit inopia , à cause de ses résonances pathétiques , qui
figure parmi les fléaux, dans une composition dramatique telle que la
palliata de Plaute.
- 87 -

2) Nous avons déjà fait remarquer (p. 78) qu' egestas , à cause du
suffixe -tati correspond essentiellement à un état , celui de 1* egens. Or,
cette valeur d'état est difficilement compatible avec celle de fléau.
L'examen d'un passage précis , le prologue du Trinummus , fournit
le dernier élément. Deux allégories sont en scène, Luxuria , la mère,
et Inopia la fille (90) . Le lexème inopia semble avoir été préféré à
egestas pour deux raisons, d'une part à cause du parallélisme
morphologique du suffixe en -ia , et d'autre part à cause de l'opposition
sémantique, luxuria signifiant essentiellement abondance ou excès ( le
sens de débauche , quoique fréquent , n'est que secondaire ) , et inopia
désignant le manque , le dénuement .

Ainsi f les points communs à ces deux familles sont le dénuement


et le mépris, tandis que la différence résiderait essentiellement dans
le clivage activité /passivité. ( C'est d'ailleurs aussi ce clivage
qui distingue les deux doublets étudiés précédemment , paupertas et
pauperies , p. 48 et 49). Comment se situe mendicus sur ces deux points:
intensité du dénuement et activité/ passivité ?
- 88 -

MENDICVS

La famille de mendicus est représentée chez Plaute par une série


assez importante :

- le verbe mendico ou mendicor


- le substantif mendicus
- l'adjectif dérivé mendiculus
- le substantif abstrait mendicitas
- le substantif dérivé mendicabulum.

Cependant , c'est mendicus qui est le plus fréquemment employé,


12 fois (91) , ensuite vient le verbe avec 8 occurrences (92); les
autres représentants de la famille sont plus rares (93)· Comme le
substantif mendicus est de loin le plus fréquent par rapport aux mots de sa
famille , nous préférons ne pas dissocier ces derniers du substantif ,
dans l'étude des traite de signification.

TRAITS DE SIGNIFICATION

Le trait le plus net est la gravité de l'état du mendicus ; c'est


le lexème qui est absolument à l'extrémité de la série quantitative :
il n'y a pas de plus démuni que le mendicus.

A partir (Je quels syntagmes précis pouvons-nous établir la


relation :
Hendicus "dénué de tout " ?
Le caractère extrême de l'indigence du mendicus se vérifie à
l'examen des passages suivants.
Un premier passage montre que par lui-même le mendicus n'a ni de
quoi manger ni de quoi boire , au vers 339 du Trinummus :

" De mendico maie meretur qui ei dat quod edit aut bibat"
" C'est rendre un mauvais service à un pauvre que de lui
donner à boire ou à manger " .
( A vrai dire , la traduction d'Ernout par "pauvre" est faible . On
aurait préféré un terme plus fort, tel que "miséreux" par exemple ;
aussi bien les termes qui qualifient le personnage en question sont-ils
89 -

eget au vers 33° et egestatem au vers 338 ) .


Un second passage (Cap. 320 sqq.) , met en scène un jeune homme
d'une riche famille qui a été fait prisonnier dans un combat. En
arrivant chez un marchand d'esclaves , il compare sa richesse passée ( sum-
mas ditias domi ) à la misère qui l'attend ( mendicantem uiuere ) si la
rançon demandée est énorme. Le même personnage montre aussi que celui
qui est réduit à l'état de mendicus n'a pas le nécessaire pour vivre :
en effet , des deux modes de vie qu'il compare , le premier mendicantem
uiuere s'oppose exactement à saturum seruire apud te sumptu et uestitu
tuo ; la relation prend ici la forme de l'opposition :

Mendicus vs "bien vêtu et bien nourri".

La gravité du dénuement que désigne le lexème mendicus appelle


d'ailleurs les formulations antithétiques. C'est le cas au vers 703 de
1 'Aululaire :
"( ...Nam istos reges ceteros
Memorare nolo, hominum mendicabula ".

L'opposition utilisée ici demande une explication ; l'esclave


Strobile vient de découvrir la marmite d 'Euclion et il s'estime si
fabuleusement riche que , déclare-t-il , les puissants de la terre ,
reges, ne sont auprès de lui que de misérables mendiants.

L'opposition est plus facile à cerner au vers 223 de l'Epidique:

" Quid erat induta ? an regillam induculam an mendiculam?"

Deux types de vêtements sont alors opposés , le vêtement à la


royale et le vêtement à la mendiante (regilla /mendicula) (94).

Mendicus s'oppose nettement à o pul en t i s sumus au vers 493 du


Trinummus :
" Aequo mendicus atque ille opulentissumus
(Censetur censu ad Accheruntem mortuus )"

Dans l'Achéron, le mendicus et 1 ' opulentissumus sont rapprochés


aequo censu , parce que , sur terre , ils sont les plus éloignés l'un
90

de l'autre (95)· La relation antithétique prend ici la forme:


mendicus vs opulentissumus.

Au vers 396 du Persa , l'opposition est moins catégorique mais


elle est réelle :

"Cum hac dote poteris uel mendico nubere "


" Avec cette dot , tu pourras épouser même un mendiant ".

Pour souligner l'ampleur de la dot , le père de la jeune fille


précise qu'elle pourrait suffire à faire subsister une famille dont le
chef serait un mendiant . Cette dot est , il est vrai , fantaisiste,
puisqu'il s'agit de 600 bons mots et non de 600 talents ; cependant ,
l'opposition lexicale reste la même.

Après les phrases à antithèses , plusieurs syntagmes établissent


ce premier trait de dénuement total. Il s'agit de phrases qui
contiennent des termes dont le sens fait attendre des mots à signification
radicale , comme cogère , forcer à .
C'est le cas au vers 508 des Bacchis :

" Adeo ego illam cogam usque ut . . .mendicet meus pater"


" Je veux la réduire au point tel que mon père en soit
réduit à mendier ",

et au vers 13 des Captifs :

" Quando histrionem cogis mendicarier"


" Du moment qu'on force l'acteur à mendier "(96).

D'autres structures syntaxiques font aussi ressortir ce trait ;


ainsi l'emploi de la corrélation potius ... quam. Avec ce tour , un .
choix est fait par lequel un personnage déclare préférer n'importe quoi
à l'état de mendicus, comme le montrent les vers suivants :

" (...potius )
Quam te me uiuo umquam sinam egere aut mendicare "( Mo. 230)
- 91

" ( Plutôt ) que de te laisser , moi vivant , manquer du


nécessaire ou être réduite à mendier ?"

" Potius quam illi, ubi minime honestumst, mendicantem uiuere "
(Cap. 323)
" Plutôt que de me voir , pour notre honte , vivre en
mendiant chez vous "

"Malim moriri meos quam mendicarier (Vi.110)


" Je préférerais mourir plutôt que de voir les miens mendier"
(96).

Une dernière preuve que le mendicus est bien le dernier des indigents
est la formule du vers 514 des Bacchis , qui renchérit encore sur ce
caractère extrême :
" Mendicum malim mendicando uincere "
" J'aimerais mieux être plus misérable que le dernier des
mendiants ".
La phrase ne prend en effet toute sa valeur hyperbolique que parce
que le mendicus est déjà un homme dont le dénuement est extrême.

Le mendicus est dans un dénuement tel qu'il ne peut rester inactif


mais va quémander le nécessaire. Le second trait de signification est
donc actif , c'est celui de la recherche, que figure l'identité suivante:
Mendicus " qui cherche de quoi subsister " .
Dans cette quête , le mendicus est souvent vu comme un vagabond.
Ainsi au vers 950 des Bacchis , un personnage , évoquant Ulysse, le
présente comme un étranger , un vagabond :
" ...Ille mendicans paene inuentus interit "
" (Ulysse) déguisé en mendiant , faillit être découvert et
mourir ".
De même , au début du Stiehus , les maris des deux soeurs partis
faire du commerce sur mer depuis trois ans sont qualifiés par leur beau-
père de mendici . Ce qui permet à ce dernier de les insulter à distance
en les traitant de mendici, c'est que , d'abord, ils sont pauvres et
92 -

et qu'ensuite ils sont errants ; l'insulte consiste ici , dans la


bouche du beau-père , à assimiler le vie besogneuse et errante de ses
gendres (97) à l'attitude des mendici qui vagabondent , quémandant leur
subsistance :

" Vosne ego patior eum mendicis nuptas me uiuo uiris ?"
( St. 132)
" Je souffrirais moi, que ,de mon vivant, vous ayez des
mendiants pour maris ? "

et trois vers plus loin :


" Vosne latrones et mendicos homines magni penditis ?"
" Vous faites donc tant de cas de vagabonds, de mendiants ?",

Enfin, dans un passage de la fin d'Amphitryon, le verbe mendicare


semble ne comporter que le sème de recherche :

" ... a me mendicas malum "(vers 1032)


" ... Tu viens près de moi mendier des coups " .
Cependant , cette recherche n'est pas une réclamation ordinaire,
elle est faite avec une insistance qui confère un caractère de
nécessité à la réponse ( en l'occurrence le châtiment ) qui suivra : le
processus logique est le suivant :
Tu es tellement insolent
que tu quêtes auprès de moi des coups
= tu es sûr d'en obtenir.
Mais si nous regardons de plus près le texte, nous nous
apercevons que la présence de mendicare est motivée plus nettement. En effet,
le vers 1032 constitue une réponse à une question d'Amphitryon à propos
d'une affirmation bizarre de Mercure-Sosie :

" Prodigum te fuisse oportet olim in adulescentia.


- Quidum ? - quia senecta aetate a me mendicas malum "
Dans cet emploi un peu particulier de mendicus , (c'est le seul
exemple de Plaute qui donne à mendicare un complément d'objet direct),
nous retrouvons les autres traits de signification, appliqués non à
93 -

l'argent mais aux coups, à savoir dénuement total et recherche insistante,


Le trait d'esprit consiste donc à substituer malum à pecuniam.

Un troisième trait de signification découle des deux premiers, c'est


celui de l'infamie qui est le lot du mendicus : en effet , les mendici
sont méprisés parce qu'ils sont les plus faibles des hommes et parce que
le dénuement leur fait abdiquer toute dignité au point de les pousser
à quémander :
Mendicus " qui est infâme ".

Il faut distinguer ici plusieurs éléments :

a) le mendicus est volontiers méprisé , voire injurié , par de


nombreux personnages en proie à un agacement superficiel.
b) Le mendicus et la mendici tas sont l'objet d'une réprobation
fondamentale.
c) A cause de cette infamie ( et sans doute aussi à cause du
caractère très pénible de cet état ) la situation du mendicus est vue comme
la dernière qu'un homme doive accepter ; c'est celle à laquelle on doit
préférer même la mort.

a) Pour illustrer le premier point , nous disposons d'un certain


nombre de passages :

" Sed quid tibi nos tactiost, mendice homo ? (Au. 423)
Le cuisinier Congrion injurie ainsi Euclion qui l'a battu; il
voudrait , ea le vexant , l'empêcher de recommencer. Cet emploi de mendicus
appliqué à l'avare Euclion aurait pu être cité pour l'établissement du
premier trait ( indigence) ; en effet , si Euclion peut à la limite être
qualifié de mendicus , c'est que son habillement , son genre de vie
sont ceux d'un misérable : tout en ayant un trésor, il vit en homme
dénué de tout .
" Vosne latrones et mendicos homines magni penditis "
(St. 135)·
Dans ce vers, le père des deux femmes dont les maris sont partis
faire fortune sur mer assimile ses gendres à des latrones et il s'étonne
- 94 -

que ses filles estiment encore ( magni penditis ) des gens de cette
espèce.

L'emploi du dérivé de mendicus , mendicabulum, souligne nettement


l'aspect méprisable du personnage. En effet, les mots en -bulum désignent
généralement des objets et précisément des instruments. Ainsi , dans le
vers déjà cité p. 83 , de l'Aululaire 703, des hommes se trouvent, par
l'emploi du lexème mendicabula, ravalés au rang de choses.

Méprisés par les hommes , les mendici ne semblent pas l'être par
les dieux , comme l'attestent par exemple les vers 830, 831 du
Trinummus :
"... Hoc dis dignumst,
Semper mendicis modesti sint " (99) ·
Ce passage permet de déceler une faible trace de l'antique
bienveillance avec laquelle on devait traiter les mendici. Au contraire, à
l'époque de la palliata , les mendici sont le plus souvent méprisée ,
voire insultés. De plus , on y traite de mendici des gens qui n'en sont
pas.

a) Un seul passage , très clair, fonde la réprobation morale


essentielle qu'inspire le mendicus. Il s'agit du vers 323 des Captifs :

" Potius quam illi , ubi minime honestumst , mendicantem


uiuere"
" (mon père pourrait trouver plus convenable de me laisser
servir chez toi ) que de me voir , pour notre honte, vivre
en mendiant chez nous ".

b)Un certain nombre de phrases déjà citées permettent d'affirmer que


la mendici tas est le dernier état auquel il faille se résoudre ; les
syntagmes avec potius. . .quam établissent nettement ce choix par lequel
la mort même est préférée.
Au vers 230 de la Moetellaria , un jeune homme amoureux aime mieux
vendre son père que voir la femme qu'il aime manquer du nécessaire ou
être réduite à mendier :

" Quam te me uiuo umquam sinam egere aut mendicare ".


95 -

Cela apparaît encore plus nettement au vers 323 des Captifs , car la
passion amoureuse ne joue alors aucun rôle :
" (Decere ...magis ...me saturum seruire ...)
Potius quam illi , ubi minime honestumst , mendicantem
uiuere "

Le voeu que le jeune homme des Captifs formule pour lui-même , un


autre l'émet pour les siens au vers 110 de la Vidularia :

" Malim moriri meos quam mendicarier" .


Cette peur tenace de l'état de mendicus donne tout son sens à
l'affirmation , curieuse au premier abord , du vers 51 4 des Bacchis :
" Mendicum malim mendicando uincere ".
Le jeune homme est ici tellement en colère contre la femme qu'il accuse
de le tromper qu'il déclare aimer mieux connaître le pire sort que de lui
faire le moindre <-ndeau.

Un quatrième sème est impliqué par les précédents et en particulier


par le sème du mépris dont le mendicus est l'objet, c'est le caractère
douloureux de son état. Nous pouvons en effet formuler la relation :
Mendicus " qui souffre " (100).

Elle est basée notamment sur l'association de mendicus ( ou des mots


de sa famille) avec miser et miseria. Citons ainsi le vers 485 du Rudens:

Qui homo esse sese miserum et mendicum uolet ".


En particulier, dans ce vers , la ressemblance phonique des deux
termes , mendicum et miserum , n'est pas sans suggérer une certaine
correspondance dans les significations.
Le second passage qui illustre le sème de douleur que contient
mendicus est le suivant, aux vers 339 et 340 du Trinummus :
tl
De mendico maie meretur qui ei dat quod edit aut bibat,
Nam et illud quod dat perdit et illi prodit uitam ad raiseriam "
" C'est rendre un mauvais service à un pauvre que de lui donner
à boire ou à manger, ce qu'on lui donne , on le perd , et l'on
ne fait que prolonger sa misère avec sa vie ".
96 -

Nous pouvons désormais représenter schématiquement la signification


de mendicus et des mots de sa famille:
Indigence extrême
SEMES CONSTANTS Recherche active du nécessaire
Mépris supporté
SEMES VIRTUELS Souffrance endurée
.. - - . .... -

,
Au terme de l'analyse sémique de mendicus , il faut préciser sa
situation dans le champ sémantique de la pauvreté. Il se trouve évidemment
à l'extrémité de l'axe quantitatif , après egere . Ainsi au vers 230 de
la Mostellaria , la place de mendicare après egere , tend à prouver, par
la loi de progression , que mendicare désigne un dénuement plus grave
qu' egere :
" Potius quam te me uiuo umquam sinam egere aut
mendicare ".
En plus de la gravité de l'indigence , ce qui distingue la famille de
mendicus de celle de pauper et d'inops , c'est l'activité que déploie
le personnage .
Ainsi , plus démuni que 1' egens et le pauper , déployant une
activité plus intense ( quête errante), le mendicus se distingue aussi par la
manifestation de son dénuement. Il est en effet vêtu de haillons ( inducu-
la mendicula ) et il quémande auprès des autres . Il se signale ainsi
à l'attention d'autrui d'une façon toute particulière. D'ailleurs ,
Plaute l'oppose non à ditissimus , mais à opulentissimus (Tri. 493) : or ce
dernier qualificatif insiste , nous le verrons (I0l)jsur
l'extériorisation de la richesse. C'est ce qui explique que le mendicus désigne un
personnage au théâtre , auprès du rex , lui aussi nettement caractérisé,
comme le montre le vers 76 des Ménechmes :
" (Modo hic agitât leno, modo adulescens , modo senex)
Pauper, mendicus , rex , parasitus hariolus ".

Cette présentation qui fait du mendicus un individu à la fois


méprisable et méprisé peut être rapprochée avec profit de l'étymologie
que l'on en donne habituellement . Le mendicus est celui qui présente un
défaut , un mendum (102). Comment s'est opéré le glissement de sens de
"défectueux, taré " à " que l'indigence pousse à quémander " ? Cette
évolution de sens vient peur- être de ce que , pour les Romains , c'est un
défaut capital que de ne pouvoir subvenir à ses besoins et de passer alors
sous la dépendance d'autrui.
- 97 -

PARASITVS

Au premier abord, l'étude de ce terme et des mots de sa famille


n'entre pas dans notre sujet car le parasitus n'évoque pas immédiatement
l'idée de pauvreté. De plus , le mot n'est pas un adjectif qualificatif
comme pauper ou diues, c'est un substantif qui désigne un personnage
si nettement caractérisé qu'il constitue un rôle ( persona) dans la pal-
liata.
Cependant , le type d'homme ainsi défini concerne notre sujet
parce que le dénuement est un de ses traits , ou plutôt est la condition
de son activité essentielle , à savoir la préoccupation constante de
la nourriture. Le processus est le suivant :

1) le parasitus ne possède rien en propre


2) pour se nourrir, il lui faut vivre aux crochets d 'autrui,
en l'amusant.

Le terme de parasitus figure aussi dana le champ sémantique de la


pauvreté et de l'appauvrissement pour une autre raison : le parasitus
à cause de sa rapacité peut en arriver à ruiner le personnage qui
l'entretient. (C'est du moins ce que déplore ce dernier).
Le parasitus est donc doublement intéressant :

- En lui-même par son indigence et son incapacité à vivre d'une


manière indépendante
- Par rapport au riche qui, l'admettant à sa table , se dépouille
progressivement (103).

Avant d'étudier les traits sémiques du lexème parasitus, il faut


se demander s'il apparaît dans toutes les comédies de Plaute et si ses
manifestations sont comparables d'une pièce à l'autre.
Dans neuf pièces sur vingt ( si nous ne comptons pas la Vidularia
fragmentaire ) apparaît un parasite. Le plus souvent , il a un nom évo-
cateur et pittoresque ; ainsi , il s'appelle Gelasimus ( "Rigolard" dans
^e Stichus » Ergasilus ( "Bosse dur" ) dans les Captifs , Curculio
("Charançon" ou "Grosgoulu" (108) dans la pièce qui porte son nom,
- 98 -

Peniculus ( Racletout" ) dans les Menechmes , Artotrogus ("Croquignol")


dans le Miles , Saturion ( "Gros-Bedon") dan3 le Persa , Charmides
("Gailuron") dans le Rudens (104).
Ces différents noms mettent l'accent sur la goinfrerie du
personnage ou sur sa bouffonnerie. L'absence même de nom propre dans l'Asinaria
et les Bacchis est également intéressante : elle révèle que le parasite
est un type , comme il ressort de 1 'énumération du vers 7& des Menechmes:

" (Modo hic agitât leno, modo adulescens , modo senex)


Pauper , mendicus , rex , parasitus , hariolus " (105)·

Quatre traits sémiques se dégagent nettement à l'examen des


différents syntagmes des contextes:
I Goinfre
II Bouffon
Ill^ui rend des services à son bienfaiteur
IV Misérable (106).

I Parasitus "goinfre"

La goinfrerie du personnage détermine deux types de situations:

a) La nourriture est la constante préoccupation du parasite,


- soit qu'il ait une faim insatiable
- soit que la nourriture intervienne comme cadre de sa pensée,

b) Les autres évoquent cette rapacité,


- soit qu'ils s'en plaignent ,
- soit qu'il s'en servent comme d'un aiguillon pour
stimuler le parasite.

a) Le parasite ne pense qu'à manger , manger toujours et à n'importe


quel prix; les exemples qui fondent cette caractéristique sont très
nombreux ; citons l'un d'eux aux vers 317 sqq. du Curculio :
- 99 -

" ... Perii, prospicio parum,


Gramarum habeo dentés plenos, lippiunt fauces famé;
Ita cibi uacuitate uenio lassis lactibus "
" Je suis mort ; ma vue se trouble,
J'ai les dants pleines d'humeur, le gosier pâteux à force
d'avoir faim. Ah! dans quel état le manque de nourriture
a réduit mes pauvres boyaux " (107).

Cette faim est absolument insatiable ; c'est ce que prouve l'emploi


de termes réserves à l'alimentation du bétail , comme pasco ou prae-
sepes. Citons par exemple les vers 226 sqq. du Curculio :

" ... Nam si non f erat


Tormento non retineri potuit ferro
Quin reciperet se hue esum ad praesepem suam "
"... S'il ne l'avait pas ( l'argent qu'on l'a envoyé chercher
en Carie), il ( le parasite) n'aurait pu s'empêcher, même
pni.ravé par une chaîne de fer , de revenir brouter à son
rStelier ".

Pasco est employé à deux reprises pour désigner la gloutonnerie des


parasiti . Au vers 23 de la Mostellaria , l'esclave campagnard critique
la vie dissolue des jeunes gens de la ville , adonnés à la"vie grecque" :

" Arnicas emite , liberate ; pascite


Parasitos ; obsonate pollucibiliter "
" Achetez des maîtresses, affranchissez-les, engraissez des
parasites; dévastez les marchés par vos emplettes ruineuses ".

La même image se rencontre dans la bouche du parasite lui-même au


vers 56 du Persa :

" (Nam numquam quisquam meorum maiorum fuit )


Quin parasitando pauerint uentris suos "
" ( Jamais de tous mes ascendants il n'y en eut un ) qui
n'ait rempli sa panse par l'industrie parasitique ".

Dans la foulée , il va jusqu'à comparer ses ancêtres à des rats ( mures)


(1O8) , invincibles en voracité , quand elle s'exerce, bien entendu, à
la table d'autrui ( alienum cibum ).
- 100 -

Lorsque le parasite est sur le point d'être pleinement rassasié, il


exprime sa joie avec exubérance. Ainsi le passage des Captifs , aux vers
7δΐ sqq. présente le parasite Ergasile prêt à combler son vieux maître
de joie en lui annonçant que le fils qu'il avait perdu est de retour ;
il sait en effet qu'à cette occasion le vieillard donnera un festin et
cette perspective le fait exulter et parodier l'agitation du seruus currens,
au vers 826 :

" Tantus uentri cômmeatus meo adest in portu cibus"


11 Tant est superbe le convoi de vivres qui est entré dans le
port à destination de mon ventre ".

Notons une image comparable , le cortège de vivres , employée encore


par un parasite , dans un fragment de la Bacaria :

11 Quis est mortalis tanta fortuna affectus umquam


Qua ego nunc sum, cuius haec uentri portatur pompa ?" .

Pour en revenir aux Captifs , Ergasile est tellement en verve que


son maître le croit rassasié , pour être si joyeux :

11 Mira edepol sunt , ni in uentrem sumpsit confidentiam.


Vae misero illi cuius cibo iste factust imperiosior "
( vers 805-6)
" Pardieu, je parierais que c'est dans son ventre qu'il est
allé chercher son audace. Je plains le malheureux dont la
table a nourri cette arrogance ".

Enfin la nourriture constitue pour le parasitus l'unique


référence en toute situation ; c'est pour cette raison qu'on peut la
considérer comme le cadre de sa pensée. Par exemple , pour ne pas quitter
la scène citée précédemment dans les Captifs, le parasite ne jure pas
par Jupiter ou Pollux, mais par la déesse de son invention , Saturitas,
"Grandebouffe» (109):

11 . .Ita me amabit sancta Saturitas


Hegio, itaque suo me semper condecoret cognomine (v.877»S)·
- 102 -

de lamentation de l'esclave , qui contemple les dégâts opérés chez son


maître par le passage du parasite :

m Dierpiter te dique , Ergasile , perdant et uentrem tuum


Parasitosque omnis et qui posthac cenam parasitis dabit.
Clades calamitasque intempéries modo in nostram aduenit
domum ."
D'autre part, les autres se servent de la menace de privation de
nourriture pour faire obéir le parasitus à leurs injonctions. Toute la
scène 2 de l'acte I du Persa est à citer. L'esclave Toxile a besoin des
services du parasite Saturion ; pour le décider , il lui fait miroiter
les mets les plus variés , les plus abondants et les plus fins , (111).
Le chantage est particulièrement net aux vers 1^0-1 :

" liu.iquam hercle hodie hic prius edes , ne frustra sis,


Quam te hoc facturum quod rogo adfirmas mini "
" Pour ne pas te bercer d'un vain espoir, par Hercule , tu
n'auras aujourd'hui rien , mais rien à manger, avant de
m'avoir formellement promis de faire ce que je te demande",

En dépit de la gravité du sacrifice demandé ( il lui demande de


vendre sa propre fille ) , la réponse du parasite ne tarde guère ,

" Quaeso hercle me quoque etiarn uende, si lubet


Dum saturum uendas ..." (vers 1^4
"Vends-moi aussi , je t'en prie , par Hercule , si le coeur
t'en dit , pourvu que tu me vendes la panse pleine ..."

Ainsi , on redoute la rapacité proverbiale du parasitus mais on


sait aussi l'utiliser . Cependant , certains des personnages de Plaute
ont voulu se débarrasser de leur parasite ruineux pour tenter une
nouvelle vie, plus active , moins adonnée aux plaisirs dispendieux
qu'entraîne l'entretien des maîtresses exigeantes et des parasites . C'est le
cas des jeunes hommes du Stichus partis faire du commerce sur mer. Quand
ils reviennent , enrichis , ils n'ont pas l'intention de renouer avec
leur ancienne vie et en particulier de nourrir le parasite qui a
contribué à les ruiner (St.6,50) .
- 103 -

Les propos des parasites déjà cités sont la plupart du temps très
imagés. (Rappelons simplement le parallèle établi entre les parasites et
les rongeurs au début du Persa , ou l'assimilation du naufrage du Rudens
à une boisson froide et salée qu'on aurait été contraint d'avaler , ou
encore la perspective d'un bon repas comparée à un cortège de vivres
quittant le port à destination ... du ventre du parasite , dans les
Captifs et la Bacaria ) .

Un langage imagé , farci de plaisanteries , caractérise en effet le


parasitus. Nous pouvons dès lors poser la seconde relation :

Parasitus ""ridiculus "

Paradoxalement , nous constatons que l'esprit du parasite est


encore en fête quand il a le ventre vide. Ainsi , dans les moments les plus
critiques , le parasite trouve à plaisanter. Charmides , dans le Rudens,
se plaint de Neptune comme d'un mauvais tenancier de bar , parce qu'il
l'a rejeté sur le rivage sans lui donner autre chose que des boissons
froides et salées (cf. supra p. 95)· Dans une autre comédie , le Stichus,
aux vers 155 sqq., Gélasime affirme qu'il est le fils de la faim et qu'il
la porte en lui-même dans son ventre. Plaisanterie de mauvais goût dira-
t-on, mais plaisanterie qui dépasse le mot d'esprit traditionnel . D'une
part elle relève de la parodie épique ( c'est en effet un usage noble
que de se situer dans une lignée , mais cette lignée est ici fantaisiste
puisque la mère est Famés ) ; d'autre part , il semble qu'on s'éloigne
du simple burlesque pour atteindre à une expression quasi mythique ; en
effet , il apparaît que Famés , mère de Gélasime , est aussi sa fille ,
ou plutôt il la porte en lui comme une femme son enfant , et elle lui
déchire les entrailles . Le spectateur a l'impression en entendant ces
aveux de Gélasime de se trouver devant un des grands suppliciés de la
légende , tel Tantale , liés pour l'éternité à leur torture. La condition
de parasite semble alors héréditaire ( 112).
- 1Ο4 -

Nous constatons donc que le parasite, de même qu'il a toujours


faim , fait toujours de l'esprit. En effet, nous avons observé qu'il
plaisantait quand il était affamé ( Stichus , Rudens ), quand il avait
la perspective d'un bon repas ( Captifs) , et quand il était rassasié
(Captifs ). La bouffonnerie est donc un des sèmes constants du lexème
parasitus.
Le parasitus le reconnaît d'ailleurs lui-même et affirme que son
seul bien , c'est son esprit, à savoir la possession des ridicula uer-
ba et des attici logi puisés dans les libri qu'il détient chez lui.
C'est d'ailleurs l'a dot que le parasite Saturion promet à sa fille ,
600 bons mots ( au lieu de 600 talents !) :

" Pol deum uirtute dicam et maiorum cieum,


Ne te indotatam dicas, quoi dos sit domi :
Librorum eccillum habeo plénum soracum:
Dabuntur dotis tibi inde sescenti logi
Atque Attici omnes ; nullum Siculum acceperis "(Per .390 sqq.)
(~ÏT3).
Ailleurs , le parasite déclare , poussé par la faim , qu'il va
mettre ses bons mots en vente et il file la métaphore au vers 218 du
Stichus:
" Nunc auctionem facere decretumst mihi " (11*0.

Nous venons de voir qu'un parasite annonce par plaisanterie qu'il


va se vendre lui-même , ou qu'il a des logi à vendre aux enchères pour
avoir de quoi se sustenter . L'intérêt de ces boutades est de suggérer
que l'activité du parasitus est réglée par une sorte de contrat , de
marché. On ne donne pas à perte au parasitus comme c'est le cas pour le
mendicus ( Tri .339) » mais il y a échange de services et le parasite
lui-même parle d'un métier ( qui rapporte ) puisqu'il nomme ee&te·
.

activité un quaestus.

III La troisième relation peut alors être établie :

Parasitus " dont l'activité constitue un métier".

Il existe d'ailleurs un verbe qui signifie " pratiquer le métier


de parasite " , c'est parasitarier ( St. 63?) et subparasitari ( Am.515)
(115).
- 105 -

Ce métier est souvent vu comme héréditaire :

" Veterem atque antiquum quaestum maiorum meum


Seruo atque obtineo et magna cum cura colo.
Nam numquam quisquam meorum maiorum fuit
Quin parasitando pauerint uentris suos " ( Per.53 sqq.).

Nous devons nous demander maintenant en quoi consiste cette


profession. Le parasite s'acquitte d'un certain nombre de charges en
échange desquelles il gagne sa nourriture. Quelles sont ces missions ?

Curculio , dans la pièce qui porte son nom , c'est dire qu'il
constitue un rôle particulièrement actif dans cette comédie , est envoyé
par son " bienfaiteur " chercher de l'argent en Carie. Arrivé là- bas,
il réussit à escamoter un anneau au rival de son bienfaiteur; cet anneau
servira à obtenir de l'argent auprès du banquier. Ainsi la mission est
accomplie grâce à la ruse de Curculio.
Dans ce métier , il faut en effet déployer une grande adresse.
Cette habileté , parfois voisine de la malhonnêteté, a pu faire comparer
des parasites à Ulysse , ainsi aux vers 901 1 902 des Ménechmes. Ce savoir-
faire n'est pas étonnant si l'on pense à la virtuosité du parasite dans
son langage émaillé de mots d'esprit.
D'autres missions sont confiées au parasitus. Dans le Miles , le
parasite de Pyrgopolinice est chargé d'emmener près du roi Séleucus les
soldats qu'il a recrutés ( Mi. 9^8-9). Dans les Bacohides , aux vers
573 sqq. , le militaire a confié à son parasite une commission , qui
consiste à demander à son amie quelles sont ses intentions:

"Parasitus ego sum hominis nequam atque improbi,


Militis qui amicam secum auexit ex Samo
Nunc me ire iussit ad eam et percontarier,
Vtrum aurum reddat anne eat secum simul ",

Le service attendu dans le Persa est un peu particulier : il


s'agit de faire accepter au parasite qu'il prête sa fille pour la faire
passer pour une jeune étrangère à vendre au leno ( vers 127 sqq.).
- 106 -

Dans le Rudens, Charmides a un rôle important ; c'est lui qui a


conseillé à son ami de s'embarquer pour faire le trafic des filles,
commerce qu'il lui a dépeint comme très lucratif. Après le naufrage,
quand son ami sera assigné en justice, il annonce qu'il l'assistera, au
tribunal. L'assistance judiciaire fait donc partie des missions ou
plutôt des devoirs du parasite vis-à-vis de son bienfaiteur.
Il y a aussi les commissions à faire au marché (116).
Ces missions apparaissent donc comme diverses mais réelles ; le
parasite paie en quelque sorte sa nourriture ou plutôt il remercie
l'ami qui la lui assure en se mettant à son service. Il ne faut pas
croire, en effet, que le parasitus est un esclave entièrement dévoué
au service de son maître, ou même un serviteur à gages. Il serait
plutôt une variété de cliens, c'est-à-dire un homme libre, qui, en échange
de nourriture, rend des services à son protecteur comme le fait le cliens
en échange de la sportula. Ce dernier va saluer son maître tous les
matins et le soutient aux élections.
Et de même que le cliens, une fois ces services rendus, est libre
d'agir à sa guise, de même le parasitus vit comme il l'entend lorsqu'il
n'est pas avec son "bienfaiteur". Une déclaration du parasite du Porsa,
Saturion, est éclairante à ce sujet : au serviteur Toxile qui lui a
demandé s'il n'avait pas des relations d'affaires avec le leno, il
répond avec indignation au vers 132 :

"Me ut quisquam norit nisi ille qui praebet cibum !"


"Quelqu'un avoir commerce avec moi, en dehors de l'ami qui
me fournit la nourriture !"

Son indulgence, même feinte, traduit bien la volonté d'indépendance


qui caractérise tout parasitus.
Mais ce métier comporte des inconvénients, qu'on peut classer en
trois catégories, selon qu'ils sont chroniques, périodiques ou
extraordinaires.
La première série est constituée par les mauvais traitements que le
parasite doit subir à tous propos : coups, pots sur la tête (Cap. 89 et
- 107 -

472) , injures comme celles de la Mostellaria au vers 887 :


" Manesne ilico, impure parasite ? "
Par les inconvénients de la seconde série , nous entendons les risques
de la morte saison : il s'agit de l'époque des vacances où les gens riches
sont partis , laissant les parasites se débrouiller seuls :
" Item parasiti rébus prolatis latent
In occulto miseri , uictitant suco suo ,
Dum ruri rurant homines quos ligurriant " (Cap. 82 sqq.)
Enfin la dernière série est constituée par les échecs successifs du
parasite renvoyé à jeun par son bienfaiteur. Elle est pour notre sujet la
plus intéressante parce qu'elle dénote une sorte de cassure dans le
système ; en effet , l'antique contrat entre le parasitus et son ami n'est plus
respecté, peut-être à cause de nouvelles circonstances économiques et
sociales (117).
Dans deux pièces , les Captifs et le Stiehus , et à plusieurs
reprises à l'intérieur de chacune d'elles , un parasite se lamente sur la
ladrerie des jeunes gens de l'époque.
Autrefois , les parasites avaient de quoi se rassasier , maintenant
les "amis" font exprès d'aller dîner en ville ( foras) pour ne rien donner
à leur protégé . Le malheureux , sur le point de mourir de faim ( dit-il)
est réduit au chantage , au suicide , lorsque les anciens bienfaiteurs
font eux-mêmes leur marché , par économie :
" Ipsi opsonant , quae parasitorum ante erat prouincia "
( Çap_. 474)
Mais nous pouvons aussi nous demander ei les plaintes des parasites
ne reposent pas sur des constatations déformées , grossies à la mesure
de leur appétit insatiable , ou si les remarques qu'il formulent
correspondent à une crise économique réelle , responsable d'un appauvrissement
général.
108 -

Peut-itr· en effet est-il arrivé un moment où les "amis" des parasites


ont pris conscience du tort que leur causaient leurs protégés. C'est
ce que montre un passage du Stiehus ; les deux jeunes hommes , ruinés
par leurs dépenses , ont tout quitté , ils ont fait du commerce , sont
revenus riches et ne veulent plus à leur retour être grugés par leur
parasite Gélasime :

" Dum parasitus mihi atque fratri fuisti, rem confregimus


Nunc ego nolo ex Gelasimo mihi fieri te Cata gelasimum"
( vers 629,630)
" Durant le temps que nous t'avons eu comme parasite, mon
frère et moi, nous avons englouti tout notre bien.
Maintenant* je ne veux plus que mon bouffon bouffonne à mes
dépens " .

Cette déclaration est ainsi commentée par le pauvre par .site aux
vers 636-637 :

" Viden benignitates hominum ut periere et prothumiae?


Viden ridieulos nili fieri atque ipsos parasitarier ? "
" Tu vois comme ont péri les sentiments généreux, les bonnes
dispositions des gens ? Tu vois que les bouffons ne sont
plus rien, et que les gens riches jouent eux-mêmes au
parasite ?"

Il semble qu'on assiste alors à un glissement dans les situations


des deux personnages. Désormais , le riche n'accueille plus le
parasite à sa table et il s'acquitte lui-même des tâches qui étaient autrefois
l'apanage des parasites ( le marché par exemple cf. Cap. 47 4 sqq. ) . Et
comme si le riche d'aujourd'hui s'attachait à jouer en tous points (
parasitarier) le personnage du parasite traditionnel, il s'amuse à des
plaisanteries que ne renierait pas son ancien protégé. Le vers de St.630
avec son jeu de mots Qelaaino / Cata gelasimum est révélateur à cet
égard ( cf. des exemples de plaisanteries de parasites supra p. 97 sqq.).
Dans ces conditions , le riche devenant une sorte de parasite (118),
il n'y a plus de place pour l'ancien ; il n'a plus qu'à disparaître 5
ainsi, dans le Stiehus au vers 639, Gélasime parle de s'étrangler .
109

Or la nouvelle situation du parasite qui devient un être misérable


concerne directement notre sujet. En effet, nous avons désormais affaire à un
homme démuni et en butte au mépris des nantis, deux aspects qui constituent,
nous l'avons vu , des éléments essentiels au portrait du pauper , de l'i-
nops et surtout du mendicus. Considérons alors la situation du lexème para-
situs dans le ehamp sémantique de la possession.
Même avant sa nouvelle disgrâce , le parasite n'est pas un possédant:
Parasitus "qui ne possède rien par lui-même ".
Ainsi au vers 331 du Stiehus , un jeune esclave , Pinacion , se moque
de Gélasime en ces termes : "relinque egentem parasitum ". Plus loin, il
le raille sur son costume et lui reproche de n'avoir qu'un seul habit , uni-
ca ueste (St.350).
Enfin , au vers 665 des Ménechmes , le parasite Péniculus déclare:
" Nam nihil est quod perdam domi "
formule qu'un pauper , Euclion , a déjà utilisée pour se définir , au vers
83 de l'Aululaire.
Nous voyons donc que la pauvreté du parasite lui confère une certaine
indépendance , une certaine sagesse ; il n'a , à proprement parler , rien
à perdre. D'ailleurs , le personnage accepte ce dénuement , comme le déclare
Saturion aux vers 120 sqq. du Persa :
" Nihili parasitus est cui argentum domi est.
Lubido extemplo coeperest conuiuium,
Tuburcinari de suo, si quid domi est "
" Un parasite ne vaut rien , s'il a quelque argent chez
lui. Il lui prend aussitôt envie d'ordonner un festin,
de faire bombance à ses frais , s'il a quelques sous
chez lui ".
Il vaut mieux en effet qu'il ne possède rien en propre puisque , de
toutes façons, il est assuré de trouver à manger ailleurs que chez lui, à
moins que les conditions ne changent ( cf. supra ).
L'originalité du parasitus est donc une certaine satisfaction , ou
du moins une absence d'aigreur envers les riches. Cependant , quelquefois,
110 -

le parasite souffre de sa dépendance matérielle vis-à-vis du riche. Ainsi


aux vers 772-773 des Captifs , il se réjouit d'avoir trouvé de quoi ne plus
être obligé de supplier les gens :
" Nec cuiquam homini supplicare nunc certum est mihi .
Nam uel prodesse amico possum uel inimico perdere ".
De plus le parasitus , même s'il est accepté par ses contemporains,
est facilement regardé comme un inférieur par la plupart des ciues, il
occupe par exemple un petit tabouret , au bas bout de la table (Cap. 471 sqq.)
(119)·
Les rapports existant entre le bienfaiteur et le parasitus sont des
rapports de dominant à dominé. Le fait même que le terme parasitus soit très
souvent associé à un génitif , celui du personnage protecteur (120) , est
révélateur : il prouve que le personnage est attaché à un autre et que d'une
certaine manière il a aliéné son autonomie (121). Une autre preuve de l'état
de dépendance du parasitus est l'appellation dont il se sert pour désigner
justement son protecteur : il utilise en effet très souvent le mot rex
( As .919 5 St. 455 ) (122) .
Quelle que soit l'origine de cette appellation ( peut-être vient-elle
de ce que les premiers parasites furent ceux des rois hellénistiques (123)?),
elle montre bien la domination , par le ventre , que le bienfaiteur exerce
sur son parasite. Cette désignation de rex rend plus piquante la réflexion
du parasite Ergasile , se croyant désormais à l'abri du besoin :
" Non ego nunc parasitus sum , sed regum rex regalior ,
Tantus uentri commeatus meo adest in portu cibus "
( Cap. 825-826)
111

CONCLUSION DE L'ETUDE DE PARASITUS


Nous rappellerons simplement ici les principaux sèmes du lexème
parasitus , avant d'évoquer un certain nombre de problèmes soulevés par cette
étude.
Les principaux traits de la signification de parasitus peuvent être
résumés de la façon suivante :
1) Le besoin qui tenaille le parasitus est restreint à un domaine
particulier , celui de l'alimentation.
2) Le parasite constitue un type social tout à fait original :
accepté par la société , il vit dans la dépendance d'un protecteur attitré en
achetant sa nourriture par ses services rendus.
3) Son état n'est pas pitoyable , comme l'est celui du mendicus : les
autres en le voyant ne sont pas saisis de pitié car le personnage ,
burlesque , rit le premier de son dénuement et de sa faim.
Enfin l'étude de parasitus amène à réfléchir sur les points suivants :
- pauvreté et humour
- pauvreté et prise de conscience de la nécessité de travailler
- pauvreté et mentalité romaine.
Plus tard , les seuls biens revendiqués par le peuple seront , aux
dires de Juvénal , panem et circenses . Or ces deux traite , nourriture et
amusement , se trouvent déjà contenus dans la signification intrinsèque du
lexème parasitus , puisque ce personnage obsédé par la nourriture ne perd
pas une occasion de plaisanter.
- 112 -

CONCLUSION DE L'ETUDE ANALYTIQUE DES TERMES DE PAUVRETE


ET PRESENTATION DU CHAMP DE LA RICHESSE

Les termes désignant l'état de pauvreté constituent , nous l'avons vu,


un ensemble très important dans le lexique de la comédie plautinienne, à la
fois par le nombre et par la variété de leurs emplois.
A l'exception de parasitus , il s'agit de termes uniquement consacrés
à ce domaine de l'expression de la possession. Le cas de parasitus est
d'ailleurs à part pour une autre raison ; il semble en effet que la dette de
Plaute à l'égard de ses devanciers , les auteurs de la comédie moyenne et
nouvelle, soit particulièrement nette dans le cas de parasitus (124). Ainsi sont
spécifiquement latins, du point de vue de la forme et de la signification,
les quatre familles de pauper , egere , inops et mendicus. Du point de vue
du sens , nous pouvons rappeler que ces quatre familles comprennent les deux
éléments suivants :
- pauvreté
- mépris dont on est l'objet
tandis que les distinguent les traits de passivité/ activité selon le
schéma suivant :
passivité activité
inops pauper egere mendicus

Le champ de la richesse contient des termes spécifiques en nombre


comparable à ceux qui constituent le champ de la pauvreté et un très grand
nombre de termes polysémiques dont certains désignent les biens matériels qui
composent la richesse de l'individu . La liste de tous ces termes est la
suivante .
Lexèmes spécifiques:
Diues, diuitiae ; opulentus ; locuples
Polysémiques:
Fortuna tus luculentus beatus
Rex
Res bona opes copiae
Argentum aurum pecunia
Lucrum .
113 -

ETUDE DE DIVES

I TRAITS SEMIQUES

Avec ses 32 emplois, (125)» le lexème diues occupe dans le champ


sémantique de la richesse une place prépondérante.
La forme du lexème est le plus souvent diues , diuitis. Toutefois,
Plaute présente quelques formes contractes , ditior et dites (12b).
Il recouvre les sèmes suivants:
1 ) En rapprochant deux passages de 1 'Aululaire dans lesquels Euclion
définit le personnage de Megadore ,

" (A^f-atem meam scis ) . Scio esse grandem , item ut pecuniam "
11 Je sais qu'il est grand ( ton âge) comme ta fortune " (v.2l4)

" Venit hoc mihi, Megadore , in mentem , te esse hominem


diuitem"
" Il me vient à l'esprit , Megadore , que tu es un homme riche"
(v.226),
nous pouvons établir une identité positive qui fonde un sème constant:

Diues " qui possède une grande fortune ".

2) Plusieurs sèmes virtuels l'accompagnent. Nous relevons en effet un


certain nombre d'associations.

a) Diues " qui a des appuis ".

Cela se manifeste dans l'apologue utilisé par Euclion dans la


même scène de l'Aululaire : les ânes ( = les pauvres ) qui veulent
sortir de leur condition seraient en effet poursuivis par les boeufs( = les
riches ), bien unis dans leur lutte contre ceux qui veulent s'insinuer
dans leur caste ( Au. 228 sqq.).
D'ailleurs , toujours d'après l'Aululaire , nous constatons qu'un
homme de la catégorie des diuites ne saurait épouser qu'une femme de la
même classe ( Au. 479 sqq.).
114

Plus nettement encore, la présence des appuis se manif f?st..- dans


le soutien apporté au riche par la loi , comme l'affirme le vers 532
de la Cistellaria :

" Postremo quando aequa lege pauperi eum diuite


( Non licet . . ." .

b) En dépit de ses appuis , l'individu qualifié de diues ne


l'est pas forcément à vie. L'association :
Diues " dont la fortune n'est pas acquise
définitivement "

découle de plusieurs passages contenant souvent des expressions telles


que diuitem fieri ; notons par exemple au vers 330 de 1 'Asinaire :

" Tum igitur tu diues es factus ..." ( 127).

Un personnage peut ainsi devenir riche. Quels sont précisément les


facteurs d'enrichissement ? Il y a d'abord la protection des dieux jointe
à celle des ancêtres comme le montrent un certain nombre de passages,
dont les vers 1 66 de l'Aululaire et 324 des Captifs , absolument
semblables :

" Ego uirtute deum et maiorum nostrum diues sum satis "
" Pour moi, grâce aux dieux et à mes ancêtres , je suis
bien assez riche " (128).

D'autres expressions contiennent la même idée et une tournure


comparable. Citons en particulier le vers 346 du Trinummus :

" Edepol deum uirtute dicam , pater, et maiorum et tua


Multa bona bene parta habemus..."
" Grâce aux dieux , par Pollux, je me permets de le dire,
grâce à nos ancêtres , grâce à toi aussi , père, nous
avons une belle fortune bien acquise ",

et les vers 390-391 du Persa :


- 115

" Pol deum uirtute dicam et maiorum meum


lie te indotatam dicas , quoi sit domi "
" Par Pollux, je puis le dire, grâce aux dieux et au nid ri te de
mes ancêtres, tu ne peux pas dire que tu es sans dot , :.\a< nd
tu as une dot qui t'attend chez nous ".

Ce dernier passage constitue , bien entendu , une plaisanterie ,


puisqu'il s'agit de la richesse du parasite faite de bons mots et non
d'espèces sonnantes et trébuchantes (129) ·
Ainsi , à -uatre reprises , nous rencontrons la mention de la ri-
chesse associée à la protection des dieux et des ancêtres. De toute fa-
çon, le rôle de la divinité semble aussi apparaître au niveau de l'éty-
mologie , comme l'indique Varron (13C ).
Un autre facteur d'enrichissement est l'activité commerciale ,
comme l'indique l'expression de 1 'Asinaire au vers 499:

" . . .Periphanes, Rhodo mercator diues..."

Le métier de leno passe aussi pour être à la source de la fortune


de nombreux diuites; c'est ce que montrent les vers 55 et 5b du Rudens:

"...pcterse ibi eum fieri diuitem,


Ibi esse quaestum maximum meretricibus "

Le mariage avec une femme riche peut aussi être très lucratif (Au.
166 sqq.) , de même que les héritages (As. 529) ?

Notons enfin le rôle du hasard lors d'une découverte: l'esclave


Strobile se croit devenu riche parce qu'il est tombé sur la petite
marmite d'or cachée par Euclion :

" Quadrilibrem aulam auro onustam habeo: quis me est ditior ?"
( vers 809)
"J'ai dans la marmite quatre bonnes livres d'or. Y a-t-il plus
riche que moi ?"

Nous pouvons cependant souligner une absence étrange. Le rôle de


l'agriculture et celui de l'usure ne semblent pas mentionnés comme fac-
- 116 -

teurs d'enrichissement. Or c'étaient les deux principaux moyens


d'acquérir une grande fortune à Rome ( 131)·
Comment comprendre les données de Plaute ? On pourrait trouver là
une des preuves du fait qu'il ne prend pas pour modèle la vie romaine
de son temps mais s'inspire surtout des comédies hellénistiques;
toutefois cet argument tombe lorsqu'on se rappelle que la même situation
régnait en Grèce ( 152 ) .En fait , le décalage entre les données de Plaute
et la réalité n'est qu'apparent ; Plaute veut sans doute évoquer dans
les passages que nous avons cités des enrichissements spectaculaires,
alors que l'agriculture fournit des gains sûrs certes mais lents ; Ca-
ton, dans la préface de son traité De Agri Cultura n'oppose-t-il pas
le profit tiré de l'agriculture , sûr et honnête , à celui qui résulte
du commerce , beaucoup plus aventureux ( 133 ) ?

c) Un troisième sème virtuel se dégage de l'association :

Diues "qui est situé au sommet de la hiérarchie


sociale ",
comme le montre le tour diues de summo loco au vers 51b du Poenulus.

d) Nous pouvons encore noter l'association :

Diues " qui est inactif "


association fondée sur le vers 170 d'Amphitryon:

" Ipse dominus diues operis laboris expers ".

e) Une autre association concerne la prodigalité du diues. En effet,


la relation :
Diues " qui est dépensier "

se tire d'un certain nombre de passages , par exemple de la tirade de


Megadore qui déplore la tendance à la dépense des femmes riches (Au.
~~ 505
sqq . )
f) Une certaine attitude mentale semble inhérente au statut du riche;
elle correspond à l'association :
Diues qui est ingrat et vindicatif ",
117 -

comme l'illustrent les vers 811-813 du Poenulus :


" Verum ita sunt isti nostri diuites;
Siquid bene facias , leuior pluma est gratia ;
Siquid peccatumst, plumbeas iras gerunt "
" Voilà bien de nos riches. Leur rend-on service , leur
reconnaissance ne pèse pas une plume; si vous les offensez,
leur ressentiment vous écrase comme du plomb ".

De même , l'insolence du diues est manifeste dans le passage du


Poenulus évoqué à la page précédente :
" Si nec recte dicis nobis diues de summo loco
Diuitem audacter solemus mactare infortunio " (vers 516,7)
" Si tu nous insultes, tout riche et tout gros personnage
que tu es, nous ne nous gênons pas pour envoyer promener
les riches ".
L'indignation du pauvre devant les insolences du diues se traduit
ici , semble-t-il, par une sorte de rupture de construction , que
conserve la traduction d'Ernout.

g) Plusieurs autres associations concernent d'ailleurs les rapports


entre les diuites et pauperes. Un passage de l'Aululaire déjà étudié
au chapitre de l'analyse sémique de pauper ( 134) , permet en effet de
poser les trois relations :
Diues " qui a l'habitude de ne pas regarder le pauvre"
Diues " qui ne s'occupe du pauper que pour lui nuire"
Diues " qui écrase ou étouffele pauvre ".

Il s'agit précisément des vers 196 sqq.:

» Nemini credo qui large blandust diues pauperi.


Vbi manum inicit bénigne, ibi onerat aliquam zamiam.
Ego istos noui polypos qui ubi quicquid tetigerunt tenent"
" Je me défie d'un riche qui prodigue tant de flatteries
à un pauvre. S'il lui met gentiment la main dessus, c'est
pour lui infliger quelque dommage. Je connais ces pieuvres-
là; une fois qu'elles ont touché quelque chose , elles ne
le lâchent plus " .
COMPOSITION SEMIQUE DE DIVES
Sème constant qui possède beaucoup
Sèmes virtuels qui a aes appuis qui est situe inact
au sommet de
la hiérarchie
sociale
- force = supériorité
qui peuvent s'actualiser
vis à vis du pauvre de
la manière suivante:
ingrat et ne le regarde pas s'occupe de 1'
vindicatif lui pour lui l'é
à son égard nuire
µ?

II MANIFESTATION SYNTAXIQUE

Quelle est maintenant l'incidence de la manifestation syntaxique de


diues sur sa signification ?

Diues est dans la phrase tantôt adjectif épithète ou attribut,


tantôt substantif. A huit reprises , il est adjectif épithète (135)· Nous
pouvons dans ce cas faire une remarque sur l'ordre des mots employé par
Plaute. Le moins souvent , nous trouvons l'ordre " à effet" : substantif
+ diues :

" Ipse dominus diues operis laboris expers " (Am.1?0)


" Quant au maître , fort de sa richesse, exempt de travail
et de peine ".

C'est aussi celui des vers 499 de 1 'Asinaire et 226 de 1 'Aululaire,


où diues constitue un élément descriptif d'un personnage précis et où la
richesse est justement une partie essentielle du portrait. L'ordre
différent, diues précédant le substantif , est banal ; ainsi lisons-nous au
vers 338 des Bacchis :

" Cum diuiti homini aurum seruandum dédit "


" En confiant à un homme riche la garde de cet or " .

Dans ce cas- là, comme au vers 73 du Poenulus, il s'agit d'un récit


où un certain nombre de détails sont donnés , qui n'ont pas une importance
capitale pour la suite de l'intrigue.

Une autre remarque s'impose , quant à la nature des substantifs


avec lesquels s'accorde diues. Nous notons en effet beaucoup plus de
variété que lorsque pauper est accompagné d'un substantif (136). Diues en effet
ne s'accorde pas seulement avec homo mais aussi avec dominus, mariti, mer-
cator, senes (137).
On doit alors , même inconsciemment , rattacher l'état de richesse
à l'identité du personnage signifié par le substantif et faire ainsi
coïncider - prospérité et négoce
- prospérité et jouissance d'une grosse dot
- prospérité et situation à la tête d'une importante familia.
(138).
- 120

En revanche, avec le groupe pauper homo, la pauvreté n'est pas expliquée


par une activité particulière du personnage; l'homme qualifié de pauper
est considéré dans sa seule pauvreté avec les attitudes qu'elle lui
impose .

Diues est presque deux fois plus fréquent en tant qu'attribut


qu'en tant qu' épithète (139) · La fréquence des tours " il est riche
pour telle ou telle raison " ( vers 529 de l'Asinaire : "Si quis pro-
mittat tibi / Te facturum diuitem..." (?4?), ou bien " il est riche et
a telle attitude " ( vers 811 du Poenulus : Ita sunt nostri diuites ),
ou encore " il est riche et provoque chez les autres tel comportement"
( vers 579 des Ménechmes : Sin diues malust, is cliens frugi habetur)
contribue à la réalisation des sèmes virtuels analysés plus haut.
Comme celle de diues épithète, la place de diues attribut est
parfois significative. Diues attribut est quelquefois mis en valeur
par sa position après le verbe et sa place en fin de phrase et parfois
de vers , comme au vers 55 du Rudens :

" ...potesse ibi eum fieri diuitem ".

Il est ici question d'une promesse alléchante qu'un personnage


a faite à un autre : en retour d'une certaine activité, il lui fait
miroiter de gros profits. Pour entraîner l'adhésion de son interlocuteur,
le personnage met en vedette la qualification de diues et en fait le
terme final et par là décisif de la proposition ( 141).
De même au vers 809 de L'Aululaire , la mise en valeur de diues
constitue l'un des moyens d'exprimer l'euphorie de l'esclave qui vient
de découvrir la .marmite d'or :

" Quadrilibrem aulam auro onustam habeo; quis me est


ditior ? "

Au terme de nos remarques sur la manifestation dans la phrase de


diues en tant qu'adjectif , il convient d'examiner le cas de ses degrés
de variation.
121 -

Nous ne disposons que de deux occurrences du comparatif, ce qui


ne permet guère d'étudier de façon approfondie cet emploi.

- Au vers 1323 du Pseudolus :


" . . .nam hinc numquam eris nummo diuitior "
" ... tu ne seras pas plus riche d'un sou ",

il ne s'agit pas d'opposer les richesses respectives de deux


propriétaires, mais d'imaginer un accroissement de la fortune présente d'un
personnage.

- Au vers 809 de l'Aululaire , cité précédemment , le tour " Quis me est


ditior correspond à un superlatif : je suis le plus riche de tous.
Toutefois ces deux emplois et surtout le premier permettent d'affirmer que
le lexème diues en tant qu'adjectif est soumis à une certaine variation ,
alors que le lexème pauper semble y échapper (l42).

Diues occupe d fois dans la phrase la fonction de substantif (143)


Il s'oppose alors toujours à pauper lui aussi substantive (144),
de façon implicite au vers 167 de l'Amphitryon et explicite dans tous
les autres cas.
Pour une étude détaillée sur le plan stylistique du couple
diues / pauper , nous renvoyons au début de notre seconde partie (145).

En conclusion de notre étude sur les composantes sémiques de


diues , nous pouvons affirmer que l'individu qualifié par Plaute de diues
constitue un personnage dont les caractéristiques sont très spécifiques.
En effet , on plus de la possession de la richesse, le lexème recouvre
une mentalité et un comportement particuliers. Il ne prend tout son sens
que dans son opposition à pauper , le type opposé.
- 122 -

DIVITIAB

Djuitiae est un lexème très employé par Plaute avec 39


occurrences (146) . Il a en gros deux emplois : le terme correspond aux
richesses matérielles qui font d'un homme un diues et désigne aussi l'état
de ce dernier. Sa signification par conséquent présente une· certaine
"élasticité" c'est-à-dire fait intervenir plusieurs sèmes qui
s'excluent l'un l'autre (147).

Le se ne constant est facile à déterminer. Il arrive en effet


que le terme diuitiae soit explicité par une énumération de richesses
matérielles. Ainsi , dans le Miles aux vers 1063 sqq. , nous apprenons
que les diuitiae du Miles se composent de 1000 boiaseaux d'or en phi-
lippes :
' ...satis habeo diuitiarum ;
Plus mi mille est modiorum Philippi .. ".

Le sème constant est donc :

Diuitiae " biens accumulés ".

Ces biens peuvent d'ailleurs être réellement possédés par


quelqu'un ou par une famille. On peut aussi en désirer la possession,
chacun des deux cas excluant l'autre évidemment.

Le premier sème virtuel est donc le suivant :

Diuitiae
" " " biens possédés par un seul ou par une
famille".
Ce sème virtuel est réalisé par exemple dans les Captifs au vers
281 ; dans ce passage en effet, un personnage demande à un autre si un
troisième possède de grands biens :

" Quid diuitiae ? Suntne opimae ...?".

L'exemple du Miles évoqué plus haut réalise le même sème virtuel


puisqu'il s'agit explicitement des biens possédés par Pyrgopolinice.
123

b) Le second sème virtuel peut être tiré par exemple du vers <->52 du
Persa :
" Diuitiae tu ex istac faciès ...".

Dans ce vers , un personnage fait miroiter à son interlocuteur


les richesses dont il pourra se rendre maître en achetant une jeune
fille qui deviendra une courtisane.
Ce type de syntagme fonde l'association :

Diuitiae " biens dont on désire la possession".

La possession de ces biens peut aussi être convoitée par un autre,


comme il apparaît au vers 839 du Trinummus :

" ... filio dum diuitias quaero ".

c) Les biens accumulés peuvent ou bien être vus en eux-mêmes ou bien


être considérés dans leur rapport avec le possesseur. Dans le premier
cas , quand ils sont vus en eux-mêmes , deux possibilités existant,
constituant deux autres sèmes virtuels qui s'excluent l'un l'autre :

Diuitiae " masse de biens dépourvue de mbbilité"


Diuitiae " biens mobilisables ".

La première proposition peut être établie à partir des vers tels


que le vers 329 de l'Epidique , dans lequel un personnage déplore
l'impuissance où se trouve son ami , qui possède pourtant en sa maison de
grands biens :

" Quid illurn ferre uis, qui , tibi, quoi diuitiae domi maxumae
sunt,
Is nummum nullum habes nec sodali tuo in te copiast "
" Quelle aide veux- tu qu'il ( un esclave) apporte , quand
toi, qui as dans ta maison de telles richesses , tu n'as
pas un sou vaillant , tu ne peux être d'aucun secours à
ton ami ".
- 124

La seconde proposition est obtenue en considérant par exemple le


vers 412 du Stiehus :
" Magnas adportauisse diuitias domum",
ou encore l'expression du vers 542 du Rudens : conruere ...ditias ".

C'est dans le cas de la mobilisation des biens qu'on peut


assister à des prélèvements. Ces prélèvements sur les diuitiae se
manifestent par exemple au vers 349 du Trinummus :

" De magnis diuitiis si quid demas , plus fit an minus?"


" Retranche une partie d'une grande fortune. En reste- t-
il plus ou moins ?"

Non seulement les diuitiae sont mobilisables mais elles sont aussi comp-
tabilisables, c'est-à-dire que ce sont souvent des biens en espèces ;
certes les diuitiae devaient être des richesses surtout foncières. En
effet, d'après ce que nous pouvons savoir de l'économie antique, ce
devait être la possession foncière qui fondait la richesse d'un individu
(148) ; cependant, il reste que, dans le corpus plautinien , ce sont
surtout les richesses monétaires qui sont mises en valeur et désignées par
le vocable diuitiae. Considérons donc les valeurs désignées par les di-
uitiae lorsqu'elles sont précisées. Dans un passage du Miles, aux vers
1063 sqq. , on apprend que Pyrgopolinice a plue de mille boisseaux
d'or en philippes :

...Praeter thensauros.
Tum argenti montis , non massas habet. Aetna mons non aeque
altust ".

La présence conjuguée d'or et d'argent se manifeste aussi à propos


des diuitiae que contenait la valise perdue du Rudens. A Labrax qui,
désespéré, a raconté à son interlocuteur que la mallette contenait :

riummi octingenti ( vers 1313)


centum mna Philippia (vers 1314)
sans compter talentum argenti (149) (vers 1318),
Gripus répond en commentant les dires de Labrax :
- 125 -

" Papae ! Diuitias tu quidem habuisti luculentas " (1320)


" Bigre ! Tu avais , ma foi , une jolie fortune ".

Le rôle de l'or semble essentiel , comme il ressort des vers 333-334


des Bacchis :
" ... Tantas diuitias habet !
Nescit quid faciat auro ..."
" ... C'est qu'il a de telles richesses ! Il ne sait que
faire de son or ..."
La même particularité se rencontre aussi de façon plaisante au vers
285 des Captifs. On raconte en effet qu'un personnage possède de si grands
biens qu'il porte le nom de Thensaurochrysonicochrysides , nom fantaisiste
qui contient à deux reprises l'élément or sous sa forme grecque chrys-.
Dans l'Aululaire , l'esclave Strobile qui a découvert la marmite
pleine d'or désigne aussi son contenu comme des diuitiae , aux vers 820-
822 :
" ... repperi hodie,
Ere , diuitias nimias .
- Vbinam ?
- Quadrilibrem , inquam , aulam auri plenam ".
Cette énumération des différentes valeurs constituées par les diuitiae
chez Plaute permet d'établir solidement les points suivants :
capital"
1) L'or d'abord , l'argent ensuite, jouent un rôle dans la
composition des diuitiae .
2) Les quantités précisées , souvent élevées , permettent de
souligner le nombre , catégorie essentielle aux diuitiae , terme uniquement
pluriel.
3) Ces quantités sont cependant assez variables . Nous disposons en
effet des précisions suivantes : tantôt mille boisseaux d'or , en philippes,
tantôt quatre livres d'or . Ce qui nous permet de constater que les
diuitiae se situent dans une "fourchette " quantitative très large · C'est que
les biens accumulés sont qualifiés de diuitiae lorsqu'ils représentent,..
de façon absolue de gros " capitaux " , ou lorsqu'ils paraissent tels à
des gens jusque là dans la misère ( comme l'esclave Strobile ). Cette
souplesse dans la signification apparaît nettement encore lorsqu'on oppose
- 126

deux passages: '


"Idem animust in paupertate qui olim in diuitiis fuit"
( St.134)
" J'ai le même coeur dans la pauvreté que jadis dans la
richesse"
" ... non conuenit
Me, qui abusus sum tantam rem patriam , porro in ditiis
Esse agrumque habere, egere illam autem ..."
( Tri. 681 nqq.)
" Il est inadmissible que «oi, qui ai gaspillé un tel
patrimoine, jt. continue à vivre dans l'aisance et à posséder
ce champ , tandis qu'elle serait dans la misère ".
Dans le premier cas , in diuitiis est opposé à in paupertate ,
c'est-à-dire à la pauvreté , et dans le second à egere , c'est-à-dire
à un état misérable. Nécessairement , une plus ou moins grande richesse
s'oppose à une plus ou moins grande pauvreté.
Cette variation interne dans la valeur des diuitiae justifie
aussi la présence des adjectifs qui soulignent souvent l'ampleur des
diuitiae, maxumae, tantae, luculentae, magnae , nimiae, summa e (150).
Le rôle de ces adjectifs est patent dans un vers des Captifs :
" Quid diuitiae ? Suntne opimae ...?" (vers 281 ) ,
où il apparaît que le seul lexème diuitiae ne désigne pas
nécessairement une grande richesse mais peut être étayé par un qualificatif qui
lui donne du poids; il est d'ailleurs intéressant de noter que
l'adjectif choisi fait intervenir une idée d'abondance que nous retrouverons
dans une autre famille du champ sémantique de la richesse , celle d'opu-
lentus. Un adjectif comme nimiae tend à faire croire à une limite idéale
du contenu des diuitiae. La notion de satiété et même d'excès a
d'ailleurs déjà été évoquée à propos du tour satis diues (151) : elle se
manifeste aussi avec diuitiae , comme au vers 1063 du Miles : satis habeo
diuitiarum . Il s'agit peut-être alors , avec ce tour , d'une expression
quasi proverbiale, d'une sorte d'appel à la sagesse populaire plutôt
que d'une véritable conviction.

d) Des diuitiae peuvent être considérées dans leur rapport avec


le possesseur. Nous poserons alors deux associations qui fondent deux
sèmes à exclusion :
- 127 -

Diuitiae " biens gagnés personnellement par l'individu"

Diuitiae " biens de famille , hérités ".

Le premier cas nous permet d'évoquer un des sèmes virtuels de diues,


celui qui concerne les facteurs d'enrichissement (152). Ces biens ont
pu être gagnés par différents moyens tels que le commerce par mer (St.
412), la guerre au service des rois hellénistiques (Ep.Vji) ou encore le
commerce des courtisanes (Ru.

La seconde proposition (diuitiae " biens de famille " ) est facile


à illustrer. En effet, diuitiae et genus sont souvent coordonnés, comme
au vers 299 des Captifs avec le tour "occultare genus et diuitias meas"
(153).
La famille qui possède des diuitiae se recommande aussi parfois
par son summum genus (15*0· Faut-il voir là une des manifestations du
fait que les familles patriciennes à l'époque de Plaute étaient les plus
riches ? Nous ne pouvons ici même nous prononcer là-dessus. Toutefois, il
semble que la richesse n'ait affecté que plus tard les catégories moins
élevées comme la classe équestre (155)·

Quoi qu'il en soit, un individu donné , nanti de ses diuitiae,


même sans haute naissance, semble posséder un état assez particulier. Nous
pouvons donc écrire une dernière proposition :
Diuitiae " état de richesse venant de la possession
des biens".

β) Cet état de possession, que nous désignons volontiers par le


singulier richesse s'accompagne d'un genre de vie typique, comme il
apparaît aux vers 693-^ du Stichus :

" ... Quibus diuitia· domi sunt, scaphio et cantharis,


Batiocis bibunt ; at nos nostro Samiolo poterio "
" ... Ceux qui ont des trésors plein leur maison boivent
dans des scaphies, dans des canthares, dans des batioques
mais nous, dans nos pauvres coupes en terre de Samos ".
- 128 -

Cette attitude rappelle ce qui a été vu à propos du diues , de son


genre de vie qui s'oppose à celui du pauper (156). Cet état de richesse
est considéré chez Plaute comme une faveur accordée à l'homme, au même
titre qu'une longue vie ainsi que le montre le vers 723 du Miles :

" Huic homini dignum est diuitias esse et diu uitam dari"
" Voilà un homme digne d'être riche et de vivre longtemps".
C'est encore un bien que l'on associe souvent à la liberté , par
exemple au vers 1213 du Miles :

" . . .libertatem tibi ego et diuitias dabo "


" ... je te donnerai la liberté et la fortune ".

Nous rencontrons la même conjonction de la liberté et de la


richesse au vers 1010 des Captifs :

" At nunc liber in diuitias faxo uenies ..."


" Mais je te promets que tu vas devenir libre et riche...".

Le don de la richesse semble aussi comparé à celui d'avoir des


enfants , comme il est dit plaisamment dans le prologue des Ménechmes
à propos d'un riche vieillard sans enfants :

" Ei liberorum , nisi diuitiae, nil erat "(vers 59)


11 En fait d'enfants , il ne possédait que des richesses".

Cette comparaison, semble-t-il , souligne encore le rapport qui


existe entre diuitiae et la famille , comme l'ont montré les fréquentes
associations entre diuitiae, genus et domus.
Nous voyons donc que cet état de richesse souhaitable pour l'homme
semble parfois être considéré comme une faveur accordée à l'homme par
la divinité (157) ·
Enfin , cet état désirable peut être communiqué à autrui ,
notamment dans deux cas précis , celui de l'adoption et celui du mariage.
Ces deux cas auraient pu être examinés à propos des facteurs
d'enrichissement. Si nous les étudions ici , c'est parce que la formulation semble
souligner la valeur d'état contenue dans diuitiae , notamment avec
l'expression in diuitiis . C'est le cas en particulier au vers 90^ du Poenulus;
- 129 -

11 Is in diuitias homo adoptauit hune ..."


" Celui-ci l'adopta et lui légua ses richesses ...",

ou encore aux vers 600-601 de la Cistellaria :

" Nempe istic est , qui Alcesimarcho filiam


Suam despondit in diuitias maxurnas ?"
" C'est bien lui qui a fiancé sa fille à Alcesimarque, , un
très riche parti ?".
L'idée inverse se rencontre d'ailleurs au vers 305 de la
Cistellaria ( C'est le fragment V) :
"Prohibet diuitiis maximis, dote altili atque opima "
" Qui lui fait refuser une grosse fortune, une dot bien grasse
et rebondie ".

Enfin la meilleure illustration de la valeur d'état de diuitiae


reste le vers déjà cité du Stichus, où l'abstrait de qualité paupertate
est opposé à diuitiis :
" Idem animust in paupertate qui olim in diuitiis fuit "
" J'ai le même coeur dans la pauvreté que jadis dans la
richesse" (vers 13*0 .

Nous pouvons nous étonner que le latin ne possède pas un abstrait


de qualité qui soit à diues ce que paupertas est à pauper (158) . Une
lacune comparable se note en ce qui concerne le verbe : aucun verbe chez
Plaute ne s'oppose à paupero , appauvrir , rare il est vrai (159).
Résumons maintenant en un tableau synthétique les composantes
sémiques de diuitiae .
SEME CONSTANT BIEIiS EN GRAND NO
SEMES VIRTUELS Biens vus en eux-mêmes considérés comme
une masse
Biens vus dans leur Biens gagnés
rapport avec le possesseur personnellement
mis en parallèle que
avec d'autres biens, com
dons des dieux
- 131 -

Si nous examinons maintenant la manifestation syntaxique de fliui-


tiae , nous constatons que diuitiae apparaît dans trois types de syntng-
mes :
1) Diuitiae (+adj . ) alicui sunt (7 fois) (16O)

2) Ali gui s diuitias (+ adj.) habet (k fois) (161)

3) a) Aliquis in diuitiis est (2 fois) (1Ô2)


b) Aliquis summis diuitiis, summo génère ... (= tour des-
criptif (3 fois ) (163) .

Il semble que le premier type coïncide avec la réalisation du sème


"familial" de diuitiae , sans doute de par la présence fréquente du
groupe sunt domi (164) , que le second souligne le sème constant de " biens
en grand nombre" et l'aspect comptabilisable des diuitiae ( 165) , et que
le troisième actualise le sème d'état qui fait l'originalité de diuitiae.
- 132 -

OPVLENTVS

Le iexème opulentus assez fréquent dans le corpus plautinien


aurait pu être étudié avec opes (cf. infra ) , si nous suivions une do
Marche étymologique. Gomme nous considérons avant tout les emplois ot que
le lexème opulentus alterne assez souvent avec diues ( 166), nous
l'examinons maintenant. Toutefois , le rapport avec*ops est évident et il
convient ici de faire quelques remarques en ce qui concerne la formation
d ' opulentus .
Il faut d'abord noter que chez Pl&ute , un nombre assez réduit
d'adjectifs présente cette formation complexe en -ulentus. Mous relevons
bucculentus, corpulentus, fraudulentus, frustulentus, luculentus , lutu-
lentus, turbulentus et truculentus (167). Ailleurs que chez Plaute nous
rencontrons d'autres formations telles que esculentus , suculentus ou
uirulentus (168).
Cet élément -ulentus pourrait se décomposer en deux parties : un
premier élément -ul- qui serait à rapprocher du suffixe -ulus, bien
connu en latin (1 >9), et un second élément -entus , que l'on pourrait
comparer au suffixe de participe -ent- .Ailleurs que chez Plaute, les
adjectifs formés de cette manière peuvent aussi devenir a thématiques ;
ainsi notons-nous che;-. Apulée opulentus et opulens (170).
Ce groupe -ulent-us en général s'ajoute à un substantif pour
former un adjectif. L'exception est celle du lexème truculentus, adjectif
dérivé de l'adjectif trux , trucis farouche. Dans les autres cas , on
pourrait analyser ainsi la formation:

qui comporte ou des morceaux (de viande), du trouble


qui engendre de l'éclat, de la saleté...

joues
qui est important en corps

Dans le cas d Opulentus , il semble donc que l'idée d'abondance soit


doublement présente: elle serait contenue et dans le radical et dans le
- 133 -

le groupe suf fixai .


Cette idée d'abondance , indépendamment même de la ricnesue
proprement dite, se manifeste pleinement au vers 9" des Bacchis où opulentus
qualifie un nom de chose, un repas :

" Tu facito opsonatum nobis sit opulentum opsonium"


" Toi, tu t'arrangeras pour qu'on nous serve un menu
somptueux" .

Nous la rencontrons encore au vers 300 de l'Zpidique dans lequel


l'adjectif opulentus est suivi du complément déterminatif auro :

" (... alius illam adulescens dépérit )


Auro opulentus , magnus miles Rhodius, raptor hostium"
ν ... il y a un autre galant qui est entiché de la belle)
un homme tout cousu d'or , un grand guerrier, un
Rhodien , fameux pillard ".

Dans les deux cas , apparaît l'idée d'abondance. D'un côté, le


repas doit être abondant , copieux même ( en soulignant ici l'étymologie
de cet adjectif) , de l'autre, le militaire est littéralement "abondant
en or" c'est-à-dire possède beaucoup d'or.

Opulentus est employé 1^ fois par Plaute ( y compris les deux cas
que nous venons de citer ) (171). Le lexème.est donc moins utilisé que
diues dont les emplois sont au nombre de 32 (172). Cependant il est
parfois employé concurremment avec diues :

a) Aux vers i6o-1o7 de l'Amphitryon, opulentus et diues semblent


synonymes :
" Opulent ο homini hoc seruitus dura est,
Hoc magis miser est diuitis seruus "
" Ah! C'est dur d'être au service d'un grand et l'esclave
d'un riche est bien le plus malheureux ".

b) La comparaison de deux passages de l'Aululaire corrobore ce


parallélisme ; il s'agit d'une part des vers 196-197 !
- 134 -

" Nemini credo qui large blandust diues pcuperi .


Vbi manura inicit bénigne, ibi oncrdt aliquarn zamian"
11 Je me défie d'un riche qui prodigue tant de liât lieriez à
un pauvre. S'il lui met gentiment la mai η dessus, c'est
pour lui infliger quelque dommage ",

et d'autre part des vers 2^7-2^8:

" Nain si opulentus it petitum pauperioris gratiarr. ,


Pauper metuit congrediri. . ."
M Qu'un riche aille de lui-même solliciter les bonnes
grâces d'un plus pauvre, le pauvre n'ose pas entrer en
rapport avec lui ...".
Les situations sont très comparables; pauper s'oppose dans un cas
à opulentus, dans l'autre à diues . Opulentus a donc un noyau sémique
commun avec diu .s, c'est le sème constant de diues " qui possède
beaucoup ". Main "puientus « tel que nous 1' étudions chez Plauie , a un
sème constant plus étoffé.
Quels sont donc les autres éléments caractéristiques d'opulentus?
Il semble que son noyau sémique est défini par l'identité suivante :

Opulontus " qui étale aux yeux d 'autrui richesse et puissance"


Trois éléments composent ce sème complexe , la richesse , la
puissance et la manifestation aux yeux d "autrui. Le premier élément a déjà
été étudié lorsque la comparaison a été établie avec diues , avec
lequel justement il partage le trait. On pourrait aussi tirer parti de la
présence d'auro ( au vers jiOO de l 'Epidique ) qui précise cette
richesse , et rappeler alors le rôle de l'or dans la constitution des diui-
tiae (173).
Le second trait, la puissance , est très sensible aux vers 2V?
sqq . de l'Aululaire. Devant l'opulentus , homme riche et puissant,
le pauvre tremble car il sait que sa position est bien faible. La
puissance de l'opulentus apparaît aussi au vers 565 du Persa : on
imagine alors l'importance sociale qui serait celle du leno devenu
opulentus :
- 135 -

" Di immortales , nullus leno te alter erit opulentior.


Euortes tuo arbitratu homines fundis, fa^iliis:
Cum optirais uiris rem habebis, gratiam cupiont tuam,
Venient ad te comissatum ..."
" Tu dépouilleras à ta guise les gens de leurs domaines, de
leurs esclaves; tu auras commerce avec les plus hauts
personnages; ils rechercheront tes bonnes grâces , ils
viendront chez toi faire bombance ".

Enfin , la puissance de l'opulentus est patente lorsque le lexème


qualifie des divinités , ce qui se produit deux fois , au vers 515 de
la C:'-stellar:'-a et au vers 251 du Persa .
Dans le premier ces , il s'agit d'un serment ; la formule est
d'ailleurs celle oui est couramment utilisée alors :
" Itaque me Ops opulenta , illius ( = louis) auia
- immo mater quidem ( s.e. amet ).
Dans le second, il s'agit d'une action de grâces rendue aux
divinités par l'esclave Sagaristion qui a réussi à dérober à son vieux
maître un sac d'argent qu'il destine à son jeune ami dans le besoin :
" loui opulento, incluto, Ope gnato,
Supremo, ualido, uiripotenti,
Opes, spes bonas, copias commodanti
... lubens uitulorque merito,
Quia meo amico amiciter hanc commoditatis copiam
Danunt , argenti mutui ut ei egenti opem adferam "
(Per. 251 -255)
" Opulent Jupiter, glorieux fils d'Ops, dieu suprême ,
dieu fort, dieu tout-puissant , dispensateur des biens ,
des espérances, de l'abondance , je t'offre d'un coeur
joyeux et reconnaissant mes transports de joie pour m'a-
voir amicalement donné ainsi que les autres dieux , le
moyen de rendre service à mon ami ".

Ce passage est très instructif parce qu'on peut estimer qu'opu-


lentus est développé par la suite et cela en deux étapes , d'abord sur
un plan général, avec la précision " ualido ...Opes ...copias
commodanti " ( Jupiter est alors vu comme le dieu omnipotent et distributeur
par excellence des biens ( 17*0 ) et ensuite sur le plan particulier,
avec la mention accordée à Sagaristion lui-même : " quia ...copiam Danunt
... argenti ut ...opem adferam".
- 136 -

Avec cet a.apect de la distribution aux mortels , qui se trouve


développé ici, il semble que nous quittions le noyau sémique d'opulentus
car cette faculté distributrice ne caractérise pas les hommes dite opulen-
ti , dont nous avons vu que certains au contraire essayaient de
dépouiller les autres (175) ·
Nous pouvons dire alors que la distribution aux mortels est la
forme que prend , chez les divinités , ce que nous appelions
extériorisation ou ostentation de la richesse chez les mortels.
Dans le passage du Persa , Jupiter qualifié d'opulentue ,
apparaît seul, mais dans la Cistellaria- , il est accompagné d'un grand
nombre de dieux et de déesses , cités d'ailleurs dans le plus grand
désordre pour un effet comique. Parmi ces divinités, nous notons la présence
d'Ops , qualifiée ^nle aussi d'opulenta (Ci_.515)· La r'-p^ochement sur
le plan syntagmalique des deux lexèmos de la mène cori-, ί cymologique
pourrait bien signifier qu'il existe un rapport essentiel entre les deux
divinités. Il faut essayer d'élucider ce point. Pour cela , nous devons
chercher qui est cette divinité appelée Ops et considérée comme la mère
de Jupiter (17")· Appartient-elle au panthéon hérité des Grecs ? Il ne
le semble pas. C'est une divinité-entité , à l'image de Virtus, Salus ,
Spes , et qui a été assimilée à Rhéa , femme de Saturne . De plus , il
est établi que les Anciens voyaient en elle une image de la terre,
distributrice de tous les biens pour les mortels: d'ailleurs , une des épi-
thètes traditionnelles d'Ops est consiua , en rapport avec l'activité de
plantation (177)·

Quels sout maintenant les sèmes virtuels d'opulentus quand il


s'applique aux mortels ?
Nous rencontrons un trait qui précise le sème constant dans son
élément de la manifestation. Les opulenti semblent en effet se
manifester glorieusement aux yeux des hommes de leur entourage; c'est ce que
montrent les vers 5&5 sqq. du Persa , déjà cités p. 129. Nous relevons
en effet dans ce passage deux points précis que l'on doit rattacher à la
signification d'opulentus ; d'une part , l'opulentus se manifeste avec
une telle audace qu'il exploite ceux qui l'entourent de façon éhontée
en leur arrachant ce qui fait l'essentiel de la richesse dans
l'antiquité, à savoir les biens fonciers et les esclaves (178); d'autre part, il
parvient à faire figure de grand personnage en nouant des relations avec
137 -

les notables et en suscitant même leurs hommages. Certes, chacun des deux
traits , rapacité et ostentation , est grossi car le personnage qui
parle ne fait pas partie de cette catégorie des opulenti ; il y a sans doute
che?, lui un désir de revanche qu'il fait passer dans la personne de son
ami à qui il promet de gros bénéfices dans sa carrière de leno .
Toutefois, cette analyse du passage du Persa est peut-être contestable. En
effet, on pourrait objecter que cette arrogance n'est pas le fait de l'o-
pulentus , mais qu'elle s'explique par le caractère traditionnel du leno
dans la palliata, homme absolument sans scrupule et détesté de tous.
Mais un autre passage présente cette attitude arrogante de 1 'opu-
lentus , sans que l'état de leno soit mentionné . Il s'agit de l'opulen-
tus à table aux vers 473 sqq· du Trinummus.

Nous voyons donc que le premier trait, celui de l'exploitation du


pauvre, caractérise aussi le diues , tandis que le second , celui de
l'ostentation , est propre à l'opulentus.
TABLEAU DE LA SIGNIFICATION D'O
SEME CONSTANT qui manifeste aux yeux d'autrui r
SEMES VIRTUELS
réalisés selon
le contexte (quand il caractérise une divinité)
qui a le pouvoir de distribuer des
biens aux mortels
SEMES A EXCLUS
139 -

L'intérêt de ce tableau est de rendre sensibles :


1) la densité du sème constant
2) le petit nombre de sèmes virtuels,
3) le fonctionnement exclusif des sèmes virtuels , selon les individus
caractérisés.
Ce dernier point est d'ailleurs particulièrement intéressant.
Nous voyons en effet comment un lexème revêt en fonction du contexte
une signification spécifique. Précisément , deux contextes différents
peuvent lui donner une signification presque opposée : opulentus
qualifiant un mortel peut signifier " qui arrache aux autres leurs biens par
désir de s'imposer soi-même" et quand il concerne un dieu a le sens de
"qui manifeste sa puissance en distribuant des richesses aux mortels".
Ainsi se manifeste en pleine lumière l'aspect structural de
l'expression : un terme reçoit de son entourage une partie de sa
signification.
140 -

MANIFESTATION SYNTAXIQUE D'OPVLENTVS

Une fois sur deux, opulentus est adjectif épithète : avoc cette
fonction , il s'applique à des individus déterminés , dieux ( Jupiter,
Ops ) ou mortels , (adulescens, miles ) ou indéterminés ( homo , uir )
Dans le premier cas , avec les individus déterminés , opulentus
suit le substantif, ce qui est l'ordre non banal ; il semble qu'alors
l'adjectif désigne une caractéristique essentielle du personnage ainsi
décrit. En ce qui concerne les mortels , le seul exemple est celui du
militaire de 1 'Epidique , personnage tout cousu d'or et qui fait trembler
les ennemis , raptor hostium (vers 300). Nous voyons donc clairement
que la qualification d'opulentus n'est pas un simple trait qui enjolive
le portrait du personnage , elle résume au contraire toute son attitude.
Dans le eat. des dieux, puissance et capacité de répandre leurs
dons sur les mortels sont essentielles aux deux divinités que sont
Jupiter et Ops. Jupiter n'est-il pas le dieu suprême , c'est -à-dire celui
qui possède la toute puissance et de qui viennent tous les bienfaits
accordés aux mortels (179)? Quant à Ops , nous avons déjà noté que les
Anciens voyaient en elle le symbole de la Terre , mère de toutes choses;
c'est assez dire que la puissance créatrice et distributrice est la
principale caractéristique d'Ops , ce que souligne l'allitération d'Ops
opulenta. D'ailleurs , l'ouvrage récent de Pierre Pouthier sur la déesse
Ops porte un titre suggestif : Ops ou l'abondance divinisée jusqu'à
l'époque d'Auguste.

Les 5 exemples d'opulentus substantive évoquent les emplois


comparables de diuec (130).
Dans ces cas-là , en effet , opulentus est toujours opposé au type
antithétique ; il l'est implicitement dans les deux exemples du Trinummus:
un personnage imagine son interlocuteur Lesbonicus ( qui est un homme
ruiné, nous le savons par sa déclaration du vers 452 :
"Cum uestra nostra non est aequa factio "
"Notre rang n'est pas égal au vôtre",)
en face d'un opulentus :
" ..(si in aedem ad cenam ueneris)
Atque ibi opulentus tibi par forte obuenerit "(vers 469)
141 -

" ( ...suppose que tu ailles à un banquet dans un temple)


et que le hasard t'ait donné comme compagnon de table
un richard "
" Edisne an incenatus eum opulento accubes ?"(v.4?3)
" Mangerais-tu ou resterais-tu couché, le ventre creux à
côté de ton richard ?"

L'opposition est explicite dans les trois autres occurrences : opu-


lentus s'oppose à pauperioris au vers 247 de 1 'Aululaire , les opulentio-
res sont mis en présence des pauperiores au vers 479 de la même pièce;
quant à 1 Opulentissimus du vers 493 du Trinummus , il se trouve dans
l'Achéron soumis au même traitement que le mendicus :
" Aequo mendicus atque ille opulentissimus
Censetur censu ad Accheruntem mortuus "
" Une fois morts, mendiant et richard sont classés dans la
même classe au bord de l'Achéron " .

Ces derniers exemples nous introduisent à l'étude de la variation


en degré d'opulentus. Nous disposons de quatre occurrences. Examinons
d'abord les deux emplois d'opulentus attribut:
" Nec quisquamst tam opulentus, qui mi obsistat in uia"(Cu.284)
" Il n'y a personne au monde , si puissant qu'il soit, qui
puisse me faire obstacle en chemin "
" . . .nullus leno te alter erit opulentior "(Per .565)
" ... il n'y aura pas d'autre leno plus opulent que toi ".

Ces deux exemples montrent qu Opulentus est soumis à variation


beaucoup plus nettement que diues ou pauper . Nous avons le même sentiment
en considérant le vers 493 du Trinummus dans lequel opulentissimus , très
puissant et très riche , s'oppose à mendicus , très pauvre et nécessiteux.
Le dernier exemple n'ajoute rien au dossier puisqu'il s'agit,
au vers 479 de l'Aululaire , d'opposer deux classes d'hommes , les opu-
lentiores et les pauperiores.
Ainsi , en définitive , opulentus semble soumis à la variation
beaucoup plus nettement que diues. Comment expliquer cette différence de
fonctionnement ? Nous pourrions dire qu' opulentus décrit une attitude que
142 -

prend le diues quand il veut étaler sa puissance et sa magnificence ( c'est


d'ailleurs la raison pour laquelle les deux lexèmes alternent souvent ).
A ce titre , c'est une qualité qui peut être plus ou moins développée,
alors qu'un individu est ou n'est pas diues , puisqu'il s'agit d'un type
d'homme , d'une race en quelque sorte.

Disposons-nous , pour en terminer,, d'une série étymologique à


laquelle appartiendrait opulentus ?
Il n'existe que trois termes qui sont en rapport direct avec opu-
lentus(l8l ) ,un adverbe opul enter et deux abstraits de qualité opulentia
et opulentitas .
Avec l'adverbe , dans un fragment , nous retrouvons nettement la
signification originale d'opulentus à savoir l'idée de manifestation
éclatante, de richesse et de puissance :
" Spectaui ludos magnifiée atque opulenter "(frag. I, 36).
Il s'agit ici de la démonstration de richesse et de puissance
particulière au monde antique , que sont les jeux , ludi ( cf. Le Pain et
le cirque ... de Paul Veyne ) .
Nous avons déjà mentionné, à la note 179 la présence d'opulentia,
au vers 12 du Rudens . Mais l'interprétation du passage est très discutée;
il s'agit d'un vers du prologue dans lequel l'étoile Arcture annonce
qu'envoyée par Jupiter avec d'autres dieux , elle chemine le jour parmi les
mortels :
" (Qui facta hominum , mores, pietatem et fidem )
Noscamus, ut quemque adiuuet opulentia "
"(Pour que nous connaissions les actions des hommes, leurs
moeurs, leur piété et leur bonne foi , afin que Jupiter
puisse aider chacun par sa munificence ".
Nous voyons en opulentia un nom commun à l'ablatif. Ce don d'aider
les mortels en répandant sur eux des bienfaits est un trait
caractéristique de Jupiter qualifié volontiers d'opulentus (182). Mais certains voient
dans ce vers du Rudens une allusion à une déesse qui aurait nom Opulentia
(c'est notamment l'opinion de Marx ); mais cette déesse n'est évoquée
que par Martianus Capella (1 p. 28 ,3 Dick ) alors que la faculté de
subvenir aux besoins des humains est très fréquemment citée par les Anciens
et notamment par Plaute lui-même .
- 143

Opulentia serait donc l'abstrait de qualité correspondant à


l'adjectif opulentus , comme paupertas l'est à pauper. Son sens est donc :
fait d'être opulentus et par conséquent faculté de manifester sa richesse
et sa puissance , notamment par des dons. Mais étant donné qu' opulentia
n'apparaît qu'une fois dans notre corpus , toute affirmation est un peu
hasardeuse. En revanche , les deux exemples d'opulentiae semblent plus
faciles à analyser.
Le premier emploi concerne encore la divinité et sa munificence
envers les mortels , au vers 490 du Trinummus :
" Di diuites sunt , deos décent opulentiae
( Et factiones ...)
" Les dieux seuls sont riches , aux dieux conviennent
( les grandeurs ) et l'opulence ".
Notons que dans ce passage , diuites semble commuter avec opulen-
ti , que nous tirons d'opulentiae .
De plus , l'idée de richesse et de puissance sociale se trouve ici encore
ajoutée à celle de grandeur , c'est-à-dire de position sociale élevée
contenue dans factiones , Nous remarquons semblable association dans l'Au-
lulaire , à propos de Megadore dépeint par Euclion , avec d'ailleurs le
même emploi en rejet :
" Venit hoc mihi, Megadore, in mentem , te esse hominem diuitem,
Factiosum , me item esse hominem pauperum pauperrimum "
( 226-227) .
Nous avons donc là encore la preuve de la conjonction fréquente
de la richesse et du rang social , que nous notions à propos des rapports
entre diuitiae et ( summum) genus (183).
Ainsi opulentiae semble avoir un sens comparable à celui du
singulier , du moins tel que nous l'interprétons (184).
L'autre occurrence d'opulentiae se trouve au vers 519 des Bacchis,
dans un vers d'allure formulaire. Mais certains pensent que le vers est
interpolé; en effet , le palimpseste ambrosien ne le comporte pas. Quoi
qu'il en soit, nous pouvons comparer mot pour mot les deux propositions:
" Verum quam illa umquam de mea pecunia
Ramenta fiât plumea propensior " (vers 513, 514)
et
"Sed autem quam illa umquam meis opulentus
Ramenta fiât grauior aut propensior" (vers 519 a et 519 b)
- 144 -

Mea pecunia est mis sur le même plan que meis opulentus ; il
semble donc que le terme ait ici une valeur plus déterminée , plus
concrète qu'au vers 490 du Trinummus. Il ne s'agit pas en effet de la faculté
de distribuer mais de cette distribution elle-même ; le pluriel serait
alors bien justifié et l'ensemble signifierait les dons . Ainsi , avec
opulentia , on hésite entre une valeur abstraite "don de manifester
richesse et puissance " et une valeur concrète ( peut-être par
contamination avec diuitiae ) " les richesses elles-mêmes , quand elles sont
distribuées ".

Dans son unique emploi (Mi. 1171) , le lexème opulentitas


s'intègre parfaitement à la série des termes qui impliquent étalage et
puissance. Aussi bien est-il complément d'objet direct du verbe reuereri,
révérer, et concerne-t-il la belle apparence du soldat fanfaron.

Certains traits de signification semblent donc inhérents à la


famille d'opulentus. Nous retrouvons toujours la manifestation de richesse ou
de puissance , sous la forme de l'arrogance avec autrui ou sous la forme
de la munificence envers les humains. Ce second aspect nous rapproche
d'ailleurs de la valeur fondamentale d'opes , que nous étudierons par la
suite (185) , valeur proche de "moyens que l'on possède pour faire
quelque chose et éventuellement aider autrui ".
- 145

D'autres adjectifs de la même famille qu'opulentus seraient à


étudier ici. Il s'agit d'opiparus déjà évoqué à propos de pauper ( cf.
supra p. 33) , opitulor et optimus. La formation de ces mots est en effet
très claire. Mais tous ces termes font-ils vraiment partie du champ de la
possession ?
En réalité, opiparus qualifie assez souvent des choses , ainsi
avec le tour opiparis obsoniis (Mi. 707) ou res ...opiparas (Poe. 132).
Dans le dernier exemple, la composition est d'ailleurs soulignée par
l'opposition marquée entre inopiosas (consili) / opiparas. Toutefois le
lexème fait incontestablement partie du champ de la possession avec le tour
du vers 549 du Persa :
" Satin Athenae tibi sunt uisae fortunatae atque opiparae ?
ainsi que sous sa forme adverbiale opipare au vers 373 des Bacchis.
Notons en passant qu'opimus et opimitas sont sans rapport avec
cette famille d' ops malgré l'association du vers 769 des Captifs :
" (Iuppiter)
Maximas opimitates opiparasque offers mihi ".
Cet exemple nous permet d'ailleurs de faire une allusion à
l'épi thète fréquente de Jupiter , optimus. Cet adjectif , qui sert de
superlatif à bonus , a pu signifier en parlant de Jupiter " qui possède
puis ance et richesse au plus haut point ". C'est en effet le sens qui concorde
parfaitement avec le vers des Captifs qui vient d'être cité , ainsi qu'avec
les vers 251 sqq. du Persa .
Quant à opitulor, le verbe ne semble pas nécessairement s'appliquer
à une aide matérielle. En effet, il s'agit vraisemblablement d'un secours
en argent au vers 621 du Miles , mais la chose est douteuse aux vers
332 du Curculio et 263 de la Casina.
- 146 -

LOCVPLES

Il semble difficile de se livrer à une analyse approfondie de la


signification de locuples , à cause de sa rareté dans le corpus plautinien.
Nous ne le rencontrons en effet que quatre fois (186).
Essayons cependant de dégager ses sèmes. Nous constatons qu'il ne
paraît pas donner lieu à des sèmes virtuels , tous ses traits se trouvant
réalisés en tout contexte.
Nous pouvons poser l'identité suivante :
Locuples
"* " qui possède réellement ( = fermement )
de grands biens ".
Ce sème constant se décompose en deux éléments :
- qui possède de grands biens
- qui eat solidement maître de cette possession .
On insiste donc sur la quantité des biens et sur la qualité du
rapport possédant / biens possédés .
Etayons maintenant ces propositions. Une équivalence de la Cis-
tellaria nous servira de point de départ; nous pouvons en effet
rapprocher les vers 505 et 492 .
Rappelons brièvement l'histoire : le père d 'Alcésimarque veut
marier son fils à une riche héritière qualifiée au vers 492 de "sponsa
locuples Lemnia ". Au vers 505 , on évoque la même situation dans un
passage malheureusement lacunaire; toutefois le sens n'est pas douteux
et le rapport avec sponsa locuples incontestable. Le vers est le
suivant :
" Prohibet diuitiis maximis , dote altili atque opima ".
Il s'agit bien sûr de la dot de la riche Lemnienne que le jeune
homme devrait épouser. Ainsi , grosse fortune , dot grasse et bien
rebondie , semblent illustrer sponsa locuples; nous pouvons en effet noter
que les qualificatifs appliqués à dote , altili et opima , soulignent
de façon imagée l'abondance de la dot en question; altilis , de la
famil e de alo , signifie " que l'on engraisse " d'où " qui est gras" et opi-
mus a le même sens , celui de gras; ainsi , grosseur et grandeur
décrivent l'importance de la fortune de la sponsa locuples.
Le second élément du sème constant est lui aussi facilement obser-
- 147 -

vible dans cet exemple de la Cistellaria. En effet, deux vers après spon-
sa locuples , le locuteur caractérise la fortune d'Alcésimarque d'opes
ualidae ; on objectera que la fortune du prétendant n'est pas celle de
la fiancée, certes, mais c'est une banalité que de faire remarquer que
les mariages tels qu'ils sont présentés dans les comédies de Plaute se
font toujours entre gens de la même catégorie, c'est-à-dire du même rang
social et de la même fortune (187).
Ainsi donc, si la fortune d'Alcésimarque est solide, c'est là le
sens de ualidae, celle de sa future femme l'est aussi.
De toutes façons, même sans recourir à cette démonstration indirecte,
nous pouvons prouver que la fortune de la Lemnienne est sûre puisqu'elle
provient de sa dot et non de bénéfices plus ou moine hasardeux tels que
ceux que procure par exemple le commerce, notamment le commerce sur mer
(188).
L'exemple du Trinummus confirme lui aussi nos propositions ; le
jeune Lesbonicus qui a gaspillé (totalement, croit-il) les biens que lui
avait laissés son père, formule un souhait :

"Et ego esse locuples, uerum nequiquam uolo" (v.505)


"Je voudrais bien avoir de la fortune mais c'est un souhait vain".

Nous savons par ailleurs qu'il ne lui reste plus de ses anciennes
possessions qu'un petit champ (v.5O8-51O). Pour Lesbonicus, être locuples
signifie Jonc avoir d'autres biens que ce champ et précisément posséder
de grands domaines. Dans ce passage, on peut trouver piquant le contraste
entre la réalité de la possession et la vanité du souhait formulé.
L* exemple du Rudens offre un emploi assez comparable de locuples utilisé
alors ironiquement ; de misérables pêcheurs, qualifiés au vers J11 de
"famelica hominum natio", déplorent leur pitoyable condition au vers
293 :

"Nos iam de ornatu propemodum ut locupletes simus scitis"


"Pour nous, rien qu'à cet accoutrement, vous savez déjà sans doute
quelles sont réellement nos richesses".

La réponse implicite est "nulles" ; en effet, ils précisent par


- 148 -

la imiue que leurs seuls biens sont des fileta et des hameçons qui leur
cervenc à tirer leur subsistance de la rner. Ainsi, à défaut de biens
réels sur la terre, ils n'ont, pourrait-on dire, que la jouissance de
la mer. Voilà qui nous introduit à la nature des biens possédés par· un
individu qualifié de locuples ; la nature de ces biens apparaît-elle
chez Piaule ? Autrement dit, trouvons-nous dans notre corpus une
illustration de l'étymologie ancienne, telle que la rapporte Higidius ap. Gell.
10 - 5,2 :

"locupletes dicebant loci i. e. agri plenos"

Locuples ôignif ie-t-il donc clairement "qui est riche en terres" ?


Il faut bien dire que la précision n'apparaît pas nettement dans
nos quatre emploi. . En effet, ni Lesbonicus ni les pêcheurs ne détaillent
les bienb dont -· ' ^ont privés ; nous n'avons pas plus dn précisions
dans l'emploi de la Cistellaria, ni dans celui de l'Epidique au vers 153 '·

"Est Euboicus miles, locuples, multo auro potens"

On peut toutefois supposer que locuplec n'est pas exactement


synonyme de l'expression qui suit multo auro potens et que sa signification
est "dont la fortune est solide", comme le prouve l'attitude qu'on prête
au soldat dans la suite de la comédie :

"... hic émet illam de ce et dabit aurum lubens" (v.301)


"... il t'aohàtera la fille et te paiera sans discuter".

La nature des biens qui composent la fortune de l'individu qualifié


de locuples n'apparaît donc pas chez Plaute, et pourtant nous pouvons
penser que les fortunes dont il est question dans les comédies sont celles de
la réalité du monde gréco-romain, c'est-à-dire consistent en terres,
esclaves, et éventuellement or et argent dans les coffres (189).
Locuples a pu signifier "riche en terres" et de là "riche" sans
précision. Mais nous n'avons chez Plaute que l'aboutissement du processus
- 149 -

et ce n'est pas là que réside, à notre avis , l'originalité du terme par


rapport à ceux qui appartiennent au même champ tiér.iantique de la possession·
Ce qui distingue loouples des autres adjectifs signifiant "riche" , c'est
la solidité du rapport entre le propriétaire e t les biens en question.
Cette solidité de l'avoir , sensible dans nos quatre exemples, inspire
confiance , c'est pourquoi d'ailleurs le terme a pu prendre la valeur de
" qui offre des garanties" et cela en tous domaines , comme nous le lisons
chez Cicéron, dans le De Ofiiciis III 10 :
" Accedit eo testis locuples Posidonius ".
Ainsi, d'après les emplois plautiniens , locuples décrit l'état de
celui qui possède fermement de grands biens. Tel n'est pas tout à fait
l'avis de P. Brind'Amour qui voit dans locuples l'idée de "dont le lot est
plein, dont la maison est pleine " (190) . Certes la possession foncière ne
caractérise pas essentiellement l'état du locuples. Cela m veut pas dire
pour autant que locuples s'applique alors fatalement à la situation de celui
qui possède l'autre type de richesses , celles qui sont accumulées à la
maison. En fait, locuples ne présume pas , croyons-nous , la nature des
biens possédés. D'ailleurs la proposition de P. Brind'Amour ne pourrait se
justifier qu'avec un seul des quatre exemples plautiniens , celui du Rudens
(191)· Cette prise de position lui a été , semble-t-il , inspirée par
l'occurrence de conlocupletasti (192) et par le rapprochement avec le fragment
d'Accius qu'il cite p. ko (193)·
Toutefois , il est vrai que la plénitude est un des éléments qui font
partie de la représentation qu'on se fait du riche , quel que soit le lexème
utilisé
L'évolution de beatus , littéralement "qui est comblé ", d'où "riche
(cf. infra p. 155) · ainsi que l'interprétation des grammairiens anciens
nous poussent donc à ajouter foi à l'analyse de locuples en " qui est
rempli de terres" d'où " qui est riche ". Toutefois, deux autres faits
permettraient peut-être d'envisager les choses autrement. D'abord le rapprochement
avec les composés védiques en -pra- ( qui remplit et non qui est rempli ),
ensuite la comparaison entre l'évolution de locuples et celle && porsideo.
G'j verb^ ch_r. Plaute n'eut. p.-i.-s encore récervé à la possession matérielle
mais a conservé dans Au..** la valeur originelle d'habiter. L'évolution d'ae-
siduus est comparable (quoique plus tardive). En effet, assiduus qui signifie
- 150 -

assis auprès de " , "qui est établi solidement en un endroit" (contrairement


à l'étymologie avancée par Cicéren qui le fait dériver de asse dando , De
Republica 2,^0 ) devient par la suite l'équivalent de diues et comme tel
est opposé par Cicéron à proletarius (De Republica 2, kO ) .Ainsi une
même évolution en trois phases pourrait être observée dans l'un et l'autre
cas, celui de locuples et celui d'assiduus : d'abord "qui occupe ou
remplit le terrain " puis " qui est socialement bien établi " puis "qui est
riche". Cette dernière hypothèse est d'autant plus séduisante qu'elle
évoque les changements sociaux qui ont dû s'opérer très anciennement , à savoir
le passage d'une économie pastorale à une économie sédentaire , le locuples
et l'assiduus s 'opposant alors aux nomades primitifs. Enfin , cette
dernière proposition (locuples 3 'expliquant en "qui remplit c'est-à-dire qui
occupe le terrain " ), nous semble s'accorder beaucoup mieux avec le trait
marquant de locuples , si nous considérons ses emplois et en particulier
ceux du corpus plautinien , qui est celui de la fermeté du lien entre le
possédant et son bien , que l'analyse traditionnelle en "qui est rempli ,
c'est-à-dire comblé de biens ".
A propos de la manifestation syntaxique de locuples , nous pouvons
simplement observer que le lexème n'est jamais substantivé . Locuples est
constamment adjectif (195) 1 épithète ou attribut . Il n'y a pas en effet
de classe constituée par les locupletes. Mais un diues peut être qualifié
d'opulentus si on veut évoquer l'ostentation que lui inspire sa richesce
ou de locuples si on s'intéresse plutôt à la solidité de son avoir et à la
confiance qu'il inspire. Pour terminer , nous pouvons nous demander
pourquoi opulentus est beaucoup plus fréquent que locuples dans le corpus
plautinien ( 196) . Sans doute parce que le personnage opulentus offre plus
de possibilités à notre comique (sa vanité peut être comique , elle est
toujours spectaculaire ) que le locuples dont l'apparence n'a justement
rien d'extraordinaire.

Nous passons maintenant aux termes qui appartiennent à d'autres


champs sémantiques que celui de la richesse et qu'on appelle pour cette
raison des polysémiques. Il s'agit des adjectifs : fortunatus, luculen-
tus, beatus et des substantifs : rex , res , opes , copiae , bona , pecu-
nia , argentum , aurum , lucrum ainsi que des formations pèriphrastiquee
du type habere quod avec le verbe dare au subjonctif (197)·
- 151 -

FORTVNATVS

Fortunatus apparaît 2k fois chez Plaute (198). Son analyse sémique


peut être menée comme suit :

A partir des vers o23-->2k du PoenuiLus ,


" Fortunati oranes sitis , quod certo scio
Nec fore nec Fortunam id situram fieri"
" Puisse la fortune vous favoriser, chose qui
n'arrivera pas , j'en suis sûr, et que la Fortune ne
permettra pas " ,
nous pouvons établir l'identité fondant le sème constant :

Fortunatus " qui est favorisé par la chance"d99) ·

Les sèmes virtuels correspondent aux diverses manifestations de


cette faveur; les bienfaits de la fortune se réalisent en effet tantôt
sur le plan matériel, tantôt dans le domaine affectif. Trois exemples
au moins illustrent ce dernier cas qui correspond au sème virtuel :

Fortunatus " Qui jouit du bonheur" .

Ce sème virtuel apparaît ainsi au vers 993 des Captifs :


" Et miser sum et fortunatus, si uos uera diçitis "
" Je suis le plus heureux et le plus malheureux des
hommes, si vous dites vrai ".
Ici , le vieil Hégion constate qu'il est paradoxalement heureux
et malheureux, heureux d'avoir retrouvé son fils , et malheureux à la
pensée qu'il l'a maltraité car il ignorait qu'un de ses esclaves était
en réalité son propre fils.
Dans le second exemple, le bonheur de l'homme qualifié de
fortunatus se tire encore de l'antithèse miser/ fortunatus . Il s'agit du vers
^9 de la Kostellaria :
" Tu fortunatu's, ego miser; patiunda sunt ".
Dans le troisième passage, au vers 1262 du Poenulus , un vieillard
se dit fortunatus à cause du bonheur qu'il connaît en retrouvant sa fille
- 152 -

après tous les malheurs qu'il a subis :


" . . .Nunc ego sum fortunatus;
(Multorum annorum miserias nunc hac uoluptate sedo"
" ...0 jour heureux pour moi ! (0 bonheur qui me fait
oublier tant d'années de chagrin ! )"

Le sème virtuel matériel est réalisé dans trois passages.


D'abord, au vers 5^9 du Persa:
" Satin Athenae tibi sunt uisae fortunatae atque opiparae ?"
11 Que te semble d'Athènes ? Est-ce une ville assez
opulente et fortunée ?".
En effet , fortunatae semble ici correspondre au grec £ u> 0 oUyucuV
qui lorsqu'il s'agit d'une cité peut signifier prospère (200).

Dans la Cistellaria , au vers 80 , on compare la courtisane à une


riche cité , nous retrouvons alors un emploi de fortunatus comparable
au précédent :
" Verum enim meretrix fortunati est oppidi simillima"
"Mais une courtisane ne se peut mieux comparer qu'à
une riche cité ".
L'application matérielle de fortunati se trouve explicitée au vers
suivant :
" Non potest suam rem obtinere sola sine multis uiris".
En effet , l'expression suam rem obtinere concerne nécessairement les
biens matériels dont jouissent cités et courtisanes quand elles reçoivent
la visite de beaucoup d'hommes.

Enfin , au vers 1016 du Rudens , fortunatus contient également


le sème de prospérité matérielle. Cette particularité apparaît nettement
quand on confronte avec le vers du Rudens un passage du Pseudolus , le
vers 1323 précisément :
"Numquam hercle hodie ramenta fies fortunatior (Ru)
" Tout ce que tu auras, par Hercule, ne te fera pas
plus riche d'un fétu "
" ... Me dices auidura esse hominem , nam hinc numquam
eris nummo diuitior"
11 ...Tu me traiteras d'avare si tu veux ; mais il ne
sortira pas de là une obole pour t· enrichir ".
- 153 -

La confrontation , pour être complète devrait aussi faire état du vers


513 des Bacchis :
" (Verum quam illa umquam de mea pecunia )
Ramenta fiât plumea propensior "
" ( Mais plutôt que de l'enrichir ( avec mon argent )
de la valeur d'un brin de plume ".
Nous pouvons dès lors établir le schéma de correspondance :

esse - fortunatior ramenta hinc ( Ru)


ou - diuitior nummo hinc ( Ps)
fieri - propensior ramenta plumea de mea
pecunia (Ba)
Nous observons que fortunatior alterne ici avec diuitior. Quant
à propensior , il exploite le thème du poids , inhérent à la richesse ,
comme nous le verrons dans la seconde partie . Ce domaine matériel est
d'ailleurs souligné par l'emploi de termes spécifiques, nummo (Ps) , et
de mea pecunia (Ba) (201).
Dans une autre occurrence, fortunatus semble présenter les deux
sèmes virtuels à la fois , en plus du sème constant bien entendu. Il
s'agit du vers 4°· de la Mostellaria :
" Tu fortunatu's, ego miser; patiunda sunt"
11 Tu es fortuné , je suis malheureux ; il faut se
résigner".
Dans ce passage , l'esclave des champs déplore son sort infortuné
(travail pénible, conditions de vie rudes ) , qu'il oppose à la chance
de l'esclave de la ville qui jouit de tous les plaisirs rée«rv4· *·
citadin. Fortunatus contient donc le sème affectif " qui connaît le bonheur",
puisqu'il se trouve opposé à miser , tout près du verbe pati "supporter"
(l'adversité) , et que de plus il est explicité par un détail qui
correspond à une satisfaction d'amour -propre, superior aocurabere "tenir le haut
bout de la table". En même temps, le texte souligne d'autres faveurs de
la fortune , qui sont des jouissances exclusivement matérielles , les
parfums exotiques, les mets de choix tels que les tourterelles, les
poissons , la volaille ( vers kk,ko et 4?).
Ainsi , dans cet exemple , le sème virtuel matériel coexiste avec
l'affectif.
Noue pouvons désormais organiser le tableau sémique de fortunatus.
- 154 -

Gcrae constant : Qui est favorisé par la fortune

Sèmes virtuels : qui jouit du bonheur


qui jouit des biens matériels.

Nous avons écrit volontairement "qui jouit des biens matériels "
et non "qui possède ces biens "; en effet, fortunatus a une valeur assez
différente de celle de diues. En effet , diues ( ou opulentus )
caractérisent volontiers l'individu qui possède en bonne et due forme les biens
matériels. Or, ici , avec fortunatus, il ne s'agit pas de possession
mais de jouissance grâce aux faveurs de la fortune. C'est bien le cas
au vers 101 6 du Rudens oà les biens contenus dans la valise trouvée par
hasard peuvent enrichir momentanément le malheureux qui l'a découverte.
Au vers *+9 de la Mostellaria , l'esclave urbanus ne possède pas
vraiment les biens dont il jouit , mais il a la chance qui; son maître les
lui fasse partager , pendant un temps du moins; car il est bien évident
que la fortune est changeante et que ses dons ne sauraient être éternels;
c'est ce que note l'esclave rusticus qui annonce précisément à son
compagnon le châtiment qui l'attend (vers 50).
Nous pouvons nous demander si le sème virtuel du sentiment offre
la même instabilité due au hasard. C'est assez net au vers 993 des Captifs:
le vieillard a eu la chance qu'il n'espérait plus de retrouver son fils, .
ce qui cause son bonheur.
Au vers **9 de la Mostellaria , on admettra facilement que le
bonheur de l'esclave urbanus ne sera pas plus durable que sa jouissance des
biens matériels, les deux étant soumis au bon vouloir de son maître .
Mais la nuance est moins nette dans les autres passages, Ci. 80 et Per»5^9,
que le contexte explicite moins.
- 155

MANIFESTATION SYNTAXIQUE DE FORTVNATVS

Fortunatus se rencontre 18 fois en tant qu'adjectif attribut (202)


et seulement k fois en tant qu'adjectif épithète (203).
Comme épithète , il accompagne les mots suivants , oppidi, mulier,
manura , uirum (20*0 .
Deux fois seulement , il joue le rôle de substantif (205) ·
La prépondérance du rôle d'adjectif attribut montre qu'il s'agit,
non d'un type d'homme aux caractéristiques bien définies, mais d'une
qualité qui détermine la situation d'un homme à un moment donné. Dans la
plupart des cas , un personnage déclare avec satisfaction être fortuna-
tus ou bien encore affirme vouloir le devenir. Dans ce sens , fortunatus
est presque toujours accompagné du verbe esse , en tant qu'attribut du
sujet. Il n'est que rarement attribut du complément d'objet , alors que
le sujet est un autre personnage , notamment au vers 858 des
Captifs , avec le tour "facere aliquem fortunatum ". Cet emploi est
d'ailleurs tout à fait remarquable ; il pourrait en effet illustrer le passage
du sens "favorisé par la chance" à celui de "riche matériellement". En
effet , la séquence "un personnage rend un autre personnage fortunatus"
n'est pas recevable dans l'hypothèse où le sème constant "favorisé par
la chance " est le seul à opérer. Si cette séquence a pu être réalisée,
c'est que le sème virtuel de richesse matérielle commençait à devenir
plus important (205) .
- 156 -

LVCVLENTVS

Luculentus est assez peu employé par Plcute , avec 12 occurrences


seulement , dans les pièces complètes (20?) et son emploi est
pratiquement conforme à 1 'é t/raologie qui le rattache à lux.
Cependant, dans un certain nombre de cas, l'application de
luculentus , brillant , a des substantifs appartenant au champ sémantique
de la richesse , permet d'entrevoir l'intégration prochaine de cet
adjectif au champ sémantique considéré.

D'après les associations qui vont suivre , nous pouvons poser les
deux sèmes :
- rayonnement
- puissance de séduction.

Un passage du Miles ( vers 952 sqq.) permet de poser l'association


suivante :
Luculentus " qui est d'une extrême beauté ".

La femme qualifiée do luculenta au vers 952 est en effet


caractérisée au vers 9^7 de 3 epida et, à son propos , l'esclave du Miles
dira à son maître :
" Ad tuam formam illa un«. dignast ..." (v.960)
" C'est la seule femme dont la beauté puisse se comparer
à la tienne . . .".
Au vers 3i8 de la Mostellaria , luculentus ne qualifie plus une
personne mais les parties d'une maison, exactement un vestibule et un
promenoir; ces différentes parties de la maison qu'un personnage fait
visiter à un autre inspirent au visiteur une vive admiration , comme
il ressort de
" . . .Vt quicquid magis contemplo, tanto magis placet"
" ...Plus j'examine chaque détail, plus je suis charmé ".
L'affirmation est renouvelée au vers 841 . Ce passage de Xa
Mostellaria permet donc d'écrire la proposition :

Luculentus " qui provoque l'admiration et excite l'envie"


157

Ces sentiments peuvent aussi être créés par l'évocation d'un amas
de richesses , comme au vers 1320 du Rudens :
" Papae ! Diuitias tu quidem habuisti luculentas "
" Bigre! Tu avais , ma foi, une jolie fortune ".

L'admiration d'un personnage devant un objet, (quel qu'il soit)


qualifié de luculentus s'exprime aussi par une mise en valeur dans
l'ordre des mots. En effet, luculentus , qui est toujours adjectif et le plus
souvent épithète, se trouve mis en vedette par sa place en début ou en
fin de vers (Ep.158; M0.818 ; Ep.34l ), par la postposition après le
substantif et par la disjonction (Ru. 1320 ).

Une autre proposition :

Luculentus " qui est radieux"

découle de l'emploi de l'adjectif avec un substantif comme dies ,


notamment aux vers 158 et 341 de 1 'Epidique. Mais l'éclat impliqué par
luculentus est-il à prendre au sens propre ? En réalité , il s'agit avec
luculentus dies d'un jour où la chance vous sourit. Cela se vérifie
aussi à l'examen du fragment I 65 ex Non. , où il est question d'un combat
dont l'heureuse issue doit rétablir la situation :
" Pulcrum et luculentum hoc nobis euenit proelium ".

Une autre association peut alors s'écrire :

Luculentus " favorisé par la chance".

C'est d'ailleurs cette association qui se manifeste lorsque


l'adjectif accompagne un nom comme condicio , au vers 1407 du Rudens :

"(... Vin tibi )


Condicionem luculentam ferre me ? ..."
" (.. Veux-tu) que je te propose un marché d'or ?..."
158 -

On peut alors penser que cette chance se matérialise parfois grâce


à la richesse matérielle , ce qui est certain au vers 341 de 1 'Epidique:
" Pro di immortales , mi hune diem dedistis luculentuir."
" Ah ! Dieux immortels ! quel beau jour vous avez fait
luire pour moi ! ".
Le personnage remercie en effet les dieux d'avoir obtenu un plein
oac d'argent .

Enfin , grâce aux autres occurrences de luculentus , nous pouvons


relever une association qui intègre vraiment luculentus à notre sujet :
Luculentus " qui est riche " ou "qui apporte la richesse".

Cette valeur se réalise notamment au vers 56O de la Cistellaria :


" Vbi tu locere in luculentam familiam"
vers qui se trouve immédiatement précédé par:
" Ego te reduco et uoeo ad diuitias ",
et suivi par:
" Vnde tibi talenta magna uiginti pater
Det dotis . ..".
Dans la même ligne , luculenta qualifie , avec magna , le
substantif hereditas au vers 345 du Truculentus. En outre, l'adverbe luculente
modifie le verbe uendere au vers 424 du Mercator, ce qui établit nettement
le contexte financier. Ainsi , luculentus concerne souvent chez Plaute
la richesse matérielle .

Mais dans les autres cas , l'éclat impliqué par luculentus n'est-
il pas dû aussi à l'aisance matérielle ?

Réexaminons les premiers exemples cités. La luculenta femina du


vers 958 du Miles est ainsi qualifiée à cause de sa beauté certes , mais
aussi à cause de sa richesse qui "éclate" dans ses habits , ses bijoux ...
D'ailleurs , lorsque Plaute désigne la seule beauté éclatante d'une femme^
il emploie plutôt un mot comme candor , ainsi au vers 181 des Ménechmes :
159

" (...eapse eccam exi t : oh, solem uides)


Satin ut occaecatust prae huius corporis c&ndovibus'i "
" (... La voici justement qui sort . Ah! c'est le r.o-
leil que tu vois! Est-il assez éclipsé par
l'éclatante splendeur qu'elle dégage ?".

La même remarque peut être faite pour le uestibulum de la Mo s tel-


laria , qualifié au vers 813 de luculentum , peut-être à cause de sa
grandeur qui en fait un endroit relativement spacieux , mais surtout à cause
de la richesse de la décoration. Nous savons en effet que les vestibules
des maisons romaines n'étaient jamais très vastes , comme on le voit à
Pompéi dans les maisons les plus anciennes : même dans les riches maisons,
le vestibule est un lieu étroit mais sa décoration de peintures et de
stucs , sur les murs et même au plafond , peut le rendre magnifique (20o).

En conclusion , nous pouvons affirmer que le sème d'éclat contenu


dans luculentus conformément à son étymologie , s'applique
essentiel ement au domaine matériel de la richesse ; c'est ce qui explique que
luculentus a pu par la suite être rapproché à tort de lucrum (209) · Mais ,
répétons-le , le sème d'éclat est toujours présent , comme le montre le
tableau de la composition sémique de l'adjectif ( 210).
COMPOSITION SEMIQUE DE LVCVL
Sème constant en deux parties
au sens concret : au sens abstrait :
d'où émane un grand rayonnement qui séduit
- évoque la beauté physique d'une femme implique la pros
- d'une fem
- d'une si
- d'un lie
- d'un mom
161 -

BEATV3
Parmi les polysémiques se trouve beatus ou plus exactement le vrr-
be beare conjugué. En effet le verbe apparaît au moins 8 fois chez Plaute
(211).
Décomposons sa signification à partir des associations données
par les contextes .
La première association peut s'écrire :

3earo "remplir" au sens propre.


Cette association se manifeste au vers 137 des Captifs :

"(Neque umquam quicquom me iuuat quod edo domi ; )


Foris aliquantillum etiam quod gusto , id beat"
" (Rien mais rien ne me profite de ce que je mange
chez moi) et la moindre bouchée prise chez les autres
suffit à me combler " ( profession de foi du parasite).
La seconde association est la suivante :

Beare " remplir de contentement".

Nous l'obtenons en considérant le vers 468 du Miles :

" Nimis beat , quod çommeatus transtinet trans parietem"


" Cela remplit de contentement , le fait qu'il y ait
un passage ouvert à travers la cloison ( traduction
littérale ),
ou le vers 642 de 1 'Amphitryon où Alcmène manifeste sa joie profonde à
l'idée que son mari a vaincu les ennemis :

11 ... sed hoc me beat


( Saltem quom perduellis uicit ...) ".

D'après le vers 8?8 du Truculentus , nous pouvons poser une autre


association :

Beatus " qui est comblé par la chance ":

" Puer quidem beatust ; matres duas habet et auias duas"


" L'enfant , lui , est comblé ; il a deux mères et deux
grands-mères".
162

La quatrième association concerne directement notre propos :

Beatus " qui est comblé de richesses matérielles".

Elle apparaît nettement au vers 371 du Curculio , lorsque le


banquier déclare : beatus uideor ..." je semble riche ( aux autres) ".
Or il avoue qu'en réalité il n'a pas uni sou à lui; ce qu'il résume à
la fin de sa tirade par usus est pecunia ( vers 383) : " j'ai besoin
d'argent ".

La même association apparaît au vers 303 du Poenulus , mais ce


vers est contesté et Ritschl le supprime :

" Bonam ego quam beatam me esse nimio dici mauolo"


" Je préfère être dite honnête plutôt que riche ".

Ce vers *&t précédé d'une sorte d'illustration de cette règle de


conduite :

"Aurum , id fortuna inuenitur, natura ingenium bonum"


" L'or , c'est la chance qui le procure , le bon naturel,
c'est de soi qu'on le tient " ( vers 301 et 302).
Nous avons donc ici un double parallélisme , établi d'une part
entre aurum et beatam , et d'autre part entre bonum ingenium et bonam.

De toutes ces associations , nous pouvons tirer le sème constant


de plénitude. Les sèmes virtuels tirés des différentes associations sont
les suivants :
- qui possède une grande joie
- que la chance favorise
- qui possède d'abondantes richesses.
De ces trois sèmes virtuels , le sème de contentement semble
prédominant . Il l'est quantitativement ( au moins dans quatre occurrences:
As. 332 ; Am.642; Mi. 468 ; Mo .588 ). Dans ces cas , le verbe beo est
presque toujours accompagné d'un sujet désignant la personne ou l'objet ou
encore l'événement qui remplit d'aise le personnage ; ainsi , au vers 332
de 1 'Asinaire " béas" : tu me remplis d'aise " , ou au vers 642 de
l'Amphitryon : " hoc me beat quod ..." : " ceci me plaît , à savoir que ...".
163 -

Nous relevons d'ailleurs la même structure syntaxique aux vers 46c du


Miles et 588 de la Mostellaria . Ce sème virtuel de joie est sann doute
aussi prédominant logiquement. En effet , les personnages de Plaute, nous
le savons , sont très sensibles aux questions matérielles; dans ce cas,
il est vraisemblable que leur contentement soit fondé sur une prospérité
matérielle ou un enrichissement (212) .
Lorsque c'est le sème de prospérité matérielle qui est réalisé,
nous n'avons plus le verbe beo conjugué mais l'adjectif beatus , dont la
fonction constante est celle d'attribut du sujet. Il ressemble alors du
point de vue de sa manifestation dans la phrase à un adjectif comme diues
(213).

A l'issue de l'étude des adjectifs polysémiques , nous pouvons


noter le parallélisme de composition sémique entre beatus "comblé de
chance·, de richesse , de bonheur " et fortunatus " oui jouit de la chance
du bonheur , de la richesse ". Cela explique sans doute une évolution
comparable , à l'époque postérieure à Plaute. En effet, dans le cas de
beatus, l'idée de plénitude s'effacera derrière celle de richesse
matérielle ou de joie , et dans le cas de fortunatus, celle de chance sera
supplantée par celle de prospérité matérielle (214).
Le cas de luculentus est différent pour deux raisons : d'abord
par la persistance de son sème de rayonnement, ensuite à cause de son point
d'application; il désigne en effet essentiellement l'objet qui produit
par son éclat une forte impression sur le personnage qui l'observe , alors
que beatus et fortunatus s'appliquent au personnage lui-même.
164

REX

L'examen du corpus plautinien montre que l'homme riche peut aussi


être qualifié de rex. Cet emploi , curieux au premier abord , mérite
d'être regardé de près et comparé avec les emplois plus banals du terme.
Le lexème rex dans l'oeuvre de Plaute est un polysémique car il
est employé avec quatre sens différents dont seuls les deux derniers
concernent directement notre sujet.

A) Il désigne d'abord les personnages précis , dont le caractère


royal est attesté ( même si ces personnages n'ont pas réellement existé
et sont dus à la fantaisie de Plaute ) , qu'il s'agisse du roi des dieux
et des hommes ( Cap. 622; Am.831 ) ou de rois nommés précisément tels
Séleucus (Mi. 75, 77, 948) , Créon (Am.194, 351, 1042 ) , Ptérélas ( Am.252,
261,413, 415, 419,535, 746 ) ou Agathoclès (Men.410). Sans précision
d'identité , Plaute fait aussi allusion au roi des Perses , au vers 825 des
Captifs. Quant au pluriel reges , il désigne les rois hellénistiques
auprès de qui il est facile pour les mercenaires de gagner de l'argent
(Ep.450).

B) Avec une autre valeur , le terme désigne des rois légendaires ;


ainsi le régi du vers 902 des Ménechmes renvoie à Agamemnon ; citons
encore regem Iasonem du vers 193 du Pseudolus . Avec un nom propre , rex
constitue une référence et comporte une valeur symbolique dans des
expressions telles que rex Philippus , Antiochus, Dareus , Attalus (215)·
En effet , ces rois ont existé historiquement mais ils sont devenus les
modèles d'une qualité particulière , tout comme en français Crésus. Ainsi,
dans 1 'Aululaire, aux vers 702 sqq. , l'esclave Strobile qui vient de
découvrir la marmite pleine d'or s'écrie :
" . .Nam istos reges ceteros
Memorare nolo, hominum mendicabula.
Ego sum ille rex Philippus..."
" Quant à vos rois, un seul excepté, je n'en parle pas,
ce ne sont que des mendigots. Je suis , moi , le fameux
roi Philippe ".
Mais on peut objecter que de telles expressions sont fondées sur
la qualité d'un roi précis , ici Philippe , et non sur son caractère royal,
165

C) Rex à lui seul, au singulier ou au pluriel, désigru; un ? rson- -


nage très important. Nous pouvons en efiet poser les deux association.s
suivantes :
1) Rex " celui que l'on met sur le même plan que les
dieux ",
association établie d'après le vers Si de 1 ' Amphitryon :

" Reges quo ueniant et di ..."


" (Une pièce) où paraissent des rois et des dieux ".

2) Rex " celui que l'on approche très difficilement",

association que fonde le vers 1225 du Miles :

"Per epistulam aut per nuntium quasi rege adiri eum aiunt'

¦
" Nr dit-on pas qu'on ne le touche que pn supplique
ou par ambassadeur , comme un roi ".

,
Renverser un rex qu'on rencontre sur son chemin est alors une
action extraordinaire qu'un seruus currens ne redouterait pas d'accomplir,
étant donné la gravité , feinte bien sûr , des nouvelles qu'il apporte,
comme le montre, entre autres, le vers 287 du Stiehus :

" Si rex obstabit obuiam , regem ipsum peruortito "


" Si un richard te fait obstacle , tout richard qu'il
est , culbute le plutdt que de lui céder ".

Nous pouvons alors établir une autre relation :

3) Rex " envers qui on doit montrer le plus grand


pect ".
Une quatrième relation est illustrée par le vers 207 du Trinummus :

" Sciunt id quod in aurem rex reginae dixerit"


" Ils savent ce que le roi a pu dire à l'oreille de la
reine ".
4) Rex " dont les pensées , les paroles doivent rester
inconnues du public ".

Modèle de puissance qui suscite le respect et qui s'oppose aux


individus de bas étage comme le leno (Ps.193) , le rex est aussi un modèle
- 166 -

de faste comme le montre l'emploi ironique du vers 937 du Rudens :

" Sed hic rex cura aceto pransurust


( Et sale , sine bono pulmento) "
Il est en effet paradoxal qu'un rex déjeune avec du vinaigre ( et
du sel , sans un bon fricot ) .

C'est aussi un modèle de richesse , ce qu'illustrent les passages


suivants :
d'abord le vers 671 du Poenulus :
" Rex sum, si ego illum hodie ad me hominem adlexero"
" Je suis un roi ,si j'attire l'homme aujourd'hui chez
moi",
(Or l'homme en question , vient-on d'apprendre au vers 67O, apporte 300
philippes d'or)
ensuite le vers 931 du Rudens :
"Nauibus magnis mercaturam faciam ; apud reges rex per-
hibebor" .
" J'aurai de grands vaisseaux pour faire du commerce;
Je passerai pour un Crésus auprès des Crésus ".

Dans ce troisième type d'emploi (C), la manifestation du lexème


dans la phrase appelle quelques remarques.

a) Rex est le plus souvent attribut du sujet qui se découvre avec


émerveillement être ou devoir être un rex : rex sum ou perhibebor .
b) Cet émerveillement est souligné par la présence dans la phrase
d'autres mots de la même famille, l'ensemble étant ainsi mis en valeur
stylistiquement, comme au vers 931 du Rudens avec le rapprochement de
apud reges rex , ou , plus nettement encore au vers 825 des Captifs.
sum rex regalior.

Tous ces passages permettent d'écrire l'association :

Rex " qui possède une fastueuse richesse ".


- 167 -

D) enfin , avec une valeur tout à fait particulière , rex


qualifie le protecteur du parasite ou plus exactement le parasite désigne
par meus rex son bienfaiteur.
Nous pouvons dès lors poser les associations suivantes , qui
caractérisent les rapports existant entre le parasitus et son rex (216):

Meus rex " mon bienfaiteur , que je dois charmer par


des plaisanteries bouffonnes ",

d'après le vers 455 du Stiehus :


"..(Confido)
Me meum optenturum regem ridiculis logis "
" (Je suis sûr) de garder mon bienfaiteur par mes
plaisanteries "

Meus rex " mon bienfaiteur , que je dois conserver par


les services que je lui rends ".

Pour justifier cette relation , il suffit de se rappeler toute


l'intrigue du Curculio , comédie basée sur le rôle du parasite Curculio
au service de son jeune maître.

Certains passages jouent sur la polysémie de rex. Par exemple ,


au vers 92 des Captifs , le parasite Ergasile évoque plaisamment le
triste sort de son bienfaiteur , un Etolien dont le fils a été fait prisonnier
par les Eléens :

" Nam postquam meus rex est potitus hostium "


" Depuis que mon roi est tombé au pouvoir des ennemis ".

En effet , rex est employé ici avec sa valeur de bienfaiteur du


parasite et avec celle , plus traditionnelle , de souverain d'un peuple
(qui doit lutter parfois contre ses ennemis ) .
Un jeu analogue sur la polysémie de rex se rencontre aux vers
901-902 des Méneehmes :
- 168 -

" Parasitus , qui me compleuit flagiti et formidinis,


Meus Vlixes, suo qui régi tantum conciuit mali"
" Mon parasite qui m'a couvert de honte et rempli de
terreur, nouvel Ulysse qui a causé tant de mal à son
souverain ".
Rex désigne en effet ici le protecteur du parasite qui se compare
plaisamment à Agamemnon , chef d'Ulysse dont la fourberie est proverbiale.

Nous observons donc que rex est un type ou encore , dans l'optique
de Plaute , un rôle , comme il apparaît dans l'énumération du vers 76 a
des Ménechmes :
" ( Modo hic agitât leno, modo adulescens , modo senex)
Pauper , mendicus , rex , parasitus , hariolus ..."
Avec la regina , le rex constitue le modèle du couple , comme on
le voit au vers 153 du Stiehus :
" Placet ille meus mihi mendicus : suus rex reginae placet"
" Mon mendiant me plaît à moi , comme un roi plaît à sa
reine ".
Telle est la réponse que fait à son père la jeune femme dont le
mari est parti faire fortune sur les mers .

Ainsi , puissance et richesse , qu'accompagnent ou non tantôt la


souveraineté politique réelle , tantôt l'état de protecteur de parasite,
caractérisent le rex chez Plaute. Nous devons alors nous poser deux
questions : il faut se demander comment on a pu passer du premier sens au
second , c'est -à-dire du sens de souverain à celui de bienfaiteur de
parasite , et ensuite si cette appellation de rex par le parasite est
conforme à l'usage romain ou empruntée à la tradition hellénistique , ou encore
uniquement plautinienne .
La première question est sans doute plus facile à résoudre . Il
semble en effet que rex a pu prendre ce sens ce " patron " du parasitus
à cause de la puieeano· que détient , grâce à son protecteur , le dit
parasitus . Le parasite n'est rien sans son bienfaiteur; si ce dernier
disparaît ou s'il cesse de s'occuper de lui , par avarice notamment
(217)» le parasite affirme qu'il n'a plus qu'à mourir. Il y a là sans
doute exagération due au grossissement comique , mais il n'en est pas
- 169 -

moins vrai que le parasite reconnaît être redevable de tout à son


protecteur , et que le bon vouloir ou le caprice du rex déterminent le sort de
son " sujet" le parasitus . C'est donc à cause du pouvoir qu'il a sur lui
que le parasite avec une volonté de flatterie l'appelle meus rex .
La seoonde question , plus épineuse , ne saurait se résoudre sans
une étude comparée entre , d'une part , les comédies de Plaute et les
textes de son temps , et d'autre part , les comédies de Plaute et les
pièces hellénistiques.
La première comparaison est difficile à établir car les textes
contemporains de Plaute sont rares et sans grand rapport avec les
situations de la palliata. Nous pouvons toutefois citer un passage du De
Agri Cultura de Caton , dans lequel le paterfamilias exige de son uilious
qu'il n'ait pas de parasite :
" Paras itum nequem habeat; haruspicem , augurem, hariolum, Chal-
deum nequem consuluisee uelit " (218).
L'indication est brève mais , pour nous , instructive; nous savons
dès lors par ce texte réaliste qu'il existe à Rome des individus
exerçant cette"profession ".
Mais le passage de Caton ne nous apprend pas s'ils appellent leur
protecteur rex. Faut-il alors invoquer le témoignage de Térence ?
Deux pièces proposent un parasite parmi les personnages. Dans
l'Eunuque , le parasite Gnathon affirme qu'il doit sa prospérité à la bêtise
de son maître qu'il flatte sans cesse , manifestant ainsi, tout comme les
parasites plautiniens , son talent de beau parleur (219) · Dans la pièce
qui porte son nom , le Phormion ( comme le Curculio de Plaute ) ,1e
parasite, qui possède à la fois audace et habileté , compare le protecteur qui
le nourrit à un deus praesens c'est-à-dire à un dieu tutelaire (220).
Cette comparaison évoque l'appellation plautinienne de rex que nous ne
trouvons nulle part ehez Térence. Mais , en réalité, Térenoe reflète-t-il
l'usage romain de son temps ? Ses oomédies ne sont-elles pas plutôt un
écho des pièces hellénistiques , oe qui ramène la première question à la
seconde, que nous pouvons formuler ainsi :
- 170 -

Plaute a-t-il emprunté aux auteurs de la comédie moyenne ou


nouvelle cet emploi de rex ?
Les documents manquent du côté grec pour l'établissement de la
comparaison. Toutefois , nous pouvons mettre en parallèle le corpus plau-
tinien et le Dyscolos de Ménandre.
Certes , il n'est pas souhaitable , du point de vue de la méthode,
de comparer un ensemble de 20 pièces avec une seule. Cependant , nous
constatons que le parasite Chéréas joue dans le Dyscolos le rôle de
l'homme qui passe pour habile et qui vante son audace et son dévouement (
uniquement en paroles ) , vis-à-vis de son protecteur. Mais ce bienfaiteur
n'est jamais désigné par Chéréas avec un mot qui correspondrait à rex;
dans la scène I de l'acte I , Chéréas appelle son preotecteur "ami",
Cp/???? au vers 67. D'ailleurs, on observe une sorte de
réciprocité entre les deux personnages car, au vers 56 , le protecteur
lui-même qualifie Chéréas d'ami . Il est du reste très imprudent de continuer
le parallèle entre le corpus plautinien et le Dyscolos . En effet , dans
le passage auquel nous faisons allusion pour étudier les désignations
du bienfaiteur par le parasite , nous observons qu'il ne semble pas y
avoir de relations privilégiées entre un homme et un autre , puisque
Chéréas commence sa tirade par la proposition : ,
u ... ?G?< polAolJU XolA 1 Tlf ^£v> «flXuiv'
i ? ujy/
~ ?t<3?|
· / po|' çG ; ... »1
"Un ami fait-il appel à moi pour une histoire d'amour
avec une courtisane ? "(v.57,58).

Dans ce début, nous constatons en effet eue* le partitif "CtoV


'?
CfiALoV .
exclut absolument la relation privilégiée que présente dans la
palliatà l'association du parasitus et de son rex.

En conclusion , nous pouvons présumer que cet emploi de rex est


plautinien , mais nous ne pouvons l'affirmer de façon catégorique puisque
nous ne possédons plus les textes hellénistiques qui ont servi à Plaute
de modèles (221) .
- 171 -

RES

Parmi les substantifs qui appartiennent à d'autres champs


sémantiques que celui de la richesse et qui désignent les biens dont la posss-
lion constitue l'homme riche , nous notons res , bona, opes , copiae,
(l'ordre dans lequel sont cités et étudiés ces lexèmes étant arbitraire).

Res est un polysémique très important chez Plaute de par le nombre


très élevé de ses occurrences (222). Ses différents emplois peuvent être
classés sommairement de la façon suivante :

bien , propriété/ intérêt à débattre, affaire / actions accomplies.

Dans la première catégorie d'emplois qui seule concerne notre


sujet, nous distinguons plusieurs cas , suivant que le lexème res est
associé à des verbes de possession ou de gestion. Plusieurs séries
s'organisent alors , que schématisent les syntagmes suivants :

A) rem habere B) rem parare C) rem seruare D) rem perdere


rem esse"
(alicui)
Il est évident que les trois premiers emplois se recoupent , la
possession pouvant résulter de l'acquisition , par exemple dans la
proposition res parata est ou structa est , ou du maintien du patrimoine
comme dans res salua est.
Examinons cependant séparément chacune de ces rubriques.

A) les séquences rem esse ou rem habere sont assez rares. Rem esse
se rencontre deux fois , au vers 167 du Pseudolus :

" Magnifiée uolo me uiros summos accipere , ut mihi


rem esse reantur "
" Je veux traiter magnifiquement de très grands
personnages pour qu'ils croient que j'ai du bien ",

et au vers 858 du Truculentus :


- 172 -

" Vbi id audiuit quam pênes est mea omnis res et liberi ?"
" Où a-t-elle appris cela , cette belle qui a entre ses
mains toute ma fortune et mon enfant ?".
Rem habere est un peu plus fréquent avec 5 occurrences.
Au vers 745 du Truculentus, le groupe est placé en antithèse avec
un verbe de sens très fort, egere (223) :

" Qui inuident egent ; illis quibus inuidetur,i rem habent"


" Les envieux sont dans le besoin, les enviés sont dans
l'abondance "

C'est la preuve que rem habere exprime encore plus nettement que
res esse (alicui) l'importance de la possession, ou plutôt sa solidité
U24).
L'emploi au vers 733 du Trinummus constitue une variante du vers
858 du Truculentus cité page précédente :

" ... quom eius rem pênes me habeam domi "


" alors que son bien est entre mes n.axns "

pans les deux cas, le bien ne se trouve pas entre les mains du
possesseur véritable ; c'est pourquoi le locuteur éprouve le besoin de
préciser qui détient la fortune possédée par un autre (225) ·

B / L'expression de l 'acquisition .est plus diversifiée et plus


intéressante. Dans certains cas, cette expression est voisine de la catégorie
précédente avec des formules comme celle du vers 544 de 1 'Aululaire, res structa
est, qui signifie "le bien a été constitué" donc "existe". La plupart du
temps, le dynamisme de l'acquisition peut prendre la forme d'une
augmentation de la fortune existante, ce qui correspond à la gestion positive de
la possession : il s'agit alors d '"allonger" son bien, oxplicare rem (Poe
75O) ou encore de le quadrupler :

" Simul Mercurio, qui me in mercimoniis


iuuit lucrisque quadruplicauit rem meam " (St.4o4-5)
- 173 -

" (Je rends grâces aussi) à Mercure qui m'a favorisé dans
mon négoce et m'a quadruplé par mes gains ma fortune ".

Dans tous ces cas, il apparaît que l'acquisition reste ponctuelle.


Il s'agit parfois d'une bonne affaire, d'ordre commercial ou usuruire,
qui grossit momentanément un avoir existant, mais jamais d'un gain énorme
qui fait passer quelqu'un de l'indigence à l'opulence. Le plus souvent,
on évoque un lent mais sûr enrichissement, comme le montrent bien les
vers 309 sqq. du Truculentus :

" Non enim ille meretriculis


Munerandis rem coegit, uerum parsimonia
Duritiaque. . . "
" Ce n'est pas en entretenant des drÔlesses qu'il & amassé
son bien, mais à force d'épargnes et de privations".

Les deux catégories C et D, qui concernent la gestion, sont encore


mieux représentées que les précédentes :

C / La bonne gestion :
rem tutare (Am.650; Men.968)
rem seruare (Mi. 724; Ru. 1374; Tru.l40,342)
rem curare (Cap. 632; Mo. 26)
rem procurare (St. 200)
rem accurare (Per .449, 451)
rem bene gerere (Tru.965)
rem melius gerere (Tri. 139)
rem constabilire (Cap. 452)
rei suae studere (Ps.175)
rei parcere (Tru,375)

Dans le cas d'un départ, la bonne gestion consiste en un dépôt du


bien entre les mains d'un ami sûr ; c'est le cas dans le Trinummus, aux
vers 114 et 1083, avec le tour rem commendare.

Bonne et mauvaise gestion s'opposent dans le Trinummus (v.609 et


- 174 -

ôlO) avec l'antithèse re perdita / re salua, et dans le Rudens au vers


1374 : rei seruandae / rei perdendae ".
Ces expressions variées font intervenir l'habileté et surtout la
diligence (avec des verbes comme curare ou studere) du possesseur qui
veille sur son bien. L'une d'elles permet de noter comment la rsr; est
sentie par les Romains ; c'est une sorte d'édifice (cf. supra
l'expression rem cogère ou rem struere) dont il faut toujours travailler à la
solidité ; c'est là ce que suggère le tour des Captifs au vers 452 rem
constabilire et c'est ce que montreront plus nettement encore les emplois
de la catégorie suivante.

D / La mauvaise gestion

A côté des tours banals comme rem maie gerere (Tru.223), perdere
(Cu_.504,706; Ep_.220; Mo. 20; Tri. 330, 332; Tru_.58,139), disperdere (Cas.
248), ou des expressions déjà plus recherchées comme le tour actif de
res périt (Tru.45) , nous rencontrons des expressions imagées. Ainsi,
celui qui gaspille sa fortune est dit la briser (confringere St.630; Tri.
336) ou la dévorer (comedere Tri.4l7).
Quant au bien lui-même, res étant sujet du verbe, il glisse (St.
521 : res laxe labat, la fortune est faible et chancelante), ou se
liquéfie, les deux images étant réunies au vers 243 du Trinummus :

" Ilico res foras labitur, liquitur "


" Sur le champ, l'argent coule et va fondant "

Ces formules suggèrent donc un écoulement et une désagrégation


de la fortune.
C'est bien la preuve que la res est vue dans son essence comme
quelque chose de fermement et de solidement construit (226).
Nous pouvons expliquer la solidité de la res en faisant intervenir)
les autres valeurs du polysémique ; il s'agit en effet, nous l'avons
rappelé au début de ce chapitre, des significations suivantes :
175 -

- intérêt dans quelque chose (res in tuam rem)


- réalité (natura rerum) (res vs uerbum)
- actions accomplies (res gestae)

Dans ces trois emplois, se réalise la notion de la réalité de la


chose incarnée, qu'elle soit vue dans e& matérialité (rerum natura) ou
dans sa relation avec le sujet (est in tuam rem) .
Nous pouvons alors penser qu'elle se réalise dans l'emploi qui
nous concerne par la solidité de la possession.
Cette solidité de la possession désignée par res assure au
possesseur une assise sociale que définit souvent la fides, comme au vers 144 de
la Mostellaria :

"Nunc :;inul res, fides, fama, uirtus, de eus


(Deseruerunt. . .)"
"A présent, tous mes étais, fortune, crédit, renom, vertu,
honneur (m'ont abandonné) à la fois."

Cinq autres passages mettent en relation res et fides d'une manière


comparable :

"Eum rem fidemque perdere, tam etsi nil fecit, aiunt" Cu.504
"Vbi fidemque remque seque teque proporat perdere" Ep.220
"Boni sibi haec expetunt, rem, fidem, honorem" Tri. 272
"Extemplo et ipsus periit et res et fides" Tru.45
"Quom rem fidemque nosque nosmet perdimus" Tru.58.

Dans tous ces passages , res et fides constituent un couple que


souligne l'homéotéleute. Nous constatons ainsi que res et fides vont de
pair. Mais nous pouvons aller plus loin , semble-t-il^ et remarquer que
res , 5 fois sur 6 , précède fides . Cela tendrait à prouver que la res,
logiquement , est antérieure à la fides ou , autrement dit , que la
fides s'édifie sur la res une fois constituée. Or , si nous considérons
les exemples cités , il apparaît qu'on ne fait confiance qu'à celui qui
possède du bien (Tri .272) et , plus souvent encore , que la perte de la
- 176 -

fortune entraîne celle de la confiance ( Mo.l44 ; Cu.504 ; Ep.220 ; Tru.


45,48 ) ( 227).
Une variante à ce schéma peut être notée aux vers 520 sqq. du
Stiohus :
" Vt quoique homini res paratast , perinde amicis utitur;
Si res firma , item firmi ami ci sunt , sin res laxe labat
Itidem ami ci conlabascunt . Res amicos inuenit "
" Les amis d'un homme vont avec la fortune qu'il s'est
acquise. Est-elle solide , les amis sont solides aussi;
est-elle faible et chancelante , les amis se mettent
à chanceler eux aussi . C'est la fortune qui crée les
amis ".

L'idée exprimée est la même mais la nuance est dans la variation que
l'on prête à la res qui est d'abord firma puis laxe labat. Ce tour
qui considère le processus en cours est à l'origine du rapprochement assez
audacieux : comme glisse ( = se perd ) le bien , glissent aussi les amis.
Ainsi , la fuite des amie accompagne celle du patrimoine. La situation
contraire , les amis qui restent dans le malheur , ne se rencontre qu'une
fois , au vers 655 du Persa :

"... Nam etsi res sunt fractae amici sunt tamen "
" ... Car si sa fortune est détruite , il a pourtant des
amis ".
U faut noter d'autre part le cas où res et fides sont dissociées,
ainsi au vers 576 des Ménechmes :

" Res magis quaeritur quam clientum fides


Cuius modi clueat "
" C'est de la fortune du client qu'on s'inquiète , bien
plue que de sa probité ".

Mais dans ce cas , fides ne désigne pas la confiance que l'on


place en quelqu'un mais sa loyauté.

Dégageons maintenant les composantes sémiques de res dans l'emploi


qui noue eoncerne. Cette démarche sera menée d'une part grAce aux données
des quatre rubriques étudiées précédemment , d'autre part grâce à la
comparaison avec diuitiae . Un double tableau des emplois peut alors être
constitué :
- 177 -

ν.) rem esse mihi diuitias esse mihi


b) rem paro diuitias facio ( rnihi)
c) rem bcne gero
d) rem maie gero

a) La différence entre les deux syntagmes rem esse et diuitias


esse mihi réside dans le choix du substantif. C'est donc de la signifia-
cation du lexème que résulte celle du syntagme ; or cette différence est
quantitative : dans diuitias esse mihi , c'est l'importance quantitative
du bien possédé qui est soulignée , alors qu'elle ne l'est pas dans
l'autre cas .

b) Entre rem quaero et diuitias quaero ou facio , subsiste la


différence quantitative à laquelle s'ajoute une autre nuance qui concerne
le possesseur dec biens en question. L'expression rem quaero implique en
effet que l'acquisition est faite par le sujet parlant , cans que la
précision mihi soit nécessaire ; en revanche , le tour diuitias
quaero ou facio n'implique pas que le possesseur des richesses considérées
sera le même que celui qui les a acquises ( cf. Tri. 839)·

c) d) Le fait que pour les deux derniers syntagmes diuitiae ne soit


pas représenté est à lui seul significatif ; l'activité du sujet n'est
absolument pas impliquée par diuitiae alors qu'elle est essentielle dans
le cas de res .

Formulons maintenant les associations qui fondent les traits sé-


miques de res :

Res " bien possédé dont l'importance quantitative n'est


pas soulignée "

Res " bien possédé dont le rapport avec le possesseur


est impliqué sous la forme d'une relation solide"

Res " bien possédé à propos duquel l'activité du sujet


joue un rôle prédominant ".
- 178 -

Ainsi possession solide et activité du sujet possédant constituent


les deux sèmes de res.

Une sorte de complémentarité s'établit alors entre res et diuitiae:


alors que diuitiae met l'accent sur l'importance des biens considérés en
eux- mêmes , res souligne le rapport actif entre possesseur et bien possédé
- 179 -

BONA

II est intéressant d'étudier bona après res car le lexème figure


dans un certain nombre de syntagmes qui ont été étudiés à propos de res.
Quels traits sémiques différents de ceux de res comporte le lexème bona 2
Telle est la question qu'il faudra se poser.
D'après le vers 653 d'Amphitryon,

" Virtus omnia in sese habet, omnia adsunt bona quem penest
uirtus "
" La valeur renferme tout en elle, c'est avoir tous les biens
qu'avoir la valeur "

nous pouvons formuler la relation suivante, qui est en réalité


une identité :

Bona " biens de toute nature "

fondant le sème constant de "avantages en général". Ces avantages se


trouvent énumérés au vers précédent par Alcmène ; il s'agit de libertas,
salus, uita, res et parentes, patria et prognati. Ces biens sont
différents puisque les uns, comme res, s'appliquent à des possessions
matérielles, les autres concernent des personnes chères (parentes, prognati)
ou encore des valeurs (libertas, salus) .
Le sème constant de bona, "avantages en général", apparaît
nettement encore lorsque nous confrontons deux vers complémentaires du Tru-
culentus.
Au vers 858, l'amant évoque la situation de sa maîtresse qui a
entre les mains toute sa fortune et son enfant :

" Vbi id audiuit quam pênes est mea omnis res et liberi ? "

Au vers suivant, la maîtresse exprime la même idée d'une autre


- 180 -

manière :

" Video eccum qui amans tutorem me optauit suis bonis "
" Justement, j'aperçois celui qui par amour pour moi m'a
choisie pour gérer la tutelle de ses biens ".

Nous constatons en effet qu'ici suis bonis du vers 859 correspond


à rej3_et liberi du vers 858 (228) .
Le sème virtuel de matérialité se dégage de l'association

Bona " biens matériels "

Cette association est particulièrement sensible aux vers 572 et


573 du Truculentus :

11 Velut haoc neretrix meum erum miserum sua blanditia intulit


in pauperiem
Priuauit bonis, luce, honore atque amicis ".

Dans ce passage, la matérialité des biens désignés par bonis est


évidente pour deux raisons. D'une part, la mention intulit in pauperiem
laisse attendre un développement expliquant ce nouvel état de pauvreté,
développement que constitue justement priuauit bonis. D'autre part,
l'ensemble bonis, luce, honore atque amicis constitue, si bonis renvoie aux
biens matériels, un portrait global de 1· amans egens, perdant tout, fortune
et honneur, de par la rapacité de la courtisane. Or, nous avons vu, à
propos de res et fides (229)» comment les aspects matériel, social et
moral étaient intimement liés. Il semble donc normal qu'ici soit évoquée
une situation analogue avec la perte de la fortune et la perte de la
considération .
Nous rencontrons avec bona les situations déjà évoquées à propos
de res et qui concernent les catégories de possession et d'acquisition
(230) . La possession personnelle des biens, soulignée le plus souvent
par la présence d'adjectifs possessifs (231), est illustrée par exemple
par le vers 400 du Truculentus :
- 181 -

" Bona sua med habiturum omnia..."

Le fait d'acquérir les bona ou celui de les convoiter est


exprimé grâce à des tournures où bona, souvent accompagné de raulta (232)
(notamment dans les formules de souhait), est complément d'objet direct du
verbe parère ; ainsi au vers 3^7 du Trinummus :

" Nul ta bona bene parta habemus... "


11 Nous avons une belle fortune bien acquise " (233)

Quant aux autres catégories d'emploi de res, bonne et mauvaise


gestion, elles ne sont pratiquement pas réalisées avec bona, à moins
qu'on ne considère comme une mauvaise gestion l'indication du vers 556
du Truculentus :

" Qui bona sua pro stercore habet... "


"II traite son bien comme du fumier... "

ou la perte du patrimoine gaspillé chez les courtisanes :

" ...hic elaui bonis " (As. 135)


" ... Ici (chez la courtisane) je l'ai toute engloutie (ma
fortune) "

ou au contraire comme une bonne gestion le dépôt de ses biens à l'occasion


d'un départ comme aux vers 877 et 1095 du Trinummus , où bona est
complément du verbe commendare . En revanche, deux nouvelles catégories sont à
noter, celle du don et celle de l'usurpation des biens.
La catégorie du don est illustrée par des passages évoquant des
biens qui seront répartis entre les différents membres d'une famille lors
d'un héritage, comme au vers 707 du Miles :

" Mea bona mea morte cognatis didam, inter eos partiam "
11 Je distribuerai, à ma mort, mes biens à mes parents, je les
leur partagerai ".
- 182 -

Le don des bona peut aussi se faire en dehors d'un héritage, comme
il apparaît aux vers 711-2 de la Casina :

"Si effsxis hoc, soleae tibi


Dabo, et anulum in digito aureum, et bona pluruma ".
" Si tu réussis, je te donnerai une paire de souliers et un
anneau pour mettre à ton doigt, un anneau d'or, et toutes
sortes de cadeaux "

promet le vieillard amoureux à la servante de sa femme.


Les bona peuvent ea particulier être accordés par la divinité.
On évoque ainsi la clémence de Vénus au vers 1132 du Pseudolus :

11 mi haec bona dat, quom hos hue ' **


ifugas, damni cupidos, qui se su· aetatem curant) ·
11 Ce sont autant de cadeaux que me fait Vénus quand elle
m* envoie des gens comme celui-là (ennemis de leur bien,
avides de leur perte, qui ne songent qu'à se donner du bon
temps pendant toute leur existence) ".
La catégorie d'usurpation est la plus fréquente et la plus variée.
Lorsqu'un personnage enlève à autrui ses biens (23*0 , ou qu'il a
la possibilité ou l'intention de le faire (235) ι on emploie les locutions
suivantes :
eripere bona (Per.63)
euortere aliquem suis bonis (Tri. 21*0
distimulare bona (Ba.6*»·)
distrahere bona (Tri. 834)
priuare aliquem bonis (Tru.57^)
oppugnare bona (Per.7*O
caedere bona (Tru.7^2)
inhiare bona (Mi. 715)
dicere de bonis alicui neaiam (Tru.213)
Plusieurs images sont ici suggérées ; d'abord, celle assez banale
de l'arrachement, avec eripere, euortere, doublée de celle de la
dispersion (grâce au préverbe dis-) dans distrahere et distimulare.
- 183 -

Ensuite, les bona sont comparés à des êtres vivants à qui on livre
bataille (oppugnare) ou que l'on pique pour les dépecer (di.stimulare) ,
enfin que l'on tue (caedere) et, image audacieuse;, à propos de qui on chante
le cantique des morts (dicere neniam de bonis).
Cette assimilation des biens à un être vivant est révélatrice de
la solidité de l'attachement du Romain pour sa fortune. Lorsque son bien
disparaît, happé par un autre, il se sent atteint comme dans son propre
corps. Nous verrons d'ailleurs que cette façon de ressentir le bien
possédé dépasse l'emploi du lexème bona et constitue une des constantes de
l'expression de la possession dans le corpus plautinien (236).
Enfin, nous trouvons l'image du gouffre avec bona inhiant ; le
verbe inhiare, qui signifie "ouvrir une gueule béante", est toujours
chez Plaute employé métaphoriquement et cinq fois sur six (237)
caractérise l'être qui convoite ardemment la fortune d'un autre, l'image étant
parfois soulignée par l'assimilation de l'être dévorent à un loup (238).
Ces différentes expressions du don ou de l'usurpation appartiennent
en propre à l'emploi de bona. Elles nous semblent établir un sème virtuel,
celui de la mobilité des bona, en vertu de la relation

Bona " biens susceptibles d'être donnés ou enlevés à


quelqu'un "

Ce sème virtuel de mobilité se trouve donc réalisé lorsqu'il y a


passage des biens d'un individu à un autre (239)·
C'est là uu des points qui distinguent bona, "biens susceptibles
de passer d'un individu à un autre", de res, qui désigne le bien restant
dans la sphère du personnage (même s'il gère mal sa fortune).
En conclusion, résumons la composition sémique de bona :

SEME CONSTANT
Avantages en général
Sèmes virtuels
avantages matériels biens mobiles
(susceptibles de passer d'un
possesseur à un autre)
- 184 -

OPES

En principe, l'étude du singulier *ops n'est pas comprise dans notre


sujet , puisque la valeur de "biens, ressources " n'est présente que dans
le pluriel opes . Cependant , un des deux types d'emploi du singulier
entre dans notre champ d'investigation. Il s'agit d'Ops comme nom propre
désignant la mère de Jupiter et célébrée comme déesse de l'abondance par
exemple au vers 251 du Persa :

" Ioui opulento , incluto, Ope gnato "


" A Jupiter opulent , glorieux fils d'Ope " (2^0).

Dans son second type d'emploi au singulier , 1« lexime est un


nom commun qui u.. r - renoontre jamais au nominatif mai» que l'on trouve
fréquemment dans le tour opem ferre (24-1) " porter secoure ". De quelle
nature est le secours apporté ? Cela n'est pas clairement exprimé .
Toutefois t la présence avec opem d'autres substantifs en éclaire peut-être
la signification. Il y a en gros deux types d'associations :

opem + auxilium + verbe d'action qui signifie prendre


( Mi.220)
opem
—' + spem + verbe d'action qui signifie prendre
( Bu.204).

Opem semblerait désigner l'aide surtout matérielle que l'on apporte


à quelqu'un et auxilium le secours matériel et moral fourni par quelqu'un;
quant à spem , il désigne le pressentiment que les circonstances dans
l'avenir ne seront pas entièrement défavorables.
Dans la définition préalable que nous venons de donner , opem
et auxilium présentent une signification voisine . Les lexèmes ont-ils
cependant exactement la même valeur ? Ne peut-on pas accorder & l'un
d'eux plus de généralité ? Nous serions tentée de le faire en comparant
notamment les vers 1093 de l'Amphitryon et 637 des Bacchides .
Dans le premier cas , le tour auxilium ferre se rapporte au
soutien qu'Alcmène réolame dans sa prière aux dieux et précisément au
réconfort physique et moral dont elle aimerait bénéficier pendant son
accouchement .
- 185 -

Au vers 637 des Baochis, opem désigne un secours matériel, à savoir


l'argent qui manque au jeune homme pour racheter sa belle. Mais cette
distribution d'emploi n'est absolument pas constante et , au vers 1387 du Miles,
avec amanti fer opem " soulage celle qui t'aime " , conseil que l'esclave
donne au miles , opem ne désigne manifestement pas un secours en argent.
Faut-il croire alors qu'opem et auxilium sont pratiquement synonymes
puisqu1 aussi bien ils entrent dans les mêmes syntagmes ( ferre et le datif du
bénéficiaire) et qu'ils signifient secours matériel et moral ? En fait, si l'on
examine de près les syntagmes où figurent opem et auxilium , il apparaît que
l'aide désignée par opem est présentée d'une manière assez particulière. Cette
aide semble en effet venir combler un vide. C'est ce que montrent des tours
comme egenti opem ferre ( Per.256) ou inopiae ( alicuius) opem ferre (Ru.
617 )· C'est alors la gravité du dénuement de celui à qui on porte secours
qui est soulignée , plutôt que le point d'application matériel ou moral de ce
secoure. Avec auxilium , la détresse du bénéficiaire est moins évidente et
le tour fréquent anxilio esse alicui ( 2^2) semble av«·! *· la valeur très
générale de " aider quelqu'un ".

Mais c'est sous sa forme plurielle que le lexème entre vraiment dans
le champ sémantique de la possession , avec 28 occurrences dans le corpus plau-
tinien ( 2V5) .
Dans le premier type d'emploi , opes désigne les facultés que l'on met
en oeuvre dans un but déterminé. Se trouve donc établie la relation :

opes "possibilités de quelqu'un "


d'après le vers 245 de l'Asinaire par exemple :
" Ν une pergam ad forum atque experiar opibus, omni copia"
" Je vais maintenant jusqu'au forum; et j'essaierai toutes
mes ressources , tous mes moyens ".
Dans ce vers , le jeune Diabole se déclare prêt à tout pour se procurer les
vingt mines que lui réclame la maquerelle Cléérète ( 2Mf ) .

A partir du second type d'emploi, nous retrouvons les catégories du


champ de la possession. La relation
opes "biens "
est en effet illustrée par des syntagmes dans lesquels le lexème désigne les
- 186 -

biens dont on est privé. C'est le cas au vers 29 de la Cistellaria î

11 ... Suarum opum nos uolunt esse indigentes "


" ... Elles veulent que toujours nous ayons besoin de leur
protection "(

Le troisième type d'emploi donne à opes le sens précis de " biens


matériels" que l'on possède , que l'on confie à quelqu'un ou que l'on usurpe.
Opes s'applique aux biens que l'on possède par exemple au vers k^k de la
Cistellaria :
" Neque opes nostrae tam sunt ualidae quam tuae ..."
" Nous n'avons pas une fortune aussi solide que la tienne"
( 2<f6).
Opes désigne aussi les biens que l'on confie à quelqu'un , notamment au vers
kk$ des Captifs :
" Tibi comoendo spes opesque meas ... "
" C'est entre tes mains que je remets et mon espoir et mon
avoir ..." (2V?).
Opes caractérise enfin les biens que l'on usurpe , comme au vers 6?2 de l'Epi-
QS— : "Vt illic autem exenterauit mihi opes argentarias !"
" Comme il a su proprement étriper mon coffre-fort !"
ou aux vers 670 sqq. des Captifs :
" Quia me meamque rem , quod in te uno fuit,
Tuis scelestis falsidicis fallaciis
Delacerauisti, deartuauistique opes, "
" Paece que tu as fait tout ce qui dépendait de toi , avec
tes mensonges et tes fourberies criminelles , pour me
massacrer , me dépecer , moi , mon bien et ma fortune ".
Il faut remarquer avec cet exemple et le précédent que la destruction
des biens est assimilée à une mort violente infligée aux possessions qui par
là même sont présentées comme faisant corps avec la personne. La privation
en est rendue ainsi plus dramatique car la mise à mal des possessions de la
personne ( deartuauisti opes signifie proprement " démembrer les biens "
est aussi douloureuse que la souffrance physique ( 248) .
Cet emploi offre aussi un rapprochement intéressant, celui de res mea
et d'opes. Les deux lexèmes ont-ils le même sens ici ? Tous les deux sont
- 187 -

compléments d'objet direct d'un verbe signifiant " déchirer" et tous les
deux interviennent en général dans des contextes similaires ( possession ,
gestion, usurpation ). Ainsi res mea et opes auraient une signification
comparable , celle de ¦ fortune" , res mea restant toutefois davantage dans la sphère
du sujet possédant ( à preuve le groupe lié intimement me meamque rem du vers
670 des Captifs ) .
Si opes signifie "fortune", son sens est voisin de celui de diuitiae.
En réalité, la notion de finalité des biens distingue les deux lexèmes : alors
que diuitiae désigne des biens abondante qui souvent constituent le
patrimoine d'une famille ( c'est oe que souligne l'association fréquente de diuitiae
et genus ) , opes concerne des richesses dont on dit ou prévoit l'utilisation,
comme dans l'expression française " mes moyens ne me le permettent pas ".
Ces moyens désignés par opes sont matériels maie ils sont souvent cités
avec d'autres moyens d'ordre social , les factiones , qui désignent les appuie
que constituent les relations politiques (249).
La finalité des opes apparaît aussi dans le tour stéréotypé pro opibns,
"selon les moyens" , comme au vers 690 du Stiehus :
"( . . . hoc eonuiuiunet )
Pro opibus nostris satis commodule , nucibus , fabulis , fi
culis"
" (-Voici un festin qui ) répond assez bien à nos ressources:
noix, petites fèves, olives ".

Il est désormais possible d'établir la structure sémique d'opes :

SEME CONSTANT
moyens personnels
Sèmes virtuels

- ressources vitales ( dont on est douloureusement privé)


- richesses matérielles ( que l'on possède,
que l'on gère,
que l'on confie,
que l'on usurpe ).
188 -

COPIAE

Comme le lexème *ops , c'est au pluriel que copia fait vraiment


partie du champ sémantique de la possession.
Au singulier, copia désigne en effet la faculté ( de faire quelque chose),
ainsi au vers 87 de la Vidularia :
" Qum mihi qui uiuam copiam inopi facis "
" Toi qui me donnes à moi qui suis dans l'indigence la possibilité
de vivre" (250).
Avec la préposition pro , le terme signifie , comme pro opibus d'ailleurs
(251) , " selon mes moyens ". Notons ainsi le vers 541 de l'Aululaire , où
pro copia est mis en parallèle avec pro re .
Toujours au singulier , copia suivi d'un génitif , signifie l'abondance
en quelque chose , en argent comme aux vers 75 et 848 de 1 'Asinaire , ou dans
d'autres domaines. Ainsi , il s'agit du grand nombre de courtisanes avec copia
meretricum du vers 563 des Bacchis , de l'abondance des plaisirs , copia uenus-
tatum , au vers 1178 du Poenulus , ou d'une manière plus générale de
l'abondance des biens avec les tours rerum omnium bonarum copia ( Per. 633) et copiam
opum (Cas. 624).
Enfin , comme Ops , Copia apparaît au vers 736 du Pseudolus comme la
déesse de l'abondance mais dans un contexte de plaisanterie :
" Di immortales , non Charinus mihi hicquidem sed Copiast"
" Dieux immortels! ce n'est pas Charinus que je l'appellerai
mais l'Abondance "

Au pluriel, copiae semble au premier abord être synonyme d'opes, avec


la valeur de "biens matériels". En fait, les deux lexèmes n'alternent pas
véritablement mais sont souvent coordonnés ou juxtaposés , c'est -à-dire que leurs
valeurs sont proches mais non identiques. En effet , nous allons montrer que
copiae possède les traits sémiques suivants :

Biens matériels / abondants / dont on dispose personnellement.

La relation
Copiae " biens matériels"
est établie par des passages tels que le vers 647 des Bacchis :
- 189 -

" Regias copiae aureasque optuli "


" Je lui ai procuré une fortune royale , en bon or ",

celle de
Copiae " biens dont on dispose personnellement",
par un passage du Rudens , aux vers 664 sqq. :
" Nunc id est eum imnium copiarum atque opum,
Auxili, praesidi uiduitas nos tenet "
" C'est maintenant que toute ressource , tout secours , tout
appui , toute assistance nous fait défaut ".
Dans ce passage , les deux jeunes filles abandonnées sur le rivage
désert se plaignent amèrement , premièrement de n'avoir personnellement pas de
ressources pour subsister, puisqu'elles sont rescapées d'un naufrage et ne
possèdent ni nourriture ni argent ( uiduitas copiarum) , et deuxièmement de
ne voir aucune possibilité de ressources dans le voisinage ( uiduitas opum).
Cette aide qui manque cruellement se trouve ensuite reprise de façon plus
abstraite par auxili et praesidi .
Ainsi la différenoe de valeur entre copiae et opes semble apparaître:
opes définissant plutôt les ressources qu'on attend des autres , comme dans
le tour proverbial de Vbi ami ci , ibidem opes ( Tru?885) (252) , et copiae
celles qui sont dans la sphère de la personne. C'est d'ailleurs là un point
qui est conforme à l'étymologie puisque le préfixe eum présent dans copia
suggère une idée d'abondance qui fait corps avec la personne.
L'autre trait qui distingue opes de copiae est quantitatif : opes désigne
des biens qui ne sont pas nécessairement abondante , comme il apparaît au
vers k$k de la Cietellaria :
" Neque opes nostrae tam sunt ualidae quam tuae ..."
" Nous n'avons pas une fortune aussi solide que la tienne..."
Cette remarque peut aussi être faite à propos des vers 253 sqq. du Persa:
"Ioui opulento, inoluto, Ope gnato
Supremo, ualido, uiripotenti,
Opes , spee bonas , copias commodanti "
" Opulent Jupiter, glorieux file d'Ope, dieu suprême , dieu fort,
dieu tout puissant , dispensateur des biens , des espérances , de
l'abondance ?
Opes cité en premier lieu dans cette invocation pourrait en effet
- 19?

désigner les biens ( sans considération de leur importance ) que Jupiter


peut accorder aux mortels , spes bonas en second lieu les espérances de
toutes sortes et copias en dernier lieu , selon la loi de progression, les
richesses offertes aux hommes par la divinité.
- 191 -

SIGNIFICATION PARTICULIERE D'OPES ET COPIAE PAR RAPPORT AUX


AUTRES POLYSEMIQUES DE LA POSSESSION

La comparaison des emplois et des structures sémiques permet de classer


les données suivantes :

Emplois -type ß Quantité des biens Mobilité des biens

Res mon bien


que je possède non définie
que je gère
que l'on m'enlève
Bona les biens
que l'on gagne
que l'on confie
que l'on arrache +
à autrui

Opes biensautrui
par donnée
non définie +
biens dont on
éprouve le manque

Copiae biens abondants


que l'on possède +
personnellement
dont on éprouve
le manque

Ce tableau donne lieu à différentes remarques.


Nous notons d'abord la parenté des emplois- types qui rapprochent les
termes deux à deux , d'une part res et bona qui interviennent tous deux dans
des contextes de possession et de gestion, d'autre part opes et copiae qui
correspondent l'un et l'autre aux ressources , disponibles ou non, de
l'individu. Mais en ce qui concerne les notions de quantité et de mobilité des biens,
les lexèmes possèdent chacun leur physionomie propre. Lorsqu'un lexème implique
l'abondance des biens , nous l'avons marqué du signe +, de même pour la
mobilité de ces mêmes biens. Il apparaît ainsi que res et copiae se différencient
l'un de l'autre par la quantité des biens , non définie dans le cas de res ,
et soulignée dans le cas de copiae , que bona et opes divergent sur le
plan de la quantité , soulignée dans le cas de bona , non définie dans le
cas d'opes. Quant aux divergences entre opes et copiae , elles apparaissent
- 192 -

avec évidence sur le tableau : à la mobilité des opes s'oppose l'immobilité


des copiae , à la grande quantité des biens désignés par copiae s'oppose
la quantité non définie de ceux que recouvre le lexème opes.
Si l'on veut maintenant situer ces polysémiques par rapport à
diuitiae , il est manifeste que diuitiae contient les mêmes traits sémiques
que copiae , sur le plan de la quantité et de la mobilité des biens. Est-
ce à dire que copiae est absolument synonyme de diuitiae (253) ? Il n'en
est rien. En effet, le tableau schématise les traits distinctifs ; nous
devons alors préciser que l'abondante quantité des biens n'est pas la
même dans le cas de diuitiae et dans le cas de copiae. De même pour le
critère de mobilité : les diuitiae sont en effet moins mobiles et
quantitativement plus importantes que les copiae . Nous pourrions alors suggérer
ces différences de la façon suivante :

Quantité des biens Mobilité des biens

Copiae L.
Diuitiae -4- -L
193 -

LA FAMILLE D'OPS ET LE THEME DE LA POSSESSION

Après avoir précisé les valeurs intrinsèques d 'opes et de copiae par


rapport aux autres termes qui désignent les biens , il est peut-être utile
de rassembler en un tableau récapitulatif les divers mots de la famille ,
en relation bien entendu avec le thème de la possession.
adjectifs noms propres pluriels à valeur
opulentus opes
riche ops biens
abondance copi*
POSSESSION opiparus biens abondants
riche, abondant copia-
abondance opulentiae
optimus biens abondants
qui donne les richesses
inops
ABSENCE DE démuni
POSSESSION inopiosus + compl .
qui manque de
- 195 -

Précisons quelques points de détail avant de commenter d'une


manière plus générale ce tableau.
Il est évident qu'il faut considérer les fréquences d'emploi et qu'il
est imprudent d'argumenter sur des lexèmes très rarement utilisés par
Plaute. Nous devons donc ici mentionner la rareté d'opulentitas ( un seul
emploi) , d 'opulentia ( deux emploi ) et d 'opulentiae ( un seul emploi )
( cf. supra pages 136 et 137 ). De même les occurrences de l'adjectif
opiparus dont la formation, parallèle à celle de pauper , est très
satisfaisante pour l'esprit , ne sont pas très nombreuses , en face de celles
d'opulentus ( cf. supra p. 139 et 127) · La même remarque doit être faite au
sujet d'inopiosus dont l'emploi est unique ( voir supra p. 70 ). Optimus a
été inclus dans le tableau pour sa formation et aussi parce que Plaute
évoque Jupiter comme distributeur de richesses et comme fils d'Ops (254).
D'un point de vue plus général, la lecture de ce tableau permet de
mettre en évidence t <= permanence de l'élément abondance . Tous les mots de
la famille se situent en effet dans une des trois grilles suivantes.

ABONDANCE
soulignée affirmée
copiae opulentus inops
opulentia ae inopiosus
opes
opulentitas
opiparus
optimus

dans un domaine dans le domaine comme terme comme déesse


quel qu'il soit de la richesse abstrait "Richesse"
opiparus opulentus opulentia 0£S
( inopiosus ) (inops ) opulentitas Copia
copia opes, copiae
opulentus
opulentiae
ABONDANCE
possédée étalée distribuée
presque tous les termes Optimus
- 196

Un certain nombre de lexèmes très répandus dans la palliata évoquent


le monde de l'argent et par conséquent les réalités de la richesse. Examinons
rapidement ces termes qui commutent parfois avec nos lexèmes du champ de la
possession. Ces termes désignent l'argent lui-même et sont donc utilisés dans
les tractations. Il s'agit d'argentum, aurum et pecunia (255). Enfin , un qua·
trième terme , également "technique" , sera étudié , celui de lucrum qui
désigne proprement le bénéfice.

ARGENTUM

Nous pouvons classer les emplois d'argentum en trois catégories.

Dans la première , argentum est utilisé avec sa valeur originelle. Il


désigne alors l'argent comme métal précieux , aux caractéristiques bien
définies notamment la couleur d'un blanc brillant (256). Toutefois , les
expressions dans lesquelles argentum est employé avec cette valeur correspondent
presque toujours à des opérations commerciales. Il s'agit alors d'indiquer
des sommes précises comme les vingt mines d'argent de l'Asinaire (257) , ou
encore un talent (258) , un nummus ou une libella (259) -
Sauf avec l'expression uasa argentea (260), on n'évoque pas , dans la
palliata d'objets en argent. La spécialisation d'argentum dans le domaine
monétaire est donc bien avancée , comme le manifeste clairement la seconde
série d'emplois.

Dans ce second type de cas , argentum possède un sens assez


vague et correspond au numéraire utilisé dans les tractations. C'est ainsi
qu'il figure dans de très nombreux tours qui recourent au vocabulaire du comme
ainsi les verbes dare, accipere , afferre , auferre (26l).
Plaute emploie aussi pour caractériser ces opérations commerciales des
verbes imagés comme uomere et egurgitare £262) . Faut-il voir aussi dans le
composé fantaisiste du vers 703 du Persa une allusion à une opération de ce
genre, et lire argentum exterebronides , "celui qui retire en perçant l'argen
L'autre leçon est argentum extenebronides " celui qui met l'argent dans les
ténèbres " (= à l'abri , ou à l'ombre ) pour signifier celui qui vole. Peut-ê
tre y a -t-il dans ce cas un jeu de mots sur le côté brillant de l'argent
- 197 -

en contraste avec le noir des ténèbres ? Mais il n'est pas sûr que l'étymolo-
gie d'argentum ait été encore sentie à l'époque et nous préférons la leçon
exterebronides , tout à fait conforme par ailleurs à l'usage plautinien
d'exprimer très vigoureusement ces manoeuvres financières (263).

C'est avec la troisième catégorie d'emplois que le lexème entre vraiment


dans le champ sémantique de la possession. Il figure en effet , assez rarement
il est vrai, (264) dans des expressions qui marquent l'extrême richesse ou
l'extrême pauvreté d'un individu. Ainsi , dans le Miles , au vers 1065, nous
trouvons pour illustrer la richesse de Pyrgopolinice une image très expressive:
il s'agit des montagnes d'argent qu'il est censé posséder :

"Tum argenti montis , non massas habet. Aetna mons non aeque altust"
" Et quant à l'argent , il en a , non par monceaux , mais par
montagnes... L'Etna n'atteint pas une pareille hauteur ".

Ailleurs, c'est l'indigence qui est exprimée avec le tour inopia argenti
au vers 334 du Curculio .

Nous pouvons donc désormais définir schématiquement les significations


possibles d'argentum de la manière suivante :

argentum "métal blanc brillant , spécifique "


argentum "numéraire utilisé dans les tractations commerciales"
argentum "richesse en numéraire" .
198 -

AVRVM

Les emplois d ' aurum sont comparables à ceux d'argentum. Ainsi , il


'agit du métal lui-'&Sme dans une expression qui désigne une somme précise ,
assez élevée bien entendu , comme mina auri (265) . Toutefois , à la différence
d'argentum , auru-rt désigne parfois l'or de l'ornamentum muliebre ( 266) , ou
la matière d'une statue (267).

Dans une autre série d'emplois , aurum , comme argentum , désigne d'une
manière vague une somme élevée qui est utilisée dans les tractations. Nous
retrouvons là le vocabulaire du commerce et nous découvrons celui de la
thésaurisation avec des tours comme aurum condere , accipere , auferre , dare ,
credere , reddere (268) .

Enfin aurum entre dans la composition de formules qui expriment la


richesse d'un personnage , comme aux vers 701,702 de l'Aululaire :
"Picis diuitiis qui aureos montis colunt
Ego solus supero ..."
"Foin des griffons qui habitent les montagnes d'orî à moi seul
je les dépasse en richesse ..." (269).

La structure sémique d' aurum chez Plaute peut donc s'établir ainsi :

aurum "métal jaune et brillant à la nature spécifique et


entrant dans la composition de sommes en numéraire"
aurum " métal précieux formant la matière de bijoux ou de
statues "
aurum " somme élevée sans indication de son ampleur"
aurum "somme abondante sur laquelle est basée l'opulence
d'un personnage".
199

PECVNIA

Pecunia semble souvent être un équivalent d'argentum avec un sens


encore plus vague dans des expressions commerciales du type aliquid emere
pecunia (270) établissant ainsi la relation :
pecunia "somme utilisée dans les tractations ",
mais certaines particularités d'emploi le rapprochent des polysémiques
étudiés plus haut. Ce sont d'une part son association avec des adjectifs possessifs,
d'autre part son rôle dans la composition de périphrases qui évoquent la
richesse et la pauvreté. Pecunia mea (Ba.512, Men.291) évoque en effet res mea.
Pecunia serait alors la res présentée sous sa face utilitaire , la res monnayée
en quelque sorte , prête à servir à une tractation.
Quant aux périphrases exprimant l'état de fortune (quel qu'il soit ) d'un
personnage , elles sont du type suivant , représenté par le vers 214 de
l'Aululaire :
" . . .Scio esse grandem ( aetatem) , item ut pecuniam"
" ...Je sais qu'il est grand (ton âge), comme ta fortune ",
ou , aux vers 186,7 de la même comédie :
"Ain tu te ualere ? Pol ego haud perbene a pecunia "
" Alors, dis-moi, tu vas bien ? Ma foi! pas trop bien du côté
de l'argent ".

La relation que l'on peut établir est alors :

pecunia "situation financière d'une personne".

Peut-on dire , à partir des données plautiniennes , quel est le sens


primitif de pecunia ? Le terme signifie-t-il "somme d'argent " (quelle que
soit son ampleur) , ou bien argent au sens de "fortune , richesse'·?
Doit-on chercher un élément de réponse dans l'étymologie traditionnelle qui
fait de pecunia un dérivé de pecu le bétail, en s'appuyant sur le fait qu'à
l'origine la richesse consistait essentiellement en troupeaux? Mais d'après
E.Benveniste , le sens de pecunia serait au départ celui de "fortune mobilière
attachée à la personne" ( Vocabulaire des Institutions Indo-Européennes f tome
I p. 50-55 )· Toutefois , cette interprétation est très contestée actuellement,
(cf. à ce sujet la position de L.Nadjo, Thèse ...). Nous n'avons pas à prendre
parti ici sur ce problème puisque notre démarche est essentiellement synchro-
200

nique. Nous pouvons toutefois faire deux remarques qui vM-t en sens contraire.
L'une , qui va dans le sens de la position d 'E.Benveniste, c'est que le
rapprochement pecunia- pecu n'est pas fait chez Plaute, qui pourtant pratique
souvent le jeu de mots à base étymologique ; l'autre remarque confirme
l'hypothèse traditionnelle : nous notons en effet un parallélisme d'évolution dans
les emplois d'argentum , aurum et pecunia , les termes désignant d'abord l'objet
que l'on vend ou achète et ensuite toute monnaie utilisée dans les tractations.
Si nous restons sur le plan synchronique , pecunia désigne chez Plaute
d'une part ( et le plus souvent ) l'argent utilisé dans les tractations, et
d'autre part (et c'est peut-être son sens premier ) la fortune personnelle
d'un individu , sans considération de son importance . En effet , pour évoquer
une fortune rondelette , on emploie pecunia grandis (Au.214).
- 2?1 -

LVCRVM

Avec ses 41 emplois, le lexème est en bonne place dans la série des termes
qui ont un rapport avec la richesse ou plus précisément avec l'enrichissement.
En effet , il désigne l'argent qu'on gagne dans une affaire qui n'est pas
toujours exposée et qui fait accéder à un état de plus grande richesse. Voyons les
emplois pour en tirer les traits sémiques.
Presque une fois sur trois , il est associé au verbe facere , qu'il soit
à l'accusatif (271) ou au génitif (272). La fréquence du tour facere lucrum
"faire du bénéfice " , ou de celui de facere aliquantum lucri , "faire
quelque chose en fait de gain " , c 'est-à-dire"faire un gain de " , semble
suggérer l'activité du personnage qui en est bénéficiaire , activité qui est en
revanche gommée dans les expressions qui font intervenir les dieux , comme les
vers très proches du Persa 470 et Curculio 531 :
" Quoi homini di propitii sunt , aliquid obiciunt lucri "
" Quoi homini di sunt propitii, lucrum ei profecto obiciunt".

Le montant du bénéfice est rarement mentionné , on peut toutefois le


déduire du vers 668 du Persa. Dans ce passage , en effet , le leno a acheté
60 mines une fille (v.667) qui d'après son interlocuteur en vaudrait 300
(v.668). L-, leno aurait donc un lucrum de 240 mines. Ailleurs le gain serait
de 3OO philippes (273)· Mais la plupart du temps , le profit n'est pas évalué
et quelquefois même le lucrum désigne le profit en général , comme dans le
fameux prologue de l'Amphitryon , lorsque Mercure affirme présider aux gains
des spectateurs :

"Vt uos in uostris uoltis mercimoniis


Emundis uendundisque me laetum lucris
Adficere atque adiuuare in rébus omnibus" .
Dans ce cas , il est souvent opposé à malum (Ru. 924) (Men.356) ou damnura
(Cap. 327) (Ci.50).
Ce profit désigné par lucrum est en quelque sorte imprévu, à la différensce
de celui qu'exprime quaestus , la rémunération. D'ailleurs E.Benveniste , dans
le Vocabulaire des Institutions Indo-Européennes , tome I page 168, rapproche
lucrum ( <C lautlom) du gotique laun qui signifie "un don de faveur ou un
avantage gagné par une activité qui n'est pas un travail ordinaire ...proprement
202

une "grâce "obtenue ou un "prix" remporté ".


En dehors de cet aspect inattendu du profit , peut-on déceler d'autres
traits de signification ? Deux séries d'emplois semblent riches d'enseignement,
dans le domaine de la connotation du moins.
a) Avec lucrum, le gain est senti comme un bienfait qui illumine la vie
du bénéficiaire. Ceci apparaît notamment au vers 326 des Captifs , avec le tour
multos iam lucrum lutulentos homines reddidit : " le gain a souvent sali
bien des hommes ". Le rapprochement antithétique entre lucrum et
lutulentos n'est évidemment pas gratuit. Sans doute lucrum était-il, à tort,
rapproché confusément de la racine de la lumière. Cette assimilation ne fait
aucun doute lorsqu'on examine le vers 515 du Persa :
"(nescis) neque quam tibi Fortuna faculam lucrifera adlucere uolt"
"(tu ne saie) quelle petite torche la fortune lucrifère veut faire
briller pour toi " (Traduction littérale).
Nous notons le même rapprochement avec la racine de la lumière au vers
712 du Persa :
"Ne hic tibi dies inluxit lucrificabilis"
" Assurément, le jour qui vient de luire est pour toi un jour de
prospérité ".
Cette parenté entre la richesse et la lumière est particulièrement
sensible avec lucrum , mais elle se révèle aussi avec d'autres termes , comme nous
1 'étudierons systématiquement dans la partie thématique (274).

b) Le bénéfice est donc considéré comme un élément qui épanouit l'homme,


le rend radieux, et il apparaît aussi comme doué d'un pouvoir tel qu'il est
personnifié, ou plus précisément, qu'il emprunte momentanément les attributs
de l'homme qui est , pour le bénéficiaire, la cause du profit. En effet , le
leno qui voit avancer celui qu'il croit être sa future proie , déclare en a
parte :
" ...It ad me lucrum ".
Mais c'est une véritable personnification de lucrum que contient
l'inscription non plautinienne il est vrai , de Salue lucrum. De même en effet que
l'on accueille un ami avec joie , au seuil de sa maison et encore avec plus
d'enthousiasme s'il n'est pas attendu , de même le profit est reçu avec
empressement, surtout lorsqu'il est inespéré (2).
- 203 -

CONCLUSION SUR L'EXPRESSION DE LA RICHESSE DANS LE CORPUS


PLAUTINIEN
Au terme de cette première partie analytique, il apparaît que le
champ de la pauvreté s'articule essentiellement sur l'axe du degré de
l'indigence, avec quelques variations concernant l'activité / passivité du sujet
démuni. Le champ de la richesse est beaucoup plus complexe. En effet ,
l'expression de la richesse d'un personnage est très variée dans le corpus
plautinien, d'une part selon la nature des biens en question, riches:--^ en numérai·
re( argentum , aurum ) ou non précisée ( tous les autres termes ), et d'autre
part selon la réalisation de certains effets, essentiellement l'ostentation
(des biens ), la solidité ( de l'avoir ) et la mobilité ( des richesse'···)
en plus , l vid^mn" -at de la quantité de l'avoir possédé. Ces effets seront
examinés d'une manière synthétique dans la seconde partie. Mais il est
également possible , pour cerner d'une manière nouvelle l'originalité du système
latin de la possession de le comparer avec le donné français correspondant.
Nous constatons alors que le français possède ,pour exprimer la richesse
d'un individu des tours tout à fait voisins. Nous pouvons ici , en un
rapide parallèle , proposer les correspondances suivantes:

il est riche diues est


il a de la fortune diuitias habet
il a du bien rem habet
il possède de grands biens bona habet
il a des ressources opes
copiae
-*- ? alicui
, . sunt

Mais les tours les plus originaux par rapport au latin sont dus à la
réalisation effective du sème marquant la nature de l'avoir. On distingue
en effet dans le système français contemporain le capital et les revenus. Le
capital est suggéré par les formules : il a du bien / des biens / de la fortune,
et les apports périodiques par les expressions : il a des ressources / des
revenus/ un gros salaire... Cela semble un trait de civilisation. Le nombre
et la fréquence de ces expressions correspondent à un état de fait qui est le
suivant : la richesse des individus semble due aux apports réguliers constitués
204 -

par les traitements ( qui sont d'ailleurs eux-mêmes désignés par un assez grand
nombre de termes selon la fonction accomplie par l'individu). Or cette forme
de richesse n'existait pas à Rome , ou du moins pas de façon aussi systématique.
Plus exactement , le monde que nous montre Plaute n'est pas un monde de
salariés au revenu régulier , mais un univers d'esclaves et de serviteurs plus ou
moins soumis au bon plaisir de leur maître , ou encore celui de commerçants
avides d'amplifier leurs gains , selon les occasions offertes.

Toutefois l'étude des emplois latins qui aboutit aux traits distinctifs
des différents lexèmes mat en valeur deux critères : un critère d'entassement,
parfois désigné par le terme quantité des biens ( que cet entassement soit étalé
ou non ) , et un critère de mobilité des biens, lorsque les biens sont vus comme
des moyens servant à tel ou tel usage. Or cette mobilité (275) suggère une
certaine circulation des biens , qui n'est pas sans évoquer les faits de langue
et les réalités qu'offre justement le monde moderne des s^' -aires. Sans doute , 1«
double visage du bien possédé/entassé/ étalé et mobilisable/ servant à
acheter est-il une composante universelle de l'apprénension de la richesse
par l'homme ?
- 205

INTRODUCTION GENERALE A LA SECONDE PARTIE

Dans notre première partie, nous avons essayé de décomposer les lexèmes
en traits sémiques, en distinguant à partir des contextes des éléments
constitutifs, appelés sèmes constants, des éléments moins essentiels nommés sèmes
virtuels. Les lexèmes qui font partie du champ sémantique de la possession se
distinguent donc par leur configuration particulière en traits sémiques ,
notamment en traits virtuels. Nous avons d'ailleurs à l'issue dé certaines
études analytiques esquissé des rapprochements entre les divers lexèmes à
partir de leur composition sémique. Mais une étude d'ensemble reste à mener , qui
se proposerait de situer les lexèmes les uns par rapport aux autres , c'est-
à-dire de structurer le lexique de la possession. Cela ne signifie pas que
nous introduirons à tout prix un ordre complexe là où il n'existe pas, cela
implique seulement que nous essaierons de discerner les rapports qui existent
entre les différents lexèmes en fonction.
L'étude systématique de ces relations sera menée grâce aux résultats
obtenus dans la première partie , c'est-à-dire à partir des sèmes constants et
virtuels des lexèmes. Il faudra en même temps recourir au texte plautinien
lui-même. Ce va-et-vient constant entre les résultats de la première partie
et le texte lui-même , d'une part évitera un développement trop abstrait,
d'autre part surtout permettra une recherche plus fructueuse des éléments
communs aux divers lexèmes et qui n'étaient pas apparus très clairement lors
de la démarche analytique qui morcelait la signification.

Ce qui attire d'abord l'attention , lorsque nous considérons l'ensemble


des lexèmes qui constituent le champ sémantique de la possession , ce sont les
oppositions qui sont réalisées dans les deux domaines antithétiques de la ri*
chesse et de la pauvreté. Comment se manifeste concrètement cette antithèse?
Elle apparaît d'abord sur le plan syntagmatique , ce qui justifiera une étude
stylistique du couple diues-pauper.
Mais cette opposition dépasse le simple niveau de la notation et régit
toute une thématique. Nous examinerons donc ces oppositions qui relèvent de
la connotation et suivant lesquelles richesse et pauvreté sont associées aux
thèmes antithétiques de la force et de la faiblesse ou de la lumière et de
l'ombre.
- 206 -

Après avoir mis en lumière les oppositions réalisées par les lexèmes
antithétiques sur le plan syntagmatique et au niveau de la connotation, nous
essaierons de cerner les rapports qui unissent tous les lexèmes du champ de la
possession. Nous les situerons sur l'échelle de la quantité des biens possédés
grâce à l'axe quantitatif qui constitue l'articulation principale du champ et
qui est obtenu par les données des sèmes constants. Cet axe est évidemment
essentiel puisque c'est l'existence ou la non-existence des biens de possession
qui articule le champ.
Mais d'autres systèmes plus subtils se greffent sur le premier , fondés
sur le jeu des sèmes virtuels. Il s'agit essentiellement des catégories de
l'activité (du possédant), de la manifestation ( du bien possédé) et de la
permanence (du bien possédé), chaque terme occupant une situation particulière par
rapport à ces catégories.
L'étude des lexèmes antithétiques désignant le sujet possédant constituera
notre première partie ( composée des chapitres I,-II et III ) .La structuration
de tout le champ de la possession (Chapitre IV ) formera un second ensemble.
Il restera désormais à éclairer d'une manière nouvelle la série des lexèmes
désignant le bien possédé , res , diuitiae , bona , opes , copiae, argentum et
aurum (Chapitre V ) .
Nous rappellerons dans quel cadre d'emploi ces lexèmes apparaissent le
plus souvent , pour mettre en lumière l'importance de schéma dynamique selon
lequel le bien n'est pas vu comme immobile , en la possession du sujet , mais
en mouvement , que le sujet soit en train de l'acquérir , de l'usurper ou de
le quémander. Ces lexèmes , ß 'ils sont utilisés dans des cas comparables , ont
toutefois des particularités d'emploi, liées à leur profil sémique. Mais au-
delà de ces particularités se rencontrent des éléments fondamentaux , commune
à tous les lexèmes et qu'une étude stylistique permettra de mieux cerner , grâce
aux procédés qui soulignent les effets de sens .
- 207 -

CHAPITRE I
ETUDE DES ANTITHESES

Nous étudions ici les qualifications antithétiques du sujet et de son


étif!:, c · (:;■-. i; -à -dire le couple possédant/ non possédant ou riche / pauvre-,
ai;i?i oue richesse / pauvreté. 11 faut en effet examiner ces désignations
par couples car elles se manifestent ainsi dans un asae? grand nombre de
ca,->. Notre étude se fixe donc comme terrain les syntagme^ qui réunissent les
syntagme? dit;-. Hntithstiquee .
Quels sont exactement f,es lexèmera an fcithétiquep ? Il existe les couples
suivants:
diues.·, opulentus v& pauper
opulen tissumus vs mendirus
rex vs parasitus
On peut évoquer aussi les locutions qui s'appliquent à l'état de possession:
in diuitiis vs in paupertate
copia vs inopia
rem habere vs egere (27o)
Le premier couple cité est le plus fréquent dans l'ensemble du corpus
plautinien. Et ses principaux emplois se trouvent réunis dans l'Aululaire. Il
est donc intéressant de l'étudier systématiquement dans cette comédie. Cette
opposition y est en effet privilégiée grâce à la présence des deux personnages
Mégadoré et Euclion qui s'affrontent dramatiquement.
Quelle sera la démarche suivie lors de cette étude ? Nous avons constaté
que les syntagmes qui contiennent les lexèmes antithétiques sont constitués de
façon à produire des effets sur le plan du style et ces effets nous semblent
souligner certains sèmes propres à nos lexèmes. Ce sont ces procédés stylistiques
que nous voulons étudier ici.
- 208 -

ETUDE DlT COUPLE DIVES /PAVPEH ET DE SES VARIANTES DANS


L'AULULAIRE
Nous devons tout d'abord signaler que diues est souvent employé avec
pauper et qu'opulentus ne l'est jamais sans pauper (277). Les deux termes
semblent donc se définir essentiellement l'un par rapport à l'autre ,
constituant ainsi les oppositions :
petite / grande fortune ( dans le cas de pauper /diues)
petite / grande apparence ( dans le cas de pauper / opulentus) .
Nous relevons essentiellement deux procédés stylistiques dans les
passages où se manifeste le couple antithétique diues ( ou opulentus ) / pauper.
Le premier type relève de l'exploitation que fait Plaute des diverses
possibilités dans l'ordre des mots , tandis que le second concerne les effets de
syntaxe.

a) Ordre des mots


Avant d'aborder ce chapitre , il convient de préciser que , l'ordre des
mots étant souple en latin , ce qu'on considère comme un bouleversement à
valeur stylistique n'est peut-être pas aussi pertinent qu'en français (278).
Toutefois , la récurrence de certains types de déplacements ne peut pas être
gratuite. Ainsi 1er différentes combinaisons dans l'oraredes mots semblent
permettre la réalisation de trois effets :
1) effet de priorité d'un terme sur l'autre
2) effet de rapprochement artificiel entre les lexèmes
3) effet d'annexion d'un terme par l'autre

Considérons successivement ces trois effets. En fait , les trois procédés


sont associés pour la réalisation d'un effet global mais nous devons les
distinguer pour les étudier méthodiquement.

1) Effet de priorité

Dans tous les cas , opulentus ou diues est cité avant pauper dans la
phrase, quelles que soient les fonctions syntaxiques , ce qui suggère que
- 2O9 -

l'initiative est plutôt prise par le diues , le paupoi ne faisant que réagir.
Nous pouvons citer les exemples suivante :
" Non temerariumst, ubi diues blande appel! at pauperem "(A
" Nemini credo qui large blandust diues pauperi " (Au. 196).
Dans les deux cas , le lexème qui désigne le pauvre est cité en fin do
phrase et de vers. On imagine alors qu'Euclion ( car c'est lui qui parle dens
les deux cas ) termine sa phrase sur un soupir en prononçant les mots de
pauperem et pauperi. Mais on peut objecter que dans ces cas précis la priorité
accordée à diues par rapport à pauper est attendue à cause de sa fonction de
sujet du verbe da la phrase.
Un autre exemple sera plus probant ; il s'agit des vers 226 et 227 de
l'Aululaire :
" Venit hoc mihi, Megadore , in mentem , te esse hominem diuitem,
Factiosum, me item esse hominem pauper um pauperrimum ".
Il y a là effet stylistique car l'usage se trouve transgresse; en effet,
en latin , celui qui parle se cite le premier , c'est-à-dire qu'on trouve
habituellement ego et tu et non tu et ego. Or dans l'exemple de l'Aululaire que
nous venons de citer , Euclion commence par te et poursuit par me. La même
disposition se rencontre dans les vers suivants avec :
" Nunc si filiam locassim meam tibi, in mentem uenit
Te bouem esse et me esse asellum ...".

2) Effet de rapprochement artificiel suggérant la distance réelle

Si les deux lexèmes sont rapprochés dans la phrase , ce n'est qu'au prix
d'un artifice. En effet, la souplesse dans l'ordre des mots en latin permet des
déplacements à valeur stylistique. Il existe un ordre banal et cet ordre est
souvent bouleversé. Ainsi , la séquence habituelle sujet-verbe se trouve
modifiée au vers 196 cité au paragraphe précédent. Dans ce cas , le sujet diues
est placé après le verbe qu'il gouverne et ainsi se trouve rapproché
artificiellement du complément. On peut d'ailleurs aller plus loin à propos de cet
- 210 -

Himip! ..ï Ε;- effet , l'expression normale aurait été "nemini diuiti credo qui. '' .

C est- i - ri ;-:> que Plaute ( peut-être aussi pour des raisons métriques maie F,;n;"
loute aussi vcc une autre intention ) a choisi d'employer diuer- à côté de jp&u-
pcri au prix d'une structure un peu compliquée, en tout cas asse?, inattendue ,
et qU:? cel'i l'a amené au.isi à donner à diue_s la fonction de sujet. Νου fi
étudierons à part les procédés d'ordre syntaxique , mais cet exemple nous fait
sentir que les procédés dans l'ordre d *.·;.. mots et dans la syntaxe sont liés.
L'artifice de ce rapprochement entre le riche et le pauvre est d'ailleurs
très bien mis en valeur dans l'apologue du boeuf et de l'Sne qui se termine par
ce vers :
" Hoc magnum est periclum, me ab asinis ad boues transcendere"
(v.235) (279).
L'aspect artificiel du rapprochement diues / pauper suggère donc que,
danc la réalité , c'est un fossé qui sépare les deux individus , d'ailleurs le
préverbe trans- suggère une distance réelle. La même distance se manifeste au
vers 18^ , cité lui aussi précédemment. Ici , le groupe blande appellat unit
diues et pauperem mais cette union est précaire comme l'indique le début du
vers suivant non temerariumst qui implique une intention maléfique de la part
du diues.
Au couple antithétique pauper/ diues ressemble celui de pauper/opulentus,
dont la manifestation dans la phrase est similaire et présente notamment le
même rapprochement artificiel.
Ainsi aux vers ^60 et *+6i , le rapprochement opulento pauper est lui
aussi placé sous le signe du danger , puisque le début de la phrase est "facinus
audax incipit" . Ce risque entrevu aux vers 46Ο-Λ61 engendre la crainte aux
vers 2^7-2^8 :
"Nara si opulentus it petitum pauperioris gratiam,
Pauper metuit congrediri "
Mais revenons aux vers ^60-461 qui offrent un bon exemple de l'effet
d'annexion.
- 2U -

3) Effet d'annexion

Tout repose sur la disposition des lexèmes dans le groupe cum opulento
pauper homine . Après avoir rappelé la réalisation dans cette séquence des
deux effets étudiés précédemment ( priorité et rapprochement artificiel) ,
nous pouvons noter qu 'opulento et homine se trouvent disjoints , ce qui
permet l'inclusion de pauper entre les deux ; il semble alors que le pauper est
victime d'une véritable annexion par le riche. D'ailleurs l'effet n'est pas
gratuit car, deux vers plus loin, Euclion compare les riches à des pieuvres :
"Vbi manum inicit bénigne , ibi onerat aliquam zamiam.
Ego istos noui polypos qui ubi quicquid tetigerunt tenent "
( Au. 197, 8).
Etudions aussi le décalage produit grâce à l'ordre des mots dans les
vers 226 et 227 :
" Veiiit hoc mihi, Megadore, in mentem te esse hominem diuitem,
Factiosum, me item esse horainem pauperem pauperrimum ".
Apparemment, nous avons ici un parallélisme , c'est-à-dire que les
expressions hominem diuitem factiosum et hominem pauperem pauperrimum sont
mises sur le même plan. Or, nous pouvons remarquer que le groupe consacré au
riche ( hominem diuitem factiosum) empiète sur le vers consacré au pauper ,
de par le rejet de factiosum. Ainsi , la disposition des termes semble-t-elle
suggérer que le domaine du pauper est "rogné" par les agissements du riche.
Cette image nous est , croyons-nous , permise par Plaute lui-même qui compare,
nous l'avons-vu , les diuites à des pieuvres qui étouffent lentement mais
sûrement les pauperes qu'elles attaquent (280) .
Ces effets de "réduction" du pauper par le diues évoquent une image
très plautinienne , celle qui fait du bien que l'on escroque un aliment dont
on se repaît (281). Mais ces procédés basés sur la souplesse dans l'ordre
des mots ne sont pas isolés; ils sont soulignés par d'autres effets , d'ordre
syntaxique .

b) Effets syntaxiques

Dans la plupart des cas, diues ou opulentus se trouvent employés au


nominatif (282) . Dans un cas évoqué plus haut , on trouve même le nominatif
- 212 -

au lieu du datif attendu (283)· Une seule fois , diues est à l'accusatif mais
en tant qu'agent dans la proposition infinitive (28*0.
A deux reprises , pauper est sujet du verbe mais il s'agit d'un verbe de
crainte avec :
11 Pauper metuit congrediri "(Au.
ou dan s une proposition qui implique une certaine méfiance ressentie par le
pauper :
" ... facinus audax incipit
Qui cum opulento pauper homine rem habere aut negotiura "
(Au.460,1).
Les mêmes remarques peuvent être faites à propos des vers ^79 et
480 de la même comédie :
" (si idem faciant ceteri)
Opulentiores pauperiorum filias
Vt indotatas ducant uxores domum
(Et multo fiât ciuitas conoordior. . .)" .
Sans ce passage , le groupe filias indotatas est complément d'objet
direct de ducant tandis que dix vers plus loin l'expression diuites dotatae
est sujet du verbe nubent .
Toutes ces remarques tendent à suggérer que, dans l'intrigue plautini-
enne du moine, le riche agit et le pauvre subit (285).
- 213 -

LES COUPLES ANTITHETIQUES DANS LES AUTRES COMEDIES

a) Pauper/ diues
Un emploi analogue à ceux de l'Aululaire se trouve au vers 532 de la Ci.·--
tel.laria :
11 Postremo quando aequa lege pauperi cum diuite
Non licet , perdam operam potius quam carebo filia ".
Ici encore , grâce au début de vers qui fait illusion avec aequa lege
et à la fin de la même proposition qui détruit brutalement l'illusion avec
le coupant non licet en rejet , nous sentons qu'est trompeuse l'assimilation
des deux personnages du diues et du pauper.
C'sst d'ailleurs toujours le même décalage qui est suggéré entre les
deux catégories antithétiques, grâce aux deux attitudes que l'on évoque chez
l'homme de bien qui pratique ce qui est juste , ainsi au vers 829 du Trinum-
—- ' " Pauperibus te parcere solitum , diuites damnare atque domare".
La différence de traitement , indulgence d'un côté et condamnation de
l'autre, condamnation dont la dureté est marquée par le redoublement produit
par damnare atque domare , correspond à la différence de nature entre les deux
catégories .
Mais dans l'exemple du vers 220 du Trinummus , l'antithèse s'accompagne
d'une relation de complémentarité:
" Nos diuitem istum meminimus atque iste pauperes nos ".
Dans ce passage, la suivante de la courtisane se félicite de voir
l'amant de sa maîtresse absolument ruiné par cette dernière. Il s'agit alors
plutôt que d'une opposition entre deux catégories antithétiques , d'une sorte
de glissement , de retournement de situation; d'ailleurs l'expression sese
uerterunt memoriae suit immédiatement le vers 220. Une telle possibilité de
changement est paradoxale. Elle semble en effet contredire l'opposition
essentielle entre pauper et diues, deux types d'hommes dont nous avons dit
qu'ils étaient permanents. Il serait en effet inconcevable que le diues
devînt un pauper du jour au lendemain et vice versa mais la structure comique
- 214 -

des pièces de Plaute permet ces sortes de révolutions , essentiellement


grâce à la rapacité proverbiale des meretrices (286) .
Au vers 13^ du Stichus , nous observons un retournement comparable de
situation :
"Idem animust in paupertate qui olim in diuitiis fuit ".
Dans ce passage , la jeune femme qui affirme courageusement vouloir
rester fidèle à son mari parti faire fortune sur mer , oppose deux états
successifs , in diuitiis / in paupertate (287). Les raisons de ce changement de
fortune ne sont pas données . Ce qui est souligné en revanche , c'est , grâce à
la mise en valeur en début de vers et de phrase de idem animust , la
permanence de l'attitude de la jeune femme alors que le revers de fortune aurait pu
s'accompagner d'une certaine aigreur vis-à-vis de son mari et du désir de
quitter cette situation embarrassée, ce que lui conseillait d'ailleurs
vivement son propre pèrn .
Le fait que le emportement des individus varie habituellement selon
qu'ils se trouvent devant un pauper ou un diues souligne bien la différence
de nature qui existe entre le pauper et le diues.
Diues et pauper se trouvent encore opposés aux vers 515 sqq. du Poenulus:
"Heus tu, quanquam nos uidemur tibi plebeii et pauperes,
Si nec recte dicis nobis diues de summo loco,
Diuitem audacter solemus mactare infortunio ".
Notons qu'ici les pauperes sont représentés comme formant un groupe
alors que le diues est seul. Le parallélisme n'est donc pas absolu. Ceci
tient bien entendu au contexte mais il reste que la structure de la phrase
tend à suggérer qu'en face de l'homme riche et puissant ( diues de summo loco)
il ne faut pas moins qu'un groupe de pauperes pour lui donner la réplique. De
plus , dans cet exemple , contrairement à ce que nous avons vu dans l'Aululaire,
1·· pauperes se révoltent en face des diuitea maie il s'agit d'une rébellion
en paroles , non en actes.
- 215 -

b) Mendicus /opulentissumus
L'écart entre le riche et le pauvre est encore plus grand lorsque
d'autres lexèmes sont employés à savoir opulentissimus et mendicus , comme
aux vers ^93 »^9^ du Trinummus :
" Aequo mendicus atque ille opulentissumus
Censetur censu ad Accheruntem mortuus ".
L'emploi de mendicus évoque l'indigence extrême et celui de la forme
superlative de l'adjectif, soulignée par le laudatif ille , ainsi que par
le volume de l'expression tout entière avec ses sept syllabes en face des
trois de mendicus , la richesse la plus immense. A vrai dire , le
rapprochement qualifié d'artificiel pour les exemples cités plus haut (288), ne l'est
plus ici , et les deux termes aequo censu enserrent de la même manière itenr
dicus atque ille opulentissumus. En effet , la situation évoquée est celle
des enfers où précisément il n'y a plus aux yeux des juges de différence de
nature entre le riche et le pauvre. Ainsi , la situation évoquée au vers
532 de la Cistellaria :
" Aequa lege pauperi cum diuite ( non licet)"
ne s'oppose pas à la constatation faite à propos du vers ^93 du Trinummus ,
mais la complète ; si dans les enfers règne la véritable jtistice , c'est
peut-être parce que sur la terre elle ne se réalise pas (289) ·

c) Oppositions secondaires
A ces oppositions qu'on pourrait qualifier d'essentielles ( puisqu'il
s'agit d'espèces d'hommes qui s'opposent en tout dans leur attitude comme
dans les réactions qu'elles inspirent à autrui ) s'ajoutent des antithèses
moins importantes. On oppose ainsi un état momentané de possession à une
situation de dénuement comme avec le couple rem habere/egere (Tru.7^5 )
ou avec le couple copia / inopia.
L'état de besoin que marque inopia n'est pas nécessairement permanent,
c'est un dénuement parfois provisoire car il peut être comblé par la
générosité des autres qui possèdent l'abondance , la copia . Ainsi trouvons nous
au vers 8? de la Vidularia :
- 216 -

"Qum mihi qui uiuam oopian inopi facls "


ou au vers 617 du Rudens :
" Ferte opem inopiae ...".
Ces oppositions sont moins fréquentes que les premières citées et
étudiées , ce qui n'est pas étonnant car il ne s'agit pas d'états antinomiques
définissant des personnages antithétiques mais de circonstances différentes
soumises à des variations.
Un dernier couple antithétique reste encore à étudier , celui qui oppose
le protégé à son bienfaiteur , parasitus à rex. Les deux états sont cette
fois bien définis mais le décalage entre les deux situations financières ne
se double pas d'une hostilité comme celle qui existe entre le diues et le
pauper. Il y a même entre rex et paraeitus une réciprocité de services rendus.
Toutefois , le seul rêve du parasitas est d'accéder un jour à la fortune de
celui qu'il appelle son rex (290) -Ainsi au vers 825 des Captifs , la différence
entre les deux états de rex et parasitus apparaît grâce à l'opposition des
termes non / sed :
" Non ego nunc parasitus sum , sed regum rex regalior
( Tantus uentri commeatus meo adest in portu cibus ) " .
Ergasile , le parasite d'Hégion , proclame ici sa joie car il vient
d'apprendre que le fils que son maître avait tant cherché est enfin retrouvé;
ce retour devrait inciter Hégion à la générosité , générosité qui fera du
pauvre hère d'Ergasile, un roi parmi les rois , dit-il en plaisantant (291).

Ainsi voyons -nous les différents procédés stylistiques souligner des


éléments importants dans la structure de notre champ sémantique. Il nous
semble que c'est l'effet de supériorité qui éclate le plus nettement. Cette
supériorité avait été mise en valeur à propos de l'étude de diues et de celle
de pauper (292), nous savons désormais qu'elle est constante et que tous les
lexèmes qui signifient riche comportent cette nuance de supériorité au moins
virtuelle sur le pauvre .
- 217 -

CHAPITRE II
ETUDE THEMATIQUE : LES IMAGES STATIQUES

L'étude stylistique du couple diues/pauper et de ses variantes fait


ressortir la supériorité du riche sur le pauvre. Cette supériorité qui est
apparue essentiellement grâce aux effets de priorité et d'annexion se manifeste
aussi dans la connotation. En effet , parmi les thèmes doubles qui
accompagnent nos lexèmes antithétiques , nous notons en bonne place le thème de la
hauteur opposée à la bassesse. Ce thème de l'altitude n'est pas le seul à
caractériser les lexèmes concernés. Nous relevons d'autres thèmes qui constituent
dans leur ensemble une sorte d'imagerie de la richesse et de la pauvreté. Trois
séries thématiques peuvent être distinguées.
La première est celle de la grandeur. La grandeur recouvre des images
plus simples , qui sont celles de l'altitude , de la surface et du volume.
La seconde série thématique nous semble être celle de la plénitude qui recouvre
elle-même des images de poids, de rondeur et de graisse. La troisième série
thématique est peut-être moins complexe, c'est celle de la lumière qui
s'oppose à l'ombre. La lumière peut prendre l'aspect de l'éclat , celui de l'or en
particulier, et l'ombre peut apparaître sous la forme de la saleté qui souvent
accompagne l'indigence.
Avant de passer à l'étude de ces différentes séries thématiques, il
convient de faire les remarques suivantes.
1) L'ordre dans lequel sent présentées ces séries est arbitraire.

2) Ce morcellement en séries thématiques n'est d'ailleurs pas absolument


satisfaisant. En effet, il y a parfois chevauchement d'une série thématique
sur l'autre; ainsi le haut se mêle au lourd dans l'expression du Miles :
" Argenti montes non massas habet "(v.1065).

3) Enfin, les thèmes doivent être étudiés par paires. Il est impossible
d'affirmer que la richesse en soi sous-tend des images de force et de poids
écrasant. En effet , notre corpus contient également des expressions selon
lesquelles la pauvreté est ressentie comme un fardeau écrasant. En fait, la
richesse est assimilée au poids qui accable le pauvre et les deux éléments
doivent être présents au moins implicitement. Nous trouvons donc ici une
manifestation de l'aspect structural de l'expression , selon lequel les éléments
ne prennent tout leur sens que lorsqu'ils sont intégrés dans un ensemble.
218 -

I Série dimensionnell e

La première série rassemble des donnée.·? qu'on pourrait qualifier de


dimensionnelles. Elle contient en effet le, éléments suivants :
a) l'altitude
b) la surface , le volume
toutes notions combinées dans l'idée cîe grandeur.

a) l'altitude

Elle semble liée à la richesse (295)· En effet, le diues occupe le


sommet de la hiérarchie sociale , nous l'avons montré dans l'étude
analytique du ] oxèrae (29^)· L'expression diues de summo loco , "le riche , de
haut parage" est d'ailleurs révélatrice au vers 516 du Poem.lus. Un tour
comparable se rencontre au vers 227 du Pseudolus. Le leno Rallion y appelle
une de ses courtisanes delioiae summatum uirum , "toi qui es recherchée
par les hommes de la haute". Le lexème summas est employé plusieurs fois
par Plaute pour évoquer la puissance sociale d'un personnage. Cette
importance n'est pas toujours associée explicitement à la richesse. Ainsi il
semble qu'au vers 25 de la Cistellaria , summatis matronas désigne avant tout
les dames nobles et qu'au vers 492 du Stiehus , l'expression summates uiri
s'applique à la notoriété des personnages tout autant qu'à leur richesse,
puisqu'il s'agit d'ambassadeurs. En revanche, la richesse matérielle est
essentiellement désignée par le passage précité du Pseudolus avec summa tum uirum.
En effet, le leno explique à la courtisane que si ses amants n'ont pas
envoyé force biens de leurs domaines, elle sera elle-même sévèrement punie, ce
qui souligne leur prospérité. Mais l'expression de summo loco appliquée
à diues, ainsi que le terme sumrn.'s sont peut-être déjà chez Plaute
stéréotypés et ne contiennent par conséquent plur. qu'une image très floue.
En .-evanche, l'élévation du diues par rapport au pauper est bien
sensible dans un célèbre passage de l'Aululaire. A la fin de l'apologue dans
lequel Euclion fjssimiie les riches à des boeufs et les pauvres à des ânes et sur
lequel nous reviendrons systématiquement (295), il emploie le verbe transeen-
219 -

dere pour désigner ce passage de la catégorie des ânes à celle des boeufs,
autrement dit de celle des pauperes à celle des diuites. Le choix du verbe
implique en effet une montée d'un point inférieur à un supérieur, c'est-à-dire
une ascension à proprement parler. D'ailleurs l'âne en butte aux attaques des
puissants boue,i est représenté comme gisant dans la boue , ce qui souligne
son infériorité , aux vers 229-?30 :
" ... ubi tecurr. couiunctus siem
Vbi onus nequeam ferre pariter, iacef*m ego asinus in luto ".
L'homme riche qui se ruine connaît une décadence au sens propre. C'est
ce que suggèrent les aveux de Tyndare , dans la comédie des Captifs, aux vers
298 sqq. Ce fils de famille ( il parle en effet au début de sa tirade de
meam nobilitatem, genus , diuitias meas ) a perdu la liberté et tous ses
biens puisqu'il est devenu prisonnier de guerre; il caractérise ainsi cette
double transf orm^4""* or au vers 305 ·'
" Me y.n liber fueram seruum fecit, e sum rie ir.fimum "
" (La fortune) de moi qui étais libre , a fait un esclave, du
plus haut rang, elle m'a précipité au plus bas ".
La première pirtie du vers est à rapprocher de genus du vers 299 et
la seconde avec l'image de chute de diuitias du même vern. Dans cet exemple
également , l'élévation du riche ne prend son sens que par rapport à
l'abaissement du pauvre (296).
La hauteur semble également liée à la richesse lorsqu'on envisage les
biens en eux- mêmec , vus indépendamment de leur possesseur. Ainsi au début
du Stiehus , Panégyris évoque les richesses légendaires des rois de Perse :
" . . .Persarum
Montis qui esse aurei perhibentur "(v.25).
La présence de l'or et l'image de la montagne soulignent le caractère
fabuleux de ces richesses telles qu'Hérodote les évoque dans les fables sur
les Gryphons et les Arimaspes ( _K. IV 13) (297), fables auxquelles fait
allusion l'esclave Strobile dans l'Aululaire, aux vers 701 et 702 :
- 22? -

" Picis diuitiis qui aureos montis colunt


Ego solus supero ..."
C'est encore la hauteur de la montagne qui apparaît dans une
désignation fantaisiste du Miles , aux vers 1064 et 1065 :
" ... Praeter thensauros
Tum argenti montis , non massas habet . Aetna mens non aeque
altust ".
Dans le passage du Pseudolus évoqué plus haut à propos de l'expression
eummatum uirum , la richesse des amants d'Hédylie , la bonne amie des
marchande d'huile , est illustrée par l'emploi du vers 189 qui exploite lui
aussi cette image de la hauteur des biens considérés :
" Quibus cunctie montes maxumi frumenti aeerui sunt domi ".

b) la surface , le volume
D'une manière générale , noue pouvons dire que chez Plaute l'homme
qualifié de pauper occupe une place limitée , tandis que celui qui est
réputé diues s'étale avantageusement.
Ainsi alore que le diues prend des initiatives vie à vis du pauper ,
ce dernier n'ose pas axancer , reste comme paralysé , replié sur lui-même,
comme le reconnaît Euclion aux vers 248 et 249 de l'Aululaire :
" Nam si opulentus it petitum pauperioris gratiam,
Pauper metuit congrediri ; per me tum maie rem gerit ".
Dans la même ligne , lee pauvres parasitée sont qualifiée de nnisub-
eelli niri en deux endroits , aux vers 471 des Captifs et 489 du Stichue.
Toutefois il faut dire que dane les deux cas les éditeurs anciens lisent
imi aubselli , du bas bout de la table , ce qui nous ramène à la catégorie
précédente , celle de la baeeesse qui s'oppose à l'altitude (298)· Plaute
semble avoir forgé cette expression d ? unisubsellium ou "tabouret pour un"
car les parasites n'étaient pas admis à prendre place sur les lits de
table· On les isolait et on leur donnait une place restreinte.
En revanche, le diues , ou mieux enoore 1' opulentus , s'étale ,
notamment dane lee banqueté , alors que le pauvre et le parasite sont serrée.
Par exemple , aux vers 468 sqq. du Trinummue , on évoque un banquet auquel
aeeiete un opulentus , et la place qu'il oeoupe se manifeste par
- 221 -

l'abondance des mots entassés devant lui :


" . . Si in aedem ad cenam ueneris
Atque ibi opulentus tibi par forte obuenerit
Adposita cena sit popularem quam uocant
Si illi congestae sint epulae a cluentibus
Si quid tibi placeat quod illi congestum siet,
Edisne an incenatus eum opulento accubes ?"
Nous relevons la même image d'étroitesse associée à la pauvreté dans le
verbe qu'utilise Tyndare dans un passage commenté plus haut au vers 304 des
Captifs :
"Sed uiden ? fortuna humana fingit artatque ut lubet "
"Mais vois-tu ? La fortune façonne le sort des humains et le
"resserre" à son gré ".
La traduction d'A. Ernout par "abaisse" est approximative car elle
substitue à l'image du resserrement celle de la chute, que Plaute emploie
ailleurs , au vers 305 précisément , ainsi que nous l'avons montré, avec
l'expression e summo infimum . En fait les deux images sont différentes et
même si celle de la chute est plus fréquente , celle du resserrement jusqu'au
goulot d'étranglement, existe aussi dans l'expression de l'appauvrissement.
C'est encore l'image de la surface occupée par le personnage qualifié
d'opulentus que nous rencontrons au vers 481 du Trinummus:
" Decedam ego illi de uia , de semita ".
Ainsi s'exprime l'esclave Stasime , imaginant l'attitude qu'il aurait
devant un richard , 1 'opulentus nommé aux vers 469 et 473 · Car le pauvre
devant le riche s'écarte immédiatement et c'est d'ailleurs le comportement
qu'évoquent les fameuses scènes de seruus currens que nous lisons chez Plaute.
Ainsi dans celle du Curculio :
" Nec usquatn quisquamst tam opulentus , qui mi obsistat in uia"
( vers 284) .
De même , nous notons dans la scène de seruus currens du Stiehus , au
vers 287 :
" Si rex obstabit obuiam , regem ipsum prius peruortito ".

Dans ce vers, l'esclave s'adresse à lui-même et le rex qu'il évoque correspond


exactement à 1 'opulentus du Curculio. Comment comprendre cette scène du seruus
- 222

currens et précisément ce détail ? Dans la vie réelle , les petits ( esclaves


et pauvres ) s'écartent devant les riches. Il faudrait imaginer une situation
d'une gravité exceptionnelle pour que cet ordre de choses soit bouleversé et
que l'esclave bouscule le riche et le puissant , ce qu'il feint de faire ici,
de façon comique .
La richesse semble donc du côté de la surface occupée largement et la
pauvreté du côté de l'étroitesse de la place tenue. Il est alors tentant
d'évoquer l'étymologie de locuples , "qui est comblé de place " d'où "riche en
terre", ou plutôt "qui remplit et occupe le territoire "( cf supra le chapitre
consacré à locuples ). Cette dernière analyse nous semble coïncider avec
l'image de surface investie qu'implique le système lexical de la possession en
latin.
Nous avons parlé plus haut de la surface occupée p*»1" le personnage
dit opulentus et nous avons mentionné la hauteur que sugg«r^ souvent l'emploi
de diues. Ainsi hauteur et surface c'est-à-dire volume semblent aller de pair
avec la richesse tandis que bassesse et étroitesse accompagnent plutôt la
pauvreté.
Mais les deux thèmes de hauteur et d'espace peuvent se combiner dans
celui de grandeur. En effet, ce qui est grand est à la fois haut , large et
profond. Or nous trouvons aussi chez Plaute la totalité que constitue la
grandeur du côté de la richesse. Elle nous semble suggérée par le choix du
nom du riche dans l'Aululaire. Dans cette comédie en effet , le riche
s'appelle Megadore c'est-à-dire "grandement doté" (sous-entendu de richesses). Ne
disons pas que l'allusion passait au-dessus des spectateurs car le publie
plautinien était d'un niveau supérieur à ce qu'ont cru généralement les commentateurs
(299)· Plus précisément , un grand nombre d'esclaves d'origine grecque
comprenait ce type d'allusion. En face de la grandeur suggérée par le patronyme
Megadore, que trouvons-nous pour désigner le pauvre ? Euclion, c'est-à-dire
"Bien-Famé", "qui a bonne renommée ". Or , il est traditionnel d'opposer la
bonne réputation à la richesse , comme le montre le proverbe " bonne
renommée vaut mieux que ceinture dorée ".
La grandeur du diues peut aussi se manifester sous la forme de la force.
C'est ce que montre l'emploi de l'adjectif fortis là où on attendrait locuples,
dans le Trinummus au vers 1133 · Dans cette comédie, on fait épouser à la soeur
- 223 -

d'un jeune homme ruiné par la débauche , Lesbonicus , au nom évocateur (300),
le fils d'une riche famille dont le nom est également significatif , puisqu'il
s'appelle Lysitélès (301). Or cette entreprise "matrimoniale" est ainsi
évoquée à deux endroits de la pièce, au vers 605 '·
" ...Sine dote ille illam in tantas diuitias dabit "
et au vers 1133 :
"Eum sororem despondisse suam in tam fortem familiam".
L'équivalence - in tantas diuitias = in tam fortem familiam - saute aux yeux,
puisqu'aussi bien sont équivalents d'une part les personnes en question (sujet
et objet ), (ille , illam correspondent en effet à eum et sororem ) , d'autres
part le verbe désignant l'action ( dare in faisant écho à despondisse ) .
Mais avons-nous vraiment le droit d'affirmer qu'il y a image avec
l'emploi de fortis ? E. fait , il semble que dès les origines , l'adjectif ait
désigné à la fois la force physique et la force morale , autrement dit la
robustesse et la puissance (302) .

II Plénitude

La seconde série thématique est celle de la plénitude. La plénitude peut


se décomposer en trois éléments :

a) le plein qui s'oppose au vide


b) le lourd qui s'oppose au léger
c) le gras qui s'oppose au sec.

a) Le plein
Les possessions du riche sont vues comme un tout rempli. Ainsi sont
qualifiés les trésors des riches amants qui ne sont pas encore grugés par la cour'
tisane au vers 245 du Trinummus :
" (Semper datores nouos opartet quaerere)
Qui de thensauris integris demus danunt ",
et plus nettement encore au vers 725 de la même pièce :
" Integrum et plénum adortast thensaurum ...".
La cassette d'Euclion est plenam (auri) ( Au. 709 et 821) et la ville
- 224 -

imaginaire de Chrysopolis plenam bonarum rerum ( Per .507)·


Enrichir quelqu'un se dit parfois chez PLaute " le remplir de butin" , ainsi
au vers 588 du Pseudolus :
" Inde me et simul participis omnis praeda onerabo atque opplebo"
Puisque nous préférons analyser locuples en " qui remplit et qui occupe
le territoire" plutôt qu'en "qui estu rempli de terres" , nous ne mentionnons
pas ici ce lexème étudié plus haut avec la série de la surface investie , et
nous passons directement à beatus.
L'adjectif beatus , étudié dans notre première partie parmi les
polysémiques (303) , et qui signifie proprement "rempli de" , semble parfois
l'équivalent de diues. C'est ce qui apparaît dans le vers 303 du Poenulus
où une courtisane moralisante affirme :
" Bonam ego quam beatam me esse nimio dici mauolo"
alors qu'elle a précisé au vers 301 :
"Bono me esse ingenio ornatam quam auro multo mauolo".
L'équivalence entre beatam et auro multo ornatam est en effet très nette .
Malheureusement , le vers 303 passe pour être interpolé et a été éliminé par
Ritschl. Beatus , certes , a dans certains de ses emplois , une valeur très
proche de diues , ainsi que nous l'avons souligné dans le chapitre consacré
à ce lexème , mais une nuance subsiste toujours , que souligne le vers 371
du Curculio.
Dans ce passage , un banquier fait ses comptes et affirme que s'il ne
rend pas l'argent qu'on a déposé chez lui , il semble comblé de biens :
" Beatus uideon. Subduxi ratiunculam,
Quantum aeris mihi sit quântumquë alieni siet.
Diues sum , si non reddo eis quibus debeo ".
Le choix de uideor avec beatus et celui de diues avec sum mettent l'accent
sur la différence qui existe entre les deux lexèmes. Est diues celui qui
possède réellement les biens , peut être qualifié de beatus celui que réjouissent
les biens dont il dispose. On pourrait donc dire que l'emploi conjoint de
beatus et de diues souligne une des manifestations de la richesse , à savoir
l'épanouissement de la personne comblée de biens (304) .
- 225 -

A propos de la plénitude du riche , nous pouvons citer ici un trait


assez fréquent dans la représentation du dieu qui dispense le lucrum,
Mercure. La présence Cz la bourse gonflée , motif qui remplace, dans les
images populaires , celui du caducée , nous semble assez bien illustrer ce
lien qui existe entre la richesse et la plénitude (305).
La rondeur de la bourse de Mercure, telle qu'elle apparaît sur les
parois pompéiennes , évoque une autre rondeur , celle des cornucopiae,
débordants de fruits , ronds eux aussi. On sait en effet que ce motif , qui se
réalise assez souvent dans la peinture et la sculpture romaines de l'époque
augustéenne suggère la prospérité en général et la fertilité de la terre i-
talienne en particulier (306) .
En face du riche comblé , le pauvre apparaît-il comme vide ou vidé?
L'emploi d'inanis appliqué à un pauvre tendrait à le prouver. Inanis
contient bien dans tous ses emplois plautiniens l'idée de vide , c'est-à-dire
de manque , mais il ne s'agit pas nécessairement d'un- f'nurie. d'argent.
Dans l'exemple du Stiehus , au vers 231 :
"(uendo) Parasitum inanem quo recondas reliquias ",
il s'agit du parasite à jeun, c'est-à-dire vide de nourriture. De même, au
vers 855 b du Miles , Plaute nous montre un broc qui se vide et qui se
remplit ( de vin) :
" Ea (bilibris aula ) plenam atque inanem fieri ..."
Dans l'Asinaire , au vers 660 , on évoque l'attitude normale du maître en
voyage qui est de marcher devant ( l'esclave ) , les mains vides :
" Ego ( c'est l'esclave qui parle) baiulabo , tu , ut decet
dominum, ante me ito inanis ".
C'est encore l'image du vide que l'on observe dans le Stiehus au vers
526. Mais ici Plaute joue sur les deux valeurs d'inanis , celle du vide en
général et que nous venons d'illustrer , et celle du vide d'argent . En effet,
le mari qui revient de voyage déclare avec satisfaction que sa femme l'a vidé,
ç'est-à-dire débarrassé de tout soued» :
"( Nam ita me absente familiarem uxor curauit meam )
Omnium me exilem atque inanem fecit aegritudinum ".
226

La structure de la phrase , sinon le contexte , fait attendre en effet


un complément tel que bonorum au lieu d ' aegr i tudinum . Car le personnage
qui dilapide les biens d'un autre en son absence est assez commun. De plus,
la femme dépensière est souvent prise à partie par Plaute (307) . Ici ,
l'épouse modèle a fait le contraire et l'a délivré de toute inquiétude par sa
bonne gestion.
Dans ses quatre autres emplois (308) , inanis , sans complément au
génitif , présente la valeur plus précise de " qui manque d'argent " . Mais
parfois l'image de la vacuité peut apparaître , soulignée par certains
effets , notamment le rapprochement avec des mots négatifs , comme inops.
Cette négation constitue un écho au vide suggéré par inanis , ainsi dans
les Bacchis , au vers 517 :
" Igttrir mihi inani atque inopi subblandibitur " (309).
Il apparaît donc que l'image du vide est fréquente pour caractériser
l'homme sans le sou , que cette situation soit chronique ou non . L'image
du vide se trouve d'ailleurs renforcée par la métaphore du fruit creux,
au vers 371 du Pseudolus :
" Ten , amatorem esse inuentum inanem quasi cassam nucem ?"
Image que nous retrouvons dans le Rudens au vers 1324 avec
l'expression voisine de cassam glandem · Toutefois il ne ß 'agit pas ici de
désigner un homme démuni , maie de mépriser une somme estimée trop maigre, é-
tant donné l'importance de l'objet à acquérir.
Plaute utilise parfois de façon plaisante l'opposition du plein et du
vide en évoquant la situation du pauper en difficulté. Les deux imagée se
trouvent ainsi combinées pour qualifier la maison d' Euclion dane l'Anlulai-
re au vere 84 :
" Ita inaniis sunt oppletae atque jaraneie"
" ( la maison ) est pleine de vide et de toiles d 'araignées"
( traduction littérale ) .
- 227 -

b) le lourd et le léger
Tout près du thème du plein et du vide , nous rencontrons celui du
lourd et du léger.
Le bien lui-même est décrit comme un ensemble pesant , ainsi la
marmite lourde d'or dans l'Aululaire au vers 809 ·
" Quadrilibrem aulam auro onustam habeo ..."
Le riche est caractérisé par des adjectifs qui impliquent le poids de
ses possessions . Ainsi dans le Pseudolus , les riches amants de la
courtisane Xytilis sont-ils qualifiés de tam probe oleo onustos au vers 21 8 .
Un certain nombre d'expressions qui désignent l'enrichissement
utilisent des termes évoquant l'idée de poids. Ainsi le tour opplere ou onerare
aliquem dans le Pseudolus au vers 588 :
" Inde me et simul participis omnis meos praeda onerabo atque
opplebo".
Il s'agit bien entendu d'un tour imagé et le butin à enlever désigne plaisant
ment les vingt mines que le servus callidus doit se procurer. Mais l'image
du butin pesant sur les épaules des guerriers victorieux évoque la solidité
du magot escompté.
Un autre tour pour exprimer le fait d'enrichir quelqu'un révèle aussi
cette manière de sentir la richesse. A deux reprises , les personnages emploient
une tournure qui a bien l'air d'être proverbiale. Les circonstances sont les
suivantes : un personnage refuse de donner de l'argent à quelqu'un et il
exprime energiquement ce refus. Aux vers 512 et 513 des Bacchis , c'est l'amant
éconduit qui déclare ne plus vouloir donner quoi que ce soit à sa maîtresse
en disant :
" Verum quam illa umquam de mea pecunia
Bamenta fiât plumea propensior
( Mendicum malim mendicando uincere)".
Le jeune homme affirme donc qu'il ne veut plus avec son propre argent rendre
tt tt
sa belle littéralement plus lourde d'un fétu . Un peu plus loin , dans la
même comédie , nous retrouvons trois vers comparables qui ont dû être
interpolés car ils constituent une redite :
- 228 -

" Sed autem quam illa umquam meis opulentiis


Ramenta fiât grauior aut propensior
(Mori me malim excruciatum inopia ) " (vers 519 abc).
Là encore , le thème du poids apparaît nettement avec grauior et propensior.
Quant au terme ramenta , souligné dans un des cas par plumea , il désigne un
élément très léger , une raclure à proprement parler (310) .
Notons qu'une expression comparable , d'allure également proverbiale se
rencontre au vers 1016 du Rudens :
" Numquam hercle hinc hodie ramenta fies fortunatior ".
L'expression de la plénitude du riche alourdi de biens peut d'ailleurs
n'être pas uniquement lexicale . En effet des procédés stylistiques peuvent
souligner cette abondance, ainsi des paronomases avec superlatifs , ou des
tours exclamatifs. Un bon exemple en est fourni par le passage de la comédie
des Captifs où le parasite Ergasile , mis en joie par la perspective du retour
du fils que son maître attend depuis longtemps, imagine l'abondance dans
laquelle il espère vivre désormais :
11 Non ego nunc parasitus sum , sed regum rex regalior ,
Tantus uentri commeatus meo adest in portu cibus.
Sed ego cesso hune Hegionem onerare laetitia senem "
( vers 825 sqq. ) .
Dans ce passage , le poids inhérent à toute richesse (onerare) accompagne
l'abondance qui épanouit ( laetitia) .La plénitude de joie d 'Ergasile tend donc
à se communiquer à son maître. Cette abondance qui se répand , qui rayonne
en quelque sorte se remarque aussi dans la longue tirade ( 16 vers en une
seule phrase), qui commence la comédie d'Amphitryon et qui est débitée par
Mercure :
" Vt uos in uostris uoltis mercimoniis
Emundis uendundisque me laetum lucris
Adficere atque adiuuare in rébus omnibus"
Or cette abondance verbale , ajoutée à la signification de certains lexèmes
tels que laetus ( qui signifie au départ gras (311) ) sied à Mercure qui
vient en personne proposer aux spectateurs l'abondance et la prospérité dans
leurs affaires , en échange de leur silence pendant le spectacle.
La richesse apparaît donc comme liée au poids (312) . La pauvreté serait-
elle donc à rapprocher de la légèreté ? Et de fait , nous trouvons l'homme
démuni qualifié de l'adjectif sterilis .
- 229 -

Sterilis amator désigne dans le ïruculentus au vers 2^-1 l'amant ruiné.


La valeur ancienne de cet adjectif , opposé à f ecundus , est "qui ne
produit pas de petit" , à propos d'un animal . Mais, déjà chez Plaute, l'adjectif
est employé avec la valeur plus générale de vide en parlant des mains ou
d'une perspective (313)· Toutefois, avec sterilis amator du vers 2^1 du Tru-
culentus , la valeur ancienne le "qui no produit pas " ou "qui ne produit
plus" est sous-jacente . En effet , l'amant constitue pour sa maîtresse un
terrain productif au départ , s'il nous est permis d'utiliser une
comparaison de sens voisin , que Plaute lui-même emploie d'ailleurs aux vers 306-307
de l'Epidicus , dant lesquels il est question d'un benêt facile à escroquer
et justement qualifié de ager ferax . Cette "productivité" de l'amant se
manifeste par les cadeaux qu'il fait en puisant dans ces trésors encore intacts
(thensauris integris de Tru. 2k3) · Lorsqu'il a tout donné, non seulement il est
vide , mais encore il ne pourra plus rien donner. Sterilis va donc plus loin
qu'inani.3. Nous pouvons rappeler ici l'étymologie de pauper , "qui produit
peu", paui-paros, qui se rapproche étonnamment , avec toutefois une différence
de degré, de la valeur originelle de

Le riche chez Plaute est donc un être pesant , et le bien possédé une
réalité solide (315)» tandis que le pauvre ect vide et sans doute chancelant
(316). Nous pouvons dès lors imaginer des rapports d'écrasement entre les deux
espèces, ce qui ne manque pas de se réaliser. Ainsi, au vers 813 du Poenulus,
les colères des diuites sont-elles qualifiées de plumbeas :
" (Verum ita sunt isti nostri diuites :
Si quid bene facias, leuior pluma est gratia ; )
Si quid peccatumst, plumbeas iras gerunt ".
C'est encore un écrasement qu'évoque Euclion parlant de l'attitude du
riche devant le pauvre au vers 197 de 1 'Aululaire :
" (Nemini credo qui large blandust diues pauperi)
Vbi manum inicit bénigne , ibi onerat aliquam zamiam ".
L'emploi de onerare est ici révélateur et l'accusation portée par Euclion
plus grave que celle qui est mentionnée dans le Poenulus : en effet, c'est
seulement dans le cas d'une faute commise par le pauper que dans le Poenulus
- 230 -

on note les plumbeas iras des diuites , tandis qu'Euclion voit dans toute
démarche du riche , quel que soit le comportement du pauper , une manoeuvre
destinée à l'écraser.
Mais si la richesse évoque le poids qui peut écraser le pauvre , il ne
faudrait pas associer absolument richesse à poids et pauvreté à légèreté. En
effet , nous trouvons des cas où la pauvreté est elle-même comparée à un lourd
fardeau que le pauvre doit traîner. Dans ce cas , le poids est lié à la
pauvreté et la richesse à la légèreté. La pauvreté est ainsi qualifiée de grauior,
"assez pesante" au vers 3^8 du Persa . Un personnage parle de leuare pauperta-
tem "rendre plus léger le fardeau de la pauvreté", au vers 556 de l'Epidicus.
La même image est employée aux vers 918-919 du Rudens avec le tour pauperta-
tem tolerare .
L'emploi d'aerumna va dans le même sens . Ce terme a en effet pour
valeur première celle de charge , fardeau (317), valeur qui se trouve parfois
soulignée par l'adjectif grauis , ainsi au vers 557 de l'Epidicus. Souvent
et notamment dans le cas de l'amant que l'amour force à trouver de l'argent,
la disette est comparée à un fardeau écrasant. Le vers 1^2 du Curculio souligne
cette image :
" . . .Edepol qui amat, si eget , misera adficitur aerumna ".
Le sens de durs travaux qu'on s'impose , notamment dans le tour aermmnae
Herculis , est second, mais les deux valeurs semblent présentes dans le début
du Persa :
" Qui amans egens ingressus est princeps in Amor-is uias,
Superauit aerumnis suis aerumnas Herculi .
Nam cum leone, cum excetra, cum ceruo, cum apro Aetolico,
Cum auibus Stymphalicis, cum Antaeo deluctari mauelim
Quam cum Amore : ita fio miser quaerendo argento mutuo "
(vers 1 sqq.)
Dans les exemples qui précèdent , nous avons montré que le poids
accompagne souvent l'idée de pauvreté. Or nous avons souligné auparavant les rapports
existant entre richesse et poids- solidité. Les deux remarques sont-elles
contradictoires ? Pas nécessairement. En effet , cette constatation nous amène une
fois encore à souligner le caractère structural du langage. Les mots n'ont pas
vraiment de sens fixe isolément mais au sein d'un ensemble , remarque qui vaut
- 231 -

pour la notation et aussi pour la connotation. Ainsi la richesse est liée au


poids dans le cas de l'écrasement du pauvre tandis que la pauvreté est syny-
nyme de poids dans un contexte différent dans lequel le malheur dti à la
privation écrase l'indigent. Notons toutefois que dans les deux cas la personne
du pauvre est toujours écrasée , que ce soit par le riche ou par la pauvreté
vue comme un fléau (318).

c) le gras et le sec

La richesse apparaît aussi liée à des images de graisse. Nous trouvons


en effet des images de graisse lors de l'évocation des richesses que Philo-
crate étale ( en paroles ) devant Hégion dans la comédie des Captifs. On ne
sait précisément en quoi consistent ces richesses mais l'or , on le verra
plus tard , y tient une grande place. En tous cas , ces richesses sont
qualifiées d'opimae au v°rs 28i :
" Quid diuitiae ? Suntne opimae ?
La réponse est très instructive :
11 Vnde excoquat sébum senex".
La valeur propre de opimus , qui signifie gras (319)» est en effet soulignée
par la plaisanterie de Philocrate selon qui la fortune en question est assez
grasse pour que le vieillard puisse en tier du suif!
Opimus se trouve associé à un adjectif de sens voisin , altilis , pour
caractériser une belle dot , dans un fragment de la Cistellaria , au vers 305:
" Prohibet diuitiis maximis , dote altili atque opima ··.
Les deux expressions diuitiis maximâs et dote altili atque opima se comi
olètent. La seconde explicite en effet la première puisqu'elle contient
l'indication de la provenance de cette fortune et introduit une nouvelle image ,
celle de la graisse , après celle de la grandeur ( maximis ) . Altilis est de
la famille de al ère , nourrir , et signifie " qu'on engraisse " , notamment
à propos des volailles , d'où le sens de "qui est gras ".
C'est encore l'image de la graisse associée à l'expression de
l'abondance que nous notons dans un emploi figuré de l'Asinaire au vers 282 :
" Maximas opimitates gaudio ef fertissumas ( pariet) "
- 232 -

11 (cela procurera) des dépouilles opimes sans égales , toutes


farcies de réjouissances ".
Ici intervient un nouvel élément , celui de la joie ,c'est-à-dire d'un
épanouissement de tout l'être. L'évolution sémantique de laetus , sensible chez
Plaute , est à cet égard révélatrice. Laetus, d'après le Dictionnaire
étymologique d'Ernout -Meillet , signifie:
1) gras
2) qui promet l'abondance
3) à l'aspect plaisant , joyeux.
Si Plaute présente en effet dans la plupart de ses emplois (321) le
troisième sens , le premier et le second apparaissent en filigrane dans certains
passages , notamment au début du prologue d'Amphitryon :
" Vt uos in uostris uoltis mercimoniis
Emundis uendundisque me laetum lucris
Adf-i c°r* atque adiuuare in rébus omnibur "
Dans ce boniment d'ouverture , Mercure promet en effet aux spectateurs
essentiellement l'abondance dans les profits. Certes , cette abondance doit
engendrer la joie mais c'est l'idée d'abondance qui est d'abord présente , souli*
gnée par des expressions plus précises comme bono atque amplo lucro , auc-
tare , au vers 6 .
Deux autres emplois de laetus associent la joie et l'abondance. Dans
les Captifs , au vers 829,
" Quae illaec est laetitia quam illic laetus largitur mihi ?"
Hégion se demande quelle est 1 'origine de la joie que son parasite veut
lai faire partager. Il suppose qu'il s'est bien gavé de nourriture ; ainsi
dans la pensée d· Hégion , se trouvent associées, avec l'emploi de laetus et
de laetitia , l'abondance et la joie. En réalité , cette joie très
démonstrative et communicatrice , vient , nous l'avons vu , (322) , de la perspective
des biens matériels dont tous allaient jouir , pour fêter le retour du fils
du maître , ainsi non pas d'une "bombance " passée , mais d'une "bombance"
future.
Dans la Cistellaria , au vers 690,
" Ille nunc laetus est , quisquis est qui illam habet " ,
la servante qui a perdu la cassette qui devait faire reconnaître sa maîtresse
se lamente. Elle imagine alors la joie que doit éprouver celui qui détient
désormais cette cassette avec ses bijoux.
- 233 -

Ainsi la richesse semble-t-elle associée à des images de graisse (avec


opimus , altilis dans le passage des Captifs ) et d'abondance (avec laetum
en Am.2 ) engendrant la joie. Ce rapprochement du riche et du gras ne
semble pas propre à Plaute. En effet, l'adjectif grec Ainet/>«£ huileux signifie
riche dans l'Odyssée XI 136 et XIX 368 . De même , le dieu Ploutos apparaît-
il dans la statuaire grecque comme un enfant gras et joufflu ( 323) ·
Dans le domaine opposé, est-ce que pauvreté et sécheresse sont
nécessairement liées ? Pas exactement car l'emploi d'aridus , sec , accompagne
l'expression de l'avarice plutôt que celle de la pauvreté. Mais la manifestation
de l'avarice et celle de la pauvreté sont parfois bien proches , chez
Plaute du moins (32^). Ainsi l'avare Euclion se dit pauper et agit comme tel,
pratiquant l'économie et même la ladrerie. N'est-il pas caractérisé ainsi
par son esclave Strobile :
11 Pumox non aeque est ardus atque hic est senex "
( Au. 297) (325).
Cependant nous ne pouvons affirmer qu'aridus , comme l'expression
populaire française "à sec" , s'applique à la pauvreté pure et simple. Remarquons
d'ailleurs que le tour français "être à sec " concerne l'état de celui qui est
momentanément démuni plutôt que la pauvreté chronique.

A mi-chemin entre les images de surface et celles de graisse , nous


devons mentionner celle de la dureté- aspérité qui s'oppose à la douceur et au
poli, la condition du pauvre étant par nature à la fois lourde et dure.
Il faut étudier ici l'emploi d'asper chez Plaute. En effet , tous les
emplois que Plaute fait de cet adjectif le spécialisent dans le domaine de la
nourriture du pauvre ou de celui qui vit en pauvre, comme le montre bien le
vers 188 des Captifs " Asper meus uictus sane est ..." (et plus loin cenam
asperara au vers A-97 et asperae urbes au vers 884 " villes qui écorchent le
gosier". On sait qu'après notre période asper s'appliquera à l'argent lui-
même. En effet , dans l'expression asper nummus (Perse et Suétone) , il
s'agit de la pièce d'argent neuve ( c'est-à-dire au relief saillant). Mais , dans
le cas de Perse du moins , ne pourrait-on pas évoquer le mal fait par l'argent
.qui égratigne ou écorche l'homme ? Mais cette connotation est bien entendu
tout à fait hors de propos chez Plaute.
- 234 -

III Eclat

Un bon exemple de l'union thématique des images de graisse et "d'éclat


nous est fourni par un passage du Pseudolus , aux vers 21 8 sqq. :
" Ain, excetra tu, quae tibi amicos tôt habeas, tam probe oleo
onustos,
Num quoipiam est hodie tua tuorum opéra conseruorum
Nitidiusculum caput ? Aut num ipse ego pulmento utor magis
Vnctiusculo? "
Le leno rappelle dans ce passage à la courtisane que, si elle soutirait assez
d'argent à ses amis, les riches marchands d'huile , les gens de la maison
auraient la tête plus reluisante , au sens propre ( à cause de l'huile qui
pourrait alors lustrer leurs cheveux ) et au sens figuré ( à cause de leur pros-
p4rit4).Il ajoute que son fricot à lui serait aussi plus gras ( unctiusculo) ,
ce qui fait penser à l'expression populaire " mettre du beurre dans les épi-
nards" , signifiant enrichir un peu . Pour en revenir au passage du Pseudolus,
on pourrait dire que cette association de la graisse et de la richesse est
due ici uniquement à un mot d'esprit relatif à la source de la richesse des
amis de la courtisane , les marchands d'huile. Certes , la remarque du leno
a été suscitée par cette particularité ,* mais elle n'était possible que parce
que l'association richesse-graisse était productrice. D'ailleurs, nous
retrouvons cette association dans la dernière scène des Bacchis avec un mot de la
famille de nitidiueculo à savoir le verbe nitere. Dans ce passage, les deux
courtisanes se moquent des deux vieillards venus chercher leurs fils qui
festoient et se débauchent avec elles. Elles les traitent plaisamment de vieilles
brebis et ajoutent , aux vers 112^ et 1125 :
" At pol nitent ; haud sordidae uidentur ambae
Attonsae hae quidem ambae usque sunt ..."
Il est évident qu'elles font ici allusion à la richesse matérielle des deux
vieillards , richesse durement mise à l'épreuve par l'esclave Chrysale qui
les a dupés et a. extorqué à l'un d'eux des sommes importantes , à deux
reprises. De plus , il est sûr aussi que les deux filles se moquent de l'aspect
décrépit des deux vieillards. L'allusion des meretrices est donc double:
ces brebis sont belles signifie :
1) par antiphrase , elles sont vieilles et laides
2) par le jeu des images , elles sont riches, d'ailleurs elles
ont déjà rapporté ( allusion à la tonte ) .
- 235 -

Dans ce passage, l'éclat dû à la bonne santé et image de la richesse


qu'exprime nitent s'oppose à la saleté qu'évoque sordidae.En effet , cet
adjectif sordidus signifie noir (326) , salo et dégoûtant , et il semble
parfois lié à l'expression de la pauvreté. Ainsi , dans l'Asinaire , au vers
1^2, un personnage parle du pain noir qui est le lot de celui qui souffre
d ' inopia , sordido pane .
Un autre lexème , luculentus , suggère aussi l'éclat dû à la condition
du riche. Cet adjectif comporte en effet les sèmes suivants (327) :
-d'où émane un grand rayonnement
-qui séduit et transporte d'admiration.
Or ce rayonnement peut s'appliquer à la beauté physique d'une femme (Mi.
958)| à la prospérité d'une personne, d'une condition, à l'aspect plaisant
d'un lieu ou à la joie d'un moment (Ci.560; Ep.158, 3^+1 )· La valeur de
rayonnement conforme * 'tjtmologie est donc bien sensible ..■..<-. Plaute , mais par
la suite , le lexcrne sera de plus en plus associé à l'idée de richesse ,
jusqu'à provoquer le rapprochement erroné avec lucrum. Mais ce rapprochement
n'a été possible que parce qu'il y avait un rapport étroit entre l'idée de
richesse et l'image de l'éclat.
L'éclat et la richesse sont encore manifestement associés au vers 5^5
du Persa :
" Neque quam tibi Fortuna faculam lucrifera adlucere uolt"
" (Tu ne sais pas ) quelle bonne étoile (littéralement quelle
petite torche ) la Fortune lucrifère veut faire briller
pour toi ".
Si richesse et éclat sont souvent associés chez Plaute , puissance
politique et éclat le sont aussi à l'époque républicaine en général , comme il
apparaît dans les emplois des vocables politiques que sont : clarus , illus-
tris , splendidus . A propos de ces termes , J. Helle gouarc'h signale que
certains sont spécialisés ; ainsi clarus s'appliquerait à l'éclat de 1 'ordo
senatorius et splendor , illustris à celui des équités ( op. cit. p. 227)·
Ainsi d'une manière générale et par le biais de l'or sans doute , la
richesse possède une face solaire , capable de fasciner l'homme. L'or apparaît
en effet comme le soleil , comme la vie dans la matière. Cette vision de la
richesse pourrait s'intégrer à une symbolique plus vaste selon laquelle le
soleil imprime son image dans la terre, c'est l'or. Ainsi , le soleil étant
l'image de Dieu ,1'or renvoie directement à la divinité.
- 236 -

Mais l'or possède aussi une face obscure , un aspect maléfique et la


richesse ρ ο ut alors dévorer l'homme , comme le montre le titre même d'un ouvrage
récent d'anthropologie sur l*argent : Anthropologie culturelle de l'argent,
Le masque mortuaire de Dieu de J. Schacht .Mais cet aspect n'est pas du tout
développé chez, Plaute comme il le sera par la suite et comme nous l'avons
laissé entrevoir plus haut en évoquant la pensée de Perse à propos d'~sper nurrv;uF.
En conclusion de l'étude des images statiques , en dépit de quelques spé·
cialisations (comme diues et la hauteur) , ce sont tous les termes de richesse
qui sont mis en relation avec les thèmes de surface , hauteur , éclat et tous
les termes de pauvreté qui suggèrent petitesse et obscurité. En sera-t-il de
même pour les métaphores actives ?
?f

CHAPITRE III
LES IMAGES DYNAMIQUES

1 ) Le bestiaire plautinien

Nous avons vu que pour qualifier le diues se trouvent employées des


images de grandeur , de poids et d'éclat , ce qui revient à dire que
l'individu qualifié de diues est un puissant ( fortis) . En face de lui, le
pauvre occupe une place restreinte , au bas de l'échelle sociale , c'est le
faible. De telles comparaisons , dans la bouche des personnages de Plaute,
suggèrent nécessairement des rapports d'oppression. Dès lors , s'il y a action
du riche sur le pauvre , cette activité passe par une imagerie plus complexe,
qui est dans le cas de Plaute , l'imagerie animalière. Etudions donc ce
bestiaire métaphorique dans les comédies de Plaute.
Nous verrons d'une part qu'il est très fréquemment exploité et
d'autre part qu'il est assez complexe. Expliquons-nous d'abord sur cette
complexité : ce n'est pas toujours le riche qui est comparé à un animal pré- -
dateur, l'inverse peut aussi se rencontrer. Nous distinguons en effet deux
cas :
a) Le riche est vu comme l'animal qui maltraite le pauvre
b) Le riche est comparé à un animal sans défense que l'on veut prendre
au piège ou tondre .

a) Le riche est comparé à un animal prédateur.


C'est dans l'Aululaire que nous trouvons les passages les plus nombreux
et les plus expressifs. S'affrontent en effet deux hommes , le diues Megadore
et le pauper Euclion. L'intérêt de la pièce , en ce qui nous concerne , est
qu 'Euclion fait en quelque sorte la "théorie" de sa pauvreté, expliquant
comment il doit être continuellement sur ses gardes , en face des attaques
sournoises du riche. Ces précisions concernent bien entendu Megadore , mais elles
sont exprimées d'une manière générale , sur un ton moralisant , en des
phrases sententieuses qui vont jusqu'à l'apologue.
Dans ces passages , Euclion stigmatise la rapacité hypocrite du diues
qui s'attaque au pauper pour l'exploiter tout en ayant l'air de le protéger.
Deux éléments interviennent donc , qui justifieront le choix de l'animal auquel
Euolion compare le diues :
- 238 -

-la rapacité
-l'habileté jointe à l'hypocrisie.

C'est d'abord la rapacité qui fait qu'Eue! ion compare implicitement le


riche à un animal. En effet, à deux reprises, Euclion comprre Megadore (et
non le riche en général) à une bête qui guette la proie à dévorer. Au vers
194, il déclare en a parte , devant les propos obligeants de Megadore :
"... inhiat aurum ut deuoret ".
Un peu plus loin dans la comédie , au vers 267, à propos des -¦v-nces
de Megadore , il utilise la même image :
" (Credo ego illum indaudisse mihi esse thesaurum domi)
Id inhiat ...".
Dans les deux cas , le verbe inhiare suggère une grande attention dans le
guet et un désir violent de s'emparer de l'objet. On pourrait peut-être
objecter qu'il n'y a pas là véritablement d'image animalière. Il nous
semble toutefois qu'elle existe , d'une part à cause de l'emploi de deuot-Mre
qui se dit d'un être vivant que caractérise la gloutonnerie et surtout
d'autre part à cause des autres emplois que Plaute fait de ce verbe inhiare.
Dans tous les cas , sauf un (328), les personnages évoquent l'argent
convoité et précisent parfois ^a comparaison en ajoutant lupus ou uolturii . En
effet , au vers 605 du Stiehus , le parasite Gélasime déclare à son maître:
" Nam illic homo tuam hereditatem inhiat quasi esuriens lupus".
Un autre animal , le vautour , vient préciser la comparaison dans le
Truculentus au vers 339 · Le personnage qui parle évoque les courtisanes qui
soignent leur amant , le militaire, et les montre copine avides de cette proie:
"( Illum student iam quasi uolturii triduo
Prius diuinant quo die esuri sient,)
Illum inhiant omnes , illi est animus omnibus ".
Au vers 169 du Trinummus , l'assimilation est faite avec le loup :
" Adesuriuit magis et inhiauit acrius
(Lupus ; obseruauit dum dormitarent canes )".
239

Bien sûr, dans les emplois que nous venons de citer , le désir du
gain n'émane pas forcément d'un homme riche mais les exemples combinent
l'emploi du verbe inhiare et celui d'un animal précis , ce qui tend à suggérer
que ce verbe contient en germe la comparaison animalière.
D'autres animaux sont évoqués dans l'Aululaire : les diuites sont
comparés à des pieuvres (329) qui ne lâchent pas leur proie , au vers 198:
" Ego istos noui polypos qui ubi quicquid tetigerunt tenent"
précédé au vers 196 par la formule générale :
" Nemini credo qui large blandust diues pauperi " (330) .
Avec cette assimilation des riches aux pieuvres , Euclion souligne
l'habileté du diues ainsi que son obstination à exploiter le pauper. Il nous
semble aussi que l'emploi du pluriel polypos tend à suggérer que les riches
se liguent pour étouffer le pauvre ou tout au moins que cette exploitation
du pauvre par le riche est très fréquente , toujours dans la pensée d 'Euclion.
Dans cet exemple , le pauper ne se trouve pas , pour sa part , comparé à un
animal précis , ce qui souligne à notre sens , l'inanité du personnage qu'il
constitue aux yeux de la société . Mais si l'on veut absolument , pour filer
la métaphore, imaginer l'animal auquel le pauper pourrait être comparé, on
pourrait proposer un petit poisson. Il faut en tous cas que ce soit un
animal de taille réduite et qui soit susceptible de servir d'aliment à la
pieuvre. Dans ce registre , une comparaison faite par Plaute lui-même est
tentante : c'est celle qui assimile un être à une araignée d'eau, tippula .
Dans ces cas-là, c'est la légèreté et l'inanité de la bête que retient Plaute.
Malheureusement, nous ne rencontrons dans notre corpus que deux emplois de
cette métaphore anirralière. Dans le Persa , au vers 244, un personnage
évoque le manque de poids de la parole d'un leno :
" Neque tippulae leuius pondust quam fides lenonia ".
L'autre emploi est celui du Fragment II , 39 ( ex Non. 18O) . Dans ce
cas , on peut évidemment tout supposer :
" leuior es quam tippula ".
Dans ce passage , la constatation s'applique -t-elle à un homme sans foi
ou à un homme démuni ? Il semble toutefois plus vraisemblable d'adopter la
- 240 -

première hypothèse car tous les emplois de leuis concerrent ou bi^n la


légèreté au sens propre ou bien le manque de loyauté (331)·
Nous pouvons donc confirmer notre proposition : a] orr que les diuiter
.yont comparés à des bêtes de proie ( lupus , uolturii) ou à des pieuvres ,
le pauper , lui, n'est pas assimilé à un animal précis . En revanche , nous
avons rencontré au chapitre précédent l'assimilation du pauvre à une noix ou
à un gland creux (332). Le choix de l'animal , pour évoquer le diues , suggère
son dynamisme , tandis que celui du fruit creux , pour caractériser le pauper,
implique sa passivité et son inanité.
Toutefois , il est un passage de Plaute , dans 1 'Aululaire, où le pauper
est explicitement comparé à un anim?l. Il s'agit d'un apologue développé par
Euclion à partir du vers 22o et qu'il convient de citer cette fois in extenso:
" Venit hoc mihi, Megadore , in mentem , ted esse hominem diuitem
Faction"·!, me item esse hominem pauperum pauperrimum.
Nunc si filiam locassim meam tibi, in mentem uenit
Te bouem esse et me esse asellum ; ubi tecum coniunctus siem
Vbi onus nequeam ferre pariter , iaceam ego asinus in luto ;
Tu me bos magis haud respicias , gnatus quasi numquam siem.
Et te utar iniquiore et meus ordo irrideat.
Neutrubi habeam stabile stabulum, si quid diuorti fuat;
Asini me mordicibus scindant , boues incursent cornibus.
Hoc magnum est periclum , me ab asinis ad boues transcendere ".
A propos de cet apologue , auquel nous avons déjà maintes fois fait
allusion , il importe de signaler quelques points essentiels.
La première remarque concerne le choix des animaux mis en présence. Il
est très clair que le boeuf a été choisi dans cette fable pour illustrer la
force du diues. Traditionnellement pourtant , c'est le cheval qui symbolise
le riche (333)· Mais le boeuf semble avoir été préféré parce qu'il combine
grandeur et grosseur , en face de l'âne qui allie faiblesse et petitesse.
Nous retrouvons donc ici la série thématique étudiée au chapitre précédent.
De plus , l'âne par son aspect qui fait de lui la caricature du cheval et par
son braiement , est fréquemment jugé comme un animal ridicule ( les expressions
françaises " être un âne" ou "dire des âneries " , le montrent bien ) .
Soulignons encore que, dans notre passage, la faiblesse du pauper se trouve mise
en valeur par le diminutif asellus qu'utilise Euclion la première fois qu'il
- 241

évoque la bête qui le représente. L'emploi du diminutif , alors qu'Euclion


utilisera plus loin le générique asinus ( aux vers 230 et 234 ) , nous semble
significatif de l'infériorité naturelle du pauper par rapport au diues. Mais
il est probable que l'élément affectif joue ici aussi un rôle notable, Euclion
s 'apitoyant avec complaisance sur l'animal qui le représente.
La deuxième remarque vise la portée sociale qu'Euclion donne à sa fable.
Nous voulons parler de l'incommunicabilité des deux "castes" que constituent,
aux dires d'Euclion , les diuites et les pauperes. L'emploi du terme ordo
souligne d'ailleurs cette incommunicabilité ; celui qui cherche à fuir la caste
des pauperes est l'objet des attaques méchantes des diuites et il est raillé
par ses anciens compagnons. D'un autre côté, à l'intérieur d'un même ordo ,il
semble qu'il y ait des échanges, un comportement commun, une sorte de
solidarité. En effet , le vers 233 implique que l'âne n'aurait plus d'endroit où
aller. S'il n'avait pas trahi , il aurait eu ce stabile stabulum , ce lieu où
vivent les ânes et où ils s'accueillent les uns les autres.
La troisième remarque porte sur la technique du discours. Il est curieux
de constater que l'histoire racontée par Euclion n'offre pas toutes les
caractéristiques de l'apologue. En effet, dans ce genre de l'apologue ,1a petite
histoire animalière constitue la première partie et dans la seconde , le
fabuliste donne les "clefs". Parfois , lorsque les données sont vraiment parlantes,
l'auteur peut faire l'économie de cette seconde partie explicatiïe . Or, dans
notre passage , la fiction animalière et la réalité sont constamment mêlées,
au lieu de se succéder. Ainsi , Euclion commence par expliquer : "tu es le
riche , je suis le pauvre. Si je te donne ma fille en mariage ,tu es le boeuf,
je suis l'ânon..." Le mélange des éléments de la fable et de la réalité
apparaît notamment aux vers 231 et 232 :
" Tu me bos magis haud respicias , gnatus quasi numquam siem,
Et te utar iniquiore si meus ordo irrideat ".
Tu et me viennent en effet s'immiscer dans la fable alors que l'on attendrait
un développement à la troisième personne, bos devant asellus. L'impression se
confirme à la fin du vers 233 , avec l'emploi de diuorti qui ne saurait s'appli-
- 242 -

quer à dee animaux et concerne le divorce toujours éventuel entre Megadore et


la fille d'Euclion. Une telle imbrication des éléments de la réalité dans la
trame de la fable nous semble donner un aspect plus dramatique à ce passage:
il y aurait alors trace d'une certaine émotion qui se révélerait aussi bien
par la maladresse relative du début de la tirade , avec la répétition de in
mentem uenit , que par l'emploi affectif d'asellus.

b)Le riche est comparé à une proie facile ou à une bête de rapport.
Deux cas se présentent. Le plus fréquent est le suivant : le riche
amant est assimilé à un poisson ou à un oiseau que capturent les courtisanes.
Un autre cas se rencontre qui met aux prises des hommes riches et sots avec
des esclaves rusés.
Dans le premier cas , celui de la "capture" de l'amant par la meretrix,
dans l'Asinaire, aux vers 178 sqq. , l'amant est comparé à un poisson qui,
une fois péché et accommodé, sera dévoré par la meretrix :
" Quasi piscis itidemst amator lenae ; nequam est nisi recens.
Is habet sucum , is suauitatem ; eum quouis pacto condias,
Vel patinarium, uel assum ; uerses quo pacto lubet.
Is dare uolt, is se aliquid posci, nam ibi de pleno promitur".
L'expression de pleno promitur indique bien que l'amant est alors abondamment
pourvu de richesses puisqu'on puise "à plein sac" dans ses biens .
Un peu plus loin dans l'Asinaire, aux vers 215 sqq., la maquerelle
expose avec verve son métier : c'est le même que celui des oiseleurs. Elle
capture en effet les jeunes amants qui se laissent gruger peu à peu :
" Non tu scis ? hic noster quaestus aucupi simillimust,
Auceps quando concinnauit aream , offundit cibum;
Aues adsuescunt ...
Saepe edunt ; semel si sunt captae, rem soluunt aucupi.
Itidem hic apud nos ; aedes nobis area est , auceps sum ego,
Esca est meretrix , lectus inlex est , amatores aues ".
Ainsi tous les éléments de l'oisellerie sont réunis ici pour filer la
métaphore ( l'aire , l'appât). Notons aussi que, dans ce passage de l'Asinaire , ce
n'est pas la meretrix qui capture , c'est l'entremetteuse , la courtisane ne
servant que d'appât. Mais dans les autres exemples , c'est la courtisane elle-
même qui appâte et qui capture (334) . Dans tous ces passages , toutefois , il
- 243

est fait allusion seulement è l'activité de la rr< retrix et ?ap riche tirant
n'est paf) décrit de façon très développée.
Le second cas met en scène des escrocs qui n'ont rien à voir avec le
tronde des courtisanes. Il s'agit essentiellement des servi callidi au service
de leurs jeunes maîtres amoureux et demunie.
Dans les Bacchides , les vieillards ont été dupés par l'esclave Chrysale.
Ce dernier se prépare à escroqufr le vieux Nicobule et présente ainsi son
entreprise :
" Adibo hune, quem quidem ego hodie faciam hic arietem
Phrixi ; itaque tondebo auro usque ad uiuam cutem " (v.241-2).
Le vieillard n'est pas comparé à n'importe quel mouton que l'on tond maie sa
richesse est suggérée par le choix du bélier fabuleux à la toison d'or. Le
choix de ce bélier permet aussi à Chrysale de ee mettre en valeur en se
comparant à Jason , qui a subi victorieusement un certain nombre d'épreuves.
Cette façon de se mettre en avant , au moins en paroles , est un des traits
de caractère de Chrysale et plus généralement du servus callidus.
L'escroquerie une fois réalisée sera par Nicobule lui-même , le vieillard dupé ,
comparée à une tonte , aux vers 1094 et 1095 :
" Chrysalus me hodie lacerauit , Chrysalus me miserum spoliauit
Is me scelus auro usque attondit dolis doctis indoctum±ut lubi
tumst".
Dans la scène finale des Bacchis , cette escroquerie est encore évoquée
par les deux courtisanes qui se moquent des deux vieillards en les comparant
à de vieilles brebis :
" Attonsae hae ambae usque sunt ( v.1125)
et
" Pol hodie altéra iam bis detonsa certo est " (v,1128).
En effet , Nicobule a été escroqué à deux reprises par Chrysale .
Nous retrouvons encore l'image de la brebis que l'on tond dans un
passage du Mercator aux vers 524, 5, 6 . Cette fois , c'est la meretrix qui
escroque le vieillard :
"- Ouem tibi eccillam dabo , natam annos sexaginta
Peculiarem . - Mi , senex, tam uetulam ? - Generis graecist.
Eam si curabis , perbonast. Tondetur nimium scite "
"- Il y a là une brebis de soixante ans que je te donnerai; ce
sera ton pécule. - Si vieille que cela , bon vieillard ?
- Elle est d'espèce grecque. Si tu la soignes , c'est une
excellente bête; elle se laisse tondre admirablement."
- 244 -

Avec cet exemple , la richesse de la victime est soulignée par la précision


qu'apporte peculiarem. En effet , l'argent soutiré au vieil amant sera assez
abondant pour constituer une sorte de pécule pour la jeune fille.
Les hommes riches exploités par les callidi servi peuvent aussi être
comparés à des volatiles.
Dans le Poenulus aux vers 676-677, nous assistons à une ruse machinée
par l'esclave Collybiscus qui veut rouler le leno . Collybiscus se fait passer
pour un riche étranger ( il est dit de lui au vers 660 : aurum habet ),
désireux de faire bombance d'une manière discrète. Le leno à qui des témoins
subornés par Collybiscus ont présenté l'étranger , va saisir l'occasion , ce que
les observateurs lui conseillent vivement :
" Nos tibi palumbem ad aream usque adduximus
Nunc te illum meliust capere si captum esse uis ".
Celui que le leno se croit sur le point de duper est donc comparé à un
pigeon sauvage , faible volatile devant le chasseur habile et prudent.
Dans une autre comédie, les Bacchis, au vers 792, Chrysale qui va duper
une seconde fois le vieux Nicobule , après l'avoir une première fois comparé
au bélier de la toison d'or (335) , l'assimile à la grive qui vient manger
l'appât que constituent les tablettes qu'il a rédigées avec son jeune maître:
" Nunc ab trasenna hic turdus lumbricum petit ".
Le choix de la grive semble être dû à la qualité de Nicobule ; c'est un gibier
de choix puisque c'est un homme riche et puissant, si on le compare à
l'esclave Chrysale , qui n'a d'or que dans son nom !

Sans qu'aucun animal précis ne soit indiqué , certaines expressions


plautiniennes de l'escroquerie évoquent les captures d'animaux. Nous voulons
parler ici de l'emploi fréquent (336) du verbe tangere pour signifier pecunia
circumducere (337)· Citons par exemple le vers 1286 du Poenulus:
" ...aère militari tetigero lenunculum "
"... je le taperai d'une contribution de guerre , ce leno de
malheur ".
Le mot bolus est fréquemment associé à ce type d'emploi , ainsi au vers 101
du Poenulus :
" Quia amare cernit, tangere hominem uolt bolo"
" Le voyant amoureux , il veut le prendre dans sa nasse"
245 -

La traduction littérale est : " il veut attraper l'homme avec un coup de filet'
Notons pour cet exemple en particulier la place spéciale accordée à bolo ,
disjoint du verbe tangere et mis en valeur par se position en fin de proposition
et de vers.
Mais quel est le sens précis de bolus ? Il semble qu'à partir de l'idée
de coup de filet, on en est arrivé à celle de chose prise au piège et en
particulier d'argent dérobé comme par miracle à quelqu'un de faible. Bolus devient
alors synonyme de praeda. Et son évolution d'emploi passe nécessairement par
la comparaison animalière. Toutefois ,on pourrait objecter que bolus implique
l'idée du coup de dés et non celle du coup de filet. Dans ce cas évidemment,
la comparaison animalière s'efface et un autre domaine d'investigation s'ouvre
à npus, qui est celui des relations entre les hommes et les dieux, puisque le
coup de dés nest pas celui du hasard , mais la manifestation de Fortuna , ce
qui nous ramène à nos considérations sur l'origine de la richesse chez Plaute
(338). Il reste que l'emploi conjoint de bolus et de tangere souligne plutôt,
à notre avis , l'interprétation par le coup de filet.

Résumons les résultats de nos investigations dans le domaine de


l'imagerie animalière, lorsque l'animal est précisé .

le riche (diues) actif compare une bête qui guette pour


exploite les pauperes à dévorer
une pieuvre qui étouffe
un boeuf devant lequel
tombe l'âne
le riche passif escroqué un poisson
par les meretrices un oiseau palumbes
turdus
par les servi eallidi une brebis
le bélier à la toison d'or
246 -

Les images animalières du riche qui exploite sont moins nombreuses et


moins pittoresques que celles du riche qui est exploité. Comment expliquer
cet état de fait ? Cela tient jai.d doute à la structure de la comédie
plautinienne qui d'une part privilégie l'habileté du servus callidus au service
de son jeune maître démuni et d'autre part souligne avec une particulière
complaisance la rapacité des courtisanes. L'avidité des mère tri ce:* s.
trouve d'ailleurs évoquée dans d'autres images que celles du bestiaire ; elles
sont en effet comparées à un navire corsaire, à une mer dévorante ou à un
fleuve qui corrode (339)·

Ainsi le riche se trouve comparé à une bête rapace ou à une proie


facile. Comment , du point de vue de la signification , de telles assimilations
3ont-elles possibles ? Il faut évoquer ici le mécanisme dp la métaphore en
général. Il apparaît que dans cette figure certains sèmes de l'élément "image"
sont utilisés alors qu·: d'autres sont suspendus . Les se'" retenus se
trouvent alors coïncider avec ceux de l'élément " à illustrer". En effet, dans
l'élément bête de proie (lion ou vautour), le sème qui subsiste est celui
de rapacité ( désir de s'emparer de l'objet pour le dévorer), dans celui
de pieuvre , c'est le sème de nocivité ( désir de tuer en étouffant) et dans
celui des boeufs , le sème de puissance. Or nous savons que ces traits de
signification puissance mauvaise et rapacité se trouvent dan:3 la composition
.

de diues , comme nous l'avons montré supra (340).

Si les traits communs de puissance et de rapacité permettent dans le


corpus plautinien la création d'images animalières , d'autres éléments déjà
décelés dans l'étude thématique des vocables désignant le riche (341), en
particulier les traits de supériorité et d'éclat contribuent à la
réalisation d'une autre série imagée , celle qui fait correspondre les diuites aux
di.
247 -

2) Diuites et Di

Comment procéder dans cette étude un peu délicate des relations


entre les di et les diuites ? Nous pouvons commencer par écrire les
propositions extraites du texte plautinien.
A) Il apparaît que très souvent les dieux sont vus comme des
distributeurs de richesses.
B) Les dieux sont dits être les riches par excellence.

Nous pouvons déduire de la seconde proposition que les dieux sont les
modèles du riche. Nous sommes par ailleurs fondée à opérer cette déduction
lorsque nous nous livrons à une étude thématique qui fait apparaître les
points de convergences entre la sphère du diues et celle du deus. Nous verrons
en effet que , toujours selon l'imagerie plautinienne, H ches et dieux se
meuvent :
- en altitude
- dans la lumière
- au milieu des festins joyeux.
Ainsi le parallélisme thématique vient-il confirmer la seconde
proposition qui se trouve par ailleurs renforcée par l'étymologie varronienne de
djues.
A) Les dieux comme distributeurs de richesses
Certains dieux semblent spécialisés dans ce don du gain aux mortels.
Ce sont d'abord Mercure , puis Copia , Jupiter, Fortuna ainsi que le Lar
Familiaris.
I) Mercure
En plus de son rôle de messager de Jupiter, Mercure a la spécialité de
favoriser le commerce. Alors que les deux fonctions de messager et de
distributeur de bénéfices commerciaux semblent avoir connu la même importance chez
les Grecs (342) , les Latins ont développé la seconde mission de distributeur
de biens , comme le montre d'ailleurs l'étymologie de Mercurius à rattacher
à merx (343) · En tous cas , dans notre corpus plautinien , la qualité de nun-
tius apparaît deux fois seulement alors que celle de protecteur du commerce
se manifeste quatre fois (344) .
- 248 -

Etudions les cas où Mercure est évoqué comme distributeur de biens.


A trois reprises , il est souligné que ces bénéfices sont d'origine
commerciale, dans le prologue d' Amphitryon , dans la Casina au vers 238 et dans le
Stiehus au vers 404 . Dans un quatrième emploi , la présence de Mercure est duo
au mot damnum, antithèse de lucrum qui est la spécialité de Mercure :
" ...Damnum , quod Mercurius minime amat " (Poe. 327).
L'origine commerciale de l'enrichissement est patente dans les trois cas
cités plus haut. Dans la Casina , on précise même le type de commerce dont il
s'agit , c'est, celui du parfumeur :
" Vt te bonus Mercurius perdat , myropola, quia haec mihi dedisti"
(v.338).
Ainsi le vieux Lysidame , que vitupère sa femme la jalouse Cléostrate , s'en
prend-il au parfumeur qui lui a vendu les essences qu'il n offertes à sa
maîtresse.

Dans le Stiehus au vers 404, il s'agit du grand commerce par mer grâce
auquel se sont enrichis les deux maris :
" ( Quom bene re gesta saluus conuortor domum,
Neptuno gratis habeo et Tempestatibus, )
Simul Mercurio , qui me in mercimoniis
( luuit lucrisque quadruplicauit rem meam )".
Notons que la présence de quadruplicauit souligne le caractère substantiel de
ces bénéfices.
Enfin dans le prologue d'Amphitryon, Mercure se présente lui-même comme
le protecteur du commerce en général dans une longue tirade où sa faconde
habituelle se donne libre cours. Il faut citer ici les seize première vers de la
comédie pour les traits stylistiques qui corroborent notre point de vue :
" Vt uos in uostris uoltis mercimoniis
Emundis uendundisque me laetum lucris
Adficere atque adiuuare in rébus omnibus,
Et ut res rationesque uostrorum omnium
Bene expedire uultis peregriquo et domi,
Bonoque atque amplo auctare perpetuo lucro
Quasque incepistis res quasque inceptabitis
Et uti bonis uos uostrosque omnis nuntiis
Me adficere uultis , ea adferam , ea uti nuntiem,
Quae maxime in rem uostram communem sient
249 -

Nom uou ^uidem id iam scitis concessum et datum


Mihi ep--e ab dis aliis , nuntiis praesira et lucro
Haec ut meuultis adprobare , adnitier,
Lucrum ut perenne uobis semper subpetat,
Ita huic facietis fabulae silentium
Itaque aequi et iusti hic eritis omnes arbitri ".
Notons le trait majeur de cette tirade , qui est l'abondance , celle des
mots utilisés comme celle des biens promis par Mercure, les premiers appelant
d'ailleurs les seconds. L'abondance des biens se manifeste aussi par la
disproportion entre les deux parties de la tirade : la première , celle des promesses,
totalise quatorze vers , et la seconde , celle de la demande de Mercure aux ;
spectateurs, ne compte que deux vers. L'ensemble constitue une sorte de marché,
bien dans la ligne de ce Mercure camelot.
Dans la première partie , l'effet d'abondance est sensible par un
certain nombre de procédés dont nous ne citerons que les plus saillants. D'abord
sur le plan lexical , Plaute utilise des termes qui contiennent des sèmes
d'abondance , les adjectifs bono et amplo, ainsi que le substantif lucrum qui est
employé quatre fois. De plus ces termes sont utilisés de façon redondante :
ainsi mercimoniis est doublé par emundis uendundisque, adficere par adiuuare,
bono par amplo, concessum par datum, entre autres. Enfin , des effets
phoniques renforcent l'impression d'abondance . Six éléments -is s'accumulent dans
les deux premiers vers et concessum et datum , ou rébus omnibus contiennent
des homeotéleutes. La conjonction des effets semble souligner cette abondance
des biens que Mercure propose aux spectateurs et sa qualité de distributeur de
richesses en ressort plus nettement, qualité que le dieu reconnaît lui-même
aux vers 10 et 11. Il est également intéressant de noter que les deux
"spécialités" de Mercure se trouvent réunies dans le prologue. En effet , il semble
alors que les bonnes nouvelles que fait miroiter Mercure concernent elles-aussi
le profit qu'il promet : bonis nuntiis semble faire écho à bono lucro.
Ainsi domine cette fonction de distributeur de biens par le biais du
commerce , même si originellement la fonction de Mercure , comme l'a récemment
montré B.Combet-Farnoux , résidait essentiellement dans sa médiation qui annul-
laif'la force contraignante dont étaient porteuses les choses constituant la
matière de la transaction" (345) ·
- 250 -

II ) Copia
La déesse est seulement mentionnée dans dis expressions figurées. A
trois reprises , un personnage , au comble de la joi·;.· , croit se trouver
devant Copia en personne à laquelle il assimile plaisamment le personnage qui
vient lui apporter la bonne nouvelle ou plutôt les subsides escomptés.
Dans les Bacchis, un ami du héros , voyant approcher le sc.uveur de son
compagnon, l'annonce en ce? termes :
" ...Tu? m Copiam ecear·1 Chrysi-lum uideo "
" ...Voici ta oroviùence oui vient en la personne de Chryssle"
( v.639).
Chrysale , qui a copieusement dépouillé son vieux maître pour servir les
amours du fils, est donc comparé à la déesse Copia , à couse de ses facultés
distributrices. Remarquons qu'en plus ici l'association Copiam Chryswlum est
assez plaisante car elle évoque un? réalité bénéfique qui ressemble à une
pluie d'or.
Un effet semblable est obtenu dans le Pseudolus au vers 736 :
" Di immortales ! non Charinus mihi quidem sed Copiast "
" Dieux immortels ! Ce n'est pas Charinus que je l'appellerai
mais l'Abondance ".
Le roué Pseudolus , content de la proposition de Charinus , fait ici de
l'esprit sur son nom et lui fait remarquer qu'il aurait mieux valu qu'il
s'appelât Copia , c'est-à-dire l'abondance , que Charinus , c'est-à-dire , en vertu
d'une dérivation fantaisiste bien sur , le "manquant ".
Ces deux exemples , tout à fait plautiniens par leur verve bouffonne,
se rapportent à la faculté distributrice de Copia. Mais Plaute la montre-t-il
avec son attribut par excellence , à savoir le cornu ? Toujours dans le
Pseudolus ,au vers 671 , Pseudolus rend grâces aux dieux de lui avoir donné, «par
le vol de la lettre , une idée pour berner le leno. Il remercie donc Cpportu-
nitae (vers 669) et Fortuna ( vers 679 ) de lui avoir permis d'entrer en
possession de cet objet. A cause des possibilités qu'elle lui offre , il compare
cette lettre au cornu inépuisable de la déesse Copia :
- 251 -

" Nam haec allata cornu Copiaest, ubi inest quidquid uolo **
< v. 671)
Copia est donc présente cher Plaute avec ses facultés distributrices
symbolisées par son cornu (346). Nais noua pouvons noua demander ai les
personnages prennent au sérieux cette divinité puisqu'elle n'est Mentionnée que
dans des plaisanteries. Tel n'est pas le cas de Jupiter.

III) Jupiter
Jupiter se voit également doté de cette faculté distributrice, comme
il apparaît dans un vers qui n'est qu'une boutade lancée par Euclion dans
l'Aululaire à sa servante Staphyla qui lui a reproché l'état aiaérable de
sa maison. Euolion lui répond alors :
" Nirua quin tua causa me faeiat Xupiter
Philippum regem aut Dareum , triuenefiea " ( v. 8j, 86).
Cette répartie fait sans doute allueion â la toute puissance de Jupiter maie
cette toute puissance s'applique particulièrement au domain· de la
générosité par rapport aux mortels. Cette générosité de Jupiter eat d'eilleura
présente dane l'étymologie de 1 'épithète fréquemment appliquée à Japiter,
celle d' optimus (347).

IV Fortuna
Fortuna eat aueei caractérisée comme distributrice d· profita. N'eat-
elle pas appelée plaisamment luerifera au ? ver s 91$ du Peraa t
N ( neaeia)
Neque quam tibi Fortuna faeulan luerifera adlueere toit N
" (Tu ne aaié)
quelle bonne étoile ( littéralement quelle petit· tarait·)
la fortune lucrifère veut faire briller pour toi".
Portuna eat donc , par le choix dea termes de lumière (faeulaa , adluooro)
et par la reseenblanee 4 une lettre près de son épithète avec «elle d· l*é-
toile du matin ( luerifera - lueifera ), présentée par Plaute comme un·
divinité qui par eea dona illumine la vie dea mortels (5%8).

V
Ces différents dieux , Mercure, Copia , Jupiter «t Fortuna , ont
pour rôle de répandre leurs présenta aur lea mortel· maie il eet un· di-
- 252 -

vinité dont le propre semble ?tre non de donner la richesse mais de la


préserver , là où elle existe. Nous voulons parler du Lar Familiaris évoqué à deux
reprises dans le corpus plautinien. Dans le prologue de 1 'Aululaire , il
apparaît aux vers 2 sqq.:
" Ego Lar sum familiaris ex hac familia
Sed mihi auus huius obsecrans concredidit
Thesaurum, auri clam omnis : in medio foco
Defodit, uenerans me ut id seruarem sibi "·
De même , dans le Mercator , Charinus , sur le point de partir , confie
au Lar de la maisonnée tous ses biens:
"Di Pénates meum parentum, familiae Lar pater,
Vobis mando meum parentum rem bene ut tutemini ."

VI
D'une manière plus générale , On évoque parfois chez Plaute les
bienfaits que les dieux accordent aux mortels. Or , au nombre de ces bienfaits se
trouve la richesse matérielle. C'est ainsi que dans le Rudens au vers 1229
le propos de Gripus " Habeas quod di danunt boni " s'applique évidemment à
la valise qu'il a trouvée dans la mer et qu'il aimerait conserver.
De même dans les Bacchis , aux vers 1188 et 1189, il s'agit entre autres
de profit matériel :
" Etiam tu, homo nihili , quod di dant boni caue culpa tua amissis.
Dimidium auri datur; accipias potesque et scortum accumbas".
Mais dans le Poenulus , au vers 1253, avec cette même formule stéréotypée
de " quod boni mihi di danunt " , il s'agit d'un bien plus spirituel , celui
que constituent les retrouvailles d'un père et de ses filles.

Les dieux distributeurs de richesses sont encore mentionnés dans les


formules de souhait , comme aux vers 515 du Persa . A un personnage qui lui
propose pour s'enrichir d'acheter une courtisane , le leno répond en
souhaitant que les dieux le favorisent dans cette entreprise :
" Diuitias tu ex istac faciès . Ita di faxint ..."
Un souhait analogue se rencontre dans la Cisteljaria au vers 51 :
" ( Multisque damno et mihi lucro sine meo saepe eris sumptu)·
Di faxint ! ..."
- 25J -

Nous observons., aussi une malédiction qui relève du même type dtnc 3 e
Rudens aux vers 1345 et 1346 :
" Si fraudassis , die ut te in quaestu tuo
Venus eradicet caput atque aetatem tuam ".
Les mortels qualifient aussi les dieux de propitii à cause des gaine
qu'ils leur prodiguent . C'est ainei que dans le Curculio au vers 531 le
riche leno est tout heureux de la protection divine qui lui a assuré des
bénéfices substantiels :
" ( ego argentum habeo )
Quoi homini di sunt propitii , lucrum ei profecto obiciunt "
La même constatation reconnaissante est faite dans le Persa au vers 470
par un autre leno , Dordale :
" Quoi homini di propitii sunt , aliquid obiciunt lucri ".
Il est curieux de constater que les termes sont presque les mêmes d'une
pièce à l'autre ; seule varie légèrement la place des mots dans le vers.
Enfin il faut mentionner un dernier type de formulation , base sur la
toute puissance des dieux en général. Il est assez fréquent puisqu'on le
rencontre sept fois ( 349) , et bâti sur un double schéma que nous simplifions
de la façon suivante :
a) - Je suis riche , grâce aux dieux ( et à mes ancêtres )
b) - Grâce aux dieux , je suis assez riche pour ...
a) DeUx vers utilisent exactement les mêmes mots dans le même ordre , il
s'agit des vers 166 de l'Aululaire et 324 des Captifs :
" Ego uirtute deum et maiorum nostrum diues sum satis ".
b) Le deuxième schéma est représenté entre autres par le vers 676 du Miles;
" Deum uirtute est te unde hospitio accipiara apud me comiter"
et par le vers 679 de la même pièce :
" Nam mihi deum uirtute dicam propter diuitias meas
( licuit uxorem ...ducere ).
Le vers 355 du Trinummus présente la même structure :
" Deum uirtute habemus et qui nosraet utanur , pater,
(Et aliis qui comitate simus beneuolentibus )".
- 254 -

Quant au v< rs 346 du Trinummus, il présente une sorte de combinaison des


dm.x schémas :
" Edepol deum uirtute dicam pater, et maiorum et tua
Multa bona bene parta habemus , bene si amico feceris,
Ne pigeât fecisse , ut potius pudeat , si non feceris ".
Enfin le dernier exemple de cette formule stéréotypée n'est pas à prendre
au pied de la lettre. La richesse estimée suffisante dans ce passage n'est pas
la richesse matérielle , c'est celle qui consiste en bons mots. Cette formule
consacrée est assez piquante dans la bouche du parasite Saturion qui ne
laissera en dot à sa fille que des bons mots :
" Pol deum uirtute dicam et maiorum meum,
Ne te indotatam dicas , quoi dos sit domi;
Librorum eccillum habeo plénum soracum "( vers 390 sqq. du Persa ).
Dans ces exemples , nous constatons que , si le rôle des ancêtres est
facultatif, celui de la divinité semble nécessaire. En effet , le groupe
uirtute deum est toujours présent et lorsque uirtute maiorum est présent , deum
précède maiorum.
Ainsi le rôle de la divinité serait capital pour amasser une fortune
solide , honnête ( multa bona bene parta ) , et aussi pour mener à bien certaines
entreprises : aider matériellement autrui, doter sa fille . Il est en effet
intéressant de noter que dans trois cas sur sept, c'est -à-dire presque une fois
sur deux , cette affirmation de la protection divine pour l'acquisition des biens
est assortie du désir de faire profiter les autres de cette bénédiction · Nous
assisterions alors à une sorte de contagion de la bienfaisance. Pour le premier
schéma , lorsqu'un personnage repousse des gains éventuels au non de sa fortune
qu'il juge suffisante ( Au. 1 66 et Cap. 324) , il faut peut-être évoquer le
dogme épicurien de la limitation des richesses , dans un idéal de modération et de
tranquillité.
Toutefois le caractère formulaire de ces expressions nous fait hésiter
à attribuer.-; aux personnages qui les emploient des sentiments précis vis-à-vis
de la divinité. Tout au plus peut -on souligner le choix constant du mot ujr-
tus dans ce type de proposition, et ce qu'il implique. Virtus s'applique
tantôt au courage qui caractérise le ùir ( et c'est en ce sens qu'il faut
comprendre le tour maiorum uirtute ) , tantôt à la qualité essentielle d'un être , à
son pouvoir ( et c'est ainsi qu'il faut interpréter deum uirtute ). Ainsi les
dieux possèdent yis-à-vis des mortels cette puissance qui se manifeste par le
don de bienfaits essentiellement matériels (350) .
- 255

3) Les dieux riches


Dans leur omnipotence les dieux accordent donc aux mortels les biens
matériels. Mais il semble que les dieux sont non seulement des distributeurs
de richesses mais encore si l'on peut dire des "receleurs" de richesses. Ce
sont même eux qui sont les véritables riches. C'est ce que met en lumière un
passage du Trinummus aux vers 490 sqq. :
" Di diuites sunt , deos décent opulentiae
Et factiones ; uerum nos homunculi
Satillum animai qui quom extemplo emisimus ,
Aequo mendicus atque ille opulentissumus
Censetur censu ad Accheruntem mortuus ".
Dans ces vers , le rapprochement de di et de diuites , comme celui de deos et
d'opulentiae , est très suggestif car la parenté lexicale des deux lexèmes
se trouve ainsi bien mise en évidence.
Plaute mentionne aussi parfois les trésors des dieux , comme dans les
Ménechmes au vers 217 . Dans ce passage , le parasite déclare ne pas vouloir
lâcher " pour tout l'or du monde " le maître qui l'a invité à dîner :
" Neque hodie , ut te perdam , meream deorum diuitias mihi ".
Or l'expression latine mentionne non pas tout l'or du monde mais bien les
trésors des dieux.
Plus précisément , dans le Pseudolus au vers 628 , un personnage évoque
les trésors de Jupiter :
" Si quidem hercle etiam supremi promptes thensauros louis".
Peut-être: avons-nous aussi dans la jubilation de Strobile , l'esclave
de l'Aululaire qui vient de découvrir la marmite d' Euclion , une allusion à
ces trésors des dieux gardés par des jriffons :
" Picis diuitiis qui aureos montes colunt
Ego solus supero ...(351)·
Nous avons jusqu'à maintenant dans cette étude des dieux riches
considéré les divinités en général sans mentionner l'une d'elles en particulier
( sauf dans le cas des richesses de Jupiter) . Aussi bien dans les formules
trouvait-on di seulement. Toutefois certains dieux sont nommés en particu-
- 256

lier, qui semblent appartenir au premier chef à cette catégorie des di_
diuites. Cette appartenance peut transparaître d'ailleurs dans 1 'épithète
de culte opulentus . Il s'agit essentiellement de Jupiter et de son
aïeule Ops (352) .
Dans des formules d'action de grâces ou de serments , Jupiter
qualifié d'opulentus est cité avec d'autres dieux et avec Ops elle-même.
C'est le cas dans le Persa aux vers 251 sqq. :
" Ioui opulento , incluto , Ope gnato,
Supremo , ualido , uiripotenti,
Opes , spes bonas , copias commodanti
lubens uitulorque merito,
Quia meo amico amiciter hanc commoditatis copiam
Danunt , argenti mutui ut ei egenti opem adferam ."
Dans ce passage , le personnage qui parle loue Jupiter et les
autres dieux pour leurs bienfaits. Certes la distribu' des richesses

¦
accompagne ici la po. session de ces mêmes richesses et pour cette raison
ce passage aurait pu être examiné dans la rubrique précédente mais les deux
aspects de la richesse et de la distribution des biens sont complémentaires.
Il est curieux au premier abord seulement de constater que d'une manière
générale , quand il s'agit des hommes ou des dieux , la possession n'est
totale que si elle s'accompagne d'une distribution ( ou d'une ostentation ). Cette
situation paradoxale semble propre à la mentalité des Anciens que nous
pouvons illustrer par un comportement comme celui de l'évergétisme.
Dans deux autres endroits où Jupiter accompagne son aïeule Ops ,
la richesse des dieux n'est pas exprimée ( Ba.893 , Ci .515 ) , mais elle
est suggérée dans le Miles au vers 1082 :
" Postriduo natus sum ego , mulier , quam Iuppiter ex
Ope natust "
Or Pyrgopolinice se vante ailleurs (353) de posséder de
fabuleuses richesses. Il les devrait peut-être alors à la chance qu'il a eue de
naître presqu'en même temps que Jupiter d'Ops !
Quant à la déesse Ops elle-même , elle apparaît en même temps
que Jupiter dans tous les cas (354) . L'abondance qu'elle implique est
parfois soulignée par le qualificatif opulenta , l'ensemble Ops opulenta eons-
ti tuant une sorte de figure étymologique.
- 257 -

Ainsi la qualité de riches distributeurs de biens se révèle


essentielle à la peinture des dieux chez Plaute . C'est vrai dans le cas de
Jupiter mais nous savons que ce n'est pas sa seule qualité. Nous pouvons
toutefois remarquer que les aspects traditionnels de la figure de Jupiter nous
semblent mis au second plan chez Plaute derrière cette richesse communicatrico .
Ainsi , si nous laissons de côté les innombrables formules stéréotypées de
serments ou de souhaits, il apparaît que le dieu du tonnerre par exemple est
mentionné deux fois seulement et encore dans une pièce où le dieu lui-même
intervient comme personnage à part entière , c'est-à-dire dans Amphityyon
(355)· L'omnipotence du dieu est certes évoquée dans les formules consacrées
de Jupiter supremus (356) ou Summus imperator diuom atque hominum Juppiter
(357) et c'est à cause de cette toute puissance qu^on montre Jupiter sur un
trône ; l'assimilant ainsi à un chef terrestre (358) . Mais ces
manifestations sont rares. Il nous semble que le dieu riche , distributeur de biens,
se manifeste plus souvent chez Plaute. D'ailleurs pourquoi Plaute a-t-il
suivi la tradition qui fait d'Ops et non de Rhéa la mère de Jupiter , sinon
pour insister sur la faculté distributrice du maître des dieux ?

Les dieux sont donc vus chez Plaute d'une part comme distributeurs de
richesses , d'autre part comme riches et seuls véritables riches. Le lien
semble donc étroit entre les jii^ et les diuites. C'est ce qui explique l'éty-
mologie varronienne. Même si elle est scientifiquement contestable , cette
étymologie reflète l'idée que les anciens se faisaient des relations entre
les jdi et les diuites. Varron écrit en effet :
" Diues a diuo , qui , ut deus , nihil indigere uidetur" (359)
Nous savons en effet que la condition du diues est définie par le
critère d'abondance et nous avons essayé de montrer que le deus est souvent
remercié ou sollicité pour les dons qu'il dispense. Bien entendu, le premier
terme selon la proposition de Varron reste le deus. D'après deus se serait
forgé diues. comme aies, eques ou pedes, d'après al a , equus ou jsesj qui
sont au départ des adjectifs dérivés de noms . Ce rapport d'antériorité
logique nous semble d'ailleurs concorder avec la constatation que nous faisions
au début du chapitre, selon laquelle le diues est une pâle imitation du deus.
Il en serait un reflet atténué puisqu'aussi bien cette abondance n'est pas
durable dans le cas du mortel comme le rappelle le passage du Trinummus cité
précédemment .
- 258 -

C) Parallélisme thématique entre di et diuites

Ce parallélisme ressort nettement du tableau suivant

DI DIVITES

Opulenti PLENITUDE Eeati


L~i~sti
( onerare aliqu

Çaeljtes
Caelipo tentes ALTITUDE Summates

( habitante du ciel Luculenti


eoorae séjour LUMIERE Nitidi
lumineux )

(le banquet " GRAISSE DES Diuitjae opimae


, .. , ν' FESTINS ( le richard et sa
des dleux gloutonnerie dans
les banquets )

Nous ne nous attarderons pas sur la première double case , consacrée


au thème de la plénitude. Les pages qui précèdent avaient en effet pour but
de montrer comment di^ et diuites étaient des êtres comblés de biens . En
revanche, les trois autres doubles cases méritent un examen particulier. Nous
retrouvons dans ces cases les séries thématiques déjà étudiées précédemment.
Nous avons plus haut mis en lumière les rapports entre richesse et altitude
(369) , richesse et lumière (361) , richesse et graisse des banquets (362).
Il se trouve que chez Plaute les rapports peuvent être aussi soulignés entre
divinité et altitude , divinité et lumière , divinité et banquets.
- 259 -

Les dieux sont du côté de 3 'altitude. La proposition est facile r


illustrer. Nous trouvons en effet souvent la périphrase " habitr-.r.t au
ciel" pour signifier dieu, ainsi au vers 5δΐ du Persa avec le tour cli
ormes qui caelum colunt ou encore au vers 675 de 1 'Epidique Duodecim dir
plus quam in caelo deorumst immortalium . Les loxèmes caeles (Ru. 2) et
caclipotens- (Per.755) attestent encore cette affinité fntrs la divinité et
l'altitude . Certains dieux ont-ils le privilège de l'altitude ? Tous,
sauf les inferi bien entendu , siègent dans l'éther, mais la position
suprême de Jupiter est soulignée à plusieurs reprises , ainsi dans Amphitryon
au vers 1065 avec caeli cultor ou dans le Mile;3 au vers 1083 -avec hic habe-
ret regnura in caelo. La supériorité de Jupiter est également impliquée danc
des épithètes telles que summus (Am. 780,953) °u supremus (Cap. 768, Ken. III*)·,
Poe.II22) et employées au vocatif . Toutefois, on pourrait objecter qu'il
s'agit ici de la R'ipériorité de Jupiter par rapport aux autres dieux. On
pourrait citer également l'épithète de superatrix appliquée à une déesse qui
semble bien être Fortuna dans le Mercator au vers 8*f2 :
" Diuom atque hominum quae superatrix atque era eadem eadem
es hominibus ".
Mais certains lisent speratrix, d'autres seruatrix ou encore regnatrix (363)·
Nous ne pouvons donc nous appuyer avec assurance sur ce passage pour
illustrer l'affinité qui existe entre cette déesse et l'altitude.
Nous n'avons jusqu'à maintenant relevé dans l'élément ciel que la
position en altitude. En toute logique , il aurait fallu aussi évoquer la
luminosité du séjour céleste. Or cette luminosité du séjour céleste nous
semble contenue dans le mot deus lui-même. Examinons en effet son étymologie.
Nous lisons dans le Dictionnaire étymologique d'Ernout -Meillet p. 170:
" Deus , an ci on dérivé signifiant lumineux , conservé avec sa valeur dans cer-
tainec expressions consacrées , sub diuo columine , culmine , dans les Acta
fratrum Arualium cf. Thés. V. 1668 51 sqq . Suivant que l'on coneidérait le
ciel lumineux Qomme animé ou divinisé ou comme inanimé , on disait Deiuos,
Deiua ou deiuom . Deus est issu phonétiquement de deiuos , dei (u) os , deus" .
La racine du jour lumineux est donc bien sensible dans deus , ainsi que dans
- 260 -

le nom propre de Jupiter issu de Diew-pater " Père- jour" (cf. Pic t. étym.
p. 329). Enfin il y a une allusion au séjour céleste de la divinité dans le
passage plaisant de Per.515 :
" (Nescis) ... quam tibi Fortuna faculam lucrifera adl\i-
cere uolt ".
%t _
Bien entendu , le rapprochement entre lucrifera et adlucere est erroné du
point de vue de l'étymologie , mais il n'empêche que du point de vue non
de la science mais du sentiment linguistique des Anciens , un rapport est
établi entre les trois éléments :
la divinité de la les gains la luœière -.
Fortune qu'elle procure

La dernière catégorie thématique met en parallèle le banquet des


dieux qui est proverbial et la gloutonnerie du riche qui est également
proverbiale. Nous trouvons aisément chez Plaute des manifestations de
ces deux éléments. Le banquet des dieux est souvent évoqué chez Plaute
mais toujours dans une formulation plaisante. Trois passages du corpus font
en effet allusion aux festins de la divinité.
Dans le Pseudolus , au vers 8Mt , un cuisinier voulant vanter la
qualité de sa préparation déclare :
" Eum odorem cenat Iuppiter cottidie ".
Une autre allusion à la nourriture des dieux est présente dans les
Captifs au vers 865 :
11 Proin tu deum hune saturitate facias tranquillum tibi"
C'est le parasite Ergasile qui s'exprime ici . Il se compare
spirituellement à un dieu qui désirerait que l'on comblât sa panse , plaisantant ici
d'une part sur le banquet des dieux , d'autre part eur les sacrifiées
offerts " en nourriture" à la divinité par les mortels.
Enfin dans l'Aululaire , au vers 368, l'esclave Pythodicus compare
les gens de la maison , ceux d'en haut et ceux d'en bas , aux différents
dieux superi et inferi . Or il représente les uns en train de manger et
les autres en train de jeûner :
- 261 -

"( Si autem deorsum comedent , si qui coxerint ),


Superi incenati sunt et cenati inferi ·'.
Le piquant de cette formulation réside principalement dans le fait que les
superi sont montrés en train de jeûner alors que la tradition se plaît à é~
voquer les banquets de 1\ Olympe.

Nous avons déjà évoqué les images d'éclat qui accompagnaient la


richesse (364) .Mais le thème du banquet où dévorent les riches n'a peut-être pas été
suffisamment mis en valeur. Or il apparaît très nettement dans le Trinummus.
Aux vers 468 sqq. , on évoque en effet un banquet où s'étale un richard :
" ( . . . Qui nunc ? si in aedem ad cenam ueneris
Atque ibi opulentus tibi par forte obuenerit
Adposita cena sit popularem quam uocant)
Si illi congestae sint epulae a cluentibus ..."
De plus nous verrons par la suite que l'image du bien que l'on dévore,
c'est-à-dire que l'on gaspille , est une image fréquente dans l'expression
plautinienne du mouvement de la possession .
Nous avons donc essayé de démontrer ces trois propositions :

Les dieux font les riches ( par la distribution!·


Les dieux sont les riches par excellence.
Les dieux et les riches sont associés dans la même imagerie.

Le pauvre n'apparaît pas dans cet ensemble. Tout au plus est-il


mentionné dans le passage assez étonnant du Trinummus où un personnage loue
Neptune d'avoir épargné le pauvre et condamné le riche (366).
Cela nous permet peut-être de supposer que la pauvreté est vue comme une
malédiction. Toutefois , Euclion dans 1 'Aululaire affirme au vers 88 quod di
dant fero . Il veut peut-être dire " La pauvreté que les dieux me donnent,
je l'accepte". Ainsi les dieux distribueraient la pauvreté comme ils
répartissent la richesse. Mais ne peut-on pas interpréter les paroles d 'Euclion
d'une autre manière : "Je suis pauvre , c'est entendu, mais si les dieux
m 'envoient quelque petit profit , je l'accepte " ?
CHAPITRE IV

STRUCTURATION DU CHAMP SEMANTIQUE DE LA POSSESSION

Après l'étude stylistique de l'opposition diues / pauper et ses


prolongements thématiques , il nous faut prendre une vue synthétique du champ de la
possession. Nous devons examiner comment les différents lexèmes se situent en
regard des critères déjà évoqués lors de l'étude analytique .Les critères sont
tirés des sèmes constants et virtuels qui se réalisent dans les lexèmes.
Ainsi considérerons-nous d'abord le critère de quantité des biens ,
correspondant au sème quantitatif. Les lexèmes se répartissent par degrés sur ce
plan quantitatif. Nous pouvons donc les situer par rapport à un axe orienté,
illustrant la quantité positive ou négative des biens. Cet axe est bien
entendu essentiel , c'est lui qui structure notre champ sémantique.
La place de chacun des lexèmes trouve sa justification dans les
différents chapitres consacrés à la composition sémique des termes. Nous rappelons
simplement ici les éléments qui fondent les localisations.
verbe factitif pauperare

verbes d'état mendicare egere

adjectifs (parfois
substantivés) inops pauper
qualifiant la mendicus pauperculus
personne

substantifs inopia paupertas


désignant l'état
de la personne egestas pauperies

substantifs re
désignant les biens op
de la personne
- 264 -

Mendicus s s situe nécessairement à l'une des extrémités de l'axe


quantitatif , puisqu'il s'oppose au vers ^93 du Trinummus au lexèmo qui définit
l'être qui est manifestement le plus riche :
11 Aequo mendicus atque ille opulentissumus eensetur eennu"
(367).
Ensuite viennent parallèlement la famille d'egere et celle d'inopia.
Les deux lexèmes impliquent en effet le manque du nécessaire (3^8) . Donnons
comme preuve pour egere le vers 5S1 des Captifs :
" Quia tute ipse egos in patria nec tibi qui uiuas domist"
oà la seconde partie du vers semble expliciter la première. Inopia désigne :*
aussi le manque du nécessaire comme le montrent les équivalences du Pseudo-
lus vers 81 et 97-98 , 27^ et 300 (369).
Arrivent ensuite pauper et les mots de sa famille. Nous ne les avons
pas absolument superposés. En effet il semble que pauper implique un avoir
moins médiocre que les mots de sa famille, ou plutôt eue paupertas et pau-
peries suggèrent un état de dénuement plus net que pauper. Rappelons les
exemples qui fondent cette distinction. Euclion dans l'Aululaire est dit
pauper et il possède maison et esclaves (vers 80 sqq.) . De même les
pêcheurs du Rudens qui sont qualifiés de pauperes sont propriétaires de leurs
outils de production à savoir les filets et les hameçons (Ru. 290). En
revanche , nous avons vu quo paupertas et surtout pauperies, à cause du sème
pathétique qu'ils contiennent , semblent impliquer un dénuement plus
caractérisé que le simple pauper.
Les substantifs situés à droite de pauper occupent une place
particulière car ils entrent dans la composition de nombreuses expressions
définissant l'état de possession mais à euxseuls ils η 'impliquent pas
nécessairement l'importance quantitative de l'avoir. Ree suppose la possession d'un
certain avoir , toutefois nous avons rencontré 1' expression res pauperculae
(Per.3^5)» ce qui prouve que res ne s'applique pas forcément à une grande
fortune (370).
- 265 -

3ona semble avoir la marrie valeur que res sur le pl~.n de la quantité
du bien possédé , à preuve l'équivalence de Tru . 858 et Tru.859 (371).
Toutefois nous n> disposons pas d'exemples qui prouveraient que les bons
peuvent recouvrir des biens minimes - Mais nous relevons des bona multa
(Tri. 3^7 par exemple ) où mult" souligne l'abondance des biens exprimés par
le seul bons. Il faut donc le situer un peu plus à droite sur la voie de la
possession.
Opes contient le sème virtuel de richesses matérielles (372), sans
qu'on en souligne l'ampleur. Au contraire , le lexème est souvent employé
dans des formules qui marquent la proportion , du type pro opibus , "selon
mes moyens ".
Copiae semble aller plus loin qu'opes dans la voie de l'abondance des
biens possédés (37° , c'est ce que suggère la progression de Per.253:
" Ioui opes , spes bonas , copias commodanti"
ou l'expression ' thensaurus copiarum du vers 655 de l 'Asinaire .
Ces quatre lexèmes ont d'ailleurs fait l'objet d'un tableau comparatif sur
deux points dont celui de la quantité des biens , l'autre étant celui de
leur mobilité (37*0.
Parmi les adjectifs qui désignent la possession abondante , diues et
opulentus s'appliquent à celui qui possède beaucoup. Assez souvent , ces
deux lexèmes ne se distinguent pas sur le plan quantitatif , comme le montre
l'équivalence de Am.i66 et 170 , dans lesquels diues et opulentus
caractérisent la même personne , idéale , celle du maître riche et exigeant imaginé par
l'esclave Sosie.
Mais il existe dans l'emploi de diues et diuitiae le même décalage que
celui que nous avons noté à propos de pauper et paupertas. Diuitiae souligne
l'abondance de l'avoir. Or diues ne suggère pas nécessairement la grande
abondance de cet avoir; aussi bien peut -on être plus ou moins diues, autrement dit
la quantité maximale de l'avoir n'est pas donnée avec diues comme c'est le
cas avec opulentus ( le terme opulentiores désignant la classe des riches en
face de celle des nauvres ) .
- 266 -

Locuples semble correspondre è une fortune plus empl», β preuve


l'équivalence de 0ί.Α·92 et Ci. 305 · eponsa Locuples L^mnis en trouvant explicité
par diuitiis maximis, dote altili etque opima . Toutfcfoic nous savons quo
la nuance qui sépare ce lexème des précédents est qualitative plutSt qu<s
quantitative et consiste en la solidité de l'avoir , marquée dans us cas ,
non marquée dans l'autre.
Luculentus et fortunatus qui sont des polysémique*: ze figurent pas
dans ce tableau car ils apparaissent trop peu souvent avec le sème de
richesse matérielle.
La localisation de rex est bien nette : le terme , désignant le
possesseur de richesses fabuleuses se ei tuerait à l'extrême droite du tableau.

Remarques d'ordre général sur la situation des lexèsies sur l'axe


quantitatif

I) Certains termes sont superposés , c'est-à-dire qu'ils ee situent


sur le même plan en ce qui concerne la quantité de l'avoir. D'autres
éléments les distinguent alors qui font précisément l'obje't des autres
catégories que nous examinerons à la fin du chapitre.

2) On constate que le pivot de l'axe , c'est-à-dire l'endroit où l'on


passe de la notion de quantité négative à celle de quantité positive se
situe juste avant la série des substantifs désignant les biens dont on
n'indique pas l'ampleur , à savoir res et opes .Formulons différemment cette remar- .
que : alors que dans la partie gauche du tableau consacrée aux termes de
quantité négative ( des biens )t les vocables se groupent pour la plupart
en séries de lexèmes qualifiant l'individu plus ou moins démuni , egere,
egestas ou bien pauper , pauperies τ··> les premiers terrres qui impliquent
la quantité positive de l'avoir sont des substantifs désignant des biens et
non le possesseur. Il est facile d'expliquer cet état de fait : la possession
d'un avoir modique n'est pas suffisante pour définir un type d'hoisne au
caractère bien marqué. C'est à partir d'un certain seuil que le possesseur de
grands biens acquiert une physionomie propre et peut être qualifié de diues
ou de locuples. On renarque d'ailleurs la même particularité sur l'axe serran*
tique de quantité que présente le français conterr.porain :
- 267 -

Stre être être

riche milliardaire
indigent démuni pauvre des biens nanti
des ressource richissime
nécessiteux prolétaire fortuné magnat . . .
des revenus bourgeoi;
miséreux

Les deux extrêmes de cet axe ( que nous ne prétendons en aucune manière
exhaustif mais qui figure ici à titre de comparaison commode), sont
constitués par des termes renvoyant à dos notions qui appartiennent à la catégorie
de l'être , alors nie la partie centrale groupe des vocables renvoyant à des
notions qui appartiennent à la catégorie de l'avoir.
3) Du côté de la richesse , nous notons de nombreuses cases vides. Il
s'agit essentiellement des verbes et des substantifs marquant l'état. En effet
nous ne rencontrons pas chez Plaute de verbe de la famille de diues ou
d'opulentus avec le sens d'être riche. En revanche, le corpus abonde en tours tels
que diues esse ou diuitias habere , qui ont une signification analogue. Du
côté des substantifs, opulentitas très satisfaisant pour le sens et la
formation ne se rencontre qu'une seule fois dans tout le corpus (Mi. 1171)·
La colonne des verbes factitifs est elle aussi très lacunaire puisqu'el-
ne ne comprend que le verbe pauperare .Nous savons que ces lacunes lexicales
seront par la suite comblées puisque Térence présente un conlocupletare et
que ditesco est fréquent à partir de Lucrèce ( 375) .Mais nous ne devons pas
conclure que cette catégorie n'est pas exprimée chez Plaute. Elle est au con-r
traire extrêmement fréquente mais elle est rendue par des tours imagés dont
nous verrons plus loin la complexité.

En dehors du critère quantitatif qui permet la localisation des lexèmes


sur un axe orienté , comment se répartissent les vocables ? Leur
configuration sémique permet-elle à l'intérieur des grands groupes possession/ non
possession de définir des sous-groupes ?
- 268

Il n'ect pas pocsible de situer touc les lexèmes le long d'autrec axi
orientés. En effet, tous ne se définissent pas par rapport eux autres co-
tégories que nous allons étudier. Mais les termes e'oppocent plutôt dtux
à deux, réalisant ainsi des systèmes binaires.

PAUVRETE RICHESSE

situation situation situation situation


accidentelle permanente accidentelle permanente
inops pauper diues
egens

résignation tendance à réalité, solidité étalage


modestie 1 'exhibition de la richesse de le
richesse
pauper inops res, locuples copiae
fortunatus
opulentus
luculentus

mendicité activité inhibition paresse exploitation


au travail thésaurisation du bien
egere pauper inops diues res
mendicare paupertas inopia diuitiae bona
pauperies
- 269

La première catégorie est celle de la permanence. Nous avons déj-à noté


dans l'étude analytique que pauper et diues désignent des personnages bien
typés , ?.v?c des réactions très particulières. Les deux lexèmes définissent donc
un état et non une situation provisoire. Aussi bien Euclion dans l'apologue
qu'il utilise devint le riche Megadore parle de son ordo , c'est-à-dire de
la classe des pauperes qui s'oppose à celle des diuites (376).
En revanche ni egens ni inops n'impliquent la permanence de l'état. En
effet , nous savons qu' inops comporte un sème dit résultatif , c'est-à-dire
qu'un personnage qualifié d'inops n'a pas toujours été tel , il est devenu
inops par suite de telle ou telle circonstance , il est passé sous le joug
d'inopia pour différentes raisons , gaspillage ou débordements. C'est ce que
suggèrent les deux personnages de Luxuria et Inopia dans le prologue du
Trinummus. Ainsi dans le cas d'inops et d 'inopia un point de départ est posé (377)·
Dans le cas d' egere et do sa famille , c'est la situation de l'être dit
egens qui le pousse à agir et notamment à demander des secours. Quand ces
secours arriveront , il ne sera plus qualifié d* egens , ainsi entrevoit-on
un point d'arrivée (378.). Il en résulte que ni inops ni egens ne pourraient
être représentés par une ligne continue comme pauper. Au contraire , inops
suggère une ligne au point de départ bien défini et egens une ligne au point
d'arrivée discernable.

La seconde catégorie est celle qui oppose la réalité à la


manifestation. Du côté de la richesse , nous avons signalé dans les chapitres de
l'étude analytique que certains lexèmes mettaient l'accent sur l'apparence de la
richesse, sur l'étalage qu'on peut en faire alors que d'autres exprimaient la
solidité du bien possédé.
C'est ainsi que d'une part res désigne le bien comme un tout solide
qui disparaît en subissant une sorte de désagrégation (379), que d'autre
part locuples évoque une richesse qui , même si elle n'est pas
nécessairement foncière , inspire par sa solide réalité , la confiance d'autrui (380).
- 270

De l'autre côté, parmi les lexèmes qui soulignent l'ostentation des richesses,
nous trouvons d'abc-·"1 opulentus . En effet, c'est par ce ^me d'ostentation
que c? terme s 'oppose- souvent à diues. Ainsi un diues qui se vante ou mène un
train de vie fastueux devient-il par là même un opulentus (3?1)·
L'ostentation .-apparaît aussi dans d'autres lexèmes , notamment avec
luculentus qui suggère un rayonnement de la richesse sur toute la personne (382) .
Dans le cas de fortunatus , nous avons noté parmi les sèmes virtuels
celui de " qui jouit des biens matériels " et non " qui les possède". Ceci
montre bien que l'accent est mis sur l'apparence et non sur la réalité solide de
la possession.
Du côté de la pauvreté , il est a priori plus délicat de classer les
termes sur le plan de la manifestation. Toutefois , nous relevons des
oppositions qui peuvent entrer dans la catégorie de la manif «'-*-ation . Ainsi , la
pauvreté peut se c :. c.u ·.-;· ou s'étaler , rester digne ou supplier.
Il nous semble alors que s'opposent sur ce plan pauper qui contient les
sèmes virtuels de dignité et de résignation (383) et inops qui implique une
tendance à l'exhibition (384) , tout comme inopia qui fait figure dans le
cortège des maux (385) ·

La dernière catégorie est la plus complexe. En effet , les notions


d'activité et de passivité sont trop générales pour définir exactement les
oppositions qui régissent les lexèmes.
Du côté de la richesse , nous avons noté l'opposition qui existe entre
diues , diuitiae d'une part , res d'autre part. Diues et diuitiae semblent
impliquer en effet que le possesseur du bien est inactif, comme tend à le
prouver la déclaration de Sosie dans Amphitryon laboris et operis expers
(386) en parlant de son maître qualifié de diues , ou bien qu'il se contente
de thésauriser. C'est ainsi qu'on évoque volontiers les richesses entassées
formant comme des montagnes (38?) · De toutes façons , on ne fait jamais
allusion au travail accompli par le diues. En revanche , on cite parmi les
facteurs d'enrichissement le commerce , mais d'une part il semble que cette
activité existe avant que l'homme en question ait atteint le stade de diues , et
d'autre part on pourrait objecter qu'il s'agit du commerce par intermédiaire,
- 271 -

à grande échelle, ce qui exclurait un véritable travail, au sens ?? nous


l'entendons. Sur le travail et le caractère vil de certaines tâches , un
paragraphe de Cicéron est révélateur et le commerce A grande échelle y est
reconnu comme acceptable (38S). Mais c'est la propriété foncière , rappelons
le , qui fait d'abord le diues : or elle n'exige pas un véritable travail,
sinon celui de contrôle, comme le montre le fameux passage du De Agri
Cultura de Caton , dans lequel le maître inspecte son domaine et reçoit les
comptes du uillicus.
En face du groupe diues , diuit-jae , res implique une véritable
gestion du patrimoine que l'on fait fructifier (389)·
Los lexèmes de la pauvreté constituent un ensemble plus compliqué. En
effet , le système comporte trois termes et chacun de ces termes s'oppose aux
deux autres.
Egere et surtout mendicare qui suppose une recherche active de la
subsistance en suppliant autrui , s'opposent à pauper qui désigne celui qui
fournit un certain travail dont le fruit lui permet de vivre modestement sans
s'abaisser à aller quémander.
Comment illustrer l'attitude du pauper vis à vis du travail ? Un
passage du Rudens est significatif : des gens qui se disent pauperes déclarent en ef»
fet avoir bien du mal à gagner leur vie en péchant chaque jour dans la mer:
" Omnibus modis qui pauperes sunt homines miseri uiuunt,
Praesertim quibus nec quaestus est nec didicere artem ullam
Cottidie ex urbe ad mare hue prodimue pabulatum ;
... Si euentus non euenit
Neque quicquam captum est piscium, saisi lautique pure
Domum redimus clanculum, dormimus incenati "(v.290 sqq.)
Il semble donc que le pauper doive normalement accomplir un certain
travail qui lui permet de survivre. Mais qu'en est-il d'Euclion qui se dit lui-
aussi pauper ? En fait dans la comédie de l'Aululaire , on ne voit guère
Euclion se livrer à un travail. Au contraire , sa servante Staphyla dit qu'il
passe les nuits à veiller et que dans la journée il reste à la maison sans
plus bouger qu'un savetier boîteux (390). Cependant , Euclion en déclarant
272

qu'il lui faut aller à la distribution publique - ce qui n'est certes pas un
travail- regrette d'être obligé de le faire parce qu'il devra subir
certaines questions de la part de ses amis , qui lui demanderont notamment comment
vont ses affaires (391) · Mais on ne sait exactement de quelles affaires il
s'agit : " Quid rerur.i geram" est en effet fort vague et Is signification peut
être tout simplement " comment je vais ". Néanmoins , il peut s'agir
d'opérations commerciales ou plus vraisemblablement de la gestion de son petit
domaine (cf. Au. 13, 1*» ) . En effet , il ne faudrait pas mettre en parallèle la
situation des pêcheurs du Rudens et celle d'Euclion. Les pêcheurs sont sans
doute des hommes libres mais de condition beaucoup plus modeste que la
famille d'Euclion.
A l'intérieur de la famille de pauper , nous pouvons noter que
paupertas et pauperies s'opposent sur ce terrain même de l'activité et de la
passivité. En effet nous avons feit remarquer dans les études analytiques de ces
lexèmes que la paupertas pousse à agir tandis que la pauperies accable.
A la mendicité que pratiquent 1 'egens et le mendicus , à la vie
besogneuse que mène le pauper, s'oppose la passivité de l'être qualifié d'inops.
Le lexème inops s'applique en effet à l'homme qui est absolument incapable de
réagir , qui a perdu tout ressort , et le personnage frappé d'inopi« se
déclare parfois à l'article de la mort (392).
Y a-t-il des éléments qui , entrant dans la composition sémique de nos
lexèmes , ne figurent pas dans le tableau comparatif ? Nous pensons en
particulier au sème du mépris et de la considération. Nous ne l'avons cependant
pas intégré à notre tableau pour les raisons suivantes. D'abord il semble
difficile a priori de définir la position à cet égard de certains lexèmes.
Nous avons vu par exemple que le pauper est tantôt méprisé ( notamment par
le riche) , tantôt respecté ( notamment par les dieux )( 393) et tout cela dans
l'optique d'Euclion. En effet , les dieux n'ont pas à cet égard la même
attitude que les mortels (394). De sorte que , si nous restons chez les hommes ,
il semble que tous les lexèmes du champ de la richesse impliquent que le père
sonnage ainsi désigné est entouré de soins et de respect , alors que de
l'autre côté les lexèmes recouvrent des réalités qui suscitent le mépris. Il appa-
- 273 -

raît donc bien nettement que ni le mépris ni la considération ne sont pour


aucun des lexèmes un trait pertinent (395)·

Nous avons jusqu'ici abordé dans l'étude synthétique les lexèmes


qualifiant !.·» riche et le pauvre , mais nous n'avons pas considéré de
manière assez approfondie les termes qui désignent le bien possédé. Or
nous savons qu'un tour comme diues esse est assez proche de celui de rem
habere. Aussi bien l'examen de la composition sémique de res figure-t-il
dans notre première partie. Mais l'étude des emplois de res comme d'ailleurs
des autres vocables désignant le bien possédé , fait apparaître un certain
type de relations entre le possesseur et le bien possédé. Ainsi après avoir
considéré , comme de l'extérieur , le regard posé par autrui sur le riche
et le pauvre , allons -nous étudier le regard posé par le riche sur son
bien , à travers les expressions qui définissent surtout le passage d'un
état de possession à un autre.
a^

CHAPITRE V

ETUDE DES LEXEMES DESIGNANT LE BIEN POSSEDE

L'étude synthétique des lexèmes désignant le bien possédé sera menée


elle aussi en fonction des sèmes dégagés lors de l'examen analytique et en
référence constante avec le texte plautinien.
Parmi les sèmes des lexèmes désignant le bien possédé nous avons
notamment dégagé celui de mobilité (du bien ) (396). Nous soulignions par
là la possibilité pour le bien possédé de passer d'un possesseur à un autre.
De quelle manière se fait ce passage ? S'il y a vente , il n'y a pas
vraiment passage car l'équivalent monétaire représente le bien cédé. Il n'y a
passage effectif que s'il y a don ou usurpation. Le don est peu représenté
chez Plaute, sauf lorsqu'il s'agit des cadeaux ( dona) cl 1. i0és que l'amant
fait à sa maîtresse (397)· Mais justement cet emploi est à la limite de
l'usurpation. La courtisane en effet est bien souvent vue par ses amants eux-
mêmes comme une femme qui les gruge (398) . Nous devinons donc que le thème
de l'usurpation est important dans l'intrigue plautinienne à cause de la
présence des courtisanes et aussi du rôle essentiel dévolu au seruus calli-
dus, occupé à arracher subtilement à son vieux maître l'argent nécessaire
à son jeune débauché de fils.
Tous les lexèmes désignant le bien possédé n'accordent pas le même
rôle au thème de l'usurpation. Mais tous font état d'un mouvement possible
de l'avoir : il s'agit de la naissance du bien ( acquisition ) ou de sa
perte ( gaspillage et ruine ). C'est ce schéma dynamique que nous allons
étudier désormais.

I) Nous considérerons d'abord sa fréquence par rapport au schéma


statique ( avec habeo ou esse ). En effet, dans une étude de l'expression de la
possession , il importe de mettre en lumière les types d'emplois dans
lesquels sont utilisés les lexèmes.

II) Ensuite nous verrons comment chaque lexème du groupe diuitiae , bona
res , opes , copiae , semble entretenir des rapports particuliers avec les
catégories évoquées plus haut ( possession , acquisition, gestion ).
275 -

III) Enfin , au delà des particularités , nous dégagerons les cléments


communs à ces lexèmes , à partir d'une étude stylistique. Ces éléments
communs se manifestent lorsqu'on considère le nombre d'occurrences et la
variété des tournures imagées qui constituent la base de l'expression
dynamique. Ces images sont très diverses mais elles correspondent toutes à une
vision du bien tout-à-fait particulière : le bien possédé est vu comme un tout
constitué de parties et il est aussi personnifié.

Nous dresserons donc le tableau rapportant les emplois des diverses


catégories. Puis nous donnerons les références des emplois comptabilisés
dans le tableau. Enfin le commentaire du tableau constituera la dernière
partie du présent chapitre.
- 276 -

?) MANIFESTATION DES LEXEMES DANS LE CADRE DYNAMIQUE

RES

Possession
rem esse Ps.1b7 ; Tru.858
rem nullam esse Ba.194
res pauperculas esse Per. 345
rem habere Am.928; Men.584 ; Tri. 330 ( 2 fois ); Tru.745

Bonne gestion
rem commendare Tri.114, 1083
rem constabilire Cap. 452
rem credere Tri. 621
rem credere Tri. 621
rem curare Am.499 ; Cap. 632; Mo. 26
rem explicare Poe. 750
rem bene gerere Tri. 956
rei parcere Tru.375
rem procurare Men. >67; S t. 200
rem quadruplicare St.405
rem seruare Am.651; Mer. 909; Mi. 724; Per.560 ; Ru. 1374 ; Tru.140,342, 347
570
rem (res) tutari Am.650; Men. 969; Mer. 935
rei pbsequi Tri. 230
res salua Au. 207; Poe.1083 ; Tri. 376, 610

Mauvaise gestion
rem animam agere Tri .1092
rem absumi Cu.600 ; Mo. 235
rem comedere Tri.417
rem confringere St.630; Tri. 108,336
rem deserere Mo.l44
rem disperdere Cas. 248
- 277 -

rem maie gerere Tru.Vl·^; 223


es.se inirnicum rei suae Tru.231
rem laxe labare St. 521
rem foras labi Tri. 233
rem perdere Ba.1113; Cas. 90^ ; Ou. 50k, 70o; Ep.22O; Mo. 20: Ru. 38, 137*1·:
Tr£.13,332,609; Tru^S, 138, 236, 300, 301
rem perire Au. 299; Ci .501 ; Tru.V?, 50
perire ab re atque ab animo Tru.*47

Usurpation
rem ad exulatan abire Mer. '+3
rem auerrsre Tru.19 ( mais ms Β C D donnent auferat)
rem corrumpere Mo. 28; Tri. 11^
rem dilacerare Cap. 670
rem distrahi Tri.617
rem diuexare Per.780
rem habere perditui et praedatui Ci. 365
rem lacerari Mer. ^8

Acquisition
rem accipere Tru.738
rem cogère Tru.310
rem expetere Tri. 272
rem obtinere Ci.81
rem parare Vien^Qk; Ru. 38; St. 520; Tri. 73if
rem quaerere Ps.197
rera_st£uere Au . 5 'f ^

N.B.
Certains emplois sont contestables car re_s peut avoir en même temps la
valeur plus générale d'intérêt à défendre. Notre liste serait donc plutôt
lacunaire car nous n'avons retenu que les emplois nets , c'est-à-dire
ceux dans lesquels res désigne clairement le bien possédé.
- 278 -

DIVITIAB

Possession
diuitias confiteri Cap.JH2
diuitias esse Cap.28i, 318 5 Ep.329 ; Men.59 ? Mi. 723 ; St. 693
diuitias habere Ba.333 ; Çu_.178 ; MiT1C63 ; Ru>.132P
diuitias occultare Gap. 299
prognatum (esse) summis ditiis Cap. 170
esse summis ditiis Poe.cO
esse alicui adfatim diuitiarum Mi.980
superare aliquem diuitiis Au. 701
Tours prépositionnels : propter diuitias Carj.286 ; Mi . 679
esse in diuitiis |T.7O3 ? sT7i3'+ : Tri ,68a
Aoquieition
diuitias adportaro dornum SJt.^12
diuitias conruer^ Ru. 5^2
diuitias euenire Men . 67
diuitias facere Per.652
diuitias secum ferre Tri. ^55
diuitias indipisci ΕρΛ51
diuitias merere Men.217
diuitias quaerer» Tri. 339
diuitias reperire Au. 821

Don
diuitias dare M. 1213
aliquam in diuitias despondere Ci. 601
aliquam in diuitias dare Tri.605
aliquem in diuitias uenire Cap. 1010
aliquem ad diuitias uocare Ci .559
in diuitias aliquem adoptare Poe.90*f

Usurpation
prohibere aliquem diuitiis Ci.305
- 279 -

30NA

Acquisition
bona aggerere Tru.112
bona euenirs Ru.*fOO
bona parère Mer. 78 ; Ru.506 ; Tri. 3^7

Transmission à autrui
bona connendare Tri. 877, 1095
bona ( cognatis ) didere Mi. 707
( patorna ) bona ( filio ) rcddi Poe.1080

Mauvaise gestion
bona ( sua ) pro stercore habere Tru.556
bona perdere Tru.729

Usurpation
oppugnare aliéna bona Ρθγ.7^
boni.-? elauare As. 135
aliquem euortere bonis suis Tri. 21^
aliquem facere exheredem bonis Mo. 23^
priuare aliquem bonis suis ΤΓυ·57^
dicere neniam alicui de bonis suis Tru.213
- 280 -

OPES

Possession affirmée ou niée


opes esse Ci A$k ; Tri.*f67, k$7 ; Tru.S85
opum uiduitas Ru. 66k
pro opibus St.69O, 695
ex opibus Mi .520
opes condere Ru.HA-5

Acquisition
opum copiam comparare Cas.62*t

Usurpation
opes delacerare , deartuare Cap.o72
opes argentarias exenterare alicui Ep.672

Gestion
opes augere Cap. 768
opes commendare alicui Cap. kk$

Besoin
egere oputn R\x.2?k
esse orbas opum Ru. 3^9

Don
opes commodare Per.253

COPIAE

Possession affirmée ou niée


copiarum uiduitas Ru. 66^
thensaurus copiarum As. 655

Don
Copias commodare Per.253
copias regias of ferre Ba.6V7
- 281 -

ARGENTUK

Possession

minas argenti As. 579; Per.683; Pis.


argenti inopia 0^.33^
argenti montis fîi.1065
copia argenti Por.'l15
:narsuppium plénum argenti Eu.5^8
argenti nummus paratus Pr.97
medimnum mille argenti St. 587
talentum argenti Tru.952
argentum habere As. 103 ; Cu. 530 ;Men.27O ; Ps.1125 , 11 63
esse ou non esse argentum Cu.3*+ ; Per.120 , 302 ; Pj^.313, 673; Ru. 396, 1257
adesse argentum Ep.463
inesse argentum Per.321 ; inesse largiter argenti Ru.1188
sine argento Fr.I 33 ( ex Char 199) : Ps.378
cum argento Per.680
uidulum cum argento Ru.1309» 13^0
argentum compactum Ru. 5^+6

Thésaurisation

argentum condere Ps.35^

Mauvaise gestion , gaspillage ou perte (usurpation vue du côté de la victime)

argentum amittere Per.A-03


uehiclum argenti eiieere Per.782
argentum o'/)(sîdi ΤγϊΛ19
argentum eeferri Ba.95
argentum egurgitare Ep.582
argentum obicere As.ei^f ; Mo.619
argentum perdere As. 2kk
argentum uomere Cu.688
- 282 -

Acquisition découverte
argentum comparare As. 250
argentum exstruere Ps.1ô2
argenti facere copiam As. 75, 8^8 ; Cu.33O
argenti facere aliquantum Ko. 35^
argentum facere Fr.III 6 ( ex Don ad Ph.IV 3,30 )
argentum inuenire As. 252 ; Ps.50
argentum paratum As. 728 ; Per.133 ; Ps.299
Bonne gestion
argento papci Cas. 501
Usurpation
argentum abuti Per.262
argentum auferre Cu^O^ ; Ep.160, 193,352 ; Per.326
argentum capere Men.219
aliquem argento ou argenti circumducere Poe. 128? ; Ps.^31, 63*t
decutere tantum argenti Ep.3O9
aliquem argento interuortere As. 359 î Ps.5^1
Opérations commerciales
credere fenus argenti Mo. 629
fidem argenti habere Per.785
sumere in dies minasque argenti singulas nummis Ep.5^
argento haec dies praestitutast Ps.37^,623
argentum accipere As_.87,765 ; Cap. 989 ; _Οΐ|ΐΛ58,46θ ; Ep.319,37O,if63,646;
Mo. 269; Per. 162,^12 (2 fois) ,*M*f, 526, 676,716; Ps.627,99^,
1011 , 1122,11^8 ; Tri. 993
argentum denumerare As. ^53 î Ep.71
argentum enumerare Per.531
- 283 -

ν -■. fc:L un cul a argent i Gap. 193 ; ratio arg?nti Tri .4 1 8


urgentum daro ( Joan?r en échange do la murchandino ) An. 83! 4^7, 473,-3?-,
694, 712 ( libçllnm argenti dare Cap. 9^7) ; Cas. 85; Ci?. 3^5,
4>S ; Ep.3o5,484,564 ; Mon. 54 ; Mer. '«92 ; Mo. 2. 11 , 9i8, IOgj?,
10S5 ; Per.260,1, 327,^01,2 , 422, 838 ; Poe. 81 t 2 , 519 ;
Ps. 235,508, 518,335, 553, ^ , 1015,1154, 1200,1207,1229,1313 ;
Ru. 9", 727, δ, 7^5,133^,7 ,S ; Tri. 125, 7 , 130, 1?9,1P2, 106i ;
Τπα.9^6
argenturn codo p9r.'i-22,3 ; tnlentum aresnti cedo Ru. 1375
argentum crodere A s. ^-9^ ? Per.'+32
umere Ep.53,252 ; Mo. 917,
nrgentum promere Ep.3O3; Ps.355 ,12^5
argentum exigere Ρργ.423
argentum euoluere (de mari ) Ps.317
argentun debero Ef. .71; Men.930; Mo. 1021 ; Poe. 1^01 ; Pf>.î2O6 ; Tru.S^S
argentum absumere Mo. 11 40
emere aliquid argento As.198, 673 ; Cap. 205 5 Ep.704 ; Men 1101 ; Mer. 973
conducere argento Ps.1192 ; loo^re argento Mo. 302, 535
argento uendere Poe. 89 ; Tri.1082
occupatum argentum ( argent engagé ) Ep.29S
argentum ferre As. 3^7, 355, 699, 700,733 ; Ep.295 ; Mon. 594 ; Ps.598
argentum adferre As .240, 337, 3^0, 369 ; Cu.226 ,581 ; Per.6?2 ; Ps. 376, 549
1091,1160; Vi.83
argentum efferre Ep.633 ; Per.667
argentum déferre Ep.2&7 ; Tru.662
argentum referre Cu.723 ; Men. 1035
argentum diuidere Au.180
argentum reddere Cu.o12 , 069 ,710 ,717 ; Mo_.590,671 ,672 ; Per.424 ; Ps . 1 1 83
Ru. 1370 ; Tri. 133
argentum reraxttere As .335
argentum resoluere Men.930

Demande , besoin

argentum expetere Ci. 739


nrgentum petere Cu. 68, 207, 559 ; Ep. 55,607 ; Men.1045, 1056 ; Mo.361 ; Per.671
τ· 284 -

argentum poscere PerJ+25


argentum quaerere Per,5 ; P
argentum quaeritare As.^29
argentum rogare Pj?r.v9 ; Ps.295 ; Tri. 758
argento opus est As.ti9 ; P_s_.732 ; Ru. 726
- 285 -

AVIÎVM

Possession

aurum esso ou inesse Au_.608 ,765 ; Poe. 777,782 ; Ru. 396, 926,1257
cum Philippis aureis Poe. 732
cum auro Poe.77'-f
uidulum curn auro Su. 1295, 1309, 13^0
aurum esse in marsuppio 2u.1313
aurum habcre domi Au. 110,185; Βα.2ΰ9·; Men.jV? ( 2 foir ) ; Tru.$19

Thésaurisation

aurum condore , abscondere Au. 63, 55 ; Ba.312


compactum aurum Ru .5^6
aurum esse in arcn Au. 823
aurum celare Poe.180
aurum situm in luco Au. 61 5
custoG auri Tri. 252
inspicere aurum Au. 39
aulam onustam auri abstrudere Au.617
aurum abstrudere Au. 563,679,707

Acquisition découverte

aurum inuenire Au.609 ;


aurum reperire Au. 621,828

Bonne gestion

aurum deponere Ba.3O5


aurum seruare Ba.338
- 286 -

Demande , besoin

auro opus est Ba.220 ; M.IO61 ; Tru. 936


auro usus est Ba.705
petere Ba.631
aurun repetere Ba.776
aurum rogare Ba.878
aurum poscere Ba.7O3 ; Poe. 705
aurum reposcere Au. 763

Opérations commerciales

aurum concredere Au.7,615 ;


aurum credere 38.;?75,106^ ; Tri .961
aurum diuidere Poe. 775

aurum dare 3_a.335,7O3,7^2,1O^fO,1i89; Ep.3O1; Men.5^5 ? ΗβιτΛ88 ; M1.10V?;


Poe. 108, 17^,681, 710, 712 ; Tri. 779,781, 968,982 ; Tru. 935.9^6
cedo aurum Ba.1O66; Μβη.5^,546; Tri .968
aurum capere Ba. 1 059 1 1062,1063
aurum accipere Ba. 10^, 250,686,1061 ; Cu.201; Poe. 705 ,713, 96^, 969
aurum af ferre Ba_.315; Poe. 763 ; Tri. 11^
aurum déferre Poe. 17^ ; Tri. 935
aurum ferre Ba.1O59 ; TrjU 778, 973, 11^3 5 Tru. 893, 935, 9*f6
aurum referre Poe. 1^17
aurun arceesere Ba.35i<·
aurum expendere Ba.ô'K) ; ΜθγΛ87,^88
aurum debere Poe.
aurum gerere Ba.712
auro facere Ba.33^
auro uenditare Ba.i'f
auro exigere Ba.223, 903 ( 2 fois )
aurum reddere AU.829 ( 4 fois ) ; Ba_.330, 520, 530, 576, 622,681 (2 fois )
68*t;685i 736, 80if, 1185 ; Men.5if5.5lf6 ; Poe. 1393, 1*fO8,1«fi'ti T£i.9
287 -

lurum reportare Ba.32o


aurum sumere Ba. 339, 352

Perte , gaspillage

aurum perdere Au. 723, 785 ; Ba.1042

Usurpation ou désir d'usurpation

cupidus auri Poe. 179


de auro ludificari Ba.523
de auro mendacium dicere Ba.958
insidias de auro parari Poe. 549
insidias de auro fieri Ba.229
aurum auferre B_a_. 277, 297, 301 ,694,805,824
aurum derrière Ba. 663, 671
aurum harpagari Au. 201
aurum rapi Au.392
aurum surripere Au. 39, 772
adimere aliquem auro Mo.481
aurum abuti Ba.360
aliquem auro priuare Poe. 775
aurum capere, expugnare Ba.931 ( mais vers peut-Ôtre interpolé )
aliquem auro attondere Ba.1095
auro circumducere Ba.1101
fur auri Poe. 184, 1335
aurum deuorare Au. 194
exlecebra fiet hic auro senis Ba.944
288

? ) Spécificité des lexèmes

Remarques préliminaires
Il existe d'autres tours que ceux qui utilisent les substantifs pour
désigner les différents domaines que nous avons distingués. Ainsi la
possession peut être exprimée par diues sum par exemple, ou l'usurpation par inferre
in paupertatem. Ces emplois sont toutefois quantitativement inférieure à
ceux qui font intervenir nos lexèmes res , diuitiae , bona ...
Les lexèmes étudiés ont d'autres emplois que ceux qui sont répertoriés
dans les listes mais ces emplois sont assez peu nombreux et n'entrent pas
très nettement dans les catégories que nous avons distinguées. C'est pourquoi
les décomptes que nous venons d'effectuer à propos des lexèmes sont inférieurs
à ceux qui ont été faits lors de l'étude analytique.

Remarques essentielles
Il semble préférable de laisser de côté momentanément les deux
derniers lexèmes argentum et aurum , qui faussent l'étude statistique de par
la grande quantité des emplois correspondant aux opérations commerciales.
Nous les examinerons par la suite.
Si nous considérons donc les cinq lexèmes res , diuitiae , bona , opes
et copiae , il apparaît que l'expression dynamique ( acquisition , bonne ou
mauvaise gestion , usurpation , don et demande ) l'emporte largement sur
l'expression statique , celle de la possession. Plus précisément , l'expression
dynamique est au moins deux fois plus fréquente que la statique.
Cette constatation n'est absolument pas inattendue. Elle correspond
parfaitement à l'intrigue typique de la comédie plautinienne : une fois qu'un
personnage constate son indigence ( = absence de possession ) , toute la
pièce se passe à la recherche de tours pour demander , acquérir , au besoin en
usurpant , les fonds nécessaires à la conduite des opérations projetées ,
essentiellement amoureuses.
Pouvons-nous faire les mêmes remarques en ce qui concerne les deux
termes "spécialisés" aurum et argentum ?
D'abord les deux lexèmes ont en commun les particularités suivantes:
- Ils sont bien plus employés que les autres lexèmes répertoriés.
- Ils sont présents dans toutes les catégories.
- Ils sont extrêmement nombreux dans les catégories qui étaient
289 -

peu représentées avec les autres lexèmes et qui sont celles des opérations
commerciales. Ainsi pour ces deux lexèmes également la catégorie de la
possession est bien moins représentée que celle de l'expression dynamique.
Quantitativement , argentum est surtout très employé dans le
Pseudolus ( environ un emploi sur six répertoriés ) et aurum dans 1 'Aulu-
laire ( environ un emploi sur six ) et les Bacchides ( environ un emploi
sur trois ) .
Etudions maintenant les affinités qui existent entre les lexèmes
et les catégories.
Nous avons déjà noté que les lexèmes res , diuitiae 4. bona ,
opes et copiae n'ont pratiquement pas d'emplois correspondant aux
catégories commerciales. C'est que les tractations se font avec des quantités
limitées d'argent , non avec des fortunes entières ou des biens
quantitativement très importants.
La catégorie de la thésaurisation , curieusement , n'est pas
représentée avec ces mêmes lexèmes. C'est là encore un autre élément qui
différencie les premiers lexèmes des seconds ( aurum et argentum ) .
Les catégories de gestion , bonne ou mauvaise , sont assez
bien représentées dans le cas de bona et surtout de res , au point qu'elles
leur semblent liées. Rappelons l'étude analytique (399) et les remarques
faites sur l'activité du sujet possédant la res : le bien désigné par res
n'est pas un bien obtenu par un coup de baguette magique , c'est une
possession qui s'acquiert lentement , qui augmente aussi lentement, si le
sujet possédant est vigilant , ou qui s'amenuise progressivement s'il est
négligent .Les images de construction et de destruction du bien sont à ce
sujet très instructives.
Diuitiae est employé plus d'une fois sur deux dans le cadre
de la possession. Ce sont notamment les richesses que le possédant
contemple avec béatitude. Ce sont aussi les biens dont on décide de faire
profiter autrui dans le cadre de la famille par le sang ou par alliance. Notons
que les diuitiae ne s'appliquent jamais au bien géré patiemment. Elles ne
sont jamais vues comme un tout que l'on fait fructifier mais plutôt comme
une masse inerte . D'ailleurs les diuitiae sont le plus souvent constituées
par l'or et nous verrons qu'une des particularités d'emploi d ' aurum et
d'argentum est la thésaurisation.
- 290

Bona est comparable dans une certaine mesure à res. Comme res , ce
lexème marque la possession et encore plus souvent le mouvement des biens :
l'acquisition, la gestion et surtout l'usurpation. Il est d'ailleurs à noter que
des 5 lexèmes res , diuitiae , bona , opes et copiae , c'est bona qui est
employé le plus souvent dans un contexte d'usurpation. La valeur originelle
du terme peut être à invoquer ici : les biens (au sens propre) sont sentis
comme tels surtout lorsqu'ils sont arrachés.
Quant à opes et copiae , ces lexèmes semblent se comporter comme diuitiae,
avec un nombre d'occurrences inférieur toutefois. Comme diuitiae, ils ne se
trouvent jamais dans un contexte de gestion mais ils peuvent entrer parfois
dans la catégorie du don. En revanche, ils peuvent , rarement il est vrai ,
être employés dans le contexte de l'usurpation. L'emploi d'opes lorsqu'il
s'agit d'une demande n'est pas étonnant lorsqu'on considère la valeur
première de ce polysémique (400) .
En résumé , il semble que nous ayons , du point de vue des emplois, deux
classes de lexèmes : d'une part res et bona spécialisés dans la gestion ,
l'acquisition et l'usurpation , et d'autre part diuitiae , opes et copiae ,
spécialisés dans la possession et le don.
Nous avons déjà noté la prédominance quantitative écrasante des opérations
commerciales dans le cas d'argentum et d ' aurum . Pour ces mêmes lexèmes , les
autres catégories sont assez faiblement représentées. Que conclure de cet état
de fait ? D'abord que la particularité d· aurum et d'argentum réside dans la
tractation commerciale. En effet , même des emplois classés dans les autres
rubriques pourraient se ramener à la catégorie -commerciale. Celui qui affirme
qu'il possède de l'argent le dit souvent en vue d'une opération commerciale.
Il en est de même pour celui qui en a trouvé quelque part ou qui en demande
de tous les côtés. Il n'y a guère que la thésaurisation qui échappe à cette
vaste structure dans laquelle argentum et aurum représentent des outils
commerciaux ( comme l'est d'ailleurs pecunia ). En effet , lorsque l'or est
thésaurisé, des tournures comme massae. . .auri (401 ) rappellent certains des emplois
de diuitiae. Dans ce cas, l'or n'est pas vu comme une monnaie d'échange mais
comme une richesse en soi en tant que matière précieuse.
- 291 -

Ain3i des trois séries de lexèmes considérés dans leurs emplois , l'une
souligne l'intimité des rapports possédant / possédé : c'est le groupe res ,
bona qui exploite surtout la veine de la gestion ; l'autre , le groupe
diuitiae , opes et copiae , considère tantôt le bien possédé , c'est-à-dire
inhérent à la personne , tantôt le bien à acquérir ou à offrir ; quant à la
troisième série , argentum et aurum , elle fait du bien une simple monnaie d'échange
et par Conséquent extérieure au possesseur.
Nous pouvons suggérer schématiquement ces rapports , le grand cercle
représentant la sphère du sujet possédant et le petit cercle le bien lui- même.
292

III) Traits communs à l'emploi des lexèmes : les séries imagées


Nous avons vu que les emplois peuvent varier quand on passe d'un lexème
à l'autre. Mais la façon d'appréhender le bien semble rester identique. Cela
apparaît nettement lorsqu'on étudie d'un point de vue stylistique les
expressions où figurent les lexèmes en question. En effet la récurrence de certains
tours est révélatrice . Ces tournures font appel le plus souvent à l'imagerie,
mais il faudra aussi étudier les mises en valeur d'ordre syntaxique, en
considérant notamment les séquences où le lexème désignant le bien devient sujet
du verbe principal. Les deux procédés ( recours à un vocabulaire imagé et à un
certain ordre syntaxique ) se renforcent d'ailleurs souvent l'un l'autre.

Considérons tout d'abord les emplois imagés. Un tableau des emplois


donnera une idée de la quantité et de la variété des comparaisons. Nous les
avons classées et nous reviendrons dans le commentaire sur les critères de
classement.
Un tout matériel Un aliment Un être vivant Une personne Une personne chè
resfractae sunt Per. 655 res périt Tru. 45 res deseruerunt rem tutari Men.96
rem confringere St. 630 ; Mo. 145 rem seruare Mi. 7
Tri.ère108,
Cas.336 res animamTri.agebat
rem disperd 248 1092 rem commendare
Tri. 108
rem distrahi Tri. 617 rem comedere res périt Tru. 50 res adiré exulatum
rem dilacerare Cap. 672 Tri. 417 Mer. 43
res res laceran Mer. 48 rem corrumpere
res liquitur Tri. 243 Mo. 28
res laxe labat St. 521 inimicus rei suae
rem diuexare Per. 781 Tru. 231
rem struereAu. 544 habere rem prae-
rem cogère Tru. 310 datui G. 366
diuitiae conruere diuitias Ru. 542
bona distrahere Tri. 834 ione destimulare caedere bona
bona bona differre Tri. 834 Ba. 64 Tru. 742 neniam Tru. 21
ione degerere Tru. 113b oppugnare bona ôona commendar
Per. 74 Tri. 877
copiae inconciliare copias
Ba. 551
opes deartuare ualidae opes opum uiduitas
Cap. 672 494 Ru. 665
opes opei exenterare opum orôas
Ep. 672 /Ju. 349
argentum eiicere uehiclum periere minae argentum
argenti Per. 782 argenti Poe. 1380 Tri. 419
aurum olet quadringentos tiare aurum
Au. 216 (nummos Philippos) seruandum
aurum ... contruncare
Ba. 975 Ba. 338
insidias fieri auro
Ba. 299
exitium (auro)
Ba. 944
- 294

REMARQUES SUR LE TABLEAU DES IMAGES

Nous notons trois images dominantes:

A) Le bien vu comme un tout fait de parties liées entre elles.


B) Le bien vu comme un aliment.
C) Le bien vu comme un être vivant et en particulier comme une personne
humaine »

A) Le bien possédé est implicitement comparé à un assemblage d'éléments poser


les uns sur les autres.
Aucun arrangement particulier n'est sensible à travers l'emploi de stru-
ere dont le premier sens est celui d' empiler (402) . Ainsi, pour souligner le
caractère très modique de sa fortune , Euclion au vers 544 de l'Aululaire :
" (neque) opinione melius res structa est domi "
prétend littéralement qu'on ne saurait parler à propos de son avoir de biens
"amoncelés',' .
Corruere (diuitias) (403) évoque. la même comparaison. Dans ce cas ,
l'amoncellement des biens se révèle d'une certaine manière plus improvisé qu'il
ne le semblait avec struere. En effet, le sens le plus fréquent de ruere et
des verbes de sa famille est " s'écrouler" , "tomber en ruine ". Il s'agit
ici avec conruere diuitias d'un emploi un peu particulier puisque transitif.
Mais il semble que l'élément hSte ou rapidité persiste à travers conruere .
On insiste en effet sur le fait que les biens sont amassés rapidement .Le
passage du Rudens met en scène un leno et son parasite qui lui avait promis
que leur expédition permettrait d'amasser très vite de grands biens, ce que
souligne , croyons-nous, le choix de conruere avec diuitias .
Aggerere bona (kOk) suggère une image très voisine, aggerere
signifiant entasser. La même image d'assemblage d'éléments se retrouve dans l'exer
pression cogère rem grâce au sens premier de cogère qui est pousser ensemble
(405).
Lorsque le bien disparaît, on le compare à un tos qui s'écroule ,
renversé comme dans la formule du Persa , au vers ?82 :
" Vehiclum argenti miser eieci ..."
Ici le personnage évoque le perte rapide de son bien en la comparant au ren-
- 295 -

versement d'une charretée de pièces d'argent. Le choix de la tournure


personnelle avec eieci implique aussi qu'il a lui-même contribué à sa ruine en
acceptant le marché que lui proposait le callidus seruus.
Une image comparable est contenue dans le tour auerrat rem eum puluis-
culo (Tru. 19) : elle (la courtisane) balaie le bien (de son amant ) avec la
poussière, c'est-à-dire sans en oublier une miette.
Mais l'image va parfois plus loin. Le bien est en effet parfois
représenté non comme un simple tas , mais comme un ensemble composé de pièces
soudées entre elles. On parle alors de la solidité de la res comme dans le
Stiehus au vers 521 :
" Si res firma , item firmi amici sunt ; sin res laxe labat,
Itidem amici conlabascunt. Res amicos inuenit ".
Ainsi lorsque le bien est menacé de disparition , on dit qu'il glisse
puisque labare signifie glisser jusqu'à s'affaisser. Avec labare la chute est
inévitable ( contrairement à ce qu'on observe avec labi ) . Dans cette for-
nul· , il apparaît que les éléments constitutifs du bien ont désormais perdu
leur cohésion puisqu'ils ont glissé , ce qui implique l'anéantissement total
de la fortune à plus ou moins longue échéance.
Des images du même ordre sont suggérées par frangere et les verbes de
sa famille. En effet , quand le bien disparaît, il y a brisure et mise en
morceaux de ce qui était un tout construit et pas seulement entassé. Notons
ici la fréquence du verbe confringere avec rem pour complément .-A' chacun
de ses trois emplois (406) , il s'agit de gaspillage et non de perte entraînée
par escroquerie.
La même dissipation est évoquée par les verbes composés du préverbe
dis- . Ce préverbe possède alors toute sa signification dans des verbes
comme distrahere , dilacerare , diuexare , differre car il souligne le
démantèlement (407) .
Parfois , la disparition du bien vu comme un ensemble dont toutes les
parties sont intimement liées évoque la fonte d'un bloc de glace ou plutôt de
cire ; c'est ce que suggère res liquitur au vers 243 du Trinummus .

Toutes ces images d'entassement et de cohésion sont surtout fréquentes


avec res dont nous avons d'ailleurs souvent noté le sème de solidité (408) .
Elles existent moins facilement avec aurum et argentum qui ne représentent
- 296

que des quantités limitées donc déjà des fractions en quelque sorte.
Evidemment c'est dans le cas de la disparition du bien par gaspillage ou
par usurpation que cette cohésion interne de la fortune est sensible.

L'image du bien comme un tas construit plus ou moins solidement nous


semble importante. Si elle n'apparaissait dans notre corpus que de manière
sporadique , au détour d'un ou deux emplois , nous pourrions croire qu'elle
n'est pas significative. Nous avons montré au contraire qu'elle était présente
dans un grand nombre de tours. Ces expressions , sans valeur si elles étaient
isolées , constituent donc par leur ensemble la preuve que la richesse est
sentie chez Plaute comme une "structure amoncelée ". D'ailleurs le trésor vu
comme un tas ne fait-il pas partie des images profondes auxquelles renvoient
les mythes les plus connus ? (409)

B) Le bien vu comme un aliment.


Sa disparition est consommation.
Une première série d'expressions est constituée par des formules qui
évoquent les dépenses entraînées par les festins. On pourrait objecter alors
qu'il n'y a pas d'image. Toutefois l'examen des syntagmes en question
montre bien qu'il y a là embryon d'image. Si nous considérons en effet le vers
4?6 du Trinummus ou le vers 312 du Iruculentus , nous notons en effet les
séquences (argentum) comessum , expotum ...(Tri)
et eam ( rem ) uos estis , . . .ebibetis. . . ( Tru ) .
Dans les deux cas , il s'agit non pas d'argent dépensé en nourriture et en
boisson ( ce pourrait être epulis , potionibus sumptum ) mais d'argent(ou de
patrimoine ) mangé et bu , ce qui est beaucoup plus expressif.
L'image est cependant plus nette lorsqu'il n'est pas du tout question
de nourriture et de boisson et qu'on n'évoque qu'un gaspillage ou une
usurpation en général. Dans le cas du gaspillage , nous sommes devant une variante
de la catégorie étudiée au paragraphe précédent. En effet , rem ou aurum co-
medere signifie manger son bien ( ou son or) c'est-à-dire le briser et le
faire disparaître en l'ingérant, cette ingestion correspondant à la jouissance
éprouvée lors de l'utilisation des fonds.
Une jouissance analogue est suggérée par l'emploi de l'adjectif dulce
au vers 346 du Truculentus :
- 297 -

(scio)
Dulce atque amarum quid sit ex pecunia "
La phrase est prononcée par un homme qui a tellement dépensé qu'il
s'est ruiné. Il regrette d'être privé du bonheur ( littéralement de la
douceur ) de jouir de son bien. Or nous devons remarquer que l'adjectif
latin est dulce qui signifie au départ "doux au goût ", par opposition
à amarum "amer " ( cf. E.M. p.l86).
Dans le second cas , celui de l'usurpation , nous approchons plutôt
de l'autre grande série imagée , celle de la personnification du bien.
Nous pouvons citer ici deux emplois.
Le premier est celui du vers 705 de 1 'Epidique . Dans ce vers ,
un personnage se glorifie d'avoir berné son adversaire puisqu'il a
réussi à lui soutirer trente mines :
" Iste ab ore tetigi triginta minis "
" Je l'ai touché ( en lui faisant cracher littéralement )
de trente mines "
Toutefois la leçon ab ore est contestée et certains lisent ob eam rem (4l0).
L'autre emploi annoncé est beaucoup plus pertinent. Il s'agit du
vers 194 de l'Aululaire :
" (Megadorus) inhiat aurum ut deuoret "
" (Megadore ) guette l'or ( d'Euclion ) pour le dévorer ".
La phrase évoque la lutte entre deux animaux , l'un guettant l'autre
comme sa proie (411). Deuorare implique en effet l'avidité de l'escroc.
Et il n'y a pas là indication d'une perte du bien ( pour celui qui le
mange bien entendu ) : le bien qu'il a mangé deviendra sa propre substance et
nous touchons alors le domaine de la personnification du bien possédé.
Faut-il ici tenir compte des nombreux emplois de la formule imagée
os sublinere (412) , littéralement "barbouiller le museau " pour dire
"duper quelqu'un" ? Cette expression pourrait être utilement rapprochée
du français rouler quelqu'un qui s'expliquerait en " rouler quelqu'un
dans la farine". En effet , il s'agirait alors dans les deux cas d'une
image empruntée au registre de la cuisine et rouler quelqu'un dans la farine
comme lui barbouiller le museau évoquerait la phase qui précède la cuisson.
Ainsi avant de dévorer la victime , on la ferait cuire après l'avoir enduite,
298 -

C) La personnification du bien possédé


Cette catégorie comprend des réalisations assez variées. Le bien est
comparé tantôt simplement à un être doué de vie , tantôt à une personne unie
au possédant par des liens de plus en plus intimes jusqu'à devenir sa propre
substance. Il y a donc des niveaux de complexité croissante.

a) Le bien est assimilé à un être vivant.


Il est en effet comparé , lorsqu'il disparaît , à un être que l'on
démembre , ainsi dans les Captifs au vers 672 :
" Deartuauisti opes ( meas ) "
ou à un être que l'on vide de ses entrailles comme dans le vers 672 de 1
'Epidique :
" Vt illic autem exenterauit mihi opes argentarias ! "
Rien n'indique dans les deux exemples qui précèdent qu'il s'agit d'un
animal ou d'un homme. En revanche , l'image de l'animal est présente dans le
tour des Bacchides au vers 64 :
" Aniraum fodicant , bona destimulant, facta et famam sauciant"
Dans ce vers , les courtisanes sont en effet comparées à des bouviers
qui d'une part piquent de leur aiguillon les richesses de leurs amants et
d'autre part opèrent une sorte de désintégration de leurs biens par démembrement
(valeur du préfixe de- dans destimulare ). On pourrait donc faire entrer cet
exemple dans la première catégorie , celle où le bien est senti comme un
tout matériel cohérent. Les images , nous le voyons ici nettement , se
chevauchent .
Une autre image semble aussi se référer au domaine animal , c'est celle
du vers 21 6 de l'Aululaire :
"... Aurum huic olet "
L'or d'Euclion est en effet comparé à une bête qui serait un gibier que
flairerait le chasseur, ici Megadore.
- 299

b) Les autres exemples présentent des personnifications pures et simples.


Les lexèmes désignant le bien possédé sont en effet employés avec des verbes
qui ont généralement pour sujet un nom de personne .Considérons ces exemples
successivement .
Examinons d'abord le cas où res est sujet du verbe deserere , dans la
Mostellaria au vers 144 :
" Nunc simul res, fides, fama uirtus decus
Deseruerunt ..."
Il faut noter qu'ici res est accompagné d'autres éléments , fides , fama
etc. Il s'agit donc dans l'ensemble des soutiens matériels et moraux de la
personne. De plus , le verbe deserere chez Plaute a toujours pour sujet une
personne qui en abandonne une autre , sauf dans notre exemple de la
Mostellaria ainsi que dans quatre autres cas où se trouve également une
personnification (413) -Dans les deux autres emplois , deserere a pour sujet un nom de
personne qui s'en va , ce qui montre bien que l'emploi de res avec deserere peut
être assimilé par cette particularité d'emploi à une personnification.
Le bien est vu aussi comme une personne qui s'en va à travers la
formule argentum o'tyiXdt au vers 419 du Trinummus, ou encore comme quelqu'un qui
fuit en exil , dans le Mercator au vers 43 :
" Res exulatum ad illam clam abibat patris "
Dans ce dernier cas , la personnification est incontestable , ainsi
qu'avec l'emploi de redire au vers 530 du Trinummus :
" Tribus tantis illic minus redit quam ôbeeaeris "
» Là on récolte (littéralement il revient ) trois fois moins
qu'on y a semé" (4l4).
Le bien qui disparaît est comparé à une personne à qui on cherche des
chicanes ; c'est ce que semble signifier le tour inconciliare copias , que
nous trouvons dans les Bacchides au vers 551 . Mais le verbe est mal connu;
il semble toutefois appartenir à la langue du commerce et signifier "chercher
- 300

des ennuis à quelqu'un" (415) .


Si c'est par usurpation que le bien disparaît, on parle alors d'une
attaque contre le bien d'autrui , qui se trouve alors assimilé à un ennemi;
la métaphore militaire est très nette dans le tour oppugnare bona au vers
74 du Persa , ou dans habere rem praedatui de la Cistellaria au vers 366.
La praeda désigne avant tout le butin pris à la guerre ; ce butin comportait
des hommes et des biens qui sont associés dans la comparaison de la Cistella-
ria :
" (Quam ob rem me meumque filium eum matre remque nostram)
Habes perditui et praedatui ?"
Les biens peuvent aussi être assimilés à des ennemis mis à mort par
l'escroc , comme dans le tour caedere bona du vers 742 du Truculentus.
Notons aussi les emplois de res périt dans le Truculentus aux vers 45
et 50 , ainsi que celui de res animam agebat au vers 1092 du Trinummus
même s'ils ne comportent pas d'image militaire.
En cas de gaspillage du bien par le possesseur , ce dernier est appelé
ennemi personnel de son propre bien , comme au vers 231 du Truculentus :
"Nec umquam erit probus quisquam amator nisi qui rei inimi-
cust suae " .
La personnification du bien possédé est encore sensible dans des
formules comme res corrumpi ou corrumpere rem (4l6). Ces tours qui évoquent
la disparition du bien par escroquerie sembleraient tout d'abord devoir être
classés dans la première catégorie , selon laquelle le bien est assimilé à
un ensemble matériel composé de parties soudées . Ici , il pourrait donc
s'agir d'une image de désagrégation par pourriture du bien en question , et
d'ailleurs corrumpere est employé par Plaute avec cette valeur lorsqu'il
s'agit par exemple d'aliments qui se gâtent (417). Mais les emplois les plus
nombreux (4l8) concernent une corruption morale , surtout dans le cas des per-
diti àmore . Ainsi le tour corrumpere rem ferait peut-être de res une matière
qui se désagrège , mais aussi l'assimilerait à une personne corrompue
moralement. D'ailleurs , dans des séquences de ce type , res est associé à un mot
désignant une personne , comme dans la Mostellaria , au vers 28 :
" (Hocine boni esse officium serui existumas)
Vt eri sui corrumpat et rem et filium ?".
- 301

Les biens sont encore comparés à des personnes avec le tour opes ualidae
de la Cistellaria au vers 494 . La famille de ualeo ne s'applique pas toujours
à la force physique d'une personne ; elle peut désigner la violence d'une
chose ou l'efficacité d'un procédé. Mais pour ce qui est de l'adjectif ualir;
dus, il ne s'applique chez Plaute qu'à des personnes sauf dans notre opes ua-
lidae (419). Nous sommes donc en droit de penser qu'il y a là
personnification.
Il est tentant de rapprocher opes ualidae de res salua que l'on trouve
opposé à res perdita dans le Trinummus au vers 810 . Toutefois , l'usage
plautinien semble donner à saluus la valeur générale de "entier, intact", la
spécialisation dans le domaine de la bonne santé ne s'étant produite qu'assez
tard.
Notons aussi la personnification que contiennent les vers 338 et 339 de
1 'Epidique :
" ... hoc (désignant le sac d'argent ) quidem iam periit.
Ni quid tibi hinc in spem referas ; oppido hoc pollinctum
est "
Il s'agit ici de la mort du bien, puis de son embaumement ou plus
précisément de la toilette du cadavre en vue du bûcher. Toutefois ,
pollinctum est une conjecture de Goetz , les manuscrits portant politum (B). D'autres
proposent alors polluctum qui signifie "offert en sacrifice ". Cette dernière
leçon est pour nous moins intéressante car elle n'implique que la comparaison
animalière. Pollinctum présente l'avantage de constituer avec periit une
métaphore filée : après la mort , la toilette mortuaire.
Nous trouvons ailleurs le procédé de la personnification du bien mais
il s'agit alors , comme dans l'exemple de 1 'Epidique que nous venons
d'évoquer, du bien contenu dans un objet précis , le sac dans 1 'Epidique , la
marmite dans l'Aululaire. En effet, au vers 576 de cette comédie , Euclion évoque
le changement de résidence de sa chère marmite , plaisante façon de déclarer
qu'il craint qu'on la lui vole ! :
" Post hoc quod habeo ut commutet coloniam ".
Il s'adresse ailleurs à sa marmite comme à une personne qui doit lutter
contre des ennemis personnels , au vers 580 :
"Edepol , ne tu aula , multos înimicos habes ".
302

Dans cette pièce, Plaute exploite d'ailleurs de façon plus


systématique l'équivoque entre la cassette et la fille d'Euclion , notamment dans les
vers 740 sqq. où le jeune Lyconide avoue à Euclion qu'il a "touché" à son
bien et où il demande à garder celle qu'il a touchée :
" Ergo quia sum tangere ausus , haud causificor quin eam
Ego habeam potissimum . (v. 755-756 ).
Ce procédé que Molière réutilisera en particulier avec les "beaux yeux
de la cassette" au cinquième acte de l'Avare , est incontestablement très
comique. Or il n'est possible que parce qu'Euclion ( comme d'autres
personnages du théâtre de Plaute ou dans la vie ) a tendance à assimiler sa fortune
à un être cher et plus particulièrement à son enfant , et qu'il a donc pour
son bien un attachement viscéral.

c) Nous passons maintenant à une personnification plus précise , ou


plutôt à des tours dans lesquels sont suggérés les liens entre les personnes,
celle du possesseur et celle à qui on compare le bien possédé.
Le cas est très net pour les expressions opum et copiarum uiduitas
du Rudens au vers 665 et orbas opum au vers 349 de la même comédie.
L'expression du Rudens , opum et copiarum uiduitas , constitue le seul emploi
de uiduitas chez Plaute, ce qui complique notre examen. Il devient dès lors
impossible d'affirmer absolument qu'il y a personnification. Il est possible
alors de recourir à un mot de la même famille pour se livrer à cette
recherche. L'adjectif uiduus nous semble suffisamment proche de uiduitas pour être
choisi comme objet d'étude. Or il apparaît que uiduus est employé à plusieurs
reprises avec le sens de privé de mari ( ou de femme). Dans tous ses emplois,
soit 12 (420), uiduus a son sens propre de " privé de conjoint" , la valeur
de uiduus étant d'ailleurs moins précise que celle du français veuf ou veuve,
puisque la privation peut avec uiduus n'être que provisoire , à l'occasion
d'un voyage par exemple , et ne pas impliquer nécessairement la mort. Mais
il s'agit toujours ; chez Plaute d'une personne privée de son conjoint alors
qu'à l'époque impériale uiduus sera employé comme un équivalent de uacuus
(421). Toutefois , il semble que l'adjectif s'applique plus souvent à l'état
de la femme privée de mari qu'à celui du mari privé de femme , sans doute
303

parce que dans le premier cas la détresse est plus manifeste. C'est alors que
l'on comprend mieux l'image du Rudens , uiduitas opum et copiarum , qui
s'applique à la détresse de deux jeunes filles rescapées d'un naufrage et ayant
perdu tous leurs biens.
Un emploi comparable est celui d'orbas opum. Orbus signifie "privé de
ses parents" ou "privé de ses enfants " et s'applique de façon cocasse aux
brebis dont on tue les agneaux dans les Captifs au vers 818 :
" Tum lanii autem qui concinnant liberis orbas ouis " .
L'autre emploi est notre orbas opum du Rudens au vers 349- Il s'agit du
même contexte que celui que nous décrivions précédemment. Les deux jeunes
filles sont comparées à des mères privées de leurs enfants ou à des enfants
privés de leurs parents , ces derniers étant leurs biens, opum. Ainsi le
petit nombre total des emplois , deux seulement , l'un au sens propre et
l'autre au sens figuré , ne peut faire conclure à une prédominance d'emploi dans
un sens ou dans un autre. Notons cependant qu'orbitas est employé , une
seule fois malheureusement , dans les Captifs au vers 763 avec sa valeur propre:
" Quasi in orbitatem liberos produxerim ".
Il s'agit ici de la situation des enfants privés de leurs parents.
Avec ces deux types d'emploi, uiduitas et orbus , le bien est donc
montré comme un être proche , de la famille de celui qui parle et qui
constate amèrement son absence. Ce sont alors les liens de mari à femme et vice
versa , ou ceux de parents à enfants et vice versa , qui sont plus que
suggérés ici. Ils sont même nettement indiqués dans une image comparable aux vers
973 sqq. des Bacchides. Dans ce passage , les 400 philippes que l'esclave
Chrysale va dérober à son vieux maître sont comparés par lui au fils de Priam:
" Sed Priamus hic multo illi praestat: non quinquaginta modo
Quadringentos filios habet, atque equidem omnis lectos sine
probro :
Eos ego hodie omniè contruncabo duobus solis ictibus ".
L'argent du vieux maître est donc complaisamment comparé aux fils de
Priam et la personnification est soulignée par le fait que les verbes contrun-
co et surtout obtrunco sont presque toujours utilisés dans un contexte
militaire et désignent alors la destruction de l'ennemi , comme au vers 252 de
l'Amphitryon.
- 304

Les liens précis entre conjoints ou entre parents et enfants ne sont pas
nettement indiqués dans trois autres cas qui suggèrent pourtant des rapports
étroits, familiaux ou amicaux. L'exemple de dicere de bonis neniam dans le
Truculentus au vers 213 est assez étonnant : les biens sont alors comparés
aux morts pour qui les gens de la famille ou les amis chantent des
lamentations funèbres. Malheureusement , Plaute emploie toujours cette expression
avec un sens figuré , suggérant la fin de quelque chose , fin des jeux dans le
Pseudolus au vers 1278 , ou fin de la toilette des courtisanes au vers 231 du
Poenulus. Toutefois, nous pouvons supposer que l'image existe dans l'exemple
du Truculentus. En effet , elle s'intègre bien à toute une imagerie de
l'escroquerie qui met en scène la mort du bien qu'on attaque. Dans ce cas , si
la métaphore est filée ( d'une pièce à l'autre bien entendu ) , pourquoi ne
chanterait-on pas sur les biens une fois morts la lamentation funèbre après
avoir fait la toilette mortuaire ?D'ailleurs Festus , qui reconnaît ici
l'image , la loue en 154,25 ·
Nous aurions pu classer cette image dans la rubrique précédente , celle
de la simple personnification. En effet , un point obscur subsiste encore
pour nous : Qui chantait cette lamentation funèbre ? les amis et les
membres de la famille ou les pleureuses engagées à cet effet ? S'il s'agit de
femmes étrangères à la famille , il faudrait évidemment classer cet emploi i'
dans la rubrique précédente. Mais ce déplacement ne nuirait en rien à
l'originalité de l'image.
Avec les derniers emplois de la série , rem seruare , tutare , sospita-
re et commendare , la personnification est a priori moins évidente que dans
les cas précédemment examinés. Cependant si nous considérons les emplois
plautiniens de seruo et de commendo , il ressort que dans la majorité des
cas ces verbes ont pour sujet des individus qui protègent un être cher ou
le confient à un ami . Examinons en détail ces emplois.
Seruare est très fréquent chez Plaute puisque nous en notons 135
emplois. Sur ce total , 59 exemples donnent à seruare un complément d'objet
direct désignant une personne et souvent dans des formules de souhait ou
des prières comme di me seruent. Dans les autres cas , lorsque le complément
d'objet direct n'est pas une personne , il s'agit du bien possédé ( 12 fois
dont 6 fois avec res ) (422) ou de notions morales comme fama ou fides(423) .
305

Nous pouvons ranger avec seruare le verbe qui a un sens assez voisin
et qui est le déponent tutari . En effet, tutari est à peu près une fois sur
deux employé avec un nom de chose qui est toujours res , désignant le bien
possédé (424) .
Un verbe de sens assez proche , sospitare , est employé par Plaute de
la même manière. Le corpus en présente deux occurrences. Dans un cas , il
s'agit pour un esclave de sauver son maître avec le tour erum sospitari de As.
683 · Dans l'autre , c'est la fortune que les dieux sont appelés à préserver,
au vers 546 de l'Aululaire :
" Plus plusque istuc eospitent (di) quod nunc habes"
Nous voyons donc qu'il y a pour le second emploi une personnification
puisque la plupart des emplois de ce verbe archaïque s'appliquent à quelqu'un
qui revient de voyage ( cf. les exemples rassemblés par Pedersen , MSL 22,10
sqq.)
Le verbe commendare présente des emplois analogues. Il est employé à
peu près une fois sur deux avec un nom de personne comme complément d'objet
direct. Tous les autres emplois présentent en complément d'objet direct un
nom qui désigne le bien possédé (425).
Nous constatons donc que le bien possédé est assimilé implicitement ,
par le choix des vocables , à un être cher sur qui il faut veiller et qu'on
n'hésite pas en cas de départ à confier à un ami intime.
d) Nous avons considéré successivement la personnification pure et
simple et l'assimilation du bien à un être cher. Il nous faut maintenant aller
plus loin et considérer le quatrième groupe d'images. Elles font du bien
possédé la substance même du possédant , un élément indispensable à sa vie.
Cet élément nécessaire n'est pas identifié mais il est bien réel dans la
tournure du Truculentus aux vers 46 sqq. :
" Si ira tum scortum fortest amatori suo,
Bis périt amator, ab re atque ab animo simul ".
Dans cet exemple , res est mis sur le même plan qu ' animus . Comme son
coeur , sa fortune fait partie du possédant et il ne saurait vivre sans elle.
Les autres emplois fournissent des identifications plus précises. Le
bien est assimilé à une substance organique particulière qui n'est pas nommée
- 306 -

mais qui se dégage du verbe utilisé . Tels sont les tours argentum egurgita-
re et uomere, auro emungi , auro attondere aliquem .
Examinons ces emplois. Il s'agit à chaque fois d'exprimer une usurpation.
L'exemple de 1 'Epidique au vers 582 :
" Quid ? ego lenocinium facio, qui habeam aliénas domi
Atque argentum egurgitem domo prosus ?..."
implique que le leno considère son argent comme une partie de son corps dont
il lui faut douloureusement se séparer. Le verbe egurgitare est en effet à
rapprocher de gurges qui signifie tantôt "gouffre" "abîme" , tantôt "gosier".
Cette seconde valeur qui semble appartenir à la langue populaire (426) est
celle que nous avons reconnue dans notre exemple. Mais si Plaute avait
présenté d'autres emplois d 'egurgitare , l'interprétation du passage aurait
peut-être été plus simple (427 )· Malheureusement , le verbe n'apparaît
qu'ici. En revanche , Plaute utilise dans le Curculio au vers 126 le verbe
ingurgitare ( faucibus ) qui évoque la gloutonnerie du parasite. Ainsi c'est
probablement le sens de vomir, littéralement " cracher par la gorge " que
contient le verbe egurgitare. Nous pouvons d'ailleurs évoquer ici le tour
français "faire rendre gorge à quelqu'un " pour signifier lui prendre de
force ce dont il s'est emparé par des moyens illicites .
L'image est plus vite identifiée avec le verbe uomere. En effet , sur
les quatre emplois du corpus , trois présentent le sens propre de vomir
(428), et le quatrième est l'exemple du Curculio au verbe 688 :
" Atque argentum propere propera uomere ..."
L'image apparaît donc bien nettement. Avec ces deux verbes ,
egurgitare et uomere , l'argent est comparé en quelque sorte aux entrailles du
possédant. Avec les autres verbes , l'élément vital n'est pas tout à fait le
même. Il s'agit d'abord des humeurs ou mucosités contenues dans le nez avec
l'emploi de emungere. Ce verbe emungere est utilisé 5 fois par Plaute ,
presque toujours au sens figuré. Il implique seulement la duperie dans 1 'Epidique
au vers 494 et dans la Mostellaria aux vers 1109,1110, mais à deux reprises,
dans les Bacchides, il s'agit précisément d'un détournement de fonds. Cette
usurpation est en effet évoquée aux vers 701 et 1101. Au vers 701, l'escla-
- 307 -

ve Chrysale annonce avec verve son désir d'escroquer son vieux maître :
" Emungam hercle hominem probe hodie ..."
Le projet est mis à exécution ainsi qu'on le relate *K)0 vers plus loin
et le vieillard dupé déplore amèrement la machination dont il a été l'objet :
" ( . . . hoc est demum quod percrucior
Me hoc aetatis ludificari , immo edepol sic ludos factum)
Cano capite atque alba barba , mi sérum me auro esse emunc-
tum" .
Dans ce cas , l'élément arraché à la personne apparaît, c'est auro , et
auro emungi signifie "être mouché de son or ". L'image est rendue plus
comique par les détails donnés au début du vers cano capite atque alba barba ;
peut-être en effet le vieux Nicobule oppose-t-il sa vieillesse chenue à
l'état des petits enfants qu'il faut moucher ? Il est d'ailleurs à remarquer que
dans les autres duperies exprimées grâce à emungere , ce sont toujours les
vieillards qui sont escroqués. Simple coïncidence ou recherche comique (^29) ?
Entrailles et mucosités sont des éléments intérieurs , inhérents au
corps de l'individu. Une nouvelle substance , qui n'est pas intérieure , est
évoquée dans les Bacchides. Toutefois , elle est assez précieuse et fait corps
avec l'individu : c'est sa peau. Dans ce cas , il ne s'agit pas à proprement
parler de personnification mais plutôt d'assimilation au monde animal. En effet,
les deux vieillards des Bacchides à qui on a extorqué de l'argent sont
comparés à des brebis tondues. Avant que l'opération ne se réalise, le seruus calli-
dus présente ainsi son projet d'usurpation en raffinant sur l'expression et en
la parant notamment d'une allusion mythologique :
" Adibo hune, quem quidem ego hodie faciam hic arietem
Phrixi ; itaque tondebo auro usque ad uiuam cutem "
(v. 2^1,2^2 ).
L'escroquerie une fois réalisée , la victime se plaint en utilisant la
même image au vers 1095 '
" Is me scelus auro usque attondit dolis doctis indoctum
ut lubitumst ".
Ce vers est précédé d'une expression qui prépare en quelque sorte l'image;
"... Chrysalus me miserum spoliauit ".
- 308 -

Plaute semble employer ici l'image de la dépouille ; les biens de


l'homme sont alors vus comme sa peau elle-même , image que prolonge celle de la
tonte. Toutefois est-il bien sûr que l'image de la peau de bête existe dans
spoliauit ? Les autres emplois plautiniens de spoliare ou de spolia permettent-
ils de l'affirmer ? Dans la même comédie des Bacchis , l'expression cepi spolia
utilisée par Chrysale va bien sûr dans le même sens figuré. Nous retrouvons
là le processus déjà rencontré :
Ί } Le seruus callidus annonce métaphoriquement un tour de sa façon
2) La victime un peu après se lamente en employant la même image
( kJO).
Mais parmi les autres occurrences de spolia , deux ont encore une valeur
figurée, il s'agit du vers 599 du Miles et du vers 583 du Pseudolus. Dans les
autres emplois, spolia a sa valeur propre de butin pris à la guerre (*f3i)· Et
dans tous ces cas, au sens propre ou au sens figuré, spolia signifie d'abord
butin. Ainsi la valeur étymologique de peau de bête ne semble pas présente et
d'ailleurs le mot spolia alterne avec praeda qui signifie presque constamment
butin pris à la guerre et non proie animalière (V32) · Peut-être faut-il alors
abandonner cette allusion séduisante qui fait de spoliauit une anticipation
de attondit ? Cependant l'unité des images dans ce passage des Bacchis
plaide en faveur de cette allusion à la dépouille. On observerait en effet un
decrescendo comique dans l'emploi des verbes qualifiant l'usurpation dont Nico-
bule a été la victime : le premier verbe possède un sens radical puisqu'il é-
voque la mort avec interii au vers 1093 ou perii du vers 1090; ensuite nous
rencontrons au vers 10°A un verbe qui n'évoque pas vraiment la mort mais les
mauvais traitements , c'est lacerauit ; puis spoliauit correspond à un
prélèvement qui n'entame pas la profondeur de l'être ; enfin attondit ne définit
qu'une prise très superficielle au vers 1095 ♦
Dans l'Aululaire, Euclion définit son bien comme une partie de
lui-même. Ainsi au vers 186, à Mégadore qui lui demande des nouvelles de sa santé:
" Ain tu te ualere ?"
il répond :
" Pol ego haud perbene a pecunia ."
Cette partie de lui-même semble être définie par Euclion comme la
- 309 -

plus importante , son âme. En effet, au début de la même scène, il précise,


au vers 181 :
"...nam egomet sum hic, animus domi est "
"... car si mon corps est ici , mon âme est à la maison ".
Or son âme est à la maison parce qu'il y a laissé sa marmite.
Il faut constater que les images pittoresques que nous venons
d'étudier ne concernent qu'une usurpation limitée. Ce n'est pas toute la fortune
de l'individu qui se trouva arrachée ( sauf peut-être dans le cas d'Euclion).
Aussi bien les lexèmes utilisés sont-ils argentum ou aurum , tandis que dans
une expression plus radicale comme perire ab re atque ab animo de Tru.47,
l'usurpation est totale puisqu'elle entraîne une sorte d'anéantissement
comme l'implique l'emploi de perire
Nous atteignons maintenant la dernière rubrique de la personnification.
Le bien possédé n'est pas seulement une personne aimée du possédant ou même
une partie de son corps , il est le possédant lui-même. Cette figure est
utilisée à propos de l'usurpation du bien. Dans ce cas , aucun lexème de notre
champ sémantique de la possession n'est employé puisque c'est le possédant
lui-même qui souffre de démantèlement ou de mort. C'est pourquoi cette
dernière série de la personnification ne pouvait trouver place dans le tableau
général. Toutefois les contextes permettent d'évoquer à propos de chacun des
emplois les lexèmes à suppléer mentalement.
Nous pouvons distinguer 5 variétés d'emplois.
1) Au vers 508 du Curculio , le parasite brosse un portrait réaliste des
usuriers et des lenones ·
11 Vos fenore, hi maie suadendo et lustris lacérant homines"
" Vous , les usuriers , vous déchirez les hommes par l'usure;
eux, ils déchirent les hommes par les mauvais conseils et
la débauche ^)
Ainsi dans cette formule , ce ne sont pas les biens des individus que
déchirent ces mauvais hommes , mais les individus eux-mêmes , par un
rac ourci d'expression. Si ces biens devaient être désignés, ils le seraient sans
doute par res que nous trouvons dans un contexte comparable au vers 50^ de
la même comédie du Curculio
2) Nous relevons un autre emploi de lacerare avec comme complément le
possédant lui-même , dans les Bacchides , pièce décidément très riche pour
- 310 -

notre expression de l'usurpation. Au vers 109^, le vieux Nicobule se lamente


en ces termes :
" Chrysalus me hodie lacerauit , Chrysalus me miserum spoli-
auit ··.
Nous avons commenté plus haut la seconde partie du vers , mais la
première offre une expression plus dramatique : au lieu de dire " mes biens
sont mis en pièces " , Nicobule emploie la formule " l'esclave m'a mis en
pièces ". Ainsi apparaît en pleine lumière l'équivalence : mon bien = moi-
même .
3) Dans les Captifs , au vers 6^1 , nous notons un procédé comparable.
Hégion , qui s'est fait duper par un esclave , déclare :
11 Tum igitur ego deruncinatus, deartuatus sum miser
ixus scelesti techinis , qui me ut ""ubitum est ducta-
uit dolis )"
" J'ai été égorgé , dépecé ( par les ruses et les
machinations de ce scélérat qui m'a fait marcher à son gré )"
Mais la traduction d'Ernout par égorgé est approximative . En effet ,
deruncinatus contient l'image du rabot , image empruntée à la vie quotidienne,
image que Plaute n'utilise que deux fois. Elle rappelle celle contenue dans
tondere car c'est la partie vive et superficielle qui est alors arrachée.
A ces vers font écho les suivants :
" Quia me meamque rem . · .
Tuis scelestis falsidicis fallaciis
Delacerauisti, deartuauistique opes,
Confecisti omnis res ac rationes meas ."(v.67O sqq.)
Tout se passe comme si les deux verbes deruncinatus sum et deartuatus
sum étaient explicités par ces derniers vers. La perte du bien y figure en
effet en bonne place avec les deux expressions : meam rem delacerauisti et dear-
tuauisti opes. Il s'agit donc bien du démembrement de la fortune qui est
suggéré avec deartuatus sum.
Ό II faut maintenant étudier ces expressions hyperboliques très
fréquentes dans la comédie de Plaute et qui assimilent la perte du patrimoine à la mort
du possédant.
- 311 -

Nous ne croyons pas qu'elles sont de simples exagérations de langage,


explicables par l'agitation extrême dans laquelle se trouve le personnage.
Elles s'inscrivent dans un mouvement que nous avons déjà dessiné :
Le bien est la personne elle-même
Sa disparition est la mort de la personne.
Le passage où cette assimilation est la plus poussée se trouve dans
l'Aululaire, avec le désespoir d'Euclion qui a perdu sa cassette. Dans le
seul vers 713 sont en effet employés successivement les trois verbo-, perii,
interii tt occidi. Nous savons que perii seul est banal dans ce type d'emploi
et que interii et occidi sont beaucoup moins fréquents C+36). Dans ce
vers 713, l'association des trois verbes est très significative. Elle
correspond a un désarroi de tout l'être , désarroi consécutif à une perte matérielle,
ce qui confirme notre propos.
5) Dans la même ligne de l'assimilation du bien à la personne du
possédant , considérons maintenant une autre image , celle de la manducation. Il
s'agit essentiellement de deux passages, le vers 338 de l'Asinaire et le vers
1125 du Pseudolus.
Dans l'Asinaire, on vient d'évoquer un personnage qui a rapporté de
l'argent : adulescens ... qui id argentum attulit (Vers 337)· L'esclave Liban
demande aussitôt : Vbi is homost ? " Où est-il ? " . Et son interlocuteur répond:
" ... Iam deuorandum censés, si conspexeris ?"
"... Tu voudrais déjà l'avaler , aussitôt aperçu ?".
Deuorare hominem signifie donc ici " s'emparer immédiatement, en
employant au besoin la violence , de l'argent si désiré dont l'homme est porteur".
Nous relevons la même image dans le Pseudolus; le leno Ballion s'exprime
ainsi au vers 1125 ·
" Scortum quaerit , habet argentura ; iam admordere hune mihi
lubet"
" II cherche une fille , il a de l'argent ; j'ai bien envie
de me le mettre sous la dent ".
La métaphore est ensuite filée car comedo va plus loin et deuorari marque
l'achèvement du procès :
" Iamne illum comessurum es ?
- Dum recens est,
Dum calet , dum datur , deuorari decet tam ".
- 312 -

Admordere se trouve employé avec la même valeur , celle de prendre au


piège pour escroquer , dans le Persa au vers 267 :
" (Nam id demum lepidumst , triparcos homines, uetulos auidos,
ardos)
Bene admordere ...",
ainsi que dans un fragment de 1 'Aululaire que rapporte Aulu- Gelle (V57)
- 313 -

CONCLUSION SUR L'ETUDE DES IMAGES

Tous les exemples cités et commentés précédemment montrent que le


bien possédé est senti comme une "partie" du propriétaire. Cet aspect du bien
évoque la façon dont l'esclave ( un bien parmi les autres ) est ressenti par
les Grecs . Aristo^ ne dit-il pas que l'esclave est une partie du maître

Nous constatons que cette imagerie avec ses divers paliers s'articule
sur deux axes.
1 ) Un axe d'animation progressive selon lequel le bien est vu
successivement comme :
- un entassement
- un tout bien agencé
- un corps doué d'une sorte de vie
- un animal
- un être humain .

2) Un axe d'intériorisation progressive suivie d'une identification


totale : le bien devient alors :
- 1 ' ami
- le parent
- la substance vitale de l'être
- l'être même du possédant.

Est-ce que ces différentes métaphores correspondent à des contextes


déterminés ? Rappelons d'abord que dans presque tous les cas cette imagerie est
déployée dans un contexte de disparition du patrimoine . Cela est facile à
comprendre : c'est lorsque les choses disparaissent que l'on comprend combien
on leur était attaché . Mais le terme de disparition est encore vague. Il
semble que les images , plus complexes , de la personnification et de
l'identification correspondent au contexte plus dramatique de l'usurpation.
Peut-on aller· plus loin dans l'analyse des emplois et discerner les
liens qui unissent les lexèmes et les catégories d'images ?
Il semble que certains éléments vont de pair : l'emploi de res , la
catégorie du gaspillage et le choix de l'image de la construction du bien. Cette
- 314 -

association est assez facile à interpréter. En effet , le gaspillage , qui


est lent et progressif , évoque la dissolution d'un tout de plus en plus réduit.
En revanche , la catégorie de l'usurpation totale ne semble pas liée à un seul
lexème ; elle coïncide en effet aussi bien avec l'emploi de bona que d'opes
ou de res , et elle est accompagnée de l'imagerie de la personnification avec
toutes ses facettes, depuis l'assimilation à un animal qu'on guette pour le
dévorer jusqu'à l'identification du bien et du possédant mis à mort.
Les deux manières de considérer le bien possédé mettent en évidence
des caractères qui sont inhérents à ce bien , à savoir la cohérence et la
puissance . La cohérence fonde l'image de l'ensemble constitué . Quant à la
puissance, elle constitue , avec la cohérence , la base nécessaire à
l'identification du bien au possédant. L'être vivant à qui on compare le bien doit
en effet être compose d'éléments cohérents , il doit aussi être animé c'est-
à-dire posséder une certaine puissance. Ces éléments , cohérence et puissance
du bien possédé , étaient déjà apparus dans l'étude thématique , avec la
solidité de la res , ou la force du diues. Mais ces traits semblent dépasser un
lexème particulier et correspondre au champ sémantique de la richesse.
Ces deux caractères du bien possédé , cohérence et puissance , sont-
ils propres à Plaute ou à l'expression latine ? La question est difficile à
résoudre. La comparaison avec Térence ferait ressortir que certaines images
existent aussi chez le second comique, par exemple- celles de nourriture ou
de construction du bien . Il semble aussi que d'autres auteurs ou peut-être
même le langage courant ont utilisé cette imagerie. Il est donc difficile
d'affirmer qu'elle appartient en propre à Plaute. Cette expression est-elle
alors spécifiquement latine ? La réponse ne peut être affirmative. En effet ,
une comparaison avec le grec permettrait sans doute de dégager , plus ou
moins bien orchestrée, une imagerie comparable. D'une manière générale , il
semble en effet que les Indo-Européens ont senti le bien possédé de cette
double manière que nous avons dégagée à partir du corpus plautinien. Examinons
donc brièvement certains éléments du folklore germanique tels qu'ils
apparaissent dans les opéras de Wagner par exemple. L'intérêt de cet examen est d'offrir
non des expressions mais des images qui les traduisent .
- 315 -

Ainsi il est curieux de constater que dans la Tétralogie nous


retrouvons les images essentielles relevées chez Plaute. En effet , la puissance de
l'or est bien mise en valeur et c'est grâce à l'or que dans L'Or du Rhin , le
nain Alberich a sur tous les nains une puissance souveraine. D'autre part, une
image domine la fin de L'Or du Rhin , c'est celle de l'or que l'on amoncelle
pour l'offrir aux géants qui ont construit le Walhall . Et cet or n'est p;..j
un amoncellement quelconque , il est ncntré cc.-mme ur assemblage de parties
unies les unes aux autres ou du moins qui devraient l'être. C'est d'ailleurs
pourquoi un des géants réclame qu'on apporte encore un morceau d'or car il
semble y avoir un trou dans le tas. Et c'est l'anneau que le maître des dieux
jettera à cet effet. Or cet ensemble compact de l'or va plus loin qu'un
simple entassement. Il semble être assimilé à une personne, puisque les géants
ont demandé qu'on Slève un tas d'or aussi haut que Fréia , la déesse dont ils
étaient amoureux, unsi le tas est-il constitué à la mesure d'un être , il
lui est comme assimilé. Et c'est pour souligner cette assimilation que la mise
en scène de Wieland Wagner fait du tas d'or une sorte d'idole antique faite
de morceaux d'or superposés dont l'entassement suggère une forme primitive.
Ainsi dans ce folklore germanique qui remonte bien entendu au fonds
indo-européen trouvons-nous comme un écho de ces deux traits de la cohérence
et de la puissance. Nous pourrions d'ailleurs expliciter cette puissance .
Il s'agit bien entendu du pouvoir d'asservir les autres , mais il s'agit
aussi du pouvoir de fécondité. C'est d'ailleurs pourquoi le tas d'or de L'Or
du Rhin est amoncelé derrière une femme qui est Fréia c'est-à-dire la déesse
de l'amour. Et c'est aussi ce dynamisme du bien possédé qui transparaît dans
les images que recèlent une expression comme le grec xovcei (kkO ) pour
désigner les intérêts produits par l'argent , ou encore des formules propres
à une époque telles que celle utilisée pour désigner les actions et les
intérêts dans le système édifié par John Law, les "filles " et les "mères" (Vf1 ).
Il semble donc que le système imagé que nous avons dégagé dans le
corpus plautinien se rattache à une tradition, perceptible dans d'autres oeuvres.
Faut-il alors conclure que cette recherche a été inutile puisque Plaute
n'apporte rien en ce domaine qu'on ne saurait trouver ailleurs ? Loin de nous l'idée
d'une pareille conclusion. Il apparaît en effet que l'expression plautinienne
que nous; avons analysée comprend beaucoup plus que quelques formules isolées:
elle constitue au contraire une véritable orchestration du thème, comme le
montrent les divers paliers que nous avons distingués.
- 316 -

Autre manière de considérer le bien possédé :


la richesse-don

Nous avons montré à partir des textes eux-mêmes que chez Plaute le
bien possédé était édifié ou démoli , avalé ou arraché à autrui. Mais ce
même bien ne possède-t-il pas , toujours chez Plaute , un autre aspect,
également sensible à partir des données de l'expression ?
Nous voulons parler ici de la richesse -don. En effet, dans un grand nombre
de passages , Plaute présente des personnages qui répandent leur fortune en
cadeaux. Ce gaspillage , quand il s'exprime grâce à des verbes comme dilace-
ro, diuexo (Mt-2) , s'intègre bien sûr dans cette vision traditionnelle du
bien possédé selon laquelle , comme nous l'avons montré , le bien est un
ensemble solidement construit. Mais quand nous examinons de plus près les
données , nous constatons que le gaspillage par les cadeaux est différent de
celui qui concerne les mets luxueux , les vins ou les parfums qui se
dissipent par nature. Les cadeaux , s'ils entraînent la ruine de l'amant , font
la prospérité de la meretrix. L'emploi du verbe dare et du substantif dona
montre l'importance chez Plaute de la catégorie du don dans l'expression de
la richesse.
Les emplois les plus significatifs de dare sont ceux dans lesquels le
complément de verbe n'est pas exprimé ; ils s'appliquent alors à la
possibilité ou l'impossibilité de donner , et par là à la richesse et à la pauvreté.
Presque tous ces emplois se situent dans des contextes qui évoquent les
relations entre les meretrices et leurs amants. Nous relevons ainsi à titre
d'exemple As. 52? : illos qui dant , Tru.217 : Dédit; nunc nil habet , Ps.257 :
Dedi , dum fuit ... et Pe.258 : Dabo, quando erit .
Le pouvoir de donner semble même constituer une sorte de programme, une
base indispensable aux futures relations entre les amants et les courtisanes,
comme le montre le vers 260 du Stichus. En effet , dans ce passage , le verbe
dabo est comme investi d'un pouvoir magique :
" (Nullan tibi lingua est ?)
Quae quidem dicat "dabo" .
Relevons encore le tour habere quod + subjonctif de dare qui constitue
une des manières d'exprimer la richesse , un des substituts en quelque sorte ,
317

de diues esse , ainsi au vers 242 de l'Asinaire :


" Si adfers , tum patent ; si non est quod des , aedes non
patent "(443).
Notons aussi le fréquent emploi de data , toujours dans le contexte
des relations amoureuses , pour désigner l'argent donné par l'amant à sa
maîtresse , comme en As. 56 ou Ps.306.
Considérons maintenant l'emploi du substantif dona . Il s'intègre dans
le même contexte que le verbe dare , celui des courtisanes. Parfois il vient
d'ailleurs renforcer dare , comme au vers 939 b. du Pseudolus : ego tibi
dona multa dabo et faciam , et comme en Mo.l84 et Tru-580. Le tour dona face-
re ou ferre semble d'ailleurs pouvoir se substituer à dare. Mais les tours les
plus intéressants pour nous sont ceux qui suggèrent une sorte de rivalité
entre les amants qui étalent ainsi leur prestige aux yeux de la meretrix. Le
vers de Mi.714 est particulièrement instructif à cet égard :
" Illi inter se certant donis ...",
comme l'est aussi celui de Tru. 589 , qui semble instaurer une sorte de
progression parallèle :
" Die ob haec dona quae ad me miserit,
Me illum amare plurimum omnium homlnum merito "
Il semble donc que nous assistons là à une sorte de caricature de
l'antique coutume qui consistait à étaler sa richesse en la distribuant pour
conforter ainsi son prestige personnel. Cela évoque bien entendu les remarques
de E.Benveniste dans le Vocabulaire des Institutions Indo-Européennes, t.1,
p.76 :
" On retrouve ...en indo-européen une manifestation sociale qui dans le
langage des ethnographes s'appelle le potlatch : exhibition et destruction de
richesses à l'occasion d'une fête ... Un homme conquiert et maintient son rang
s'il l'emporte sur ses rivaux dans cette dépense effrénée... Les compétiteurs
font une dépense supérieure , d'où un circuit de richesses accumulées et
répandues pour le prestige des uns et la jouissance des autres , comme Mauss l'a
si bien montré " .
Cette pratique de la dépense de prestige a d'ailleurs été récemment
étudiée pour la Grèce et Rome par Paul Veyne dans Le Pain et le Cirque.
- 318

Mais nous devons nous demander si le mode de relation sociale par le


cadeau ne s'effectue chez Plaute que dans le domaine , caricatural , des
rapports entre amants et courtisanes. En fait , il n'apparaît que rarement ailleurs.
Nous pensons en particulier à l'exemple fourni par une comédie qui n'est
justement pas conforme au modèle de la palliata , à savoir l'Amphitruo. Dans
cette pièce , Amphitryon est célébré pour avoir reçu un don magnifique des mains
de son adversaire malheureux , le roi Ptérélas , aux vers 260 -v ;4l8 et 780.
Ce qui est souligné alors , ce n'est certes pas la richesse de Ptérélas qui la
manifeste en effrant le cadeau mais plutôt le mérite de celui qui le reçoit.
Toutefois il reste que le cadeau exalte aussi le donateur.

En conclusion , nous pouvons dire que si le bien possédé apparaît le


plus souvent chez Plaute comme un ensemble construit , comme une réalité si
chère qu'elle est vv" comme un être vivant et même comme la personne même du
possédant , toutefoi i.a relative fréquence des tours comme habeo quod dem
ou dona dare , permet de déceler une autre façon de voir la richesse , plus
ancienne peut-être puisqu'elle remonterait à l'antique coutume
indo-européenne.
Nous trouverions là , au niveau de l'expression , une illustration des
deux grandes tendances qui s'affirment au moment des guerres puniques et que
Pierre Grimai a analysées dans son Siècle des Scipions : d'un côté un style
de vie luxueux , sensible aux prestiges de l'Orient , celui des Scipions , de
l'autre en réaction , une attitude plus économe , plus mesquine aussi , celle
de Caton.
319

CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE

Ainsi avons-nous essayé de montrer dans cette seconde partie que


l'expression de la richesse et de la pauvreté pouvait prendre l'aspect
d'une opposition de thèmes comme ceux du fort et du faible, ou du lourd
et du léger. Cette thématique est-elle propre à l'expression
plautinienne de la possession ? Certes , Plaute a multiplié avec sa verve coutumiè-
re les images qui existent à l'état de germe dans le langage populaire.
L'originalité de Plaute se situe plutôt dans l'utilisation dynamique de
ces oppositions. Ainsi avec Plaute le riche malin devient un loup dévorant
et le riche imbécile un gras mouton à tondre.
Mais le corpus plautinien ne contient pas seulement l'opposition
riche / pauvre. En réalité, un grand nombre de lexèmes s'échelonnent sur
la voie de la quantité des biens possédés. Le critère quantitatif est donc
important mais nous manquons de références précises. Cela tient bien
entendu à la forme utilisée par Plaute , à savoir celle de la comédie où
tout est plus ou moins marqué par le sceau de la fantaisie. Dans un
roman de Zola foisonnent les indications numériques concernant le mouvement
des fortunes , ce n'est pas le cas dans la palliata de Plaute. Cependant
une échelle quantitative grossière a pu être établie. Mais les lexèmes se
différencient aussi selon d'autres critères. Les critères qualitatifs de
la solidité de la permanence et de la manifestation seraient peut-être
plus pertinents que l'élément quantitatif. Cette observation vaut pour
notre corpus plautinien mais elle pourrait sans doute être formulée éga*
lement sur d'autres ensembles de textes latins.
Comment comprendre cette différence de fait avec nos langages
modernes qui privilégient , semble-t-il, le quantitatif, comme le montrent des
formations comme millionnaire et milliardaire ? La réponse réside peut-être
dans le fait que là richesse pour les anciens est essentiellement foncière.
Elle offre ainsi moins facilement prise à une évaluation chiffrée même
grossière, mais d'un autre côté elle est beaucoup plus stable que la
richesse monétaire. Les termes utilisés mettent en effet l'accent non pas sur la
320

quantité de pièces d'or, de têtes de bétail ou de jugères, mais sur la


relation plus ou moins solide qui existe entre le propriétaire et ses biens
( c'est le cas notamment avec locuples et res ).
L'examen des textes permet aussi d'observer une autre constante : les
termes et les tournures privilégient une seconde tendance selon laquelle
le sujet possédant jouit de ses biens de façon à en "éclabousser" l'autre,
comme le prouvent les emplois d'opulentus , luculentus , beatus et
fortunatus. Ces deux positions , objectera-t-on , sont contradictoires, puisque
la première met l'accent sur le lien juridique de possession et la seconde
sur l'apparence. Elles se succèdent dans les comédies , selon les situations
dans lesquelles se trouvent les personnages et correspondent , nous l'avons
vu , à deux conceptions de la possession.
Si nous reprenons , même rapidement , le parallèle avec le français
contemporain, nous notons une autre différence. Il est impossible d'établir
entre les termes de possession que présente le corpus plautinien un
clivage basé sur le travail. Il n'existe pas d'expression lexieale pour
différencier le pauvre qui travaille de l'indigent qui ne fait que mendier. En
effet, pauper ne s'applique pas uniquement au pauvre qui travaille. Euclion,
semble-t-il, ne fait pas grand chose ; or il vit comme un pauper. D'un
autre côté , les pêcheurs du Rudens qualifiés de pauperes ont une activité
bien précise et même un métier. Ainsi nous ne pouvons trouver chez Plaute
et sans doute en latin en général, une opposition entre les travailleurs
et les exploitants , opposition que l'analyse marxiste tend à substituer à
l'ancienne opposition entre les pauvres et les riches.
Le rapport de solidité et de manifestation qui existe entre le
possesseur et le bien possédé a donc été reconnu et étudié à propos des divers
lexèmes du corpus. Mais nous l'avons aussi observé dans l'imagerie que
Plaute développe lorsqu'il s'agit du bien que gèrent, convoitent ou
usurpent les personnages de ses comédies. La palliata, avec le schéma
dynamique de ses intrigues, permet en effet une présentation complexe du bien
possédé , qui connaît les avatars suivants : il peut être gaspillé par son
propriétaire, dans ce cas-là il se désagrège ou est mangé par lui. S'il est
- 321 -

usurpé par un tiers, on dit qu'il est avalé. Cette image de la manduca-
tion est révélatrice. Elle évoque d'abord le désir violent , quasi
organique, de s'emparer du bien d'autrui ou de jouir du sien. Enfin et surtout,
elle contient en germe cette assimilation fondamentale selon laquelle le
bien une fois mangé sera la substance même de l'être : il y a alors
fusion entre le bien et le possesseur.
Telle nous semble donc être l'originalité du système latin de la
possession dans le corpus plautinien : les termes et les tournures utili*
ses mettent l'accent sur la qualité plutôt que sur la quantité , sur le
quomodo plutôt que sur le quantum. Peut-être cette grande tendance
trouverait-elle une illustration dans l'etymologie latine du mot très courant
dans les langues romanes pour désigner l'argent , le mot sou venant de
solidus , massif. Il n'implique pas en effet au départ une quantité
précise mais une qualité de la possession. C'est donc la preuve que cet
aspect qualitatif est essentiel chez les Latins (444).
- 322

CONCLUSION GENERALE:
BILAN ET PERSPECTIVES
Tout au long de cette étude de l'expression de la richesse et de la
pauvreté chez Plaute , nous avons utilisé concurremment deux voies
d'approche :
- La description des emplois dans le contexte a débouché sur une
analyse sémique situant les termes les uns par rapport aux autres sur des
clivages quantitatif et qualitatifs.
- L'étude des images toujours à partir des contextes précis a fondé
une thématique antithétique de la richesse et de la pauvreté.
Ces deux méthodes se complètent. La première a pu paraître aride par
le recours à toutes les occurrences mais c'était là un gage d'exhaustivité.
Elle fournit le substrat indispensable à l'étude stylistique. Peut-on en
effet imaginer une étude thématique de la richesse et de la pauvreté dans
un corpus donné, qui ne soit pas basée sur une définition précise des dif-
-férents lexèmes?
D'un autre côté , l'analyse sémique des différents termes trouve son
point d'aboutissement dans l'étude stylistique et thématique puisque le point
de départ de notre recherche était un ensemble littéraire, celui des
comédies de Plaute.
C'est donc la puissance inhérente aux mots employés par Plaute, c'est-
à-dire leur signification dans le corpus , que nous avons essayé de dégager.
Il était alors intéressant de rapprocher ces significations des opinions des
grammairiens anciens , qu'elles soient ou non fondées scientifiquement,
puisque l'important était pour nous de pénétrer le sentiment linguistique
des contemporains de Plaute.
Si Plaute a pu en effet utiliser à partir des vocables existants des
images originales souvent doublées de jeux de mots , ou mettre en scène des
situations où s'affrontent dramatiquement les types sociaux du diues et du
pauper par exemple , c'est parce que son public partageait le même sentiment
- 323 -

linguistique. Ainsi l'analyse de la signification permet d'accéder à


l'étude stylistique qui renvoie elle-même à cette connaissance commune des
significations.
Notre ouvrage reste donc d'abord une étude de l'expression de la pos'r
session chez Plaute et non un examen des réalités socio-économiques de
l'époque. Toutefois ne pouvons-nous pas espérer avoir pénétré quelque peu à
travers les mots les choses ? Il ne s'agissait pas , et nous l'avons
signalé dès le début , de renvoyer à des réalités précises de l'histoire
économique et sociale du siècle des Scipions. Une telle entreprise aurait été
hasardeuse et vaine , si elle était menée uniquement avec des matériaux
purement littéraires. Mais les grandes constantes de l'expression
plautinienne de la possession peuvent évoquer des réalités socio- économiques
profondes , une sorte de substrat.
Sans doute ce type de référence n'est-il pas très original et a-t-il
été souvent évoqué du moins sous sa forme logique première qui est celle
du matérialisme, c'est-à-dire de l'attraction par le bien matériel.
En effet, les propositions suivantes ont pu être établies grâce aux
divers procédés utilisés par Plaute :
1) Le bion fascine
2) L'homme fait tout pour se l'approprier.
3) L'homme s'efface devant le bien qui est personnifié et
agit à travers lui.
C'est cette troisième proposition qui nous a menée à consacrer un
chapitre entier dans la seconde partie à l'expression du bien possédé. Certes ,
tous les personnages plautiniens ne sont pas Euclion et la troisième
proposition n'est pas toujours réalisée. Toutefois elle se concrétise dans
certains cas et c'est pourquoi nous avons choisi comme titre l'expression
pompéienne de Salue lucrum fondée sur cette même assimilation, très productive
au niveau du langage dramatique de notre poète , et très révélatrice d'un
état d'esprit sans doute typiquement romain.
Il faudrait alors étudier de près les différents auteurs postérieurs
à Plaute, à des époques successives , pour rechercher la trace de cette
même attraction par la richesse. Mais sans doute s'exerçait-elle déjà avant
Plaute, notamment dans le monde grec. Si ces enquêtes se révélaient positives,
- 324 -

il faudrait alors reconnaître là une constante universelle, du moins


dans le domaine occidental.
Mais le caractère positif reconnu en général à la richesse dans le
corpus plautinien et sans doute chez ses successeurs demeurera-t-il
constant ? Nous pouvons nous poser cette question et il n'est pas difficile
d'imaginer qu'une autre vision pourrait coexister avec celle que nous a-
vons repérée chez Plaute et peut-être même la supplanter. Cette seconde
vision serait une critique de l'argent et de la richesse en général. Elle
pourrait être décelée déjà chez les élégiaques, puis chez Sénèque et
chez Juvénal. Ainsi retrouverions-nous cette oscillation entre la
bénédiction et la malédiction de l'or , sensible tout au long de l'histoire
culturelle et spirituelle de l'humanité.
- 325

NOTES

1. Le recours à l'etymologie peut toutefois nous être utile


notamment lorsqu'une étymologie scientifiquement erronée met l'accent sur le
sentiment linguistique des Latins à une époque donnée. C'est pourquoi
nous évoquerons les opinions de divers grammairiens latins et en
particulier de Varron.
2. Casa di Sirico VII 1, 47 .En réalité , l'inscription est SALVE
LVCRV . Mais on sait que les graphies pompéiennes correspondent souvent
à la prononciation. Cette inscription, selon les indications que m'a
très aimablement fournies le professeur Mario Torelli de l'Université
de Pérouse ,doit dater d'une période relativement ancienne de Pompéi.
Le professeur Torelli la situe en effet juste après la colonisation
syllanienne c'est-à-dire dans les années qui suivent 80 av. J.C. .
Pour le professeur Coarelli , l'inscription pourrait même être
antérieure à ces années 80 av. J.C. Nous retenons pour notre part que cette
formule, même si elle est postérieure à l'époque de Plaute , ne s'en
éloigne toutefois pas trop puisque les chronologies qui sont proposées
sont toutes deux anciennes. Il est donc intéressant d'observer dans
l'inscription du limen de cette maison une personnification analogue
à celles que nous étudierons dans la dernière partie de notre ouvrage.
En effet , dans cette inscription , la personnification de lucrum est
patente car 1 ' impératif salue n ' est employé en latin que lorsqu'on
s'adresse à une personne, à un lieu, ou à une uaison qui vous sont chers
(cf. Catulle 31, Sénèque , Ag.787 ...).
3· Ainsi Erich Segal dans son livre Roman Laughter , Cambridge
1970 , montre que les rapports entre les maîtres et les esclaves sont
justement l'envers de ceux qui existaient réellement à l'époque.
4. Nous pouvons citer ici les recherches faites par le Centre de
Recherches spécialisées d'Histoire Ancienne de Besançon , notamment les
études sur l'esclavage dans le monde antique , à partir des orateurs
attiques.
5. Cf. Pierre Grimai : Le Siècle des Scipions,188T"
Rome et
l'hel énisme au temps des guerres puniques , Paris 1975 , P»
6. Cf. l'ouvrage de J. Hellegouan'h : le vocabulaire latin des
relations et des partis politiques sous la République , Paris 1963,
p. 14 et 15.
7. Cf. l'introduction de la thèse de P. Brind 'Amour : la richesse
et la pauvreté chez Plaute et Térence.
8. Nous pouvons sur un point très précis donner un exemple de la
différence des traitements. A la page 62 de son ouvrage, P. Brind 'Amour
affirme que les deux termes pauperies et paupertas sont absolument
synonymes et qu'ils ont tous deux un contenu plus dramatique que pauper .
Pour notre part , nous montrons p. 4? sqq. que le sème constant des deux
termes est identique à savoir " état de celui qui possède peu "
- 326 -

mais que leurs sèmes secondaires ne se recouvrent pas totalement. Ainsi


paupertas a pour sèmes secondaires "état accablant" et "état qui
suscite les réactions d'autrui" tandis que pauperies présente les deux sèmes
virtuels suivants "état dont on se plaint vivement " et "état envisagé
comme un résultat".
9. Citons toutefois dans le domaine du français l'ouvrage de G.
Lavis , L'expression de l'affectivité dans la poésie lyrique française du
Moyen-Age^ paris ,1972 et l'ouvrage de J. Picoche , Le vocabulaire psycho-
"
logique dans les Chroniques de Froissart, Paris 1976^
10. Voir par exemple Claude Germain dans La sémantique fonctionnelle,
Paris 1981 , p. 83 : " La délimitation du champ sémantique repose sur des
critères variés mais tous intuitifs et non proprement linguistiques ."
11. B. Pottier dans Linguistique générale , théorie et description,
Paris 1974 étudie p. 55 sqq. les traits pertinents de la signification.
Cette méthode de décomposition en éléments les plus réduits n'est
d'ailleurs pas nouvelle. Raymond Lulle parlait déjà pour constituer une
"caractéristique universelle " de réduire les concepts à "leurs éléments
simples" qu'il nomme "requisits" ( cf. le texte cité par Georges Mounin dans
Clefs pour la Linguistique Paris , 1968 : " Pour connoistre une chose, il
suffit de connoistre tous les requisits de cette chose , c'est-à-dire tout
ce qui suffit à la distinguer de toute autre chose ".
En réalité, tous les sémanticiens ne s'accordent pas sur cette
méthode de l'analyse de la signification en traits de sens . La plupart
( E. Coseriu , A. Martinet ...) la pratiquent. Une autre tentative est
celle du philosophe G.Granger qui prône l'analyse par points de vue .
Ainsi pour reprendre une série d'exemples utilisés par C. Germain ,
dans La Sémantique Fonctionnelle ( od. cit.) , les différentes unités du
champ de l'habitation pourraient se distinguer selon les points de vue de
l'occupation , de la localisation , de la matière , de la dimension ...
Mais une telle analyse ne nous semble pas en définitive opposée à la
décomposition sémique. Elle constitue, plutôt qu'une voie radicalement
différente , une méthode d'accès qui permet de classer les différents traits
sémiques.
12. Cf. B. Pottier op. cit. p. 55 ' " Chaque trait considéré comme
distinctif relativement à un ensemble est un sème ". Le terme de lexème
est employé par A. Martinet dans les Eléments de Linguistique générale
Paris 1966 p. 117 et par B. Pottier op. cit. p. 31 .
13. Cf. l'étude de B. Pottier sur la série des sièges in Vers une
sémantique moderne Travaux de Linguistique et de Littérature II I
Strasbourg , 1964 ? 121-125.
14. Cf. J. André , Etude sur les termes de couleur dans la langue
latine Paris 1949 p. 53 sqql
- 327

15· Nous employons le terme de pertinence avec l'acception que lui


donne A. Martinet dans le domaine de la phonologie : un trait est pertinent
lorsqu'il permet de distinguer entre elles les unités minimales cf.
Eléments... op. cit. p. 62 ·
16. Cf. notamment le carmen VIII et les candidi soles .
17. Cf. E.M. p. 53 : " ater implique souvent une idée morale de
terreur, de malheur ', de mort..."
18. Une théorie linguistique qui oppose terme à terme les traits
distinctifs du langage est dite binariste , cf. R. Jakobson , Essais de
linguistique générale Paris 1963 ?·88.
19· Déjà P. Monteil dans l'introduction de son ouvrage Seau et Laid
en latin tout en reconnaissant que le vocabulaire est moins facile à
organiser que le système phonétique , évoquait d'une certaine manière un
système du lexique puisqu'il se proposait de faire ressortir à propos des
termes " qui tous présentent sous des aspects divers une seule notion ... la
valeur fondamentale qui lui est propre à lui seul , le distingue de ses é-
mules et lui confère dans l'ensemble des vocables une physionomie distincte".
20. Nous avons suivi à ce stade de notre travail les principes
définis par J. Dubois dans son étude lexicologique : Le vocabulaire politique
et social en France de 1869 à 1872 , Paris 1963·
Toutefois les deux termes d'association et d'identité ne sont pas employés
dans le présent travail comme chez J. Dubois. Pour lui en effet , les
associations ou identités sont les termes qui ont une configuration sémique
proche alors que les oppositions sont ceux qui ont une configuration
sémique antinomique. Ainsi selon sa terminologie , nantis , possédants , riches
sont des associations ou identités , alors que riches et pauvres sont des
oppositions.
21. Il est évident que ce réseau de relations n'est pas exhaustif. Les
relations citées ne sont destinées qu'à donner un exemple de la méthode a-
doptée.
22. Emplois de pauper : Dans l'Aululaire : Au. 88, 111 ,174,196,227,247
248,461,479,490,543,603. Dans les autres comédies : Ci. 532; Ep_.l69;
Men. 76, 578 ; Poe. 515 ; Ru. 282, 290; Tri. 829; Tru. 220, 373; Vi.92; Fr. II 53-
Nous ne tiendrons pas compte des emplois des lexèmes dans les arguments
des différentes pièces , composées , on le sait , bien après l'époque de
Plaute .
23- Couple diues-pauper ou opulentus - pauper : Au. 184,196, 227, 479,
490. Ci.532; Men.578TPoe.515; Tri^.829; Tru. 220.
24. Pauper qualifiant une chose : Ru.282;Vi.92.
25. Voir les références des emplois de pauper à la note 22.
Signalons aussi dès maintenant la présence dans la pièce de pauperculus v.171,
paupertas v.206 et pauperies v.190 , 722.
26. Voir aussi les vers 190 sqq. : " Meam pauperiem conqueror/ uir-
ginem habeo grandem , dote cassam ".
328

27· On peut aussi expliquer autrement ce nom ; si on le met en


relation avec le grée K/Wtoo , il évoque une idée de fermeture, de verrouillage
(allusion à sa marmite bien dissimulée ) . Mais si cette seconde allusion
est réelle , elle ne supprime pas la première.
28. Cf .aussi Tri. 829 : " (nobilest apud homines)
Pauperibus te parcere solitum ..."
" C'est une vérité répandue parmi les hommes que tu te plais à épargner les
pauvres ".
29. Cf. Au. 300 sqq. En réalité, dans ce passage , les serviteurs
mentionnent non sa pauvreté réelle mais le fait quîil dit être complètement
ruiné et par conséquent dans l'indigence.
30. Pour une étude détaillée de ce passage , cf. infra dans le chapitre
sur le bestiaire plautinien p. 234-235·
31. Ru. 282 : "Sed haec pauperes res sunt inopesque , puellao ".
Dans certains manuscrits (C D) , res est omis. Le mot semble ici désigner
le temple de Vénus.
32. Vi.111 : " Pauper haec res est ".
33· Cf. les mots de la famille d'ops p. 187 sqq.
34. P. Monteil annonçait toutefois dans l'introduction de ses Elé-
ments de Phonétique et de Morphologie du Latin la parution d'un second
volume consacre sans doute à la syntaxe.
35· Au. 111, 227,5^3 ; Ru.290.
36. Voir sur la métaphore lexicalisée l'ouvrage do M. Le Guern ,
Semant ique^e__la_j7i£taj3ho£e_jy^ , Paris 1973 p. 82-89.
37· Oppositions explicites :
Au. 184 : "Non temerariumst ubi diues blande appellat pauperem "
Au. 196 : " Nemini credo qui large blandust diues pauperi "
Au. 227: "Venit hoc mihi in mentem te esse hominem diuitem
Factiosum , me item esse hominem pauperum pauperrimum "
Au. 247: "Nam si opulentus it petitum pauperioris gratiam
Pauper metuit congrediri ..."
Au. 461 : " Qui eum opulento pauper homine coepit rem habere ..."
Au. 479 : "Opulentiores pauperiorum filias
( Vt indotatas ducant uxores domum )"
Au. 490 : " ...(Quo illae nubent diuites )
Dotatae , si istud ius pauperibus ponitur ?"
Ci. 532 : " Aequa lege pauperi eum diuite non licet "
Tri. 829 : " (nobilest apud homines)
Pauperibus te parcere solitum , diuites damnare atque domare "
38. Ep.169 : " ···( Quid est quod pudendum siet)
Génère natam bono pauperem domum
( Ducere te uxorem )".
Ici l'opposition est implicite car un ami du riche vieillard Periphane lui
conseille d'épouser une fille pauvre mais de bonne naissance , de préférence
sans doute à une fille riche et moins honnête.
- 329

39· Cf. Men. 76 : " Modo hic ( l'acteur ) agitât leno, modo adules-
cens, modo senex
Pauper, mendicus, rex , parasitus , hariolus ".
40. Cf. l'étude stylistique p. 202 sqq.
41 . Pauper comme adjectif attribut : Au.88,174 ; Men. 576 ; Poe. 515;
Ru.283, 1234 ; Tru. 220, 373; Vi.111 ; Fr. II, 53 ·
42. Cf. étude stylistique du couple diues/ pauper p. 212 sqq.
43. Mais ditare est employé par Horace Epode I vers 32 et Epitre I ,6'i

44. Voir le chapitre consacré à pauperies p. 47 sqq.


45. Cf. l'emploi du suffixe -culus dans le "festin du pauvre" (St.
69O sqq.). Sur la valeur du suffixe , cf. la thèse de G. Serbat : les
dérivés nominaux du latin à suffixe médiatif Paris 1971 ·
46. Notons en effet le parallélisme de S_t.134 : " Idem animust in
paupertate qui olim in diuitiis fuit ".
47. Cf.P_.202 sqq.
48. Emplois de paupertas : Au. 206 ; Ep_.530,556; Per. 347; Ru.918 ;
St. 134, 177; Tri. 109; Y_i_.95·
49. Emplois de pauperies : Au. 190, 722 ; St.176; Tru. 573-
50. Rs_ et y, cf. Lodge P. VII du tome I.
51. De plus cet emploi ne présente pas une connotation pathétique.
C'est pourquoi paupertas convient décidément mieux que pauperies.
52. Cf. E.M. p. 490.
53. Emplois sans complément : As. 684; Au.381 ; Cap.581 ; Cu.142 ~~ ;
Mer. 1020; Mo. 230 ; Ps_.273 ; Tri· 257, 330, 336, 6B3 ; Tru. 222. 745.
Emplois avec complément : Am_.8l9; As. 591; Ci. 450 ; Mi. 1033 ; Men. 121 .
Emplois au participe : Per .1 ,123,256 ; Ru_.274,409 ;St_.282,331 5 V_i. 81,89.
54. Il serait tentant de penser que devient parasitus celui qui est
d'abord egens . En réalité , le parasitisme est une sorte de profession
dans laquelle on fait plus ou moins fortune cf. notre chapitre consacré
à parasitus p. 91 sqq.
55· La valeur d'état présente dans de nombreux verbes en -ère est
accentuée chaque fois que le verbe est au mode participe. Egens constitue
alors une sorte d'adjectif , capable notamment d'exprimer des degrés ; ainsi
notons-nous en V_i.8l egentiorem.
- 33? -

56· Cf. p. 82 sqq.


57. Cf.As.684 ; Cu_.l42 ; Per. 273 ; Tri.257,333, 336 ; Tru. 222.
58. Aerumna signifie en effet tâche pénible , souffrance . Avant
de prendre une valeur morale , aerumna a dû désigner un fardeau , d'où
les formules comme aerumnas ferre employées par Ennius par exemple
(cf. E_. M. p. 12) . L'idée de poids à supporter est toutefois restée
sous la forme de l'accablement lorsque le terme a pris une valeur
morale.
59. Cf. P_. 45.
60. Cf. p. 221 sqq.
61 . Prodigo a dû avoir originellement comme complément un mot
signifiant le bétail ( pousser en avant ago les animaux ) (voir E. M. p.
17 ). Puis, accompagné de pecuniam ou rem ou suum comme complément , il
implique une idée de dissipation. Il peut enfin ( troisième phase ) ne
plus avoir de complément du tout et signifier absolument gaspiller. C'est
justement avec cette valeur de gaspillage qui s'oppose à l'épargne que
prodigo est utilisé avec parco au vers 380 de l'Aululaire : Si quid prode-
geris / egere liceat , nisi peperceris. ( Dans ce vers , avec cette
interprétation , quid joue le rôle d'un accusatif de relation ). Quant au stade
antérieur de l'évolution , il est bien représenté par le vers 1020 du
Mercator : Suom prodegerit , suom désignant l'argent personnel , qui s'oppose
à l'alienum. Par ailleurs , la ressemblance des deux tours prodigere pecu-
de§ et prodigere pecuniam pourrait offrir un élément de discussion dans
l'histoire de l'origine de pecunia ( voir à ce sujet une des positions les
plus récentes , celle de L. Nadjo , Thèse... op. cit. ).
62. Cf. p. 29-
63. Cf. à titre d'exemple les rapports qui pouvaient exister entre
le dominus et ses clientes .
64. Voir p. 57 le tableau de la composition sémique d' egere.
65. L'exemple de Per. 256 est en effet douteux : argenti mutui peut
être considéré comme complément de opem aussi bien que comme complément
de egenti dans le vers : argenti mutui ut ei egenti opem adferam .
66. Cf. le tableau comparatif des emplois de careo et egeo dans le
Thésaurus s . ? . egeo col . 233 , 234 du vol . V 2 , f asc . 1 .
67. Tolerare egestatem alicui : Tri. 338, 358 , 371.
Autres emplois d'egestas : As.139"7T63,57Ï ; Ps.695; Tri. 686, 688, 847;
Vi.32.
68. La même force contraignante est sensible dans un passage de
Caecilius , com. 45 : " Postquam rem paternam amiserant , egestate ali-
quantisper iactati forent " et dans les vers de Térence: "Coactum ...
egestate " (And. 275 ) et " Quod ut facerem egestas me impulit "
(Phorm.733).
331

69- A deux reprises seulement (Au. 598 , Tri. 687) , tolerare figure
sans egestatem . Mais dans les deux cas , une autre leçon de ms donne
tolleret. Dans un cas , le sens est plus satisfaisant si on lit de cette
manière ; en effet, c'est la valeur de soulever qui est sensible en Au.
598 . Mais dans le vers du Trinummus , la leçon toleret semble la
meil eure car tolerare moenia ( = munia les devoirs ) paraît plus satisfaisant que
tollere moenia pour signifier "satisfaire à ses obligations ".
70. Sur les sentiments respectifs qu'inspirent à autrui egestas et
paupertas cf. Servius auct. Georg. I, 446 : "Peior est egestas quam pauper-
tas : paupertas enim honesta esse potest ; egestas etiam turpis est ".

71 . Le même échange se rencontre aussi dans des termes différents au


vers 220 du Truculentus : " Nos diuitem istum meminimus atque iste pauperes
nos " " Nous l'avons vu riche ( l'amant) comme il nous a vues pauvres ".
72. Cf. le tableau des termes situés sur l'axe quantitatif p. 257.
73· En réalité , le vers est incomplet . Seuls peuvent être lus le
premier et le dernier mot du vers : " Egentiorem. . .Neminem "( V1.81).
74. Habituellement , egere et egestas qualifient des êtres humains.
Certes , nous avons pu trouver aedes meae egent en _Çi. 450 , mais c'est
une formule destinée à souligner l'émotion profonde de la personne qui
parle.
75· C'est cette même nécessité d'accepter n'importe quoi que
dénote par exemple le tour de As.671 : Quiduis imperat egestas .
76. Emplois d'inops : Au. 11, 221; Ba. 51 7, 637; Cap. 470; Ru. 257, 282;
Tri.24l ,255, 689; Vi. 87. Pour les références des emplois d' inopia~" , cf.
infra note 82.
77· Nous verrons en effet que l'adjectif opulentus se distingue de
diues en particulier par ce trait d'ostentation (de la richesse), cf. p. 128.
78. Cf. supra p. 18
79- Cf. p. 202 sqq.
80. Mais le texte du vers est malheureusement incertain. L'exemple
aurait été intéressant à commenter car c'est l'unique fois où inops
qualifie une chose.
81. Cf. les emplois cicéroniens : locus copiosus a frumento
Att. 5, 18,2 ."endroit riche en blé", homo copiosus Verr. 1~^ 65~,"homme
d'une grande fortune".
82. Emplois d 'inopia : As. 142,534,724 ; Ba.519 c; Çu.334; Mer. 30
162,650,848; Ps.300,799; Ru. 3987617 ; Tri. 9, 653, §71 ; Vi..26,95.
332

83. Ba.519a et 519c sont omis dans le palimpseste ambrosien.


8k. Cf. supra p. 68.
85. Egere suivi d'un complément : Am.819 ; As. 591; Ba.651 ; Ci.405;
"~
Men. 121; Mi. 1033; Ru. 274; et peut-être Per. 256.
86. Notons ainsi les rapprochements suggestifs de Vi_.87 , Mihieiûs~
qui
uiuam copiam inopi facis , Tri .671 , Quom inopiast, cupias, quando
copia est , tum non uelis ? , et Ru.6l7 , Fer te opem ~~
inopiae atque exemplum~~~
pessimum date .

'
87. Cf. E.M. p. 463- Une troisième valeur est également donnée , celle
d'aide , assistance.
88. Cf. Supra p. 54.
89. Pacuvius : fr. 52-301
Cicéron : Rep.3;34.
Sallust" : Jug. 14, 23 etc...
90. Tri. 8, 9 :
"Primum mihi Plautus nomen Luxuriae indidit;
Tum hanc mihi gnatam esse uoluit Inopiam ".
91. Mendicus: Au. 423; Ba.5l4; Men. 76 ; Per .396 ; Ru. 485,1306; St.
132;133,135 ; Tri .339 7^31.
92. Mendicare : Am.1032; Ba.508, 514,950 ; Ca£.323; Mo.
T~ 230.
Mendicarier ( en fin de vers comme beaucoup d'archaïsmes : Cap. 13; Vi.110.
93- Mendicitas : Men.204; Ru.5l4
Mendiculus : Ep.223»
Mendicabulum : Au. 703 ·
94. En réalité, regilla est rapproché de rex par une étymologie
populaire ( cf. E.M. p.567). L'opposition dans l'esprit de l'auteur et des
spectateurs reste cependant la même.
95 «Voir en Cap.15 une façon analogue de désigner les riches par la
fortune qu'ils déclarent au censeur . Ceux qui.n'enont pas ne déclarent
évidemment rien d'où la formule : Vos qui potestis ope uestra censerier . Le
chef de la troupe , dans le prologue, s'adresse ainsi aux spectateurs des
premiers rangs.
96. Traduction personnelle.
97· Traduction personnelle.
- 333

98. Traditionnellement , les Romains se méfient du commerce par mer.


Ils le trouvent peu sûr, plein de dangers et permettant rarement de faire
fortune . Cf. le premier paragraphe du De Agri Cultura de Caton.
99· Le texte du vers est malheureusement peu sûr.
100. Cf. Cicéron Fin_.5.28.84 :"paupertas si malum est , mendicus esse
beatus nemo potest ".
101 . Cf. infra p. 128.
102. Cf. E.M. p. 396.
103. On voit déjà que ce terme renvoie à un état social précis dans
lequel le riche peut subvenir dans certaines conditions aux besoins du
pauvre. Mais cet équilibre est précaire et les symptômes d'une crise sont
déjà sensibles : le riche patron prend peu à peu conscience du tort que lui
cause son parasite et refuse de l'aider. Mais s'agit-il ici de plaintes
correspondant à une dégradation véritable de cet état de parasite , pour des
raisons économiques ? Plaute ne veut-il pas montrer ici tout simplement
que ces parasites , dans leur désir de plus en plus intense de s'approprier
le bien d'autrui , vont jusqu'à inventer , s'ils rencontrent des
résistances , une crise économique ? C'est là l'éternel problème de la
transparence des indications socio-économiques chez Plaute et qu'on pourrait
schématiser de la manière suivante :
- Ces indications sont-elles réellement un écho de l'état
socio-économique de Rome à ce moment-là ?
- Ne sont-elles pas plutôt , par rapport à la réalité, une
déformation ou une pure fiction destinée à produire un effet comique ?
La critique oscille constamment entre ces deux positions . Ainsi en
1968, P.B. Corbett dans l'article "The scurra in Plautus" Eranos 66 1968
111-131 , ajoute foi à la plainte des parasites et y voit même un écho de
la propre situation de Plaute .
Plus récemment , la question a été débattue à la Société des Etudes
Latines. Dans une communication consacrée à l'argent chez Plaute : autour
°-u Curculio , J.M. André faisait remarquer "la couleur romaine de certains
termes juridiques " dans les comédies de Plaute et en particulier dans le
Curculio les échos de l'actualité en ce qui concerne les "dépressions"
de la banque romaine . Mais pour^ H.Zehnacker et surtout pour C. Nicolet,
il est imprudent de relier à l'économie de l'époque le texte de Plaute,
cf. R.E.L. 60 1982 p. 3 et 4.
104. Nous avons essayé de traduire les noms des parasiti en nous
attachant à l'esprit plutôt qu'à la lettre et nous avons tenté d'en
donner un équivalent français à l'instar de V.H. Debidour dans sa
traduction d'Aristophane . Nous croyons voir dans chacun des noms latins des
parasites de la vulgarité mais peut-être pour les Latins les sobriquets
tirés du grec étaient-ils simplement comiques et non vulgaires ?
105. Dans la comédie grecque , il existait un masque propre au
parasite, avec des oreilles abîmées par les coups et un rire constant (cf.
334 -

Daremberg et Saglio s.ù. parasitus ). Certes à l'époque de Plaute les


acteurs n'étaient vraisemblablement pas masqués ; ils sont cependant les
héritiers de la comédie grecque.
106. C'est par le quatrième sème , et dans une certaine mesure par
le troisième , que le lexème parasitus se rattache à notre sujet. Comme
les deux premiers sèmes sont extérieurs à notre propos , ils seront
étudiés d'une manière un peu différente de celle que nous avons adoptée dans
l'étude des autres lexèmes. Nous ne nous attacherons pas en effet à tous les
syntagmes où figure parasitus mais nous étudierons de plus loin le rôle que
joue le parasitus dans l'oeuvre de Plaute , du point de vue de la manifestai
tion de la richesse et de la pauvreté.
107. Voir aussi les passages suivants : Cap . 1 35 ; Cu.252 ; Men . 1 40 ;
321,450; Mo. 888 etc.. Notons en particulier un fragment de Boeotia que ,
d'après Aulu-Gelle (Gell.3;3;3 ), Varron attribuait avec certitude à
Plaute à cause de " "filo atque facetia sermonis Plauto congruentis ". Or ce
passage que Varron jugeait caractéristique de Plaute met en scène un
parasite qui se plaint de l'invention des cadrans solaires qui obligent à
manger à heure fixe alors qu'il voudrait pour sa part manger à toute heure :
" Vt illum di perdant primus qui horas repperit
Quique adeo primus statuit hic solarium !"

108. Dans la pièce qui porto son nom , le parasite s'appelle Curculio,
c'est-à-dire Charançon. Or , ce nom , dans l'usage commun , désigne un
rongeur infect , ce qui rappelle les mures évoqués par Saturion. Mais le
terme Curculio semble ne pas évoquer seulement l'idée de rongeur. En effet,
il se trouve dans le Dictionnaire E.M. p. 285 rapproché de Gurgulio qui
signifie gosier ( voir Tri. 1016 où ce terme est employé ) . Nous pouvons dès
lors traduire Curculio par Grosgoulu .
109· Le titre d'un film récent nous a suggéré cette traduction peu
orthodoxe. . .
110. Notons dans la même comédie du Rudens des comparaisons analogues
aux vers 585 sqq. et 544.
111. Voir aussi dans le Curculio l'énumération des mets au vers 323·
112. Le métier de parasite est encore vu comme héréditaire dans le
Persa aux vers 55 sqq. Il semble bien alors que la "profession" était
pratiquée de père en fils. Cependant , certains commentateurs ont émis des
opinions différentes. Ainsi P. Grimai, dans l'introduction de son ouvrage
consacré au théâtre latin , Comédies de Plaute et de Térence , La Pléiade, p.
XXI , explique l'aisance verbale des parasiti par leurs antécédents. Ils
seraient alors souvent d'anciens riches ruinés et réduits à un état de
dépendance.
113· Les attici logi passaient pour supérieurs aux siculi logi. Voir
aussi , à propos des recueils de bons mots , le passage de Cap. 472.
- 335

114. Même image de vente en Cap.l8l : Ergasile se vend à Hégion en


s 'invitant chez lui , quasi fundum uendam .
115. Dans une scène qui réunit Alcmène , Jupiter et Mercure , ce
dernier , pour introduire une flatterie dit aux vers 515 sqq.
" Accedam atque hanc appellabo et subparasitabor patri.
Nunquam edepol quemquam mortalem credo uxorem suam
Sic ecflictim amare , proinde ut hic te ecflictim dépérit ."
" Approchons , je vais lui parler et seconder mon père en bon parasite.
Sur ma foi, je ne crois pas qu'il y ait nulle part au monde un mortel
qui meure d'amour pour sa femme comme mon père en meurt pour toi ".
Ici le verbe subparasitari contient les mêmes traits sémiques que
parasitus . Il signifie "agir en parasite", c'est-à-dire "aider son protecteur
et faire de l'esprit". Or ce double programme est aussitôt appliqué par
Mercure qui d'une part flatte Alcmène pour essayer de calmer la colère dont
elle est animée contre Jupiter , et d'autre part plaisante en assimilant son
maître divin à un mortel. Au vers 521, après l'échec de sa tentative,
Mercure utilise à nouveau cette image : " Nequiter paene expediuit prima pa-
rasitatio ".
116. "Faire le marché" , obsonare , est traditionnellement une
tâche réservée aux parasites (Cap. 474) . Cette mission devait leur plaire
tout particulièrement. En effet , tout en aidant leur bienfaiteur , ils :
flattaient d'une certaine manière leur propre gourmandise. Ils pouvaient
aussi choisir les meilleurs produits et , de toute façon , cette activité
était au centre de leurs préoccupations ( cf. le premier sème , goinfrerie
et obsession de la nourriture ) .
117. Voir note 103.
118. Dans l'article déjà cité , The scurra in Plautus , P.Corbett
développe l'idée qu'à l'époque de Plaute il y aurait eu un recul des
parasites professionnels au profit des amateurs , scurrae, et compare cet
état de fait à celui que décrit Tite-Live dans son passage sur la
nais ance du théâtre à Rome au livre 7 de ses Histoires.
119. Ergasile se lamente ainsi (Cap. 471 sqq.) :
" Nihil morantur iam lacones unisubselli uiros,
Plagipatidas , quibus sunt uerba sine penu et pecunia "
"On ne fait plus le moindre cas de ces Spartiates , isolés sur leurs
tabourets , de ces souffre-douleur qui n'ont que leurs bons mots pour tout
potage et toute fortune ".
Nous retrouvons d'ailleurs dans cette définition humoristique du
parasitus les mêmes éléments que ceux qui ont été dégagés plus haut , à
savoir :
- misère ( indigence et mauvais traitements ) : plagipatidas , sine
penu et pecunia
-bouffonnerie : uerba
-rôle à table , obsession de la nourriture : (uni) subselli , penu.
Le terme unisubsellium , proprement ''tabouret pour un", est une
création de Plaute, qui l'emploie aussi en S_t.489. Le terme semble vouloir
dire que les parasites étaient mis à l'écart dans les banquets. Le sens
est en gros le même si on lit comme les anciens éditeurs imisubselli :
336

" les gens du bas bout de la table " . Quant à l'appellation de Lacones,
elle renvoie peut-être à la coutume des Spartiates de manger isolés sur
un tabouret, ou plus vraisemblablement à leur endurance proverbiale. Le
terme renforcerait alors le composé plagipatidas.
120. Dans plusieurs passages , parasitus est suivi d'un nom au
génitif désignant le protecteur : Ba. 573, 631 j~Men.222. Dans un plus grand
nombre de cas , parasitus est accompagné d'un adjectif possessif
impliquant la même idée d'appartenance du parasite à un autre individu ,
avec noster : Men. 76
meus: Mi .948; Men.28l,285
tuus : Çu.277; Men. 281 ,389,505-
121 .Même si par ailleurs il est libre d'agir à sa guise, cf. supra
p. 100.
122. En St. 454-5 , le parasite Gélasime craint de perdre son rex
si ce dernier rencontre des hommes plus spirituels que lui :
"Libros inspexi, tam confido quam potis
Me meum optenturum regem ridiculis logis ".
123- Sur les rapports entre rex et parasitus : à l'origine , le rretpei.
tfiTej est celui qui participe au banquet des dieux et qui a donc une
fonction sacrée. Plus tard , le riche qui protège un parasite est comme l'égal
d'un dieu.
124. Cf. les caractéristiques très particulières du personnage dans
la comédie grecque voir supra note 105 ·
125. Emplois de diues : Ajl.167,170; As. 330, 499, 529 ; Au. 166, 184,196,
226,489,809 ; Ba. 331 ,338; Cap. 324; Ci. 532; Çu. 178, 373, 472, 485; Men. 577;
Mo_.228; Poe. 73, 516, 517,811; Ps. 1 323 ;Ru· 55 ; Tri .428,490, 829 5 Tru. 220.
126. Ditior Au. 809
dites Çu.472, 475, 485 ; Tri. 829.
127. Le tour diuitem fieri apparaît deux autres fois , au vers 529
de l'Asinaire et au vers 55 du Rudens.
128. Cap. 324 est jugé interpolé par Ritschl à cause de nostrum ( qui
à notre avis n'est pas plus déplacé ici qu'en Au.166).
129. Cf. étude de parasitus supra p. 98.
130. Cf. l'étude thématique p. 241 sqq.
131 · Cf .l'ouvrage de M.I. Finley L'économie antique.
132. Voir par exemple dans le livre de M.I. Finley des exemples de
cet état de fait empruntés à l'histoire de Rome et de la Grèce ( p. 125
sqq. notamment ).
133. " Est interdum praestare mercaturis rem quaerere , nisi tam pe-
riculosum sit , et item fenerari , si tam honestum sit...Et uirum bonum
- 337 -

quom laudabant (maiores nootri ) , ita laudabant : bonum agricolam bonum-


que colonum ".
Voir aussi l'article de E. Cavaignac : Peut-on reconstituer
l'échelle des fortunes dans la Rome républicaine ? Annales
~ d'Histoire Economique
et Sociale , I , 1929, 48ië5O5.
134. Cf. supra p. 27.
135- Mues adjectif épithète : Am.170; As.499 ;Au.226 ; Ba.338; Cu.
472,475,485; Poe_.73. _- — —

136. Cf. supra p. 35-


137- Dominus diues : Am.170
hominem diuitem : Au. 226
diuiti homini : Ba.338
boni homines atqûë dites : Çu.475
dites damnosos maritos : Çu. 472, 485
Rhodo mercator diues : As. 4-99
domino ...diuiti quoidam seni : Poe. 73·
138. Cf. supra p.108 et 109 nos remarques sur les facteurs
d'enrichissement chez Plaute.
139· Diues adjectif attribut , 15 emplois : As . 330 , 529 ; Au . 1 66 , 809 ;
Ba.331; Cap. 324 ;Çu. 373; Men.578; _Mo.228 ; Poe.5i6,8i1; P§_.1323; Ru. 55; Tri.
428,4-90.
140. Outre As_.529, ce tour apparaît aussi en Au.166, Cap. 324; Cu.
373 , RU..529.
141. Voir un mouvement comparable au vers 529 de 1 'Asinaire , la
promesse est alors imaginée : " si quis promittat tibi te facturum diuitem".
142. Cf. supra p. 38sqq.
143. Diues substantivé : Am_.1o7; Au.i84, 196,489 ; Ci. 532; Poe. 517;
Tri. 220, 829. ~~ —
144. Cf. supra p. 35·
145. Cf. infra p. 202 sqq.
i46.Au.7O1,821; Ba.333; Cap. 170,281 ,286, 299,318, 412,1010, Ci. 305,559
601; Cu. 1 787 Ep. 329,451; Men.59,67,217; Mi.679, 703, 723, 98O, 1063, 1213; Per.
652 ; Poe. 60, 904; Ru. 542, 1320; St. 134,412, 693 ; Tri.349,4ç(, 5O9,6O5,"£82
839.
147. Cf. introduction méthodologique p. 12.
148. Ainsi dans le Trinummus aux vers 682-3 , la possession d'un
champ est associée à la mention des diuitiae. A ce sujet , voir les
remarques de P. Veyne dans les Annales , Economies , Sociétés , Civilisations ,
janvier -février 1961 sur la composition des fortunes à Rome : "Une fortune
- 338 -

noble se divisait en deux parties entre lesquelles on tâchait de


maintenir une cloison étanche : d'une part le patrimoine en biens-fonds sur
lequel reposait la grandeur héréditaire de la famille et qu'on faisait tout
pour arrondir , et d'autre part , des pièces d'or que l'on thésaurisait
ou qu'on prêtait à usure ".
Plus récemment , M.I. Finley écrit dans l'Economie antique ( op. cit.)
(p. 128) : " Nous devons ... nous contenter de cette proposition vague mais
incontestable que la plupart des habitants du monde antique vivaient de la
terre , d'une manière ou d'une autre , et qu'eux-mêmes voyaient dans la terre
la source de tout bien tant matériel que moral ".
1*4-9· Notons en passant que la plupart des indications monétaires que
l'on rencontre dans la palliata de Plaute ( mina_, talent uni , philippi )
sont grecques et traduisent l'imitation de la comédie hellénistique qui
a s..ivi de modèle ( cf. la thèse de L. Nadjo , L'argent chez Plaute...).
150. Maxumae d. : Ci. 305,601; Ep_-329 ; Men.6?; Mi. 703-
tantas d. Ba.333; Tri.605.
luculentas d. : Ru. 1320
magnas_d.
"d" : "ΕρΛ51 ; Tri. 3^9-
nTtnxar, . : Au. 821 .
summas d. : Cap.318 ; summis à_. : Poe.170 ; Poe .60.
151. Cf. supra p.108.
152. Cf. supra p.108 sqq.
153· Même association de la richesse et de la naissance : Cap.170,
~ "
*H2 ; Poe.60.
154. Cf. Cap.170.
155· Voir Le Vocabulaire des relations et des partis politiques à
l'époque républicaine de J. Hellegouarc 'h p. *4-7Ο-*4-7ΤΊ
156. Cf. supra p. 22 sqq.
157. Cf. infra p. 2*4-1 sqq.
158. Mais le latin post-classique possède un abstrait de qualité
avec diuitia , attesté dans l'Itala (Eph. 2, 7)· Par ailleurs , chez des
auteurs postérieurs à Plaute , diuitiae peut prendre la valeur abstraite
de fécondité ou abondance dans des tours comme diuitiae ingenii ( Cic.
De Or. I 161 ).
159. Cf. supra p.*fO.
160. Cap.28i,3i8 ; Ep-329 ; Men.59 ; Mi. 723 , 980 ; St. 693.
161. Ba.333 ; Cu.178 ; Mi. 1063 ; Ru. 1320.
162. St. 13*4 ; Tri. 682.
- 339 -

163- Cap. 170 ; Poe.60 ; Mi. 703-


164. Exemple au vers 329 de l'Epidique : " ...tibi quoi diuitiae
domi maxumae sunt ".
165. Exemple Mi .1063 : " ...Satis habeo diuitiarum " précédant
1 'énumération des biens en espèces .
166. Par exemple Am.166 et Am.170.
107. Bucculentus : Mer. 639
corpulentus : Ep.10
fraudulentus : Cap. 235 ; Men.582 ; Mi_.88O ; Ps.366 ,582;
RÛT3T8
f rustulentus : Cu.313
luculentus : voir infra p.150 sqq.
lUtûientus : 3a. 384 ; Cap. 326 ; _Poe.158
truculenfus : As. 401 ; Ba.763 ; Tru.265,266 ,674
turbulentus : Ep.72 ; Mi.4i3 ; Ru.1186 -II87.
Sur ces adjectifs chez Plaute , voir l'article de \l . Stella Note
semantiche sugli aggettivi in -lentus in Plauto S.R.I.C. V 1982 157-162.
168. Esculentus : Cic. Nat . 2-124
iurulentus : Ap.II VII 2
uirulentus : Gell . 16, 11,2.
169. Cf. Meillet -Vendryès Grammaire comparée des langues
classiques p. 382.
170. Opulens : Ap.M. 8, 15 ; 10, 19 ...
opulentus : Ap.I, XXI, 5
171. Am.166 ; Au. 247, 4 61, '(79 î Ba.9o; Ci.515 ; Cu.284 ; Ep.3OO ;
Per.251 ,565 ; Ru. 713 ; Tri. 469, 473, 493.
172. Cf. supra note 125.
173. Cf. p. 118-119.
174. Sur Jupiter dispensateur des biens , cf. p. 245.
175- Cf. page précédente à propos du vers 565 du Persa.
176. Chez Plaute , elle apparaît ainsi deux autres fois , au vers
1082 du Miles et au vers 251 du Persa.
177. Cf. P. F. , 203, 18 : " Opis dicta est coniunx Saturni , per quam
uoluerunt terram significare quia omnes opes humano generi terra tribuit".
Le nominatif Opis , qui est employé ici par Festus est plus courant que le
monosyllabe Ops qu'évite la langpe. Sur ce sujet d'Ops Consiua , voir G.
Dumézil La religion romaine archaïque p.1o2.
- 340 -

178. Cf. p. 110.


179· C'est ce que montre un vers du prologue du Rudens (v. 12) commenté
infra p,. 130 : " ...ut quemque adiuuet Opulentia "
" ... pour qu'il aide chacun par sa munificence tf (
traduction personnelle ).
18O. Opulentus substantivé Au_,21»-7,if79 ; Tri Λ69 , **73 , ^93 · Pour dlues
substantivé voir supra p. 115·
ΐδΐ. Nous ne considérons pas , pour le moment , les autres termes
plus éloignés de cette vaste famille comme opes , copiae . Ces lexèmes
seront étudiés systématiquement infra p. 178 sqq.
182. Cf. p. 129-
183. Cf. p. 121.
i8l·. Cf. p. 136.
185. Cf. p. 178 sqq.
186. Ci.'t92 ; Ep.153 ; Ru. 293 ; Tri.565.
187. Ainsi dans le Trinummus le jeune homme ruiné est réticent quand
un homme riche prétend épouser sa soeur sans dot :
" Mearum me rerum nouisse aequomst ordinem .
Cum uestra nostra non est aequa factio.
Adfinitatem uobis aliam quaerite " ( v. ^51 -^53).
Lee marnes sentiments se trouvent aussi développés dans l'Aululajre ,
notamment aux vers 22.6 sqq. et Ί78 sqq.
188. Cf. note 133.
189. Cf. note 1*f8.
190. Cf. op. cit. ρΛΟ.
191. Cf. supra p.i4i.
192. Térence Heauton. v. 257.
193· Accius dans Astyanax : " Nihil credo auguribus , qui auris
uerbis diuitant / aliénas suas ut auro locupletent domos " fr. IV, V, 169,
170 Klotz.
19V. Cf. étude thématique p. 217 sqq.
195· Locuples adjectif épithète : Ci.<f92 ; Ep..153.
adjectif attribut : Ru.293 ; Tri .565.
196. Opulentus : ik emplois cf. note 171.
- 341 -

197- Pour ce type de tournure , voir la fin de notre seconde partie


p. 310 sqq.
198. Au. 182, 387; Β5Λ55; Çap.828,8$8, 993 ; Cas. 382,402 ; Çi.80; Cu.
141 ; Mi.10,l>5,1223 ; ΜοΛ9; Ρβτ·5^9 ; Poe. 623, 1262; Ps.1065 (2 fois )
Ru. 531, 1010 ,1191 ; Tri. 41, 5^9.
199· D'ailleurs le verbe fortunare est employé avec cette valeur de
" favoriser par la chance " &u vers 576 du Trinummus .
>r '
200. Cf. les emplois d' £u l (Al utuv> qualifiant une cite , notamment
Hérodote , 8,11 ; 5,31 ...
201. Nous n'avons pas tenu compte dans notre confrontation du vers
519 des Bacchis , probablement interpolé .
202. Fortunatus adjectif attribut : Au.182,387; Ba.4-55 ; Cap. 828 ,
858 ,993 : Cas. 382, 402 ; Cu.i4i ; Mi. 65 ; Μ0Λ9 ; Per.5^9 ; Poe ."623 <1262;
Ru. 531, 1016, 1191.
203. Fortunatus adjectif épithète : Ci.8O; Mi^.10,1123 ; Ps.1065.
2.0k. Respectivement dans les vers suivants : C1.8O
~~ ; Mi. 10, 1123 ;
Ps_. IO65 .
205. Fortunatus substantivé : Ps_.10b5 ; Tri .5^9.
206. Sur fortunatus et les mots de sa famille , voir l'article de
J. Champeaux : Fortuna et le vocabulaire de la famille de Fortuna chez
Plaute et Térence Revue de Philologie 1981 , 285-307.
207. Ci. 56O ; Ep_.158 ,3^1 ; Men.141 ; Ker A2k ; Mi_.728,952 ,958; Mo.
818 ; Ru.1320 ,1407 ; Tru.345 ; Fr. I 65.
208. Voir notamment l'effet de caissons dans les fauces de la maison
du Faune à Pompéi , VI, 12,2-5 .
209. Cf. E.M. p. 373 : " la quantité longue de l'u exclut l'étymolo-
gie qui le tire de lucrulentus ... l'adjectif s'apparente à lux ; et le
développement de sens lumineux, brillant , puis magnifique est le même
que celui de splendidus ".
210. La relation entre les deux thèmes de la richesse et de l'éclat
sera étudiée systématiquement dans la seconde partie p. 228 sqq.
211. Am.642; As. 332 ; Cajg.137 ; Çu_.371 ; ΜΐΛ68 ; Mo. 588 ; P_s.666 ;
Tru_.808 (P^e. 303 est contesté ).
212. Cf. infra p. 217 sqq.
213. Cf. supra p.1i4.
- 342 -

214. Pour l'évolution sémantique de beat us , cf. Thésaurus II 1917


31 sqq· Pour celle de fortunatus , voir E.M. s.d. Fortuna , p. Zk$ ,
215. Philippus , Attalus : Per.339
Philippus , Dareus : AÛT86
Antiochus : Poe. 69^·.
21 6. Cf. supra étude de parasitus p. 91 sqq.
217· Cf. étude de parasitus , notamment p. 101.
218. Cf. chapitre VII du De agri cultura' , sur les devoirs du vili-
cus.
219. Cf. Eunuque vers 2^7 sqq.
220. Cf. Phormion vers 3^5-
221. Resterait à étudier le fragment d'Antiphane justement consacré
à l'évocation d'un parasite.
222. Le corpus plautinien n'en offre pas moins de 350 emplois.
223. Cf. supra p. 53·
22h. Cf. infra p. 288 sqq.
2.Z5 . Les deux autres emplois de rem habere se trouvent au vers 330
du Trinummus : " Habuitne rem ? Habuit " , et au vers 58^ des Ménechmes :
" faenore ... habent rem paratam ".
226. Cf. étude thématique p. 288 sqq.
227· Au groupe res et fides est parfois associé le lexème gratia , la
considération , comme dans le Trinummus aux vers 273-^ : "Boni sibi haec ex-
petunt , rem , fidem , honorem / Gloriam et gratiam ..."
Toutefois , gratia chez Plaute a plutôt le sens d'amitié , cf.
l'ouvrage de C. Moussy , Gratia et sa famille , P.U.F. Paris 1966 P. 372.
228. Autres passages où le sème constant semble être le seul réalisé :
Ρ_βτΛ92, Tri. 300 , ainsi que dans les formules stéréotypées du type " Di
deaeque uobis multa bona dent " (Poe. 667) . Cependant , la nature matérielle
de ces biens peut être devinée au vers 263 du Persa : " Nunc et amico pros-
perabo et genio meo multa bona faciam " , car le contexte nous apprend que
le personnage qui parle doit faire réaliser à. son ami une bonne affaire en
lui permettant d'acheter à bas prix une courtisane .
229. Cf. supra p. 169 et 170.
- 343 -

230. Cf. supra p. 165 sqq.


231. On rencontre bonis meis ( Tri .B22) , suis bonis (Tru.859) , me a
bona (Tru.113,7^2; .Tri. 1055 ; JU.707,715 ) , bona sua (Tru.400, 556), nos-
tra bona (Gap. 1^2 ), meis bonis (Mo. 23*0 .
232. Multa bona : Cas. 841 ; Poe .208,687,1216 ; Per.263 , 73*+ ; Ru.400;
Tri. 347 ; Tru.117.
pluruma bona : Cas. 71 2.
233· Autres exemples de ce type d'emploi de bona : Men.78 et Ru.506.
234. Ba_-64.
235· Un personnage peut 6ter ses biens à autrui ( Tri .882JI aurait pu
le faire ( Tri. 83^ Λ veut le faire ( Mi. 715 5 Per.7^.
236. Cf. infra étude thématique p. 292 sqq.
237. Emplois de inhio à valeur figurée et désignant le désir des
biens matériels : Au. 194 , 267 ; Mi_.715 ; St. 605 ; Tru.339-
238. Tri. 169 , 170.
239· Nous ne voulons pas signifier par là le dépôt des biens au
départ d'un individu , avec le verbe commendare ( Tri. 877, 1095 )·
240. Autres emplois d'Ops : Ba.893 , Çi_.515 ; Mi.108i.
Ge n'est pas le seul cas en latin où une notion se trouve ainsi
personnifiée . Il y a aussi Salus , Victoria , Spes . . . Mais Ops présente
cette particularité de s'inscrire dans une famille divine . Notons aussi qu'au-
xilium se trouve personnifié au vers 154 de la Cistellaria . Voir à ce sujet
Goldmann, Die poetische Personifikation inder Sprache der alten KomSdiendich- ~
ter , I , Plautus , Pr. Halle , 1885.
Sur le rôle d'Ops , voir aussi G. Dumézil , La religion romaine
archaïque , p. 266-7 , avec le rapprochement établi avec l'indo- iranien où la
notion d'abondance est également personnifiée sous la forme de Puramdhi ,
associée à l'un des dieux souverains lui aussi occupé de la distribution des
biens .
Nous renvoyons aussi au dernier ouvrage paru sur cette divinité , Ops
et la conception divine de l'abondance dans la religion romaine jusqu'à l*â~
mort d'Auguste , B.E.F.A.R. fasc. 242 , Rome , 1981, de P. Pouthier . en
particulier le chapitre IX : la double nature d'Ops chez Plaute .
2*H. Ba. 637; Mi. 1387 ; Hu.617.
2^2. Am_.92; A_u_-715; Çu.267 etc..
243. Am_.1O53 ; AS. 245; Cap_. 302, 4^5, 51 7, 672, 768; Cas. 624; Ci. 29, 494;
EjB.672; Mjer.111 ;Mi.62O; Mo. 348 ; Per.253 ; Pp_e.1i64, 1177 ; Ru. 207 , 274,
349,664,1145 ; St. 45, 690, 695 ; ΤγΓ7467 , 497 ; Tru.885.
- 344 -

244. Emplois analogues : Mer.111 ; Mi_.1o2O ; St .45 .


245- Emplois comparables aux vers 349 et 664 du Budens . La privation
est alors exprimée par l'adjectif orbas et le substantif uiduitas.
246. De même au vers 67 et 497 du Trinummus .
24?. De même au vers 1145 du Rudens.
248. Nous notons avec bona les mêmes images . Cf. supra p.177.
2^9- Voir le vocabulaire des relations et des partis politiques à
l'époque républicaine de J. Hellegouarc 'h , p. 237-230.
250. Emplois analogues : Ça£.217; Ep.323 ; Poe. 362 ; Ru_. 557 ; Tri. 135-
251. Cf. supra p. 179.
252. Malheureusement, le vers est contesté . Sur les relations entre
amitié et richesse , cf. supra p.169-170.
253. D'ailleurs J. Hellegouarc 'h note dans Le vocabulaire ... que
copiae et diuitiae ont parfois des emplois tout à fait comparables ; ces
termes sont mêmes beaucoup plus proches par l'emploi que ne le sont opes
et diuitiae ( cf. p. 238).
254. Cf. infra p. 245.
255- Pour une étude générale du vocabulaire technique de l'argent ,
nous renvoyons au livre de L. Nadjo , l'argent chez Plaute ... op. cit.
256. Pour la racine arg- , cf. E.M. p. 45.
257. As. 89, 364, 396, 532,579, 633, 725, 752, 852.
258. Tal^ntum ( talenta ) argenti : .As. 193,500 ; Mer. 89; M0.913;
Ru- 1375, "I38O ; Tru.952.
259. Nummus argenti : As. 497; Au.108; M0.IO8O ; Ps.299
Libella argenti : Cap. 947 ; Ps.629.
200. Au^343 ; Tru. 53.
261. Pare ou dari : As.83,473,638,692,712 ; Cas. 85 ; Ep.305 ; Mo. 1013;
1085 ; Ru. 138777. .
accipere ou accipi : As. 87, 765 ; Cap. 989 ; Çu. 458,460 ; Ps.627...
afferre ou afferri : As.. 240,337, 300, 369; Çu_.226, 581 ...
auferre ou auferri : Cu.7O4 ; Ep.160,193 ,352 ...
262. Vomere argentum : Cu.688
egurgitare argentum : Ep.582.
263. Notons aussi au vers 1038 des Captifs la circumductio argenti.
Sur cette imagerie du détournement de fonds , cf. infra p.300 sqq.
- 345 -

264. En plus de Cu_.334


~~ et 1065 , nous relevons seulement Per .145 et
Ps.398.
265. Mina auri : Mi. 1420 ; Po_e.i4i4 ; Tru. 893, 900, 936.
modii auri : Mi. 1064.
266. Dans ce cas, aurum est cité avec les vêtements ( uestis) et le
mobilier ( supellex) , comme au vers 3^3 de 1 'Aululaire.
267. 3a_.64O et Cu.44o.
268. Aurum dare (dari) : Ba.335 ; Poe. 174 —
aurum credero : Ba_.275 ; Au. 13 » · -
aurum reddere : Ba_.68i ,6S4,736,8o4 ; Poe. 1393, 1^08 ...
aurum auferre : Ba.277 ,297, 694...
aurum condere : Au . 63 ■
269. Le terme oct présent aussi sous sa forme grecque dans des
composés fantaisistes comme Ch-yjopolis ( Per .506) , la "ville d'or".
270. Ex. ΕρΛ97.
271. Facere lucrum : Cap. 327 ; Cas. 395 ; Mer .95 ; Per. 494 , 503 ;
Tru.426.
272. Facere lucri : Ba.859; Mo. 354 ; Per. 668 ; Poe. 771 ·

274 . Notons ici qu'Arnobe (IV 9 ) évoque l'existence des Lucrii Dii.
275. Sur ce critère de la mobilité comme une des constantes du bien
possédé ( avec celui de l'entassement auquel il s'oppose ) , voir M. M. Mac-
toux qui distingue à propos de$ot>Âoj une possession appartenance et une
possession rupture ( par laquelle l'esclave est vu comme un objet qui circule)
( Douleia , esclavage
~~ et pratiques discursives dans l'Athènes classique ,
Paris 1980 ) .
276. Les références seront données à propos de l'étude de chacun des
couples antithétiques.
277. Drues sans pauper : Au. 1 66,809.
diues avec pauper : Au_. 1 84, 196,226,489 .
opulentus avec pauper : Au;24?,46i ,479»
278. Cf. J.Marouzeau , Traité de stylistique latine , Paris 1962,
p. 332 sqq.
279. Cf. infra l'étude thématique avec le thème de l'altitude ,
p. 212 sqq.
280. Cf. Au. 198.
281. Nous étudions infra p. 290 sqq. les expressions qui font du bien
un véritable aliment .
282. Au. 184, 196, 226, 489.
- 346 -

283. Au. 196.


284. A_u.22b.
285. Voir dans le chapitre de la structuration du champ de la
possession le passage consacré à l'activité , infra p. 264 sqq.
286. Sur la rapacité proverbiale des meretrices , cf. infra p. 236.
287. Dn autre point serait ici à développer , celui d . · la
disparité des deux élément:.:; du couple in diuitjis / in paupertate. En effet, di-
uitiae fonctionne ici comme un substantif abstrait au même titre çue pau-
pertas . On peut alors se demander pourquoi le système de la langue latine
ne présente pas un abstrait de qualité comparable à paupertas , d'autant
qu'un tel abstrait existe pour la famille d'opulentus \ opulentitas ,
attesté une seule fois il est vrai dans notre corpus , au vers 1171 du Rudens.
288. Cf. supra p. 203 sqq.
289. Voir l'apologue de Lazare dans le Nouveau Testament (Luc ch.
XVI , 19 à 31).
290. Cf. supra étude de rex p. 158 sqq. et de parasitus p. 91 sqq.
291 · Sur le parasitus et la plaisanterie , cf. supra p. 97.
292. Cf. supra p. 2?.
293· Toutefois l'idée de hauteur se rencontre aussi dans des
désignations qui renvoient au vocabulaire social et politique en général ,
comme celles de summus , egregius , eminens , excellens , cf. J. Helle-
gouarc'h, op. cit. p. 230 sqq.
294. Cf. supra p. 110.
295. Cf. infra p.234 sqq.
296. Cf. les remarques précédentes p. 211.
297· D'une façon plus réaliste , Hérodote présente les immenses
richesses des rois de Perse dans le livre III ch. 95 des Histoires.
298. Le lien entre la pauvreté du parasite et l'image de 1' étroites-
se est patent en Cap.*f96 sqq. : " Ilicet parasiticae arti maxumam malam
crucem / Ita iuuentus iam ridiculos , inopesque ab se segregat / Nihil mo-
rantur iam Lacones unisubselli uirou / Plagipatidas , quibus sunt uerba
sine penu et pocunia ". En ce qui concerne le choix entre les deux leçons
imisubselli et unisubselli , il nous semble que la leçon unisubselli est
préférable si on considère le vers qui précède S_t.it89 : " Hau postulo e-
quidem me in lecto accumbere ".
299· Ainsi B.A. Taladoire montre dans son ouvrage Essai sur le
comique de Plaute , que le public des pièces de Plaute avait un certain
niveau culturel. Voir aussi à ce sujet l'article de J.P. Cèbe , Le ni-
veau culturel du public plautinien R.E.L. XXXVII 196O 101-106.
- 347

300. Lesbonicus signifie " vainqueur à Lesbos ".


301. Lysitélês signifie " l'utile " , c'est-à-dire " celui qui
recherche le profit ".
302. Cf. E.M. p. 249. Fortis signifie " courageux " et s'applique
donc à la force morale de l'individu en Am. 340,646 ; As. 537 ; Ci. 232 ; Per.
8^6 ; Ps.992 . Deux cas sont douteux , Mi. 10 et Ru.314 : on ne peut y
choisir entre l'application morale ou physique . Dans les autres emplois
(Ba_.2l6;Mi.1111 ; Poe. 828 ) la valeur de force matérielle est nette.
303· Cf. supra p. 155 sqq. La valeur propre de "remplir" apparaît
nettement dans l'exemple des Captifs , au vers 137 : " Foris aliquantil-
lum etiam quod gusto id beat ".
3?4. J. Hellegouarc 'h montre justement ( op. cit. p. 447-8) que
beatus " paraît désigner les membres de la classe sénatoriale qui se
distinguent par leur puissance et leur richesse ". Ainsi voyons-nous
que l'emploi de beatus correspond à quelque chose de plus que la
richesse et qui est la manifestation de cette richesse.
305. Cf. l'ouvrage de B. Combet-Farnoux : Mercure ... et notamment
les pages 248 sqq.
306. Voir l'ouvrage de P. Grimai : Les jardins romains Essai sur le
naturalisme romain , Paris 1969.
307· Ainsi dans la brillante tirade de Megadore ( Au. 505 sqq. )
dirigée contre les uxores dotatae qui ruinent leurs maris par leurs
folles dépenses.
308. Mo. 571 ; Ps. 308, 371 ; Tri. 701. Nous ne faisons pas état du
vers 4l8 du Rudens , très mutilé . Peut-être contient-il une équivoque
obscène avec l'idée de remplir ce qui est vide.
309. Voir supra l'étude analytique d'inops p. 66sqq. Le sème
constant d'inops est d'ailleurs celui de manque de ressources.
310. Ramenta est à rapprocher de rado , "racler ", cf. E.M. p. 563.
311. Cf. EJH. p. 337.
312. De même , l'influence politique exercée par quelqu'un est
désignée par grauitas (cf. J. Hellegouarc 'h , op. cit. p. 279 )·
313· Mi. 609 avec sterilis prospectus et Tru. 97 avec manus sterilis.
31 4. Cf. E.M. à l'article pauper p. 490.
315· Cf. étude analytique de res et notamment p.166.
348

316. Dans l'apologue de l'Aululaire où le riche est comparé à un


boeuf et le pauvre à un âne , l'âne ne tarde pas à s'étaler dans la boue
lorsqu'il veut marcher avec les boeufs (Au. 230).
317· E.M. p. 12 : " Aerumna a dû désigner un faix , une charge ,
avant de prendre un sens moral " . Les auteurs évoquent ensuite le
commentaire de Festus , 22,13 : "Aerumnulas Plautus refert furcillas quibus
religatas uiatores gerebant . . .Itaque aerumnae labores onerosos signifi-
cant ; siue a graeco sermone deducuntur. Nam o<Yptiv> graece latine
tôlière dicitur".
318. La pauvreté figure dans les cortèges de maux traditionnels
chez Plaute , en Mer. 845, Vi_.F_r_. 1,11 cf. supra p. 72 et 73.
319· Opimus n'a pas d'étymologie claire . Cependant E. Benveniste
(B.S.L. 1955 P-31 ) le rapproche du grec p?^??? , graisse.
320. ??1. p. 337-
321. Sur douze emplois , neuf s'appliquent à la joie des personnages
souvent dans des tournures explicatives , notamment lorsqu'ils retrouvent
un ami. Ces neuf emplois sont les suivants : Am.676; Mer .844; Mi .387,411 ,
1222; Ps_. 324, 1062; Tri. 821 ; Tru. 701.
322. Cf. supra p. 94 dans le chapitre consacré au lexème parasitus.
323. Sur la représentation de Ploutos , cf. Enciclopedia dell'arte
antica , Rome 1965 ,tome VI, s.u. Ploutos. Ploutos serait le fils de Démé-
ter et de Jason. Il est figuré tantôt avec une corne d'abondance , tantôt
avec des épis. C'est justement avec des épis à la main que la statue de
Céphisodote l'Ancien le représente , dans les bras d'Eiréné (Cf. La Grèce
Classique , L'Univers des Formes , Gallimard , 1969 , illustration n°399·
324. En revanche, Horace par exemple dissocie la pauvreté de
l'avarice puisque celui qui vit en sordidus peut posséder de nombreux biens,
(Sat. II, 3 ,114 sqq.).
325. D'ailleurs , il a été démontré que le personnage d'Euclion de
Plaute est un pauvre plus qu'un avare. Seuls une trentaine de vers , dont
celui que nous avons cité , presque tous contenus dans la scène 4 de l'acte
II , le dépeignent comme un avare presque dément ( cf. l'article de M.
Bonnet in Mélanges offerts à Louis Havet , Paris 1909 ).
326. D'après E.M. p. 637, sordidus
' serait à rapprocher du gotique
swart qui signifie nôîr.
327- Cf. supra p. 154.
328. Emploi du verbe inhio et expression du désir d'argent : Mi. 715;
S_t_.605; Tru. 339; Tri.169.
Emploi du verbe inhio sans désir d'argent : Mi. 11 99·
329. Déjà les Grecs comparaient les riches à des pieuvres (Eschyle,
Les Perses , v.326).
330. Sur les relations entre diues et pauper et leur expression sty-
349

listique , cf. supra p. 202 sqq.


331 · Leuis signifie léger :
pour un travail , une peine faciles à supporter (Cap.196)
pour une personne qui n'est pas digne de confiance , sur qui on ne peut
compter ( Poe.8l2 ; Per. 244 ; Tri. 684,1171 )
pour un comportement "léger" au sens figuré , qui n'a aucune réalité ( par
exemple en parlant de la reconnaissance des riches envers les pauvres )
(Men. 488).
332. Cf. supra p. 220.
333- Cf. Esope 40 141 . Voir à ce sujet P. Brind 'Amour , Des ânes et
des boeufs dans l'Aululaire , Maia XXVIII 1976.
334. Mi .990 : "Viden tu illam uenaturam facere atque aucupium auri
bus? »
Tru. 964: "Lepide ecastor aucupaui atque ex mea sententia ".
335· Cf. page précédente à propos des vers 242 sqq. des Bacchides.
336. Ep.705 ; Per. 634; Poe. 101 ,1286 ; Ps_.120, 1238, 1308. . .
337· Voir l'article de Ramsay Excursus XVII ad Mostellariam pp.
177-285 London 1868. "
338. Cf. supra ?.1?8-109·
339· Meretrix = mare : Tru. 568 / = rapidus fluuius : Ba.85,6 /
= nauis praedatoria : Men. 344 / = naûis : Poe. 210 sqq.
Sur cette dernière comparaison , voir l'article de G. Pétrone : Due para-
goni antifemministi in Plauto ( Poe. 1,2 ) Pan II , 1974 , 19-25.
340. Cf. p. 110 sqq. Sur le mécanisme de la métaphore , voir le livre
de Michel Le Guern : La sémantique de la métaphore et de la métonymie ,
Paris 1973 ·
341 . Cf. en particulier p. 110 , p.1l8 , p.149 sqq.
342. Cf. Hymne Homérique à Hermès , vers 460 sqq.
343. Cf. E.M. p. 400.
344. Mercure messager : Am.11 ; _St.274 .
Mercure protecteur du commerce : Am.1 à 14 ; Cas. 238 ; Poe. 327;
St.4o4.
345. Cf. B. Combet-Farnoux , Mercure Romain ... p. 248.
346. Voir à propos de Copia le dernier article paru à ce sujet dans
la Revue des Etudes Indo-Europèennes , Avril 1982 , par Amable Audin. La
déesse Copia est présente avec son cornu à l'avers d'une monnaie frappée
à l'occasion de la fondation de Lyon en 43 av. J.C. par Munatius Plancus ,
colonie qui s'appelait alors Copia Félix Munatia.
- 350 -

347. Cf. supra p. 139-


348. Cf. supra p. 228 sqq.
349. Au_.166 ; Caj.324 ; MU676 ,679 î Per. 390 ; Tri. 346, 355·
350. Les dieux accordent aux hommes des biens et les rendent donc
diuites. Mais leurs faveurs sont-elles constantes par la suite ? Un passage
permet d'affirmer le contraire. C'est celui où les dieux sont dits punis-
seurs des riches , dans le Trinummus aux vers 828 sqq. ( le vieillard
Charmidès rend grâces à Neptune ) : "Atque hanc tuam gloriam iam ante au-
ribus acceperam , et nobilest apud homines / Pauperibus te parcere
solitum , diuites damnare atque domare ".
Mais ce passage est unique et il ne peut contrebalancer les nombreux
endroits où les dieux agissent en bienfaiteurs des riches. Si nous
voulions à tout prix faire concorder ce passage avec les autres , nous
pourrions dire que la divinité comble de biens non pas le riche , mais celui
qui le deviendra , alors que les dieux châtient ceux qui sont déjà riches
et sans doute en même temps insolents et cruels.
351 · Cf. supra dans l'étude thématique le thème de l'altitude
p. 212 sqq.
352. Sur la divinité Ops , cf. G. Dumézil , La religion romaine
archaïque . op. cit. p. 266 et l'ouvrage de P. Pouthier , Ops et la
conception divine de l'abondance .
353· Mi. 1064.
354. Ba_.893 ; ^i.515 ; _Mi.108l ; Per .251.
355· Dans la pièce d'Amphitryon , il y a à la fin des coups de
tonnerre qui sont la manifestation spectaculaire de la divinité ; cf. tonuit
v. 1062, 1130.
356. I. supremus : Cap. 768 ; Mer.114 ...
357. Am.1021.
358. Sub solio louis : Tri .940
reghum louis : Men. 728.
359· L.L. 5,92 . Cette hypothèse semble acceptée par Ernout-Meillet.
Les auteurs du dictionnaire font par ailleurs remarquer s.u. que " les
dieux indo-européens étaient distributeurs de richesses ( hom. Joifyij
ictwV ) donnant en partage ( skr. bhagah , v. perse baga , v. si. bogu:
dieu ) . Dès lors , on peut se demander si diues ne serait pas fait comme
caeles, ce qui concorderait avec l'etymologie de Varron ".
360. Cf. supra p. 21 2 sqq.
361. Cf. supra p. 228 sqq.
362. Cf. supra p. 226 sqq.
363. Speratrix B C D ; seruatrix Seyffert ; regnatrix Guyet ; su-
peratrix Ribbeck.
- 351 -

364. Cf. supra p.228sqq.


365. Cf. infra p. 290 sqq.
366. Cf. Tri. 829.
367. Cf. étude analytique supra p. 85.
368. Cf. supra p.81 .
369. Cf. supra p. 71 .
370. Voir étude analytique de res , supra p.167.
371. Cf. supra p. 173-4.
372. Cf. supra p.179-l80.
373· Cf. supra p. 1 82-3·
374. Cf. supra p. 1 85-6.
375. Térence H. T. 258.
376. Cf. Au. 229 sqq. Pour une étude détaillée de cet apologue , voir
supra p. 242 -3-
377- Inops et inopia et leur valeur résultat! ve , cf. supra p.80.
378. Egens et la force qui pousse à quémander , cf. supra p. 54
Egestas et la force qui torture , cf. supra ?.6?.
379· Voir supra p.168 et des passages comme St. 520 ou Tri. 243.
380. Voir étude analytique de locuples p.l40.
381. Voir dans le tableau de la composition sémique d'opulentus
(p. 132) le sème constant "qui manifeste aux yeux d'autrui richesse et
puissance ". Pour la comparaison avec diues , cf. supra p. 127-8.
382. Voir la composition sémique de luculentus p. 154.
383. Cf. supra p. 23.
384. Cf. supra p. 67.
385. Cf. supra p. 72.
386. Cf. Am.170.
387. Cf. supra p.118.
352

388. De Officiis I XLII.


389. Cf. supra p.167.
390. Cf. Au. 72-3-
391 · Vers 117-
392. Ainsi dans le Pseudolus au vers 300 ; voir l'étude analytique
et le sème d'inanité p. 67.
393· Pauper méprisé cf. supra p. 27
pauper respecté par les dieux : Tri .829
diues respecté par les hommes : Ci. 532 et Men. 579
diues condamné par les dieux : Tri. 829»
394. Cf. Tri. 493.
395· Cependant mendicus semble contenir le sème "qui suscite le
mépris d'autrui " cf. supra p. 88.
396. Voir le tableau p.185.
397- Ex: Tru. 589.
398. Cf. supra p. 236 sqq.
399· Cf. supra p.167 sqq.
400. Cf. supra p.178.
401. Cf. Mi. IO65.
402. Cf. E.M. p. 657 : struo signifie "disposer en piles ", "empiler
des matériaux ".
403. Ru. 542.
404. Tru. 113 a. Le vers suivant évoque une image analogue , celle
du transport des biens entassés , d'un lieu à un autre : bona degessi.
405. Tru. 310.
406. Rem confringere : S_t.630 ; Tri. 108,336.
407. Distrahi rem : Tri.617
rem dilacerari : Cap. 672
rem diuexare : Per.781
differre bona : Tri. 834
distrahere bona : Tri . 834 .
4?8. Cf. supra p.l68 sqq.
409· Lé trésors cachés sont traditionnellement entassés , ainsi
dans la caverne d'Ali-Baba.
410. Is te ab ore ... Schoell coll. Men_.1011
Is te ob eam rem ... Goetz ; alii , alia.
- 353

411. Voir étude thématique supra p. 231 sqq.


412. Os sublinere : Au.668;Mi .1066 ; Ps .719.
413. Ep_.l66 : "Eos deserit pudor "
Men. 756 : "pernicitas deserit "
Mer .123: "genua hune cursorem deserunt "
Mç_.737 : "ita nunc uentus nauem nostram deseruit "
Les autres emplois sont les suivants : Am.888,1040 ; As. 874.
Ba.10l4 ; Cap. 405,436; Ci .568 ; Cu -548 ;Ep .97 ;Men . 107 ; Mi.1363 ; Mo. 196.202.
737 ; Ps_.103, 267, 361, 600, 1027 ; Ru-92 ; Tri .344, 701.
414. Emploi comparable chez Varron , R_. 1,44,1.
415. Cf. EJi. p. 136.
416. Corrumpere rem : Mo. 28.
rem corrumpi : Tri .114.
417. Ex: Ps.892.
418. 21 emplois sur 32 , soit environ 2 sur 3·
419. Emplois de ualidus qualifiant un nom de personne : Am. 159, 299;
As. 575 ; Men. 877; Per. 2521
420. Emplois de uiduus : Men. 11 3, 720, 726, 727 ; Mi.965,l409 ; St.119;
Çi.37,44; Mer. 829.
421. Cf. E.M. p. 734.
422. Emplois de seruare avec un complément désignant le bien
possédé : aurum seruare : Ba.338
argentum seruare : Men . 775
thensaurum auri" seruare : Au.8
uidulum eum magna pecunia seruare : Ru. 1 396
quod des seruare : Tru. 3^7
illam ( pecuniam ) seruare : Tru. 347
rem seruare Çseruari) ; Am.651 ; Mi. 724; Ps.630 ; Ru.1374; Tru.l40,
342.
423. Fides seruari : Cap.930 ; Tri. 1048, 1113 etc..
famam seruare : Mo. 228.
424. Rem tutari : Am.651 ; Men. 969 ; Mer. 835.
tutari avec un nom de personne : Am.214 ; Mer. 865 ; Mi. 312;
Ru. 091, 696.

425. Bona commendare : Tri. 877, 1095


rem commendare : Tri .113 ; Tru. 1083
opes commendare : Cap. 445
commendare quae tu habebas : Mer. 702
Commendare avec un nom de personne : Ci.
~~ 245 ; Mer.
if 246, 702 :
Tri. 113, 877.
- 354 -

426. Cf. E.M. p. 285.


427· On ne peut arguer de la présence de domo en faveur de l'autre
interprétation. En effet , Plaute présente souvent ce terme avec la valeur
de " personnellement " , "en ce qui me concerne " ., Ainsi , en Mer .355 ,
domo doctus signifie "savant par ma propre expérience ".
428. Ru.511 ; Cas. 732 ; Çu.74.
429· Dans la Mostellaria , au vers 1110 , le vieux Théopropidès
fait la même constatation que Nicobule ; en revenant de voyage , il se
rend compte que son serviteur l'a "roulé" : " Immo etiam cerebrum quo-
que omne e capite emunxti meo " littéralement : " Tu m'as mouché jusqu'à
me tirer toute la cervelle de la tête". De même dans 1 'Epidique au vers 454
avec le vieux Periphane.
430. Même procédé à propos de auro emungere : Ba.701 et 1101 et de
auro attondere : Ba_.24l-2 et 1095·
431. Spolia ; Tri. 724 ; Tru. 508,524.
432. Notons les expressions complémentaires constituées par les
deux vers du Pseudolus , 583 et 588 :
"Facile ut uincam , facile ut spoliem meos perduellis meis perfidiis"
"Inde me et simul participis omnis meos praeda onerabo atque opplebo".
433. La présence de lustris semble renforcer l'image contenue dans
lacérant . Lustrum signifie d'abord tanière d'animal , bauge de sanglier,
puis lieu de perdition. Ainsi , l'expression suggère un animal qui
entraînerait dans son repaire un autre animal plus petit qu'il dépècerait.
434. A la fin du couplet où il compare les lenones à des poux ou à
des puces , Curculio déclare que celui qui s'arrête auprès d'un leno est
aussitôt montré du doigt (vers 504) :
" Eum rem fidemque perdere , tametsi nil fecit , aiunt "
" Ne fît-il rien de mal , on dit toujours qu'il est en train de perdre
et sa fortune et son crédit ".
435· Perii : 116 emplois figurés sans compter les cas où perire
signifie "mourir d'amour ".
436. Interii : 19 emplois
occidi 24 emplois.
437. Au.fr_.II ( ex Gell.Vl).
438. Une image semblable est peut-être contenue dans le français
escroc, escroquer si on rattache ces vocables à la racine croc , cf. B.W.
s.u. escroc.
439. Voir à ce propos l'étude de M. M. Mactoux dans Douleia , Esclavage
et pratiques discursives dans l'Athènes classique op. cit. avec la référence
à la Politique d'Aristote I 1254 a 9-1 6 et I 1255 b11 : "On parle de l'objet
de propriété dans le même sens que de la partie : la partie est non
seulement partie d'autre chose , mais encore elle appartient entièrement à cette
autre chose ; il en est de même pour un objet de propriété . C'est pourquoi
- 355 -

tandis que le maître est simplement maître de l'esclave , mais ne lui


appartient pas , l'esclave , lui, est non seulement l'esclave du maître ,raais
encore lui appartient entièrement " et " L'esclave est une partie du maître".
440. Cf. chez Plaute le passage où les richesses sont vues comme
des enfants (Men. 59) ·
441 . Cf. le livre d'Edgar Faure , La banqueroute de Law , Paris 1977?
442. Cf. supra p. 289.
443. Autres exemples : As.104 ; Cap. 121, 122 ; Mi. 692 ; St. 256.
444. Sous Constantin , solidus , soldus (se. nummus) a désigné une
pièce d'or massif. Peut-être aurions-nous aussi une trace de cette ancienne
conception dans une convention théâtrale classique bien connue chez Molière
et selon laquelle un personnage fait le geste de croquer une pièce de monnaie
pour voir si elle est bonne ( convention reprise notamment par B. Roussillon
dans sa mise en scène de l'Avare ).
- 356 -

Indications bibliographiques

La bibliographie ne comporte pas les ouvrages qui n'ont fourni qu'une


indication passagère ; on en trouvera la mention détaillée dans les notes.
Les éditions utilisées sont celles de la collection des Universités
de France , auxquelles nous empruntons , sauf indication contraire , la
traduction des passages cités.

I) Lexique , Dictionnaires

Plaute Lexicon Plautinum (2 vol.) de G.Lodge , Georg 01ms, Hildesheim


1962.
Daremberg (C.) et Saglio (E.) : Dictionnaire des Antiquités grecques et
romaines , Paris , 1877-191 8.
Ernout (A.) et Meillet (A.) : Dictionnaire Etymologique
i: de la Langue La-
tine , Histoire des mots , Paris , 19°7 Abréviation: E.M.
Thésaurus Linguae Latinae , Leipzig , 1900 sq .

Il) Ouvrages généraux

Benveniste (E.) : Problèmes de linguistique générale , Paris , 1966.


Coseriu (E.) : Pour une sémantique diachronique structurale Tra. Li . Li.
Il, 1964 p. 139-186.
Finley (M.I.) : L'économie antique , Paris 1975-
Germain (C.) : La sémantique fonctionnelle , Paris , 1981.
Greimas (A.J.) : Sémantique structurale , Paris , 1966.
Guiraud (P.) : La sémantique , Paris 1969·
Jakobson (R) : Essais de linguistique générale , Paris , 1963·
Le Guern (M) : Sémantique de la métaphore et de la métonymie , Paris 1973·
Lyons (J.) : Eléments de sémantique , 1978.
Marouzeau (J.) : Traité de Stylistique latine , Paris 1954 .
Martin (R.) : Esquisse d'une analyse formelle de la polysémie , Tra. Li.Li.
X , 1, 1972 , p. 125-136.
Martinet (A.) : Eléments de linguistique générale , Paris, 1966.
Monteil (P.) : Eléments de phonétique et de morphologie du latin, Paris 1970.
357

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Perrot (J.) : La linguistique , Paris , 1957 -
Picoche (J.) : Précis de lexicologie française , Paris , 1977 ·
Pottier (B.) : Linguistique générale , Théorie et description , Paris , 1974.
Ullmann (S.) : Précis de sémantique française , Berne , 1952 .

III) Etudes particulières

d'Agostino (V.) : Sul ooncetto di povertà e di richezza negli scr-i ttori


antichi , Rivista di Studi Classici , V , 1957 , 236-247 .
d'Agostino (V.) : Cenni sulla figura del servus nella commoedia plautina,
Rivista di Studi Classici , 1975 ,268-272 .
Alfonsi (L.) : Note plautine , Dioniso , XXXVIII , 1964.
Andreau (J) : Banque grecque et banque romaine dans le théâtre de Plaute et
de Térence , M.E.F.R. 80, i960, 461-526 .
André (J.): Etude sur les termes de couleur dans la langue latine , Paris
1949.
Brind 'Amour (P.) : La richesse et la pauvreté chez Plaute et Térence ,
Thèse dactylographiée , Strasbourg , 1968.
Brind'Amour (P.) : Des ânes et des boeufs dans l'Aululaire , Maia 27 , 1976
25-27.
Cavaignac (E.) : Peut-on reconstituer l'échelle des fortunes dans la Rome
républicaine ? Annales d'Histoire Economique et Sociale , I, 1929,
481-505 .
Cèbe (J.P.) : Le niveau culturel du public plautinien , R.E.L. 37, 1960,
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Cèbe (J.P.) : La caricature et la parodie dans le monde romain antique des
origines à Juvénal , B.E.F.A.R. 206, Paris , 1966.
Champeaux ( J) : Fortuna , Recherches sur le culte de la Fortune à Rome et
dans le monde romain , Paris , 1979·
Combe t-Farnoux (B.) : Mercure romain , Essai sur la fonction mercantile à
Rome , B.E.F.A.R. 238, Rome , 198O.
Corbett (P.B.) : The scurra in Plautus , Eranos 66, 1968, 118-131.
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Dubois (J.) : Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872,


Paris 1962 .
Dumézil (G.) : La religion romaine archaïque , Paris 1966.
Dumont (J.C.) : La stratégie de l'esclave plautinien , R.E.L. 44, 1966,
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Fischer (I.) : Encore sur le caractère de la langue de Plaute , Stud. Clas.'
XIII, 1971 ,59-78 .
Fraenkel (E.) : Plautinisches in Plautus , Berlin 1922. Trad. ital. de F.
Munari : Elementi plautini in Plauto , Florence , 1960.
Goldmann : Die poetische Personifikation in der Sprache der alte.i Komôdien
dichter , I Plautus , Halle 1885.
Graupner (B.) : De metaphoris Plautinis et Terentianis , diss. Vratislaviae,
1874.
Grimai (P.): Le siècle des Scipions , Rome et l'hellénisme au temps des
guerres puniques , Paris ,1975·
Grimai (P.) : Plaute et Térence , Oeuvres complètes , La Pléiade , Paris ,
1971.
Hellegouarc'h (J.) : Le vocabulaire latin des relations et des partis
politiques sous la République, Paris , 1963.
Inowraclawer (A.) : De metaphorae apud Plautum usu , diss. Rostochii, 1876.
Meyer (W) : Laudes Inopiae , diss. Gôttingen ,1915.
Monteil (P.) : Beau et laid en latin , Etude de vocabulaire , Paris 1964.
Moussy (C.) Gratia et sa famille , Paris , 1966.
Moussy (C.) : Bolus et Iactus, R.E.L.61 , 1983 227-241.
Nadjo (L.) : Peculium chez Plaute , Caesarodunum , 1970.
Nadjo (L.) : Res et ses emplois dans la langue des affaires chez Horace,
Latomus 30 ,1971 , 1100-1107.
Nadjo (L.) : L'argent chez Plaute , Etude d'un vocabulaire technique et de
son utilisation littéraire chez les comiques et satiriques latins de
l'époque républicaine Paris 1980 ? Thèse dactylographiée ) .
Pouthier (P.) : Ops et la conception divine de l'abondance dans la religion
romaine jusqu'à la mort d'Auguste , B.E.F.A.R. 242 Rome 1981 .
Raskolnikoff (M.) : La richesse et les riches chez Cicéron , Sources et
formes de la richesse dans le monde romain , Ktema , 2, 1977.
- 359 -

Salât (P.) : L'adjectif miser, ses synonymes et ses antonymes chez Plaute
et Térence , R.E.L. 45 ,1967 , 252-275.
Schacht (J.) : Anthropologie culturelle de l'argent , le masque mortuaire
de Dieu , Paris 1973.
Schilling (R.) : Les dieux dans le théâtre de Plaute , Actes du IXène
Congrès Ass. G. Budé , I, Rome , 1973, 342-353.
Schutter (K.H.E.) : Quibus annis comoediae plautinae primum actae sint
quaeritur , Groningue 1952.
Segal (E.) : Roman laughter , the comedy of Plautus , Cambridge ,1970.
Serbat (G.) : Théâtre et société au second siècle avant J.C. , Actes du
IXème Congrès Ass. G. Budé , 1973, 394-403.
Svendsen (J.T.) : Goats and monkeys , A study of the animal imagery in
Plautus , diss. Univ. of Minnesota , Minneapolis , 1971 .
Taladoire (B.A.) : Essai sur le comique de Plaute , Monaco , 1956.
Veyne (P.) : Le pain et le cirque , Sociologie historique d'un pluralisme
politique , Paris 1976.
Wortmann (E.F.) : De comparationibus Plauti et Terentii ad animalia spectan-
tibus , Marburg ,1883.
- 36?

TABLE DES MATIERES

1 Avant-propos : objectifs - Etat de la question


7 Introduction méthodologique

15 PREMIERE PARTIE : INVENTAIRE DES TERMES ET ANALYSE SEMIQUE

Inventaire des termes appartenant aux deux champs de la


richesse et de la pauvreté
Analyse sémique:
18 Pauper
les occurrences
les traits de signification
A) dans 1 'Aululaire ( pauper = qui possède peu^qui vit
de peu et qui appartient à une véritable classe
sociale opposée à celle des diuites)
28 B) dans le reste de l'oeuvre
34 la manifestation syntaxique
I) pauper comme adjectif épithète
II) pauper comme substantif
III) pauper comme adjectif attribut
40 Les mots de la famille
pauperare : de riche rendre pauvre
42 pauperculus : équivalent de pauper avec une nuance
affective
45 paupertas : état de celui qui possède peu
état accablant
état qui suscite des réactions
47 pauperies: état de celui qui possède peu
état pathétique
état vu comme un résultat
49 tableau comparatif des emplois de paupertas et
pauperies
51 Conclusion sur pauper : un mot définissant un type d'homme
361

52 Egere
I) les traits de signification:
être dans un état de grande nécessité
qui provoque l'aide d'autrui
qui entraîne une douleur
qui résulte du gaspillage
qui est cause du mépris d'autrui
58 II) la manifestation syntaxique
importance du participe
présence ou non d'un complément
60 III) la famille d' egere:
A) egestas : état de dénuement absolu qui suscite
l'aide d'autrui ou son mépris
B) autres mots de la famille :
indigeo : même emploi qu'egeo avec valeur plus
déterminée
egenus
66 Inops
I) les traits sémiques:
qui est indigent
qui exhibe cette indigence
qui est méprisé
69 II) le manifestation dans la phrase
pas d'emploi substantive
pas de complément
70 Inopia
A) analyse sémique : dénuement absolu
qui entraîne une impuissance totale et qui est
senti comme un fléau
qui résulte de la malchance ou de la luxuria
et qui est suivi dans ce cas d'un blâme moral
75 B) manifestation dans la phrase : possibilité d'un
ment désignant l'argent
78 Comparaison des deux familles egere/ inops:
inopia, inops : situation de manque , vue comme un résultat
fléau entraînant la passivité du sujet
- 362

egere , egestas : situation de nécessité absolue entraînant


l'activité du sujet qui demande le secours
d'autrui
82 Mendicus,
_ mendico , mendicor,
_____. mendiculus
-. , mendicitas,
- mendica-
bulum ;

,
dénuement complet
recherche active de la subsistance
infamie
souffrance
91 Parasitus
I) goinfre
II) bouffon
III) qui s'acquitte d'une charge
IV) qui est misérable
106 Conclusion de l'étude analytique des termes du champ de la
pauvreté
107 Diues
I) les traits sémiques
qui possède beaucoup et qui a des appuis ( les
facteurs d'enrichissement )
qui est situé au sommet de la hiérarchie sociale
qui est inactif , dépensier , ingrat
qui méprise et exploite le pauvre
qui mérite d'être châtié
113 II) la manifestation syntaxique
adjectif épithète avec substantifs évoquant les
origines de la richesse
adjectif attribut
substantive , définissant dans ce cas un type d'homme
opposé au pauper
116 Diuitiae
biens accumulés
considérés comme une masse / comptabilisables
gagnés personnellement / hérités
état de richesse
- 363

126 Opulentus
la formation de l'adjectif
la composition sémique :
qui étale sa richesse et sa puissance
pour les dieux , en distribuant leurs
bienfaits aux mortels,
pour les hommes , en éclaboussant les
autres de leur faste
134 manifestation syntaxique : comparable à celle de diues,
sauf en ce qui concerne la variation
quantitative
136 mots de la famille :
opulenter
opulentia
opiparus
opimitas
opitulor
optimus
140 Locuples
traits sémiques:
qui possède fermement de grands biens
manifestation syntaxique : toujours adjectif
145 les polysémiques de la possession
Fortunatus
analyse sémique :
qui est favorisé par la chance
qui jouit du bonheur
qui jouit des biens matériels
149 manifestation syntaxique : la plupart du temps
jectif attribut
150 Luculentus
qui rayonne
qui séduit
qui est favorisé par la chance
qui est riche ou apporte la richesse
- 364

155 Beatus:
rempli
rempli de contentement
comblé de chance
comblé de biens matériels:
158 Rex
ses différents emplois :
A) véritable roi dans la fiction plautinienne
B) roi de la légende
C) personnage très important
D) protecteur attitré du parasitus
165 Res
ses différents emplois
A) possession ( res esse , rem habere )
B) acquisition ( rem parare , struere ...)
C) gestion ( rem seruare , tutari ...)
D) mauvaise gestion ( rem perdere , res labi )
169 1& res comme un bien solide qui confère le crédit ( res
et fides )
les différents emplois de res font ressortir deux élément!
solidité de la possession
activité du sujet possédant
173 Bona
biens (de toute nature)
biens matériels ( qu'il s'agisse de la catégorie de
possession , d'acquisition ou de celle de la
transmission par héritage ou don , ou encore de celle de l'ur
surpation )
importance de la mobilité des bona
178 Opes
le singulier *ops : le secours
la déesse Ops , mère de Jupiter
le pluriel opes :
- facultés mises en oeuvre dans un but déterminé
- biens matériels , transmis ou usurpés
comparaison res mea/ opes meae
diuitiae/ opes
365 -

1 82 Copiae
le singulier copia : faculté de faire quelque chose
Copia : déesse de l'abondance
le pluriel copiae : biens matériels
comparaison entre opes et copiae:
opes : ressources qu'on attend d'autrui
copiae : biens dont on dispose personnellement et plus a-
bondants que ceux désignés par opes
?d5 Tableau comparatif des polysémiques de la possession mettant
en lumière la situation des termes sur le plan des emplois
typiques , de la quantité des biens et de leurs mobilité .
19O Argentum
les divers emplois:
1) métal brillant
2) sommes précises utilisées dans les tractations
3) richesse ( en numéraire )
192 Aurum
les emplois :
1) le métal spécifique
2) la matière première des bijoux et des statues
3) les sommes précises utilisées dans les tractations
4) la richesse d'un personnage
193 Pecunia
les emplois:
1) somme utilisée dans les tractations
2) situation financière d'une personne
les rapports pecunia / pecu
194 Lucrum
signification : bénéfice que l'on obtient par son activité
et qui épanouit le bénéficiaire
197 Conclusion sur l'expression de la richesse:
variété de l'expression
absence de la distinction , comme en français, entre
le capital et les revenus
366 -

199 DEUXIEME PARTIE : ETUDE SYNTHETIQUE DU CHAMP DE LA POSSESSION


Introduction : mise en oeuvre de procédés relevant de la
stylistique
201 Chapitre I : étude des antithèses
I) étude du couple diues /pauper et de ses variantes dans
l'Aululaire
1) effet de priorité
2) effet de rapprochement artificiel suggérant la
distance réelle
3) effet d'annexion
4) effets syntaxiques
II) les couples antithétiques dans les autres comédies
a) diues / pauper
b) opulentissimus/ mendicus
c) oppositions secondaires : copia/inopja
rem habere/ egere
211 Chapitre II : étude thématique
I) série dimensionnelle :
a) altitude ( diues de summo loco ...)
b) surface et volume ( opulentus devant le parasitus)
217 II) plénitude
217 s) le plein / le vide : beatus / inanis
b) le lourd / le léger
la richesse et les emplois figurés de opplere,
onerare, propensior
la pauvreté et l'emploi d'aridus
228 III) éclat
la richesse et l'emploi de niteo et de luculentus
231 Chapitre III: images dynamiques
I) le bestiaire plautinien
a) le riche vu comme l'animal prédateur
le diues , dans l'Aululaire, présenté comme un
animal rapace et hypocrite (emploi d' inhiare,
deuorare , lupus , uolturii , polypi ...)
367

234 toujours dans l'Aululaire , la fable du pauvre chez les


riches : asellus chez les boues
236 b) le riche comparé à une proie facile ou à une bête de
port:
la meretrix et les amants qui se laissent gruger
avec l'image de l'oisellerie
les vieillards qui se laissent "tondre" par les serui
callidi
241 II) Diuites et di
a) les dieux comme distributeurs de richesse
Mercure, Copia , Jupiter, Fortuna
b) les dieux riches
Jupiter, Ops
252 c)parallélisme thématique entre di et diuites
di et diuites évoluent en altitude , dans la lumière,
dans un monde où régnent l'abondance et la joie des
festins
256 Chapitre IV : structuration du champ sémantique, de la possession
l'axe quantitatif
les différents clivages de permanence / accident
activité / passivité
réalité / apparence
268 Chapitre V : étude des lexèmes désignant le bien possédé
I) manifestation des lexèmes dans le cadre dynamique:
res et ses différents emplois dans les catégories de
possession , acquisition , bonne ou mauvaise
gestion, usurpation
272 diuitiae et ses emplois dans les mêmes catégories
bona ....
opes. . .
copiae . . .
argentum

282 II) spécificité des lexèmes .*


res , bona et la gestion
diuitiae , opes , copiae et la possession
aurum , argentum et la tractation commerciale
- 368 -

286 III) traits communs à l'emploi des lexèmes : les séries


imagées
287 tableau qui fait ressortir trois images dominantes:
A) le bien possédé comme un tout fait de parties
liées entre elles ( emploi de corruere , struere,
aggerere , labare , confringere rem )
290 B) le bien comme un aliment : sa disparition est
consommation ( comedere , deuorare )
C) le bien possédé est personnifié
a) le bien est assimilé à un être vivant (exen-
terare, deartuare, destimulare )
b) le bien est personnifié lorsque le lexème
est sujet de verbes comme deserere, redire
( opes ualidae / saluae)
296 c) systèmes impliquant un lien entre deux
sonnes: possédant/ possédé : type orbug
opum, uiduitas opum , dicere de bonis ne-
niam , rem seruare , commendare . . . )
3OO d) le bien possédé vu comme la substance même
du possédant : type argentum egurgitare ,
uomere, auro emungi , auro attondere
aliquem , aliquem spoliare , lacerare
307 Conclusion sur l'étude des images:
les deux caractères du bien possédé :
cohérence et puissance,
sont-ils propres à Plaute ?
31O Autre manière de considérer le bien possédé : la richesse-don
( tours du type habere quod dem , dona data )
313 Conclusion de la deuxième partie

316 CONCLUSION GENERALE


319 Notes
35O Bibliographie
354 Table des matières
ANNALES LITTÉRAIRES DE L'UNIVERSITÉ DE BESANÇON
CENTRE DE RECHERCHE D'HISTOIRE ANCIENNE

1. R. Lonis. Les usages de la guerre entre Grecs et Barbares des guerres


médiques au milieu du IVe siècle avant J.-C. (volume 104).
2. M. Clavel. Béziers et son territoire dans l'Antiquité, 1970 (volume 112).
3. D. Roussel. Les Siciliens entre les Romains et les Carthaginois à l'époque
de la première guerre punique. Essai sur l'histoire de la Sicile de 276 à 241,
1970 (volume 114).
4. Actes du colloque d'histoire sociale 1970, 1972 (volume 128).
5. J.-B. Colbert de Beaulieu. Traité de numismatique celtique, I, 197.3 (volume
135).
6. Actes du colloque 1971 sur l'esclavage, 1973 (volume 140).
7. P. Lévêque et P. Vidal-Naquet. Clisthène d'Athénien, 2e éd., 1973 (volume
65).
8. J. Annequin, Recherches sur l'action magique et ses représentations, 1973
(volume 146).
9. G. Boulvert, Domestique et fonctionnaire sous le Haut-Empire romain, 1974
(volume 151).
10. P. Briant, Antigone le Borgne, 1973 (volume 152).
11. Actes du colloque 1972 sur l'esclavage, 1974 (volume 163).
12. Dialogues d'histoire ancienne, I, 1974 (volume 166).
13. A. Wasowicz. Olbia pontique et son territoire, 1975 (volume 168).
14. J.-G. Texier, Nabis, 1975 (volume 169).
15. M. Gitton, L'épouse du Dieu Ahmes Néfertary, 1975 (volume 172).
16. M. -M. Mactoux, Pénélope, 1975 (volume 175).
17. J . Kolendo , Le colonat en Afrique sous le Haut-Empire, 1 976 (volume 1 77) .
18. Actes du colloque 1973 sur l'esclavage, 1976 (volume 182).
19. P. Cabanes, L'Epire, 1976 (volume 186).
20. M. Clavel-Lévêque, A. Daubigney, F. Favory, E. Smadja. Texte, politique,
idéologie : Cicéron. Pour une analyse du système esclavagiste ; le
fonctionnement du texte cicéron ien, 1976 (volume 187).
if>&

21. Dialogues d'histoire ancienne, II, 1976 (volume 188).


22. Cl. Leduc. La constitution d'Athènes attribuée à Xénophon, 1976 (volume
192).
23. D. Roussel. Tribu et cité, 1976 (volume 193).
24. S. Scheers. Traité de numismatique celtique, II, 1977 (volume 195).
25. Dialogues d'histoire ancienne, III, 1977 (volume 202).
26. J.-Cl. Carrière. Le carnaval et la politique, 1979 (volume 212).
27. P. Brûlé. La piraterie Cretoise hellénistique, 1978 (volume 223).
28. Dialogues d'histoire ancienne, IV, 1978 (volume 225).
29. A. Bresson. Mythe et contradiction, 1979 (volume 230).
30. J.-J. Jully. Les importations de céramique attique (VIe-IVe s. av. J.-C.) en
Languedoc méditerranéen, 1980 (volume 231).
31. G. Chouquer & F. Favory. Contribution à la recherche des cadastres
antiques, 1980 (volume 236).
32. J. Annequ;n G Briant, A. Casanova, F. Dunand, E. Srp-Hja. Religion,
pouvoir, rapports sociaux, 1980 (volume 237).
33. R. Lonis. Guerre et religion en Grèce à l'époque classique, 1980 (volume 238).
34. Dialogues d'histoire ancienne, V, 1979 (volume 239).
35. O. Buchsenschutz. Carte archéologique du Cher, 1979 (volume 240).
36. Céramiques hellénistiques et romaines, 1980 (volume 242).
37. M. -M. Mactoux. Douleia. Esclavage et pratiques discursives dans l'Athènes
classique, 1980 (volume 250).
38. Dialogues d'histoire ancienne. VI, 1980 (volume 251).
39. M. Morabito. Les réalités de l'esclavage d'après le Digeste, 1981 (volume 254).
40. M. Garrido-Hory. Martial et l'esclavage, 1981 (volume 255).
41. K. Gruel. Le trésor de Trébry (Côtes-du-Nord), 1981 (volume 260).
42. La fête, pratique et discours, 1981 (volume 262).
43. P. Briant, Rois, tributs et paysans, 1982 (volume 269).
44. Dialogues d'histoire ancienne. VII 1981 (volume 271).
45. E. Bernand. Inscriptions grecques d'Egypte et de Nubie : répertoire
bibliographique des OGIS, 1982 (volume 272).
??-f

46. J.-J. JuUy. Céramiques grecques ou de type grec et autres céramiques en


Languedoc méditerranéen, Roussillon et Catalogne, VIIe-IVe siècle avant notre
ère et leur contexte socio-culturel, 1982 (volume 275).

47. Dialogues d'histoire ancienne, VIII, 1982 (volume 277).

48. A. Deroc. Les monnaies gauloises d'argent de la vallée du Rhône, 1983 (volume
281).

49. R. Syme. Salluste, trad. P. Robin, 1983 (volume 282).

50. P. Brun. Eisphora. Syntaxis. Stratiotika. Recherches sur les finances militaires
d'Athènes au IV e s. av. J.C, 1983 (volume 284).

51. E. Bernand. Inscriptions grecques d'Egypte et de Nubie : Répertoire


bibliographique des I. G. R.R., 1983 (volume 286).

52. M. Clavel-Lévêque et P. Lévêque. Villes et structures urbaines dans l'Occident


romain, 1984 (volume 288).

53. Dialogues d'histoire ancienne, IX, 1983 (volume 289).

54. Archéologie et rapports sociaux en Gaule (Préhistoire et Antiquité), 1984


(volume 290).

55 . Hommages à Lucien Lerat, 1984 (volume 294) .

56. L.-P. Delestrée. Les monnaies gauloises de Bois-VAbbé (Eu, Seine-Maritime),


1984 (volume 295).

57. Dialogues d'histoire ancienne, X, 1984 (volume 301).

58. M. Garrido-Hory. Index thématique des références à l'esclavage et à la


dépendance. Martial, 1984 (volume 303).

59. Ch. Pérez. Index thématique des références à l'esclavage et à la dépendance.


Cicéron, Lettres à Atticus, 1984 (volume 304).

60. Y. Garlan. L 'esclavage dans le monde grec, 1984 (volume 305).

61 . M. Gitton. Les divines épouses de la 18e dynastie, 1984 (volume 306).

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