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ÉDITORIAL

L’arrêt de la corticothérapie :
pourquoi tant d’hétérogénéité ?
Glucocorticoids tapering in inflammatory
rheumatic diseases: how to do it?

Q uelle que soit la modalité d’utilisation de la corticothérapie par voie


générale, elle pose la question de son arrêt, d’une part à cause du risque
de récidive des symptômes du fait d’un possible phénomène de rebond,
d’autre part parce qu’elle expose à un risque théorique d’insuffisance surrénale
aiguë. De nombreuses stratégies ont été proposées pour prévenir ces phénomènes.
Afin d’empêcher le rebond, il est logique de diminuer lentement la corticothérapie,
si bien que cette attitude est systématique dans les rhumatismes inflammatoires.
Ce qui occasionne des difficultés, c’est donc uniquement la possible insuffisance
surrénale au moment du sevrage.
Le sevrage des corticoïdes utilisés au long cours est nécessaire
ou envisagé par le rhumatologue dans 3 situations :
Pr Alain
➤➤ le sevrage d’urgence, en cas d’intervention chirurgicale, d’infection ou de coma ;
Saraux
➤➤ l’apparition d’une complication liée aux corticoïdes
Service de rhumatologie,
CHU de Brest. alors que l’indication n’est pas formelle ou lorsqu’il y a des alternatives ;
➤➤ lorsque la maladie traitée par glucocorticoïdes est contrôlée,
pour prévenir de futurs effets indésirables, puisque la toxicité de la corticothérapie
à faible dose est essentiellement liée à la dose totale cumulée.
Dans le premier cas, l’attitude est relativement consensuelle (tableau)
et finalement davantage gérée par les anesthésistes ou des médecins
non rhumatologues (1, 2) : une intervention mineure (hernie inguinale,
procédure chirurgicale inférieure à 1 heure) ou une infection fébrile sans signe
de gravité justifie 25 mg/j d’hydrocortisone pendant 1 jour, une intervention
“modérée” (cholécystectomie, parathormone, etc.) ou une infection sévère justifient
50 à 75 mg/j d’hydrocortisone pendant 2 jours, et une intervention lourde
(chirurgie cardiaque, colectomie totale, etc.) ou un choc septique nécessitent
100 à 200 mg/j d’hydrocortisone pendant 2 ou 3 jours (50 mg/6 h
à prendre 2 heures avant l’intervention).
Ce sont les 2 derniers cas qui posent problème aux rhumatologues,
car le sevrage programmé d’une corticothérapie prolongée ne fait pas l’objet
d’un réel consensus.
Il faut en tout cas une information du patient, car il existe un risque
d’insuffisance surrénalienne pendant plusieurs mois après ce sevrage en cas
de survenue d’un stress. Mais ce qui est plus débattu, c’est la façon de diminuer

Tableau. Traitement préventif de l’insuffisance surrénalienne en cas de stress.


Type d’intervention Dose quotidienne Durée
Stress mineur (cure de hernie inguinale) 25 mg d’équivalent HC 1 prise
Stress modéré (cholécystectomie, hystérectomie) 50 à 75 mg d’équivalent HC 24 à 48 h
Stress majeur (colectomie, pancréato-duodénectomie) 100 à 150 mg d’équivalent HC 48 à 72 h
HC : hydrocortisone.

10  |  La Lettre du Rhumatologue • N° 436 - novembre 2017

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1. Goichot B, Vinzio S, Luca F, la corticothérapie et de faire le suivi du risque d’insuffisance surrénalienne.


Schlienger JL. Que reste-t-il
de l’insuffisance surrénale
Surtout à cause du risque de rebond, il est habituel en rhumatologie de faire
post-corticothérapie ? Presse une décroissance d’environ 10 % de la dose tous les 10 à 15 jours jusqu’à 10 mg/j,
Med 2007;36:1065-71. puis de 1 mg/mois jusqu’à 7,5 à 5 mg/j. À ce stade, il serait possible de faire un arrêt
2. Vollenweider P, Waeber G. de la prednisone à 5 mg avec un relais par hydrocortisone (10 mg matin et midi),
[How to plan glucocorticoid
withdrawal: diagnostic and mais, du fait du risque de rebond de la maladie, cette pratique est inhabituelle.
therapeutic strategies]. Praxis Les rhumatologues ont donc 4 possibilités lors de la poursuite de la baisse
(Bern 1994) 2003;92:1675-82. de la prednisone milligramme par milligramme jusqu’à l’arrêt :
3. Dernis E, Ruyssen-Witrand A,
Mouterde G et al. Use of ➤ baisse des glucocorticoïdes sans ajout d’hydrocortisone ;
glucocorticoids in rheumatoid ➤ baisse des glucocorticoïdes avec ajout d’hydrocortisone à dose dégressive ;
arthritis - pratical modalities ➤ baisse des glucocorticoïdes avec ajout d’hydrocortisone 20 à 30 mg/j
of glucocorticoid therapy:
recommendations for clinical et tentative de sevrage à jours alternés : administration de la dose le matin
practice based on data from à 8 heures, toutes les 48 heures ;
the literature and expert
➤ baisse des glucocorticoïdes avec ajout d’hydrocortisone 20 à 30 mg/j.
opinion. Joint Bone Spine
2010;77:451-7. Quel que soit le cas, certains font un suivi seulement clinique
4. Broersen LH, Pereira AM,
afin d’évaluer l’apparition de signes d’insuffisance surrénalienne lors de cette baisse
Jørgensen JO, Dekkers OM.
Adrenal insufficiency in des corticoïdes, tandis que d’autres font un dosage du cortisol lorsque
corticosteroids use: systematic le patient a arrêté les glucocorticoïdes (qu’il soit ou non sous hydrocortisone)
review and meta-analysis.
J Clin Endocrinol Metab 2015; ®
depuis 1 mois et, s’il est douteux, un test au Synacthène . Si le test est insuffisant,
100: 2171-80. l’hydrocortisone est poursuivie pendant 3 mois et un test est à nouveau pratiqué.
5. Casale TB, Nelson HS, C’est ce que conseillent les endocrinologues (figure) [3].
Stricker WE, Raff H,
Newman KB. Suppression
of hypothalamic-pituitary-
adrenal axis activity
with inhaled flunisolide and Substitution par hydrocortisone
fluticasone propionate in adult
asthma patients. Ann Allergy
Asthma Immunol 2001; Tous les 3 mois :
87:379-85. Dosage de cortisol à 8 h
6. Daly JR, Myles AB,
Bacon PA, Beardwell CG,
Savage O. Pituitary adrenal Cortisol < 5 µg/dl 5 < cortisol < 13 µg/dl Cortisol > 13 µg/dl
function during corticosteroid
withdrawal in rheumatoid
arthritis. Ann Rheum Dis Test de simulation à l’ACTH
1967;26:18-25.
7. Kemp JP, Osur S,
Shrewsbury SB et al. Potential Anormal Normal
effects of fluticasone
propionate on bone mineral Refaire le test de stimulation à l’ACTH Fonction corticotrope normale
density in patients with asthma: 3 mois plus tard
a 2-year randomized, Arrêt de la substitution
double-blind, placebo-
par hydrocortisone
controlled trial. Mayo Clin Proc
2004;79:458-66. Figure. Conseil des endocrinologues lors de la baisse des glucocorticoïdes.
8. Mader R, Lavi I,
Luboshitzky R. Evaluation
of the pituitary-adrenal axis
function following single Mais tous les rhumatologues n’adhèrent pas à cette façon de procéder,
intraarticular injection of
methylprednisolone. Arthritis
parce qu’il y a peu de risques lors d’une corticothérapie courte et parce qu’il y a
Rheum 2005;52:924-8. en revanche une grande incertitude concernant le risque lorsque la prednisone
9. Schlaghecke R, Kornely E, est entre 5 et 10 mg/j, avec une très grande variabilité individuelle (4-9).
Santen RT, Ridderskamp P. Le point de vue des endocrinologues est plus théorique que pratique, alors que
The effect of long-term
glucocorticoid therapy on les rhumatologues qui font le suivi au quotidien et ont la plus grande expérience
pituitary-adrenal responses ont plutôt l’impression que la baisse progressive est suffisante. Seuls les signes
to exogenous corticotropin- cliniques d’imprégnation cortisonique (faciès cushingoïde, vergetures pourpres,
releasing hormone. N Engl
J Med 1992;326:226-30. amyotrophie des racines, obésité androïde, fragilité cutanée, etc.) seraient

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réellement prédictifs, et, finalement, le risque ne serait élevé qu’en cas


de corticothérapie prolongée avec une posologie de plus de 10 à 20 mg/j
de prednisone et des signes cliniques d’hypercorticisme. De plus, l’insuffisance
corticotrope chronique post-corticothérapie est responsable d’un tableau clinique
peu spécifique (asthénie, adynamie, anorexie, nausées, myalgies, arthralgies,
hypotension, hypoglycémie, hyponatrémie de dilution par sécrétion inappropriée
d’ADH) et il n’y a pas d’insuffisance minéralocorticoïde (pas de fuite sodée,
pas d’hyperkaliémie). Le diagnostic est exclusivement biologique et repose
sur les mesures hormonales. L’insuffisance corticotrope existerait chez moins de 1 %
des patients traités par corticoïdes, ce qui rend les rhumatologues réticents
à une couverture systématique associée à des tests biologiques.
Alors, que conseiller ?
La prudence, pour éviter des querelles de spécialistes, est de suivre les règles
des endocrinologues (10). Cependant, on peut discuter ces règles,
dont les fondements sont ténus, si bien que rien ne permet d’être convaincant
dans cette attitude.
On ne peut donc qu’appeler de nos vœux des réunions régionales
inter- et intra-spécialités, en attendant qu’il y ait des réunions nationales
ou internationales définissant un consensus, l’objectif étant qu’un patient n’ait pas
des propositions discordantes après avoir consulté 2 spécialistes.
À Brest, après une réunion avec les endocrinologues, nous avons décidé
de nous ranger à leur proposition jusqu’à ce que de nouvelles données permettent
d’en rediscuter.
À l’opposé, les Montpelliérains, qui pratiquent une baisse progressive
de la prednisone sans utiliser d’hydrocortisone ni de dosage du cortisol,
disent qu’ils n’ont jamais eu de cas d’insuffisance surrénalienne avérée
(sauf, bien sûr, en cas d’arrêt brutal par le patient ou un confrère),
10. Kuhn JM, Prevost G. si bien qu’ils ne voient pas l’intérêt d’alourdir leur procédure habituelle.
Comment gérer l’arrêt
d’une corticothérapie ? Le programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) toulousain STAR
Presse Med 2014;43:453-9. (comparaison de 2 STratégies d’arrêt de la corticothérapie générale dans
la polyArthrite rhumatoïde (PR) en bas niveau d’activité ou en Rémission),
L’auteur déclare ne pas avoir coordonné par Adeline Ruyssen, devrait être le pilier de ces futures discussions,
de liens d’intérêts. que j’espère être nationales.

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