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Introduction à l’Histoire universelle

Par Hellebron / Johnathan R. Razorback (version de mai 2021).

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Cette introduction est bien sûr marquée par des choix subjectifs. L’Europe et la
culture occidentale y tiennent une place prédominante. Outre les philosophes,
les scientifiques sont bien représentés, mais avec une nette préférence pour les
sciences sociales (et parmi elles, pour l’histoire et la sociologie). Les sciences
naturelles se limitent surtout à la révolution astronomique du 17ème siècle et au
darwinisme. Parmi les thématiques historiques, l’histoire politique occupe le
devant de la scène.

La Révolution française arrivant dès la page 850 (sur 3094), on peut également
souligner que c’est l’histoire de la période contemporaine qui est privilégiée.

« Il y a sans doute une chaîne des pensées des hommes depuis l'origine du
monde jusqu'à nous ; chaîne qui n'est ni moins mystérieuse ni moins grande que
celle des êtres physiques. Les siècles ont influé sur les siècles, les nations sur les
nations, les vérités sur les erreurs, les erreurs sur les vérités. Tout se tient dans
l'univers ; mais qui pourrait tracer la ligne ? » -Antoine Léonard Thomas,
Éloge de René Descartes (1765).

« Nous reconnaîtrons que les illustres fondateurs des saintes doctrines sont nés
pour nous, qu'ils ont préparé notre vie. Progresser vers les vérités suprêmes
tirées des ténèbres, vers la lumière, c'est être guidé par le labeur d'un autre.
Aucun siècle ne nous est interdit : ils nous sont tous ouverts, et si par la
grandeur de nos aspirations nous tendons au-delà des petitesses humaines, un

1
grand espace de temps est à notre disposition. » -Sénèque, De Brevitate vitae
(La Brièveté de la vie).

« Nous y tirons des ténèbres profondes où ils étaient restés ensevelis, des
hommes et des faits remarquables, qui ont puissamment influé sur le cours des
choses humaines. » -Giambattista Vico, Principes de la Philosophie de
l’Histoire (titre d’origine : Cinq Livres sur les principes d’une Science nouvelle,
relative à la nature commune des nations, 1744).

« Le philosophe, tout indépendant qu'il est, ne se soustrait jamais entièrement à


l'influence du siècle où il vit ; il a beau s'abstraire, il tient toujours à son temps ;
et l'État idéal que traçait Platon se sent encore de la politique grecque, comme
la monarchie rêvée par Montesquieu est la copie de la seule monarchie
constitutionnelle que l'Europe possédât alors. Les œuvres des philosophes,
quelque individuelles qu'elles paraissent, sont aussi des manifestations sociales
; c'est toujours étudier les nations que d'étudier les grands hommes qui les
représentent et qui les honorent. » -Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, préface à sa
traduction de la Politique d'Aristote, 1874.

« L’histoire est l’école de la politique. » -Louis Ménard, Les questions sociales


dans l’antiquité (1898).

« Chaque temps vise, à travers les circonstances et les évènements, quelque


chose qui dépasse les circonstances et les évènements. » -Georges Gusdorf,
Introduction aux sciences humaines, p. 501.

« Il faut réétudier toute l’histoire, il faut soumettre à une investigation détaillée


les conditions sociales avant d’essayer d’en déduire les conceptions politiques,
juridiques, esthétiques, philosophiques, religieuses, etc. » -Friedrich Engels,
Lettre à Schmidt, 5 août 1890.

« On tirerait profit […] à s’intéresser aux vies de tous les penseurs, non pas sur
le mode de dévoilement de la vie intime […] mais sur celui d’une enquête sur les
points de rencontre entre vie et œuvre qui éclairent la réflexion philosophique. »
-Marie Gaille, Machiavel et la tradition philosophique.

« Dans la plupart des histoires de la philosophie que je connais, on nous


présente les systèmes comme s'ils s'engendraient les uns les autres, et c'est à
peine si leurs auteurs y figurent autrement que comme de simples prétextes. La
biographie intime des philosophes, des hommes qui philosophèrent, tient une
2
place secondaire. Et c'est elle, pourtant – c'est cette biographie intime – qui
nous explique le plus de choses. » -Miguel de Unamuno, Du Sentiment tragique
de la vie chez les hommes et chez les peuples (1913).

« Les conditions d'existence des philosophes sont tout autant nécessaires que
leurs textes, si l'on veut comprendre leurs théories et éviter de déformer le sens
des mots par un regard exclusivement dirigé sur le papier. L'histoire et les aléas
d'une vie révèlent une portion du cadre social et historique, indispensable à
l'intelligence complète d'une philosophie. » -Pascal Charbonnat, Histoire des
philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.103.

« Tout moment de la durée retentit à l’infini dans les moments ultérieurs, et


l’esprit, en franchissant les siècles d’un bond, retrouve la suite intelligible de ce
qu’il a quitté. » -Jean Jaurès, De la réalité du monde sensible, 1891, p.18.

La naissance de la Terre : http://www.amazon.fr/La-naissance-Terre-


formation-
lapparition/dp/2100706829/ref=pd_sim_sbs_14_2?ie=UTF8&dpID=41nKNAD
mORL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR102%2C160_&refRID=04HWJJ
S453X2B0YJ777B

Hominisation : https://www.amazon.fr/cerveau-lhominisation-primate-lhomme-
conscience/dp/2951798717/ref=sr_1_5?ie=UTF8&qid=1462284584&sr=8-
5&keywords=Hominisation

Préhistoire : « Quant à l’homme de Cro-Magnon, qui vivait à l’époque


magdalénienne, dans les cavernes du Périgord et du Limousin, c’était vraiment
un homme, de haute taille, de front haut, de crâne noblement arrondi, et tout à
fait remarquable par ses qualités artistiques : on a pu même se demander si la
race de Cro-Magnon, qui d’ailleurs paraît avoir été violente et barbare,
prompte à donner et à recevoir la mort, n’avait pas atteint à certains égards un
degré de culture culminant : au point de vue de l’art, toutes les générations
suivantes, pendant les âges néolithiques, représentent une période de grand
recul. » (p.29-30)
-Élisée Reclus, L’Homme et la Terre, Tome I, préface, Librairie universelle,
1905, 342 pages.

3
« Au cours de la rude période de nomadisation du paléolithique, la première
résidence fixe dont nous retrouvons la trace est celle des morts: une faille dans
la roche, un monticule de pierres, un tumulus communautaire. Les vivants
revenaient vers ces points de repères pour évoquer l'âme des ancêtres ou leur
apporter les offrandes qui apaiseraient leur courroux. L'occupation permanente
d'un seul site n'était pas facilement conciliable avec les exigences de la chasse et
de la cueillette, mais l'appel immatériel des morts lui donnait toute son
importance. Les peuples juifs ont revendiqué comme leur, pendant des siècles,
une terre qui renfermait les cendres de leurs ancêtres ; et il s'agit là, semble-t-il,
de la plus originaire des revendications. La cité des morts est antérieure à la
cité des vivants. » (p.7)

« Sans récipients étanches, le paysan néolithique ne pouvait conserver ni la


bière et le vin ni l'huile ; sans jarres scellés, d'argile ou de pierre, son bien était
à la merci des rongeurs et des insectes ; s'il n'avait eu ni silos ni grandes,
comment aurait-il conservé les fruits de sa récolte d'une saison à l'autre ? La
maison était devenue nécessaire pour abriter les enfants, les malades et les
vieillards. [...] La mise en réserve d'une partie des récoltes pour parer aux
conséquences des disettes devait favoriser l'esprit de prévoyance et la
conscience de la durée. La part des graines que l'on réserve en vue des
prochaines semailles est la première étape de l'accumulation de capitaux. »
(p.18-19)

-Lewis Mumford, La cité à travers l'histoire, Agone, coll. Mémoire sociales,


2011 (1961 pour la première édition américaine), 922 pages.

http://www.amazon.fr/Quest-ce-que-Pr%C3%A9histoire%C2%A0-Beaune-
Sophie/dp/207046783X/ref=sr_1_32?s=books&ie=UTF8&qid=1459770696&sr
=1-32&keywords=pr%C3%A9histoire

http://www.amazon.fr/Quand-dautres-hommes-peuplaient-
Terre/dp/2081252422/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=41p7CQxjFmL&dpS
rc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=0D4RPTS93ZCEV31
NCBAW

https://www.amazon.fr/What-happened-history-Gordon-
Childe/dp/B009LKAKVE/ref=sr_1_fkmr0_1?s=books&ie=UTF8&qid=148822
2545&sr=1-1-
fkmr0&keywords=Vere+Gordon+Childe+what+happened+in+history
4
https://www.amazon.com/Origins-State-Civilization-Cultural-
Evolution/dp/0393092240/ref=pd_sim_14_1/164-3323186-
4522122?_encoding=UTF8&pd_rd_i=0393092240&pd_rd_r=VV1FDSTCHNB
7HF9YGB1B&pd_rd_w=trdc3&pd_rd_wg=BPlm3&psc=1&refRID=VV1FDS
TCHNB7HF9YGB1B

https://www.amazon.com/Creation-Inequality-Prehistoric-Ancestors-
Monarchy/dp/0674416775/ref=pd_sim_14_3?_encoding=UTF8&pd_rd_i=0674
416775&pd_rd_r=F97PHVEJ5V377GA7D0SS&pd_rd_w=RsQJK&pd_rd_wg=
SwI8g&psc=1&refRID=F97PHVEJ5V377GA7D0SS

https://www.amazon.fr/After-Ice-Global-History-000-
5000/dp/0674019997/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&dpID=51ABT97467L&dpSr
c=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=RW9424M1WMF194
HF9RW2

https://www.amazon.fr/Lodyss%C3%A9e-premiers-hommes-en-
Europe/dp/2213628661/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=51b12wZ-
36L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR111%2C160_&refRID=7Z9X14CP
JJG25BZXSF29

http://www.amazon.fr/Lhomme-loutil-Linvention-technique-
pr%C3%A9histoire/dp/227108895X/ref=sr_1_22?s=books&ie=UTF8&qid=145
9770696&sr=1-22&keywords=pr%C3%A9histoire

http://www.amazon.fr/Pourquoi-lart-pr%C3%A9historique-Jean-
Clottes/dp/2070444708/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=4126R-
yJPqL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=0D4RPTS
93ZCEV31NCBAW

http://www.amazon.fr/Le-premier-temple-G%C3%B6bekli-
Tepe/dp/2271081602/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=51814h9gDsL&dpSrc
=sims&preST=_AC_UL160_SR109%2C160_&refRID=1DNMGARAAYGJ87
Q7X9JX

http://www.amazon.fr/Naissance-lin%C3%A9galit%C3%A9-Linvention-
hi%C3%A9rarchie-
Pr%C3%A9histoire/dp/2271076269/ref=sr_1_68?s=books&ie=UTF8&qid=145
9770949&sr=1-68&keywords=pr%C3%A9histoire

5
http://www.amazon.fr/Les-guerres-pr%C3%A9historiques-Lawrence-
KEELEY/dp/226202989X/ref=pd_sim_14_8?ie=UTF8&dpID=51rgM6VNE0L
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR99%2C160_&refRID=1D6B7VNF09X
N1Z7ATVYK

http://www.amazon.fr/MARXISME-DEVANT-SOCIETES-PRIMITIVES-
ETUDES/dp/B0082A2JYK/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1459866293&sr=8-
1&keywords=Emmanuel+Terray+%3A+Le+Marxisme+devant+les+soci%C3%
A9t%C3%A9s+primitives

https://www.amazon.fr/communisme-primitif-%C3%A9conomie-
id%C3%A9ologie/dp/2735101401/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1466514369&sr=
8-
1&keywords=Le+communisme+primitif+%3A+%C3%89conomie+et+id%C3%
A9ologie

http://www.amazon.fr/La-Servitude-volontaire-Morts-
daccompagnements/dp/2877722740/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=41fkY
LS3-
eL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR80%2C160_&refRID=1EP4SM6M6
QY6ZY0XYG6W

https://www.amazon.fr/%C3%82ge-pierre-%C3%A2ge-dabondance-
primitives/dp/2072711789/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1483441593&sr=8-
1&keywords=Age+de+pierre%2C+%C3%A2ge+d%27abondance

http://www.amazon.fr/Lorigine-l%C3%A9tat-2-Alain-
Testart/dp/2877722775/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=516dytHeLAL&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR80%2C160_&refRID=1D6B7VNF09XN1Z
7ATVYK

https://www.amazon.fr/El%C3%A9ments-classification-
soci%C3%A9t%C3%A9s-Alain-
Testart/dp/2877723003/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=41fJxBjpaAL&dpSr
c=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=P5F9NCTVTBPMNS
2HQ4JS

http://www.amazon.com/Evolution-Prehistoric-State-J-Haas/dp/023105338X

6
Cycle de l’Euphrate et du Nil : "Ainsi la culture céréalière, l'invention de la
charrue, le tour du potier, la navigation à voile, le métier à tisser, l'usage du
cuivre, l'abstraction mathématique, l'observation des astres, le calendrier,
l'écriture et autres procédés de fixation de la parole, toutes ces découvertes
seraient presque contemporaines, et nous pouvons les situer, peu ou prou, aux
environs du troisième millénaire avant l'ère chrétienne. A l'exception de Jéricho,
les plus anciens vestiges urbains qui nous soient connus appartiennent à cette
même période. L'étonnante fécondité de cette expansion technologique ne fut
égalée qu'à l'époque moderne. Dans l'un et l'autre cas, on a pu voir des
hommes, poussés par leur idéal, réaliser une œuvre surhumaine, sans tenir
compte des faiblesses et des limitations de leur propre nature, et sans
s'apercevoir peut-être que l'œuvre d'une foi orgueilleuse pouvait avoir des
conséquences néfastes ou criminelles." (p.40)

"C'est un phénomène inverse qui devait marquer la première grande période


d'expansion de la civilisation: au lieu d'un éclatement de puissance, on vit se
produire une brusque concentration. Les communautés essaimées autour de
vallées fluviales, ou venues parfois de régions plus lointaines, furent mobilisées
et poussées en masse derrière les solides murailles de la cité. Les forces
naturelles elles-mêmes furent contraintes de se plier à la volonté des hommes:
des travailleurs par dizaines de milliers, fonctionnant comme un mécanisme
gigantesque sous un commandement hiérarchisé, creusaient fossés et canaux
d'irrigation, bâtissaient remparts, ziggourats, temples, palais, pyramides. Le
nombre et les dimensions de ces édifices dépassaient l'imagination. Moyen
d'action au service du mythe de la force, la machine venait ainsi d'être inventée.
Les archéologues ont mis fort longtemps à s'en apercevoir, car les corps
périssables qui la composaient ont été disjoints et leurs débris dispersés. La cité
fut le réceptacle de cette concentration de forces nouvelles, le lieu de leurs
réactions intenses, de leurs progrès, de leurs grandioses réalisations.
Cette concentration se produisait au moment même où, par la piraterie et le
commerce, les rapts et les levées d'hommes, les collectes d'impôts et la
mobilisation de la main-d'œuvre, les relations entre les groupes s'intensifiaient.
La royauté devenue l'institution dominante allait polariser les particules
sociales séparées, indépendantes, voire antagonistes, et les rassembler dans
l'étroit périmètre de la cité. Comme dans un mélange gazeux maintenu sous
pression, les molécules se trouvaient brassées dans ce réservoir limité et, dans
le temps d'une génération, les réactions y étaient plus fréquentes qu'au cours des
7
siècles de dispersion dans l'espace sans limites des habitats d'origine." (p.41)
-Lewis Mumford, La cité à travers l'histoire, Agone, coll. Mémoire sociales,
2011 (1961 pour la première édition américaine), 922 pages.

http://hydra.forumactif.org/t1809-ian-kuijt-life-in-neolithic-farming-
communities-social-organization-identity-and-differentiation#2492

https://www.amazon.fr/Histoire-civilisation-notre-h%C3%A9ritage-
oriental/dp/B0000DWUV1/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1510257793&
sr=1-1&keywords=Will+Durant

Sumer : « [On peut] tenir les Sumériens pour les inventeurs de ce qui est
apparemment -avec, et peut-être avant le système hiéroglyphique égyptien- la
première véritable écriture connue. Aussi, l'Histoire proprement dite ne se
faisant qu'au moyen de documents écrits, pouvait-on poser dès lors qu'elle
"commence à Sumer". » (p.XVII)

« Lorsque le Sémite Sargon d'Akkad -qui donnera leur nom d'Akkadiens à ses
compatriotes et celui d'akkadien à leur langue sémitique- prend le pouvoir, peu
après 2350, regroupe sous sa poigne les petites principautés sumériennes,
sémitiques, ou suméro-sémitiques qui avaient jusqu'alors vécu côte à côte en
paix ou en guerre les unes contre les autres, et fonde ainsi le Premier Empire
mésopotamien, il ouvre l'avenir aux Akkadiens et sonne le glas des Sumériens. »
(p.XIX)

« D'autres Sémites continuent d'arriver du nord-ouest, en une nouvelle vague,


celle des Amurrites (ou Amorrhéens), étirée sur plusieurs siècles et qui
submerge le pays, mais sans y imposer son dialecte propre, et en entrant de
plain-pied dans l'héritage linguistique et culturel des Akkadiens. Lorsqu'ils
parviendront au pouvoir, et à l'Empire, avec Hammurabi (vers 1790-1750), le
plus grand des onze monarques de la Ire Dynastie de Babylone (entre 1900 et
1600, à peu près), les Sumériens auront été si bien éliminés, absorbés et rayés
de la carte que l'ancien titre royal, qui gardait peut-être encore un peu de sa
vérité ethnologique sous la IIIe dynastie d'Ur: "roi de Sumer et d'Akkad", est
devenu une simple figure de style, qui s'entend du Sud et du Nord du pays, et que
le quatrième successeur de Hammurabi, Ammisaduqa (env. 1650-1625),
voulant, dans un décret, définir sur le plan ethnique l'entière population sous sa
coupe, ne parlera plus que d' "Akkadiens et Amurrites", comme si ces derniers
venus n'avaient trouvé devant eux que des congénères, plus anciennement
8
installés dans le pays, sans la moindre allusion aux vieux Sumériens.
Désormais, le pouvoir balancera entre Babylone, au Sud, et Assur, puis Ninive,
au Nord, jusqu'à la disparition des Assyriens, en 612 avant notre ère, puis des
Babyloniens, leurs vainqueurs, abattus et conquis par les Perses achéménides
en 539. » (p.XX)
-Jean Bottéro, préface à Samuel Noah Kramer, L'histoire commence à Sumer,
Flammarion, coll. Champ histoire, 2015 (1957 pour la première édition
française), 316 pages.

« C'est probablement vers la fin du IVe ou le début du IIIe millénaire avant


Jésus-Christ, il y a donc environ cinq mille ans, que les Sumériens, pressés par
les nécessités de leur organisation économique et administrative, en virent à
imaginer de mémorialiser par des signes imprimés sur l'argile un certain
nombre de faits ou d'activités. Leurs premières tentatives n'allèrent pas au-delà
du dessin schématique du terme de "pictographie": ce procédé aboutit lentement
à enregistrer les pièces administratives les plus élémentaires. Mais au cours des
siècles suivants, les scribes et les lettrés sumériens modifièrent et
perfectionnèrent peu à peu la technique de leur écriture, au point qu'elle finit
par évoluer de la pictographie, c'est-à-dire un simple "rébus", en un système
capable de traduire non plus les seules images mais les sons qui en constituent
les "signes sonores" dans la langue parlée. Dans la seconde moitié du IIIe
millénaire avant Jésus-Christ, le maniement de l'écriture à Sumer était devenu
assez souple pour que l'on rédigeât sans difficulté des œuvres historiques et
littéraires déjà complexes. » (p.11)

« A Sumer, un bon millénaire avant que les Hébreux n'écrivirent les premiers
livres de leur Bible et les Grecs leur Iliade et leur Odyssée, nous trouvons déjà
toute une littérature florissante comprenant des mythes et des épopées, des
hymnes et des lamentations, et de nombreuses collections de proverbes, de
fables et d'essais. » (p.12)

"Les scribes avaient pour pères les citoyens les plus riches des communautés
urbaines." (p.26)

"Quelques documents, peu nombreux -il faut le préciser-, signalent des scribes
de sexe féminin, mais les femmes n'ont pas joué un rôle important dans les
écoles de Sumer et d'Akkad. Et s'il y eut des lettrées, comme la fille de Sargon le
Grand, Enheduanna, elles avaient dû recevoir un enseignement privé dont nous

9
n'avons pas connaissance. [...] A l'époque babylonienne, au contraire, et par
exemple à Mari vers 1800 avant notre ère, on rencontre des femmes scribes et
secrétaires, prototypes, si l'on peut dire, de nos dactylos." (p.26)
-Samuel Noah Kramer, L'histoire commence à Sumer, Flammarion, coll. Champ
histoire, 2015 (1957 pour la première édition française), 316 pages.

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Cycle de l’Égypte :

Naqada III : https://www.amazon.fr/Early-Dynastic-Egypt-Wilkinson-


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l%C3%A9mergence-
lEtat/dp/2213615705/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1464713637&sr=8-
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Reynes%2C+Aux+origines+de+l%27%C3%89gypte.+Du+N%C3%A9olithique
+%C3%A0+l%27%C3%A9mergence+de+l%27%C3%89tat

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Maru%C3%A9jol/dp/2754014136/ref=tmm_pap_title_0?ie=UTF8&qid=145520
6525&sr=1-27

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sexualit%C3%A9-
pharaonique/dp/2268033783/ref=sr_1_12?s=books&ie=UTF8&qid=145520648
2&sr=1-12&keywords=%C3%A9rotisme+antiquit%C3%A9

http://www.amazon.fr/Tradition-primordiale-lEgypte-ancienne-
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sr=1-
1&keywords=Tradition+primordiale+de+l%27Egypte+ancienne+selon+les+text
es

http://www.amazon.fr/Maat-Assmann-
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=sims&preST=_AC_UL160_SR102%2C160_&refRID=0X6PSRF0WJ55DH0R
SX9H

11
https://www.amazon.fr/philosophie-africaine-p%C3%A9riode-pharaonique-
2780-330/dp/2738405029/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1464560274&sr=8-
1&keywords=La+philosophie+africaine+de+la+p%C3%A9riode+pharaonique

http://www.amazon.fr/LEgypte-grands-pharaons-Lhistoire-
l%C3%A9gende/dp/226203219X/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=51K9ULt
kpFL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR96%2C160_&refRID=0158CEHR
HZ1ARNE4A44A

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HTL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=1J8RB7ME
XK2C96RYW6AF

Empire perse : « Le zoroastrisme est l'une des plus vieilles religions


monothéistes, peut-être même la plus vieille. Ce fut le culte majeur de l'Empire
perse achéménide qui, du VIe au IVe siècle avant Jésus-Christ, administra
quelque 50 millions de personnes (près de la moitié de l'humanité à l'époque).
La doctrine de Zoroastre, ou Zarathoustra, plaçait en son cœur, sans doute pour
la première fois dans l'histoire de l'humanité, le principe de libre arbitre: les
hommes peuvent choisir entre bien et mal. Et pour arbitrer ce choix, pour
éclairer la ligne de partage de leur dualisme, les zoroastriens ont fait du feu
l'agent sacré de la justice des âmes. Un symbole perpétué par le judaïsme, le
christianisme et l'islam, ainsi qu'à travers la gnose. » -Matthieu Auzanneau, Or
Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La Découverte/Poche, 2016, 881
pages, p.12.

« Les Perses sont les premiers à avoir pensé l'histoire en grand. » -Friedrich
Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes, X, Fragments posthumes.
Printemps-automne 1844, Gallimard, NRF, 1982, 386 pages, Printemps 1884.
25 [148], p.65.

Les Phéniciens : https://www.amazon.fr/Histoire-Ph%C3%A9nicie-Josette-


ELAYI/dp/2262036624/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1500329719&sr=
1-1&keywords=Histoire+de+la+Ph%C3%A9nicie

Cycle de la Grèce Antique : « Pour les Grecs, ce n'étaient pas les dieux qui
avaient créé le monde, mais l'inverse : l'univers avait créé les dieux. » -Edith

12
Hamilton, La Mythologie, 1978 (1942 pour la première édition américaine),
Éditions Marabout, coll. "Marabout université", 414 pages, p.16.

« L'adoration de la nature humaine par les Hellènes se refléta dans leur art
plastique et fut la cause de leur supériorité dans le domaine artistique. » -Élie
Metchnikoff, Études sur la nature humaine - Essai de philosophie optimiste,
Paris, Masson & cie éditeurs, 1903, 418 pages, p.6.

« Au début du premier millénaire avant notre ère, l’invasion des Doriens, qui
avait depuis un siècle déstabilisé la civilisation mycénienne, allait transformer
tous les domaines de la vie sociale du monde grec. L’apparition de la tyrannie
va souvent de pair avec l’évolution institutionnelle des cités où l’autorité des
rois s’est dégradée face au pouvoir montant des aristocraties foncières qui, à
leur tour, vont être confrontées aux marchands et aux entrepreneurs enrichis
aspirant à tenir les rênes de la politique. Les tyrannies amenées par de tels
troubles sociaux sont de courte durée, et finissent souvent par aboutir,
paradoxalement, à des régimes démocratiques. L’histoire des cités grecques,
dont la constitution remonte à la fin du IXe siècle, s’achève à l’aube du IIe
siècle avec l’ingérence de Rome dans les affaires du monde hellénique, prélude
à la conquête. Cette longue histoire se partage conventionnellement en trois
périodes : l’époque archaïque (IXe-VIe siècle), l’époque classique (Ve-Ive) et
l’époque hellénistique (IIIe-Ier). » (p.37-38)

-Mario Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, PUF, coll.


Fondements de la politique, 2001, 1044 pages.

L’âge archaïque : « Un facteur historique technologique bouleverse


soudainement la vie sociale de la Grèce du IXe siècle : l’introduction du fer. Il
provoque des changements considérables dans l’agriculture et dans l’art
militaire. Des modifications importantes se produisent dans l’armement et dans
la tactique : l’infanterie cuirassée des hoplites acquiert un rôle qui finit par
prédominer sur celui de la cavalerie, d’origine aristocratique. L’on ne saurait
exagérer l’importance historique des hoplites, issus du demos, la force
populaire dans les tyrans se prévalent généralement pour s’emparer du pouvoir
et en assurer la stabilité. » (p.38)

« C’est le demos qui a tiré, au moins indirectement, avantage de l’instauration


de la tyrannie dans presque toutes les cités sauf quelques-unes, dont Syracuse. »
(p.41)
13
-Mario Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, PUF, coll.
Fondements de la politique, 2001, 1044 pages.

https://www.amazon.fr/Class-Struggle-Ancient-Greek-
World/dp/071561701X/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1473369580&sr=8-
2&keywords=The+Class+Struggle+in+the+Ancient+Greek+World

http://www.amazon.fr/trag%C3%A9die-dAth%C3%A8nes-politique-lombre-
lutopie/dp/2020217945/ref=la_B001HD2XG8_1_5?s=books&ie=UTF8&qid=1
448573050&sr=1-5

https://www.amazon.fr/L%C3%A9conomie-Gr%C3%A8ce-cit%C3%A9s-
structures-
production/dp/2200265042/ref=sr_1_8?ie=UTF8&qid=1493651545&sr=8-
8&keywords=Alain+Bresson

https://www.amazon.fr/L%C3%A9conomie-Gr%C3%A8ce-cit%C3%A9s-VIe-
Ier-
si%C3%A8cle/dp/2200353588/ref=sr_1_6?ie=UTF8&qid=1493651545&sr=8-
6&keywords=Alain+Bresson

https://www.amazon.fr/Histoire-politique-monde-hell%C3%A9nistique-323-
30/dp/202060387X/ref=pd_sim_14_37?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=T49
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classique/dp/2228887056/ref=la_B001HD2XG8_1_10?s=books&ie=UTF8&qid
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http://www.amazon.fr/N%C3%A9-Terre-Mythe-politique-
Ath%C3%A8nes/dp/2020282402/ref=la_B001HD2XG8_1_2?s=books&ie=UT
F8&qid=1448573050&sr=1-2

http://www.amazon.fr/LIndividu-mort-lamour-Soi-m%C3%AAme-
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14
http://www.amazon.fr/Les-enfants-dAth-na-ath-niennes-
citoyennet/dp/2757806335/ref=dp_ob_title_bk

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C/dp/2847349243/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1453651229&sr=1-
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2&keywords=L%27Etat+grec

https://www.amazon.fr/Histoire-civilisation-grecque-Jacob-
Burckhardt/dp/2881085962/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1467217786&sr=8-
1&keywords=Jacob-Burckhardt-Histoire-de-la-civilisation-grecque

https://www.amazon.fr/Histoire-civilisation-grecque-Jacob-
Burckhardt/dp/2881085989/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1467217786&sr=8-
3&keywords=Jacob-Burckhardt-Histoire-de-la-civilisation-grecque

15
https://www.amazon.fr/Histoire-civilisation-grecque-Jacob-
Burckhardt/dp/2881086225/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1467217786&sr=8-
4&keywords=Jacob-Burckhardt-Histoire-de-la-civilisation-grecque

http://www.amazon.fr/Guerre-violence-dans-Gr%C3%A8ce-
antique/dp/2012353398/ref=sr_1_7?s=books&ie=UTF8&qid=1455717645&sr=
1-7

http://www.amazon.fr/trag%C3%A9die-grecque-Jacqueline-
Romilly/dp/2130630383/ref=asap_bc?ie=UTF8

http://www.amazon.fr/Loi-dans-pens%C3%A9e-grecque-
Aristote/dp/2251441875/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=41PV69838SL&d
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http://www.amazon.fr/Chaos-%C3%A9ternit%C3%A9-Mythologie-
philosophie-
grecques/dp/2251324399/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1454074276&sr=8-
1&keywords=Reynal+Sorel%2C+Chaos+et+%C3%A9ternit%C3%A9

http://www.amazon.fr/dieux-Gr%C3%A8ce-figure-miroir-
lesprit/dp/2228881503/ref=sr_1_6?s=books&ie=UTF8&qid=1455201364&sr=1
-6&keywords=Les+Dieux+de+la+Gr%C3%A8ce

Homère (8ème siècle avant. J.C): « L’éducateur de la Grèce. » -Platon, à propos


d’Homère, La République, Livre X, 606e.

« Je le vois trop: on ne gagne pas de reconnaissance à se battre avec l'ennemi


obstinément, sans trêve: la part est la même pour qui reste chez lui et pour qui
guerroie de toute son âme ; même estime attend le lâche et le brave ! Que me
revient-il à la fin d'avoir tant pâti en mon cœur, à jouer chaque jour ma vie au
combat ? » -Homère, Iliade, chant IX.

« Homère est pour moi la plus grande victoire sur le Christianisme et les
cultures chrétiennes. » (Printemps 1884. 25 [293], p.101)
-Friedrich Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes, X, Fragments
posthumes. Printemps-automne 1884, Gallimard, NRF, 1982, 386 pages.

16
« Dans l'Iliade, au contraire, Zeus puisait au hasard dans deux jarres les biens
et les maux qu'il distribuait aux mortels ; c'est le pessimisme homérique. » -Paul
Veynes, L'Empire gréco-romain, Seuil, coll. Points, 2005, 1058 pages, p.554.

« Le véritable sujet de l'Iliade, c'est l'emprise de la guerre sur les guerriers, et,
par leur intermédiaire, sur tous les humains ; nul ne sait pourquoi chacun se
sacrifie, et sacrifie tous les siens, à une guerre meurtrière et sans objet, et c'est
pourquoi, tout au long du poème, c'est aux dieux qu'est attribuée l'influence
mystérieuse qui fait échec aux pourparlers de paix, rallume sans cesse les
hostilités, ramène les combattants qu'un éclair de raison pousse à abandonner
la lutte. » -Simone Weil, Réflexion sur les causes de la liberté et de l’oppression
sociale, 1934, p.40.

"Cette vision du monde lucide et désespérée, ce pessimisme héroïque qu'on


trouve dans l'Iliade, et qui constitue proprement la conscience tragique." (p.327)

"Déjà l'Odyssée corrigeait l'Iliade: si les deux œuvres sont du même auteur, il
faut admettre que le vieil Homère, tempérant le pessimisme de sa jeunesse,
voulait croire à la sollicitude des Dieux pour les hommes de bien, à la justice du
Destin. Et cet optimisme se retrouve dans les trilogies d'Eschyle, préparant
l'idéalisme platonicien. Tandis qu'Euripide fait le procès de l'homme victime de
ses passions, les philosophes élaborent une sagesse faite de mesure et
d'acceptation, aux yeux de laquelle la conscience tragique avec son exigence
d'absolu n'est que folie." (p.336)
-Gilberte Ronnet, "Le sentiment du tragique chez les Grecs", Revue des Études
Grecques, Année 1963, 76-361-363, pp. 327-336.

http://hydra.forumactif.org/t388-homere-oeuvres?highlight=Hom%C3%A8re

https://www.amazon.fr/LOdyss%C3%A9e-
Hom%C3%A8re/dp/2081229137/ref=pd_sim_14_13?_encoding=UTF8&psc=1
&refRID=7R3RPJKAZ0MAFSRC31VJ

http://www.amazon.fr/Les-larmes-dAchille-souffrance-
Hom%C3%A8re/dp/2866457218/ref=pd_sim_14_9?ie=UTF8&dpID=517fyKS
E33L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR104%2C160_&refRID=1PZZ64G
8A99949D2M7BG

http://www.amazon.fr/Paix-%C3%A0-Ithaque-Sandor-
Marai/dp/2253130818/ref=pd_sim_14_15?ie=UTF8&dpID=411A7LC-
17
tGL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR99%2C160_&refRID=1T1CX68EY
55QXKH8AGP9

Hésiode (8ème siècle avant. J.C): http://hydra.forumactif.org/t297-hesiode-la-


theogonie-les-travaux-et-les-jours#605

Solon d’Athènes (-640 / -558): « Si j’ai respecté la terre de la patrie, si je ne ne


me suis pas emparé de la tyrannie et de la violence sans douceur, en souillant et
en déshonorant ma gloire, je n’en ai aucune honte. Car c’est ainsi que je pense
l’emporter davantage sur tous les hommes. » -Solon d’Athènes.

« Solon, libérateur de la Terre noire d’Éleusis et fondateur ou restaurateur de la


pompè des Mystères. » (p.25)

« L’ensemble de sa politique vise à ne pas « priver la cité de ses hommes ». Il ne


peut donc accepter ni le partage égal de la terre, ni la tyrannie qui en eoût été le
préalable. Pour la même raison, il n’est pas question pour lui de céder à l’autre
camp, celui des nantis qui exige l’exil des chefs populaires. En butte à
l’opposition des deux camps, il est dans la position du loup, encerclé par les
chiennes de la cité, dans celle de la borne, orbjet d’un combat entre deux
armées. Peu importe, il refuse de souiller sa gloire […] Sa conception de la
gloire qui, au temps de l’élégie Salamine, était liée à l’illustration d’Athènes et
à la victoire sur l’ennemi, devient ici aristocratique et solitaire, même si elle se
pense, encore et toujours, en termes militaires. Repoussé par ses concitoyens,
Solon n’en sera pas moins chanté par lui-même. Il acquerra ainsi cette gloire
qu’ils lui refusent. » (pp.40-41)

-Louise-Marie L'Homme Wéry, « La notion de patrie dans la pensée politique de


Solon », L'Antiquité Classique, Année 2000, 69, pp. 21-41.

https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_2000_num_69_1_2420

« Philémon, dans ses Adelphes, nous informe que ce fut Solon, soucieux de
calmer les ardeurs des jeunes gens, qui prit l’initiative d’ouvrir des maisons de
passe et d’y installer des jeunes femmes achetées. Nicandre de Colophon ne dit
pas autre chose dans le troisième livre de son Histoire de Colophon, ajoutant que
Solon fit édifier un temple d'Aphrodite Pandémos avec l’argent des impôts
perçus sur les maquerelles dirigeant les bordels. Mais revenons à Philémon, il dit
: « Toi, Solon, tu as fait là une loi d’utilité publique, car c’est toi, qui, le
premier, dit-on, compris la nécessité de cette institution démocratique et
18
bienfaitrice, Zeus m'en est témoin ! Il est important que je dise cela. Notre ville
fourmillait de pauvre garçons que la nature contraignait durement, si bien
qu’ils s’égaraient sur des chemins néfastes : pour eux, tu as acheté, puis installé
en divers endroits des femmes fort bien équipées et prêtes à l’emploi. Elles se
montrent nues : ainsi, elles ne peuvent tromper sur la marchandise ; jette un
coup d'œil à tout. Peut-être es-tu un peu morose ? Il y des choses qui t'affligent.
Mais la porte est grande ouverte. Prix : une obole; laisse-toi faire ! Pas de
chichis ! Tu en auras pour ton argent, comme tu veux et de la manière que tu
veux. Tu sors. Dis-lui d'aller se faire voir ailleurs : elle n'est rien pour toi »
(Philémon, dans ses Adelphes). » -Athénée de Naucratis, De l’Amour, Livre XIII
des Deipnosophistes, rédigé à Rome vers 228 après J. C.

Les présocratiques, naissance de la philosophie en Occident: “The prelude to


the entrance of the producer on the historical scene, was the birth of philosophy
in ancient Greece. All earlier cultures had been ruled, not by reason, but by
mysticism.” -Ayn Rand, For the new intellectual, Signet, 1963 (1961 pour la
première édition américaine), 216 pages, p.17.

“Pour Nietzsche, les philosophes de la Grèce antique étaient des individus


d'exception, qui avaient su passer du mythe à la science, qui avaient su vivre
pour la vérité, pour leur propre vérité, même au prix de l'isolement ou du conflit
avec la communauté. » -Paolo D'Iorio, "La naissance de la philosophie enfantée
par l'esprit scientifique", avant propos à Friedrich Nietzsche, Les philosophes
préplatoniciens ; suivi de Les "diadochai" des philosophes, Éditions de l'éclat,
1994, 393 pages, p.14.

« Si la pensée rationnelle est apparue dans les cités grecques d’Asie Mineure
comme Milet, c’est parce que les règles du jeu politique dans le cadre de la cité
–le débat public argumenté, librement contradictoire- étaient devenues aussi la
règle du jeu intellectuel. Cela implique à nos yeux que pour le rationalisme la
notion de débat, d’argumentations contradictoires constitue une condition
fondamentale. Il n’est de rationalisme que si l’on accepte que toutes les
questions, que tous les problèmes soient livrés à une discussion ouverte,
publique, contradictoire. » -Jean-Pierre Vernant, Religions, histoires, raisons,
Paris, Maspero, 1979, p.100-101.

« Les Grecs ont crée les types de philosophes : que l’on pense à une
communauté d’individus si divers, celle de Pythagore, Héraclite, Parménide,

19
Démocrite, Protagoras, Socrate. Cette inventivité différencie les Grecs de tous
les autres peuples : habituellement, un peuple ne produit qu’un seul type de
philosophe destiné à durer. » -Friedrich Nietzsche, « La passion de la vérité »,
in Cinq préfaces à cinq livres qui n’ont pas été écrits.

« Au VIIIème siècle, les cités grecques connaissent un grand bouleversement


avec la révolution économique des régions qui bordent la mer Égée. La
production artisanale, les manufactures et le commerce enregistrent un
développement sans précédent. Mais c'est surtout l'apparition de l'esclave dans
les échanges marchands qui fait naître de nouveaux rapports sociaux
(importance accrue des commerçants et artisans, bouleversements chez les
paysans). Les vagues d'expansion coloniale, qui ont lieu entre le VIIIème et le
VIème siècle et qui sont causées par les besoins du commerce et la poussée
démographique, semblent être une conséquence de ce bouleversement. Le
passage d'une économie fondée sur l'agriculture, avec une aristocratie à la tête
politique des cités, à une économie fondée sur l'esclavage et le commerce (avec
les troubles dans les cités qui en résultèrent et l'apparition des tyrans), est
l'enjeu principal de cette révolution. Cette révolution économique bouleverse les
cités, permet leur enrichissement et des améliorations dans de nombreux
domaines, préparant ainsi le terrain aux premiers philosophes. Ce
développement économique s'étend sur plusieurs siècles.
Pourquoi a-t-il lieu là et pas ailleurs ? L'ensemble égéen possède deux
avantages décisifs sur les autres territoires qui l'entourent. Son domaine
maritime facilite les transports et les échanges, car la navigation est à l'époque
le moins coûteux et le plus efficace des moyens de communication. D'autres
populations connaissent la même situation, comme les Phéniciens qui
développent intensément le commerce. Mais les Grecs ont un autre atout, qui
leur donne une avance incontestable. Ils accèdent à l'âge du fer directement,
sans passer par un âge du bronze très marqué, ce qui leur permet une meilleure
diffusion des grandes découvertes comme l'alphabet, la monnaie et les outils en
fer. Ces deux conditions réunies font du monde grec le terrain le plus propice à
la révolution économique esclavagiste en Méditerranée. Elles ont ainsi
accompagné, du point de vue technologique, le développement des forces
productives et l'enrichissement global observé.
Ce qui ressort de cette présentation succincte, en tant que première donnée
marquante, et qui commande tout le reste de l'époque, est bien l'apparition
d'une économie esclavagiste avec ses classes sociales correspondantes. Celle-ci
20
s'avère être une source d'enrichissement considérable, dans un espace
relativement restreint comparé aux empires orientaux. Difficile de dire à qui
profite le plus cet enrichissement: aux commerçants et aux artisans, ou bien à
l'aristocratie terrienne ? Y a-t-il émergence d'une classe nouvelle ? On peut
supposer que les commerçants et les aristocrates se partagent les richesses
selon des modalités et des activités variées. Mais la source de celle-ci demeure
la même, celle d'un type de travail unique, qui en fait une classe unique: les
esclavagistes. Il est en tout cas assuré qu'une classe vivant et profitant du travail
des esclaves, et enrichie par cette exploitation, émerge vers le VIIIème siècle ;
cette nouveauté dans les rapports sociaux, issue de la révolution, a des
répercussions dans le domaine intellectuel. Nos philosophes naissent dans cette
classe aux intérêts spécifiques, ou dans des milieux qui lui sont immédiatement
liés.
Ces premiers philosophes, qui tentent de comprendre la nature à partir des
seules ressources de la raison, sont davantage les enfants des richesses
accumulées par les cités esclavagistes, que des descendants de l'idéal
démocratique, partisans acharnés de la controverse raisonnée. L'attitude de
Platon à propos des œuvres de Démocrite suffit à convaincre que la discussion
argumentée, en vue de l'établissement de la vérité, est plus une figure de style
pour les dialogues qu'une habitude réelle. Faire des principes démocratiques,
inscrits dans quelques-unes des constitutions de ces cités, l'aiguillon pour
expliquer l'émergence de la philosophie et des sciences en Grèce, revient à
considérer les savants de cette époque comme des demi-dieux, au-dessus des
besoins et des forces sociales de leur temps.
Mais cette révolution économique n'est pas une condition suffisante. D'autres
facteurs interviennent, notamment le fait que cette révolution ait lieu dans une
zone géographique proche des empires orientaux, qui a facilité la transmission
des savoirs pratiques accumulés par ceux-ci. L'apport des sciences égyptiennes
et mésopotamiennes est nécessaire aux premiers philosophes, dont les voyages
dans ces contrées sont aussi célèbres que fréquents. Non seulement ils ne
partent pas de rien, mais ils sont influencés par ces connaissances pratiques.
Autre facteur déterminant, ces savants vivent dans des cités, ces agglomérations
humaines propres à cette époque que les historiens désignent par le terme de
Polis. Dans une cité grecque de l'âge archaïque, les individus avec suffisamment
de fortune ont une plus grande liberté que dans les grands Etats centralisés
d'Egypte ou du Proche-Orient. Les sciences ne sont pas l'attribut d'une caste
religieuse, qui maintient par là une domination sur le reste de la population.
21
Ces cités sont plus jeunes et plus décentralisées que celles des empires orientaux
; elles ont gardé des restes de l'organisation communautaire primitive. Le
partage des tâches concernant les sciences et les techniques y est beaucoup
moins prononcé. Des hommes d'horizons variés peuvent s'y adonner, comme
Thalès personnage économique et politique important. La cité est donc bien un
facteur déterminant, mais paradoxalement, c'est grâce à l'aspect rudimentaire et
éclaté de son organisation. Et s'il y a une plus grande liberté de parole et de
débat en Grèce (relativement aux empires orientaux), c'est à cause de cette
organisation particulière. Celle-ci permet à une catégorie d'hommes, comme les
pythagoriciens, d'émerger, sans être constamment inquiétés, et de créer des
écoles indépendantes d'une quelconque autorité centrale. La plus grande liberté
des philosophes dans les cités grecques est donc due à une organisation sociale
éclatée, et non à un prétendu fonctionnement démocrate, infirmé par les
troubles incessants et les rivalités violentes de ce monde grec. » -Pascal
Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103,
706 pages, p.52-55.

Thalès de Milet (-625 à -547) : « Si l’on accorde la paternité de la philosophie


à Thalès pour avoir pensé que l’eau est « l’archè » ou le principe de toutes
choses, c’est parce que, ce faisant, le principe de l’univers a été transféré du
mythologique-supranaturel au naturel ; et il est clair que cela a profondément
modifié l’esprit même dans lequel l’être humain appréhendait le monde. La
vision mythologique du monde posait au fondement de celui-ci une force que
l’humain ne pouvait sonder. Le mystérieux, ce qui ne peut être ni pensé ni
élucidé, ce qui semble relever d’une force surnaturelle ou d’une volonté divine,
cela s’exerce de manière imprévisible. Le fondement de cette force et la cause
de cette volonté n’autorisent pas la compréhension humaine. C’est quelque
chose d’irrationnel. Par contre, poursuivre la totalité des « causes » du monde
de la nature dans ce qui est naturel, c’est chercher à élucider le monde
rationnellement. Cela présuppose la conviction que le monde peut être élucidé
rationnellement. Maintenant, l’homme a pris conscience que ces phénomènes
pouvaient être, au fond (par principe et par essence), élucidés par l’intellect
humain. Il a pris conscience que ces « archè » (c’est-à-dire les principes, les
causes, les fondements, les raisons) pouvaient être investigués. En outre,
l’investigation des « archè », la recherche des fondements, ne saurait en aucun
cas être contrariée par quoi que ce soit qui surgirait intempestivement depuis un
lieu supranaturel. Il devient possible de rechercher les fondements en remontant
22
les rapports de conditionnement d’un fondement jusqu’à son propre fondement,
à l’infini. Et une fois que l’on pose un fondement originel ultime, on en fait un
principe qui unifie toutes les choses et tous les événements du monde. À partir
du principe qui possède la plus grande universalité et le caractère originel le
plus profond, l’ensemble du monde peut être rationnellement ordonné. Ou
plutôt, cet ordonnancement rationnel qui, dès l’origine, présidait au monde est
élucidé. En posant l’eau comme principe (archè) de toutes choses, Thalès
inaugura cette nouvelle vision du monde, ou du moins il en prépara l’advenue.
Cet événement peut être qualifié de nouvel éveil au monde. Par rapport à la
vision mythologique du monde, cet événement correspondait assurément à se
réveiller d’un songe. En même temps, cela marqua clairement l’inauguration
d’une investigation du monde et, pour l’être humain, cela signifia un éveil à soi.
L’être humain s’extirpa d’une phase d’incertitudes. Ce nouvel éveil au monde et
à soi fut un événement de la plus haute importance dans l’histoire du genre
humain, lequel événement modifiera progressivement le cours de cette histoire
en profondeur. La fondation de la philosophie, qui est liée au nom de Thalès, a
constitué un tournant décisif dans l’histoire du genre humain. » -Keiji Nishitani,
« Le problème de l’être et la question ontologique », Laval théologique et
philosophique, Faculté de philosophie, Université Laval, vol. 64, no 2, 8 août
2008, p. 305-325, p.310-311.

« Qu'est-ce que la fameuse "Eau" de Thalès, que la tradition nous présente


comme premier en date parmi les philosophes ? Est-ce la "matière", ou la
"cause matérielle" du Cosmos, comme le supposait Aristote et, après lui,
Théophraste ? Mais si l'Essence thalésienne n'est que le Corps du Cosmos (ou,
plus exactement, du Monde, puisque Thalès semble avoir parlé explicitement
d'un cosmos vivant), quid de son Essence ? Si Thalès n'en parlait pas du tout, il
ne serait même pas un "homme de science", ni encore moins un philosophe (on
aurait alors affaire à un "mythologue" de la famille des Hésiode). Mais il paraît
plus conforme à la réalité historique d'admettre que l'Eau en question est
l'Essence du Cosmos, lequel existe-empiriquement en tant qu'ensemble des
objets qui incarnent tous une seule et même Essence, définie (discursivement)
comme "Eau".
Sans doute, ceci ne serait encore que de la Science, mais non de la Philosophie,
si Thalès ne parlait pas de l'Eau, qui est pour lui l'essence du Cosmos, comme
de ce qui est aussi le Sens du Discours en tant que tel. Certes, rien ne dit, il est
vrai, qu'il en a parlé ainsi. Mais affirmer que "tout est Eau", c'est en fait nier ce
23
que dit le "commun des mortels", et on a tout lieu de supposer que Thalès l'ait
fait explicitement. Or, nier explicitement ce que tout le monde affirme [...] n'est-
ce pas poser (du moins virtuellement) la question de la "vérité", c'est-à-dire du
"sens" de ce que l'on dit, dans son "rapport" avec l'essence qui lui "correspond"
? » -Alexandre Kojève, Essai d’une histoire raisonnée de la philosophie
païenne. Les Présocratiques, Gallimard, NRF, 1968, 360 pages, pp.198-199.

« Thalès, originaire de Milet sur la côte ionienne, appartient à cette classe qui
s'est enrichie durant la révolution économique. Il semble être d'abord un homme
actif, à la recherche de la transaction commerciale fructueuse, et intriguant
dans le jeu des alliances politiques entre les cités ioniennes pour faire face aux
invasions perses. Les rares témoignages qui rapportent des anecdotes sur sa vie
ne donnent pas de lui l'image d'un pur esprit, occupé à spéculer dans les plus
hautes sphères, loin de son monde et de ses contemporains. Il est au cœur des
préoccupations des membres de la classe dominante du VIème siècle avant J.C.
Aristote (Politique, I) rapporte la façon dont il a joué sur les pénuries du
marché de l'olive, pour accroître sa fortune. Anticipant une récolte abondante, il
loue tous les pressoirs à bas prix, avant les producteurs d'huile. Il peut leur
sous-louer au moment crucial, à un prix qui lui permet de réaliser un bénéfice
confortable.
Mais l'homme n'a rien du commerçant borné, pour qui la vie est seulement un
effort tendu vers l'accumulation inlassable de capitaux. Il fait de nombreux
voyages, dans lesquels l'intérêt commercial doit se mêler à la curiosité
scientifique. Il aurait rapporté la géométrie d'Égypte et des expéditions au
Proche-Orient lui auraient donné accès aux connaissances astronomiques des
mésopotamiens. Il représente un certain type d'homme de son époque, aux
ambitions larges, tant économiques, politiques que scientifiques, partant à la
conquête du monde méditerranéen. Il est probable que ces individus, à l'origine
de la transformation en économie esclavagiste, soient le fondement de la
puissance et du rayonnement grec. Thalès exprime sur le plan philosophique la
naissance et les aspirations de cette classe sociale.
En effet, le point commun à tous les témoignages sur la pensée de Thalès réside
dans cet esprit "physicien", qui s'applique à comprendre la nature par elle-
même, et seulement par elle-même. Il entreprend de débarrasser le cerveau des
vieilleries de l'antiquité profonde, de balayer mythes et dieux, et d'inaugurer une
ébauche de rationalisme. Cette volonté n'est justement pas tombée du ciel, mais
procède de raisons propres à l'histoire et à la société grecques. Étant donné le
24
peu de sources dont nous disposons, il faut seulement supposer que cette
rationalité nouvelle et les aspirations de la classe montante du monde égéen
participent d'un même mouvement. En même temps que ces hommes conquièrent
un monde, ils élaborent des théories, qui, à la fois, expliquent ce monde et
encouragent ce mouvement d'expansion.
Or, la puissance de cette classe ne repose pas sur une centralisation des
pouvoirs, comme pour les empires égyptiens ou mésopotamiens, mais sur un
éclatement qui a suscité une plus grande répartition des richesses. Cette
prospérité est en quelque sorte mieux partagée dans la cité grecque que dans les
empires hiérarchisés d'Orient, c'est-à-dire qu'une couche étendue d'individus
profite du commerce et des esclaves en Grèce, alors que les immenses richesses
des empires coloniaux sont concentrées dans quelques mains, qui ne se soucient
pas autant de les faire fructifier. Cet éclatement de la richesse, vecteur d'une
volonté d'expansion et de conquête, se traduit par des réalisations brillantes
dans tous les domaines, y compris celui qui nous intéresse, la philosophie de la
nature.
Ces hommes ne sont pas écrasés par une autorité mi-humaine, mi-divine. Au
contraire, ils ne cessent pas de se battre et de comploter avec leurs semblables,
pour obtenir le contrôle politique d'une cité. Il semble presque naturel que leur
philosophie de la nature exprime cette situation. Au fond, l'explication de la
nature par la nature elle-même, sans recours à une quelconque entité
supérieure, est la conséquence des rapports sociaux de la cité grecque entre le
VIIIème et le Vème siècle avant J.C. Qu'ils soient aristocrates, commerçants ou
artisans, ils sont en lutte pour conserver ou accroître leurs possessions. Ce
combat est mené dans la cité, à l'échelle de rapports entre individus. Les
anciens dieux et les vieux mythes, hérités des siècles passés, ne sont plus
conformes aux nouveaux rapports sociaux : pour la classe dominante, durant
cette époque de conquête, la richesse s'obtient désormais par l'activité humaine,
par les ressources de chacun, non par ce que la tradition a fixé quand à la
propriété des terres. Et pour une part importante de cette classe (celle qui vient
de parvenir à la richesse), il est sans doute indispensable de condamner cette
tradition, avec son cortège mythico-religieux, afin d'affirmer et d'assurer la
nouvelle position acquise. Thalès exprime probablement cette nouveauté en
termes philosophiques." (p.57-58)

"Le rationalisme de Thalès peut donc trouver sa raison dans cette tension des
forces sociales de son époque. Mais en même temps il recèle une limite
25
inhérente aux possibilités de son époque. Deux contraintes insurmontables
conduisent ce rationalisme, malgré ses efforts, à retourner vers la figure du
mythe. Primo, le faible développement des connaissances, essentiellement
héritées de l'Égypte et de Mésopotamie, conduit à mêler l'explication de
l'origine des choses avec celle de leur commencement spatio-temporel. Cette
identité empêche de dépasser le plan des principes et de la plus grande
généralité. L'eau est l'élément essentiel selon Thalès, mais il n'y a pas trace de
théorie sur la façon dont cet élément interagit avec les choses pour les créer,
autrement dit, il n'y a pas de système. Secundo, Thalès et la plupart des
prédémocritéens sont tour à tour philosophe, géomètre, astronome,
commerçant, législateur, etc. Ils ne sont donc pas spécialisés dans un domaine
particulier, malgré l'étendue imposante de leur savoir, et recourent
inévitablement à des abstractions pour statuer sur des questions où ils manquent
d'éléments concrets. C'est pourquoi Thalès parle "d'âme" ou de "démons" dans
les textes qui nous sont restés de lui. Il est bien sûr hors de question d'en faire
reproche au philosophe grec, mais cela explique une indétermination que l'on
trouve dans les restes de sa philosophie, ainsi que chez les autres
prédémocritéens." (p.60-61)

-Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions


Kimé, 2103, 706 pages.

Anaxagore (-500/-428): « Empédocle reconnut quatre éléments, ajoutant la


terre à ceux que nous avons nommés ; selon lui, ces éléments subsistent toujours
et ne deviennent pas, mais le seul changement qu’ils subissent est celui de
l’augmentation ou de la diminution, lorsqu’ils s’agrègent ou se séparent.
Anaxagore de Clazomènes, qui naquit avant ce dernier, mais qui écrivit après
lui, suppose qu’il y a une infinité de principes : il prétend que toutes les choses
formées de parties semblables comme le feu et l’eau, ne naissent et ne périssent
qu’en ce sens que leurs parties se réunissent ou se séparent, mais que du reste
rien ne naît ni ne périt, et que tout subsiste éternellement. De tout cela on
pourrait conclure que jusqu’alors on n’avait considéré les choses que sous le
point de vue de la matière. »

« Aussi quand un homme vint dire qu’il y avait dans la nature, comme dans les
animaux, une intelligence qui est la cause de l’arrangement et de l’ordre de
l’univers, cet homme parut seul avoir conservé sa raison au milieu des folies de

26
ses devanciers. Or, nous savons avec certitude qu’Anaxagore entra le premier
dans ce point de vue. » -Aristote, Métaphysique, Livre I, Chapitre 3.

« Le Grec Anaxagore a dit le premier que [...] l'Intelligence en général, ou la


Raison, gouverne le monde. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire, trad. Kostas
Papaioannou, Paris, Plon, coll. 10/18, 1965, 311 pages, p.56.

« Malgré bien des incertitudes sur les dates de la vie d’Anaxagore, il apparaît
que le philosophe naquit vers 500 av. J.-C. à Clazomènes, une ville qui faisait
alors partie de l’empire perse, qu’il vint à Athènes vers 480 et y exerça son
activité de savant pendant une trentaine d’années, jusqu’à ce qu’il soit exilé à la
suite d’un procès pour impiété. La date de ce procès est toutefois incertaine :
environ 450 av. J.-C. si l’on suit le récit de Satyrus , 433-432 av. J.-C. si l’on
admet les données de Plutarque. Il eut comme élèves Périclès, son exact
contemporain, qui lui permit de fuir pour échapper à la condamnation à mort, le
philosophe Archélaos, qui fut le maître de Socrate, ainsi que le tragique
Euripide. Il finit ses jours à Lampsaque vers 428. Il paraît presque certain que
son influence à Athènes fut plus grande autour de 450 que dans les années
précédant la guerre du Péloponnèse. » -Emmanuel Golfin, « Thucydide et
Anaxagore ou une origine philosophique à la pensée de l'historien ? », Dialogues
d'histoire ancienne 2/2007 (33/2) , p. 35-56.

« Anaxagore de Clazomène fut, comme on sait, le premier physiologues qui vint


s'établir à Athènes ; il ouvrit ainsi la série de ces hôtes illustres qui, non moins
que ses propres enfants, devaient faire de l'antique ville de Cécrops, pendant
près de deux siècles, la capitale scientifique du monde ancien. »

« La distinction entre l’esprit et la matière, introduite par Anaxagore, a été


l’origine d’une révolution métaphysique trop connue pour qu’il soit nécessaire
que je m’y arrête. » -Paul Tannery, Pour l’histoire de la science hellène,
Chapitre XII « Anaxagore de Clazomène », 1887.

« Avec Anaxagore, la contradiction fondamentale se porte sur les rapports entre


l'intellect et le corps. Ce dernier prétend qu'il y a une dualité intellect/corps,
tandis que Démocrite affirme, peut-être pour la première fois, une égalité entre
la pensée et le corps. Ce monisme, que l'on retrouve chez les matérialistes
ultérieurs, est aussi une conséquence de la mécanique atomiste. L'atome est à la
source de tout, notamment de l'intelligence et des sensations. » (p.88)

27
-Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions
Kimé, 2103, 706 pages.

« Anaxagore n’avait-il point déterminé cette vérité que la lune était de beaucoup
plus grosse que le Péloponnèse, si petite qu’elle parût dans le ciel ? » -Isaiah
Berlin, « La recherche de l’idéal », 1988, in Le bois tordu de l’humanité.
Romantisme, nationalisme et totalitarisme, Albin Michel, coll. Idées, 1992
(1990 pour la première édition britannique), 258 pages, p.18.

Diagoras de Mélos et Évhémère:


https://fr.wikipedia.org/wiki/Diagoras_de_M%C3%A9los

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89vh%C3%A9m%C3%A8re

http://www.amazon.com/Ancient-Economy-Sather-Classical-
Lectures/dp/0520219465

http://www.amazon.fr/Essai-histoire-raisonn%C3%A9e-philosophie-
pa%C3%AFenne/dp/2070747255/ref=pd_sim_14_28?ie=UTF8&refRID=14XN
Z9HCJ4QA8TD6C15S

http://www.amazon.fr/Essai-histoire-raisonn%C3%A9e-philosophie-
pa%C3%AFenne/dp/2070747263/ref=la_B001ITTLJS_1_14?s=books&ie=UTF
8&qid=1432919384&sr=1-14

http://www.amazon.fr/Essai-histoire-raisonn%C3%A9e-philosophie-
pa%C3%AFenne/dp/2070747271/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&refRID=19EDR
JJ2WGP8D793EMW6

http://www.lesbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100175830

http://www.lesbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100770900

http://www.lesbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100356270

http://www.lesbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100908450

Anaximandre de Milet (-610/-546) : « Anaximandre nie que dès la naissance


du monde un élément de son ontologie ait pu produire et dominer tous les
autres. L’univers ne vient ni de l’eau, ni d’aucune des autres substances
élémentaires; il naît d’une «autre nature, infinie [apeiron]», qui engendre en
elle le ciel et la terre. Selon l’interprétation commune, les éléments constitutifs
28
de l’univers qui se différencient au sein de l’infini sont des couples d’opposés,
comme le chaud et le froid, le sec et l’humide. Même si ces éléments sont égaux,
ils s’opposent et se repoussent les uns les autres, sans qu’aucun ne parvienne à
prendre le dessus. Au lieu de cela, ils remédient à leurs injustes incursions
mutuelles en produisant la réalité, bien que toutes les choses ainsi créées
finissent, au bout d’un certain temps, par se résoudre et revenir à leurs éléments
constituants. Dans « Isonomia », son important article sur le sujet, Gregory
Vlastos souligne que la solution qu’Anaximandre apporte au problème de la
justice cosmique, modelée sur la justice civile et politique, se démarque
complètement de la conception aristocratique ou monarchique de la justice telle
qu’on la trouvait chez Hésiode. L’ordre universel, pour Anaximandre, « justifie
l’isonomie, au sens où le seul moyen de préserver la justice au sein d’une
communauté humaine est de répartir les pouvoirs de manière égale ».

On trouve la même idée d’un ordre résultant d’une contestation entre éléments
égaux dans la cosmographie d’Anaximandre, où la terre occupe le centre de
l’univers, à égale distance des corps ignés de la voûte céleste. Encore une fois,
l’univers demeure stable sans que rien d’extérieur n’ait besoin de le régler. Cet
équilibre est le fruit non seulement de l’égalité de distance entre les corps, mais
aussi de l’égalité des forces opposées, et cela vaut en particulier pour la terre,
centre humide et froid, entouré du ciel chaud et sec. De plus, comme les
spécialistes de l’Antiquité l’ont souvent remarqué, cette politique cosmique qui
donne à la terre sa place dans l’univers rappelle l’ordre spatial de la polis
démocratique, où, au centre des quartiers d’habitations se trouvait l’agora où
les intérêts de chacun entraient en collision avant de s’harmoniser.

Le microcosme fonctionne comme le macrocosme: à l’intérieur des corps sains


des citoyens, c’est encore l’isonomie qui règne. » -Marshall Sahlins, La nature
humaine : une illusion occidentale, Éditions de l'éclat, 2009, 112 pages.

Héraclite d’Éphèse (-544-541/-480) : « Guerre est de tous le père, de tous le


roi; et les uns, il les désigne comme dieux, les autres comme hommes; les uns, il
les fait esclaves, les autres, libres. »

« Ce monde, le même pour tous, n’a été créé par aucun dieu et aucun homme. Il
a toujours existé, existe et existera toujours, feu éternellement vivant, s’allumant
avec mesure et s’éteignant avec mesure. » -Héraclite d’Éphèse, Fragments.

29
« La chose comme elle vit aime à se cacher. » (Fragment 123, p.336)
-Héraclite d'Éphèse, Fragments, in Jean Bollack et Heinz Wismann, Héraclite
ou la séparation, Les Éditions de minuit, coll. Le sens commun, 1972, 405
pages.

« Sans l'espérance, on ne trouvera pas l'inespéré, qui est introuvable et


inaccessible. »

« Ce qui a été établi par les hommes n’est jamais constant. » -Héraclite
d’Ephèse.

« Tous les hommes aujourd’hui s’écartent de la vérité et de la justice, tout


entiers à l’ambition et à la gloire, les misérables insensés ! Pour moi qui ignore
complétement le mal, qui n’ai rien tant à cœur que d’éviter l’envie importune et
d’échapper à l’orgueil de la puissance, je ne mettrai pas le pied sur la terre des
Perses. Je me contente de peu et je vis à ma fantaisie. » -Héraclite, au roi
Darius.

« Héraclite […] dont le jeune Platon fut, au dire d’Aristote, un disciple


fervent. » -Paul Clavier, L’idée d’univers, in Denis Kambouchner, Notions de
philosophie, I, Gallimard, coll Folio essais, 551 pages, p.50-51.

« Héraclite est le premier à déclarer […] que l’essence est un processus.


L’origine de la philosophie remonte à Héraclite. » -Hegel.

« J’ai déjà eu l’occasion d’indiquer qu’au point de vue scientifique, l’œuvre que
laissa Héraclite fut loin de marquer un progrès. »

« Comme Anaximandre, comme Anaximène, il croit à l’unité de la substance


sous la variété des apparences phénoménales. »

« Il préfère insister sur le flux perpétuel des choses, dont aucune n’échappe à la
transformation incessante ; sur la lutte permanente entre les formes diverses de
la substance unique, lutte à laquelle préside l’intelligence divine et qui fait
l’harmonie du monde. »

« Au milieu des « physiologues » ioniens, il a, de fait, une position toute


spéciale, ou plutôt il n’est rien moins que physiologues ; c’est un « théologue ».
Membre d’une famille sacerdotale, sans une renonciation en faveur de son
frère, il eût eu les privilèges réservés aux aînés des descendants de Codrus, y
compris la présidence des cérémonies de Déméter Éleusinienne (Strabon, XIV,
30
p. 633). C’est dans le temple d’Artémis qu’il dépose son livre, pour que la
lecture en soit réservée aux élus qu’admettront les prêtres (Diog. L., IX, 6). Il
connaît les mystères et non seulement y fait des allusions intelligibles pour les
seuls initiés, mais encore, dans son langage sibyllin, « il ne révèle ni ne cache,
mais il en indique » (fr. 11) le sens profond que les époptes eux-mêmes ne
connaissent pas.

Il ne prétend point convaincre par la démonstration ; il réclame la foi qu’il


déclare indispensable pour l’intelligence (fr. 7). Il n’a point eu de maître
humain ; il s’est cherché lui-même et il a trouvé (fr. 84). C’est le verbe universel
(λόγος ξυνός, fr. 58) qui l’inspire divinement, mais sa parole n’est destinée qu’à
une élite choisie ; le vulgaire est incapable de la comprendre, après l’avoir
entendue, tout comme avant de l’entendre (fr. 4) ; le vulgaire est comme sourd
et ne sait ni parler ni écouter (fr. 4, 5).

Plus Héraclite méprise les opinions des autres, plus il estime les siennes, qu’il
sait conserver comme l’absolue vérité ; mais, ce qui marque surtout son
caractère de « théologue », n’essayez pas de lui parler de la science ; ce n’est
point elle qui forme l’intelligence (fr. 14) ; elle n’est qu’une vaine curiosité, le
chemin de l’erreur inévitable. Vous cherchez la grandeur du soleil ; eh quoi !
n’a-t-il pas ce qu’il vous paraît avoir, un pied de large (9) ? Qu’allez-vous vous
inquiéter davantage ?

Bien entendu, la théologie d’Héraclite n’est point celle de la religion populaire.


Homère, Hésiode (fr. 89, 95) sont mis par lui au même rang que Pythagore,
Xénophane, Hécatée. À l’époque où il vivait, les vieilles traditions des âges
héroïques étaient déjà trop lettre morte pour fournir à la philosophie naissante
un appoint sérieux, des dogmes acceptables. L’élément qu’Héraclite y va
introduire a été élaboré ailleurs.

Depuis longtemps déjà s’étaient introduits sur le sol hellène des rites singuliers,
des mythes étranges, dont la connaissance était interdite au profane. L’âge était
venu où un penseur, méditant sur la vérité que cachaient ces symboles, pouvait
essayer de l’en dégager. C’est ce que tenta Héraclite, c’est là que réside le
caractère tout spécial de son œuvre ; c’est ce qui explique le succès qu’elle
obtint et l’influence considérable qu’elle exerça sur le développement ultérieur
de la philosophie hellène.

31
Le dogme du flux perpétuel des choses attire d’ordinaire avant tout l’attention
qui se porte sur l’Éphésien ; mais il n’y faut pas voir sa véritable originalité ; en
fait, formule à part, ce dogme est contenu dans la thèse d’Anaximène. Malle
part au contraire, avant Héraclite, nous ne voyons rejeter au second plan les
questions scientifiques, l’explication mécanique de l’univers pour mettre en
lumière le côté divin des choses, le rôle de l’intelligence dans la nature. Il
entrouvre le sanctuaire où Pythagore s’était enfermé ; après le Samien, c’est lui
qui, le premier, fait école et cette école est libre ; c’est lui qui lègue aux
philosophes et les problèmes dont on fera honneur à Anaxagore ou à Socrate, et
cette allure mystique qui s’imposera plus ou moins à tous ceux qui tenteront
d’agiter ces problèmes.

Obscurcie un moment par l’éclat que jetteront Platon et Aristote, son œuvre
reparaîtra bientôt pour former le fonds essentiel de la doctrine du Portique. Les
stoïciens élaboreront son concept du logos et, à l’aurore des temps nouveaux, il
se trouvera mûr pour être adopté par le christianisme. »

« Le flux perpétuel des choses est la conséquence inéluctable du principe de


l’unité de la matière ; Héraclite n’a pas inventé ce dogme, il n’a fait que le
développer en le défendant contre Xénophane. […] l’image de la guerre
éternelle et nécessaire pour l’harmonie du monde, qui constitue chez Héraclite
une formule beaucoup moins attendue (fr. 37, 38, 39), semble venir des bords du
Nil, où Hor renouvelle sans cesse la lutte contre Set, toujours vaincu, jamais
anéanti. » -Paul Tannery, Pour l’histoire de la science hellène, Chapitre VII «
Héraclite d’Éphèse », 1887.

« Héraclite était fier : et quand un philosophe en arrive à la fierté, c'est une


grande fierté. Son action ne le porte jamais à rechercher un « public »,
l'applaudissement des masses ou le chœur adulateur des contemporains. S'en
aller solitaire par les rues appartient à la nature du philosophe. Ses dons sont
des plus rares, et dans un sens, contrenature, exclusifs et hostiles même à
l'égard des dons semblables. Le mur de la satisfaction de soi-même doit être de
diamant, pour ne pas rompre ni se briser, car tout est en mouvement contre lui.
Son voyage vers l'immortalité est plus semé d'obstacles et d'entraves qu'aucun
autre; et pourtant nul ne peut croire plus sûrement que le philosophe qu'il
arrivera au but par cette voie — il ne saurait où se tenir sinon sur les ailes
déployées de tous les temps; la non-considération des choses présentes et
instantanées composant l'essence de la grande nature philosophique. Lui a la
32
vérité : libre à la roue du temps de tourner dans l'un ou l'autre sens : jamais elle
n'échappera à la vérité. Il importe d'apprendre que de pareils hommes ont vécu
une fois. Jamais l'on n'oserait imaginer la fierté d'Héraclite comme une
possibilité oiseuse. Tout effort vers la connaissance paraît, de par sa nature,
éternellement insatisfait et insatisfaisant. Aussi nul ne voudra croire s'il n'est
renseigné par l'histoire, à la réalité d'une opinion de soi aussi royale que celle
que confère la conviction d'être l'unique et heureux prétendant de la Vérité. De
pareils hommes vivent dans leur propre système solaire : c'est là qu'il faut aller
les trouver. Un Pythagore, un Empédocle, traitaient leur propre personne avec
une surhumaine estime, avec une crainte quasi religieuse; mais le lien de la
compassion noué à la grande conviction de la migration des âmes et de l'unité
de tout ce qui est vivant, les ramenait aux autres hommes, pour le salut de ces
derniers. Quant au sentiment de solitude dont était pénétré l'ermite éphésien du
temple d'Artemis, on n'en saurait éprouver quelque chose qu'au milieu des sites
alpestres les plus désolés. Nul sentiment de toute puissante pitié, nul désir de
venir en aide, de guérir ou de sauver n'émane de lui. C'est un astre sans
atmosphère. Son œil, dont l'ardeur est toute dirigée vers l'intérieur, n'a qu'un
regard éteint et glacial, et comme de pure apparence, pour le dehors. Tout
autour de lui les vagues de la folie et de la perversité battent la forteresse de sa
fierté : il s'en détourne avec dégoût. Mais de leur côté les hommes au cœur
sensible évitent une pareille larve comme coulée de bronze; dans un sanctuaire
reculé, parmi les images des dieux, à l'ombre d'une architecture froide, calme et
ineffable, l'existence d'un pareil être se conçoit encore. Parmi les hommes,
Héraclite, en tant qu'homme, était inconcevable; et s'il est vrai qu'on a pu le
voir observant attentivement le jeu d'enfants bruyants, il est vrai aussi que ce
faisant il a songé à quelque chose à quoi nul homme ne songe en pareil cas : au
jeu du grand entant universel, Zeus. Il n'avait point besoin des autres hommes,
pas même pour ses connaissances; il ne tenait point à leur poser toutes les
questions que l'on peut leur poser, ni celles que les sages s'étaient efforcés de
poser avant lui. Il parlait avec mépris de ces hommes interrogateurs,
accumulateurs, bref, de ces hommes « historiques ». « C'est moi-même que je
cherchais et explorais », disait-il en se servant d'un terme qui définit
l'approfondissement d'un oracle : tout comme s'il eût été le véritable et l'unique
exécuteur de la sentence delphique : « Connais-toi toi-même! »

Quant à ce qu'il percevait dans cet oracle, il le tenait pour la sagesse immortelle
et éternellement digne d'interprétation, d'un effet illimité dans le lointain avenir,
33
à l'exemple des discours prophétiques de la Sibylle. Il y en a suffisamment pour
l'humanité la plus tard venue : pourvu qu'elle veuille seulement interpréter
comme une sentence d'oracle ce que lui « n'exprime ni ne cache » tel le dieu
delphique. Et encore qu'il l'annonce « sans sourire, sans ornement ni parfum »
mais bien plutôt avec « une bouche écumante », il faut que cela parvienne
jusqu'aux millénaires de l'avenir. Car le monde a éternellement besoin de la
vérité, il a donc éternellement besoin d'Héraclite : quoiqu'Héraclite n'en ait
point besoin lui-même. Que lui importe sa gloire?

La gloire chez « les mortels qui sans cesse s'écoulent! » s'est-il écrié avec ironie.
Sa gloire intéresse sans doute les humains, elle ne l'intéresse pas lui-même;
l'immortalité des humains a besoin de lui, et non pas lui-même de l'immortalité
de l'homme Héraclite. Ce qu'il a vu, la doctrine de la loi dans le devenir et du
jeu dans la nécessité, doit dès maintenant être vu éternellement : il a levé le
rideau sur le plus grand de tous les spectacles. » -Friedrich Nietzsche, La
philosophie à l'époque tragique des Grecs, 1873.

« Dans la question, à cette époque identique, de l'origine et du commencement


de la nature, le savant grec propose une théorie bien connue: toutes les choses
commencent par le feu et y terminent. Le feu devient le principe-élément à
l'origine de l'ordre universel. En effet, selon le rapport que les corps
entretiennent avec lui, le feu organise les autres éléments essentiels de la nature.
La terre provient d'une "condensation" du feu sur lui-même, tandis que l'eau est
le fruit de l'action du feu sur la terre. A son tour l'eau se change en air, lorsque
le feu cause son évaporation. Et tout ces éléments finissent par être détruits par
le feu, lorsqu'un monde vient à disparaître.
La parenté avec les milésiens saute aux yeux: un élément tiré de la nature, le
feu, explique à lui seul le monde. Il est principe en tant qu'il est à la fois cause
première et effet dernier. Le feu est un état ultime de la matière, qui rend compte
du reste du mouvement des choses. Il a délogé les dieux, comme l'eau chez
Thalès, et instaure pareillement une théorie anti-mythologique.
La justification de cette théorie repose sur l'observation du devenir des éléments
naturels. Ils sont pris dans un cercle où le feu est le début et la fin. Entre ces
deux états, le feu engendre la terre, puis l'eau et enfin l'air. C'est une théorie
primitive des changements d'état de la matière, avec l'idée latente que celle-ci
est essentiellement la même, que son devenir est la cause de ses transformations.
Tout s'explique donc à l'intérieur des choses réelles, ou des choses perceptibles.
34
Cette circularité est propre à Héraclite et le distingue d'une certaine linéarité de
l'élément-principe de Thalès. Elle est un degré de complexité supplémentaire,
franchi par ce matérialisme embryonnaire, qui saisit dans une géniale intuition,
l'essence de tout devenir, et finalement de la dialectique en général. Le même se
change en un autre, pour revenir à lui-même, à l'image de ce cercle héraclitéen
entre le feu, la terre, l'eau et l'air. Aristote témoigne de cette spécificité lorsqu'il
résume, dans son Traité du ciel [...] les différentes théories présocratiques sur
l'origine du ciel. Elles se divisent en deux courants: le premier pense que le ciel
est éternel, alors que le second le conçoit comme un être corruptible, soumis au
devenir et à la destruction. Héraclite et Empédocle appartiennent au second
courant. Pour eux, le ciel, comme toutes, doit mourir et renaître selon un
processus éternel. » (p.67)

"La linéarité et les identités stables sont du côté de la mythologie. Le


matérialisme embryonnaire est donc le moment où apparaît la première forme
de dialectique.
Il n'est pas anodin qu'un homme de ce temps en soit arrivé à cette découverte,
étant entendu que sa préoccupation première est de comprendre la nature par
elle-même. Un magicien qui effectue un saut dans le surnaturel, brisant ainsi la
chaîne des causes, installe un fossé infranchissable qui interdit tout retour en
arrière, et toute permutation des causes et des effets. L'identité du dieu ou de la
force magique doit être stable, car le monde d'ici-bas ne peut se comporter à
leur égard que comme effet. La linéarité et l'enchaînement mécanique des
causes et des effets devient une nécessité pour sauver l'insurpassable dignité du
divin. Mais pour celui qui veut comprendre le monde en son sein, la frontière
entre cause et effet peut tomber ; la matière peut revêtir des états variés selon
ses moments. Mais plus encore, l'identité des choses peut varier, comme on le
constate expérimentalement, et devenir son autre ou son contraire. De l'autre
côté, en revanche, comment un dieu pourrait-il prendre la place d'un mortel ?
Ou comment les temps mythiques pourraient-ils revenir ? Grâce à ce
matérialisme originel, il n'y a plus qu'un seul monde à étudier, ses parties se
retrouvent à égalité, une dialectique est désormais possible. Encore faut-il qu'un
savant se préoccupe des choses dans leur mouvement et dans leur devenir.
La dialectique héraclitéenne introduit une nouveauté radicale. Non seulement
elle bouleverse l'ordre de causalité, mais surtout, elle montre qu'aucune identité
n'est stable. Tout est en devenir. Il est impossible qu'une substance soit dans le
même état à deux instants différents. Elle est soumise constamment à des forces
35
contraires, qui la font se constituer et se désagréger en même temps. Héraclite
ne donne pas qu'à penser la succession des choses dans le temps, il montre pour
la première fois comment des contraires peuvent se tenir unis." (p.68)

-Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions


Kimé, 2103, 706 pages.

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H%C3%A9raclite/dp/B0014MHTV6/ref=sr_1_51?ie=UTF8&qid=1453650446
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=8-1&keywords=g%C3%A9rard+mairet

Empédocle (-490 et -435) : « En politique, [Empédocle] était un partisan zélé


de la démocratie, qu’il fit triompher dans sa ville natale. Cependant lui aussi fut
victime de l’inconstance de la faveur populaire ; car il mourut dans le
Péloponnèse, probablement exilé. » -Friedrich-Albert Lange, Histoire du
matérialisme et de son importance à notre époque, volume I, 1877.

Xénophane (-570 à -475) : « Les dieux n’ont pas révélé aux mortels les choses
cachées dès le commencement, mais en cherchant, ceux-ci avec le temps
trouvent le meilleur. » -Xénophane.

Parménide d’Élée (fin du VIe siècle av. J.-C. et mort au milieu du Ve siècle
av. J.-C) : « Parménide affirmait l'éternité de l'être qu'il assimilait au cosmos.
Pour lui, le cosmos, l'être premier, donc l'être dans le temps avait toujours
existé, ce qui impliquait l'éternité du temps. Le temps n'a ni commencement ni
fin. » -Pierre Chaunu, Histoire et Décadence, Paris, Perrin, 1981, 360 pages,
p.50.

Démocrite d’Abdère (-460/-370) : « Rien n'arrive sans cause, mais tout a une
raison déterminée et est dû à la nécessité. » -Leuccipe, le maître de Démocrite.

36
« La nature et l'éducation sont proches l'une de l'autre. Car l'éducation
transforme l'homme, mais par cette transformation, elle lui crée une seconde
nature. » (33)

« Celui qui commet l'injustice est plus malheureux que celui qui la subit. » (45)

« Beaucoup de gens, sans avoir appris ce qui est raisonnable, vivent néanmoins
selon la raison. » (53)

« Il ne vaut pas la peine de vivre, si l'on n'a pas un bon ami. » (p.99)

« Une vie sans fêtes est une longue route sans hôtellerie. » (230)

« Le droit est une invention des hommes. »

« Les lois n’interdiraient pas à chacun de vivre selon son penchant si les gens
ne se faisaient pas tort mutuellement. »

« Celui qui se contente de se prouver à soi-même non par mépris des autres,
mais pour l’aise et le contentement qu’il en a en sa conscience, montre que la
Raison vit en lui, et il s’accoutume alors à prendre plaisir de lui-même. »

« La Terre s’ouvre toute entière à l’âme de valeur, car la patrie du sage, c'est
l'univers. »

« L'univers est infini parce qu'il n'est l'œuvre d'aucun démiurge »

« Le corps est mû par l’âme, mais l’âme est quelque chose de corporel »

« L’heureuse disposition de l’âme naît de la modération du plaisir et de la


mesure de la vie. »

« La modération accroît le plaisir, et rend la volupté encore plus grande. »

« Meilleur guide en matière de vertu apparaît celui qui use de l’encouragement


et de la persuasion verbale plutôt que de la contrainte de la loi. Car celui que la
seule convention détourne de l’injustice selon toute probabilité agit mal en
cachette alors que celui que la persuasion convint ne commet selon toute
probabilité rien de répréhensible ni en cachette, ni ouvertement. »

« Ne t'autorise pas du fait que personne ne connaîtra ta conduite à plus mal agir
que si ton action était connue de tous. C'est devant soi-même que l'on doit
manifester le plus de respect, et il faut instituer ce principe dans ton cœur: n'y
37
laisse rien pénétrer de malhonnête. » -Démocrite d’Abdère, Fragments in Jean
Voilquin, Les penseurs grecs avant Socrate, de Thalès de Milet à Prodicos,
Garnier Frères © 1964 - GF Flammarion # 31, pp. 169-190.

« Les hommes n’ont pas honte de se déclarer heureux en [trouvant de l’or]


parce qu’ils ont creusé les profondeurs de la terre par les mains d’esclaves
enchaînés dont les uns périssent sous les éboulements et les autre soumis
pendant des années à cette nécessité demeurent dans ce châtiment comme dans
un exil. » -Démocrite, d’après le pseudo-Hippocrate, lettre n°17.

« Leucippe et son ami Démocrite disent que les éléments primitifs sont le plein
et le vide, qu’ils appellent l’être et le non être ; le plein ou le solide, c’est l’être ;
le vide ou le rare, c’est le non-être ; c’est pourquoi ils disent que l’être n’existe
pas plus que le non-être, parce que le corps n’existe pas plus que le vide : telles
sont, sous le point de vue de la matière, les causes des êtres. De même que ceux
qui posent comme principe une substance unique, expliquent tout le reste par les
modifications de cette substance – en donnant pour principe à ces modifications
le rare et le dense – ainsi ces philosophes placent dans les différences les causes
de toutes choses. Ces différences sont au nombre de trois : la forme, l’ordre et
la position. Ils disent, en effet, que les différences de l’être viennent de la
configuration, de l’arrangement et de la tournure, Or, la configuration c’est la
forme, l’arrangement l’ordre, et la tournure la position. Ainsi, A diffère de N
par la forme, AN de NA par l’ordre, et Z de N par la position. Quant au
mouvement, à ses lois et à sa cause, ils ont traité cette question avec beaucoup
de négligence, comme les autres philosophes. » -Aristote, Métaphysique, Livre
I, Chapitre 3.

« Démocrite dit par exemple: le vide n'existe pas moins que les corps. [...] Le
vide existe donc, puisqu'il doit exister dès lors que nous constatons que les corps
sont capables de mouvement. »

« La matière est dans le vide, et le vide est dans la matière. Il n'y a pas de
séparation radicale entre les deux. » -Étienne Klein, De quoi le vide est-il plein
?, 8 mars 2017.

« Que dirais-je de Démocrite ? Qui pouvons-nous lui comparer en ce qui


concerne non seulement l'ampleur du talent, mais aussi pour la grandeur d’âme
? » -Cicéron.

38
« Quel sage a jamais vécu et fait une œuvre égale à celle de Démocrite.... le
meilleur de tous les philosophes. » -Diogène Laerce, Vie des Philosophes
Illustres.

« Démocrite le plus subtil de tous les anciens » -Sénèque.

« Le divin Démocrite » -Lucrèce.

« Ils enviaient tant son bon renom qu’ils ont brûlé tous les livres si
glorieusement publiés par lui. » -Spinoza, à Hugo Boxel, à propos des
platoniciens.

« Sa grandeur intellectuelle se mesure dans le fait que le renouvellement des


sciences reste lié même aux plus infimes aspects de sa doctrine. Il est l’unique
philosophe encore vivant. » -Nietzsche, fragments posthumes de l’année 1867.

« Après la lecture publique de son ouvrage “Megas Diakosmos” [Le Grand


Système du Monde], Démocrite acquit une renommée considérable. Devenu
l’égal d’un dieu, le peuple d’Abdère érigea de nombreuses statues à sa gloire
éternelle. Véritable sagesse incarnée, durant toute l’antiquité, le souvenir de
Démocrite resta dans les mémoires comme celui d’un génie inégalé. » -
Willeime, L'Amour de la Raison Universelle.

« Dès l’origine de la pensée philosophique, apparaît sans doute aussi l’axiome


de la persistance de la substance, bien que d’abord il soit un peu voilé. Dans
l’infini (πειρον) d’Anaximandre, d’où émanent toutes choses ; dans le feu divin
et primitif d’Héraclite, au sein duquel les mondes se consument successivement,
pour naître de nouveau, nous retrouvons incorporée la substance éternelle. Le
premier, Parménide d’Elée nia toute naissance et toute destruction. L’être
réellement existant, aux yeux des Eléates, est le tout unique, sphère parfaitement
arrondie, dans laquelle il n’y a ni changement, ni mouvement. Toute
modification n’est qu’apparence ! Mais ici se produisait entre l’apparence et
l’être une contradiction, qui ne pouvait rester le dernier mot de la philosophie.
L’affirmation exclusive d’un axiome heurtait un autre axiome : « Rien n’est sans
cause ! » Comment l’apparence pouvait-elle donc naître au sein de l’être ainsi
immuable ? Ajoutez à cela l’absurdité de la négation du mouvement, qui, il est
vrai, a provoqué d’innombrables discussions et favorisé la naissance de la
dialectique. Empédocle et Anaxagore éliminent cette absurdité, en ramenant
toute naissance et toute destruction au mélange et à la séparation des éléments ;

39
mais ce fut l’atomistique la première qui donna à cette pensée une forme
parfaitement nette et en fit la pierre angulaire d’une conception strictement
mécanique de l’univers. A cela il fallait joindre l’axiome de la nécessité de tout
ce qui arrive. »

« Démocrite a regardé l’esprit non comme « la force créatrice du monde », mais


seulement comme une matière à côté d’autres matières. » -Friedrich-Albert
Lange, Histoire du matérialisme et de son importance à notre époque, volume I,
1877.

« Démocrite produit un bouleversement philosophique en donnant naissance au


premier matérialisme. Il tranche la contradiction dans laquelle ses
prédécesseurs sont pris. Il n'est pas le seul à tenter ce dépassement car une
tradition concurrente apparaît en même temps, avec Socrate comme premier
représentant. Aux alentours de la seconde moitié au Ve surgissent deux
courants, que l'on peut qualifier respectivement de matérialisme et de la
mythologie philosophique. Démocrite et Socrate en sont les plus éminentes
figures, mais la naissance s'est sans doute produite chez d'autres penseurs. Il
faut en effet tenir compte de Leucippe, probable maître de Démocrite, et
d'Anaxagore, celui de Socrate." (p.71)

"Démocrite est l'un des plus grands intellectuels de son temps, de par l'ampleur
d'une œuvre qui couvre presque tous les domaines. Marx dit de lui qu'il est "le
premier cerveau encyclopédique parmi les grecs" [...]. Cette envergure le place
à la hauteur d'un Platon ou d'un Aristote, mais dont le temps n'a
malheureusement rien conservé du contenu effectif de son travail. Seuls
quelques témoignages nous indiquent, comme des ombres, la taille imposante de
ce savoir encyclopédique. Dans les Vies [...] Diogène reproduit le catalogue des
livres de Démocrite établi par Thrasylle. La liste comporte une soixantaine de
titres, traitant de tous les sujets. [...] La haine que lui voue Platon est
significative, car elle montre qu'il est un concurrent redoutable." (p.77)

"Cette période est [...] capitale pour la question philosophique qui nous occupe.
Elle voit l'explication et la mise à nu des deux tendances en germe chez les
prédémocritéens. Démocrite est l'auteur central, car il expose et explicite le
premier le point de vue matérialiste de façon complète. C'est pourquoi nous
parlons de "prédémocritéens". Mais si l'on se place du point de vue de la

40
transcendance, on dit "présocratique" pour qualifier ces penseurs et faire de
Socrate le pivot de la philosophie grecque. " (p.78)

"La voie choisie par Démocrite est celle de l'atome. C'est par ce concept que
son matérialisme trouve un fondement, ou une réponse nouvelle à la question de
l'origine des choses et à celle du commencement du monde. L'atome devient
l'outil de la première théorie matérialiste, parce qu'il balaye les derniers
vestiges mythiques et religieux, en les remplaçant par des phénomènes naturels.
Mais surtout, l'atome permet de scinder le principe d'intelligibilité présent dans
chaque chose, de la survenue effective du monde. Autrement dit, il effectue la
distinction entre l'origine et le commencement." (p.79)

« L'atome n'est pas comparable aux principes éléments des milésiens, car il n'est
pas une partie du monde. Il est présent partout et il est dans toutes choses, mais
à une échelle différente que celle des phénomènes directement visibles à l'œil nu.
L'eau, chez Thalès, est une partie de la nature qui explique la totalité. Ici les
atomes sont toutes la nature, et toute sa raison. » (p.79)

-Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions


Kimé, 2103, 706 pages.

« Connaître, c’est connaître par des causes : voilà le grand pari de Démocrite. » -
Juan Pedro Garcia del Campo, « Déviations et rencontres : un matérialisme
aléatoire », in Alain Gigandet (dir.), Lucrèce et la modernité : le vingtième
siècle, Armand Colin, 2013.

"L’autre philosophie est l'atomisme de Démocrite, Épicure, Lucrèce. Cette


philosophie est démocratique, elle commence par le bas, par les particules
matérielles. C'est le monde atomistique. Il ne connaît pas les idées, les lumières
platoniques. Il ne connaît pas la hiérarchie. Cela va à l'encontre de la
verticalité.

Démocrite était un présocratique. Il peut être compris comme un représentant


de la contre-initiation dans le monde de la Tradition. Démocrite est le
représentant de la modernité dans le monde pré-moderne."
-Alexandre Douguine, Traditionalisme et sociologie / La figure du sujet radical,
conférence donnée à Curitiba, Brésil - Colloque sur Evola, septembre 2012.

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Eschyle (-525/-456) : « Amené par la politique contemporaine à repenser les


valeurs civiques, morales et religieuses, Eschyle est prêt à bouleverser l’image
du souverain par excellence, Zeus, que toute la tradition remontant à Homère
représentait comme l’emblème même de la justice […] Dans son Prométhée
Enchaîné, Eschyle peint le dieu des dieux comme un tyran. » -Mario Turchetti,
Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, PUF, coll. Fondements de la
politique, 2001, 1044 pages, 57.

Sophocle (-495/-406): http://hydra.forumactif.org/t5142-sophocle-theatre-


complet#6132

Périclès (-495/-429): « Périclès, l'homme d'Etat le plus profondément cultivé, le


plus authentique, le plus noble. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire, trad. Kostas
Papaioannou, Paris, Plon, coll. 10/18, 1965, 311 pages, p.27.

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Mossé/dp/228600949X/ref=pd_sbs_14_4/258-8324672-
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4b85-a97b-
28d93962496a&pd_rd_w=250Xg&pd_rd_wg=DZQuV&pf_rd_p=26d54ac2-
ee81-4c62-8302-
1e18ced12245&pf_rd_r=T3YWXDPH8HSGJ9KB575W&psc=1&refRID=T3Y
WXDPH8HSGJ9KB575W

Aspasie de Milet (-470/-400) : http://www.amazon.fr/Aspasie-Milet-


P%C3%A9ricl%C3%A8s-Histoire-
histoire/dp/221361945X/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=51N7gASVwGL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR99%2C160_&refRID=1MQ7B17GRSPS
QEE9SDQZ

Euripide (-480/-406) : « L’amitié qui unissait Euripide et Anaxagore est bien


connue et le poète fréquente assez souvent Socrate pour que des calomniateurs
puissent insinuer qu’une collaboration littéraire s’est établie entre eux. Euripide
42
participe donc à tous les débats philosophiques, il se constitue la plus riche
bilbiothèque de son temps. » (p.1-2)

« Exceptionnellement, en écrivant les Suppliantes, Euripide compose une pièce


dans laquelle le tragique peut être conjuré. » (p.128)

-Jacqueline Assael, Euripide, philosophe et poète tragique, Éditions Peeters,


2001.

Hérodote d'Halicarnasse (-480/-425) : "Chez Hérodote, il arrive que le mot


"trahison" s'efface, mais pour une tout autre raison. Il s'agit de sauver
l'interprétation du phénomène qui prévaut dans le reste de l'œuvre, quand elle
ne convient plus à un cas donné. Une trahison pose un tel problème: celle des
Thermopyles, perpétrée par un Grec à un moment crucial du face-à-face des
cités grecques avec les Perses. La nier, refuser de reconnaître qu'Éphialte -ou
d'autres- soit allé indiquer au Grand Roi un chemin pour prendre Léonidas à
revers, c'est du même coup nier un épisode capital dans l'élaboration de la
noble image des Grecs qui occupe les derniers livres des Histoires. Car cette
trahison, qui condamne les Spartiates à mort, n'en rend leur conduite que plus
admirable […] Les Grecs sont capables de rester à leur poste et d'assumer,
dans une situation désespérée, cette "belle mort" qui perpétue la vie de leur
patrie. Cependant la trahison qui joue, on l'a vu, le rôle d'instrument de
définition du Barbare, se trouve dès lors au centre d'une contradiction.
Comment faire que ce qui est l'apanage de l'autre puisse figurer tout à coup si
nettement et si essentiellement au cœur du même ? La solution apportée est
discursive. Hérodote bannit les mots "trahison" et "médisme" ; Éphialte a
"signalé" le chemin aux Perses (semainein). Ainsi libéré -de justesse-, l'historien
peut alors poursuivre son travail de rejet du traître hors de la communauté
grecque. Éphialte est, avec insistance et exclusivement, désigné par le nom de sa
région d'origine: il s'agit d'un habitat de Mèlis (VII, 213 ; 214) ; le sentier était
bien connu de tous les Maliens (VII, 215) et d'une grande utilité pour eux (ibid.).
Le nom de Grecs, en revanche, revient à ceux qu'il trahit (VII, 213).
L'effacement du mot "trahison" permet à Hérodote de continuer à élaborer ses
représentations contrastées des Grecs et des Barbares." (pp.167-168)
-Catherine Darbo-Peschanski, « Quand raconter c’est accuser. La trahison dans
l’historiographie grecque classique (Hérodote, Thucydide) », Le Genre humain,
1988/1 (N° 16-17), p. 157-171. DOI : 10.3917/lgh.016.0157. URL :
https://www.cairn.info/revue-le-genre-humain-1988-1-page-157.htm
43
Thucydide (-460/-400 ou -395) et la Guerre du Péloponnèse (-431/-404) :
« La justice n'entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si
les forces sont égales de part et d'autre ; dans le cas contraire, les forts exercent
leur pouvoir et les faibles doivent leur céder. » -Thucydide, Histoire de la
guerre du Péloponnèse.

« Dans sa traduction de la Guerre du Péloponnèse, publiée en 1628, Hobbes


tient Thucydide pour « le plus grand historien politique qui ait jamais écrit », le
plaçant aux côtés d’Homère pour la poésie, d’Aristote pour la philosophie, et de
Démosthène pour la rhétorique. » -Marshall Sahlins, La nature humaine : une
illusion occidentale, Éditions de l'éclat, 2009, 112 pages.

« Thucydide est à mon gré le vrai modèle des historiens.

Il rapporte les faits sans les juger, mais il n'omet aucune des circonstances
propres à nous en faire juger nous-mêmes. Il met tout ce qu'il raconte sous les
yeux du lecteur; loin de s'interposer entre les événements et les lecteurs, il se
dérobe; on ne croit plus lire, on croit voir. » -Jean-Jacques Rousseau, Émile ou
de l’éducation, Livre IV, 1762.

« Thucydide et peut-être le Prince de Machiavel me ressemblent le plus par la


volonté absolue de ne pas s'en faire accroire et de voir la raison dans la réalité,
-et non dans la "raison", encore moins dans la "morale"... [...] Il faut le suivre
ligne par ligne et lire ses arrière-pensées avec autant d'attention que ses
phrases: il y a peu de penseurs si riches en arrière-pensées. En lui la culture des
Sophistes, je veux dire la culture des réalistes, atteint son expression la plus
complète: un mouvement inappréciable, au milieu de la charlatanerie morale et
idéale de l'école socratique qui se déchaînait alors de tous les côtés. La
philosophie grecque est la décadence de l'instinct grec ; Thucydide est la grande
somme, la dernière révélation de cet esprit des réalités fort, sévère et dur que les
anciens Hellènes avaient dans l'instinct. Le courage devant la réalité distingue
en dernière instance des natures comme Thucydide et Platon: Platon est lâche
devant la réalité, — par conséquent il se réfugie dans l’idéal ; Thucydide est
maître de soi, donc il est aussi maître des choses... » -Friedrich Nietzsche, Le
Crépuscule des idoles, "Ce que je dois aux anciens", trad. Henri Albert, GF-
Flammarion, 1985 (1889 pour la première édition allemande), 250 pages, p.173,
§2.

44
« [Le génie de Thucydide] a fait de la guerre du Péloponnèse la guerre la plus
intelligible de l'histoire, toute guerre s'y retrouve et s'y révèle, par parallèle ou
contraste, en quelque sorte illuminée. » -Henri-Irénée Marrou, De la
connaissance historique, Éditions du Seuil, coll. Points, 1954, 318 pages, p.276.

« L’éloge des libertés démocratiques, associé à la critique de la tyrannie, se


retrouve aussi dans la pensée d’un autre grand historien, Thucydide, le créateur
de l’historiographie politique. Il faut cependant nuancer les concepts,
notamment en matière de démocratie et de tyrannie, car nous sommes en
présence d’un penseur qui a affiné son esprit à l’école des Sophistes et qui a lui-
même acquis une expérience de chef militaire. Dans son Histoire de la guerre du
Péloponnèse, embrassant les années 431 à 411, on découvre un historien qui
sait discerner les causes les plus obscures des événements, en même temps qu’il
pénètre dans le secret de l’âme humaine. » -Mario Turchetti, Tyrannie et
tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, PUF, coll. Fondements de la politique,
2001, 1044 pages, p.64-65.

« Les autres vous en veulent non pas pour ce qu'ils disent mais parce que vous
avez cette puissance. Donc on ne peut pas éviter la guerre. »

« La Guerre entre les Athéniens et les Spartiates, la Guerre du Péloponnèse,


était en même temps une guerre civile. Les démocrates dans toutes les cités
soutenaient les Athéniens et les aristocrates soutenaient les Spartiates. »

-Cornelius Castoriadis, interview avec Chris Marker, 1989.

« La Guerre du Péloponnèse fut d’abord la première de toute une série de


conflits visant à établir l’hégémonie d’une seule cite sur l’ensemble du monde
grec. Les caractères mêmes du mode de production esclavagiste poussaient
constamment les cités à une telle expansion. » -Lioudmila Petrovna
Marinovitch, Le mercenariat grec au IVe siècle avant notre ère et la crise de la
polis, 1988.

« En 404 av. J.-C., à la fin de la guerre du Péloponnèse, Athènes perd son


empire, ses murs et sa flotte. Elle est également privée de son régime
traditionnel : la démocratie. Avec l'oligarchie des Trente, dirigée par Critias, se
révèle alors un pouvoir absolu qui ne cherche d'autre légitimité que celle de la
seule force : elle se maintient par le recours à une répression féroce et avec
l'appui d'une garnison étrangère.

45
Pourtant, trente ans plus tôt, au début de la guerre, Athènes se trouve au
sommet de sa puissance et paraît très supérieure à Sparte. C'est la démocratie
impérialiste triomphante de Périclès qui n'a plus même d'adversaire à l'intérieur
de la cité : le parti oligarchique est alors impuissant, à la suite de l'ostracisme
de son chef (Thucydide, fils de Mélésias).

Mais tandis que la démocratie devient extrême et s'enfonce dans une guerre
qu'elle paraît de moins en moins certaine d'emporter, le mouvement
oligarchique se raffermit à nouveau. L'affaire de la mutilation des Hermès en
témoigne  ainsi, bien sûr, que le coup d'État de 411 (de mai à septembre),
favorisé par les défaites militaires successives que connaît alors la cité. Suite à
une série d'assassinats, cette petite oligarchie réussit à faire voter par
l'Assemblée l'abandon des institutions démocratiques. La mission d'instaurer
une nouvelle organisation des pouvoirs est confiée à un Conseil de quatre cents
citoyens. Mais ceux-ci (les « Quatre Cents ») se les arrogent tous et retardent
l'établissement de la liste des cinq mille citoyens appelés à participer à la vie
politique. Le pouvoir revient finalement aux Cinq Mille, après une nouvelle
défaite militaire et grâce à l'intervention des marins de la flotte basée à Samos
et d'Alcibiade pourtant soupçonné d'avoir à l'origine comploté pour le compte
de l'oligarchie. Ce régime ne dure que quelques mois et le retour aux pratiques
démocratiques se fait sans heurt. Cette première crise aura certes des
conséquences importantes, dont le retour triomphal d'Alcibiade, jusque-là exilé,
mais elle n'est rien au regard du second coup de force oligarchique, quelques
années plus tard : celui des Trente.

Ce fut sans aucun doute le pire régime qu'ait connu Athènes. Ce fut, en tout cas,
celui qui marqua le plus les mémoires : le gouvernement des Quatre Cents,
quoique fondé lui aussi sur la force, n'était que rarement considéré comme une
« tyrannie ». En effet, ses promoteurs pouvaient s'assurer l'adhésion d'un
secteur assez large de la population et ils ne commirent pas de crimes
comparables à ceux de leurs successeurs. Il s'agissait, en somme, d'une «
véritable » oligarchie ; en 404, au contraire, Critias fait éliminer Théramène et
ses partisans oligarques « modérés » , qui voulaient s'appuyer sur les riches
citoyens pour gouverner : pour lui, le pouvoir des Trente ne pouvait être qu'une
tyrannie fonctionnant au profit de ses seuls membres.

La haine du peuple qui l'anime se signale par une répression impitoyable : en


seulement quelques mois, huit à dix pour cent des citoyens athéniens seront
46
massacrés par Critias et ses complices ! »
-David Levystone, « La constitution des athéniens du pseudo-xénophon. D'un
despotisme à l'autre », Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, 2005/1
(N°21), p. 3-48. DOI : 10.3917/rfhip.021.0003. URL :
https://www.cairn.info/revue-francaise-d-histoire-des-idees-politiques1-2005-1-
page-3.htm

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http://www.amazon.fr/La-Naissance-lhistoire-Fran%C3%A7ois-
Chatelet/dp/2020290529/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=41G03W7Z1DL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR94%2C160_&refRID=0N43TSSFPJ7573
57CS71

http://www.lesbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100368280

Les Sophistes : « Quelque temps après Démocrite, on racontait que ce


philosophe, se trouvant dans Abdère, sa ville natale, avait vu un portefaix
disposer, d’une façon particulièrement habile, les morceaux de bois composant
son fardeau. Démocrite lia conversation avec lui et fut si étonné de son
intelligence qu’il le prit pour élève. Ce portefaix fut l’homme qui provoqua une
grande révolution dans l’histoire de la philosophie : il se posa comme marchand
de sagesse ; c’était Protagoras, le premier des sophistes.

47
Hippias, Prodicus, Gorgias et une longue liste d’hommes moins célèbres,
connus principalement par les écrits de Platon, parcoururent bientôt les villes
de la Grèce, enseignant et discutant. Quelques-uns d’entre eux acquirent de
grandes richesses. Partout ils attiraient à eux les jeunes gens les plus distingués
par le talent. Leur enseignement fut bientôt à la mode ; leurs doctrines et leurs
discours devinrent l’objet des conversations quotidiennes dans les classes
élevées de la société ; leur célébrité se répandit avec une incroyable
promptitude.

C’était une nouveauté en Grèce : les anciens combattants de Marathon, les


vétérans des guerres de la délivrance, hochaient la tête avec une répugnance
conservatrice ; les partisans eux-mêmes des sophistes les admiraient à peu près
comme on admire aujourd’hui un chanteur célèbre ; mais presque tous, malgré
leur admiration, auraient rougi de se faire sophistes. Socrate avait l’habitude
d’embarrasser les élèves des sophistes en se bornant à leur demander quelle
était la profession de leurs maîtres : de Phidias on apprenait la sculpture,
d’Hippocrate la médecine, mais quoi de Protagoras ?

L’orgueil et le faste des sophistes ne purent remplacer l’attitude digne et


réservée des anciens philosophes. Le dilettantisme aristocratique, en fait de
sagesse, fut estimé plus haut que la pratique de cette même sagesse par les
philosophes de profession.

Nous ne sommes pas loin de l’époque où l’on ne connaissait que les côtés
faibles de la sophistique. Les railleries d’Aristophane, l’austère gravité de
Platon, les innombrables anecdotes philosophiques des périodes subséquentes
finirent par accumuler sur le nom de la sophistique tout ce qu’on put imaginer
de charlatanisme, de dialectique vénale et d’immoralité systématique.
Sophistique est devenu synonyme de toute fausse philosophie ; et, depuis
longtemps, la réhabilitation d’Épicure et des épicuriens était ratifiée par les
savants, alors que le nom de sophiste résumait encore toutes les hontes et l’on
continuait de regarder, comme la plus insoluble des énigmes, le fait d’un
Aristophane représentant Socrate comme le chef des sophistes. »

« Les grands sophistes étaient ravis de leurs succès pratiques. Leur relativisme
illimité, la vague admission d’une morale civile sans principe à sa base, la
souplesse d’un individualisme qui s’arroge partout le droit de nier ou de tolérer
suivant les convenances du moment, constituaient une excellente méthode pour

48
former ces « hommes d’État pratiques », frappés au coin connu, qui dans tous
les pays, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, ont eu en vue surtout le succès
extérieur. Il ne faut donc pas s’étonner de voir les sophistes passer de plus en
plus de la philosophie à la politique, de la dialectique à la rhétorique ! Bien
plus, chez Gorgias, la philosophie est déjà sciemment ravalée au simple rôle
d’école préparatoire à la vie pratique. » -Friedrich-Albert Lange, Histoire du
matérialisme et de son importance à notre époque, volume I, 1877.

Euripide (-480/-406): "Euripide ne fut, lui aussi, qu’un masque : la divinité qui
parlait par sa bouche n’était pas Dionysos, non plus Apollon, mais un démon
qui venait d’apparaître, appelé Socrate. Tel est le nouvel antagonisme :
l’instinct dionysiaque et l’esprit socratique ; et par lui périt l’œuvre d’art de la
tragédie grecque." (p.112)

"Après avoir reconnu qu’Euripide ne put réussir à donner au drame une base
exclusivement apollinienne, et que sa tendance anti-dionysienne s’est bien plutôt
fourvoyée dans un naturalisme anti-artistique, nous pouvons examiner de plus
près la nature du socratisme esthétique. Son dogme suprême est à peu près ceci
: « Tout doit être conforme à la raison pour être beau », argument parallèle à
l’axiome socratique : « Celui-là seul est vertueux, qui possède la connaissance.
» Armé de cet étalon, Euripide mesura tous les éléments de la tragédie, la
langue, les caractères, la construction dramaturgique, la musique du chœur, et
il les corrigea d’après ce principe. Ce que nous avons si fréquemment considéré
chez Euripide, en comparant son œuvre avec la tragédie de Sophocle, comme un
signe de pauvreté et d’infériorité poétiques, est le plus souvent le résultat de
l’intrusion de cet esprit critique et aveuglément rationnel. Le prologue
d’Euripide nous servira d’exemple pour montrer les conséquences de cette
méthode rationaliste. Il n’y a rien de plus opposé à notre conception de la
technique dramaturgique que le prologue dans le drame d’Euripide. Qu’un seul
personnage, au commencement de la pièce, s’avance et raconte qui il est, ce qui
précède immédiatement l’action, ce qui s’est passé antérieurement et même ce
qui doit arriver au cours du drame, c’est là un procédé qui paraîtrait
impardonnable à un poète de théâtre moderne, et qui équivaudrait pour lui à
renoncer de propos délibéré à toute surprise, à tout effet. Si l’on sait d’avance
tout ce qui doit arriver, qui voudra attendre que cela arrive vraiment ? —
puisqu’il ne s’agit d’ailleurs ici en aucune façon d’un rêve prophétique qui
laisserait entiers l’intérêt et l’émotion de sa réalisation future. Euripide pensait
tout autrement. Dans son esprit, l’effet produit par la tragédie n’avait jamais
49
pour cause l’anxiété épique, l’attrait de l’incertitude au sujet des péripéties
éventuelles, mais bien ces grandes scènes, pleines d’un lyrisme rhétorique, où la
passion et la dialectique du héros principal s’étalaient et se gonflaient comme la
crue puissante d’un large fleuve. Tout devait préparer non pas à l’action, mais
au pathétique, et ce qui ne préparait pas au pathétique était à rejeter. Le plus
grand obstacle à un abandon entier, au plaisir sans mélange à de telles scènes,
c’est l’absence d’un élément nécessaire au préalable à l’auditeur, une lacune
dans la trame des évènements préliminaires. Aussi longtemps que le spectateur
est obligé de supputer avec attention l’importance ou la qualité de tel ou tel
personnage, les causes de tel ou tel conflit des sentiments ou des volontés, il ne
peut pas être absorbé complètement par les actions et les malheurs des héros
principaux, et il lui est impossible encore de compatir, haletant, à leurs
souffrances et à leurs terreurs. La tragédie d’Eschyle et de Sophocle employait
les moyens artistiques les plus ingénieux pour donner à l’auditeur, dès les
premières scènes et comme par hasard, toutes les indications nécessaires à
l’intelligence de l’intrigue : procédé par lequel s’affirme cette noble maîtrise
artistique qui, tout à la fois, masque ce qui est matériellement indispensable et
le révèle sous la forme d’incidents inopinés. Cependant Euripide croyait avoir
remarqué que, pendant ces premières scènes, le spectateur semblait en proie à
une inquiétude particulière, préoccupé qu’il était de résoudre le problème des
événements antérieurs, de sorte que les beautés poétiques et le pathétique de
l’exposition étaient perdus pour lui. C’est pourquoi, avant l’exposition, il plaça
le prologue et le fit réciter par un personnage en qui on pouvait avoir confiance
: un dieu devait souvent se porter, pour ainsi dire, garant devant le public des
événements de la tragédie et lever tous les doutes sur la réalité du mythe ;
procédé analogue à celui à l’aide duquel Descartes arrivait à prouver la réalité
du monde empirique, en en appelant uniquement à la véracité de Dieu incapable
de mentir. Cette véracité divine, Euripide l’emploie encore une fois à la fin de
son drame, pour informer le public, en toute certitude, des destinées futures de
ses héros ; ceci est le rôle du fameux deus ex machina." (p.115-118)

-Friedrich Nietzsche, L’origine de la tragédie, ou Hellénisme et pessimisme,


trad. Jean Marnold et Jacques Morland, in Œuvres complètes de Frédéric
Nietzsche, vol. 1, Mercure de France, 1906 [quatrième édition].

Socrate (-470 ou -469/-399): « La réalité m'échappe, je ne sais pas ce qu'elle


est. » -Socrate, d'après l'Hippias mineur de Platon.

50
« Il est le seul devant qui j’ai honte. » (p.167)

« Passons à sa conduite au combat ; car, sur ce point aussi, il faut lui rendre
justice. Lors du combat à la suite duquel les généraux me décernèrent le prix de
courage, je n’ai dû mon salut à personne d’autre qu’à cet homme. J’étais blessé,
et il refusa de m’abandonner ; et il réussit à sauver tout à la fois mes armes et
moi-même. Et c’est alors, Socrate, que je recommandai aux généraux de te
décerner le prix de courage ; et là-dessus tu ne pourrais me faire de reproche
ou dire que je mens. Eh bien non, comme les généraux considéraient ma
situation sociale et qu’ils souhaitaient me donner le prix de courage, tu montras
plus d’empressement qu’eux pour ce que ce soit moi qui reçoive ce prix à ta
place. » (p.174)

-Alcibiade, d’après Platon, Le Banquet, GF Flammarion, Paris, 2016 (1998 pour


la première édition), 285 pages.

« Quelqu'un, dans le monde antique, nous a laissé justement l'exemple et le


chemin de [notre] salut [commun]. Il savait que la vie comporte une part
d'ombre et une part de lumière, que l'homme ne pouvait prétendre tout régler,
qu'il fallait lui démontrer sa vanité. Il savait qu'il y a des choses qu'on ne sait
pas et que si l'on prétend tout savoir, alors on finit par tout tuer. Pressentant ce
que devait dire Montaigne: "C'est mettre à bien haut prix ses conjectures que
d'en faire cuire un homme tout vif !" il prêchait dans les rues d'Athènes la valeur
d'ignorance [illisible], afin que l'homme devienne supportable à l'homme. A la
fin, naturellement, on l'a mis à mort. Socrate mort, alors commence la
décadence du monde grec. Et on a tué beaucoup de Socrate en Europe depuis
quelques années. C'est l'indication que seul l'esprit socratique d'indulgence
envers les autres et de rigueur envers soi-même est dangereux en ce moment
pour notre civilisation du meurtre. » -Albert Camus, Le Temps des meurtriers.

« L’incarnation de la philosophie. » -Karl Marx, à propos de Socrate, L’éditorial


du n° 179 de la « Gazette de Cologne », Gazette rhénane n° 191, 193 et 195 des
10, 12 et 14 juillet 1842.

« Socrate, il me faut l'avouer, m'est si proche que je suis constamment en lutte


avec lui. » -Nietzsche en 1875.

« Par la géométrie, je reconnais mon semblable ; et Socrate fit une grande


chose le jour où il proposa le carré et la diagonale, tracée sur le sable, non

51
point à Alcibiade ni à Ménon ni à quelqu'un de ces brillants messieurs, mais à
l'esclave qui portait les manteaux. Ainsi Socrate cherchait son semblable, et
l'appelait dans cette solitude des êtres que la société accomplit. Il formait donc
cette autre société, de ses semblables; il les invitait, il les poursuivait, mais il ne
pouvait les forcer; il ne pouvait ni ne voulait. Celui qui imite par force m'est
aussi étranger qu'un singe; celui qui imite pour plaire ne vaut guère mieux. Ce
qu'attend Socrate, c'est que l'autre soit enfin lui-même, par intérieur
gouvernement, et ne croie personne, et ne flatte personne, attentif seulement à
l'idée universelle. À ce point, ils se reconnaissent et se décrètent égaux. Une
autre société se montre. » -Alain, Saisons de l'esprit, 1937, NRF, Gallimard, p.
229.

« La réaction contre le matérialisme atteignit dans Platon son point culminant ;


le système d’Aristote ensuite combattit les idées matérialistes avec la plus
grande opiniâtreté ; mais l’attaque fut commencée par un des hommes les plus
remarquables dont l’histoire fasse mention, par un homme d’une originalité et
d’une grandeur de caractère étonnantes : l’Athénien Socrate.

Tous les portraits de Socrate nous le représentent comme un homme d’une


grande énergie physique et intellectuelle, fine nature rude, tenace, sévère envers
elle-même, exempte de besoins, courageuse dans la lutte, supportant très bien
les fatigues et même, quand il le fallait, les excès dans les banquets d’amis, en
dépit de sa tempérance habituelle. Son empire sur lui-même n’était pas le calme
naturel d’une âme dans laquelle il n’y a rien à maîtriser, mais la supériorité
d’une grande intelligence sur un tempérament d’une sensualité fougueuse.
Socrate concentra toutes ses facultés, tous ses efforts, toute l’ardeur secrète de
sa pensée, à l’étude d’un petit nombre de points importants. La sincérité qui
l’animait, le zèle qui le dévorait, donnaient à sa parole une merveilleuse
influence. Seul, entre tous les hommes, il pouvait faire rougir Alcibiade ; le
pathétique de ses discours, sans ornements, arrachait des larmes aux auditeurs
impressionnables. Socrate était un apôtre, brûlant du désir de communiquer à
ses concitoyens et, particulièrement à la jeunesse, le feu qui l’embrasait. Son
œuvre lui paraissait sainte et, derrière la malicieuse ironie de sa dialectique, se
dissimulait la conviction énergique qui ne connaît et n’apprécie que les idées,
dont elle est préoccupée. »

« Il part de l’homme pour expliquer le monde, non des lois de la nature pour
expliquer l’homme. Il présuppose, par conséquent, dans les phénomènes de la
52
nature, la même opposition entre les pensées et les actes, entre le plan et
l’exécution matérielle, que nous rencontrons dans notre propre conscience,
Partout nous apercevons une activité semblable à celle de l’homme. Il faut
d’abord qu’il existe un plan, un but ; puis apparaissent la matière et la force qui
doit la mettre en mouvement. On voit ici combien, en réalité, Aristote était
encore socratique avec son opposition de la forme et de la matière, avec sa
prédominance des causes finales. Sans jamais disserter sur la physique, Socrate
a pourtant, au fond, tracé à cette science la voie dans laquelle elle devait
marcher plus tard avec une si persévérante ténacité ! Mais le véritable principe
de sa conception de l’univers est la théologie. Il faut que l’architecte des
mondes soit une personne que l’homme puisse concevoir et se figurer, dût-il ne
pas en comprendre tous les actes. Même cette expression en apparence
impersonnelle : « la raison » a tout fait, reçoit immédiatement son cachet
religieux de l’anthropomorphisme absolu sous lequel est envisagé le travail de
cette raison. Aussi trouvons-nous même chez le Socrate de Platon, — et ce détail
doit être authentique, — les mots raison et Dieu pris souvent comme tout à fait
synonymes. » -Friedrich-Albert Lange, Histoire du matérialisme et de son
importance à notre époque, volume I, 1877.

« C’est parce que Socrate mit tous les esprits à la recherche de la solution du
bonheur qu’il fut déclaré par l’oracle de Delphes le plus sage des hommes. Sa
célèbre devise se rapporte au bonheur : Connais-toi, afin de te conduire et
d’être heureux. L’initiative glorieuse qu’on lui reconnaît, et qui a fait dire que
les écoles philosophiques sortirent de Socrate, n’a pas d’autre origine. » -Pierre
Leroux, Philosophie. — Du Bonheur, Revue des Deux Mondes, Période Initiale,
tome 5, 1836 (pp. 421-482), p.441.

« Il semble que les Athéniens n'aient pas pardonné à Socrate ses fréquentations.
Il est donc fort probable que le véritable fondement de son procès soit son
opposition à la démocratie et ses relations avec des personnages aussi
malfaisants qu'un traître à Athènes comme Alcibiade, et des comploteurs qui
déclenchèrent une guerre civile comme Critias et Charmide. » -Luc Brisson,
Platon, Paris, Cerf, 2017, p. 32.

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53
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1&keywords=Socrate+dissident.+Aux+sources+d%E2%80%99une+%C3%A9t
hique+pour+l%E2%80%99individu-citoyen

Platon (-428 ou -427/-348 ou -347) : « Personne n'est juste volontairement,


mais par contrainte. » -Platon, La République, II.

« L'État, le gouvernement, les lois qui tiennent le premier rang pour l'excellence
sont ceux où l'on pratique le plus strictement, dans toutes les parties de l'État, le
vieux dicton, que tout est véritablement commun entre amis. Si donc il arrive
quelque part à présent, ou s'il doit arriver un jour que les femmes soient
communes, les enfants communs et tous les biens communs, qu'on s'applique par
tous les moyens à retrancher du commerce de la vie ce qu'on appelle la
propriété individuelle, qu'on parvienne à rendre communs en quelque manière
et dans la mesure du possible même les choses que la nature a données en
propre à chaque homme, comme les yeux, les oreilles et les mains, et que tous
les citoyens s'imaginent qu'ils voient, qu'ils entendent, qu'ils agissent en
commun, qu'ils soient, autant qu'il se peut, unanimes à louer ou blâmer les
mêmes choses, d qu'ils se réjouissent ou s'affligent pour les mêmes motifs, enfin
que les lois établissent dans l'État la plus parfaite unité qui se puisse réaliser,
jamais personne ne posera de règle plus juste et meilleure que celle-là pour
atteindre le plus haut degré de vertu. Dans une telle cité, qu'elle soit habitée par
des dieux ou des enfants de dieux qui soient plusieurs ensemble, ils passeront
leur existence dans la joie. C'est pourquoi il ne faut point chercher ailleurs un
modèle de gouvernement, mais s'attacher à celui-là, et chercher par tous les
moyens à réaliser celui qui lui ressemblera le plus. » -Platon, Les Lois, V, 10.

« [Il faut] extirper de la vie entière de tout homme, l'indépendance. »

« Qu'il ne soit permis en aucune manière à tout citoyen au-dessous de quarante


ans de voyager à l'étranger, quelque part que ce soit, et qu'aucun n'ait le droit
de voyager à titre privé, mais seulement au nom de l'État, en qualité de héraut,
d'ambassadeur ou de délégué aux fêtes de la Grèce. » -Platon, Lois, XII.

« Le Dieu a fait l’âme avant le corps et supérieure au corps en âge et en vertu. »


-Platon, Timée.

54
« À moins que, dis-je, les philosophes n'arrivent à régner dans les cités, ou à
moins que ceux qui à présent sont appelés rois et dynastes ne philosophent de
manière authentique et satisfaisante et que viennent à coïncider l'un avec l'autre
pouvoir politique et philosophie ; à moins que les naturels nombreux de ceux
qui à présent se tournent séparément vers l'un ou vers l'autre n'en soient
empêchés de force, il n'y aura pas, mon ami Glaucon, de terme aux maux des
cités ni, il me semble, à ceux du genre humain. Et d'ici que cela se produise,
cette constitution politique que nous avons exposée dans le dialogue que nous
entretenons maintenant ne pourra jamais se développer pleinement, ni voir la
lumière du soleil. C'est justement cela qui suscite en moi depuis longtemps une
hésitation à parler, puisque je vois bien à quel point ce discours ira contre
l'opinion. » -Platon, La République, V.

« [Les hommes] prennent pour des objets réels les ombres qu'ils voient. »

-Platon, La République, VII.

« L’âme du philosophe méprise profondément le corps, le fuit et cherche à


s’isoler en elle-même. »

« [C'est] à ce but que les vrais philosophes, et eux seuls, aspirent ardemment et
constamment ... [le philosophe] s’entraîne à vivre dans un état aussi voisin que
possible de la mort. » -Platon, Phédon.

« Le plus sage des hommes, [Platon] comprit sans mal que la seule et unique
voie vers le bien-être de tous résidait dans l’absolue égalité des biens. Je doute
que cette égalité puisse être atteinte là où la propriété est entre les mains des
individus. » -Thomas More, L'Utopie.

« Avant de s’attacher à Socrate, Platon avait étudié la philosophie d’Héraclite ;


il y avait appris qu’il n’existe pas d’être constamment en repos, mais qu’au
contraire, toutes choses sont entraînées par un courant perpétuel. Croyant
ensuite trouver dans les définitions de Socrate et dans l’essence générale, des
choses exprimées par ces définitions une certaine stabilité, il combina les
doctrines des deux philosophes et il n’attribua le repos, la stabilité inséparables
de l’être véritable, qu’aux seules généralités. Quant aux choses individuelles,
elles ne sont pas, à proprement parler, elles deviennent seulement. Les
phénomènes s’écoulent sans avoir d’essence ; l’être véritable est éternel. »

55
« Platon, en opposant comme stables les idées générales au monde fugitif des
phénomènes, se vit plus tard entraîné à la faute grave d’attribuer une existence
distincte au général qu’il avait séparé du particulier. Le beau n’existe pas
seulement dans les belles choses, le bien n’existe pas seulement dans les
hommes de bien ; mais le beau, le bien, pris abstractivement, sont des êtres,
existant par eux-mêmes. » -Friedrich-Albert Lange, Histoire du matérialisme et
de son importance à notre époque, volume I, 1877.

« L'apolitisme croissant des philosophes après la mort de Socrate, leur exigence


d'être libérés des activités politiques et leur insistance à accomplir un
athanatizein [immortalisation] non pratique, purement théorique, hors de la
sphère de la vie politique, avait des causes philosophiques aussi bien que
politiques, mais parmi les causes politiques se trouvait certainement le déclin
croissant de la vie de la polis qui rendait de plus en plus douteuse la
permanence même de ce corps politique particulier, pour ne pas parler de son
immortalité. » -Hannah Arendt, Le concept d'Histoire: antique et moderne, in La
Crise de la Culture. Huit exercices de pensée politique, 1961, repris dans
Hannah Arendt. L'Humaine Condition, Gallimard, coll. Quarto, 2012, 1050
pages, p.655.

« Platon s'efforça bien d'influencer une société réelle en devenant conseiller de


Denys, puis de Dion de Syracuse. Cependant, dans les deux cas, c'est par une
influence directe sur le tyran, et non en tentant de convaincre des citoyens, qu'il
essaya de modeler la société en cause. Ses tentatives pour fonder sa République
dans l'univers temporel et pas seulement dans le monde des idées échouèrent à
ces deux occasions. » -Madsen Pirie, La Micropolitique. Comment faire une
politique qui gagne, p.61.

« [Pour Aristote] Il n’y a pas plusieurs âmes chez le même individu


(contrairement à ce que suggérait, par exemple, Platon, Timée, 69 C ;
République, IV, 439 D ou Phèdre, 246 A), parce que l’âme est simple (comme
[Platon] le suggérait dans le Phédon, 78 C) et ne comporte pas de parties
étendues, localisables comme des grandeurs, mais seulement des parties au sens
de capacités ou de fonctions. » -Richard Bodéüs, notes sur le traité De l’âme
d’Aristote, Gallimard, coll. Flammarion, 1993, 292 pages, note 1 p. 80.

« Aristoxène (Souvenirs historiques) dit que Platon voulut brûler tous les
ouvrages de Démocrite qu’il pouvait trouver, mais qu’il en fut empêché par

56
Amyclas et Clinias, disciples de Pythagore, qui lui dirent que ce serait un acte
inutile, puisque quantité de gens possédaient déjà ces livres. Cette tradition est
exacte, car Platon, qui a cité tous les philosophes anciens, n’a parlé nulle part
de Démocrite, même là où il aurait eu occasion de le contredire, car il savait
bien qu’il s’attaquerait alors au meilleur de tous les philosophes. » -Diogène
Laërce, Vie des philosophes illustres, Démocrite.

« Personne ne saurait dire jusqu’à quelles couches profondes de l’humanité


d’Occident ont pénétré les conceptions platoniciennes. L’homme le plus simple
use couramment d’expressions et de notions qui remontent à Platon. » -José
Ortéga y Gasset.

« La philosophie occidentale n’est qu’une série de FuBnoten aux dialogues de


Platon. » -Whitehead, Process and Reality, The Mac Millan Co, 1929, p.63.

« Whitehead a dit: "La philosophie se résume à des notes au bas de Platon".


Pour moi, c'est le contraire: la philosophie se résume à tout ce qui réfute le
platonisme » -Clément Rosset.

« Tout le monde, même s'il ne le sait pas, réfléchit en termes platoniciens. »

-Cornelius Castoriadis, La montée de l'insignifiance, Entretien avec Olivier


Morel le 18 juin 1993, diffusé par Radio Plurielle et publié dans La République
internationale des lettres, juin 1994, repris dans La montée de l'insignifiance,
1996, p.101.

« Platon a […] annoncé clairement la déroute du Marxisme. » -Ada Neschke-


Hentschke, « Platon, penseur de la liberté effective. Les utopies modernes et le
réalisme platonicien », Études platoniciennes, 9 | 2012, 83-104.

« Platon n’hésitait pas à envisager la corruption et la dissolution complète de la


belle Polis dont certains lecteurs, encore une fois, préfèrent oublier qu’elle
reposait quand même sur l’eugénisme le plus strict, sur l’élimination des
mauvais, sur les mariages truqués et sur la soumission des producteurs. » -
François Loiret, Dijon, 2014, site de l’auteur.

"En quelques lignes [du Gorgias], Platon met en présence toutes les catégories
que l'on retrouve à longueur de lecture des textes de philosophie morale. On
peut citer pêle-mêle l’utilité, le désir, la distinction entre bien et plaisir, la
réalité d’une fin antécédente à l’agir, la rétribution et la peine pour l’agir bon

57
et mauvais, la possibilité de la conceptualisation du bien moral et donc
l'existence d’une science morale, quelles qu’en soient l'origine et la spécificité
par ailleurs." (p.21)

"Seulement, ce raisonnement de Platon est insuffisant à répondre aux objections


crânes et outrancières de Calliclès. Certes, on comprend la logique d’une
pensée qui cherche à intégrer la considération des plaisirs personnels dans
celle, plus large, de la relation aux autres hommes et aux êtres supérieurs, par
la justice et la piété, mais le dialogue pour convaincre Calliclès en reste au
niveau de la justice post-mortem qui sépare les âmes bonnes des âmes
mauvaises, sans donner la raison qui permet de comprendre ce qui fonde dans
l’action humaine prise dans sa radicale immanence, la distinction entre bons et
mauvais plaisirs. L’invocation des normes faites par Platon, qui implique l'acte
dans une harmonie générale et lui donne une lisibilité, devient nécessaire à ce
moment de la réflexion, mais elle ne permet pas de répondre au niveau où
Calliclès place le débat. Sans nier la valeur de ce raisonnement, il faut avouer
que réduire à néant l’argumentation de Calliclès de cette façon, c’est tout
simplement ignorer le problème qu’elle nous pose." (p.24)

"C’est bien parce que l’action est mauvaise qu’elle nous conduit à la
condamnation dans l’autre monde, et non parce que l’action est condamnable a
posteriori qu’elle est mauvaise. Sans doute le recours aux idées peut-il sauver
une telle conception du bien et c’est là justement l’un des axes de la discussion
que nous entamons. La critique principal que nous adressons à cette vision des
choses, c’est qu'elle ne montre pas la relation entre l'harmonie rationnelle et le
bonheur. Seul le recours à un ordre divin, plus idéal que cosmique d'ailleurs,
permet à Platon de sortir la tête haute de ce combat, mais c’est en
ayant abandonné le terrain du monde des hommes aux appétits des Calliclès de
toute espèce. Cette vision du monde moral espère une justice de rétribution
comme Kant en espérera une à son tour. Ce dernier ayant banni la quête du
bonheur individuel du champ immédiat des maximes morales, espère qu'un Dieu
–postulé par une raison morale incertaine spéculativement de l’existence de ce
suprême juge– sera au ciel pour apporter la récompense des actes vertueux..."
(p.25)
-Renaud de Sainte Marie. Élaboration d’une éthique téléologique. Philosophie.
Université de Lorraine,2014. Français. NNT: 2014LORR0327�. �tel-01751952

58
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-5

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59
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http://www.amazon.fr/Trouble-odre-chez-platon-
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https://www.amazon.fr/Platonisme-politique-th%C3%A9orie-droit-
naturel/dp/9068317687/ref=sr_1_4?s=english-
books&ie=UTF8&qid=1463497180&sr=1-4&keywords=A.+Neschke

60
Alcibiade (-450/-404): « Ébranler la nation pour raffermir le trône ; savoir
susciter une guerre ; ce fut le conseil d’Alcibiade à Périclès. » -Denis Diderot,
Principes de politique des souverains (1774).

« Avec Alcibiade, l’irrationnel fait son entrée dans la politique et dans la


conduite de la guerre. » -Emmanuel Golfin, « Thucydide et Anaxagore ou une
origine philosophique à la pensée de l'historien ? », Dialogues d'histoire
ancienne 2/2007 (33/2) , p. 35-56.

http://www.amazon.fr/Sacril%C3%A8ges-trahisons-Ath%C3%A8nes-Claude-
Moss%C3%A9/dp/2035836964/ref=sr_1_71?s=books&ie=UTF8&qid=1445176
299&sr=1-71&keywords=trahison

http://www.le sbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100395450

Xénophon (-430/-355) : « Que celui qui aime la vie tâche de vaincre, car le
vainqueur tue, le vaincu est tué. » -Xénophon, Anabase.

http://hydra.forumactif.org/t1442-xenophon-oeuvres-
completes?highlight=X%C3%A9nophon

http://www.amazon.fr/OEuvres-Compl%C3%A8tes-LEconomique-
R%C3%A9publique-
Lac%C3%A9d%C3%A9moniens/dp/B005H52HNG/ref=sr_1_11?ie=UTF8&qi
d=1450271801&sr=8-11&keywords=x%C3%A9nophon+%C3%A9conomique

https://www.amazon.fr/M%C3%A9morables-
X%C3%A9nophon/dp/2251200517/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1473889525&sr
=8-1&keywords=x%C3%A9nophon+m%C3%A9morables

http://www.amazon.fr/tyrannie-Tyrannie-sagesse-dAlexandre-
X%C3%A9nophon/dp/2070258866/ref=sr_1_23?ie=UTF8&qid=1444500476&
sr=8-23&keywords=X%C3%A9nophon

http://www.amazon.fr/X%C3%A9nophon-rh%C3%A9torique-Pierre-
Pontier/dp/2840509245/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1450272382&sr=8-
1&keywords=pierre+pontier

http://www.amazon.fr/LAutre-Socrate-%C3%89tudes-socratiques-
X%C3%A9nophon/dp/2251420495/ref=sr_1_9?s=books&ie=UTF8&qid=14519
42377&sr=1-9&keywords=X%C3%A9nophon+et+Socrate
61
Aristote (-382/-322): « Il semble d’un philosophe de ne rien dire par conjecture
et sans raison. » -Aristote, Éthique à Eudème.

« C'est, en effet, l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers


penseurs aux spéculations philosophiques. » -Aristote, Métaphysique Livre A, I,
1.

« D'ailleurs il serait absurde de croire que les choses [de la nature] se


produisent sans but, parce qu'on ne verrait pas le moteur délibérer son action. »
-Aristote, Physique, II, 8.

« On prend fort peu de soin de ce qui est commun à un très grand nombre: les
individus en effet s'occupent principalement de ce qui leur est propre et moins
de ce qui est commun, ou seulement dans la mesure où chacun est concerné. Et
outre ces différents raisons, on néglige plus ce qui est commun parce qu'on a
l'impression que quelqu'un d'autre d'en s'occupe, comme c'est le cas dans les
travaux domestiques où les serviteurs font parfois moins bien leur travail quand
ils sont en grand nombre qu'en nombre plus réduit. C'est donc mille fils
qu'acquiert chaque citoyen, et ils ne sont pas à lui individuellement, mais le
premier enfant venu est également le fils du premier venu, de sorte que tous les
parents négligeront également tous les enfants. » -Aristote, Les Politiques, Livre
II, trad. Pierre Pellegrin, Paris, GF-Flammarion, 2015, 591 pages, p.158.

« Au fond des victoires d'Alexandre, on retrouve toujours Aristote. » -Charles de


Gaulle, Vers l’armée de métier, 1934, p.239.

« Le maître de ceux qui savent. » -Dante, La divine comédie, in Œuvres


complètes, Paris, nrf, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, vers 131,
p. 905.

« Si on en élimine tout ce qui est venu de la poésie, de la religion, de la vie


sociale, comme aussi d’une physique et d’une biologie assez rudimentaires, si
l’on fait abstraction des matériaux friables qui entrent dans la construction de
cet immense édifice, une charpente solide demeure. Et cette charpente dessine
les grandes lignes d’une métaphysique qui est, croyons-nous, la métaphysique
naturelle de l’intelligence humaine. » -Henri Bergson, L’Évolution créatrice.

« La seule philosophie issue des Lumières qui a tenté de créer un système


philosophique total pouvant rivaliser avec l'aristotélisme chrétien a été le
marxisme (Marx avait prévu une série de conférences sur Aristote avant
62
d'abandonner l'université pour devenir journaliste, et il appelait Aristote "le
grand investigateur"). » -Jules Evans.

« A la mort de Platon, en 348-7, Aristote quitta Athènes ; il enseigna pendant


trois ans dans le petit port d’Assos en Asie mineure, puis pendant deux ans à
Mytilène, dans l’île de Lesbos. Ces cinq années d’enseignement (348-7 à 343-2)
comptent parmi les plus fécondes de la vie d’Aristote, alors dans toute la force
de l’âge (de 37 à 42 ans), mais elles marquent aussi un tournant dans le
caractère de son activité : jusque-là, Aristote avait été un brillant écrivain ; il
vulgarisait, en des écrits parés de toutes les grâces du style à la mode, les idées
de l’Académie ; désormais, il sera un chercheur et un professeur et n’écrira plus
que des recueils de faits et des cours où il exprimera, sous une forme technique
et le plus souvent sans recherche de style, ses idées personnelles. » - René-
Antoine Gauthier, La morale d'Aristote, PUF.

« Les deux particularités de la forme équivalent, examinées en dernier lieu,


deviennent encore plus faciles à saisir, si nous remontons au grand penseur qui
a analysé le premier la forme valeur, ainsi que tant d'autres formes, soit de la
pensée, soit de la société, soit de la nature : nous avons nommé Aristote.

D'abord Aristote exprime clairement que la forme argent de la marchandise


n'est que l'aspect développé de la forme valeur simple, c'est à dire de
l'expression de la valeur d'une marchandise dans une autre marchandise
quelconque, car il dit :

« 5 lits = 1 maison » [...] « ne diffère pas » de :

« 5 lits = tant et tant d'argent » [...].

Il voit de plus que le rapport de valeur qui confient cette expression de valeur
suppose, de son côté, que la maison est déclarée égale au lit au point de vue de
la qualité, et que ces objets, sensiblement différents, ne pourraient se comparer
entre eux comme des grandeurs commensurables sans cette égalité d'essence. «
L'échange, dit-il, ne peut avoir lieu sans l'égalité, ni l'égalité sans la
commensurabilité » [...]. Mais ici il hésite et renonce à l'analyse de la forme
valeur. « Il est, ajoute-t-il, impossible en vérité [...] que des choses si
dissemblables soient commensurables entre elles », c'est-à-dire de qualité égale.
L'affirmation de leur égalité ne peut être que contraire à la nature des choses ;
« on y a seulement recours pour le besoin pratique ».

63
Ainsi, Aristote nous dit lui-même où son analyse vient échouer, — contre
l'insuffisance de son concept de valeur. Quel est le « je ne sais quoi » d’égal,
c'est-à-dire la substance commune que représente la maison pour le lit dans
l'expression de la valeur de ce dernier ? «Pareille chose, dit Aristote, ne peut en
vérité exister. » Pourquoi ? La maison représente vis-à-vis du lit quelque chose
d'égal, en tant qu’elle représente ce qu'il y a de réellement égal dans tous les
deux. Quoi donc ? Le travail humain.

Ce qui empêchait Aristote de lire dans la forme valeur des marchandises, que
tous les travaux sont exprimés ici comme travail humain indistinct et par
conséquent égaux, c'est que la société grecque reposait sur le travail des
esclaves et avait pour base naturelle l'inégalité des hommes et de leurs forces de
travail. Le secret de l'expression de la valeur, l'égalité et l'équivalence de tous
les travaux, parce que et en tant qu'ils sont du travail humain, ne peut être
déchiffré que lorsque l'idée de l'égalité humaine a déjà acquis la ténacité d'un
préjugé populaire. Mais cela n'a lieu que dans une société où la forme
marchandise est devenue la forme générale des produits du travail, où, par
conséquent, le rapport des hommes entre eux comme producteurs et échangistes
de marchandises est le rapport social dominant. Ce qui montre le génie
d'Aristote c'est qu'il a découvert dans l'expression de la valeur des
marchandises un rapport d'égalité. L'état particulier de la société dans laquelle
il vivait l'a seul empêché de trouver quel était le contenu réel de ce rapport. »

« Aristote, le plus grand penseur de l’Antiquité. » -Karl Marx, Le Capital, Livre


I, 1867.

« La suite du développement des mathématiques et de la mécanique n'aurait pas


été possible sans une notation employant des variables, comme Aristote l'avait
démontré le premier dans les Analytiques. Bien qu'Aristote ait été beaucoup
décrié, la science a envers lui une dette considérable. » -Maurice Cornforth,
L'idéologie anglaise. De l'empirisme au positivisme logique, Éditions Delga,
2010 (traduction de la première partie de Marxism and the Linguistic
Philosophy, 1965 pour la première édition anglaise), 221 pages, p.114.

"There's only one philosopher whose influence i admit -and proudly- and that is
Aristotle." -Ayn Rand, Answers, New American Library, 2005, 241 pages,
p.163.

64
"Aristotle's philosophy was the intellect's Declaration of Independance.
Aristotle, the father of logic, should be given the title of the world's first
intellectual, in the purest and noblest sense of that word. No matter what
remnants of Platonism did exist in Aristotle's system, his incomparable
achievement lay in the fact that he defined the basic principles of a rational view
of existence and of man's consciousness: that there is only one reality, the one
which man perceives -that it exists as an objective absolute (which means:
independently of the consciousness, the wishes or the feeling of any perceiver) -
that the task of man's consciousness is to perceive, not to create, reality -that
abstractions are man's method of integrating his sensory material -that man's
mind is his only tool of knowledge -that A is A.
If we consider the fact that to this day everything that make us civilized beings,
every rational value that we possess -including the birth of science, the
industrial revolution, the creation of the United States, even the structure of our
language- us the result of Aristotle's influence, of the degree to which, explicitly
or implicitly, men accepted his epistemological principles, we would have to
say: never have so many owed so much to one man." -Ayn Rand, For the new
intellectual, Signet, 1963 (1961 pour la première édition américaine), 216 pages,
p.17-18.

“Aristote pensait en fait que les êtres humains étaient libres en un sens absolu. »
-Bernard Williams, L'Éthique et les limites de la philosophie, Gallimard, nrf
essais, 1990 (1985 pour la première édition britannique), 243 pages, p.47.

« L’art de la guerre est un art naturel d’acquisition, car l’art de la chasse est
une partie de cet [art] : nous devons y avoir recours à l’égard des bêtes et de
ceux des hommes qui étant nés pour être commandés n’y consentent pas, parce
que cette guerre-là est juste par nature.

Ainsi y-a-t-il une espèce de l’art d’acquérir qui naturellement est une partie de
l’administration familiale : elle doit tenir à la disposition de ceux qui
administrent la maison, ou leur donner les moyens de se procurer les biens qu’il
faut mettre en réserve, et qui sont indispensables à la vie, et avantageux à une
communauté politique ou familiale. Et il semble que ce soit de ces biens-là
qu’on tire la véritable richesse, car la [quantité] suffisante d’une telle propriété
en vue d’une vie heureuse n’est pas illimitée comme Solon le prétend dans son
poème : « Pour la richesse aucun terme n’a été donné aux hommes ». »

65
-Aristote, Politiques, Livre I, chapitre 8.

« C'est en opposition à la vie politique absorbante du citoyen à part entière


ordinaire de la polis grecque que les philosophes, Aristote, en particulier,
établirent leur idéal de la skholè, du loisir, qui dans l'Antiquité ne signifia
jamais: affranchissement du travail courant, ce qui de toute façon allait de soi,
mais: affranchissement de l'activité politique et des affaires de l'Etat.
Dans la société idéale de Marx, ces deux concepts différents sont étroitement
conjoints: la société sans classes et sans Etat réalise d'une certaine façon le
statut général du loisir dans l'Antiquité, loisir par rapport au travail et, en
même temps, loisir par rapport à la politique. Cela doit se produire quand l'
"administration des choses" aura remplacé le gouvernement et l'action
politique. Ce double loisir par rapport au travail aussi bien que par rapport à la
politique a été pour les philosophes la condition d'un bios théôrètikos, d'une vie
consacrée à la philosophie et à la connaissance au sens le plus large du mot. »

-Hannah Arendt, La Tradition et l'âge moderne, in La Crise de la Culture. Huit


exercices de pensée politique, 1961, repris dans Hannah Arendt. L'Humaine
Condition, Gallimard, coll. Quarto, 2012, 1050 pages, p.607.

« Selon le paradigme aristotélicien, l'oikos reste quoi qu'il arrive une structure
essentiellement "monarchique". » -Giorgio Agamben, Le Règne et la Gloire.
Pour une généalogie théologique de l'économie et du gouvernement. Homo
Sacer, II, 2. Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », septembre 2008
(2007 pour la première édition italienne), 443 pages, p. 78.

« La métaphysique aristotélicienne semble matérialiste : la matière sous-jacente


à toute réalité naturelle est éternelle et incréée. Pourtant, une matière sans
forme n'existe pas. » -Denis Collin et Marie-Pierre Frondziak, La Force de la
Morale. Comment nous devenons humains, R&N Éditions, 2020, 311 pages,
p.42.

« Tout mouvement suppose un moteur. Mais, de moteur en moteur, il faut


s’arrêter à un moteur premier, possédant toutes les perfections, c’est-à-dire qui
soit acte pur, sans aucun mélange de puissance ou de matière, et, par suite,
immuable. Ce moteur immobile, c’est Dieu. Quant à sa nature, Dieu est
l’activité sous sa forme la plus haute qui est la pensée. Etant acte pur, cette
pensée ne peut penser qu’un objet infini qui est elle-même. Par suite, il semble
que, pour Aristote, Dieu ne connaît pas le monde et n’est pas Providence. Et s’il
66
meut le monde, c’est sans le savoir et ni le vouloir. » -Jacques Mantoy, Précis
d'histoire de la philosophie, Paris, Éditions de l'École, 1965, 124 pages, p. 25.

« Sur un nom, en somme, la toute grosse majorité tombe d'accord : c'est le


bonheur, en effet, disent et la masse et les personnes de marque. Au reste, avoir
une vie de qualité ou réussir, c'est la même chose, dans leurs conceptions,
qu'être heureux. Mais le bonheur, qu'est-ce que c'est ? On entre dans la
controverse et la masse n'apporte pas une réponse pareille à celle des sages. »

-Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 2.

« Est final, disons-nous, le bien digne de poursuite en lui-même, plutôt que le


bien poursuivi en raison d'un autre ; de même, celui qui n'est jamais objet de
choix en raison d'un autre, plutôt que les biens dignes de choix et en eux-mêmes
et en raison d'un autre ; et donc, est simplement final le bien digne de choix en
lui-même en permanence et jamais en raison d'un autre. Or ce genre de bien,
c'est dans le bonheur surtout qu'il consiste, semble-t-il. Nous le voulons, en effet,
toujours en raison de lui-même et jamais en raison d'autre chose.

L'honneur en revanche, le plaisir, l'intelligence et n'importe quelle vertu, nous


les voulons certes aussi en raison d'eux-mêmes (car rien n'en résulterait-il, nous
voudrions chacun d'entre eux), mais nous les voulons encore dans l'optique du
bonheur, dans l'idée que, par leur truchement, nous pouvons être heureux,
tandis que le bonheur, nul ne le veut en considération de ces biens-là, ni
globalement, en raison d'autre chose. […]

Donc, le bonheur paraît quelque chose de final et d'autosuffisant, étant la fin de


tout ce qu'on peut exécuter. » -Aristote, Éthique à Nicomaque, I, 5, trad. R.
Bodéüs, Paris, Flammarion, 2004, p. 67-68.

« Selon Aristote, ce qui différencie l'homme par rapport à la plante ou l'animal


non-humain, son propre, c'est sa raison, et la manière dont il peut la convoquer
pour agir. Si l'homme possède une faculté en propre, alors c'est sans doute dans
son meilleur usage que réside son bonheur le plus spécifique. » -Olivier Renaut,
L’éthique ancienne.

« Selon l'Éthique à Nicomaque, le suicidé ne faisait tort ni à lui-même ni à


aucune autre personne, mais il faisait tort à la polis, au bien public. » -Ernst
Kantorowicz, Les deux corps du Roi. Essai sur la théologie politique au Moyen
Age, in Œuvres, Gallimard, coll. Quarto, 2000, 1369 pages, pp.643-1222, p.839.
67
« [Pour Aristote] Il n’y a pas plusieurs âmes chez le même individu
(contrairement à ce que suggérait, par exemple, Platon, Timée, 69 C ;
République, IV, 439 D ou Phèdre, 246 A), parce que l’âme est simple (comme
[Platon] le suggérait dans le Phédon, 78 C) et ne comporte pas de parties
étendues, localisables comme des grandeurs, mais seulement des parties au sens
de capacités ou de fonctions. » -Richard Bodéüs, notes sur le traité De l’âme
d’Aristote, Gallimard, coll. Flammarion, 1993, 292 pages, note 1 p. 80.

« Nous pensons qu’il y a une continuité d’Aristote aux développements les plus
récents de la métaphysique analytique, ce qui est confirmé par le renouveau
extraordinaire des études aristotéliciennes dans les vingt dernières années. »
(p.103)

« Aristote est extrêmement discret sur la forme que prend l’expérience du divin
[…] et il se pourrait qu’il adhère à l’idée d’une expérience spécifiquement
philosophique qui ne prendrait pas les formes traditionnelles (comme
l’initiation ou les mystères) que par ailleurs il n’éprouve pas le besoin de
critiquer. La position d’Aristote sur la théologie (qui est chez les Grecs l’affaire
des poètes –Hésiode, Homère…-) est complexe. Il rejette certains aspects
zoomorphes ou anthropomorphes des dieux, mais reconnaît l’existence de ceux-
ci, épurés jusqu’à être simplement des vivants immortels, jouissant de la félicité
[…]. Il admet la bienveillance gracieuse des dieux. Il reconnaît même aux
mythes une fonction politique ou éthique fondatrice et estime que la sagesse
ancienne est liée nécessairement à des mythes, qu’il refuse cependant de
justifier par la science ou même d’interpréter en détail, comme certains
philosophes grecs plus tardifs, à l’instar de Platon. » (p.241-242)

« La métaphysique aristotélicienne est plurielle ; elle est une archéologie


(science des principes ultimes des sciences), une ontologie (science de l’être en
tant qu’être), une ousialogie (science de la substance), une hénologie (une
science de l’un). […] La conclusion de notre examen de l’hypothèse
[heideggérienne] d’une constitution onto-théo-logique a été que rien ne la
vérifie, à moins d’en faire une hypothèse triviale qui asserterait la présence chez
Aristote d’une ontologie et d’une théologie, ce qui est le cas. […] L’existence
d’une théologie aristotélicienne ne saurait cependant à elle seule valider
l’hypothèse en question. Il faudrait que cette théologie se substitue à l’ontologie,
l’asservisse, etc., ce qui n’est pas le cas. Aristote est en particulier très soigneux

68
pour distinguer la pensée ontologique de l’être en tant qu’être et la pensée de la
substance immatérielle séparée. » (p.254-255)

« L’idéal aristotélicien […] est une vie mixte, à la fois politique et


intellectuelle. » (p.312)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,


2004, 1062 pages.

« Aristote vient non seulement après les Lumières, mais après la plus formidable
réaction contre les Lumières, organisée par le plus grand philosophe qui ait
jamais existé, Platon. » -Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, Seuil, coll.
Points, 1997, 336 pages, p.25.

« [Pour Aristote] le droit naturel est une dimension substantielle de l'être parce
que la nature (Physis) a, par soi, c'est-à-dire, indépendamment de toute espèce
de convention (Nomos), la dimension et la vocation d'une norme. » -Simone
Goyard-Fabre, Les embarras philosophiques du droit naturel, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, coll. Histoire des idées et des doctrines, 2002, p.29.

« [La Politique] est resté pratiquement inconnu pendant des siècles, et cela dès
la mort d’Aristote. » -Pierre Thillet, Aristote conseiller politique d'Alexandre
vainqueur des Perses ?, Revue des Études Grecques, Année 1972 85-406-408
pp. 527-542 p.535.

« La source philosophique majeure du républicanisme se trouve […] chez


Aristote (384-322 av. j.-C.), qui anticipe la philosophie de la république en
distinguant, dans La Politique (Politika), les régimes qui visent le « bien
commun » et ceux qui sont au service du « bien particulier » des gouvernants. »
(pp.7-8 )

« Il y a trois formes « bonnes » de constitutions : la monarchie, l’aristocratie et


la politeia (ce qu'on a souvent traduit, en italien, français ou allemand, par «
république », ou « gouvernement constitutionnel », comme régime « droit » de
la majorité). Et il y aussi trois formes « mauvaises » : la tyrannie, l'oligarchie et
la démocratie. Les interprètes et traducteurs ont souvent été intrigués par le fait
qu'Aristote utilise volontairement le même mot, politeia, pour désigner à la fois
les diverses constitutions et la constitution « droite » du plus grand nombre.
Certains ont jugé prudent de garder le mot grec, tout en précisant qu'il s'agissait
de « l'authentique forme de gouvernement républicain ». Déjà au temps de la
69
Renaissance italienne, on traduit parfois politeia chez Aristote par « république
». » (p.9)

-Serge Audier, Les théories de la république, Paris, Éditions La Découverte,


coll. Repères, 2015 (2004 pour la première édition), 125 pages.

« In no other period of the history of philosophy, as far as we know, have so


many commentaries on works by Aristotle been written (both per year and in
total) as in the Renaissance. Even on the incomplete basis of Lohr's first version
of his catalogue of Renaissance Latin Aristotle Commentaries Richard Blum has
counted 6653 such commentaries for the period 1500 to 1650.” -Heinrichl
Kuhn, « Aristotelianism in the Renaissance », Stanford Encyclopedia of
Philosophy, 2005.

« Aristote [dans son analyse de la tyrannie dans Les Politiques] semble


anticiper la méthode de Machiavel […] il nous offre du même coup une clef
pour interpréter la philosophie politique de ce dernier. En appliquant à
Machiavel une méthode de lecture semblable à celle que nous venons d’utiliser
pour Aristote, le machiavélisme pourrait se configurer comme une philosophie
morale que son auteur a dissimulée, par un artifice rhétorique, sous le faux-
semblant d’une pédagogie à l’intention du tyran le plus pervers. » -Mario
Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, PUF, coll.
Fondements de la politique, 2001, 1044 pages, p.95.

« Ce qui domine l'œuvre aristotélicienne, c'est la quête de la vérité que vivent


tous les esprits depuis qu'à Milet la philosophie s'est dégagée de la pensée
mythique, afin de découvrir l'intelligibilité d'un monde globalement soumis au
devenir. Or, pour Aristote comme pour Platon, il n'y a de science que de
l'immuable. Dans la conception du Stagirite, l'unité de la forme constitue la
condition de possibilité ultime d'un savoir vrai dans un monde changeant. En
somme, dans cette difficile intrication de la matière et de la forme, deux
problèmes se posent. D'une part, il s'agit de sauver l'intelligibilité du monde ;
d'autre part, il faut comprendre la multiplicité des individus dans l'espèce.
L'intelligibilité du monde repose sur l'unité des formes. La solution du premier
problème impose par voie de conséquence celle du second. Puisque la forme est
éternelle et une, la matière seule peut être principe d'individuation. Seule, en
effet, la matière est nombrable [...] La matière intelligible individualise les
substances mathématiques parce qu'elle offre à l'esprit la possibilité de leur

70
attribuer une position déterminée dans l'espace. La matière sensible
individualise les substances concrètes, c'est-à-dire composées, en deux sens: en
premier lieu, elle fixe leurs coordonnées spatiales et temporelles ; en second
lieu, elle permet l'inhérence des accidents individuels [...] dans la substance.
C'est précisément à ce stade que se pose un nouveau problème d'intelligibilité.
La matière première est inconnaissable. La matière sensible est seulement
connaissable dans sa frange universelle. Mais la matière sensible
individualisante n'est pas objet de science puisqu'elle est seulement le support
d'inhérence des accidents individuels qui sont purement contingents. Et
l'individu ne peut pas être connu non plus par la totalité de ses prédicats. Or,
Aristote ne cesse de le répéter, il n'y a de science que de l'universel et du
nécessaire. L'aporie est inévitable: ontologiquement premier, l'individu
représente dans le système aristotélicien, l'horizon de non-intelligibilité. "Et la
raison pour laquelle des substances sensibles individuelles il n'y a ni définition
ni démonstration, c'est que ces substances ont une matière dont la nature est de
pouvoir et être et n'être pas ; et c'est pourquoi toutes celles qui parmi les
substances sensibles sont individuelles, sont corruptibles" [Aristote,
Métaphysique, 1039b 28-30]. Le cercle est bouclé autour du dilemme qui
constitue l'enjeu décisif de tout l'édifice aristotélicien. L'incarnation de la forme
dans la matière permet d'échapper aux contradictions platoniciennes. Elle
autorise également l'introduction d'un élément de permanence dans le devenir,
ce qui rend pensable le changement substantiel et sauve l'intelligibilité même du
monde. Ces succès spéculatifs ont cependant leur tribut et ce prix prend chez
Aristote un tour paradoxal: la prééminence ontologique de l'individu qui avait
permis de résoudre les plus hautes problèmes spéculatifs, dont l'intelligibilité du
changement substantiel est, dans la mise en place de toute l'édifice conceptuel,
devenue l'énigme la plus profonde la métaphysique. » -Phillipe Caspar, Le
problème de l'individu chez Aristote, Revue Philosophique de Louvain, Année
1986, 62, pp. 173-186, p.179-180.

"Aristote déclare que la poésie est plus philosophique que l'histoire. La poésie
ramasse l'action, effectue un remembrement des événements en tant qu'ils ont
une fin commune ; ainsi elle échappe au disparate auquel est vouée l'histoire.
Ce rapprochement est légitimité par un passage du chapitre 23 où Aristote,
rappelant la nécessité pour le mythe de tourner au resserrement dramatique
comme dans les tragédies, pose que ces "synthèses" doivent différer des récits
historiques, lesquels ne se centrent pas sur une seule action, mais visent
71
simplement "un temps identique". L"histoire écrit des "chroniques", c'est-à-dire
que l'unité qu'elle est capable de fournir est seulement celle du temps, à
l'intérieur duquel les événements peuvent très bien se produire sans lien,
puisque le voisinage chronologique n'implique pas forcément la relation
causale, ou la communauté téléologique. [...] Le rassemblement organisé que
l'art introduit dans les faits éparpillés en les promouvant à la hauteur du mythe
tragique est véritablement démiurgique car il crée, en s'arrachant à l'histoire,
une chose "une et entière comme un vivant". Au cours de ce rassemblement, il
dégage l'essence, et c'est pourquoi le poète est plus proche de la philosophie que
l'enquêteur." (p.35)

"Pour Aristote […] la pensée s'exerce sur un être déjà existant ; dans la
connaissance c'est la chose qui a la priorité, et non l'inverse ; l'homme
connaissant intervient dans un monde déjà là et debout par lui-même. Avant
toute perception et toute pensée l'univers se dresse et par sa présence permet
précisément qu'on y pense ; subordonner comme Protagoras l'être à son
apparaître c'est s'exposer à dire que "rien n'a été ni ne sera n'ayant été pensé au
préalable par personne". Cette dépendance de l'être du monde à ce qui
deviendra le sujet est encore affirmée d'une autre manière, pour le compte de
Protagoras, par Aristote. Tout ce qui apparaît est vrai, pose Protagoras ; or,
souligne Aristote, ce "qui apparaît apparaît à quelqu'un", et ce quelqu'un est
bien par suite le siège de la vérité. Par voie de conséquence l'être des choses
n'est plus un être existant "lui-même par lui-même", mais une simple relation à
celui à qui il apparaît ; même en surimposant toutes ces relations aux différents
percevant, nous n'obtiendrons qu'un faisceau de relations, un amalgame de
rapports, et non une véritable chose. On peut donc conclure que Protagoras
"fait de toutes choses des relations". Cette relations de l'homme et des choses,
Aristote pour son compte ne la nie évidemment pas, mais elle constitue pour lui
la connaissance de la chose, non son être." (pp.61-62)

"Le plaisir qui est un véritable plaisir est donc celui qui apparaît être tel à
l'homme valeureux (spoudaîos). Aristote esquive le relativisme du sophiste tout
en faisant l'économie du recours à une norme transcendante pour la
détermination des plaisirs bons ou mauvais: le spoudaîos est la norme
incarnée." (p.64)

"Nous ne nous demanderons pas si Aristote a "raison" ou "tort" dans sa critique


[de Platon]." (p.73)
72
"L'essentiel de la critique qu'Aristote adresse dans le Corpus à l'idéalisme
platonicien, à savoir la séparation, est donc déjà présent dans le Des Idées en
pleine période académique. Aristote n'a donc jamais accepté le platonisme sur
ce point ; il l'a rejeté du vivant même de Platon. Cette critique […] est d'autant
plus significative qu'Aristote admire profondément Platon, et que lorsqu'il la
prononce il pense demeurer platonicien, mais il ne peut pas suivre son maître
sur le terrain du séparatisme." (p.88)

"En refusant de réaliser l'essence en-dehors et au-dessus de ce dont elle est


essence, Aristote renoue donc, par-delà Platon, avec le socratisme authentique."
(p.88)

"Aristote, auditeur de Platon pendant vingt ans [à l'Académie]." (p.91)

"Le problème politique était considéré, à l'intérieur de l'Académie, comme de la


plus haute importance." (p.102)

"Quand Perdiccas monte sur le trône, c'est-à-dire en 365, seulement deux ans
après le départ d'Aristote, Platon lui envoie comme conseiller son élève
Euphraios d'Orée." (p.102)

"La République et les Lois sont une utopie politique parce qu'elles sont le mime
de la reconquête du pouvoir par une noblesse qui l'a définitivement perdu.
Aristote semble l'avoir perçu." (p.108)
-Gilbert Romeyer-Dherbey, Les choses mêmes: la pensée du réel chez Aristote,
Éditions L'Age d'Homme, coll. Dialectica, 1983, 401 pages.

« [Pour Aristote] L'art est précieux en ce qu'il oblige à décomposer les quatre
causes de tout changement physique, que la nature, elle, ignore, en tant que
moments séparés. Mais avec son inventivité propre, la poiésis peine pour imiter
la génération naturelle, et doit s'ordonner à des formes qu'elle n'a pas créées. »
-Yves Schwartz, "La technique", in Denis Kambouchner (dir.), Notions de
philosophie, II, Gallimard, coll Folio essais, 1995, 696 pages, pp.223-283,
p.254.
(1) Marie-Hélène Gauthier-Muzellec, compte rendu de Annick Jaulin, Eidos et Ousia. De l'unité
théorique de la « Métaphysique » d'Aristote et Annick Stevens, L'ontologie d'Aristote au carrefour du
logique et du réel (forumactif.org)

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73
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Athènes : https://www.amazon.fr/Fall-Athenian-Empire-Donald-
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1&keywords=The+Athenian+Empire
74
Sparte : "Au Ve siècle, presque toutes les cités possèdent des murs d'enceinte.
Seuls les Spartiates rejettent par principe les fortifications et soutiennent qu'une
cité n'est véritablement fortifiée que si elle est tenue par des hommes braves
(Plutarque, Lycurgue, XIX, 12 ; Plutarque, Apophthegmes laconiens, 228e) : ce
sont eux, les murs, et la vertu des habitants fournit une fortification suffisante.
Ibid., 210e : « On demandait à Agésilas pour quelle raison Sparte n'avait pas de
murailles. Il répondit : "Ce n'est pas avec des pierres et des planches que l'on
entoure une ville de remparts, mais plutôt à même les vertus de ses habitants" ».
Pour eux, les cités fortifiées sont des places où se cachent les femmes
(Plutarque, Apophthegmes de rois et de généraux."

"La cité lacédémonienne interdisait, pour des raisons morales, toute activité
commerciale à ses citoyens."

-David Levystone, « La constitution des athéniens du pseudo-Xénophon. D'un


despotisme à l'autre », Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, 2005/1
(N°21), p. 3-48. DOI : 10.3917/rfhip.021.0003. URL :
https://www.cairn.info/revue-francaise-d-histoire-des-idees-politiques1-2005-1-
page-3.htm

« La République de Platon est l'un des plus anciens classiques de la science


politique. Bien que prenant la forme d'un dialogue ostensiblement destiné à la
recherche de la justice, une grande partie du livre décrit comment on pourrait
constituer la société idéale, quelles seraient ses règles, ainsi que son éducation
et ses mœurs, et même ses mythes.

La conception platonicienne de la société parfaite paraîtra sans doute quelque


peu austère, voire brutale au goût moderne. Il en était sans doute de même pour
son public athénien. Il fallait élever les enfants tous ensemble, sans qu'ils
sussent jamais qui étaient leurs parents naturels ; les exposer dès leur plus
jeune âge aux duretés de la vie, afin de leur des plus grossiers, qu'une
alimentation des plus simples. Le pain noir devait suffire aux habitants de ce
monde idéal. Une censure stricte devait les empêcher de lire aucun écrit
susceptible de les distraire ou de les écarter des chemins de la vertu et de la
force. On n'aurait autorisé aucune pièce de théâtre qui dépeigne la faiblesse ou
l'abandon sentimental. Même la musique devait être sévèrement réglementée :
seules auraient été autorisées les harmonies susceptibles d'entretenir un

75
courage convenable. Tous les aspects de la vie auraient été contrôlés, de telle
sorte que l'Etat soit mieux servi par ses citoyens.

Les citoyens auraient vécu en communauté, mangeant à la table commune, ne


jouissant d'aucun luxe à l'exception de celui qui, à l'occasion et discrètement,
leur permettait d'accomplir leur devoir, c'est-à-dire engendrer la génération
suivante. La surveillance de ces règles serait échue à ce que l'on appellerait
aujourd'hui une police secrète, mais à laquelle Platon avait trouvé un nom plus
philosophique.

Gardiens, Auxiliaires et Travailleurs devraient connaître leur place et


l'accepter, soutenus en cela par le "noble mensonge" selon lequel ils
descendaient respectivement de l'or, de l'argent et du bronze. On imagine que
c'est seulement faute d'une technique adéquate que Platon manqua de faire la
même suggestion que Huxley : une voix qui, pendant le sommeil des enfants,
leur aurait récité : "je suis bien content d'être un gamma ; les alphas doivent
réfléchir tout le temps, et les bêtas ont tellement de soucis..."

La société idéale, celle qui engendre (et entretient) le philosophe-roi, est décrite
avec une minutieuse précision. Il s'agirait d'un véritable tour de force de
l'imagination, si une telle société n'existait pas déjà, au moins dans ses principes
fondamentaux. Car ce que Platon décrit est, pour sa plus grande part, l'Etat
totalitaire des Spartiates. Lorsque l'on sait que pendant presque tout le début de
la vie de Platon, Sparte était l'ennemie d'Athènes, cela nous en dit long sur la
tolérance qui régnait dans cette ville, puisqu'il y eut le loisir d'exalter un tel
mode de vie et de le présenter comme un modèle de perfection.

Dans son texte, Platon brode et embellit les choses, mais on ne peut s'y tromper
: son modèle de base est la vie spartiate. La censure, l'interdiction du luxe, la
rudesse des conditions de vie : tout est là. Même chose pour les "éphores"
chargés de faire la police des lois. A Sparte, comme dans la République de
Platon, les citoyens sont censés vivre, dans le moindre détail, la vie que l'Etat a
décrétée pour eux. Sparte existait depuis plusieurs générations lorsque Platon
s'avisa de lui offrir le brillant d'une justification intellectuelle. En pratique, ses
règles étaient censées gouverner et diriger la vie des citoyens bien avant que
Platon n'en eût analysé le fonctionnement et fait une théorie. La pratique était
donc première, et c'est la théorie qui a suivi. Ce qu'avait fait Platon, c'était
traduire au niveau théorique la forme essentielle d'une société qui existait déjà,

76
et qu'il trouvait à son goût. Sparte était sans doute brutale, ses citoyens frustes
et mal léchés, mais on y pratiquait ce que Platon considérait comme de simples
vertus, pas encore corrompues par le luxe, comme l'était Athènes, et elle gagnait
les guerres. En fait, toute la société était organisée dans ce seul but. Tout ce que
l'on peut considérer comme spécifiquement humain, y compris les arts, la
science et la recherche intellectuelle, était subordonné à cette fin, et Platon
approuvait ce choix, jugeant que le culte de la vertu devait largement suffire à
satisfaire les plus hautes aspirations humaines. » -Madsen Pirie, La
Micropolitique. Comment faire une politique qui gagne, p.43-45.

« Contrairement au stéréotype mis en circulation par Benjamin Constant,


vulgarisé par Fustel de Coulanges et devenu depuis le maigre fonds de
commerce des intellectuelles concernant la cité grecque, le régime athénien -
laisser les individus faire ce qui leur plaît, Périclès dans Thucydide II, 37- est
considéré, à juste titre, par Aristote comme la règle, non pas l'exception.
L'exception est la polis des Lacédémoniens où tout est régimenté. Pourquoi le
mirage spartiate [...] a été tellement valorisé dans les Temps modernes, surtout
au XVIIIème siècle et pendant la Révolution française, c'est une autre histoire. »

-Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, Seuil, coll. Points, 1997, 336 pages, p.75.

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L’Art grec: « Rien n'a, comme l'argent, suscité parmi les hommes de mauvaises
lois et de mauvaises mœurs ; c'est lui qui met la discussion dans les villes et
chasse les habitants de leurs demeures; c'est lui qui détourne les âmes les plus
belles vers tout ce qu'il y a de honteux et de funeste à l'homme et leur apprend à
extraire de chaque chose le mal et l'impiété. » -Sophocle, Antigone. Cité par
Karl Marx, Le Capital, Livre I, 1867.

« Il n'y a pas de tragédie grecque. Il n'y a de la tragédie qu'à Athènes. Et il y a


de la tragédie à Athènes parce qu'Athènes est une cité démocratique. Et la
tragédie est une institution qui fonctionne et joue un rôle tout à fait fondamental
dans la démocratie, parce que la tragédie rappelle constamment l'hubris. C'est
ça la leçon essentielle de la tragédie. Donc parler de la "tragédie grecque",
c'est ne rien comprendre. Parce que du théâtre il y en a eu partout. Y a un
77
merveilleux théâtre japonais, un merveilleux théâtre chinois, le théâtre indien
est fantastique. A Bali, il y a des représentations fantastiques. C'est pas les grecs
qui ont inventé le théâtre, c'est un mensonge. Mais les Grecs ont inventés la
tragédie, qui est tout à fait autre chose. » -Cornelius Castoriadis, interview avec
Chris Marker, 1989.

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dans-l-antiquite

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Sappho, Hypatie, et la condition féminine dans le monde hellénisant.

« La situation de la femme dans l'antiquité était l'oppression la plus complète ;


au point de vue moral bien plus encore qu'au point de vue physique, elle était
maintenue de force dans un état rétrograde. Dans la vie domestique, la femme
était placée immédiatement au-dessus des serviteurs ; ses propres fils agissaient
envers elle en maîtres, et elle avait à leur obéir. Cette situation est on ne peut
mieux dépeinte dans l'Odyssée, où Télémaque, se sentant homme, tombe au
milieu des prétendants et enjoint à sa mère de regagner sa chambre, ordre
auquel elle obéit en silence. Télémaque promet aussi aux prétendants de donner
sa mère en mariage à un homme au bout d'un an, si d'ici là son père n'était pas
de retour, promesse que les prétendant trouvent parfaitement dans l'ordre. La
position de la femme dans cette Grèce parvenue à un si haut degré de
civilisation est également bien décrite dans « Iphigénie en Tauride », où
Iphigénie exhale ces plaintes :

« De tous les êtres humains c'est la femme qui a le sort le plus malheureux. Si le
bonheur sourit à l'homme, il est vainqueur et acquiert de la gloire sur le champ
de bataille ; si les Dieux l'ont voué au malheur, il tombe, le premier des siens,
dans la belle mort. Mais le bonheur de la femme est bien étroit : elle est toujours
78
soumise au choix des autres, souvent à celui d'étrangers, et quand la ruine
s'abat sur sa maison, le vainqueur l'emmène loin des débris fumants, à travers le
sang de ses morts bien-aimés ». » -August Bebel, La femme et le socialisme,
1891.

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Le IVème siècle : « [Au IVème siècle] commence un renversement décisif de la


pensée religieuse: avec la philosophie les dieux deviennent l'absolu, le
fondement du Bien. Le peuple, lui, se contente, comme avant, de placer dans les
dieux son espoir de bonnes récoltes, mais, pour les élites cultivées par
la paideia, l'âge des transcendances a commencé et durera au moins deux
millénaires et demi. Lorsque Nietzsche écrira que Dieu est mort, il ne songera
pas spécialement au Dieu chrétien, mais affirmera qu'avec la grande coupure
du XIXe siècle on a cessé de croire à un fondement transcendant de l'homme, du
Vrai et du Bien [...]
Ne nous trompons pas de siècle, ne faisons pas un XVIIIe siècle avant la lettre
de quelques cas d'indifférence religieuse ou d'incroyance lettrées. Ce qui s'est
produit est plutôt une transformation de la religiosité chez les lettrés, un nouvel
âge de la dévotion, une religion rationalisée. » -Paul Veynes, L'Empire gréco-
romain, Seuil, coll. Points, 2005, 1058 pages, p.590.

Théophraste d’Eresós (-371 à -288) : « Le grand texte qui marque l'entrée


dans la piété nouvelle, quatre siècles avant notre ère, est le Traité de la piété
d'un disciple d'Aristote, Théophraste ; ce livre fera autorité pendant sept siècles,
pour Cicéron, pour Plutarque, pour Porphyre encore. [...] L'idée d'un culte
fréquent, continu, n'était pas nouvelle [...]

L'originalité principale de Théophraste n'est pas celle-là, à mon sens, mais


d'avoir fait de la piété une vertu. [...] Or, pour une aristotélicien, une vertu est
une potentialité intérieure qui est permanente et qui peut ainsi se traduire en
actes chaque fois que l'obligation s'en présente ; c'est un état habituel par
définition: on n'est pas qualifié comme vertueux si l'on fait une bonne action une
fois en passant. Conclusion: Théophraste prêche une conception épurée de la
piété et il la conceptualise comme une vertu, comme une hexis ou habitus,
79
comme une façon d'être continuelle ; et non comme le fait d'accomplir des actes
pieux qui sont extérieurs et discontinus, chaque fois que l'exigent le calendrier
liturgique, le devoir de remercier les dieux d'une faveur ou le besoin de leur en
demander une. [...] Cette vertu a d'abord supposé un travail de soi sur soi pour
acquérir l'habitude, un dédoublement créant un espace ntérieur, un effort
spirituel. » -Paul Veynes, L'Empire gréco-romain, Seuil, coll. Points, 2005,
1058 pages, pp.597-599.

Épicure (-342 ou -341/-270) : « L'absence de trouble dans l'âme, […] c'est cela
la fin de la vie bienheureuse. » -Épicure, Lettre à Ménécée, §127-129, trad. P.-
M. Morel, p. 100.

« Ce qui est bienheureux et incorruptible n’a pas soi-même de troubles ni n’en


cause aux autres, de sorte qu’il n’est sujet ni aux colères ni aux faveurs ; en
effet ces choses-là ne se rencontrent que dans ce qui est faible. » -Épicure.

« La philosophie d’Épicure n’était pas en faveur parmi les idéalistes allemands.


Hegel l’attaquait sans cesse, directement et indirectement. Il considérait que son
principe de l’atome était une expression extrême de la société individualiste,
dans laquelle chaque individu est isolé du reste et ne connaît que le conflit des
intérêts privés, « la guerre de tous contre tous ». Hegel croyait que c’était
l’atomisme, tel qu’il était réalisé dans l’économie et la politique, qui avait
entraîné la décomposition du « règne de la moralité sublime », comme il la
décrivait dans la société grecque. » -Mikhaïl Lifschitz, La philosophie de l’art
de Karl Marx, 1933.

« Le cadre de la cité se révèle trop étroit et source de conflits incessants. Les


guerres entre les différentes ligues ont affaibli les cités. Aucune d'entre elles
n'est parvenue à une complète domination des autres. La puissance athénienne
est temporaire et elle n'est pas capable d'unifier toutes les autres cités en un
ensemble homogène. La classe des riches propriétaires et des commerçants ne
cherche pas l'élargissement de leur territoire respectif ; leur soif de richesses et
d'honneurs a pour limite l'enceinte de la cité. Le monde grec est incapable de
s'unifier et de dépasser le cadre initial qui lui a permis de réaliser sa force.
Aussi, il ne résiste pas aux nouveaux Etats conquérants, que sont le royaume de
Macédoine, puis l'Empire romain. Le déclin est donc le fruit d'une impossibilité,
celle de la classe dominante des cités, qui ne peut pas concevoir son devenir
dans un cadre différent que celui de la cité. Ce qui au VIIIème siècle le moteur

80
d'un développement inédit, entre en contradiction au IVème avec les puissances
émergentes, annonçant la fin de la cité.
Épicure produit sa théorie au début de cette période de déclin, ce qui explique
pourquoi il est le second et dernier philosophe grec matérialiste à proposer une
réponse à la question de l'origine. Ses héritiers et la tradition philosophique qui
lui succède, sont nombreux et s'étendent jusqu'à la fin de l'empire romain.
Aucun ne propose une théorie vraiment différente ou novatrice: ils font
simplement œuvre d'interprète et d'exégète. Il semble donc que les possibilités
de développement de la philosophie matérialiste, à cette époque, se soient taries
avec le déclin de la cité grecque. Le monde romain n'a pas offert de nouvelles
théories sur la question, à l'image de l'absorption de la culture grecque par
l'élite romaine, qui s'est déroulée sans qu'elle ne créé de spécificités
marquantes. Le monde antique paraît avoir atteint un seuil autour du IVème
siècle, où les possibilités de la philosophie matérialiste (comme celles de sa
rivale, avec Aristote) sont portées à leur maximum, en même temps que la cité
grecque a exploré les dernières limites de ses capacités. Les feux se sont éteints
; les Lumières ne sont plus que des veilleuses, alors que l'empire vient au monde
; le christianisme ne peut avoir de meilleur exorde." (p.102)

"La famille d'Épicure appartient à la noblesse athénienne (les Philaïdes), et


comme d'autres dans tout le bassin méditerranéen, elle émigre à Samos en Asie
mineure. Le père est directeur d'école et la mère effectue des rites propitiatoires
à domicile, qui consistent à réciter des prières et des formules de purification
dans les maisons. Certains supposent que l'activité de la mère serait
responsable de l'opposition d'Épicure aux superstitions et à la religion. A dix-
huit ans, il doit partir à Athènes pour y recevoir son éphébie, une sorte
d'éducation civique et militaire d'une durée de deux ans. Pendant ce temps, sur
ordre macédonien, les émigrés athéniens doivent quitter Samos, ce qui oblige sa
famille à s'installer à Colophon. Épicure les y rejoint pour devenir maître
d'école. [...]
Diogène Laërce rapporte qu'Épicure aurait découvert la philosophie au hasard
de la lecture d'un ouvrage de Démocrite. Il incite alors ses trois frères et son
esclave Mys à pratiquer la philosophie et commence ainsi à bâtir sa doctrine."
(p.103)

"Épicure débute son enseignement philosophique à Mytilène, toujours sur la


côté égéenne de l'Asie mineure, qu'il poursuit à Lampsaque, où il devient
81
véritablement chef d'école. Il semble que l'élaboration des bases de sa doctrine
date de cette période, ainsi que le rassemblement autour de lui de plusieurs
disciples fidèles. Finalement, il s'installe à Athènes vers 306-307, alors que les
péripatéticiens d'Aristote en ont été chassés à la même période. Selon Diogène il
est l'auteur de plus de trois cents ouvrages, aux thèmes variés, dont le plus
connu est son monumental Sur la nature de trente-sept livres, mais il ne nous en
est rien parvenu. Cette œuvre en fait l'un des penseurs incontournables de son
temps, à l'égal de Démocrite, au moins pour ce qui est de l'étendu de ses objets
d'étude. Ce caractère encyclopédique est le premier point commun entre les
deux atomistes, qui reflète leur même effort pour montrer que le travail de la
raison s'étend à tous les domaines. [...]
L'école d'Épicure acquiert sa renommée à Athènes, où son fondateur demeure
jusqu'à la fin de ses jours. Elle s'organise autour du jardin qu'achète Épicure à
son arrivée, dans lequel se réunissent les élèves et le maître. Une inscription
figure à l'entrée: "Ici tu demeureras dans le bien-être. Ici le bien souverain est
le plaisir." Les femmes y sont reçues comme les hommes, ce qui est une
exception notable dans le monde grec. A sa mort, le testament du maître
affranchit ses esclaves et lègue le jardin au premier successeur, Hermarque de
Mytilène, qui inaugure la liste des multiples scolarques ultérieurs.
Épicure meurt en 271, mais sa philosophie perdure à travers un courant de
pensée qui se prolonge jusqu'à la fin de l'empire romain. L'épicurisme se répand
dans le monde romain, notamment par l'intermédiaire de deux de ses plus
grands représentants (les seuls que nous connaissons aujourd'hui), Lucrèce et
Philodème. Ils ne bouleversent pas la théorie, ce sont d'abord des interprètes
fidèles du texte et de l'esprit d'Épicure. Ainsi, ils perpétuent sa mémoire en
défendant ses conceptions matérialistes contre différents adversaires.
Finalement, lorsque les chrétiens obtiennent le pouvoir, et que l'Europe
s'enfonce dans le moyen âge, l'épicurisme s'éteint faute de successeurs, vaincu
par la réaction intellectuelle qui s'annonce avec le christianisme." (p.104-105)

« Rien n'indique [qu'Épicure] soit le partisan d'un courant politique particulier,


qu'il ait des idées tranchées sur la question de la démocratie, ou même qu'il se
soit engagé dans un camp. » (p.105)

« La compréhension de l'immanence permet de réconcilier le sujet avec la


nature, en démontrant qu'ils sont déterminés par le même corps de lois. »
(p.120)

82
« Diogène raconte qu'Épicure serait venu à la philosophie en raison de
l'incapacité de ses maîtres à expliquer le passage concernant le chaos chez
Hésiode. » (p.122)

« Épicure ne conteste pas l'ordre social incarné par les religieux. Son éthique
est un repli vers une sagesse individuelle. Ou bien n'est-ce qu'un masque pour
Épicure, qui lui évite la répression et le bannissement. Une opposition publique
aux cultes vaudrait une condamnation sévère de l'ordre aristocratique. » (p.128)

-Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions


Kimé, 2103, 706 pages.

« To me, Epicureanism is the closest thing to a libertarian philosophy that you


can find in Antiquity. Plato, Aristotle, the Stoics, were all statists to various
degrees, glorified political involvement, and devised political programs for their
audiences of rich and well-connected aristocrats. Epicurus focused on the
individual search for happiness, counselled not to get involved in politics
because of the personal trouble it brings, and thought that politics was
irrelevant. His school included women and slaves. He had no political program
to offer and one can find no concept of collective virtues or order or justice in
his teachings. On the contrary, the search for happiness implied that individuals
should be as free as possible to plan their lives. To him, as one of his sayings
goes "natural justice is a pledge guaranteeing mutual advantage, to prevent one
from harming others and to keep oneself from being harmed." […]

In a letter to William Short sent in 1819, Thomas Jefferson writes "I too am an
Epicurean. I consider the genuine (not the imputed) doctrines of Epicurus as
containing everything rational in moral philosophy which Greece and Rome
have left us." But what's also interesting is that our friends the Marxists also
thought Epicurus was a great philosopher. […]

Marx found in Epicureanism a materialist conception of nature that rejected all


teleology and all religious conceptions of natural and social existence. And to
get back to Mises, that's also precisely what he liked about it. […]

Epicurus had reacted against the Platonic concepts of Reason with a capital R,
the Good, the Beautiful, Duty, and other absolute concepts existing in
themselves in some supernatural world. For Epicurus, what is moral is what
brings pleasures to individuals in a context where there is no social strife. The

83
Epicurean wise man will keep the covenant and not harm others not because he
wishes to comply with some moral injunction being imposed from above, but
simply because that's the best way to pursue his happiness and keep his
tranquility of mind.

Mises says the same thing when he repeats his adherence to utilitarianism,
which looks upon the rules of morality not as absolutes, but as means for
attaining an individual's desired ends through social cooperation. In his book
Socialism, he writes: "The ethical valuation 'good' and 'evil' can be applied only
in respect of ends towards which action strives. As Epicurus said […] Vice
without injurious consequences would not be vice. Since action is never its own
end, but rather the means to an end, we call an action good or evil only in
respect of the consequences of the action." To Mises, Epicureanism inaugurated
the emancipation of mankind precisely because it led to utilitarianism.

The very basis of praxeology, the logic of human action, rests on Epicurean
concepts. Epicurus says that nature compels all living beings to search for
pleasures and to avoid pain. When they reach their goal, they are in a state of
contentment and rest that we can call happiness or tranquility of mind. Ataraxia
is the term used by Epicurus to describe a perfect state of contentment, free or
all uneasiness.” -Martin Masse, The Epicurean roots of some classical liberal
and misesian concepts, March 18, 2005.

“Rand also shares Epicurus’ view that virtues are wholly instrumental.” -Ray
Shelton, Epicurus and Rand, Objectivity, volume 2, numéro 3, 1995.

“I too am an Epicurean. I consider the genuine (not the imputed) doctrines of


Epicurus as containing everything rational in moral philosophy which Greece
and Rome have left us. Epictetus indeed, has given us what was good of the
stoics; all beyond, of their dogmas, being hypocrisy and grimace. Their great
crime was in their calumnies of Epicurus and misrepresentations of his
doctrines; in which we lament to see the candid character of Cicero engaging as
an accomplice.” –Thomas Jefferson, letter à William Short, 1819.

« Il n’y a aucune prohibition de la richesse ou de l’abondance dans la


philosophie épicurienne. La richesse n’est pas un mal en soi. Elle est bonne tant
qu’elle est réglée par le souci de la limite rationnelle. La limite n’est pas
d’ordre quantitative entre la richesse dangereuse et la richesse légitime. Elle est

84
qualitative : la richesse devient mauvaise quand sa recherche suscite angoisse
et sentiment de privation.

Il faut toutefois s’intéresser à la pensée de l’épicurien Philodème qui


tend à proposer une argumentation légitimant la richesse. Il y a une mesure de
la richesse chez le sage. Helmer retient parmi les nombreux arguments de
Philodème trois ensembles.

Le premier ensemble d’arguments tend à montrer que dans le calcul des


plaisirs et des peines, il est préférable, sans tomber dans l’illimitation,
d’acquérir et de conserver des biens car la peine résultant de l’absence ou de la
perte de certains biens est plus importante que les inconvénients résultant de
leur possession et de leur conservation.

Le deuxième groupe d’arguments tend à montrer que la richesse


gouvernée par la raison et le sens de la mesure est une invite au partage et au
don et qu’elle favorise la communauté des amis.

Le troisième ensemble d’arguments vise à montrer que pour le sage,


précisément parce qu’il est sage, le superflu peut être bon, source de plaisir et
d’agrément. À celui qui sait se contenter de peu et sait poser des limites à ses
désirs, la possession des richesses ne peut pas être un mal. » -Romain Couderc,
recension de Etienne Helmer, Épicure ou l’économie du bonheur, Éditions Le
passager clandestin, 2013, 96 p., 11 mai 2015, site de l’auteur (cf :
http://blog.ac-versailles.fr/oeildeminerve/index.php/post/13/05/2015/Etienne-
Helmer,-%C3%89picure-ou-l%E2%80%99%C3%A9conomie-du-bonheur,-Le-
passager-clandestin,-lu-par-Baptiste-Calmejane ).

« Epicure […] se trouve être le seul philosophe dont les positions trouvent grâce
aux yeux de Spinoza, du moins dans l’Ethique » -Jean-Pierre Vandeuren,
Pourquoi philosopher et pourquoi principalement avec Spinoza ?,
vivrespinoza.wordpress.com, 7 mars 2012.

« Quand la meilleure époque de la Grèce eut pris fin vinrent les philosophes de
la morale: à partir de Socrate, en effet, tous les philosophes grecs sont avant
tout et au plus profond d'eux-mêmes des philosophes de la morale. Cela veut
dire qu'ils cherchent le bonheur -et il est déjà fâcheux qu'ils aient eu à le
chercher ! La philosophie, c'est, à partir de Socrate, cette forme suprême de
l'intelligence infaillible dans les questions du bonheur personnel. En ont-ils eux-

85
mêmes profité, au moins ? [...]
Et Épicure: quelle était sa jouissance à lui sinon la cessation de la douleur ? -
c'est le bonheur d'un homme souffrant et sans doute malade aussi. » (Printemps
1884. 25 [17], p.26)
-Friedrich Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes, X, Fragments
posthumes. Printemps-automne 1844, Gallimard, NRF, 1982, 386 pages.

« Pour Épicure, l'homme est libre. Il a su rompre les chaînes du destin, et il


possède, suivant l'expression de Lucrèce "une libre volonté, arrachée aux
destins, fatis avolsa voluntas". Comment cela se fait-il ? L'homme est un
composé d'atomes ; mais les corpuscules qui constituent son âme sont plus
coulants, plus subtils, plus déliés que les éléments du corps ; ils sont de forme
ronde, et roulent aisément les uns sur les autres. De plus ces atomes, pris
individuellement, sont libres ; ils sont, comme tous les atomes qui constituent
l'univers, doués de spontanéité ; d'où dans l'homme comme dans l'univers le
libre arbitre. C'est à la vérité une étrange liberté ; il serait plus juste de
l'appeler un indéterminisme absolu. En effet, cette déclinaison spontanée que
possèdent les atomes, n'est pas générale comme la pesanteur ; elle est propre à
chaque atome, c'est un caractère absolument particulier et individuel. La légère
inflexion qu'elle produit n'est déterminée, ni pour le temps ni pour le lieu,
Lucrèce le dit d'une façon expresse. » -Henri Legrand, Épicure et l'épicurisme,
chapitre III, 1906.

« Quoi de commun entre le chantre de la volonté de puissance et de l'éternel


retour et la doctrine du bonheur accessible au premier venu ? Nietzsche,
philologue de formation, connaissait de première main tout le corpus épicurien
accessible. C'est dans sa période intermédiaire - entre les élans wagnériens et la
révélation de l'éternel retour, à l'époque d'Humain trop humain et du Gai savoir
- que Nietzsche reconnaît en Epicure le thérapeute dont il avait besoin. Cela le
conduit même à une sorte d'identification qui, pour provisoire qu'elle ait été,
n'en fut pas moins profonde. Nietzsche a su mieux que personne comprendre ce
que l'hédonisme épicurien, constamment en prise avec la souffrance et la
maladie, recélait de tension intérieure. En témoigne l'aphorisme 45 du Gai
savoir : "Oui. Je suis fier de sentir le caractère d'Epicure autrement que tout
autre, peut-être, et de savourer dans tout ce que j'entends de lui le bonheur de
l'après-midi de l'Antiquité : - je vois son œil contempler une vaste mer
blanchâtre par-dessus les rochers de la côte sur lesquels repose le soleil
pendant que des animaux petits et grands jouent dans sa lumière, sûrs et
86
tranquilles comme cette lumière et cet œil lui-même. Seul un être
continuellement souffrant a pu inventer un tel bonheur, le bonheur d'un œil face
auquel la mer de l'existence s'est apaisée [...] : jamais auparavant il n'y a eu
une telle modestie de la volupté" (traduction de Patrick Wotling, GF). Mais
Epicure n'est qu'une étape dans la trajectoire de Nietzsche. Elle correspond à
une période difficile où des moments d'extrême souffrance alternaient avec des
moments de rémission vécus comme autant de renaissances, une période de
"solitude souffrante" aussi que Nietzsche tentait de tromper avec de chimériques
projets de vie communautaire. Illustration, cette carte postale adressée à
Heinrich Köselitz (dit Peter Gast) du 26 mars 1879 : "Où réédifierons-nous le
jardin d'Epicure ?" (Correspondance III, Gallimard.) Par la suite, il n'y aura
plus grand-chose de commun entre Epicure et le "Dionysos crucifié" de la fin,
Nietzsche multipliant même les sarcasmes contre un Epicure jugé "décadent".

Gilles Deleuze :

Ce n'est pas parce qu'il cite en bonne part Epicure ou Lucrèce qu'on fera de
Deleuze un épicurien. A ce compte, il faudrait plutôt le voir spinoziste ou
bergsonien. D'ailleurs, si Deleuze admire Epicure ou Lucrèce, c'est parce que,
comme Spinoza d'ailleurs, ils sont à la pointe d'une tradition de penseurs qui ont
pour visée de libérer l'homme de la tyrannie de la peur et des passions tristes
dont les religions sont trop souvent les vecteurs. Il y a plus, Lucrèce et Epicure
se distinguent parce qu'ils sont les premiers à "tenter de penser le divers comme
divers" (Logique du sens, UGE) et qu'"avec Epicure et Lucrèce commencent les
vrais actes de noblesse du pluralisme en philosophie" (ibid.). Leur atomisme
permet en effet de comprendre la nature des choses comme "coordinations et
disjonctions" provisoires, et le fameux clinamen comme la "pluralité
irréductible des causes ou des séries causales". Deleuze, critique des
totalisations toujours plus ou moins totalitaires, penseur des différences, de la
sérialité créatrice, ne pouvait qu'être sensible à cet aspect du naturalisme
épicurien. » -Jean Montenot, Quelle postérité pour Epicure ?, L’Express.fr,
17/11/2010.

« Savoir user de la mémoire comme d'une réserve de bonheur: voilà qui


couronne la sagesse, selon le maître du Jardin. De même qu'il ne gémira point
sur ses amis défunts, mais trouvera de la douceur à évoquer leur souvenir, le
sage, en vieillissant, éprouvera pareillement de la joie (laetitia), et non de
l'amertume (aegritudo), lorsqu'avec "un regard perçant et attentif" il fera une
87
"revue du passée".
Ainsi la mémoire, d'après Épicure, est-elle surtout œuvre de volonté: "on peut
toujours ne pas oublier", écrivait Guyau en ce sens. Nietzsche soutenait que
"l'oubli n'est pas seulement une vis inertiae" et qu'il convient de ne pas nier
l'existence d'une "faculté active d'oubli" chez chacun d'entre nous. Épicure, s'il
ne néglige nullement la nécessité d'un ensevelissement délibéré de nos peines
passées, semble avoir voulu souligner surtout que nous pouvons mettre à profit
la faculté active de rétention mnésique qui nous a été donnée en partage, en
l'appliquant exclusivement aux plaisirs auxquels la fortune -manœuvrée par
notre prudence- nous a jadis autorisé à goûter. » (p.49-50)

« Le déclin de la vie politique en Grèce -particulièrement à Athènes- et


l'unification partielle de l'ensemble du monde habité constituaient, à n'en pas
douter, des conditions plus que propices à l'avènement de doctrines du
désengagement qui fussent tout à la fois des universalismes. » (p.135)
-Jean Salem, Tel un dieu parmi les hommes: l'éthique d'Épicure, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, 1994.

« Plusieurs épicuriens […] contrairement à la réprésentation que l’on se fait


habituellement des membres de cette école, ont eu une activité politique. Il y a
tout d’abord deux Romains : Albucius, propréteur de Sardaigne, et Atticus,
l’ami de Cicéron, qui se mêle plusieurs fois de politique. […] Il est intéressant
de constater qu’il ne s’agit pas là seulement d’une attitude propre à
l’épicurisme romain, car nous trouvons, dans l’épicurisme grec, deux
philosophes que leur cité a honoré d’une statue, en récompense des services
qu’ils lui avaient rendus et notamment en remerciement d’une ambassade à
Rome : Amynias de Samos et Appophanès de Pergame. » (p.271)

« Toute l’Antiquité s’est […] accordée pour reconnaître l’extraordinaire


diffusion de la doctrine épicurienne. Surtout, l’originalité de l’école épicurienne
était de convier tous les hommes, mêmes incultes, même sans formation
intellectuelle particulière, et aussi d’admettre dans son sein des esclaves ou des
femmes, des courtisanes même, comme cette Leontion, discipline d’Épicure,
qu’un peintre représenta « en méditation ». » (p.336)

-Pierre Hadot, Études de philosophie ancienne, Les Belles Lettres, coll. L’âne
d’or, 2010 (1998 pour la première édition), 384 pages.

88
« Le divin Epicure. » -Georg Büchner, La mort de Danton, Paris, L’Arche,
2004, p. 12.

« Epicure ajoute une nouvelle dimension à l'eudémonisme antique, il le


complexifie : le corps, lui aussi, doit pouvoir jouir au sein d'une adéquation
entre bonheur et vertu. » -Benoit Bohy-Bunel, « Épicure : le plaisir et la vertu »,
http://benoitbohybunel.over-blog.com, 19 mai 2015.

« L'épicurisme est certainement l'aspect du conventionalisme qui a exercé la


plus grande influence à travers les âges. » -Leo Strauss, Droit naturel et
histoire, Flammarion, Champ.essais, 1986 (1954 pour la première édition
française, 1953 pour la première édition états-unienne), 324 pages, p.106.

"Tort souligne l’intérêt fondamental du clinamen d’Épicure, lequel, à l’opposé


du réductionnisme matérialiste leucippo-démocritéen, intègre la contingence à
son modèle explicatif. C’est la « seule voie alternative de dépassement des
apories qui gênent aujourd’hui encore la cohérence du matérialisme
scientifique face aux prétentions renaissantes des doctrines spiritualistes »
(Patrick Tort, Qu’est-ce que le matérialisme ?, op.cit., p.47). Tort rejoint, en le
réinstruisant sur des bases naturalistes, l’intérêt précoce de Marx (en 1839-
1841) pour l’épicurisme contre Démocrite. Mais son matérialisme de la
contingence n’est pas le « matérialisme spéculatif » de Ernst Bloch ni le «
matérialisme de la rencontre » d’Althusser puisqu’il récuse l’idée d’un hasard
essentiel et l’opposition entre cause et déviation." (p.15)
-Lilian Truchon. Sortir de l’aporie du matérialisme marxien. 2017. <hal-
01593188>, 16 pages.

https://www.amazon.com/Epicureanism-Origins-Modernity-Catherine-
Wilson/dp/0199595550/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1502989491&sr=
1-1&keywords=Epicureanism+at+the+Origins+of+Modernity

http://www.amazon.fr/%C3%89picure-Julie-
Giovacchini/dp/2251760628/ref=sr_1_14?s=books&ie=UTF8&qid=145875065
4&sr=1-14&keywords=Figures+du+savoir

http://www.amazon.fr/Lire-Epicure-%C3%A9picuriens-Alain-
Gigandet/dp/2130564763/ref=pd_sim_14_47?ie=UTF8&dpID=41FIIFVPPCL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR116%2C160_&refRID=0Q8FR3FWT4M
ZRCY596E4

89
http://www.amazon.fr/%C3%89picure-son-%C3%A9cole-Genevi%C3%A8ve-
Rodis-
Lewis/dp/2070327833/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=418JR92RCML&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=1SPH5HS0NAT6RZ
Z3HEPP

Zénon de Kition ( ? / -260) : « Le stoïcien Zénon conçoit une société


anarchique dans laquelle tous les êtres rationnels vivent en parfaite égalité, dans
le bonheur et la paix, sans le secours d’aucune institution. Si les hommes sont
rationnels, aucune autorité ne leur est nécessaire ; les êtres rationnels n’ont nul
besoin d’Etat, ni d’argent, ni de tribunaux, ni d’aucune forme de vie organisée,
institutionnelle. Dans la société parfaite, hommes et femmes porteront des
vêtements identiques et « prendront leur nourriture à la table commune ».
Pourvu qu’ils soient rationnels, leurs désirs aussi seront nécessairement
rationnels et donc susceptibles d’une réalisation totale et harmonieuse. Zénon fut
le premier utopiste anarchiste, le fondateur d’une longue tradition qui a connu
une soudaine, et parfois violente, floraison à notre époque. » -Isaiah Berlin, « Le
déclin des utopies en Occident », 1978, in Le bois tordu de l’humanité.
Romantisme, nationalisme et totalitarisme, Albin Michel, coll. Idées, 1992
(1990 pour la première édition britannique), 258 pages, p.35.

Époque héllénistique : https://www.amazon.fr/Histoire-politique-monde-


hell%C3%A9nistique-323-
30/dp/202060387X/ref=pd_sim_14_34?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=VV
G7KNKTCWG3YBFX9TMR

Carnéade, philosophes sceptiques, philosophies dans la période


héllénistique et impériale : « Il y a tout d’abord une période qui s’étend du Ive
siècle au Ier siècle av. J.C., et qui se caractérise d’une part par la présence
d’institutions philosophiques permanentes à Athènes et, d’autre part, par un
enseignement centré sur la formation à l’art de dire et à l’art de vivre. Les
grandes écoles, platonicienne, aristotélicienne, épicurienne et stoïcienne,
s’organisent en différents points de la ville d’Athènes. L’enseignement est
constitué essentiellement par des exercices dialectiques, des discussions, des
dialogues, la formation à l’exercice de la parole, à l’action politique éclairée
par la science (dans le platonisme), à la vie scientifique (dans l’aristotélisme), à
la vie morale (dans l’épicurisme et le stoïcisme).

90
Puis, à partir du Ier siècle av. J.C., avec la ruine de la plupart des institutions
philosophiques d’Athènes, provoquée par les dévastations de Sylla, avec la
formation de nombreuses institutions philosophiques dans l’ensemble du Bassin
méditerranéen, une seconde phase de l’histoire de la philosophie postsocratique
se développe. Les quatre tendances doctrinales fondamentales subsistent, mais
elles ne sont plus supportées par l’institution athénienne créée par les
fondateurs. Pour affirmer leur fidélité au fondateur, les quatre écoles
philosophiques, répandues dans différentes villes d’Orient et d’Occident, ne
peuvent plus s’appuyer sur l’institution qu’il a créée, ni sur la tradition orale
intérieure à l’école, mais uniquement sur les textes du fondateur. Les cours de
philosophie consisteront donc avant tout dans des commentaires de texte.

Enfin une troisième phase commence avec le IIIe siècle ap. J.C. et continue
jusqu’à la fin de l’Antiquité. L’exégèse joue toujours un rôle prépondérent dans
l’enseignement, mais des éléments religieux, rituels, « théurgiques », s’insèrent
dans la vie et l’enseignement philosophique. » (p.28-29)

« A partir du Ier siècle av. J.C., il n’y a que six philosophies possibles, celles
des quatre grandes écoles : le platonisme (lié au pythagorisme), l’aristotélism,
le stoïcisme, l’épicurisme, et, en outre, le cynisme (issu de Socrate et de
Diogène) et le scepticisme (issu de Pyrrhon). A partir du IIIe siècle ap. J.C.,
platonisme et aristotélisme vont se fusionner, constituer un système commun,
absorber certains éléments stoïciens ; et les autres écoles, sauf le cynisme, vont
disparaître à peu près complètement. » (p.38)

-Pierre Hadot, Études de philosophie ancienne, Les Belles Lettres, coll. L’âne
d’or, 2010 (1998 pour la première édition), 384 pages.

"Non seulement les maîtres hellénistiques ont à l'occasion recueilli à leur usage
des éléments pris aux présocratiques, non seulement ils sont les héritiers des
sophistes et d'autres courants de pensée qui nous apparaissent submergés à la
période classique, mais l'activité philosophique, l'exercice soutenu par des
générations de penseurs de l'enquête rationnelle, doit avoir par lui-même nourri
l'individualisme, car la raison, si elle est universelle en principe, œuvre en
pratique à travers la personne particulière qui l'exerce, et prend le premier rang
sur toutes choses, au moins implicitement." (p.41)

91
-Louis Dumont, Essais sur l'individualisme. Une perspective anthropologique
sur l'idéologie moderne, Paris, Le Seuil, coll. Point, 1985 (1983 pour la
première édition), 314 pages.

Yang Zhu : http://hydra.forumactif.org/t2006-yang-zhu-et-le-yangisme#2710

Chârvâka et le matérialisme dans l’Inde ancienne :


http://hydra.forumactif.org/t2009-charvaka-materialism-in-india-a-synoptic-
view#2713

Démosthène (-384/-322) :
https://www.amazon.fr/D%C3%A9mosth%C3%A8ne-Rh%C3%A9torique-
corruption-Patrice-
Brun/dp/2200602669/ref=pd_sim_14_13?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=W
0D1D18NP1HNK22KHBV6

Alexandre III de Macédoine (-356/-323) : « Athènes n'était plus que la catin


d'Alexandre, et le monde entier était comme un cerf traqué à mort par le grand
chasseur. » -Friedrich Hölderlin, Hypérion ou l'Ermite de Grèce, trad. Jean-
Pierre Lefebvre, GF Flammarion, 2005 (1797-1799 pour la première édition
allemande), 281 pages, p.158.

« Par ses paroles, ses actes et par son œuvre d’éducation, on verra qu’il fut en
vérité un philosophe. […]

Quand Alexandre eût civilisé l’Asie, Homère était couramment lu, et les enfants
des Perses, des Susiens et des Gédrosiens apprenaient à déclamer les tragédies
de Sophocle et d’Euripide… Il fonda plus de soixante-dix cités parmi les peuples
sauvages et persema l’Asie de lois grecques, et vainquit ainsi leur mode de vie
de non-civilisés, proche de celui des animaux sauvages… […] Ainsi, des peuples
conquis par Alexandre, il est plus juste de dire qu’ils n’auraient pas connu la
civilisation s’ils n’avaient pas été soumis par la force. » -Plutarque, Sur le destin
d’Alexandre.

« Les éléments dont Alexandre opéra la fusion furent, dans leurs formes
suprêmes, la vitalité ardente de la Grèce qui aspirait à trouver un corps, et les
masses inertes de l’Asie qui aspiraient à trouver une âme. » -G. Droyssen,
Alexandre le Grand, 1833.

92
« Nous demanderons au héros macédonien une leçon de colonisation qui, pour
être vieille de plus de deux mille ans, est néanmoins, pour nous, aujourd’hui,
d’une brûlante actualité. » -Commandant Reynaud, « Alexandre le Grand
colonisateur », La revue hebdomadaire, 11 avril 1914.

« Alexandre est le plus grand conquérant et génie militaire de tous les temps. »

-Robert Lane Fox, The search for Alexander, 1980.

http://hydra.forumactif.org/t1510-john-gunther-alexander-the-great#2169

https://www.amazon.fr/Alexandre-Grand-Jacques-Benoist-
Mechin/dp/2262028419/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1465396766&sr=
1-1&keywords=Alexandre+le+Grand

https://www.amazon.fr/Alexandre-Grand-songe-Valerio-
Manfredi/dp/2266100041/ref=sr_1_29?s=books&ie=UTF8&qid=1465396799&
sr=1-29&keywords=Alexandre+le+Grand

https://www.amazon.fr/SUCCESSEURS-DALEXANDRE-Fran%C3%A7ois-
Widemann/dp/2914214715/ref=sr_1_fkmr0_1?ie=UTF8&qid=1467218579&sr=
8-1-
fkmr0&keywords=Fran%C3%A7ois+Widemann%2C+Les+successeurs+d%27
Alexandre+en+Asie+centrale+et+leur+h%C3%A9ritage+culturel

http://www.amazon.fr/DAlexandre-%C3%A0-Actium-Peter-
Green/dp/2221084713/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1446896746&sr=1
-1&keywords=D%27Alexandre+%C3%A0+Actium

Shang Yang : https://www.amazon.fr/livre-du-Prince-


Shang/dp/2082104931/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=51E7C0SYJFL&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR102%2C160_&refRID=P6B2RDQ6HPAH
QMXH5NV6

Han-Fei-tse : https://www.amazon.fr/Han-Fei-tse-ou-tao-du-
prince/dp/2020293722/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1465396227&sr=8-
1&keywords=Han-Fei-tse+ou+Le+Tao+du+Prince

Le monde hellénistique (-323/-31): « Après Aristote, la civilisation grecque


incline vers sa décadence. » -Félix Ravaisson, "Métaphysique et Morale", Revue
de métaphysique et de morale, 1893, tome I, p. 6-25, p.16.
93
« Par convention, la période dite « hellénistique » commence à la mort
d’Alexandre le Grand le 10 juin 323, et s’achève par la défaite d’Antoine et
Cléopâtre à Actium, le 2 septembre 31. Octavien, le vainqueur d’Actium, entra à
Alexandrie le 3 août 30 et prit possession de l’Égypte au nom de la République
romaine. Avec le suicide de Cléopâtre VII le 29 août 30, s’éteignit la maison des
Lagides et disparut la dernière des grandes dynasties hellénistiques.

Les royaumes hellénistiques sont nés de la conquête du royaume perse conduite


par Alexandre (334-323), et de la crise provoquée par sa mort prématurée. Ils
ont suscité maints émules dont le plus remarquable fut le royaume de Pergame.
Les rois ont fondé des cités dont ce fut l’âge d’or sur le plan institutionnel et
culturel.

La victoire remportée sur la flotte d’Antoine et de Cléopâtre à Actium, au large


du golfe d’Ambracie en Épire, ne fut que le dernier acte des relations complexes
que la République romaine a entretenues avec les rois, les peuples et les cités
grecques. Dès 212, Rome s’était mêlée des affaires grecques. En 188, par le
traité d’Apamée de Phrygie, le roi séleucide Antiochos III fut expulsé
d’Anatolie, au-delà du Taurus ; en 168, à Pydna en Thessalie, le roi Persée fut
vaincu et la monarchie macédonienne supprimée ; en 146, peu après la
destruction de Carthage, Corinthe fut mise à sac, confirmant la rigueur
intraitable des nouveaux maîtres ; en 133 Rome hérita de Pergame ; en 63 la
Syrie, affaiblie et divisée, devint une province romaine. Politiquement, les
royaumes hellénistiques se sont réduits comme peau de chagrin ; culturellement,
l’influence des mondes grecs sur la République romaine puis sur l’Empire mis
en place en 27, fut déterminante. » (p.4)

« Johan Gustav Droysen fut le premier à proposer une synthèse qui faisait de la
conquête d’Alexandre le début d’une ère nouvelle dans son ouvrage Geschichte
des Hellenismus (1833-1843), réédité en 1877-1878 et traduit en français dès
1883-1885 sous le titre Histoire de l’Hellénisme par une équipe dirigée par
l’historien Auguste Bouché-Leclercq (1842-1923). » (p.5)

« Il n’y eut jamais un monde hellénistique uni, qu’une frontière continue aurait
protégé de ses voisins. La diversité l’emportait tant pour les traditions des
peuples que pour les formes de pouvoir en place. A côté des royautés qui
s’étaient partagé l’héritage perse, en Égypte, en Asie et en Anatolie, les
monarchies différaient les unes des autres en Europe, de la royauté

94
macédonienne aux tyrannies de Sicile. En Grèce, des systèmes politiques
s’adaptèrent ou se perfectionnèrent pour tenter de contrer les ambitions
hégémoniques des rois, en créant des alliances et des koina (Etats régionaux
regroupant des cités et/ou des peuples, au singulier = koinon). Dans l’ensemble
du monde hellénistique, cette période fut celle de l’âge d’or des cités dont le
nombre se multiplia et qui connurent une stabilité institutionnelle étonnante. »
(p.6)

« Notre compréhension de l’histoire hellénistique, dans ses temps forts et ses


ruptures, reste largement tributaire du Grec Polybe (208-126), dont l’œuvre n’a
pas pour autant été totalement sauvée du naufrage : des 40 livres de son Histoire
n’ont survécu dans leur intégralité que les cinq premiers couvrant la période
220-216. Né à Mégalopolis en Arcadie, Polybe, fils de Lycortas, stratège du
koinon archaien, eut l’honneur en 183 de porter l’urne funéraire du stratège
Philopoimen et de le célébrer comme le dernier défenseur de la liberté grecque,
dans un éloge aujourd’hui disparu. C’est la première information datée de sa vie.
Il exerça en 170/169 la charge d’hipparque du koinon archaien. En 168, après la
victoire romaine de Pydna sur Persée par Paul-Émile, il fit partie des notables
archaiens que Rome décida de transférer comme otage en Italie et ne rentra en
Grèce que 17 ans plus tard, pour achever son œuvre commencée en exil.

Dans la perspective d’une histoire universelle dont le principe aurait été établi au
IVe siècle par Ephore de Kymé, Polybe veut écrire une histoire « pragmatique »
ou événementielle de son temps, à partir de ses voyages, de ses enquêtes sur le
terrain et de ses recherches. Comme chez Thucydide, la raison est au centre de
sa vision du monde. » (p.7)

« Un Égyptien ou un Juif faisait partie de la catégorie juridique des Hellènes à


condition de parler grec dans cette Égypte lagide. » (p.21)

« Le second siècle est une période de liberté et de prospérité pour un bon


nombre de cités d’Asie Mineure et de Grèce continentale –sauf pour les cités du
royaume de Macédoine, qui ont souffert de la déportation de leurs élites après la
défaite de Pydna (168)- régions où se situait l’écrasante majorité des cités
grecques : le cas d’Athènes, prospère à partir de 166, est très typique. La
coupure est pertinente aussi dans le domaine monétaire : le IIe siècle a vu la
renaissance des monnayages d’argent à types civiques dont la part était
négligeable au IIIe siècle, alors dominé par les monnaies royales. Plusieurs

95
monnayages (koina achaien et thessalien, Athènes, cités du Péloponnèse,
cistophores des cités d’Asie Mineure, Thasos, Maronée, etc.) se sont poursuivis
très longtemps, jusqu’au Ier siècle av. n. è. Et parfois au-delà. Il est vrai que l’on
gagnerait à insister sur les différences régionales : la rupture se ferait plutôt en
188 en Orient, en 192, puis en 167 en Grèce. » (p.23)

« Les Romains, qui se méfiaient de la démocratie, ont imposé un recrutement


censitaire pour les magistrats et les membres des Conseils. Cette mesure aboutit
sous l’Empire, et c’est un trait de la romanisation, à la « constitution d’un ordo
introduisant une hiérarchie au sein du corps civique ». Le mode de
gouvernement et les pratiques politiques se sont transformés à des rythmes
variables selon les cités ; tantôt rapide car encouragé vivement par les Romains,
tantôt lent, en raison de la fidélité des élites aux valeurs civiques et de leur
volonté d’éviter les ruptures avec le passé. » (p.24)

« En 323, le Macédonien Antipater, né en 399, fils d’Iolaos, assurait la fonction


de stratège d’Europe. A son départ pour l’Asie, Alexandre lui confié le
commandement d’une armée de 12 000 fantassins et de 1500 cavaliers […] pour
défendre ses intérêts en Macédoine et en Grèce. Résidant à Pella, Antipater se
tenait informé de l’avancée d’Alexandre en Asie grâce aux courriers envoyés
par la chancellerie.

L’ordre macédonien mis en place par Philippe en 337 avait été maintenu par la
force. En dépit de leur rébellion, les Spartiates, alliés des Perses, crurent trouver
en 331 une occasion favorable pour rétablir leur position dans le Péloponnèse.
Ce fut un échec. Après la mort de leur roi Agis III devant Mégalopolis
(printemps 330), Antipater leur imposa d’entrer dans la Ligue de Corinthe et de
livrer 50 otages. » (p.32-33)

« En 323, à Babylone, les communautés civiques n’étaient pas représentées et il


ne fut pas question des cités lors de la répartition des territoires. Si à l’annonce
de la mort d’Alexandre, les Grecs d’Europe ont pu avoir l’illusion de pouvoir
maîtriser leur destin en se lançant dans une guerre de libération, les cités d’Asie
Mineure qui de fait étaient passées d’une domination à une autre, savaient que
leur sort dépendait des relations qu’elles pouvaient établir avec les nouveaux
maîtres. » (p.35)

« Perdiccas, promu chiliarque après la mort d’Héphaistion en novembre 324,


occupait la première place à la cour en 323. Il dut affronter une situation
96
inédite : la mort subite d’Alexandre posait en effet la double question de
l’exercice du pouvoir et de la préservation des conquêtes sous une autorité
unique. » (p.43)

« L’île de Rhodes se libéra de la garnison qui la plaçait sous contrôle


macédonien sans doute dès son ralliement à Alexandre (fin 333 ou début 332).
Elle retrouva son autonomie […] Cette émancipation réussie était un bon
présage pour l’avenir d’une île qui, dans cette époque troublée, réussit à rester
neutre au moins jusqu’en 315.

C’est à ce moment-là que se place l’expédition de Perdiccas en Égypte, que


justifiait le détournement du cortège funèbre d’Alexandre par Ptolémée,
soucieux de l’enterrer à Alexandrie. Perdiccas réussit à entraîner à sa suite la
plupart des chefs de l’armée, mais les insuccès de sa campagne finirent par
pousser ses officiers à l’assassiner. Ptolémée s’empressa d’apporter son aide à
l’armée adverse afin qu’elle regagne ses quartiers ; il échappait à la seule réelle
tentative de contester sa prise de possession de l’Égypte.

Les Athéniens tentèrent de conduire une guerre […] que les historiens modernes
appellent « guerre Lamiaque » (323-322), en raison du sièg de Lamia, cité
fortifiée de Malide en Thessalie, dans laquelle s’était refugié Antipater. Outre
Diodora de Sicile, notre principale source est l’orateur athénien anti-macédonien
Hypéride (390-322), auteur de l’oraison funèbre des morts à la guerre, dont
faisait partie le stratège Léosthénès […] Les Athéniens et leurs alliés furent
défaits sur mer devant l’île d’Amorgos dans les Cyclades (juin 322) –défaite qui
marqua la fin de l’aventure maritime athénienne ; sur terre, les alliés grecs furent
vaincus à Crannon en Thessalie (septembre 322). » (p.44-45)

« Les conséquences de la défaite lors de la guerre lamiaque furent bien plus


graves pour Athènes que celles de Chéronée en 338. […] Antipaper imposa aux
Athéniens une garnison macédonienne au Pirée, un régime censitaire et exigea
qui lui fussent livrés les orateurs anti-macédoniens. Hypéride fut arrêté dans l’île
d’Égine, torturé et mis à mort. Démosthène, réfugié dans le sanctuaire de
Poséidon de l’île de Calaurie (actuelle Poros), mit fin à ses jours par le poison.
[…] 12 000 citoyens sur 21 000 se virent interdire la participation au
gouvernement de la cité et beaucoup acceptèrent de partir s’établir en Thrace sur
des terres que leur proposait Antipaper. Les partisans du nouveau régime
l’appelaient patrios politeia (constitution des ancêtres) et ses opposants

97
dénonçaient son caractère oligarchique. Démade et Phocion revinrent au pouvoir
jusqu’au printemps 318 où la démocratie fut brièvement rétablie après la mort
d’Antipaper, sous la protection de son successeur Polyperchôn. Dès la défaite de
ce dernier un an plus tard, un cens de 1000 drachmes fut rétabli et le philosophe
aristotélicien Démétrios de Phalère, citoyen athénien, fut placé à la tête de la cité
par le nouvel homme fort en Macédoine, Cassandre. […] Démétrios réforma la
cité dans un sens oligarchique et favorable aux richeses, en conformité avec les
idées aristotéliciennes du temps. […] Il supprima […] les indemnités (misthoi)
versées aux citoyens qui exerçaient des responsabilités publiques (cela affectait
les plus pauvres). […] Occupée par les Macédoniens, la cité fut pendant dix ans
sous l’autorité d’un homme impopulaire : le régime « était oligarchique de nom,
mais monarchique de fait » (Plutarque, Démétrios, 10, 2). » (p.45-46)

« Antigone traqua puis assiégea Eumène de Cardia dans la forteresse de Nora en


Cappadoce. […] Après la défaite de Gabiène, Eumène fut livré par ses troupes,
jugé et exécuté (316). Les troupes d’Antigone parvinrent à chasser de Babylone
Séleucos qui trouva refuge auprès de Ptolémée. […]

En 315, à Tyr, Antigone réunit une assemblée de l’armée […] pour faire
condamner Cassandre à mort par contumace pour ses crimes et en particulier le
meurtre d’Olympias. Il se posa en seul protecteur du jeune Alexandre IV […] Il
proclama les cités grecques libres, autonomes et exemptes de garnisons […]

Le projet initial d’Antigone était d’aller en Macédoine porter le fer contre


Cassandre tout en se gardant de Ptolémée. Il envoya son fils Démétrios en
Palestine mais ce dernier fut vaincu à Gaza en 312. Gêné par ailleurs par les
entreprises de Séleucos en Mésopotamie, Antigone abandonna alors son plan
initial. » (p.47-48)

« Auréolé du prestige de sa victoire à Salamine de Chypre, Démétrios avait reçu,


ainsi que son père, des honneurs exceptionnels de la part des Athéniens, qui
n’ont pu que faciliter l’adoption du titre royal. Quand en juillet 307, Démétrios,
fils d’Antigone, s’empara d’Athènes, Démétrios de Phalère avait quitté le
pouvoir pour Thèbes, recréée avec son aide en 315, avant de gagner Alexandrie.
La Forteresse de Mounychie, occupée jusque-là par les Macédoniens, fut rasée
et la démocratie rétablie […]

Les Athéniens prirent l’habitude d’honorer […] les souverains et leur entourage.
Antigone restitua aux Athéniens les îles d’Imbros et de Lemnos et Démétrios
98
leur offrit de l’argent, une quantité très importante de blé et du bois de
construction pour 100 navires de guerre (ils n’avaient plus de flotte depuis 322).
Les fortifications d’Athènes et du Pirée ainsi que les « Longs Murs » entre les
deux villes furent remis en état en 5 ans. Athènes n’était toutefois pas
indépendante : elle avait changé de maître et dut lutter à ses côtés contre
Cassandre. » (p.48-49)

« A l’été 301, à Ipsos en Phrygie, les Antigonides durent faire face à la coalition
de Lysimaque et de Séleucos, dont les éléphants fournis par l’Indien
Tchandragoupta et son fils Démétrios Poliorcète dut quitter l’Asie. […]
Cassandre pouvait croire assurée sa victoire en Grèce ; Séleucos réclama à
Ptolémée la Syrie méridionale (dont la riche Phénicie) que celui-ci venait
d’occuper systématiquement pendant que ses alliés combattaient Antigone, sans
obtenir satisfaction et il dut se contenter de la Syrie du Nord. Lysimaque enfin
s’empara de l’Asie Mineure jusqu’au Taurus. […]

De ces années de guerres entre Diadoques émergèrent les dynasties des Lagides,
des Séleucides et des Antigonides, alors que la maison de Lysimaque disparut
avec lui en 281. » (p.52)

« En 301, après Ipsos, Ptolémée, fils de Lagos, était à la tête d’un royaume bien
géré, d’une marine et d’une armée puissantes. La stabilisation du royaume
lagide, étonamment précoce, s’explique par l’intelligence politique de Ptolémée,
et en particulier par les bonnes relations instituées avec les élites indigènes, dès
son installation comme satrape. Reçu en libérateur par les Égyptiens comme
Alexandre l’avait été lui-même, il sut se concilier les faveurs du clergé en
multipliant les actes de bienveillance. Très tôt, il put se constituer une armée où
furent enrôlés des Égyptiens (ou machimoi pour l’infanterie légère), à côté des
Macédoniens, des Grecs et des Juifs. Il eut ainsi les moyens d’aider les Rhodiens
en les ravitaillant pendant l’année de siège (305/4) que leur fit subir Démétrios.
Après 301, la suprématie de la marine lagide ne fut guère contestée.

Sans doute en 322/1, en raison des troubles politiques survenus en Cyrénaïque,


Ptolémée prit une ordonnance (diagramma) qui l’instituait stratège à perpétuité
de la cité de Cyrène. Flanqué de cinq collègues, il fixait par son ordonnance les
institutions oligarchiques de la cité. […] Dès 321 également, les quatre rois des
cités chypriotes étaient ses alliés et après la mort en 311 de Nikokréon, roi de

99
Salamine, il nomma stratège de l’île son frère Ménélaos avec le commandement
de toutes les forces lagides stationnées en Méditerranée […]

En 291-287, Ptolémée reprit en charge la « protection » de la Confédération des


Nésiotes, administrée par un gouverneur (nésiarque) à ses ordres.

Dans ses relations avec les cités grecques, Ptolémée accepta les honneurs
qu’elles lui concédaient. Pour le remercier de l’assistance qu’il leur avait
fournie, les Rhodiens, lui accordèrent dès 304 –après consultation de l’oracle de
Siwah- des honneurs divins et lui donnèrent sans doute –comme les Athéniens
l’avaient accordé aux Antigonides en 307- le titre de sauveur (soter), qu’il fit
graver au droit de ses pièces d’or et d’argent après la victoire d’Ipsos. » (p.52-
53)

« Après Ipsos (301), Lysimaque ajouta la plus grande partie de l’Asie Mineure à
ses possessions thraces. Il était l’allié des Lagides par son mariage avec Arsinoé
en 300, fille de Ptolémée et de Bérénice, qui lui a donné trois fils. Dans les
années 286-282, il est également l’allié des Messéniens contre Sparte, étendant
son influence jusqu’au cœur du Péloponnèse. En 286/5, le roi Lysimaque était
parvenu au faite de sa puissance. Son royaume avait un pied en Europe, l’autre
en Asie. Comprenant la Thrace jusqu’au Danube (sans Byzance), la Macédoine
et la Thessalie (sauf Démétrias), plus l’Asie Mineure, à l’exception des
Royaumes du Pont, de la Bithynie et des principautés paphlagoniennes, le
domaine de Lysimaque occupait une position stratégique de premier plan. […]
En 281, quatre ans plus tard, il ne restait rien de la maison de Lysimaque […]

Après la mort de Démétrios en 283, le danger antigonide en Asie étant écarté,


Séleucos ne pouvait qu’être hostile aux ambitions d’un concurrent. La guerre
était inévitable et en 281, Lysimaque trouva la mort sur le champ de bataille de
Couroupedion (« la plaine de Cyrus », à l’ouest de Sardes). Séleucos s’empara
alors de ses possessions asiatiques. » (p.54-55)

« Séleucos [Nikatôr, « le Victorieux »] fut assassiné par Ptolémée Kéraunos, qui


voulait récupérer l’héritage de son beau-frère (281). […] C’est à Triparadeisos
en 320 qu’il reçut la satrapie de Babylonie, comme récompense du rôle qu’il
avait joué dans l’assassinat de Perdiccas. […]

Cette satrapie de Babylonie, dont l’enjeu stratégique n’était pas négligeable, il


dut la reconquérir en 312 sur le stratège d’Antigone, Nikanor, quatre ans après

100
l’avoir perdue. Pour marquer son esprit d’indépendance, il choisit cette date
comme début de l’ère séleucide […]

Séleucos consolida dans un premier temps ses positions en cherchant à tirer


profit des Hautes Satrapies qui pouvaient lui fournir des troupes en nombre
suffisant pour contrer les forces d’Antigone. Le premier centre de son pouvoir
fut la Babylonie avec pour capitale Séleucie du Tigre, sans doute fondée entre
307 et 300. A partir de 301 et la victoire d’Ipsos sur les Antigonides, il put y
ajouter la Syrie du Nord avec la création dès 300 des cités de la Tétrapole […]
Les zones-frontières de cet espace étaient l’Asie Mineure et l’Asie centrale mais
au regard de la compétition que se livrèrent les Diadoques, le cœur stratégique
en était la Syrie du Nord, lieu de passage obligé entre les possessions de l’Asie
centrale et le monde égéen, région menacée par l’inévitable confrontation avec
la partie lagide de la Syrie, que Ptolémée avait refusé de rétrocéder après Ipsos.
[…]

Avant de partir pour l’Europe, il confia la garde de l’Asie à son fils aîné
Antiochos qu’il avait eu la sagesse d’associer au pouvoir dès 294, assurant ainsi
l’avenir de la dynastie. En 281, en franchissant l’Hellespont à plus de 70 ans, le
Macédonien Séleucos prouvait qu’il n’avait pas renoncé au désir de revoir sa
patrie et à l’ambition d’agrandir son territoire. » (p.55-56)

« La Macédoine occupait une position particulière dans l’héritage d’Alexandre.


Patrie des Macédoniens, elle était aussi l’objet de toutes les convoitises avec ses
deux villes : Aigai, ce « Saint-Denis de la monarchie macédonienne », et Pella,
sa capitale royale. Devenir roi en Macédoine, c’était non seulement succéder à
Alexandre, c’était aussi contrôler les cités grecques et s’assurer une armée dont
la réputation restait grande. La mort en 298/7 de Cassandre, fils d’Antipater,
ouvrit pour la Macédoine un temps de crises, qui ne trouva son achèvement
qu’en 276 avec le rétablissement des Antigonides, en la personne d’Antigone
Gonatas, fils de Démétrios. […]

Après la prise du titre royal en 306, l’attitude des Antigonides s’était en effet
modifiée. En 304, après avoir secouru Athènes assiégée par Cassandre,
Démétrios séjourna dans la cité : la conduite débauchée du roi y fit scandale,
comme l’exigence de recevoir l’initiation aux Mystères d’Éleusis sans respecter
les trois degrés habituels. Démétrios Poliorcète, fils d’Antigone le Borgne, sans
royaume depuis 301, devint roi des Macédoniens en faisant assassiner la

101
descendance de Cassandre dont il prétendit s’instituer l’héritier légitime en
raison de son mariage avec sa sœur Phila. L’armée le proclama roi en
Macédoine à l’automne 294. Démétrios était un grand stratège, dont la
réputation avait été consacrée par le surnom « poliocète » que lui avait valu le
siège de Rhodes, et par sa victoire sur les Lagides à Salamine de Chypre, que
Poséidon, dieu de la mer, très présent sur ses monnaies, devait rappeler à tous.
Pour autant il ne fut jamais populaire auprès des Macédoniens. Pendant ses sept
années de règne, on lui reprocha son luxe, son arrogance, et le choix de
Démétrias comme résidence à la place de Pella, Démétrias qu’il avait fondée en
Thessalie sur le golfe Pagasétique. Au lieu de se concentrer sur le gouvernement
de la Macédoine, Démétrios poursuivit son activité militaire en Grèce centrale.
Tour à tour brutal et démagogue envers les cités et en particulier avec les
Athéniens qu’il avait affamés en 294, il installa des garnisons pour entraver la
Grèce et mobilisa pendant l’hiver 289-288 des forces terrestres et navales telles
que se forma contre lui une coalition composée de Séleucos, de Ptolémée, de
Lysimaque et de Pyrrhos (288). Abandonné de ses hommes, il quitta l’Europe
pour passer en Asie où après une course-poursuite dans les montagnes du
Taurus, il se rendit à Séleucos (286). Il mourut en captivité trois ans plus tard à
Apamée sur l’Oronte. » (p.58-59)

« Antigone Gonatas parvint à s’imposer en Macédoine comme héritier légitime.


Il eut l’intelligence de conclure une alliance entre 229 et 226 avec Antiochos,
prélude à une longue entente entre les deux maisons royales. En renonçant à
toute entreprise en Asie Mineure, il abandonnait les projets de son père. En
contrepartie, Antiochos lui reconnaissait la Macédoine. Cette paix libérait
Antigone de toute menace à l’Est et lui permettait de profiter de la situation
chaotique qui prévalait en Macédoine. De plus, il sut exploiter au mieux la
victoire qu’il remporta près de Lysimacheia sur les Gaulois en 277. Non
seulement elle fit de lui un rempart de l’hellénisme en portant un coup d’arrêt
aux invasions galates en Europe, mais elle restitua à la dynastie un prestige mis
à mal par les initiatives malencontreuses de son père et par l’échec de son
débarquement en Macédoine en 281. Antigone Gonatas, salué comme sauveur
(sôter), put remporter sur les divers prétendants à la royauté en Macédoine et
reconstituer un royaume qui n’avait plus de gouvernement depuis la mort de
Sosthénès. Bien que sa situation ne fût vraiment stabilisée qu’à la mort de
Pyrrhos en 272, il ancra sa maison en Macédoine où la lignée des Antigonides se
maintint jusqu’à la défaite de Persée à Pydna en 168. […]
102
L’époque des Diadoques fut un temps de conflits. […] Si le royaume de
Ptolémée fut le premier à se stabiliser, c’est que dès 323 Ptolémée a choisit la
prudence. L’Asie était un espace plus difficile à contrôler avec la mosaïque de
peuples et de cités qui la constituaient. Jeter un pont entre l’Asie et l’Europe fut
un pari impossible à tenir, tant pour Lysimaque, Séleucos qu’Antigone le
Borgne. […]

Entre 283 et 281, toute une génération disparut : Ptolémée, fils de Lagos ;
Démétrios Poliorcète ; Lysimaque ; Séleucos. […] L’accord conclu entre 279 et
276 entre Antigone Gonatas et Antiochos prouvait une reconnaissance mutuelle
de leurs possessions, qui en excluant toute tentative de réunir sous une seule
autorité l’Europe et l’Asie, signifiait le renoncement à l’héritage d’Alexandre. »
(p.60)

« En raison des fondations de cités par les diadoques et les rois, le nombre des
cités s’est accru. […] Même pour les petites cités, la période hellénistique paraît
« un siècle d’or », selon une heureuse formule de Philippe Gauthier. Quant aux
koina, fondés sur l’association de peuples (ethnè) et/ou de cités, ils sont
parvenus grâce à leurs institutions fédérales, à unir les Grecs au nom de la
liberté et à faire jeu égal avec les rois et Rome. » (p.61)

« Les royautés sont réglées par le respect de la tradition, tandis que la tyrannie,
assimilée au despotisme, est caractérisée par l’arbitraire. Nul se s’affirme tyran
alors que le titre de roi est source de gloire et de renommée. » (p.61)

« La règle de primogéniture ne s’appliquant ni chez les Séleucides ni chez les


Lagides, tous les fils nés du même père avaient des chances de pouvoir lui
succéder, ce qui était source de conflits. » (p.63)

« Une cité pouvait exister tout en étant soumise totalement ou en partie à une
autre cité, à un koinon ou à un Roi. Des cités ont été ainsi privées de toute
initiative en politique étrangère sans cesser pour autant d’exister en tant que cité
par le fonctionnement de leurs institutions. […]

Chaque cité comprenait une ou plusieurs places et un complexe de bâtiments


civils et religieux : l’ekklesiasterion, lieu de réunion de l’Assemblée du Peuple,
le bouleuterion, salle du Conseil, le Tribunal et le Prytanée qui accueillait les
hôtes étrangers et les ambassades. » (p.79)

103
« La vente du droit de cité fut une mesure exceptionnelle tant par le nombre des
cités connues pour l’avoir pratiquée (Phasélis, Byzance, Dymé, Tritaia, Éphèse,
Aspendos, Thasos), que par le nombre de personnes concernées dans chacun des
cas. […]

Quand le droit de cité fut accordé à un grand nombre, ce fut –comme à l’époque
classique- principalement pour des raisons militaires : une cité se sentant
menacée cherchait à accroître son armée. La sympolitie permettait
l’incorporation de nouveaux citoyens par fusion de deux communautés, la plus
puissante annexant la plus faible. Vers 175, Milet absorba la petite ville carienne
de Pidasa à l’est de son territoire pour pouvoir contrôler la forteresse et y
envoyer une garnison. Quand dans le cadre de leurs réformes, les rois spartiates
Agis (243-241) et Cléomène (235-222) voulurent reconstituer le potentiel
militaire de leur cité, ils donnèrent la citoyenneté à des périèques et à des
étrangers […] A Milet, une série d’inscriptions octroya la politeia d’abord en
234/3 puis en 229/8 à environ un millier de soldats qui résidaient déjà avec leur
famille sur le territoire de la cité. » (p.80-81)

« La démocratie est le régime dominant des cités hellénistiques. » (p.82)

« Les cités n’ont jamais renoncé à leur liberté. C’est pour répondre à cette
aspiration que le Diadoque Antigone le Borgne avait affirmé en 315, dans le
manifeste appelé « la Proclamation de Tyr », que les cités devaient être libres,
autonomes et exemptes de garnisons. » (p.83)

« L’installation d’une garnison dans une cité pouvait signifier l’enjeu stratégique
du site qu’elle représentait. » (p.83)

-Catherine Grandjean, Genevièvre Hoffmann, Laurent Capdetrey, Jean-Yves


Carrez-Maratray, Le Monde hellénistique, Armand Colin, coll. U Histoire, 2017
(2008 pour la première édition), 394 pages.

La Syrie dans l’Antiquité: « Après les Phéniciens, des Araméens, venant du


Nord de l’Arabie par la Mésopotamie, occupent sous le Ier millénaire les
territoires à l’ouest de l’Euphrate. Damas devient la citadelle de la puissance
araméenne et un des centres, avec Alep, de la guerre menée contre les Hébreux.
Tour à tour les Egyptiens, les Assyriens, les Chaldéens, puis les Perses, à partir
de 547 av. J.C., contrôlent cette partie de l’Ouest et y laissent leur empreinte à
des degrés divers. La victoire d’Alexandre le Grand sur Darius III Codoman à

104
Issos et la prise de Tyr en 332, après un siège de sept mois, chassent les Perses
et soumettent la Syrie. La période macédonienne, marquée par de nombreuses
révoltes, introduit les mœurs grecques et développe l’hellénisation du pays par
la fondation de nombreuses cités. La mort d’Alexandre à Babylone attribue la
Syrie à l’un de ses lieutenants, Seleucus, qui crée un état séleucide s’étendant du
Golfe arabe jusqu’à la mer Noire. Antioche devient la capitale tandis que les
villes de Damas et Tadmar (Palmyre) s’imposent comme les grands centres de
l’intérieur. Mais le royaume séleucide, après avoir connu une brillante
civilisation grâce à l’essor économique et culturel de ses cités
méditerranéennes, se désagrège au bout de deux siècles sous les coups de
conflits d’ordre interne et sous les attaques des Egyptiens et surtout des Parthes
venus de la Haute Asie.

Pompée qui reçoit en 66 av. J.C. le commandement suprême contre Mithridate


entreprend de soumettre l’Orient : le Pont, la Syrie et la Cilicie deviennent des
provinces romaines. Après avoir établi des consuls, les Romains laissent
subsister, sous leur protection les petits Etats de Palestine, de Damas et de
Homs. Malgré quelques incursions parthes qui se poursuivent, la Syrie,
partagée en cinq provinces, devient une riche contrée agricole dont le blé et
l’olivier assurent l’extension du commerce en direction de la Méditerranée.
Engagé sous la domination macédonienne, le développement des villes soumises
cette fois aux influences littéraires et artistiques de la métropole romaine
s’accentue : Antioche, qui constituera le berceau de la communauté chrétienne,
compte alors plus de 300 000 habitants. Palmyre aux portes du désert édifie
temples et théâtres grandioses. Bosra devient la capitale de la province
d’Arabie, Apamée possède un des plus grands théâtres connus…

Mais, après la mort d’Auguste, l’avènement des empereurs Ibère, Caligula et


Néron change notablement le climat de sécurité et de prospérité qui règne
jusque-là. Le relâchement de l’administration, les pressions exagérées des
impôts, la politique personnelle de quelques consuls conduisent Rome à envoyer
ses meilleurs généraux pour rétablir l’autorité centrale. C’est alors que les
événements amènent la Syrie à exercer une influence déterminante à Rome
même. Les légions romaines qui comptent dans leurs rangs un bon nombre de
Syriens que l’on retrouve engagé en Egypte, en Afrique et même en Germanie,
portent en effet au pouvoir l’empereur Vespasien, aidé par Mucien, gouverneur
de la Syrie. Lorsque Trajan, qui est engagé dans une campagne militaire contre
les Parthes, meurt en Cilicie, c’est un autre gouverneur de Syrie qu’il désigne,
105
avant de mourir, comme son successeur. Mais surtout un général, Sévère
l’Africain ou Septime Sévère, époux d’une Syrienne de Homs, appuyé par ses
soldats, met en place la dynastie émésienne des empereurs syriens, dont
Caracalla, son fils Héliogobal qui remplaça le culte romain par celui de
l’Orient (216-222), Alexandre Sévère (222-235) et Philippe l’Arabe (244-249),
natif du Hauran et premier empereur chrétien de Rome. » (p.18-19)

-Philippe Rondot, La Syrie, Presse Universitaire de France, Que sais-je ?, 1978,


126 pages.

Cycle de Rome : « L'histoire romaine, c'est du bruit et de la fureur, un conte


raconté par des fous pour des imbéciles, comme toute histoire. » -Claude
Nicolet, Introduction à Theodor Mommsen, Histoire romaine, tome 1 "Des
commencements de Rome jusqu'aux guerres civiles", Robert Laffont, coll.
Bouquins, Paris, 1985, 1141 pages, p.XLII.

« Rome […] regardait les nations sur le mode où les Etats européens, au siècle
dernier, regardaient les populations d’Afrique ou d’Asie. » -Paul Vayne, Y a-t-il
eu un impérialisme romain ?, Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité,
Année 1975, Volume 87, Numéro 2, pp. 793-855, 823.

http://hydra.forumactif.org/t2517-geoffrey-ernest-maurice-de-ste-croix-the-
class-struggle-in-the-ancient-greek-world#3255

http://hydra.forumactif.org/t1633-edward-gibbon-histoire-de-la-decadence-et-
de-la-chute-de-lempire-romain?highlight=Edward+Gibbon

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106
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Amour et sexualité chez les romains : « Le mariage dit « chrétien » est né


avant les chrétiens ! Ceux-ci se sont contentés d'adopter et de durcir la nouvelle
morale païenne, le stoïcisme de Marc Aurèle, en y ajoutant leur propre haine du
plaisir. Dire que le christianisme est le fondement de notre morale est donc
dépourvu de sens ! C'est sous les Romains que celle-ci s'est forgée, pour des
raisons que nous ignorons. » -Paul Veyne, Entretien avec Dominique Simonnet,
L’Express.fr, 04/07/2002.

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109
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La Fondation de Rome : « Qui sont les romains ? Ce sont des tribus de


bergers, venus d'Asie, qui ont franchies l'Europe pour s'installer en Italie. Dès le
premier millénaire, les romains pratiquaient l'agriculture, une forme
d'économie pastorale. »

« Les romains sont organisés en gentes, des gros clans. Cent gentes vont former
une tribu, et il va y avoir trois grandes tribus romaines, qui vont former ce qu'on
appelle le populus romanus, c'est le vieux peuple romain. Pour faire partie du
peuple, il faut être membre d'une tribu. Les terres appartiennent à une tribu,
c'est encore une propriété collective, et les citoyens sont organisés à travers des
assemblées démocratiques populaires, qui vont élire un Sénat. [...]
Progressivement, les Sénateurs vont être élus à partir des mêmes familles dans
les gentes. [...] C'est eux qu'on va appeler les patriciens, qui vont devenir la
première classe dirigeante de la Rome antique. »

« Le populus romanus ne veut surtout pas que les autres populations


[conquises] soient assimilées, parce que ça viendrait attaquer progressivement
leur propriété tribale, leur propriété collective. […] La plèbe finit par former la
majorité de la population unie sous le même Etat. […] L’immense majorité du
peuple forme des petits paysans libres, chacun travaillant leur terre. […] Les
plébéins qui vont accumuler le plus de propriété vont devenir riche et influent,
mais sans jamais accéder au sénat. […] On a quatre classes en fait :
l’aristocratie, les riches plébéiens [qui achètent des latifundias], on a aussi les
paysans libres, qui sont aussi plébéiens, et on a maintenant [après la Troisième
guerre punique] les esclaves. […] L’avantage de l’esclavage sur le travail
paysan individuel, c’est le fait que les esclaves coûtent très peu cher. […] Par
contre, il faut comprendre que l’esclavage est moins productif au niveau
individuel. […] Les latifundias, les fermes d’esclaves, peuvent être rentables
seulement si on a une masse d’esclaves et qu’on renouvèle constamment le

110
nombre d’esclaves. C’est donc la recherche d’esclaves qui va devenir la force
motrice de l’expansion de la République. […] L’Etat va utiliser les surplus de
l’esclavage pour nourrir [à ses frais] les masses urbaines [de paysans
lumpenprolérisés]. […] Alors que le prolétariat ancien vit aux dépens de la
société, la société moderne vit aux dépends du prolétariat. » -Vincent R.
Beaudoin, La lutte des classes dans la République romaine.

« Le Tibre était pour le Latium la route naturelle du commerce: son


embouchure, sur une côte sans découpures, y offrait au navigateur un unique et
nécessaire ancrage. Le Tibre aussi constitua, de tout temps, pour les Latins, une
utile défense contre l'invasion des peuples établis au Nord. Il fallait bien un
entrepôt pour la traite fluviale et maritime, et une citadelle pour assurer aux
Latins la possession de leur frontière du côté de la mer. Or, quel lieu était plus
propre à cette destination que l'emplacement de Rome, réunissant à la fois les
avantages d'une forte position et du voisinage du fleuve ; de Rome, qui
commandait les deux rives de l'embouchures: qui offrait une escale facile aux
bateliers descendus par le Tibre supérieur ou l'Anio, et un refuge plus sûr que
les autres refuges de la côte, aux petits navires d'alors fuyant devant les pirates
de la haute mer ? Rome doit donc sa précoce importance, sinon sa fondation
même, à des circonstances toutes commerciales et stratégiques. » -Theodor
Mommsen, Histoire romaine, Tome 1 "Des commencements de Rome jusqu'aux
guerres civiles", Livre Premier "Depuis Rome fondée jusqu'à la suppression des
rois", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1985, 1141 pages, p.48.

https://www.amazon.fr/FONDATION-ROME-R%C3%A9flexion-sur-
lhistoire/dp/2012788203/ref=la_B004MZQAFS_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=
1478692906&sr=1-2

De la Monarchie à la République : « Pendant deux siècles et demi (-509/-264),


c’est-à-dire au moins jusqu’aux Guerres Puniques livrées contre cette grande
rivale méditerranéenne qu’est la civilisation carthaginoise, s’impose comme
combat structurel l’émancipation des classes populaires à travers l’accès des
plébéiens aux droits fondamentaux, l’avènement d’une représentation politique
populaire, le rééquilibrage démocratique des institutions et la conquête d’une
moindre injustice sociale. À cette poussée démocratique relative, l’aristocratie
résiste en dénonçant les dangers de cette hydre aux mille têtes. » -Gérald
Garutti, « Au cœur de Coriolan : la démocratie en questions », Actes des congrès
de la Société française Shakespeare [En ligne], 28 | 2011, mis en ligne le 15
111
février 2011, consulté le 31 mai 2020. URL :
http://journals.openedition.org/shakespeare/1613 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/shakespeare.1613

« Le respect des collègues, vice des oligarchies, selon Montesquieu, voilà


l’explication ultime de l’impérialisme romain. Car ce respect aboutit à deux
effets diamétralement opposés : en politique intérieure, il interdira aux consuls
de toucher aux droits acquis et chasses gardées de leurs collègues ; à
l’extérieur, il fera que jamais le Sénat ne démentira les initiatives militaires ou
diplomatiques d’un consul, quelque aventurées qu’elles puissent être ; le Sénat
ne manquera jamais, envers un cher collègue, de faire le geste auguste du
couvreur. Toute assemblée en ferait autant, ne serait-ce que par la solidarité
que crée le métier parlementaire. Supposons alors un consul ambitieux ou
entreprenant, qui veut marquer dans l’histoire : vers quel domaine tournera-t-il
son activité ? La politique intérieure ? Elle était devenue un tel conglomérat
d’intérêts, d’entêtements et de préjugés qu’il était impossible de faire la moindre
réforme, à moins de se brouiller avec la moitié de ses collègues. Mieux vaut
aller soumettre quelque peuple étranger : en Grèce ou en Gaule, on ne
rencontrera pas de collègues ; mieux encore, tant que l’activité du consul sera
ainsi dirigée vers l’étranger, ce qui est rassurant, tous ses collègues feront
automatiquement bloc avec lui, quoi qu’il fasse. » -Paul Vayne, Y a-t-il eu un
impérialisme romain ?, Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité,
Année 1975, Volume 87, Numéro 2, pp. 793-855, 826.

http://www.amazon.fr/Id-es-romaines-Dum-zil-
Georges/dp/2070269620/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1459
773417&sr=1-1

Carthage la première guerre punique: « Aussi longtemps que Carthage


possèderait en Sicile fût-ce une seule base, en particulier sa puissante station de
Lilybée, à l’autre bout de l’île, elle garderait le pouvoir de frapper l’Italie en
n’importe quel point du littoral : la guerre qui allait éclater devait, au cours des
ans, en fournir amplement la démonstration. Il fallait chasser les Puniques de la
Sicile tout entière. » (p.830)

« A l’escalade romain Carthage répliqua en déplaçant le terrain de la guerre :


alors que Rome croyait qu’elle allait conquérir le sol sicilien, elle dut se
défendre des flottes puniques qui, de toutes les bases de Sicile, attaquaient en

112
tous points les côtes italiennes. C’est ainsi que cette guerre devait devenir un
duel à mort et la plus grande guerre navale de l’Antiquité ; Rome, s’adaptant à
l’arme nouvelle, allait devenir elle-même la plus grande puissance navale que
l’Antiquité tout entière devait connaître : les Grecs, au siècle suivant,
craindront peut-être moins les légions que le souvenir de ses flottes. » (p.832)

-Paul Vayne, Y a-t-il eu un impérialisme romain ?, Mélanges de l'Ecole


française de Rome. Antiquité, Année 1975, Volume 87, Numéro 2, pp. 793-855.

http://www.amazon.fr/Carthage-Serge-
Lancel/dp/2213028389/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1459772510&sr=8-
2&keywords=histoire+de+carthage

http://www.amazon.fr/Les-Guerres-puniques-
Collectifs/dp/2070419428/ref=pd_sim_14_21?ie=UTF8&dpID=51Lhl76jYlL&
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RMP2A7Z0

http://www.amazon.fr/Histoire-militaire-guerres-puniques-264-
146/dp/B00G68N7RI/ref=pd_sim_sbs_14_3?ie=UTF8&dpID=513HzdgwuxL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR107%2C160_&refRID=1TKFSC1DV28
G1R3TNQ07

Hannibal Barca (-247/-183-181): http://hydra.forumactif.org/t1359-zakya-


daoud-hannibal#2008

http://www.amazon.fr/Hannibal-Zakya-
DAOUD/dp/2262036640/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1455718721&sr
=1-1&keywords=Zakya-Daoud-Hannibal

La République romaine à partir de la Deuxième guerre punique (-218 avant


J.C.) :

« [Rome] s’engage beaucoup plus en Orient dans les années qui suivent la fin de
la guerre contre Hannibal, avec la deuxième guerre de Macédoine (200-196),
ainsi que la guerre Antiochos III de Syrie (192-188), la troisième guerre de
Macédoine (172-168) et la guerre contre la ligue achéenne (146 : prise et
destruction de Corinthe). Les guerres contre Mithridate, au Ier siècle, sans
compter le legs du roi Attale III en 133 de son royaume de Pergame, lui

113
permettent d’augmenter très sensiblement ses possessions et son influence en
Orient. […]

La conquête de la Gaule cisalpine est chose faite en 181, celle de la Gaule


transalpine commence en 125, la Gaule chevelue devient province romaine en
51 ; la conquête de la péninsule Ibérique se poursuit (guerre de Viriathe de 147 à
139 et prise de Numance par Scipion Émilien en 133) ; Carthage est
définitivement détruite en 146 et Rome intervient à nouveau en Afrique contre
Jugurtha de 112 à 105. Elle doit cependant aussi se défendre lors de l’invasion
en 113 des Cimbres et des Teutons, qui ne sont définitivement vaincus qu’en
101 par Marius et lors de la guerre contre Spartacus de 73 à 71. […]

Les principaux bénéficiaires de ces conquêtes sont les membres de l’élite, qui
s’enrichissent de façon spectaculaire. » (p.23)

« Tout est politique dans [l’affaire des Bacchanales], il n’y a rien de religieux. »
(pp.23-24)

« L’analyse de Beard [1999 ; voir aussi Beard, North et Price, 2006] est
semblable : il s’agit de supprimer son identité de groupe indépendant car
certains sénateurs ont conscience que le danger de ce culte est dans sa fonction
de religion alternative et de groupe social à l’extérieur du contrôle des autorités
religieuses et politiques traditionnelles de la cité. Il en va de même pour les
efforts des autorités romaines qui cherchent à assurer le contrôle du culte d’Isis
[…] et de la pratique de la magie et de l’astrologie, les astrologues étant des
experts qui n’appartiennent pas aux groupes sacerdotaux traditionnels, qui
peuvent donc être dangereux et qui sont périodiquement chassés, ainsi que les
magiciens [Martin, 2007]. Scheid [1981] souligne que ce n’est pas l’astrologie
en tant que telle qui est accusée, mais les aspects séditieux que peut comporter
sa pratique ; de même, la pratique de la magie peut engendrer des crimes de
droit commun comme les empoisonnements. » (p.24)

« Les triomphes, cette cérémonie au cours de laquelle le triomphateur


personnifie Jupiter Optimus Maximus, sont de plus en plus en plus somptueux
[…] et durant plusieurs jours […] Cette personnification, qui n’est en principe
que temporaire, puisqu’elle ne dure que le temps du triomphe, tend à déborder
ce temps : Paul-Émile a le droit de porter le costume du triomphateur lors de
tous les jeux du cirque, comme Pompée, César, lors de toutes les occasions
publiques […] Marius essaie d’entrer au Sénat dans sa tenue triomphale tout de
114
suite après son triomphe de janvier 104, mais c’est un échec. Comme Paul
Émile, il a cependant le droit de la porter lors des jeux du cirque. La confiscation
du triomphe par Auguste (Lucius Cornelius Balbus Minor est le dernier
particulier à avoir célébré un triomphe, en 19 av. J.C.) puis par ses successeurs
montre l’importance de cette cérémonie. » (p.25)

« Certes, la lex Ogulnia, en 300, a ouvert aux plébéiens le grand pontificat et


d’autres prêtrises jusque-là réservées aux patriciens […] Mais les membres des
différents collèges se cooptent toujours entre eux, le peuple, par l’intermédiaire
des comices, n’a pas son mot à dire et ne peut contrôler l’attribution de ces
postes. A une date inconnue du IIIe siècle, sans doute au moins depuis le milieu
de ce siècle (la première élection attestée date de 212), le mode d’élection du
grand pontife change et il est élu par les comices tributes, ou plus exactement
par 17 des 35 tribus qui composent les comices tributes, les 17 étant tirées au
sort. Ces comices se tiennent en mars, entre les comices prétoriens et les
comices consulaires [Gros, 1992]. Le changement est important, même si les
comices consulaires n’ont le choix qu’entre trois candidats proposés par le
collège des pontifes. Une autre étape est franchie au IIe siècle. Il y a une
tentative qui échoue en 145, mais en 104, au moment où la lutte entre les
populares et les optimales est importante, la lex Domitia étend ce mode de
recrutement aux prêtres des quatre collèges qui sont alors appelés majeurs
(Suétone, Nér., 2, 1) […] Les prêtres fournissent une liste de candidats aux
comices, chaque membre du collège concerné nommant un candidat, aucun
candidat ne pouvant être nommé par plus de deux membres (jusqu’à la lex Iulia)
[…] Preuve de l’importance de la façon dont on choisit les prêtres, Sylla
souhaite revenir en arrière et une fois devenu dictateur fait en sorte, avec la lex
Cornelia, que les prêtres soient à nouveau cooptés. Il augmente également le
nombre des prêtres dans les collèges majeurs. La lex Atia, maintenue par une lex
Iulia après 49, abroge cette lex Cornelia en 63 (Dion Cassius, XXXVII, 37, 1).
Mais en 49, César choisit lui-même les pontifes (Dion Cassius, XLI, 36, 3).
Quelques prêtrises et toutes les sodalités échappent à ce mode de choix : le rex
sacrorum, les flamines et les vestales. » (pp.26-27)

-Catherine Wolff et all, Religion et pouvoir. Monde romain 218 av. J.C. - 235
ap. J.-C., Atlande, 2019, 399 pages.

La Seconde Guerre de Macédoine: « Pour une fois, en libérant la Grèce en


201-196, Rome a été authentiquement impérialiste ; c’est que l’enjeu en valait
115
la peine : la Seconde macédonique a procuré au Sénat cette domination
mondiale qui sera l’objet des méditations de Polybe sur Rome. » (p.838)

« En 201, Rome est débarrassée d’Hannibal et enivrée du vin de sa nouvelle


grandeur. […] Le prestige politique et culturel du monde hellénistique étant tel,
il en est résulté que Rome, une fois dans l’histoire de sa conquête, une seule, a
été impérialiste : elle a eu envie de dominer pour dominer. » (p.839)

-Paul Vayne, Y a-t-il eu un impérialisme romain ?, Mélanges de l'Ecole


française de Rome. Antiquité, Année 1975, Volume 87, Numéro 2, pp. 793-855.

De la République à l’Empire : « Rome a dominé le monde bien avant de savoir


l’organiser et peu d’administrations ont été aussi médiocres et corrompues que
celle de la République. » -Paul Vayne, Y a-t-il eu un impérialisme romain ?,
Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité, Année 1975, Volume 87,
Numéro 2, pp. 793-855, p.814.

« On commença à concevoir que le droit existant, matérialisé par les lois et les
coutumes, n'est que l'image imparfaite (donc perfectible) d'un droit naturel
d'origine divine, en ce sens qu'il tient à la nature même de la création et
appartient à l'ordre du monde. Des facultés que possède l'être humain, il en est
une, la raison, qui le met à même de comprendre ce plan de la création, et le
droit, comme la morale, doit donc être fondé en raison : à la limite, tout le droit
est déductible a priori de principes abstraits, que dégage la philosophie. Ce qui
entraîne immédiatement une grave conséquence : la raison, faculté humaine par
excellence, est universelle, et le droit, s'il en émane, doit lui aussi être universel
dans ses applications comme dans ses principes. Il cesse d'être lié à une cité
particulière, à tel ou tel groupe d'hommes, pour s'étendre à l'humanité entière.
Au regard de la raison, il n'y a plus ni citoyens, ni pérégrins, ni hommes libres,
ni esclaves, mais des êtres ayant des exigences semblables. » -Pierre Grimal, La
civilisation romaine, 1960.

« La République romaine, alors même qu’elle est emportée par les conflits
extérieurs et les guerres civiles, avant de s’effondrer dans le régime impérial,
connaît une révolution intellectuelle sous l’emblème de la Raison. La vérité de
cette époque troublée n’est pas seulement dans les armes, mais aussi dans son
esprit de rationalité. » (p.13)

116
« Les Romains avaient conscience qu’ils vivaient un âge de progrès : plus de
connaissances, plus d’esprit critique, plus de livres, plus de lumières en
somme. » (p.21)

« Pour les Romains de la fin de la République, il ne faisait pas de doute que leur
cité traversait depuis un sicèle la plus grave crise de leur histoire. « Voici la
cinquième guerre civile –et toutes ont eu lieu en notre temps ! » s’écrie Cicéron,
en 43, tandis que Marc Antoine menace à son tour l’autorité du Sénat et la
liberté du peuple romain. Mais le siècle n’est pas fini : et Cicéron, qui va bientôt
périr assassiné, ne verra pas la dernière des luttes fratricides, celle qui
opposera Antoine et Octave et s’achèvera par la bataille d’Actium en 31.
L’espace de trois générations : un siècle de crise, une « révolution » qui s’ouvre
par l’assassinat, en 133, du tribun de la plèbe Tiberius Sempronius Gracchus et
de ses partisans. Au terme de ce séisme, à l’heure où Auguste instaure la Paix
romain, célébrée par l’inauguration de l’autel de la Paix sur le Champ de Mars,
par la fermeture hautement symbolique du temple de Janus et par la
restauration du temple de la Concorde, le calcul est impossible de dégâts et de
victimes. Que reste-il de la res publica après tant de violence ? Après les
proscriptions, les confications de biens, la pression des armes jusqu’au Forum
et jusqu’au Capitole ? Après la guerre italique, les révoltes serviles, la
conjuration de Catilina et les troubles fomentés par Clodius, les affrontements
entre Sylla et Marius, entre Pompée et César, entre Octave et Marc Antoine ?
Dans le prologue de son grand poème, publié en 55-54, Lucrèce évoque les
« temps tragiques que connaît la patrie » (patriae tempore iniquo) et voit les
hommes comme des « errants, cherchant au hasard le chemin de la vie ». […]

Au-delà des combats et des dérèglements en tous genres, derrière le bruit des
armes, un monde s’écroule et se disloque, un univers se fissure : l’homme
romain est perdu dans sa cité. « Nous étions errants dans notre cité », écrira à
son tour Cicéron quelques années plus tard. L’époque vit des changements
institutionnels, des « révolutions civiles », qui sont autant de secousses
auxquelles la pensée se trouve confrontée. Le passage de la République à
l’Empire ne se sera pas fait de manière douce et insensible : il aura été brutal. »
(p.25-26)

« Les Romains n’ont jamais tant réfléchi qu’à cette époque sur les passions, sur
les peurs et sur les moyens de les juguler. » (p.44)

117
« A l’époque impériale, des Sénèque, des Tacite, des Pline se retourneront avec
nostalgie sur l’immense liberté que connut cette époque où la liberté fut en si
grand danger. La tyrannie, dont Cicéron voyait le spectre menacer la respublica
dès les années 50, l’avait emporté finalement et, avec elle, l’esprit ancien
semblait avoir succombé. C’est pourquoi un Cremutius Cordus put écrire sous
Tibère que les assassins du tyran César, Cassius et Brutus, étaient les derniers
des Romains : il le paya de sa vie. » (p.53)

« A la fin de la République, conscients de l’imprécision de leur savoir –la


pensée traditionnelle était, pourrait-on dire, fondée sur elle et y incitait même-,
les Romains, à la suite des Grecs, ont tenté d’y remédier, autant pour établir
leur passé que pour gérer leur présent. Cela n’allait pas de soi, mais la
difficulté ne résidait pas, comme on le croit, dans les moyens intellectuels ou
même matériels qu’ils avaient à leur disposition, elle provenait d’abord des
résistances de la société à ce progrès. » (p.303)

« Alors même que la démarche critique et réflexive était née de la désunion et de


l’insatisfaction, que la curiosité et l’érudition s’étaient développées sur un fond
de désordre, il est apparu plus important de sauvegarder la mémoire collective,
de restructurer la cité que de connaître le monde. » (p.310)

-Claudia Moatti, La Raison de Rome. Naissance de l’esprit critique à la fin de la


République (IIe-Ier siècle avant Jésus-Christ), Éditions du seuil, coll. Des
Travaux, 1997, 474 pages.

https://www.amazon.fr/R%C3%A9publique-romaine-Christophe-
Badel/dp/2130583377?ie=UTF8&ref_=asap_bc

Plaute (-254/-184) : https://www.amazon.fr/Amphitryon-LAululaire-soldat-


fanfaron-Plaute/dp/2081336650/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1478958127&sr=8-
3&keywords=Plaute

Caton l'Ancien (-234/-149) : "Rome, forte de l'amitié indéfectible de Marseille


en Gaule méridionale, était également amenée à assurer la sécurité de ses
communications terrestres en mettant en place des relations de soumission et
d'alliance avec les peuples situés entre le Rhône et l'Espagne.
En Afrique, Carthage, vaincue et désarmée par les conditions de paix, était
devenue une alliée fidèle. Bien que soumise aux pressions et aux attaques de
Massinissa, le roi numide qui avait contribué à la victoire romaine de 202, elle

118
restait soumise à la volonté du Sénat. Après la troisième guerre de Macédoine
cependant, quand il apparut que plus aucune puissance ne pouvait inquiéter
Rome, l'idée se fit jour, puissamment développée en tout cas par Caton l'Ancien
à partir de 153, que cette cité, qui s'enrichissait à nouveau, pourrait un jour
chercher à prendre sa revanche. Sa disparition fut décidée. Malgré une
résistance héroïque de deux ans, la ville fut prise en 146 par Scipion Émilien."
(pp.66-67)

« [Il contribua] à mettre en place un thème idéologique qui devint vite récurrent
dans la pensée politique romaine, qui faisait du luxe une menace pour la cité,
puis la cause de sa décadence. » (p.85)

« Il réaffirmait le droit de la cité à disposer des gains faits lors des conquêtes, il
proclamait la subordination des intérêts privés des magistrats à l’ordre et à
l’équilibre publics et il tentait de faire en sorte que le prestige de certains ne
vînt pas fausser les conditions de la compétition aristocratique. » (p.87)

-Jean-Michel David, La République romaine. De la deuxième guerre punique à


la bataille d'Actium (218-31 av. J.C.). Crise d'une aristocratie, Nouvelle histoire
de l'Antiquité, tome 7, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000, 304 pages.

https://www.amazon.fr/Caton-ou-citoyen-Jean-No%C3%ABl-
Robert/dp/2251442057/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1466440967&sr=8-
1&keywords=Caton+ou+le+citoyen

Polybe (-200/-118) : « L'histoire n'est vraiment intéressante et instructive que si


elle permet d'observer l'ensemble des événements dans leur interdépendance,
avec leurs similitudes et leurs différences. » -Polybe, Histoire, Gallimard, coll.
Quarto, 2003 (1970 pour l'édition Pléiade), 1504 pages, p.71.

"En bons patriotes achaiens, ils souhaitaient éviter d'amener Rome à


transformer son protectorat encore discret en une véritable domination.
Lorsque, en 172, éclata la guerre entre Persée et les Romains, tandis que la
loyauté de ceux qui avaient été jusque-là les plus fidèles amis de Rome, Eumène
de Pergame et les Rhodiens, paraissait chancelante, ils s'efforcèrent de
préserver une sorte de neutralité bienveillante. Puis, à l'automne 170, Polybe fut
élu hipparque de la Confédération et chargé d'offrir au consul romain Q.
Marcius Philippus les services de l'armée achaienne, mais, à Rome, on estima
bientôt que le gouvernement de la Confédération faisait preuve d'une tiédeur

119
suspecte. Cette méfiance naissante fut nourrie par les rapports et les
dénonciations de certains Achaiens hostiles aux dirigeants du moment et
partisans d'une soumission inconditionnelle aux exigences des Romains. Ces
hommes, menés par Callicratès, accusèrent les gens au pouvoir d'être
d'intelligence avec Persée. Polybe lui-même avait su se faire apprécier par les
généraux et les officiers supérieurs romains qui servaient en Grèce, mais le
Sénat fut bientôt résolu à en finir avec le parti des patriotes achaiens, auquel
appartenait le fils de Lycortas. C'est ainsi qu'après la défaite de Persée (168),
lorsque Callicratès eut dressé une liste d'un millier de notables achaiens
suspects de déloyauté envers Rome, il exigea que ces hommes, parmi lesquels
figurait Polybe, fussent traduits en justice. Comme il n'existait contre eux
aucune charge qui pût les faire condamner par un tribunal achaien, il décida de
les faire emmener à Rome pour y être jugés. Une fois arrivés en Italie, ceux-ci
ne passèrent naturellement pas en jugement, mais ils furent retenus loin du
Péloponnèse pendant près de dix-sept ans. Callicratès et ses amis purent dès
lors, sans opposition dangereuse, gérer les affaires de la Confédération en
conformité avec les volontés du Sénat.
Déporté en Italie en 167 comme suspect d'hostilité à l'égard de Rome, Polybe
rentra en Grèce en 150 avec la réputation, qu'il allait bientôt justifier par des
actes, d'être un des plus sûrs amis des Romains. Lorsqu'il dut quitter la Grèce, il
avait dépassé la quarantaine. Il n'était donc pas de ces adolescents malléables,
héritiers de quelque trône ou fils de grandes familles, que les Romains
retenaient pendant des années parmi eux comme otages et qu'ils s'efforçaient de
dresser à la soumission. Il n'appartenaient pas non plus, on s'en convaincra en
lisant son Histoire, à l'espèce dont on fait les "collaborateurs". Il resta ce qu'il
avait été jusque-là, avec son caractère aux lignes fortement dessinées, avec ses
principes et ses idées solidement ancrés, mais il apprit à connaître des hommes,
une cité, des institutions, des façons de penser et d'agir, tout un monde nouveau
pour lui. Sa réflexion en fut fortement stimulée et sortit des limites assez étroites
dans lesquelles elle était restée cantonnée jusqu'alors. Gardons-nous de parler
de reniement ou de revirement intéressé. C'est au contraire dans cet effort pour
élever sa pensée à la hauteur d'une expérience bouleversante que se trouve la
grandeur de Polybe. Il lui fallut réviser ou plutôt élargir à l'échelle du monde vu
de Rome toutes les conceptions acquises dans son petit Péloponnèse natal sur
les hommes, sur les régimes politiques, sur la puissance et sur la guerre. Il ne
rejoignit pas pour autant les rangs de ces insipides citoyens du monde, de ces
plats rhéteurs cosmopolites qui pullulaient alors. Il ne chercha pas à discourir
120
mais à comprendre. Il ne devint pas un de ces Graeculi que les Romains
écoutaient avec amusement, tout en les méprisant. Il sut au contraire, en restant
un vrai Grec, un Achaien et un Mégalopolitain, forcer leur estime et leur respect
par la dignité de son caractère, par le sérieux de ses préoccupations et par la
gravité de ses réflexions." (pp.41-42)

"Raisonneur et méthodique en toute chose, il se méfiait néanmoins de la


spéculation pure. […] Son goût du pratique et du solide ne pouvait que plaire à
ses amis romains." (p.43)

"Aux yeux du vieux Caton, qui, on peut le croire, fit forte impression sur Polybe,
Rome devait se contenter d'être la première cité d'Italie et, tout en profitant des
avantages matériels que lui valaient ses victoires, éviter de se dénaturer en
cherchant à prendre, en Grèce et en Orient, la succession des grandes
monarchies hellénistiques. Elle avait fait la guerre pour mettre son domaine
italien à l'abri des ambitions d'autrui. Elle l'avait emporté grâce à la qualité de
ses institutions et aux vertus de son peuple. Elle pouvait maintenant laisser les
autres croupir dans leurs vices. Elle n'avait pas charge d'âmes étrangères. Il lui
suffirait désormais de veiller à ce que nulle part, en Afrique, en Grèce ou en
Asie, quelque Etat ne pût amasser de ressources suffisantes pour défier la
puissance de Rome. Mais Caton ne voulait pas que, fascinée par les prestiges
d'un hellénisme décadent, sa patrie en vînt à laisser la culture romaine se noyer
dans les eaux troubles de la civilisation hellénistique.
Il n'est pas douteux que Polybe, patriote archaien, ait été sensible à de telles
conceptions, et cela d'autant plus qu'il avait appris à admirer les institutions
ainsi que les qualités spécifiques (avec les défauts et les limites qui en étaient
l'envers) de la nation romaine. De fait, il est permis d'éprouver plus de
sympathie pour le genre "vieux Romain" incarné par Caton que pour la
brillante personnalité du grand Scipion et celle -moins brillante- de son petit-fils
adoptif, Scipion Aemilien. Mais Polybe, malgré tout, était grec, c'est-à-dire que
tout républicain et achaien qu'il était, l'idée d'une domination universelle sur le
genre humain lui était familière, sans qu'il faille voir là l'effet de quelque
adhésion à la doctrine stoïcienne. Cette idée, qui ne s'accompagne chez lui
d'aucun mysticisme, avait été empruntée aux Perses par Alexandre et elle était
maintenant fort répandue dans le monde hellénistique." (p.46-47)

"Aussi fut-il, on peut le croire, fort heureux de recevoir de Rome une


convocation l'invitant à venir servir comme expert auprès de l'état-major chargé
121
de mener les opérations contre Carthage (149). Il avait, avant sa déportation en
Italie, publié un traité d'art militaire et il passait, à juste titre, semble-t-il, pour
être fort compétent en matière de guerre de siège. Après un faux départ, il finit
par se retrouver, en 147, au côté de son ami Scipion Aemilien, élu consul et
chargé d'en finir avec la résistance inattendue des Carthaginois. La ville une
fois prise, on porta le coup de grâce, dans un horrible massacre, à la grande
cité. L'homme qui s'était préparé à incarner un impérialisme généreux et
pacificateur devint ainsi l'exécuteur des basses œuvres de l'Etat romain. Il ne
manqua pas d'échanger à ce sujet quelques réflexions inquiètes avec Polybe,
son confident de toujours.
Pendant ce temps, sur les ordres du Sénat, L. Mummius s'apprêtait, de son côté,
à sévir avec rudesse contre les Achaiens qu'il avait vite défaits à la suite de leur
soulèvement insane. Le temps n'était décidément pas encore venu où une
souveraineté légitimée par la raison pourrait s'exercer sur le monde. Les sujets
restaient rétifs et les maîtres, enragés par cette résistance, le vieux fond de
cupidité et de férocité réapparaissait. […]
Plutôt que de rentrer immédiatement en Grèce pour assister aux derniers
soubresauts de la Confédération achaienne, Polybe préféra, après la chute de
Carthage, accepter de se faire confier une mission d'exploration de quelques
mois dans l'Atlantique. Depuis un certain temps les curiosités d'ordre
géographique s'étaient développés en lui, qui compensaient, dans une certaine
mesure, ses déceptions politiques.
Lorsque, à l'automne de l'année 146, il se retrouva dans le Péloponnèse,
Corinthe venait d'être saccagée puis incendiée par les hommes de L. Mummius.
On conçoit sans peine son amertume et son chagrin. Le triomphe remporté par
Rome sur sa patrie n'était certes pas glorieux, mais c'était sans gloire aussi que
disparaissait la Confédération achaienne. […]
Il passa ensuite les vingt dernières années de sa vie à travailler à sa grande
Histoire, à voyager aussi en Égypte et en Orient. Il est possible que Scipion
Aemilien l'ait à nouveau appelé à son côté en 133, alors qu'il menait de rudes
opérations contre Numance, en Espagne. On sait que la chute de cette ville
s'accompagna de mille horreurs. Scipion mourut quatre années plus tard,
quelque temps avant son vieux maître, dont l'existence se prolongea au-delà des
quatre-vingt ans. S'il est vrai que la carrière du deuxième Africain n'avait pas
pleinement répondu à l'attente de Polybe, on peut penser que ce dernier en
attribua la faute non pas à la personne même de son ami, mais aux
circonstances." (pp.50-51)
122
"Il ne faut pas oublier que, parmi les Grecs de son temps, le bon sens n'était pas
la chose du monde la mieux partagée et que si, de nos jours, la déraison et la
fantaisie sont tellement appréciées, c'est parce qu'elles tranchent sur le
commun, alors qu'il en allait plutôt à l'inverse dans le monde où vécut Polybe."
(p.52)
-Denis Roussel, Introduction à Polybe, Histoire, Gallimard, coll. Quarto, 2003
(1970 pour l'édition Pléiade), 1504 pages.

« Polybe est le Thucydide de l’impérialisme romain et son génie théorique égale


celui de l’historien athénien. Il explique les étapes de l’impérialisme romain par
des changements de mentalité collective consécutifs à des augmentations de
puissance. » (p.803)

« On sait que Polybe a été aussi le théoricien et, dans sa vie politique, le
praticien de la « collaboration » avec le vainqueur romain ; cele ne surprend
guère de la part du notable, propriétaire et homme d’ordre, qu’en bon Achaïen
il fut, mais cela pose un problème capital : comment une hégémonie finit-elle
par se légitimer dans le cœur des vaincus ? Comment un maître étranger cesse-
t-il d’être senti comme étranger pour devenir ni plus, ni moins étranger que tout
gouvernement, même national, l’est par rapport aux gouvernés ? Comment une
hégémonie devient-elle Etat multinational ? » (p.855)

-Paul Vayne, Y a-t-il eu un impérialisme romain ?, Mélanges de l'Ecole


française de Rome. Antiquité, Année 1975, Volume 87, Numéro 2, pp. 793-855.

Les Gracques : (1) Claude Nicolet + Jean-Michel David, Claude Nicolet - Le métier de citoyen et
Les structures de l’Italie romaine + Les Gracques. Crise agraire et révolution à Rome (forumactif.org)

Ti. Sempronius Gracchus (217-/-150) : « Comices consulaires dirigées par le


père des Gracques, Ti. Sempronius Gracchus. Celui-ci refusa de tenir compte de
l'omen constitué par la mort du premier scrutateur. Comme cet omen provoquait
certains scrupules dans le peuple, Gracchus fit un rapport au sénat. Les
haruspices furent consultés (non pas à propos des règles violées, mais à propos
de la signification de l'omen) et répondirent que Gracchus n'était pas un rogator
légitime [...]. Gracchus s'emporta et attaqua violemment ces "Toscans et
barbares" qui prétendaient critiquer la conduite d'un consul et augure. Il s'en
tint à sa première décision et considéra les élections comme valides. Après
quelque temps Gracchus informa toutefois le collège des augures qu'à la lecture
des livres auguraux il s'était rappelé qu'il avait commis une faute ; "car, ayant
123
franchi le pomoerium pour présider le sénat, il avait oublié à son retour, quand il
traversa à nouveau le pomoerium, de prendre les auspices" (Cic, ND, 2, 11). Les
augures firent un rapport au sénat et les consuls démissionnèrent.
Cette anecdote met bien en évidence le contrôle que les Romains exerçaient sur
les actes religieux: c'était à eux de décider si une action était contraire aux
règles, et cela même quand un omen paraissait signaler une infraction. Ce refus
d'accepter l'omen nullement contraire à la tradition, ne fut jamais reproché à
Gracchus, vraisemblablement, pouvons-nous supposer, parce qu'aucune
catastrophe n'est venu dénoncer la souillure. [...]
Sa grandeur [aux yeux de Cicéron] provient de ce que, malgré l'absence d'une
catastrophe, il préféra dénoncer l'erreur dans l'intérêt de la république. »
(pp.145-146)

-John Scheid, "Le délit religieux dans la Rome tardo-républicaine",


1981: https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1981_act_48_1_1360

Gaius Blossius de Cume : « Le stoïcien latin, Blossius de Cuma, après avoir été
le maître des Gracques et notamment de Tiberius Gracchus, aurait participé, à
Pergame, à la révolte d'Aristonique contre l'impérialisme avec un programme
de libération totale des esclaves. » -Denis Collin et Marie-Pierre Frondziak, La
Force de la Morale. Comment nous devenons humains, R&N Éditions, 2020,
311 pages, p.114.

Tiberius Sempronius Gracchus -168/-163 à -133 ; Caïus Sempronius Gracchus


-154/-121) : "Tiberius et Caius Sempronius Gracchus, deux frères qui, l'un
après l'autre, affrontèrent de façon déterminée certaines des questions les plus
graves et qui, par les réformes qu'ils promurent et les pratiques qu'ils
introduisirent, modifièrent les règles du fonctionnement civique. Les réponses
qu'ils apportèrent n'étaient que très partielles, mais par leur cohérence
réformatrice elles servirent de référence à leurs successeurs et cristallisèrent les
revendications. Un mode différent de fonctionnement politique était né, que l'on
dit parfois popularis, qui prenait en charge bien des aspirations démocratiques
et témoignait aussi de changements importants dans les représentations
politiques." (pp.118-119)

(pp.128-140)

124
-Jean-Michel David, La République romaine. De la deuxième guerre punique à
la bataille d'Actium (218-31 av. J.C.). Crise d'une aristocratie, Nouvelle histoire
de l'Antiquité, tome 7, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000, 304 pages.

Licinia C. f. C. n. (une des vestales en -123, exécuté en -113) : Licinius Crassus —


Wikipédia (wikipedia.org)

En 123 av. J.-C., la vestale Licinia, fille du Licinius Crassus qui tenta le
premier de faire passer la réforme de la désignation des prêtres en 145 av.
J.-C., choisit de consacrer à Bona Dea un petit autel à côté de son temple
sur l’Aventin. Face à cette entreprise, le préteur Sextus Julius réagit en faisant
un rapport au sénat et le grand pontife Scaevola annule la décision de Licinia en
vertu de la lex Papiria de dedicationibus (très difficile à dater) qui stipule que
l’on ne peut dédier un sanctuaire sans le vote du peuple. Il y a ici un enjeu
politique mais qui a parfois été interprété étrangement comme acte conservateur,
du fait de l’absence de consultation du peuple. Pourtant, Licinia était la fille de
Licinius Crassus, et, dans le contexte des années 120 où l’opposition entre
popularis et optimates se construit dans la violence, elle a plus
vraisemblablement porté des idées proches de celles de son père. En réalité, un
tel acte était profondément inscrit dans une défense de la plèbe : L’Aventin était
le lieu des auspices de Rémus, or Rémus est selon Meghan Diluzio depuis le IVe
siècle une référence plébéienne. On trouvait sur l’Aventin le temple de Cérès où
les édiles plébéiens gardaient leurs registres. Le culte de Bona Dea était
largement fréquenté par la plèbe. Il y a une cohérence, au contraire, à voir dans
l’acte de défiance de Licinia un soutien aux positions anti-conservatrices. On
notera d’ailleurs que dix ans plus tard, la vestale est condamnée à mort pour
avoir manqué à son serment de chasteté, ce qui laisse penser que le personnage
était fort peu consensuel.

Il y a donc dans la dédicace de ce sanctuaire un sens religieux bien sûr, mais


aussi un élément d’action politique mené par une femme qui représente ici le
soutien de sa gens aux idées qui défendent l’intervention du peuple dans la vie
politique et religieuse romaine.

Caius Marius (-157/-86) : "C'était dans ce contexte que Caius Marius s'efforçait
de parvenir au sommet de la cité. Il était originaire d'une famille de rang
équestre d'Arpinium, un municipe du pays volsque qui avait reçu la citoyenneté
complète en 188. Sa famille était de rang équestre et appartenait ainsi à une
aristocratie municipale, intégrée à Rome depuis plusieurs générations, mais qui
125
n'avait d'autres liens avec les milieux dirigeants que ceux de la dépendance
clientélaire. Il avait commencé sa carrière sous les ordres de Scipion Émilien au
siège de Numance. Le grand général l'avait alors remarqué et l'avait désigné aux
jeunes nobles dédaigneux qui composaient son état-major comme celui qui,
peut-être, saurait l'égaler. Le jeune Italien en avait conçu une ambition et une
rage de s'imposer qui, si l'on en croit Plutarque, furent le moteur de toute son
action.
Les témoignages des premiers temps de sa carrière donnent ainsi de lui l'image
d'un individu ferme et déterminé, désireux surtout de s'émanciper des rapports
de domination aristocratique. En 119, alors qu'il était tribun de la plèbe, il
proposa une nouvelle loi sur les procédures de vote qui avait pour conséquence
d'en renforcer le secret. Comme à la demande du consul L. Aurelius Cotta le
Sénat s'opposait à sa proposition, il n'hésita pas à menacer Cotta de le mettre en
prison. Marius appartenait à la clientèle des Metelli. Cotta fit donc appel à l'autre
consul L. Caecilius Metellus Delmaticus pour le contraindre à abandonner son
projet. Loin de s'incliner, Marius menaça de l'incarcérer lui aussi et le Sénat
renonça à ses objections. Par ce geste, il se donnait la réputation d'un homme
politique résolu sur lequel le peuple pourrait compter.
Au point où en était la vie politique romaine, il était assuré alors d'une certaine
popularité. A examiner en effet les divers aspects de sa personnalité, il
constituait une figure tout à la fois classique et marginale de la représentation
politique qui répondait aux attentes d'une grande partie du corps civique. Il était
d'abord un homme nouveau qui avait construit son image et sa carrière sur sa
compétence de soldat et sur ces qualités de courage, d'intelligence et de ténacité
qui correspondaient au modèle traditionnel de la valeur romaine tel que l'avaient
incarné les Scipions. Faisant de son extraction vertu, il affectait la plus grande
distance à l'égard de l'hellénisme. Il reprenait ainsi des traits catoniens qui lui
permettaient de revendiquer une légitimité face à une oligarchie qui aurait failli
et de se donner l'apparence d'une plus grande authenticité dans l'incarnation de
ces vieilles qualités italiques fondatrices et garantes de la force de Rome. Il
représentait ainsi un espoir pour toutes les catégories de citoyens que les
événements de ces dernières années avaient exaspérés et qui pouvaient
s'identifier à lui: les chevaliers et les membres de ces aristocraties municipales
qui avaient été touchés par les massacres de négociants commis en Afrique et
qui souhaitaient une victoire rapide, et d'autre part les milieux populaires qui
pouvaient attendre de lui une reprise de la politique gracquienne.
En 108, alors qu'il avait atteint le moment où il pouvait se présenter au consulat,
126
il combattait Jugurtha comme légat sous les ordres de Q. Caecilius Metellus et il
avait besoin de l'autorisation de son chef pour se rendre à Rome. [...] Marius se
serait alors déchaîné contre [l'oligarchie] lorsqu'il se présenta aux comices. En
tout cas, il fut élu très largement au consulat de 107.
Ce fut à ce moment que se noua une première alliance entre les tribuns de la
plèbe et le nouveau consul. Pendant que l'un d'entre eux, C. Coelius Caldus,
introduisait le vote secret dans les procès populaires de haute trahison et
poursuivait un légat de Cassius Longinus qui s'était rendu aux Tigurins, un autre,
T. Manlius Mancinus, faisait voter une loi qui retirait le commandement contre
Jugurtha à Metellus et le confiait à Marius. Celui-ci, enfin, introduisait une
innovation extrêmement importante dans le recrutement des soldats. Il en mena
les opérations (dilectus) de telle sorte que les citoyens étaient mobilisés dans
l'ordre où ils se présentaient et non plus en suivant la hiérarchie des classes
censitaires. C'était s'appuyer sur le volontariat et favoriser massivement
l'engagement de prolétaires, attirés par les gains que le prestige du nouveau
général permettait d'escompter.
Muni d'une telle armée qui avait placé en lui toutes ses espérances, Marius put
reprendre une offensive énergique contre Jugurtha. Les opérations de Metellus
l'avaient repoussé à la frontière de la Maurétanie et il n'espérait son salut que
dans l'alliance qu'il avait passée avec Bocchus, le roi de ce pays. La campagne
dura encore deux ans, marquée par le succès. En 105 enfin, il vainquit
définitivement Jugurtha, mais ne dut sa capture qu'à son questeur de 107, L.
Cornelius Sulla, qui, combattant sous ses ordres, n'en cherchait pas moins à
acquérir pour lui-même quelque titre de gloire.
Le 1er janvier 104, Marius triomphait, poussant Jugurtha et ses deux fils devant
son char. La situation pourtant était grave. Les Cimbres et les Teutons,
vainqueurs de Mallius Maximus et de Servilius Caepio, approchaient. Personne
d'autre que Marius ne semblait pouvoir faire face à une telle menace. Le Peuple
l'avait élu consul pour la deuxième fois alors qu'il était encore en Afrique et le
Sénat lui avait confié le commandement contre les Barbares. Ce fut alors qu'il
trouva des appuis parmi des hommes politiques populares avec lesquels il put
s'allier jusqu'en 100. Une sorte d'association marianiste faite d'une communauté
d'intérêts et d'accords personnels se constituait, qui reprenait certaines
propositions du programme gracquien. Elle mobilisait tous ceux qui se
reconnaissait dans la personne du grand homme et s'attachaient à lui, ou encore
ceux qui contestaient la domination des quelques familles qui contrôlaient les
magistratures et le Sénat, et cherchaient à se faire une place à la tête de la cité.
127
Grâce à cette coalition, Marius fut, malgré la loi, réélu consul sans même parfois
devoir se présenter devant les comices (en 105, 104 et 102). Il obtint puis
conserva ainsi le commandement contre les Cimbres et les Teutons. Jamais
encore aucun Romain n'avait bénéficié d'une telle confiance ni d'un tel pouvoir.
Il les mit à profit. Au cours des deux premières années (104 et 103), il
réorganisa l'armée profitant de ce que les Cimbres s'étaient tournés vers
l'Espagne. L'année 102 fut celle du premier choc. Il vainquit les Teutons aux
environs d'Aix et les massacra. En 101 enfin, il rejoignit les Cimbres qui étaient
passés en Transalpine par les Alpes du Nord et avec Q. Lutatius Catulus, l'autre
consul de 102, il les détruisit à la bataille de Verceil. Il triomphait alors pour la
deuxième fois.
Il s'était hissé à un niveau de gloire qui égalait et sans doute surpassait celui de
tous les grands vainqueurs précédents: il avait sauvé Rome et l'Italie de
l'invasion barbare, certains n'hésitaient pas à faire de lui un nouveau Romulus, et
le Sénat décida de remercier les dieux de sa victoire par cinq jours de prières
officielles (supplicationes). Il avait réussi aussi à établir avec ses hommes un
rapport privilégié. Les conditions de leur recrutement, la longue durée des
opérations qui favorisait l'attachement, son courage et son énergie en campagne
ainsi que l'attention particulière qu'il leur y avait accordée, avaient créé une
familiarité qui contrastait avec le type de rapports qu'un magistrat romain avait
eu jusque-là avec des soldats. Marius n'hésitait pas non plus à mettre en scène
des formes singulière de supériorité. Il se faisait accompagner d'une prophétesse
syrienne qui le favorisait de ses inspirations. Et, après ses triomphes, il innova
par divers comportements qui devaient signifier aux yeux de tous la position
qu'il avait prise: se rendre au Sénat en costume triomphal, ou boire dans un
canthare à l'image de Bacchus qui lui aussi avait vaincu en Inde les Barbares du
bout du monde. Il avait acquis, avec ses hommes, un potentiel de fidélité et, avec
ses victoires, un capital de charisme inédits, supérieurs en tout cas à ceux de tous
ses adversaires, et entendait bien en tirer profit.
L'alliance avec les populares n'en avait pas moins été indispensable et le
demeurait. Ses principaux partenaires furent L. Appuleius Saturninus qui fut
tribun en 103 et en 100, et C. Servilius Glaucia qui fut sans doute tribun en 104
et préteur en 100. Il avait favorisé leur élection en 101 par le vote de ses
vétérans alors qu'eux avaient permis ses réélections successives au consulat.
Leur politique consista dans un premier temps à accuser les responsables des
défaites des années précédentes et à les faire condamner. Q. Servilius Caepio, le
vaincu d'Orange, fut la principale cible de leurs attaques. En 106, lors de son
128
consulat, il avait réussi à faire modifier la composition des jurys des quaestiones
en en rendant de nouveau le contrôle aux sénateurs. Il était surtout accusé d'avoir
fait disparaître le trésor pris aux Volques Tectosages. Il fut privé de son
imperium par un vote du peuple dès 105 -ce qui constituait une innovation
importante-, soumis à une procédure d'enquête spéciale sur l'or de Toulouse et
condamné en 103, dans un procès comicial. Cn. Mallius Maximus, l'autre vaincu
d'Orange, subit le même sort. M. Iunius Silanus, le consul de 109, et M.
Aemilius Scaurus, le censeur de la même année, qui avait participé aux
négociations avec Jugurtha, furent accusés en 104 devant le Peuple par le tribun
Cn. Domitius Ahenobarbus. Mais tous les deux furent acquittés.
Les tribuns populares reprirent également à leur compte les principes
démocratiques du programme gracquien. En 104, Cn. Domitius Ahenobarbus fit
attribuer aux comices l'élection d'une partie des prêtres de la cité, et L. Cassius
Longinus fit décider que les magistrats qui avaient été condamnés ou privés de
leur imperium seraient exclus du Sénat. Ces mesures sanctionnaient les
condamnations qui venaient d'être prononcées et renforçaient le pouvoir du
peuple sur ses dirigeants. En 104 probablement, C. Servilius Glaucia rendit aux
chevaliers romains le jury de la quaestio de repetundis. Sans doute en 100, L.
Appuleius Saturninus fit adopter une nouvelle loi frumentaire et institua surtout
une nouvelle quaestio perpetua contre quiconque aurait porté atteinte à la
majesté du peuple romain, c'est-à-dire à son pouvoir ou à son autorité ; cela
revenait à offrir à un jury composé lui aussi de membres de l'ordre équestre la
possibilité d'évaluer et de sanctionner tout acte commis par un magistrat romain.
Les propositions agraires réapparaissaient également. Mais la fonction s'en
modifiait. Les projets de distribution de terres concernaient moins désormais les
milieux populaires italiens que les vétérans de Marius qui étaient sans doute
issus largement de la population rurale et qui attendaient de ces concessions une
récompense de leurs années d'engagement. On comprend ainsi l'importance que
revêtait pour leur chef la collaboration des tribuns de la plèbe qui pouvaient faire
adopter de telles mesures. Déjà en 103, Appuleius Saturninus avait fait assigner
des lots de terre de 100 jugères (25 ha) à des vétérans qui avaient été installés en
Afrique. Les lois qu'il fit voter en 100 grâce à la mobilisation des bénéficiaires
étaient plus ambitieuses encore. Elles prévoyaient, d'une part, des fondations de
colonies en Sicile, Achaïe, Macédoine et, d'autre part, la distribution de l'ager
publicus qui avait été acquis dans la guerre contre les Cimbres et les Teutons.
Cette dernière loi contraignait même les membres du Sénat à s'engager par
serment à la respecter. Et Metellus Numidicus, qui refusa de se soumettre à une
129
telle condition, dut partir en exil.
Toute cette activité n'alla cependant pas sans provoquer la résistance de
l'oligarchie. En 102, le même Metellus Numidicus, qui était censeur, marqua
Appuleius Saturninus et Servilius Glaucia d'infamie, mais sans que cela eût
d'effet politique. En outre, comme cela avait déjà été le cas lors des tribunats des
Gracques, il se trouva, peut-être en 105 et en tout cas en 103, d'autres tribuns de
la plèbe pour s'opposer aux mesures populares. Cette fois, cependant, la réponse
fut expéditive que ne l'avait été celle que Tiberius Gracchus avait opposée à M.
Octavius. Ces individus furent chassés du Forum, comme si le fait que ces
mesures étaient prises dans l'intérêt du peuple devait l'emporter sur le droit.
En 101 et en 100, la violence s'aggrava encore. En 101, un candidat au tribunat,
qui venait d'être élu, fut assassiné pour permettre à Appuleius Saturnius de
l'emporter. En 100, ce fut le tour d'un candidat au consulat qui barrait la route à
Servilius Glaucia. L'indignation que provoqua ce dernier crime, associée à celle
qu'avait suscitée l'exil de Caecilius Numidicus, fit basculer la situation. Le Sénat
prit un sénatus-consulte ultime qui imposait aux consuls de prendre des mesures
de répression contre les fauteurs de troubles. Cette disposition était devenue le
seul recours juridique qui pût permettre d'opposer la violence à la violence.
Marius hésita puis, contraint sans doute par le rôle que la magistrature qu'il
gérait lui imposait de jouer, soucieux aussi de préserver la position qu'il avait
acquise dans la cité, il se rallia aux conservateurs et fit assassiner Appuleius
Saturninus, Servilius Glaucia et leurs partisans. Ce renversement d'alliance
apaisait la cité pour dix ans." (pp.154-160)

"Ces années qui virent la montée en puissance de Caius Marius et son alliance
avec des tribuns populares avaient ainsi été l'occasion d'innovations
importantes dans les mécanismes de la vie politique romaine qui déterminaient
à leur tour les pratiques à venir.
Même s'il en avait emprunté certains traits à de grands précédents comme les
deux Scipions l'Africain et Émilien, Marius avait défini une nouvelle figure de
chef militaire. Il était victorieux d'ennemis redoutables qui avaient vaincu les
armées romaines et menaçaient l'existence même de la cité. Il avait bénéficié
d'une aide particulière des dieux qui se manifestait par des miracles ou des
oracles exceptionnels. Il avait porté l'Empire de Rome et sa propre gloire à des
niveaux qui n'avaient encore été atteints par personne. Il avait géré le consulat
six fois: en 107 et de 104 à 100. Un modèle était ainsi en place, mais qui invitait
à la surenchère, car, pour être grand désormais, il faudrait l'être plus que le
130
vainqueur de Jugurtha, des Cimbres et des Teutons.
L'armée qui lui avait permis de remporter ces succès avait en partie changé de
nature. Le recrutement de prolétaires auquel il avait procédé achevait certes
une évolution qui avait commencé au cours de la deuxième guerre punique puis
s'était poursuivie sous les Gracques: le niveau censitaire du recrutement avait
été abaissé et, en échange, la cité avait commencé à fournir aux hommes leur
armement puis leur équipement. Mais, avec cette réforme, les citoyens démunis
qui étaient mobilisés allaient attendre avec encore plus d'intérêt les
récompenses qui reconnaîtraient leur courage et amélioreraient leur situation.
Le recrutement avait tendance à se faire dans les zones rurales,
particulièrement dans celles qui étaient sans doute le plus affectées par les
phénomènes d'exode rural. Ces soldats qui avaient conservé leurs racines
paysannes auraient désormais sous les yeux le précédent que constituaient les
concessions de terres dont avaient bénéficié les vétérans de Marius. Une
relation particulière enfin s'était mise en place entre les hommes et ce chef
victorieux qui les entraînait dans des campagnes de plusieurs années et qui les
grandissait de ses propres victoires. L'exemple n'était pas perdu, et Sylla,
Pompée et César sauraient s'en emparer pour se gagner l'attachement
d'hommes qui attendraient d'eux la rémunération de leur valeur et en échange
les soutiendraient contre leurs adversaires.
L'association avec des tribuns populares avait créé une autre série de
précédents. Marius avait eu besoin de leur aide afin d'obtenir pour lui les
grands commandements et pour ses hommes les colonies et les distributions de
terres. Ses partenaires, en contre-partie, avaient bénéficié de la caution de son
prestige et du vote de ses vétérans. Il apparaissait alors qu'il ne pourrait y avoir
à l'avenir de pouvoir à la hauteur de celui qu'avait exercé Marius sans la
reconnaissance populaire d'une supériorité ni sans une alliance de ce genre
entre magistrats qui permettait d'obtenir les commandements exceptionnels. La
gestion et la promotion de la supériorité au niveau où elle était désormais
placée passaient par une concentration ou par une mise en commun des
ressources politiques. Une telle puissance cependant ne pouvait plus être
régulée par aucune disposition constitutionnelle. Placée en quelque sorte hors
des cadres de contrôle de la cité, elle ne pouvait plus être maîtrisée ni par
l'opposition du Sénat, ni par l'intervention des autres magistrats. La seule
réponse possible résidait dans la violence." (pp.161-162)

131
"Le déclenchement des deux guerres sociales et de Mithridate avait provoqué un
appauvrissement brutal de l'Etat romain et des particuliers. Les régions et les
provinces insurgées ne rapportaient plus ni impôts, ni taxes, ni loyers, ni intérêts.
Les capitaux qui y avaient été investis étaient apparemment perdus. Ceci
provoqua une brusque tension sur le crédit et ouvrit la question des dettes. Bien
des débiteurs, et parmi eux des membres de l'aristocratie sénatoriale et équestre,
se trouvaient incapables de rembourser des créanciers qui réclamaient leur dû
avec d'autant plus d'acharnement que la banqueroute les menaçait aussi. Le péril
était lourd de conséquences, car, à Rome, la faillite entraînait l'infamie et, bien
entendu, l'exclusion des ordres supérieurs. Le problème apparut brutalement en
89 quand le préteur A. Sempronius Asellio, qui avait redonné vigueur à une
vieille disposition protégeant les débiteurs, fut assassiné en plein Forum par les
usuriers exaspérés. Il fut ensuite au coeur de toutes les tensions qui marquèrent
les années suivantes.
Dès 90, l'intégration des nouveaux citoyens dans les cadres civiques romains
ouvrit une autre série de difficultés. Ce n'était pas leur inscription dans la
hiérarchie des classes censitaires qui inquiétait puisqu'elle reproduisait l'ordre
social, mais celle de leur répartition dans les tribus. Leur nombre était tel qu'ils y
changeaient la majorité. Les premières solutions envisagées furent donc soit de
créer pour eux deux tribus nouvelles, soit de les cantonner dans 8 ou 10 tribus
qui leur seraient abandonnées, de telle sorte en tout cas qu'ils ne menacent pas
l'ensemble des 35. Ils protestèrent évidemment, et leur agitation contribua à
intensifier les conflits politiques.
Toutes ces questions constituèrent le fondement de l'action que le tribun de la
plèbe P. Sulpicius Rufus mena en 88. Il fit d'abord voter une loi qui imposait une
limite de 2000 deniers aux dettes que les sénateurs pouvaient contracter. Il
proposa surtout que les nouveaux citoyens fussent répartis dans les 35 tribus.
L'entreprise était audacieuse. Elle avait sans doute pour objectif de lui gagner la
reconnaissance des Italiens ; ce qui l'aurait mis à un niveau de pouvoir
extraordinaire. Mais elle provoqua aussitôt l'opposition des anciens citoyens qui
perdaient là leur propre influence. Par la violence cependant, il parvint à ses fins.
Il fit surtout attribuer le commandement de la guerre contre Mithridate à Marius
avec lequel il s'était associé et qui désirait ardemment renouveler son prestige et
sa fortune par une campagne à la hauteur de son statut de sauveur de Rome. Et
ce fut cette dernière mesure qui déclencha la guerre civile.
L'un des deux consuls de 88, en effet, était L. Cornelius Sylla, l'ancien questeur
132
puis légat de Marius. A la différence de ce dernier, Sylla appartenait à
l'aristocratie sénatoriale la plus ancienne -il était patricien- et la plus reconnue.
Ses ancêtres immédiats, son arrière-grand-père, son grand-père et son père
n'avaient pas pu atteindre le consulat. Sa famille ne comptait pas non plus parmi
les plus riches. Mais lui-même en enrayait le déclin. Il avait tiré gloire de la
capture de Jugurtha et avait participé avec éclat aux campagnes contre les
Cimbres et les Teutons puis de la guerre sociale. En 88, précisément, il avait
obtenu l'alliance des Metelli en épousant Caecilia Metella, la fille de L.
Caecilius Metellus Delmaticus, le consul de 119, et la nièce de Q. Caecilius
Metellus Numidicus, le consul de 109. Actif, général reconnu, il était alors
certainement un des espoirs des familles dominant le Sénat.
C'était lui qui avait reçu ce commandement que la loi de Sulpicius lui retirait et
il entendait d'autant moins y renoncer que cette abrogation constituait une
innovation sans précédent comparable. Son imperium s'étendait sur tous les
territoires perdus et s'annonçait comme le plus ambitieux et le plus fructueux qui
ait été confié à un général romain depuis les grandes conquêtes du IIe siècle. Il
avait déjà recruté ses troupes qui étaient cantonnées en Campanie. Elles aussi
attendaient beaucoup de cette campagne dont le butin apparaissait prometteur. Il
réagit alors de façon totalement inédite à ce qui apparaissait comme une tyrannie
tribunicienne absolument insupportable. Il prit ses troupes en main et marcha sur
Rome. Un tel acte était d'une gravité inouïe, puisqu'il contrevenait à tous les
principes religieux et juridiques qui interdisaient l'entrée d'une troupe à
l'intérieur de la Ville. Il balaya rapidement les résistances et prit les mesures qui
lui semblaient pouvoir rétablir la situation.
Il fit déclarer ses adversaires ennemis publics par le Sénat puis fit voter une loi
qui autorisait n'importe qui à s'emparer d'eux et à les tuer. Le tribun Sulpicius
Rufus fut pris et exécuté alors que d'autres, comme Marius, réussirent à s'enfuir.
Il fit abroger les plébiscites de Sulpicius Rufus, rétablir un contrôle préalable du
Sénat sur les décisions populaires et confier le vote des lois aux comice
centuriates ; ce qui aurait eu pour double effet d'ôter une partie de leurs pouvoirs
aux tribuns de la plèbe et de dédramatiser la question de la répartition des
nouveaux citoyens. Il reprit à son compte la mesure de Livius Drusus d'un
élargissement de l'ordre sénatorial à 300 chevaliers et atténua le poids des dettes
par une limitation des intérêts. Puis il partit en campagne contre Mithridate.

La période qui s'ouvrit alors fut une des premières où la cité fut divisée. Pendant
que Sylla guerroyait en Orient, les marianistes reprenaient le pouvoir à Rome et
133
y menaient leur propre politique. Marius avait survécu aux recherches de ses
ennemis. Après une longue errance en Campanie, en Sicile et en Afrique, il
revenait en Italie, ivre de vengeance. Les deux consuls de 87 s'étaient
immédiatement affrontés à leur tour sur la question des nouveaux citoyens. L.
Cornelius Cinna, qui les favorisait, avait été chassé de Rome et mobilisait une
armée dans les villes d'Italie. Il fut rejoint par Marius. Les deux hommes
entrèrent dans Rome, massacrèrent à leur tour leurs adversaires, firent déclarer
ennemis publics ceux qui, comme Sylla, leur échappaient, abrogèrent les lois
qu'il avait fait adopter et imposèrent leur domination.
De 87 à 82, les marianistes gouvernèrent alors sans partage. Marius obtint pour
86 le septième consulat que des présages lui avaient annoncé, pour mourut.
Cornelius Cinna fut consul en 86, 85 et 84, l'année de sa mort. D'autres les
assistèrent ou leur succédèrent, parmi lesquels Cn. Papirius Carbo consul en 85,
84 et 82, et le fils de Marius, consul en 82. La politique qu'ils menèrent reprenait
certains aspects habituels des propositions populares. C'est ainsi qu'en 83 le
tribun M. Iunius Brutus fit voter la fondation d'une colonie à Capoue." (pp.168-
171)

-Jean-Michel David, La République romaine. De la deuxième guerre punique à


la bataille d'Actium (218-31 av. J.C.). Crise d'une aristocratie, Nouvelle histoire
de l'Antiquité, tome 7, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000, 304 pages.

« [Marius revêt] plusieurs fois de suite (de 104) à 100 le consulat, alors que c’est
en principe interdit depuis 151. Sa gloire est à son comble après ses victoires sur
les Cimbres et les Teutons en 102 et 101 et le peuple lui offre des libations
devant l’autel des Lares (Valère Maxime, VIII, 15). Même si le geste est fort, il
ne s’agit que d’une manifestation privée et temporaire […]. C’est au cours de
cette guerre civile, en 87, que le flamine de Jupiter, Lucius Cornelius Merula, se
suicide dans le temple de Jupiter Capitolin, au moment où Marius et ses
partisans s’emparent de Rome. Il est remplacé par César, mais son élection est
cassée par Sylla, ce qu’il peut faire dans la mesure où César n’a pas été inauguré
formellement, et ce n’est qu’en 11 av. J.C. que le sacerdoce est à nouveau
pourvu. Les rites dont il est chargé sont accomplis par le collège des pontifes
(Tacite, Ann., III, 58). Le temple de Jupiter Capitolin est incendié en 83 ; les
Livres sibyllins, qui s’y trouvent, brûlent également. Le grand pontife Quintus
Mucius Scaevola est assassiné en 82. » (p.28)

134
-Catherine Wolff et all, Religion et pouvoir. Monde romain 218 av. J.C. - 235
ap. J.-C., Atlande, 2019, 399 pages.

Sylla (-138/-78) : « Il n’est point permis de mettre à mort un citoyen romain. »


Telle était la loi que le peuple avait portée : mais Sylla vainquit, et dit : Tous
ceux qui ont porté les armes contre moi sont dignes de mort. Octave et les
compagnons de ses forfaits confirmèrent cette loi. » -Maximilien de
Robespierre, Discours sur la peine de mort, 30 mai 1791.

"Pendant ce temps, Sylla combattait Mithridate. Coupé de l'Italie, il s'empara


des trésors de Delphes, d'Olympie et d'Épidaure qu'il utilisa pour payer ses
troupes. En 87, il mit le siège devant Athènes qu'il prit en 86. Puis, la même
année, il battit les armées du roi en Béotie. Tout en négociant, il poursuivit son
avance et atteignit la Macédoine et la Thrace.
Le front cependant se dédoublait. Une armée marianiste était arrivée en Orient
et avait gagné l'Hellespont. Elle avait d'abord été commandée par le consul de
86, L. Valerius Flaccus, puis par le légat C. Flavius Fimbria qui avait fait tuer
son chef après une mutinerie dont il avait pris la tête. Les marianistes menaient
avec succès leur propre offensive en Asie. La guerre civile rejoignait la guerre
extérieure, et les provinciaux comprirent très vite que, s'ils se soumettaient à
Rome, ils devaient aussi faire le bon choix entre ses généraux, sauf à subir les
représailles du vainqueur: Ilion qui se réservait pour Sylla fut détruite par
Fimbria. Il était donc de l'intérêt de Sylla d'en finir au plus vite. Mithridate était
aussi pressé que lui, car certains peuples et certaines cités qu'il avait soumis
commençaient à faire défection. L'accord se fit donc rapidement. En 85, à
Dardanos, Mithridate acceptait de rentrer dans ses Etats en abandonnant l'Asie
et le reste de ses conquêtes. Il ne perdait que sa flotte et une faible indemnité de
2000 talents. La province romaine d'Asie était rétablie. Les rois Nicomède de
Bithynie et Ariobarzane de Cappadoce récupéraient leurs royaumes. On
revenait à la situation d'avant 88.

Sylla était vainqueur. Il commença par se rallier l'armée de Flavius Fimbria,


puis il passa l'année 84 à organiser son pouvoir et à préparer son retour. Il
rétablit l'autorité romaine sur les populations d'Orient en sanctionnant
durement les cités qui s'étaient révoltées. Elles subirent l'occupation et la
plupart perdirent leur liberté. Celle d'Asie furent taxées du tribut qu'elles
n'avaient pas payé, augmenté des frais de guerre, soit 20 000 talents. Elles
135
étaient ruinées pour longtemps. Les dieux, en revanche, dont Sylla avait pris les
trésors, furent remboursés par des domaines confisqués aux vaincus. Et les
quelques cités et les individus qui étaient restés fidèles furent récompensés et
acquirent une position dominante dans leur propre société. Avec l'argent qu'il
avait ainsi pu accumuler, Sylla s'était aussi donné les moyens de l'emporter dans
la lutte contre ses adversaires.
Et 83 enfin, il gagna l'Italie. La première mesure qu'il prit fut de reconnaître la
façon dont les nouveaux citoyens avaient été intégrés dans le corps civique
romain: ce n'était qu'à ce compte qu'il pouvait espérer les rallier. Très vite, il
obtint l'appui des adversaires des marianistes qui étaient restés dans la
péninsule. Le jeune Cn. Pompeius (Pompée) le rejoignit en amenant avec lui une
armée qu'il avait recrutée de sa propre initiative parmi les Picentins que son
père, Cn. Pompeius Strabo, le consul de 89, avait vaincus au cours de la guerre
sociale et qu'il avait fait entrer par deditio dans sa clientèle. La résistance fut
dure et les combats, sanglants. Certaines cités italiennes restèrent fidèles aux
marianistes. Elles résistaient encore quand, en 82, Sylla reprit Rome.
Ce fut à ce moment qu'eut lieu un événement qui marqua profondément les
esprits. Sylla ne se contenta pas de faire tuer tous ceux qui lui étaient tombés
sous la main ni de faire exécuter plusieurs milliers de Samnites qui combattaient
du côté marianiste et qu'il avait fait prisonniers. Il officialisa le massacra. Il fit
afficher (proscribere) les noms de tous adversaires, édicter leur exclusion de la
cité et promettre des récompenses à ceux qui les tueraient. Grâce à une loi qui
confirmait l'édit, leurs biens seraient confisqués et leurs enfants perdraient leurs
droits politiques. Ces proscriptions ne visaient que des membres de
l'aristocratie, car c'étaient eux qui représentaient une menace qui semblait ne
pouvoir être conjurée que par l'éradication complète des familles. Plus de 500
sénateurs et chevaliers furent assassinés après une chasse à l'homme dont nos
sources ont conservé le souvenir épouvanté. L'épisode eut des conséquences
importantes. D'abord parce qu'il créait un précédent qui resurgit en 43 à l'issue
de la guerre civile qui opposa les héritiers de César à ses assassins. Ensuite et
surtout, parce qu'il modifiait la composition de l'aristocratie romaine. Un
certain nombre de familles disparaissait quand d'autres s'enrichissaient de leurs
dépouilles. [...]
En Italie aussi, la victoire syllanienne avait de lourdes conséquences. Les cités
qui avaient résisté étaient sanctionnées selon le droit de la guerre. Quelques-
unes, Arezzo et Volterra notamment, étaient privées de leur droit de citoyenneté.
La plupart perdaient une partie de leur territoire qui devenait ager publicus.
136
Des vétérans de Sylla y étaient installés. Elles devenaient alors souvent des
colonies où l'organisation civique qui était mise en place réservait une position
prépondérante aux nouveaux venus. Partout, enfin, les municipes qui avaient
constitués depuis 89 étaient épurés de leurs élites marianistes au bénéfice des
partisans locaux de Sylla. Toute l'Italie entrait ainsi dans les réseaux
clientélaires du vainqueur et de ses amis.
Dans le reste de l'Empire enfin, la guerre continuait. Dans les provinces
d'Occident, des magistrats marianistes résistaient encore. [...]

La victoire de Sylla avait mis fin à une période de violence et de guerre. Ce ne


devait pas être la dernière. Aucune des causes qui l'avaient engendrée n'avait
disparu. Elles avaient même tendance à s'aggraver. Des précédents étaient
apparus, qui étaient susceptibles de se répéter. La notion de magistrature était
affaiblie, puisque, sur une décision du Peuple, des tribuns de la plèbe pouvaient
être déposés et des consuls, privés de leur imperium. Un vote du Sénat suffisait à
permettre l'exil ou la mise à mort de citoyens. Sous l'effet des tensions et de la
violence, les instruments anciens de régulation avaient perdu leur efficacité."
(172-175)

"[Sylla] s'estimait particulièrement favorisé par Vénus ; si bien qu'il se fit


reconnaître le surnom de "Felix" que pour le monde grec il fit transposer en
"Epaphrodite". Il donna aux deux enfants qu'il avait eus de Caecilia Metella les
prénoms de Faustus et de Fausta qui leur annonçaient un destin heureux. C'était
faire admettre dans le monde entier une supériorité qui tenait à une protection
particulière que les dieux lui accordaient et qui s'attachait à sa personne et non
pas seulement comme les autres à l'exercice d'une magistrature. Il créa
d'ailleurs des jeux qui célébraient tous les ans la Victoire et l'y associaient
intimement.
Il s'était fait surtout attribuer par une loi un pouvoir exceptionnel, à la hauteur
de la situation: "dictateur pour donner des lois et organiser la cité" [...] La
dictature était certes une magistrature légale, mais rarement accordée, et à
laquelle on n'avait plus fait appel depuis la deuxième guerre punique. [...] Dans
le cas de Sylla, elle avait été adaptée: elle ne connaissait pas de restriction de
durée, mais s'actualisait dans une mission précise qu'il devait accomplir. Celle
de refonder la cité. [...]
Symbolique, il étendit le pomerium. [...]
L'oeuvre de Sylla fut une restauration. Il recomposa le Sénat que les massacres
137
et ses propres proscriptions avaient dépeuplé. Il en fit passer le nombre à 600
membres en y intégrant des chevaliers romains. Il y promouvait surtout certains
de ses officiers qui avaient fait la preuve de leur vertu militaire et de leur
dévouement. Il réorganisa le système des magistratures. Il fit passer à 8 le
nombre des préteurs de telle sorte qu'il correspondît aux besoins engendrés par
la multiplication des quaestiones perpetuae qu'ils devaient présider pendant le
temps de leur magistrature. Il fit également passer le nombre des questeurs à 20
pour qu'il s'ajustât au nombre des préteurs et des consuls et permît un
renouvellement automatique et régulier du Sénat. Il réaffirma les règles du
cursus honorum en rétablissant la succession des magistratures et en interdisant
leur réitération avant dix ans: il s'agissait d'éviter que l'exemple de ces tribuns
populares ou de Marius surtout se répétât. Il augmenta enfin le nombre des
prêtres et retira au peuple le droit d'en élire certains en rétablissant le principe
de cooptation.
Sa principale innovation fut de diminuer les pouvoirs du tribunat de la plèbe qui
avait été l'instrument des populares. Il lui retira le droit de proposer des lois et
limita celui d'opposer leur intercessio à l'action des autres magistrats. Ses
titulaires n'avaient alors pratiquement plus que celui de protéger
individuellement les citoyens (jus auxilii) ; ce qui n'avait aucune conséquence
politique. Il leur interdit enfin de gérer aucune autre magistrature après celle-
ci. Le tribunat de la plèbe devenait ainsi une impasse dans une carrière et
perdait tout intérêt pour quiconque aurait voulu l'utiliser pour se rendre
populaire et atteindre les sommets du pouvoir. Parallèlement aussi il faisait
adopter des mesures restrictives en matière de distributions frumentaires. Et, s'il
fit adopter une loi agraire, ce fut elle qui permit la distribution à ses vétérans
des terres prises à ses ennemis." (pp.176-178)

"Le temple de Jupiter Capitolin, qui avait été détruit en 83 dans un incendie, fut
reconstruit. [...]
Sylla conclut son action en abdiquant la dictature en 80 alors même qu'il était
consul cette année-là. En 79, il se retira dans sa villa près de Pouzzoles, en
Campanie, où il mourut peu après, en 78. Cet abandon du pouvoir était
cohérent avec cette ambition qu'il avait manifestée de restaurer les principes
aristocratiques du fonctionnement de la cité." (p.180)

138
-Jean-Michel David, La République romaine. De la deuxième guerre punique à
la bataille d'Actium (218-31 av. J.C.). Crise d'une aristocratie, Nouvelle histoire
de l'Antiquité, tome 7, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000, 304 pages.

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Spartacus (-100/-71): « Grand général, caractère noble, un vrai représentant


du prolétariat des temps anciens. » -Karl Marx, à propos de Sparcatus.

https://www.amazon.fr/dp/2253012319/ref=rdr_kindle_ext_tmb

https://www.amazon.fr/Spartacus-Eric-
TEYSSIER/dp/2262034141/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1466440888
&sr=1-1&keywords=Eric-Teyssier-Spartacus

La fin de la République:
"[Pompée] voulait le triomphe sur les pirates et sur Mithridate, la ratification
des mesures qu'il avait prises en Orient et des concessions de terres à ses
vétérans. [...] Accéder aux des autres en revanche était tout à la fois légitimer ce
rôle de souverain hellénistique qu'il avait joué en Orient et lui garantir l'appui
clientélaire de ses vétérans qui se trouveraient grâce à lui pourvus de terres.
L'opposition vint en 60 de ses ennemis personnels, de Q. Caecilius Metellus
Celer qui était consul cette année-là, de L. Licinius Lucullus qui avait été frustré
de sa victoire sur Mithridate et de Caton qui défendait les principes de la
république aristocratique. Le tribun L. Flavius, qui était un partisan de Pompée
et qui, précisément, présentait la loi agraire qui aurait permis la distribution des
terres à ses vétérans, reprit le vieux geste popularis qui consistait à mettre le
consul en prison pour signifier que ce dernier contrariait la puissance
tribunicienne et les intérêts du Peuple. L'échecs fut total. Metellus y convoqua le
Sénat, et Pompée, isolé, comprit que le blocage serait difficilement surmontable.
Ce fut alors qu'il trouva deux alliés.
Le premier était César. Il revenait de son gouvernement d'Espagne ultérieure
d'où, en 61, il avait mené campagne contre les Callaïques et les Lusitaniens en
circulant sur l'Océan ; ce que personne n'avait fait auparavant. Lui aussi
réclamait le triomphe. La règle lui imposait dans ce cas de rester hors de la
Ville en attendant la décision du Sénat. Il demandait donc l'autorisation d'être
139
candidat au consulat in abstentia. Le Sénat était prêt à céder, mais Caton, par
des manoeuvres d'obstruction, bloqua la décision. César renonça et se présenta
en personne devant les comices. Sans doute, dès ce moment, obtint-il l'appui de
Pompée. En tout cas, il l'emporta. La coalition conservatrice au Sénat
réussissait cependant à faire élire contre lui un adversaire: M. Calpurnius
Bibulus.
Le second était Crassus, le vainqueur de Spartacus, qui avait été autrefois
l'ennemi de Pompée et qui le jalousait toujours, mais qui se heurtait de la même
façon à l'opposition de ces sénateurs devenus si sourcilleux des règles quand il
s'agissait du prestige et du pouvoir d'autrui. Crassus défendait les intérêts de la
plus puissante des compagnies de publicains, celle qui avait pris à ferme les
impôts de la province d'Asie et qui ne tirait pas de cette concession les revenus
qu'elle avait escomptés en répondant à l'appel d'offres. Là encore, l'opposition
était menée par Caton, indigné d'un tel manquement aux engagements.
Ce fut César qui prit l'initiative du rapprochement entre Crassus et Pompée.
[...] Comme ils cumulaient le consulat de César, la fortune de Crassus, le
prestige et les clientèles de Pompée, rien ne pouvait plus s'opposer à leur
volonté. Le triumvirat était né dont Caton annonçait déjà qu'il provoquerait la
fin de la République puisque, en détruisant l'équilibre aristocratique, il ne
laissait plus d'autres issue que la lutte pour la monarchie. [...]

Au milieu de l'année, le mariage de Pompée et de Julie, la fille de César, le


renforça encore. [...] Deux tribuns de la plèbe relayaient leur action, C. Alfius
Varus et P. Vatinius. [...] Le deuxième consul, M. Calpurnius Bibulus [...] fut
tellement menacé qu'il n'eut plus d'autres ressources que se réfugier chez lui et
de s'opposer mécaniquement, mais vainement, à toutes les procédures
législatives par l'observation dans le ciel de signes défavorables." (pp.198-200)

-Jean-Michel David, La République romaine. De la deuxième guerre punique à


la bataille d'Actium (218-31 av. J.C.). Crise d'une aristocratie, Nouvelle histoire
de l'Antiquité, tome 7, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000, 304 pages.

https://www.amazon.fr/Last-Generation-Roman-
Republic/dp/0520201531/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1597
073261&sr=8-1

https://www.amazon.fr/Mortal-Republic-Rome-Fell-
Tyranny/dp/0465093817/ref=pd_day0_14_19?_encoding=UTF8&pd_rd_i=0465
140
093817&pd_rd_r=a3046899-c1a4-44f2-b36d-
d328fdd8cf4d&pd_rd_w=GNIbc&pd_rd_wg=Vslv5&pf_rd_p=63811556-047a-
4f35-b2b0-
4dccea63e86f&pf_rd_r=A40GB9X7VS1B4TFYJE98&psc=1&refRID=A40GB
9X7VS1B4TFYJE98

Pompée (-106/-48) : "Pompée n'appartenait pas à une vieille famille


sénatoriale. Son grand-père n'avait été que préteur, mais son père, le consul de
89, avait été un des personnages importants de sa génération. C'était lui qui
avait acquis ces clientèles picentines que Pompée avait mobilisées pour
rejoindre Sylla lorsqu'il avait débarqué en Italie. Ces premières opérations
contre les marianistes lui avaient permis de faire apprécier ses qualités
d'énergie et de compétence militaire. Il avait ensuite battu et fait exécuter ceux
qui s'étaient réfugiés en Sicile et en Afrique de 82 à 81. Ses succès avaient été
rapides et lui avaient permis aussi de rétablir l'autorité de Rome sur les
royaumes d'Afrique du Nord. Ils lui avaient permis de prendre le même surnom
de "Magnus" (Grand) que portait Alexandre et de triompher en 80 alors même
qu'il n'avait que vingt-cinq ans, n'avait géré aucune magistrature et ne disposait
que d'un imperium proprétorien. Il avait en tout cas acquis assez de prestige
pour recevoir en 77 un commandement pour réprimer en Italie la révolte de M.
Aemilius Lepidus puis immédiatement après un autre pour aller combattre en
Espagne. [...]
Les opérations furent longues et difficiles, marquées de nombreux sièges, mais
elles s'achevèrent en 72 avec la mort de Sertorius [un marianiste] et la défaite
de ses derniers partisans. De nouveau vainqueur, Pompée réorganisa les
provinces d'Espagne et reprit le chemin de Rome.
En Italie, deux séries de difficultés l'attendaient. La première était en voie de
règlement. Il s'agissait de l'insurrection de Spartacus, la plus grande révolte
servile qu'ait connue l'Antiquité. [...] Le Sénat finit par mobiliser une armée
importante et la confier en 72 à M. Licinius Crassus Dives (le riche).
Ce personnage appartenait à la noblesse plébéienne: son père avait été censeur
en 89, son grand-père, préteur en 126, et son arrière-grand-père, consul en 171.
Jeune, il avait perdu son père et son frère dans les massacres opérés par les
marianistes, mais il avait réussi à s'échapper, avait combattu aux côtés de Sylla,
s'était largement enrichi grâce aux proscriptions puis il avait géré la préture en
73. Il apparaissait comme un des personnages importants et capables de
l'époque. Il prit donc en main les troupes destinées à combattre Spartacus,
141
repoussa toutes les bandes vers le sud de l'Italie, réussit un temps à bloquer la
plupart des insurgés à l'extrémité de la péninsule, sur les hauteurs de
l'Aspromonte, puis à les écraser en quelques combats. Fier de son succès et
désireux de faire un exemple, il fit alors crucifier 6000 de ses prisonniers tout le
long de la via Appia de Capoue à Rome. Mais Pompée, qui arrivait alors en
Italie, put lui dérober une partie de sa gloire en en massacrant quelques milliers
qui étaient parvenus à s'échapper." (pp.184-186)

"La corruption progressait. En 77, par exemple, le préteur de 79, Q. Calidius,


ironisa sur son propre sort en indiquant qu'au rang qui était le sien on ne
pouvait pas être condamné pour moins de 3 millions de sesterces. Et, en 74, une
affaire criminelle qui opposait deux chevaliers romains, St. Abbius Oppianicus
et A. Cluentius Habitus, fut l'occasion d'un tel trafic de sentences qu'un tribun
de la plèbe, L. Quinctius, put profiter de l'indignation populaire pour relancer
l'agitation. En 70, en tout cas, M. Tullius Cicero (Cicéron) profitait de
l'accusation de repetundis qu'il portait contre C. Verres, le préteur de 74 qui
avait pillé les Siciliens au cours de son gouvernement, pour dénoncer la
corruption et insister sur la nécessité d'un changement.
La question qui dominait cependant était celle du rétablissement des pouvoirs
des tribuns de la plèbe. Tous les ans ou presque, la demande en était faite."
(pp.186-187)

"Aucune opération de cens n'avait eu lieu depuis 86. En 70, deux censeurs
furent élus. Ce même souci qui dominait alors de restaurer la vertu sénatoriale
pour éviter de trop grands troubles les conduisit à marquer 64 sénateurs
d'infamie. Mais l'essentiel de leur action fut de recenser plus de 900 000
citoyens. Le corps civique avait ainsi doublé depuis la guerre sociale ; ce qui
modifiait nécessairement les conditions de la vie politique." (p.189)

"En 68, l'audace des pirates et l'insécurité étaient telles que certains d'entre eux
réussirent à s'emparer de deux préteurs. L'émotion à Rome fut considérable. En
67, un tribun de la plèbe partisan de Pompée, A. Gabinius, proposa une loi qui
lui donnait pour trois ans au moins un imperium consulaire qui s'étendait sur
toute la Méditerranéen et sur toute la Méditerranée et sur une bande côtière de
50 milles (75 km environ), à égalité avec les gouverneurs. Il pouvait 24 légats,
armer 500 navires auprès des alliés et utiliser autant de fonds et lever autant de
soldats qu'il voulait. Sous bien des aspects, de telles dispositions étaient
142
exceptionnelles. La plupart des sénateurs y étaient hostiles, car elles donnaient
trop de pouvoir et d'importance à un homme qu'ils ne souhaitaient pas voir
grandir à ce point. Un tribun, Trebellius, s'opposa à la loi. Sa résistance fut vite
vaincue par Gabinius qui, pour le faire plier, engagea contre lui cette même
procédure de déposition que Tiberius Gracchus avait autrefois inaugurée contre
Octavius ; comme si empêcher la collation de tels pouvoirs à Pompée eût été
agir contre les intérêts du Peuple. Le jour même où la loi fut votée, le prix du
blé baissait.
L'action de Pompée fut efficace. Il définit 13 secteurs côtiers qu'il attribua à
certains de ses légats avec mission de combattre ou de s'emparer de tous les
pirates qui s'y réfugieraient. [...]
A la fin de l'été 67, la piraterie était éradiquée. Pompée recevait à nouveau le
titre d'imperator. [...]
Une autre mission l'attendait. [...] A la tête de l'armée qu'il avait reprise à
Lucullus et de contingents asiatiques, il battit Mithridate qui se réfugia dans ses
possessions de Crimée [...] Toute l'Anatolie passait sous domination romaine."
(pp.190-11)

"En 64, Pompée poussa encore plus loin. Il passa en Syrie et en fit une province.
Prenant parti dans le conflit entre les prétendants au royaume de Judée, il fit le
siège et s'empara de Jérusalem et de son temple." (pp.191-192)

"Le succès de Pompée était considérable. Il avait éliminé la menace de


Mithridate et de quiconque aurait imaginé suivre son exemple. [...] Une demi-
douzaine de rois puissants étaient ses obligés. Le Sénat décréta dix jours de
supplications pour remercier les dieux." (p.192)

"Pompée et Crassus se firent élire eux-mêmes au consulat [...]


Inauguration de l'immense ensemble architectural que, grâce au butin fait en
Orient, [Pompée] avait fait bâtir sur le Champ de Mars. L'ensemble témoignait
bien du niveau que la célébration monumentale de la victoire avait atteint. Il se
composait de deux parties accolées: un théâtre et un quadriportique. Le théâtre
était le premier qui comprenait une cavea en pierre à Rome. Tout le programme
iconographique y signifiait la supériorité de Pompée et imposait la soumission à
sa gloire. Comme Sylla avant lui, il avait besoin de manifester la protection
particulière dont les dieux et particulièrement Vénus le gratifiaient. Un temple
143
consacré à la déesse le surmontait. Le peuple qui se réunissait en corps pour
assister aux représentations était ainsi amené à honorer et à fêter celle qui lui
avait apporté la victoire, par les jeux qui s'y donnaient. Tout autour du théâtre,
des statues représentant les nations vaincues de l'Espagne au Caucase
l'inscrivaient symboliquement dans l'orbe du monde et rappelaient que c'était
tout l'oikoumène que Pompée avait vaincu. Le portique s'étendait sur quatre
côtés. Sur trois d'entre eux, il était orné de peintures et de sculptures qui,
signifiant notamment l'amour et la fécondité, évoquaient Vénus et maintenaient
l'unité sémantique du lieu. Le quatrième était le plus important. Il comprenait
une curie où le Sénat se réunissait parfois. Une statue de Pompée y dominait
l'espace, paré de nudité et tenant le monde dans sa main." (pp.206-207)

-Jean-Michel David, La République romaine. De la deuxième guerre punique à


la bataille d'Actium (218-31 av. J.C.). Crise d'une aristocratie, Nouvelle histoire
de l'Antiquité, tome 7, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000, 304 pages.

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Jules César (-100/-42) : « César, grand pontife, pouvait sans impiété ni


scandale affirmer en plein Sénat qu'il n'y avait rien après la mort. [...] C'était
une question de dignité sociale : les membres de la classe élevée se devaient
d'être supérieurs aussi par la lucidité. » -Paul Veynes, L'Empire gréco-romain,
Seuil, coll. Points, 2005, 1058 pages, p.644.

« [C. Iulius Caesar dit César] appartenait à une vieille famille patricienne qui
n'avait cependant retrouvé une place importante qu'avec son grand-oncle, C.
Iulius Caesar Strabo, édile en 90. Sa tante avait été mariée à Marius, et lui-
même avait épousé la fille de Cornelius Cinna qui avait été consul de 87 à 84.
Son père avait été préteur, mais l'avait laissé orphelin alors qu'il n'avait qu'une
quinzaine d'années. Mal placé au sein de l'oligarchie syllanienne, il avait fondé
l'essentiel de sa carrière sur la munificence dont il avait fait preuve dans la
quête des clientèles et la volonté dont il avait témoigné, lors de son édilité en 65,
de restaurer le souvenir de Marius en faisant rétablir ses trophées et ses images.
Puis il avait profité de la présidence de la quaestio de sicariis qu'il avait exercée
en 64, pour faire condamner certains assassins des marianistes proscrits par

144
Sylla et acquérir ainsi la reconnaissance et l'adhésion de leurs descendants. A
l'automne 63, il était préteur désigné et surtout grand pontife, ce qui lui donnait
une place très élevée dans la hiérarchie des prêtrises. Il profita alors du débat
sur le sort des complices de Catalina pour réaffirmer ses positions populares en
s'opposant à leur exécution. » (pp.197-198)

-Jean-Michel David, La République romaine. De la deuxième guerre punique à


la bataille d'Actium (218-31 av. J.C.). Crise d'une aristocratie, Nouvelle histoire
de l'Antiquité, tome 7, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000, 304 pages.

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1-1&keywords=Luciano-Canfora-Jules-Cesar

Marcus Junius Brutus Caepio (-85/-42): « Ce m'est une très grande joie, en
cet instant, de constater que je n'ai été trahi par aucun de mes amis. Si j'avais
des reproches à faire, je n'en ferais qu'à la Fortune. Non pour moi, mais pour
ma patrie. Car je m'estime, pour ma part, plus heureux que nos vainqueurs.
Dans le passé comme aujourd'hui, oui, je suis plus heureux qu'ils ne le seront
jamais. Je laisserai au moins une réputation de vertu. De cela, ils ne
triompheront jamais par les armes. Et tout leur argent ne parviendra pas à la
ternir cette vertu. Ils ne pourront empêcher la postérité de voir en eux des
individus méchants et injustes, qui auront mis à mort des hommes de bien,
loyaux et justes, dans le but d'usurper un pouvoir auquel ils n'avaient aucun
droit. Quant à vous, vous avez tenté la Fortune. S'il vous reste une chance de
faire la paix avec nos ennemis, saisissez-la et pensez à vous conserver. Allez-
vous-en, maintenant. » -Dernier discours de Marcus Junius Brutus à ses troupes.

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1&keywords=Brutus%2C+assassin+par+id%C3%A9al

Publius Clodius Pulcher (né en 93 ou 92 av. J.-C., assassiné le 18 janvier 52


av. J.-C.) :
"P. Clodius Pulcher appartenait à la grande lignée patricienne des Claudii.

145
C'était un personnage ambitieux et brillant parfaitement capable de conforter,
voire de promouvoir, le rang d'une famille. Sa fortune n'était pas considérable,
mais ses clientèles et relations étaient puissantes et étendues. Sa carrière avait
failli s'arrêter en 61. A la fin de 62, il avait commis un grave sacrilège. Profitant
de la cérémonie des Damia qui se déroulait exclusivement entre matrones dans
la maison de César, le grand pontife, il s'était déguisé en femme pour rejoindre
l'épouse de celui-ci. Il fut surpris. César divorça, mais Clodius fut poursuivi. Les
témoignages étaient accablants, celui de Cicéron surtout qui détruisit tous ses
alibis. Il aurait été condamné si Crassus n'avait acheté les juges. Ce fut cet
épisode qui inspira à Clodius cette haine violente contre Cicéron et les autres
membres de l'aristocratie qui firent de lui un des principaux acteurs de la
violence politique dès lors qu'il réussit au cours des années cinquante à se
gagner une position forte dans le jeu des factions.
Coupé de l'oligarchie conservatrice, trop jeune pour espérer un grand
commandement, sans doute désireux aussi de se donner les moyens d'une action
autonome, il chercha en effet à s'appuyer sur le petit peuple de Rome [...] Pour
cela, le tribunat de la plèbe lui était nécessaire alors même que son statut de
patricien l'empêchait de l'obtenir. En 59, il trouva le soutien des triumvirs qui
comptaient sans doute l'utiliser pour contrer l'opposition de certains sénateurs,
de Cicéron notamment qui se montrait rétif. Et ce fut grâce à eux qu'il put se
faire adopter par un plébéien puis élire au tribunat sans autre difficulté.
Le tribunat de Clodius en 58 marqua en quelque sorte le sommet de l'agitation
démocratique [...] Il commença par faire rétablir par une loi les collèges de
quartiers et d'artisans qu'un sénatus-consulte avait interdits quelques années
auparavant, parce qu'ils étaient un instrument de mobilisation populaire. Puis il
les utilisa pour organiser ses partisans en bandes hiérarchisées qui pouvaient
agir partout où le Peuple pouvait faire entendre sa voix: aux comices et
aux contiones certes, mais aussi au théâtre et sur le Forum lui-même. Il donnait
ainsi à la population de Rome une puissance qu'elle n'avait encore jamais eue.
[...]
Il s'assura la complicité des consuls, L. Calpurnius Piso Caesoninus et A.
Gabinius, par la concession de provinces avantageuses qu'ils iraient gouverner
l'année suivante. Le premier reçut la Macédoine et le second, la Cilicie puis la
Syrie qui présentait cet intérêt d'être voisine des Parthes et d'offrir ainsi
l'opportunité de quelque belle campagne.
Il se débarrassa aussi de ses adversaires. Caton, qui faisait d'un stoïcisme
vertueux la source de tout son prestige, reçut du peuple l'honorable mission de
146
reconduire des exilés à Byzance, de réduire en province Chypre qui par la même
occasion était confisquée à son roi Ptolémée, frère du roi d'Égypte. Cela devait
bien l'occuper pendant deux ans sans qu'il pût tirer trop d'avantages de ces
fonctions limitées. Cicéron surtout dut subir les effets de sa haine. Clodius fit
voter l'interdiction de l'eau et du feu -ce qui revenait à la mort civile- de
quiconque aurait fait exécuter un citoyen sans jugement. C'était bien entendu
réaffirmer la vieille garantie que la provocatio offrait aux citoyens. Mais c'était
aussi viser directement le consul de 63 qui n'avait pas hésité à procéder de la
sorte contre les complices de Catilina. Abandonné de la plupart de ses soutiens
et notamment de Pompée, Cicéron prit le chemin de l'exil. Une seconde loi qui
le désignait nommément vint alors confirmer sa peine.
Parallèlement, Clodius reprenait à son compte la tradition popularis d'une
réduction des pouvoirs des magistrats. Il faisait voter la restriction de ce droit
que Bibulus notamment avait utilisé contre César de s'opposer à des décisions
législatives par l'observation de signes défavorables. Il imposait aussi la
subordination à une procédure judiciaire de ce pouvoir dont disposaient les
censeurs de noter d'infamie les citoyens. Mais la mesure la plus importante qu'il
fit voter fut celle qui institua la gratuité des distributions de blé ; ce qui allait
bien au-delà de la vente à prix limité que Caius Gracchus avait introduite.
Clodius s'était gagné l'appui des masses urbaines et un réseau considérable de
partisans. Mais sa magistrature ne dépassait pas l'année. L'année 57 fut donc
pour lui pour celle du reflux: ses adversaires relevèrent la tête et réussirent à
imposer le retour de Cicéron." (pp.202-205)

-Jean-Michel David, La République romaine. De la deuxième guerre punique à


la bataille d'Actium (218-31 av. J.C.). Crise d'une aristocratie, Nouvelle histoire
de l'Antiquité, tome 7, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000, 304 pages.

"Cicéron tenta de prouver quelques années plus tard que le délit de Clodius
avait "pris corps" grâce à un prodige interprété par les haruspices : il
conviendrait que la communauté l'assumât désormais. Sa demande resta sans
effet." (p.133)
-John Scheid, "Le délit religieux dans la Rome tardo-républicaine",
1981: https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1981_act_48_1_1360

https://www.amazon.fr/Patrician-Tribune-Publius-Clodius-
Pulcher/dp/0807872067

147
Caton d'Utique (Marcus Porcius Cato Uticencis), ou Caton le Jeune (-95 / -
46) : « Caton [d'Utique] était l'arrière-petit-fils du censeur de 184. En 63, il
n'avait encore géré que la questure, mais s'y était distingué par la rigueur avec
laquelle il avait géré les comptes de la cité. Reprenant le modèle de son ancêtre,
il se donnait l'image d'un défenseur de l'équilibre civique traditionnel. Et alors
même qu'il n'occupait qu'un rang modeste parmi les sénateurs, ce fut son avis
qui l'emporta. » (pp.197-198)

"[Caton d'Utique] n'avait pour lui que le prestige de son arrière-grand-père et


sa propre vertu. Sa fortune ne devait pas dépasser un ou 2 millions de deniers. Il
était allié à de nobles familles, mais son réseau clientélaire était sans doute
limité. En 53, il n'avait géré pour tout commandement que cette mission ingrate
que Clodius lui avait fait attribuer en 58 de confisquer l'île de Chypre et il avait
mis un point d'honneur à reverser au Trésor tout ce qu'il y avait acquis. On ne
lui connaît pas d'autre manifestation de ferveur populaire que celle que lui
réservèrent les spectateurs des jeux floraux le jour où il quitta le spectacle pour
que sa présence n'empêchât pas les danseuses de se dénuder. Mais l'estime
générale que lui valaient son courage et sa fermeté à défendre les principes de
la République aristocratique idéale lui donna assez d'autorité pour pouvoir
renverser l'opinion du Sénat au cours du débat de 63 sur le sort des complices
de Catilina, s'opposer avec efficacité aux demandes de Pompée en 61, empêcher
le retour victorieux de César en 50-49 et mobiliser les énergies et la résistance
des pompéiens jusqu'à leur défaite en 46." (p.217)

-Jean-Michel David, La République romaine. De la deuxième guerre punique à


la bataille d'Actium (218-31 av. J.C.). Crise d'une aristocratie, Nouvelle histoire
de l'Antiquité, tome 7, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000, 304 pages.

Publius Cornelius Lentulus Spinther :

Caius Cassius Longinus (-87 ou -86/-42): http://hydra.forumactif.org/t3158-


caius-cassius-longinus-correspondance-avec-ciceron#3941

Cicéron (-106/-43): « Cedant arma togae, concedat laurea linguae. » (« Que les
armes cèdent à la toge, les lauriers à l'éloquence ») -Cicéron, De officiis (Des
devoirs), I, 22.

« Il n'est point de conjoncture où l'on puisse se dispenser d'être juste. » -


Cicéron.

148
« Nul ne peut être citoyen de deux cités. » -Cicéron, Pro Balbo.

« Les anciennes prophéties fatidiques sont contenues dans les livres des devins
d’Apollon et l’expiation des prodiges dans la doctrine des Étrusques, doctrine
d’une telle valeur, en vérité, que, de nos jours, d’abord les funestes
commencements de la guerre italique, puis la perturbation presque fatale du
temps de Sylla et de Cinna, enfin cette récente conjuration destinée à incendier
la ville et à détruire l’empire nous ont été prédits par eux sans obscurité peu de
temps auparavant. […] Ce n’est pas par le nombre que nous avons surpassé les
Espagnols […] ni par les arts les Grecs, ni enfin par ce bons sens naturel et
inné propre à cette race et à cette terre les Italiens eux-mêmes et les Latins,
mais c’est par la piété et la religion. » (Cicéron, Sur la réponse aux haruspices,
IX).

« Voyez comme avec ces changements, quelque légers qu’ils soient bien que les
mots et les pensées restent les mêmes, les phrases se réduisent à rien, parce que
l’harmonie en est détruite. » -Cicéron, L’orateur.

"VI. Pendant mon absence, la république n'avait pas moins que moi besoin d'être
rétablie. Le sénat était sans pouvoir; l'impunité régnait pour tous les crimes; les
tribunaux n'existaient plus; la force et le fer dominaient dans le forum; les
citoyens ne trouvaient qu'à l'abri de leurs murs une sûreté que les lois ne leur
garantissaient plus; sous vos yeux, les tribuns du peuple étaient couverts de
blessures; des brigands, le fer et la torche à la main, attaquaient les maisons des
magistrats; on brisait les faisceaux des consuls; on livrait aux flammes les
temples des dieux: je jugeai que la république n'était plus. Je ne crus pas que ma
place pût être dans Rome, quand la république en avait été bannie; et je ne
doutai pas que, si elle était rétablie, elle ne m'y ramenât avec elle. Dans la
certitude où j'étais que l'année suivante elle aurait pour consul P. Lentulus, qui
fut édile pendant les orages de mon consulat, et qui s'associa toujours à mes
conseils et à mes dangers, pouvais-je douter que sa main consulaire ne guérît les
maux que les consuls m'avaient faits? Il embrassa le premier ma défense: son
collègue, après quelque hésitation, se joignit à lui; presque tous les autres
magistrats le suivirent. Je dois surtout rendre hommage au noble caractère, au
courage, à la générosité de Milon et de Sextius; leur bienveillance et leur zèle
éclatèrent d'une manière admirable. Sur la proposition de Lentulus, comme aussi
d'après le rapport de son collègue, tous les sénateurs, à la réserve d'un seul, et
149
sans l'opposition d'aucun tribun, donnèrent à ma conduite les éloges les plus
honorables, et recommandèrent mon salut à vous, aux municipes et aux colonies.

Ainsi les consuls, les préteurs, les tribuns, le sénat, l'Italie entière, me tenant lieu
de parents et d'alliés, n'ont point cessé de solliciter pour moi; en un mot, tous
ceux que vous aviez comblés de vos plus grands bienfaits, produits devant vous
par le même Lentulus, non seulement parlèrent en ma faveur, mais se firent un
devoir de rapporter, d'attester et de célébrer tout ce que j'avais fait pour la patrie.

VII. A la tête de mes nobles défenseurs était Pompée, le premier des hommes de
ce siècle et même de tous les siècles passés et futurs, par la vertu, la sagesse et la
gloire. Je dois à sa généreuse amitié les mêmes biens qu'il a donnés à toute la
république, la vie, le repos et l'honneur. Il vous rappela, dans la première partie
de son discours, que la patrie avait été sauvée par mes conseils, et que ma cause
était inséparablement liée au salut publie. Il vous exhorta ensuite à défendre le
décret du sénat, la tranquillité de Rome, et la fortune d'un citoyen qui avait bien
mérité de la patrie."

"Romains, je lui dois tout ce qu'il est possible qu'un homme doive à son
semblable. Guidés par ses conseils, et vous conformant aux avis de Lentulus et
au décret du sénat, vous m'avez replacé au rang où les suffrages de ces mêmes
centuries m'avaient autrefois élevé. Dans le même temps vous avez entendu les
hommes les plus imposants, les chefs de l'État, tous les anciens consuls, tous les
anciens préteurs attester à cette même tribune que la république a été sauvée par
moi seul. Lorsque Servilius, respectable par son caractère autant que par ses
dignités, eut dit que, si la liberté avait été transmise pure et entière aux
magistrats qui me succédaient, on le devait à mes soins, tous les autres le
répétèrent dans les mêmes termes. Vous avez entendu non seulement l'opinion,
mais aussi le témoignage précis et authentique de Gellius, qui, présent au danger
qu'avait couru la flotte, lorsque les conjurés essayèrent de la corrompre, vous a
déclaré que, si dans cette circonstance je n'avais pas été consul, la république
aurait été anéantie.

VIII. Maintenant que tant de témoignages honorables, que le vœu du sénat,


l'accord unanime de l'Italie, l'ardeur et le zèle de tous les hommes vertueux,
l'activité de Lentulus, le concours des autres magistrats, les instances de
Pompée, la faveur de tous les hommes et l'approbation des dieux immortels, qui
150
sanctionnent mon retour par cette heureuse abondance des vivres tout à coup
redescendus aux prix le plus bas, m'ont rendu à moi, à ma famille, à la
république; ma reconnaissance vous promet tout ce qu'il me sera possible de
faire. Ce respect et ce dévouement dont les hommes les plus religieux sont
pénétrés pour les dieux immortels, je les conserverai éternellement pour le
peuple romain. Oui, Romains, vous serez toujours pour moi des dieux
inviolables et sacrés; et puisque la république m'a elle-même ramené dans
Rome, la république me trouvera partout.

Si l'on pense que ma volonté soit changée, ma vertu affaiblie, mon courage
épuisé, on se trompe. Tout ce que la violence, tout ce que l'injustice et la fureur
des scélérats ont pu m'arracher, m'a été enlevé, a été pillé, a été dissipé: ce qu'on
ne peut ravir à une âme forte m'est resté, et me restera toujours. J'ai vu le grand
Marius, mon compatriote, et, par je ne sais quelle fatalité, réduit comme moi à
lutter non seulement contre les factieux qui voulaient tout détruire, mais aussi
contre la fortune; je l'ai vu, dans un âge très avancé, loin de succomber sous le
poids du malheur, se roidir et s'armer d'un nouveau courage."

"X. Romains, je garderai religieusement la mémoire de ce que je vous dois tant


que je jouirai 714 de la vie ; et lors même que j'aurai cessé de vivre, des
monuments certains attesteront les bienfaits que j'ai reçus de vous. Je renouvelle
donc la promesse que je vous ai faite, et je prends l'engagement solennel de ne
jamais manquer ni d'activité pour saisir les moyens de servir la patrie, ni de
courage pour repousser les dangers qui la menaceront, ni de sincérité pour
exposer mes avis, ni d'indépendance en résistant pour elle aux volontés de
quelques hommes, ni de persévérance en supportant les travaux, ni enfin du zèle
le plus constant pour étendre et assurer tous vos avantages et tous vos intérêts.

Oui, Romains, vous que j'honore et que je révère à l'égal des dieux immortels,
oui, mon vœu le plus ardent, le premier besoin de mon cœur sera toujours de
paraître à vos yeux, aux yeux de votre postérité et de toutes les nations, digne
d'une cité qui, par ses unanimes suffrages, a déclaré qu'elle ne se croirait rétablie
dans sa majesté que lorsqu'elle m'aurait rétablie moi-même dans tous mes
droits. » -Cicéron, discours au Peuple romain, au lendemain de son retour d'exil.

« Tous les philosophes sont d’accord et moi-même j’ai évoqué la question, pour
dire que celui qui possède une vertu les a toutes, comme s’il était impossible de

151
séparer justice et sagesse : quelqu’un qui n’est pas sage ne peut être juste. » -
Cicéron, De officis, II 9,10.

« L’origine et le fondement du droit se tire d’une loi suprême, antérieure par sa


naissance à tous les siècles, à toute loi écrite, à toute constitution politique. » -
Cicéron, De Legibus, I, 6, 19.

« Salus populi suprema lex est. » -Cicéron, De Legibus, livre III, chapitre III,
alinéa VIII.

« Il existe une loi vraie, la droite raison, conforme à la nature, répandue dans
tous les êtres, toujours en accord avec elle-même, éternelle. C’est elle qui par
ses commandements nous porte à accomplir notre devoir, et par ses défenses
nous détourne de mal faire. Aux bons ce n’est jamais en vain qu’elle commande
ou défend, mais ses commandements et ses défenses laissent les méchants
indifférents. On ne saurait admettre aucun amendement ni aucune dérogation à
cette loi ; il est encore moins permis de l’abroger. Ni le Sénat, ni le peuple n’ont
le pouvoir de nous dispenser de lui obéir, et il n’est point besoin de faire appel
aux lumières d’un Sextus Aelius pour l’expliquer ou l’interpréter. Elle n’est
point autre à Athènes et autre à Rome, point autre aujourd’hui et autre demain.
Mais c’est une seule et même loi, éternelle, immuable, qui est en vigueur en tous
temps et chez tous les peuples, car c’est aussi un seul et même Dieu, maître
commun et souverain de tous les êtres, qui en est l’auteur, l’a publiée et
promulguée. Quiconque n’obéit pas à cette loi se fuit lui-même, et parce qu’il
méprise sa propre nature d’homme, il subira le plus grand châtiment, même s’il
échappe à tout ce qu’on appelle ordinairement supplice. » -Cicéron, De
Republica, L. III, § 22.

« Lorsqu'au sortir de mon consulat, je pus déclarer avec serment, devant Rome
assemblée, que j'avais sauvé la république, alors que le peuple entier répéta
mon serment, j'éprouvai assez de bonheur pour être dédommagé à la fois de
toutes les injustices et de toutes les infortunes. Cependant j'ai trouvé dans mes
malheurs mêmes plus d'honneur que de peine, moins d'amertume que de gloire;
et les regrets des gens de bien ont plus réjoui mon cœur que la joie des méchants
ne l'avait attristé. Mais, je le répète, si ma disgrâce avait eu un dénouement
moins heureux, de quoi pourrais-je me plaindre ? J'avais tout prévu, et je
n'attendais pas moins pour prix de mes services. Quelle avait été ma conduite ?
La vie privée m'offrait plus de charmes qu'à tout autre, car je cultivais depuis

152
mon enfance les études libérales, si variées, si délicieuses pour l'esprit: qu'une
grande calamité vînt à nous frapper tous, du moins ne m'eût-elle pas plus
particulièrement atteint, le sort commun eût été mon partage: eh bien! je n'avais
pas hésité à affronter les plus terribles tempêtes, et, si je l'ose dire, la foudre
elle-même, pour sauver mes concitoyens, et à dévouer ma tête pour le repos et la
liberté de mon pays. Car notre patrie ne nous a point donné les trésors de la vie
et de l'éducation pour ne point en attendre un jour les fruits, pour servir sans
retour nos propres intérêts, protéger notre repos et abriter nos paisibles
puissances ; mais pour avoir un titre sacré sur toutes les meilleures facultés de
notre âme, de notre esprit, de notre raison, les employer à la servir elle-même,
et ne nous en abandonner l'usage qu'après en avoir tiré tout le parti que ses
besoins réclament.

Ceux qui veulent jouir sans discussion d'un repos inaltérable recourent à des
excuses qui ne méritent pas d'être écoutées: Le plus souvent, disent-ils, les
affaires publiques sont envahies par des hommes indignes, à la société desquels
il serait honteux de se trouver mêlé, avec qui il serait triste et dangereux de
lutter, surtout quand les passions populaires sont en jeu; c'est donc une folie que
de vouloir gouverner les hommes, puisqu'on ne peut dompter les emportements
aveugles et terribles de la multitude; et c'est se dégrader que de descendre dans
l'arène avec des adversaires sortis de la fange, qui n'ont pour toutes armes que
les injures, et tout cet arsenal d'outrages qu'un sage ne doit pas supporter.
Comme si les hommes de bien, ceux qui ont un beau caractère et un grand cœur
pouvaient jamais ambitionner le pouvoir dans un but plus légitime que celui de
secouer le joug des méchants, et ne point souffrir qu'ils mettent en pièces la
république, qu'un jour les honnêtes gens voudraient enfin, mais vainement,
relever de ses ruines. »

« Comme le pilote se propose d'arriver au port, le médecin de rendre la santé, le


général de vaincre l'ennemi, ainsi le politique travaille sans cesse au bonheur
de ses concitoyens; il aspire à fixer parmi eux la richesse, la puissance, la
gloire, la vertu. C'est là le plus noble et le plus magnifique emploi du génie de
l'homme, et ce doit être son ouvrage. » -Cicéron, La République.

« Un jour, dit-on Apollonius l'ayant prié de déclamer en grec devant une


assemblée nombreuse, Cicéron le fit avec tant de bonheur, qu'il fut couvert
d'applaudissements. De tous ses auditeurs, un seul était demeuré muet et pensif;
c'était Apollonius. Inquiet de ce silence, Cicéron lui en demande la cause “Et
153
moi, aussi je t'admire, lui répondit Molon mais je pleure sur le sort de la Grèce,
quand je songe que le savoir et l'éloquence, la seule gloire qui lui fût restée, sont
devenus par toi la conquête des Romains.”. » -Désiré Nisard, Vie de Cicéron.

"Cicéron est un exemple de cette municipalisation de l'Italie. Il n'est pas un


romain de Rome. [...] Milieu d'aristocratie locale. [...] La famille de Cicéron
était apparenté à la famille des Marius. [...] Il a fait un mariage, qui est bien
entendu un arrangement social."

"Réinstaurer les formes d'un dialogue rationnel [...] une pensée en commun."

"Deux ans de service militaire. Il a commencé sa carrière sous les ordres de


Sylla."

"[Cicéron] a eu a affronter une tentative de coup d'Etat. [...] [Catilina] n'a pas
obtenu l'élection au consul [auquel il était candidat]. [...] Il réunit une
conjuration assez hétéroclite pour assassiner les consuls."

"Il atteint à ce moment-là le sommet de la gloire que pouvait espérer un


magistrat romain."

"[L'exil] c'est le grand drame de sa vie. [...] Il perd son statut de sénateur, il
perd ses biens, il perd le droit de résider non seulement à Rome mais en Italie
[sous peine de mort]. [...] Il est obligé de se réfugier en Grèce."

"C'est quelqu'un qui avait une fragilité et une fragilité revendiquée. [...] Il
pourra se moquer des prétentions à l'insensibilité des stoïciens. [...] Il sait que
l'Homme est fait d'affects, et que c'est aussi comme ça qu'on est excellent."

"Cicéron a divorcé. [...] Il s'est remarié avec une femme beaucoup plus jeune
que lui, mais ce mariage [...] n'a duré qu'un an."

"Il y avait probablement une véritable estime de César pour Cicéron, et de


Cicéron pour César. [...] Ils se rendaient hommages dans leurs ouvrages"

"[Après la guerre civile] Cicéron et sa famille bénéficient, comme les autres,


[de la clémence] de César. [...] Il s'abstient de siéger au Sénat, qui n'a plus
qu'un rôle de chambre d'enregistrement."

"Il a probablement été informé du complot contre César."

154
"[Après la proscription qui fait de lui un homme mort] une forme de lassitude
s'empare de lui. [Il refuse de fuir en Grèce]."

"Dans la 3ème Catilinaire, Cicéron, qui ne croit pas aux présages, va


chercher des présages qui ont eu lieu pas moins de 2 ans avant, qui
annonçaient un grand danger pour Rome. Il assume un usage stratégique de
la divinisation, pour justifier sa politique de répression de la conjuration de
Catilina. [...] La 4ème Philippiques, où il parle devant le peuple, là il parle des
prodiges. On sait bien que le peuple est quand même assez superstitieux. [...]
Et pas dans la 3ème Philippiques, prononcé au Sénat. Donc, selon l'auditoire,
on s'en sert [des prodiges], où on ne s'en sert pas."

"Il veut faire le bien du peuple malgré lui. Il aura passé toute sa vie à ça."
(CICÉRON (106 43 av J-C) - Une vie, une œuvre ).

"Cicéron, lorsqu'il fut édile, dut à ses amis siciliens d'obtenir pour la ville de
Rome du blé à des conditions avantageuses qui accrurent sa popularité. [...] Ces
clientèles relayaient en somme la puissance d'un individu et l'étendaient à
l'intérieur de l'Italie et de l'Empire." (p.45)

"On évalue en effet la part immobilière de la fortune de Paul-Émile à 280 000


deniers, celle de Scipion Émilien à au moins un million de deniers. La
comparaison entre les deux chiffres fait déjà apparaître une progression
intéressante. Il s'agissait en fat des personnages les plus en vue de la première
moitié du IIe siècle, ceux dont on peut penser également qu'ils étaient les plus
riches de leur génération. Or, dans la première moitié du Ier siècle, ces niveaux
de fortune étaient atteints et dépassés par des chevaliers d'origine municipale,
comme un certain Roscius d'Amérie propriétaire de 13 domaines pour une
valeur de 1.5 million de deniers et multipliés par trois ou quatre par un sénateur
comme Cicéron qui se tenait au premier rang dans la hiérarchie sans pour
autant compter parmi les plus riches, et dont l'ensemble des propriétés
pouvaient être évaluées à au moins 3.25 millions de deniers." (pp.91-93)

"L'acquisition et la conservation des instruments indispensables à l'exercice de


la supériorité aristocratique devenaient de plus en plus difficiles, et la ruine
personnelle et familiale guettait ceux qui ne trouvaient pas dans l'obtention
d'une magistrature supérieure la récompense de leurs investissements.
La tension devint telle que certains franchirent un pas qui ne l'avait pas encore
été. En 64-63, quelques membres de l'aristocratie dont tous les efforts s'étaient
155
révélés vains s'engagèrent dans une série de complots dont le plus importants,
la conjuration dite de Catilina, menaça véritablement la cité à l'automne 63. Les
principaux protagonistes, L. Sergius Catilina, P. Cornelius Lentulus, P.
Autronius Paetus, L. Cassius Longinus, C. Cornelius Cethegus, P. et Ser.
Cornelius Sulla, L. Vargunteius, Q. Annius, M. Porcius Laeca, L. Calpurnius
Bestia et Q. Curius étaient tous des sénateurs, pour certains d'entre eux de rang
prétorien, appartenant à des familles reconnues et souvent patriciennes. Ils
avaient subi des échecs au cours des années précédentes et ils estimaient que
des positions qui leur étaient dues étaient désormais confisquées par une
poignée d'individus dont certains, à commencer par Pompée, n'avaient pas la
même ancienneté familiale qu'eux. Ils s'étaient acquis la complicité de membres
de l'ordre équestre et de personnages influents dans certains municipes et
espéraient se gagner le concours de Gaulois, les Allobroges, qui avaient à se
plaindre de l'autorité romaine. Leur objectif était de réussir un coup d'Etat qui
leur permettrait de prendre par la force le pouvoir que les élections leur avaient
refusé.
L'affaire échoua grâce à la vigilance de Cicéron qui avait été élu consul pour
63. Ce personnage était devenu un homme politique important. Il était
originaire du municipe d'Arpinum et appartenait à l'ordre équestre. Il était donc
un homo novus. Intégré très jeune dans l'entourage des membres les plus
éminents de l'aristocratie sénatoriale, il avait débuté dans la vie civique grâce à
ses qualités d'orateur et au courage dont il avait fait preuve en défendant un
chevalier romain, Roscius d'Amérie, victime des proscriptions syllaniennes,
puis, en poursuivant au nom des Siciliens, C. Verres, le gouverneur qui les avait
pillés. Dès lors, fort de son talent et assuré d'une réputation sans faille, il s'était
constitué une clientèle étendue en sauvant des personnages puissants de procès
où ils risquaient leur existence civique. Il avait pu mener carrière en s'appuyant
sur ces créances de gratitude qu'il s'étaient gagnées et obtenant l'appui de
Pompée dont il avait soutenu les projets. Il apparaissait alors comme un
sénateur éminent, dominant sa génération par ses compétences politiques,
oratoires et philosophiques.
Son action comme consul avait été jusque-là plutôt conservatrice. Il avait
surtout combattu avec succès la proposition de loi agraire de Servilius Rullus.
La répression qu'il mena de la conjuration de Catilina fut le moment de sa plus
grande gloire. Informé du projet, il avertit le Sénat, démasqua les coupables au
cours de séances fameuses, obtint de l'assemblée un sénatus-consulte ultime et
une déclaration qui faisait des conjurés des ennemis publics ; ce qui lui permit
156
de faire exécuter immédiatement ceux qui n'avaient pu s'échapper. Catilina fut
tué à la tête de ses partisans dans un combat désespéré qu'il mena en Étrurie.
Cicéron prétendit alors qu'il avait sauvé la République et sans doute avait-il
raison. Les mesures qu'il avait dû prendre étaient toutefois contraires à tous les
principes maintes fois réaffirmés qui interdisaient de faire mettre à mort des
citoyens sans jugement. Cicéron avait pris là un risque dont il devrait payer plus
tard les conséquences." (pp.195-197)

"La subordination atteignit alors le plus haut niveau de l'aristocratie. Cicéron


en fit l'amère expérience. Il comptait A. Gabinius, le consul de 58, parmi les
responsables de son exil et était acharné à se venger de lui. Lorsque celui-ci
revint en 54 de son gouvernement de Syrie, Cicéron favorisa les accusations qui
furent portées contre lui devant les principales quaestiones, mais sans y
participer lui-même, car ce n'était pas de son rang. Cicéron adoptait là un
comportement parfaitement conforme au souci qu'il devait avoir de sa
propre dignitas. Le drame vint de ce que Pompée, qui devait protéger en
Gabinius un de ses partisans les plus fidèles, contraignit Cicéron à se
déshonorer en défendant celui-là même qu'il avait fait accuser." (p.216)

-Jean-Michel David, La République romaine. De la deuxième guerre punique à


la bataille d'Actium (218-31 av. J.C.). Crise d'une aristocratie, Nouvelle histoire
de l'Antiquité, tome 7, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000, 304 pages.

« Pour qu’un objet soit sacré, il faut qu’il ait été dédié et consacré sur ordre du
peuple et par un magistrat assisté d’un pontife […] Ainsi Cicéron peut-il obtenir
que la chapelle de la Liberté construite sur l’emplacement de sa maison soit
démolie : la consécration a été faite par Clodius, alors tribun de la plèbe, et un
pontife inexpérimenté et elle ne l’a pas été selon les règles ; la chapelle n’est
donc pas sacrée. » (p.15)

-Catherine Wolff et all, Religion et pouvoir. Monde romain 218 av. J.C. - 235
ap. J.-C., Atlande, 2019, 399 pages.

« Octave presse Cicéron de le rejoindre à Rome, mais ce dernier, tout en


appréciant la gêne que l'action du jeune homme causa à Antoine, ne lui fait pas
encore pleinement confiance, et refuse de céder à ses instances. Ce sont donc
des mois d'attente, jusqu'à ce qu'Antoine parte pour sa province, et que l'entrée
en charge des consuls Hirtius et Pansa permette à Cicéron de s'exprimer à

157
nouveau librement au Sénat. » -Jean-Louis Ferrary, "Quelques réflexions sur
le De officiis", Vita Latina, Année 1990, 117, pp. 2-6, p.2.

« Il est vrai que la tradition de la liberté prend déjà naissance dans la Grèce
antique avec l’apparition de la notion d’isonomie (égalité de tous devant la loi)
qui est, étymologiquement et philosophiquement, le concept fondateur de l’Etat
de droit. C’est malheureusement une parenthèse qui se ferme assez vite après le
siècle d’or de Périclès. La période romaine classique voit renaître cette
tradition par la consécration du premier système vraiment abouti de droit privé.
Tacite et – surtout – Cicéron s’inscrivent dans cette tradition de liberté selon le
droit et l’esprit des lois générales (leges legum). Cette époque classique
correspond à une période de complète liberté économique. Malheureusement, à
partir du IIème siècle après Jésus-Christ, Rome sombre dans le socialisme
étatique qui culmine sous Constantin. » -Corentin de Salle, La Tradition de la
Liberté. Synthèse détaillée de textes majeurs de la tradition libérale, Tome I,
p.12.

« Cicéron illustre pour Sénèque la « mauvaise manière » de servir la cité,


mauvaise, non, certes, dans son principe ni ses résultats (cela est de l’ordre des
choses), mais dans ses retentissements intimes, lorsque ce service entraîne
l’abandon de soi-même, de sa propre personnalité, sacrifiée à l’activité civique.
Ce problème, Cicéron pouvait à peine se le poser. A la différence de Caton,
mais parce que celui-ci demandait à la philosophie bien autre chose que ce lui
demandait l’orateur, qui fut longtemps « académicien » et refuse toujours un
stoïcisme rigoureux. Cicéron ne prendra pleinement conscience de la valeur du
stoïcisme de Caton qu’après Utique, lorsqu’il rédigera un panégyrique du héros
disparu. Le stoïcisme invitait ses adeptes à participer à la vie politique, mais il
les exhortait aussi à établir une hiérarchie entre ce qui relevait des « choses » et
ce qui appartenait à l’âme. » -Pierre Grimal, Sénèque juge de Cicéron,
Mélanges de l'Ecole française de Rome. Antiquité, Année 1984,Volume 96,
Numéro 2, pp. 655-670, p.664.

« Le père de l’éloquence et de la philosophie. » -Thomas Jefferson to Amos J.


Cook, 21 Jan. 1816; quoted in Jefferson's Literary Commonplace Book, p. 161.

« Les Stoïciens définissaient le phénomène passionnel comme « mouvement de


l’âme qui s’écarte de la droite raison et qui est contraire à la nature » (Cicéron,
Tusculanes, IV, 6, traduction Émile Brehier, revue par Victor Goldschmidt,

158
Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1962, p.332). » -Roxane
Khodabandehlou, Nietzsche et la conception cartésienne du bonheur, 2014-
2015.

« Cicéron est personnellement partisan du libre arbitre. » -Arthur


Schopenhauer, Essai sur le libre-arbitre, 1839 pour la première édition,
Traduction de Salomon Reinach (1894), Numérisation et mise en page par Guy
Heff & David Buffo (Mai 2013), 184 pages, p.120.

« Cicéron lie la gloire à l'immortalité de l'âme individuelle. » -Auguste Haury,


"Cicéron et la gloire : une pédagogie de la vertu", Publications de l'École
Française de Rome, Année 1974, 22, pp. 401-417, p.412.

« La religion est absente de la correspondance de Cicéron, sauf lorsqu'il


plaisante avec un ami sur la piété de sa femme qui assure le culte domestique ;
les dieux sont pompeusement présents dans ses discours domestiques ; ses
ouvrages philosophiques affirment la divinité en gros (ce qui ne coûtait guère)
et plaisantent surtout les détails ; mais il était augure et accomplissait
régulièrement les devoirs de cette honorifique prêtrise publique, tout en écrivant
que deux haruspices ne pouvaient se rencontrer sans sourire. Tel était l'esprit de
sérieux des sénateurs romains et des notables grecs et romains : les "dieux de la
cité", c'est-à-dire ceux de tous, ceux du peuple, pouvaient faire l'objet de
scepticisme, de plaisanteries ou au moins d'interrogations, mais il aurait été
inconvenant d'ironiser sur les cultes publics de la République et des cités
grecques et romaines. » -Paul Veynes, L'Empire gréco-romain, Seuil, coll.
Points, 2005, 1058 pages, p.609.

"Agir malgré des auspices contraires constituait à un délit grave [...] Dans
son traité des Lois [De Legibus, 2, 21] propose même de rendre responsable de
sa tête celui qui n'obéirait pas aux volontés des augures." (p.143)
-John Scheid, "Le délit religieux dans la Rome tardo-républicaine",
1981: https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1981_act_48_1_1360

« [Cicéron, dans le De Oratore] donnait par anticipation raison à Machiavel,


qui définira la grandeur de la République romaine par sa capacité à laisser
libre cours aux conflits. » (p.29)

« La curiosité mène tout naturellement au collectionnisme, dont Pline fait


remonter l’apparition à Lucuis Mummius, au IIème siècle, époque où se

159
développe aussi le commerce des œuvres d’art. A la manière de ce que feront les
princes de la Renaissance, Cicéron fait encastrer des fragments antiques dans
ses murs. » (p.147)

« A la recherche de la définition du droit et de ses fondements, Cicéron ne


commencera pas par étudier les lois romaines, ni aucun droit positif, mais se
tournera d’abord vers la Loi naturelle, la droite Raison, pensée du Législateur
universelle inscrite dans la nature de l’homme, transcendante et
paradigmatique. » (p.163)

« Le droit positif doit se fonder sur la natura et sur la raison du sage, que
Cicéron oppose ailleurs à l’opinion et à la coutume. Proposition dont les
conséquences sont énormes : dans le domaine de la morale, bien avant Kant,
Cicéron fera ainsi la différence entre, d’une part, agir par devoir, en fonction de
la loi naturelle, de l’idée de justice inscrite en soi et du respect de l’homme ; et
d’autre part, agir conformément au devoir, sous la pression d’une cause
extérieure (peur du châtiment, respect de lois…) ; dans le domaine de la
politique, la définition du bien public sera soumise au respect de normes
morales avant tout –c’est-à-dire là encore à la raison du sage. » (p.166)

« Cicéron se livre, contre son frère Quintus qui, stoïcien, défend la divination, à
une attaque en règle de toute croyance aux signes divins : les prodiges
n’existent que dans l’imagination des hommes ; « c’est l’ignorance des causes
naturelles qui y fait croire ». » (p.174)

« Cicéron n’incite-il pas en fait à une réforme spirituelle de la tradition, lui qui
appelle par ailleurs à « une religion conforme à la connaissance de la
nature » ? » (p.177)

« Pour Cicéron, même si les mots nouveaux étaient nécessaires, le débat se


devait de rester intelligible à tous –ce qui devait avoir aussi pour effet de
réduire le dissensus entre les gens, entre les sectes. Celui qui y parvenait
possédait une qualité rare, l’elegantia, ou art de constituer des énoncés clairs et
brefs. » (p.202)

-Claudia Moatti, La Raison de Rome. Naissance de l’esprit critique à la fin de la


République (IIe-Ier siècle avant Jésus-Christ), Éditions du seuil, coll. Des
Travaux, 1997, 474 pages.

160
« Posant la question de savoir quelle est la forme de vie humaine la meilleure,
question héritée de la philosophie grecque, Cicéron prend le contre-pied de la
philosophie grecque en déclarant que la vie publique l’emporte de loin sur le
loisir et la vie privée, ce qui revient à dire que la compagnie des citoyens
l’emporte de bien loin sur la solitude. Ce que Cicéron entend par solitude ici
c’est la situation de celui qui se retire des affaires publiques que ce soit pour se
livrer à la philosophie ou pour se soucier de ses biens de famille. »

« Dépouiller les citoyens de leur propriété au nom du salut public est injuste car
la propriété privée est ce en quoi réside avant tout le privé et si le salut public
passe avant tout, il s’arrête aux res privatae car la Res publica repose autant
sur la propriété privée que sur la justice. Priver des citoyens de leur propriété,
c’est leur ôter leur statut d’homme. La Res publica est indissociable de la
propriété privée qui assure à chaque citoyen sa place dans la communauté et
dans le monde. C’est pourquoi porter atteinte à cette place, c’est détruire la
communauté politique. » -François Loiret, Strasbourg-Colmar, 2011, site de
l’auteur.

« L'enseignement stoïcien est fondé sur l'existence d'une providence divine et sur
une téléologie anthropocentrique. Dans le De natura deorum, Cicéron soumet
cette doctrine théologico-téléologique à une critique sévère d'où il ressort
qu'elle ne peut nous offrir davantage, à ses yeux, qu'une apparence
approximative de vérité. De même, il accepte dans le De legibus la doctrine
stoïcienne de la divinatio (élément de la conception stoïcienne de la providence)
alors qu'il l'attaque dans le second livre de son De divinatione. [...] Il était un
sceptique de l'Académie, et non un Stoïcien. Et le penseur dont il se réclamait et
qu'il admirait le plus, c'est Platon lui-même, le fondateur de l'Académie. » -Leo
Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion, Champ.essais, 1986 (1954 pour
la première édition française, 1953 pour la première édition états-unienne), 324
pages, p.142

"Le problème, tel qu'il le conçoit, revient à concilier, ou plutôt à fondre comme
un alliage, tradition romaine et spéculation grecque. L'indéniable réussite
matérielle de Rome, la solidité longtemps inébranlable de la res publica romana,
qui faisait un siècle plus tôt l'admiration de Polybe et que venait de
compromettre César, pouvaient être retrouvées, restaurées si l'on acceptait de
justifier en raison les antiques maximes, les conduites traditionnelles." (p.3)

161
"Ce n'est pas un ouvrage de spéculation pure, mais un code raisonné, d'action.
Cicéron, ici, parle en père, attitude romaine par excellence." (p.3)

"Exigence d'un dogmatisme inébranlable, d'une part, mais en même temps,


nécessité du probabilisme, puisqu'il s'agissait non de déterminer des conduites
idéales mais de choisir entre plusieurs conduites pratiques possibles celle qui
serait la plus conforme aux valeurs absolues." (p.4)

"On y retrouve les grandes lignes du stoïcisme, la "natura", c'est-à-dire le réel,


ce qui est, étant pris comme point de départ. Cette natura est logique, elle
réalise les conditions nécessaires pour que subsiste la création et, au sein de
celle-ci, se place l'esprit de l'homme, avec les instincts qui l'animent, le désir de
savoir, de connaître, la passion du vrai, le don de discerner ce qui est beau, ce
qui est conforme à l'ordre universel et ce qui ne l'est pas. L'esprit humain à cet
égard est le reflet de celui de dieu." (p.5)
-Pierre Grimal, "Le De officiis de Cicéron", Vita Latina, Année 1989, 115, pp.
2-9.

"L'homme politique romain décrit avec tristesse, mais aussi avec la volonté de
réagir, le processus de dégradation qui fait qu'à la perfection des maiores ont
succédé la violence et la division profonde de la cité." (p.11)

"Les Épicuriens, qui s'appuient sur l'observation des enfants pour affirmer que
la nature nous enjoint de rechercher le plaisir, proposent un souverain bien,
l'absence totale de douleur, qui, pour Cicéron, est dans son essence même
différent du plaisir. Quant aux Stoïciens ils sont accusés par lui d'avoir oublié
en route les biens du corps: ils prétendent que l'homme recherche dès sa
naissance tout ce qui lui permet de préserver son être, mais lorsqu'il s'agit de
définir le telos, ils ne mentionnent plus que l'honestum, comme s'il s'agissait
d'un être désincarné. Seuls les Péripatéticiens sont d'une rigueur formelle
impeccable car, considérant que l'homme est fait d'une âme et d'un corps, ils
définissent un souverain bien mixte, dans lequel les biens spirituels, reconnus
comme supérieurs, se trouvent associés à des biens corporels. Leur philosophie
est-elle pour autant parfaitement satisfaisante ? Non, car en accordant une
importance, si petite soit-elle, aux biens du corps, ils font dépendre le bonheur
humain de quelque chose qui ne dépend pas de l'homme. Le De finibus dresse
donc le constat d'échec du naturalisme moral hellénistique: aucun des systèmes

162
naturalistes n'a pu tenir son pari de déduire la formule du bonheur à partir des
"premières incitations de la nature"." (p.13)

"Prétendre comme le font les Stoïciens que rien ne s'oppose à ce que l'homme
connaisse un bonheur parfait, c'est confondre le monde du devenir et celui de
l'être, c'est également se rendre coupable d'une incroyable présomption en
confondant l'humain et le divin." (p.14)
-Carlos Lévy, "Le De offîciis dans l'œuvre philosophique de Cicéron", Vita
Latina Année 1989 116 pp. 11-16.

« Le républicanisme romain réinvestit certaines idées grecques, en les


transformant en profondeur, dans un contexte tout autre que celui de la petite
démocratie athénienne. Au cœur du républicanisme romain se trouve la notion
de liberté (libertas). Comme chez les Grecs, le statut d'homme libre s'oppose au
statut d'esclave. L'idée majeure, chez Tite-Live ou Salluste, est celle du
gouvernement des lois, opposé à l'arbitraire du pouvoir personnel. L'opposition
entre gouvernement de la loi et règne monarchique arbitraire est ainsi fréquente
dans le discours républicain, avec le thème de la « haine de la royauté » (odium
regni). La théorisation la plus élaborée du républicanisme est celle consignée
par l'orateur et homme politique Cicéron ( -106--43 av. J.-C.), qui écrit le De
Republica en 54, alors que la République romaine est en crise. Dans De legibus
(52 av. J.-C.), il définit la politeia de Platon comme res publica, mais en
donnant un sens spécifique au concept. La communauté est pour Cicéron une
république si elle est la volonté commune du peuple, et non de telle ou telle
faction. Le peuple doit donc avoir sa part dans le gouvernement des affaires
publiques. » (p.11)

« L'élément le plus ambigu de cette définition est le mot « res » de res


publica. Selon M. Schofield [2001], il faut traduire littéralement res par « chose
», et même par « propriété ». Les affaires du peuple devraient être conçues y
compris « métaphoriquement » comme étant sa propriété : quand un tyran ou
une faction ne respecte pas ses intérêts ou se conduit comme s'il s'agissait de ses
affaires privées, alors c'est comme si sa « propriété » lui avait été volée. Ceci
montrerait le lien entre la liberté politique et les conditions d'existence de la res
publica : le peuple n'est plus libre lorsque sa res lui est subtilisée par d'autres.
Serait donc désigné ici le droit du peuple d'user de sa « propriété ». En ce sens,
la res publica est un critère de légitimité politique. En outre, Cicéron reformule
la typologie grecque, en distinguant la monarchie, l'aristocratie et la
163
démocratie. Chacune a des limites spécifiques.
Ainsi, la monarchie menace de dégénérer en tyrannie, l'aristocratie en
oligarchie, la démocratie en gouvernement arbitraire de la multitude. Quand
c'est le peuple qui s'occupe de tout, on pourrait croire que c'est une république,
puisque « tout appartient au peuple, et nous avons dit que la république était la
chose du peuple » mais en vérité, la domination illimitée de la multitude est, là
aussi, l'antithèse de la république car elle consacre le règne de l'arbitraire.
Comme Polybe […] Cicéron plaide pour la « constitution mixte », même s'il ne
le rejoint pas entièrement sur l'idée d'anakyklosis, c'est-à-dire d'un cycle
semblable à une loi naturelle. Mais la meilleure « constitution » semble être
celle qui, combinant les différents éléments, présente la plus grande stabilité. Il
faut donc équilibrer harmonieusement des éléments de pouvoir monarchique,
aristocratique et démocratique. » (pp.11-12)

-Serge Audier, Les théories de la république, Paris, Éditions La Découverte,


coll. Repères, 2015 (2004 pour la première édition), 125 pages.

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164
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e+en+philosophie

http://www.amazon.com/Cicero-Philosopher-J-G-Powell/dp/0198152736

http://hydra.forumactif.org/t922-ciceron-oeuvres-completes

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cit%C3%A9/dp/2840504464/ref=asap_bc?ie=UTF8

Titus Pomponius Atticus (-110/-32) : « De tous les correspondants de Cicéron,


aucun n’entretint avec lui un commerce plus long et plus régulier qu’Atticus.
Leurs relations durèrent, sans interruption et sans nuage, jusqu’à leur mort. À
la moindre absence ils s’écrivaient, et, quand c’était possible, plus d’une fois
par jour. Ces lettres tantôt courtes, pour échanger un souvenir rapide, tantôt
longues et raisonnées, quand les événements étaient plus graves, folâtres ou
sérieuses, selon les circonstances, qu’on écrivait en toute hâte, où l’on se
trouvait, ces lettres contenaient toute la vie des deux amis. » -Gaston Boissier,
Cicéron et ses amis, Paris, 1908.

"Cet ami intime de Cicéron était un chevalier romain dont les réseaux d'amitié
et la fortune valaient largement ceux d'un sénateur. Il refusa pourtant toutes les
magistratures et les fonctions qui l'auraient conduit à s'engager dans les conflits
165
de la vie politique. Il faisait partie de ceux qui pouvaient [...] se permettre de
renoncer pour eux-mêmes et pour leurs descendants à toute progression dans la
hiérarchie civique. Atticus vécut ainsi très honorablement tout en s'abstenant de
la moindre ambition. Le plus significatif, cependant, de la crise des valeurs et de
l'identité que connaissait l'aristocratie romaine fut que l'historien Cornelius
Nepos fit de lui une biographie qui le donnait en exemple. Qu'il devînt ainsi un
modèle révélait ce fait désespérant qu'il semblait ne plus y avoir d'action
politique possible sans compromission ni crime." (pp.222-223)
-Jean-Michel David, La République romaine. De la deuxième guerre punique à
la bataille d'Actium (218-31 av. J.C.). Crise d'une aristocratie, Nouvelle histoire
de l'Antiquité, tome 7, Éditions du Seuil, coll. Points, 2000, 304 pages.

« Et lui se comportait de manière à paraître sans hauteur avec les petits et sans
bassesse avec les grands. Aussi lui décerna-t-on tous les honneurs publics
possibles et voulut-on le faire citoyen d’Athènes. Mais lui refusa ce privilège, ce
que certains expliquent en disant qu’il ne voulait pas renoncer au titre de
citoyen romain » : Atticus dut, en effet, renoncer à la citoyenneté athénienne, à
cause de l’impossibilité à Rome de la double citoyenneté, principe qui ne connut
d’assouplissement que dans les années 40-30 av. J.‑C. » -Christel Müller, « Le
prestige peut-il s’acheter ? Réflexions sur la vente de la citoyenneté et des
honneurs dans les cités grecques aux époques hellénistique et romaine », Le
Prestige à Rome à la fin de la République et au début du Principat, Baudry R. et
Hurlet F., éd., 2016, p. 281-294, p.283.

Lucrèce (-94/-54) : « Le principe dont nous nous servirons comme point de


départ, c'est que rien ne peut être engendré de rien par une intervention
divine. » -Lucrèce, De Natura Rerum.

« Lucrèce est l'authentique poète épique romain car il chante la substance de


l'esprit romain. Au lieu des figures sereines, fortes, toutes d'une pièce d'Homère,
nous avons ici des héros solides, à l'armure impénétrable, auxquels manquent
toutes les autres propriétés ; nous avons la guerre de tous contre tous, la forme
pleine de raideur de l'être pour soi, une nature divinisée et un dieu naturalisé. »

-Karl Marx, Dissertation sur la Différence de la philosophie de la nature chez


Démocrite et d’Épicure. Traduction Jacques Ponnier, Ducros, Bordeaux, 1970.
p.171.

166
"Les épicuriens sont d'abord des intellectuels, liés aux couches dominantes,
nullement subversifs, dont les activités et l'idéal ne tournent pas autour
d'ambitions politiques ou sociales. Ils sont avant tout dépendants des subsides
de leurs mécènes, qui, par leur appartenance sociale, fournissent un cadre
quelque peu obligé à leur pensée politique." (p.130)

"De rerum natura est l'œuvre la plus intacte et la plus riche de tout le
matérialisme antique. La vie de son auteur est peu connue. Il est l'un des
premiers romains à défendre la philosophie épicurienne, au moment où l'empire
commence sa lente décadence, au début du Ier siècle avant J.C. Il est lié au
milieu aristocratique par au moins une relation d'amitié avec Memmius, proche
de César. C'est un homme cultivé qui a sans doute écrit plusieurs poèmes, et qui
doit certainement entretenir des relations avec Cicéron." (p.131)
-Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions
Kimé, 2103, 706 pages.

« Il y a certaines affinités très précises entre Lucrèce et Salluste, et la tradition


critique de l’épicurisme ne sera pas étrangère à la méditation de Tacite. »

-Alain Michel, Le hasard et la nécessité : De Lucrèce aux modernes, Bulletin de


l'Association Guillaume Budé, Année 1971, Volume 1, Numéro 2, pp. 253-269.

« Plus radical que tous, Lucrèce propose aussi une solution personnelle à la
crise : devenir épicurien et se détourner de la vie politique. » (p.46)

« Lucrèce se suicida à 43 ans. » (p.47)

« Chez Lucrèce, la vérité se situe clairement en dehors de la tradition,


puisqu’elle est le dogme révélé par Épicure. » (p.170)

« Au moment même où un Cicéron se tournait vers la pensée pour compenser


son impossibilité d’agir et faisait de l’écriture une forme d’action politique,
Cassius se convertissait à l’épicurisme et entrait dans l’action violente pour
défendre la République : cette prise de position impliquait un vrai travail de la
pensée, un effort pour pousser jusqu’au bout l’idée de libertas, d’autonomie,
propre à l’épicurisme et pour comprendre que la liberté de parole exigée entre
les membres de la même communauté intellectuelle était indissociable d’un Etat
libre. L’assassinat de César laisse aussi penser que la République, non la
monarchie, était, pour certains épicuriens, le meilleur gouvernement. […]
Lucrèce, par exemple, ne semble pas avoir défendu l’idée monarchique ; bien
167
plus, c’est dans une République avec des lois et des magistrats qu’il voyait le
salut. Or une chose demeure obscure : alors que les rapports de Lucrèce avec le
cercle d’Herculanum sont à peu près attestés, c’est à Cicéron qu’il revint de
publier son œuvre après sa mort. N’était-ce pas plutôt le devoir de ses amis
épicuriens ? Peut-être Cicéron honorait-il par là un défenseur de la
République ? » (p.198-199)

-Claudia Moatti, La Raison de Rome. Naissance de l’esprit critique à la fin de la


République (IIe-Ier siècle avant Jésus-Christ), Éditions du seuil, coll. Des
Travaux, 1997, 474 pages.

« L'homme de Lucrèce, au contraire, procède à une révolution. En niant les


dieux indignes et criminels, il prend lui-même leur place. Il sort du camp
retranché et commence les premières attaques contre la divinité au nom de la
douleur humaine. [...]
Ce langage nouveau ne peut se comprendre sans la notion d'un dieu personnel
qui commence à se former lentement dans la sensibilité des contemporains
d'Épicure, et de Lucrèce. » -Albert Camus, L'Homme révolté, 1951, in Œuvres,
Paris, Gallimard, Coll. Quarto, 2013, 1526 pages, pp.847-1080, p.869.

http://hydra.forumactif.org/t3019-duncan-f-kennedy-the-political-epistemology-
of-infinity#3798

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168
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Marc Antoine (-83/-30) : http://www.amazon.fr/Marc-Antoine-destin-


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D=16224HNNHJ6HYE92FP8F

Cléopâtre VII (-69/+12): "Le 12 août, quand Octavien reçut, par


l'intermédiaire d'Epaphrodite, un billet dans lequel Cléopâtre demandait à être
enterrée auprès de Marc Antoine, il était trop tard. On retrouva la reine morte,
revêtue d'une robe somptueuse et de tous les insignes royaux, avec deux
suivantes qui l'avaient accompagnée jusque dans la mort. [...] Octavien dut se
résoudre à se passer de l'exhibition de la reine d'Egypte à son triomphe. Il n'est
pas sûr qu'il ait tant regretté cette issue." (p.116)

"Ptolémée Césarion, le prétendu fils de César et de l'Egyptienne, représentait


une menace potentielle trop importante pour être laissé en vie [...] L'adolescent
fut trahi, rattrapé et exécuté alors qu'il tentait de s'enfuir en Ethiopie sur les
conseils de sa mère. Anthyllus, fils de Marc Antoine et de Fulvie, bien que
promis à Julie, la propre fille d'Octavien, connut le même sort." (p.117)

-Pierre Cosme, Auguste, Perrin, coll. Tempus, 2009 (2005 pour la première
édition), 345 pages.

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r=1-10
169
Tite-Live (-59/-17) : « Aurai-je lieu de m’applaudir de ce que j’ai voulu faire, si
j’entreprends d’écrire l’histoire du peuple romain depuis son origine ? Je
l’ignore ; et si je le savais, je n’oserais le dire, surtout quand je considère
combien les faits sont loin de nous, combien ils sont connus, grâce à cette foule
d’écrivains sans cesse renaissants, qui se flattent, ou de les présenter avec plus
de certitude, ou d’effacer, par la supériorité de leur style, l’âpre simplicité de
nos premiers historiens. Quoi qu’il en soit, j’aurai du moins le plaisir d’avoir
aidé, pour ma part, à perpétuer la mémoire des grandes choses accomplies par
le premier peuple de la terre ; et si parmi tant d’écrivains mon nom se trouve
perdu, l’éclat et la grandeur de ceux qui m’auront éclipsé serviront à me
consoler. C’est d’ailleurs un ouvrage immense que celui qui, embrassant une
période de plus de sept cents années, et prenant pour point de départ les plus
faibles commencements de Rome, la suit dans ses progrès jusqu’à cette dernière
époque où elle commence à plier sous le faix de sa propre grandeur : je crains
encore que les origines de Rome et les temps les plus voisins de sa naissance
n’offrent que peu d’attraits à la plupart des lecteurs, impatients d’arriver à ces
derniers temps, où cette puissance, dès longtemps souveraine, tourne ses forces
contre elle-même. Pour moi, je tirerai de ce travail un grand avantage ; celui de
distraire un instant du spectacle des maux dont notre époque a été si longtemps
le témoin, mon esprit occupé tout entier de l’étude de cette vieille histoire, et
délivré de ces craintes qui, sans détourner un écrivain de la vérité, ne laissent
pas d’être pour lui une source d’inquiétudes.

Les faits qui ont précédé ou accompagné la fondation de Rome se présentent


embellis par les fictions de la poésie, plutôt qu’appuyés sur le témoignage
irrécusable de l’histoire : je ne veux pas plus les affirmer que les contester. On
pardonne à l’antiquité cette intervention des dieux dans les choses humaines,
qui imprime à la naissance des villes un caractère plus auguste. Or, s’il est
permis à un peuple de rendre son origine plus sacrée, en la rapportant aux
dieux, certes c’est au peuple romain ; et quand il veut faire du dieu Mars le père
du fondateur de Rome et le sien, sa gloire dans les armes est assez grande pour
que l’univers le souffre, comme il a souffert sa domination.

Au reste, qu’on rejette ou qu’on accueille cette tradition, cela n’est pas à mes
yeux d’une grande importance. Mais ce qui importe, et doit occuper surtout
l’attention de chacun, c’est de connaître la vie et les mœurs des premiers
Romains, de savoir quels sont les hommes, quels sont les arts qui, dans la paix
comme dans la guerre, ont fondé notre puissance et l’ont agrandie ; de suivre
170
enfin, par la pensée, l’affaiblissement insensible de la discipline et ce premier
relâchement dans les mœurs qui, bientôt entraînées sur une pente tous les jours
plus rapide, précipitèrent leur chute jusqu’à ces derniers temps, où le remède
est devenu aussi insupportable que le mal. Le principal et le plus salutaire
avantage de l’histoire, c’est d’exposer à vos regards, dans un cadre lumineux,
des enseignements de toute nature qui semblent vous dire : Voici ce que tu dois
faire dans ton intérêt, dans celui de la république ; ce que tu dois éviter, car il y
a honte à le concevoir, honte à l’accomplir. Au reste, ou je m’abuse sur mon
ouvrage, ou jamais république ne fut plus grande, plus sainte, plus féconde en
bons exemple : aucune n’est restée plus longtemps fermée au luxe et à la soif
des richesses, plus longtemps fidèle au culte de la tempérance et de la pauvreté,
tant elle savait mesurer ses désirs à sa fortune. Ce n’est que de nos jours que les
richesses ont engendré l’avarice, le débordement des plaisirs, et je ne sais
quelle fureur de se perdre et d’abîmer l’état avec soi dans le luxe et la
débauche.

Mais ces plaintes ne blesseront que trop, peut-être, quand elles seront
nécessaires ; ne commençons donc pas par là ce grand ouvrage. Il conviendrait
mieux, si l’historien avait le privilège du poète, de commencer sous les auspices
des dieux et des déesses, afin d’obtenir d’eux, à force de vœux et de prières,
l’heureux succès d’une si vaste entreprise. » -Tite-Live, préface à l’Histoire
romaine, Traduction par Désiré Nisard, Firmin Didot frères, 1864 (1, p. 29-30).

"Si la liberté fut accueillie avec joie, l’orgueil du dernier roi en avait été la
cause, car ses prédécesseurs avaient régné de telle sorte, que dans la suite on
les regarda tous, avec justice, comme les fondateurs de ces parties de la ville
qu’ils assignèrent pour demeure à la multitude, augmentée sous leur règne ; et
l’on ne saurait douter que ce même Brutus, qui mérita tant de gloire, par
l’expulsion de Tarquin le Superbe, n’eut fait le plus grand tort à l’état, si, dans
le désir d’une liberté prématurée, il eût arraché le sceptre à l’un des rois
précédents. En effet, que serait-il arrivé, si ce rassemblement de bergers et
d’hommes de toutes les contrées, fuyant leur patrie, et ayant obtenu, sous la
protection d’un temple inviolable, sinon la liberté, du moins l’impunité, une
fois délivré de la crainte du pouvoir royal, eût commencé à être agité par les
tempêtes tribunitiennes ; et si, dans une ville qui lui était encore étrangère, il
eût engagé la lutte contre les patriciens, avant que les liens du mariage, de la
paternité, et l’amour du sol même, auquel le temps seul nous attache,
n’eussent réuni tous les esprits par des intérêts communs. L’état encore sans
171
vigueur eût été anéanti par la discorde ; tandis que l’influence tranquille d’un
pouvoir modéré développa tellement ses forces, que, parvenue à la maturité,
cette plante féconde put porter les fruits généreux de la liberté."

-Tite-Live, Histoire romaine, Traduction par Désiré Nisard, Firmin Didot frères,
1864 (Livre II, p.83-84).

"C'est chez lui qu'on trouve la première uchronie. [...] Que ce serait-il passé si
Alexandre avait tourné son regard vers l'Occident ? [...] Et sa réponse, en gros,
est qu'il aurait été battu par les romains."

"Il avait le même âge que l'Empereur Auguste [...] avec lequel il semble avoir eu
des rapports de confiance."

"Il va passer un demi-siècle à composer son œuvre dans sa bibliothèque."

"On sait qu'il était pompéien, donc républicain."

"Cette légende romuléenne, si les Romains l'avaient pu ils l'auraient éliminé.


Complètement. [...] [Ils ont tout fait pour la rendre présentable]."

"Chaque conquête [romaine] est pour lui un cri de victoire."

"C'est un historien de la foule. [...] Il condamne les excès des tribuns."

« [Tite-Live] a réalisé la définition cicéronienne de l’histoire, qui devait être


[…] conservatrice d’évènements et maîtresse de vie. » -TITE-LIVE (vers 59 av.-
17 ap. J.-C.) : Historien de Rome – Une vie, une œuvre [2007].

« La lucidité implacable de Tite-Live, et la rigueur avec laquelle il met à nu les


“infrastructures” sociales de l’idéologie patriotique, méritent de […] d’être
soulignées. » -René Martin, La littérature latine « subversive », Bulletin de
l'Association Guillaume Budé, Année 1978, Volume 1, Numéro 2, pp. 153-179.

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Les Celtes et les Gaulois : « A qui devons-nous notre civilisation ? A quoi


devons-nous d'être ce que nous sommes ? A la conquête des Romains. Et cette
conquête, elle eût échoué, elle se fût faite plus tard, dans des conditions
172
différentes, peut-être moins bonnes, si les Gaulois n'avaient été divisés entre eux
et perdus par leur anarchie. Les campagnes de César furent grandement
facilitées par les jalousies et les rivalités des tribus. Et ces tribus étaient
nombreuses: plus tard, l'administration d'Auguste ne reconnut pas moins de
soixante nations ou cités. A aucun moment, même sous le noble Vercingétorix,
la Gaule ne parvint à présenter un front vraiment uni, mais seulement des
coalitions. Rome trouva toujours, par exemple chez les Rèmes (de Reims) et chez
les Éduens de la Saône, des sympathies ou des intelligences. La guerre civile, le
grand vice gaulois, livra le pays aux Romains. [...]
Les Français n'ont jamais renié l'alouette gauloise et le soulèvement national
dont Vercingétorix fut l'âme nous donne encore de la fierté. Les Gaulois avaient
le tempérament militaire. Jadis, leurs expéditions et leurs migrations les avaient
conduits à travers l'Europe, jusqu'en Asie Mineure.
Ils avaient fait trembler Rome, où ils étaient entrés en vainqueurs. Sans vertus
militaires, un peuple ne substitue pas ; elles ne suffisent pas à le faire subsister.
Les Gaulois ont transmis ces vertus à leurs successeurs. L'héroïsme de
Vercingétorix et ses alliés n'a pas été perdu: il a été comme une semence. Mais
il était impossible que Vercingétorix triompha et c'eût été un malheur s'il avait
triomphé.
Au moment où le chef gaulois fut mis à mort après le triomphe de César (51
avant l'ère chrétienne), aucune comparaison n'était possible entre la civilisation
romaine et cette pauvre civilisation gauloise, qui ne connaissait même pas
l'écriture, dont la religion était restée aux sacrifices humains. A cette conquête,
nous devons presque tout. Elle fut rude: César avait été cruel, impitoyable. La
civilisation a été imposée à nos ancêtres par le fer et le feu et elle a été payée
par beaucoup de sang. Elle nous a été apportée par la violence. Si nous sommes
devenus des civilisés supérieurs, si nous avons eu, sur les autres peuples, une
avance considérable, c'est à la force que nous le devons.
Les Gaulois ne devaient pas tarder à reconnaître que cette force avait été
bienfaisante. Ils avaient le don de l'assimilation, une aptitude naturelle à
recevoir la civilisation gréco-latine qui, par Marseille et le Narbonnais, avait
commencé à les pénétrer. Jamais colonisation n'a été plus heureuse, n'a porté
de plus beaux fruits, que celle des Romains en Gaule. D'autres colonisateurs ont
détruit les peuples conquis. Ou bien les vaincus, repliés sur eux-mêmes, ont vécu
à l'écart des vainqueurs. Cent ans après César, la fusion était presque
accomplie et des Gaulois entraient au Sénat romain.

173
Jusqu'en 476, jusqu'à la chute de l'Empire d'Occident, la vie de la Gaule s'est
confondue avec celle de Rome. » (p.17-18)

« Il est probable que, sans les Romains, la Gaule eût été germanisée. Il y avait,
au-delà du Rhin, comme un inépuisable réservoir d'hommes. Des bandes s'en
écoulaient par intervalles, poussées par le besoin, par la soif du pillage ou par
d'autres migrations. Après avoir été des envahisseurs, les Gaulois furent à leur
tour envahis. Livré à eux-mêmes, eussent-ils résisté ? C'est douteux. Déjà, en
102 avant Jésus-Christ, il avait fallu les légions de Marius pour affranchir la
Gaule des Teutons descendus jusqu'au Rhône. Contre ceux qu'on appelait les
Barbares, un immense service était rendu aux Gaulois: il aida puissamment la
pénétration romaine. L'occasion de la première campagne de César, en 58,
avait été une invasion germanique. César s'était présenté comme un protecteur.
Sa conquête avait commencé par ce que nous appellerions une intervention
armée. » (p.19)

-Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014


(1924 pour la première édition), 552 pages.

"Les Celtes, loin d'être unis, sont divisés en plusieurs groupes ethno-
linguistiques parmi lesquels se trouvent les Gaulois [...] Redoutables guerriers,
ils ont à plusieurs reprises menacés la puissance romaine, en particulier en 390
av. J.C., lorsqu'ils ont réussi à pénétrer dans Rome et à la saccager, provoquant
un immense traumatisme chez les Romains qui redouteront toujours cette
menace gauloise." (p.25)

"Dans son ouvrage La Guerre des Gaules, César fait une opposition très nette
entre les Gaulois d'une part et les Germains d'autre part, et fixe la "frontière"
entre ces deux peuples au niveau du Rhin: ainsi, d'après César, la frontière
entre la Gaule et la Germanie est "naturellement" le Rhin. Ce choix est pourtant
une décision purement arbitraire et personnelle de César qui a ainsi, selon
l'heureuse expression de l'historien C. Goudineau, "inventé la Gaule" dans la
mesure où il est le premier à délimiter un territoire gaulois et à l'opposer à une
Germanie. Cette "invention" est en quelque sorte une ruse politique voire
politicienne de César: en fin politique qu'il était, il savait que ses succès
militaires auraient un impact considérable à Rome, où il n'a pas renoncé à ses
ambitions politiques face à son ennemi de toujours, Pompée ; en fixant cette
frontière au niveau du fleuve, il masque ainsi ses échecs à conquérir les peuples

174
situés au-delà du Rhin et présente ses conquêtes comme formant un ensemble
cohérent. Cette séparation artificielle entre une Gaule et une Germanie, outre
qu'elle donne l'image -fausse- de deux ensembles homogènes, ne se justifie pas
ni du point de vue topographique (certes, le Rhin créé une discontinuité spatiale,
mais qui n'est pas majeure) ni du point de vue culturel voire ethnique, Gaulois
et Germains appartenant à l'aire culturelle celte avec un certain nombre de
traits caractéristiques communs. Même si on l'a longtemps écrit et enseigné, au
moins jusqu'aux années 1960-1970, il n'est plus possible aujourd'hui de
considérer la Gaule comme l'ancêtre de la France, ni les Gaulois comme "nos
ancêtres".

Quoi qu'il en soit, cette frontière césarienne s'impose rapidement, et, dans le
cadre de la domination romaine, devient la frontière administrative entre les
provinces gauloises d'une part et les provinces germaniques d'autre part."
(p.26)

"Les Celtes ont [...] bien avant l'arrivée des Romains, édifié les premières
structures urbaines qu'historiens et archéologues considèrent aujourd'hui
comme les villes les plus anciennes d'Europe: il s'agit des oppida (oppidium au
singulier), comme Bibracte, Gergovie, Alésia ou bien encore Entremont à
proximité d'Aix-en-Province. Les Romains ont poursuivis et amplifié le
processus d'urbanisation du territoire gaulois, en édifiant de nouveaux espaces
urbains, appelés désormais cités, par exemple Arles fondée par César en 46. av.
J.C., ou en réaménageant les anciens oppida celtes. Il est symptomatique de
constater aujourd'hui que non seulement la majorité des villes françaises sont
d'origine antique mais qu'en plus, à l'échelle intra-urbaine, l'organisation de la
ville reprend en partie celle de l'époque antique (centre historique qui
correspond à la ville antique même si la strate médiévale l'a souvent fait
disparaître, principaux axes qui reprennent en partie le tracé des anciens axes
gallo-romains, etc.)." (p.26-27)

"Les Celtes ont également aménagé un premier réseau routier, qui est ensuite
complété et densifié par les Romains. Ceux-ci ont en effet besoin d'un réseau
viaire (les viae sont les voies romaines) solide, reliant les différentes cités entre
elles mais aussi la Gaule aux autres provinces de l'Empire, provinces
espagnoles et germaniques en particulier) et à l'Italie, à la fois dans un but
stratégique et militaire (faciliter la circulation des soldats à l'intérieur des
provinces et vers les frontières de l'Empire), dans un but administratif au sens
175
large (permettre une circulation efficace des nombreux fonctionnaires, de la
correspondance officielle et plus largement de l'information) et dans un objectif
économique (encourager les circulations des marchandises et des
commerçants). Si l'on compare une carte des réseaux routiers de la Gaule
romaine avec une carte des réseaux actuels, on constate aisément une
continuité: les grands axes de transports d'aujourd'hui reprennent les tracés de
l'époque romaine, par exemple en vallé du Rhône ou le long de la Méditerranée
vers l'Espagne (avec la célèbre via Domitia, qui longe l'actuelle autoroute A9)."
(p.27)

-Yannick Clavé, Géographie de la France, Éditions Ellipses, 2013, 384 pages.

http://hydra.forumactif.org/t5149-jean-louis-brunaux-nos-ancetres-les-
gaulois#6141

https://www.amazon.fr/Celtes-Henri-
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Brennos (4ème siècle avant. J.C) :

Vercingétorix (-80/-46) : https://www.amazon.fr/Vercing%C3%A9torix-Paul-


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De l’Empire à la Christianisation : « Toute la démonstration de Mommsen


tend à prouver que ce qui fait essentiellement l'empereur, à savoir la détention
de l'imperium, lui est toujours conféré ou reconnu par les troupes ou par le
Sénat, c'est-à-dire en fin de compte par la souveraineté populaire. Et comme il
n'y a pas de dynastie de droit divin ou féodal à Rome, c'est ce qui permet à
Mommsen de dire que le Principat n'est que le prolongement d'un droit public
républicain, dans lequel l'imperium, s'il est premier, n'est quand même là que
pour représenter le seul vrai souverain, la collectivité, parce que celle-ci est
incapable d'agir en personne. » -Claude Nicolet, Introduction à Theodor
Mommsen, Histoire romaine, tome 1 "Des commencements de Rome jusqu'aux
176
guerres civiles", Robert Laffont, coll. Bouquins, Paris, 1985, 1141 pages,
p.XXXI-XXXII.

« Aux yeux des Romains eux-mêmes, l’Empire était en quelque manière le seul
Etat existant et le seul possible ; durant les quatre siècles qu’il a duré, bien des
gouverneurs, bien des généraux se sont soulevés pour usurper le trône
impérial ; aucun ne l’a fait pour séparer sa province de l’Empire. » -Paul
Vayne, Y a-t-il eu un impérialisme romain ?, Mélanges de l'Ecole française de
Rome. Antiquité, Année 1975, Volume 87, Numéro 2, pp. 793-855, p.854.

« L'empire trouve dans le christianisme une idéologie adéquate à ces temps de


troubles et de régression économique. Ce monothéisme offre aux empereurs un
expédient idéologique pour affermir leur autorité et tenter de maintenir l'unité
d'un immense territoire. Le christianisme est mieux adapté que le paganisme au
besoin de centralisation, dans la mesure où il fait de l'empereur l'incarnation de
la providence divine. » -Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies
matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.143.

« La fin du paganisme est un phénomène spirituel, social et politique qui s’étend


du Ier siècle jusqu’au IXe siècle : on en voit les premiers symptômes dans les
réformes religieuses de l’empereur Auguste qui trahissent l’existence d’une
crise de conscience collective ; mais il faudra neuf siècles pour que le dernier
foyer du paganisme héllénique s’éteigne en Laconie. Il s’agit donc d’un lent
processus qui a connu des alternatives d’accélération et de freinage, de flux et
de reflux. On pense généralement que le paganisme a été vaincu et détruit
totalement par le christianisme. Il est probable que la réalité historique est
beaucoup plus complexe. On peut en effet se demander légitimement si la
disparition du paganisme, ou tout au moins sa transformation radicale ne se
serait pas produite d’elle-même, sans l’intervention du christianisme. Les
difficultés économiques de l’empire romain, à partir du IIIe siècle, l’unification
de l’Empire et la divination de l’empereur, le développement d’une théologie du
Dieu suprême et transcendant, l’apparition d’une spiritualité dominée par le
refus du monde sensible, tous ces facteurs, que nous voyons à l’œuvre dans le
paganisme après le premier siècle de notre ère, auraient peut-être suffi à
conduire le monde antique à un état politique, social et spirituel assez proche de
ce que fut réellement l’Empire byzantin. […] Quoi qu’il en soit, plus que d’une
fin du paganisme, il faudrait parler, pour caractériser le phénomène que nous
allons analyser, d’une fusion du christianisme et du paganisme. En effet, si,
177
après un violent combat politique et spirituel, le christianisme a triomphé du
paganisme, il n’en est pas moins vrai que –selon un processus historique qui
semble se répéter à toutes les époques- les deux adversaires s’étaient
contaminés mutuellement, dans l’ardeur de la lutte. » (p.341-342)

« La contrainte politique en matière religieuse a peu à peu remplacé l’esprit de


tolérance. La religion antique n’était absolument pas unifiée : elle comportait
une grande diversité de cultes, de croyances propres aux différentes cités,
nations ou confréries. Mais, grâce à l’action centralisatrice des empereurs, le
monde gréco-romain tend à devenir une seule nation. Une intense inter-
communication s’instaure. Non seulement les cultes se mêlent les uns aux
autres, les divinités se confondent et s’unifient, mais surtout le culte de Rome et
des empereurs devient en quelque sorte une religion d’Etat. C’est là le point
précis qui sera à l’origine des persécutions contre le christianisme. Lorsque
l’empire sentira la force croissante de la nouvelle religion, la répression
deviendra de plus en plus violente : il en sera ainsi sous le règne de Dèce en 249
et sous elui de Dioclétien, de 303 à 311. Après la conversion de Constantin, les
empereurs chrétiens hériteront de cette intolérance. » (p.342-343)

« L’image de la puissance royale va […] être projetée dans l’absolu. On se


représentera le monde divin sur le modèle de la monarchie impériale. » (p.343)

« Dans cette évolution du paganisme vers un monothéisme hiérarchique, les


tentatives d’instauration d’une théologie solaire sont très significatives.
L’empereur Aurélien s’en fera le promoteur et le philosophe néo-platonicien
Porphyre composera un traité particulier pour montrer que tous les dieux se
ramènent finalement à la puissance solaire. » (p.344)

« Auguste préparait déjà Constantin, politiquement, mais aussi


religieusement. » (p.345)

« Les facteurs économiques et sociaux ont également joué un rôle important


dans la « fin » du paganisme. Tout d’abord, les cultes païens ne pouvaient être
pratiqués d’une manière intensive que dans un état général de prospérité
publique et avec le soutien de l’Etat. En effet, l’entretien des temples, des
collèges sacerdotaux, les sacrifices, les jeux, exigeaient de lourdes dépenses.
Or, à partir du IIIe siècle, et en liaison avec une grave crise politique, la
régression économique s’installe dans l’Empire. C’est précisément à cette
époque, comme l’a noté J. Geffcken, que la décadence de la vie religieuse
178
païenne commence à se manifester. Le phénomène ne peut que s’accélérer sous
les empereurs chrétiens. En effet, le soutien de l’Etat est alors progressivement
retiré aux institutions de l’ancienne religion. » (p.345)

« L’aristocratie romaine fut longtemps, sous les empereurs chrétiens, le dernier


bastion de la résistance païenne. » (p.345)

-Pierre Hadot, Études de philosophie ancienne, Les Belles Lettres, coll. L’âne
d’or, 2010 (1998 pour la première édition), 384 pages.

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Octave Auguste (-63/+14): « Le début de l’Empire est traditionnellement daté


en 27 av. J.C., au moment où Octavien reçoit le cognomen d’Augustus, le 16
janvier. Quand en 28 il dépose les pouvoirs triumviraux et abolit les actes
illégaux qui ont été pris durant la période triumvirale, il est censé redevenir un
homme comme les autres. Il fait en sorte que ce ne soit pas le cas. […] Dès
après l’assassinat de César, il est décidé que le mois Quinctilis deviendra le mois
Iulius. De même, en 8 av., le mois Sextilis devient Augustus. […] L’apparition
de la comète en juillet 44, à l’occasion des Jeux organisés par Octavien en

179
l’honneur de son père assassiné, permet d’affirmer que César a pris place parmi
les dieux et il est divinisé officiellement en 42 par la lex Rufrena, le Sénat lui
ayant accordé des honneurs divins dès mars 44 (Pline l’Ancien, HN, II, 23, 94 ;
Suétone, 88, 1-2 ; Dion Cassius, XLV, 7, 1). Il a déjà eu le droit, de son vivant,
d’avoir un flamen, ses images figurent parmi celles des dieux dans les
processions, sa maison est ornée d’un fronton, comme les temples […] C’est
Marc Antoine qui est le flamine du culte à partir de 40. La dédicace du temple
de diuus Iulius a lieu en 29. Octavien devient diui filius, fils du divinisé, et prend
bien soin de faire figurer cela sur les monnaies. […]

Comme son père adoptif, il porte le praenomen Imperator depuis 40 : il est le


commandant en chef victorieux par excellence. […] [A partir de -30] les
magistrats et les prêtres célèbrent des vœux publics pour son salut, en plus des
vœux habituels pour le salut de la res publica[nom personnel supplémentaire].
Ces vœux sont prononcés le 3 janvier à partir de Tibère. » (p.31)

« En 29, les portes du temple de Janus sont fermées (elles le sont à nouveau en
25 et en 10 av. J.C.), ce qui ne peut se produire que quand la paix règne. Elles ne
l’ont été que deux fois avant. Le symbole est particulièrement fort : Octavien se
présente comme celui qui a ramené la paix après des années de guerres civiles
meurtrières. Un autre symbole de cette paix retrouvée est l’Ara Pacis Augustae,
l’Autel de la Paix Auguste, dédicacé en 9 av. J.C., le jour de l’anniversaire de
Livie (30 janvier). […] L’empereur est représenté en tant que grand pontife […]
ce qui est une façon de sous-entendre sa relation particulière avec le divin. »
(p.32)

« En 29 également a lieu un augurium salutis, des prières pour la sécurité et le


succès à venir du peuple romain (Dion Cassius, LI, 20, 4). Une telle cérémonie
ne peut se dérouler qu’en période de paix […] Pour Kearsley [2009], il ne s’agit
pas seulement pour Octavien de restaurer un rite oublié, comme il a pu le faire
par ailleurs ; cet augurium salutis l’identifie comme celui par l’intermédiaire
duquel Jupiter agit pour le bien et la sécurité de l’Etat ; Octavien s’assure le
contrôle unique de Rome, c’est lui qui décide si l’Etat est en guerre ou pas […]
Cela amoindrit d’autant la signification des activités des autres membres de
l’élite qui font encore campagne, en particulier celles de Marcus Licinius
Crassus, ancien partisan de Sextus Pompée puis de Marc Antoine, proconsul de
Macédoine victorieux des Bastarnes, qui a tué de ses propres mains leur roi,
Deldo ; il aurait dû avoir le droit de consacrer ces dépouilles opimes [prises par
180
un commandant en chef avec un imperium complet sur un chef ennemi qu’il a
tué en combat singulier] et de les suspendre dans le temple de Jupiter Feretrius,
ce qui lui est refusé par Octavien. Cela lui aurait fait beaucoup trop d’ombre. »
(p.32)

« Toujours en 29, le nom d’Octavien est introduit dans les hymnes des saliens
[prêtres chargés d’ouvrir et fermer le temps de la guerre en Mars et en Octobre],
à côté de celui des dieux. […] Une statue de la Victoire est aussi placée dans la
curie, avec un autel […] les sénateurs font une libation chaque fois qu’ils entrent
dans la curie. Un an plus tard, des jeux votifs quadriennaux pour son salut sont
instaurés : ils célèbrent sa victoire sur l’Égypte.

Parallèlement, Octavien a soin de revêtir le consulat tous les ans […] En 28, les
pouvoirs censoriaux qu’il reçoit, avec Agrippa, lui permettent d’effectuer le
recensement de la population et de réviser l’album sénatorial, donc d’éliminer
un certain nombre de ses opposants ; il devient princeps senatus […] le dernier
[…] ayant été Cicéron en 43. […] Il abandonne le consulat à partir de 23 et, pour
compenser la perte de l’imperium domi, reçoit la puissance tribunicienne
complète à vie (même si elle est renouvelée tous les ans), valable aussi bien à
Rome que dans l’ensemble de l’Empire. Il peut également franchir le pomerium
sans perdre son imperium militiae, ce qui est en principe impossible. » (p.33)

« Auguste a pourtant été gêné, jusqu’en 12 av. J.C., par le fait que le grand
pontife était Lépide, l’ancien triumvir élu à ce poste en 44 av. J.C. Or le grand
pontife préside le collège pontifical et aucune décision ne peut être prise s’il
n’est pas là. C’est lui qui convoque les réunions du collège, fixe l’ordre du jour,
conduit les débats et dialogue avec le Sénat ou les magistrats. Lépide a été élu
par les pontifes, comme au IIIe siècle, et non pas [par] le peuple, sur décision de
Marc Antoine et avec l’accord du Sénat. Il est certes en exil dans la baie de
Naples, mais il n’en occupe pas moins la fonction et revient périodiquement à
Rome quand sa présence est absolument nécessaire. Le peuple offre bien le
grand pontificat à Octavien en 36, mais ce dernier refuse car il est impossible
d’enlever la charge à un homme en vie. Le Sénat a décrété début 44 que le fils
de César lui succéderait au grand pontificat, mais aucune loi n’a confirmé le
caractère héréditaire du poste [Taylor, 1942]. Dès la mort de Lépide, Auguste
s’est fait élire au grand pontificat, le 6 mars 12, et tous les empereurs ont fait de
même et attendent le mois de mars pour prendre la charge. Lors du règne
conjoint de Marc Aurèle et de Lucius Verus, en 161-169, seul Marc Aurèle est
181
grand pontife, ce qui indique la position prédominante qu’il occupe par rapport à
Lucius Verus. Ce n’est qu’avec Balbin et Pupien, en 238, que le grand pontificat
est pour la première fois partagé entre les deux empereurs. » (p.34)

« A partir de 12, la position occupée par Auguste est inédite : il possède le


pouvoir exécutif et la connaissance sacerdotale, il est l’autorité politique et
l’autorité sacerdotale. » (p.35)

« Il fait reconstruire de nombreux édifices sacrés, en commençant non par ceux


qui occupent la place la plus importante, mais par les plus anciens, ceux de
Jupiter Feretrius, érigé par Romulus, de Victoria et de Saturne […] Il faut
retrouver la pax deorum d’avant les guerres civiles […] C’est aussi un moyen de
s’identifier à Romulus, le fondateur de Rome. […] C’est une façon pour
Auguste d’opposer sa piété à l’impiété de ceux qui ont déclenché les guerres
civiles et de légitimer son pouvoir. » (p.36)

« Auguste a aussi construit, par exemple le temple d’Apollon Palatin, voué en


36 et dédicacé en 28 (les Livres sibyllins y sont transportés en 12 av. J.C. et
quittent ainsi le temple de Jupiter Capitolin). » (p.37)

« C’est enfin sous le règne d’Auguste qu’est mis en place le culte impérial à
Rome et dans les provinces, « la seule religion à vocation universelle » pour les
Romains, même si les façons de le pratiquer sont différentes […] A Rome, les
citoyens doivent prêter serment sur son Genius et effectuer une libation […] lors
des banquets dès 30, le même privilège ayant été accordé en 44 à César […] en
13, son genius [personnification de la puissance d’action d’un être, d’une chose
ou d’un lieu. Toute personne reçoit un Genius à sa naissance] figure parmi les
divinités prises à témoin lors des serments […] Si l’on ajoute le titre de Père de
la patrie qu’il reçoit en 2 av. J.C., on voit que la figure qui domine ici est celle
du pater familias dont l’autorité sur les membres de la domus est absolue. »
(p.38)

« C’est à son Numen [volonté, puissance, force agissante] qu’est dédié l’autel de
Narbonne en 11 ap. J.C. En Orient, l’empereur est qualifié de theos mais le culte
qui lui est rendu n’est pas le même que celui qui est rendu aux divinités. Et s’il
arrive que l’on fasse des sacrifices à l’empereur, on fait beaucoup plus souvent
des sacrifices aux dieux pour l’empereur ou pour le salut de l’empereur […]
Après sa mort, Auguste est divinisé par le Sénat qui vote son apothéose, un
temple doit lui être construit, des fêtes sont prévues et des prêtres sont créés
182
pour son culte à Rome : les sodales Augustales et un flamen Augustalis. Un
temple lui est construit dès 15 à Tarragone, alors que le temple à diius Augustus
sur le Palatin n’est dédicacé qu’en 37. Le même schéma est reproduit lors de la
divinisation des empereurs suivants, Claude étant le seul des Julio-Claudiens à
avoir été divinisé, en 54. » (pp.38-39)

-Catherine Wolff et all, Religion et pouvoir. Monde romain 218 av. J.C. - 235
ap. J.-C., Atlande, 2019, 399 pages.

Arius Didyme (-85/-9) :

Horace (-65/+8): “L’homme juste et ferme en sa resolution, ni la furie des


citoyens ordonnant le mal, ni le visage d’un tyran qui menace n’ébralent ni
n’entament son esprit, non plus que l’Auster, chef turbulent de l’orageuse
Adriatique, non plus que la grande main de Jupiter foudroyant ; que le monde
se rompe et s’écroule, ses debris le frapperont sans l’effrayer.” –Horace, Odes,
III, 3, 1-8 (éd. et trad. Villeneuve), Paris, Les Belles Lettres, p.98.

« Jusqu'à présent aucun poète ne m'a procuré le même ravissement artistique


que celui que j'ai éprouvé dès l'abord à la lecture d'une ode d'Horace. [...] Tout
cela est romain, et, si l'on veut m'en croire, noble par excellence. » -Friedrich
Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, "Ce que je dois aux anciens", trad. Henri
Albert, GF-Flammarion, 1985 (1889 pour la première édition allemande), 250
pages, p.171-172, §1.

http://hydra.forumactif.org/t341-horace-oeuvres?highlight=horace

Virgile (-70/+21) : « Donnez-moi la faveur et la richesse, et je ferai votre éloge.


–Virgile avait trop le sens des convenances pour exposer publiquement un
marché de cette nature. Mais en fait c’est exactement le marché qui a eu lieu
entre Auguste et lui. Ses vers sont souvent délicieux à lire, mais malgré cela,
pour lui et ses pareils, il faudrait trouver un autre nom que celui de poète. La
poésie ne se vend pas. Dieu serait injuste si l’Énéide, ayant été composée dans
ces conditions, valait l’Iliade. Mais Dieu est juste, et l’Énéide est infiniement
loin de cette égalité. » -Simone Weil, L’Enracinement, 1943, p.294.

« C’est chez Virgile qu’on trouve pour la première fois, associé à une horreur
viscérale de la guerre et à un mépris sans concessions pour la gloria militaris,
un appel à vivre dans l’indifférence absolue aux « affaires de Rome » et à la res
publica sous tous ses aspects.
183
Mais ce qui est surtout intéressant, c’est que cet appel allait être entendu, et que
la génération suivante, celle des « élégiaques », devait être tout entière
imprégnée de cet idéal virgilien. On l’a souvent fait observer, au siècle
d’Auguste, l’esprit civique et l’idéal cicéronien apparaissent comme ayant été
frappés d’un coup mortel à la fois par les guerres de conquête et par les guerres
civiles. De là découle l’idéal de vie élégiaque […] Les trois composantes de cet
idéal sont en effet le refus de l’argent, paupertas, le refus de l’engagement
politique et militaire, inertia, et le refus de la gloire, infamia. Le refus de la
guerre est du reste lié à celui de l’argent, pour la simple raison que les guerres
impérialistes sont considérées par les élégiaques, de même que par Virgile,
comme des entreprises de lucre. » -René Martin, La littérature latine «
subversive », Bulletin de l'Association Guillaume Budé, Année 1978, Volume 1,
Numéro 2, pp. 153-179, p.164.

https://www.amazon.fr/LEneide-
Virgile/dp/2253186066/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1478957569&sr=8-
3&keywords=la+religion+de+virgile

Ovide (-43/+17-18): « La récolte est toujours plus abondante dans le champ


d’autrui et le troupeau du voisin prospère mieux. » -Ovide.

« Video meliora proboque deteriora sequor » (« Je vois le bien, je l’approuve et


je fais le mal ».) –Ovide.

« La désolation de l'exil, l'éloignement de la civilisation qui conduit jusqu'au


désespoir, avait déjà été vécue près de vingt siècles auparavant par l'un des plus
grands poètes de son temps, Ovide, que l'empereur Auguste avait chassé de
Rome et confiné aux frontières de l'Empire sur le Pont-Euxin. Mais plus que la
nostalgie de son ancienne vie - « Je gis, épuisé, parmi les peuples et dans les
contrées les plus reculées de la terre, et, dans mon mal, le souvenir de tout ce
que j'ai perdu me hante » - plus que ces pénibles souvenirs la cause suprême de
son angoisse était d'être enterré dans une terre étrangère sans personne pour le
pleurer : « Cette tête que nul ne pleurera, c'est une terre barbare qui la recouvrira
». » -Michel Terestchenko, Le droit, l'exil et le deuil, site de l’auteur, 21 janvier
2017.

https://www.amazon.fr/lAmour-Amours-daimer-Rem%C3%A8des-
lamour/dp/2251445889/ref=sr_1_15?ie=UTF8&qid=1485031138&sr=8-
15&keywords=ovide
184
Tibulle : « Aussi Tibulle refuse-il d’accompagner son ami et protecteur
Messalla, qui part guerroyer en Orient… » -René Martin, La littérature latine «
subversive », Bulletin de l'Association Guillaume Budé, Année 1978, Volume 1,
Numéro 2, pp. 153-179, p.165.

http://hydra.forumactif.org/t2954-tibulle-oeuvre#3722

Philon d'Alexandrie (-20/+45): https://www.amazon.fr/Philon-dAlexandrie-


penseur-en-
diaspora/dp/2213617406/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=51YPAD7019L&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR102%2C160_&refRID=6N3X3D39DQD
PP8XKXR6G

Tibère (-42/+37): https://www.amazon.fr/Tib%C3%A8re-Emmanuel-


Lyasse/dp/284734683X/ref=pd_sim_14_9?ie=UTF8&dpID=51PO9%2BYzdPL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR108%2C160_&refRID=ZNWRSCKSX
TDHYNZTDP0M

Caligula (-12/+41) : "Fréquemment les impiétés ou les délits des empereurs


détestés annoncent et justifient, dans les chroniques impériales, la mort de
l'impie et bien entendu la damnatio memoriae grâce à laquelle la cité pieuse se
désolidarisait des actes impies qu'elle avait été obligée de tolérer ; la mort du
monstre peut dans une certaine mesure être assimilée à un sacrifice expiatoire -
dans le cas de Caligula les conjurés utilisèrent même le langage sacrificiel."
(p.142)
-John Scheid, "Le délit religieux dans la Rome tardo-républicaine",
1981: https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1981_act_48_1_1360

https://www.amazon.fr/Caligula-Pierre-
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sr=1-3&keywords=caligula

L’Empereur Claude (-10/+54) : « Claude décida de profiter de troubles


internes à l’île pour organiser une expédition. En 43 il regroupa quatre légions
et près de 40 000 hommes qui traversèrent le Pas-de-Calais. La camapagne fut
rapide, la résistance faible et les légions s’enfoncèrent dans le pays et prirent
Camulodunum en présence de l’empereur qui était venu passer quelques jours
parmi ses troupes. Les Romains s’installèrent définitivement dans le sud de la

185
Bretagne qui devint une nouvelle province sans frontière précise au nord dans
un premier temps.

De ce fait tout danger n’était pas écarté ; d’ailleurs de nombreuses révoltes


fomentées dans la partie indépendante éclatèrent. Les Silures et les Brigantes se
montrèrent particulièrement dangereux pour la présence romaine ; plusieurs
gouverneurs cherchèrent à les éliminer et firent progresser la domination
romaine vers le nord et le nord-est. Mais les druides, regroupés dans l’île de
Mona (Anglesey), excitaient la résistance. Un grand effort fut réalisé, à partir
de 58, par le gouverneur C. Suetonius Paulinus ; il s’empare de Mona en 61.
Mais une grande révolte éclata sur ses arrières, dirigée par la reine Boudicca,
du peuple des Iceni, qui réussit à rallier plusieurs autres peuples.

Toutes les colonies de vétérans, dont Camulodunum, furent prises, incendiées et


rasées. Toutes les concentrations de Romains, comme Londinium (Londres)
disparurent brutalement. On pensa à abandonner l’île. Mais Suetonius Paulinus
réusssit à rétablir la situation, un semblant d’ordre et remporta une bataille
décisive pendant laquelle les troupes de Boudicca furent écrasées ; la reine se
suicida. La répression fut violente, brutale même, et dura plusieurs mois. Jamais
plus les peuples du sud de la Bretagne ne se soulevèrent contre Rome.
Cependant, les Romains ne contrôlaient que le centre le sud de l’île. Au nord
s’étaient réfugiées des populations qui n’avaient pas perdu l’espoir de
conserver leur indépendance et de la rendre à tous dans l’île. » -Jean-Pierre
Martin, « Chapitre 2 – Les premiers successeurs d’Auguste (14-96 ap. J. C.) »,
in Jean-Pierre Martin et al., Histoire romaine, Armand Colin « U », 2014 (3e
ed), p.212-225, p.221-222.

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Suétone (-70/+122): « Le projet biographique de Suétone se distingue d’emblée


du discours historien, comme chez Plutarque. Son ouvrage « n’a rien à voir
186
avec celui de l’historien antique ». On ne cherchera pas chez lui quelque souci à
restituer fidèlement le contexte ni la logique induite par l’enchaînement
chronologique des faits. Néanmoins, Suétone fait montre d’un constant souci de
traquer l’information authentique en mobilisant toutes les sources possibles, ce
qui le rapproche de l’enquête historique telle la définit Hérodote : « C’est une
chose entendue et qui ne souffre pas la contradiction. Suétone est un érudit, non
seulement attiré par la philogie, mais manifestant un goût profond pour tout
l’univers concret ». Il dispose d’ailleurs, grâce à la protection de l’empereur
Hadrien, d’un accès aux archives impériales qu’il est chargé de classer. Il a pu
ainsi consulter des documents secrets, des correspondances privées. A son
époque, on peut prendre pour modèle d’écriture la biographie romancée
soutenue par un élan lyrique qui tient son lecteur en constante attention et qui
est source de projection identitaire, ou la biographie plus érudite. C’est de ce
second type de biographie que relèvent les récits de vies de Suétone qui, dans un
style dépouillé et avec le sens du détail signifiant, va à l’essentiel dans
l’évocation du parcours de ses Césars.

Sa quête presque intemporelle de description des diverses personnalités selon


des catégories psychologiques ainsi qu’une perception à distance
d’objectivation lui ont valu d’être présenté comme un modèle tout à fait opposé
à celui de Plutarque. Ce dernier serait « le représentant d’un genre
biographique pathétique, dramatique et artistique, alors que Suétone illustrerait
un genre plus réfléchi, réaliste, impersonnel ». Il apparaît néanmoins que l’on a
exagéré l’opposition entre les deux maîtres de la biographie. Suétone ne
recherchait pas le détail pour le détail et se présentait tout autant comme
porteur d’une conception du monde et de la morale que son aîné Plutarque.
Même s’il s’abstient de livrer à son lecteur ses préférences personnelles, il est
acquis aux principes de l’Empire romain et accepte le principat, ce que révèle
son adhésion au régime d’Auguste qu’il approuve pour avoir définitivement
renoncé au régime républicain. Contemporain et proche de l’empereur Hadrien,
il semble avoir fait de cet empereur le modèle à partir duquel se déclinent les
qualités et les défauts des Césars. Hadrien serait l’idéal en creux à l’horizon
duquel les « Vies » prennent une valeur démonstrative. Suétone retrouve chez
Hadrien son propre souci de l’ordre moral et son souhait d’équilibre entre
générosité et rigueur dans la gestion des finances de l’Etat. Dans le domaine de
la politique extérieure, Hadrien apparaît comme le tenant d’un « impérialisme
statique » qui vise pour l’essentiel à défendre les frontières de l’Empire sans
187
nouvelle visée expansionniste : « Cet ouvrage ne pouvait que favoriser l’image
d’Hadrien dans l’opinion publique et seconder ses desseins ». Suétone écrit sur
le passé de Rome dans la perspective d’éclairer et de défendre au présent des
enjeux politiques qu’il traverse lui-même en tant qu’acteur. » -François Dosse,
Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La Découverte, 2005, 480
pages, p.145-146.

Perse : http://hydra.forumactif.org/t2955-perse-satires#3723

Quintilien (35 - 96) : « Il s’agit [pour lui] de prôner un retour équilibré au


classicisme cicéronien, c’est-à-dire de réagir contre le romantisme décadent de
la génération claudienne. » (Robert Escarpit, « De l’Antiquité classique à la
Renaissance », dans « Histoire de l’histoire de la littérature », Histoire des
littératures, Gallimard, « Encyclopédie de la Pléiade », 1958, tome III, pp.1744-
1756).

Sénèque (1-65): « Dieu a envers les hommes de bien l'âme d'un père ; il les
aime sans faiblesse: "Qu'ils soient stimulés, dit-il, par le travail, la douleur, les
privations, afin d'acquérir une force véritable". Les animaux trop nourris
s'affaiblissent dans l'inaction ; non seulement le travail, mais le mouvement et
même leur propre poids les épuisent. Un bonheur sans atteinte ne supporte pas
le moindre coup. Mais dès qu'on à lutter sans trêve contre les malheurs, on
s'endurcit à leur rigueur, et l'on ne cède pas au mal ; et même si l'on tombe, on
combat encore un genou en terre. »

« C'est quelquefois un plaisir pour nous de voir un jeune homme à l'âme ferme
supporter, l'épieu à la main, le choc d'une bête fauve, et soutenir sans effroi
l'attaque d'un lion, et le spectacle est d'autant plus à notre gré que le jeune
homme est plus distingué. » -Sénèque, De la providence.

« [Chez Sénèque], comme déjà chez Virgile, c’est l’impérialisme romain qui est
implicitement dénoncé. » -René Martin, La littérature latine « subversive »,
Bulletin de l'Association Guillaume Budé, Année 1978, Volume 1, Numéro 2,
pp. 153-179, p.167.

« Sénèque est convaincu que le viel ordre égalitaire est non seulement perdu,
mais qu’il est nécessairement perdu. Au cours des siècles, les hommes sont
devenus vicieux ; c’est ce qui a fait de la propriété privée, du gouvernement
coercitif, de la différence de statut social, et même de l’esclavage, des

188
institutions non seulement inévitables mais nécessaires ; non seulement ces
institutions découlent de la corruption de la nature humaine, elles sont aussi des
remèdes destinés à la pallier. C’est sous cette forme et avec ces restrictions, que
les Pères de l’Église adoptèrent la notion de l’état de nature égalitaire et
l’incorporèrent à la théorie politique de l’Église. » -Norman Cohn, Les
fanatiques de l’Apocalypse. Courants millénaristes révolutionnaires du XIème
au XVIème siècle, Bruxelles, Editions Aden, coll. « Opium du peuple », 2011
(1957 pour la première édition anglaise), 469 pages, p.272.

« Tuer un esclave n'était pas, à Rome, une chose honteuse. Même dans Sénèque,
on voit qu'il loue la grandeur d'âme du maître qui n'use pas de cruauté vis-à-vis
de ses esclaves, comme si cela n'allait pas de soi. » -Simone Weil, Leçons de
philosophie, [Roanne 1933-1934]. Transcrites et présentées par Anne Reynaud-
Guérithault. Paris: Union Générale d’Éditions, 1959, 308 pages. D'après "Les
classiques des sciences sociales", p.181.

« Qui moins que Sénèque accumulant une fortune colossale lors de son passage
au consulat pourrait paraître désintéressé ? Qu’il se soit enrichi par des prêts à
usure ou par les dons de Néron, par l’abus de son propre pouvoir ou par les
dépouilles des proscrits, aucune fortune ne saurait être propre sous un régime
basé sur la rapine et la spoliation. Qui moins que Sénèque, devenu homme de
paille servile du plus tyrannique des tyrans, pourrait revendiquer
l’indépendance nécessaire à l’ambition philosophique ? Il fait beau dire qu’« on
est philosophe ou stoïcien dans toute la rigueur du terme, lorsqu’on sait dire
comme le jeune Spartiate : “ Je ne serai point esclave ” ». La place du
philosophe stoïcien au cœur de l’appareil d’État néronien fait de lui tout à la
fois le plus puissant, le plus coupable et le plus vil des esclaves du despote. Qui
moins que Sénèque, tout occupé qu’il fut à étouffer les scandales parricides de
la famille impériale, pourrait se prétendre l’ami de la vérité ? Le précepteur de
Néron semble avoir passé ses leçons à flatter les goûts pervers de son élève
devenu son maître, sous le prétexte d’en prévenir de plus vicieux encore. Quant
au ministre, il semble avoir dédié son effort à dissimuler l’horreur dans lequel
baignait son gouvernement, aux yeux d’autrui comme aux siens propres. Et dès
lors, au vu de tout ce qui précède, qui moins que Sénèque, philosophe stoïcien
dans ses livres, laquais du tyran dans ses actes, pourrait revendiquer de la
conséquence entre ses discours et sa conduite ? »

189
« Je commencerai par relever ce qui apparaît comme une choquante
inconséquence de la part de Diderot, à propos de l’attitude à adopter face à la
calomnie. Dans une lettre à Falconet datée du 6 septembre 1768, Diderot
s’affirme en effet résolu à ne jamais entrer en querelle publique contre son
ancien ami:

« Rousseau, Jean-Jacques Rousseau, cet homme le plus honoré des gens de


lettres pour sa prétendue probité, le plus dangereux par son éloquence, le plus
adroit dans ses vengeances, le plus redoutable par la multitude de ses
enthousiastes, le plus intime et le plus ancien de mes amis, par une perfidie aussi
cruelle que lâche, se sert de l’aveu même des services de toute espèce que je lui
ai rendus pendant un intervalle de vingt ans, pour accréditer aux yeux du public
des noirceurs dont il m’accuse contre le témoignage de sa conscience. [ ... ] Il
me connaît; il sait que quelque chose qu’il invente, qu’il controuve, qu’il dise,
qu’il fasse, je ne donnerai jamais au public le scandaleux spectacle de deux amis
qui se déchirent; que je me respecterai moi-même ; que je respecterai d’honnêtes
gens qui me sont chers et que ma défense compromettrait. En un mot, plus lâche
encore que cruel, il sait que je garderai le silence. [ ... ]

Si j’étais encore en lice avec Jean-Jacques, comme tu n’aurais pas manqué de


faire à ma place, qu’en serait-il arrivé ? Que nous serions restés tous les deux sur
le champ de bataille, criblés de blessures, tristes objets de la douleur d’un petit
nombre de gens de bien amis de nos talents, passe-temps délicieux de la
multitude jalouse de nos vertus, et toujours enchantée que le mérite soit dégradé
et que l’opprobre s’étende. Si tu ne te méfies de ton premier mouvement, tu te
trouveras engagé dans quelque misérable querelle qui disposera du bonheur de
ta vie. »

Que s’est-il donc passé entre septembre 1768 et la publication de l’Essai sur la
vie de Sénèque qui rompt le silence en 1778 en un paragraphe bientôt développé
sur une dizaine de pages dans la réédition de 1782 sous le titre Essai sur les
règnes de Claude et de Néron ? Comment Diderot a-t-il pu trouver bon de «
donner au public le scandaleux spectacle de deux amis qui se déchirent » et de
s’« engager dans cette misérable querelle » dont il avait prévu tous les écueils
dix ans auparavant ? […]

L’exemple de désintéres¬sement, d’indépendance, de vérité et de conséquence


mis sur la scène publique par J. J. commence à conquérir les foules ; par son

190
existence même, cet exemple accuse le parti philosophique d’hypocrisie et de
prostitution courtisane ; son témoignage de martyre constitue une calomnie
incarnée contre l’entreprise de justice et d’émancipation à laquelle Diderot a
consacré sa vie ; il faut donc de toute urgence dégonfler la baudruche de cette
Vertu-faite-chair, même si cela doit nous exposer à tous les risques d’une aussi
misérable querelle.

La seconde rubrique générale sous laquelle s’inscrivent la plupart des


accusations portées contre Rousseau tient au jeu de la réputation dont —
comme tout calomniateur et comme son modèle Suillius — l’« homme atroce »
n’a pas respecté les règles. C’est la publication posthume des Confessions qui
focalise ici toutes les angoisses. On leur reproche d’abord la « lâche et cruelle
indiscrétion » d’un procédé qui transgresse les limites (alors en plein
réagencement) du public et du privé. La révélation des petits secrets intimes des
coteries philosophiques ne manquera pas de « semer le trouble dans des
familles unies » et d’« allumer de longues haines entre des gens qui s’aiment ».
Seul un « lâche » peut « laisser sur sa tombe la révélation des secrets qui lui ont
été confiés ou qu’il a surpris de son vivant »68. Il y a ici encore un souci éthique
de la conséquence de proximité qui caractérise constamment le discours moral
et les choix existentiels de Diderot. Sénèque est resté à son poste pour protéger
sa femme et ses amis ; Denis le philosophe joue le jeu du courtisan face à
Catherine II ou aux ministres du roi de France pour constituer la dot de sa fille
et maintenir sa fortune de femme mariée. Jean-Jacques tout à l’opposé refuse
une pension royale ou lit ses Confessions sans se soucier du sort de Mme
Levasseur, des époux d’Holbach ou de Mme d’Épinay. » -Yves Citton, « Retour
sur la misérable querelle Rousseau-Diderot : position, conséquence, spectacle et
sphère publique. », Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, numéro 36
Varia, [En ligne], mis en ligne le 14 septembre 2009. URL :
http://rde.revues.org/282. Consulté le 06 avril 2016.

Lucain (39-65) : http://hydra.forumactif.org/t3313-lucain-la-pharsale#4130

Néron (37-9 juin 68) : « Néron n’avait que dix-sept ans le 13 octobre 54, quand
il fut acclamé par prétoriens. On a tout écrit sur le règne de l’élève de Sénèque,
le meurtre de sa mère, son goût immodéré du spectacle, ses frénésies d’aurige,
ses prétentions d’artiste chanteur, l’incendie de Rome en juillet 64 et la
persécution des chrétiens. A l’image de Caligula, il n’avait aucune expérience
militaire et devant les réticences face à ses choix ou ses initiatives il devint vite
191
soupçonneux et craintif. L’entente recherchée au départ avec le Sénat qu’un
temps. Libéré de l’influence de Sénèque et du préfêt du prétoire Burus, il se
laissa aller à sa mégalomanie d’artiste fasciné par l’héllénisme et l’Orient : la
maison dorée, le nouvel urbanisme mis en place après le grand incendie
traduiraient une conception esthétique du pouvoir et du monde. La dévaluation
de la monnaie d’or (aureus) et de la monnaie d’argent (le denier ou denarius)
signale, autant que les préoccupations d’une administration soucieuse de
diriger malgré les frasques impériales, la recherche continuelle de moyens
financiers. Payée au prix fort par les nobles et les provinciaux pressurés
d’impôts, elle entraîna conjurations et révoltes. Celle de Vindex devait mettre
fin au règne et à la dynastie julio-claudienne. » -Patrick Leroux, Nouvelle
histoire de l'Antiquité: le Haut-Empire romain en Occident, Seuil, 1998, p.98-
99.

"L’empereur Néron faisait vêtir certaines de ses concubines en Amazones, nous


raconte l’historien latin Suétone (Néron 44)."
-Christian-Georges Schwentzel, "Sexe et érotisme dans l’Antiquité gréco-
romaine", 5 novembre 2019: https://www.contrepoints.org/2019/11/11/357448-
sexe-et-erotisme-dans-lantiquite-greco-romaine

http://www.amazon.fr/N%C3%A9ron-Monstre-sanguinaire-empereur-
visionnaire/dp/203585055X/ref=sr_1_sc_1?s=books&ie=UTF8&qid=14547670
38&sr=1-1-spell&keywords=Schmitd+n%C3%A9ron

L’année des quatre empereurs (69) : « Le meutre de Vitellius avait marqué


plutôt la fin de la guerre que le commcement de la paix. En armes à travers la
ville, les vainqueurs donnaient la chasse aux vaincus avec une haine
implacable : les rues étaient pleines de meurtres, les places et les temples
rouges de sang ; on tuait un peu partout ceux que le hasard faisait rencontrer.
Puis, comme la licence augmentait, on se mit à faire des recherches et à traîner
dehors ceux qui s’étaient cachés. Apercevait-on quelqu’un qui eût l’air jeune et
la taille élancée, on le massacrait sans distinuger le moins du monde s’il était
soldat ou civil. La cruauté qui, qui dans les premiers transports de la haine,
s’assouvissait avec du sang, n’avait pas tardé à faire place à la cupidité ; plus
d’asile secret ou fermé ; les Flaviens ne le permettaient pas, sous prétexte que
des partisans de Vitellius s’y cachaient. Ce fut une occasion pour forcer les
maisons et, en cas de résistance, un motif pour tuer. Les plus miséraux de la
populace et les plus pervers parmi les esclaves ne se faisaient pas faute de livrer
192
d’eux-mêmes les riches propriétaires : d’autres étaient désignés par leurs amis.
Partout c’étaient des lamentations, des cris de douleur, bref le sort d’une ville
prise ; aussi les soldats d’Othon et de Vitellius avaient eu beau se rendre
odieux, on en venait à regretter leur turbulence. Les chefs du parti, si ardents à
allumer la guerre civile, étaient impuissants à user modérément de la victoire ;
car au milieu des troubles et des discordes, ce sont les méchants qui ont le plus
d’influence, tandis que la paix et la tranquillité réclament de l’honnêteté. » -
Tacite, Les Histoires, Livre IV, chapitre 2.

« Au début du mois de juin 68, Néron est poussé au suicide par l’opposition de
certains gouverneurs de province. Sa succession n’est pas prévue. Avec lui
disparaît le dernier représentant de la maison d’Auguste. Qui peut remplacer
cet empereur dont le règne avait commencé sous les meilleurs auspices et s’est
achevé dans la pire des incuries ?

Pendant un an, l’aristocracie romaine se déchire pour placer un nouveau prince


au sommet de l’Etat. La guerre civile emporte tout l’Empire dans une spirale de
violence. Elle verra les fils tuer les pères, comme quand, devant Crémone, Iulius
Mansuetus, légionnaire de la XXIe Légion Rapax, meurt sous les coups de son
propre fils enrôlé dans la VIIe Légion Gemina Galbiana. Les simples soldats
payèrent un lourd tribut aux conflits entre les prétendants et l’aristocracie en
sortit également décimée : il ne restait plus que deux cent familles sénatiorales
quand Vespasien parvint à fonder une nouvelle dynastie à la fin de l’année 69.
Sur les six cents pères conscrits qui siègeaient habituellement dans la curie, il
n’en serait donc resté que la moitié.

Le pouvoir impérial devenu vacant, quatre candidats ont tenté leur chance et
levé des troupes pour s’en emparer. Galba d’abord, fort du soutien des légions
basées dans la péninsule Ibérique, est propulsé sur le devant de la scène. Issu
d’une prestigieuse lignée, il a pu s’imposer en utilisant les moyens de
communication de l’époque et notamment la poste impériale pour marquer son
avènement. Galba est aussi le premier empereur assassiné sur ordre de son
successeur. Il inaugure une longue tradition. C’est Othon qui a décidé de sa
mort, en profitant de l’appui de prétoriens fidèles à la mémoire de Néron.
Vitellius qui s’engage contre lui cherche ailleurs ses soutiens. Il croit les trouver
sur le Rhin où les légions stationnées dans la lutte contre les Germains font
masse. Si bien que le sort de l’Empire ne pourra se régler que par l’intervention
d’une nouvelle puissance militaire à travers la coalition formée par l’armée
193
d’Orient et celle du Danube. Ce sont elles qui portent Vespasien au pouvoir. »
(p.9-10)

« La guerre civile [a] décimé l’aristocratie romaine et favorisé l’ascension de


nouvelles lignées provinciales. » (p.262)

-Pierre Cosme, L'année des quatre empereurs, 2012, Fayard, 344 pages.

« L. Sulpicius Galba est alors âgé de 73 ans et de son prestige est grand. Quand
il est reconnu comme empereur il est encore en Espagne. Dès son arrivée à
Rome il se trouve face à de graves difficultés dues, en premier lieu, à un Trésor
sans argent ; il est obligé de refuser un donativum aux prétoriens. Il pratique
une politique très violente à l’égard de ceux qui avaient soutenu Néron jusqu’au
bout, permettant des exécutions sans véritables procès. Les rancunes
s’accumulent très vite, d’autant que dans les provinces la situation reste peu
claire ; le légat de la IIIe légion Auguste, en Afrique, ne reconnaît pas Galba
mais il est assez vite écarté. Galba est aussi obligé de changer les légats des
deux Germanies. Cependant, le 1er janvier 69, deux légions en Germanie
refusent le serment de fidélité.

Sentant son pouvoir mal assuré et conscient de son âge, Galba décide de
désigner son successeur (ce serait le « choix du meilleur ») et de le faire
reconnaître publiquement. Ce choix n’est pas une réussite pour l’opinion
romaine ; en effet, l’homme désigné, L. Calpurnius Piso Licinianus, descendant
d’illustres familles sénatoriales, a à peine 30 ans et il s’est jusqu’alors surtout
fait remarquer par son austérité et sa sévérité. Néanmoins, le 10 janvier, Galba
le présente au peuple et aux prétoriens. Seuls les sénateurs lui font bon accueil.
Le 15 janvier, les prétoriens proclament M. Salvius Otho, un ancien favori de
Néron, empereur. Galba et Pison sont assassinés. » (p.217)

« Othon se trouve très vite à de graves difficultés provoquées par les légions en
Germanie ; en effet, dès le 2 janvier elles avaient proclamé leur légat A.
Vitellius empereur. Ce dernier, ambitieux et sûr de lui, fait marcher ses troupes
sur l’Italie. Toutes les provinces occidentales se rallient à lui ; Othon se
retrouve avec des forces affaiblies et inférieures en nombre. La bataille décisive
a lieu à Bédriac, près de Vérone, le 14 avril 69. Les partisans d’Othon sont
écrasés et le 15, ce dernier préfère se suicider après seulement trois mois de
principat. Pour la première fois un empereur (même s’il n’en porte pas les titres
encore) est fait hors de Rome, puis accepté par tous dans la Ville. Vitellius
194
n’arrive à Rome qu’au début du mois de juillet après avoir laissé ses troupes
répandre pillage et terreur en Italie dans l’indiscipline. Vitellius se donne de
nouvelles cohortes prétoriennes et gouverne dans le souvenir de Néron,
dépensant sans compter pour lui et pour ses plaisirs.

En réalité sa situation est peu sûre et il ne cherche pas à la rendre meilleure. Le


1er juillet 69, à Alexandrie, le préfet d’Égypte, Tiberius Julius Alexander,
proclame T. Flavius Vespasianus, alors légat de Judée, empereur. Depuis 67,
Vespasien mène la guerre contre les révoltés juifs. Les gouverneurs des
provinces orientales et les rois clients se rallient à lui rapidement. Les suivent
de près les légats des légions danubiennes avec leurs troupes. Ces dernières se
dirigent très vite vers l’Italie, écrasent l’armée de Vitellius à Crémone, ce qui
provoque le ralliement à Vespasien de la plupart des gouverneurs des provinces
occidentales. Devant cette situation, Vitellius est prêt à abdiquer et à se retirer,
mais les détachements formés de Germains lui restent fidèles et s’opposent aux
cohortes urbaines dans Rome ; une partie de la population prend parti pour
Vitellius ; Rome est livrée aux combats de rue. Le Capitole est incendié, le frère
de Vespasien, préfêt de la Ville, est tué pendant que le fils cadet de Vespasien,
Domitien, réussit à s’enfuir déguisé en prêtre d’Isis (19 décembre). L’arrivée
des légionnaires du Danube met fin aux combats et Vitellius, traîné sur le
Forum, est massacré (22 décembre). La veille le sénat a reconnu Vespasien
comme empereur sans qu’il soit présent. […]

Le succès par les armes est la preuve de capacités militaires supérieures, mais
aussi de la protection des dieux qui ont choisi le vainqueur. C’est en grande
partie ainsi que Vespasien et bon nombre de ses contemporains se sont
représenté les choses. » (p.217-218)

« Le premier problème important fut posé par l’insurrection batave qui avait été
favorisée par la guerre civile. En effet, profitant des événements, un citoyen
romain d’origine batave, Julius Civilis avait suscité une rébellion à laquelle
s’étaient unis des Frisons et des Canninéfates (en 69). Des Gaulois se joignirent
à lui, profitant d’un certain vide du pouvoir romain, le Lingon Julius Sabinus et
les Trévires Julius Classicus et Julius Tutor. Parmi eux certains pensaient à un
retour à l’indépendance et à la formation d’un empire gallo-germanique. Les
premières offensives furent victorieuses et les camps de Xanten, de Bonn, de
Mayence et enfin de Cologne tombèrent aux mains des révoltés. Mais, devant la
situation générale qui paraissait très défavorable à Rome, beaucoup de Gaulois
195
refusèrent, malgré de nombreuses pressions, de se joindre à la rébellion. Les
Rèmes, qui n’avaient jamais trahi Rome, convoquèrent une assemblée des
délégués des cités de Gaule intéressées à Reims (Durocortorum). Cette
assemblée scella définitivement le sort des Gaules ; la majorité, entraînée par
les Rèmes, refusa de soutenir l’insurrection et, à par là même, proclama son
intégration au monde romain. Les rebelles, sans autre soutien, furent écrasés
par les armées romaines dans le courant de 70 ; Civilis, Classicus et Tutor se
réfugièrent en Germanie indépendante ; Sabinus se cacha de nombreuses
années avant d’être pris en exécuté en 79. » (p.223-224)

-Jean-Pierre Martin, « Chapitre 2 – Les premiers successeurs d’Augsute (14-96


ap. J. C.) », in Jean-Pierre Martin et al., Histoire romaine, Armand Colin « U »,
2014 (3e ed), p.212-225.

Vespasien (17 novembre 9 – 23 juin 79): « Instables dans la guerre, les


militaires ne le sont pas moins dans la paix. L’année des quatre empereurs vaut
autant par son issue que par son explosion. Elle laisse des séquelles d’autant
plus durables que les soldats mettront longtemps à déposer les armes. Même
après l’élimination de Vitellius, à la fin du mois de décembre 69, la
démobilisation des troupes était susceptible d’entretenir l’agitation. L’opération
exigea donc beaucoup d’habileté et de prudence de la part de Vespasien,
jusqu’à la censure qu’il exerça en 73-74, pour garantir le reclassement des
hommes et légitimer son emprise sur la population. » (p.11)

-Pierre Cosme, L'année des quatre empereurs, 2012, Fayard, 344 pages.

« Vespasien (T. Flavius Vespasianus) fit commencer son pouvoir à la


proclamation d’Alexandrie. Fils d’un chevalier, originaire de Réate en Sabine,
il n’était ni membre de l’ancienne maison régnante, ni Romain de Rome.
Homme nouveau (c’est-à-dire sénateur et consul de la première génération
familiale), il se présentait comme le vengeur de Galba et comme le successeur
d’Auguste. La loi sur l’imperium de Vespasien confirme la filiation augustéenne
du modèle flavien et la volonté de refonder l’empire. On peut donc parler de
restauration, mais aussi de souci de légitimité et de dynastie puisque ses deux
fils lui succédèrent. Il inaugura le « césarat » en conférant au successeur
désigné, doté de la puissance tribunicienne et du consulat, ce titre officiel, tiré
du gentilice impérial, qui l’associait au pouvoir à un rang inférieur. Les
troubles qui l’avaient porté au pouvoir exigeaient une remise en ordre et de

196
fermes appuis. Une active politique aux frontières ne pouvait que rassurer les
armées. La censure de 73/74, revêtue à la manière républicaine et augustéenne,
fut l’instrument essentiel du reclassement social. Le Sénat et l’ordre équestre
furent profondément renouvelés : Espagnols et Cisalpins principalement, mais
aussi provinciaux de Narbonnaise, fournirent les recrues sénatoriales. Le 23
juin 79, deux mois environ avant l’éruption du Vésuve qui emporta Pompéi et
Herculanum, il mourut respecté et laissa à son fils Titus un pouvoir rétabli.
Celui-ci, lors de son règne trop bref, fit mieux qu’inaugurer l’amphithéâtre
flavien, le Colisée, et venir au secours de la Campanie. Dès le 13 septembre 81,
à quarante ans, la mort l’emporta.

Son frère Domitien ne mérita pas la divinisation. Il n’aurait été qu’un « Néron
chauve » pour le Sénat. Face à ce que les sources considèrent comme des excès
et des abus de pouvoir, le même scénario se produisit. Bien qu’il n’ait pas
manqué d’expérience militaire, ni dédaigné les expéditions, la révolte de
Saturninus et des soldats de Mayence en 88 fut une surprise. Elle engendra une
méfiance redoublée envers sénateurs et rivaux possibles, sans qu’on doive
conclure à une détérioration généralisée des rapports avec le Sénat. A partir de
92, l’atmosphère romaine devint plus étouffante et conduisit au complot du 18
septembre 96 qui vint le frapper au cœur du palais. […]

Cent-vingt-trois ans après l’avènement d’Auguste, l’institution impériale,


incarnée dans la famille au pouvoir, s’était consolidée à la faveur d’expériences
diversifiées et plus ou moins teintées de volonté monarchique jouant sur le
charisme personnel de l’empereur régnant. La condamnation du souvenir
(damnatio memoriae) épargnait la maison et la fonction impériales. L’empire
était accepté par tous. Les « mauvais » empereurs eux-mêmes cherchaient à ne
pas s’écarter de l’exemple augustéen en matière d’administration. Ils
s’exposaient à la critique seulement quand ils paraissaient s’éloigner de la
tradition. Au concert à trois voix exécuté par le prince, l’aristocratie romaine et
l’armée, s’étaient jointes les provinces, source de renouvellement des élites
romaines et bientôt de la famille impériale. Les légions elles-mêmes, malgré
l’épisode de 96, avaient acquis un poids politique supérieur à celui des
prétoriens. » -Patrick Leroux, Nouvelle histoire de l'Antiquité: le Haut-Empire
romain en Occident, Seuil, 1998, p.100-101.

« Vespasien reçut tous les pouvoirs par une loi, la lex de imperio qui les
énumère et qui nous est parvenue en partie. Elle ne faisait certainement que
197
reprendre ce qui avait déjà été accordé à Auguste et renouvelé à ses
successeurs. Mais Vespasien n’était pas patricien et descendait d’une famille de
simples notables italiens ; là était une grande différence par rapport aux Julio-
Claudiens. L’empereur affirma immédiatement le principe de l’hérédité pour sa
succession en plaçant au premier plan ses deux fils ; il est vrai que l’un et
l’autre avaient participé à son arrivée au pouvoir et étaient considérés comme
ayant été protégés par les dieux à l’égal de Vespasien.

Titus avait achevé victorieusement la campagne contre les Juifs ; Domitien avait
été présent et agissant à Rome durant la crise et avait été salué César avant
l’arrivée de son père dans la Ville.

Titus, né en 39, prit une part active au gouvernement de son père ; dès son
retour de Judée, après la prise de Jérusalem, il fut associé au triomphe célébré
en 71. Il avait été appelé César, avait reçu l’appelation de prince de la jeunesse
dès 69. Il fut sept fois consul durant le principat de son père, et toujours associé
à lui dans cette magistrature. Il possédait la puissance tribunicienne et il exerça
la censure en 73/74 ; il fut même préfet du prétoire de 71 à 79 alors que cette
charge était normalement exercée par un chevalier. Par cette dernière fonction
il était le vrai garde de son père et son chef d’état-major. Sans le titre d’Auguste
il fut cependant un véritable co-régent et son influence fut certainement forte
dans la plupart des décisions prises par Vespasien.

Le 24 juin 79 Titus devint empereur sans aucune difficulté et sans aucune


opposition. Mais il mourut très rapidement, le 23 septembre 81. Son frère cadet
Domitien lui succéda ; il avait 30 ans et des ambitions refrénées depuis
longtemps car il se considérait, par sa présence et son action à Rome en 69,
comme celui qui avait permis l’arrivée au pouvoir de son père. Vespasien ne
l’avait pas écarté, mais il ne lui avait pas donné de charge de responsabilité, se
contentant de le couvrir d’honneurs ; c’est ainsi qu’il avait été consul à six
reprises, qu’il faisait partie de tous les grands collèges religieux, qu’il était
prince de la jeunesse. Domitien avait rongé son frein durant toutes ces années.
La mort de Titus, qui l’avait associé à son consulat de 80, le projeta sur le
devant de la scène. Comme il n’avait pas reçu la puissance tribunicienne il se fit
reconnaître par les prétoriens, avec promesse d’un donativum, et par le sénat
qui lui conféra les pouvoirs impériaux classiques désormais. Il n’y eut aucune
difficulté pour assurer cette succession ; l’hérédité du pouvoir était parfaitement
admise par tous. Pourvu de grandes qualités, il gâcha les dernières années de
198
son règne par un esprit méfiant et cruel. Il pensait que sa vie était menacée par
les ambitions de sénateurs ou de proches. Il fit règner une atmosphère de
terreur qui pousa au complot ceux qui voulaient se débarrasser du « tyran ». Il
fut assassiné le 18 septembre 96. » (p.218-219)

« En Bretagne le nord de l’île n’était toujours pas pacifié et les peuples qui y
vivaient, dont les Calédoniens, étaient une menace permanente pour les
possessions romaines. Vespasien décida de tenter la conquête de ces régions ;
plusieurs légats entreprirent, successivement, des campagnes militaires qui les
conduisirent au nord ; la flotte romaine contourna l’île. Le plus connu de ces
légats fut Cn. Julius Agricola, le beau-père de Tacite, qui mena plusieurs
campagnes victorieuses mais sans conquête durable à la suite. Cependant, ces
campagnes permirent à Rome de renforcer et de stabiliser sa ligne défensive au
centre de la Bretagne avec des forts avancés reliés entre eux par des routes
stratégiques. Eburacum (York), Deva (Chester) et Isca (Caervon) devinrent les
camps légionnaires les plus importants. Un tel dispositif permettait une réplique
plus efficace en cas d’attaque ; mais le nord de l’île était toujours le territoire
de peuples indépendants.

La zone rhéno-danubienne posa de nombreux problèmes tout au long de la


dynastie flavienne. Les peuples de Germanie indépendante ou placés sur la rive
gauche du Danube furent une menace quasi permanente. Sur le Rhin tous les
camps furent remis en état et reconstruits, pour la plupart, en pirre et non plus
en bois ou en torchis. En Germanie supérieure les efforts des Flaviens furent
concentrés sur la zone de faiblesse, le rentrant formé par le haut Rhin et le haut
Danube, les Champs Décumates. Cette région fut conquise et Domitien y
installa des colons pour pérenniser la domination romaine. Ils furent protégés
par une ligne fortifiée nouvelle et un réseau routier stratégique aménagé. Les
Germanies romaines, les Gaules, la Rhétie étaient maintenant mieux protégées
qu’elles ne l’avaient jamais été.

Sur le Danube la situation était plus menaçante pour les Romains car des
peuples belliqueux pouvaient se montrer dangereux, les Sarmates, les Alains, les
Quades, les Marcomans et, surtout, les Daces. Sept légions, des corps
auxiliaires, une flotte fluviale appuyés sur un réseau de forts, garantissaient la
présence romaine. Mais les ambitions du roi des Daces, Décébale, troublèrent
ce bon ordre. Plusieurs campagnes furent nécessaires pour le contenir en 85/86,
en 88. Domitien vint lui-même, à la tête de son armée, en 89 ; il conclut alors un
199
accord qui plaçait, très théoriquement, les Daces dans la mouvance romaine. En
92, Domitien fut obligé d’intervenir contre les Iazyges et les Marcomans. Aussi,
comme dans la région rhénane, les Flaviens entreprirent de renforcer les
défenses en procédant à la construction de nouveaux forts et de routes
stratégiques. A la mort de Domitien la situation était stabilisée, mais le danger
dace demeurait. » (p.224)

-Jean-Pierre Martin, « Chapitre 2 – Les premiers successeurs d’Augsute (14-96


ap. J. C.) », in Jean-Pierre Martin et al., Histoire romaine, Armand Colin « U »,
2014 (3e ed), p.212-225.

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Cnaeus Julius Agricola (13 juin 40 à Fréjus - 23 août 93 à Rome):

Domitien (51-96):

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Marcus Cocceius Nerva (8 novembre 30 à Narni et mort le 27 janvier 98):

La destruction du temple et le destin du judaïsme :


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200
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Jésus de Nazareth : https://www.amazon.fr/J%C3%A9sus-biographie-


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Ponce Pilate (« »/ 37/41) : « Grâce à une simple question, Pilate a sa place


parmi les philosophes. » -Emil Cioran, Le Bréviaire des vaincus, 1941-1944. In
Œuvres, Gallimard, coll. Quarto, 1995, 1818 pages, p.523.

Paul de Tarse (« 0 » -67/68): « Il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu,


et celles qui existent sont constituées par Dieu. Si bien que celui qui résiste à
l’autorité se rebelle contre l’ordre établi par Dieu. » -Paul de Tarse, Épitre aux
Romains.

« 11 Que la femme reçoive l'instruction en silence, avec une entière soumission.

12 Je ne permets pas à la femme d'enseigner, ni de prendre autorité sur l'homme


; mais elle doit se tenir dans le silence.

13 Car Adam a été formé le premier, Eve ensuite ;

14 et ce n'est pas Adam qui a été séduit : c'est la femme qui, séduite, est tombée
dans la transgression.

15 Néanmoins, elle sera sauvée en devenant mère, pourvu qu'elle persévère


dans la foi, dans la charité et dans la sainteté, unies à la modestie. » -Première
Épître de Saint Paul à Timothée, chapitre 2, 11-15.

« La "Bonne nouvelle" fut suivie de près par la pire de toutes : celle de saint
Paul. En saint Paul s’incarne le type opposé à la "Bonne nouvelle", le génie
dans la haine, dans la vision de la haine, dans l’implacable logique de la haine.
» -Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist.

« Paul a une profonde méfiance à l’égard de la sagesse et de l’intelligence : il


leur substitue la foi, l’amour, la soumission de l’esprit, c’est-à-dire
l’hétéronomie. Citant les Écritures il réaffirme : « je détruirai la sagesse des
201
sages, et j’anéantirai l’intelligence des intelligents » ; « puisque le monde, avec
sa sagesse, n’a point connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de
sauver les croyants par la folie de la prédication », « car la folie de Dieu est
plus sage que les hommes » (I Cor., 1, 18-25). Nous pourrions multiplier les
citations, mais celles-ci suffisent à montrer comment Paul demande à la raison
de chacun de démissionner, et qu’une foi en la prédication s’y substitue. En quoi
le christianisme, moderne à bien des égards, est ici radicalement antimoderne. »
-Vincent Citot, « Le processus historique de la Modernité et la possibilité de la
liberté (universalisme et individualisme) », Le Philosophoire, 2005/2 (n° 25), p.
35-76.

Les Premiers temps du Christianisme : « Parmi quelles gens les premiers


chrétiens se recrutèrent-ils ? principalement parmi les " fatigués et chargés ",
appartenant aux plus basses couches du peuple, ainsi qu'il convient à un
élément révolutionnaire. Et de qui ces couches se composaient-elles ? Dans les
villes, d'hommes libres déchus -- de toute espèce de gens, semblables aux mean
whites des états esclavagistes du Sud, aux aventuriers et aux vagabonds
européens des villes maritimes coloniales et chinoises, ensuite d'affranchis et
surtout d'esclaves ; sur les latifundia d'Italie, de Sicile et d'Afrique, d'esclaves ;
dans les districts ruraux des provinces, de petits paysans, de plus en plus
asservis par les dettes. Une voie commune d'émancipation pour tant d'éléments
divers n'existait pas. Pour tous le Paradis perdu était derrière eux ; pour
l'homme libre déchu, la polis, cité et état tout ensemble, de laquelle ses ancêtres
avaient autrefois été les libres citoyens ; pour les prisonniers de guerre,
esclaves, l'ère de la liberté, avant l'assujettissement et la captivité ; pour le petit
paysan, la société gentile, et la communauté du sol anéanties. Tout cela la main
de fer du Romain conquérant avait jeté à bas. »

« Notre apocalypse [de Jean] ne connaît pas davantage le dogme du péché


originel ni la justification par la foi. La foi de ces premières communautés,
d'humeur belliqueuse joyeuse, diffère du tout au tout de celle de l'église
triomphante postérieure ; à côté du sacrifice expiatoire de l'agneau, le prochain
retour de Christ et l'imminence du règne millénaire en constituent le contenu
essentiel ; et ce par quoi, seule, elle se manifeste, c'est l'active propagande, la
lutte, sans relâche contre l'ennemi du dehors et du dedans, le fier aveu de leurs
convictions révolutionnaires devant les juges païens, le martyre courageusement
enduré dans la certitude de la victoire. » -Friedrich Engels, Contributions à
l'Histoire du Christianisme primitif, Le Devenir social, 1894.
202
« Le christianisme a déclaré « superstition » les fondements de la cité antique
au nom d’une transcendance radicale et d’un accomplissement de l’homme
comme tel. » -Pierre Gisel, Qu’est-ce qu’une religion ?, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, 2007, 128 pages, p.67.

« Le contrepoids de l'individu à tout holisme peut s'observer dans plusieurs


systèmes sociaux du Moyen Age. Mais, pour l'Église, il est la définition même de
sa constitution. Alors que, dans des cas extrêmes, l'individu peut être absorbé
par la "Cité" politique, l'Église, elle, ne peut le sacrifier sans se priver d'une
dernière instance de sa légitimité, car son ultime raison n'est pas le salut public,
mais le salut éternel des âmes individuelles. Aujourd'hui encore, le Corpus iuris
canonici se termine par le canon salus animarum in Ecclesia suprema semper
lex esse debet ("le salut des âmes doit être la loi suprême de Église"), contre-
pied exact de la devise fondamentale du droit romain, salus publica suprema lex
esto ("que le salut public soit la loi suprême"). » -Peter Von Moos, « L’individu
ou les limites de l’institution ecclésiale », Brigitte Miriam Bedos-Rezak &
Dominique Iogna-Prat (dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et
individualisation avant la modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier,
2005, 380 pages, p.271-272.

https://www.youtube.com/watch?v=_dsFvVHb2rM

http://hydra.forumactif.org/t1112-marie-francoise-baslez-chretiens-
persecuteurs#1746

https://www.amazon.fr/pain-cirque-Paul-
Veyne/dp/2020254638/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1467117105&sr=1
-1&keywords=Paul-Veyne-Le-Pain-et-le-cirque

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S1R0A0VA0GHKD8Y2F

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MACMULLEN/dp/226203401X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1467117
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203
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=1-1&keywords=Chronique+des+derniers+pa%C3%AFens

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chr%C3%A9tiens-
St%C3%A9phane/dp/2251381120/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=146711
7234&sr=1-
1&keywords=Pol%C3%A9miques+entre+pa%C3%AFens+et+chr%C3%A9tien
s

http://hydra.forumactif.org/t1123-ramsay-macmullen-oeuvres#1757

Flavius Josèphe (37-38-100): http://www.amazon.fr/Flavius-Jos%C3%A8phe-


Patrick-
BANON/dp/2750903238/ref=sr_1_10?s=books&ie=UTF8&qid=1457737583&s
r=1-10

Trajan (18 septembre 53 à Italica ou à Rome et mort le 8 ou 9 août 117 à


Selinus) : https://www.amazon.fr/Trajan-Optimus-Princeps-Julian-
Bennett/dp/0415241502/ref=sr_1_fkmr0_1?s=books&ie=UTF8&qid=15097465
75&sr=8-1-fkmr0&keywords=Trajan.+Optimus+Princeps.+A+Life+And+Times

Pline le Jeune (61/62-113/115) : http://hydra.forumactif.org/t3741-pline-le-


jeune-oeuvres#4583

Tacite (58-120): « J'ai besoin d'une indulgence que je n'eusse pas demandée, si
je n'avais à parcourir des temps si cruels et si funestes aux vertus. » -Tacite, Vie
d'Agricola, 98 ap. J.C.

« Beaucoup d’anciens héros tomberont obscurs et sans honneur dans l’abîme de


l’oubli, Agricole, transmis, rappelé tout entier à la postérité, ne mourra point. »
-Tacite, Œuvres complètes, dir. M. Nisard, Firmin-Didot, 1883, XLVI, p.471.

« Lorsque tout tremble devant le tyran, l'historien paraît, chargé de la


vengeance des peuples. C'est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né
dans l'Empire. » -Chateaubriand.

« Tacite semble être né au nord de la prouincia romana, dans l’actuel Comtat,


près de Vaison-la-Romaine, où l’on connaît des Taciti. Il fut donc un de ces
Gaulois romanisés dont on célébrait l’adhésion loyale à la puissance romaine.
204
Son beau-père Agricola, haut magistrat sous Domitien, avait essayé de pacifier
l’Angleterre. Mais il était venu de Fréjus et il avait fait ses études dans les
écoles de Marseille. Tacite reçut d’abord de lui sa culture, dont son œuvre est
issue. On peut dire, ici surtout, qu’il est, en langue latine, l’un des premiers
grands écrivains de la France –qui n’existait pas encore. Il faut souligner
surtout qu’il atteste les succès de la colonisation romaine, tout en marquant
fortement ses erreurs et les dangers qu’elle court devant les Barbares. L’un de
ses proches parents, son père peut-être, avait servi l’Empire en Germanie.

En tout cas, Tacite s’est efforcé de défendre Rome, qui lui confia de hautes
fonctions. Il présida en 88, étant préteur sous Domitien, aux cérémonies qui
rappelaient la fondation de la cité. Déjà il méditait sur l’histoire, sa grandeur et
ses misères. Il fut consul en 97 sous Nerva, puis proconsul d’Asie sous Trajan
qui avait conquis la réalité du pouvoir. Il joua un rôle important dans le sénat
impérial. Il connaissait les fautes de Rome et des princes qui la gouvernaient.
Mais il discernait aussi les dangers que courait la civilisation venue des Grecs
et de l’Urbs. Il fut donc pour elle un loyal serviteur, sans accepter de dissimuler
les fautes d’un pouvoir qu’il ne voulait pas sauver par le mensonge ou la vaine
flatterie. » (p.144)

« Il est parfois possible de résister aux mauvais princes. Les philosophes, depuis
Cicéron et les Grecs, avaient proclamé le droit de révolte, qui existe lorsque les
princes manquent à la justice et à la sagesse, qui seraient pourtant leur seule
justification. Tacite, moins soumis que Socrate, a sans doute accepté de telles
solutions à propos de Domitien, de Néron et même de Tibère. Mais il sait aussi
que le philosophe, lorsqu’il est seul, doit commencer par l’acceptation de la
mort. Elle ne se confondra pas avec une intempestiua sapientia, qui pourrait
être considérée comme provocation de l’orgueil. Elle mettra les dieux de son
côté. Ils étaient aux balcons du ciel lors de la nuit terrible où Néron fit
assassiner sa mère (Annales XVI, 5-6). Ils ne l’ont pas puni tout de suite, ils ont
attendu ses erreurs. Mais on savait désormais qu’elles étaient inévitables. […]

La réflexion religieuse, dont l’importance est grande chez l’historien même


lorsqu’il fait place au doute, intervient ici. Tacite observe dans les Annales VI,
22, que les Épicuriens, qui ne croient pas à l’intervention des dieux, pensent
pourtant que nos actes nous suivent et que nous sommes donc toujours punis de
nos erreurs et de nos fautes. Les Stoïciens croient en une providence divine et
rationnelle qui punit ou récompense selon la justice. Les platoniciens constatent
205
que les deux thèses aboutissent au même résultat : les fautes morales ne
réussissent jamais à leurs auteurs. » (p.151).

-Alain Michel, « Tacite : le pessimiste humaniste et le salut de l'Empire »,


Publications de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Année 2001, 11,
pp. 143-154.

https://www.amazon.fr/Tacite-Pierre-
Grimal/dp/2213024979/ref=sr_1_7?ie=UTF8&qid=1468925721&sr=8-
7&keywords=tacite

https://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-
TACITE/dp/2221132998/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1468925721&sr=8-
3&keywords=tacite

Plutarque (46-125) : « Il existe un plan de république que l’on admire


beaucoup et qui est l’œuvre de Zénon, fondateur de la secte stoïcienne. Cette
organisation tend à un seul but capital : à ce que nous n’habitions point des
villes et des bourgades régies chacune par des juridictions spéciales. Il veut, au
contraire, que nous regardions tous les hommes comme autant de concitoyens et
de membres d’un même état ; qu’il n’y ait qu’un même genre de vie, qu’un
même ordre : comme si l’humanité était un grand troupeau, vivant sur un
pâturage commun. Un tel plan, sous la plume de Zénon, est un rêve, une utopie,
où il nous représente la philosophie présidant à la législation et à la politique
des Etats. Mais Alexandre a joint l’application à la théorie. […] Il crut qu’il
était envoyé de Dieu avec la mission d’organiser tout, de concilier tout dans
l’univers. S’il réduisait par la force des armes ceux qu’il n’avait pu attacher à
sa parole, c’était afin de réunir en un corps unique les éléments les plus
disséminés. Il semblait que dans une même coupe amicale il voulût confondre
les existences, les mœurs, les mariages, les manières de vivre. Son mot d’ordre
était, que tous regardassent l’univers entier comme une patrie, son armée
comme une citadelle où chacun avait son poste, et que tous vissent dans les gens
de bien autant de parents, dans les pervers autant d’étrangers. » -Plutarque,
Œuvres morales, Sur la fortune d’Alexandre, discours I, chapitre 6.

« Sur le mérite des femmes, Cléa, nous ne sommes pas de l’avis de Thucydide.
En effet c’est celle dont on parle le moins hors de chez elle, en mal ou en bien,
que pour sa part il déclare parfaite, car il estime qu’à l’instar de sa personne, le
nom de la femme honnête doit être ainsi mis sous clé et ne pas sortir de chez
206
elle. Gorgias nous paraît plus nuancé, quand il enjoint de faire largement
connaître non le physique de la femme, mais sa réputation. Parfaite nous semble
la coutume romaine, qui au nom de l’État rend aux femmes aussi, comme aux
hommes, après leur décès, les éloges appropriées… J’ai rédigé pour toi le
complément de nos propos sur la rigoureuse identité du mérite (arété) chez
l’homme et chez la femme, complément où l’histoire sert de démonstration sans
être arrangée pour le plaisir de l’oreille… Il n’est pas de meilleur moyen
d’apprendre en quoi se ressemblent et se distinguent le mérite (arété) féminin et
le mérite masculin que de mettre des vies en face de vies et des actions en face
d’actions, comme des œuvres d’un grand art, tout en examinant si le goût de
Sémiramis pour la grandeur (megalopragmosuné) a le même caractère et la
même marque que celui de Sésostris, ou l’intelligence (sunesis) de Tanaquil que
celle du roi Servius, ou la noblesse (phronema) de Porcia que celle de Brutus,
ou celle de Timocléia que celle de Pélopidas, en prenant la notion de mérite
dans son sens le plus général. » -Plutarque, Moralia, 242 e-f, 243.

« Les deux grands maîtres de la biographie antique pour la postérité


appartiennent au monde romain. Ils sont nés tous deux au Ier siècle après J.C.
L’aîné est Plutarque, né vers 45 après J.C. sous le règne de l’empereur Claude.
Son cadet, Suétone, naît un quart de siècle plus tard, vers 70 après J.C. C’est
sur le modèle de leurs travaux, surtout ceux de Plutarque, que le genre
biographique va se cristalliser comme genre spécifique. La destinée de
Plutarque est spectaculaire, comme l’analyse François Hartog dans sa
présentation à la repulication des Vies parallèles. On doit à la période de la
Renaissance la redécouverte et un véritable engouement pour Plutarque, avec
l’édition complète de son œuvre. Les dirigeants de cette époque font de lui leur
précepteur, leur guide en matière de conduite dans le domaine des
responsabilités politiques. L’historiographie du XVIe siècle, La Popelinière, voit
en Plutarque une fréquentation obligée pour tous les princes de son temps. Il est
lu comme un contemporain par les hommes de la Renaissance, un compagnon et
l’exemple à suivre. Montaigne confessera : « C’est mon homme que
Plutarque ». Au XVIIe siècle, le pouvoir monarchique dans sa splendeur et son
autocélébration se nourrit de Plutarque et, lorsque le dramaturge Racine fait la
lecture au roi Louis XIV quand ce dernier est malade, il choisit les Vies
parallèles. Au XVIIIe siècle encore, Rousseau en fait sa lecture de prédilection
[…] La passion pour Plutarque va jusqu’à l’identification avec ses héros et se
transforme en véritable transport affectif, au point que Vauvenargues écrit à
207
Mirabeau : « Je pleurais de joie lorsque je lisais ces Vies : je ne passais point
de nuit sans parler à Alcibiade, Agésilas et autres ». Plus tard, Napoléon en fait
aussi son modèle […] L’influence de Plutarque va grandissant juqu’à la
Restauration. » -François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris,
Éditions La Découverte, 2005, 480 pages, p.136-137.

Hadrien (76-138) : « L'empereur Hadrien était obsédé de présages. » -Paul


Veynes, L'Empire gréco-romain, Seuil, coll. Points, 2005, 1058 pages, p.613.

https://www.amazon.fr/Hadrien-lempereur-virtuose-Yves-
Roman/dp/222890337X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1488912805&sr=
1-1&keywords=Yves+Roman%2C+Hadrien%2C+l%27empereur+virtuose

Épictète (50-125/130) : « S’entretenir avec un homme qu’on tient pour un


homme, c’est s’informer de ses opinions et lui découvrir en détail les siennes
propres. » -Épictète, Entretiens, III, ix, 12.

« [Les passions] Voilà ce qui amène les troubles, les agitations, les infortunes,
les calamités, les chagrins, les lamentations, la malignité (...) » -Épictète,
Entretiens, chapitre 2, livre III, traduction Joseph Souilhé, Gallimard, collection
Tel, Paris, p.191.

https://www.amazon.fr/Epict%C3%A8te-sagesse-sto%C3%AFcienne-Jean-
Jo%C3%ABl-
Duhot/dp/2226136320/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1476041755&sr=8-
1&keywords=J-J-Duhot-Epictete-et-la-sagesse-stoicienne

http://www.amazon.com/Free-Will-Origins-Ancient-Thought/dp/0520272668

Antonin le Pieux (86-161) : https://www.amazon.fr/Antonin-Pieux-138-161-


si%C3%A8cle-
Rome/dp/2213623171/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=519gEju9nXL&dpSr
c=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=ZNWRSCKSXTDHY
NZTDP0M

Appien d'Alexandrie (« 90 » / 161): « Appien d’Alexandrie (né sous Trajan,


mort après 160 ap. J.-C.) qui devint « procurateur » dans l’administration
impériale sous Antonin,est, lui, un historien, traitant de l’histoire romaine
depuis ses débuts, en divisant son œuvre en fonction des guerres et des
adversaires de Rome (d’où les titres de ses livres : Affaires syriaques, Affaires

208
macédoniennes, etc.), interrompant ces récits conformes aux schémas de
l’histoire militaire par cinq livres sur les « guerres civiles » — des Gracques à
Auguste. On a souvent médit, mais à tort, de son métier d’historien ; malgré des
erreurs, des bévues inévitables dans toute œuvre, malgré les déformations de
son optique grecque, il reste, pour nous, irremplaçable. » -Claude Nicolet, Les
Gracques. Crise agraire et révolution à Rome, Gallimard, 2014 (1967 pour la
première édition).

http://hydra.forumactif.org/t1449-appien-d-alexandrie-histoire-des-guerres-
civiles-de-la-republique-romaine#2100

Lucien de Samosate (120-180): « Lucien de Samosate […] dénonce toutes les


formes de la folie humaine avec une verve que l’on a pu comparer à celle de
Voltaire. » -Pierre Hadot, Études de philosophie ancienne, Les Belles Lettres,
coll. L’âne d’or, 2010 (1998 pour la première édition), 384 pages, p.121.

http://www.amazon.fr/OEuvres-compl%C3%A8tes-Lucien-DE-
SAMOSATE/dp/2221109023/ref=pd_sim_14_37?ie=UTF8&dpID=51EOKXFu
nVL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR107%2C160_&refRID=0BNW855
A96Q0413PMPHW

Marc Aurèle (121-180) : « C’est à [Rusticus], enfin, que je dois d’avoir lu les
Entretiens d’Epictète, qu’il avait dans sa bibliothèque et qu’il m’a prêtés. »
(p.16)

« Ne jamais consulter, si peu que ce soit, autre chose que la raison […] rester
toujours le même au milieu des plus vives douleurs. » (p.17)

« Fronton m’a appris tout ce que la tyrannie recèle de méchanceté, de duplicité


et d’hypocrisie ; et combien ces gens que nous appelons patriciens sont dénués
d’affection. » (p.18)

« J’ai eu l’idée d’un gouvernement fondé sur la loi et sur un droit égal pour tous
à la parole, d’un Etat respectueux avant tout de la liberté des sujets. » (p.18)

« Je n’aurais jamais eu tant de bonheurs sans l’assistance des dieux et de la


Fortune [Tyché, déesse romaine]. » (p.24)

« Dès le matin, me dire à moi-même : tu vas rencontrer un fâcheux, un ingrat,


un insolent, un fourbe, un envieux, un égoïste. Ils ont tous ces vices par suite de
leur ignorance des biens et des maux. Mais moi, qui ai examiné la nature du
209
bien, qui est d’être beau, et celle du mal, qui est d’être honteux, et celle de
l’homme vicieux lui-même, considérant qu’il a la même nature que moi, qu’il est
issu non du même sang ni de la même semence, mais de la même intelligence, et
qu’il est comme moi en possession de parcelles de divinité, je ne puis recevoir
aucun tort de ces hommes parce qu’aucun d’eux ne pourra me déshonorer ; je
ne puis non plus m’irriter contre un parent ni le haïr, car nous sommes nés pour
l’action en commun, comme les pieds, les mains, les paupières, les rangées des
dents d’en haut et d’en bas. Agir les uns contre les autres est contraire à la
nature, et c’est agir les uns contre les autres que de s’emporter et de haïr. »
(p.25)

« Comme si tu étais sur le point de mourir, méprise la chair. » (p.26)

« Il faut enfin que tu comprennes quel est cet univers dont tu fais partie ; quel est
ce gouverneur de l’univers dont tu es une émanation. » (p.26-27)

« Accomplis chacune de tes actions comme si c’était la dernière de ta vie, te


délivrant ainsi de toute légèreté, de toute aversion passionnelle pour les
commandements de la raison. » (p.27)

« Rien de ce qui est conforme à la nature n’est mauvais. » (p.32)

« Cultive en toi ta faculté de juger. C’est le point essentiel, su tu ne veux plus


que le principe qui te dirige admette un jugement en désaccord avec la nature et
la condition d’un être raisonnable. Or cette condition suppose qu’on ne
précipite pas son jugement, qu’on s’accommode avec les hommes et qu’on
obéisse aux dieux. » (p.39)

« Le propre de l’homme de bien ? C’est d’aimer et d’accueillir ce qui lui arrive,


tout ce qui forme la trame de sa destinée ; c’est de ne pas souiller le génie qui
habite dans sa poitrine, de ne pas de laisser troubler par la foule des
impressions sensibles, mais de demeurer serein, modestement soumis à Dieu,
sans jamais rien dire contre la vérité, sans jamais rien faire contre la justice. »
(p.41)

« 2. N’agis jamais au hasard ni sans rapporter aux principes de l’art de vivre la


maxime de ton action.

3. On cherche des refuges où se retirer, des campagnes, des plages, des


montagnes ; toi aussi, c’est ce que tu désires avant tout. Mais tout cela est bien

210
peu digne d’un philosophe, puisque tu peux, au moment où tu le veux, te retirer
en toi-même. Nulle part l’homme ne trouve une retraite plus calme et plus de
repos que dans son âme, surtout celui qui possède en soi tous ces biens sur
lesquels il suffit de porter son attention pour retrouver toute sa sérénité ; je veux
dire par sérénité l’état d’une âme bien réglée. Procure-toi donc sans cesse à toi-
même cette retraite, et renouvelle-toi. Aie à ta disposition quelques maximes
concises et élémentaires qui, s’offrant à ton esprit, suffiront à t’affranchir de tout
chagrin et à te renvoyer sans irritation dans le milieu où tu retournes. » (p.44)

« La raison qui nous prescrit ce qu’il faut faire ou ne pas faire nous est aussi
commune. Si cela est vrai, nous sommes concitoyens ; si cela est vrai, nous
sommes membres d’un même Etat ; et si cela est vrai, le monde est comme une
cité. » (p.45)

« Un homme commet-il une faute ? C’est contre lui-même qu’il la commet. »


(p.50)

« Passe le reste de ta vie comme si tu avais fait aux dieux un abandon absolu de
toi-même, sans vouloir te faire ni le tyran ni l’esclave d’aucun homme. » (p.51)

-Marc Aurèle, (Pensées), Soliloques dans la traduction de Léon-Louis


Grateloup), Le Livre de poche, coll. Classiques de la philosophie.

« Si jamais un monarque eût sujet de se croire meilleur et plus éclairé qu’aucun


de ses contemporains, ce fut l’empereur Marc-Aurèle. Maître absolu de tout le
monde civilisé, il garda toute sa vie non seulement la justice la plus pure, mais,
ce qu’on aurait moins attendu de son éducation stoïque, le cœur le plus tendre.
Le peu de fautes qu’on lui attribue viennent toutes de son indulgence, tandis que
ses écrits, les productions morales les plus élevées de l’antiquité, diffèrent a
peine, si même ils diffèrent, des enseignements les plus caractéristiques du
Christ. Cet homme, un meilleur chrétien en tout, excepté dans le sens
dogmatique du mot, que la plupart des souverains ostensiblement chrétiens qui
régnèrent depuis, persécuta le christianisme. Maître de toutes les conquêtes
précédentes de l’humanité, doué d’une intelligence ouverte et libre et d’un
caractère qui le portait à incorporer dans ses écrits moraux l’idéal chrétien, il
ne vit pas cependant que le christianisme avec ses devoirs dont il était si
profondément pénétré, était un bien et non un mal pour le monde. Il savait que
la société existante était dans un état déplorable. Mais telle qu’elle était, il
voyait ou s’imaginait voir qu’elle n’était soutenue et préservée d’un pire état,
211
que par la foi et le respect pour les dieux reçus. Comme souverain, il estimait de
son devoir de ne pas laisser la société se dissoudre, et ne voyait pas comment, si
on ôtait les liens existants, on en pourrait former d’autres capables de la
maintenir. La nouvelle religion visait ouvertement à briser ces liens ; donc, à
moins qu’il ne fût de son devoir d’adopter cette religion, il semblait être de son
devoir de la détruire. Du moment où la théologie du christianisme ne lui
paraissait pas vraie ou d’origine divine, du moment où il ne pouvait croire à
cette étrange histoire d’un Dieu crucifié, ni prévoir qu’un système reposant sur
une semblable base fût l’influence rénovatrice que l’on sait, le plus doux et le
plus aimable des philosophes et des souverains conduit par un sentiment
solennel de devoir, dut autoriser la persécution du christianisme.

Selon moi, c’est un des faits les plus tragiques de l’histoire. » -John Stuart
Mill, De la liberté, 1860 (1859 pour la première édition anglaise), 309 pages.

https://www.amazon.fr/Droiture-m%C3%A9lancolie-%C3%A9crits-Marc-
Aur%C3%A8le/dp/286432864X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1471611764&sr=8
-
1&keywords=Droiture+et+m%C3%A9lancolie.+Sur+les+%C3%A9crits+de+M
arc+Aur%C3%A8le

Gaius: http://www.amazon.fr/Institutes-
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1&keywords=Institutes+de+Ga%C3%AFus

Alexandre d'Aphrodise (150-215): "[Alexandre d'Aphrodise est important car


ce sont ses Commentaires qui initie le mouvement] vers un principe unique, vers
une monarchie philosophique, chez Aristote." -Aristote, par Annick Stevens,
19/09/2016.

Sextus Empiricus (160-210) : https://www.amazon.fr/Esquisses-pyrrhoniennes-


Sextus-
Empiricus/dp/2020262983/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&psc=1&refRID=GBPS
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Empiricus/dp/2020485214/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&psc=1&refRID=3ADN
978EQCPP1ST0M7SP

212
Athénagore d'Athènes :
http://remacle.org/bloodwolf/eglise/athanagore/apologie.htm

Origène d’Alexandrie (185-253) : « Origène fit valoir contre Celsus que les
lois positives qui contredisent la loi naturelle ne méritent pas le nom de lois […]
ce qui justifiait les chrétiens dans leur refus de rendre un culte à l'empereur ou
de tuer à son service. » -Louis Dumont, Essais sur l'individualisme. Une
perspective anthropologique sur l'idéologie moderne, Paris, Le Seuil, coll.
Point, 1985 (1983 pour la première édition), 314 pages, p.49.

Plotin (205-270): « Les cours de Plotin consistaient avant tout dans


l’explication des textes de Platon et d’Aristote, étudiés à l’aide des textes de
commentateurs antérieurs. » -Pierre Hadot, Études de philosophie ancienne, Les
Belles Lettres, coll. L’âne d’or, 2010 (1998 pour la première édition), 384 pages,
p.30.

« ...vous avez deviné ma sympathie pour Plotin -sympathie dont je n'ai jamais eu
l'occasion de parler dans mes livres-, mais que les auditeurs de mes cours
connaissent bien. » -Henri Bergson, cité dans A H.-M Kallen, Mélanges, p.1192.

http://hydra.forumactif.org/t1870-plotin-les-enneades#2555

Aurélien (215-275) : https://www.amazon.fr/LEmpereur-Aur%C3%A9lien-


temps-Eugen-
Cizek/dp/2251380264/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1488910602&sr=8-
1&keywords=Eugen+Cizek%2C+L%27empereur+Aur%C3%A9lien+et+son+te
mps

Quintus de Smyrne : https://www.amazon.fr/suite-dHom%C3%A8re-1-Chants-


I-IV/dp/2251002936/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1491052749&sr=8-
2&keywords=Quintus+de+Smyrne

Constantin Ier (272-306) : « L’Église parvint à un tel état que non seulement
les grandes familles, mais encore les dirigeants romains, qui gouvernent le
monde entier, embrassèrent la foi du Christ et recoururent aux sacrements de la
foi. Parmi eux, le très pieux Constantin, le premier ouvertement attaché à la
vérité, donna l’autorisation à ceux qui vivaient sous sa domination, par tout
l’univers, non seulement de devenir chrétiens, mais d’édifier des églises, et il
décida de lui attribuer des domaines. Enfin, le susdit prince fit à l’Église des
dons immenses, et il commença la construction du temps qui fut la première
213
basilique de Saint-Pierre, allant jusqu’à céder sa résidence impériale, jusqu’à
l’abandonner à Saint Pierre et à l’usage de ses successeurs. » -Le pape
Melchiade, d’après Lorenzo Valla (La Prétendue Donation de Constantin), cité
par Jean-Christophe Saladin, Bibliothèque humaniste idéale, Les Belles Lettres,
2008, 467 pages, p. 97.

https://www.amazon.fr/Constantin-empereur-chr%C3%A9tien-Vincent-
Puech/dp/2729866701/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1488911097&sr=8-
1&keywords=Constantin%2C+le+premier+empereur+chr%C3%A9tien

Eusèbe de Césarée:

Julien dit l'Apostat (331-363): « Tu m’as vaincu, Galiléen. » -L’Empereur


Julien, à sa mort, en 363. Cité par Jules Michelet, Histoire de France, volume
XVIII (1878).

« Depuis que le polythéisme est aboli par les lois, en sommes-nous plus
honnêtes gens ? Julien apostat valait-il moins que chrétien ? En était-il moins
un grand homme et le meilleur des princes ? » -Julien Offray de La Mettrie,
Discours préliminaire (1750), in Œuvres philosophiques, Éditions Coda, 2004,
425 pages, p.16.

« En vain un de ces hommes extraordinaires, que le hasard élève quelquefois à


la souveraine puissance, Julien voulut délivrer l'empire de ce fléau [le
christianisme], qui devait en accélérer la chute : ses vertus, son indulgente
humanité, la simplicité de ses mœurs, l'élévation de son âme et de son caractère,
ses talents, son courage, son génie militaire, l'éclat de ses victoires, tout
semblait lui promettre un succès certain. On ne pouvait lui reprocher que de
montrer pour une religion, devenue ridicule, un attachement indigne de lui, s'il
était sincère ; maladroit par son exagération, s'il n'était que politique ; mais il
périt au milieu de sa gloire, après un règne de deux années. Le colosse de
l'empire romain ne trouva plus de bras assez puissants pour le soutenir ; et la
mort de Julien brisa la seule digue qui pût encore s'opposer au torrent des
superstitions nouvelles, comme aux inondations des Barbares. » -Nicolas de
Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain,
"Les classiques des sciences sociales", 1793, p.103.

« Au moment même où la chute du monde antique était imminente, s’ouvrit


l’école d’Alexandrie qui s’ingéniait à toute force de démontrer « la vérité

214
éternelle » de la mythologie grecque et son accord constant « avec les résultats
de la recherche scientifique ». L’empereur Julien appartenait lui aussi encore à
cette tendance, qui croyait faire disparaître l’esprit du temps dont l’aube se
levait, en se bouchant les yeux pour ne pas le voir. » -Karl Marx, L’éditorial du
n° 179 de la « Gazette de Cologne », Gazette rhénane n° 191, 193 et 195 des 10,
12 et 14 juillet 1842.

« Julien croyait défendre l’antique religion. Mais, d’une part, l’empereur


philosophe, voulant donner au paganisme l’organisation de l’Église chrétienne,
trahit l’influence profonde qu’a exercée sur lui l’éducation chrétienne reçue
dans son enfance. D’autre part, la religion qu’il croit restaurer n’est pas
l’ancienne religion païenne : c’est un monothéisme philosophique, qui
s’exprime dans le langage de la mythologie grecque. » -Pierre Hadot, Études de
philosophie ancienne, Les Belles Lettres, coll. L’âne d’or, 2010 (1998 pour la
première édition), 384 pages, p.373-374.

http://www.amazon.fr/Julien-dit-lApostat-naturelle-Bas-
Empire/dp/2847347461/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1446669117&sr=8-
1&keywords=Julien+l%27Apostat

http://www.amazon.fr/Julien-Gore-
Vidal/dp/2757803905/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=51xO-
EoJxhL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR99%2C160_&refRID=1ZBF00
FQM86JKCMA1ASC

http://www.amazon.fr/Julien-Empereur-partie-Discours-
C%C3%A9sar/dp/2251001832/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=31DDp
si4M%2BL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR104%2C160_&refRID=0E0
CD9J9Y1FC8Z7AP4FD

http://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-I-2-LEmpereur-
Julien/dp/2251001840/ref=sr_1_fkmr3_2?s=books&ie=UTF8&qid=144666960
9&sr=8-2-
fkmr3&keywords=empereur+Julien+%C5%92uvres+compl%C3%A8tes+tome+
1+J.+Bidez

http://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-1re-partie-
lEmpereur/dp/2251001859/ref=sr_1_fkmr3_1?s=books&ie=UTF8&qid=144666
9609&sr=8-1-

215
fkmr3&keywords=empereur+Julien+%C5%92uvres+compl%C3%A8tes+tome+
1+J.+Bidez

http://www.amazon.fr/Julien-lEmpereur-partie-H%C3%A9lios-Roi-
Misopogon/dp/2251001867/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=41MbyKm
J2NL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR106%2C160_&refRID=1VQD1C
RVVAMZ9A54NQM6

Théodose Ier (379-395) : https://www.amazon.fr/Th%C3%A9odose-Bertrand-


LAN%C3%87ON/dp/2262041997/ref=pd_sim_14_51?ie=UTF8&dpID=51Hok
GFSluL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR106%2C160_&refRID=PRTBD
NYA0EAEKYC21S1K

Claudien (370-404) : « La domination romaine ne connaîtra jamais de


limites. » -Claudien, Éloge de Stilicon, III.159-167.

https://www.amazon.fr/Oeuvres-1-Rapt-Proserpine-
Claudien/dp/2251013563/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1522061103&sr
=1-2&keywords=Le+Rapt+de+Proserpine

Augustin d’Hippone (345-430) : « Si l’on trouve dans ces livres canoniques


quelque chose d’absurde, il ne nous est pas permis de dire que ce livre a
manqué le vrai. Il faut plutôt dire ou bien que le manuscrit est défectueux, ou
que le traducteur s’est trompé, ou encore que c’est nous qui ne comprenons
pas. » -Augustin d’Hippone, Contre Faustus, livre I, chapitre XI.

« On ne s'étonnera point des guerres faites par Moïse, on n'en aura point
horreur, attendu qu'en cela, il n'a fait que suivre les ordres mêmes de Dieu. Il
n'a point cédé à la cruauté, mais à l'obéissance. Quant à Dieu, en donnant de
tels ordres, il ne se montrait point cruel, il ne faisait que traiter ces hommes et
les effrayer comme ils le méritaient. En effet, que trouve-t-on à blâmer dans la
guerre ? Est-ce parce qu'on y tue des hommes qui doivent mourir un jour, pour
en soumettre qui doivent ensuite vivre en paix? Faire à la guerre de semblables
reproches serait le propre d'hommes pusillanimes, non point d'hommes
religieux. » -Saint Augustin, Contre Faustus.

« Il y a une persécution injuste, celle que font les impies à l'église du Christ ; et
il y a une persécution juste, celle que font les églises du Christ aux impies. (...)
l'église persécute par amour et les impies par cruauté. » -Augustin d’Hippone,
Lettre 185 de l'année 417.
216
« Le malheur qui est venu fondre sur Rome, n'est [...] pas une destruction mais
un châtiment dont Dieu se servit pour la convertir. » -Augustin d'Hippone, De la
Ruine de Rome, chapitre VII.

« La tribulation est venue fondre sur Rome, pour purifier et délivrer l'homme
juste, et pour y frapper l'impie du châtiment qu'il méritait. » -Augustin
d'Hippone, De la Ruine de Rome, chapitre VIII.

« Tous les hommes ne veulent donc pas être heureux, car il en est qui, refusant
de se réjouir en [Dieu], seule vie bienheureuse, refusent leur félicité. » -
Augustin d’Hippone, Les Confessions.

« Chaque méchant est l'auteur de ses méfaits. [...] C'est la justice de Dieu qui
punit les mauvaises actions. Or elles ne seraient pas punies avec justice, si elles
n'étaient volontaires. » -Augustin d'Hippone, Traité du Libre-arbitre, Livre
Premier, Chapitre premier "Dieu est-il l'auteur de quelque mal ? ".

« Il n’en est pas de Dieu comme d’un architecte : la maison achevée, celui-ci
s’en va, et même lorsqu’il cesse d’agir et qu’il s’en est allé, l’œuvre subsiste ;
au contraire, le monde ne pourrait subsister, fût-ce l’instant d’un clin d’œil, si
Dieu lui retirait son gouvernement. » -Augustin d’Hippone, De genesi ad
litteram, Cité par Giorgio Agamben, in Le Règne et la Gloire. Pour une
généalogie théologique de l'économie et du gouvernement. Homo Sacer, II, 2.
Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », septembre 2008 (2007 pour la
première édition italienne), 443 pages, p. 145.

« Augustin qui, d’un point de vue philosophique, était platonicien. Il répète à


l’envi, entre autres dans Les Confessions, que le fait d’avoir lu dans sa jeunesse
les Catégories d’Aristote ne lui avait non seulement été d’aucun profit mais
s’était même révélé pernicieux. Son reproche était le suivant : dans la théorie
aristotélicienne des catégories, la notion de substance convenait à une saisie des
choses qui ont une forme (tel que l’homme par exemple), mais si on envisageait
Dieu en se prévalant de cette notion, on en arriverait à l’envisager lui aussi en
termes de formes, c’est-à-dire qu’on en arriverait à appliquer à Dieu un mode
de pensée semblable à celui de l’hypokeimenon dans les choses qui ont une
forme. Ce reproche n’était rien d’autre qu’une critique indirecte du caractère
objectivant et non existentiel de l’ontologie aristotélicienne." -Keiji Nishitani, «
Le problème de l’être et la question ontologique », Laval théologique et

217
philosophique, Faculté de philosophie, Université Laval, vol. 64, no 2, 8 août
2008, p. 305-325, p.308.

« Pour les chrétiens, seul l'individu était immortel et rien d'autre dans ce monde
-ni l'humanité considérée comme un tout ni la terre elle-même et moins encore
l'artifice humain. C'est seulement en transcendant ce monde que l'on pouvait
accomplir des activités atteignant à l'immortalité et la seule institution qui pût
s'en trouver justifiée à l'intérieur du domaine séculier était l'Église, la Civitas
Dei sur terre, à laquelle avait incombé la charge de la responsabilité politique
et à laquelle pouvaient être remises toutes les tendances purement politiques.
Que cette transformation du christianisme et de ses tendances auparavant
apolitiques en une institution politique grande et stable ait été possible sans une
complète trahison de l'Évangile est presque entièrement dû à Saint Augustin qui,
bien qu'il ne soit pas le père de notre concept de l'histoire, est probablement le
père spirituel et certainement le plus grand théoricien de la politique chrétienne.
Ce qui fut décisif à cet égard est qu'il put, se trouvant encore fermement ancré
dans la tradition romaine, ajouter à la notion chrétienne d'une vie éternelle
l'idée d'une civitas future, Civitas Dei où les hommes continueraient à vivre en
communauté dans l'au-delà. Sans cette reformulation des pensées chrétiennes
par Augustin, la politique chrétienne aurait pu rester ce qu'elle avait été dans
les premiers siècles, une contradiction dans les termes. » -Hannah Arendt, Le
concept d'Histoire: antique et moderne, in La Crise de la Culture. Huit exercices
de pensée politique, 1961, repris dans Hannah Arendt. L'Humaine Condition,
Gallimard, coll. Quarto, 2012, 1050 pages, p.655-656.

« Saint Augustin, le plus grand philosophe que les romains eurent jamais. »

-Hannah Arendt, Qu'est-ce que l'autorité ?, in La Crise de la Culture. Huit


exercices de pensée politique, 1961, repris dans Hannah Arendt. L'Humaine
Condition, Gallimard, coll. Quarto, 2012, 1050 pages, p.703.

« Il n’est pas excessif de dire que c’est seulement avec Saint Augustin que le moi
fait irruption dans la pensée philosophique. Cette subjectivité, dont on peut
soutenir, par conséquent, qu’elle est d’invention chrétienne, ou plus exactement
judéo-chrétienne, est posée en même temps en relation avec ce qui la dépasse
infiniment : la transcendance et la perfection divine. » -Christian Godin, La
philosophie pour les nuls, p.192.

218
« Augustin (Aurelius Augustinus) est né à Thagaste (aujourd’hui Souk-Ahras)
dans la province romaine de Numidie, alors que l’Empire romain montrait les
premiers signes de décadence. Saint Augustin, docteur et père de l’Église,
devenu évêque d’Hippone en 395, mourra dans cette ville lors du siège des
Vandales (Rome s’était écroulée sous l’assaut des Wisigoths en 410). La
dévastation de cet Empire qu’on avait cru perpétuel, tant il avait été puissant,
sera pour lui un grand sujet de réflexion : il méditera entre autres sur les
fondements de la société, sur la justice et sur le pouvoir politique. Augustin était
convaincu que le culte des faux dieux avait été la cause fondamentale de la
chute de l’Empire de Rome. » (p.219)

« Il faut obéir aux rois justes tout autant qu’aux méchants tyrans, car ceux-ci
autant que ceux-là sont les représentants de Dieu. » (p.221)

« Quant aux modalités de ce changement légitime [de la forme constitutionnelle


d’un Etat], par la force ou par des élections ou par d’autres moyens, l’auteur ne
les précise pas ; pas plus qu’il n’indique sa préférence pour telle ou telle forme
de gouvernement. » (p.223)

« Augustin n’envisage pas de résistance organisée contre la tyrannie. » (p.223)

-Mario Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, PUF, coll.


Fondements de la politique, 2001, 1044 pages.

« Saint Augustin avait […] fustigé les manichéens qui, eux, condamnaient toute
guerre comme un mal absolu. » -Jean-Pierre Azéma, « La guerre », chapitre in
Réné Rémond (dir.), Pour une histoire politique, Seuil, coll. L’Univers
historique, 1998, 400 pages, pp.345-376, p.350.

"That is how I interpret Augustine's achievement: he replaced the radical


refusal of Christian pacifists with the active ministry of the Christian soldier.
Now pious Christians could fight on behalf of the worldly city, for the sake of
imperial peace (in this case, literally, pax Romana)." (p.3)
-Michael Walzer, Arguing About War, Yale University Press, 2004, 208 pages.

« Saint Augustin a voulu être un novateur, il a voulu créer une culture


d’inspiration chrétienne, en rupture avec cette civilisation païenne dont il était
l’héritier. » (p.147)

219
« Si nous considérons sa culture d’un point de vue très général, la chose est
simple, saint Augustin est beaucoup plus près de Dante que de Cicéron. […] [Il]
se rattache à la civilisation médiévale. » (p.152)

« Il n’y a pas eu un moment où la culture antique est morte et un autre où la


culture médiévale est née. Il n’y a qu’une chaîne d’évolution continue qui se
poursuit à travers les siècles et en dépit de toutes les crises, assurant ainsi la
continuité et l’unité secrète de la civilisation occidentale. » (p.154)

« La disparition d’une grande civilisation laisse derrière elle un vide, et c’est


pour une âme ou une époque suffisamment douées l’occasion de créer quelque
chose qui puisse le combler. Si saint Augustin et, à la suite, le moyen âge ont pu
créer une culture nouvelle à partir de l’idéal chrétien, c’est d’abord parce que
l’idéal antique était mort, qu’il s’était usé dans le cœur des hommes, et que la
place était libre. » (p.157)

-Henri-Irénée Marrou, Culture, civilisation, décadence, Publications de l'École


française de Rome, Année 1978, Volume 35, Numéro 1, p.147.

« [Saint Augustin] ne s’est pas réjoui de cet événement [le sac de Rome], et s’est
aussi refusé d’y voir la fin du monde, car selon lui l’Empire romain allait
survivre à cette crise. » -François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie,
Paris, Éditions La Découverte, 2005, 480 pages, p.311.

« Augustin est de son temps, et cependant il préfigure, il montre du doigt


immanquablement ce qui est à venir. C'est ainsi que son influence, ou sa lignée
intellectuelle, s'étendra sur le Moyen Age, et bien au-delà. Qu'on pense à
Luther, aux jansénistes, et jusqu'aux existentialistes." (p.55)

"Dans les années assombries par la chute de Rome, il est intellectuellement


plein d'enthousiasme, appliquant la vision de Plotin à l'ordre que l'histoire
déploie progressivement ; il est inspiré par un sentiment du progrès tellement
anachronique qu'il en est prodigieux." (p.60)

-Louis Dumont, Essais sur l'individualisme. Une perspective anthropologique


sur l'idéologie moderne, Paris, Le Seuil, coll. Point, 1985 (1983 pour la
première édition), 314 pages.

« La philosophie de l’histoire est d’abord apparue dans un cadre théologique,


comme chez saint Augustin, par exemple, qui assigne pour finalité à l’histoire la

220
réalisation de la Cité de Dieu, à savoir du règne de Dieu. » (p.6)
-Lan Li. Raymond Aron. De la philosophie critique de l’histoire à l’analyse
politique. Philosophie.Ecole normale supérieure de lyon - ENS LYON, 2012.
Français. <NNT: 2012ENSL0798>. <tel-00787035>

"Le mensonge et l'erreur peuvent être utiles à quelques individus ; il leur est
quelquefois avantageux d'être trompés et ceux qui les trompent peuvent être des
bienfaiteurs pour eux. Celui qui trompe ou qui ment pour sauver sa patrie, ses
parents, son ami, est un citoyen estimable, un homme utile et vertueux ; il ne
peut être condamné qu'au tribunal d'un insensé." (p.18)

"St. Augustin a décidé qu'il n'est pas permis de mentir, quand même il s'agirait
du salut du monde entier. Cet exemple suffit pour nous faire voir les idées que
les oracles du christianisme ont eut de la morale. S'il était possible qu'un
mensonge fut vraiment utile au monde, il deviendrait dès lors une vertu ; la
vertu ne peut consister que dans l'utilité générale." (p.18)

« Des théologiens, dépourvus de vrais principes en morale, ont prétendu que


jamais il n'est permis de mentir, quand bien même il s'agirait du salut de
l'univers [dixit Saint Augustin]. [...] La juste défende la patrie, d'un père, d'un
ami, de nous-mêmes contre les embûches d'un ennemi, d'un tyran, des méchants,
rend le mensonge très légitime. » (p.81)

-Paul-Henri Thiry d’Holbach, Système social ou Principes naturels de la Morale


& de la Politique avec un Examen de l’Influence du Gouvernement sur les
Mœurs, 1773 in Œuvres philosophiques (1773-1790), Éditions coda, 2004, 842
pages, pp.5-314.

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/trinite/index.htm

http://jesusmarie.free.fr/augustin.html

https://www.amazon.fr/Saint-Augustin-fin-culture-
antique/dp/2701800064/ref=asap_bc?ie=UTF8

https://www.amazon.fr/Saint-Augustin-Serge-
Lancel/dp/2213602824/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1461869260&sr=8-
1&keywords=serge+lancel+saint+augustin

221
http://www.amazon.fr/Le-vocabulaire-Saint-Augustin-Christian-
Nadeau/dp/2729841857/ref=pd_sim_14_66?ie=UTF8&refRID=14W9B3EN0Y
8ZH5RDNBWC

http://hydra.forumactif.org/t2086-emmanuel-bermon-le-cogito-dans-la-pensee-
de-saint-augustin#2797

http://hydra.forumactif.org/t1650-saint-augustin-oeuvres-completes#2327

https://www.amazon.fr/Introduction-%C3%A0-l%C3%A9tude-saint-
Augustin/dp/2711620271/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1461869352&sr=8-
1&keywords=Introduction-a-l-etude-de-saint-Augustin

http://www.amazon.fr/m%C3%A9tamorphoses-cit%C3%A9-Dieu-Etienne-
Gilson/dp/2711617408/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=418HVR8ZRWL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR101%2C160_&refRID=0WHJHF312DAD
3G2S7DMX

https://www.amazon.fr/cogito-dans-pensee-Saint-
Augustin/dp/2711615286/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1461869307&sr=8-
1&keywords=le+cogito+dans+la+pens%C3%A9e+de+saint+augustin

http://www.amazon.fr/Ordo-amoris-Conflits-terrestres-
bonheurs/dp/2251420517/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1453578150&sr=8-
1&keywords=ordo+amoris

Proclos : http://www.amazon.fr/ELOGE-DUN-PHILOSOPHE-RESTE-
PAIEN/dp/2738473067/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1453578293&sr=8-
1&keywords=proclos+%C3%A9loge+d%27un+philosophe

Tao Yuan-ming : http://www.amazon.fr/OEuvres-compl%C3%A8tes-Tao-


Yuan-
ming/dp/2070716813/ref=pd_sim_sbs_14_4?ie=UTF8&dpID=41WG1XQFZ4L
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=0FHFKQZ46Z
R9DNBB4YNA

La Chute de Rome : « Vaincue, Rome s’écroula. […] Le grain bon marché de


l’Égypte n’arrivait plus au port romain d’Ostrie pour être transformé en pain
gratuit. […] Le résultat fut catastrophique. La moitié de la population
européenne mourut de faim ou de peste, et le monde occidental plongea dans un
interminable âge des Ténèbres. » -Howard Bloom, Le génie du Capitalisme -
222
(Le génie de la Bête), Paris, Le jardin des livres, 2012 (2010 pour la première
édition états-unienne), 464 pages.

« [Rome] compte environ 800 000 habitants jusqu'en 408-410. Après le sac de
410 par Alaric, elle fut réduite de moitié. Au Ve siècle, elle tomba à quelque 80
000 habitants. » -Daniel Cohen, Homo Economicus, prophète (égaré) des temps
nouveaux, Albin Michel, Le livre de poche, 2012, 217 pages, p.80.

« La souffrance consécutive à l'effondrement de la civilisation gréco-romaine a


créé le climat spirituel dont le christianisme est issu. » -Arnold Toynbee.

« Le christianisme est un pessimisme radical, en ce qu'il nous enseigne à


désespérer du seul monde dont nous soyons sûrs qu'il existe, pour nous inviter à
mettre notre espoir en un autre dont on ne sait s'il existera jamais. » -Étienne
Gilson, L'esprit de la philosophie médiévale, 1931, p.111.

« Le déclin d'un peuple coïncide avec un maximum de lucidité collective. Les


instincts qui créent les "faits historiques" s'affaiblissant, sur leur ruine se dresse
l'ennui. Les Anglais sont un peuple de pirates qui, après avoir pillé le monde,
ont commencé à s'ennuyer. Les Romains n'ont pas disparu de la face de la terre
à la suite des invasions barbares, ni à cause du virus chrétien, un virus bien plus
subtil leur a été fatal. Une fois oisif ils ont eu à affronter le temps creux,
malédiction supportable pour un penseur, mais torture sans égale pour une
collectivité. Que signifie le temps libre, le temps nu et vacant, sinon une durée
sans contenu ni substance ? La temporalité vide caractérise l'ennui.
L'aurore connaît des idéaux ; le crépuscule seulement des idées, et à la place
des passions, le besoin de divertissement. Par l'épicurisme ou le stoïcisme,
l'Antiquité finissante a essayé de guérir ce "mal du siècle" propre à tous les
déclins historiques. Simples palliatifs, comme la multiplication des religions du
syncrétisme alexandrin, qui ont masqué, faussé ou dévié le mal, sans en annuler
la virulence. Un peuple comblé tombe en proie au cafard, tout comme un
individu qui a "vécu" et qui "en sait" trop. » -Emil Cioran, Des larmes et des
saints (1937). In Œuvres, Gallimard, coll. Quarto, 1995, 1818 pages, p.317-318.

« Et si l’on considérait la première cause de la ruine de l’Empire romain, on


trouvera que ç’a été seulement de commencer à soudoyer les Goths ; parce que
dès ce premier moment commencèrent à s’énerver les forces de l’Empire
romain, et toute cette vaillance qui se retirait de lui passait chez eux. » -Nicolas

223
Machiavel, Le Prince, GF-Flammarion, trad. Yves Lévy, Paris, 1992 (1532 pour
la première édition italienne), 220 pages, p.126.

“Rome grew great in its period of freedom, as a republic, and collapsed after it
changed into an empire, with the growth of government controls (including a
welfare state, known by the slogan "bread and circuses"). The growth of
taxation and government control destroyed the Roman economy and caused the
collapse of Rome, which allowed the barbarians to take over. The same thing is
happening today.” -Ayn Rand, Answers, New American Library, 2005, 241
pages, p.5.

“Le mépris des sciences humaines était un des premiers caractères du


christianisme. Il avait à se venger des outrages de la philosophie ; il craignait
cet esprit d'examen et de doute, cette confiance en sa propre raison, fléau de
toutes les croyances religieuses. La lumière des sciences naturelles lui était
même odieuse et suspecte ; car elles sont très dangereuses pour le succès des
miracles ; et il n'y a point de religion qui ne force ses sectateurs à dévorer
quelques absurdités physiques. Ainsi le triomphe du christianisme fut le signal
de l'entière décadence et des sciences et de la philosophie. » -Nicolas de
Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain,
"Les classiques des sciences sociales", 1793, p.103.

« Les marxistes ne parlent jamais de ces siècles perdus [Ve-XIIe siècle ap. J.C.].
Lorsqu'ils mentionnent le "progrès technique pendant le Moyen Age", ils
entendent en fait les XIIe, XIIIe ou XIVe siècles. [...] Ce qui importe est que
nous observons dans ce cas non pas un "accident" ou une "variation
saisonnière", mais une période historique extrêmement longue pendant laquelle,
même s'il y a eu des changements progressifs sur quelques points spécifiques
(par exemple, le remplacement de la charrue légère par la charrue lourde), si
l'on considère l'édifice social dans son ensemble la plupart des réalisations de
la période précédente ont été perdues. Cela montre que la technique ne
progresse pas nécessairement de manière ininterrompue, et que son évolution
n'est "autonome" en aucun sens, même le plus lâche, de ce terme. » -Cornelius
Castoriadis, "Marxisme et théorie révolutionnaire", publié dans Socialisme ou
barbarie d'avril 1964 à juin 1965, repris L'institution imaginaire de la société,
Éditions du Seuil, coll Essais. Points, 1975, 538 pages, p.13-170, p.55.

224
« Au début du Manifeste communiste [...] Marx dit que la guerre des classes
"finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout
entière, soit par la destruction des deux classes en lutte", alternative que semble
bien illustrer la chute de l'Empire romain, submergé par l'invasion de peuples
barbares. » -Jean-Louis Prat, Introduction à Castoriadis, Éditions La
Découverte, coll. Repères, Paris, 2007, p.18.

« Marx et Engels expliquaient que la lutte des classes se termine soit par la
victoire de l’une des classes, soit par la ruine commune des classes
antagoniques. Le sort de la société romaine est l’exemple le plus évident du
second cas de figure. La défaite des esclaves a directement mené à la ruine de
l’Etat romain. En l’absence d’une paysannerie libre, l’Etat était obligé de
recourir à des armées de mercenaires pour mener ses guerres. L’impasse dans
la lutte des classes a produit une situation équivalente au phénomène moderne
du Bonapartisme. La version antique du Bonapartisme était ce qui est connu
sous le nom de Césarisme.

Le légionnaire romain n’était plus fidèle à la République mais à son


commandant - c’est-à-dire à l’homme qui lui donnait sa paye, sa part des
pillages et un coin de terre pour sa retraite. La dernière période de la
République se caractérise par une intensification de la lutte des classes, dans
laquelle personne ne parvient à remporter une victoire décisive. En
conséquence, l’Etat - que Lénine caractérisait comme « un détachement
d’hommes en arme » - a commencé à acquérir une indépendance croissante, à
s’élever au-dessus de la société et à constituer l’arbitre de l’incessante lutte
pour le pouvoir.

Toute une série d’aventuriers militaires ont fait leur apparition : Marius,
Crassus, Pompey, et finalement Jules César, qui était un général brillant, un
politicien avisé, un homme d’affaire de premier ordre, et qui a effectivement mis
fin à la République - tout en s’en proclamant le défenseur. Ses victoires en
Gaulle, en Espagne et en Bretagne on renforcé son prestige, et il a peu à peu
concentré tout le pouvoir entre ses mains. Bien qu’une fraction conservatrice
qui voulait maintenir la République l’ait assassiné, le vieux régime était
condamné.

Dans sa pièce Jules César, Shakespeare dit de Brutus : « C’était le plus noble
de tous les Romains ». Certes, Brutus et ceux qui ont conspiré contre César ne

225
manquaient pas de courage, et leurs motifs étaient peut-être nobles. Mais ils
étaient d’irrécupérables utopistes. La République qu’ils voulaient défendre
n’était depuis longtemps qu’un corps pourrissant. Certes, après la victoire du
triumvirat sur Brutus et ses compagnons, la République était quand même
formellement reconnue, et le premier Empereur, Augustus, n’est pas revenu là-
dessus. Mais le titre d’« Empereur » - imperator en latin - est un titre militaire
qui a été inventé pour éviter celui de « roi », lequel aurait trop agressé les
oreilles républicaines. Cependant, il s’agissait bel et bien d’un roi.

Les formes de l’ancienne République ont longtemps survécu. Mais ces formes
n’avaient plus de contenu, et n’étaient rien d’autre qu’une enveloppe vide qui,
sur la fin, pouvait être balayée d’un coup de vent. Le Sénat n’avait quasiment ni
pouvoir, ni autorité. Jules César avait choqué la respectable opinion publique
en introduisant un Gaulois au Sénat. Caligula a considérablement amélioré ce
procédé en donnant le titre de sénateur à son cheval. Nul n’y a vu le moindre
inconvénient - ou, tout au moins, n’a osé formuler une objection.

Les Empereurs continuaient à « consulter » le Sénat, et s’efforçaient même, ce


faisant, de ne pas rire trop fort. Dans la dernière période de l’Empire, lorsque,
du fait de la corruption et du déclin de la production, les finances étaient dans
un état lamentable, les riches Romains étaient régulièrement « promus »
sénateurs de façon à les obliger à payer des taxes supplémentaires. Un
humoriste romain disait de l’un de ces législateurs malgré eux qu’il « avait été
banni au Sénat ».

Il arrive souvent, dans l’histoire, que des institutions dépassées survivent


longtemps aux raisons qui ont motivé leur existence. Elles traînent alors une vie
misérable, telles un vieillard décrépit et déambulant, jusqu’à ce qu’elles soient
balayées par une révolution. Le déclin de l’Empire romain a duré près de quatre
siècles. Ce ne fut pas un processus ininterrompu. Il y a eu des périodes de
reprise, et même des périodes glorieuses, mais la ligne générale était
descendante.

Ces périodes historiques sont imprégnées d’un sentiment général de malaise.


L’humeur qui prédomine alors est faite de scepticisme, d’absence de foi et de
pessimisme. Les vieilles traditions, la morale et la religion - autant de puissants
facteurs de cohésion sociale - perdent leur crédibilité. Les vieilles religions sont
délaissées au profit de nouveaux dieux. Dans sa période de déclin, Rome était

226
envahie par différentes sectes venues de l’Est. Le Christianisme n’était que l’une
d’entre elles, et bien qu’elle l’ait emporté, elle avait alors de nombreuses
rivales, comme par exemple le culte de Mithras.

Lorsque les gens sentent que le monde dans lequel ils vivent est en train de
chanceler, qu’ils ont perdu tout contrôle sur leur existence - alors s’ouvre un
espace pour l’émergence de tendances mystiques et irrationnelles. Les gens
s’imaginent que la fin du monde est proche. Les premiers chrétiens le croyaient
passionnément, mais de nombreuses personnes le suspectaient. En réalité, ce
qui allait à sa fin, ce n’était pas le monde mais seulement une forme particulière
de société - la société fondée sur l’esclavage. Le succès du Christianisme
reposait sur sa connexion avec l’humeur générale de la société. Le monde était
un enfer plein de vice. Il était nécessaire de tourner le dos au monde et à ce qui
s’y passait pour se consoler dans la croyance d’une vie après la mort.

De fait, ces idées s’élaboraient déjà dans certaines tendances philosophiques


romaines. Face à une société qui n’offre aucun espoir, les hommes et femmes
peuvent avoir deux réactions : soit ils tachent de parvenir à une compréhension
rationnelle de ce qui se passe, de façon à pouvoir le changer ; soit ils tournent
le dos à la société. Dans la période déclin de l’Empire romain, la philosophie
était dominée par le subjectivisme - le stoïcisme et le scepticisme. A partir d’un
angle différent, Epicure apprenait aux gens à rechercher le bonheur et à
apprendre à vivre sans peur. C’était une philosophie sublime, mais qui ne
pouvait plaire, dans le contexte donné, qu’à la fraction la plus intelligence de la
classe dirigeante. Il y eut finalement la philosophie néo-platonicienne de Plotin,
qui relève quasiment du mysticisme et de la superstition, et qui a fourni une
justification philosophique au Christianisme.

Lors des invasions barbares, toute la structure sociale romaine était déjà sur le
point de s’écrouler, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur les
plans moral et spirituel. Ce n’est pas par hasard que les Barbares ont été
accueillis en libérateurs par les esclaves et les sections les plus pauvres de la
société romaine. Les Barbares ont complété un travail qui avait commencé bien
avant leur arrivée. Les invasions barbares étaient un accident historique qui a
servi à exprimer une nécessité historique. »

« Est-il correct de dire que le renversement de l’Empire romain par les


Barbares a fait régresser la civilisation humaine ? Malgré la récente et

227
bruyante campagne des « Amis de la Société Barbare », il est impossible d’en
douter, et cela peut-être aisément démontré par des faits et des chiffres. Les
invasions barbares ont eu pour première conséquence de rejeter en arrière, et
pour un millénaire, la civilisation et la pensée humaines.

Le développement des forces productives a été violemment interrompu. Les


villes étaient détruites et abandonnées. Les populations affluaient vers les terres
à la recherche de nourriture. Même notre vieil ami Rudgley est forcé de
l’admettre : « Les seules vestiges architecturaux qu’ont laissés les Huns sont les
cendres des villes qu’ils ont brûlées ». Et pas seulement les Huns. Le premier
acte des Goths fut de raser la ville de Mainz. Pourquoi ont-ils fait cela ?
Pourquoi ne l’ont-ils pas simplement occupée ? A cause du faible niveau de
développement économique des envahisseurs. C’était des peuples agricoles qui
ne connaissaient rien des villes. De manière générale, les Barbares étaient
hostiles à l’égard des villes et de leurs habitants - un trait psychologique que
l’on retrouve plus ou moins dans les paysanneries de toute époque.

Saint Jérôme décrit en ces termes les résultats de ces dévastations : « Rien, dans
ces paysages désertiques, n’a été laissé sinon la terre et le ciel. Après la
destruction des villes et l’extirpation de la race humaine, les terres étaient
recouvertes d’épaisses forêts et d’inextricables ronces ; la désolation universelle
annoncée par le prophète Zephaniah fut réalisée dans la pénurie de bêtes,
d’oiseaux et même de poissons ».

Ces lignes ont été écrites vingt ans après la mort de l’empereur Valens, lorsque
les invasions barbares ont commencé. Elles décrivent la situation dans la
province native de St. Jérôme, Pannonia (l’actuelle Hongrie) où des vagues
successives d’envahisseurs ont semé la mort et la destruction à une échelle
inimaginable. Finalement, Pannonia s’est complètement vidée de ses habitants.
Plus tard, les Huns s’y sont installés, puis enfin les Magyars. Ces dévastations et
pillages ont continué pendant des siècles, laissant derrière eux l’héritage d’une
terrible arriération - en fait, de la barbarie. C’était l’« Age des ténèbres ». Juste
une citation :

« L’Age des ténèbres portait bien son nom. Les famines et les épidémies, qui
ont culminé avec la Peste Noire et ses pandémies récurrentes, décimaient les
populations. La sous-alimentation frappait les survivants. De brusques
changements climatiques provoquaient des orages et des pluies dont les

228
conséquences étaient désastreuses, étant donné que le système de drainage de
l’Empire - comme la plupart de ses autres infrastructures - ne fonctionnait plus.
On comprend mieux ce qu’était le Moyen Age lorsqu’on sait qu’en 1500, après
un millénaire de négligences, les routes construites par les romains étaient
toujours les meilleures du continent. La plupart des autres étaient devenues
impraticables. La même chose peut-être dite des ports européens jusqu’au
XVIIIème siècle, lorsque le commerce a commencé à repartir. Parmi les métiers
perdus figurait la maçonnerie en briques. En Allemagne, en Angleterre, en
Hollande et en Scandinavie, il n’y eut, en dix siècles, presque aucun monument
en pierre de construit - exceptées les cathédrales. Pour leur travail agricole, les
serfs disposaient essentiellement de pioches, fourches, râteaux, faux et faucilles
à manche. Dans la mesure où il y avait très peu de fer, il n’y avait pas de charrue
à roues et à soc métallique. L’absence de charrues ne posait pas de problème
majeur dans le sud, où les paysans pouvaient pulvériser la terre
méditerranéenne, mais la terre plus lourde de l’Europe du nord devait être
découpée, soulevée et retournée à la main. Il y avait des chevaux et des bœufs,
mais ils étaient d’un usage limité. Harnais et étriers ne firent leur apparition
qu’aux alentours de 900 après JC. Par conséquent, les attelages en tandem
n’existaient pas. Les paysans travaillaient très dur et mouraient plus souvent de
fatigue que leurs animaux ». (William Manchester, A World Lit Only by Fire,
pp. 5-6).

Une longue période de stagnation a suivi l’effondrement de l’Empire romain. En


un millénaire, il n’y a pas eu d’inventions notable à l’exception de la roue
hydraulique et du moulin à vent. En d’autres termes, il y eut une éclipse
culturelle totale. C’était la conséquence de l’effondrement des forces
productives, dont la culture dépend en dernier ressort. Si on ne comprend pas
cela, il est impossible d’avoir une compréhension scientifique de l’histoire.

La pensée humaine, l’art, la science et la culture en général étaient réduits aux


niveaux les plus primitifs, et n’ont commencé à refleurir qu’avec l’introduction,
par les Arabes, de la pensée grecque et romaine. Au cours de cette période
qu’on appelle la Renaissance, le cours de l’histoire se débloquait. Le lent
développement du commerce a mené au développement de la bourgeoisie et de
villes - notamment dans les Flandres, en Hollande et en Italie du nord. Mais
c’est un fait incontestable que la civilisation avait connu un millénaire de
régression. C’est cela que nous entendons par « ligne descendante de
l’histoire ». Et on ne doit pas s’imaginer qu’une telle chose ne puisse plus
229
advenir. » -Alan Woods, "La barbarie, la civilisation et la conception marxiste
de l’histoire", Révolution, 17 juillet 2002.

« [La Chute de l'Empire romain] nous enseigne que le progrès n'est ni fatal ni
continu. Elle nous enseigne encore la fragilité de la civilisation, exposé à subir
de longues éclipses ou même à périr lorsqu'elle perd son assise matérielle,
l'ordre, l'autorité, les institutions politiques sur lesquelles elle est établie. » -
Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014 (1924
pour la première édition), 552 pages, p.20.

"The notion of a number of competing empires is essentially modern. The root


idea of empire in the ancient and mediæval world was that of a federation of
States, under a hegemony, covering in general terms the entire known or
recognised world, such as was held by Rome under the so-called pax Romana.
When Roman citizens, with full civic rights, were found all over the explored
world, in Africa and Asia, as well as in Gaul and Britain, Imperialism contained
a genuine element of internationalism. With the fall of Rome this conception of a
single empire wielding political authority over the civilised world did not
disappear." -John A. Hobson, Imperialism: A Study, New York, James Pott &
Co., 1902, 221 pages, p.9-10.

https://www.amazon.fr/derniers-jours-lempire-romain-
dOccident/dp/2262064253/ref=pd_sim_14_11?_encoding=UTF8&psc=1&refRI
D=FS4Z41QWD3PQCNZ3K24D

http://academienouvelle.forumactif.org/t6751-peter-heather-rome-et-les-
barbares-histoire-nouvelle-de-la-chute-de-lempire#7903

http://www.amazon.fr/d%C3%A9clin-Rome-corruption-
pouvoir/dp/2262034001/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1453578333&sr=
1-1&keywords=le+d%C3%A9clin+de+rome+et+la+corruption+du+pouvoir

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romain/dp/2221045874/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1527424581&sr=8-
1&keywords=histoire+%C3%A9conomique+et+sociale+de+l%27empire+romai
n&dpID=51oUoJtd81L&preST=_SY291_BO1,204,203,200_QL40_&dpSrc=src
h

230
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378/dp/2081220555/ref=pd_sim_14_2?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=J2T
MWS60FQEGTR06ARXC

Damascios le Diadoque (460-537): « Simplicius est ce commentateur néo-


platonicien d'Aristote qui dut quitter Athènes en 259 ap. J.C. avec le dernier
chef de l'École néo-platonicienne, Damascius, à la suite de l'édit de Justinien
empêchant l'enseignement de la philosophie païenne à Athènes. » -Luc Brisson,
"Un si long anonymat", in Jean-Marc Narbonne & Luc Langlois (eds), La
métaphysique: son histoire, sa critique, ses enjeux, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, coll. Zêtêsis, 1999, 259 pages, p.41.

https://www.amazon.fr/premiers-principes-Apories-
r%C3%A9solutions/dp/286432055X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1477323415&s
r=8-1&keywords=damascius

https://www.amazon.fr/Lutte-pour-lorthodoxie-platonisme-
tardif/dp/2251420282/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1477323415&sr=8-
3&keywords=damascius

https://www.amazon.fr/r%C3%A9action-pa%C3%AFenne-pol%C3%A9mique-
antichr%C3%A9tienne-
si%C3%A8cle/dp/2204076074/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1477323650&sr=8-
1&keywords=La+r%C3%A9action+pa%C3%AFenne

231
Cycle du Moyen-âge (mort du dernier empereur romain d’Occident en 476-
chute de Constantinople le 29 mai 1453 et fin de la Guerre de Cent ans avec
la Bataille de Castillon le 17 juillet 1453 –prise de Grenade et découverte de
l’Amérique par Colomb en 1492) : « Dans cette époque désastreuse, nous
verrons l'esprit humain descendre rapidement de la hauteur où il s'était élevé, et
l'ignorance traîner après elle, ici la férocité, ailleurs une cruauté raffinée,
partout la corruption et la perfidie. A peine quelques éclairs de talents, quelques
traits de grandeur d'âme ou de bonté, peuvent-ils percer à travers cette nuit
profonde. Des rêveries théologiques, des impostures superstitieuses, sont le seul
génie des hommes : l'intolérance religieuse est leur seule morale ; et l'Europe,
comprimée entre la tyrannie sacerdotale et le despotisme militaire, attend dans
le sang et dans les larmes le moment où de nouvelles lumières lui permettront de
renaître à la liberté, à l'humanité et aux vertus. » -Nicolas de Condorcet,
Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, "Les classiques
des sciences sociales", 1793, p.108.

« Ce jour-là, Gacougnol sortit de lui-même et fut magnifique. Il se leva de son


tabouret, déposa sa palette, ses pinceaux, son brûle-gueule, tout ce qui peut
empêcher un homme de se mettre au diapason du sublime et, debout au milieu
de l’atelier, prononça ces paroles dignes du grand marquis de Valdegamas :

— Le Moyen Âge, mon enfant, c’était une immense église comme on n’en verra
plus jusqu’à ce que Dieu revienne sur terre, — un lieu de prières aussi vaste que
tout l’Occident et bâti sur dix siècles d’extase qui font penser aux Dix
Commandements du Sabaoth ! C’était l’agenouillement universel dans
l’adoration ou dans la terreur. Les blasphémateurs eux-mêmes et les
sanguinaires étaient à genoux, parce qu’il n’y avait pas d’autre attitude en la
présence du Crucifié redoutable qui devait juger tous les hommes… Au dehors,
il n’y avait que les ténèbres pleines de dragons et de cérémonies infernales. On
était toujours à la Mort du Christ et le soleil ne se montrait pas. Les pauvres gens
des campagnes labouraient le sol en tremblant, comme s’ils avaient craint
d’éveiller les trépassés avant l’heure. Les chevaliers et leurs serviteurs de guerre
chevauchaient silencieusement au loin, sur les horizons, dans le crépuscule. Tout
le monde pleurait en demandant grâce. Quelquefois une rafale subite ouvrait les
portes, poussant les sombres figures de l’extérieur jusqu’au fond du sanctuaire,
dont tous les flambeaux s’éteignaient, et on n’entendait plus qu’un très long cri
d’épouvante répercuté dans les deux mondes angéliques, en attendant que le
Vicaire du Rédempteur eût élevé ses terribles Mains conjuratrices. Les mille ans
232
du Moyen Âge ont été la durée du grand deuil chrétien, de votre patronne sainte
Clotilde à Christophe Colomb, qui emporta l’enthousiasme de la charité dans
son cercueil, — car il n’y a que les Saints ou les antagonistes des Saints capables
de délimiter l’histoire. » -Léon Bloy, La Femme pauvre, 1897, p.150-151.

« La vie était si violente et si contrastée qu'elle répandait l'odeur mêlée du sang


et des roses. » (p.27)

« C'est un monde méchant. La haine et la violence règnent, l'injustice est toute-


puissante, le diable couvre de ses sombres ailes une terre de ténèbres. Et
l'anéantissement universel approche. Cependant, l'humanité ne se convertit pas
; l’Église combat, les prédicateurs et les poètes se lamentent et exhortent, mais
c'est en vain. » (p.30)

« Quand, vers la fin du XVIIIe siècle, au début du romantisme, l'histoire


médiévale commença à devenir un sujet d'intérêt et d'admiration, la première e
que l'on découvrit fut la chevalerie, que le romantisme naissant avait tendance à
identifier avec le moyen-âge. On ne voyait partout que panaches ondoyants, et,
quelque paradoxal que cela semble, on avait, en un certain sens, raison. Une
étude plus approfondie nous a appris que la chevalerie n'est qu'une des
branches de la culture de cette époque, et que le développement politique et
social s'est, en grande partie, effectué en dehors d'elle. L'âge de la pure
féodalité et de la floraison chevaleresque va déjà vers son déclin au XIIIe siècle
; ce qui vient ensuite, c'est la période communale et princière, pendant laquelle
les facteurs dominants de l'État et de la société sont la puissance commerciale
de la bourgeoisie étayant la puissance monétaire des princes. Nous nous
sommes accoutumés, et non sans raison, à fixer nos regards davantage sur
Gand, Lyon et Augsbourg, sur le capitalisme naissant et les nouvelles formes
politiques, que sur la noblesse qui, d'ailleurs, avait déjà partout plus ou moins
les ailes rognées. [...] Toutefois, celui qui est habitué à voir la fin du moyen-âge
sous son aspect politico-économique, ne peut manquer d'être frappé du fait que
les chroniques et la littérature du XVe siècle accordent à la noblesse et à la
chevalerie une place bien plus grande que ne l'exigerait notre conception de
l'époque. La raison de cette disproportion réside dans ce fait que les formes de
la vie chevaleresque maintinrent leur empire sur la société longtemps après que
la noblesse, en tant qu'organisme social, eut perdu sa signification
prépondérante. Dans l'esprit du XVe siècle, la noblesse, élément social, prend
encore incontestablement la première place ; son importance est exagérée par
233
les contemporains, tandis que celle de la bourgeoisie est sous-estimée. Les
hommes de ce temps-là ne voient pas que les vraies forces motrices du
développement social se trouvent ailleurs que dans la vie et les actions d'une
noblesse belliqueuse. Ainsi, pourrait-on arguer, l'erreur procède du XVe siècle
lui-même et du romantisme qui, dans son manque d'esprit critique, se rangea à
l'opinion du XVe siècle, tandis que les recherches modernes ont mis au jour les
véritables rapports de la vie au moyen-âge. En ce qui concerne la vie politique
et économique, oui. Mais, pour la connaissance de la civilisation d'une époque,
l'illusion même dans laquelle ont vécu les contemporains a la valeur d'une
vérité. » (p.52-53)

-Johan Huizinga, L'Automne du Moyen Age, Les classiques des sciences


sociales, 1948 (1919 pour la première édition néerlandaise), 300 pages.

« Les derniers siècles de déclin de l'Empire romain et la conquête par les


barbares eux-mêmes détruisirent une masse de forces productives ; l'agriculture
avait sombré, l'industrie avait décliné par manque de débouchés, le négoce était
en sommeil ou avait été interrompu par la force, la population des villes et des
campagnes avait diminué. Ces rapports trouvés déjà là et le mode
d'organisation de la conquête, conditionné par eux, développèrent, sous
l'influence de la constitution militaire germanique, la propriété féodale. Elle
repose à son tour, comme la propriété tribale et la propriété communale, sur
une communauté à laquelle font face non plus les esclaves comme dans la
communauté antique, mais les petits paysans serfs en tant que classe
immédiatement productive. En même temps que l'achèvement de la formation du
féodalisme se fait également jour l'opposition aux villes. » -Karl Marx, Friedrich
Engels & Joseph Weydemeyer, L'idéologie allemande, trad. Jean Quétier et
Guillaume Fonde, Éditions sociales, GEME, 2014, 497 pages, p.289 et 291.

« La contradiction de la dynamique est donc d'abord dans ce passage d'un mode


de production centralisé, dirigiste, autoritaire (celui de l'Empire romain) à un
mode de production provincial, cellulaire, autarcique (celui du domanial). Une
praxis régionale doit se substituer à une praxis globale ; le pouvoir politique
doit passer de la ville à la campagne, de l'impérialisme du grand commerce à
l'économie locale, de la Rome impérialiste à l'autonomie du secteur agraire.
C'est que la nécessité économique qui fonde l'Empire romain, son impérialisme
et affairisme, a comme conséquence le statut administratif des provinces. Dans
celles-ci, et en Gaule en particulier, l'autorité politique est exportée, elle n'est
234
pas la superstructure qui répond à la production locale et rurale. C'est une
juridiction formelle, centralisatrice, d'exploitation par la ville de la campagne,
qui conditionne la praxis régionale.
La contradiction, de la dynamique globale, est d'abord entre le formalisme
dirigiste et la production locale. La mise en valeur de la terre répond aux
nécessités de la stratégie économique et militaire de Rome. La Marche, puis la
province, est un mixte entre la culture et la barbarie. L'Empire romain maintient
la province dans sa fonction d'approvisionnement de Rome. La stratégie
militaire immédiate ne fait que répéter la stratégie économique à longue
échéance. Pas de transformation de la production qui modifierait les rapports
de production locaux puis la province à Rome. Non seulement la vocation rurale
doit être maintenue, commercialisée par les Romains, mais encore délimitée,
comme niveau de production, selon le dirigisme de Rome. La production est
celle de la grande exploitation (villa). Le problème de la production cellulaire
ne peut être résolu dans ce contexte.
La contradiction de la dynamique va circuler de cette culture colonisée au
formalisme juridique, dans cette relation de colonisé à colonisateur. La
barbarie réapparaît aux frontières car elle est en puissance dans l'Empire,
comme terres vierges de la province. A l'inculture des forêts et marécages dans
l'Empire, répondra la barbarie, comme invasion. La contradiction entre
l'Empire et la barbarie est amenée par la contradiction entre Rome et la
province, entre l'impérialisme économique et la sujétion colonialiste de la
province. La barbarie comme invasion, fait historique, n'est pas le surgissement
d'une extériorité dans la culture délimitée géo-politiquement. Au contraire, elle
est la contradiction que la culture porte en elle-même. Si l'Empire peut être
envahi, si les invasions se succèdent et déferlent en Occident, ce n'est pas de par
la dynamique spécifique des peuples de l'Est. Mais au contraire cette dynamique
est provoquée par celle de la culture: la contradiction entre la Rome de l'origine
et celle de l'impérialisme, entre la culture romaine et l'inculture des provinces,
est aussi celle de l'Empire romain et des barbares. L'Empire ne peut s'opposer à
l'extérieur à ce qu'il a instauré à l'intérieur. Cette fatalité de la contradiction de
l'Empire, par l'extension territoriale, est donc la cause des invasions. L'Empire
romain se désagrège et le barbare pénètre dans les provinces, triomphe et fait
souche. L'invasion va faire progresser la problématique de la production. Elle
brise le cadre juridique et formel de l'Empire (mais subsiste l'institutionnel
qu'est le droit romain). Elle est un apport démographique (l'implantation d'une
main-d'œuvre) et surtout elle apporte la relation suzerain-vassal, c'est-à-dire
235
l'implantation, dans le secteur rural, d'un principe de hiérarchie et
d'administration qui résoudra le problème de la production locale. Le lien
vassalique sera le deuxième stade de la réduction et formalisation de la
dynamique du macro-social. Il est la forme a priori qui permettra la continuité
de la société romaine à la société guerrière, du nomadisme à la propriété
foncière, de la guerre à l'exploitation du secteur rural. Ce sera aussi la relation
d'intégration de l'envahisseur par l'autochtone. » -Michel Clouscard, L'Etre et le
Code. Le procès de production d'un ensemble précapitaliste, L'Harmattan,
Logiques sociales, 2003 (1973 pour sa première édition), 595 pages, p.103-104.

« Les Francs ont été vaincus près de Cologne par Aurélien, alors tribun de la
VIe légion Gallicana, en 240, et auraient participé à son triomphe à Rome,
exhibés en compagnie de Sarmates, Suèves et autres Vandales.
Ainsi, à cette époque, avaient commencé les invasions, qui allaient se succéder
et se déchaîner sur les Gaules.
La Paix romaine avait duré plus de deux siècles. Puis dès le IIIe siècle, par
vagues répétées, les Barbares ont envahi les Gaules. Il ne s'agit pas d'une nation
partant vers l'ouest à la recherche d'un abri ou de terres meilleures. Ce sont des
peuples variés, tous d'origine germanique, mais généralement hostiles les uns
aux autres et chez qui n'existe d'autre cohésion que celle du clan prêt à se jeter
sur le clan voisin.
Depuis l'époque où Tacite les décrivait, on ne constate guère chez ces Barbares
de progrès notable, mais plutôt une lente dégradation. Sans cesse en état de
guerre civile, des ethnies entières, affaiblies ou massacrées, finissent par
disparaître avec leur nom. Ce sont moins des peuples jeunes que des bandes
guerrières qui peu à peu ont perdu leurs racines, leur attachement à une terre,
et même leurs croyances et leurs rites.
L'idée du bon barbare à la Rousseau, venant apporter du sang neuf à un peuple
dépravé par les vices de Rome, est une sinistre farce.
Un Salvien, puritain avant l'heure, qui ne voyait autour de lui que pécheurs ou
femmes impudiques, tenté de justifier l'irrésistible invasion des Barbares par la
punition de Dieu. » (p.25-26)

« C'était la fin du monde gallo-romain, d'un monde de prospérité, de paix, de


dignité et de culture.
Avec l'installation des royaumes barbares dans ces Gaules morcelées, la
civilisation recula de plusieurs siècles. Considérant le niveau économique et
236
culturel auquel ce pays avait accédé et ce qu'il serait devenu s'il n'avait
abandonné à la barbarie, on peut se demander s'il s'en est jamais remis. » -
Michèle Laforest, Clovis. Un Roi de légende, Éditions Albin Michel, 1996, 238
pages, p.29.

« Les trois ensembles politiques répartis autour de la Méditerranée, malgré


leurs fortes particularités, possèdent un point commun dans le fonctionnement
de leur infrastructure économique. Dans chaque cas, les surplus économiques
générés par les activités productrices sont accaparés par un nombre restreint
d'individus: essentiellement une aristocratie guerrière et foncière, entourée par
un personnel religieux. Ce point est capital, car il conditionne la manière
d'octroyer des subsides aux domaines intellectuels, et donc l'éventail des
possibilités pour un intellectuel de trouver des ressources. La différence avec le
monde antique est évidente. L'éventualité d'une simple autonomie vis-à-vis d'une
quelconque autorité n'est plus envisageable. » -Pascal Charbonnat, Histoire des
philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.154.

« L'antithèse fondamentale qui définit la conscience occidentale pendant le


Moyen Age est l'antithèse "christianisme" -"paganisme": le terme de
"christianisme" désigne dans ce contexte le christianisme orthodoxe-romain qui
s'oppose au paganisme et à l'hérésie y compris le christianisme gréco-
oriental. » -Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Calmann-Lévy, coll.
Agora, 1973 (1939 pour la parution du premier tome de Über den Prozess der
Zivilisation), 507 pages, p.113.

« Lefebvre des Noëttes a reconstitué la liste des inventions ou réinventions,


siècle par siècle. IX siècle: harnachement de selle. Xe siècle: système moderne
d'attelage, collier d'épaules, ferrures à clous. XIIe siècle: moulin à eau et à vent,
scierie mécanique, forge, soufflet à plaques et soupages, croisée d'ogives,
vitraux, cheminée domestique, pavage des routes, etc. XIIIe siècle: lunettes,
charrues à roues et à versoir, gouvernail d'étambot. XIVe siècle: écluse à sas,
poudre à canon, horloge à poids, rabot. XV siècle: imprimerie. [...] La mentalité
médiévale ne peut se définir hors de la référence à des expressions et valeurs
religieuses. Pour celles-ci, les métiers et, plus généralement, le travail
constituent une pénitence, un vice lorsqu'une attitude mercantile vient doubler la
conscience professionnelle. » -Jean-Claude Beaune, Philosophie des milieux
techniques: la matière, l'instrument, l'automate, Éditions champ Vallon, 1998,
594 pages, p.74.
237
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Goff/dp/2070754634/ref=asap_bc?ie=UTF8

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Jacques-
Goff/dp/2081212943/ref=pd_sim_14_1?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=PY
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8-3&keywords=L%27Europe+des+barbares

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238
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Renaissance/dp/0631186522

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5971107&sr=8-1

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industrial/dp/0521349338/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=&sr
=

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Collectifs/dp/207010429X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1447281739&s
r=1-1&keywords=Po%C3%A8tes+et+romanciers+du+Moyen-Age

http://www.amazon.fr/F%C3%A9odalit%C3%A9-Duby-
Georges/dp/2070737586/ref=sr_1_sc_1?s=books&ie=UTF8&qid=1453578670
&sr=1-1-spell&keywords=george+dubuy+f%C3%A9odalit%C3%A9

http://hydra.forumactif.org/t1125-georges-duby-oeuvres#1759

http://www.amazon.fr/Histoire-intellectuelle-lOccident-
m%C3%A9di%C3%A9val-
Jacques/dp/2200016492/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1456966003&sr=8-
4&keywords=Histoire+intellectuel+du+Moyen+%C3%82ge

http://www.amazon.fr/L%C3%A9conomie-m%C3%A9di%C3%A9vale-
Philippe-
Contamine/dp/2200266111/ref=sr_1_98?s=books&ie=UTF8&qid=1459243351
&sr=1-98&keywords=histoire+de+l%27%C3%A9conomie

http://www.amazon.fr/travail-au-Moyen-
Age/dp/2818502748/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1456965915&sr=8-
1&keywords=Robert+Fossier%2C+Le+Travail+au+Moyen+%C3%82ge
239
http://hydra.forumactif.org/t1127-sylvie-joye-l-europe-barbare-476-714#1761

Byzance : « Le feu grégeois (grec) des empereurs chrétiens de Byzance, arme


incendiaire redoutable capable d'enflammer la mer, permit de repousser de
nombreuses offensives navales et terrestres dès le premier siège de
Constantinople par les Arabes en 674-678. Ancêtre du napalm des armées
modernes, le feu grégeois était projeté à l'aide de grenades à main en argile, de
catapultes, ou encore grâce à des siphons sous pression lance-flammes. Il était
fabriqué à Constantinople par un corps spécial d'ouvriers et de maîtres
étroitement surveillés, et seul un corps de soldats spécialisés, les siphonarios,
pouvait l'utiliser. Le secret du feu grégeois était jugé capital à la préservation
de la précaire puissance de Byzance. L'empereur Constantin VII
Porphyrogénète, dont le règne dura de 913 à 959, mit ainsi en garde son
héritier: "Tu dois par-dessus toutes choses porter tes soins et ton attention sur le
feu liquide qui se lance au moyen de tubes ; et si l'on ose te le demander, comme
on l'a fait souvent à nous-même, tu dois repousser et rejeter cette prière en
répondant que ce feu a été montré et révélé par un ange au grand et saint
premier empereur chrétien Constantin". Un commentateur précise: "Par ce
message et par l'ange lui-même, lui fut enjoint [...] de ne préparer ce feu que
pour les seuls chrétiens, dans la seule ville impériale, et jamais ailleurs." Las,
en 1204, au cours de la quatrième croisade, Constantinople fut mise à sac par
des croisés francs conduits par la très chrétienne flotte vénitienne, et le secret
du feu grégeois se répandit à travers le monde latin. » -Matthieu Auzanneau, Or
Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La Découverte/Poche, 2016, 881
pages, p.21.

« Héritier grec de Rome, Byzance était, bien plus que l’Empire allemand, le
véritable empire du temps. Etat centralisé, doté d’une administration complexe,
entouré d’ennemis, dépecé en 1204 par les Latins mais toujours auréolé de
grandeur, il constituait un réservoir d’idées et de pratiques pour ceux qui
voulaient bâtir un pouvoir fort et intimidant. La cour des rois normands de
Sicile fut imprégnée d’un « byrantinisme idéologique ». » -Sylvain
Gouguenheim, Frédéric II. Un empereur de légendes, Perrin, 2015, 428 pages,
p.114.

https://www.amazon.fr/Pourquoi-Byzance-empire-onze-
si%C3%A8cles/dp/2070341003/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1481128464&sr=8-
1&keywords=pourquoi+byzance
240
https://www.amazon.fr/monde-byzantin-LEmpire-641-
1204/dp/2130520073/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1481119863&sr=8-
1&keywords=Cecile-Morrisson-Le-monde-byzantin

http://hydra.forumactif.org/t1128-jean-claude-cheynet-byzance-l-empire-
romain-d-orient-pouvoir-et-contestations-a-byzance-963-1210#1762

http://www.amazon.com/Immortal-Emperor-Legend-Constantine-
Palaiologos/dp/0521894093/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1429636371
&sr=1-1&keywords=The+Immortal+Emperor

Justinien (482-565) : https://www.amazon.fr/Justinien-


L%C3%A9pop%C3%A9e-lEmpire-dOrient-527-
565/dp/2213615160/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1501599694&sr=1-
1&keywords=Justinien.+L%27%C3%A9pop%C3%A9e+de+l%27Empire+d%2
7Orient+%28527-565%29

Clovis (466-511) et les Francs : « Dieu de Clothilde, si tu me donnes la


victoire, je me ferai chrétien. » -Clovis, avant la bataille de Tolbiac, 496. Cité
par Grégoire de Tours, Histoire des Francs.

"Au cinquième siècle, la collaboration de la Gaule et de Rome s'exprima encore


d'une manière mémorable par Aétius, vainqueur d'Attila, aux Champs
Catalauniques. Le roi des Huns, le "fléau de Dieu" était à la tête d'un empire
qu'on a pu comparer à celui des Mongols. Lui-même ressemblait à Gengis-Khan
et à Tamerlan. Il commandait à des peuplades jusqu'alors inconnues. Aétius le
battit près de Châlons avec l'aide des Wisigoths et des Francs, et cette victoire
est restée dans la mémoire des peuples (451).
C'est la première fois que nous nommons les Francs destinés à jouer un si grand
rôle dans notre pays et à lui donner leur nom. Il y avait pourtant de longues
années qu'ils étaient établis le long de la Meuse et du Rhin et que, comme
d'autres Barbares, ils servaient à titre d’auxiliaires dans les armées romaines.
C'étaient des Rhénans et l'une de leurs tribus était appelée celle des Ripuaires
parce qu'elle habitait la rive gauche du Rhin (Cologne, Trêves).
Pourquoi une aussi grande fortune était-elle réservée aux Francs ? Connus de
Rome dès le premier siècle, ils lui avaient donné, non seulement des soldats,
mais, peu à peu, des généraux, un consul, et même une impératrice. Ce n'était
pourtant pas ce qui les distinguait des autres barbares que Rome avait entrepris
d'attirer, d'assimiler et d'utiliser contre les Allemands d'outre-Rhin. Les Francs
241
étaient même, d'une manière générale, en retard sur les peuples d'origine
germanique installés comme eux dans les limites naturelles de la Gaule. Les
Goths et les Burgondes admis à titre d' "hôtes" depuis longtemps étaient plus
avancés et plus dégrossis. Cette circonstance devait tourner à leur détriment.
Au moment où l'Empire d'Occident disparut, les Francs, établis dans les pays
rhénans et belges, étaient encore de rudes guerriers que rien n'avait amolli. Ils
étaient soldats et leur gouvernement était militaire.
Clodion, Pharamond, Mérovée, n'étaient que des chefs de tribus, mais des chefs.
[...]
Voilà ces Francs, peu nombreux mais ardent à la guerre, et qui se tiennent sur
les points d'où l'on domine la France, ceux qui commandent les routes
d'invasion et par où l'on va au cœur, c'est-à-dire à Paris. Ils étaient les mieux
placés. Une autre circonstance leur fut peut-être encore plus favorable: les
Francs n'étaient pas chrétiens. Cette raison de leur succès semble surprenante
d'abord. On va voir par quel enchaînement naturelle elle devait les servir.
De bonne heure, la Gaule était devenue chrétienne et elle avait eu ses martyrs.
L'Église de Lyon, illustrée par le supplice de Pothin et de Blandine, fut le centre
de la propagande. De bonne heure, ce christianisme gallo-romain eut pour
caractère d'être attaché à l'orthodoxie. Dès qu'elle avait commencé à se
répandre, la religion chrétienne avait connu les hérétiques. Nulle part les
dissidents ne furent combattus avec autant d'ardeur qu'en Gaule, saint Irenée
avait pris la défense du dogme contre les gnostiques. Saint Hilaire lutte contre
une hérésie plus grave et qui faillit l'emporter: l'arianisme. Les Barbares déjà
établis en Gaule, s'étant convertis, étaient tout de suite devenus ariens. Lorsque
les Francs parurent à leur tour, il y avait une place à prendre. La Gaule elle-
même les appelait. Et l'Église comprit que ces nouveaux venus, ces païens,
rivaux naturels des Burgondes et des Goths, pouvaient être attirés dans la vraie
croyance. Ce fut le secret de la réussite de Clovis." (p.20-22)

"Lorsque, à Tolbiac (496), [Clovis] fit voeu de recevoir le baptême s'il était
vainqueur, l'ennemi était l'Allemand. Non seulement Clovis était devenu
chrétien, mais il avait chassé au-delà du Rhin l'ennemi héréditaire. Dès lors, il
était irrésistible pour la Gaule romanisée.
On peut dire que la France commence à ce moment-là." (p.24)

"L'Empire, réfugié à Constantinople, n'avait plus d'autorité en Occident, mais il


y gardait du prestige. Lorsque Clovis eut reçu d'Anastase la dignité et les
242
insignes consulaires, ce qu'aucun autre roi barbare n'avait obtenu, sa position
se trouva grandie. La dynastie mérovingienne se trouvait rattachée à l'Empire
romain. Elle parut le continuer et elle fut dès lors "légitime". C'est une des
raisons qui lui permirent de se prolonger pendant deux siècles et demi." (p.27)

"Il n'y a donc pas lieu de parler d'une conquête ni d'un asservissement de la
Gaule par les Francs, mais plutôt d'une protection et d'une alliance, suivies
d'une fusion rapide." (p.28)

"Des généraux gallo-romains commandèrent des armées franques. Les lois, les
impôts furent les mêmes pour tous. La population se mêla spontanément par les
mariages et le latin devint la langue officielle des Francs qui oublièrent la leur,
tandis que se formait la langue populaire, le roman, qui, à son tour, a donné
naissance au français.
Les Gallo-Romains furent si peu asservis que la plupart des emplois restèrent
entre leurs mains dans la nouvelle administration qui continua l'administration
impériale." (p.29)

"L'usage des Francs était que le domaine royal fût partagé à l'exclusion des
filles, entre les fils du roi défunt. Appliquée à la Gaule et aux conquêtes si
récentes de Clovis, cette règle barbare et grossière était encore plus absurde.
Elle fut pourtant observée. Sur ce point la coutume franque ne cède pas. Les
quatre fils de Clovis se partagèrent sa succession. Il faudra attendre les
Capétiens pour que monarchie et unité deviennent synonymes." (p.29-30)

"L'ainé des fils de Clovis, Thierry, reçut, avec l'Austrasie ou pays de l'Est, la
majeure partie de l'Empire franc: Metz en était la capitale. C'en était aussi la
partie la plus exposée aux retours offensifs des Allemands, des Burgondes et des
Goths, et Thierry fut avantagé parce qu'étant arrivé à l'âge d'homme c'était le
plus capable de défendre le territoire. Ses frères adolescents s'étaient partagé la
Neustrie ou pays de l'Ouest, les pays uniquement gallo-romains. On voit tout de
suite que le roi d'Austrasie devait être le plus influent parce qu'il conservait un
point d'appui chez les Francs eux-mêmes et dans la terre d'origine des
Mérovingiens. Ayant un pied sur les deux rives du Rhin, il protégeait la Gaule
contre les invasions germaniques. [...]
Mais, à la mort de Théodebald, fils de Thierry, de terribles dissentiments
éclatèrent dans la descendance de Clovis. Austrasiens et Neustriens se battirent
243
pour la prééminence. Il s'agissait de savoir qui commanderaient. Les luttes
dramatiques de Chilpéric et de Sigebert, l'interminable rivalité de Frédégonde
et de Brunehaut, n'eurent pas d'autre cause. C'étaient des partis qui se
déchiraient et toute idée de nationalité était absente de ces conflits.
Après cette longue guerre civile, l'Empire des Francs se trouva de nouveau
réuni dans une seule main, celle de Clotaire II." (p.30-31)

"Après Dagobert (638), ce fut la décadence ; les partages recommencèrent entre


ses fils et l'effet des partages fut aggravé par les minorités. Les maires du palais
devinrent les véritables maîtres." (p.32)
-Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014
(1924 pour la première édition), 552 pages.

« L'histoire commence au Ve siècle dans un petit royaume du nord des Gaules,


bordé à l'ouest par la Manche et la mer du Nord, à l'est par les rivières de la
Meuse et de l'Escaut et au sud par la Somme. La capitale de ce royaume est
Tournai, belle ville s'il en est, et son roi s'appelle Childéric (avec un d) et sa
reine Basine. » (p.13)

« La grande majorité de la population est et reste gallo-romaine. Elle a survécu


aux invasions. Les historiens parleront d'indigènes par opposition aux Barbares
envahisseurs ou bien, comme ils sont christianisés depuis un bon siècle et demi
et de culture latine, on les appelle aussi chrétiens ou Romains (les noms sont
parfois synonymes), ou bien encore, avec quelque fierté de terroir, Gaulois.
C'est donc, comme on peut le voir, un pays plein de tumulte et de confusion. »
(p.14-15)

« En l'an 466, le roi Childéric et la reine Basine viennent d'avoir un fils. Un fils
! Pour tous les Francs du petit royaume, où les filles comptent pour rien dans la
succession, c'est un événement considérable.
Il est prénommé Clovis en l'honneur du grand-père Clodion, grand roi s'il en
fut.
En réalité, il ne s'appelle pas encore Clovis, nom bien trop simple pour un
Barbare, mais Chlodoweig, que l'on romanisera Chlodovecus et qui signifie, dit-
on, "Célèbre Combat", non en effet prédestiné. A l'époque carolingienne, il
deviendra Hlodovecus, puis, comme nous l'explique de Marolles, distingué
historien du Grand Siècle, l'aspiration de ce h étant "trop rude pour notre
244
usage", on le simplifiera en Looïs ou Loeïs. C'est au XVII siècle que l'on arrive
au compromis Clovis, nouvelle forme ni tout à fait germanique, ni tout à fait
latine, de Louis. » (p.17)

-Michèle Laforest, Clovis. Un Roi de légende, Éditions Albin Michel, 1996, 238
pages.

https://www.amazon.fr/Clovis-Michel-
Rouche/dp/2818503167/ref=pd_sim_14_7?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
24MQPZXW8RK6CHM6038Y

Boèce (480-524) : « Boethius' texts, including the key passages from Porphyry
and Aristotle he translated, constitute the historical origin and source of all
subsequent discussion of individuation until the translation from Arabic begin to
appear in the latter part of the twelfth century. » (p.13)

-Jorge J. E. Garcia, Introduction to the problem of individuation in the early


Middle Ages, The Catholic University of America Press, Washington, D.C.,
1984, 302 pages.

« Il est pour moi évident que le haut Moyen Age latin est une
période philosophique. Sa philosophie, certes particulière, est probablement
unique, très certainement différente. Cette époque n'est ni celle des écoles
philosophiques de l'Antiquité ni celle des universités de l'autre Moyen Age. La
variété des oeuvres accessibles ne connaît ni la richesse moderne ni même celle
du XIIIe siècle. Mais de ces circonstances et du génie de quelques hommes est
née une pensée propre, originale, et d'un grand intérêt. Et si la théologie occupe
une place prépondérante dans la réflexion altomédiévale, elle n'en épuise pas le
champ et peut même, comme nous le verrons, constituer une expérience de
pensée philosophique. » -Christophe Erismann, L'Homme commun. La génèse
du réalisme ontologique durant le haut Moyen Age, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, Sic et non, 2011, 459 pages, p.XIV.

Charles Martel (690-741) : « Le changement de dynastie se fit sans secousses


(752). Il avait été admirablement amené. Toutes les précautions avaient été
prises. Le dernier Mérovingien avait disparu, l'opinion publique approuvait. La
consécration du Saint-Siège, le "sacre", rendait la nouvelle dynastie
indiscutable et créait une autre légitimité. La substitution fut si naturelle qu'elle
passa presque inaperçue. Le maire du palais était devenu roi. L'autorité était

245
rétablie, le pouvoir puissant. Une ère nouvelle s'était ouverte, celle des
descendants de Charles Martel, les Carolingiens. » -Jacques Bainville, Histoire
de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014 (1924 pour la première édition),
552 pages, p.35-36.

https://www.amazon.fr/Charles-Martel-Jean-
Deviosse/dp/2847342702/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1480530304&sr
=1-2&keywords=Charles+Martel

Charlemagne (742-814) : « Si, dans l’avenir, un membre de la nation saxonne


demeure non baptisé, se cache et refuse le baptême, voulant rester païen, qu’il
soit puni de mort. » -Charlemagne, Premier capitulaire saxon (782).

« Dès qu'il fut le seul maître, en 771, Charlemagne se mit à l’œuvre. Son but ?
Continuer Rome, refaire l'Empire. En Italie, il bat le roi des Lombards et lui
prendra la couronne de fer. Il passa à l'Espagne: c'est son seul échec. Mais le
désastre de Roncevaux, le cor de Roland, servent sa gloire et sa légende: son
épopée devient nationale. Surtout, sa grande idée était d'en finir avec la
Germanie, de dompter et de civiliser ces barbares, de leur imposer la paix
romaine. Sur les cinquante-trois campagnes de son règne, dix-huit eurent pour
objet de soumettre les Saxons. Charlemagne alla plus loin que les légions, les
consuls et les empereurs de Rome n'étaient jamais allés. Il atteignit jusqu'à
l'Elbe. "Nous avons, disait-il fièrement, réduit le pays en province selon
l'antique coutume romaine." Il fut ainsi pour l'Allemagne ce que César avait été
pour la Gaule. Mais la matière était ingrate et rebelle. Witikind fut peut-être le
héros de l'indépendance germanique, comme Vercingétorix avait été le héros de
l'indépendance gauloise. Le résultat fut bien différent. On ne vit pas chez les
Germains cet empressement à adopter les mœurs du vainqueur qui avait fait la
Gaule romaine. Leurs idoles furent brisées, mais ils gardèrent leur langue et,
avec leur langue, leur esprit. Il fallut imposer aux Saxons la civilisation et le
baptême sous peine de mort tandis que les Gaulois s'étaient latinisés par goût et
convertis au christianisme par amour. La Germanie a été civilisée et
christianisée malgré elle et le succès de Charlemagne fut plus apparent que
profond. Pour la "Francie", les peuples d'outre-Rhin, réfractaires à la latinité,
restaient des voisins dangereux, toujours poussés aux invasions. L'Allemagne
revendique Charlemagne comme le premier de ses grands souverains nationaux.
C'est un énorme contresens. Ses faux Césars n'ont jamais suivi l'idée maîtresse,
l'idée romaine de Charlemagne: une chrétienté unie. » -Jacques Bainville,
246
Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014 (1924 pour la première
édition), 552 pages, p.39-40.

« Cherchant à reconstituer un empire romain d'occident capable de rivaliser


avec l'empire byzantin, [Charlemagne] s'emploie à conquérir un vaste empire
territorial et à tenter d'unifier ses conquêtes. Le territoire français actuel est
alors englobé dans le vaste Empire carolingien et ne possède pas d'unité propre,
même si l'ancien royaume des Francs est toujours une entité culturellement
reconnue (les sources parlent ainsi encore des "Francs" pour désigner ses
habitants). » -Yannick Clavé, Géographie de la France, Éditions Ellipses, 2013,
384 pages, p.27-28.

« [Charlemagne] devient une source de véritable fascination au XVe et XVIe


siècles. L’entourage du roi François Ier ne cesse d’accompagner son rêve
d’unité européenne en faisant de lui le continuateur de l’œuvre de Charlemagne.
Il en va de même sous Louis XIV, mais cette fois pour montrer que le Roi-Soleil
a dépassé le maître en réalisant son souhait inaccompli. Par contre,
Charlemagne ne trouve pas sa place dans le siècle des Lumières. […] Le sphinx
resurgit avec Napoléon qui ne cesse de se réclamer de Charlemagne en qui il
trouve une source essentielle de légitimité pour son empire à l’échelle
européenne. » -François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris,
Éditions La Découverte, 2005, 480 pages, p.388.

https://www.amazon.fr/Charlemagne-Georges-
MINOIS/dp/2262043744/ref=pd_sim_14_95?_encoding=UTF8&psc=1&refRID
=186FVXM5FS5MVHMX2FNS

Charles II le Chauve (823-877) : « Lothaire, l'ainé, voulait maintenir l'unité de


l'Empire. Charles le Chauve et Louis le Germanique se liguèrent contre lui.
C'était déjà plus qu'une guerre civile, c'était une guerre de nations. La Paix, qui
fut le célèbre traité de Verdun, démembra l'Empire (843). Étrange partage,
puisque Louis avait l'Allemagne, Lothaire une longue bande de pays qui allait
de la mer du Nord jusqu'en Italie avec le Rhône pour limite de l'ouest, tandis
que Charles le Chauve recevait le reste de la Gaule.
L'unité de l'Empire carolingien était rompue. De cette rupture, il allait mourir
encore plus vite que la monarchie mérovingienne n'était morte. Les partages
étaient l'erreur inguérissable de ces dynasties d'origine franque. Celui de
Verdun eut, en outre, un résultat désastreux: il créait entre la France et

247
l'Allemagne un territoire contesté, et à la limite du Rhin était perdue pour la
Gaule. De ce jour, la vieille lutte des deux peuples prenait une forme nouvelle.
La France aurait à reconquérir ses anciennes frontières, à refouler la pression
germanique: après plus de milles ans et des guerres sans nombre, elle n'y a pas
encore réussi. » -Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll.
tempus, 2014 (1924 pour la première édition), 552 pages, p.43.

https://www.amazon.fr/Charles-Chauve-Janet-L-
Nelson/dp/2700722612/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1503161370&sr=
1-1&keywords=Charles+le+Chauve

https://www.amazon.fr/Histoire-Carolingiens-VIIIe-Xe-Marie-C%C3%A9line-
Isa%C3%AFa/dp/2757839594/ref=pd_sim_14_10?_encoding=UTF8&psc=1&r
efRID=2FWSSDF82VTRNFE9KXS2

Naissance de l’Islam: « Les incroyables conquêtes islamiques aux VIIème et


VIIIème siècles n'ont rien à voir avec une supériorité technique ; elles résultent
de traits de la religion islamique et de sa capacité de susciter de la passion et
des affects ("fanatisme") et, dans une moindre mesure, des dispositions sociales
de l'islam. » -Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, Seuil, coll. Points, 1997, 336
pages, p.43.

http://hydra.forumactif.org/t2736-maxime-rodinson-mahomet#3491

http://hydra.forumactif.org/t1360-jean-louis-michon-le-coran-en-francais#2009

http://www.amazon.fr/Le-Coran-Malek-
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39WYECH

https://www.amazon.fr/sujet-mamelouk-Esclavage-pouvoir-
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1&keywords=Le+sujet+et+le+mamelouk.+Esclavage%2C+pouvoir+et+religion
+dans+le+monde+arabe

http://www.amazon.fr/Mahomet-Histoire-Arabe-invention-
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6017&sr=1-1&keywords=nagel+mahomet

http://fr.wikipedia.org/wiki/Courants_de_l%27islam
248
http://www.amazon.fr/Quest-ce-philosophie-islamique%C2%A0-Jambet-
Christian/dp/2070336476/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1445869902&sr=8-
1&keywords=Qu%27est-ce+que+la+philosophie+islamique

http://www.amazon.fr/Histoire-philosophie-islamique-Henry-
Corbin/dp/2070323536/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&refRID=1NJBSE84P87SR
9T1NZQB&dpID=514xifVbrCL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2
C160_

http://www.amazon.com/History-Islamic-Philosophy-Majid-
Fakhry/dp/0231132212

http://www.amazon.fr/Trait%C3%A9-du-raffinement-Malek-
Chebel/dp/2228892157/ref=asap_bc?ie=UTF8

http://www.amazon.fr/collier-colombe-lamour-
amants/dp/274278828X/ref=sr_1_8?s=books&ie=UTF8&qid=1455196275&sr=
1-8&keywords=De+l%27amour+et+des+amants

https://www.amazon.fr/En-Islam-iranien-Sohrawardi-
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&sr=1-1&keywords=Henry-Corbin-Sohrawardi-et-les-platoniciens-de-Perse

https://www.amazon.fr/D%C3%A9livrance-lerreur-Bilingue-Hamid-
ALGHAZALI/dp/2841615685/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=146728902
5&sr=1-2&keywords=Abu-Hamid-Al-Ghazali-La-delivrance-de-l-erreur

http://fr.wikipedia.org/wiki/Mu%27tazilisme

https://www.amazon.fr/lexistence-cr%C3%A9ation-perp%C3%A9tuelle-
mystique-
islamique/dp/2866810937/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1467289125&s
r=1-1&keywords=Toshihiko-Izutsu-Unicite-de-l-existence-et-creation-
perpetuelle-en-mystique-islamique

https://www.amazon.fr/Langage-oiseaux-Far%C3%AEd-al-D%C3%AEn-
Att%C3%A2r/dp/2226085130/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=146728933
2&sr=1-1&keywords=Attar-Le-langage-des-oiseaux

http://hydra.forumactif.org/t1131-henry-corbin-cyclical-time-and-ismaili-
gnosis#1765
249
https://www.amazon.fr/jardin-roses-
Saadi/dp/2226172947/ref=tmm_mmp_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=14672
89409&sr=1-1

https://www.amazon.fr/Anthologie-po%C3%A9sie-persane-XIe-
si%C3%A8cle/dp/2070711684/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=41AS74dD
DvL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=YP4YF4E
Y3BXC4FKB35XF

Al-Fârâbî (872-950): « Al-Fârâbi fut le premier philosophe à avoir tenté


d’opérer une synthèse entre l’enseignement de la révélation et de la philosophie
politique classique (la philosophie de Socrate, de Platon et d’Aristote). […]
L’introduction de la philosophie dans le monde juif avec Maimonide a pris
explicitement pour modèle Al-Fârâbi. » -Olivier Sedeyn, préface à Al-Fârâbi,
De l’obtention du bonheur, Paris, Éditions Allia, 2005, p.9.

https://www.amazon.fr/Philosopher-%C3%A0-Bagdad-Xe-
si%C3%A8cle/dp/2020481618/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=51JZqJVn2
FL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=J4NVWDHF
Z230E2ZMW1PE

https://www.amazon.fr/Farabi-l%C3%A9cole-dAlexandrie-connaissances-
philosophie/dp/2711617076/ref=sr_1_28?ie=UTF8&qid=1465840410&sr=8-
28&keywords=philosophie+de+la+connaissance

http://www.amazon.fr/Opinions-habitants-cit%C3%A9-vertueuse-al-
ara/dp/284161512X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449504036&sr=8-
1&keywords=La+cit%C3%A9+vertueuse+d%27Alfarabi

http://www.amazon.fr/Fondation-philosophie-politique-Islam-
vertueuse/dp/2080800485/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1449503506&sr=8-
3&keywords=La+cit%C3%A9+vertueuse+d%27Alfarabi

http://www.amazon.fr/Le-Livre-du-r%C3%A9gime-
politique/dp/2251181148/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=31m-
6bCCjPL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=0GPT
VW44FSANH2Z5EWXP

http://www.amazon.fr/La-politique-civile-principes-
existants/dp/2841615324/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=41Upm6Tkv2L&

250
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR110%2C160_&refRID=0GPTVW44FSA
NH2Z5EWXP

http://www.amazon.fr/Epitre-sur-lintellect-al-risala-fi-l-
aql/dp/274751501X/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=51ALqWVqhML&dpS
rc=sims&preST=_AC_UL160_SR101%2C160_&refRID=0GPTVW44FSANH
2Z5EWXP

http://www.amazon.fr/Al-Milla-religion-Ab%C3%BB-Nasr-AL-
F%C3%82R%C3%82B%C3%8E/dp/2841615537/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&
dpID=41kNh1JbpUL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR112%2C160_&ref
RID=1J7WRYCE420K0E0KEQF7

Ibn Sïna, dit Avicenne (980-1037): "La philosophie n'est pas morte en 529
avec la fermeture de la dernière école philosophique païenne par l'empereur
romain d'Orient Justinien, elle a entamé un long transfert, une longue
migration (translatio) vers l'Orient musulman d'abord, vers l'Occident chrétien
ensuite. Dans ces voyages successifs où s'égrènent les capitales du savoir et les
centres d'études (studia) d'Athènes à Bagbad, de Bagdad à Cordoue, de
Cordoue à Tolède, puis à Paris, à Oxford, à Cologne ou à Prague, la
philosophie grecque a, de traduction en traduction, parlé arabe et latin ;
quelque chose a demeuré, beaucoup de choses se sont perdues, d'autres sont
venues qui n'avaient jamais été dites." (p.11)

-Alain de Libera, La querelle des universaux. De Platon à la fin du Moyen Age,


Seuil et Points, 2014 (1996 pour la première édition), 679 pages.

« Tout ce qui est intelligent peut bien avoir été déjà pensé sept fois. Mais,
repensé chaque fois dans un temps et une situation autres, ce n’est plus la même
chose. Non seulement le penseur, mais aussi et surtout la chose à penser a
changé entre-temps. L’intelligence doit y faire de nouveau ses preuves, et la
preuve de sa propre nouveauté. Ce fut le cas, avec des conséquences
particulièrement importantes, chez les grands penseurs orientaux. Ils ont tout à
la fois sauvé et métamorphosé la lumière grecque. » (p.7)

« [Avicenne] ce grand philosophe qui représente dans toute son ampleur et de


son aspect progressiste, avec l’éclat des cultures iranienne et arabe, la
civilisation entière du Proche et du Moyen-Orient. » (p.8-9)

251
« Il y a une ligne qui, d’Aristote, conduit non pas à Thomas d’Aquin et à l’esprit
de l’au-delà, mais à Giordano Bruno et à la floraison du Tout-Matière.
Avicenne est précisément, sur cette ligne, l’un des premiers et des plus
importants jalons, en compagnie d’Averroès. » (p.9)

« La société arabe eut ses Venise et ses Milan avec cinq cents ans d’avance. »
(p.10)

« La philosophie, on l’a noté, n’est nullement une plante exotique en terre


d’islam, c’est même là précisément qu’elle eut sa tradition gréco-syrienne. »
(p.12)

« Dans l’Europe médiévale, les philosophes de tendance scientifique étaient


aussi rares que hors normes (Roger Bacon et Albert le Grand sont presque les
seuls), chez les scolastiques arabes, c’est l’inverse. » (p.12)

« Principaux enseignements d’Avicenne : l’éternité de la matière, l’inviolabilité


des lois causales, la non-résurrection des morts. » (p.18)

« Albert et Thomas ont intégralement repris la solution d’Avicenne au problème


des universaux, c’est-à-dire de la validité des concepts généraux par rapport au
réel : les universaux, ou concepts universels, sont valides ante rem au regard de
l’univers, in re au regard de la nature, post rem au regard de la connaissance
abstractive. Sur ce point, Avicenne a formulé exactement, avec deux siècles
d'avance, la solution qui sera retenue par la scholastique chrétienne à son
apogée marqué par Albert et Thomas. Ceux-ci ont souvent invoqué à ce propos
l’autorité d’Avicenne ; d’où il ressort qu’en cette matière la scholastique
chrétienne n’apparaît pas comme une droite intégrale, ni Avicenne comme une
gauche intégrale. Qui plus est, dans la réduction des universaux au seul post
rem, on voit se produire çà et là, dans le nominalisme d’Occam, un
gauchissement, le début d’une orientation bourgeoise vers ce monde, poussée à
un point tout à fait impossible aux temps d’Avicenne et d’Averroès. » (p.37)

-Ernst Bloch, Avicenne et la gauche aristotélicienne, Éditions Premières Pierres,


2008 (1952 pour la première édition allemande), 93 pages.

« É. Gilson avait vu dans Avicenne un point de départ de Duns Scot, de


l’univocité de son ontologie plus précisément, et donc un point de départ de la
métaphysique moderne. » -Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?,
Gallimard, coll. Folio essais, 2004, 1062 pages, p.376.
252
http://www.amazon.fr/Avicenne-route-dIspahan-Gilbert-
Sinou%C3%A9/dp/2070383024/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1459262
054&sr=1-1&keywords=Avicenne

http://www.amazon.fr/Livre-Science-
Avicenne/dp/2251356061/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=316Sq4FzS3
L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR106%2C160_&refRID=1BF2B4TRSF
63FCN9Z5D8

http://www.amazon.fr/livre-directives-remarques-
Avicenne/dp/2711600394/ref=sr_1_7?s=books&ie=UTF8&qid=1459262054&s
r=1-7&keywords=Avicenne

Averroès (1126-1198) : « Les idées révolutionnaires et scientifiques d'Ibn


Rushd lui valurent de sérieux ennuis. Les forces de la réaction religieuse et
politique lui portèrent une haine féroce, si bien qu'il fut exilé à Lucena, près de
Cordoue, et que ses livres furent brûlés.

C'était le début d'une bataille furieuse et féroce contre la philosophie et la


pensée rationnelle en général.

L'évolution de l'équilibre des forces en présence fit pourtant que le souverain lui
pardonna après un temps, et qu'il put rentrer et rejoindre la cour.

Toute recherche approfondie sur l'histoire d'Ibn Rushd doit absolument prendre
en compte le fait suivant : c'est l'opposition d'ordre politique et intellectuel entre
uen grande partie des masses populaires, qui ont à leur tête des religieux
fanatiques, et les intellectuels et libres penseurs pour lesquels la raison est une
donnée essentielle, qui détermine la situation politique et intellectuelle à
l'époque d'Ibn Rushd.

Les souverains oscillent entre ces deux tendances majeures. Si cette opposition a
bien imprimé sa marque sur l'évolution intellectuelle en al-Andalus, elle a par-
là contribué à y rendre extrêmement compliqué le cheminement de la
philosophie et de la pensée.

Ibn Rushd, comme avant lui Ibn Bajja, fut touché de plein fouet par les salves
des littéralistes et des fanatiques.

On doit alors peu ou prou, directement ou indirectement, ressentir la vague de


terrorisme intellectuel qui touchait ce pays. Cette situation met celui qui étudie
253
l'histoire de la philosophie et de la pensée en général devant la délicate tâche de
comprendre la nature de ce terrorisme intellectuel, et de le prendre en compte
lorsqu'il s'agit d'évaluer la production de cette époque.

On n'a donc pas le droit, cette réalité historique étant, d'attendre des penseurs
de cette époque qu'ils aient effectivement dit tout ce qu'ils voulaient dire. Le
style allégorique dans l'écriture et l'équivoque occupent une place importante
dans leurs écrits (…).

En réalité, c'est la mentalité (l'idéologie) féodale qui domine alors sur le plan de
la vie publique la plus large. Cette mentalité se caractérise par le littéralisme,
l'immobilisme, et l'obscurantisme eschatologique dans le domaine de la pensée
et de la raison.

Elle est en outre marquée par la volonté de subordonner toute forme de


conscience sociale, art, éthique, politique, philosophie, etc. aux exigences de la
fonction d'assurer la consécration et la consolidation d'un lien social primaire
et inhumain.

Lorsque nous observons qu'Ibn Rushd, et d'autres avant lui, comme Ibn Tufayl,
accordent une moindre valeur à la foule qu'aux philosophes ou aux intellectuels
en général, il faut assurer qu'il s'agit là de défendre la philosophie et la pensée
rationnelle, et de disputer à cette mentalité féodale la maîtrise de la philosophie
et de la raison.

En d'autres termes, les philosophes arabo-musulmans rationalistes et


matérialistes étaient moins contre les masses que celles-ci n'étaient contre eux.

Ceci montre que la thèse des « deux vérités », une vérité philosophique et
rationnelle et une vérité religieuse et fidéiste, telle qu'elle existe chez certains
philosophes musulmans dont Ibn Rushd lui-même, n'est en réalité que la
sublimation et la condensation de la réalité conflictuelle existant entre les
philosophes et les masses fanatiques d'alors.

La théorie des « deux vérités » reflète de façon étonnante cette opposition


conflictuelle, et le fait que la plupart des philosophes tenants de cette théorie
penchent du côté de la vérité philosophique rationnelle leur a évidemment valu
de rencontrer l'opposition de la foule, conduite dans une direction inverse. »

254
-Tayyeb Tizini, Projet pour une nouvelle vision de la pensée arabe au Moyen-
Âge, 1971.

https://www.amazon.fr/Figures-savoir-num%C3%A9ro-22-
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musulman/dp/2081217996/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&dpID=41CArlnwfDL&
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1J4R027

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AL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR122%2C160_&refRID=005V0EST
N01WZCVH8ZZ0

Saladin (1138-1193) : https://www.amazon.fr/Saladin-Anne-Marie-


Edd%C3%A9/dp/2081395126/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=150056019
7&sr=1-3&keywords=Saladin

Ibn Arabi (1165-1240): http://www.amazon.fr/Trait%C3%A9-lamour-


Muhammad-al-D%C3%AEn-
IbnArab%C3%AE/dp/2226027157/ref=pd_sim_14_36?ie=UTF8&dpID=414-
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FECSSCJACFGQRM5W

255
http://www.amazon.fr/La-profession-foi-Ibn-
Arabi/dp/2742794999/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=51GE7hzMZJL&dpS
rc=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=117J1XJ8R7AE6CD
45J14

Djalâl ad-Dîn Rûmî (1207-1273): https://www.amazon.fr/Mathnaw%C3%AE-


qu%C3%A8te-lAbsolu-Tomes-
Livres/dp/2268075540/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&dpID=51hQfx4EK4L&dpS
rc=sims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=870KWQV7J87ZZF
V4ZH17

L’Égypte des Mamelouks. L’empire des esclaves (1250-1517) :


http://academienouvelle.forumactif.org/t6041-andre-clot-legypte-des-
mamelouks-lempire-des-esclaves-1250-1517#7116

Ibn Khaldoun (1332-1406) : http://hydra.forumactif.org/t1026-ibn-khaldun-


histoire-des-berberes-et-des-dynasties-musulmanes-de-l-afrique-septentrionale

http://www.amazon.fr/Ibn-Khald%C3%BBn-Lhomme-th%C3%A9oricien-
civilisation/dp/2070764966/ref=sr_1_fkmr0_1?s=books&ie=UTF8&qid=14592
61509&sr=1-1-
fkmr0&keywords=Antar+Cheddadi+Ibn+Khaldun+l%27homme+et+le+theorici
en+de+la+civilisation

http://www.amazon.fr/La-voie-loi-ma%C3%AEtre-
juriste/dp/2742795006/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=51YNFsp8-
wL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR101%2C160_&refRID=0ZSMPDQ
BKZ1RF3PMKYP0

http://www.amazon.fr/Livre-exemples-I-Ibn-
Khald%C3%BBn/dp/2070114252/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1459261173&sr=
8-2&keywords=Ibn-Khaldun-Le-livre-des-exemples

http://www.amazon.fr/Exemples-2-Histoire-Arabes-Berb%C3%A8res-
Maghreb/dp/2070116212/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=41svmuYKIEL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR99%2C160_&refRID=037WSZ5BCX7T
ZW23HHBZ

http://www.amazon.fr/Ibn-Khaldoun-Yves-
LACOSTE/dp/2707157848/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=51UkbJQcvGL

256
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR104%2C160_&refRID=0ZSMPDQBK
Z1RF3PMKYP0

http://hydra.forumactif.org/t1132-hamit-bozarslan-oeuvres

La Chine Ancienne: « Les chinois, ce sont des sédentaires d’origine. Depuis


4000 ans. 4000 ans ! »

« Les chinois n’ont jamais gagné une seule guerre de leurs vies. Jamais. […]
Les Mongols, les Mansoues, tous les peuples asiatiques les ont envahis. » -Eric
de la Maisonneuve, Sur la Chine, conférence au cercle Aristote, 2014.

https://www.amazon.fr/monde-chinois-1-Jacques-
Gernet/dp/2266153684/ref=pd_sim_14_1?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=Z
52DP6KQCVYYJ3VQT3CF

http://www.amazon.fr/Histoires-damour-mort-Chine-
ancienne/dp/2080709852/ref=pd_sim_14_9?ie=UTF8&dpID=51MRAR98S8L
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=1DTNMQNR03
VPT73ADD5M

http://www.amazon.fr/vie-sexuelle-dans-Chine-
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J3MFNT

http://www.amazon.fr/Lhomme-qui-v%C3%A9cut-pour-
aimer/dp/2809711194/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&dpID=51bgEjOJuCL&dpSr
c=sims&preST=_AC_UL160_SR104%2C160_&refRID=1Z96ET1C55NAYPJ3
MFNT

Confucius (-551/-479) : « En Grèce comme en Chine, entre le VIe et le IIIe


[siècle] on est passé d'une morale valorisant les vertus des sociétés de guerriers
(le courage vient au premier rang) à une morale qui valorise la paix et la justice
(Confucius et Aristote). On pourrait aisément montrer que l'émergence de ces
valeurs est liée à des transformations sociales profondes. » -Denis Collin et
Marie-Pierre Frondziak, La Force de la Morale. Comment nous devenons
humains, R&N Éditions, 2020, 311 pages, pp.48-49.

Histoire de la Chine médiévale : « En 1368, la dynastie Ming était arrivée au


pouvoir à la suite de l'effondrement graduel du pouvoir mongol dans le sud de
257
la Chine. Des rivalités qui en résultèrent entre les chefs rebelles, Zhu
Yuanzhang, le fondateur de la dynastie Ming, sortit vainqueur. La capitale fut
d'abord établie à Nankin mais, en 1409, la cour se transporta à Pékin qui devint
la capitale officielle en 1421.
La Chine, pays très vaste, était très peuplée. Les données démographiques ne
sont pas d'une parfaite fiabilité mais, selon le recensement officiel de 1393, la
Chine comptait alors soixante millions d'habitants ; toutefois, la plupart des
experts estiment que le chiffre réel de la population était beaucoup plus élevé.
Sous la dynastie Ming, ce chiffre fit plus que doubler. L'extension des terres
agraires et l'introduction de nouvelles variétés de riz firent croître nettement la
production agricole. Les grandes villes comme Nankin, Pékin et, plus tard,
Canton étaient d'une taille supérieure aux capitales européennes. Outre
l'agriculture, l'activité de l'industrie de la soie et du coton était considérable. Le
commerce était surtout florissant dans les provinces côtières du Sud. Le niveau
de la science et de la technique était plus élevé qu'en Europe. Parmi les
inventions et les innovations chinoises, figurent au premier chef le papier, la
poudre à canon, la presse à imprimer et la boussole.
La navigation chinoise prospérait. Les navires et les procédés de navigation
chinois n'avaient rien à envier à ceux de l'Ancien Continent. Au contraire, la
jonque -mot portugais dérivé du terme javanais signifiant "navire", ajong -était
un excellent voilier. Les cargos chinois jaugeaient 1500 tonneaux et davantage ;
leur capacité dépassait donc de loin celle des cargos européens. Des centaines
de bateaux naviguaient sur les fleuves de Chine et le long de ses côtes
continentales. Au début du XVe siècle, les Chinois entreprirent pas moins de
sept grandes expéditions dans l'océan Indien et l'archipel indonésien. La
première flotte qui s'aventura dans un telle expédition sous la direction de
l'amiral Tcheng Ho en 1405 se composait de 317 bâtiments qui avaient à leur
bord 28 000 hommes. Les jonques chinoises explorèrent de grandes parties de
l'Asie. Quand Vasco de Gama contourna vers l'est le cap de Bonne-Espérance,
les Chinois avaient déjà découvert les côtes de l'Afrique orientale d'où ils
avaient ramené une girafe pour leur empereur. Mais ces activités maritimes
firent long feu. La Chine était et demeurerait une puissance terrestre qui veillait
en priorité à sécuriser ses frontières. Toutes ces expéditions coûteuses avaient
en outre grevé lourdement le Trésor public et une lutte d'influence s'était
engagée entre les mandarins, qui répugnaient au commerce, et les eunuques qui
avaient organisé ces odyssées navales. Aussi l'empereur décida-t-il de mettre un
terme à l'aventure de l'outre-mer. La construction navale fut interdite et, à
258
partir de 1551, prendre le large avec un bateau de plus d'un mât fut passible de
sanctions. C'est ainsi qu'au moment précis où l'expansion européenne s'amorça
la Chine cessa ses activités d'outre-mer.
Plusieurs facteurs expliquent les différences entre l'expansion de l'Europe et
celle de la Chine. D'abord leurs motivations n'étaient pas les mêmes: la ferveur
religieuse et la cupidité qui poussèrent les Européens à faire route vers les pays
d'outre-mer, ainsi que la curiosité européenne, faisaient défaut dans le cas de la
Chine. De surcroît les Chinois n'avaient aucune raison d'aller en Europe. Les
Européens convoitaient les trésors de l'Orient tels que les produits de luxe et les
épices, que les Chinois, pour leur part, avaient à portée de main.
Mais il est une différence tenue pour essentielle par les historiens: l'Europe,
contrairement à la Chine, n'avait pas un seul souverain. » -Henri Wesseling,
Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions Gallimard, 2009, 554
pages, p.28-30.

https://www.amazon.fr/monde-chinois-2-Jacques-
Gernet/dp/2266161334/ref=pd_sim_14_1?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=H
GG2S62GK4HGN6TPQVSQ

Histoire du Japon médiéval : « Au Japon, au début du VIIe siècle, le prince


bouddhiste Shotoku, qui gouvernait comme régent de sa mère, envoya des
missions en Chine pour qu'elles s'informent et rapportent un ensemble de
connaissances concernant l'art, l'architecture, l'astronomie, la littérature et la
religion (y compris des textes taoïstes et confucianistes, en plus des écrits
bouddhistes), mais il fut aussi l'initiateur d'une constitution relativement
libérale, ou kempo, appelée la "constitution des dix-sept articles", en 604 après
J.C. Tout à fait dans l'esprit de la Grande Charte (Magna Carta) signée six
siècles plus tard en Angleterre, elle insistait sur le fait que les décisions relatives
à des sujets d'importance ne devaient pas être prises par un seul. Elles devaient
être discutées par plusieurs personnes. Cette constitution donnait aussi le
conseil suivant: "Ne soyons pas portés à l'esprit de ressentiment lorsque les
opinions d'autrui différent des nôtres. Car tout homme a un cœur, et tout cœur a
ses propres inclinations. Ce qui est juste pour les uns est faux pour les autres, et
inversement". Il n'y a rien d'étonnant à ce que de nombreux commentateurs
aient vu dans cette constitution du VIIe siècle ce que Nakamura Hajime définit
comme le "premier pas vers une marche progressive vers la démocratie". » -
Amartya Sen, La démocratie des autres, Rivages Poche, coll. Petite

259
Bibliothèque, 2003 (1999 pour la première parution américaine), 94 pages, p.33-
34.

Histoire du Japon moderne : "Le Japon, dont l'occidentalisation délibérée, par


prise de conscience du danger extérieur, fut un des plus extraordinaires
événements de l'Histoire, décida d'introduire une constitution et un parlement en
même temps que la science et la technique d'Europe et d'Amérique." (p.67)

-Raymond Aron, Essai sur les libertés, Hachette Littérature, coll. Pluriel, 1998
(1965 pour la première édition), 251 pages.

« Les historiens de la société japonaise soulignent aujourd'hui que l'on peut


utilement comparer les problèmes structurels du Japon féodal avant la
"révolution" Meiji (1868) et ceux de la France à la fin de l'Ancien Régime. [...]
Le Japon est en effet le seul cas de véritable féodalité hors de l'Europe
occidentale. [...]
Lorsque le Japon fut contraint de s'ouvrir sous la pression militaire occidentale
(en 1865), ce sont les samuraï -ou du moins la majeure partie d'entre eux- qui,
devant l'imminence de la domination étrangère, se dressèrent contre
l'impuissance de l'appareil féodal et renoncèrent d'eux-mêmes à leurs privilèges
féodaux comme à leurs fiefs, obligeant les récalcitrant à faire de même, afin
d'assurer, par cette révolution sous l'égide d'une autorité impériale restaurée,
une cohésion nouvelle de la nation, son indépendance et l'accélération de
nouvelles étapes de sa modernisation. Les samuraï conservèrent ainsi leur rôle
dirigeant et, devenus les cadres administratifs et surtout militaires d'un Etat
bureaucratique, poussèrent le pays dans un effort méthodique de
développement, puis, hélas ! dans une expansion impérialiste qui devait aboutir
à la catastrophe de 1945. » -Yves Lacoste, Vive la Nation. Destin d'une idée
géopolitique, Fayard, 1997, 339 pages, p.118-119.

« Si vous êtes attentifs à ces longues chaînes familiales, à l'accumulation lente


des patrimoines et des honneurs, le passage, en Europe, du régime féodal au
régime capitaliste devient presque compréhensible. Le régime féodal, c'est, au
bénéfice de familles seigneuriales, une forme durable du partage de la richesse
foncière, cette richesse de base -soit un ordre stable dans sa texture. La
"bourgeoisie", à longueur de siècles, aura parasité cette classe privilégiée,
vivant près d'elle, contre elle, profitant de ses erreurs, de son luxe, de son
oisiveté, de son imprévoyance, pour s'emparer de ses biens -souvent grâce à

260
l'usure-, se glissant finalement dans ses rangs et alors s'y perdant. Mais d'autres
bourgeois sont là pour remonter à l'assaut, pour recommencer la même lutte.
Parasitisme en somme de longue durée: la bourgeoisie n'en finit pas de détruire
la classe dominante pour s'en nourrir. Mais sa montée a été lente, patiente,
l'ambition reportée sans fin sur les enfants et petits-enfants. Ainsi de suite.
Une société de ce type, dérivant d'une société féodale, féodale elle-même encore
à demi, est une société où la propriété, les privilèges sociaux, sont relativement
à l'abri, où les familles peuvent en jouir dans une relative tranquillité, la
propriété étant, se voulant, sacro-sainte, où chacun reste en gros à sa place. Or
il faut ces eaux socialistes calmes ou relativement calmes pour que
l'accumulation s'opère, pour que poussent et se maintiennent les lignages, pour
que, l'économie monétaire aidant, le capitalisme enfin émerge. Il détruit, ce
faisant, certains bastions de la haute société, mais pour en reconstruire d'autres
à son profit, aussi solides, aussi durables.
Ces longues gestations de fortunes familiales, aboutissant un beau jour à des
réussites spectaculaires, nous sont si familières, dans le passé ou dans le temps
présent, qu'il nous est difficile de nous rendre compte qu'il s'agit là, en fait,
d'une caractéristique essentielle des sociétés d'Occident. Nous ne l'apercevons,
au vrai, qu'en nous dépaysant, en regardant le spectacle différent qu'offrent les
sociétés hors de l'Europe. Dans ces sociétés-là, ce que nous appelons, ou
pouvons appeler, le capitalisme rencontre en général des obstacles sociaux peu
faciles ou impossibles à franchir. Ce sont ces obstacles qui nous mettent, par
contraste, sur la voie d'une explication générale.
Nous laisserons de côté la société japonaise, où le processus est en gros le
même qu'en Europe: une société féodale s'y détériore lentement, une société
capitaliste finit par s'en dégager ; le Japon étant le pays où les dynastiques
marchandes ont eu la plus longue durée: certaines, nées au XVIIe siècle,
prospèrent encore aujourd'hui. Mais les sociétés occidentales et japonaises sont
les seuls exemples que puisse retenir l'histoire comparative de sociétés passant
presque d'elles-mêmes de l'ordre féodal à l'ordre de l'argent. » -Fernand
Braudel, La dynamique du capitalisme, Flammarion, coll. Champ.Histoire, 2008
(1985 pour la première édition), 122 pages, p.73-75.

Aspects du Moyen-Age occidental : « En 1074, les bourgeois de Cologne se


révoltèrent contre leur seigneur l’archevêque ; en 1077, ceux de Cambrai se
dressèrent contre leur seigneur l’évêque, et au cours des cinquante années
suivantes les villes de la vallé du Rhin, de la principauté d’Utrecht, du Bradant,
261
des Flandres et du Nord de la France, tentèrent, l’une après l’autre, de se
dégager de l’emprise de leur suzerain ecclésiastique ou séculier. Ces
soulèvements, les premiers de cette longue série de révolte dont l’histoire du
Moyen Age est ponctuée, étaient essentiellement le fait de gros négociants
soucieux de promouvoir leurs propres intérêts. Ils souhaitaient s’affranchir des
lois, originellement conçues pour une population de cultivateurs asservis et qui
ne pouvaient qu’entraver l’activité commerciale. Ils voulaient se soustraire aux
impôts et aux taxes autrefois payés en échange de la protection seigneuriale,
mais qui leur semblaient arbitraires, maintenant que les bourgeois étaient à
même d’assurer leur propre défense. Ils désiraient gouverner eux-mêmes leur
ville en vertu d’une législation qui tînt compte des exigences de l’économie
nouvelle. Dans plus d’un cas, ils parvinrent à leurs fins par des voies
pacifiques ; mais lorsque leur seigneur ou leur suzerain se montrait intraitable,
ils mobilisaient tous les citoyens de leur ville au sein de société
insurrectionnelles dont les membres étaient liés par un serment solennel. […]

Les bourgeois […] une fois résolus de mettre fin au pouvoir de leur évêque,
étaient fort capables de l’assassiner, d’incendier sa cathédrale et d’écarter
manu militari tous les vassaux qui se seraient avisés de vouloir le venger. Même
si, dans ce cas, leurs objectifs demeuraient strictement limités et exclusivement
matériels, il n’est pas étonnant que certains de ces soulèvements aient été
accompagnés d’une levée de boucliers contre les prêtres indignes. Lorsque les
couches inférieures de la population entraient en jeu, ces récriminations
n’allaient pas sans une certaine âpreté. » -Norman Cohn, Les fanatiques de
l’Apocalypse. Courants millénaristes révolutionnaires du XIème au XVIème
siècle, Bruxelles, Editions Aden, coll. « Opium du peuple », 2011 (1957 pour la
première édition anglaise), 469 pages, p.55-56.

« L’ancienne capitale de l’Empire romain, qui couvrait une superficie immense


de 1500 hectares et comptait encore un million d’habitants au IIIe siècle, s’est
largement dépeuplée au cours du Moyen Age et n’accueille plus guère dans ses
murs que 40 000 habitants, à la fin du XIIIe siècle. » (p.477)

-Nathalie Gorochov et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

262
http://www.amazon.fr/naissance-capitalisme-Moyen-
%C3%82ge/dp/2262044139/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1451563259&sr=8-
1&keywords=la+naissance+du+capitalisme+au+moyen+age

http://www.amazon.fr/Le-Capitalisme-Tome-1-Les-
origines/dp/2070328414/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=515VHR3KX
6L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR95%2C160_&refRID=1WDBHP2S
HR6SNG06EARW

http://www.amazon.fr/Le-Capitalisme-Tome-2-L%C3%A9conomie-
capitaliste/dp/2070328813/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=41XPJ9H88PL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR95%2C160_&refRID=0CNVS0BP0GQX
K317PAMC

http://www.amazon.fr/NOUVELLE-HISTOIRE-FRANCE-MEDIEVALE-
d%C3%A9quilibre/dp/2020122200/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1455561209&sr
=8-2&keywords=XIII%C3%A8me+si%C3%A8cle

http://www.amazon.fr/Crise-XIIe-si%C3%A8cle-seigneurie-
gouvernement/dp/2251381260/ref=sr_1_fkmr0_1?ie=UTF8&qid=1454768315
&sr=8-1-
fkmr0&keywords=La+crise+du+XII%C3%A8me+si%C3%A8cle+thomas+biss
on

http://www.amazon.fr/autre-Moyen-Age-Jacques-
Goff/dp/2070754634/ref=pd_sim_14_12?ie=UTF8&dpID=51aVrdr616L&dpSr
c=sims&preST=_AC_UL160_SR108%2C160_&refRID=1NJFWHZVQDNS4C
WQZD04

http://www.amazon.fr/Philosophie-au-Moyen-
%C3%82ge/dp/2228880175/ref=sr_1_9?s=books&ie=UTF8&qid=1451563415
&sr=1-9&keywords=la+philosophie+du+moyen-%C3%A2ge

http://www.amazon.fr/La-philosophie-m%C3%A9di%C3%A9vale-Alain-
Libera/dp/2130630197/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=41z5lD57f8L&dpSr
c=sims&preST=_AC_UL160_SR116%2C160_&refRID=13M2P6WSMWR54T
ZTQ0VD

263
http://www.amazon.fr/r%C3%A9volution-industrielle-Moyen-
Age/dp/2757857797/ref=sr_1_8?ie=UTF8&qid=1458567619&sr=8-
8&keywords=histoire+industrielle

http://www.amazon.fr/Largent-cath%C3%A9drales-Henry-
Kraus/dp/2271075033/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=511lpYCh-
9L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=03D11WW7D
XDSEF9QMPWR

http://www.amazon.fr/LAutorit%C3%A9-ma%C3%AEtres-Scolastique-normes-
soci%C3%A9t%C3%A9/dp/2251380817/ref=sr_1_95?ie=UTF8&qid=1455562
079&sr=8-95&keywords=th%C3%A9ologie+m%C3%A9di%C3%A9vale

http://www.amazon.fr/Par-mille-chemins-D%C3%A9veloppement-
diversit%C3%A9/dp/2204063258/ref=sr_1_82?ie=UTF8&qid=1455562079&sr
=8-82&keywords=th%C3%A9ologie+m%C3%A9di%C3%A9vale

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D=9X906CDNHEQEDBVY129R

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1&keywords=Cité+de+Dieu%2C+cités+des+hommes.&tag=liborg-21

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0_SR107%2C160_

http://www.amazon.com/Art-Courtly-Love-Andreas-
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48&sr=1-2&keywords=The+Art+of+Courtly+Love

http://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_des_moulins_de_Bazacle
264
http://hydra.forumactif.org/t1133-thomas-n-bisson-the-crisis-of-the-twelfth-
century#1767

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1&keywords=Jacques-Le-Goff-Les-Intellectuels-au-Moyen-Age

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Jacques/dp/2200016492/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1459262617&sr=
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scolastiques

http://hydra.forumactif.org/t1134-jacques-le-goff-l-imaginaire-medieval-une-
histoire-du-corps-au-moyen-age#1768

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13e-
18e/dp/2213013063/ref=sr_1_203?s=books&ie=UTF8&qid=1466727120&sr=1
-203&keywords=xviiie+si%C3%A8cle

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f%C3%A9odale/dp/2200266197/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1459262
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BARTH%C3%89LEMY/dp/2262037205/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=
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265
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1480588717&sr=8-1

Hugues Capet (940-996): « Hugues Capet, premier roi de France, est couronné
en 987. Pour Georges Duby, c'est l'acte de naissance du pays. » -Pascal
Gauchon, Géopolitique de la France. Plaidoyer pour la puissance, PUF, coll.
"Major", 2012, 189 pages, p.13.

« Sacre de Hugues Capet en 987 dont la commémoration, en 1987, par les


cérémonies du « millénaire capétien » manifestait une première appropriation
du thème de l’identité nationale par l’idéologie de droite. » -Patrick Boucheron
et Nicolas Delalande, « Récit national et histoire mondiale. Comment écrire
l’histoire de France au XXIe siècle ? », Histoire@Politique, no 31, janvier-avril
2017.

« Le dixième siècle est probablement le plus atroce de notre histoire. Tout ce


qu'on avait vu à la chute de Rome et pendant l'agonie des Mérovingiens fut
dépassé. Seule, la lutte de tous les jours, la nécessité de vivre, qui ne laisse
même plus de temps pour les regrets, empêcha les hommes de tomber dans le
désespoir. Avec la décadence de l'autorité carolingienne, les calamités
recommençaient. Au Sud, les Sarrasins avaient reparu. Et puis un autre fléau
était venu: les Normands, qui, après avoir pillé les côtes, s'enhardissaient,
remontaient les fleuves, brûlaient les villes et dévastaient le pays. L'impuissance
des Carolingiens à repousser ces envahisseurs hâta la dissolution générale.
Désormais, le peuple cessa de compter sur le roi. Le pouvoir royal devint fictif.
L'Etat est en faillite. Personne ne lui obéit plus. On cherche protection où l'on
peut.
Alors les hauts fonctionnaires se rendent indépendants. Le système féodal, que
Charlemagne avait régularisé et discipliné, s'affranchit et produit un
pullulement de souverainetés. L'autorité publique s'est évanouie: c'est le chaos
social et politique. Plus de Francie ni de France. Cent, mille autorités locales,
au hasard des circonstances, prennent le pouvoir. » (p.45)

« Hugues Capet fut élu en qualité de prince national (987). [...]


Les Capétiens duc héréditaires dans les domaines de l'Ile-de-France, suzerains
dans le Maine, la Touraine, l'Anjou, étaient solidement installés au coeur du
pays. Ils n'auraient plus qu'à s'affranchir de l'élection pour s'étendre et se

266
développer, ce qui se fit de la manière la plus simple du monde. Hugues Capet
ayant tout de suite associé au trône son fils aîné, l'élection du successeur eut
lieu du vivant du roi. [...]
La succession de mâle en mâle par ordre de primogéniture, conquête inaperçue
des contemporains, allait permettre de refaire la France. [...]
Il semble que les Capétiens aient eu devant les yeux les fautes de leurs
prédécesseurs pour ne pas les recommencer. Les descendants de Charlemagne,
de Charles le Chauve à Lothaire, s'étaient épuisés à reconstituer l'Empire. Ce
fut également la manie des empereurs germaniques. Les Capétiens étaient des
réalistes. Ils se rendaient un compte exact de leurs forces. Ils se gardèrent à
leurs débuts d'inquiéter personne.
La race de Hugues Capet, après avoir mis trois générations à prendre la
couronne, régnera pendant huit siècles. L'avenir de la France est assuré par
l'avènement de la monarchie nationale. A cette date de 987, véritablement la
plus importante de notre histoire, il y a déjà plus de mille ans que César a
conquis la Gaule. Entre la conquête romaine et la fondation de la monarchie
française, il s'est écoulé plus de temps, il s'est passé peut-être plus d'événements
que de 987 à nos jours. Au cours de ces mille années, nous avons vu que la
France a failli plusieurs fois disparaître. Comme il s'en est fallu de peau que
nous ne fussions pas français ! » (p.52)

« Au comte de Périgord qui s'était emparé de sa ville de Tours, Hugues ayant


fait demander par un héraut: "Qui t'a fait comte ?" s'entendit répondre: "Qui t'a
fait roi ? » (p.53)
-Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014
(1924 pour la première édition), 552 pages.

https://www.amazon.fr/Hugues-Capet-Naissance-dune-
dynastie/dp/2213019193/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1480530589&sr
=1-1&keywords=Hugues+Capet

https://www.amazon.fr/France-Cap%C3%A9tiens-978-1214-Dominique-
Barth%C3%A9lemy/dp/275785285X/ref=pd_sim_14_4?_encoding=UTF8&psc
=1&refRID=KCET9H26G1CMAE6V1XZR

Guillaume le Conquérant (1027/28 -1087) : « Incapable de résister aux


Normands, l'empereur carolingien avait cédé à leur chef Rollon la province qui
est devenue la Normandie. Et l'on vit encore le miracle qui s'est répété tant de

267
fois dans cette période de notre histoire: le conquérant fut assimilé par sa
conquête. En peu de temps, les nouveaux ducs de Normandie et leurs
compagnons cessèrent d'être des pirates. Ils se firent chrétiens, prirent femme
dans le pays, en parlèrent la langue, et, comme ils avaient l'habitude de
l'autorité et de discipline, gouvernèrent fort bien ; le nouveau duché devint
vigoureux et prospère. Les Normands ajoutèrent un élément nouveau, un
principe actif, à notre caractère national. Toujours enclins aux aventures
lointaines, ils s'en allèrent fonder un royaume dans l'Italie méridionale et en
Sicile, portant au loin le nom français. Mais, tout près d'eux, une autre
Conquête s'offrait aux Normands, celle de l'Angleterre, où déjà leur influence
avait pénétré. Une seule bataille, celle d'Hastings, livra l'île à Guillaume le
Conquérant en 1066. L'Angleterre, qui jusqu'alors ne comptait pas, qui était un
pauvre pays encore primitif, peu peuplé, entre dans l'histoire et va
singulièrement compliquer la nôtre. » -Jacques Bainville, Histoire de France,
Éditions Perrin, coll. tempus, 2014 (1924 pour la première édition), 552 pages,
p.56-57.

« Après la conquête de l’Angleterre par le duc de Normandie Guillaume le


Conquérant en 1066, se produit un essor de l’écrit impulsé par des rois
normands […] Guillaume le Conquérant, durant son règne (1066-1087),
adresse des writs aux communautés locales (comtés, hundreds, seigneuries),
documents écrits qui sont authentifiés par le sceau royal et qui permettent de
diffuser les ordres royaux. Ses successeurs font de même. L’essor de l’écrit
comme instrument politique s’illustre encore davantage par la réalisation de
l’exceptionnel Livre du Jugement Dernier (Domesday Book), compilé en une
seule année (1086) à la demande de Guillaume le Conquérant qui souhaite
connaître les ressources de son royaume. […]

Cependant, le royaume d’Angleterre et le duché de Normandie ne présentent


pas d’unité administrative avant le XIIe siècle. » (p.43)

-Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

https://www.amazon.fr/Guillaume-Conqu%C3%A9rant-Paul-
Zumthor/dp/2020612607/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=1488316471&sr
=1-3&keywords=Paul+Zumthor

L’Angleterre au Moyen-Âge :
268
https://www.amazon.fr/Origins-English-Individualism-Property-
Transition/dp/0631127615/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=&sr
=

Les Croisades : « Si vous désirez savoir ce qu’on a fait des ennemis trouvés à
Jérusalem, sachez que dans le portique de Salomon et dans le temple, les nôtres
chevauchaient dans le sang immonde des Sarrasins et que leurs montures en
avaient jusqu’aux genoux. » -Lettre au Pape Urbain II, après la prise de
Jérusalem, 15 juillet 1099. Signée par Godefroy de Bouillon, Raymond de Saint-
Gilles, comte de Toulouse et Adhémar de Monteil, légat du pape.

« Les Croisades corrigèrent en partie ce que la conquête de l'Angleterre avait


d'alarmant. Elle décongestionnèrent la féodalité. En tournant les énergies et les
goûts batailleurs vers une entreprise religieuse et idéaliste, Urbain II et Pierre
l'Ermite rendirent un immense service à la jeune royauté. Si le pape eut une idée
politique, elle visait probablement l'Allemagne avec laquelle il était en conflit.
Toute la chrétienté et les plus fidèles partisans de l'empereur germanique
obéissant à la voix du pontife: c'était une victoire du Sacerdoce sur l'Empire.
Cependant le Capétien que sa modestie tenait à l'écart de ces grandes querelles,
profiterait du déplacement de forces que la délivrance de la Terre sainte allait
causer.

Il se trouva qu'au moment de la première croisade, la plus importante de toutes


(1096), le roi de France était en difficulté avec l'Église à cause d'un second
mariage irrégulier. Philippe Ier ne participa d'aucune manière à l'expédition
tandis que toute la chevalerie française partait. Nulle part, dans la chrétienté,
l'enthousiasme pour la guerre sainte n'avait été plus grand que dans notre pays,
au point que la croisade apparut aux peuples d'Orient comme une entreprise
française. Il en résulta d'abord pour la France un prestige nouveau et qui devait
durer dans la suite des siècles. Et puis, beaucoup des croisés disparurent.
D'autres qui, pour s'équiper, avaient engagé leurs terres, furent ruinées. Ce fut
une cause d'affaiblissement pour les seigneuries féodales. Et il y eut deux
bénéficiaires: la bourgeoisie des villes et la royauté. » -Jacques Bainville,
Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014 (1924 pour la première
édition), 552 pages, p.58.

http://www.amazon.fr/La-guerre-sainte-formation-
lOccident/dp/2700703642/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=51pqSJ8ebqL&d

269
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=13BTBTYAXJ6EH
XPD6B3G

http://www.amazon.fr/Guerre-sainte-jihad-croisade-
christianisme/dp/2020516322/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=51T4miLrpT
L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=1ECJ10HCC6E
Y18YB1E0S

Zhu Xi : http://www.amazon.com/Chu-Hsi-Neo-Confucianism-Wing-Tsit-
Chan/dp/0824809610/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1431019915&sr=1-
1&keywords=Chu+Hsi+and+Neo-Confucianism

Gengis Khan (1155/1162-1227) : http://www.amazon.fr/Gengis-Khan-Michel-


Hoang/dp/221301776X/ref=pd_sim_14_23?ie=UTF8&dpID=51PXz6lF6LL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=0VVTSW0A62SBP
V87BCWK

Avempace (Ibn Baja) (1095-1138) : http://www.amazon.fr/conduite-


lisol%C3%A9-deux-autres-
%C3%A9pitres/dp/2711622789/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1448982936&sr=8-
1&keywords=La+Conduite+De+L%27isol%C3%A9+Et+Deux+Autres+%C3%
89p%C3%AEtres

La renaissance du XIIe siècle : "Sans doute, avec le XIIe siècle, l’Occident


chrétien découvre-t-il un « temps nouveau », celui de la ville et du marchand (J.
Le Goff). Un temps mesurable et mesuré, non plus rythmé par les seuls cycles
naturels des saisons et des journées, ni par les seules cloches des églises
sonnant les heures canoniques, mais par celles – nouvelles – des beffrois
urbains ou par les horloges publiques qui font progressivement leur apparition
au cours du XIIIe siècle.
Les XIIe et XIII siècles européens se caractérisent par un nouveau dynamisme
tant politique, qu’économique et culturel : c’est le « temps des cathédrales », de
l’émulation intellectuelle au sein des écoles et des universités naissantes, le
temps de la croissance urbaine et des paysans conquérants, d’un nouveau
désenclavement commercial, celui de l’affirmation du pouvoir royal et de la
consolidation de la société chrétienne. Autant d’indices qui ont parfois conduit
les historiens à qualifier cette période de « Moyen Âge classique » ou de « beau
Moyen Âge »." (p.51)

270
"À l’orée du XIIe siècle, toutefois, le roi ne semblait guère plus qu’un seigneur
châtelain, acculé par ses puissants voisins dans un étroit domaine royal, qu’il ne
dominait d’ailleurs que partiellement : les princes rivaux ne se déplaçaient plus
pour lui rendre hommage ou assister à son sacre, les seigneurs châtelains de
l’Île-de-France défiaient son autorité.

Ce sont d’abord ces derniers que Louis VI s’appliqua à soumettre, multipliant


les campagnes militaires et hérissant son domaine de tours matérialisant son
autorité. En 1124, alors
qu’il lève l’ost royal contre l’empereur romain-germanique, il reçoit le soutien
de la plupart des grands princes du royaume : ducs d’Aquitaine et de
Bourgogne, comtes de Flandre, de
Champagne, d’Anjou, de Bretagne, tous reconnaissent par ce geste l’hommage
qu’ils ont rendu au roi et font ainsi de lui la clef de voûte des relations
vassaliques dans le royaume." (p.50)
-Antoine Destemberg, Atlas de la France médiévale : Hommes, pouvoirs et
espaces, du Vᵉ au XVᵉ siècle, Éditions Autrement, 2000, 96 pages.

« En France, Italie, Espagne et Angleterre, ce « siècle du grand progrès » voit


les terroirs habités et cultivés s’étendre au détriment des espaces boisés et des
marais. Les hommes conquièrent les sols, le paysage des campagnes
s’anthropise, avec l’extension des champs, des vignes, des haies et une
population rurale qui s’accroît, regroupée en villages à l’ombre des châteaux.
Nombreux sont les indices de la croissance et de la diversification de la
production agricole, au moment où de nouvelles techniques et pratiques
apparaissent : la charrue qui supplante l’araire, la rotation triennale, le choix
de bonnes céréales comme le froment ou l’avoine […] Les rendements
augmentent de manière spectaculaire. La population est plus nombreuse et
mieux nourrie ; les disettes disparaissent, les surplus agricoles commencent à
être vendus dans des marchés ruraux, la monnaie circule dans les campagnes.
[…] Une élite de paysans libres bénéficie de la croissance, par la possibilité de
récupérer des profits de leur exploitation, s’élever au rang d’agent seigneurial,
exercer une fonction au sein de la communauté villageoise, marier leurs fils à
une fille noble ou les pousser vers la cléricature […]

Les profits croissants de la seigneurie foncière financent la construction des


châteaux, des églises et des monastères, la réalisation des œuvres d’art par les
sculpteurs, le travail des copistes et des enlumineurs, ainsi que le salaire des
271
maîtres d’école qui se multiplient alors […] Les seigneurs châtelains ont,
davantage que les générations précédentes, les moyens d’entretenir des familiae
nombreuses, des précepteurs pour leurs enfants, des jongleurs et des écrivains
dont ils sont les mécènes et qui les divertissent avec une littérature en langue
vernaculaire en plein essor -chansons de geste, poésies […] On ne peut
dissocier la croissance rurale de l’essor des cours. Cet enrichissement des
campagnes influe sur l’histoire de l’écrit, qui augmente et se diversifie au cours
de ce temps de « renaissance » […] que constitue le XIIe siècle. » (pp.27-28)

« Les villes sont petites en Occident entre 1100 et 1400, seules 5 ou 6 d’entre
elles dépassent 50 000 habitants, une soixantaine ont plus de 10 000
habitants. » (p.29)

« 9 millions [d’habitants] vers 1200 sur l’équivalent de la France


[métropolitaine] actuelle. » (p.40)

« [Innocent III] encore qui réforme l’appareil d’Etat en menant une politique
plus systématique […] et en s’appuyant sur le Liber censuum du camérier
Cencius Camerarius établi en 1192 […] Cette compilation d’actes attestant les
droits censitaires et vassaliques de la papauté dans les Etats de l’Église est
achevée par le futur Hornorius III (1216-1227) […] Grégoire IX (1227-1241),
quant à lui, prend la relève de la lutte anti-hérétique portée à incandescence par
Innocent III lors de la croisade albigeoise de 1209 menée sur les terres du
comte de Toulouse Raymond VII. L’exclusion de ceux qui contestaient la
puissance cléricale ou l’autorité absolue du pape était en effet inévitable et «
l’avènement de la monarchie pontificale fut [donc] aussi celui de la société
persécutrice » […] Non seulement Grégoire IX crée l’Inquisition par une série
de bulles en 1231 et 1233, mais il excommunie Frédéric II à deux reprises […]
Cette accusation inouïe dévoile l’ambition d’un souverain pontife désireux de
gouverner la chrétienté au plan spirituel comme temporel […] Son successeur
Innocent IV (1243-1254), brillant canoniste qui contribue à enrichir la doctrine
de l’absolutisme pontifical, fait carrément déposer l’empereur lors du concile
œcuménique réuni à Lyon en 1254 […] Sa lettre Eger cui lenia conçoit la
papauté comme seule source d’autorité sur terre et rejette même la distinction
entre les deux pouvoirs. » (p.67)

« Le siècle se conclut en fin de compte par l’échec de l’établissement d’un


dominium mundi pontifical qui aurait soumis les pouvoirs séculiers à la

272
juridiction du pontife romain et qui semblait pourtant à portée de main après la
victoire définitive sur les héritiers de Frédéric II à Tagliacozzo (1268). » (p.70)

-Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

http://academienouvelle.forumactif.org/t6683-renaissance-du-xiie-siecle#7831

Anselme de Cantorbéry (1033-1109): “This argument has been endlessly


criticized since Anselm advanced it. Aquinas thought it was worthless.
Descartes, Spinoza and Leibniz thought it was terrific. Locke, Berkeley, Hume
and Kant thought it was terrible. Hegel thought it was terrific.” -Ayn Rand
Institute, History of Philosophy, lesson 27, The Dark Ages, Medieval
Scholasticism and the Rediscovery of Aristotle.

Jean de Salisbury (1115-1180): « Jean de Salisbury (1115-1180) avait été un


étudiant d'Abélard. Son Policraticus (1159) présentait deux sortes de
gouvernants, « l'un agit en respectant le Droit, l'autre règne par la force, c'est un
tyran par qui les lois sont anéanties et les peuples réduits en servitude. Bien que
les desseins de Dieu puissent être servis par des ordres mauvais, certaines choses
sont tellement détestables que nul commandement ne peut les justifier ou les
rendre admissibles (. . .) Si le prince résiste et s'oppose aux commandements
divins, s'il désire me faire participer à sa guerre contre Dieu, alors à pleine voix
je dois répondre que Dieu doit être préféré à tout homme sur la terre ». Jean de
Salisbury déclare que pour servir loyalement le Droit, l'on doit tuer le
gouvernant qui ne s'y conforme pas « Tuer un tyran est non seulement légitime,
mais bon et juste. Car celui qui se sert de l'épée périra par l'épée. Par
conséquent, le Droit admet de recourir aux armes contre celui qui les enlève aux
lois, et la force du public se dresse avec fureur contre celui qui prétend annihiler
sa puissance légitime. Et s'il y a nombre d'actions qui équivalent à un crime de
lèse-majesté, il n'en est pas de plus grave que celle qui porte atteinte au corps
même de la justice. La tyrannie est donc non seulement un crime public mais, si
la chose était possible, pire que public. Et si devant un crime de lèse-majesté,
tout homme est admis à se comporter en procureur, combien davantage cela
doit-il être vrai devant le crime de renverser les lois qui doivent s'imposer même
à des empereurs ? Assurément, personne ne voudra dé-fendre un ennemi public
mais plutôt quiconque ne cherche pas à le faire punir se porte tort à soi-même et
au corps entier de la communauté temporelle ». Jean de Salisbury fut, à partir

273
de 1150, secrétaire de Théobald, archevêque de Canterbury, et à sa mort, en 1
161, secrétaire de son successeur, Thomas Becket. Il le suivit dans son exil en
France pendant l'opposition de Henri II l'Angevin aux coutumes de l'Eglise.
Thomas et Jean retournèrent à Canterbury en 1170 et Jean assista au meurtre
de Thomas par les chevaliers normands. Jean devint évêque de Chartres en
1176. Les lettres de Jean apportent une compréhension du conflit
constitutionnel entre Henri II et Thomas Becket. Le Policraticus constitua un
lien entre la révolution grégorienne et la Magna Carla, la Grande Charte
imposée en 1215 au successeur de Henri Il, le roi Jean ("Sans Terre") par un
nouvel archevêque de Canterbury, Stephen Langton. Berman remarque à
propos de Jean de Salisbury que "Par sa conception d'une loi suprême
s'imposant au gouvernant le plus élevé, il était le précurseur de la suprématie
judiciaire formulée par Sir Edward Coke; et sa doctrine selon laquelle, dans la
mesure où les hommes rejettent le péché et vivent uniquement par la grâce, ils
n'ont pas besoin de gouvernement" anticipait sur des écrivains chrétiens
postérieurs. La pensée politique de Saint Thomas d'Aquin adjoignait (en 1266)
la Politique d'Aristote, récemment traduite de l'arabe (1260), à Jean de
Salisbury. » -Leonard P. Liggio, préface à Harold J. Berman, Droit et révolution,
Librairie de l'Université d'Aix en Provence, trad. Raoul Audouin, 2002 (1983
pour la première édition états-unienne), 684 pages, p.IX-X.

http://www.amazon.fr/Jean-Salisbury-renaissance-m%C3%A9di%C3%A9vale-
scepticisme/dp/2251381228/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1459263076
&sr=1-1&keywords=Jean+de+Salisbury

Bonaventure de Bagnorea : http://www.abbaye-saint-


benoit.ch/saints/bonaventure/index.htm

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bonaventure/divers/043.htm

La Première croisade (1095-1107): « Urbain II, en invitant les chevaliers de la


chrétienté à partir en croisade, déchaîna dans la masse des espoirs et des haines
qui devaient s’exprimer de façon tout à fait étrangère aux buts de la politique
papale. […]

Lorsqu’en 1095 […] [Urbain II] lança son célèbre appel à Clermont, son
dessein primordial était encore de fournir aux byzanthins les renforts
nécessaires pour chasser l’infidèle d’Asie mineure. Il espérait qu’en retour
l’Église d’Orient reconnaîtrait la suprématie papale, de façon à ce que fût
274
restaurée l’unité du monde chrétien. Il se souciait, d’autre part, de fournir aux
nobles, et notamment à cette noblesse française d’où il était issu, un exutoire : le
pays ne cessait d’être dévasté par leurs incessants conflits. […]

Aux éventuels croisés, Urbain offrait des récompenses considérables. Tout


chevalier qui s’armerait pieusement de la croix obtiendrait la rémission de toute
peine temporelle. S’il venait à mourir au combat, tous ses péchés lui seraient
pardonnés. Ces récompenses spirituelles se doublaient d’avantages matériels.
La surpopulation ne frappait pas la seule paysannerie : les guerres perpétuelles
qui mettaient les nobles aux prises s’expliquaient, en partie, par une réelle
pénurie de terres. Les cadets de famille se trouvaient entièrement démunis et
n’avaient d’autre ressource que de chercher fortune. Une chronique veut
qu’Urbain ait opposé l’indigence réelle de nombreux nobles à leur prospérité
future lorsqu’ils auraient conquis des fiefs somptueux dans les terres du Sud.
Que cela soit vrai ou non, cette perspective emporta, sans doute, l’adhésion de
plus d’un croisé. Il est clair toutefois que les prélats, les prêtres et les nobles qui
entendirent l’appel d’Urbain obéissaient à autre chose qu’à la soif du gain,
matériel ou spirituel. Pendant son sermon, l’assemblée fut parcourue
d’émotions d’une intensité bouleversante. Des milliers d’hommes s’écrièrent
d’une seule voix : « Deus le volt ». Se bousculant autour du pape, se prosternant
à ses pieds, ils le suppliaient de les autoriser à prendre part à la guerre sainte. »
(p.64-65)

« Dans l’esprit du pape, l’armée ne devait grouper que les chevaliers et leurs
serviteurs, tous hommes aguerris et équipés de pied en cap. De fait, la plupart
des nobles qui répondirent à son appel se préparèrent avec réalisme et sang-
froid à cette longue campagne. Mais les hordes surgies dans le sillage des
prophètes rassemblaient des hommes dont le manque de qualification militaire
n’avait d’égal que l’impétuosité. Le fait est que rien ne les retenait et que tout
les poussait à partir au plus tôt. Pauvres, à quelques exceptions près, ils
venaient de régions surpeuplées où les pauvres étaient soumis à une insécurité
de tous les instants. De plus, les années 1085-1095 avaient été plus rudes encore
que de coutume. Le Nord de la France et l’Allemagne occidentale, notamment,
avaient subi une série presque ininterrompue d’inondations, de sécheresses et
de famines. Depuis 1089, la population vivait dans la hantise d’une forme
particulièrement maligne de peste qui s’abattait brusquement et sans raison
apparente sur une ville ou un village, livrant la plupart de leurs habitants aux
affres de la mort. Les masses avaient réagi de façon traditionnelle, face à cette
275
calamité. Le peuple, groupé au sein d’associations dévotionnelles et
pénitentielles, autour d’ermites et de saints hommes, s’était lancé dans une
quête collctive de salut. L’apparition soudaine des prophètes, qui prêchaient la
croisade, donna à ces masses affligées l’occasion de constituer des groupes
salutistes d’une toute autre envergure et de fuir des contrées où la vie était
désormais impossible. Hommes et femmes se joignaient en hâte à ce nouveau
mouvement. Ils se déplaçaient souvent par familles entières, entassant leurs
enfants et leurs biens sur des charettes. Au fur et à mesure, leurs rangs se
grossissaient de toutes sortes d’aventuriers sans feu ni lieu, moines renégats,
femmes déguisées en hommes, voleurs et brigands, par milliers.

La croisade rêvetait pour ces hordes une signification très différente de celle
que lui attribuait le pape. Les pauperes, comme disent les chroniqueurs,
n’avaient cure des chrétiens de Byzance, mais ils brûlaient d’atteindre
Jérusalem et de l’investir. Cette cité –la ville sainte du monde chrétien- était aux
mains des musulmans depuis plus de 450 ans. Bien qu’à l’origine, la possibilité
de reprendre Jérusalem ne semble pas être entrée pour beaucoup dans les plans
d’Urbain, ce fut cette perspective qui enivra la masse des pauvres. A leurs yeux,
la croisade était un pèlerinage armé et militant, le plus noble des pélerinages. »
(p.67-68)

« La chute de Jérusalem fut suivie d’une sanglante hécatombe. A l’exception du


gouverneur et de ses gardes du corps qui, ayant soudoyé leurs bourreaux,
parvinrent à se faire escorter jusqu’aux portes de la ville, tous les musulmans,
hommes, femmes et enfants, furent exterminés. […] Quant aux Juifs de
Jérusalem, ils se refugièrent dans la grande synagogue où ils furent tous brûlés
vifs. […] Une poignée de survivants se réfugia sur la tour de la mosquée d’Al
Aqsa. Le célèbre croisé Tancrède leur avait promis la vie sauve contre forte
rançon et leur avait confié un de ses étandarts en guise de sauf-conduit. Il ne put
qu’assister, furieux et impuissant, à l’escalade du mur de la mosquée par les
soldats du peuple qui décapitèrent tous les musulmans, sans distinction d’âge ni
de sexe, à l’exception de ceux qui préfèrent se précipiter eux-mêmes du haut de
la mosquée. » (p.75)

-Norman Cohn, Les fanatiques de l’Apocalypse. Courants millénaristes


révolutionnaires du XIème au XVIème siècle, Bruxelles, Editions Aden, coll.
« Opium du peuple », 2011 (1957 pour la première édition anglaise), 469 pages.

276
https://www.amazon.fr/premi%C3%A8re-croisade-Jacques-
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Croisades : https://www.amazon.fr/Histoire-croisades-GROUSSET-
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https://www.amazon.fr/Histoire-croisades-GROUSSET-LACADEMIE-
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fRID=ZG4FR5YM97WNSAMQJF8M

https://www.amazon.fr/Histoire-croisades-GROUSSET-LACADEMIE-
FRANCAISE/dp/226202569X/ref=pd_sim_14_7?_encoding=UTF8&psc=1&ref
RID=ZG4FR5YM97WNSAMQJF8M

La péninsule ibérique au Moyen-âge : « En 1134, la mort sans héritier


d’Alphonse Ier fragilise momentanément l’Aragon. La Navarre en profite pour
reprendre son indépendance. Du côté du royaume de Léon Castille, Alphonse
VII (1126-1157), fils d’un premier mariage d’Urraque, multiplie si bien les
victoires militaires qu’il parvient à imposer la vassalité aux rois de Navarre et
d’Aragon. Mais cette hégémonie, manifestée avec éclat lors d’un couronnement
impérial en 1135 à Léon, tient plus de la déclaration -éphémère- que de la
réalité. Dès 1137, la réunion du comté de Barcelone avec le royaume d’Aragon
sous une même couronne, sort de facto ce dernier de son obédience castillano-
léonaise ; en outre, l’indépendance du royaume du Portugal est achevée dans
les années 1140. Le règne d’Alphonse VII n’en est pas moins marqué par ce
désir d’impérialité. Il entraîne une production diplomatique et
historiographique ad hoc […] Au Portugal, un chancelier royal est nommé à
partir d’Alphonse Henri Ier (1128-1185) ; en Navarre, la chancellerie se
structure au plus tard à partir de Sanche IV (1150-1194) ; en Aragon, il faut
attendre le règne de Jacques Ier (1213-1276).

A la mort d’Alphonse VII, Léon et Castille se séparent rapidement et les guerres


de frontière reprennent de plus belle entre les royaumes d’Aragon, de Castille,
de Léon, du Portugal et de Navarre. La convoitise face aux territoires
musulmans attise ces rivalités tout en poussant occasionnellement à l’alliance.
[…]
277
Les rois s’assurent la collaboration de l’élite urbaine -dans le cas aragonais, de
l’aristocratie également- en multipliant les fueros. Ces chartes accordées aux
communautés d’habitants développent la territorialisation du droit. […]

Certains évêques acceptent mal l’élévation du siège de Tolède en 1086 à la


primatie d’Espagne, en particulier ceux de Saint Jacques de Compostelle […]
d’Oviedo et, dans une moindre mesure, de Leon […] Ces grands centres
ecclésiastiques chargent leurs scriptoria d’affirmer l’identité et les prérogatives
de leurs sièges respectifs au moyen d’une production historiographique,
diplomatique et épistolaire renouvelée, ainsi que d’une exceptionnelle
cartularisation enluminée […] L’Église ibérique s’intègre en outre dans le
ystème ecclésial romain, notamment en sollicitant l’arbitrage du pape au
travers de lettres administratives […] voire diplomatiques […]

Alphonse VIII de Castille fonde à Palencia le premier studium generale vers


1180 ; les donations de sa fille Bérengère, devenue reine du Leon dans les
années 1190, aident les communautés monastiques à développer leurs
bibliothèques. […] Les traductions latines de la science gréco-arabe faites dans
la péninsule irriguent la renaissance du XIIe siècle. » (p.48)

-Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

Moïse Maïmonide (1135-1204) : « Aristote est le prince des philosophes, celui


qui –après les prophètes- avait atteint le sommet de la sagesse humaine. » -
Moïse Maimonide.

Nahmanide (1194-1270) : http://www.amazon.fr/perfection-loi-Halakhah-


spirituelle-
Nahmanide/dp/2841622843/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1459263019
&sr=1-1&keywords=Nahmanide-De-la-perfection-de-la-loi

L’hérésie cathare : « Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens ! » -Arnaud


Amaury, abbé de Cîteaux et légat du pape, avant le sac de Béziers, 22 juillet
1209.

« De même que la loi civile punit de mort et de spoliation les criminels


coupables de lèse-majesté, de même l’Église retranche du Christ et dépouille
ceux qui, errant dans la foi, attaquent Dieu ou son Fils au détriment plus grave

278
de la majesté divine. » -Le pape Innocent III, justifiant la purge. Cité par
Michèle Ressi, L’histoire de France en 1000 citations.

« La croisade contre les cathares : le premier génocide ou massacre


systématique d’un peuple, enregistré par notre histoire « chrétienne » de
l’Occident. » -Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident, Livre II « Les
origines religieuses du Mythe », Plon, Bibliothèque 10/18, 1972, 445 pages,
p.122.

« Si le Midi provençal n'avait point été écrasé par la croisade de l'Albigeois,


aurait-il, grâce à la vivacité et à l'ardeur de son génie, ranimé à temps l'esprit
français de langue d'oïl et l'aurait-il guéri assez profondément du mal qu'il
portait en lui, pour que notre patrie pût devancer l'Italie dans l'enfantement de
la Renaissance ? »

« Ce grand pays, que sa langue et le souvenir de Rome firent longtemps


désigner du nom de Provence, avait été favorisé par les conditions les plus
heureuses une nature riante, un ciel clément à l'olivier et à la vigne, des
campagnes sillonnées par les routes romaines, des villes populeuses, les unes,
telles que Toulouse et Bordeaux, assises sur un fleuve docile; d'autres, telles que
Narbonne, Aigues-Mortes, Montpellier, reliées directement à la Méditerranée.
Là, les invasions germaniques n'avaient pas laissé de traces douloureuses la
culture latine, la grâce de l'esprit grec n'avaient jamais disparu entièrement de
ces cités où jadis la vieille Gaule s'était mise à l'école de la sagesse païenne les
monuments de l'époque impériale à Nimes, à Arles, à Orange, semblaient
toujours, dans la vallée du Rhône, comme le symbole des traditions nobles que
le malheur des temps avait partout ailleurs effacées. Les Sarrasins même y
avaient déposé des germes bienfaisants Montpellier, en relation avec Cordoue,
Tolède et Salerne, pratiquait les sciences arabes, la médecine, la botanique et
les mathématiques. Les écoles juives étaient actives à Narbonne, à Béziers, à
Nimes, à Carcassonne, à Montpellier. Le commerce était prospère et contribuait
non-seulement à l'utilité, mais à l'élégance de la vie. Les marchands du
Languedoc allaient chercher en Asie les étoffes magnifiques, les parfums et les
épices précieuses de l'Orient. La bourgeoisie s'enrichissait, et la richesse aidait
à sa puissance. [...] La noblesse n'était point jalouse de la bourgeoisie ;
noblesse lettrée pour le temps, beaucoup moins batailleuse que dans le Nord,
amie des arts de la paix et bienveillante. C'est pourquoi, sans grand effort et en
peu d'années, la France du Midi délia les plus gênantes entraves du régime
279
féodal. Dès le commencement du XIIème siècle, la Provence, tout le Languedoc,
la Guienne, l'Auvergne, le Limousin et le Poitou étaient des États libres dont les
ducs et les comtes ne reconnaissaient eux-mêmes de suzerain que pour la forme,
et en changeaient à volonté. Les grandes Communes de ce pays, Marseille,
Toulouse, Bordeaux, Nîmes, Arles, obtinrent dans leur plénitude les libertés
municipales. Toulouse, sous le sceptre léger de son comte, était une véritable
république. Dans ces cités, où la transmission des magistratures locales était
soigneusement réglée, la vie publique n'était point troublée, comme dans la
plupart des Communes italiennes, soit par les entreprises des factions
oligarchiques, soit par les impatiences de la démocratie. L'attrait de la croisade,
l'émotion de l'Occident chrétien qui s'ébranlait tout entier pour une entreprise
héroïque, achevèrent l'éveil de l'esprit provençal ce pays pacifique, que le bien-
être charmait et qui grandissait dans la liberté, se peupla tout à coup de
chanteurs. Guillaume, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine, qui partit en 1001 à
la tête de plus de cent mille hommes, fut le premier des troubadours. »

« Pour la première fois, les âmes échappaient à la discipline chrétienne, la


passion que les saints avaient terrassée et que les docteurs condamnaient le
plaisir, où l'Église ne voyait qu'une tentation mortelle, la joie depuis si
longtemps perdue, toutes ces causes de vie renaissaient et refleurissaient. »

« [Les troubadours] frappent sur l'Église avec la même rudesse que sur les
seigneurs séculiers et sur les légistes; ils lui reprochent sans détour les abus et
les crimes dont s'irritaient alors les âmes les plus pures, la simonie, la rapine, le
parjure, l'hypocrisie, contre Rome, les prêtres et les moines, ils lancent des
couplets terribles qui font penser aux malédictions de Dante ; et quand enfin la
longue croisade de l'Albigeois, sous Philippe-Auguste et Louis VIII, a passé sur
Béziers, Carcassonne, Avignon et Toulouse, et que le Midi, brûlé et tout
sanglant, a perdu sa civilisation avec ses libertés, c'est encore le cri des poètes
qui retentit, et la muse provençale proteste par la voix de Guillaume Figuieras
et de Pierre Cardinal contre l'œuvre d'Innocent III. »

« Ce pays avait grandi trop vite, et, de même qu'il s'était en partie affranchi de
la tutelle féodale, il se détachait visiblement, à la fin du XIIème siècle, non
seulement de l'Église, mais du christianisme. Du même coup, il s'isolait de la
chrétienté tout entière. » -Émile Gebhart, Les Origines de la Renaissance en
Italie, 1879.

280
« L’hérésie était l’équivalent de la « théologie de la libération » pour le
prolétariat médiéval. Elle fournissait un cadre aux revendications de rénovation
spirituelle et de justice sociale populaires, défiant à la fois l’Église et l’autorité
séculière au nom d’une vérité supérieure. Elle dénonçait les hiérarchies
sociales, la propriété privée et l’accumulation de richesse, et elle propageait
une conception nouvelle, révolutionnaire, de la société qui, pour la première
fois au Moyen Âge, redéfinissait tous les aspects de la vie quotidienne (travail,
propriété, reproduction sexuelle, et la position des femmes), posant la question
de l’émancipation dans en termes vraiment universels.

Le mouvement hérétique offrait aussi une structure collective alternative qui


avait une dimension internationale, permettant aux membres des sectes de
mener une vie plus autonome et de bénéficier d’un vaste réseau de soutiens,
composé de contacts, d’écoles, et de refuges sur lesquels compter pour une aide
ou un conseil quand le besoin s’en faisait sentir. En fait, il n’est pas exagéré de
dire que le mouvement hérétique fut la première « internationale
prolétarienne », étant donné l’importance des sectes (en particulier les cathares
et les vaudois) et les liens qu’elles établissaient, s’appuyant sur les foires
commerciales, les pèlerinages et les passages de frontière permanents des
réfugiés générés par la persécution.

À la racine de l’hérésie populaire, on trouve l’idée que Dieu ne parlait plus par
la bouche du clergé, du fait de sa cupidité, de sa corruption et de son
comportement scandaleux. Les deux principales sectes se présentaient ainsi
comme les « véritables églises ». Mais le défi des hérétiques était en premier lieu
un défi politique, puisque défier l’Église, c’était affronter à la fois le pilier
idéologique du pouvoir féodal, le plus grand propriétaire foncier en Europe, et
une des institutions portant la plus grande responsabilité dans l’exploitation
quotidienne de la paysannerie. À partir du xie siècle, l’Église était devenue un
pouvoir despotique qui se servait de sa prétendue investiture divine pour
gouverner avec une poigne de fer et remplir ses coffres par des moyens
d’extorsion illimités. Vendre des absolutions, des indulgences et des offices
religieux, appeler les fidèles à l’église uniquement pour leur prêcher la sainteté
de la dîme, et faire commerce de tous les sacrements, c’étaient là des pratiques
courantes depuis le pape jusqu’au curé du village, à tel point que la corruption
des clercs devint proverbiale dans toute la chrétienté. Les choses dégénérèrent à
tel point que le clergé ne voulait plus enterrer un mort, baptiser ou donner
l’absolution des péchés à moins de recevoir une rémunération. »
281
« La secte hérétique qui eut le plus d’influence, les cathares, était aussi unique
dans l’histoire des mouvements sociaux européens du fait de son aversion pour
la guerre (y compris les croisades), sa condamnation de la peine capitale (qui
provoqua la première déclaration explicite de l’Église en faveur de la peine de
mort ) et leur tolérance à l’égard des autres religions. Le sud de la France, leur
bastion avant la croisade contre les albigeois, « était un havre sûr pour les Juifs
alors que l’antisémitisme montait en Europe ; [là] une fusion de la pensée
cathare et de la pensée juive engendra la kabbale, la tradition du mysticisme juif
». Les cathares rejetaient aussi le mariage et la procréation et étaient
strictement végétariens, à la fois parce qu’ils refusaient de tuer des animaux et
parce qu’ils voulaient éviter toute nourriture, comme les œufs ou les viandes,
résultant de la génération sexuelle. » -Silvia Federici, Caliban et la sorcière.
Femmes, corps et accumulation primitive, Éditions Entremonde, 2014, Chapitre
d'Introduction.

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expressions-m%C3%A9ridionales/dp/2757861107

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France/dp/2708408038/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1479980929&sr=8-
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015VQB1SHK7KMV

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Reformation/dp/0631222766/ref=sr_1_1?s=english-
books&ie=UTF8&qid=1475971384&sr=1-
1&keywords=.+Lambert%2C+Medieval+Heresy

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1&keywords=catharisme

https://www.amazon.fr/Cathares-Languedoc-XIIIe-
si%C3%A8cle/dp/2012355420/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1496071374&sr=8-

282
1&keywords=La+vie+quotidienne+des+Cathares+du+Languedoc+au+XIIIe+si
%C3%A8cle

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Maleficarum/dp/2841371778/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=51c1do0zj0L
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR108%2C160_&refRID=MZN9SVJC2N
J8YQ7888MH

Joachim de Flore (1130/1135-1202) : « Immédiatement au seuil de la culture


occidentale, apparaît le grand Joachim de Flore, mort en 1202, premier penseur
de la trempe de Hegel, qui ruine l'image cosmique dualiste d'Augustin et, avec le
sentiment intégral du Gothique pur, oppose comme un troisième élément le
christianisme nouveau de son temps à la religion de l'antiquité et à celle du
Nouveau Testament : règnes du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il a ébranlé
jusqu'au fond de l'âme les meilleurs Franciscains et Dominicains, Dante et
Thomas, et éveillé un regard cosmique qui s'empare peu à peu de toute la
pensée historique de notre culture. » -Oswald Spengler, Introduction au Déclin
de l'Occident, ch. 7, Munich, 1923 ( ?).

« Joachim de Flore, moine cistercien calabrais du XIIe siècle […] Dans son
Exposition de l’Apocalypse, il révélait son système théologique. Il y divisait le
gouvernement du monde en trois règnes : celui du père, celui du fils, puis le
troisième, lequel était annoncé par l’action de saint Benoît. A ces trois phases
correspondaient trois états de l’humanité : celui des conjoints – créé pour la
propagation de l’espèce –, celui des clercs – dont la vocation principale était la
diffusion de la parole divine – et celui des moines, annonçant le couronnement
de la destinée humaine devant déboucher sur la manifestation prochaine de
Dieu. S’il est clair que la pensée de Joachim de Flore était emprunte d’une idée
de progrès, il est impossible d’affirmer qu’elle eut un impact déterminant dans
la pensée médiévale. » -Mathilde Herrero, Histoire de l’idée de progrès de
l’Antiquité au XVIIe siècle, https://www.nonfiction.fr, 24 janvier 2013.

« Alors que l’idéologie nazie était franchement obscurantiste et atavique,


l’idéologie communiste s’est toujours targuée d’être « scientifique » et
« progressiste » ; ce qui a tendu à obscurcir le fait qu’elle aussi doit beaucoup à
une eschatalogie archaïque. Cette dette n’en est pas moins d’importance et
diverse d’aspects. Chez Marx lui-même, elle apparaît principalement sous forme
d’une conviction que l’histoire est un cours donné, tout près d’aboutir à l’âge

283
ultime, âge de « liberté, où les hommes seront délivrés une fois pour toutes de
toute subordination et de toute contrainte. Cette conception de l’histoire fut
largement répandue et diversement exposée chez les philosophes du XVIIIème et
XIXème siècles ; avant Marx, elle avait été éloquemment exposée par Lessing,
Schelling et Auguste Comte, par exemple. Son origine est cependant bien
antérieure, et Lessing, qui fut le premier à en donner une version modernisée,
savait qu’il reprenait une tradition prophétique instaurée par Joachim de
Flore. » -Norman Cohn, Les fanatiques de l’Apocalypse. Courants millénaristes
révolutionnaires du XIème au XVIème siècle, Bruxelles, Editions Aden, coll.
« Opium du peuple », 2011 (1957 pour la première édition anglaise), 469 pages,
p.418.

https://www.amazon.fr/post%C3%A9rit%C3%A9-spirituelle-Joachim-Flore-
jours/dp/220410129X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1472758825&sr=8-
1&keywords=Henri+De+Lubac%2C+La+Post%C3%A9rit%C3%A9+spirituelle
+de+Joachim+de+Flore

Roger Bacon (1214-1294): « Dans un texte celebre R. Bacon (1214-1294)


ecrivait : «On peut realiser pour Ia navigation des machines sans rameurs ... on
peut egalement construire des machines telles que, sans animaux, elles se
deplaceront avec une rapidite incroyable. On peut aussi construire des
machines volantes de sorte qu'un homme assis au milieu de Ia machine fait
tourner le moteur... » -Yves Deforge, Postface à Gilbert Simondon, Du mode
d'existence des objets techniques, Éditions Aubier, 1989, (1958 pour la première
édition), 333 pages, p.290-291.

« Il fallut en effet attendre R. Bacon et le treizième siècle pour que la méthode


expérimentale se sépare rigoureusement de la métaphysique. » -Phillipe Caspar,
Le problème de l'individu chez Aristote, Revue Philosophique de Louvain,
Année 1986, 62, pp. 173-186, p.186.

Roscelin de Compiègne (1050-1121) et le nominalisme : « Some Scholastics


went to the other extreme and denied universals altogether, a view which came
to be known as « nominalism ». And it’s attributed to a Scholastic known as
Roscelin (1050-1120). Now nominalism is the view that only particulars exist,
that they have no common characteristics at all, that each is through and
through unique and that so-called universals are simply names that people use
without any objective basis in reality ; it’s simply the case that people decide to

284
apply a certain name, a certain word, to a number of particulars as a matter of
subjective convenience. But that’s what is –subjective- with no objective
common denominators, no real universals uniting particulars in reality.

It came to be called “nominalism” because of the theory that universals are


only names, from the word nomen, which in Latin for “name”. Roscelin is
supposed to have said universals are only flatus vocis, that is to say, “breathing
of the voice”- in other words, they’re noises we make in speaking, and that’s all
; they’re words. This of course makes all conceptual thought completely
arbitrary and detached from reality. In essence, it’s the position taken by the
Greek Sophists and the pagan Skeptics, and it is the one that was destined to
dominate philosophy in the modern era, as you will see. But it never bacema
much in the medival era, it was criticized on many ground. It, too, was
susceptible to theological objections, and Roscelin had to repudiate it formally
in 1093. Why ?

Well to take just one example, what happens to original sin ? The idea of the
Church was that in Adam’s sin, we were all supposed to have become infected ;
in effect, in Adam’s sin, human nature as such –the universal manness- was
corrupted, and therefore all the particular men. And that was the metaphysical
explanation of how you could inherit somebody else’s sin. But if the are no
universal –if Adam is just one individual, and each of us is a separate, distinct
individual with nothing in common with him –then of course the inheritance of
original sin becomes unintelligible, so nominalism too has to go.

The third position, and the one was finally dominant in this period, was offered
as a kind f mediation between Planotic realism and nominalism, and its major
author is Abelard, the one famous for his relations with Héloïse. His dates are
1079-1142. And he performed a very great achievement for this early period, at
a time when nothing about Aristotle’s theory was known –he worked out a view
roughly similar to Aristotle’s, even if very, very primitive. And his view if often
called “moderate realism”, which is a foolish name because it sounds like
Aristotelianism is a compromise between Plato and the nominalists.

In very brief form, Abelard’s view was that the nominalists are right in one
respect –only particulars exists- but that human beings, by a process of
abstraction, are able to discover a common nature in a number of particulars,
and that the universal, while it therefore existed in one sense only in the mind as

285
an abstraction from particulars, nevertheless is not a subjective fiction as
Roscelin had said, because in fact, individual things do have common properties
which form an objective basis for our abstractions. Now this position is
essentially the view that Aristotle took in the ancient world, so I won’t say any
more about it here. As worked out by Abelard, and later much more fully by
Thomas Aquinas, it has all the main virtues and problems that Aristotle’s own
statement of it had.” -Ayn Rand Institute, History of Philosophy, lesson 27, The
Dark Ages, Medieval Scholasticism and the Rediscovery of Aristotle.

« Qualifier les œuvres de Nicolas Oresme, de Jean Buridan ou celle de Bartole


de Sassoferrato de nominaliste signifie, d'un point de vue analytique, deux
choses:

- leurs œuvres sont dans la mouvance de la révolution doctrinale opérée par


Guillaume d'Occam (1295-1350) dans le domaine de la connaissance, qui
sépare nettement la théologie, domaine de la foi, de la philosophie, domaine de
la raison;

- leurs œuvres soutiennent la révolution « invisible » qu'effectue la


merchanderie dans la conquête du pouvoir, par son appui inconditionnel à la
royauté contre l'aristocratie et l'Eglise, remettant ainsi en cause les institutions
féodales théocratiques.

Il faut en effet bien voir dans le nominalisme deux mouvements interdépendants:


l'un scientifique, l'autre social. Mais revenons sur ce qualificatif de révolution.
Pour comprendre la portée révolutionnaire du mouvement nominaliste dans le
domaine de la philosophie, il faut se resituer dans le cadre de la formidable
querelle d'école qui a secoué le monde intellectuel, et plus spécifiquement
universitaire, du XIVe siècle. Un véritable « schisme philosophique et
théologique » se creusa entre deux partis qui s'affrontèrent en une lutte
incessante pour la domination de l'université des Arts de Paris. Ces deux écoles
appartenaient toutes deux à la scolastique. Elles étaient formées d'une part par
les réalistes groupés autour des thèses d'Albert le Grand, Thomas d'Aquin et,
pour le XIVe siècle, Duns Scot (1266-1308), et d'autre part par les nominalistes
dont le chef de file était incontestablement Guillaume d'Occam. Les
nominalistes, essentiellement recrutés parmi les intellectuels parisiens, se
posaient d'emblée comme des réformistes, voire des révolutionnaires. « Non
seulement Occam fait une révolution qui ruine le réalisme, mais il sait qu'il la

286
fait. » En intitulant leur mouvement la via moderna, l'opposant ainsi à la via
antiqua représentant le réalisme, ces philosophes nominalistes étaient
conscients d'être porteurs d'une modernité jugée jusqu'alors inexprimée.

Le point de départ de ce qui aurait pu n'être qu'une réforme, mais qui, par les
conséquences immenses sur l'évolution du savoir, fut bien une révolution, était
une divergence ponctuelle purement philosophique. C'est sur le terrain de la
théorie de la connaissance que le conflit prit corps. Pour les réalistes, la science
ne devait porter que sur le général: elle se voulait abstraite, spéculative et
universelle. Au contraire, pour le nominalisme, la science ne portait que sur le
particulier: pour lui, l'universel n'étant qu'un nom (d'où l'appellation de
nominaliste) dépourvu de réalité, l'appréhension de la réalité et de ses
phénomènes concrets ne pouvait être faite que par une approche de l'objet
individuel. Toutefois, le véritable enjeu du débat théorique entre l'universalisme
et l'individualisme était la place de la théologie dans la connaissance. Le
réaliste affirmait que la science ne peut être qu'universelle, car il posait au
préalable de toute connaissance l'acceptation d'une fin unique et permanente
d'origine divine, qui animait chacun des êtres et des choses. Pour lui, le réel
perceptible par les sens étant divers, mouvant et accidentel, il échappait à la
connaissance vraie; seule la recherche de la fin, donnant au réel sa véritable
signification, devait être l'objet de la science. Ainsi, par exemple, une approche
réaliste de l'étude du mouvement des corps ne se posait pas en terme de savoir «
Comment un objet jeté au ciel retombe sur terre ? », mais « Pourquoi retombe-t-
il ? » Se dégageant de tout empirisme, la connaissance du général ne pouvait
être que du domaine du révélé, et la science réaliste tombait ainsi tout entière
dans le giron de la théologie.

Le nominaliste s'élevait avec vigueur contre cette thèse. Pour lui, l'étude du
particulier constituait la connaissance en soi. II n'y avait rien à rechercher au-
delà de l'apparence des choses. Connaître un homme, un arbre, une pierre,
c'était en définir un certain nombre de variables les caractérisant, comme le
poids, la taille, etc., et établir entre ces variables des relations d'ordre comme le
mouvement, la luminosité, etc. Mais, derrière ces trois individualités, il n'y avait
aucune fin transcendante explicative de leur existence. La connaissance, selon
cette démarche, ne pouvait donc être qu'expérimentale, empirique, rationnelle,
et être nettement distincte de la foi. Cela ne voulait pas dire que le nominalisme
rejetait la religion. Guillaume d'Occam et ses disciples, Jean Buridan ou
Nicolas Oresme, étaient, c'est indubitable, bons chrétiens. Mais, s'ils
287
soumettaient la science à la foi, ils les mettaient (et cela constituait leur apport)
sur deux plans nettement différenciés. […]

Mais cette volonté de révolution scientifique était aussi doublée d'une volonté de
réussir une révolution sociale. Le nominalisme occamien annonce l'humanisme
anglais de John Locke et de David Hume. Outre un savant philosophe, il faut
bien voir en Guillaume d'Occam un militant engagé dans un combat politique
actif contre le pape et l'ordre théocratique. Aux yeux des occamiens, les
thomistes apparaissaient comme étant les défenseurs des institutions et de
l'ordre féodal établi. [...] Pour le nominalisme, la fin de l'homme n'était pas en
Dieu, mais en lui-même. L'être humain était une réalité en soi, il était un
individu. Ainsi, sur le plan social, il n'a pas de guide religieux pour le conduire
vers la béatitude, mais un simple prince, homme commun désigné par la
communauté et doté d'un pouvoir temporaire de gestion de la chose publique
(res publica). Ainsi, si Thomas d'Aquin et Nicolas Oresme furent deux
ecclésiastiques proches du pouvoir royal, leur attitude face à la royauté était
radicalement différente. Thomas d'Aquin se pose en ecclésiastique gardien du
pouvoir temporel de l'ordre religieux. Un siècle plus tard, Nicolas Oresme, bien
que revêtu de la même robe ecclésiastique, se présentait non plus comme un
émissaire de Rome mais comme un serviteur du pouvoir royal, prenant la
défense de son prince contre le pape lui-même. Au XIVe siècle, la notion d'Etat
laïque et souverain apparut, et de là émergèrent les concepts de nation et de
nationalité. » -Claude Dupuy, avant-propos à Traité des monnaies et autres
écrits monétaires du XIVème siècle.

« Dès les environs du 13ème siècle en Europe, le développement de la petite


propriété marchande s’accompagne d’une progressive affirmation des hommes
comme individus. Laquelle culminera en France dans l’archétype des
révolutions bourgeoises. » -Tom Thomas, Une brève histoire de l’individu,
1993.

« The classic starting point of nominalism has been the edict issued by Louis XI
in 1474 commanding that realism alone (as contained in scholars such as
Averroes, Albert the Great, Aquinas, Duns Scotus and Bonaventure) be taught at
the University of Paris, and ordering that the books of various 'renovating
scholars', including Ockham, Gregory of Rimini, Buridan and Peter of Ailly be
removed. The edict used the word 'nominalist' to describe those students at Paris
who 'are not afraid to imitate' the renovators. These students then made a reply
288
to Louis XI, defending nominalism as a movement going back to Ockham,
which had been persecuted repeatedly, but which in fact represents the truer
philosophy.” –Wikipédia, “Nominalism”, note n°16.

« Nous avons donc devant nous, aux XIVe et XVe siècles, une génération
d’hommes à l’esprit froid et sobre, qui ont perdu l’enthousiasme religieux qui
animait les générations des grandes croisades, et qui ont acquis, dans la
diplomatie compliquée qu’exige à cette époque la moindre affaire, cet esprit net
et positif qui caractérise leur doctrine. Car nous voyons alors tomber, sous les
coups des nominalistes, toute cette machinerie métaphysique que nous avons vu
s’élever au XIIIe siècle. Le nominalisme de cette époque est tout autre chose
qu’une solution particulière du problème spécial des universaux : c’est un esprit
nouveau qui déclare fictives toutes ces réalités métaphysiques que croyaient
avoir découvertes les péripatéticiens et les platoniciens, qui se tient aussi près
que possible de l’expérience et qui rejette dans le domaine de la foi pure,
inaccessible à toute communication avec la raison, les affirmations de la
religion. » (p.478)
-Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences
sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages).

« Le nominalisme est la destruction de l'ontologie d'Aristote. Encore qu'Occam


personnellement n'ait pas entendu la prendre pour cible, qu'il tire argument
d'Aristote contre le « réalisme » extrême, il ruine sa philosophie, sa politique et
son droit (...). Voici le moment où la culture de l'Europe bascule : la
philosophie, les sciences, la logique. Quant aux juristes, ils renonceront à
chercher le droit dans la « nature » ; puisque le droit n'existe plus en dehors de
la conscience des hommes, il cesse d'être objet de connaissance. Il faudra,
comme Hobbes, le construire artificiellement, à partir des individus. Nous
venons d'atteindre à la crête, à la ligne de partage des eaux : en arrière vous
avez le droit, au-devant les droits de l'homme. » -Michel Villey, Le droit et les
droits de l'homme, Presses Universitaires de France (PUF), Paris, 1983, pp. 119
et 120.

« Comprendre les droits de l'homme requiert de comprendre le nominalisme. Or


ce dernier n'est pas plus la doctrine d'un penseur que le dogme d'une école. Il
est un mouvement de pensée dont la définition même fait question. » -Yann
Kergunteuil, Le nominalisme de Guillaume d'Ockham et la naissance du

289
concept de droits de l'homme, Master 2 à l’Université catholique de Lyon, 2006,
introduction, p. 8.

« La promotion ontologique de l’individuel [est] ce en quoi consiste le


nominalisme. » (p.380)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,


2004, 1062 pages.

« Roscelin et Abélard au XIIème siècle, puis surtout Guillaume d’Occam au


XIVème siècle, en élaborant le nominalisme, inaugurent la tradition
individualiste en ce sens qu’ils posent l’individu comme seule réalité
(ontologique) et dénient au tout –les « universaux »- une quelconque existence
au-dehors de la collection d’individus qu’il réunit : la force intellectuellement
subversive de ces nouveaux postulats sera telle qu’elle sapera la conception
communautaire de la société et nourrira bientôt la revendication au droit de
libre examen des Écritures par chaque raison individuelle. » -Alain Laurent,
L’Individu et ses ennemis, Hachette, coll. Pluriel, 1987, 571 pages, p.12.

« Les pouvoirs établis, qui ne veulent pas succomber, trouvent dans la


philosophie collectiviste des armes pour la défense de leurs droits. Mais même
ici, le nominalisme est une force sans répit qui cherche toujours à progresser.
Tout comme dans le domaine de la philosophie il dissout les vieux concepts de
la spéculation métaphysique, ici aussi il met en pièces la métaphysique du
collectivisme sociologique. » -Ludwig von Mises, Le Socialisme.

« Si nous examinons la signification des diverses actions accomplies par des


individus, nous devons nécessairement apprendre tous des actions de l'ensemble
collectif. Car une collectivité n'a pas d'existence et de réalité, autres que les
actions des individus membres. La vie d'une collectivité est vécue dans les
agissements des individus qui constituent son corps. Il n'existe pas de collectif
social concevable, qui ne soit opérant à travers les actions de quelque individu.
La réalité d'une entité sociale consiste dans le fait qu'elle dirige et autorise des
actions déterminées de la part d'individus. Ainsi la route pour connaître les
ensembles collectifs passe par l'analyse des actions des individus. » -Ludwig
von Mises, L’Action Humaine. Traité d’Économie.

« Il n'y a rien d'universel dans le monde, en dehors des dénominations ; car les
choses nommées sont toutes individuelles et singulières. » -Thomas Hobbes.

290
« Les peuples n'existent qu'in abstracto ; les individus sont ce qui est réel »

-Arthur Schopenhauer.

« Le fait est qu'une personne morale, qu'on la baptise parti populaire, Peuple ou
encore « le Seigneur », n'est nullement une personne, mais un fantôme. » -Max
Stirner.

« Le concept aristotélicien d'individualité soulevait de grandes difficultés chez


les auteurs médiévaux, à commencer par Boèce lui-même. En effet, s'il
fonctionnait bien dans un contexte de réflexion anthropologique, ce concept se
révélait inopérant dans les domaines de la théologie, de la christologie et de
l'angélologie. De fait, selon Aristote, les choses n'existent que comme entités
concrètes. Elles sont, ici et maintenant ; on peut les montrer du doigt comme
étant ceci ou cela (tode ti). Mais qu'est-ce qui fait d'une chose "ceci" ou "cela" ?
Lorsque nous identifions une chose, nous employons généralement un nom ou
un mot qui, en fait, n'est pas individuel. Nous disons: "Voici un homme". Le mot
"homme" ne renvoie qu'à ce que Socrate possède en commun avec, par exemple,
Platon et tous les lecteurs de cet article. Qu'est-ce qui fait que Socrate est
Socrate, cet être humain que voici ? Ce qui fait de Socrate un être particulier est
indiqué par un petit mot, "un" ("un être humain"), lequel est invisible en latin
(homo). Aristote, pour sa part, trancha la question d'une manière bien connue:
dans chaque être concret, la matière individualise la forme qui, elle, est
intrinsèquement générique (ou générale). Dans le cas des êtres humains, un
individu est la mise en corps, selon des quantités variables de matière, de la
forme "humanité", laquelle est singulière et générique. Toute chose concrète
(substantia prima, un être humain par exemple) a pour essence une substance
générique (substantia secunda, l'humanité). Du fait de son incorporation, cette
substance générique "est porteuse" de maints traits accidentels (accidentia:
traits qui peuvent (ou pas) appartenir à une entité, par exemple, la localisation
de tel ou tel être humain). Une chose reste identique à elle-même en vertu de sa
"substance seconde", mais elle est passible de changements en vertu de ses
"accidents" (par exemple, les changements spatio-temporels). Alors, la
substance seconde constitue l'identité d'un être. De ce fait, c'est une identité non
individuelle.

Si l'on accepte cette vision aristotélicienne de l'individualité, les êtres non


matériels ou non corporels ne sauraient être individuels -ainsi Dieu et les anges,

291
qui sont considérés comme des êtres purement spirituels. Il faudrait alors dire,
comme l'a fait par exemple Thomas d'Aquin [...], que chaque ange est une
espèce différente. De plus, les êtres dépourvus de traits accidentels, tel Dieu qui
est éternel et immuable, ne sauraient non plus être individuels. Dieu semble être
une sorte de nature générale, sui generis. Une telle idée de la nature divine
allait à l'encontre de l'intuition de maints penseurs médiévaux. Abélard fut l'un
des premiers à critiquer la conception aristotélicienne au plan de sa logique
interne. Il objecta, entre autres, que la matière ne saurait guère être le principe
de l'individuation puisque tous les êtres corporels ont en commun leur
corporéité. Les accidents ne sauraient davantage servir de principe
d'individuation, car dans ce cas, ce qui fait que Socrate est Socrate serait une
particularité qui peut ou non appartenir au même être, bref un accidens, alors
que ce même être ne saurait être Socrate puisqu'il s'agirait de l'homme en
général.

Avec Abélard se fait jour une intuition proprement médiévale, qui considère la
réalité comme étant foncièrement individuelle, et non plus comme un amalgame
d'essences générales rendu concret ou "individuel" par sa mise-en-corps.
Gilbert de Poitiers, contemporain d'Abélard, formule une conception semblable,
déclarant que "tout ce qui existe est singulier". Au début du XIIème siècle,
apparaît une formulation encore plus radicale de cette position (trop extrême
même pour Abélard qui pourtant incline en sa faveur): toutes choses -tant
matérielles que non matérielles, tant substances secondes qu'accidents- sont
foncièrement individuelles. [...]

Deux siècles plus tard, Guillaume d'Ockham reprend maintes idées d'Abélard et
les utilise pour forger sa théorie dite "nominaliste", laquelle est fort proche de
la position radicale du XIIème mentionnée ci-dessus. D'après Ockham, toute
chose est individuelle. Les substances secondes ou les formes substantielles
génériques (comme la corporéité) ne correspondent pas aux traits réels qui se
trouvent dans les choses. Ces substances ou formes sont les concepts que forme
l'esprit dans son appréhension du réel. Ainsi l'idée fort répandue que certaines
choses sont les mêmes ou ne le sont pas se justifie par la supposition que le
fondement de la comparaison et de l'identification se situe exclusivement au
niveau mental. [...] Une telle explication coupe toute possibilité de
communication entre l'esprit et la réalité et, loin de nous aider, empêche de
comprendre le miracle que représentent le savoir et l'intelligence humaine.
D'Abélard à Ockham, nous voyons comment la notion d'individualité, qui trouve
292
ses origines au Moyen Age, a pu être radicalisée au point de devenir aussi
invraisemblable que la conception aristotélicienne -dont elle est, pour ainsi dire,
l'image renversée. » -Nico den Bok, « Richard de Saint-Victor et la quête de
l’individualité essentielle », Brigitte Miriam Bedos-Rezak & Dominique Iogna-
Prat (dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et individualisation avant la
modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier, 2005, 380 pages, 126-128.

http://hydra.forumactif.org/t2339-tom-marshall-modernity-as-event-
nominalism-community-and-the-political-in-international-relations-theory#3069

https://www.amazon.fr/Individuation-Scholasticism-Later-Middle-Counter-
Reformation/dp/079141860X/ref=sr_1_fkmr0_1?ie=UTF8&qid=1462730259&s
r=8-1-fkmr0&keywords=Jorge+J.+Garcia+individuation+in+scholasticism

https://www.amazon.fr/Individuation-Identity-Early-Modern-
Philoso/dp/0791419681/ref=sr_1_fkmr0_3?ie=UTF8&qid=1462730313&sr=8-
3-fkmr0&keywords=Jorge+J.+Garcia+individuation+in+scholasticism

http://www.amazon.fr/Theological-Origins-Modernity-Michael-
Gillespie/dp/0226293467/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1454101726&sr=8-
1&keywords=The+Theological+Origins+of+Modernity

http://www.amazon.com/Inventing-Individual-Origins-Western-
Liberalism/dp/0674417534

http://www.amazon.fr/LOccident-chr%C3%A9tien-fin-mythe-
Prom%C3%A9th%C3%A9e/dp/2296092829/ref=sr_1_217?ie=UTF8&qid=145
5562537&sr=8-217&keywords=th%C3%A9ologie+m%C3%A9di%C3%A9vale

http://hydra.forumactif.org/t2320-francois-picavet-roscelin-philosophe-et-
theologien#3048

Pierre Abélard (1079-1142) et Héloïse d'Argenteuil (1092-1164) : « Il n’y [a]


dans l’univers aucun lieu dont on peut dire qu’il est vraiment vide car il est ou
rempli d’air ou de quelque autre chose. »

« Les mêmes mots ont été employés dans des sens différents par des auteurs
différents. »

293
« Les Écritures canoniques de l’Ancien et du Nouveau Testament sont des
documents dans lesquels il serait hérétique d’affirmer que la moindre chose
s’écarte de la vérité. »

« En vérité, la clé primordiale de la sagesse c’est de se poser des questions


assidûment et fréquemment. S’emparer de cette clé doit être le souhait ardent
des étudiants. Aristote, le plus perspicace des philosophes, les exhorte à le faire
et, à propos du « prédicament de relation », il dit ceci :

"Il est sans doute difficile de trouver une solution à ces problèmes si on ne les a
pas, à plusieurs reprises, examinés. Douter de chaque point particulier n’est pas
inutile."

En effet, en doutant nous venons à chercher et en cherchant nous percevons la


vérité. » -Pierre Abélard, Sic et non.

« Il est le Socrate de la France, le Platon sublime, notre Aristote, l’égal ou le


maître des logiciens passés et présents…génie varié, subtil et pénétrant.
Vainqueur de tous les obstacles par la force de la raison et la grâce de sa
parole… Mais sa plus grande victoire, lorsque revêtant l’habit religieux de
Cluny et les mœurs monastiques, il passa dans le camp du Christ, à la véritable
philosophie…son nom figurera parmi les philosophes chrétiens. » -L’Abbé de
Cluny, épitaphe à la mort d’Abélard, cité par Bernard Nilles in Sexualité,
pouvoir et religions.

« Le XIIème siècle vit commencer chez nous, avec Abélard et le mouvement


communal, les deux libertés essentielles de toute grande civilisation, la liberté
de l'esprit et la liberté civile. L'une et l'autre ont eu des destinées difficiles, et de
trop courts triomphes suivis d'une rapide décadence. »

« Vainement Abélard, aux premières années du XIIème siècle, souffle sur les
chimères du réalisme et dépose dans le berceau de l'Université de Paris les
germes du rationalisme de Descartes et de la critique de Kant. » -Émile
Gebhart, Les Origines de la Renaissance en Italie, 1879.

« Abélard, qui voulait se présenter en philosophe, logicien et théologien en


même temps, affirme que la foi et la raison doivent aller ensemble. Migne cite
quelques propos d’Abélard qui avaient été repris par Bernard de Clairvaux
dans son accusation de Sens :

294
« La foi doit être dirigée par la lumière naturelle : car la marque d’un esprit
léger est de croire trop facilement. Or, celui-là croit trop facilement, qui fait
marcher la foi avant la raison. De quoi sert-il, en effet, de professer ce qu’on ne
peut expliquer, et d’enseigner une doctrine qu’on n’est pas en état de rendre
sensible à ceux qui nous écoutent ? ». » -Lutz Geldsetzer, « Sic et non » sive «
Sic aut non » La méthode des questions chez Abélard et la stratégie de la
recherche, in Jean Jolivet et Henri Habrias (dir.), Pierre Abélard, Colloque
international de Nantes, Presse Universitaire de Rennes, 2003.

« A la fois émouvante et tragique, l’histoire vécue d’Héloïse et Abélard fut celle


de deux êtres intelligents et cultivés de leur temps qui surent par la profondeur
de leur spiritualité transcender l’amour humain jusque dans l’éternité. » -
Bernard Nilles, Sexualité, pouvoir et religions.

« C’est un document humain d’une richesse et d’une beauté telles, qu’on peut à
bon droit le ranger parmi les plus émouvants de la littérature universelle. » -
Étienne Gilson, Héloise et Abélard, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, p.14.

« Le premier couple d’amants « passionnés » dont l’histoire soit venue jusqu’à


nous, c’est Héloïse et Abélard dont la rencontre se situe en 1118, très
précisément. » -Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident, Livre II « Les
origines religieuses du Mythe », Plon, Bibliothèque 10/18, 1972, 445 pages,
p.77.

« Sa théologie, fort hérétique, se rapproche sur des points essentiels de la


doctrine spiritualiste des Cathares. » -Denis de Rougemont, L’amour et
l’Occident, Livre IV, Plon, Bibliothèque 10/18, 1972, 445 pages, p.234.

« Dans la crise sociale du moyen-âge, Abélard devance saint Thomas ; le Sic et


Non est la préface de la grande concordance de la Somme, et le doute
d’Abélard se propage et grandit à travers les siècles. Les millénaires, pour
renverser l’église, annoncent une nouvelle incarnation, de sorte qu’ils
reviennent au point de départ du christianisme : l’église triomphe. Quand la
crise se renouvelle plus tard, Campanella annonce Bacon ; Bacon trace le
programme du XVIIIe siècle. Dès-lors on voit qu’un monde nouveau doit surgir
; le moyen-âge est condamné à mourir. » -M. Ferrari, Des idées et de l’école de
Fourier depuis 1830, Revue des Deux Mondes T.11 1845.

295
« "L'horrible comparaison du sceau de bronze, de l'espèce et du genre pour
traiter de la Trinité": tel est le titre d'un des articles figurant sur la liste des
hérésies attribuées à Abélard et pour lesquelles il fut condamné au concile de
Sens (juin 1140). Ainsi, parmi les nombreux chocs causés par Abélard, il en est
un qui a peu attiré l'attention des historiens modernes. Et pour cause. Il s'agit
moins de séduction romantique ou de dialectique audacieuse que d'une
métaphore mal venue, ou plutôt mal reçue. Le recours à la métaphore sigillaire
pour décrire la Trinité revient à maintes reprises chez Abélard. Le sceau lui
permet d'articuler l'unité divine en dotant chacune des trois personnes
d'attributions spéciales mais aux implications non réciproques. De même que le
sceau (équivalent métaphorique de l'espèce) vient du bronze (équivalent du
genre), mais pas inversement, de même le Fils vient du Père, mais l'inverse n'est
pas vrai. Guillaume de Saint-Thierry et Bernard de Clairvaux reprochent à cette
comparaison un double sabotage de l'unité divine. D'abord, elle introduit un
différentiel, genre/matière, matière/fait-de-matière. Ensuite, en soulignant que
le sceau n'est qu'une portion du bronze, elle implique l'inégalité du Père et du
Fils. » -Brigitte Miriam Bedos-Rezak, « Signes d’identité et principes d’altérité
au XIIème siècle », in Brigitte Miriam Bedos-Rezak & Dominique Iogna-Prat
(dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et individualisation avant la
modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier, 2005, 380 pages, p.49-50.

« Abelard made abstraction the core of his account of conceptual knowledge,


and Rand did the same, albeit in more modern and psychologically advanced
language. Indeed, I would argue that we can see Rand's epistemology as an
updating of the project that Abelard pursued over 800 years ago.”

“Whereas Aristotle's moderate realism assumes a rather passive approach to


cognition (since universals exist in the world and can therefore imprint
themselves on the mind), both Abelard [...] and Rand held that human
conceptual consciousness plays a more active role by drawing concepts out of
the particulars through a process of abstraction.”

“Conceptualism. The conceptualists hold that the only universals are human
abstractions or concepts. While concepts are human creations, the process of
concept-formation is one of abstraction from the actual features of particular
entities, and therefore concepts (in general) contain nothing that does not exist
in reality. On this view, there are no universal entities: universals exist neither
in a separate realm nor in particular entities. However, human concepts are
296
based on abstraction from particular entities, so that the names we give to
things are neither arbitrary nor subjective, but directly grounded in the features
of entities. Thus both existence and consciousness contribute to the process of
concept-formation: reality contributes the particular entities and their features,
while human cognition contributes the abstractions that unite those entities and
features into universal concepts.

[…] it is clear that both Abelard and Rand are conceptualists.” -Peter Saint-
André, “Conceptualism in Abelard and Rand”, First published in the Journal of
Ayn Rand Studies, Volume 4, Number 1 (Fall 2002), pp. 123-140.

http://hydra.forumactif.org/t2319-iwakuma-yuko-pierre-abelard-et-guillaume-
de-champeaux-dans-les-premieres-annees-du-xii-siecle-une-etude-
preliminaire#3047

http://www.amazon.fr/Abelard-Medieval-Michael-T-
Clanchy/dp/0631214445/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1450220558&sr=8-
2&keywords=Michael+Clanchy%2C+Ab%C3%A9lard

http://www.amazon.fr/H%C3%A9lo%C3%AFse-Lamour-savoir-Lobrichon-
Guy/dp/2070772225/ref=sr_1_68?ie=UTF8&qid=1454784855&sr=8-
68&keywords=amour+moyen-%C3%A2ge

http://www.amazon.fr/Conf%C3%A9rences-Dialogue-philosophe-
chr%C3%A9tien-Connais-
toi/dp/2204047600/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1450219948&sr=8-
1&keywords=Conf%C3%A9rences+%28Dialogue+d%27un+philosophe+avec+
un+juif+et+un+chr%C3%A9tien%29.

http://www.amazon.fr/Trait%C3%A9-intellections-Pierre-
Ab%C3%A9lard/dp/2711611663/ref=pd_sim_sbs_14_3?ie=UTF8&dpID=41M
OygoT5RL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=102
QW6GNSWJNEWKWQP09

http://www.amazon.fr/Ab%C3%A9lard-Theologia-Introduction-traduction-
M%C3%A9di%C3%A9vales/dp/B006QML4LU/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=14
43698486&sr=8-
1&keywords=Ab%C3%A9lard%2C+Du+Bien+Supr%C3%AAme

297
http://www.amazon.com/Philosophy-Peter-Abelard-John-
Marenbon/dp/0521663997

http://www.amazon.fr/Cambridge-Companion-Abelard-Jeffrey-
Brower/dp/0521775965/ref=tmm_pap_title_0?ie=UTF8&qid=1450221125&sr=
8-1

http://www.amazon.fr/Correspondance-dAb%C3%A9lard-H%C3%A9loise-
Ab%C3%A9lard/dp/2070415287/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1443698732&sr=8
-
1&keywords=%C3%89tienne+Gilson%2C+H%C3%A9lo%C3%AFse+et+Ab%
C3%A9lard

http://www.amazon.fr/Ab%C3%A9lard-ou-Philosophie-dans-
langage/dp/2204050083/ref=sr_1_18?ie=UTF8&qid=1450220872&sr=8-
18&keywords=Ab%C3%A9lard

http://www.amazon.fr/Pierre-Ab%C3%A9lard-Colloque-international-
Nantes/dp/2868477771/ref=tmm_pap_title_0?ie=UTF8&qid=1450220724&sr=
8-1

http://www.amazon.fr/si%C3%A8cle-saint-Bernard-
Ab%C3%A9lard/dp/2262025819/ref=sr_1_8?ie=UTF8&qid=1443698552&sr=8
-8&keywords=Ab%C3%A9lard+et+son+temps

Louis VI le Gros (1081-1137) : « L'ambition du roi de France [Louis VI], au


commencement du douzième siècle, était d'aller sans encombre de Paris à
Orléans. [...]

C'était un homme pour qui les leçons de l'expérience n'étaient pas perdues et il
ne voulait pas s'exposer à créer une autre féodalité. Aussi choisit-il pour
fonctionnaires de petites gens qui fussent bien à lui et qu'il changeait souvent de
place. A sa suite, les rois de France s'entoureront de roturiers bons comptables
et bons légistes. Son homme de confiance, Suger, un simple moine, sera le
ministre type de la royauté.

Voilà comment, par la force des choses, les Capétiens, issus du régime féodal,
en devinrent les destructeurs. Ils devaient le soumettre ou être mangés par lui. »
(p.60-61)

298
« Quelle erreur de croire que ce siècle lui-même ait été celui de la foi docile et
de l'obéissance au maître ! Ce fut le siècle d'Abélard, de sa fabuleuse célébrité,
des controverses philosophiques, des audaces de l'esprit. Les hérésies
reparaissaient et elles trouvèrent saint Bernard pour les combattre. La croisade
contre les Albigeois était proche. Il y avait aussi des bouillonnements
d'indiscipline et, pendant sa régence, il faudra que Suger ait la main lourde. Les
hommes de ce temps-là ont eu les mêmes passions que nous. » (p.62)

-Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014


(1924 pour la première édition), 552 pages.

https://www.amazon.fr/Louis-VI-Gros-Eric-
Bournazel/dp/2213634238/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1503416020&s
r=1-1&keywords=Louis+VI

Louis VII (1120-1180) : « Louis VII s'était très bien marié. Il avait épousé
Éléonore de Guyenne, dont la dot était tout le Sud-Ouest. Par ce mariage, la
France, d'un seul coup, s'étendait jusqu'aux Pyrénées. Les deux époux ne
s'entendirent pas et Louis VII paraît avoir eu de sérieux griefs contre la reine ;
la France aussi a eu son "nez de Cléopâtre" qui a failli changer son destin.
Toutefois cette union orageuse ne fut annulée qu'après quinze ans, lorsque
Suger, le bon conseiller, eut disparu. Ce divorce fut une catastrophe. Bien
qu'Éléonore ne fût plus jeune, elle ne manqua pas de prétendants et elle porte sa
dot à Henri Plantagenêt, comte d'Anjou. C'était une des pires conséquences du
démembrement de l'Etat par le régime féodal que le territoire suivît le titulaire
du fief homme ou femme, comme une propriété. Dans ce cas, la conséquence fut
une gravité sans pareille. Le hasard voulut, en outre, que le comte d'Anjou
héritât presque tout de suite de la couronne d'Angleterre (1154). Le Plantagenêt
se trouvait à la tête d'un royaume qui comprenait, avec son domaine angevin, la
Grande-Bretagne et la Normandie et, par Éléonore de Guyenne, l'Auvergne,
l'Aquitaine. Serré entre cet Etat et l'empire germanique, que deviendrait le
royaume de France ? C'est miracle qu'il n'ait pas été écrasé. La fin du règne de
Louis VII se passa à écarter la tenaille et à défendre les provinces du Midi
contre l'envahissement anglo-normand. Une grande lutte avait commencé. Elle
ne devait avoir de trêve qu'avec saint Louis. Ce fut la première guerre de cent
ans. » -Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus,
2014 (1924 pour la première édition), 552 pages, p.63.

299
https://www.amazon.fr/Louis-VII-Yves-
Sassier/dp/2213027862/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1503574108&sr=
1-1&keywords=Louis+VII

Henri II Plantagenêt (5 mars 1133 au Mans et mort le 6 juillet 1189):


« L’autorité royale anglaise est malmenée par des révoltes de barons dès le
règne de Guillaume le Conquérant, également sous le règne de ses fils
Guillaume et Henri Ier. Ce dernier ayant perdu son seul fils dans le naufrage de
la Blanche-Nef en 1120, sa fille Mathilde, mariée à Geoffroy Plantagenêt, est
écartée de la succession royale et Étienne de Blois, cousin d’Henri Ier, se fait
couronner roi d’Angleterre en 1135. Une véritable guerre civile divise le
royaume pendant le règne d’Étienne (1135-1154), qui finit par faire la paix avec
Mathilde dont le fils doit devenir roi d’Angleterre : c’est Henri II Plantagenêt,
couronné roi en décembre 1154 avec son épouse Aliénor, duchesse d’Aquitaine.

Roi d’un véritable empire qui réunit les terres des Pyrénées au sud, à la
frontière de l’Écosse au nord, Henri II accomplit de grandes réformes. La
décennie 1160 en particulier est une phase d’activité législative intense […] et
les « assises » ou actes législatifs se multiplient […] Ces assises constituent la
Common Law, loi qui s’applique à tout le royaume au détriment des coutumes
locales et seigneuriales […] Sous le règne de Richard Cœur de Lion, successeur
d’Henri II, le chancelier d’Angleterre, Hubert Walter […] archevêque de
Canterbury, entreprend des réformes administratives importantes, ordonnant
par exemple l’archivage des documents de la chancellerie royale. » (p.44)

« La construction des administrations royales à compter du XIIe siècle [accroît]


le besoin d’hommes compétents, passés par les écoles puis par l’université. Nul
ne l’a mieux et plus tôt compris qu’Henri II Plantagenêt. Ce roi ambitieux se
livre à une véritable « chasse aux cerveaux » […] principalement dans les
écoles cathédrales du Nord de la France, mais parfois jusqu’en Italie, faisant
par exemple venir comme membre de l’Échiquier Thomas Le Brun de la cour
normande de Palerme après la mort de Roger II de Sicile (1154) dont il était
chef des finances. On trouve ainsi de nombreux intellectuels dans
l’administration anglaise, particulièrement des juristes, clercs […] et laïcs –
comme Ranulph de Glanville, petit noble devenu grand justicier et auteur d’un
commentaire juridique (Les lois et les coutumes du royaume d’Angleterre). Si
les lettrés utilisent volontiers le service royal comme un instrument d’ascension
sociale, certains s’interrogent sur la compatibilité entre service de l’Église,
300
pour lequel ils ont été formés, et service du prince, entre monde des écoles et
fréquentation de la cour. La première littérature anti-curiale naît à la cour
d’Henri II avec Jean de Salisbury (mort en 1180), Gautier Map (vers 1140-
1209) et Alexandre Neckham (1157-1217), qui dénoncent la réussite des
roturiers instruits, la corruption et le népotisme, la concurrence impitoyable
entre courtisans. » (p.163)

-Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

Richard Cœur de Lion (1157-1199) : https://www.amazon.fr/RICHARD-


COEUR-LION-roi-chevalier-
Flori/dp/2228892726/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1503415706&sr=1-
1&keywords=Richard+C%C5%93ur+de+lion%2C+le+roi-chevalier

Jean sans Terre (1166-1216) :

Peter de Cornwall (1139-1221) : « Peter de Cornwall, le prieur de Holy Trinity


à Aldgate, a rédigé son Liber revelationum autour de l’an 1200. Il justifiait son
ouvrage par l’intention d’aider les gens en proie à des doutes quant à
l’existence de Dieu. Il expliquait que la plupart des hommes ne croient plus aux
idoles et savent qu’il n’y a qu’un Dieu. Il ajoutait cependant que beaucoup de
gens pensent qu’il n’y a pas de Dieu, que le monde est éternel et que le cours du
monde est déterminé par le hasard et non par la providence de Dieu. Selon lui,
beaucoup d’hommes croient qu’il n’y a ni anges ni démons, ni rien de spirituel
et d’invisible. Peter considérait ces idées comme une ignorance infantile des
origines de la vie humaine. Il expliquait avoir compilé les visions qui composent
son ouvrage pour instruire les gens simples. » -Dorothea Weltecke, «
L’athéisme et le doute au Moyen Âge : un problème controversé », Revue de
l’histoire des religions [En ligne], 3 | 2015, mis en ligne le 01 septembre 2018,
consulté le 23 avril 2021. URL : http://journals.openedition.org/rhr/8409 ; DOI
: https://doi.org/10.4000/rhr.8409

Henri III (1er octobre 1207 - 16 novembre 1272) : « Dernier né et improbable


héritier d’Henri II Plantagenêt, donc « sans terre », Jean s’empare du pouvoir à
la mort imprévue de son frère Richard. Indépendamment de la légende noire qui
l’accompagne, son règne (1199-1216) ouvre une série de crises politiques à
répétition qui ponctuent les destinées de la monarchie anglaise durant tout le
siècle dans un rapport de forces constant avec les barons et l’Église. Sa décision
301
d’épouser Isabelle d’Angoulême, fiancée à Hugues IX de Lusignan, comte de la
Marche, entraîne la plainte de ce dernier auprès du roi Philippe Auguste et la
perte de la Normandie en 1204 après la défaite de Château-Gaillard. « Perte
inacceptable pour les Plantagenêt qui mobilisent tout pour la reconquête » […]
et en particulier accroissent les prélèvements fiscaux et toute forme
« d’exaction » de 30 000 livres en 1205, les revenus royaux atteignent presque le
triple en 1211.

Conséquence du refus de Jean sans Terre à la nomination du célèbre prédicateur


Étienne Langton sur le siège cathédral de Canterbury en 1207, l’interdit jeté par
le pape Innocent III sur le royaume, puis son excommunication en 1209 jusqu’à
sa soumission en 1213 comme vassal de Rome, affaiblissent d’autant plus sa
position, déjà fortement atteinte après l’échec de son expédition angevine et la
défaite de Bouvines en 1214. En rébellion, les barons retranchés dans Londres
obtiennent le 15 juin 1215, par le biais de Langton, une « charte des libertés » (la
Magna Carta, ou Grande Charte). Ses 63 chapitres posent les limites de
l’arbitraire, le respect des coutumes, la garantie de la liberté de l’Église et des
« hommes libres », dont ni les personnes ni les biens ne sauraient être saisis sans
jugement des pairs […] et enfin l’établissement d’un grand conseil de 25
membres élus veillant au respect de la charte par le roi, à défaut de quoi toute
contrainte pourra s’exercer à son encontre avec le concours de l’ensemble
(communa) du pays -droit d’insurrection, donc ! […]

Vivement condamnée par le pape, cette révolution est aussitôt rejetée par Jean
qui poursuit ses déprédations. A l’appel des barons, Louis de France (futur Louis
VIII), fils de Philippe Auguste, marié à Blanche de Castille, petite-fille d’Henri
II, arrive à Londres en 1216 pour y être couronné. Mais finalement, à la mort de
Jean sans Terre, les barons optent pour le fils de ce dernier, Henri III (1216-
1272), âge de 9 ans. Fidèle parmi les fidèles, Guillaume le Maréchal (1146-
1219) puis le justicier Hubert de Burgh exercent la régence jusqu’en 1227 sous
l’œil du légat du pape, Guala Bicchieri. Lorsqu’il accède au pouvoir en 1228,
Henri III a déjà vu trois fois renouvelée la promulgation de la Grande Charte,
c’est dire la pression baronniale.

Pour Henri III, l’échec de deux expéditions pour reprendre la Normandie (en
1230 et en 1242, défaite de Taillebourg), l’appui sur un entourage
principalement continental (la Savoie, dont est issue son épouse Éléanore de
Provence, ou les Lusignan poitevins à nouveau) et, en constante rivalité avec le
302
roi de France, une politique étrangère disproportionnée (tentant de placer son
second fils sur le trône de Sicile et son frère Richard de Cornouaille à la tête de
l’Empire) s’ajoutent aux troubles gallois. Ces « aventures » mènent à la ruine, à
de continuelles levées de taxes proportionnelles aux biens et revenus […]
Exigence quasi permanente, cette invention d’une fiscalité « moderne » essuie
de nombreux refus des barons. Leur réaction d’opposition menée par le comte
de Leicester, Simon de Montfort (marié depuis 1139 à la propre sœur d’Henri
III, il est le fils cadet du combattant contre les Albigeois), aboutit à imposer les
Provisions d’Oxford (1258) : par cette série de statuts, le roi se voit obligé de
gouverner avec un conseil élu de 15 membres contrôlé par une cour élargie (le
Parlement) siégeant de manière fixe trois fois par an pour discuter des affaires
du royaume, et une commission législative de 12 barons également élus. Les
actes réformateurs sont alors multipliés : Ordonnance des sheriffs, Provisions
des barons, ou encore Provisions de Westminster touchant aux prérogatives des
barons qu’à son tour la gentry, les chevaliers ou bacheliers locaux, qui se voient
confier les charges de sheriff dans les comtés (shires), entendent contrôler… »
(pp.75-77)

« Le pays de Galles est intégré à la Couronne en 1284. » (p.78)

« De 1100 à 1300, la population à triplé passant de 2.7 millions d’habitants à 6


millions. » (p.78)

-Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

Chrétien de Troyes (1130-1180/1190): « Le poète Chrétien de Troyes est l’un


des célèbres auteurs de roman de chevalerie du XIIe siècle. Il contribue
largement à diffuser la littérature arthurienne en langue française. […] Dans le
prologue de Cligès […] : « Nos livres nous ont appris qu’en Grèce régna en
premier le prestige de la chevalerie et du savoir. Puis la chevalerie vint à Rome
ainsi que la totalité du savoir, maintenant parvenue en France. Dieu veuille
qu’on les y retienne et que le séjour leur plaise assez pour que la gloire qui s’y
est fixée ne quitte plus jamais la France ! ». » -Auguste Seigle, 10 dissertations
sur l’écrit du XIIe au XIVe siècle, Independently published, 2019.

Philippe II Auguste (21 août 1165-14 juillet 1223) : « Philippe II surnommé


« Auguste » […] s’empare […] de la Normandie, des comtés de Meulan,
d’Évreux, d’Alençon, du Perche, de l’Anjou, de la Maine, de la Touraine, d’une
303
partie du Poitou et du Berry occidental, de Gien, de Montargis, et de
l’Auvergne. De même, en 1212, avec le comté de Boulogne, s’ajoutent au
domaine royal le Vermandois, l’Artois, le Valois, la Picardie, et les comtés de
Clermont et de Beaumont-sur-Oise. Répondant en 1208 à l’appel du pape à la
croisade contre les Albigeois, il envoie Simon de Montfort s’emparer d’une
grande partie du Languedoc. Lors de son entrée à Rouen, en 1204, le roi
s’intitule pour la première fois non plus « roi de Francs » (rex Francorum) mais
« roi de France » (Rex Franciae). » (pp.39-40)

-Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

https://www.amazon.fr/Philippe-Auguste-G%C3%A9rard-
Siv%C3%A9ry/dp/2259026990/ref=tmm_pap_title_0?_encoding=UTF8&qid=1
504365298&sr=8-5

http://hydra.forumactif.org/t3496-achille-luchaire-philippe-auguste-et-son-
temps-1137-1226#4329

Louis VIII (1187-1226) : https://www.amazon.fr/Louis-VIII-Lion-


G%C3%A9rard-
Siv%C3%A9ry/dp/2213593957/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1478775213&sr=8-
1&keywords=Louis+VIII

Louis IX (Saint Louis, 1214-1270) : "En 1226, lorsque Louis VIII mourut, son
fils ainé avait onze ans. Les minorités ont toujours été un péril. Celle-là compte
parmi les plus orageuses. Le règne de saint Louis a commencé, comme celui de
Louis XIV, par une Fronde, une Fronde encore plus dangereuse, car ceux qui la
conduisaient étaient de puissants féodaux. Les vaincus de Bouvines étaient
avides de prendre leur revanche et d'en finir avec l'unificateur capétien. Les
conjurés contestaient la régence de Blanche de Castille." (p.68)

"En 1236, Louis IX est majeur. Il vient d'épouser Marguerite de Provence.


Mariage politique qui prépare la réunion d'une autre province." (p.69)

"Saint Louis savait frapper fort et frapper juste. A la bataille de Taillebourg, en


1242, il avait brisé le dernier retour offensif des Plantagenêts. On a admiré que,
parti pour délivrer Jérusalem, il fût allé, comme Bonaparte, droit en Égypte, clef
de la Palestine et de la Syrie.
304
Cette expédition tourna mal. C'était la fin des Croisades et le royaume chrétien
de Jérusalem ne pouvait plus être sauvé. Saint Louis fut fait prisonnier par les
Mameluks après des combats chevaleresques et ne retrouva sa liberté qu'en
payant rançon." (p.70-71)

"Il mettait le "Parlement" au-dessus des autres juridictions. C'est sous son règne
que cette cour d'appel et de justice reçoit ses attributions principales. Et le
Parlement jouera un grand rôle dans notre histoire. En unifiant le droit, il unira
la nation. Il renforcera l'État en éliminant peu à peu les justices féodales,
jusqu'au jour où le Parlement lui-même, devenu pouvoir politique, sera un
danger pour la monarchie." (p.72)

"Sous son règne [...] la France était devenue plus prospère, la vie plus douce,
plus sûre, plus humaine." (p.72-73)
-Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014
(1924 pour la première édition), 552 pages.

« Éclat de la monarchie de Saint Louis [...] rayonnement exceptionnel de son


Université. » -Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Flammarion, coll.
Champ.Histoire, 2008 (1985 pour la première édition), 122 pages, p.100.

Philippe III le Hardi (1245-1285) : https://www.amazon.fr/Philippe-III-hardi-


G%C3%A9rard-
Sivery/dp/2213614865/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1488981226&sr=1
-1&keywords=G%C3%A9rard+Siv%C3%A9ry%2C+Philippe+III+le+Hardi

Albert le Grand (1200-1280) : « Ces conflits sont encore accentués par la


connaissance complète des œuvres d’Aristote qui, traduites en latin, soit de
l’arabe soit du grec, ouvrent à la pensée philosophique un champ jusqu’ici
presque inconnu et donnent pour la première fois la révélation directe d’une
pensée païenne, qui n’a été aucunement modifiée par son contact avec la pensée
chrétienne.
Dès le milieu du XIIe siècle, à Tolède, un collège de traducteurs, sous
l’impulsion de l’évêque Raymond (1126 1151), commence à traduire de l’arabe
les Analytiques postérieurs avec le commentaire de Thémistius ainsi que les
Topiques et les Réfutations des sophistes ; Gérard de Crémone (mort en 1187)
traduit les Météores, Physique, Du ciel, De la génération et de la corruption,
sans compter les apocryphes, la Théologie, le traité Des causes, celui Des
305
causes des propriétés des éléments. Puis la connaissance du grec se répand ; on
trouve dans des manuscrits du XIIe siècle une traduction de la Métaphysique
(moins les livres M et N qui n’étaient point encore traduits en 1270) et même un
commentaire sur ce livre ; et Guillaume Le Breton, dans sa chronique de
l’année 1210, dit qu’on lisait à Paris la Métaphysique « récemment apportée de
Constantinople et traduite du grec en latin ». Au cours du XIIIe siècle, Henri de
Brabant, Guillaume de Moerbeke (1215 1286), un ami de saint Thomas d’Aquin,
Robert Grosseteste, Bartholomée de Messine sont des hellénistes qui traduisent
tout ou partie des œuvres d’Aristote, et notamment la Politique, ignorée des
philosophes arabes.
On traduit aussi les œuvres des commentateurs arabes ou même grecs, et des
philosophes juifs ; Al Kindi, Al Farabi, Avicenne, Avicebron sont connus ; et au
milieu du XIIIe siècle, on possède à Paris tous les commentaires d’Averroès,
sauf celui de l’Organon.
On peut concevoir l’effet foudroyant de ces découvertes sur des esprits avides
d’instruction livresque, très mal préparés à comprendre et à juger Aristote,
parce qu’ils manquaient du sens historique nécessaire pour le replacer dans son
cadre, parce qu’ils ne l’abordaient que par des traductions qui, suivant l’usage
de l’époque, étaient du mot à mot souvent incompréhensible, et, enfin parce
qu’ils n’avaient, pour lutter contre cette influence prestigieuse, le secours
d’aucune doctrine adverse ni surtout d’aucune méthode à opposer à la solide
construction aristotélicienne. De Platon, on n’avait traduit au XIIIe siècle, que
le Phédon et le Ménon ; on connut dans la deuxième moitié du même siècle les
Hypotyposes de Sextus Empiricus ; rien de tout cela ne faisait équilibre au
péripatétisme.
Or cette doctrine, si forte de la faiblesse des autres, con¬tenait tout autre chose
que ce que les théologiens demandaient à la philosophie ; la philosophie,
toujours servante, devait être utilisée comme préliminaire et auxiliaire ; on ne
voulait tenir d’elle qu’une méthode de discussion et non pas une affirmation sur
la nature des choses. Et voici qu’Aristote apporte une physique qui, avec la
théologie qui lui est liée, suggère une image de l’univers complètement
incompatible avec celle qu’impliquent la doctrine et même la vie chrétiennes :
un monde éternel et incréé, un dieu qui est simplement moteur du ciel des fixes
et dont la providence et même la connaissance ne s’étendent point aux choses
du monde sublunaire ; une âme qui est la simple forme du corps organisé et qui
doit naître et disparaître avec lui, qui n’a par conséquent aucune destinée
surnaturelle et supprime par suite toute signification au drame du salut :
306
création, chute, rédemption, vie éternelle, voilà tout ce qu’Aristote ignorait et,
implicitement, niait. Il ne s’agissait plus maintenant de ce platonisme éclectique
qui, sans doute, offrait un certain danger puisqu’il aboutissait aux solutions
erronées de Scot Érigène et d’Abélard, mais qui, du moins, outre qu’il pouvait,
grâce à saint Augustin et à l’Aréopagite, s’accommoder assez bien avec le
dogme, manifestait la préoccupation de la réalité divine et de la vie surnaturelle
de l’âme : l’aristotélisme, lui, se refusait même à poser les problèmes et à leur
donner un sens quelconque.
En désaccord formel avec la théologie chrétienne, il faut ajouter que le bloc
doctrinal, formé par la physique d’Aristote, ne s’accordait pas mieux avec la
science expérimentale qui fut la seule au Moyen âge à mériter vraiment ce nom,
c’est à dire avec l’astronomie ; la connaissance très certaine que l’on avait
alors de la variation des distances des planètes par rapport à la terre pendant le
cours d’une de leurs révolutions, aurait dû rendre impossible une théorie des
cieux qui enchâssait la planète sur une sphère qui avait la terre pour centre et
qui était en recul sur la doctrine de Ptolémée (l’Almageste avait été traduit par
Gérard de Crémone en 1175) ou la doctrine pythagoricienne du mouvement de
la terre, connue dès le haut Moyen âge : circonstance qui, à ce moment,
n’arrête pas le progrès de l’aristotélisme mais qui, plus tard, une fois qu’il eût
triomphé, fut une des causes les plus importantes de sa ruine.
Ce qui importait à ce moment, c’est que l’aristotélisme, loin de servir à la
politique universitaire des papes, menaçait d’être un gros obstacle. Albert le
Grand lui-même ne dénonçait il pas l’influence de la physique d’Aristote sur les
idées hétérodoxes de David de Dinant ? Aussi, dès 1211, le concile de Paris
défend d’enseigner la physique d’Aristote, le légat du pape Robert de Courçon,
en donnant, en 1215, ses statuts à l’Université de Paris, tout en permettant les
livres logiques et éthiques d’Aristote, défend de lire la Métaphysique et la
Philosophie naturelle. Interdiction vaine sans doute, devant l’engouement du
public, puisque Grégoire IX se borne à commander de fabriquer des éditions
d’Aristote expurgées de toute affirmation contraire au dogme. Il n’en est pas
moins vrai que, en 1255, la Physique et la Métaphysique étaient au programme
de la Faculté des arts, que, à partir de ce moment, l’autorité condamne non plus
Aristote, mais ceux qui tiraient de ses livres des doctrines contraires à
l’orthodoxie, enfin qu’Aristote devient peu à peu une autorité indiscutable. »

-Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences


sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages), p.426-428.
307
http://www.amazon.fr/M%C3%A9taphysique-no%C3%A9tique-Albert-Alain-
Libera/dp/271161638X/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1459263156&sr=
1-2&keywords=Alain-De-Libera-Albert-le-Grand-et-la-philosophie

http://www.amazon.fr/Le-Trait%C3%A9-flux-Tractatus-
causatorum/dp/2251183140/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=31VFiDGl
hFL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=0HHX3FS
Y493BB13PQ36A

http://www.amazon.fr/Livre-sur-nature-lorigine-
l%C3%A2me/dp/2296099483/ref=sr_1_10?s=books&ie=UTF8&qid=14592631
56&sr=1-10&keywords=Alain-De-Libera-Albert-le-Grand-et-la-philosophie

Thomas d’Aquin (1224/1225-1274) : « Connaître Dieu, c’est savoir que nous


ignorons ce qu’est Dieu. » -Thomas d’Aquin, De divinis nominibus, lect. IV,
édition Vivès, tome 29, p.522.

« Que le monde ait commencé est un objet de foi, ce n’est pas un objet de
démonstration, ni de science. » -Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia. Q.
46, 2 ad Resp.

« Quelquefois aussi elle ne vient pas de Dieu, mais des convoitises perverses de
l’homme, qui s’empare du pouvoir par ambition, ou de quelque autre manière
illicite. » -Thomas d’Aquin, Commentaire de l’épître de saint Paul aux
Romains, Chapitre XIII, Romains 13, 1 à 7.

« L’homme est tenu d’obéir aux princes séculiers dans les limites où l’ordre de
la justice le requiert. Il suit de là que s’ils n’ont pas un pouvoir juste mais
usurpé, ou s’ils commandent d’une façon injuste, les sujets ne sont pas tenus de
leur obéir ; si ce n’est peut-être accidentellement, en raison d’un scandale ou
d’un péril à éviter. » -Thomas d’Aquin st, ST IIa IIae q 104 a 6.

« A l’encontre de l’augustinisme, saint Thomas affirme une différence de genre


entre la théologie et la philosophie. Sans doute, la vérité étant une, la raison ne
peut contredire la foi ; et même la foi sert à la raison en lui montrant les buts
vers lesquels elle doit tendre. Mais la raison doit développer son contenu en
toute liberté et selon la rigueur de ses de ses exigences propres. […] En
d’autres termes, sa philosophie ne tirera pas sa valeur de ce qu’elle sera
chrétienne, mais de ce qu’elle sera vraie. A ce titre, saint Thomas est, avec
Albert le Grand, le premier des philosophes modernes. » (p.40)
308
« On peut dire que saint Thomas repense la plupart des conclusions de saint
Augustin dans un cadre aristotélicien : tâche ardue qui permet d’augurer tout
de suite que son œuvre ne sera pas une simple compilation. Sans doute, selon le
principe que la vérité est une, saint Thomas accueille la pensée de ses illustres
devanciers ; mais il ne fait sien leur enseignement avant de l’avoir critiqué,
précisé, enrichi. Sa charité intellectuelle le pousse à interpréter favorablement
les textes obscurs et, par suite, à se réclamer d’eux ; mais il n’hésite pas à
repousser les textes ou les interprétations inconciliables avec sa propre
réflexion philosophique, par exemple l’illumination augustinienne ou le
panthéisme des aristotéliciens arabes. » (p.41)

-Jacques Mantoy, Précis d'histoire de la philosophie, Paris, Éditions de l'École,


1965, 124 pages.

« Selon une intention qui marque en profondeur la vision médiévale du monde,


Thomas [d'Aquin] a essayé de faire de l'ordre le concept ontologique
fondamental qui détermine et conditionne l'idée même de l'être ; et pourtant,
l'aporie aristotélicienne atteint chez lui sa formulation la plus extrême. [...]
Les choses sont ordonnées en tant qu'elles entretiennent une certaine relation
entre elles, mais cette relation n'est rien d'autre que l'expression de leur relation
par rapport à la fin divine ; et vice versa, les choses sont ordonnées en tant
qu'elles dans une certaine relation avec Dieu, mais cette relation s'exprime
seulement à travers leur relation réciproque. [...] Le Dieu chrétien est ce cercle,
dans lequel les deux ordres passent continûment l'un dans l'autre. Mais à partir
du moment où ce que l'ordre doit tenir uni est, en réalité, divisé de manière
irrémédiable [...] il reproduit dans sa structure même l'ambiguïté à laquelle il
doit faire face. De là la contradiction, relevée par les chercheurs, qui fait que
Thomas fonde parfois l'ordre du monde dans l'unité de Dieu, et, parfois, l'unité
de Dieu dans l'ordre immanent des créatures. [...] Cette contradiction apparente
n'est rien d'autre que l'expression de cette fracture ontologique entre
transcendance et immanence, entre être et praxis, que la théologie chrétienne a
reçue d'Aristote en essayant de la développer. Si on pousse à ses extrémités le
paradigme de la substance séparée, on obtient la gnose, avec son Dieu étranger
au monde et à la création ; mais si l'on suit jusqu'au bout le paradigme de
l'immanence, on trouve le panthéisme. Entre ces deux extrémités, penser l'ordre
c'est essayer de penser un équilibre difficile par rapport auquel la théologie
chrétienne menace toujours de tomber et qu'elle doit sans cesse reconquérir. »

309
-Giorgio Agamben, Le Règne et la Gloire. Pour une généalogie théologique de
l'économie et du gouvernement. Homo Sacer, II, 2. Éditions du Seuil, coll. «
L’ordre philosophique », septembre 2008 (2007 pour la première édition
italienne), 443 pages, p.138-142.

« Le terme "averroïste" est une invention de l'orthodoxie, qui cherche à appuyer


ses réfutations en frappant les esprits, par l'évocation d'une religion ennemie et
étrangère. [...]

Que reproche-t-on à Siger [de Brabant] et à ses disciples ? En 1270, Thomas


d'Aquin, dans De unitate intellectus contra averroistas, livre le premier assaut
pour défendre sa vision de l'orthodoxie. Afin de confondre les hétérodoxes, il
leur attribue une attitude intellectuelle infamante, présentée plus tard comme la
doctrine de la double vérité. Elle résume la duplicité dont se rendent coupables
les averroïstes: ils défendent l'opinion des philosophes contraire à la foi, en
l'occurrence l'unité de l'intellect humain, mais ils ajoutent, lorsque leur exposé
est terminé, que cette opinion est en contradiction avec l'orthodoxie et qu'il faut
donc la refuser au profit de cette dernière. Thomas d'Aquin leur reproche de
soutenir une chose et son contraire, par conséquent de cacher leur infidélité
derrière une déclaration de principe mensongère. L'averroïsme est né. Il reçoit
un contenu doctrinaire le 10 décembre 1270, par la condamnation de 13
propositions attribuées au camp de Siger. [...] L'averroïsme latin est donc défini
par les purges successives de l'Église, qui donnent un nom et un contenu à son
opposition. » -Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris,
Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.164-165.

« Les médiévistes opposent quelquefois au XIIIème siècle une droite


augustinienne, opposée à l’introduction d’Aristote, et une gauche averroïste,
partisane d’une béatitude philosophe et favorable à l’enseignement d’Aristote. »
(note 10 p.269)

« Thomas d’Aquin n’a pas laissé de traité métaphysique. […] Au moins trois
séries de textes peuvent faciliter l’accès à la conception thomasienne (on risque
ce néologisme un peu précieux pour ne pas susciter la confusion avec le
thomisme institutionnel ou scolaire) : les textes de commentaires de la
Métaphysique d’Aristote qui permettent de déterminer avec précision la position
propre de Thomas […] et des textes de la Somme contre les gentils (notamment
III, 25), où l’on peut saisir la totalité de l’enjeu de la métaphysique

310
thomasienne. Enfin le petit opuscule De l’être et de l’essence (De ente et
essentia) contient des rudiments précieux d’ontologie. » (p.283-284)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,


2004, 1062 pages.

« More than any other single factor, it is the Aristotelianism of Thomas Aquinas
that oponed the door of the Renaissance. » -Ayn Rand Institute, History of
Philosophy, lesson 27, The Dark Ages, Medieval Scholasticism and the
Rediscovery of Aristotle.

“Il existe chez Saint Thomas des passions rationnelles, et donc un appétit
rationnel. » -Roger Pouivet, Quelle anthropologie pour l'épistémologie des
vertus ?, Conférence au Collège de France, 16.03.2016, 48ème minute.

« Tommaso d’Aquino (dans le Latium, non loin de Cassino) fait ses études à
Paris et à Cologne sous la férule d’Albert le Grand, dont il poursuit et achève le
travail d’adaptation de l’aristotélisme à la théologie catholique. Ses ouvrages
les plus importants, qui traitent de la tyrannie et du tyrannicide, sont la Somme
théologique, composée vers 1267-1273, le Commentaire à la Politique
d’Aristote, le Commentaire à l’Éthique d’Aristote, le Commentaire aux
sentences de Pierre Lombard, composé vers 1254-1257, et le traité inachevé sur
La politique des princes (le De regimine principum, ou De rege et regno, est
traduit de différentes façons : Du royaume, Du gouvernement de princes, La
politique des princes, etc.) composé vers 1265-1267. » (p.267)

« Au cas où le peuple n’a pas le droit de choisir un roi, si le soutien d’une


autorité humaine supérieure contre le tyran fait défaut, il ne reste plus qu’à
demander le secours de celui qui règne sur nous, Dieu, qui est « le refuge pour
l’opprimé en temps de détresse » (PS : 9 : 10). » (p.274)

-Mario Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, PUF, coll.


Fondements de la politique, 2001, 1044 pages.

"Le capitalisme industriel, détournant de son sens la vertu de libéralité, inventa


le libéralisme, la manie libéraliste qui consiste à dissocier. En société
l'individualisme irréel casse les liens naturels et nécessaires entre les hommes
pour ne laisser subsister que les lois du marché, loi du plus malin, du plus fort.
En univers conceptuel, le même mécanisme idéel et irréaliste pousse la
distinction des termes jusqu'à leur dissociation et de contradictions en
311
équivoque résume toute sa déstructuration de l'univers. Faute d'une logique
montante, d'une analogie, Karl Marx lui-même, le plus intelligent des négateurs
du libéralisme, n'a pas réussi par sa dialectique esthétique autre chose qu'une
cimentation univoque, inhumainement pesante." (p.99)
-Michel Marie Dufeil, Saint Thomas et l'histoire, Presse universitaire de
Provence, 1991, 464 pages.

http://www.amazon.fr/Le-vocabulaire-saint-Thomas-
dAquin/dp/2729841806/ref=pd_sim_14_18?ie=UTF8&refRID=1YCY06F88G6
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Cattin/dp/2747518051/ref=sr_1_25?ie=UTF8&qid=1458330833&sr=8-
25&keywords=anthropologie+philosophique

http://www.amazon.fr/Penser-politique-Thomas-
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=1-87&keywords=philosophie+politique

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5EWX6F1P60

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Cattin/dp/2747518051/ref=sr_1_19?s=books&ie=UTF8&qid=1455491545&sr=
1-19&keywords=anthropologie+philosophique

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http://www.amazon.com/Aquinass-Theory-Natural-Law-
Reconstruction/dp/0198269676/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=41tGlXivD

312
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2ZHRA

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Q2ZHRA

http://www.amazon.com/St-Thomas-Aquinas-Natural-
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AQQ2ZHRA

http://www.amazon.fr/thomisme-Etienne-
Gilson/dp/2711602974/ref=sr_1_sc_1?ie=UTF8&qid=1433973382&sr=8-1-
spell&keywords=etienne+gislon+le+thomisme

https://www.amazon.fr/philosophie-bon-sens-m%C3%A9taphysique-
thomiste/dp/2363921666/ref=sr_1_15?ie=UTF8&qid=1504372519&sr=8-
15&keywords=cours+de+philosophie+thomiste

Le XIVème siècle : « L’Occident de la fin du Moyen Age est bouleversé par une
crise longue, dont la manifestation la plus marquante est une chute
démographique spectaculaire, attestée par les sources fiscales, et qui dure
jusqu’au milieu du XVe siècle. La population diminue de 50% en moyenne (70%
en Catalogne) ; l’Angleterre passe d’environ 3 millions d’habitants au début du
siècle à 2.1 millions en 1400. Choquantes, les mortalités dues à la famine et aux
épidémies sont évoquées dans de nombreux textes contemporains […]

Au moindre accident climatique (début du petit âge glaciaire), la tension entre


ressources et population provoque le retour des famines (Flandre 1315-1316,
Catalogne 1333, Italie années 1340), dont les effets sont amplifiés par le
cloisonnement des marchés et la spéculation. La peste (fin 1347-1350) frappe
des organismes affaiblis : en moyenne, un tiers de la population européenne

313
disparaît et, tout au long du siècle, des résurgences plus ou moins violentes
(1360) empêchent toute récupération. […]

Les violences, destructions et pillages nés de la guerre de Cent Ans qui oppose
France et Angleterre (1337-1453) dévastent la Normandie et le Bordelais.
Partout, le financement des armées entraîne une crue fiscale, d’autant plus
lourde que la population imposable a fortement diminué. » (pp.95-96)

-Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

Philippe IV le Bel (1268-1314) : « Philippe le Bel, despote « par nature » pour


Guizot, n’est qu’une préfiguration de Napoléon. » -François Dosse, Le Pari
biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La Découverte, 2005, 480 pages,
p.188.

« Contre la papauté, [Philippe le Bel] défendit les droits de la couronne et


l'indépendance de l'Etat français.
Boniface VIII s'était mêlé de choses qui ne le regardaient pas. Il ne se contenait
pas de reprocher à Philippe le Bel d'avoir touché ou saisi les revenus de l'Église
-le grand souci du roi, tandis qu'il était aux prises avec les difficultés,
européennes, étant de ne pas laisser sortir d'argent de France. Le pape
critiquait le gouvernement de Philippe le Bel, l'accusait d'oppression et de
tyrannie, intervenait même dans les finances puisqu'un de ses griefs était
l'altération des monnaies, mesure nécessitée par la guerre, elle aussi [...]
Philippe le Bel reçut mal ces remontrances et la France les reçut aussi mal que
lui. Pour frapper les imaginations, comme s'y prendrait aujourd'hui la presse, le
roi publia de la bulle Ausculta fili un résumé qui grossissait les prétentions du
pape. [...] Enfin, pour mieux marquer qu'il avait la France derrière lui, le roi
convoqua des états généraux. On a prétendu de nos jours que c'était une
innovation, que de ces états de 1302 dataient une institution et l'origine des
libertés publiques. A la vérité, il y avait toujours eu des assemblées. L'une
d'elles, nous l'avons vu, avait élu Hugues Capet. Les bourgeois des villes, les
gens de métier avaient coutume de délibérer sur les questions économiques, en
particulier celle des monnaies. La convocation de 1302 ne les surprit pas et ne
paraît pas avoir été un événement, car l'élection des représentants du troisième
ordre -le "tiers état"- n'a pas laissé de traces et tout se passa comme une chose
naturelle et ordinaire puisque la convocation fut du mois de mars et qu'on se

314
réunit dès avril, à Paris, dans l'église Notre-Dame. Nobles, bourgeois, clergé
même, tous approuvèrent la résistance de Philippe le Bel au pape. Le roi de
France "ne reconnaissait point de supérieur sur la terre". [...]
Boniface VIII, qui avait une grande force de caractère, n'était pas homme à
céder. Il maintint sa prétention de convoquer à Rome un concile pour juger le
Capétien et "aviser à la réforme du royaume". Philippe le Bel était menacé
d'excommunication s'il refusait de laisser partir pour Rome les prélats français.
Toutefois, il chercha à négocier. Sa nature le portait à épuiser les moyens de
conciliation avant de recourir aux grands remèdes. C'est seulement quand il vit
que le pape était résolu à l'excommunier et à user contre lui de ses forces
spirituelles, ce qui eût peut-être amené un déchirement de la France, que
Philippe prit le parti de prévenir l'attaque et de frapper un grand coup. Il était
temps, car déjà la parole pontificale agissait et le clergé, les ordres religieux,
les Templiers surtout, hésitaient à suivre le roi et à donner tort à la papauté.
C'est alors que le chancelier Guillaume de Nogaret se rendit à Rome, trouva
Boniface VIII à Anagni et s'empara de sa personne. Délivré, le pape mourut
d'émotion quelques jours plus tard (1303). [...]
Les bulles de Boniface VIII étaient annulées. Le roi de France était maître chez
lui. Il avait joué gros jeu pour sauver son autorité et l'unité morale du royaume.
Le signe de sa victoire, ce fut que Clément V, ancien archevêque de Bordeaux,
passa pour un pape français et s'établit à Avignon. Pendant trois quarts de
siècle, les papes y resteront sous la protection de la monarchie française. »
(p.79-81)

« Philippe le Bel, pour trouver de l'argent, s'adressa à ceux qui en avaient et


que l'opinion publique l'engageait à frapper. Il mit de lourdes taxes sur les
marchands étrangers et sur les Juifs qui faisaient le commerce de la banque.
Est-ce aussi pour se procurer des ressources qu'il détruisit l'ordre du Temple ?
Oui et non. Le procès des Templiers se rattache au conflit avec Boniface VIII.
L'ordre n'était pas seulement riche. Il était puissant. C'était déjà un Etat dans
l'Etat. Et il était international. En prenant parti pour Boniface VIII, il avait
menacé l'unité du royaume. Le procès des Templiers, qui eut un si grand
retentissement, fut avant tout un procès politique. Philippe le Bel ne fut si
acharné à brûler comme hérétiques de nombreux chevaliers et leur grand
maître, Jacques de Molay, que pour donner à cette opération de politique
intérieure un prétexte de religion et de moralité. » (p.82)

315
« Philippe le Bel réunit à la France la Champagne, la Marche et Angoulême,
Lyon et le Vivarais, [...] il maria son second fils, Philippe le Long, à l'héritière
de Bougogne [...] il garda, de la dure entreprise de Flandre, Lille, Douai et
Orchies. C'était, au milieu des pires difficultés, un des plus grands efforts
d'expansion que la France eût accomplis depuis le premier Capétien. » (p.82-
83)
-Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014
(1924 pour la première édition), 552 pages.

« Le règne de Philippe IV le Bel (1285-1314) constitue une étape majeure de la


construction de l’Etat royal, dont le roi, formé par le De regimine principum de
Gilles de Rome (1285), se fait une haute idée. […] [Les légistes] n’ont de cesse
d’affirmer avec virulence la pleine autorité du roi, « empereur en son
royaume », en matière de justice et de finances. Leurs idées se heurtent au
pouvoir de l’Église et de la papauté au cours de plusieurs crises -paiement des
décimes au roi par le clergé (1294-1297), opposition entre les juridictions des
tribunaux royaux et ecclésiastiques autour du cas de Bernard de Saisset, évêque
de Pamiers (1301). Le conflit culmine en 1302-1303 : tandis que le pape
Boniface VIII rappelle le roi aux principes de la théocratie pontificale (bulles
Ausculta Filii et Unam Sanctam) et l’excommunie, Philippe IV s’emploie à
réunir un concile français pour déposer le pontife, accusé de divers crimes. Il
s’affirme ainsi comme le chef du clergé du royaume (gallicanisme). » (p.97)

-Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

« C. Balasse donne une estimation du produit de la confiscation des biens des


juifs : entre 109 250 livres tournois (estimation basse) et 116 500 livres tournois
(estimation haute) au total pour la période courant de la fin 1306 à la fin 1311,
soit un revenu moyen de plus de 20 000 livres tournois par an, somme nettement
supérieure aux revenus annuels tirés sur les juifs du domaine royal en temps
normal. D’après ces chiffres, à terme, le roi était donc gagnant. […]

C. Balasse écarte donc logiquement les motifs religieux […] En revanche


l’interrogation à laquelle elle soumet l’hypothèse de la pression populaire
comme élément moteur de la décision royale permet, en l’invalidant, de
rappeler que pour beaucoup de chrétiens, les emprunts réalisés auprès des juifs
étaient nécessaires. L’auteure cite la chronique de Geoffroi de Paris qui assure

316
« que la population regrette très amèrement leur départ » (p. 277). Autre
preuve, pour l’auteure, de l’invalidité de l’hypothèse : aucune violence n’a
accompagné l’expulsion des juifs.

En expulsant les juifs de son royaume et en confisquant leurs biens, Philippe le


Bel entendait réaliser un profit économique ; par ailleurs, en imposant aux
seigneurs son autorité supérieure sur les juifs, il affirmait la supériorité de
l’autorité royale sur les prétentions seigneuriales. » -Claire Soussen,
« Céline Balasse, 1306. L’expulsion des juifs du royaume de France, Bruxelles,
De Boeck, 2008, 392 p. », Médiévales [En ligne], 56 | printemps 2009, mis en
ligne le 21 septembre 2009, consulté le 07 novembre 2020. URL :
http://journals.openedition.org/medievales/5609 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/medievales.5609

Gilles de Rome (1247-1316) : « Si les deux pouvoirs sont en relation de telle


sorte que l’un est général et étendu et l’autre particulier et contracté, il est alors
nécessaire que l’un soit en dessous de l’autre, qu’il soit institué par l’autre et
qu’il agisse sous commission de l’autre. »

« S’il y avait seulement une épée dans l’Église, c’est-à-dire l’épée spirituelle, ce
qui doit être accompli par le gouvernement des hommes ne se déroulerait pas
aussi bien parce que l’épée spirituelle devrait omettre ses tâches dans la sphère
spirituelle pour pouvoir s’occuper des choses matérielles. […] C’est pourquoi
la deuxième épée n’a pas été instituée à cause de l’impuissance de l’épée
spirituelle, mais pour le bon ordre et pour la convenance. […] Si la seconde
épée a été instituée, ce n’est pas en raison de l’impuissance de la première, mais
pour le bénéfice de l’exécution, dès lors que l’épée spirituelle ne pouvait pas
exécuter aussi bien et de manière aussi avantageuse ses missions si elle n’avait
pas le secours de l’épée matérielle… » -Gilles de Rome, Traité de la puissance
ecclésiastique.

"La théorie du souverain vu comme la loi vivante ou la Justice vivante a été


amenée à maturité par l'élève et le disciple de saint Thomas, Gilles de Rome,
qui, entre 1277 et 1279, dédia son traité politique De regimine principum au fils
du roi de France, le futur Philippe IV le Bel. Puisque ce "Miroir aux Princes"
fut, pendant la fin du Moyen Age, l'un des livres les plus lus et les plus cités en
matière politique, les principaux problèmes furent, en quelques sorte, résolus
par son auteur pour de nombreux siècles à venir. Gilles de Rome, ayant assimilé

317
à fond Aristote, appelait lui aussi le prince le "Gardien de la Justice" et le
définissait comme "l'organe et l'instrument de la Loi juste". [...]
Dans cette description des relations mutuelles entre Loi et Prince, nous trouvons
une antithèse entre un roi animé et une Loi inanimée qui, en dernière analyse,
remonte à la Politique de Platon ; et, de même, la supériorité du roi vivant sur
la rigidité de la Loi inanimée a ses antécédents. Les définitions d'Aegidius furent
répétées à maintes reprises, et sa conclusion supplémentaire, selon laquelle "il
vaut mieux être gouverné par un roi que par la Loi", fut finalement résumée par
les juristes dans la maxime Melius est bonus rex quam bona lex -renversement
total de ce qu'Aristote avait dit et voulait dire." (p.758-759)
-Ernst Kantorowicz, Les deux corps du Roi. Essai sur la théologie politique au
Moyen Age, in Œuvres, Gallimard, coll. Quarto, 2000, 1369 pages, pp.643-1222.

Jean de Paris (1255-1306) : « Du point de vue théorique, le débat passe moins


entre les adeptes du primat du sacerdoce et ceux de l'empire, qu'entre les
"gouvernementalistes" (qui pensent que le pouvoir est toujours déjà articulé en
une double structure: puissance et exécution, Règne et Gouvernement) et les
partisans d'une souveraineté au sein de laquelle il n'est pas possible de séparer
la puissance et l'acte, ordinatio et executio. [...] Dans cette perspective, on
comprend mieux la position de ceux qui, comme Jean Quidort, réfutent la
théorie de la plenitudo potestatis du pape parce qu'elle implique une séparation
de la puissance et l'acte, du pouvoir et de l'exécution qui n'est pas naturelle. »

-Giorgio Agamben, Le Règne et la Gloire. Pour une généalogie théologique de


l'économie et du gouvernement. Homo Sacer, II, 2. Éditions du Seuil, coll. «
L’ordre philosophique », septembre 2008 (2007 pour la première édition
italienne), 443 pages, p.163.

http://hydra.forumactif.org/t2048-jean-de-paris#2755

Pierre de Jean Olivi (1248-1298) : “Peter John Olivi [...] the moral and
intellectual inspiration for so many of the Franciscan Spirituals.” -Arthur
Stephen McGrade, The Political Thought of William of Ockham, Cambridge
University Press, 2002 (1974 pour la première édition), 269 pages, p.13.

« La pensée d'Olivi est certainement 'singulière": tout en s'inscrivant dans la


culture scolastique, elle s'oppose avec véhémence à celle de Thomas d'Aquin et
à l'aristotélisme chrétien, sans pour autant se fonder sur l' "augustinisme" des
opposants franciscains à Thomas. » -Alain Boureau, « L’individu, sujet de la
318
vérité et suppôt de l’erreur. », in Brigitte Miriam Bedos-Rezak & Dominique
Iogna-Prat (dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et individualisation
avant la modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier, 2005, 380 pages,
p.292.

« Nous avons affaire ici à une innovation conceptuelle de premier plan puisque
dans l’examen de l’usage de l’argent, Olivi va établir la première théorie du
capital connue. Il l’établit dans le livre II de la Théorie des contrats en
répondant à la question : « si pour un prêt qui a été fait, recevoir davantage que
ce qui a été prêté est contraire au droit naturel et divin ». Il s’agit de savoir si
tout usage de l’argent qui ne consiste pas à acheter et vendre des marchandises
est un usage usuraire. […] Contre Thomas d’Aquin, Olivi soutient ici que de
l’argent peut être vendu et que cette vente de l’argent génère un profit qui est
tout à fait licite. Il y a donc des cas où celui qui prête l’argent peut en attendre
légitimement le paiement d’un intérêt et ces cas échappent totalement à
l’usure. » -François Loiret, La première théorie connue du capital : Olivi, 2013,
site de l’auteur.

http://www.amazon.fr/Pierre-Olivi-1248-1298-Alain-Boureau/dp/2711613984

Raymond Lulle (1232-1315) : https://www.amazon.fr/traduit-catalan-


pr%C3%A9sent%C3%A9-Patrick-
Gifreu/dp/2729109587/ref=sr_1_5?s=books&ie=UTF8&qid=1488980590&sr=1
-5&keywords=Raymond+Lulle

Francesc Eiximenis (1330-1409) :

L’Amour au Moyen-âge :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Assag

http://www.amazon.fr/Chemin-amours-barbares-m%C3%A9di%C3%A9vale-
europ%C3%A9enne/dp/2262020108/ref=sr_1_102?ie=UTF8&qid=1454785169
&sr=8-102&keywords=amour+moyen-%C3%A2ge

http://www.amazon.fr/n%C3%A9ant-joie-bilingue-fran%C3%A7ais-
occitan/dp/2857922159/ref=sr_1_fkmr0_1?ie=UTF8&qid=1454768802&sr=8-
1-
fkmr0&keywords=Guillaume+IX+d%27Aquitaine+le+n%C3%A9ant+et+la+joi
e

319
http://www.amazon.fr/La-Finamor-
Collectif/dp/2020327155/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=51XWMXME5Y
L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=1E35E7TNKT
20WCQ7ZYQD

http://www.amazon.fr/LAmour-courtois-ou-couple-
infernal/dp/2902702396/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=51BWr97B0hL&d
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65K1FM

http://www.amazon.fr/Lamour-Moyen-Age-courtois-
licencieux/dp/2845211171/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1454782620&sr=8-
4&keywords=amour+courtois

http://www.amazon.fr/Trait%C3%A9-lamour-courtois-Andr%C3%A9-
Chapelain/dp/2252016477/ref=sr_1_14?ie=UTF8&qid=1454782620&sr=8-
14&keywords=amour+courtois

http://www.amazon.fr/L%C3%A9rotisme-Moyen-Age-corps-d%C3%A9sir-
lamour/dp/B00BK1LFM0/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1454783869&sr=8-
2&keywords=amour+moyen-%C3%A2ge

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fran%C3%A7ais/dp/2020557088/ref=sr_1_47?ie=UTF8&qid=1454784554&sr=
8-47&keywords=amour+moyen-%C3%A2ge

http://www.amazon.fr/Lamour-Moyen-Age-Jean-
VERDON/dp/2262022585/ref=sr_1_8?ie=UTF8&qid=1454783869&sr=8-
8&keywords=amour+moyen-%C3%A2ge

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11&keywords=amour+moyen-%C3%A2ge

http://www.amazon.fr/Pari-amoureux-
Scavino/dp/270712463X/ref=sr_1_56?s=books&ie=UTF8&qid=1454954972&s
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320
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321
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http://www.amazon.fr/Eros-volubile-M%C3%A9tamorphoses-lamour-Moyen-
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168&keywords=amour+moyen-%C3%A2ge

Guillaume IX d'Aquitaine (1071-1124): http://www.amazon.fr/Guillaume-IX-


dAquitaine-Duc-
troubadour/dp/2845610599/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1454768724&sr=8-
1&keywords=Guillaume+IX+d%27Aquitaine

Jean d'Arras : http://www.amazon.fr/M%C3%A9lusine-La-Noble-Histoire-


Lusignan/dp/2253066796/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=41Avfw%2BCN4
L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=07N6FRMHV
Z9A5PPX28BA

322
Guillaume de Lorris : http://www.amazon.fr/Le-Roman-Rose-Guillaume-
Lorris/dp/2253060798/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=51FIGz37K3L&dpS
rc=sims&preST=_AC_UL160_SR96%2C160_&refRID=07NH18XBW4AXBP
XHCRN3

René d'Anjou : http://www.amazon.fr/Le-Livre-coeur-damour-


%C3%A9pris/dp/225306680X/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=41PB4B361
QL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=0B19VXQP4
V5EV3MJNA3N

Robert d' Orbigny: http://www.amazon.fr/Conte-Floire-Blanchefleur-Robert-


Orbigny/dp/2745307363/ref=sr_1_183?ie=UTF8&qid=1454785447&sr=8-
183&keywords=amour+moyen-%C3%A2ge

Cercamon : http://www.amazon.fr/Oeuvre-po%C3%A9tique-bilingue-
fran%C3%A7ais-occitan-
Cercamon/dp/2745318225/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1454769078&s
r=1-1&keywords=Cercamon

Juan Ruiz : http://www.amazon.fr/Livre-Bon-Amour-castillan-


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28&keywords=amour+moyen-%C3%A2ge

Aliénor d’Aquitaine (1122/1124-1204) : « En 1137, le mariage de Louis VII


avec Aliénor, héritière de Guillaume X d’Aquitaine, étend la mainmise de la
couronne de France sur le Poitou, la Guyenne, la Gascogne, la Marche,
l’Angoumois, la Saintonge et le Périgord. […]

C’est tout dire des conséquences de l’annulation du mariage d’Aliénor


d’Aquitaine en 1152 et de son mariage avec l’héritier de la puissante maison
d’Anjou, Henri II Plantagenêt (1133-1189), devenu roi d’Angleterre en 1154.
La situation conflictuelle (avec le Vexin et le Quercy comme points
d’affrontements armés), entrecoupée de trêves après un premier hommage
rendu à Louis VII en 1156, est portée à son acmé jusqu’à la victoire française
de Bouvines en 1214. Elle ne s’achèvera qu’avec le traité de Paris en 1258. »
(p.38-39)

-Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

323
http://www.amazon.fr/Ali%C3%A9nor-dAquitaine-insoumise-Jean-
Flori/dp/2228898295/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1457454288&sr=8-
1&keywords=Ali%C3%A9nor+d%E2%80%99Aquitaine.+La+reine+insoumise

Jean Duns Scot (1266-1308) : « Ces deux hommes, Duns Scot et Guillaume
d’Occam, sont à coup sûr les plus grands esprits spéculatifs du Moyen Age,
ainsi que les plus profonds métaphysiciens qui aient jamais existé. » -C. S.
Peirce, Œuvres, I, p.110.

« Duns Scot ne rentre dans aucun des courants que nous avons suivis : à ceux
qui en font un augustinien, l’on doit objecter la critique très vive qu’il fait des
théories les plus chères à l’école : celle de la connaissance intellectuelle comme
illumination, celle des raisons séminales contenues dans la matière et des
connaissances innées contenues dans l’âme. Mais il est encore moins thomiste :
ses doctrines les plus célèbres, l’existence actuelle de la matière, l’individuation
par la forme (haeccéité), la priorité de la volonté, sont en opposition consciente
et voulue avec celles de saint Thomas. » (p.471)

-Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences


sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages).

« Le matérialisme est le vrai fils de la Grande-Bretagne. Déjà son scolastique


Duns Scot s'était demandé « si la matière ne pouvait pas penser ».

Pour opérer ce miracle, il eut recours à la toute-puissance de Dieu; autrement


dit, il força la théologie elle-même à prêcher le matérialisme. Il était de surcroît
nominaliste. Chez les matérialistes anglais, le nominalisme est un élément
capital, et il constitue d'une façon générale la première expression du
matérialisme ». -Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte Famille, « La Critique
critique absolue » ou « la Critique critique » personnifiée par Mr. Bruno.

« Duns Scot […] marque le tournant où la métaphysique devient autonome. »


(p.257)

« La métaphysique moderne héritera de l’influence combinée des nominalistes,


des scotistes et des suaréziens. » (p.323)

« Duns Scot édifie une métaphysique profondément différente de celle d’Aristote


et donc de celle de Thomas d’Aquin, qui en dépend en partie. » (p.324)

324
« Tout au long du XIIIème siècle, la question s’est posée de savoir si l’objet de
la métaphysique était l’être (ou l’étant : esse ou ens) ou Dieu. En gros, ceux qui
optaient pour la première solution avaient besoin d’une théorie de l’analogie
[Thomas d’Aquin], tandis que les seconds [Duns Scot] choisissaient la thèse de
l’univocité, car il est beaucoup plus logique de soutenir que l’objet de la
métaphysique est l’être (en transformant virtuellement du même coup la
métaphysique en ontologie), si l’être peut être dit de manière univoque de Dieu
et des étants finis. » (p.325)

« Il ne faut pas considérer que la messe est dite quand on a opposé Thomas
d’Aquin et Duns Scot, analogie et univocité. Il y a toute une gamme de positions
intermédiaires et la position nominaliste d’Occam est tout à fait originale, dans
son refus implicite de prendre position sur le débat : Dieu ou l’être comme objet
de la métaphysique. La question est en effet déplacée par Occam dans la mesure
où pour lui une science ne se définit pas par son objet, car n’importe quel objet
peut être considéré par plusieurs sciences, la conséquence étant radicale pour
la métaphysique :

« Rien n’est sujet de la métaphysique en général, mais au contraire les diverses


parties ont divers objets. » […] (Sentences, I, question 9). » (p.328)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,


2004, 1062 pages.

« Duns Scot propose tout simplement de considérer comme propriétés à la fois


les accidents et les substances secondes. Ces propriétés ne peuvent exister en
elles-mêmes. Pour que quelque chose existe en soi, ce quelque chose doit être
essentiellement individuel, et doit avoir une haecceitas (eccéité). Du fait de son
eccéité, ce quelque chose peut être porteur d'essences et d'accidents, de
propriétés tant générales que particulières. Au lieu d'essayer d'expliquer
l'individualité en termes de substances secondes et d'accidents, Duns Scot fait de
l'individualité une catégorie à part entière. La différence entre individuel et
propriétés ne peut s'expliquer par référence à d'autres éléments. Cette différence
doit former la base même de toute explication.

L'analyse détaillée que Duns Scot donne de l'individualité constitue un tournant


majeur dans l'histoire de la pensée occidentale. » -Nico den Bok, « Richard de
Saint-Victor et la quête de l’individualité essentielle », Brigitte Miriam Bedos-
Rezak & Dominique Iogna-Prat (dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et
325
individualisation avant la modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier,
2005, 380 pages, p.131.

http://www.amazon.fr/John-Duns-Scotus-Political-
Philosophy/dp/1576591727/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1454096950&sr=8-
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http://www.amazon.fr/Ethical-Theory-John-Duns-Scotus-
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1&keywords=The+Ethical+Theory+of+John+Duns+Scotus

http://www.amazon.fr/Le-principe-dindividuation-principio-
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KBL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=1WM4K5J
0WHEPEQAV3HP7

http://www.amazon.fr/Lire-Principe-dindividuation-Duns-Scot/dp/271162594X

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GD6E4

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326
http://www.amazon.fr/Sur-connaissance-Dieu-lunivocit%C3%A9-
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V28MNJ8M05

Marsile de Padoue (1284-1342) : « Le Defensor Pacis remet en cause le cœur


de la puissance de l'Église, son pouvoir temporel. La papauté ne devrait plus
chercher la domination politique, ni posséder de richesses. Elle devrait se
contenter des subsides du peuple, tout en reconnaissant sa souveraineté en
matière politique. Il ne lui reste que l'autorité spirituelle, capable d'interpréter
le dogme, dans la mesure où le pape ne poursuit pas des fins matérielles. Quant
à l'hérésie et à l'infidélité, elles ne devraient pas être punies par la force
physique, puisqu'elles seront jugées à la mort de leur auteur. Le prêtre doit
renoncer à l'Inquisition et n'avoir plus qu'un rôle de prévention. Cette critique
de l'orthodoxie est plutôt audacieuse, en tout cas risquée, car elle conteste les
conditions d'existence de son pouvoir. » -Pascal Charbonnat, Histoire des
philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.167.

327
https://www.amazon.fr/Marsile-Padoue-Gianluca-
Briguglia/dp/2812434295/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1463145954&sr
=1-1&keywords=marsile+de+padoue

https://www.amazon.fr/Defensor-Pacis-Marsilius-Alan-
Gewirth/dp/0231123558/ref=sr_1_cc_1?s=aps&ie=UTF8&qid=1463145906&sr
=1-1-catcorr&keywords=A.+Gewirth%2C+Marsilius+of+Padua

Nicolas d'Autrécourt, le retour du matérialisme (1295-1369) : « Les théories


d’Occam furent interdites à la faculté des arts de l’Université de Paris en 1339
et en 1340 ; plus d’un siècle après, en 1473, un édit du roi Louis XI interdit à
nouveau l’occamisme, et les maîtres doivent s’engager par serment à enseigner
le réalisme. Entre ces deux dates, tandis que la science d’Oxford languit, il s’est
produit à l’Université de Paris ce mouvement nominaliste, si important pour
l’histoire des sciences et de la philosophie, que P. Duhem est le premier à avoir
bien étudié et à avoir estimé à sa juste valeur. Le pape Clément VI, en 1346, ne
voyait pas sans inquiétude les maîtres ès arts se tourner vers ces « doctrines
sophistiques » . On sait déjà qu’il condamna l’année suivante les thèses du
cistercien Jean de Mirecourt qui, inspiré par Duns Scot, déclarait que Dieu est
la seule cause et, avec Occam, que la haine du prochain n’est déméritoire que
parce qu’elle est défendue par Dieu.
En 1346, il condamna les thèses d’un autre maître, un maître ès arts, Nicolas
d’Autrecourt, qui dut les abjurer publiquement l’année suivante devant
l’Université rassemblée. Une physique corpusculaire où tout changement se
réduit à un mouve¬ment local, un monde où la seule cause efficace est Dieu et
où l’on nie toute causalité naturelle, telle est l’image simple de l’univers que
Nicolas proposait pour remplacer la physique et la métaphysique
aristotéliciennes qui, à son avis, ne contenaient pas une seule démonstration et
que l’on devrait bien abandonner pour étudier son Éthique et sa Politique. » -
Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences sociales"
(à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages), p.481.

« Les théories d’Occam furent interdites à la faculté des arts de l’Université de


Paris en 1339 et en 1340 ; plus d’un siècle après, en 1473, un édit du roi Louis
XI interdit à nouveau l’occamisme, et les maîtres doivent s’engager par serment
à enseigner le réalisme. Entre ces deux dates, tandis que la science d’Oxford
languit, il s’est produit à l’Université de Paris ce mouvement nominaliste, si
important pour l’histoire des sciences et de la philosophie, que P. Duhem est le
328
premier à avoir bien étudié et à avoir estimé à sa juste valeur. Le pape Clément
VI, en 1346, ne voyait pas sans inquiétude les maîtres ès arts se tourner vers ces
« doctrines sophistiques » . On sait déjà qu’il condamna l’année suivante les
thèses du cistercien Jean de Mirecourt qui, inspiré par Duns Scot, déclarait que
Dieu est la seule cause et, avec Occam, que la haine du prochain n’est
déméritoire que parce qu’elle est défendue par Dieu.
En 1346, il condamna les thèses d’un autre maître, un maître ès arts, Nicolas
d’Autrecourt, qui dut les abjurer publiquement l’année suivante devant
l’Université rassemblée. Une physique corpusculaire où tout changement se
réduit à un mouve¬ment local, un monde où la seule cause efficace est Dieu et
où l’on nie toute causalité naturelle, telle est l’image simple de l’univers que
Nicolas proposait pour remplacer la physique et la métaphysique
aristotéliciennes qui, à son avis, ne contenaient pas une seule démonstration et
que l’on devrait bien abandonner pour étudier son Éthique et sa Politique. »
-Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences
sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages).

« Après avoir étudié la théologie, Nicolas d'Autrécourt (1295/1298-1369)


devient enseignant à la faculté des arts de Paris. A l'initiative de Benoît XII, la
justice papale l'inquiète en 1340, en le convoquant en Avignon, sans doute juste
après la parution de son traité Exigit ordo. Il doit répondre de ses prises de
positions, devant une commission qui inspecte chacun de ses textes. L'examen
inquisitorial dure six années, durant lesquelles Nicolas est emprisonné.
Finalement, il se rétracte et accepte de condamner quelques propositions tirés
de ses œuvres et de ses cours. Le 20 novembre 1347, la sentence tombe: interdit
de séjour et d'enseignement à Paris, il est condamné à brûler ses œuvres et perd
son titre de maître en théologie. Il termine sa vie à Metz, reclus, comme doyen
du chapitre de la cathédrale. La censure catholique ne nous a laissé que peu de
ses textes. Seuls subsistent un traité philosophique, Exigit ordo (commencé vers
1330), une dispute sur la vision béatifique, et trois lettres de sa correspondance.
[...]
Nicolas commence son traité par un postulat ontologique: l'éternité des
éléments du monde malgré les changements de surface. Cette éternité va de
paire avec la perfection propre à chaque chose: la nature est bonne et parfaite.
D'emblée la division aristotélicienne, entre les mondes terrestres et célestes,
entre le corruptible et l'incorruptible, est niée au profit d'une réconciliation de
la nature avec elle-même. L'éternité et la perfection descendent sur Terre et
329
deviennent la qualité première de toutes choses. Cette conception est un
véritable synonyme de l'immanence épicurienne. [...]
Nicolas pose comme principe qu'une cause ne peut produire qu'un seul type
d'effet. Deux causes différentes ne peuvent pas produire un même effet, même si
elles peuvent agir ensemble. Deux conséquences découlent de ce postulat. D'une
part le libre-arbitre devient impossible, en particulier le divin, car il implique la
possibilité de réaliser des effets opposés. Or, aucune volonté n'est capable de
produire des effets différents. D'autre part, Dieu ne peut être la cause de toutes
les choses, puisqu'une cause ne peut pas être responsable de tous les effets. On
imagine facilement le scandale qu'a pu susciter une telle thèse. » -Pascal
Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103,
706 pages, p.170-171.

http://www.amazon.fr/Croire-savoir-principes-connaissance-
dAutr%C3%A9court/dp/2711617351/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1443701773&
sr=8-
1&keywords=Croire+et+savoir%3A+les+principes+de+la+connaissance+selon
+Nicolas+d%27Autr%C3%A9court

https://www.amazon.fr/Universal-Treatise-Nicholas-Autrec-
Autrecou/dp/B01AMHL1YY/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1467309302&sr=8-
2&keywords=The+universal+treatise

Guillaume d'Ockham (1285-1347) : « Écoutez ceci, vous tous les peuples ;


prêtez vos oreilles, vous qui vivez à la surface du globe terrestre, car je vais
parler de choses de grande importance et qu'il vous est nécessaire de connaître.
Je me lamente et gémis en effet des iniquités et des injustices qui ont été
commises à votre encontre à vous tous -et au préjudice du monde entier- par
celui qui se vante d'occuper aujourd'hui la chaire de saint Pierre, et par
d'autres qui, en grande nombre, l'ont précédé dans l'exercice de ce pouvoir
tyrannique et de cette méchanceté.
Le désarroi qui m'afflige n'est pas moins grand lorsque je vois que vous ne vous
souciez pas de rechercher avec exactitude à quel point ce pouvoir indignement
usurpé qui s'exerce sur vous est opposé à l'honneur de Dieu, dangereux pour la
foi catholique, et contraire aux droits et libertés qui vous ont été accordés par
Dieu et par la nature ; et, ce qui est pire encore, vous rejetez ceux qui veulent
vous informer de la vérité, vous défigurez leurs arguments, et vous les
condamnez. » -Guillaume d'Ockham, Court traité du pouvoir tyrannique sur les
330
choses divines et humaines -et tout spécialement sur l'Empire et sur ceux qui
sont assujettis à l'Empire- usurpé par ceux que certains appellent "Souverains
pontifes", PUF, coll. Fondements de la politique, 1999, 336 pages, p.95.

« Le résultat intellectuel de la confrontation théologico-politique d'Ockham


avec la papauté est que pour la première fois dans l'Histoire, le paradigme
individualiste commence à prendre forme dans le champ épistémologique, puis
« sociologique » et éthique, en s'opposant à la philosophie réaliste et holiste
alors dominante de saint Thomas. Pour G. d'Ockham, les universaux et autres «
substances secondes » aristotéliciennes dont le thomisme affirme la réalité
primordiale ne sont que des signes, des abstractions, et n'existent littéralement
pas. Il n'y a rien d'ontologiquement réel au-delà de l'être particulier, de
l'individuum - terme du latin scolastique apparu alors depuis peu dont Ockham
retourne la logique pour en faire non plus l'aboutissement d'un processus
d'individuation à partir du genre ou de l'espèce, mais l'objet d'une intuition
originelle et empirique de la réalité nécessairement singulière et une. L'individu
est un tout unique et séparé qui existe par lui-même, et cela vaut aussi dans
l'ordre de l'humain. En conséquence, les totalités que semblent être les
institutions et les corps sociaux (universitas) perdent tout droit de cité et sont
réduites à n'être que la simple collection (societas) des parties qui les
composent et seules existent: les individus humains. Ainsi, tel ordre religieux ou
l'Eglise en elle-même n'existent pas, ils sont simplement le nom (d'où le ...
nominalisme) donné à l'ensemble des Frères ou des fidèles individuels. Par là
même s'enclenche le processus d'individualisation et de recomposition de la
société, avec une séparation du spirituel et du séculier légitimant
l'autonomisation du politique - et par l'attribution au sujet individuel du droit
naturel de choisir, de s'associer volontairement et contractuellement, et de se
livrer à l'appropriation privée des biens.

Selon l'analyse que l'un des plus grands historiens mondiaux de la philosophie,
le P. Coppleston, fait de l'ouvrage d'Ockham intitulé Opus nonaginta dierum, le
franciscain d'Oxford pose explicitement que « l'individu a son droit naturel à la
propriété. Dieu a donné à l'homme le pouvoir de disposer des biens sur la terre
selon un mode dicté par la droite raison et, depuis la Chute, la droite raison
montre que l'appropriation individuelle des biens temporels est nécessaire. Le
droit de propriété privée est ainsi un droit naturel voulu par Dieu et il est donc
inviolable, au sens que personne ne peut être dépouillé de ce droit par un

331
pouvoir terrestre » (A history of philosophy). » -Alain Laurent, Histoire de
l’individualisme.

"On ne peut pas supposer qu'Occam ait directement influencé le développement


moderne du droit, car ses écrits juridiques ne semblent pas avoir été largement
connus. Toute son œuvre pourtant est hautement significative. Parler de
nominalisme d'une part, de l'autre de positivisme et de subjectivisme juridiques,
c'est tout simplement marquer la naissance de l'Individu dans la philosophie et
dans le droit. Lorsqu'il n'y a plus rien d'ontologiquement réel au-delà de l'être
particulier, lorsque la notion de « droit» s'attache, non à un ordre naturel et
social, mais à l'être humain particulier, cet être humain particulier devient un
individu au sens moderne du terme." (p.88)

-Louis Dumont, Essais sur l'individualisme. Une perspective anthropologique


sur l'idéologie moderne, Paris, Le Seuil, coll. Point, 1985 (1983 pour la
première édition), 314 pages.

« [Louis Dumont] met l'accent sur les effets à long terme du nominalisme et,
tout spécialement, de l'œuvre de Guillaume d'Ockham (1285-1347), qui
marquerait le passage de l'uniuersitas médiévale à la societas moderne (ou
prémoderne). Ockham est amené à prendre ses distances par rapport à la
double référence traditionnelle entre (1) l'homme comme tout vivant, individu
privé en relation directe avec son créateur et (2) l'homme, membre de la
communauté, partie du corps social. Ce n'est pas tant que la distinction ne soit
pas acceptable en elle-même ; c'est plutôt la façon de caractériser cette
distinction en termes de substances qui gêne Ockham ; à Thomas d'Aquin, qui
différenciait des "substances premières" (les êtres particuliers, Pierre ou Paul)
et des "substances secondes" (genres, espèces, catégories, classes d'êtres),
Ockham et le nominalisme opposent qu'il n'existe pas de "substances secondes"
mais un simple phénomène de réification, c'est-à-dire l'emploi de termes
généraux et arbitraires qui trouvent leur fondement et leur raison d'être dans la
réalité empirique mais qui ne signifient rien en eux-mêmes. Cette prise de
position marque la naissance de l'individualisme dans la philosophie et dans le
droit, car elle pose qu'il n'y a rien d'ontologiquement réel au-delà de l'être
particulier (ou substance première), "que les entités sociales n'ont pas de
réalité" sinon "fictionnelles" (au sens où l'on parle de la "fiction" du droit), "en
dehors des êtres humains individuels qui les composent" ; ce faisant, Ockham
étend la liberté de l'individu, traditionnelle dans le christianisme, du plan de la
332
vie personnelle à celui de la vie en société. Ce tournant marquerait le passage
du religieux (l'Église comme Tout de la société) au politique (l'Etat comme tout
social) ; de ce point de vue, Dumont rejoint une ligne de réflexion ancienne,
revivifiée dans les années 1980, qui s'emploie à conjoindre la naissance de
l'individu à celle de l'Etat moderne. » -Brigitte Miriam Bedos-Rezak &
Dominique Iogna-Prat (dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et
individualisation avant la modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier,
2005, 380 pages, p.17.

« Okam, d'un éclair de raison, montra la vanité de tout l'idéalisme gothique; il


ramenait, par une évolution dernière, la doctrine [scolastique] au point où
Abélard l'avait placée, à cette simple notion que les idées ne sont pas des
êtres. » -Émile Gebhart, Les Origines de la Renaissance en Italie, 1879.

« C’est à l’école d’Occam qu’a été formé Luther ; il a emprunté à Occam sa


tendance antimétaphysique, son hostilité contre Aristote et la scholastique, sa
conception anti-intellectualiste de l’âme et donc volontariste de Dieu (celui-ci
sauve arbitrairement qui il veut), sa conception d’une justification sans lien réel
entre l’âme et Dieu. » -Jacques Mantoy, Précis d'histoire de la philosophie,
Paris, Éditions de l'École, 1965, 124 pages, p. 44.

« Le caractère scandaleux de la doctrine d’Occam est une découverte toute


moderne ; du XIVème au XVIIème siècle, personne ne s’en est aperçu. » -
Étienne Gilson, « La philosophie franciscaine », in Saint François d’Assise : son
œuvre, son influence, Paris, 1927, pp.148-75, p. 171.

« Il ne faut pas considérer que la messe est dite quand on a opposé Thomas
d’Aquin et Duns Scot, analogie et univocité. Il y a toute une gamme de positions
intermédiaires et la position nominaliste d’Occam est tout à fait originale, dans
son refus implicite de prendre position sur le débat : Dieu ou l’être comme objet
de la métaphysique. La question est en effet déplacée par Occam dans la mesure
où pour lui une science ne se définit pas par son objet, car n’importe quel objet
peut être considéré par plusieurs sciences, la conséquence étant radicale pour
la métaphysique :

« Rien n’est sujet de la métaphysique en général, mais au contraire les diverses


parties ont divers objets. » […] (Sentences, I, question 9). » (p.328)

333
« Heidegger sous-estime constamment l’importance d’Occam et du nominalisme
en particulier, probablement parce qu’il juge qu’il n’y a pas de métaphysique
ou d’ontologie occamiste, ce qui est faux. » (p.328)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,


2004, 1062 pages.

« La philosophie occamienne, en elle-même, dans ses présupposés scotistes et


dans une systématique opposition à la structure de pensée aristotélicienne,
donne ainsi à la réflexion philosophique des temps modernes une remarquable
unité. » -André de Muralt, L’unité de la philosophie politique. De Scot, Occam
et Suarez au libéralisme contemporain, Librairie philosophique Vrin, coll.
Bibliothèque d’histoire de la philosophie, 2002, 198 pages, p.156.

« [According to Ockham] people are allowed to judge their ruler according to


the performance of his job, to depose the unworthy ruler, and to change the form
of installing their rulers.” -Jürgen Miethke, "The concept of liberty in William
of Ockham", Actes de la table ronde de Rome (12-14 novembre 1987),
Publications de l'École française de Rome, Année 1991, Volume 147, Numéro
1, pp. 89-100, p.96.

"Although i have explored the relations between Ockham's political works and
his nominalist speculative writings, i am certain that further detailed
investigation in this area, too, would be rewarding." (p.IX)

"Ockham seems not only unavoidable but also enigmatic. He has been seen as
the destroyer of the high scholastic synthesis of faith and reason, yet his
personal orthodoxy has seldom been questioned in recent times, and the avowed
target of his critical attacks was the "common opinion of the moderns" rather
than traditional theological systems. He was involved in a literacy war with the
popes at Avignon that rivaled in length and bitterness any previous contest
beteen empire and papacy, yet he has also been described as "a constitutional
liberal... not an anti-papal zealot"." (p.1)

"Certain theses advanced by Ockham [...] in his speculative or academic,


apparently non-political works, are of interest from a political standpoint ; for
example, the thesis that only acts of will (in contrast with overt behavior -actus
exteriores) have intrinsic moral value, or that respect for right reason is

334
required in any virtuous act." (p.3)

"It is commonly held that nominalism was the death of scholasticism and that
Ockham's political ideas were destructive of the medieval social order. Hence, it
is important to recognize that at the beginning of his career Ockham was very
much a part of the religious and academic establishment. In his early work at
Oxford he explicity disagreed with such figures as St Thomas and Duns Scotus,
but he discussed their views, especially those of Scotus, in detail and with
respect. [...] Especially on the point which most sharply divides nominales from
reales, the issue of realism itself, Ockham claimed to proceed constructively, for
he held that it was realism, not nominalism, that destroyed the possibility of
genuine knowledge. To posit non-singular things outside the mind was, he said,
not only absurd, but it destroyed the whole of Aristotle's philosophy and all
science, truth, and reason." (p.5)

"In 1324, after teaching at Oxford for some years but apparently before
receiving the doctorate, Ockham was summoned to the papal court at Avignon
to answer charges of heresy brought against some of his doctrines by a former
Chancellor of the university, John Lutterell. [...] Out of fifty-one articles
considered in 1324-5, the examiners found many to be erroneous but not one
heretical. The commission was then set to work on a second inquiry, this one
resulting in a finding of heresy in connection with ten articles. We can only
speculate as to whether John XXII's recent and continuing attacks on the
Spiritual Franciscans were important in stimulating a second and harsher
examinations of the order's most brillant theologian. [...] Both reports have
been critized for dealing with Ockham's views on the basis of snippets taken out
of context and badly understood at that. [...] No further action had been taken,
as far as we know, by the time Ockham fled from Avignon nearly two years
later. [...] In a letter to the king of Bohemia, the pope was willing to brand
Ockham a heresiarch for the ideas on which he had been examinated at
Avignon, but his excommunication was based on his having fled the papal curia
with Michael of Cesena, not on the results of Lutterell's process against him.
The objective orthodoxy of Ockham's doctrine of justification is still in dispute,
but there is no doubt that the manner in which his teaching was examined would
have strained even a patient man's confidence in the established system of
justice. All in all, that process appears to have been a needless humiliation of an
original but very cautious theologian. Although there are no direct references to
335
it in his later writings, such an ordeal must surely have reinforced the other,
more important grounds for dissatisfaction with the papal government which
were becoming evident to him at the same time.
John XXII thought at first that Ockham had fled the curia because of a bad
conscience about the hérésies for which he had been delated there, but he soon
learned of Ockham's association with the Franciscans' minister general,
Michael of Cesena. Early in May, 1328, Michael, Ockham, and a few other
friars secretly left Avignon and took refuge with Ludwig of Bavaria, first in Italy
then, for the rest of Ockham's life, in Munich. The reason for Ockham's flight
was his duty, as he saw it, to defend Franciscan devotion to poverty as a
Christian ideal against no less a danger than a papal heresy." (p.7-9)

"Peter John Olivi [...] the moral and intellectual inspiration for so many of the
Franciscan Spirituals." (p.13)

"The issue of Franciscan poverty was for Ockham not merely a matter of the
friar's subjective renunciation of possessions (perhaps only a frame of mind) but
also a matter of objective disengagement from the legal order, not as being out-
laws, of course, but has having no legal recourse." (p.16)

"Ockham has not wanted to believe that a person holding the papal office would
promulgate hérésies as catholic truth. On reading John XXII's constitutions,
however, he concluded that just this had occurred." (p.17)

"In I Dialogus there is no theory of the secular state." (p.19)

"It is agreed that the year 1337 was a turning point in Ockham's career as a
publicist. It was in the Contra Benedictum, written at this time, that he first
attempted to determine the limits of the power of even an orthodox pope, a
problem henceforth never far from his mind and one which was indubitably
political in every sense of the term. The central difficulty was to form an
adequate conception of the distinctive "fullness of power" -plenitudo potestatis-
traditionally attributed to the pope. After raising this problem in the Contra
Benedictum, Ockham treated it intensively in each of the important works which
followed: III Dialogus, the Octo Quaestiones, and the Breviloquium ; he
presented his views finally and more concisely in the De Imperatorum et
Pontificum Potestate." (p.20-21)
336
"In the decade after 1337, then, Ockham "went political" in various ways: by
treating questions of Church government in a partly political style, by
supporting particular courses of action in secular affairs, and by explicity
considering basic questions of political theory." (p.25)

"It is natural when dealing with a medieval theologian and philosopher to


attempt to explain his political thought by deducing it from his more general
speculative world view. There are, however, at least three difficulties with such
a plan in Ockham's case: the intrinsic difficulty of correctly interpreting
nominalist theology and philosophy, the nearly total absence of explicity
political passages in the speculative works, and a corresponding paucity of
specifically nominalist passages in the political works." (p.28)

"As a theologian and philosopher among a small group of excommunicate


friars, how did Ockham think to bring down the reigning head of the Roman
church ? How could he think himself morally justified in such an undertaking ?
What obstacles did he recognize ? How did he seek to overcome them ? What
significance does this venture in revolutionary ecclesiastical politics have for
politics in general ?" (p.47)

"In Book 5 [of I Dialogus] he had asked who could be tainted with heretical
depravity. His answer was, very nearly everyone. The faith will endure until the
end of the world. Christ's promise assure it. But this promise is fulfilled if there
is even one catholic Christian. Certainly the pope can become a heretic, and so
can the college of cardinals, as for that matter can a general Council, or even
all the clergy. Indeed, all Christian men can fall into heresy. One could even
imagine the Christian faith being preserved only in the soul of a single baptized
infant." (p.48)

"The problem of papal heresy was not a new one in theory. [...] By Ockham's
time one common opinion held that a heretical pope was automatically deprived
of all ecclesiastical authority -just as a dead man is not a man, so a pope Fallen
into heresy is not a pope and is ipso facto deposed. [...] For all its theological
value, however, this idea provided little help in doing anything about a heretic
actually occupying the papal throne." (p.52)

337
"The greatest political problem, as he saw it, was to induce men to act from
regard to Christian truth rather than illusory political practicality." (p.6)

"Before Ockham, the tendancy of medieval political thinkers was to suppose that
persons in authority held places in a divinely ordained structure whose intrinsic
value prohibited protest or change except throught channels provided by the
structure itself. For Ockham, on the other hand, everyone is potentially active in
matters concerning the government of the church, at least in the extreme case of
pape heresy. [...] In the special or irregular situation in which Ockham made his
appeal, he asked individuals to rise above the social categories normally
defining them. To be sure, the appeal was made only in an extraordinary
situation, and its basis was the other individuals, those in positions of authority,
had Fallen short of the demands of their offices (the traditional distinction), and
yet Ockham did not support an alternative ideology in which some other office
was superior to the papacy. This was the path of those royal and imperial
political theories which used the sacral character of the king's office or the lay
ruler's protective function as tutor ecclesiae to make him, rather than the pope,
the foundation of ecclesiastical order. Such a path was closed to Ockham by the
fallibilism defended in I Dialogus 5. Since no part of the chruch can be
identified with the whole church, no part can lay claim to the inerrancy which
has been promised to the whole church. Hence, there can be no "fail-safe"
ecclesiastical constitution, no purely constitutional solution to so radical a crisis
as papal heresy. Accordingly, although Ockham made systematic reference to
the officia or doctor, rex, princeps, praelatus, and so on, in the course of
insisting upon action against the heretical pope, his ultimate appeal was for the
individual to act in spite of his position, not because of it." (p.73)

"It is clear that his opposition to the individual popes of his times was far from
conventional." (p.74)

"Ockham substantially redefined the relation between society and government.


Instead of viewing law and government as the animating force in society, the
source of all order and value, Ockham regarded them as purely instrumental.
The political element in human affairs becomes with him a means to the social
existence of free men, but not the basis of the community or its end." (p.85)

"Ockham did eliminate the specifically religious basis for secular power, not
338
only within the medieval societas Christiana, but in broader contexts as well.
This desacralization of secular power was part of Ockham's larger effort to
resolve the institutional conflits of his age, and its ultimate motive was religious.
Nevertheless, the immediate effect was a reinterpretation of certain
longstanding ecclesiastical traditions, a reinterpretation which in all but the
most abnormal conditions deprived them of political substance." (p.85)

"Ockham denied the dependence of secular on ecclesiastical power. It must


again be emphasized, however, that, "radical" as this denial was in terms of
papalist political theory, Ockham did not present it as a departure from
tradition." (p.95)

"[More enlightened than St Thomas] Ockham is even ready to grant an


imperator infidelis authority in religious disputes in so far as they endanger the
common good." (p.102)

"Before the fall, according to Ockham, there was no private property or


political rulership. The human race did have a dominium (potestas dominandi)
over the rest of the creation, but this was a natural right possessed by the human
race in common. After the fall, a second power was conferred by God, a power
to appropriate temporal things to determinate persons and to set up rulers. This
power, too, was conferred upon the human race in common, however, not on
particular persons." (p.105)

"A more important indication of Ockham's unwillingness to make popular


consent the sole principle of political legitimacy is his repeated denial that a
community may at its own discretion withdraw power from the government it
has established. Once an emperor is elected he has no regular Superior on
earth. In this sense (though not in the sense of a special divine mandate) his
power is a solo Deo. Hence, he cannot validly be deposed without cause or
fault. This is one of the points at which Ockham's ideas were directly relevant to
current political reality. The attempts of the papacy and of Baldwin or Trier to
depose Ludwig of Bavaria in the years around 1345 could be made more
acceptable to the imperial electors if they were persuaded that they had the
power to depose the emperor and elect a successor at their own discretion. The
electors would naturally have been reluctant to concede that their original
election of Ludwig was invalid, but no such concession was required by a theory
339
of electoral discretion. It is likely enough that Ockham's rejection of this theory
in the Breviloquium was directed against electoral prétentions to sovereign
power. Its relevance to German politics does not make this limitation of the
doctrine of consent inconsistent with the basic principle of Ockham's own
thought, however. If we search his writings from one end to the other, we find
almost nothing to suggest that the continuing participation and consent of the
governed is an essential principle of political legitimacy." (p.107)

"It is misleading to combine Ockham with Marsilius as an exponent of popular


sovereignty." (p.108)

"Ockham has in mind corporate but non-political reference points for


evaluating the benefits of various forms of governments. Instead of viewing
society as the source of moral personality or status, he found such values in
man's situation prior to the establishment or activities of any government, yet
there is no ground for attributing to him the view that pre-political man exists in
a state of radical ethical separation from his fellows. On the contrary, it is
because all humanity already forms one kingdom in an informal sense that the
existing political situation (where there are many Kings) should be transcended.
The values appealed to here are social, not individualistic. [...] The specifically
political component in human affairs, the apparatus of law and government, will
be distinct from and secondary in value to the larger human corpus which it
régulates." (p.118-119)

"Ockham differed from both Marsilius and the papalists in construing the
individual's freedom as an absence of interference from government, not in
terms of a positive relation to government (as either an efficient cause in
legislation or as an ordened part of the corporate whole)." (p.119)

"He asserts that the quality of a form of government dépends on the quality of its
subjects: the better the subjects, the better the regime. Since free men are better
than unfree, the "best" regime will be over the former. Hence, it is repugnant to
the best regime to be entirely over servi. In this argument, Ockham once again
differs from Plato and Augustine, for whom the best regime is that in which the
best element is dominant. For this tradition, the quality of a community thus
dépends on the quality of its rulers. For Ockham the reverse is the case." (p.121)

340
"Ockham believed that there was reasonable cause for establishing systems of
property and even, on occasion, for imposing the yoke of servitude on men who
are by nature free. Nevertheless, his defense of Franciscan poverty and
emphasis on personal liberty cannot be viewed simply as expressions of pious
sentiment or subjective, personal aspiration. In the former case, to be sure, the
ideal natural "right" to be poor was defended only for a select minority, not
used as the basis for a new social order." (p.181)

"What might be called the rationalism of Ockham's voluntarism -the


requirement of some exercice of recta ratio for any good act and the demand that
due care be taken to find the "right" right reason- strongly supports the use of
natural law." (p.195)

"[His] political works make no appeal to a distinctively Ockhamist theological


epistemology." (p.199)

"Ockham's emphasis on the inner relation to God provides at least indirect


support for an exaltation of the free, individual "subject". So long as an
individual does all that is in him to love God above all else et does his duty from
love of God, his acts will be intrinsically valuable, whether they are externally
magnificent or humble. To be sure, the free Christian will show reasonable
respect for his ecclesiastical and secular superiors, but his personal Worth will
not depend on them. Although Ockham never directly attacked the hierarchical
order of medieval society, the effect of his doctrine is certainly to diminish the
human significance of rank and privilege. It would be easy to exaggerate here
what is only the development of a common Christian theme." (p.205)

"Ockham's work signals the end of political Augustinism and the hierocratically
inspired descending thesis of government with its resulting program of moulding
society from above." (p.221)

"Every individual has a natural right to the necessities of life which justifies
using the property of another in case of extreme need even without the other's
consent." (p.222)
-Arthur Stephen McGrade, The Political Thought of William of Ockham,
Cambridge University Press, 2002 (1974 pour la première édition), 269 pages.

http://hydra.forumactif.org/t2397-takashi-shogimen-ockham-and-political-
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341
http://hydra.forumactif.org/t2399-jonathan-robinson-william-of-ockham-s-early-
theory-of-property-rights-in-context#3137

http://hydra.forumactif.org/t2402-siegfried-van-duffel-jonathan-robinson-
ockham-s-theory-of-natural-rights#3140

http://hydra.forumactif.org/t2403-jurgen-miethke-the-concept-of-liberty-in-
william-of-ockham#3141

http://hydra.forumactif.org/t2400-frederick-charles-copleston-a-history-of-
philosophy-volume-iii-ockham-to-suarez#3138

http://hydra.forumactif.org/t2398-gordon-leff-william-of-ockham-the-
metamorphosis-of-scholastic-discourse#3136

http://hydra.forumactif.org/t2401-paul-vincent-spade-the-cambridge-
companion-to-ockham#3139

http://www.amazon.fr/Guillaume-dOckham-singulier-Pierre-
Alf%C3%A9ri/dp/2707312002/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=14515654
58&sr=1-1&keywords=guillaume+d%27ockham+le+singulier

http://www.amazon.fr/Nominalisme-
Michon/dp/2711612031/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1451564995&sr=
1-2&keywords=Nominalisme

http://www.amazon.com/History-Philosophy-III-Ockham-
Suarez/dp/0809100673/ref=sr_1_21?s=books&ie=UTF8&qid=1448735835&sr=
1-21&keywords=Ockham

https://www.amazon.fr/Trait%C3%A9-sur-quantit%C3%A9-corps-
Christ/dp/2251183159/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1462896948&sr=8-
1&keywords=Guillaume-D-ockham-Traite-sur-la-quantite-et-traite-sur-le-corps-
du-Christ

https://www.amazon.fr/Intuition-abstraction-Guillaume-
dOckham/dp/2711618064/ref=pd_sim_sbs_14_2?ie=UTF8&dpID=41KERDR4
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dOckham/dp/2711618811/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=415Bf3yzhEL&d
342
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=5X7Q2HA1TH5RY
KWB5KCN

https://www.amazon.fr/Philosophie-Theologie-chez-Guillaume-
dOckham/dp/B01BLIMPY8/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1462896667&sr=8-
1&keywords=R.+Guelluy%2C+philosophie+et+th%C3%A9ologie+chez+Guilla
ume+d%27Ockham

https://www.amazon.fr/Lessentialisme-Guillaume-dOckham-Magali-
Roques/dp/2711626709/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=41WaHlsq0PL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR107%2C160_&refRID=5RSBBD9T0M
HTQ8Y33PN2

http://www.amazon.fr/gen%C3%A8se-l%C3%89tat-moderne-politique-
Angleterre/dp/2130518192/ref=sr_1_53?s=books&ie=UTF8&qid=1454954972
&sr=1-53&keywords=guillaume+d+ockham

http://www.amazon.fr/Linvention-soci%C3%A9t%C3%A9-Nominalisme-
politique-
sociale/dp/2713218187/ref=sr_1_7?s=books&ie=UTF8&qid=1451565132&sr=
1-7&keywords=Nominalisme

Édouard II (1284-1327) : « Éprouvant peu de goût pour gouverner, Édouard II


(1307-1327) reste relativement passif face aux raids écossais et délègue son
autorité à des favoris impopulaires comme les Despenser. Un groupe de comtes,
barons et prélats, formé sous l’influence de Thomas de Lancastre, cousin du roi,
formulent des ordonnances (1311) destinées à réguler l’exercice du pouvoir
royal dans divers domaines (nomination des officiers, politique militaire et
monétaire). L’affrontement entre ces nobles et l’entourage du roi culmine à la
bataille de Boroughbridge (1322) où triomphent les Despenser. S’ensuit une
féroce répression contre les barons et leurs chefs (exécutions, confiscations de
biens) et une période de terreur. A Paris, la reine Isabelle, fille de Philippe le
Bel, mariée en 1308 à Édouard II, rencontre des exilés anglais, dont Roger
Mortimer qui devient son amant, et organise une expédition visant à renverser
son époux. En 1326, Édouard II est emprisonné et ses favoris exécutés ; le roi
renonce au trône au profit de son fils en janvier 1327 et meurt peu après, peut-
être assassiné. » -Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident,
XIIe - XIe s, Atlande, 2020, 623 pages, p.101.

343
Jean Froissart (1337-1410) : « Pour vous informer de la vérité, je commençais
jeune, dès l'âge de vingt ans : et si suis venu au monde avec les faits et les
aventures, et si y ai pris grand plaisance plus que à tout autre chose. Et si Dieu
m’a donné tant de grâce que j’ai été bien de toutes les parties et des hôtels des
rois et par espécial de l‘hôtel du roi Édouard d’Angleterre et de la noble reine
sa femme, madame Philippa de Hainaut, … à laquelle en ma jeunesse je fus
clerc, et la servais de beaux dits et traités amoureux. Et pour l’amour du service
de la noble et vaillante dame à qui j’étais, tous les seigneurs, rois, ducs, comtes,
barons et chevaliers, de quelque nation qu’ils fussent, m’aimaient, oyaient
[écoutaient] et voyaient volontiers, et en faisaient grand profit. Ainsi, au titre de
la bonne dame et de ses coûtages [frais], et aux coûtages des hauts seigneurs en
mon temps, je cherchais la plus grande partie de la chrétienté ; et partout où je
venais, je faisais enquête aux anciens chevaliers et écuyers qui avaient été en
faits d’armes, et qui proprement en savaient parler, et aussi à aucuns hérauts...,
pour vérifier et justifier toutes matières. » (FROISSART, Chroniques, liv. IV.
ch. 1, éd. Kervyn, t. XIV1).

« Nulle œuvre n'est plus éloignée de la tradition classique que celle de Jean
Froissart (1337-1410 ?) Ce fils d’un bourgeois de Valenciennes, qui fut clerc —
curé et chanoine — pour vivre plus commodément, ne s‘intéressait qu’aux
prouesses et mœurs de chevalerie. Il ne faut chercher rien de plus dans ses
Chroniques. Mais celles-ci sont incomparables de couleur et de vie. Froissart a
été non pas un érudit occupe à compulser des documents d’archives, mais ce
qu'on appelle aujourd'hui un « reporter », le plus curieux et le plus infatigable
qui fut, sans cesse sur les routes pour s’informer auprès des uns et des autres,
prendre des « interviews », noter avidement ce qu’on lui racontait, pourvu que
ce fut récit d'aventures. » -Albert Malet & Jules Isaac, XIVe-XVe-XVIe siècles,
Cours complet d’histoire à l’usage de l’enseignement secondaire, classe de
troisième, Paris, Hachette, 1927 (programme 1925), pp.164-165.
(1) Jean Froissart, Chroniques (forumactif.org)

Édouard III (1312-1377) : « Soumis dans sa jeunesse à sa mère et à Roger


Mortimer, Édouard III (1327-1377) s’affirme ensuite comme un grand
souverain. Ayant fait arrêter Mortimer en 1330, il s’efforce de restaurer
l’autorité royale en se rapprochant d’une noblesse qui lui reste au départ assez
indifférente malgré ses tentatives de séduction (création de nouveaux comtes).
Sur le continent, sa volonté de rattacher l’Aquitaine au royaume lui vaut parfois
344
l’hostilité des seigneurs gascons et il se heurte au roi de France qui n’entend pas
renoncer à son autorité sur ce territoire ; en 1324, le duché est brièvement
confisqué. Pour fragiliser la position française, Édouard suscite la révolte de la
Flandre dont l’économie drapière est tributaire de la laine anglaise. S’il met en
avant ses droits à la couronne de France en 1328, ce n’est que dans les années
1337-1340 qu’il les revendique pleinement, espérant ainsi obtenir
l’indépendance de la Guyenne. Le financement d’une armée performante impose
une forte hausse de la fiscalité, ce qui occasionne des tensions avec le Parlement
(1340-1341). Toutefois, la succession des victoires du roi et de celles de son fils,
Édouard de Woodstock, dit le « Prince Noir », contre les Français (1340-1347)
lui vaut un grand prestige. Il fidélise sa noblesse par l’organisation de grands
tournois, par la fondation de l’ordre de la Jarretière (1348) qui distingue les
meilleurs chevaliers et par la concession d’une protection contre l’arbitraire
royal (Statut des trahisons, 1352). Il recueille aussi le soutien de la bourgeoisie
siégeant aux Communes. Parallèlement, l’administration centrale est renforcée
et la situation financière stabilisée, notamment grâce aux gains considérables
réalisés en France. En 1360, ses revendications territoriales sont pleinement
satisfaites par le traité de Brétigny-Calais, même s’il lui faut renoncer à ses
prétentions au trône. Mais, dans les années 1370, l’influence anglaise sur le
continent recule au rythme de la reconquête de Charles V. Vieillissant, Édouard
III laisse davantage de place à un petit cercle d’intimes impopulaires, comme
son fils cadet, Jean de Gand. Les relations entre la Couronne, la noblesse et les
Communes se tendent jusqu’au Parlement de 1376 : les Communes exigent alors
la nomination d’un nouveau conseil, la destitution et le jugement de plusieurs
favoris par une procédure d’impeachment laquelle, bien que sans grandes
conséquences dans l’immédiat, ouvre une nouvelle ère dans les relations entre
Parlement et royauté. » -Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société.
Occident, XIIe - XIe s, Atlande, 2020, 623 pages, pp.101-102.

Édouard de Woodstock dit « Le Prince Noir » (1330-1376) :

Richard II (1367-1400) : « Petit-fils d’Édouard III et fils du Prince Noir […]


Richard II (1377-1399) accède au trône à onze ans. Il cherche à renforcer le
pouvoir monarchique, mais son intransigeance et son autoritarisme soulèvent de
nombreuses oppositions, en particulier celle du Parlement. Sa minorité, dominée
par son oncle Jean de Gand, est marquée par la révolte des travailleurs
déclenchée dans le Kent après la levée d’une Poll Tax (1381). Après le départ de
Jean de Gand pour la Castille (1386), le roi s’entoure de favoris, comme
345
Michael de La Pole, comte de Suffolk, rapidement mis en accusation comme
responsables des défaites sur le continent. Après une procédure d’impeachment,
Richard est contraint de choisir de nouveaux conseillers parmi ses opposants
(Arundel, Gloucester). Humilié, il tente de réagir juridiquement, en mettant le
Parlement en accusation, et militairement, mais son armée est battue, ses favoris
exilés ou exécutés (1388). La défaite de ses opposants face aux Écossais à
Otterburn (1388) et le retour de Jean de Gand (1389) lui permettent de rétablir la
situation. Victorieux en Irlande (1394), Richard prolonge la paix avec la France
(trêves de Leulinghem) et épouse en 1396 Isabelle de France, fille de Charles VI
et d’Isabeau de Bavière. Admiratif de la cour des Valois, il est le dernier
souverain anglais francophone et francophile. De nouveau plein d’assurance, le
roi revient à une politique autoritaire, faisant exécuter ses opposants et
prononçant le bannissement de son cousin Henri Bolingbroke, fils de Jean de
Gand […] Réfugié sur le continent, Henri Bolingbroke prend la tête de
l’opposition au pouvoir royal. En 1399, alors que Richard est en Irlande, Henri
débarque en Angleterre, recueillant le soutien des grandes familles du Nord. A
son retour, le roi est arrêté et emprisonné à la tour de Londres où il contraint
d’abdiquer (26 septembre 1399). Il meurt, sans doute de faim, à la fin de l’année
1399. Henri devient le premier roi de la dynastie Lancastre sous le nom d’Henri
IV (1399-1413). » (p.102)

-Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

La Guerre de Cent Ans (1337-1453) : « Au XIVe siècle, tandis que, dans les
affres de la guerre de Cent Ans, naît l’idée de nationalité qui va écarter pour
toujours l’idée d’une unité politique de la chrétienté, la représentation de
l’univers se disloque. N’est il pas vrai d’ailleurs que les éléments que les
penseurs dit XIIIe siècle avaient reçus dans leur construction travaillaient
sourdement à la miner ? Platonisme, aristotélisme, expérience, mathématiques,
traditions antiques, toutes ces forces qui nous ont apparu momentanément
participant à la construction d’un système de pensée chrétienne vont se faire
voir maintenant sous leur véritable jour comme des forces complètement
indépendantes de la croyance chrétienne à une destinée surnaturelle. » -Émile
Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences sociales" (à
partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages), p.470.

346
« Pendant la guerre de Cent Ans, c'est sous forme de résistance à l'occupant, et
après des décennies d'hésitation, qu'apparaît une conscience nationale. » -Gil
Delannoi, Sociologie de la nation: Fondements théoriques et expériences
historiques, Armand Colin, Paris, 1999.

« Un peu partout dans le royaume, des attitudes se firent jour attestant une
réaction de méfiance, de peur et de haine à l’égard des Anglais, ressentis
comme des envahisseurs et non comme des héritiers légitimes cherchant à
récupérer leur bien. La monarchie des Valois, dans la mesure de ses moyens, ne
manqua pas de favoriser ces tendances. »

(Philippe Contamine, « Geoffroy de Charny (début du xive siècle -1356). “Le


plus prudhomme et le plus vaillant de tous les autres” », Pages d’histoire
militaire médiévale, Paris, Institut de France, 2005, pp. 171-184, rééd. Histoire
et société. Mélanges offerts à Georges Duby. T. II. Le Tenancier, le Fidèle et le
Citoyen, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 1992,
pp. 107-121).

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Philippe VI de Valois (1293-1350) : « [La flotte française] fut détruite en 1340


à la funeste bataille de l'Écluse: la guerre de Cent Ans a commencé par ce
désastre, par l'équivalent de Trafalgar. Désormais, l'Angleterre est maîtresse
des routes maritimes. Elle envahira la France où et quand elle voudra. [...]
L'armée anglaise traversa la Normandie, pillant les villes ouvertes. Elle
remonta la Seine, menaça Paris. Philippe VI, pendant ce temps, inquiétait
l'ennemi du côté de la Guyenne. Il remonta en hâte avec son armée et son
approcha détermina Édouard [III], qui se sentait bien en l'air, exposé à une
aventure, à s'en aller au plus vite vers le Nord. Plusieurs fois sa retraite faillit
être coupée, tant qu'il dut se résoudre à faire tête, croyant tout perdu. En
somme, il redoutait l'armée française, il ne se fiait pas assez à la supériorité de
ses moyens. Il avait pourtant l'avantage de la tactique et du matériel. Le calcul
et l'organisation l'emportèrent sur l'imprudence d'une vaine bravoure dans la
347
fatale journée de Crécy: notre principale force militaire y fut détruire (1346).
Édouard III put assiéger et prendre Calais. Pendant deux siècles, l'Angleterre
gardera cette "tête de pont".
Édouard III ne poursuivit pas ses avantages. La guerre coûtait cher, les armées
étaient peu nombreuses, ce qui rendait prudent. Une trêve, plusieurs fois
renouvelée, fut signée avec la France. Elle durait encore lorsque Philippe VI
mourut en 1350. » -Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll.
tempus, 2014 (1924 pour la première édition), 552 pages, p.92-93.

Jean II le Bon (1319-1364) : « Un historien a pu dire qu'à l'avènement de Jean


le Bon "la trahison était partout". [...] Le roi Jean n'était sûr de personne, des
féodaux moins que des autres. Il essaya de s'attacher la noblesse par le
sentiment de l'honneur, exploita la mode, créa un ordre de chevalerie: ce qu'on
prend pour des fantaisies moyenâgeuses avait un sens politique. Ce Jean, qu'on
représente comme un étourdi, un agité romanesque et glorieux, se rendait
compte de la situation. Son autorité était compromise. Il n'hésita pas à faire
décapiter sans jugement un connétable, le comte d'Eu, qui avait vendu aux
Anglais la place de Guînes. Mais il allait trouver un traître dans sa propre
famille. Charles le Mauvais, roi de Navarre, petit-fils de Louis Hutin, s'estimait
injustement évincé du trône de France. Lui et les siens agitaient le pays par
leurs intrigues et leurs rancunes. Jean chercha vainement à le gagner par des
procédés généreux. Charles le Mauvais était puissant. Il avait des fiefs et des
domaines un peu partout en France, des partisans, une clientèle. Le parti de
Navarre ne craignit pas d'assassiner le nouveau connétable par vengeance: ce
fut le début des crimes politiques et de la guerre civile. Jean résolut de sévir, de
séquestrer les domaines du roi de Navarre, qui passa ouvertement à
l'Angleterre. Ce fut le signal de la reprise des hostilités avec les Anglais (1355).
La lutte s'annonce mal pour la France. Le roi doit compter avec Charles le
Mauvais, perfide, presque insaisissable, sur lequel par un beau coup d'audace,
il ne met un jour la main que pour voir une partie du royaume s'insurger en sa
faveur. Jean procède à des exécutions sommaires, fait reculer les rebelles, mais
n'ose, à tort, verser le sang de sa famille, et se contente d'emprisonner le roi de
Navarre qui lui demande pardon à genoux: nous verrons bientôt reparaître le
Mauvais, pire dans son orgueil humilié. Cependant les troupes anglaises se sont
mises en mouvement. Elles envahissent et ravagent la France, cette fois celle du
Midi, et avancent par le Sud-Ouest. C'était le moment de la nouvelle rencontre,
inévitable depuis Crécy. Édouard III s'y était préparé. L'argent lui manquait:
348
l'Angleterre industrielle et commerçante en emprunta, sur le monopole des
laines, aux banquiers florentins. A la France, surtout agricole, cette ressource
faisait défaut. L'impôt seul pouvait remplir le Trésor, et moins que jamais les
Français étaient d'humeur à payer des impôts tandis qu'ils se plaignaient des
expédients financiers auxquels la couronne était réduite. Jean dut d'adresser
aux états provinciaux pour obtenir des subsides et, en 1355, convoqua des états
généraux. Là parut Étienne Marcel, prévôt des marchands de Paris. Avertie par
le chancelier des dangers que courait la France, l'assemblée consentit à voter
des taxes, mais à la condition de les percevoir par des agents à elle et d'en
contrôler l'emploi. Elle ajouta de sévères remontrances au gouvernement sur la
gestion des finances publiques. Que les impôts soient votés et perçus par les
représentants de ceux qui les paient, le principe était bon. La monarchie
l'acceptait. Elle avait elle-même tant de difficultés à trouver de l'argent ! Elle
eût volontiers laissé la tâche à d'autres. Mais les états tombaient mal. Ils ne
furent pas plus heureux que le roi. Une partie de la France était en rébellion. La
Normandie, l'Artois, la Picardie n'avaient pas voulu "députer" aux états
généraux et refusèrent d'acquitter les taxes. [...] Les états, devant le refus des
contribuables, remplacèrent les taxes sur le sel et sur les ventes par un
prélèvement sur le revenu qui fut accueilli de la même manière. Cependant
l'ennemi ravageait notre territoire. "La résistance aux impôts votés par les états,
dit Michelet, livrait le royaume à l'Anglais".
Jean le Bon dut se porter à la rencontre de l'envahisseur avec des troupes qui
n'étaient ni mieux armées ni mieux instruites que celle de Crécy. Ces dix ans
avaient été perdus dans le mécontentement et les dissensions. La France n'avait
fait aucun progrès militaire. Sa seule armée, l'armée chevaleresque et féodale,
se battit selon des principes qui ne valaient plus rien et recommença les fautes
de Crécy. Cette fois le désastre fut complet. A Poitiers, le roi Jean, qui s'était
battu en personne, la hache à la main, fut pris et emmené à Londres par les
Anglais (1356). » (p.93-95)

« La disparition du roi créa une situation révolutionnaire. Le dauphin Charles,


nommé lieutenant du royaume, restait seul à Paris. Il devait, plus tard, être un
de nos meilleurs souverains. C'était alors un très jeune homme, froid, d'aspect
timide et chétif, précocement calculateur. Il n'eut pas d'autorité dans Paris, déjà
grande ville tumultueuse. On vit alors tous les phénomènes de la "débâcle". A la
nouvelle de la catastrophe de Poitiers, on chercha les responsables. On accusa
les nobles, c'est-à-dire les militaires. On cria à la trahison. Le dauphin ayant
349
convoqué les états généraux, l'assemblée commença, comme toutes les
assemblées en pareil cas, par nommer une commission d'enquête qui exigea
l'institution d'un conseil de surveillance auprès du dauphin et des fonctionnaires
publics, ainsi qu'un comité de l'armée chargé "d'ordonner pour le fait des
guerres". C'était une tentative de gouvernement parlementaire et, tout de suite,
la politique apparut. Il y eut un parti navarrais aux états. Une des requêtes
présentées par la commission tendait à mettre en liberté le roi de Navarre,
illégalement détenu. [...]
Aux requêtes des états, le dauphin avait répondu d'une façon dilatoire et
demandé d'en référer à son père. Cependant la confusion s'aggravait dans le
pays. Les Anglais et les Navarrais dévastaient les campagnes. Des bandes
armées, les grandes compagnies, se livraient au brigandage. Paris, qui
s'entourait en hâte de murs, s'emplissait de réfugiés, qui répandaient l'alarme et
la fièvre. [...]
Le roi Jean fit savoir de Londres qu'une trêve étant signée avec l'Angleterre, il
n'y avait plus lieu de voter les impôts proposés par les états ni, par conséquent,
de tenir la session de Pâques. L'agitation de Paris s'accrut et, dès lors, Étienne
Marcel se comporta en véritable chef révolutionnaire. Il fallait au mouvement
l'appui d'un parti et d'un nom. Un coup de main délivra Charles le Mauvais qui,
par complicité du prévôt des marchands, vint à Paris et harangua le peuple.
Cependant Étienne Marcel faisait prendre à ses partisans des cocardes rouges
et bleues. Son plan était d'humilier le dauphin, de détruire son prestige et ce qui
lui restait d'autorité. Un joue, s'étant rendu au Louvre avec une troupe en armes
et suivi d'une grande foule, il adressa au dauphin de violentes remontrances.
Puis, sur un signe du prévôt, les deux maréchaux, conseillers du jeune prince,
qui se tenaient auprès de lui, furent assassinés sous ses yeux. Le dauphin lui-
même, couvert de leur sang, fut coiffé par Étienne Marcel du chaperon rouge et
bleu comme Louis XVI le sera un jour du bonnet rouge.
Ces scènes révolutionnaires, qui ont eu, quatre cents ans plus tard, de si
frappantes répétitions, ne s'accordent guère avec l'image qu'on se fait
communément de l'homme du Moyen Age, pieusement soumis à ses rois. On sait
mal comment le dauphin, captif d'Étienne Marcel, après la sanglante journée du
Louvre, réussit à s'échapper de Paris. Ayant atteint l'âge de dix-huit ans, il prit
le titre de régent et, réfugié en Champagne, il obtint l'appui des états de cette
province. Ce fut le point de départ de la résistance. Beaucoup de députés aux
états généraux, effrayés, avaient fui Paris. Ils tinrent à Compiègne une
assemblée qui se prononça pour le régent, et lui accorda les ressources
350
nécessaires pour lever des troupes moyennant la promesse de réformes. Aussitôt
le dauphin commença l'investissement de Paris, Étienne ayant refusé de se
soumettre.
C'était la guerre civile, la dispute pour le pouvoir. Elle éveilla des instincts
éternels et "l'anarchie spontanée" éclata. Dans toute la région qui entoure la
capitale, dans le pays de Laon, d'Amiens, de Beauvais, de Soissons, où le
mouvement communal avait déjà revêtu, jadis, les formes plus violentes, ce fut
une terrible Jacquerie. Étienne Marcel accueillit avec joie, s'il ne l'avait
provoquée, cette révolte paysanne et s'entendit avec ses chefs. Mais les Jacques,
auxquels il prêtait la main, furent battus, presque par hasard, à Meaux. Charles
le Mauvais lui-même, pour ne pas s'aliéner les nobles qui étaient dans son parti,
s'associa à la répression et il y eut grand massacre de révoltés. Avec la
Jacquerie, Étienne Marcel perdait un grand espoir. Il ne comptait plus que sur
Charles le Mauvais, auquel il donna le titre de capitaine général de Paris, mais
qui, devenu prudent, négociait déjà avec le dauphin. En somme, l'effroi qu'avait
répandu la Jacquerie rétablissait les affaires de la royauté. Paris, serré de près,
manquait de vivres et commençait à murmurer. On murmura plus encore
lorsque le prévôt des marchands eut appelé des Anglais dans la ville. Le parti
royaliste, terrorisé par des massacres après la fuite du régent, releva la tête.
Bientôt Étienne Marcel fut tué, au moment où, selon la légende, il plaçait lui-
même les gardes qui devaient ouvrir les portes de la ville au roi de Navarre: la
dernière ressource du chef révolutionnaire paraît en tout cas avoir été d'offrir la
couronne à Charles le Mauvais. Étienne Marcel finit comme un traître.
Jean Maillart et les bourgeois parisiens qui avaient mené cette contre-
révolution arrêtèrent les amis du prévôt et envoyèrent des députés au régent qui
reprit possession de la ville. On était en juillet 1358: les troubles duraient
depuis près de deux ans. [...]
Le futur roi Charles, qui allait devenir Charles le Sage, vivra longtemps sous
l'impression de ces événements révolutionnaires comme Louis XIV vivra sous
l'impression de la Fronde.
La royauté était rétablie dans sa capitale, mais la guerre civile n'avait pas
arrangé les affaires de la France. L'état de guerre durait. Les campagnes, à la
merci des Anglais, foulées aux pieds, se défendaient comme elles pouvaient [...]
Il fallait au royaume la paix d'abord. Celle qu'offrit Édouard III était telle (le
vieil État anglo-normand en eût été reconstitué), que les états généraux
autorisèrent le régent à la repousser. Alors Édouard III se prépara de nouveau
à envahir la France et cette menace eut un effet salutaire: Charles le Mauvais
351
lui-même eut honte de ne pas paraître bon Français et conclut un accord
provisoire avec le régent, tandis que les milices pourchassaient les grandes
compagnies. Édouard III, débarqué à Calais avec une puissante armée, se
heurta partout à des populations hostiles, à des villes qui s'enfermaient dans
leurs murs. Il parut devant Paris et les Français se gardèrent de lui offrir la
bataille. Las de battre un pays désert, Édouard III, craignant un désastre,
rabattit ses exigences. On signa en 1360 le traité de Brétigny, qui nous laissait
la Normandie, mais nous enlevait tout le Sud-Ouest jusqu'à la Loire. Le tribut
de guerre, dit rançon du roi Jean, fut fixé à trois millions d'écus d'or payables
en six annuités. Invasion, démembrement du territoire, indemnité écrasante: tel
fut le prix du "hutin" qui avait commencé aux dernières années de Philippe le
Bel pour s'épanouir dans les révolutions de Paris. » (p.95-100)

« Le roi Jean, délivré, vécut encore quatre ans qu'il passa à nettoyer le pays des
brigands qui l'infestaient. Quand son fils Charles lui succéda (1364), il s'en
fallait de beaucoup que cet ouvrage fût fini. » (p.100)
-Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014
(1924 pour la première édition), 552 pages.

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Étienne Marcel (1302/1310-1358) : https://www.amazon.fr/Etienne-Marcel-


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3%A9volte+de+Paris

Grégoire de Rimini (1300-1358) : « Le rationaliste Grégoire de Rimini (1358),


quoique formé à l’école d’Occam, est si profondément convaincu de la
coïncidence entre le droit naturel et la droite raison (recta ratio) qu’il affirme :
celui qui agit contre la norme de la raison pèche, même dans l’hypothèse où
Dieu, la raison divine, n’existe pas. » -Mario Turchetti, Tyrannie et tyrannicide
de l’Antiquité à nos jours, PUF, coll. Fondements de la politique, 2001, 1044
pages, p.336.

352
Nicolas Oresme (se prononce Aurème) (1320/1322-1382): « Nicolas Oresme,
qui étudiait la théologie à Paris en 1348 et mourut en 1382 évêque de Lisieux,
fut un de ceux qui propagèrent la nouvelle mécanique céleste. Dans son
Commentaire aux livres du Ciel et du monde (qu’il écrivit en langue vulgaire
ainsi que nombre de ses autres œuvres), il montre que nulle expérience et nulle
raison ne prouvent le mouvement du ciel et il indique « plusieurs belles
persuasions à montrer que la terre est mue de mouvement journal et le ciel non
» ; et il n’oublie pas de conclure que « telles considérations sont profitables
pour la défense de notre Foy. » C’est le même Nicolas Oresme qui invente,
avant Descartes, l’emploi des coordonnés du géomètre ; c’est lui qui, avant
Galilée, trouve l’exacte formule de l’espace parcouru par un corps dans une
chute en mouvement uniformément accéléré. » -Émile Bréhier, Histoire de la
philosophie, "Les classiques des sciences sociales" (à partir de Librairie Félix
Alcan, Paris, 1928, 788 pages), p.484.

« Mathématicien, philosophe, économiste, théologien, évêque de Lisieux en


1377, Nicole Oresme incarne l’homme encyclopédique de la première
renaissance du XIVe siècle, qui se développe dans les principales académies
d’Europe. Vers 1370, il traduit en français, à partir des traductions latines, les
Éthiques, la Politique et les Économiques d’Aristote. Son approche du texte
d’Aristote est particulièrement importante, compte tenu de la qualité des
commentaires qu’il intercale dans le texte français du Livre de Politiques
d’Aristote, d’après la traduction latine de Guillaume de Moerbecke. Dans sa
décidace au roi Charles V, il précise que la politique est l’art de gouverner pour
le bien de tous. » (p.304)

« Oresme explique qu’il y a deux ou trois manières de définir un tyran et


d’entendre les mots tyrannie et tyrannizer. Premièrement, est tyran celui qui
« seul tient la monarchie à son propre profit et contre le bien publique », selon
la définition la plus courante chez Aristote. Cependant, les tyrans peuvent
également être plusieurs et détenir un pouvoir oligarchique, tels les Trente
Tyrans d’Athènes, ou encore un pouvoir démocratique. […] Plus généralement,
on « appelle tyrant quiconque fait aucune crudelité », comme celle que
Dioclétien et Maximien ont erxercée contre les chrétiens. » (p.305)

« Oresme discute les avantages et les inconvénients tant de la succession que de


l’élection. Tout en admettant que « l’accession au trône d’un roi est meilleure si
elle procède par élection que par succession », celle-ci demeure le système le
353
plus prudent en tant qu’il ne provoque pas de mutation de lois ni de
gouvernement. ("Toute nouvelté est à éviter tant que l’en peut bonnement,
mesmement en si grant chose qu’est le gouvernement du bien publique ; car
nouvelté engendre descorde et en viennent commotions »). » (p.306)

« Oresme partage donc la position d’Aristote, qui n’admet la sédition que sous
certaines conditions ; mais, pas plus qu’Aristote, Oresme ne fournit d’éléments
pour expliciter ces conditions. » (p.307)

-Mario Turchetti, Tyrannie et tyrannicide de l’Antiquité à nos jours, PUF, coll.


Fondements de la politique, 2001, 1044 pages.

« Lorsque, en 1316 puis en 1328, les femmes furent écartées du trône, on


n'évoqua aucune raison juridique précise, et quand il fallut après coup justifier
la chose on fit appel en général à la coutume du royaume. La loi salique n'était
pourtant pas totalement oubliée, bien qu'on n'eût guère d'idées sur son contenu.
Les chroniques universelles consacraient une ligne à la première loi des Francs
rédigées par Pharamond sur le conseil des sages. Les juristes de l'entourage de
Jean II et de Charles V en firent une loi de succession excluant les femmes du
trône. Jean de Vignay, Richard Lescot, Nicole Oresme appliquèrent à la nation
l'article 59 ou 62 qui excluait les femmes de la dévolution aux biens
patrimoniaux du clan. » -Colette Beaune, "La notion de nation en France au
Moyen Age", Communications, Année 1987, 45, pp. 101-116, p.113.

http://hydra.forumactif.org/t2205-nicolas-oresme-traite-de-l-origine-du-droit-et-
de-la-mutation-de-la-monnaie#2918

http://hydra.forumactif.org/t2204-jorg-guido-hulsmann-nicholas-oresme-and-
the-first-monetary-treatise

Charles V le Sage (1338-1380): « Un grand règne de réparation et de


restauration commençait. Charles V, qui fut surnommé le Sage, c'est-à-dire le
savant, celui qui sait [...] est dépourvu de panache. Il vit comme vivra Louis XI,
renfermé. Il calcule, médite, thésaurise, il suit un plan, c'est un constructeur,
l'homme dont la France a besoin. Il pansera ses plaies, il la remettra à son rang
en moins de vingt années.
Son idée elle n'est pas difficile à saisir. La France ne peut pas se résigner au
traité de Brétigny ou bien elle renonce à vivre. Il faut que l'Anglais sorte du
royaume ou bien il finira par en devenir le maître. Pour le chasser, deux

354
conditions nécessaires: une armée d'abord, une marine ensuite. D'armée,
Charles V n'en a pas. Il est si loin d'en avoir une que son célèbre et fidèle
connétable, Du Guesclin, n'a été d'abord que le capitaine d'une de ces bandes
qui guerroient un peu partout. Le roi s'attache Du Guesclin, rallie par lui
quelques-unes des grandes compagnies, en forme peu à peu des troupes
régulières. Les Navarrais, toujours poussés en avant par l'Angleterre, sont
battus à Cocherel: petite victoire, grandes conséquences. Le roi de Navarre
comprend qu'il n'a plus rien à espérer, que l'ordre revient que le temps des
troubles est fini. Charles le Sage transige avec Charles le Mauvais, en attendant
mieux. [...]
Pour libérer le territoire, il n'y avait qu'un moyen et Charles V, sage et savant
homme de la réflexion et des livres, le comprit. C'était que l'Anglais ne fût plus
maître de la mer. Dès que les communications entre l'île et le continent
cesseraient d'être assurés, les armées anglaises, dans un pays hostile et qui
supportait mal leur domination, seraient perdues. Créer une marine: œuvre de
longue haleine, qui veut de la suite, de l'argent, et il a toujours été difficile
d'intéresser le Français terrien aux choses de la mer. Charles V prépara de loin
notre renaissance maritime et comptait, en attendant, sur la flotte de ses alliés
d'Espagne. » (p.100-101)

« Alors, ayant noué des alliances de terre et de mer, Charles V écouta l'appel
des populations cédées et dénonça le traité de Brétigny. La campagne, menée
par Du Guesclin, consistait à user l'ennemi, usure qui devint plus rapide quand
la flotte anglaise eut été battue et détruite par les Espagnols devant La Rochelle.
Les conditions de la lutte changeaient. Des corsaires français ou à la solde de la
France inquiétaient les convois et parfois les ports de l'ennemi. Édouard III,
alarmé, voulut frapper un coup, mais il lui fallut un an pour envoyer en France
une nouvelle armée. La consigne fut de lui refuser partout le combat, de ne pas
retomber dans les fautes de Crécy et de Poitiers. Cette armée anglaise allait à
l'aventure, cherchant un adversaire qui se dérobait. Elle alla finir, exténuée,
presque ridicule, à Bordeaux, tandis que château par château, ville après ville,
les provinces du Sud-Ouest étaient délivrées. Charles V eut d'ailleurs soin
d'entretenir leur patriotisme par l'octroi de nombreux privilèges. [...]
Édouard III, découragé, finit par accepter des pourparlers de paix. Charles V
voulait l'évacuation complète du territoire, sans oublier Calais. L'Angleterre
refusa et la guerre reprit. » (p.101-102)

355
« Si Charles V avait vécu dix ans de plus, il est probable que Jeanne d'Arc eût
été inutile: il n'y aurait plus eu d'Anglais en France. A la fin de son règne, les
rôles étaient renversés. Nos escadres, commandées par l'amiral Jean devienne,
émule sur mer du Du Guesclin, ravageaient librement les côtes anglaises. Nos
alliés espagnols entraient jusque dans la Tamise. En France, les Anglais ne
possédaient plus que Bayonne, Bordeaux et Calais. Leur expulsion complète
n'était plus qu'une question de temps, car leurs affaires intérieures allaient mal.
Édouard III et le Prince Noir étaient morts. Richard II avait treize ans et sa
minorité devait être tumultueuse: déjà Wyclif avait annoncé la Réforme, le
commerce souffrait et une Jacquerie, plus terrible que celle qu'on avait vue chez
nous, allait venir. Mais il semblait que la fortune fût lasse d'être fidèle à la
France, comme elle l'avait été pendant trois cents ans. Par la mort de Charles le
Sage (1380), nous allions retomber dans les faiblesses d'une minorité suivie
d'une catastrophe, épargnée jusque-là à la monarchie capétienne: à peine
majeur, le roi deviendrait fou. » (p.103)
-Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions Perrin, coll. tempus, 2014
(1924 pour la première édition), 552 pages.

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Bertrand Du Guesclin (1320-1380) : L’historien et poète normand Robert


Blondel (vers 1380-vers 1460) célèbre alors les exploits de Du Guesclin qui « se
disposa assez souvent à mourir pour deffendre France. » -Armel Huet,
« Patriotismes, frontières et territoires », Inflexions, 2014/2 (N° 26), p. 69-79.
DOI : 10.3917/infle.026.0069. URL : https://www.cairn-int.info/revue-
inflexions-2014-2-page-69.htm

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La grande jacquerie de 1358 : http://www.amazon.fr/coq-rouge-grande-


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356
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Charles VI (1368-1422) : « Charles VI atteignit sa majorité. Ses intentions


étaient bonnes. Il rappela les conseillers de son père, qu'on appelait par
dérision les marmousets. Jean de Vienne, Clisson vivaient encore. Avec eux il
entreprit d'achever la libération du territoire. Mais le jeune roi n'avait pas la
prudence de Charles V: il voulut en finir d'un coup avec l'Angleterre, l'envahir,
recommencer Guillaume le Conquérant. Depuis sept ans, la flotte, faute
d'argent et de gouvernement, avait été négligée. L'expédition, par le mauvais
vouloir des ducs, ne fut pas prête à temps. Elle ne partit jamais mis sur leurs
gardes, les Anglais, qui ne pouvaient guère mieux que cette diversion excitèrent
la Bretagne. C'est en allant châtier le parti anglais de Montfort que Charles VI
fut frappé de folie dans la forêt du Mans (1392).
Le roi fou: étrange et funeste complication. Ailleurs, le malheureux eût été
déposé. La France le garda avec une curieuse sorte de tendresse, par respect de
la légalité et de la légitimité, chez certains avec l'idée secrète que cette ombre de
roi serait commode et laisserait bien des licences. Les oncles se hâtèrent de
revenir. La France, en effet, va être libre, libre de se déchirer dans les guerres
civiles.
Toute guerre civile est une guerre d'idées où se mêlent des intérêts. Dans le
drame qui commence, il y a la querelle du schisme, l'intervention, auprès des
deux papes, de l'université de Paris, la grande puissance intellectuelle de la
France d'alors, la grande remueuse des esprits, forte de son ancienneté, de son
éclat et de ses privilèges, mi-cléricale et mi-laïque, presque internationale par
la foule des étudiants étrangers qu'elle attirait. La papauté était divisée,
l'Université prit le rôle d'arbitre du conflit, et, pour forcer les deux papes rivaux
à céder, décida de sa propre autorité qu'il ne convenait plus d'obéir ni à l'un ni
à l'autre. Cependant la monarchie française continuait à soutenir le pape
d'Avignon. Cette politique était celle du duc d'Orléans, frère du roi fou, et
nouveau venu dans le Conseil de régence où les autres ducs avaient dû
l'accueillir à regret. Que Louis d'Orléans, dans ce conseil de princes, ait
représenté l'intérêt de la France et de la tradition nationale, il n'en faut pas
douter. "On ne peut nier, dit Michelet, que le parti d'Orléans ne fût le seul qui
agît pour la France et contre l'Anglais, qui sentît qu'on devait profiter de
l'agitation de ce pays, qui tentât des expéditions". Louis d'Orléans eut contre lui
357
l'Université, à cause de l'affaire du pape ; les contribuables, parce que, pour
continuer Charles le Sage, il fallait lever des impôts, enfin le duc de Bourgogne,
parce que ce prince, par ses possessions de Flandre et des Pays-Bas, se trouvait
engagé dans un système qui n'était plus français. Ce nouveau duc, Jean sans
Peur, cousin germain du roi et du duc d'Orléans, n'était déjà plus des nôtres, il
était nationalisé Flamand. Sous les apparences d'un Français, il y avait un
étranger au Conseil de régence. Il était désigné pour rallier les mécontents.
Entre Louis et Jean sans Peur, ce fut d'abord une lutte sourde. Ce que faisait
Orléans, Bourgogne le défaisait. Orléans établissait des taxes: elles étaient
supprimées par Bourgogne. Moyen de popularité facile. Moyen aussi de
ménager l'Angleterre, comme la politique permanente des Flamands le voulait.
Le roi anglais, Richard II, était devenu pour nous un ami. Il avait épousé la fille
de Charles VI. Et il était trop occupé des séditions de son royaume pour
reprendre la guerre en France. Ce fut une des raisons de sa chute, non la seule,
car il fut imprudent et extravagant avec ses Anglais et leur Parlement, si
difficiles à gouverner. Richard II subit le sort d'Édouard II, à qui l'Angleterre
reprochait aussi de lui avoir donné une reine française. Richard fut détrôné par
son cousin Henri de Lancastre, puis assassiné. A la place d'un brouillon
inoffensif, l'Angleterre avait un roi qui serait et notre adversaire et le père
d'Henri V, l'homme d'Azincourt, un ennemi encore plus cruel que ne l'avait été
Édouard III. L'action discrète de Jean sans Peur favorisa Lancastre contre
l'intérêt de la France.
En somme, dans le gouvernement des ducs, l'influence bourguignonne
l'emportait toujours. C'était elle qui menait l'Etat français. Il fallait que Louis
d'Orléans, pour être aussi puissant que son cousin, eût comme lui des
possessions hors de France. Il acquit le Luxembourg d'où il surveillait les Pays-
Bas. Le duc de Bourgogne se sentit menacé et ne songea plus qu'à supprimer
son rival. Un soir de 1407, il fit tuer son cousin dans une rue de Paris.
L’assassinat du duc d'Orléans coupa la France en deux. Il cristallisa les partis
et fut le signal de la guerre civile. De part et d'autre, on alla chercher des
auxiliaires où l'on put en trouver, même anglais. Le parti d'Orléans amena les
terribles Gascons du comte d'Armagnac. Le nom d'Armagnac lui en resta,
opposé aux Bourguignons. Les ducs de Bourgogne n'avaient cessé de flatter
Paris. Paris se prononça pour eux. L'Université, toujours passionnée par
l'affaire du schisme, toujours opposée au pape "français", le pape d'Avignon,
celui du duc d'Orléans, devint bourguignonne et justifia le crime de Jean sans
Peur. Il y eut là des mois d'agitation inouïe, une agitation de parole et de plume
358
comme dans toutes les grandes affaires qui ont divisé la France. L'Université
disputeuse se grisait et, de même qu'elle voulait donner un statut à l'Église, elle
voulut donner des lois à la France. Le duc de Bourgogne songeait-il à imiter
Henri de Lancastre, à prendre la couronne ? Il ne semble pas. De même
qu'Étienne Marcel l'avait offerte à Charles de Navarre, l'Université la lui
offrait: il répondit qu'il n'était pas capable de gouverner si grand royaume que
le royaume de France. Peut-être se contentait-il de favoriser chez nous le
désordre: ses intérêts et son cœur étaient aux Pays-Bas.
Jean sans Peur, s'il était dilettante, put jouir du prompt embarras de
l'Université, de ces docteurs, de ces disputeurs de profession, chargés tout à
coup, par le triomphe de la parole, d'un mandat politique. L'Université demanda
le concours du Parlement: la suprême cour de justice ne voulut pas sortir de son
rôle, ces hauts magistrats ne voulurent pas se compromettre dans une aventure.
L'Université ne fut pas arrêtée par ce refus. Elle était poussée par son orgueil et
par son prolétariat, ses étudiants pauvres, ses moines mendiants. Ces
intellectuels entreprenaient une révolution et comme il leur fallait des
exécutants, ils trouvèrent pour alliée la vieille, puissante et violente corporation
de la boucherie. Voilà le carme Eustache en compagnie de Caboche, les
théologiens avec les écorcheurs. L'Université de Gerson la main dans la main
des émeutiers. L'imprudente théologie fut vite dépassée par les cabochiens.
Comme sous Étienne Marcel, Paris vit des scènes révolutionnaires (1413). La
Bastille, construite par Charles le Sage pour surveiller la capitale, fut assiégée
par le peuple: il y aura, le 14 juillet 1789, un vague souvenir de cet assaut
lorsque l'émeute se portera contre la vieille forteresse devenue inoffensive et
désarmée. Enfin les insurgés, conduits par un médecin, voulurent s'emparer de
la famille royale. L'hôtel Saint-Paul fut forcé à plusieurs reprises et les
"traîtres" que le peuple réclamait enlevés sous les yeux du jeune dauphin,
quelques-uns massacrés. Le duc de Bourgogne assistait à ces violences qui
étaient l’œuvre de ses partisans. C'était la Terreur. Pour l'apaiser, le duc de
Berry conseilla de promulguer l'ordonnance qu'on appelle la grande
ordonnance cabochienne et qui mettait bout à bout les réformes demandées ou
réalisées depuis un demi-siècle. Ce n'était pas assez pour contenter les
écorcheurs et les excès continuèrent. Mais l'Université et les bourgeois
commençaient à trembler devant les terroristes. Dès lors la réaction ne tarda
plus. Les Armagnacs en furent l'instrument et Jean sans Peur, compromis avec
les cabochiens, dut s'enfuir.
Un désastre national fut encore le prix dont ces désordres se payèrent. Le
359
nouveau roi anglais Henri IV menait, fermement, l'Angleterre. Contre la
Jacquerie, les lollards, le puritanisme naissant, il la gouvernait avec les
propriétaires et l'Église établie. Son fils Henri V, qui lui succéda bientôt, reprit
les desseins d'Édouard III, releva sa marine et débarqua une armée devant
Harfleur qui fut pris après un siège d'un mois: il n'y avait plus, pour l'arrêter, de
marine ni d'armée françaises. Avec Harfleur, l'Angleterre tenait notre grand
arsenal maritime, l'embouchure de la Seine, la Normandie. Comme pour
prouver qu'il n'avait rien à craindre, Henri V remonta lentement vers sa base de
Calais, trouvant partout la complicité bourguignonne. La France fût restée
inerte sans sa chevalerie. On peut déplorer la témérité, l'imprévoyance de cette
noblesse qui alla, comme à Crécy et à Poitiers, se faire massacrer à Azincourt
(1415). Du moins, elle fut patriote: quelques Bourguignons se mêlèrent aux
rangs des Armagnacs qui eurent l'honneur de provoquer la résistance à
l'envahisseur. Et surtout de quoi se plaindre ? Nous n'avions plus d'autres
soldats que ces gentilshommes imprudents.
Le désastre d'Azincourt ne ranima pas la France, elle se dissolvait. Par un autre
malheur, les chances de l'avenir reculèrent. En quelques mois, trois dauphins
moururent. Seul resta le quatrième fils de Charles VI, un enfant. La longue
incapacité du roi fou ne finirait que pour une nouvelle minorité: Henri V
pouvait se proclamer roi de France. D'ailleurs les Français se battaient entre
eux devant l'ennemi. La reine elle-même, la Bavaroise Isabeau, avait passé au
duc de Bourgogne, de plus en plus populaire parce que son parti était celui de
la paix à tout prix avec les Anglais. Bientôt les Bourguignons ouvrirent à Jean
sans Peur les portes de Paris. Ce fut une terrible revanche pour les exilés, pour
les vaincus des journées cabochiennes qui revinrent avides de vengeance. Des
milliers de personne du parti armagnac avaient été arrêtées: il ne fut pas
difficile de réveiller la furie des écorcheurs et de la foule. A deux reprises, des
massacres eurent lieu dans les prisons. Étrange ressemblance de ces scènes
avec celles de septembre 1792. [...]
Jean sans Peur finit par rétablir un peu d'ordre dans Paris, mais la France était
dans le chaos. La confusion des idées était extrême. Il n'y avait plus de
gouvernement. Le duc de Bourgogne tenait en son pouvoir le roi fou, parlait en
son nom et avait pour complice la reine Isabeau, l'indifférente et obèse
Bavaroise. Le dauphin Charles s'était retiré avec ses partisans au sud de la
Loire. Cependant Henri V procédait méthodiquement à la conquête de la
France, prenait Rouen et s'installait en Normandie. On reprochait à Jean sans
Peur de trahir. Sans doute ne voulut-il pas conclure avec l'Angleterre une paix
360
qui ne pouvait être que honteuse et s'exposer à la protestation du dauphin: l'âme
de la résistance nationale se fût réfugiée chez le futur roi. Jean chercha donc à
se rapprocher du jeune prince. Deux entrevues eurent lieu. A la seconde, à
Montereau, une altercation éclata. Le duc de Bourgogne fut assassiné, ainsi que
lui-même jadis avait fait tuer le duc d'Orléans (1419).
Ce nouveau crime politique, commis en présence du dauphin bien que celui-ci
ne l'eût pas commandé, précipita la fin du drame. Comme jadis le parti
d'Orléans, le parti bourguignon cria vengeance, en appela au pays. Cette
vengeance, le nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, l'exerça contre la
France. Il la livra à Henri V qui épousa une fille de Charles VI et qui
deviendrait roi de France à sa mort, les deux couronnes devant alors être
confondues. Ainsi la France était conquise par l'Angleterre, elle perdrait son
gouvernement national puisque le dauphin Charles, le "soi-disant dauphin" était
déchu de ses droits au trône par un document signé de Charles VI privé de ses
dernières lueurs de raison. Dans ces mots "soi-disant dauphin" il y avait une
imputation terrible: celle que Charles VII n'était pas le fils de son père. Tel fut
le honteux traité de Troyes (20 mai 1420). Plus honteuse l'acceptation de
l'Université, du Parlement, de tous les corps constitués de France. La signature
de Charles étant nulle, les états généraux consentirent à donner la leur. Paris
même, ce fier Paris, acclama Henri V, "moult joyeusement et honorablement
reçu". Henri V s'empressa de prendre possession de la Bastille, du Louvre et de
Vincennes. De ces forteresses, un roi étranger commanderait les Parisiens.
Voilà ce que les révolutions leur avaient apporté: elles sont la seule cause de cet
incroyable abaissement. » -Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions
Perrin, coll. tempus, 2014 (1924 pour la première édition), 552 pages, p.107-
113.

« Quand la funeste querelle entre les maisons d'Orléans et de Bourgogne eut


dégénéré en guerre civile, et que le roi Charles VI, en 1412, eut pris l'oriflamme
contre les Armagnacs, on ordonna à Paris, dès que le roi se trouva en territoire
ennemi, des processions quotidiennes. Elles durèrent de fin mai à juillet, et ce
furent chaque jour de nouveaux groupes, de nouveaux ordres, de nouvelles
corporations, chaque jour par d'autres chemins et avec d'autres reliques, « les
plus piteuses processions qui oncques eussent été veues de aage de homme ».
Tous allaient nu-pieds, tous étaient à jeun, tant les seigneurs du Parlement que
les pauvres bourgeois ; ceux qui le pouvaient portaient une chandelle ou une
torche, et beaucoup d'enfants se joignaient à eux. Des villages environnants,
361
venaient les pauvres, nupieds. On accompagnait la procession ou on la
regardait « en grant pleur, en grans larmes, en grant dévotion. » Et presque
chaque jour, il plut à verse. » (p.12)

« En 1407, la rivalité des maisons d'Orléans et de Bourgogne devient une


hostilité publique : Louis d'Orléans, frère du roi, tombe sous les coups de
meurtriers loués par son cousin, Jean sans Peur. Douze ans plus tard, la
vengeance : en 1419, Jean sans Peur, dans une entrevue solennelle sur le pont
de Montereau, est tué traîtreusement. Ces deux assassinats, avec leur suite de
vengeances et de combats, ont donné à l'histoire de France, pendant tout un
siècle, les sombres couleurs de la haine. Car l'esprit populaire ne perçoit les
malheurs de la France qu'à la lumière de ce grand et dramatique motif ; il ne
conçoit, aux événements historiques, d'autres causes que des rivalités et des
passions personnelles. » (p.18-19)

-Johan Huizinga, L'Automne du Moyen Age, Les classiques des sciences


sociales, 1948 (1919 pour la première édition néerlandaise), 300 pages.

http://www.amazon.fr/Charles-VI-La-folie-
roi/dp/2213017034/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=51WGddup5eL&dpSrc
=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=0X4E3NK20BJHRGZ9
BV8T

Louis Ier d'Orléans (1372-1407) : https://www.amazon.fr/meurtre-une-


soci%C3%A9t%C3%A9-LAssassinat-
dOrl%C3%A9ans/dp/2070725774/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=150462
9300&sr=1-
1&keywords=Bernard+Guen%C3%A9e%2C+Un+meurtre%2C+une+soci%C3
%A9t%C3%A9

Jean Ier de Bourgogne, dit « Jean sans Peur » (1371-1419) :


https://www.amazon.fr/Jean-sans-Peur-prince-
meurtrier/dp/222889978X/ref=asap_bc?ie=UTF8

https://www.amazon.fr/Armagnacs-Bourguignons-Bertrand-
Schnerb/dp/2262027323/ref=asap_bc?ie=UTF8

Charles VII (1403-1461) : « C’est avec beaucoup de raison, Sire, que le siècle
du Roi Charles VII a esté appellé le plus fameux de tous les siècles : en effet, on
n’avoit jamais veu l’Estat attaqué par de si puissans ennemis, et divisé par tant
362
de partis differents ; tout ce royaume n’estoit qu’un champ de bataille et un
théatre d’horreur et de cruauté. Mais, Sire, ce grand prince, appuyé de la
justice de sa cause, a combattu et défait ses redoutables ennemis, ruiné ces
partis dangereux, et enfin terminé heureusement cette sanglante guerre. » -
Denys Godefroy, dédicace à Louis XIV, in Charles VII, roi de France, imprimé
en 1661 à Paris.
(1) Contamine - Philippe Contamine, Charles VII. Une vie, une politique (forumactif.org)

http://www.amazon.fr/Charles-VII-Georges-
MINOIS/dp/2262021279/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1446894371&sr
=1-1&keywords=Charles+VII

Jeanne d’Arc (1412-1431) : « Celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres
que je fais, et il en fera même de plus grandes. » (Jean, 14, 12).

« Entrez hardiment parmi les Anglais ! Les Anglais ne se défendront pas et


seront vaincus et il faudra avoir de bons éperons pour leur courir après ! » -
Jeanne d’Arc, Harangue aux capitaines, Patay, 18 juin 1429.

« Notre histoire n’est-elle pas remplie du souvenir de gens qui tout d’un coup se
sont montrés capables de grandes choses, quand la veille personne ne savait
même leur existence ? » -Paul Lanjalley et Paul Corriez, cité par Marc Cerf, in
Edouard Moreau, l'âme du Comité Central de la Commune, Denoël, Dossiers
des Lettres Nouvelles, 1971.

« Son pouvoir venait en effet de sa vertu, de la superstition universelle et de


l’impatience que ressentait le peuple de secouer un joug odieux [celui des
Anglais]. » -Jean de Sismondi, Histoire des Français, Paris, Treuttel et Würtz,
1821, t. XIII, p. 108.

« Les grandes guerres des Valois contre les Anglais, cette lutte terrible d’où
notre nationalité est sortie triomphante, fut la première victoire populaire.
Toutes les classes de la nation y ont concouru avec la même ardeur ; le même
patriotisme a embrassé la noblesse féodale, la bourgeoisie, les paysans. Comme
le remarque un historien moderne [François Guizot], quand il n’y aurait, pour
montrer le caractère populaire de cet événement, que l’histoire de l’héroïne de
Vaucouleurs, elle en serait une preuve plus que suffisante. Jeanne d’Arc est
sortie du peuple ; c’est par les sentiments, par les croyances, par les passions du
peuple, qu’elle a été inspirée, soutenue. Elle a été vue avec méfiance, avec
363
ironie, avec inimitié même par les chefs de l’armée ; elle a eu constamment pour
elle les soldats, le peuple ; ce sont les paysans de la Lorraine qui l’ont envoyée
au secours des bourgeois d’Orléans. Aucun événement ne fait éclater davantage
le caractère populaire de cette guerre et le sentiment qu’y portait le pays tout
entier. » -Pierre-Eugène Flotard, La France démocratique, 1850.

« Jeanne d'Arc fut la personnification du féminisme, elle ne tint compte ni des


usages, ni de l'autorité des puissants, et elle usa, malgré les hommes, des droits
des hommes pour sauver le pays. » -Hubertine Auclert, La Citoyenne.

« La première démonstration occupe la droite le 10 mai, fête de Jeanne d'Arc.


Longtemps, la mémoire de la Pucelle a été disputée. Les socialistes, Jaurès en
tête, défendaient l'héroïne populaire victime de l'Inquisition. Mais les
nationalistes s'étaient approprié finalement la mémoire de Jeanne, avec l'appui
de l'Église. Tout de même ! Le 10 mai, L'Humanité tente encore de protester :
"De quel droit la réaction et le fascisme s'empareraient-ils aujourd'hui de la pure
enfant de France ?" Peine perdue, la droite, toutes les droites ont fait de la
"bonne Lorraine" leur mascotte : royalistes, patriotes, catholiques malgré
l'évêque Cauchon, qui condamna la Pucelle, ligues... Jeanne est un formidable
emblème de rassemblement, un rare dénominateur commun.

Nous voilà donc, en ce dimanche 10 mai, devant la statue équestre due à


Frémiet, inondée d'arums et de lilas, place des Pyramides à Paris. Cérémonie
officielle d'abord. Arrivée du président du Conseil, Sarraut, Marseillaise,
discours. Mais, à partir de 9 h 20, la réunion se politise. Arrive d'abord
l'immense cortège des Croix-de-Feu, le colonel de La Rocque en tête, estimé à
80 000 personnes : c'est le plus gros de la troupe. Puis les groupements
catholiques, derrière le général de Castelnau. Et enfin toute une série de
formations de droite, d'extrême droite, ou carrément fascistes. Les rouges
sauront à qui parler ! » -Michel Winock, « Victoire électorale ou révolution ? »,
article in L’Histoire, « Le cas Freud », mensuel N°309 daté mai 2006.
Une ville, une destinée : Orléans et Jeanne d'Arc (forumactif.org)

http://www.amazon.fr/Jeanne-dite-dArc-Henri-
Guillemin/dp/286819740X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1454956506&
sr=1-1&keywords=jeanne+dite+jeanne+d%27arc

364
http://www.amazon.fr/Jeanne-dArc-Biographie-Olivier-
Hanne/dp/2758700867/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1454956461&sr=1
-1&keywords=Olivier+Hanne+jeanne+d%27arc

http://livre.fnac.com/a2937321/Christine-de-Pizan-Le-Dit-de-Jeanne-d-
Arc#st=jeanne%20dite%20jea&ct=Livre&t=p

Gilles de Rais (1405-1440) : « Chez un Gilles de Rais, il y a un mélange


abominable de dévotion et de cruauté. » -Johan Huizinga, L'Automne du Moyen
Age, Les classiques des sciences sociales, 1948 (1919 pour la première édition
néerlandaise), 300 pages, p.162.

https://www.amazon.fr/Gilles-Rais-Jacques-
HEERS/dp/2262023263/ref=pd_sim_14_2?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
TRKMM219FQER7TRP160A

Raymond Sebon (1385-1436) : « L’homme est homme par son libre-arbitre. » -


Raymond Sebond, Science du Livre des créatures ou de la nature, ou Science de
l'homme, 1436.

http://hydra.forumactif.org/t2033-emmanuel-faye-philosophie-et-perfection-de-
l-homme-de-la-renaissance-a-descartes#2739

Gabriel Biel (1420/25-1495): « Ockham’s most eminent theological follower in


the late fifteenth century, Gabriel Biel, was also a notable defender of papal
prerogatives. » -Arthur Stephen McGrade, The Political Thought of William of
Ockham, Cambridge University Press, 2002 (1974 pour la première édition),
269 pages, note 21 p.6.

“L’histoire des universités du XVe siècle est surtout l’histoire de la lutte des
anciens et des modernes. L’occamisme se répand en particulier en Allemagne
où il trouva un vulgarisateur sans originalité mais fidèle en la personne de
Gabriel Biel qui enseigna en 1484 à l’Université de Tübingen et mourut en 1495
; ce furent des élèves de Biel, des Gabrielistes, Staupitz et Nathin, qui, au
couvent des Augustins, initièrent Luther à cette théologie nominaliste, dont le
Dieu ressemble plutôt à un Jéhovah capricieux et arbitraire qu’à un Dieu qui
soumet sa volonté à la loi de l’ordre et du bien conçue par son entendement. » -
Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences sociales"
(à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages), p.485.

365
http://www.amazon.fr/Harvest-Medieval-Theology-Gabriel-
Nominalism/dp/0801020379/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1449921006&sr=8-
2&keywords=Gabriel+Biel

La Chute de Constantinople (29 mai 1453) : « À la chute de l'empire,


Constantinople renfermait quelques hommes qui se réfugièrent en Italie, et dont
les connaissances y furent utiles au progrès des lumières. » -Nicolas de
Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain,
"Les classiques des sciences sociales", 1793, p.115-116.

« Constantinople est assiégée et les princes catholiques, occupés par la guerre


de Cent Ans, ont d'autres soucis en tête que de secourir leurs frères dans le
Christ. L'Église Romaine, pour sa par, ne serait sans doute pas contrariée outre
mesure si Constantinople, éternelle et insupportable rivale, était rayée de la
carte politique par les Ottomans. Après un siècle et demi de négociations, les
papes de Rome s'apprêtent à organiser à Ferrare un concile de réunification
avec l'Église grecque, à la condition que les "orthodoxes" fassent leur entière
soumission à Rome. Si l'affaire aboutit, on envisagera de leur envoyer une
armée de secours. » (p.74)

« [Après la Chute de Constantinople en 1453] De nombreux intellectuels grecs


viennent chercher refuge en Italie. Parmi les plus célèbres, Constantin Lascaris,
qui ouvre une école de grec à Messine. A la génération suivante, Jean
Argyropoulos est professeur au Studio de Florence et Jean Lascaris y fait
imprimer le premier livre grec, avant de suivre la cour du roi de France. Il
deviendra ambassadeur de Louis XII et bibliothécaire de François Ier. Venise
attire aussi les émigrés grecs. Les plus érudits d'entre eux (autour de Marc
Mousouros) formeront au tournant du siècle la Néakadémia de l'imprimeur
Alde Manuce, cette société où l'on avait pas le droit de parler une autre langue
que le grec, sous peine d'amende. » (p.75)
-Jean-Christophe Saladin, Bibliothèque humaniste idéale, Les Belles Lettres,
2008, 467 pages.

« Les Européens concevaient leur commerce à l'échelle du monde. Puisque


Constantinople était tombée aux mains des Turcs en 1453, il n'était plus
possible d'atteindre les Indes et la Chine par la voie terrestre. Seuls Génois et
Vénitiens étaient parvenus à conserver d'onéreux privilèges. Le contournement
des côtes africaines était une expédition pénible, difficile et coûteuse. En outre,

366
les comptoirs étaient aux mains des Portugais qui avaient initié l'exploration
dès les années 1440. Il restait le passage de l'Ouest. Puisque la terre est ronde,
on voulait rejoindre les côtes de l'Asie par cette voie. En outre, se fiant aux
mesures établies par Ératosthène au IIIe siècle avant Jésus-Christ, on croyait le
chemin nettement plus rapide que par le contournement de l'Afrique. » -Gabriel
Privat, La nation française, nation universelle ?, 25 juin 2015.

https://www.amazon.fr/End-Byzantium-Jonathan-
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6674&sr=1-1

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r=1-1-
catcorr&keywords=Byzantium+and+Venice.+A+Study+in+Diplomatic+and+Cu
ltural+Relations

Mehmed II, le conquérant de Byzance (1432-1481) :


https://www.amazon.fr/Mehmed-II-conquérant-Byzance-1432-
1481/dp/2262007195

Cycle de la Renaissance: « Marcel Ficin voit dans son propre temps un nouvel
âge d’or qui a ramené à la lumière les arts libéraux presque engloutis dans les
ténèbres […] Le carnaval de 1513 à Florence représente sur son dernier char
Le triomphe de l’âge d’or ; le sens du spectacle est donné par un phénix qui
renaît de ses cendres pour prendre un nouvel essor, symbole de l’idée que se fait
de sa propre originalité cette époque qui voit son univers naître de la
combustion d’un âge de fer et prendre paradoxalement conscience de sa
modernité en se retournant vers un passé idéal, en jetant un regard
d’admiration sur l’archétype de sa perfection que l’Antiquité a déjà réalisé
avant elle et qu’elle croit ne pouvoir atteindre à nouveau, voire peut-être
surpasser un jour qu’en l’imitant. » -Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de
la réception, 1990, 336 pages, p.174.

« Pour la Camerata fiorentina aussi, le modèle de l'art de l'avenir avait été la


tragédie grecque. Et si les Florentins n'avaient pas formulé explicitement
l'alliance entre Apollon et Dionysos, ils avaient pourtant bien invoqué Orphée,
qui, au moyen de sa lyre apollinienne, avait pénétré le mystère dionysiaque de

367
la nature. » -Dorian Astor, Nietzsche. La détresse du présent, Gallimard, coll.
Folio essais, 2014, 654 pages, p.149.

« Avec la Renaissance commence l'éclipse de la résignation. » -Emil Cioran,


Des larmes et des saints (1937). In Œuvres, Gallimard, coll. Quarto, 1995, 1818
pages, p.296.

« Pour certains, la Renaissance est un mouvement artistique, pour d'autres, elle


signifie la renaissance des lettres classiques, la montée de l'humanisme, le
progrès de la connaissance ou, encore, le début de l'ère des explorations. La
somme de tous ces éléments est la force qui a créé l'homme occidental moderne,
et en son coeur se trouve la découverte de l'individu.
Et c'est là la véritable distinction entre le Moyen Age et la Renaissance.
L'homme médiéval, avec son sens du collectif, n'existait qu'au sein d'un groupe.
L'homme de la Renaissance découvrit qu'il était un individu, avec une identité
bien à lui. Dans ce sens, la Renaissance fut un phénomène limité à l'Europe
occidentale. Elle ne toucha pas davantage la Suède que la Russie. » -Roland
Huntford, Le Nouveau Totalitarisme. Le "paradis suédois", Fayard, 1975 (1972
pour la première édition américaine), 251 pages, p.16.

« En Italie, dès le moyen-âge, la formation et le développement de républiques


presque semblable à celles de l’Antiquité avaient préparé ce magnifique réveil
de la pensée qu’on nomme la Renaissance. […] La Renaissance, la Révolution
et la science moderne […] nous rattache à la civilisation antique. » -Louis
Ménard, Les questions sociales dans l’antiquité (1898).

« La Renaissance [...] vouait un véritable culte au savant, à l'ingénieur. » -Jean-


François Tribillon, L'urbanisme, Paris, La Découverte, coll. Repères, 2009
(1990 pour la première édition), 126 pages, p.23.

"The Renaissance -the rebirth of man's mind." -Ayn Rand, For the new
intellectual, Signet, 1963 (1961 pour la première édition américaine), 216 pages,
p.19.

« L'ordre économique capitaliste est sorti des entrailles de l'ordre économique


féodal. La dissolution de l'un a dégagé les éléments constitutifs de l'autre. » -
Karl Marx, Le Capital, Livre I, 1867.

« La Renaissance, dont les liens profonds avec toute la culture et la société


bourgeoise sont incontestables. » -Cornelius Castoriadis, "Marxisme et théorie
368
révolutionnaire", publié dans Socialisme ou barbarie d'avril 1964 à juin 1965,
repris L'institution imaginaire de la société, Éditions du Seuil, coll Essais.
Points, 1975, 538 pages, p.13-170, p.29.

« Ce qu’on appelle la révolution militaire des temps modernes, c’est le volet


militaire d’une mutation globale. […] Peut-être la plus importante dans
l’histoire de l’humanité, depuis le Néolithique. »

« Vous avez la naissance d’armées permanentes, en Europe occidentale. […]


Avoir une armée permanente, ça veut dire qu’il faut la payer en permanence. Et
je peux vous dire que les premiers Etats de l’époque moderne ils n’ont pas un
système fiscal encore bien performant. […] Le canon c’est comme la
fortification, ça coûte horriblement cher. Et même les grands féodaux ne
peuvent plus se payer de canons. […] Gilles de Rais […] qui est richissime, il ne
peut pas se payer de canons. […] L’artillerie met à mal économiquement la
noblesse, renforce le pouvoir des rois et met à bas les murs des châteaux.[…]
L’essence de l’artillerie c’est d’être étatique. »

« En Anglettere, au XVème siècle, dans les campagnes, vous avez une


population qui est majoritairement alphabétisée. Et ça, c’est une première dans
l’histoire de l’humanité. […] Comprenez ensuite pourquoi le peuple anglais va
voir Shakespeare et apprécier ses pièces. C’est pas un truc pour intellos ou pour
nobles, Shakespeare. […] Et le roi d’Angleterre peut s’appuyer sur ce peuple en
armes contre les barons. »

« Le paradigme nautique-maritime-naval est le paradigme central de la


modernité capitaliste. » -Laurent Henninger, « La révolution militaire et la
naissance de la modernité », Conférence au Cercle Aristote.

« Amorcés dès le XIVème, des bouleversements économiques et sociaux de


grande importance se déroulent en Europe occidentale durant les XVème et
XVIème siècles. Une nouvelle société et de nouveaux rapports de production
sont en train de naître et de renverser les vieilles habitudes du moyen âge. Les
villes connaissent un essor inédit, correspondant à l'affirmation d'une
bourgeoisie, petite et grande, qui conquiert peu à peu tous les rouages
économiques. Les campagnes sont progressivement distancées, malgré les
résistances nobilitaires, vouées à l'échec, face à ses deux ennemis mortels: la
puissance de l'argent, dont la vieille noblesse manque de façon chronique, et la
puissance du monarque, qui n'a de cesse de faire rentrer dans le rang
369
l'aristocratie guerrière récalcitrante. La naissance du capital et de l'Etat
annonce l'agonie de la féodalité. Les activités intellectuelles ne sortent pas
perdantes de cette métamorphose, puisqu'elles perçoivent leur part de
l'accroissement général des richesses caractérisant cette période.
La conséquence la plus importante de ces transformations sociales, dans le
domaine intellectuel, est l'augmentation des ressources, tant financières que
commerciales, dans certaines zones privilégiées. Au cours de ces deux siècles,
apparaissent des ensembles de développement urbain, bien localisés, dont la
prospérité repose principalement sur le commerce et les activités bancaires. Les
principales zones se répartissent ainsi (par ordre décroissant d'importance): le
nord de l'Italie avec ses multiples et riches cités ; le nord européen avec pour
centre la Flandre et en périphérie Paris, Londres, et les Pays-Bas ; le sud de la
péninsule ibérique autour de Lisbonne et de Séville ; et le centre européen avec
les grandes villes de l'empire comme Vienne ou Nuremberg. Malgré les aléas,
tous ces espaces connaissent un développement urbain sans précédent, causé
par la hausse des échanges commerciaux et financiers.
Certaines de ces villes, d'abord les plus riches et les plus puissantes, tendent à
davantage d'autonomie vis-à-vis des puissants traditionnels que sont le Seigneur
et l'Église. Les villes du nord de l'Italie se constituent en véritables cités-Etats,
indépendantes, parfois en concurrence ouverte avec Rome comme pour Venise.
Ce développement autonome des villes se retrouve en Italie, en Flandre et en
Allemagne, où un Etat central ne parvient pas à s'imposer. Ailleurs les royautés
organisent leur contrôle, en créant un embryon d'administration, mais elles
doivent aussi leur concéder certaines prérogatives pour éviter la confrontation.
Finalement, dans chacun de ces espaces urbains, les bourgeois obtiennent à un
degré ou à un autre une relative indépendance, nécessaire à leur
épanouissement, rendue possible par l'absence ou la faiblesse du pouvoir
central. Parce que les autorités royales n'ont pas les moyens de s'imposer
partout dans leur royaume, et parce que certaines régions leur échappent, la
bourgeoisie peut croître et prospérer, jusqu'au moment où elle est assez forte
pour s'allier avec le futur monarque. Cette tendance générale vaut pour
l'ensemble de l'Europe occidentale.
Où la bourgeoisie a-t-elle trouvé les ressorts de sa croissance ? Et comment les
a-t-elle utilisés ? Née dans les villes du moyen âge, elle s'est ramifiée dès le
XVème siècle ; à côté des grands marchands et des riches artisans, vivent de
petits bourgeois, boutiquiers et autres petits artisans. Parmi les marchands
européens, les italiens arrivent largement en tête, non seulement parce qu'ils
370
contrôlent géographiquement les échanges avec l'orient, mais aussi parce qu'ils
ont essaimé des succursales commerciales dans les autres royaumes. Ils ont par
exemple la maîtrise de tout le commerce extérieur du royaume de France. Le
grand bourgeois de l'époque est un marchand-banquier, qui passe des ordres
commerciaux et financiers dans toute l'Europe, et qui se fournit sur les
continents les plus éloignés. L'exploration et la conquête de nouvelles terres, en
Amérique, en Afrique et en Asie, offrent des perspectives d'enrichissement
colossales. L'essor commercial européen pousse les aristocraties à s'engager
dans l'aventure coloniale, cette dernière alimentant à son tour la prospérité des
échanges et des fortunes. La bourgeoisie naissante est à la fois cause et
conséquence de ce pillage mondialisé: l'impulsion donnée aux échanges en
Europe met en appétit les conquérants aristocrates ; en même temps, les
retombées du vol, de l'esclavage et de l'exploitation des peuples indigènes
nourrissent les livres de compte des hommes d'affaires.
Les richesses extorquées ne passent que peu de temps entre les mains des
aristocrates, pourtant détenteurs officiels des terres et des hommes conquis.
L'ampleur de leurs besoins n'a d'égale que la faculté prodigieuse
d'accumulation de leurs fournisseurs. Construire un Etat est coûteux. Quand il
ne faut pas lever une armée pour rétablir l'autorité royale dans une province
rebelle, les rigueurs du protocole et le faste d'une cour engloutissent une bonne
part des recettes. De manière générale, l'aristocratie royale bénéficie de
l'enrichissement de la bourgeoisie, en lui empruntant sa part, parfois
gratuitement, et en percevant des impôts sur les échanges. Le marchand n'a pas
vraiment le choix de prêter ou non au premier seigneur du royaume, étant donné
qu'il ne peut rien contre la force des armes qui lui saisirait sinon sa vie, du
moins ses biens. Mais les fortunes prêtées ou concédées, si vite qu'elles soient
avalées, scellent l'alliance entre le monarque et la bourgeoisie ; les deux partis
y trouvent leur compte. Pour s'affirmer, la royauté tend à centraliser les
pouvoirs autour d'elle et à étendre son autorité sur l'ensemble du royaume. Les
conflits avec les seigneurs locaux ne manquent pas, mais ils sont toujours
vaincus par la capacité de mobilisation, matérielle et financière, du pouvoir
central aidé par les villes. Les rapports de classes propres à cette période sont
donc contradictoires: d'un côté, le contrôle lâche de l'aristocratie sur les villes
permet à la bourgeoisie de s'affirmer, et de l'autre, la royauté cherche à imposer
sa prééminence sur la totalité du territoire, en réduisant les poches féodales
d'insoumission.
Dans ces conditions, l'Église catholique, en tant qu'émanation de la vieille
371
féodalité, doit lutter pour maintenir sa puissance, tant sur le plan matériel que
spirituel. Elle résiste aux nouveaux courants sociaux qui brisent les anciens
cadres, en cherchant de nouvelles voies pour s'exprimer. De façon générale,
Rome est confrontée à des rivalités et à des souhaits d'émancipation. Elle doit
d'abord faire face à la grande vague de contestation religieuse qu'est la
Réforme, débutée dans la zone du nord de l'Europe. L'omnipotence catholique
est remise en cause avec Luther et Calvin qui se posent comme des concurrents
crédibles à la papauté romaine. Ce ne sont plus de simples hérétiques car ils
trouvent de solides protecteurs, agacés de la tutelle pontificale. D'autre part,
des princes et des monarques, dans leur quête centralisatrice, se heurtent aux
prétentions romaines d'avoir prise sur les affaires politiques et économiques de
toute la chrétienté. Ainsi une bonne partie de l'Europe du nord se désengage
progressivement du catholicisme pour fonder de nouvelles Églises, réformées
sur le dogme, et surtout inféodées au seul souverain local. Même dans les pays
demeurés catholiques, le pouvoir du pape ne s'impose pas aussi facilement
qu'avant. La république de Venise, par exemple, gagne son indépendance
malgré l'hostilité de Rome grâce à sa puissance maritime et commerciale
exceptionnelle. Elle se dote d'un régime oligarchique, dans lequel une
aristocratie se partage le pouvoir avec le doge, monarque élu à vie. L'influence
catholique y est réduite à la sphère spirituelle et aux intrigues diplomatiques.
L'émergence conjointe de la bourgeoisie et de l'Etat centralisé conduit à une
remise en cause du pouvoir temporel de la papauté. Ce dernier concurrence
directement les monarques sur leurs territoires, par les décrets pris à Rome,
valablement universellement devant la souveraineté aristocratique. En même
temps, les catholiques se sont toujours montrés méprisants vis-à-vis des activités
financières, reléguant les marchands à une place subalterne, malgré la création
d'un véritable marché des indulgences. La puissance économique de l'Église
repose sur d'immenses propriétés foncières, disséminées dans toute l'Europe
occidentale, qu'elle fait fructifier à la manière féodale par l'exploitation des
terres et des serfs. Les activités commerciales et bancaires lui sont étrangères,
ce qui contribue à agrandir le fossé qui la sépare de la bourgeoisie. La
puissance ecclésiastique s'oppose donc naturellement aux nouvelles forces
sociales, le capital et l'Etat, qui lui démontrent sans ménagement que son règne
ne peut plus concerner que les esprits.
Dans la sphère intellectuelle, ces différents changements ont comme première
conséquence d'accroître les besoins scientifiques et techniques. De nouvelles
connaissances sont nécessaires aux explorateurs, pour naviguer loin et
372
longtemps, aux grands marchands, pour organiser des comptabilités complexes,
et aux artisans, pour fabriquer de nouveaux navires et des armes plus
puissantes. Ces progrès sont à leur tour générateurs de découvertes, lorsque les
conquistadors ramènent des espèces végétales et animales inconnues, lorsque
les guerres conduisent à des découvertes en médecine, et lorsque divers
procédés de fabrication sont améliorés suite à la hausse des échanges. La
connaissance est donc stimulée par les nouveaux besoins de l'Etat monarchique
en formation et de la bourgeoisie marchande. De façon sensible, les anciennes
certitudes sur la nature et les hommes sont remises en question par la
découverte des nouveaux mondes, ainsi que par l'affirmation de nouveaux types
sociaux. L'orthodoxie n'est plus seulement la cible de quelques marginaux, mais
de tous les courants transformant la société.
Second effet des bouleversements, des espaces de liberté se forment pour les
intellectuels dans les quelques lieux où les circonstances sont favorables.
L'Église n'est plus la seule voie pour une carrière intellectuelle, bien qu'elle ait
encore le monopole de la formation élémentaire et secondaire. Certaines
universités et certaines cours, de petits ou de grands aristocrates, offrent des
subsides à des hommes de lettres et de sciences, en dehors du contrôle de
l'institution religieuse. Si des entités extra-ecclésiastiques peuvent se permettre
d'entretenir ces individus improductifs, en plus des traditionnels hommes
d'armes et de cour, c'est grâce à l'augmentation des ressources dans les classes
dirigeantes, consécutive au développement commercial et financier. La
prospérité économique permet de dégager les surplus indispensables pour
assurer la pitance du savant. Cet enrichissement profite surtout à la classe
montante, la haute aristocratie et la bourgeoisie, qui peut désormais se payer le
luxe d'avoir son philosophe." (p.175-179)

« La nouveauté passe aussi par la redécouverte des auteurs antiques, des païens
à qui l'on fait confiance pour donner le véritable accès au savoir. Cette
renaissance d'intérêt pour la culture gréco-latine révèle une quête de savoirs
nouveaux et le délaissement du carcan scolastique. La redécouverte des textes
anciens dans les milieux cultivés marque ainsi un dégoût et une perte de
confiance dans l'Église catholique. Les rivalités de pouvoir dans la haute
hiérarchie, le goût du luxe, la recherche toujours plus grande de revenus
monétaires, les mœurs décadentes de certains membres du clergé, conduisent à
une désaffection du catholicisme chez certains intellectuels. » (p.180)

373
-Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions
Kimé, 2103, 706 pages.

"L’histoire des universités du XVe siècle est surtout l’histoire de la lutte des
anciens et des modernes. L’occamisme se répand en particulier en Allemagne
où il trouva un vulgarisateur sans originalité mais fidèle en la personne de
Gabriel Biel qui enseigna en 1484 à l’Université de Tübingen et mourut en 1495
; ce furent des élèves de Biel, des Gabrielistes, Staupitz et Nathin, qui, au
couvent des Augustins, initièrent Luther à cette théologie nominaliste, dont le
Dieu ressemble plutôt à un Jéhovah capricieux et arbitraire qu’à un Dieu qui
soumet sa volonté à la loi de l’ordre et du bien conçue par son entendement."
(p.485)

"Dans les milieux humanistes du XVe siècle, si différents des Universités, sous
la protection des princes ou des papes, se réunissent indifféremment laïques et
ecclésiastiques, à l’Académie platonicienne dans la Florence de Laurent le
Magnifique, comme à l’Académie aldine à Venise. En ces milieux nouveaux, il
n’est aucune considération pratique qui puisse prévaloir sur le désir du savoir
comme tel ; l’esprit, tout à fait libéré, n’est plus asservi, comme dans les
Universités, à la nécessité d’un enseignement qui forme des clercs. Au siècle
suivant est fondé le Collège de France qui, distinct de l’Université, est fait non
pour classer le savoir acquis et traditionnel, mais pour promouvoir les
connaissances nouvelles.
Cette liberté produit un pullulement de doctrines et de pensées, que nous
voyions poindre pendant tout le Moyen âge, mais qui, jusque là, avaient pu être
refoulées ; ce mélange confus, que l’on peut appeler naturalisme, parce que,
d’une manière générale, il ne soumet l’univers ni la conduite à aucune règle
transcendante, mais en recherche seulement les lois immanentes, contient, à
côté des pensées les plus viables et les plus fécondes, les pires monstruosités ;
avant tout, on affecte de tourner le dos à tout ce qui s’est fait jusqu’ici : «
Laurent Valla (écrit le Pogge aussi humaniste et épicurien que l’était son ami)
blâme la physique d’Aristote, il trouve barbare le latin de Boèce, il détruit la
religion, professe des idées hérétiques, méprise la Bible... Et n’a t il pas professé
que la religion chrétienne ne repose point sur des preuves, mais sur la croyance,
qui serait supérieure à toute preuve ! » . Or le Pogge est un fonctionnaire de la
Curie romaine ; quant à Laurent Valla, le cardinal de Cuse, en 1450, le
recommandait au pape et voulait l’y faire entrer.
374
Ce désir intense d’une vie autre, nouvelle et dangereuse, est provoqué ou du
moins accentué par l’énorme accroissement de l’expérience et des techniques
qui, en un siècle, change les conditions de la vie matérielle et intellectuelle de
l’Europe. Accroissement de l’expérience dans le passé, grâce aux humanistes
qui lisaient les textes grecs, et qui, au XVIe siècle, s’initièrent aux langues
orientales ; l’important est moins encore la découverte de nouveaux textes que
la manière dont on les lit ; c’est le même De officiis de Cicéron que connaissent
saint Ambroise et Érasme ; saint Ambroise y cherche des règles pour ses clercs ;
Érasme y trouve une morale autonome et indépendante du christianisme ; il ne
s’agit plus maintenant d’accommoder ces textes à l’explication des Écritures,
mais de les comprendre en eux mêmes. Accroissement de l’expérience dans
l’espace, lorsque, dépassant les bornes de l’οι̉κουμένη, où la chrétienté, après
l’antiquité, avait tracé les limites de la terre habitable, l’on découvre non
seulement de nouvelles terres, qui détournent les regards du bassin de la
Méditerranée, mais de nouveaux types d’humanité dont la religion et les mœurs
sont inconnues. Accroissement des techniques, non seulement par la boussole, la
poudre à canon et l’imprimerie, mais par des inventions industrielles ou
mécaniques dont plusieurs sont dues à des artistes italiens qui étaient en même
temps des artisans. Les hommes de cette époque, même attachés à la tradition,
ont l’impression que la vie, longtemps suspendue, reprend, que la destinée de
l’humanité recommence : « Nous voyons partout, écrit le Cardinal de Cuse vers
1433, les esprits des hommes les plus adonnés à l’étude des arts libéraux et
mécaniques, retourner à l’antiquité, et avec une extrême avidité, comme si l’on
s’attendait à voir s’accomplir bientôt le cercle entier d’une révolution » .
Les esprits étaient naturellement portés à confronter avec cette expérience
accrue les conceptions traditionnelles de l’homme et de la vie, fondées sur une
expérience bien plus restreinte. Malgré toutes les divergences et toutes les
diversités, il n’y a eu, durant le Moyen âge tout entier, qu’une seule image ou, si
l’on veut, un seul schème dans lequel viennent naturellement s’encadrer toutes
les images possibles de l’univers : c’est ce que nous avons appelé le
théocentrisme : de Dieu comme principe à Dieu comme fin et consommation, en
passant par les êtres finis, voilà une formule qui peut convenir à la plus
orthodoxe des Sommes comme à la plus hétérodoxe des mystiques, tant l’ordre
de la nature et l’ordre de la conduite humaine viennent se placer avec une sorte
de nécessité entre ce principe et cette fin.
Une pareille synthèse n’était possible que grâce à une doctrine qui concevait
toutes les choses de l’univers par référence à cette origine ou à cette fin, tous les
375
êtres finis comme des créatures ou des manifestations de Dieu, tous les esprits
finis comme en train de s’approcher ou de s’éloigner de Dieu. Or c’est cette
référence qui, de plus en plus, devient impossible : déjà, au XIIe siècle, nous
avons vu comment s’ébauchait un naturalisme humaniste qui étudiait en elles
mêmes la structure et les forces de la nature et de la société ; plus encore, au
XIVe siècle, laissant délibérément tout ce qui regarde l’origine et la fin des
choses, démontrant même que c’est par erreur qu’on a cru saisir dans
l’opposition du ciel immuable et de la région sublunaire quelque chose du plan
divin, les occasions étudient la nature en et pour elle même. Mais, aux deux
siècles suivants, que de raisons nouvelles de s’écarter du théocentrisme ! Les
étranges et mystérieuses profondeurs que l’on soupçonnait à peine dans
l’histoire et dans la nature commencent à apparaître ; la philologie, d’une part,
la physique expérimentale, d’autre part, donnent sur l’homme et sur les choses
des enseignements nouveaux ; le drame chrétien, avec ses moments historiques,
création, péché, rédemption ne peut décidément servir de cadre à une nature
dont les lois lui sont tout à fait indifférentes, à une humanité dont une partie
l’ignore complètement, à une époque où les peuples chrétiens eux mêmes, se
rendant indépendants du pouvoir spirituel, font prévaloir dans leur politique des
buts tout à fait étrangers aux fins surnaturelles de la vie chrétienne, ou même
délibéré¬ment contraires à l’idée de l’unité de la chrétienté.
Un changement si vital a une infinité de répercussions. La plus importante pour
nous est de mettre au premier plan les hommes de pratique, hommes d’action,
artistes et artisans, techniciens en tout genre aux dépens des méditatifs et des
spéculatifs ; la conception nouvelle de l’homme et de la nature est une
conception que l’on réalise plutôt qu’on ne la pense ; les noms des philosophes
proprement dits, de Nicolas de Cuse à Campanella ont alors bien peu d’éclat à
côté de ceux des grands capitaines et des grands artistes ; tout ce qui compte est
alors technicien en quelque sens que ce soit ; le type achevé est Léonard de
Vinci, à la fois peintre, ingénieur, mathématicien et physicien ; mais il n’est
guère de philosophe qui ne soit en même temps médecin, ou tout au moins
astrologue et occultiste ; la politique de Machiavel est une technique destinée
aux princes italiens ; les humanistes, avant d’être des penseurs, sont des
praticiens de la philologie, soucieux des méthodes qui leur permettront de
restituer les formes et les pensées des anciens.
Pourtant, et c’est peut être là le grand paradoxe de l’époque, les philosophes de
la Renaissance, depuis Nicolas de Cuse jusqu’à Campanella, s’efforcent
d’organiser leur pensée autour de l’ancien schème de l’univers ; le retour au
376
platonisme, tel qu’on le constate chez beaucoup d’entre eux, loin de les conduire
à des idées neuves, ne fait que les persuader davantage que la grande tâche de
la philosophie est d’ordonner les choses et les esprits entre Dieu comme
principe et Dieu comme fin. Le contraste entre ce schème vieilli et la nouvelle
philosophie de la nature qu’ils intègrent en leur système fait, nous le verrons, la
grosse difficulté de leur doctrine." (p.491-493)
-Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences
sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages).

« [Dans les Cités de la Renaissance] […] tous les citoyens adultes mâles
avaient le droit de vote mais […] près de neuf dixièmes des résidents n'étaient
pas citoyens. » -Antony de Jasay, L’Etat – La logique du pouvoir politique, Les
Belles Lettres, coll. Laissez faire, 1994 (1985 pour la première édition anglaise),
500 pages, p.183.

« La grande erreur esthétique de la Renaissance est d’avoir séparé le beau du


vrai et du bien, et de l’avoir placé dans ce qui plaît aux sens. Les artistes n’ont
plus cherché le beau en Dieu qui est le principe et la fin […], ils se sont
passionnés pour le beau sensible, qu’ils ont isolé du beau moral, même dans les
sujets religieux. » -Étienne Cartier, L’Art chrétien. Lettres d’un solitaire, 1881.

« La Renaissance ne reprit du monde antique que des formes décadentes et non


celles des origines, pénétrées d'éléments sacrés et suprapersonnels, ou les reprit
en négligeant complètement ces éléments et en utilisant l'héritage antique dans
une direction tout à fait différente. Dans la Renaissance, en réalité, la «
paganité » servit essentiellement à développer la simple affirmation de
l'Homme, à fomenter une exaltation de l'individu, qui s'enivre des productions
d'un art, d'une érudition et d'une spéculation dénuées de tout élément
transcendant et métaphysique. » -Julius Evola, Révolte contre le monde
moderne, chapitre 12 "Déclin de l’oecumène médiéval - Les nations", Les
Éditions de L'Homme Ltée, Copyright, Ottawa, 1972 (1934 pour la première
édition italienne), 479 pages.

« Quels sont les hommes qui, les premiers, parlèrent de leur temps avec espoir
et satisfaction ? Ni les poètes, ni les penseurs religieux, ni les hommes d’État,
mais les érudits et les humanistes. C'est la gloire d'avoir retrouvé la sagesse
antique qui arracha d'abord aux hommes des cris de joie à propos de leur temps
: c'est un triomphe intellectuel. » (p.32)

377
« Une étude impartiale de la Renaissance nous y fait découvrir une persistance
du moyen-âge. L'Arioste, Rabelais, Marguerite de Navarre, Castiglione ainsi
que toute la peinture, en ce qui concerne la pensée et la forme, sont pleins
d'éléments médiévaux. Et pourtant, nous ne pouvons nous passer de l'antithèse
moyen-âge, Renaissance qui représente pour nous un contraste entre deux
époques, contraste essentiel bien que malaisé à définir. » (p.251)

« Le fonds des âmes du XVe siècle reste pessimiste et mélancolique. L'harmonie


de la Renaissance ne se fera sentir que lorsque une génération nouvelle aura
appris, tout en faisant usage des formes de l'Antiquité, à s'approprier son esprit
: d'abord, la pureté, l'exactitude de la conception et de l'expression, puis
l'ampleur de la pensée, l'intérêt vif et direct pour l'homme et pour la vie.
Question captivante s'il en fut que celle de rechercher quel a été, à ce tournant
de siècle, le rôle de l'Antiquité dans le renouvellement du monde. Il n'est plus
personne aujourd'hui qui la tienne pour le seul et unique moteur, ni même pour
le principe fécondant de la Renaissance. » (p.300)

-Johan Huizinga, L'Automne du Moyen Age, Les classiques des sciences


sociales, 1948 (1919 pour la première édition néerlandaise), 300 pages.

« Autonomie de la raison, désaffection vis-à-vis des valeurs religieuses, rupture


avec l'enseignement du passé sont un seul et même mouvement de l'âme
humaine se découvrant elle-même et s'adorant, satisfaite de soi. La Renaissance
qui inaugure le rationalisme est essentiellement une découverte du moi séparé
de tout ce qui n'est pas lui et surplombant toutes choses du haut de la raison. » -
Marcel de Corte, Philosophie des mœurs contemporaines, 1944.

« Je voudrais indiquer quelques-uns des courants de pensée qui ont préparé et


mûri la vision dynamique du monde qui caractérise l'homme du XXème siècle.
Tout d'abord, il faut remonter à la Renaissance, au moment où apparaissent ce
qu'on appelait alors les « nouvelles sciences ». C'était les sciences
d'observation, basées sur les méthodes expérimentales, qu'on opposait à la
connaissance théologique et philosophique dont les fondements étaient soit
l'autorité, soit la logique pure. Les nouvelles sciences : l'astronomie, la
physique, la chimie, la biologie, font fi de l'autorité, d'une part, et cherchent,
d'autre part, à allier le raisonnement logique à l'observation rigoureuse des
faits.

378
À la sortie du Moyen-Âge, la nouvelle science représente une révolution
intellectuelle à un double titre. Tout d'abord, c'est une nouvelle démarche
intellectuelle qui s'affirme et qui, par sa nature même, est beaucoup plus
dynamique que celle qui avait dominé durant tout le Moyen-Âge. La
connaissance scientifique se fonde en effet sur des théories toujours
contestables, sur des lois dont la certitude n'est jamais acquise, bref sur un
savoir que l'on considère toujours comme incomplet et par conséquent en
constante et nécessaire évolution.

Par ailleurs, le contenu même de la nouvelle science s'avère une vision


dynamique des choses. Ainsi, c'est elle qui nous convainc que la terre n'est pas
une sorte de plate-forme stable, mais qu'elle est ronde et donc destinée à se
mouvoir. De plus, on découvre que ce n'est pas l'univers qui tourne autour de
notre planète, mais que celle-ci poursuit son cours suivant une trajectoire sans
fin. L'homme du XVIIème siècle doit donc reconnaître qu'il n'habite pas un
univers fixe ; il loge plutôt sur une planète dont le mouvement s'intègre dans une
immense dynamique cosmique. » -Guy Rocher, « L'idéologie du changement
comme facteur de mutation sociale », SociologieS [En ligne], Découvertes /
Redécouvertes, Guy Rocher, mis en ligne le 28 octobre 2008, consulté le 18 juin
2016.

« Cette vaste période de trois siècles (disons, pour faire vite, du milieu du
XVème au dernier quart du XVIIIème siècle) correspond à la mise en place des
valeurs essentielles de la modernité. Les grandes révolutions sont culturelles :
dans les arts, dans les sciences, en théologie, en philosophie et dans la pensée
politique. Au niveau économique et politique, cette période se distingue aussi
nettement de la précédente et de la suivante. Elle correspond à « l’ancien
régime », qui met fin au système féodal médiéval, et qui voit apparaître la figure
de l’État monarchique moderne, centralisé et bureaucratique. C’est aussi
l’époque où les nations s’individualisent culturellement et linguistiquement. Au
plan économique apparaît une nouvelle classe sociale : la bourgeoisie
marchande, qui profite de l’extension mondiale du commerce. F. Braudel
souligne lui-même l’unité du système économique qui couvre la période du
XIVème (un peu avant la Renaissance) jusqu’en 1750 : c’est le « capitalisme
marchand », auquel fera suite le capitalisme industriel. Sur le plan économique,
le XVème siècle correspond à une période de croissance significative, tout
comme au plan démographique. On observe une poussée d’urbanisation durant
cette période. Il s’en suit une première étape dans le procès d’individualisation :
379
la famille commence à se restreindre et à s’autonomiser au sein des lignées et
des groupes sociaux . Sur le plan politique et sur celui des relations
internationales, cette période est marquée par la prise de Constantinople par les
Turcs en 1453, c’est-à-dire la fin de l’empire romain d’orient, et par la
découverte de l’Amérique par Colomb en 1492. Ces deux dates sont
habituellement retenues pour les périodisations, auxquelles on peut ajouter une
troisième : l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1450, qui aura de
grandes conséquences sur la diffusion des connaissances, de la culture antique,
et donc sur la Renaissance.

Bref, sur tous les plans, cette périodisation a une unité et donc une cohérence
historique. Mais ce qui demeure le plus significatif dans cette unité de trois
siècles, c’est la révolution culturelle qui marquera le passage du monde Ancien
au monde Moderne. La première modernité est donc essentiellement une
modernité des élites (artistes, savants, théologiens, philosophes), il faudra
attendre la seconde puis la troisième pour que son mouvement s’étende à toutes
les couches de la société. »

« La Renaissance, d’abord italienne (Florence, puis Venise, Rome, etc.), se


présente comme l’avènement d’un esprit nouveau, d’une disposition inédite à
l’égard de la culture, de la religion, des canons esthétiques et du savoir. En fait,
plus généralement encore, cette époque marque une vision nouvelle de l’homme,
du monde et de l’histoire. L’humanisme marque cette confiance nouvelle de
l’homme dans sa valeur et dans ses possibilités d’accès au savoir. Il se traduit
par une contestation des anciennes formes d’autorité, notamment religieuses.
Au plan artistique, l’homme prend plus d’importance à la fois en tant que
créateur (refus d’appliquer une norme esthétique canonique et traditionnelle) et
comme sujet représenté. Les artistes de la Renaissance sont à la fois des
savants, des techniciens, des penseurs : ils participent à toute la culture de
l’époque, et sont proprement des hommes universels ; ainsi naît la figure de
l’homo universale. Mais, cet universalisme se double nécessairement d’une
poussée individualiste : « quand cette tendance à développer au plus haut point
la personnalité se rencontrait avec une nature réellement puissante et un esprit
richement doué, capable d’assimiler en même temps tous les éléments de la
culture d’alors, on voyait surgir l’ “homme universel” », qui est aussi un
homme singulier, un homo singolare (Burckardt, p. 204). L’universalisme et
l’individualisme vont de pair. » -Vincent Citot, « Le processus historique de la

380
Modernité et la possibilité de la liberté (universalisme et individualisme) », Le
Philosophoire, 2005/2 (n° 25), p. 35-76.

« Tawney a très justement remarqué que le puritanisme capitaliste étudié par


Weber était le puritanisme tardif, celui qui avait déjà fait la paix avec "le
monde". Cela veut dire que le puritanisme en question avait fait sa paix avec le
monde capitaliste déjà existant: il n'était donc pas la cause du monde capitaliste
ou de l'esprit capitaliste. [...] Weber estimait possible qu'il fallut rechercher
l'origine de l'esprit capitaliste dans la Renaissance, mais, comme il le faisait
justement remarquer, la Renaissance comme telle était un effort pour restaurer
l'esprit de l'antiquité classique, c'est-à-dire un esprit complètement différent de
la mentalité capitaliste. Ce qu'il oubliait, c'est qu'au cours du XVIème siècle eut
lieu une rupture consciente avec toute la tradition philosophique antérieure,
rupture qui se fit au niveau de la pensée purement philosophique, rationnelle ou
profane. Cette rupture fut, à l'origine, le fait de Machiavel et conduisit à
l'enseignement éthique de Bacon et de Hobbes, penseurs dont les écrits
précédèrent de plusieurs dizaines d'années ceux de leurs confrères puritains sur
lesquels s'appuie la thèse de Weber. On peut difficilement dire plus que ceci: les
puritains, ayant rompu avec la tradition philosophique "païenne" (en gros, avec
l'aristotélisme) plus radicalement que le catholicisme romain et le luthéranisme,
furent de fait plus ouverts à la philosophie nouvelle que ces derniers. Le
puritanisme pouvait ainsi devenir le "véhicule" peut-être le plus important, de la
nouvelle philosophie à la fois naturelle et morale, d'une philosophie créée par
des hommes qui n'avaient absolument rien de commun avec les puritains. En
bref, Weber surestimait l'importance de la révolution qui avait pris place au
niveau de la théologie et sous-estimait l'importance de celle qui avait pris place
sur le plan de la pensée rationnelle. » -Leo Strauss, Droit naturel et histoire,
Flammarion, Champ.essais, 1986 (1954 pour la première édition française, 1953
pour la première édition états-unienne), 324 pages, note 22 p.284.

http://hydra.forumactif.org/t2245-jean-pierre-dedieu-gilbert-larguier-jean-paul-
le-flem-le-monarque-les-fondements-theoriques-de-la-monarchie#2958
Les Condottieres. Capitaines, princes et mécènes en Italie (XIIIe-XVIe siècle) XIIIème-XIVème siècles -
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381
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de+la+Renaissance

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382
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humanism#2997

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Lhistoire/dp/0554912899/ref=asap_bc?ie=UTF8

383
https://www.amazon.fr/Histoire-Sienne-Vol-Politique-
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=8-1-fkmr1&keywords=Robert+Langton+Douglas%2C+Histoire+de+Sienne

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Renaissance/dp/2070248879/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1446499921&sr=8-
1&keywords=Essais+d%E2%80%99iconologie+%3A+th%C3%A8mes+humani
stes+dans+l%27art+de+la+Renaissance

Duecento (pré-renaissance italienne du XIIIème siècle) :

Innocent III (1160-1216) : « L’année 1206 fut la neuvième d’un pontificat


extraordinaire, dont il n’est pas excessif de dire qu’il fut l’un des plus
déterminants dans l’histoire de l’Église par le nombre, l’importance et la
pérennité des œuvres accomplies, des choix effectués, des entreprises engagées.
Sans faire la part trop belle au regard a posteriori, on peut considérer l’ensemble
du pontificat comme la construction progressive, consciente et volontaire par
Innocent III d’un édifice qui serait finalement dévoilé au monde dans sa totalité
formidable, à la fin de l’année 1215, avec la synthèse normative issue du concile
de Latran IV. Les décrets du concile, qui forment une somme de mesures
capitales pour le devenir de l’institution ecclésiale et de la Chrétienté, furent le
fruit de l’expérience, de la pratique du gouvernement pontifical depuis 1198.
Innocent III avait en effet gouverné l’Église, au temporel comme au spirituel,
avec pour perspective permanente la mise au point, dans l’action, de principes
universels. »

« La dissidence religieuse en Languedoc que Diègue et Dominique se


proposèrent de combattre par la prédication à partir de 1206 avait pour principal
fondement, comme toutes les autres déviances nées dans la Chrétienté latine
depuis la fin du XIe siècle, la contestation de ces nouvelles formes
institutionnelles de l’Église issues, peu à peu, de la réforme grégorienne. Les
hérésies découlèrent d’abord et avant tout de remises en cause de la place
renouvelée et des pouvoirs accrus pris par les clercs dans la société chrétienne.
Certes protéiformes, les mouvements hétérodoxes n’en avaient pas moins pour
point commun le refus d’une évolution dont Innocent III fut le plus grand artisan
384
: la transformation de l’Église en une monarchie pontificale tendanciellement
absolue, vouée à gouverner non seulement le monde clérical, mais aussi – et pas
seulement au plan strictement spirituel – les laïcs. »

« La réflexion d’Innocent III autour de la notion de plénitude de puissance visait


d’abord, en pratique, à justifier l’imposition de la suprématie juridictionnelle de
la papauté sur les évêques et les églises locales. Mais en travaillant sur ses
rapports avec la hiérarchie épiscopale, Innocent III créa les conditions d’une
véritable transfiguration de l’office pontifical, parachevant ainsi la construction
d’une ecclésiologie bien spécifique en-dehors de laquelle on ne peut comprendre
ni l’entrée en dissidence, ni la persécution des hérétiques. Il ne s’agissait de rien
de moins que d’une forme de divinisation de la fonction du pape, comme l’a
souligné Kenneth Pennington. « Vicaire du Christ », le pontife suprême recevait
en partage, non certes en sa personne, mais dans l’exercice de safonction, des
pouvoirs d’ordre divin. Dans la bulle Quanto personam, qui condamna en 1198
le transfert d’un évêque d’Hildesheim au siège de Wurzbourg, effectué sans
l’accord d’Innocent III, ce dernier avait ainsi étéconduit à affirmer que pour ce
type d’affaire, le pape « tenait lieu sur terrenon de simple homme, mais de vrai
Dieu ». »

« Les prétentions d’Innocent III (puis de ses successeurs) à la souveraineté


absolue allaient bien vite excéder le domaine du gouvernement de la société
cléricale. Or toute contestation de l’ecclésiologie hiérocratique qui présidait à
ces prétentions était désormais susceptible d’être assimilée à une atteinte au
Christ à travers son représentant sur terre, c'est-à-dire à une atteinte à la foi. Plus
largement, toute résistance à l’autorité pontificale pouvait constituer en dernier
recours, par transitivité en quelque sorte, un crime « de lèse-majesté éternelle »
– c'est-à-dire, selon la définition qu’en donna Innocent III en 1199 dans la
célèbre bulle Vergentis in senium, un crime d’hérésie. »

-Julien Théry, "Le gouvernement romain de la Chrétienté autour de 1206 :


Innocent III et les débuts de la théocratie pontificale", paru dans les actes du
colloque international Dominique avant les dominicains, 8ème centenaire de la
rencontre de Castelnau-Montpellier, dans Mémoire dominicaine, 21, 2007, pages
33-37.

Le Saint Empire romain germanique (962-1806) :


https://www.amazon.fr/Saint-Empire-romain-germanique-

385
Charles/dp/2020555271/ref=pd_sim_14_91?_encoding=UTF8&psc=1&refRID
=90S7PGMZB5XCRWSTR0PV

Frédéric Ier de Hohenstaufen, surnommé Frédéric Barberousse (1122-1190) :


« En juillet 1183, la paix de Constance établit le modus vivendi entre l'empereur
et les communes: les ragalia définis à Roncaglia leur sont concédés, et elles les
exerceront aussi dans leur contado. La libre élection des consuls est reconnue,
ainsi que le droit des communes à s'allier entre elles. L'empereur ne conserve
qu'une juridiction éminente, comportant lors de ses séjours l'investiture des
consuls et le fodrum. Frédéric a donc perdu tout ce qu'il avait imposé en 1158.
[...]
On comprend que le texte de la paix de Constance ait été précieusement
conservé dans les archives de chaque commune, et copié en tête de leurs libri
iurium. » -François Menant, L'Italie des communes (1100-1350), Paris, Éditions
Belin, 2005, 398 pages, p.21.

Otton de Freising (1112-1158) : « Les Lombards perdirent leur rudesse et leur


barbarie […] Aujourd’hui encore, pour la disposition des villes et le
gouvernement de l’Etat, leur modèle est l’intelligence des anciens Romains. Ils
aiment tant la liberté que pour être à l’abri des excès de pouvoir, ils préfèrent
être gouvernés par des consuls que par des chefs. Comme ils sont divisés en
trois ordres, celui des capitaines, celui des vavasseurs et celui du peuple, leurs
consuls, pour éviter toute arrogance, sont choisis non pas dans un seul de ces
ordres, mais dans les trois, et pour qu’ils ne cèdent pas au goût du pouvoir, ils
sont renouvelés presque tous les ans. Ainsi presque toute la terre est partagée
entre les cités, chacun contraint les habitants de son territoire à rester avec elle,
et on trouverait difficilement un noble ou un puissant assez fort pour ne pas se
conformer aux ordres de sa cité. […] Et, pour ne pas manquer de forces pour
opprimer leurs voisins, ils ne jugent pas indigne de laisser des jeunes gens de
basse condition, voire même des artisans qui exercent de méprisables métiers
manuels, ceindre le baudrier de chevalier et accéder aux plus hautes fonctions,
alors que les autres peuples les écartent comme la peste des emplois les plus
honorables et les plus libres.

De la sorte, ils surpassent en richesse et en puissance les autres villes du monde.


Ils y sont aidés non seulement par leur activité, mais par l’absence de leurs
princes qui séjournent d’ordinaire outre-monts. Sur un point cependant ils
oublient la grandeur antique et conservent quelque chose de leur grossièreté
386
barbare : se faisant gloire de vivre selon les lois, ils ne les suivent pas. En effet
ils n’accueillent presque jamais leur prince avec la respectueuse obéissance qui
lui est due, à moins qu’il ne déploie une armée nombreuse. » -Otton de Freising,
Les communes italiennes en 1154 d’après le Gesta Frederici, p.306-313.

Frédéric II (1194-1250): « Il fit bâtir avec constance des palais splendides et


gigantesques, comme s’il devait être toujours victorieux, mais où il ne résida
jamais. Il construisait des châteaux et des tours dans les villes et sur les
montagnes comme s’il pensait être assiégé chaque jour par des ennemis. Il
faisait tout cela pour montrer sa puissance, susciter l’admiration et la terreur,
afin d’imprimer la mémoire de son nom dans l’esprit de chacun, et que l’oubli
ne puisse jamais l’abolir. » -Annales de Saint-Justin de Passau.

« Nous avons choisi parmi tous les autres le royaume de Sicile comme notre
bien propre et nous avons élu le royaume entier comme domicile et séjour de
notre vie, si bien que, alors que l’éclat du titre de César nous illumine, nous ne
jugeons pas indigne d’être appelé « un homme d’Apulie », et lorsque, appelés
par les troubles de l’empire nous naviguons en tous lieux loin des portes et des
ports de Sicile nous avons tout le temps le sentiment d’être un pèlerin éloigné de
sa demeure. » -Frédéric II, en 1238.

« Lève-toi donc invincible Germanie, levez-vous peuples germains ! » -Frédéric


II, en 1240.

http://academienouvelle.forumactif.org/t4313-ernst-h-kantorowicz-
oeuvres#7909

« Né en 1194 de l’union entre l’empereur allemand Henri VI et la reine de


Sicile, Constance, Frédéric II était l’héritier de deux tradition politiques : celle
des rois normands de Sicile et celle des empereurs du Saint Empire. […]

Orphelin à quatre ans, roi de droit mais soumis à une régence, il fut élevé à la
cour de Palerme, et devint le jouet des hommes qui se disputaient le pouvoir,
pendant que le Sicile plongeait dans la guerre civile. » (p.15)

« Excommunié une première fois en 1227 pour ne pas être parti en croisade à
temps, puis, après le rétablissement de la paix avec le pape (traité de San
Germano en juillet-août 1230), une seconde fois en mars 1239, l’empereur fut
jugé en 1245 au concile de Lyon I. Déclaré parjure, hérétique et criminel, il fut
déposé par Innocent IV le 17 juillet. Il dénonça alors vivement la richesse de
387
l’Eglise, en appela à la solidarité des rois et des princes, tandis que le pape,
habillant de religion sa politique, faisait prêcher la croisade contre lui. » (p.18)

« A sa mort, l’édifice politique si difficillement construit vola en éclats. » (p.18)

« Règne tumultueux, sans cesse secoué par des conflits, à l’image d’un empire à
la vérité ingouvernable. L’espace politique sur lequel Frédéric II devait régner
était en effet constitué de trois entités : le regnum teutonicum, c’est-à-dire
l’Allemagne, et les royaumes d’Arles et d’Italie du Nord. On n’oubliera pas
qu’une partie non négligeable de la France relevait dans ces conditions de
l’empire : Alsace et Lorraine, vallée du Rhône, Provence ; Lyon était d’empire,
de même que Marseille. Frédéric II gouverna encore deux autres royaumes,
celui de Sicile, puis à partir de 1225, celui de Jérusalem, acquis à la suite de
son mariage avec l’héritière du trône, Isabelle de Brienne.

Cet ensemble émietté était hétérogène dans son peuplement et ses composantes
linguistiques, les distances telles que l’empereur réagissait nécessairement avec
retard aux nouvelles ; sa politique devait courir après le temps. La
centralisation était, à l’échelle de l’empire, impossible, sauf à faire disparaître
ses frontières internes et les royaumes qui le constituaient. » (p.18-19)

« Son refus de laisser à l’Église une autre place que celle de la diffusion de la
foi et de l’encadrement moral des fidèles ouvrait la voie d’un Etat laïc, seul
responsabe du destin de ses sujets. » (p.21)

« Au XIIème siècle, le roi [d’Allemagne], qu’on appelait le « roi des Romains »


car dès son élection il régnait sur tout le territoire de l’empire, était appelé à
devenir empereur. Très puissant, il ne pouvait pourtant gouverner sans les
princes, encore moins contre eux, ni faire disparaître leur pouvoir ; il ne
pouvait que le contrebalancer. » (p.27)

« [Le roi] détient les droits régaliens, les regalia, dont la liste fut fixée à la diète
de Roncaglia en 1158 : frappe de la monnaie, exercice de la haute justice,
fondation de marchés, installation de péages. » (p.28)

« Francfort était le lieu habituel de l’élection, Aix celui du couronnement. »


(p.28)

« Il n’y eut pas en Allemagne l’équivalent de la politique de rassemblement


territorial des Capétiens, d’extension du domaine où l’autorité du roi s’exerçait

388
directement. Les rois de Germanie investissaient les évêques et les abbés de
leurs droits séculiers, ils pouvaient nommer ou défaire les ducs mais n’avaient
pas les moyens d’annexer un bien princier au domaine de la Couronne, du
moins sans l’accord des princes. Depuis les Ottoniens, ils déléguaient les
regalia, accordaient des fonctions d’autorité à tel ou tel prince, aux évêques, aux
margraves en charge des territoires frontaliers. Ils avaient ainsi contribué à la
formation progressive des vastes principautés ecclésiastiques et laïques
constituant le tissu du royaume (Bavière, Bohême, Brandenbourg, Saxe,
Thuringe…). Cette générosité faisait la solidité de leur pouvoir tout en
empêchant une concentration à leur profit. L’Allemagne était déjà sur la voie u
fédéralisme… » (p.29)

« L’union de la Sicile à l’empire [sous Henri VI, père de Frédéric II] mettait la
papauté aux abois, et sapait une autorité sur la péninsule que les papes
prétendaient détenir en vertu de la donation de Constantin. » (p.31)

« Le royaume se fractionna en plusieurs camps opposés les uns aux autres dans
un enchevêtrement de retournements d’alliance, de trahisons, de coup de force
où l’opportunisme l’emportait sur le souci du bien commun. […] La lutte pour
le pouvoir laissa le champ libre à la noblesse de Sicile qui usurpa biens et
châteaux du domaine royal à travers l’ensemble des provinces. Parler
d’anarchie serait exagéré mais le rapport de force tournait de toute évidence à
l’avantage des barons. […] Les années 1201-1208 furent donc des années de
« faide », de guerres privées et d’affaiblissement du pouvoir royal. La jeunesse
de Frédéric-Roger se déroula au milieu de ce tourbillon politique et guerrier,
balottée entre les divers prétendants à la régence. » (p.34-35)

« En mars 1212, il quitta la Sicile. La durée de son absence –huit ans- montre
tout le sérieux qu’il mit dans la reprise en main de l’héritage des Staufen, voire
l’intensité précoce de son ambition impériale. » (p.39)

« Le 5 décembre 1212, à Francfort, une assemblée de princes élut à nouveau


Frédéric roi des Romains ; le 9 l’archevêque de Mayence, Siegfried II
d’Eppstein, le couronna. » (p.40)

« Le roi de France [Philippe Auguste] lui offrait un appui stratégique décisif,


une somme de 20 000 marcs et l’avantage de ne plus dépendre du seul pape.
[…]

389
La victoire de Philippe Auguste à Bouvines, le 27 juillet 1214, […] scella le sort
de la guerre ; Otton ne pesait plus rien. Le Capétien offrit à Frédéric II l’aigle
royal, insigne du pouvoir. Bouvines était le jugement de Dieu, dont Frédéric
était l’élu. » (p.43)

« Au total Frédéric II n’accomplit que trois séjours en Allemagne : entre


septembre 1212 et août 1220 ; de mai 1235 au mois de juillet 1236 ; de
décembre 1236 au début de septembre 1237. Soit environ dix années sur les
trente-huit effectives que compta son règne, mais, on le voit, très inégalement
réparties, comme s’il n’était revenu en Allemagne après 1220 que sous la
contrainte des événements. » (p.46)

« Quel souverain allemand, depuis le rétablissement de l’empire en 962, avait


sérieusement envisagé de s’étendre aux dépens des princes ? Aucun. » (p.62)

« Frédéric II ne songe pas […] à unifier le droit au sein du royaume (même en


Sicile il conserva à côté du Liber augustalis les droits et coutumes en usage. »
(p.66)

« Frédéric II n’imite en rien les Capétiens, qui surent faire primer leurs droits
sur ceux des féodaux. » (p.67)

« Frédéric II demeura à distance de l’Allemagne pendant quinze ans, quinze


années durant lesquelles son fils prit de l’ascendant. Elu roi en 1220, couronné
en 1222, accédant réellement au pouvoir en 1225 alors qu’il n’avait que
quatorze ans, Henri (VII) traversa la période comme un météore et finit sa vie
déposée par son père, en 1235, puis emprisonné en Italie, où il mourut en 1242,
sans doute en se suicidant lors d’un transfert d’un château à un autre. » (p.70)

« Vivant au loin, Frédéric II devait se faire représenter par un souverain soumis


à ses ordres, ce que fut [son second fils] Conrad IV. » (p.83)

« En février 1237, à Vienne, il obtient des onze princes présents (dont le roi de
Bohême, le duc de Bavière et les archevêques de Mayence, Trêves et Salzbourg)
l’élection de son fils Conrad IV (qui n’avait que neuf ans) « rois des Romains et
futur empereur » sans rien leur offrir en échange ; autrement dit, ils avaient
admis le principe héréditaire. On est loin du marchandage de 1220. […]

Les princes jurèrent de prêter serment de fidélité à Conrad lorsque Frédéric II


serait mort, et de tout faire pour qu’il accède au trône. Frédéric II quitta alors

390
Vienne, laissant l’Autriche sous la tutelle de l’évêque de Bamberg. Le 27
novembre de cette même année 1237, il remportait contre les Milanais la
victoire de Cortuenuova, seule grande bataille livrée lors de son règne –les
Milanais y laissèrent dix milles hommes, mors ou captifs. Il était au sommet de
sa puissance et de sa gloire. » (p.98)

« En mai 1221, à Messine, l’empereur s’engagea dans un autre domaine :


blasphème et jeux de dès furent interdits sous peine d’arrachage de la langue ;
les juifs durent, comme le stipulait le concile de Latran IV, porter la barbe et
des vêtements distinctifs ; des prêtres fut exigé une conduite exemplaire ; enfin,
les prostituées étaient astreintes à porter en public un manteau spécial et l’accès
des bains leur fut interdit. Convaincu d’avoir été placé sur son trône par Dieu,
l’empereur instaurait un ordre moral chrétien ; ceux qui ne s’y conformaient
pas étaient châtiés ou forcés de mener une vie en marge. […]

La volonté de retour à une norme, incarnée par le gouvernement de Guillaume


II, trahit selon W. Stürner, un idéal conservateur, voire une politique
« réactionnaire » au sens propre du terme ; en cela l’empereur ne se distinguait
pas de ses contomparains, qui puisaient leur égitimité dans la perpétuation de
coutumes éprouvées. » (p.102)

« La noblesse et l’Église furent écartées du service public de l’empereur : aucun


clerc, baron ou comte ne pouvait devenir justicier. Ces derniers ne devaient
avoir ni liens familiaux ni la majorité de leurs biens dans la province où ils
étaient nommés. Aucun d’eux ni aucun membre de leur famille ne pouvait
accepter de cadeaux de la part des justiciables, sauf en deçà d’un seuil modeste.
Ces représentants de l’empereur étaient tenus d’être irréprochables et leur
isolement renforçait son autorité. En retour, leur prestige était immense. »
(p.105)

« La création d’une nouvelle monnaie d’argent finança les besoins de l’Etat :


les sujets durent remettre les anciennes pièces, à un taux de change favorable au
roi. » (p.113)

« En 1232, Messine et Syracuse ne purent résister à l’armée impériale, les


petites cités de Capizzi et Troina furent détruites, leurs habitants déportés, les
cconseils qu’elles avaient osé former dissous. Ici, comme en Allemagne, les
villes n’eurent pas droit à l’émancipation politique ; elles durent se contenter de
l’enrichissement économique, amputé par la pression fiscale.
391
Le monde urbain trouva toutefois son compte dans un royaume pacifié, ordonné,
où la couche supérieure de la bourgeoisie fut appelée à faire carrière dans
l’administration royale. Cela valait bien les perspectives glorieuses mais
dangereuses offertes par le jeu politique des cités lombardes ou toscanes. »
(p.120)

« Il savait [que le pape] était le plus dangereux de ses adversaires. » (p.126)

« Symbole quasi universel, l’aigle est riche de significations qui, toutes,


expriment un pouvoir d’essence surhumaine. Il est associé au monde ouranien :
son vol rapide, élévé, direct en fait le symbole des messages divins. Il est aussi
l’image des feux célestes (le soleil, la foudre) et manifeste la puissance et la
volonté divines ainsi que la sagesse. Selon la légende, il est le seul oiseau que la
foudre ne peut frapper. Barberousse en fit le symbole de l’empire, en s’inspirant
à la fois des Romains et des Carolingiens, voire des Ottoniens (un aigle ornait le
fronton du palais d’Aix en 978). Il faut y ajouter, dans une perspective
chrétienne, l’association de l’aigle aux anges, qui ont ses ailes, et à saint Jean
l’évangéliste. » (p.136)

« Sa vision du pouvoir s’enracinait dans une tradition. L’empereur n’est pas un


conquérant qui ambitionnerait de s’emparer du monde, il s’attache à maintenir
ce qui est. D’où l’importance des héritages qui servent de modèles. Frédéric II
s’est pensé en successeur des empereurs germaniques, et, au-delà, de ceux de la
Rome antique. Il a repris les traditions politiques des rois normands de Sicile,
elles-mêmes influencées par le modèle byzantin. C’est à partir de ces racines
admises, revendiquées, qu’il a bâti des projets efficaces et en partie novateurs. »
(p.143)

« Héritier grec de Rome, Byzance était, bien plus que l’Empire allemand, le
véritable empire du temps. Etat centralisé, doté d’une administration complexe,
entouré d’ennemis, dépecé en 1204 par les Latins mais toujours auréolé de
grandeur, il constituait un réservoir d’idées et de pratiques pour ceux qui
voulaient bâtir un pouvoir fort et intimidant. La cour des rois normands de
Sicile fut imprégnée d’un « byrantinisme idéologique ». » (p.144)

« Frédéric II voulut ressusciter l’Empire romain antique, ou, de façon moins


ambitieuse, reconstituer l’unité italienne de cet empire. » (p.146)

392
« L’une des caractéristiques du XIIIème siècle est la construction de ce que l’on
appelle parfois la « monarchie pontificale ». En prenant appui sur les acquis de
la réforme grégorienne –les Dictatus Papae de 1075 affirment qu’il est « permis
au pape de déposer les empereurs » ou encore qu’ « il peut délier du serment de
fidélité prêté à des injustes »-, les souverains pontifes successifs, d’Innocent III
à Innocent IV, ont bâti une doctrine et des institutions d’une redoutable
efficacité. Le pape n’est plus seulement le successeur de saint Pierre, fonction
qui fait de lui le garant de l’orthodoxie et du salut des fidèles, il est devenu le
« vicaire du Christ », celui qui gouverne l’Église à la place du Seigneur. Sa
mission eschatologique justifie ses décisions, quelles qu’elles soient.

Par conséquent, il bénéficie de la plenitudo potestatis, la plénitutude du pouvoir,


qui lui permet de dominer les autorités laïques. Certes il ne s’agit pas de
théocratie : la curie ne légifère pas à la place des rois, qui prennent librement
leurs décisions politiques ou économiques ; seuls les domaines relevant du droit
canon (mariage, usure) font l’objet d’une législation concernant les laïcs. Mais
le pape s’autorise à intervenir si les princes ont péché (ratione peccati) ou
déploient une politique qui va à l’encontre de la volonté divine, des préceptes du
christianisme ou des décisions pontificales.

La doctrine va plus loin : le pouvoir spirituel fonde le pouvoir temporel puisque


tout pouvoir vient de Dieu. Les laïcs sont d’Église et le corps de l’Eglise, qui est
un, ne doit avoir qu’une tête : le vicaire du Christ. Désobéir au pape, c’est se
séparer de ce corps mystique, emprunter les chemins interdits du schisme ou de
l’hérésie. Dès lors l’Église doit être maîtresse des deux glaives, le spirituel et le
temporel ; de l’ancienne doctrine de l’équilibre, de la coopération, entre les
puissances impériale et pontifical on passe à la subordination de l’empire au
Saint-Siège. Cette construction théorique est renforcée par le perfectionnement
de la chancellerie pontificale, l’organisation de plus en plus efficace et
spécialisée de la curie romaine et les progrès du droit canon.

Selon la perspective élaborée par Tertullien au IIème siècle et saint Augustin au


Vème, le péché a entraîné la domination de l’Homme sur l’Homme, et donc
rendu nécessaire l’établissement des princes. De cet axiome on a conclu que le
pouvoir était une punition divine, le produit de la nature humaine abîmée par la
faute originelle et désormais conduite par l’égoïsme. Par conséquent, seul un
pouvoir temporel soumis au pape était chrétien. Les souverains pontifes
auxquels Frédéric II eut affaire se situèrent dans cette ligne.
393
Le Staufen ne cherchait pas à être un adversaire implacable de la papauté, mais
il refusait de lui être soumis. Allait-il plus loin en imaginant une forme
d’autonomie respective ? Il se rattachait à tout le moins aux conceptions
habituelles du pouvoir impérial, qui ont pu paraître plus radicales parce
qu’elles s’accompagnèrent d’une politique de domination territoriale en Sicile,
exclusive de toute ingérence extérieure. Jamais en revanche, chose étonnante, il
ne songea à déposer un pape ou à nommer un antipape –comme l’avaient fait à
plusieurs reprises Henri IV et Barberousse. » (p.164-165)

« Le 20 mars 1239, le jeudi saint, Hermann de Salza, grand maître de l’ordre


Teutonique, mourait. Ce même jour Grégoire IX excommuniait l’empereur et
déliait ses sujets de leur serment de fidélité. Il justifia sa décision par une liste
de dix-sept accusations, dont la plupart concernaient les libertés de l’Église de
Sicile […]

La sentence dura jusqu’à la mort de l’empereur et le conflit entre les deux


puissances atteignit un degré jamais connu auparavant. La guerre éclata. Une
guerre à outrance, qui devait s’achever non par la déposition de l’empereur,
mais par l’extinction totale de sa descendance masculine, acquise après des
décennies de lutte. » (p.167)

« Le pape franchit un nouveau pas en proclamant la croisade contre l’empereur


(27 juin 1246), assortie des mêmes privilèges que pour la Terre sainte. Il
demanda même que l’on cesse de prêcher en Allemagne l’appel pour Jérusalem,
malgré l’aide qu’en attendait Louis IX, afin de concentrer toutes les forces du
royaume de son côté. […] A l’automne 1246 et dans les premiers mois de 1247,
celui-ci associait à son entreprise le Danemark et la Pologne. » (p.175)

-Sylvain Gouguenheim, Frédéric II. Un empereur de légendes, Perrin, 2015,


428 pages.

« Les réalisations de Frédéric II, expert en art comme en propagande, marquent


une étape important dans l'élargissement du répertoire des thèmes séculiers,
dans l'inspiration antique, et dans l'utilisation d'inscriptions pour préciser la
signification politique des images. Ainsi la monnaie d'or émises par Frédéric en
1231, l'augustalis, offre une innovation importante du point de vue de l'image,
puisqu'elle porte son buste, représenté à l'antique, drapé et couronné de
lauriers, tandis que l'autre face porte l'aigle impériale. Mais le plus majestueux
témoignage de l'art impérial, et celui qui annonce le plus directement l'art
394
politique communal, est la porte de Capoue, "véritable manifeste du pouvoir
impérial", construite en 1234-1239 pour contrôler un accès de la ville. On n'en
conserve que la base et des débris des statues antiquisantes qui surmontaient la
porte: l'empereur assis sur son trône, en toge, deux conseillers, dont l'un serait
Pierre de la Vigne, et une statue féminine personnifiant la ville de Capoue. Des
inscriptions exprimaient des propos que tenaient l'empereur et ses conseillers,
invitant à entrer "ceux qui cherchent à vivre purs" et menaçant les rebelles. On
a déjà là, traduit dans des formes d'une remarquable élégance, un répertoire où
puisera l'art communal. » (p.244)

-François Menant, L'Italie des communes (1100-1350), Paris, Éditions Belin,


2005, 398 pages.

« Le premier européen conforme à mon goût, Frédéric II Hohenstaufen. » -


Nietzsche, Par-delà bien et mal, traduction Patrick Wotling, Paris, GF
Flammarion, 2000 (1886 pour la première édition allemande), 385 pages, p.156,
§200.

"Ce furent à la fois des causes d'« en haut » et des causes d'« en bas », qui
provoquèrent 1a décadence du Saint Empire Romain et, plus généralement, du
principe de la vraie souveraineté. Au nombre des premières, figurent la
sécularisation et la matérialisation progressive de l'idée politique. Déjà chez un
Frédéric II, la lutte contre l'Eglise, bien qu'entreprise pour défendre le
caractère surnaturel de l'empire, laisse apparaître l'amorce d'une évolution de
ce genre, qui se traduit, d'une part, par l'humanisme, le libéralisme et le
rationalisme naissant de la cour sicilienne, la constitution d'un corps de juges
laïques et d'employés administratifs, l'importance prise par les legistae et
les decretistae et par ceux qu'un juste rigorisme religieux, en allumant des
autodafés et des bûchers savonaroliens pour les premiers produits de la «
culture » et de la « libre pensée », qualifiait avec mépris de theologi
philosophantes et, d'autre part, par la tendance centralisatrice et déjà anti-
féodale de certaines nouvelles institutions impériales. Or, au moment où un
empire cesse d'être sacré, il commence à ne plus être un Empire."

-Julius Evola, Révolte contre le monde moderne, chapitre 12 "Déclin de


l’oecumène médiéval - Les nations", Les Éditions de L'Homme Ltée, Copyright,
Ottawa, 1972 (1934 pour la première édition italienne), 479 pages.

395
http://academienouvelle.forumactif.org/t4313-ernst-h-kantorowicz-
oeuvres#7909

Innocent IV (1243-1254) : « [Innocent III] encore qui réforme l’appareil d’Etat


en menant une politique plus systématique […] et en s’appuyant sur le Liber
censuum du camérier Cencius Camerarius établi en 1192 […] Cette compilation
d’actes attestant les droits censitaires et vassaliques de la papauté dans les
Etats de l’Église est achevée par le futur Hornorius III (1216-1227) […]
Grégoire IX (1227-1241), quant à lui, prend la relève de la lutte anti-hérétique
portée à incandescence par Innocent III lors de la croisade albigeoise de 1209
menée sur les terres du comte de Toulouse Raymond VII. L’exclusion de ceux
qui contestaient la puissance cléricale ou l’autorité absolue du pape était en
effet inévitable et « l’avènement de la monarchie pontificale fut [donc] aussi
celui de la société persécutrice » […] Non seulement Grégoire IX crée
l’Inquisition par une série de bulles en 1231 et 1233, mais il excommunie
Frédéric II à deux reprises […] Cette accusation inouïe dévoile l’ambition d’un
souverain pontife désireux de gouverner la chrétienté au plan spirituel comme
temporel […] Son successeur Innocent IV (1243-1254), brillant canoniste qui
contribue à enrichir la doctrine de l’absolutisme pontifical, fait carrément
déposer l’empereur lors du concile œcuménique réuni à Lyon en 1254 […] Sa
lettre Eger cui lenia conçoit la papauté comme seule source d’autorité sur terre
et rejette même la distinction entre les deux pouvoirs. » (p.67)

-Nathalie Gorochoc et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

Salimbene de Adam (1221-1288) : « La chronique de Salimbene de Adam


(1221-1288) se classe à part, en raison de son caractère très personnel et
parfois franchement autobiographique. Salimbene est un Franciscain issu d'une
noble famille parmesane, dont il intègre l'histoire à sa chronique. Il a passé la
majeure partie de sa vie dans différentes villes padanes, et son récit, qui va de
1168 à 1287, mêle l'histoire de ordre, l'histoire politique, et des excursus sur
toutes sortes de sujets. Il comporte beaucoup de "choses vues", d'autant plus
passionnantes que Salimbene a un vrai talent d'observation et de narration
(dans un latin savant et aisé, mais qui évoque souvent la langue parlée), et qu'il
a traversé certaines des circonstances les plus dramatiques de son temps.
Salimbene entrecoupe son récit de longues disgressions théologiques et
moralisatrices, dans le goût de l'historiographie ecclésiastique, et
396
particulièrement mendiante. Au demeurant, c'est une très forte personnalité, qui
a du mal à couler ses jugements dans le moule franciscain. Incorrigiblement
aristocrate, il trouve la guerre joli, manifeste une indifférence choquante envers
les malheurs qu'elle cause au peuple, et compare le Popolo à un petit roquet qui
agace sans cesse un molosse. » -François Menant, L'Italie des communes (1100-
1350), Paris, Éditions Belin, 2005, 398 pages, p.253.

Trecento (pré-Renaissance du XIVème siècle): « Sur la soixantaine de centres


scolaires recensés par Orme en Angleterre entre 1100 et 1400, seules trois ou
quatre villes ont des écoles contrôlées par le pouvoir laïque. […]

Il arrive que les pouvoirs communaux prennent seuls l’initiative au XIVe siècle.
Ainsi, dix écoles d’arts libéraux sont fondées par des villes entre 1334 et 1374
dans le royaume de Valence. […]

En Italie au XIVe siècle, Paul Grendler montre que si 10% d’entre elles sont
directement financées par les communes, 90% sont indépendantes, en quelque
sorte privées […] Émerge ainsi une éducation séculière, plus tôt et de manière
plus ample qu’ailleurs en Europe. […] A Florence, la commune intervient peu.
En revanche, à Sienne, le gouvernement communal, dès la seconde moitié du
XIIIe siècle, prend en charge une bonne partie des écoles qui deviennent
publiques, dans leur organisation comme dans le soutien financier qu’elles
reçoivent. » (p.129)

« A côté des petites écoles où les élèves apprennent à lire et à écrire le latin,
naissent des écoles de type plus professionnel. Ce sont, en Italie, attestées à
partir de la fin du XIIIe siècle, les écoles d’abaque (ou botteghe d’abacco) où
l’arithmétique est enseignée aux futurs marchands. » (p.130)

« L’ancienne capitale de l’Empire romain, qui couvrait une superficie immense


de 1500 hectares et comptait encore un million d’habitants au IIIe siècle, s’est
largement dépeuplée au cours du Moyen Age et n’accueille plus guère dans ses
murs que 40 000 habitants, à la fin du XIIIe siècle. » (p.477)

« A rebours de l’image d’une ville pieuse ou marquée par la papauté, Rome est
en fait une véritable cité marchande, où les familles nobles s’adonnent au
commerce et au prêt à intérêt, y compris auprès des papes. Ce sont ces familles,
et non le peuple comme on l’a longtemps cru, qui, en 1143, restaurent le Sénat
(composé de 56 membres élus pour un an). A l’exception de cette institution,

397
dans laquelle il faut à l’évidence voir la volonté de restaurer l’héritage antique,
et de l’absence de consuls, la commune de Rome est une commune « normale »
[…] Ses principales dynamiques –conquête d’un contado et opposition à
l’évêque (en l’occurrence le pape, qui est avant tout évêque de Rome-
ressemblent au schéma des autres communes italiennes apparues à la même
période. » (p.478)

« Au XIIIe siècle, la mise en œuvre d’une politique territoriale cohérente et


articulée par les papes, en particulier Innocent III (1198-1216), favorise la
montée en puissance de la grande noblesse des barons qui voient leurs bases
seigneuriales croître. Le régime sénatorial est dès lors dominé par cette poignée
de grands lignages (Orsini, Colonna, Caetini, Conti, etc.), même interrompu par
quelques intermèdes populaires, comme en 1252, lorsque se met en place, sous
la houlette du Bolonais Brancaleone, un comité représentant les 13 rioni
(signifiant littéralement « région », le terme désigne les différents quartiers
historiques) de Rome. La naissance de cette classe baronniale rigidifie les
positions sociales que l’on assiste à une bipartition de la noblesse entre des
barons assurant une écrasante suprématie sur la vie politique et économique de
la commune et les autres lignages aristocratiques qui n’ont guère d’autre choix
que d’entrer dans leur clientèle.

L’économie romaine doit également beaucoup à la présence de la cour


pontificale qui profite à de larges segments de la population. A contrario, le
départ des papes pour Avignon à compter de 1309 provoque un repli
économique et l’abandon d’une ville livrée aux ambitions des barons et aux
affrontements de deux lignages rivaux que sont les Colonna et les Orsini.
L’absence d’un médiateur capable d’imposer une paix civile favorise en outre
l’insécurité urbaine et le banditisme baronnial. C’est dans ce contexte qu’un
certain Cola di Rienzo, suivi d’une coalition de marchands, d’artisans et
d’entrepreneurs qui aspirent à une certaine sécurité politique, tente, par un
coup d’Etat, de restaurer la grandeur de l’Urbs, entre mai et décembre 1347.
Au travers de discours enflammés et de cérémonies grandioses, il réactive
l’héritage antique en lisant publiquement la lex regia de Vespasien –qui,
incorporée au Code Justinien, affirme que les empereurs reçoivent leur
imperium du Sénat, au nom du peuple romain- ou en se faisant immerger dans
la vasque supposée être celle du baptême de Constantin.

398
Après la chute de ce tribun, le popolo joue un rôle de plus en plus important,
non seulement dans les conflits de factions qui déchirent les familles
baronniales, mais aussi dans l’instauration d’un régime original –celui des Sept
Réformateurs, établi en 1358 et doté d’un sénateur étranger à la cité qui
s’appuie sur une milice de 3000 hommes recrutés dans le peuple- qui dure
quelques décennies, avant de s’achever en juillet 1398. A cette date, la
commune remet en effet son pouvoir aux mains de la papauté (revenue
s’installer dans l’Urbs en 1337), dont la domination sur Rome et sa région sera
désormais absolue. […]

La remise en valeur de l’héritage classique est quant à elle la voie principale de


la renaissance intellectuelle et politique de la ville, comme en témoignent le
couronnement de Pétrarque au Capitole (1341) ou bien la chronique de
l’Anonime Romano, écrite en langue vulgaire, sous le titre de Vita di Cola di
Rienzo, entre 1357 et 1360. » (pp.478-479)

-Nathalie Gorochov et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

« L'indépendance des communes de l'Italie du Nord et centrale s'accompagne


d'une réactivation du républicanisme antique, grâce à la traduction et diffusion
de La Politique d'Aristote au XIIIe siècle, à la redécouverte du républicanisme
de Cicéron, et à l'exhumation des écrits de Polybe. Certes, l'idée républicaine n'a
jamais été totalement oubliée : elle trouve une réélaboration chrétienne chez
Augustin (354-430) qui discute Cicéron, puis Thomas d'Aquin (1227-1274) qui
reprend la théorie de la constitution « mixte ». Mais c'est avec Marsile de
Padoue (1275/1280-1342/1343) dans le Défenseur de la paix (Defensor pacis,
1324), et avec les grands humanistes de la Renaissance que les thèmes
républicains réapparaissent, adaptés aux cités italiennes. Abolissant le primat de
la vita contemplativa, certains humanistes défendent une idée novatrice de la
vita activa : la vocation de l'homme ne consiste plus à contempler un monde
hiérarchisé, mais à construire un ordre humain face à l'imprévisibilité de la «
fortune ». » (p.14)

« Dans le contexte des divisions qui déchirent les cités, singulièrement Florence,
l'éloge du « bien commun » prend une portée politique. Ainsi, Giordano da Pisa
(1260-1311), dans ses prédications, invoque l'amour du « bien commun de tous
», de même que le dominicain florentin Remigio dei Girolami (1246/1247-

399
1319). Inspiré par la Bible et Thomas d'Aquin, mais aussi par Aristote et
Cicéron, l'auteur de De bono comuni défend ces « Romains vertueux » qui «
s’exposaient très souvent à la mort en défense de la chose publique, c'est-à-dire
du bien commun du peuple », car « plus que de leur propre bien ils s'occupaient
en effet du bien commun ». Remigio dei Girolami sera lu par des humanistes
florentins et contribuera à l'avènement du discours républicain. Une de ses
expressions les plus marquantes vient de Matteo Palmieri {1406-1475), penseur
et acteur politique, en tant que gonfalonier de justice, ambassadeur et capitaine.
Son traité, Della vita civile, écrit vers 1430 et édité en 1529, se nourrit de Platon,
Aristote et Cicéron. Fidèle aux idéaux républicains, il préconise la recherche de
l'utilité non de ceux qui gouvernent, mais des gouvernés. En introduction, il
entend « démontrer quels doivent être les mœurs (costumi) et les vertus (virtù)
d'un citoyen parfait durant toute sa vie mortelle ». Le livre II précise que le «
citoyen privé » dans la République doit viser la paix, les « choses tranquilles et
honnêtes » et « toujours faire prévaloir l'honneur, l'utile et le bien de la patrie sur
ses commodités propres ». Tout l'ouvrage détaille la manière dont la vie des
hommes peut devenir « civile » grâce à la justice et autres vertus politiques : le
meilleur citoyen doit vivre selon les vertus de prudence, de tempérance et de
force (fortezza), en respectant les lois. L'objectif est de maintenir la paix et la
concorde, d'éviter les conflits déchirant Florence. Le propos, qui exalte le règne
des lois, prend aussi une tonalité moderne dans sa justification de l'utile, facteur
de prospérité de la cité. Ainsi rompt-il avec les apologies de la vie ascétique,
préférant célébrer l'activité humaine ici-bas. » (pp.15-16)

« Ce sont surtout Coluccio Salutati (1331-1406) et Leonardo Bruni (1370-1444)


qui incarnèrent la réaffirmation des idéaux civiques républicains et la
redécouverte de Cicéron et d’Aristote. Déjà Salutati, chancelier de Florence
depuis 1375, exaltait un idéal de liberté civique et analysait l'histoire romaine
dans un horizon républicain, érigeant Florence en héritière de Rome. Son ami et
successeur Bruni reformulera ces idéaux dès son hymne de 1403-1404 à la
Florence républicaine, la Laudatio florentine urbis, une vision idéalisée qu'il
défend en temps de difficultés politiques pour Florence, marquée par des
tendances oligarchiques et expansionnistes. Alors qu'un partisan du régime des
Visconti de Milan dénonce ces travers florentins, Bruni radicalise un discours
qui dénonce la tyrannie milanaise et voit en Florence la descendante de la liberté
républicaine romaine. Son panégyrique, qui compare la beauté de la cité toscane
à Athènes, glorifie la liberté du peuple (libertas populi) et la liberté florentine
400
(florentina libertas), défend le règne des lois, condition de la liberté. Dans son
histoire de Florence, Bruni souligne que « la liberté donna lieu à la puissance de
l'Empire, et, après la destruction de la liberté, la vertu s'éteignit ». Son
programme humaniste vise à harmoniser culture, éducation de l'homme et vie
politique active dans une cité libre. Il exercera aussi une influence par ses
traductions d'Aristote : l'Éthique à Nicomaque, les Économiques et la Politique
(1435-1438) dont sa présentation défend la res publica. Une République que
Bruni, comme Salutati, conçoit sous un jour assez aristocratique : pour ces
humanistes, souvent traumatisés par la révolte en 1378 des Ciompi - les ouvriers
de la laine -, le peuple de Florence n'incluait qu'une part de la population. En
tout cas, l'idéal républicain survivra à l'abolition de la République. En témoigne
le cas d’Alamanno Rinuccini (1426-1499) : cet érudit en littérature grecque et
latine sera l'auteur d'un dialogue, De libertate, sorte de manifeste en faveur de la
liberté républicaine publié en 1479 contre le régime des Médicis accusé d'avoir
restauré la tyrannie. Nourri de Cicéron, Rinuccini montre qu'obéir à la loi est la
plus grande liberté. De même, sa fresque historique Ricordi storici, affirme
qu'une vie libre devrait interdire à quiconque d'avoir plus de pouvoir que les
lois. » (pp.16-17)

-Serge Audier, Les théories de la république, Paris, Éditions La Découverte,


coll. Repères, 2015 (2004 pour la première édition), 125 pages.

Giotto di Bondone (1267/8-1337) : « Au XIIIe siècle Giotto, s'affranchissant


des étrangetés byzantines, fonde la grande École italienne, dont ses oeuvres,
empreintes d'un caractère national, contiennent le germe puissant. » -Auguste
Couder, Considérations sur le but moral des beaux-arts, Paris, V. Renouard
éditeur, 1867, 206 pages, p.25.

https://www.amazon.fr/Eloge-lindividu-Essai-peinture-
flamande/dp/2020638533/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1488317134&sr
=1-1&keywords=Eloge+de+l%27individu

Ambrogio Lorenzetti (1285-1348) :


(p.246)
-François Menant, L'Italie des communes (1100-1350), Paris, Éditions Belin,
2005, 398 pages.

« En Italie, les cités utilisèrent l’épigraphie comme instrument de


communication politique et de pédagogie, afin de défendre l’idéologie politique
401
du mouvement communal. Un exemple particulièrement abouti est l’ensemble de
fresques d’Ambrogio Lorenzetti placées sur les murs de la Sala dei Nove du
Palazzo Pubblico de Sienne. Cette œuvre monumentale intitulée Allégorie des
effets du Bon et du Mauvais gouvernement (1338-1339) constitue un manifeste
politique en faveur du régime républicain appliqué à Sienne. L’utilisation de
symboles reconnaissables (la Justice par exemple) et d’inscriptions
épigraphiques rendent la compréhension aisée auprès des citoyens. Cette
pratique était particulièrement développement dans les communes, ayant besoin
d’un consensus permanent avec leur population pour asseoir leur
souveraineté. » -Auguste Seigle, 10 dissertations sur l’écrit du XIIe au XIVe
siècle, Independently published, 2019.

Marco Polo (1254-1324) : https://www.amazon.fr/Marco-Polo-Jacques-


Heers/dp/2213013446/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1478977015&sr=1-
1&keywords=marco+polo+Jacques+Heers

https://www.amazon.fr/devisement-du-monde-Marco-
POLO/dp/2707167622/ref=sr_1_19?ie=UTF8&qid=1478976859&sr=8-
19&keywords=marco+polo

Brunetto Latini : « Le plus célèbre notaire humaniste est le florentin Brunetto


Latini (1220-1294), chancelier de la commune de Florence, maître du jeune
Dante, à l'extrême fin de sa vie, pour la connaissance du latin et pour la
réflexion philosophique et historique. Traducteur de Cicéron en toscan, il est
surtout l'auteur du Trésor, encyclopédie des connaissances humaines au sommet
desquelles est placée la politique, et qui comprend un traité de gouvernement. »
-François Menant, L'Italie des communes (1100-1350), Paris, Éditions Belin,
2005, 398 pages, p.230.

Dante Alighieri (1265-1321) : « Florence, mai 1274. Comme chaque année, la


brillante cité toscane fête le retour du printemps : les bals, les tournois, les
réjouissances populaires se succèdent pour saluer le miracle du renouveau de la
nature. Mais un autre miracle va avoir lieu cette année-là, et celui-ci va
changer pour les siècles le visage de la Poésie et de l'Amour. Un jeu garçon de
neuf ans découvre, parmi la foule en liesse, "la glorieuse dame de sa pensée"
qui, elle-même âgée de huit ans seulement, va avoir pour toujours "seigneurie
sur son âme". Vêtue de noble couleur, humble et honnête, Béatrice vient
d'apparaître à Dante, et la beauté de son doux visage fait naître d'emblée dabs

402
son cœur un sentiment qui ne faiblira jamais. Cette célébration printanière aux
allures de bacchanales est une trêve momentanée dans les luttes fratricides qui
opposent les partisans du pape à ceux de l'empereur. Ce climat implacable de
guerre civile fera de Dante un éternel exilé, parcourant sans cesse ce pays qu'il
rêve de voir uni. Mais le miracle de l'amour s'est accompli, qui -au-delà de la
vie et de la mort- mènera le poète aux portes du Paradis... »

« Trop souvent, Dante sait que le pain qu'on lui offre est souillé du sang des
Justes... »

« Écartelé entre le cauchemar obsédant du présent et la claire vision de l'infini,


écrasé sous le double poid de sa force divine et de son impuissance humaine,
ainsi Dante Alighieri a vécu... » -Gilbert Maurin, Les grands écrivains.

« Oh, si je pouvais saisir ses tresses qui ont été pour moi et le fouet et la hart, je
ne les lâcherais plus de la troisième heure jusque tard dans la nuit et ne serais
pour elle ni compatissant ni tendre mais jouerais d'elle avec la cruauté d'un
fauve. Et si l'amour m'a torturé jusqu'au sang, je me vengerai d'elle mille fois
plus. Et dans ses yeux qui ont réduit mon cœur en cendre, je plongerai mon
regard avide. J'assouvirais d'abord le tourment par la souffrance, puis l'amour
par l'amour. » -Dante Alighieri, à propos de Donna Pietra.

« Comme Hippolyte parti d'Athènes, chassé par son impitoyable et perfide


marâtre, il te faudra quitter Florence. [...] Il te faudra abandonner ce que tu as
de plus cher au monde: c'est la première flèche que décoche l'arc de l'exil. Tu
éprouveras quelle saveur de sel a le pain d'autrui, et comme c'est un dur chemin
de descendre et de monter les escaliers des autres. Mais le fardeau qui pèsera le
plus sur tes épaules sera la compagnie méchante et stupide avec laquelle tu
tomberas dans cet abîme ; ingrate, folle et impie, elle se tournera contre toi.
Mais bientôt, son front, et non le tien, rougira. Sa conduite sera la preuve même
de sa brutalité. Ta magnifique grandeur sera d'être, toi seul, ton parti tout
entier. » -Dante, La Divine Comédie (à propos de son exil de Florence en 1302).

« Cette proposition est digne d'être accueillie par un éclat de rire ! Est-ce ainsi
que devrait rentrer dans sa patrie, après un exil de quinze années, Dante
Alighieri ? Est-ce là ce qu'à mérité son innocence, à tous manifeste, et un labeur
infini à la sueur de son front ? Non, ainsi ne s'humiliera pas un homme qui à le
sens de la sagesse. Il n'acceptera pas la grâce de ceux qui l'ont offensé, comme
s'ils étaient ses bienfaiteurs. Si c'est là pour moi le seul moyen de retourner à
403
Florence, jamais je n'y retournerai ! Et puis qu'importe ? Est-ce que partout je
ne verrai pas le soleil et les étoiles ; Est-ce que sous tous les cieux je ne
contemplerai pas les plus douces vérités, sans me vouer à la honte de mes
concitoyens florentins ? Et partout je trouverai bien un morceau de pain. » -
Dante, à propos de la proposition de Florence de réintégrer le poète contre
amende.

« Dédaignant tout mensonge, révèle ce que tu as vu et laisse-les se gratter où ça


les démange. Si ta parole semble amère d'abord à qui la goûte, elle deviendra,
digérée, un aliment de vie. Ton cri sera comme le vent qui bat les plus hautes
cimes et ce n'est déjà pas un petit honneur. » -Dante, La Divine Comédie.

« L’amour pour Béatrix fit de Dante un poète. Un tel amour, quelque pur et
idéal qu’il soit, est en contradiction avec la nature et même avec la doctrine
expresse du catholicisme. « N’aime pas l’homme pour lui-même, mais Dieu en
lui. », dit un saint. » -Ludwig Feuerbach, La religion (1864 pour l’édition
française).

« Nous verrons plus tard les poèmes de Dante être d’autant plus passionnés et
« réalistes » dans leurs images que Béatrice s’élèvera davantage dans une
hiérarchie d’abstractions mystiques, figurant d’abord la philosophie, puis la
Science, puis la Science sacrée. » -Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident,
Livre II « Les origines religieuses du Mythe », Plon, Bibliothèque 10/18, 1972,
445 pages, p.107.

« En revanche à partir du XIIIe siècle les écoles (studia) des ordres mendiants
prospèrent ; en principe réservées aux religieux qui doivent y acquérir les
connaissances nécessaires à la prédication, elles peuvent aussi accueillir de
jeunes laïcs: c'est au studium dominicain de S. Maria Novella de Florence, puis
surtout à celui des Franciscains de S. Croce, auprès du célèbre Pierre de Jean
Olieu, que vers 1293 Dante acquerra des connaissances théologiques, à près de
trente ans, alors qu'il est déjà marié, père de famille et poète reconnu.
Ce genre de formation reste cependant marginal pour un laïc. » -François
Menant, L'Italie des communes (1100-1350), Paris, Éditions Belin, 2005, 398
pages, p.219.

« La Monarchie de Dante défend l’idée d’une monarchie universelle pour


neutraliser la cupidité humaine: les hommes se disperseraient comme des
chevaux, s’ils n’étaient pas maintenus « par la bride et le mors ». » -Marshall
404
Sahlins, La nature humaine : une illusion occidentale, Éditions de l'éclat, 2009,
112 pages.

« Le poète, lui aussi, concevait l'Italia una comme le centre de l'Empire romain,
comme la province des provinces, non seulement comme le pays des Césars,
mais aussi comme une Italie nationale. Alors que Frédéric avait voulu réveiller
le peuple mort des Romains, Dante faisait appel au peuple italien lui-même, ce
peuple que Frédéric avait, il est vrai, soumis pendant dix ans à l'expérience de
l'Etat impérial italien. » -Ernst Kantorowicz, L'Empereur Frédéric II,
in Œuvres, Gallimard, coll. Quarto, 2000, 1369 pages, pp.9-641, p.428.

Nicolas de Vérone (XIVème siècle) : "Nicolas de Vérone est un poète franco-


italien du xive siècle, courtisan de Nicolas Ier d’Este, à qui il dédicace, en 1343,
l’une de ses œuvres. Il a écrit trois poèmes épiques de forme métrique identique
mais d’inspirations profondément différentes : la Pharsale (3166 vers) raconte
la guerre armée qui opposa César et Pompée en Thessalie pour la maîtrise de
Rome ; la Prise de Pampelune, ou Continuation de l’Entrée d’Espagne (6116
vers), est un récit qui se rattache à la tradition des aventures de Roland et de
Charlemagne en Espagne avant la défaite de Roncevaux ; la Passion (994 vers)
narre les derniers jours de la vie du Christ.

Ces trois œuvres sont rédigées en franco-italien, ce langage hybride purement


littéraire et probablement jamais parlé, qui permet aux auteurs italiens
d’adapter la geste et les héros français au public aristocratique et bourgeois
d’une Italie du Nord déjà pré-humaniste. [...]

Les relations entre les hommes font apparaître des nuances nouvelles et le
monde ne semble plus régi par la simple loi de l’opposition et de l’affrontement.
Des rapports pacifiques sont désormais possibles et Nicolas de Vérone fait
l’apologie d’un système politique que l’on n’a pas l’habitude de penser
médiéval, et qui s’inspire par certains traits de la République romaine : la voix
du peuple est sacrée et l’organisation hiérarchique verticale n’est plus de
rigueur. L’univers n’est plus régi par de strictes lois de soumission et de
sujétion mais par un consentement mutuel qui donne à la volonté individuelle
toute sa place." -Chloé Lelong, « Chloé Lelong, L’Œuvre de Nicolas de Vérone
: intertextualité et création dans la littérature épique franco-italienne du xive
siècle », Perspectives médiévales [En ligne], 34 | 2012, mis en ligne le 16
septembre 2012, consulté le 06 novembre 2020. URL

405
: http://journals.openedition.org/peme/1700 ; DOI
: https://doi.org/10.4000/peme.1700

Pétrarque (1304-1374) : « S’il me fallait y veiller moi aussi, à proportion de


mes capacités limitées, ou de mon désir de gloire qui lui n’a rien de limité –et à
supposer qu’à ce désir je n’aie pas encore mis le frein de l’esprit et de la raison-
quel but premier m’efforcer d’atteindre, sinon de tenir la paresse éloignée de
mon loisir, comme je le suis moi-même des affaires ? Et si d’aventure j’écris
quelque chose susceptible de rester, je le dédierai avant tout à ceux dont la
gloire, comme si elle m’entraînerait avec elle, me donnera de briller et de
résister aux ténèbres que la profonde obscurité des temps, et l’oublieuse
postérité où s’abîment les noms illustres, font planer sur moi comme une
menace. » -Pétrarque, La Vie solitaire.

« Au grand Pétrarque, nous sommes redevables en premier lieu d'avoir fait


surgir du caveau des Goths les lettres depuis longtemps ensevelies. »

-Jean Pic de la Mirandole.

« Pétrarque, après tout, n'a peut-être d'autre mérite que d'avoir écrit des
bagatelles sans génie dans un temps où ces amusements étaient fort estimés
parce qu'ils étaient rares. » -Voltaire, Lettre aux auteurs de la Gazette littéraire,
6 juin 1764.

« Pétrarque est une lumière dans son temps, et c’est une belle chose qu’une
lumière qui vient de l’amour. Il aima une femme et il charma le monde.
Pétrarque est une sorte de Platon de la poésie ; il a ce qu'on pourrait appeler la
subtilité du cœur, et en même temps la profondeur de l’esprit ; cet amant est un
penseur, ce poète est un philosophe. Pétrarque en somme est une âme éclatante.
Pétrarque est un des rares exemples du poète heureux. Il fut compris de son
vivant, privilège que n’eurent ni Homère, ni Eschyle, ni Shakespeare. Il n'a été
ni calomnié, ni hué, ni lapidé. Pétrarque a eu sur cette terre toutes les
splendeurs, le respect des papes, l’enthousiasme des peuples, les pluies de fleurs
sur son passage dans les rues, le laurier d'or au front comme un empereur, le
Capitole comme un dieu. » -Victor Hugo, Lettre autographe conservée au musée
Pétrarque, 18 juillet 1874.

« Pétrarque est une figure familière dans l'historiographie de l'individu. Mieux,


il figure même deux fois dans l'arbre généalogique -et c'est justement cette

406
double généalogie qui attire l'attention. Il est d'abord, pour l'histoire littéraire,
un des jalons bien connus de la "naissance de l'auteur", à la fois par sa pratique
et par son discours. Il veille avec un soin maniaque à la publication de son
œuvre propre, reprenant ses textes, les recopiant, les corrigeant, préparant de
véritables "éditions autorisées", et donnant par sa pratique un sens fort à la
notion d'auctor du texte, lequel ne se limite pas à sa rédaction mais s'étend aussi
à sa production publique. Cependant, ce travail d'édition n'est pas qu'une manie
philogique, il correspond à une réflexion formelle sur l'organisation de l'œuvre
littéraire, dont la construction du Canzoniere donne un exemple frappant.

La véritable invention du Canzoniere, outre la contribution de Pétrarque au


développement de la forme-sonnet et de la poésie vernaculaire, réside dans son
organisation. Dans cette œuvre, Pétrarque ait œuvre d'auteur d'un bout à
l'autre, non seulement dans la composition des poèmes, mais surtout dans leur
disposition à l'intérieur du recueil, ce qui représente un saut dans la modernité
littéraire. La disposition des poèmes dans le Canzoniere a au moins été modifiée
à neuf reprises, pour constituer finalement un ensemble d'une complexité
incroyable, dans lequel le sens littéraire d'une pièce vient moins de sa
signification propre que de sa place dans le recueil [...] l'œuvre poétique se
déploie sur deux plans, celui de la pièce et du cycle, à la manière des Fleurs du
Mal. [...]

Pétrarque se regarde dans son œuvre comme dans un miroir, pour s'y créer une
image idéale, un portrait de soi en écrivain appuyé sur une "idéologie de
l'auteur", et son écriture est habituée par le désir d'être un auteur. » (189-190)

« Pétrarque, à travers le modèle d'Augustin, se coule dans le moule de cet


"individu-hors-du-monde", face-à-face avec Dieu, et retrouve des siècles plus
tard cette conception de l'individu conservée et transmise par le monachisme
médiéval. Il s'inscrit ainsi dans une deuxième catégorie de l'individu, celle de la
spiritualité chrétienne.

En effet, les textes intimes de Pétrarque sont aussi le lieu d'une spiritualité à
laquelle les historiens de la religion ne prêtent souvent pas attention, mais qui
place Pétrarque parmi les précurseurs de la devotio moderna. Par ce terme, les
historiens repèrent une transformation des pratiques religieuses à partir du
XIVème siècle, qui se caractérisait par une spiritualité plus individuelle, plus
intérieure, dans laquelle la méditation et la prière joueraient un rôle primordial.

407
Ce mouvement est souvent considéré comme une étape dans le "temps des
réformes", sur a route d'une individualisation très forte du christianisme qui
trouverait son aboutissement dans les protestantismes du XVIème siècle, ce qui
en fait souvent un jalon dans une histoire de la production de l'individu
occidental par la matrice chrétienne.

Le premier aspect par lequel Pétrarque s'inscrit dans cette mouvance est sa
critique des institutions de l'Église. Cette facette est bien connue: sa littérature
est l'occasion d'une contestation virulente de l'Église, et en particulier de la
papauté. C'est le thème fameux de la comparaison entre Avignon et Babylone,
qui s'alimente de l'exil hors de Rome. Ces diatribes ne sont pas seulement
politiques et nationales, elles ont également un sens proprement religieux.
Pétrarque dénonce l'Église devenue un Etat, qui a délaissée les préoccupations
spirituelles pour se vouer à la politique, se rapprochant ainsi de beaucoup de
contestataires évangéliques de la fin du Moyen Age. De cette critique
institutionnelle de l'Église, à laquelle Pétrarque oppose le mythe de l'Église des
origines, émerge justement une pratique religieuse recentrée sur l'individu
caractéristique de la devotio moderna.

Les écrits intimes de Pétrarque mettent en scène à plusieurs reprises les formes
de sa pratique religieuse. Or, sur des centaines de pages consacrées à sa vie,
dans lesquelles la spiritualité tient une place de premier plan, il n'y a jamais
aucune allusion à la pratique religieuse normée par l'Église. La spiritualité de
Pétrarque se déploie hors de l'institution, dans un rapport personnel avec Dieu,
fondateur de la conscience individuelle qu'il a de lui-même. Pour lui, la foi est
un acte individuel qui passe par la méditation et la prière. » (p.193-194)

« Si Pétrarque est pris dans un procès d'individuation à la fois littéraire et


spirituel, ce n'est pas l'effet d'un hasard ou d'une volonté, mais d'abord celui
d'une position sociale. [...] Création comme dévotion, telles que Pétrarque
entend les pratiquer, sont aussi le fruit d'un système social, qui est le "support"
de l'individuation.
Il faut donc comprendre comment fonctionne concrètement cet otium vanté par
Pétrarque, ce qui renvoie à deux réalités sociales du milieu du XIVème siècle, le
système bénéficial et la vie de cour. A l'époque où Pétrarque vit à Vaucluse et
rédige les textes dont nous parlons, il tire ses revenus de bénéfices
ecclésiastiques en Italie, tout en étant dispensé de résidence. L'obtention de ces
bénéfices et de la dispense est liée à sa position à la cour, en particulier à ses
408
liens avec le pape Clément VI, et on retrouve dans les Archives vaticanes les
suppliques de Pétrarque ses bénéfices, ainsi que les lettres de Clément VI lui
accordant ce qu'il demande. La faveur dont il jouit à la cour, mais aussi son
activité de courtisan au sens propre, qu'il essaie de dissimuler, sont donc à
l'origine d'une position où il peut consacrer tranquillement sa journée à la
prière, à la lecture et à l'écriture.
Le "discours intérieur" ne se développe donc pas dans le vide, et on peut en
faire l'analyse sociale et économique. Ce que Pétrarque refuse
fondamentalement, c'est le negotium, c'est-à-dire les formes du salariat
intellectuel au XIVème siècle. Il ne veut ni enseigner dans un cadre scolaire, ni
mettre ses compétences au service d'une chancellerie, ni utiliser les acquis de sa
formation juridique pour exercer les métiers de notaire ou d'avocat. Le choix de
Pétrarque est en réalité étroitement lié à l'essor des cours à la fin du Moyen Age
et au développement du système du mécénat, qui crée une position sociale
inédite, assurant un revenu sans autre travail que leur création à ceux qui en
bénéficient. L' "idéologie de l'auteur" évoquée plus haut peut être interprétée à
partir de cette situation qui revient à créer dans le champ social une nouvelle
figure qu'on appellera l' "humaniste", lequel construit sa légitimité entre deux
espaces symboliques: d'une part, la cour, qu'il méprise mais qui assure son
indépendance et constitue en réalité son public ; d'autre part, le monastère,
représentation d'une vie idéale dont il refuse d'assumer le silence, mais qu'il
parodie cependant en choisissant d'habiter seul à la campagne, loin de la cour,
mais pas trop. [...]
Le savoir possède, dans l'idée de Pétrarque, une dimension pratique qu'il
oppose à la philosophie scolastique. Il renoue avec la thématique antique de la
philosophie comme art de vivre, qui n'est pas simplement le fruit d'une
opposition intellectuelle, mais celui de tout un système appuyé sur l'otium. Pour
pratiquer la philosophie comme art de vivre, en quelque sorte, encore faut-il en
avoir les moyens. L'idée d'un nouvel art de vivre devient très vite un leitmotiv
fondamental dans le travail littéraire de Pétrarque, qui construit à partir de sa
position, mais aussi pour la justifier, une "esthétique de soi". Elle est un idéal
d'accomplissement individuel profondément élitiste, dans lequel l'homme met en
œuvre des "techniques de soi", comme la prière, l'écriture, le retrait du monde,
qui rappellent le stoïcisme et l'épicurisme romains, mais dont la revivification
est inséparable des mutations sociales de la culture du XIVème siècle. » (198-
200)

409
« Le problème de Pétrarque est de concilier prière et écriture sans rien céder
sur l'une ou l'autre. Notre hypothèse est que le partage entre dévotion et
création esquissé dans l'œuvre de Pétrarque est lié à son rapport avec Dieu et la
théologie. [...] Il affirme "qu'il est inutile de chercher à s'élever par soi-même",
et que la seule condition du Salut est de "recevoir l'aide de Dieu", puisque
"notre mérite en est incapable", et que "sa grâce est seule à le pouvoir". [...]
Les positions théologiques de Pétrarque renforcent son inscription dans les
courants évangélistes et réformistes critiques de l'Église à la fin du Moyen Age,
et préfigurent le discours protestant sur la grâce. Or cette théologie de la grâce
est à l'articulation entre la soif de réussite littéraire et l'aspiration à la vie
éternelle. En effet, les œuvres terrestres ne servent pas au Salut, donné par la
seule grâce, et les individus peuvent donc, sous réserve, bien sûr, d'une vie
vertueuse, développer une activité proprement terrestre. » (p.203-204)

-Étienne Anheim, « Une lecture de Pétrarque. Individu, Écriture et Dévotion »,


in Brigitte Miriam Bedos-Rezak & Dominique Iogna-Prat (dir), L'Individu au
Moyen Age. Individuation et individualisation avant la modernité, Mayenne,
Éditions Flammarion, Aubier, 2005, 380 pages.

« Ce qui doit étonner chez Pétrarque : cette inoubliable passion animant pour la
première fois les symboles des troubadours d’un souffle parfaitement païen, et
non plus du tout hérétique ! On est aux antipodes de Dante, mais aussi des
rhéteurs qu’il attaquait. […] Le langage de l’Amour est enfin devenu la
rhétorique du cœur humain. » (p.199)

« Pétrarque, véritable inventeur du sentiment de la nature et du lyrisme de la


solitude. » (p.233)

-Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident, Livre IV « Le Mythe dans la


Littérature », Plon, Bibliothèque 10/18, 1972 (1939 pour la première édition),
445 pages.

« Ce qui provoque chez Pétrarque, comme d’ailleurs chez les hommes de sa


génération ainsi que ceux des générations successives, un intérêt passionné
pour l’Antiquité, c’est sans doute en fin de compte le fait que les conceptions
médiévales du monde et de la vie ne sont plus en mesure d’offrir une idéologie
encore compatible avec les rapports économiques et sociaux qui se sont peu à
peu modifiés de fond en comble. Le monde médiéval, qui est basé sur une
économie paysanne, qui est soumis au droit féodal et gouverné
410
hiérarchiquement par le pape et l’empereur, est en fait de plus en plus dominé
par des éléments bourgeois, tels que l’industrie, le commerce et la finance –et
cela en Italie plus tôt qu’ailleurs. L’essor de ces éléments est entravé par le
système médiéval, aussi s’insurge-t-on contre lui et naturellement contre son
idéologie aussi, ce qui entraîne tout d’abord une anarchie, mais ce qui suscite
également du même coup le besoin d’en sortir, en créant un nouvel idéal (une
nouvelle idéologie). » -Ernest Grassi, Humanisme et Marxisme, L'Age
d'Homme, 1978, p.165.

« Depuis Pétrarque, la suprématie philosophique d'Aristote au sein de la


philosophie ancienne est remise en question, tout comme l'idée que la vérité ait
pu être atteinte par un seul auteur et qu'elle se trouve par conséquent dans un
corpus philosophique unique. Il devient donc urgent d'apprendre la langue
grecque et de rechercher des œuvres et des auteurs anciens inconnus ou
négligés jusqu'alors, avec l'intention aussi bien d'y découvrir des vérités
absentes du corpus aristotélicien que d'acquérir simplement une connaissance
plus précise et détaillée du développement historique de la philosophie dans
l'Antiquité. Le scepticisme ancien fait aussi l'objet d'une attention spéciale dans
ce programme humaniste. » -Miguel Granada, "Apologétique platonicienne et
apologétique sceptique: Ficin, Savonarole, Jean-François Pic de la Mirandole, in
Pierre François Moreau (dir.), Le Scepticisme au XVI et au XVII siècle, (Le
retour des philosophies antiques à l'Age classique, tome 2), Paris, Albin Michel,
2001, 413 pages, p.12.

http://www.amazon.fr/P%C3%A9trarque-U-
Dotti/dp/221302667X/ref=sr_1_sc_8?ie=UTF8&qid=1451168979&sr=8-8-
spell&keywords=p%C3%A9traque

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Fran%C3%A7ois/dp/2070322378/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=145116
9042&sr=1-1

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69042&sr=1-2

http://www.amazon.fr/Mon-secret-
P%C3%A9trarque/dp/2869304900/ref=sr_1_4?s=books&ie=UTF8&qid=14511
69042&sr=1-4
411
http://www.amazon.fr/propre-ignorance-celle-beaucoup-
dautres/dp/2743623756/ref=sr_1_11?s=books&ie=UTF8&qid=1451169042&sr
=1-11

http://www.amazon.fr/Contre-bonne-mauvaise-fortune-
P%C3%A9trarque/dp/2743608692/ref=sr_1_16?s=books&ie=UTF8&qid=1451
169042&sr=1-16

http://www.amazon.fr/Triomphes-Traduction-fran%C3%A7aise-Simon-
Bourgouin/dp/2600015469/ref=sr_1_38?s=books&ie=UTF8&qid=1451169163
&sr=1-38

Robert Ier de Naples (1277-1343) : « [Au sud de la péninsule, le royaume de


Naples] est gouverné par les descendants de Charles Ier d’Anjou : Charles II
(1285-1309), Robert Ier (1309-1343), puis sa petite-fille Jeanne Ier (1343-1382).
Le règne de Robert Ier de Naples correspond à l’apogée de la dynastie angevine
en Italie. Il est en quelque sorte le chef du parti guelfe en Italie, et parvient à se
faire reconnaître seigneur de plusieurs villes au cours de son règne, notamment
Gênes, Florence, Ferrare ou même Rome, son ambition étant de se rendre maître
de l’Italie tout entière. Il ne parvient toutefois jamais à récupérer la Sicile malgré
plusieurs tentatives militaires. Le règne de Robert est l’un des plus brillants de la
dynastie angevine. Appelé Robert le Sage, il est un prince cultivé, mécène, dont
la cour est fréquentée par les plus célèbres artistes et écrivains de son temps :
Pétrarque, Boccace, Simone Martini, et le juriste Cino da Pistoia. Naples devient
alors capitale de l’humanisme. N’ayant pas d’héritier puisque son fils est décédé
avant lui, Robert de Naples fait rédiger par son secrétaire Niccolo d’Alife un
célèbre testament dans lequel il dresse un bilan de son règne et désigne sa petite-
fille Jeanne, mariée à André de Hongrie, comme unique héritière. Après la mort
de Robert de Naples, le royaume est déchiré entre plusieurs clans de la famille
angevine (Hongrie, Tarente, Duras) qui se disputent le pouvoir. Le royaume
traverse une longue crise politique, économique. A partir de 1382, Charles III de
Duras s’empare de la couronne de Naples. » (pp.106-107)

-Nathalie Gorochov et all, Écrit, pouvoirs et société. Occident, XIIe - XIe s,


Atlande, 2020, 623 pages.

Jeanne Ire de Naples (1326-1382) : https://www.amazon.fr/Reine-


imp%C3%A9nitente-Jeanne-comtesse-
Provence/dp/2844783597/ref=sr_1_6?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5
412
%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=La+reine+Jeanne%2C+comtess
e+de+Provence&qid=1599573387&s=books&sr=1-6

Cola di Rienzo (1313-1354) : Cola di Rienzo (forumactif.org)

Quattrocento (XVe) et Cinquecento (XVIème siècle italien) / Haute


Renaissance): "L'Europe ne peut plus nourrir ses 73 millions d'habitants.
Conséquences : d'abord la famine (la plus sévère étant celle de 1315-1317) ;
puis les grandes épidémies (marquées notamment par la fameuse Peste noire
des années 1350). Villes et campagnes sont décimées : en moins d'un· demi-
siècle la population européenne diminue... d'un tiers ! En l'an 1400, l'Europe ne
compte pas plus de 45 millions d'habitants. Un siècle plus tard, en 1500, elle
n'en comptera encore que 60 millions." (p.111)

"C'est au cours de la seconde moitié du XVI siècle que la population européenne


se remet réellement à croître, lançant l'économie sur un nouveau cycle
malthusien d'expansion (XVIe) puis de régression (XVIIè)." (p.112)
-Henri Lepage, Demain le capitalisme, Éditions le Livre de Poche, coll. Pluriel,
1978, 448 pages.

« [Récit de voyage] L'Extrême-Orient et l'Asie centrale traverse une période


exceptionnellement favorable entre 1245 (après la dernière grande invasion des
Mongols en Occident) et 1368 (lorsque la Chine leur échappe) grâce à la
présence de l'empire mongol. Celui-ci crée un espace unifié et des conditions
propices aux déplacements depuis les frontières de la chrétienté jusqu'au
Pacifique. » (p.258)
-François Menant, L'Italie des communes (1100-1350), Paris, Éditions Belin,
2005, 398 pages.

Odoric de Pordenone (1286-1331) : "Les Histoires d'Oderic de Pordenone


(1330), plus connues sous le titre de Relation ou Itinéraire. Ce franciscain
originaire de Vénétie est parti pour la Chine en 1318 par la route maritime et en
est revenu douze ans après la voie de terre, après avoir passé trois ans à Pékin
et avoir visité le Tibet et la Chine de l'Est." (p.260)
-François Menant, L'Italie des communes (1100-1350), Paris, Éditions Belin,
2005, 398 pages.

Christine de Pisan (1364-1430) : « Plusieurs passages de l’ouvrage


[L’Advision Cristine], ont à juste titre été signalés comme le plus ancien

413
exemple de récit autobiographique. » -Didier Lechat, « Histoire collective et
histoire individuelle dans L’Advision Cristine », in Brigitte Miriam Bedos-
Rezak & Dominique Iogna-Prat (dir), L'Individu au Moyen Age. Individuation et
individualisation avant la modernité, Mayenne, Éditions Flammarion, Aubier,
2005, 380 pages, p.212.

"La très aristocratique Christine de Pisan dit des pauvres: "Puisqu'ils ne sont
rien, c'est tout ordure - Povreté est celle nommée - Qui de nulle gent n'est
aimée." Et elle conclut éloquemment: "De tel gent, ce n'est que merdaille" (le
Livre de la musacion de Fortune, cité in P. Sassier, Du bon usage des pauvres,
Paris, Fayard, 1990, p.90)." (p.68)
-Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du
salariat, Folio-Gallimard, Paris, 2000 (1995 pour la première édition), 813
pages.

http://www.amazon.fr/Christine-Pizan-Fran%C3%A7oise-
Autrand/dp/2213636427/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=51DUuRqFP1L&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR99%2C160_&refRID=1JRMWV1J73CMJ
ZGJHR9H

Johannes Gutenberg (1400-1468) : https://www.amazon.fr/Gutenberg-


linvention-limprimerie-Une-
enqu%C3%AAte/dp/2213028656/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1504445887&sr=
8-
1&keywords=Guy+Bechtel%2C+Gutenberg+et+l%27invention+de+l%27impri
merie

Louis XI (1423-1483) : « Le réalisme politique et Louis XI. » -« Vingtième


Siècle signale », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2010/3 (n° 107), p. 187-194.
DOI : 10.3917/vin.107.0187. URL : https://www.cairn-int.info/revue-vingtieme-
siecle-revue-d-histoire-2010-3-page-187.htm

« Les premiers laudateurs de Louis XII vont se servir de Louis XI comme


repoussoir et les nombreux admirateurs de François Ier vont faire de Louis XI
l’incarnation de la barbarie. Puis, pour le XVIIIe siècle des Lumières, Louis XI
incarne les âges noirs d’obscurantisme médiéval et de tyrannie anarchronique.
Selon Montesquieu, ce n’est qu’un « tissu de petites fourberies, sans suite et
sans but certain ». Le romantisme, celui de Walter Scott puis de Victor Hugo,
trouve en lui l’image même de la répulsion la plus radicale. Puis, Lavisse en a
414
rajouté sur l’aspect physique de ce roi peu fréquentable à l’aspect « disgracieux
et débile », au visage « enlaidi par un nez bossué, démesurément long », à la
« démarche embarassée », tout en reconnaissant en lui un travailleur
méthodique qui préfère la paix à la guerre. » -François Dosse, Le Pari
biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La Découverte, 2005, 480 pages,
p.116.

« En 1461, à l’avènement de Louis XI, la France féodale reste celle que le traité
de Verdun a, en 843, découpée dans l’ensemble carolingien. Au nord l’Escaut la
sépare du Saint-Empire. A l’est, la Meuse, la Saône et le Rhône la délimitent, de
façon moins précise, de l’ancienne Lotharingie. A l’ouest et au sud-ouest seul
l’océan constitue une barrière naturelle ; les faîtes pyrénééens n’empêchent pas
le roi de France d’englober dans sa suzeraineté une partie de la Navarre et de
la Catalogne. » -Denis Richet, Le royaume de France au XVIème siècle, in
Denis Richet, De la Réforme à la Révolution. Études sur la France moderne,
Aubier, 1991, 584 pages, pages 343-387, p.343.

« Louis XI […] ne se servait plus jamais de la robe qu'il portait ni du cheval


qu'il montait au moment où de mauvaises nouvelles lui avaient été annoncées, et
[…] fit même abattre une partie de la forêt de Loches où il avait appris la mort
de son fils nouveau-né. » -Johan Huizinga, L'Automne du Moyen Age, Les
classiques des sciences sociales, 1948 (1919 pour la première édition
néerlandaise), 300 pages, p.48.

« Rosier des guerres commandé par Louis XI à l'attention du dauphin Charles. »


- Raphaëlle Schott, « Marguerite, ses officiers et la lettre d'instructions à Erik de
Poméranie (1405) », Médiévales [En ligne], 50 | printemps 2006, mis en ligne le
15 septembre 2008, consulté le 25 novembre 2020. URL :
http://journals.openedition.org/medievales/1367 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/medievales.1367

« Louis XI, beaucoup plus encore que ses prédécesseurs, s’efforce de favoriser
le développement du commerce, d’introduire en France des industries de luxe. Il
obéit déjà à une conception « mercantiliste », car il considère que l’achat
d’étoffes précieuses à l’étranger diminue le stock monétaire du royaume ; c’est
la raison essentielle pour laquelle il tenta d’implanter l’industrie de la soie à
Lyon, malgré la répugnance des habitants, qui firent échouer son projet, puis à
Tours, où elle prospéra dès son règne. On voit déjà que la grande industrie, en

415
France, pendant longtemps, ne produira guère que des objets de luxe, qu’elle
devra son existence à l’initiative et aux encouragements de l’État. C’est un fait
significatif que Louis XI ait voulu créer une grande compagnie de commerce
privilégiée, une « Compagnie du Levant », annonçant ainsi les créations de
Colbert. » -Henri Sée, Les origines du capitalisme moderne, Armand Collin,
1926, 206 pages, p.21.

« Pour neutraliser le duché de Bourgogne, le roi de France prend des mesures


qui favorisent la foire de Lyon au détriment de celle de Genève. Les marchands
italiens obéissent. Louis XI s’attaque ensuite à Venise, grand allié du Duc de
Bourgogne. Il instaure un embargo aux marchandises vénitiennes qui passent
par la France, et arme des corsaires afin de piller les navires marchands
vénitiens. Venise stoppe ainsi son soutien à la Bourgogne en 1478.
Louis XI décide ensuite de bloquer les exportations de denrées alimentaires à
destination d’Anvers et y provoque une famine. Le Roi utilise encore l’arme des
foires et propose aux Anglais de créer des foires concurrentes à celle d’Anvers
en France. Enfin, il demande aux banquiers italiens de stopper leurs prêts au
Duc de Bourgogne. Les Flamands, affamés, demandent la paix avec la France
et le duché de Bourgogne finit ruiné. Louis XI tente simultanément de
développer son royaume. C’est un monarque interventionniste qui veut relever
le pays économiquement. Pour cela, il insuffle un courant entrepreneurial au
sein de la noblesse et attire des savoir-faire étrangers. Il aménage le marché
intérieur du Royaume et harmonise les normes de production.
Louis XI décide de donner à l’économie française un avantage décisif sur les
autres Etats : la qualité. Il encourage enfin la copie des produits et des
techniques de production étrangères si la qualité des biens finis s’avère
supérieure. Louis XI met en outre un terme à la fuite des métaux précieux, qu’il
utilise comme un investissement. Le Roi cherche également à doter son royaume
d’une indépendance stratégique en fourniture de matières premières vis-à-vis de
l’Italie, notamment pour l’alun, élément primordial pour les teintures. Enfin,
Louis XI développe une politique commerciale internationale offensive : outre
l’exemple des foires vu ci-dessus, il soutient fortement les ports du Languedoc et
du Roussillon pour en faire un passage obligatoire du commerce et fonde la
Compagnie des Galées de France, à qui il donne le monopole du commerce
avec le Levant. » -Christian Harbulot, Le nationalisme économique américain,
VA Editions, coll. « Guerre de l’information », 2017, 117 pages, pp.19-20.

416
« D’un côté, le Proesme du livre VI, rédigé à l’occasion de l’avènement de
Louis XI, représente sans doute l’acmé rhétorique et théorique de
la Chronique de Chastelain, une somme rhétorique des styles (p.274), le texte-
seuil d’une réflexion de l’écrivain sur son art et la Grande Rhétorique, centre
d’équilibrage et de transcendance du réel, à la fois art poétique et somme. D’un
autre côté, entre 1461 (La Mort du roy Charles VII) et 1468 (La Mort du duc
Philippe), il se produit un changement patent : le livre VI est un « espace de
destruction des figures fondamentales de la Chronique» ; Louis XI remplace
l’Anglais comme figure de l’Antéchrist. » -Jean Dufournet, « La grandeur de
George Chastelain [*] », Le Moyen Âge, 2005/3 (Tome CXI), p. 595-603. DOI :
10.3917/rma.113.0595. URL : https://www.cairn-int.info/revue-le-moyen-age-
2005-3-page-595.htm

« Infrastructures routières et fluviales héritées des xiie-xiiie siècles que la crise


de la fin du Moyen Âge a laissées en médiocre état et que les bonnes villes
peinent à entretenir. Le seul apport du XVe siècle en la matière est la mise sur
pied d’une poste royale par Louis XI sous la pression des événements. » -
Boris Bove, « Léonard Dauphant, Le Royaume des quatre rivières. L’espace
politique français (1380-1515) », Médiévales [En ligne], 68 | printemps 2015,
mis en ligne le 09 juillet 2015, consulté le 25 novembre 2020. URL :
http://journals.openedition.org/medievales/7511 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/medievales.7511

« De « père des pauvres », comme l'on dit au xiiie siècle, le roi devient père du
peuple, en charge de la prospérité commune et non du seul secours à des pauvres
dont la perception se durcit aux xive et xve siècles. Auparavant, sous l'influence
des ordres mendiants, le devoir d'assistance est constamment rappelé au prince,
l'avarice est condamnée : Claude de Seyssel fait encore reproche à Louis XI
d'avoir thésaurisé au lieu de soulager le peuple à la différence de Louis XII. La
fiscalité royale en plein développement permet et justifie une forme de
redistribution qui garantit à la fois le salut du souverain et la stabilité de son
royaume. Mais la sollicitude royale n'a vraiment de valeur que lorsqu'elle
engage le trésor particulier du monarque, non les ressources ponctionnées sur les
contribuables dont la pauvreté doit justement l'incliner à la modération
fiscale. […] Louis XI institue en effet un pauvre à ses couleurs en 1472 à Saint-
Martin de Tours pour se tenir aux portes de l'église et rappeler pour ainsi dire
officiellement que le soulagement des pauperes est consubstantiel à la royauté. »
-« Lectures critiques », Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, 2010/1
417
(N° 31), p. 191-198. DOI : 10.3917/rfhip.031.0191. URL : https://www.cairn-
int.info/revue-francaise-d-histoire-des-idees-politiques1-2010-1-page-191.htm

« Louis XI consacre, en nommant Louis d’Estouteville gouverneur et lieutenant


général de Normandie, l’un des lignages les plus influents et les mieux établis de
la province. Toutefois, cette hégémonie devenue écrasante sera étouffée par le
roi à la mort de Louis d’Estouteville et un rééquilibrage s’effectuera alors au
profit des rivaux de cette famille, les Brézé, qui monopoliseront à leur tour la
charge de grand sénéchal de Normandie pendant plusieurs générations.
Esquissée dès la fin du règne de Charles VII, cette disgrâce des Estouteville,
qu’aucune trahison ne semble justifier, est-elle la marque d’un pouvoir
d’interposition supérieur d’une monarchie qui reste maîtresse de l’ensemble des
dispositifs clientélaires ? Ou s’explique-t-elle aussi par la parenté du souverain
et de Jacques de Brézé qui est, par son mariage avec la fille bâtarde de Charles
VII et d’Agnès Sorel, le beau-frère de Louis XI ? » -Katia Béguin, « Les
clientèles. Conclusion », Hypothèses, 1999/1 (2), p. 175-178. DOI :
10.3917/hyp.981.0175. URL : https://www.cairn-int.info/revue-hypotheses-
1999-1-page-175.htm

« [Lydwine Scordia] propose de voir ici le désordre comme instrument


d’affirmation du pouvoir et dresse le portrait d’un roi « plus préoccupé de
pouvoir et d’obéissance que d’ordre ». L’implication directe et soutenue du roi
dans les affaires du royaume est caractérisée sous Louis XI par la diversité des
moyens mobilisés pour parvenir à ses fins. Ces initiatives, bien qu’orientées vers
un unique objet, ont parfois des conséquences contradictoires, facteur
d’instabilité, allant parfois jusqu’à mettre la personne royale en danger. » -
Simon Dorso, « Emmanuelle Tixier du Mesnil et Gilles Lecuppre éd., Désordres
créateurs. L’invention politique à la faveur des troubles », Médiévales [En
ligne], 71 | automne 2016, mis en ligne le 01 décembre 2016, consulté le 25
novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/medievales/7936 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/medievales.7936

« Récit que donne l’historiographe bourguignon Georges Chastellain de la


rencontre des adversaires Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, et Antoine
de Croÿ. Après plusieurs années de conflit, le roi Louis XI aurait mis en scène
une entrevue à l’insu des protagonistes. Malgré leur résistance initiale lors de
cette rencontre inattendue, Louis réussit à prendre et à réunir leurs mains, « au
dur et au regret de chacun ». Même si les circonstances étaient peu favorables à
418
une réconciliation, la ruse du roi fut couronnée de succès. D’abord les deux
acteurs étaient obligés de passer un certain temps dans une situation de
« liminalité » dans le sens de Van Gennep : enfermés dans une chambre, ils se
trouvaient séparés du reste de la cour. Ensuite, le comte de Saint-Pol et Antoine
de Croÿ seraient sortis de celle-ci, « bras à bras comme deux frères », en riant, ce
qui équivaut à l’accomplissement d’un rite de passage qui se termine avec
l’agrégation des individus en question, c’est-à-dire leur réintégration dans le
groupe. » -Klaus Oschema, « Toucher et être touché : gestes de conciliation et
émotions dans les duels judiciaires », Médiévales [En ligne], 61 | automne 2011,
mis en ligne le 19 janvier 2012, consulté le 25 novembre 2020. URL :
http://journals.openedition.org/medievales/6547 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/medievales.6547

-Marie-Thérèse Kaiser-Guyot, Louis XI, un cas d’Alcoolisme mondain au XVe


siècle ?

La diplomatie dans les Mémoires de Commynes | Cairn.info

Jan van den Driessche / Jehan de la Driesche, un fonctionnaire flamand au service de Louis XI |
Cairn.info

Les vies successives d'un roi : la postérité politique de Louis XI à l'époque moderne | Cairn.info

Figures mythiques médiévales aux XIXe et XXe siècles + Isabelle Durand-Le Guern, Louis XI entre
mythe et histoire (forumactif.org)

http://hydra.forumactif.org/t4750-jacques-heers-louis-xi-le-metier-de-roi#5689

Anne de France, dite Anne de Beaujeu (1461-1522) :


https://www.amazon.fr/Anne-France-1461-1522-Pierre-
Pradel/dp/2866002628/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1522324639&sr=1
-1&keywords=Anne+de+France%2C+1461-1522

L'imaginaire politique et social à la cour de France durant les premières guerres


d'Italie, 1494-1525 : https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb43580160j

Philippe de Commynes (1447-1511) : « En mon Philippe de Commines il y a


ceci : Vous y trouverez le langage doux et agréable, d’une naïve simplicité ; la
narration pure, et en laquelle la bonne foi de l’auteur reluit évidemment,
419
exempte de vanité parlant de soi, et d’affectation et d’envie parlant d’autrui ;
[…] et tout partout de l’autorité et gravité, représentant son homme […] élevé
aux grandes affaires. » -Michel de Montaigne, Œuvres complètes, Essais, Livre
II, Chapitre 10, Editions du Seuil, Paris, 1967, p. 175.

« Témoin d’un esprit pénétrant, d’une expérience consommée, qu’aucune


illusion chevaleresque n’éblouissait, qui avait vu, et bien vu, d’innombrables
intrigues, qui avait connu et quelquefois manié les hommes puissans et habiles
dont il exposait avec sagacité les intérêts cachés ou variables, les passions
contraires, les caractères différens, qui leur conservait leur physionomie
vivante, et les montrait toujours en haleine dans cette partie serrée que Louis XI
jouait tour à tour avec chacun d’eux. » (p.613)

« Commynes était certainement séduit par l’ouvrage immense que son maître
accomplissait à travers tant de difficultés et de déboires, en abattant, au profit
de l’unité nationale et de la sécurité des peuples, cette féodalité apanagère qui
démembrait et déchirait le pays, et qui, sans autre but que de satisfaire
l’ambition, la cupidité et la haine, y nourrissait l’inextinguible incendie de la
guerre civile et de la guerre étrangère. À force d’entrer dans les vues de Louis
XI, il entre dans son esprit ; à force de se pénétrer de son esprit, il sympathise
avec son caractère. Le succès est si nécessaire, qu’il y mesure tout ; les nuances
s’effacent, et il permet la perfidie à l’habileté. L’avenir est si grand qu’il voit
Dieu même dans tout ce qui le prépare. Il y avait d’ailleurs en ce temps-là un
relâchement général dans la croyance, dans les mœurs, et une révolution
religieuse était à la porte qui demandait la proie du siècle. » (p.617)

-Louis Binaut, Des Idées libérales dans l’ancienne France. — Philippe de


Commynes, Thomas Basin, le seigneur de la Roche, d’après les documens
inédits récemment publiés, Revue des Deux Mondes, 2e, tome 10, 1857 (pp.
601-639).

https://www.amazon.fr/Philippe-Commynes-Jo%C3%ABl-
Blanchard/dp/221362853X/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1517068509&
sr=1-2&keywords=Philippe+de+Commynes

Charles VIII (1470-1498) : "[Le Chancelier :] Feuilletez les histoires des rois
de France, et je vous défie d'en présenter un seul à notre mémoire qui, quoique
d'un âge avancé, ait pris possession d'un royaume et de domaines aussi étendus,
avec une paix aussi parfaite et au milieu des acclamations générales. Rendons
420
mille grâce à Dieu et au roi défunt, qui ne nous ont pas laissés sans chef,
puisque nous en avons un, modèle de toute vertu, lequel nous devons à leur
munificence, qui qui a hérité et d'un trône et de la gloire d'une paix longue et
durable. C'est elle que si longtemps, et avec des peines infinies, nous avons
souhaitée, demandée, cherchée, comme le plus agréable des biens de ce monde
et plus précieux que l'or et l'argent." (p.45)
-Jehan Masselin, Journal des États généraux de France tenus à Tours en 1484
sous le règne de Charles VIII.

« Discours de Philippe Pot aux États-Généraux de 1484.

Convoqués pendant la minorité de Charles VIII du 15 janvier au 14 mars 1484,


ces états-généraux sont, à l’origine, une idée de Louis d’Orléans (futur Louis
XII) reprise par Anne et Pierre de Beaujeu qui exercent de fait le pouvoir au
nom du jeune roi. On connaît le détail des séances grâce au Journal de Jean
Masselin, député du clergé de Normandie. Ce texte rapporte la harangue de l’un
des députés de la noblesse de Bourgogne qui fit alors sensation.

Il importe extrêmement au peuple quel est celui qui le gouverne, puisque du


caractère de ce seul homme dépend le bonheur ou le malheur de toute la
société… S’il s’élève quelque contestation par rapport à la succession au trône et
à la régence, à qui appartient-il de la décider, sinon à ce même peuple qui a
d’abord élu ces rois, qui leur ont conféré toute l’autorité dont ils se trouvent
revêtus, et en qui réside foncièrement la souveraine puissance ? Car un Etat ou
un gouvernement quelconque est la chose publique, et la chose publique est la
chose du peuple ; quand je dis le peuple, j’entends parler de la collection ou de
la totalité des citoyens, et dans cette totalité sont compris les princes du sang
eux-mêmes, comme chefs de la noblesse. Vous donc, qui êtes les représentants
du peuple, et obligés par serment de défendre ses droits, pourriez-vous encore
douter que ce ne soit à vous de régler l’administration et la forme du conseil ?
Qui peut maintenant vous arrêter ? Le chancelier ne vous a-t-il déclaré que le roi
et les princes attendent de vous ce règlement… Ces assemblées d’Etats et les
pouvoirs que je leur donne, ne sont point une nouveauté, ne peuvent être ignorés
par ceux qui ont lu l’histoire…

(Philippe Pot cite alors le cas du conflit entre Philippe VI de Valois et Edouard
III d’Angleterre, celui de la captivité de Jean II le Bon, et celui de la minorité de
Charles VI).

421
Après des autorités si positives, douterez-vous encore de vos droits ? Et puisque
par la forme de votre serment, vous vous êtes ici rassemblés pour faire et
conseiller ce que selon Dieu et votre conscience, vous jugere le plus utile à
l’état, pouvez-vous négligez le point fondamental de tous vos règlements ? …
En un mot, la raison vous prouve que vous avez le droit de régler
l’administration et la forme du conseil ; un grand nombre d’exemples vous le
démontrent, le roi vous l’ordonne, les princes y consentent, la patrie vous y
exhorte par la bouche de son premier magistrat. Si des raisons si fortes ne
peuvent vous ébranler, n’imputez désormais qu’à votre lâcheté tous les maux qui
affligent l’Etat ; et vous qui conservez encore des cœurs français, ne souffre pas
que la nation vous accuse d’avoir trahi sa confiance, et qu’un jour la postérité
vous reproche de ne lui avoir pas transmis le dépôt de la liberté publique, tel que
vous l’avez reçu de vos pères. Sauvez vos noms de cet opprobre.

(Vocabulaire, orthographe et tournures modernisés). » -François Cadilhon (dir.),


La France d'ancien régime: Textes et documents, 1484-1789, Presse
Universitaire de Bordeaux, 2003, 417 pages, p.13-14.

https://www.amazon.fr/Charles-VIII-Didier-
FUR/dp/2262022739/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1466436277&sr=1-
1&keywords=Charles+VIII

Richard III (1452-1485) et la Guerre des Deux-Roses (1455-1485) :

https://www.amazon.fr/Richard-III-Paul-Murray-
Kendall/dp/2213007462/ref=pd_sbs_14_5?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
GYF5NEKQC52RQ0KF7MN1

https://www.amazon.fr/LAngleterre-au-temps-guerre-Deux-
Roses/dp/2213013918/ref=pd_sim_14_1?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=M
FFS6A36DBW10GY03NME

Louis XII (1462-1515): « Médiocre personnalité quand il était un féodal et


même le féodal le plus influent du royaume, Louis XII, une fois devenu roi,
restera tout à la fois un féodal et une médiocre personnalité. » -Bernard Quilliet,
Louis XII, Fayard, 1986, p.454.

Charles III de Bourbon, connétable de France (1490-1527) :


« L’histoire de la France moderne connaît deux « traitres » plus ou moins
notoires : le connétable de Bourbon et le cardinal de Bouillon. Si le premier, il
422
est vrai, dépasse un peu le second en notoriété et en importance, tous les deux
furent vitupérés, condamnés, en quelque sorte exécutés par l’historiographie du
XIXe siècle : ils avaient déserté la bonne cause de leur roi, de leur patrie et de
leur nation. Le troisième « traitre » d’envergure, en revanche, le prince de
Condé, passé pendant la Fronde aux Espagnols, avait su se racheter par son
retour sous l’autorité du roi, par ses services, rendus de nouveau du « bon »
côté et par un repentir ostentatoire. Ni le connétable ni le cardinal ne purent (ni
ne voulurent) faire valoir de tels avantages.

Charles de Bourbon, connétable de France, avait, comme l’on sait, quitté le


royaume en 1523 pour se joindre à l’empereur Charles Quint. Il s’était senti
heurté dans ses droits et dans son honneur par le roi François Ier. Il fut le
premier mais certainement pas le dernier des Grands de France qui, à l’époque
moderne, signalèrent leur mécontentement au souverain en prenant les armes,
voire en s’alliant à l’adversaire étranger. Bourbon fut suivi, au cours des
siècles, par des conjurateurs et des frondeurs. Le cardinal de Bouillon clôture
cette galerie. En 1710, en pleine guerre de Succession d’Espagne, il quitta la
France pour se joindre aux alliés.

Les contemporains du connétable, et même les historiens du XVIe ou du XVIIe


siècle, ne manquèrent pas tout à fait de compassion voire de compréhension
pour le destin tragique de ce grand « malheureux », victorieux sur François Ier
à Pavie mais mort en 1527 devant Rome. Critiqué, il fut pourtant considéré
comme l’un des « hommes illustres » de son temps, un « grand capitaine » et
donc traité non sans respect. Cette approche se justifiait : une damnatio
memoriæ du connétable Bourbon n’était certainement pas très avisée sous le
règne d’une maison royale du même nom. Mais il y avait bien plus que cela, et
bien avant 1589 : le connétable en quittant la France avait, certes, bafoué une
norme et une loi de la plus haute importance : la fidélité au roi et à la couronne.
En même temps, il avait continué de respecter d’autres normes non moins
éminentes : la loi de l’honneur et le désir d’autonomie nobiliaire. Toutefois, au
cours de l’époque moderne, ces dernières furent reléguées derrière la première.
La « désertion » du cardinal de Bouillon révèle clairement cette mutation, qui
changea la donne entre couronne et noblesse. Dans l’opinion publique, le
cardinal n’eut plus droit aux mêmes égards que le connétable."

423
"Tandis que celui qui oppose les Bouillon aux Noailles reste « dans la norme »
de l’époque, en dépit de sa virulence inhabituelle, celui opposant les Bouillon
aux Bourbons se révèle « hors normes »."

-Martin Wrede, « Autonomie nobiliaire, mémoire familiale et pouvoir du


souverain sous Louis XIV », Revue historique, 2013/3 (n° 667), p. 575-600.
DOI : 10.3917/rhis.133.0575. URL : https://www.cairn.info/revue-historique-
2013-3-page-575.htm

Martin Le Franc (1410-1461) : http://www.amazon.fr/Lestrif-fortune-vertu-


Martin-Franc/dp/2600003606/ref=asap_bc?ie=UTF8

Laura Cereta (1469-1499) : http://www.amazon.fr/Collected-Letters-


Renaissance-Feminist-
Cereta/dp/0226100111/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1451225783&sr=8-
1&keywords=Laura+Cereta%3A+Collected+Letters+of+a+Renaissance+Femini
st

François Villon (1431-1463) : http://www.amazon.fr/Oeuvres-


compl%C3%A8tes-testament-Po%C3%A9sies-
diverses/dp/2869599218/ref=la_B001HOMQLE_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=
1438987901&sr=1-1

Nicolas Copernic (1473-1543) : « Dans la période qui précède et qui suit


immédiatement la grande découverte par Copernic du vrai système solaire, on
découvrit également la loi de la gravitation de l’Etat ; on trouva son centre de
gravité en lui-même et, les divers gouvernements européens cherchèrent à
appliquer cette découverte, avec le manque de profondeur de toute première
mise en pratique, dans le système de l’équilibre des pouvoirs, de même, d’abord
Machiavel, Campanella, puis plus tard Hobbes, Spinoza, Hugo, Grotius, jusqu’à
Rousseau, Fichte, Hegel se mirent à considérer l’Etat avec des yeux humains et
à déduire ses lois naturelles de la raison et de l’expérience, et non de la
théologie, tout comme Copernic, qui passa outre au fait que Josué eût ordonné
au soleil de s’arrêter sur Gabaon et à la lune sur la vallée d’Ajalon. » -Karl
Marx, L’éditorial du n° 179 de la « Gazette de Cologne », Gazette rhénane n°
191, 193 et 195 des 10, 12 et 14 juillet 1842.

424
Sperone Speroni : http://www.amazon.fr/Dialogue-langues-Dialogo-delle-
lingue/dp/2251730311/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1451224918&sr=8-
1&keywords=Sperone+Speroni

Leon Battista Alberti (1404-1472) : « Au XVe siècle, les forces royales


françaises durent de grands succès à des concentrations de canons plus légers,
plus efficaces contre les hauts remparts et les tours rondes que les grosses
pièces en petit nombre. De 1440 à 1460, c'est une artillerie mobile qui réduisit
les villes tenues par les Anglais en Normandie et en Aquitaine ; puis, en 1487-
1488, les forteresses de Bretagne, quoique partiellement restaurées en vue de
l'installation d'une artillerie de défense, furent battues en brèche et soumises.
Dans l'entre-temps, en Espagne, les Rois Catholiques, Ferdinand et Isabelle,
parce qu'ils avaient la chance de disposer d'un train de siège de quelques 180
canons, purent réduire en dix ans (1482-1492) les citadelles maures du royaume
de Grenade qui avaient défié les royaumes chrétiens d'Espagne pendant des
siècles. Il semblait que l'âge de la "défense verticale" fût dépassé.
L'architecte et humaniste italien Leon Battista Alberti fut le premier à imaginer
une réplique correcte à la bombarde. Dans son traité De re aedificatoria, écrit
au cours des années 1440, il soutient que les fortifications défensives pourraient
être plus efficaces si elles étaient disposées en dents de scie, et il va jusqu'à
conjecturer que la meilleure configuration au sol pourrait être l'étoile. Mais peu
de gouvernants y prêtèrent attention et le traité d'Alberti ne fut pas publié avant
1485. Ce fut seulement dans les dernières années du siècle que certains Etats
italiens se mirent à bâtir des fortifications capables de résister à des
bombardements d'artillerie. Très peu comportaient des bastions d'angle: la
Rocca près d'Ostie, Brolio et Poggio Imperiale en Toscane, le château Saint-
Ange à Rome. Beaucoup plus nombreuses furent les fortifications construites sur
le modèle traditionnel, mais à une telle échelle que les plus vastes d'entre elles
(telles la citadelle Sforza à Milan) se montrèrent encore aptes à la défense
pendant plus de deux siècles. La catalyse du changement majeur se fit par
l'invasion française de la péninsule. En 1494-1495, Charles VIII précipita sur
l'Italie une armée de 18 000 hommes et un matériel de siège hippotracté d'au
moins 40 canons. Même les contemporains comprirent qu'un nouveau départ
était donné à la conduite de la guerre. En 1498, le Sénat de Venise déclara que
"les guerres du temps présent étaient affectées plus par les bombardes et autres
forces d'artillerie que par les effectifs d'hommes en armes". Et il s'empressa
d'acquérir des armes à feu. » (p.77-78)
425
-Geoffrey Parker, La révolution militaire. La guerre et l'essor de l'Occident
(1500-1800), Gallimard, coll. Folio.Histoire, 1993 (1988 pour la première
édition britannique), 489 pages.

« Quand au plaisir (esthétique) que procure la beauté, il constitue pour Alberti


la finalité même de l’édification. C’est cette visée esthétique des créations et
aménagements urbains de la Renaissance et des périodes baroque, classique et
néo-classique que souligne l’expression d’ « art urbain » sous laquelle on a
coutume de les subsumer. Chez l’ensemble des théoriciens [ultérieurs] de
l’urbanisme, à l’exception de Camillo Sitte, cette volonté d’ « embellisement »
est secondaire, quand elle n’est pas simplement absente.

[…] Alors que l’édification ou l’art urbain théorisé par Alberti met en œuvre
des règles et des principes génératifs permettant la production d’espaces
indéfiniement différents, l’urbanisme théorisé par Cerda et ses successeurs, vise,
sous l’influence de la pensée utopique, l’établissement de modèles spatiaux,
dotés d’une valeur universelle de vérité et, ainsi, statiquement appelés à une
indéfinie reproduction. » -Pierre Merlin, article « Urbanisme », in P. Merlin et F.
Choay, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Presse Universitaires
de France, 2013, p.797-802.

« Singuliers "ingénieurs de la Renaissance", du XVe siècle et du début du XVIe,


ces génies multiples, peintres, inventeurs, conseillers des princes (allemands et
surtout italiens) dans l'art militaire (artillerie, fortifications...) et l'aménagement
des espaces (assèchement des marais...), comme aussi organisations de fêtes:
Kyeser, Taccola, Alberti, Francesco di Giorgio Martini et bien sûr, Léonard de
Vinci. » -Yves Schwartz, "La technique", in Denis Kambouchner (dir.), Notions
de philosophie, II, Gallimard, coll Folio essais, 1995, 696 pages, pp.223-283,
p.263.

« Les moments historiques qui connaissent un important développement du


patriotisme sont ceux des républiques italiennes médiévales et de l’humanisme
civique. Les écrivains politiques de ces deux époques soulignent la rationalité de
l’amour de la patrie : c’est la patrie qui permet aux citoyens de vivre libre et les
citoyens doivent en échange servir la patrie. En fait, la vie des individus n’est
pas indépendante de la vie de la patrie. Remigio de’ Girolami explique dans son
De bono comuni que la corruption de la patrie entraîne un appauvrissement de la
vie des individus. Matteo Palmieri, l’auteur de la Vita civile, soutient que la

426
patrie est le bien le plus précieux car elle est un bien éternel. Leon Battista
Alberti, dans ses Libri della famiglia, dit que servir la république n’est pas une
forme de servitude mais le devoir le plus noble de toutes les activités parce qu’il
permet de vivre libre.

Mais il y a une ambiguïté au cœur du patriotisme de l’humanisme civique : il


n’exprime pas seulement l’amour pour la république et la liberté commune, il
célèbre aussi la supériorité militaire et culturelle de Florence. Par exemple, le
langage du patriotisme de Leonardo Bruni est d’une part un langage de la liberté
contre la tyrannie et la domination étrangère et d’autre part un langage de fierté
d’appartenir à une cité supérieure aux autres cités toscanes. À la différence de
Leonardo Bruni, Nicolas Machiavel, s’il est également au service de la
république, critique cependant l’injustice de la politique de Florence. Selon lui,
les citoyens ne doivent pas servir la patrie en toutes circonstances. Par exemple,
si la patrie est une tyrannie, ils ne doivent pas la servir. L’amour de la patrie
comprend l’amour des institutions politiques de la république mais surtout
l’amour de la manière de vie républicaine. » (cf :
https://www.paperblog.fr/5043598/le-patriotisme-republicain-un-antidote-au-
nationalisme-version-francaise/ )

https://www.amazon.fr/LArt-d%C3%A9difier-Leon-Battista-
Alberti/dp/2020121646/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1505849857&sr=
1-1&keywords=L%27Art+d%27%C3%A9difier

https://www.amazon.fr/Momus-ou-Prince-Fable-
politique/dp/225144629X/ref=pd_rhf_dp_s_cp_6?_encoding=UTF8&pd_rd_i=2
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_wg=Xumzo&psc=1&refRID=VV7B71JPSSZMZ2M9064Y

http://www.amazon.fr/Famille-Leon-Battista-
Alberti/dp/2251339728/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1451220072&sr=8-
4&keywords=Leon+Battista+Alberti

Cristoforo Landino : http://www.amazon.fr/Vera-Nobilitate-Landino-


Cristoforo/dp/2600030301/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1451224640&sr=8-
1&keywords=Cristoforo+Landino

Gémiste Pléthon (1355/1360 – 1452) : https://halshs.archives-


ouvertes.fr/file/index/docid/437151/filename/Traite_des_vertus_HAL_.pdf

427
Marsile Ficin (1433-1499) : http://www.amazon.fr/Marsile-ficin-platonismes-
renaissance-
Collectif/dp/2711614921/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1446818072&sr=8-
4&keywords=Marsile+Ficin

Pietro Pomponazzi (1462-1525) : voir Pascal Charbonnat, Histoire des


philosophies matérialistes, p.188-192.

« L’université de Padoue, qui depuis 1405 dépendait de la sérénissime


république de Venise, qui y nommait et y congédiait les maîtres sans
intervention du pouvoir religieux, resta, au XVe et au XVIe siècle, un centre de
liberté ; l’Inquisition même et plus tard les Jésuites qui y fondèrent un collège
voyaient leur puissance annulée par le Sénat vénitien : l’État laïque se faisait ici
le protecteur des philosophes.
Le plus célèbre de ses maîtres fut Pomponazzi (1462 1525), qui se pose la
question suivante : à supposer que nous ne possédions aucune révélation divine,
quelle idée devons nous nous faire de l’homme et de sa place dans l’univers ?
Question à laquelle il trouvait une réponse chez Aristote et ses commentateurs.
En son De immortalitate animae (1516) non seulement il démontre que l’âme
intellectuelle, inséparable de l’âme sensitive (puisqu’elle ne peut penser sans
images) doit être mortelle comme le corps, mais il en tire les conséquences
pratiques (chap. XIII à XVI) : l’homme, qui n’a aucune fin surnaturelle, doit
prendre comme fin l’humanité même et ses devoirs quotidiens ; il doit trouver
dans l’amour de la vertu et la honte du mal un suffisant motif d’action ; il doit
savoir que c’est « le législateur qui, connaissant le penchant de l’homme au mal
et ayant égard au bien commun, a décidé que l’âme était immortelle, non par
souci de la vérité, mais de l’honnêteté, et pour amener les hommes à la vertu.
». » (p.500-501)

« Les aristotéliciens de Padoue sont en revanche tout à fait en dehors du


courant qui mène de Buridan à Képler, Galilée et Descartes : pendant tout le
cours du XVIe siècle, le péripatétisme italien oppose à la nouvelle dynamique
l’absurde théorie d’Aristote sur le mouvement des projectiles. » (p.502)
-Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences
sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages).

http://www.amazon.fr/Trait%C3%A9-limmortalit%C3%A9-Tractatus-
immortalitate-

428
anim%C3%A6/dp/2251801278/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1446817861&sr=8-
3&keywords=La+philosophie+de+Pietro+Pomponazzi

Juda Abravanel (1460-1521) : « [Sophie] : Aimer et désirer sont deux effets de


la volonté, contraires l’un à l’autre. […]

Nous aimons les choses par nous estimées bonnes, les ayant en notre puissance :
et, à faute de les avoir, les désirons : tellement que le désir précède l’amour, et
après que la chose désirée nous est octroyée, l’amour commence et le désir
prend fin. […]

Ne vois-tu que, étant malades, nous désirons la santé laquelle nous défaut ? et
qui est-ce qui dirait que nous l’aimons alors ? Vois-tu aussi que, soudain qu’elle
nous est rendue, nous l’aimons, toutefois ne la désirons plus. Les joyaux,
héritages et autres richesses, avant qu’être possédées, sont affectionnément
désirées, mais non encore aimées : puis, tombées entre les mains de celui qui les
désirait, le désir cessant, curieusement aimées. […]

C’est improprement parlé, dire que vouloir avoir une chose signifie aimer : car
ce, vouloir avoir, n’est autre chose que le désir : pour ce que l’amour est assis en
la même chose aimée, à laquelle le désir, quand on ne l’a, aspire seulement ;
donc, à mon jugement, l’amour et le désir ne peuvent demeurer ensemble. […]

L’amant a ce qu’il aime, et celui qui désire n’est encore possesseur de son bien
désiré. Quel exemple plus familier se peut offrir que des enfants ? Lesquels, de
qui ne les a, ne peuvent être aimés, mais bien sont désirés : ni, de qui les a,
peuvent être désirés, toutefois sont aimés. » (p.55-56)

« [Sophie] : L’amour ne reçoit pour son sujet que les choses qui sont, et le désir,
celles qui ne sont point. […]

Nécessairement la connaissance précède l’amour : car nulle chose peut-être


aimée, si pour bonne elle n’est premièrement connue. » (p.58)

« [Philon] : Nous ne pouvons désirer chose qui ne soit réellement, pour ce que
notre désir ne s’étend qu’aux choses lesquelles la connaissance nous fait juger
être bonnes. Et à cet occasion définit un grand philosophe [Aristote], cela être
bon qui est désiré de chacun, puisque la connaissance est de choses ayant
essence. […]

429
La connaissance de la chose, soit aimée, soit désirée, précède et l’amour et le
désir, j’entends cette connaissance qui persuade et imprime un jugement de
bonté : autrement telle connaissance ferait haïr et avoir en horreur la chose
connue, et non pas aimer ou désirer. Or donc, l’amour et le désir, l’un comme
l’autre, présupposent l’essence de la chose tant en effet qu’en connaissance. »
(p.59)

-Juda Abravanel, Dialogues d’Amour, 1535 (première publication). Tome


premier, « De l’Amour ».

« Quelles opportunités philosophiques le platonisme pouvait-il offrir à un


intellectuel formé dans la grande tradition judéo-arabe ? Quels moyens
d’affronter la crise de l’Expulsion ? Et quelles réponses au conflit séculaire
entre la philosophie et la religion, exacerbé par la nouvelle situation
historique ? » (p.8)

-Tristan Dagron, introduction à Juda Abravanel, Dialogues d’Amour, 1535


(première publication), Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2006, 525 pages.

« Léon l’Hébreu fut le seul vrai philosophe juif de la Renaissance. »

-Julius Guttman, Histoire de la philosophie juive, 1933, p. 326

Agostino Nifo : http://www.amazon.fr/Beau-lAmour-Pulchro-Amore-


Livre/dp/2251344721/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1449788208&sr=8-
2&keywords=Agostino+Nifo

http://www.amazon.fr/Beau-lAmour-Pulchro-Amore-
Livre/dp/2251345205/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1449788208&sr=8-
3&keywords=Agostino+Nifo

Lorenzo Valla (1407-1457) : « Tu vois [toi-même] combien [cela] est sain, et


combien tolérable, que tu déclares la guerre à tous les livres, et même aux plus
approuvés, et ne sois du côté d’aucun d’eux. » -Lorenzo Valla, Du libre arbitre,
1439.

« C’est sans doute l’Italien Lorenzo Valla qui a accrédité l’association des mots
« gothique » et « barbare », appliquée au langage dans lequel s’exprimaient ses
prédécesseurs. Il a utilisé ces termes dans la préface du troisième livre d’un
ouvrage qui a connu un succès extraordinaire en France, les Elegantiarum
latinae lingua libri sex (1441) ; c’est l’un des premiers livres imprimés au début
430
des années 1470 sur les presses de l’atelier de la Sorbonne. Comme le titre
l’indique, il initie tous ceux qui se piquent de bien écrire aux « élégances »
oubliées de la langue latine. » -Arlette Jouanna, La France de la Renaissance,
Perrin, coll. Tempus, 2009 (2001 pour la première édition), 759 pages, p.23-24.

https://www.amazon.fr/Sur-Plaisir-Lorenzo-
Valla/dp/2909422844/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1474545524&sr=8-
2&keywords=Lorenzo+Valla

Les Médicis : https://www.amazon.fr/clan-M%C3%A9dicis-Jacques-


HEERS/dp/2262037612/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1466435529&sr=8-
1&keywords=Le+clan+des+M%C3%A9dicis.+Comment+Florence+perdit+ses+
libert%C3%A9s+%281200-1500%29

https://www.amazon.fr/Rise-Decline-Medici-Bank-1397-
1494/dp/1893122328/ref=sr_1_48?ie=UTF8&qid=1483108194&sr=8-
48&keywords=finance+m%C3%A9di%C3%A9vale

Benedetto Accolti (1415-1464): https://www.amazon.fr/Benedetto-Accolti-


Florentine-Renaissance-
Robert/dp/0521522277/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1490024281&sr=8-
1&keywords=Benedetto+Accolti+and+the+Florentine+Renaissance

Nicolas Machiavel (1469-1527) : « La soif de dominer est celle qui s’éteint la


dernière dans le cœur de l’homme. » -Nicolas Machiavel.

« Le comble de la tyrannie est de séduire. » -Nicolas Machiavel.

« [Machiavel] : Ce livre m’a fait une renommée fatale, je le sais : il m’a rendu
responsable de toutes les tyrannies ; il m’a attiré la malédiction des peuples qui
ont personnifié en moi leur haine pour le despotisme ; il a empoisonné mes
derniers jours, et la réprobation de la postérité semble m’avoir suivi jusqu’ici.
Qu’ai-je fait pourtant ? Pendant quinze ans j’ai servi ma patrie qui était une
République ; j’ai conspiré pour son indépendance, et je l’ai défendue sans
relâche contre Louis XII, contre les Espagnols, contre Jules II, contre Borgia
lui-même qui, sans moi, l’eût étouffée. Je l’ai protégée contre les intrigues
sanglantes qui se croisaient dans tous les sens autour d’elle, combattant par la
diplomatie comme un autre eût combattu par l’épée ; traitant, négociant, nouant
ou rompant les fils suivant les intérêts de la République, qui se trouvait alors
écrasée entre les grandes puissances, et que la guerre ballottait comme un
431
esquif. Et ce n’était pas un gouvernement oppresseur ou autocratique que nous
soutenions à Florence ; c’étaient des institutions populaires. Étais-je de ceux
que l’on a vus changer avec la fortune ? Les bourreaux des Médicis ont su me
trouver après la chute de Soderini. Élevé avec la liberté, j’ai succombé avec elle
; j’ai vécu dans la proscription sans que le regard d’un prince daignât se
tourner vers moi. Je suis mort pauvre et oublié. Voilà ma vie, et voilà les crimes
qui m’ont valu l’ingratitude de ma patrie, la haine de la postérité. » -Maurice
Joly, Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, La Bibliothèque
électronique du Québec, Collection Philosophie, Volume 14 : version 1.0, 473
pages. (première édition: Bruxelles, A. Mertens et fils, 1864), p.13-14.

« Vivait en ces temps-là un certain messire Stefano Porcari, citoyen romain,


excellent par ses origines, son savoir, mais plus encore par son tempérament,
qui était noble. Selon la coutume des hommes mus par l’appétit de gloire, il
désirait accomplir, ou du moins tenter quelque action digne de mémoire. Et il
jugea ne rien pouvoir faire d’autre que de voir s’il pouvait arracher sa patrie
des mains des prélats et la ramener à la manière de vivre des Anciens ; il
espérait pour cela, s’il y parvenait, être appelé refondateur et second père de la
cité. Ce qui lui donnait l’espoir que cette entreprise connaîtrait une fin
heureuse, c’étaient les mauvaises mœurs des prélats ainsi que l’insatisfaction
des nobles et du peuple romain. » -Nicolas Machiavel, Histoires florentines.

« Vous devez donc savoir qu’il y a deux manières de combattre : l’une avec les
lois, l’autre avec la force. La première est le propre de l’homme, la seconde
celui des bêtes ; mais comme souvent la première ne suffit pas, il convient de
faire appel à la seconde. Aussi est-il nécessaire à un prince de savoir user de la
bête et de l’homme. C’est ce que les écrivains anciens ont enseigné aux princes
à mots couverts. Ils écrivent qu’Achille et de nombreux autres princes furent
placés chez le centaure Chiron afin qu’il leur enseigna la discipline. Or, avoir
un précepteur moitié homme moitié bête ne signifie rien d’autre sinon qu’il faut
que le prince sache bien user de l’une et l’autre nature, car l’une sans l’autre ne
peut durer. » -Nicolas Machiavel, Le Prince, chapitre XVIII. Cité dans Thierry
Ménissier, Machiavel ou la politique du centaure, Hermann Éditeurs, coll.
Hermann Philosophie, 2010, 547 pages, p. 7.

« Quoique l’homme par sa nature envieuse ait toujours rendu la découverte des
méthodes et des systèmes nouveaux aussi périlleuse que la recherche des terres
et des mers inconnues, attendu que son essence le rend toujours plus prompt à
432
blâmer qu’à louer les actions d’autrui ; toutefois, excité par ce désir naturel qui
me porta toujours à entreprendre ce que je crois avantageux au public, sans me
laisser retenir par aucune considération, j’ai formé le dessein de m’élancer
dans une route qui n’a pas encore été frayée ; et s’il est vrai que je doive y
rencontrer bien des ennuis et des difficultés, j’espère y trouver aussi ma
récompense dans l’approbation de ceux qui jetteront sur mon entreprise un
regard favorable. » -Nicolas Machiavel, Discours sur la première décade de
Tite-Live, Livre premier, 1512-1517.

« On doit regarder comme un bien que chacun puisse proposer tout ce qu’il
regarde comme utile au bien public, et qu’il est bon également qu’il soit permis
de dire librement son avis sur ce que l’on propose, afin que le peuple, éclairé
par cette discussion, puisse adopter le parti qu’il regarde comme le meilleur. »

« L’esclavage est une chose tellement funeste. »

« Quiconque étudie les événements contemporains et ceux qui se sont passés


dans l’antiquité, s’aperçoit sans peine que les mêmes désirs et les mêmes
passions ont régné et règnent encore sous tous les gouvernements et chez tous
les peuples. Il est donc facile pour celui qui approfondit les événements du passé
de prévoir ceux que l’avenir réserve à chaque État, d’y appliquer les remèdes
dont usaient les anciens, ou, s’il n’en existe pas qui aient été employés, d’en
imaginer de nouveaux d’après la similitude des événements. Mais comme on
néglige ces observations, ou que celui qui lit ne sait point les faire, ou que s’il
les fait, elles restent inconnues à ceux qui gouvernent, il en résulte que les
mêmes désordres se renouvellent dans tous les temps. »

« Un peuple qui commande, sous l’empire d’une bonne constitution, sera aussi
stable, aussi prudent, aussi reconnaissant qu’un prince ; que dis-je ? il le sera
plus encore que le prince le plus estimé pour sa sagesse. […] Et l’on verra
combien la vertu et la gloire des peuples l’emportent sur celles des princes. »

« On sent aisément d’où naît chez les peuples l’amour de la liberté, parce que
l’expérience nous prouve que les cités n’ont accru leur puissance et leurs
richesses que pendant qu’elles ont vécu libres. […] Il est évident que l’intérêt
commun n’est respecté que dans les républiques : tout ce qui peut tourner à
l’avantage de tous s’exécute sans obstacle ; et s’il arrivait qu’une mesure pût
être nuisible à tel ou tel particulier, ceux qu’elle favorise sont en si grand
nombre, qu’on parviendra toujours à la faire prévaloir, quels que soient les
433
obstacles que pourraient opposer le petit nombre de ceux qu’elle peut blesser.
»

« Cette morale nouvelle [le christianisme] a rendu les hommes plus faibles, et a
livré le monde aux scélérats audacieux. Ils ont senti qu’ils pouvaient sans
crainte exercer leur tyrannie, en voyant l’universalité des hommes disposés,
dans l’espoir du paradis, à souffrir tous leurs outrages plutôt qu’à s’en
venger. »

« Il est nécessaire de changer avec les temps, si l’on veut toujours avoir la
fortune propice. […] Deux raisons s’opposent à ce que nous puissions ainsi
changer : l’une est que nous ne pouvons vaincre les penchants auxquels la
nature nous entraîne ; l’autre, que quand une manière d’agir a souvent réussi à
un homme, il est impossible de lui persuader qu’il sera également heureux en
suivant une marche opposée. De là naît que la fortune d’un homme varie, parce
que la fortune change les temps, et que lui ne change point de conduite. »

« Les tyrans que favorise la multitude, et qui n’ont d’ennemis que la noblesse,
jouissent d’une bien plus grande sécurité, parce que leur violence est soutenue
par de plus grandes forces que ceux qui n’ont d’appui contre l’inimitié du
peuple que l’amitié de la noblesse. »

« Souvent le peuple désire sa ruine, trompé par la fausse apparence ; et rien


n’est plus facile que de l’entraîner par de vastes espérances et des promesses
éblouissantes. »

« On pourrait prouver longuement combien les fruits que produit la pauvreté


sont supérieurs à ceux de la richesse ; et comment la première a honoré les
républiques, les royaumes, les religions mêmes, tandis que l’autre a été cause de
leur perte, si ce sujet n’avait été traité un grand nombre de fois par d’autres
écrivains. » -Nicolas Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live.

« Partout où il faut délibérer sur un parti d’où dépend uniquement le salut de


l’État, il ne faut être arrêté par aucune considération de justice ou d’injustice,
d’humanité ou de cruauté, de gloire ou d’ignominie ; mais, rejetant tout autre
parti, ne s’attacher qu’à celui qui le sauve et maintient sa liberté. » » -Nicolas
Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, Livre III, chapitre
XLI.

434
« Il considère les forces existantes comme étant toujours vivantes, actives,
calcule les chances de succès avec la puissance et l’autorité du génie, et ne
cherche ni à se tromper lui-même, ni à tromper les autres. On ne trouve chez lui
pas la moindre trace de vanité ou de suffisance […]. Chez lui, le danger de
suivre une mauvaise voie ne vient jamais d’une fausse prétention au génie ou de
ce qu’il se trompe dans ses déductions, mais de ce qu’il est entraîné par une
imagination ardente, qu’il ne gouverne qu’avec peine. Sans doute son
objectivité politique est parfois effrayante dans sa sincérité, mais elle est née à
une de ces époques de crises dangereuses où les hommes ne croient plus guère
au droit et ne peuvent plus supposer la justice. […] Machiavel était du moins
capable de s’oublier lui-même dans les faits. […] Quelque léger qu’il fût, à
l’exemple de la plupart de ses contemporains, dans sa conduite et dans son
discours, le salut de l’Etat n’en était pas moins sa pensée dominante. » -Jacob
Burckhardt.

« Les fondateurs de la science sociale, de Machiavel à Rousseau jusqu'à


Comte. » -Marcel Mauss, La nation ou le sens du social, PUF / Humensis, coll.
Quadrige, 2018 (2013 pour la première édition), 404 pages, p.51.

« Avec Machiavel, nous sommes vraiment dans un autre monde. Le Moyen Age
est mort ; bien plus, c’est comme s’il n’avait jamais existé. Tous ses problèmes :
Dieu, salut, rapports de l’au-delà et de l’ici-bas, justice, fondement divin de la
puissance, rien de tout cela n’existe pour Machiavel. Il n’y a qu’une réalité,
celle de l’Etat, il y a un fait, celui du pouvoir. Et un problème : comment
s’affirme et se conserve le pouvoir de l’Etat. L’immoralisme de Machiavel, c’est
seulement de la logique. Du point de vue où il s’est placé, la religion et la
morale ne sont que des facteurs sociaux. Ce sont des faits qu’il faut savoir
utiliser, avec lesquels il faut compter. C’est tout. » -Alexandre Koyré, Etudes
d’histoire de la pensée scientifique, Paris, P.U.F., 1966, p. 11.

« Machiavel regarde le combat politique comme un jeu d'échecs. » -Ernst


Cassirer, Le Mythe de l'État.

« Machiavel marque imperturbablement la séparation entre la politique et la


morale. Il sous-entend partout : la morale fait un, et la politique fait deux. Nulle
part il ne dit qu’il est bien qu’il en soit ainsi, mais il constate qu’il en est ainsi ;
puis, l’ayant constaté, il n’essaye pas de se duper et de nous duper, il s’en
garde, au contraire, et il nous en garde. Il déclare d’une voix tranquille : « Cela

435
veut du sang, cela veut du fer, » comme le chimiste, pour pousser la
comparaison, déclare, sans s’en réjouir ni s’en affliger : « Ceci est du vitriol, »
ou : « Ceci est du sucre. » En Machiavel, aucune hypocrisie ; il n’a de
scandaleux, et de presque effrayant parfois, que sa sincérité. » -Charles Benoist,
Machiavel et le Machiavélisme (1906).

"Machiavel a la luminosité de l'Antiquité." (Printemps 1884. 25 [38], p.32)


-Friedrich Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes, X, Fragments
posthumes. Printemps-automne 1844, Gallimard, NRF, 1982, 386 pages.

« Mais comment la langue allemande, même dans la prose d’un Lessing,


pourrait-elle imiter l’allure d’un Machiavel qui dans son Prince nous fait
respirer l’air sec et subtil de Florence et ne peut s’empêcher d’exposer les
questions les plus graves à une impétueuse allure d’allegrissimo, non peut-être
sans un malin plaisir à oser ce contraste : des pensées longues, lourdes,
dangereuses, sur un rythme de galop de la plus insolente bonne humeur. »

-Nietzsche, Par-delà Bien et Mal, 1886.

« Le style de Machiavel n'est pas celui d'un écrivain qui écrit un traité en forme
de système, comme en connaissaient le Moyen Age et l'Humanisme, bien au
contraire. C'est le style d'un homme d'action, de quelqu'un qui veut pousser à
l'action, c'est le style propre au « manifeste » d'un parti. […] On peut donc
penser que Machiavel a en vue ceux « qui ne savent pas », qu'il entend faire
l'éducation politique de ceux « qui ne savent pas », non pas l'éducation politique
négative des hommes qui haïssent les tyrans, comme semblerait l'entendre
Foscolo, mais l'éducation positive de ceux qui doivent reconnaître comme
nécessaire l'emploi de moyens déterminés, même s'ils appartiennent aux tyrans,
parce qu'ils veulent des fins déterminées.

[…] Qui est-ce donc « qui ne sait pas ? » La classe révolutionnaire du temps, le
« peuple » et la « nation » italienne, la démocratie des villes. […]Le
machiavélisme a servi à améliorer la technique politique traditionnelle des
groupes dirigeants conservateurs, aussi bien que la politique de la philosophie
de la praxis ; cela ne doit pas dissimuler son caractère essentiellement
révolutionnaire, qui est senti aujourd'hui encore, et qui explique tout l'anti-
machiavélisme. » -Antonio Gramsci, Carnets de Prison.

436
« [La réinscription du geste politique dans la contingence du devenir
historique] confère à la pensée machiavélienne une dimension tragique.

[…] Dans cette perspective, l’expression « politique du Centaure » désigne ce


qui nous semble être la réponse suggérée par Machiavel afin d’assumer le
caractère tragique de l’histoire, tout en combattant certaines de ses
conséquences dont l’impact serait le plus négatif sur l’intelligence de l’action et
sur l’expression de la liberté. Cette tentative peut à certains égards passer pour
désespérée ou surhumaine, en tout cas elle nous éloigne considérablement de ce
qui paraît humainement normal, ou politiquement raisonnable. Telle que nous
l’entendons, elle coordonne la tentative d’ériger les conditions d’une nouvelle
compréhension de la politique, une théologie politique originale et la
revendication d’un ethos de la férocité d’une portée probablement inouïe dans
l’histoire des idées morales et politiques, et dont on reconnaîtra sans peine
qu’elle a peu d’équivalents dans notre tradition culturelle. » (p.13-14)

« Sa théologie politique, de même que l’ethos de la férocité, peuvent


légitimement être qualifiés de païens. » (p.18)

« Il n’y a pas eu qu’un seul « moment machiavélien », mais plusieurs, et fort


différents les uns des autres. » (p.28)

« Nier le fait que Machiavel délivre un message plus que préoccupant, car
moralement scandaleux et métaphysiquement angoissant, serait aller contre le
bon sens. » (p.31)

"Machiavel et Montaigne adoptent une manière de se positionner vis-à-vis de la


tradition classique qu'on retrouve certes chez d'autres auteurs au XVIe siècle,
mais d'une manière moins claire et surtout bien moins profonde que dans leurs
œuvres: ils remettent en question la magistralité des classiques, tout en laissant
planer un doute aussi inquiétant que stimulant quand à la possibilité de
constituer leur propre œuvre comme la source indiscutable d'une nouvelle
autorité." (p.36)

"La question politique dans les œuvres de Machiavel et de Montaigne est


motivée par un contexte historique spécial. Ce contexte est pour Machiavel celui
d'une invasion de l'Italie qui révèle l'inexistence de la nation italienne (doublée
d'un cuisant échec pour Florence et son modèle civique), et, pour Montaigne,
celui de la suite des guerres civiles en France qu'on a nommées "guerres de

437
religion". Le caractère dramatique de ce contexte conduit les deux auteurs à se
tourner vers les sources anciennes dans un double but: (1) y puiser des modes
d'intelligence de la politique, (2) y découvrir un modèle pour une vie commune
renouvelée, en interrogeant la possibilité de la concorde ou de la vie commune
harmonieuse souvent vantées par les Anciens." (p.36-37)

-Thierry Ménissier, Machiavel ou la politique du centaure, Hermann Éditeurs,


coll. Hermann Philosophie, 2010, 547 pages.

« Il existe dans notre histoire politique un type d'événement pour lequel la


notion de fondation est décisive, et il y a dans notre histoire de la pensée un
penseur politique dans l'œuvre duquel le concept de fondation est central, sinon
suprême. Ces événements sont les révolutions de l'époque moderne, et ce
penseur est Machiavel, qui apparut au seuil de cette époque et, bien qu'il
n'employât jamais le mot, fut le premier à se représenter une révolution.
La position unique de Machiavel dans l'histoire de la pensée politique a peu à
faire avec son réalisme souvent loué mais nullement indiscutable, et il ne fut
certainement pas le père de la science politique, rôle qu'on lui attribue
fréquemment aujourd'hui. (Si l'on comprend par science politique la théorie
politique, son père est certainement Platon plutôt que Machiavel. Si l'on insiste
sur le caractère scientifique de la science politique, il n'est pas possible de dater
sa naissance plus tôt que l'apparition de toute la science moderne, aux XVIème
et XVIIème siècle. A mon avis, on exagère grandement en général le caractère
scientifique des théories de Machiavel.) Son indifférence à l'égard des jugements
moraux et son absence de préjugés sont assez étonnants, mais ils ne constituent
pas l'essentiel de l'affaire ; ils ont davantage contribué à sa réputation que la
compréhension de ses œuvres, parce que la plupart de ses lecteurs, alors comme
aujourd'hui, étaient trop choqués pour le lire comme il fallait. En affirmant que
dans le domaine publico-politique les hommes devaient apprendre à "pouvoir
n'être pas bons" [Le Prince, chap. XV], il n'a jamais voulu dire, bien sûr, qu'ils
devraient apprendre à être mauvais. Après tout, il n'y guère d'autre penseur
politique qui ait parlé avec un mépris aussi véhément des "moyens [par
lesquels] on peut conquérir quelque Seigneurie non la gloire". La vérité est
seulement qu'il s'opposa seulement aux deux concept du bien que nous trouvons
dans notre tradition: le concept grec du "bon pour" ou de la convenance, et le
concept chrétien d'une bonté absolue qui n'est pas de ce monde. A son avis, ces
deux concepts avaient du sens, mais seulement dans la sphère privée de la vie
humaine ; dans le domaine public de la politique, ils n'avaient pas plus leur
438
place que leurs opposés, l'inadéquation ou l'incapacité et le mal. La virtù,
d'autre part, qui est selon Machiavel la qualité humaine spécifiquement
politique, n'a ni la connotation morale de la virtus romaine, ni le sens d'une
excellence moralement neutre comme l'aretè grecque. La virtù est la réplique de
l'homme au monde, ou plutôt la constellation de la fortuna où le monde s'ouvre,
se présente et s'offre à lui, à sa virtù ; leur jeu indique une harmonie entre
l'homme et le monde -qui jouent l'un avec l'autre et triomphent ensemble- qui est
aussi éloignée de la sagesse de l'homme d'Etat que de l'excellence, morale ou
autre, de l'individu, et de la compétence des spécialistes.
Son expérience des luttes de son temps enseigna à Machiavel un mépris profond
pour toutes les traditions, chrétienne et grecque, telles qu'elles étaient
présentées, nourries et réinterprétées par l'Église. Son mépris visait une Église
corrompue qui avait corrompu la vie politique de l'Italie, mais il argua que cette
corruption était inévitable à cause du caractère chrétien de l'Église. Ce dont il
était témoin, après tout, n'était pas seulement la corruption mais aussi la
réaction contre la corruption, le renouveau profondément religieux et sincère
qui partait des franciscains et des dominicains, et culminait dans le fanatisme de
Savonarole qu'il respectait énormément. Son respect pour ces forces religieuses
en même temps que son mépris pour l'Église le conduisirent à conclure avec
certitude à un désaccord fondamental entre la foi chrétienne et la politique qui
rappelle étrangement les premiers siècles de notre ère. Pour lui le point décisif
était que tout contact entre la religion et la politique doit corrompre les deux, et
qu'une Église non corrompue, bien que considérablement plus respectable,
serait encore plus destructrice pour le domaine public que l'Église corrompue
d'alors. Ce qu'il ne vit pas, et peut-être ne pouvait pas voir à son époque, était
l'influence romaine sur l'Église catholique, qui était sans doute beaucoup moins
visible que son contenu chrétien et son cadre théorique grec.
Ce furent plus que le patriotisme et que le renouveau courant de l'intérêt pour
l'Antiquité qui firent rechercher à Machiavel les expériences politiques centrales
des Romains telles qu'elles avaient été originellement présentées, à une égale
distance de la piété chrétienne et de la philosophie grecque. La grandeur de
cette redécouverte réside dans le fait qu'il n'a pas pu se borner à ranimer ou
réutiliser une tradition conceptuelle explicite, mais a dû lui-même articuler les
expériences que les Romains n'avaient pas conceptualisées à cette intention. Il
vit que le tout de l'histoire et de la mentalité romaines reposait sur l'expérience
de la fondation, et il crut qu'il serait possible de répéter l'expérience romaine
par la fondation d'une Italie unifiée qui devait devenir la même pierre angulaire
439
sacrée d'un corps politique "éternel" pour la nation italienne que la fondation
de la Cité éternelle l'avait été pour le peuple italique. Le fait qu'il ait été
conscient de percevoir en son temps les signes avant-coureurs de la naissance
des nations et du besoin d'un nouveau corps politique, pour lequel il employa le
terme jusque-là inconnu: lo stato, l'a fait reconnaître généralement à juste titre
comme le père de l'Etat-Nation moderne et de sa notion de "raison d'Etat". Ce
qui est plus frappant encore, quoique moins connu, est que Machiavel et
Robespierre semblent si souvent parler le même langage. Quand Robespierre
justifie la terreur, "despotisme de la liberté contre la tyrannie", il semble parfois
être en train de répéter presque mot pour mot les célèbres thèses de Machiavel
sur la nécessité de la violence pour la fondation de nouveaux corps politiques et
pour la réforme des corps politiques corrompus.
La ressemblance est d'autant plus saisissante qu'à la fois Machiavel et
Robespierre vont à cet égard au-delà de ce que les Romains eux-mêmes eurent à
dire sur la fondation. Certes, le lien entre la fondation et la dictature pouvait
être appris des Romains eux-mêmes, et Cicéron, par exemple, invite
explicitement Scipion à devenir dictator rei publicae constituendae, à prendre la
dictature afin de redresser la République [De re publica, VI, 12]. Comme les
Romains, Machiavel et Robespierre pensaient que la fondation était l'action
politique centrale, le grand acte unique qui établissait le domaine publico-
politique et rendait la politique possible ; mais à la différence des Romains pour
lesquels il s'agissait d'un événement du passé, ils pensaient que pour cette "fin"
suprême tous les "moyens", et principalement le moyen de la violence, étaient
justifiés. Ils comprenaient l'acte de la fondation entièrement à l'image de la
fabrication ; la question pour eux était à la lettre: comment "faire" une Italie
unifiée ou une République française, et leur justification de la violence
s'orientait et recevait sa plausibilité de cet argument implicite: on ne fait de
table sans tuer des arbres, on ne fait pas d'omette sans casser des œufs, on ne
peut faire une république sans tuer des gens. A ce point de vue, qui devait
devenir si décisif pour l'histoire des révolutions, Machiavel et Robespierre
n'étaient pas des Romains, et l'autorité qu'ils auraient pu invoquer aurait plutôt
été Platon, qui recommandait aussi la tyrannie comme le gouvernement où "le
changement est susceptible d'être le plus facile et le plus rapide" [Les Lois].
C'est précisément à ce double point de vue, à cause de sa redécouverte de
l'expérience de la fondation et de la réinterprétation qu'il en a fait comme
justification des moyens (violents) pour une fin suprême, que Machiavel peut
être considéré comme l'ancêtre des révolutions modernes, qui peuvent toutes
440
être caractérisées par la remarque de Marx selon laquelle la Révolution
française est apparue sur la scène de l'histoire en vêtement romain. A moins de
reconnaître qu'elles ont été inspirées par le pathos romain de la fondation, il me
semble qu'on ne peut comprendre proprement ni la grandeur ni la tragédie des
révolutions occidentales à l'époque moderne. Car si j'ai raison de soupçonner
que la crise du monde d'aujourd'hui est essentiellement politique, et que le
fameux "Déclin de l'Occident" consiste essentiellement dans le déclin de la
trinité romain de la religion, de la tradition et de l'autorité, et dans la
dégradation concomitante des fondations spécifiquement romaines du domaine
politique, alors les révolutions de l'époque moderne apparaissent comme des
tentatives gigantesques pour réparer ces fondations, pour renouer le fil rompu
de la tradition, et pour rétablir, en fondant de nouveaux corps politiques, ce qui
pendant tant de siècles a donné aux affaires des hommes dignité et grandeur. »

-Hannah Arendt, Qu'est-ce que l'autorité ?, in La Crise de la Culture. Huit


exercices de pensée politique, 1961, repris dans Hannah Arendt. L'Humaine
Condition, Gallimard, coll. Quarto, 2012, 1050 pages, p.713-716.

« Machiavel ne propose pas une théorie politique, aussi sympathique


qu’arbitraire et illusoire soit-elle, comme le font généralement les utopistes : il
définit une politique pour temps de crise, quand l’ancien est mort mais se refuse
à mourir et quand le nouveau est urgent mais semble ne pas pouvoir advenir. »

« Machiavel est témoin et acteur d’un bouleversement historique fondamental.


Le monde moderne accouche dans la douleur. Le 29 mai 1953, la chute de
Constantinople signe l’acte de décès ultime –ultime car il y en eut bien d’autres
avant –de l’Empire romain. En 1492, Cristofore Colombo, marin génois à la
tête d’une flotte espagnole, débarque sur une île des Caraïbes et inaugure une
nouvelle ère.

Mais pour que le nouveau puisse naître, il faut faire mourir l’ancien afin de
sauver ce qu’il a fait éclore. Entre la descente des armées de Charles VIII en
Italie (1494) et le sac de Rome par les troupes de Charles Quint (1527), c’est le
féodalisme qui va s’effondrer, et avec lui les communes libres d’Italie, laissant
place aux grands Etats centralisés et à l’absolutisme…sauf dans la povera Italia.
Pour l’histoire italienne, c’est le moment où les choses sont perdues. Du point
de vue de Machiavel comme de ses contemporains, il y a un ante res perditas et
un post res perditas. A Florence, la rupture s’opère en 1512, moment du retour

441
des Médicis et de la fin de la République florentine, qui contraindra Machiavel
à se retirer de la politique active, le poussant à rédiger ses grandes œuvres.
L’homme d’action se fait théoricien. La conscience, en effet vient toujours après
coup. Et trop tard. »

« Aussi attaché soit-il à sa petite patrie, la république de Florence, c’est


d’abord en tant qu’Italien que réfléchit Machiavel et c’est autour de l’unité
italienne qu’il ordonne sa pensée politique –même si, dans son esprit, Florence
doit jouer un rôle moteur dans ce processus. Et aussi divisés qu’aient été les
Italiens, ils ne s’en sont pas moins toujours pensés comme les membres d’une
même nation. Mais Machiavel introduit une nouveauté capitale : cette nation
doit devenir un Etat. » -Denis Collin, Comprendre Machiavel.

« Machiavel […] n’emploie jamais le langage des droits ; il s’en tient toujours à
décrire la jouissance de la liberté individuelle comme l’un des profits ou
bénéfices qui découlera de la vie sous un gouvernement bien ordonné. » -
Quentin Skinner, La liberté avant le libéralisme, Seuil, coll. Liber, 2000 (1998
pour la première édition anglaise), 131 pages, p.22.

« Machiavel pose l’idée que l’homme ne peut se réaliser pleinement qu’en tant
que citoyen d’une république. Aimer sa patrie plus que son âme veut dire être
prêt à perdre son âme par les canons de la cause de Dieu afin de s’accomplir
pleinement comme homme dans la société particulière. » -Jean Leca, in
L’exception dans tous ses états, Éditions Parenthèses, coll. « Savoir à l’œuvre »,
p.90.

« Il n'est pas un penseur sceptique, il appartient à la Renaissance qui prouve


par et dans ses œuvres que l'homme peut faire quelque chose. Mais pourquoi
l'homme, qui peut donner tant de sens à tant de choses, se révèle-t-il incapable
de donner un sens à son existence ? Machiavel n'a cessé d'être étonné de la
chose. » -Alexis Philonenko, Essai sur la philosophie de la guerre, Librairie
philosophique J. Vrin, 2003.

« Un peu comme Bernard Mandeville, Machiavel a l’immense mérite de nous


montrer que la politique n’est jamais fondée sur de bons sentiments. Machiavel,
c’est avant l’heure l’anti-Rousseau. Alors que celui-ci glorifie la scène politique
et ceux qui l’incarnent, alors qu’il n’hésite pas à confier à ces derniers jusqu’à
l’exercice de la liberté individuelle de chacun, muée par le contrat social en
liberté politique, Machiavel, lui, montre que la politique est fondée sur le mal,
442
que le Prince ne suit que son intérêt bien compris, qu’il peut user de fourberie,
ourdir des complots, s’entourer d’aigrefins et cent fois renier sa parole. Qu’il le
doit, même, s’il veut se maintenir sur son trône. Machiavel fait tomber le Prince,
le politique et les hommes de l’État de leur piédestal. Ceux qui réussissent en
politique sont loin d’être les meilleurs ; ce sont les plus fourbes, les plus
malhonnêtes, les plus vicieux.

Mais ce n’est pas tout. Machiavel a aussi, selon le mot de Pierre Manent, fait «
tomber le mur théologico-politique ». Cela signifie que la Cité, c’est-à-dire la
sphère politique, a depuis l’Antiquité été perçue comme le seul lieu dans lequel
l’homme peut accomplir ses vertus, civiques et morales. Que c’est dans la Cité
que l’homme peut manifester son excellence.

Saint Thomas d’Aquin, en « redécouvrant » Aristote quinze siècles plus tard, fait
de la pensée antique le bras armé de Dieu. Thomas prolonge Aristote. Si la Cité
incarne le bien commun, dit-il, alors le bien qu’apporte l’Église est d’une nature
supérieure, vient se surajouter et s’imposer à la Cité. Le bien « civil » de la Cité
est en quelque sorte subordonné au bien ontologique de l’Église. À la Cité «
civile », l’Église apporte la Cité de Dieu.

D’autres auteurs, par exemple Dante ou Marsile de Padoue, redécouvrent


également, et à la même époque, Aristote, mais dans un sens qui cherche, lui, à
contenir le pouvoir régulier. Ils objectent à l’Église l’existence d’une nature, qui
dispose de droits opposables au bien civil et religieux. Certes. Mais l’objection
est bien timide, et ne tient pas un instant face à la toute-puissance de l’Église,
qui a, grâce au thomisme triomphant, et aussi au plenitudo potestatis des Papes,
recouvert d’un voile épais l’ensemble du champ du religieux et du politique.
Elle dispose des glaives spirituel et temporel. Innocent III en est le héraut.

Machiavel est le premier à s’opposer frontalement à cette doctrine. Il


ambitionne d’opposer à la monarchie pontificale des droits profanes, qu’il puise
dans la nature.

Pour y parvenir, Machiavel se fait l’anti-Aristote, comme Nietzsche se voudra


plus tard l’antéchrist. Loin de considérer la Cité selon sa finalité, la recherche
du bien commun, Machiavel la regarde telle qu’elle est, sans ambages, ni
fioritures. Il braque la lumière crue des lampes de flics des vieux polars sur les
révolutions, les changements de régime, les mensonges, les complots, les
manipulations, les intrigues. Il fait perdre au lecteur toute innocence. Il ne
443
cherche pas à faire tomber la distinction entre le bien et le mal, à imaginer un
au-delà au bien et au mal, là encore comme le tentera Nietzsche trois siècles
plus tard. Il n’efface pas du tout la distinction entre le bien et le mal. Il la
préserve au contraire. Car son propos se veut bien plus scandaleux : le bien,
pour le Prince, n’a rien à voir avec le bien collectif ou l’intérêt général. Non, le
bien, pour le Prince, est le fruit du mal. Et exclusivement le fruit du mal.

Par conséquent, dit Machiavel, il est parfaitement absurde de chercher à


améliorer ou à perfectionner le « bien » de la Cité. C’est tout à fait impossible.
Qu’il s’agisse de faire appel à un bien supérieur que la religion se chargerait
d’apporter, ou qu’il s’agisse de faire appel à un quelconque contrat social,
comme ce sera le cas quelques années après la mort de Machiavel, avec
Hobbes, puis Rousseau. » -Interview avec Copeau, par Grégoire Canlorbe, 13
janvier 2016.

« Si Machiavel a quasiment l’intuition du conatus, il n’en a pas le concept. Mais


c’est qu’il n’a pas pour projet de déployer un appareil philosophique. Et il faut
suivre ici l’interprétation de Gramsci pour qui Machiavel ne propose pas un
système, ni n’écrit un Traité : il lance un Manifeste. » -Frédéric Lordon,
Métaphysique des Luttes.

« Aujourd’hui, nous avons mille raisons de le lire, bien que nous soyons loin de
Florence et de la Renaissance. Nous aussi vivons dans le tumulte et les
désordres, les fragmentations, les conflits, le chaos politique. Nous aussi
traversons des temps incertains sans être assurés qu’existe un horizon de
l’Histoire ou même une issue de secours. Nous aussi avons sous les yeux des
bandes armées, des fanatiques, des dirigeants falots, des conflits d’intérêts
innombrables. Autant de motifs de retrouver, à notre tour, sous les légendes du
« machiavélisme », le fin tranchant de Machiavel. » -Roger-Pol Droit,
Machiavel. L’art de la manipulation, Le Point, n°2182, jeudi 10 juillet 2014,
p.42-49.

« Ce bref essai, qui lui a valu sa célébrité, n’a pas grand-chose de


spectaculaire. Il n’a rien de ce qui a rendu célèbres d’autres penseurs : ni la
profondeur et la noblesse des dialogues platoniciens, ni l’érudition systématique
des livres d’Aristote. Ce n’est pas un vaste document sur la transformation
politique de l’esprit religieux, comme la Civitas Dei de saint Augustin. Il n’a
rien de sensationnel ni de brillant, rien non plus de doctement profond, il ne

444
contient ni théorie politique nouvelle ni nouvelle philosophie de l’histoire. On le
blâme comme particulièrement immoral à cause de quelques lignes sur la
nécessité politique de violer des traités et d’affecter la piété. Mais même cette
« immoralité » n’est pas ostentatoire et ne se prétend pas moralement
signifiante. Elle reste modeste et objective, sans rien d’enthousiaste ni de
prophétique comme l’immoralisme de Nietzsche. […] Son naturel littéraire ne
fait qu’exprimer un intérêt non dissimulé pour le sujet, intérêt qui amène cet
homme à voir politiquement les choses politiques, sans pathos moraliste, ni
affectation d’immoralisme. » -Carl Schmitt, « Machiavelli » (1927), in Staat,
Grobraum, Nomos.

« Ce ne sont point Hippocrate ni Machiavel qui ont introduit les maladies, l’un
dans le corps humain, l’autre dans le gouvernement : elles existaient avant eux ;
mais lorsqu’on voit qu’ils ne font que les découvrir, on est forcé de convenir que
tout ce qu’ils ont fait ne tend pas à les augmenter, mais à les guérir ; ce qui est
le véritable but de ces deux auteurs. » -James Harrington, Aphorismes
politiques, Chapitre X, De l’administration du Gouvernement, ou de la raison
d’Etat, principe 22.

« Inspirée par l’excellence politique romaine, la démarche de Machiavel


consiste donc à étudier le présent en parallèle avec le passé, et à chercher au
sein de l’histoire des remèdes universels et atemporels. Elle repose
indirectement sur une confiance en la permanence de la nature humaine. […]
La constance de la nature humaine […] est le pilier central d’une philosophie
politique qui croit pouvoir appliquer « les remèdes » du passé aux crises du
présent. » -Vanessa de Senarclens, Montesquieu, historien de Rome - Un
tournant pour la réflexion sur le statut de l'histoire au XVIIIème siècle, Genève,
Librairie Droz S.A, 2003, p.28.

« Ce qui fait qu'on ne comprend pas Machiavel, c'est qu'il unit le sentiment le
plus aigu de la contingence ou de l'irrationnel dans le monde avec le goût de la
conscience ou de la liberté dans l'homme. Considérant cette histoire où il y a
tant de désordres, tant d'oppressions, tant d'inattendu et de retournements, il ne
voit rien qui la prédestine à une consonance finale. Il évoque l'idée d'un hasard
fondamental, d'une adversité qui la déroberait aux prises des plus intelligents et
des plus forts. Et s'il exorcise finalement ce malin génie, ce n'est par aucun
principe transcendant, mais par un simple recours aux données de notre
condition. Il écarte du même geste l'espoir et le désespoir. S'il y a une adversité,
445
elle est sans nom, sans intentions, nous ne pouvons trouver nulle part d'obstacle
que nous n'ayons contribué à faire par nos erreurs ou nos fautes nous ne
pouvons limiter nulle part notre pouvoir. Quelles que soient les surprises de
l'événement, nous ne pouvons pas plus nous défaire de la prévision et de la
conscience que de notre corps. " Comme nous avons un libre arbitre, il faut, il
me semble, reconnaître que le hasard gouverne la moitié ou un peu plus de la
moitié de nos actions, et que nous dirigeons le reste. " Même si nous venons à
supposer dans les choses un principe hostile, comme nous ne savons pas ses
plans, il est pour nous comme rien: " Les hommes ne doivent jamais
s'abandonner; puisqu'ils ne savent pas leur fin et qu'elle vient par des voies
obliques et inconnues, ils ont toujours lieu d'espérer, et, espérant, ne doivent
jamais s'abandonner, en quelque fortune et en quelque péril qu'ils se trouvent. "
Le hasard ne prend figure que lorsque nous renonçons à comprendre et à
vouloir. (. . .)

Si l'on appelle humanisme une philosophie de l'homme intérieur qui ne trouve


aucune difficulté de principe dans ses rapports avec les autres aucune opacité
dans le fonctionnement social, et remplace la culture politique par l'exhortation
morale, Machiavel n'est pas humaniste. Mais si l'on appelle humanisme une
philosophie qui affronte comme un problème le rapport de l'homme avec
l'homme et la constitution entre eux d'une situation et d'une histoire qui leur
soient communes, alors il faut dire que Machiavel a formulé quelques conditions
de tout humanisme sérieux. Et le désaveu de Machiavel, si commun aujourd'hui,
prend alors un sens inquiétant: ce serait la décision d'ignorer les tâches d'un
humanisme vrai. Il y a une manière de désavouer Machiavel qui est
machiavélique, c'est la pieuse ruse de ceux qui dirigent leurs yeux et les nôtres
vers le ciel des principes pour les détourner de ce qu'ils font. Et il y a une
manière de louer Machiavel qui est tout le contraire du machiavélisme
puisqu'elle honore dans son œuvre une contribution à la clarté politique. »

-Maurice Merleau-Ponty, Éloge de la philosophie, Paris, Ed. Gallimard, 1989,


pp. 363-364 et 375-376.

« Machiavel était sans aucun doute un grand génie ; mais comme il borna son
étude aux gouvernements violents et tyranniques de l’Antiquité, ou aux petites
principautés de l’Italie alors en proie au désordre, ses raisonnements se sont
montrés fautifs à l’extrême, surtout quand ils touchent au gouvernement
monarchique, et l’on ne trouve presque aucune maxime dans son Prince qui
446
n’ait été entièrement réfutée par l’expérience ultérieure. » -David Hume, De la
liberté civile, 1741, in Essais moraux, politiques et littéraires, et autres essais,
PUF, coll. « Perspectives anglo-saxonnes », trad. Gilles Robel, 2001, 874 pages,
p.227.

« Dans Le Prince il s’agit, en quelque sorte, de fonder une Italie unifiée, et forte.
Il ne faut pas oublier les circonstances dans lesquels écrits Machiavel, c’est-à-
dire les déchirements, les divisions de l’Italie dans des tas de petites
principautés ; conflits de pouvoir, des violences absolument extraordinaires. Et
Machiavel essaye ici de fonder une Italie libre, unifiée et forte. Donc on peut
dire que Le Prince, c’est le livre, je dirais, de la fondation politique. Et
Machiavel n’ignore pas que le moment de la fondation politique est un moment
qui est très souvent entaché de violence. » -Myriam Revault d'Allonnes, in
Nicolas Machiavel, storico, comico e tragico, France culture, 10 avril 2008.

« Dans Le Prince, Machiavel conduit la logique naturaliste jusque dans les


pratiques politiques de la noblesse italienne. En énonçant les règles de survie,
de conservation et d'expansion d'un royaume, sous le seul angle des intérêts du
monarque, l'ouvrage peut choquer la morale chrétienne. Cela ne devrait pas car
il ne renie absolument pas l'intérêt de la religion, mais ôte le vernis des
justifications pieuses. La religion et ses croyances sont utiles au Prince pour
contrôler la multitude de ses sujets ; lui-même doit donner l'impression d'être le
plus fidèle des croyants, même si à l'occasion il peut aller contre la religion
pour défendre ses intérêts. L'essentiel est de paraître irréprochable, pour garder
l'estime du peuple.
Le pouvoir politique et la volonté de puissance du Prince sont donc considérés
comme des fins en soi du gouvernement des hommes. Ce point de vue déroge
aux principes religieux, pour qui la légitimité du pouvoir provient d'une
représentation du divin sur Terre par la noblesse. Machiavel naturalise, à son
tour, l'origine du pouvoir politique: elle n'a de source que l'ambition et la
volonté du Prince, qui se sert à l'occasion de la justification divine devant le
peuple, mais qui ne doit sa position qu'au destin ("la fortune") et ses qualités
personnelles ("la virtù"). Le pouvoir devient lui aussi une totalité
compréhensible par elle-même ; ce n'est plus la divinité qui procure le
commandement, mais le noble qui saisit l'opportunité de réaliser ses ambitions.
Le désir d'émancipation suit ici une courbe semblable à celle observée dans les
sciences et la philosophie, car elles ont le même moteur historique et social:

447
l'agonie de la féodalité. » -Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies
matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.221.

« Machiavel avec son rationalisme impitoyable considéra comme sa tâche


propre de rapporter les variations des opinions des hommes aux variations
correspondantes de leurs intérêts. […] Il semble y avoir une ligne droite menant
de ce point à l'orientation intellectuelle du monde occidental vers le mode
rationnel et calculateur de pensée caractéristique de la « période des Lumières
». » -Karl Mannheim, Idéologie et utopie. Une introduction à la sociologie de la
connaissance, « Les classiques des sciences sociales », 1929, 116 pages, p.28.

« Marx n’est pas un bon auteur pour former le jugement ; Machiavel vaut
infiniment mieux. » -Simone Weil, Œuvres complètes. Écrits historiques et
politiques, t.II, vol 3 Vers la guerre (1937-1947), p.77.

« Le corps politique est pensée analogiquement par Machiavel avec un corps


vivant et un corps moral. »

« Il y a toujours à la fois une guerre sans fin et un oppresseur et un opprimé. »

-Gérald Sfez, « Machiavel, l'ambiguité et la corruption », Séminaire de


philosophie du droit de l'Institut des Hautes Etudes sur la Justice: la corruption,
maladie politique de la démocratie, 18/11/2013.

« Il est faux que l'ordre social, comme le penseront Machiavel ou Hobbes, soit
un artefact, qu'on ne puisse maintenir la paix sociale que par la contrainte et
une organisation délibérée. » -Philippe Nemo, "Les sources du libéralisme dans
la pensée antique et médiévale", chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.),
Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages,
pp.65-111, p.74.

« Machiavel voulait savoir comment maintenir un État républicain privilégiant


le bien commun. Le bien commun n’est pas un concept utilitariste, tel que
compris par des notions modernes comme les « services d’intérêt général »,
mais la condition morale et politique de la vie publique. Machiavel se voyait
comme un précurseur de la pensée politique et, dans un contexte extrêmement
complexe, comme le fondateur du rétablissement du pouvoir de la raison
humaine dans l’interprétation d’un réel incertain (Discours, I).

448
Pour Machiavel, les hommes ne sont ni bons, ni mauvais : ils aspirent à la
sécurité et à la réalisation personnelle, des objectifs qui ne peuvent être atteints
que par l’union de tous. Le seul intérêt naturel est le bien privé – l’intérêt
public, ou bien commun, la res publica, est une construction politique. Cette
construction varie selon qu’il existe un fondateur, représenté par la figure du
Prince que Machiavel décrit de façon idéale dans « La vie de Castruccio
Castracani », selon que le régime politique est une monarchie ou une
république–qui bâtit les institutions permettant au bien commun d’exister ou
selon qu’il existe un leader politique qui agira comme un refondateur lorsque la
république et le peuple se seront corrompus et ne pourront plus exister. Les
habitudes qui consistent à être bon ne sont pas naturelles, mais doivent être
créées par des institutions instaurées par un fondateur. Machiavel admirait des
fondateurs tels que Lycurgue, qui a apporté à Sparte des institutions de qualité
et stables. Mais il a aussi fait l’éloge de la fondation de la république à Rome,
qui a été créée pas à pas par les luttes entre les nobles patriciens et la plèbe
(Discours, I – VI)."

"Machiavel nous dit que l’on peut instituer une bonne société par la virtù du
dirigeant mais que cela suppose le partage de valeurs civiques par le peuple
(Discours, I XII). Les institutions sont nécessaires pour éduquer aux valeurs
civiques et pour la poursuite de l’idéal de la bonne société lorsque ces valeurs
ne sont plus présentes dans l’esprit du dirigeant et du peuple. « Le Peuple »
(popolo) n’existe qu’en tant qu’ensemble instruit sur le plan politique sous la
direction d’un Prince, un homme à l’intelligence rare qui a l’autorité nécessaire
à la poursuite du bien commun, motivée par la vertu morale, même si (et c’est là
l’héritage de Machiavel le plus souvent mal interprété) il est poussé par son
désir égoïste naturel d’inscrire sa gloire dans l’histoire.

Cette tension entre le peuple et le dirigeant (le Prince) est au centre de la


pensée de Machiavel. Elle ne plaide pas pour une théorie constitutionnelle de la
république puisqu’elle ne raisonne pas en termes d’institutions formelles. Il a
servi une république faible, Florence, qui était censée être l’héritière de la
république romaine et considérait cette faiblesse comme un problème de
caractère : la capacité de la petite et moyenne bourgeoisie à débattre
collectivement au sujet d’affaires publiques et à faire émerger des dirigeants
(Histoire de Florence). Le bien commun est le bien du grand nombre, car si
c’était le bien du petit nombre, il se réduirait à l’intérêt du Prince et de ses
courtisans.
449
Pour résumer : « le bien commun résulte d’une harmonie précaire entre le bien
de la multitude et le bien des grands » (Strauss 1958: 271). Cette harmonie ne
peut être réalisée que dans une république « bien ordonnée » (bene ordinata),
fondée sur une interaction dynamique entre les institutions et les citoyens."

"Machiavel considérait – en prenant pour exemple Piero Soderini, qui était le


dernier dirigeant (faible) de la république florentine, qui n’a pas osé recourir
aux « mauvais moyens » pour préserver le bien commun et a conduit la
république à sa perte – qu’un Prince ne doit pas hésiter à recourir à des moyens
« honorablement mauvais » lorsqu’il s’agit de sauver la république et de
(re)créer des institutions républicaines, même si en agissant ainsi, le Prince
recherche sa propre gloire. Leo Strauss, qui présente Machiavel comme le
premier à avoir abandonné la philosophie classique et comme un « professeur
du mal », dans ses « Pensées sur Machiavel », reconnaît la continuité de sa
pensée avec la philosophie classique mais regrette l’abandon d’une conception
surhumaine de la façon dont l’Homme doit vivre. Sa philosophie construit «
basmais solide », avec pour symbole « l’homme animal par opposition à
l’homme dieu » (1958: 296). Strauss considère que, malgré ce qui fait de
Machiavel un homme de la Renaissance, sa conception de l’homme le rend
moderne. Je ne partage pas son interprétation car j’estime que l’intention de
Machiavel était de concilier la philosophie politique classique et la découverte
du pouvoir de la science et de la technique pour transformer l’état de nature. Je
suis en accord avec ce que dit Pocock au sujet de la conception de la liberté
d’Isaiah Berlin, à savoir que le moment machiavéllien est le tournant décisif
entre l’idée de liberté positive – l’idée républicaine – et celle de liberté négative
– l’idée libérale -, mais que le réel écart dans l’édification du droit naturel
moderne et du droit naturel classique est celui qui sépare Machiavel et Hobbes
qui est, après Giovanni Botero (1589), le père fondateur, le vrai philosophe de
la raison d’état (Pocock, 2003). J’incline à suivre l’interprétation de Claude
Lefort, selon qui, dans un corps politique, le peuple des dépossédés est un
meilleur gardien de la justice et de l’idée de la Bonne société que les
philosophes (comme chez Platon) étant donné qu’il proteste ou se révolte
constamment contre l’ordre dirigeant."

"Dans le contexte d’un monde en évolution, les observateurs politiques ont été
désappointés, actant de leur incapacité à prévoir le cours des événements (lettre
à Vettori, 09.04.1513). Louis XII, le Roi de France, a échoué dans sa tentative
italienne car victime de l’incertitude. En conséquence, la politique a besoin
450
d’une pratique professionnelle qui pourra s’adapter à l’incertitude : la politique
devient un arte dello stato – dont Machiavel déclare qu’il s’agissait de son
unique métier -, une profession organisée, similaire à l’organisation florentine
des tisserands de la laine, l’arte della lana (lettre à Vettori, 10.12.1513)."

"Il doit y avoir rotation parmi les agents de l’État afin d’équilibrer le bien
commun du petit nombre et celui du grand nombre grâce à l’activité civique
directe."

"L’innovation la plus évidente de Machiavel concerne cependant l’intégration


du changement dans la dynamique de la vie républicaine : la république
parfaite (repubblica perfetta) est capable de modifier ses institutions lorsqu’elle
est confrontée à des mutations perturbatrices. Les lois perdent de leur efficacité
et doivent être réinstituées, éventuellement, en cas de crise majeure, en faisant
appel à un dictateur provisoire (c’est-à-dire un nouveau Prince faisant office de
père fondateur) – comme l’a fait la république romaine – afin de rétablir les
institutions républicaines.

On peut lire Machiavel comme un philosophe politique – même s’il se


considérait davantage comme un praticien que comme un philosophe qui
entendait concilier l’héritage de la philosophie classique (l’aspiration
aristotélicienne et socratique à la vie bonne, à la justice et à la bonne société
régie par de bonnes lois) – et l’efficacité dans le monde en évolution et agité de
la Renaissance italienne et du début d’une ère industrielle enclenchée par
l’innovation technologique et la fin de l’idéal classique d’un monde stable.
Comme le souligne Eric Voegelin (1998), l’Italie a connu de nombreux troubles
à l’époque de Machiavel : l’expansion des Mongols vers l’Occident et l’invasion
française en 1494. Étant au centre de la vie intellectuelle de l’époque, l’Italie
n’a pas été capable de comprendre la situation. Il n’était plus possible de
maintenir la vision ’une évolution linéaire de l’Histoire selon le modèle
augustinien. Machiavel se tourne vers l’histoire romaine car il est conscient de
ce manque d’efficacité, et cherche à éclairer le caractère non linéaire de
l’Histoire, le problème des cycles, les périodes de croissance et de déclin. » -
Claude Rochet, « Le bien commun comme main invisible. Le leg de Machiavel
à la gestion publique », Revue Internationale des Sciences Administratives,
2008/3 (Vol. 74), p. 529-553. DOI : 10.3917/risa.743.0529. URL :
https://www.cairn.info/revue-internationale-des-sciences-administratives-2008-
3-page-529.htm
451
« Le politique n'est pas pur prédateur, ni Machiavel un précurseur de l'idéologie
du darwinisme social, ni un simple cynique [...] Car en définitive, le prince obéit
à un projet, et même à un idéal.’ -Jean-Jacques Guinchard, "Le national et le
rationnel", Communications (numéro thématique : Éléments pour une théorie de
la nation), Année 1987, 45, pp. 17-49, p.35-36.

« Machiavel se contente de dire ce qui est, c'est-à-dire quelles sont "les ruses
des tyrans", mais il ne prescrit nullement à l'homme politique de devenir un
tyran ! Ce qui doit guider le politique, en toutes circonstances, c'est le bien
commun et non la recherche de ses propres avantages. » -Denis Collin et Marie-
Pierre Frondziak, La Force de la Morale. Comment nous devenons humains,
R&N Éditions, 2020, 311 pages, p.59

« Le « réalisme » du Prince se retrouve dans les écrits républicains. À ce titre,


Machiavel rompt avec le républicanisme classique. On ne peut pas dire, comme
Pocock [1975], qu'il prolonge les thèses d'Aristote sur l’« animal politique » :
selon son analyse « pessimiste», l'homme ne fait le bien que par nécessité. La
défense de procédés violents, le rôle crucial conféré à des individus
exceptionnels, sont présents dans les Discours. Cependant, si Machiavel rompt
avec la thématique classique du « meilleur régime », il avance des arguments sur
la supériorité des républiques, qui visent le bien commun et la liberté des
citoyens, mais aussi la conquête militaire. L'enjeu sous-jacent des Discours est
sans doute de comprendre la faiblesse politique et stratégique de la cité
florentine à la lumière de la réussite de la République romaine : alors que la
première n'a connu que l'instabilité et les dissensions, la seconde est parvenue à
la liberté et la puissance. Dans les deux cas, l'analyse porte sur le conflit social et
son expression politique : d'un côté, à Rome, la lutte entre la plèbe et la noblesse
a été, avec l'institution des tribuns de la plèbe, un facteur de liberté et
d’expansion ; de l'autre, à Florence, les conflits, loin de favoriser le bien
commun, ont dégénéré en luttes stériles entre factions. Cette analyse rompt avec
l'humanisme florentin précédent de Salutati ou de Bruni. Tandis que ceux-ci
célébraient la liberté florentine comme l'héritière de la Rome républicaine,
Machiavel suggère que la réussite romaine révèle les limites de la politique
florentine, son échec à rendre productives ses dissensions. De là une oscillation
de régimes, faute d'avoir institué un conflit fécond laissant aux nobles une part
de leur pouvoir et offrant au peuple un débouché légal et politique à son désir de
liberté. Dans le républicanisme avant Machiavel, et dans celui des Anciens, le
conflit apparaît comme une menace pour le bien commun et la survie de la cité.
452
À l'inverse, Machiavel insiste sur le rôle potentiellement bénéfique de
l'antagonisme dans un cadre institutionnel ouvert et dynamique. […] Sa thèse
selon laquelle les « bonnes lois » peuvent naître de la « désunion » (desunione)
choquera les humanistes de son temps, comme Guichardin. Machiavel ne serait
donc pas l'héritier direct de la théorie de la « constitution mixte », au cœur du
républicanisme classique, même s'il a contribué, après Bruni, à faire connaître le
modèle de Polybe. Sur ce point, les interprètes divergent. Les uns, comme
Skinner [1978], ont parfois suggéré que Machiavel reprenait le modèle de
constitution mixte ; d'autres, comme C. Lefort [1972], ont souligné de façon
convaincante l'ampleur de la rupture de Machiavel avec les classiques, en
particulier Aristote, par son refus de subordonner la politique à l'idée d'un « bon
régime », impliquant une harmonie des différents éléments de la communauté.
La discussion est d'autant plus complexe que Machiavel n'a pas écrit les
Discours de façon continue, et que l'on n'a pas de certitude absolue sur ses
connaissances de Polybe. Il semble en avoir repris des éléments, mais en le
transformant. L'étude de F. Bausi [1985] souligne cette distance, tant Machiavel
insiste sur le conflit entre les grands et le peuple : c'est l'esprit même de la «
constitution mixte » qui est ici fragilisé. Mais on peut aussi avancer une lecture
intermédiaire, inspirée de G. Sasso et R. Esposito [1984] : si Machiavel semble
parfois reprendre la forme du régime mixte, il en subvertit le contenu en
insistant sur la dynamique conflictuelle de la république romaine, et en
valorisant l'un de ses éléments : le peuple. » (pp.17-19)

« La confrontation entre le désir de dominer, propre à l’« humeur » des grands,


et le désir de ne pas être dominé, propre au peuple, le conduit à opter pour le
second. Ce choix, qui diverge de celui des principaux humanistes, attachés à la
domination d'une aristocratie, sous-tend l'hostilité de Machiavel vis-à-vis de la
République aristocratique de Venise. De même, Machiavel opte pour Rome
plutôt que Sparte, car seule la république romaine a construit sa puissance en
affrontant les accidents de l'histoire. Si Rome avait adopté un modèle « spartiate
», en refusant les étrangers et en ne s'appuyant pas sur le peuple, sans doute
aurait-elle enlevé la cause de ses « tumultes », mais l'extinction du conflit, loin
d'engendrer sa prospérité, aurait conduit à la perte de sa liberté et de sa
puissance militaire. Chez Machiavel, les régimes républicains procurent aux
citoyens des garanties de liberté et de sûreté. En ce sens, l'idée de liberté n'est
pas seulement politique. Il n'y a pas toutefois dans Machiavel de définition
philosophique de ce terme. La liberté se reconnaît à ses effets bénéfiques, en ce
453
qu'elle protège la sûreté des citoyens, qui doivent se sentir à l'abri des agressions
arbitraires de quiconque visant leur vie et leurs biens. D'où le rôle des lois pour
les préserver des influences menaçantes. On a parfois vu dans cette importance
accordée à la liberté du citoyen une anticipation de la thématique des « droits
individuels ». » (p.19)

« En plaidant pour que le peuple soit armé, Machiavel définit le moyen de


canaliser l'énergie populaire en faveur de la patrie et du bien commun. Les lois
doivent maintenir les hommes dans une relative égalité, et même dans la
frugalité, facteur de mobilisation des citoyens-soldats. Mais la pauvreté n'est pas
la misère : elle est une condition de la citoyenneté. L'amour de la patrie implique
en outre l'attachement aux lois garantissant la liberté commune. Le concept clé
est ici la virtù, appliqué tant aux princes qu'aux peuples, désignant l'énergie face
à l'adversité. Des qualités qui se retrouvent selon Machiavel chez les milices
suisses. Sous cet angle, le Florentin accorde à la religion, comme déjà Polybe,
un rôle capital. Il l'examine selon son efficacité politique, c'està-dire sa capacité
à renforcer l'attachement des citoyens à la liberté commune. Car c'est à la
religion païenne que Rome doit aussi sa grandeur. Le propos vise ici la religion
chrétienne : si le paganisme a nourri le lien des citoyens à la cité, le
christianisme lui a été fatal. » (p.20)

-Serge Audier, Les théories de la république, Paris, Éditions La Découverte,


coll. Repères, 2015 (2004 pour la première édition), 125 pages.

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454
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Machiavel/dp/2221065565/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1475249780&sr=8-
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455
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1&keywords=Machiavel+et+le+Machiav%C3%A9lisme

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Literary/dp/0300087977/ref=sr_1_3?s=english-
books&ie=UTF8&qid=1464535641&sr=1-3&keywords=Vickie+Sullivan

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1-1&keywords=Yves-Charles-Zarka-Machiavel

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Liberal/dp/0739106317

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Volume/dp/0521589266

http://www.amazon.com/Visions-Politics-Vol-Renaissance-
Virtues/dp/0521589258/ref=pd_sim_b_1?ie=UTF8&refRID=0AS96FZ3BPC9X
YVP5ATX

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http://www.amazon.com/Fortune-Is-Woman-Machiavelli-
Afterword/dp/0226669920

http://hydra.forumactif.org/t827-serge-audier-machiavel-conflit-et-
liberte?highlight=serge+audier

Francesco Guicciardini : « Francesco Guicciardini (1483-1540) qui, en 1526


dans le Dialogo del reggimento di Firenze, défend ce système mélangé et
tempéré qui « participe de toutes les espèces de gouvernement, d'un, de plusieurs
et de beaucoup ». Mais il était choqué par l'éloge machiavélien des « tumultes ».
Et Machiavel ne sera pas suivi non plus dans sa critique du modèle « mixte » de
Venise, république aristocratique et commerçante privée des vertus militaires et
456
expansionnistes de la Rome antique. Emblématique est Donato Giannotti {1492-
1531), défenseur d'une constitution « mixte » pour la République florentine dans
Della republica fiorentina, rédigé en 1531. Pour surmonter l'échec de la
République, il prône un modèle offrant une issue aux humeurs des groupes
antagonistes de la cité en vue d'une conciliation : la forme mixte permet le vivre-
ensemble entre « les grands, les pauvres et les gens de condition moyenne
(mediocri) ». Dans son Libro della republica de' Viniziani de 1525-1526, publié
en 1540, il impose le mythe de Venise comme réalisation d'un mélange
équilibré. Une vision reformulée par le cardinal et théologien Gaspare Contarini
(1483-1542) dans son De magistratibus et Republica Venetorum de 1524-1534,
publié en 1543. La République des Vénitiens y est célébrée en tant que modèle
de liberté et de stabilité grâce à une structure garantie par des ordres
aristocratiques et un sage équilibre constitutionnel : la stabilité vénitienne vient
d'une ingénieuse combinaison entre élite aristocratique, pouvoir d'un seul - le
doge - et majorité, avec le Conseil majeur. Plus tard, Paolo Paruta (1540-1598),
devenu historien officiel de Venise, auteur de Della perfezione della vita politica
{1572-1579) perpétue l'éloge de Venise contre ceux qui lui reprochent, avec
Machiavel, de n'avoir pas su comme Rome s'agrandir par la conquête. » (p.20-
21)

-Serge Audier, Les théories de la république, Paris, Éditions La Découverte,


coll. Repères, 2015 (2004 pour la première édition), 125 pages.

http://www.amazon.fr/Consid%C3%A9rations-discours-Machiavel-
premi%C3%A8re-Tite-
Live/dp/2738453341/ref=sr_1_4?s=books&ie=UTF8&qid=1449787728&sr=1-
4&keywords=Francesco+Guicciardini

http://www.amazon.fr/Histoire-dItalie-1492-1513-Francesco-
Guicciardini/dp/2221065182/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=1449787728
&sr=1-3&keywords=Francesco+Guicciardini

http://www.amazon.fr/Histoire-dItalie-1492-1534-Francesco-
Guicciardini/dp/2221083148/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1449787728
&sr=1-2&keywords=Francesco+Guicciardini

http://www.amazon.fr/grammaire-R%C3%A9publique-politique-Francesco-
Guicciardini/dp/2600012923/ref=sr_1_32?s=books&ie=UTF8&qid=144978776
6&sr=1-32&keywords=Francesco+Guicciardini
457
César Borgia (1475-1507) et Jean des Bandes Noires (1498-1526) :
http://hydra.forumactif.org/t342-pierre-gauthiez-jean-des-bandes-noires#684

Giovanni et Lusanna : http://www.amazon.fr/Giovanni-Lusanna-mariage-


Florence-
Renaissance/dp/2740100191/ref=sr_1_296?ie=UTF8&qid=1454785995&sr=8-
296&keywords=amour+moyen-%C3%A2ge

Jean Pic de La Mirandole (1463-1494) : « Impossible de bien choisir parmi


toutes les doctrines la sienne propre, si l'on ne s'est au préalable familiarisé
avec toutes. »

-Jean Pic de la Mirandole, Discours sur la dignité de l’homme, 1486.

https://www.amazon.fr/OEuvres-philosophiques-Jean-Pic-
Mirandole/dp/2130543804?ie=UTF8&ref_=asap_bc

Raphaël [Raffaello Sanzio] (1483-1520) : « Raphaël prétendait que le devoir et


la règle du peintre étaient de représenter les choses, non pas telles que les fait la
nature, mais telles qu'elle les devrait faire [...] C'est une profession de foi
idéaliste, au sens de Platon et des Grecs, la plus nette qu'on puisse faire. » -
Pierre-Joseph Proudhon, Du principe de l’art et de sa destination sociale, 1865.

« [Le christianisme] finit même par gâter jusqu'à la figure de l'artiste: il fait
passer sur Raphaël l'hypocrisie des timides. » (Été 1884. 26 [513], p.166)
-Friedrich Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes, X, Fragments
posthumes. Printemps-automne 1884, Gallimard, NRF, 1982, 386 pages.

https://www.amazon.fr/theorie-arts-Italie-1450-
1600/dp/B003WRY194/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1505671605&sr=
1-1&keywords=La+Th%C3%A9orie+des+arts+en+Italie%2C+1450-1600

Pietro Bembo (1470-1547): https://www.amazon.fr/lauriers-pourpre-vie-Pietro-


Bembo/dp/2757210378/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1505670800&sr=
1-1&keywords=Pietro+Bembo

Baldassar Castiglione (1478-1529): http://www.amazon.fr/livre-courtisan-


conte-Baldassare-
Castiglione/dp/2080706519/ref=pd_sim_14_9?ie=UTF8&dpID=41r444Yx1VL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=03H11W9CF48
C4HHA1EFK
458
Léonard de Vinci (1452-1519) : « J'ai imaginé toutes ces machines parce que
j'étais possédé, comme tous les hommes de mon temps, par une volonté de
puissance. J'ai voulu dompter le monde.

Mais j'ai voulu aussi passionnément connaître et comprendre la nature


humaine, savoir ce qu'il y avait à l'intérieur de nos corps. Pour cela, des nuits
entières, j'ai disséqué des cadavres, bravant ainsi l'interdiction du pape. Rien ne
me rebutait. Tout, pour moi, était sujet d'étude. La lumière, par exemple, pour le
peintre que j'étais, que de recherches passionnantes ! (...)

Ce que j'ai cherché finalement, à travers tous mes travaux, et particulièrement à


travers ma peinture, ce que j'ai cherché toute ma vie, c'est à comprendre le
mystère de la nature humaine. » -Léonard de Vinci (1412-1519), Carnets,
XVIème siècle. Cité dans "Histoire Seconde", sous la direction de J.M. Lambin,
éditions Hachette, 1996, p. 136.

La Sérénissime : « Bien que les premières ébauches de la production capitaliste


aient été faites de bonne heure dans quelques villes de la Méditerranée, l'ère
capitaliste ne date que du XVI° siècle. Partout où elle éclot, l'abolition du
servage est depuis longtemps un fait accompli, et le régime des villes
souveraines, cette gloire du moyen âge, est déjà en pleine décadence. » -Karl
Marx, Le Capital, Livre I, 1867.

« Les associations de crédit qui furent fondées aux XII° et XIV° siècles à Venise
et à Génes eurent pour but d'affranchir le commerce maritime et le commerce de
gros de la domination des usuriers et de ceux qui monopolisaient le commerce
d'argent. Si les banques qui furent crées dans ces républiques furent en même
temps des institutions de crédit public faisant des avances à l'État sur ses
impôts, il convient de ne pas perdre de vue que les négociants qui établirent ces
associations étaient les citoyens les plus importants de leur pays, ayant autant
d'intérêt à soustraire leur gouvernement qu'eux-mêmes à l'usure et trouvant
dans l'institution qu'ils créaient le moyen de dominer plus complètement et plus
sûrement l'État. » -Karl Marx, Le Capital, Livre III, Section V.

« Les pays du Nord n'ont fait que prendre la place occupée longtemps et
brillamment avant eux par les vieux centres capitalistes de la Méditerranée. Ils
n'ont rien inventé, ni dans la technique, ni dans le maniement des affaires.
Amsterdam copie Venise, comme Londres copiera Amsterdam, comme New York
copiera Londres. Ce qui est en jeu, chaque fois, c'est le déplacement du centre
459
de gravité de l'économie mondiale, pour des raisons économiques, et qui ne
touchent pas à la nature propre ou secrète du capitalisme. Ce glissement
définitif, à l'extrême fin du XVIe siècle, de la Méditerranée aux mers du Nord,
est le triomphe d'un pays neuf sur un vieux pays. Et c'est aussi un vaste
changement d'échelle. A la faveur de la montée nouvelle de l'Atlantique, il y a
élargissement de l'économie en général, des échanges, du stock monétaire, et, là
encore, c'est le progrès vif de l'économie de marché qui, fidèle au rendez-vous
d'Amsterdam, portera sur son dos les constructions amplifiées du capitalisme.
Finalement, l'erreur de Max Weber me paraît dériver essentiellement, au départ,
d'une exagération du rôle du capitalisme comme promoteur du monde
moderne. » -Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Flammarion, coll.
Champ.Histoire, 2008 (1985 pour la première édition), 122 pages, p.69-70.

« La cité mère du capitalisme (avec Gênes et Florence). […]

Il faut le souligner tant cette fausse évidence envahit les copies des étudiants ou,
pis, les écrits des économistes, ce ne sont nullement les tristes cités protestantes
issues de la Réforme –dont Genève est l’archétype- qui ont inventé le
capitalisme moderne, mais bien, et cela des siècles plus tôt, les joyeuses cités
catholiques et médiévales dont Venise est la plus sublime.

Comment Max Weber a-t-il pu se tromper à ce point dans son essai sur
L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme ? »

« Jusqu’au XIXème siècle, Venise fut un Etat souverain. Aux XVème et XVIème
siècles, la République était, et de loin, la première puissance navale de
Méditerranée, l’exemple le plus achevé de ce qu’on appelle la
« thalassocratie », la cité qui domine la mer. Chaque année, le jour de
l’Ascension, son chef d’Etat, le doge, à l’avant de la galère d’apparat nommée
Le Bucentaure, jetait un anneau dans les flots en s’écriant : « Nous t’épousons,
ô Mer, en signe de véritable et perpétuelle possession. »

L’architecture de la ville était ce qu’elle est restée : sublime. Philippe de


Commynes écrivait de Venise en 1495 qu’elle était « la plus triomphante cité
qu’on ait jamais vue ». Dans ce cri, il y a de l’admiration pour sa beauté, mais
aussi du respect pour sa puissance.

Car pendant cinq siècles, de 1100 à 1600, Venise demeura ce que fut la Grande-
Bretagne au XIXème siècle, la reine du commerce, et une reine redoutable.

460
De fait, elle dominait un grand empire. » -Jean-Claude Barreau, Un capitalisme
à visage humain : le modèle vénitien, 2011.

« Un nouveau nom mythique fit son entrée dans la grande politique mondiale :
pendant près d’un demi-millénaire, la République de Venise symbolisa la
domination des mers, la richesse fondée sur le commerce maritime et ce tour de
force qui concilia les exigences d’une haute politique avec « la création la plus
étrange de l’histoire économique de tous les temps ». Tout ce que les
anglophiles ont admiré dans l’Angleterre, du XVIIIème au XXème siècle, fit déjà
le renom de Venise : la grande richesse, la supériorité diplomatique par
laquelle la puissance maritime exploitait les rivalités entre puissances
continentales et faisait mener ses guerres par d’autres, l’aristocratisme qui
semblait avoir résolu le problème de l’ordre politique intérieur, la tolérance
religieuse et philosophique, l’asile donné aux idées libérales et à l’émigration
politique. A cela s’ajoute la séduction exercée par des fêtes somptueuses et par
la beauté artistique. […]

Le rayonnement de cette légendaire « reine des mers » s’accrut sans cesse de


l’an 1000 à 1500. Vers l’an 1000, Nicéphore Phocas, empereur byzantin,
pouvait avec raison proclamer : « La domination des mers dépend de moi
seul ». Cinq siècles plus tard, le sultan turc de Constantinople déclara aux
Vénitiens : « Jusqu’ici, la mer était votre épouse ; désormais, elle est à moi ».
Entre ces deux dates se situe l’époque de la suprématie vénitienne sur
l’Adriatique, la Mer Egée et sur la Méditerranée occidentale. C’est de ces
années que date la légende qui attirera à Venise, jusqu’aux XIXème et XXème
siècles, d’innombrables voyageurs, des romantiques célèbres de toutes les
nations européennes, des poètes et des artistes comme Byron, Muset, Wagner et
Barrès. Nul n’échappera à l’envoûtement et rien ne serait plus étranger à mon
propos que de vouloir ternir l’éclat d’un tel rayonnement. Toutefois, si nous
posons la question de savoir si nous sommes là en présence d’un destin
purement maritime, d’un choix véritable en faveur de l’élément marin, nous
comprenons tout de suite l’exiguïté d’une puissance maritime limitée à
l’Adriatique et au seul bassin méditerranéen au moment où s’ouvrent les
étendues immenses des océans du globe. » -Carl Schmitt, Terre et Mer. Un
point de vue sur l’histoire mondiale, Paris, Éditions du labyrinthe, 1985 (1944
pour la première édition allemande), 121 pages, p.25-27.

461
« A Venise, le principal texte -en-dehors d'une Chronique des doges de
Venise qui s'arrête en 1178- est le célèbre récit de Martin da Canal, Les
Estoires de Venise, qui entreprend de raconter l'histoire de la ville depuis ses
origines mais s'attarde en fait surtout sur les années pendant lesquelles il écrit,
de 1267 à 1275. Martin, dont nous ne savons rien, doit être un maître d'école ou
un notaire, et écrit en français. » (p.254)
-François Menant, L'Italie des communes (1100-1350), Paris, Éditions Belin,
2005, 398 pages.

« Conventionnellement, dans le droit britannique, on fait remonter l'apparition


des brevets au Statut des monopoles de 1624. La notion de propriété
intellectuelle institutionnalisée par ce texte était toutefois apparue un siècle et
demi plus tôt dans les pratiques et la législation de Venise, et il est fort possible
que ces dernières aient inspiré le droit britannique. Le mythe de la stabilité
politique et de l'excellence constitutionnelle vénitiennes, même s'il était le
produit de la propagande que la cité faisait d'elle-même, était bien établi au
XVIe siècle. Considérées comme les fondements de la longévité du régime et de
sa capacité à régler les crises internes, les méthodes vénitiennes de
gouvernement étaient très respectées par les classes politiques d'Italie et, au-
delà, de toute l'Europe (Finlay, 1980, p. 27-37). De ce fait, au début du XVIIe
siècle, les pratiques des autorités de Venise étaient observées de près par la
classe politique britannique (Fink, 1940). Toute innovation législative qui était
étiquetée comme vénitienne était favorablement accueillie et il y avait peu de
risques qu'elle soit rejetée sans avoir bénéficié d'une grande attention. […]

Tant que Venise fut une cité à l'économie florissante et un grand centre de
commerce, elle attira des flots d'artisans et d'entrepreneurs de toutes sortes.
Lorsqu'elle a décliné, confrontée aux nouvelles routes du commerce et à la
montée des autres centres européens de négoce, le flux s'est inversé. Les
artisans sont partis, emportant avec eux leurs compétences et leurs
technologies, ainsi que la conception développée de la propriété industrielle, qui
était devenue relativement banale à Venise. »

« C'est le développement rapide de l'industrie lainière qui donna la principale


impulsion à la prospérité croissante de Venise, à la fin du XVe et au XVIe siècle,
mais d'autres secteurs jouèrent aussi un rôle. A cette époque, l'imprimerie, qui
était encore une nouveauté, devint l'une des industries clés de la cité. En fait,
Venise s'imposa comme la capitale du livre, avec au moins 156 éditions publiées
462
entre 1480 et 1482, laissant loin derrière elle Milan, qui se plaçait en deuxième
position avec 82 éditions connues. Venise avait des liens commerciaux forts
avec l'Allemagne et, lorsque les imprimeurs germaniques commencèrent à venir
en Italie, ils choisirent souvent de s'installer dans la Cité des Doges (Gerulaitis,
1976, p. 2). Mackenney va jusqu'à suggérer que cette nouvelle industrie fut "la
contribution la plus significative de Venise à la civilisation de la Renaissance"
(1992, p. 61). » -Christopher May, « Venise : aux origines de la propriété
intellectuelle », L'Économie politique, 2/2002 (no 14), p. 6-21.

« Les Vénitiens ayant mis à mort plusieurs de leurs ducs pour leur tyrannie, et
s’étant assemblés en si grand nombre qu’ils étaient incapables de débats
réguliers, érigèrent au-dessus d’eux trente gentilshommes qui furent appelés
pregadi, de ce qu’on les priait de se retirer à part pour débattre entre eux de ce
qu’exigeait la république, et proposer ensuite à l’assemblée générale ce qu’ils
estimaient convenable ; c’est la première origine du sénat de Venise. On appelle
encore ceux-ci pregadi, et celle-là le grand conseil, c’est-à-dire le sénat et
l’assemblée populaire de Venise : et de tous deux sortit cet ordre de république
admirable dans toutes ses parties. » -James Harrington, Aphorismes politiques,
Chapitre dernier, principe 79.

« L’histoire, même lorsqu’elle s’attache à un espace humain revendiquant la


plus forte des singularités, n’est jamais close sur elle-même, elle ne peut trouver
de sens que dans sa mise en perspective avec d’autres situations
contemporaines. […] Venise n’est ni Florence ni Milan ou Gênes, mais son
histoire gagne à être confrontée sans cesse avec les grandes constructions
politiques, économiques ou sociales que furent ces cités des Italies médiévales
ou renaissantes. Elle trouve souvent ses champs d’explications hors d’elle-
même. » (p.9)

« Ici, les maisons, les cours, les rues ont chassé l’herbe et les arbres. Un
paysage urbain inouï se dévoile : une ville qui n’est faite que de pierres et
d’hommes. » (p.17)

« Le premier peuplement des lagunes précède donc les migrations consécutives


aux invasions. Mais, à la fin du VIe siècle, l’implantation humaine change
véritablement de forme. L’invasion lombarde provoque ici une rupture. Sous la
conduite de leur chef Alboin, les Lombards quittent la Pannonie et pénètrnt en
Frioul : ils parviennent en 569 sous les murs de Cividale. La conquête progresse

463
rapidement, dans le plat pays surtout ; tout le territoire entre le Tagliamento et
l’Isonzo est vite investi. Vérone et Vicence tombent. Mais la plupart des villes –
Oderzo, Padoue, Crémone…- trop fortes militairement, ne sont pas prises
durant cette première phase des opérations. L’invasion gagne toute l’Italie du
Nord, même si Pavie, la future capitale, ne se rend qu’en 572. Entre Aquilée et
Condorcia, partout où les Lombards arrivent à proximité de la lagune, paysans
et citadins abandonnent la Terre ferme pour le refuge des îles et des cordons
littoraux. Les Byzanthins, qui concentrent la défense autour de Ravenne, et qui,
traditionnellement, contre les vagues successives de Barbares, comptent sur leur
flotte pour résister, favorisent peut-être ce repli. » (p.23)

« Les uniques défenses sont élevées aux limites avec le monde extérieur : une
tour à Mestre, avant que l’expansion territoriale vénitienne ne parte à la
conquête de la Terre Ferme, de petits bastions à San Nicolo du Lido, pour
défendre, côté mer, la principale passe littorale. Venise est la cité dont les
murailles sont faites d’eau salée. » (p.30)

« La croissance enfle tout au long du XIIIe siècle et ses rythmes demeurent


particulièrement soutenus jusqu’au début des années 1340. » (p.32)

« La ville d’Ancien Régime souffrait d’une générale pénurie d’eau potable.


Mais, à Venise, cette pénurie pouvait devenir dramatique parce que, si l’eau est
ici omniprésente, elle n’est pas bonne à boire. » (p.34)

-Elisabeth Crouzet-Paven, Venise triomphante. Les horizons d’un mythe, Albin


Michel, coll. Histoire, 1999, 428 pages.

« A Venise, pas de foires, ou plus de foires de marchandises: la Sensa, foire de


l'Ascension, est une fête, avec des baraques de marchands sur la place Saint-
Marc, des masques, de la musique et le spectacle rituel des épousailles du doge
et de la mer, à la hauteur de San Niccolo. Quelques marchés se tiennent sur la
place Saint-Marc, notamment des marchés de bijoux précieux et de fourrures
non moins précieuses. Mais, hier comme aujourd'hui, le grand spectacle
marchand est celui de la place de Rialto, en face du pont et du Fondaco dei
Tedeschi, aujourd'hui la poste centrale de Venise. Vers 1530, l'Arétin, qui avait
sa maison sur la Canal Grande, s'amusait à regarder les bateaux chargés de
fruits et de montagnes de melons, venant des îles de la lagune vers ce "ventre"
de Venise, car la double place de Rialto, Rialto Nuovo et Rialto Vecchio, c'est le
"ventre" et le centre actif de tous les échanges, de toutes les affaires, petites et
464
grandes. A deux pas des étalages bruyants de la double place, voici les gros
négociants de la ville, dans leur Loggia, construire en 1455, on pourrait dire
dans leur Bourse, discutant chaque matin discrètement de leurs affaires, des
assurances maritimes, des frets, achetant, vendant, signant des contrats entre
eux ou avec des marchands étrangers. A deux pas, les banchieri sont là, dans
leurs étroites boutiques, prêts à régler ces transactions sur-le-champ, par des
virements de compte à compte. Tout près aussi, là où ils se trouvent encore
aujourd'hui, l'Herberia, le marché aux légumes, la Pescheria, marché au poisson
et, un peu plus loin dans l'ancienne Ca Quarini, les Beccarie, les boucheries, au
voisinage de l'église des bouchers, San Matteo, seulement détruire à la fin du
XIXe siècle. »

« La primauté italienne se divisera longtemps entre quatre villes puissantes,


Venise, Milan, Florence et Gênes. Ce n'est qu'après la défaite de Gênes, en
1381, que commence le long règne, pas toujours tranquille, de Venise. Il durera
cependant plus d'un siècle, aussi longtemps que Venise régnera sur les places
du Levant, et sera le redistributeur principal, pour l'Europe entière qui se presse
chez elle, des produits recherchés de l'Europe entière qui se presse chez elle, des
produits recherchés de l'Extrême-Orient. Au XVIe siècle, Anvers supplante la
ville de Saint-Marc. » (p.102)

-Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Flammarion, coll.


Champ.Histoire, 2008 (1985 pour la première édition), 122 pages.

« L’Etat est omniprésent et indissociable de la vie économique. Sa présence se


retrouve dans la gestion de l’Incanti, un système d’enchères mettant à
disposition les navires de la République aux marchands. Cela s’est traduit
également par l’instauration de monopoles et d’un protectionnisme en faveur de
la République au sein des territoires inféodés. […]
La stratégie de puissance vénitienne passe également par la terre, notamment
par son monopole de distribution de biens de première nécessité, en particulier
le sel. L’office du sel en est une parfaite illustration, cette institution ayant été
créée pour assurer un monopole. En 1240, la République vénitienne a
également interdit aux régions sous sa tutelle de s’approvisionner auprès de ses
concurrents, n’hésitant pas à faire signer des traités inégaux sous la menace des
armes. […] Elle utilise la diplomatie, et lorsque celle-ci devient inutile, elle
impose des blocus commerciaux et attaque ses concurrents. Venise domine la
Méditerranée à partir de 1204. » -Christian Harbulot, Le nationalisme
465
économique américain, VA Editions, coll. « Guerre de l’information », 2017,
117 pages, p.16.

Civic Ritual in Renaissance Venice :

https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34798627m

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Pavan/dp/2226246215/ref=pd_sim_14_2/258-5912237-
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4961-ae51-
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466
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http://www.amazon.fr/R%C3%A9publique-Lion-Histoire-
Venise/dp/2262005060/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1450873175&sr=8-
1&keywords=Histoire+de+Venise+%3A+la+R%C3%A9publique+du+Lion

Aldo Manuzio (1449-1515): http://hydra.forumactif.org/t3136-verena-von-der-


heyden-rynsch-aldo-manuzio-le-michel-ange-du-livre-l-art-de-l-imprimerie-a-
venise#3919

Haute Renaissance : "Le XVIe siècle fut aussi le témoin de certains infractions
notables au code chevaleresque. Les guerres de Religion virent ainsi les codes
de la reddition remis en cause à plusieurs reprises. Condé est exécuté de sang-
froid à Jarnac. Le maréchal de Saint-André à Dreux (1562) et l'amiral de
Villars à Doullens (1595) connaissent le même sort. Plusieurs facteurs peuvent
expliquer ces entorses aux règles chevaleresques. Anne-Marie Cocula y voit
notamment, dans le cas de Condé, les conséquences de la "vendetta des
Grands". Les dimensions religieuses et politiques propres à cette guerre civile
sont également à prendre en compte. Il ne faut cependant pas, selon Myriam
Gilet, exagérer "la spécificité moderne" de ces exécutions infamantes. Au moins
peut-on souligner qu'elles témoignent, pour cette période, d'une véritable crise
des valeurs nobiliaires."

"Face à la puissance des escadrons de reîtres, les gentilshommes, bravant tout


doucement leur mépris et leurs préjugés, sont donc contraints de faire une place
au pistolet. A la fin du siècle, l'honneur militaire semble donc s'accommoder
d'une arme que l'éthique chevaleresque ne pouvait que condamner. Nous
observerons cependant que, si les gendarmes consentent à adopter la "pistolle"
des reîtres, ils rejettent la tactique traditionnelle de ces derniers. La fameuse
caracole, qui repose sur l'évitement du choc, est par trop éloignée de leur
conception du combat. L'arme à feu est, d'une certaine façon, intégrée à
l'éthique des hommes d'armes, elle ne peut être envisagée que comme une
préparation au corps à corps, le seul mode de combat digne des chevaliers. Il
467
est vrai cependant que les gentilshommes durent accepter, pour utiliser plus
efficacement le feu, d'abandonner la haie pour l'escadron. Il ne pouvait plus être
question désormais que chacun puisse "combattre de front et ne demeurer des
derniers rangs"."

-Frédéric Chauviré, "L'ethos chevaleresque dans l'éthique militaire de la


noblesse française à l'époque moderne", Inflexions, n°27, La documentation
française, 2014.

Renaissance tardive : « Lorsque se produisit la grande oscillation religieuse du


XVIe siècle, l'avènement d'une nouvelle élite non seulement dans les contrées
qui se séparaient de Rome, mais encore et surtout à Rome même, mit fin à la
brillante époque de la Renaissance, et retarda, peut-être de plusieurs siècles,
l'établissement de la tolérance religieuse. » -Vilfredo Pareto, Les systèmes
socialistes. Cours professé à l'université de Lausanne, Tome I, Paris, 1902, 317
pages, p.56.

« Dans presque tous les domaines, la Renaissance tardive tend à remettre en


question les résultats auxquels était parvenue la pleine Renaissance ; il
s’esquisse alors un processus de réévaluation et de réinterprétation dont le
germe lointain pourrait être la catastrophe que fut le sac de Rome (1527) ; dans
le dernier tiers du XVIe siècle, l’optimisme paraît se muer plus intensément en
pessimisme, avec quelques décalages dans les pays au nord des Alpes en retard
par rapport à l’Italie. » -Claus Uhlig, « La mise en question des valeurs
anciennes », in Tibor Klaniczay, Eva Kushner et Paul Chavy (dir.), L'Époque de
la Renaissance (1400–1600): Tome IV: Crises et essors nouveaux (1560–1610),
2000, 817 pages, p.100.

Le Titien (1488-1576): https://www.amazon.fr/Titian-His-Life-Sheila-


Hale/dp/006059876X/ref=tmm_hrd_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1509287
984&sr=1-1

https://www.amazon.fr/Haute-Renaissance-Mani%C3%A9risme-Linda-
Murray/dp/2878110986/ref=pd_sim_14_3?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
F0KG756QAZSPJDJ4E54P

Giorgio Vasari (1511-1574) : « Au XVIe siècle, le grand maître de la


biographie dans ce domaine a été le Toscan Giorgio Vasari, peintre lui-même,
et auteur en 1550 d’un ouvrage présentant les peintres, les sculpteurs et les

468
architectes. Le biographe Vasari reprend à son compte la notion antique de Vies
(Vita) dans une perspective évolutionniste portée par l’idée de progrès de cette
époque de la Renaissance. Sa juxtaposition des peintres s’effectue selon une
logique diachronique sous-tendue par l’idée d’une progression vers toujours
davantage de perfection, selon une conception téléologique. A partir des
techniques et grâce à un enrichissement progressif, la création est portée vers
une réalisation plus aboutie de la beauté. […] Vasari, qui a côtoyé Michel-Ange
à Florence, voit en lui l’illustration parfaite de la conception qu’il défend d’une
vision globalisante de l’activité artistique. » -François Dosse, Le Pari
biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La Découverte, 2005, 480 pages,
p.200-201.

« Pour Vasari [...] le message de l'Antiquité a bien été oublié, et les modernes
renouent avec lui, mais ils sont capables de faire mieux. Le retour aux sources
est un dépassement ; ce qui était cercle devient spirale ascendante. » -Antoine
Prost, Douze leçons sur l'histoire, Seuil, 2010 (1996 pour la première édition),
389 pages, p.109.

Paolo Sarpi (1552-1623): http://hydra.forumactif.org/t3135-paolo-sarpi#3918

https://www.amazon.fr/Paolo-Sarpi-Politique-religion-
Europe/dp/2812401249/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1487836988&sr=
1-1&keywords=Paolo+Sarpi

Bernardino Telesio (1509-1588) : voir Pascal Charbonnat, Histoire des


philosophies matérialistes, p.194-196.

http://hydra.forumactif.org/t2606-guido-giglioni-the-first-of-the-moderns-or-the-
last-of-the-ancients-bernardino-telesio-on-nature-and-sentience#3353

Francesco Patrizi (1529-1597) : http://www.amazon.fr/Du-Baiser-Francesco-


Patrizi/dp/2251460209/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1450808086&sr=8-
2&keywords=Francesco+Patrizi

http://www.amazon.fr/cite-heureuse-Adelin-Charles-
Fiorato/dp/274750915X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1446926301&sr=8-
1&keywords=La+cit%C3%A9+heureuse+Francesco+Patrizi

Torquato Tasso (1544-1595) : « L’intérêt des romantiques pour le Tasse frappe


d’abord par son anachronisme, par cette conversion quasi systématique d’un

469
passé en futur, l’identification au Tasse permettant ainsi une vision ou une
prophétie détournée : non pas celle du devenir du Tasse dont les romantiques
connaissent déjà la fortune littéraire, mais celle de leur destin propre. […]

La disparition du Tasse de la littérature européenne à la fin du XIXe siècle


coïncide donc peut-être aussi avec l’avènement de la critique positiviste qui,
comme le note justement Chandler B. Beall, vient ruiner « la légende en
montrant le peu de conformité avec la réalité historique » […]

Le Tasse est en effet devenu, sous l’effet de Rousseau, de Goethe ou de Byron,


un mythe par imitation d’une durée plus ou moins délimitée, et partant un mythe
périssable. Bien qu’il ait été pour les romantiques l’incarnation du poète
malheureux ou maudit, le mythe du Tasse a eu comme tous les mythes une
histoire, qui naît, grandit, meurt et ressuscite. » -Clélia Anfray, « Le Tasse
disparu. Fin d'un mythe romantique », Romantisme, 2010/2 (n° 148), p. 145-156.
DOI : 10.3917/rom.148.0145.

Giordano Bruno (1548-1600): « On nous parle au nom de la tradition ; mais la


vérité est dans le présent et dans l’avenir beaucoup plus que dans le passé.
D’ailleurs, cette doctrine antique qu’on nous oppose, c’est celle d’Aristote. Or,
Aristote est moins ancien que Platon, et Platon l’est moins que Pythagore.
Aristote a-t-il cru Platon sur parole ? Imitons Aristote en nous défiant de lui. Il
n’y a pas d’opinion si ancienne qui n’ait été neuve un certain jour. Si l’âge est
la marque et la mesure du vrai, notre siècle vaut mieux que celui d’Aristote,
puisque le monde a aujourd’hui vingt siècles de plus. D’ailleurs, pourquoi
invoquer toujours l’autorité ? Entre Platon et Aristote, qui doit décider ? Le
juge suprême du vrai, l’évidence. Si l’évidence nous manque, si les sens et la
raison sont muets, sachons douter et attendre. L’autorité n’est pas hors de nous,
mais au dedans. Une lumière divine brille au fond de notre âme pour inspirer et
conduire toutes nos pensées. Voilà l’autorité véritable. » -Lettre de Bruno à
Filesac, à son second voyage à Paris.

« L'intelligence universelle est la faculté intime la plus réelle et la plus propre,


la partie la plus efficace de l'âme du monde. C'est la même intelligence qui
remplit tout, illumine l'univers et dirige convenablement la nature et la
production de ses espèces; elle est à la production des choses naturelles ce que
notre esprit est à la production ordonnée des espèces rationnelle. Les
Pythagoriciens l'appellent le Moteur et l'agitateur de l'univers... Les

470
Platoniciens la nomment forgeron du monde. Ce forgeron, disent-ils, procède du
monde supérieur, qui est tout unité, au monde sensible, qui est multiple et où
règne, non seulement l'amitié, mais aussi la discorde, grâce à la séparation des
parties. Cette intelligence, insérant et apportant du sien dans la matière,
demeurant elle-même quiète et immobile, produit tout. Les Mages la disent très
féconde en semences, ou plutôt, le semeur, parce que c'est lui qui imprègne la
matière de toutes les formes et qui, suivant leur destination ou leur condition,
les figure, les forme, les combine dans des plans si admirables qu'on ne les peut
attribuer si au hasard, ni à aucun principe qui ne sait pas distinguer et
ordonner. Orphée l'appelle l'oeil du monde, parce qu'il voit à l'intérieur et à
l'extérieur de toutes les choses naturelles, afin que tout, aussi bien
intrinsèquement q'extrinsèquement, se produise et se maintienne dans ses
propres proportions... Plotin le dit père et générateur, parce qu'il distribue les
semences dans le champ de la nature et qu'il est le plus proche dispensateur des
formes. Pour nous, il s'appelle l'artiste interne, parce qu'il forme la matière et la
figure du dedans, comme du dedans du germe ou de la racine, il fait sortir et
développe le tronc, du tronc, les premières branches, des premières branches les
branches dérivées, de celles-ci les bourgeons... » -Giordano Bruno.

« Bruno, à partir duquel l’honneur de la matière commence à briller enfin. » -


Ernst Bloch, Avicenne et la gauche aristotélicienne, Éditions Premières Pierres,
2008 (1952 pour la première édition allemande), 93 pages, p.46.

« Italian philosopher Giordano Bruno derived from Lucretius (an author whom
he cites and closely copies in many of his works) the atomistic doctrine of the
“infinite worlds,” originally advanced by Epicurus. Bruno reformulated the idea
of a plurality of worlds in his work De l'infinito universo et mondi (1584) where,
in light of his Copernicanism, he posited that every fixed star was a sun
surrounded by planets. As we know, this view was to greatly influence
subsequent popular literature, before its experimental counterpart emerged in
20th century astronomy. Bruno’s materialism is especially reflected in his
“active” conception of matter, which he saw in opposition to the Aristotelian
scheme where activity is linked to form and passivity to matter. Bruno is
fascinated by the fact that matter contains in itself the potential to produce and
develop new forms, and ended up arguing that matter is the real essence of
things, as all forms are produced from it. Yet, we could criticize the incorrect
understanding that Bruno had of the original Aristotelian notion of the
hylemorphic composition of matter and form. When speaking of matter, Bruno
471
unconsciously talks of it as it were informed matter, in the Aristotelian sense.
And Aristotle had already argued as well that form is educed, that is, almost
“extracted” from matter, albeit it is up to form to determine the new material
entity. Thomas Aquinas understood this Aristotelian perspective and referred to
it in some of his works (cf. De Spiritualibus creaturis, a. 2, ad 9um; De Potentia
q. 3, a. 8, ad 11um). » -Giuseppe Tanzella-Nitti, Materialism, 2008.

Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, p.196-199.

http://www.amazon.fr/Giordano-Bruno-Philosopher-Ingrid-
Rowland/dp/0226730247/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=4156yMQaDSL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR107%2C160_&refRID=08PAJQ7SMRC8
EGNS48TN

http://www.amazon.fr/Unit%C3%A9-l%C3%AAtre-dialectique-philosophie-
naturelle/dp/2711614131/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=411F7BSM22L&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR107%2C160_&refRID=085CZHZC8PH7
X4H0EPD6

http://www.amazon.fr/Nature-puissance-Giordano-Bruno-
Spinoza/dp/2841743896/ref=pd_sim_14_34?ie=UTF8&dpID=4183EST1LXL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR110%2C160_&refRID=0KJ0VDBWN55
WG8YAF6TS

http://www.amazon.fr/OEuvres-compl%C3%A8tes-Tome-IV-
linfinito/dp/2251344551/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=31xhMQfCkCL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR107%2C160_&refRID=1NM2MZPNPMP
ZNTJE47FN

http://www.amazon.fr/OEuvres-compl%C3%A8tes-Tome-VII-
h%C3%A9ro%C3%AFques/dp/2251344926/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID
=51q32W0bL5L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID
=0FXM8T2R488J9JVKSQXH

Giulio Cesare Vanini (1585-1619): « Allons, allons allègrement mourir en


philosophe. » -Vanini, dernières paroles.

« Il faut, en lisant Vanini, avoir toujours présent à l’esprit qu’il se sert


perpétuellement d’un artifice consistant à mettre dans la bouche d’un
contradicteur, comme un sujet d’horreur et de dégoût contre lequel il s’insurge,

472
ses véritables opinions, et à faire parler ce contradicteur de la façon la plus
convaincante et la plus solide ; par contre à lui présenter, comme réfutation des
objections frivoles et des arguments boiteux ; après quoi il fait semblant de
conclure d’un air triomphant, tanquam re benè gesta, comptant sur la malice et
la pénétration du lecteur. Par cette ruse il a même trompé la savante Sorbonne,
qui, prenant toutes ses hardiesses pour de l’or en barres, apposa naïvement son
permis d’imprimer sur des ouvrages athées. D’autant plus douce fut la joie de
ces docteurs, lorsque, trois ans plus tard, ils le virent brûler vif, après qu’on lui
eût préalablement coupé cette langue qui avait blasphémé contre Dieu. On sait
à la vérité que c’est là le seul argument puissant des théologiens, et depuis
qu’on les en a privés, les choses marchent pour eux tout à fait à reculons. » -
Arthur Schopenhauer, Essai sur le libre-arbitre, 1839 pour la première édition,
Traduction de Salomon Reinach (1894), Numérisation et mise en page par Guy
Heff & David Buffo (Mai 2013), 184 pages, p.127.

« On ne connaît pas, par exemple, chez Montesquieu ou Rousseau, d’allusions à


Vanini. La Mettrie ne lui réserve que quelques mentions rapides et formelles.
Quant à Voltaire, son point de vue rejoint celui de Jaucourt : condamnation de
l’obscurantisme et de l’intolérance des juges qui ont fait supplicier l’Italien,
mais mépris hautain pour sa pensée, dont le matérialisme naturaliste, mâtiné
d’aristotélisme et dissimulé derrière de pieuses professions de foi, est devenu
quasiment incompréhensible pour un intellectuel des Lumières. »

« Condamné à mort pour blasphèmes et athéisme par le parlement de Toulouse


en 1619, Vanini a proclamé fièrement son mépris de toute religion devant la
foule qui assistait au supplice. » -Didier Foucault, « Diderot, Vanini, le courage
socratique et le jugement de la postérité », Anabases, 13 | 2011, 121-129.

http://hydra.forumactif.org/t3468-giulio-cesare-vanini#4301

Tommaso Campanella (1568-1639): « Ce récit utopique a été écrit par un


moine calabrais. Il dessine avec précision l'état totalitaire car l'État de sa cité du
soleil régente tout : de l'attribution du logement à la taille du costume uniforme.

Les officiers règlent le bon exercice des vertus qui sont répertoriées. Il y a des
informateurs et les condamnés s'autocritiquent comme chez Staline.

Si Campanella est communiste avant la lettre, c'est de communisme religieux


qu'il s'agit car il n'est pas athée.

473
Comme nombre de ses contemporains Campanella croyait à l'imminence de la
fin du monde et du Jugement dernier. Il redouta l'année 1600 comme une date
fatidique parce que 16 est la somme de 7 + 9.

Campanella dut feindre la folie, au début de son incarcération, pour échapper à


la peine capitale.

Campanella fut arrêté pour hérésie en 1589. Acquitté en 1592, il rencontra


Galilée.

En 1593, l'Inquisition le poursuit pour n'avoir pas dénoncé un juif converti au


catholicisme et apostat. Il rencontra Giordano Bruno en prison. Campanella
abjura et fut libéré en 1596.

En 1599, il fut de nouveau arrêté et feignit la folie pour échapper à la peine de


mort.

Il écrivit en prison 30 volumes.

La Cité du soleil est publiée en 1623.

Campanella est définitivement libéré en 1628. Il se réfugie en France en 1634 où


il est conseillé de Richelieu. Il meurt en 1639.

La Cité du soleil est un dialogue entre l'Hospitalier (membre de l'ordre de Malte)


et le Génois.

Le Génois raconte son voyage à l'Hospitalier et commente sa rencontre avec des


hommes et des femmes armés qui l'emmenèrent à la Cité du soleil. » - Hiram33,
6 décembre 2014 (cf : http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/43742 ).

« à la fin du XVIe siècle déjà, au début de l’ère moderne, Tommaso Campanella


écrivait dans La Cité du Soleil, en exaltant les merveilleuses inventions et
découvertes de son temps, que « ce siècle a davantage d’histoire en cent ans que
le monde n’en eut en quatre mille ; et l’on a fait plus de livres durant ces cent
années qu’en cinq mille ». »

http://hydra.forumactif.org/t4785-tommaso-campanella-la-cite-du-soleil#5725

Claudio Monteverdi (1567-1643) : https://www.amazon.fr/Claudio-


Monteverdi-Roger-

474
Tellart/dp/2213031657/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1490021222&sr=8-
1&keywords=Roger+Tellart.+Claudio+Monteverdi

Érasme de Rotterdam (1466/1469-1536) : « Érasme, dans l’Éloge de la Folie


(1511), qui parut à Paris et qui eut un succès immense, est tout heureux de
constater l’accord des doctrines des chrétiens et des platoniciens sur l’âme
humaine enchaînée au corps et empêchée par la matière de contempler la
vérité. » -Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences
sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages), p.499.

« La nouveauté des écrits des humanistes et plus spécialement d'Érasme réside


précisément dans le fait qu'ils ne reflètent pas les normes du clergé mais celles
de la société séculière de leur temps.

Les humanistes étaient les représentants d'un mouvement qui cherchait à


arracher la langue latine à son isolement et à son confinement dans la tradition
de l'Église pour en faire la langue de la société séculière, ou du moins de la
couche supérieure séculière. La modification des structures de la société
occidentale, dont d'autres aspects ont été mis en évidence au cours de notre
exposé, se dégage avec une netteté particulière du besoin que ressentent soudain
les milieux séculiers de créer une littérature érudite et séculière. Les humanistes
sont les artisans de cette modification, les représentants officiels de ce besoin de
la couche supérieure ; leurs écrits reflètent fidèlement la vie sociale des milieux
non cléricaux ; les expériences de cette vie sont immédiatement insérées dans la
littérature érudite ; c'est là aussi une des lignes de force du grand mouvement de
la "civilisation". Elle nous fournira peut-être une des clefs du regain d'intérêt
pour l'Antiquité, de la "renaissance" de celle-ci. » -Norbert Elias, La
Civilisation des mœurs, Calmann-Lévy, coll. Agora, 1973 (1939 pour la parution
du premier tome de Über den Prozess der Zivilisation), 507 pages, p.376-377.

http://www.amazon.fr/Erasme-Une-intelligence-service-
paix/dp/2249622051/ref=sr_1_1?s=english-
books&ie=UTF8&qid=1459342514&sr=8-1&keywords=Aime-Richardt-
Erasme

http://www.amazon.fr/Eloge-folie-
%C3%89rasmus/dp/2080700367/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=51y9Tb1-
mgL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=1P413P90A
KVZQYXN5MHE
475
Ivan le terrible (1530-1584) : http://www.amazon.fr/Ivan-terrible-ou-
m%C3%A9tier-
tyran/dp/B00C7IV1O2/ref=pd_sim_14_9?ie=UTF8&dpID=511M8UhmGqL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR108%2C160_&refRID=0MJQZX6V563T
WY4V77Q4

Charles Quint (1500-1558) : https://www.amazon.fr/Charles-Quint-Philippe-


ERLANGER/dp/226202152X/ref=pd_sim_14_6?_encoding=UTF8&psc=1&ref
RID=CS9GSWCVDPB836EQTSRS

François Ier (1494-1547) : « Je suis votre roi et votre prince. Je suis délibéré
de vivre et mourir avec vous. Voici la fin de notre voyage, car tout sera gagné
ou perdu. »

-François Ier à ses troupes, avant la bataille de Marignan, 13 septembre 1515.

« Il n’y a point de place faible, là où il y a des gens de cœur pour la défendre. »

-Pierre du Terrail, seigneur de Bayard, à François Ier, 31 août 1521, à Mézières.

http://www.amazon.fr/prince-Renaissance-Fran%C3%A7ois-Ier-
royaume/dp/2213600856/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1448279392&sr=8-
1&keywords=Un+Prince+de+la+Renaissance+%3A+Fran%C3%A7ois+Ier+et+
son+royaume

Guillaume Budé : http://www.amazon.fr/GUILLAUME-BUDE-


LHUMANISTE-ROI-
Collectif/dp/2914214464/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1449246337&sr
=1-1&keywords=Guillaume+Bud%C3%A9

Michel de L'Hospital : http://www.amazon.fr/sagesse-malheur-Michel-


lHospital-
Chancelier/dp/2876732769/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1449247131&
sr=1-1&keywords=Michel+de+L%27Hospital

Pierre Rebuffe : http://www.amazon.fr/LEtat-royal-justice-gouvernement-


1487-
1557/dp/2361701014/ref=sr_1_5?s=books&ie=UTF8&qid=1448190398&sr=1-
5

476
Catherine de Médicis (1519-1589) : « Je lis les histoires de ce royaume et j’y
trouve que de tous les temps, les putains ont dirigé les affaires des rois ! » -
Catherine de Médicis, à Diane de Poitiers.

« Dieu m’a laissée avec trois enfants petits et un royaume tout divisé, n’y ayant
aucun à qui je puisse entièrement me fier. » -Catherine de Médicis, Lettre à sa
fille Élisabeth, janvier 1561. Cité dans Louis Batiffol, Le Siècle de la
Renaissance (1909).

https://www.amazon.fr/Catherine-M%C3%A9dicis-Reine-Rapha%C3%ABl-
Dargent/dp/2733911422/ref=pd_sim_14_16?_encoding=UTF8&psc=1&refRID
=9XA4B748YZQNV9G72ECW

Paolo Emilio : http://hydra.forumactif.org/t1661-paolo-emilio-histoire-des-faits-


gestes-et-conquetes-des-rois-princes-seigneurs-et-peuple-de-france#2338

Thomas More (1478-1535): « Le plus sage des hommes, [Platon] comprit sans
mal que la seule et unique voie vers le bien-être de tous résidait dans l’absolue
égalité des biens. Je doute que cette égalité puisse être atteinte là où la
propriété est entre les mains des individus. » -Thomas More, L'Utopie.

« Les institutions que propose Thomas More sont très nettement autoritaires. La
démocratie d’Utopie est surveillée. En politique intérieure, il y a certes un sénat
élu, même s’il n’est pas très clair que tous les habitants soient électeurs, ou
simplement les chefs des familles citadines. Mais il y a aussi un Prince, Lord
Protecteur à vie. Le travail est réglé d’en haut avec pour les déviants la menace
de l’esclavage. Pour augmenter les capacités productives, on importe des
esclaves ou, faute de mieux, des travailleurs non-citoyens. Sortir de sa province
sans autorisation du sénat est sévèrement puni. Tavernes et jeux de hasard sont
supprimés, à leur place des jeux de calcul et du sport militaire.

En politique extérieure, Utopie domine ses alliés par des gouvernants tirés de
son sein et par des prêts judicieux, elle conquiert les sauvages qui ne mettent
pas leur terre en valeur et qui donc méritent de la perdre, elle écrase par tous
les moyens ceux qui touchent à ses marchands. Elles corrompt leurs dirigeants,
elles fomente terrorisme et révolte, et pour finir, elle envoie se battre des
montagnards voisins, un peu arriérés – merci aux Écossais – ou ses alliés,
épargnant ainsi le précieux sang des citoyens utopiens.

477
Partout une saine autorité, celle des hommes sur les femmes, des vieux sur les
jeunes : « Le plus ancien membre d’une famille en est le chef »… Les femmes
servent leurs maris, les enfants leurs pères et mères, les plus jeunes servent les
plus anciens … les esclaves sont chargés des travaux de cuisine les plus
pénibles ou bien « les maris châtient leurs femmes, les pères et mères leurs
enfants, à moins que la gravité du délit n’exige une réparation publique », ou
encore « les jours de Finifête (la fin de chaque mois), avant d’aller au temple,
les femmes se jettent aux pieds de leurs maris, les enfants aux pieds de leurs
parents ; ainsi prosternés, ils avouent leurs péchés d’action ou ceux de
négligence dans l’accomplissement de leurs devoirs, puis ils demandent le
pardon de leurs erreurs ». À plat-ventre donc.

La nouvelle société est soigneusement régulée, sa sexualité ne l’est pas moins :


« Les filles ne peuvent se marier avant dix-huit ans, les garçons avant vingt-
deux. Les individus de l’un et l’autre sexe convaincus d’avoir succombé au
plaisir avant le mariage sont passibles d’une censure sévère et le mariage leur
est absolument interdit à moins que le Prince ne leur fasse remise de la faute…
On pense que l’amour conjugal ne tarderait pas à s’éteindre entre deux
individus condamnés à vivre éternellement en face l’un de l’autre et à souffrir
les milles désagréments de ce commerce intime si des amours vagabondes et
éphémères étaient tolérées et impunies ».

Vient alors le passage célèbre qui a depuis longtemps frappé les illustrateurs :
« Au reste les Utopiens ne se marient pas en aveugles … Une dame honnête et
grave fait voir au futur sa fiancée, fille ou veuve, à l’état de nudité complète et
réciproquement un homme d’une probité éprouvée montre à la jeune fille son
fiancé nu ». Cette nudité n’est évidemment pas pratiquée par plaisir, mais est
justifiée par l’analogie de la marchandise : « Lorsque vous achetez un bidet,
affaire de quelques écus, vous prenez des précautions infinies : l’animal est
presque nu, cependant vous lui ôtez la selle et le harnais de peur que ces faibles
enveloppes ne cachent quelque ulcère ; et quand il s’agit de choisir une femme
... vous y mettez la plus profonde incurie … Et vous ne craignez pas de
rencontrer après cela quelque difformité secrète qui vous force à maudire cette
union aventureuse ! ». Les métaphores sont rarement innocentes : dans l’achat
du bidet, la symétrie prétendue entre l’homme et la femme est oubliée, c’est la
femme qu’on expose et qu’on achète, et l’homme en veut pour son argent.

478
Lorsque Thomas revient sur l’adultère, c’est pour en augmenter la peine :
« L’adultère est puni du plus dur esclavage… La récidive est punie de mort ».
Le flirt et la galanterie ne sont pas mieux traités : « La simple sollicitation à la
débauche est passible de la même peine que le viol accompli ». Toujours le
point de vue de l’homme. […]

Désormais, la machine est lancée, réformateurs et projets de réforme vont se


succéder : Guillaume Postel, Fénelon, Harrington, Barthélémy, Mercier,
Morelly, jusqu’à Cabet et son Icarie, qui se réalisa – car il s’agit bien de se
réaliser – dans l’Ohio sous la forme d’une distillerie de whisky dont l’alcool,
vendu aux non Icariens, était fabriqué par des travailleurs volontaires exploités
par une petite élite de directeurs ; les heureux travailleurs finirent pas se
révolter, buvant l’alcool et brûlant la fabrique. La Cecilia anarchiste, elle aussi
américaine, ne réussit pas mieux, au moins se passa-t-elle d’exploiteurs. Et
finalement, la plus maniaque de toutes les utopies, le phalanstère de Fourier et
sa réalisation, ce familistère de Guise où, sous un dôme vitré de grand magasin,
s’alignent les mornes galeries d’une cour de prison. » - Jean-Pierre Poly, «
L’Utopie de Thomas More », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 22 |
2005, mis en ligne le 01 décembre 2007, consulté le 19 novembre 2017.

« La création du prolétariat sans feu ni lieu - licenciés des grands seigneurs


féodaux et cultivateurs victimes d'expropriations violentes et répétées - allait
nécessairement plus vite que son absorption par les manufactures naissantes.
D'autre part, ces hommes brusquement arrachés à leurs conditions de vie
habituelles ne pouvaient se faire aussi subitement à la discipline du nouvel
ordre social. Il en sortit donc une masse de mendiants, de voleurs, de
vagabonds. De là, vers la fin du XV° siècle et pendant tout le XVI°, dans l'ouest
de l'Europe, une législation sanguinaire contre le vagabondage. Les pères de la
classe ouvrière actuelle furent châtiés d'avoir été réduits à l'état de vagabonds
et de pauvres. La législation les traita en criminels volontaires; elle supposa
qu'il dépendait de leur libre arbitre de continuer à travailler comme par le
passé et comme s'il n'était survenu aucun changement dans leur condition. […]
Dans son Utopie, le chancelier Thomas More dépeint vivement la situation des
malheureux qu'atteignaient ces lois atroces. » -Karl Marx, Le Capital, Livre I,
1867.

« Les Bolcheviks érigèrent à Moscou un buste de Thomas More. » -Marc


479
Angenot, L'Histoire des idées. Problématiques, objets, concepts, méthodes,
enjeux, débats, Presse Universitaires de Liège, coll. Situations, 2014, 392 pages,
p.321.

http://www.amazon.fr/LUtopie-trait%C3%A9-meilleure-forme-
gouvernement/dp/2080704605/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=51-
MVJCEJqL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=0H0
VNZTJB9S395V6FSGP

http://hydra.forumactif.org/t1138-bernard-cottret-thomas-more#1772

http://livre.fnac.com/a1133029/Yolande-Dilas-Rocherieux-L-utopie-ou-la-
memoire-du-futur

Pierre de Ronsard (1524-1585) : http://www.amazon.fr/Les-Amours-Pierre-


Ronsard/dp/2253065498/ref=pd_rhf_dp_s_cp_46?ie=UTF8&dpID=41FBj1-
LJTL&dpSrc=sims&preST=_SL500_SR83%2C135_&refRID=1X9YTECCMN
XFNWF9PR87

http://www.amazon.fr/Les-Amours-bless%C3%A9es-Jeanne-
Bourin/dp/2070381196/ref=pd_sim_14_71?ie=UTF8&dpID=51pdxdu62TL&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR94%2C160_&refRID=05TEWZCWP50D7
BDXQ5VW

François Rabelais (1483/1494-1553) : « Le mot "progrès" apparut dans la


littérature française sous la plume de Rabelais, qui lui donna naissance en 1546
dans le Tiers-Livre, avant que Montaigne ne lui confère son sens définitif, en
1588, dans les Essais, comme "transformation graduelle vers le mieux". » -
Mathilde Herrero, Histoire de l’idée de progrès de l’Antiquité au XVIIe siècle,
https://www.nonfiction.fr, 24 janvier 2013.

http://www.amazon.fr/Rabelais-Mireille-
Huchon/dp/2070735443/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=51y%2BRGl12YL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR109%2C160_&refRID=0ZVREXQXA
F0FN2WXV2MH

http://www.amazon.fr/Rabelais-compl%C3%A8tes-Gargantua-Pantagruel-
Cinquiesme/dp/207011340X/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=31XkwLVjD
WL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR99%2C160_&refRID=0ZVREXQX
AF0FN2WXV2MH

480
http://www.amazon.fr/Loeuvre-Fran%C3%A7ois-Rabelais-populaire-
Renaissance/dp/2070234045/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=41XjDoJehaL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR106%2C160_&refRID=0W600MZE2K
KMQ0HYJ1BM

Le siècle d'or de l'Espagne (1550-1650) : « Il faut se rappeler que les armées


ont connu un âge d’or, du 15° siècle avec l’Empire des Habsbourg, jusqu’à la
défaite de Rocroi en 1643, face aux troupes du Royaume de France. Durant
cette période, le modèle militaire qui prévaut en Europe est espagnol avec la
supériorité tactique des « Tercios ». Parallèlement, les galions espagnols
sillonnent les mers du globe apportant richesses et nouvelles possessions à la
couronne espagnole. À l’issue de Rocroi, la référence dans l’art de la guerre
devient française et culminera avec les victoires napoléoniennes. Sur le plan
maritime, c’est le Royaume Uni qui peu à peu étend sa domination et prend
définitivement l’avantage à Trafalgar le 21 octobre 1805, donnant à la Royal
Navy la suprématie navale jusqu’à la deuxième guerre mondiale. » -Colonel
Jérôme Pellistrandi, La transformation de l’institution militaire espagnole,
23/10/2012 (cf : https://www.defense.gouv.fr/irsem/publications/lettre-de-l-
irsem/les-lettres-de-l-irsem-2012-2013/2012-lettre-de-l-irsem/lettre-de-l-irsem-
n-8-2012/enjeux/la-transformation-de-l-institution-militaire-espagnole )

« Dans le cadre de leur Reconquista séculaire, du refoulement des occupants


arabes de la Péninsule, les Espagnols s'étaient emparés de territoires en Afrique
du Nord. Ces présides espagnols, Ceuta et Medilla, étaient les premières
implantations européennes en Afrique depuis l'Empire romain et ce sont les
seules qui existent encore aujourd'hui. Mais ces événements paraissent mineurs
en regard des répercussions qu'eurent les expéditions de Christophe Colomb et
Vasco et Gama. » (p.26)

"Pendant la seule période 1500-1650, près d'un demi-million d'Espagnols


gagnèrent l'Amérique espagnole." (p.49)

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages, p.26.

« L’apparition des « status » de « pureté de sang » (limpieza de sangre) à partir


du milieu du XVe siècle, en Espagne puis au Portgual, montre que l’on ne
saurait concevoir la biologiation de la judéophobie, en tant que discours
d’exclusion et institution discriminatoire, comme une invention, sans précédent,
481
du XIXe siècle positiviste et scientiste. Le mythe proto-raciste de la « limpieza
de sangre » s’est installé à la fois comme une doctrine des caractères de groupe,
transmissibles par la génération ou le contact, et comme un dispositif
institutionnel discriminatoire et sélectionniste. On peut situer l’apparition de
cette forme première du racisme occidental/moderne au tournant du XVe siècle
et du XVIe dans la péninule ibérique, bref au Siècle d’or espagnol. » -Pierre-
André Taguieff, La Judéophobie des Modernes : Des Lumières au Jihad
mondial, Odile Jacob, 2008, p.85.

https://www.amazon.fr/Si%C3%A8cle-lEspagne-Apog%C3%A9e-
d%C3%A9clin-1492-
1598/dp/B00HLXB9ZY/ref=pd_sim_14_9?ie=UTF8&dpID=51clahe5C1L&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR114%2C160_&refRID=2R1ACM0FZ7VM
G1A05BVY

Christophe Colomb (1451-1506) et l’ère des Grandes découvertes : « L'or est


une chose merveilleuse ! Qui le possède est maître de tout ce qu'il désire. Au
moyen de l'or on peut même ouvrir aux âmes les portes du Paradis. » -
Christophe Colomb, Lettre de la Jamaïque, 1503. Cité par Karl Marx, Le
Capital, Livre I, 1867.

https://www.amazon.fr/d%C3%A9couverte-lAm%C3%A9rique-Christophe-
COLOMB/dp/2707183423/ref=pd_sim_14_19?_encoding=UTF8&psc=1&refRI
D=B4TCB0BQVGMMPB354DJ5

Vasco de Gama (1469-1524) : « Vers 1500, la population mondiale devait


avoisiner les 300 ou 400 millions d’habitants dont 100 à 120 millions pour la
Chine, 80 à 100 millions pour l’Inde et 60 à 80 millions pour l’Europe. Tels
étaient les gros noyaux de population dense de l’Ancien Monde. Curieusement,
ils n’entretenaient pas de rapports directs. Si quelques voyageurs occidentaux,
marchands ou missionnaires, avaient parcouru l’Inde ou la Chine, jamais un
Européen n’avait eu l’occasion de voir un Indien ou un Chinois et c’est en cela
que l’expédition de Vasco de Gama était novatrice. Elle contribua à tisser des
rapports directs entre des civilisations et des Etats qui ne se connaissaient
jusque-là que de manière indirecte. » -Jean Michel Sallmann, Géopolitique du
XVIe siècle. 1490-1618, Nouvelle histoire des relations internationales, tome 1,
Éditions du Seuil, coll. Points, 2003, 410 pages, p.12.

482
Fernand de Magellan (1480-1521) : « Jamais le monde n'a été aussi grand
qu'au lendemain du périple de Magellan. » -Pierre Chaunu, Conquête et
exploitation des nouveaux mondes, PUF, Nouvelle Clio, 1969, p. 267.

https://www.amazon.fr/Conqu%C3%AAte-exploitation-nouveaux-mondes-
Pierre/dp/213058246X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1499849684&sr=1
-1&keywords=Conqu%C3%AAte+et+exploitation+des+nouveaux+mondes

Les civilisations précolombiennes : « Avant l'arrivée des Espagnols, déjà, les


Indiens avaient coutume de perpétuer le souvenir des principaux événements de
leur histoire. Au Pérou, où les Incas ignoraient l'écriture, il s'agissait d'une
tradition orale, mais au Mexique les Aztèques et les Mayas composaient en
caractères idéographiques des chroniques qu'ils conservaient dans de véritables
bibliothèques. » -Nathan Wachtel, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou
devant la Conquête espagnole (1530-1570), Gallimard, coll. folio histoire, 1971,
395 pages, p.26.

https://www.amazon.fr/Inca-Empire-Formation-Disintegration-Pre-
Capitalist/dp/0854963480/ref=sr_1_9?s=english-
books&ie=UTF8&qid=1485191494&sr=1-9

https://www.amazon.fr/DAm-rique-Europe-Indiens-d-couvraient-1493-
1892/dp/2271081149/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1485191
968&sr=1-1

Hernán Cortés (1485-1547) et la fin de l’Empire Aztèque :


"La conquête du Guatemala, en effet, réalisée par Alvarado en 1524-1525,
suivit de peu la chute de Mexico, et elle fut très rapide. Il est possible que,
devant la brutalité de l'événement, Quichés et Cakchiquels aient été frappés de
la même stupeur que les Aztèques. Au contraire, la conquête du Yucatán fut plus
tardive et plus lente: entreprise par Montejo en 1527, elle ne s'acheva,
péniblement, qu'en 1541. En outre, les Mayas du Yucatán avaient déjà eu
l'occasion, à plusieurs reprises, de rencontrer des hommes blancs. Dès 1511,
lors du naufrage de Valdivia, quelques Espagnols avaient échoué sur le côté:
c'est alors que Gonzalo Guerrero et Geronimo de Aguilar furent recueillis par
les Indiens. Par la suite, l'expédition de Cordoba en 1517, celle de Grijalva en
1518, puis l'escale de Cortès en 1519 furent autant de contacts qui, sans
comporter de conséquence militaire immédiate, permirent aux Indiens du
Yucatan de s'accoutumer à l'étrangeté des Espagnols: si bien que, dans les
483
documents mayas relatifs à la Conquête, la qualité divine des Espagnols
s'efface." (p.48)
-Nathan Wachtel, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la
Conquête espagnole (1530-1570), Gallimard, coll. folio histoire, 1971, 395
pages.

Francisco Pizarro (1475-1541) et Le Pérou colonial (1531-1824) : « Pour les


Indiens, vaincus, la Conquête signifie au contraire une fin: la ruine de leurs
civilisations. » (p.35)

-Nathan Wachtel, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la


Conquête espagnole (1530-1570), Gallimard, coll. folio histoire, 1971, 395
pages.

Antonio de Montesinos (1475-1540) : « Je suis la voix de Celui qui crie dans le


désert de cette île et c'est pour cela qu'il faut que vous m'écoutiez avec attention
Cette voix est la plus neuve que vous ayez jamais entendue, la plus âpre et la
plus dure. Cette voix vous dit que vous êtes tous en état de péché mortel ; dans
le péché vous vivez et vous mourrez à cause de la cruauté et la tyrannie dont
vous accablez cette race innocente.

Dites-moi, quel droit et quelle justice vous autorisent à maintenir les Indiens
dans une aussi affreuse servitude ? Au nom de quelle autorité avez-vous engagé
de telles détestables guerres contre ces peuples qui vivaient dans leurs terres
d'une manière douce et pacifique, où un nombre considérable d'entre eux ont été
détruits par vous et sont morts d'une manière encore jamais vue tant elle est
atroce ? Comment les maintenez-vous opprimés et accablés, sans leur donner à
manger, sans les soigner dans leurs maladies qui leur viennent de travaux
excessifs dont vous les accablez et dont ils meurent ? Pour parler plus
exactement, vous les tuez pour obtenir chaque jour un peu plus d'or.

Et quel soin prenez-vous de les instruire de notre religion pour qu'ils


connaissent Dieu notre créateur, pour qu'ils soient baptisés, qu'ils entendent la
Messe, qu'ils observent les dimanches et autres obligations ?

Ne sont-ils pas des hommes ? Ne sont-ils pas des êtres humains ? Ne devez-vous
pas les aimer comme vous-mêmes ?

Soyez certains qu'en agissant ainsi, vous ne pouvez pas plus vous sauver que les
Maures et les Turcs qui refusent la foi en Jésus-Christ. » -Antonio de
484
Montesinos, Sermon de décembre 1511 à Saint-Domingue, rapporté par
Bartolomé de Las Casas, Histoire des Indes, volume III, traduit par Jean-Pierre
Clément et Jean-Marie Saint-Lu, Paris, Seuil, 2002, pages 26-27.

Francisco de Vitoria (1483/86-1546) et l’École de Salamanque : « Penseurs


espagnols des XVIe et XVIIe siècles (Suarez, Vitoria, Mariana, Soto) selon
lesquels, de par la volonté divine, la source de tout pouvoir résidait dans le
peuple lequel en déléguait l'exercice au souverain qui était donc tenu de ne
point contrevenir aux souhaits des populations. » -Bernard Lavallé, L’Amérique
espagnole. De Colomb à Bolivar, Éditions Belin, coll Belinsup Histoire, 2004,
318 pages, p.261.

"Né (probablement) en 14922, mort en 1546, Francisco de Vitoria reçoit l'habit


dominicain dès 1505 au couvent de Burgos et il est envoyé au collège
dominicain Saint-Jacques à Paris en 1509 pour y achever ses études. Il devient
docteur en Sorbonne en 1523. Il est nommé professeur de théologie au studium
dominicain de Valladolid. Trois ans plus tard, en 1526, ses qualités
pédagogiques lui valent l'obtention de la « chaire de prime» (= du matin) de
l'Université de Salamanque. Vitoria y enseignera jusqu'à sa mort. Il y aura de
nombreux disciples, parmi lesquels Melchior Cano, Fernando Vasquez et
Domingo de Soto. Ses œuvres ont été conservées seulement par les notes prises
par ses élèves à ses cours. Perpétuant en Espagne la récente tradition
parisienne de Crockaert, il substitue, lui aussi, la Somme de saint Thomas
d'Aquin aux Sentences de Pierre Lombard comme livre de base de
l'enseignement de la théologie." (p.176)

"À partir du milieu du siècle, les jésuites concurrencent fortement les


dominicains, y compris dans les études thomistes, en France, en Espagne et en
Italie. Comme les jésuites ont investi les universités espagnoles (en y créant huit
collèges), ils y ont bientôt une cohorte de savants, théologiens et philosophes
politiques, dont l'influence l'emporte peu à peu sur celle des dominicains. Les
grands jésuites italiens sont Antonio Possevino [Possevin] (1534-1611) et le
cardinal Robert Bellarmin (1542-1621) ; les grands jésuites espagnols sont Luis
de Molina (1535-1600),juan de Mariana (1535-1624) et Francisco Suarez
(1548-1617)." (p.177)

"Bellarmin pense, comme saint Thomas, que le pouvoir vient de Dieu, mais par
l'intermédiaire du consentement populaire, mediante consensu hominum […]

485
Donc il n'existe aucun « droit divin » au sens où l'entendent les absolutistes
français ou anglais, qui mettrait les souverains au dessus de tout jugement
humain et interdirait de les déposer pour de justes motifs." (p.178)

"Un troisième livre de jésuite est brûlé à Paris le 26 juin 1614, la Difensio Fidei
de Francisco Suarez, un des plus grands penseurs du XVIe siècle." (p.179)

"Thomisme singulièrement renouvelé. […]

Les auteurs de l'École vont tous attaquer les luthériens et les partisans
machiavéliens de la Raison d'Etat, donc en fait combattre dans l'œuf, avant
même qu'elles aient atteint tout leur développement, les doctrines absolutistes."
(p.180)

"Bellarmin, dans son traité sur Les Membres de l'Eglise, dit - anticipant donc de
façon frappante la célèbre formule dont usera Grotius dans les Prolégomènes
du Droit de la Guerre et de la Paix - que « même si par impossible l'homme
n'était pas créé par Dieu », il serait encore capable d'interpréter la loi de
nature, puisqu'il « serait encore une créature rationnelle ». Le droit naturel et la
raison naturelle sont donc les fondements indubitables de la construction d'un
ordre politique universel, et toute politique, tout État peuvent et doivent être
jugés à cette aune." (p.183)

"Vitoria fonde toutes ces thèses sur saint Thomas. On ne peut justifier la
conquête par la perspective de l'évangélisation, car il est dit dans la Somme
[…] qu'il est absurde et impie de forcer quelqu'un à croire, et saint Thomas a
même ajouté qu'on ne pouvait baptiser les enfants des juifs ou des infidèles sans
le consentement de leurs parents." (p.185)

"Les thomistes prennent pour cible à cet égard ce qu'on peut appeler le
patriarcalisme, c'est-à-dire la thèse selon laquelle, puisque, toute l'humanité
sort d'Adam, la monarchie serait le régime primitif et légitime. Cette thèse est
fausse, car le pouvoir paternel d'Adam n'a rien à voir avec un pouvoir royal,
c'est-à-dire politique." (p.186)

"La décision des hommes d'abandonner leur liberté naturelle est le fruit d'un
calcul d'intérêts. Il est « préférable » de changer notre condition, « simplement
du point de vue de notre bien-être ». Il est de notre intérêt d'accepter la
formation d'une communauté politique, afin de « créer quelque autorité
publique dont le rôle sera de maintenir et de promouvoir le bien commun ». […]
486
[Pour Suarez], Ce sont les hérétiques protestants qui disent que les Etats sont
établis directement par Dieu. Cette thèse revient à prendre Dieu comme cause à
la fois efficiente et matérielle de la société politique, alors qu'il est faux que
Dieu crée la société politique par un acte spécial, distinct de la Création tout
court. La vérité est que Dieu crée des hommes capables de créer à leur tour des
sociétés politiques. Il leur donne des facultés telles, et les place dans une
situation telle, qu'il leur est, ensuite, à la fois possible et nécessaire de créer
eux-mêmes les sociétés politiques désirées." (p.188)

"Suarez s'oppose aussi à la thèse impérialiste selon laquelle il y aurait un seul


pouvoir temporel sur toute la Terre, celui de l'empereur. Elle comporte « une
impossibilité morale ». Comme il faut que les sujets consentent à un pouvoir, et
qu'il n'y a jamais pu y avoir unanimité parmi tous les hommes, il n'a jamais pu
exister un unique pouvoir temporel sur toute la Terre. Si un tel Empire mondial
se constituait à la suite de quelque conquête, il serait illégitime […] Les
communautés politiques sont nécessairement diverses." (p.189)

"Les scolastiques de la Contre-Réforme ont joué un rôle éminent dans la genèse


du libéralisme." (p.191)

"Une première version de la « théorie quantitative de la monnaie» est formulée


par Azpilcueta, probablement avant la Réponse au paradoxe de M. de
Malestroit de Bodin à qui on attribue généralement cette découverte." (p.192)
-Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et
contemporains, Paris, Quadrige / PUF, 2009 (2002 pour la première édition),
1428 pages.

« Luis de Molina développa la théorie de la valeur subjective du prix. » -Jean-


Baptiste Noé, L’École de Salamanque, ancêtre du libéralisme.

« Their work deeply influenced the 17th century founders of the northern natural
law school, Hugo Grotius (1583-1645) and Samuel Pufendorf (1632-1694) who
disseminated their conclusions through northern Europe, paradoxically, at the
very time that Aristotelian and Thomistic philosophy was falling out of
fashion. » -James Gordley, Foundations of Private Law: Property, Tort,
Contract, Unjust Enrichment, 2006.

"A systematic theoretical foundation for both international law and universal
human rights emerged in Catholic thought at least as early as the sixteenth

487
century in the work of Francisco de Vitoria and his contemporaries in
Salamanca, Spain. The classical natural law account characteristic of the
Catholic intellectual tradition has consistently understood the paradigmatic
definition of law to be tied to the good of the human person through law’s
proper orientation to the common good. Out of his deep reflections on the
Spanish encounter with the peoples of the New World, Vitoria expanded the
Thomistic notion of the common good to incorporate into it the ius gentium, the
law of nations. Vitoria analogized the whole world to a single commonwealth, in
which all of the human family shares in a single common good. Synthesizing the
juridical concepts of rights drawn from the canon law with the philosophical
tradition of natural law, Vitoria and his followers also vigorously and
systematically defended the rights of the American Indians to ownership of their
lands, to equality, and to sovereignty, principally on the basis that the natural
rights of the Indians were grounded in their creation as rational beings in God’s
image. The School of Salamanca thus represents an early and lucid example of
Catholic human rights discourse." -Carozza, Paolo G. and Philpott, Daniel, "The
Catholic Church, Human Rights, and Democracy: Convergence and Conflict
with the Modern State" (2012). Scholarly Works. Paper 882, p.17-18.

"The scholastic economic philosophy reached its apogee in sixteenth-century


Spain where the theologian-economists of the 'School of Salamanca' developed
the first general theory of value, embracing both goods and money, and
accommodated traditional Catholic natural law teaching to an economic
doctrine more appropriate to the needs of a developing commercial society.

Such is the similarity between scholastic thought and late nineteenth-century


economic theory that it would not be inaccurate to say that there is a continuous
stream of subjectivist economics that runs from the thirteenth-century to Carl
Menger and the Austrian School of economics, and that the obsession with an
objectivist labor costs theory of value in 'classical' economics was a quite
unnecessary and time-consuming detour. In his History of Economic Analysis,
Joseph Schumpeter, who was one of the first writers to recapture scholastic
economics for the modern world, wrote that all that was missing from the
scholastic doctrine was the concept of the margin. It was also Schumpeter who
saw that the Catholic natural law philosophy was basically utilitarian and
concerned with justifying human institutions, such as property, on public
interest grounds, and that the concept of 'reason' for the later schoolmen was
488
'sociological' rather than abstract. Reason's object was to trace out regularities
that are revealed when men are left to their natural inclinations.

In addition to Schumpeter, the work of Raymond de Roover and Marjorie Grice-


Hutchinson has pioneered in rehabilitating scholastic economics. From their
work it is clear that, although there were elements of cost of production theories
in scholastic economics, the dominant view (which can be traced from Aristotle
to St. Augustine through to St. Thomas Aquinas) interpreted the value of a good
not as something that inhered in the thing itself but as a product of 'common
estimation' or subjective opinion, and of the thing's perceived scarcity. Thus the
'just' price was the competitive price that emerged from the interaction of
subjective supply and demand. As Diego de Covarrabias (1512-1572) put it:
"The value of an article does not depend on its essential nature but on the
estimation of men, even if that estimation be foolish. Thus in the Indies, wheat is
dearer than in Spain because men esteem it more highly, though the nature of
the wheat is the same in both places." The 'ethical' element in the theory related
not to a moralistic idea that price ought to equal labor cost but to the argument
that the 'just' price would emerge only under conditions of more or less perfect
competition (the schoolmen were in fact strident critics of monopoly), and where
there is no deceit, fraud, or force. One reason why the schoolmen were reluctant
to embrace a cost of production theory rather than a subjectivist theory was that
it would actually give merchants an excuse to raise prices above their market-
clearing level and would therefore exploit consumers.

The earliest exponents of subjectivism were Buridan (1300-1358), Saravia de la


Calle (c. 1540) and Domingo de Soto (1495-1560); but the clearest expositor of
the competitive view was the Portuguese Jesuit Luis de Molina (1535-1600).
Molina, of the School of Salamanca, also showed an advanced analytical
understanding of competition. The achievement of those writers was to mitigate
the moralizing element in Catholic social science and to show that the
customary practices of trade were not against 'nature.'

The School of Salamanca was similarly successful in breaking out of moral


theology in its theory of money. While Jean Bodin (1530-1596), the French
political theorist, is normally credited with the first formulation of the quantity
theory, it is now clear that this originated with the Spanish schoolmen.
Influenced by the rise in the price level in Spain brought about by the influx of
489
gold and silver from the New World, the Dominican Martin de Azpilcueta
(1493-1587), wrote in 1556 that "money is worth more where and when it is
scarce that where and when it is abundant." Once again, however, it was
Molina who systematically placed the explanation of the value of money within
the general theory of value and developed a theory of foreign exchange that
anticipated the purchasing power parity doctrine. An important consequence of
this latter point was that profits on exchange dealings between foreign
currencies were adjudged to be not usurious and therefore not contrary to
natural law. Molina also showed that the value of money was necessarily
inconstant and that to "control it would do a great deal of harm to the republic";
therefore its value ought to be left to vary freely.

Of course, to say that important elements of modern value theory were


contained in scholastic theory does not make these economists classical liberals.
Although the just price was the market price there is ample justification in
natural law for the suspension of the market and for the public regulation of
prices, especially in famines and emergencies. De Roover concedes that since
scholastic doctrine authorizes interference with the market to protect buyers and
sellers this could license a wholesale suspension of the competitive system.
Certainly, scholastic economic theory was too closely linked with ethics and
natural law to produce a systematic theory of the self-regulating market order.
In her later work, Marjorie Grice-Hutchinson claims that a theory of the
general harmony of the market order was absent from the sixteenth-century
Spanish scholastics and does not appear until 1665 with the work of Francisco
Centani." -Norman P. Barry, "The Tradition of Spontaneous Order", Literature
of Liberty, summer 1982, Vol. V, no. 2, pp. 7-58. Arlington, VA: Institute for
Humane Studies.

« Vitoria était un Frère Dominiquin, comme l’était Thomas d’Aquin, et fut un


véritable disciple intellectuel de ce dernier. Lorsqu’en 1526, Vitoria fut élu pour
occuper la chaire principale de théologie de l’Université de Salamanque, il
remplaça les Sentences de Pierre Lombard par la Somme Théologique de
Thomas d’Aquin en tant que texte de formation standard, et cette substitution
devint ultérieurement la pratique généralisée à travers l’Europe catholique. »

« Bien que Thomas d’Aquin emploi le plus souvent droit (ius) dans un sens
objectif et ne développe à proprement parler une théorie des droits individuels,

490
il y a de nombreuses instances lors desquelles d’Aquin use le terme dans un sens
subjectif ou individuel, en parlant de droits particuliers. »

« Il est commun pour ceux qui sont familier de la tradition anglo-saxonne


d’attribuer la notion de droits subjectifs en tout premier lieu à Hobbes et Locke,
et d’identifier ainsi le langage des droits aux autres aspects de l’anthropoligie et
de la théorie politique libérale de Hobbes. Et pourtant un siècle avant
qu’Hobbes ne commence à écrire sur le sujet, Vitoria et ses héritiers à l’École
de Salamanque étaient en train de débattre de droits naturels dans un contexte
historique bien distinct et à partir de suppositions radicalement différentes sur
la nature humaine. Hobbes lui-même n’était pas familier avec les théories qui
émergèrent de Salamanque, et par conséquent Vitoria ne peut aucunement être
considérée comme un précurseur de Hobbes. Néanmoins, les écrits de Vitoria
eurent une importance énorme pour la théorie politique, non seulement en
Espagne, où il devint une sorte d’orthodoxie, mais à travers l’Europe
continentale entière, et fixèrent l’agenda pour les discussions ultérieures de
l’Europe catholique sur le droit international jusqu’à la fin du dix-septième
siècle. Vitoria est communément vu comme le fondateur de « l’École de
Salamanque », qui inclus des penseurs tels que Domingo de Soto, Diego de
Covarrubias et les jésuites Luis Molina et Juan de Lugo. Établi en 1218,
l’Université de Salamanque est l’une des plus anciennes au monde, et jouissait
déjà d’un grand prestige lorsque Vitoria arrive en 1526. Cependant, Vitoria
infusa une nouvelle vigueur les études du thomisme et du droit naturel à
Salamanque, et inspira un intérêt qui perdura longtemps après sa mort.
L’Empereur Charles V recourait fréquemment au conseil de Vitoria, ce qui
mène finalement les Indiens à être placé sous la protection de la Couronne
Espagnole.

Les œuvres de Vitoria peuvent être divisés en deux groupes : (1) ses
commentaires extensifs des écrits de Thomas d’Aquin, et (2) ses relectiones.
Pendant les vingt années de la période où Vitoria occupa la chaire principale de
théologie à Salamanque, il dispensa des lectures formelles annuelles à
l’ensemble du corps étudiant de l’Université, sur des sujets d’une importance
particulière ou en phase à l’actualité, en accord avec les statuts de l’université.
En raison de problèmes de santé dans ses dernières années, Vitoria ne fut pas
toujours capable de remplir cette obligation, et ses relectiones cessèrent à un
total de quinze, dont treize ont été préservées. Quoi qu’il ne publia pas
personnellement ces cours, il laissa d’abondantes notes et ses étudiants
491
retranscrivaient souvent ses conférences, ce qui facilita la publication de ses
relectiones en 1557. Plusieurs des relectiones devinrent célèbres, tout
particulière De indis et De iure belli hispanorum in barbaros, qui traitent toutes
deux des questions légales et éthiques relatives à la colonisation espagnole de
l’Amérique. Bien que de première importance pour le développement de la
pensée légale et politique dans l’Europe continentale, les écrits de Vitoria sont
relativement inconnu dans le monde de langue anglaise, et ses œuvres politiques
ne furent traduites et publiées en anglais qu’en 1991.

[…] Vitoria fut introduit aux problèmes éthiques de la conquête du Nouveau


monde lorsqu’à l’état 1523, après dix-huit années d’études et d’enseignements à
Paris, il retourna à Valladolid, en Espagne, pour occuper un poste
d’enseignement au Collège San Gregorio. Lorsque trois ans plus tard, Vitoria
arriva à Salamanque, il rencontre une atmosphère d’intense préoccupation vis-
à-vis de la détresse des Indiens dans le Nouveau Monde, avec des missionnaires
envoyés du couvent de San Esteban (auquel appartenait Vitoria) vers le
continent américain, dont les rapports fréquents arrivaient, concernant l’état
des affaires avec les peuples indigènes. Le premier document encore conservé
dans lequel Vitoria traite de la question des natifs du Nouveau Monde vingt-huit
ans plus tard. Frappé par les nouvelles de la conquête du Peru par Pizzaro,
Vitoria pris la résolution d’étudier la question des indiens en profondeur, et
écrivit en novembre 1534 une lettre de dénonciation passionnée à son supérieur
religieux, Miguel de Arcos. Il accusa les conquistadores espagnols d’invasion et
d’agression et réfuta les arguments théologiques en faveur de la conquête,
provoquant une crise de la conscience nationale. Dans le début du mois de
janvier 1539, Vitoria prononça sa célèbre conférence De indis recenter in
ventis, qui résuma sa pensée vis-à-vis de la légitimité des revendications
espagnoles dans le Nouveau Monde, suivit par une autre, De iure belli
hispanorum in barbaros, prononcée le dix-huit juin de la même année, et qui lui
donnèrent le titre de Père du Droit international.

Vitoria commence son importante Relectio de indis en proposant trois points


pour son traitement de la « question indienne », nommément : (1) de quel droit
les Indiens se trouvent-ils sous le pouvoir des Espagnols, (2) quelle juridiction
le monarque espagnol et l’Église peuvent-ils avoir sur eux en termes spirituels
et civils, et (3) quelle autorité le monarque espagnol et l’Église peuvent-ils avoir
sur eux en termes spirituels et civils. Vitoria fit immédiatement valoir que ces
questions de juridictions internationales devaient être considérées à la lumière
492
divine (et naturelle) de la loi, puisque les Indiens ne sont pas sujets aux lois
positives et humaines de l’Europe.

Dans l’importante troisième partie, Vitoria affirme que les Indiens ont un
droit de propriété (dominium) sur leurs possessions et leurs terres, et qu’ils les
possédaient légitiment avant que les Espagnols n’arrivent. Le concept de
dominium forme le pivot de l’argumentation générale de Vitoria sur les
Indiens, puisque la capacité à la possession morale et juridique distingue un
sujet moralement pertinent à qui est due la justice. Résumant les arguments
opposés, Vitoria statua que seuls quatre fondement pouvaient potentiellement
être utilisés pour dénier aux Indiens le statut de sujets de droits naturels : soit
parce qu’ils étaient pêcheurs, ou infidèles, ou simples d’esprits, ou irrationnels.
Vitoria réfute tous ces arguments, l’un après l’autre. Il souligne que le
dominium est basé sur la création de l’homme que le pêché n’oblitère pas, et
qu’il n’est pas altéré par l’acceptation ou le refus de la foi chrétienne par
quelqu’un, et qu’ainsi ni l’infidélité ni les autres péchés mortels ne privent les
Indiens de leurs droits de propriété.

En ce qui concerne les deux autres arguments selon lesquels les Indiens seraient
des simples d’esprit ou dénués de raison, Vitoria admet que des créatures
irrationnelles ne peuvent avoir des droits de propriété. Vitoria répète
l’argument thomiste selon lequel les êtres humains diffèrent fondamentalement
des animaux irrationnels, en cela que les êtres humains n’existent pas au profit
d’autrui, comme les animaux, mais pour eux-mêmes, un argument central dans
la compréhension contemporaine des droits naturels par l’Église. Plus encore,
comme les animaux irrationnels ne peuvent souffrir d’injustice, ils ne peuvent
pas être des sujets de droits.

Les Indiens sont clairement rationnel, puisque qu’ils ont une société ordonnée,
des villes, le mariage, des magistrats, des lois, des artisans et des marchés,
toutes choses qui nécessitent le recours à la raison. Comme la caractéristique
distinctive de l’humain est la raison, les Indiens sont des êtres humains et nul
n’a le droit de les déposséder de leurs propriétés. Vitoria ajoute en plus un point
important d’après lequel les droits ne résident pas dans l’exercice de la raison,
mais dans la possession d’une nature rationnelle, en conséquence de quoi même
les enfants n’ayant pas encore parvenus à faire usage de leur raison étaient
capable de propriété.

493
Dans la quatrième partie de sa relectio, Vitoria procède à l’énumération et à la
réfutation systématique de ce qu’il nomme les revendications illégitimes selon
lesquelles les barbares du Nouveau Monde pourraient être assujettis à la loi
espagnole. Basant ses arguments sur la section précédente dans lequel il
établissait la légitimée du titre de propriété des Indiens sur leurs biens et leurs
terres, rejeta huit revendications telles que la supposé domination de l’empereur
sur l’ensemble du monde, la gouvernance temporelle universelle du pape, la
condition pécheresse des Indiens et leur refus d’accepter la foi du Christ. Même
si ces revendications étaient vraies, écrit Vitoria, les Espagnols n’auraient
toujours aucun droit d’occuper ces provinces, de déposer leurs dirigeants, ou de
les dépouiller de leurs propriétés. Dans la cinquième partie de De Indis, Vitoria
présente ensuite ce qu’il considère être les revendications légitimes des
Espagnols, concernant les transactions avec les natifs du Nouveau Monde. Il
formula ce qu’il appelle le « droit naturel de société et de communication »
(naturalis societis et communicationis), avec un droit corollaire de migration et
de libre-commerce et négociations entre tous les peuples. Vitoria ajouta à cela
un droit de prêcher le Gospel sans empêchement dans les provinces du Nouveau
Monde –laissant l’acceptation ou le rejet de la foi chrétienne aux auditeurs- tout
comme à la protection des innocents contre la tyrannie, si la situation venait à
se présenter.

Les Espagnols peuvent avoir un titre légitime de recourir à leurs armes et à


l’occupation, mais aucunement en dernier ressort, si après avoir employés tous
les moyens pacifiques d’assurer leurs droits, ils souffraient de blessures et de
fourberies de la part des Indiens. Tout tentative de priver un homme de ses
droits constitue une blessure, et la réparation de cette offense constitue un juste
motif de guerre. L’Espagne ne pouvait prétendre que sa conquête avait été juste
que si les Indiens avaient de quelque façon lésé les Espagnols en leurs déniant
l’accès à leurs terres ou la possibilité de prêcher la foi chrétienne, ce qui ne
semble pas être le cas.

Dans son épilogue, Vitoria dit que dans la présente situation, la Couronne
espagnole ne devait pas abandonner tout contact avec le Nouveau Monde, car il
en résulterait d’intolérable dommage aux Espagnoles, bien que, notait-il, les
Portugais avaient tiré grand bénéfice de leur intense commerce avec des
peuples similaires sans recourir à la guerre. » -Thomas D. Williams, Francisco
de Vitoria and the Pre-Hobbesian Roots of Natural Rights Theory, Alpha Omega
7, n°1, 2004, 47-59.
494
http://hydra.forumactif.org/t2386-jean-francois-courtine-nature-et-empire-de-la-
loi-etudes-suareziennes#3123

http://hydra.forumactif.org/t2385-antonio-truyol-y-serra-la-conception-de-la-
paix-chez-vitoria

http://www.amazon.fr/loi-Commentaire-th%C3%A9ologique-Ia-IIae-90-
108/dp/220410003X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1454953391&sr=8-
1&keywords=Francisco+de+Vitoria

http://www.amazon.fr/justice-Francisco-
Vitoria/dp/2247136397/ref=sr_1_70?ie=UTF8&qid=1448537196&sr=8-
70&keywords=Biblioth%C3%A8que+dalloz

http://www.amazon.fr/Francisco-Vitoria-Indiens-Hernandez-
octobre/dp/B010IP0YG6/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1453305304&sr
=1-2&keywords=Francisco+de+Vitoria+et+la+Le%C3%A7on+sur+les+Indiens

http://www.amazon.fr/Soci%C3%A9t%C3%A9-%C3%A9conomie-lEspagne-
XVIe-
si%C3%A8cle/dp/2730214763/ref=sr_1_40?s=books&ie=UTF8&qid=1454953
590&sr=1-40&keywords=l%E2%80%99%C3%89cole+de+Salamanque

Francisco Suárez (1548-1617): « Si nous nous référons à la défense de la


communauté elle-même, cette dernière n'a lieu d'être que dans les cas où le roi
agresse en acte le pays avec l'intention injuste de le détruire et de tuer ses
citoyens, ou de créer une situation similaire. Selon cette éventualité, il serait
assurément légitime de résister au souverain, même en le tuant, s'il n'existait pas
d'autre possibilité de se défendre. » -Francisco Suárez, Des lois et du Dieu
Législateur (Tractatus de legibus ac Deo Legislatore), Livre IV, chapitre 6,
1612.

« Dans le corpus thomiste, il n'y a pas de place pour le volontarisme dont Duns
Scot et surtout Suárez se feront les défenseurs. » (p.55)

« Contre le nominalisme montant des Occamiens, il considérait que les idées,


loin d'être des créations humaines, sont des réalités divines et que, parmi elles,
la notion du droit naturel est l’œuvre de Dieu lui-même. » (p.59)
-Simone Goyard-Fabre, Les embarras philosophiques du droit naturel, Paris,
Librairie philosophique J. Vrin, coll. Histoire des idées et des doctrines, 2002.
495
« Spinoza paraît surtout avoir connu les scolastiques les plus récents (il lui
arrive cependant de citer saint Thomas), ceux du XVIème et XVIIème siècle. Les
ouvrages du jésuite espagnol Suarez ont directement ou indirectement, à travers
d'autres auteurs, contribués à la formation de son esprit et de son vocabulaire. »

-Charles Appuhn, Notice sur Les Principes de la philosophie de Descartes et


Les Pensées Métaphysiques, in Spinoza, Œuvres I, GF Flammarion, 443 pages,
p.226.

http://hydra.forumactif.org/t701-francisco-suarez-la-distinction-de-l-etant-fini-
et-de-son-etre-des-lois-et-du-dieu-legislateur#1295

Fernando de Rojas (1465/73-1541) : « Par cette alliance inattendue de la


féérie amoureuse, de la dialectique et du réalisme, Fernando de Rojas, dans un
livre écrit pour être lu à haute voix, mais non pour être représenté "par
personnages", ouvre triomphalement le Siècle d'Or, et indique des perspectives
prodigieuses, le théâtre tout entier, sa variété, sa richesse, tout ce
qu'exploitèrent après lui Lope de Vega et Calderon, et bien d'autres, tout le
mirage de la vie, et tout le mirage de la morale, et laisse encore cent trésors
inexploités, pour des siècles à venir. Aucune œuvre, depuis Sénèque le Tragique,
n'a eu plus d'importance et une postérité plus éclatante. Si Corneille connaît mal
encore l'espagnol, Nicolas Cousteau, Jacques de Lavardin l'ont traduite pour
lui, à Paris et à Rouen, et à Rouen encore, deux ans avant Le Cid, Charles
Osmond en donne en 1634 une édition dans les deux langues.
Tout cela, les Français le savent bien. Si les pastorales viennent d'Italie, la
fécondité espagnole, la richesse d'invention séduisent vite nos écrivains.
Pourquoi se donner la peine d'imaginer puisqu'il y a l'Espagne ? » -Robert
Brasillach, Corneille, Fayard, 2006 (1938 pour la première édition), 355 pages,
p.48.

Miguel de Cervantès (1547-1616): « Cervantès, qui exprime, dans la société


bourgeoise en voie de formation, la psychologie du hidalgo ruiné et déclassé, a
voulu seulement parodier les romans de chevalerie : mais cette parodie réaliste
est devenue l’épopée burlesque du féodalisme à son déclin. Les ailes des
moulins qui jettent à terre Don Quichotte font tressaillir d’aise les boutiquiers et
les clercs, parce qu’ils annoncent symboliquement que l’âge des chevaliers
errants est révolu et que l’âge des marchands va venir… » -Jean Fréville,
Introduction aux Grands textes du marxisme sur la littérature et l’art, 1936.

496
Ignace de Loyola (1491-1556) :

Bartolomé de las Casas (1484-1566):

Thérèse d'Avila (1515-1582):

Philippe II d'Espagne (1527-1598) : https://www.amazon.fr/Philippe-II-Ivan-


Cloulas/dp/2213028427/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1489418197&sr=
1-1&keywords=Ivan+Cloulas%2C+Philippe+II

Le Brésil colonial (1500-1815) :

http://hydra.forumactif.org/t3539-armelle-enders-nouvelle-histoire-du-
bresil#4374

Hernán Cortés (1485-1547) : « Les méthodes de l'accumulation primitive sont


tout ce qu'on voudra, hormis matière à idylle. » -Karl Marx, Le Capital, Livre I,
1867.

https://www.amazon.fr/Cortes-Christian-
Duverger/dp/2213609020/ref=pd_sbs_14_3?_encoding=UTF8&psc=1&refRID
=3DNTBXSHCBY3WQ93ZQH1

https://www.amazon.fr/conqu%C3%AAte-Mexique-Bernal-Diaz-
Castillo/dp/274278277X/ref=pd_sim_14_1?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
9NWK1NFASD96NA8M07RH

Martin Luther (1483-1546) et la Réforme protestante : « Le Christ ne fait pas


des princes ou des seigneurs, des bourgmestres ou des juges, mais il en laisse le
devoir à la raison; celle-ci traite des choses extérieures, où est la place de
l'autorité » -Luther.

« Nous croyons, en effet, que Dieu sait et ordonne tout par avance, et qu'il ne
peut faillir ni se laisser arrêter par rien dans (...) sa prédestination ; si donc
nous croyons que rien n'arrive sans sa volonté, (...), il ne peut y avoir de libre
arbitre ni chez l'homme, ni chez l'ange, ni chez aucune créature. De même, si
nous croyons que Satan est le prince de ce monde et qu'il combat le règne du
Christ de toutes ses forces et de toute sa ruse, retenant les hommes actifs aussi
longtemps que l'Esprit de Dieu ne les lui arrache pas, il est encore une fois très
évident que le libre arbitre ne peut exister. » -Martin Luther, Du serf arbitre
(1524).
497
« Il n'existe sur Terre, parmi tous les périls, rien de plus dangereux qu'une
raison adroite et bien pourvue, surtout si elle s'occupe de questions spirituelles
qui touchent à l'âme et à Dieu » -Luther.

« Le monde entier, toute l’histoire de l’humanité attendaient la venue de cet


homme [Luther]. » -Thomas Carlyle, Les Héros (1841), Maisonneuve et Larose,
1998, p.174.

« L’occamisme a énoncé, dès le XIVe siècle, la supposition implicite en toutes


ces doctrines : rien, dans la nature, ne peut nous amener aux objets de la foi ; la
foi est un domaine fermé, réservé, incommunicable sinon par un don gracieux
de Dieu. Mais n’est-ce pas aussi l’idée fondamentale de la Réforme ? Notre
intelligence ni notre volonté ne peuvent être en rien disposées à la foi par des
moyens naturels. La Réforme s’oppose autant à la théologie scolastique qu’à
l’humanisme ; elle nie la théologie scolastique, parce qu’elle nie avec Occam
que nos facultés rationnelles puissent nous conduire de la nature à Dieu ; elle
renie l’humanisme moins pour ses erreurs que pour ses dangers, puisque les
forces naturelles ne peuvent communiquer aucun sens religieux.

En revanche la Réforme est aussi hostile que l’humanisme à la conception


théocentrique de l’univers et à toutes les thèses morales et politiques qui y sont
liées ; l’un et l’autre veulent ignorer cette synthèse du naturel et du divin, du
monde sensible et de son principe, avec toutes les conséquences qu’avait rêvées
le XIIIe siècle. » -Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des
sciences sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages).,
p.494.

"La Réforme [...] dut une bonne partie de son succès au capitalisme de
l'imprimé. Avant l'âge de l'imprimerie, Rome triompha sans mal de toutes les
hérésies en Europe occidentale parce qu'elle avait toujours eu de meilleures
voies de communication internes que ses adversaires. Mais lorsqu'en 1517
Martin Luther cloua ses thèses sur la porte de la chapelle des augustins de
Wittenberg, elles furent imprimées en traduction allemande: "En une quinzaine
de jours, elles sont connues partout". Entre 1520 et 1540, il y eut trois fois plus
de livres publiés en allemand que dans les deux premières décennies du siècle:
transformation stupéfiante dans laquelle Luther joua un rôle absolument
central. Ses œuvres ne représentent pas moins d'un tiers de tous les livres de
langue allemande vendus entre 1518 et 1525. Entre 1522 et 1546, il y eu au

498
total 430 éditions (intégrales ou partielles) de ses traductions de la Bible [...] En
fait, Luther fut le premier auteur de best-seller connu comme tel." (p.51)
-Benedict Anderson, L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du
nationalisme, Paris, Éditions La Découverte & Syros, 2002 (1983 pour la
première édition américaine), 211 pages.

« Le protestantisme est essentiellement une religion bourgeoise. » -Karl Marx,


Le Capital, Livre I, 1867.

« À la hiérarchie d'en haut, la Réforme substitua la libre association des


croyants émancipés du lien d'autorité, par laquelle chacun devint son propre
arbitre, et l'égal de son prochain. Ce fut, en d'autres mots, le principe de la
décadence libéral-démocratique européenne. » -Julius Evola, Impérialisme
payen (1928).

« Les théologiens se sont mis à philosopher, à partir de Luther, en posant,


comme base de la foi et presque comme la foi elle-même, la liberté d'interpréter
et de commenter. Aussi l'Allemagne actuelle commence-t-elle à Luther. Au
commencement du XVIème siècle, le saint Empire allemand n'était guère
qu'ombre ; il était divisé en d'innombrables principautés rivales, agitées comme
une poussière d'orage. Cependant, lorsqu'il engage la lutte contre les
indulgences, Luther oppose toute l'Allemagne opprimée et dévorée à l'avide et
cupide Italie ; selon sa propre expression, il ressuscite "l'Allemagne unie". [...]

Quant à nous, nous trouvons déjà le socialisme inclus dans la doctrine et les
écrits de Luther, nous avons le droit de dire que le socialisme allemand est
intimement lié et rattaché aux premiers fondements de l'Allemagne. »

« Tout chrétien est prêtre. Lorsqu'à une époque récente le suffrage universel fut
décrété en France, beaucoup trouvèrent cette politique trop téméraire et comme
monstrueuse. Combien Luther était plus audacieux, lui qui décrétait le
sacerdoce universel ! »

« Dès les premières prédications de Luther, le peuple allemand tout entier, toute
la plus misérable populace de l'Allemagne se prit ardemment à désirer et à
espérer l'avènement d'une justice parfaite même sur la terre. Elle frappait
surtout de sa haine farouche les usuriers. Luther avaient envoyé à tous ses
porteurs son libellé sur les usures, afin que partout ils condamnassent le prêt à
intérêt et invitassent les usuriers à la restitution. » -Jean Jaurès, Les origines du

499
socialisme allemand, traduction par Adrien Veber de la thèse latine, in Revue
Socialiste (de Benoît Malon), 1892.

« Chez Luther et les réformateurs allemands, on trouve une dénonciation


virulente de leur époque, où le grand commerce et la finance sont en pleine
expansion, une condamnation de l'usure, de l'avarice et de l'esprit de gain, une
glorification de la société paysanne traditionnelle, nostalgie d'un âge d'or perdu
-thématique qui s'appuie sur un courant théologique déjà répandu au Moyen
Age. » -Michael Löwy & Robert Sayre, Révolte et mélancolie. Le romantisme à
contre-courant de la modernité, Éditions Payot, 1992, 303 pages.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Des_Juifs_et_de_leurs_mensonges

https://www.amazon.fr/Martin-Luther-Rebelle-rupture-
biographie/dp/2706711841/ref=pd_sim_14_6?_encoding=UTF8&psc=1&refRI
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https://www.amazon.fr/grands-%C3%A9crits-r%C3%A9formateurs-
chr%C3%A9tienne-
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D=PCEQKH961EBRJ4DSSZ0K

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Cottret/dp/2262032327/ref=pd_sim_14_4?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=A
QX9C63C7MXRVR9VJVDV

Thomas Müntzer (1489-1525) : « Il faut à tout ce monde endurer un grand


coup de fouet. Un tel tapage s’annonce que les impies se verront jetés à bas de
leurs sièges, et les humbles s’élèveront. » -Thomas Müntzer, Dévoilement
explicite des fausses croyances du monde infidèle présenté à travers le
témoignage de l’Évangile de Luc à la misérable et pitoyable chrétienté en
mémoire de ses erreurs, 1524.

« Comme Münzer le proclama, et comme Luther l'apprit à ses dépens,


l'égalitarisme spirituel avait tendance à déborder sur le temporel, créant ainsi
une tension perpétuelle dans la doctrine luthérienne. » -Edward P. Thompson,
La formation de la classe ouvrière anglaise, Editions Points, 2012 (1963 pour
l'édition originale anglaise), 1164 pages, p.480.

500
https://www.amazon.fr/M%C3%BCntzer-contre-Luther-Schaub-
Marianne/dp/B00511HFX8/ref=sr_1_fkmr0_1?s=books&ie=UTF8&qid=14848
33049&sr=1-1-
fkmr0&keywords=M%C3%BCntzer+contre+Luther+%3A+le+droit+divin+cont
re+l%E2%80%99absolutisme+princier

Ulrich Zwingli : https://www.amazon.fr/Zwingli-th%C3%A9ologien-Peter-W-


Stephens/dp/2830908872/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1488207670&sr=8-
1&keywords=Zwingli+le+th%C3%A9ologien

Jean Calvin (1509-1564) : « La farouche intolérance religieuse de Calvin a été


moralement plus compacte, plus implacable que ne le fut la farouche
intolérance politique de Robespierre. Sur un théâtre plus vaste que Genève,
Calvin eût fait couler plus de sang que le terrible apôtre de l’égalité politique. »
-Balzac.

« Quand Calvin dédia à François Ier son Institution chrétienne, ce ne fut pas
simple opportunisme. Plus ouvert que Luther aux finalités de ce monde, Calvin
ne cessa de recommander l’obéissance aux magistrats, même à ceux qui
exerçaient leurs pouvoirs de façon tyrnnique et violentaient les consciences. La
Réforme, du moins avant d’être prise en charge par des factions politiques et
des ambitions sociales, renforça les precriptions traditionnelles de l’Église. » -
Denis Richet, Le royaume de France au XVIème siècle, in Denis Richet, De la
Réforme à la Révolution. Études sur la France moderne, Aubier, 1991, 584
pages, pages 343-387, p.364.

"Calvin croit suivre Luther, et cependant il produit une doctrine différente. Cela
nous invite à partir de son caractère ou tempérament particulier. Comme
Troeltsch le dit, Calvin a une conception très singulière de Dieu. Cette
conception correspond précisément à l'inclination de Calvin, et en général il
projette partout son inspiration personnelle profonde. Calvin n'est pas un
tempérament contemplatif, c'est un penseur rigoureux dont la pensée est tournée
vers l'action. De fait, il a régné sur Genève en homme d'État éprouvé, et il y a en
lui une pente légaliste. Il aime promulguer des règles et soumettre à leur
discipline lui-même et les autres. Il est possédé par la volonté d'agir dans le
monde et il écarte par des raisonnements cohérents les idées reçues qui l'en
empêcheraient." (p.73)

501
"Pour Luther, Dieu était encore accessible à la conscience individuelle par la
foi, l'amour et, dans une certaine mesure, par la raison. Chez Calvin, l'amour
tombe à l'arrière-plan, et la raison ne s'applique qu'à ce monde. En même
temps, le Dieu de Calvin est l'archétype de la volonté, où l'on peut voir
l'affirmation indirecte de l'homme lui-même comme volonté, et, au-delà,
l'affirmation la plus forte de l'individu, au besoin en tant qu'opposé, ou
supérieur, à la raison. Bien sûr, l'accent sur la volonté est central dans l'histoire
de toute la civilisation chrétienne, de saint Augustin à la philosophie allemande
moderne, pour ne rien dire de la liberté en général et du lien avec le
nominalisme (Occam)." (p.74)

-Louis Dumont, Essais sur l'individualisme. Une perspective anthropologique


sur l'idéologie moderne, Paris, Le Seuil, coll. Point, 1985 (1983 pour la
première édition), 314 pages.

http://www.amazon.fr/Calvin-R%C3%A9forme-modernit%C3%A9-
Fran%C3%A7ois-
Clavairoly/dp/2130576656/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1455724082&
sr=1-1&keywords=Francois-Clavairoly+modernit%C3%A9

http://www.amazon.fr/Jean-Calvin-Thomas-Hobbes-
Naissance/dp/2830914554/ref=sr_1_101?s=books&ie=UTF8&qid=1455723872
&sr=1-101&keywords=la+modernit%C3%A9

https://www.amazon.fr/Beginning-Ideology-Consciousness-Society-
Reformation/dp/0521274834?ie=UTF8&ref_=asap_bc

http://hydra.forumactif.org/t1518-bernard-cottret-calvin#2177

http://hydra.forumactif.org/t1519-olivier-millet-calvin-et-la-france#2178

http://hydra.forumactif.org/t1139-ernst-troeltsch-protestantism-and-
progress#1773

http://monarchomaque.org/2011/05/20/desobeissance-legitime/

Les guerres de religion : « Denis Crouzet observe que ces violences, violences
de possession, sont le résultat de la saturation des imaginaires au XVe et au
début du XVIe siècle par une rhétorique et une prédication eschatologiques
annonçant le Millenium. Les chrétiens, à l’orée des Réformes, auraient été en
proie à des peurs et des angoisses paniques ; la violence et la destruction de
502
l’hérétique, de l’ennemi de foi, seraient la possibilité d’une purgation
désangoissante des imaginaires des fidèles de l’Eglise pré-tridentine.

On l’observe, notamment dans la description du sac de Rome en 1527 par


Benvenuto Cellini : « La nuit venue, les ennemis dans Rome, nous tous qui
étions dans le Château, mais surtout moi qui me suis toujours délecté de
spectacles extraordinaires, nous contemplions les incendies et la panique
indescriptible dans les rues » (éd. A. Chastel, 1986, p. 66). Cette esthétisation de
la mise à sac de la Ville par les luthériens chez un auteur catholique ressort
d’un schéma complexe d’angoisse et de fascination pour les Temps derniers. La
tonalité prophétique des prédications qui saturent l’espace urbain des places et
rues des grandes métropoles de l’Europe moderne depuis le XVe siècle trouve
sa justification dans le grand spectacle de la violence que sont les mises à sac,
les sièges et les massacres. D’autres occasions moins spectaculaires que le
siège retentissant de l’Urbs sont autant de moment où s’exerce une violence
temporaire, sauvage, possédant les acteurs qui s’y adonnent à l’occasion de la
rencontre d’une procession ou d’un groupe de réformés chantant les psaumes.
Ces violences prophétiques, punitions divines, les guerres et les assauts au sein
des villes sont autant de signes annonciateurs de la fin des Temps et de la venue
de l’Antéchrist. Ils entretiennent au sein de l’espace urbain une permanente
confrontation entre Dieu et Satan (Crouzet, 1990).

Ajoutons que la durée du conflit de religion et son intensité, la radicalisation


des positions théoriques et militaires de chaque camp ont introduit – dans un
second temps – des facteurs nouveaux dans les logiques des acteurs, déterminés
sur le temps longs par des faits sociaux et économiques venant durcir les
premiers vecteurs d’action purement religieux. C’est dans ce cadre formel et
théorique analysé par les deux historiens qu’on peut faire l’hypothèse que la
ville représente le point nodal des affrontements religieux du XVIe siècle. »

« Les poussées de violences inouïes au sein des grandes métropoles de la


Chrétienté sont l’occasion, de Florence à Munster, pour des prédicateurs
catholiques et protestants, de préparer le populaire comme les élites, à la venue
imminente du Christ. Tel Savonarole qui, à Florence, instaure une République
chrétienne (1494-1498), se proclamant prophète officiel de la ville, cité sainte et
nouvelle Jérusalem au destin particulier. Tel Jean de Leyden qui, à Munster,
annonce le Millenium et instaure un royaume anabaptiste (frange radicale des
réformés du monde germanique). Il fait alors basculer la ville entière dans un
503
nouvel ordre biblique, compose un gouvernement de douze anciens à l’imitation
du collège apostolique. Proclamé roi de Sion et du nouveau temple, cet ancien
marchand ruiné sera défait par les princes luthériens en 1535 lors d’un sac
mémorable entre tous et une exposition du corps des chefs anabaptistes aux
clochers des églises de la ville, manière de se réapproprier par la souffrance du
corps de l’ennemi un espace considéré comme souillé et impur. Fait notable
pour la permanence de la mémoire des troubles, les cages abritant les corps des
chefs vaincus resteront suspendus au clocher de la ville jusqu’à la fin du XIXe
siècle. Dans ce dernier cas, on observe que la lutte pour les usages de l’espace
urbain est fondamentale ; en effet, les anabaptistes ont été particulièrement
sensibles pendant le règne de Leyden aux transformations urbaines, au choix du
lieu de prédication, au détournement de l’usage des bâtiments, allant jusqu’à
obliger les habitants à ouvrir leurs portes – de demeures et d’échoppes – le jour
comme la nuit, réalisant ainsi l’union parfaite et la communauté de tous dans
les fonctions même du bâti. »

« Les déchirures et les traumatismes occasionnés par les guerres au sein des
topographies et des imaginaires urbains, la nécessité fonctionnelle de vivre avec
l’ennemi absolu furent sans doute un des plus puissants vecteurs de
monopolisation de la violence par les États, maîtrisant, rationalisant dans le
cadre urbain pulsions et passions destructrices des ennemis d’hier. Le jeu
politique entre les villes et l’État se noue dès lors sur la question de l’extinction
de la violence. »

« Des troubles civils et religieux, stasis de la communauté politique de l’Europe


moderne, naquit au XVIIe siècle un nouvel ordre politique et religieux adossé
principiellement à l’urbanité. » -Jérémie Ferrer-Bartomeu, Stasis. Rupture de
l’unité confessionnelle, émeutes urbaines et reconfigurations politiques (France,
Saint-Empire, Italie – vers 1500-1650), revue-urbanites.fr, 8 novembre 2013.

https://www.amazon.fr/guerriers-Dieu-violence-troubles-
religion/dp/2876734303/ref=sr_1_9?s=books&ie=UTF8&qid=1484829956&sr=
1-9

Sébastien Castellion (1515-1563) : https://www.amazon.fr/Conseil-France-


d%C3%A9sol%C3%A9e-S%C3%A9bastien-
Castellion/dp/2845622767/ref=sr_1_4?s=books&ie=UTF8&qid=1500223706&s
r=1-4&keywords=S%C3%A9bastien+Castellion

504
Jean Bodin (1530-1596) : « L’abondance d’or et d’argent a fait enchérir toutes
choses dix fois plus qu’elles n’étaient il y a cent ans. » -Jean Bodin, La Réponse
de Maître Jean Bodin au paradoxe de M. de Malestroit, touchant
l’enchérissement de toutes choses, et le moyen d’y remédier (1568).

« Si donc le Prince doit au maniement de ses sujets imiter la sagesse de Dieu au


gouvernement de ce monde, il faut qu'il se mette peu souvent en vue des sujets,
et avec une majesté convenable à sa grandeur et puissance. » -Jean Bodin, Les
Six Livres de la République, IV, 6, 1576.

« Quant au droit de battre monnaie, il est de la même nature que la loi, et il n'y
a que celui qui a puissance de faire la loi, qui puisse donner loi aux monnaies.
En toute République bien ordonnée, seul le Prince souverain a cette
puissance. » -Jean Bodin, Les Six Livres de la République.

« Le juriste Jean Bodin est l’auteur d’une République (1577) où il oppose


Platon à Machiavel, en déclarant que l’autorité de l’État reste soumise au droit
naturel, qu’elle ne peut, par exemple, supprimer la propriété individuelle et que
l’État n’a d’autre fin que le souverain bien humain. L’idée fondamentale de son
Heptaplomeres est la même que celle de Postel : dégager de toutes les religions
existantes un contenu commun qui puisse devenir la religion universelle qui «
n’est pas autre chose que le regard d’un esprit pur vers le vrai Dieu » ; mais sa
religion est encore plus simplifiée que celle de Postel, puisqu’elle ne contient
guère que l’affirmation du Dieu unique et de son culte par l’exercice des vertus
morales ; et, dans la pratique, il arrive à une tolérance qui lui fait reconnaître
toutes les religions « afin de n’estre pas accusé d’athéisme ou d’estre un
séditieux capable de troubler la tranquillité de la République ». » -Émile
Bréhier, Histoire de la philosophie, "Les classiques des sciences sociales" (à
partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1928, 788 pages), p.515.

« Bodin, comme Aristote et saint Thomas, conçoit [...] le monde comme un tout
ordonné, hiérarchisé et finalisé. » -Simone Goyard-Fabre, Les embarras
philosophiques du droit naturel, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll.
Histoire des idées et des doctrines, 2002, p.62.

« La summa potestas et le summum imperium ont un temps donné des gages


pour une analogie facile, mais elle ne serait que fausse et trompeuse, car le
caractère suprême de la potestas vient de ce qu’elle est un pouvoir de vie et de
mort, sans appel, et de ce qu’elle est la prérogative de rares magistrats. Tout
505
suprême qu’elle soit, cette puissance se limite à une compétence précise, à un
domaine limité. La souveraineté moderne nécessite une compétence générale,
susceptible de s’étendre à tous les domaines qui relèvent de la chose publique.
Observons ici que pour traduire le concept qu’il décrit, Jean Bodin utilise le
terme majestas qui, à Rome, désigne un état juridique, un status comparé à
d’autres statuts. Or la souveraineté moderne ne souffre aucune comparaison, elle
impose sa suprématie car elle est une sécularisation du pouvoir divin : c’est un
écart de plus avec les représentations romaines. Enfin et surtout, Jean Bodin
imagine une nouvelle structuration du pouvoir très éloigné de la situation
antique. La cité romaine consacrait l’urbs au pouvoir civil et le limes au pouvoir
militaire, deux espaces juridiques distincts ; cette distinction disparaît avec l’État
moderne qui ne connaît plus que son territoire : l’espace politique étatique est
bien plus homogène. »

« Jean Bodin envisage les trois formes de gouvernement aristotéliciennes


comme compatibles avec la souveraineté. » -T. de Saint-Castin (dit Trichelin),
« La souveraineté », 2 juillet 2020 : https://relevedefrance.com/2020/07/02/la-
souverainete/

« Bodin rapporte constamment le concept de souveraineté au droit positif, et fait


de la compétence législative le noyau de la souveraineté. Cela est nouveau, car
jusque-là, la compétence la plus importante du souverain, à côté de celle de chef
de guerre, était celle de juge, de dernière instance terrestre. Désormais, le
souverain est l’unique législateur, sa tâche la plus importante est de dire la loi ;
et le droit est un système positif de règlements modifiables, qui doit
constamment être adapté à de nouvelles situations, et qui est dépendant
d’experts. Bien entendu, le souverain doit produire un droit juste, ce qu’il ne
peut faire, de l’avis de Bodin, que s’il respecte les lois divines et naturelles. Le
souverain est lié à elles, et il devra s’en expliquer post mortem, au jour du
Jugement dernier. Ici, Bodin suit encore l’ancienne doctrine européenne du bon
gouvernant. Le souverain n’est pas lié à la loi (lex), mais au droit (ius), étant
entendu que ius et iustum sont encore considérés comme une unité. Le besoin
d’une constitution n’existe pas, parce que l’ancienne hiérarchie des lois est
encore intacte, et parce que le besoin de légitimation est satisfait par le lien de la
souveraineté mortelle à la souveraineté immortelle du dieu chrétien.

Ce sera seulement pour Hobbes que vaudra véritablement la phrase d’Ulpien :


« princeps legibus solutus est ». Hobbes aplanit la différence entre droit positif
506
et supra-positif, entre droit divin et naturel : « No law can be injust ». Ce qui
signifie aussi – et c’est là le point intéressant – que le souverain est désormais
libre de se consacrer à sa tâche principale qui consiste en la production et en la
révision du droit positif. Dans l’État hobbesien, tout est contingent. Nul ordre
émanant de puissances supérieures ne décide au préalable des événements
politiques, nulle instance divine ou naturelle, au-dessus ou en-dehors de la
société, n’établit ce qui serait vrai ou faux, juste ou injuste, une bonne ou une
mauvaise vie. La société, dissociée de l’ordre de la nature par le contrat social,
est de part en part livrée à elle-même, et la volonté du citoyen, ou du souverain
qu’il a institué, est l’unique source de toutes les lois. »

« Alors que Bodin justifie encore l’Inquisition avec passion, ce moyen disparaît
chez Hobbes. Le deuxième droit fondamental du Léviathan découle également
du principe du règne de la loi et de la séparation stricte du droit et de la morale
: est permis ce que la loi n’interdit pas. Cela aussi est nouveau, et en rupture
avec la tradition de la vieille Europe, qui faisait de la vertu civique un devoir
légal, même là où n’existait pas de loi. Ainsi est contenu là, in nuce, le droit
subjectif de la liberté personnelle, et Hobbes a fortement accentué cette
dimension bourgeoise, liée à la propriété, du droit de liberté. »

-Hauke Brunkhorst, « Droits de l’homme et souveraineté – un dilemme ? »,


Trivium [En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 15 avril 2009, consulté le 31 mars
2018.

http://hydra.forumactif.org/t1473-jean-bodin-les-six-livres-de-la-
republique#2126

https://www.amazon.fr/deux-souverainet%C3%A9s-leur-destin-Bodin-
Althusius/dp/2204095176/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=41IE1aqdXCL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=NV7SHSNMD96
RFC5FDQ9R

Giovanni Botero (1544-1617) : http://hydra.forumactif.org/t1971-stephane-


bonnet-botero-machiavelien-ou-l-invention-de-la-raison-d-etat#2670

http://www.amazon.fr/raison-dEtat-1589-1598-Giovanni-
Botero/dp/2070135845/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1446928581&sr=8-
1&keywords=de+la+raison+d%27%C3%A9tat+Giovanni+Botero

507
http://www.amazon.fr/L%C3%A9tat-monde-Giovanni-Botero-
g%C3%A9opolitique/dp/2600011900

http://livre.fnac.com/a4191879/Stephane-Bonnet-Droit-et-raison-d-Etat

http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=RMM_033_0311

http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=LEPH_033_0315

http://www.amazon.fr/Raison-pens%C3%A9e-politique-l%C3%A9poque-
Richelieu/dp/2226116656/ref=sr_1_5?ie=UTF8&qid=1446928542&sr=8-
5&keywords=de+la+raison+d%27%C3%A9tat

Soliman le Magnifique (1494-1566) et l’Empire ottoman: « L'empire ottoman


ou plutôt l'empire des Osmanlis, doit son nom à son fondateur, Osman Ier, qui
fonda au XIIIe siècle un Etat indépendant en lisière de l'empire byzantin.
L'expansion turque s'orienta essentiellement vers l'ouest et atteignit son apogée
en 1453 avec la conquête de Constantinople. Ainsi furent jetées les bases du
grand empire ottoman qui finirait par s'étendre, en Europe, jusqu'à Vienne et,
en Afrique du Nord, jusqu'au Maroc. L'expansion de cet empire au Moyen-
Orient eut lieu principalement sous Sélim Ier (1512-1520). La gloire ottomane
fut à son zénith sous son successeur, Soliman le Magnifique (1520-1566), dont
le prestige vint de ses conquêtes, de ses qualités militaires et de ses talents
d'administrateur et de législateur. Constantinople comptait alors une population
que l'on estime entre 600 000 et 750 000 habitants, ce qui en faisait de loin la
plus grande ville d'Europe et l'une des plus grandes villes du monde. » -Henri
Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions Gallimard,
2009, 554 pages, p.27-28.

https://www.amazon.fr/Soliman-Magnifique-Andr%C3%A9-
Clot/dp/2213012601/ref=pd_sim_14_13?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=8N
STSJE7M0GWSK8PAFZ0

https://www.amazon.fr/LEmpire-ottoman-Fr%C3%A9d%C3%A9ric-
Hitzel/dp/2251410163/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1479232017&sr=1
-1&keywords=l%E2%80%99empire+ottoman

https://www.amazon.fr/Empire-ottoman-d%C3%A9clin-chute-
leffacement/dp/2866456017/ref=sr_1_41?s=books&ie=UTF8&qid=1479232125
&sr=1-41&keywords=l%E2%80%99empire+ottoman

508
https://www.amazon.com/Useful-Enemies-Ottoman-Political-1450-
1750/dp/0198830130

https://www.amazon.fr/Histoire-Turquie-lEmpire-nos-
jours/dp/B00QHZ4PGM/ref=pd_sbs_14_4?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
Z24W4J9HCVW9MCDS1GPJ

Michel de Montaigne (1533-1592) : « Je ne connais qu’un seul écrivain que,


pour l’honnêteté, je place aussi haut, sinon plus, que Schopenhauer: c’est
Montaigne. En vérité, du fait qu’un tel homme a écrit, le plaisir de vivre sur
cette terre en a été augmenté. Pour ma part, du moins, depuis que j’ai fait
connaissance avec cette âme, la plus libre et la plus vigoureuse, il me faut dire
de lui ce qu’il dit de Plutarque : ‘À peine ai-je jeté les yeux sur lui qu’il me
pousse une jambe ou une aile.’ C’est à côté de lui que je me rangerais si le
devoir s’imposait de se choisir une patrie sur la terre. » -Friedrich Nietzsche,
Considération inactuelle III, ‘Schopenhauer éducateur’, §3.

« Le premier Français qui ait osé penser. » -La Mettrie, à propos de Montaigne.

« A l'idéal savant d'un perfectionnement de la nature par l'étude, Montaigne


oppose le caractère bienheureux de l'innocence première. » (p.46)
-Thierry Ménissier, Machiavel ou la politique du centaure, Hermann Éditeurs,
coll. Hermann Philosophie, 2010, 547 pages.

http://hydra.forumactif.org/t3366-pierre-villey-les-sources-d-idees-au-xvie-
siecle#4185

http://www.amazon.fr/Montaigne-son-temps-%C3%A9v%C3%A9nements-
Essais/dp/2070728412/ref=pd_sim_14_26?ie=UTF8&dpID=41P9H4YCAHL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=151PFDGF0TE1
V9HYHQFV

http://www.amazon.fr/Essais-en-fran%C3%A7ais-
moderne/dp/2070122425/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449243933&sr=8-
1&keywords=michel+de+montaigne+gallimard

http://www.amazon.fr/Montaigne-vie-sans-Pierre-
Manent/dp/2081270420/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1450287065&sr=8-
1&keywords=Montaigne+%3A+la+vie+sans+loi

509
http://www.amazon.fr/Montaigne-splendeur-libert%C3%A9-Christophe-
Bardyn/dp/2081251612/ref=sr_1_21?s=books&ie=UTF8&qid=1450609314&sr
=1-21&keywords=libert%C3%A9

Étienne de La Boétie (1530-1563) : « Bien avant les philosophes des Lumières,


La Boétie a rigoureusement laïcisé sa réflexion. Le fondement en est strictement
anthropologique, la méthode ne met en œuvre qu'une rationalité abstraite et les
fins ne concernent que la sphère profane des affaires humaines. En contexte
français, à cette date, une telle prise de position paraît exceptionnelle car,
d'une part, elle participe de l'antimachiavélisme par son
refus radical du principe absolutiste mais, d'autre part, et c'est peut-être plus
décisif, elle en partage le cadre laïc et
l'épistémologie naturalisée. Pas plus que ce "puant athée" de Machiavel
(comme l'appellent les contemporains de La Boétie), le Discours ne s'inscrit
dans la problématique de salut des peuples chère aux érasmiens. Et cette
naturalisation des
questions, au sens non pas expérimental, mais plutôt immanentiste, ouvre sur un
champ d'intelligibilité hétérogène, dans lequel les anciennes réponses, tel le
droit divin, perdent leur pertinence. Ici, le souverain
est lié par le pacte politique et non plus par une mission divine; il rend des
comptes à l'autre partie contractante et non au ciel. La Boétie,
en pleine crise de la Réforme, écrit en dehors de toute considération
théologique et confessionnelle. » (p.6)

« La Boétie, en commun avec Voltaire, Rousseau, d'Alembert, Diderot et


Condorcet, définit normativement la nature humaine. Elle est présentée comme
substrat inaltérable, transcendant l'espace et le temps, indifférente aux
corruptions historiques et empiriques. On y reconnaît le type de l'idée
régulatrice.
De telles modalités épistémologiques permettent d'affirmer que des causes
naturelles (empiriques) produisent des effets contre nature (idéale). » (p.9)

« La Boétie est bien l'un des précurseurs directs de la doctrine des droits de
l'Homme et surtout du principe de l'inviolabilité de la conscience, dans une
société de citoyens égaux et fraternels. » (p.13)
-Danièle Letocha, Étienne de La Boétie précurseur des Lumières ?

510
http://www.amazon.fr/Discours-servitude-volontaire-Etienne-
Bo%C3%A9tie/dp/2081366673/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1449242735&sr=8-
4&keywords=%C3%89tienne+de+La+Bo%C3%A9tie

Marie de Gournay (1565-1645) : http://www.amazon.fr/Marie-Gournay-


femme-savante-
Mich%C3%A8le/dp/2213618909/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1449245184&sr=
8-2&keywords=Marie+de+Gournay

Henri II (1519-1559) : « La prise de Calais par le duc de Guise, en 1558,


supprima la dernière enclave anglaise en territoire français. » -Denis Richet, Le
royaume de France au XVIème siècle, in Denis Richet, De la Réforme à la
Révolution. Études sur la France moderne, Aubier, 1991, 584 pages, pages 343-
387, p.345.

https://www.amazon.fr/Henri-II-Ivan-
Cloulas/dp/2213013322/ref=pd_sim_14_26?_encoding=UTF8&psc=1&refRID
=9XA4B748YZQNV9G72ECW

Henri III : https://www.amazon.fr/Henri-III-Jean-Fran%C3%A7ois-


SOLNON/dp/2262026408/ref=pd_sim_sbs_14_2?_encoding=UTF8&psc=1&re
fRID=0ZVVQ8Q3812EVR1QFM3Y

Henri IV (1553–1610) : « Un peuple, c’est une bête qui se laisse mener par le
nez, principalement les Parisiens. » -Henri IV, septembre 1594. Cité par
Hardouin de Péréfixe, Histoire de Henri-le-grand, roi de France et de Navarre
(1664).

« Je veux que ceux de la religion vivent en mon royaume. Il est temps que nous
tous, saouls de guerre, devenions sages à nos dépens. » -Henri IV, à propos de
l’édit de Nantes signé le 13 avril 1598.

« Henri de Bourbon, prince de Navarre, dont la vie symbolise de la façon la


plus frappante le passage de l'homme chevaleresque à l'homme de cour: devenu
Henri IV, il se fait l'agent de cette transformation. Il se voit même obligé de
contraindre ou de faire tuer, contre son désir intime, les récalcitrants qui n'ont
pas compris que l'heure est venue pour eux d'abandonner leur rôle de chevaliers
libres et de se faire les serviteurs du roi. » -Norbert Elias, La Civilisation des
mœurs, Calmann-Lévy, coll. Agora, 1973 (1939 pour la parution du premier
tome de Über den Prozess der Zivilisation), 507 pages, p.474.
511
« L’existence d’une catégorie sociale ambiguë, celle de la haute robe, a fait,
depuis toujours, l’objet de jugements passionnés et antagonistes. On connaît le
mépris de Saint-Simon pour ces vils bourgeois s’infiltrant, grâce à la
bureaucratie royale, dans l’ancienne noblesse. On sait que l’admiration que
l’historiographie du XIXème et du premier XXème siècle a éprouvée à l’égard
de ces magistrats austères et probes. En fait, beaucoup de pays européens ont
connu ce phénomène : l’insertion dans la noblesse de bourgeois parvenus par la
fonction publique, c’est-à-dire les offices. Mais peu de sociétés ont été aussi
marquées que la société française par l’ampleur et la longue durée de ce
processus d’ascension sociale.

Je me limiterai ici aux strates supérieures de la noblesse de robe, celle qui


accapara les hautes charges des cours souverains (parlement de Paris, chambre
des comptes, cour des aides) dans la seconde moitié du XVIème siècle, avant de
léguer à ses enfants ou petits-enfants un capital moral, social et matériel, qui
allait leur permettre d’accéder aux plus hautes chages de l’Etat absolutiste.
Trois problèmes m’ont retenu. Comment « sautait-on » de la bourgeoisie à la
noblesse ? Ce qui revient à nous pencher sur les origines, les étapes, les
modalités et les résultats de ce passage. Dans quelle mesure y eut-il une
véritable fusion de ces « métis sociaux » (comme les qualifiait Lucien Febvre)
avec la vieille noblesse d’épée ? Et ici seule une approche quantitative des
mariages, desfortunes, des liens de lignage et de clientèles peut nous
renseigner. » (p.143-144)

« Le véritable vivier où puissèrent les souverains de la Renaissance, ce fut le


bassin de la Loire et ses affluents. Du massif central à la Touraine, les
bourgeoisies urbaines, qui aidèrent puissamment, au XVème siècle, le « petit roi
de Bourges » à reconquérir son royaume, et se firent grassement payer ce rôle.
Il est souvent masquer par des généalogies trompeuses. […] Tours, Orléans,
Blois, et plus en amont, les villes de la Loire et de l’Allier ont été la source vive
des grandes familles de la robe parisienne du XVIème siècle. » (p.145)

« Plus importante, socialement et politiquement, fut la monopolisation des


hautes charges –présidents et conseillers aux cours souveraines, maîtres des
requêtes de l’Horel, etc –par les mêmes familles, lors même que les hommes
nouveaux parvenaient à s’y insérer par mariage. Monopolisation réelle […]
majorée plus encore par les exclus du système, et qui fut l’une des conditions les
plus favorables à la révolte ligueuse. Un monde –celui des dominants- était
512
fermé aux enfants de la moyenne bourgeoisie marchande et de la basoche, alors
qu’un demi-siècle auparavant il était grand ouvert. » (p.151)

-Denis Richet, « Élite et noblesse : la formation des grands serviteurs de l’Etat,


(fin XVIème – début XVIIème siècle) », in Denis Richet, De la Réforme à la
Révolution. Études sur la France moderne, Aubier, 1991, 584 pages, p.143-154.

https://www.amazon.fr/Henri-IV-passionn%C3%A9-Andr%C3%A9-
Castelot/dp/2262013683/ref=sr_1_11?s=books&ie=UTF8&qid=1482358043&sr
=1-11&keywords=andr%C3%A9+castelot

https://www.amazon.fr/Henri-IV-Jean-Pierre-
Babelon/dp/2213644020/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1478107048&sr
=1-2&keywords=henri+iv

Pierre de Bérulle : https://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-6-


Courts-
trait%C3%A9s/dp/2204059129/ref=sr_1_fkmr0_3?ie=UTF8&qid=1478105047
&sr=8-3-
fkmr0&keywords=pierre+boutang+court+trait%C3%A9+du+pouvoir+l%C3%A
9gitime

https://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-Correspondance-Lettres-1-
205/dp/2204081507/ref=la_B001JP3EZS_1_4?s=books&ie=UTF8&qid=14781
06864&sr=1-4

Philippe de Mornay, seigneur du Plessis–Marly (1549-1623):


http://www.amazon.fr/Philippe-Duplessis-Mornay-
Poton/dp/2262016585/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449247752&sr=8-
1&keywords=Philippe+Duplessis-Mornay

Pierre Charron (1541-1603) : http://www.amazon.fr/sagesse-Pierre-


Charron/dp/1505594014/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1449245001&sr=8-
2&keywords=Pierre+Charron

Claude de Seyssel (1450-1520) : http://www.amazon.fr/Claude-Seyssel-


lhistoire-politique-
modernes/dp/275351092X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449254582&sr=8-
1&keywords=Claude+de+Seyssel

513
François Hotman (1524-1590) : « En 1574, François Hotman dans son
ouvrage Francogallia est l’un des premiers à affirmer que les Germains ont
asservi les Gaulois au moment des invasions barbares du Vème siècle, et que la
noblesse française descend de ces vainqueurs d’origine franque. » -Catherine
Valenti, « L’Action française et le Cercle Fustel de Coulanges à l’école de
l’Antiquité (première moitié du xxe siècle) », Anabases [En ligne], 4 | 2006, mis
en ligne le 01 janvier 2012, consulté le 04 décembre 2015.

http://www.amazon.fr/Gaule-fran%C3%A7aise-Fran%C3%A7ois-
Hotman/dp/2213026556/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449248163&sr=8-
1&keywords=Fran%C3%A7ois+Hotman

Agrippa d'Aubigné (1552-1630) : https://www.amazon.fr/Agrippa-


dAubign%C3%A9-guerrier-Eric-
Deschodt/dp/2221075153/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1467224642&sr=8-
1&keywords=%C3%89ric+Deschodt%2C+Agrippa+d%E2%80%99Aubign%C
3%A9

https://www.amazon.fr/Tragiques-Agrippa-d-
Aubign%C3%A9/dp/2070737241/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=41Fq
0nuVMvL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=V3K5
A0GTRRWDJ600KBJA

Blaise de Monluc (1500/1502-1577): http://www.amazon.fr/Blaise-Monluc-


Soldat-%C3%A9crivain-1500-
1577/dp/2213009554/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449252753&sr=8-
1&keywords=Blaise+de+Monluc%2C+soldat+et+%C3%A9crivain

Marguerite de Navarre : http://www.amazon.fr/Heptam%C3%A9ron-


Marguerite-
Navarre/dp/2070401561/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449253238&sr=8-
1&keywords=Marguerite+de+Navarre

Louise Labé (1524-1566): http://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-


Louise-
Lab%C3%A9/dp/2080712101/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449251465&sr=8-
1&keywords=Louise+Lab%C3%A9

Guillaume le Taciturne (1533-1584) : https://www.amazon.fr/Guillaume-


Taciturne-Bernard-
514
Quilliet/dp/2213593450/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1466726045&sr=
1-1&keywords=Guillaume-le-taciturne

Henri VIII (1491-1547): « It may be maintained quite plausibly that if Henry


VIII had not fallen in love with Anne Boleyn, the United States would now not
exist. For it was owing to this event that England broke with the Papacy, and
therefore it did not acknowledge the Pope’s gift of the Americas to Spain and
Portugal. If England has remained Catholic, it is probable that what is now the
United States would have been part of Spanish America. » -Bertrand Russell,
Freedom and Organisation, 1934, cite dans Niall Ferguson, Virtual History:
Alternatives and Counterfactuals, New York, Basic Books, 1999, p.14.

https://www.amazon.fr/Henri-VIII-Georges-
Minois/dp/2213023158/ref=pd_sim_14_2?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
GGTB7EF7Z908R9MCP18G

Marie Tudor (1516-1558) : https://www.amazon.fr/Marie-Tudor-souffrance-


du-
pouvoir/dp/2847347372/ref=pd_sim_14_1?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
GGTB7EF7Z908R9MCP18G

Elisabeth Ière (1533-1603): « La bataille de Gravelines (1588) qui acte la


naissance de la flotte britannique, l’émergence d’une nouvelle puissance
maritime et le déclin progressif, avec la défaite de l’Invincible Armada, de
l’hégémonie espagnole. » -Jean-Yves Delitte, « L’Histoire, c’est de l’histoire
maritime », in Contre-amiral Stéphane Boivin (dir. Dde publication), La Marine
dans la Grande Guerre, Études Marines, Hors série – Novembre 2018, Centre
d’études stratégiques de la Marine (CESM), 116 pages, p.107.

« Élisabeth a succédé en 1558 à la catholique Marie Tudor qui avait durement


persécuté les protestants. Fille d'Ann Boleyn, elle ne serait pas reine sans la
rupture qu'Henry VIII a accomplie avec Rome ; il est donc compréhensible
qu'elle souhaite revenir au protestantisme. Mais elle est de sentiment religieux
modéré et se défie des extrémistes comme John Knox. D'où une politique
mesurée qui va conduire, en quelques années, à l’établissement d'une Eglise
anglicane solide.

En avril 1559, un Acte de Suprématie confirme la reine comme chef spirituel de


l'Eglise, puis un Acte d'Uniformité rétablit le Prayer Book de 1552 et rend de

515
nouveau obligatoire le serment au souverain. Comme les évêques refusent de
prêter serment, on remplace d'un coup tout l'épiscopat. Les nouveaux évêques,
dont le chef est Parker, fixent la doctrine à suivre : la Convocation de Londres
de 1563, ratifiée de nouveau en 1571, établit XXXIX Articles qui marquent
l'adhésion quasi complète de l'Eglise d'Angleterre au calvinisme, sauf les
apparences extérieures et l'organisation interne (qui reste épiscopale).

Mais tous les Réformés anglais n'acceptent pas la formule élaborée par
Elisabeth et ses conseillers.
On appelle « Puritains » ces mécontents. Ils rejettent l'Église anglicane, soit
qu'ils la trouvent encore trop ressemblante au catholicisme par les aspects
extérieurs (les vêtements sacerdotaux par exemple), soit pour des raisons
touchant à la doctrine. Au début, ils ne sont pas organisés, mais ils vont l'être à
mesure que, réfugiés en Suisse, en Allemagne, aux Provinces-Unies, ils
mûrissent leurs doctrines au contact des mouvements réformés radicaux.
Il y a d'abord les Presbytériens, dont un des principaux leaders est Thomas
Cartwright. Ils s'implantent dans les comtés du Sud-Est. » (p.254)

« Rappelons qu'en Écosse, une autre forme de calvinisme, le presbytérianisme,


avait été établie sous l'influence de Knox (réforme votée par le Parlement
écossais en 1560). » (note 1 p.254)

« À partir de 1572, le pouvoir royal réagit vigoureusement. Les universités, les


imprimeries sont surveillées. Browne doit s'exiler. Le clergé est épuré par une
cour spéciale, la High Commission (1585), composée de douze évêques. A la fin
du règne, le puritanisme est très affaibli. L'opinion ne soutient pas les Puritains
car, s'il est vrai qu'elle est antipapiste, elle est satisfaite dans l'ensemble des
solutions doctrinales élaborées et diffusées par l'Eglise anglicane auxquelles
elle reconnaît le mérite d'avoir assuré la paix religieuse. D'autre part, nous
sommes à une époque de prospérité et de puissance pour l'Angleterre (1588,
défaite de l'Invincible Armada espagnole devant les côtes anglaises). » (p.255)

-Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et


contemporains, Paris, Quadrige / PUF, 2009 (2002 pour la première édition),
1428 pages.

https://www.amazon.fr/Elisabeth-1ère-dAngleterre-pouvoir-
séduction/dp/2213028400/ref=tmm_hrd_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=148
9417208&sr=8-1
516
William Shakespeare (1564-1616): « The drama of Shakespeare and his
contemporaries is regarded by modern audiences as one of the supreme artistic
achievements in literary history; in its own day, however, it was viewed by many
as a scandal and an outrage—a hotly contested and controversial phenomenon
that religious and civic authorities strenuously sought to outlaw. In 1572, in
fact, players were defined as vagabonds—criminals subject to arrest, whipping,
and branding unless they were “liveried” servants of an aristocratic household.
Burbage’s company and others used this loophole in the law to their advantage
by persuading various lords to lend their names (and often little more) to the
companies, which thus became the Lord Chamberlain’s or the Lord Strange’s
Men. Furthermore, “popular” drama, performed by professional acting
companies for anyone who could afford the price of admission, was perceived as
too vulgar in its appeal to be considered a form of art. » -Steven Mullaney,
"Shakespeare and the Liberties", Encyclopædia Britannica:
https://www.britannica.com/topic/Shakespeare-and-the-Liberties-1086252

« Élisabeth considérait cette pièce avec les sentiments les plus hostiles. [...]
Richard II resta une pièce politique. Elle fut interdite pendant le règne de
Charles II, dans les années 1680. La pièce illustrait peut-être de façon trop
évidente les très récents événements de l'histoire révolutionnaire de l'Angleterre,
le "Jour du Martyr du Bienheureux Roi Charles Ier", tel qu'il était commémoré
à l'époque dans le Rituel de l'Église anglicane. La restauration évitait ces
souvenirs, et d'autres du même ordre, et n'aimait pas cette tragédie qui était
centrée, non seulement sur l'idée d'un roi martyr semblable au Christ, mais
aussi sur cette idée, des plus déplaisantes, d'une séparation violente des Deux
Corps du Roi. » -Ernst Kantorowicz, Les deux corps du Roi. Essai sur la
théologie politique au Moyen Age, in Œuvres, Gallimard, coll. Quarto, 2000,
1369 pages, pp.643-1222, p.687.

« J'ai associé le nom de Rembrandt à celui de Luther ; il faut placer à côté d'eux
W. Shakespeare. Shakespeare, c'est l'art dramatique, c'est la littérature qui se
fait contemporaine, populaire, de grecque et latine, homérique, biblique et
académique qu'elle était restée [...]

Shakespeare a surpassé les Hollandais de toute la supériorité de la poésie et du


drame sur la peinture. Lui aussi a su mettre en scène, à côté des princes
coupables, malheureux et pauvres, les classes inférieures de la société. » -
Pierre-Joseph Proudhon, Du principe de l’art et de sa destination sociale, 1865.
517
« Or précieux, or jaune et luisant ! En voici assez pour rendre le noir blanc, le
laid beau, l'injuste juste, le vil noble, le vieux jeune, le lâche vaillant !... Qu'est-
ce, cela, ô dieux immortels ? Cela, c'est ce qui détourne de vos autels vos
prêtres et leurs acolytes. Cet esclave jaune bâtit et démolit vos religions, fait
bénir les maudits, adorer la lèpre blanche; place les voleurs au banc des
sénateurs et leur donne titres, hommages et génuflexions. C'est lui qui fait une
nouvelle mariée de la veuve vieille et usée. Allons, argile damnée, catin du
genre humain... » -Shakespeare, Timon d’Athènes. Cité par Karl Marx dans Le
Capital, Livre I tome 1, Éditions Sociales Paris, 1962, pages137-138. Note de
bas de page.

"C’est donc vraiment un moment important dans la critique littéraire


contemporaine lorsque Stephen Greenblatt a évidemment choisi de répudier son
précédent rejet de l’interprétation burckhardtienne de la Renaissance. Greenblatt
déclare clairement que le but de son nouveau livre est de montrer « à quel point
Shakespeare a façonné l’individualité en s’écartant des normes chéries de sa
culture ». Peut-être conscient de l’étrange étrangeté de cette affirmation émanant
d’un Nouvel historien, Greenblatt répète la même chose: «Shakespeare a
compris que son art dépendait d'un accord social, mais il ne s'est pas simplement
soumis aux normes de son âge.» Mais «se soumettre aux normes de son âge »
est exactement ce que chaque auteur doit faire selon la doctrine de l'historicisme,
qui nie la possibilité même de toute forme de vérité transhistorique (sauf peut-
être sa propre validité en tant que compréhension des limites permanentes de la
condition humaine). L'historicisme est précisément l'idée que toute pensée et
toute expression culturelle se produisent nécessairement dans les horizons
distincts d'un âge donné; un ancien grec doit penser comme un ancien grec et un
élisabéthain comme un élisabéthain.
En rupture avec l'historicisme, Greenblatt analyse les différentes manières par
lesquelles Shakespeare défie l'autorité, remettant en question les vérités établies
de son époque dans les domaines de la moralité, de la politique, de la religion et
de l'esthétique. Greenblatt soutient notamment que Shakespeare a rejeté les
nombreuses formes d'absolutisme qui prévalaient à son époque, y compris
l'absolutisme royal. Par exemple, dans un chapitre bien illustré consacré à la
beauté à la Renaissance, Greenblatt explique comment Shakespeare rejette la
notion trop idéalisée et abstraite du beau incarné dans l’image de la maîtresse
parfaite qui a dominé plusieurs siècles de la poésie amoureuse de Petrarchan. Au
lieu de cela, Shakespeare célèbre une forme de beauté idiosyncratique et
518
individualisée, qui incorpore l’imperfection selon les normes poétiques
conventionnelles ; D'où sa préférence pour la dame noire des sonnets, dont les
yeux, qui contrastent avec les standards de la tradition sonnet, ne « ressemblent
en rien au soleil ».
Greenblatt ne développe pas ce point en détail dans les pièces de théâtre de
Shakespeare, mais il a trouvé une idée centrale dans les tragédies et les
comédies. Poursuivre l'absolu dans l'amour - une sorte de perfection céleste dans
un royaume résolument terrestre - ne peut que mener au désastre. Avec leur
dévouement sans compromis pour un amour parfait, les amoureux tragiques de
Shakespeare - Roméo et Juliette en particulier - finissent par se détruire, tandis
que les amoureux de la bande dessinée apprennent à accepter une forme de
compromis dans leur passion, se mettant ainsi dans une relation amoureuse
moins intense mais plus durable , à savoir le mariage.
Le chapitre le plus important du livre de Greenblatt s'intitule «Shakespeare et
l'éthique de l'autorité» et traite de la vision de la politique développée dans les
histoires et les tragédies. Dans une forme très condensée, Greenblatt donne un
compte rendu équilibré et nuancé de la description donnée par Shakespeare de
tout ce qui rend la vie politique profondément problématique. Contrairement à la
plupart des lectures historicistes des pièces, Greenblatt explique par exemple à
quel point Shakespeare était suspicieux à l'égard de la doctrine du droit divin des
rois. Une fois encore, Greenblatt met judicieusement en évidence un motif
central dans les pièces de Shakespeare: des personnages qui semblent
admirables sur le plan éthique manifestent souvent une réticence à l'égard de la
vie politique, tandis que ceux qui cherchent ardemment le pouvoir sont
éthiquement déficients.
Le résultat est de rendre la vie politique fondamentalement tragique aux yeux de
Shakespeare. Cela détruit les bonnes personnes, en partie parce qu'elles ne sont
pas suffisamment motivées pour lutter avec succès pour le pouvoir, tandis que
les mauvaises personnes qui semblent triompher dans le domaine politique,
comme Richard III ou Edmund dans « Le Roi Lear » - finissent par être elles-
mêmes détruites, généralement une toile d'intrigue de leur propre fabrication.
Greenblatt résume la situation: «Shakespeare ne pensait pas que ses bonnes
actions étaient nécessairement ni même habituellement récompensées, mais il
semble avoir été convaincu que ses mauvaises actions reviennent
inévitablement, avec intérêt.
Cette compréhension de Shakespeare est étrangement similaire aux idées
développées par le grand critique anglais A.C. Bradley au début du XXe siècle
519
dans son livre Tragédie shakespearienne (1904). Dans un chapitre général sur «
La substance de la tragédie shakespearienne » et des chapitres sur « Le roi Lear»
en particulier, Bradley affirme également que Shakespeare, évitant les extrêmes
absolus, ne dépeint ni un monde de justice parfaite ni un monde d'injustice
parfaite. Ses bons personnages souffrent souvent, même quand ils n'ont rien fait
de mal, mais ses mauvais personnages ne sont jamais en sécurité dans leurs
triomphes.
Comme le suggèrent ses affinités avec Bradley, Greenblatt adopte désormais
une vision éthique des pièces de Shakespeare, une approche qui le groupe avec
la critique humaniste traditionnelle qu’il a rejetée au cours d’une grande partie
de sa carrière. Greenblatt découvre de façon assez perceptible tous les aspects
discutables de la vie politique tels que le décrit Shakespeare, mais il ne déduit
pas de cette analyse que Shakespeare a simplement rejeté la politique en soi: «
La conclusion vers laquelle ces histoires tendent n'est pas l'abandon cynique de
tout espoir de décence dans la vie publique, mais plutôt un profond scepticisme
quant à toute tentative de formuler et d’obéir à une loi morale abstraite,
indépendante des circonstances sociales, politiques et psychologiques réelles. "
En distinguant un scepticisme sain d'un cynisme corrosif, Greenblatt donne une
formulation judicieuse de la compréhension complexe de Shakespeare sur la
politique. Shakespeare parvient à remettre en question les absolus politiques de
son époque sans porter atteinte à tout sens d'une base éthique à la politique.
En conséquence, Greenblatt termine son chapitre sur la politique dans
Shakespeare en analysant un moment rarement noté dans « King Lear», la scène
dans laquelle l'un des serviteurs du duc de Cornouailles se soulève contre son
maître et tente de l'empêcher de torturer le comte de Gloucester. Dans la seconde
moitié du XXe siècle, il devint à la mode de proposer des lectures de « Roi
Lear» en tant que nihiliste, en tant que précurseur de Samuel Beckett et du
Theatre of the Absurd (une attitude peut-être mieux reflétée dans le célèbre film
de Peter Brook). Avec toutes les horreurs morales exposées dans « King Lear »,
il est facile de voir que la pièce met en cause la moralité elle-même. Mais,
comme Greenblatt le fait remarquer, la scène de la rébellion du serviteur de
Cornwall contre son maître offre un moment de pure clarté morale: «Il a un
objet éthiquement adéquat: le désir de servir le duc son maître en l'empêchant à
tout prix d'accomplir un acte indigne. » Comme le suggère Greenblatt, « le roi
Lear » peut soulever des doutes quant à une simple compréhension moraliste du
monde tout en incarnant un enseignement moral sur la politique.

520
À la fin, alors, La liberté de Shakespeare semble marquer un tournant
fondamental dans le travail de Stephen Greenblatt."
-Paul A. Cantor, "Shakespeare à la liberté", The American conservative:
https://bi.americanconservativeparty.com/26726-shakespeare-at-liberty.html

"Alors que, dans les tragédies de vengeance contemporaines, la trajectoire du


vengeur jusqu’à sa mort semblait fixée d’avance, la sienne est plus tortueuse et
s’affranchit en partie de la tradition : contrairement à ses promesses, le héros
ne « vole » pas à sa vengeance (I, 5, v. 29-31) et résiste aux forces qui, de toutes
parts, veulent l’enfermer."

"La plupart des tragiques grecs n’étaient pas traduits en anglais à la fin du
XVIe siècle et au début du XVIIe siècle. Ensuite, parce que, selon les célèbres
mots de Ben Jonson, Shakespeare aurait été piètre latiniste et ignorait le grec. Il
n’en reste pas moins que sur le plan générique et anthropologique, les
comparaisons sont non seulement possibles mais souvent très fructueuses. Au
début du XVIIIe siècle, l’éditeur de Shakespeare, le poète et dramaturge
Nicholas Rowe, soulignait les parallèles entre le Hamlet de Shakespeare et
l’Electre de Sophocle. Au XXe siècle, Jan Kott a montré la proximité entre
Hamlet et les tragédies d’Oreste (dans les versions qu’en donnent Euripide,
Sophocle et Eschyle). Plus récemment, Louise Schleiner affirmait que les
Élisabéthains pouvaient avoir accès au théâtre antique à travers des éditions de
certaines tragédies en grec mais aussi, plus vraisemblablement, à travers à des
traductions latines, des commentaires, et des résumés des pièces en anglais. Elle
défend l’idée que Shakespeare fait renaître la tragédie antique deux mille ans
après son apparition à Athènes au Ve siècle."

"Si Hamlet tarde à passer à l’acte, c’est non seulement parce qu’il est assailli
par les doutes concernant la nature du fantôme, mais encore aussi parce qu’il
s’interroge sur la validité morale de la vengeance –sur ce point encore Hamlet
se distingue des vengeurs traditionnels."

"Il est possible de donner un sens positif à l’exaltation de la subjectivité qui


s’exprime dans la tragédie : celle-ci correspond, selon Jean Starobinski, à la
naissance de la conscience moderne, lorsque « la subjectivité commence à
établir son règne séparé » ; dans ce sens, les atermoiements du héros ne sont
pas nécessairement le signe de sa faiblesse mais renvoient aussi à une nouvelle
approche du sujet, capable désormais de faire l’anatomie de son moi. Les

521
monologues, où le héros montre une conscience très aiguë des différents
chemins qui s’offrent à lui, sont la plus claire manifestation de cette liberté.
D’autre part, sur le plan dramatique, le texte de Shakespeare révèle un héros
déterminé à déjouer les tentatives d’enfermement dont il est sans cesse victime,
dans ce royaume qu’il considère comme une « prison » (II, ii, v. 238a) – le «
Danemark étant l’une des pires » (v. 240-241) – afin, sans nul doute, d’exercer
sa liberté. De ce point de vue, le monologue sur lequel se clôt l’acte II, scène ii
n’est pas seulement réflexif, il montre aussi un personnage qui refuse de jouer
les rôles qu’on voudrait lui faire interpréter et qui cherche à être maître de sa
destinée."

"On assiste au dernier acte à une conversion à une forme de providentialisme


biblique ou de fatalisme stoïcien, selon la perspective que l’on adopte.
Ironiquement, Hamlet renoue avec une vision naguère soutenue par Claudius et
Gertrude qui, pour consoler Hamlet au début de la pièce, l’invitent à se résigner
: « Tu sais que c’est commun : toute vie doit mourir, / Passer de la nature à
l’éternité » (I, ii, v. 73-74). Ce renversement de perspective est confirmé par la
décision d’Hamlet d’accepter le duel avec Laërte. Il s’en explique brièvement
dans une déclaration toute stoïcienne, qui renvoie aussi à l’évangile de Matthieu
(10 : 29) : « Il y a une providence particulière dans la chute d’un moineau. Si
c’est maintenant ce n’est pas à venir, ce sera maintenant. Si ce n’est pas
maintenant, pourtant, cela viendra. Le tout est d’être prêt puisque, de ce qu’il
quitte, nul ne sait quel est le bon moment pour le quitter. Laissons. » (V, ii, 189-
192). Il semble qu’à l’acte V, le temps de la révolte soit passé et qu’Hamlet,
comme les stoïciens, et comme son ami Horatio accepte librement le destin, le
cours des choses, la destinée. » -Claire Gheeraert-Graffeuille, « Destin et Liberté
dans Hamlet de William Shakespeare1  » dans « “Fatum” : destin et liberté dans
le théâtre », « Travaux et documents hispaniques », n° 4, 2012: http://publis-
shs.univ-rouen.fr/eriac/index.php?id=358

"London in Shakespeare’s day was a city of 200,000, mostly poor and


uneducated. Crowds were fearful things. With no police and no media except
word of mouth, crowds could fall prey to rumors and become dangerous. The
nobility protected themselves with armed guards; the rest could find themselves
at the mercy of the crowd."

"It is tempting to sum up by saying that, in today’s terms, Shakespeare is a


skeptical conservative. But that misses the point: both his skepticism and his
522
conservatism reflect a distrust of ungoverned power. Shakespeare and
Montaigne shared a hatred of cruelty. Their age was not yet the age of
Enlightenment, but they point the way to it."
-Robert Cooper, Shakespeare’s Politics, The American Interest, Appeared in:
Volume 13, Number 1 | Published on: June 20, 2017:
https://www.the-american-interest.com/2017/06/20/shakespeares-politics/

"In 19th-century England, Shakespeare played an important part in Chartism, the


mass political movement that campaigned to give the working class the vote.
The movement’s paper, Northern Star, ran a column titled Chartism from
Shakespeare from 25 April (just after Shakespeare’s birthday) 1840. There was
the Shakespearean Association of Leicester Chartists, which held their meetings
in the 'Shakespearean Room' and compiled and sang from their own
'Shakespearean Chartist Hymn Book'. Their leader, Thomas Cooper, called
himself the 'Shakespearean General'. Shakespeare put flesh on the bones of
Chartist demands: the vote for all men, a secret ballot, no property qualification
for members of parliament, etc. By invoking Shakespeare's supremely lively
characters, the movement was able to look beyond its list of political conditions
into the realised, fulfilled, and more developed common life they were intended
to facilitate. Shakespearean drama presented something like a living image of
democracy to the Chartists.

It’s true that their charter stopped short of demanding votes for women, but in
due course, the Suffragettes recruited Shakespeare too, and in 1909, they
stormed into Stratford. Outside the office of the NUWSS (National Union of
Women's Suffrage Societies), they hung a yellow and black 'to be or not to be'
banner, referring of course to women's suffrage. And the annual Shakespeare
parade that year – a legacy of Garrick's Jubilee, and one which continues to this
day – was commandeered as a rally for votes for women. Two years later, in
1911, the great actress Ellen Terry explicitly argued in London that Shakespeare
was 'one of the pioneers of women’s emancipation' and that 'Portia, Beatrice,
Rosalind, Volumnia have more in common with our modern revolutionaries
than the fragile ornaments of the early Victorian period'. Shakespeare's franchise
of lively characters extended to women and this gave grounds for protesting
against a political system that had yet to catch up.

Shakespeare is responsible for an important cue for freedom movements beyond


England, as well. In 1853, in the London Tavern, the Hungarian revolutionary
523
Louis Kossuth was honoured with an extraordinarily beautiful model of
Shakespeare’s birthplace housing a copy of his complete works. This exquisite
object was a tribute from his ordinary admirers in England, the funds for which
had been raised by a 'penny subscription' (where supporters of the campaign
each subscribed a penny to raise funds). In his acceptance speech, Kossuth
recalled to a packed house how he had learned his eloquent English in a
Hungarian prison 'from the page of Shakespeare'. And he insisted he had learnt
'something more besides'. 'I learnt politics', he explained, going on as follows:
What else are politics than philosophy applied to the social condition of men?
and what is philosophy but knowledge of nature and of the human heart? and
who ever penetrated deeper into the recesses of those mysteries than
Shakespeare did?' Here, a real-life revolutionary hero asserts a direct link
between Shakespeare’s genius for characterisation and his own progressive
politics. For Kossuth and others like him, Shakespeare's intensely realised
characters are calling us all to a better, freer life, and that is why Shakespeare
matters."
-Ewan Fernie, "What can Shakespeare teach us about Freedom ?", 12 April
2016: https://www.britishcouncil.org/voices-magazine/what-can-shakespeare-
teach-us-about-freedom

"Audiences see in Julius Caesar the political message that they most desire,
whether it is the story of a great man torn down by envious detractors, a
stalwart defence of republicanism, or a morality tale about the fickleness of
public opinion and the dangers of democracy."
-Sarah Neville, "Why Shakespeare’s Julius Caesar Makes Conservatives Mad",
The Walrus, Updated 10:03, May. 7, 2020 | Published 13:10, Jun. 19, 2017:
https://thewalrus.ca/why-shakespeares-julius-caesar-makes-conservatives-mad/

http://hydra.forumactif.org/t243-william-shakespeare-oeuvre#6388

John Selden (1584-1654) : « Les Hollandais plaident avec Grotius la liberté


des mers face à des Anglais qui s’appuient sur John Selden pour défendre à
l’inverse l’idée de territorialisation de la mer. » -Philippe Sierra (dir.),
Frontières, Ellipses Édition, 2020, 261 pages, p.18.

Antonio Serra (1568-1620) : « L’émerveillement a toujours été une source de


grand bien. Car c’est l’émerveillement qui stimule le désir de connaissance qui
est inné chez toute personne ; c’est l’émerveillement qui enlève de l’esprit le

524
voile que l’ignorance recouvre ; c’est l’émerveillement qui incite l’esprit à
rechercher les causes et à apprendre les effets qu’elles produisent. Ce type de
connaissance constituait l’origine de la philosophie, et la vérité que l’on en
arrive à connaître par ce biais. » -Antonio Serra, Breve Trattato (1613).

http://www.amazon.com/Treatise-Wealth-Poverty-Nations-
Economic/dp/085728973X

Cycle du monde moderne (XVIIème siècle) : « Le XVIIème siècle, ça va être


la fin de la civilisation chrétienne chimiquement pure. » -Luc Roche, « Ortega Y
Gasset. Penser la modernité », conférence au cercle Aristote, 13 mai 2018.

« Effondrement du sens, avec une chute de l'ordre de la tradition. » -Philippe


Forget, Comprendre les Lumières, conférence au Cercle Aristote, 18 mai 2019.

« Il y avait eu un ancien régime de la connaissance comme il y avait un ancien


régime politique et social. Le moyen âge intellectuel s'achève avec la révolution
scientifique du mécanisme, dans la première moitié du XVIIe siècle. » -Georges
Gusdorf, "Le cri de Valmy", Communications, Année 1987, 45, pp.117-155,
p.130.

« Jamais siècle n’a eu, moins que le XVIIe siècle, confiance dans les forces
spontanées d’une nature abandonnée à elle-même : l’homme naturel, celui qui
est livré sans règle au conflit des passions, où en trouver plus misérable
peinture que chez les politiques et moralistes du siècle ? Hobbes s’accorde là-
dessus avec La Rochefoucauld, et La Rochefoucauld avec le janséniste Nicole ;
pour Hobbes, les sinistres bêtes de proie que sont les hommes à l’état de nature
ne peuvent être matés que par un souverain absolu ; et les jansénistes ne
sauraient admettre que nul mouvement de charité et d’amour vienne d’ailleurs
que de la grâce divine chez l’homme livré, par le péché, à la concupiscence.
Aussi bien, le XVIIe siècle est celui de la contre-réforme et de l’absolutisme
royal. La contre-réforme met fin au paganisme de la Renaissance ; c’est
l’épanouissement d’un catholicisme qui voit une tâche nécessaire dans la
direction des intelligences et des âmes ; l’ordre des Jésuites fournit des
éducateurs, des directeurs de conscience, des missionnaires ; il a en France plus
de deux cents écoles ; le thomisme, sous la forme qu’il prend chez le jésuite
Suarez, est partout enseigné et arrive à supplanter, même dans les universités
des pays protestants, la doctrine de Mélanchthon. La contre-réforme est un
mouvement qui vient de Rome, et dont le succès est assuré par des initiatives
525
privées : la royauté, elle, est, en France, gallicane, en Angleterre, anglicane.
Pourtant c’est le pouvoir royal même qui, en France, ne recule pas devant des
moyens violents pour assurer l’unité religieuse, jusqu’à ce que la révocation de
l’édit de Nantes supprime purement et simplement le protestantisme.
L’absolutisme du roi n’est pas le pouvoir d’un individu fort, capable, par son
prestige personnel ou par des moyens violents, de retenir ses sujets dans
l’obéissance ; c’est une fonction sociale, indépendante de la personne qui
l’exerce, et qui persiste, alors même que, pendant de longues minorités, de tout-
puissants ministres exercent le pouvoir au nom du prince ; cette fonction
sociale, d’origine divine, impose des devoirs plus encore que des droits ; et le
roi absolu de droit divin, mais asservi le premier à sa tâche par l’élection de
Dieu, est aux antipodes du tyran de la Renaissance.
Donc ces disciplines, religieuses ou politiques, sont des disciplines admises,
consenties, dont la nécessité est comprise autant que les bienfaits. La rigidité de
la règle n’est point esclavage, mais armature, sans laquelle l’homme tombe,
désarticulé, incertain comme le Montaigne des Essais. Le cérémonial le guide
dans les relations sociales, comme le rituel à l’église.
Il y a des résistances pourtant, et nombreuses ; en Angleterre, l’absolutisme de
droit divin se heurte par deux fois à la volonté commune, et il succombe ; en
France l’unité religieuse n’est établie qu’au prix de persécutions ; la Hollande,
pendant tout le XVIIe siècle, sert d’abri aux persécutés de tous les pays, aux
juifs d’Espagne et de Portugal, aux sociniens de Pologne, plus tard aux
protestants de France ; abri précaire d’ailleurs où ils sont souvent menacés ; la
religion catholique est elle-même minée, dans son pays d’élection, en France,
par la querelle du jansénisme et du molinisme, et, à la fin du siècle, par l’affaire
du mysticisme de Mme Guyon. Derrière ces faits, qui éclatent au jour, se cache
un travail de pensée qui se traduit par des milliers d’incidents, des milliers de
livres ou de libelles aujourd’hui oubliés. Les réclamations en faveur de la
liberté et de la tolérance n’ont pas commencé au XVIIIe siècle ; elles n’ont cessé
de se faire entendre tout au long du XVIIe siècle, en Angleterre et en Hollande
surtout, et le siècle s’achève sur l’âpre discussion entre Bossuet, qui soutient le
droit divin des rois, et le ministre protestant Jurieu qui défend la souveraineté
du peuple. » (p.13-14)

« Recul très marqué de l’étude du grec : sauf l’exception de Port-Royal, les


méthodes d’éducation ne comportent pas cette étude : on craint l’esprit païen
qui s’introduit avec elle. Le grand pédagogue tchèque Comenius (1592-1670) ne
526
l’admet pas dans son plan d’études, mais il ne veut pas non plus des auteurs
latins dangereux. « A l’exception de Sénèque, Épictète, Platon, et autres maîtres
semblables de vertu et d’honneur, il voudrait voir bannir des écoles chrétiennes
les autres auteurs païens. » Les études antiques réduites, ou presque, au latin, ne
veulent rien de plus que former le goût littéraire, aider, par des formules bien
frappées, l’éducation morale, et donner l’habitude de la langue scientifique
courante ; c’est là ce que Descartes a retenu de ses études classiques chez les
Jésuites, c’est-à-dire rien qui puisse servir à la formation philosophique. Le
mépris des philosophes pour l’érudition atteint au comble chez Malebranche ;
et, à la fin du siècle, Locke retranche le grec de son plan d’éducation. » (p.22-
23)

« Rien n’est analogue, dans le passé, à cet effort collectif, continu, tenace, vers
une vérité d’ordre universel et pourtant humaine. Les trente années qui
s’écoulent de 1620 à 1650 sont des années décisives pour l’histoire de ce
mouvement ; Bacon fait paraître le Novum organum (1620) et le De dignitate et
augmentis scientiarum (1623) ; Galilée écrit son Dialogo (1632) et ses Discorsi
(1638) ; Descartes publie le Discours de la méthode (1637), les Méditations
(1641) et les Principes (1644) ; la philosophie du droit et la philosophie
politique font l’objet des travaux de Grotius (De jure belli ac pacis, 1623) et de
Hobbes (De cive, 1642). Tous ces travaux indiquent que l’ère de l’humanisme
de la Renaissance, qui a toujours plus ou moins confondu l’érudition avec la
philosophie, est décidément close ; et un rationalisme commence qui prend pour
tâche de considérer la raison humaine non pas dans son origine divine, mais
dans son activité effective. » (p.24-25)
-Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, Tome 2 "La philosophie moderne",
"Les classiques des sciences sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris,
1929-1930-1932, 1184 pages).

« La modernité politique naît d'une crise de l'évidence de ce que signifie "être


ensemble". Elle y répond par des procédures inédites (contrat, délégation,
représentation, etc.) qui sont autant d'instruments de consolation par rapport à
la perte des certitudes anciennes. » -Michaël Fœssel, Le temps de la
consolation, Seuil, coll. "L'ordre philosophique", 2015, 276 pages, p.28.

« La vie active du XVIIe siècle, dégagée des sortilèges de la Méditerranée, se


développe à travers le vaste champ de l'océan Atlantique. On a souvent décrit ce
siècle comme une époque de recul ou de stagnation économique. Il faudrait sans
527
doute nuancer. Car si l'élan du XVIe siècle est indéniablement coupé, en Italie et
ailleurs, la montée fantastique d'Amsterdam n'est tout de même pas sous le signe
du marasme économique. »

Dans le cas de l'Europe et des zones qu'elle s'annexe, un centrage s'est opéré
vers les années 1380, au bénéfice de Venise. Vers 1500, il y a une saute brusque
et gigantesque de Venise à Anvers, puis, vers 1550-1560, un retour à la
Méditerranée, mais en faveur de Gênes, cette fois ; enfin, vers 1590-1610, un
transfert à Amsterdam, où le centre économique de la zone européenne se
stabilisera pour presque deux siècles. Entre 1780 et 1815, il se déplacera vers
Londres. » (p.90)

-Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Flammarion, coll.


Champ.Histoire, 2008 (1985 pour la première édition), 122 pages.

"Écrits de témoins "engagés" dans les luttes religieuses et civiles ? Ce sont les
moins éclairants. Dans leur rage à s'attribuer l'approbation des "gens de bien et
d'honneur", des "personnages notables", et à reprocher à leurs adversaires le
soutien de la populace, "ceste beste qui porte un million de testes, se mutine et
accoure en désordre", huguenots et ligueurs, mazarinistes et frondeurs ne
faisaient que témoigner de leur accord profond sur les valeurs essentielles. Les
situations conflictuelles, propres au monde dirigeant, ne sont guère favorables à
un diagnostic lucide des frontières qui séparent civilisation et barbarie.
Frontière signifie ici exclusion systématique de tous ceux à qui est
théoriquement interdit l'espérance d'accéder à la respectabilité. Il s'agit, on s'en
convaincre, d'une double exclusive: la ville rejette de son univers mental le plat
pays dont elle se nourrit, et, dans la ville même les artisans et "gens
mécaniques" sont appréhendés comme des étrangers.
Il peut paraître surprenant qu'une société à idéal nobiliaire ait exprimé son
mépris pour les campagnes. D'Olivier de Serres aux Physiocrates, certains ne
cessèrent d'exalter la résidence et les distractions rustiques. Mais de quelle
campagne s'agit-il ? [...] L'horticulture, les jardins, les occupations du
propriétaire champêtre ne sont que projection, hors des murs de la cité, d'un
monde issu de la ville, y puisant sa sève, y renouvelant ses goûts, fasciné par ce
qu'exprime le mot "civilisation". Globalement, le mépris du laboureur l'emporte
sur les nostalgies rustiques, et transparaît dans les dictionnaires de Richelet et
de Furetière. [...]
La ville, ce sont les bourgeois: titre auquel les notables eux-mêmes ont aspiré
528
dans la mesure où il signifie lieu d'habitation et exclut "artisans ou gens
exerçans les Arts mécaniques". Examinant les cinq conditions requises pour
accéder à la noblesse, la Roque [Traité de la Noblesse, 1678] insiste sur la
nécessité de "n'avoir exercé aucun art mécanique", et distingue parmi les non-
nobles, les honorables, les vulgaires, les vils et abjects. [...] Même
condamnation sans appel chez Denis Godefroy: "Nous appellons ordinairement
mechanique tout ce qui est vil et abject". L'opinion éclairée, lors même qu'elle
exalte le productivisme et flétrit l' "oysiveté" de nos voisins espagnols, rejette de
son idéal social tout ce qui est lié au travail manuel.
Alors finit par s'élargir, à partir de cette double exclusive, la notion de noblesse,
qui ne se confond plus avec sa définition juridique, et inclut de larges cercles de
la société urbaine. Regardons le tableau de la société que nous propose, en
1685 [dans Les diverses espèces de noblesse], le père Ménestrier, de la
Compagnie de Jésus: "Disons donc que la première noblesse a esté celle qui
faisoit la condition des libres, distinguez des serfs ou esclaves, et qu'enfin il s'est
fait depuis deux autres ordres de Noblesse, l'une Militaire et l'autre Patricienne,
que nous appellons encore aujourd'hui Noblesse d'Épée, et de Robe. On a
estably ces deux ordres pour se distinguer du peuple, et qui pour estre libre,
n'est pas censé noble, faisant profession des Arts mechaniques et du trafic.
Cependant, les Marchands et les Bourgeois ayant voulu se distinguer des
Artisans et du Menu peuple qui demeuroient avec eux dans les villes, ou qui
habitoient à la campagne firent comme un nouvel Ordre de Noblesse Civile,
donnant le nom de Roturiers et de Vilains à ceux qui faisoient des professions
basses, et pour se distinguer d'eux, ils s'establirent seuls capables de tenir des
Dignitez Populaires et municipale, se firent chefs des Mestiers, de la Milice
bourgeoise, des Magistratures civiles, demandèrent mesme quelque fois la
chevalerie à leurs Seigneurs, et comme d'ailleurs ils prenoient la qualité de
Nobles et d'Escuyers par la tolérance des Princes, les Princes et les Seigneurs
avoient aussi quelque fois la complaisance de prendre la qualité des Citoyens et
de Bourgeois". Admirable description d'une élite en perpétuel élargissement !
Au delà des querelles de préséances, des confrontations de mérites, des conflits
réels, c'est une société ouverte qui s'esquisse en se distinguant toujours des bas
étages." (p.5-7)

"Telles quelles, ces élaborations idéales souffraient, à la fin du XVIIe siècle,


d'un double défaut. Liées à la conception "organiciste" d'ensemble du monde,
elles ne pouvaient résister durablement aux effets dévastateurs de la révolution
529
philosophique et scientifique qui venait de s'accomplir. Où trouver, dans
l'univers infini de Pascal, cette hiérarchie angélique, reflétée dans l'ordre du
monde ?" (p.9)

-Denis Richet, "Autour des origines idéologiques lointaines de la Révolution


française : élites et despotisme", Annales, Année 1969, 24-1, pp. 1-23.

"La prégnance du modèle chevaleresque semble connaître un recul relatif


durant le règne de Louis XIV. Certains comportements ne paraissent plus
acceptables. La témérité de certains gentilshommes, leur désir de briller et de
prouver leur courage peut constituer une menace pour Hay du Chastelet. Il se
méfie par exemple des nobles volontaires qui accompagnent les armées. "Leur
zèle trop ardent cause parfois de grands désordres ; et par une ambition
indiscrète et précipitée ils se font tuer inutilement." Il observe également
souvent que, "les troupes étant en bataille, il se détache du fond des rangs
ennemis quelques braves qui demandent un coup de pistolet. Jamais le général
ne doit permettre à personne des siens de s'exposer pour cela ; nous ne sommes
plus au temps des Horaces, ces sortes de combat ne servent de rien." Certes, du
Chastelet est un homme de robe, néanmoins l'inflexion est réelle. Le courage ne
suffit plus, la mort au "lit d'honneur" n'est plus un gage absolu car tous les
sacrifices ne se valent pas. L'exemple fameux en est bien entendu la mort de
d'Artagnan au siège de Maastricht (1673). Le capitaine lieutenant des
mousquetaires du roi avait entrepris de sa propre initiative une attaque fort
périlleuse, et l'avait payé de sa vie. Une telle action eut sans nul doute classé
autrefois la mort de d'Artagnan dans le registre héroïque et chevaleresque de la
"belle mort", mais les courtisans jugèrent cette fois que le célèbre mousquetaire
avait fait preuve "d'une témérité de jeune homme". Le sacrifice se doit
désormais d'être utile.
Cet exemple est significatif d'une importante évolution. Le règne de Louis XVI
marque en effet un tournant essentiel dans l'émergence d'une "culture du
service". C'est à cette période que "l'idéal du parfait officier a dépassé le stade
de la théorie pour structurer les comportements et organiser les carrières".
L'esprit de service et l'intérêt général doivent l'emporter sur l'héroïsme
individuel, le gentilhomme doit être désormais prêt "à tout faire et à tout souffrir
pour la défense de l'Etat". Ce changement de perspective implique
inévitablement une modification des valeurs qui fondent l'éthique militaire : au
courage et à la courtoisie s'ajoutent à présent l'obéissance, l'économie et la
sagesse. La bravoure n'est pas un "emportement", elle est soumise à une
530
appréciation calculée et raisonnée du danger."
-Frédéric Chauviré, "L'ethos chevaleresque dans l'éthique militaire de la
noblesse française à l'époque moderne", Inflexions, n°27, La documentation
française, 2014.

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Émeric Crucé (1590-1648) : http://www.amazon.fr/Nouveau-Cyn%C3%A9e-


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Francis Bacon (1561-1626) :


http://longstreet.typepad.com/thesciencebookstore/images/2008/04/14/blogbaco
n038.jpg

« On ne commande à la nature qu’en lui obéissant. » -Francis Bacon, Instauratio


magna scientiarum, 1620 (contient le Novum Organum). La couverture porte le
sous-titre : « Multi pertransibunt et augebitur scientia » [Beaucoup suivront cette
voie et le savoir s’en trouvera accru] (Livre de Daniel, chapitre 12, verset 4).

« La science doit être tirée de la lumière de la nature, elle ne doit pas être
retirée de l'obscurité de l'Antiquité. Ce qui importe n'est pas ce qui a été fait. Il
faut voir ce qui reste à faire. » -Francis Bacon, Novum Organum, 1620, Livre I,
CXXII.

« Ce dont nous avons le plus besoin, c'est d'étudier les principes de la justice
naturelle et ceux de l'utilité publique afin de dégager un idéal théorique de
législation qui puisse servir d'étalon permettant de juger de l'excellence relative
des différents codes législatifs afin de suggérer des pistes qui permettent de les
corriger et les améliorer. » - Francis Bacon, The Advancement of Learning, book
viii, ch. Iii.

« En 1604, le roi estime qu’il est temps de demander au Parlement de ratifier


l’Union de l’Angleterre et de l’Ecosse, Union qui n’existe de facto puisqu’il est
souverain de l’un et l’autre royaume. Il s’agit ni plus ni moins que de la
fondation de l’Etat que nous appelons aujourd’hui la Grande-Bretagne. » (p.X)

« Penser philosophiquement en anglais n’était pas encore chose courante en ce


temps-là. Le latin reste la langue des doctes. Bacon avait conscience de ne pas
être un brillant styliste en latin, mais ce n’est pas pour cela qu’il a écrit son
ouvrage en anglais. Dès 1603, il a souligné, à l’intention du roi, l’importance de
l’union linguistique : une unité nationale, dit-il, suppose outre un souverain, une
unité de nom, une unité de langage, une unité des Lois et une unité des emplois,
c’est-à-dire une absence complète de discrimination. Il imagine qu’en Grande-
Bretagne, une langue commune va se former et s’enrichir des différents
dialectes. » (p.XI-XII)

532
« Des mécènes, il y en avait en Angleterre comme dans le nord de l’Italie.
Coucher Oxford ou Cambridge sur son testament, faire des dons de son vivant,
n’était pas inhabituel chez les riches marchands ; la classe moyenne avait déjà
admis que ses liens avec les recherches scientifiques, et sa dette à leur égard,
allaient être de plus en plus grands. Il n’était pas mauvais d’investir dans les
sciences. Ceux que déjà le XIVème siècle appelait des « mathématiciens »,
parce qu’ils savaient utiliser l’astrolabe, et que la Renaissance préfère appeler
« astronomes » ou « cosmographes » (ce qui en général renvoie à une
connaissance de la règle de Mercator) sont des personnages que les armateurs
savent, mieux que les universités, apprécier et aider. » (p.XIV)

« L’Angleterre était déjà un peuple de marins. L’importance des progrès de la


cartographie, du calcul des latitudes, de l’estimation des longitudes, ou les
promesses des travaux sur l’aimant, ne lui échappe pas. […] Comme elle, en
tout cas, Bacon associe la découverte scientifique à celle des terres lointaines. »
(p.XV)

« Bacon intègre l’idée de « réforme des cerveaux » dans sa doctrine, mais de


telle sorte que cela ne conduise pas à rejeter les travaux anciens. Faire table rase
du passé n’est pas compatible avec une problématique du progrès, qui s’appuie
sur les bonnes choses déjà faites. » (p.XX)

« L’Etat est l’instance de la longue durée. Le progrès n’est pas ce qui se fait
« dans l’heure que mesure le sablier d’une vie humaine », mais dans la suite des
générations. Or l'effort privé comme le talent individuel sont circonscrits dans le
bref espace qu’est une vie. Il ne peut donc y avoir de progrès scientifique sans
une instance qui organise le temps long dans lequel le progrès peut avoir lieu et
qui installe, dans des institutions elles aussi durables, les différents éléments
nécessaires à ce que les modifications des sciences soient un progrès. Par
exemple, il ne peut y avoir progrès sans conservation de ce qui est acquis, sinon
l’on repartirait toujours à zéro. Il faut donc des bibliothèques. Il faut que les
savants puissent coordonner leurs travaux, par conséquent il faut créer des
« lieux » de savoir dotés également d’une certaine permanence. » (p.XXI)

« Dès les premières pages de l’ouvrage, le lecteur comprend que c’est d’une
sorte d’engloutissement ou de refoulement socio-historique que souffre le
savoir : en droit nous pourrions connaître toute chose, depuis longtemps, depuis
toujours. » (p.XXXVI)

533
« Comme le texte anglais n’a pas été retraduit en français depuis Maugars et que
la version latine est expurgée, j’ai l’immense fierté de présenter pour la première
fois à un public français la pensée de Bacon non censurée. » (p.XLII)

« De Augmentis, et du même coup la version française de The Advancement


parue peu après, a été mis à l’Index par Rome et n’en a jamais été ôté. » (note 1
p.XLIII)

« Les trances qui nous sont parvenues indiquent des relations de confiance entre
les deux personnages [Bacon et Galilée]. […] On ne le mesure peut-être pas
bien aujourd’hui, mais Du Progrès a dû constituer pendant longtemps pour les
savants un formidable soutien moral. » (p.LVII)

« Du Progrès est comme le creuset de la pensée philosophique du siècle ou


comme son préambule, et il a inspiré même ceux qui n’en disent pas du bien,
comme Spinoza. » (p.LXIII)

-Michèle Le Doeuff, introduction à Francis Bacon, Du progrès et de la


promotion des savoirs, Gallimard, coll. Tel, 1991 (1605 pour la première édition
anglaise), 375 pages.

« L’utilité de l’histoire de la technique est, de toutes, celle qui est la plus


fondamentale pour la philosophie naturelle et la plus proche des racines de
celle-ci. Je parle d’une philosophie naturelle qui ne s’évanouira pas dans les
brumes d’une pure spéculation, subtile, sublime ou délectable, mais d’une
philosophie naturelle qui sera opératoire, qui bénéficiera à la vie de l’homme et
la dotera de richesses. » (p.94)

« Et ce progrès de la navigation et des découvertes peut aussi fonder une


espérance : celle de voir toutes les sciences aller de l’avant et augmenter. »
(p.103)

-Francis Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, Gallimard, coll. Tel,


1991 (1605 pour la première édition anglaise), 375 pages.

« Pour beaucoup de critiques, et ils ne sont pas tous en Angleterre, Bacon est un
génie créateur, un philosophe du premier ordre ; le vainqueur d’Aristote, l’égal
de Descartes, le maître de Newton ; il est le prophète de l’esprit nouveau,
l’inventeur de la vraie méthode, en un mot, le père de la philosophie moderne.
D’autres ne veulent voir en lui qu’un écrivain ingénieux et brillant, un bel esprit

534
très ambitieux et assez superficiel, dont la grandeur factice et la gloire usurpée
sont l’ouvrage de Voltaire et de ses amis de l’Encyclopédie. Tout au plus
resterait-il au chancelier trop préconisé l’honneur équivoque de marcher à la
tête de cette armée de zélateurs de l’empirisme qui déploie ses phalanges à
travers deux grands siècles, depuis l’auteur du Léviathan jusqu’aux disciples
d’Auguste Comte et de Feuerbach.

[…] Songez que Descartes, si superbe, lui aussi, et si discret, déclare à


Mersenne qu’après ce que Verulamius a écrit sur la méthode expérimentale, il
n’a plus rien à dire, que Leibnitz le loue d’avoir, comme autrefois Socrate,
rappelé la philosophie sur la terre, que Vico, dans la Scienza nuova, salue le
grand philosophe politique Bacon de Verulam pour avoir enseigné aux Anglais
la méthode et l’usage de l’induction… » -Émile Saisset, Le Bacon de M. de
Remusat, Revue des Deux Mondes, 2e, tome 10, 1857, pp. 714-717.

« La modernité philosophique, si on entend par là l’articulation d’une catégorie


historique désignant les XVIIème et XVIIIème siècles et d’une démarche de
rupture philosophique et scientifique avec les acquis aristotéliciens, est incarnée
exemplairement par Francis Bacon (1561-1626) et René Descartes (1596-
1650). Au sortir du Moyen-âge et de la Renaissance, Bacon et Descartes se sont
posés en effet l’un et l’autre comme des novatores, taillant en pièces la logique
scolastique, critiquant le cours traditionnel des études et pensant d’un point de
vue non contemplatif le rapport de l’homme au savoir et au monde. Leur
commune promotion d’un renouveau philosophique leur a permis de se voir
réserver à tous les deux une place de premier plan au commencement de grands
récits de la naissance de la philosophie des temps modernes, du Discours
préliminaire de l’Encyclopédie de d’Alembert au Cours de philosophie positive
d’Auguste Comte, en passant par les manuels de V. Cousin. » -Élodie Cassan
(dir.), Bacon et Descartes: Genèses de la modernité philosophique, Lyon ENS
Éditions, coll « La croisée des chemins », 2014, Introduction.

« Toute autorité, mais surtout celle de l’Église, doit s’opposer aux nouveautés,
sans se laisser effrayer par le danger de retarder la découverte de quelques
vérités, inconvénient passager et tout à fait nul, comparé à celui d’ébranler les
institutions et les opinions reçues. » -Joseph de Maistre, Examen de la
philosophie de Bacon.

535
« Le véritable ancêtre du matérialisme anglais et de toute science expérimentale
moderne, c’est Bacon. La science basée sur l’expérience de la nature constitue à
ses yeux la vraie science, et la physique sensible en est la partie la plus noble. Il
se réfère souvent à Anaxagore et ses homoioméries, ainsi qu’à Démocrite et ses
atomes. D’après sa doctrine, les sens sont infaillibles et la source de toutes les
connaissances. La science est la science de l’expérience et consiste dans
l’application d’une méthode rationnelle au donné sensible. Induction, analyse,
comparaison, observation, expérimentation, telles sont les conditions
principales d’une méthode rationnelle. Parmi les propriétés innées de la
matière, le mouvement est la première et la plus éminente, non seulement en tant
que mouvement mécanique et mathématique, mais plus encore comme instinct,
esprit vital, force expansive, tourment de la matière (pour employer l’expression
de Jacob Boehme). Les formes primitives de la matière sont des forces
essentielles vivantes, individualisantes, inhérentes à elle, et ce sont elles qui
produisent les différences spécifiques. Chez Bacon, son fondateur, le
matérialisme recèle encore, de naïve façon, les germes d’un développement
multiple. La matière sourit à l’homme total dans l’éclat de sa poétique
sensualité ; par contre, la doctrine aphoristique, elle, fourmille encore
d’inconséquences théologiques. » -Karl Marx, La Sainte Famille.

« Bacon de Verulam a déclaré que la physique théologique était une vierge


vouée à Dieu, et stérile : il a émancipé la physique de la théologie et elle est
devenue féconde. » -Karl Marx, L’éditorial du n° 179 de la « Gazette de Cologne
», Gazette rhénane n° 191, 193 et 195 des 10, 12 et 14 juillet 1842.

« François Bacon, demande que sa nouvelle méthode empirique et inductive soit


appliquée pour réaliser avant tout les fins suivantes: prolonger la vie, rajeunir
jusqu'à un certain point, modifier la stature et les traits, métamorphoser des
corps en d'autres corps, créer des espèces nouvelles, dominer l'air et provoquer
les orages ; il se plaint que les recherches de ce genre aient été abandonnées, et,
dans son histoire de la nature, il donne des recettes en bonne et due forme pour
fabriquer de l'or et accomplir toutes sortes de miracles. » -Friedrich Engels,
Dialectique de la nature, 1883, "Les classiques des sciences sociales", 290
pages, p.43.

« Peu de grands hommes de l’antiquité probablement ont été maltraités par


l’histoire autant que Démocrite. Dans la grande caricature, que nous a
transmise une tradition ignorante, il ne reste presque rien de lui que le nom de
536
philosophe rieur, tandis que des personnages d’une valeur bien moindre nous
sont connus dans toutes leurs particularités. C’est une raison de plus pour
admirer le tact avec lequel Bacon de Verulam, qui en général ne brille guère
par sa connaissance de l’histoire, est allé prendre Démocrite au milieu de tous
les philosophes de l’antiquité pour lui décerner le prix des recherches solides ;
Aristote, au contraire, l’idole philosophique du moyen âge, n’est à ses yeux que
le créateur d’une science apparente et funeste, l’inventeur d’un verbiage vide de
sens. Aristote ne pouvait être équitablement jugé par Bacon. Le philosophe
anglais était pour cela trop dépourvu du sens historique, qui sait reconnaître
même dans de graves erreurs, une inévitable transition à une compréhension
plus exacte de la vérité. Bacon trouvait en Démocrite une intelligence analogue
à la sienne et malgré l’abîme de deux mille ans qui le séparait du philosophe
grec, il l’apprécia presque comme un contemporain. En effet, bientôt après
Bacon, l’atomistique devint provisoirement, sous la forme qu’Épicure lui avait
donnée, la base de l’étude de la nature chez les modernes. » -Friedrich-Albert
Lange, Histoire du matérialisme et de son importance à notre époque, volume I,
1877.

« Faire de Bacon un matérialiste donnerait une image erronée de sa


philosophie. Comme tous les naturalistes, il opère une unification de la réalité,
qui produit un immanentisme remettant en cause les croyances surnaturelles et
autres raffinements transcendantaux. En cela, il renoue avec l'un des puissants
caractères du matérialisme antique. Mais [...] l'immanentisme est contenu face
à la question de l'origine ; la transcendance suffit lorsqu'il faut savoir d'où vient
le monde, logiquement et chronologiquement. [...] La nature est entièrement
accessible à la raison humaine, à condition de faire de son origine une
extériorité irréductible. » -Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies
matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.218.

« La Nouvelle Atlantide (1626) de Francis Bacon était surtout nouvelle, peut-


être, parce qu’elle se situait dans le Pacifique. » -Benedict Anderson,
L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris,
Éditions La Découverte & Syros, 2002 (1983 pour la première édition
américaine), 211 pages, p.79.

« La notion du travail considéré comme une valeur humaine est sans doute
l'unique conquête spirituelle qu'ait faite la pensée humaine depuis le miracle
grec ; c'était peut-être là la seule lacune à l'idéal de vie humaine que la Grèce a
537
élaboré et qu'elle a laissé après elle comme un héritage impérissable. Bacon est
le premier qui ait fait apparaître cette notion. À l'antique et désespérante
malédiction de la Genèse, qui faisait apparaître le monde comme un bagne et le
travail comme la marque de l'esclavage et de l'abjection des hommes, il a
substitué dans un éclair de génie la véritable charte des rapports de l'homme
avec le monde : « L'homme commande à la nature en lui obéissant. » Cette
formule si simple devrait constituer à elle seule la Bible de notre époque. Elle
suffit pour définir le travail véritable, celui qui fait les hommes libres, et cela
dans la mesure même où il est un acte de soumission consciente à la nécessité. »

-Simone Weil, Réflexion sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale,


1934, p.79.

http://academienouvelle.forumactif.org/t5690-charlie-dunbar-broad-the-
philosophy-of-francis-bacon#6738

http://www.amazon.fr/Francis-Bacon-Lhumaniste-magicien-
ling%C3%A9nieur/dp/2130570119/ref=sr_1_26?s=books&ie=UTF8&qid=1458
652445&sr=1-26&keywords=francis+bacon

https://www.amazon.fr/Lh%C3%A9ritage-baconien-XVIIe-XVIIIe-
si%C3%A8cles/dp/2841742075/ref=sr_1_fkmr0_1?s=books&ie=UTF8&qid=14
73506981&sr=1-1-
fkmr0&keywords=L%27h%C3%A9ritage+baconien+aux+XVIIe+et+au+XVIII
e+si%C3%A8cles

Galilée (1564-1642) : « Tout d'abord, ami Galilée, je voudrais que vous soyez
bien convaincu du plaisir de l'âme avec lequel j'embrasse votre opinion en
astronomie, sur le système de Copernic. Les barrières d'un monde assurément
vulgaire sont brisées. L'esprit libéré erre à travers l'immensité de l'espace. Peut-
être conviendrait-il que vous publiiez votre travail. En le cachant vous feriez
une grave injure aux lettres et à ceux qui s'adonnent aux sciences les plus
divines… Si une résolution bien arrêtée, ou la destinée, vous imposent une
réserve telle que vous ne puissiez même pas communiquer par lettre à vos amis
ce que vous avez conçu, faites une exception pour moi. Laissez-moi espérer ou
vous demander d'être votre correspondant. » -Pierre Gassendi, lettre du 20
juillet 1625.

538
« Alors qu'auparavant l'espace était un espace hiérarchisé et non homogène, et
le temps avant tout un durée, Galilée conçoit donc les espaces parcourus par un
mobile comme tous équivalents. » (p.146)

« Après Galilée et Descartes, les fondements de la physique aristotélicienne sont


détruits. [...]
La distinction entre mouvements naturels et violents ayant perdu toute
signification, la cosmologie appropriée est celle d'un espace infini, homogène et
isotrope, un univers sans hiérarchies naturelles, sans considérations de
perfection, de cause ou de finalité, unifié seulement par l'identité des lois
mathématiques qui le régissent dans toutes ses parties. » (p.148-149)
-Catherine Chevalley, Nature et loi dans la philosophie moderne, in Denis
Kambouchner, Notions de philosophie, I, Gallimard, coll Folio essais, 551
pages, p.127-230.

« Les étoiles sont devenues, à partir de Galilée, un immense champ


d'exploration pour la connaissance mathématique de la nature. De là à croire
que cette connaissance ne rencontrerait pas davantage de limite que l'espace
n'en comporte, il n'y a qu'un pas que l'idée moderne de progrès devait permettre
de franchir. » -Michaël Fœssel, Le temps de la consolation, Seuil, coll. "L'ordre
philosophique", 2015, 276 pages, p.187.

« [Hobbes] emprunte à Galilée sa méthode analytico-synthétique qu'il admire


tant: or, cette méthode consiste à décomposer la société existante en ses
éléments premiers et à en opérer ensuite la synthèse logique. » -C. B.
Macpherson, La théorie politique de l'individualisme possessif, Gallimard, coll.
Folio essais, 2004 (1962 pour la première édition anglaise), 606 pages, p.60.

« [Pour Galilée] Le livre [de la nature] est désormais écrit en langage


mathématique : c’est ici un des actes fondateurs du naturalisme. Ce faisant,
c’est toute la lisibilité de la nature comme qualités sensibles, comme influences
invisibles qui disparaît, reléguée dans « un labyrinthe obscur » et illégitime. Il y
a une seule bonne manière de lire : identifier figures géométriques et équations
cachées. Les autres régimes de lisibilité ne procurent pas de significations
fiables, mais des illusions. Lire la nature, c’est abstraire des lois universelles en
langage mathématique. Empressons-nous de préciser que ces formes de savoirs
mathématisés sont aussi belles que puissantes, et il n’est même pas nécessaire
de préciser ici qu’on ne les attaque pas : elles constituent d’exemplaires

539
réussites des régimes de production de savoirs que constituent les sciences
modernes. Ce que l’on stigmatise, c’est l’effet collatéral de l’enthousiasme pour
ce mythe fondateur, qui défend comme exclusif et monopolistique ce mode de
lisibilité à l’égard de la « nature », et du monde vivant, alors même que dans le
champ des sciences, différents types de savoirs, fiables et puissants bien que non
mathématisés ni mathématisables, subsistent (que l’on pense par exemple à
l’histoire évolutive, l’éthologie, la botanique et ses concepts anexacts…). On
retrouve ici une expression puissante du grand partage de l’enchantement. » -
Estelle Zhong Mengual & Baptiste Morizot, « L’illisibilité du paysage. Enquête
sur la crise écologique comme crise de la sensibilité », Nouvelle revue
d’esthétique, 2018/2 (n° 22), p. 87-96. DOI : 10.3917/nre.022.0087. URL
: https://www.cairn-int.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2018-2-page-
87.htm

Johannes Kepler (1571-1630): « Vous êtes le premier, et pratiquement le seul,


et alors même que vous n’avez pu que très peu examiner la chose, à accorder
votre entière confiance à mes affirmations. » -Lettre de Galilée à Kepler, 19 août
1610.

Isaac Newton (1643-1727) : « On distingue en astronomie le temps absolu du


temps relatif par l’équation du temps. Car les jours naturels sont inégaux,
quoiqu’on les prenne communément pour une mesure égale du temps ; et les
astronomes corrigent cette inégalité, afin de mesurer les mouvements célestes
par un temps plus exact. Il est très possible qu’il n’existe pas de mouvement
parfaitement égal, qui puisse servir de mesure exacte du temps ; car tous les
mouvements peuvent être accélérés et retardés, mais le temps absolu doit
toujours couler de la même manière. La durée ou la persévérance des choses est
donc la même, soit que les mouvements soient prompts, soit qu’ils soient lents, et
elle serait encore la même, quand il n’y aurait aucun mouvement ; ainsi il faut
bien distinguer le temps de ses mesures sensibles, et c’est ce qu’on fait par
l’équation astronomique. La nécessité de cette équation dans la détermination
des phénomènes se prouve assez par l’expérience des horloges à pendule, et par
les observations des éclipses des satellites de Jupiter. »

« Le temps absolu, vrai et mathématique, en lui-même et de sa propre nature,


coule uniformément sans relation à rien d’extérieur, et d’un autre nom est
appelé Durée. »

540
« Le temps relatif, apparent et vulgaire, est une mesure quelconque, sensible et
externe de la durée par le mouvement (qu’elle soit précise ou imprécise) dont le
vulgaire se sert ordinairement à la place du temps vrai : tels, l’heure, le jour, le
mois, l’année. »

-Isaac Newton, Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica, 1686.

Hugo Grotius (1583-1645) « S. Pierre prêche aux Esclaves la soumission


aveugle aux Maîtres bons ou méchants: S. Augustin applique ce précepte aux
Sujets: « Telle doit être l'obéissance des Sujets envers leur Prince, des Esclaves
envers leurs Maîtres; que leur patience continuelle conserve leurs biens, & leur
mérite le Salut éternel. »

L'ancienne loi ne s'en écarte point; elle nomme le droit du Prince le pouvoir de
traiter ses Sujets en Esclaves, de s'emparer du bien des uns pour en gratifier
d'autres: ce n'est pas que la conduite d'un tel Prince soit juste & droite; car la
loi divine lui trace une route opposée, en lui défendant d'appesantir le joug de
ses Sujets, & de ne se point approprier les meubles, les chevaux, &c. mais c'est
pour graver dans le cœur de ses Sujets cette leçon, qu'il n'est pas permis de se
révolter. Chez les Romains, on reconnaissait que le Préteur rendait la justice au
moment même qu'il prononçait une Sentence injuste; & il est dit aussi, à
l'occasion d'un Roi injuste, désigné de Dieu: « Qui sera innocent d'avoir osé
lever la main sur l'Oint du Seigneur ? »" -Hugo Grotius, Traité du pouvoir du
magistrat politique sur les choses sacrées (1647).

« Grotius écrivait bien, au début du XVIIe siècle, que le droit [naturel] serait ce
qu'il est "même si Dieu n'existait pas". » -Simone Goyard-Fabre, Les embarras
philosophiques du droit naturel, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll.
Histoire des idées et des doctrines, 2002, p.24.

"[La doctrine stoïcienne du droit naturel] On la retrouve chez Pufendorf et


Grotius, qui en parlent comme d'une doctrine classique parmi les juristes. Ils
ont pu la lire dans les oeuvres de la Seconde scolastique, et notamment celle de
Suarez et de Vittoria." (p.72)

"Le libéralisme de Locke est présent in ovo dans ce traité de jeunesse de


Grotius." (note 2 p.72)

541
-Philippe Nemo, "Les sources du libéralisme dans la pensée antique et
médiévale", chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du
libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.65-111.

« [Grotius] n’admet pas du tout le droit de résistance du peuple contre le


souverain ; en effet la raison pour laquelle le peuple s’est réuni en société et
s’est donné un souverain, c’est que les individus sont trop faibles pour subsister
solitaires ; or, rien n’empêche qu’il ne donne à son souverain la puissance
suprême, celle qu’un maître a sur ses esclaves. On voit le sens de cette tentative
: justifier, aux yeux de la raison, certains droits positifs, droit de guerre, droit de
punir, droit de propriété, droit de souveraineté. Le droit n’est pas fait pour
rendre les hommes indépendants les uns des autres, mais pour les lier entre eux.
Et si Grotius réclame la tolérance envers toutes les religions positives, il ne
l’admet plus quand il s’agit des athées et des négateurs de l’immortalité de
l’âme : il y a une religion naturelle qui oblige, comme le droit naturel. » -Émile
Bréhier, Histoire de la philosophie, Tome 2 "La philosophie moderne", "Les
classiques des sciences sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1929-
1930-1932, 1184 pages), p.14-15.

« Les Hollandais plaident avec Grotius la liberté des mers face à des Anglais
qui s’appuient sur John Selden pour défendre à l’inverse l’idée de
territorialisation de la mer. De fait, diverses mers côtières connaissent des
processus de territorialisation avec l’interdiction de fait à des populations
étrangères d’y pêcher. […] Aujourd’hui, la majorité des litiges frontaliers sont
marins. » -Philippe Sierra (dir.), Frontières, Ellipses Édition, 2020, 261 pages,
p.18.

http://www.amazon.fr/Hugo-Grotius-Miracle-Holland-Political/dp/0882296248

La France du Grand Siècle : « Il y a pour Paul Bénichou trois grandes


morales qui, pour ainsi dire, signent le Grand Siècle et lui donnent sa
physionomie morale : celle de l’héroïsme aristocratique dont le porte-parole
serait Corneille, celle du pessimisme anti-héroïque et janséniste de Pascal, de
La Rochefoucauld et de Racine, et finalement celle d’un positivisme moral,
d’une affirmation du monde malgré toutes ses déficiences qui serait celle de
Molière. […]

De Corneille nous passons à Pascal, La Rochefoucauld et Racine, des grandes


voix du jansénisme à celle de Molière annonçant un nouveau siècle de posivité
542
anthropologique sous le signe de la raison et des Lumières. Mais cette
construction historique, qui semble vaguement suivre un schéma hégélien, se
laisse lire aussi comme coprésence, comme champ de forces ou constellation. »
-Karlheinz Stierle, « Une morale du Grand Siècle ? Morale et esthétique dans les
fables de La Fontaine », Cahiers de l'AIEF, Année 2004, 56, pp. 231-243,
p.231-232.

René Descartes (1596-1650) : « Le bon sens est la chose du monde la mieux


partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les
plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer
plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais
plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et de distinguer le vrai
d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est
naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos
opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres,
mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne
considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon,
mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables
des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne
marchent que fort lentement, peuvent avancer beaucoup davantage, s’ils suivent
toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s’en éloignent. »
(p.29)

-René Descartes, Discours de la Méthode (1637), 10/18, 1976, 313 pages.

« Il suffit de bien juger pour bien faire. » -Troisième Discours de la méthode


dans : Descartes, Œuvres et lettres, Gallimard-Pléiade, 1996, p. 144.

« Au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on


peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du
feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous
environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos
artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels
ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la
nature. » -René Descartes, Discours de la Méthode, sixième partie, (1637),
10/18, 1976, 313 pages, p.90-91.

« Et si j’écris en français, qui est la langue de mon pays, plutôt qu’en latin, qui
est celle de mes précepteurs, c’est à cause que j’espère que ceux qui ne se
543
servent que de leur raison naturelle toute pure jugeront mieux de mes opinions
que ceux qui ne croient qu’aux livres anciens. » -René Descartes, Discours de la
Méthode, sixième partie, 1637.

« Il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa
personne en particulier. […] Si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait
pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu’on croirait en retirer quelque
petite commodité, et on n’aurait aucun vraie amitié, ni aucune fidélité, ni
généralement aucune vertu ; au lieu qu’en se considérant comme une partie du
public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint
pas d’exposer sa vie pour le service d’autrui, lorsque l’occasion s’en présente ;
voire on voudrait perde son âme, s’il se pouvait, pour sauver les autres. »

-René Descartes, Lettre à la princesse Élisabeth, 15 septembre 1645.

« Je ne suis point de ces philosophes cruels qui veulent que leur sage soit
insensible. » -René Descartes, Lettre à la princesse Élisabeth, 18 mai 1645.

« Que nous devons préférer l’autorité divine à nos raisonnements, et ne rien


croire de ce qui n’est pas révélé que nous ne le connaissions fort clairement.
Surtout, nous tiendrons pour règle infaillible que ce que Dieu a révélé est
incomparablement plus certain que le reste, afin que, si quelque étincelle de
raison semblait nous suggérer quelque chose au contraire, nous soyons toujours
prêts à soumettre notre jugement à ce qui vient de sa part… » -René Descartes,
dernier des Principes de la philosophie.

« Il aurait bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu ;


mais il n’a pu s’empêcher de lui [faire donner] une chiquenaude, pour mettre le
monde en mouvement : après cela il n’a plus que faire de Dieu. » -Blaise Pascal,
Pensées, Lafuma, 1001.

« Le mécanisme cartésien conduisait à l’exclusion des causes finales. Il n’y


avait pas à douer d’une tendance quelconque cette matière qui n’obéissait
qu’aux lois brutales de la mécanique : la finalité suppose une certaine
spontanéité à réduire et à icnliner dans une direction ; elle n’a rien à faire avec
une réalité dont l’inertie fait le fond et qui n’a qu’à obéir aux poussées que
passivement elle subit. » -L. Noël, Le principe du déterminisme, Revue
Philosophique de Louvain, Année 1905, 45, pp. 5-26, p.11.

544
« Descartes, mort […] en exil à Stockholm, s’était attiré les foudres de l’Église
pour des positions jugées peu orthodoxes. » -Line Cottegnies, « Le
« renouveau » de l’épicurisme en Angleterre au milieu du dix-septième siècle de
Walter Charleton à Margaret Cavendish – une histoire franco-britannique »,
Études Épistémè [En ligne], 14 | 2008.

« Comme nous savons, Messieurs, le jour, le mois, l’année dans laquelle la


philosophie grecque a été mise dans le monde, de même nous savons, avec la
même certitude et avec beaucoup plus de détail encore, le jour et l’année où la
philosophie moderne est née. Savez-vous combien il y a de temps qu’elle est
née ? Messieurs, vous allez ici prendre sur le fait la jeunesse, l’enfance de
l’esprit philosophique qui anime aujourd’hui l’Europe. Le grand-père d’un de
vos pères aurait pu voir celui qui a mis dans le monde la philosophie moderne.
Quel est le nom, quelle est la patrie de ce nouveau Socrate ? Infailliblement, il
devait appartenir à la nation la plus avancée dans les voies de la civilisation
européenne. Il a dû écrire, non dans le langage mort qu’employait l’Église
latine au moyen âge, mais dans le langage vivant, destiné aux générations
futures, dans cette langue appelée peut-être à décomposer toutes les autres, et
qui déjà est acceptée d’un bout de l’Europe à l’autre. Cet homme, Messieurs,
c’est un Français, c’est Descartes. Son premier ouvrage écrit en français est de
1637. C’est donc de 1637 que date la philosophie moderne ! » -Victor Cousin,
Cours de l’histoire de la philosophie, volume I, 1841.

« L’action de penser est première: voilà le cogito cartésien. Tout l’idéalisme


moderne est sorti de là, en particulier l’idéalisme allemand. » -Henri Bergson, «
La philosophie française », in Mélanges, Paris, PUF, 1972, p. 1159.

« René Descartes est de fait le véritable initiateur de la philosophie moderne, en


tant qu’il a pris le penser pour principe. Le penser pour lui-même est ici distinct
de la théologie philosophante, qu’il met de côté ; c’est un nouveau sol. On ne
saurait se représenter dans toute son ampleur l’influence que cet homme a
exercée sur son époque et sur les temps modernes. Il est ainsi un héros qui a
repris les choses entièrement par le commencement, et a constitué à nouveau le
sol de la philosophie, sur lequel elle est enfin retournée après que mille années
se soient écoulées. » (p.1384)

545
« C'est donc seulement maintenant que nous entrons dans la philosophie
proprement dite depuis l'école néoplatonicienne et ce qui s'y rattache. C'est un
recommencement de la philosophie. » (p.1380)

« Pour première exigence de la philosophie, Descartes pose qu'il faut douter de


tout, c'est-à-dire abandonner toutes les présuppositions » (p.1389-1390)

-Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Leçons sur l'histoire de la philosophie,


Volume 6.

« Le « dogmatisme » cartésien ou leibnizien, parce qu’il est parti de la pensée,


qu’il a fait de la pensée le principe, s’est condamné à voir ce qui est comme une
collection d’ « essences possibles en soi, nécessaires par autrui » pour parler
comme Avicenne. Il était donc nécessairement créationniste. Mais encore, il
devait distinguer entre l’essence divine et les autres essences, comme entre une
essence nécessaire par elle-même (existante en vertu d’elle-même) et les
essences créées par Lui. » -Emmanuel, L’existentialisme n’est qu’un
humanisme, lesopinionsdesphilosophes.wordpress.com, 3 mars 2017.

« Le profil philosophique de Descartes n'est guère le sujet de controverses.


Descartes, c'est pour nous le philosophe qui a découvert l'immanence et
l'indépendance radicale de la pensée et son rôle privilégié dans le fondement de
la connaissance. Après la révolution cartésienne, il ne peut pas y avoir de vérité
sans l'assentiment de la conscience subjective. Ainsi, Descartes est devenu aussi
le pionnier de l'idée que l'intentionnalité du sujet joue un rôle décisif dans la
constitution du monde comme objet de la connaissance. D'ailleurs, cela ne veut
pas dire que pour Descartes la subjectivité elle seule soit constitutive de
l'objectivité ou de ce que Kant appellera la nature ou l'expérience. La position
cartésienne n'est pas une position transcendantale dans ce sens, car ce n'est pas
le cogito qui assure l'existence et la structure fondamentale du monde de
l'expérience mais seul Dieu, la substance infinie. Toutefois, Descartes a établi
en philosophie la primauté épistémologique du sujet pensant. Il a ainsi jeté la
base pour la conception moderne de la subjectivité autonome. Et s'il n'a pas à
proprement parler découvert le sujet moderne, au moins lui a-t-il assigné la
position clé si typique pour la pensée postmédiévale.

Ainsi, Descartes est devenu pour nous le philosophe de la modernité par


excellence. » -Klaus Brinkmann, Hegel sur le cogito cartésien, Laval
théologique et philosophique, Volume 53, numéro 3, octobre 1997, p. 639-652.
546
« La nouveauté la plus radicale de l’histoire de la philosophie moderne, le
cartésianisme lui-même, aura d’étroites affinités avec le platonisme : après le
grand sommeil dans la « nuit » aristotélicienne du moyen âge, l’homo
platonicus, régénéré par l’élixir de longue vie de la méthode mathématique,
s’avancera sur la scène de l’histoire sous le masque de l’homo cartesianus. »

-Marcel De Corte, « Anthropologie platonicienne et anthropologie


aristotélicienne », Etudes Carmélitaines, Vol. I, avril 1938, p. 55‑56.

« Selon Gilson, à l’époque où Descartes fait encore ses études au collège de la


Flèche, la découverte par Galilée des satellites de Jupiter, annoncée en 1610
dans le Sidereus nuncius, et dont Descartes a dû avoir connaissance dès cette
époque, étant donnée l’ouverture des Jésuites aux idées nouvelles, cette
découverte, disons-nous, remettait en cause l’astronomie aristotélicienne. De là,
vacillait toute la physique aristotélicienne, de même que la métaphysique en
rapport avec laquelle celle-ci se trouve. Pour Gilson, le point de départ du
cartésianisme se trouve dans la physique, dans l’étude de la nature. Le
cartésianisme ne serait possible que sur l’horizon de ce que l’on a appelé « le
miracle des années 1620 », qui voit de nombreuses découvertes scientifiques
remettre peu à peu en cause toute la physique aristotélicienne et, implicitement,
la philosophie tout entière à laquelle elle se rattache. » -François Coadou, «
Descartes et Aristote. Essai de réflexion concrète sur les rapports entre
philosophie et histoire de la philosophie », Le Philosophoire, 2003/2 (n° 20), p.
155-170.

« Quand Kant convoque Descartes, c’est exclusivement pour le critiquer. Un


problème mérite toutefois d’être pointé, Kant ne fait pas référence directe à
Descartes, il ne le cite pas dans le texte. Kant lit Descartes à travers le prisme
de l’interprétation Leibnizo-wolffienne, comme le souligne Philonenko dans
L’Œuvre de Kant I : « Ne regardait Descartes qu’à travers Leibniz corrigé par
Wolff ». C’est donc un Descartes radicalisé et formaté sur lequel se penche
Kant. […]

La preuve de l’existence des choses extérieures proposées par Descartes est


insuffisante pour Kant car issue du cogito, principe fondé au-delà de toute
expérience. La critique kantienne du cogito cartésien se veut exemplaire, car
réfuter Descartes, c’est réfuter toutes les autres tentatives de dogmatismes et
d’illusions transcendantales. De plus, la réussite de la réfutation du Je pense
547
substantiel garantit le succès de l’entreprise critique. Son échec entraînerait en
revanche l’effondrement de tout l’édifice. […]

Pour Kant, l’ego du cogito est soumis à l’empirie, postulat qui rompt
complètement avec les prétentions de la psychologie rationnelle. Pour Kant,
l’existence du Je (sous la forme du moi empirique) ne se révèle que dans le
temps, forme a priori de la sensibilité. En aucune manière, les considérations
sur l’ego ne nous permettent d’accéder à un en soi. […]

Il y a chez Kant un double refus. Premièrement, l’opération qui consiste à


inférer du seul concept l’existence est une erreur logique qui confond deux
domaines hétérogènes. Deuxièmement, l’homme de par sa nature finie ne peut
accéder à un quelconque en soi. […]

Pour Kant, l’assimilation d’une chose et d’une pensée est une démarche
philosophiquement irrecevable. […] Le cogito de Descartes voit son existence
indubitable reléguée au rang d’illusion. La pensée de moi pensant ne me permet
pas de trancher de l’existence réelle du moi. » -Matthieu Giroux, « Kant :
critique du cogito cartésien », Philitt, 3 octobre 2012.

« Avec Descartes, à la place de l’homme occidental, assujetti à une unité


d’enracinement national et de perspectives universelles, apparaît l’homme
européen, la création d’une rationalité irréelle et anhistorique. » -Franz Boehm
(philosophe nazi), in Anti-cartésianisme. La Philosophie allemande en
résistance, cité dans Georg Lukács : Le fascisme allemand et Hegel (1943), p.5.

« [Descartes] posa la question qui n'a cessé de préoccuper les philosophes


depuis, et qui demande comment nous savons qu'une chose existe au-delà de la
conscience que nous avons d'elle. » -Maurice Cornforth, L'idéologie anglaise.
De l'empirisme au positivisme logique, Éditions Delga, 2010 (traduction de la
première partie de Marxism and the Linguistic Philosophy, 1965 pour la
première édition anglaise), 221 pages, p.9.

« La thèse fondamentale de Hegel était que le mouvement dialectique de la


pensée est identique au mouvement dialectique de la matière elle-même. Ainsi
espérait-il combler l'abîme que Descartes avait ouvert entre l'homme, défini
comme res cogitans, et le monde, défini comme res extensa, entre la faculté de
connaître et la réalité, la pensée et l'être. » -Hannah Arendt, La Tradition et
l'âge moderne, in La Crise de la Culture. Huit exercices de pensée politique,

548
1961, repris dans Hannah Arendt. L'Humaine Condition, Gallimard, coll.
Quarto, 2012, 1050 pages, p.623.

« Descartes a établi le point de départ de toute philosophie spéculative au sens


hégélien, philosophie qui se base sur l'identité du penser et de l'être et pour
laquelle la vérité est chose possible dans l'immanence du penser seulement. Il ne
fallait, selon Hegel, que cette découverte de Descartes pour trouver le
fondement de la pensée philosophique entière et de toutes ses pensées. Ce
processus de « purification » de la métaphysique de l'entendement qui aboutit à
un cogito identique au penser, et sans restriction à la conscience subjective,
nous mène au début de la logique hégélienne. » -Klaus Brinkmann, Hegel sur le
cogito cartésien, Laval théologique et philosophique, Volume 53, numéro 3,
octobre 1997, p. 639-652.

« Le « cogito » est une vérité parfaitement claire et distincte, et dont Descartes


ne peut douter : voilà donc le premier principe de la métaphysique. » -Jacques
Mantoy, Précis d'histoire de la philosophie, Paris, Éditions de l'École, 1965, 124
pages, p. 47.

« L’idéal de la science, tel qu’il a été posé par Descartes, a contribué d’une
manière essentielle à la conception a priori de la philosophie, telle que a été
développée par la suite dans l’idéalisme allemand. » -Ernest Grassi, Humanisme
et Marxisme, L'Age d'Homme, 1978, p.31.

« Tout comme Locke, Descartes pose d'emblée une différence de nature entre la
matière et la pensée. Ses Méditations métaphysiques (1641) entreprennent de
légitimer ce dualisme, en le fondant sur le sujet pensant et en l'étendant à tout le
réel. La seconde méditation énonce le premier objet de connaissance, accessible
en toute certitude à l'homme: son esprit ou sa faculté de penser, avant
l'expérience sensible. Descartes commence donc par poser une différence
ontologique entre les corps et la pensée, au moyen d'un critère de certitude: le
sujet est sûr de l'existence de ses pensées, à l'inverse de ses sensations. Le terme
du cheminement méditatif aboutit, à la sixième méditation, à répéter, sous forme
de conclusion assurée, la différence ontologique corps/pensée. Le sujet parvient
à avoir une idée distincte de la chose pensante et une autre de la chose étendue.
La distinction entre l'âme et le corps clôt l'exposé. Ainsi, tout le réel se divise
selon une matière inanimée et la pensée non étendue.

549
Cette dualité impose un créationnisme strict, là aussi comme chez Locke.
L'irréductibilité de la chose pensante oblige à la considérer comme le fruit d'une
entité extérieure à la matière inanimée. [...]

La physique mécaniste de Descartes ne peut servir à occulter son créationnisme


patent et à le rattacher au courant matérialiste. Son mécanisme exprime
essentiellement ce mouvement général d'indépendance de la physique, dans la
lignée du naturalisme padouan. Même si sa métaphysique est fondatrice, elle
n'intervient pas dans le processus de compréhension des phénomènes physiques.
C'est aux mathématiques et à l'expérience que Descartes fait appel pour mener
ses nombreux travaux scientifiques. Il approuve une partie du programme
baconien, qu'il connaît et estime, et essaye de le mettre en œuvre dans ses
expérimentations. Dans son travail scientifique, Descartes se situe dans le
courant naturaliste (sans doute d'inspiration méthodologique), tout en
maintenant la nécessité d'une création perpétuelle à l'origine des lois du
monde. » -Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris,
Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.260.

« Descartes n'a pas cessé d'affirmer que la principale utilité de la philosophie,


c'est-à-dire de la méthode, consiste à « régler nos mœurs » [Lettre préface à
l'édition française des Principes], laquelle soit s'entendre aussi bien au sens
privé de la morale qu'au sens collectif, désignant les affaires publiques. De
surcroît, lui-même établit clairement le lien entre la politique et la philosophie :
« C'est le plus grand bien qui puisse être en un Etat que d'avoir de vrais
philosophes » [Ibid.]. Il faut entendre par là ceux qui connaissent la nouvelle
méthode rationnelle, mathématique, pour résoudre tous les problèmes qui se
posent à l'esprit.

Descartes était attaché par-dessus-tout à la mise en œuvre des principes de sa


méthode à tout ce qui touche la vie des hommes, dans les domaines de la
médecine, de la mécanique, de la morale et de la politique. Là était sa véritable
finalité : « La principale utilité de la philosophie dépend de celles de ses parties
qu'on ne peut apprendre que les dernières », écrit-il explicitement [Ibid.]. Il
avait, toutefois, clairement conscience que l'entreprise de refondation
rationnelle de la totalité du savoir, mais aussi de la morale et des institutions,
prendrait des siècles : « Je sais bien qu'il pourra se passer plusieurs siècles avant
qu'on ait ainsi déduit de ces principes toutes les vérités qu'on en peut déduire »
[Id.]. Et il réservait cette tâche aux générations futures, repoussant quelque
550
médiocre application de son système par ses contemporains qui en auraient
dénaturé la portée : « C'est proprement ne valoir rien que de n'être utile à
personne, toutefois il est aussi vrai que nos soins se doivent étendre plus loin
que le temps présent, et qu'il est bon d'omettre les choses qui apporteraient
quelque petit profit à ceux qui en vivent, lorsque c'est à dessein d'en faire
d'autres qui en apportent davantage à nos neveux » [Discours de la méthode,
sixième partie] De ces « neveux », Descartes parle encore énigmatiquement
dans les dernières lignes de la Lettre préface à l'édition française des Principes.
Envisageant les applications futures de sa méthode, il conclut sur ces mots : « Je
souhaite que nos neveux en voient le succès ».

Mettant son espérance dans la postérité pour conduire à terme les déductions de
la philosophie rationnelle qu'l avait conscience d'inaugurer, Descartes savait
parfaitement qu'il faisait œuvre, non de réformateur, mais de révolutionnaire : «
Je ne veux pas être de ces petits artisans, qui ne s'emploient qu'à raccommoder
les vieux ouvrages, parce qu'ils se rendent incapables d'en entreprendre de
nouveaux », écrit-il de la façon la plus claire qui soit dans la Recherche de la
vérité.

"Les neveux" de Descartes

La confiance dans la raison, dans les vertus du progrès des sciences et des
techniques, dans la maîtrise de la nature et de la société, comptent, on le sait,
parmi les traits distinctifs de la philosophie des Lumières. Il y a un esprit du
siècle : esprit de rupture et de commencement, esprit rationaliste, qu'incarne la
Révolution française, et qui vient de Descartes. Turgot, Condorcet, Sieyès,
Robespierre peuvent, sans nul doute, être considérés, avec Helvétius et
Bentham, comme les « neveux » de Descartes.

Qu'est-ce donc que condamneront les libéraux et les contre-révolutionnaires


dans les doctrines fondatrices de la Révolution française, sinon l'application
systématique de la méthode mathématique abstraite (intuition, puis déduction)
aux sociétés humaines et la négation qu'une telle méthode présuppose de
l'histoire, de ce qui vient de l'expérience et du passé. Voilà « l'esprit de système
» qui rendit possible qu'en 1789 l'on considérât la société française, ses
coutumes, ses institutions, sa culture, comme une « carte blanche ». Qu'on
songe à la passion qui animait Sieyès pour la création de l'Etat, lui dont la
conception mécaniste de la société vient en droite ligne de Hobbes et de

551
Descartes. N'est-ce pas la méthode de Descartes qui s'exprime en cette seule et
terrible recommandation : « Il faut toujours en revenir aux principes simples »
[Qu'est-ce que le Tiers Etat ? Librairie Droz, Genève, 1970, p. 178] Et que dire
du lien évident qui unit le rationalisme cartésien à la science sociale de
Condorcet ou encore au projet utilitariste de réforme de la morale et de la
législation, formulé par Helvétius et Bentham ?

Si les notions d'égalité, de souveraineté du peuple se trouvent chez l'auteur du


Contrat social, au-delà de Rousseau, c'est vers Descartes que, selon les libéraux
(Hayek par exemple), il faut remonter pour trouver la source première du «
rationalisme constructiviste » en politique dont la Révolution française fut la
première incarnation dans l'histoire des Temps modernes. Il ne serait pas
excessif de rapporter à Descartes ce que François Furet écrit, parlant de
l'influence du Contrat social de Rousseau : « Rousseau n'est en rien «
responsable » de la Révolution française, mais il est vrai qu'il a construit sans le
savoir les matériaux culturels de la conscience et de la pratique révolutionnaire »
[Penser la Révolution française, coll. Folio histoire, Paris, Gallimard, 1995, p.
58]. Plus juste encore, le mot de Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal qui
fait de Descartes « le grand-père de la Révolution française ». Ce n'est pas que
la Révolution de 1789 ait constitué l'unique réalisation possible du rêve secret
de Descartes, et que c'est un événement semblable qu'il avait en tête. Il faut, à
l'évidence, éviter les pièges d'un anachronisme grossier. De surcroît, la
tournure aristocratique de l'esprit de Descartes l'aurait très probablement rendu
réfractaire à l'idéal démocratique de la souveraineté populaire. Descartes se
tient sans doute davantage aux côtés de Voltaire que de Robespierre.
Néanmoins, la volonté révolutionnaire de reconstruire l'ordre social selon des
principes émanés de la raison et non de la tradition constitue, en politique, une
mise en œuvre historique concrète de la méthode que l'auteur du Discours de la
méthode appelait secrètement de ses vœux. Que cette réorganisation doive être
réalisée par les princes ou par le peuple est une distinction secondaire au
regard de la nature même du projet et de la méthode rationnelle qui préside à sa
réalisation systématique. Aussi sommes-nous fondés à conclure que Descartes
est, en politique, non moins que dans le domaine des sciences, un
révolutionnaire ; de même que toute conception visant à reconstruire l'ordre
social, ses institutions et ses normes, selon des principes rationnels, d'avance
conçus et planifiés par une autorité centrale, est d'essence cartésienne. »

552
-Michel Terestchenko, La pensée politique de Descartes et sa postérité (II), 22
février 2013.

« Descartes, le père du rationalisme (et par conséquent le grand-père de la


Révolution), qui ne reconnaissait d'autorité qu'à la seule raison [...] était
superficiel. » -Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, traduction Patrick
Wotling, Paris, GF Flammarion, 2000 (1886 pour la première édition
allemande), 385 pages, p.147, §191.

« [Descartes] nous mène directement, par l’intermédiaire de Fontenelle, aux


grands rationalistes et aux grands révolutionnaires, Diderot, Helvétius,
d’Holbach, d’Alembert, Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Saint-Just, Marat,
Robespierre, pour ne parler que de ceux-là. » -Marc Soriano, Notice à
Descartes, Méditations Métaphysiques, Larousse, coll. Nouveaux classiques,
1973, 141 pages, p.16.

« Descartes a osé, du moins, montrer aux bons esprits à secouer le joug de la


scolastique, de l’opinion, de l’autorité, en un mot des préjugés et de la
barbarie ; et, par cette révolte, dont nous receuillons aujourd’hui les fruits, il a
rendu à la philosophie un service, plus essentiel peut-être que tous ceux qu’elle
doit à ses illustres successeurs. » -D’Alembert.

« Descartes, le vrai restaurateur du raisonnement, est le premier qui a amené


une nouvelle méthode de raisonner, beaucoup plus estimable que sa philosophie
même, dont une bonne partie se trouve fausse ou incertaine, selon les propres
règles qu’il nous a apprises. C’est à lui qu’on est redevable de cette précision et
de cette justesse qui règne, non seulement dans les bons ouvrages de physique et
de métaphysique, mais dans ceux de religion, de morale, de critique. » -Denis
Diderot, Encyclopédie, article « Logique », XV, 528.

« [Descartes] dit aux hommes de secouer le joug de l'autorité, de ne plus


reconnaître que celle qui serait avouée par leur raison ; et il fut obéi, parce qu'il
subjuguait par sa hardiesse, qu'il entraînait par son enthousiasme. » -Nicolas de
Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain,
"Les classiques des sciences sociales", 1793, p.149.

« Descartes est l'un des plus grands penseurs français et l'un des plus grands
génies que la France ait donnés à l'humanité. » -Georges Politzer, "Le
tricentenaire du Discours de la Méthode".

553
« Parmi toutes les idoles qu’il nous importe d’abattre, il n’en est aucune dont il
soit plus urgent de nous débarrasser que de Descartes qu’on a voulu nous
représenter comme le représentant définitif du génie français : il faut le faire
passer par la fenêtre. » -Abel Bonnard, ministre de l’Éducation nationale du
régime de Vichy, extrait de l’Éloge de l’ignorance, 1942.

« La Renaissance avait donné le signal d’un essor prodigieux dans tous les
domaines de l’esprit. Descartes incarnera les ambitions et les audaces
intellectuelles de la bourgeoisie montante et progressiste, laborieuse et hardie,
riche de talents et impatiente de conquêtes… C’est le désir de voir clair dans ses
pensées et ses actions qui fait de Descartes un philosophe, et c’est le désir
d’améliorer les conditions matérielles de l’existence humaine qui a fait de lui un
auteur. » -Maurice Thorez, Discours au grand amphithéâtre de la Sorbonne, 2
mai 1946.

« Lorsque René Descartes, dans les Méditations métaphysiques, fonde


philosophiquement le sujet moderne sur fond de doute hyperbolique, il semble,
au terme de la démonstration, que le sujet s’en trouve d’autant plus renforcé
ontologiquement que les objets et le monde autour de lui s’en trouvent affaiblis.
On se trouve un peu comme lors d’une prise de vue photographique, lorsque
l’on règle l’image sur le sujet de la photographie et que l’arrière-plan devient
flou.

En effet, une fois découvert le cogito, il faut à René Descartes tout le détour
visant à prouver l’existence de Dieu pour échapper au doute et s’assurer de
retrouver l’objet perdu, et non seulement l’objet, mais le monde et aussi son
propre corps mis en doute auparavant pour les besoins de la démonstration.
Disons qu’il reste des séquelles de cette fondation philosophique du sujet et de
la modernité, il reste définitivement un soupçon ontologique qui pèse sur
l’existence du reste du monde, ce piège logique lié à la démonstration
cartésienne, c’est le piège du solipsisme, l’hypostase du sujet individuel.

« Je n’aurai aucun argument qui me puisse convaincre et rendre certain de


l’existence d’aucune autre chose que de moi-même. » La puissance logique de
la démonstration concentrée sur le cogito contraste avec la lourdeur de la
démonstration visant à prouver l’existence de Dieu et du reste du monde. Le
sujet est fondé, mais d’une certaine manière, le monde est perdu, il perd
définitivement de son épaisseur ontologique.

554
L’ordonnancement cosmologique d’un monde religieusement garanti se dégrade
alors en simple étendue, en une réalité contingente scientifiquement exploitable.
Il faut comprendre que cette rupture ontologique a a fortiori des conséquences
sociologiques profondes. S’il est difficile pour le sujet de se mettre en rapport
avec les objets, que dire alors de la difficulté de se mettre en rapport avec autrui
? » -Stéphane Hampartzoumian, « La mélancolie au creux de la
modernité », Sociétés 4/2004 (no 86), p. 21-35.

"From the start of the post-Renaissance period, philosophy -released from its
bondage as handmaiden of theology- went seeking a new form of servitude, like
a frightened slave, broken in spirit, who recoils from the responsability of
freedrom. Descartes set the direction of the retreat [...] While promising a
philosophical system as rational, demonstrable and scientific as mathematics,
Descartes began with the basic epistemological premise of every Witch Doctor
(a premise he shared explicitly with Augustine): "the prior certainty of
consciousness", the belief that the existence of an external world is not self-
evident, but must be proved by deduction from the contents of one's
consciousness -which means: the concept of consciousness as some facultry
other than the facultry of perception -which means: the indiscriminate contents
of one's consciousness as the irreductible primacy and absolute, to which reality
has to conform. What followed was the grotesquely tragic spectacle of
philosophers struggling to prove the existence of an external world." -Ayn
Rand, For the new intellectual, Signet, 1963 (1961 pour la première édition
américaine), 216 pages, p.25.

« Pour Descartes, c'est le propre des "âmes basses" qu'on ne peut les inciter à
prendre de la peine pour autrui qu'en leur faisant voir qu'elles en retireront
quelque profit. Pour que la béatitude que vise notre philosophe soit au rendez-
vous, il faut que le contentement jaillisse spontanément de l'acte vertueux, ou
que celui-ci soit à lui-même sa propre récompense. » -Philippe Simonnot, 39
leçons d'économie contemporaine, Gallimard, coll. folio.essais, 1998, 551
pages, p.74.

« Avec Descartes, le dualisme entame sa dernière et mortelle métamorphose,


pour se désintégrer bientôt dans les deux branches également stériles de
l'alternative, l'idéalisme et le matérialisme. » -Hans Jonas, Le phénomène de la
vie: Vers une biologie philosophique, De Boeck niversité, 2001 (1966 pour la
première édition allemande), 287 pages, p.83.
555
"These developments, that of philosophical realism and of the novel form itself,
have their origins in Thomas Reid, Locke, and Descartes, whose Meditations
"did much to bring about the modern assumption whereby the pursuit of truth is
conceived as a wholly individual matter, logically independent of the tradition of
paste thought, and indeed as more likely to be arrived at by a departure of from
it". Here [Ian] Watt takes us to what is arguably the core of individualism, the
fundamental premise upon which is it based: the belief that the pursuit of truth is
a wholly individual matter." -Daniel Shanahan, Toward a Genealogy of
Individualism, The University of Massachusetts Press, 1991, 161 pages, p.18.

« Descartes a intellectuellement rendu possible le Siècle des Lumières encore


appelé Siècle de la Raison. Que se serait-il passé s’il n’avait pas
intellectuellement procédé à la restauration de l’homme dans son droit de
penser, s’il n’avait pas convaincu que penser est non seulement un droit mais
aussi un devoir ? [...]
Si la révolution de la pensée ne s’était pas accomplie, ni la révolution
américaine, ni la révolution française, ni la révolution industrielle n’auraient eu
lieu. » -Joseph Ndzomo-Molé, Philosophie et histoire : Dialectique de
l’universel et du particulier, Revue Sens public, 9 février 2015: http://sens-
public.org/article1131.html

"Avec la nouvelle sphère publique politique s'efface la partition instituée par


Descartes entre, d'une part, les croyances et obéissances obligées, d'autre part,
les opinions qui peuvent légitimement être révoquées en doute. La première des
maximes de la "morale par provision" dont il se dote consiste à "obéir aux lois
et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu
m'a fait la grâce d'être instruit dès mon enfance". De là, la distinction
fondamentale: "...mises à part [...] les vérités de la foi, qui ont toujours été les
premières en ma créance, je jugeai que pour tout le reste de mes opinions, je
pouvais librement entreprendre de m'en défaire". Dans l'espace public construit
un siècle plus tard, c'est ce "reste" même qui disparaît puisque aucun domaine
de la pensée ou de l'action ne saurait être "mis à part" et soustrait au jugement
critique." -Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française,
Éditions du Seuil, coll. Points, 2000 (1990 pour la première édition), 307 pages,
p.39.

« Projet que s’assigne Stéphane Van Damme dans sa biographie de Descartes.


Mettant en pratique les enseignements théoriques de l’histoire culturelle telle
556
que la conçoit Roger Chartier, la sociologie des réseaux de Bruno Latour et la
notion de pluralité des mondes définie par Luc Boltanski et Laurent Thévenot,
l’auteur démultiplie les angles d’approche pour rendre compte de la richesse
qu’a constituée le corpus cartésien comme ressource et la force non démentie de
sa postérité. […]

Dans le même esprit, François Azouvi montre que le cartésianisme commence


surtout après la mort d’un Descartes qui a été contraint à l’exil et dont l’œuvre
a été mise à l’Index en 1663 : « Singulier destin d’un philosophe que rien,
semblait-il, ne prédisposait à incarner une nation ». La question que se pose
Azouvi n’est pas une simple historicisation du cartésianisme en France. Il
renverse la perspective traditionnelle et s’interroge sur le cartésianisme à partir
de la France en étudiant en quoi Descartes constitue une étape dans la
construction de l’identité nationale de la France « par le biais du sort –ou des
sorts- qu’elle réserve à l’auteur de Discours de la méthode depuis sa mort
jusqu’à la période contemporaine ».

C’est dans la postérité longue de son œuvre que se trouvent les bases de sa
grandeur, et cela implique de prendre en considération ce que François Azouvi
distingue comme les divers « cercles » de lecture du cartésianisme, qui
appartiennent à des mondes culturels dont Descartes ne pouvait avoir la
moindre idée, car les enjeux se sont déplacés au fil d’un temps qui n’est plus le
sien. » -François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La
Découverte, 2005, 480 pages, p.437-438.

« Les Lumières ne sont nullement cartésiennes, mais à la suite de Locke,


empiristes. Et il faut savoir, c'est important, on ne le sait pas assez, que les
œuvres de Descartes n'ont connues aucune réimpression au cours du 18ème.
[...] S'il n'y avait pas eu Victor Cousin, les Français seraient peut-être restés
aussi empiristes que les Anglais. » -Philippe Forget, Comprendre les Lumières,
conférence au Cercle Aristote, 18 mai 2019.

http://hydra.forumactif.org/t2705-josiane-boulad-ayoub-paule-monique-vernes-
la-revolution-cartesienne#3459

http://hydra.forumactif.org/t3920-francisque-bouillier-histoire-de-la-
philosophie-cartesienne#4767

557
http://www.amazon.com/Descartes-Biography-Desmond-M-
Clarke/dp/1107601460/ref=sr_1_fkmr0_1?s=books&ie=UTF8&qid=145856511
0&sr=1-1-fkmr0&keywords=Evidence+and+Reality+in+Descartes

http://www.amazon.com/Descartes-Intellectual-Biography-Stephen-
Gaukroger/dp/0198239947/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1450980234&
sr=1-1&keywords=Descartes%3A+an+intellectual+biography

https://www.amazon.fr/gp/product/2130516130/ref=pd_sim_14_12?ie=UTF8&
psc=1&refRID=BATX0Z0HV3VGYH7KRG7E

Simon Foucher (1644-1696) : http://www.amazon.fr/Dissertations-sur-


Recherche-v%C3%A9rit%C3%A9-
acad%C3%A9miciens/dp/2012798810/ref=asap_bc?ie=UTF8

Pierre Gassendi (1592-1655) : « Les exposés de Gassendi, qui a levé l’interdit


que les Pères de l’Eglise et le Moyen âge tout entier, cette période de la
déraison réalisée, avaient lancée contre Epicure, ne constituent qu’une étape
intéressante. Gassendi cherche à concilier sa conscience catholique avec sa
science païenne, et Epicure avec l’Eglise, ce qui, bien sûr, était peine perdue. »
-Karl Marx, Préface à la thèse de doctorat « Différence entre la philosophie de
la nature de Démocrite et celle d’Epicure », 1841.

« Gassendi, prévôt du chapitre de Digne, est un amateur d’observations


astronomiques, un partisan du système de Copernic, un correspondant de
Galilée, à qui il écrit pendant son procès au Saint-Office : « Je suis dans la plus
grande anxiété sur le sort qui vous attend, ô vous la plus grande gloire du
siècle... ; si le Saint Siège a décidé quelque chose contre votre opinion,
supportez le comme il convient à un sage. Qu’il vous suffise de vivre avec la
persua¬sion que vous n’avez cherché que la vérité. ». » -Émile Bréhier, Histoire
de la philosophie, Tome 2 "La philosophie moderne", "Les classiques des
sciences sociales" (à partir de Librairie Félix Alcan, Paris, 1929-1930-1932,
1184 pages), p.21.

« Gassendi défend un point de vue finaliste : il ne s’arrête pas à la constitution


du monde par la rencontre des atomes, mais introduit un concept qu’il tire de
Lucrèce, la molécule, ou semen rerum. Gassendi refuse que l’atome serve de
principe métaphysique ; c’est un élément dans la constitution de la nature des
choses, un indivisible, un minimum ; il est vrai que la matière se conserve, et

558
que les « atomes » se combinent infiniment pour créer les différentes formes ;
mais là s’arrête leur rôle. Le point de désaccord le plus important entre
Gassendi et Épicure porte sur la notion de Providence que Gassendi avance,
alors qu’il n’y a pas de prévoyance des atomes. »

« Contre le hasard propre à l’atomisme et au clinamen, Gassendi croit en la


Providence de Dieu ; il suit donc Galien et réinvente un finalisme qui ne soit pas
celui d’Aristote, lié à la notion de forme, cause formelle et cause finale. Chez
Galien et Gassendi, le finalisme s’intègre dans le couple organe-fonction : la
régularité de l’implantation des dents est l’œuvre d’un maître plutôt qu’un
tourbillon heureux.

On peut mener la même analyse quant à la notion de création du monde par


Dieu, l’immortalité de l’âme ou la réalité de l’enfer, d’où la nécessité de la
terreur sur laquelle s’appuie la religion chrétienne.

Ces points permettent d’interpréter l’injonction de Gassendi qu’il faut vivre


selon la nature : vivre selon la nature, c’est vivre selon la création de Dieu, car
il n’y a pas autonomie de la nature par rapport à Dieu. La nature est une
créature, au même titre que l’homme ; mais l’homme est au centre de la
création, suivant l’incarnation. Au demeurant l’homme est fait, matériellement,
d’atomes et de vide ; quelque chose s’ajoute en plus, la substance angélique,
immatérielle, qui définit son âme. Il est donc doublement créature de Dieu,
d’une part en tant que créature appartenant à la somme des choses, et d’autre
part par son âme. Il n’en reste pas moins que les atomes sont créés par Dieu ;
Dieu crée les molécules qui contiennent la forme de chaque espèce naturelle : la
créature est contenue dans la molécule.

Vivre selon la nature, c’est donc tâcher d’effacer les effets pervers de la
coutume, en termes de vêtement, d’alimentation, de modes de vie, de passions,
mais encore et surtout, ces différents us étant sans importance, contempler la
nature comme création de Dieu. On observe ici une assimilation entre le sage
épicurien et l’ascète chrétien. »

« Gassendi, atomiste sur certains points, mais chrétien sur d’autres, refuse
d’admettre au nom de la foi les prémisses qu’il pose au nom de la philosophie
alors que pour la physique, il refuse au nom du réel les dogmes de la foi. La
séparation radicale des deux domaines évoque des thèmes pascaliens. » -Sylvie

559
Taussig, « Gassendi et Lucrèce dans les Lettres latines », Dix-septième siècle
3/2002 (n° 216), p. 527-543.

« Pascal exploite les objections anticartésiennes de Gassendi. » -Antony


McKenna, « Pascal et Gassendi : la philosophie du libertin dans les
Pensées », Dix-septième siècle 4/2006 (n° 233) , p. 635-647.

Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, p.242-245.

http://www.amazon.fr/Gassendi-Atomist-Advocate-History-
Science/dp/0521522390/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1458677652&sr=8-
1&keywords=Gassendi+the+Atomist%3A+Advocate+of+History+in+an+Age+
of+Science

http://www.amazon.fr/Vie-moeurs-dEpicure-I-
II/dp/2251799834/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1457429850&sr=8-
1&keywords=gassendi

http://www.amazon.fr/philosophie-Gassendi-Nominalisme-
Mat%C3%A9rialisme-
M%C3%A9taphysique/dp/9024750350/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1458677448
&sr=8-
1&keywords=La+philosophie+de+Gassendi.+Nominalisme%2C+mat%C3%A9
rialisme+et+m%C3%A9taphysique

http://www.amazon.fr/Gassendis-Ethics-Freedom-Mechanistic-
Universe/dp/0801429471/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1458677581&sr=8-
1&keywords=Gassendi%27s+Ethics%3A+Freedom+in+a+Mechanistic+Univers
e

https://www.amazon.fr/Espace-m%C3%A9taphysique-Gassendi-Kant-
Anthologie/dp/2705687890/ref=sr_1_13?ie=UTF8&qid=1476633412&sr=8-
13&keywords=gassendi

Baltasar Gracián (1601-1658): http://www.amazon.fr/Trait%C3%A9s-


politiques-esth%C3%A9tiques-%C3%A9thiques-
Baltasar/dp/2020363577/ref=pd_sim_14_8?ie=UTF8&dpID=51G8BZ9VZ2L&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR102%2C160_&refRID=0VVTSW0A62S
BPV87BCWK

560
Jakob Böhme (1575-1624): http://www.amazon.fr/Confessions-Jacob-
Boehme/dp/2213009864/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=1454955661&sr
=1-3&keywords=Jacob+B%C3%B6hme

http://www.amazon.fr/signature-choses-Jacob-
Boehme/dp/2246505313/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1454955661&sr
=1-1&keywords=Jacob+B%C3%B6hme

https://www.amazon.fr/Philosophie-Boehme-origines-m%C3%A9taphysique-
allemande/dp/2711604454/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1476633658&sr=8-
3&keywords=La+Philosophie+de+Jacob+Boehme

http://www.amazon.fr/disciples-anglais-boehme-xviii%C2%B0-
si%C3%A8cles/dp/B0000DTCOV/ref=sr_1_16?s=books&ie=UTF8&qid=1454
955661&sr=1-16&keywords=Jacob+B%C3%B6hme

La Guerre de Trente Ans (1618-1648) : http://www.amazon.fr/Guerre-Trente-


Ans-Henry-
BOGDAN/dp/2262023972/ref=pd_sim_14_12?ie=UTF8&dpID=51%2B8NsidP
6L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=00HWP0YBC
GCNF13826S2

Élisabeth Ière (1533-1603) :

John Evelyn (1620-1706) : "To pretend to Universal Monarchy without Fleets


was long since looked, as a politick chimaera... whoever commands the ocean,
commands the trade of the world, and whoever commands the trade of the
world, commands the riches of the world, and whoever is master of that,
commands the world itself." -John Evelyn, Navigation and Commerce, their
Origin and Progress (London, 1674), pp.15-17 and 32-3.

Les Révolutions Anglaises : « C’est à une Révolution qu[e les Anglais] doivent
chaque parcelle de la Liberté civile et religieuse dont il leur est permis de jouir,
et […] c’est à une Révolution qu’ils seront finalement contraints de recourir si
tous les autres moyens légaux d’obtenir Justice leur sont déniés. » -Henry
White, Independent Whig, 27 juillet 1817.

« La révolution de 1789 n'avait d'autre modèle - au moins en Europe - que la


révolution de 1648, la révolution de 1648 que le soulèvement des Pays-Bas
contre l'Espagne. Les deux révolutions étaient d'un siècle en avance sur leurs

561
modèles, non seulement quant au temps, mais aussi quant au contenu. » -Karl
Marx, La bourgeoisie et la contre-révolution, La Nouvelle Gazette Rhénane, n°
165, 10 décembre 1848.

« La Glorieuse Révolution n’a pas seulement inscrit juridiquement la possibilité


de l’essor capitaliste, elle est aussi le résultat de ses premiers développements. »
-Clément Carbonnier, « Pour une défense du matérialisme », La Vie des idées,
27 septembre 2016.

« Des humanistes « politiques » tels Richard Beacon et Francis Bacon


commencent à s’inspirer des idées de Machiavel sur le vivere libero. » -Quentin
Skinner, La liberté avant le libéralisme, Seuil, coll. Liber, 2000 (1998 pour la
première édition anglaise), 131 pages, p.19.

« Les crises qui secouent l'Angleterre à partir des années 1640 transforment le
pays en un laboratoire dans lequel s'élaborent toutes sortes de théories
politiques. Rappelons en effet qu'en moins d'un demi-siècle, l'Angleterre voit la
chute de la monarchie et l'exécution du roi, l'établissement d'une république
transformée bien vite en dictature militaire, puis une restauration monarchique
qui débouchera finalement sur la première monarchie parlementaire de
l'histoire. Avec sa succession de bouleversements politiques et institutionnels,
l'Angleterre du XVIIe siècle apparaît comme un fabuleux terrain
d'expérimentation d'où surgissent les grands modes de pensée de l'époque
moderne. A cette période de l'histoire, philosophes et acteurs politiques tentent
de penser, avec une acuité particulière liée aux événements, les tensions
inhérentes à la fondation du corps politique, entre ordre et désordre, entre
guerre et paix civiles, entre diversité et unité, entre licence et contraire, entre
liberté et empire, entre passions et raison. La puissance qui est l'attribut de ce
corps est tout à la fois perçue comme contraignante, démesurée et libératrice.
1642-1688. Ces quarante années sont bornées par deux épisodes qui
marquèrent la conscience politique de l'Angleterre. L'année 1642 marque le
déclenchement des hostilités entre les partisans du roi et ceux du Parlement. En
1688 a lieu la Glorieuse Révolution ainsi nommée par l'historiographie whig
parce qu'elle accomplissait ce que la Grande Rébellion de 1642 n'avait pu
accomplir: un bouleversement politique opéré sans faire couler de sang. La
période de caractérise par une série de ruptures constitutionnelles. En 1649, au
terme de la guerre civile entre les partisans du pouvoir royal et ceux du
Parlement, on destitue puis on exécute le roi Charles Ier. Est alors instaurée
562
une forme de régime républicain: le Commonwealth. Une assemblée expurgée
que ses opposants affublent du nom de "Parlement croupion" (Rump
Parliamant) rassemble les pouvoirs législatifs et exécutifs. Bientôt, la
République se transforme en règne personnel, le Protectorat d'Olivier
Cromwell, alors que ce qui restait du Parlement est dissous. En 1660, la
monarchie est restaurée, et le fils de Charles Ier, Charles II, monte sur le trône.
Moins de trente ans plus tard, le Parlement dépose son frère, le catholique
Jacques II, soupçonné de vouloir rétablir une monarchie de type absolutiste.
Marie, la fille de Jacques II, issue de son premier mariage avec une protestante,
et son époux (et cousin), Guillaume d'Orange, lui succèdent, non sans avoir
accepté les principes d'une monarchie constitutionnelle. On qualifie ce
processus de "Glorieuse Révolution".
Les théoriciens n'eurent alors de cesse de comprendre les causes et les
mécanismes de la guerre civile anglaise, perçue comme une maladie qui s'était
emparé de tout le corps politique. Qu"ils fussent de simples observateurs comme
Thomas Hobbes ou qu'ils aient assumé des fonctions politiques, comme James
Harrington, Algernon Sidney et John Locke, ils poursuivaient un même but:
permettre à l'Angleterre de prévenir tout nouvel épisode de ce genre, et garantir
sa stabilité, sa prospérité et sa gloire. » -Myriam-Isabelle Ducrocq, Aux sources
de la démocratie anglaise: De Thomas Hobbes à John Locke, Presses
Universitaires du Septentrion, 2012.

« Jacques 1er monte sur le trône en 1603, inaugurant, après celle des Tudors, la
dynastie des Stuarts. Son fils Charles 1er lui succède en 1625. Parce que tous
deux entendent renforcer l'absolutisme, ils se heurtent au Parlement. D'autre
part, en tant que chefs de l'Eglise anglicane, ils entrent également en conflit
avec les Puritains. Les deux problèmes vont s'additionner jusqu'à créer un
insoluble conflit.
Nous savons que Jacques 1" est un roi docteur », un intellectuel. En 1599, alors
qu'il n'était encore que roi d'Ecosse, il avait écrit un traité, The Trew Law of
Pree Monarchies, où il affirmait la nécessité d'une source unique d'autorité et la
légitimité du droit de vie et de mort du roi sur les sujets. C'est lui encore qui
polémique avec les ultramontains comme Suarez pour défendre les thèses
absolutistes […] Il croit que les rois sont des personnages quasi divins, que les
opposants sont des pécheurs. Il dit à son fils Charles de se souvenir que « Dieu
a fait [de lui] un petit dieu ». Il s'adresse au Parlement sur un ton paternaliste
qui montre bien qu'il se considère comme situé au-dessus de cette institution. Il
563
fait savoir au Parlement, en 1609, que « c'est le fait de sujets séditieux de
discuter de ce qu'un roi peut faire dans la plénitude de son autorité : mais des
rois justes seront toujours disposés à dire ce qu'ils ont l'intention de faire, s'ils
ne veulent pas encourir la malédiction divine. Je serai toujours fort mécontent
de voir discuter mon pouvoir : mais je serai toujours prêt à faire apparaître la
raison de mes actes » (cité par Marx, p. 124). Jacques 1" prend comme proches
conseillers Salisbury, puis Francis Bacon, partisan de l'absolutisme (le jeune
Hobbes sera son secrétaire), puis, après 1615, Buckingham.
Son fils Charles Ier, est moins original. Il est absolutiste parce que les rois le
sont à son époque. » (p.256)

« La pratique du pouvoir royal consistant à octroyer contre argent des


monopoles à des particuliers, individus ou corporations, va ainsi se développer,
contribuant à créer les conditions de la première révolution anglaise. Aux
alentours de l'avènement de Charles 1er, vers 1628, cette pratique « atteint des
proportions inouïes et revêt de plus en plus souvent le caractère d'une véritable
exaction fiscale: des compagnies de commerce, des guildes, des courtisans
reçoivent, contre le versement de droits élevés, la suprématie sur un domaine de
la production, la fabrication de savon, le transport de charbon, la vente du sel,
du vinaigre, l'imprimerie, etc. (on dénombrait quelque 700 monopoles à
l'avènement de Charles 1er ; ces monopoles se traduisent à leur tour soit par la
ruine des récalcitrants, soit par leur intégration dans les sociétés nouvelles, soit
aussi par une simple rente obtenue sur les véritables producteurs; on conçoit la
gêne apportée à l'essor économique, et qu'accentuent souvent des raréfactions
artificielles, l'augmentation du coût de la matière première ou du produit semi-
fini» (Roland Marx, L'Angleterre des révolutions). » (p.257)

« L'agitation antianglicane, qui va bien plus loin qu'au temps d'Elisabeth, est
particulièrement nette dans les milieux des classes moyennes et de la gentry,
milieux de commerçants et de manufacturiers, gens fiers et habitués à gérer eux-
mêmes leurs affaires, qui supportent mal l'autoritarisme du gouvernement. Les
régions les plus touchées par le puritanisme sont d'ailleurs les régions de plus
grand dynamisme économique. » (p.259)

« À cette date survient en Écosse une révolte des Presbytériens contre


l'anglicanisme. Le roi est obligé, cette fois, de convoquer le Parlement afin
d'obtenir les impôts nécessaires pour réprimer la révolte. Aussitôt réuni, le 13
avril 1640, ce Parlement commence une fronde qui ne s'achèvera que vingt ans
564
plus tard.
On distingue:
- Le Court Parlement, où la plupart des meneurs de 1628 sont réélus. Ce
Parlement, pour cette raison, et parce qu'il a acclamé un discours de Pym où il
était dit que « le Parlement est au Commonwealth ce que l'âme est au corps »,
est dissous après trois semaines.
- Le Long Parlement, réuni en novembre 1640. Bon nombre des députés du
Court Parlement y ont été réélus, cependant que les candidats officiels
subissaient de sévères échecs. De nombreux députés sont presbytériens,
indépendants ou baptistes (ce Parlement est appelé « long » parce que, aucune
élection légitime n'ayant eu lieu dans l'intervalle, c'est la même assemblée qui
sera reconvoquée lors de la Restauration de 1660).
À partir de là se déroule un scénario tragique dont voici les principales étapes : .
- Le Parlement supprime les instruments de l'absolutisme, la Star Chamber, la
High Commission et le Ship Money. Il fait arrêter les ministres de Charles 1er,
Strafford (qui est exécuté) et Laud (qui le sera en 1645). Le roi ne peut rien
faire.
- En décembre 1641 le Parlement vote une Pétition et une « Grande
Remontrance ». Il s'agit d'épurer le clergé et le Conseil, suspectés d'encourager
un « parti papiste » et, par ailleurs, d'imposer au roi ses conseillers et ses
ministres. Le roi doit prendre comme conseillers et ministres les personnes que
lui propose le Parlement (ce principe de responsabilité du gouvernement devant
une Assemblée représentative était appelé à un grand avenir). Mais le roi refuse
et tente de faire arrêter les cinq meneurs qui ont proposé le texte au Parlement,
dont Pym. Or le rapport des forces n'est plus en sa faveur. Londres étant
dominée par Pym et les milices urbaines, c'est le roi qui doit fuir.
- Commencent alors sept ans de guerre civile. Les parlementaires, au début, ne
veulent nullement la suppression de la monarchie, mais son rééquilibrage. La
guerre entre l'armée royale et l'armée du Parlement - le New Model, organisée
sur le modèle suédois et dirigée par les généraux Faiifax et Cromwell - traîne en
longueur parce que les deux parties tentent d'ultimes négociations. » (pp.259-
260)

« Le roi est finalement livré à Cromwell par les Écossais dont il n'a pu payer
l'armée. Retenu prisonnier pendant deux ans, au long desquels il tente encore de
négocier, il est finalement, à la demande du Conseil des Officiers de l'armée,
jugé et, le 30 janvier 1649, exécuté. […]
565
La force appartient à l'armée, qui épure le Parlement le 6 décembre 1648 (il
avait été progressivement privé, de toute façon, dès 1642, de ses éléments les
plus royalistes, en particulier les lords temporels et spirituels ; il Y avait eu des
élections partielles en 1646 et c'est ce Parlement-Croupion., (Rump-Parliamem)
de 60 membres ayant survécu aux épurations successives qui vote le procès du
roi. » (p.261)

« La monarchie et la Chambre des lords sont abolies et le Commonwealth and


Free State est créé le 19 mai 1649 (on a évité le mot de « République »).
- Suit une période incertaine de 1649 à 1653. Pendant presque quatre ans, un
gouvernement civil, émanant de la Chambre, est censé diriger le pays. Mais il
est contrôlé par les officiers
Finalement, en avril 1653, après avoir expulsé les députés, l'armée de Cromwell
prend le pouvoir, nomme elle-même un parlement fantoche (le Barebone's
Parliament, du nom d'un de ses membres). Une constitution écrite, l'Instrument
de gouvernement, est établie. Le pouvoir appartiendra à un Lord Protecteur du
Commonwealth d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande, à un Conseil de 26 membres,
et à un Parlement de 460 députés élus au suffrage censitaire (il faut, pour être
électeur, être propriétaire d'un bien foncier ou immobilier d'une valeur d'au
moins 2000 livres).

Olivier Cromwell est nommé Lord Protecteur. Il a alors 54 ans. Il a été député
aux Communes depuis 1628. Il est un représentant typique de la gentry
puritaine. Entre 1649 et 1653, il a réprimé très durement une révolte des
Irlandais, puis il a vaincu les derniers partisans écossais de Charles l''. Sur le
plan religieux, c'est un protestant convaincu et même mystique, acquis aux idées
millénaristes, néanmoins tolérant, très « puritain » sur le plan des mœurs qu'il
essaie de surveiller et de réformer. Il comprend et encourage le commerce, il est
partisan d'une politique extérieure vigoureuse. Tout cela lui vaut le soutien d'une
majorité du peuple anglais.
Pour obtenir du Protecteur plus de respect de leur institution - plus précisément,
un accroissement de l'autonomie de la Chambre et l'instauration d'une régularité
(triennale) des sessions - les parlementaires finissent par offrir à Cromwell le
titre royal et le droit de désigner son successeur. Pressé par ses officiers,
Cromwell doit refuser le titre de roi, mais il accepte le caractère héréditaire de la
charge de Lord Protecteur.
- Après la mort d'Olivier Cromwell en 1658, son fils Richard lui succède donc,
mais il n'a pas l'autorité de son père et doit céder la place quelques mois plus
566
tard. On assiste alors à la rivalité de deux généraux, Lambert et Monk. Ce
dernier fait finalement rappeler Charles II -le fils de Charles 1er, réfugié en
France depuis 1640 - qui fait son entrée à Londres le 29 mai 1660, restaurant la
monarchie traditionnelle. » (p.262)

« La tolérance est défendue tant par les catholiques anglais comme William
Allen et Robert Persons persécutés par les protestants, que par les puritains
persécutés par l'épiscopalisme anglican, qu'il s'agisse des presbytériens (Thomas
Cartwright), des Indépendants (Robert Browne, Henry Barrowe, Robert
Harrison), des Levellers (Walwyn, Overton), ou des baptistes (Roger Williams).
» (p.272)

-Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et


contemporains, Paris, Quadrige / PUF, 2009 (2002 pour la première édition),
1428 pages.

http://www.amazon.fr/r%C3%A9volution-anglaise-1603-1660-Bernard-
Cottret/dp/226203639X/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=51MbQ-
1ebGL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR102%2C160_&refRID=1PYS83
VV80HEE84CHZ4G

http://www.amazon.fr/Histoire-R%C3%A9volution-dAngleterre-1625-1660-
Fran%C3%A7ois/dp/2221068149/ref=sr_1_225?ie=UTF8&qid=1459799376&s
r=8-225&keywords=r%C3%A9volution+histoire

https://www.amazon.fr/Intellectual-Origins-English-Revolution-
Revisited/dp/0199246475/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=146
2565626&sr=8-4

https://www.amazon.fr/causes-r%C3%A9volution-anglaise-Lawrence-
Stone/dp/2082108023/ref=la_B00DPEYFPE_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=152
4488507&sr=1-1

https://www.amazon.fr/World-Turned-Upside-Down-
Revolution/dp/0140137327/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1471624807&sr=8-
1&keywords=Christopher+Hill%2C+The+World+Turned+Upside+Down

La « Glorieuse Révolution » (1688-1689) : "Je ne crois pas du tout que la


modernisation de l’État mène inévitablement à la démocratie de type occidental.
À mon sens, les ingénieurs et technocrates soviétiques des années 1950 sont tout

567
autant des « modernisateurs » que les Américains. Par modernisation de l’État,
j’entends en effet l’effort conscient et délibéré de se transformer d’une manière
profonde. Habituellement, cela inclut un effort de centralisation et de
bureaucratisation de l’autorité politique, d’amélioration technologique et
organisationnelle des forces armées, un programme pour accélérer la
croissance économique et transformer la société à l’aide de la puissance
publique, et la mise en place par l’État d’un système de collecte d’information
sur toute activité politique et sociale. Les modernisateurs utilisent presque
toujours la même rhétorique, en général plutôt associée aux épisodes
révolutionnaires, celle d’une ère nouvelle ou d’un nouveau départ, insistant sur
la rupture fondamentale opérée avec les modes de gouvernance précédents."

"Comprenant bien la nécessité de moderniser l’État anglais pour qu’il puisse


tenir son rang sur l’échiquier européen, ces révolutionnaires, à la différence de
Jacques II, puisaient leur inspiration du côté de la république hollandaise plutôt
que du côté de la monarchie française. Mais ils désiraient eux aussi un État
capable d’entretenir une armée puissante et une marine de premier ordre. Et
eux aussi concevaient qu’un tel État dût être centralisé et interventionniste.
Simplement, ils souhaitaient pour y parvenir d’autres moyens, plus efficaces : la
participation politique plutôt que l’absolutisme, la tolérance religieuse plutôt
que le catholicisme imposé, l’encouragement des manufactures plutôt qu’un
empire foncier. Les révolutionnaires comprenaient fort bien que ces choix
idéologiques les plaçaient en porte-à-faux par rapport à la monarchie
catholique moderne de Louis XIV. Par conséquent, la guerre totale contre la
France était pour eux un impératif, non seulement pour se prémunir contre une
éventuelle restauration jacobite, mais aussi pour assurer aux produits anglais
l’accès au marché européen et prévenir le spectre d’une Europe sous le joug
absolutiste français."

"La Glorieuse Révolution ne fut en aucun cas la geste pacifique, aristocratique


et consensuelle que l’on a dite. Évidemment moins sanglante que celles du XXe
siècle, les atteintes aux biens et aux personnes qu’elle entraîna furent
comparables à celles de la Révolution française. [...] En incluant la guerre de
Neuf Ans (appelée en France guerre de la Ligue d’Augsbourg, 1689- 1697), et
les guerres en Irlande et en Écosse, conséquences directes de la Glorieuse
Révolution, le pourcentage de blessés et de tués est assez comparable à celui de
la Révolution française."

568
"Pour le whig John Toland, la création de la banque d’Angleterre indique
l’émergence de l’Angleterre comme puissance économique de tout premier
ordre. Selon lui, ceci ne fut possible que parce que les Anglais avaient
radicalement modifié leur politique et leur attitude vis-à-vis de leur propre
économie. La banque d’Angleterre fut la conséquence d’une révolution
antérieure en économie politique, une transformation que Toland considérait
comme centrale dans le programme des révolutionnaires de 1688-1689."

"John Locke, un partisan et actionnaire de la première heure de la banque


d’Angleterre."

"À l’époque de l’avènement de Jacques II, la plupart des whigs considéraient


donc le travail, et non la terre, comme la principale source de richesse et de
pouvoir. Selon eux, la création de richesse, potentiellement infinie, n’était
limitée que par l’industrie des peuples, et non par l’étendue des possessions du
royaume. Et puisque le meilleur moyen d’encourager les manufactures était de
garantir l’accès des secteurs les plus productifs de l’économie aux capitaux,
beaucoup d’entre eux soutenaient l’idée d’une banque nationale publique,
avancée par les radicaux des années 1650. Ces marchands, hommes politiques
et intellectuels de la fin du XVIIe siècle, pour avocats enthousiastes d’une
société commerciale qu’ils aient été, ne se rangeaient pas pour autant parmi les
partisans de l’individualisme possessif, comme a pu le soutenir C.B.
Macpherson, ils songeaient plutôt au bien public. Ils croyaient à la fois au
capitalisme et à la nécessité de l’intervention étatique pour promouvoir une
croissance économique utile à la communauté nationale."

"Jacques II avait fait cause commune avec Josiah Child et sa compagnie, tant
sur le plan politique qu’idéologique. Ils étaient tous deux persuadés que le
commerce était un jeu à somme nulle, qu’un empire territorial était nécessaire,
et que l’ennemi principal de l’Angleterre était la Hollande. Ensemble, ils
obtinrent la confirmation du droit qu’avait le roi d’octroyer des monopoles
commerciaux. Tout ceci a clairement contrarié de grands secteurs de la
communauté marchande : non seulement Child avait perdu l’appui de ses
anciens alliés au sein de l’East India Company, comme Thomas Papillon ou
Samuel Barnardiston, mais la complicité qu’il entretenait avec le régime de
Jacques II lui aliéna le soutien de beaucoup d’autres marchands. Du fait de la
nature exclusive des privilèges commerciaux que Child et Jacques II
distribuaient, de nombreux marchands, ainsi que la communauté juive tout
569
entière, se trouvaient exclus du marché indien. Il n’est donc pas étonnant que
les marchands whigs se soient si spectaculairement opposés au régime de
Jacques II, qu’ils remplirent les coffres de Guillaume d’Orange en 1688. Il n’est
pas étonnant non plus que les marchands, et les marchands whigs en particulier,
aient été si prompts à soutenir financièrement le nouveau régime dès les
premiers jours de 1689.

Jacques II s’était pourtant intéressé au commerce, et avait bien eu une politique


commerciale, mais c’était la politique voulue par Sir Josiah Child, par l’East
India Company et la Royal African Company. Sa politique impériale était
moderne et cohérente, Jacques était un « impérialiste mature ». Mais ses
politiques commerciale et impériale étaient contradictoires avec la tradition
économique whig, récemment consolidée, selon laquelle la richesse procédait
des efforts de l’homme et les banques pouvaient faire beaucoup pour accroître
la puissance nationale. De plus, les conséquences de cette politique économique
(l’alliance avec la France, et la guerre contre la Hollande et l’empire Moghol),
si elles coïncidaient bien avec ses inclinations en matière de politique étrangère,
isolaient Jacques II du reste de la nation. Il s’était mis à dos non seulement les
ennemis traditionnels de l’East India Company, mais aussi les puissants
marchands whigs sceptiques devant les conceptions impériales et commerciales
de Josiah Child. Résultat : de larges pans de la communauté marchande
d’Angleterre soutinrent activement le projet d’invasion de Guillaume d’Orange,
et fournirent un appui financier crucial au nouveau régime dans les premiers
mois. Les questions de politique économique ont ainsi joué un grand rôle dans
le déclenchement des événements de 1688-89 : l’intérêt pour l’économie
politique n’est pas une conséquence imprévue de la Révolution."

"Cette relance du débat concernant l’économie politique, bien qu’initiée par un


peuple anglais épris de liberté, ne s’appuyait pas sur les auteurs classiques, ou
sur leurs vulgarisateurs républicains ou renaissants. En effet, ils n’étaient tout
bonnement plus pertinents pour comprendre et analyser la sphère économique.
« Tite-Live et d’autres auteurs antiques, dont le génie nous a permis de
comprendre la naissance et la chute des gouvernements, ont été très minutieux
dans la description des différentes formes de discipline militaire, mais ont
complètement ignoré les questions économiques », observait Barbon, « et
Machiavel, le plus grand des auteurs modernes, bien qu’il ait vécu dans un
gouvernement dominé par une famille, les Médicis, dont l’accès au pouvoir
570
n’était dû qu’aux richesses acquises dans l’exercice de la marchandise, n’a
jamais mentionné le commerce comme un domaine digne d’intérêt pour l’État ».
La révolution militaire des XVIe et XVIIe siècles a pourtant nécessairement
changé les relations entre commerce et politique. Pour Barbon, « jusqu’au
moment où le commerce est devenu nécessaire pour obtenir des armes, il avait
toujours été perçu comme un danger pour la croissance de l’empire, coupable
d’affaiblir les peuples à force de luxe et de confort, et rendant leurs corps
incapables de supporter les efforts et les contraintes exigés par la guerre ». Un
polémiste whig faisait remarquer que « le commerce, une activité considérée
comme méprisable jusqu’il y a une centaine d’années, et toujours considérée
comme telle par certains puissants et fameux royaumes, constitue néanmoins un
système moderne de politique, peu commenté et discuté par les grands auteurs
et professeurs de cette science ». En effet,

« depuis la découverte des Indes orientales et occidentales, et le développement


de la navigation qui s’en est suivi, la situation de l’Europe en général, et de
chaque nation en particulier, a été grandement altérée, surtout en matière
militaire […]. Dorénavant, des armées nombreuses, disciplinées et payées
sillonnent l’Europe, ce qui n’aurait jamais été possible sans de grandes sommes
d’argents ; les anciens domaines des rois n’étant plus suffisants, le poids de la
fiscalité sur leurs sujets augmente un peu partout ».

« L’industrie domestique, et le commerce extérieur », tels étaient les moyens


d’acquérir de nouveaux revenus. Les temps avaient changé. Par conséquent,
déclare un autre auteur, « peu importe à quel point Aristote ou tout autre pédant
a pu mépriser la marchandise dans le passé », car ils se sont trompés, vue la «
grande dignité acquise depuis par le commerce » 

L’Antiquité, pas plus que la Constitution ancienne, n’offrait de clefs pour


comprendre les problèmes économiques de l’époque. "

"L’aspiration au libre-échange était largement répandue : Roger Coke


considérait que « toutes les nations, ainsi que leurs habitants, peuvent de droit
ou par loi de nature commercer les uns avec les autres ». Les marchands qui
s’approvisionnaient en Afrique, parmi bien d’autres, dénonçaient sans relâche
les privilèges accordés aux compagnies de commerce, et prétendaient que le
libre-échange permettrait de quadrupler les exportations des manufactures

571
anglaises. Les pétitions adressées à la Chambre des communes affluaient de
toute part, dénonçant les effets délétères des monopoles commerciaux."

"L’Angleterre connut une extraordinaire période de croissance économique à la


fin du XVIIe siècle. Alors que l’Europe continentale subissait la récession, voire
se désurbanisait en partie, l’économie anglaise se développait à un rythme
soutenu : c’est à cette époque qu’elle divergea vraiment d’avec le reste de
l’Europe. Stimulées par le commerce outre-mer, les villes anglaises devinrent
plus grandes et plus prospères, les infrastructures se développèrent
considérablement, et le peuple anglais eut à sa disposition une grande variété
de biens de consommation. Ces bouleversements ouvrirent des perspectives aux
hommes politiques anglais, qui se mirent à imaginer de grands projets de
modernisation pour l’État."

"Étant donné ces différences idéologiques fortes entre whigs et tories des années
1680 et 1690, les sociologues ou politistes « néo-whig » ont tort d’imaginer un
consensus politique post-révolutionnaire qui aurait permis la création
d’institutions vouées à garantir les droits de propriétés. Il n’y eut pas de
nouvelles garanties constitutionnelles : le whig Colley Cibber avait raison de
dire que les événements de 1688-1689 ne créèrent aucuns droits ni garanties
constitutionnelles nouveaux, mais rendirent simplement effectifs ceux qui
existaient déjà en principe. En effet, concernant la sécurité du droit à la
propriété, la Déclaration des droits de 1689 n’ajoute rien aux textes promulgués
lors de l’instauration du Protectorat de Cromwell en décembre 1653 (on peut à
ce titre faire un parallèle entre l’Instrument de Gouvernement et la Déclaration
des droits, tous deux issus de la déposition d’un roi à la politique jugée
irresponsable). Ce qui distingue plutôt les deux révolutions, c’est le soutien des
whigs et des marchands à la guerre contre la France : dans les années 1650 en
effet, Cromwell n’avait pas eu l’appui de la communauté marchande pour
mener la guerre contre l’Espagne. Ce qui distingue encore les deux décennies
révolutionnaires fut aussi l’existence, à la fin du siècle, d’un parti capable
d’établir les institutions permettant de financer la guerre extérieure. La
révolution financière anglaise fut donc le produit de querelles partisanes, et non
d’un consensus politique ou d’une négociation raisonnée.

La Révolution de 1688-1689 peut se comprendre comme la conséquence d’un


conflit brutal, à plusieurs dimensions, entre deux partis politiques. Les whigs
initièrent leur programme économique des années 1690, la fameuse « révolution
572
financière », après avoir vaincu complètement et difficilement leurs adversaires
politiques. Leur politique économique fut sans compromis : ils voulaient
détruire, ou rendre inoffensives, les institutions économiques de leurs ennemis,
en premier lieu l’ancienne East India Company et la Royal African Company,
puis, en 1696, la banque foncière."

"Les whigs imposèrent leurs vues dans l’ensemble, mais sans jamais atteindre
une hégémonie complète. Les tenants de l’économie politique tory n’ont en effet
jamais disparu. En réalité, on pourrait même soutenir qu’ils regagnèrent la
main dans les années 1760 et 1770, créant les conditions d’une autre
transformation révolutionnaire des îles britanniques."
-Steve Pincus, « La Révolution anglaise de 1688 : économie politique et
transformation radicale », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2011/1
(n° 58-1), p. 7-52. DOI : 10.3917/rhmc.581.0007. URL :
https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2011-1-
page-7.htm

Les Niveleurs : « Le Leveller William Walwyn, dans The compassionate


Samaritane : Liberty of conscience asserted and the separatist vindicated (1644),
présente quatre arguments:
1 / Nul n'est maître de ses opinions, il croit vrai ce qu'il voit tel ; or on ne
saurait punir quelqu'un pour quelque chose qui ne dépend pas de sa volonté ; 2
/ il y a incertitude fondamentale en cette vie, et le persécuteur risque donc de
persécuter, sans le savoir, la vraie religion ; il risque d'être un « théomaque » ;
3 / tout ce qui ne vient pas de la foi est péché, donc le persécuteur force à
pécher et commet lui-même, en cela, un péché; 4 / c'est l'uniformité, et non le
pluralisme, qui est par elle-même cause de désordre.
Un autre Leveller, Richard Overton, écrit en avril 1649 que les « fautes et
transgressions personnelles » sont une affaire qui ne concerne que le croyant et
son Dieu ; la communauté n'a pas à en connaître. » (p.273)

« La réflexion politique des Levellers dépasse de beaucoup la seule question de


la tolérance. Ce groupe n'a pas eu un rôle très important en pratique dans le
déroulement de la Révolution, puisque les quelques mutineries qu'il a
organisées parmi les soldats de l'armée du New Madel dans la période 1646-
1649 ont toutes tourné court. En revanche, son apport idéologique est
fondamental et même « prophétique ». »

573
« Les Levellers se recrutent parmi les petits commerçants, les artisans et les
paysans et sont nombreux parmi les soldats de l'année de Cromwell.
Les Levellers sont, comme leur nom l'indique, des « niveleurs » : ils
revendiquent l'égalité politique, mais entendue au sens d'une égalité en droits,
non d'une égalité des conditions (celle-ci sera réclamée par une de leurs
branches dissidentes, les Diggers, dont nous parlerons lorsque nous aborderons
l'histoire des doctrines socialistes). Ils pensent que tous les hommes étant fils
d'Adam, et ayant hérité de lui une nature identique, ils sont égaux et doivent
également bénéficier de la liberté et du droit de propriété. Les rangs sociaux
actuels n'ont pas de raison d'être : les nobles n'ont pas plus de droits que les
roturiers. » (p.275)

« Pour les Levellers, au contraire, dès lors que nul homme n'est censé obéir à
une loi à l'élaboration de laquelle il n'a pas participé par lui-même ou par ses
représentants, il ne peut y avoir qu'une seule Chambre représentant le peuple, et
qui sera élue selon le strict principe « un homme, une voix ». L'assemblée
représente une nation conçue comme une masse d'individus libres, et non plus
comme un ensemble organique d'ordres et d'états. […]
Le Parlement, pour les Levellers, devra être élu tous les deux ans ; on
supprimera' le système des « bourgs pourris », c'est-à-dire des circonscriptions
électorales inégales, par une réforme électorale immédiate. » (p.277)

« Les Levellers mettent également au point l'idée moderne de constitption écrite,


susceptible de canaliser et de limiter les pouvoirs de l'Etat, ainsi qu'une
première ébauche de « déclaration des droits de l'homme ». L'Agreement if the
people énoncé en effet « noir sur blanc » les pouvoirs des différentes instances
de l'Etat qu'on est en train de créer, ainsi que les droits fondamentaux que les
citoyens déclarent garder pour eux-mêmes et ne pas déléguer à leurs députés.
Ainsi, le Parlement ne pourra faire certains types de lois que le texte énumère. Il
ne devra pas légiférer en matière de religion (« les matières de religion et de
culte ne sont confiées par nous à aucun pouvoir humain ... »), il ne pourra
déclarer la guerre (« forcer n'importe lequel d'entre nous à servir à la guerre
est contre nos libertés ... »), il ne pourra faire de lois qui compromettent
l'égalité devant la loi (« aucune tenure, propriété, charte, rang hiérarchique,
naissance ou fonction ne doit dispenser de l’observation nonnale des lois
auxquelles les autres sont tenus »,« toutes les lois doivent être égales, elles
doivent être bonnes et ne pas être manifestement destructrices de la sûreté et du
bien-être des gens» ).
574
Dans d'autres textes, les Levellers disent que le Parlement ne peut faire de lois
contre la propriété, ni remettre les dettes. » (p.278)

-Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et


contemporains, Paris, Quadrige / PUF, 2009 (2002 pour la première édition),
1428 pages.

"Pendant toute la période qui va des premières précisions données, au cours des
débats de Putney, sur la portée du suffrage envisagée, au dernier manifeste du
mouvement animé par les Niveleurs, ceux-ci n'ont cessé d'exclure
systématiquement de leurs propositions de suffrage deux catégories importantes
de citoyens: les serviteurs et les indigents." (p.183-184)

"Dans le fameux débat de Putney du 29 octobre 1647, portant sur la clause de


la première version de l'Accord du Peuple qui a trait au droit de vote, l'un des
porte-parole des Niveleurs, Petty, en réponse à une question de Cromwell,
explique "la raison pour laquelle nous exclurions apprentis, serviteurs et
indigents"." (p.184)

"Ne pas signaler ces restrictions, c'est donner à penser que les Niveleurs
réclamaient le suffrage universel masculin. Or cela est faux. Mentionner
quelques cas où ils excluent du suffrage serviteurs et indigents, sans poser le
problème de la cohérence de leurs revendications, c'est laisser entendre à ceux
de nos contemporains qu'une telle restriction ne saurait laisser indifférents, que
les classes exclues étaient numériquement insignifiantes. Or, ici encore, la
réalité est bien différente." (p.187)

"Les discussions qui ont eu lieu entre les Niveleurs et leurs adversaires du
Parlement ou de l'armée ont porté, apparemment ou en fait, sur quatre type de
suffrages, qui peuvent se caractériser de la manière suivante:
A. Le suffrage limité aux francs-tenanciers jouissant d'un revenu annuel d'au
moins 40 shillings et aux bourgeois des corporations urbaines. C'est le suffrage
dont Cromwell et Ireton se sont constamment faits les avocats, et que les
Niveleurs n'ont cessé d'attaquer. Nous le nommons suffrage des propriétaires
(freeholder franchise). A l'époque, il écarte du droit de vote les fermiers censiers
(copyholders) et les affermataires (leaseholders), tous les artisans, commerçants
et négociants qui ne sont ni propriétaires fonciers ni bourgeois d'une
corporation, et, enfin, tous les domestiques et tous les indigents.

575
C'est le suffrage qu'a établi Henri VI en 1430 (par le statut 8 Henri VI, c. 7) et
qui est encore en vigueur au XVIIe siècle." (p.190-191)

"Dans les années 1640, ce suffrage concerne environ 212 000 citoyens." (p.193)

"B. Le suffrage limité à tous les propriétaires ou locataires immobiliers du sexe


masculin normalement assujettis à la taxe des pauvres. Il exclut du droit de vote
indigent et serviteurs. […] C'est le suffrage que propose la deuxième version de
l'Accord du Peuple. Il se retrouve tel quel dans l'Accord des Officiers du 20
janvier 1649. Nous l'appellerons suffrage des contribuables (ratepayer
franchise). Il concerne environ 375 000 citoyens.
C. Le suffrage pour tous les hommes, à l'exception des serviteurs et des
indigents. C'est le suffrage que les Niveleurs réclament à Putney et qu'ils
reprennent, avec de légères modifications, dans toutes leurs propositions
suivantes (le deuxième Accord excepté). C'est celui que nous nommons suffrage
des non-salariés (non-servant franchise). Il concerne environ 417 000 citoyens."
(p.194)

"D. Le suffrage pour tous les hommes, ou plutôt pour tous ceux qui ne sont
coupables ni de délits ni de crimes. C'est celui qu'on peut, à proprement parler,
qualifier de suffrage universel masculin (manhood franchise). Il arrive aux
Niveleurs de le réclamer, en apparence tout au moins, avant et pendant les
débats de Putney. Ce suffrage concerne environ 1 170 000 citoyens, avant
déduction des criminels et des délinquants dont le nombre est difficile à
calculer." (p.196)

"Les Niveleurs veulent créer un corps électoral deux fois plus important que
celui auquel songent leurs adversaires." (p.199)

"La préoccupation constante des Niveleurs, c'est de faire triompher deux


principes qui sont pour eux essentiels: la souveraineté du peuple qui ne fait que
déléguer ses pouvoirs au Parlement à titre judiciaire, et la limitation des
pouvoirs du Parlement, qui ne sauraient jamais servir à restreindre les libertés
individuelles, qu'elles soient d'ordre civil, économique ou religieux." (p.203)

"La ligne de démarcation, que les Niveleurs tracent entre les hommes libres et
ceux qui ne le sont pas, n'est pas celle qui sépare la richesse de la pauvreté,
mais celle qui permet de distinguer entre dépendance et indépendance." (p.225)

576
"En affirmant que le droit de propriété individuel constitue un droit naturel,
antérieur à l'établissement d'un gouvernement, les Niveleurs n'ont pas recours à
un argument de circonstance […] [Il leur sert] à revendiquer les libertés civiles
et religieuses, et à exiger que l'exercice du pouvoir soit fondé sur le
consentement des gouvernés. Leur postulat fondamental est le suivant: tout
homme est naturellement propriétaire de sa propre personne.
C'est dans certains tracts d'Overton que ce postulat se trouve énoncé de la
manière la plus frappante. Dans son pamphlet du 12 octobre 1646, Une flèche
visant tous les tyrants (An Arrow against all Tyrants), où il développe une thèse
énoncée par Lilburne quelques mois auparavant, et à nouveau dans son Appel
de juillet 1647, Overton expose une théorie du droit naturel qui aura, plus tard,
un prodigieux retentissement. Il considère que les droits civils et politiques
découlent du droit naturel, qui découle lui-même de ce que tout homme est
naturellement propriétaire de sa propre personne, cette propriété de soi-même
découlant de la nature instinctive de l'homme telle que Dieu l'a créée." (pp.233-
234)

"Les droits économiques que les Niveleurs réclament se déduisent des mêmes
postulats. Dans ce domaine, l'essentiel c'est, bien entendu, le droit pour tout
individu de posséder des biens et des terres, par quoi il faut entendre aussi le
droit, pour lui, de les acquérir par le libre exercice de ses forces et de ses
facultés. La liberté d'acheter, de vendre, de produire, de commercer, sans
licence, sans monopole et sans règlements ou fiscalité arbitraires, qu'exigent les
Niveleurs n'est que le corollaire évident de ce principe." (p.240)

"Sans fonds de roulement, pas d'indépendance, pas de liberté. Les Niveleurs le


savent fort bien, puisqu'ils en font l'expérience quotidienne. Pourtant, ils ne le
disent jamais explicitement. Pourquoi ? Parce qu'ils ont beaucoup plus à cœur
de proclamer les droits de l'homme que le droit de propriété, plus précisément
encore, parce qu'ils s'efforcent de fonder les droits de l'homme moins sur le
droit que les hommes peuvent avoir sur les choses, que sur celui qu'ils possèdent
sur eux-mêmes. Tout à la tâche de revendiquer la plénitude des droits pour tous
ceux qui n'ont pas aliéné leur force de travail, comment pourraient-ils admettre
publiquement, sans donner des armes à leurs adversaires, que la propriété
exclusive de leur force de travail n'assure l'indépendance qu'à ceux qui
possèdent, en outre, des biens matériels ? Rares sont les textes où les Niveleurs
admettent clairement que propriété du travail et propriété des choses sont liées
dans leur esprit. […] Mais qu'ils le reconnaissent explicitement ou pas, le fait
577
demeure: le critère de liberté que les Niveleurs utilisent impliquent
nécessairement que l'homme libre est celui qui, outre sa force de travail,
possède quelques biens matériels. […]
Leur idée de la liberté est le produit de la généralisation qu'ils opèrent à partir
des données de leur propre expérience, c'est-à-dire à partir du phénomène
complexe qu'est la liberté telle qu'ils la connaissent, celle du petit producteur
indépendant qui ne l'est que dans la mesure où il dispose librement de ses
facultés personnelles et d'un fonds de roulement. Qu'ils aient mis l'accent sur le
premier de ces deux termes n'a rien de surprenant. Qu'ils aient appelé
"propriété" cette liberté de disposer de ses propres facultés n'est pas un
hasard." (p.250-252)

"Les Niveleurs ne partagent pas la vision utopique de Winstanley, pour qui la


liberté réside dans le libre accès de tous à la terre. Celui-ci voit dans le
communisme agraire la seule garantie possible contre l'exploitation de l'homme
par l'homme. En fait de droits naturels, il ne reconnaît aux hommes que celui de
travailler en commun, de vivre en commun, et de se gouverner conformément à
la loi naturelle qui prescrit la conservation de la société." (p.263)

"Jadis ce droit [de propriété] s'accompagnait de devoirs envers la société: la


tradition voulait que le propriétaire fût comme le gérant des biens de la
communauté. En ignorant ces devoirs, les Niveleurs peuvent revendiquer
l'honneur d'avoir été les premiers théoriciens politiques à affirmer que l'individu
ne doit rien à la société en échange des biens qu'il possède et qu'il les tient en
vertu de son seul droit naturel. Du même coup, et sans le vouloir, ils ont ouvert
la voie à Locke et à la tradition libérale qu'incarnent les Whigs." (p.264-265)
-Crawford B. Macpherson, La théorie politique de l'individualisme possessif,
Gallimard, coll. Folio essais, 2004 (1962 pour la première édition anglaise), 606
pages.

« La remarquable similitude entre de pauvres artisans révolutionnaires et,


quarante ans plus tard, le riche philosophe retour de quelques années passées
en Hollande marque combien l'individualisme est répandu. » -Louis Dumont,
Essais sur l'individualisme. Une perspective anthropologique sur l'idéologie
moderne, Paris, Le Seuil, coll. Point, 1985 (1983 pour la première édition), 314
pages, 107.

578
Oliver Cromwell (1599-1658): « Les soldats de Cromwell songèrent à
introduire dans l'Etat la démocratie, la souveraineté du peuple, et surtout la
notion de l'autonomie individuelle.
Le pacte populaire de 1647 demeurera à l'état de projet. » -Henry Michel, L'idée
de l'Etat: essai critique sur les théories sociales et politique en France depuis la
Révolution, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1896, 666 pages, p.31.

« La crainte croissante que la poursuite de la gloire à l’étranger puisse mener à


l’effondrement de la liberté à l’intérieur fait de Harrington et de ses associés
des critiques véhéments du protectorat de Cromwell, tout en les conduisant à
réfléchir autrement sur les mérites propres aux régimes républicains. Plutôt que
de vanter la capacité des Etats libres à atteindre la gloire et la grandeur, ils
commencent à accorder une importance particulière à la capacité de tels
régimes d’assurer et de promouvoir les libertés de leurs propres citoyens. » -
Quentin Skinner, La liberté avant le libéralisme, Seuil, coll. Liber, 2000 (1998
pour la première édition anglaise), 131 pages, p.46.

http://www.amazon.fr/Cromwell-Bernard-
Cottret/dp/2213029512/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=516C7FF2BZL&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR99%2C160_&refRID=19FAA6MD5AMFR
8YGRB1W

Charles II (roi d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, 1630-1685): “Assuming


the throne in 1660 (see Table 3.1), Charles II rewarded nobles and other
supporters with huge tracts of land on the North American mainland, thereby
establishing six of the thirteen polities that would form the American nation:
New York, New Jersey, Pennsylvania (including Delaware), and North and
South Carolina (see Map 3.1). Known as the Restoration colonies, they were
proprietorships, where one man or several men owned the soil and controlled
the government.” -Mary Beth Norton, Fredrik Logevall et all, A People & A
Nation. A History of the United States, Brief Ninth Edition, Volume I: To 1877,
2012, 497 pages, p.56.

John Wilmot, deuxième comte de Rochester (1er avril 1647 - 26 juillet


1680) : https://www.amazon.com/John-Wilmot-comte-Rochester-1647-
1680/dp/3039110500/ref=sr_1_1?keywords=Florence+Lautel-
Ribstein%2C+John+Wilmot%2C+comte+de+Rochester&qid=1573923599&s=b
ooks&sr=1-1

579
William Penn (1644-1718): "In 1681, Charles II granted the region between
Maryland and New York to his friend William Penn, a prominent Quaker. Penn
held the colony as a personal proprietorship, one that earned profits for his
descendants until the American Revolution. Penn saw his province as a haven
for persecuted coreligionists. Penn offered land to settlers on liberal terms,
promising religious toleration, although only Christian men could vote;
guaranteeing English liberties, and pledging to establish a representative
assembly. He also publicized the availability of land in Pennsylvania through
promotional tracts in German, French, and Dutch.
By mid-1683, more than three thousand people—among them Welsh, Irish,
Dutch, and Germans—had moved to Pennsylvania, and within five years the
population reached twelve thousand. Philadelphia, sited on the easily navigable
Delaware River, drew merchants and artisans from throughout the English-
speaking world. From mainland and Caribbean colonies alike came Quakers
who brought experience on American soil and trading connections.
Pennsylvania’s fertile lands enabled residents to export surplus flour and other
foodstuffs to the West Indies. Philadelphia rapidly acquired more than two
thousand citizens and challenged Boston’s commercial dominance.
Penn attempted to treat native peoples fairly. He learned to speak the language
of the Delawares (or Lenapes), from whom he purchased land to sell to
European settlers. Penn also established strict trade regulations and forbade the
sale of alcohol to Indians. His policies attracted native peoples who moved to
Pennsylvania in the late seventeenth century to escape clashes with English
colonists in Maryland, Virginia, and North Carolina. Ironically, however, the
same toleration that attracted Native Americans also brought non-Quaker
Europeans—Scots-Irish, Germans, and Swiss— who showed little respect for
Indian land claims and would clash repeatedly with them." (p.60)
-Mary Beth Norton, Fredrik Logevall et all, A People & A Nation. A History of
the United States, Brief Ninth Edition, Volume I: To 1877, 2012, 497 pages.

http://hydra.forumactif.org/t4993-william-penn#5955

Richard Overton (1640–1664): « A tout individu vivant ici-bas est


naturellement donnée une propriété individuelle que personne n'a le droit de
violer ou d'usurper: car ce qui fait que je suis moi, c'est que je suis propriétaire
de ce moi, autrement, n'ayant pas de moi, je ne serais pas moi. Cette propriété
que possède tout homme, personne ne saurait l'en dépouiller sans violer et
profaner ouvertement les principes mêmes de la Nature, et les règles de la
580
justice et de l'équité qui doivent commander les rapports entre les hommes ;
sinon, "le mien" et "le tien" ne sauraient exister. Personne n'a pouvoir sur mes
droits et sur mes libertés, je n'ai pouvoir sur les droits et les libertés de
personne. Je n'ai d'autre droit que d'être l'individu que je suis, et de jouir de ma
vie qui est ma propriété, mais je n'ai pas le droit de me proclamer plus grand
que je ne suis ou de prétendre à autre chose ; sinon j'empiète sur les droits
d'autrui et je les viole, ce dont je n'ai aucun droit. Car, par naissance, tous les
hommes sont égaux et identiquement nés pour jouir de la même propriété, de la
même liberté et des mêmes franchises ; en nous faisant venir au monde, par
l'intermédiaire de la nature, Dieu accorde en effet à chacun d'entre nous une
liberté, une propriété naturelles et innées (et, pour ainsi dire, gravées de
manière indélébiles sur les tables de notre cœur) ; c'est donc ainsi qu'il nous
faut vivre, chacun jouissant également de son droit et privilège de naissance, y
compris tous ceux dont Dieu, par nature, nous a rendus indépendants.
C'est là ce que, par nature, tout homme désire, vise et exige: personne n'accepte
naturellement de se laisser escamoter sa liberté par les ruses de son voisin, ou
de se laisser réduire en esclavage par sa force, car l'instinct naturel nous pousse
à nous protéger de tout ce qui nous est nuisible et désagréable, et cet instinct
passe, aux yeux de tous, pour éminemment raisonnable, équitable et juste: rien
ne saurait l'arracher de l'espèce, il dure même autant que la créature ; il est la
source ou la racine de tous les pouvoirs légitimes de l'homme. Ces pouvoirs ne
lui viennent pas immédiatement de Dieu (comme le prétendent les Rois pour
justifier leurs prérogatives), mais médiatement, par l'intermédiaire de la nature,
comme ceux que les représentants tiennent de ceux qu'ils représentent ; à
l'origine, Dieu les a implantés dans le cœur de la créature ; c'est de la créature,
et de personne d'autre, qu'ils procèdent: elle ne saurait donc en transmettre que
ce qui peut accroître son bien-être, sa richesse et sa sécurité, mais pas plus ; car
c'est là tout à la fois la prérogative de l'homme et sa limite: il a le droit d'en
céder ou d'en recevoir cela seulement qui contribue à accroître son bien-être, sa
sécurité et sa liberté, mais pas plus. Qui cède davantage commet un péché
contre lui-même ; qui prend davantage est un brigand qui vole les siens. Car
chaque homme est, par nature, Roi, Prêtre et Prophète dans les limites de son
cercle et horizon naturels, que personne n'a le droit de partager avec lui sans sa
députation, délégation et libre consentement : c'est là son droit et sa liberté
naturels. » -Richard Overton, An Arrow against all Tyrants, 12 octobre 1646.

581
"De Locke, voici [déjà chez Overton] la thèse centrale : la seule autorité
politique légitime est celle qui provient d'une délégation de pouvoir consentie
par les individus ; personne n'ayant le droit de se faire du mal, personne ne peut
non plus transmettre ce droit à autrui." -Crawford B. Macpherson, La théorie
politique de l'individualisme possessif, Gallimard, coll. Folio essais, 2004 (1962
pour la première édition anglaise), 606 pages, p.237.

http://hydra.forumactif.org/t1499-richard-overton-an-arrow-against-all-tyrants-
a-remonstrance-of-many-thousand-citizens#2157

Thomas Hobbes (1588-1679): « L’utilité de la philosophie morale et politique


doit se mesurer non pas tant aux commodités que nous acquerrons par la
connaissance de ces sciences, qu’aux calamités qui fondent sur nous quand nous
les ignorons. » -Thomas Hobbes, English Works, I, 8.

« La vie humaine peut être comparée à une course [...] Mais nous devons
supposer que dans cette course on n'a pas d'autre but et d'autre récompense que
de devancer ses concurrents. » -Thomas Hobbes, De la Nature humaine, 1640.

« C’est à partir des éléments dont chaque chose est composée qu’on en acquiert
la meilleure connaissance. » -Thomas Hobbes, préface de 1643 à De Cive.

« Les premières vérités naissent de l’arbitre de ceux qui les premiers


attribuèrent des noms aux choses, ou les reçurent de l’attribution des autres. En
effet, est vrai, « L’homme est un animal », mais parce qu’il a plu d’imposer ces
deux noms à la même chose ». » -Thomas Hobbes, De Cive.

« En la recherche du droit de l’état & du devoir des sujets, bien qu’il ne faille
pas rompre la société civile, il la faut pourtant considérer comme si elle étoit
dissoute, c’est-à-dire, il faut bien entendre quel est le naturel des hommes,
qu’est-ce qui les rend propres ou incapables à former des cités & comment c’est
que doivent disposés ceux qui veulent s’assembler en un corps de république. »

-Thomas Hobbes, De Cive. Cité par Giorgio Agamben, exergue à Homo Sacer I.
Le pouvoir souverain et la vie nue, Éditions du Seuil, coll. « L’ordre
philosophique », février 1997 (1995 pour la première édition italienne), 216
pages.

582
« Si toutes les choses étaient au même niveau chez tous les hommes, rien
n'aurait de prix. » -Thomas Hobbes, Léviathan. Traité de la matière, de la forme
et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile (1651).

« On peut se faire une idée de ce qu’est le genre de vie là où n’existe aucune


puissance commune à craindre, par le genre de vie dans lequel sombrent, lors
d’une guerre civile, ceux qui vivaient précédemment sous un gouvernement
pacifique. » -Thomas Hobbes, Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du
pouvoir de la république ecclésiastique et civile, chapitre 13, 1651.

« Beaucoup de personnes, à la suite d’un accident imprévisible, étant devenues


incapables de subvenir à leurs besoins par leur travail, ne doivent pas être
abandonnées à la charité privée, mais elles doivent être prises en charge (autant
que les nécessités naturelles l’exigent) selon les lois de l’Etat. Car tout comme
c’est un manque de charité de la part de quiconque de ne pas s’occuper des
invalides, c’est de même un manque de charité de la part de l’Etat de les
exposer au hasard d’une charité aussi incertaine. » -Thomas Hobbes,
Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république
ecclésiastique et civile, chapitre 30, 1651.

« L’essence n’est donc pas une chose créée ou incréée, mais une dénomination
fabriquée artificiellement. » -Hobbes, Léviathan, XLVI.

« Il existe certains droits tels qu'on ne peut concevoir qu’aucun homme les ait
abandonnés ou transmis ... un homme ne peut pas se dessaisir du droit de
résister à ceux qui l'attaquent de vive force pour lui enlever la vie: car on ne
saurait concevoir qu'il vise par là quelque bien pour lui-même. » -Thomas
Hobbes, Leviathan, ch. XIV (p. 191-192 de l'édition Penguin, et p. 131-132 de
l'édition Sirey).

« La pensée de Thomas Hobbes peut sembler paradoxale. Ce précurseur d’une


pensée de "l’ordre social contractuel", de la société tissée par les contrats, par
les actes volontaires d’individus, ce précurseur de Locke, de la pensée libérale,
a comme objectif la formation et la survie d’un État omnipotent. Et si cet
individualiste radical, nominaliste intransigeant aboutit à la nécessité du
pouvoir absolu, il pense cet État comme "représentatif". Il fonde son existence
sur un acte démocratique, il est vrai unique et irréversible, d’autorisation qui,
instantanément et simultanément, donne un souverain à la "multitude" et fait de
celle-ci un peuple.
583
Cet homme fasciné par la peur de la mort, terrorisé par la violence à l’état de
nature ou de la guerre civile, pense que seule la violence légitime de l’État peut
s’opposer à la violence primitive. Lui qui croit à l’égalité fondamentale entre les
hommes admet les hiérarchies définies par l’État et cet opposant au droit
légitime de résister au pouvoir absolu retient un droit naturel de résistance à
l’oppression. » -Pierre Dockès, « Hobbes et le pouvoir. », Cahiers d'économie
Politique / Papers in Political Economy, 1/2006 (n° 50) , p. 7-25

« Hobbes veut fonder la science morale et politique sur le modèle (la méthode)
des Éléments de géométrie d’Euclide, en commençant par énoncer des
définitions, pour en déduire des théorèmes. En même temps, étant atomiste en
physique, il transpose cette physique dans le monde humain, en postulant que
celui-ci n’est fait que d’atomes humains. L’unique réalité, c’est l’atome, dans la
nature et dans la société. Dans les deux cas, le problème est alors de construire
méthodiquement la réalité à partir de cet élément. Si c’est le clinamen qui
explique la rencontre des atomes en physique, il n’y aura pourtant pas de
clinamen social, mais son équivalent, le désir, en tant qu’il rapporte chacun à
l’autre. Le clinamen fait que les atomes s’entrechoquent, et par là s’associent au
hasard. Le désir, qui est désir de puissance, désir illimité de l’emporter sur
autrui, fait que les individus se rencontrent, ou plutôt se rapportent
nécessairement l’un à l’autre, dans un rapport dont la modalité naturelle est la
violence. C’est sans doute ce postulat individualiste qui fait que la question de
la violence est devenue première pour Hobbes, comme problème des rapports
entre atomes. Si les atomes ne peuvent se rencontrer que sur le mode du choc,
les individus ne le peuvent, dans l’état de nature, que sur le mode de la violence.
[…] Le problème est de savoir comment vaincre cette violence pour fonder la
société. Les rencontres relevant du seul désir naturel ressortissent de la violence
et ne permettent la formation d’aucune société. Il faudra l’intervention de la
raison pour que celle-ci vienne au jour. De par le postulat atomiste, le problème
de la guerre et de la paix entre individus (puis entre Etats) devient capital, et
l’Etat est compris comme passage des multiples à l’Un, à l’unité politique.

Pour Platon et Aristote, la communauté est le tout permanent, et c’est en elle et


grâce à elle seulement que des individus libres, des citoyens, peuvent exister,
agir en elle et pour elle et enfin se sacrifier pour la sauver. La fin de la Cité est
le bien ou le bien-vivre et un homme hors Cité serait une brute ou un dieu.
L’individu, à cause de son besoin, nécessite autrui et la Cité, Cité qui seule
parvient à l’autarkeia. Hobbes rompt sciemment avec cette pensée et ce monde
584
en posant l’individu comme premier principe, fondant ainsi une école majeure
de la pensée politique des modernes : l’école individualiste du droit naturel
moderne, liée à la théorie de l’état de nature et du contrat social. Or, la visée de
cette école, en affirmant le droit de l’individu, de l’homme, était un refus de la
tyrannie. Et paradoxalement cette école individualiste est en même temps celle
qui a voulu démontrer, diversement mais fermement, la nécessité de l’Etat. »
(p.135-136)

« L’homme n’est pas en société par nature, mais pas volonté, il est capable de
faire société. Par sa raison et sa volonté, il est capable de faire société. »
(p.140)

« Le Léviathan est « le roi de tous les enfants de l’orgueil » : le monarque est le


remède à l’orgueil, il est celui qui, par la crainte qu’il inspire, permet aux
individus de vivre en société malgré cette passion. » (p.143-144)

« Dans une théorie atomiste de l’Etat, l’individu est l’origine et la fin de lui-
même et de l’Etat : il veut l’Etat parce qu’il veut sauver son individualité, avec
son bonheur privé. La vie dans l’Etat est comprise comme un événement, comme
un résultat salutaire et contingent mais surtout comme constituant une perte de
liberté individuelle. Y vivre, c’est consentir à restreindre son pouvoir naturel,
son désir illimité de puissance et de domination, donc à limiter sa liberté.
L’individu s’y résout en calculant que, par cette perte, il va néanmoins « rendre
à jamais sûre la route de son désir futur » : il va pouvoir vivre en paix et en
sécurité, comme un particulier parmi ses semblables.

Dans l’état de nature n’existait que la possession, et le jus in omnia y était cause
de guerre. Pour parvenir à la paix il faut la propriété privée : que chacun
renonce à pouvoir tout posséder et se contente de pouvoir avoir des biens en
propre, limités et déterminés, en sachant reconnu par autrui et protégé par
l’Etat ce qui est sien. Il n’y a de propriété que dans et par l’Etat. » (p.145)

-Phillipe Soual, Visages de l’Individu, PUF, 2008, 202 pages.

« Hobbes […] nie nettement la liberté humaine, les décisions de l’homme ne


sont que des suites passives des sensations qui les engendrent. » -L. Noël, Le
principe du déterminisme, Revue Philosophique de Louvain, Année 1905, 45,
pp. 5-26, p.17.

585
« Mon frère Thomas Hobbes. » -Carl Schmitt, Glossarium. Journal des années
1947-1951, 1991.

« L’un des plus anciens économistes de l’Angleterre, l’un des philosophes les
plus originaux. » -Karl Marx, à propos de Hobbes, Salaire, prix et plus-value
(1865), dans Œuvres, Économie, Paris, Gallimard (Pléiade), 1963, vol. I, p. 509.

« Pour Hobbes l’institution de l’État est primordiale puisqu’elle doit précéder


la possibilité de nouer des contrats, qu’elle établit l’ordre contractuel au sein
duquel l’échange de droits de propriété sera possible. En revanche, pour Smith
l’État est certes utile, mais l’échange est premier et si l’État intervient ensuite,
c’est très précisément comme la monnaie, pour faciliter les choses, rendre plus
sûrs la propriété et les contrats. Plus sûrs, mais non pas possibles. »

« La peur de la mort n’est pas seulement le moteur central de l’action des


hommes, elle est, en dernière instance, le seul déterminant. Il y a là une
dimension tragique qui rend son œuvre fascinante. Et son économique s’en
déduit. C’est par peur de la mort, particulièrement de la mort violente, que
l’homme accumule indéfiniment pouvoir après pouvoir. La richesse n’est pas
recherchée pour elle-même, mais parce qu’elle est un pouvoir, et l’accumulation
de richesses qui oriente la vie économique des individus comme des nations est
accumulation de pouvoirs, donc moyen de perpétuer son être, de tenter
d’éloigner ou de conjurer la mort. »

« La dimension contractuelle du lien social fait que Hobbes ne pense plus l’État
comme seulement garant de l’ordre public, mais comme fondateur de ce que
l’on peut nommer un ordre contractuel. Il ne s’agit plus d’un État qui assure la
paix et l’ordre seulement pour eux-mêmes, d’une puissance publique en quelque
sorte autoréférentielle et qui se devrait de faire régner son ordre, fût-ce au prix
d’une dose plus ou moins conséquente d’arbitraire. Il s’agit non seulement de
sortir l’homme d’un état de terreur face au risque de mort violente, mais aussi,
moins tragiquement, de rendre possible la coordination entre individus, de
garantir la propriété et les contrats pour permettre l’industry ainsi que l’activité
artistique et intellectuelle, et finalement le progrès humain. »

« Hobbes, toujours attentif à définir rigoureusement, fait de la propriété le droit


d’interdire l’usage du bien à tout autre sujet – mais pas au souverain. Il
rappelle qu’à l’état de nature, il n’est pas de droit de propriété si ce n’est que
toute chose est à celui qui la prend et peut la conserver par la force, un état qui
586
est « neither property, neither community », ni la propriété privée, ni la
propriété collective, qui est Uncertainty et donc conduit à une guerre
généralisée. Or Hobbes a démontré l’impossibilité de construire un système de
droits de propriété de façon décentralisée par consentement mutuel, système qui
devrait être nécessairement égalitaire. Dès lors, il revient exclusivement à la
république, quel qu’en soit le type, et précisément au souverain, de déterminer
la répartition des droits de propriété : « The Distribution [...] belongeth in all
kinds of Common-wealth to the Soveraign Power. » Le souverain détermine « le
mien et le tien » et fait respecter la répartition entre les individus de toutes les
richesses matérielles. Hobbes s’appuie sur Cicéron pour affirmer que même un
aussi passionné partisan de la liberté fait dépendre toute propriété de la loi de
la cité. S’il s’agit d’abord d’une répartition originaire, il s’agit également d’une
capacité discrétionnaire d’intervenir à tout moment dans la répartition
actuelle. »

« L’État détermine de façon discrétionnaire le système des droits de propriété,


garantit les contrats, produit les règles et institutions de marché, et dans cet
ordre la liberté des contractants peut jouer, mais sans que l’État leur laisse la
bride sur le cou : il les contrôle, à tous moments il peut intervenir, interdire,
revoir les droits de propriétés, et c’est encore lui, enfin, qui anime la circulation
par ses recettes et ses dépenses publiques. » -Pierre Dockès, « Hobbes et
l’économique », Astérion [En ligne], 5 | 2007, mis en ligne le 13 avril.

« Faut jamais oublier que ce qu'on appelle le Léviathan chez Hobbes n'est que
la contrepartie du Béhémoth. Le Béhémoth c'est le monstre terrestre de la
division interne. De la guerre entre frères. » -Pierre-Yves Rougeyron,
Conférence Stasis - Penser le chaos.

« De Hooker à Locke la notion de droit naturel subit une transformation


complète. Une rupture de la tradition s'est produite en chemin. Il n'y a là rien de
surprenant. Les années qui séparent les deux hommes ont vu naître la science
naturelle moderne, la science naturelle non-téléologique, et par suite ont été les
témoins de la ruine des fondations du droit naturel traditionnel. L'homme qui fut
le premier à tirer pour le droit naturel les conséquences de cette transformation
capitale fut Thomas Hobbes. Hobbes, cet imprudent, cet espiègle, cet
iconoclaste extrémiste, le premier philosophe plébéien que nous aimons tant
pour sa franchise de collégien, son humanité jamais en défaut, sa clarté et sa
force merveilleuses. Ses compatriotes furent les premiers à punir sa témérité
587
comme elle le méritait. Il n'en exerça pas moins une très grande influence sur
toute la pensée politique ultérieure, même sur la pensée anglaise et tout
spécialement sur Locke. » (p.153)

« La philosophie politique traditionnelle postulait que l'homme est par nature


un animal politique et social. En rejetant ce postulat, Hobbes retrouve en
somme la tradition épicurienne. Il admet que l'homme est par nature,
originellement, un animal apolitique et même asocial et, acceptant les prémices
de cette doctrine, il admet que le bien est essentiellement identique à l'agréable.
Mais il utilise cette conception apolitique dans un dessein politique. [...] Il
devient ainsi le créateur de l'hédonisme politique, doctrine qui devait
bouleverser un peu partout la vie humaine dans des proportions jamais égalées
jusqu'alors." (p.155-156)

"Si donc la loi naturelle doit se déduire du désir de conservation, si en d'autres


termes ce désir est la seule source de toute justice et de toute moralité, le fait
moral essentiel n'est pas un devoir mais un droit: tous les devoirs dérivent du
droit fondamental et inaliénable à la vie. Il n'y a dès lors aucun devoir absolu
ou inconditionnel: les devoirs sont contraignants dans la seule mesure où leur
accomplissement ne met pas notre vie en danger. Seul le droit à la vie est
inconditionnel ou absolu. [...] S'il nous est permis d'appeler libéralisme la
doctrine politique pour laquelle le fait fondamental réside dans les droits
naturels de l'homme, par opposition à ses devoirs, et pour laquelle la mission de
l'Etat consiste à protéger ou à sauvegarder ces mêmes droits, il nous faut dire
que le fondateur du libéralisme fut Hobbes." (p.166)

"Il ne pouvait accepter la distinction épicurienne entre les désirs naturels


nécessaires et ceux qui ne le sont pas ; car cette distinction impliquait que le
bonheur requiert un style de vie "ascétique" et consiste en un état de quiétude.
[...] Son attitude "réaliste" obligea Hobbes à lever toute restriction à la
recherche des plaisirs des sens non nécessaires [...] ou encore du pouvoir, à la
seule réserve des restrictions indispensables au maintien de la paix. [...] Le
devoir sacré des gouvernants n'est plus "de rendre bons les citoyens et les
inciter à agir avec noblesse", mais "de s'efforcer, pour autant que la loi le peut
accomplir, à pourvoir abondamment les citoyens de toutes les bonnes choses
[...] qui procurent la délectation"." (p.171-172)

588
"La doctrine de Hobbes est la première à réclamer clairement et nécessairement
une société complètement "affranchie", c'est-à-dire areligieuse ou athée, pour
résoudre le problème politique ou social." (p.178)

-Leo Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion, Champ.essais, 1986 (1954


pour la première édition française, 1953 pour la première édition états-unienne),
324 pages.

« Comme l'a souligné Leo Strauss, Hobbes était parfaitement conscient que
l'état de nature ne devait pas être nécessairement considéré comme une époque
réelle, mais plutôt comme un principe interne à l'Etat qui se révèle au moment
où on le considère "comme s'il était dissous". » -Giorgio Agamben, Homo Sacer
I. Le pouvoir souverain et la vie nue, Éditions du Seuil, coll. « L’ordre
philosophique », février 1997 (1995 pour la première édition italienne), 216
pages, p.44-45.

« La vie de Thomas Hobbes (1588-1679) fut en pleine activité pendant la


période troublée qui s’étend de la conspiration des poudres (1605) à la mort de
Cromwell (1658). Ses livres sont surtout politiques et répondent à la
préoccupation de rétablir l’ordre. Il appuie cette politique sur une philosophie
matérialiste dont il a trouvé l’esprit auprès de Bacon, comme secrétaire. »
(p.58)

« Hobbes est […] avant la lettre pour une dictature et un Etat totalitaire. »
(p.58) -Jacques Mantoy, Précis d'histoire de la philosophie, Paris, Éditions de
l'École, 1965, 124 pages.

« Simple désignation verbale servant à qualifier la perception éphémère qu’on


peut avoir d’une certaine forme de gouvernement, la tyrannie ne constitue pas
un objet de pensée qui puisse relever de la philosophie politique hobbienne. Le
tyran, dans la typologie des souverains possibles n’existe pas. Il est le nom de
baptême « péjoratif » donné aux souverains dont on prétend rejeter la tutelle. Il
n’a de statut, au mieux, qu’en référence à des moments historiques par
définition transitoires. » -Franck Lessay, La figure cachée du tyran dans le
Léviathan de Thomas Hobbes, Bulletin de la société d'études anglo-américaines
des XVIIe et XVIIIe siècles, Année 1983, Volume 16, Numéro 1, pp. 7-19, p. 9.

« Il avait fallu trois siècles pour que Hobbes, ce grand adorateur du Succès,
puisse enfin triompher. La Révolution française en avait été pour une part

589
responsable, qui, avec sa conception de l'homme comme législateur et comme
citoyen, avait failli réussir à empêcher la bourgeoisie de développer pleinement
sa notion de l'histoire comme processus nécessaire. Cela résultait également des
implications révolutionnaires de la République, de sa rupture farouche avec la
tradition occidentale, que Hobbes n'avait pas manqué de souligner. Tout
homme, toute pensée qui n'œuvrent ni ne se conforment au but ultime d'une
machine, dont le seul but est la génération et l'accumulation du pouvoir, sont
dangereusement gênants. Hobbes estimait que les livres des "Grecs et des
Romains de l'Antiquité" étaient aussi "nuisibles" que l'enseignement chrétien
d'un "Summum bonum [...] tel qu'[il] est dit dans les Livres des anciens
Moralistes", ou que la doctrine du "quoi qu'un homme fasse contre sa
Conscience est Péché", ou que "Les Lois sont les Règles du Juste et de l'Injuste".
La profonde méfiance de Hobbes à l'égard de toute la tradition de la pensée
politique occidentale ne nous surprendra pas si nous nous souvenons seulement
qu'il souhaitait ni plus ni moins la justification de la Tyrannie, qui, pour s'être
exercée à plusieurs reprises au cours de l'histoire de l'Occident, n'a jamais
cependant connu les honneurs d'un fondement philosophique. Hobbes est fier de
reconnaître que le Léviathan se résume en fin de compte à un gouvernement
permanent de la tyrannie: "le nom de Tyrannie ne signifie pas autre chose que le
nom de Souveraineté..." ; "pour moi, tolérer une haine déclarée de la Tyrannie,
c'est tolérer la haine de la République en général..."

En tant que philosophe, Hobbes avait déjà pu déceler dans l'essor de la


bourgeoisie toutes les qualités antitraditionnalistes de cette classe nouvelle qui
devait mettre plus de trois cents ans à arriver à maturité. Son Léviathan n'avait
rien à voir avec une spéculation oiseuse sur de nouveaux principes politiques, ni
avec la vieille quête de la raison telle qu'elle gouverne la communauté des
hommes ; il n'était que le strict "calcul des conséquences" découlant de l'essor
d'une classe nouvelle dans une société fondamentalement liée à la propriété
toujours nouvelle. » -Hannah Arendt, L'Impérialisme, deuxième partie des
Origines du Totalitarisme (1951). Gallimard, coll. Quarto, 2002, p.397.

« Comme Vico, Hobbes est un philosophe profondément marqué par la pensée


juridique romaine. Lire Hobbes sans considérer la dimension fondamentalement
juridique de sa pensée dans tous ses aspects, c’est ne pas pouvoir le lire. » -
François Loiret, Dijon, 2014, depuis site de l’auteur.

590
"Le penseur qui a le plus contribué à détruire la thèse d'une communauté ou
d'une sociabilité originaires de l'espèce humaine est aussi celui qui a fait de la
représentation l'élément constitutif de l'unité politique. [...] Hobbes est le
penseur d'une tristesse universelle puisque c'est à une passion triste (la peur de
la mort violente) qu'il délègue le soin de contraindre les hommes à s'unir sous
des lois et sous un commandement communs. L'identification de l'état de nature
à un état de guerre généralisé ruine totalement le principe des consolations
classiques fondées sur l'ordre naturel comme lieu d'une appartenance pacifique.
[...]
Le génie de Hobbes est d'élargir cette "destruction" de la nature comme norme
morale à l'idée de communauté. L'être-ensemble n'est rien de donné, c'est-à-dire
rien à quoi l'on puisse se référer comme à une évidence pour consoler des
tourments de la vie. Le monde d'avant la politique est un lieu de désolation."
(p.200-201)

« [Hobbes] montre qu'une communauté ne doit pas être pensée comme un


corps, mais comme le résultat d'une convention humaine qui ne reçoit plus
d'assise théologique. Cela vaut même de l'Église dont il faut affirmer que le
souverain politique est le seul chef légitime. Celui-ci est le représentant de Dieu
sur Terre, certes, mais parce que les hommes ont choisi de lui conférer cette
autorité, non parce que Dieu lui-même l'aurait voulu. [...]
Cette artificialisation du lien communautaire implique une fragilisation de
l'être-ensemble qui retentit sur ce qu'il y a de social dans toute consolation. »
(p.205)

« En dépit de son absolutisme, Hobbes inaugure un processus de


désincorporation du lien politique qui se poursuivra, non sans heurts, tout au
long de la modernité. » (p.206)

« Hobbes constitue un révélateur de la rupture moderne: son nominalisme


intransigeant stipule que les mots ne sont que des appellations conventionnelles
des choses, en aucune façon leur expression fidèle. [...] Dès l'instant où le
langage dominant de la société n'est plus considéré comme l'écho de l'ordre
naturel des choses, il cesse de consoler. » (p.208-209)
-Michaël Fœssel, Le temps de la consolation, Seuil, coll. "L'ordre
philosophique", 2015, 276 pages.

591
« Hobbes mena l'idée de Bacon de "l'homme interprète de la nature" jusqu'à sa
conclusion logique, le matérialisme athée. Et il mena la réfutation de l'idée
d'une sanction divine des gouvernements jusqu'à sa conclusion logique, c'est-à-
dire la thèse que l'autorité de l'Etat se fonde sur la possession des moyens
matériels de coercition. » -Maurice Cornforth, L'idéologie anglaise. De
l'empirisme au positivisme logique, Éditions Delga, 2010 (traduction de la
première partie de Marxism and the Linguistic Philosophy, 1965 pour la
première édition anglaise), 221 pages, p.34.

"[Hobbes] emprunte à Galilée sa méthode analytico-synthétique qu'il admire


tant: or, cette méthode consiste à décomposer la société existante en ses
éléments premiers et à en opérer ensuite la synthèse logique." (p.60)

"[Pour Hobbes] le seul critère de la valeur d'une chose est son prix sur le
marché." (p.112)

"Parmi toutes les raisons qu'il avance, dans Behemoth, pour expliquer
l'abandon du roi et le début de la Guerre civile, on trouve celle-ci: le "peuple en
général" (par quoi il entend les gens qui possèdent au moins quelque chose, car
"parmi les gens du commun, bien peu se souciaient des parties en présence:
l'appât du gain ou de la rapine eût suffi à les faire presque tous passer dans
n'importe quel camp") s'est mis à croire que tout individu "était tellement maître
de ce qu'il pouvait posséder, qu'on n'avait pas le droit de l'en déposséder sans
son consentement, même sous prétexte de sécurité publique". Hobbes saisit très
bien que cette croyance est totalement étrangère à la conception féodale de la
propriété qui prévalait naguère ; s'il la rend responsable de la Guerre civile,
c'est qu'elle s'est tellement répandue qu'on peut légitimement lui attribuer une
influence décisive dans les troubles de l'époque. Il fait aussi remarquer que,
pour ces hommes attachés à cette nouveauté que constitue la notion d'un droit
inconditionnel de propriété individuelle, les ordres anciens ne sont que des
moyens qu'ils utilisent pour favoriser leurs nouveaux desseins: "Le titre de Roi,
pensaient-ils, n'était que l'honneur le plus élevé, et ceux de gentilhomme,
chevalier, baron, comte et duc, qu'autant de degrés permettant de s'y élever avec
l'aide de la richesse".
Hobbes attribue la Guerre civile à la force nouvelle que manifestent la morale
du marché et la richesse née du marché. Cette guerre lui paraît être une
tentative pour détruire l'ancienne constitution et la remplacer par une nouvelle
qui soit plus favorable aux nouveaux intérêts qui s'affrontent sur le marché. Les
592
ennemis du roi, dit-il, "qui prétendaient réclamer l'allègement des impôts pour
le peuple, et tant d'autres mesures spécieuses, tenaient les cordons de la bourse
de la cité de Londres, et la plupart des autres cités et municipalités d'Angleterre,
et, en outre, celle de maints particuliers".
Le peuple, quant à lui, est entraîné dans le mouvement sous l'effet des nouvelles
doctrines religieuses (dont l'une des plus importantes, la presbytérienne, fut bien
accueillie pour la raison, entre autres, qu'elle "ne fulminait pas contre les vices
lucratifs des commerçants et des artisans […] au grand soulagement de
l'ensemble des citoyens et des habitants des bougs") et de sa croyance nouvelle
au droit inconditionnel de propriété. Que le peuple ait été séduit de la sorte, que
les marchands aient disposé de l'argent nécessaire à l'entretien d'une armée, ce
sont là, pour Hobbes, deux considérations qui suffisent à expliquer la Guerre
civile." (p.114-116)

"Hobbes ne voit pas pourquoi […] un principe d'obligation transcendant


l'intérêt personnel serait plus solide, et plus largement accepté, que celui qui se
fonde sur lui." (p.127)

"Hobbes postule une double égalité entre les hommes: l'égalité des capacités et
un espoir égal pour tous de satisfaire leurs besoins. D'où une égalité des droits
redoublée. La première égalité, Hobbes considère que l'expérience et
l'observation suffisent à la prouver. Certes, les aptitudes respectives des
hommes ne sont pas tout à fait égales, mais elles le sont en ce sens que l'homme
le plus faible peut aisément tuer l'homme le plus fort, ce qui implique l'égalité
morale de tous les hommes." (p.129)

"Hobbes ouvre à la philosophie une voie radicalement nouvelle. Le droit n'a


plus à être importé: il n'est pas transcendant au fait, il lui est immanent."
(p.133)

"Hobbes est le premier penseur qui ait été capable de se passer de postulats
théologiques ou téléologiques." (p.152)

"S'il a aussi bien saisi que nous le prétendons les rapports essentiels qui
caractérisent la société de son temps, et s'il en a tiré toutes les conséquences
logiques, comment se fait-il que ses conclusions n'aient pas même été acceptées
par les hommes de la classe ascendante au milieu du XVIIe siècle et, plus tard,
par tous ceux qui se sont réjouis de la généralisation, dans la société anglaise,
des rapports fondés sur le marché ? Le fait qu'au XVIIe siècle ni les royalistes,
593
ni les parlementaires, ni les tenants de la tradition, ni les républicains radicaux,
ni les Whigs ni les Tories n'ont réussi à diriger ses théories. Parmi ses critiques
les plus acharnés, nombreux sont ceux qui rejettent tout à la fois ses prémisses
et ses conclusions. Mais même ceux qui, à peu de chose près, souscrivent à son
analyse de la nature humaine et tiennent, comme lui, la société pour un marché
-au nombre desquels il faut ranger Harrington et même Locke- repoussent ses
conclusions en ce qu'elles ont d'extrême." (p.157)

"Négligeant la division en classes et la cohésion de classe, Hobbes ne fait pas sa


place à un souverain lié à une classe. Or c'est là le type de gouvernement qui
s'accorde le mieux avec le modèle qu'il élabore. Ceux qui possèdent des biens
substantiels ont besoin d'un Etat souverain pour sanctionner le droit de
propriété. Ils doivent donc autoriser un corps souverain à faire tout ce qui est
nécessaire au maintien de ce droit, et ce corps souverain doit avoir le droit de
décider des mesures qui s'imposent. Mais il n'est nullement indispensable qu'ils
renoncent à leur droit, ou à leur pouvoir, de choisir les personnes qui seront
membres de ce corps souverain. Et puisqu'il n'est nullement indispensable qu'ils
le fassent, en tant qu'êtres doués de raison ils ne peuvent pas le faire. Ils n'ont
pas besoin de le faire parce que, propriétaires de biens substantiels, ils sont
capables d'assez de cohésion pour qu'on puisse leur laisser le choix périodique
des membres du souverain sans que cela implique à chaque fois que toute
l'autorité politique se fragmente en un nombre incalculable de volontés
antagonistes." (p.162)

"Les goûts changent, et lorsque Hume et Bentham démoliront, au XVIIIe siècle,


la noble addition de Locke, ils n'ébranleront pas les robustes fondements
utilitaires qu'elle recouvrait. On peut donc dire que c'est Hobbes, revu et
corrigé par Locke sur un point capital -le souverain qui se perpétue lui-même-
qui a jeté les bases du libéralisme anglais." (p.446)

-Crawford B. Macpherson, La théorie politique de l'individualisme possessif,


Gallimard, coll. Folio essais, 2004 (1962 pour la première édition anglaise), 606
pages.

"Le cas du pouvoir absolu hobbien est tout différent. Ce n'est plus un être tout-
puissant qui donne l'existence, et le sens de son existence au pouvoir absolu qui
le représente, ce sont au contraire des êtres impuissants qui le créent pour
remédier précisément à leur faiblesse. Le pouvoir absolu n'est plus

594
"représentant" de Dieu, mais "représentant" des hommes ; sa "transcendance"
n'a plus origine dans la force de Dieu mais dans la faiblesse de l'homme." (p.72-
73)

"Hobbes fait naître l'ordre politique de l'impuissance humaine ; Aristote le


faisait naître des capacités ou des puissances humaines. Ce que fait le corps
politique hobbien, ce n'est pas, comme la cité d'Aristote, de composer et
d'ajuster des forces (vertu, richesse, liberté) mais de soulager des faiblesses.
Léviathan guérit, au moins pour partie, les maux de la natural condition of
mankind. Sous la main de Léviathan, le sujet se trouve comme le fidèle sous
celle de l'Église dont la grâce guérit les maux de sa nature pécheresse." (p.74)

"La règle d'or est celle-ci: que chacun considère comme le meilleur régime celui
sous lequel il vit ; ou mieux, qu'il ne se pose même pas cette question oiseuse, et
qu'il obéisse en toute candeur de conscience à tout ce que lui ordonne le
souverain." (p.75)

"Hobbes peut être dit le fondateur du libéralisme parce qu'il a élaboré


l'interprétation libérale de la loi: pur artifice humain, rigoureusement extérieure
à chacun, elle ne transforme pas, n'informe pas les atomes individuels dont elle
se borne à garantir la coexistence pacifique.
La pensée de Hobbes est ainsi la matrice commune de la démocratie moderne et
du libéralisme. Elle fonde l'idée démocratique parce qu'elle élabore la notion de
la souveraineté établie sur le consentement de chacun ; elle fonde l'idée libérale
parce qu'elle élabore la notion de la loi comme artifice extérieur aux individus."
(p.77)

"Si l'on veut abolir l'absolutisme tout en maintenant l'interprétation libérale de


la loi, il faut renoncer à l'idée même de souveraineté illimitée. C'est ce que fera
Montesquieu." (p.77)

"L'idée démocratique de la souveraineté et l'idée libérale de la loi sont


contradictoires dans ce qu'elles ont chacune de positif mais parfaitement
compatibles dans ce qu'elles ont de négatif. Elle ont une "matrice négative"
commune: l'homme n'a pas de fin, ou de fins inscrites dans sa nature, l'élément
de l'action humaine n'est pas le bien ou les biens. Les deux définitions,
démocratiques et libérales, vont prendre tour à tour l'avantage, accentuant
tantôt la souveraineté de la volonté collective, tantôt la liberté légale des
individus. Cette "compatibilité contradictoire" des deux définitions contribue à
595
expliquer que nos régimes démocratiques et libéraux soient à la fois
remarquablement stables et sujets d'un changement social perpétuel et rapide."
(p.78)

"[Hobbes] va réinterpréter le sens de la Révélation chrétienne de sorte que


l'obéissance à Dieu tendra de toute façon à se confondre avec l'obéissance au
souverain." (p.79)

"[Hobbes] devait montrer que l'Écriture elle-même, exactement interprétée,


enseigne la doctrine de Hobbes: le souverain civil est absolu aussi en matière
religieuse." (p.81)

"Pour Locke et Rousseau, l'ennemi principal, celui contre lequel d'abord ils
construisent leur doctrine politique, n'est plus le pouvoir politique de la
religion, mais un phénomène qui semble strictement politique, à savoir
l'absolutisme, et même, dans le cas de Rousseau, outre l'absolutisme, une réalité
à la fois sociale, politique et morale: l'inégalité. Locke et Rousseau paraissent
bien se tourner contre Hobbes. Il faut bien comprendre le sens de leur
opposition.
Qu'ils critiquent Hobbes pour avoir donné des arguments à l'absolutisme ne
signifie pas qu'ils ne partagent pas l'intention qui a conduit Hobbes à construire
son Léviathan. Simplement ils constatent que l'absolutisme réel, effectif, au lieu
d'accomplir l'intention de Hobbes, l'entrave décisivement, puisque c'est par
l'absolutisme, par son influence sur l'absolutisme et par la protection que ce
dernier lui accorde, que la religion conserve ce qu'elle conserve de pouvoir
politique. Ils critiquent donc la doctrine de Hobbes pour mieux accomplir son
intention." (p.87)
-Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Fayard/Pluriel, 2012
(1987 pour la première édition), 250 pages.

« Autrefois la force physique était un titre pour être admis parmi les aristoi.
Mais depuis que l’invention de la poudre a armé le plus faible, aussi bien que le
plus robuste, des mêmes moyens d’envoyer la mort, la force corporelle n’est
plus qu’un moyen auxiliaire de se distinguer, comme la beauté, la bonne
humeur, la politesse, et d’autres mérites secondaires. » -Thomas Jefferson, lettre
du 28 octobre 1813 à John Adams.

« [Les individus acceptent l'autorité du Léviathan] parce qu'il est censé protéger
leurs vies ; évidemment [...] le Léviathan ne s'aurait [donc] réclamer d'eux
596
qu'ils la sacrifient à quelque cause que ce soit. » -Olivier Rey, "L'idolâtrie de la
vie", conférence au Cercle Aristote, 8 novembre 2020.

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politique/dp/2711621146/ref=pd_sim_sbs_14_2?ie=UTF8&dpID=41gNU7pmb
WL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=0EGKKDF
A0E0HV71W02H7

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psc=1&refRID=8XJENKSWZ98TTQV55AB3

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controverse-
compl%C3%A8tes/dp/2711621243/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1450273017&sr
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politique/dp/213042791X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1447163721&sr
=1-
1&keywords=Thomas+Hobbes%2C+philosophie+premi%C3%A8re%2C+th%C
3%A9orie+de+la+science+et+politique

597
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Skinner/dp/2226187103/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1466193383&sr=
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Hobbes-
Clausewitz/dp/2130573584/ref=pd_sim_14_18?ie=UTF8&dpID=4141I6PKeDL
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Berthier/dp/2729877045/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1450272762&sr=8-
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598
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5&keywords=oakeshott

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1&keywords=nicolas+dubos%2C+hobbes

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Berthier/dp/2373610426/ref=sr_1_8?s=books&ie=UTF8&qid=1466453277&sr
=1-8

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lectures/dp/2867814812/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=1466453882&sr=
1-3

http://www.amazon.fr/Hobbes-France-XVIIIe-si%C3%A8cle-
Glaziou/dp/2130449611/ref=sr_1_9?ie=UTF8&qid=1450272967&sr=8-
9&keywords=hobbes%2C+questions

http://www.amazon.fr/Hobbes-materialisme-politique-Jean-
Terrel/dp/2711611973/ref=sr_1_83?ie=UTF8&qid=1457386524&sr=8-
83&keywords=mat%C3%A9rialisme

https://www.amazon.fr/L%C3%A9viathan-pompe-Hobbes-science-
politique/dp/2707122734/ref=sr_1_5?ie=UTF8&qid=1477311374&sr=8-
5&keywords=Robert+Boyle

Richard Cumberland (1631-1718): http://hydra.forumactif.org/t1984-richard-


cumberland-traite-philosophique-des-lois-naturelles#2684

Algernon Sidney (1623-1683): « Algernon Sidney (1623-1683), d'origine


aristocatique, combat pour le Parlement pendant la guerre civile. Il devient lui-
599
même ensuite membre du Parlement, puis du gouvernement républicain en
1652-1653. Mais il rompt avec Cromwell. Il revient aux affaires en 1659. Après
1660, il est en exil, et complote contre l'Angleterre avec Français et Hollandais
en 1664-1665. Revenu en Angleterre en 1677, il est exécuté en 1683 pour avoir
pris part à un complot contre Charles II. Ses principales oeuvres sont les Court
Maxims (écrites en Hollande au milieu des années 1660, dans l'espoir de
susciter une alliance des Républicains anglais avec le parti de Jean de Witt) et
les Discourses concerning Government.

Le livre de Sidney, qui réfute Filmer page par page, réaffirme le droit de
résistance à l'oppression et la légitimité du tyrannicide. Il manifeste un
attachement profond aux modèles républicains antiques : « Tout ce qui fut
jamais désirable ou digne de louange et d'imitation dans Rome venait de sa
liberté. » Sidney reprend les idées déjà traditionnelles des républicains, à savoir
que « tous les p'euples ont un droit naturel à se gouverner eux-mêmes ; qu'ils
peuvent choisir leurs dirigeants ; que le gouvernement dérive son pouvoir du
peuple, existe pour la sauvegarde et le bien-être de celui-ci et peut en être tenu
pour responsable » (Sabine). Sidney insiste, comme Milton ou Harrington, sur
la supériorité du système des élection. Il pense que l'élection révèle les
supériorités naturelles des best men, et il soutient que les cours sont a contrario
emplies d'hommes dépravés qui n'ont atteint le degré de pouvoir où on les voit
que par la faveur des princes et par l'intrigue.

Sidney, héros et martyr du parti whig, aura une image de légende au long du
XVIIIe siècle, et ses oeuvres, plus accessibles que celles de Harrington,
exerceront une grande influence. » (p.302)

-Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et


contemporains, Paris, Quadrige / PUF, 2009 (2002 pour la première édition),
1428 pages.

http://www.amazon.fr/Lesprit-republicain-naturels-civique-
Algernon/dp/2812403446/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1450387900&sr=8-
1&keywords=Christopher+Hamel%2C+L%E2%80%99esprit+r%C3%A9public
ain

http://www.amazon.co.uk/The-Porcupine-Life-Algernon-Sidney/dp/0719546842

600
Francis Osborne: « Francis Osborne s’accorde à dire que tous les princes sont
des « monstres au pouvoir » et « généralement mauvais » ; même la Reine
Élisabeth était un tyran. […] « Ce qui me stupéfia le plus fut de voir ceux de cet
âge héroïque et instruit, non seulement ne pas s’élever vers des pensées de
liberté, mais au lieu de cela retourner stupidement leurs esprits et leurs épées
contre eux-mêmes pour soutenir ceux dont ils sont les esclaves. » -Quentin
Skinner, La liberté avant le libéralisme, Seuil, coll. Liber, 2000 (1998 pour la
première édition anglaise), 131 pages, p.40.

James Harrington (1611-1677): « Partout où le peuple n’a point de propriété


pour exister, le gouvernement est monarchique ou aristocratique. Partout où le
peuple peut exister de sa propriété, le gouvernement est susceptible de devenir
démocratique. » (Chapitre I, Principe 14)

« Lorsque parmi plusieurs frères l’ainé n’a qu’une portion égale à celle des
autres, ou au moins si peu inégale que cette différence n’oblige pas les autres à
avoir besoin de lui pour subsister, une telle famille existe comme si elle formait
une république. » (Chapitre II, principe 6).

« La plus grande portion de la multitude ou du peuple est incapable, en fait de


religion, de se diriger par elle-même. » (Chapitre IV, principe 14).

« La raison d’état étrangère consiste à tenir l’équilibre entre les puissances


étrangères, de telle manière que vous puissiez avoir l’avantage sur elles, ou
qu’au moins elles ne puissent l’avoir sur vous. » (Chapitre X, De
l’administration du Gouvernement, ou de la raison d’Etat, principe 8)

« Ce ne sont point Hippocrate ni Machiavel qui ont introduit les maladies, l’un
dans le corps humain, l’autre dans le gouvernement : elles existaient avant eux ;
mais lorsqu’on voit qu’ils ne font que les découvrir, on est forcé de convenir que
tout ce qu’ils ont fait ne tend pas à les augmenter, mais à les guérir ; ce qui est
le véritable but de ces deux auteurs. » (Chapitre X, De l’administration du
Gouvernement, ou de la raison d’Etat, principe 22)

« Les Vénitiens ayant mis à mort plusieurs de leurs ducs pour leur tyrannie, et
s’étant assemblés en si grand nombre qu’ils étaient incapables de débats
réguliers, érigèrent au-dessus d’eux trente gentilshommes qui furent appelés
pregadi, de ce qu’on les priait de se retirer à part pour débattre entre eux de ce
qu’exigeait la république, et proposer ensuite à l’assemblée générale ce qu’ils

601
estimaient convenable ; c’est la première origine du sénat de Venise. On appelle
encore ceux-ci pregadi, et celle-là le grand conseil, c’est-à-dire le sénat et
l’assemblée populaire de Venise : et de tous deux sortit cet ordre de république
admirable dans toutes ses parties. » (Chapitre dernier, principe 79)

-James Harrington, Aphorismes politiques.

« James Harrington, auteur qui est sans doute le plus original et le plus influent
de tous les traités anglais sur les Etats libres. » (p.21)

« Harrington loue Machiavel comme « l’unique politicien des époques


récentes ». » (p.35)

-Quentin Skinner, La liberté avant le libéralisme, Seuil, coll. Liber, 2000 (1998
pour la première édition anglaise), 131 pages.

« Né en 1611, Harririgton est issu de la gentry. Il fait des études à Oxford et,
brièvement, au Middle Temple. Il voyage ensuite aux Provinces-Unies, puis,
semble-t-il, au Danemark, en Allemagne, en France et en Italie. Les années
suivantes sont mal connues. Mais il semble qu'il ait été, à partir de fin 1646,
gentilhomme attaché à la maison de Charles 1er, auquel l'aurait lié une certaine
sympathie, cette situation durant jusqu'au début 1649. L'Oeéana, peut-être
commencée avant la mort de Charles 1er, est publiée en 1656, au moment où,
parmi certains officiers, une vive opposition à Cromwell, soupçonné de vouloir
instaurer une tyrannie, se fait jour, inspirée soit par le républicanisme, soit par
l'apocalyptisme des hommes de la Cinquième Monarchie. Harrington écrit
ensuite The Prerogative of Popular Govemment (1657), The Art of Lawgiving
(1659), A System of Polities (1661). Harrington est brièvement emprisonné lors
de la Restauration. Il meurt en 1677. » (p.291)

« Après la Seconde Révolution de 1688, les républicains continuent à


s'exprimer, et ils sont opposés au régime nouvellement mis en place, alors même
qu'il s'agit d'une monarchie constitutionnelle qui réalise une partie de leur
programme.
Robert Molesworth publie en 1694 An Account of Denmark, où, prenant
occasion de son analyse de la monarchie danoise, il rappelle avec force les
principes républicains (il traduira d'ailleurs, en 1711, la Francogallia de
Hotman).
Les républicains combattent aussi le principe des armées permanentes (écrits de

602
Moyle, Trenchard, Toland [The Militia Riformed, 1698] et Fletcher [Discourses
concerning Militias, 1697]). Pourquoi l'Angleterre conserve-t-elle une armée
alors qu'a été conclue la paix de Ryswick avec la France ? Les armées
permanentes coûtent cher, justifient une fiscalité élevée et agmentent le pouvoir
royal. Ces « soldats mercenaires » sont à l'opposé de l'armée populaire de
conscrits voulue par les républicains. » (p.303)

-Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et


contemporains, Paris, Quadrige / PUF, 2009 (2002 pour la première édition),
1428 pages.

« D'origine aristocratique, Harrington redéfinit le républicanisme avec son


utopie Oceana [The Commonwealth of Oceana, 1656], dédicacée à Cromwell,
dans la période troublée de son protectorat. Selon certains, Harrington serait, à
quelques différences près, un disciple de Machiavel (Pocock, 1975]. Pourtant,
même s'il s'en nourrit, ille critique également et s'en détache. Certes, il voit en
lui un partisan de la liberté républicaine, et insiste à son tour sur le rôle du
citoyen armé. Mais, contrairement à Machiavel, pour qui les institutions sont
toujours menacées de destruction, il imagine un ordre durable en permanence
grâce à des mécanismes prévenant l'apparition d'une oligarchie. À la différence
du Florentin, il est fasciné par la République aristocratique de Venise, qu'il
connaît par Giannotti et Contarini, et dont il admire la stabilité. En outre, loin de
prolonger la valorisation machiavélienne du conflit comme source de la liberté
républicaine, Harrington se montre en désaccord avec le récit de Machiavel sur
le rôle des antagonismes dans l'histoire de Rome, et il conçoit les mécanismes de
la république comme un moyen de neutraliser l'influence des partis organisés.
Une république harmonieuse, fondée sur des dispositifs assurant une circulation
des responsabilités, ne laisse plus guère de place aux réels antagonismes. À cet
égard, Harrington semble plus proche de Guichardin que de Machiavel. Son
originalité tient dans ce cadre à son insistance sur les conditions
socioéconomiques d'un gouvernement stable : l'équilibre de la propriété,
essentiellement la terre, doit garantir une société libre fondée sur des citoyens
indépendants. Ce projet se nourrit en partie d'une fascination pour la République
des Hébreux dont le Hollandais Petrus Cunaeus avait diffusé le modèle. Si la
répartition de la propriété est inégale et bénéficie à la noblesse, il en résulte un
déséquilibre politique funeste. Sur cette base, Harrington définit des procédures
institutionnelles prévenant la corruption : rotation des charges, vote secret,
division des pouvoirs. Si donc le gouvernement républicain est populaire, il n'est
603
pas anti-aristocratique : les membres de la « gentry », dès lors que leur nombre
limité les empêche de devenir une noblesse, loin de nuire au Commonwealth, en
sont un élément de stabilité. C'est là une divergence avec Machiavel, car la
noblesse n'est pas pour Harrington hostile au gouvernement populaire, si sa
puissance reste limitée. En outre, il insiste bien moins que le Florentin sur la
vigilance et la participation civique des citoyens. Certes, la légitimité du peuple
est pour lui prépondérante, mais son rôle se réduit surtout, dans les faits, à
accepter ou non les choix issus d'une délibération aristocratique. » -Serge
Audier, Les théories de la république, Paris, Éditions La Découverte, coll.
Repères, 2015 (2004 pour la première édition), 125 pages, pp.26-27.

« Harrington, lecteur de Hobbes, critique de Hobbes, puissamment inspiré


par lui, est entré dans un dialogue épistémologique avec celui-ci. » (p.23)

« Hobbes avait fuit dès 1640 pour éviter de la connaître [la guerre civile].
Harrington, en revanche, a vécu toute la période au cœur du débat, collectant
des fonds pour l’armée parlementaire, puis servant le roi comme
gentilhomme de compagnie. Le retour de Hobbes au moment de la publication
de Leviathan lui valut bien des critiques et des sarcasmes, voire des menaces de
mort, mais c’est à partir de là qu’on peut comparer le contexte de son œuvre
tardive à celui de Harrington, car les deux hommes vivaient dans l’Angleterre
du Commonwealth et du Protectorat, un moment d’ébullition théorique et
d’expérimentation constitutionnelle.

Harrington publia sa première œuvre, Oceana, en 1656, troisans après


l’élévation de Cromwell au titre de Lord Protector. Le modèle de dictature
militaire issu de la constitution de l’Instrument of Government ne convenait
pas à Harrington, qui y voyait une nouvelle occasion manquée de refonder le
rapport entre société et État. Si, comme il le pensait, c’est sur la balance de la
propriété que s’établissait la légitimité du gouvernement, si l’Angleterre avait
bel et bien atteint un équilibre des propriétés terriennes où la majorité de la
population possédait plus de terres que l’aristocratie et le monarque, alors seule
une république reposant sur une loi agraire et un système électoral
censitaire très large pouvait avoir une pleine légitimité dans la société
anglaise.

Oceana était une utopie, par sa forme littéraire. Les noms de personnes
et de lieux y étaient fictifs, renvoyant pourtant de façon transparente à

604
l’histoire européenne, les institutions étaient parées de noms astronomiques,
mais aussi de noms issus de l’Antiquité ou des institutions locales anglaises
traditionnelles. Harrington y défend les principes de liberté du peuple, de
croissance du corps civique de la république, de perpétuité de la constitution et
de répartition des terres. Pour lui, la république est là pour garantir et
épanouir la liberté des citoyens et non pour la brider.

Mais au terme de polémiques dans lesquelles on ne peut guère dire qu’il ait
brillé, comme dans The Prerogative of Popular Government, tout en
s’essayant à une satire dialoguée, Politicaster,et à un dialogue,Valerius and
Publicola, il passe graduellement à un mode aphoristique d’écriture
philosophique.

L’utopie n’a pas convaincu, les traités polémiques l’ont ridiculisé, donc il
lui faut construire des séquences logiques. Aphorisms Political sort en deux
éditions en 1659, et on trouve le manuscrit de A System of Politics dans ses
papiers lors de son arrestation en décembre 1661, un an et demi après la
Restauration de la monarchie. » (p.27-28)

« On peut maintenir le rapprochement avec Locke si l’on s’en tient à l’idée d’un
droit de révolte contre le tyran. » (p.31)

« Ce qui me semble le plus important dans cette philosophie politique, ce n’est


cependant pas la quantification de la balance, mais le désir constant chez
Harrington de combiner une éthique des valeurs civiques de la république
avec une recherche matérialiste des fondements socio-économiques du
politique.

Le fondement du politique est matériel, mais sa finalité est l’humain: seule


la république égale peut parvenir à la perfection du gouvernement, parce
qu’elle seule peut garantir la liberté la plus complète, qui inclut la liberté de
conscience.

Que le modèle de privation de gouvernement soit apparu dans sa philosophie


alors même que la monarchie s’apprêtait à être restaurée à l’appel du peuple au
sens de nation politique, trahit peut-être le désarroi d’un homme qui croyait à la
sagacité spontanée du peuple en politique. » (p.32)

-Luc Borot. James Harrington : une autre épistémologie matérialiste de la


science politique au XVIIe siècles. Philosophical enquiries : revue des
605
philosophies anglophones, J.Berthier-A.Milanese, 2017, Le voyage des
Républiques anglaises dans l’espace européen aux XVIIe et XVIIIe siècles,
pp.21-33.

"Dès l'époque d'Élisabeth, la répartition de la propriété se fait aux dépens de la


noblesse et au profit du peuple. Harrington ne mentionne qu'une classe ayant
profité de ce changement: celle des francs-tenanciers. Mais en soulignant que la
Chambre des communes en a été, sur le plan des institutions, la bénéficiaire, il
indique clairement qu'il inclut aussi la gentry dans la notion de peuple." (p.275)

"Si la gentry monte, c'est donc bien parce qu'elle remplit le vide politique créé
par le déclin de la noblesse." (pp.288-289)

"Harrington ne se borne pas à prendre conscience des motivations et des


rapports qui existent dans une économie de marché: il va bien plus loin,
puisqu'il les accepte. Voyez la manière dont il défend l'usure. […]
Il suffit de comparer ses déclarations et le point de vue traditionnel que certains
de ses contemporains expriment encore, pour voir à quel point il a fait siennes
les valeurs morales de la bourgeoisie.
Lorsqu'il en vient à parler spécifiquement de la société anglaise, c'est pour en
reconnaître la fluidité." (pp.292-293)

"Voyez ce qu'il dit de l'Irlande. Les Anglais l'ont colonisée ? Très bien. Son seul
regret, c'est qu'elle ne fournisse pas à l'Angleterre le revenu que celle-ci
pourrait en espérer. Il propose donc un plan de repeuplement de l'Irlande,
l'implantation dans ce pays d'un peuple plus industrieux, plus entreprenant que
les autochtones. En l'occurrence, les Juifs lui semblent tout à fait propres à en
améliorer l'agriculture et le commerce. Son plan doit permettre à l'Irlande de
produire chaque année quatre millions de livres sterling de "rentes sèches",
c'est-à-dire de bénéfices nets, déductions faites des salaires payés par les
entreprises et des profits réalisés par elles. De ces bénéfices (à quoi il ajoute des
droits de douane destinés à l'entretien d'une armée locale), il propose
généreusement que l'Angleterre touche la moitié comme tribut. L'originalité de
son plan réside en ce qu'il implique la concession des terres conquises à un tiers
en échange d'un tribut annuel. Harrington justifie cette curieuse mesure par une
théorie du climat irlandais: celui-ci produirait une langueur particulière qui
rendrait les Irlandais irrémédiablement paresseux, mais amollirait également
les Anglais établis en Irlande. A maux exceptionnels, remèdes exceptionnels:

606
c'est la seule mesure qui permette à l'Angleterre d'espérer tirer de l'Irlande des
ressources raisonnables." (pp.299-301)

-Crawford B. Macpherson, La théorie politique de l'individualisme possessif,


Gallimard, coll. Folio essais, 2004 (1962 pour la première édition anglaise), 606
pages.

John Milton (1608-1674): « Le bien et le mal ne croissent pas séparément dans


le champ fécond de la vie ; ils germent l'un à côté de l'autre, et entrelacent leurs
branches de manière inextricable. La connaissance de l'un est donc
nécessairement liée à celle de l'autre. [...] Peut-être même, dans l'état où nous
sommes, ne pouvons-nous parvenir au bien que par la connaissance du mal ;
car comment choisira-t-on la sagesse ? Comment l'innocence pourra-t-elle se
préserver des atteintes du vice, si elle n'en a pas quelque idée ? [...] Assurément,
nous n'apportons pas l'innocence dans le monde, nous apportons bien plutôt
l’impureté ; ce qui nous purifie est l'épreuve, et l'épreuve se fait par la
contradiction. »

« Même si l'on laissait souiller sur la terre tous les vents des doctrines
contraires (Eph 4, 14), dès lors que la vérité aussi se trouve parmi elles, on
aurait grand tort de permettre et d'interdire, car cela reviendrait à jeter un
doute sur la force propre de la vérité. Laissez-la s'empoigner avec l'erreur. Qui
a jamais vu la vérité avoir le dessous dans une controverse libre et ouverte ?
Réfutèr librement l'erreur est le plus sûr moyen de la détruire [...]. Lorsqu'un
homme a creusé la profonde mine des connaissances humaines, lorsqu'il en a
extrait les découvertes qu'il veut mettre au grand jour, il arme ses
raisonnements pour leur défense ; il éclaircit et discute les objections. Ensuite, il
appelle son adversaire dans la plaine, et lui offre l'avantage du lieu, du vent et
du soleil. Car se cacher, tendre des embûches, s'établir sur le pont étroit de la
censure, où l'agresseur est nécessairement obligé de passer, quoique toutes ces
précautions puissent s'accorder avec la valeur militaire, c'est toujours un signe
de faiblesse et de couardise dans la guerre de la vérité. »

-John Milton, L'Areopagitica, ou De la liberté de la presse et de la censure, 22


novembre 1644.

« John Milton naît en 1608. Il fait ses études à Cambridge. Dès 1637, il publie
un texte littéraire où il critique'l'Eglise anglicane. Il voyage en Italie, où il
rencontre Galilée. Au début de la Révolution, il soutient les presbytériens, avec
607
lesquels il rompt ensuite pour se rapprocher des Indépendants. En 1644, il écrit,
contre la censure exercée par les presbytériens, l'Areopagitica (ce qui n'est pas
sans rapports avec le fait que son livre en faveur du divorce n'a pas été
autorisé).

A partir de 1649, il fait partie du personnel politique du nouveau régime, en


faveur duquel il écrit plusieurs ouvrages : Tenure of Kings and Magistrates
(1649) où il justifie l'exécution du roi, l'Eikonoclastes (1649) où il polémique
contre les royalistes qui avaient écrit l'Eikon basilikè (« L'Image royale»), la
Defensio pro populo anglicano (1651) où il répond au protestant français
Saumaise qui avait critiqué le régicide. Il écrira ensuite The History of Britain
(1670), et de grands poèmes qui font de lui un des plus grands écrivains
classiques anglais, Paradise Lost (1667) et Samson Agonistes (1671). Il meurt
en 1674. Il était aveugle depuis le début des années 1650. […]
On peut soutenir que l'Areopagitica de Milton est l'un des trois livres les plus
importants qui aient été écrits en langue anglaise sur la question de la liberté
d'expression dans la tradition libérale, les deux autres étant le On liberty de
John Stuart Mill et Conjectures and Refutations de Karl Popper. » (p.283)

« Ainsi, un des rares de son temps, Milton fait de la liberté intellectuelle un


principe positif et non une simple affaire de « tolérance ». Le constat des limites
de la connaissance humaine actuelle n'implique pas seulement, comme encore
chez Juste Lipse, Grotius ou les Levellers, que l'on renonce à utiliser le bras
séculier contre les dissidents ; il implique qu'on encourage positivement ceux-ci
à exprimer leurs idées, dans l'idée que, sans cela, jamais la vérité n'émergera. Il
faut passer de l'idée de tolérance à celle de pluralisme, dont dépend le progrès
spirituel de la collectivité. […]
Milton a développé d'autres thèses politiques, qui sont moins originales et que
nous ne pouvons qu'évoquer brièvement ici. Dans la Tenure of Kings and
Magitrates (1649), il dit que les hommes sont naturellement libres et ne fondent
des Etats que pour assurer mutuellement leur défense. L'autorité publique se
substitue au droit qu'a chacun, par nature, d'assurer lui-même sa défense (idée
formulée par la Seconde Scolastique et Grotius, et que nous verrons développée
chez Locke) ; mais elle doit agir conformément aux limites posées par la loi. Le
pouvoir politique vient du peuple, et c'est pourquoi, s'il est détourné à son profit
par un tyran, le peuple peut le reprendre. Le roi peut être déposé autant de fois
que le peuple le juge nécessaire. » (p.290)
608
-Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et
contemporains, Paris, Quadrige / PUF, 2009 (2002 pour la première édition),
1428 pages.

« Je veux toutefois porter mon attention sur ceux qui s’attachent aux idées néo-
romaines après le régicide de 1649 et la proclamation officielle de l’Angleterre
comme « Commonwealth et Etat libre ». Nous décelons la présence de la théorie
néo-romaine au cœur de la propagande commandée par le nouveau
gouvernement pour sa propre défense. Marchamont Nedham, directeur du
journal officiel Mercurius Politicus, publie une série d’éditoriaux entre
septembre 1651 et août 1652 avec pour intention expresse d’apprendre à ses
concitoyens ce qu’être « installé dans un Etat de liberté » veut dire. Les
éditoriaux de Nedham sont autorisés et supervisés par John Milton, qui a été
nommé au secrétariat du Conseil d’Etat nouvellement crée en mars 1649. On
demande également à Milton de placer son éloquence au service du nouveau
régime, et il s’inspire largement des idées classiques sur la liberté dans les
tracts qu’il publie pour défendre le commonwealth entre 1649 et 1651, en
particulier dans la seconde édition de son Eikonoklastes en 1650. » (p.20)

« Les espoirs immédiats des républicains anglais expirent dans un dernier élan
d’éloquence lorsque John Milton publie The Readie and Easie Way to Establish
a Free Commonwealth, dont la seconde édition paraît en avril 1660, alors que
les préparatifs pour fêter le retour de Charles II battent déjà leur plein. » (p.21)

« La notion d’état de nature et l’idée selon laquelle cette condition constitue la


liberté parfaite sont des postulats entièrement étrangers aux textes de Rome et
de la Renaissance. Parmi les auteurs du XVIIe siècle, cependant, elles donnent
lieu à l’affirmation selon laquelle ces libertés primitives doivent être reconnues
comme un droit donné par Dieu à la naissance, et par suite comme un ensemble
de droits naturels dont c’est, selon l’expression de Milton, « un but principal »
[…] pour le gouvernement de les protéger et de les promouvoir. » (p.23)

« Milton reconnaît que, pour être reconnu comme peuple libre, nous ne devons
nous soumettre qu’à « des lois que nous choisirons nous-mêmes ». » (p.28)

« Au nom de la liberté publique, Milton s’oppose non pas à l’exercice mais à


l’existence même du veto royal. » (p.38)

609
-Quentin Skinner, La liberté avant le libéralisme, Seuil, coll. Liber, 2000 (1998
pour la première édition anglaise), 131 pages.

« L’auteur du Paradis perdu se présente comme le premier écrivain majeur qui


peut être dit « libéral ». Certes, Milton ne recommande pas déjà les institutions
qui nous paraissent inséparables du libéralisme ; il fait plus : il exprime, avec
une force oratoire insurpassable –même si ellle n’est plus à notre goût-, la
revendication libérale, l’idée que la liberté est l’unique nécessaire de l’homme,
que la recherche de la vérité a plus de prix que la vérité elle-même, ou plutôt
que l’homme n’a accès à la vérité que dans une quête indéfinie où l’erreur n’est
que le nom péjoratif de l’expérience.

La pensée de Milton s’est cristallisée dans les polémiques et les combats –


inséparablement politiques et religieux- de la guerre civile anglaise où il joue
un rôle actif, sinon éminent. De ce rôle, ses écrits justifiant l’exécutant de
Charles Ier (1649) sont le témoignage le plus frappant. Mais son pamphlet le
plus significatif est sans nul doute l’Aeropagitica ou Discours pour la liberté
d’imprimer sans autorisation ni censure (1644). » (p.47)

« Milton est […] personnellement menacé en raison de son traité sur le


divorce. » (p.46)

-Pierre Manent, Les Libéraux, Gallimard, coll. Tel, 2001 (1986 pour la première
édition), 891 pages.

https://www.amazon.fr/John-Milton-Life-Work-
Thought/dp/0199591032/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1576
852791&sr=1-1

John Selden (1584-1654): "The chief of learned men reputed in this land." –
John Milton, Aeropagitica ou Discours pour la liberté d’imprimer sans
autorisation ni censure, 1644.

John Locke (1632-1704): « L’envie d’être heureux et la crainte d’être


misérable: deux principes qui agissent constamment en nous, qui sont les
ressorts et les motifs inséparables de toutes nos actions, auxquelles nous sentons
qu’ils nous poussent et nous déterminent incessamment. » -John Locke, Essai
philosophique concernant l’entendement humain, trad. française par Pierre
Coste, présenté et annoté par Philippe Hamou, Paris, Librairie Générale
Française, 2009, p. 162-163.
610
« Locke, véritable fondateur de la philosophie moderne aux yeux de d'Alembert
et de Condorcet. » -Robert et Élisabeth Badinter, Condorcet, un intellectuel en
politique, 1988, Fayard, 659 pages, p. 165.

« Il s'agissait d'établir le droit égal que chacun a à sa liberté, et qui fait que
personne n'est sujet à la volonté ou à l'autorité d'un autre homme. »

« Chacun pourtant a un droit particulier sur sa propre personne, sur laquelle


nul autre ne peut avoir aucune prétention. Le travail de son corps et l'ouvrage
de ses mains, nous le pouvons dire, sont son bien propre. Tout ce qu'il a tiré de
l'état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui seul : car cette
peine et cette industrie étant sa peine et son industrie propre et seule, personne
ne saurait avoir droit sur ce qui a été acquis par cette peine et cette industrie. »

« Quand un homme ou plusieurs entreprennent de faire des lois, quoiqu'ils


n'aient reçu du peuple aucune commission pour cela, ils font des lois sans
autorité, des lois par conséquent auxquelles le peuple n'est point tenu d'obéir. »

« Le travail, qui est mien, mettant ces choses hors de l'état commun où elles
étaient, les a fixées et me les a appropriées. »

« Le plus grand nombre ne peut conclure et obliger le reste à se soumettre à ses


décrets; là on ne saurait résoudre et exécuter la moindre chose. »

« La suprême puissance n'a point le droit de se saisir d'aucune partie des biens
propres d'un particulier, sans son consentement. »

« La raison […] enseigne à tous les hommes, s'ils veulent bien la consulter,
qu'étant tous égaux et indépendants, nul ne doit nuire à un autre, par rapport à
sa vie, à sa santé, à sa liberté, à son bien. » -John Locke, Traité du
gouvernement civil (1690).

« Si un homme, par sa mauvaise conduite et par quelque crime, a mérité de


perdre la vie, celui qui a été offensé et qui est devenu, en ce cas, maître de sa
vie, peut, lorsqu'il a le coupable entre ses mains, différer de la lui ôter, et a le
droit de l'employer à son service. » -John Locke, Two Treatises of Government,
traité II, ch. IV « Of Slavery », § 23-24.

« Je vais m’efforcer d’exposer honnêtement cette question de l’usure, du mieux


que je pourrai.

611
La première question qu’il faut considérer, c’est si l’on peut régler par une loi
le prix à payer pour le loyer de la monnaie. Et l’on peut, je pense, dire que
d’une façon générale la chose est manifestement impossible. » (p.5)

« Quelles seront les conséquences inéluctables d’une telle loi ?

1 : Elle accroîtra de beaucoup la difficulté d’emprunter et de prêter et entravera


ainsi le commerce, fondement de toute richesse. » (p.5)

« Il ne serait guère plus raisonnable d’espérer fixer par une loi le prix du loyer
des maisons, ou des navires, que celui de la monnaie. » (p.15)

« Les intérêts des particuliers ne devraient pas être ainsi négligés, ou sacrifiés à
quoi que ce soit, sinon lorsqu’il est manifeste que c’est pour l’intérêt général. »
(p.17)

« On peut raisonnablement penser que lorsque le risque est élevé pour un gain
très bas (comme c’est le cas en Angleterre, lorsqu’il s’agit de prêter à un faible
intérêt), nombreux sont ceux qui préfèreront garder leur monnaie plutôt que de
la risquer hors de chez eux dans ces conditions. » (p.17)

« L’or et l’argent ne servent guère aux commodités de la vie ; ils sont cependant
nécessaires pour les obtenir, et c’est donc dans leur abondance que réside la
richesse. » (p.17)

« La richesse ne consiste pas à avoir plus d’or ou d’argent, mais à en avoir, en


proportion, plus que nos voisins ou le reste du monde. Nous pouvons alors nous
procurer les commodités de la vie en plus grande abondance que ne peuvent le
faire les royaumes et les états voisins ; lesquels, ayant une moindre part de l’or
et de l’argent du monde, manquent de ce qui donne l’abondance et le pouvoir, et
sont donc plus pauvres. Et ils ne seraient aucunement plus riches si, la quantité
d’or et d’argent qui existe dans le monde venant à doubler par la découverte de
nouvelles mines, leur part de ces métaux doublait également. […] Voilà qui, à
bien considérer les choses, devrait encourager le commerce, qui lorsqu’il
s’effectue avec habileté et industrie est le moyen le plus sûr et le plus court de
s’enrichir. » (p.19)

« Pour un pays dépourvu de mines, il n’y a que deux façons de s’enrichir, qui
sont la conquête ou le commerce. Les Romains par la première se rendirent
maîtres des richesses du monde ; mais je pense que dans notre situation présente,

612
nul n’a la vanité de croire que nos épées nous rendront maîtres des richesses du
monde, et que nous pourrons grâce aux dépouilles et au tribut des nations
vaincues subvenir aux dépenses du gouvernement, avec encore un surplus pour
les besoins des gens, et aussi pour le luxe avide et les modes vaines.

Le commerce est par conséquent la seule voie qu’il nous reste, qu’il s’agisse de
richesse ou de subsistance ; et les avantages que nous donne notre situation,
s’ajoutant à l’activité et à l’inclination de notre peuple de marins habiles et
hardis, nous y poussent naturellement. C’est de là que l’Angleterre a jusqu’à
présent tiré ses ressources ; le commerce, sans presque rien d’autre que les
avantages naturels évoqués plus haut, nous a apporté l’abondance et la richesse
et a mis ce royaume au même niveau que les nations voisines, sinon au-dessus.
Les choses se seraient sans doute poursuivies de la sorte si les progrès de la
navigation, et l’intérêt pour un commerce plus large et mieux compris, ne nous
avaient donné de nombreux rivaux. Certains règnes passés suscitèrent aussi, par
une politique étonnante, de nombreux concurrents à notre maîtrise des mers ; ces
derniers n’hésiteront pas à s’emparer pour leur compte de chaque portion du
commerce que notre mauvaise administration, ou notre manque de monnaie,
laisseront échapper ; et une fois perdu, il sera vain d’espérer s’en ressaisir
aisément par des soins tardifs. […]

Le commerce est donc nécessaire à la production des richesses, et la monnaie à


la poursuite du commerce, qui doit être notre principal souci et notre première
préoccupation. Car si nous le négligeons, c’est en vain que nous tenterons de
subvenir à nos besoins en recourant entre nous à des artifices, et en passant de
main en main le peu de monnaie que nous avons : le déclin du commerce aura
tôt fait de dilapider tout ce qui nous en reste. » (p.19 et 21)

« Si nous dépensons plus que nous ne pouvons payer avec le fruit de nos
récoltes et le produit de nos manufactures, cela nous conduit à la pauvreté, et la
pauvreté à l’emprunt. » (p.25)

« Les hommes ont en effet convenu de donner à l’or et à l’argent, pour ce qu’ils
étaient durables, rares et peu sujets à être contrefaits, une valeur imaginaire, et
ils servent aussi par le consentement général pour les gages ordinaires, en
échange desquels on est assuré de recevoir des objets de même valeur que les
objets que l’on a donnés contre une certaine quantité de ces métaux. » (p.35)

613
« Nulle loi ne peut donner aux effets la valeur intrinsèque que le consentement
universel des hommes attache à l’argent et à l’or. » (p.37)

« Le commerce a besoin d’une certaine quantité de monnaie. Mais il est difficile


de déterminer ce que doit être cette quantité, car elle ne dépend pas de la seule
quantité de la monnaie mais aussi de la vitesse à laquelle elle circule. Un même
shilling en effet peut à certains moments payer vingt hommes en vingt jours,
alors qu’à d’autres il va demeurer cent jours d’affilée entre les mêmes mains. »
(p.39)

« Le prix de toute marchandise hausse et baisse à proportion du nombre de


vendeurs et d’acheteurs. Cette règle est universellement valable pour tout ce qui
s’achète ou se vend. » (p.51)

« Le cours de la monnaie […] est encore moins susceptible que le loyer de la


terre d’être réglé par une loi. » (p.57)

« Chacun attribue une valeur aux choses. » (p.59)

« Les nécessités des affaires et l’organisation de la société des hommes font


qu’il est inévitable pour certains d’emprunter la monnaie à usure ; il s’ensuit
également qu’il est aussi équitable et légal de faire un bénéfice en prêtant des
espèces que de percevoir une rente pour la terre, et que c’est moins pénible pour
l’emprunteur, quoi qu’en puissent penser des gens trop scrupuleux. » (p.63)

« Je me conterai d’affirmer avec certitude que l’intérêt de chaque pays est que
toute la monnaie qui y cours soit faite d’un seul et même métal ; que les diverses
espèces soient faites du même alliage, mais aucune des mélange plus vil ; et
qu’une fois le titre et le poids arrêtés, ils demeurent fixes et immuables en toute
perpétuité. Car chaque fois qu’on les altère, quelle que soit la raison avancée, le
public ne peut qu’y perdre. » -John Locke, Écrits monétaires [Several papers
relating to money, interest and trade], 1696. Dans la traduction française par
Florence Briozzo, Paris, Classique Garnier, 2011, 379 pages.

« La participation de Locke à un mouvement politique radical confère à la


portée de sa pensée politique une dimension existentielle qu’on ne saurait saisir
autrement qu’à partir des preuves biographiques. » -Richard Ashcraft, préface à
La politique révolutionnaire et les Deux traités du gouvernement de John Locke,
PUF, 1995 (1986 pour la première édition anglaise), 652 pages, p.VII.

614
« Le secrétaire d’Etat prête la plus grande attention aux propos de l’homme qui
lui fait face et qui lui confesse avoir pris part à un complot ayant pour but
d’assassiner le roi. Il lui décrit aussi les activités de plusieurs autres individus
qui projettent de déclencher une insurrection dans toute l’Angleterre. Dans les
heures qui suivent ces aveux, John Locke s’enfuit précipitamment de Londres,
emportant avec lui le manuscrit inachevé des Deux traités du gouvernement. Ce
sont alors six années de clandestinité, pendant lesquelles il mènera l’existence
d’un réfugié politique en Hollande, qui attendait l’auteur d’un des classiques de
la littérature politique occidentale. Dans ce livre, je me propose de mettre à jour
quelques-uns des liens qui unissent ces deux événements et de montrer
l’importance de ces liens pour notre compréhension de la théorie politique de
Locke en général et des Deux traités du gouvernement en particulier. » (p.1)

« Selon moi, une théorie politique est un ensemble de structures signifiantes qui
ne sont compréhensibles qu’à condition d’être rapportées à un contexte
spécifique, à l’intérieur duquel les concepts, la terminologie et jusqu’à la
structure interne de la théorie elle-même sont envisagés dans leur rapport à un
ordonnancement global des éléments constitutifs de la vie sociale. » (p.3)

« La décennie qui commence en 1680 est caractérisé, en Angleterre, par une


peur généralisée du catholicisme, par la certitude répandue qu’il existe un
complot ayant pour but de rétablir cette religion en Angleterre et par l’exercice
d’une répression sévère des dissidents politiques et religieux. Au cours de cette
période, la scène politique est le lieu d’une accumulation de mensonges, de
soupçons, de tromperies et de trahisons qui posent de sérieux problèmes du
point de vue de la fiabilité des documents qui constituent les sources habituelles
de l’historien. » (p.8)

« En tant que parti politique, les Whigs se définissaient comme les adversaires
idéologiques de l’absolutisme monarchique et comme les défenseurs de
l’expansion commerciale et des intérêts marchands de l’Angleterre. Ce qu’ils ne
percevaient pas, et qui par suite ne faisait pas partie de leur conscience
politique, c’était la relation causale qui existait entre la croissance de l’activité
commerciale et celle de l’absolutisme de Charles II. Le revenu douanier que
percevait le roi augmentait au fur et à mesure que le commerce anglais
prospérait, et cette croissance de son revenu tendait à le libérer de sa
dépendance vis-à-vis des sommes d’argent qui lui étaient accordées par
décision du parlement. Pourtant, ce n’est que lorsque Jacques II s’est emparé
615
avec précipitation de cette source de revenu après la mort de son frère que le
lien entre l’absolutisme et le revenu douanier commença d’apparaître à la
conscience politique des Whigs. […] Les Whigs constataient une disposition
croissante de la part de Charles à se passer du parlement, tendance qu’ils
expliquaient par ce qu’ils soupçonnaient être des négociations financières
secrètes avec Louis XIV. Leurs soupçons étaient fondés, mais nous savons
maintenant que les sommes d’argent données à Charles II par le roi de France
ne permettaient pas du tout de le libérer de sa dépendance vis-à-vis du
parlement. » (p.13)

« En 1670, par une morne journée de décembre, une petite troupe d’hommes
apposent leurs signatures à un document qui va lancer l’Angleterre dans une
aventure périlleuse. Ils viennent de conclure un traité d’alliance entre
l’Angleterre et la France, mais les apparences sont trompeuses. Derrière la
façade d’intentions honnêtes, c’est une intrigue de cour que Charles II est en
train de mettre en place. Pour la plupart des dignitaires présents, c’est la
deuxième fois en neuf mois qu’ils assistent à la cérémonie de signature d’un
traité. Le premier traité de Douvres a été une affaire entourée du plus grand
secret, pour de très solides raisons. Ce document contient en effet des clauses
par lesquelles Charles II s’engage à proclamer son adhésion à la religion
catholique romaine. Le paiement de deux cent mille livres et l’envoi de six mille
soldats français par Louis XIV doivent aider le souverain britannique à
accomplir cette spectaculaire conversion. Même si Charles affiche sa certitude
que ses sujets ne « manqueront pas de témoigner à leur souverain l’obéissance
qui lui est due », néanmoins, puisqu’ « il existe toujours de ces esprits
instables » qui menacent la paix du royaume, la décision du moment où cette
profession de foi si lourde de conséquences devra être rendue publique est
laissée à l’appréciation du roi d’Angleterre. » (p.18)

« La Royal Africa Company et l’East India Company, avec d’autres groupes


représentatifs d’une classe marchande qui exerce une influence considérable à
la cour comme au parlement, font pression depuis longtemps en faveur d’une
guerre contre les Hollandais, moyen supposé d’affaiblir leur emprise sur le
commerce colonial. » (p.18

« Charles est persuadé que son cousin, Louis XIV, connaît les règles du
pouvoir : il voit en lui l’image même d’un roi qui exige –et obtient- une
obéissance absolue de la part de ses sujets. A l’évidence, une partie de sa
616
réussite paraît être la conséquence de l’appui qu’il reçoit des doctrines et des
pratiques du catholicisme. Dès le plus jeune âge, éducateurs et prêtres
inculquent aux individus des habitudes de soumission à l’autorité d’un
monarque absolu. Pourtant, Charles sait bien que ni le catholicisme ni une
soumission aveugle à l’autorité civile ne sont fermement enracinés en
Angleterre.

A la tradition protestante anglaise s’ajoute le problème agaçant des finances,


qui limite l’autorité royale. » (p.19)

« On ne peut guère surestimer l’étendue des soupçons suscités par le traité de


Douvres concernant les intentions de Charles, ni la perte de confiance publique
dans son autorité politique qui en résulta. » (p.21)

« C’est cette conviction d’être les opposants à une conspiration et les défenseurs
de la constitution primitive contre ses ennemis occultes dans le pays comme à
l’étranger qui fournit l’essentiel de la justification des lignes de conduite et des
pratiques politiques des radicaux dans la décennie qui précède la Glorieuse
Révolution. » (p.22)

« En 1669-1670 on assiste à un virage brusque nettement perceptible en


direction d’une répression politique de la dissidence religieuse, répression qui
permet à l’opposition active à l’Église et à la cour de se cristalliser et de
s’intensifier. » (p.24)

« En juillet 1669, Charles II, dans une proclamation contre les dissidents, les
menace d’une application plus stricte des châtiments légaux qui punissent le
non-conformisme. » (p.25)

-Richard Ashcraft, La politique révolutionnaire et les Deux traités du


gouvernement de John Locke, PUF, 1995 (1986 pour la première édition
anglaise), 652 pages.

« En 1685, le frère de Charles II, le duc d'York, lui succède sous le nom de
Jacques II. Or il est catholique et il est immédiatement soupçonné de vouloir
rétablir en Angleterre, en même temps que le catholicisme, l'absolutisme. Il
prend, de fait, dès son avènement, des mesures autoritaires, dont les Anglais
étaient déshabitués depuis la première révolution. Beaucoup songent à le
déposer en rompant avec l'ordre normal de succession. En 1688, certains
d'entre eux font appel à Guillaume d'Orange, le « stadthouder » des Provinces-
617
Unies, qui avait épousé Marie, la fille de Jacques II'. Guillaume débarque avec
une armée, et Jacques II, sans combattre, renonce au trône (c'est le fait qu'il n'y
ait pratiquement pas eu de violences qui vaut à cet événement d'être appelé par
les Anglais la « Glorieuse Révolution »). Guillaume et Marie deviennent alors
roi et reine!, à la suite d'un vote des deux chambres du Parlement (13 février
1689).
Le Parlement leur fait approuver un texte fondamental, le Bill of Rights (1689),
qui renferme les principes du régime nouveau : reconnaissance de certains
droits fondamentaux et nature constitutionnelle- du régime. » (p.305)

« Alors que Sidney fut exécuté, Locke, qui écrivait dans le même sens, put
échapper à la répression parce qu'il vivait aux Pays-Bas (refuge d'ailleurs
imparfait, puisqu'il faillit y être assassiné par la police secrète anglaise). Les
arguments de Locke pour réfuter Filmer sont classiques. Il se réfère à la
distinction, fonnulée par Aristote et connue de tous les scolastiques médiévaux
et modernes, entre pouvoir politique et pouvoir domestique. Le pouvoir du père
sur les enfants est domestique, non politique ; donc le pouvoir politique des rois
ne saurait se déduire du pouvoir paternel d'Adam. De toute façon, le pouvoir
paternel n'est pas absolu. Donc la monarchie absolue n'est pas fondée en droit
naturel. » (note 1 p.308)

« Pour Locke (qui, là encore, s'aligne sur la vieille tradition venant d'Aristote,
saint Thomas, De Soto, Suarez ou Grotius ... ), l'état de nature est déjà un état
social (même s'il n'est pas un état civique ou politique). Déjà, à l'état de nature,
les hommes sont obligés de fa ire ou de ne pas faire certaines choses les uns à
l'égard des autres, alors même qu'il n'y a eu entre eux aucune convention
expresse. » (p.310)

« C'est ici que Locke se démarque du raisonnement conservateur d'Aristote. La


nature limite bien la propriété : une propriété excédant les besoins naturels est
illégitime. Mais, pour juger de ces besoins naturels, il ne faut pas se référer au
producteur individuel, il faut considérer les besoins sociaux. Tant que la société
consomme tout ce qui est produit, il n'y a nul excès, nul gâchis, nulle atteinte
aux lois de la nature, bien au contraire, puisque cela contribue au bonheur de
l'humanité. » (p.315)

« Pas de guerres de conquêtes ou pour assurer les intérêts dynastiques des rois.
Et, à l'intérieur, l'Etat ne sera pas fondé à user de coercition pour faire advenir

618
des prétendues « finalités collectives », de « grands desseins » justifiant le
mépris des finalités individuelles. L'association a pour seule fin de créer un
cadre dans lequel les individus puissent poursuivre pacifiquement leurs propres
fins. » (p.320)

« Locke évoque les problèmes d'acquisition ou de perte de nationalité, qui


mettent en relief ces principes. L'enfant d'un couple anglais qui naît en France
n'est a priori ni français ni anglais. Il n'est pas anglais, puisqu'il n'est pas
inscrit à l'état civil (ou l'équivalent paroissial) anglais et, s'il rentre en
Angleterre, il devra demander au roi que sa citoyenneté anglaise soit reconnue.
Il n'est pas français, car si ses parents veulent l'emmener vivre en Espagne ou
en Italie, personne ne considérera cela, en France, comme une « désertion ». En
fait, son appartenance à une communauté politique dépendra bien, alors, de sa
seule volonté libre. Lorsqu'il sera majeur, il optera pour une nationalité et
passera formellement un contrat avec le pays qu'il aura choisi.
Ainsi, la citoyenneté ne dépend ni de la race ni de l’ethnie ; Locke récuse tout «
droit du sang » (et d'ailleurs aussi tout « droit du sol »). Sa conception de la
nation, si l'on se réfère à la fameuse opposition faite par Renan entre la
conception « française » de la nation qui serait fondée sur la volonté, et la
conception « allemande », qui le serait sur l'appartenance à une communauté
raciale, ethnique, historique et culturelle, ressemble à s'y méprendre à la
conception française : de ce fait, celle-ci est-elle si « française » que le pensait
Renan ? » (p.323)

« La liberté consiste à être exempt de gêne et de violence de la part d'autrui.


Car qui peut être libre lorsque l'humeur facheuse de quelque autre pourra
dominer sur lui et le maîtriser ? Mais on jouit d'une véritable liberté quand on
peut disposer librement, et comme on veut, de sa personne, de ses actions, de ses
possessions, de toute sa property. […] En d'autres termes, la liberté n'est pas un
pouvoir, mais un rapport social ; et le contraire de la liberté n'est pas la
nécessité, mais la coercition. » (p.324)
-Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et
contemporains, Paris, Quadrige / PUF, 2009 (2002 pour la première édition),
1428 pages.

« Tout à fait dans l’esprit de la souveraineté parlementaire révolutionnaire


anglaise, Locke pose de but en blanc le peuple comme souverain. Il détient la
puissance la plus haute dans l’État, la « summa potestas » de l’ancien populus
619
romain, mais il n’a aucune instance supra ou extra-juridique, comme le sénat
romain, au-dessus de lui. Dans l’ancienne Rome, le sénat n’avait pas de pouvoir,
pas de « potestas », mais il avait toute l’« auctoritas », et l’auctoritas liée à la
vertu citoyenne était plus forte que toute loi. Sans l’autorité supérieure des
riches virtuoses de la vertu au sénat, aucune décision légitime de l’assemblée
populaire ne pouvait prendre naissance. Nul n’osait contredire l’avis bien
intentionné, mûrement réfléchi des patres, le « senatus consultum ». Depuis
Hobbes au plus tard, il en va autrement dans le droit public. Hobbes identifie
auctoritas et potestas, il lie ainsi toute autorité à la procédure législative, dont il
désolidarise le concept de celui de l’excellence dans la vertu. Légitimité et
légalité jaillissent de la même source. C’est là le sens de la phrase célèbre :
« Auctoritas non veritas facit legem ». C’est en ce point que Locke introduit sa
conception de la souveraineté populaire, étant entendu que dans ce peuple ne
comptent tout d’abord que les possédants : « Seul celui qui vit dans l’aisance est
autorisé à aller voter. » Comme chez Bodin et Hobbes, la compétence législative
reste le noyau de la souveraineté, mais le pouvoir supérieur qui détermine tout
est divisé en deux organes centraux. Le législatif et l’exécutif sont séparés.
Montesquieu complètera cela plus tard par un troisième organe de la
souveraineté : la justice indépendante. Pour Locke, à la différence de Hobbes, ce
que les citoyens conservent de l’état de nature, simplement humain, dans
l’association juridique civile est bien plus que la vie. Dans l’état de sécurité
juridique, il leur reste également, outre la vie, des choses aussi importantes que
la liberté et la propriété. Mais les droits naturels de Locke ne sont pas conçus
comme des composantes d’une constitution écrite. Le contrat social fictif est –
comme chez Hobbes – leur unique base. Il s’agit de biens juridiques
individuels, mais ils sont loin d’être des droits « juridiquement différenciés,
formulés et catalogués ». Mais ce sont des droits de l’homme universels, qui
sont préalables à l’État et à la société et qui, en tant que tels, devraient être au
fondement de toute fondation étatique légitime. » -Hauke Brunkhorst, « Droits
de l’homme et souveraineté – un dilemme ? », Trivium [En ligne], 3 | 2009, mis
en ligne le 15 avril 2009, consulté le 31 mars 2018.

« La tradition libérale, dont le philosophe John Locke est réputé avoir tracé les
fondements théoriques. » -Paul Mathias, Des libertés numériques. Notre liberté
est-elle menacée par l’Internet ?, PUF, coll. Intervention philosophique, 2008,
185 pages, p. 42.

620
« Locke, l’adversaire de Hobbes. » -Carl Schmitt, Le Léviathan dans la doctrine
de l’Etat de Thomas Hobbes. Sens et échec d’un symbole politique, Seuil, coll.
« L’ordre philosophique », 2002 (1938 pour la première édition allemande), 247
pages, p.90.

« Locke a servi en outre de base à toutes les idées de l'ensemble de l'économie


politique anglaise ultérieure. » -Karl Marx, Théories sur la plus-value, Éditions
Sociales, 1974 tome 1 p. 429.

« [Locke], le plus grand philosophe aristotélicien des Temps modernes. » -


Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,
2004, 1062 pages, p.86.

« A finding that Locke's "liberal" politics were indebted to a paradigmatic


"communitarian" or "republican" philosopher would further call into question,
in unusually dramatic fashion, the ways in which such categories have been
applied to the teaching and writing of the history of political thought.” (p.238)

“Filmer thus presented a still more extreme assimilation of political to paternal


authority, in defense of Plato against Aristotle, than Bodin had offered.
The Aristotelianism of Locke’s second Treatise, then, is registered in the first
instance by the fact that he plainly entered this debate on Aristotle’s side.” (p.8)
-J. S. Maloy, The Aristotelianism of Locke's Politics, Journal of the History of
Ideas, Volume 70, Number 2, April 2009, pp. 235-257.

"Hume was a hard determinist and Locke a soft determinist, but despite this
divergence, neither of them held the slightest belief in metaphysical free will."
(p.3)

-Patrick M. O'Neil, "The Failure Of Fusionism In The Libertarian -


Traditionalist Debate. Frank Meyer's Equivocation Of The Two Freedoms", The
Journal of the Libertarian Alliance, Vol. 7 : No.1.

« Locke ruine l’innéisme tout en conservant l’immanence ; dès lors, les idées ne
peuvent venir que des sens. » -Olivier Bloch & Charles Porset, « Le
matérialisme au siècle des Lumières », Dix-Huitième Siècle, Année 1992, n° 24,
pp. 5-10, p.5.

« La connaissance de Locke se diffuse très rapidement en France. En effet,


avant même la publication en langue anglaise de l'Essay concerning human
621
understanding en 1690, Coste publie un Abrégé en 1688. Il en sera de même
pour les Pensées sur l'éducation, traduits un an après leur première édition. En
1734 Voltaire publie ses Lettres philosophiques, dont celles sur Newton et celle
sur Locke. La Lettre XIII produit un effet prodigieux dans la diffusion des
thèmes essentiels de la philosophie de Locke. Certes, cette Lettre résume à
grands traits la doctrine lockienne en se concentrant sur la question de la
matérialité de l'âme. Voltaire pourtant en énonce clairement les termes du débat
: si « toutes nos idées nous viennent par les sens », alors les théologiens ont bien
raison d'en conclure qu'il veut dire que « l'âme est matérielle et mortelle. ». »
(p.37)
-Benoît Schneckenburger, Philosophie matérialiste et autonomie politique, le
cas des matérialistes français du XVIII° siècle, Thèse de science politique, 2011,
325 pages.

« Comment le profond Locke qui, au grand regret des théologiens, a mis le


principe d’Aristote dans tout son jour; et comment tous ceux qui, comme lui, ont
reconnu l’absurdité du système des idées innées, n’en ont-ils point tiré les
conséquences immédiates et nécessaires ? Comment n’ont-ils pas eu le courage
d’appliquer ce principe si clair à toutes les chimères dont l’esprit humain s’est
si longtemps et si vainement occupé ? N’ont-ils pas vu que leur principe sapait
les fondements de cette théologie qui n’occupe jamais les hommes que d’objets
inaccessibles aux sens, et dont par conséquent il leur était impossible de se faire
des idées ? Mais le préjugé, quand il est sacré surtout, empêche de voir les
applications les plus simples des principes les plus évidents ; en matière de
religion les plus grands hommes ne sont souvent que des enfants, incapables de
pressentir et de tirer les conséquences de leurs principes !

M. Locke, et tous ceux qui ont adopté son système si démontré, ou l’axiome
d’Aristote, auraient dû en conclure que tous les êtres merveilleux dont la
théologie s’occupe sont de pures chimères ; que l’esprit ou la substance
inétendue et immatérielle, n’est qu’une absence d’idées ; enfin ils auraient dû
sentir que cette intelligence ineffable que l’on place au gouvernail du monde et
dont nos sens ne peuvent constater ni l’existence ni les qualités, est un être de
raison. Les moralistes auraient dû, par la même raison, conclure que ce qu’ils
nomment sentiment moral, instinct moral, idées innées de la vertu antérieures à
toute expérience ou aux effets bons ou mauvais qui en résultent pour nous, sont
des notions chimériques, qui, comme bien d’autres, n’ont que la théologie pour
garant et pour base. Avant de juger il faut sentir, il faut comparer avant de
622
pouvoir distinguer le bien du mal. » -Paul Henri Dietrich, baron d'Holbach,
Système de la nature ou des lois du monde physique et du monde moral, 1770,
"Les classiques des sciences sociales", p.128.

« Depuis les serments d'allégeance des temps féodaux jusqu'à Thomas Hobbes
et la nécessité de contrôler la bête chez l'homme, en passant par le pouvoir de
droit divin, toutes les rationalisations étaient à portée de main pour les
gouvernants en quête de pouvoir absolu. Avec les idées de Locke, l'initiative
intellectuelle passait de l'autre côté. Locke proposait des arguments
soigneusement pesés et développés, déduits de principes fondamentaux qui
niaient la légitimité du pouvoir absolu. Dans le système de Locke, il fallait non
seulement contrôler le pouvoir, mais le diviser pour le mieux contenir. En outre,
les lois devaient reconnaître sa place à la dissidence, voir à la résistance, qui
auraient en d'autres temps passé pour un véritable outrage au représentant de
Dieu ou pour la trahison d'un serment solennel. Après Locke, résister devint un
choix justifiable en cas de rupture de ses engagements par le souverain.
Cependant, Locke était comme Platon : il décrivait dans ses principes quelque
chose qui existait déjà, ne faisant que fournir un cadre intellectuel pour le
justifier. La théorie du pouvoir absolu pouvait bien être la doctrine officielle
sous la monarchie des Stuart, les Anglais n'avaient pas attendu les
"scribouillards" pour lui régler son compte. Car la "Glorieuse Révolution"
s'était déjà produite au moment où Locke écrivit son traité. Il existait déjà une
monarchie constitutionnelle, acceptant que l'on oppose des limites à son
pouvoir, et dont la mise en place avait succédé au renversement d'un souverain
légitime que l'on jugeait avoir abusé de ses prérogatives.
Locke ne faisait donc que rationaliser par la théorie ce que la pratique avait
déjà réalisé. Les Anglais avaient réussi leur Révolution, et voilà que Locke se
faisait son théoricien et porte-parole. Il fournit les concepts et les argumentaires
nécessaires pour justifier ce qui était déjà achevé. En glorifiant Locke, les
véritables acteurs se justifiaient eux-mêmes. Ce qui aurait pu être interprété
comme l'intérêt personnel d'une classe sans légitimité particulière devenait ainsi
la défense d'un grand principe, assis sur la nature morale de l'homme et les
fondements de la société civile. » -Madsen Pirie, La Micropolitique. Comment
faire une politique qui gagne, p.46-47.

« John Locke est perçu comme le penseur qui initia le libéralisme, mais sa
vision du travail est commune aussi bien au capitalisme qu’au communisme : la
récompense est matérielle. Descartes et Locke façonnent une nouvelle
623
conception du travail. Ce dernier n’est plus conçu comme une réparation du
péché originel, mais comme un moyen de participer à l’élaboration du paradis
sur Terre (bien commun), en particulier du nôtre. » -Joaquim Defghi, Comment
le travail devint l’instrument du salut terrestre.

"Locke représente toute la sagesse de son temps. Le mouvement des idées et le


cours des événements semblent avoir préparé de concert son apparition sur la
scène de l'esprit humain." (p.VI)

-Charles de Rémusat, Histoire de la philosophie en Angleterre depuis Bacon


jusqu'à Locke, Tome I, Paris, Librairie académique, 1875, 446 pages.

« La doctrine de la propriété chez Locke est directement intelligible aujourd'hui


si on la considère comme la doctrine classique de "l'esprit du capitalisme" [...]
Les disciples de Locke, dans les générations postérieures, estimèrent ne plus
avoir besoin de "la phraséologie de la loi de nature" car ils tinrent pour acquis
ce que Locke ne tenait pas pour acquis: Locke pensait encore qu'il lui fallait
prouver que l'acquisition illimitée de biens n'est ni injuste ni moralement
mauvaise. » -Leo Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion, Champ.essais,
1986 (1954 pour la première édition française, 1953 pour la première édition
états-unienne), 324 pages, p.214.

"Along with Francis Bacon, Locke believed that knowledge was a power to
improve the conditions of life for generations to come, and that the cooperative
search for and sharing of knowledge would facilitate its advance in the world."
(p.528)

"Locke also could be a generous and humane benefactor to those who needed
and deserved encouragement. Lady Damaris Cudworth Mashom, perhaps the
person who knew Locke best, wrote of her dear friend: He was naturally
compassionate and exceedingly charitable to those in want. But his charity was
always directed to encourage working, laborious, industrious people, and not to
relieve idle beggars, to whom he never gave anything.... People who had been
industrious, but were through age or infirmity passed labour, he was very
bountiful to...[believing not] that they should be kept from starving or extreme
misery...[but that] they had, he said, a right to live comfortably in the world."
(p.529)

624
"It is not stretching things to say Locke devoted his entire life to patriotic service
and the welfare of his country." (p.533)

"The market rate of interest, he declared, should float as freely as the rate
fetched by any other market commodity, such as land. The taking of interest and
the taking of rent, he maintained, are morally equivalent and just. Therefore,
public interference in the market’s allowance for interest taking or rent taking is
a denial of justice." (p.536)

"Because for Locke all political reasoning proceeds from the premise of human
equality—that is, every individual being born with inherent, indefeasible
rights—the principles of liberty and property apply for all. It is not that all men
are equal in their native capacities." (p.536)

"A government that can legitimately redistribute a single dollar, ducat, pence,
pound, or parcel of land can, in principle, redistribute all the wealth in the
world. This tendency is precisely what Locke’s philosophy of government and
Shaftesbury’s resistance movement had to resist." (p.538)
-Jerome Huyler, Was Locke a Liberal ?, The Independent Review, Vol 1, n°4,
spring 1997, pp.523-542.

« Cette liberté lockienne n’est cependant pas sans limites. Dans La lettre sur la
tolérance, il exclut ainsi les athées et les catholiques ; les premiers parce que
leur parole ne serait point fiable puisqu’ils ne craignent aucune autorité divine,
les seconds parce qu’ils proposent eux-mêmes l’intolérance. » -Jean-Herman
Guay , « Libéralisme et médias : entre l’ordre et le désordre », Éthique publique
[En ligne], vol. 15, n° 1 | 2013, mis en ligne le 02 septembre 2013, consulté le
25 août 2018.

« As the renowned historian of slavery David Brion Davis stresses, Locke was
“the last major philosopher to seek a justification for absolute and perpetual
slavery.”. » -Domenico Losurdo, The tangled paradox of liberalism, Between
liberty and slavery.

"Locke, en règle générale, méprise la métaphysique. A propos de quelques


spéculations de Leibniz, il écrit à un ami: "Vous et moi en avons assez de ces
niaiseries." (p.697)

625
"Ce que Locke nous dit sur cet état et sur la loi de la nature est, dans l'ensemble,
peu original ; c'est une répétition des doctrines scholastiques médiévales."
(p.712)

"[Locke] accepte pour valables les arguments de Descartes sur l'existence de


Dieu." (p.734)

-Bertrand Russell, Histoire de la philosophie occidentale, en relation avec les


événements politiques et sociaux de l'Antiquité jusqu'à nos jours, Livre
Troisième, Paris, Les Belles Lettres, 2011 (1945 pour la première édition
américaine), 1006 pages.

"Locke n'est rien moins qu'un démocrate." (p.325)

"L'extraordinaire exploit de Locke consiste en ce qu'il fonde le droit de


propriété sur le droit naturel tout en libérant ce droit de propriété des limites
que le droit naturel lui assignait traditionnellement." (p.330)

"Profitant de la révision à laquelle il soumet le texte de la troisième édition des


deux Traités, il introduit, à la suite de la première phase de la section 37, un
nouvel argument en faveur de l'abrogation de cette restriction:

A cela j'ajouterai que, quiconque s'approprie des terres par son travail ne
diminue pas les ressources communes de l'humanité, mais les accroît. En effet,
les provisions qui servent à l'entretien de la vie humaine et que produit un acre
de terre enclose et cultivée atteignent dix fois à peu de chose près la quantité
produite par un acre d'une terre aussi riche, mais commune et laissée en friche.
Quand quelqu'un enclot des terres et tire de dix acres une plus grande abondance
de commodités de la vie qu'il ne ferait de cent acres laissés à la nature, on peut
dire de lui qu'il donne réellement quatre-vingt-dix acres à l'humanité.
Désormais, grâce à son travail, dix acres lui donnent autant de fruits que cent
acres de terres communes.

Ce qui revient à dire qu'on peut certes s'approprier désormais toutes les terres
qu'on veut, même si ce qui reste ne suffit aux autres ni en quantité ni en qualité,
mais surtout que l'accroissement de la productivité des terres appropriées
compense, et même au-delà, le manque de terres dont souffrent les autres. Pour
pouvoir le dire, il faut bien entendu postuler que l'accroissement du produit
total est réparti au bénéfice de ceux qui manquent de terre, ou, à tout le moins,
que cette répartition est faite de manière à ne pas leur porter préjudice. Or, c'est
626
précisément ce que fait Locke: pour lui, même le journalier qui ne possède rien
obtient le minimum, et ce minimum vital, dans un pays où toutes les terres sont
appropriées et pleinement exploitées, entraîne un niveau de vie plus élevé que
celui de n'importe quel membre d'une société dans laquelle cette appropriation
et cette exploitation ne se sont pas produites ; et Locke de préciser que chez
"diverses nations américaines", "le roi d'un territoire vaste et productif se
nourrit, se loge et s'habille plus mal qu'un travailleur à la journée en
Angleterre". Ainsi, l'appropriation privée a pour effet réel d'accroître le montant
total de ce qui reste pour les autres. […] Or, la notion fondamentale qui a
d'abord permis à Locke de déduire le droit qu'ont les hommes de s'approprier la
terre, c'est précisément le droit de tout être humain à jouir des moyens
d'existence. C'est peu de dire qu'après l'appropriation de toutes les terres les
moyens d'existence laissés aux autres sont aussi bons qu'avant ; en fait, c'est
grâce à cette appropriation elle-même qu'ils peuvent jouir d'un niveau de vie
supérieur. Tant et si bien qu'à la juger au nom des fins fondamentales (fournir à
autrui les moyens d'existence) plutôt qu'au nom des moyens (laisser aux autres
assez de terre pour qu'ils puissent en tirer leur subsistance), on finit par
découvrir que, loin d'être un mal auquel on devrait se résigner, l'appropriation
illimitée est un bien qu'on doit rechercher." (pp.350-352)

"La tradition voyait dans la propriété et le travail des fonctions sociales, et


estimait que le fait d'être propriétaire entraînait des obligations envers la
société: c'est cette théorie que Locke sape à la base. […]
La tradition expliquait que la terre et tous ses fruits ont été donnés en commun à
l'humanité pour qu'elle en jouisse. Locke part de cette hypothèse traditionnelle,
mais il retourne tous les arguments dont elle est riche contre ceux qui en
déduisaient des théories limitant l'appropriation capitaliste." (p.366)

"Il estime qu'il faut encourager les directeurs d'asiles de pauvres ("maisons de
correction") à transformer les établissements dont ils ont la charge en
manufactures destinées à l'exploitation intensive de la main-d'œuvre, et inciter
les juges de paix à en faire des camps de travail forcé. "Dès qu'ils ont dépassé
l'âge de trois ans", précise-t-il, les enfants de chômeurs constituent pour la
nation un fardeau inutile: on doit donc les faire travailler, car ils sont en mesure
à cet âge de rapporter plus qu'ils ne coûtent. Locke justifie explicitement ces
mesures en soulignant que le chômage n'a pas de causes économiques: il est dû
à la dépravation de l'homme. En tant que membre du très officiel Bureau du
Travail, Locke écrit en 1697 que l'accroissement du nombre des chômeurs "n'a
627
d'autre cause que le relâchement de la discipline et la corruption des mœurs".
Dans son esprit, il n'est pas un instant question de traiter les chômeurs comme
des membres libres, à part entière, de la communauté politique ; en revanche, il
ne fait pas de doute pour lui qu'ils sont totalement soumis à l'autorité de l'Etat."
(p.368-369)

"Il maintient que, sans sanctions surnaturelles, la classe laborieuse est


incapable de suivre une éthique rationaliste. Tout ce qu'il demande, c'est qu'on
rende ces sanctions plus claires." (p.372)

"Même aux heures de gloire du puritanisme politique, pendant la Guerre civile


et sous le Commonwealth, si certains font une brève campagne en faveur de
l'octroi de droits politiques aux pauvres salariés, cette campagne n'est soutenue
par personne, même pas les Niveleurs." (p.376)

"Rien de plus facile pour lui que de convertir certains des attributs de la société
et de l'homme de son temps en attributs naturels de la société présociale et de
l'homme en soi." (p.379)

"Quantité d'éléments qu'il emprunte directement à l'atomisme matérialiste du


XVIIe siècle." (p.401)

"Le postulat de l'égalité naturelle des aptitudes est loin d'être indifférent chez
Locke: il lui permet en effet d'éviter les affres de la mauvaise conscience et de
réconcilier les grandes inégalités qu'il observe dans les sociétés existantes et le
principe de l'égalité naturelle des droits. Si, par nature, les hommes sont
également capables de se tirer d'affaire tout seuls, ceux qui se sont laissé
irrémédiablement distancer dans la course à l'acquisition des biens n'ont, tout
compte fait, qu'à s'en prendre à eux-mêmes. Ce même présupposé explique que
Locke puisse trouver équitable de les abandonner à eux-mêmes et de les laisser
s'affronter les uns les autres sur le marché, en les privant des multiples
protections que l'ancienne doctrine du droit naturel édictait. Postuler cette
égalité, c'est donc se donner le moyen de réconcilier la justice du marché et les
notions traditionnelles de justice commutative et distributive." (p.403-404)

"En dernière analyse, ce qui est ambigu et contradictoire chez Locke, c'est la
manière dont il comprend la société de son temps. Ambiguïtés et contradictions
difficilement évitables d'ailleurs: car elles sont le reflet assez fidèle de
l'ambivalence d'une société bourgeoise en pleine gestation, qui réclame l'égalité

628
formelle des droits tout en exigeant une inégalité substantielle de ces mêmes
droits. Les classes dirigeantes, comme vient de le prouver l'accueil glacial
qu'elles ont unaniment réservé à la doctrine de Hobbes, ne tiennent absolument
pas à abandonner la tradition de la loi morale au profit d'une théorie purement
matérialiste et utilitaire. A tort ou à raison, elles considèrent qu'accepter cette
dernière risquerait d'ébranler les structures mêmes de la société. Elles refusent
ce risque, mais du même coup elles sont prises dans le dilemme d'une double
nécessité: professer l'égalité naturelle de tous les hommes et la fonder sur la loi
naturelle d'une part, mais, de l'autre, trouver une justification naturelle à
l'inégalité. A la satisfaction de ses lecteurs, Locke réconcilie ces deux exigences
opposées." (p.406-407)

-Crawford B. Macpherson, La théorie politique de l'individualisme possessif,


Gallimard, coll. Folio essais, 2004 (1962 pour la première édition anglaise), 606
pages.

http://hydra.forumactif.org/t2019-philippe-hamou-lopinion-de-locke-sur-la-
matiere-pensante#2723

Mary Astell (1666-1731): http://academienouvelle.forumactif.org/t5765-mary-


astell-line-cottegnies-dir-mary-astell-et-le-feminisme-en-angleterre-au-xviie-
siecle#6820

Andrew Fletcher of Saltoun (1655-1716):

Guerres anglo-néerlandaises (1652-1654 / 1665-1667 / 1672-1674):

La République des Provinces-Unies (1581-1795) : « On ne sait plus qui


choisir, parmi les observateurs contemporains, pour chanter les louanges
d’Amsterdam au Siècle d’or, dont l’écho se prolonge dans les textes des
historiens d’aujourd’hui. L’un des principaux leviers de la croissance
fulgurante qui a amené la ville au sommet de sa gloire est la fonction d’entrepôt
de commerce international qu’elle se voit attribuée après la chute d’Anvers
(1585). Les bateaux en provenance de la Baltique amènent du blé, du bois, du
chanvre, du goudron, qui sont ensuite acheminés vers le Sud ; dans l’autre sens,
le sel arrive de France, on y caque des harengs, et ceux-ci partent ensuite vers
le Nord. Cela suppose en outre une flotte considérable : vers 1670, la
République dispose de 14 000 à 15 000 navires, soit cinq fois plus que la
Grande-Bretagne. L’argent afflue depuis l’Espagne. En somme, Amsterdam est

629
une ville très riche, exceptionnellement riche, et cette richesse est fondée sur le
commerce. » -Maxime Rovere, « Avoir commerce : Spinoza et les modes de
l’échange », Astérion [En ligne], 5 | 2007, mis en ligne le 16 avril 2007, consulté
le 30 octobre 2017.

« La Hollande symbolise, pour de nombreux intellectuels dissidents, un havre de


liberté et tranquillité. Jeune nation, dans laquelle une riche bourgeoisie est
installée depuis longtemps, elle a construit sa fortune sur un commerce maritime
agressif et audacieux. En 1614, sa flotte emploie davantage de marins que les
flottes espagnole, française, écossaise et anglaise réunies. L'Angleterre est sa
grande rivale, car elle a suivi les mêmes voies de développement (négoce
lointain avec taux de profit élevé). Les Provinces-Unies ont conquis leur
indépendance politique contre la couronne espagnole. De 1581 à 1609, ces
provinces (Hollande, Zélande, Utrecht, Frise, Groningue, Gueldre et
Overijessel) sont en guerre contre l'Espagne, mais parviennent à obtenir la
paix.

La Hollande est devenue le premier lieu d'innovations littéraires et scientifique


en Europe, en raison de deux facteurs: la grande prospérité de ses ports et la
lutte permanente pour son indépendance politique. Tout se passe comme si elle
avait pris le relais de la république de Venise. Le besoin d'indépendance, la
nécessité de la protéger puis de la garantir, ont conduit à une relative liberté
politique et religieuse dans ces provinces. La bourgeoisie hollandaise a choisi le
calvinisme pour religion et la maison d'Orange comme protection monarchique.
En tant d'étouffer son ascension, la vieille féodalité catholique apparaît donc
comme l'antithèse de ce nouveau pays.

L'afflux de savants et de philosophes étrangers dans les Provinces-Unies devient


vite important. Non seulement ils y trouvent refuge lorsqu'ils sont persécutés
pour leur religion (protestants ou juifs), mais surtout ils peuvent y poursuivre
leurs recherches dans des conditions favorables. Les cités hollandaises sont
riches, ouvertes sur le monde, et bien disposées envers les artistes et les
savants. » -Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris,
Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.229.

« En 1596, une flottille emmenée par Keyser et de Houtman accosta en rade de


Bantam (l'ancienne Banten). Cet événement marque le début de trois siècles et
demi de présence néerlandaise dans l'archipel indonésien. En 1602, les

630
Compagnies néerlandaises d'Orient furent regroupées au sein d'une entreprise
de plus grande taille, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (la VOC),
première multinationale de l'histoire ainsi que la plus grande puissance d'Asie.
La VOC était financée par des actions émises à la Bourse d'Amsterdam et gérée
par un conseil d'administration de dix-sept membres connu sous le nom de
Conseil des Dix-Sept. Les Etats Généraux néerlandais lui attribuèrent le
monopole du commerce en Asie et, en échange, elle devait y assumer défense et
justice. En 1621, fut fondée également une Compagnie des Indes occidentales
(la WIC) dotée pour la zone atlantique d'une charte comparable.
Le système des compagnies présentait l'avantage de ne pas faire supporter les
frais de gestion à l'Etat mais aux négociants, qui faisaient les bénéfices. En
Angleterre, diverses entreprises commerciales d'outre-mer avaient déjà été
crées dans les années 1560 et, en 1600, une East India Compagny (EIC) y vit
également le jour. » (p.33)

"L'essor des compagnies néerlandaises, anglaises, françaises et autres s'inscrit


dans le grand processus historique mondial qui s'accomplit au cours du XVIe
siècle, à savoir le déplacement du centre de gravité économique et politique de
l'Europe, de la Méditerranée vers la mer du Nord et l'océan Atlantique. Au
XVIIIe siècle, ce processus aboutit à l'hégémonie mondiale de l'Angleterre mais,
au XVIIe siècle, rien ne laissait prévoir une telle évolution. A cette époque-là, en
effet, l'entreprise la plus puissante était la VOC. Elle avait chassé les Portugais
de l'archipel indonésien, s'était emparée du centre de production des épices, les
Moluques, et avait contraint ses habitants à lui fournir des produits
d'exportation. Dans ce contexte, il n'était pas rare qu'elle eût recours à des
méthodes brutales. L'extermination de la population de Banda en fut
l'illustration la plus sinistrement célèbre.
Du reste, la VOC ne se cantonna nullement à l'archipel indonésien. Elle avait
des comptoirs sur les deux côtes de l'Inde (Malabar et Coromandel), au
Bengale, en Birmanie, en Malaisie, en Indochine et au Siam, ainsi qu'en Perse
et à Surat. Elle régna quelque temps sur Formose (Taîwan). Elle possédait aussi
une factorerie au Japon: située sur l'île artificielle de Dejima dans la baie de
Nagasaki, elle fut le seul établissement qui resta ouvert après que le Japon, en
1640, se fut fermé au commerce occidental et demeura donc pendant plus de
deux cents ans (de 1640 à 1854) le seul endroit où le Japon put entrer en
relation avec l'Occident.
La VOC fonda également une base de ravitaillement pour ses navires au cap de
631
Bonne-Espérance. Cet établissement donnerait naissance à la colonie du Cap et
jetterait du même coup les bases de la future domination de l'Afrique du Sud par
les Blancs." (p.34-35)

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages.

« Du temps de Spinoza, [les Provinces-Unies] étaient gouvernées par les


républicains, formés par la bourgeoisie urbaine, industrielle et commerciale,
qui, désirant le développement d’une économie libérale, étaient provincialistes
et prônaient la tolérance religieuse. Jan de Witt (1625-1672), du parti
républicain, étaient, en 1653, Grand Pensionnaire (président de l’assemblée des
représentants des 7 provinces). Leur étaient opposés les orangistes, formés par
la famille d’Orange-Nassau, la noblesse, les propriétaires terriens et l’armée,
qui, eux, recherchaient un État centralisé et étaient de foi calviniste. Ces
derniers finirent par s’imposer et éradiquer la belle et éphémère tolérance
religieuse et la liberté de penser. L’alliance de la puissance terrestre (les
orangistes) et de la puissance «céleste » (le calvinisme) s’est imposée par un
« coup d’état » fomenté par les deux parties de cette alliance : le 20 août 1672,
des orangistes provoquèrent une émeute et une foule haineuse d’obédience
calviniste massacra les frères de Witt. » -Jean-Pierre Vandeuren, Spinoza,
Mahomet, le Coran et l’Islam, 16 août 2016.

« Déplacement chronologique ensuite, J. Israel faisant débuter les Lumières


dans les années 1660, en amont même de la crise de la conscience européenne
chère à Paul Hazard ou des pré-Lumières (Frühaufklärung). Alors que les plus
hardis faisaient remonter traditionnellement le basculement intellectuel de
l’Europe aux alentours des années 1680, avec les œuvres de John Locke et de
Pierre Bayle, la révocation de l’édit de Nantes et la Glorieuse révolution
anglaise, J. Israel considère que l’essentiel s’est joué plus tôt, dans les années
1660-1670, lorsque l’œuvre de Spinoza a été mûrie, écrite puis publiée. Mieux,
il considère que, sur un plan philosophique, tout était dit au début du XVIIIe
siècle, des auteurs comme Voltaire, Hume ou Montesquieu n’ayant apporté que
des « ajouts mineurs » aux évolutions intellectuelles de la période précédente.
De façon soigneusement provocatrice, il affirme que « dans les années 1740,
avant même que Voltaire n’acquière la renommée qui fut la sienne par la suite,
l’essentiel était joué » (LR, p. 31). Déplacement géographique, enfin, puisque
les Lumières hollandaises jouent ici un rôle à la fois précurseur et prépondérant
632
auquel, reconnaissonsle, l’historiographie des Lumières ne nous avait pas
habitués. Excellent spécialiste de l’histoire des Provinces-Unies du Siècle d’or,
J. Israel est ici particulièrement à son aise et s’appuie sur le renouvellement des
études sur la pensée radicale néerlandaise du XVIIe siècle pour réinscrire
Spinoza au sein de cette culture intellectuelle. À l’inverse, le monde britannique,
qu’il s’agisse de l’Angleterre de Locke et de Newton ou de l’Écosse de Hume,
est largement exclu du paysage, ce qui là aussi constitue une surprise. »

« En fait, les débats hollandais du XVIIe siècle, y compris les publications des
auteurs radicaux, étaient profondément inscrits dans la réalité historique et
politique de la jeune république hollandaise : ils cherchaient avant tout à
résoudre des questions qui se posaient dans le contexte néerlandais, en
particulier la coexistence religieuse et la question de la souveraineté. De même,
c’est le contexte hollandais, notamment la guerre avec la France, qui explique
qu’à partir de 1672, les radicaux aient été largement sur la défensive, face au
courant modéré, plus consensuel, avant d’être proprement exclus de la mémoire
nationale, jusqu’aux années 1980. C’est enfin l’agenda proprement néerlandais
qui explique que les Lumières hollandaises aient eu très peu d’influence dans le
reste de l’Europe, à l’exception de Spinoza, mais celui-ci étant justement coupé
de ses racines hollandaises et en quelque sorte « universalisé » pour les besoins
de la controverse. Bayle, par exemple, ne cite aucun autre auteur hollandais
dans son Dictionnaire et ne fait presque aucune place aux grandes controverses
des Lumières hollandaises. Si bien qu’au XVIIIe siècle, les Pays-Bas
apparaissaient aux yeux des principaux protagonistes de la scène philosophique
comme n’appartenant pas de plain-pied à l’espace européen des Lumières, si ce
n’est comme lieu de publication, comme entrepôt des richesses intellectuelles
produites ailleurs. Diderot peut alors écrire : « La nation est superstitieuse,
ennemie de la philosophie et de la liberté de penser en matière de religion. » En
fait, dès la fin du XVIIe siècle, les Lumières radicales hollandaises avaient été
exclues de la scène intellectuelle internationale, à la fois pour des raisons
politiques, mais surtout à cause du caractère profondément hollandais des
débats qui les avaient agitées. » -Antoine Lilti, « Comment écrit-on l'histoire
intellectuelle des Lumières ? Spinozisme, radicalisme et philosophie », Annales.
Histoire, Sciences Sociales, 2009/1 (64e année), p. 171-206.

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633
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Rembrandt (1606-1669) : « Rembrandt, le Luther de la peinture, fut, au dix-


septième siècle, le réformateur de l'art. Tandis que la France, catholique et
royaliste, se refaisait l'esprit, hélas ! dans la fréquentation des Grecs et des
Latins, la Hollande réformée, républicaine, inaugurait une nouvelle esthétique.
Dans le tableau improprement appelé la Ronde de nuit, Rembrandt peint,
d'après nature et sur figures originales, une scène de la vie municipale, et d'un
seul coup, dans ce chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre, il éclipse toute l'ostentation
pontificale, les couronnements de princes, les tournois nobiliaires, les
apothéoses de l'idéal. Dans la Leçon d'anatomie, autre chef-d'œuvre, où il
représente la Science sous les traits du professeur Tulp, le scalpel à la main,
l'œil fixé sur un cadavre, il en finit avec les allégories, les emblèmes, les
personnifications et incarnations, et réconcilie pour toujours l'idéal et la réalité.
Mettez en regard l'une de l'autre l'École d'Athènes, de Raphaël, et la Leçon
d'anatomie, de Rembrandt ; consultez, dans le silence de votre réflexion, votre
sentiment, et dites ensuite lequel a réveillé en vous le plus puissant idéal, du
symbolique et idéaliste Italien, ou du positif et réaliste Hollandais. » -Pierre-
Joseph Proudhon, Du principe de l’art et de sa destination sociale, 1865.

Pieter de la Court : http://hydra.forumactif.org/t3240-pieter-de-la-court-the-


true-interest-and-political-maxims-of-the-republic-of-holland#4033

Baruch Spinoza (1632-1667): « Est-il possible ou même concevable qu’un seul


auteur du XVIIe siècle, un personnage qui plus est à l’écart, solitaire, issue
d’une minorité religieuse méprisée, sans formation, ni statut académique
officiels ait pu former une tradition de pensée radicale qui a finalement traversé
tout le continent, exercé une influence immense sur les générations successives
et ébranlé les fondements même de la civilisation occidentale ? Peut-on
sensément affirmer qu’un unique penseur a constitué la source d’un courant de
pensée qui a fourni la matrice philosophique, idée d’évolution incluse, de toute
l’aile radicale des lumières européennes, position idéologique adoptée par des

634
dizaines d’écrivains à travers le continent, de l’Irlande à la Russie et de la
Suède à la péninsule ibérique ? On peut soutenir que oui. » -Jonathan Israel, Les
Lumières radicales : La philosophie, Spinoza et la naissance de la modernité
(1650-1750).

« Aux amis pour qui j’écris : ne vous étonner pas de ces nouveautés, car il vous
est très bien connu qu’une chose ne cesse pas d’être vraie parce qu’elle n’est
pas acceptée par beaucoup d’hommes. » -Baruch Spinoza, Court Traité, in
Œuvres I, GF Flammarion, 443 pages, p.156-157.

« Un homme parfait sera mû par la nécessité seule ; sans autre cause, à aider
ses prochains, et, par suite, il se trouve obligé à aider les plus abandonnés de
Dieu. D’autant plus qu’il voit en eux un plus grand besoin et une plus grande
misère. » -Baruch Spinoza, Court Traité.

« Il n’est point douteux que, s’il dépendait aussi bien de nous de vivre selon les
préceptes de la raison que d’être conduits par l’aveugle désir, tous les hommes
se confieraient à la raison et régleraient sagement leur vie, et c’est ce qui
n’arrive pas. » -Baruch Spinoza, Traité politique.

« Une Cité dont la paix dépend de l’inertie de sujets conduits comme du bétail
pour n’apprendre rien que l’esclavage mérite le nom de solitude plus encore
que celui de Cité.» -Spinoza, Traité politique, V, 4.

« Quant aux contrats ou aux lois par lesquelles la multitude transfère son droit
propre aux mains d’une assemblée ou d’un homme, il n’est pas douteux qu’on
ne doive les violer, quand il y va du salut commun ; mais dans quel cas le salut
commun demande-t-il qu’on viole les lois ou qu’on les observe ? c’est une
question que nul particulier n’a le droit de résoudre (par l’article 3 du présent
chapitre) ; ce droit n’appartient qu’à celui qui tient le pouvoir et qui seul est
l’interprète des lois. Ajoutez que nul particulier ne peut à bon droit revendiquer
ces lois, d’où il suit qu’elles n’obligent pas celui qui tient le pouvoir. Que si,
toutefois, elles sont d’une telle nature qu’on ne puisse les violer sans énerver du
même coup la force de l’État, c’est-à-dire sans substituer l’indignation à la
crainte dans le cœur de la plupart des citoyens, dès lors par le fait de leur
violation l’État est dissous, le contrat cesse et le droit de la guerre remplace le
droit civil. » -Spinoza, Traité politique, p.20.

635
« Comme la crainte de la solitude est inhérente à tous les hommes, parce que
nul, dans la solitude, n’a de forces suffisantes pour se défendre, ni pour se
procurer les choses indispensables à la vie, c’est une conséquence nécessaire
que les hommes désirent naturellement l’état de société, et il ne peut se faire
qu’ils le brisent jamais entièrement. » -Spinoza, Traité politique, p.23.

« Si la nature humaine était ainsi faite que les hommes désirassent par-dessus
tout ce qui leur est par-dessus tout utile, il n’y aurait besoin d’aucun art pour
établir la concorde et la bonne foi. » -Spinoza, Traité politique, p.23.

« Le grand secret du régime monarchique et son intérêt principal, c’est de


tromper les hommes et de colorer du beau nom de religion la crainte où il faut
les tenir asservis, de telle façon qu’ils croient combattre pour leur salut en
combattant pour leur esclavage, et que la chose du monde la plus glorieuse soit
à leurs yeux de donner leur sang et leur vie pour servir l’orgueil d’un seul
homme. » -Spinoza, Traité Théologico-Politique, préface.

« Nul n’est tenu, selon le droit de nature, de vivre au gré d’un autre, mais
chacun est le protecteur né de sa propre liberté. » -Spinoza, Traité Théologico-
Politique, préface.

« Rien ne nous est plus insupportable que d’être asservis à nos semblables et de
vivre sous leur loi. »

« On pense en effet que l’esclave est celui qui agit par commandement et
l’homme libre celui qui agit selon son caprice. Cela cependant n’est pas
absolument vrai ; car en réalité, celui qui est captif de son plaisir, incapable de
voir et de faire ce qui lui est utile, est le plus grand des esclaves, et seul est libre
celui qui vit, de toute son âme, sous la seule conduite de la raison. » -Spinoza,
Traité théologico-politique, 1670.

« Il n’y a rien de plus funeste à la fois à la religion et à l’État que de confier aux
ministres du culte le droit de porter des décrets ou d’administrer les affaires
publiques » -Spinoza, Traité Théologico-Politique, Chapitre XVIII.

« Dans un état libre, chacun a le droit de penser ce qu’il veut et de dire ce qu’il
pense. » -Spinoza, Traité Théologico-Politique, Chapitre XX.

« Le but de l'état, c'est la liberté. » -Spinoza, Traité Théologico-Politique,


Chapitre XX.

636
« Pour montrer que la nature n’a pas de fin qui lui soit prescrite, et que toutes
les causes finales ne sont que des fictions humaines, il n’est pas besoin de
beaucoup. » -Spinoza, Éthique, I, Appendice.

« Il faut noter que pour chaque chose existante il y a nécessairement une


certaine cause en vertu de laquelle elle existe ; il faut noter enfin que cette cause
en vertu de laquelle une chose existe doit ou bien être contenue dans la nature
même et définition de la chose existante (alors en effet il appartient à sa nature
d’exister) ou bien être donnée en dehors d’elle. » -Spinoza, L’Éthique, I, VIII,
scholie II.

« Il n’est point contraire à la Raison de se glorifier d'une chose, mais ce


sentiment peut provenir de la Raison elle-même. » Spinoza, Éthique, IV,
proposition LVIII, 1677.

« Dans l’état de nature la faute ne peut se concevoir, mais elle peut l’être dans
l’état de société, où il est décidé, par consentement commun de ce qui est bon ou
de ce qui est mauvais et où chacun est tenu d’obéir à l’Etat. » -Spinoza, Ethique,
IV, proposition 37, scholie 2.

« Seule assurément une farouche et triste superstition interdit de prendre des


plaisirs. » -Spinoza, Éthique, IV, proposition LXI, scolie, 1677, XLV.

« Agir par vertu n’est autre chose en nous qu’agir et vivre, conduits par la
raison, et conserver son être, et d’après ce fondement de la vertu qu’il faut
rechercher sa propre utilité. » -Spinoza, Éthique, IV, 24, 1677.

« Tout désir qui naît de la Raison ne peut être sujet à l'excès » -Spinoza,
Éthique, IV, proposition LXI, 1677.

« Jarig Jellesz était lui aussi négociant en épices et fruits secs ; au moment –
incertain – de sa rencontre avec Spinoza, il fait partie du cercle des Collégiants,
qui rassemble des hommes rejetant tout dogme théologique, tout rituel religieux,
au profit d’une expérience intérieure de Dieu. Parmi eux, Spinoza rencontra ses
amis intimes, Peter Balling (autre marchand), Simon de Vries (marchand
encore), et l’imprimeur Jan Rieuwertsz qui publiera le Traité théologico-
politique et les Opera posthuma. Il est possible que Van den Enden, qui bientôt
accueille Spinoza dans son école, et l’initie au latin et à la philosophie
cartésienne, lui ait été présenté par leur intermédiaire. Les informations
manquent pour suivre dans le détail le mouvement qui mène le marchand juif,
637
par ses relations avec les marchands, à devenir l’ami de ces hommes versés par
ailleurs dans les choses de l’esprit, puis à vouloir se dégager lui-même de toute
confession (l’excommunication est prononcée en 1656), puis du commerce, pour
se consacrer à l’étude. Outre le rôle d’exemple qu’a pu jouer Jarig Jellesz, qui
dès 1653 avait renoncé aux affaires, il semble nécessaire de distinguer, comme
des degrés, la tolérance et l’indifférence à l’égard des signes. Dès avant son
excommunication, Spinoza a pu faire au sein des institutions commerciales
l’expérience de la tolérance religieuse. Mais ses amis ne font pas seulement
qu’appartenir par profession à l’espace de tolérance que constitue la Bourse :
c’est une intime indifférence aux signes extérieurs de la religion qui les anime.
En somme, du fait qu’ils sont marchands, ils n’ont pas coutume de discriminer
les hommes selon leurs croyances ; et du fait qu’ils sont membres de la secte des
Collégiants, ils usent de leur liberté de marchands pour s’abstenir d’adhérer à
une quelconque Église. Ils réalisent ainsi d’emblée ce que Spinoza, dans le
Traité théologico-politique, va proposer d’étendre à la société tout entière : un
espace d’échanges externe au religieux. […]

La force de l’exemple – ou de ce que Spinoza présente comme tel – peut être


explicitée comme suit : les hommes d’Amsterdam diffèrent de religion, et en cela
pourraient s’opposer les uns aux autres. Il n’en est rien, car leur souci premier
est de revoir l’argent prêté et de gagner leurs causes, et la religion est sans
pertinence en cela. Au contraire, en permettant aux hommes de dire ce qu’ils
pensent, on leur permet précisément de penser à autre chose (qu’à ce qui les
oppose). C’est ainsi qu’au lieu de se crisper sur leurs différences, ils font
fructifier leurs relations, donnant la prospérité aux Pays-Bas, « cette république
si florissante », et la gloire à Amsterdam, « cette ville si prestigieuse ».

Il est très significatif qu’au moment d’illustrer la liberté politique de dire ce que
l’on pense, Spinoza prenne pour exemple le fait que les convictions religieuses
n’interfèrent pas dans les relations d’argent. C’est que la liberté que le texte se
propose de défendre est d’abord une liberté illimitée de philosopher. Pour les
opinions directement politiques, le même chapitre admet la nécessité d’une
limite : il y a bien des discours séditieux. Mais plus encore, si Spinoza ne prend
pas l’exemple d’opinions de cette sorte, c’est que le commerce n’est nullement,
pour lui, extérieur au champ politique. À la limite, le fait même de commercer
est une participation active à la vie de l’État. Considérée absolument, cette
activité constitue, si l’on veut, une sorte d’opinion performative qui témoigne de
la loyauté du marchand à l’égard du souverain. L’exemple fait ainsi ricochet :
638
la liberté n’est pas seulement propice au commerce, le commerce est aussi
propice à l’État ; donc la liberté est propice à l’État. »

« On peut aussi, à l’inverse, y voir un bienfait octroyé au marchand par la cité :


car c’est le souverain qui donne au citoyen les cadres d’exercer son commerce
en toute sécurité. De cette manière, la réversibilité des rapports valide la
congruence des intérêts entre le marchand qui commerce dans un rapport
participatif à la cité, et de la vie de la cité qui s’accomplit par l’action d’un
individu singulier sous la forme d’une entreprise singulière. Dès lors, l’effort du
souverain doit consister à rendre perceptible aux citoyens cette identité
d’intérêts, c’est-à-dire faire en sorte que chacun en poursuivant son intérêt
propre participe à l’intérêt de tous. »

« Le principe d’immanence des principes, proposition fondamentale de la


philosophie de Spinoza, conduit à une politique sans autre fondement que
l’intérêt de chacun, à l’intérieur duquel peut seulement se concevoir celui de
tous. » -Maxime Rovere, « Avoir commerce : Spinoza et les modes de l’échange
», Astérion [En ligne], 5 | 2007, mis en ligne le 16 avril 2007, consulté le 30
octobre 2017.

"The excommunication of Spinoza was the forerunner of similar episodes which


were to take place in the German and Russian Jewish communities in the next
two centuries. With the secular culture which spread with the Enlightenment and
the haskalah movement, new winds of unrest blew into the stagnant air of ghetto
containment. Young Jews were rapidly drawn to extreme liberalism, radicalism,
socialism. They became assimilationists ; they discarded the doctrine of the
chosen people for the noble ideal of the equality and fraternity of all human
beings. Communities were rent by the division between orthodoxy and
radicalism ; the weapon of excommunication was invoked.
Spinoza is the early prototype of the European Jewish radical. He was a pioneer
in forging methods od scientific study in history and politics. He was a
cosmopolitan, with scorn for the notion of a privileged people. Above all,
Spinoza was attracted to radical political ideas. From his teacher Van dan
Ende, he had learned more than Latin. He had evidently imbided something of
the spirit of that revolutionist whose life was to end on the gallows. For
Spinoza's political and economic ideas were basically opposed to those held by
the leaders of the Jewish community. The Jewish elders were monarchist in their
sympathies, loyal to the house of Orange, friendly to the Calvinist party,
639
stockholders in the Dutch East India and West India Companies. Spinoza was
an ardent Republican, a follower of John de Witt, a critic of the Calvinist party,
its ethics, and its theocratic pretension. Spinoza was associated with the
political faction which advocated the dissolution of the great trading companies
; he admired the Republican economist who critized the monopolies. [...] The
Amsterdam Jewish leaders could tolerate theological disagreement ; they could
not tolerate a political and economic radical."(p.4-5)
-Lewis Samuel Feuer, Spinoza and the Rise of Liberalism, Transaction Books,
1987 (1958 pour la première édition états-unienne).

« La république qui a ses préférences est une démocratie libérale. [Spinoza] fut
le premier philosophe à être à la fois démocrate et libéral. Il fut le philosophe
qui fonda la démocratie libérale, le régime spécifiquement moderne. A la fois
directement et par l’intermédiaire de son influence sur Rousseau, qui donna
l’impulsion décisive à Kant, Spinoza devint l’initiateur du républicanisme
moderne. » (p.348)

« Spinoza ne partage pas l’aversion des classiques pour le commerce ; il rejette


l’exigence traditionnelle de lois limitant le luxe. » (p.349)

« Spinoza élève Machiavel à des hauteurs théologiques. Le bien et le mal ne


diffère que d’un simple point de vue humain ; théologiquement, la distinction
n’a pas de sens. Les passions mauvaises ne sont mauvaises que du point de vue
de l’utilité humaine ; en elles-mêmes, elles ne montrent pas moins la puissance
et la justice de Dieu que les choses que nous admirons et de la contemplation
desquelles nous nous réjouissons. » (p.351)

« La société libérale en vue de laquelle Spinoza a composé son Traité


[théologico-politique] est […] une société dont les juifs et les chrétiens peuvent
être des membres égaux. Il souhaitait préparer une telle société. Pour lui,
l’établissement d’une telle société impliquait l’abrogation de la loi mosaïque
dans la mesure où il s’agit d’une loi politique particulière, et tout spécialement
l’abrogation des lois cérémoniales : dans la mesure où la religion de Moïse est
une loi politique, adhérer à sa religion telle qu’il l’a proclamée est incompatible
avec le fait d’être citoyen de tout autre Etat. » (p.355)

-Leo Strauss, Le libéralisme antique et moderne, PUF, coll. Politique


d’aujourd’hui, 1990 (1968 pour la première édition américaine), 390 pages.

640
« Spinoza a mis dans le mille avec sa proposition paradoxale : Dieu est un être
étendu, c’est-à-dire matériel. Pour son époque du moins, il a trouvé l’expression
philosophique vraie de la tendance matérialiste ; il l’a légitimée et sanctionnée :
Dieu lui-même est matérialiste. La philosophie de Spinoza était une religion ;
lui-même était une personnalité. Chez lui le matérialiste n’entrait pas comme
chez tant d’autres en contradiction avec la représentation d’un Dieu immatériel
et antimatérialiste qui transforme logiquement en devoir de l’homme ses seules
tendances et occupations antimatérialistes et célestes, car Dieu n’est rien
d’autre que l’archétype et l’idéal de l’homme. Être semblable à Dieu et être ce
qu’est Dieu, voilà ce que l’homme doit être, voilà ce qu’il veut être, voilà du
moins ce qu’il souhaite devenir un jour. Mais le caractère, la vérité, et la
religion n’existent qu’à la seule condition que la théorie ne nie pas la pratique,
ni la pratique la théorie. Spinoza est le Moïse des libres-penseurs et des
matérialistes modernes. » -Ludwig Feuerbach, Principes de la philosophie de
l’avenir, paragraphe 15.

« Spinoza ne partage pas le monde en deux, monde sensible et monde


intelligible, res extensa et res cogitans. Il est important de comprendre que la
chimère dont parle Spinoza se rapporte en premier lieu à la pensée que
l’homme pourrait avoir une raison séparée des affects. Ainsi, le premier point à
retenir est que la raison peut contribuer à ce que nos affects soient actifs, dans
le cas où notre esprit a des idées adéquates, mais elle ne peut point faire que
nous n’ayons pas d’affects du tout. » -André Martins, « La politique ou la raison
désirable chez Spinoza », Philonsorbonne, 4 | 2010, 109-121.

« La survivance, inattendue, de l'opposition entre étendue et pensée chez


Spinoza, montre qu'il ne peut être qualifié de matérialiste. » -Pascal Charbonnat,
Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2013, 706 pages.

« Spinoza n’a pas défini l’essence spécifique de l’homme. […] En toute rigueur
et théoriquement, il ne sait pas ce que c’est que l’homme, et il s’en passe très
bien : il n’a pas besoin de le savoir pour édifier son système. » -Alexandre
Matheron, « L’Anthropologie spinoziste ? », Anthropologie et politique au
XVIIe siècle, Vrin, 1986, p. 21.

« L’entreprise spinoziste s’apparente à celle d’un autre grand original de la


tradition européenne, Machiavel, auquel le penseur hollandais rend un
hommage appuyé, chose rare chez lui, et dont il s’inspire profondément –

641
pourtant, elle est sans précédent dans le champ de la philosophie rationaliste
(champ auquel n'appartient pas Machiavel). Il s’agit en effet de construire une
philosophie politique à la fois descriptive et prescriptive qui ne doive rien à une
quelconque transcendance, qu’il s’agisse de celle de Dieu, de celle de la
souveraineté politique, de celle du droit et du contrat. La question est alors de
savoir comment faire coexister les volontés individuelles, et, mieux encore,
comment faire agir ensemble des hommes que leurs intérêts paraît séparer sinon
opposer, sans assujettir les individus à une quelconque transcendance devant
laquelle ils devraient s’incliner. L’enjeu de cette recherche, on le pressent, est
donc une certaine idée de la liberté individuelle et collective, que paraît résumer
la célèbre formule : multitudinis potentia, que l’on traduit par « la puissance du
grand nombre », ou celle « de la masse », ou celle « de la multitude ». A elle
seule, la multitude constituerait une puissance valable comme principe d’une
souveraineté sur laquelle pourraient s’établir la société et l’Etat. Il est donc
capital de déterminer comment une telle puissance est capable de se substituer
aux transcendances admises par la tradition philosophique. On verra que la
réponse à la question est notamment inscrite dans la définition spinoziste de
l’activité philosophique comme tentative de compréhension de la nature, et, bien
entendu, dans la définition de la nature elle-même. Dieu, la nature et les
substances individuelles sont également caractérisés par le penseur hollandais
comme des formes de la potentia. Ainsi sommes-nous conduits à nous demander
quels liens existent entre les dimensions métaphysique et politique de l’œuvre
spinoziste. La promesse délivrée par cette dernière est de donner accès à une
théorie politique moniste, dont les effets permettent ce qu’on pourrait nommer
un matérialisme non réducteur, capable par exemple de donner à comprendre
l’effectivité des jeux de pouvoir issus de l’imagination des hommes."

« Il est tentant de rapporter la pensée de Spinoza au mouvement politique et


idéologique du libéralisme, car elle semble l’anticiper en ce qu’il a précisément
consisté à repérer puis à promouvoir les dynamiques passionnelles qui
permettent à la société de s’auto-organiser de manière indépendante vis-à-vis
de toute tutelle théologique ou politique. Par exemple, la doctrine spinoziste de
la tolérance développée dans le Traité théologico-politique paraît tout à fait
proche, dans ses conditions théoriques comme ses effets pratiques, des
développements de Locke dans la Lettre sur la tolérance et dans le Second traité
du gouvernement. Ici, ce qui est intéressant, c’est de se demander ce qui
rapproche Spinoza et la tradition des Locke, Mandeville, Hume et Smith, mais
642
aussi ce qui les sépare. En particulier, comment le penseur hollandais réussit-il
à concilier une philosophie qui est une éthique rationaliste et une doctrine des
passions qui fait songer à la théorie libérale ?

En fin de compte, la plus grande originalité de Spinoza réside peut-être dans sa


manière de penser la condition pleinement politique de l’homme. Être
singularisé dans l’usage de sa raison comme dans ses affects, l’homme gagne
cependant à concevoir son action comme commune : l’individualité la plus
authentique, la plus pleine et entière, est celle qui se comprend comme
collective, puisque autrui augmente la puissance individuelle d’agir. Mieux que
personne, le penseur hollandais a mis en lumière le fait que la dimension
politique couronne l’anthropologie philosophique spinoziste, parce que l’agir
commun consacre les potentialités de l’individualité ; la signification de
l’expression « multitudinis potentia » ne serait donc pas moins politique que
métaphysique, elle concernerait à la fois l’agir commun et la nature de la
subjectivité. Cette relation entre l’individualité et la collectivité doit être
interrogée sous l’angle philosophique aussi bien que sous l’angle politique :
d’une part, grâce à elle, la notion d’individualité ne reçoit-elle pas une
définition nouvelle et très originale, très différents de l’individualisme typique
du libéralisme ? Quelles sont les relations entre la « puissance de la multitude »
et les potentialités recelées par l’individualité ? De l’autre, ne permet-elle pas
de concevoir la philosophie comme pleinement politique, ou bien, mieux encore,
une politique totalement inspirée par la philosophie ? » -Thierry Ménissier, "La
philosophie politique de Spinoza, introduction", site de l'auteur, 7 janvier 2009.

« D’un côté, le philosophe hollandais mérite en effet d’être compté au nombre


des pères historiques de la pensée libérale, puisqu’il a été l’un des premiers et
l’un des plus audacieux défenseurs de la liberté d’expression et de la démocratie
dans l’Europe de l’âge classique. D’un autre côté, il mérite de figurer au rang
des critiques les plus radicaux des impensés du libéralisme actuel. Non
seulement sa philosophie déconstruit par avance l’individualisme possessif
autour duquel s’est cristallisée la doctrine libérale au cours des deux derniers
siècles, mais surtout, en sapant le fondement métaphysique sur lequel est censée
reposer notre liberté de choix et de préférence, il ne pouvait que remettre
drastiquement en question la valeur légitimatrice des procédures électorales et
consuméristes dont les sociétés libérales font leurs boussoles pour orienter leur
devenir. » -Yves Citton, L’envers de la liberté. L’invention d’un imaginaire
spinoziste dans la France des Lumières, éditions Amsterdam, 2006, p.16-17.
643
« Spinoza est un point crucial dans la philosophie moderne. L'alternative est:
Spinoza ou pas de philosophie. Spinoza établit le grand principe: «Toute
détermination est une négation.» Le déterminé est le fini; or on peut montrer
que tout, y compris la pensée [...] est un déterminé, renferme une négation; son
essence repose sur la négation.» -Hegel.

« Je suis tout étonné, tout ravi ! J’ai un prédécesseur, et lequel ! Je ne


connaissais presque pas Spinoza : si je viens d’éprouver le besoin de lui, c’est
l’effet d’un « acte instinctif ». Non seulement sa tendance générale est, comme
la mienne, de faire de la connaissance le plus puissant des états de conscience,
mais je me retrouve encore dans cinq points de sa doctrine ; ce penseur, le plus
isolé et le plus irrégulier de tous, est celui qui là-dessus se rapproche le plus de
moi : il nie le libre arbitre, la finalité, l’ordre moral, l’altruisme, le mal, et si,
évidemment, les différences sont grandes, elles tiennent plutôt à celles des
époques, de la civilisation et de la science. Au total : ma solitude, qui m’avait
fait souvent souffrir, comme à une très haute altitude, de la raréfaction de l’air
et me causait des hémorragies, s’est transformée du moins en duo. C’est
merveilleux ! » -Friedrich Nietzsche, Lettre à Overbeck, 30-VII-81, Sils-Maria ;
Lettres choisies, trad. Vialatte, Gallimard, p. 176.

« Le sage le plus intègre. » -Friedrich Nietzsche, à propos de Spinoza, Humain,


trop humain, I, § 475.

« Rien n’est moins grec que de faire, comme un solitaire, du tissage de toiles
d’araignées avec des idées, amor intellectualis dei à la façon de Spinoza. »

-Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, « Flâneries d’un inactuel », § 23.

« L'axe fondamental de la pensée de Spinoza est la défense de la liberté


individuelle. »

« Quant aux non propriétaires, Spinoza est le seul auteur du xvii et xviii siècle
qui les inclut dans son modèle de démocratie. » -Maria José Villaverde,
Rousseau, Spinoza, deux visions opposées de la démocratie.

« Spinoza adopte sur Aristote plusieurs perspectives, ou stratégies, assez


différentes les unes des autres mais qui peuvent être regroupées sous quatre
chefs principaux : comme repoussoir, d’abord, Aristote est pour Spinoza un
adversaire dont il fait sa cible favorite ; comme lexique, ensuite, il est un lieu
d’attache qui le ramène à sa formation scolaire ; comme contrepoint, il est un
644
expédient redoutablement efficace ; enfin, comme référence, il représente une
source d’inspiration sans équivalent dans l’histoire de la philosophie. » -
Frédéric Manzini, « Conclusion », dans : , Spinoza : une lecture d’Aristote. sous
la direction de Manzini Frédéric. Paris cedex 14, Presses Universitaires de
France, « Épiméthée », 2009, p. 307-311. URL : https://www.cairn-
int.info/spinoza-une-lecture-d-aristote--9782130570936-page-307.htm

« Sous une apparente convergence de vues, Spinoza, non sans ironie, n'en est
pas moins l'adversaire déclaré de Hobbes. » -Simone Goyard-Fabre, Les
embarras philosophiques du droit naturel, Paris, Librairie philosophique J. Vrin,
coll. Histoire des idées et des doctrines, 2002, p.101.

« Il y a, selon Spinoza, des forces actives dans le peuple, desquelles la


philosophie ne peut se couper sans aller à sa perte. Ce sont ces forces et
l’espérance politique qu’elles supportent, que la philosophie se doit de
développer si elle veut continuer à exister et étendre sa souveraineté. Spinoza
est le premier philosophe qui lie le sort de la philosophie au sort du peuple, son
salut au salut du peuple. Si celui-ci sombre dans l’oppression et le fanatisme,
qu’il combat pour sa servitude comme s’il s’agissait de son salut, la philosophie
sombrera aussi. Il y a des époques de barbarie où la philosophie est assassinée.
Le philosophe doit donc devenir l’ami du peuple, inversement le peuple doit
devenir son allié, mais non démagogiquement comme le font les tyrans et les
théologiens, mais au contraire en développant chez lui l’amour de la justice et
de la charité — enseignement essentiel de l’Écriture — et par là même l’amour
de la Liberté qui, pour un peuple, s’identifie au désir de démocratie. Car c’est
par un nouvel usage du texte de l’Écriture que le peuple trouvera sa parole
propre que lui confisque depuis des siècles le spécialiste théologien. La parole
vivante développera alors son caractère politique positif. Dans une Démocratie
en effet, la liberté de la parole est le moyen d’assurer la libre circulation des
idées et de l’information politique. Cette liberté de transmettre l’information
politique est en fait la garantie fondamentale de la liberté tout court, le plus
souvent menacée par les secrets d’Église (des théologiens) ou les secrets d’État
(des gouvernants) derrière lesquels se masque l’arbitraire du pouvoir
tyrannique. » -Laurent Bove, La théorie du langage chez Spinoza,
L’Enseignement philosophique n° 4, mars-avril 1991.

645
« Une causalité limitée n’est plus du tout une causalité, comme le merveilleux
Spinoza l’a montré avec toute sa perspicacité.. » -Albert Einstein, Lettre à Eric
Gutkind, 1954.

« Soucieux de défendre la réputation de Hobbes, Schmitt soutenait que c'était le


juif Spinoza qui avait en réalité fourni au libéralisme ses fondements
philosophiques originaires. Il l'aurait fait en distillant subrepticement, à partir
du prudent programme hobbesien de sécularisation de l'autorité politique, la
défense résolue et radicale d'un Etat entièrement neutre et démythifié. En
cherchant à faire de la religion une question purement privée, Spinoza avait tout
simplement inauguré une série de neutralisations historiques qui allaient
finalement laisser l'individu libre de déterminer ses obligations politiques à la
froide lumière de ses intérêts personnels. » -Gopal Balakrishnan, L'Ennemi. Un
portrait intellectuel de Carl Schmitt, p. 285.

« Le plus logique et le plus cohérent de tous les athées – je veux dire de tous
ceux qui nient la persistance indéfinie dans l'avenir de la conscience
individuelle – et en même temps le plus pieux d'entre eux : Spinoza, a consacré
la cinquième et dernière partie de son Éthique à expliquer la route qui conduit à
la liberté, et à préciser le concept de béatitude. Le concept ! Le concept ; non
pas le sentiment ! Pour Spinoza, qui fut un intellectualiste redoutable, la
béatitude (beatitudo) est un concept, et l'amour que nous avons pour Dieu est un
amour tout intellectuel. Après avoir établi, à la proposition 21 de cette
cinquième partie, que « l'esprit ne peut s'imaginer quelque chose ou se souvenir
des choses passées que tant que le corps dure » - ce qui équivaut à nier
l'immortalité de l'âme, puisqu'une âme qui ne se souvient plus de son passé une
fois séparée du corps au sein duquel elle vivait, n'est ni immortelle, ni une âme –
il en vient à nous dire dans la proposition 23 que « l'esprit humain ne peut être
absolument détruit avec le corps, mais qu'il en reste quelque chose, qui est
éternel », et cette éternité de l'esprit est une certaine manière de penser. Mais ne
vous laissez pas abuser ; il n'y a pas une semblable éternité pour l'esprit
individuel. Tout cela est sub aeternitatis specie, autrement dit : pure duperie.
Rien n'est plus triste, plus désolant, plus antivital que cette béatitude, cette
beatitudo spinozienne, qui est un amour intellectuel pour Dieu, lequel amour
n'est au fond que celui de Dieu, l'amour par lequel Dieu s'aime lui-même
(proposition 36). Notre béatitude, autrement dit : notre liberté, réside dans
l'amour constant et éternel de Dieu vis-à-vis des hommes. C'est ce que dit le
scolie de cette proposition 36. Et tout cela pour en venir à conclure dans la
646
proposition finale qui couronne toute l'Éthique, que le bonheur n'est pas la
récompense de la vertu, mais la vertu elle-même. Et cela vaut pour tout le
monde ! » -Miguel de Unamuno, Du Sentiment tragique de la vie chez les
hommes et chez les peuples (1913).

« Spinoza a eu notamment une réputation très forte de matérialiste alors qu’il


ne cessait de parler de l’esprit et de l’âme, une réputation d’athée alors qu’il ne
cessait de parler de Dieu – c’est très curieux. »

« Et, sur cette ligne mélodique de la variation continue constituée par l’affect,
Spinoza va assigner deux pôles, joie-tristesse, qui seront pour lui les passions
fondamentales, et la tristesse ce sera toute passion, n’importe quelle passion
enveloppant une diminution de ma puissance d’agir, et joie sera toute passion
enveloppant une augmentation de ma puissance d’agir. Ce qui permettra à
Spinoza de s’ouvrir par exemple sur un problème moral et politique très
fondamental, qui sera sa manière à lui de poser le problème politique: comment
se fait-il que les gens qui ont le pouvoir, dans n’importe quel domaine, ont
besoin de nous affecter d’une manière triste? Les passions tristes comme
nécessaires. Inspirer des passions tristes est nécessaire à l’exercice du pouvoir.
Et Spinoza dit, dans le Traité théologico-politique, que c’est cela le lien profond
entre le despote et le prêtre, ils ont besoin de la tristesse de leurs sujets. Là,
vous comprenez bien qu’il ne prend pas tristesse dans un sens vague, il prend
tristesse au sens rigoureux qu’il a su lui donner: la tristesse c’est l’affect en tant
qu’il enveloppe la diminution de la puissance d’agir. »

« Qu’est-ce que c’est que le mal?, demande Spinoza. On trouve ça dans la


correspondance. Ce sont des lettres qu’il envoya à un jeune hollandais qui était
méchant comme tout. Ce hollandais n’aimait pas Spinoza et l’attaquait
constamment, il lui demandait: dîtes moi ce que c’est pour vous que le mal.
Vous savez qu’en ce temps-là, les lettres, c’était très important, et les
philosophes envoyaient beaucoup de lettres. Spinoza, qui est très très gentil,
croit au début que c’est un jeune homme qui veut s’instruire et, petit à petit, il
comprend que ce n’est pas du tout ça, que le hollandais veut sa peau. De lettre
en lettre, la colère de Blyenbergh, qui était un bon chrétien, gonfle, et il finit par
lui dire: mais vous êtes le diable! Spinoza dit que le mal, ce n’est pas difficile, le
mal c’est une mauvaise rencontre. Rencontrer un corps qui se mélange mal avec
le vôtre. Se mélanger mal, ça veut dire se mélanger dans des conditions telles

647
que un de vos rapports subordonnés ou que votre rapports constituant est, ou
bien menacé ou compromis, ou bien même détruit. »

« Spinoza ne fait pas de la morale, pour une raison toute simple: jamais il ne se
demande ce que nous devons, il se demande tout le temps de quoi nous sommes
capables, qu’est-ce qui est en notre puissance ; l’éthique c’est un problème de
puissance, c’est jamais un problème de devoir. En ce sens Spinoza est
profondément immoral. Le problème moral, le bien et le mal, il a une heureuse
nature parce qu’il ne comprend même pas ce que ça veut dire. Ce qu’il
comprend, c’est les bonnes rencontres, les mauvaises rencontres, les
augmentations et les diminutions de puissance. Là, il fait une éthique et pas du
tout une morale. C’est pourquoi il a tant marqué Nietzsche. »

« Spinoza ne pense pas du tout comme un rationaliste – chez les rationalistes il


y a le monde de la raison et il y a les idées. Si vous en avez une, évidemment
vous les avez toutes: vous êtes raisonnable. Spinoza pense qu’être raisonnable,
ou être sage, c’est un problème de devenir, ce qui change singulièrement le
contenu du concept de raison. Il faut savoir faire les rencontres qui vous
conviennent. »

« Spinoza a su mourir admirablement, mais il savait très bien de quoi il était


capable, il savait dire merde aux autres philosophes. Leibniz venait lui piquer
des morceaux de manuscrits pour dire après que c’était lui. Il y a des histoires
très curieuses – c’était un homme dangereux, Leibniz. » -Gilles Deleuze,
Spinoza, Cours Vincennes - 24/01/1978.

« Il n’y a rien de plus opposé à l’hypothèse de Spinoza que de soutenir que tous
les corps ne se touchent point ; et jamais deux systèmes n’ont été plus opposés
que le sien et celui des atomistes. Il est d’accord avec Épicure en ce qui regarde
la réjection de la Providence, mais dans tout le reste leurs systèmes sont comme
le feu et l’eau. » -Article Spinoza du Dictionnaire historique et critique de Pierre
Bayle.

« Chez Spinoza, il y a des valeurs suprêmes. La preuve, c’est qu’il écrit une
éthique. Une éthique, c’est un itinéraire pour aller vers la vie bonne. Donc, s’il
y a de la vie bonne, c’est qu’il y a des vies qui le sont moins. Y a des degrés de
perfections qui sont supérieurs. Et qu’il faut viser. Bon. C’est ça l’objet d’une
éthique. Mais ça va donc dire qu’il y a cette valeur suprême, cette valeur de la
libération, la béatitude. […] La chose qui reçoit la valeur suprême, chez
648
Spinoza, c’est la Raison, puisque la Raison est le véhicule qui nous mène vers
ça. […] Qu’est-ce que c’est que la Raison chez Spinoza, c’est tout ce qui nous
permet d’avoir une plus haute conscience de nous, de Dieu et des choses. […]
Elle procède par des voies qui ne sont pas nécessairement celle de la raison
analytique. […] S’il y avait une valeur absolue d’une œuvre [d’art], ça serait
dans son degré d’apparentement à la connaissance du troisième genre, c’est-à-
dire dans sa capacité à nous donner une plus haute conscience de nous-même,
de Dieu et des choses. » -Frédéric Lordon, Entretien avec Fabien Danesi, 22
février 2013.

« La pensée de Spinoza affirme le primat de la lutte et l'ancre dans une


ontologie et même une anthropologie de la puissance. Les luttes pour le pouvoir,
les luttes pour la reconnaissance ou pour la domination et tous ces élans
fondamentalement agonistiques, puisqu'ils sont voués à se heurter les uns les
autres, trouvent leur impulsion dans le conatus comme effort d'affirmation
existentielle. Il n'est donc peut-être aucune philosophie qui davantage que celle
de Spinoza, prenne au sérieux la violence du monde et soit plus immédiatement
politique, précisément parce que considérant les hommes "tels qu'ils sont", elle
n'ignore rien de leurs compulsives motions d'expansion, de leur destin qui est de
se rencontrer et de se contrarier, et de ce que ces chocs inévitables sont la
matière même du politique. [...]

Sous ce rapport au moins, Nietzsche dit les choses de manière étonnamment


proche: "Je me représente que tout corps spécifique tend à se rendre maître de
l'espace et à y déployer sa force (sa volonté de puissance) et à repousser tout ce
qui résiste à son expansion". Ainsi, très semblable en cela à celui de Nietzsche,
le monde de Spinoza est fait de pôles de souveraineté en lutte, aspirant chacun à
l'expansion de leur être, et voués à rencontrer sur leur chemin des efforts
analogues et antagonistes. » -Frédéric Lordon, La Politique du capital.

« Spinoza pense évidemment qu’il y a toujours eu du désir, de l’amour, de la


haine, etc., et qu’en ce sens la nature humaine est et sera toujours la même.
Mais les combinaisons des passions entre elles, ce que Moreau appelle les
ingenia (j’adhère entièrement à son analyse de la notion d’ingenium), peuvent
varier à l’infini d’un individu à l’autre, d’une société à l’autre et au cours de
l’Histoire. En comparant le Théologico-politique au Traité politique, on peut
trouver des formes d’ingenia très différentes, y compris sur le plan individuel,
dans l’Etat hébreu et dans les Etats spinozistes du Traité Politique tels qu’ils
649
pourraient exister. Ce sont toujours les mêmes passions, mais qui fonctionnent
différemment parce qu’elles s’agencent différemment les unes aux autres – ce
qui dépend en grande partie du contexte historique et institutionnel. Mais qu’un
jour les hommes cessent d’aimer, de haïr etc., même partiellement, c’est
absolument exclu, parce qu’ils seront toujours affectés par des causes
extérieures. Et même en supposant qu’un jour tous les hommes vivent sous la
conduite de la raison, il n’en reste pas moins qu’ils auront encore les mêmes
passions, même si leurs combinaisons sont différentes ; simplement ce ne seront
plus elles qui les conduiront. » -Alexandre Matheron, Entretien réalisé par
Laurent Bove et Pierre François Moreau, Paris, 20 juin 1997 – novembre 1997,
repris dans Multitudes 3 : novembre 2000 » Hors-champ 3.

« Spinoza defended the Hobbesian position that we have the right to do


whatever we have the power to do. In thus rendering rights coextensive with
power, Spinoza insisted that men are “natural enemies” who, while pursuing
their self-preservation and welfare in a state of nature without government,
would have the unlimited right to take any actions they deem conducive to those
ends, including acts of violence against innocents who had not harmed them in
any manner.

Spinoza refused to call invasive acts committed in a state of nature “unjust.”


The concepts of just and unjust actions arise only under the jurisdiction of a
sovereign government. »

“Spinoza, like Thomas Hobbes and some other critics of institutionalized


religion, defended a position known as Erastianism (after the Swiss theologian
Thomas Erastus, 1524-83), according to which churches and religious practices
generally should be under the absolute control of the sovereign secular state.
[…]

Thus although Spinoza did not wish churches to wield any political power, he
did not defend the separation of church and state, as we now understand that
expression. Rather, he argued that churches should be subservient to the state,
and that religious believers should obey all state demands regarding rites and
ceremonies, however personally offensive they may be.

We thus see how Spinoza was a mixed bag from a libertarian perspective. True,
he believed that a sovereign should be rational, which means that a sovereign
should impose only those restrictions on freedom necessary to maintain peace
650
and social order—a society in which individuals can pursue their own interests
without coercive interference. But Spinoza also believed that the vast majority of
people are irrational, that they are guided by their passions instead of by their
reason—this, after all, is why they need a government to restrain their actions—
but he had no grounds for defending the superior rationality of rulers, who are
as likely as anyone else to succumb to their lusts and other irrational desires.
The only restraint on a ruler is his own preservation and welfare, so a rational
ruler will not push oppressive laws to the point where citizens become so
outraged that they attempt to overthrow him. But in Spinoza’s scheme, there is
no moral principle of individual rights that would render anything a ruler
attempts to do unjust in the libertarian understanding of that term. For Spinoza,
therefore, there is no right to resist (or even to disobey) oppressive laws, much
less a right to overthrow tyrannical governments.”

“Spinoza repeatedly observed that most people are governed by their passions,
not by their reason, yet he also argued that in an ideal government rulers will
self-limit their powers according to rational calculations of utility. Rational
rulers will understand that tyrannical measures will ultimately diminish their
power and are therefore detrimental to their own self-interest. But why should
we assume that rulers are, or will be, more rational than the many irrational
people they rule? If history proves anything, it proves the exact opposite. Many
rulers throughout history would have been leading candidates for the first
available vacancy in a lunatic asylum. Spinoza’s rational rulers smack of
Plato’s philosopher-kings; both ideas are dangerously naïve.”

“As traditionally conceived—not only in classical liberalism but in other


political traditions as well—rights were conceived as the flip side of moral
obligations. Thus if you have a right to x, I have the obligation not to coercively
interfere with your use and disposal of x. Rights were regarded as principles
that distinguish between mine and thine in a social context. To equate rights
with power makes mincemeat of this important distinction and ultimately
reduces to redundancy or nonsense. In the final analysis, Spinoza’s theory of
rights amounts to saying nothing more than we have the power to do whatever
we have the power to do.” -George H. Smith, Freethought and Freedom: A
Critique of Spinoza.

« Le seul ancêtre direct de Marx. » -Louis Althusser, à propos de Spinoza, in


Lire le capital, Tome II, Paris, Maspero, 1967, p. 50.
651
« Il était difficile d’inclure Spinoza dans cette anthologie : sa pensée
systématique, difficile à interpréter, se prête moins que toute autre à une
présentation sommaire. Mais il était impossible de l’en exclure : il fut le premier
à proposer une philosophie politique à la fois libérale et démocratique. Comme
« le sage Locke » sera l’autorité officielle du XVIIIe siècle, « l’athée Spinoza »
en sera l’autorité clandestine.

Comment Spinoza interprète-t-il la condition politique de l’homme ?

Antérieurement à toute religion comme à toute organisation politique, chaque


homme a un droit naturel à tout ce qui est en son pouvoir (comme toute chose de
la nature il a autant de droit qu’il a de puissance). Mais si chacun peut faire ce
qu’il lui plaît, personne ne peut vivre en sécurité. Or, les hommes veulent vivre à
l’abri de la crainte. Dès lors, pour que le droit naturel de chacun s’accorde
avec la paix civile, il faut et il suffit que chaque individu transfère à l’autorité
politique la puissance totale dont il jouit. Le bénéficiaire de ce transfert peut
être un individu (monarchie), un petit nombre (aristocratie), ou enfin l’ensemble
des membres du corps politiques (démocratie). Aux yeux de Spinoza, la
démocratie est le régime « le plus naturel et le plus susceptible de respecter la
liberté naturelle des individus ». Pourquoi ? Parce que, dans la démocratie,
« nul individu humain ne transfère son droit naturel à un autre individu (au
profit duquel, dès lors, il accepterait de ne plus être consulté). Il le transfère à la
totalité de la société dont il fait partie ; les individus demeurent ainsi tous
égaux, comme naguère dans l’état de nature » (Traité théologico-politique,
Chap. XVI). Mais où est, dira-t-on, la liberté, si les droits de l’individu sont
absorbés par l’autorité politique ? […] Le droit étant inséparable du pouvoir, et
le pouvoir qu’a l’individu de juger librement étant inséparable de sa nature,
donc inaliénable, l’obéissance à l’autorité légitime ne peut inclure la
soumission de la pensée. Il est nécessaire que l’autorité politique règle les
actions extérieures pour assurer la paix publique. Mais cette discipline sociale
ne doit pas entraver la liberté des pensées et des paroles, au moins des paroles
raisonnables. Et même, chacun doit pouvoir, à condition d’obéir aux lois telles
qu’elles sont, proposer leur amélioration. » -Pierre Manent, Les Libéraux,
Gallimard, coll. Tel, 2001 (1986 pour la première édition), 891 pages, p.88-89.

"Spinoza est le seul grand philosophe de la tradition, si l'on excepte Épicure, qui
développe ouvertement un matérialisme original, certes, mais net." (p.6)

652
"La relation d'utilité ou d'usage avec l' "autre" naturel et avec "autrui" ne se
conclut pour Spinoza que si la logique de la force immédiate (les gros poissons
mangent les petits ; les puissants asservissent les faibles) se traduit et se
détermine, sans rupture de continuité, en rapports d'association avec les corps
de même essence, tels que chaque corps puisse se développer dans le respect de
la puissance infinie des choses. Spinoza espère une traduction des rapports de
force en rapports d'échange et de communication." (p.27)
-André Tosel, Du matérialisme de Spinoza, Éditions Kimé, 1994, 215 pages.

« Menzel comprend la doctrine spinozienne de l’Etat comme un positivisme


juridique à visée utilitariste. » -Manfred Walther, La doctrine politique de
Spinoza. La (re)découverte de la philosophie politique de Spinoza par Adolf
Menzel, in André Tosel, Pierre-François Moreau et Jean Salem (dir.), Spinoza au
XIXème siècle, Éditions de la Sorbonne, 2008, 494 pages.

« [Spinoza] soutient également la thèse du caractère résolument égoïste de la


motivation. Toute l’activité humaine (et même, toute activité d’un individu de la
nature, quel qu’il soit) dérive de l’effort de chacun pour persévérer dans son
être et maximiser sa puissance d’agir. »

« Il y a des choses qui sont correctes, ou bonnes, pour tous les êtres humains. Et
ce, parce que nous partageons une certaine nature, en tant qu’êtres humains, et
qu’il y a des actions qui contribuent naturellement et objectivement à la
conservation et à l’effort de cette nature. De telles actions seront « vertueuses »
dans un sens général, et seront accomplies par une personne vertueuse. »

« Comme les impératifs catégoriques de la morale kantienne, les prescriptions


de la raison transcendent les différences individuelles et formulent des exigences
universelles pour la conduite humaine, dans la mesure où tous les êtres humains
partagent la même nature fondamentale. »

« L’action bienveillante envers autrui peut naître aussi bien de la pitié que de la
vertu, autrement dit d’une motivation émotionnelle aussi bien que d’un désir
guidé par la connaissance de ce qui nous est véritablement utile ; et il
semblerait que cela ne fasse aucune différence au regard de la qualité morale
de l’action elle-même. Elle reste bonne, droite, dans la mesure où elle est dans
l’intérêt de celui qui l’accomplit. »

653
« Selon l’éthique ordinaire, tuer ou voler quelqu’un est une mauvaise chose ;
faire l’aumône et traiter les autres avec justice est une bonne chose. Ce que
Spinoza répond à Blyenbergh est que le caractère bon et mauvais de ces actions
ne réside pas dans les actions « considérées seules », indépendamment de leurs
motivations – puisque dans cette perspective elles sont « également parfaites »,
c’est-à-dire contiennent la même quantité de réalité ; mais ce caractère bon ou
mauvais réside dans le fait que l’une dérive d’idées adéquates et l’autre de
l’ignorance, et donc, que l’une consiste en un accroissement de la puissance de
l’agent et l’autre, en une diminution de cette puissance. » -Steven Nadler, «
Acte et motivation dans la philosophie morale de Spinoza », Philonsorbonne
[En ligne], 9 | 2015, mis en ligne le 11 janvier 2015, consulté le 25 avril 2018.

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Rizk/dp/2200276761/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1466439841&sr=1-
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https://www.amazon.fr/Rationalisme-Spinoza-Ferdinand-
Alqui%C3%A9/dp/2130438571/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1466439
883&sr=1-1&keywords=Ferdinand-Alquie-Le-Rationalisme-de-Spinoza

http://www.amazon.fr/Spinoza-pens%C3%A9e-moderne-Constitutions-
lobjectivit%C3%A9/dp/2738462774/ref=sr_1_5?s=books&ie=UTF8&qid=1454
185146&sr=1-
5&keywords=De+la+responsabilit%C3%A9.+Ses+fondements+ontiques

https://www.amazon.fr/Vivre-ici-%C3%89l%C3%A9ments-d%C3%A9thique-
locale/dp/2130579663/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1477151910&sr=8-
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https://www.amazon.fr/Esthetique-Dejardin-Philosophique-Servitude-
Culturelle/dp/2296963234/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1466439701&s
r=1-1&keywords=Bertrand-Dejardin-Ethique-et-esthetique-chez-Spinoza

http://www.amazon.fr/strat%C3%A9gie-conatus-Affirmation-
r%C3%A9sistance-Spinoza/dp/2711612724/ref=asap_bc?ie=UTF8

https://www.amazon.fr/Toland-Leibniz-LInvention-du-n%C3%A9o-
spinozisme/dp/2711621685/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1466439722&
sr=1-1&keywords=Tristan-Dagron-Toland-et-Leibniz-l-invention-du-neo-
spinozisme

Guerre de Restauration Portugaise (1640-1668) :

Wang Fuzhi: http://www.amazon.fr/raison-choses-Essai-philosophie-1619-


1692/dp/2070771121/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1454760574&sr=1-
1&keywords=Wang+Fuzhi

Li Zhi : http://www.amazon.com/Confucianism-Virtue-Chinese-Philosophy-
Culture/dp/1438439261/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1431017889&sr=
1-1&keywords=Li+Zhi%2C+Confucianism%2C+and+the+Virtue+of+Desire

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Tang Zhen : http://www.amazon.fr/%C3%89crits-dun-sage-encore-
inconnu/dp/2070724409/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1454760524&sr=
1-1&keywords=Tang+Zhen

Miyamoto Musashi (1584-1645): http://www.amazon.fr/Miyamoto-Musashi-


Maitre-japonais-
si%C3%A8cle/dp/2020861062/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=416CeGS1
XTL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=0Y7PE6XH
E3DWRAM9D6BR

http://www.amazon.fr/Trait%C3%A9-cinq-roues-Musashi-
Miyamoto/dp/2226018522/ref=pd_sim_14_10?ie=UTF8&dpID=51Pvz2IBZLL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR96%2C160_&refRID=0MCGPZQ3XA
2QPY7QW5CY

Saikaku Ihara (1642-1693): http://www.amazon.fr/Du-devoir-guerriers-


Saikaku-
Ihara/dp/2070725723/ref=pd_sim_14_9?ie=UTF8&dpID=41CYRP1V78L&dpS
rc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=151VN0QXT2FGNQ
CR2H7T

Wou King-tseu: http://www.amazon.fr/Chronique-indiscr%C3%A8te-


mandarins-Wou-King-
tseu/dp/2070707466/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=41T1K4T4S1L&dpSrc
=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=16ZRR7M47D3MQT
MWZAER

http://www.amazon.fr/Chronique-indiscr%C3%A8te-mandarins-Wou-King-
tseu/dp/2070707474/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=41M1BAN5MRL&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=1DTNMQNR03VP
T73ADD5M

Ihara Saikaku: http://www.amazon.fr/Chroniques-galantes-


prosp%C3%A9rit%C3%A9-d%C3%A9cadence-
Saikaku/dp/2877309045/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=514ZNXYPP1L&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR101%2C160_&refRID=151VN0QXT2F
GNQCR2H7T

Ji Yun : http://www.amazon.fr/Passe-temps-dun-%C3%A9t%C3%A9-
%C3%A0-
659
Luanyang/dp/2070754286/ref=pd_sim_sbs_14_2?ie=UTF8&dpID=519E1Z2K
QEL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR99%2C160_&refRID=1A6XG1W
N10QNCHCKS4YS

Chen Fou : http://www.amazon.fr/R%C3%A9cits-dune-vie-fugitive-


M%C3%A9moires/dp/2070706362/ref=pd_sim_14_11?ie=UTF8&dpID=41WN
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La France d’Ancien Régime (1484-1789): « Aux siècles d’Ancien Régime,


entre 1400 et 1800. » -Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme,
Flammarion, coll. Champ.Histoire, 2008 (1985 pour la première édition), 122
pages.

« La France se différencie de la plupart des autres pays occidentaux par la


manière dont elle a institutionnalisé ses politiques de recherche. Les Etats
occidentaux appuient normalement leur action sur les universités et sur les
académies. La situation de la France est un peu différente: les universités
françaises ont connu une longue traversée du désert de la Renaissance au XIXe
siècle: elles ne servaient guère qu'à fabriquer des médecins et des hommes de
loi. Turgot est le seul personnage important dont on mentionne, au cours de
cette longue période, qu'il ait été formé à l'université. [...]
En France, l'Etat d'Ancien Régime n'a rien fait pour sortir les universités de
leur marasme. Il pouvait compter sur les collèges jésuites pour former ses élites.
Pour répondre à des besoins nouveaux, il préférait créer des institutions
parallèles à l'université. L'exemple date de François Ier, avec le Collège de
France. Au XVIIe siècle, on voit naître le Jardin du Roi, notre Muséum
d'histoire naturelle, et l'Observatoire de Paris, ainsi qu'un nouveau cadre pour
enseigner l'architecture. Au XVIIIe siècle, le mouvement s'accélère, car il faut
former des techniciens aptes à mobiliser les nouveaux savoirs scientifiques dans
leurs applications civiles (on songe à l'École des ponts et chaussées) et
militaires (il s'agit là des écoles d'artillerie, mais également des Dépôts de la
Guerre et de la Marine).
La Révolution accélère le mouvement de création des grandes écoles. Napoléon
restructure l'ensemble du secteur enseignement supérieur/recherche.
L'université se voit confier la responsabilité de former médecins, hommes de loi
et professeurs de sciences et de lettres. Elle est doublée, dans le domaine
technique, par les grandes écoles. Université et grandes écoles ont un point
660
commun: elles n'ont pas vocation à la recherche. Celle-ci est organisée par la
Réunion des Académies en un Institut. Celui-ci a une mission de conseil. Il peut
organiser des actions à la demande du gouvernement -l'expédition d'Égypte le
montre dès le Directoire. Le Muséum d'histoire naturelle est la grande
institution de recherche dans le domaine des sciences de la nature. Dans le
domaine des arts et des humanités, l'Etat agit en créant des écoles à l'instar de
l'Ecole de Rome, héritée de la Royauté. » -Paul Claval, "Réflexions sur la
géographie de la découverte, la géographie coloniale et la géographie tropicale",
préface à Pierre Singaravélou, L'Empire des géographes. Géographie,
exploration et colonisation (XIXe-XXe siècle), Éditions Belin, 2008, coll.
Mappemonde, 286 pages, pp.7-26, p.14-15.

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+1661-1789

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661
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Louis XIII (1601-1643) : « Merci ! Grand merci à vous ! A cette heure, je suis
roi ! » -Louis XIII, à ses partisans, après l’assassinat de Concino Concini au
Louvre, le 24 avril 1617.

« C’est le plus grand serviteur que jamais la France ait eu. » -Louis XIII,
défendant Richelieu contre sa mère au lendemain de la Journée des dupes, 11
novembre 1630. Cité par Louis Batiffol, Richelieu et le Roi Louis XIII (1934).

« Dans l’ensemble la configuration du royaume dont hérite Louis XIII en 1610


n’est plus celle qu’a connue Louis XI à son avènement : partout la mer est
atteinte et les grands fleuves de l’Est sont dépassés.

Les grands fiefs du XVème siècle ont, entre-temps, disparu. » -Denis Richet, Le
royaume de France au XVIème siècle, in Denis Richet, De la Réforme à la
Révolution. Études sur la France moderne, Aubier, 1991, 584 pages, pages 343-
387, p.346.

« A Louis XIII
Roi très chrétien des Francs et de Navarre. » (p.3)

"Vous ne faites aucune violence aux consciences pensant autrement que vous
sur les choses de la religion." (p.4)

"Il est grand, ce royaume qui est à vous et qui s'étend, de l'une à l'autre mer, à
travers de si vastes espaces de contrées prospères ; mais vous avez un Empire
plus grand que ce royaume: c'est que vous ne convoitez pas les royaumes
d'autrui !" (p.4)
-Hugo Grotius, Le droit de la guerre et de la paix, trad. P. Pradier-Fodéré, PUF,
2012 (1625 pour la première édition en latin), 868 pages.

662
« Louis, l'un de nos plus grands princes, sinon le plus grand, le saint de la
monarchie capétienne. » -Robert Brasillach, Corneille, Fayard, 2006 (1938 pour
la première édition), 355 pages, p.69.

Armand Jean du Plessis de Richelieu (1585-1642) : « Oui, Messieurs, c’est


cette ardeur infatigable qui animoit le grand cardinal de Richelieu à porter au
plus haut degré la gloire de la France ; c’est, dis-je, cette même ardeur qui lui
inspira le dessein de former cette compagnie. En effet, s’il est véritable, comme
disoit l’orateur romain, que la gloire consiste, ou bien à faire des actions qui
soient dignes d’être écrites, ou bien à composer des écrits qui méritent d’être
lus, ne falloit-il pas que ce génie incomparable joignît ces deux choses pour
accomplir son ouvrage. C’est aussi ce qu’il a exécuté heureusement. Pendant
que les François, animés de ses conseils vigoureux, méritoient par des exploits
inouis, que les plumes les plus éloquentes publiassent leurs louanges, il prenoit
soin d’assembler dans la ville capitale du Royaume l’élite des plus illustres
écrivains de France pour en composer votre corps. Il entreprit de faire en sorte
que la France fournît tout ensemble et la matière et la forme des plus excellens
discours ; qu’elle fût en même temps docte et conquérante, qu’elle ajoutât
l’empire des lettres à l’avantage glorieux qu’elle avoit toujours conservé, de
commander par les armes, et certainement ces deux choses se fortifient et se
soutiennent mutuellement. Comme les actions héroïques animent ceux qui
écrivent, ceux-ci réciproquement vont remuer par le désir de la gloire ce qu’il y
a de plus vif dans les grands courages, qui ne sont jamais plus capables de ces
généreux efforts par lesquels l’homme est élevé au-dessus de ses propres
forces, que lorsqu’ils sont touchés de cette belle espérance de laisser à leurs
descendans, à leur maison, à l’état, des exemples toujours vivans de leur vertu,
et des monuments éternels de leurs mémorables entreprises ; et quelles mains
peuvent dresser ces monumens éternels, si ce n’est ces savantes mains qui
impriment à leurs ouvrages ce caractère de perfection que le temps et la
postérité respecte. » -Jacques-Bénigne Bossuet, extrait de son Discours de
réception à l’Académie française, 8 juin 1671.

« Richelieu avait foudroyé plutôt que gouverné les humains. » -Cardinal de Retz,
Mémoires (1671-1675).

« Qu’on parle mal ou bien du fameux Cardinal,


Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
663
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien. » -Pierre Corneille, "Vers sur le
cardinal de Richelieu" in Poésies diverses, Texte établi par Charles Marty-
Laveaux, 1862, p.86.

« Dans le bureau de Maurras, sur la cheminée, un grand buste de Richelieu. » -


François Léger, Une jeunesse réactionnaire, Paris, Publiccation F. B., 1993, 183
pages, p.174.

"Un roi de France, François 1er, donne le premier coup au mythe de la «


Chrétienté », base de l'unité européenne, en n'hésitant pas, dans sa lutte contre
le représentant du Saint Empire Romain, non seulement à soutenir les princes
protestants en révolte, mais même à s'allier avec le Sultan. La Ligue de Cognac
(1526) vit le chef de l'Eglise de Rome suivre le même chemin. On assista à cette
absurdité: Clément VII, allié de la Maison de France, entre en lice contre
l'empereur en s'alliant au Sultan précisément au moment où l'avance de Soliman
II en Hongrie menaçait toute l'Europe et où le protestantisme en armes était en
train de bouleverser son centre. Et l'on verra de même un prêtre au service de la
Maison de France, Richelieu, soutenir de nouveau, dans la dernière phase de la
guerre de Trente Ans, la ligue protestante contre l'empereur, jusqu'à ce que,
après la paix d'Augusta (1555), les traités de Westphalie (1648) suppriment les
derniers restes d’élément religieux, décrètent la tolérance réciproque entre les
nations protestantes et les nations catholiques et accordent aux princes révoltés
une indépendance presque complète vis-à-vis de l'Empire. A partir de cette
époque, l'intérêt suprême et l'enchère des conflits ne seront plus du tout la
défense idéale d'un droit dynastique ou féodal, mais une simple dispute autour
de morceaux du territoire européen: l'Empire est définitivement supplanté par
les impérialismes, c'est-à-dire par les menées des Etats nationaux désireux de
s'affirmer militairement ou économiquement sur les autres nations. La Maison
de France joua, dans ce bouleversement, tant sur le plan. de la politique
européenne, que dans sa fonction nettement anti-impériale, un rôle
prépondérant."

-Julius Evola, Révolte contre le monde moderne, chapitre 12 "Déclin de


l’oecumène médiéval - Les nations", Les Éditions de L'Homme Ltée, Copyright,
Ottawa, 1972 (1934 pour la première édition italienne), 479 pages.

http://hydra.forumactif.org/t1140-arnaud-teyssier-richelieu#1774

664
https://www.amazon.fr/Richelieu-foi-dans-France-
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Omer Talon (1595-1652) : http://www.amazon.fr/m%C3%A9lancolie-pouvoir-


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-1

La Fronde (1648–1653) : https://www.amazon.fr/Fronde-Orest-


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Jules Raymond Mazarin (1602-1661): https://www.amazon.fr/Mazarin-


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Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz (1613-1679):


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665
Pierre Corneille (1606-1684) : « Je satisfais ensemble et peuple et courtisans,

Et mes vers en tous lieux sont mes seuls partisans.

Par leur seule beauté ma plume est estimée :

Je ne dois qu’à moi seul toute ma renommée. » -Pierre Corneille, Excuse à


Ariste, mars 1637.

« Je suis maître de moi comme de l'univers ;


Je le suis, je veux l'être. » -Auguste, dans Cinna (1641), Acte V, scène 3.

« Corneille, qui fait mieux parler les Grecs que les Grecs, les Romains que les
Romains, les Carthaginois que les citoyens de Carthage ne parloient eux-mêmes
; Corneille, qui, presque seul, a le bon goût de l’antiquité, a eu le malheur de ne
plaire pas à notre siècle, pour être entré dans le génie de ces nations, et avoir
conservé à la fille d’Asdrubal son véritable caractère.

Ainsi, à la honte de nos jugements, celui qui a surpassé tous nos auteurs, et qui
s’est peut-être ici surpassé lui-même, à rendre à ces grands noms tout ce qui
leur étoit dû, n’a pu nous obliger à lui rendre tout ce que nous lui devions,
asservis par la coutume aux choses que nous voyons en usage, et peu disposés
par la raison à estimer des qualités et des sentiments qui ne s’accommodent pas
aux nôtres.

Concluons, après une considération assez étendue, qu’Alexandre et Porus


devoient conserver leur caractère tout entier ; que c’étoit à nous à les regarder
sur les bords de l’Hydaspe, tels qu’ils étoient ; non pas à eux de venir, sur les
bords de la Seine, étudier notre naturel et prendre nos sentiments. » -Charles de
Saint-Évremond, Dissertation sur la tragédie de Racine intitulée : Alexandre le
Grand, 1666, retouché en 1668, in Œuvres mêlées de Saint-Évremond, 3
volumes, Troisième Partie, Texte établi par Charles Giraud, J. Léon Techener
fils, 1865, 440 pages, p.300-301.

« Vous m’honorez de votre estime, en un temps où il semble qu’il y ait un parti


fait pour ne m’en laisser aucune. […]

J’ai cru jusques ici que l’amour étoit une passion trop chargée de foiblesse,
pour être la dominante, dans une pièce héroïque : j’aime qu’elle y serve
d’ornement, et non pas de corps ; et que les grandes âmes ne la laissent agir
qu’autant qu’elle est compatible avec de plus nobles impressions. » -Lettre de
666
M. de Corneille à M. de Saint-Évremond, pour le remercier des louanges qu’il
lui avoit données, dans la dissertation sur l’Alexandre de Racine (1668), in
Œuvres mêlées de Saint-Évremond, 3 volumes, Troisième Partie, Texte établi
par Charles Giraud, J. Léon Techener fils, 1865, 440 pages, p.311-312.

« Je vous puis répondre que jamais réputation n’a été si bien établie que la
vôtre, en Angleterre et en Hollande. […] Je crois que l’influence du mauvais
goût s’en va passer ; et la première pièce que vous donnerez au public fera voir,
par le retour de ses applaudissements, le recouvrement du bon sens et le
rétablissement de la raison. » -Charles de Saint-Évremond, Réponse de M. de
Évremond à M. de Corneille, in Œuvres mêlées de Saint-Évremond, 3 volumes,
Troisième Partie, Texte établi par Charles Giraud, J. Léon Techener fils, 1865,
440 pages, p.313 et 315.

« Dans l'Italie, l'art de la poésie épique, de la peinture, de la sculpture,


atteignirent une perfection que les anciens n'avaient pas connue. Corneille
annonçait que l'art dramatique en France était près d'en acquérir une plus
grande encore ; car si l'enthousiasme pour l'antiquité croit peut-être avec
justice reconnaître quelque supériorité dans le génie des hommes qui en ont
créé les chefs-d'œuvres, il est bien difficile qu'en comparant leurs ouvrages avec
les productions de l'Italie et de la France, la raison n'aperçoive pas les progrès
réels que l'art même a faits entre les mains des modernes. » -Nicolas de
Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain,
"Les classiques des sciences sociales", 1793, p.144.

« Corneille a la force (comme d'ailleurs tout le dix-septième siècle et comme


l'art grec que cette époque imitait); mais il y perd en richesse. Les personnages
ont un, ou deux sentiments tout en énergie, mais sans variété. L'art romantique,
au contraire préféré de nos jours, tire tout son mérite de sa diversité, de sa
richesse. En revanche, l'unité est relâchée; il y a plus de variété, moins de
force. » -Émile Durkheim, cours de 1884.

« Corneille nous montre comment la grâce agit, comment elle surprend,


comment elle saisit, comme elle pénètre. » (p.107)

« Il faut relire le Cid. Ou plutôt il faut le lire pour la première fois, et nous-
mêmes d’un regard inhabitué. L’amour de Chimène et de Rodrigue pour
l’honneur est une des nourritures les plus profondes de leur propre amour. Et
leur amour est une nourriture profonde et une offrande perpétuelle qu’ils font à
667
l’honneur. Et l’honneur qu’ils rendent à l’amour est encore une nourriture de
leur amour. » (p.169)

-Charles Péguy, « Note sur M. Descartes et la philosophie cartésienne », Cahiers


de la Quinzaine, 1er août 1914, repris in Note conjointe, Gallimard, NRF, 1935,
319 pages.

« C'est en cette même année 1636 que l'auteur déjà illustre de Médée et de
L'Illusion tira d'un poète espagnol, Guilhen de Castro, l'œuvre qui lui donna
d'un coup non plus la célébrité, mais la gloire: Le Cid. Avec Le Cid, Pierre
Corneille, à trente ans, épouse la Gloire […]
[Les critiques] s'acharnèrent sur Le Cid, et l'Académie naissante inaugura une
éclatante carrière d'erreurs en présentant tout aussitôt sur le jeune chef-d'œuvre
les Observations imbéciles que l'on connaît. » (p.97-98)

"Le Cid est de 1636, c'est-à-dire de l'année même où nous avons vaincu les
Espagnols à Corbie, et Le Cid est tout empli de la plus généreuse passion pour
l'Espagne. Certes, c'est bien le symbole d'un temps où les guerres, guerres de
chevaliers, n'engageaient point toute l'idéologie de la nation." (p.103)

-Robert Brasillach, Corneille, Fayard, 2006 (1938 pour la première édition), 355
pages.

http://hydra.forumactif.org/t252-pierre-corneille-le-cid-poesies-diverses#512

Charles de Saint-Évremond (1614-1703) : « Le mot de Volupté me rappelle


Épicure ; et je confesse que, de toutes les opinions des philosophes, touchant le
souverain bien, il n’y en a point qui me paroisse si raisonnable que la sienne. Il
seroit inutile d’apporter ici des raisons, cent fois dites par les épicuriens : que
l’amour de la volupté, et la fuite de la douleur, sont les premiers et les plus
naturels mouvements, qu’on remarque aux hommes ; que les richesses, la
puissance, l’honneur, la vertu, peuvent contribuer à notre bonheur : mais que la
jouissance du plaisir, la volupté, pour tout dire, est la véritable fin où toutes nos
actions se rapportent. C’est une chose assez claire d’elle-même, et j’en suis
pleinement persuadé. » -Charles de Saint-Évremond, Sur la morale d’Épicure,
1685.

Jean Racine (1639-1699) : « Le 5 décembre 1672, Pierre Corneille lui-même


allait à l'Académie voter, avec tous ses autres collègues, à l'unanimité, pour

668
l'élection de Jean Racine. » -Robert Brasillach, Corneille, Fayard, 2006 (1938
pour la première édition), 355 pages, p.331.

Blaise Pascal (1623-1662) : « Tout ce qui se perfectionne par progrès périt


aussi par progrès. » -Blaise Pascal, Pensées.

« Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception,
quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui
fait que les hommes vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même
désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne
fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les
actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre. » -Blaise Pascal,
Pensées, 138, édition Michel Le Guern (1670 pour la première édition).

« Ni la contradiction n’est marque de fausseté, ni l’incontradiction n’est marque


de vérité. » -Blaise Pascal, Pensées, Paris, Le livre de Poche, éditions
Brunschvicg, 384, 1972, p.173.

« Sur quoi la fondera‑t‑il, l’économie du monde qu’il veut gouverner ? Sera‑ce


sur le caprice de chaque particulier, quelle confusion ! Sera‑ce sur la justice, il
l’ignore. Certainement s’il la connaissait il n’aurait pas établi cette maxime la
plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les
mœurs de son pays. L’éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les
peuples. Et les législateurs n’auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette
justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands. On la
verrait plantée par tous les États du monde et dans tous les temps, au lieu qu’on
ne voit rien de juste ou d’injuste qui ne change de qualité en changeant de
climat, trois degrés d’élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un
méridien décide de la vérité, en peu d’années de possession les lois
fondamentales changent. Le droit a ses époques, l’entrée de Saturne au Lion
nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisante justice qu’une rivière borne !
Vérité au‑deçà des Pyrénées, erreur au‑delà.

Ils confessent que la justice n’est pas dans ces coutumes, mais qu’elle réside
dans les lois naturelles communes en tout pays. Certainement ils le
soutiendraient opiniâtrement si la témérité du hasard qui a semé les lois
humaines en avait rencontré au moins une qui fût universelle. Mais la
plaisanterie est telle que le caprice des hommes s’est si bien diversifié qu’il n’y
en a point.
669
Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre
les actions vertueuses. Se peut‑il rien de plus plaisant qu’un homme ait droit de
me tuer parce qu’il demeure au‑delà de l’eau et que son prince a querelle contre
le mien, quoique je n’en aie aucune avec lui ?

Il y a sans doute des lois naturelles, mais cette belle raison corrompue a tout
corrompu. Nihil amplius nostrum est, quod nostrum dicimus artis est. Ex
senatusconsultis et plebiscitis crimina exercentur. Ut olim vitiis sic nunc legibus
laboramus.

De cette confusion arrive que l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du
législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente. Et
c’est le plus sûr. Rien, suivant la seule raison, n’est juste de soi, tout branle avec
le temps. La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue.
C’est le fondement mystique de son autorité, qui la ramènera à son principe
l’anéantit. Rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes. Qui leur
obéit parce qu’elles sont justes, obéit à la justice qu’il imagine, mais non pas à
l’essence de la loi, elle est toute ramassée en soi. Elle est loi et rien davantage.
Qui voudra en examiner le motif le trouvera si faible et si léger que s’il n’est
accoutumé à contempler les prodiges de l’imagination humaine, il admirera
qu’un siècle lui ait tant acquis de pompe et de révérence. L’art de fronder,
bouleverser les États est d’ébranler les coutumes établies en sondant jusque dans
leur source pour marquer leur défaut d’autorité et de justice. Il faut, dit‑on,
recourir aux lois fondamentales et primitives de l’État qu’une coutume injuste a
abolies. C’est un jeu sûr pour tout perdre, rien ne sera juste à cette balance.
Cependant le peuple prête aisément l’oreille à ces discours. Ils secouent le joug
dès qu’ils le reconnaissent. Et les Grands en profitent à sa ruine et à celle de ces
curieux examinateurs des coutumes reçues. C’est pourquoi le plus sage des
législateurs disait que pour le bien des hommes il faut souvent les piper. Et un
autre bon politique, Cum veritatem qua liberetur ignoret, expedit quod fallatur. Il
ne faut pas qu’il sente la vérité de l’usurpation. Elle a été introduite autrefois
sans raison, elle est devenue raisonnable. Il faut la faire regarder comme
authentique, éternelle et en cacher le commencement si on ne veut qu’elle ne
prenne bientôt fin. » -Blaise Pascal, Fragment Misère n° 9 / 24.

« On voit clairement chez tous deux [Pascal et F. H. Jacobi] une réaction


d’effroi face aux progrès sociaux et scientifique qu’impose le rythme de
l’évolution de leur période, contre lesquels ils adoptent, Pascal en particulier,
670
une sorte d’opposition romantique, en soumettant ses résultats à une critique de
droite. » (p.42)

« Pascal, mathématicien inventif et de premier plan, tiré de la vision


« géométrique » de la nature qui commence à s’imposer des conséquences
philosophiques diamétralement opposées –abstraction faite de toutes les autres
différences- à celles de Descartes, Spinoza ou Hobbes. Ceux-ci aperçoivent ici
un champ illimité de possibilités qui s’ouvrent à l’homme dans la maîtrise
rationnelle et la conquête pratique de la nature. Pascal, à l’opposé, ne voit là
que la métamorphose d’un cosmos jusqu’ici peuplé de réprésentations
anthropomorphiques, mythiques et religieuses, en un infini inhumain et vide,
totalement étranger à l’homme. L’homme y est perdu, égaré dans cette percelle
infinitésimale de l’univers où l’ont relégué les sciences de la nature ; il est
désemparé face aux énigmes insolubles de deux abîmes : l’infiniment petit et
l’infiniment grand. Seule l’expérience religieuse, les vérités du cœur (celles du
christianisme) peuvent rendre à la vie un sens et une direction. » (p.43)

-György von Lukács, La Destruction de la raison. Schelling, Schopenhauer,


Kierkegaard, Éditions Delga, 2010 (1962 pour la première édition), 267 pages.

« Il y a, entre Maistre et Pascal, un accord profond sur les données de base de


la théologie sociale, une même articulation de l’empirisme irrationnel et du
mysticisme. Pour Pascal, étant donné la faiblesse de la pauvre raison humaine,
victime des puissances trompeuses, le problème de la justice de la coutume et de
l’ordre social est parfaitement vain. […] Pascal affirme la nécessité d’un voile
irrationnel et mystique qui recouvre les bases et les origines de l’ordre social
pour le faire tenir. […] Cette à cette théorie du silence et du voile que se
rattache aussi le dégoût maistrien des constitutions écrites et des lois
fondamentales définies. […] C’est là le réflexe de défense des instincts contre
une intelligence qui « démasque » tout, qui laïcise tout, qui livre tout à la
profanation de la conscience et du langage. » -Robert Triomphe, « Pascal et
Joseph de Maistre », Revue des Sciences Religieuses, Année 1961, 35-3, pp.
257-268, p.261-262.

http://hydra.forumactif.org/t266-blaise-pascal-oeuvres#530

https://www.amazon.fr/Pascal-Andr%C3%A9-
Gall/dp/2080676075/ref=sr_1_45?s=books&ie=UTF8&qid=1468854047&sr=1-
45&keywords=blaise+pascal
671
http://www.amazon.fr/Pascal-saint-Augustin-Philippe-
Sellier/dp/2226076239/ref=pd_sim_14_8?ie=UTF8&dpID=416UZCiMKCL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR104%2C160_&refRID=1KH2XN686P0A
NAC2WV5A

https://www.amazon.fr/Conversion-souverain-bien-Blaise-
Pascal/dp/2296993273/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=146885
3901&sr=1-8

https://www.amazon.fr/Dialectique-mis%C3%A8re-grandeur-blaise-
pascal/dp/2747504115/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1468853873&sr=1
-1&keywords=Jean-Louis-Bischoff-Dialectique-de-la-misere-de-la-grandeur-
chez-Blaise-Pascal

https://www.amazon.fr/Pascal-d%C3%A9tours-retournements-G%C3%A9rard-
Lebrun/dp/2701022355/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1477348859&sr=
1-1&keywords=G%C3%A9rard+Lebrun

Dom Mabillon (1632-1707) : https://www.amazon.fr/Dom-Mabillon-lhistorien-


Oeuvres-
choisies/dp/2221106946/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1467225232&sr=
1-1&keywords=Dom+Mabillon

Nicolas Malebranche (1631-1715) : « Rien n’est bon à notre égard s’il n’est
capable de nous rendre plus heureux et plus parfaits (...) on ne peut rien aimer
que par rapport à soi ou que par amour de soi-même, car je ne parle point ici
d’une espèce de bonté qui consiste dans la perfection de chaque chose. » -
Malebranche, 3e lettre au R.P. Lamy, OC 14, 85.

« Le plaisir est toujours un bien, et la douleur toujours un mal ; mais il n’est pas
toujours avantageux de jouir du plaisir, et il est quelquefois avantageux de
souffrir la douleur. » -Nicolas Malebranche, Apologie ou les véritables
mémoires de Maria Mancini.

« La théorie schmittienne de l’état d’exception –qui, tout en suspendant


l’application de certaines normes, ne se situe pas au-dehors de l’ordre juridique
global-, correspond parfaitement au modèle du pouvoir angélique selon le
Traité de la nature et de la grâce. » -Giorgio Agamben, Le Règne et la Gloire.
Pour une généalogie théologique de l'économie et du gouvernement. Homo

672
Sacer, II, 2. Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », septembre 2008
(2007 pour la première édition italienne), 443 pages, p. 396.

« La réflexion de Malebranche évolue, et l’amène à redéfinir la volonté humaine


comme « désir d’être heureux », et non plus simplement comme tendance
indéterminée et générale au bien. Cela le conduit à repenser le fondement des
actes volontaires, en accordant au plaisir une place prépondérante. »

« La bonté ne s’appréhende désormais qu’en relation au moi qui en doit faire


l’épreuve en lui-même, puisque le bien ne se montre que par l’expérience
subjective de sa détectabilité originaire : le délectable a pris le pas sur
l’honnête et l’utile ; le bien ne nous plaît pas parce qu’il est bon, mais il est bon
précisément et exclusivement parce qu’il nous plaît. »

« La mutation de la prudence en sentiment du plaisir constitue donc le moment


décisif où l’on bascule des éthiques héritées du Moyen Âge vers les morales des
Lumières, fondées sur le primat inconditionné du moi affecté. » -Jean-
Christophe Bardout, « Malebranche et la situation métaphysique de la morale.
Note sur le déclin de la prudence », Dix-septième siècle, 2005/1 (n° 226), p. 95-
109.

http://hydra.forumactif.org/t3509-nicolas-malebranche-traite-de-morale#4344

http://www.amazon.fr/Malebranche-Claire-
Schwartz/dp/2251760830/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1458750654&sr
=1-1&keywords=Figures+du+savoir

http://www.amazon.fr/Nicolas-Malebranche-Genevi%C3%A8ve-Rodis-
Lewis/dp/B00DP8ZGO4/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1443699059&sr=8-
2&keywords=Genevi%C3%A8ve+Rodis-Lewis+nicolas+malebranche

Samuel von Pufendorf (1632-1694) : « J’avoue que les textes sacrés nous
fournissent de grandes lumières pour connaître plus certainement les principes
du Droit naturel. Mais cela n’empêche pas qu’on ne puisse découvrir et
démontrer solidement ces principes […] par les seules forces de la Raison
naturelle. » -Samuel PUFENDORF. Le Droit de la nature ...• op. cit .• vol. 1. p.
231.

« La sociabilité n'est pas, souligne Pufendorf, une inclination, mais une


obligation, c'est-à-dire le principe des "devoirs" que l'homme, conformément à

673
la loi naturelle voulue par Dieu, a charge d'accomplir volontairement et
librement afin que son humanité le distingue des autres créatures. » -Simone
Goyard-Fabre, Les embarras philosophiques du droit naturel, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, coll. Histoire des idées et des doctrines, 2002, p.87.

http://hydra.forumactif.org/t1784-samuel-von-pufendorf-le-droit-de-la-nature-et-
des-gens-les-devoirs-de-l-homme-et-du-citoyen-tels-qu-ils-lui-sont-prescrits-
par-la-loi-naturelle#2467

L'Amour sous l’Ancien Régime: « Cette première émancipation de la femme


dans la société absolutiste de cour, a eue sur la progression du seuil de la
pudeur, de la sensibilité aux expériences pénibles, du renforcement du contrôle
de l'individu par la société en général. De même que tout gain de puissance, que
toute ascension de groupes sociaux rendait nécessaires une nouvelle
réglementation de la vie pulsionnelle et un renforcement de la répression sur
une "ligne moyenne" s'établissant à mi-chemin entre les restrictions de la
couche dirigeante et celle imposée à la couche assujettie, de même le
renforcement de la position sociale de la femme entraîna-t-il -pour employer
une formule un peu schématique- un relâchement des restrictions pulsionnelles
imposées aux femmes et une aggravation de celles imposées aux hommes ; de
fait, il en résulta pour l'homme autant que pour la femme un resserrement de
l'autocontrôle affectif dans leurs relations réciproques. [...]
D'innombrables anecdotes prouvent que l'aristocratie de cour considérait la
limitation des rapports sexuels au mariage comme "bourgeoise" et indigne de la
condition de noble. » -Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Calmann-Lévy,
coll. Agora, 1973 (1939 pour la parution du premier tome de Über den Prozess
der Zivilisation), 507 pages, p.404-405.

https://www.amazon.fr/Histoire-du-libertinage-Didier-
FOUCAULT/dp/2262032173/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=51DBt0-
RnCL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=RBJT5KG
6JDYYT6C4Q37C

http://www.amazon.fr/LAmour-temps-libertins-Patrick-
LASOWSKI/dp/2754018867/ref=tmm_pap_title_0?ie=UTF8&qid=1455308357
&sr=1-290

http://www.amazon.fr/Lharmonie-plaisirs-mani%C3%A8res-
lav%C3%A8nement-
674
sexologie/dp/2081238462/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&dpID=51NQZtbQzjL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR93%2C160_&refRID=01JVV8SXMTP3
RVGNW28W

Louis XIV (1638-1715): « Il faut que les intentions des Grands soient comme
les mystères de la foi. Il n’appartient pas aux hommes d’y pénétrer. On doit les
révérer et croire qu’elles ne sont jamais que pour le bien et le salut de la
patrie. » -Mademoiselle de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle,
Mémoires de Mademoiselle de Montpensier, petite fille de Henri IV, collationnés
sur le manuscrit autographe par A. Chéruel, Paris, sd. II, p.22. Année 1652.

« Splendeurs fugaces et discutables de ce que l'on appelle la primauté française


au temps de Louis XIV. » -Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme,
Flammarion, coll. Champ.Histoire, 2008 (1985 pour la première édition), 122
pages.

« L'absolutisme - transposition matérialiste de l'idée unitaire traditionnelle


ouvre le voie à la démagogie et aux révolutions nationales. Et là où les rois,
dans leur lutte contre l'aristocratie féodale et leur œuvre de centralisation
politique, furent logiquement portés à favoriser les revendications de la
bourgeoisie et de la plèbe contre la noblesse féodale, le processus s'accomplit
plus rapidement. […]

On peut dire que c'est justement pour avoir été une des premières à initier un tel
bouleversement que la France, en donnant un caractère centralisateur et
nationaliste à l'idée d'État, eut à subir la première l'écroulement du régime
monarchique et l'avènement de la République, au sens d'une arrivée au pouvoir,
résolue et déclarée, du Tiers-État, à tel point qu'elle apparut aux yeux des
nations européennes comme le principal foyer de ferment révolutionnaire et de
la mentalité laïque, nationaliste, illuministe, et donc mortelle pour les dernières
survivances de la Tradition. » -Julius Evola, Révolte contre le monde moderne
(1934).

« Mon petit pays, par exemple, à cheval sur le Cantal et l’Aveyron constituait au
Moyen-Age la comté de Carladez. En 1643, Louis XIV donne ce territoire
autour de Mur de Barrez aux Grimaldi, princes de Monaco. » -Jacques Serieys,
« La Révolution française et la Nation », 20 novembre 2020.

675
« Le Roy très-chrétien restituera au royaume et à la Reine de la G. B. pour les
posséder en plein droit et à perpétuité, la baye et le détroit d’Hudson, avec
toutes les terres, mers, rivages, fleuves et lieux qui en dépendent, et qui y sont
situés, sans rien excepter de l’étendue desdites terres et mers possédées
présentement par les François, le tout aussi bien que tous les édifices et forts
construits, tant avant que depuis que les François s’en sont rendus maîtres,
seront délivrés de bonne foy en leur entier, et en l’état où ils sont présentement
sans en rien démolir, avec toute l’artillerie, boulets, la quantité de poudre,
proportionnée à celle des boulets (si elle s’y trouve), et autres choses servant à
l’artillerie, à ceux des sujets de la Reine de la G. B., munis de ses commissions
pour les demander et recevoir, dans l’espace de six mois, à compter du jour de
la ratification de présent Traité, ou plus tôt si faire se peut, à condition toutefois
qu’il sera permis à la compagnie du Québec et à tous autres sujets quelconques
du Roy T. C. de se retirer desdites terres et détroits, par terre ou par mer, avec
tous leurs biens, marchandises, armes, meubles et effets de quelque nature ou
espèce qu’ils soient, à la réserve de ce qui a été excepté cy dessus. Quant aux
limites entre la baye d’Hudson et les lieux appartenant à la France, on est
convenu qu’il sera nommé incessamment des commissaires de part et d’autre,
qui les détermineront dans le terme d’un an, et il ne sera pas permis aux sujets
des deux nations de passer lesdites limites pour aller les uns aux autres, ni par
mer, ni par terre. Les mêmes commissaires auront le pouvoir de régler
pareillement les limites entre les autres colonies françaises et britanniques de
ces païs là. » -Traité d’Utrecht, article 10, 1713.

« Louis XIV racontait à l'une de ses maîtresses combien son confesseur avait
tranquillisé sa conscience, alarmée de l'oppression et de l'épuisement de son
peuple, en l'assurant qu'il était le maître de tout ce que possédaient ses sujets.
Voir Gordon, Discours politiques sur Tacite. » -Paul-Henri Thiry d’Holbach,
Système social ou Principes naturels de la Morale & de la Politique avec un
Examen de l’Influence du Gouvernement sur les Mœurs, 1773 in Œuvres
philosophiques (1773-1790), Éditions coda, 2004, 842 pages, pp.5-314, p.25.

« Sous Louis XIV, sous le règne de ce roi qui a porté si haut, dit-on, la gloire et
la puissance de la France, quelle était la condition du peuple ? Était-il
supérieure à celle du peuple de nos jours ? Tout le monde connaît le passage
célèbre de la Dixme royale de Vauban, dans lequel cet illustre homme de bien
caractérisait en des termes navrants l’état de la France.

676
“Il est certain, disait-il, que le mal est poussé à l’excès, et si l’on n’y remédie, le
menu peuple tombera dans une extrémité dont il ne se relèvera jamais; les grand
chemins des campagnes et les rues des villes et des bourgs étant pleins de
mendiants que la faim et la nudité chassent de chez eux.

“Par toutes les recherches que j’ai pu faire depuis plusieurs années que je m’y
applique, j’ai fort bien remarqué que, dans ces derniers temps, près de la
dixième partie du peuple est réduite à la mendicité, et mendie effectivement; que
des neufs autres parties, il y en a cinq qui ne sont pas en état de faire l’aumône à
celle-ça, parce qu’eux-mêmes sont réduits, à très-peu de chose près, à cette
malheureuse condition; que des quatre autres parties qui restent, trois sont fort
malaisées et embarrassées de dettes et de procès, et que dans la dixième, où je
mets tous les gens d’épée, de robe, eccléstiastiques et laïques, toute la noblesse
haute, la noblesse distinguée, et les gens en charge militarire et civile, les bons
marchands, les bourgeois rentés et les plus accommodées, on ne peut pas
compter sur cent mille familles; et je ne croirais pas mentir quand je dirais qu’il
n’y a pas de dix mille familles petites ou grandes qu’on puisse dire fort à leur
aise. » -Gustave de Molinari, Journal des Économistes Tome XX, N° 82. – 15
juin 1848 (p. 328-332).

« La monarchie ne survécut à Louis XIV que de soixante-quatorze ans, à peu de


chose près la durée de son règne. Louis XIV a usé la monarchie française.

La banqueroute. La continuité de la guerre, l’énorme folie des dépenses de luxe,


les erreurs d’un colbertisme exagéré où Colbert ne serait pas tombé, les défauts
aggravés du régime fiscal le plus propre à décourager le travail, la révocation
de l’Edit de Nantes et la déperdition de forces qui s’ensuivit, ont réduit un pays
industrieux où l’on admire, dans les plus mauvais moments, l’endurence et
l’effort, à des misères attestées par des témoignages nombreux, certains et
lamentables. […]

Le plus clair succès de Louis XIV a été d’obtenir l’obéissance politique. Ce ne


fut pas sans quelque peine. Chaque année eut ses révoltes, dont quelques-unes
très graves. Il faudra faire l’histoire exacte de ces insurrections, des motifs
invoqués, des injures et des menaces que l’on y a criées, si l’on veut clairement
connaître les prodromes de la Révolution. Mais c’était des grondements de
tonnerre courts et isolés ; le général orage n’était que par quelques-uns, qui,
peut-être, ne croyaient pas ferme à leurs prévisions. […] Ce qu’on appellera

677
bientôt « l’ancien régime », ce composé de vieilleries inutiles ou funestes, de
décors en lambeaux, de droits sans devoirs devenus des abus, ces ruines d’un
long passé au-dessus desquelles se dresse solitaire une toute-puissance, qui se
refuse à préparer un avenir, il ne serait pas juste de l’imputer au seul Louis
XIV ; mais il l’a porté au plus haut degré d’imperfection et marqué pour la
mort. » -Alexandre de Ségur, A. Rebelliau, P. Sagnac et Ernest Lavisse, Histoire
de France, Tome VIII « Louis XIV et la fin du règne (1685-175) », 190

« Louis XIV, après la mort du dauphin et d’un de ses fils, se trouve confronté à
une situation risquée, puisque l’héritier est un enfant en très bas âge dont la
survie est aléatoire ; l’autre fils survivant du dauphin a renoncé au trône de
France pour celui d’Espagne. Mais le roi ne peut pas inscrire dans la
succession au trône ses fils bâtards, même légitimés et compétents. » -Yannick
Mével & Nicole Tutiaux-Guillon, Didactique et enseignement de l'histoire-
géographie au collège et au lycée, Éditions Publibook, Paris, 2013, 291 pages,
note 1 p.48.

« Les frontières de la France actuelle sont à peu près identiques à celles de la


France au moment de la mort de Louis XIV (1715). » -Yannick Clavé,
Géographie de la France, Éditions Ellipses, 2013, 384 pages, p.31.

"Au Siam, Louis XIV voulait installer le commerce français, et répandre la vraie
foi. On amorça des échanges: en 1684, les Parisiens virent arriver des
mandarins siamois, grande merveille ; en 1685, une mission française se rendit
au Siam ; en 1686, une nouvelle mission siamoise vint en France ; en 1687, une
seconde mission française renouvela la tentative. Alors parurent des relations
écrites par les savants ecclésiastiques et par les diplomates mêlés à l’affaire.
D’où la curiosité du public. D’où, par un mécanisme psychologique qui ne
change pas, l’image embellie des Siamois, pieux, sages, éclairés. Par exemple,
on raconte que lorsqu’on a proposé au Roi de Siam de se convertir, il a répondu
que si la Providence divine avait voulu qu'une seule religion régnât sur le
monde, rien ne lui aurait été plus facile que d’exécuter ce dessein ; mais puisque
Dieu avait toléré une foule de religions dissemblables, on devait conclure qu’il
préférait être glorifié par une prodigieuse quantité de créatures le louant
chacune à sa manière. En rapportant ces propos, on s’émerveille: eh quoi ! ce
prince de Siam, qui pourtant ignore les sciences de l’Europe, a exposé avec une
force et une netteté remarquables la raison la plus plausible de la philosophie
païenne contre la seule vraie religion ! ... Les conclusions qu’on tire de tout cela
678
tournent à l’hétérodoxie. Les Siamois souffrent toute sorte de religions, et leur
Roi permet à des missionnaires chrétiens de prêcher librement dans leurs villes:
les Européens sont-ils aussi larges, aussi tolérants ? Et que diraient-ils, si les
Talapoins, c’est le nom des prêtres de là-bas, s’avisaient de venir en France
pour y prêcher leur foi ? — Les Siamois ont une religion parfaitement ridicule ;
ils adorent un Dieu extravagant qui s’appelle Sommonokhodom ; et cependant,
leurs mœurs sont pures et même austères ; un chrétien n’a rien à redire à la
conduite de leur vie. Morale et religion ne sont donc pas nécessairement liées ?"
(p.19-20)
-Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne (1680-1715), "Les
classiques des sciences sociales", 2005, 359 pages, à partir de Le livre de Poche,
collection références, Paris, 1994 (1935 pour la première édition).

"Fut poursuivie - surtout par Louis XI et Louis XIV - la lutte contre la noblesse
féodale, lutte qui ne dédaignait pas l'appui de la bourgeoisie et tolérait même,
pour atteindre son but, l'esprit de révolte de couches sociales encore plus basses
; c'est lui qui favorisa déjà une culture antitraditionnelle, grâce à ses « légistes
» qui furent, avant les humanistes de la Renaissance, les véritables précurseurs
du laïcisme moderne. S'il est significatif que ce soit un prêtre - le cardinal de
Richelieu - qui ait affirmé, contre la noblesse, le principe de la centralisation, en
préparant le remplacement des structures féodales par binôme nivellateur
moderne du gouvernement et de la nation, il est incontestable que Louis XIV, en
façonnant les pouvoirs publics, en développant systématiquement l'unité
nationale, et en la renforçant sur le plan politique, militaire et économique, a
pour ainsi dire, préparé un corps pour l'incarnation d'un nouveau principe,
celui du peuple, de la nation conçue comme simple collectivité bourgeoise ou
plébéienne. Ainsi, l'oeuvre anti-aristocratique entreprise par les rois de France,
dont on a déjà souligné l'opposition constante contre le Saint Empire, devait
logiquement, avec un Mirabeau, se retourner contre eux et les chasser
finalement du trône contaminé. On peut affirmer que c'est précisément pour
s'être engagée la première dans cette voie et avoir, de ce fait, sans cesse accru
le caractère centralisateur et nationaliste de la notion d'Etat, que la France
connut la première l'écroulement du régime monarchique et, d'une façon précise
et ouverte, avec l'avènement du régime républicain, le passage du pouvoir entre
les mains du Tiers Etat. Elle devint ainsi, au sein des nations européennes, le
principal foyer de ce ferment révolutionnaire et de cette mentalité laïque et
rationaliste, qui devaient détruire les derniers vestiges de la traditionnalité."
679
-Julius Evola, Révolte contre le monde moderne, chapitre 12 "Déclin de
l’oecumène médiéval - Les nations", Les Éditions de L'Homme Ltée, Copyright,
Ottawa, 1972 (1934 pour la première édition italienne), 479 pages.

https://www.france-histoire-esperance.com/12-juin-1709-louis-xiv-publier-
lettre-dappel-a-laide-a-sujets/

https://www.amazon.fr/Louis-XIV-vingt-millions-
Fran%C3%A7ais/dp/2818500060/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1538399629&sr=
8-1&keywords=Louis+XIV+et+vingt+millions+de+Fran%C3%A7ais

https://www.amazon.fr/arm%C3%A9es-Roi-chantier-XVIIe-XVIIIe-
si%C3%A8cle/dp/2200614152/ref=pd_sim_14_1?_encoding=UTF8&psc=1&re
fRID=HM5VDRTE0D4RTAW4TQ9H

http://www.amazon.fr/Les-guerres-Louis-John-
LYNN/dp/2262047553/ref=pd_sim_14_53?ie=UTF8&dpID=51MHvk5F-
XL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR99%2C160_&refRID=0B9HWRQR
G1GTP5TZB4VS

https://www.amazon.fr/Utopie-r%C3%A9volte-sous-Louis-
XIV/dp/2707805009/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1502828067&sr=1-
1&keywords=utopie+et+r%C3%A9volte+sous+louis

Jean-Baptiste Colbert (1619-1683): « Le commerce est une guerre perpétuelle


et paisible d’esprit entre toutes les nations. » -Colbert, Lettres, instructions et
mémoires, Paris, 1862, tome VI, p.269.

« Colbert, après avoir fait preuve de libéralisme dans le tarif douanier de 1664,
cède aux doléances des manufacturiers et, dans le tarif de 1667, inaugure, si
l’on peut dire, le protectionnisme national en France. Les droits de douane,
plutôt fiscaux que protecteurs, établis en 1664, sont remplacés par 700 droits de
sortie, 900 droits d’entrée, destinés cette fois ouvertement à protéger l’industrie
nationale : les Anglais et les Hollandais répondent en élevant les droits sur les
produits français et en particulier en prohibant nos vins et eaux-de-vie,
principal objet de nos exportations. Les intérêts économiques étant ainsi
heurtés, la guerre était inévitable. Elle éclate avec la Hollande en 1672. La paix
de Nimègue entraîne renonciation au tarif de 1667 et liberté réciproque du
commerce des deux pays. Quant à l’Angleterre, elle prohibe momentanément
tout commerce avec la France « comme nuisible à l’État ».
680
Les successeurs de Colbert ne font qu’exagérer son système ; la même cause a
les mêmes effets. En 1688, nouvelle guerre avec la Hollande ; le traité de
Ryswick en 1697 amène la promulgation, deux ans après, de nouveaux tarifs qui
font bénéficier les produits hollandais de taxes privilégiées. Contre l’Angleterre,
nous élevons en 1687 nos droits sur les étoffes de laine, principal objet de ses
exportations. En 1696 elle nous répond en frappant à perpétuité nos produits de
taxes d’importation de 25% plus élevées que ceux des autres nations. En 1701 la
France, par arrêt du Conseil, prohibe un grand nombre de marchandises
anglaises, élève les droits sur certaines autres et cherche à atteindre la marine
anglaise par des surtaxes de pavillon. En 1703, l’Angleterre passe avec le
Portugal le traité de Méthuen qui assure aux vins portugais l’avantage sur les
nôtres d’une taxe trois fois moins élevée. Une pièce de Champagne paye alors
en Angleterre 475 francs de droits, une pièce de Bourgogne 750 francs.

De tels événements ne pouvaient laisser indifférents ceux qui, par profession ou


par goût, portaient attention aux choses économiques. Dès la fin du XVIIème le
mouvement de désagrégation du mercantilisme s’accentue, non pas que ses
bases théoriques soient dès lors ébranlées mais les applications d’art social
qu’on en fait découler se transforment. On admet que le commerce doit apporter
au pays la richesse par excellence, l’or et l’argent. Mais le régime le plus
favorable au commerce n’est pas la réglementation, dont on constate les
dangereux effets ; c’est la liberté.

Ainsi se constitue une forme de transition entre le mercantilisme et le


libéralisme, que nous avons proposé d’appeler le mercantilisme libéral siècle, et
qui trouve son expression notamment dans les protestations des marchands et
des députés au Conseil du Commerce et surtout dans un manuscrit inédit d’un
courtisan de Louis XIV, M. de Belesbat.

Les caractères particuliers de ce mercantilisme libéral sont les suivants. Ses


représentants admettent que les métaux précieux jouent dans l’économie
nationale un rôle prépondérant. Ils admettent l’utilité pour l’État d’une
population abondante et riche. Ils ne mettent pas en question l’opportunité du
rôle tutélaire de l’administrateur du royaume dans l’ordre économique. De ces
principes théoriques ils dégagent cette conclusion que, plus le commerce est
utile, plus le prince doit lui donner un régime favorable. Or ce régime c’est la
liberté. « Le commerce vit de liberté et meurt de protection ». Le Colbertisme est
soumis à une critique minutieuse pour les entraves administratives qu’il a
681
multipliées et auxquelles vient se heurter le développement de l’activité
nationale, pour ses armées de commis et de fonctionnaires incapables, chargés
d’une besogne qu’il n’est pas au pouvoir de l’esprit humain de mener à bien,
pour sa politique protectionniste qui engendre nécessairement la guerre en
isolant les peuples les uns des autres, tandis que le libre-échange mettrait en
pleine lumière la solidarité qui les unit. En particulier, en ce qui touche la
Hollande, on explique comment son économie nationale, est, dans le fait,
complémentaire de la nôtre, puisque nous produisons trop pour notre
consommation et elle pas assez. Il doit donc s’établir entre les deux pays une
division du travail, l’un produisant, l’autre commerçant. Une harmonie
providentielle règne entre leurs intérêts. L’ardeur des convictions est si forte
que ces principes nouveaux sont proclamés, par un courtisan du Grand Roi,
dans l’instant même où nous sommes en guerre avec la Hollande et Louis XIV
devait peu goûter de semblables leçons.» -Albert Schatz, L’individualisme
économique et social, Institut Coppet, 2012 (1907 pour la première édition),
p.20-21.

"Historiquement, la politique de centralisation industrielle de Colbert s'était


d'ailleurs traduite par un véritable échec. A la fin du règne de Louis XIV, la
plupart des créations de Colbert avaient disparu. Au XVIIIe siècle, ce sont au
contraire les petits fabricants de la ville et de la campagne qui permirent à la
France de se relever de la crise économique provoquée par la décadence des
manufactures." (p.101)

"Le mercantilisme ne se définit pas d'abord comme une politique protectionniste


ou par l'attrait de métaux précieux. Le mercantilisme est avant tout une
politique fiscale. Son but est d'accélérer les rentes fiscales en stimulant
"économie et le commerce. Le contrôle de "économie, l'établissement de
manufactures ont pour but de favoriser des conditions propres à augmenter le
rendement des impôts beaucoup plus que d'instaurer un dirigisme économique
qui aurait été considéré comme un bien en soi. « Le commerce est la source des
finances, et les finances sont le nerf de la guerre », écrivait Colbert dans une
instruction célèbre. Sa devise aurait pu être que ce qui est bon pour le fisc est
bon pour la société." (p.118)

-Pierre Rosanvallon, Le Libéralisme économique. Histoire de l'idée de marché,


Seuil, coll. Points Essais,1999 (1979 pour la première édition), 243 pages.

682
https://www.amazon.fr/Colbert-Fran%C3%A7ois-
DAUBERT/dp/2262048258/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1468853681
&sr=1-1&keywords=Francois-D-Aubert-Colbert

Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707) :


https://www.amazon.fr/Vauban-Anne-
Blanchard/dp/2213634106/ref=sr_1_7?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5
%BD%C3%95%C3%91&keywords=Vauban&qid=1580226831&sr=8-7

Jean Bart (1650-1702) : https://www.amazon.fr/Jean-Bart-Corsaire-Roi-


Soleil/dp/2213662061/ref=pd_sim_14_4?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=C
SG2SFQQHJQKNASAQA5G

Louis-Armand de Lom d'Arce (1666-1716) : « [Adario]: Plus je réfléchis à la


vie des Européens et moins je trouve de bonheur et de sagesse parmi eux. Il y a
six ans que je ne sais que penser à leur état. Mais je ne trouve rien dans leurs
actions qui ne soit au-dessous de l'homme et je regarde comme impossible que
cela puisse être autrement, à moins que vous ne veuillez vous réduire à vivre
sans le tien et le mien comme nous faisons. Je dis donc que ce que vous appelez
argent est le démon des démons, le tyran des Français, la source des maux, la
perte des âmes et le sépulcre des vivants. Vouloir vivre dans les pays de l'argent,
et conserver son âme, c'est vouloir se jeter au fond du lac pour conserver sa vie
; or ni l'un ni l'autre ne se peuvent. Cet argent est le père de la luxure, de
l'impudicité, de l'artifice, de l'intrigue, du mensonge, de la trahison, de la
mauvaise foi et généralement de tous les maux qui sont au monde. Le père vend
ses enfants, les maris vendent leurs femmes, les femmes trahissent leurs maris,
les frères se tuent, les amis se trahissent et tout pout l'argent. Dis-moi, je te prie,
si nous avons tort après cela de ne vouloir point manier ni même voir ce maudit
argent. [...]
Tu vois que nous sommes un millier d'hommes dans notre village, que nous nous
aimons comme frères ; que ce qui est à l'un est au service de l'autre ; que les
chefs de guerre, de nation et de conseil n'ont pas plus de pouvoir que les autres
Hurons ; qu'on n'a jamais vu de querelles ni de médisance parmi nous ; qu'enfin
chacun est maître de soi-même et fait tout ce qu'il veut sans rendre compte à
personne et sans qu'on y trouve à redire. Voilà, mon frère, la différence qu'il y a
de nous à ces princes, à ces ducs, etc., laissant à part tous ceux qui, étant au-
dessous d'eux, doivent, par conséquent, avoir plus de peines, de chagrins et

683
d'embarras. » -Louis-Armand de Lom d'Arce, Supplément aux voyages du
baron de La Hontan, 1703.

La Querelle des Anciens et des Modernes (1687-: "Les historiens font


remonter les origines de la doctrine du progrès à la querelle des anciens et des
modernes, qui fit tant de tapage durant les dernières années du XVIIème siècle.
Il peut sembler singulier à plus d'un homme de notre temps qu'une querelle
purement littéraire ait pu engendrer une telle conséquence, car ne nous serions
guère disposés aujourd'hui à admettre qu'il puisse exister un progrès
artistique." (p.47)

« Tous les grands écrivains du XVIIème siècle furent avec Boileau, quand éclata
la querelle des anciens et des modernes, tandis que Perraut était un infatigable
défenseur des mauvais auteurs que Boileau a tués : Chapelain, Cotin, Saint-
Amant. » (p.50)
-Georges Sorel, Les illusions du progrès, L'Age d'Homme, coll. "Les classiques
de la politique", 2007 (1908 pour la première édition).

https://www.amazon.fr/Querelle-Anciens-Modernes-17e-18e-
si%C3%A8cles/dp/2070387526/ref=pd_rhf_dp_s_cp_4?ie=UTF8&dpID=51dd
C6H3T1L&dpSrc=sims&preST=_SL500_SR82%2C135_&refRID=9P5CB5KQ
WV9700G66MGZ

Nicolas Boileau (1636-1711): http://hydra.forumactif.org/t2748-nicolas-


boileau-lart-poetique#3503

Jean de La Fontaine (1621-1695) : "Mais un fripon d’enfant, cet âge est sans
pitié,

Prit sa fronde et, du coup, tua plus d’à moitié

La volatile malheureuse" -Jean de La Fontaine, "Les Deux Pigeons", Fables,


Livre IX, 2.

« Un Envoyé du Grand Seigneur

Préférait, dit l'Histoire, un jour chez l'Empereur,

Les forces de son Maître à celles de l'Empire.

Un Allemand se mit à dire :

684
Notre prince a des dépendants

Qui de leur chef sont si puissants

Que chacun d'eux pourrait soudoyer une armée.

Le Chiaoux, homme de sens,

Lui dit : Je sais par renommée

Ce que chaque Electeur peut de monde fournir ;

Et cela me fait souvenir

D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.

J'étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer

Les cent têtes d'une Hydre au travers d'une haie.

Mon sang commence à se glacer ;

Et je crois qu'à moins on s'effraie.

Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal.

Jamais le corps de l'animal

Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.

Je rêvais à cette aventure,

Quand un autre Dragon, qui n'avait qu'un seul chef

Et bien plus d'une queue, à passer se présente.

Me voilà saisi derechef

D'étonnement et d'épouvante.

Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi.

Rien ne les empêcha ; l'un fit chemin à l'autre.

Je soutiens qu'il en est ainsi

685
De votre Empereur et du nôtre. » -Jean de La Fontaine, Livre I, Fable XII « Le
Dragon à plusieurs têtes et le Dragon à plusieurs queues. »

« Certes il n'y a pas de système de plaisir chez La Fontaine, mais une


compréhension profonde d'un épicurisme vécu d'élégante manière, qui sait se
référer à des problèmes posés par Épicure, et renvoyer à Lucrèce. » -Daniel
Delattre & Jackie Pigeaud, préface à Daniel Delattre & Jackie Pigeaud (éds), Les
Épicuriens, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 2010, 1481 pages
p.XLIX.

Molière (1622-1673): « L’immense succès obtenu par les Provinciales (1656-


1657) sembla prouver que le public était disposé à recevoir une telle direction
augustinienne. Suivant Brunetière, La Fontaine et Molière furent les seuls
écrivains notables qui échappèrent complètement à cette influence. » -Georges
Sorel, Les illusions du progrès, L'Age d'Homme, coll. "Les classiques de la
politique", 2007 (1908 pour la première édition), p.50.

http://hydra.forumactif.org/t4347-moliere-1622-1673#5226

https://www.amazon.fr/Moli%C3%A8re-Mory-
Christophe/dp/2070319628/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1468853514&
sr=1-1&keywords=Christophe-Mory-Moliere

Dominique Bouhours (1628-1702): « Dans le livre de Bouhours, Des manières


de bien penser dans les ouvrages de l'esprit, en 1687, un dialogue oppose
Eudoxe (qui incarne le classicisme de Boileau) et Philanthe, qui représente
l'esthétique de la délicatesse, camp choisi par Bouhours, pour qui il ne s'agira
pas "de prescrire des règles, ni de donner des lois qui gênent personne". [...]
L'abbé Dubos, dont Voltaire disait que ses Réflexions critiques sur la poésie et
la peinture de 1719 étaient "le livre le plus utile qu'on ait jamais écrit sur ces
matières chez aucune des nations de l'Europe", s'inscrit dans la continuité de
Bouhours en affirmant, dans sa critique du classicisme, la primauté de l'émotion
sur l'intelligence. » -Renée Bouveresse, L'expérience esthétique, Paris, Armand
Colin, Coll. U série philosophie, 1998.

Jean-Baptiste Dubos (1670-1742) : « Tous les artistes le lisent avec fruit. C’est
le livre le plus utile qu’on ait jamais écrit sur ces matières chez aucune des
nations de l’Europe. Ce qui fait la bonté de cet ouvrage, c’est qu’il n’y a que
peu d’erreurs et beaucoup de réflexions vraies, nouvelles et profondes. Ce n’est

686
pas un livre méthodique ; mais l’auteur pense, et fait penser. Il ne savait
pourtant pas la musique ; Il n’avait jamais pu faire de vers, et n’avait pas un
tableau ; mais il avait beaucoup lu, vu, entendu et réfléchi. » -Voltaire, Le Siècle
de Louis XIV, 1751.

Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704): « Le prince ne doit rendre compte à


personne de ce qu’il ordonne. » -Bossuet, La Politique tirée des propres paroles
de l’Écriture sainte, Livre IV, article 1er, 1709, Dalloz, 2003.

« La Politique tirée de l'Écriture sainte, véritable apologie du despotisme. [...]


Bossuet, qui confond l'anarchie et la liberté, les sujets n'ont aucun droit, non
pas même à la propriété, qui ne soit une concession de l'autorité ; par
conséquent, ils ne peuvent prétendre à aucune garantie. » -Édouard Laboulaye,
L'État et ses limites, suivi d'Essais politiques sur M. de Tocqueville, l'instruction
publique, les finances, le droit de pétition, etc., Paris, 1865 (1863 pour la
première édition), 401 pages, p.25.

« Selon Bossuet [...] aucun excès de pouvoir, pour démesuré qu'il soit, ne justifie
le recours du peuple à la force, et que l'unique remède offert aux maux des
citoyens, "en quelque nombre qu'ils soient", c'est "les prières et la patience
contre la puissance publique". » -Henry Michel, L'idée de l'Etat: essai critique
sur les théories sociales et politique en France depuis la Révolution, Paris,
Librairie Hachette et Cie, 1896, 666 pages, p.7.

« Les philosophes, qui ont pris Dieu pour guide directeur de l'histoire, partagent
cette infatuation ; ils s'imaginent que ce Dieu, créateur de l'univers et de
l'humanité, ne peut s'intéresser à autre chose qu'à leur patrie, religion et
politique. Le Discours sur l'Histoire universelle, de Bossuet, est un des
échantillons les mieux réussis du genre : les peuples païens s'exterminent pour
préparer la venue du christianisme, sa religion, et les nations chrétiennes
s'entretuent pour assurer la grandeur de la France, sa patrie, et la gloire de
Louis XIV, son maître. » -Paul Lafargue, Le déterminisme économique de Karl
Marx. Recherches sur l'origine et l'évolution des idées de justice, du bien, de
l'âme et de dieu, 1909.

https://www.amazon.fr/Bossuet-conscience-lEglise-France-
Richardt/dp/2755405740/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1468853352&sr
=1-1&keywords=Aime-Richardt-Bossuet-la-conscience-de-l-Eglise-de-France

687
François de Salignac de La Mothe-Fénélon (1651-1715) : « Il faut être
toujours prêt à faire la guerre, pour n’être jamais réduit au malheur de la
faire. » -Fénélon, Les Aventures de Télémaque, fils d’Ulysse (1699).

-François de Salignac de La Mothe-Fénélon, Essai philosophique sur le


gouvernement civil, où l’on traite de la nécessité, de l’origine, des bornes et des
différentes formes de souveraineté, posthume, 1721 pour la seconde édition, in
Œuvres, Tome 3, Paris, Lefevre libraire-éditeur, 1835.

« La longue fréquentation des anciens n’avait-elle pas fait un communiste de


Fénelon, de cet homme que l’Europe moderne regarde avec raison comme le
plus beau type de la perfection morale ? Lisez son Télémaque, ce livre qu’on se
hâte de mettre dans les mains de l’enfance ; vous y verrez Fénelon empruntant
les traits de la Sagesse elle-même pour instruire les législateurs. Et sur quel
plan organise-t-il sa société-modèle ? D’un côté, le législateur pense, invente,
agit ; de l’autre, la société, impassible et inerte, se laisse faire. Le mobile moral,
le principe d’action est ainsi arraché à tous les hommes pour être l’attribut d’un
seul. Fénelon, précurseur de nos modernes organisateurs les plus hardis, décide
de l’alimentation, du logement, du vêtement, des jeux, des occupations de tous
les Salentins. » -Frédéric Bastiat, Baccalauréat et Socialisme, 1848, in
Sophismes économiques et petits pamplets II, Guillaumin, 1863, Œuvres
complètes de Frédéric Bastiat, tome 4 (pp. 442-503), p.456.

« Au moment même où le roi le plus absolu peut-être qui ait jamais existé, Louis
XIV, étouffait les derniers vestiges des libertés locales et mettait en vente les
offices des magistrats municipaux, les idées de liberté générale prenaient
naissance et se montraient parées des couleurs les plus séduisantes sous la
plume enchanteresse du vertueux archevêque de Cambrai. […]

Fénélon le premier osa proclamer en face des souverains absolus le droit qu’a
le peuple de participer au pouvoir. Le Télémaque parut aux uns une théorie
d’économie politique, aux autres une satire contre le système suivi par Louis
XIV ; pour tous il fut une magnifique protestation en faveur des droits du
peuple, une éloquente et vertueuse exposition des devoirs du souverain.

688
C’est un bon présage pour la démocratie que la première voix qui s’élevait en
sa faveur, fut celle du chrétien le plus pieux, le plus vertueux, le plus éclairé que
la France ait jamais produit. »

« L’auteur du Livre du prince observait les moyens de gouverner de son temps,


et il érigeait en principes la violence, la ruse, la cruauté, la tyrannie, tous les
vices, tous les crimes des petits princes qu’il prenait pour modèles ; Fénelon,
sans se préoccuper de la manière dont gouvernait Louis XIV, a cherché dans le
christianisme et dans la raison les lois éternelles qui doivent diriger tout
gouvernement. » -Pierre-Eugène Flotard, La France démocratique, 1850.

« Avec Fénélon, l’idée de la bonté de l’homme entre dans la haute littérature et


elle correspondait si bien aux tendances profondes des contemporains que
l’optimisme ne devait pas tarder à dominer partout. On peut dire qu’à la fin du
XVIIe siècle la terreur du péché, le respect de la chasteté et le pessimisme
disparaissaient à peu près en même temps ; le christianisme s’évanouissait
donc. » -Georges Sorel, Les illusions du progrès, L'Age d'Homme, coll. "Les
classiques de la politique", 2007 (1908 pour la première édition), p.56.

« Fénélon, tout comme Henri de Boulainvilliers, considérait en effet comme une


absolue nécessité la proscription du mélange des races. » -Pierre-André
Taguieff, « Civilisation contre barbarie ? Archéologie critique de quelques
corruptions idéologiques contemporaines (nationalisme, humanitarisme,
impérialisme) », L'Homme et la société, Année 1988, 87, pp. 30-52, p.37.

http://hydra.forumactif.org/t3643-francois-de-salignac-de-la-mothe-fenelon-
essai-philosophique-sur-le-gouvernement-civil#4481

http://www.amazon.fr/F%C3%A9nelon-Sabine-MELCHIOR-
BONNET/dp/226202071X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1446893386&
sr=1-1&keywords=F%C3%A9nelon+sabine+melchior

François Eudes de Mézeray (1610-1683) : https://www.amazon.fr/François-


Eudes-Mézeray-Histoire-pouvoir/dp/2914266219

Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues (1715-1747): « Je nie que la


volonté soit jamais le premier principe ; c’est au contraire le dernier ressort de
l’âme, c’est l’aiguille qui marque les heures sur une pendule et qui la pousse à
sonner. Je conviens qu’elle détermine nos actions ; mais elle est elle-même
déterminée par des ressorts plus profonds. » -Vauvenargues.
689
http://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-Correspondance-Clapiers-
Vauvenargues/dp/2849670626/ref=pd_sim_sbs_14_2?ie=UTF8&dpID=51md0S
vgpvL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR111%2C160_&refRID=1336AV
D1K3MHYX00QEGM

http://www.amazon.fr/Vauvenargues-s%C3%A9ditieux-entre-Pascal-
Spinoza/dp/2745329669/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1457973407&sr=8-
3&keywords=Laurent+Bove

François de La Rochefoucauld (1613-1680): « 39. L'intérêt parle toutes sortes


de langues, et joue toute sortes de personnages, même celui de désintéressé. »

« 305. L'intérêt que l'on accuse de tous nos crimes mérite souvent d'être loué de
nos bonnes actions. »

« Il n’y a presque point d’homme qui veuille, en toutes choses, se laisser voir tel
qu’il est. » -François de La Rochefoucauld, Réflexions morales in Réflexions ou
Sentences et Maximes morales.

« Quoiqu’il n’y ait presque qu’une vérité dans ce livre, qui est que l’amour-
propre est le mobile de tout, cependant cette pensée se présente sous tant
d’aspects variés qu’elle est presque toujours piquante. » -Voltaire, à propos des
Maximes de La Rochefoucauld, dans Le Siècle de Louis XIV.

http://hydra.forumactif.org/t651-francois-de-la-rochefoucauld-maximes-et-
reflexions-morales?highlight=La+Rochefoucauld

https://www.amazon.fr/Rochefoucauld-Oeuvres-compl%C3%A8tes-
Fran%C3%A7ois/dp/2070103013/ref=sr_1_6?s=books&ie=UTF8&qid=146885
3239&sr=1-6&keywords=Fran%C3%A7ois+de+La+Rochefoucauld

Nicolas de Lamoignon de Basville (1648-1724) :


http://www.amazon.fr/Basville-solitaire-Languedoc-intendant-
Montpellier/dp/2859981012/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1446927037&sr=8-
1&keywords=Basville%2C+roi+solitaire+du+Languedoc%2C+intendant+%C3
%A0+Montpellier+de+1685+%C3%A0+1718

Richard Simon (1638-1712) : http://hydra.forumactif.org/t1955-richard-


simon#2652

690
Cycle du Siècle des Lumières (XVIIIe siècle): « Le XVIIIème siècle ouest-
européen marque l'aube de l'âge du nationalisme, mais aussi le crépuscule des
formes de pensée religieuses. Le siècle des Lumières, du sécularisme
rationaliste, n'alla pas sans ses ténèbres propres. Avec le reflux de la croyance
religieuse, la souffrance qui en était une composante n'a pas disparu pour
autant. Désintégration du paradis: rien ne rend la fatalité plus arbitraire.
Absurdité du salut: rien ne rend plus nécessaire une continuité d'un autre style.
Ainsi s'imposa alors une transformation séculière de la fatalité en continuité, de
la contingence en signification. Peu de choses, nous le verrons, s'y prêtaient (s'y
prêtent) mieux que l'idée de nation. S'il est largement reconnu que les Etats-
nations sont "nouveaux" et "historiques", les nations auxquelles ils donnent une
expression politique paraissent surgir d'un passé immémorial et, surtout,
semblent promises à un avenir illimité. » -Benedict Anderson, L'imaginaire
national. Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, Éditions La
Découverte & Syros, 2002 (1983 pour la première édition américaine), 211
pages, p.25.

« L'esprit du temps tend vers le dépérissement des pays dans l'Europe des
Lumières ; un européisme unificateur, niveleur des individualités, une
acculturation essentiellement française se diffusent en un cosmopolitisme affadi
que Rousseau rejette très vivement. » -Jean-Jacques Guinchard, "Le national et
le rationnel", Communications (numéro thématique : Éléments pour une théorie
de la nation), Année 1987, 45, pp. 17-49, p.37-38.

« Pour les Lumières, patriotisme et cosmopolitisme n'ont rien de contradictoires


mais tout de complémentaires. » -Philippe Forget, Comprendre les Lumières,
conférence au Cercle Aristote, 18 mai 2019.

« Je crois que l’une des rares choses qui nous sépare d’une descente accélérée
vers les ténèbres est l’ensemble de valeurs héritées du siècle des Lumières. Cette
vision n’est pas très à la mode en ce moment, où les Lumières peuvent être
rejetées pour toute sorte de raisons, qu’on les tienne pour superficielles et
intellectuellement naïves ou pour une conspiration d’hommes blancs morts
portant perruque qui visait à fournir une assise intellectuelle à l’impérialisme
occidental. Que tout cela soit vrai ou pas, les Lumières sont aussi l’unique
fondement des aspirations à construire des sociétés propices à la vie de tous les
êtres humains partout sur cette Terre, et de l’affirmation de leurs droits en tant
que personnes. Le progrès de la civilité qui s’est produit entre le XVIIIème
691
siècle et le début du XXème s’est accompli dans une très grande mesure ou
entièrement sous l’influence des Lumières, mené par des gouvernements dirigés
par ce que l’on appelle encore, dans l’intérêt des étudiants en histoire, des
« despotes éclairés », par des révolutionnaires et des réformateurs, des libéraux,
des socialistes, des communistes, qui tous appartenaient à la même famille
intellectuelle. » -Eric J. Hobsbawm, Marx et l’histoire, Éditions Demopolis, coll.
Pluriel, 2008, 204 pages, p.5-6.

« Avant tout -le fait est trop constant pour qu'on y insiste- le XVIIIe siècle est
une réaction contre l'époque de Louis XIV, contre l'absolutisme religieux et
politique du grand roi. Avant sa mort déjà, les esprits tendent à s'émanciper ;
sitôt qu'il a disparu, nous avons la Régence et ses débauches de toute espèce.
Les idées qui ont prévalu en Angleterre en 1688 excitent la faveur et
l'enthousiasme et c'est sous leur influence que se fait sentir, dès la première
moitié du XVIIIe siècle, un double mouvement de réaction. Le nom de Voltaire
en matière de religion, celui de Montesquieu dans le domaine de la politique,
sont ceux en qui s'affirmèrent le plus brillamment ces tendances. L'un aboutit au
déisme, ou au delà ; l'autre a une préférence marquée pour la monarchie
constitutionnelle et admire la démocratie. Après 1750, se produit la seconde
phase, comme la seconde vague du libre examen. L'athéisme de d'Holbach est
au déisme de Voltaire ce que la politique de Rousseau est à celle de
Montesquieu. Ces écrivains de la deuxième génération ne font, d'ailleurs, en
général, que développer et exprimer sous une forme plus précise les idées qui
étaient en germe chez les premiers.
Tous les grands noms du XVIIIe siècle se groupent autour de ces deux questions
de la religion et du gouvernement. Ce sont elles qui, sans contredit, tiennent le
premier plan. La lutte de la morale naturelle contre le catholicisme et celle des
droits de la liberté contre le despotisme remplissent presque toute l'histoire
intellectuelle du XVIIIe siècle. Si donc, dans notre étude, nous avons à parler de
bien des écrivains illustres, nous pouvons être assurés, dès maintenant, que les
idées que nous aurons à relever ne tiennent chez eux qu'une place restreinte, et
dépendent de celles qu'ils émettent sur les questions pour eux importantes et à
l'ordre du jour.
Étant données ces tendances dominantes du XVIIIe siècle, comment du
socialisme put-il s'y produire ? Pour le concevoir, il est nécessaire de se
rappeler quelle forme prit la réaction politique et religieuse. » (p.2)

692
« Par réaction contre l'artificiel, le convenu, la gêne des villes et des sociétés
policées, le goût de la nature fut à la mode dans la littérature. On louait la
campagne, la tranquillité des champs, la solitude des forêts, la vie simple et
innocente. La ville et le voisinage de la société disposent au mal, la nature est
bonne et la vertu s'est réfugiée dans les déserts. Ce sentiment s'ajoutant aux
regrets de l'état de nature, l'idée du bon sauvage naquit. On en trouva les
germes dans les écrits de quelques voyageurs enthousiastes. Les relations de
ceux qui suivirent, imbues de ces dispositions nouvelles, furent pleines d'éloges
attendris du sauvage et le représentèrent volontiers comme un être
exceptionnellement innocent, bon et heureux: bref comme l'homme de la nature.
Alors on acheva tout à fait d'oublier que l'état de nature n'était qu'une
abstraction logique, on en fit un modèle de société et on en montra avec
enthousiasme la supériorité sur celui où la propriété et les lois ont tout
corrompu. » (p.6)

« On peut distinguer trois grandes périodes, de longueur et d'importance fort


inégales. La première va depuis les origines jusqu'au milieu du XVIIIe siècle,
vers 1730-1733, à une date qui est marquée par l'apparition du Discours de
l'inégalité, du Code de la nature, et des premiers ouvrages des économistes. La
deuxième commence à cette époque et se prolonge jusque vers 1783. C'est la
grande période, la plus importante de beaucoup, celle où ont paru les ouvrages
les plus considérables. La troisième comprend les années qui précèdent la
Révolution. Nous y relèverons les brochures qui parurent à cette époque
troublée. Elles nous font voir quelle place avaient dans les esprits les idées
socialistes à la veille de 1789.
Le caractère général de la première période est l'extrême dispersion et le peu de
développement des théories nouvelles. Il n'y a rien qui ressemble à un
mouvement, à une tendance générale. On touche accidentellement à nos
matières, à propos de questions diverses, mais on passe légèrement sans
insister. Il n'y a pas de livres spéciaux consacrés à notre sujet. Il n'y a que des
opinions éparses et qu'il est difficile de réunir par un lien quelconque.
La forme dominante sous laquelle se présente en premier quelque chose qui
ressemble au socialisme est la forme de romans. C'est ici que nous voyons
commencer l'innombrable littérature utopique du XVIIIe siècle. [...] Les
premières années du XVIIIe siècle virent paraître le Télémaque. Mentionnons,
dès la même époque, le livre de Gilbert, antérieur même au Télémaque, la
robinsonnade de Tyssot de Patot, le Séthos de Terrasson, qu'on a appelé le
693
Télémaque de l'Académie des sciences, le Nouveau Gulliver de l'abbé
Desfontaines, les Voyages de Cyrus de Ramsay. Dans tous ces ouvrages on
trouve disséminées quelques phrases sur la communauté des biens et l'inégalité
des conditions. L'abbé Coyer, l'auteur des Bagatelles morales, apporte quelques
épigrammes et, sur le théâtre, on voit apparaître, dans la bouche d'Arlequin, des
tirades singulières qui, si elles n'ont pas grande portée dans l'esprit de l'auteur,
prouvent au moins que les idées qu'elles développent avaient cours dans la
société. Elles se manifestent également avec plus de sérieux chez plusieurs
écrivains qui nous font des portraits flatteurs des peuples sauvages. Le premier
en date est Gueudeville, chez qui nous trouvons le germe des idées de Rousseau
sur le bon sauvage et les vices de la propriété. Mais les documents les plus
considérables en cette matière sont les lettres des missionnaires jésuites. Ils
opposent avec une grande complaisance les rudes et simples vertus de leurs
catéchumènes aux vices corrompus et aux vertus malsaines des pays civilisés. »
(p.31-32)

-André Lichtenberger (agrégé d'histoire), Le Socialisme au XVIIIe siècle. Essai


sur les idées socialistes dans les écrivains français du XVIIIe siècle, avant la
Révolution, Thèse de doctorat présentée à la faculté des lettres de Paris, Biblio
Verlag - Osnabrûck, 1970 (1895 pour la première édition), 471 pages.

« En France, où les barrières de classes étaient moins élevées, les contacts


sociaux et mondains infiniment plus étroits, l'activité politique de la bourgeoisie
s'est manifestée plus tôt et que les tensions ont trouvé de bonne heure leur
épilogue politique.
Le paradoxe n'est qu'apparent: la politique des rois, qui tendait à écarter la
noblesse française de toutes les fonctions politiques, l'accession d'éléments
bourgeois au gouvernement et à l'administration, leur admission aux plus
hautes charges de l’État, leur influence grandissante à la cour, avaient eu pour
conséquence le brassage d'éléments sociaux d'origine diverse: ainsi, les
bourgeois, après avoir appris à se familiariser avec la politique et à penser en
catégories politiques, étaient-ils à même d'exercer, quand les temps furent mûrs,
leur propre activité politique. [...] En France, la puissance de la noblesse en
tant qu'ordre était complètement brisée, plus que partout ailleurs. » (p.81)

« Les intellectuels réformateurs français restent longtemps encore prisonniers


des traditions de la cour. Ils sont animés du désir d'améliorer, de modifier, de
transformer. Ils n'opposent pas, si l'on fait abstraction de quelques rares
694
exceptions comme Rousseau, un idéal ou un modèle radicalement à l'idéal
dominant, mais se content d'un idéal réformé et aménagé. » (p.87)

« Ce serait une erreur de s'imaginer que la bourgeoisie dans son ensemble était
réformatrice, l’aristocratie foncièrement opposée à toute réforme. Il y avait, au
contraire, un certain nombre de groupes bourgeois faciles à délimiter qui
s'opposaient avec opiniâtreté à toutes les tentatives sérieuses de réforme, et dont
l'existence dépendait du maintien de l' "Ancien Régime" sous sa forme
traditionnelle. En faisaient partie la majorité des hauts fonctionnaires, la
"noblesse de robe", dont les charges étaient propriétés de famille au même titre
que nos jours des usines ou des entreprises commerciales ; en faisaient partie
aussi les corporations et un nombre important de fermiers généraux et de
financiers. L'échec de la réforme, l'éclatement des structures sociales de l'
"Ancien Régime" sous le poids des inégalités, ont eu pour cause principale la
résistance de ces groupes bourgeois contre toute idée de réforme. » (p.92)
-Norbert Elias, La Civilisation des mœurs, Calmann-Lévy, coll. Agora, 1973
(1939 pour la parution du premier tome de Über den Prozess der Zivilisation),
507 pages.

« Le XVIIIe siècle, marqué par l'intensification des circulations nationales et


internationales, se caractérise aussi par une amélioration du réseau des routes
royales et des temps de transports: la contraction de l'espace-temps, qui s'est
tant accélérée de nos jours, est en réalité déjà à l’œuvre, certes modestement, à
cette époque. C'est ainsi que pour rejoindre Marseille depuis Paris, il faut
environ 12 jours de diligence en 1765, puis environ 7 en 1780. » -Yannick
Clavé, Géographie de la France, Éditions Ellipses, 2013, 384 pages, p.30.

« Tout comme la Grande-Bretagne, la France vit se développer à la fin du


XVIIIe siècle une critique morale et politique toujours plus forte de
l'impérialisme. Son artisan le plus énergétique fut probablement Diderot, mais
nous retrouvons ce genre d'attitude critique à des degrés divers chez d'autres
penseurs, comme ses coauteurs de l'Encyclopédie et de l'Histoire des deux
Indes, Condorcet, ou encore Benjamin Constant. » -Jennifer Pitts, Naissance de
la bonne conscience coloniale: les libéraux français et britanniques et la
question impériale (1770-1870), Paris, Les Éditions de l'Atelier/Éditions
ouvrières, 2008, p.19.

695
« Dans le sens précis, concret, de la décadence, non plus d'une famille, d'une
maison, d'un homme mais d'un Etat, d'une civilisation, [décadence] date du
XVIIIe siècle, à la rigueur, du XVIIe siècle, quand il s'applique à un royaume,
aux destins des Empires, du XVIIIe siècle quand il renvoie à une civilisation, à
une culture. "Civilisation" apparaît, en anglais et en français, simultanément, au
milieu du XVIIIe siècle. En un mot, la notion de décadence est contemporaine,
elle est indissociable du progrès. Il n'y a pas de progrès, à la rigueur, sans le
risque de décadence. C'est en France et en Angleterre qu'apparaissent,
ensemble, les notions de civilisation, de progrès et de décadence. Et c'est à
Rome, en fonction de ce lieu de notre mémoire, de cet endroit combien de fois
privilégié de notre passé, que se situe le point d'insertion du concept de
décadence. » -Pierre Chaunu, Histoire et Décadence, Paris, Perrin, 1981, 360
pages, p.14.

« Les années 1740-1750 marquent alors un tournant décisif dans l'histoire de la


philosophie critique. Des thèses jusqu'alors réservées à de petits cercles
d'érudits, accréditant l'idée selon laquelle la philosophie n'est pas dangereuse
parce que ne s'adressant pas au peuple, deviennent publiques. Les premières
condamnations tombent : la Lettre sur les aveugles de Diderot le conduit à
Vincennes, l'Esprit des Lois est mis à l'index, les Pensées philosophiques sont
brûlées en même temps que l'Homme Machine et leurs auteurs confondus. » -
Benoît Schneckenburger, Philosophie matérialiste et autonomie politique, le cas
des matérialistes français du XVIII° siècle, Thèse de science politique, 2011,
325 pages, p.85.

« Le XVIIIe siècle est l'âge d'or du matérialisme français. » -Yves Charles


Zarka, Jean-Marie Lardic, Jean-Claude Bourdin, Francine Markovits & Sophie
Audidière, Matérialistes français du XVIIIe siècle: La Mettrie, Helvetius,
d'Holbach, PUF, 2006.

"Qui auraient-ils été [les contempteurs des Lumières], quelle autre liberté que
celle de se taire et de se soumettre auraient-ils connue, avant que les
"philosophes" et les révolutionnaires leur aient donné le sentiment de leur droit
et l'énergie de le faire valoir ?" -Elisabeth de Fontenay, Diderot ou le
matérialisme enchanté, Éditions Grasset et Fasquelle, 1981.

« Nous ne pouvons aujourd'hui "retourner" aux Lumières : leur monde n'est pas
le nôtre. Mais nous ne devons pas pour autant les renier, comme ont voulu le

696
faire les révolutionnaires et les anti-humanistes du siècle dernier. C'est plutôt
d'une refondation des Lumières que nous avons besoin, qui préserve l'héritage
du passé mais en le soumettant à un examen critique, comme les Lumières nous
ont appris à le faire, en les confrontant lucidement à leurs conséquences
désirables et indésirables : en critiquant les Lumières nous leur restons fidèles
et mettons en œuvre leur propre enseignement. Nous avons besoin de cette
pensée en action car, répétons-le, contrairement à ce qu'espéraient certains de
leurs représentants, l'humanité n'a pas atteint, depuis, l'âge de la majorité. Pire,
nous savons maintenant qu'elle ne le fera jamais mais pourra seulement y
aspirer. Là encore, ce n'est pas une révélation. Quand on demandait à Kant si
nous vivions déjà dans l'époque des lumières, une époque vraiment éclairée, il
répondait : "Non, mais dans une époque en voie d'éclairement." Telle semble
être la vocation de notre espèce : recommencer tous les jours ce labeur, tout en
sachant qu'il est interminable. » -Tzvetan Todorov.

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697
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croyances/dp/2251200142

Pierre Bayle (1647-1706) : « Qu’on ne dise donc plus que la théologie est une
reine, dont la philosophie n’est que la servante : car les théologiens eux-mêmes
témoignent par leur conduite qu’ils regardent la philosophie comme reine, et la
théologie comme une servante : et de là viennent les efforts, et les contorsions,
qu’ils livrent à leur esprit, pour éviter qu’on ne les accuse d’être contraires à la

698
bonne philosophie. Plutôt que de s’exposer à cela, ils changent les principes de
la philosophie ; dégradant celle-ci ou celle-là, selon qu’ils y trouvent leur
compte. » -Pierre Bayle, Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-
Christ : "Contrains-les d'entrer", 1688.

« Le sage Bayle, connu pour tel par tant de gens dignes de foi aujourd’hui
vivants. » -Julien Offray de La Mettrie, Discours préliminaire (1750), in Œuvres
philosophiques, Éditions Coda, 2004, 425 pages, p.23.

« C'est parce qu'il doutait de la religion que Bayle se mit à douter de la


métaphysique qui étayait cette foi. Il soumit donc la métaphysique à la critique,
dans toute son évolution historique. Il s'en fit l'historien, pour écrire l'histoire de
son trépas. Il réfuta surtout Spinoza et Leibniz.

Pierre Bayle, en dissolvant la métaphysique par le scepticisme, a fait mieux que


de contribuer à faire admettre le matérialisme et la philosophie du bon sens en
France. Il a annoncé la société athée qui n'allait pas tarder à exister, en
démontrant qu'il pouvait exister une société de purs athées, qu'un athée pouvait
être honnête homme, que l'homme se rabaissait non par l'athéisme, mais par la
superstition et l'idolâtrie. »

Selon le mot d'un auteur français, Pierre Bayle a été « le dernier des
métaphysiciens au sens du XVIIe siècle » et le « premier des philosophes au
sens du XVIIIe ». » -Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte Famille, « La
Critique critique absolue » ou « la Critique critique » personnifiée par Mr.
Bruno.

http://hydra.forumactif.org/t1143-hubert-bost-pierre-bayle#1777

https://www.amazon.fr/Pierre-Bayle-Hubert-
Bost/dp/2213625921/ref=sr_1_8?s=books&ie=UTF8&qid=1468853061&sr=1-
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https://www.amazon.fr/Pens%C3%A9es-diverses-com%C3%A8te-Pierre-
Bayle/dp/2081207125/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=51BhYLxjbvL&dpSr
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699
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Bayle/dp/2843210658/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1468852905&sr=8-
1&keywords=Pierre-Bayle-Pensees-sur-l-atheisme

https://www.amazon.fr/tol-rance-Commentaire-philosophique-BAYLE-
Pierre/dp/2745328719/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=147732
1375&sr=8-1

Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716): « Mon système paraît allier Platon et


Démocrite, Aristote avec Descartes, les scholastiques avec les modernes, la
théologie et la morale avec la raison. Il semble qu’il prend le meilleur de tous
côtés et qu’après il va plus loin qu’on n’est allé encore. » -Leibniz.

« Il est contre le droit naturel, de punir qvelqv’un parce qv’il est d’une opinion
qvelle qv’elle puisse estre, mais bien pour des actions. » -Leibniz, Lettre à
Ernest de Hesse-Rheinfels du 4/14 août 1683.

« Leibniz […] était bien plutôt un mathématicien et un polygraphe qu’un


philosophe. » -Arthur Schopenhauer, Essai sur le libre-arbitre, 1839 pour la
première édition, Traduction de Salomon Reinach (1894), Numérisation et mise
en page par Guy Heff & David Buffo (Mai 2013), 184 pages, p.111.

« Leibniz est sublime, lorsque, dépouillant l'être de toute qualité, le réduisant au


plus simple, au plus abstrait, au plus petit, à la dernière individualité solitaire,
ou monade, il trouve non la quiddité vide des scolastiques, mais l'activité
vivante et réelle, et reconstruit tout le monde avec des atomes de volonté. » -
Michelet, Journal, 1842, p.384.

« Leibniz marque en grande partie une réaction de la philosophie traditionnelle


contre la pensée de Descartes. » -Jacques Mantoy, Précis d'histoire de la
philosophie, Paris, Éditions de l'École, 1965, 124 pages, p. 53.

« Spinoza a su mourir admirablement, mais il savait très bien de quoi il était


capable, il savait dire merde aux autres philosophes. Leibniz venait lui piquer
des morceaux de manuscrits pour dire après que c’était lui. Il y a des histoires
très curieuses – c’était un homme dangereux, Leibniz. » -Gilles Deleuze,
Spinoza, Cours Vincennes - 24/01/1978.

700
« Marx avait une grande admiration pour Leibniz, mais ne nous a pas laissé de
texte très explicite sur la nature de cette admiration. » -Denis Collin, Nécessité,
déterminisme et possibilité chez Marx, site de l’auteur, 27 mai 2009.

« On ne cesse de publier de nouveaux inédits. […] On peut affirmer que


personne n’a lu intégralement ses écrits. » (p.9)

« Rien n’est plus odieux à Leibniz que la pensée d’un Dieu-Nature à la façon de
Spinoza […] Mais un Dieu créateur des vérités éternelles à la manière de
Descartes ne vaut guère davantage : en effet, si sa volonté ne suit plus son
entendement, elle n’a pas le bien pour motif, elle ne choisit plus, elle agit en
aveugle, ce n’est plus une volonté ; et son entendement, ne fondant plus le vrai,
devient du même coup une chimère. » (p.242)

« Un choix divin est à l’origine du monde. Toute existence, donc, est


contingente, et il n’existe –là-dessus Leibniz n’a jamais varié- que des
substances individuelles. » (p.244)

-Yvon Belaval, Leibniz. Initiation à sa philosophie, Vrin, Paris, 2005 (1952 pour
la première édition), 352 pages.

« Rejet par Leibniz de toute monarchie universelle. » (p.566)

« Un sénat, ou toute autre assemblée de sages, éclairant le souverain de ses


conseils, sans pour autant pouvoir être en un Etat légitime de résistance à son
égard, augmente la valeur totale du souverain pouvoir. » (p.584)
-Jérémie Griard, "Leibniz, critique du monisme politique de Hobbes", Revue
Philosophique de Louvain, Année 2005, 103-4, pp. 564-586.

John Toland (1670-1722) : « L’oeuvre de Toland constitue bien la racine


idéologique primordiale des « Lumières radicales ». » -Antoine Peillon, John
Toland (1670-1722). L’étoile flamboyante des Lumières, p.5.

« Dans ces Lettres de 1704, Toland avait proposé une sorte de synthèse entre
Leibniz et Spinoza ; elles ne furent traduites en français qu'en 1768 par
d'Holbach et Naigeon. » -Annie Ibrahim, Diderot: un matérialisme éclectique,
Librairie philosophique Vrin, 2010, 241 pages, p.24.

http://hydra.forumactif.org/t4376-john-toland#5259

701
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462955&sr=1-8&keywords=John+Toland

John Trenchard (1662-1723) et Thomas Gordon (1692-1750) :

« Thomas Gordon est connu aujourd’hui pour ses Cato’s Letters, rédigées entre
1720 et 1723 en collaboration avec John Trenchard et qui allaient constituer
une source fondamentale de la Commonwealthman tradition puis des
révolutionnaires américains d’Adams à Jefferson. Souvent minorée, l’influence
de ses œuvres en France au XVIIIe siècle mérite pourtant de faire l’objet d’une
lecture renouvelée.

Né trois ans environ après la Glorious Revolution de 1688, Gordon appartient à


ce qu’on peut considérer comme la troisième génération du républicanisme
anglais, celle des néo-harringtoniens – la référence à Harrington s’avérant
centrale – parmi lesquels John Toland, Robert Molesworth, ou encore Walter
Moyle. Ces derniers, considérés comme des « Country Whigs » travaillent la
dimension éthique du républicanisme en s’intéressant aux notions de liberté, de
vertu, de commerce et de corruption.

La vie de Thomas Gordon est mal connue. Un Thomas Gordon aurait été
diplômé du King’s College en 1713, et on a également retrouvé un Thomas
Gordon soumettant une thèse en droit devant l’université d’Edimbourg en 1716.
Mais s’agit-il bien de notre auteur ? Gordon se fait connaître comme
collaborateur de John Trenchard en tant que rédacteur principal de
l’hebdomadaire The Independant Whig dont les articles vont être rassemblés en
un volume en 1721 et connaître plusieurs éditions successives. L’ouvrage, animé
par un fort anticléricalisme, est une attaque en règle du High Church Party et
des prétentions exorbitantes du clergé proche des conservateurs. Cet ouvrage
sera d’ailleurs traduit en français par le Baron d’Holbach.

Dans le même temps, Gordon commence avec Trenchard que l’on peut
considérer comme son mentor la rédaction de la série des Cent quarante-quatre
Lettres sur Caton qui s’achèvent avec la mort de John Trenchard en 17238. Ce
dernier, membre du Parlement depuis les années 1690 s’était notamment illustré
avec Walter Moyle lors de la controverse autour de la standing army. Le rejet
d’une armée permanente et soldée étant l’une des antiennes du républicanisme
702
anglais. Certains historiens estiment que Trenchard et Gordon appartiennent à
cette époque au courant des Real Whigs, qui considèrent que les libertés
anglaises et le libre gouvernement sont menacés par certaines pratiques dont
notamment la corruption.

Les Lettres sur Caton condamnent la corruption du gouvernement Walpole et le


manque de moralité qui entache le système politique britannique. L’œuvre
développe des idées assez proches à cet égard de l’opposant conservateur
Bolingbroke, réunies dans le Patriot King. De plus, Trenchard et Gordon y
enrichissent le thème de la vertu civique par l’évocation des droits de l’homme
et du contrat social.

L’opposition affichée de Thomas Gordon à Walpole cesse toutefois en 1723. Le


Premier Ministre s’en attache les services en lui offrant la place de premier
commissaire des licences de vin, poste qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1750.

C’est durant cette période que Gordon approfondit sa connaissance de


l’Histoire romaine en traduisant en langue anglaise les œuvres de Tacite
auxquelles il ajoute des commentaires critiques sur le modèle de ceux qu’avait
rédigés Machiavel sur Tite-Live. L’ouvrage est publié en 1728 sous le titre de
The works of Tacitus With Political Discourses, et il est dédié à Walpole. Très
influencé par les idées républicaines d’Harrington et de Sidney, Gordon ne
revendique pas pour autant l’épithète de « républicain », le mot étant obscurci
par le souvenir de la dictature de Cromwell. Gordon publiera également dans la
même veine des discours politiques sur Salluste en 1744. C’est surtout par
l’intermédiaire de ces deux œuvres que Gordon a été connu et apprécié des
lecteurs français.

Tout au long du XVIIIe siècle, et durant la période qui précède la Révolution


française, la connaissance de l’auteur écossais est avérée en France. Ses
œuvres sont connues, disséquées, par un milieu lettré, avide des réflexions
portées par « ce vent nouveau qui souffle d’Angleterre » selon les propres mots
du marquis d’Argenson en 1751. Sans doute la traduction française de ses
ouvrages sur Tacite et Salluste élaborée par le protestant Pierre Daudé joue-t-
elle pour beaucoup dans leur diffusion chez les Français. Mais l’anglophilie de
certains grands noms de la République des Lettres françaises, comme Voltaire
ou Montesquieu, peut également expliquer la diffusion des idées de Gordon.

703
La lecture républicaine faite par Gordon de l’œuvre de Tacite a pu ainsi séduire
les opposants français à l’absolutisme monarchique. Et s’ils ne constituent pas
un « programme républicain » à proprement parler, les Discours, selon les
propres mots de l’auteur dans l’introduction de son ouvrage, ont bien été
composés pour « défendre la liberté publique contre les violences du
gouvernement et les injustices de ceux qui ont l’autorité. » Ce n’est donc pas un
hasard si un arrêt du Parlement de Toulouse du 26 août 1751 ordonne que le «
livre intitulé Discours historiques, critiques et politiques sur Tacite sera lacéré et
brûlé par la main de l’exécuteur de la Haute-Justice. » Mais l’œuvre de Thomas
Gordon s’inscrit également au XVIIIe siècle dans un mouvement intellectuel
plus large qui remet l’histoire romaine à l’honneur, thème dont étaient
particulièrement férus les lettrés français de l’époque. La France des Lumières
est alors en pleine querelle entre germanistes et romanistes. Cette « prégnance
de Rome », qui confine à l’obsession chez les auteurs français, s’accompagne
d’une véritable mode en faveur de Tacite et de Salluste, dont les préceptes
moraux pouvaient nourrir une véritable réflexion politique. »

« En 1742, Louis de Jaucourt et Armand Boisbeleau de la Chapelle livre dans la


Bibliothèque raisonnée des ouvrages des savants de l’Europe une nouvelle
analyse des Discours sur Tacite. Mais cette fois, c’est la traduction faite par
Pierre Daudé qui est examinée. L’engagement du Refuge Huguenot dans la
diffusion en France des idées anglaises n’est plus à démontrer, les réfugiés
protestants ayant largement diffusé la philosophie politique et les institutions
anglaises dans l’opinion publique française. Pierre Daudé est ainsi largement
représentatif de cet esprit lorsqu’il traduit les Discours sur Tacite en 1742 et
ceux sur Salluste en 1759. L’exorde qui précède l’analyse de de Jaucourt et de
Boisbeleau de la Chapelle est enthousiaste. En effet, l’ouvrage de Gordon a,
selon eux, une ambition : « réprimer la tyrannie des Grands, & empêcher que le
plus faible ne soit opprimé par le plus fort […] L’Auteur (Thomas Gordon) est
un homme élevé au milieu d’une Nation extrêmement jalouse de ses Privilèges
& de ses Droits, qui semble ne respirer que la liberté, & qui crie hautement à
l’oppression lorsqu’elle se voit lésée dans la moindre de ses Prérogatives. C’est
chez cette Nation que ceux qui aiment la liberté, & par conséquent la félicité du
Genre Humain, doivent aller chercher leurs Défenseurs. » Jaucourt et son co-
auteur mettent en relief la manière dont Gordon traite de la religion – ce qui
sera d’ailleurs revisité par d’autres commentateurs français. Selon eux, Gordon
défend l’idée « qu’un Etat peut être gouverné par des hommes qui ne sont
704
d’aucune religion, d’aucune secte, guidés uniquement par les lumières de la
Raison & d’une bonne morale. » Sur ce sujet, ils opèrent un rapprochement
entre Gordon et Pierre Bayle, notamment sur la question du gouvernement de
l’Eglise : « Si ce grand philosophe vivait aujourd’hui, il serait ravi de voir son
sentiment défendu par un aussi habile homme que Mr. Gordon. » Ruse de
l’histoire quand on sait que Pierre Bayle a reproché aux auteurs du Refuge de
vulgariser les thèses républicaines anglaises et que Gordon s’est montré
extrêmement critique à son encontre. »

« Voltaire a publié en 1734 ses Lettres Philosophiques ou Lettres Anglaises.


Dans ce livre, le philosophe français s’interroge sur la qualité des historiens
britanniques : « Il est vrai qu’il y a à présent un Mr. Gordon, excellent
traducteur de Tacite, très capable d’écrire l’histoire de son pays […] mais Mr.
Rapin (il s’agit de Rapin-Thoiras) l’a prévenu. » Dans une lettre du 1er
septembre 1738 adressée à son protecteur d’alors, le futur Frédéric II de
Prusse, Voltaire conseille au Prince qui rédige son Anti-Machiavel de lire les
discours de Gordon et sa traduction de Tacite, « bien dignes d’être vus. » Au
passage, il est plaisant de voir Voltaire vanter à Frédéric II un auteur qui
s’inscrit résolument dans le « moment machiavélien » ! Voltaire fera plus tard
référence à Gordon dans son Histoire de l’établissement du christianisme, en
1764. Il l’associe alors à la liste des « Free-thinkers, les francs pensants » aux
côtés de Toland, Trenchard, Bolingbroke. Voltaire y parle de « l’estimable
Gordon » qu’il place au même rang qu’un John Locke. L’anticléricalisme du
penseur écossais n’a pu que trouver un écho sympathique chez celui qui voulait
écraser « l’Infâme ». »

« Parmi les Lumières françaises, d’autres auteurs de premier plan se sont


intéressés à l’œuvre gordonienne. Il en est ainsi d’Helvétius qui cite le penseur
Ecossais dans son ouvrage De l’Esprit en 1759. D’Alembert le mentionne
plusieurs fois dans ses Morceaux choisis de Tacite en 1763, mais c’est
simplement au travail de traducteur de Gordon qu’il y fait référence à quatorze
reprises. D’Holbach, en 1767, livre même une traduction de l’Independant
Whig, prévenant que cet ouvrage est « du célèbre Thomas Gordon, connu pour
son commentaire sur Tacite et sur Salluste, & par beaucoup d’autres ouvrages
favorables à la liberté civile et religieuse. Il fut aidé dans ses travaux généreux
par M. Trenchard, membre du Parlement d’Angleterre & zélé défenseur des
droits de son pays. » D’Holbach ne pouvait être que séduit par une œuvre qui
critiquait l’organisation hiérarchique des religions anglicane et catholique58 et
705
le pouvoir pontifical. Bien entendu, l’Encyclopédie ne pouvait ignorer l’auteur
écossais. On y trouve une référence à Gordon dans l’article « Terni », rédigé
par le chevalier de Jaucourt, selon lequel les commentaires sur Tacite écrits par
l’auteur britannique sont pleins de « fortes réflexions sur la liberté du
gouvernement ». »

« Le Dictionnaire universel des sciences morales de Robinet dont la parution


débute en 1777 et court jusqu’en 1783 fait une utilisation forcenée des écrits de
l’auteur Ecossais. En effet, plusieurs articles y font référence : Abus, Affranchi,
Arbitraire, Caton, Changements politiques, Citoyen, Courtisan, Domination,
Gouverneur de Province, Indolence des princes, Liberté politique, Néron, Parti,
Patricien, Plébéien, ou encore l’article Tribun. Quant à Mirabeau, il utilise la
méthode de Gordon dans son ouvrage sur la vie d’Agricola. Comme il le confie
à Mme du Saillant en 1780, « J’aime Tacite à la passion, je l’ai tout traduit ici.
J’y ai fourré des notes et des discours à la manière de Gordon. » Dans son Essai
sur le despotisme, Mirabeau avait d’ailleurs cité le traducteur de Tacite,
notamment pour établir une identité entre despotisme et tyrannie antique. Chez
Mirabeau, la référence à Gordon n’est pas étonnante. En effet, le futur
constituant semble avoir cédé aux sirènes du républicanisme classique et cette
tradition nourrit son opposition à l’absolutisme.

L’évocation de Mirabeau permettra de conclure par quelques mots sur la


période révolutionnaire. Paru dans les premières années de la Révolution
française, l’ouvrage de Maultrot, Origine et étendue de la puissance royale, fait
une place considérable aux principes politiques de Gordon rappelant que ce
dernier « donne les idées les plus justes de la fin du gouvernement, qui est la
borne nécessaire du pouvoir des princes. » Selon Maultrot, « jamais auteur n’a
été plus pénétré de la maxime, que le Roi est établi pour le bien du peuple, et
non pour le sien propre. » Autre admirateur de Tacite, Camille Desmoulins
utilise abondamment les Discours de l’auteur écossais désormais familier du
public français. En 1794, dans le Vieux Cordelier, Desmoulins, alors aux côtés
de Danton, se sert des commentaires de Gordon pour condamner la Terreur et
prôner une République plus athénienne que celle rêvée par Robespierre et
Saint-Just. En effet, « loin de penser que la liberté soit une égalité de disette, je
crois au contraire qu’il n’est rien de tel que le gouvernement républicain pour
amener la richesse des Nations […] le commerce ne fleurit jamais dans un
gouvernement despotique, parce que personne n’est assuré de jouir longtemps
de ce qu’il possède, tandis que la liberté ne peut manquer d’éveiller l’industrie,
706
et de porter les nations au plus haut degré. » Dans les Discours sur Tacite,
Gordon avait établi le lien entre le développement du commerce et la liberté en
prenant l’exemple de Florence, « une république (…) sujette à des troubles
fréquents, à des factions et à des partis. Cependant par le bonheur et la force de
la liberté, le peuple y était nombreux, le commerce et l’art militaire y
florissaient. » Et lorsque Florence tomba entre les mains d’un prince, elle perdit
son opulence en même temps que sa liberté. Toutefois, en 1794, l’heure n’est
pas encore à une République de « cocagne » comme le laisse entendre la
terrible sentence de Saint-Just selon laquelle « il n’y a point de prospérité et de
tranquillité à espérer tant que le dernier ennemi de la liberté respirera. » Par
ailleurs, Desmoulins, qui prône alors l’indulgence contre la Terreur, pense «
avec Gordon, qu’il n’y eut jamais de secte, de société, d’église, de club, de loge,
d’assemblée quelconque, de parti en un mot, tout composé de gens d’une exacte
probité, ou entièrement mauvais, je crois qu’il faut user d’indulgence. » De
même, au cours de la période qui suit le 9 Thermidor, Gordon est cité dans le
Mercure Français. On y loue son exactitude en tant qu’historien de l’antiquité,
et l’effort qu’il a nourri dans ses œuvres pour défendre la liberté publique. Son
œuvre est utilisée pour stigmatiser l’esprit de faction que les thermidoriens
tentent alors d’associer au souvenir de Robespierre. » -Eric Gasparini, « Essai
sur la réception de l’œuvre de Thomas Gordon dans la France des Lumières »,
La Révolution française [En ligne], 5 | 2013, mis en ligne le 31 décembre 2013,
consulté le 30 mars 2019. URL : http://journals.openedition.org/lrf/1012 ; DOI :
10.4000/lrf.1012

Bernard Mandeville (1670-1733) : « Oui, si un peuple veut être grand,

Le vice est aussi nécessaire à l’Etat,

Que la faim l’est pour le faire manger.

La vertu seule ne peut faire vivre les nations

Dans la magnificence ; ceux qui veulent revoir

Un âge d’Or, doivent être aussi disposés

A se nourrir de glands, qu’à vivre honnêtes. » -Bernard Mandeville, La Fable


des abeilles.

707
« Pour que la société soit heureuse, il est nécessaire qu’un grand nombre du
peuple en soi ignorant aussi bien que pauvre. […] Le travail des pauvres […]
est la seule source de toutes les douceurs de l’existence. »

« La Russie a trop de gens peu instruit, et la Grande-Bretagne en a trop. »

-Bernard Mandeville, Essai sur la charité.

« Il est évident que Mandeville était infiniment plus audacieux et honnête que les
philistins apologistes de la société bourgeoise. » -Karl Marx, cité in Bernard
Mandeville, La fable des abeilles, Introduction, traduction, index et notes par
Lucien et Paulette Carrive, Vrin, Paris, 1985, p.13-14.

« La doctrine d’Adam Smith, c’est la doctrine de Mandeville, exposée sous une


forme non plus paradoxale et littéraire, mais rationnelle et scientifique. » -Élie
Halévy, La formation du radicalisme philosophique, tome I, Paris, 1995, p.114.

« En France la traduction de son ouvrage (1740) fut condamnée à être brulée. »


(p.60)

« Mandeville, dont nous savons que Montesquieu avait lu et annoté la Fable. »


(p.71)

-Philippe Simonnot, 39 leçons d'économie contemporaine, Gallimard, coll.


folio.essais, 1998, 551 pages.

http://www.amazon.fr/Pensees-religion-leglise-bonheur-
national/dp/2745303058/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1452805025&sr=
1-
1&keywords=Pens%C3%A9es+libres+sur+la+religion%2C+sur+l%27%C3%89
glise%2C+et+sur+le+bonheur+national

George Berkeley (1685-1753): « L’Excellent Berkeley. » -Kant, Critique de la


raison pure, Garnier-Flammarion, 1976, p. 104.

http://hydra.forumactif.org/t1830-george-berkeley-oeuvres-completes#2513

http://www.amazon.fr/Berkeley-Andr%C3%A9-
Scala/dp/2251760571/ref=sr_1_6?ie=UTF8&qid=1458247141&sr=8-
6&keywords=Andr%C3%A9+Scala

708
http://www.amazon.com/Berkeley-An-introduction-Jonathan-
Dancy/dp/0631155090

Giambattista Vico (1668-1744) : « Le monde social est certainement l’ouvrage


des hommes. »

« Lorsque les citoyens des démocraties ne considèrent plus que leurs intérêts
particuliers, et que, pour atteindre ce but, ils tournent les forces nationales à la
ruine de leur patrie, alors il s’élève un seul homme. »

« La monarchie est le gouvernement le plus conforme à la nature humaine. » -


Giambattista Vico, Principes de la Philosophie de l’Histoire (titre d’origine :
Cinq Livres sur les principes d’une Science nouvelle, relative à la nature
commune des nations), 1744.

« Vico déjà –qui non sans raison a été redécouvert récemment et retient
l’attention des historiens –avait décrit les déclins périodiques et inévitables des
civilisations dans les termes qui devaient bientôt devenir familiers chez les
rousseauistes et chez les critiques romantiques de la modernité : la disparition
des autorités et des mythes, la décomposition de la solidarité tribale spontanée,
l’absorption exclusive de chacun par ses intérêts privés, etc. » -Leszek
Kolakowski, Le Village introuvable, Éditions complexe, 1986, p.9.

« Sa description des situations économiques qui, selon lui, conduisirent à tel ou


tel type de législation dans ce qu’il considère comme une lutte des classes
perpétuelles entre plébéiens et patriciens est un grand progrès sur les théories
antérieures. Les détails historiques peuvent être faux, absurdes mêmes, la
connaissance peut être déficiente, les méthodes critiques insuffisantes –mais
l’approche est hardie, originale et fructueuse. » (p.72)

« Il n’est pas étonnant que Karl Marx, dans une célèbre lettre à Lassalle, ait dit
que Vico avait des instants de génie lorsqu’il écrivait sur l’évolution sociale.
[…]

Jules Michelet, qui se considérait comme son disciple, avait raison : Vico est
bien le précurseur oublié de l’école historique allemande, le premier et, à
certains égards, le plus formidable opposant aux doctrines anhistoriques de la
loi naturelle. » (p.73)

709
« Pour Vico, il n’existe pas de progrès véritable dans les arts : le génie d’une
époque ne peut se comparer à celui d’une autre. Il eût trouvé vain de se
demander si Sophocle était meilleur poète que Virgile ou Virgile que Racine. »
(p.77)

-Isaiah Berlin, « Giambattista Vico et l’histoire culturelle », 1983, in Le bois


tordu de l’humanité. Romantisme, nationalisme et totalitarisme, Albin Michel,
coll. Idées, 1992 (1990 pour la première édition britannique), 258 pages.

http://www.amazon.fr/Lantique-sagesse-lItalie-Giambattista-
Vico/dp/2080707426/ref=pd_sim_sbs_14_3?ie=UTF8&dpID=51OhFkgMlGL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=1J1GDZF1EJ5RC
M7BGJRN

http://www.amazon.fr/La-Science-nouvelle-Giambatista-
Vico/dp/2070731340/ref=pd_sim_sbs_14_2?ie=UTF8&dpID=41SPXK8RE4L
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=1J1GDZF1EJ5
RCM7BGJRN

http://www.amazon.fr/Vie-mort-Nations-nouvelle-
Giambattista/dp/2070147762/ref=sr_1_86?ie=UTF8&qid=1459770169&sr=8-
86&keywords=philosophie+de+la+vie

Pierre Ier de Russie (1672-1725) : http://www.amazon.fr/Pierre-Grand-vie-


son-
univers/dp/221301437X/ref=pd_sim_14_21?ie=UTF8&dpID=418WHEK30WL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=0R1Q4R19BH
WNYCS64620

Catherine II de Russie (1729-1796): http://www.amazon.fr/Catherine-II-


%C3%A2ge-pour-
Russie/dp/2213613559/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=51QOAwWYHSL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR101%2C160_&refRID=149M283AQVX
ZM2RA49FG

Louis XV (1710-1774) : « On ne trouverait pas dans l'Antiquité l'équivalent du


roi Louis XV qui oscilla sans cesse entre des moeurs libertines et des retours à
une dévotion pétrie de remords et de peur d'être damné. » -Paul Veynes,
L'Empire gréco-romain, Seuil, coll. Points, 2005, 1058 pages, p.656.

710
http://www.amazon.fr/Louis-XV-Jean-Christian-
Petitfils/dp/2262029881/ref=pd_sim_14_29?ie=UTF8&dpID=41Q68bh-
OoL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR101%2C160_&refRID=1PYS83V
V80HEE84CHZ4G

http://www.amazon.fr/Pain-peuple-roi-bataille-
lib%C3%A9ralisme/dp/2262003998/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1454095589&s
r=8-
1&keywords=Le+pain%2C+le+peuple%2C+le+roi+%3A+la+bataille+du+lib%
C3%A9ralisme+sous+Louis+XV

Bernard Le Bouyer de Fontenelle (1657-1757): « L’être humain ne


dégénérera jamais, la croissance et de développement de sa sagesse n’aura pas
de fin. » -Fontenelle.

René Louis de Voyer de Paulmy d'Argenson (1694-1757) :

Louis Mandrin (1725-1755): https://www.amazon.fr/Louis-Mandrin-Michael-


Kwass/dp/2363582063/ref=sr_1_fkmr0_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85
%C5%BD%C3%95%C3%91&keywords=Michel+Kwass%2C+Louis+Mandrin
%2C+la+mondialisation+de+la+contrebande+au+si%C3%A8cle+des+Lumi%C
3%A8res&qid=1557612927&s=gateway&sr=8-1-fkmr0

La guerre de Sept Ans (1756-1763) : « La guerre de Sept-Ans qui enterra la


France, donna le monde à l'Angleterre. » -Jules Michelet, préface de 1868 à
l'Histoire de la Révolution française, tome I, Paris, Alphonse Lemerre éditeur,
1847, 514 pages, p.7.

« La guerre de Sept Ans (1756-1763) fut lourde de conséquences non seulement


pour l'Europe, mais aussi pour l'outre-mer. Elle mit fin au premier empire
colonial français. Les Anglais vainquirent les Français en Inde et au Canada.
C'en fut ainsi terminé, du moins provisoirement, du rôle de la France en Asie.
Elle conserva quelques comptoirs en Inde (entre autres à Pondichéry) mais sans
plus aucun poids politique. Cette guerre donna également une tournure décisive
à l'évolution des rapports de force avec le Nouveau Monde. Là aussi, la France
avait perdu son influence. L'Amérique située au nord du Rio Grande deviendrait
essentiellement une région anglophone et dominée par la culture anglaise avec
une minorité française au Québec, vestige de temps révolus. » -Henri Wesseling,

711
Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions Gallimard, 2009, 554
pages, p.38.

http://www.amazon.fr/La-guerre-Sept-Ans-1756-
1763/dp/2262035296/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&dpID=51r652rj9iL&dpSrc=s
ims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=0VG5BSE5DBG64GE6A
49M

Frédéric II de Prusse (1712-1786) :


http://www.amazon.fr/Fr%C3%A9d%C3%A9ric-Grand-Jean-Paul-
Bled/dp/2213620865/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=51cx0FVAO6L&dpSr
c=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=149M283AQVXZM2
RA49FG

http://www.amazon.fr/Les-Hohenzollern-Henry-
BOGDAN/dp/2262043442/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&dpID=51%2Bpoaq4rA
L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=0MWBVC79K
0PKKBT2S66V

http://www.amazon.fr/Histoire-Prusse-Christopher-
CLARK/dp/2262047464/ref=pd_sim_14_8?ie=UTF8&dpID=51h7i%2BFVDnL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR112%2C160_&refRID=0VT2YBF97D
C8F04JYZVN

Mozart (1756-1791): http://www.amazon.fr/Mozart-Sociologie-g%C3%A9nie-


Norbert-
Elias/dp/2757848801/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1454957602&sr=1-
1&keywords=mozart+sociologie+d%27un+g%C3%A9nie

Voltaire (1694-1778) : « Mon nom, je le commence, et vous finissez le vôtre. » -


Voltaire, au chevalier de Rohan-Chabot, janvier 1726.

« Être patriote, c'est souhaiter que sa ville s'enrichisse par commerce, et soit
puissante par les armes. Il est clair qu'un pays ne peut gagner sans que l'autre
perde, et qu'il ne peut vaincre sans faire des malheureux.

Telle est donc la condition humaine, que, souhaiter la grandeur de son pays,
c'est souhaiter du mal à ses voisins. » -Voltaire, Dictionnaire philosophique.

712
« Il est à propos que le peuple soit guidé, et non pas qu'il soit instruit ; il n'est
pas digne de l'être. » -Voltaire, « Lettre à d'Amilaville » (19 mars 1766),
Œuvres, éd. Hachette, 1862, t. 31, p. 164.

« La race des Nègres est une espèce d’hommes différente de la nôtre [...] on
peut dire que si leur intelligence n’est pas d’une autre espèce que notre
entendement, elle est très inférieure. Ils ne sont pas capables d’une grande
attention, ils combinent peu et ne paraissent faits ni pour les avantages, ni pour
les abus de notre philosophie. Ils sont originaires de cette partie de l’Afrique
comme les éléphants et les singes ; ils se croient nés en Guinée pour être vendus
aux Blancs et pour les servir. » -Voltaire, Essais sur les mœurs et l'esprit des
nations (1756), Genève, 1755, t. XVI, pp. 269-270.

« On ne voit au contraire, dans toutes les annales du peuple hébreu, aucune


action généreuse. Ils ne connaissent ni l'hospitalité, ni la libéralité, ni la
clémence. Leur souverain bonheur est d'exercer l'usure avec les étrangers ; et
cet esprit d'usure, principe de toute lâcheté, est tellement enracinée dans leurs
coeurs, que c'est l'objet continuel des figures qu'ils emploient dans l'espèce
d'éloquence qui leur est propre. Leur gloire est de mettre à feu et à sang les
petits villages dont ils peuvent s'emparer. Ils égorgent les vieillards et les
enfants ; ils ne réservent que les filles nubiles ; ils assassinent leurs maîtres
quand ils sont esclaves ; ils ne savent jamais pardonner quand ils sont
vainqueurs : ils sont ennemis du genre humain. Nulle politesse, nulle science,
nul art perfectionné dans aucun temps, chez cette nation atroce. » -Voltaire,
Essais sur les mœurs et l'esprit des nations (1756), tome 2, p.83.

« Quand nous parlons de la sagesse qui a présidé quatre mille ans à la


constitution de la Chine, nous ne prétendons pas parler de la populace ; elle est
en tout pays uniquement occupée du travail des mains : l’esprit d’une nation
réside toujours dans le petit nombre, qui fait travailler le grand, est nourri par
lui, et le gouverne. Certainement cet esprit de la nation chinoise est le plus
ancien monument de la raison qui soit sur la terre. » -Voltaire, Essai sur les
mœurs et l'esprit des nations.

"Il faut convenir que Voltaire n'est ni révolutionnaire, ni démocrate, ni même


libéral. Jamais il n'a réclamé la subversion de l'ordre social, un renversement
des situations acquises, le nivellement des conditions. Que la procédure
criminelle soit changée, que le philosophe, le bel esprit puisse penser, écrire,

713
parler et se mouvoir en toute indépendance: Voltaire n'en demandera pas
davantage pour s’accommoder de la société de son temps." (p.12)

"Ses héros sont, on le sait, Louis XIV, Frédéric II, Catherine de Russie. S'il y a
quelque chose de frappant dans les Lettres sur les Anglais, c'est le peu de place
que l'écrivain y accorde à l'étude des institutions parlementaires." (p.13)
-Henry Michel, L'idée de l'Etat: essai critique sur les théories sociales et
politique en France depuis la Révolution, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1896,
666 pages.

« Au christianisme ardemment combattu [Voltaire] oppose un déisme vague et


une religion "gendarme" nécessaire, estime-il, au peuple. » -Jean Tulard, Jean-
François Fayard & Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution
française. 1789-1799, Éditions Robert Lafont, coll. Bouquins, 2002 (1987 pour
la première édition), 1223 pages, p.15.

Jean-Jacques Burlamaqui (1694-1748) : http://www.amazon.fr/Principes-


droit-naturel-Jean-Jacques-
Burlamaqui/dp/2247071279/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1448536515&sr=8-
1&keywords=Jean-Jacques+Burlamaqui

Montesquieu (1689-1755) : "Ceux qui obéissent à un roi sont moins tourmentés


d’envie et de jalousie que ceux qui vivent dans une aristocratie héréditaire. Le
prince est si loin de ses sujets qu’il n’en est presque pas vu ; et il est si fort au-
dessus d’eux qu’ils ne peuvent imaginer aucun rapport qui puisse les choquer ;
mais les nobles qui gouvernent sont sous les yeux de tous et ne sont pas si élevés
que des comparaisons odieuses ne se fassent sans cesse. Aussi a-t-on vu de tout
temps, et le voit-on encore, le peuple détester les sénateurs. Les républiques, où
la naissance ne donne aucune part au gouvernement, sont à cet égard les plus
heureuses : car le peuple peut moins envier une autorité qu’il donne à qui il
veut, et qu’il reprend à sa fantaisie."

"Il y a de mauvais exemples qui sont pires que les crimes, et plus d’États ont
péri parce qu’on a violé les mœurs, que parce qu’on a violé les lois."

"Le gouvernement d’Angleterre est plus sage, parce qu’il y a un corps qui
l’examine continuellement, et qui s’examine continuellement lui-même, et telles
sont ses erreurs qu’elles ne sont jamais longues, et que, par l’esprit d’attention
qu’elles donnent à la Nation, elles sont souvent utiles."

714
"Lorsque la domination de Rome était bornée dans l’Italie, la République
pouvait facilement subsister. Tout soldat était également citoyen : chaque consul
levait une armée, et d’autres citoyens allaient à la guerre sous celui qui
succédait. Le nombre des troupes n’étant pas excessif, on avait attention à ne
recevoir dans la milice que des gens qui eussent assez de bien pour avoir intérêt
à la conservation de la ville. Enfin le Sénat voyait de près la conduite des
généraux et leur ôtait la pensée de rien faire contre leur devoir.

Mais, lorsque les légions passèrent les Alpes et la mer, les gens de guerre, qu’on
était obligé de laisser pendant plusieurs campagnes dans les pays que l’on
soumettait, perdirent peu à peu l’esprit de citoyens, et les généraux, qui
disposèrent des armées et des royaumes, sentirent leur force et ne purent plus
obéir.

Les soldats commencèrent donc à ne reconnaître que leur général, à fonder sur
lui toutes leurs espérances, et à voir de plus loin la ville[3]. Ce ne furent plus les
soldats de la République, mais de Sylla, de Marius, de Pompée, de César. Rome
ne put plus savoir si celui qui était à la tête d’une armée, dans une province,
était son général ou son ennemi."

"Ce qui fait que les États libres durent moins que les autres, c’est que les
malheurs et les succès qui leur arrivent, leur font presque toujours perdre la
liberté ; au lieu que les succès et les malheurs d’un État où le peuple est soumis,
confirment également sa servitude. Une république sage ne doit rien hasarder
qui l’expose à la bonne ou à la mauvaise fortune : le seul bien auquel elle doit
aspirer, c’est à la perpétuité de son État."

"Rome ne fut plus cette ville dont le peuple n’avait eu qu’un même esprit, un
même amour pour la liberté, une même haine pour la tyrannie, où cette jalousie
du pouvoir du sénat et des prérogatives des grands, toujours mêlée de respect,
n’était qu’un amour de l’égalité. Les peuples d’Italie étant devenus ses citoyens,
chaque ville y apporta son génie, ses intérêts particuliers, et sa dépendance de
quelque grand protecteur. La ville, déchirée, ne forma plus un tout ensemble, et,
comme on n’en était citoyen que par une espèce de fiction, qu’on n’avait plus
les mêmes magistrats, les mêmes murailles, les mêmes dieux, les mêmes temples,
les mêmes sépultures, on ne vit plus Rome des mêmes yeux, on n’eut plus le
même amour pour la patrie, et les sentiments romains ne furent plus.

715
Les ambitieux firent venir à Rome des villes et des nations entières pour troubler
les suffrages ou se les faire donner ; les assemblées furent de véritables
conjurations ; on appela comices une troupe de quelques séditieux ; l’autorité
du peuple, ses lois, lui-même, devinrent des choses chimériques, et l’anarchie
fut telle qu’on ne put plus savoir si le peuple avait fait une ordonnance, ou s’il
ne l’avait point faite."

"Il y a des gens qui ont regardé le gouvernement de Rome comme vicieux, parce
qu’il était un mélange de la monarchie, de l’aristocratie et de l’état populaire.
Mais la perfection d’un gouvernement ne consiste pas à se rapporter à une des
espèces de police qui se trouvent dans les livres des politiques, mais à répondre
aux vues que tout législateur doit avoir, qui sont la grandeur d’un peuple ou sa
félicité."

"Rome, épuisée par tant de guerres civiles et étrangères, se fit tant de nouveaux
citoyens, ou par brigue, ou par raison, qu’à peine pouvait-elle se reconnaître
elle-même parmi tant d’étrangers qu’elle avait naturalisés. Le sénat se
remplissait de barbares ; le sang romain se mêlait ; l’amour de la patrie, par
lequel Rome s’était élevée au-dessus de tous les peuples du monde, n’était pas
naturel à ces citoyens venus de dehors ; et les autres se gâtaient par le mélange.
[...] Les grands ambitieux et les misérables qui n’ont rien à perdre aiment
toujours le changement. Ces deux genres de citoyens prévalaient dans Rome ; et
l’état mitoyen, qui seul tient tout en balance dans les états populaires, étant le
plus faible, il fallait que la république tombât."

"Je crois que la secte d’Épicure, qui s’introduisit à Rome sur la fin de la
République, contribua beaucoup à gâter le cœur et l’esprit des Romains. [...]
Ceux qui avaient d’abord été corrompus par leurs richesses le furent ensuite par
leur pauvreté ; avec des biens au-dessus d’une condition privée, il fut difficile
d’être un bon citoyen ; avec les désirs et les regrets d’une grande fortune
ruinée, on fut prêt à tous les attentats ; et, comme dit Salluste[7], on vit une
génération de gens qui ne pouvaient avoir de patrimoine, ni souffrir que
d’autres en eussent. [...]
Les citoyens romains regardaient le commerce et les arts comme des
occupations d’esclaves : ils ne les exerçaient point."

-Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de


leur décadence, 1734, édition de 1876.

716
« C'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir est porté à en
abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. » -Montesquieu, De l'Esprit des
lois, 1748.

« Il serait certes tout à fait excessif de prétendre, comme le faisait Émile Faguet,
que Benjamin Constant fût l’inventeur du libéralisme en France. Ce serait bien
évidemment oublier un peu trop facilement Montesquieu. » -Guillaume Bacot,
« Les Idéologues et le groupe de Coppet. », Revue Française d'Histoire des
Idées Politiques 2/2003 (N° 18), p. 227-231.

« L'Esprit des Lois de Montesquieu, œuvre à la fois solide et profonde. » -Hegel,


La Raison dans l'Histoire, trad. Kostas Papaioannou, Paris, Plon, coll. 10/18,
1965, 311 pages, p.36.

« Montesquieu, le plus grand économiste français, celui qu'il est juste de


comparer à Adam Smith, et qui dépasse les physiocrates de cent coudées par la
perspicacité, par la clarté des idées et par le bon sens (qualités que tout
économiste devrait posséder). » -John Maynard Keynes, préface à la première
édition française de la Théorie Générale, 1942.

« Montesquieu appartient à une période charnière entre la philosophie politique


de la tradition occidentale et les sociologues. » -Raymond Aron, Entretien avec
Michel Foucault, 8 mai 1967.

« Tout prédestinait Montesquieu à devenir le guide spirituel de l’Amérique


créole. Il était un aristocrate libéral-conservateur, intelligent, constructif,
partisan des institutions anglaises bien que nullement désireux de les importer
aveuglément, conscient du fait que les idées générales doivent être modifiées et
atténuées selon le temps et les lieux ; averti de l’importance du temps qui seul
mûrit les institutions politiques, et par-dessus tout convaincu de la valeur de la
liberté plutôt que de l’égalité. En fait, il croyait à la liberté parce que, entre
autres choses, elle aide à créer une saine inégalité. Ce fut Montesquieu qui
apprit au monde entier la valeur d’une aristocratie dévouée au bien public,
ainsi qu’il l’avait observée en étudiant, avec des yeux étrangers, l’aristocratie
anglaise. Tout cela aurait suffi pour faire de Montesquieu le guide-né de la
pensée créole. » -Salvador de Madariaga, Le déclin de l’Empire espagnol
d’Amérique, Albin Michel, 1986 (1958 pour la première éditionfrançaise, 1947
pour la première édition anglaise), 522 pages, p.271.

717
« L’originalité de Montesquieu, c’est qu’il cherche à faire de la philosophie
politique sans transcendance : ni celle des théologiens, ni celle, rationaliste et
abstraite, des théoriciens du droit naturel, Hobbes et Locke en tête. Qu’on ait
aussitôt taxé cette démarche rigoureusement immanente de « spinozisme » et
mis le livre à l’Index n’a guère de quoi étonner. »

« L’ouvrage se garde de justifier la tolérance civile par un principe moral, à la


manière de Bayle invoquant les droits de la conscience errante. La seule
justification serait strictement politique : réprimer peut mener à une contre-
répression, comme dans l’empire romain ou l’Europe protestante. »

« La rationalité de Montesquieu n’a rien à voir avec celle de Hobbes et Locke,


puisqu’elle ne connaît pas de Sujet humain universel soumis à une raison
universelle. […]

Il apparaît évident que la perspective politique, selon L’Esprit des lois, se refuse
à voir dans la tolérance un principe éthique, une vérité éternelle, un droit
naturel attaché à chaque individu, constitutif de son inaliénable humanité, une
exigence imprescriptible de la conscience, une face cruciale de la liberté
(Locke). Tolérer ou pas est un pur calcul circonstanciel des rapports de force,
de la puissance raisonnée de faire ou ne pas faire la guerre à une croyance.
C’est, comme la guerre et la paix, une exclusive affaire d’État, aucunement un
principe par soi positif et extensible, émané de la nature humaine : tel État
concède ou pas ce droit à telle religion, à tel moment, sous telles conditions,
pour ses raisons propres, par essence collectives. »

« Montesquieu est-il un libéral ? Force est d’admettre, me semble-t-il, qu’il


n’appartient guère, en son temps, à cette noble lignée. Sinon, pourquoi aurait-il
consacré toutes ses forces à contourner le victorieux John Locke, notre
irrémédiable maître à penser ? En écartant toute individualisation possessive
des droits et toute républicanisation de la liberté, donc tout accès à une
universalité prescriptive épinglée à la nature humaine, il récuse la philosophie
politique moderne et manque le mouvement de l’Histoire, si près de
s’emballer. » -Jean Goldzink, « Montesquieu est-il un philosophe libéral ? »,
Raisons politiques, 2006/4 (no 24), p. 177-196.

"S'intéressant à Montesquieu, Louis Althusser (1964: 120) refuse d'endosser


l'opinion, présente jusque chez Marx lui-même, qui voit en l'auteur de L'Esprit
des lois un porte-parole de la bourgeoisie qui conquerra le pouvoir en 1789.
718
Selon lui, Montesquieu -chez qui, note-il, on n'observe pas de recours à la
théorie du contrat social, lieu commun des hérauts du nouvel ordre- exprime
surtout un parti pris féodal, puisqu'il propose en somme à la monarchie de
s'allier contre le peuple à une noblesse restaurée dans ses privilèges
préabsolutistes. Les commentateurs qui ont vu chez Montesquieu une théorie de
la séparation des pouvoirs ont construit un "mythe" dont le véritable contenu
tient à ce compromis entre forces féodales: la suprématie de l'exécutif sur le
législatif (par le veto), protège le roi contre le despotisme populaire,
l'indépendance du judiciaire à l'égard de l'exécutif protège en revanche les
nobles contre une éventuelle tyrannie, alors que la distinction entre une
Chambre haute et une Chambre basse assure la domination de ces derniers sur
le peuple. La thèse d'Althusser repose essentiellement sur une analyse historique
qui situe "l'antagonisme fondamental" de cette époque dans l'opposition entre
"le régime féodal [...] et [les] masses soumises à son exploitation" et, par
conséquent, refuse de voir dans la bourgeoisie intégrée à l'appareil d'Etat de la
monarchie absolue et au circuit économique qui en dépend "une classe
radicalement antagoniste à la classe féodale" (p.117-118)." -Jean-Guy Prévost,
De l'étude des Idées Politiques, Presse de l'Université du Québec, 1995, 103
pages, p.36-37.

« Dans la tradition politico-économique française, les « Idéologues » assurent


la transition entre le XVIIIe et le XIXe siècles. C’est par eux que l’inspiration
économique libérale de Turgot et des Physiocrates passe à Benjamin Constant,
au groupe du Journal des Économistes (Charles Comte, Charles Dunoyer,
Charles Coquelin, Adolphe Blanqui…), à Frédéric Bastiat, et aux fondateurs de
la IIIe République comme Édouard de Laboulaye. Il vaut la peine de donner un
coup de projecteur sur Antoine-Claude Destutt, comte de Tracy (1754-1836),
auteur dont la pensée est d’autant plus significative qu’il n’est pas un
économiste spécialisé et qu’il reflète plutôt les idées dominantes du groupe, ou
du moins les idées couramment discutées en son sein (on sait que les «
Idéologues » se sont constamment réunis pendant la période révolutionnaire et
sous le Consulat ). Il est conduit à discuter longuement de la liberté économique
dans un ouvrage où il expose une philosophie politique générale essentiellement
libérale, le Commentaire sur « L’Esprit des lois » de Montesquieu.  

Destutt de Tracy ne peut, comme Condorcet dans ses Observations sur le


XXIXe livre de « L’Esprit des lois », manquer de voir que Montesquieu, célébré
comme libéral par le parti philosophique parce qu’il a été, un temps,
719
compagnon de route des Encyclopédistes, est en réalité un partisan de la
réaction nobiliaire. S’il est anti-absolutiste, ce n’est pas au nom d’un état de
droit démocratique et libéral, mais au nom de l’ancienne société féodale. Il aime
la liberté, mais celle des aristocrates, et non la liberté de tous, non plus que
l’égalité devant la loi, ni en général le « règne du droit ». Le Commentaire de
Destutt est donc essentiellement une condamnation, polie, mais sans appel, de la
philosophie politique de Montesquieu. » -Philippe Nemo, « A. Destutt de Tracy
critique de Montesquieu : le libéralisme économique des Idéologues »,
Romantisme, 2006/3 (n° 133), p. 25-34.

"Avec ses contemporains, [Montesquieu] ne conçoit pas la démocratie


autrement que comme une république égalitaire, en matière de propriété comme
en matière de droits civils. Déjà, dans les Lettres persanes, il avait loué l'égalité
des fortunes. Dans une démocratie, le principe qui doit dominer est la vertu,
c'est-à-dire la vertu politique, celle qui attachement fortement l'homme à sa
patrie et qui constitue le bon citoyen. L'éducation doit la mettre dans les cœurs
et l'Etat doit tout faire pour l'affermir. L'auteur nous décrit avec complaisance
les mesures parfois singulières qui furent prises à cette fin. Lycurgue, par
exemple, donna à ses concitoyens des institutions qui ressemblent à celles des
Sévarambes et la république de Platon ne semble pas plus idéale que la sienne.
Il est visible d'ailleurs, que Montesquieu lui-même subit l'influence de Platon
dans l'idée qu'il a de la république. [...]
Le Paraguay fut administré dans le même esprit et son organisation excite
l'admiration de Montesquieu. Ceux qui voudront établir leurs institutions sur
ces principes établiront la communauté de biens de la république de Platon et le
respect qu'il demandait pour les dieux. Ils sépareront les citoyens des étrangers
pour conserver les mœurs et feront faire le commerce par la cité elle-même. [...]
La démocratie est pour lui une forme de gouvernement qui peut être bonne. Elle
repose sur la vertu politique. Montesquieu estime cette vertu et indique les
moyens qui peuvent la maintenir. Il approuve ceux du communisme, sans même
avoir l'idée de les critiquer et de voir s'ils ne violent pas des droits primitifs de
l'homme." (p.86-87)

"Pour établir l'égalité, le législateur établira le partage égal des terres. Pour le
maintenir, on règlera les dots, les donations, les successions." (p.88)

"Il est donc certain qu'on peut légitimement le ranger parmi les partisans d'un
régime socialiste, sans que d'ailleurs il le juge toujours praticable." (p.90)
720
"Dans le chapitre 29 du livre XXIII, intitulé: Des hôpitaux, il établit le droit de
tous à la subsistance." (p.91)

-André Lichtenberger (agrégé d'histoire), Le Socialisme au XVIIIe siècle. Essai


sur les idées socialistes dans les écrivains français du XVIIIe siècle, avant la
Révolution, Thèse de doctorat présentée à la faculté des lettres de Paris, Biblio
Verlag - Osnabrûck, 1970 (1895 pour la première édition), 471 pages.

« [Montesquieu] hérite de la pensée de Polybe, de Cicéron, de Machiavel, mais


aussi de Harrington et surtout de Sidney. » -Serge Audier, Les théories de la
république, Paris, Éditions La Découverte, coll. Repères, 2015 (2004 pour la
première édition), 125 pages, p.30.

http://hydra.forumactif.org/t1144-vanessa-de-senarclens-montesquieu-historien-
de-rome#1778

Cesare Beccaria Bonesana (1738-1794): « Mauvaise est la mesure qui


sacrifierait un millier d’avantages réels en contrepartie d’une gène imaginaire
ou négligeable, qui ôterait le feu aux hommes parce qu’il brûle et l’eau parce
qu’on se noie dedans, qui n’a aucun remède pour les maux mis à part leur
destruction. Les lois qui interdisent de porter les armes sont d’une telle nature.
Elles ne désarment que ceux qui ne sont ni enclins, ni déterminés à commettre
des crimes (…). De telles lois rendent les choses pires pour les personnes
assaillies et meilleures pour les agresseurs ; elles servent plutôt à encourager
les homicides plutôt que de les empêcher car un homme désarmé peut être
attaqué avec plus de confiance qu’un homme armé. On devrait se référer à ces
lois non comme des lois empêchant les crimes mais comme des lois ayant peur
du crime, produites par l’impact public de quelques affaires isolées et non par
une réflexion profonde sur les avantages et inconvénients d’un tel décret
universel. » -Cesare Beccaria, Traité des Délits et des Peines, 1764.

Gaetano Filangieri : « Gaetano Filangieri (1753-1788) s'impose comme un


philosophe de l'Europe des Lumières avec sa Science de la législation (1780-
1791). De la réforme judiciaire contre l'arbitraire jusqu'à l'éducation, cette
somme définit ce qu'on « devrait faire » pour un État garantissant liberté et
bonheur à tous. Elle prône l'abolition du monde féodal, injuste et obscurantiste,
en vue d'un républicanisme fondé sur les droits sacrés de l'individu. Admirateur
de la Révolution américaine, Filangieri s'est lié à Benjamin Franklin qui
contribua au rayonnement de sa pensée. Contrairement à Montesquieu, il rejette
721
la monarchie anglaise : l'avenir est à une République fondée sur la souveraineté
du peuple. Mais, contrairement à Rousseau, il défend le système représentatif et,
à la différence de Mably, l'économie libérale des physiocrates. Son
républicanisme se sépare aussi des modèles de la Renaissance, notamment de
Machiavel, jugés tributaires d'un contexte instable et belliqueux. Réformateur
social, Filangieri justifie donc la prospérité économique, mais à condition
d'éviter de graves inégalités funestes au « bien public » (bene pubblico) : «Je
n'entends pas par aisance ou commodité publique les richesses exorbitantes de
quelques classes de citoyens ; encore moins l'état de ceux qui, immergés dans
l'oisiveté, peuvent impunément fomenter ce vice destructeur de la société. Les
richesses exorbitantes de quelques citoyens, et l'oisiveté de quelques autres,
supposent le malheur et la misère de la plus grande partie. » Un État n'est
vraiment riche et heureux que si « chaque citoyen, par un travail décent de
quelques heures, peut commodément suppléer à ses besoins et à ceux de sa
famille » [Filangieri, 1780, p. 60]. Aussi exhorte-t-il l'État à bien répartir
richesses et propriété, pour abolir le clivage entre une minorité de « propriétaires
» et une majorité de « non-propriétaires ». Ce républicanisme des droits se veut
aussi un républicanisme social. » -Serge Audier, Les théories de la république,
Paris, Éditions La Découverte, coll. Repères, 2015 (2004 pour la première
édition), 125 pages, pp.39-40.

Jean Meslier (1664-1729) et le matérialisme français: « La philosophie


française des Lumières, au XVIIIe siècle, et surtout le matérialisme français
n'ont pas mené seulement la lutte contre les institutions politiques existantes,
contre la religion et la théologie existantes, mais elles ont tout autant mené une
lutte ouverte, une lutte déclarée contre la métaphysique du XVIIe siècle, et
contre toute métaphysique, singulièrement celle de Descartes, de Malebranche,
de Spinoza et de Leibniz. » -Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte Famille, «
La Critique critique absolue » ou « la Critique critique » personnifiée par Mr.
Bruno.

« Le matérialisme du XVIIIe était rigide et étriqué, ce qui reflétait les limites du


développement de la science elle-même. Newton a bien exprimé les limites de
l’empirisme dans sa célèbre formule : « Je ne fais aucune hypothèse ». Ce point
de vue mécaniste et unilatéral a finalement été fatal au vieux matérialisme.
Paradoxalement, après 1700, les plus grands progrès de la philosophie sont
l’œuvre de penseurs idéalistes. » -Alan Woods and Ted Grant, Reason In Revolt
: Marxist Philosophy and Modern Science, 1995.
722
"[Si Meslier] hait la religion et l'idée de Dieu, ce n'est pas seulement par amour
pour la vérité scientifique, mais surtout, parce que ces opinions fausses et
mensongères rendent l'homme malheureux, en l'empêchant de s'affranchir des
superstitions et des liens dont ses maîtres l'ont accablé. S'il faut détruire la
religion, c'est pour détruire ce qui s'appuie sur elle, la propriété et l'inégalité,
afin que les hommes soient enfin également heureux ainsi qu'ils ont droit de
l'être." (p.77)

"Que faire ? Il n'y a qu'un remède. Meslier n'hésite pas à l'indiquer: il faut un
bouleversement complet de la société et une révolution qui détruise tout ce qui
existe. [...] Son œuvre, incomplètement connue au XVIIIe siècle, est
certainement une de ses productions les plus remarquables." (p.81-83)

-André Lichtenberger (agrégé d'histoire), Le Socialisme au XVIIIe siècle. Essai


sur les idées socialistes dans les écrivains français du XVIIIe siècle, avant la
Révolution, Thèse de doctorat présentée à la faculté des lettres de Paris, Biblio
Verlag - Osnabrûck, 1970 (1895 pour la première édition), 471 pages.

« La Mettrie, l’auteur de L’homme-machine, se veut un cartésien conséquent,


un cartésien qui tire jusqu’au bout les conséquences du mécanisme de la
physique cartésienne et, en bon matérialiste, il élimine l’âme immatérielle – il
affirme que Descartes n’a conservé cette relique que pour avoir la paix avec la
censure religieuse : voilà une interprétation intéressante de l’énigmatique « je
m’avance masqué » ! Qu’il s’agisse d’une interprétation abusive et fort difficile
à soutenir, cela ne fait guère de doute. Reste qu’en contribuant à sa façon à la
liquidation des vestiges de la conception finaliste aristotélicienne de la nature,
Descartes fraye la voie au matérialisme de quelques-uns des plus notoires
représentants des Lumières. » -Denis Collin, L’enjeu du matérialisme, site de
l’auteur, 25/03/2005.

Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, p.306-320.

« On s'accorde à établir les premières apparitions du mot "matérialiste" autour


de l'année 1745, pour désigner des pensées héritières des atomistes antiques, de
Bacon, de Gassendi et de Hobbes, de la tradition libertine, du "vitalisme"
leibnizien et du "monisme" spinoziste, de l'empirisme de Locke et du scepticisme
de Bayle. » -Annie Ibrahim, Diderot: un matérialisme éclectique, Librairie
philosophique Vrin, 2010, 241 pages, p.10.

723
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Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780): « Que devons-nous donc aux


commerçans ? Si, comme tout le monde le suppose, on échange toujours une
production d’une valeur égale contre une autre production d’une valeur égale,
on aura beau multiplier les échanges ; il est évident qu’après, comme
auparavant, il y aura toujours la même masse de valeurs ou de richesses.

Mais il est faux que, dans les échanges, on donne valeur égale pour valeur
égale. Au contraire, chacun des contractans en donne toujours une moindre
pour une plus grande. On le reconnoîtroit si on se faisoit des idées exactes, et on
peut déjà le comprendre d’après ce que j’ai dit.

Une femme de ma connoissance, ayant acheté une terre, comptoit l’argent pour
la payer, et disoit : Cependant on est bienheureux d’avoir une terre pour cela. Il
y a, dans cette naïveté, un raisonnement bien juste. On voit qu’elle attachoit peu
de valeur à l’argent qu’elle conservoit dans son coffre ; et que, par conséquent,
elle donnoit une valeur moindre pour une plus grande. D’un autre côté, celui
qui vendoit la terre étoit dans le même cas, et il disoit : Je l’ai bien vendue. En
effet, il l’avoit vendue au denier trente ou trente-cinq. Il comptoit donc avoir
aussi donné moins pour plus. Voilà où en sont tous ceux qui font des échanges.

En effet, si on échangeoit toujours valeur égale pour valeur égale, il n’y auroit
de gain à faire pour aucun des contractans. Or tous deux en font, ou en doivent
faire. Pourquoi ? C’est que, les choses n’ayant qu’une valeur relative à nos
besoins, ce qui est plus pour l’un est moins pour l’autre, et réciproquement. »
(p.69-70)

« Dans la seconde partie, j’ai réduit le raisonnement à une simple narration. J’y
démontre les avantages d’une liberté entière et permanente : je fais connoître
724
les causes qui peuvent y porter atteinte : j’en fais sentir les suites ; je ne cache
pas les fautes des gouvernements, et je confirme les principes que j’ai établis
dans la première partie. Je n’ai cependant relevé que les principaux abus. Il
étoit d’autant plus inutile de m’appésantir sur d’autres, qu’il y a un moyen de
les détruire tous, c’est d’accorder au commerce une liberté pleine, entière et
permanente. » (p.600-601)
-Étienne Bonnot de Condillac, Le Commerce et le gouvernement considérés
relativement l’un à l’autre, 1776, 602 pages.

« Le disciple direct et l'interprète français de Locke, Condillac, dirigea aussitôt


le sensualisme de Locke contre la métaphysique du XVIIe siècle. Il démontra
que les Français avaient eu raison de rejeter cette métaphysique comme une
simple élucubration de l'imagination et des préjugés théologiques. Il fit paraître
une réfutation des systèmes de Descartes, Spinoza, Leibniz et Malebranche. » -
Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte Famille, « La Critique critique absolue
» ou « la Critique critique » personnifiée par Mr. Bruno.

« Condillac (1715-1780) [...] défend une forme de créationnisme. Bien que ce


dernier situe l'origine de la pensée dans le monde ici-bas, c'est-à-dire dans les
sens, il invoque tout de même la nécessité d'une entité première et indépendante
du monde. Le matérialisme ne doit donc pas être confondu avec le sensualisme,
car même si sur l'origine de la pensée ils peuvent se rapprocher, sur l'origine
considérée dans sa totalité la divergence est manifeste. » -Pascal Charbonnat,
Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103, 706 pages,
p.371.

« La double descendance de Condillac, Maine de Biran d’un côté, les


Idéologues de l’autre, n’a pas repris la problématique métaphysique
condillacienne, ou même peut-être pas la problématique métaphysique en
général. » -Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll.
Folio essais, 2004, 1062 pages, note 30 p.105.

https://www.amazon.fr/lorigine-connaissances-humaines-larch%C3%A9ologie-
frivole/dp/2718600098/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1467746497&sr=8-
2&keywords=Jacques-Derrida-L-archeologie-du-frivole

https://www.amazon.fr/Empirisme-m%C3%A9taphysique-Andr%C3%A9-
Charrak/dp/2711616045/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1467746629&sr=8-
1&keywords=Andre-Charrak-Empirisme-et-metaphysique
725
Claude-Adrien Helvétius (1715-1771) : « La raison souvent n'éclaire que les
naufrages. »

« La science de l’éducation n’est peut-être que la science des moyens d’exciter


l’émulation. Un seul mot l’éteint ou l’allume. » -Helvétius.

« C’est en substituant le langage de l’intérêt au ton de l’injure, que les


Moralistes pourroient faire adopter leurs maximes. » -Helvétius, De l’esprit,
chap. XV.

« Le vulgaire restreint communément la signification de ce mot intérêt au seul


amour de l’argent ; le lecteur éclairé sentira que je prends ce mot dans un sens
plus étendu, et que je l’applique généralement à tout ce qui peut nous procurer
des plaisirs, ou nous soustraire à des peines. » -Claude-Adrien Helvétius.

« L’éducation nous fait ce que nous sommes. » (p.75).


-Claude-Adrien Helvétius, De l'Homme, Section X, chapitre I "L’éducation peut
tout", 1773, 171 pages.

« Bentham ne cache pas ce qu’il doit à Helvétius dans la formulation de la


doctrine. À l’auteur de De l’esprit, il a emprunté la définition du bonheur en
termes d’intérêt, l’idée que les plaisirs et les douleurs sont quantifiables, la
certitude que le rôle du législateur est de promouvoir l’utilité publique en
s’appuyant sur le ressort de l’intérêt individuel, ainsi qu’un matérialisme
assumé. » -Emmanuelle De Champs, « Le « moment utilitaire » ? L’utilitarisme
en France sous la Restauration », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique,
123 | 2014, 73-89.

« Helvétius nous représente l’histoire de l’homme comme l’histoire de la


production intégrale de l’homme par l’influence du milieu sur un individu,
conçu lui-même comme une nature purement plastique. » -Louis Althusser,
« Helvétius révolutionnaire ».

« Helvétius avait ramené l’amitié à l’amour de soi : chacun attend de l’ami qu’il
comble un manque et en entrant dans un système d’échange on ne fait que
rechercher son propre intérêt, alors que pour Schiller, bienveillance et intérêt
personnel s’excluent. Helvétius a, selon lui, dégradé un principe métaphysique
par une élucidation psychologique qui se retourne contre son auteur : il a été
incapable de comprendre la vraie nature de la sympathie. Il devient ainsi le
modèle de ces penseurs matérialistes qui portent atteinte à la dignité de la
726
nature humaine. » -Roland Krebs, « Le jeune Schiller face au matérialisme
français », Revue germanique internationale [En ligne], 22 | 2004.

« Malesherbes fait allusion au conflit né entre le Parlement et le roi à propos de


l'ouvrage d'Helvétius De l'Esprit. Celui-ci approuvé par les deux censeurs
auxquels il avait été soumis (sous réserve de quelques coupures), avait reçu un
privilège en mai 1758 et était sorti des presses deux mois plus tard. C'est alors
que le scandale éclate, du fait de l' "irréligion" du livre, qui traite la morale
comme une science expérimentale, réglée par les exigences variables du bien
public, et non pas par les commandements universels de l'Église. Un arrêt du
Conseil du roi, en date du 10 août 1758, révoque le privilège, et Helvétius doit
se rétracter publiquement tout comme le premier censeur, Tercier, qui n'avait
rien vu de condamnable dans le manuscrit. Nonobstant l'arrêt du Conseil, le
Parlement décide le 23 janvier 1759 de juger l'ouvrage ainsi que quelques
autres, tenus pour suspects. Le 6 février, le livre d'Helvétius est condamné à être
brûlé -et la sentence est exécutée quatre jours plus tard. » -Roger Chartier, Les
origines culturelles de la Révolution française, Éditions du Seuil, coll. Points,
2000 (1990 pour la première édition), 307 pages, p.64.

« Qu’Helvétius use délibérément des procédés de type libertin, c’est ce dont


témoignent, à lire même le texte imprimé en 1758, et plus encore les passages
retranchés ou modifiés pour complaire à la censure, les premières pages de De
l’Esprit, où on voit s’insinuer dans les notes l’idée de la matérialité de l’âme par
le recours aux citations les plus traditionnelles que reproduisaient les textes
hétérodoxes depuis le 16ème siècle au moins ; et la manière de De l’Homme, que
le choix d’une publication posthume aurait pu, comme ç’avait été le cas du
Mémoire de Meslier, dispenser des précautions de langage, ne diffère pas
fondamentalement : ici comme là, c’est au détour d’une remarque, d’une
comparaison, ou d’une citation, qu’il faut glaner l’expression indubitable d’un
matérialisme pourtant jamais avoué comme tel. » -Olivier Bloch, L'héritage
libertin dans le matérialisme des Lumières, Dix-Huitième Siècle Année 1992 24
pp. 73-82, p.80.

"Malgré ses précautions rhétoriques, Helvétius ne parvient pas à tromper les


ennemis du matérialisme. La violence des attaques est telle qu'elle peut encore
nous surprendre aujourd'hui, tant le livre De l'Esprit peut nous sembler à maints
égards prudent. Il nous suffit de relire la condamnation prononcée par M. De
Beaumont, Archevêque de Paris, dans son Mandement de Monseigneur
727
l'Archevêque de Paris, portant condamnation d'un livre qui a pour titre de
l'Esprit pour comprendre comment il fut percé à jour malgré ses précautions, et
pourquoi l'Église vit en lui un danger tant pour son propre pouvoir que pour son
soutien à la monarchie. Les termes employés sont impitoyables. Le matérialisme
en général y est qualifié successivement de « Doctrine absurde », « monstrueuse
», et le livre aurait été inspiré par « le Prince des ténèbres », propageant « une
odeur de mort » qui « étouffe d'âge en âge le bon grain semé dans le champ du
Père de famille. » L'intérêt de ce Mandement réside dans la parfaire
connaissance du texte d'Helvétius, dont les citations sont en générales exactes,
et permet d'en reconstituer les points les plus importants. Car De Beaumont voit
bien que la stratégie d'écriture d'Helvétius vise, sous couvert d'une dénonciation
des Religions en général, la doctrine chrétienne. Il montre comment Helvétius
incidemment remet en cause le dogme de l'immatérialité de l'âme pour en tirer
toutes les conséquences morales et politiques, que l'Archevêque de Paris
rattache à « l'abominable système » de Hobbes. Ce faisant, il se croit obligé de
réaffirmer les principes de la foi Chrétienne, et notamment la sujétion à l'ordre.
Comme Bossuet dans ses Politiques tirées des Saintes Écritures, il cite
abondamment l'apôtre Paul dans ses Épîtres fameux justifiant l'obéissance aux
puissances, même pour l'esclave (Romains XIII – Timothée I, 6). C'est ensuite
une attaque en règle des Lumières à laquelle se livre Beaumont, rappelant que
le même Apôtre commande de se méfier des « pseudo-sciences » et d'assigner la
philosophie dans un rôle de subordination vis-à-vis de l'Église, recommandant à
chacun de penser modestement, c'est-à-dire à ne jamais penser par soi, ce qui
est précisément la doctrine des Lumières, si bien mise en évidence par Kant."
(p.110)

"Du 10 août 1758 à avril 1759, le livre est condamné par le Conseil du Roi, le
Pape Clément XIII, le Parlement de Paris. Il est brûlé et lacéré au Palais de
Justice. Ces violentes condamnations conduisent Helvétius à se rétracter
publiquement trois fois, écrivant même « je reconnais ma faute dans toute son
étendue, et je l'expie par le plus amer repentir. » Et pourtant, en choisissant de
publier, à titre posthume, De l'Homme, pour se prémunir « de la persécution »,
Helvétius ne retire rien." (p.111)

"Reprenant le mot d'ordre épicurien, Helvétius maintient que penser, c'est


sentir, et que la sensation naît d'abord de la seule sensation physique." (p.117)
-Benoît Schneckenburger, Philosophie matérialiste et autonomie politique, le

728
cas des matérialistes français du XVIII° siècle, Thèse de science politique, 2011,
325 pages.

" "M. Helvétius est le premier qui ait fondé la morale sur la base inébranlable
de l'intérêt personnel" [...] Saint-Lambert compte parmi les rares
contemporains qui n'en font pas un grief ; bien au contraire, il loue l'ouvrage
De l'Esprit pour cette nouveauté." (p.36)
-Jacques Domenech, L'éthique des Lumières: les fondements de la morale dans
la philosophie française du XVIIIème siècle, Paris, Librairie philosophique J.
Vrin, 1989, 271 pages.

"Qu'est toute la philosophie morale allemande depuis Kant, avec toutes ses
ramifications françaises, anglaises et italiennes ? Un attentat quasi théologique
contre Helvétius, un désaveu formel de la liberté du regard, lentement et
péniblement conquise, de l'indication du bon chemin qu'Helvétius avait fini par
exprimer et résumer de la façon qu'il fallait."(§216 p.636)
-Friedrich Nietzsche, Le Voyageur et son Ombre, in Humain, trop humain, trad.
Angèle Kremer-Marietti, Librairie Générale Française, 1995 (1878 pour la
première édition allemande), 768 pages.

http://hydra.forumactif.org/t558-claude-adrien-helvetius-de-l-homme-de-
lesprit#1112

https://www.amazon.fr/Lumi%C3%A8res-p%C3%A9ril-b%C3%BBcher-
Helv%C3%A9tius-
dHolbach/dp/2213642672/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1524907810&s
r=1-1&keywords=guy-chaussinand-nogaret

http://www.amazon.fr/Anthropologie-histoire-au-si%C3%A8cle-
Lumi%C3%A8res/dp/222607872X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1457820646&sr
=8-
1&keywords=Anthropologie+et+histoire+au+si%C3%A8cle+des+Lumi%C3%
A8res

Etienne-Gabriel Morelly : « Morelly (1717-1778) dresse le plan d’une société


utopique dans son Code de la nature (1754). Il propose d’abolir la propriété et
d’établir une communauté de production. Le travail serait réparti entre tous,
sous la direction des pères de famille, garants de l’harmonie et de l’ordre. La
légitimité du pouvoir n’est plus fondée sur une appartenance sociale, mais sur

729
une fonction familiale. » -Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies
matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2013, 706 pages, p.280.

"Le projet d'une société prochaine absolument bonne et rationnelle, contraire


au désordre établi, chez un Morelly à la fin du XVIIIe siècle s'intitule, en
conformité avec cette logique, Code de la Nature." (p.144)
-Marc Angenot, L'Histoire des idées. Problématiques, objets, concepts,
méthodes, enjeux, débats, Presse Universitaires de Liège, coll. Situations, 2014,
392 pages.

http://hydra.forumactif.org/t1934-etienne-gabriel-morelly-le-prince-les-delices-
des-coeurs-ou-traite-des-qualites-d-un-grand-roi-et-systeme-general-d-un-sage-
gouvernement

https://www.amazon.fr/Oeuvres-philosophiques-compl%C3%A8tes-Etienne-
Gabriel-
Morelly/dp/2849670111/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1467740904&sr=8-
2&keywords=morelly

Gabriel Bonnot de Mably (1709-1785): « Nous autres Anglais [...] nous avons
jusqu’à présent des idées trop peu nettes sur la puissance royale, et sous le nom
de prérogative nous laissons au prince une autorité trop étendue, pour pouvoir
en un jour élever une République parfaite sur les ruines de la Royauté: nous ne
sommes pas dignes de nous gouverner comme les Romains. » (Mably, Des droits
et des devoirs du citoyen, 1788, introduit et annoté par Jean-Louis Lecercle,
Paris, Librairie Marcel Didier, 1972, p. 44).

« La raison dont la nature nous a doués, la liberté dans laquelle elle nous a
créés, et ce désir invincible de bonheur qu’elle a placé dans notre âme, sont
trois titres que tout homme peut faire valoir contre le gouvernement
injuste sous lequel il vit. » (DDC, 27)

« Notre siècle se glorifie de ses lumières ; la philosophie, dit-on, fait tous les
jours des progrès considérables, et nous regardons avec dédain l’ignorance de
nos pères ; mais cette philosophie et ces lumières dont nous sommes si fiers,
nous éclairent-elles sur nos devoirs d’hommes et de citoyens ? Quand quelques
philosophes bien différents des sophistes qui nous trompent, et qui croient que
toute la sagesse consiste à n’avoir aucune religion, nous montreraient les
vérités morales, quels en seraient les effets ? Les lumières viennent trop tard,

730
quand les mœurs sont corrompues. » (Mably, Observations sur l’histoire de
France, dans Œuvres complètes, Paris, Guillaume Arnoux, 1794-95, t. III, p.
301.

« Le texte dans lequel l’influence lockéenne est la plus évidente est sans conteste
Des droits et des devoirs du citoyen, probablement écrit autour de 1758,
mais qui ne sera publié par les exécuteurs testamentaires de Mably qu’en
1788, trois ans après la mort de l’auteur. La teneur explosive du message
politique de l’ouvrage est la cause manifeste de cette prudence. Présentée sous
forme d’un dialogue, rapporté par lettres, entre un Commonwealthman
anglais, Milord Stanhope, et un Français, auteur présumé des missives, la
réflexion examine les moyens politiques les plus audacieux pour mettre fin
aux injustices et aux maux du royaume et se protéger du danger de
despotisme. L’abolition de la propriété privée d’une part, de la monarchie de
l’autre, seront tour-à-tour envisagées, avant d’être finalement rejetées au profit
de la promotion d’une « révolution ménagée » (DDC,161), qui sera inaugurée
par une convocation des Etats-Généraux, devant elle-même servir de prélude à
l’instauration d’une assemblée législative régulière, composée des
représentants des trois ordres de la Nation. »

« Si le droit de propriété peut être considéré comme un droit naturel, au sens où


il correspond à ce qui pouvait être légitime dans l’état de nature, il n’en est pas
un au sens d’un droit indexé sur une nature humaine vouée au
perfectionnement, et qui dans cet effort vers la vertu pourrait se débarrasser du
droit de propriété pour s’élever au stade de la communauté. »

« Le texte de Mably a, en effet, été rendu célèbre par ses appels à la


révolte face aux abus de la puissance souveraine, qui l’ont conduit, un des
premiers, à employer le terme de « révolution » dans le sens moderne de
l’avènement actif d’une nouvelle liberté. » (p.146)

« Le droit de résistance s’identifie désormais à la souveraineté totale et


permanente de la nation. Dans ces conditions, peut-on encore parler d’un droit
de résistance ? Comme le fait observer Jean Goldzink, Mably préfère à cette
expression relativement impropre dans ce nouveau contexte, celle du « droit de
réformer ». » (p.148)

731
-Stéphanie Roza, L’héritage paradoxal de John Locke dans Des droits et des
devoirs du citoyen de Mably, Philosophical Enquiries: revue des philosophies
anglophones –décembre 2013, n° 2 – « Locke (I) ».

« Il n’est pas besoin de citations pour prouver la gréco-romano-manie de l’abbé


Mably. Homme tout d’une pièce, d’un esprit plus étroit, d’un cœur moins
sensible que Rousseau, l’idée chez lui admettait moins de tempéraments et de
mélanges. Aussi fut-il franchement platonicien, c’est-à-dire communiste.
Convaincu, comme tous les classiques, que l’humanité est une matière première
pour les fabricants d’institutions, comme tous les classiques aussi, il aimait
mieux être fabricant que matière première. En conséquence, il se pose comme
Législateur. À ce titre, il fut d’abord appelé à instituer la Pologne, et il ne paraît
pas avoir réussi. Ensuite, il offrit aux Anglo-Américains le brouet noir des
Spartiates, à quoi il ne put les décider. Outré de cet aveuglement, il prédit la
chute de l’Union et ne lui donna pas pour cinq ans d’existence. » -Frédéric
Bastiat, Baccalauréat et Socialisme, 1848, in Sophismes économiques et petits
pamplets II, Guillaumin, 1863, Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, tome 4
(pp. 442-503), p.468.

« Mably avait rencontré Rousseau en 1742, était devenu son ami, avant leur
brouille. On retrouve chez lui un culte républicain de l'Antiquité, surtout de
Sparte, une critique de l'économie libérale et du luxe, une apologie des mœurs
vertueuses. » -Serge Audier, Les théories de la république, Paris, Éditions La
Découverte, coll. Repères, 2015 (2004 pour la première édition), 125 pages,
p.37.

« L'Abbé Mably amalgame Rousseau, Saint Basile-le-Grand et autres pères de


l'Église avec les raisonnements de l'Utopie de More: "Je vous défie de remonter
jusqu'à la première source de ce désordre [social général] & de ne la pas
trouver dans la propriété foncière [Doutes proposés aux philosophes
économistes sur l'ordre naturel et essentiel des sociétés politiques, Paris, Nyon,
1768, p.13]. » -Marc Angenot, L'Histoire des idées. Problématiques, objets,
concepts, méthodes, enjeux, débats, Presse Universitaires de Liège, coll.
Situations, 2014, 392 pages, p.59.

« Mably est un socialiste beaucoup plus net que Rousseau et beaucoup plus
maître de ses idées, parce qu'il en a moins. C'est un pur communiste. » -Émile
Faguet, Le socialisme en 1907, Paris, Librarie Lecène, 1907, 372 pages, p.16.

732
https://www.amazon.fr/Lanarchie-Mably-%C3%A0-Proudhon-1750-
1850/dp/2902126840/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1524829940&sr=1-
1&keywords=Marc+Deleplace%2C+L%27anarchie+de+Mably+%C3%A0+Pro
udhon%2C+1750-1850

Julien Offray de La Mettrie (1709-1751) : "Les matérialistes ont beau prouver


que l'homme n'est que machine, le peuple n'en croira jamais rien. [...] Grâce à
la sévérité des lois, il pourrait être spinoziste sans que la société eût rien à
craindre que la destruction des autels où semble conduire ce hardi système."
(p.15)

« L'homme borné ou illuminé, croyant à la doctrine de mauvais cahiers qu'il


nous débite d'un air suffisant, s'imagine bonnement que tout est perdu -morale,
religion, société- s'il est prouvé que l'homme n'est pas libre. L'homme de génie,
au contraire, l'homme impartial et sans préjugés regarde la solution du
problème, quelle qu'elle soit, comme fort indifférente, et en soi, et même eu
égard à la société. » (p.16)

« Rien ne doit enchaîner dans un philosophe la liberté de penser […] Plus la


mer est recouverte d’écueils et fameuse en naufrages, plus je penserai qu’il est
beau d’y chercher l’immortalité au travers de tant de périls. […] Soyons donc
libres dans nos écrits comme dans nos actions, montrons-y la fière
indépendance d’un républicain. » (p.33)

-Julien Offray de La Mettrie, Discours préliminaire (1750), in Œuvres


philosophiques, Éditions Coda, 2004, 425 pages.

« Julien Offray de La Mettrie est né le 19 décembre 1709 à Saint-Malo où il


exercera la profession de médecin, à partir des années 1734. À l'instar de
Descartes, dont la fréquentation des émanations d'un poêle lui aurait suggéré
les règles de la méthode, La Mettrie a déduit ses thèses sur la machine humaine
du fait de la dégustation d'huîtres à la fraicheur douteuse en plein mois d'août.
On doit surtout relever la pratique médicale de cet auteur qui fit ses études
auprès de Boerhaave, dont il traduit bien des textes, et pris parti pour les
chirurgiens au nom de la nécessaire connaissance de l'anatomie humaine. Ses
thèses philosophiques prennent appui sur la médecine, et les premières
implications politiques de son travail viennent de la médecine elle-même, dans
la mesure où il fait l'objet d'une cabale de la part de confrères se sentant
humiliés par la description qu'il donne de leur art dans Politique du Médecin de
733
Machiavel, condamné en même temps que les Pensées philosophiques de
Diderot en 1746. Deux ans plus tard, en 1748, l'Homme Machine est à son tour
interdit et brûlé. » -Benoît Schneckenburger, Philosophie matérialiste et
autonomie politique, le cas des matérialistes français du XVIII° siècle, Thèse de
science politique, 2011, 325 pages, p.11-12.

« Le matérialisme du XVIIIème siècle résulte des contradictions particulières de


la société française d’Ancien Régime, porteuses de la révolution de 1789. Il est
l’option idéologique la plus radicale choisie par une minorité d’intellectuels.
Encouragés par l’obstination aveugle de l’aristocratie, ils militent pour une
rupture complète avec l’ordre ancien, contrairement à la majorité désireuse de
réformes plus ou moins progressives. […]

Le matérialisme du XVIIIème siècle est solidaire de deux tendances sociales. Il


est d’abord d’origine bourgeoise, dans la mesure où il constitue la pointe
extrême de la contestation de la féodalité, à l’intérieur du mouvement des
Lumières. La contradiction est devenue si paroxystique, qu’elle suscite, chez
certains, le désir de bouleverser de fond en comble le système politique et
idéologique. D’Holbach en est la figure emblématique.

Mais le matérialisme s’alimente aussi du mécontentement populaire, comme


l’expriment les œuvres de Meslier et de Maréchal. La contestation déborde
l’impulsion initiale donnée par les revendications bourgeoises, et transforme la
critique des privilèges en une lutte pour l’égalité. La déclaration des droits de
l’homme ne fait que la moitié du chemin. L’injustice économique est dénoncée
pour la première fois. » (p.291)

« En renvoyant dos à dos les deux partis de la discussion ontologique sur


l'origine, La Mettrie critique implicitement la position épicurienne. Dire que le
monde est éternel, comment imaginer qu'il a été créé, dépasse nos facultés.
L'homme est incapable de produire un énoncé valide sur l'origine des choses.
[...]
Il maintient cette idée jusque dans son Système d'Épicure de 1751, où pourtant
il affirme avoir repris les thèses épicuriennes. La question de l'origine première
du monde n'est susceptible d'aucune résolution. Ce refus de trancher, entre
création ou indépendance, se fonde sur une exigence gnoséologique: on ne peut
connaître une chose que par le moyen de notre sensibilité. Or, l'origine de l'être
en général y est complètement inaccessible. Si le monde est éternel, nos sens ne

734
pourront jamais remonter son infinité. Si le monde a été créé, là aussi aucune
expérience ne peut nous décrire ce moment initial, dont il n'y a aucune trace. »
(p.324)

« La Mettrie est le premier à se réclamer du matérialisme, de façon récurrente,


dans plusieurs de ses œuvres. » (p.329)

-Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions


Kimé, 2103, 706 pages.

"Lorsque Diderot écrit, dans l'Essai sur les règnes de Claude et de Néron, que
La Mettrie est "un écrivain qui n'a pas les premières idées des vrais fondements
de la morale", il professe la plus grave accusation qui soit à l'encontre d'un
philosophe des Lumières. Comme le pense aussi d'Holbach, Diderot juge La
Mettrie coupable d'immoralisme et Diderot traduit son courroux envers La
Mettrie en proclamant l'ignorance de l'accusé quand à la question du fondement
de la morale." (p.9)

« Engendré par son matérialisme mécaniste, le fatalisme moral de La Mettrie le


conduit à professer une certaine forme d’amoralisme, dans la mesure où il
refuse à porter un jugement moral sur les individus, précisément au nom de sa
conception philosophique. » (note 54 p.190) -Jacques Domenech, L'éthique des
Lumières: les fondements de la morale dans la philosophie française du
XVIIIème siècle, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1989, 271 pages.

« La Mettrie est un pur matérialiste ; et il n’a même pas, dans l’exposition des
doctrines matérialistes, le talent et la science que possède d’Holbach. Il n’a
aucune métaphysique ; tout son système se réduit à une morale, et toute sa
morale à l’idée du plaisir. » -René Worms, La Morale de Spinoza, 1892.

http://hydra.forumactif.org/t3157-julien-offray-de-la-mettrie-oeuvres-
philosophiques#3940

http://hydra.forumactif.org/t2504-charles-t-wolfe-epicuro-cartesianism-la-
mettries-materialist-transformation-of-early-modern-philosophy

Matthias Knutzen (1646- ?) :

Denis Diderot (1713-1784): « Je serai de tous les philosophes le plus


dangereux pour les prêtres, car le plus dangereux des philosophes est celui qui
met sous les yeux du monarque l’état des sommes immenses que ces orgueilleux
735
et inutiles fainéants coûtent à ses États. » -Denis Diderot, Discours d’un
Philosophe à un Roi, in Miscellanea philosophiques (Œuvres complètes, tome
4), p.35.

« Par sa nature, toute puissance tend au despotisme. » -Diderot, in 3ème édition


de l’Histoire des Deux Indes, t. IV, liv. 18, ch. 42, p. 394.

« Il n’y a jamais que le malheureux ou l’opprimé qui se révolte. » -Diderot,


Observ, § 44, p. 530.

« Puissent-ils [les Etats-Uniens] reculer, au moins pour quelques siècles, le


décret prononcé contre toutes les choses de ce monde ; décret qui les a
condamnées d’avoir leur naissance, leur temps de vigueur, leur décrépitude et
leur fin. » -Diderot, Essai sur les règnes de Claude et de Néron, DPV, t. XXIV,
p. 355.

« Tout ce qui étonne l’âme, tout ce qui imprime un sentiment de terreur conduit
au sublime. […] La clarté est bonne pour convaincre ; elle ne vaut rien pour
émouvoir. La clarté, de quelque manière qu’on l’entende, nuit à
l’enthousiasme. » -Denis Diderot, Le Salon de 1767 (IV, 633).

« Une des œuvres les plus remarquables de Diderot ; un chef-d’œuvre dans l’art
de mener un raisonnement philosophique sur un mode parfaitement narratif,
parfaitement divertissant et d’une manière cependant décisive pour le fonds,
avec au surplus le talent de peindre une scène réelle. » -Wilhelm von Humboldt,
à propos de l’Entretien d’un Père avec ses Enfants. Cité dans Roland Mortier,
Diderot en Allemagne, Slatkine Reprints, Genève-Paris, 1986, p. 11.

« Hegel lui aussi se réfère au neveu de Rameau.

Il est intéressant de noter que ce petit chef d’œuvre de la plume du grand


encyclopédiste faisait partie des œuvres littéraires les plus appréciées de Marx.
Diderot était son auteur de prose préféré. » -Mikhaïl Lifschitz, La philosophie
de l’art de Karl Marx, 1933, p.77.

« Placé au centre de l'opinion publique, écho autant qu'excitateur universel, ce


journaliste merveilleux nous révèle son siècle. » -Pierre Lasserre, Le
Romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et les idées au
XIXème siècle, Thèse présentée à la Faculté des lettres de l'université de Paris,
Paris, Société du Mercure de France, 1907, 547 pages, p.12.

736
« Diderot ne considère [...] pas l'atomisme d'Épicure comme son seul mérite. Il
préfère retenir l'ensemble de la démarche, notamment la généralisation du
principe "il ne se fait rien de rien" à tout phénomène. Contrairement à
Gassendi, Diderot affirme que l'atomisme d'Épicure implique la négation du
créationnisme et la corporéité de l'âme. » (p.349)

« Ce matérialisme est déjà un dépassement du mécanisme rencontré chez La


Mettrie. Certes, le tout de Diderot ressemble à la grande machine de La Mettrie,
mais il possède en plus la conscience de l'éphémère. » (p.361)
-Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions
Kimé, 2103, 706 pages.

« Condamnés par l’Église et détestés par la Cour, Holbach et Diderot ont été
les guides de la libre pensée et ont directement inspiré les pères fondateurs de
l’Amérique. Il est vraisemblable que Franklin ait participé à leurs dîners et aux
discussions qui s’ensuivaient ; Jefferson, dont la bibliothèque personnelle
témoigne encore de ses centres d’intérêt, lisait et admirait Diderot, Holbach,
Helvétius et Raynal, ainsi que leurs prédécesseurs intellectuels. Pour la
déclaration d’indépendance, il a changé la formulation de Locke pour la
préservation de la vie, de la santé, de la liberté et de la propriété en « recherche
du bonheur », tournure épicurienne et diderotienne plus appropriée.

Et pourtant, ces philosophes des Lumières radicaux ont été poussés dans les
marges de la mémoire et dans les notes de bas de page de l’histoire des idées. Il
est couramment admis que les Lumières sont l’histoire d’un culte de la raison
dont les grands prêtres étaient Emmanuel Kant et Voltaire, et non l’immense
révolution intellectuelle de Diderot et ses amis. Leur relative obscurité n’est pas
un mystère insolvable si on compare leur pensée à celle de Voltaire et Rousseau
qui critiquaient les excès absolutistes, mais pas le pouvoir autoritaire de
quelques-uns sur le plus grand nombre ; ils attaquaient l’Église mais chantaient
les louanges de l’Être Suprême (« le grand horloger ») ; leurs vues étaient
solidement déistes, autoritaires et ont poussé certains à justifier le pouvoir
d’une nouvelle politique post-révolutionnaire. Robespierre a fait de Rousseau le
Saint Patron du nouvel État, l’a couvert d’éloges et il avait fait sculpter un buste
de lui dans une pierre de la Bastille.

Holbach et Diderot avaient une vision très différente de la nature humaine. […]

737
Ces vues étaient l’anathème pour absolument tous ceux qui cherchaient à
conserver ou à gagner du pouvoir, depuis l’aristocratie jusqu’aux dictateurs de
la Révolution comme Maximilien de Robespierre et Napoléon, tout cela
jusqu’au retour du catholique qui a suivi. «  Les hommes ne seront pas libres
tant que le dernier roi ne sera pas étranglé avec les tripes du dernier prêtre  »,
écrivait Diderot — pas le genre de message qui puisse plaire à la bourgeoisie
du dix-neuvième siècle. […]

Les Lumières radicales ont compris et condamné cette structure de pouvoir


émergente comme une conspiration des prêtres et magistrats. Leur pensée était
évolutionniste bien avant Charles Darwin ; ils défendirent les droits des
esclaves avant William Wilberforce et les droits des femmes avant Mary
Wollstonecraft. […]

La censure, les condamnations et la menace d’arrestation ont fait partie de la


vie quotidienne de Diderot mais il n’a pas pu anticiper la punition cruelle ou
inhabituelle dont ces philosophes ont souffert après leur mort. La manipulation
des faits a commencé lorsque Voltaire et Rousseau ont été enterrés avec faste
dans le Panthéon et ont fait l’objet d’éloge comme les penseurs les plus nobles
de l’Humanité. On a oublié les cabales politiques de Voltaire, sa position très
ambivalente sur les aristocrates qui l’ont maintenu riche et connu, ou encore
son rapport cynique à la religion comme l’opium des masses. On a oublié les
crises de colère de Rousseau, ses trahisons envers ses amis et son plaidoyer
pour la dictature. Deux stèles, des statues innombrables et des livres gravés ont
diffusé leur grandeur et leur intégrité irréprochable. […]

Lorsqu’on en parlait, Diderot était réduit à un romancier gaulois excentrique et


l’éditeur d’une encyclopédie dépassée depuis longtemps et Holbach était
relégué au statut d’un faible et ennuyeux précurseur de la théorie marxiste. Le
salon et ses invités furent rapidement oubliés : la maison parisienne où pendant
vingt-cinq ans les esprits les plus brillants de l’Europe — Hume les appelait les
« sheikhs de la rue Royale »— se sont rencontrés et ont débattu, n’a toujours
pas de plaque ou de signe de reconnaissance. » -Philipp Blom, Un homme
dangereux au Panthéon, Octobre 2013 (cf: http://romainelubrique.org/diderot-
un-homme-dangereux-au-pantheon ).

738
« Diderot fut le seul des philosophes français [au 18e siècle] à ne pas être
hostile aux Juifs. » -Hannah Arendt, Sur l’antisémitisme, Calmann-Lévy, 1973,
p.63.

« [Diderot] a plus d’une fois chanté la louange de l’auteur de l’Esprit des


Lois. » -Pierre Hermand, Les idées morales de Diderot, 1972, 304 pages, p.244.

« Consciemment ou non, [Diderot] rejoignait philosophiquement Grotius pour


faire de la raison le critère nécessaire et suffisant de tout ce qui est humain: la
raison qui, disait-il en substance, est la règle universelle immanente à l'espèce
entière, supplante la volonté prescriptive d'un Dieu transcendant. » -Simone
Goyard-Fabre, Les embarras philosophiques du droit naturel, Paris, Librairie
philosophique J. Vrin, coll. Histoire des idées et des doctrines, 2002, p.97.

« Diderot propose une toute autre conception du concept d’obligation, une


conception authentiquement empiriste qui se passe de tout fondement divin
comme de toute raison raisonnante, c’est-à-dire d’une pure opération de
l’intellect qui n’aurait aucun fondement dans la réalité matérielle et sensible.
Contre les jusnaturalistes, Diderot définit le droit naturel en substituant «
l’intérêt général & commun » des hommes à toute recta ratio déterminée par
Dieu afin de définir une théorie des droits et des devoirs toute entière tournée
vers la figure la plus élargie de la communauté, qu’il appelle simplement «
l’humanité ».

La seconde discussion porte sur le devenir de la morale, de la justice, de


l’obligation et du droit dès lors que l’on considère que l’homme n’est pas libre.
Cette hypothèse, qui caractérise clairement le matérialisme déterministe de
Diderot et que l’on retrouve à d’autres endroits de l’Encyclopédie, va travailler
l’ensemble des énoncés de cet article.

La figure du « raisonneur violent » n’est pas sans rappeler la définition du


méchant comme puer robustus par Hobbes. En imaginant un « homme
tourmenté par des passions si violentes » qu’il est obligé de donner la
préférence à l’amour de lui-même (« personne ne m’est plus cher que je me le
suis à moi-même »), Diderot exprime ainsi son refus d’accorder « à l’individu le
droit de décider de la nature du juste et de l’injuste ». Il entend ainsi montrer en
quelque sorte par l’absurde ou par un cas limite la difficulté qu’il y a de fonder
la morale et le droit sur la seule volonté individuelle, fût-elle raisonnée. »

739
« D’une certaine manière, on assiste là à un renversement capital : ce ne sont
plus les législations qui découlent du droit naturel, mais le droit naturel qui
découle des différentes législations. » -Stéphane Pujol, « Vers une « crise du
droit naturel » ? », Cultura, Vol. 34 | 2015, 31-45.

« Vous voulez persuader à un furieux déterminé à mourir d’écouter les


enseignements du genre humain […]. Mais le genre humain dit-il quelque chose
? Qu’est-ce que le genre, sinon le résultat de tous les individus. Le genre
humain ne veut rien, n’enseigne rien, ne prescrit rien. Le terme de genre humain
n’est qu’un terme abstrait, qui au fond n’exprime que l’idée de l’individu,
abstraction faite de tous les modes particuliers qui le constituent tel individu
plutôt que tel autre. Il n’est point d’être dans l’univers qui soit le genre humain.
Ce n’est qu’un être de raison. » -Abraham Chaumeix, Préjugés légitimes contre
l’Encyclopédie, tome second, Bruxelles, 1758, chapitre III, p. 68-69.

« Comment peut-on justifier la nécessité de la conduite vertueuse et de l’action


morale dès lors qu’on ne croit plus en un Dieu garant d’une justice rétributive,
ni en une âme immortelle qui pourrait être récompensée ou punie ? La question
est cruciale pour Diderot, elle parcourt toute son oeuvre : on peut la nommer
question de la cohérence morale ou, pour être plus proche des termes de
l’époque, de la conséquence morale. Nous aimerions montrer ici, après avoir
rappelé la forme qu’elle prend dans l’oeuvre de Diderot, qu’elle trouve sa
réponse dans une pragmatique, laquelle s’exprime de la manière la plus
approfondie non pas dans la forme philosophique du traité de morale – que
Diderot, comme on sait, n’écrira jamais – mais dans les fictions narratives,
romans et contes, conçus comme une forme particulière d’exercice
philosophique et, pour la question morale, comme la forme la plus adéquate à
son objet. »

« Si la Maréchale se conduit vertueusement, c’est finalement, contrairement à


ce qu’elle s’imagine, assez peu en raison de ses convictions religieuses, comme
en témoigne le fait qu’il ne lui viendrait même pas à l’idée de suivre absolument
les préceptes de sa religion – c’est donc qu’elle obéit, relativement à sa
conduite, à d’autres principes. Si le philosophe athée ne tue ni ne pille, ce n’est
pas par incohérence, mais c’est au fond pour les mêmes raisons que la
Maréchale. La morale n’est donc pas fondée sur la religion, mais découle de la
nature sociale de l’homme. Diderot insiste d’autant plus sur ce point qu’il veut
éviter de tomber dans un relativisme ou un scepticisme moral dont La Mettrie
740
est le représentant – et présente une figure commode de repoussoir aux
défenseurs d’un matérialisme honorable ou d’un athéisme de l’honnête homme
tel qu’il s’élabore dans l’entourage du baron d’Holbach. Comment sort-on de
cette vieille question de la cohérence morale, entendue comme objection au
matérialisme ? En montrant que les fondements de la conduite morale sont à
chercher dans la nature, dans l’éducation et dans l’expérience de la vie en
société. »

« Comment la morale peut-elle être naturelle, donc avant toute convention


sociale qui la rendrait relative, tout en n’étant pas innée ? N’y a-t-il pas là une
contradiction ? Non, si l’on peut montrer qu’elle résulte en ses premiers
éléments d’une production immanente et nécessaire dès lors que des hommes
vivent rassemblés – et on rappellera que, pour Diderot, à la différence de
Rousseau, l’homme est par nature un animal grégaire et que l’hypothèse de
l’individu isolé à l’état de nature n’a pas de sens. Diderot illustre [dans sa
Réfutation d’Helvétius] cette idée sous la forme d’un nouvel apologue, se
souvenant peut-être ici de Hobbes, afin de montrer que l’instinct de
conservation, expression chez le vivant du conatus partagé par tous les êtres
naturels, produit en quelque sorte naturellement, de manière immanente, le
sentiment du juste et de l’injuste chez l’homme. »

« Diderot prend clairement parti dans ce débat sur la nature de la pitié


esthétique qui travaille de façon décisive toute l’histoire des débats sur les
rapports de la littérature et de la morale depuis Aristote et sa contestation
augustinienne. De même que la fiction romanesque permet une expérience du
monde par procuration qui n’en donne pas moins au lecteur un savoir pratique
authentique sur l’univers passionnel, de même les sentiments moraux éveillés
par la lecture se développent réellement par la participation imaginaire au
monde fictionnel : « sans que je m’en aperçoive, le sentiment de la
commisération s’exerce et se fortifie ». La fréquentation du roman par le
lecteur, placé dans la situation de disponibilité qui est celle du loisir, prédispose
en effet à la vertu en l’exerçant imaginairement. »

« La philosophie morale, dès lors qu’on a compris l’immanence des vérités


morales, doit désormais passer par le récit d’expériences et la discussion sur
ces expériences, dans des machines qui impliquent le lecteur et le contraignent à
penser par lui-même. » -Colas Duflo, « Conséquence morale et écriture
philosophique chez Diderot », Cultura [Online], Vol. 34 | 2015.
741
« [Diderot est] le seul à soutenir vigoureusement le droit de résistance des
peuples à l'oppression politique. » -Danièle Letocha, Étienne de La Boétie
précurseur des Lumières ?, p.8.

« Il s’ensuit alors que les hommes ont dû, doivent et devront toujours se réunir
en société contre la nature. Dès lors, l’état social est une condition à la fois
primordiale et perpétuelle pour l’espèce humaine. Cela n’exclut pas que son
état varie géographiquement et en fonction du cours du temps dans lequel
chaque société marche d’une allure différente. Ainsi, comme nous y reviendrons
un peu plus loin, Diderot se demandera comment faire advenir effectivement ce
qui est de jure à partir de conditions de facto variables – une telle attitude sera
sous-jacente à sa conception de la révolution comme constituant une des issues
de la civilisation.

Or, lorsque le philosophe remplace l’origine contractualiste par la sienne, sa


cible reste la théorie de Hobbes, à qui il donne cette fois l’assaut de l’intérieur.
En effet, en attachant de l’importance à un moment agonistique donnant lieu à
une solidarité parmi des intéressés contre la menace de l’extérieur, Diderot
adopte certes la notion hobbesienne d’association, mais cette référence a pour
objectif d’en renverser les significations. Selon Hobbes, bien que le concours ou
« la convergence de plusieurs volontés » face à l’ennemi extérieur donne
naissance à une association comme celle d’un troupeau d’animaux, cela ne
suffit pas à prendre des mesures contre des risques de conflit entre les hommes ;
et par conséquent cela ne suffit pas non plus à les faire sortir de l’état de nature
; pour former la société civile, il faut que chacun soumette, par contrat
réciproque, sa propre volonté à « une volonté singulière de tous » (c’est-à-dire
qu’il faut composer une union) et transfère tout son droit à un souverain
(personne civile) qui, par son pouvoir absolu, permette aux hommes de vivre
pacifiquement. Diderot s’oppose d’abord à Hobbes, en ce qu’il identifie comme
ennemi extérieur non pas l’autre tribu, mais la nature – en cela il s’aligne peut-
être sur une tradition du matérialisme antique, dans le style de celui de Lucrèce
par exemple. En second lieu, et cela est plus important, Diderot considère le
concours de volontés sans unité ni soumission à l’Un comme une condition
suffisante pour que les hommes forment spontanément une société. »

« Diderot se fonde certainement sur l’idée lockéenne des fins du gouvernement.


Seulement, il étend quelque peu ces fins ; car ce n’est pas tant la protection elle-
même de la liberté et de la propriété qui est le plus précieux que bien plutôt ce
742
qu’elle permet aux ayants droit […] le bonheur des individus. À cette fin, dans
les Observations sur le Nakaz, Diderot charge le gouvernement d’aménager en
quelque sorte l’égalité économique qui permet à tous de jouir de l’aisance par
leur activité productrice, en mettant en place par exemple l’impôt progressif et
équitable et l’offre de terres et de moyens de production pour tous les paysans
pauvres. »

« Le conflit originaire de l’homme avec les maux de la nature nécessite la


société, puis la perversion de la société nécessite le gouvernement, étant
entendu que celui-ci doit servir de moyen à celle-là. Tout se passe comme si une
solution nécessaire à un mal produisait un autre mal qui exigerait à son tour
une autre solution. Mais il est à noter que la naissance du gouvernement est loin
de clore le problème. En effet, la fondation d’une société politique enclenche la
tension entre société et gouvernement dans la mesure où celui-ci « ne peut
[être] et n’est que trop souvent mauvais »: c’est-à-dire que la mise en place
d’un gouvernement, en tant que dernier terme, annonce moins l’arrivée d’un
ordre pacifique que l’inauguration véritable d’un processus fluctuant de la
civilisation hantée par la corruption du gouvernement. »

« L’adhésion de Diderot à la souveraineté nationale décèle à travers ses écrits


sur la Russie jusqu’à l’Histoire des deux Indes son penchant démocratique en
contradiction avec la tendance absolutiste de Hobbes. »

« Diderot supprime les conditions posées par Locke à l’exercice du droit de


résistance qui vise à dissoudre le gouvernement. Selon le dernier, la résistance
est justifiable dans le cas où le gouvernement viole le droit ou la propriété du
peuple de telle manière qu’il agit à l’encontre de la mission (Trust) pour
laquelle il a été constitué ; et c’est du jugement du peuple que dépend la
conformité du gouvernement à sa mission ou sa légalité. Diderot reprend
assurément ce statut du peuple comme juge ultime, mais il ne lui importe pas de
définir un critère plus ou moins objectif et légal de ce qui autorise le peuple à
juger le bien-fondé de son gouvernement ; car, même si le peuple ne gémit pas
sous l’oppression, sa volonté de rompre le statu quo pour améliorer sa situation
est justifiable en soi. À la limite, s’il y a un critère, c’est le bonheur tel que le
peuple le conçoit tout subjectivement. D’ailleurs, Locke semble établir une
distinction substantielle entre la résistance juste qui remplit ladite condition
justifiante et la rébellion illicite qui tient tête par force à l’autorité légale, que
cette rébellion soit le fait du gouvernant ou du sujet. À cet égard, Diderot n’en
743
admet que la distinction nominale ; en effet, si toute tentative de révolution est
justifiable, il ne reste plus que des différences d’appellation par rapport à un
seul et même événement, soit la rébellion injuste aux yeux des gouvernants, soit
l’exercice légitime d’un droit de la part du peuple. » -Kyosuke Tahara,
« Diderot et la légitimation philosophique de la révolution », Philonsorbonne
[En ligne], 11 | 2017, mis en ligne le 07 janvier 2017, consulté le 29 septembre
2018.

« Argument similaire [chez Malesherbes] à celui de Diderot dans sa Lettre sur


le commerce de librairie: pour garantir la qualité des débats et l'émergence
d'une véritable opinion publique, il faut contrôler et limiter la concurrence au
niveau économique. » -Yves Citton, discussion faisant suite à Loïc Charles,
"L'économie politique française et le politique", chapitre in Philippe Nemo et
Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF,
2006, 1427 pages, pp.279-312, p.311.

http://hydra.forumactif.org/t645-denis-diderot-oeuvres?highlight=Denis+Diderot

http://hydra.forumactif.org/t2534-charles-avezac-lavigne-diderot-et-la-societe-
du-baron-dholbach#3275

http://www.amazon.fr/Diderot-Gerhardt-
STENGER/dp/2262036330/ref=sr_1_1_twi_pap_2?ie=UTF8&qid=1450461603
&sr=8-1&keywords=Gerhardt+Stenger%2C+Diderot.

http://www.amazon.fr/Diderot-Du-mat%C3%A9rialisme-%C3%A0-
politique/dp/2271076587/ref=sr_1_20?ie=UTF8&qid=1457386389&sr=8-
20&keywords=mat%C3%A9rialisme

https://www.amazon.fr/Diderot-affirmations-fondamentales-
mat%C3%A9rialisme-
Lefebvre/dp/2851810286/ref=sr_1_31?s=books&ie=UTF8&qid=1476352756&s
r=1-31

Jacques-André Naigeon (1738-1810) : « Diderot est presque le grand absent


de la Révolution loin derrière Rousseau, Voltaire, Montesquieu, Raynal et
Mably. Il n’est quasiment jamais cité dans les journaux. Pour de multiples
raisons. Le philosophe a publié en effet peu de textes de son vivant. […] Et outre
que la Constitution votée en 1791 ne s’inspire en rien des conceptions
matérialistes, on peut supposer que l’animosité de Diderot contre Rousseau,
744
surtout après la disparition du genevois, a terni la réputation de
l’encyclopédiste. Nous nous trouvons évidemment devant un étrange paradoxe :
la Révolution qui s’est déclarée fille des Lumières symbolisées par l’entreprise
encyclopédique boude son principal architecte. » (p.25)

« Dans l’ensemble, les amis de Diderot se prononcèrent quasiment tous, dès


1790, contre la Révolution. Naigeon fut le seul à défendre le nouveau régime et
à le rattacher directement à l’esprit de Diderot. » (p.25)

« Naigeon, sous l’Ancien Régime, avait participé à la croisade matérialiste.


Collaborateur et ami de d’Holbach et de Diderot, il s’engagea activement dans
la campagne anti-chrétienne lancée par d’Holbach à la fin des années 1760. Il
travailla avec ardeur à la rédaction et à la publication d’ouvrages résolument
athées. Il fut d’autre part un ami intime de Diderot dans les vingt dernières
années de la vie du philosophe. Ce dernier, dix ans avant sa mort, survenue en
juillet 1784, lui confia la publication de ses oeuvres. Naigeon devenait ainsi
dépositaire de la pensée de Diderot, gardien du temple de la philosophie
diderotienne. […] C’est l’éditeur en 1798 des oeuvres du philosophe ; et, à ce
dernier, Naigeon s’efforce de redonner un visage de philosophe attaché aux
structures et à la stabilité de l’ordre social. Il voulait en finir avec la collusion
Diderot-Babeuf et démentir toutes les accusations portées contre le directeur de
l’Encyclopédie. Dans ce cas il y avait aussi le ralliement de Naigeon à la
politique directoriale, significatif du choc de la Terreur sur les philosophes.

Naigeon, né en 1738, avait environ 26 ans lorsqu’il rencontra Diderot. Celui-ci


le mentionne pour la première fois dans une lettre à Sophie Volland du 21 juillet
1765. » (p.26)

« C’est Diderot lui-même qui présenta Naigeon à d’Holbach et les deux hommes
très vite « firent pleuvoir des bombes dans la maison du Seigneur ». » (p.26)

« A la veille de la Révolution, fidèle à l’amitié qui le lia pendant un quart de


siècle à Diderot et à d’Holbach, Naigeon fit paraître dans le Journal de Paris
une lettre sur la mort du baron d’Holbach survenue en janvier 1789. L’article,
fort élogieux, ne contenait rien de polémique vis-à-vis de la religion chrétienne.
Naigeon y soulignait la générosité de coeur et d’esprit de Diderot :

... Comme Diderot prêtait facilement, et sans s’en apercevoir, son esprit, son
imagination et ses connaissances à ceux avec lesquels il s’entretenait, et qu’il

745
supposait à tous les hommes des principes de probité selon lesquels il se
conduisait, M. d’Holbach lui disait : « Vous êtes l’homme le plus heureux que je
connaisse ; vous n’avez jamais trouvé ni un sot ni un fripon ; et vous n’avez
jamais lu un mauvais livre, car à mesure que vous le lisez vous le refaites....

Naigeon, plus encore qu’à d’Holbach marque son attachement et son


admiration à Diderot. Mieux encore, c’est par la bouche du baron que
s’expriment la bonté, l’intelligence et la puissance intellectuelle de Diderot.
Naigeon souligne ainsi la supériorité du philosophe sur d’Holbach.

Naigeon, bien qu’aucun témoignage ou document ne puisse nous le confirmer,


dut porter un assez vif intérêt aux événements qui se déroulaient sous ses yeux.
Il se manifeste dès 1790 par une Adresse à l’Assemblée Nationale. Tout autant
qu’un serment républicain, il s’agit d’un manifeste violemment anticlérical et
radicalement athée destiné aux représentants de la nation occupés à rédiger le
texte de la Constitution. Naigeon s’y érige en véritable philosophe législateur. Il
indique aux députés la marche à suivre et écrit dans son Avertissement :

... Réparer les maux sans nombre que la superstition a faites à l’espèce humaine
; rendre à la raison opprimée sous le sceptre doublement meurtrier des Prêtres et
des Tyrans tous ses droits trop longtemps méconnus et violés, tels sont, en
partie, les devoirs des représentants de la Nation... » (p.29)

« Il était la voix posthume de ses maîtres en athéisme. Bien avant la chute de


l’Ancien Régime, La Harpe l’avait surnommé le « singe de Diderot »,
qualification peu aimable mais qui illustrait assez bien l’idée que certains
intellectuels des Lumières se faisaient de Naigeon. En 1790, c’est aussi le «
singe de Diderot » que l’on dénonce comme « monstre littéraire » fou et
fanatique. » (p.30)

« Naigeon conçoit, en outre, qu’un État idéal puisse exister ailleurs qu’en
Europe. Ce qui condamne toute légitimité politique et morale de l’entreprise
coloniale. » (p.31)

« Idée commune aux contre-révolutionnaires et aux ennemis des philosophes, de


Diderot en particulier, à savoir que c’est le développement du matérialisme, la
publication d’ouvrages critiques vis-à-vis de la puissance ecclésiastique et de
Dieu lui-même qui ont conduit à la chute de l’Ancien Régime. » (p.32)

746
« Le premier tome de la Philosophie ancienne et moderne fut publié durant l’été
1791. Un an plus tôt avait été votée la constitution civile du clergé que le Pape
avait condamnée quelques mois plus tard. Naigeon stigmatise dans son texte
l’attitude des prêtres réfractaires et des religieux qui se rangèrent du côté de la
papauté et provoquèrent un schisme d’ordre national. Les philosophes des
Lumières, Diderot comme Voltaire, ont considéré la Saint-Barthélemy comme
l’un des actes indélébiles de l’histoire de l’Église catholique, l’Infâme par
excellence. La référence à la Saint-Barhélemy s’inscrit dans le courant
anticlérical et matérialiste des Lumières. Naigeon exploite cette tradition
philosophique à des fins politiques. Il agite le sceptre des guerres de religion en
accusant les catholiques contre-révolutionnaires de vouloir préparer le
massacre de leurs adversaires. C’était certes plausible mais en 1791, ce sont les
prêtres réfractaires que l’on commence à pourchasser et qui seront
emprisonnés, déportés et parfois massacrés. » (p.11)

« Dans le troisième et dernier tome du dictionnaire de philosophie paru après la


Terreur, Naigeon se félicite de la chute de Robespierre et qualifie le comité de
salut public de meurtrier et de tyrannique. Il va jusqu’à comparer Néron à
Robespierre au détriment de ce dernier. C’est aussi la politique religieuse de
Robespierre que rejette catégoriquement l’athée Naigeon. » (p.37)

« En 1795, Naigeon devient un intellectuel officiel de la République puisque le


gouvernement le nomme à l’Institut National lors de sa création. C’est trois ans
plus tard qu’il réalise enfin l’un de ses projets les plus chers : donner une
nouvelle édition des oeuvres de Diderot. Naigeon justifie dans son introduction
le sens de son entreprise : il s’agissait tout d’abord de dédouaner Diderot de
toute collusion avec Babeuf et la Conjuration des Égaux […]

Naigeon estime devoir arracher Diderot des mains des babouvistes. Et s’il
comprend la méprise d’un homme ignorant comme Babeuf, il ne pardonne pas
aux hommes de lettres, particulièrement Fontanes et La Harpe, champions de la
réaction catholique, d’alléguer les déclarations de Babeuf pour mieux attaquer
Diderot. » (p.38)

« Le Naigeon du Directoire s’est bien assagi et s’il garde ses convictions athées,
il n’aime pas trop qu’on en fasse publicité. C’est qu’il espère entamer une
carrière politique. » (p.40)

747
-Pascale Pellerin, « Naigeon : une certaine image de Diderot sous la Révolution
», Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie [En ligne], 29 | 2000, mis en
ligne le 18 juin 2006, consulté le 30 septembre 2016.

http://hydra.forumactif.org/t3464-jacques-andre-naigeon-le-militaire-
philosophe#4297

Paul Henri Thiry d'Holbach [prononcé Haulebar] (1723-1789) : « Le


premier pas vers l'humanité est de permettre à chacun de suivre en paix le culte
et les opinions qui lui conviennent. Mais cette conduite ne peut plaire aux
ministres de la religion, qui veulent avoir le droit de tyranniser les hommes
jusque dans leurs pensées. » -Le Baron d’Holbach, Le Bon sens.

« Pour peu que l’on consulte la raison, elle prouvera que les constituants
peuvent en tout temps démentir, désavouer et révoquer les représentants qui les
trahissent, abusent de leurs pleins pouvoirs contre eux-mêmes, ou qui renoncent
pour eux à des droits inhérents à leur essence. » -Le Baron d’Holbach,
L’Encyclopédie, article « Représentants ».

« Dans un tourbillon de poussière qu’élève un vent impétueux, quelque confus


qu’il paroisse à nos yeux; dans la plus affreuse tempête excitée par des vents
opposés qui soulèvent les flots, il n’y a pas une seule molécule de poussière ou
d’eau qui soit placée au hasard, qui n’ait sa cause suffisante pour occuper le
lieu où elle se trouve, et qui n’agisse rigoureusement de la manière dont elle
doit agir. Un géomètre, qui connaîtrait exactement les différentes forces qui
agissent dans ces deux cas, et les propriétés des molécules qui sont mues,
démontrerait que, d’après des causes données, chaque molécule agit
précisément comme elle doit agir, et ne peut agir autrement qu’elle ne fait.

Dans les convulsions terribles qui agitent quelquefois les sociétés politiques, et
qui produisent souvent le renversement d’un empire, il n’y a pas une seule
action, une seule parole, une seule pensée, une seule volonté, une seule passion
dans les agents qui concourent à la révolution comme destructeurs ou comme
victimes, qui ne soit nécessaire, qui n’agisse comme elle doit agir, qui n’opère
infailliblement les effets qu’elle doit opérer, suivant la place qu’occupent ces
agents dans ce tourbillon moral. Cela paraîtrait évident pour une intelligence
qui serait en état de saisir et d’apprécier toutes les actions et réactions des
esprits et des corps de ceux qui contribuent à cette révolution. » (p.41-42)

748
« Si l’homme d’après sa nature, est forcé de désirer son bien-être, il est forcé
d’en aimer les moyens; il serait inutile et peut-être injuste de demander à un
homme d’être vertueux s’il ne peut l’être sans se rendre malheureux. » (p.116)

-Paul Henri Thiry, baron d'Holbach, Système de la nature ou des lois du monde
physique et du monde moral, 1770, "Les classiques des sciences sociales".

« Il est quelques mortels qui ont de la roideur dans l’esprit, un défaut de


souplesse dans l’échine, un manque de flexibilité dans la nuque du cou ; cette
organisation malheureuse les empêche de se perfectionner dans l’art de ramper
et les rend incapables de s’avancer à la Cour. Les serpens et les reptiles
parviennent au haut des montagnes et des rochers, tandis que le cheval le plus
fougueux ne peut jamais s’y guinder. La Cour n’est point faite pour ces
personnages altiers, inflexibles, qui ne savent ni se prêter aux caprices, ni céder
aux fantaisies, ni même, quand il en est besoin, approuver ou favoriser les
crimes que la grandeur juge nécessaires au bien-être de l’État. » -Baron
d’Holbach, Essai sur l’art de ramper, à l’usage des courtisans, 1790.

« A Louis XVI. » (p.4)

« Il n’est besoin ni de mérite ni de science pour exercer le despotisme et détruire


un Etat : il ne faut que la force et la méchanceté. Mais pour gouverner sagement
un Etat corrompu, pour en bannir le désordre et le vice, il faut des travaux longs
et suivis, il faut des lumières, une fermeté, des vertus qui se trouvent rarement
dans les princes. Peu de lois suffisent aux gens de bien, mais il en faut de
sévères et de multipliées aux méchants, qu’elles peuvent encore difficilement
contenir. Il serait facile de faire adopter des lois raisonnables à un peuple simple,
exempt des préventions et des vices qu’on voit communément enracinés dans les
nations civilisées. On trouve chez celles-ci une multitude de citoyens ignorants,
présomptueux ou pervers, qui se sont habitués à regarder leurs usages les plus
nuisibles comme des choses sacrées, leurs préjugés comme des principes sûrs,
leurs opinions fausses comme des maximes infaillibles, leurs intérêts personnels
comme ceux de la nation entière, leurs injustices comme des droits inviolables :
tels sont les malades opiniâtres dont un souverain courageux et jaloux de sa
gloire doit entreprendre la cure s’il veut marcher à l’immortalité. » (p.6)

« Le pouvoir absolu, dont tant de mauvais princes abusent communément,


devient entre les mains d’un souverain équitable une arme nécessaire pour
détruire les efforts et les complots de l’iniquité. » (p.7)
749
« Jamais, sans des dangers égaux pour les souverains et les sujets, la politique ne
peut se séparer de la morale, ni la perdre un instant de vue. » (p.9)

« La réunion si désirable de la politique et de la morale peut seule opérer la


réforme des mœurs qu’une philosophie dénuée de pouvoir tenterait vainement. »
(p.9)

« Aristote avait depuis longtemps remarqué que la morale ne pouvait être


efficace sans le secours des lois, que des discours ne pouvaient suffire pour
réformer les mœurs. » (p.10)

« En portant ses regards sur une foule d’anciennes erreurs, de folies


contagieuses, de passions discordantes qui séparent les citoyens, de vices que
l’on suppose attachés aux climats, on s’imaginerait qu’il n’est point d’entreprise
plus extravagante que de vouloir faire entendre aux hommes la raison, la vérité,
la morale, qui seules peuvent les rendre heureux et sociables. » (p.11)

« L’accueil peu favorable que rencontrent dans un monde frivole ou pervers les
vérités les plus utiles ne doit pourtant pas décourager les citoyens fortements
animés par la passion du bien public. » (p.12)

« Le despotisme serait le meilleur des gouvernements si l’on pouvait se


promettre qu’il fût toujours exercé par des Titus, des Trajan, des Antonins. »
(p.12-13)

« Les premiers moments du règne de Louis XVI, aujourd’hui régnant en France,


semblent promettre à ce royaume, accablé par deux règnes très longs et très
funestes, le retour d’un bonheur totalement inespéré. Il n’est rien d’heureux que
la nature française en soit en droit d’attendre d’un prince rempli de bonté, de
justice, d’amour et de paix, de mépris pour le faste, entouré de ministres éclairés
et vertueux. » (note 2 p.12)

« L’autorité, pour être juste, ne peut être fondée que sur le bien qu’on fait aux
hommes. » (p.15)

« Lorsqu’un peuple, dans la démocratie, abusant du pouvoir qu’il retient dans


ses mains, se livre en aveugle à ses passions orageuses, exerce son envie contre
le mérite, qui lui fait ombrage, montre son ingratitude aux gens de bien qui l’ont
fidèlement servi, persécute ou bannit les plus éminentes vertus -, alors, violant

750
les saintes règles de la morale, la démocratie dégénère en une tyrannie qui
travaille à sa propre ruine. » (p.16)

« L’histoire du monde nous prouve que les vices et les passions des souverains
et des peuples furent toujours la vraie cause de la ruine des sociétés, et que la
vertu peut seule les soutenir et les rendre heureuses. » (p.16)

« [Montesquieu] cet auteur sublime à qui la raison humaine a de si grandes


obligations. » (p.17)

« Si dans tous les gouvernements les lois fondamentales ou primitives sont


défectueuses, insuffisantes, méconnues, dégénérées en abus, c’est que les
passions ont communément bien plus contribué que la morale ou la raison à la
formation des gouvernements, c’est que l’imposture ou la force ont fondé bien
des empires, c’est que l’ignorance, l’imprudence, la crédulité, l’inertie ont fait
admettre des maximes, des usages et des lois souvent pernicieux contre lesquels
les peuples, enchaînés par l’habitude ou la force, n’ont pu réclamer. » (p.17)

« Si tant de souverain ont abusé de leur pouvoir, c’est qu’ils n’ont pas connu la
manière d’en bien user pour leur propre bonheur, toujours lié à celui de leurs
peuples, c’est que les chefs des nations n’ont pas senti que, pour leur propre
intérêt, ils devraient se soumettre à des règles […]

Toute autorité, pour être assurée, doit être modérée. […]

Pour éviter les catastrophes, si communes aux mauvais princes, le souverain, en


garde contre ses propres désirs, vivra dans la défiance et la crainte de lui-même.
Il ne sera point jaloux d’une autorité sans bornes, il en sacrifiera une partie pour
jouir plus sûrement de celle qui lui doit rester. En un mot : il se liera
prudemment les mains dans la crainte de blesser son peuple, dont la félicité doit
toujours être la sienne. « L’empire le plus ferme, dit Tite-Live, est celui auquel
on obéit avec joie ». » (p.18)

« Pour que le souverain, en garde contre les mensonges et les flatteries des
courtisans qui l’entourent, puisse entendre distinctement la voix libre des
citoyens, les lois fondamentales doivent établir d’une façon stable un corps de
représentants choisis parmi les citoyens les plus intègres, les plus éclairés, les
plus intéressés au bien public et chargés de stipuler les intérêts qui leur sont
communs avec leurs concitoyens.

751
Pour prévenir l’infidélité de ces représentants, les lois fondamentales doivent
empêcher que les élections ne se fassent par la brigue, par l’intrigue, par la
vénalité, au milieu du tumulte. Tout homme convaincu d’avoir obtenu sa place
par ces routes indignes mérite d’être exclus pour jamais du droit de stipuler les
intérêts de son pays. Le scrutin paraît la voie la plus sûre pour rendre les
élections tranquilles. La loi fondamentale devrait conférer aux représentants le
droit immuable de s’assembler sans attendre la convocation du prince, que des
ministres et des flatteurs peuvent souvent détourner d’entendre les plaintes les
plus justes et les plus pressantes de son peuple. » (p.19)

« C’est dans les conseils des représentants de la nation que les lois doivent se
faire, se discuter, se corriger, s’abroger. Alors toute la nation concourt à la
formation des règles qu’elle doit suivre, des impôts qu’elle doit payer, des
guerres qu’elle doit entreprendre ou terminer, des sacrifices qu’elle doit faire
pour sa propre sûreté, des dettes qu’elle peut contracter. » (p.20)

« La loi doit toujours subordonner les députés ou représentants nationaux à leurs


constituants. Ceux-ci doivent avoir le droit de punir et révoquer avec ignominie
pour l’abus qu’on pourrait faire de leur confiance. » (p.20)

« La liberté […] est le droit de faire pour son propre bonheur ou pour son intérêt
tout ce qui n’est pas contraire au bonheur ou aux intérêts des autres. » (p.21)

« Les lois doivent assurer irrévocablement la propriété, c’est-à-dire la possession


sûre et tranquille des choses que le citoyen a pu justement acquérir. » (p.22)

« Les mêmes lois doivent procurer à tout citoyen la sûreté pour sa personne tant
qu’il est juste, ou tant qu’il ne se rend pas nuisible à la société. » (p.22)

« On n’est pas vraiment libre quand on n’a pas des lois qui préviennent le
désordre et les crimes. » (p.23)

« Ce sont les bonnes mœurs qui font les bons citoyens, c’est-à-dire des hommes
capables de faire un bon usage de la liberté, incapables d’en abuser. Une
éducation morale et nationale peut seule former à l’Etat des sujets honnêtes et
dignes de la liberté. Ainsi l’Éducation publique, si honteusement négligée,
devrait être l’un des principaux soins d’un bon gouvernement ; juste lui-même,
il doit former des citoyens qui lui ressemblent. » (p.23)

752
« La justice est le plus pressant besoin des peuples. On ne peut sans crime en
suspendre l’exercice ; elle doit étendre également son pouvoir sur tous les
citoyens, qui sont égaux à ses yeux. » (p.23)

« La tyrannie sur la pensée est la violation la plus cruelle, la plus révoltante et la


plus inutile de la liberté. […]

Sous un gouvernement juste et sage, les lois devraient assurer la liberté de


produire ses pensées. La liberté de la presse n’est redoutable que pour la
tyrannie, toujours inquiète et soupçonneuse. Un bon gouvernement ne craint ni
la satire ni la critique. Il profite avec plaisir des lumières et des vues que peut
quelquefois lui présenter le moindre des citoyens. […] Les écrits politiques
peuvent contenir des idées que les hommes qui gouvernent sont maîtres de
juger, d’adopter ou de rejeter. Les systèmes extravagants sont assez punis par le
mépris, le ridicule et l’oubli. » (p.24)

« Dans toute société politique, le citoyen doit sacrifier une portion de sa


propriété pour mettre le gouvernement en état de lui conserver le surplus, de
prôtéger la nation, d’y maintenir le bon ordre et la sûreté, etc. Cette contribution
se nomme impôt. La justice veut qu’il soit porté par tous les membres de la
société à proportion des avantages qu’ils en retirent et que le gouvernement leur
assure. Dans les pays soumis à l’injustice despotique, des tyrans avides décident
arbitrairement des contributions que doit payer une nation qu’ils traitent en
ennemie. Sous un tel brigandage, les plus grands, les plus riches, les plus
favorisés, sous le nom d’exemptions, de privilèges, de prérogatives sont
communément débarrassés d’une partie des fardeaux dont le cultivateur indigent
est souvent accablé. » (p.25)

« La confection d’un cadastre qui fixerait les possessions des citoyens avec
autant d’exactitude qu’il serait possible, serait le moyen le plus sûr pour faire
disparaître l’arbitraire et pour rendre l’impôt territorial plus égal et plus juste.
Chaque village ou district ne pourrait-il pas, à peu de frais, former son propre
cadastre sous les yeux d’un magistrat et d’un ingénieur ? » (p.25)

« Une loi morale, fondamentale, permanente, irrévocable, devrait interdire à


jamais les conquêtes : une nation équitable les regardera comme des vols
infructueux qui ne sont propre qu’à lui susciter des ennemis sans nombre, des
guerres interminables et ruineuses, dont l’effet sera toujours de sacrifier la

753
félicité sociale à des espérances incertaines ou à des craintes peu fondées. »
(p.26-27)

« Rien n’est plus affligeant pour un peuple que de se voir dans la misère pour
subvenir au faste insultant d’un despote orgueilleux et au luxe de sa cour. »
(p.27)

« Un homme d’Etat doit se respecter lui-même lorsqu’il veut s’attirer les


respects des citoyens. La légèreté, la fatuité, les petitesses, les extravagances du
luxe sont incompatibles avec la dignité que doit avoir une tête remplie d’objets
importants. Des êtres frivoles, indifférents au bien public, insensibles à la vraie
gloire, ne peuvent servir utilement la patrie. Des intriguants, des débauchés, des
hommes dissipés et livrés aux femmes, ne sont aucunement faits pour gouverner
des empires. Des ministres de cette trempe mènent gaiement et promptement un
Etat à sa ruine. » (p.34)

« Le prince se souviendra qu’il doit une justice égale à tous ses sujets, et que les
provinces les plus lointaines ont autant de droit à sa protection que sa capitale ou
sa cour. » (p.35)

« L’indigence tant de fois le jouet des passions et des caprices de la puissance,


ou flétrit le cœur de l’homme, ou le rend furieux. On est surpris de voir les gens
du peuple si bas, si dépourvus de honte, si disposés à commettre le mal pour
l’intérêt le plus sordide. Mais l’on cessera de s’en étonner quand on réfléchira
que par l’iniquité des gouvernements, par leur négligence à réprimer ou à punir
les excès des riches et des grands, le ressort de l’âme du pauvre est entièrement
brisé. Il se méprise lui-même parce qu’il se voit l’objet du mépris et des rebuts
de tout le monde ; il hait les riches et tous ses supérieurs parce qu’il ne voit en
eux que des ennemis, des hommes dépourvus de pitié. Il hait l’autorité parce
qu’il croit qu’elle n’est faite que pour l’opprimer et non pour le secourir ou le
défendre.

Ces vices et ces abus se montrent surtout dans les monarchies, où les rangs et les
richesses mettent une trop grande inégalité entre les hommes. C’est donc là
surtout que dans la justice du gouvernement et des lois devraient réprimer les
attentats de la grandeur et châtier les insolences des riches. Dans les Etats
républicains et libres, où les hommes sont moins inégaux, l’homme du peuple,
exempt de crainte, s’estime davantage parce qu’il sait que la loi le protégera. Ce
devrait être sans doute sa fonction en tout pays : l’équité doit partout défendre le
754
faible, le pauvre, le petit, contre les entreprises du puissant, des riches et des
grands, à qui la protection des lois est bien moins nécessaire. Un bon roi n’est
pas celui qui favorise les grands, c’est celui qui prend en main les intérêts du
peuple, que l’opulence et la grandeur s’efforcent d’opprimer toutes les fois que
l’autorité souveraine néglige de les contenir. » (p.88-89)

« La liberté ne peut longtemps subsister dans des âmes avilies. » (p.92)

« Le commerce […] mérite l’attention de tout gouvernement occupé du bonheur


de ses sujets ; les meilleures lois que le législateur puisse donner sur cet objet
consistent à le protéger et lui donner la liberté la plus grande. » (p.92)

« Nous appellerons commerce de luxe ou commerce inutile et dangereux celui


qui ne présente aux citoyens que des choses dont ils n’ont aucun besoin réel et
qui ne sont propres qu’à satisfaire les besoins imaginaires de la vanité. Le
législateur serait très imprudent s’il favorisait une passion fatale que s’il ne peut
réprimer ou punir, il ne doit, du moins, jamais encourager. » (p.92-93)

« L’ostentation, l’étiquette, la magnificence, ce que les courtisans appellent la


splendeur du trône ne sont faites le plus souvent que pour cacher aux yeux des
peuples la petitesse et la sottise de ceux qui les gouvernent. » (p.97)

« La vie est remplie des joies les plus pures lorsqu’on connaît le plaisir de faire
du bien. » (p.103-104)

« C’est ordinairement par leur faute que les puissants de la Terre sont détestés de
leurs inférieurs. » (p.104)

« Le droit de chasse, indépendamment des vexations auxquelles il donne lieu,


est un fléau annuel et permanent pour l’agriculture et pour l’économie
rustique. » (note 1 p.104)

« Quelques gouvernements ont cru devoir forcer les citoyens de venir au secours
des malheureux ; on a vu mettre quelquefois des impôts énormes sur des nations
sans parvenir à diminuer le nombre des pauvres qui, au contraire, s’accroissait
tous les jours. » (p.106)

« On a montré que la félicité nationale ne pouvait être l’effet que de l’équité du


souverain, de la bienfaisance des riches et du travail des pauvres.

755
Tels sont, ô vertueux Turgot ! les effets que doit attendre de ta sagesse et de ta
probité un grand empire dont un monarque équitable te confie la fortune. »
(p.109)

-Paul Henri Thiry d'Holbach, Éthocratie ou Le Gouvernement fondé sur la


morale, Coda poche, 2008 (1776 pour la première édition française), 203 pages.

« On s’est plaint sans cesse des effets et jamais on n’en cherche les causes. »
(p.7)

« Les principes simples et naturels de la morale sont encore à trouver. » (p.7)

« La politique, la religion, et très souvent la philosophie nous ont donné des


idées fausses de l’homme. Faute de connaître sa nature ou de remonter
jusqu’aux principes de ses actions, on l’a regardé comme naturellement enclin
au mal, comme ayant une aversion presque invincible pour le bien, comme
l’ennemi né des êtres de son espèce. Quelques spéculateurs atrabilaires l’ont
comparé à une bête féroce, toujours prête à s’élancer sur ses semblables. […]

L’homme, par sa nature, n’est ni bon ni méchant. Il cherche le bonheur dans


chaque instant de sa durée, toutes ses facultés sont incessamment employées à se
procurer le plaisir ou à écarter la douleur. Les passions, essentielles à notre
espèce, inhérentes à notre nature, qui caractérisent l’être sensible, se résolvent
toutes en désir du bien-être et en crainte de la douleur. Ces passions sont donc
nécessaires. Elles ne sont par elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises, ni louables ni
blâmables : elles ne deviennent telles que par l’usage qu’on en fait. » (p.11)

« Un homme est bon, raisonnable, vertueux, non lorsqu’il n’a pas de passions
mais lorsque ses passions sont utiles à lui-même et aux êtres avec lesquels il se
trouve associé. » (p.12)

« Donnez le temps à la folie et elle se punira elle-même. » (p.13)

« Le méchant est un mauvais calculateur qui est à tout instant la dupe de son
ignorance, de son imprudence et de ses préjugés. Plus notre esprit s’éclaire, et
plus nous apprenons à calculer avec justesse et à préférer la plus grande somme
de biens à la moindre. » (p.16-17)

« La vérité est la conformité de nos idées avec la nature des choses. » (p.17)

756
« La vérité est nécessaire à l’homme parce que l’homme a besoin pour être
heureux de démêler la route qui peut l’y conduire. » (p.17)

« Les hommes ne se trompent jamais impunément. » (p.18)

« La vertu n’est aimable que parce qu’elle est utile ; elle n’est utile que parce
qu’elle contribue au bien durable des habitants de ce monde. » (p.19)

« Pour rendre les hommes meilleurs, il faut les porter à la recherche de la vérité,
leur faire cultiver la raison, leur mettre des expériences sous les yeux, leur
montrer les effets dangereux du vice, leur faire sentir les avantages de la vertu.
Tel est l’objet de la morale. Pour rendre les hommes plus heureux, il faut les
unir d’intérêts, resserer entre eux les liens de la société, les inviter et les forcer à
faire le bien et à s’abstenir du mal. Voilà l’objet de tout gouvernement, qui n’est
que le pouvoir de la société déposé dans les mains d’un ou plusieurs citoyens
pour obliger tous ses membres à pratiquer les règles de la morale. » (p.20)

« Des prêtres adulateurs ont eu le front de mettre les tyrans même sous la
sauvegarde du Ciel ! Ils eurent la bassesse de sanctifier leurs usurpations, de leur
attribuer des droits divins, de priver les nations de la juste défense d’elles-
mêmes, droit que la Nature donne pourtant à tout homme. D’après de tels
principes, les peuples, enchaînés par l’opinion, furent livrés aux caprices de
leurs chefs. Ceux-ci n’ayant rien à craindre des hommes, exercèrent impunément
la licence et n’eurent plus aucuns motifs réels pour contenir leurs passions, qui
devinrent bientôt la source la plus féconde de la corruption des peuples et la
vraie cause de leurs misères. » (p.24)

« Les Spartiates n’ont été que des moines armés par un fanatisme politique.

Admirerons-nous à plus juste titre les vertus des Romains ? Hélas ! Chez eux le
nom de vertu se donnait par excellence à la valeur guerrière, qui trop souvent est
totalement incompatible avec l’équité, la raison et l’humanité. L’amour de la
patrie, qui faisait le caractère du citoyen de Rome, n’était-il pas une haine jurée
contre toutes les autres nations et ne consistait-il pas à tout sacrifier à une idole
injuste et déraisonnable ? » (p.29)

« On est forcés de soupçonner que les Grecs et les Romains devaient avoir bien
peu d’idées de l’humanité, à juger de leurs sentiments par la façon dont ils
traitaient leurs esclaves. » (p.30)

757
« Comme les hommes furent en tout temps disposés à mépriser le simple et le
naturel pour courir après le merveilleux, on préféra les notions mystiques de ces
sages [Pythagore, Socrate, Platon] aux idées simples et faciles d’Épicure, dont la
morale fondée sur la Nature fut décriée et rejetée comme dangereuse. » (p.30)

« Nous n’apportons en naissant pas plus les idées de vice et de vertu que celles
de cercle ou de triangle. » (p.34)

« Nos jugements ou sentiments moraux ne peuvent jamais être désintéressés.


Nous ne pouvons aimer que ce qui nous plaît, ce qui nous est utile, ce qui nous
est agréable, ce qui nous procure un plaisir, soit durable, soit momentané. Ce ne
peut être qu’en nous-mêmes que nous trouvions les motifs de notre affection, de
notre bienveillance pour les hommes ou pour les choses. » (p.34)

« Quelques spéculateurs se sont imaginés que la morale n’avait point de


principes constants, qu’elle ne pouvait être regardée que comme une affaire de
convention, et que les devoirs de l’homme n’étaient fondés que sur les caprices
de la mode ou sur les lois de la société. » (p.35)

« La science des mœurs doit être puisée sur la terre et non pas dans les cieux, il
faut la chercher dans le cœur de l’homme et non pas dans le sein de la divinité.
Elle doit avoir des principes simples, évidents, invariables. En vain prétendrait-
on la fonder sur les oracles obscurs de la religion, qui varient dans chaque
contrée de la terre. » (p.37)

« La vraie morale est une ; elle doit être la même pour tous les habitants de notre
globe. […] En partant de l’homme lui-même, on trouvera facilement la morale
qui lui convient. » (p.38)

« La morale convenable à l’homme doit être fondée sur la nature de l’homme. Il


faut qu’elle lui apprenne ce qu’il est, le but qu’il se propose et les moyens d’y
parvenir. Respice finem, envisage ton but, voilà l’abrégé de toute morale. »
(p.39)

« Le bonheur n’est que plaisir continué. Nous ne pouvons douter que l’homme
ne le cherche dans tous les instants de sa durée ; d’où il suit que le bonheur le
plus durable, le plus solide, est celui qui convient le plus à l’homme. La morale
[…] est faite pour lui indiquer le bonheur ou le plaisir le plus durable, le plus
réel, le plus vrai, et lui montrer qu’il doit le préférer à celui qui n’est que
passager, apparent et trompeur. […]
758
L’homme pour se conserver et pour jouir du bonheur, vit en société avec des
hommes qui ont les mêmes désirs et les mêmes aversions que lui. La morale lui
montrera que pour se rendre heureux lui-même, il est obligé de s’occuper du
bonheur de ceux dont il a besoin pour son propre bonheur. Elle lui prouvera que
de tous les êtres, le plus nécessaire à l’homme, c’est l’homme. » (p.39)

« La morale ne doit avoir pour objet que de faire connaître aux hommes leurs
véritables intérêts. » (p.40)

« Ce n’est que son propre bonheur que l’homme peut envisager dans toutes ses
actions, ses pensées, ses désirs, ses passions. Ce n’est que lui-même qu’il peut
aimer dans les objets qu’il aime, ce n’est que lui-même qu’il peut affectionner
dans les êtres de son espèce. » (p.41)

« La prudence n’est que l’intérêt éclairé par la prévoyance. » (p.41)

« « Le moi est haïssable », suivant Pascal. […] Mais le moi est naturel quand il
se satisfait sans faire de tort à personne, il est très estimable quand il se contente
en faisant ce qui est utile ou agréable à d’autres. […] Celui qui aime les autres
en vue de s’attirer leur amour est l’ami du genre humain. » (p.41)

-Paul-Henri Thiry d’Holbach, Système social ou Principes naturels de la Morale


& de la Politique avec un Examen de l’Influence du Gouvernement sur les
Mœurs, 1773 in Œuvres philosophiques 1773-1790, Éditions coda, 2004, 842
pages, pp.5-314.

« C’est la propriété qui fait le citoyen ; tout homme qui possède dans l’Etat, est
intéressé au bien de l’Etat […] c’est toujours comme propriétaire, c’est en
raison de ses possessions qu’il doit parler, ou qu’il acquiert le droit de se faire
représenter. » -Paul Henri Thiry d'Holbach, l’Encyclopédie.

« M. D’Holbach eut pour amis les hommes les plus célèbres de ce pays-ci, tels
que MM. Helvétius, Diderot, d’Alembert, Condillac, Turgot, Buffon, Rousseau,
et plusieurs étrangers dignes de leur être associés, tels que MM. Hume, Garrick,
l’abbé Galiani, etc. » -Correspondance littéraire, Paris, 1813, IIIème Partie, t. 5
(chronique d’ « août 1789 »), p. 213.

"Paul Thiry, seigneur de Heese et de Léende, plus connu sous le nom de baron
d'Holbach, parut l'homme formé par la nature et la fortune pour centraliser
l'action intellectuelle de son siècle." (p.58)

759
"Membre des académies de Manheim, de Berlin, de Pétersbourg, ses rapports
avec les savans de ces pays donnaient par là un immense rayonnement aux
lumières dont sa maison était le foyer." (p.59)
-François Théodore Claudon, Le Baron d'Holbach, tome 1, Paris, C. Allardin,
1835.

"On lit peu d'Holbach." (p.3)


-Jean-Philibert Damiron, Mémoire sur d'Holbach, Lu à l'Académie des sciences
morales et politiques dans les séances de février 1851, Paris, Typographie
Panckoucke, 1851.

« Le Système social, trop déprécié, contient une exposition magistrale, dont les
utilitaires anglais ont par la suite largement tiré parti. Les imitateurs français
de ces philosophes ne se sont pas aperçus que leurs maîtres n'avaient été eux-
mêmes que les élèves ou les plagiaires de la pensée française du XVIIIe siècle. »
-Henry Michel, L'idée de l'Etat: essai critique sur les théories sociales et
politique en France depuis la Révolution, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1896,
666 pages, p.15.

« Le baron d’Holbach, sans doute la plus grande figure du matérialisme et de


l’athéisme des Lumières. » -Antoine Lilti, « Comment écrit-on l'histoire
intellectuelle des Lumières ? Spinozisme, radicalisme et philosophie », Annales.
Histoire, Sciences Sociales, 2009/1 (64e année), p. 171-206.

« D'Holbach clôt le mouvement matérialiste issu des Lumières. Il ne se distingue


de ses prédécesseurs que par cette position terminale. Sa philosophie suit la
voie indiquée par La Mettrie et Diderot. Elle récapitule la nouvelle manière de
poser la question de l'origine, en dressant la liste exhaustive des adversaires de
l'immanentisme. Sans innover sur le plan conceptuel, d'Holbach rappelle
inlassablement les grandes thèses du matérialisme de l'Ancien Régime, comme
s'il attendait que des réformes sociales les réalisent. En somme, il fait vivre la
contestation philosophique jusqu'à la révolution française.

Le baron d'Holbach naît à Edesheim, dans le Patalinat. Son oncle, homme


d'affaires allemand anobli, finance ses études de droit à Leyde, en Hollande, de
1744 à 1748. Toujours grâce à l'argent de ce parent fortuné, il s'installe à Paris
à partir de 1749. Il hérite des biens et des titres de son oncle en 1753, ce qui lui

760
permet de se consacrer exclusivement à ses activités intellectuelles. Il se marie
en 1754 avec sa cousine, Charlotte d'Aine.
Il traduit des ouvrages de Hobbes, de Stahl et de Swift, tout en étudiant la
chimie et la minéralogie. A partir de 1751, il participe à l'Encyclopédie pour
laquelle il rédige plus de trois cents articles, couvrant des domaines aussi variés
que la philosophie, la chimie ou la métallurgie. Surnommé "le maître d'hôtel de
la philosophie", il invite à sa table les grands hommes de lettres de son temps.
Dans son hôtel particulier parisien, il reçoit, entre autres, Diderot, Buffon,
Helvétius, Smith, Grimm, Beccaria ou encore Priestley. Son salon devient un
haut lieu de rencontre des grandes figures intellectuelles du XVIIIème siècle.
Par ailleurs, il devient l'ami de Benjamin Franklin, et prend le parti des
insurgés américains contre la monarchie anglaise.
Il rencontre un certain succès dans ses publications à caractère scientifique, qui
sont essentiellement des traductions de traités de chimie et de géologie. Les
académies de Berlin (1752), de Mannheim (1766) et de Saint-Pétersbourg
(1780) lui rendent successivement hommage. En revanche, il dissimule son
identité dans ses œuvres philosophiques. Virulentes à l'encontre de la religion
chrétienne, elles ne paraissent qu'anonymement ou sous des pseudonymes. Sa
Théologie portative (1758) est éditée sous le nom de l'abbé Bernier ; le Système
de la Nature (1770) porte le nom de Mirabaud, académicien mort en 1760 ;
l'Essai sur les préjugés (1770) indique "par Dumarsais", mort en 1756 ; La
politique naturelle (1773) fait figurer la mention "par un ancient magistrat".
La prudence de d'Holbach n'est pas excessive au regard des scandales causés
par ces écrits. Le Système ne la nature est condamné au bûcher dès sa parution,
et lacéré en place publique le 20 août 1770. Le bon sens (1772) est lui brûlé, au
Palais de justice de Paris, en 1774, en même temps que De l'homme de
Helvétius. Ou encore, le Système social (1773), qui paraît à Londres, est mis à
l'Index en 1775 et est à nouveau interdit par la police en 1822. A la veille de la
révolution, la censure ne désarme pas. Au contraire, elle tente de contenir le
courant d'idées nouvelles. » (p.366-367)

« Diderot relit et corrige les textes du baron, dont le français n'est pas toujours
irréprochable. Il est difficile de dire lequel des deux a le plus influencé l'autre. »
(p.373-374)
-Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions
Kimé, 2103, 706 pages.

761
« Le communisme développé a directement pour origine le matérialisme
français. » -Karl Marx & Friedrich Engels, La Sainte Famille, ou critique de la
Critique critique. Contre Bruno Bauer et consorts, Paris, Ed. sociales, 1972, p.
158.

« Marx souhaite atteindre une connaissance objective ») de l’humanité sociale


(c’est le thème de l’ « activité objective ») jusque-là délaissée par le
matérialisme des Lumières jusqu’à Feuerbach à cause d’un réductionnisme
abusif imperméable à la spécificité de la sphère social et qui ramenait
abusivement l’être social à sa réalité physique. [...]
Cet intérêt de Marx pour l’activité humaine et la dialectique du social se
rencontrait chez de nombreux idéalistes (Kant, Fichte, Hegel, etc.), alors qu’il
était jusqu’alors négligé par le matérialisme des Lumières surtout
réductionniste et réformateur. C’est ce qui fera dire à Lénine lui-même que «
l’idéalisme intelligent est plus près du matérialisme intelligent que le
matérialisme bête ». » (p.8 )

-Lilian Truchon. Sortir de l’aporie du matérialisme marxien. 2017. <hal-


01593188>, 16 pages.

« Pour le baron d’Holbach […] les Juifs n’étaient pas irrémédiablement perdus
pour l’humanité éclairée : il leur suffisait de rejeter leurs croyances et leurs
traditions. » -Pierre-André Taguieff, La Judéophobie des Modernes : Des
Lumières au Jihad mondial, Odile Jacob, 2008, p.96.

« La redéfinition du citoyen qu'opère le libéralisme politique de d'Holbach, les


fondements philosophiques qu'il lui fournit aura eu, en effet, partie liée avec le
renouvellement des rapports que l'homme comme être sensible et raisonnable,
mû par le désir de bonheur et épris de liberté, devait engager avec les forces
arbitraires pour leur substituer l'autorité de la raison, le pouvoir de la vérité, la
suprématie de la loi, la souveraineté du peuple. Et la Déclaration [de 1789]
intégrant au discours constitutionnel ces valeurs auxquelles aspire le nouveau
citoyen aussi bien que les principes qui guident son action, s'apprête à
transformer en pratiques sociales les droits civiques et politiques qu'elle
proclame. » -Josiane Boulad-Ayoub "Les idées politiques de d’Holbach et la
Déclaration des Droits de 1789." Philosophiques 182 (1991):123–137.

« Le système politico-moral que décrit d’Holbach est conforme aux principes


d’un rationalisme profond. Dans ce monde naturel, l’homme agit selon ses
762
propres intérêts et, avec la raison pour guide, il se sert de ses passions pour
cultiver une morale qui a pour principe l’utilité. Pour le dégager de
l’immédiateté, des contingences du moment et de l’appel des appétits comme des
instincts, l’idée de la transcendance dans l’immanence joue un rôle capital. Car
la pensée de la gloire permet à l’homme trop rudoyé par le présent d’imaginer,
par la projection de sa propre estime pour ceux qui l’ont précédé, la
considération, les hommages des hommes à venir. C’est en sortant du présent,
par une projection de soi dans le temps, que l’homme accède à une grandeur
morale et à une rationalité différentes de celle du présent. » -Robert Morrissey,
Napoléon et l'héritage de la gloire, Paris, PUF, 2010.

« Le scandale qui fit son Système de la Nature détermina une rupture avec
Voltaire. […]

C’était la conséquence dernière de tout le mouvement philosophique du siècle. »


(p.278)

« C’était l’exposé le plus complet qu’on eu vu jusqu’alors du matérialisme et de


l’athéisme. […] La police le prescrivait sévèrement. » (p.279)

-Jean Paul Belin, Le mouvement philosophique de 1748 à 1789, New York,


Georg Olms Verlag, 1973, 382 pages.

"Rue Saint-Honoré, le petit groupe de fidèles qui constituent la coterie


d'Holbach rassemble des nobles d'anciennes familles (le chevalier de Chastellux
et le marquis de Saint-Lambert), des descendants d'anoblis récents (d'Holbach
lui-même, le médecin et chimiste Darcet, Le Roy, qui a la charge de lieutenant
des chasses, ou Helvétius, le fermier général), des étrangers établis à Paris
(l'abbé Galiani et Melchior Grimm), des fils de bonnes bourgeoisies citadines et
provinciales (Diderot, l'abbé Raynal, Morellet, Suard), et aussi des intellectuels
issus de plus humbles origines (Naigeon, Marmontel et le Dr Roux). Ce noyau
de fidèles, liés par l'amitié gourmande et la connivence philosophique, sinon par
l'athéisme, qui n'est pas le fait de tous, croise chez le baron un cercle plus large
d'invités occassionnels, où se mêlent voyageurs et diplomates, littérateurs et
aristocrates." (p.222-223)
-Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Éditions du
Seuil, coll. Points, 2000 (1990 pour la première édition), 307 pages.

763
"De la Mettrie avait principalement effrayé l’Allemagne. Le Système de la
nature effraya la France. Si l’insuccès de de la Mettrie en Allemagne fut en
partie dû à sa frivolité, qui est souverainement antipathique aux Allemands, le
ton grave et didactique du livre de d’Holbach eut certainement sa part dans la
répulsion qu’il inspira en France. Une grande différence aussi résulta de
l’époque où les deux livres parurent, vu l’état des esprits chez les deux nations
respectives. La France approchait de sa révolution, tandis que l’Allemagne
allait entrer dans la période de floraison de sa littérature et de sa philosophie.
Dans le Système de la nature, nous sentons déjà le souffle impétueux de la
Révolution.

C’est en 1770 que parut, soi-disant à Londres, en réalité à Amsterdam,


l’ouvrage intitulé: Système de la nature ou des loix du monde physique et du
monde moral. Il portait le nom de Mirabaud, mort depuis dix ans et, par
superfétation, il donnait une courte notice sur la vie et les écrits de cet homme,
qui avait été secrétaire de l’Académie française. Personne ne crut à cette
paternité littéraire ; mais, chose remarquable, personne ne devina la véritable
origine du livre, bien qu’il fût sorti du quartier général matérialiste et qu’il ne
fût en réalité qu’un anneau de la longue chaîne des productions littéraires d’un
homme tout à la fois sérieux et original.

Paul-Henri Thierry d’Holbach, riche baron allemand, né à Heidelsheim, dans le


Palatinat, en 1723, vint dès sa jeunesse à Paris et, comme Grimm, son
compatriote et son ami intime, il se plia complètement au tempérament de la
nation française. Si l’on considère l’influence que ces deux hommes exercèrent
sur leur entourage, si on leur compare les personnages de la société gaie et
spirituelle qui se réunissait d’ordinaire autour du foyer hospitalier de
d’Holbach, on assignera sans peine et tout naturellement un rôle prépondérant
à ces deux Allemands, dans les questions philosophiques discutées par les
habitués de ce salon. Silencieux, tenaces et impassibles, ils restent assis comme
des pilotes sûrs d’eux-mêmes au milieu de ce tourbillon de talents déchaînés.
Au rôle d’observateurs, ils joignent, chacun à sa manière, une influence
profonde, d’autant plus irrésistible qu’elle est moins perceptible. D’Holbach en
particulier ne semblait être que l’éternellement bon et généreux maître d’hôtel
des philosophes ; chacun était ravi de sa bonne humeur et de son cœur excellent
; on admirait d’autant plus librement sa bienfaisance, ses vertus privées et
sociales, sa modestie, sa bonhomie au sein de l’opulence, qu’il savait rendre
764
pleine justice au talent de chacun, lui-même n’ayant d’autres prétentions que de
se montrer aimable amphitryon. Or cette modestie précisément empêcha
longtemps ses amis de regarder d’Holbach comme l’auteur d’un livre, qui
mettait l’opinion publique en émoi. Même après que l’on eut bien constaté que
l’ouvrage était sorti du cercle de ses intimes, on s’obstina encore à en attribuer
la paternité, soit au mathématicien Lagrange, qui
avait été précepteur dans la maison du baron, soit à Diderot, soit à la
collaboration de plusieurs écrivains. C’est aujourd’hui un fait mis hors de doute
que d’Holbach fut le véritable auteur, bien que plusieurs chapitres aient été
élaborés par Lagrange, pour sa spécialité, par Diderot, le maître du style, et par
Naigeon, aide littéraire de Diderot et de d’Holbach. Non seulement d’Holbach
rédigea tout l’ouvrage, mais il en fut encore l’ordonnateur et dirigea toute
la composition. D’ailleurs d’Holbach apportait autre chose qu’une simple
direction ; il possédait des connaissances variées et approfondies dans les
sciences physiques. Il avait particulièrement étudié la chimie, donné à
l’Encyclopédie des articles relatifs à cette science, et traduit de l’allemand en
français plusieurs traités de chimie." (p.402-403)

"Le droit des peuples à faire une révolution, quand leur situation devient
intolérable, est un axiome à ses yeux." (p.404)

"En ce qui concerne la matière, d’Holbach n’est pas strictement atomiste. Il


admet, à la vérité, des molécules élémentaires ; mais il déclare que l’essence
des éléments est inconnue. Nous n’en connaissons que quelques propriétés."
(p.408)

"D’Holbach mourut le 21 juin 1789, peu de jours après que les députés du tiers
État se furent constitués en assemblée nationale. La révolution, qui fit repartir
son ami Grimm pour l’Allemagne et mit souvent en danger la vie de Lagrange,
allait commencer réellement, lorsque mourut l’homme, qui lui avait si
puissamment frayé la voie." (p.410)

"D’Holbach s’occupa des bases de la morale avec une ardeur remarquable et


certainement sincère." (p.419)

"D’Holbach qui, à cause de son radicalisme, était pour ainsi dire exclu des
spirituels salons de l’aristocratie parisienne, ne partage pas les contradictions
765
de plusieurs écrivains de cette époque, qui travaillaient de toutes leurs forces au
renversement de l’ordre de choses existant et se posaient cependant comme
aristocrates, méprisaient les stupides paysans et voulaient au besoin leur
imaginer un dieu, afin d’avoir un épouvantail qui les maintînt dans la crainte.
D’Holbach part du principe que la vérité ne peut jamais nuire." (p.427)
-Friedrich-Albert Lange, Histoire du matérialisme et de son importance à notre
époque, volume I, 1877.

« Helvétius et d’Holbach gardaient des disciples parmi les idéologues de


l’Empire, qui sont les authentiques héritiers des sensualistes et des
encyclopédistes. Ces libéraux rationalistes et, pour la plupart, matérialistes
rejetaient en littérature comme en religion la notion de dogme. » -Robert
Baschet, E.-J. Delécluze, témoin de son temps, 1781-1863, Paris, Boivin & Cie
Éditeurs, 1942, p.70.

« A la différence d’un Meslier ou d’un Morelly qui proposent une utopie


communiste, d’Holbach défend la propriété individuelle et fait l’éloge du
travail ; mise en contexte, cette position fait de lui, selon A. Negri, le
« théoricien le plus avancé de l’individualisme propriétaire » et un symbole de
la pensée prérévolutionnaire. » -Olivier Bloch & Charles Porset, Le
matérialisme au siècle des Lumières, Dix-Huitième Siècle, Année 1992, n° 24,
pp. 5-10, p.9.

"Les réformes qu'il [d'Holbach] conseille [dans Éthocratie] ne vont guère au-
delà de l'égalité civile et reproduisent à peu près celles du Système Social.
Il se plaint de la partialité des lois envers les riches." (p.267)

"Les déclarations contre la Sparte de Lycurgue, en faveur de la propriété


individuelle qui est un droit primitif, en faveur de l'inégalité, contre l'égalité, en
faveur de la richesse, contre l'état de nature, sont multipliées dans tous ses
ouvrages et en attestent, du point de vue social, l'esprit très conservateur."
(p.267-268)

-André Lichtenberger (agrégé d'histoire), Le Socialisme au XVIIIe siècle. Essai


sur les idées socialistes dans les écrivains français du XVIIIe siècle, avant la
Révolution, Thèse de doctorat présentée à la faculté des lettres de Paris, Biblio
Verlag - Osnabrûck, 1970 (1895 pour la première édition), 471 pages.

766
« L'on saluera pourtant la réédition d'un ouvrage [Système de la Nature] publié
en français pour la dernière fois en 1822, devenu introuvable aujourd'hui. » -
Ferland, M. (1992). Paul-Henri Thiry D’Holbach, Le Système de la nature, ou
des lois du monde physique et du monde moral, éd. Fayard, 1990, 2 t., 387
pages et 448 pages. Texte revu et notice par Josiane Boulad-Ayoub.,
Philosophiques, 19 (1),145–146.

« Il y a une ironie de l’histoire littéraire à voir une figure comme celle du baron
d’Holbach, dont les œuvres ont suscité en leur temps tant d’émoi et de frayeur,
plonger dans un oubli dont les tentatives réitérées de réévaluation ne
parviennent pas à le sortir. » -Alain Sandrier, Le style philosophique du baron
d’Holbach, Éditions Champion, 2004, 589 pages, p.13.

"Il est vrai que les aspirations sociales et morales de l'athéisme d'un Holbach et
d'un Diderot furent tributaires, sans bien s'en rendre compte, des aspirations de
classes vouées au principe de propriété et à la mainmise sur le travail d'autrui
qui en découle ; mais il n'en est pas moins vrai qu'ils érigeaient ce principe en
rempart de l'homme contre le despotisme clérical et monarchique alors régnant,
contre les privilèges du sang, contre les cruautés sociales aveugles."

"Exposer les idées du baron d'Holbach, c'était sortir de l'oubli quelques-unes


des conceptions qui ont fait l'importance du XVIIIe siècle."

"Paul-Henri Thiry d'Holbach a joué un rôle de premier plan dans la philosophie


française du XVIIIe siècle. Mais c'est un rôle difficile à préciser, et même à
établir, car il s'ajuste à un travail collectif, divers, réparti entre des dizaines de
personnes. Le philosophe avait un salon, des relations nombreuses et brillantes
dans la société ; mais il fut aussi l'éditeur clandestin de dizaines de livres
maudits. Il fut l'ami de Diderot et l'un des piliers de l'Encyclopédie."

"Paul-Henri Thiry est né à Edesheim le 8 décembre 1723. Il y fut baptisé selon


les rites de l'Église catholique romaine. Edesheim est une petite bourgade située
au nord de Landau, dans la principauté épiscopale de Spire, en plein Palatinat.
C'est donc hors de France que d'Holbach a vu le jour, en pays allemand, et
cependant dans les limites de l'influence directe de la France.
Tout au long du XVIIe siècle, Louis XIV avait combattu pour conquérir à la
monarchie la frontière du Rhin. Il en avait été repoussé à diverses reprises, de
telle sorte que la vielle Lotharingie apparaissait tantôt comme une "marche"
767
orientale de la France, transmettant à l'Europe du Nord la civilisation qui
dominait alors le monde et tantôt comme le rempart occidental du Saint Empire
Romain."

"C'est aussi à Leyde que l'oncle envoya le jeune homme étudier en 1744, alors
qu'il avait vingt et un ans."

"Le séjour dans cette vieille Université fut certainement très fécond pour lui.
C'était l'un des lieux les plus éclairés où pouvait s'instruire la jeunesse
européenne. En pays hollandais, dans l'atmosphère érudite et tolérante du
protestantisme, se retrouvaient des jeunes hommes venus de France, des Pays-
Bas, d'Angleterre, des Pays Rhénans, de Scandinavie. C'est à Leyde que le futur
baron d'Holbach noua quelques amitiés, auxquelles il fut fidèle plus tard, et
qu'il reçut l'influence de l'Angleterre, par l'intermédiaire du groupe de jeunes
gens avec lesquels il vécut amicalement."

"John Wilkes était de quatre ans plus jeune que Paul Thiry, étant né en 1727.
Après avoir étudié à Hertford, il avait été envoyé à Leyde. D'Holbach ne devait
cesser de s'intéresser à lui, en particulier lorsque le héros de la réforme
parlementaire passa trois ans sur le continent après sa fuite d'Angleterre, en
1764."

"C'est lors de son retour à Paris, après la guerre, en 1749, que Paul Thiry
d'Holbach retrouva sa cousine, et un an plus tard, il épousa l'aînée de ses deux
filles, Basile-Genevièvre. Ainsi, à l'age de vingt-sept ans, le futur philosophe
commence à vivre, comme il le fera toute sa vie, dans le milieu familial des
d'Aine -c'est à dire dans sa propre famille- entre Paris, où il acheta bientôt un
hôtel rue Saint-Roch, et le Grandval, propriété proche de Sucy, qui appartenait
à Mme d'Aine. Ici et là, il commencera à réunir les esprits les plus représentatifs
du siècle, et bientôt entrera lui-même dans la carrière singulière d'écrivain
clandestin, de philosophe de coulisses, et n'en mettra pas moins debout l’œuvre
la plus profonde et la plus significative.
C'est le 3 février 1750, à la moitié du siècle, que Paul-Thiry d'Holbach épousa
Basile-Geneviève-Suzanne d'Aine, qu'il aimait tendrement et dont tous ceux qui
l'ont connue -Diderot, Grimm, Rousseau entre autres- ont dépeint le charme et
la gentillesse."

768
"Quant à Rousseau, à peine introduit chez d'Holbahc, en 1751, il s'y sentira mal
à l'aise et déjà persécuté, mais ce n'est que huit à dix ans plus tard que la
rupture deviendra publique et définitive."

"Diderot serait incomplet sans d'Holbach. D'Holbach exposa et affirma bien des
idées que Diderot ne fit qu'effleurer."

"Jusqu'en 1760, c'est-à-dire pendant huit ans, le baron est tout à la besogne de
traduction et d'élaboration. Il rédige près de 400 articles pour l'Encyclopédie."

"Après 1770, ce sont les ouvrages de la maturité, livres de politique,


d'économie, de morale. [...] Après 1780, la vieillesse viendra. La fécondité de
l'écrivain est épuisée."

"D'Holbach a fait beaucoup plus que Diderot pour le progrès des sciences
historiques, et il n'y est parvenu que par sa passion pour élucider le mystère des
origines de toute religion."

"La profession de foi du Vicaire touchait le cœur du sujet, le fond philosophique


des idées de d'Holbach et de Diderot."

"Hume, comme nous l'avons vu, était en relations étroites avec le baron. Au
moment de sa nomination comme secrétaire de l'ambassade d'Angleterre à
Paris en 1763, lorsque la guerre de Sept ans fut terminée, il jouissait déjà d'une
renommée considérable. Ses Essais sur l'Entendement humain avaient paru en
1748, son Histoire d'Angleterre était terminée en 1761. Fêté et reçu par tout ce
que Paris comptait d'illustre et de distingué, il vit de plus près les
Encyclopédistes. [...] Quelques jours après son arrivée à Paris, il écrivait à
Adam Smith: "Le baron d'Holbach... m'a dit qu'il surveillait la traduction de
votre Théorie des sentiments moraux, et m'a prié de vous en informer"."

"L'anglomanie ne sera jamais son fait ; toute sa sympathie est acquise aux
Insurgents d'Amérique, et sur ses vieux jours, Franklin deviendra son ami.
Trente ans se sont écoulés depuis les Lettres enthousiastes de Voltaire ! En
1765, ce n'est plus le régime anglais -corrompu et corrupteur- qui peut servir de
modèle à la monarchie française décrépite. Du coup, les réflexions du baron
prendront un tour plus révolutionnaire -et plus utopique- qui le conduiront à
769
L'Éthocratie et à La Politique naturelle".

"Si d'Holbach était protégé par sa position dans la société, rien ne garantissait
absolument son repos. Voltaire s'était établi, par raison de sûreté, à la frontière
; Rousseau en fut chassé."

"1770 peut être considéré comme l'année culminante de l'offensive


encyclopédiste. Avec le Système s'est élaborée une somme de tous les arguments
que la philosophie matérialiste était capable de grouper à cette époque. [...]
Plus de dix éditions se succédèrent sans que l'intérêt s'épuisât. "
-Pierre Naville, D'Holbach et la philosophie scientifique au XVIIIe siècle,
Gallimard, 1967 (1943 pour la première édition).

« Une analyse plus approfondie du système de d'Holbach nous apprend que le


concept du grand tout signifie bien ce qui est commun à tous les êtres. Cette
signification se rapproche de l'acceptation traditionnelle de l'esse commune, un
rapport non négligeable à la métaphysique prénominaliste. La nature est un
universel au sens du réalisme aristotélicien. En effet, l'emphase que met
d'Holbach sur la réalité des lois de la nature le rapproche de la tradition. Ses
polémiques contre les fantasmagories vaines que l'entendement humain a
inventées ont parfois un trait nettement réaliste, bien qu'elles soient lancées
contre la métaphysique de son temps. Car elles se réclament d'une réalité au
sens ontologique. Le monde matériel est bien organisé d'après des lois
objectives. D'autre part, Holbach n'admet pas la réalité des universaux. » -
Günther Mensching, La nature et le premier principe de la métaphysique chez
d'Holbach et Diderot, Dix-Huitième Siècle, Année 1992, 24, pp. 117-136, p.123.

« D’Holbach suit Hobbes quand il explique que les idées que l’homme peut
avoir viennent de l’expérience. »

« Dans sa Morale universelle d’Holbach passe rapidement en revue les diverses


morales précédemment établies. Seul l’épicurisme semble avoir grâce à ses
yeux, pour autant qu’il corresponde à ce qu’en ont dit ses partisans et non ses
adversaires. » -Anne Staquet, « Hobbes, d'Holbach et la théorie des passions :
importance du passage par la physique et la théorie de la connaissance », Revue
de métaphysique et de morale, 2011/3 (n° 71), p. 385-404.

770
« En plein accord avec l’Ethique spinozienne, qui figurait dans sa riche
bibliothèque, et que sûrement le baron a compulsé plus qu’on ne pourrait le
penser si l’on ne s’en tenait qu’aux citation explicites du philosophe hollandais,
d’Holbach, pour ériger sa « science des mœurs », part du principe
d’autoconservation inhérent à tout être et de la nature désirante propre à
chaque individus. »

« En tout cas, la nature même nous destine à vivre en société. La conjecture


rousseauienne d’un état de nature, où les hommes auraient vécu épars, isolés,
sans aucune communication avec les êtres de leur espèce, selon d’Holbach est
absolument chimérique. Fruit d’une société contractée entre un mâle et une
femelle de son espèce, l’homme fut toujours en société. »

« S’ils ne furent jamais isolés et solitaires, les hommes furent toujours inégaux.
[…]De l’inégalité entre les hommes découlent l’autorité et le pouvoir, qui sont
toutefois légitimes, lorsqu’ils se fondent sur la faculté de faire du bien, de
protéger, de guider, de procurer le bonheur. » -Tomaso Cavallo, «
Méconnaissance » et « reconnaissance » dans l’œuvre philosophique de
d’Holbach, http://www.consecutio.org, 31 ottobre 2016.

"Dans sa Politique Naturelle, d'Holbach attaque la notion d'égalité. "Cessons


donc de supposer une prétendue égalité que l'on croit avoir originellement
subsisté entre les hommes. Ils furent toujours inégaux" [Holbach, La Politique
Naturelle [1773], dans Œuvres Philosophiques, tome III, Édition Alive, Paris,
2001, p.354]. Il semble difficile de défendre, comme le fait Israel, une
conception de l'égalité dans la pensée du baron, car ce dernier nous affirme très
clairement qu'une inégalité naturelle persiste, aussi bien en termes physiques
qu'intellectuels, résultant en une "inégalité dans les propriétés et dans les
possessions". Mais ce serait lire d'Holbach hors de son contexte et hors de sa
polémique sur la conception de l'égalité chez Rousseau (qu'il a vigoureusement
combattu) que de s'arrêter là. Car l'inégalité pour d'Holbach, à l'encontre de
l'interprétation du philosophe de Genève, est "la vrai base de [la] félicité" chez
les individus. C'est en raison de nos inégalités naturelles que la société nous
force à nous entraider. L'individu ici ne peut pas être conçu comme un atome
isolé du reste de ses semblables, mais bien comme un être social dont les
intérêts particuliers ne peuvent être isolés de l'intérêt commun. Malgré nos
inégalités naturelles, le matérialisme du baron le force à conclure que notre
biologie commune nous donne tous les mêmes besoins." (p.4)
771
"Si l’on ne peut conclure en faveur d’un gouvernement en particulier, c’est
parce que le jugement ne dépend pas du nombre de personnes investies de
l’autorité politique, mais bien de la manière dont elle est exercée." p.6)

"La politique radicale du baron d'Holbach n'est pas une politique démocrate,
mais bien une politique républicaine. Il demeure des inégalités, même en termes
de droits politiques, qui sont réservés aux citoyens qui possèdent des terres. Il
tente d'élargir la définition de citoyenneté, et de trouver un mode de
gouvernement qui résiste le mieux aux corruptions de la morale. Le
gouvernement républicain n'est pas une solution définitive ; d'Holbach, lecteur
de Machiavel, sait bien que le danger du despotisme, ou de la corruption, est bel
et bien présent dans toutes les républiques. Mais celles-ci offrent les meilleures
conditions pour une politique du peuple souverain et pour minimiser les
inégalités sociales." (p.7)

"David Hume, que d’Holbach connaissait personnellement." (p.10)

"D'Holbach suit Aristote et Épicure, deux penseurs grecs qu'il admire beaucoup,
et qui affirmaient que l'être humain cherche toujours son propre bonheur."
(p.11)

"L'utilitarisme dit "classique" de Bentham, qui consiste en un calcul des plaisirs


et des peines, est entièrement absent de la pensée du baron. [...] D'Holbach
préfère d'ailleurs parler d'intérêts que de plaisirs, et de bonheur dans une
perspective eudémoniste, c'est-à-dire en faisant référence à un état de sérénité
permanent. Il faut donc mieux minimiser les peines que tenter de maximiser les
plaisirs. Le bonheur eudémoniste n'est pas favorisé par une quête des plaisirs et
nos intérêts résident dans une prudence plus proche de la phronesis d'Aristote
que de l'utilitarisme de Bentham." (p.12)

"C'est l'un des champs de bataille entre modérés et radicaux, nous dit Israel,
que de voir l'opposition entre la tolérance limitée des uns (celle de Locke, par
exemple, qui exclut les athées et les catholiques), et la tolérance absolue des
autres, qui veulent permettre toute expression de croyance. D'Holbach se place
fermement dans le camp des radicaux. Il ne demande pas simplement la
tolérance de l'athéisme -même un athée intolérant l'aurait demandée à l'époque-
mais bien une tolérance de toutes les croyances. Seuls les actes politiques, qui

772
violent les lois de la chose publique, peuvent être sanctionnés, mais non les
opinions et leur expression." (p.13-14)

"Si la métaphore du contrat est acceptée par le baron, il n'accepte pas celle de
l'état de nature. Hobbes et Locke avaient admis la possibilité de l'existence
historique de cet état de nature, et bien que Rousseau reste sceptique, la note J
de son Discours sur les origines de l'inégalité montre qu'il n'avait pas tranché
sur le sujet. Mais d'Holbach est fermement attaché à une vision du contrat sans
état de nature. Il ne faut pas spéculer sur les origines de l'humanité pour établir
la liste des devoirs et des droits en société." (p.14-15)

"Si d'Holbach veut un abandon complet de l'idée de Dieu, elle doit aussi être
purgée de la politique. Son athéisme, en particulier, le pousse vers un
questionnement du concept des lois de la nature. [...] Ce n'est pas Dieu, mais
bien la sociabilité des hommes qui les pousse vers des devoirs communs. C'est le
même raisonnement qui pousse d'Holbach à se différencier de la théorie de la
propriété chez Locke. Non seulement, pour d'Holbach, la propriété est
considérée comme une propriété terrienne, et non seulement comme le fruit du
labeur humain, mais elle ne peut être justifiée comme le fait Locke -ou rejetée
comme le fait Rousseau. Si nous avons un droit à jouir du fruit de notre labeur,
ce que d'Holbach concède à Locke, ce n'est pas parce que nous possédons notre
propre personne. La propriété est avant tout sociale -Rousseau l'avait dit avant
lui- elle est une forme d'exclusion. Si l'on possède une terre, on prive les autres
de ses fruits. C'est donc bien une relation sociale, et non une relation entre les
hommes et Dieu, qui est à la source de la propriété." (p.16)

"La vision de d’Holbach reste très "bourgeoise", c'est notamment la critique de


Marx et Engels à son sujet." (p.17)
-Charles Devellennes, D’HOLBACH RADICAL: contrat social et éthocratie
dans la pensée politique du baron.

« Holbach et Rousseau étaient adversaires en tout, mais tous deux parlaient de


la nature avec pitié, comme étant, en un sens bien trop métaphorique,
harmonieuse, bienveillante et émancipatrice. Rousseau croyait qu’elle révélait
son harmonie et sa beauté aux cœurs purs des gens simples. Holbach était
convaincu qu’elle les révélait aux esprits et aux sens éduqués, dégagés des
préjugés et de la superstition, de ceux qui employaient des méthodes
d’investigation rationnelle pour découvrir ses secrets. » -Isaiah Berlin, « Joseph

773
de Maistre et les origines du totalitarisme », 1960 pour la première version, in Le
bois tordu de l’humanité. Romantisme, nationalisme et totalitarisme, Albin
Michel, coll. Idées, 1992 (1990 pour la première édition britannique), 258 pages,
p.116.

http://hydra.forumactif.org/t627-paul-henri-dietrich-baron-d-holbach-systeme-
de-la-nature-ou-des-loix-du-monde-physique-et-du-monde-moral-autres#1199

https://www.amazon.fr/Oeuvres-philosophiques-1773-1790-Paul-Henri-
Holbach/dp/2849670154/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1524829925&sr
=1-1&keywords=Paul-
Henri+Thiry+d%27Holbach%2C+oeuvres+philosophiques

https://archive.org/stream/barondholbachast05621gut/7bdho10.txt

Giacomo Casanova (1725-1798) : « La nature du plaisir dans Histoire de ma


vie diffère profondément des romans libertins de son époque: on n'y trouve pas
ces pôles habituels que sont les perversions sexuelles ou les cruautés
mondaines, ni les fausses pudeurs ou les séquences en trompe-l'œil. [...]
Casanova prêche la bonne humeur: à l'opposé des amours fatales, il tient à son
plaisir. » -André Rauch, Luxure. Une histoire entre péché et jouissance,
Armand Colin, Malakoff, 2016, 239 pages, p.130.

« Casanova connaît à fond la doctrine d'Épicure. Il la connaît comme un


disciple. » -Daniel Delattre & Jackie Pigeaud, préface à Daniel Delattre & Jackie
Pigeaud (éds), Les Épicuriens, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris,
2010, 1481 pages p.XLIX.

Pierre Choderlos de Laclos (1741-1803) : « Laclos où le plaisir sensuel


devient intellectuel. » -François Huguenin, L'Action française. Une histoire
intellectuelle, Perrin, coll. Tempus, 2011 (1998 pour la première édition), 686
pages, p.170.

« Laclos eut pour vocation première et définitive l'armée. Il entre dans


l'artillerie parce que, a-t-on dit, cette arme où la compétence est exigée s'ouvrait
à ceux qui, comme lui, ne possédaient pas les quatre quartiers de noblesse
obligatoires. Mais on peut penser aussi qu'il l'a choisie par goût. Il se distingue
de la foule des militaires, exerçant le métier par routine. Il se montre un
novateur, attiré par la recherche. Pendant qu'il rédige son roman, il est affecté à
l'île d'Aix, avant-poste de Rochefort. Il a mission d'y construire un fort, contre
774
une éventuelle attaque anglaise. Or l'ouvrage dessiné par son patron, le
marquis de Montalembert, est d'une conception révolutionnaire, rompant avec
la tradition de Vauban. Les forts à l'ancienne mode laissaient les soldats
exposés au feu de l'ennemi, plus meurtrier par suite des récents progrès de
l'armement. Montalembert et Laclos veulent leur substituer la fortification
"perpendiculaire", mettant les défenseurs à couvert sous des casemates. En
outre, ils avaient mis au point un nouveau modèle d'affût, assurant aux pièces
d'artillerie un champ de tir plus étendu. Toutes nouveautés mal vues du
ministère: l'esprit de recherche entraîne Laclos dans une polémique contre la
mémoire de Vauban, qui brise sa carrière militaire. Lorsqu'il revient aux choses
de la guerre sous la Révolution, il s'occupe encore d'une innovation, promise à
un bel avenir. A plusieurs reprises, et même incarcéré sous la Terreur, il
procède à des essais sur le "boulet creux", qui deviendra l'obus.
Par là se manifeste chez Laclos un tour d'esprit à la fois inventif, minutieux et
calculateur." (p.17-18)

"Tout ce qu'on sait de lui confirme qu'il fut un caractère honnête en même temps
qu'un écrivain soucieux de moralisation. Dans les mois qui suivent Les Liaisons
dangereuses, il séduit à La Rochelle une jeune fille de bonne famille, Marie-
Soulange Duperré ; il en a un enfant. Mais dans l'affaire, il se conduit comme
un Saint-Preux -séducteur aussi de sa Julie-, non comme son Valmont. Le
ministère l'avait informé qu'il devait se tenir prêt à rejoindre son régiment à
Brest. Il lui était facile de provoquer cet ordre. Mais au lieu d'abandonner sa
maîtresse et son fils, il s'applique à rester à La Rochelle (sous le prétexte d'y
construire une médiocre bâtisse, l'Arsenal). Il s'emploie à surmonter les
obstacles, pour épouser, au bout de trois ans, Marie-Soulange, en reconnaissant
leur fils. On sait comment ensuite, mieux partagé que Saint-Preux (et que
Rousseau), il a vécu toute sa vie dans la félicité conjugale et familiale. [...]
Il reste qu'en dépit de ses protestations on n'a cessé de mettre en doute l'effet
moral de son roman." (p.31-32)

"Laclos, homme des Lumières, situe sa critique au niveau social. Il cherche


l'origine et les effets du mal dans les mœurs, ainsi que dans les institutions. Plus
précisément, puisque ici "le danger des liaisons" fait deux victimes, qui sont des
femmes, il met en cause la condition féminine. Le roman déjà est sous-tendu par
des analyses que développeront ses essais sur l'éducation des femmes. Les
premières lettres de Cécile à sa camarade de pension font ressortir
775
l'insuffisance de la formation reçue en son couvent. Il n'existait pas pour les
jeunes filles, dans la France du XVIIIe siècle, d'établissements comparables aux
collèges, de jésuites ou d'oratoriens, fréquentés par les garçons. C'était un
premier facteur d'inégalité entre les sexes. » (p.58-59)
-René Pomeau, introduction à Pierre Choderlos de Laclos, Les Liaisons
dangereuses, GF Flammarion, Paris, 2006 (1782 pour la première édition), 549
pages.

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778): « Qui voudrait, à moins de désespoir et


de folie, dire adieu témérairement à la raison, mépriser les arts et les sciences,
et nier la certitude rationnelle ? » -Spinoza, Traité théologico-politique, p. 136.

« Il ne faut point confondre le bonheur avec la vertu. Il est certain que faire le
bien pour le bien, c’est le faire pour soi, pour notre propre intérêt, puisqu’il
donne à l’âme une satisfaction intérieure, un contentement d’elle-même sans
lequel il n’y a point de vrai bonheur. Il est sûr encore que les méchants sont tous
misérables, quel que soit leur sort apparent, parce que le bonheur s’empoisonne
dans une âme corrompue, comme le plaisir des sens dans un corps malsain.
Mais il est faux que les bons soient tous heureux dès ce monde, et comme il ne
suffit pas au corps d’être en santé pour avoir de quoi se nourrir, il ne suffit pas
non plus à l’âme d’être saine pour obtenir tous les biens dont elle a besoin.
Quoiqu’il n’y ait que les gens de bien qui puissent vivre contents, ce n’est pas à
dire que tout homme de bien vive content. La vertu ne donne pas le bonheur,
mais elle seule apprend à en jouir quand on l’a : la vertu ne garantit pas des
maux de cette vie et n’en procure pas les biens ; c’est ce que ne fait pas non plus
le vice avec toutes ses ruses ; mais la vertu fait porter plus patiemment les uns et
goûter plus délicieusement les autres. Nous avons donc, en tout état de cause, un
véritable intérêt à la cultiver, et nous faisons bien de travailler pour cet intérêt,
quoiqu’il y ait des cas où il serait insuffisant par lui-même, sans l’attente d’une
vie à venir. » -Jean-Jacques Rousseau, Lettre à M. d’Offreville, 1761.

« Nous approchons de l’état de crise et du siècle des révolutions. » -Jean-


Jacques Rousseau, Émile ou de l’éducation, 1762.

« Après mon premier discours, j’étois un homme à paradoxes, qui se faisoit un


jeu de prouver ce qu’il ne pensoit pas : après ma lettre sur la Musique
françoise, j’étois l’ennemi déclaré de la Nation ; il s’en faloit peu qu’on ne m’y
traitât en conspirateur ; on eût dit que le sort de la Monarchie étoit attaché à la

776
gloire de l’Opéra : après mon Discours sur l’inégalité, j’étois athée &
misanthrope : après la lettre à M. D’Alembert, j’étois le défenseur de la morale
chrétienne : après l’Héloïse, j’étois tendre & doucereux ; maintenant je suis un
impie ; bientôt peut-être serai-je un dévot.

Ainsi va flottant le sot public sur mon compte, sachant aussi peu pourquoi il
m’abhorre, que pourquoi il m’aimoit auparavant. Pour moi, je suis toujours
demeuré le même ; plus ardent qu’éclairé dans mes recherches, mais sincere en
tout, même contre moi ; simple & bon, mais sensible & foible ; faisant souvent
le mal & toujours aimant le bien ; lié par l’amitié, jamais par les choses, &
tenant plus à mes sentimens qu’à mes intérêts ; n’exigeant rien des hommes &
n’en voulant point dépendre, ne cédant pas plus à leurs préjugés qu’à leurs
volontés, & gardant la mienne aussi libre que ma raison : craignant Dieu sans
peur de l’enfer, raisonnant sur la Religion sans libertinage, n’aimant ni
l’impiété ni le fanatisme, mais haïssant les intolérans encore plus que les
esprits-forts ; ne voulant cacher mes façons de penser à personne, sans fard,
sans artifice en toute chose, disant mes fautes à mes amis, mes sentimens à tout
le monde, au public ses vérités sans flatterie & sans fiel, & me souciant tout
aussi peu de le fâcher que de lui plaire. Voilà mes crimes, & voilà mes vertus. »
-Jean-Jacques Rousseau, Lettre à Christophe de Beaumont, 18 Novembre 1762,
in Collection complète des œuvres de J. J. Rousseau, 1782 (Tome 6 : Mélanges
(1), pp. 3-118, p.7-8.

« Je vous avoue cependant que je n'entends pas bien le conseil qu'il me donne de
ne pas me mettre à dos M de Voltaire, c'est comme si l'on conseilloit à un
passant attaqué dans un grand chemin de ne pas se mettre à dos le brigand qui
l'assassine. Qu'ai je fais pour m'attirer les persécutions de M de Voltaire et
qu'ai je à craindre de pire de sa part ? M de Buffon veut il que je fléchisse ce
tigre altéré de mon sang ? Il sait bien que rien n'apaise ni ne fléchit jamais la
fureur des tigres. Si je rampois devant Voltaire il en triompheroit sans doute
mais il ne m'en égorgeroit pas moins. Des bassesses me déshonoreroient et ne
me sauveroient pas. Monsieur je sais souffrir j'espère apprendre à mourir et qui
sait cela n'a jamais d’être lâche. Il a fait jouer les pantins de Berne à l'aide de
son ame damnée le jésuite Bertrand, il joue à présent le même jeu en Hollande.
Toutes les puissances plient sous l'ami des ministres tant politiques que
presbytériens. A cela que puis je faire je ne doute presque pas du sort qui
m'attend sur le canton de Berne si j'y mets les pieds cependant j'en aurai le cœur
777
net et je veux voir jusqu où dans ce siècle aussi doux qu'éclairé la philosophie et
l'humanité seront poussées. Quand l'inquisiteur Voltaire m'aura fait brûler cela
ne sera pas plaisant pour moi je l'avoue mais avouez aussi que pour la chose
cela ne sauroit l'être plus. » -Jean-Jacques Rousseau, Lettre à Madame de V, 3
février 1765.

« En vain, vous prétendriez détruire les sources du mal ; en vain vous ôteriez les
aliments de la vanité, de l’oisiveté et du luxe ; en vain même, vous ramèneriez
les hommes à cette première égalité conservatrice de l’innonce et source de
toute vertu : leurs cœurs, une fois gâtés, le seront pour toujours. Il n’y a plus de
remède, à moins de quelque grande révolution presque aussi à craindre que le
mal qu’elle pourrait guérir, et qu’il est blâmable de désirer et impossible de
prévoir. » -Jean-Jacques Rousseau, Lettre au roi de Pologne.

« Voici, dans mes vieilles idées, le grand problème en politique que je compare
à celui de la quadruple du cercle en géométrie et à celui des longitudes en
astronomie : Trouver une forme de gouvernement qui mette la loi au-dessus de
l’homme. Si cette forme est trouvable, cherchons-là et tâchons de l’établir. Vous
prétendez, messieurs, trouver cette loi dominante dans l’évidence des autres.
Vous prouvez trop ; car cette évidence a dû être dans tous les gouvernements,
ou ne sera jamais dans aucun. Si malheureusement cette forme n’est pas
trouvable, et j’avoue ingénument que je crois qu’elle ne l’est pas, mon avis est
qu’il faut passer à l’autre extrémité et mettre tout d’un coup l’homme autant au-
dessus de la loi qu’il peut l’être, par conséquent établir le despotisme arbitraire
et le plus arbitraire possible : je voudrais que le despote pût être Dieu. En un
mot, je ne vois pas de milieu supportable entre la plus austère démocracie et le
hobbisme le plus parfait. » -Jean-Jacques Rousseau, à Mirabeau, Lettre du 26
juillet 1767, in Œuvres complètes de Rousseau, tome XVI, Paris, 1829, p.401-
402.

« Dans le Contrat social je n’ai jamais approuvé le gouvernement


démocratique. » -Rousseau à d’Ivernois, 13 janvier 1767.

« Rousseau est le Newton du monde moral. » -Emmanuel Kant.

« Le Dieu de Rousseau, comme celui de Kant, réconcilie dans l'au-delà


seulement, nature et moralité, bonheur et vertu.» -André Vergez, Faute et
liberté, Annales littéraires de l'université de Besançon, 1969, p.256.

778
« C'est bien la civilisation française tout entière qui est en question dans l'échec
de la Révolution [française]. Le brillant de la société de cour a pour
contrepartie l'insincérité générale dans les rapports humains, et cette fausseté,
qui est le fruit de l'effort du pouvoir royal pour dominer la société, a fini par
corrompre le pouvoir politique lui-même jusqu'au moment où la "raison d'Etat"
s'est confondue avec le règne de l'intrigue. Le résultat de cette sociabilité
totalement artificielle a été l'apparition de l'exigence tout aussi antipolitique
d'une refondation complète de l'ordre social et politique sur la base "naturelle"
de la sincérité et de la récusation générale de toutes les conventions sur
lesquelles reposent les institutions. Mais cette passion nouvelle de la sincérité,
dont l'œuvre de Rousseau est l'expression la plus puissante, n'a pu produire tous
ses effets que parce qu'elle s'est greffé sur l'opposition entre la bonté naturelle
du peuple misérable et la corruption des classes dirigeantes. » -Philippe
Raynaud, "Le Monde, l'Action, la Pensée", préface à Hannah Arendt.
L'Humaine Condition, Gallimard, coll. Quarto, 2012, 1050 pages, p.29.

« La racine originelle du bolchévisme se trouve, selon moi, dans la pensée de


Jean-Jacques Rousseau et sa vision de l’état de nature : contrairement aux
précédents théoriciens du contrat social, Hobbes et Locke principalement,
Rousseau considérait l’homme comme bon par nature. Là où pour Hobbes
l’homme était plutôt mauvais et devait être assujetti à un pouvoir, et où pour
Locke il avait simplement des droits naturels qu’il fallait faire respecter,
Rousseau rompait avec la vision chrétienne traditionnelle de l’homme apte au
bien comme au mal par nature, depuis le péché originel. Farouche ennemi de
l’idée de péché originel, Rousseau lui substituait, pour expliquer la présence du
mal dans le monde, la constitution de la société, qui serait à l’origine de la
corruption humaine. C’est en se fondant sur cette explication de l’origine du
mal qu’il proposait son contrat social comme un remède, qui devrait non pas,
comme chez Hobbes ou Locke, gérer le mal, mais, en en supprimant les causes,
en supprimer l’existence. Cette idée centrale de la possibilité de supprimer le
mal en revenant à l’état de nature est à l’origine du mouvement qui devait
marquer l’histoire des deux siècles suivants.

En cherchant à exprimer ce que devrait être ce contrat social, Rousseau a


régulièrement fait l’éloge du modèle antique de Sparte. « Les mœurs de Sparte
ont toujours été proposées en exemple à toute la Grèce ; toute la Grèce était
corrompue et il y avait encore la vertu à Sparte ; toute la Grèce était esclave,
Sparte seule était encore libre », disait-il. Ou encore : « Il importe donc, pour
779
avoir bien l’énoncé de la volonté générale, qu’il n’y ait pas de société partielle
dans l’État et que chaque citoyen n’opère que d’après lui. Telle fut l’unique et
sublime institution du grand Lycurgue. » Or, l’on sait que le modèle de Sparte
était un modèle de société totalitaire, et que tous les philosophes qui
s’inspirèrent de Sparte, comme Platon, imaginèrent des sociétés « idéales » dont
la description dessine toujours, précisément, un système totalitaire. Voltaire, de
son côté, préférait Athènes, et avait bien compris la nature de Sparte en disant :
« Qu’est-ce donc que Sparte ? Une armée toujours sous les armes si ce n’est
plutôt un vaste cloître. ». » -Philippe Fabry, Djihadisme, le bolchévisme
musulman, 30 novembre 2015.

« Engels ne s’y est pas trompé lorsqu’il voit en Rousseau le père de la


dialectique marxiste. C’est au Discours sur l’inégalité que se réfère l’Anti-
Dühring : Engels prend l’exemple des renversements décrits dans l’histoire de
la dégénérescence des sociétés politiques. Les chefs, que les peuples se sont
d’abord donnés pour défendre leur liberté, finissent par les asservir, mais le
despote qui se maintient par la force peut être lui-même renversé par la force.
Nous arrivons alors, écrit Engels, au moment où l’inégalité politique redevient
égalité, non plus égalité naturelle mais « égalité supérieure du contrat social »
(Anti-Dühring, 1877, première partie, chap. XIII), égalité supérieure parce que
la participation de tous au pouvoir souverain est alors garantie par la loi. Et s’il
est vrai que Rousseau ne défend pas en général la démocratie directe ou
absolue, il promeut un régime où tous participent à la vie politique, jusqu’à
faire de cette participation, et non de la simple soumission à la majorité, la
définition d’une démocratie réelle. La fameuse volonté générale du Contrat
social se fonde sur un concept propre d’individu non individualiste, mû par un
amour de soi non égoïste, qui lui permet de retrouver la communauté, et de ne
pas en rester à ce que Marx appelait les robinsonnades du XVIIIe siècle.

Rousseau pense ici avec son époque contre son époque, et retourne le concept
d’individu contre le libéralisme triomphant. Il en va de même lorsqu’il fait
l’histoire sociale de la propriété, montrant que l’histoire de la société est aussi
celle de la propriété, parce que la propriété s’enracine dans la division du
travail, et conduit à l’inégalité civile. Chez Rousseau comme chez Marx « tout se
rapporte dans son principe aux moyens de pourvoir à la subsistance »
(J.J. Rousseau, Essai sur l’origine des langues, O.C. V Paris, Gallimard, 1995,
coll. « la Pléiade », p. 400). Tout, c’est-à-dire la structure de la société et son
histoire : l’accumulation de la propriété va catalyser la concentration de la
780
richesse et du pouvoir. Le riche est « le vrai fondateur de la société civile »
(Discours sur l’inégalité, O.C. III Paris, Gallimard, 1964, 2e partie, début),
celui-là même qui, après s’être fait proclamer chef, deviendra despote. » -Luc
Vincenti, Ce que le marxisme doit à Jean-Jacques Rousseau, www.humanite.fr,
Jeudi 28 Juin 2012.

« Pressentant et redoutant le potentiel de développement de la liberté


individuelle dans la modernité, Rousseau met déjà en place tous les outils
idéologiques que le holisme collectiviste va par la suite déployer pour tenter
d'évacuer l'individualisme: un projet « constructiviste » de société,
l'égalitarisme, le déni du droit naturel et individuel de propriété privée,
l'étatisme omniprésent, le refus de la libre concurrence, et la référence à un «
intérêt général » devant s'imposer aux vils intérêts particuliers égoïstes. » -
Alain Laurent, Histoire de l’individualisme.

« Je sentais avec satisfaction la différence qu’il y a des goûts sains & des
plaisirs naturels à ceux que fait naître l’opulence, & qui ne sont guère que des
plaisirs de moquerie & des goûts exclusifs engendrés par le mépris. » -Jean-
Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire.

« Tous les rapports entre les hommes seront clairs pour chacun. » -Nicolas
Boukharine, à propos de la société communiste, La théorie du matérialisme
historique, 1921.

« Le totalitarisme est le "résultat positif" de la philosophie ou de la religion de


Jean-Jacques Rousseau. Cela ne signifie pas qu'on trouve, dans les écrits du
Genevois, l'intention délibérée d'élaborer un système totalitaire ; on y découvre
plutôt une constellation de mythes, de principes et d'idées qui ont entraîné ses
disciples dans les allées du soupçon, de la terreur et de la servitude. »

« La métaphysique de Rousseau repose sur une proposition fondamentale: la


parole et la pensée sont des causes de discorde. Il faut retrouver, au-delà du
"logos", la transparence des cœurs. Jean-Jacques estimait que le rapport à
autrui n'avait nul besoin d'être médiatisé par l'exercice de la pensée, de même
que, dans son rapport à lui-même, il croyait possible l'élimination de l'esprit au
profit de l'immédiateté de la jouissance. Il voulait s'abandonner à la sensation
de l'instant en écartant définitivement la séparation des consciences ou le
dialogue intérieur. C'est à partir de là qu'il rêvait d'un autre rapport à autrui et
à soi-même. »
781
« Chez Rousseau [...] les mots et les chaînes de raisonnement ont presque
toujours pour fonction d'amplifier le mouvement de l'âme qui veut se fondre ou
se perdre dans une totalité, et non de clarifier le rapport du moi au monde.
L'extase du gnostique est un idéal inatteignable. L'âme reste toujours une et
distincte. On ne peut la fondre en Dieu ou la perdre dans la nature. Le désir de
fusion rencontre toujours un obstacle infranchissable. Il vient un moment où, à
l'élan extatique déçu, succède un brutal retour sur le soi, comme si, incapable
de plonger son âme dans le grand Tout, le gnostique décidait brusquement de
l'enfermer en elle-même. Au désir de vagabondage dans la nature, image du
mouvement psychique vers la fusion, succède le désir d'une "vie carcérale",
image du repli sur soi. Au moment où l'élan vers Dieu ou la Nature déçoit, la
prison apparaît comme le lieu où va se réaliser l'abolition des distinctions.
L'insupportable, c'est le règne de la séparation ; pour y mettre fin, on peut
envisager soit de s'abîmer dans les êtres et les choses (fusion) soit de s'en
retrancher complètement (prison).
C'est ainsi que le gnostique rêvera à des Bastilles, à des "lieux de
concentration", à des espaces clos où il espérera retrouver une sérénité que la
Nature lui a refusé. Lorsque Jean-Jacques souhaita qu'on l'enfermât, c'était
parce que, comme certains pensionnaires du Goulag pour qui le "camp de
concentration donnait le sentiment de la plus grande liberté", il voyait dans la
réclusion un moyen d'accéder à une vie spirituelle qui ne lui fît point mesurer sa
condition d'individu séparé.

[...] La faiblesse de la volonté propre, qui n'a pas su mener jusqu'à l'abolition
des distinctions, donne la nostalgie d'un pouvoir franchement despotique qui, en
arrachant la psyché à un monde où elle mesure douloureusement sa
dépendance, restaurerait son autonomie par l'excès d'une tyrannie forçant au
repli sur soi. C'est que l'âme gnostique, pas plus qu'elle ne peut s'abîmer dans la
Nature, ne peut se contraindre à l'anachoresis. Elle appelle donc de ses vœux la
poigne de fer qui la contraindra à mener une vie de claustration. Elle-même se
sent incapable d'une telle fermeté. »

« La transparence à soi-même ou la fusion dans le grand tout vont


nécessairement de pair avec l'abolition du temps. Vouloir un temps tranquille,
sans conflits, ou, pour employer des termes plus explicites, vouloir la
réconciliation des hommes entre eux ainsi qu'entre les hommes et la nature, c'est
aussi vouloir vivre en geôle. Les théories qui veulent instaurer le règne d'une
parfaite sérénité individuelle ou collective en mettant fin aux conflits politiques
782
ou psychiques contiennent la menace et l'espoir d'une claustration absolue. En
effet, seule une disparition de l'espace comme lieu où surviennent des
événements accorderait la réconciliation ou l'équilibre escomptés. Là où il n'y a
pas d'étendue pour des rencontres, des distinctions ou des séparations, il n'y a
pas de temps non plus.
Une philosophie visant à mettre fin aux conflits historiques d'un peuple ou d'un
individu est concentrationnaire. »

« On sait combien Jean-Jacques loua Sparte [...] La place publique est à la fois
la source et la fin ultime de l'association politique. Ce n'est pas tant le lieu où le
peuple délibère que celui où il se régénère. [...] Sur la place publique les
membres de l'Etat sentent qu'ils sont indissolublement liés, comme l'étaient les
Spartiates et les Romains. C'est la vie de la place publique qui empêche la
particularisation des volontés: se retrouvant souvent ensemble, tantôt pour de
solennelles cérémonies, tantôt pour des fêtes, les citoyens participent à une sorte
de communion politique qui leur fait sentir la vie du corps dont ils sont les
membres et oublier les besoins de leur corps physique qui les conduit à la mort.
Sans un tel espace politique, les volontés des citoyens, au lieu de se fondre en
une volonté générale, s'atomisent en une multitude chaotique de volontés
particulières.
La volonté générale n'est pas la somme des volontés particulières, car celles-ci
ne peuvent maintenir l'Etat en vie. Un assemblage de volontés particulières ne
forme pas vraiment un Etat mais une "multitudo dissoluta". La vraie vie
politique commence là où la volonté générale trouve, puis pénètre un groupe
humain qu'elle informe, comme l'âme informe le corps. Cette matérialisation de
la force propre à mouvoir droitement les hommes ne peut pas se produire là où
ils se divisent en sectes et en partis. Et la volonté générale n'existe pas non plus
là où les hommes doivent se faire représenter, parce que "la souveraineté,
précise Jean-Jacques, ne peut être représentée". Pour sentir la volonté générale
les citoyens doivent se taire, se recueillir, et la laisser venir à eux. Alors, l'un
d'entre eux prend la parole et exprime, simplement, en quelques mots, ce que
tous ressentent et veulent faire. "Le premier qui propose les lois ne fait que dire
ce que tous ont déjà senti, et il n'est question ni de brigues ni d'éloquence pour
faire passer en loi ce que chacun à déjà résolu de faire." La volonté générale
n'est donc pas issue d'une série de conflits entre des volontés particulières, série
au terme de laquelle on trouverait soit un compromis, soit une volonté unique
qui s'imposerait à toutes les autres. Un peuple doit être passif pour recevoir la
783
volonté générale un peu comme on reçoit la volonté de Dieu. » -Jan Marejko,
Jean-Jacques Rousseau et la dérive totalitaire, Éditions L'Age d'Homme, 1984.

« L’idée de volonté générale, telle qu’elle est formulée par Rousseau, peut donc
être vue comme une tentative d’étendre à la vie d’une nation entière le modèle,
puissant et admirable, mais baignant aussi dans une atmosphère parfois
étouffante et répressive, d’une petite ville culturellement homogène. » -Anatol
Lieven, Le nouveau nationalisme américain, Gallimard, 2005 (2004 pour la
première édition états-unienne), 489 pages. p.256.

« The politicization of theological concepts, especially with respect to the


concept of sovereignty, is so striking that it has not escaped any true expert
on [Rousseau] writings. Said Emile Boutmy, "Rousseau applies to the sovereign
the idea that the philosophes hold of God: He may do anything that he wills but
he may not will evil."." -Carl Schmitt, Théologie politique - Quatre chapitres
sur le concept de souveraineté, 1922. D'après la traduction anglaise de George
Schwab, The MIT Press, Cambridge, Massachusetts, and London, England,
1985, 70 pages, p.46.

« D'une part, Rousseau conçoit, en effet, le gouvernement comme le problème


politique essentiel, de l'autre, il minimise le problème de sa nature et de son
fondement, en le réduisant à une activité d'exécution de l'autorité souveraine. Le
malentendu qui règle le problème du gouvernement en le présentant comme
simple exécution d'une volonté et d'une loi générales a pesé négativement non
seulement sur la théorie, mais aussi sur l'histoire de la démocratie moderne. En
effet, cette histoire n'est que la mise en lumière progressive de la substantielle
non-vérité du primat du pouvoir législatif et de la conséquente irréductibilité du
gouvernement à une simple instance d'exécution. Et si nous assistons
aujourd'hui à la domination écrasante du gouvernement et de l'économie sur
une souveraineté populaire vidée de sens, cela signifie peut-être que les
démocraties occidentales sont en train de payer les conséquences politiques
d'un héritage théologique qu'à travers Rousseau elles avaient assumé sans s'en
rendre compte. » -Giorgio Agamben, Le Règne et la Gloire. Pour une
généalogie théologique de l'économie et du gouvernement. Homo Sacer, II, 2.
Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », septembre 2008 (2007 pour la
première édition italienne), 443 pages, p.408.

784
« Le socialiste descend de Rousseau. » -Albert Thibaudet, Les Idées politiques
de la France, Librairie Stock, Paris, 1932, 264 pages, p.184.

"Parmi les socialistes, les uns le réclament [Rousseau] hautement comme


ancêtre, d'autres le repoussent avec dédain. Leroux en fait un éloge enthousiaste
[Revue sociale, 1845]. [...] Pour Louis Blanc, avec le Discours sur l'inégalité,
"un nouvel ordre de citoyens se présentait, demandant sa place dans le monde...
Il [Rousseau] devait être le précurseur du socialisme moderne: ce fut son
malheur et sa gloire"." (p.128-129)

"Malon pense que Rousseau est, avant tout, l'ancêtre des Jacobins." (p.130)

"Partout [Rousseau] voit la société divisée en deux parties, les riches et les
pauvres, et faite pour les premiers contre les seconds. Il remarque chez lui-
même dans l'Émile "une orgueilleuse misanthropie, une certaine aigreur contre
les riches et les heureux du monde, comme s'ils eussent été à mes dépens et que
leur prétendu bonheur eût été usurpé sur le mien". Il semble que ce sentiment se
réveille en lui chaque fois qu'il parle de la richesse et des riches. Les riches sont
mauvais et inhumains. Il choisit son élève, Émile, dans cette classe, car, en
l'élevant bien, "nous serons sûrs au moins d'avoir fait un homme de plus ; au
lieu qu'un pauvre peut devenir homme de lui-même". Les fonctions du riche
dans la société sont déplorables. A quelqu'un qui lui dit: "Je veux m'enrichir
pour secourir les malheureux", il répond: "Comment si le premier bien n'était
pas de ne point faire de mal ! Comment est-il possible de s'enrichir sans
contribuer à appauvrir autrui, et que dirait-on d'un homme charitable qui
commencerait par dépouiller tous ses voisins, pour avoir ensuite le plaisir de
leur faire l'aumône ?" (p.148)

"Dans sa Lettre à d'Alembert, est célébrée "cette Sparte que je n'aurai jamais
assez citée pour l'exemple que nous devrions en tirer". La République de Platon
en est la seule émule: il trouve même parfois que Platon épure le cœur de
l'homme que Lycurgue a dénaturé ; mais c'est cependant ce dernier qui a ses
préférences." (p.153)

"Il semble, d'après une lettre de Mme d'Houdetot de l'hiver de 1758, qu'il
s'intéressa au roman de Morelly, la Basiliade. [...] Plus tard, il écrit de Motiers
à Duschene pour lui réclamer des livres, entre autres: "l'Utopie de Th. Morus et
l'Histoire des Sévarambes"." (p.154)

785
"Il semble que vers 1764, ils aient eu quelques rapports plus amicaux. Au livre
IX des Confessions, Rousseau raconte que c'est sur l'avis de Mably qu'il
entreprit de résumer les idées de l'abbé de Saint-Pierre." (p.155)

-André Lichtenberger (agrégé d'histoire), Le Socialisme au XVIIIe siècle. Essai


sur les idées socialistes dans les écrivains français du XVIIIe siècle, avant la
Révolution, Thèse de doctorat présentée à la faculté des lettres de Paris, Biblio
Verlag - Osnabrûck, 1970 (1895 pour la première édition), 471 pages.

« Il était impossible à Rousseau vivant en communion de cœur avec la nature et


Dieu, la liberté et la joie, de ne pas protester contre l’existence misérable,
factice et servile que les gouvernements faisaient aux hommes, privés de tout
par la folie des uns et la frivolité des autres, et succombant sous l’excès d’un
travail malsain. »

« Rousseau a encore donné beaucoup d’autorité à ses idées, et notamment au


commencement d’idée socialiste qui était en lui, par son désintéressement, son
détachement personnel. »

« Chose étrange ! Cet homme, qui a agi si puissamment sur la Révolution, ne


croyait pas au succès possible de cette Révolution. […] Je ne suis pas sûr que
pour cet homme concentré, fermé à certaines légèretés d’enthousiasme, la
Révolution française n’eût pas été une nouvelle cause de désespoir. » -Jean
Jaurès, Les Idées politiques et sociales de Jean-Jacques Rousseau, Conférence
prononcée le 19 décembre 1889, à la Faculté des lettres de Toulouse.

« La radicalité de Rousseau tient à ce qu’il invente une nouvelle figure


d’écrivain qui accepte la part de danger inhérente à la publication et offre en
permanence sa sincérité et sa vie privée comme garanties de la valeur de sa
parole. » -Antoine Lilti, « Comment écrit-on l'histoire intellectuelle des
Lumières ? Spinozisme, radicalisme et philosophie », Annales. Histoire,
Sciences Sociales, 2009/1 (64e année), p. 171-206.

« En 1764 les œuvres de Rousseau furent interdites dans tous les territoires
dépendant de la Couronne d’Espagne. Bien entendu, cela leur fit une excellente
propagande. » -Salvador de Madariaga, Le déclin de l’Empire espagnol
d’Amérique, Albin Michel, 1986 (1958 pour la première éditionfrançaise, 1947
pour la première édition anglaise), 522 pages, p.283.

786
« J'ai montré que tous les vices qu'on impute au cœur de l'homme ne lui sont pas
naturels: j'ai dit la manière dont ils naissent, j'en ai, pour ainsi dire, suivi la
généalogie et j'en fais voir comment, par l'altération successive de leur bonté
originelle, les hommes deviennent enfin ce qu'ils sont. » -Rousseau, Lettre à
Monseigneur de Beaumont.

« Rousseau: je le répudie ; cette tête fêlée n'est pas française, et nous nous
fussions fort bien passés de ses leçons. C'est justement à lui que commencent à
notre romantisme et notre absurde démocratie. » -Pierre-Joseph Proudhon, Du
principe de l’art et de sa destination sociale, 1865.

« J’examinerai peut-être une fois le système du plus illustre de ces philosophes,


de Jean-Jacques Rousseau, et je montrerai qu’en transportant dans nos temps
modernes une étendue de pouvoir social, de souveraineté collective qui
appartenait à d’autres siècles, ce génie sublime qu’animait l’amour le plus pur
de la liberté, a fourni néanmoins de funestes prétextes à plus d’un genre de
tyrannie. » -Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparés à celle des
Modernes.

« Rousseau fut cette flamme sacrée, ce flambeau de la vérité, qui, en éclairant le


peuple, consuma le recueil de ses lois antiques et vexatoires. [...] J.J nous apprit
à renverser la tyrannie, en nous enseignant à résister à l'oppression. Mais
certes, et je démontrerai plus amplement dans la suite, son système n'étant que
désorganisateur et perpétuellement révolutionnaire, ne peut plus servir de base
à une constitution, d'où doivent découler des lois, qui nous garantissent la durée
de la liberté, sans laquelle il ne saurait y avoir de bonheur public.
Rousseau dit dans le chapitre 12 de son Contrat social, liv. II, "un peuple est
toujours le maître de changer ses lois, même les meilleures ; car s'il lui plaît de
se faire mal à lui-même, qui est-ce qui a le droit de l'en empêcher ?".
Ce blasphème contre le principe, tend au fond à nous faire confesser que tout
peuple qui serait assez dénaturé pour faire une loi de l'homicide en aurait le
droit. »

« Donc, en rendant à Rousseau l’hommage que nous devons à celui qui a


provoqué et déterminé la Révolution française, ne craignons pas d'affirmer que
son système est nécessairement un système désorganisateur, parce qu'il n'est pas
fondé sur le développement du véritable principe ; qu'il n'existe point chez lui de
barrière contre les entreprises du grand nombre, et qu'un peuple institué de

787
cette manière, doit naturellement parcourir dans son gouvernement, tous les
degrés du cercle des passions des hommes, puisqu'il ne renferme aucune règle
fixe pour montrer ce qui est droit et ce qui n'est pas droit, ce qui est licence, et
ce qui n'est pas licence. »

« Qu'elle garantie à un peuple qui s'est soumis à un pouvoir législatif, organisé


d'après la théorie de J. J. Rousseau ? Quelle garantie, dis-je, a ce peuple, qu'un
pareil pouvoir législatif ne lui fera point de mal, qu'il ne le conduira point à
l'esclavage légalement et avec toute l'apparence du droit ? »

« Il tombe [...] dans une autre [erreur], en commettant le plus grand de tous les
crimes politiques, qui est de sacrifier le bonheur individuel de la saine minorité
à la tyrannie d'une majorité oppressive, qui ne peut jamais avoir d'autre droit
pour le faire, que le droit du plus fort qui, même dans les ténèbres des forêts,
donne le droit à trois brigands armés d'assassiner un homme de bien désarmé et
sans défense ; ce droit exécrable que Rousseau lui-même a la justice de
condamner dans son chapitre du droit du plus fort. Peut-on avancer une pareille
théorie et la contredire ainsi dans les moyens d'exécution qu'on offre ? Peut-on
accorder au peuple, c'est-à-dire, à la majorité le pouvoir de faire le mal, après
qu'on a démontré toute l'horreur du droit du plus fort ? »

« En abattant la monarchie, le Peuple français n'a donc point reconquis ses


droits, il n'a donc fait que changer le mode de son asservissement en se donnant
de nouveaux oppresseurs. »

« C'est ainsi, qu'après avoir brisé le joug de la royauté, Rousseau, le père de la


révolution française, le bienfaiteur du genre humain devient son plus cruel
ennemi. » -Junius Frey, Philosophie sociale dédiée au peuple français, 1793.

« Rousseau, le plus grand de tous les critiques de l’inégalité, le prédécesseur de


Marx. » -Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une tradition du XVIIIème siècle à
la guerre froide. Saint-Amand, Gallimard, coll. Folio histoire, 2010, 945 pages,
p.24.

« Avec Voltaire, c’est un monde qui finit. Avec Rousseau, c’est un monde qui
commence. » -Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832), cité dans
Encyclopædia Universalis, article « Voltaire ».

« Ma théorie a pour elle l'autorité du plus grand des moralistes modernes : car
tel est assurément le rang qui revient à J.-J. Rousseau, à celui qui a connu si à
788
fond le cœur humain, à celui qui puisa sa sagesse, non dans des livres, mais
dans la vie ; qui produisit sa doctrine non pour la chaire, mais pour l'humanité ;
à cet ennemi des préjugés, à ce nourrisson de la nature, qui tient de sa mère le
don de moraliser sans ennuyer, parce qu'il possède la vérité, et qu'il émeut les
cœurs. » -Arthur Schopenhauer, Le Fondement de la morale, Paris, Aubier-
Montaigne, 1978, p. 162.

« Mais Rousseau –où vraiment voulait-il en venir ? Rousseau ce premier homme


moderne, idéaliste et canaille en une seule personne, qui avait besoin de « la
dignité morale » pour supporter son propre aspect, malade d’un dégoût effréné,
d’un mépris effréné de lui-même. Cet avorton qui s’est campé au seuil des temps
nouveaux, voulait lui aussi le « retour à la nature » -encore une fois, où voulait-
il revenir ? –Je hais encore Rousseau dans la Révolution ; elle est l’expression
historique de cet être à deux faces, idéalistes et canaille. La farce sanglante qui
se joua alors, « l’immoralité » de la Révolution, tout cela m’est égal ; ce que je
hais, c’est sa moralité à la Rousseau, les soi-disant « vérités » de la Révolution
par lesquelles elle exerce encore son action et sa persuasion sur tout ce qui est
plat et médiocre. La doctrine de l’égalité ! … Mais il n’y a pas de poison plus
vénéneux : car elle paraît prêchée par la justice même, alors qu’elle est la fin de
toute justice… » -Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, "Flâneries
inactuelles", trad. Henri Albert, GF-Flammarion, 1985 (1889 pour la première
édition allemande), 250 pages, p.167-168, §48.

« Rousseau a été […] la cause formelle de la Révolution ; il en a été l’âme et le


génie, excitant les petits, stupéfiant et endormant les grands, donnant à l’attaque
révolutionnaire des forces, à la défense traditionnelle de la faiblesse. » -Charles
Maurras, L’Action française, 19 juin 1912.

« Rousseau demeure au premier rang de nos mortels ennemis. » -Pierre Gilbert,


Revue critique des idées et des livres, 25 juillet 1914.

« Contrairement aux philosophes comme D’Holbach ou Diderot, qui renoncent


(avant Kant) à fonder la morale sur la religion, Jean-Jacques, malgré son
apparent optimisme et sa confiance dans la raison, a recours au système de
châtiments et de récompenses de l’au-delà pour soutenir l’ordre sociopolitique.
Car, au fond, il n’a pas de confiance dans la bonté naturelle des hommes ni
dans leur capacité de suivre la droite raison. Ainsi son œuvre, malgré son
enveloppe rationnelle et tolérante, en un mot, éclairée, cache une tentative

789
d’arrêter la crise de foi du xviii siècle et d’empêcher le retrait de Dieu de la
pensée des Lumières. Et de ce fait son combat contre les matérialistes et les
athées le rapproche, malgré lui, des papistes comme l’Abbé Bergier. » -Maria
José Villaverde, Rousseau, Spinoza, deux visions opposées de la démocratie.

« Parce que Jean-Jacques offre au monde un exemple de conséquence éthique


qui condamne par contraste tous les Philosophes à apparaître comme des
hypocrites, des esclaves et des prostitués, ceux-ci, s’ils entendent défendre leurs
ambitions morales et leurs prétentions à la vérité, sont forcés de repeindre la
réalité sous des couleurs artificielles et mensongères qui inversent
systématiquement les termes des quatre revendications qu’on vient de passer en
revue. J.-J. doit apparaître comme un jouisseur effréné semant des enfants
abandonnés à travers toute l’Europe, sous l’emprise d’une lubricité intarissable
qui est l’envers monstrueux de son prétendu désintéressement ; il se fait le
flatteur de la plèbe, passant sa vie à courtiser sa grande maîtresse, la
réputation, en dépit de toutes ses revendications d’indépendance ; ses
mensonges innombrables sur ses enfants, sur ses (ex-) amis, voire sur les plus
insignifiantes de ses actions quotidiennes disent assez ce qu’il faut penser de ses
prétentions à la vérité; quant à la conséquence qu’il se vante d’établir entre ses
discours et sa conduite, la figure du paradoxe qui domine son style et les
contradictions manifestes qui régissent son comportement actuel suffisent à
invalider tout appel à la consistance logique. Le complot consiste donc à «
façonner la manière commune de penser » de telle sorte que l’exemple
radicalement subversif offert par Rousseau soit neutralisé, et apparaisse comme
relevant de l’aberration personnelle au lieu de la revendication morale. » -Yves
Citton, « Retour sur la misérable querelle Rousseau-Diderot : position,
conséquence, spectacle et sphère publique. », Recherches sur Diderot et sur
l'Encyclopédie, numéro 36 Varia, [En ligne], mis en ligne le 14 septembre 2009.
URL : http://rde.revues.org/282. Consulté le 06 avril 2016.

« [L’] artificieux scélérat. » -Denis Diderot, à propos de Rousseau, in Essai sur


les règnes de Claude et de Néron, 1778.

"Rousseau n'est pas à l'égard du Romantisme un précurseur. Il est le


Romantisme intégral. Pas une théorie, pas un système, pas une forme de
sensibilité ne revendiqueront par la suite la qualité de romantique ou ne la
recevront, qui ne se trouvent recommandés ou autorisées par son œuvre." (p.14)

790
"La notion très incomplète et mal éclairée du Romantisme, que retiennent
encore nombre de bons esprits, vient de ce que ce phénomène n'a été baptisé de
son nom qu'à l'occasion d'une de ses manifestations déjà tardives, la plus
retentissante, il est vrai, mais non pas, tant s'en faut, la plus proche de son
essence profonde. Je veux dire: la jeune littérature de 1830. Le Romantisme
enveloppe bien autre chose qu'une mode littéraire. Il est une révolution générale
de l'âme humaine. Cependant, longtemps avant l'apparition de ce substantif,
dont la forme annonce bien une sorte de nouveauté systématique, l'adjectif avait
joui, et particulièrement chez Rousseau lui-même, d'une certaine fortune
obscure et comme hésitante. "Romantique" se dit dans les Rêveries d'un
promeneur solitaire, et pareillement dans Obermann, d'un paysage de
montagnes où rien ne montre la main de l'homme, ni ne donne lieu à son
passage, et de la défaillance voluptueuse ou de l'exaltation vaine que ce
spectacle, selon qu'il est calme ou agité, communique, en se prolongeant, à une
sensibilité lyrique ; ces émotions, au dire de Senancour comme de Rousseau,
reportant celui qui sait les éprouver en deçà de la civilisation et le replaçant
dans la véritable disposition intellectuelle et morale de l'homme primitif." (p.15)

"Que demandent et que se flattent d'avoir réalisé sous le nom de "Romantisme"


les jeunes séides d'Hernani ? Affranchissement des règles et des traditions,
"liberté", c'est-à-dire spontanéité absolue, dans la création artistique, l'artiste
se mettant en présence de lui-même et de la nature et ignorant qu'il y ait eu un
art et des hommes avant lui. Le Romantisme, c'est donc le système de sentir, de
penser et d'agir conformément à la prétendue nature primitive de l'humanité.
C'est la prédication même de Jean-Jacques." (p.16)

"Le Romantisme est primitivement maladie. Cette maladie pourrit jusqu'au fond
la sensibilité, la volonté et l'intelligence de Jean-Jacques Rousseau." (p.18)

"Sans doute, c'est à la faveur de l'anarchie intellectuelle créée par les


démolitions des Encyclopédistes que le monstrueux paradoxe de Rousseau put
se faire prendre au sérieux. Mais ce paradoxe, outrage passionné au génie
scientifique et philosophique de l'humanité, avilissait la partie honorable de leur
doctrine, leur confiance au progrès de la condition et de la moralité humaines
par le progrès des lumières." (p.35)

"Parce qu'il y a des éducateurs formalistes, bornés et pédants, parce qu'il y a


des petits messieurs chez qui le bon ton a semé des ridicules, Jean-Jacques nie

791
l'éducation. Parce que certains maîtres, en se servant trop du ressort de la
crainte, rendent les enfants dissimulés, "les mensonges des enfants sont tous
l'ouvrage des maîtres". Parce que c'est l'art le plus rare que de savoir mettre un
principe à la portée du jeune âge, il ne faut lui inculquer aucun principe." (p.68)
-Pierre Lasserre, Le Romantisme français. Essai sur la révolution dans les
sentiments et les idées au XIXème siècle, Thèse présentée à la Faculté des lettres
de l'université de Paris, Paris, Société du Mercure de France, 1907, 547 pages.

« Le XVIIIème siècle avant Rousseau, c’est vraiment l’éclipse total du Soleil


noir de la Mélancolie. » -Denis de Rougemont, L’amour et l’Occident, Livre IV
« Le Mythe dans la Littérature », Plon, Bibliothèque 10/18, 1972 (1939 pour la
première édition), 445 pages, p.227.

« [Le terme de Romantique] ne devient d’usage que dans le dernier quart du


XVIIIème siècle, Rousseau l’ayant appliqué au lac de Bienne. » -Albert
Thibaudet, Histoire de la littérature française, Paris, CNRS Éditions, 2007
(1936 pour la première édition), 591 pages, p.146.

« Rousseau est l'auteur clé dans la genèse du romantisme français, car déjà au
milieu du XVIIIème siècle il a su articuler toute la vision du monde
romantique. » (p.78)

« Une forme de radicalisation des Lumières existe chez celui qui est
probablement le plus grand auteur romantique -de par la valeur et l'influence de
son œuvre- de cette époque des origines. Et il illustre en même temps la
juxtaposition des perspectives, car il y a des textes de Rousseau qui relèvent
surtout des Lumières. » (p.82)

-Michael Löwy & Robert Sayre, Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-


courant de la modernité, Éditions Payot, 1992, 303 pages.

« Si Rousseau est, comme nous verrons, un des premiers représentants de cette


sensibilité romantique révolutionnaire, on va la trouver également chez Schiller,
dans les premiers écrits républicains des romantiques allemands (Schlegel),
dans les poèmes de Hölderlin, Shelley et William Blake, dans les œuvres de
jeunesse de Coleridge, dans les romans de Victor Hugo, dans l’historiographie
de Michelet, dans le socialisme utopique de Fourier. On le retrouve aussi dans
les écrits de marxistes ou socialistes libertaires comme William Morris, Gustav
Landauer, Ernst Bloch, Henri Lefebvre, Walter Benjamin. Enfin, il marque de

792
son empreinte quelques-uns des principaux mouvements de révolte culturelle du
XXème siècle, comme l’expressionisme, le surréalisme et le situationnisme.

Qu’est-ce que le Discours de 1755 sinon un cri angoissé de révolte et


protestation contre la civilisation moderne ? Certes, Rousseau désigne, dans un
passage qui a la force prophétique d’une parabole vétérotestamentaire,
l’origine du mal dans un passé lointain: « Celui qui, ayant enclos un terrain,
s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouve des gens assez simples pour le croire,
fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres,
que de misères et d’horreurs n’eut point épargnés au genre humain celui qui,
arrachant les pieux ou comblant le fossé, eut crié à ses semblables : Gardez-vous
d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à
tous, et que la terre n’est à personne ». L’histoire du socialisme et de
l’anarchisme contient maintes proclamations contre la propriété privée: aucune
n’a la force concentrée, la puissance épique, la qualité d’indignation, de cette
célèbre ouverture de la seconde partie du Discours de 1755.

Certes, les maux – la propriété et l’inégalité – sont anciens, mais jamais ils
n’ont atteint de telles proportions avant la société « civilisé » moderne. Même
s’il parle d’ « origine », c’est bien sa propre époque -celle où le capitalisme fait
de l’inégalité entre riches et pauvres l’axe central de la hiérarchie sociale– qu’il
dénonce avec une rage qui n’a rien perdu de son actualité deux siècles et demi
plus tard : « Telle fut, ou dut être, l’origine de la société et des lois, qui
donnèrent de nouvelles entraves au faibles et de nouvelles forces aux riches,
détruisirent sans retour la liberté naturelle, fixèrent pour jamais la loi de la
propriété et de l’inégalité, d’une adroite usurpation firent un droit irrévocable, et
pour le profit de quelques ambitieux assujettirent désormais tout le genre
humain au travail, à la servitude et à misère. » Plus explicite encore, en termes
de modernité, est la note IX qui s’attaque à la naissante industrie minière et
chimique, aux « métiers malsain qui abrègent les jours ou détruisent le
tempérament ; tels que sont les travaux des mines, les diverses préparations des
métaux, des minéraux, surtout du plomb, du cuivre, du mercure, du cobalt, de
l’arsenic, du réalgar ; ces autres métiers périlleux qui coûtent tous les jours la
vie à quantité d’ouvriers, les uns couvreurs, d’autres charpentiers, d’autres
maçons, d’autres travaillant aux carrières. » Ce qui importe, dans cette
production, c’est le prix, le profit, le lucre: « Du même principe on peut tirer
cette règle, qu’en général les arts sont lucratifs en raison inverse de leur utilité et
que les plus nécessaires doivent enfin devenir les plus négligés. Par où l’on voit
793
ce qu’il faut penser des vrais avantages de l’industrie et de l’effet réel qui résulte
de ses progrès ». La dernière phrase du Discours est elle aussi sans équivoque :
il s’agit de l’inégalité qui règne -en 1755– « parmi tous les peuples policés » : «
une poignée de gens regorge de superfluités, tandis que la multitude affamée
manque de nécessaire ».

On trouve ici, parfaitement à contre-courant de l’optimisme des philosophies du


progrès propres aux Lumières, une première intuition de la dialectique du
progrès, une vision critique, du point de vue de ses victimes -ouvriers, artisans,
paysans– du développement des « arts et industries » du capitalisme naissant.
Bien entendu, la critique de Rousseau ne concerne pas seulement cet aspect
socio-économique: c’est tout l’ethos de la civilisation moderne, son vide moral
et son inhumanité qui sont dénoncés: « au milieu de tant de philosophie,
d’humanité, de politesse et de maximes sublimes, nous n’avons qu’un extérieur
trompeur et frivole, de l’honneur sans vertu, de la raison sans sagesse, et du
plaisir sans bonheur ».

Des éminents spécialistes de Rousseau rappelleront que l’auteur du Discours a


changé d’avis, que dans d’autres écrits il défend la propriété privée, et avance
des propositions prudentes de réforme institutionnelle. Il n’importe: le texte du
Discours de 1755 existe, il est inscrit sur le marbre de la culture libertaire, et il
n’a pas cessé d’exercer des effets subversifs au cours de l’histoire.

Cette protestation, cette critique, sont romantiques parce qu’ils se réfèrent à un


passé prémoderne -réel ou imaginaire, peu importe, sans doute idéalisé– celui
de l’homme « naturel » ou même « barbare » qui « ne plie point sa tête au joug
que l’homme civilisé porte sans murmure » ; tandis que l’homme sauvage « ne
respire que le repos et la liberté », le civilisé « sue, s’agite (…) travaille jusqu’à
sa mort ». Contrairement aux romantiques réactionnaires, qui, dans les
décennies suivantes, vont entretenir la nostalgie du Moyen-Age aristocratique,
chrétien et monarchique, Rousseau va s’inspirer d’un univers primitif libre et
égalitaire. N’est-ce pas ce que feront les socialistes ou communistes des siècles
suivants, en se référant au « communisme primitif » ?

Dans quel sens cette critique est-elle « révolutionnaire » ? Tout d’abord,


contrairement aux romantiques rétrogrades, Rousseau n’est pas du tout un
avocat du retour au passé. Contrairement à la facile plaisanterie de Voltaire, il
ne propose nullement que l’humanité « recommence à marcher à quatre pattes ».

794
Il n’est pas question, explique la note IX, de « retourner vivre dans les forêts
avec les ours ». S’il refuse une impossible régression, le Discours de 1755 ne
propose pas, pour autant, une alternative. Il est cependant intéressant de noter
que dans certains passages, il se réfère à la démocratie comme la forme de
gouvernement des peuples « qui s’étaient le moins éloignés de l’état de nature »
et où l’inégalité des fortunes était moindre. Ce n’est pas le cas de la monarchie
ou de l’aristocratie. « Le temps vérifia laquelle de ces formes était la plus
avantageuse. Les uns restèrent uniquement soumis aux lois, les autres obéirent
bientôt à des maîtres. (…) en un mot, d’un côté furent les richesses et les
conquêtes, et de l’autre le bonheur et la vertu ». Ce clair plaidoyer pour la
démocratie était assez rare en 1755 et sans doute (implicitement)
révolutionnaire dans le contexte absolutiste de l’époque.

Il n’est pas question, bien entendu, d’une révolution dans le Discours sur
l’origine de l’inégalité ; ce qui est révolutionnaire dans ce document c’est, avant
tout, la critique impitoyable de l’inégalité sociale, et du pouvoir exorbitant de
l’oligarchie des riches. Les révolutionnaires de 1789-94 ne se sont pas trompés,
qui ont fait de Jean-Jacques leur héros, leur inspirateur et leur prophète.

Le Discours de 1755 ouvre un nouveau chapitre dans l’histoire de la culture


humaine, le chapitre du romantisme (révolutionnaire) ; s’il coule encore, ce
merveilleux et rafraichissant ruisseau, c’est la faute à Rousseau. » -Michael
Löwy, Rousseau et le romantisme, 5 mai 2012 :
https://blogs.mediapart.fr/michael-lowy/blog/050512/rousseau-et-le-romantisme

« Rousseau fut le premier critique moderne du projet moderne fondamental (la


conquête de la nature par l’homme en vue de l’amélioration de l’homme) et, ce
faisant, il établit les fondements de la distinction, tellement décisive pour la
pensée allemande, entre la civilisation et la culture. […] Mais Rousseau ne
prépara pas seulement la Révolution française et la philosophie classique
allemande, mais également cette réaction extrême à la Révolution Française
que constitue le romantisme allemand. » -Leo Strauss, Le libéralisme antique et
moderne, PUF, coll. Politique d’aujourd’hui, 1990 (1968 pour la première
édition américaine), 390 pages, p.325.

« Dans la Profession de foi du vicaire savoyard, Jean-Jacques exprime sa


sympathie pour le peuple juif et dénonce le sort qui leur est réservé en Europe.
C’est sans doute la raison pour laquelle Rousseau influença de façon non

795
négligeable le courant de la Haskalah, les Lumières juives. Sa conclusion
témoigne d’une profonde intelligence géo-politique et d’une grande honnêteté :
pour entendre la parole des juifs, encore faut-il qu’ils puissent la prendre
librement dans des états dominés par la religion chrétienne. Ce que Rousseau
juge impossible :

« Si quelqu’un osait publier parmi nous des livres où l’on favoriserait


ouvertement le Judaïsme, nous punirions l’Auteur, l’Editeur, le libraire. Cette
police est commode et sûre pour avoir toujours raison. Il y a plaisir à réfuter des
gens qui n’osent parler. »

La solution préconisée est la constitution d’un état juif qui mettrait ses habitants
à l’abri des persécutions :

« Je ne croirai jamais avoir bien entendu les raisons des Juifs, qu’ils n’aient un
Etat libre, des écoles, des universités où ils puissent parler et disputer sans
risques. Alors, seulement, nous pourrons savoir ce qu’ils ont à dire. »

Le prophétisme de Rousseau a fait ses preuves au vingtième siècle et la


modernité du philosophe force l’admiration.

A l’encontre de Voltaire qui ridiculise le peuple hébreu, Rousseau, dans le


Contrat social, au chapitre VII du livre II, rend hommage à la loi hébraïque qui
a su imposer une structure politique à son peuple et à ses descendants grâce à
la force de la foi divine :

« La grande âme du législateur est le vrai miracle qui doit prouver sa mission.
De vains prestiges forment un lien passager, il n’y a que la sagesse qui le rende
durable. La loi judaïque toujours subsistante, celle de l’enfant d’Ismaël qui
depuis dix siècles régit la moitié du monde, annoncent encore aujourd’hui les
grands hommes qui les ont dictées ; et tandis que l’orgueilleuse philosophie ou
l’aveugle esprit de parti ne voit en eux que d’heureux imposteurs, le vrai
politique admire dans leurs institutions ce grand et puissant génie qui préside
aux établissements durables.

Il ne faut pas de tout ceci conclure […] que la politique et la religion aient parmi
nous un objet commun, mais que dans l’origine des nations l’une sert
d’instrument à l’autre. » […]

796
Dans les Fragments politiques publiés en partie par Streckeisen-Moultou en
1861, dont Robert Derathé a donné une édition plus complète dans la Pléiade,
Rousseau ne cache pas sa profonde admiration pour le peuple juif qui offre ce «
spectacle étonnant et vraiment unique d’un peuple expatrié n’ayant plus ni lieu
ni terre depuis près de deux mille ans, un peuple altéré, chargé, mêlé d’étrangers
depuis plus de temps encore, […] un peuple épars, dispersé sur la terre, asservi,
persécuté, méprisé de toutes les nations, conserver pourtant ses coutumes, ses
lois, ses moeurs, son amour patriotique et sa première union sociale quand tous
les liens en paraissent rompus. [...] Quelle doit être la force d’une législation
capable d’opérer de pareils prodiges ». Dans le chapitre « De la religion civile
», au livre IV du Contrat contredisant une fois de plus Voltaire qui n’a de cesse
de pourfendre le fanatisme juif, Rousseau affirme la tolérance du peuple hébreu
à l’égard de ses voisins :

« Que si l’on me demande comment dans le paganisme où chaque Etat avait son
culte et ses Dieux il n’y avait point de guerres de Religion ? Je réponds que
c’était par cela-même que chaque Etat ayant son culte propre aussi bien que son
Gouvernement, ne distinguait point ses Dieux de ses lois. La guerre politique
était aussi Théologique : les départements des Dieux étaient, pour ainsi dire,
fixés par les bornes des Nations. Les Dieux des payens n’étaient point des Dieux
jaloux ; ils partageaient entre eux l’empire du monde : Moïse et le Peuple
Hébreu se prêtaient quelquefois à cette idée en parlant du Dieu d’Israël. Ils
regardaient, il est vrai, comme nuls les Dieux des Cananéens, peuples proscrits,
voués à la destruction […] ; mais voyez comment ils parlaient des divinités des
peuples voisins qu’il leur était défendu d’attaquer ! La possession de ce qui
appartient à Chamos votre Dieu, disait Jephté aux Ammonites, ne vous-est-elle
pas légitimement due ? Nous possédons au même titre les terres que notre Dieu
vainqueur s’est acquises. ». » […]

Pour Rousseau, l’antijudaïsme est contraire à la parole du Christ, la seule qui


lui importe.

Par delà son sentiment religieux, Rousseau porte un vif intérêt à l’histoire des
Hébreux considérée sous un angle politique. » - Pascale Pellerin, Rousseau et la
question juive sous l’Occupation, http://rousseaustudies.free.fr, p.7-9.

« Rousseau, qui connaissait le TTP et dont la parenté avec Spinoza va bien au-
delà de quelques idées fondamentales. » -Manfred Walther, La doctrine

797
politique de Spinoza. La (re)découverte de la philosophie politique de Spinoza
par Adolf Menzel, in André Tosel, Pierre-François Moreau et Jean Salem (dir.),
Spinoza au XIXème siècle, Éditions de la Sorbonne, 2008, 494 pages.

« «L'homme est né libre, et partout il est dans les fers.» Selon cette conception
romantique de la liberté, chaque être humain est doté d'un Soi pur et
authentique, et il suffit de le déployer pour réaliser pleinement son potentiel.
Pour Rousseau, l'homme, quand il n'est pas perverti par la société, peut devenir
un sujet responsable, libre et moral. » -Carlo Strenger, Entretien avec Alexandre
Devecchio, http://www.lefigaro.fr, 20/02/2018.

"Le Contrat social en particulier s'appuie sur les bases établies dans le Discours
sur l'inégalité." -Leo Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion,
Champ.essais, 1986 (1954 pour la première édition française, 1953 pour la
première édition états-unienne), 324 pages, p.229.

"La haute culture moderne repose [...] sur un principe si fragile qu'il fut
fatalement appelé à destituer l'idéal ancien tout en croyant le reconduire. En
effet, tandis que l'esprit à proprement parler classique se définissait par la
subordination de la matière à la forme ou à la règle, on peut déceler dans la
reprise du même idéal une tendance qui, dès le XVIe siècle, a progressivement
déréglé l'idéal de haute culture. Dans l'esprit rigoureusement classique, la
subjectivité se subordonne elle-même à la règle et à la recherche des formes ;
dans le cadre des oeuvres de l'esprit, l'auteur et le "récepteur" de l'oeuvre (le
lecteur, le spectacteur, l'auditeur) acceptent temporairement la rude discipline
que leur impose le travail de l'oeuvre. En revanche, l'esprit moderne a
subordonné cette discipline à la "culture de soi", les oeuvres de l'esprit étant
supposées révéler ou nourrir la subjectivité de leur auteur ou de leurs
récepteurs. Paradoxalement, l'émergence de la subjectivité dans le processus du
travail culturel peut apparaître à la fois comme un principe par lesquels l'idéal
ancien de haute culture s'est acclimaté au monde moderne, et une des causes de
sa destruction. On le voit avec l'oeuvre de Rousseau, qu'il est intéressant
d'ajouter à celle de Machiavel et de Montaigne pour saisir la relation entre
classicisme et anticlassicisme qui se trouve au coeur de la culture européenne.
Le penseur genevois a en effet infléchi la culture des classiques dans le sens de
l'éveil de la subjectivité à sa propre sensibilité, ainsi qu'on le voit nettement
dans Émile: le traité de pédagogie repose sur une anthropologie qui
subordonne l'acquisition des règles et la discipline imposée par les oeuvres aux
798
poussées de la nature et au "développement personnel". Il a donc tourné vers
quelque chose de purement subjectif ce qui ne se concevait pas auparavant de
cette manière ; à ce titre, Rousseau est un des précurseurs de la "culture de soi",
typique de la Modernité, qui a en quelque sorte attaqué de l'intérieur l'idéal de
la culture classique." (p.62-63)

"L’œuvre de Plutarque n'a pas été composée dans le but d'éveiller Émile à sa
propre subjectivité, ni pour qu'il réussisse à vivre heureux en fonction de sa
sensibilité, mais en vue de donner à comprendre ce qu'est une idéal de grandeur
civique et éthique. Or c'est bien dans une telle perspective que Rousseau en
recommande la lecture à Émile." (p.64-65)
-Thierry Ménissier, Machiavel ou la politique du centaure, Hermann Éditeurs,
coll. Hermann Philosophie, 2010, 547 pages.

« Rousseau est « progressiste », disons-nous, parce qu’il a la vision du devenir


historique et des déterminations naturelles et techniques qui font avancer
l’histoire (la propriété, l’habitat, l’outil, voir les deux discours à ce sujet),
inexistante chez Voltaire. Il y a chez lui une sorte de loi des trois états : l’âge
d’innocence ou l’étape présociale, l’âge de déchéance ou l’étape sociale
actuelle et l’âge de restauration, celui du contrat social. Il est progressiste là où
pose en totalité la Nature, avec laquelle l’homme doit chercher l’harmonie et la
réconciliation, alors que pour les philosophes n’existe pas cette opposition
dramatique entre l’homme et le monde. Il est progressiste là où il rétablit l’unité
humaine, ce qu’il appelle la « conscience », parce que toute entreprise
révolutionnaire ne peut se faire que sur une religion de l’homme, c’est-à-dire un
humanisme. Il est progressiste là où il est moral, c’est-à-dire dressé de toute sa
colère contre l’effroyable hypocrisie des salons, des gens en place, des
arrivistes, c’est-à-dire le caractère odieux de la société du XVIIIème siècle. » -
Edgar Morin, « Un citoyen du XXe siècle, Jean-Jacques Rousseau », Lettres
françaises. 1er janvier 1948, p. 5.

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799
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Vincent/dp/2841742245/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1466443932&sr=8-
1&keywords=L-Vincent-Jean-jacques-rousseau-l-individu-et-la-republique

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Le Préromantisme : https://www.amazon.fr/preromantisme-fran%C3%A7ais-
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801
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16&keywords=pr%C3%A9romantisme

https://www.amazon.fr/pr%C3%A9romantisme-hypoth%C3%A8que-
hypoth%C3%A8se-Paul-
Viallaneix/dp/2252017481/ref=sr_1_6?ie=UTF8&qid=1466443697&sr=8-
6&keywords=pr%C3%A9romantisme

Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814) : « Les Confessions


(1765) comme les Rêveries (1776) incluent désormais systématiquement la
montagne dans l'univers mental et sentimental du philosophe genevois ;
pareillement, son disciple Bernardin de Saint-Pierre. » (p.208)

« Ces deux formes diversifiées d'un pan-naturalisme aux dimensions


explicitement égotistes pour le premier, ou plus généralement hédonistes et
humanitaires chez le second dépendent encore d'une poétique de l'imaginaire où
le sentir domine et où l'imagination l'emporte sur le voir. Qu'il suffise de
rappeler encore brièvement l'adage rousseauiste des Confessions (livre III): "Je
sens tout et ne vois rien" [...] ; de rappeler également la défiance de Bernardin de
Saint-Pierre à l'égard de la raison niveleuse au profit du sentiment intime "qui ne
nous trompe jamais " (Etude I) ; il y a là tout un filon idéologique que le
Romantisme fera sien, enrichira et modifiera: "l'homme est né pour sentir",
souligne Lamartine au livre II de son Nouveau voyage en Orient [...]
Empêchent encore d'apprendre à considérer la montagne dans sa réalité
objective, au point d'en interdire une désignation précise et détaillée. » (p.209)

« Chez Rousseau comme chez Bernardin de Saint-Pierre, même préoccupation


première de son propre Moi, même conception d'une montagne prétexte à
élévation morale, à enrichissement psychologique, à médiation philosophique :
en d'autres termes, une montagne qui n'est que la forme extérieure, ou
l'invitation au dépassement de soi. » (p.212)

-Jean Lacroix, "L'évolution du sentiment de la montagne dans la littérature, des


Lumières au Romantisme", Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale
d’ethnologie, Année 1988, 16-1-2, pp. 205-224.

David Hume (1711-1776): « Le Paradis et l’Enfer supposent deux espèces


distinctes d'hommes, une bonne et une mauvaise. Mais la plus grande partie de
l'humanité flotte entre le vice et la vertu. » -David Hume.

802
« Je ne puis accepter le sens que vous donnez au mot naturel. Il est fondé sur les
causes finales, ce qui est une considération qui me paraît assez incertaine et peu
philosophique. Car, je vous prie, quelle est la fin de l’homme ? Est-il crée pour
la vertu ou pour le bonheur ? Pour cette vie ou pour la suivante ? Pour lui-
même ou pour son auteur ? Votre définition du mot naturel dépend de la
solution de ces questions qui sont sans issue et hors de mon dessein. » -David
Hume, Lettre à Hutcheson, 17 septembre 1739.

« Si une passion ne se fonde pas sur une fausse supposition et si elle ne choisit
pas des moyens impropres à atteindre la fin, l’entendement ne peut ni la
justifier, ni la condamner. Il n’est pas contraire à la raison de préférer la
destruction du monde entier à une égratignure de mon petit doigt ; Il n’est pas
contraire à la raison que je choisisse de me ruiner complètement pour prévenir
le moindre malaise d’un Indien ou d’une personne complètement inconnue de
moi. Il est aussi peu contraire à la raison de préférer à mon plus grand bien
propre un bien reconnu moindre et d’aimer plus ardemment celui-ci que celui-
là. Un bien banal peut, en raison de certaines circonstances, produire un désir
supérieur à celui qui naît du plaisir le plus grand et le plus estimable ; et il n’y a
là rien de plus extraordinaire que de voir, en mécanique, un poids d’une livre en
soulever un autre de cent livres grâce à l’avantage de sa situation. … Bref, une
passion doit s’accompagner de quelque faux jugement pour être déraisonnable ;
mais alors ce n’est pas la passion qui est déraisonnable, c’est le jugement. » -
David Hume, Traité de la nature humaine, Tome I, 1739, p.526.

« Pour ce qui est de mes opinions, vous savez que je ne défends aucune d’entre
elles de manière absolue ; je propose seulement mes doutes, là où je suis assez
infortuné pour ne pas partager la même conviction que le reste de l’humanité. »
-David Hume, Lettre à Millar, 3 septembre 1757.

« Il n’est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à


une égratignure à mon doigt. » -David Hume, Traité de la nature humaine, II, 3,
3, p.525.

« Nous devons chercher les règles qui sont, dans l'ensemble, les plus utiles et les
plus bénéfiques [...] le point ultime vers lequel ces règles doivent toutes tendre,
c'est l'intérêt et le bonheur de la société [...] même dans la vie de tous les jours,
nous avons recours constamment au principe d'utilité publique. » -David Hume,

803
An Enquiry Concerning the Principles of Morals, 1751, dans Enquiries,
Clarendon-Oxford University Press, Oxford, 1992, p. 195, 198 et 203.

« Même dans des cas d'urgence moins pressante, l'autorité publique ouvre les
greniers sans le consentement des propriétaires, supposant à juste titre que
l'autorité des magistrats peut, en toute équité, s'étendre jusque-là. » (ibidem, pp.
186-187).

« David Hume, le penseur le plus puissant du libéralisme. » -Pierre-Yves


Rougeyron, L'Homme sans liens, 1 mai 2017.

« La principale utilité de l’histoire consiste à découvrir les principes constants


et universels de la nature de l’homme, considérée dans tous les états et dans
toutes les situations de la vie ; c’est elle qui nous fournit les matériaux d’où
nous tirons nos remarques sur les ressorts réglés des actions humaines.

Ces récits de guerre, d’intrigues, de factions et de révolutions sont autant de


recueils d’expériences qui servent au politique et au philosophe moral à établir
les principes de leurs doctrines, de la même façon que le physicien, le
naturaliste apprend à connaître la nature des plantes, des minéraux et des
autres objets. » -David Hume, Essais sur l’entendement humain, VIII, p.152.

« L’esprit du peuple doit être stimulé souvent pour réfréner les ambitions de la
cour, et la seule crainte qu’il ne soit pas stimulé doit être entretenue pour
prévenir de telles ambitions. Rien ne remplit mieux ce rôle qu’une presse libre,
grâce à laquelle tout le savoir, tout l’esprit et tout le génie de notre nation
peuvent être mis au service de la liberté, et chacun s’employer à sa défense.
Tant que l’élément républicain de notre gouvernement saura se maintenir contre
l’élement monarchique, il veillera donc naturellement à encourager la liberté de
la presse, si essentiellle à sa propre préservation. » (De la liberté de la presse,
p.123)

« Dans un gouvernement [monarchique] électif, la succession au trône est une


question dont l’intérêt est trop grand et trop général pour ne pas diviser tout le
peuple en factions, si bien qu’à chaque vacance on peut redouter une guerre
civile, qui est le pire des maux. » ((La politique peut-elle être réduite à une
science ?, 1741) (p.134)

« Pour ma part, je serais toujours plus porté à promouvoir la modération que le


zèle, même si la meilleure façon d’inspirer de la modération aux membres de
804
chaque parti est sans doute d’accroître le zèle de chacun pour le public. […]
Mais que cette modération n’étouffe en rien l’industrie et la passion avec
lesquelles chaque individu se doit de poursuivre le bien de son pays. » (p.142-
143)

« Rien ne paraît plus surprenant à ceux qui observent les affaires humaines d’un
œil philosophique que la facilité avec laquelle le grand nombre est gouverné par
le petit, et la soumission tacite avec laquelle les hommes sacrifient leurs propres
sentiments et leurs propres passions à celles de leurs chefs. Si l’on cherche
comment de tels prodigues s’accomplissent, on trouve que puisque la force est
toujours du côté des gouvernés, les gouvernents ne peuvent s’appuyer sur rien
d’autre que l’opinion. C’est donc sur l’opinion seule que se fonde le
gouvernement. Une telle maxime s’applique tant aux gouvernements les plus
despotiques et les plus militaires qu’aux gouvernements les plus libres et les
plus populaires. » (Des principes premiers du gouvernement, 1741) (p.147)

« Avant le siècle dernier, le commerce n’était jamais tenu pour une affaire
d’Etat : c’est à peine si l’on trouve un seul auteur politique de l’Antiquité qui en
fasse mention. » (De la liberté civile, 1741) (p.228)

« C’est la France qui offre l’exemple le plus remarquable de l’épanouissement


du savoir sous un gouvernement absolu. Bien que ce pays n’ait jamais bénéficié
d’une liberté établie, il a porté les arts et les sciences à un degré de perfection
aussi élevé que n’importe quelle autre nation. Les Anglais sont peut-être de plus
grads philosophes, les Italiens de meilleurs peintres et de meilleurs musiciens,
les Romains furent des orateurs plus éloquents, mais les Français sont le seul
peuple, à l’exception des Grecs, à avoir produit à la fois des philosophes, des
poètes, des orateurs, des historiens, des peintres, des architectes, des sculpteurs
et des musiciens. En matière de théatre, ils surpassent même les Grecs, qui sont
eux-mêmes bien meilleurs que les Anglais. Et pour ce qui touche à la vie
commune, ils ont dans une large mesure porté à la perfection l’art le plus utile
et le plus agréable de tous, l’Art de Vivre, c’est-à-dire l’art de la société et de la
conversation. » (De la liberté civile, 1741) (p.231)

« On peut aujourd’hui appliquer aux monarchies civilisées l’éloge que l’on


faisait autrefois des seules républiques : ce sont des gouvernements régis par les
lois et non par les hommes. […] Il faut pourtant convenir que bien que les
gouvernements monarchiques se soient approchés des gouvernements

805
populaires par leur douceur et par leur stabilité, ils ne les égalent pas encore. »
(p.234-235)

« La quasi-totalité des gouvernements en place à l’heure actuelle, ou dont il


subsiste quelque trace dans l’histoire, ont eu pour fondement originel soit
l’usurpation, soit la conquête, soit les deux, sans prétendre au juste
consentement ni à la sujétion volontaire du peuple. Lorsqu’un homme habile et
audacieux prend la tête d’une armée ou d’une faction, il lui est aisé, en
employant parfois la violence, parfois des arguments fallacieux, d’établir sa
domination sur une population même cent fois plus nombreuse que ses
partisans : ayant eu soin d’interdire toute communication ouverte permettant à
ses ennemis de connaître le nombre ou la puissance de ses partisans, il ne leur
laisse pas le loisir de s’unir pour former un corps ennemi. Et si ceux-là qui ont
servi à son usurpation viennent à désirer sa chute, l’ignorance où sont les uns
des intentions des autres les maintiendra dans une crainte respectueuse, et
constituera la seule raison de sa sûreté. C’est par de tels artifices que nombre
de gouvernements ont été établis ; et c’est là le seul contrat originel dont ils
puissent s’enorgueillir.

[…] Que décèle-t-on dans tous ces événements, sinon la force et la violence ?
Où donc est l’accord mutuel et l’association volontaire dont on parle tant ? »
(Du contrat originel, 1748) (p.367-368)

« Mon intention ici n’est pas de nier que le consentement populaire puisse
constituer l’un des fondements légitimes du gouvernement, quand il est exercé :
c’est sûrement le meilleur et le plus sacré d’entre tous. J’avance simplement
qu’il n’est exercé que fort rarement à un degré quelconque et presque jamais de
façon complète, et qu’il faut donc admettre que le gouvernement puisse avoir un
autre fondement.

Si les hommes avaient eu de la justice un respect assez inflexible pour s’abstenir


par eux-mêmes de porter atteinte à la propriété d’autrui, ils seraient demeurés
pour toujours dans un état de liberté absolue, sans sujétion au magistrat ni à la
société civile ; mais c’est là un état de perfection dont la nature humaine est
jugée à juste titre incapable. De même, si tous les hommes avaient
l’entendement assez parfait pour connaître toujours leur propre intérêt, ils ne se
soumettraient jamais qu’à des formes de gouvernement établies par
consentement et minitieusement examinées par tous les membres de la société ;

806
mais cet état de perfection est là encore bien supérieur à la nature humaine. »
(p.370-371)

« Si l’on demande à la raison pour quoi nous sommes obligés d’obéir au


gouvernement, je répondrai sans hésiter : parce que sans cette obéissance la
société ne pourrait subsister. » (p.379)

« C’est sur l’intérêt et les nécessités de la société que se fonde l’obligation


générale qui nous lie au gouvernement, et c’est là une obligation très forte ;
déterminer quel prince particulier ou quelle forme partiulière de gouvernement
nous oblige est une question souvent plus incertaine et plus douteuse. » (p.383)

« Un gouvernement établi possède un avantage infini par cela même qu’il est
établi, car le gros de l’humanité est gouverné par l’autorité plus que par la
raison, et ne reconnaît d’autorité qu’à ce qui se recommande de l’ancienneté.
C’est pourquoi le rôle d’un sage magistrat ne sera jamais d’interférer dans ces
matières, ni de tenter des expériences sur la seule foi d’arguments supposés ou
d’une prétendue philosophie ; il s’inclinera au contraire devant ce qui porte
l’empreinte du temps, et s’il peut essayer d’introduire certaines améliorations
pour le bien public, il ajustera toujours ses innovations, autant que faire se peut,
à l’ancien édifice, et conservera dans leur intégrité les principaux piliers et
fondements de la constitution. » (p.640-641)

« Le gouvernement que l’on qualifie communément de libre est celui qui admet
une division du pouvoir entre plusieurs organes dont l’autorité conjointe n’est
pas moindre que celle d’un monarque –et la surpasse même communément-
mais qui doit, dans le cours ordinaire de l’administration, agir par des lois
générales et égales, connues par avance de tous ces organes et de tous leurs
sujets. En ce sens, il faut avouer que la liberté est la perfection de la société
civile, tout en reconnaissant que l’autorité est essentielle à son existence. » (De
l’origine du gouvernement, 1777) (p.740)

-David Hume, Essais moraux, politiques et littéraires, et autres essais, PUF,


coll. « Perspectives anglo-saxonnes », trad. Gilles Robel, 2001, 874 pages.

« Puisqu'il est impossible de nier que certaines formes de gouvernement sont


meilleures (more perfeet) que d'autres ... pourquoi ne pourrions-nous pas nous
interroger pour savoir laquelle est la meilleure de toutes (the most perfeet of all)
[...] c'est indiscutablement avantageux de connaître ce qui est le plus parfait

807
dans son genre, de manière à transformer la constitution ou la forme de
gouvernement existants et de les rapprocher de cette perfection par des réformes
et des modifications progressives qui ne provoquent pas de trop grandes
perturbations. » -David Hume, « Idea of a Perfect Commonwealth », dans
Essays, Moral Political and Literary, Liberty Fund, Indianapolis, 1987, p. 513-
514.

« Hume (auteur par trop négligé au nom d’une sotte conception mélioriste de
l’histoire de la philosophie qui réduit le rôle de Hume à celui d’éveilleur de
Kant). » -Michel Kail et Richard Sobel, « Le marxisme est un humanisme », Les
Temps Modernes 4/2005 (n° 632-633-634), p. 505-521.

« D. Hume, plus âgé que Smith, plus occupé de philosophie que d’économie
politique, lui sert de mentor, l’encourage au travail, lui fournit les documents
qu’il n’a pas le temps d’utiliser lui-même, discute avec lui et forme
véritablement son esprit. Nous étudierons donc ensemble Hume et Smith en les
complétant l’un par l’autre. La similitude parfaite de leurs deux systèmes est
incontestable et n’a pas lieu de surprendre : A. Smith a mis en forme et
développé, comme elle le méritait, l’œuvre économique ébauchée par Hume. »

-Albert Schatz, L’individualisme économique et social, Institut Coppet, 2012


(1907 pour la première édition), p.68.

« Il peut être permis d’ajouter qu’à nous aussi le point de vue de Hume [sur la
causalité] semble être le seul qui puisse résister à toutes les attaques de la
critique. » -Moritz Schlick, Naturphilosophie, 1925.

“He is a very profound and great philosopher, in spite of his sophistry.” -G. E.
M. Anscombe, Modern Moral Philosophy, Philosophy 33, No. 124 (January
1958).

"If it were possible for an animal to describe the content of his consciousness,
the result would be a transcript of Hume's philosophy. Hume's conclusions
would be the conclusions of a consciousness limited to the perceptual level of
awareness, passively reacting to the experience of immediate concretes, with no
capacity to form abstractions, to integrate perceptions into concepts, waiting in
vain for the appearance of an object labeled "causality" (except that such a
consciousness would not be able to draw conclusions)." -Ayn Rand, For the new

808
intellectual, Signet, 1963 (1961 pour la première édition américaine), 216 pages,
p.26.

"Les idées politiques de Hume s'ajustent singulièrement à celles de Voltaire:


scepticisme, conformisme, tendance à favoriser le développement du pouvoir
absolu." (p.22)

"La tendance de Hume à faire intervenir l'Etat dans les relations économiques a
été justement notée par Espinas, Histoire des doctrines économiques." (note 1
p.24)

-Henry Michel, L'idée de l'Etat: essai critique sur les théories sociales et
politique en France depuis la Révolution, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1896,
666 pages.

"C'est à dissiper ces incohérences de Berkeley que s'attachait David Hume dans
son Traité de la nature humaine." (p.51)

« Avec Hume naissait une attitude parfaitement satisfaite de l’ordre social tel
qu’il existait. » (p.72)

-Maurice Cornforth, L'idéologie anglaise. De l'empirisme au positivisme


logique, Éditions Delga, 2010 (traduction de la première partie de Marxism and
the Linguistic Philosophy, 1965 pour la première édition anglaise), 221 pages.

“As to the Original Contract… this chimera [has] been demolished by Mr.
Hume. I think we hear not so much of it now as formerly.” –Jeremy Bentham,
Comment on the Commentaries and A Fragment on Government, ed J. H. Burns
and H. L. A. Hart, London, 1977 (The Collected Works of Jeremy Bentham),
ch. 1, § 36, p.439.

"Hume est [...] un terminaliste (nominaliste) convaincu. [...]


En argumentant contre les idées abstraites, Hume confond les concepts
proprement dits et les images, soit perceptives soit dues à la mémoire sensitive
ou à l'imagination, qui les accompagnent. Aussi est-il convaincu d'avoir prouvé
que les concepts (les idées abstraites selon son expression) n'existent pas, parce
qu'il a réellement démontré, ce que personne ne contestera, que les images en
question sont singulières et non pas universelles." (p.19)

809
"La "vrai métaphysique" de Hume, c'est-à-dire sa critique de l'entendement est
désespérément simpliste pour ne pas dire grossière."(p.21)

-Georges Kalinowski, L'impossible métaphysique, Paris, Beauchesne, 1981, 257


pages.

« Dans les moments où Hume parvient à être un peu conséquent, il tombe dans
le paradoxe. » -Bertrand Russell, Histoire de la philosophie occidentale, en
relation avec les événements politiques et sociaux de l'Antiquité jusqu'à nos
jours, Livre Troisième, Paris, Les Belles Lettres, 2011 (1945 pour la première
édition américaine), 1006 pages, p.701.

« Le principe suivant lequel on doit respecter le gouvernement établi n'annule


pas le droit de résistance. » -Dider Deleule, Hume et la naissance du libéralisme
économique, Paris, Éditions Aubier Montaigne, 1979, 417 pages, p.332.

http://academienouvelle.forumactif.org/t562-david-hume-oeuvres-
completes#6765

http://hydra.forumactif.org/t1145-jean-pierre-clero-hume-une-philosophie-des-
contradictions-regards-sur-l-individu#1779

https://www.amazon.fr/TRAITE-NATURE-HUMAINE-Livre-
morale/dp/2080707027/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=51J4CK8HR4L&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR96%2C160_&psc=1&refRID=9Z3EXWTP
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James Denham-Steuart (1712-1780) : « Stewart, bien que n'étant pas membre


de l'école historique anglaise, développe une thèse analogue dans sa Recherche
des principes de l'économie politique. C'est à partir de l'économie qu'il tente de
comprendre les différentes formes de régime politique. C'est dans cette mesure
qu'il est amené à rejeter la théorie du contrat primitif comme inopérante. Pour
Stewart, en effet, le contrat primitif, qu'il soit tacite ou explicite, impliquerait
logiquement une similitude des différentes formes de gouvernement. Or, il
constate que tel n'est pas le cas. Il est ainsi amené à introduire une lecture
historique de la politique ; dimension historique qui était pratiquement niée par
la réduction de l'histoire aux deux grandes phases étales de l'état de nature et de
la société civile dans la théorie politique dominante de son temps. Dans un très
pénétrant chapitre de sa Recherche, il développe ainsi toute une théorie
historique de J'évolution des régimes politiques à partir d'une analyse des
810
structures économiques. Il montre comment les différentes formes de
subordination politique peuvent s'expliquer à partir des différents modes de
dépendance économique en distinguant quatre principaux types de dépendance :
la dépendance d'un autre pour la conservation de sa propre vie; la dépendance
d'un autre pour toute sa subsistance; la dépendance d'un autre pour les moyens
de gagner sa subsistance; la dépendance vis-à-vis de la vente du produit de sa
propre industrie. A chacun de ces types correspond un rapport social particulier
(maître/esclave ; parent/enfant ; laboureur/seigneur féodal ; manufacturier/
patron) et une forme spécifique de gouvernement politique (esclavagiste,
patriarcal, féodal, démocratique). Stewart comprend ainsi économiquement
l'apparition du sujet comme catégorie politique. La liberté moderne n'est à ses
yeux qu'une conséquence de l'indépendance économique que traduit le fait de
produire pour le marché. Il pose que « toute autorité est en proportion de la
dépendance (économique), et doit varier suivant les circonstances » (Recherche,
t. I, ch. XIII, p. 441. Il renverse la problématique classique des rapports entre la
société et la forme de gouvernement. « Le désavantage de la forme
monarchique, relativement au commerce et à l'industrie, écrit-il, ne provient pas
de l'inégalité qu'elle établit parmi les citoyens, mais il est la conséquence de
cette inégalité, souvent accompagnée d'une subordination arbitraire et
indéterminée entre les individus des classes supérieures et inférieures, ou entre
ceux qui sont chargés de l'exécution des lois et le corps du peuple" (ibid., p.
446). A ses yeux, l'avènement d'un régime républicain, qui est le plus favorable
au commerce et à l'industrie, ou d'un régime démocratique, qui est le meilleur
pour donner naissance au commerce étranger, s'inscrit ainsi naturellement dans
le cadre du développement des forces productives : « Le commerce et l'industrie
sont appelés partout, et leur établissement produit une fermentation étonnante
avec les restes de la férocité de la constitution féodale » (ibid., p. 454). Stewart
développe même longuement la contradiction historique de la monarchie. En
même temps que l'ambition des souverains les amène à réduire le pouvoir des
grands seigneurs et à développer le commerce et l'industrie, explique-t-il, ils
creusent en effet leur propre tombe dans la mesure où ce développement réduit
les liens de dépendance économique et modifie en conséquence les termes de la
subordination politique. Avec Stewart le marché ne fait pas que se substituer au
contrat, il devient la force motrice de l'avènement de la démocratie. » -Pierre
Rosanvallon, Le Libéralisme économique. Histoire de l'idée de marché, Seuil,
coll. Points Essais, 1999 (1979 pour la première édition), 243 pages, pp.48-49.

811
Adam Smith (1723-1790): «Toutes les institutions de la société [ail
constitutions of government] ... sont jugées uniquement par le degré avec lequel
elles tendent à promouvoir le bonheur de ceux qui vivent sous leur juridiction.
C'est là leur seul usage et leur unique but [This is their sole use and end]. » -
Adam SMITH, The Theory of Moral Sentiments, The Glasgow Edition, Oxford,
1976, p. 185 (p. 259 de l’édition PUF, 1999), souligné par nous.

« Le magistrat civil se trouve chargé du pouvoir non seulement de préserver la


paix publique, en empêchant l'injustice, mais aussi de celui de la promotion de
la prospérité de la société [...] il peut donc adopter des règles qui non seulement
interdisent aux citoyens de se nuire les uns les autres mais aussi qui
commandent, dans une certaine mesure, des bons offices. » -Adam Smith, The
Theory of Moral Sentiments, p. 136-137).

« Les propriétaires, comme tous les autres hommes, aiment à recueillir là où ils
n'ont pas semé. » -Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la
richesse des nations, 1776.

« La plus sacrée et la plus inviolable de toutes les propriétés est celle de son
propre travail, parce qu’elle est la source originaire de toutes les autres
propriétés. Le patrimoine du pauvre est dans sa force et dans l’adresse de ses
mains ; et l’empêcher d’employer cette force et cette adresse de la manière qu’il
juge la plus convenable, tant qu’il ne porte de dommage à personne, est une
violation manifeste de cette propriété primitive. » -Adam Smith, La Richesse des
nations, tome 1, trad. G. Garnier, Paris, GF, 1991, p.198.

« C'est donc une souveraine inconséquence et une extrême présomption de la


part des princes et des ministres, que de prétendre surveiller l'économie des
particuliers (...). Ils sont toujours, et sans exception, les plus grands dissipateurs
de la société. Qu'ils surveillent seulement leurs propres dépenses et ils pourront
s'en reposer sans crainte sur chaque particulier pour régler la sienne. Si leurs
propres dissipations ne viennent pas à bout de ruiner l'État, certes celles des
sujets ne le ruineront jamais. » (Richesse, t. l, livre l, ch. III, p. 433-434).

« L'amitié de Smith pour Hume l'a empêché d'être chrétien. Il croyait Hume sur
parole, Hume lui aurait dit que la lune est un fromage vert qu'il l'aurait cru.
C'est pourquoi il a cru aussi sur parole qu'il n'y avait ni Dieu ni miracle... Dans
ses principes politiques il frisait le républicanisme. » -James Anderson, The Bee,
1791-93. Cité par Karl Marx dans Le Capital, Livre I.
812
« Adam Smith se situe, dans tous les cas de conflits d'intérêts entre les pauvres
et les riches, entre les forts et les faibles, sans exception du côté de ces derniers.
J'emploie le mot "sans exception" de façon bien réfléchie, car il ne se trouve pas
un seul endroit dans les œuvres de Smith où il défend les intérêts des riches et
des puissants contre les pauvres et les faibles. » -Carl Menger, Recherches sur
la méthode des sciences sociales et de l'économie politique en particulier, 1883.

« Considérée comme une branche de la science d'un homme d'Etat ou d'un


législateur, l'économie politique se propose deux objets distincts :
premièrement, procurer au peuple une subsistance abondante ou un revenu
abondant, ou plus exactement mettre les gens en état de se procurer une telle
subsistance ou un tel revenu ; et deuxièmement, assurer à l'Etat ou la
collectivité un revenu suffisant pour les services publics. » -Adam Smith,
Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776.

« Le travail, ne variant jamais dans sa valeur propre, est la seule mesure réelle
et définitive qui puisse servir, dans tous les temps et dans tous les lieux, à
apprécier et à comparer la valeur de toutes les marchandises. Il est leur prix
réel ; l’argent n’est que leur prix nominal. » (chapitre V, page 42)

« Il paraît donc évident que le travail est la seule mesure universelle, aussi bien
que la seule exacte, des valeurs, le seul étalon qui puisse nous servir à comparer
les valeurs de différentes marchandises à toutes les époques et dans tous les
lieux. On sait que nous ne pouvons pas apprécier les valeurs réelles de
différentes mar­chandises, d’un siècle à un autre, d’après les quantités d’argent
qu’on a données pour elles. Nous ne pouvons pas les apprécier non plus, d’une
année à l’autre, d’après les quantités de blé qu’elles ont coûté. Mais, d’après les
quantités de travail, nous pou-vons apprécier ces valeurs avec la plus grande
exactitude, soit d’un siècle à un autre, soit d’une année à l’autre. »

« Dans ce premier état informe de la société, qui précède l’accumulation des


capitaux et l’appropriation du sol, la seule circonstance qui puisse fournir
quelque règle pour les échanges, c’est, à ce qu’il semble, la quantité de travail
nécessaire pour acquérir les différents objets d’échange. Par exemple, chez un
peuple de chasseurs, s’il en coûte habituellement deux fois plus de peine pour
tuer un castor que pour tuer un daim, naturellement un castor s’échangera
contre deux daims ou vaudra deux daims. Il est naturel que ce qui est
ordinairement le produit de deux jours ou de deux heures de travail, vaille le

813
double de ce qui est ordinairement le produit d’un jour ou d’une heure de
travail. » (chapitre VI) -Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la
richesse des nations, 1776.

« Puisque chaque individu tâche, le plus qu’il peut, 1° d’employer son capital à
faire valoir l’industrie nationale, et 2° de diriger cette industrie de manière à lui
faire produire la plus grande valeur possible, chaque individu travaille
nécessairement à rendre aussi grand que possible le revenu annuel de la
société. À la vérité, son intention, en général, n’est pas en cela de servir l’intérêt
public, et il ne sait même pas jusqu’à quel point il peut être utile à la société. En
préférant le succès de l’industrie nationale à celui de l’industrie étrangère, il ne
pense qu’à se donner personnellement une plus grande sûreté ; et en dirigeant
cette industrie de manière à ce que son produit ait le plus de valeur possible, il
ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il
est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans
ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société,
que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son
intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour
l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler. »

-Adam Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations
(1776).

« Pour Smith, la question des fins, du bien de l'homme et du bien public, oriente
le projet scientifique de l'économie politique. L'économie politique est une
science. Mais, loin d'être une science de la nature, elle est une science morale et
politique, qui vise un certain nombre d'objectifs humains et fait intervenir des
valeurs. » -Pierre Le Masne, La rupture de Carl Menger avec l’économie
classique, L'Économie politique 2/2002 (no 14), p. 96-112.

"Pour John Locke, société civile et société politique sont deux termes
interchangeables." (p.65)

"C'est Adam Smith qui sera le premier, bien avant Hegel, à comprendre
économiquement la société civile. Il faut pourtant noter qu'il n'emploie jamais le
terme de société civile dans la Richesse des nations. Il parle plus généralement
de société, tout court. Ce problème de vocabulaire ne doit pas nous arrêter.
Pour Smith, en effet, la notion de société civile est définitivement acquise,
comme pour toute la philosophie anglaise depuis près d'un siècle. Il faut donc
814
lire société civile lorsqu'il écrit société. Mais il emploie en fait assez rarement
ce terme. En revanche, il parle sans cesse de la nation; la nation et la société
civile sont deux réalités identiques pour Smith.

On peut néanmoins se demander ce qui justifie chez lui cet écart par rapport au
langage dominant. La réponse est simple : Smith se sert du terme de nation pour
faire passer la société civile d'un sens juridico-politique à un sens économique.
C'est pour éviter les équivoques qu'il parle ainsi de nation, le sens de société
civile étant très précis dans l'esprit de ses contemporains. Le terme de nation
est, au contraire, encore très vague au XVIIème siècle; c'est en outre un mot
relativement peu usité." (p.68)

"Smith comprend en effet l'égalité de droit, l'égalité naturelle, comme l'égalité


des droits de propriété. Il fonde sa sociologie dans une théorie des droits de
propriété. L'influence de Locke est visiblement très forte sur ce point." (p.71)

"Les fonctionnaires et les militaires, les prêtres et les juges étaient choqués
d'être considérés économiquement comme des farceurs ou des domestiques et de
n'apparaitre que comme les parasites des véritables producteurs. Marx se fera
sur ce point le défenseur de Smith et il ne cachera pas dans ses Théories sur la
plus-value son accord avec le côté radical de l'analyse de Smith.
La société de marché renverse les préséances et les distinctions sociales
établies." (p.80)

"L'entretien de colonies est donc à ses yeux une redoutable erreur politique et
économique. Les nations européennes paient très cher le fait de maintenir en
temps de paix, et de défendre en temps de guerre, la « puissance oppressive»
(l'expression est de Smith) qu'elles se sont arrogée sur les colonies." (p.93)

-Pierre Rosanvallon, Le Libéralisme économique. Histoire de l'idée de marché,


Seuil, coll. Points Essais, 1999 (1979 pour la première édition), 243 pages.

"L'historien britannique Henry Thomas Buckle (1821-1862) a déclaré que « cet


Écossais solitaire a, avec la publication d'un seul ouvrage, plus contribué au
bonheur de l'homme que ne l'ont fait les talents réunis de tous les hommes d'État
et de tous les législateurs dont l'Histoire a offert un récit authentique. »
L'économiste anglais Walter Bagehot (1826-1877) disait ceci de la Richesse des
nations : « La vie de presque tout le monde en Angleterre — et peut-être de tous
— est devenue différente et meilleure à la suite de ce livre. »

815
Un travail qui a été louangé d'une telle façon par d'éminents auteurs ne doit pas
être abandonné sur les étagères des bibliothèques à la seule lecture des
spécialistes et des historiens. Au moins ses plus importants chapitres doivent
être lus par tous ceux qui sont désireux d'apprendre quelque chose sur le passé.
Il est difficilement possible de trouver un autre livre qui puisse mieux initier
quelqu'un à l'étude de l'histoire des idées modernes et de la prospérité créée par
l'industrialisation. Sa date de publication — 1776, année de la Déclaration
d'indépendance américaine — marque l'aube de la liberté à la fois politique et
économique. Il n'existe pas de nation occidentale qui n'ait bénéficié des
politiques inspirées par les idées qui reçurent leur formulation classique dans ce
traité unique." -Ludwig von Mises, "Pourquoi lire Adam Smith aujourd'hui ?",
1953, article in Liberté économique et interventionnisme, posthume, 1990.

« Alors que dans le catholicisme le travail est considéré comme un obstacle


nécessaire sur le chemin de la consommation, dans le calvinisme il revêt une
qualité quasiment sacrée et devient une fin en soi. Ce n'est pas un hasard si la
théorie de la valeur-travail a émergé dans le milieu du calvinisme écossais. »

-Murray Rothbard, Adam Smith Reconsidered, 1987.

« Le rôle historique de la théorie de la division du travail telle que l'élabora


l'économie politique en Grande-Bretagne depuis Hume jusqu'à Ricardo consista
à démolir complètement toutes les doctrines métaphysiques concernant l'origine
et le mécanisme de la coopération sociale. Elle réalisa la complète
émancipation spirituelle, morale et intellectuelle de l'humanité amorcée par la
philosophie épicurienne. Elle substitua une moralité rationnelle autonome à
l'éthique hétéronome et intuitionniste des temps anciens. Le droit et la légalité,
le code moral et les institutions sociales ne sont plus désormais révérés comme
d'insondables décrets du Ciel. Leur origine est humaine, et le seul critère qu'il
faille leur appliquer est celui de leur adéquation au meilleur bien-être humain.
L'économiste utilitarien ne dit pas : Fiat justitia, pereat mundus. Il dit : Fiat
justitia, ne pereat mundus. Il ne demande pas à l'homme de renoncer à son bien-
être au profit de la société. Il lui recommande de reconnaître ce que sont ses
intérêts bien compris. » -Ludwig von Mises, L'Action humaine (1949).

« Alors que pour Hobbes, la rupture fondatrice est la formation politique du lien
social par un contrat social, pour Smith la rupture fondatrice est la formation de
la division du travail et le lien social est tissé par l’échange. » -Pierre Dockès, «

816
Hobbes et le pouvoir. », Cahiers d'économie Politique / Papers in Political
Economy, 1/2006 (n° 50), p. 7-25.

« A.Smith déclare, sans d’ailleurs le démontrer, mais comme un fait évident et


naturel que « le travail est la mesure réelle de la valeur échangeable de toute
marchandise ». Si, par exemple, il faut deux jours pour tuer un castor et un jour
pour tuer un daim, il est naturel et évident qu’un castor vaudra deux daims. Cette
proposition d’apparence inoffensive est d’une extrême conséquence et elle a eu
son contrecoup sur toute l’histoire ultérieure de la pensée économique. Il en est
peu dont l’interprétation soit aussi difficile et délicate.

Les socialistes, surtout les « socialistes scientifiques », jusques et y compris K.


Marx ont tiré de ce postulat tout ce qu’il contient d’utile aux adversaires de la
répartition libre dans une société individualiste. Le travail, ont-ils dit, est la
cause de la valeur. Il doit donc aussi présider à sa répartition. Ce n’est donc pas
l’équivalence en utilité qui doit présider à l’échange, mais l’équivalence en
travail. Et tous les efforts des architectes de cités socialistes futures ont tendu à
remédier aux impossibilités de fait que révèle le fonctionnement probable de ce
principe qui serait d’après eux l’expression même de la Justice.

Est-ce là l’idée de Smith, idée dont lui-même n’apercevrait pas toute la portée ?
Il est bien difficile de l’admettre. Il faut d’abord supposer chez lui un illogisme
complet, puisqu’il sera précisément un des fondateurs et un des plus ardents
défenseurs d’un système de répartition libre. De plus, cette proposition évidente
est, ainsi entendue, évidemment fausse, car il faudrait admettre, suivant la juste
remarque de M. de Böhm-Bawerk, qu’une grenouille ou un papillon rares
attrapés en dix jours vaudraient dix cerfs. Elle est aussi en contradiction formelle
avec deux textes au moins de la Richesse des nations, celui où il est dit que «
dans un pays civilisé, il n’y a que très peu de marchandises dont la valeur
échangeable procède du travail seul », et celui dans lequel Smith attribue au
travail de la nature une valeur, bien qu’il ne coûte aucune dépense. Enfin Smith
explique lui-même comme un phénomène constant et normal que, de toutes les
valeurs, celle du travail est celle qui change le plus, non seulement à des
époques ou dans des pays différents comme toutes les autres, mais aussi dans un
même lieu et un même temps, en raison de l’habileté des ouvriers ou de la
générosité des maîtres. Comment la plus variable des valeurs peut-elle, de façon
stable, déterminer et mesurer la valeur ? » (p.75)

817
« Faut-il ajouter que ces principes, non plus qu’aucun autre, ne sont absolus ?
Ce fut le tort de quelques « médecins spéculatifs » [les physiocrates] de croire
que la santé du corps social ne pouvait se maintenir que par un régime précis
dont on ne saurait s’écarter sans occasionner nécessairement un degré
quelconque de maladie ou de dérangement proportionné au degré de cette
erreur de régime. C’est méconnaître la force interne de conservation qui corrige
ces erreurs ou ces écarts parfois nécessaires, qui permet, dans certains cas, de
faire échec aux principes, en retardant sans le compromettre le progrès naturel
vers l’opulence. Et A.Smith en multiplie les exemples : protection de l’industrie
nationale par une mesure telle que l’Act de Navigation de Cromwell, nuisible à
l’enrichissement de la nation, mais nécessaire pour sa défense ; droits
compensateurs, atteignant les produits étrangers dont les similaires sont dans le
pays frappés d’un impôt ; représailles douanières, si elles peuvent amener la
révocation de droits prohibitifs établis par une autre nation ; tempéraments
qu’il convient d’apporter à l’établissement du libre-échange dans un pays
jusque-là protectionniste ; taxes à l’exportation sur la laine, en tant
qu’excellente matière imposable ; subventions aux compagnies de colonisation ;
marques, comme garanties contre la fraude ; établissement d’un maximum légal
du taux de l’intérêt, pour diriger les capitaux vers les emplois les plus productifs
; d’une manière générale même, la restriction légale de la liberté de quelques
individus qui pourraient compromettre la sûreté générale de la société, principe
dangereux que Smith formule incidemment, à propos des coupures de billets de
banque et en signalant les dangers possibles d’une émission surabondante de
papier-monnaie.

Il y a donc une certaine dose d’opportunisme dans les préceptes que conduit à
formuler le système de liberté naturelle. » (p.85-86)

« Quant à la forme politique du gouvernement, Hume et Smith font montre d’un


égal indifférentisme, inclinant plutôt aux idées modérées des tories qu’aux idées
plus avancées des whigs. » (p.86)

-Albert Schatz, L’individualisme économique et social, Institut Coppet, 2012


(1907 pour la première édition).

« Toutes sortes d'activités n'y relèvent pas [dans La Richesse des nations] du
laissez-faire: la défense nationale, certes, mais aussi la navigation au long
cours qui doit être subventionnée, les routes, les ponts, les ports, la poste, la

818
construction des murs coupe-feu, la conservation des hypothèques, l'exportation
de blé, etc. D'autre part, Adam Smith continue à prôner un plafonnage à 5% des
taux d'intérêts, alors qu'à la même époque les Français Turgot et Cantillon,
qu'il connaît, plaident pour une déréglementation du marché de l'argent. » -
Philippe Simonnot, 39 leçons d'économie contemporaine, Gallimard, coll.
folio.essais, 1998, 551 pages, 65.

« Smith voyait, pour l'intervention de l'État, un domaine large et variable et il


était prêt à étendre ce domaine encore plus si l'État améliorait sa compétence et
son honnêteté ... il ne considérait pas que le laissez-faire soit ni toujours bon ni
toujours mauvais. » -Jacob VINER, «Adam Smith and Laissez-Faire», dans J.
M. CLARK éd., Adam Smith 1776-1926, Chicago University Press, Chicago,
1928, p. 154-155.

Adam Ferguson (1723-1816): « En 1767, civilization, dans son sens moderne,


est introduit en Angleterre par Ferguson dans son Essay on the History of Civil
Society. » -Michel Bruneau, « Civilisation(s) : pertinence ou résilience d'un
terme ou d'un concept en géographie ? », Annales de géographie, 2010/4 (n°
674), p. 315-337. DOI : 10.3917/ag.674.0315. URL : https://www.cairn-
int.info/revue-annales-de-geographie-2010-4-page-315.htm

« Parmi les théoriciens du marché et de la « société civile, l'écossais Adam


Ferguson (1723-1816), l'exact contemporain d'Adam Smith (1723-1790), occupe
une place singulière, qui le situe aussi dans l'histoire du républicanisme (son
livre sur la république romaine, History of the Progress and Termination of the
Roman Republic, 1783, témoigne d'une familiarité avec Montesquieu et
Machiavel, dont il évoque notamment les réflexions sur le rôle de la religion à
Rome). Dès 1767, l'auteur de l'Essai sur l'histoire de la société civile développe
une des analyses les plus élaborées de l'avènement de la société marchande et de
la division du travail. Toutefois, loin de brosser un tableau euphorique du
nouveau monde régi par le commerce, il souligne les effets déshumanisants et
dépolitisants de la division du travail (qui conduit à la création d'armées
professionnelles et à la disparition des citoyens-soldats) et les menaces que fait
peser sur la liberté politique la recherche des intérêts privés. Bien davantage que
Montesquieu, il décrit la face sombre des sociétés commerçantes. Son analyse
fait ainsi apparaître le risque d'une perte des vertus civiques au profit d'une «
tranquillité » garantie par un État proche du despotisme. C'est dans ce cadre que
l'on trouve chez Ferguson un éloge du conflit, qui renoue en partie avec la
819
tradition machiavélienne. Ferguson insiste en effet sur la fécondité de
l'émulation et des dissensions, y compris la guerre. Selon ces analyses, où il se
réfère parfois à Montesquieu, la liberté émerge du conflit entre des citoyens
engagés dans la vie de la cité, en sorte que l'ordre politique le meilleur semble
être celui qui accepte les divergences pour leur faire jouer un rôle productif.
Cette défense du conflit est indissociable de la critique de la « tranquillité » à
laquelle tendent les sociétés marchandes, dès lors que les citoyens délaissent les
affaires publiques pour se consacrer à leurs activités commerçantes et à leur
bonheur privé, abandonnant la charge de la liberté à un groupe séparé de
politiciens professionnels. À cet égard, Ferguson anticipe la crainte que
manifestera Tocqueville, au XIXe siècle, d'un « nouveau despotisme » dans une
société individualiste. On a parfois associé Ferguson et Rousseau, mais son
originalité tient à son analyse de la division du travail, et il ne prône pas -
comme l'a cru Pocock - un retour à l'économie prémodeme. On a évoqué aussi
Hegel et Marx sur le thème de l’« aliénation » (Le Capital cite Ferguson).
Cependant, il n'anticipe qu'en partie l'étude marxiste du capitalisme, et annonce
là encore Tocqueville, qui indiquera les menaces du nouveau monde marchand
et industriel sans rejeter lui non plus toute l'économie moderne, mais en
cherchant à défendre la liberté à l'âge du commerce. Ajoutons que si Ferguson
appartient à l'histoire des Lumières et du républicanisme, ses positions ne sont
pas celles d'un apôtre du régime républicain, comme en témoignent ses Principes
of Moral and Political Science de 1792. Partisan de la monarchie « mixte »
britannique, il se montra critique vis-à-vis du modèle de démocratie républicaine
à la française. Son hostilité à la Révolution française l'oppose à d'autres figures
des Lumières anglophones, tels les radicaux comme Paine. » -Serge Audier, Les
théories de la république, Paris, Éditions La Découverte, coll. Repères, 2015
(2004 pour la première édition), 125 pages, p.32.

http://www.amazon.fr/Essai-lhistoire-civilisation-civile-
Ferguson/dp/2847882154/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=41MuYXfThyL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=0ESM0R5P597K
3CB3Z785

Thomas Reid (1710-1796):

Christian Wolff (1679-1754) : « Wolff est un moment capital de l’histoire de la


métaphysique allemande, moment qu’on ne peut évacuer. » (p.105)

820
-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,
2004, 1062 pages.

« Si Wolff a été l’éducateur et le « maître des Allemands », il fut très tôt aussi
celui de Hegel. […] Dans ses Leçons sur l’histoire de la philosophie, Hegel
reconnaît à Wolff finalement surtout le mérite immortel d’avoir développé en
Allemagne la culture de l’entendement, d’avoir donné une division systématique
à la philosophie et avant tout d’avoir écrit en allemand, bref, d’avoir vraiment
fait de la philosophie une affaire allemande. » -Jean-Marie Lardic, « Hegel et la
métaphysique wolffienne », Archives de Philosophie, 2002/1 (Tome 65), p. 15-
34.

« Que Wolff n’opère pas la distinction (kantienne) entre des actions


véritablement morales et des actions simplement conformes à la loi morale, cela
semble s’expliquer en dernière instance par son critère de moralité. Ce n’est
pas l’intention, mais la conséquence (Erfolg) de l’action qui décide de sa qualité
morale. La conclusion peut paraître surprenante : tout en bâtissant la moralité
sur la connaissance philosophique et métaphysique des premiers principes,
Wolff semble soutenir en même temps qu’aucune connaissance philosophique
n’est requise de la part de l’agent moral pour que son action puisse être jugée
morale. » -Stéfanie Buchenau, « La connaissance des principes moraux chez
Christian Wolff », Archives de Philosophie, 2002/1 (Tome 65), p. 133-149.

Emmanuel Kant (1724-1804) : « [L’homme moral] ne vit plus que par devoir,
non parce qu’il trouve le moindre agrément à vivre. »

« Devoir ! nom sublime et grand, toi qui ne renfermes rien en toi d’agréable,
rien qui implique insinuation, mais qui réclame la soumission. » -Emmanuel
Kant, Critique de la raison pratique.

« La métaphysique est un champ de bataille » -Kant, Préface de la première


édition à la Critique de la raison pure.

« La critique peut seule couper les racines du matérialisme, du fatalisme, de


l'athéisme, de l'incrédulité des esprits forts. » -Kant, Préface de la seconde
édition à la Critique de la raison pure.

« Le temps n’est pas quelque chose qui existe en soi, ou qui soit inhérent aux
choses comme une détermination objective, et qui, par conséquent, subsiste, si
l’on fait abstraction de toutes les conditions subjectives de leur intuition ; dans
821
le premier cas, en effet, il faudrait qu’il fût quelque chose qui existât réellement
sans objet réel. Mais dans le second cas, en qualité de détermination ou d’ordre
inhérent aux choses elles-mêmes, il ne pourrait être donné avant les objets
comme leur condition, ni être connu et intuitionné a priori (…) ; ce qui devient
facile, au contraire, si le temps n’est que la condition subjective sous laquelle
peuvent trouver place en nous toutes les intuitions. Alors en effet cette forme de
l’intuition interne peut être représentée avant les objets, et par suite, a priori. »

-Emmanuel Kant, Critique de la raison pure, Esthétique transcendantale, §6.

« Notre existence a un but autre, et bien plus noble, que le bonheur. » -


Emmanuel KANT, Fondements de la métaphysique des moeurs, p. 395-396 de
l'édition prussienne de l'Académie des sciences (p. 59 de l'édition Vrin de 1980
et p. 92 de l'édition Delagrave de 1943).

« Une action accomplie par devoir tire sa valeur morale non pas du but qui doit
être atteint par elle, mais de la maxime par laquelle elle est décidée » (p.65).

-Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique de mœurs.

"Le genre humain a toujours été en progrès et continuera toujours de l'être à


l'avenir." (p.215)

"Il est [...] coupable de soulever le peuple pour abolir ce qui présentement
existe." (p.218)

"C'est le devoir des Monarques, tout en régnant en autocrates, de gouverner


néanmoins selon la méthode républicaine (je ne dis pas: démocratique), c'est-à-
dire de traiter le peuple suivant des principes conformes à l'esprit des lois de la
liberté." (p.219)

-Emmanuel Kant, Le conflit des facultés, 1798 in Opuscule sur l'histoire, GF


Flammarion, Paris, 1990, 245 pages.

« Il serait très dangereux qu’un officier à qui un ordre a été donné par son
supérieur voulût raisonner dans son service sur l’opportunité ou l’utilité de cet
ordre ; il doit obéir » -Emmanuel Kant, Doctrine du droit.

« L'enfant né en dehors du mariage est né hors la loi (qui est le mariage) et par
conséquent aussi en dehors de sa protection. Il s'est, pour ainsi dire, glissé dans
la république (comme une marchandise interdite) ; de telle sorte que (puisque
822
légitimement il n'aurait pas dû exister de cette manière) l'État peut ignorer son
existence et par conséquent aussi l'acte qui le fait disparaître. » -Kant, Doctrine
du droit, à propos du meurtre d’un enfant né hors mariage.

« Quant à la question de savoir s'il y a contradiction en ce qui concerne l'égalité


des époux comme tels quand la loi dit que l'homme, à propos de son rapport
avec la femme : "il sera ton maître" (il sera celui qui commande, elle sera la
partie qui obéit), cette loi ne peut être considérée comme contredisant l'égalité
naturelle d'un couple humain à partir du moment où le fondement de cette
domination est uniquement la supériorité naturelle de la capacité de l'homme
sur celle de la femme dans la mise en oeuvre de l'intérêt commun de la famille et
du droit à commander qui s'y enracine, lequel droit peut par conséquent lui-
même être dérivé du devoir de l'unité et de l'égalité au point de vue de la fin. » -
Emmanuel Kant, Doctrine du droit, 26.

« La monarchie est la meilleure constitution politique. » -Kant, Doctrine du


droit, II, 51.

« Les Nègres d’Afrique n’ont reçu de la nature aucun sentiment qui s’élève au-
dessus de la niaiserie (...) Les Noirs (...) sont si bavards qu’il faut les séparer et
les disperser à coups de bâton ».

« Les Indiens ont un goût dominant pour les bouffonneries. » -Kant,


Observations sur le sentiment du beau et du sublime.

« Les gens de Palestine qui vivent parmi nous se sont fait depuis leur exil, la
plupart d'entre eux du moins, par leur inclinaison à l'usure, une réputation de
trompeurs qui n'est que trop méritée. » -Kant, Anthropologie d'un point de vue
pragmatique, faiblesses et maladies de l'âme, note.

« Le crime ne peut rester impuni ; si le châtiment ne frappe pas le criminel, ce


sont ces descendants qui devront payer… la dette du péché doit être acquittée,
un parfait innocent dû-il pour cela s’offrir en victime expiatoire. » -Kant,
Doctrine de la vertu, remarque conclusive.

« Au degré de culture auquel est parvenu le genre humain, la guerre est un


moyen indispensable pour la perfectionner encore; et ce n'est qu'après
l'achèvement (Dieu sait quand) de cette culture qu'une paix éternelle nous serait
salutaire et deviendrait possible. » -Kant, Conjectures sur les débuts de
l'histoire humaine.
823
« La guerre quand elle est faite avec ordre et respect du droit civil a quelque
chose de sublime, et elle rend l'esprit du peuple qui la fait ainsi, d'autant plus
sublime qu'il y est exposé à plus de dangers et qu'il s'y soutient courageusement
: au contraire, une longue paix a ordinairement pour effet d'amener la
domination de l'esprit mercantile, des plus bas intérêts personnels, de la lâcheté
et de la mollesse, et elle abaisse la manière de penseur du peuple. » -Kant,
Critique de la faculté de juger, analytique du sublime, 28.

« Kant est le Moïse de notre nation. » -Friedrich Hölderlin, Lettre à Karl Gock,
1er janvier 1799.

« La Dialectique transcendantale est la partie de la Critique de la raison pure où


Kant montre que la métaphysique aboutit à une contradiction de la raison avec
elle-même, sous la forme notamment d’antinomie. C’est la partie proprement
critique de la Critique. » (note 22 p.98)

« Toute la philosophie de langue allemande […] est une réponse à Kant ou une
discussion de ses thèses. » (p.138)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,


2004, 1062 pages.

« Les Prolégomènes à toute métaphysique future […] constituent la version


« pédagogique » de la Critique de la raison pure. » -Jean-Michel Besnier, Les
Théories de la connaissance, PUF, coll « Que sais-je ? », 2011 (2005 pour la
première édition), 128 pages, p.44.

« Kant est conscient d’être un héritier de Platon ; il qualifie de « république


platonicienne » un état où les citoyens suivent de leur plein gré les lois
communes. » -Ada Neschke-Hentschke, « Platon, penseur de la liberté effective.
Les utopies modernes et le réalisme platonicien », Études platoniciennes,
9 | 2012, 83-104.

« À force de réfléchir sur la nature et le rôle de l’esprit humain, Kant en vint à


se représenter la raison comme un moule qui imprime nécessairement sa forme
atout ce qu’il reçoit, — comme un miroir qui, métamorphosant les objets, leur
impose une certains apparence, si bien que nous ne sortons pas de nous-mêmes,
qu’il nous est impossible d’en sortir, et que nos connaissances, au lieu d’être
l’expression de la réalité, ne sont et ne peuvent être que le résultat des formes de
l’entendement. En un mot, la réalité nous échappe ; nous ne connaissons que
824
des phénomènes, et encore ces phénomènes dépendent-ils absolument du miroir
qui les reflète. » -Saint-René Taillandier, Nouvelle réfutation de Kant, Revue des
Deux Mondes, 2e, tome 10, 1857 (pp. 233-239).

« Les trois grandes vérités, Dieu, la liberté, la vie future, il les posa comme
certaines, indiscutables, à titre de postulats de la morale. » -V. Ermoni,
Nécessité de la métaphysique, Revue Philosophique de Louvain, Année 1906,
pp. 229-245, p.242.

« Selon Kant, il est des conceptions de l’esprit qui ne peuvent être considérées
comme le résultat pur de l’expérience ; elles ne se développeraient pas dans
l’esprit sans l’expérience, il est vrai, mais elles n’en viennent d’aucune manière,
ni comme abstractions, ni comme généralisations, ni comme conclusions, ni
comme combinaisons ; sous ce rapport (et Kant n’a jamais prétendu autre
chose), elles sont indépendantes de l’expérience, et méritent le nom de
conceptions a priori. Il y a plus : non seulement elles ne dépendent pas de
l’expérience, mais l’expérience en dépend essentiellement. Il n’est pas de notion
empirique qui puisse se former sans le secours d’une conception a priori : ainsi,
la représentation sensible d’un corps implique l’idée d’espace, tandis que l’idée
d’espace ne suppose pas la notion de corps. Même rapport entre les autres
notions sensibles et les conceptions pures qui leur correspondent. Loin donc que
la raison se confonde avec la sensibilité, comme le veulent les empiriques, la
sensibilité n’existe que par la raison, car c’est la raison seule qui donne une
forme aux impressions vagues et indéterminées des sens, et les convertit en
images et en notions intelligibles. Il est vrai, d’un autre côté, que, sans
l’intervention de la sensibilité, les conceptions pures seraient vides de matière et
par suite de réalité, et ne pourraient constituer la connaissance : ainsi, tout acte
intellectuel, selon Kant, participe à la fois de l’expérience et de la raison : il
reçoit de l’une sa matière, et de l’autre sa forme. L’existence et le rôle des
conceptions pures de la raison établis, Kant les classe et les rapporte à
certaines lois, qu’il appelle catégories, ou formes de l’esprit ; il en décrit la
nature, le mode de génération, l’histoire ; il en fixe le nombre. Transposant
ensuite ces catégories de la spéculation dans la pratique, il les pose comme
principe généraux de morale, de politique, de jurisprudence et d’esthétique ; il
fixe l’existence de ces sciences en les scellant du sceau de la psychologie. »

« Kant aurait pu se borner à constater l’existence de conceptions a priori dans


l’entendement et leur influence sur la formation des notions empiriques : en ce
825
cas, il n’eût pas plus incliné vers l’idéalisme que vers le sensualisme, car il
reconnaît que, sans l’intervention de la sensibilité, les conceptions de la raison
resteraient, faute d’excitation extérieure, à l’état de pures formes dans les
profondeurs de la conscience. Mais il va plus loin : il soutient que nos
conceptions a priori ne supposent en dehors d’elles-mêmes aucune réalité
objective ; que, par exemple, le temps, l’espace, la substance, l’infini, ne sont
rien autre chose que des lois de notre esprit. Quant aux notions empiriques,
comme elles sont le produit complexe de la sensibilité et de la raison, elles
renferment deux éléments, une forme de l’esprit, que Kant vient de dépouiller de
toute vertu représentative, et une matière qui implique une réalité extérieure.
Mais quels sont les vrais caractères et les modes divers de cette réalité ? Sont-
ils réellement ce que notre esprit nous les montre ? Nous ne le savons pas, nous
ne le saurons jamais. Kant n’admet qu’une vérité à connaître en dehors de cette
subjective dans laquelle il enferme impitoyablement la croyance, c’est
l’existence d’une réalité extérieure. Telle est la conclusion définitive de la
Critique de la raison pure ; Kant y a créé un scepticisme supérieur en
profondeur à tout ce qui avait paru jusqu’alors, un scepticisme qu’on est
convenu d’appeler idéalisme transcendant, et qui n’a que le nom de commun
avec l’idéalisme de l’histoire. »

« Kant, sceptique dans la Critique de la raison spéculative, retrouve dans la


Critique de la raison pratique la croyance à la réalité objective. Bien supérieur
aux Écossais en morale comme en psychologie, il fut le premier moraliste qui
sépara nettement, dans l’expression de la morale, la raison de la sensibilité, le
jugement moral du sentiment, le devoir de l’amour. « Fais ce que tu dois sans
avoir égard aux conséquences de ton action », telle est la première formule de la
règle morale selon Kant. Mais quoi dois-je faire ? « Agir de telle sorte que ton
action puisse servir de règle générale à tes semblables », seconde formule
admirable de profondeur, de précision et de simplicité. » -Victor Cousin, Cours
de philosophie morale.

« La morale, selon [Kant], est indépendante de la religion: elle se suffit à elle-


même, comme connaissance et comme puissance d'action. Elle n'a besoin de
l'idée de Dieu ni pour déterminer quels sont nos devoirs, ni pour nous les faire
observer.
Pour faire son devoir, on n'a nul besoin de se proposer un autre but que celui
d'obéir à la loi ; il y a même absence de moralité à se déterminer à l'action dans
toute autre intention que celle de satisfaire à la conscience morale. » -Joseph
826
Willm, Histoire de la philosophie allemande depuis Kant jusqu'à Hegel, tome II,
1847.

« La philosophie a longtemps discuté au sujet de la nature du bien suprême. La


philosophie moderne a tranché ce débat. L'eudémonisme est aujourd'hui hors de
contestation. Tous les arguments que les philosophes ont pu produire contre lui,
de Kant à Hegel, n'ont pas réussi à séparer à la longue les concepts de moralité
et de bonheur. » -Ludwig von Mises, Le Socialisme.

« Chez Descartes, il s’agissait de s’assurer qu’une idée claire et distincte pour


nous est vrai hors de nous. Seule la présence d’un dieu non trompeur pouvait
nous convaincre de la vérité objective d’une science conçue sans l’aide de
l’expérience. Kant fait l’économie d’une démonstration métaphysique de la
vérité de la physique : il ne s’agit plus de démontrer qu’un jugement synthétique
a priori est vrai pour nous et en soi. Pour Kant, cette science– la physique de
Newton- est évidemment vraie sans avoir à recourir à un dieu bienveillant pour
fonder sa valeur. » (p.18)

« Il est impossible de trouver chez Kant la possibilité qu’existent


simultanément un individu heureux de sa vie et une personne fière de ses
actes : l’existence morale est la négation de la vie naturelle. » (p.24)

« [Chez Kant] la culture apparaît comme l’espoir de l’humanité par lequel la


personne –le sujet cultivé- surmonte l’absurdité de la nature et la souffrance que
lui impose le devoir. » (p.30)

« A côté des fautes morales qui relèvent toutes de l’égoïsme, il existe chez Kant
des fautes de goût tout aussi graves que les premières : elles consistent à
déclarer beau ce qui n’est que joli, plaisant ou simplement agréable. […]
L’esthétique, tout comme l’éthique, implique donc une certaine abnégation : la
beauté n’a pas plus à faire avec la jouissance de la vie que le devoir moral. […]
Si le bien moral pour un individu, ne mérite ce nom que s’il correspond au bien
de l’humanité, la beauté d’un objet n’est reconnue comme telle que si elle
correspond à cette même exigence. Le beau n’existe que s’il est une valeur
commune ; la beauté est culturelle en ce qu’elle favorise la réalisation effective
d’un bien commun à l’humanité à travers des œuvres dont l’accomplissement
suppose une finalité inaliénable et déterminante. » (p.36-37)

827
« Ce n’est pas à l’artiste de définir le bien moral qu’il doit cependant
symboliser. Pour que l’univers culturel se constitue de manière architectonique,
selon les finalités d’un sujet transcendantal et non selon une mécanique sans
finalité, il faut que le goût soit subjectivement encadré. […] Pour Kant, la
culture par laquelle l’être humain se soustrait à l’état de nature et au
déterminisme mécanique suppose que la liberté du goût soit orientée vers une
fin spirituelle et vers nulle autre, ce qui implique qu’un maître à penser officie
de telle sorte que la liberté esthétique ne dérive pas vers la licence. » (p.39)

« Le génie, grâce à son savoir-faire et à ses Idées, est capable de représenter la


nature de telle sorte qu’elle semble correspondre à une finalité. Son art est de
faire voir le monde autrement que ne le font les sciences mais aussi de prouver
par son art que la représentation esthétique du réel est plus vraie que sa
présentation objective. […] Le génie est en quelque sorte inintelligible. Ce qu’il
expose est une pensée sans concept, comme le beau qui, lui aussi, plaît
universellement sans concept. Dit autrement, aucune science théorique ne
pourra jamais rendre compte du génie […]

Il est donc impossible de remonter à l’origine du génie ou d’en décrire les


conditions de possibilité a priori. […] Le génie est donc un original, un être qui
est la propre origine de ce qui surgit de lui, une âme pure exprimant sans détour
et sans référence la vie de l’esprit. » (p.41-42)

« Livrer l’art à l’entendement aurait pour conséquence de briser l’élan qu’il


implique et d’étouffer le principe vivifiant de la pensée. » (p.45)

-Bertrand Dejardin, Éthique et esthétique chez Spinoza. Liberté philosophique et


servitude culturelle, L’Harmattan, coll. Ouverture philosophique, 2012, 441
pages.

« La philosophie de Kant doit être considérée à juste titre comme la théorie


allemande de la Révolution française. » -Karl Marx, article pour la Gazette
rhénane.

« Engels a vu dans le mouvement ouvrier allemand l'héritier de la philosophie


allemande classique. Il serait plus exact de dire que le socialisme allemand en
général — et non pas seulement le marxisme — a été le successeur de la
philosophie idéaliste. Le socialisme doit la domination qu'il a pu s'assurer sur
l'esprit allemand à la conception de la société des grands penseurs allemands.

828
Une ligne facile à reconnaître conduit de la conception mystique du devoir de
Kant et de l'idolâtrie de l'État de Hegel à la pensée socialiste. Quand à Fichte,
c'est déjà un socialiste. »

« La morale est la partie la plus faible du système de Kant. On y sent passer


sans doute le souffle de ce grand esprit. Mais la beauté qu'on découvre dans les
détails ne permet pas d'oublier que le point de départ de cette morale est déjà
mal choisi et qu'elle repose sur une conception erronée. Elle n'a pas réussi dans
son effort désespéré pour déraciner l'eudémonisme. Dans la morale, Bentham,
Mill et Feuerbach l'emportent sur Kant. Celui-ci a tout ignoré de la philosophie
sociale de ses contemporains, Fergusson et Adam Smith. L'économie politique
lui est demeurée étrangère. Ses développements sur la vie en société se
ressentent de ces déficiences. » -Ludwig von Mises, Le Socialisme, 1922.

« La distinction entre le pathologique et le moral a une conséquence notable : la


seule véritable action (qui n'est pas une réaction à un désir passif et qui est donc
véritablement active) est l'action morale, puisque c'est la seule qui n'est pas
motivée par une inclination sensible. »

« Le seul intérêt moral possible est un intérêt pour la loi morale. L'agent moral
a néanmoins conscience qu'en agissant moralement, il se rend digne du
bonheur, car le point de vue moral, selon Kant, implique de croire que seul le
vertueux mérite d'être heureux et que le méchant (celui qui veut le mal donc) ne
le mérite pas. L'agent moral prend intérêt à mériter le bonheur, non par fatuité
ou orgueil mais seulement parce qu'il reconnaît la valeur de la loi morale
comme ce qui a la plus haute valeur.

[…] Pourquoi la moralité intéresse, voilà qui ne peut être expliqué et qui n'est
qu'un fait qu'on doit supposer si on veut penser la possibilité pour la raison de
devenir effectivement pratique. » -Claire Etchegaray, Concepts fondamentaux de
l’époque classique et moderne, Cours « Éthique et Société », L3 de philosophie
(parcours philo renforcée), Université Paris 10 Nanterre La Défense, 2015.

« Un philosophe allemand qui va jusqu'à prétendre qu'envers des assassins qui


vous demanderaient si votre ami qu'ils poursuivent n'est pas réfugié dans votre
maison, le mensonge serait un crime. » -Benjamin Constant, Des Réactions
politiques, 1797, à propos de Kant.

829
« Les philosophes allemands, comme Kant, Fichte, qui ont vécu et écrit à la fin
du XVIIIème siècle se sont efforcés de concilier deux cités idéales pour ainsi
dire contradictoires, dont l'une dérivait de la philosophie française, et l'autre de
la monarchie prussienne elle-même. »

« Kant accepte et reprend la distinction d'abord décrétée par les législateurs de


la Révolution entre les citoyens actifs et les citoyens passifs. » -Jean Jaurès, Les
origines du socialisme allemand, traduction par Adrien Veber de la thèse latine,
in Revue Socialiste (de Benoît Malon), 1892.

« Kant se demande: comment pouvons-nous avoir, de jure, des connaissances


nécessaires et vraies, et aboutit à la construction ou supposition d'un sujet
transcendantal (on pourrait tout aussi bien l'appeler sujet idéal), lequel possède
en effet, par construction, certaines connaissances a priori -vraies, non triviales
et nécessaires. Mais qu'est-ce que cela nous apporte à nous, le fait qu'un sujet
ou une conscience transcendantaux pourraient avoir ce savoir assuré dont parle
Kant ? Je ne suis pas un sujet transcendantal, je suis un être humain effectif. Me
dire que le sujet transcendantal est construit ainsi, et de ce fait peut parvenir à
des jugements synthétiques a priori, ne m'intéresse pas. Cela ne m'intéresserait
que dans la mesure où je suis aussi un sujet transcendantal. Et c'est là
l'oscillation perpétuelle de Kant: d'un côté il parle de ce qu'est le sujet dans
l'optique transcendantale, et de l'autre côté il se réfère à "notre expérience",
"notre esprit" (Gemüt), "nous autres hommes" (wir Menschen). S'agit-il donc de
"notre esprit" -ou de l' "esprit" dans une perspective transcendantale ? Cette
oscillation est tranchée, mais de manière tragique, dans la philosophie de Kant,
pour laquelle, finalement, je ne puis jamais être vraiment moral, puisque je suis
nécessairement toujours mû par des déterminations "empiriques", à savoir
effectives. C'est sur ce pal que la philosophie est restée empalée depuis Platon,
précisément parce qu'elle n'arrivait pas à affronter cette question, la seule
véritable à cet égard: comment la validité peut-elle devenir effectivité, et
l'effectivité validité ? » -Cornelius Castoriadis, Anthropologie, philosophie,
politique, Conférence à l'université de Lausanne, le 11 mai 1989 ; publiée dans
la série Actes des colloques du groupe d'études pratiques sociales et théories,
université de Lausanne, 1990, repris dans La montée de l'insignifiance, 1996, p.
141.

« Kant est loin d'être un pur Aufklärer. Les postulats de l'existence de Dieu et de
l'immortalité de l'âme, le refus de la Révolution [...] montrent combien chez lui
830
l'audace théorique se marie à l'obéissance devant l'institué et le respect de
l'Obrigkeit. » -Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, Seuil, coll. Points, 1997,
336 pages, p.68.

« Kant admet le droit d'asile mais refuse le droit d'établissement. » -Philippe


Forget, Comprendre les Lumières, conférence au Cercle Aristote, 18 mai 2019.

« On n'a pas le droit de s'insurger contre "un abus, même ressenti comme
insupportable, du pouvoir suprême" (D[octrine du] D[droit], 203). » -Otfried
Höffe, Introduction à la philosophie pratique de Kant, Paris, Librairie
Philosophique J. Vrin, 1993 (1985 pour la première édition), 337 pages, p.226.

« Kant, on le sait, ne reconnaissait pas aux individus le droit à la résistance au


pouvoir politique, et à cet égard il se situe en deçà non seulement de Locke mais
aussi de Hobbes. Ce dernier, s'il n'accorde pas à l'individu le droit à la
rébellion, permet quand même d'entrevoir la possibilité que le pouvoir, mettant
en danger la vie de l'individu, perde sa raison d'être et donc sa légitimité, et
finisse par se décomposer, ce qui est une autre façon d'ouvrir une petite porte à
la révolte. Kant sur ce point repousse les prémisses de l'école des droits
naturels. Un droit à la révolte est pour lui une contradiction dans les termes.
Bien plus, il est interdit au citoyen de poser la question de l'origine légitime ou
non du système politique en place. Nietzsche devait lui reprocher durement ce
conformisme propre aux intellectuels. » -Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une
tradition du XVIIIème siècle à la guerre froide. Saint-Amand, Gallimard, coll.
Folio histoire, 2010, 945 pages, p.106-107.

« Eichmann soupçonnait bien que dans toute cette affaire son cas n'était pas
simplement celui du soldat qui exécute des ordres criminels dans leur nature
comme dans leur intention, que c'était plus compliqué que cela. Il le sentait
confusément. L'on s'en aperçut pour la première fois lorsque au cours de
l'interrogatoire de la police, Eichmann déclara soudain, en appuyant sur les
mots, qu'il avait vécu toute sa vie selon les préceptes moraux de Kant, et
particulièrement selon la définition que donne Kant du devoir. A première vue,
c'était faire outrage à Kant. C'était aussi incompréhensible : la philosophie
morale de Kant est, en effet, étroitement liée à la faculté de jugement que
possède l'homme, et qui exclut l'obéissance aveugle. Le policier n'insista pas,
mais le juge Raveh, intrigué ou indigné de ce qu'Eichmann osât invoquer le nom
de Kant en liaison avec ses crimes, décida d'interroger l'accusé. C'est alors qu'à

831
la stupéfaction générale, Eichmann produisit une définition approximative, mais
correcte, de l'impératif catégorique : " Je voulais dire à propos de Kant, que le
principe de ma volonté doit toujours être tel qu'il puisse devenir le principe des
lois générales." (Ce qui n'est pas le cas pour le vol, ou le meurtre, par exemple :
car il est inconcevable que le voleur, ou le meurtrier, puisse avoir envie de vivre
sous un système de lois qui donnerait à autrui le droit de le voler ou de
l'assassiner, lui.) Interrogé plus longuement, Eichmann ajouta qu'il avait lu La
critique de la Raison pratique de Kant. Il expliqua ensuite qu'à partir du moment
où il avait été chargé de mettre en œuvre la Solution finale, il avait cessé de
vivre selon les principes de Kant; qu'il l'avait reconnu à l'époque; et qu'il s'était
consolé en pensant qu'il n'était plus " maître de ses actes ", qu'il ne pouvait "
rien changer ". Mais il ne dit pas au tribunal qu'à cette " époque où le crime
était légalisé par l'État " (comme il disait lui-même), il n'avait pas simplement
écarté la formule kantienne, il l'avait déformée. De sorte qu'elle disait
maintenant : " Agissez comme si le principe de vos actes était le même que celui
des législateurs ou des lois du pays. " Cette déformation correspondait
d'ailleurs à celle de Hans Franck, auteur d'une formulation de " l'impératif
catégorique dans le Troisième Reich " qu'Eichmann connaissait peut-être : "
Agissez de telle manière que le Führer, s'il avait connaissance de vos actes, les
approuverait . " Certes, Kant n'a jamais rien voulu dire de tel. Au contraire, tout
homme, selon lui, devient législateur dès qu'il commence à agir; en utilisant sa "
raison pratique ", l'homme découvre les principes de la loi. Mais la déformation
inconsciente qu'Eichmann avait fait subir à la pensée de Kant correspondait à
une adaptation de Kant " à l'usage domestique du petit homme ", comme disait
l'accusé. Cette adaptation faite, restait-il quelque chose de Kant ? Oui : l'idée
que l'homme doit faire plus qu'obéir à la loi, qu'il doit aller au-delà des
impératifs de l'obéissance et identifier sa propre volonté au principe de la loi, à
la source de toute loi.

Cette source, dans la philosophie de Kant, est la raison pratique; dans l'usage
qu'en faisait Eichmann, c'était la volonté du Führer. Et il existe en effet une
notion étrange, fort répandue en Allemagne, selon laquelle " respecter la loi "
signifie non seulement " obéir à la loi ", mais aussi " agir comme si l'on était le
législateur de la loi à laquelle on obéit ". D'où la conviction que chaque homme
doit faire plus que son devoir. Ce qui explique en partie que la Solution finale
ait été appliquée avec un tel souci de perfection. L'observateur, frappé par cette

832
affreuse manie du " travail fait à fond ", la considère en général comme
typiquement allemande, ou encore : typiquement bureaucratique.

On ignore jusqu'à quel point Kant a contribué à la formation de la mentalité du


" petit homme " en Allemagne. Mais il est certain que, dans un certain sens,
Eichmann suivait effectivement les préceptes de Kant : la loi, c'était la loi; on ne
pouvait faire d'exceptions. Et pourtant à Jérusalem, Eichmann avoua qu'il avait
fait deux exceptions à l'époque où chacun des " quatre-vingts millions
d'Allemands " avait " son Juif honnête ". Il avait rendu service à un cousin
demi-juif, puis, sur l'intervention de son oncle, à un couple juif. Ces exceptions,
aujourd'hui encore, l'embarrassaient. Questionné, lors du contre-interrogatoire,
sur ces incidents, Eichmann s'en repentit nettement. Il avait d'ailleurs " confessé
sa faute " à ses supérieurs. C'est qu'à l'égard de ses devoirs meurtriers,
Eichmann conservait une attitude sans compromis -attitude qui, plus que tout le
reste, le condamnait aux yeux de ses juges, mais qui dans son esprit, était
précisément ce qui le justifiait. Sans cette attitude il n'aurait pu faire taire la
voix de sa conscience, qu'il entendait peut-être encore, si timorée fût-elle. Pas
d'exceptions : c'était la preuve qu'il avait toujours agi contre ses " penchants " -
sentimentaux ou intéressés-, qu'il n'avait jamais fait que son " devoir ".". »

-Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal (1963).

« Je rappelais que le jeu désintéressé de la sensibilité et de l'exercice pur de la


faculté de sentir, dont parlait Kant, supposent des conditions historiques et
sociales de possibilité tout à fait particulières, le plaisir esthétique, ce plaisir
pur "qui doit pouvoir être éprouvé par tout homme", étant le privilège de ceux
qui ont accès à la condition économique et sociale dans laquelle la disposition
"pure" et "désintéressée" peut se constituer durablement. » -Pierre Bourdieu,
Les règles de l'art : genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1998 (1992
pour la première édition), 572 pages, p.511.

« Kant, après avoir employé une longue vie d’homme à décrasser son manteau
philosophique de toutes sortes de préjugés qui le souillaient, l’a
ignominieusement sali de la tâche honteuse du mal radical, afin que les
chrétiens eux aussi se sentent engagés à en baiser le bord. » -Goethe, Lettre à
Herder, 7 juin 1793.

« Séparer le monde en un monde « réel » et un monde des « apparences », soit à


la façon du christianisme, soit à la façon de Kant (un chrétien perfide, en fin de
833
compte), ce n’est là qu’une suggestion de la décadence, un symptôme de la vie
déclinante… » -Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, "La "Raison"
dans la philosophie", trad. Henri Albert, GF-Flammarion, 1985 (1889 pour la
première édition allemande), 250 pages, p.94, §6.

« La philosophie allemande est au fond une théologie dissimulée. » -Nietzsche,


Ecce Homo.

« Kant est à la fois un Aufklärer constant dans le progrès de l’espèce humaine


et un luthérien convaincu de l’existence du mal. » -Jean-Louis Bruch, La
philosophie religieuse de Kant, Paris, Aubier-Montaigne, 1968, p.56.

« Le destructeur en chef du monde moderne. » -Ayn Rand, à propos de Kant,


cité dans Ann C. Heller, Ayn Rand and the world she made, Anchor Books
Edition, 2009, 567 pages, p. 325.

« The archvillain in the history of philosophy: Immanuel Kant.” (p.147)

“I recommend Kant's Critique of Pure Reason. Read it and observe how often
Kant rewrites reality.” (p.153)

-Ayn Rand, Answers, New American Library, 2005, 241 pages.

"Kant's expressly stated purpose was to save the morality of self-abnegation and
self-sacrifice." (p.27)

"An action is moral, said Kant, only if one has no desire to perform it, but
performs it out of a sense of duty and derives no benefit from it of any sort,
neither material nor spiritual ; a benefit destroys the moral value of an action."
(p.29)

"If one finds the present state of the world unintelligible and inexplicable, one
can begin to understand it by realizing that the dominant intellectual influence
today is still Kant's -and that all the leading modern schools of philosophy are
derived from a Kantian base." (p.29)
-Ayn Rand, For the new intellectual, Signet, 1963 (1961 pour la première
édition américaine), 216 pages.

« Je lis avec un plaisir intense ce bon vieux Kant, et ne me laisse troubler par
rien d'autre. Cela me rend heureuse. » -Hannah Arendt, Lettre à Ludwig Greve,

834
20 juillet 1975. Cité dans Elisabeth Young-Bruehl, Hannah Arendt. Biographie,
p.612.

« Si j'avais un modèle théorique, ça serait le modèle kantien, qui consiste à


soumettre à la critique réflexive les instruments avec lesquels on pense la
réalité. » -Pierre Bourdieu, Entretien avec Roger Chartier, 1988. Entretien I
"Qu'est-ce que la sociologie ?".

“We find again in Kant the characteristic form which liberalism, based on real
class interests, assumed in Germany. Neither he, nor the German burghers,
whose whitewashing spokesman he was, noticed that these theoretical ideas of
the bourgeoisie had as their basis material interests and a will that was
conditioned and determined by the material relations of production. Kant,
therefore, separated this theoretical expression from the interests it expressed;
he made the materially motivated determinations of the will of the French
bourgeois into pure self1determinations of "free will", of the will in and for
itself, of the human will, and so converted it into purely ideological
determinations and moral postulates.” -K. Marx and F. Engels, The German
Ideology, edited and abridged by C. J. Arthur (London: Lawrence and Wishart,
1970), p. 99.

« Les doctrines se jugent surtout par leurs produits, c’est-à-dire par l’esprit des
doctrines qu’elles suscitent : or, du kantisme, sont sorties l’éthique de Fichte,
qui est déjà imprégnée de socialisme, et la philosophie de Hegel dont Marx fut
le disciple. » -Émile Durkheim, L’individualisme et les intellectuels, La Revue
des deux mondes (juillet 1898).

"Nous tâcherons de montrer que les jugements mathématiques, physiques et


métaphysiques tenus par Kant pour synthétiques a priori ne le sont pas en
réalité." (p.42-43)
-Georges Kalinowski, L'impossible métaphysique, Paris, Beauchesne, 1981, 257
pages.

« Les décrets sur l’Inconnaissable qui scandent l’histoire de la philosophie


(chez Locke, Kant, Comte, Spencer, etc.), mais dont la science, chaque fois, a
invalidé les prédictions, n’auront pourtant aucune incidence sur la réputation
de leurs auteurs. » -Lilian Truchon. Sortir de l’aporie du matérialisme marxien.
2017. <hal-01593188>, 16 pages, p.14.

835
« Kant et après lui le jeune Fichte déplacent l'idée de nature humaine et pensent
l'unité de l'humanité en termes de destination: les Droits de l'Homme ne sont pas
des droits originaires. Il est cependant possible d'arguer que la rationalité et la
liberté, la capacité d'arrachement aux déterminations naturelles, caractérisent
bien une sorte paradoxale de nature, mais dont l'ouverture, la perfectibilité la
distingue de toute essence immuable et implique la "discutabilité" des
propositions éthiques et politiques. En tout état de cause, le recours à la Nature
n'est guère satisfaisant, puisqu'il paraît possible de lui faire dire à peu près ce
que l'on veut, comme le montre l'exemple du séduisant Calliclès. Le fondement
du Droit ne peut qu'être lui-même de l'ordre de la convention, du discutable,
même s'il s'agit d'une norme supérieure (universalisable), en ce sens qu'elle
permet de critiquer les lois positives. » -Alain Boyer, "Justice et égalité, in
Denis Kambouchner (dir.), Notions de philosophie, III, Gallimard, coll Folio
essais, 1995, 736 pages, pp.9-83, p.30.

http://hydra.forumactif.org/t2100-emile-maurial-le-scepticisme-combattu-dans-
ses-principes-analyse-et-discussion-des-principes-du-scepticisme-de-kant#2811

Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) : « Aucun religion n’a droit à être
protégée par l’Etat. » -Turgot, Lettre sur la tolérance adressée au Grand
vicaire, 1754.

« La valeur n'a d'autre mesure que le besoin ou le désir des contractants


balancé de part et d'autre, et n'est fixée que par l'accord de leur volonté. » -
Turgot, Réflexions sur la formation et la redistribution des richesses, 1766.

« Le paquet arrivera probablement avant le 1er septembre ; je vous prie de le


parcourir avec soin, car votre opinion aura une grande valeur pour moi. » -
David Hume à Turgot, Lettre, 5 août 1766, in Léon Say : David Hume : Oeuvre
économique, Paris, Guillaumin et Cie, 14, rue Richelieu, Sans date, p.143 à
p.148.

« [Turgot] se heurta à la résistance du Parlement de Paris, supprimé par Louis


XV mais imprudemment rétabli par Louis XVI. Défenseurs des privilégiés, les
parlementaires refusèrent, le 4 mars 1776, d'enregistrer les édits abolissant les
corporations et la corvée royale. L'idée d'une subvention territoriale pesant sur
tous hérissait le Parlement qui protesta solennellement: "Tout système qui, sous
une apparence d'humanité et de bienfaisance, tendrait, d'une une monarchie
bien ordonnée, à établir entre les hommes une égalité de devoirs et à détruire
836
les distinctions nécessaires, amènerait bientôt le désordre, suite inévitable de
l'égalité absolue et produirait le renversement de la société... [...]
Le roi dut imposer les édits par un lit de justice, le 12 mars. Victoire à la
Pyrrhus qui condamnait Turgot. Le 12 mai 1776, à la suite d'une cabale menée
par la reine, il était disgracié. » -Jean Tulard, Jean-François Fayard & Alfred
Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française. 1789-1799, Éditions
Robert Lafont, coll. Bouquins, 2002 (1987 pour la première édition), 1223
pages, p.19.

« Turgot, le grand libéral français, ne remet jamais en cause la monarchie


absolue, mais il unit en un plan cohérent la libéralisation du marché des grains,
la suppression des corporations, une réforme fiscale ambitieuse qui conduisait à
liquider les privilèges fiscaux de la noblesse et du clergé, la corvée royale et une
action en faveur de la tolérance religieuse. L'immense majorité de la nation eût
gagné à l'application du projet de cet audacieux réformateur...mais les forces
coalisées de la réaction nobilitaire eurent raison de lui. » -Denis Collin, La
longueur de la chaîne: Essai sur la liberté au XXIe siècle.

« Turgot pense réellement qu'il y a un droit naturel de chaque individu d'être


propriétaire de sa force de travail et d'en disposer comme il l'entend pour la
poursuivre de ses intérêts, pourvu qu'il ne nuise pas aux droits équivalents
d'autrui. Il est extrêmement attaché à ce qu'il appelle très souvent, dans les
textes mêmes des édits royaux qu'il a rédigés, le droit naturel de propriété.
Chacun est par nature bien meilleur juge que n'importe qui d'autre pour juger
de son intérêt. Il est clair pour Turgot, par ailleurs, que les corporations,
jurandes, etc., sont une entrave à la prospérité économique. Ainsi, aussi bien du
point de vue de l'individu que de celui de la collectivité, il est nécessaire de
supprimer les corporations. Il y a chez Turgot une radicalité qui explique
d'ailleurs les oppositions auxquelles il a eu à faire face quand il est arrivé aux
affaires. » -Alain Laurent, discussion faisant suite à Loïc Charles, "L'économie
politique française et le politique", chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot
(dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427
pages, pp.279-312, p.307.

"Tandis que la pensée physiocratique se réfère à un "ordre naturel" statique


privilégiant de manière presque exclusive une économie essentiellement
agricole servant de base à un régime politique fortement hiérarchisé, déjà
dépassé par le cours des choses, celle de Turgot, au contraire, prend en compte
837
l'irruption des droits de l'homme tout autant que de l'industrie et de la finance.
[...] Turgot est d'ailleurs le premier à être conscient de cette distance qui le
sépare de l'approche réductrice, dogmatique et autoritaire de la Physiocratie,
n'hésitant pas à critiquer son "esprit de secte" dans une lettre adressée à
Dupont de Nemours en 1774, ni à parler à son sujet de la "secte économistique".
Alors que, comme l'indique leur nom (attribué justement par Dupont de
Nemours), les Physiocrates s'en tiennent aux mécanismes d'une "nature" qui
surplombe et régit les humains, Turgot prend appui avant tout sur le "système
de la liberté" (une expression matricielle qui scande son célèbre texte,
Réflexions sur la formation et la distribution des richesses). Une liberté qui,
pour être "naturelle", est d'abord celle des individus et qui s'avère porteuse de
créativité et de responsabilité sous la règle du droit. C'est la liberté du
libéralisme, dont Turgot apparaît bien être en France le premier véritable
accoucheur théorique -mais aussi agissant..." (p.314)

"La liberté économique dont doit bénéficier l'individu de l'échange est, à la fois,
la conséquence de la jouissance de ses droits naturels, et ce qui soutient
concrètement l'exercice de ceux-ci. L'évidence de cette étroite connexion dément
totalement la fable colportée par Michel Foucault [...] dans sa Naissance de la
biopolitique [...]
La pensée de Turgot se fonde sur l'affirmation d'une nécessaire réciprocité de
perspective entre la logique de la liberté économique et celle, d'ordre juridico-
politique, de la liberté de l'individu selon le jusnaturalisme moderne." (p.317)

"Turgot et sa mouvance libérale ont été des sympathisants déclarés et souvent


très agissants de la cause de la Révolution américaine." (p.321)
-Alain Laurent, "Lumières et laissez-faire: Turgot, entre les Physiocrates et un
"moment américain" ", chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire
du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.313-322.

http://www.amazon.fr/Formation-distribution-richesses-Anne-Robert-Jacques-
Turgot/dp/2081311453/ref=pd_sim_14_17?ie=UTF8&dpID=511uIJysY7L&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=0HA7WWEZQMEN
FV1A12AZ

http://hydra.forumactif.org/t1681-anne-robert-jacques-turgot-oeuvres#2358

838
Jacques Necker (1732-1804) : « Arrêtez-vous de l’admirer, car vos enfants un
jour le maudiront. Emprunter sans imposer, c’est rejeter sur les générations à
venir le poids des iniquités d’un ministre qui ne voit que sa gloire personnelle et
ses succès présents [...] sont autant de vers rongeurs qui énervent nos forces
présentes, qui anéantissent nos forces prochaines, qui ne nous laissent pour
l’avenir que l’affligeante alternative d’une banqueroute désastreuse ou d’impôts
devenus excessifs pour avoir été retardés contre tous les principes d’une
administration éclairée et prévoyante, et par une complaisance incroyable pour
le charlatanisme inouï du banquier directeur. » -Le Comte de Mirabeau, à
propos de Necker.

François Quesnay (1694-1774) : « Laissez faire et laissez passer, c’est à ces


deux points que se réduisent les éléments et toute la doctrine de l’industrie et du
commerce… L’administration est d’autant plus parfaite qu’elle est plus
conforme à ces deux maximes et qu’elle tend à se décharger de ce poids énorme
dont elle s’était elle-même accablée dans des temps où les administrateurs
avaient cru devoir embrasser tous les détails et avaient entrepris de tout gérer
par eux-mêmes. Lorsque l’administration éclairée des vrais principes vient à
reconnaître qu’il n’appartient pas aux hommes de faire mieux que la nature, ni
d’imaginer pour le commerce et l’industrie de meilleures lois que la liberté,
toute son étude doit être de se rapprocher de l’ordre, et, pour cela, il s’agit, non
de faire, d’ordonner, de prohiber, de réglementer, mais, de défaire, d’élaguer,
de détruire, d’abattre tout ce qui s’oppose à la liberté. » -Guillaume-François Le
Trosne, Lettres à un ami sur les avantages de la liberté du commerce des grains
et le danger des prohibitions, Amsterdam, 1768, p. 57.

« Le physiocrate Quesnay, beaucoup plus libéral qu'on ne le croie


généralement, demande que l'on cesse "d'envisager le commerce entre les
nations comme un état de guerre et comme un pillage sur l'ennemi", car,
explique-t-il, "chacun tend à profiter par le commerce autant qu'il le peut par
ses ventes et dans ses achats". » -Philippe Simonnot, 39 leçons d'économie
contemporaine, Gallimard, coll. folio.essais, 1998, 551 pages, p.30.

« Les idées de base de Quesnay et des physiocrates sont connues. Quesnay


présente dans son Tableau économique la vie économique de la société comme
un processus plus ou moins automatique, comme le cycle fermé de la
production, de la circulation, et de la reproduction des biens. Il évoque les lois
naturelles de la vie en commun, conforme à la raison. C’est en partant de cette
839
thèse que Quesnay s’oppose à l’ingérence arbitraire des administrateurs dans le
fonctionnement du cycle économique. Il exige qu’ils étudient ses lois pour mieux
en canaliser les processus, il veut les empêcher de rendre des ordonnances
dictées par l’ignorance et la fantasie. Il exige la liberté des échanges,
notamment du commerce des céréales, parce qu’à son avis, l’autorégulation, le
libre jeu des forces créent un ordre bien plus bénéfique pour le consommateur et
pour le producteur que la régulation autoritaire traditionnelle et les
innombrables barrières commerciales entre provinces et pays. » -Norbert Elias,
La Civilisation des mœurs, Calmann-Lévy, coll. Agora, 1973 (1939 pour la
parution du premier tome de Über den Prozess der Zivilisation), 507 pages,
p.93-94.

http://www.amazon.fr/Physiocratie-Fran%C3%A7ois-
Quesnay/dp/2081211270/ref=pd_sim_14_12?ie=UTF8&dpID=51u4hSVeZLL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR95%2C160_&refRID=0HA7WWEZQM
ENFV1A12AZ

Jean-Baptiste Say (1767-1832) : « Toute la morale est dans ce vieux proverbe :


Qui mal veut, mal lui arrive. » -Jean-Baptiste Say, Des hommes et de la société,
1817.

« S’il y a quelque bénéfice à retirer d’une entreprise, alors elle n’a pas besoin
d’encouragement; s’il n’y a point de bénéfice à en retirer, alors elle ne mérite
pas d’être encouragée. »

« Le pouvoir productif de l’industrie n’est borné que par l’ignorance et par la


mauvaise administration des Etats. Répandez les lumières et améliorez les
gouvernements, ou plutôt empêchez-les de nuire ; il n’y aura pas de terme
assignable a la multiplication des richesses. »

« Du moment qu’un particulier, une classe de particuliers peuvent s’étayer de


l’autorité pour s’affranchir d’une concurrence, ils acquièrent un privilège aux
dépens de la société ; ils peuvent s’assurer les profits qui ne dérivent pas
entièrement des services productifs qu’ils ont rendus, mais dont une partie est
un véritable impôt mis à leur profit sur les consommateurs; impôt dont ils
partagent presque toujours quelque portion avec l’autorité, qui leur a prêté son
injuste appui. » -Jean-Baptiste Say, Traité d’économie politique.

840
« Les vraies colonies d’un peuple commerçant, ce sont les peuples indépendants
de toutes les parties du monde. (…) Ces peuples alors deviennent pour vous des
amis utiles, et qui ne vous obligent pas de leur accorder des monopoles onéreux,
ni d’entretenir à grands frais des administrations, une marine et des
établissements militaires aux bornes du monde. Un temps viendra où l’on sera
honteux de tant de sottises, et où les colonies n’auront plus d’autres défenseurs
que ceux à qui elles offrent des places lucratives à donner et à recevoir, le tout
au dépens des peuples. » -Jean-Baptiste Say, Traité d’économie politique.

« Un objet manufacturé n’a pas une valeur parce qu’il a coûté de la peine. Il en
a parce qu’il est utile. C’est cette utilité que l’on paie quand il a fallu qu’on la
créât. Là où elle ne se trouve pas, il n’y a point eu de valeur produite, quelque
peine qu’on ait jugé à propos de se donner… Tous les auteurs qui ont voulu
former des systèmes économiques sans les fonder sur la valeur échangeable des
choses, se sont jetés dans des divagations. De là l’importance à fixer nos idées
relativement à la valeur… Ces principes élémentaires ne reposent point sur des
discussions métaphysiques, mais sur des faits. »

« Quand un gouvernement interdit à une compagnie quelconque le droit de


mettre dans la circulation des billets au porteur, n'enfreint-il pas une règle du
droit naturel qui permet à tout homme de contracter des engagements, s'il en
trouve un autre qui juge ces engagements dignes de sa confiance ? »

-Jean-Baptiste Say, Cours complet d'économie politique pratique, 1828-1830.

« L'abandon de toute référence morale ou utilitaire va être explicitée un demi-


siècle après Condillac par Jean-Baptise Say. [...] [Say] délie l'utilité de toute
définition naturaliste des besoins, de toute fondation rationnelle. Par l'évocation
significative de la vanité, il parvient même à inclure la comparaison avec autrui
dans la détermination du désir. Enfin il insiste sur le fait que nous ne pouvons
rien savoir de ce qui se passe dans la tête d'autrui. Tout ce que nous pouvons
connaître de ses préférences, c'est par le prix qu'il met aux choses, à un moment
donné, prix dont on suppose qu'il peut varier de jour en jour, voire d'heure en
heure. » (p.17)
-Philippe Simonnot, 39 leçons d'économie contemporaine, Gallimard, coll.
folio.essais, 1998, 551 pages.

« L'influence de Malebranche sur Quesnay a été bien établie [...] et, de façon
plus générale, l'influence du modèle de l'ordre providentiel sur la pensée des
841
physiocrates n'a pas besoin d'être prouvée. »-Giorgio Agamben, Le Règne et la
Gloire. Pour une généalogie théologique de l'économie et du gouvernement.
Homo Sacer, II, 2. Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », septembre
2008 (2007 pour la première édition italienne), 443 pages, p.413.

« Les économistes ont eu moins d’éclat dans l’histoire que les philosophes ;
moins qu’eux ils ont contribué peut-être à l’avènement de la Révolution ; je
crois pourtant que c’est surtout dans leurs écrits qu’on peut le mieux étudier son
vrai naturel. […] Toutes les institutions que la Révolution devait abolir sans
retour ont été l’objet particulier de leurs attaques ; aucune n’a trouvé grâce à
leurs yeux. Toutes celles, au contraire, qui peuvent passer pour son œuvre
propre ont été annoncées par eux à l’avance et préconisées avec ardeur ; on en
citerait à peine une seule dont le germe n’ait été déposé dans quelques-uns de
leurs écrits ; on trouve en eux tout ce qu’il y a de plus substantiel en elle. »

-Alexis de Tocqueville, L’Ancien régime et la Révolution, Paris, 1988, p.249.

« Jean-Baptiste Say a fait la connaissance de Bentham à la fin de l’Empire, par


le biais de Ricardo et de Francis Place. Ne cachant pas ses idées républicaines,
Say se montre d’emblée extrêmement critique du retour des Bourbons et ne
mâche pas ses mots dans ses lettres à Bentham. » - Emmanuelle De Champs,
« Le « moment utilitaire » ? L’utilitarisme en France sous la Restauration »,
Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 123 | 2014, 73-89.

« Désireux de s’opposer à Smith, à Ricardo et à leurs disciples pourquoi toute


valeur puise sa source dans le seul travail de l’homme, J. B. Say s’étend
longuement sur la productivité du capital. Il développe sa thèse notamment dans
son Cours d’économie politique. Le mérite de Say est d’avoir insisté déjà sur le
fait qu’un accroissement de production au sein d’une population était presque
toujours lié au recours à un capital supplémentaire, lui-même issu d’une
épargne nouvelle. » -François Schaller, La notion de productivité: essai critique.

http://hydra.forumactif.org/t2558-jean-baptise-say-oeuvres-completes#3302

http://www.amazon.com/Republicanism-French-Revolution-Intellectual-Jean-
Baptiste-
ebook/dp/B000RRQRWG/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1429792271&s
r=1-

842
1&keywords=Republicanism+and+the+French+Revolution%3A+An+Intellectu
al+History+of+Jean+Baptiste+Say%E2%80%99s+Political+Economy

Etienne Mayet : « Pour assurer et maintenir la prospérité de nos manufactures,


il est nécessaire que l'ouvrier ne s'enrichisse jamais, qu'il n'ait précisément que
ce qu'il lui faut pour se bien nourrir et se vêtir. Dans une certaine classe du
peuple, trop d'aisance assouplit l'industrie, engendre l'oisiveté et tous les vices
qui en dépendent. A mesure que l'ouvrier s'enrichit, il devient difficile sur le
choix et le salaire du travail. Le salaire de la main-d'œuvre une fois augmenté, il
s'accroît en raison des avantages qu'il procure. C'est un torrent qui a rompu
(...). Personne n'ignore que c'est principalement au bas prix de la main-d'œuvre
que les fabriques de Lyon doivent leur étonnante prospérité. Si la nécessité
cesse de contraindre l'ouvrier à recevoir de l'occupation, quelque salaire qu'on
lui offre, s'il parvient à se dégager de cette espèce de servitude, si ses profits
excèdent ses besoins au point qu'il puisse subsister quelque temps sans le
secours de ses mains, il emploiera ce temps à former une ligue. N'ignorant pas
que le marchand ne peut éternellement se passer de lui, il osera, à son tour, lui
prescrire les lois qui mettront celui-ci hors d'état de soutenir toute concurrence
avec les manufactures étrangères, et, de ce renversement auquel le bien-être de
l'ouvrier aura donné lieu, proviendra la ruine totale de la fabrique. Il est donc
très important aux fabricants de Lyon de retenir l'ouvrier dans un besoin
continuel de travail, de ne jamais oublier que le bas prix de la main d'œuvre
leur est non seulement avantageux par lui-même, mais qu'il le devient encore en
rendant l'ouvrier plus laborieux, plus réglé dans ses mœurs, plus soumis à leurs
volontés. » -Etienne Mayet, Mémoire sur les fabriques de Lyon, 1786 (cf:
https://books.google.fr/books?id=G5GqOuJAZl0C&pg=PA21&lpg=PA21&dq=
Etienne+Mayet&source=bl&ots=V0iSyOVeN8&sig=Mdxjgr-
oBc1wWPNIMmaU44UYjKU&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjIvKv-
_tPKAhWFfRoKHRa_CM04ChDoAQgeMAA#v=onepage&q=Etienne%20Ma
yet&f=false ).

Simon-Nicolas-Henri Linguet : https://www.amazon.fr/Th%C3%A9orie-


civiles-Principes-fondamentaux-
soci%C3%A9t%C3%A9/dp/2213014728/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=14617094
29&sr=8-1&keywords=Th%C3%A9orie+des+lois+civiles

La Guerre d’indépendance des États-Unis (1775-1783): « Jamais le soleil


n’éclaira une cause plus importante. Ce n’est pas l’affaire d’une ville, d’un
843
comté, d’une province ou d’un royaume ; c’est celle d’un continent, d’un
huitième, pour le moins, de la terre habitable. Ce n’est pas l’intérêt d’un jour,
d’une année ou d’un siècle ; la postérité est virtuellement impliquée dans ce
débat, et sentira plus ou moins le contrecoup des opinions actuelles jusqu’à la
fin des âges. Nous sommes au moment où l’union, la bonne foi, l’honneur des
peuples du continent de l’Amérique doivent jeter leurs éternelles semences. » -
Thomas Paine, Le Sens commun, 1776.

« En tant que système fondé sur l'autonomie de la personne, le libéralisme a


trouvé dans la mentalité américaine son assise la plus solide. Pour elle, il n'était
pas seulement une philosophie ; il était le constat d'une expérience. Le citoyen
américain n'a pas hérité du roi sa nation ; il l'a gagnée sur la "frontière" dans
sa marche vers l'Ouest ; sa liberté, il ne l'a pas trouvée dans un texte, il l'a
acquise par sa victoire sur les forces de la nature ; sa sûreté, elle ne lui a pas
été octroyée par un Act d'Habeas corpus, mais par la volonté d'hommes libres
résolus à ce que la justice procède d'un jury, c'est-à-dire d'un jugement qu'ils
ont eux-mêmes prononcé. » -Georges Burdeau, Le libéralisme, Éditions du
Seuil, 1979, 306 pages, p.39-40.

« Tout comme la guerre d'indépendance contre l'Angleterre avait été menée et


remportée par une minorité d'Américains, ce fut une minorité qui transforma les
Articles de Confédération en Constitution fédérale. Là encore, l'affaire eut bien
des caractères d'un coup de force, une petite faction poussant le projet d'une
Constitution fédérale pour installer aux Etats-Unis un pouvoir puissant et
centralisé. Comme dans les autres cas que nous avons examinés, la théorie et sa
justification ne vinrent qu'après son succès. Les Federalist Papers ne furent pas
écrits pour persuader l'opinion de donner son assentiment ; ils furent écrits
après les faits, et pour leur fournir une rationalisation rétrospective. » -Madsen
Pirie, La Micropolitique. Comment faire une politique qui gagne, p.63.

https://www.amazon.fr/R%C3%A9volution-am%C3%A9ricaine-Bernard-
COTTRET/dp/2262022429/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1465306023&sr=8-
1&keywords=Bernard-Cottret-La-revolution-americaine

https://www.amazon.fr/Nous-peuple-origines-nationalisme-
am%C3%A9ricain/dp/2070713016/ref=sr_1_31?s=books&ie=UTF8&qid=1478
796223&sr=1-31&keywords=nationalisme

844
https://www.amazon.fr/Histoire-Am%C3%A9ricains-Daniel-
Boorstin/dp/2221067983/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1465305749&sr=8-
3&keywords=Boorstin

Benjamin Franklin (1706-1790):

Thomas Jefferson (1743-1826): « Le peuple est le seul sur lequel nous


puissions compter pour préserver notre liberté. »

« Obliger un homme à payer des impôts pour la propagation d'idées qu'il


désapprouve et abhorre est scandaleux et tyrannique. » -Thomas Jefferson.

“I too am an Epicurean. I consider the genuine (not the imputed) doctrines of


Epicurus as containing everything rational in moral philosophy which Greece
and Rome have left us. Epictetus indeed, has given us what was good of the
stoics; all beyond, of their dogmas, being hypocrisy and grimace. Their great
crime was in their calumnies of Epicurus and misrepresentations of his
doctrines; in which we lament to see the candid character of Cicero engaging as
an accomplice.” –Thomas Jefferson, letter à William Short, 1819.

"Jefferson, who actually read the Dialogues [of Plato], discovered in them only
the "sophisms, futilities, and incomprehensibilities" of a "foggy mind"."
-Bernard Bailyn, The Ideological Origins of the American Revolution,
Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 1992 (1967 pour la
première édition états-unienne), 396 pages, p.24.

"If i had to choose one [of the Founding Fathers], i would say Thomas Jefferson
-for the Declaration of Independance, which is probably the greatest document
in human history, both philosophically and literarily.” -Ayn Rand, Answers,
New American Library, 2005, 241 pages, p.1.

« Thomas Jefferson (le rival « libertarien » de George Washington au moment


de l'élaboration de la Constitution américaine). » -Henri Lepage, Demain le
capitalisme, Éditions le Livre de Poche, coll. Pluriel, 1978, 448 pages, p.29.

« Le Fédéraliste n'exprime qu'une partie du républicanisme américain. Une


vision alternative est celle de Thomas Jefferson (17 43-1826), le troisième
président des États-Unis, de 1801 à 1809. L’un des pères de la Déclaration
d'indépendance peut être situé dans le sillage du libéralisme lockéen et de sa
doctrine des droits naturels. Apôtre du droit originel de chacun au bonheur et

845
de la félicité publique, il fut un partisan de l'instruction publique et de la
tolérance religieuse. Sa plus grande originalité par rapport à Hamilton et
Madison tient à deux éléments indissociables. D'abord, il se méfiait de la
centralisation du modèle fédéral et prônait un auto-gouvernement démocratique
ancré dans les communautés locales. Ensuite, la liberté républicaine supposait
selon lui l'indépendance des petits propriétaires et fermiers : hostile à la
civilisation urbaine et industrielle, il prônait un modèle agricole en lien avec la
nature et préservant les citoyens de toute corruption morale. » -Serge
Audier, Les théories de la république, Paris, Éditions La Découverte, coll.
Repères, 2015 (2004 pour la première édition), 125 pages. p.43.

http://www.amazon.fr/%C3%89crits-politiques-Thomas-
Jefferson/dp/2251390421/ref=sr_1_33?s=books&ie=UTF8&qid=1450609794&
sr=1-33&keywords=libert%C3%A9+politiquo

John Adams (1735-1826): “What do we mean by the Revolution ? The war ?


That was no part of the Revolution ; it was only an effect and consequence of it.
The Revolution was in the minds of the people, and this was effected, from 1760
to 1775, in the course of fifteen years before a drop of blood was shed at
Lexington. The records of thirteen legislatures, the pamphlets, newspapers in all
the colonies, ought to be consulted during that period to ascertain the steps by
which the public opinion was enlightened and informed concerning the authority
of Parliament over the colonies.” –John Adams to Jefferson, 1815.

James Madison (1751-1836): “In Europe, charters of liberty have been granted
by power. America has set the example and France has followed it, of charters
of power granted by liberty. This revolution in the practice of the world may,
with an honest praise, be pronounced the most triumphant epoch of its history
and the most consoling presage of its happiness.” –James Madison, 1792.

Andrew Jackson (1767-1845): « Ce que j’ai appelé l’ « antithèse » du


nationalisme [civique] américain a des racines ethno-religieuses. Par certains
aspects, cette tradition relève de ce qu’on a pu nommer le « nationalisme
jacksonien », du nom du président Andrew Jackson (1767-1848). […] Courants
qui tendent naturellement à remonter à la surface en temps de crise ou de
conflit. » (p.31)

846
« Au milieu du XIXe siècle, le mouvement nativiste des « know nothing » rêvait
de revenir à l’Amérique protestante des débuts, débarrassée des catholiques
irlandais et du capitalisme émergent. » (p.209)

« Si le « nationalisme jacksonien » comporte d’autres éléments significatifs, tels


que le nativisme, l’anti-élitisme, l’anti-intellectualisme et l’aversion pour le
Nord-Est, une forte conscience de l’identité blanche et une violente hostilité
envers les autres races en ont été au cœur depuis toujours. » (p.216)

« Les autres éléments qui ont façonné au cours du temps la tradition populiste-
nationaliste en Amérique sont l’expérience sudiste de l’esclavage, les traditions
culturelles et historiques propres aux protestants écossais d’Irlande qui
dominèrent la frontière sud, ainsi qu’une culture de groupe profondément
influencée par le protestantisme évangélique. » (p.218)

« Pour chaque famille ayant trouvé dans l’Ouest le bonheur et la réussite, il y en


avait une autre « convenable mais chancelante, qui laissait derrière elle un
siècle de fermes en faillite, de suicides de ses hommes, de tombes d’enfants
semées sur la route depuis l’Ohio jusqu’à la Côte, que le malheur avait poussé
en vain vers l’Ouest » [Ursula K. Le Guin, « Malheur County », dans The
Compass Rose (Grafton Books, Londres, 1984). » (p.230)

-Anatol Lieven, Le nouveau nationalisme américain, Gallimard, 2005 (2004


pour la première édition états-unienne), 489 pages.

Alexander Hamilton (1757-1804) : « Sa matrice naît dès 1790 sous la plume


d’Alexander Hamilton. Cet homme politique américain défendit très tôt une
politique « continentaliste » (entendre protectionniste) dans le but de favoriser
une politique économique agraire et industrielle protégée par des tarifs
douaniers. […]
Ici se retrouve la méfiance précoce des Américains envers l’Europe et leur
conviction d’être une nouvelle nation morale et divinement élue. » (p.31)

« En 1825, List se rend aux Etats-Unis d’Amérique accompagné du Général La


Fayette. Il y rédigea Outlines of American Political Economy, où y est repris
tout particulièrement l’argument de l’industrie naissante de l’économiste
américain Daniel Raymond. Dans cet ouvrage également, List vante le blocus
du continent européen mis en place par le 1er Empire, qui permit aux industries
allemandes d’émerger, ainsi qu’au nationalisme économique français tel qu’il

847
s’exprime dans les écrits d’Adolphe Thiers et de Mathieu de Dombasle. List
exporte ce modèle économique française aux Etats-Unis, et contribue ainsi
fortement à l’élaboration des futures politiques protectionnistes américaines. »
(p.33)

« En 1828, les taux de tarifs douaniers dépassent 40%, contre 16% en 1816.
[…] Leur balance de commerce extérieur passe de 230 à 762 millions de dollars
entre 1830 et 1860. Leurs tarifs douaniers financent la part la plus substantielle
de leur trésor public (jusqu’en 1890). Les subsides de cette politique ne profitent
majoritairement qu’aux Etats du Nord républicains, alors que le Sud démocrate
subit plus fortment la hausse des produits manufacturés. […] Cette frustration
économique liée à des arts de vivre très différents va mener à la guerre de
Sécession. » (p.33)

« Les plus hauts tarifs protectionnistes parmi les nations industrialisées. Le tarif
Dingley est adopté en 1897. La moyenne du taux ad valorem sur les
marchandises importées imposables reste de 49%, mais le pourcentage des
importations imposables passe de 44% à 56%. » (p.34)

-Christian Harbulot, Le nationalisme économique américain, VA Editions, coll.


« Guerre de l’information », 2017, 117 pages.

Richard Price (1723-1791) : « Tout gouvernement, y compris dans les limites


d’un Etat, devient tyrannique dès lors qu’il exerce un pouvoir inutile et gratuit,
c’est-à-dire qu’il excède ce qui est absolument nécessaire pour préserver la paix
et pour assurer la sécurité de l’Etat. C’est ce qu’un excellent écrivain appelle
“trop gouverner” et cela doit toujours avoir pour effet d’affaiblir le
gouvernement en le rendant odieux et méprisable. » -Richard Price,
Observations on the Nature of Civil Liberty (1776), part II, sct. 3 (in Political
Writings, Cambridge U. P., p. 46.

« Les individus, à beaucoup d’égards, sont mieux placés pour évaluer et réaliser
ce qui leur convient que les magistrats, en tant que tels, ne peuvent l’être. »
(Ibid, VI, p.64)

« [Tout pays] qui est sujet à la législature d’un autre pays dans lequel il n’a pas
voix au chapitre, et sur lequel il n’a pas de contrôle, ne peut être dit gouverné
par sa propre volonté. Un tel pays est, par conséquent, dans un état
d’esclavage. » -Richard Price, Two Tracts on Civil Liberty, 1778.

848
http://hydra.forumactif.org/t4591-richard-price-a-discourse-on-the-love-of-our-
country#5511

Thomas Paine (1737-1809): « Il y a deux classes distinctes de personnes dans


la nation : ceux qui payent des impôts, et ceux qui reçoivent et vivent des impôts
». -Thomas Paine, Letter Addressed to the Addressers, 1792, p. 19.

« Lorsque le riche spolie le pauvre de ses droits, il donne l’exemple au pauvre,


qui ne peut que spolier le riche de sa propriété. » -Thomas Paine, Letter
Addressed to the Addressers, 1792, p. 69.

« Celui qui voudrait préserver sa liberté doit garder même ses ennemis de
l'oppression ; car s'il viole ce devoir il établit un précédent qui se retournera
contre lui. » -Thomas Paine.

« L’homme n’est point entré en société pour être pire qu’il était auparavant, ni
pour avoir moins de droits qu’il n’en avait, mais pour que ces droits lui fussent
mieux assurés. » -Thomas Paine, Les Droits de l’Homme.

« Thomas Paine, le "phare" du jacobinisme anglais. » -Miguel Abensour, La


passion d'Edward P. Thompson, introduction à Edward P. Thompson, La
formation de la classe ouvrière anglaise, Editions Points, 2012 (1963 pour
l'édition originale anglaise), 1164 pages, p.XLI.

« Les Droits de l’homme de Tom Paine était interdit. »

« Comme on le verra, la Révolution française fut surtout bien accueillie à ses


débuts par des groupes issues des classes moyennes et de la Dissidence. Ce n'est
qu'en 1792 que ces idées conquirent un large public populaire, grâce surtout
aux Droits de l'homme de Paine. » (p.96)

« Les Droits de l'homme est le texte fondateur du mouvement ouvrier anglais. »


(p.118)

-Edward P. Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise, Editions


Points, 2012 (1963 pour l'édition originale anglaise), 1164 p.

http://www.amazon.fr/Thomas-Paine-Ou-Religion-
libert%C3%A9/dp/2700726359/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1457630318&sr=8-
1&keywords=Vincent-Bernard-Thomas-Paine

849
http://www.amazon.fr/droits-lhomme-Thomas-
Paine/dp/2701151694/ref=asap_bc?ie=UTF8

http://hydra.forumactif.org/t635-thomas-paine-oeuvres

Quatrième Guerre anglo-néerlandaise (1780-1784) :

Louis XVI et Marie-Antoinette : « Marie-Antoinette trahissait la France en


transmettant des informations aux armées alliées. » -Raymond Aron, « Le
dernier refuge de la liberté ? », Le Genre humain, 1988/1 (N° 16-17), p. 19-40.
DOI : 10.3917/lgh.016.0019. URL : https://www.cairn.info/revue-le-genre-
humain-1988-1-page-19.htm . Il s'agit de la reprise de la préface d'Aron à André
Thérive, Essai sur les trahisons, Paris, Calmann-Lévy, 1951, p.22.

La Guerre des farines : http://www.amazon.fr/guerre-farines-Contribution-


lhistoire-
R%C3%A9volution/dp/2706101601/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1459774236&s
r=8-3&keywords=histoire+des+luttes+de+classes

La Révolution française (1789- 9 novembre 1799) : « C'était le meilleur et le


pire des temps, le siècle de la sagesse et de la folie, l'ère de la foi et de
l'incrédulité, la saison de la lumière et des ténèbres, le printemps de l'espérance
et l'hiver du désespoir ; devant lui, le monde avait tout ou rien, il allait tout droit
au ciel et tout droit en enfer — bref, cette époque ressemblait tellement à la
nôtre que les censeurs les plus bruyants n'en parlaient en bien ou en mal qu'au
superlatif. » -Charles Dickens, A Tale of Two Cities, A Story of the French
Revolution, 1859.

"Tout âme abattue, brisée, tout cœur d'homme ou de nation, n'a, pour se relever,
qu'à regarder là: c'est un miroir où chaque fois que l'humanité se voit, elle se
retrouve héroïque, magnanime, désintéressée [...] Ce sont les jours sacrés du
monde, jours bienheureux pour l'Histoire." (p.54)
-Jules Michelet, préface de 1847 à l'Histoire de la Révolution française, tome I,
Paris, Alphonse Lemerre éditeur, 1847, 514 pages.

"Les disputes socialistes, les idées qu'on croit aujourd'hui nouvelles et


paradoxales, se sont agitées dans le sein du Christianisme et de la Révolution. Il
est peu de ces idées dans lesquelles les deux systèmes ne soient entrés bien
avant. La Révolution spécialement, dans sa rapide apparition, où elle réalisa si
peu, a vu, aux lueurs de la foudre, des profondeurs inconnues, des abîmes
850
d'avenir." (p.58)
-Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, tome I, Paris, Alphonse
Lemerre éditeur, 1847, 514 pages.

« Rappelez-vous, messieurs, la révolution française ; remontez à cette origine


terrible et glorieuse de notre histoire moderne. » (p.541)

« Messieurs, qu’est-ce qui a brisé toutes ces entraves qui de tous côtés
arrêtaient le libre mouvement des personnes, des biens, des idées ? Qu’est-ce
qui a restitué à l’homme sa grandeur individuelle, qui est sa vraie grandeur, qui
? La révolution française elle-même. » (p.543)

-Alexis de Tocqueville, Études économiques, politiques et littéraires, Michel


Lévy, 1866 (Œuvres complètes, vol. IX, pp. 536-552).

« [La Révolution française] a été plus entière que celle de l'Amérique, et par
conséquent moins paisible dans l'intérieur, parce que les Américains, contents
des lois civiles et criminelles qu'ils avaient reçues de l'Angleterre ; n'ayant point
à réformer un système vicieux d'impositions ; n'ayant à détruire ni tyrannies
féodales, ni distinctions héréditaires, ni corporations privilégiées, riches ou
puissantes, ni un système d'intolérance religieuse, se bornèrent à établir de
nouveaux pouvoirs, à les substituer à ceux que la nation britannique avait
jusqu'alors exercés sur eux. Rien, dans ces innovations, n'atteignait la masse du
peuple ; rien ne changeait les relations qui s'étaient formées entre les individus.
En France, par la raison contraire, la révolution devait embrasser l'économie
tout entière de la société, changer toutes les relations sociales, et pénétrer jus-
qu'aux derniers anneaux de la chaîne politique ; jusqu'aux individus qui, vivant
en paix de leurs biens ou de leur industrie, ne tiennent aux mouvements publics
ni par leurs opinions, ni par leurs occupations, ni par des intérêts de fortune,
d'ambition ou de gloire. » -Nicolas de Condorcet, Esquisse d'un tableau
historique des progrès de l'esprit humain, "Les classiques des sciences sociales",
1793, p.169.

« Cet événement [la Révolution française] est trop important, trop mêlé aux
intérêts de l'humanité, et d'une influence trop vaste sur toutes les parties du
monde, pour ne pas devoir être remis en mémoire aux peuples à l'occasion de
circonstances favorables, et rappelé lors de la reprise de nouvelles tentatives de
ce genre. » -Emmanuel Kant, Le conflit des facultés, 1798 in Opuscule sur
l'histoire, GF Flammarion, Paris, 1990, 245 pages, p.215.
851
« La Révolution française […] couronna le peuple. » -Victor Hugo, Les
Misérables, tome 2, p. 207.

« Le sentiment plébéien de la Patrie [...] s'est affirmé avec la Révolution


française. » -Julius Evola, Révolte contre le monde moderne, chapitre 12
"Déclin de l’oecumène médiéval - Les nations", Les Éditions de L'Homme Ltée,
Copyright, Ottawa, 1972 (1934 pour la première édition italienne), 479 pages.

« Quel autre but se propose ou doit se proposer le gouvernement, que d'unir les
hommes par les liens de la fraternité ? Et comment atteindre ce but, si ce n'est
par des assemblées fréquentes ou ils délibèrent ? Le meilleur gouvernement sera
donc celui qui donnera toute la publicité possible aux actions des individus ; et
il n'y a que ce moyen d'établir le règne de la volonté, de la liberté, de la loi, de
l'amour, expressions qui, dans la sagesse primitive des langues, dérivent de la
même racine et signifient la même chose. Espérons que dans les nouveaux
progrès de la révolution la sagesse collective des hommes brisera enfin le joug
de fer de la propriété, et rendra à nos enfants le bonheur de l'age d'or, l'héritage
commun de la terre, la communauté illimitée des jouissances !

Cette perspective éloignée est la seule chose qui réjouisse mon cœur, au milieu
de la corruption de la société ; elle seule verse dans mon sein le baume de la
consolation, parmi les soins rongeurs qui consument mon existence. » -John
Oswald, Le Gouvernement du Peuple, ou Plan de constitution pour la
République universelle, 1793.

« Comment expliquer que ces bourgeois honorables aient réussi à abattre


quelque chose de si grand et aient vaincu, là où les Retz, les Condé, d'autres
hommes certes, avaient combattu sans succès, ce que les Fénelon, les Vauban,
les d'Aguesseau avaient critiqué sans effet - et servi ? » -Augustin Cochin, La
Révolution et la libre-pensée, p.6.

« Il s’agit de montrer que Boileau, Descartes, Lemaistre de Sacy, Corneille,


Racine, Fléchier, etc. sont les ancêtres de Saint-Just et de Robespierre. Ce qui
les retenait, c’est que le dogme monarchique et religieux était intact ; une fois
ce dogme usé par ses excès et renversé par la vue scientifique du monde
(Newton apporté par Voltaire), l’esprit classique a produit fatalement la théorie
de l’homme naturel abstrait et le contrat social. » -Hippolyte Taine, lettre à
Boutmy du 31 juillet 1874, cité dans François Léger, « Taine et les Origines de

852
la France contemporaine », introduction à L’Ancien Régime (1876), Les
Origines de la France contemporaine, t.1, Paris, Laffont, 1986, p.XXXI.

« On ne songe donc pas, tout en proclamant « la souveraineté du peuple », à


fonder une véritable démocratie, à confier le gouvernement de la nation à ce
que nous appelons aujourd’hui le suffrage universel, chose alors innomée tant
l’idée était étrangère aux penseurs du XVIIIème siècle. » -Alphonse Aulard,
Histoire politique de la Révolution française – Origines et Développement de la
Démocratie et de la République (1789-1804), Armand Colin, Paris, 1901, 870
pages, p. 25.

« La Révolution française s’est posée comme une réaction contre les principes
religieux et les formes sociales du moyen-âge. Elle a remplacé le dogme
chrétien de l’autorité par le dogme païen de la liberté, la foi par la raison, la
grâce arbitraire par la justice, l’obéissance par le droit, la résignation par la
lutte, la hiérarchie par la légalité. » -Louis Ménard, Lettres d’un mort. Opinions
d’un païen sur la société moderne (1895).

« L'absolutisme - transposition matérialiste de l'idée unitaire traditionnelle


ouvre le voie à la démagogie et aux révolutions nationales. Et là où les rois,
dans leur lutte contre l'aristocratie féodale et leur œuvre de centralisation
politique, furent logiquement portés à favoriser les revendications de la
bourgeoisie et de la plèbe contre la noblesse féodale, le processus s'accomplit
plus rapidement. […]

On peut dire que c'est justement pour avoir été une des premières à initier un tel
bouleversement que la France, en donnant un caractère centralisateur et
nationaliste à l'idée d'État, eut à subir la première l'écroulement du régime
monarchique et l'avènement de la République, au sens d'une arrivée au pouvoir,
résolue et déclarée, du Tiers-État, à tel point qu'elle apparut aux yeux des
nations européennes comme le principal foyer de ferment révolutionnaire et de
la mentalité laïque, nationaliste, illuministe, et donc mortelle pour les dernières
survivances de la Tradition. » -Julius Evola, Révolte contre le monde moderne
(1934).

"De la Régence au règne de Louis XVI s'est crée un déficit des finances royales
dû à un constant accroissement des dépenses et à un phénomène général
d'inflation. La hausse des prix entraînant celle des traitements y a sa part de
responsabilité. Le budget de la guerre ne cesse de se gonfler: 60 millions en
853
1740, 106 en 1788. C'est que les dernières opérations ont été le plus souvent
maritimes ou lointaines provoquant des dépenses considérables. La guerre
d'Amérique à elle seule aurait coûté près de deux milliards.
Un secteur contesté: les dépenses de la cour. Elles ne représentent en réalité
que 6%. Atteignant 27 millions, le chiffre des pensions concerne surtout
d'anciens soldats ou serviteurs de l'Etat et les grosses allocations sont peu
nombreuses. Mais leur impopularité, depuis que Necker en a révélé le montant,
est grande.
En revanche, on oublie dans la critique des finances royales le service des
intérêts des emprunts: 318 millions en 1788, soit 50% des dépenses. Trop
d'emprunts ont été émis. Le fardeau en est maintenant particulièrement lourd."
(p.18)

"A son tour, l'assemblée du clergé, réunie du 5 mai au 5 juin 1788, se déclarait
solidaire du Parlement de Paris, refusait le don gratuit et réclamait la
convocation des états généraux. L'agitation touchait aussi bien la Bretagne que
le Béarn, Dijon et Toulouse étaient gagnés. Partout les intendants, quelque peu
dépassés, renonçaient à maintenir l'ordre.
C'est en Dauphiné qu'eurent lieu les troubles les plus graves. Quand, l'intendant
Caze de la Bove voulut exiler le Parlement de Grenoble, en révolte contre
l'autorité royale, les Grenoblois prirent parti pour les conseillers et
bombardèrent du haut des toits les soldats du roi: ce fut, le 7 juin, la journée des
tuiles. Il fallut céder et réinstaller le Parlement. [...]
La révolte venait à l'origine des parlementaires et masquait, derrière des idées
démagogiques qui abusaient le peuple, la défense des privilèges." (p.23

"Survient la mauvaise récolte de 1788. Année humide avec de gros orages en


juillet qui ravagent les récoltes de Normandie, de Champagne et des Flandres.
Un quart de la production est perdu dans certaines régions. L'hiver de 1788-
1789 sera rigoureux, la récolte de 1789 médiocre.
Cette fois les prix flambent: de 75 à 100 % dans le Nord-Est et l'Est ; 50% dans
le Nord-Ouest. [...]
Malchance supplémentaire: dans la soie, la récolte de 1787 est désastreuse.
Ajoutons-y une crise de la laine en rapport avec de mauvaises rentrées de
fourrage. Concurrence anglaise [traité de libre-échange de 1786] et manque de
matières premières précipitent la crise de l'industrie textile [...] En Champagne
la moitié des métiers sont arrêtés. Même proportion pour la soierie lyonnaise et
dans les centres normands d'Elbeuf ou Louviers. Partout la basse des salaires
854
est rude." (p.23-24)
-Jean Tulard, Jean-François Fayard & Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de
la Révolution française. 1789-1799, Éditions Robert Lafont, coll. Bouquins,
2002 (1987 pour la première édition), 1223 pages.

"Lorsqu'en avril 1792, par exemple, les Girondins firent déclarer la guerre à
l'Autriche, les raisons qu'ils avaient d'agir ainsi sont aujourd'hui sans
ambiguïté. L'Assemblée constituante avait conjuré la banqueroute, à l'automne
1789, en confisquant les biens du clergé estimés à quelque trois milliards et
demi ; à l'automne 1791, deux milliards, ou presque, d’assignats étaient déjà en
circulation ; leur gage, constitué par ces "biens" devenus "nationaux,
s'amenuisait ; commençait la dépréciation de ce papier-monnaie ; autrement dit
la banqueroute de l'Etat redevenait menaçante et il fallait à tout prix se
procurer de l'argent frais. Où en trouver ? Pas de problème. Les riches
provinces autrichiennes, de l'autre côté de la frontière, au nord et à l'est, quelles
belles proies ! Narbonne, le ministre de la Guerre, est explicite à souhait, le 14
décembre ; une nécessité pour nous, dit-il, la guerre à l'Autriche: "le sort des
créanciers de l'Etat en dépend". Le prix du pain, d'autre part, n'a pas été
étranger à la facilité avec laquelle les opérateurs bourgeois ont pu se servir, le
14 juillet 1789, contre leurs rivaux aristocrates, du bélier populaire. Après une
baisse en 1790, le pain redevenait cher et l'agitation reprenait chez les exploités
des campagnes et des manufactures ; ils parlaient dangereusement de
"maximum", c'est-à-dire d'une fixation, par les autorités, du prix de vente que ne
devrait pas dépasser la "miche" -le pain de quatre livres, nourriture de base des
travailleurs. Les Girondins s'opposent absolument au "maximum". "Tout ce que
peut et doit faire l'Etat en matière économique, professait Roland, c'est déclarer
qu'il ne saurait, en aucun cas, intervenir". Liberté d'abord ; et nul n'ignore quelle
passion pour la liberté animait les Girondins. La liberté économique -le
"libéralisme"- était pour eux un dogme. Les marges bénéficiaires sont sacrées.
En mars 1792, une émeute d'affamés éclate à Étampes ; le maire (un industriel,
un tanneur) est tué. Il n'y a plus une minute à perdre pour cette diversion
nationale dont la guerre fournit le bienfait. C'est ce qu'avait indiqué Brissot, dès
le 29 décembre 1791, lorsqu'il s'était écrié, limpide: "La guerre est
indispensable à nos finances et à la tranquillité intérieure". [...]
La guerre de 1792, cette guerre d'agression, combattue en vain par
Robespierre, fut donc, et ouvertement, décidée pour des motifs de politique
intérieure." (p.9-10)
855
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

« Le présent ce n'est pas le présent temporel, c'est ce qui est suffisamment


présent pour être enjeu de luttes. Par exemple, la Révolution française peut être
très présente. » -Pierre Bourdieu, Entretien avec Roger Chartier, 1988. Entretien
I "Qu'est-ce que la sociologie ?".

"L'interprétation classique n'inverse-t-elle pas l'ordre des raisons et ne faudrait-


il pas plutôt considérer que c'est la Révolution qui a inventé les Lumières en
voulant enraciner sa légitimité dans un corpus de textes et d'auteurs dondateurs,
réconciliés par-delà leurs différences vives, unis dans la préparation de la
rupture d'avec l'ancien monde ?" (p.17)

"Géographie du serment à la Constitution civile du clergé, exigé de tous les


prêtres au printemps de 1791 et prêté par 54% des curés, vicaires et desservants
en exercice. Le contraste est net entre la France des prêtres constitutionnels, qui
acceptent de devenir des "fonctionnaires publics ecclésiastiques", et celle des
réfractaires, qui refusent de jurer allégeance à la nouvelle Constitution. La
première est forte de deux bastions: d'une part, un Bassin parisien très
largement découpé, incluant la Picardie, la Champagne, le Berry, le
Bourbonnais et jusqu'à une partie de la Guyenne ; d'autre part, sur la rive
gauche de la Saône et du Rhône, un ensemble qui comprend la Bresse, le Bugey,
le Dauphiné et la Provence. La seconde enserre le vaste triangle parisien de
trois côtés, à l'ouest (dans la partie occidentale de la Normandie, en Bretagne,
en Anjou, dans le Bas-Poitou), au nord (en Flandre, Artois et Hainaut) et à l'est,
de l'Alsace à la Franche-Comté, et elle pénètre en coin entre les deux môles de
constitutionnels puisque le coeur du Massif central et le Languedoc refusent
massivement le serment." (p.155-156)

"La déchristianisation radicale de l'an II, particulièrement intense entre


septembre 1793 et août 1794, menée par les représentants en mission, les
armées révolutionnaires et les sociétés populaires, retrouve à peu près les
mêmes clivages." (p.157)

"Déchristianisation ne signifie pas désacralisation. [...] La référence antique,


romaine et grecque, substituée à la citation biblique, fournit, tout à la fois, un
lexique et une esthétique à ce transfert de sacralité. Par exemple, le nouveau
paradigme de la peinture -tel qu'il s'affirme dans les oeuvres maitresses de
856
David, présentées au Salon, le Bélisaire de 1781, le Serment des Horaces de
1784, la Mort de Socrate de 1787 et le Brutus de 1789- témoigne pour une
conception de la représentation, inspirée de Diderot [...] mise au service de la
célébration de la vertu civique. Par le choix des sujets antiques, patriotiques et
politiques, mais plus encore par une manière qui bouscule les règles et les
conventions académiques, la peinture de David en cette dernière décennie de
l'Ancien Régime vise à produire sur le spectateur une motion, un enthousiasme,
une perte de soi, qui transportent sur l'expérience esthétique quelque chose de
l'expérience religieuse. La réception chaleureuse du public des Salons, qui fait
contraste avec les réticences des critiques académiques, attachés à relever les
fautes du peintre, indique que pour beaucoup le sacré est désormais éprouvé
hors de ses formalités ecclésiales." (p.245)

"La France du XVIIIe siècle a donc, elle aussi, ses "intellectuels aliénés".
Avocats sans causes et écrivains sans position ont organisé leur existence
sociale à partir d'une représentation périmée de la valeur des titres
universitaires ou de l'évidence du talent. Saturées ou confisquées, les places
qu'ils espéraient sont devenus hors de leur portée, les contraignant à accepter
des emplois moins prestigieux et moins rémunérateurs, voire même, parfois,
pour les seconds, des tâches sans honneur. Les uns et les autres ont joué un rôle
décisif dans le processus prérévolutionnaire: les écrivains en multipliant
pamphlets et libelles, les avocats en encadrant la campagne du parti patriote et
la consultation préparant les Etats généraux." (p.272)

"Second paradoxe: c'est au terme du long processus qui invente de la sphère


privée que s'instaure la toute-puissance de la chose publique. En entrant en
Révolution, le royaume semble tout entier entrer en politique et ne plus
concéder aucune place aux plaisirs et aux passions du particulier. Tout un
ensemble de pratiques qui, avant 89, relevaient de la préférence personnelle, du
retrait hors l'autorité monarchique, se trouve envahi, dévoré, par les décrets
étatiques: par exemple les manières de se vêtir, les décors et les objets du
quotidien, les conventions de la vie familiale, ou le langage lui-même. Dans sa
volonté d'établir une transparence absolue et une unanimité enthousiaste, la
Révolution entend soumettre au public la totalité des existences. Ainsi, elle
pense conjurer les dangers du privé, domaine des intérêts contradictoires, des
jouissances égoïstes, des entreprises secrètes. La publicité des conduites devient
la condition et le gage du nouvel ordre." (p.278)

857
"Pour Baker, comme pour le Furet de Penser la Révolution, l'inéluctabilité de la
Terreur est virtuellement présente dans les décisions constitutionnelles de
l'automne 89 et, par-delà, dans la théorie de la volonté générale élaborée par
Rousseau, Mably et les plus radicaux des propagandistes parlementaires."
(p.293)

-Roger Chartier, Les origines culturelles de la Révolution française, Éditions du


Seuil, coll. Points, 2000 (1990 pour la première édition), 307 pages.

« Depuis la déclaration de guerre, au printemps 1792, l'armée française n'avait


cessé de subir des revers et s'était même débandée plusieurs fois. Lorsque, à
Valmy, les Français crient "Vive la nation !", ce n'est pas par arrogance
nationaliste -et pour se féliciter à l'avance d'une victoire assurée, mais tout au
contraire pour se cramponner au terrain et ne pas fuir comme ils l'ont déjà fait
plusieurs fois depuis les débuts de cette guerre mal engagée. » -Yves Lacoste,
Vive la Nation. Destin d'une idée géopolitique, Fayard, 1997, 339 pages, p.94.

« Avant de prendre forme dans la mémoire collective pour l'édification des


générations futures, le champ de bataille de Valmy, le champ sans bataille, fut le
face-à-face entre deux systèmes de valeurs politiques, représentés par deux
cultures militaires opposées. L'armée prussienne, superbe instrument de guerre,
est la meilleur armée d'Europe, c'est-à-dire du monde, façonnée au prix d'un
demi-siècle d'efforts persévérants par Frédéric-Guillaume Ier, le Roi-Sergent, et
son fils Frédéric II, disparu en 1786. Une telle armée de métier, recrutée et
entretenue à grands frais, rompue aux exercices et techniques de la profession
militaire, représente un capital si précieux qu'il en est à peu près irremplaçable.
Il convient donc de ne l'engager qu'à bon escient, et à coup sûr, dans une
situation de supériorité clairement établie ; il faut aussi que la partie en vaille la
peine, et que les pertes éventuelles permettent d'obtenir des résultats positifs. La
guerre est un facteur parmi d'autres dans les calculs politiques.
Or, au jour de Valmy, le calcul atteste que le jeu n'est pas égal. Les généraux
prussiens jugent disproportionnée la confrontation entre leurs troupes d'élite,
parfaitement entraînées, et les cohortes désordonnées, mal équipées, de l'armée
révolutionnaire. En cas de désastre, les troupes françaises pourraient se
recompléter rapidement sans trop de peine ; il n'en serait pas de même pour les
belles troupes prussiennes, si l'affaire tournait mal pour elles. Les volontaires
de l'an I, sans expérience, sans valeur technique, seraient vite remplacés par
d'autres volontaires, aussi médiocres qu'eux, et d'un prix de revient aussi bas.
858
La quantité compensant la qualité, et le fanatisme révolutionnaire faisant le
reste, l'affaire risquait de se jouer à qui perd gagne.
Par la vertu de ce raisonnement d'une sage économie, la belle armée prussienne
devait sortir sans dommage de la confrontation de Valmy. La nation en armes
inaugure l'ère républicaine en faisant reculer, par la seule fermeté de sa
contenance, la plus grande puissance militaire de l'Ancien Régime. Ayant ainsi
tiré son épingle du jeu, l'armée prussienne devait survivre une quinzaine
d'années encore avant de sombrer corps et biens, face au même adversaire
français, dans la catastrophe de Iéna, en 1806. Entre-temps, les volontaires
républicains, les soldats de l'an II, se seront transformés en professionnels
expérimentés ; l'armée impériale de Napoléon sera devenue un instrument
technique encore supérieur à celui mis au point par Frédéric II. Supériorité
consacrée sans ambiguïté aucune sur le champ de bataille. Mais cette fois, du
côté français, on ne criera plus: "Vive la nation !" ; on criera: "Vive l'Empereur
!".
Et, chose étonnante, sous le traumatisme de la défaite, les Prussiens à leur tour
découvriront le sentiment national. A la place de la vieille armée anéantie, ils se
donneront une armée de patriotes, qui reprendra à son compte le mot d'ordre
français de Valmy, "Vive la nation !" devenu, contre les armées napoléoniennes,
le cri de l'Europe coalisée. Face à l'impérialisme de la France se dressera la
nation allemande, exhortée par les Discours du philosophe Fichte. Et
pareillement le peuple tyrolien, le peuple espagnol, le peuple russe, soumis à
l'occupation étrangère, sentiront s'éveiller au profond de leur être l'exigence
d'une identité nationale, dont ils n'avaient pas jusque-là soupçonné l'existence.
Francs-tireurs et guerilleros, embusqués dans les bois, dans les replis des
chemins creux, derrière les rochers, feront le coup de feu contre les isolés, les
traînards, combattants de l'ombre, maquisards dont les rangs finiront par
grossir suffisamment pour défier l'ennemi en rase campagne. L'expédition de
Russie, puis à Leipzig, en octobre 1813, la bataille des Nations consacreront la
défaite et le reflux de l'envahisseur français.
L'idée nationale, le cri de Valmy, fut la leçon de la Révolution de France à
l'Europe: la leçon s'est retournée contre ceux qui l'enseignaient, devenus
infidèles à leur propre enseignement. Le XIXe siècle fut le siècle des
nationalités. » (p.118-119)

859
« La conscience nationale, l'exigence de la nationalité n'existent pas avant la
période révolutionnaire, ou du moins ne peuvent y être décelées que grâce à une
extrapolation rétroactive. » (p.122)

-Georges Gusdorf, "Le cri de Valmy", Communications, Année 1987, 45,


pp.117-155.

"Rousseau est, avec Locke, l'auteur le plus fréquemment cité par les constituants
français." (p.660)

"Entre la conception libérale des droits de l'homme que livre la Déclaration de


1789 et l'orientation sociale qui s'affirme à partir de 1793, il existe bien entendu
une divergence politique. Elle a été fortement soulignée aussi bien par les
premiers protagonistes du débat que par ceux qui l'ont poursuivie. Robespierre
voit dans les partisans de l'intangibilité de la propriété des "âmes de boue, qui
n'estim[ent] que l'or" sous couvert de proclamer la liberté ; il les compare à des
"marchands de chair humaine". Inversement, les libéraux perçoivent dans la
revendication d'égalité et de fraternité une vision animiste de la société: l'idée
que les individus et les groupes défavorisés ont des créances sur elle revient à la
considérer comme une personne, comme un sujet doué de volonté, alors qu'elle
n'est qu'un ordre spontané et aléatoire. Mais la divergence est philosophique
plus encore que politique, puisqu'elle concerne les statuts respectifs de l'individu
et de la communauté politique. Considère-t-on l'individu comme étant pour
l'essentiel ce qu'il est indépendamment de celle-ci, il convient alors de
privilégier ce qui, parmi ses propriétés, manifeste cette indépendance [...] En
revanche, si l'individu humain doit à la communauté d'être ce qu'il est, il faut
considérer l'homme d'abord comme "être générique", ainsi que le dit Marx: il
est alors un être essentiellement social, et cette détermination l'emporte sur ses
propriétés et ses droits individuels. Dans cette perspective, les droits de liberté,
qui demeurent pour beaucoup des possibilités vides, faute des conditions
matérielles permettant de les exercer, "ne sont rien d'autre que les droits du
membre de la société bourgeoise, séparé de l'homme et de la société". En
revanche, le souci égalitaire est celui de l' "émancipation humaine", c'est-à-dire
de l'advenir de l'humanité vraie en lieu et place de l' "homme dans son existence
immédiate". Le débat entre les tenants de la priorité à la liberté et ceux pour qui
l'égalité est première débouche ainsi en toute clarté -ce qui n'était pas encore le
cas lors de la Révolution française- sur le problème du type de société
susceptible de garantir effectivement les droits de l'homme total, droits qui pour
860
Marx sont irréductibles aux libertés égoïstes du bourgeois. Étonnant
renversement de la position initiale de la question: l' "appropriation réelle de
l'essence humaine par l'homme et pour l'homme" suppose chez Marx l'abolition
de la propriété privée, qui est au cœur de la conception libérale des droits de
l'homme." (p.679-680)

-Jean-François Kervégan, "Les droits de l'Homme", in Denis Kambouchner


(dir.), Notions de philosophie, II, Gallimard, coll Folio essais, 1995, 696 pages,
pp.637-696.

« C'est en 1791 que la Constitution fixe ce droit: "Sont Français les fils
d'étrangers nés en France et qui vivent dans le royaume". L'Empire revient à une
conception plus stricte: il exige que l'enfant de parents étrangers résidant en
France réclame la nationalité à l'âge adulte. Cette restriction disparaît en 1889:
l'octroi de la nationalité française devient automatique à la majorité. » -Pascal
Gauchon, Géopolitique de la France. Plaidoyer pour la puissance, PUF, coll.
"Major", 2012, 189 pages, p.48.

« Marcel Gauchet rappelle ainsi que Rabaut Saint-Étienne, en 1793, avait


parfaitement compris ce qui était à l'oeuvre. Dans les termes de ce dernier:
"L'égalité politique établie, les pauvres sentent bientôt qu'elle est affaiblie par
l'inégalité des fortunes", "ils s'indignent et s'aigrissent, ajoute-t-il, contre les
hommes desquels ils dépendent par leurs besoins". Ce pourquoi il ne faut pas
s'étonner qu' "ils demandent l'égalité des fortunes" [Saint-Étienne, "De
l'égalité", Chronique de Paris, 19 janvier 1793]. Marcel Gauchet a raison de
souligner que "la future "question sociale" est déjà là tout entière en ses vrais
termes ultimes: comment concilier indépendance de droit et dépendance de fait
?". La réponse, comme l'a montré Pierre Rosanvallon, correspondra à
l'émergence d'un Etat de droit qui s'institue comme Etat protecteur des libertés
fondamentales, des propriétés individuelles et des individus en situation de
détresse matérielle. A l'occasion du premier rapport du comité de mendicité à
l'Assemblée constituante, en 1790, La Rochefoucauld-Liancourt put ainsi
proclamer: "On a toujours pensé à faire la charité aux pauvres, et jamais à faire
valoir les droits de l'homme pauvre sur la société, et ceux de la société sur lui ;
voilà le grand devoir qu'il appartient à la Constitution française de remplir". » -
Patrick Savidan, Repenser l'égalité des chances, Paris, Hachette, coll. « Hachette
littératures/Pluriel », 13 janvier 2010 (1re éd. 2007), 327 pages, p.72-73.

861
« La Révolution française [...] a non seulement autorisé le divorce, mais aussi
fait disparaître l'homosexualité et l'inceste du Code pénal. C'est seulement au
lendemain de la Première Guerre mondiale qu'ont été adoptées des lois
réprimant l'homosexualité dans le pays qui pourtant avait été la terre d'accueil
d'Oscar Wilde. » -Denis Collin et Marie-Pierre Frondziak, La Force de la
Morale. Comment nous devenons humains, R&N Éditions, 2020, 311 pages,
pp.235-236.

http://hydra.forumactif.org/t3071-alphonse-aulard-histoire-politique-de-la-
revolution-francaise-la-revolution-francaise-et-le-regime-feodal#3851

http://hydra.forumactif.org/t4210-jean-tulard-jean-francois-fayard-alfred-fierro-
histoire-et-dictionnaire-de-la-revolution-francaise?highlight=Jean+Tulard

https://www.amazon.fr/R%C3%A9volution-fran%C3%A7aise-Soboul-
Albert/dp/2070701069/ref=sr_1_8?ie=UTF8&qid=1482839960&sr=8-
8&keywords=histoire+soboul

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Albert-Soboul/dp/2700307437/ref=sr_1_21?ie=UTF8&qid=1482840008&sr=8-
21&keywords=histoire+soboul

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0&sr=8-5&keywords=histoire+soboul

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Fran%C3%A7ois/dp/2070737594/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1482841629&sr=
8-1&keywords=fran%C3%A7ois+furet+quarto

https://www.amazon.fr/Origines-intellectuelles-R%C3%A9volution-
fran%C3%A7aise-1715-
1787/dp/2847346392/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1539449797&sr=1-
1&keywords=daniel+mornet

http://www.amazon.fr/r%C3%A9bellion-fran%C3%A7aise-Mouvements-
populaires-
conscience/dp/2070359719/ref=pd_sim_14_10?ie=UTF8&dpID=51qcbd-
AxiL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=0K8R9FS1
QZJSBX2PKMCZ

862
https://www.amazon.fr/Triomphe-révolution-droits-homme-
citoyen/dp/2849503932

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Right/dp/B01DHESR82/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1503786720&sr=
1-1&keywords=Dan+Edelstein

http://www.amazon.fr/origines-religieuses-R%C3%A9volution-
fran%C3%A7aise-1560-
1791/dp/2020855097/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=51AN7KWV0HL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR95%2C160_&refRID=02HR7YQC7CZRQ
1J55H9P

http://www.amazon.fr/L%C3%A9conomie-r%C3%A9volution-
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Aftalion/dp/2251380876/ref=sr_1_5?s=books&ie=UTF8&qid=1450478504&sr
=1-
5&keywords=L%27%C3%89conomie+de+la+R%C3%A9volution+fran%C3%
A7aise

http://www.amazon.fr/LUTTE-CLASSES-PREMIERE-REPUBLIQUE-1793-
1797/dp/B0081SG9RQ/ref=sr_1_35?ie=UTF8&qid=1459775219&sr=8-
35&keywords=lutte+des+classes

https://www.amazon.fr/longue-patience-peuple-naissance-
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UTF8&qid=1491241881&sr=1-13

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SXWHGFR4Y&dpID=41df45FRm8L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR9
7%2C160_

http://www.amazon.fr/Politique-Terreur-violence-r%C3%A9volutionnaire-
1789-1794/dp/2070767272/ref=sr_1_47?ie=UTF8&qid=1445598154&sr=8-
47&keywords=terreur

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Godechot/dp/2700723449/ref=pd_sbs_14_2?_encoding=UTF8&pd_rd_i=27007

863
23449&pd_rd_r=18ceb3f6-c35b-11e8-adce-
f96d98d51277&pd_rd_w=t0og4&pd_rd_wg=evEog&pf_rd_i=desktop-dp-
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1-
fkmr0&keywords=Un+r%C3%A9volutionnaire+ordinaire+%3A+Beno%C3%A
Et+Lacombe%2C+n%C3%A9gociant+%281759-1819%29

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1&keywords=La+fabrique+des+prol%C3%A9taires.+Les+ouvriers+de+la+man
ufacture+d%27Oberkampf

https://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9claration_de_Louis_XVI_%C3%A0_t
ous_les_Fran%C3%A7ais,_%C3%A0_sa_sortie_de_Paris

http://www.amazon.fr/Dictionnaire-Contre-R%C3%A9volution-
Collectif/dp/2262033706/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1450478374&sr
=1-1&keywords=dictionnaire+de+la+contre-r%C3%A9volution

Victor Riquetti de Mirabeau (1715-1789) : « Il n’acquit une signification


proche de l’actuelle que dans l’ouvrage de Mirabeau-père L’Ami des
hommes en 1757, où il désigne à la fois l’adoucissement des mœurs, l’éducation
des esprits, le développement de la politesse, la culture des arts et des sciences,
l’essor du commerce et de l’industrie, l’acquisition des commodités matérielles
et du luxe. » -Michel Bruneau, « Civilisation(s) : pertinence ou résilience d'un
terme ou d'un concept en géographie ? », Annales de géographie, 2010/4 (n°
674), p. 315-337. DOI : 10.3917/ag.674.0315. URL : https://www.cairn-
int.info/revue-annales-de-geographie-2010-4-page-315.htm

Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau (1749-1791) :


https://www.amazon.fr/Mirabeau-Charles-
Zorgbibe/dp/2877066592/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1478646025&sr=8-
1&keywords=mirabeau

864
Emmanuel-Joseph Sieyès (1748-1836): http://hydra.forumactif.org/t1447-
emmanuel-joseph-sieyes-oeuvres#2098

https://www.amazon.fr/Siey%C3%A8s-R%C3%A9volution-fran%C3%A7aise-
Jean-Denis-
Bredin/dp/2877060144/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1478645899&sr=8-
3&keywords=Siey%C3%A8s

Pierre Jean Georges Cabanis (1757-1808) : « Ancien ami de Mirabeau et de


Condorcet, professeur à l’École de médecine, membre de l’Institut, favorisa le
coup d’Etat du 18 Brumaire avec son ami Sieyès. Un des représentants éminents
des « Idéologues ». » -Michel Winock, Les voix de la liberté. Les écrivains
engagés au XIXe siècle.

Joseph Droz (1773-1850) : http://academienouvelle.forumactif.org/t7008-


joseph-droz-essai-sur-l-art-d-etre-heureux#8169

Talleyrand : « Sous prétexte de déraciner la superstition qui tombait d’elle-


même et d’éteindre le fanatisme qui n’enflammait plus d’autres têtes que les
leurs, Helvétius, Condorcet, le baron d’Holbach, tantôt avec l’état de nature,
tantôt avec la perfectibilité, brisaient avec emportement tous les liens de l’ordre
moral et politique. » -Talleyrand, Mémoires, T.1, p.184-185.

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L'abbé Grégoire : « Pour l'abbé Grégoire, il importe de régénérer le peuple


juif. Prêtre catholique, il serait favorable à sa conservation au christianisme,
mais, avant tout, le futur député à l'Assemblée constituante défend la cause de
l'égalité et de la fraternité, visant à faire entrer les Juifs dans la "famille
universelle". Ce programme d'intégration, Grégoire s'en fait le champion dès le
mois d'août 1789 auprès de ses collègues. [...] Cela n'allait pas de soi, surtout
en Alsace et en Lorraine, où les paysans soulevés contre les châteaux lors de la
Grande Peur n'avaient pas épargné leurs créanciers juifs. Des plaintes
parviennent à l'Assemblée. Quand celle-ci débat de la citoyenneté à la fin de
décembre 1789, le député de la noblesse Clermont-Tonnerre, après avoir réfuté
les préjugés contre les Juifs, énonce ce qui devait rester le principe de la
Révolution et, plus tard, de la République: "Il faut tout refuser aux Juifs comme

865
nation, et accorder tout aux Juifs comme individus". Une partie de la droite
résiste. L'évêque de Nancy, Lafare, met en garde ses collègues contre le "grand
incendie" que provoquerait en Alsace et en Lorraine le fait d'accorder la
citoyenneté française aux Juifs. L'abbé Grégoire alors intervient: "Cinquante
mille Français se sont levés aujourd'hui esclaves: il dépend de vous qu'ils se
couchent libres".
Finalement, l'émancipation des Juifs de France se fait par étapes. Dans un
premier temps, en janvier 1790, l'Assemblée décrète que "tous les Juifs connus
sous le nom de Juifs portugais, espagnols et avignonnais" accéderont au rang
de citoyens actifs si, par ailleurs, ils répondent aux conditions exigées par la loi
de tous les autres Français. Le parti antijuif, qui compte aussi dans ses rangs
des députés de gauche comme Reubell, s'emploie à retarder l'acte
d'émancipation générale, une campagne de brochures, libelles et pétitions
soutient cette résistance. Après une longue bataille, les opposants ne peuvent
empêcher le vote du décret d'émancipation, le 28 septembre 1791. » -Michel
Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions du Seuil,
coll. Points Histoire, 2014, 506 pages, 107-108.

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Hermon-
Belot/dp/2020374927/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1480505990&sr=1-
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Jean-louis Carra : http://www.amazon.fr/Jean-louis-Carra-1742-1793-


parcours-
r%C3%A9volutionnaire/dp/2738494161/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=144853843
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Louis+Carra%2C+parcours+d%E2%80%99un+r%C3%A9volutionnaire

Jacques Pierre Brissot : « Nous ne pourrons être tranquilles que lorsque


l’Europe, toute l’Europe sera en feu… » -Brissot, Lettre à Servan, 26 novembre
1792.

Nicolas de Condorcet (1743-1794) : « Étranger à tout parti, m'occupant à


juger les choses et les hommes avec ma raison et non avec mes passions, je
continuerai de chercher la vérité et de la dire. » -Nicolas de Condorcet, cité
dans Condorcet, un intellectuel en politique, par Robert et Élisabeth Badinter,
1988, Fayard, 659 pages.

866
« Même sous la Constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave. » -
Nicolas de Condorcet.

« Le droit d’égalité n’est pas blessé si les propriétaires seuls jouissent du droit
de cité, parce qu’eux seuls possèdent le territoire, parce que leur consentement
seul donne le droit d’y habiter ; mais il est blessé si le droit de cité est partagé
inégalement entre différentes classes de propriétaires parce qu’une telle
distinction ne naît pas de la nature des choses. » -Nicolas de Condorce, Idées
sur le despotisme, 1789.

« Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu'ils sont des êtres
sensibles, capables d'acquérir des idées morales et de raisonner sur des idées.
Ainsi les femmes ayant ces mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux.
Ou aucun individu de l'espèce humaine n'a de véritables droits, ou tous ont les
mêmes ; et celui qui vote contre le droit d'un autre, quels que soient sa religion,
sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens. » -Nicolas de Condorcet,
Essai sur l'admission des femmes aux droits de cité, 1790.

« Il n'y a donc aucun cas où l'esclavage, même volontaire, puisse n'être contraire
au Droit naturel. » -Condorcet, Réflexions sur l'esclavage des nègres, in
Oeuvres, Edition O'Connor-Arago, F. Didot Frères, Paris 1847-1849, vol. VII, p.

« La prospérité du commerce, la richesse nationale ne peuvent être mises en


balance avec la Justice... l'intérêt de puissance et de richesse d'une nation doit
disparaître devant le droit d'un seul homme, autrement, il n'y a plus de
différence entre une société réglée et une horde de voleurs. » (ibidem)

« La Révolution d'Angleterre, en 1688, comparé avec la Révolution Française


de 1792, offre, dans les motifs qui les ont amenées, dans les principes qui les ont
dirigées, des rapprochements qui, malgré la différence des temps, des lumières
ou des circonstances, montrent que la cause du peuple français est celle de la
nation anglaise, comme de tous les peuples libres ou ayant conçus l'espoir de le
devenir. » -Condorcet, Réflexions sur la Révolution de 1688 et sur celle du 10
août 1792.

« La Nation française ne cessera pas de voir un peuple ami dans les habitants
des pays occupés... Ses soldats se conduiront sur une terre étrangère comme ils
se conduiraient sur celle de leur patrie s'ils étaient forcés d'y combattre. Les
maux involontaires que ses troupes auraient fait éprouver aux citoyens seront

867
réparés...Elle présentera au monde le spectacle d'une Nation vraiment libre...,
respectant partout, en tout temps, à l'égard de tous les hommes, les droits qui
sont les mêmes pour tous... Voilà quelle est la guerre que les Français
déclareront à leurs ennemis. » -Nicolas de Condorcet, à l'Assemblée
Législative, 29 décembre 1791.

« La paix ne se rétablira solidement nulle part que lorsque les principes


révolutionnaires auront généralement triomphé dans cette partie du globe. » -
Nicolas de Condorcet, Chronique de Paris, 1er décembre 1792.

« On ne subjugue point une nation de vingt-six millions d'hommes qui veut


rester souveraine et libre. »

« Détestons les coupables, éclairons ceux qui sont égarés, restons unis avec des
frères qui, comme nous, veulent l'égalité et la liberté. »

« C'est à cette liberté, c'est à cette égalité que nous avons fait tous les sacrifices
; aucun de nous ne s'occupe plus ni de ses intérêts, ni de sa vie, ni de son
bonheur personnel, ni même de sa gloire.
Assurons-nous donc de laisser à nos enfants ce précieux héritage. » -Condorcet,
Sur la nécessité de l'union entre les citoyens, septembre 1792.

« L'instruction publique n'a pas droit de faire enseigner des opinions comme des
vérités. » -Nicolas de Condorcet, Cinq Mémoires sur l'instruction publique
(1792).

« Tel doit être un peuple éclairé sur ses droits, jaloux de les maintenir, et ceux
qui s'intéressent à sa prospérité n'auraient rien à désirer, si le respect pour la
justice, si la soumission à la loi, si le zèle pour l'ordre public, faisaient
généralement partie de cet esprit général. »

« Etranger à tout parti, m'occupant à juger les choses et les hommes avec ma
raison et non avec mes passions, je continuerai de chercher la vérité et de la
dire.
J'ai toujours pensé qu'une constitution républicaine, ayant l'égalité pour base,
était la seule qui fût conforme à la nature, à la raison et à la justice ; la seule
qui pût conserver la liberté des citoyens et la dignité de l'espèce humaine. Au
moment où la première fuite de Louis XVI a fait tomber le bandeau dont les yeux
d'une grande partie de la nation étaient encore couverts, j'ai cru que le moment
868
était venu d'établir une constitution républicaine, et je l'ai demandée
hautement. » -Nicolas de Condorcet, Ce que les citoyens ont droit d’attendre de
leurs représentants, 1793.

« Le pacte social a pour objet la jouissance égale et entière des droits qui
appartiennent à l’homme ; il est fondé sur la garantie mutuelle de ces droits.
Mais cette garantie cesse à l’égard des individus qui veulent le dissoudre ; ainsi,
quand il est constant qu’il en existe dans une société, on a droit de prendre les
moyens de les connaître, et quand on les connaît, on n’est plus restreint à leur
égard que par les limites du droit de la défense naturelle. De même, si un droit
plus précieux est menacé ; si, pour le conserver, il est nécessaire de sacrifier
l’exercice d’un autre droit moins important, exiger ce sacrifice n’est pas violer
ce dernier droit ; car il cesse alors d’exister, puisqu’il ne serait plus, dans celui
qui le réclamerait, que la liberté de violer dans autrui un droit plus précieux. »

« Si le zèle, même pour la plus juste des causes, devient quelquefois coupable,
songeons aussi que la modération n’est pas toujours sagesse. » -Condorcet, Sur
le sens du mot Révolutionnaire, 1er juin 1793.

« Conserver au peuple son droit de souveraineté, celui de n'obéir qu'à des lois
dont le mode de formation, si elle est confiée à des représentants, ait été légitimé
par son approbation immédiate ; dont si elles blessent ses droits ou ses intérêts,
il puisse toujours obtenir la réforme par un acte régulier de sa volonté
souveraine. » -Nicolas de Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain.

« Parmi les progrès de l'esprit humain les plus importants pour le bonheur
général, nous devons compter l'entière destruction des préjugés, qui ont établi
entre les deux sexes une inégalité de droits funeste à celui même qu'elle favorise.
On chercherait en vain des motifs de la justifier par les différences de leur
organisation physique, par celle qu'on voudrait trouver dans la force de leur
intelligence, dans leur sensibilité morale. Cette inégalité n'a eu d'autre origine
que l'abus de la force, et c'est vainement qu'on a essayé depuis de l'excuser par
des sophismes. » -Nicolas de Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain, "Les classiques des sciences sociales", 1793, p.211.

"Pour Condorcet, c'est une question tellement importante qu'il propose même de
l'inclure explicitement dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Ainsi,
dans le projet qu'il rédige, on lit: « La puissance législative ne pourra ni
869
accorder, ni se réserver, sous aucun prétexte, ni aucun monopole de denrée ni
aucun privilège exclusif de fabrication. » " (p.164)
-Francisco Vergara, Les fondements philosophiques du libéralisme. Libéralisme
et éthique, Paris, La Découverte, 2002 (1992 pour la première édition), 220
pages.

"Condorcet est d'avis [...] qu'en abaissant, en ruinant la noblesse, la royauté a


rendu un service signalé à la nation. [...] Une Constitution vraiment libre doit
attribuer au peuple la souveraineté [...] C'est le cas de la Constitution française,
et la raison de sa supériorité éclatante sur la Constitution anglaise." (p.46)

"Le citoyen consent d'avance à se lier au voeu de la majorité, mais à une


condition: c'est que jamais la majorité "ne blesse les droits individuels après les
avoir reconnus"." (p.47)
-Henry Michel, L'idée de l'Etat: essai critique sur les théories sociales et
politique en France depuis la Révolution, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1896,
666 pages.

« Condorcet n’a jamais cherché à enchaîner des étapes de l’histoire présentées


comme des successions d’états différents de l’organisme social vers une finalité
heureuse mais lointaine. »

« La méthodologie de Condorcet est très proche de ce que nous appelons


désormais l’individualisme méthodologique. » -Jean-Louis Morgenthaler, «
Condorcet, Sieyès, Saint-Simon et Comte », Socio-logos [En ligne], 2 | 2007,
mis en ligne le 17 juin 2007, consulté le 12 avril 2016. URL : http://socio-
logos.revues.org/373.

« Ce qui retient l’attention de Condorcet dans le livre de Bacon, c’est que la


science et la technique moderne y sont introduites dans le tableau de la cité
heureuse, sous la forme d’un collège de savants et de sages, réunis dans la
Maison de Salomon, et qui, dans le secret et l’isolement, travaillent à tout ce qui
peut contribuer au bien-être des habitants de l’île de Bensalem. Contrairement à
ce que l’on pense souvent, ce collège n’a pas de responsabilités politiques
directes, il ne gouverne pas l’île, à la tête de laquelle un roi règne sur une
société patriarcale de type traditionnel. On n’a donc pas affaire au règne des
savants, et Bacon n’imagine pas que le rôle de la science soit de bouleverser la
société existante pour donner naissance à une autre, entièrement nouvelle.
Condorcet va donc plus loin que lui, dans la mesure où, pour lui, la science a
870
pour obet principal de perfectionner l’homme individuel et social au moral et au
politique aussi bien qu’au physique, mais il reste fidèle à la leçon du chancelier
anglais en séparant énergiquement science et Etat, en refusant toute mainmise
sur la recherche scientifique par le pouvoir politique, et tout contrôle du
pouvoir politique par le pouvoir scientifique, c’est-à-dire en renonçant
explicitement au rêve qui, depuis Platon, est au cœur des utopies, à savoir
l’identification du savoir et du pouvoir, le rêve du philosophe-roi, fût-ce sous la
forme moderne et collégiale du règne d’une élite scientifique. » (p.606-607)

« Ce qui distingue Condorcet des « philosophes de l’histoire ». Pour ces


derniers, il y a des lois de l’histoire, que le philosophe doit découvrir, mais qui
n’ont pas besoin de lui pour exister. L’histoire est une entité autonome, qui a sa
logique propre, et qui porte des jugements sans appel. Pour Condorcet,
l’histoire avec un grand H n’existe pas, il y a seulement l’esprit humain, qui
n’est pas l’Esprit universel, et qui, par ses progrès historiques, développe son
autonomie et ses pouvoirs. La philsophie de Condorcet est une philosophie de la
liberté. C’est pourquoi on peut dire que la Dixième époque est plus encore un
« projet » qu’une « prévision », bien que les deux mots soient employés dans le
texte de la Dixième époque. Lorsque Condorcet fait, par exemple, des progrès
de l’égalité dans un même peuple une des trois questions fondamentales que se
posera à l’avenir l’espace humaine, il n’énonce pas une loi sociologique qui
voudrait que toutes les sociétés humaines marchent nécessairement vers une
égalisation croissante des individus (c’est ce que fera par exemple Tocqueville).
Il se contente d’affirmer que l’égalité des hommes est, en droit, un idéal de la
raison, qui ne doit en aucun cas entrer en conflit avec l’idéal suprême, la
liberté. D’où son refus des solutions utopistes autoritaires qui sacrifient la
liberté à l’égalité, qui veulent « dénaturer l’homme », forger par l’
« éducation » un homme entièrement nouveau, alors que lui-même, par l’
« instruction », cherche seulement à le rendre meilleur et plus libre. » (p.607-
608) -Alain Pons, Sur la Dixième époque : utopie et histoire chez Condorcet,
Mélanges de l'Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, Année 1996,
Volume 108, Numéro 2, pp. 601-608.

"Jefferson had and affinity with Condorcet that stemmed from sharing the same
democratic convictions enhanced by a common faith in the principle of
perfectibility. And, like Jefferson's, Condorcet's ideas on ownership favoured the
development of the concept of representative democracy, reinforced by the belief
that a good administration would accelerate the distribution of property. "Our
871
republic", Condorcet wrote in his last letter to Jefferson (December 1792),
which criticized Lafayette's more moderate tendencies, "founded like yours on
reason, on the laws of nature, on equality, must be your true ally, e should be
nothing less than a single people, we have the same interests, and above all the
one of destroying all anti-natural institutions"." (p.88)

"Jefferson had a deep admiration for his philosophe friend throughout his
remaining years. Although his laicism was distant from Condorcet's
materialism, he appreciated his moral rigour, placing Condorcet's Esquisse
alongside Locke's Two Treatise of Government among the classic texts of
morality." (p.89)
-Manuela Albertone, National Identity and the Agrarian Republic: The
Transatlantic Commerce of Ideas between America and France (1750-1830),
Routledge, 2016 (2014 pour la première édition), 324 pages.

"Les féministes partent en vacances après la grande manifestation suffragiste du


5 juillet [1914] en l'honneur de Condorcet, apothéose d'un mouvement qui
connaît dans sa diversité un véritable âge d'or, et espère obtenir après d'autres
acquis l'égalité politique." -Françoise Thébaud, "La Grande Guerre. Le triomphe
de la division sexuelle.", in Françoise Thébaud (dir.), Histoire des femmes en
Occident, tome 5 "Le XXe siècle", Perrin, 2002 (1992 pour la première édition),
765 pages, p.89.

https://www.amazon.fr/Condorcet-Keith-Michael-
Baker/dp/2705660909/ref=sr_1_6?s=books&ie=UTF8&qid=1460498700&sr=1-
6

http://www.amazon.fr/M%C3%A9moires-discours-monnaies-finances-1790-
1792/dp/273842693X/ref=sr_1_80?ie=UTF8&qid=1457957771&sr=8-
80&keywords=condorcet

http://www.amazon.fr/Politique-Condorcet-
Coutel/dp/2228890030/ref=sr_1_8?ie=UTF8&qid=1452856386&sr=8-
8&keywords=politique+de+condorcet

Volney (1757-1820): "Dans la loi naturelle, tous les hommes étant frères et
égaux en droits, elle ne leur conseille à tous que paix et tolérance, même pour
leurs erreurs." (p.8 )

872
-Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais, comte Volney, La loi
naturelle, ou Catéchisme du citoyen français, Paris, 1793.

« L’histoire, si on la considère comme une science, diffère essentiellement des


sciences exactes, et naturelles : dans celles-ci les faits subsistent encore, ils sont
vivants, et l’on peut les représenter au spectateur et au témoin ; dans celle-là les
faits ne subsistent plus ; ils sont morts, et l’on ne peut les ressusciter devant
l’auditeur, ou les confronter au témoin. » -Volney, « Leçons », dans L’École
Normale de l’an III. Leçons d’histoire, de géographie, d’économie politique,
sous la dir. de D. Nordman, Paris, Dunod, 1994, p.59.

http://hydra.forumactif.org/t3465-constantin-francois-chasseboeuf-de-la-
giraudais-comte-volney-la-loi-naturelle-ou-catechisme-du-citoyen-
francais#4298

Marat (1743- 1793) : « Dans tous pays où les droits du peuple ne sont pas de
vains titres consignés fastueusement dans une simple déclaration, le pillage de
quelques magasins, à la porte desquels on pendrait les accapareurs, mettrait
bientôt fin à ces malversations qui réduisent vingt-cinq millions d’hommes au
désespoir. » -Marat, Journal de la République française, n°133, 25 février 1793.

« Condorcet, tartuffe consommé sous le masque de la franchise, adroit


intriguant qui a le talent de prendre des deux mains, et fourbe sans pudeur... »

-Marat, L'Ami du Peuple, 15 septembre 1791.

https://www.amazon.fr/Marat-Olivier-
Coquard/dp/2213030669/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1499365250&sr
=1-1&keywords=Olivier-Coquard-Marat

Georges Jacques Danton (1759-1794): « Danton [...] allant au bout des idées
de Sieyès, trouve dans l’œuvre que Jules César consacra à sa conquête de la
Gaule des arguments de poids pour justifier les frontières qu'il veut donner à la
nouvelle France, celle qui combat les vieilles royautés européennes. "Les limites
de la France sont marquées par la nature. Nous les atteindrons dans leur quatre
points: à l'Océan, au Rhin, aux Alpes et aux Pyrénées", écrit-il. Comme nous le
verrons, ce sont exactement les "limites naturelles" que César, à la suite des
géographes grecs, donne à la Gaule. Chargé d'une mission en Belgique, Danton
plaidera pour l'annexion de celle-ci à la France, ce qui sera chose faite en 1794,

873
après la bataille de Fleurus. » -Jean-Louis Brunaux, Nos ancêtres les Gaulois,
Paris, Éditions du Seuil, coll. Points, 2008, 331 pages, p.27.

https://www.amazon.fr/Danton-g%C3%A9ant-R%C3%A9volution-David-
Lawday/dp/2226243984/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1499
365122&sr=1-1

Jacques-Nicolas Billaud-Varenne (1756-1819) :


https://www.amazon.fr/Billaud-Varenne-Geant-revolution-Arthur-
Conte/dp/B00AGJ1Z5Y/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1499365213&sr=
1-1&keywords=Arthur-Conte-Billaud-Varenne

Bertrand Barère (1755-1841): http://www.amazon.fr/Bertrand-


Bar%C3%A8re-Jos%C3%A9-
Cubero/dp/236666060X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1457456016&sr=
1-1&keywords=Bertrand+Bar%C3%A8re

Germaine de Staël (1766-1817) : http://www.amazon.fr/Madame-


Sta%C3%ABl-Michel-
Winock/dp/2818502659/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=51VnZjDGvoL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=0MFN3J5X0GVZR
K3HDXTX

http://www.amazon.fr/De-litt%C3%A9rature-Madame-
Sta%C3%ABl/dp/2080706292/ref=pd_sim_14_10?ie=UTF8&dpID=51H826R3
PYL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=1MWF4BR
MSKD5G8KWRM53

http://www.amazon.fr/Corinne-ou-lItalie-Madame-
Stael/dp/207037632X/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=51OKfL%2ByZCL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR98%2C160_&refRID=10HSJ9XNDDX8
NHS3XQ85

http://www.amazon.fr/DE-LALLEMAGNE-Tome-1-
Stael/dp/2080701665/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=515AMPRTY9L&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR95%2C160_&refRID=10HSJ9XNDDX8NH
S3XQ85

http://www.amazon.fr/De-lAllemagne-Madame-Germaine-
Sta%C3%ABl/dp/2080701673/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=51VUWGjis

874
dL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR94%2C160_&refRID=10HSJ9XND
DX8NHS3XQ85

Olympe de Gouges : http://www.amazon.fr/Olympe-Gouges-1748-1793-droits-


guillotine/dp/B00EU77CKU/ref=sr_1_4?s=books&ie=UTF8&qid=1457456090
&sr=1-4&keywords=Olympe+de+Gouges

Manon Roland (1754-1793) : « Ô liberté ! Que de crimes on commet en ton


nom ! » -Manon Roland, Dernières paroles avant d'être guillotinée, 8 novembre
1793.

Renée Bordereau (1770-1828) :

Marie-Thérèse Figueur (1774-1861) :

Théroigne de Méricourt : http://www.amazon.fr/Th%C3%A9roigne-


M%C3%A9ricourt-femme-m%C3%A9lancolique-
R%C3%A9volution/dp/2226187251/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=41Rp
GKJftaL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=0RZ46
VVMRDVCVV2X0VYE

Pierre-Gaspard Chaumette : http://www.amazon.fr/Chaumette-porte-parole-


sans-
culotte/dp/2735503747/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1452871962&sr=1
-1&keywords=Chaumette%2C+porte-parole+des+sans-culottes

Anacharsis Cloots (1755-1794) : "Quelle ignorance, quelle barbarie de nous


parquer en différentes corporations rivales, pendant que nous avons l'avantage
d'habiter une des moins planètes de la sphère céleste ! Nous multiplions nos
jalousies, nos querelles, en divisant l'intérêt commun, la force commune. Un
corps ne se fait pas la guerre à lui-même, et le genre humain vivra en paix,
lorsqu'il ne formera qu'un seul corps, la NATION UNIQUE." -Anacharsis
Cloots, La république universelle ou adresse aux tyrannicides, Paris, février
1795, 196 pages, p.7.

André Chénier (1762-1794) : http://hydra.forumactif.org/t258-andre-chenier-


avis-au-peuple-francais-sur-ses-veritables-ennemis#518

Jean-François de Saint-Lambert (1716-1803): « Non, je ne verrai plus sa


grâce et sa beauté,

875
Les charmes du printemps, la pompe de l’été,

Les nuances du vert des bois et des prairies,

Le pourpre des raisins, l’or des moissons mûries. […]

Ce concert monotone et des eaux et des vents,

Suspendant ma pensée et tous mes sentiments,

Sur elle-même enfin mon âme se replie,

Et tombe par degrés dans la mélancolie. » -Jean-François de Saint-Lambert, Les


Saisons, « L’Automne », Clermont, Pierre Landriot, 1814, t. I, p. 151.

http://academienouvelle.forumactif.org/t6313-jean-francois-de-saint-lambert-
les-saisons#7434

Jacques Delille (1738-1813): « L’homme rêve à ses maux sans en être attristé,

Et la mélancolie accroît la volupté.

Ô penchant plus flatteur, plus doux que la folie !

Bonheur des malheureux, tendre mélancolie,

Trouverai-je pour toi d’assez douces couleurs ?

Que ton souris me plaît ! et que j’aime tes pleurs !

Que sous tes traits touchants la douleur a de charmes !

Dès que le désespoir peut retrouver des larmes,

À la mélancolie il vient les confier,

Pour adoucir sa peine, et non pas pour l’oublier.

C’est elle qui, bien mieux que la joie importune,

Au sortir des tourments accueille l’infortune ;

Qui, d’un air triste et doux, vient sourire au malheur,

Assoupit les chagrins, émousse la douleur. […]

La forêt, le désert, voilà les lieux qu’elle aime.


876
Son cœur, plus recueilli, jouit mieux de lui-même ;

La nature un peu triste est plus douce à son œil ;

Elle semble, en secret, compatir à son deuil. […]

Ce n’est point du printemps la brillante gaité,

Ce n’est point la richesse et l’éclat de l’été

Qui plaît à ses regards, non, c’est le pâle automne,

D’une main languissante feuillant sa couronne. » (pp.184-185) -Jacques Delille,


L’Imagination, Poème par Jacques Delille, deuxième édition, Paris, M.G.
Michaud, 1825 (2ème édition), 2 vol, « Chant troisième ».

« Né à Clermont-Ferrand en 1738, Jacques Delille est monté à Paris pour faire


des études au Collège de Lisieux. Dès les années d’apprentissage, il a déployé
un talent littéraire hors ligne, et après avoir terminé ses études, il a continué à
rédiger des vers, en enseignant successivement à Beauvais, à Amiens et à Paris.
C’est la traduction des Géorgiques de Virgile que Delille a publiée en 1770 qui
lui a permis de se faire un nom dans le milieu littéraire. Les lecteurs de son
temps ont applaudi cette traduction libre que le poète a mis plus de dix ans à
achever. Ce grand succès lui a valu d’occuper la chaire de poésie latine au
Collège de France à partir de 1773, et d’être élu à l’Académie française en
1774. »

« L’Imagination comprend de nombreuses remarques de Delille sur des


écrivains et philosophes depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle, ce qui nous
montre combien cette œuvre a été produite à partir des riches expériences de
lecture de l’auteur. Un rapide survol de cet ouvrage nous suffit pour constater la
fréquence des hommages à Jean-Jacques Rousseau et ses œuvres. »

« Puisque les écrivains avant Rousseau prenaient le mot « rêverie » pour un


synonyme de folie ou d’irrationalité, il est certain que Delille a subi une
influence non négligeable du chant du cygne du Genevois. »

« Dans cette remarque de Delille, nous pouvons admettre une influence de la


thèse du sublime préconisée par Edmund Burke. »

« Dans une note ajoutée à cet éloge de la mélancolie, le commentateur soutient


que le tempérament mélancolique est une condition indispensable pour produire
877
un chef-d’œuvre littéraire ou artistique. Selon lui, il est très rare de retrouver,
même chez les plus grands poètes ou les plus grands prosateurs du XVIIIe
siècle, la « douce et profonde mélancolie qui respire si souvent dans Virgile »,
alors que les vers de Delille sont pénétrés d’un ton mélancolique comparable à
celui du poète latin. Ainsi, l’éditeur tente de rendre un hommage souligné à
l’auteur de L’Imagination, mais il n’oublie pas en même temps l’existence de
deux écrivains du XVIIIe siècle marqués exceptionnellement par le caractère
mélancolique : Jean-Jacques Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre. »

« Les lecteurs de Delille, s’intéressant aux passages sur la méditation


mélancolique dans Les Jardins, avaient tendance à le rapprocher de l’auteur
des Rêveries pour définir ces deux écrivains comme précurseurs du romantisme.
Cependant, à travers les raisonnements sur la jouissance et la sensibilité dans la
première moitié de L’Imagination, nous pouvons comprendre que Delille ne
s’est pas borné à se lamenter sur une vie solitaire privée de lumière, mais au
contraire qu’il s’est efforcé de traiter ambitieusement les thèmes philosophiques
à la mode, tout en respectant les règles de la versification classique. Après avoir
examiné dans la première partie de L’Imagination les facultés cognitives de
l’homme, il traite, dans la seconde moitié, successivement de grands thèmes
comme la morale, la politique, les beaux-arts ou la religion pour dresser à
grands traits l’histoire générale de la civilisation humaine. Non content
d’explorer divers sujets des sciences humaines, il s’efforce de rendre en vers
divers aspects des règnes (minéral, végétal et animal) dans Les Trois Règnes de
la nature, en s’appuyant sur les connaissances naturalistes qu’il puise chez
Buffon ou Linné. Comme les descriptions dans cet ouvrage se fondent sur des
connaissances scientifiques très précises, elles ont nécessité les commentaires
de Georges Cuvier, célèbre naturaliste du XVIIIe siècle. Bref, dans ses derniers
ouvrages, Delille a tenté de montrer que comme les philosophes, les poètes
peuvent atteindre au savoir encyclopédique. Il ne sera donc pas difficile de
retrouver en Delille un précurseur du Victor Hugo qui célèbre la fonction du
poète, qui est de se lancer dans les recherches heuristiques et de montrer au
peuple ce qu’est la nature des choses. » -Sakurako Inoue, « Des lumières au
romantisme : autour de L'imagination (1806) de Jacques Delille », Revue
d'histoire littéraire de la France, 2011/3 (Vol. 111), p. 593-604. DOI :
10.3917/rhlf.113.0593. URL : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-
de-la-france-2011-3-page-593.htm

878
L’entrée en guerre (20 avril 1792) : « Lorsqu'en avril 1792, par exemple, les
Girondins firent déclarer la guerre à l'Autriche, les raisons qu'ils avaient d'agir
ainsi sont aujourd'hui sans ambiguïté. L'Assemblée constituante avait conjuré la
banqueroute, à l'automne 1789, en confisquant les biens du clergé estimés à
quelque trois milliards et demi ; à l'automne 1791, deux milliards, ou presque,
d’assignats étaient déjà en circulation ; leur gage, constitué par ces "biens"
devenus "nationaux, s'amenuisait ; commençait la dépréciation de ce papier-
monnaie ; autrement dit la banqueroute de l'Etat redevenait menaçante et il
fallait à tout prix se procurer de l'argent frais. Où en trouver ? Pas de
problème. Les riches provinces autrichiennes, de l'autre côté de la frontière, au
nord et à l'est, quelles belles proies ! Narbonne, le ministre de la Guerre, est
explicite à souhait, le 14 décembre ; une nécessité pour nous, dit-il, la guerre à
l'Autriche: "le sort des créanciers de l'Etat en dépend". Le prix du pain, d'autre
part, n'a pas été étranger à la facilité avec laquelle les opérateurs bourgeois ont
pu se servir, le 14 juillet 1789, contre leurs rivaux aristocrates, du bélier
populaire. Après une baisse en 1790, le pain redevenait cher et l'agitation
reprenait chez les exploités des campagnes et des manufactures ; ils parlaient
dangereusement de "maximum", c'est-à-dire d'une fixation, par les autorités, du
prix de vente que ne devrait pas dépasser la "miche" -le pain de quatre livres,
nourriture de base des travailleurs. Les Girondins s'opposent absolument au
"maximum". "Tout ce que peut et doit faire l'Etat en matière économique,
professait Roland, c'est déclarer qu'il ne saurait, en aucun cas, intervenir".
Liberté d'abord ; et nul n'ignore quelle passion pour la liberté animait les
Girondins. La liberté économique -le "libéralisme"- était pour eux un dogme.
Les marges bénéficiaires sont sacrées. En mars 1792, une émeute d'affamés
éclate à Étampes ; le maire (un industriel, un tanneur) est tué. Il n'y a plus une
minute à perdre pour cette diversion nationale dont la guerre fournit le bienfait.
C'est ce qu'avait indiqué Brissot, dès le 29 décembre 1791, lorsqu'il s'était écrié,
limpide: "La guerre est indispensable à nos finances et à la tranquillité
intérieure". [...]
La guerre de 1792, cette guerre d'agression, combattue en vain par
Robespierre, fut donc, et ouvertement, décidée pour des motifs de politique
intérieure. » (p.9-10)

-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.


Idées, 1974, 476 pages.

879
« Le traité de Westphalie (1648) avait rattaché l’Alsace à la France mais
maintenu les privilèges de princes allemands sur leurs "possessions" :
archevêque de Trêves, archevêque de Cologne, évêque de Spire, évêque de Bâle,
électeur du Palatinat, landgrave de Hesse Darmstadt, prince de Bade, prince de
Wurtemberg, prince de Lowenstein, prince de Hohenlohe.

L’abolition des droits seigneuriaux le 4 août 1789 leur fait perdre ces
privilèges. En mai 1790, l’Assemblée constituante décide de leur proposer un
dédommagement financier important. Les princes refusent et demandent le
soutien de l’empereur d’Autriche Léopold II qui adresse une vigoureuse
protestation auprès de la France. Le 6 août 1791, la Diète de Francfort prend
position en faveur des princes possessionnés d’Alsace, estime que leur défense
relève de l’intérêt général du du Saint-Empire romain germanique et condamne
fermement la France. Les princes interviennent auprès de l’Autriche et de la
Prusse pour obtenir leur entrée en guerre contre la Révolution. » -Jacques
Serieys, « La Révolution française et la Nation », 20 novembre 2020.

« L’histoire de l’engagement volontaire peut s’écrire en continuité depuis la


Révolution française jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. […]
Pourquoi de si nombreux jeunes hommes se précipitent-ils sous les drapeaux,
désireux d’affronter la mort et de s’acquitter de leur devoir en prenant les
armes alors que rien de tel ne s’était produit avant la Révolution française ? »
(p.19)

« La plupart de cette première vague de volontaires étaient des citoyens très


motivés issus de la bourgeoisie. Leur nombre exact n’est pas facile à établir car
le terme de « volontaire » avait alors un usage assez flou -souvent confondu
avec « conscrit »- mais il dépassait sans doute les 220 000 hommes. En tout cas,
des hommes issus d’une classe sociale qui ne s’était jamais battue jusqu’alors (à
quelques exceptions près) s’engagèrent et, si les vagues suivantes devaient
refléter plus significativement la composition réelle de la population, l’armée
garderait un noyau de bourgeois cultivés, aptes à créer et proclamer le mythe de
la guerre. En 1793, seulement 11% des volontaires provenaient de la classe
moyenne urbaine ; 68% étaient des paysans.
Les volontaires n’étant pas assez nombreux pour repousser la coalition royaliste
qui envahissait la France, en 1793, l’Assemblée législative proclama la levée en
masse, c’est-à-dire la conscription générale de la population masculine capable
de porter les armes. » (p.20-21)
880
« Si dans l’ancienne France, des pancartes avaient interdit l’entrée des lieux
publics aux « chiens, aux prostituées et aux soldats », un placard jacobin
proclamait que « la profession des armes, autrefois considérée comme indigne,
est aujourd’hui honorable ». » (p.23)

« Cette nationalisation de la mort marqua une étape importante dans la création


du culte du soldat tombé au champ d’honneur. Le projet d’un immense tombeau
collectif conçu par l’architecte français Pierre Martin Giraud (1801) illustre
bien cette tendance. » (p.46)

« Pour la première fois, le simple soldat était l’objet d’un culte et non plus
seulement les généraux, les rois ou les princes. » (p.47)

-George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des


sociétés européennes, 1999 (1990 pour la première édition britannique), 291
pages.

La chute de la royaute (10 août 1792) : https://www.amazon.fr/chute-royaute-


10-aout-1792/dp/2070273164/ref=pd_sbs_14_img_0/260-8265864-
0028068?_encoding=UTF8&pd_rd_i=2070273164&pd_rd_r=88c0053e-006b-
49f4-af99-
8a3597f14559&pd_rd_w=seVW2&pd_rd_wg=DPxy2&pf_rd_p=9b28d941-
c13a-4c2b-b935-
36854aa20020&pf_rd_r=9SETPBHCZVGZ28NP6D48&psc=1&refRID=9SET
PBHCZVGZ28NP6D48

Marie Joseph Chalier (1747-1793) et le Soulèvement de Lyon contre la


Convention nationale : http://hydra.forumactif.org/t4293-marie-joseph-chalier-
et-le-soulevement-de-lyon-contre-la-convention-nationale#5168

Barbétisme (résistance niçoise à l’occupation) :


https://fr.wikipedia.org/wiki/Barbétisme

La Terreur : « Toute la Terreur en France ne fut rien d'autre qu'une méthode


plébéienne d'en finir avec les ennemis de la bourgeoisie, l'absolutisme, le
féodalisme et l'esprit petit-bourgeois. » -Karl Marx, La bourgeoisie et la contre-
révolution, La Nouvelle Gazette Rhénane, n° 165, 10 décembre 1848.

« La République jacobine […] emprunte plus d’un trait à l’Absolutisme


d’Ancien Régime. » -Ladan Boroumand, La guerre des principes. Les

881
assemblées révolutionnaires face aux droits de l’homme et à la souveraineté de
la nation (mai 1789 – juillet 1794), Paris, Éditions des Hautes Études des
sciences sociales, 1999, 583 pages, p.531-532.

« La Terreur sort beaucoup plus de l’assignat que de n’importe autre chose. » -


Marcel Gauchet, « Robespierre », conférence au cercle Aristote, 21 nov. 2018.

https://www.amazon.fr/politique-Terreur-violence-r%C3%A9volutionnaire-
1789-
1794/dp/2070767272/ref=la_B001JOXBF2_1_6?s=books&ie=UTF8&qid=1552
147416&sr=1-6

Les Guerres de Vendée : https://www.amazon.fr/Guerre-Vend%C3%A9e-


1793-1800-Jean-clement-
Martin/dp/2757836560/ref=pd_sbs_14_3?_encoding=UTF8&pd_rd_i=2757836
560&pd_rd_r=7f1b22eb-71a4-11e8-8c12-
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_r=HQMTDZNF34HW6DGX4HGV&pf_rd_s=desktop-dp-
sims&pf_rd_t=40701&psc=1&refRID=HQMTDZNF34HW6DGX4HGV

https://www.amazon.fr/Vend%C3%A9e-g%C3%A9nocide-
m%C3%A9moricide-M%C3%A9canique-
lhumanit%C3%A9/dp/220409580X/ref=pd_sim_14_2?_encoding=UTF8&pd_r
d_i=220409580X&pd_rd_r=bc4cfc6e-71a3-11e8-80b3-
9131ac438cd8&pd_rd_w=lNhJs&pd_rd_wg=quFVc&pf_rd_i=desktop-dp-
sims&pf_rd_m=A1X6FK5RDHNB96&pf_rd_p=8946694021807602816&pf_rd
_r=R9E8RNYAZNSAS95VYBJX&pf_rd_s=desktop-dp-
sims&pf_rd_t=40701&psc=1&refRID=R9E8RNYAZNSAS95VYBJX

https://www.amazon.fr/Femmes-Dans-Guerres-
Vendée/dp/2845612346/ref=sr_1_2?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%
BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=Des+femmes+dans+la+guerre+de
+Vend%C3%A9e&qid=1593083843&sr=8-2

https://www.amazon.fr/Femmes-oubliées-guerre-Thérèse-
Rouchette/dp/2911253264/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5
%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=Femmes+oubli%C3%A9es+de
+la+Guerre+de+Vend%C3%A9e&qid=1593083972&sr=8-1

882
Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau (1760-1793): « [Le plan
d’éducation] de Lepeletier de Saint-Fargeau, soutenu par Danton, Saint-Just et
Robespierre et effectivement voté par la Convention montagnarde, qui prévoit
d’enfermer toute la jeunesse française de cinq à douze ans dans des camps de
travail dont on aura banni toute forme d’instruction intellectuelle […], plan
véritablement préfasciste, préfigurant les Jeunesses hiltériennes et autres
organisations communistes de jeunesse. » -Philippe Nemo, "Les Idéologues et le
libéralisme" ", chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du
libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.323-367,
note 1 p.357.

Louis Antoine de Saint-Just (1767-1794): « Il faut dans toute révolution un


dictateur pour sauver l'État par la force. » -Saint-Just, Fragments sur les
institutions républicaines.

« Le beau, le terrible Saint-Just, le Verbe de la Terreur, dont chaque mot


tombait comme un mot du destin. » -Jules Michlet, Histoire de la Révolution
française, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, Tome II, p.995.

« Quand la révolution croit se fortifier en organisant sa propre hécatombe,


quand elle se voit contrainte de choisir entre un compromis démobilisateur ou la
violence, les acteurs de la Révolution se retrouvent face à face avec une fatalité,
un mal injuste qu’il croyait éliminé… Saint-Just, dépouillé de son amour propre,
s’identifie à la cause qu’il sert… Lénine aussi, puis Staline s’érigera en pseudo-
destin pour tuer à tort et à travers. Saint-Just entrant dans la Révolution veut le
Bien, il ne possède pas le goût du sang (et l’obsession de la violence comme
Marat) c’est pourtant lui qui va devenir le théoricien de la Terreur. » -J.-M.
Domenach, Le retour du tragique, Paris, Seuil, 1967, p. 91-94.

"Il est raisonnable de dire que Saint-Just n'aimait pas la vie. [...] Saint-Just est
par-delà toute mesure. Et ce qui nous révèle son dédain de la vie est chose
étrange et insolite: nous ne voyons pas que Saint-Just se soit jamais attaché à un
être quelconque. [...] Robespierre lui-même ne fut point, comme on le dit,
comme on le croit, l'être aimé de Saint-Just."
-Alexis Philonenko, Essai sur la philosophie de la guerre, Librairie
philosophique J. Vrin, 2003.

883
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4BZS3

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Ollivier/dp/2070247899/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1457952939&sr=
1-1&keywords=Saint-just-et-la-force-des-choses

http://www.amazon.fr/Echec-au-lib%C3%A9ralisme-Jacobins-
l%C3%89tat/dp/2908212013/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1457953060
&sr=1-1&keywords=Lucien-Jaume-Echec-au-liberalisme-les-Jacobins-et-l-Etat

Maximilien de Robespierre (1758-1794) : « Nulle puissance n'a le droit de


supprimer le culte établi, jusqu'à ce que le peuple en soit lui-même détrompé. »

« Non, la Convention n'a point fait cette démarche téméraire ; la Convention ne


le fera jamais.Son intention est de maintenir la liberté des culte qu'elle a
proclamée, et de réprimer en même temps tous ceux qui en abuseraient pour
troubler l'ordre public ; elle ne permettra pas qu'on persécute les ministres
paisibles du culte, et elle les punira avec sévérité toutes les fois qu'ils oseront se
prévaloir de leurs fonctions pour tromper les citoyens et pour armer les
préjugés ou le royalisme contre la République. »

« La force peut renverser un trône ; la sagesse seule peut fonder une république.
Démêlez les pièges continuels de nos ennemis ; soyez révolutionnaires et
politiques ; soyez terribles aux méchants et secourables aux malheureux ; fuyez
à la fois le cruel modérantisme et l'exagération systématique des faux patriotes :
soyez digne du peuple que vous représentez ; le peuple hait tous les excès ; il ne
veut ni être trompé ni être protégé, il veut qu'on le défende en l'honorant. »

« Fuyez la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner ;


laissez aux individus, laissez aux familles le droit de faire ce qui ne nuit point à
autrui ; laissez aux communes le pouvoir de régler elles-mêmes leurs propres
affaires, en tout ce qui ne tient point essentiellement à l'administration générale
de la République. » -Maximillien de Ropespierre.
884
« La conscience d’avoir voulu le bien de ses semblables est le salaire de
l’homme vertueux ; vient ensuite la reconnaissance des peuples qui environnent
sa mémoire des honneurs que lui ont déniés ses contemporains. Comme toi
[Jean-Jacques Rousseau] je voudrais acheter ces biens au prix d’une vie
laborieuse, aux prix même d’un trépas prématuré. Appelé à jouer un rôle au
milieu des plus grands événements qui aient jamais agité le monde, assistant à
l’agonie du despotisme et au réveil de la véritable souveraineté, près de voir
éclater des orages amoncelés de toutes parts, et dont nulle intelligence humaine
ne peut deviner tous les résultats, je me dois à moi-même, je devrai bientôt à
mes concitoyens compte de mes pensées et de mes actes. » -Maximilien de
Robespierre, Dédicace aux mânes de Jean-Jacques Rousseau., avril 1789.

« Les républiques de la Grèce, où les peines étaient modérées, où la peine de


mort était ou infiniment rare ou absolument inconnue, offraient-elles plus de
crimes et moins de vertus que les pays gouvernés par des lois de sang ? Croyez-
vous que Rome fut souillée par plus de forfaits, lorsque, dans les jours de sa
gloire, la loi Porcia eut anéanti les peines sévères portées par les rois et par les
décemvirs, qu’elle ne le fut sous Sylla qui les fit revivre, et sous les empereurs
qui en portèrent la rigueur à un excès digne de leur infâme tyrannie ? La Russie
a-t-elle été bouleversée depuis que le despote qui la gouverne a entièrement
supprimé la peine de mort, comme s’il eût voulu expier par cet acte d’humanité
et de philosophie le crime de retenir des millions d’hommes sous le joug du
pouvoir absolu ?

Écoutez la voix de la justice et de la raison : elle nous crie que les jugements
humains ne sont jamais assez certains pour que la société puisse donner la mort
à un homme condamné par d’autres hommes sujets à l’erreur. »

« L’idée du meurtre inspire bien moins d’effroi lorsque la loi-même en donne


l’exemple et le spectacle ; l’horreur du crime diminue dès qu’elle ne le punit
plus que par un autre crime. » -Maximilien de Robespierre, Discours sur la
peine de mort, 30 mai 1791.

« Personne n’aime les missionnaires armés, et le premier conseil que donnent la


nature et la prudence, c’est de les repousser comme des ennemis. » -Maximilien
de Robespierre, aux Jacobins, 2 décembre 1792.

« La vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu
est impuissante. La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère,
885
inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu. » -Maximilien Robespierre,
Sur les principes de la moralité politique, 1794.

« Dirons-nous que tout est bien ? Continuerons-nous de louer par habitude ou


par pratique ce qui est mal ? Nous perdrions la patrie. Révélerons-nous les abus
cachés ? Dénoncerons-nous les traîtres ? On nous dira que nous ébranlons les
autorités constituées ; que nous voulons acquérir à leurs dépens une influence
personnelle. Que ferons-nous donc ? Notre devoir. Que peut-on objecter à celui
qui veut dire la vérité, et qui consent à mourir pour elle ? Disons donc qu’il
existe une conspiration contre la liberté publique ; qu’elle doit sa force à une
coalition criminelle qui intrigue au sein même de la Convention ; que cette
coalition a des complices dans le Comité de sûreté générale et dans les bureaux
de ce Comité qu’ils dominent ; que les ennemis de la République ont opposé ce
Comité au Comité de salut public, et constitué ainsi deux gouvernements : que
des membres du Comité de salut public entrent dans ce complot ; que la
coalition ainsi formée cherche à perdre les patriotes et la patrie. Quel est le
remède à ce mal ? Punir les traîtres, renouveler les bureaux du Comité de
sûreté générale, épurer ce Comité lui-même, et le subordonner au Comité de
salut public ; épurer le Comité de salut public lui-même, constituer l’unité du
gouvernement sous l’autorité suprême de la Convention nationale, qui est le
centre et le juge, et écraser ainsi toutes les factions du poids de l’autorité
nationale, pour élever sur leurs ruines la puissance de la justice et de la liberté.

Tels sont les principes. S’il est impossible de les réclamer sans passer pour un
ambitieux, j’en conclurai que les principes sont proscrits, et que la tyrannie
règne parmi nous, mais non que je doive le taire : car que peut-on objecter à un
homme qui a raison, et qui sait mourir pour son pays ?

Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner. Le temps n’est point
arrivé où les hommes de bien peuvent servir impunément la patrie ; les
défenseurs de la liberté ne seront que des proscrits, tant que la horde des
fripons dominera. » -Maximilien Robespierre, Fin de son dernier discours
prononcé à la Convention Nationale, 8 thermidor an II (26 juillet 1794).

« Robespierre venait justement se poser sous un aspect nouveau, "en


guillotinant l'anarchie". C'est ainsi qu'il appelait les premiers socialistes,
Jacques Roux, etc. Au cœur de Paris même, dans les noires et profondes rues
ouvrières (des Arcis, Saint-Martin), fermentait le socialisme, une révolution

886
sous la Révolution. Robespierre s'alarma, frappa et se perdit. [...]
Extraordinaire méprise. Dans ses douze volumes, Louis Blanc prend
Robespierre pour un apôtre et un symbole du socialisme, qu'il frappait et qui le
tua. » -Jules Michelet, Histoire de la Révolution française.

« Ce fou de Robespierre ». -Charles Baudelaire, dans sa recension des


Misérables de Victor Hugo, Le Boulevard, 1862.

« Soyons juste enfin, et ne craignons plus de le dire : Robespierre est l'un des
plus grands hommes de l'histoire. Ce n'est pas à dire qu'il n'ait eu des fautes,
des erreurs, et par conséquent des crimes à se reprocher ; entraîné sur une
pente rapide, il fut au niveau des malheureuses théories du moment, bien
supérieur à tous les hommes qui les appliquaient. Mais dans quelle carrière
politique orageuse l'histoire nous montrera-t-elle un seul homme pur de quelque
péché mortel contre l'humanité? Sera-ce Richelieu, César, Mahomet, Henri IV,
le maréchal de Saxe, Pierre le Grand, Charlemagne, Frédéric le Grand, etc.,
etc. ? Quel grand ministre, quel grand prince, quel grand capitaine, quel grand
législateur n'a commis des actes qui font frémir la nature et qui révoltent la
conscience? Pourquoi donc Robespierre serait-il le bouc-émissaire de tous les
forfaits qu'engendre ou subit notre malheureuse race dans ses heures de lutte
suprême ! » -George Sand.

« En même temps que la bourgeoisie supprime les entraves de la société


d’Ancien Régime, elle engendre une nouvelle contradiction, inhérente à son
mode d’existence. En pleine tourmente révolutionnaire, confrontée au péril de la
guerre, la république propulse à sa tête une Convention montagnarde, qui
impose une dictature de « salut public » (juin 1793). Elle s’allie avec les sans-
culottes, prête à s’appuyer sur les masses populaires pour vaincre l’ennemi à
l’intérieur et à l’extérieur. Fruit de cette coalition entre le petit-peuple et la
bourgeoisie montagnarde, des mesures égalitaires sont prononcées afin de
rassurer les milieux populaires. Ces mesures donnent à la paysannerie pauvre
l’espoir de recevoir des terres. Mais lorsque le danger militaire disparaît, et que
la réaction thermidorienne prend le pouvoir (juillet 1794), l’alliance avec le
mouvement populaire est rompue. L’aspiration à l’égalité et à la constitution
d’une république du partage ne cesse pas chez les sans-culottes. Un mouvement
égalitariste traverse les couches populaires, dont l’un de ses plus grands
représentants est Babeuf (1760-1797). Cette opposition populaire est finalement
vaincue par les thermidoriens, qui répriment les dernières insurrections en mai
887
1795, aidés en cela par la crise économique qui frappe de plein fouet les plus
pauvres. » -Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris,
Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.275.

« Comme tous ses contemporains, il est également imbu des idées du siècle. Il
connaît Locke. Il a lu Mably. Il admire l’Esprit des lois, et le juridisme de
Montesquieu transparaît souvent dans ses discours. Sa philosophie, on le sait, et
il l’a assez proclamé, tout au long de son existence, est celle de Rousseau, dont
tous les thèmes sont présents chez lui, de la critique sociale, à la souveraineté
populaire et à l’Être suprême. Peut-on, pour autant, parler d’un « corpus », qui
serait sa base arrière et l’armerait dans toutes les situations ? Il ne semble pas
et toute explication de la pratique politique de Robespierre, à partir de ses
supposés principes, apparaît insuffisante, séduisante, mais facile, et, de surcroît,
contradictoire avec l’inouï de la situation. »

« L’hostilité de Robespierre à toute forme de violence est patente et constante.


Jeune avocat, il se prononce contre la peine de mort ; il réaffirme cette position
au moment même du procès de Louis XVI. Il est, fin 1791, opposé à la guerre, en
ce qu’elle ruine les peuples et ne profite qu’aux généraux et aux contre-
révolutionnaires. Il est opposé à toute dictature, y compris la sienne. Il n’aime
pas la Terreur, tente d’en limiter les effets, et désapprouve, à plusieurs reprises,
la loi de prairial, élaborée par Couthon, qui refuse toute assistance aux
suspects, et engage la Grande Terreur. Or, il a guillotiné le roi, approuvé et
conduit, avec quel talent, la guerre contre les puissances, exercé la Terreur à
l’encontre de ses meilleurs amis eux-mêmes (Danton, Desmoulins, etc.) et, de
fait, la dictature. Il a voté la loi de prairial. Paradoxe ? Contradiction ?
Reniements ou faiblesse ? Nullement. Mais une logique qui contraint les
principes, les soumet au réel et les gauchit. Qu’aurait fait un Montesquieu au
Comité de salut public? Quelle aurait été l’attitude d’un Rousseau en face de
Marie-Antoinette ? Questions sans réponses, mais qui sont celles de
Robespierre; d’où le rousseauisme, assurément, mais un rousseauisme épuré,
radicalisé, converti de la rêverie à l’histoire et, en fin de compte, bien différent
de celui du Contrat social. » -Georges Labica, Extraits de Robespierre. Une
Politique de la philosophie, La Fabrique (1ère éd. 1990, PUF).

« Suivant Robespierre et ses amis, les pauvres étant demeurés plus près de la
nature, la vertu leur est plus facile qu'aux riches ; cette métaphysique singulière

888
se retrouve encore souvent dans des livres contemporains. » -Georges Sorel, La
Décomposition du marxisme, 1re éd. Paris, Librairie de Pages libres, 1908.

« Robespierre fut idéaliste et honnête jusqu’à sa mort. La révolution en danger,


les ennemis à toutes les frontières, les traîtres prêts à tous les coups de poignard
dans le dos, les hésitants toujours barrant la route : il fallait être dur, inflexible,
sévère, pécher par excès et non par défaut, à l’heure où c’eût été le début de la
fin. Il les fallait ces quelques mois de Terreur, pour venir à bout d’une terreur
séculaire. Ce sont les Robespierre qu’il faut à Cuba, beaucoup de
Robespierre ! N’oublie pas ce que dit Mira dans son chapitre sur la psychologie
de la direction révolutionnaire : « Passé l’instant où les plus radicaux
brandissent leur drapeau et mènent la révolution à son point culminant, la
marée commence à descendre ». En France, cette étape commence précisément
avec la chute de Robespierre. « La révolution, comme Saturne, dévore ses
propres enfants », dit l’un d’eux, peut-être pourrais-je plus tard t’expliquer
mieux cela. » -Fidel Castro, extrait d’une lettre adressée par Fidel Castro depuis
la Prison de l’île des Pins, où il purgeait une peine de 15 ans de prison pour
avoir été l’inspirateur de l’attaque de la Caserne Moncada, à sa collaboratrice et
compagne dans la clandestinité, Naty Revuelta, 23 mars 1954. Cité dans Carlos
Franqui, Journal de la révolution cubaine, Le Seuil, Paris, 1976, p. 91. Cité par
Elizabeth Burgos, « Condamner et punir : le système pénitencier cubain »,
Nuevo Mundo Mundos Nuevos [En ligne], Colloques, mis en ligne le 16 janvier
2009, consulté le 02 janvier 2019.

« Robespierre est au départ un monarchiste constitutionnel. » -Marcel Gauchet,


« Robespierre », conférence au cercle Aristote, 21 nov. 2018.

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Robespierre parle aux Français : http://www.thebookedition.com/robespierre-


parle-aux-francais-philippe-landeux-p-93955.html

http://www.utovie.com/catalog/histoire/robespierrepolitiqueetmystique-p-
225.html

Marc-Antoine Jullien (1744-1821) : http://www.amazon.fr/Marc-Antoine-


Jullien-Paris-1775-1848-

889
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r=1-1&keywords=Marc-Antoine+Jullien

Pierre-Antoine Antonelle (1747-1817) : http://www.amazon.fr/Antonelle-


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Vovelle/dp/2866452763/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1456161381&sr=8-
1&keywords=Antonelle.+Aristocrate+r%C3%A9volutionnaire.+1747-1817

Les Contre-Révolutionnaires : http://hydra.forumactif.org/t1735-francois-


dominique-de-reynaud-de-montlosier-de-la-necessite-d-une-contre-revolution-
en-france-pour-retablir-les-finances-la-religion-les-moeurs-la-monarchie-et-la-
liberte-de-la-monarchie-francaise-depuis-son-etablissement-jusqu-a-nos-
jours#2415

http://hydra.forumactif.org/t591-antoine-blanc-de-saint-bonnet

Georges Cadoudal (1771-1804): https://www.amazon.fr/Georges-Cadoudal-


chouans-Patrick-
Huchet/dp/2737322839/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1548683863&sr=8-
1&keywords=Patrick+Huchet%2C+Georges+Cadoudal+et+les+Chouans

Joseph de Maistre (1753-1821) : « L’homme pour se conduire n’a pas besoin


de problèmes, mais de croyances. Son berceau doit être environné de dogmes ;
et, lorsque sa raison se réveille, il faut qu’il trouve ses opinions faites, du moins
sur tout ce qui a rapport à sa conduite. Il n’y a rien de si important pour lui que
les préjugés. […] Or ces sortes d’opinions sont le plus grands besoin de
l’homme, les véritables éléments de son bonheur, et le Palladium des empires.
Sans elles, il ne peut y avoir ni culte, ni morale, ni gouvernement. Il faut qu’il y
ait une religion d’Etat comme une politique de l’Etat ; ou plutôt, il faut que les
dogmes religieux et politiques mêlés et confondus forment ensemble une raison
universelle ou nationale assez forte pour réprimer les aberrations de la raison
individuelle qui est, de sa nature, l’ennemi mortelle de toute association
quelconque, parce qu’elle ne produit que des opinions divergentes. » -Joseph de
Maistre, Des origines de la souveraineté, 1794).

890
« Il n'y a point d'homme dans le monde. J'ai vu dans ma vie des Français, des
Italiens, des Russes; je sais même, grâce à Montesquieu, qu'on peut être Persan;
mais quant à l'homme je déclare ne l'avoir rencontré de ma vie; s'il existe c'est
bien à mon insu. » -Joseph de Maistre, Considérations sur la France (1796).

« Le despotisme, pour telle est nation, est aussi naturelle, aussi légitime que la
démocratie pour telle autre. » -Joseph de Maistre, De la souveraineté du peuple.
Un anti-contrat social, 1794, rééd. PUF, 1992, p.109.

« Toute autorité, mais surtout celle de l’Église, doit s’opposer aux nouveautés,
sans se laisser effrayer par le danger de retarder la découverte de quelques
vérités, inconvénient passager et tout à fait nul, comparé à celui d’ébranler les
institutions et les opinions reçues. » -Joseph de Maistre, Examen de la
philosophie de Bacon.

« Le catholique sait qu’il ne peut pas se tromper. » -Joseph de Maistre.

"De Maisue spoke with particular fondness of sovereignty, which essentially


meant decision. To him the relevance of the state rested on the fact that it
provided a decision, the relevance of the Church on its rendering of the last
decision that could not be appealed. Infallibility was for him the essence of the
decision that cannot be appealed, and the infallibility of the spiritual order was
of the same nature as the sovereignty of the state order. The two words
infallibility and sovereignty were "perfectly synonymous."' To him, every
sovereignty acted as if it were infallible, every government was absolute-a
sentence that an anarchist could pronounce verbatim, even if his intention was
an entirely different one. In this sentence there lies the clearest antithesis
in the entire history of political ideas. All the anarchist theories from Babeuf to
Bakunin, Kropotkin, and Otto Gross revolve around the one axiom: "The people
are good, but the magistrate is corruptible." De Maistre asserted the exact
opposite, namely, that authority as such is good once it exists: "Any government
is good once it is established," the reason being that a decision is inherent in the
mere existence of a governmental authority, and the decision as such is in turn
valuable precisely because, as far as the most essential issues are concerned,
making a decision is more important than how a decision is made." -Carl
Schmitt, Théologie politique - Quatre chapitres sur le concept de souveraineté,
1922. D'après la traduction anglaise de George Schwab, The MIT Press,
Cambridge, Massachusetts, and London, England, 1985, 70 pages, p.55-56.

891
« Joseph de Maistre, qu'il a beaucoup lu. » -Jean Leca, Carl Schmitt, le meilleur
ennemi du libéralisme, Colloque Les discours du politique, 14/11/2001.

« Comme le disait Isaiah Berlin, Maistre est au-delà même des plus grandes
violences, les plus grandes frénésies de Sade et de Saint-Just. » -Jean Leca, "Le
politique comme fondation", Espaces Temps, les Cahiers, Année 2001 76-77 pp.
27-36, p.34.

« Le Robespierre du clergé » -Edgar Quinet, à propos de Joseph de Maistre.

« Une loi inexorable frappe et dirige sociétés et civilisations. Quand, faute de


vitalité, le passé fait faillite, s’y cramponner ne sert à rien. Et pourtant, c'est cet
attachement à des formes de vie désuètes, à des causes perdues ou mauvaises,
qui rend pathétiques les anathèmes d’un Maistre ou d’un Bonald. Tout semble
admirable et tout est faux dans la vision utopique ; tout est exécrable, et tout a
l’air vrai, dans les constatations des réactionnaires. » -Emil Cioran, Joseph de
Maistre. Essai sur la pensée réactionnaire, 1977.

« Au contraire de Pascal qui disait ne pouvoir pardonner à Descartes de


n’avoir donné à Dieu, dans sa philosophie, qu’une place honorifique, Maistre
ne parle de Descartes qu’en termes élogieux. […] C’est d’abord que Maistre
associe Descartes à « cet admirable Malebranche » […] « qui a bien pu errer
quelquefois dans le chemin de la vérité mais qui n’en est jamais sorti » […] c’est
surtout qu’il considère que l’essentielle des vérités chrétiennes, perdues par la
tradition empiriste et la philosophie des Lumières, est sauvegardé par le
cartésianisme. L’ennemi du catholicisme, aux yeux de Maistre, est l’empirisme
de Bacon et de Locke : parce qu’il enferme l’homme dans l’immanence du
monde sensible, l’empirisme est l’incarnation même du nihilisme moderne,
c’est-à-dire du refus de la transcendance. Il n’est pas possible d’en dire autant
du cartésianisme : non seulement Descartes et Malebranche ont été de fidèles
catholiques qui ont toujours protesté de leur soumission à l’enseignement de
l’Église, mais leur philosophie même enseigne que la raison est le lieu de la
présence en l’homme de la transcendance divine. […] Une grande partie des
Soirées de Saint-Pétersbourg est occupée par une défense, contre l’empirisme,
du rationalisme innéiste illustré par Descartes. » -Philippe Barthelet, Joseph de
Maistre, L’Age d’Homme, Les Dossiers H, 2005, p.381-382.

« Il nie tout droit de résistance à l'autorité, fût-elle despotique, et soutient que le


pouvoir souverain doit être tenu pour infaillible. L'esclavage, "ancre de la
892
société", lui paraît de droit naturel partout où le catholicisme n'est pas la
religion nationale. » (p.1)

-Jean-Yves Pranchère, L'autorité contre les lumières: la philosophie de Joseph


de Maistre, Genève, Librairie Droz, 2004.

« [En affirmant que la société prime sur l’individu, là où la philosophie


classique –des Grecs jusqu’à Thomas d’Aquin- faisait du bien commun la
condition de la réalisation de l’homme, posait l’homme comme fin] Il y a une
sorte de renversement de la pensée réactionnaire, qui pour ma part prouve
qu’elle est moderne. »

« Il y avait cette idée [dans la pensée classique, grecque] de l’universalité de


l’homme ; or tout dans coup, dans la pensée réactionnaire, cela disparaît. » -
François Hugenin.

« Maistre a à peu près la même attitude en considérant l'homme comme le


rouage d'une machine [...] Si la société est tout, la loi est un absolu. Maistre
n'hésite d'ailleurs pas à défendre l'indéfendable. La loi a toujours raison: si la
loi punit de mort le vol d'un domestique, "il est coupable suivant la loi ; il est
jugé suivant la loi ; il est envoyé à la mort selon la loi ; on ne lui fait aucun
tort". La loi est absolutisée. Qu'elle puisse être bonne ou mauvaise n'intéresse
pas Maistre. Aucun critère du bien ou du mal ne peut venir modifier la
perception que l'on en a ou l'obéissance qu'on lui doit. Les réactionnaires se
comportent bel et bien comme des modernes. Maurras ni aucun membre de
l'Action française ne s'en est offusqué, ni même ne l'a relevé. » -François
Huguenin, L'Action française. Une histoire intellectuelle, Perrin, coll. Tempus,
2011 (1998 pour la première édition), 686 pages, p.102.

« Maistre, qui n'a pas une connaissance directe de Herder, montre comment
Condorcet, pour lui le plus odieux des révolutionnaires et le plus fougueux
ennemi du christianisme en même temps qu'ami de la Réforme, savait bien ce
qu'il disait quand il s'émerveillait devant la mise en œuvre du principe de libre
examen : rien ne pouvait résister à cet appel à la raison individuelle. Le
protestantisme a fourni le principe, les hommes des Lumières se sont chargés
des conséquences. [...] Un siècle après Maistre, Maurras reprendra les mêmes
arguments, quasi inchangés. » -Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une tradition
du XVIIIème siècle à la guerre froide. Saint-Amand, Gallimard, coll. Folio
histoire, 2010, 945 pages, 362.
893
« Le monde du romantisme allemand […] un état de détachement ironique en
même temps que de mécontentement violent, mélancolique et exalté, morcelé,
désespéré et pourtant source de toute vraie pénétration et inspiration, en même
temps destructeur et créateur. » (p.101)

« Joseph de Maistre n’appartenait pas à ce monde, nous affirment à peu près


tous ses biographes et commentateurs. Il détestait l’esprit romantique. Comme
Charles Maurras et T. S. Eliot, il en tenait pour la trinité du classicisme, de la
monarchie et de l’Église. Il est l’incarnation de l’esprit latin limpide,
l’antithèse même de l’âme germanique torturée. Dans un monde en clair-
obscur, il apparaît plein de certitudes ; dans une société où la religion et l’art,
l’histoire et la mythologie, la doctrine sociale, la métaphysique et la logique
semblent inextricablement mêlés, il classe, distingue, et se tient à ses distinctions
avec rigueur et constance. C’est un catholique réactionnaire, un érudit et un
aristocrate –français, catholique, gentilhomme- indigné par les théories autant
que par les actes de la Révolution française, opposé avec une égale fermeté au
rationalisme et à l’empirisme, au libéralisme, à la technocratie et à la
démocratie égalitaire, hostile au sécularisme et à toutes les formes de religion
non confessionnelles, non institutionnelles, une figure puissantes, rétrograde,
qui tire sa foi et sa méthode des Pères de l’Église et de l’enseignement des
jésuites. « Absolutistes féroce, théocrate enragé, légitimiste intransigeant, apôtre
d’une trinité montrueuse du pape, du roi et du bourreau, toujours et partout le
champion du dogmatisme le plus sévère, en toutes choses partisan des dogmes
les plus durs, les plus étroits et les plus inflexibles, sombre figure du Moyen
Age, où il y avait du docteur, de l’inquisiteur et de l’exécuteur » [Faguet,
Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle, vol. I, Paris, 1899, p.1]. Voilà le
résumé typique de Faguet. » (p.102)

« Maistre est dépeint comme un monarchiste fanatique et un papiste encore plus


enragé, fier, sectaire et inflexible, doté d’une volonté affirmée et d’une capacité
peu commune à tirer des conclusions extrêmes et désagréables de prémisses
dogmatiques ; un amer et brillant fabricateur de paradoxes tacitéens, un maître
sans égal de la prose française, un docteur médiéval né hors de son siècle, un
réactionnaire exaspéré, un opposant féroce qui visait au cœur, cherchant
vainement à arrêter le cours de l’histoire par le seul pouvoir de sa prose
superbe, un cas singulier, formidable, solitaire, pointilleux, sensible et, en fin de
compte, pathétique ; au mieux une figure de patricien tragique, défiant et
dénonçant un monde sournois et vulgaire dans lequel l’incongruité a voulu qu’il
894
naquit ; au pire, un réactionnaire à tout crin inflexible et fanatique, accablant
de ses malédictions le nouvel âge merveilleux qu’il est trop aveugle pour voir et
trop entêté pour sentir. […]

Il suscite les réactions les plus tranchées : pratiquement aucun de ses critiques
ne parvient à cacher ses sentiments. Il est représenté par les conservateurs
comme le paladin, brave mais condamné, d’une cause perdue, par les
démocrates comme une survivance insensée ou odieuse d’une ancienne
génération dépourvue de cœur. Les deux camps s’accordent à dire que son
heure est passée, que son monde n’a rien à voir avec aucune réalité actuelle ou
future. » (p.103)

« Comparé à ses contemporains progressistes, Benjamin Constant et Madame


de Staël, Jeremy Bentham et Stuart Mill, pour ne pas parler des extrémistes
radicaux et des utopistes, il est à certains égards ultra-moderne, né non pas
après mais avant son heure. » (p.104)

« Maistre admirait grandement Bonald, qu’il ne rencontra jamais, correspondit


avec lui, et revendiqua d’être son jumeau spirituel –revendication qui a été
beaucoup trop prise au sérieux par tous ses biographes. » (p.108)

« Ses idées […] étaient plus audacieuses, plus intéressantes, plus originales,
plus violentes, et, en vérité, plus inquiétantes que tout ce dont pouvait rêver
Bonald dans le carcan de son légitimisme étroit. […] Pour ses contemporains,
peut-être pour lui-même, il semblait observer calmement le passé classique et
féodal, mais ce qu’il perçut encore plus distinctement s’avéra une vision de
l’avenir à vous glacer les sangs. Là résident son intérêt et son importance. »
(p.109)

« Sa famille venait de Nice, et toute sa vie il eut pour la France une admiration
telle qu’on la trouve parfois chez ceux qui vivent dans les provinces
périphériques, ou au-delà de la frontière, d’un pays duquel ils sont attachés par
des liens de sang ou de sentiment et dont leur vie durant ils chérissent une vision
romancée. » (p.110)

« Il reçut l’éducation qui convenait à un jeune Savoyard de bonne famille : il


étudia chez les jésuites et devint membre d’un ordre laïque, dont l’un des
devoirs était de secourir les criminels, en particulier d’assister aux exécutions

895
capitales pour apporter un dernier réconfort aux victimes. Sans doute est-ce là
qu’il faut chercher la raison de son obsession de l’échafaud. » (p.110)

« Du temps de sa jeunesse, l’Église, en Savoie tout au moins, ne s’opposait pas


aux penchants maçonniques chez les fidèles –ne serait-ce que parce qu’en
France, sous la direction de Willermoz, les maçons étaient ses alliés contre des
ennemis tels que le matérialisme et le libéralisme anticlérical des Lumières. »
(p.111)

« Lorsque la République française militante envahit et annexa la Savoie, le roi


fut obligé de s’enfuir, d’abord à Turin, puis durant quelques années à Rome et,
après que Napoléon eut fait pression sur le pape, dans sa capitale de Cagliari
en Sardaigne. Maistre, qui avait commencé par approuver les actes des Etats
généraux réunis à Paris, changea bientôt d’avis et partit pour Lausanne ; de là
il gagne Venise puis la Sardaigne, où il mena la vie typique d’un émigré
royaliste appauvri, au service de son maître, le roi de Sardaigne, qui devint le
pensionné de l’Angleterre et de la Russie. » (p.111)

« Son monde avait été ébranlé par les forces sataniques de la raison athée : il ne
pouvait le reconstruire qu’en coupant toutes les têtes aux masques multiples de
l’hydre de la révolution. Deux mondes s’affrontaient en un combat à mort. Il
avait choisi son camp et n’entendait pas faire de quartier. » (p.112)

« Maistre niait le moindre sens à des abstractions telles que la nature et le droit
naturel. » (p.115)

« [Ses méthodes] ne devaient pas grand-chose en réalité à ces grands piliers de


l’Église catholique : elles tenaient plus de l’approche antirationaliste de saint
Augustin ou des professeurs de la jeunesse de Maistre –l’illuminisme de
Willermoz et des partisans de Pasqually et de Saint-Martin. Maistre était à
l’unisson des pères de l’irrationnalisme et du fidéisme allemand. » (p.116)

« [Sa vision de la vie] a une affinité avec le monde paranoïaque du fascisme


moderne que l’on est surpris de trouver si tôt dans le XIXe siècle. » (p.118)

« Sans relâche il insiste sur le fait que la souffrance seule peut garder les
hommes de la chute dans l’abîme sans fond de l’anarchie et de la destruction de
toute valeur. D’un côté l’ignorance, l’entêtement, l’idiotie –voilà les concepts
qui hantent le sombre monde de Maistre. Le peuple –la masse de l’humanité- est
un enfant, un fou, un propriétaire toujours absent, qui plus que tout a besoin
896
d’un gardien, d’un mentor fidèle, d’un directeur spirituel pour contrôler aussi
bien sa vie privée que l’usage de ses biens. Rien qui vaille ne peut être accompli
par des hommes qui sont incurablement corrompus et débiles, à moins qu’ils ne
soient protégés de la tentation de dissiper leur force et leur richesse en des buts
futiles, à moins qu’ils ne soient tenus d’exécuter la tâche qui leur a été attribué
par la vigilance perpétuelle de leurs gardiens. [….]

Ce n’est pas sans raison que Maistre pensait voir, au départ de chaque voie
véritable vers la connaissance et le salut, la haute figure de Platon qui lui
montrait le chemin. Il comptait sur la Compagnie de Jésus pour jouer le rôle
d’élite des Gardiens platoniciens et sauver les Etats européens des fatales
aberrations à la mode de son temps. » (p.121)

« [Pour Maistre] les hommes ne peuvent être sauvés qu’en étant cloués par la
terreur du pouvoir. » (p.122)

« Aux protestants et aux jansénistes, il ajoute à présent les déistes et les athées,
les francs-maçons et les juifs, les scientistes et les démocrates, les jacobins, les
libéraux, les utilitaristes, les anticléricaux, les égalitaristes, les perfectionnistes,
les matérialistes, les idéalistes, les juristes, les journalistes, les réformistes et les
intellectuels de tout poil ; tous ceux qui font appel à ces principes abstraits, qui
se fient à la raison individuelle ou à la conscience individuelle ; ceux qui croient
en la liberté individuelle ou l’organisation rationnelle de la société, les
réformateurs et les révolutionnaires : ceux-là sont l’ennemi de l’ordre établi et
doivent être extirpés à tout prix. C’est « la secte », et elle ne dort jamais, sans
répit elle creuse de l’intérieur. » (p.123)

« Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour retrouver une aussi forte insistance
sur des buts irrationnels, une conduite romantique dégagée de l’intérêt ou du
plaisir, des actes mus par la passion du sacrifice et de l’autodestruction. […]

L’action humaine n’est selon lui justifiée que lorsqu’elle découle de cette
tendance chez les êtres humains qui n’est ni tournée vers le bonheur ni vers le
confort, ni vers des schémas de vie clairs et logiquement cohérents, ni vers
l’auto-affirmation et la mise en valeur de soi-même, mais vers la réalisation
d’un insondable dessein divin que les hommes ne peuvent ni ne doivent tenter de
sonder –et qu’ils nient à leur propre péril. Cela peut souvent conduire à des
actes impliquant la souffrance et le massacre, ce qui dans les termes des règles
de la morale petite-bourgeoise sensée et normale peut bien passer pour
897
arrogant et injuste, mais découle néanmoins du centre obscur et rebelle à
l’analyse de toute autorité. » (p.127)

« L’anarchie ne peut être arrêtée que par quelque chose contre quoi il n’y a pas
d’appel. […] Aristote a parfaitement raison : certains hommes sont esclaves par
nature. » (p.128)

« Ce que la religion exige n’est pas l’obéissance conditionnel –le contrat


commercial de Locke et des protestants- mais la dissolution de l’individu dans
l’Etat. […] La façade du système de Maistre est peut-être classique, mais
derrière se trouve quelque chose d’effroyablement moderne. » (p.129)

« Il fait peu de doute que Maistre a été dans une certaine mesure influencé par
les idées de Burke. » (p.130)

« La foi n’est véritablement la foi que lorsqu’elle est aveugle ; dès lors qu’elle
cherche des justifications, elle est ruinée. Tout ce qui dans l’univers est fort,
permanent et efficace, se situe au-delà et, en un certain sens, à l’encontre de la
raison. La monarchie héréditaire, la guerre, le mariage durent précisément
parce qu’ils ne peuvent être défendus et ne peuvent donc être réfutés. » (p.132)

« C’est un retour à l’irrationnalisme hardi, absolu, de l’Église primitive. »


(p.133)

« Pour les libéraux Maistre représente la plus riche floraison de tout ce à quoi
ils existent pour s’opposer. » (p.136)

« Maistre avait une compréhension exceptionnelle des valeurs contre lesquelles


il se battait. » (p.138)

« Maistre fut pratiquement le premier auteur occidental à se faire ouvertement


l’avocat d’une politique d’arriération délibérée dans les domaines des arts
libéraux et des sciences, de la suppression virtuelle de certaines des valeurs
centrales qui ont transformé la pensée et la conduite occidentales depuis la
Renaissance jusqu’à aujourd’hui. Mais c’était le XXe siècle qui devait voir la
floraison la plus riche et l’application la plus implacable de cette sinistre
doctrine. » (p.152)

« Un demi-siècle devait s’écouler avant que cette même tonalité impossible à


confondre ne s’entendit chez Nietzsche, Drumont ou Belloc, ou chez les
intégralistes de l’Action française. » (p.154)
898
« [Maistre] revaît de rencontrer Napoléon. Celui-ci était, de son côté,
impressionné par l’intelligence des écrits de Maistre, et l’on rapporte qu’il lui
était politiquement sympathique. […] Le roi Victor-Emmanuel […] interdit
catégoriquement à son ministre toute espèce d’échange avec l’ogre corse.
Maistre fut terriblement déçu. » (note 71 p.171)

-Isaiah Berlin, « Joseph de Maistre et les origines du totalitarisme », 1960 pour


la première version, in Le bois tordu de l’humanité. Romantisme, nationalisme
et totalitarisme, Albin Michel, coll. Idées, 1992 (1990 pour la première édition
britannique), 258 pages.

http://hydra.forumactif.org/t2679-e-m-cioran-joseph-de-maistre#3432

http://hydra.forumactif.org/t1148-joseph-marie-comte-de-maistre-oeuvres#1782

http://hydra.forumactif.org/t893-philippe-barthelet-joseph-de-maistre

http://hydra.forumactif.org/t996-jean-yves-pranchere-l-autorite-contre-les-
lumieres-la-philosophie-de-joseph-de-maistre#1618

Louis de Bonald (1754-1840) : « Je ne cesserai de le répéter : la France


république serait la fin de l’Europe monarchique, et l’Europe république serait
la fin de la civilisation, de la religion, de la politique, la fin de la société, la fin
de tout. » -Louis de Bonald, Réflexions sur la Révolution de juillet 1830.

« La Restauration correspondit aussi à un système bourgeois mercantiliste. A


telle enseigne que même un Louis de Bonald la vitupérera. » -Arnaud Guyot-
Jeannin, "La droite et l'argent", in Arnaud Guyot-Jeannin (dir.), Aux sources de
la droite.Pour en finir avec les clichés, 2000, L'âge d'Homme, coll. Vu
Autrement, p.22.

« L’émancipation des Juifs est décryptée par Bonald comme l’abolition de


toutes limites empêchant les Juifs de devenir les « maîtres » de la « société
chrétienne ». Il s’oppose par là directement à la vision libérale et
« philanthropique », s’inspirant des Lumières, de la solution du « problème
juif », qui postule que les Juifs ne sont assimilables qu’à la condition d’être
« libérés » ou « émancipés ». […] Bref, les Juifs doivent retourner au ghetto. » -
Pierre-André Taguieff, La Judéophobie des Modernes : Des Lumières au Jihad
mondial, Odile Jacob, 2008, p.104-105.

899
« Pour Bonald, la liberté politique n'existe pas. Il n'existe qu'une liberté,
métaphysique, celle de faire le bien, et l'homme ne peut le faire que sous
l'impulsion extérieure de la société. Dès lors, l'individu n'est plus rien:
"L'homme n'existe que pour la société et la société ne le forme que pour elle".
On décèle chez Bonald une confusion entre la nature sociale de l'homme et le
fait que cette sociabilité épuise tout son être. A ce titre, Bonald est en total
désaccord avec la pensée traditionnelle, pour laquelle la fin de l'homme est la
vertu, ou la contemplation de Dieu, s'inscrivant dans une destinée singulière,
propre à chaque être. Réagissant fortement face au postulat individualiste,
Bonald pèche par excès inverse. La société ne saurait former l'homme pour elle,
sans que l'homme fût réduit au rang de moyen. [...] Nous sommes confrontés ici
à un jacobinisme blanc tout à fait inédit. La société est pour Bonald, comme
pour Rousseau, un être animé par une volonté qu'il appelle aussi "volonté
générale". [...] Pire encore, Bonald divinise la société en la comparant à
Dieu. » -François Huguenin, L'Action française. Une histoire intellectuelle,
Perrin, coll. Tempus, 2011 (1998 pour la première édition), 686 pages, p.101.

http://hydra.forumactif.org/t590-oeuvres-completes-de-m-de-bonald

Edmund Burke (1729-1797): « Les hommes ne peuvent jouir à la fois des


droits de l’état de nature et de ceux de la société civile. Pour obtenir justice,
l’individu renonce au droit de la déterminer dans ce qui lui importe le plus. Et
pour s’assurer d’un certain degré de liberté, il s’en dessaisit en totalité pour en
confier la garde à d’autres instances. » -Edmund Burke, Réflexions sur la
Révolution de France.

« Nous chérissons nos préjugés parce que ce sont des préjugés. C’est que nous
craignons d’exposer l’homme à vivre et à commercer avec ses semblables en ne
disposant que de son propre fonds de raison, et cela parce que nous
soupçonnons qu’en chacun ce fonds est petit, et que les hommes feraient mieux
d’avoir recours, pour les guider, à la banque générale et au capital constitué
des nations et des siècles. » (p.310)

« Qu’est-ce d’ailleurs que la liberté sans la sagesse et sans la vertu ? C’est de


tous le pire : car c’est le dérèglement, et le vice, et la démence. » (p.313)

-Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution de France, 1791, rééd. « Pluriel »,


1989.

900
« Burke, avant encore Maistre, lequel sous plusieurs aspects tire son inspiration
du politique et philosophe irlandais, est également un conservateur, partisan de
la monarchie héréditaire et convaincu du rôle de l’aristocratie. » - Stefania
Santalucia, Le jusnaturalisme dans l’idéologie contre-révolutionnaire de E.
Burke, J. de Maistre et L. A. de Bonald, p.9.

"Les difficultés que rencontra Rousseau en acceptant la doctrine moderne du


droit naturel et en poussant son analyse auraient pu inviter à revenir à la
conception pré-moderne du droit naturel. Ce fut Edmund Burke qui, au dernier
moment pour ainsi dire, tenta ce retour. Burke se rangea aux côtés de Cicéron
et de Suarez contre Hobbes et contre Rousseau." (p.254)

"Burke ne nie pas que dans certaines conditions le peuple puisse changer l'ordre
établi. Mais il ne reconnaît ce droit qu'en dernière extrémité. La santé de la
société requiert que la souveraineté dernière du peuple soit presque toujours en
sommeil. Il s'oppose aux théoriciens de la Révolution française parce qu'ils
transforment "un cas de nécessité en une règle de loi" ou parce qu'ils
considèrent valable en temps normal ce qui ne l'est que dans des cas extrêmes."
(p.259)

"Burke ne se contente pas de défendre la sagesse pratique contre les


empiètements de la science théorique. Il fausse compagnie à la tradition
aristotélicienne en dépréciant la théorie et particulièrement la métaphysique."
(p.269)

"Burke était convaincu que la Révolution française était entièrement mauvaise.


[...] Burke n'est pas loin de suggérer que résister à un courant absolument
mauvais des affaires humaines est pervers si ce courant est suffisamment
puissant ; il oublie qu'il y a de la noblesse à résister jusqu'au dernier carré."
(p.274)

-Leo Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion, Champ.essais, 1986 (1954


pour la première édition française, 1953 pour la première édition états-unienne),
324 pages.

« O’Neill démontre qu’il [Burke] était non seulement conservateur jusqu’à l’os,
n’ayant combattu pour des causes aimées des libéraux que par des raisons de
conservateur, mais il lève tout doute sur l’impérialisme sans fards de Burke. En
901
fait, lorsqu’on lit les abondantes citations de l’auteur qu’il offre, en des textes
où Burke dit sous toutes les formes et dans tous les tons imaginables qu’il est
partisan de la suprématie impériale de l’Angleterre, qu’il révère l’aristocratie et
les possédants et méprise le peuple et la démocratie, on se demande par quelle
opération chirurgicale des gens intelligents et bardés de diplômes ont pu se
rendre aveugles et sourds à ce point. »

« L’une des thèses les plus fameuses de Burke qui le font considérer comme un
penseur conservateur, c’est celle de la « prescription ». Burke avance que tous
les grands établissements politiques et sociaux reposent historiquement sur des
usurpations et des spoliations, mais qu’à moins de continuellement remettre
toutes choses en question, il convient de jeter un voile pudique sur ces origines
inavouables puisque la durée des siècles apporte la légitimité du temps et de
l’oubli – il y a prescription. Cette idée semble bien propre à protéger les
prérogatives des puissants, mais elle paraît aussi raisonnable. Les droits de la
noblesse anglaise remontent pour beaucoup à la conquête normande qui
occasionna l’expropriation massive de l’élite anglo-saxonne au profit des
compagnons de Guillaume. Mais cela s’était passé en 1066, et il faut laisser les
morts enterrer les morts. Le problème, cependant, c’est l’étrange élasticité du
délai de prescription, car Burke applique la même logique à la conquête de
l’Inde par les Anglais qui se produisit alors qu’il était un homme adulte, et de
laquelle il parle lui-même avec un étonnement orgueilleux comme de quelque
chose qu’un Anglais des années 1720 n’aurait même pas pu concevoir dans ses
plus folles imaginations. En somme, la nécessité de défendre l’empire des Indes
l’amène à vider de son sens l’un des thèmes principiels de sa « pensée » : ce
sont de telles inconséquences qui font qu’on ne peut considérer Burke comme un
philosophe. »

« Ne méritent d’être libres à ses yeux que les membres des sociétés civilisées, à
l’intérieur desquelles la liberté des gens du peuple est heureusement modérée et
disciplinée par le sens du sublime et du beau, tandis que les gens de l’élite – les
seuls de qui Burke se soucie réellement – peuvent jouir de la liberté plénière
donnée par la richesse et le pouvoir. Bien entendu, Burke n’est pas un chantre
de la ploutocratie : seulement, à ses yeux, les riches et les puissants stabilisent
la société, et s’ils sont détruits, le monde descendrait dans la barbarie et la
sauvagerie. C’est cette vision des choses qui lui permet de mettre sur le même
plan les Africains, les Amérindiens et les révolutionnaires français. Pour en
revenir aux esclaves africains, étant des sauvages, ils ne méritent pas d’être
902
libres, puisque la liberté des sauvages ne reconnaît nulle limite et nulle
modération : ils doivent donc être soumis à un processus civilisateur, sous la
tutelle de leurs maîtres. »

« De même que des auteurs indiens comme Mehta ont pris l’ornementalisme de
Burke pour de l’anti-impérialisme, les patriotes américains des années 1770 ont
cru que Burke était de leur côté lorsqu’il attaqua la politique coloniale de Lord
North et de George III – alors que l’obsession de Burke n’était pas de dépouiller
l’Angleterre de ses colonies américaines, mais de les sauver en sacrifiant le
droit – i.e., le droit absolu, à ses yeux, de l’Angleterre de légiférer et de taxer les
colons sans demander leur consentement, en sa qualité de puissance tutélaire de
l’Empire britannique – au nom de la prudence politique, qui recommandait
plutôt, à son avis, une alliance ornementale entre Londres et les élites
coloniales. A cet égard, rien ne parut plus déplorable à Burke que le fait que le
gouvernement anglais se soit permis de se servir, dans la guerre contre les
colons rebelles, de l’alliance avec des tribus amérindiennes (à ses yeux,
d’ailleurs, il s’agissait là moins de tribus que de bandes de brigands sans foi ni
loi) tout en recrutant des Noirs dans les troupes de Sa Majesté. Lorsqu’à la suite
de la Révolution française, les Noirs de Saint-Domingue (Haïti) se soulevèrent
contre leurs maîtres blancs, Burke vit là un résultat aussi bien de la folie
jacobine que de l’erreur fatale d’avoir utilisé des Africains pour combattre les
colons d’Amérique, portant ainsi atteinte à la révérence civilisatrice que de tels
sauvages devaient éprouver à l’égard d’Européens civilisés. Il conseilla, bien
entendu, au gouvernement anglais de voler au secours des esclavagistes
français de Saint-Domingue – ce qui fut fait, sans succès. »
(cf: http://hydra.forumactif.org/t3516-les-manes-de-burke#4351 )

https://www.amazon.fr/R%C3%A9flexions-sur-R%C3%A9volution-en-
France/dp/2251445935/ref=pd_sim_14_24?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
7184WK1MK9NV2MTJPB7Y

William Wilberforce (1759-1833) :


http://academienouvelle.forumactif.org/t6082-william-wilberforce#7162

Richard Price (1723 – 1791): « Sa position [à Burke] est d’abord la résultante


d’un débat qui l’oppose à Price, au sein du parti whig anglais. Richard Price,
ecclésiastique unitarien (confession protestante non rattachée à l’Église
anglicane), avait prononcé le 4 novembre 1789 un sermon devant la London

903
Revolution Society, lors du banquet annuel de l’association commémorant la
glorieuse révolution de 1688. Price avait développé l’idée que le soutien à la
révolution française n’était pas en contradiction avec le patriotisme anglais ;
qu’il fallait défendre les libertés publiques en Angleterre, non parce qu’elles
étaient anglaises mais parce qu’elles correspondaient au principe universel des
droits de l’homme. » -François Huguenin, Histoire intellectuelles des droites. Le
conservatisme impossible, Perrin, coll. Tempus, 2013 (2006 pour la première
édition), 496 pages, p.88.

Augustin de Barruel, le Premier Conspirationniste (1741-1820) :

http://hydra.forumactif.org/t551-augustin-barruel-memoires-pour-servir-a-l-
histoire-du-jacobinisme

Les Enragés, la Conjuration des Égaux, Gracchus Babeuf (1760-1797) et la


naissance du communisme moderne :

« Disparaissez enfin, révoltante distinction de gouvernants et de gouvernés ! »

-Sylvain Maréchal, Le Manifeste des Égaux (1796). Cf Pascal Charbonnat,


Histoire des philosophies matérialistes, p.393-399.

« La première apparition d'un parti communiste réellement agissant. » -Karl


Marx, à propos de la Conjuration des Égaux, in Sur la Révolution française,
Paris, Éditions sociales, 1985, « La critique moralisante et la morale critique... »,
p. 91.

« Dans l'état naturel, tous les hommes sont égaux. Il n'est personne qui ne
convienne de cette vérité. Pour justifier l'extrême inégalité des fortunes dans
l'état de la société, on a dit cependant que, même dans l'état sauvage, tous les
individus ne jouissaient pas rigoureusement d'une égalité absolue, parce que la
nature n'avait point départi à chacun d'eux les mêmes degrés de sensibilité,
d'intelligence, d'imagination, d'industrie, d'activité et de force ; point par
conséquent les mêmes moyens de travailler à leur bonheur, et d'acquérir les
biens qui les procurent. Mais si le pacte social était véritablement fondé sur la
raison, ne devrait-il point tendre à faire disparaître ce que les lois naturelles ont
de défectueux et d'injuste ? » -Gracchus Babeuf, Cadastre perpétuel, 1789.

« Il est bien temps de revenir des préjugés fanatiques qui pendant si longtemps
ont donné lieu à rendre ce peuple pacifique [les Juifs] la victime malheureuse

904
des persécutions de toutes les sectes.» -Babeuf, Correspondance de Londres,
1789.

« Dans le moment thermidorien, le combat de Babeuf est d’une autre trempe


avec le retour éphémère de la liberté illimitée de la presse. Son Tribun du
Peuple se pose en continuateur des prophètes des débuts de la Révolution.
S’armant comme Marat du « foudre de la vérité », il adopte un style où les
figures comme l’avis, le serment, rappellent les manifestes cordeliers du premier
moment républicain : « c’est le sénat qu’il faut constament surveiller ». Son
discours civique développe dans un délire d’inventions stylistiques, à côté de
l’usage débridé des néologismes, une critique de ce qu’il désignera l’année
suivante comme la réaction thermidorienne. » -Raymonde Monnier, «
Républicanisme, libéralisme et Révolution française », Actuel Marx, 2002/2 (n°
32), p. 83-108.

« Babœuf, ce grand-père de tous les socialistes modernes. » -Alexis de


Tocqueville, Études économiques, politiques et littéraires, Michel Lévy, 1866
(Œuvres complètes, vol. IX, pp. 536-552, p.546.

« Il me plaît de montrer que ce pauvre et grand Babeuf en qui la stupide histoire


ne montre guère qu’un conspirateur criminel ou un fanatique imbécile se
rattachait à la pensée du XVIIIe siècle en ce qu’elle a de plus généreux et de
plus décisif. » -Jean Jaurès, "Unité doctrinale du socialisme" ou "Manuscrit de
1891".

"Sous la Révolution, le socialisme prit un autre aspect. Dans la conjuration des


Égaux, il apparaît, non plus comme un rêve de philosophe, mais comme une
doctrine agissante. Les hommes qui en firent partie ne puisèrent pas dans la
Révolution l'origine de leurs idées." (p.439)

"Chez deux d'entre eux au moins, Maréchal et Babeuf, on les voit apparaître
avant l'ouverture des Etats-généraux. [...]
L'Almanach des honnêtes gens contient les noms de Campanella, de Rousseau et
de Morus." (p.440)

"Babeuf aussi n'attendit pas la Révolution pour développer ses idées


communistes et voir par elles la régénération de la société. Dans la
correspondance qu'il entretint avec Dubois de Fosseux, secrétaire perpétuel de
l'Académie d'Arras, on voit combien, dès les années qui la précédèrent,

905
Rousseau, Mably et le pseudo-Diderot agissaient fortement sur son esprit."
(p.442)

"Il fallait l'apparition d'un ordre de choses qui n'existait pas encore au XVIIIe
siècle. Le vrai socialisme ne pouvait naître qu'avec la grande industrie et après
la Révolution française. C'est la réalité, non l'érudition ou la spéculation, qui
suscite les mouvements de réforme." (p.458)

"Les discours de Mirabeau, de Tronchet, de Robespierre admettent que la


propriété est une convention. L'Etat jacobin, tout en prétendant respecter la
propriété, agit vis-à-vis d'elle comme l'ancien régime, au nom des maximes de
Rousseau: l'organisation du travail, de l'assistance publique, le maximum, des
mesures de tout genre côtoient le socialisme d'Etat." (p.459)
-André Lichtenberger (agrégé d'histoire), Le Socialisme au XVIIIe siècle. Essai
sur les idées socialistes dans les écrivains français du XVIIIe siècle, avant la
Révolution, Thèse de doctorat présentée à la faculté des lettres de Paris, Biblio
Verlag - Osnabrûck, 1970 (1895 pour la première édition), 471 pages.

« Radicalisant le pôle le plus égalitariste du républicanisme, le babouvisme


affronte la question sociale à la fois dans le prolongement et en rupture avec la
Révolution française. Sa figure centrale, François Noël Babeuf, dit Gracchus
(1760-1797), fut l'instigateur, contre le Directoire, de la conspiration pour
l'Égalité, qui échoua en 1796. Sa vision de la République est centrée sur la lutte
des pauvres contre les riches et le combat pour l'égalité. Il va ainsi très au-delà
de la seule limitation à la propriété privée qu'on trouve chez Rousseau et
Robespierre. Dans un de ses manifestes, il explique que l'égalité de fait, loin
d'être une chimère, avait été réalisée à Sparte par Lycurgue, qui avait institué «
ce système admirable, où les charges et les avantages de la société étaient
également répartis, où la suffisance était le partage imperdable de tous, et où
personne ne pouvait atteindre le superflu » [Babeuf, 1795, p. 84]. Il ne s'agit
pas pour lui d'une utopie antiquisante, mais du seul projet nécessaire et juste,
qui suppose égalité et sobriété : « Tout ce qu'un membre du corps social a au-
dessus de la suffisance de ses besoins de toute espèce et de tous les jours, est le
résultat d'un vol fait aux autres coassociés, qui en prive nécessairement un
nombre plus ou moins grand, de sa quote-part dans les biens communs ». Ce
programme suppose un système de protection sociale qui réussisse à «
enchaîner le sort » et à « rendre celui de chaque coassocié indépendant des
chances et des circonstances heureuses et malheureuses ». En outre, un nouveau
906
modèle d'« administration commune » sera requis : il faudra « supprimer la
propriété particulière », « attacher chaque homme au talent, à l'industrie qu'il
connaît», «l'obliger à en déposer le fruit en nature au magasin commun » et
enfin « établir une simple administration de distribution, une administration des
subsistances, qui, tenant registre de tous les individus et de toutes les choses,
fera répartir ces dernières dans la plus scrupuleuse égalité, et les fera déposer
dans le domicile de chaque citoyen ». » -Serge Audier, Les théories de la
république, Paris, Éditions La Découverte, coll. Repères, 2015 (2004 pour la
première édition), 125 pages, p.50.

« Quatorze juillet mil sept cent quatre-vingt neuf.

En Picardie, un homme qui n'a pas encore trente ans et qui est déjà gagné à
l'idée communiste a cherché à rallier les assemblées électorales des Etats
généraux à ses convictions démocratiques. Spécialiste du droit féodal, ses
chicanes avec les familles nobles l'ont conduit au bord de la faillite. Il s'appelle
François-Noël-Babeuf ; par la suite, il se baptisera Camille, puis Gracchus.

Dans la foule des parisiens qui se ruent à l'assaut de la Bastille, à la fois prison
et symbole exécré de l'Ancien Régime, un étudiant en droit originaire du Pas-de-
Calais. Il s'appelle Augustin Darthé, il a vingt ans. Il sera blessé dans l'émeute
et obtiendra le titre envié de "Vainqueur de la Bastille".

Dans la foule, il y a aussi de nombreuses femmes comme les dames de la halle,


qui depuis plusieurs semaines, chantent à l'attention des nobles:

"Vous qui nous traitez de racaille


Si poliment
Comme nous, vous paierez la taille
Bien noblement."

L'auteur de cette chanson est un poète bègue et timide qui rêve d'un idéal
campagnard communiste. Il a pour nom Sylvain Maréchal.

Mais l'aventure qui commence ne se limite pas à la France.

En Italie, en ce moment, un étudiant en droit d'origine noble suit avec passion


les récits venant de France. Bientôt, Filipo Buanarroti (tel est son nom) quittera
tout, laissant les honneurs, et partira en Corse rejoindre la Révolution.

907
Sur un autre continent, au même moment, en Amérique du Nord, vit un jeune
homme, Robert François Debon. Après avoir vécu en Normandie, il a quitté la
France pour l'Angleterre puis pour Saint-Domingue, avec en tête l'idée de partir
à la recherche de "l'homme de la Nature". Il remonte le Mississipi à la
rencontre des Indiens, chez qui il séjournera et dont il gardera le meilleur
souvenir.

Ces hommes ne se connaissent pas ; pas plus qu'ils ne connaissent le marquis


d'Antonelle, un épicurien, capitaine de l'armée qu'il avait quittée quand il
pouvait prétendre à une carrière tranquille, avec croix de Saint-Louis et pension
; ils ne connaissent pas plus Félix Lepeletier, lui aussi de famille noble, et qui
rompra très vite avec sa caste. Ces hommes ne pouvaient pas se connaître en
1789: comme des dizaines de milliers et de milliers d'autres, ils sont en passe de
devenir d'ardents révolutionnaires. Ils paieront cher cet engagement.

Sept ans plus tard, et au nom de cette Révolution, Babeuf et Darthé seront
guillotinés, Buonarroti condamné à la déportation, Antonelle jeté sur le banc
des accusés, Debon et S. Maréchal proscrits.

Lepeletier inscrit sur la liste des émigrés, lui, le pur révolutionnaire, aussi pur
que ses amis !

En 1796, ces hommes -et c'était là leur seul crime- avaient dirigé en plein reflux
de la Révolution la première tentative communiste, la Conjuration pour
l'Égalité, ce qui est à la fois le "spasme suprême" (J. Jaurès) de la Révolution et
aussi, le début d'une autre épopée humaine, non achevée à ce jour: la lutte pour
l'Égalité. » (pp.7-9)

-Jean-Marc Schiappa, Gracchus Babeuf avec les Égaux, Paris, Éditions


ouvrières, 1991, 264 pages.

http://www.amazon.fr/vertu-Pr%C3%A9c%C3%A9d%C3%A9-dune-notice-
%C3%A9crivain/dp/1421200473/ref=sr_1_38?ie=UTF8&qid=1449318185&sr=
8-38&keywords=Sylvain+Mar%C3%A9chal

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k835717.r

Philippe Buonarroti (1761-1837) : « Un peuple, dont les opinions se sont


formées sous un régime d’inégalité et de despotisme, est peu propre, au
commencement d’une révolution régénératrice, à désigner par ses suffrages les

908
hommes chargés de la diriger […] des citoyens sages et courageux qui,
fortement épris d’amour pour la patrie et pour l’humanité, ayant longtemps
sondés les causes des mots publics, se sont affranchis des préjugés et des vices
communs, ont devancé les lumières de leurs contemporains, et méprisant l’or et
les grandeurs vulgaires, ont placé leur bonheur à se rendre immortels en
assurant le triomphe de l’égalité. » -Philippe Buonarroti, robespierriste français.

Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort (1740-1794) : « Jouir et faire jouir sans


faire de mal ni à toi ni à personne, voilà je crois le fondement de toute morale. »
-Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort.

Donatien de Sade (1740-1814) : « Il n’y a point de passion plus égoïste que


celle de la luxure ». -D. A. F, Marquis De Sade.

« Le procès d’une malheureuse qui n’a ni crédit, ni protection, est promptement


fait dans un pays où l’on croit la vertu incompatible avec la misère, où
l’infortune est une preuve complète contre l’accusé ; là, une injuste prévention
fait croire que celui qui a dû commettre le crime l’a commis ; les sentiments se
mesurent à l’état où l’on trouve le coupable ; et sitôt que de l’or ou des titres
n’établissent pas son innocence, l’impossibilité qu’il puisse être innocent
devient alors démontrée. » -Le Marquis de Sade, Justine ou les Malheurs de la
vertu (1791).

« C’est le seul vœu du Peuple qui doit approuver ou non les lois faites pour le
captiver ; il faut donc [dans les assemblées populaires] qu’il s’y trouve en
masse, sans élection. » -Le Marquis de Sade, Idée sur le mode de la sanction des
lois (1792).

« Ce n’est qu’en étendant la sphère de ses goûts et de ses fantaisies, que ce n’est
qu’en sacrifiant tout à la volupté, que le malheureux individu connu sous le nom
d’homme, et jeté malgré lui sur ce triste univers, peut réussir à semer quelques
roses sur les épines de la vie. » -Donatien Alphonse François de Sade, La
Philosophie dans le boudoir, Tome I, 1795.

"Je viens offrir de grandes idées : on les écoutera, elles seront réfléchies ; si
toutes ne plaisent pas, au moins en restera-t-il quelques-unes ; j'aurai contribué
en quelque chose au progrès des lumières, et j'en serai content." (p.76)

-Donatien Alphonse François de Sade, "Français, encore un effort si vous voulez


être républicains", in La Philosophie dans le boudoir, Tome II, 1795.
909
« Nous naissons tous avec une dose de cruauté que la seule éducation modifie. »

-Donatien Alphonse François de Sade, La philosophie dans le boudoir (1795).

« Adoptez pour base de votre conduite et pour règle de vos mœurs ce qui vous
paraîtra de plus analogue à vos goûts, sans vous inquiéter si cela s’accorde ou
non à nos coutumes, parce qu’il serait injuste que vous vous punissiez, par la
privation de cette chose, de ne pas être née dans le pays où elle se permet.
N’écoutez que ce qui vous flatte ou vous délecte le plus : c’est cela seul qui vous
convient le mieux. Que les modes de vice et de vertu soient nuls à vos regards ;
ces mots n’ont aucune signification réelle, ils sont arbitraires et ne donnent que
des idées purement locales. Encore une fois, croyez que l’infamie se change
bientôt en volupté. Je me souviens d’avoir lu quelque part, dans Tacite, je pense,
que l’infamie était le dernier des plaisirs pour ceux qui se sont blasés sur tous
les autres par l’excès qu’ils en ont fait, plaisir bien dangereux, sans doute,
puisqu’il faut trouver une jouissance, et une jouissance bien vive, à cette espèce
d’abandon de soi-même, à cette sorte de dégradation de sentiments d’où
naissent à la fois tous les vices… » -Donatien Alphonse François de Sade,
Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice, 1797.

« Cette logique de la séparation devait être à la fin du XVIIIème siècle explorée


jusqu'à son terme ultime par Sade - enfermant l'individu dans l'impasse du
solipsisme extrême. Totalement isolé des autres et sans aucun lien naturel avec
quelque groupe que ce soit, le libertin incarne et accomplit intégralement le
destin solitaire de l'être humain, ici voué à ne vivre que pour soi. A lui-même le
seul absolu concevable, cet individu souverain peut et doit refuser tout ce qui
entrave sa jouissance égoïste: « Aucun être n'a le droit despotique de me
soumettre à ce qu'il a dit ou pensé ( ... ) Il n'est aucun individu sur la terre qui
puisse acquérir le droit de (me) punir » (Histoire de Juliette). Si les fantasmes
stériles du divin marquis vont bien au-delà des normes de l'individualisme
rationnel, ils en révèlent cependant l'un des aboutissements possibles - dont le
caractère « déviant» provient de la négation du principe d'universalité inhérent
à la catégorie de l'individu en soi. Surtout, ils signalent que l'idéal de
l'indépendance individuelle est alors déjà quelque part pleinement parvenu à sa
maturation dans l'imaginaire occidental. » -Alain Laurent, Histoire de
l’individualisme.

910
« Je considère que l’oeuvre littéraire-philosophique du Marquis de Sade (1740-
1814) a été essentiellement soutenu par des thèses conçus par J. O. de La
Mettrie (1709-1751) et E. Condillac (1715-1780). Plus encore, que Sade produit
une sorte de mélange des deux matérialistes du XVIIIe siècle, desquelles, comme
nous le verrons, il diffère aussi. » (p.56-57)

« Sade a soutenu son matérialisme en niant toute forme de théisme et de


croyance par rapport à l’immortalité de l’âme en refusant le dualisme
substantiel et l’innéisme des idées, ce qui implique le refus de la distinction
substantiel entre le corps et l’âme, en soutenant le point de vue que toute idée
découle de la sensibilité, et en abrogeant ainsi le privilège de l’âme comme
siège de la pensée. Il soutient, dans La nouvelle Justine, dans le premier
discours de De l’immortalité de l’âme, un empirisme et un matérialisme
philosophiques, selon lesquels les idées, en tant qu’objets de la pensée, sont
issues des objets extérieurs dans la mesure où ils pressentent nos sens et qu’ils
modifient nos cerveaux, ainsi ils dérivent de substances également matérielles
qui nous influencent de l’extérieur.

Il conçoit aussi le corps humain comme une machine sensible dotée de


conscience momentané de l’impression reçue, de son registre et de son souvenir,
au-delà de la conscience du « moi ». Par conséquent, il s’agit d’une conscience
qui est constituée et qui opère selon des stimulations sensibles et sa mémoire.
C’est en fonction des stimulations et des mouvements imprimés dans nos
cerveaux, que nous pensons, que nous désirons et que nous agissons. A travers
ces arguments, il a refusé la distinction entre corps et âme, en même temps qu’il
a soumis le corps et la pensée aux mêmes lois qui régissent l’ensemble des êtres
de la Nature. Jusqu’ici Sade partage la conception de Condillac, mais ensuite il
en diverge. Sade fait valoir que toute faculté rationnelle, considérée comme
fondée sur la sensibilité, doit rester associée à elle, plus encore, qu’elle doit être
à son service. » (p.66)

« S’il existe, pour Sade, une loi qui justifie l’action de la raison, c’est celle qui
ordonne la réponse rapide et sans limite à toute inclination sensible. Toutes les
facultés intellectuelles doivent être organisées ensemble, car selon lui, la raison
n’a été créée qu’à cet effet, c’est ce qui justifie son existence.

Ici réside une contribution surprenante de Sade à la compréhension de la nature


humaine, a savoir : la sensibilité indique, par son inclination, sa maxime. Ainsi

911
il ôte à la raison toute possibilité d’autocratie, contrairement à ce qui existe un
peu chez La Mettrie et Condillac, et de manière exacerbée chez Kant. Par
conséquent, la raison, en tant que produit de cette sensibilité, oriente la
satisfaction de toute inclination dans toute son intensité, et pratique même le
mal quand il représente le bien de la sensibilité. C’est ainsi le concept
équivalent au « mal radical » de Kant, c’est-à-dire quand la sensibilité guide la
vie de l´homme. » (p.69)

« Pour Sade, la raison ne peut limiter la sensibilité, seulement la promouvoir. »


(p.70)

« Théoriquement et pratiquement Sade s’éloigne de La Mettrie. » (p.72)

-Francisco Verardi Bocca, Le Marquis de Sade: un matérialisme aux


conséquences ultimes.

« Sade s’est construit un La Mettrie à sa propre image, transmuant une éthique


libérale et permissive en contre-éthique axée sur la destruction. » -Jean Deprun,
« La Mettrie et l'immoralisme sadien », Annales de Bretagne et des pays de
l'Ouest, Année 1976, 83-4, pp. 745-750, .748-749.

« L'érotisme sadien est foncièrement pessimiste, égocentrique et anti-humaniste.


Il est voué à l'extériorisation violente de toutes les passions. Le plaisir sadien est
le produit d'une machine performante, dressée à jouir pour son seul profit et ne
connaissant d'autre réalité que le moi. Il s'agit de ne respecter aucun frein à la
jouissance. L’amour n’a pas sa place dans une telle économie sadique
contrairement à l’économie masochiste de La Vénus à la fourrure où Wanda la
dominatrice est aimée, valorisée, idéalisée par le narrateur. » -Alexandra
Destais, L’érotisme noir féminin. (Pauline Réage, Histoire d’O), 8 février 2008.

« Les choix opérés par Sade sont bien plus importants pour nous qu’ils ne
l’étaient pour le XIXème siècle. » -Michel Foucault, « Folie, littérature, société »
(décembre 1970), in Dits et écrits, t. I, Gallimard, « Quarto », 2001, p.975.

« Sade ne voit dans la démarche dictée par l'intérêt bien compris qu'un marché
de dupes -c'est du moins ce qu'il prétend redouter- mais surtout Sade,
contrairement à d'Holbach, ne croit pas que les passions puissent être orientées,
dirigées vers la vertu ; il en résulte un divorce entre nature et société, et Sade l'a
bien compris [...] Une telle théorie, diamétralement opposée aux conceptions de
912
d'Holbach, conduit au nihilisme moral que Sade ne se cache pas de professer. »
-Jacques Domenech, L'éthique des Lumières: les fondements de la morale dans
la philosophie française du XVIIIème siècle, Paris, Librairie philosophique J.
Vrin, 1989, 271 pages, p.49.

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Le Directoire (26 octobre 1795-9 novembre 1799) : « Tant que Robespierre


avait été là, le pain était resté, dans Paris, à trois sous la livre, au moyen d’une
taxe sur les opulents. Ces déplorables façons de faire ne sont plus de saison. Dix
mois après Thermidor, au printemps de 1795, c’est la famine dans les quartiers
plébéiens, qui, le 20 mai, se soulèvent et envahissent la Convention. Barras,
alors, montre comment s’y prendre avec ces troubles-fête et Pichegru en fait un
massacre jusque dans Notre-Dame. Trente mille hommes, sous Menou, cernent
le faubourg Saint-Antoine. Exécutions, déportations. Le 10 août avait institué le
suffrage universel. On efface cette insanité et la Constitution de l’an III (22 août
1795) exclut de nouveau les pauvres de tout contrôle sur des affaires qui ne sont
pas les leurs. Boissy d’Anglas a énoncé, le 23 juin 1795, la formule décisive » :
« Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social ». » -Henri
Guillemin, 1848. La première résurrection de la République, Éditions d’Utovie,
Coll. H.G, 2006 (1948 pour la première édition), 574 pages, p.14-15.

913
« La période postrévolutionnaire est marquée à la fois par une condamnation de
l’anticléricalisme, pour les besoins de l’ordre, et par une politique de promotion
de la science. Une hypocrisie teinte cette nouvelle ère : l’idéal philosophique
d’une Raison maîtresse d’elle-même est, sinon étouffé, du moins passé sous
silence, tandis que les perspectives concrètes de cette même Raison sont mises
en avant. Une vision purement utilitariste de la connaissance triomphe. Le
conservatisme intellectuel est donc d’abord philosophique. Le courant
matérialiste en est le premier affecté. Il disparaît en même temps que les idéaux
des Lumières. » -Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes,
Paris, Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.290-291.

« Le 2 pluviôse an V (21 janvier 1797), « anniversaire de la juste punition du


dernier tyran », le citoyen Barry, au nom de l’administration de Toulon,
s’apprête à prononcer le serment civique que les Législateurs ont décidé
d’imposer à l’ensemble des autorités constituées de la République. Avant la
prestation, il explique le sens de ce serment ainsi rédigé : « Je jure haine à la
royauté, je jure haine à l’anarchie, je jure attachement et fidélité à la République
et à la constitution de l’an III ». D’emblée, il l’inscrit dans l’horizon d’une
théorie des passions qui instaure le couple amour/haine comme paradigme
fondamental. Il part du premier terme pour assurer que « l’amour de la liberté
est un sentiment aussi naturel à l’homme que l’amour de l’existence ». Traduit
en termes politiques, cet amour se comprend comme attachement à la
république, forme naturelle de l’association politique. Aussi ce serment est-il
« un devoir spécial pour les fonctionnaires publics, car c’est à eux, honorés du
choix et de la confiance du peuple, à donner l’exemple des sentiments
républicains. Peut-on en effet aimer la liberté sans haïr la royauté son ennemie
implacable ? » L’examen des devoirs publics afférant à la position de
fonctionnaire public peut donc s’exposer dans le registre affectif des sentiments,
dont la signification politique, relevant donc de la structuration d’un espace
public, ne fait aucun doute puisqu’ils sont expressément qualifiés de
« républicains ». Ainsi encore, parmi ces sentiments, celui de haine peut-il être
légitimé dans une alternative sans ambiguïté qui associe le couple passionnel
amour/haine au couple politique liberté/royauté, une royauté derrière laquelle le
principe plus sûrement antinomique de la liberté est bien celui de la tyrannie.

Au-delà du paradoxe induit par notre titre, la possibilité pour le républicain de


l’an V de fonder le lien social sur un sentiment de haine semble donc assumée
sans restriction. La transformation de notre question initiale, la haine peut-elle
914
être un sentiment républicain, en affirmation attestée dans l’archive n’est pas,
contrairement aux apparences, une pure provocation. Elle mérite cependant
quelques explications.

La haine peut être un sentiment républicain, puisque les autorités de la


République décident de fonder l’ordre républicain sur un serment de haine ; oui,
la haine peut être un sentiment républicain, puisque le citoyen Barry s’exprime
en ces termes lors de la prestation de ce serment. Pourtant, le serment ne cesse
de faire débat depuis son institution en nivôse an V jusqu’à sa réécriture en
thermidor de l’an VII, réécriture qui en fera précisément disparaître la haine. Il
n’est sans doute pas vain de se demander comment les républicains directoriaux
ont pu envisager de fonder la République sur un serment de haine, c’est-à-dire à
la fois ce qui les a autorisés à concevoir un tel serment et les dispositions
pratiques de sa mise en œuvre. »

« La constitution de l’an III qu’il s’agit ici de garantir, vient d’abandonner


explicitement la référence au droit naturel dans ses principes. Seuls les droits de
l’homme en société sont proclamés dans la Déclaration de l’an III. »

-Marc Deleplace, « La haine peut-elle être un sentiment républicain ? À propos


du serment civique de l’an V », Annales historiques de la Révolution
française [En ligne], 358 | octobre-décembre 2009, mis en ligne le 01 octobre
2012, consulté le 03 janvier 2021. URL :
http://journals.openedition.org/ahrf/11527 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/ahrf.11527

« 1797 - C'est une année chargée d'événements importants pour la France ;


année où le Directoire exécutif voit ses armées victorieuses sur tous les fronts
d'Europe. L'orgueilleuse Angleterre elle-même cherche un terrain d'entente et,
en juillet, les entretiens de Lille commencent.
Le 18 fructidor (an V, 4 septembre 1797), l'opposition royaliste est domptée une
fois de plus. Par ailleurs, le Directoire cherche à favoriser l'économie française
tant à l'intérieur par l'assainissement de la monnaie qu'à l'extérieur par le
truchement des traités de paix imposés aux vaincus. Vers la fin de l'année (le 5
décembre 1797), son général le plus pretigieux, Bonaparte, rentre à Paris
couronné des lauriers de la paix de Campo-Formio. En héros modeste, il se
livrera sans bruit à une étude approfondie du dossier "France".
1797 - C'est aussi l'année de la rupture avec les Etats-Unis, rupture dont les

915
causes profondes tiennent au système de protection économique suivi par le
Directoire, avec ses mesures vexatoires à l'égard des neutres. » -Ulane Bonnel,
La France, les États-Unis et la guerre de course (1797–1815), Paris, Nouvelles
Éditions Latines, 1961, 495 pages, p.3.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Insurrection_royaliste_du_13_vend%C3%A9miaire
_an_IV

https://www.amazon.fr/R%C3%A9publique-bourgeoise-Thermidor-Brumaire-
1794-
1799/dp/2020676338/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1488316228&sr=1-
1&keywords=La+R%C3%A9publique+bourgeoise

https://www.amazon.fr/R%C3%A9action-thermidorienne-Albert-
Mathiez/dp/2358720127/ref=pd_sim_14_7?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
90B65NN68XVM6GYD50XF

https://www.amazon.fr/Comment-sortir-Terreur-Thermidor-
R%C3%A9volution-
ebook/dp/B00DXID1SY/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1460542352&sr=8-
1&keywords=Bronislaw+Baczko%2C+Comment+sortir+de+la+Terreur+%3A+
Thermidor+et+la+R%C3%A9volution

https://www.amazon.fr/France-sous-Directoire-1795-
1799/dp/2209055539/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1460542049&sr=8-
1&keywords=Georges+Lefebvre%2C+La+France+sous+le+Directoire

Ange-Étienne-Xavier Poisson de La Chabeaussière (1752-1820): (1) Jean-


Charles Buttier, Les trois vies du Catéchisme républicain, philosophique et moral de la Chabeaussière
(forumactif.org)

La Campagne d'Italie (1796-1797) : « Au moment où allait s’engager la lutte


suprême, les princes s’étaient donc aliéné et les avancés, qu’ils n’avaient pu
anéantir par les supplices, et les modérés, qu’ils n’avaient pas voulu ramener
par des concessions. Le parti révolutionnaire comptait désormais des novateurs
audacieux pour le conduire, et des hommes de tête pour l’organiser. Pour qu’il
triomphât, il lui fallait toutefois ce qui lui avait fait défaut jusque-là : le
concours d’une armée assez puissante pour abattre les trônes, et la présence
d’une autorité assez forte pour s’élever au-dessus de ses divisions intérieures et
terminer ses conflits. Un homme allait paraître qui lui apporterait l’un et
916
l’autre, ferait aboutir à un résultat positif le sourd travail qui s’opérait depuis
trois ans dans les esprits, et inaugurerait une nouvelle période dans l’histoire de
la vie et de la pensée italienne : le 27 mars 1796, le général Bonaparte prenait
le commandement de l’armée d’Italie. » -Lavisse et Rambaud (dir.), Histoire
générale, t. 8, La Révolution française, ch. 18 : L’Italie de 1789 à 1799, par A.
Pingaud, p. 764 et 790 II. — L’Italie et la Convention nationale […] p. 764.

William Blake (1757-1827): "Blake, mettant en œuvre ce que F. Jameson a


appelé « the political aesthetic of cognitive mapping » (Postmodernism, Duke
UP, 1992, 155), est celui qui a pensé la culture de la modernité de la façon la
plus profonde, la plus radicale et la plus critique." -Denis Bonnecase, «
Romantisme et modernité », Études anglaises, 2001/1 (Tome 54), p. 75-78. DOI
: 10.3917/etan.541.78. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-anglaises-
2001-1-page-75.htm

https://www.amazon.fr/William-Blake-1757-1827-visionnaire-
romantisme/dp/2759600777/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1484951586&sr=8-
3&keywords=Le+romantisme+anglais

http://www.amazon.fr/Oeuvres-William-Blake-
1/dp/2700700015/ref=sr_1_5?ie=UTF8&qid=1459603875&sr=8-
5&keywords=William+Blake

Le romantisme britannique : "La Grande-Bretagne a déjà connu un premier


âge d’or féerique entre 1570 et 1625 avec la publication de The Faerie Queene
(1590) d’Edmund Spenser, A Midsummer Night’s Dream de William
Shakespeare (1594), et The Secret Commonwealth of Elves, Fauns and Fairies
(1677) de John Webster."

"Si l’on en croit l’étymologie, le terme fantasy met l’accent sur la production
mentale alors que son acception française s’intéresse plutôt à l’émotion qu’il
suscite."

"Il faut cependant garder à l’esprit que le terme fantasy n’était pas usuel à
l’époque victorienne qui lui préférait l’expression fairy tales."

"Le conte, initialement présenté comme un produit exotique, s’impose par le


biais de la traduction, grâce aux éditeurs comme Benjamin Tabart (Popular
Fairy Tales, 1818) et John Harris (Mother Bunch’s Fairy Tales, 1802 ; The
Court of Oberon ; or The Temple of Fairies 1820) qui publient des légendes
917
anglaises ainsi que des récits de Charles Perrault et de Madame d’Aulnoy. Le
succès phénoménal des German Popular Stories des frères Grimm en 1823, puis
en 1826, ouvre la voie. Thomas Carlyle fait paraître l’année suivante German
Romances et diffuse les contes de Chamisso, Hoffmann et Tieck. Le public
conquis découvre Les Mille et une nuits en 1840, tandis qu’en 1846, les œuvres
de Hans Christian Andersen, sous le titre Wonderful Stories for Children, sont
accueillies avec enthousiasme. Les auteurs anglais ne tardent pas à publier de
nouvelles fairy stories, largement inspirées des contes de Grimm, ou plus
largement du Märchen, comme The King of The Golden River (1851) de John
Ruskin ou The Hope of The Katzekopfs (1844) d’Edward Paget. La plupart des
écrivains anglais s’y essaient, de Charles Dickens (The Chimes, 1844 ; The
Magic Fishbone, 1868) à William M. Thackeray (The Rose and the Ring, 1855),
Eliszabeth Gaskell, « Curious if True », 1860, ou R. L. Stevenson (The Merry
Men and Other Tales and Fables, 1997), si bien que trente ans plus tard, Andrew
Lang, lui-même auteur de douze recueils de contes, en vient à déplorer
l’inflation des récits merveilleux qui saturent le marché."

"L’une des spécificités du merveilleux anglais est le développement de la


peinture féerique à partir des années 1840. Ce courant unique, inspiré de
Johann Heinrich Füssli et de William Blake, sans équivalent véritable en
France, se présente comme un art alternatif qui capitalise sur l’engouement des
Victoriens pour la peinture narrative et la mythologie classique. En outre, il
permet surtout de figurer sur la toile les sujets que l’Academy réprouve. Les
peintres renommés ne sont pas insensibles à l’argument commercial de la féerie
(Daniel Maclise, The Disenchantment of Bottom, 1832 ; William Etty, The Fairy
of The Fountain, 1845 ; W. M. Turner, Queen Mab’s Cave, 1846 ; Edwin
Landseer, Scene from A Midsummer Night’s Dream, 1848-1851). Les Pré-
Raphaélites en font une des pierres angulaires de leur manifeste esthétique (J.
E. Millais, Ferdinand Lured by Ariel, 1849 ; William Bell Scott, Cockrow,
1856). D’autres y voient un prétexte pour représenter librement des corps
féminins dénudés (John Simmons, There Lies Titania, 1872 ; Robert Huskisson,
The Midsummer Night’s Fairies, 1847). Le mouvement connaît un succès
exceptionnel. La reine elle-même collectionne les tableaux de fées qui, pour la
plupart, illustrent des scènes extraites des pièces de Shakespeare,
principalement Le Songe d’une nuit d’été, La Tempête, plus rarement Roméo et
Juliette. Le couple royal, à l’occasion d’anniversaires, s’offre des toiles assez

918
libertines dans cette veine, conservées en des endroits discrets des appartements
royaux.

Le merveilleux se présente souvent dans le tableau comme un monde inversé :


ce qui est impensable dans la société victorienne, devient acceptable dans le
cadre de la toile. Contrainte dans ses mouvements, enserrée dans des corsets
qui l’étouffent et des crinolines qui alourdissent sa silhouette, la femme occupe
paradoxalement une place aussi vaste que vide, alors que sa consœur féerique, à
peine vêtue dans le tableau, pieds nus et cheveux détachés, incarne une femme
libre de ses mouvements comme de ses désirs (Richard Dadd, Titania Sleeping,
1841 ; Robert Huskisson, Come unto these Yellow Sands, 1847). La charge
érotique du tableau de fées renvoie au spectateur victorien une vision refoulée
de ses fantasmes tandis que ce même public conserve pieusement chez lui des
éditions de Shakespeare expurgées de toute connotation sexuelle."

"En 1851, le prince Albert fait ériger au cœur de Londres un dispositif


architectural novateur qui présente l’Angleterre comme le lieu de
l’émerveillement par excellence. The Crystal Palace, siège de l’exposition
universelle, véritable palais de contes de fées, est aussi une prouesse
technologique, conçue comme une vitrine exposant aux yeux du monde les
sciences et techniques les plus innovantes du moment. Des domaines a priori
éloignés du merveilleux deviennent féeriques si bien que le locus du merveilleux
se rapproche de plus en plus du Royaume-Uni. Les frontières du pays
imaginaire ne sont plus tout à fait imaginaires. Les aventures d’Alice in
Wonderland débutent sur une berge de la rivière Isis à Oxford ; pour se rendre
à Neverland, à partir de Kensington Gardens, et risquer de rencontrer le
Capitaine Crochet, ancien pensionnaire de l’école privée d’Eton, il convient de
quitter le quartier de Bloomsbury, au-dessus de Big Ben, pour finalement
revenir au cœur de Londres. Le merveilleux est désormais à portée de main,
intimement lié à des lieux emblématiques britanniques parfaitement référencés.

Après la France et l’Allemagne, c’est au tour de la Grande-Bretagne de


collecter un folklore oral en voie de disparition, en attribuant à la nation
anglaise les filiations mythologiques les plus nobles remontant aux héros des
sagas ou aux mégalithes (fairy halls, cloghans ou denghoods), signes d’un passé
celtique magique."

919
"En puisant dans le mythe arthurien, le merveilleux anglais construit des
fictions de repli, par une a-chronicité lui permettant de conserver un semblant
de permanence dans un monde en mutation. Ronde de fées et fictions cycliques
sont autant de subterfuges qui enracinent l’Angleterre pré-industrielle dans un
éternel monde rural idéalisé."

"Aucun pays, en effet, ne s’est emparé du merveilleux de manière aussi


saisissante que le Royaume-Uni. Il suffit, pour s’en convaincre, de re-visionner
la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Londres du 27 juillet 2012,
intitulée « The Isle of Wonder » en référence à La Tempête, vue par plus de neuf
cents millions de téléspectateurs à travers le monde. À cette occasion, un
hommage de trente minutes a été consacré à la tradition féerique anglaise. Si un
tel événement avait été organisé au même moment en France, Charles Perrault,
Madame d’Aulnoy, Madame le Prince de Beaumont auraient-ils fait partie de la
cérémonie ? Le grand public connaît-il seulement leurs noms ? Quel auteur de
jeunesse français, reconnaissable par le monde entier, aurait pu lire à haute
voix, comme l’a fait J.K. Rowling, un passage fondateur de la fantasy
britannique (en l’occurrence Peter Pan), texte que tout anglophone, tous âges
confondus, est capable de réciter par cœur ?"

"La fantasy fait partie intégrante de l’identité anglaise."


-Anne Chassagnol, « Fabuleuse Albion : l’art de fabriquer une identité culturelle
hégémonique », Romantisme, 2015/4 (n° 170), p. 11-22. DOI :
10.3917/rom.170.0011. URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2015-
4-page-11.htm

https://www.amazon.fr/Romanticism-Economics-Question-Culture-
Connell/dp/0199282056/ref=sr_1_1005?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85
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91655180&s=english-books&sr=1-1005

https://www.amazon.fr/Romantic-Imperialism-Universal-Culture-
Modernity/dp/0521586046/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=15
99582285&sr=1-6

https://www.amazon.co.uk/Romantics-Rebels-Reactionaries-Literature-
Background/dp/0192891324/ref=pd_sbs_14_4/258-6908900-
1008843?_encoding=UTF8&pd_rd_i=0192891324&pd_rd_r=aaca1db7-03f0-
4499-a157-
920
c4de095d5b38&pd_rd_w=s3eSV&pd_rd_wg=Rvl3u&pf_rd_p=2304238d-df78-
4b25-a9a0-
b27dc7bd722e&pf_rd_r=B3V0T358ZHY4X65864XE&psc=1&refRID=B3V0T
358ZHY4X65864XE

https://www.amazon.fr/Making-England-Western-Occidentalism-
Imperial/dp/0226923142/ref=sr_1_1?dchild=1&qid=1599582285&refinements=
p_27%3ASaree+Makdisi&s=english-books&sr=1-1&text=Saree+Makdisi

https://www.amazon.fr/English-Romanticism-Human-Context-
Gaull/dp/0393955478/ref=sr_1_965?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%
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https://www.amazon.fr/Lyric-Labour-Romantic-Tradition-
Janowitz/dp/0521022967/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1591
650076&sr=1-135

https://www.amazon.fr/Romanticism-Popular-Culture-Britain-
Ireland/dp/0521349605/ref=sr_1_354?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5
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https://www.amazon.fr/Romanticism-Painful-Pleasures-Modern-
Life/dp/0521175445/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1591650
333&sr=1-160

https://www.amazon.fr/Radical-Orientalism-Rights-Reform-
Romanticism/dp/110752704X/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=
1591649805&sr=1-128

https://www.amazon.fr/Shakespeare-Culture-Romanticism-Joseph-
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185&sr=1-338

https://www.amazon.fr/Jean-jacques-Rousseau-British-Romanticism-
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921
https://www.amazon.fr/Romantic-Atheism-Poetry-Freethought-1780-
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https://www.amazon.fr/British-Romanticism-Reception-Italian-1793-
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https://www.amazon.fr/Scottish-Irish-Romanticism-Murray-
Pittock/dp/0199692203/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=15916
49400&sr=1-83

https://www.amazon.fr/Fracture-Fragmentation-British-Romanticism-
Alexander/dp/1107411777/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=15
91650576&sr=1-178

https://www.amazon.fr/Poetics-Decline-British-
Romanticism/dp/1108413684/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=
1591651737&sr=1-235

https://www.amazon.fr/Arbitrary-Power-Romanticism-Language-
Politics/dp/0691168008/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=15916
51686&sr=1-212

https://www.amazon.fr/British-Romanticism-Critique-Political-
Reason/dp/1421418037/ref=tmm_hrd_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=15916
54216&sr=1-771

https://www.amazon.fr/Ecology-British-Romantic-Conservatism-1790-
1837/dp/1137354194/ref=sr_1_303?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%
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books&sr=1-303

https://www.amazon.fr/Romanticism-Gold-Standard-Literature-1790-
1830/dp/1137292911/ref=sr_1_1170?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%

922
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s=english-books&sr=1-1170

https://www.amazon.fr/Romanticism-Masculinity-Politics-Coleridge-
Wordsworth/dp/0333683250/ref=sr_1_143?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85
%C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=romanticism&qid=159165
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https://www.amazon.fr/Engaged-Romanticism-As-
Praxis/dp/1847189148/ref=sr_1_1364?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5
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&s=english-books&sr=1-1364

https://www.amazon.fr/Victorian-Romantics-1850-70-Burne-jones-
Associates/dp/1138195391/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=
1591656151&sr=1-1330

https://www.amazon.fr/Decadent-Romanticism-1780-1914-Kostas-
Boyiopoulos/dp/0367880059/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1
591652149&sr=1-320

https://www.amazon.fr/What-Victorians-Made-Romanticism-
Artifacts/dp/0691202923/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1
591651686&sr=1-211

https://www.amazon.fr/Treasury-Fantastic-Romanticism-Twentieth-
Literature/dp/1616960965/ref=sr_1_373?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%
C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=romanticism&qid=15916531
73&s=english-books&sr=1-373

William Wordsworth (1770-1850) : https://www.amazon.fr/William-


Wordsworth-Age-English-
Romanticism/dp/0813512735/ref=sr_1_858?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85
%C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=romanticism&qid=159165
4406&s=english-books&sr=1-858

Percy Bysshe Shelley (1792-1822) : « Shelley, lui aussi, est soulevé d'espoir
dans le destin de l'homme. Déçu par une Eglise et par une Révolution qui ont
menti à leurs promesses, il garde sa foi en un futur âge d'or, qui sera le règne de
Prométhée. » -Jacqueline Duchemin, "Le mythe de Prométhée à travers les

923
âges", Bulletin de l'Association Guillaume Budé, Année 1952, 3, pp. 39-72,
p.71.

https://www.amazon.fr/Shelley-Revolutionary-Sublime-Cian-
Duffy/dp/0521111838/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=159165
0333&sr=1-164

https://www.amazon.fr/Poetry-Politics-Cockney-School-
Shelley/dp/0521631009/ref=sr_1_175?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5
%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=romanticism&qid=1591650576
&s=english-books&sr=1-175

Joseph Johnson (1738-1809) : https://www.amazon.fr/Romanticism-


Publishing-Dissent-Johnson-
Liberty/dp/0333983947/ref=sr_1_101?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5
%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=romanticism&qid=1591649605
&s=english-books&sr=1-101

William Godwin (1756-1836): « La moralité n’est rien d’autre que le système


qui nous enseigne à contribuer, en toute occasion, à l’usage de notre pouvoir en
vue du bonheur et du bien-être de toute existence intelligente et sensible. Mais il
n’y a, dans nos vies, aucune action qui n’affecte ce bonheur en quelque façon. »
-William Godwin, Enquête sur la justice politique, II, 5, p. 192.

« Chez lui, la simplicité politique se traduit en effet principalement par une


intériorisation absolue de la politique par la société civile. La politique se
dissout, littéralement, dans le jugement privé de l'ensemble des individus. C'est
pourquoi la « sincérité positive » et le "contrôle public" sont au cœur de son
système philosophique. L'ordre social est totalement intérieur à la société: il est
le produit de l'existence de chacun sous le regard de tous. « Le contrôle de
chacun sur la conduite de ses voisins, écrit-il, constituera une censure tout à fait
irrésistible » (Enquiry, p. 554). La loi positive et le gouvernement, c'est-à-dire la
politique, sont remplacés en dernière instance chez Godwin par l'œil attentif et
censeur de l'opinion publique. » -Pierre Rosanvallon, Le Libéralisme
économique. Histoire de l'idée de marché, Seuil, coll. Points Essais,, 1999 (1979
pour la première édition), 243 pages.

http://hydra.forumactif.org/t4180-william-godwin-enquiry-concerning-political-
justice-and-its-influence-on-morals-and-happiness#5044

924
Mary Wollstonecraft (1759-1797) : « Mary Wollstonecraft nait le 27 avril
1759 à Londres. Comme Mary Astell, elle est issue d’une famille de la classe
moyenne supérieure qui s’est considérablement appauvrie au fil du temps. Son
père, Edward John Wollstonecraft, est un homme violent qui bat fréquemment
sa femme dans des accès de colère alcoolisés. Dans son enfance, elle s’interpose
souvent pour tenter d’éviter ces agressions. Petit à petit, il dilapide l’argent de
la famille, l’obligeant à déménager plusieurs fois.

Tôt dans sa vie, elle se lie d’amitié avec Jane Arden Gardiner. Les deux femmes
lisent ensemble les livres de la toute nouvelle époque des Lumières et assistent
souvent à des conférences de John Arden, le père de Jane, un érudit en
philosophie naturelle et l’un de ses premiers professeurs.

Malheureuse dans son foyer, elle décide de partir. De la fin des années 1770 au
début des années 1780, elle occupe différents emplois en Angleterre et en
Irlande, notamment comme gouvernante, couturière et enseignante.

Le peu d’opportunités de carrières ouvertes aux femmes engendre chez elle de


la frustration.

À la fin des années 1780, elle se lance dans une carrière d’écrivain, ce qui était
considéré comme un choix extrême pour une femme à cette époque.

En 1787, elle écrit son premier livre, Pensées sur l’éducation des filles, une
sorte de prémice de nos livres de développement personnel. Elle y propose des
conseils sur l’éducation féminine avec des passages sur la morale, l’étiquette et
des fondamentaux de l’éducation des enfants.

En 1788, elle travaille comme traductrice pour l’éditeur Joseph Johnson, qui
publiera plusieurs de ses premières œuvres. Elle se passionne pour la
Révolution française. La publication par le philosophe anglais Edmund Burke
d’un livre intitulé Réflexions sur la Révolution de France qui en contestait les
principes, l’incite à réagir.

En 1790, elle publie A Vindication of the Rights of Men, dans lequel elle
critique le despotisme de l’Ancien Régime français, salue la réforme
révolutionnaire et affirme que les droits naturels de l’humanité doivent être
protégés par un État. Elle y critique aussi la nature arbitraire du pouvoir de
l’État.

925
En 1792, paraît son œuvre la plus connue, A Vindication of the Rights of
Woman. Elle y développe le travail de Mary Astell en soutenant que le système
éducatif rend les femmes frivoles et incapables. Elle observe qu’il n’y a aucune
différence d’ordre mental entre les hommes et les femmes. Selon elle, si on
offrait ) ces dernières les mêmes possibilités d’éducation qu’aux hommes, elles
seraient capables d’exercer de nombreux métiers et de s’élever socialement.

Contrairement à Mary Astell, elle est persuadée que l’amélioration de la


condition féminine derait passer par des changements politiques radicaux, des
réformes nécessaires dans les systèmes à la fois éducatif et électoral.

Elle soutient que puisque hommes et femmes sont intellectuellement semblables


celles-ci devraient pouvoir obtenir le droit de vote. Elle écrit : « Les femmes
devraient avoir des représentants au lieu d’être arbitrairement gouvernées sans
avoir voix au chapitre dans les affaires de l’État ».

Pour elle, « liberté est mère de vertu ». Inversement, si les femmes étaient tenues
« de par leur constitution même, en esclavage, interdites de respirer l’air frais
et revigorant de la liberté, elles devraient se flétrir à jamais telles des fleurs
exotiques et être considérées comme de beaux ratés de la nature ».

A Vindication of the Rights of Woman rencontre un énorme succès et contribue


à assoir sa renommée d’écrivain. Plus tard, en 1792, elle se rend à Paris afin
d’observer la Révolution française, à peine un mois avant que Louis XVI ne soit
guillotiné. Elle reste en France jusqu’en 1795.

Le cœur brisé après une rupture amoureuse, elle tente deux fois de se suicider.
De retour en Angleterre, elle s’implique activement au sein d’un groupe très
soudé d’intellectuels radicaux comprenant William Godwin, Thomas Paine,
William Blake et William Wordsworth.

En 1797, Mary Wollstonecraft épouse William Godwin et donne naissance à


Mary Wollstonecraft Shelley, futur auteur de Frankenstein. Elle meurt de
septicémie, le 10 septembre 1797, onze jours après son accouchement. » -
Alexander C. R. Hammond, Astell et Wollstonecraft, la philosophie féministe –
Les Héros du progrès (46), 6 décembre
2020: https://www.contrepoints.org/2020/12/06/386020-astell-et-wollstonecraft-
la-philosophie-feministe-les-heros-du-progres-46

926
Joanna Southcott : http://www.amazon.fr/Woman-Deliver-Her-People-
Millenarianism-
ebook/dp/B00KALM5XY/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1459606210&sr=8-
1&keywords=Joanna+Southcott

Cycle du long 19ème siècle (1789-1918) : « Un siècle a passé depuis l’invention


de la machine à vapeur, et nous commençons seulement à ressentir la secousse
profonde qu’elle nous a donnée. La révolution qu’elle a opérée dans l’industrie
n’en a pas moins bouleversé les relations entre les hommes. Des idées nouvelles
se lèvent. Des sentiments nouveaux sont en voie d’éclore. Dans des milliers
d’années, quand le recul du passé n’en laissera plus apercevoir que les grandes
lignes, nos guerres et nos révolutions compteront pour peu de choses, à
supposer qu’on s’en souvienne encore ; mais de la machine à vapeur, avec les
inventions de tout genre qui lui font cortège, on parlera peut-être comme nous
parlons du bronze ou de la pierre taillée ; elle servira à définir un âge. » -Henri
Bergson, L’Évolution créatrice, 1907.

« La transition démographique qui fit passer la population européenne d’une


centaine de millions de personnes au début du XVIIIème siècle à plus de
quatre cent millions deux siècles plus tard, permit à 80 millions de plus de
peupler les « pays neuf » (Amérique du Nord, cône sud de l’Amérique
méridionale, Australie et Nouvelle Zélande...). Ces moyens nouveaux
représentaient une avance considérable sur les autres sociétés et permettent de
les dominer plus ou moins ouvertement. » (
http://www.hypergeo.eu/spip.php?article417 )

« Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à


vapeur, la société avec le capitalisme industriel. » -Karl Marx, Misère de la
Philosophie.

« Toute l'histoire du capitalisme est l'histoire d'un prodigieux développement de


la productivité, à travers le développement de la technologie. » -Louis
Althusser, Avertissement aux lecteurs du Livre I du Capital.

“By the industrial revolution, I mean the gradual use of machines, the
employment of men and women in factories, the change in this country from a
population mainly of agricultural labourers to a population mainly engaged in
making things in factories and distributing them when they were made.” -
Charles Percy Snow, The Two Cultures, 1959, p.29.
927
"In the nineteenth century, there was suddenly an amazing flowering of human
talent.
The two other brief periods similar in quality were ancient Greece and the
Renaissance. In both cases, men were relatively free and therefore could
exercise their talents openly and independently ; most didn't have to beg for
royal sustenance or risk being imprisoned or exiled or executed for their ideas."
(p.32)

“It was the freest century ever.” (p.35)

-Ayn Rand, Answers, New American Library, 2005, 241 pages.

"The industrial revolution completed the task of the Renaissance [...] For the
first time in history, men gained control over physical nature and threw off the
control of men over men -that is: men discovered science and political freedom."
-Ayn Rand, For the new intellectual, Signet, 1963 (1961 pour la première
édition américaine), 216 pages, p.20.

« En 1815, s'achève donc la première phase de l'expansion européenne, au bilan


contrasté. En Amérique, tout a déjà été consommé: exploration et exploitation,
colonisation et décolonisation. Un monde nouveau est né qui est politiquement
indépendant de l'Europe et dont l'avenir sera dans une large mesure tributaire
des Etats-Unis. En Asie, les bases d'une nouvelle ère dans les relations
séculaires que ce continent entretenait avec l'Europe ont été établies. Si, jusque-
là, c'était l'Europe qui accusait un retard sur l'Asie et qui n'offrait aux
Asiatiques que peu de denrées, il en irait autrement au lendemain de la
révolution industrielle. L'Angleterre et, plus tard, le reste de l'Europe fourniront
dorénavant des produits industriels, d'abord essentiellement des produits
textiles, que les produits asiatiques traditionnels ne pourront concurrencer du
point de vue des coûts de production.
La révolution industrielle du XVIIIe siècle jette les bases de nouveaux rapports
de force en Asie. La supériorité technique européenne ne se limite pas, en effet,
à la production textile. L'industrie européenne se développe dans d'autres
domaines. Machines à vapeur, bateaux à vapeur et armes à feu deviennent des
instruments majeurs dans le contexte de l'avènement de nouveaux équilibres
entre les puissances. En outre, les gouvernements européens manifestent
désormais de l'intérêt pour l'exercice du pouvoir colonial. » (p.42)

928
« En 1815, quand le Congrès de Vienne fut organisé pour faire triompher
l'ordre, il y avait cinq grandes puissances: l'Autriche ; la Prusse, nouvelle
puissance dirigeante dans le monde allemand ; la Russie, qui était alors plus
que jamais associée aux affaires de l'Europe ; la France, certes vaincues mais
néanmoins grande puissance qui continuerait de jouer un rôle majeur ; et bien
évidemment la Grande-Bretagne, la superpuissance maritime et industrielle par
excellence et le grand vainqueur de Waterloo. Le but du Congrès était de
redessiner la carte politique de l'Europe de façon à atteindre un équilibre des
forces et une stabilité durable. Les hommes d'Etat réunis à Vienne ne portaient
aucun intérêt aux désirs de souveraineté nationale qu'avait fait naître la
Révolution, ni aux sentiments nationalistes stimulés par la volonté de conquête
de Napoléon. Ils appelaient de leurs vœux le calme, l'ordre et l'équilibre
propices à la défense des intérêts des familles souveraines régnantes. [...]
Le concert des nations européennes se maintiendrait grosso modo jusqu'à la
guerre franco-allemande de 1870. La France fut bientôt réadmise au sein du
concert en tant que membre à part entière. [...]
Ce fut donc une période relativement stable sur le plan de la politique
internationale. [...]
Les questions coloniales ne suscitaient que peu d'intérêt. C'est pourquoi la
période allant de 1815 à 1870 a souvent été opposée à l'époque de
l'impérialisme moderne et considérée comme une époque de stagnation
coloniale. Ce qui était vrai jusqu'à un certain point. Quelques-uns des pays qui
joueraient plus tard un rôle majeur en tant que puissances coloniales
n'existaient pas encore et d'autres n'étaient pas encore actifs dans ce domaine.
L'Allemagne et l'Italie ne furent des Etats unifiés qu'en 1870 et la Belgique ne se
sépara des Pays-Bas qu'en 1830. Le Japon n'était pas encore "ouvert" et les
Etats-Unis n'étaient pas encore vraiment unis. Certaines anciennes puissances
coloniales comme l'Espagne et le Portugal déclinaient nettement. Elles avaient
perdu définitivement leurs possessions sud-américaines. L'Empire ottoman était
en déclin. Les Pays-Bas avaient assez de soucis avec les Indes néerlandaises.
Seule la Russie menait une politique expansionniste vigoureuse en Sibérie, en
Asie centrale et dans la direction des Détroits (le Bosphore et les Dardanelles)
et de l'Empire turc. Elle trouva sur son chemin la seule autre grande puissance
de cette époque, la Grande-Bretagne, et elle entra en conflit avec elle à
intervalles réguliers. En Asie, le contexte de tensions qui les opposait s'appelait
"The Great Game" (le Grand Jeu) ; dans le bassin méditerranéen, en revanche,
on parlait de "la question d'Orient". En outre, la Grande-Bretagne était en
929
mesure, grâce à son avance sur le plan industriel et à sa suprématie sur les
océans, de dominer une grande partie du globe sans devoir réellement mobiliser
toutes ses ressources pour y parvenir. Elle étendait parfois son empire de
manière classique, c'est-à-dire en annexant ou en assujettissant des territoires,
mais elle s'y employait plus souvent par un exercice informel de son pouvoir.
Non seulement les Britanniques ne déployaient pas une grande activité sur le
font colonial, mais les débats théoriques étaient dominés par l'école anti-
coloniale dont les origines remontaient aux "philosophes" des Lumières et aux
économistes libéraux classiques. » (p.142-144)

« Après la période napoléonienne, il ne restait plus grand-chose de l'Empire


espagnol, un empire planétaire naguère si orgueilleux. Les premières colonies
espagnoles qui se déclarèrent indépendantes furent le Paraguay et le Venezuela
en 1811. L'Argentine ou Rio de la Plata, comme elle s'appelait à l'époque, suivit
en 1816. Puis ce fut au tour du Chili (1818), du Mexique et du Pérou en 1821 et
de la Bolivie en 1825. Certes, l'Espagne rêva de reconquérir ces territoires
perdus et il fut question de projets dans ce sens mais ils restèrent lettre morte.
L'Angleterre et les Etats-Unis y étaient opposés. Les seules possessions que
l'Espagne détenait encore étaient Cuba et Porto Rico dans les Caraïbes et les
Philippines dans le Pacifique.
De même, le Portugal avait perdu sa plus importante colonie, le Brésil, pendant
les années de la révolution. En 1822, le Brésil se déclara officiellement
indépendant. Il ne reste plus dans la besace portugaise qu'une poignée de
possessions et de comptoirs disséminés à travers le monde comme Goa (sur la
côte occidentale de l'Inde), Macao (en Chine) et la moitié orientale de Timor en
Indonésie. » (p.147)

« En 1851, en Grande-Bretagne, 22.5% de la population vivaient dans des villes


de plus de 100 000 habitants, en France 4.6% et en Allemagne 3.1% (aux Pays-
Bas 7.3%). En 1900, on atteignait 35.3% en Grande-Bretagne, 13.7% en France
et 16.3% en Allemagne (28.7% aux Pays-Bas). Dans les trois grands pays
d'Europe de l'Ouest, la population des grandes villes avait donc plus que
doublé. » (p.238-239)

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages.

930
“During the nineteenth century the struggle towards nationalism, or
establishment of political union on a basis of nationality, has been a dominant
factor alike in dynastic movements and as an inner motive in the life of masses
of population. That struggle, in external politics, has sometimes taken a
disruptive form, as in the case of Greece, Servia, Roumania, and Bulgaria
breaking from Ottoman rule, and the detachment of North Italy from her
unnatural alliance with the Austrian Empire. In other cases it has been a
unifying or a centralising force, enlarging the area of nationality, as in the case
of Italy and the Pan-Slavist movement in Russia. Sometimes nationality has been
taken as a basis of federation of States, as in United Germany and in North
America.” -John A. Hobson, Imperialism: A Study, New York, James Pott &
Co., 1902, 221 pages, p.7.

« Le XVIIIème siècle est la mauvaise conscience du XIXème. » -Jean Verdeil,


Dionysos au quotidien: essai d'anthropologie théâtrale, Presse universitaire de
Lyon, 1998, p.43.

« Au début du XIXème siècle, un retour à l’ordre politique et idéologique semble


vouloir effacer les conquêtes de la révolution française. Ce recul ne s’exprime
qu’à la surface des sociétés européennes ; en profondeur, le développement
économique conduit à une révolution inédite des forces de production.
L’industrialisation annonce la victoire définitive de la bourgeoisie et
l’anéantissement des dernières survivances féodales. Mais, elle engendre du
même coup une nouvelle contradiction avec la naissance de la classe ouvrière et
du salariat. Dans son ensemble, le XIXème siècle représente à la fois la dernière
bataille que se livrent l’aristocratie et la bourgeoisie, et le premier épisode de la
lutte des temps modernes, entre salariés et capitalistes. » -Pascal Charbonnat,
Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103, 706 pages,
p.407-408.

« Les livrets furent rétablis par la loi du 12 avril 1803 : l’ouvrier était tenu de le
remettre à son employeur lors de l’embauche, et ce dernier y stipulait les dates
d’embauche et de départ, l’emploi occupé, les avances faites sur salaires, etc.
Regnault de Saint-Jean d’Angely, rapporteur de cette loi, y voyait un moyen de
« garantir les ateliers de la désertion et les contrats de la violation » […]
Jusqu’en 1832, la circulation de l’ouvrier sans son livret de travail est assimilée
au vagabondage et punie comme telle, même si, par un accord de fait avec la
police de la capitale, les ouvriers trouvés dans la rue sans livret de travail
931
échapperont à l’arrestation s’ils peuvent exciper d’un livret d’épargne. […] Un
employeur pourra éviter le départ de ses ouvriers dans une période de pression
à la hausse sur les salaires par le jeu des appréciations sur les livrets. » -
Stéphane Le grand, « Le marxisme oublié de Foucault », Actuel Marx, 2/2004
(n° 36), p. 27-43.

« La période napoléonienne complète et renforce cet édifice répressif [de la loi


Le Chapelier], avec la loi du 12 avril 1803, qui érige en « délit » la participation
à une « coalition », qualification reprise en 1810 par le Code pénal. […]

En Grande-Bretagne, les Combination Acts de 1799-1800 prohibent toute


association professionnelle ou activité entravant la « liberté de l’industrie »,
auxquelles peuvent être appliquées les poursuites pour conspiration criminelle.
Au même moment, les pays germaniques agissent dans un esprit identique (loi
de 1791 en Saxe, de 1794 en Prusse, de 1809 en Bavière et dans la
Confédération de l’Allemagne du Nord). Quelques années plus tard, après la
chute de l’Empire napoléonien, le code pénal de 1810 reste en vigueur en
Belgique, en Italie, ou encore au Luxembourg et aux Pays-Bas. » (p.118)

« Le mouvement de tolérance de l’action revendicative se produit pour


l’essentiel en une décennie, à partir du milieu des années 1860. En France, le
Second Empire, avec la loi du 25 mai 1864, supprime le délit de coalition. En
Belgique […] loi du 31 mai 1866 […] Loi [prussienne] du 21 juin 1869, étendue
au IIe Reich né en 1871 […] Les Pays-Bas suivent en 1872 et le Luxembourg en
1879. En Espagne, il faut attendre [1908]. » (p.121)

-Fabien Knittel et all, Le travail en Europe occidentale des années 1830 aux
années 1930. Mains-d’œuvre artisanales et industrielles, pratiques et questions
sociales, Ellipses Édition, 2020, 440 pages.

« Avec le travail en usine, (ou en ville) la femme est contrainte de travailler hors
foyer. C'est dans ce passage d'une activité intérieure à un cadre familial vers
une activité extérieure que réside la nouveauté du XIXe siècle. » - Louis-Henri
Parias (dir.), Histoire Générale du Travail, Tome III, Nouvelle Librairie de
France, Paris 1962.

« Le principal déséquilibre territorial, qui est aussi le plus ancien, est celui
entre Paris et la province [...]
Ce déséquilibre est un héritage très ancien, qui a commencé à se former au

932
Moyen Age, lorsque les Capétiens entreprennent aux XIIIe et XIVe siècles une
centralisation du pouvoir politique et économique à Paris dans le cadre d'un
renforcement des prérogatives royales et donc d'une plus grande affirmation de
l'Etat. Durant les siècles suivants, le pouvoir royal poursuit ce processus: qu'il
s'agisse de Paris ou de Versailles, la monarchie française est une monarchie
très centralisée et centralisatrice. La Révolution française renforce le poids
politique et administratif de Paris, par exemple à travers la création des
départements, tandis qu'avec la révolution industrielle du XIXe siècle la région
parisienne devient un puissant centre industriel et la première région
économique du pays, profitant aussi d'une forte croissance démographique qui
provient essentiellement de l'exode rural, de nombreux paysans venant tenter
leur chance à Paris et dans sa banlieue comme ouvriers. A cette époque, Paris
est d'ailleurs, avec Londres, la seule ville millionnaire d'Europe. » (p.38)

« Un autre déséquilibre traditionnel oppose l'est et l'ouest du territoire, le long


d'une ligne fictive entre Le Havre et Marseille. Cette fameuse "ligne Le Havre /
Marseille" s'est formée au cours du XIXe siècle dans le cadre de la révolution
industrielle. Celle-ci s'est en effet surtout produite dans la partie est du
territoire où sont alors apparue de grandes régions industrielles organisées
autour des grandes villes: outre la région parisienne, il s'agit de la région
lyonnaise, de la région marseillaise, des bassins miniers du nord, du nord-est
(par exemple autour de Lille, Lens ou Metz) et du centre-est (Saint-Étienne, Le
Creusot), etc. L'est du pays connaît donc une forte industrialisation associée à
une rapide croissance urbaine. A l'opposé, la partie ouest, quant à elle, a été
très peu concernée par la révolution industrielle, demeurant ainsi largement
rurale et agricole, avec une croissance urbaine modérée et peu de véritables
grandes villes en dehors de Toulouse, Bordeaux et Nantes. » (p.39)

-Yannick Clavé, Géographie de la France, Éditions Ellipses, 2013, 384 pages.

« L'extension de la ville, les dimensions qui appellent la création de transports


en commun (les omnibus tirés par des chevaux en 1828 à Paris), la construction
d'immeubles de rapport le long des nouvelles voies vont conduire à une
ségrégation socio-économique presque inexistante jusque-là: les ouvriers, les
pauvres sont rejetés du cœur de la ville à partir du milieu du XIXe siècle. Ils
s'installent, comme l'industrie, hors des murs. Ce déferlement spatial s'oppose
aux faubourgs ponctuels hérités du Moyen Age: c'est le début de la banlieue. En
même temps, de nouvelles villes sont crées près des mines et des sources de
933
matières premières ; les ports se transforment en villes industrielles. Selon
Henri Lefebvre, "il y a historiquement heurt violent entre la réalité urbaine et la
réalité industrielle". » (p.24)

« Les transports urbains sont apparus au cours de la première moitié du XIXe


siècle avec l'industrialisation, l'extension urbaine qu'elle a entraînée et
l'apparition d'une ségrégation socio-économique par quartiers. Omnibus à
chevaux puis tramways ont cédé la place, au début du XXe siècle, aux autobus et
aux tramways électriques. Les chemins de fer, conçus d'abord pour des liaisons
de ville à ville, se sont adaptés, à la fin du XIXe siècle, à un trafic de banlieue.
Les chemins de fer métropolitains sont nés à la même époque à Londres (1863),
à New York (1868), mais seulement en 1900 à Paris, en raison d'un conflit
persistant entre l'Etat et la ville de Paris.
Avant les transports en commun, seules les voitures tirées par des chevaux,
appartenant à des particuliers aisés, permettaient d'éviter la marche à pied (ou
à cheval). Encore, sous l'Ancien Régime, fallait-il bénéficier d'un privilège,
délivré par le roi, pour pouvoir "rouler carrosse". Les transports individuels
réapparurent au tournant du siècle avec la bicyclette et le véhicule automobile.
La première, conçue d'abord comme un jeu, puis comme un moyen de
promenade, devint le moyen privilégié des ouvriers pour aller à l'usine. La
seconde resta l'apanage d'une minorité jusqu'à la dernière génération. » (p.101)

-Pierre Merlin, L’Urbanisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1991, 124
pages.

« La Révolution industrielle a été, par excellence, un mouvement lent et, à ses


débuts, peu décelable. Adam Smith lui-même a vécu au milieu des premiers
signes de cette Révolution sans s'en rendre compte. » -Fernand Braudel, La
dynamique du capitalisme, Flammarion, coll. Champ.Histoire, 2008 (1985 pour
la première édition), 122 pages, p.109.

"C’est seulement en 1839 qu’[on] trouve, chez un économiste belge oublié,


Natalis Briavoine, l’expression proprement dite de « révolution industrielle ».
[...] Rôle essentiel de l’ouvrage de Buret dans sa diffusion. Signalons enfin
l’emploi d’une telle métaphore par Jean-Baptiste Say dans un article peu connu
(« De la révolution survenue à l’occasion de l’invention de la machine à filer le
coton ») qu’il publia dans un journal fondé par le directeur du Conservatoire
des arts et métiers Pierre-Joseph Christian[ L’industriel, t. IV, n° 11, 1827, p. 1-

934
12]." -François Vatin, « Le travail, la servitude et la vie. Avant Marx et
Polanyi, Eugène », Revue du MAUSS, 2001/2 (no 18), p. 237-280. DOI :
10.3917/rdm.018.0237. URL : https://www.cairn-int.info/revue-du-mauss-2001-
2-page-237.htm

« Il ne fait aucun doute que la première révolution industrielle en Angleterre fut


le fruit d’une politique mercantiliste réussie fondée sur un rôle actif de l’État
(politique fiscale, investissements dans la Marine, politique industrielle), comme
cela a été démontré de façon convaincante par des historiens de l’économie
comme Patrick O’Brien (1998). » -Claude Rochet, « Le bien commun comme
main invisible. Le leg de Machiavel à la gestion publique », Revue
Internationale des Sciences Administratives, 2008/3 (Vol. 74), p. 529-553. DOI :
10.3917/risa.743.0529. URL : https://www.cairn.info/revue-internationale-des-
sciences-administratives-2008-3-page-529.htm

« Marx ne se bornait pas à prédire la paupérisation des classes ouvrières, il


affirmait aussi que cette paupérisation était déjà en cours. Comme beaucoup de
ses contemporains, il estimait que le développement des institutions capitalistes
et des méthodes industrielles de production avaient accru la misère, dès le début
du XIXe siècle. C’est une conviction encore générale, qui se fonde sur une
histoire contestable, et une logique encore plus contestable. A la lecture des
textes où l’on parle des longues journées de travail et des bas salaires dans
l’Angleterre et l’Amérique du XIXe siècle, nombre de gens considèrent qu’ils
constituent autant de preuves contre le capitalisme et l’industrialisation. Ils
oublient que ces conditions ne nous semblent intolérables que parce que nous
vivons dans une société considérablement plus riche, et que, si notre société est
devenue si productive, cela est dû en grande partie au progrès économique
réalisé au XIXe siècle dans le cadre des institutions d’un capitalisme de «
laissez faire » relativement sans contrainte.

Dans les conditions économiques du XIXe siècle, aucune institution, fût-elle


socialiste, capitaliste ou anarcho-capitaliste, n’aurait pu produire du jour au
lendemain ce qui, à nos yeux, serait un niveau de vie décent. Tout simplement la
richesse n’était pas là. Si un socialiste avait confisqué le revenu de tous les
capitalistes millionnaires pour le donner aux ouvriers, il aurait constaté que
ceux-ci n’étaient guère plus riches qu’avant. Les millionnaires gagnaient bien
davantage que les ouvriers, mais il y avait tellement plus d’ouvriers que de
millionnaires ! Il a fallu une longue période de progrès pour aboutir à une
935
société assez riche pour qu’on considère les conditions de vie du XIXe siècle
comme celles d’une pauvreté misérable.

Des gens plus sérieux allèguent que les conditions qui prévalaient pendant la
Révolution Industrielle, en particulier en Angleterre, devraient être
condamnées, par comparaison non pas avec notre niveau de vie actuel, mais
avec des conditions de vie antérieures. C’était là la conviction de nombreux
écrivains anglais de l’époque. Malheureusement, il y en avait peu parmi eux qui
aient eu une vraie connaissance de la vie en Angleterre au siècle précédent : on
peut déduire leur ignorance d’après la description idyllique que donne Engels
de la classe ouvrière anglaise au XVIIIe siècle. […]

Les faits historiques, tout imparfaits qu’ils fussent, semblent indiquer que la
condition des classes ouvrières s’est améliorée au cours du XIXe siècle : le taux
de mortalité s’est réduit ; les économies des ouvriers se sont accrues ; la
consommation par les ouvriers de « denrées de luxe » comme le thé ou le sucre
a augmenté, le nombre d’heures de travail diminué. Ceux qui sont intéressés par
un examen plus long de ce témoignage souhaiteront peut-être lire The Industrial
Revolution de T.S. Ashton ou bien Capitalism and the Historians, publié par F.
A. Hayek.

Alors que la Révolution Industrielle était effectivement en train de commencer,


c’est l’aristocratie terrienne conservatrice qui manifesta le plus d’opposition,
faisant valoir que les produits de luxe et l’indépendance allaient corrompre les
classes ouvrières. Par une curieuse ironie, le temps a fait de ces messieurs les
alliés intellectuels – souvent cités directement comme des autorités en la matière
– des socialistes modernes qui attaquent le capitalisme du XIXe siècle pour des
raisons plutôt différentes. Le socialiste moderne prétend que c’est la législation
de l’Etat qui, en limitant les heures de travail, en empêchant le travail des
enfants, en imposant des règles de sécurité, et en violant de toutes sortes
d’autres manières la liberté des contrats du « laissez-faire », est la cause du
progrès. Mais l’examen des faits révèle que la législation, tout à fait
logiquement, n’a fait que suivre le progrès, plutôt que de le précéder. C’est
seulement lorsque la plupart des ouvriers étaient déjà descendus à la journée de
dix heures qu’il devint politiquement possible de légiférer à ce sujet." (pp.31-32)

-David Friedman, Vers une société sans Etat, Les Belles Lettres, 1992, 2e éd.
(1973 pour la première édition états-unienne), 193 pages.

936
« Les citadins avaient vécu dans la familiarité de la mort mais le besoin de la
bannir et de la masquer fut un des facteurs qui, à la fin du XVIIIe siècle, fit
sortir les cimetières du cœur des villes et des enclos des églises. Ce déplacement
accompagnait un changement d’attitude face à l’hygiène et une nouvelle
conception de la mort. » (p.48)

« L’influence du siècle des Lumières, qui voyait dans la mort un repos et non un
passage vers de terribles épreuves, se conjugua avec celle du romantisme. Au
Père-Lachaise [ouvert en 1804, devenant un modèle pour toute l’Europe], la
mort, intégrée à un paysage enchanteur, perdit son dard douloureux. » (p.50)

-George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des


sociétés européennes, 1999 (1990 pour la première édition britannique), 291
pages.

"Pour Muray, l’occultisme est la véritable « religion de la sortie de la religion


»" -Guillaume Cuchet, « L’histoire au noir de Philippe Muray. Le XIXe siècle à
travers les âges entre littérature et histoire », Romantisme, 2016/3 (n° 173), p.
138-160. DOI : 10.3917/rom.173.0138. URL : https://www.cairn.info/revue-
romantisme-2016-3-page-138.htm

« Le « siècle de l’histoire » (Monod, 1876). Expression de G. Monod en 1876.


Mais aussi d’A. Thierry en 1823.

En France, ce genre [le roman historique] donne deux œuvres majeurs : Notre-
Dame de Paris (1831) et Quatrevint-treize (1874) de Victor Hugo, toutes deux
représentatives des sujets qui retiennent alors l’attention en priorité : l’époque
médiévale que l’on redécouvre et la Révolution française. Cette dernière, ainsi
que son prolongement de l’épopée napoléonienne, inspire en outre des romans
qui ne sont pas toujours classés comme Romans historiques mais en empruntent
bien des tournures : Les Chouans (1829), de Balzac, Les Misérables (1862) de
Hugo, La Chartreuse de Parme (1839) de Stendhal, enfin plus tardivement Les
Dieux ont soifs (1912) d’Anatole France (autour de la figure présente-absente
de Jacques-Louis David). Mais cette imprégnation historisante peut prendre la
figure du Drame, ainsi du Marie Tudor (1833) de Hugo, sans oublier avec plus
de force Hernani (1830) et Ruy Blas (1838), qui suivent l’Espagne de Philippe II
à Philippe IV, de la grandeur à la décadence. » (pp.9-10)

937
-Marc Deleplace, cours « Outils et épistémologie de l’histoire » à Sorbonne
Université, Chapitre Premier - Les pratiques de l’histoire XVIIe-XIXe siècle,
septembre 2020.

« Ce sont les philosophes allemands qui donnent le ton tout au long du siècle. »
-Geneviève Fraisse & Michelle Perrot, "Ordres et libertés", in Geneviève Fraisse
& Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe
siècle", Perrin, 2002 (1991 pour la première édition), 765 pages, pp.11-18, p.17.

« Le XIXe siècle fut le siècle des utopies et des ruptures. Il nous rappelle la
nécessité de résister à tout renoncement. […] Où sont-ils aujourd’hui ? Qui,
parmi les artistes de notre temps redonne à l’art ce rôle indispensable de
questionner, de remettre en cause, de dénoncer et de proposer pour aller vers
un monde meilleur ? Qui pour relayer ces créateurs du XIXe siècle qui ont
directement agi sur leur temps ? Qui aujourd’hui donne place, dans son œuvre,
aux milieux populaires ? » -Georges Buisson, « Artiste, la société a besoin de
toi ! », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 47 | 2013, mis en ligne le 31
décembre 2016, consulté le 13 novembre 2020. URL :
http://journals.openedition.org/rh19/4549 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/rh19.4549

https://www.amazon.fr/Industrial-Revolution-Economic-Growth-
Hartwell/dp/0416195008/ref=la_B0034Q3OX2_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=
1542750234&sr=1-3

https://www.amazon.fr/Histoire-sociale-France-XIXe-
siècle/dp/2757854402/ref=pd_sim_14_16?_encoding=UTF8&pd_rd_i=2757854
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111e7b6b620e&pd_rd_w=VyUSN&pd_rd_wg=shWQA&pf_rd_p=d1676309-
0565-4fbf-8e11-
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64PYTCHSS68JQQYB

http://www.amazon.fr/Histoire-culturelle-France-XIXe-
si%C3%A8cle/dp/2200353278/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&dpID=51oQiVjmk
AL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR107%2C160_&refRID=0V15017VJ
TESMDKNBCWF

938
https://www.amazon.fr/Classes-laborieuses-classes-dangereuses-
CHEVALIER/dp/2262027145/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=151362874
8&sr=1-1&keywords=Louis+Chevalier+%3A+Les+classes+dangereuses

https://www.amazon.fr/R%C3%A9volution-contre-r%C3%A9volution-France-
1789-1989-
lhistoire/dp/2868472095/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1514
837627&sr=1-10

http://www.amazon.fr/Gouverner-mis%C3%A8re-question-sociale-1789-
1848/dp/2020140365/ref=sr_1_19?s=books&ie=UTF8&qid=1459779431&sr=1
-19&keywords=pauvret%C3%A9+france

https://www.amazon.fr/Fr%C3%A8res-sang-guerre-civile-
France/dp/2876735148/ref=sr_1_195?ie=UTF8&qid=1466192262&sr=8-
195&keywords=guerre+civile

https://www.amazon.fr/Lidentit%C3%A9-%C3%A9conomique-France-Libre-
%C3%A9change-
protectionnisme/dp/2246711819/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=5151Scgs
AhL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=KYG74H3
X68D7NK4J8TFS

http://www.amazon.fr/barons-fer-Lorraine-Histoire-
sid%C3%A9rurgique/dp/2876926067/ref=sr_1_12?s=books&ie=UTF8&qid=14
58066261&sr=1-12&keywords=patronat

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bourgeoise/dp/2757854453/ref=pd_sim_sbs_14_7?ie=UTF8&dpID=51yfk0gkz
yL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=0Q3779B8GZ
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8GZ9DS9DW8WA3

939
https://www.amazon.fr/Peinture-XIXe-si%C3%A8cle-
Europe/dp/2754101950/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1480285258&sr=8-
1&keywords=Lorenz+Eitner%2C+La+Peinture+du+XIXe+si%C3%A8cle+en+
Europe

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XIX%C3%A8me/dp/2213598045/ref=sr_1_26?ie=UTF8&qid=1458566702&sr
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http://www.amazon.fr/Juste-Riche-Lenseignement-l%C3%A9conomie-
politique/dp/2110946091/ref=sr_1_27?s=books&ie=UTF8&qid=1450024348&s
r=1-27&keywords=antoine+prost

http://www.amazon.fr/Les-ennemis-Paris-grande-
Lumi%C3%A8res/dp/2753507937/ref=pd_sim_14_21?ie=UTF8&dpID=41quq
Wre0aL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR102%2C160_&refRID=0AX8T
D9NDVA6CAWX84DE

https://www.amazon.fr/grands-commerce-fran%C3%A7ais-mondialisation-
1815-1914/dp/2840507803/ref=sr_1_16?ie=UTF8&qid=1478387284&sr=8-
16&keywords=Histoire+du+Commerce

Condition féminine en Europe durant le long 19ème siècle : "L'image d'un


XIXe siècle sombre et triste, austère et contraignant pour les femmes, est une
représentation spontanée. Certes, ce siècle a repensé la vie des femmes comme
le déroulement d'une histoire personnelle soumise à une codification collective
précise, socialement élaborée. On aurait tort de croire cependant que cette
époque est seulement le temps d'une longue domination, d'une absolue
soumission des femmes. Car ce siècle signe la naissance du féminisme, mot
emblématique qui désigne aussi bien des changements structurels importants
(travail salarié, autonomie de l'individu civil, droit à l'instruction) que
l'apparition collective des femmes sur la scène politique. Ainsi faudrait-il dire
plutôt que ce siècle est le moment historique où la vie des femmes change, plus
exactement où la perspective de la vie des femmes change: temps de la
modernité où est rendue possible une position de sujet, individu à part entière et
actrice politique, future citoyenne. Malgré l'extrême codification de la vie
quotidienne féminine, le champ des possibles s'agrandit et l'aventure n'est pas
loin.
940
Le XIXe siècle s'ouvre et se ferme sur deux événements, une révolution, une
guerre: les historiens le parcourent de 1789 à 1914, sans qu'on puisse dire pour
autant que ces événements produisent l'essentiel du sens de cette époque. Pour
ce qui est des femmes cependant, on remarquera qu'une révolution comme une
guerre peut les appeler à la tâche tout en sachant ensuite plus ou moins vite les
congédier." (pp.11-12)

"Le féminisme qu'on aperçoit en filigrane dans la pratique révolutionnaire de


1789 surgit après 1830." (p.13)

-Geneviève Fraisse & Michelle Perrot, "Ordres et libertés", in Geneviève Fraisse


& Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe
siècle", Perrin, 2002 (1991 pour la première édition), 765 pages, pp.11-18.

http://academienouvelle.forumactif.org/t6834-genevieve-fraisse-michelle-perrot-
histoire-des-femmes-en-occident-tome-4-le-xixe-siecle-histoire-des-femmes-en-
occident-tome-5-le-xxe-siecle#7991

La Chine au 19ème siècle : « La Chine […] est passée de 30% à 5% de la


richesse mondiale entre 1800 et 1900. » -Daniel Cohen, Homo Economicus,
prophète (égaré) des temps nouveaux, Albin Michel, Le livre de poche, 2012,
217 pages, p.111.

Napoléon Bonaparte (1769-1821): « Le titre de roi est usé. Il porte avec lui des
idées reçues. Il ferait de moi une sorte d’héritier. Je ne veux l’être de personne.
Celui que je porte est plus grand, il est encore vague, il sert l’imagination. » -
Napoléon, à Mme de Rémusat, une fois l’Empire établi par le Senatus consulte
du 18 mai 1804.

« La guerre est la source de la richesse nationale. » -Napoléon Bonaparte, Note


de 1810.

« La Révolution, en vendant les biens d'Église et d'émigrés, a créé une nouvelle


classe de propriétaires: elle a cru les intéresser à la liberté. Point du tout. Elle
les a intéressés à ce que les émigrés et les Bourbons ne revinssent pas. Voilà
tout. Et pour cela les bénéficiaires n'ont rien imaginé de mieux que de se donner
un maître, Napoléon. » - Pierre-Joseph Proudhon.

« J'ai vu cette âme du monde - sortir de la ville pour aller en reconnaissance ;


c'est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui,

941
concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s'étend sur le monde et le
domine. »

« Le secrétaire de l’Esprit universel. » -Hegel, à propos de Napoléon Ier.

« [Napoléon] fut renversé lorsque l'un des partis, la bourgeoisie, fut devenu
suffisamment puissant pour secouer le joug du conquérant qui le gênait. » -Karl
Marx, Friedrich Engels & Joseph Weydemeyer, L'idéologie allemande, trad.
Jean Quétier et Guillaume Fonde, Éditions sociales, GEME, 2014, 497 pages,
p.395.

« Notre croyance en une virilisation de l'Europe. - C'est à Napoléon (et


absolument pas à la Révolution française, qui a visé à la "fraternité" entre les
peuples et à un commerce sentimental universel et fleuri) que l'on doit la
possibilité aujourd'hui d'une succession de quelques siècles guerriers qui n'ont
pas leurs pareils dans l'histoire, bref, notre entrée dans l'âge classique de la
guerre, de la guerre savante et en même temps populaire sur la plus grande
échelle (de moyens, de dons, de discipline), que tous les millénaires à venir
considéreront rétrospectivement avec envie et respect comme un pan de
perfection: - car le mouvement national dont sort cette gloire de la guerre n'est
que le choc en retour dirigé contre Napoléon et n'existerait pas sans Napoléon.
C'est donc à lui que l'on pourra attribuer un jour le fait que l'homme, en
Europe, a triomphé à nouveau du commerçant et du philistin ; peut-être même
de "la femme", qui a été choyée par le christianisme et l'esprit exalté du dix-
huitième siècle, et plus encore par les "idées modernes". Napoléon, qui voyait
dans les idées modernes et, sans détour, dans la civilisation une sorte d'ennemi
personnel, a prouvé par cette hostilité qu'il était l'un des plus grands
continuateurs de la Renaissance: il a ramené au jour tout un pan d'Antiquité de
nature antique, peut-être le pan décisif, le pan de granit. Et qui sait si ce pan de
nature antique ne finira pas aussi par triompher du mouvement national et se
faire, au sens affirmatif, l'héritier et le continuateur de Napoléon: -lequel
voulait l'Europe unie, comme on le sait, et ce comme maîtresse de la terre. »
(p.323, §362)
-Friedrich Nietzsche, Le Gai savoir, Livre V, traduction Patrick Wotling, Paris,
GF Flammarion, 2007 (1997 pour la première édition), 445 pages.

« Rappelons les débuts peu glorieux de la Banque de France. Celle-ci était, à la


charnière du XVIIIème et du XIXème siècle, une banque comme les autres,

942
plutôt moins bien gérée et moins recommandable. Or, en 1803, Napoléon lui a
accordé le privilège d'émettre les billets de banque pour une partie de la
France, c'est-à-dire qu'il a interdit dorénavant aux autres banques de le faire,
alors qu'elles n'avaient pas cessé d'émettre des billets dans les meilleures
conditions. Mais Napoléon et sa famille étaient actionnaires de la Banque de
France et ils avaient bien conscience que l'obtention d'un privilège public était
le meilleur moyen d'obtenir des gains privés (aux dépens des autres). » -Pascal
Salin, Libéralisme, éditions Odile Jacob, 2000, 506 pages, p.176.

« Napoléon a attribué en 1800 le monopole de la planche à billets à une banque


privée dont lui et sa famille étaient les principaux actionnaires, grâce à des
capitaux constitués des butins de la campagne d'Italie ! Et il a envoyé ses
soldats détruire les instruments de fabrication de billets et les presses chez les
concurrents potentiels de ce qui allait devenir la Banque de France. » -Philippe
Simonnot, 39 leçons d'économie contemporaine, Gallimard, coll. folio.essais,
1998, 551 pages, p.238.

« Derrière les manœuvriers, Sieyès, Talleyrand, Roederer, tout un groupe


bancaire s’est constitué pour une avance de fonds dont on espère, dont on
attend, de sérieuses fructifications. Brumaire, pour eux, c’est, avant tout, la
création de la Banque de France. Et ils ne perdent pas de temps. Dès le 13
février 1800, l’appareil est en place, avec son Conseil de Régence où figurent
tous les commanditaires occultes du coup de force, les Perregaux, les Mallet, les
Perier et les Le Couteulx. Il s’agit, notons-le bien, d’une société privée, d’une
entreprise à privilège, à qui l’Etat livre la haute main sur toutes les opérations
d’escompte ; non seulement elle possède (toujours de par la complaisance de
l’Etat) le monopole des billets de banque, mais elle obtient que de vastes
portions de revenu national (recettes de l’octroi, produits des loteries,
cautionnements des receveurs généraux du Trésor, etc.) lui soient versées « en
dépôt », c’est-à-dire lui soient confiées pour des opérations lucratives. Coup
fumant, objectif même du coup d’Etat. Mieux encore, en 1810, les affairistes font
signer à l’empereur la loi du 21 avril qui accorde gratis aux groupes intéressés
les concessions de mines, autrement dit le sous-sol du pays, sans adjudication, et
à titre perpétuel. » -Henri Guillemin, 1848. La première résurrection de la
République, Éditions d’Utovie, Coll. H.G, 2006 (1948 pour la première édition),
574 pages, p.15-16.

943
« Le Code pénal, révisé en 1810, interdit les syndicats, la grève et prévoit une
surveillance policière. » -Fabien Knittel et all, Le travail en Europe occidentale
des années 1830 aux années 1930. Mains-d’œuvre artisanales et industrielles,
pratiques et questions sociales, Ellipses Édition, 2020, 440 pages, p.109.

« La Révolution française mit fin à l'esclavage, fondement de l'économie


antillaise, le 4 février 1794. Mais Napoléon, qui était arrivé au pouvoir en 1799,
voulut non seulement rétablir l'autorité française, mais réintroduire l'esclavage.
Il envoya sur l'île une force armée très importante et le chef de l'insurrection des
esclaves, Toussaint-Louverture, fut fait prisonnier, transféré en France et
interné au château de Joux où le climat rude du Jura lui fut assez rapidement
fatal. Les difficultés sur l'île elle-même ne furent pas résolues pour autant. La
guerre se poursuivit, les troupes françaises furent vaincues et, en 1804, Saint-
Domingue accéda à l'indépendance et fut rebaptisée Haïti. » (p.155)

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages.

« Les Juifs de France devenaient des citoyens à part entière, même si Napoléon
Ier porte atteinte à cette émancipation. A vrai dire, l'attitude de Napoléon au
regard des Juifs est ambivalente. Ses armées victorieuses exportent à travers
l'Europe les lois françaises et libèrent les Juifs là où elles passent, ce qui lui
vaudra, entre autres, la reconnaissance de Heinrich Heine. [...] Cependant,
pour satisfaire les populations judéophobes d'Alsace, il prend en 1808 un décret
-resté dans la mémoire juive comme le "décret infâme"- qui énonce une série de
restrictions visant les activités juives dans une quarantaine de départements
français, en pleine contradiction avec le principe de l'égalité révolutionnaire.
Ce décret pris pour dix ans était renouvelable: en 1818, Louis XVIII y renonce.
Les derniers résidus de discrimination seront abolis sous la monarchie de
Juillet. La France et la Hollande demeureront les seuls Etats du continent
européen à conserver leur législation égalitaire après la grande réaction de
1815 orchestrée en Europe par le chancelier Metternich. L'émancipation
complète ne sera prononcée en Autriche qu'en 1867, en Allemagne qu'en 1871,
en Angleterre qu'en 1866, l'Italie unifiée proclame l'émancipation des Juifs en
1870. » -Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France,
Éditions du Seuil, coll. Points Histoire, 2014, 506 pages, p.108-109.

944
« Le partisan de la guérilla espagnole de 1808 fut le premier à oser se battre en
irrégulier contre les premières armées régulières modernes. A l'automne de
1808, Napoléon avait vaincu l'armée régulière espagnole ; la guerre de guérilla
espagnole proprement dite ne se déclencha qu'après cette défaite de l'armée
régulière. [...] Selon Clausewitz, c'était souvent la moitié de toute la puissance
de guerre française qui était stationnée en Espagne, la moitié de celle-ci, à
savoir 250 000 à 260 000 hommes étant immobilisée par la lutte contre les
guérilleros, dont Gomez de Arteche évalue le nombre à 50 000, alors que
d'autres l'estiment être bien inférieur. [...]

Un autre élément de cette situation espagnole est que les couches cultivées de la
noblesse, du haut clergé et de la bourgeoisie étaient en grande partie des
afrancesados qui sympathisaient avec le conquérant étranger. Là encore, il y a
des parallèles avec l'Allemagne, où le grand poète allemand Goethe composa
des hymnes à la gloire de Napoléon, et où les milieux cultivés allemands ne
surent jamais de façon certaine et définitive de quel côté il convenait de se
ranger. En Espagne, le guérillero osa la lutte sans issue, un pauvre diable, un
premier cas typique de chair à canons irrégulière dans les conflits de la
politique mondiale. Tout cela rentre, en guise d'ouverture, dans une théorie du
partisan. » -Carl Schmitt, Théorie du partisan.

"Les rois ont fait la France et les empereurs l’ont défaite." (p.6)

"Les cent trente départements du premier Empire étaient une erreur, même et
surtout au point de vue national. Erreur, l’annexion successive de tant de
provinces et de royaumes ! Un pays doit être homogène et cohérent. Ses parties
doivent avoir l’habitude de tenir et de vivre ensemble ; on n’improvise pas cette
difficile habitude pour quinze ou vingt millions d’hommes. Autant il est légitime
que la rayonnante et paisible influence d’une monarchie protectrice et d’une
grande civilisation puisse agglomérer peu à peu autour d’elle de petits pays
attirés par des affinités de langue, de race ou de volonté réfléchie, autant il est
absurde et dangereux de vouloir imposer, l’épée à la main, une manière de vivre
ou de parler, une langue ou une culture." (p.8 )

"Les guerres de la Révolution et de l’Empire sont glorieuses. Il serait absurde


de dédaigner le lustre qu’elles jettent sur la nation française. Mais en fait de
résultat positif, elles ont eu celui d’unir ce qu’il fallait continuer à tenir divisé,
d’éveiller ce qu’il eût mieux valu laisser dormir. Napoléon commit imprudences

945
sur imprudences et non-sens sur non-sens. Il ne profita même pas de ses
victoires, ne sut pas briser la dynastie des Hohenzollern ni dépecer
immédiatement son territoire quand il la tenait à sa discrétion. L’ouvrage des
électeurs de Brandebourg et du grand Frédéric pouvait être anéanti après 1806.
Or, Napoléon se contenta de le diminuer et d’humilier Frédéric-Guillaume. Et,
qui plus est, il forma, il arrondit de ses mains, auprès de la Prusse, d’autres
royaumes qui, simplifiant le chaos germanique, devaient, le jour venu, rendre
plus facile l’unité. Telles sont les véritables conséquences que porta la
Révolution en Allemagne." (p.11)
-Charles Maurras, Napoléon avec la France ou contre la France ?, 1932,
Édition électronique réalisée par Maurras.net et l’Association des Amis de la
Maison du Chemin de Paradis, 2009, 55 pages.

"Au XVIIe siècle, la France connaît un second apogée. Elle brise l'encerclement
dont la menaçaient les Hasbourg d'Espagne et d'Autriche, elle atteint le Rhin,
elle bâtit son premier empire colonial dans les îles des Caraïbes, en Inde et en
Amérique du Nord. Ses armées l'emportent sur les tercios espagnols qui
passaient pour les meilleures troupes d'Europe, sa marine rivalise avec les
flottes anglaises et hollandaises, Vauban couvre ses frontières de forteresses
réputées imprenables, Colbert affirma sa puissance économique, le roi lui-même
s'occupe de son soft power en subventionnant les artistes et en multipliant les
constructions. A lui seul le palais de Versailles illustre la puissance, la richesse
et la créativité française.
Trop dominatrice, la France finit par dresser contre elle la plupart des pays
européens en une sorte de répétition générale des coalitions qui se formeront
contre la Révolution et l'Empire. Sauvée au dernier moment par les victoires du
maréchal Villars (nouveau sursaut !) et surtout par les divisions de ses
adversaires, la France sort de cette aventure exsangue. Sous Louis XV elle perd
son premier empire colonial au profit du Royaume-Uni qui apparaît de plus en
plus comme son principal rival. Le règne de Louis XVI constitue une phase de
récupération marquée par l'essor démographique, le progrès technique et
l'innovation militaire avec les canons Gribeauval dont Napoléon saura faire
usage. La marine est reconstituée et se montre efficace lors de la guerre
d'indépendance des Etats-Unis: pour la France, le traité de Paris constitue une
revanche (1783).

Sous la Révolution et l'Empire, la puissance française connaît un dernier


apogée, le plus remarquable mais aussi le dernier." (p.30)
946
"Le bilan en 1815 est désastreux. La France n'a rien conservé des conquêtes
antérieures et retrouve ses limites de 1789. Plus de vingt ans de guerre ont
coûté un million de morts, estiment les historiens, et la démographie française
ne s'en relèvera pas. La France a perdu son statut de première puissance
européenne et ne le retrouvera plus -malgré l'illusion de la Victoire de 1919."
(p.31)
-Pascal Gauchon, Géopolitique de la France. Plaidoyer pour la puissance, PUF,
coll. "Major", 2012, 189 pages.

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947
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Michel Regnaud de Saint-Jean d'Angély : https://www.amazon.fr/LEminence-


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Jean/dp/2857047827/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1504630572&sr=8-
1&keywords=Regnaud+de+Saint-Jean+d%E2%80%99Ang%C3%A9ly

Jean-Jacques-Régis de Cambacérès (1753-1824) : « Qui est Cambacérès ? Un


conventionnel du Marais ; Thermidor a comblé ses vœux et il a salué Brumaire
avec l’enthousiasme de Necker et de sa fille ; grave et volontiers solennel, ce
« penseur » inverti dont les conjurés de 1799 ont fait un consul, et dont
l’Empereur fera un duc, occupe, rue Saint-Dominique, un hôtel princier ; il a
cinq châteaux en province et, promu « archichancelier », perçoit un traitement
annuel de 300 000 francs. » -Henri Guillemin, 1848. La première résurrection
de la République, Éditions d’Utovie, Coll. H.G, 2006 (1948 pour la première
édition), 574 pages, p.16.

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%93uvre+de+Napol%C3%A9on

Jean-Étienne-Marie Portalis (1746-1807): https://www.amazon.fr/lusage-


lesprit-philosophique-durant-
XVIIIe/dp/2247071058/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1511800726&sr=
1-1&keywords=Portalis+%3A+l%27esprit+des+si%C3%A8cles

https://www.amazon.fr/Portalis-lesprit-siècles-édition-
collection/dp/2247060420/ref=sr_1_3?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5
%BD%C3%95%C3%91&keywords=Portalis+%3A+l%27esprit+des+si%C3%A
8cles&qid=1576533192&sr=8-3

http://hydra.forumactif.org/t3869-jean-etienne-marie-portalis-discours-
preliminaire-du-premier-projet-de-code-civil#4715

Aimée de Coigny (1769-1820) :

948
Horatio Nelson (1758-1805) : https://www.amazon.fr/Nelson-Georges-
Fleury/dp/2080680900/ref=pd_sim_14_38?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
7KXSFF4XGF88J5Y20RPT

Simón Bolívar (1783-1830) : « La Constitution de la Première République du


Venezuela reproduit, mot à mot, maints passages de celle des Etats-Unis. » -
Benedict Anderson, L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du
nationalisme, Paris, Éditions La Découverte & Syros, 2002 (1983 pour la
première édition américaine), 211 pages, p.62.

« Peu d’hommes politiques ont exprimé aussi franchement que Simón Bolívar
l’hostilité conservatrice face au « légalisme » libéral. » - Roberto Gargarella, «
Le cycle tragique du libéralisme latino-américain (1810-1860) », Amérique
Latine Histoire et Mémoire. Les Cahiers ALHIM [En línea], 11 | 2005,
Publicado el 21 septiembre 2007, consultado el 07 febrero 2018.

http://www.amazon.fr/Simon-Bolivar-am%C3%A9ricain-Pierre-
Vayssi%C3%A8re/dp/2228902896/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1459416478&sr
=8-2&keywords=Sim%C3%B3n+Bol%C3%ADvar

L’Allemagne classique : « Seul Etat allemand demeuré souverain dans


l'Europe sous hégémonie française, la Prusse de l'après-Iéna (1806) est entrée
dans l' "ère des réformes" (1807-1815). L'abolition du servage et le droit
d'accession à la propriété pour tous (1807), l'égalité devant l'impôt et la
suppression des corporations (1810), l'élection de municipalités comme celle
d'une Assemblée de notables en 1811-1812, permettent aux deux réformateurs
qui alternent à la chancellerie constituée en cette occasion, Stein et
Hardenberg, de fonder le libéralisme prussien. » -Nicolas Roussellier, L'Europe
des libéraux, Éditions Complexe, 1991, 225 pages, p.20.

« Le servage fut […] aboli, en Prusse, à la suite des victoires de Napoléon. » -


Bertrand Russell, Histoire de la philosophie occidentale, en relation avec les
événements politiques et sociaux de l'Antiquité jusqu'à nos jours, Livre
Troisième, Paris, Les Belles Lettres, 2011 (1945 pour la première édition
américaine), 1006 pages, p.724.

Le romantisme : « Le romantisme comme rhétorique de l’ironie et du sublime »


-Marc Fumaroli, Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne (1450-1950),
PUF, 1999, p. 1292.

949
Le romantisme allemand: "Rôle historique du romantisme, comme première
tentative de l'époque moderne de restaurer les liens entre l'homme et la nature.
Par-delà l'émergence de sensibilités nouvelles -esthétiques et spirituelles- pour
la nature, peut-on considérer la protestation romantique comme "pré-
écologique", parce qu'elle avance des idées critiques et une philosophie de la
nature qui constituent un univers culturel hautement favorable au
développement de la réflexion écologiste."
-Julias Bardes, La sensibilité écologique : de la révolte romantique à la crise
écologique contemporaine. Une analyse sociologique comparée du sentiment de
la nature en Occident.

« Etre romantique, c’est condamner la déshumanisation du monde qui étouffe


les individus et les castre dans leur autonomie et leur créativité. »

« Le romantisme s’oppose à quatre formes d’oppression qu’il attribue à


l’organisation industrielle et capitaliste. Tout d’abord une oppression «
bureaucratique » car dans sa volonté d’efficacité, la société moderne s’organise
sur un mode gestionnaire qui transforme les individus en simples rouages d’une
« mégamachine » et les prive de toute autonomie.

Ensuite une oppression « idéologique » car, publicité et grand spectacle à


l’appui, notre système marchand conditionne les consommateurs à désirer
toujours plus : plus de biens, plus de reconnaissance, plus de vitesse, etc. Le
culte de la performance colonise ainsi tous les aspects de la vie et empêche de
profiter pleinement du temps présent et des plaisirs simples.

Troisièmement une oppression « épistémique », c’est-à-dire la domination d’une


forme de pensée particulière : la rationalité abstraite qui voudrait traiter tous
les problèmes comme des problèmes mathématiques. Or, puisque tout ne se
mesure pas ou ne se calcule pas, cette quantophrénie néglige d’autres modes de
connaissance et de relation au monde comme le sens pratique ou la prudence.

Enfin, le romantisme proteste contre une oppression « technologique » qui


découle de notre société d’hyper-spécialistes. Puisque tout aujourd’hui est
affaire de spécialistes, les individus ne sont plus maîtres de leur existence mais
doivent toujours avoir recours à des experts pour mener leur vie : le mécanicien
du dimanche ne peut plus réparer sa voiture truffée d’électronique et doit se
plier au diagnostic opaque d’un expert-garagiste, tout comme la majorité de la

950
population, qui ne sait ou ne peut plus cultiver un jardin, remet son sort
alimentaire dans les mains des experts-industriels.

Ainsi, le romantisme proteste contre le triomphe d’une société technologique,


gestionnaire, consumériste, individualiste et utilitariste dont les conséquences
sont l’artificialisation du monde et l’asservissement des humains à la production
et à la consommation de biens et de services marchands. » -Guillaume Carbou,
Le romantisme de l’écologie politique, 15/04/2019 :
https://sms.hypotheses.org/19227

« Le monde du romantisme allemand […] un état de détachement ironique en


même temps que de mécontentement violent, mélancolique et exalté, morcelé,
désespéré et pourtant source de toute vraie pénétration et inspiration, en même
temps destructeur et créateur. » -Isaiah Berlin, « Joseph de Maistre et les
origines du totalitarisme », 1960 pour la première version, in Le bois tordu de
l’humanité. Romantisme, nationalisme et totalitarisme, Albin Michel, coll.
Idées, 1992 (1990 pour la première édition britannique), 258 pages, p.101.

http://hydra.forumactif.org/t662-alvin-w-gouldner-romanticism-and-classicism-
deep-structures-in-social-science#1243

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L’idéalisme allemand : « Toute tentative pour comprendre dans son contenu


essentiel et dans sa pleine signification le développement de cette grande
époque de la pensée philosophique, désignée ordinairement dans les livres
comme celle de l’ « idéalisme allemand », ne peut qu’échouer désespérément
tant que, en considérant cette époque, on n’a aucune vue d’ensemble ou qu’on a
seulement la vue détachée d’une réflexion après coup sur ces relations au plus
951
haut point essentielles pour toute la forme et l’ensemble du cours de ce
développement de la philosophie, relations qui relient le « mouvement de la
pensée » de cette époque au « mouvement révolutionnaire » qui lui est
contemporain... » -Karl Korsch, Marxisme et philosophie, 1923.

« La période classique de la littérature et de la philosophie allemande a été le


point culminant de la pensée humaine, de la civilisation humaine. Pour
l’essentiel, ce fut un reflet idéologique de la Révolution française, de ses
préparatifs et de ses conséquences, un puissant organe intellectuel du progrès. »
-Georg Lukács, Le fascisme allemand et Hegel (1943), p.39.

« Nous devons donc dépasser également l´État ! - Car tout État est obligé de
traiter les hommes libres comme un rouage mécanique ; et c´est ce qu´il ne doit
pas ; il faut donc qu´il arrête. Vous voyez de vous-mêmes qu´ici toutes les idées
de paix éternelle, etc. ne sont que des idées subordonnées à une Idée supérieure.
En même temps je veux consigner ici les principes d´une histoire de l´humanité,
et mettre à nu toute cette misérable œuvre humaine que représentent l´État, la
constitution, le gouvernement, la législation. Enfin viennent les idées d´un
monde moral, de divinité, d´immortalité – renversement de toutes les
superstitions, poursuite, par la raison elle-même, de la prêtrise qui
dernièrement simule la raison. Liberté absolue à tous les esprits qui portent en
eux le monde intellectuel et qui n´ont pas besoin d´aller chercher Dieu ou
l´immortalité en dehors d´eux. » -Premier programme systématique de
l'idéalisme allemand (Hegel, probablement en collaboration avec Hölderlin et
Schelling, 1796).

« Dans la période qui va de 1780 à 1800, Spinoza a occupé une place centrale
dans la philosophie, la littérature et le débat public en Allemagne, au point d’être
considéré désormais comme un classique de la philosophie. L’enjeu essentiel, à
l’époque, était, dans la discussion de la philosophie transcendantale de Kant, de
garantir à la pensée un nouvel accès à l’Être lui-même et de reformuler la
dimension religieuse de la vie humaine dans une forme susceptible de rivaliser
avec les connaissances et les principes de la nouvelle science mathématique de
la nature. En conséquence, on ne retenait dans les œuvres de Spinoza que
l’Éthique et le Traité de la réforme de l’entendement, et, dans l’Éthique,
seulement l’ontologie et la théorie de la connaissance des deux premières
parties, ainsi que la doctrine de l’éternité de l’âme (mens, Geist) dans la
deuxième moitié de la Ve partie. » -Manfred Walther, La doctrine politique de
952
Spinoza. La (re)découverte de la philosophie politique de Spinoza par Adolf
Menzel, in André Tosel, Pierre-François Moreau et Jean Salem (dir.), Spinoza
au XIXème siècle, Éditions de la Sorbonne, 2008, 494 pages.

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allemand-
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1-33&keywords=id%C3%A9alisme+allemand

Herder et les origines du nationalisme allemand: « La plus belle de toutes les


guerres, celle qu’un peuple fait sur son propre terroir pour sa liberté et son
indépendance. » -Carl von Clausewitz, Lettre à Fichte, 1809, cité par Carl
Schmitt in Théorie du partisan.

« La guerre révolutionnaire contre Napoléon, telle que l’envisageaient les


réformateurs prussiens, n’a pas eu lieu. » -Carl von Clausewitz, Cours à l’École
de guerre de Berlin, cité par Carl Schmitt in Théorie du partisan.

« La Critique de Kant est un tissu de subtilités et d’absurdités. » -Herder.

« Grâce à Herder, le terme "peuple" a acquis en Allemagne une nouvelle


profondeur et une nouvelle puissance, tout à fait éloignées de toute parole
politique et que tout un monde sépare des slogans politiques de la
"démocratie".» -Hans-Georg Gadamer, conférence à l'Institut allemand de Paris,
mai 1941. Cité par Jean Grondin, Hans-Georg Gadamer, une biographie, Paris,
Grasset, 2011, p. 278.

953
« C'est bien le nationalisme culturel de Herder qui a posé les fondements du
nationalisme politique, et il constitue le premier maillon d'une chaîne qui
conduit jusqu'à [Friedrich] Meinecke. La lecture que fait Meinecke de Herder
avant la Seconde Guerre mondiale, très proche de celle de Gadamer faite en
pleine guerre, le montre fort bien. La coupure telle qu'on aime l'établir
d'ordinaire entre les deux nationalismes et hautement artificielle. » (p.43)

« Herder s'accorde avec Voltaire pour voir dans le Moyen-âge une époque de
barbarie, mais, contrairement à Voltaire, il considère cette barbarie comme une
saine vitalité, et il célèbre le désordre et l'effervescence créateurs de l'époque.
[...] Herder n'a pas inventé le mythe des Barbares libérateurs, mais montre les
Germains venus rajeunir et purifier un monde en déclin. » (p.526)

« Herder vomit le présent. En dépit des apparences, ces idées ne sont ni


réactionnaires, ni traditionnalistes, ni conservatrices: ce sont les principes qui
engendrent un nouveau projet de civilisation et qui nourrissent la révolution
culturelle dont Herder est, au cœur de l'Europe, le grand protagoniste. A long
terme, l'importance de cette révolution ne fut pas tellement moindre que celle de
la révolution industrielle. A beaucoup d'égards, la nationalisation des masses en
est le résultat, la droite révolutionnaire et la révolution conservatrice en sont le
produit. » (p.532)

« C'est Herder encore qui lance la formule de "peuple jeune" recueillant


l'héritage de peuples usés [...] La mission de la France, entrée dans la seconde
moitié du XVIIIème siècle dans une période de décadence, est terminée, celle de
l'Allemagne commence. » (p.548)

« En refusant, dans Une autre philosophie de l'histoire, de comparer les époques


et les peuples de l'histoire, en posant l'égale dignité de chaque culture, et en
proclamant que toute vérité est celle d'une ethnie et d'une époque, Herder ouvre
le sillon qui aboutit à Spengler, au relativisme et au scepticisme. » (p.567)

-Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une tradition du XVIIIème siècle à la


guerre froide. Saint-Amand, Gallimard, coll. Folio histoire, 2010, 945 pages.

« Les valeurs, les qualités ne sont pas commensurables : parler d’une échelle
des mérites, qui présupposent l’existence d’un étalon universel, est pour Herder
la preuve d’un aveuglement à ce qui rend humains les hommes. On ne rendra
pas heureux un Allemand en essayant d’en faire un Français de second ordre.

954
[…] Les hommes ne peuvent pleinement développer leurs capacités qu’en
continuant de vivre là où leurs ancêtres et eux sont nés, de parler leur langue,
de vivre leur vie dans le cadre des coutumes de leur société et de leur culture.
Les hommes ne se font pas eux-mêmes : ils appartiennent au flot d’une
tradition. » (p.51)

« Aristote était un grand penseur [dit Herder], mais nous ne pouvons pas
retourner à lui : son monde n’est pas le nôtre. De même, trois quart de siècle
plus tard, on posera que si mes vraies valeurs sont l’expression de ma classe –la
bourgeoisie- et non de la leur –le prolétariat-, alors l’idée de la compatibilité
mutuelle de toutes les valeurs, de toutes les réponses correctes aux questions,
doit être fausse, car mes valeurs entreront inévitablement en conflit avec les
vôtres, parce que les valeurs de ma classe ne sont pas celles de la vôtre. […] Le
concept d’un bien commun, valide pour l’humanité tout entière, repose sur une
erreur cardinale. » (p.54-55)

« Ce mouvement, qui a pu aller jusqu’à une forme d’égotisme exagéré, et


parfois même hystérique, ne s’est pas éteint avec le déclin de la première vague
du romantisme, et il est devenu la cause d’un malaise –d’une anxiété, même-
permanent dans la conscience européenne, qui persiste encore aujourd’hui. Il
est clair que l’idée d’une solution harmonieuse aux problèmes de l’humanité, ne
serait-ce qu’en principe, et donc la notion même d’utopie, est incompatible avec
l’interprétation de l’univers humain comme champ de bataille entre des
volontés, individuelles ou collectives, en mutation perpétuelle et en conflit
incessant. Il y eut des tentatives pour endiguer ce flot dangereux. Hegel et Marx
après lui tentèrent de retrouber une rationalité historique. » (p.55)

-Isaiah Berlin, « Le déclin des utopies en Occident », 1978, in Le bois tordu de


l’humanité. Romantisme, nationalisme et totalitarisme, Albin Michel, coll.
Idées, 1992 (1990 pour la première édition britannique), 258 pages.

http://www.amazon.fr/Herder-Olivier-
Dekens/dp/2251760504/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1458753553&sr=
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N0X7NXV
955
Johann Gottlieb Fichte (1762-1814) : « Le juif, qui, malgré des
retranchements solides, on pourrait même dire infranchissables, qu'il trouve
devant lui, arrive jusqu'à l'amour universel de la justice, des hommes et de la
vérité, est un héros et un saint. Je ne sais pas s'il y en a eu, ou s'il y en a. Je le
croirais dès que je le verrais...Quant à leur donner des droits civils, je ne vois
pour ma part aucun autre moyen que de leur couper la tête à tous une belle nuit,
et d'en mettre à la place une autre, où il n'y ait plus aucune idée juive.
Autrement je ne sache pas de moyen de nous défendre contre eux, sinon de
conquérir pour eux leur terre promise et de les y envoyer tous... » -Fichte,
Considérations sur la Révolution française.

« Les philosophies d’essence passionnelle d’un Fichte ou d’un Hegel, par


exemple, furent les premiers appuis du nationalisme allemand. » -Denis de
Rougemont, L’amour et l’Occident, Livre V « Le Mythe dans la Littérature »,
Plon, Bibliothèque 10/18, 1972 (1939 pour la première édition), 445 pages,
p.286.

« L’école de Locke avait montré l’intelligence humaine façonnée et en quelque


sorte produite par la sensation, c’est-à-dire par les choses du dehors ; Fichte
renverse les termes et nous montre au contraire dans les choses un produit de
l’intelligence et de son activité. Nous voici donc arrivés à un point après lequel
il n’y a plus rien. La tendance subjective aboutit à la suppression de tout ce qui
n’est pas le sujet ; on ne saurait aller au-delà. Cependant la philosophie de
Fichte n’était pas seulement significative en ce qu’elle marquait ainsi le terme
où un principe s’épuise en s’exagérant, elle marquait aussi à plusieurs égards la
transition à une tendance nouvelle. En premier lieu, elle abandonnait les allures
méthodiques du scepticisme de Kant pour y substituer des assertions. En outre
elle répudiait tout appel à l’expérience, et arrivait à ses résultats par un procédé
purement dialectique. Ajoutons enfin que le moi dont elle parlait n’étais pas le
moi individuel, mais un moi général, abstrait, et nous aurons trouvé dans Fichte
tous les élémens des systèmes qui vont remplacer le sien. »

« Hegel procède de Spinoza. Lui aussi ne voit de réel que ce qui est général ; à
lui aussi, le monde apparaît comme la forme et la manifestation d’un principe
qui en est l’essence. Seulement, tandis que la substance infinie de Spinoza n’est
que substance, Hegel la conçoit comme esprit. L’absolu, d’après lui, est de
nature spirituelle. »

956
« L’absolu n’est pas seulement insaisissable, il est contradictoire. Comment le
définit-on en effet ? Par l’absence de la limite. L’absolu est donc une notion
purement négative ; seulement cette notion négative est conçue comme une
affirmation, présentée comme une réalité et une substance. L’absolu, pour qui
regarde derrière les mots, c’est le néant personnifié, c’est-à-dire la
contradiction même. Or l’hégélianisme n’est pas autre chose que la philosophie
de ce néant. »

« Oscillant entre la notion d’une réalisation toujours inachevée de la raison et


cette autre notion que la philosophie de l’absolu est l’absolu réalisé, Hegel a
porté cette contradiction dans la politique. Si d’un côté sa philosophie du droit
proclamait, avec la souveraineté de la raison, le principe de toute amélioration
sociale, d’un autre côté elle tendait à présenter le gouvernement prussien de la
restauration comme la réalisation absolue de la raison. En révélant si bien le
sens profond des institutions du moment, elle semblait revendiquer pour ces
institutions le droit divin de l’idée. C’est ainsi que Hegel devint le théoricien
accrédité du gouvernement de la résistance. Il passait pour l’un des soutiens du
ministère Altenstein. Lui-même se complaisait dans ce rôle. Au fond, tout le
monde se faisait illusion. Il y avait dans ce système conservateur un autre
élément, un élément opposé, celui de l’idéal à réaliser, et cet élément devait finir
par se dégager. Gans, le disciple chéri, se brouilla de bonne heure avec son
maître. De nos jours, l’avant-garde de l’école est devenue l’avant-garde du
parti révolutionnaire. » -Edmond Sherer, Hegel et l’Hégélianisme, Revue des
Deux Mondes, T.31, 1861.

"[Pour Fichte] le droit du fils à hériter de son père, le citoyen l'obtient en


échange d'un droit naturel aliénable et aliéné: celui "d'hériter de tout mort".
L'individu est donc quitte envers l'Etat, même quand l'Etat lui garantit l'héritage
paternel." (p.54)

"La tendance de l'Etat, dont le domaine est renfermé dans les limites les plus
étroites, est de transgresser ces limites, d'envahir le champ des contrats en
général, celui de droit naturel, celui de la conscience.
Viennent alors des pages éloquentes où Fichte proteste contre cette tendance, et
réduit impitoyablement la part de l'Etat. Chacun a le droit de sortir de l'Etat, et
de former des Etats dans l'Etat. Il n'est pas jusqu'aux obligations les plus
simples, et en apparence les plus irréductibles de la vie civile, dont l'individu ne
puisse s'affranchir par un acte de volonté et d'inspiration libre. On comprend
957
que Fichte ait donné quelque part pour but à tout gouvernement "de rendre le
gouvernement superflu"." (p.55)
-Henry Michel, L'idée de l'Etat: essai critique sur les théories sociales et
politique en France depuis la Révolution, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1896,
666 pages.

« Cependant Fichte a lié ces vues à une stratégie politique, fondamentalement


opposée aux théories de l’internationalisme pacifiste. Dans un opuscule,
Machiavel comme écrivain (Über Machiavelli, als Schrifsteller...,1805),
chaleureusement approuvé par Clausewitz, il déclare faire sien le principe du
Florentin: « Quiconque veut fonder un Etat et lui donner des lois doit supposer
d’avance les hommes méchants. » Il en tire deux règles fondamentales: saisir
sans perte de temps toute occasion de se fortifier dans la sphère de ses
influences ; ne jamais se fier à la parole d’un autre Etat ; il conclut : « Dans les
rapports avec les autres Etats, il n’y a ni loi, ni droit, si ce n’est la droit du plus
fort. » Fichte prononçait donc à la fois la faillite de l’humanisme
révolutionnaire, la future apothéose de l’Allemagne comme nation salvatrice,
idée dont les développements furent tragiques, et la naissance de la Realpolitik,
comme charte des Temps modernes. Ces idées vivaient encore alors que
l’empire napoléonien s’était depuis longtemps effondré et elles furent exploitées.
L’historien doit constater combien elles furent puissantes et meurtrières et
comment pour l’opinion commune, le nom de Fichte y demeure attaché. » -
Alexis Philonenko, dans Dictionnaire des philosophes, Encyclopaedia
universalis, Paris, Albin Michel, 2001, p. 566.

"Après avoir défendu pendant quelque temps un réformisme à la Frédéric II,


notre philosophe inaugure sa carrière de penseur politique en prenant
violemment parti pour la Révolution française. Dans les Contributions destinées
à rectifier le jugement du public sur la Révolution française (1793), il
développait une théorie ultra-individualiste et ultra-libérale qui ne pouvait
mener en fait qu'à l'anarchie pure et simple. Or, nous le retrouvons en 1800, à
Berlin, occupé à rédiger un traité d'économie politique, l'Etat commercial
fermé, qui propose la première doctrine cohérente de socialisme d'Etat. Et il
achèvera son périple son 1813 lorsqu'il rejoindra Platon dans un hymne au
philosophe-roi et Robespierre dans une apologie de la dictature éducative."
(p.691)

958
"Le fichtéanisme juridico-politique ne tend réellement à l'organicisme qu'après
1804." (p.695)
-Pierre-Philippe Druet, La « politisation » de la métaphysique idéaliste: le cas de
Fichte, Revue Philosophique de Louvain, Année 1974, 16, pp. 678-712

http://hydra.forumactif.org/t2507-arash-abizadeh-was-fichte-an-ethnic-
nationalist#3245

Friedrich Schlegel (1772-1829) : "Dans l’abondante littérature suscitée par


l’opuscule de Kant Pour la paix perpétuelle (1795), l’« Essai sur le concept de
républicanisme » de Friedrich Schlegel est l’un des textes les plus étonnants.
Cette recension, parue dans la revue Deutschland dirigée par Johann Friedrich
Reichardt en août 1796 (Schlegel a alors vingt-quatre ans), renchérit avec
passion sur le républicanisme de Kant. Certes, Schlegel reprend l’assertion
kantienne selon laquelle l’instauration d’un régime républicain en chaque État
est la condition de la paix entre les nations. Toutefois, dénonçant ce qui lui
apparaît comme une série de fautes logiques dans l’argumentation du philosophe
de Königsberg, il accentue la thèse et soutient notamment que l’État n’est
véritablement républicain que s’il est démocratique, et que les rapports
internationaux ne garantiront la paix qu’à la condition d’être basés, non pas sur
le droit fédératif, mais sur la fraternité de tous les républicains.

Citons, en vrac, quelques formules qui montrent le contraste entre les deux
auteurs. Pour Kant, « le républicanisme est le principe politique de la séparation
des pouvoirs » (AK VIII, 352) ; « c’est la volonté générale donnée a priori qui
détermine ce qui est de droit parmi les hommes » (AK VIII, 378) ; « la
démocratie est nécessairement un despotisme » (AK VIII, 352) et « le caractère
injuste de la rébellion est évident » (AK VIII, 383). Pour Schlegel, « la
souveraineté [de la communauté politique] ne peut être cédée » [aux
gouvernants] (KFSA VII, 16)."

Pour Schlegel, « la souveraineté [de la communauté politique] ne peut être cédée


» [aux gouvernants] (KFSA VII, 16) ; « la volonté de la majorité doit avoir
valeur de succédané de la volonté générale » (ibid.) ; « le républicanisme est
nécessairement démocratique » (ibid.) et « toute insurrection dont le but est […]
l’organisation du républicanisme est conforme au droit » (KFSA VII, 23).
Comment comprendre les thèses de Schlegel dans leur contexte intellectuel et
quelle est leur force ? […]

959
Pour Schlegel, les impératifs transcendantaux imposent de reconnaître à chaque
membre de la communauté la faculté d’exercer l’entièreté de ses prérogatives de
citoyen. Ce qui implique, par exemple, que « la pauvreté et […] la féminité […]
ne sont […] pas des raisons légitimes d’exclure totalement tel ou tel du droit de
vote » (ibid.) – alors que Kant, comme on le sait, soutient que, pour être
électeur, le citoyen majeur doit être son propre maître, c’est-à-dire posséder une
quelconque propriété qui lui permette de vivre , et que « la gens féminine tout
entière » est dépourvue de personnalité civile."

"La volonté majoritaire, dit le texte, est reconnue comme valant pour la volonté
générale par une fictio juris. La fiction juridique, comme on le sait, est un
artifice de technique juridique, un « mensonge de la loi » consistant à supposer
un fait contraire à la réalité en vue de produire un effet de droit. Il y a lieu alors
de se demander quelle est la justification d’une telle fiction. Faire reposer la
décision politique sur la volonté majoritaire, n’est-ce pas abandonner la volonté
générale ? Précisément, on l’a vu, Schlegel parle d’un abîme infranchissable
entre la volonté générale et la volonté empirique. Cette dernière n’est-elle pas
particulière par définition, donc impropre à assurer le caractère républicain du
régime ? À cette objection, Schlegel répond en deux temps. En premier lieu, il
est tout à fait possible que la volonté majoritaire soit despotique et opprime la
minorité. Nous sommes alors dans un cas d’ochlocratie, c’est-à-dire de pouvoir
de la masse. Car, en second lieu, la volonté majoritaire n’est le succédané de la
volonté générale que pour autant qu’elle présente un « esprit républicain »."

"Certes, dit-il, la constitution ne saurait prescrire une insurrection, car cette


dernière abolirait la constitution, ce qui rendrait du même coup l’obligation
caduque. En revanche, elle peut définir théoriquement le cas où elle est permise
– à savoir quand un dictateur provisoire prolonge indûment son mandat, ou
quand le pouvoir constitué tend à abolir la constitution, ou encore, plus
simplement, quand on est dans une situation de despotisme absolu. Si, dans
l’Essai, Schlegel critique la révolution permanente et l’anarchie, en revanche il
admet la révolution comme alternative au despotisme, voire l’encourage.

Quel modèle Schlegel a-t-il cependant en tête lorsqu’il défend une république
démocratique ? La référence à la Grèce est explicite et centrale."
-Gilles Marmasse, « Le jeune Friedrich Schlegel, un démocrate radical ? »,
Revue de métaphysique et de morale, 2018/4 (N° 100), p. 551-567. DOI :

960
10.3917/rmm.184.0551. URL : https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-
et-de-morale-2018-4-page-551.htm

Novalis (1772-1801): « Mais l’ancien monde touche à sa fin ; ses jardins riants
se flétrissent, les dieux s’en vont avec leur suite, et la nature reste déserte et
sans vie. Le charme de l’existence tombe dans des paroles obscures, comme on
voit la fleur s’en aller en poussière ; la croyance est loin, et avec elle, la vive, la
puissante imagination. » -Novalis, « Hymne à la nuit », 1800.

http://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-
Novalis/dp/2070284298/ref=pd_cp_14_3?ie=UTF8&refRID=1GZWE15QQF74
8JG8BCB4

Gotthold Ephraim Lessing (1729-1781) : « Le schéma du progrès dans


L'éducation du genre humain de Lessing (texte symbolisant fort bien au
demeurant l'esprit des Lumières allemandes) envisage l'humanité comme un être
humain, avec l'enfance (où le besoin de la révélation se fait sentir) et l'âge
adulte (où la raison suffit). Curieusement, il n'y a pas de vieillissement, pas de
vieillesse et pas de mort.

De même chez Fichte (cf. La destination du savant, 2ème conférence) qui admet
que l'humanité est encore dans l'enfance, le progrès est à l'infini : l'humanité se
caractérise par sa perfectibilité, et l'on ne voit pas de bornes à cette dernière. »
-Jean-Luc Vieillard-Baron, Le problème du temps, sept études, ch. VII, Vrin,
1995, p. 151-170.

Johann Benjamin Erhard (1766-1827) : « Le peuple auquel on interdit l’accès


aux lumières a le droit de faire la révolution. » -Johann Benjamin Erhard, Du
Droit du peuple à faire sa révolution et autres écrits philosophiques, p.144.

« Ha ! Elle est invincible, la nation française, car elle lutte, elle se bat, elle
combat pour la liberté, pour les droits de l’homme. La liberté l’enthousiasme ;
la liberté lui insuffle du courage ; la liberté trempe ses forces. L’Humanité, dont
la Nation française défend les droits, est à ses côtés et l’aide à vaincre. » -
Johann Benjamin Erhard, « Appel réitéré à la nation allemande », in Du droit du
peuple à faire la révolution et autres écrits de philosophie politique, op. cit. , p.
261.

« Erhard, aujourd’hui injustement méconnu, se réclamait pourtant de la pensée


d’Emmanuel Kant dont il fut le compatriote et l’ami, mais aussi l’un des
961
critiques les plus avisés de Fichte qu’il poussait philosophiquement dans ses
ultimes retranchements, en lui cherchant régulièrement querelle (querelle
doctrinale s’entend). 

Cette brève présentation offre dès lors l’occasion de découvrir la pensée d’un
illustre inconnu, médecin, philosophe, théoricien du droit public, auteur entre
autres d’une « Apologie du diable », de « Considération sur le Discours de La
Boétie et sur l’autocratie, d’après les instructions de l’histoire et de l’expérience
». A noter qu’outre Du droit du peuple à faire la révolution, Erhard expose sa
conception de la Révolution dans d’autres travaux comme Recension de
l’ouvrage de Fichte sur la révolution, sans compter toute la propagande
clandestine qui semble perdue à tout jamais. Seul l’Appel réitéré à la nation
allemande est, en effet, porté à notre connaissance.

Erhard est, en somme, l’archétype de ce que l’on appellera, plus tard, un


intellectuel engagé, autrement dit un militant et témoin de son temps qui, à
défaut de détenir le pouvoir, entend néanmoins exercer une certaine influence.
Aussi Erhard est-il symptomatique d’une époque, sans pour autant être un
visionnaire ni même un authentique homme d’action malgré son soutien actif à
la cause révolutionnaire. C’est un philosophe et un moraliste à l’instar de son
mentor Emmanuel Kant. Or, pour appréhender Erhard et sa radicalité, l’on ne
saurait détacher l’homme de sa pensée et s’abstraire du contexte dans lequel il
écrit Du droit du peuple à faire la révolution ; car si les Révolutionnaires ne
savent pas toujours où ils vont, ils ne partent jamais sans bagages. Erhard ne
fait évidemment pas exception. Ses influences, comme tout philosophe de son
temps, sont multiples. C’est un érudit, adepte des humanités, exégète de La
Boétie, fin lecteur de Spinoza, jusnaturaliste comme nombre de ses
contemporains, influencé in fine par Rousseau pour le caractère révolutionnaire
de son œuvre et par Kant pour le caractère moraliste et finaliste de sa pensée.
De par sa conformation d’esprit et de caractère, les événements d’outre-Rhin ne
l’ont pas laissé indifférent. De la pensée à la pratique, n’y aurait-il qu’un pas ?
Les Lumières seraient-elles enfin à la portée des peuples ? Le contexte semblant
favorable, Erhard veut agir, mais à sa manière, en philosophe et en militant.

Il s’investit dès lors au sein du mouvement des jacobinistes allemands. »

« L’action d’Erhard consiste alors à légitimer la révolution française pour


mieux légitimer les processus révolutionnaires qu’il appelle de ses vœux en

962
Allemagne, bien qu’il n’explicite pas sa stratégie dans Du droit des peuples à
faire la Révolution. Aussi son exhortation virulente et anonyme à la révolte du
peuple dans son Appel réitéré à la nation allemande confirme-t-elle une
démarche intellectuelle non dénuée de fièvre et de passion. Cette ardeur est
néanmoins tempérée par la répression dont sont victimes les intellectuels
allemands tout aussi engagés qu’Erhard. Dès 1795, dans la crainte de subir le
même sort, Erhard saura ainsi calmer (du moins publiquement) sa fièvre
révolutionnaire et s’écarter du champ des idées politiques. Controversé, il a
tenu à rappeler, vers la fin de sa vie, qu’il n’a jamais voulu promouvoir le droit
du peuple à faire la révolution en tant que droit positif, mais uniquement en tant
que devoir moral conditionné par les circonstances (ce qui est rigoureusement
exact). Cependant, selon l’auteur allemand Haasis, il serait resté un militant
actif jusqu’en 1801, année au cours de laquelle il réalisa, la mort dans l’âme,
que la France ne serait jamais la nation libératrice de l’Allemagne du Sud.
Aussi et bien qu’il s’en soit défendu a posteriori, Erhard fut sans conteste un
auteur radical qui s’autocensurera pour ne pas mettre en péril sa réputation de
notable (il était médecin) et de philosophe. »

Friedrich Schiller (1759-1805) : « Jusque dans notre siècle, il est vrai, se sont
glissés, des siècles précédents, maints restes de barbarie, enfant du hasard et de
la violence, que l'âge de la raison ne devrait pas éterniser. Mais avec quelle
sagesse l'intelligence de l'homme n'a-t-elle pas su diriger vers une fin utile,
même cet héritage barbare de l'antiquité et du moyen-âge ! Combien n'a t'il pas
rendu inoffensif et souvent même salutaire ce qu'il ne pouvait encore se
hasarder à détruire ! Sur la base grossière de l'anarchie féodale a élevé l'édifice
de sa liberté politique et ecclésiastique. Le simulacre d'empereur romain, qui
s'est conservé en-deçà des Apennins, fait aujourd'hui au monde infiniment plus
de bien que son redoutable prototype dans l'ancienne Rome; car il maintient uni
par la concorde un utile système d'Etats, tandis que l'autre comprimait les
forces les plus actives de l'humanité dans une servile uniformité. Notre religion
même, altérée à un tel point par les infidèles mains qui nous l'ont transmise, qui
peut méconnaître en elle l'influence ennoblissante d'une philosophie meilleure ?
Nos Leibniz et nos Locke ont aussi bien mérité du dogme et de la morale du
christianisme, que le pinceau d'un Raphaël et d'un Corrège de l'histoire
sainte. »

« L'esprithistorique ne peut pas longtemps s'occuper des matériaux du monde,


sans qu'il s'éveille en lui un nouvel instinct qui tend à l'harmonie, qui l'excite
963
irrésistiblement à assimiler tout ce qui l'entoure à sa propre nature raisonnable,
et à élever tout phénomène qui s'offre à lui à la plus haute puissance qu'il ait
reconnue, à la pensée. Plus il a renouvelé l'essai de rattacher le passé au
présent, et plus il y a réussi: plus il est porté à unir comme moyen et intention
finale ce qu'il voit s'enchaîner comme cause et effet. Peu à peu les phénomènes
se dérobent, l'un après l'autre, à l'aveugle hasard, à la liberté anarchique, pour
se coordonner, comme des membres assortis, en un tout concordant, qui
toutefois n'existe que dans l'idée de celui qui le construit. Bientôt, il lui devient
difficile de se persuader que cette suite de phénomènes, qui, dans sa pensée, a
prit tant de régularité et de tendance à un but, démente ces qualités dans la
réalité; il lui devient difficile de replacer sous l'aveugle domination de la
nécessité ce qui, à la lumière de l'intelligence, qu'il lui prêtait, commençait à
prendre une forme si attrayante. Il tire donc de lui même cette harmonie et la
transplante, hors de lui, dans l'ordre des choses extérieures, c'est à dire qu'il
porte dans la marche du monde un but raisonnable, et un principe téléologique
dans l'histoire du monde. Il la parcourt de nouveau avec ce principe, qu'il
applique et essaye sur chacun des phénomènes que lui offre ce grand théâtre. Il
le voit confirmé par mille faits qui s'accordent avec lui, et contredit par autant
d'autres; mais, tant que, dans la série des révolutions du monde, il manque
encore des chaînons importants, tant que la destinée lui dérobe encore sur un si
grand nombre d'évènements l'explication dernière, il tient la question pour non
résolue, et cette opinion l'emporte à ses yeux qui peut offrir à l'entendement la
plus haute satisfaction et au coeur la plus haute félicité. »

« La main de la nature depuis le commencement du monde, développe, d'après


un plan régulier, les facultés de l'homme. » -Friedrich Schiller, « Qu'est-ce que
l'histoire universelle et pourquoi l'étudie-t-on ? », leçon inaugurale de son cours
d'histoire à l'université d'Iena, 1789.

« Sur l'indigente existence brille le monde riant des ombres que crée la poésie. »

-Friedrich Schiller, Les artistes, 1789.

« Schiller prend ainsi définitivement congé de la philosophie des Lumières avec


son idéal de perfectionnement et critique une nouvelle fois un matérialisme qui
lui était plus proche qu’il ne le souhaitait et qu’il a conjuré en en faisant la
philosophie de ses scélérats. Mais s’il ne partage pas la lutte de Kant contre la «
sensibilité », c’est aussi en partie sans doute parce que sa formation

964
intellectuelle l’a rendu à jamais attentif au corps et à la « sensibilité physique ».
La recherche d’une synthèse entre moralité et sensibilité dans l’éducation
esthétique peut être considérée comme l’aboutissement logique de cette double
influence, idéaliste et matérialiste, allemande et française. » -Roland Krebs, «
Le jeune Schiller face au matérialisme français », Revue germanique
internationale [En ligne], 22 | 2004.

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oeuvres?highlight=Friedrich+von+Schiller

Carl von Clausewitz (1780-1831) : « On ne commence ou, du moins, on ne


devrait commencer aucune guerre sans s’être préalablement demandé quel but
elle doit atteindre. […] C’est cette pensée fondamentale qui indique les
directions à suivre, les moyens à employer et les efforts à produire ; elle
manifeste son influence jusque dans les moindres subdivisions de l’action. »

« Une certaine entente des choses de la guerre est indispensable à la direction


politique des États. » -Carl von Clausewitz, Théorie de la grande guerre.

« L’homme est tout de même très étrange et très fascinant ; c’est d’un côté un
cerveau d’une rigueur extraordinaire et d’un autre côté c’est un amoureux
romantique passionné. […] J’ai découvert la vie de cet homme qui a toujours eu
le sentiment de ne pas accéder au niveau auquel son génie le destinait, et qui en
même temps a eu une carrière exceptionnelle pour un petit officier obscur, qui a
approché les grands. […] Il était mal vu par le roi de Prusse, qui le jugeait un
dangereux révolutionnaire, alors que c’était un bon conservateur, mais un
conservateur d’idées libérales. […] Cette personnalité m’a fasciné. »

« Quelle est l’idée centrale, banale, évidente ? C’est que la guerre est en tant
que tel un acte politique. C’est-à-dire qu’on ne fait pas la guerre pour
remporter des victoires, on fait la guerre pour atteindre certains résultats
politiques. Par ailleurs [Clausewitz] définit la guerre par son moyen spécifique,
c’est-à-dire la violence. Or, le fait est qu’à ses yeux, à ses époques, les relations
entre Etats comportaient le risque de guerre. Et ce fait subsiste encore
aujourd’hui. Mais si l’on comprend que l’on ne doit employer la violence
guerrière que dans la mesure nécessaire pour atteindre des fins définis et
limitées, le risque de l’ascension aux extrêmes diminue. Et c’est en ce sens que
l’enseignement de Clausewitz n’est pas un enseignement militariste : c’est tout
le contraire, c’est un appel à l’intelligence des hommes d’Etats, pour savoir
965
limiter la violence, probablement indéracinable, dans les relations entre les
Etats. » -Raymond Aron, à propos de Carl von Clausewitz, Radioscopie,
Entretien entre Jacques Chancel, 1er octobre 1976.

"Clausewitz consacre à Waterloo et à ses préparatifs une monographie entière,


La campagne de 1815 en France, que les admirateurs de son traité De la guerre
ont bien à tort négligée. On y découvre qu’il précède M. Weber dans l’usage et
pour ainsi dire dans l’énoncé du principe de rationalité instrumentale
(dénommé simplement « principe de rationalité » par la suite). En revanche, les
concepts de fins et de moyens qui, dans le traité, animent les célèbres définitions
de la guerre se rattachent à une téléologie abstraite, détachée des individus
agissants, qui n’est pas celle de M. Weber et de ses successeurs. La
monographie a ceci de remarquable que, tout en se conformant au principe de
rationalité, elle en dépasse le niveau de généralité ordinaire pour annoncer – et
même amorcer – des modèles dans l’acception technique retenue ici. De telles
anticipations paraissent d’autant plus instructives qu’à la différence du traité,
La campagne de 1815 en France relève sans doute possible de la discipline
historique. L’ouvrage suit les lois communes du récit militaire tout en les
aménageant. Parce qu’il fait alterner la narration traditionnelle et des
raisonnements qui préfigurent les formalisations contemporaines, Clausewitz
nous est apparu comme un ancêtre ignoré du genre du « récit analytique »."

-Philippe Mongin, « Retour à Waterloo. Histoire militaire et théorie des jeux »,


Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 63, 2008, p. 39-69.

http://www.amazon.com/Clausewitz-Life-Work-Donald-
Stoker/dp/0199357943/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=61B8yjaLf%2BL&d
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W54KH1TSK

http://www.amazon.com/Historical-Political-Writings-Carl-
Clausewitz/dp/0691031924

http://www.amazon.fr/De-guerre-Carl-VON-
CLAUSEWITZ/dp/2262044104/ref=pd_sim_14_16?ie=UTF8&refRID=0YM5
WWDBJT8JR2NE627M

http://www.amazon.fr/Notes-Prusse-dans-grande-
catastrophe/dp/2851840517/ref=pd_sim_sbs_14_5?ie=UTF8&dpID=41R15VS3

966
YEL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR91%2C160_&refRID=1N3Z3Y6G
4T4VX3HXGP1E

http://www.amazon.fr/R%C3%A9volution-%C3%A0-Restauration-Ecrits-
lettres/dp/B007KIRHPQ/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1446720327&sr=8-
1&keywords=De+la+r%C3%A9volution+%C3%A0+la+restauration.+%C3%89
crits+et+lettres

http://www.amazon.fr/campagne-1812-en-
Russie/dp/2874951900/ref=sr_1_9?s=books&ie=UTF8&qid=1446720339&sr=1
-9

http://www.amazon.fr/Campagne-1815-France-Carl-
Clausewitz/dp/2851841904/ref=sr_1_12?s=books&ie=UTF8&qid=1446720339
&sr=1-12

http://www.amazon.fr/philosophie-guerre-selon-
Clausewitz/dp/2717837523/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1446721610&
sr=1-1&keywords=La+philosophie+de+la+guerre+selon+Clausewitz

http://www.amazon.fr/Clausewitz-Emmanuel-
Terray/dp/2213605025/ref=sr_1_7?s=books&ie=UTF8&qid=1459866827&sr=1
-7

https://www.amazon.fr/Soldats-citoyens-Naissance-service-
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=1-2&keywords=citoyens+soldats

Wilhelm von Humboldt (1767-1835): « Si c’est un beau et noble spectacle que


de voir un peuple qui, fort de la certitude de ses droits humains et civiques, brise
ses fers ; c’en est encore un plus beau et plus noble de voir un prince qui brise
les liens de son peuple et lui garantit la liberté, non par bienfaisance ou par
bonté, mais parce qu’il considère cela comme le premier et le plus absolu de ses
devoirs : ce qui vient du respect et de la soumission à la loi est plus noble et plus
beau que ce qui est forcé par la nécessité et le besoin. » (p.5)

« Si l’on jette un coup d’œil sur l’histoire des constitutions d’État, on voit qu’il
serait difficile de limiter avec précision l’étendue que ces derniers ont réservée
à leur action ; car en aucun des cas, on semble avoir suivi en cela un plan
réfléchi, reposant sur des principes simples. » (p.5)
967
« On peut dire sans se tromper que la liberté de la vie privée grandit à mesure
que décroît la liberté publique, tandis que la sûreté suit toujours la même
progression que cette dernière. » (p.6)

« Dans les derniers siècles, ce qui attire surtout notre attention, c’est la rapidité
du progrès, la quantité et la vulgarisation des inventions industrielles, la
grandeur des œuvres fondées. Ce qui nous attire surtout dans l’antiquité, c’est
la grandeur qui s’attache à toutes les actions de la vie d’un seul homme et qui
disparaît avec lui ; c’est l’épanouissement de l’imagination, la profondeur de
l’esprit, la force de la volonté, l’unité de l’existence entière, qui seule donne à
l’homme sa véritable valeur. » (p.6)

« La vraie raison ne peut souhaiter pour l’homme d’autre état que celui où non
seulement chaque individu jouit de la plus entière liberté de se développer de
lui-même et dans sa personnalité propre [...] La raison ne doit s’éloigner de ce
principe que dans la mesure où ceci serait nécessaire pour la conservation
même du principe. Celui-ci doit toujours servir de base dans toute politique. »
(p.10)

-Wilhelm von Humboldt, Essai sur les limites de l’action de l’Etat, Institut
Coppet, Paris, novembre 2011 (1792 pour la première édition allemande), 89
pages.

« Les deux principales contributions allemandes à la littérature libérale ont


connu le même malheur que le libéralisme allemand. Essai sur les limites de
l'action de l'Etat [On the Sphere and Duties of Government] (London, 1854) de
Guillaume de Humboldt fut terminé en 1792. Schiller en publia la même année
un extrait dans Neuen Thalia, d'autres extraits apparaissant dans le Berliner
Monatsschrift. Par la suite, toutefois, l'éditeur de Humboldt eut peur de sortir le
livre, qui fut laissé de côté et demeura oublié pour n'être redécouvert et publié
qu'après la mort de l'auteur. » -Ludwig von Mises, Le Libéralisme, 1927.

"Créateur de la philologie moderne, philosophe chrétien, homme d'Etat éminent,


défenseur de la liberté constitutionnelle à une époque où le dédain de cette
liberté menait à la fortune, Guillaume de Humboldt était un de ces esprits
originaux qui cherchent toujours la raison des choses, et creusent tout ce qu'ils
touchent. C'est en 1792, qu'à la prière du baron de Dalberg, coadjuteur de
968
Mayence, et futur électeur de l'Empire, il rédigea son Essai sur les limites de
l'action de l'Etat ; les guerres de la révolution empêchèrent sans doute Humboldt
d'imprier un livre qui n'aurait plus trouvé de lecteurs. [...] C'est en 1851, seize
ans après la mort de l'auteur, qu'on a eu l'heureuse pensée de l'imprimer."
(p.49)

"Quel est donc le rôle de l'Etat ? Humboldt le réduit à deux choses: au dehors,
protéger l'indépendance nationale ; au dedans, maintenir la paix." (p.52)

-Édouard Laboulaye, L'État et ses limites, suivi d'Essais politiques sur M. de


Tocqueville, l'instruction publique, les finances, le droit de pétition, etc., Paris,
1865 (1863 pour la première édition), 401 pages.

« A mesure que la diplomatie prussienne repassait sous l'influence de


Metternich et de l'Autriche, les projets constitutionnels s'amenuisaient ou
dépérissaient, Humboldt qui avait comme charge les "affaires constitutionnelles
et communales" était renvoyé en décembre 1819. » -Nicolas Roussellier,
L'Europe des libéraux, Éditions Complexe, 1991, 225 pages, p.24.

« L'œuvre de ce noble prussien [Alexandre von Humboldt], même s'il ne s'est


pas déclaré "géographe", a été largement considérée comme fondatrice. Quatre
années passées à explorer de manière scientifique le continent américain avec
son ami le botaniste français Aimé Bonpland (1773-1856) lui donnent matière à
une publication considérable dans laquelle il ne se contente pas de rassembler
les observations, mais cherche à comprendre l'interaction des phénomènes.
Remarquable observateur, il appuie son propos sur de riches et variées
illustrations, donnant à voir les premières coupes des Andes. Il est l'un des
premiers à réaliser les cartes en isothermes qui lui permettent de mettre en
évidence et expliquer le parallèle entre zonalité (répartition des formations
végétales en fonction de la latitude) et étagement de la végétation (répartition
des formations végétales en fonction de l'altitude). En effet, sa "géographie des
plantes", à travers la notion de "formation végétale", ouvre clairement à la
notion de "milieu" et permet de comprendre le lien climat-végétation ("l'identité
des formes végétales indique une analogie des climats").
Son œuvre s'appuie en permanence sur les jeux d'échelles et sur les
comparaisons, qu'il s'agisse des organismes vivants (crocodiles du Rio Apure /
crocodiles du Nil), des paysages (pampa/grandes prairies) ou même des formes
continentales (côtes d'Afrique et d'Amérique au dessin parallèle). Il meurt avant
969
d'avoir achevé son dernier ouvrage (Le Cosmos) dans lequel il souhaitait
présenter "les grandes lois qui régissent le monde". Humboldt ne s'est pas limité
à une approche naturaliste: son Essai politique sur le royaume de la nouvelle
Espagne s'appuie sur les statistiques et les rapports de l'administration
coloniale pour expliquer l'organisation sociale et spatiale du territoire (il est
ainsi le premier à expliquer la faiblesse du peuplement littoral du Mexique). Il
sait analyser les conséquences de l'esclavage, et surtout il s'intéresse à
l'aménagement du territoire. Ainsi, il offre une synthèse remarquable des voies
pour créer un canal interocéanique entre Atlantique et Pacifique. Au total,
Humboldt a exploré bien des thématiques géographiques et multiplié les
analyses spatiales, et il est tout autant géologue, météorologue, botaniste,
anthropologue et même philosophe politique: à ce titre, il reste homme des
Lumières, passionné par la compréhension du tout. » (pp.17-18)
-Philippe Sierra (dir.), La géographie: concepts, savoirs et enseignements,
Armand Colin, coll. U, 2017 (2011 pour la première édition), 366 pages.

http://hydra.forumactif.org/t699-wilhelm-von-humboldt-essai-sur-les-limites-de-
laction-de-letat#1293

http://www.amazon.com/Wilhelm-Humboldt-Paul-Robinson-
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Goethe: « « Il est des gens qui ont la manie de fronder tout ce qui est grand : ce
sont ceux-là qui se sont attaqués à la Sainte-Alliance ; et pourtant rien n’a été
imaginé de plus auguste et de plus salutaire à l’humanité. » -Goethe, cité par
Victor Hugo, in William Shakespeare, qui ajoutait « Goethe a écrit cela. Qu’on
s’en souvienne, et que personne, parmi les poètes, ne retombe plus dans cette
faute. ».

« Pour les Modernes, la possibilité que la vérité soit triste s'est réalisée dans
l'accumulation des livres. Ceux-ci explorent le monde avec plus de précision
qu'on ne l'a jamais fait auparavant. Mais ils sont devenus si nombreux que
personne ne peut les lire tous, à supposer qu'une connaissance intégrale de ce
genre apporte autre chose que l'ennui. Depuis sa tristesse érudite, Faust
demande davantage au savoir: une transfiguration de lui-même et un retour à la
vie. En s'adressant à la "magie", il espère réactiver les pouvoirs consolants de
la spiritualité à une époque qui les a exclus au profit de la rigueur objective. Il
recherche un savoir qui le console de la science. » -Michaël Fœssel, Le temps de
la consolation, Seuil, coll. "L'ordre philosophique", 2015, 276 pages, p.176.

« Goethe […] se déclara hautement spinoziste. » -René Worms, La Morale de


Spinoza, 1892.

« Goethe […] après avoir lu le Système de la nature du baron d’Holbach (un


des ouvrages les plus célèbres du matérialisme français du XVIIIe siècle, qui
tendait vers une sorte d’utopie rationaliste), il déclara qu’il ne pouvait
comprendre comment quiconque pouvait accepter une vision aussi grise,
cimmérienne, cadavérique, dénuée de couleur, de vie, d’art, d’humanité. » -
Isaiah Berlin, « Le déclin des utopies en Occident », 1978, in Le bois tordu de
l’humanité. Romantisme, nationalisme et totalitarisme, Albin Michel, coll.
Idées, 1992 (1990 pour la première édition britannique), 258 pages, p.57-58.

http://www.amazon.fr/Faust-Johann-Wolfgang-von-
Goethe/dp/2081358689/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1458590852&sr=8-
3&keywords=Goethe

http://www.amazon.fr/R%C3%A9volution-lEmpire-%C3%A9crits-
autobiographiques-1798-

971
1815/dp/2841002543/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1458590815&sr=8-
1&keywords=%2FJohann-Wolfgang-Von-Goethe-La-Revolution-et-l-Empire

https://www.amazon.fr/GOETHE-SON-EPOQUE-LUKACS-
GEORGES/dp/B00C22SVK0/ref=tmm_gpb_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=
1476353991&sr=1-116

http://www.amazon.fr/%C3%89crits-lart-Johann-Wolfgang-
Goethe/dp/2080708937/ref=sr_1_16?ie=UTF8&qid=1458590852&sr=8-
16&keywords=Goethe

Ferdinand Canning Scott Schiller: http://hydra.forumactif.org/t1716-


ferdinand-canning-scott-schiller-oeuvres#2395

Friedrich Hölderlin (1770-1843): « Ils n'ont aucune idée du péché qu'ils


commettent ceux qui entendent faire de l'Etat une école des mœurs à adopter.
Quoi qu'on dise, c'est bien ce qui a fait de l'Etat un enfer: que l'homme veuille
en faire son ciel.
L'Etat, c'est l'écorce rude autour du noyau de la vie et rien d'autre. C'est le mur
autour du jardin des fruits et des fleurs de l'humanité. » -Friedrich Hölderlin,
Hypérion ou l'Ermite de Grèce, trad. Jean-Pierre Lefebvre, GF Flammarion,
2005 (1797-1799 pour la première édition allemande), 281 pages, p.99.

« Fichte dont il a été l’élève. » (p.15)

-François Garrigue, Introduction à Friedrich Hölderlin, Œuvre poétique


complète, trad. François Garrigue, Éditions de la Différence, 2005, 1007 pages.

« Le projet politique de Hölderlin [...] se met en place dans de longs débats avec
Hegel sur le christianisme, et demeure assez proche, dans sa problématique
"esthétique", des positions de Schiller. » -Jean-Pierre Lefebvre, préface à
Friedrich Hölderlin, Hypérion ou l'Ermite de Grèce, trad. Jean-Pierre Lefebvre,
GF Flammarion, 2005 (1797-1799 pour la première édition allemande), 281
pages, p.45.

« Nietzsche […] était un lecteur assidu de Hölderlin. » -Georges-Arthur


Goldschmidt, notes sur Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre
pour tous et pour personne, Première Partie, "De la nouvelle idole", trad.
Georges-Arthur Goldschmidt, Librairie générale française, coll. Le Livre de
poche classique, 1983, 410 pages, note 1 p.66-67.

972
http://www.amazon.fr/H%C3%B6lderlin-Oeuvres-
Friedrich/dp/2070102602/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1458587474&sr=8-
4&keywords=H%C3%B6lderlin

Heinrich von Kleist (1777-1811): http://www.amazon.fr/Oeuvres-


compl%C3%A8tes-1-Petits-
%C3%A9crits/dp/2070749487/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=31E7DCB1
X7L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR95%2C160_&refRID=0CZSNBB9
8N051VY29WHC

http://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-R%C3%A9cit-Heinrich-
Kleist/dp/2070753026/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=415KMYVPWGL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=1JW532074K6ZF
MECZJFH

http://www.amazon.fr/Th%C3%A9%C3%A2tre-II-Oeuvres-compl%C3%A8tes-
IV/dp/2070765644/ref=pd_sim_sbs_14_2?ie=UTF8&dpID=41DBYTM519L&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR94%2C160_&refRID=1JJMZ3A3983NHT
0E96AQ

http://www.amazon.fr/Oeuvre-compl%C3%A8tes-Correspondance-
compl%C3%A8te-1793-
1811/dp/2070757498/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=415F1XJFP7L&dpSr
c=sims&preST=_AC_UL160_SR95%2C160_&refRID=1JW532074K6ZFMEC
ZJFH

http://www.amazon.fr/Heinrich-von-Kleist-L%C3%A9laboration-
discours/dp/2866457641/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=51StRF-
lZTL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR104%2C160_&refRID=1JW53207
4K6ZFMECZJFH

Joseph Görres : http://hydra.forumactif.org/t2206-joseph-gorres-exposition-d-


un-systeme-sexuel-d-ontologie#2919

http://www.amazon.fr/LAllemagne-R%C3%A9volution-Joseph-von-
G%C3%B6rres/dp/201351543X/ref=sr_1_9?s=books&ie=UTF8&qid=1448534
491&sr=1-9&keywords=Joseph+G%C3%B6rres

Friedrich Heinrich Jacobi (1743-1819) : http://www.amazon.fr/Lettres-


nihilisme-Friedrich-Heinrich-

973
Jacobi/dp/2080712594/ref=pd_sim_14_21?ie=UTF8&dpID=51TxOfKkrqL&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR95%2C160_&refRID=04AG276TQF304RC
EKRP8

Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling (1775-1854): « L’heureux hasard qui


a réuni au Stift de Tübingen, pendant le temps de la Révolution française, trois
jeunes gens nommés Hölderlin, Hegel et Schelling, fait que nous sommes bien
renseignés sur l’institution, son mode de vie, sa bonne marche, ses crises, ses
habitants, ses maîtres et ses étudiants. […] Le Stift, où était admise pour s’y
former l’élite du futur pastorat wurtembergois, tenait du pensionnat, de la
caserne et du couvent. Il dressait sa silhouette massive, majestueuse, au-dessus
des eaux du Neckar et de ses rives herbeuses. En hiver, à l’intérieur, une partie
des salles restant inoccupée, les étudiants s’entassaient dans les pièces
chauffées, enfumées par le poêle. » (p.18-19)

« Les conditions d’existence au Stift étaient rudes, il y avait peu de vacances, la


nourriture était médiocre. Un mécontentement diffus circulait parmi les
pensionnaires. […] Les nouvelles de la Révolution française mettaient les jeunes
gens en émoi, ils ne cachaient pas leur enthousiasme, attisé par la présence du
groupe montbéliardais tout acquis à la cause du peuple. » (p.21)

« Après les moments difficiles de la Terreur, tout rentra assez vite dans l’ordre
au séminaire, l’échec sanglant de la Révolution était patent, la propagande
s’était estompée, et malgré le rêve français qui continuait à séduire Fichte et ses
lecteurs, les armées de libération allaient vite se muer en armées d’occupation.
[…] Il y a toutes chances pour que le récit de la plantation d’un arbre de la
liberté par Hegel et Schelling soit apocryphe. Néanmoins, les jeunes gens
n’étaient pas tout à fait assagis, le régime imposé n’était pas de leur goût, leur
appétit de liberté se retournait contre des professeurs médiocres et routiniers. »
(p.22)

-Xavier Tilliette, Friedrich Wilhelm Joseph von Schelling, CNRS Éditions,


Paris, 2010 (Calmann-Lévy, 1999 pour la première edition), 496 pages.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) : « La confiance dans les lois


éternelles des dieux s’est tue, tout aussi bien que les oracles qui faisaient savoir
le particulier. Les statues sont maintenant des cadavres dont a fui l’âme
vivifiante, de même que l’hymne n’est plus qu’une suite de mots dont toute
croyance s’est enfuie. Les tables des banquets des dieux sont vides de breuvages
974
et de nourriture spirituelle et la conscience ne voit plus revenir, dans les fêtes et
les jeux, la joyeuse unité de soi avec l’essence. Il manque aux forces des Muses
la force de l’esprit, pour qui a surgi de l’écrasement des dieux et des hommes la
certitude de soi-même. Ils sont donc désormais ce qu’ils sont pour nous, de
beaux fruits arrachés de l’arbre, un destin amical nous en a fait l’offrande
comme une jeune fille sait le faire de ces fruits ; il n’y a ni la vie effective de
leur existence, ni l’arbre qui les a portés, ni la terre, ni les éléments qui ont
constitué leur substance, ni le climat qui a défini leur déterminité, ni encore
l’alternance des saisons qui dominaient le processus de leur devenir. – Ainsi
donc, le destin ne nous donne pas en même temps que ces œuvres le monde de
cet art, le printemps et l’été de la vie soucieuse des bonnes mœurs et de la
coutume dans laquelle elles ont fleuri et mûri, mais uniquement le souvenir voilé
de cette effectivité. C’est pourquoi ce que nous faisons en jouissant d’elles n’est
pas une activité de service divin par laquelle adviendrait à notre conscience la
vérité parfaite qui est la sienne et qui la comblerait, mais c’est une activité
extérieure, celle qui, par exemple, essuie les gouttes de pluie ou la fine poussière
déposées sur ces fruits, et qui à la place des éléments intérieurs de l’effectivité
environnante, productrice et spiritualisante du souci des bonnes mœurs, dresse
le vaste échafaudage des éléments morts de leur existence extérieure, du
langage, de l’historique, etc., non pour y engager sa vie, mais uniquement pour
se les représenter en soi-même. Mais de même que la jeune fille qui tend ces
fruits cueillis est davantage que toute la nature de ceux-ci étalée dans leurs
conditions et éléments, l’arbre, l’air, la lumière, etc., qui les offrait
immédiatement, dès lors qu’elle rassemble tout cela de manière supérieure dans
le rayon de son regard conscient de soi et du geste d’offrande, de même l’esprit
du destin qui nous présente ces œuvres d’art est plus que la vie éthique et que
l’effectivité de ce peuple, car il est le souvenir et l’intériorisation de l’esprit
encore extériorisé en elles – il est l’esprit du destin tragique qui rassemble tous
ces dieux individuels et ces attributs de la substance dans le Panthéon unique,
dans l’esprit conscient de soi en tant qu’esprit. » -G.W.F Hegel,
Phénoménologie de l’Esprit, Paris, Aubier, Bibliothèque philosophique, trad.
J.P. Lefebvre (modifiée), 1991, pp. 489-490.

« La culture scientifique, la détermination selon des fins et des principes


universels constituent le bien commun que les citoyens possèdent en commun
avec le gouvernement et le gouvernement avec les citoyens, dans la mesure où
dans le concept de gouvernement sont comprises toutes les sphères de
975
l'administration. Dans ces conditions, le consentement des individus particuliers
est plus ou moins sans importance parce que ceux-ci ne peuvent apporter
aucune sagesse spéciale: bien au contraire, ils apportent en réalité bien moins
que ceux que ceux qui s'occupent expressément des affaires de l'Etat. Comme ils
sont mus par leurs intérêts particuliers, leur contribution en bonnes intentions
sera encore moindre, car précisément le facteur décisif ici est qu'il existe un
bien commun devant lequel doivent s'incliner les intérêts particuliers. Si l'on
place la liberté dans l'accord des individus, il est facile de voir qu'aucune loi ne
saurait être valable sans accord unanime. On dira que la minorité doit céder à
la majorité ; celle-ci décide donc. Mais déjà J.J. Rousseau a remarqué qu'il
n'existe pas de liberté si l'on ne respecte pas la volonté de la minorité. A la Diète
polonaise, chaque individu devait donner son consentement, et cette liberté
conduisit l'Etat à la ruine. C'est en outre une présomption dangereuse et fausse
que seul le peuple détient raison et sagesse et sait le vrai ; car chaque fraction
du peuple peut se poser comme peuple. De surcroît, ce qui constitue l'Etat est
l'affaire d'une connaissance cultivée et non du peuple. » (p.173-174)

"Dès lors que l'entendement réfléchissant attaque toute la profondeur et la


sainteté spontanément contenues dans les lois, la religion et les mœurs des
peuples et qu'il les aplatit et les dissout dans des généralités abstraites et athées,
la pensée est poussée à se transformer en raison pensante pour tenter de
réaliser dans son propre élément la restauration de ce qui a été jeté en ruine."
(p.204)

-Hegel, La Raison dans l'Histoire, trad. Kostas Papaioannou, Paris, Plon, coll.
10/18, 1965, 311 pages.

« Si l'on confond l'Etat avec la société civile et si on le destine à la sécurité et à


la protection de la propriété et de la liberté personnelles, l'intérêt des individus
en tant que tels est le but suprême en vue duquel ils sont rassemblés, et il en
résulte qu'il est facultatif d'être membre d'un Etat. Mais sa relation à l'individu
est tout autre ; s'il est l'esprit objectif, alors l'individu lui-même n'a d'objectivité,
de vérité et de moralité que s'il en est un membre. L'association en tant que telle
est elle-même le vrai contenu et le vrai but, et la destination des individus est de
mener une vie collective. » -Hegel, Principes de la philosophie du droit (1818).

« Je suis luthérien et je veux le rester. » -Hegel, Papiers posthumes.

976
« La religion chrétienne est celle de la vérité. » -Hegel, Philosophie de la
religion.

« Quand commença ma vie consciente, l’hégélianisme était à la base de tout ; il


était dans l’air ; il s’exprimait dans les articles de journaux, les revues, les
nouvelles, les traités, l’art, l’histoire, les sermons, les conservations. Qui ne
connaissait pas Hegel n’avait pas le droit de parler. Qui voulait savoir la vérité
étudiait Hegel. » -Léon Tolstoï, Que devons-nous faire ?

« Hegel voit dans la Société civile, l'inverse d'une société, une société à l'envers,
en tant qu'elle est le lieu où l'individu se représente comme étant le but, la
totalité, et la société comme le simple moyen de ses intérêts. Cela, bien avant
qu'il y ait système du besoin, c'est-à-dire, bien que le mouvement de l'offre et de
la demande, les fluctuations de la valeur du travail et de la marchandise n'est
pas leur origine dans les individus. Il nous paraît que ce que Hegel retient dès le
Système de la vie éthique de l'économie politique, c'est que le système du besoin
se bloque, dans la mesure où il n'aboutit pas au bien-être général, que ses
mécanismes de régulation (corporations) ne suffissent pas à éviter, d'une part,
la concentration de la richesse et de l'autre, le dénuement (il est possible comme
le prétend P. Chamley que Hegel ait repris cela, sans chercher à en expliquer le
processus, chez le mercantiliste Stuart), et que, sans l'Etat proprement dit, la
société civile sous le seul gouvernement du système du besoin, loin d'être
autarcique, risquerait d'aboutir à la destruction du peuple, par la dissolution de
son lien éthique. »

« [Pour Hegel] le gouvernement a des besoins universels de trois ordres: l'aide


à ceux qui vivent dans une indigence permanente et universelle, le traitement de
ceux qui font partie de l'état universel (les fonctionnaires), le financement des
travaux publics. » -Solange Mercier-Josa, Hegel et la société, in L'Homme et la
société, n°35-36, 1975.

« La thèse fondamentale de Hegel était que le mouvement dialectique de la


pensée est identique au mouvement dialectique de la matière elle-même. Ainsi
espérait-il combler l'abîme que Descartes avait ouvert entre l'homme, défini
comme res cogitans, et le monde, défini comme res extensa, entre la faculté de
connaître et la réalité, la pensée et l'être. » -Hannah Arendt, La Tradition et
l'âge moderne, in La Crise de la Culture. Huit exercices de pensée politique,

977
1961, repris dans Hannah Arendt. L'Humaine Condition, Gallimard, coll.
Quarto, 2012, 1050 pages, p.623.

« [Hegel] a montré que la seule façon de surmonter le problème des


« antinomies » de Kant était d’accepter que des contradictions existent, non
seulement dans la pensée, mais aussi dans le monde réel. » -Alan Woods and
Ted Grant, Reason In Revolt : Marxist Philosophy and Modern Science, 1995.

« Le concept central de la métaphysique hégélienne est l'histoire. Cela suffit à le


situer dans l'opposition la plus extrême possible à toute la métaphysique
antérieure qui, depuis Platon, avait cherché la vérité et la révélation de l'Etre
éternel partout sauf dans le domaine des affaires humaines -ta tôn anthrôpôn
pragmata- dont Platon parle avec tant de mépris précisément parce qu'aucune
permanence ne pouvait être trouvé en lui et qu'on ne pouvait donc attendre de
lui le dévoilement de la vérité. Penser avec Hegel que la vérité réside et se
révèle dans le processus temporel lui-même est caractéristique de toute la
conscience historique moderne, quelle que soit la manière dont elle s'exprime,
en termes hégéliens ou non. » -Hannah Arendt, Le concept d'Histoire: antique et
moderne, in La Crise de la Culture. Huit exercices de pensée politique, 1961,
repris dans Hannah Arendt. L'Humaine Condition, Gallimard, coll. Quarto,
2012, 1050 pages, p.651.

« La substance spinoziste ne contenant aucune négation en elle-même (« quant à


l’être absolument infini, tout ce qui exprime une essence et n’enveloppe aucune
négation, appartient à son essence » (Eth I, Définition 6, explication)), Hegel lui
reprochera en conséquence de n’être pas vivante, mais morte, de n’être pas
animée, mais figée, de n’être pas libre en étant pour elle-même, mais
impersonnelle et pétrifiée dans la nécessité de sa nature : elle ne se développe
pas, car elle est d’emblée tout ce qu’elle peut être. Sa perfection signe, pour
ainsi dire, son arrêt de mort.

Hegel, dans son désir de fonder ontologiquement ses constatations dans le


mouvement vécu des choses, va élever sa dialectique au niveau de l’Etre, de
l’Absolu, et vouloir ainsi passer d’une substance spinoziste « morte », « figée »,
à une substance « vivante », « en mouvement », du dépassement du concept de
substance par celui de sujet ou d’Esprit, dans le passage de ce que nous
pouvons appeler une « métaphysique de la substance » à une « métaphysique de

978
la subjectivité» qui a pour conséquence que l’Absolu n’est pas principe, mais «
qu’il est essentiellement résultat, qu’il n’est qu’à la fin ce qu’il est en vérité».

C’est pourquoi Hegel va devoir d’abord introduire la contradiction dans l’Etre


comme l’opposition de l’être et du non-être (ce qui chez Spinoza n’a aucun sens,
le non-être n’étant rien qu’un universal dénué de réalité). Cette contradiction va
alors fonder la négation qui constitue l’activité essentielle de l’esprit et dont
découlera la négation de cette négation et, enfin, le devenir, par extension des
trois stades de la dialectique constatée dans l’évolution de l’histoire et de la
nature en général. » -Jean-Pierre Vandeuren, Marx, Hegel et Spinoza (2),
vivrespinoza.wordpress.com, 21 mai 2013.

« [Hegel] affirmait l'équivalence entre sa thèse sur le gouvernement rationnel


du monde et la doctrine théologique du plan providentiel de Dieu [...] il
présentait sa philosophie de l'histoire comme une théodicée. » -Giorgio
Agamben, Le Règne et la Gloire. Pour une généalogie théologique de
l'économie et du gouvernement. Homo Sacer, II, 2. Éditions du Seuil, coll. «
L’ordre philosophique », septembre 2008 (2007 pour la première édition
italienne), 443 pages, p. 23.

« Appointé par l'État en vue de fins politiques, (le philosophe) trouvera bon de
faire l'apothéose de celui-ci, de le regarder comme le sommet de tout effort
humain et de toutes choses. Il transformera ainsi non seulement le cours de
philosophie en une école du plus plat philistinisme, mais finira par aboutir,
comme Hegel, par exemple, à la doctrine révoltante que la destination de
l'homme trouve sa plénitude dans l'État, à peu près comme celle de l'abeille
dans la ruche : ce qui a pour effet de dérober complètement aux yeux le but
élevé de notre existence. » -Arthur Schopenhauer.

« [Hegel,] pour anéantir de nouveau la liberté de la pensée conquise par Kant,


osa transformer la philosophie, cette fille de la raison, cette mère future de la
vérité, en un instrument des intrigues gouvernementales, de l’obscurantisme, et
du jésuitisme protestant : mais pour dissimuler l’opprobre, et en même temps
pour assurer le plus grand encrassement possible des intelligences, il jeta sur
elle le voile du verbiage le plus creux et du galimatias le plus stupide qui ait
jamais été entendu, du moins en dehors des maisons de fous. » -Arthur
Schopenhauer, Essai sur le libre-arbitre, 1839 pour la première édition,

979
Traduction de Salomon Reinach (1894), Numérisation et mise en page par Guy
Heff & David Buffo (Mai 2013), 184 pages, p.152-153.

« Ce géant de la pensée » -Karl Marx à propos de Hegel, Préface à sa thèse de


doctorat « Différence entre la philosophie de la nature de Démocrite et celle
d’Epicure », 1841.

« La philosophie hégélienne était présentée dans La Sainte Famille p.220


comme l'unité de Spinoza et de Fichte et on y soulignait en même temps la
contradiction qu'elle renferme. » -Karl Marx, Friedrich Engels & Joseph
Weydemeyer, L'idéologie allemande, trad. Jean Quétier et Guillaume Fonde,
Éditions sociales, GEME, 2014, 497 pages, p.319.

« J'ai critiqué le côté mystique de la dialectique hégélienne il y a près de trente


ans, à une époque où elle était encore à la mode... Mais bien que, grâce à son
quiproquo, Hegel défigure la dialectique par le mysticisme, ce n'en est pas
moins lui qui en a le premier exposé le mouvement d'ensemble. Chez lui elle
marche sur la tête; il suffit de la remettre sur les pieds pour lui trouver la
physionomie tout à fait raisonnable. Sous son aspect mystique, la dialectique
devint une mode en Allemagne, parce qu'elle semblait glorifier les choses
existantes. Sous son aspect rationnel, elle est un scandale et une abomination
pour les classes dirigeantes, et leurs idéologues doctrinaires, parce que dans la
conception positive des choses existantes, elle inclut du même coup l'intelligence
de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire; parce que saisissant le
mouvement même, dont toute forme faite n'est qu'une configuration transitoire,
rien ne saurait lui imposer; qu'elle est essentiellement critique et
révolutionnaire. » -Karl Marx, Extraits de la postface de la seconde édition
allemande du Capital, Livre I, 1867.

« Selon Hegel, la société bourgeoise et l’état chrétien sont tous deux


défavorables au développement de la création artistique. On peut inférer deux
choses de cela : ou bien l’art doit périr pour sauver l’« État absolu », ou bien ce
dernier doit être aboli afin de permettre un nouvel état du monde et une nouvelle
renaissance de l’art. Hegel lui-même inclinait pour le premier terme de
l’alternative. Mais par un léger changement d’accentuation, la doctrine de
l’esprit anti-esthétique de la réalité pouvait tout à fait revêtir un caractère
révolutionnaire ; et de fait, l’esthétique de Hegel était interprétée de la sorte par

980
ses disciples radicaux que Marx rejoignit en 1837. » -Mikhaïl Lifschitz, La
philosophie de l’art de Karl Marx, 1933, p.19.

« La dialectique de Hegel, le philosophe bourgeois de la restauration, élaborée


par lui jusque dans ses plus subtils détails comme un instrument pour justifier
l’ordre établi tout en laissant un minimum de place à un progrès « raisonnable
»… » -Karl Korsch, Pourquoi je suis un marxiste, Modern Quarterly, avril 1935.

« [La philosophie de Hegel] était une tentative systématique de conciliation


entre la révolution et la tradition. » -Carl Schmitt, Théorie du partisan.

« C’est la génération de ceux qui ont vingt ans à la prise de la Bastille. » -


Dominique Pagani.

« Constatant cette situation où les individus semblent ne pouvoir exister libres,


se développer et ne former société que grâce à l’Etat, Hegel prend le contre-
pied de Rousseau: c’est l’Etat qui constituerait les hommes comme individus.
L’idée d’unité, de société, serait préalable à l’individu, et l’Etat en serait la
réalisation historique rationnelle. « L’Etat et la société sont précisément les
conditions dans lesquelles la liberté se réalise… tout ce que l’homme est, il le
doit à l’Etat ». Poussée au bout de sa logique, cette conception mène au
fascisme. Pour Mussolini, l’Etat est fait de tous et pour tous: "Tout pour l’Etat,
rien hors de l’Etat, rien contre l’Etat."

D’abord association des individus, produit de leur volonté, avec Rousseau,


l’Etat est présenté par Hegel comme l’incarnation d’une Raison universelle les
produisant. Hegel réalise l’individu par l’Etat parce qu’il voit bien, avec
l’exemple de Bonaparte, où a réellement mené la révolution bourgeoise
française qu’il admire dans la formidable puissance qu’elle a donnée à sa
classe par l’Etat sous l’habit de la Nation, et parce qu’il souhaite que
l’Allemagne en suive l’exemple. Il voit donc combien l’Etat est nécessaire à la
société civile bourgeoise, mais aussi qu’il n’est pas l’association des individus
mais ce qui les organise et les unit en dehors d’eux, sans eux. Il semblerait que
sa conception soit tout à fait contradictoire avec celle de Rousseau. Selon l’une,
démocratique, l’Etat est le produit des individus qui lui préexistent, selon
l’autre, despotique, l’Etat produit les individus. Pourtant, il ne s’agit que d’une
différence formelle: fondamentalement dans les deux conceptions, c’est l’Etat
qui fait la société et civilise les individus, préalablement existant à l’état
sauvage pour Rousseau, inexistant en tant que tels avant l’Etat (monarchique)
981
pour Hegel. Rousseau est idéaliste parce qu’il pose un Etat qui serait
l’association volontaire d’individus lui préexistant, tout en étant institution
séparée, spéciale; Hegel l’est aussi, mais plus moderne parce que, ayant eu sous
ses yeux l’Etat réalisé, stabilisé dans ses fonctions essentielles après la courte
période de l’effervescence révolutionnaire où le peuple avait encore son mot à
dire, il le voit pour ce qu’il est, puissance extérieure despotique, et pour ce qu’il
souhaite qu’il soit, despote qui serait civilisateur parce qu’il serait éclairé par
les philosophes détenteurs de la Raison. Dans les deux cas, on a une idée
religieuse, fétichiste de l’Etat: il déterminerait les individus alors qu’il est
déterminé par eux, donc par ce qu’ils sont dans des rapports sociaux
historiquement spécifiques, donc au fond, par ces rapports eux-mêmes. Dans les
deux cas, on a le germe du « totalitarisme » moderne: l’Etat comme puissance
chargée de faire la société. » -Tom Thomas, Étatisme contre libéralisme ?
(2011).

« C’est précisément par le tableau historique de Hegel que le cartésianisme a


connu sa justification durable, après que le combat contre le cartésianisme eut
été mené pendant des siècles par les meilleures forces de la philosophie
allemande. De même qu’à l’inverse, les thèmes de l’histoire allemande des
conceptions du monde ont été banalisés dans la philosophie occidentale par la
conception universaliste de Hegel, et pour une part ensevelis pour un siècle. »

-Franz Boehm (philosophe nazi), in Anti-cartésianisme. La Philosophie


allemande en résistance, cité dans Georg Lukács, Le fascisme allemand et Hegel
(1943), p.6-7.

« La philosophie du droit de Hegel n’est en aucune façon bien disposée à


l’égard du libéralisme ; pourtant, comme condensé idéel de la société
bourgeoise telle qu’elle est sortie de la Révolution française, elle s’en tient
inébranlablement au principe de l’égalité juridique. […] Il n’y a pas de
passerelle entre ces principes et Hitler et Rosenberg. » -Georg Lukács, Le
fascisme allemand et Hegel (1943), p.31.

"Quant à Hegel, s'il rejette explicitement la nécessité [rousseauiste] de fonder la


loi sur un vote des citoyens assemblés, il n'en pose pas moins une relation très
semblable entre la volonté privée du citoyen et la loi de l'Etat comme incarnant
par définition la véritable volonté et liberté du citoyen, de sorte que celui qui va
contre la loi va contre sa propre volonté." -Louis Dumont, Essais sur

982
l'individualisme. Une perspective anthropologique sur l'idéologie moderne,
Paris, Le Seuil, coll. Point, 1985 (1983 pour la première édition), 314 pages,
p.116.

« Hegel est à l'origine de tout ce qui s'est fait de grand en philosophie depuis un
siècle - par exemple du marxisme, de Nietzsche, de la phénoménologie et de
l'existentialisme allemand, de la psychanalyse - : il inaugure la tentative pour
explorer l'irrationnel et l'intégrer à une raison élargie qui reste la tâche de
notre siècle. » -Maurice Merleau-Ponty, Sens et Non-sens, Nagel, 1948, p. 109-
110.

« Il n'y a pas un événement, pas un phénomène, pas un mot ni une pensée dont
le sens ne soit multiple. [...] Hegel voulut ridiculiser le pluralisme, en
l'identifiant à une conscience naïve qui se contenterait de dire "ceci, cela, ici,
maintenant" — comme un enfant bégayant ses humbles besoins [...] Bien plus
encore : qu'est-ce que veut le dialecticien lui-même ? Qu'est-ce qu'elle veut cette
volonté qui veut la dialectique ? Une force épuisée qui n'a pas la force
d'affirmer sa différence, une force qui n'agit plus, mais réagit aux forces qui la
dominent : seule une telle force fait passer l'élément négatif au premier plan
dans son rapport avec l'autre, elle nie tout ce qu'elle n'est pas et fait de cette
négation sa propre essence et le principe de son existence. » -Gilles Deleuze,
Nietzsche et la philosophie, PUF, p. 4-11.

« Il y eut Hegel. C'était un penseur profond et ses écrits sont un trésor d'idées
stimulantes. Mais il œuvrait sous l'emprise d'une illusion : celle que l'Esprit
(Geist), l'Absolu se révélait à travers ses paroles. Rien dans l'univers n'était
caché pour Hegel. Le malheur était que son langage fût si ambigu qu'on pouvait
l'interpréter de diverses manières. Les hégéliens de droite l'interprétaient
comme une adhésion au système prussien de gouvernement autocratique et aux
dogmes de l'Église de Prusse. Les hégéliens de gauche y lisaient l'athéisme,
l'extrémisme révolutionnaire intransigeant, et des doctrines anarchisantes. »

-Ludwig von Mises, L'Action humaine.

« Comment le socialisme est-il issu de la philosophie hégélienne ? A la vérité,


Hegel a esquissé dans la société civile ce que l'on appelle socialisme d'Etat ; et
du même coup il a donné force et vie aux corporations qui, réunies entre elles,
aboutiraient rapidement au collectivisme. Il n'a pas précisément recommandé le
collectivisme en fixant la propriété dans la sphère du particularisme et de
983
l'individualisme. Mais le premier il a comparé l'Etat à un organisme, ce qui a
été pour le socialisme un puissant argument en faveur de l'adoption pour les
biens d'une forme organique unitaire. Ensuite Hegel n'a placé la liberté vraie et
complète, ni dans l'individualité de la personne, l'isolement de l'individu, ni
dans le prétendu libre-arbitre, mais dans l'universalité et dans l'Etat de façon à
ce que l'Etat seul soit la liberté parfaite ; or cela est presque du socialisme.
Puis, lorsqu'il a mis l'Etat au-dessus de la société civile et comme au-dessus de
l'union extérieure apparente des citoyens, lorsqu'il a déclaré qu'ne l'Etat étaient
incluses la véritable religion, la véritable philosophie, il a poussé les hommes à
soumettre toute leur vie, c'est-à-dire même leurs biens, à l'unité, à la loi, à la
raison divine de l'Etat. Voilà les appuis que le socialisme allemand a empruntés
à la philosophie hégélienne du Droit.

Pris dans son ensemble, l'hégélianisme a favorisé le socialisme allemand non


seulement par sa philosophie du droit et de l'Etat, mais encore par toute sa
dialectique. De la description hégélienne des différents aspects, des divers
moments de la marche progressive de l'Idée et de l'Absolu, nous concluons
aisément que dans le monde, aucune forme de l'Idée, aucun moment de l'Absolu
ne suffisent à eux-mêmes et ne valent pour l'éternité. » -Jean Jaurès, Les origines
du socialisme allemand, traduction par Adrien Veber de la thèse latine, in Revue
Socialiste (de Benoît Malon), 1892.

« L'apothéose hégélienne de l'État conduit par la suite au communisme. »

-Arthur Schopenhauer, Parerga et Paralipomena, Sur la philosophie dans les


universités.

« Tous les courants théoriques du mouvement ouvrier révolutionnaire sont issus


d’un affrontement critique avec la pensée hégélienne, chez Marx comme chez
Stirner et Bakounine. » -Guy Debord, La société du spectacle, IV. Le prolétariat
comme sujet et comme représentation, thèse n°78, 1967.

« Il y a beaucoup à dire sur l’Afrique de Hegel, cette Afrique magique,


cannibaliste, sans culture, inconsciente, sans religion, sans notion de
l’immortalité de l’âme, méprisant et dévalorisant l’homme et enveloppée dans la
couleur noire de la nuit. » -Mpala Mbabula Louis, Hegel et Marx face au sens
de l'histoire, Éditions Mpala, 2011, p.21.

984
« Hegel […] est par excellence l’homme du « système ». Grâce à un nouveau
« premier principe », il prétend dépasser les anciens dualismes, celui du réalisme
et de l’idéalisme, celui de la philosophie et de la théologie. D’après lui, -bien
qu’en un sens nouveau, -ce premier principe doit être appelé « philosophique »
et relève de la « raison ». Aussi est-ce par la seule raison philosophique qu’il
prétend dire ce qu’est Dieu. A ses yeux, c’est même là la tâche principale de la
philosophie. S’en tenir, sur ce point que « Dieu est Dieu », c’est ne rien dire du
tout ; affirmer que Dieu existe, mais que sa nature est inconnaissable, c’est poser
des « limites » à la raison humaine, ce qui selon Hegel est contradictoire. A
l’opposé de Kant, il veut nous rouvrir l’accès à l’Absolu. Ce projet sous-tend
toute son entreprise. » (p.358)

« [Pour Hegel, contrairement à Thomas d’Aquin], l’être « gagne » à être


manifesté, connu ; il s’enrichit, se perfectionne, lorsqu’il devient objet de
conscience ; en soi, il est abstrait ; manifesté, devenu évident, il est concret.
Réciproquement, le concept n’est pas une « expression » subjective qui aurait à
se conformer à un objet distinct d’elle, une intention qui pourrait être vide ou
remplie, mais c’est la synthèse de la réalité et de la conscience, de l’objet et du
sujet. Aussi le concept le plus élevé, le seul vrai concept ou, si l’on permet ce
pléonasme, le concept le plus « compréhensif », est ce que Hegel nomme l’
« esprit » : c’est l’être conscient de soi, posant en face de soi son contraire, et se
reconnaissant en lui ; c’est aussi l’absolu ou le vrai. » (p.362)

« Dans sa vie infinie, Dieu engendre éternellement son Autre, son Fils, pour
devenir Esprit en se reconnaissant en lui ; au sein de la Trinité, l’altérité, la
différence disparaît immédiatement ; « cette différenciation n’est qu’un
mouvement, un jeu de l’amour avec lui-même, où l’on n’en arrive pas à une
altérité, à une séparation, à une scission sérieuses. » [Philosophie de la religion,
trad. Gibelin, t. IV, p. 96] » (p.363)

« Pour saint Thomas, Dieu est transcendant, le créé est contingent. Pour Hegel,
Dieu implique une altérité (d’abord son Fils, ultérieurement la nature) et la
surmonte par l’Esprit (d’abord en lui-même, ensuite dans l’histoire humaine), ce
qui revient à dire que finalement Dieu n’est pas pleinement Dieu sans l’homme,
ou inversement que l’homme, au lieu d’être purement contingent, se découvre
comme un moment de Dieu, participant à la vie trinitaire. » (p.365-366)

985
« Hegel a horreur de l’individu singulier, il n’a d’estime que pour l’universel
concret, le « nous », la société unissant des individus. » (p.406)

-Georges Van Riet, Le problème de Dieu chez Hegel. Athéisme ou christianisme


?, Revue Philosophique de Louvain, Année 1965, Volume 63, Numéro 79, pp.
353-418.

« La religion doit trouver un refuge dans la philosophie. » -Hegel, Philosophie


de la religion, trad. Gibelin, t. IV, pages 216-217.

« C’est depuis Hegel que nous savons qu’il faut tenir compte du temps et de
l’historicité si nous voulons définir un phénomène humain quelconque. Si la
temporalité est essentielle, il est dorénavant impossible de se représenter une
pensée a priori, entièrement constituée et achevée qui se choisirait après coup
un mode d’expression adéquat parmi des formes de langage tout aussi
constituées et complètes. […] Tout problème de définition essentielle devient un
problème d’origine et de genèse. » -Louis Van Haecht, Le langage de la
philosophie, Revue Philosophique de Louvain, Année 1960, Volume 58,
Numéro 57, pp. 135-164, p.143.

« Hegel's own response to these difficulties flows from his contrast between
morality (Moralität) and ethical life (Sittlichkeit). The alternative to abstract
morality of the kind represented by Kant, in Hegel's view, is for the formal
principles of morality to be given content thanks to the institutionalized ethical
life represented by Sittlichkeit. Sittlichkeit thus resolves the indeterminacy
inherent in the formal principles of Moralität in a way which is he claims, itself
rational. It can do this because, Hegel believes, customs and social institutions
are themselves products of reason -- reason as embodied in the logic of
historical. development. In other words, institutions are more than just a “tie-
breaker” when the requirements of reason no longer serve to specify a
particular action as right or wrong; they are themselves, in some historical
sense, bearers of rationality. Earlier societies were characterized by a conflict
between individual morality and institutionalized ethical life, but it is a mark of
the fact that reason has completed its historical development, in Hegel's view,
that modern society embodies the principles of Moralität within an
institutionalized form of ethical life that is itself rational.” -Michael Rosen, The
Marxist Critique of Morality and the Theory of Ideology.

986
« Le maquillage de Hegel en libéral anglais ne peut faire oublier que c’est le
penseur de l’Etat total, rouge, brun ou même bleu-blanc-rouge que l’on
souhaite le renverser (Lénine) ou l’appliquer (G. Gentile). Sa pensée et sa
dialectique trop flexible ont servi à couvrir du voile pudique de la logique les
monstruosités les plus inouïes. L’option hégélienne qui est de renoncer au
principe de contradiction au nom de la dialectique a fait long feu. » (p.103)

« Une des sources du républicanisme de droite en France en incontestablement


l’hégélianisme, dans les années 1840. » (note 26 p.102)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,


2004, 1062 pages.

« Dans une lettre à Schelling le 24 décembre 1794, Hegel exprime l’aversion


qu’il éprouve pour Robespierre : il se réjouit de la condamantion à mort du
sanguinaire Carrier, un des responsable des massacres en Vendée […] Dans les
Leçons sur la philosophie de l’histoire, Hegel associe Robespierre au règne des
principes abstraits, de la liberté subjective et de la vertu. » -Lionel Ponton,
Philosophie et droits de l’homme de Kant à Lévinas, p.57.

« Sans aucune hésitation il accepte les droits de l'homme et il fait sien l'héritage
de la Révolution française.

Les révolutionnaires français ont eu raison d'abolir le servage et de reconnaître


des droits civils aux étrangers, aux comédiens et aux Juifs. Us ont eu raison
d'enlever à la noblesse le monopole des grands emplois : l'accès à tous les
emplois doit être libre.

La suppression du régime féodal (des droits honorifiques et personnels, des


privilèges et des redevances), selon lui, s'imposait. » (p.228).

« Hegel ne s'oppose-t-il pas à la démocratie directe, au mandat impératif et


même au suffrage universel? Pour Hegel, l'égalité civique est d'une autre
nature. C'est moins la participation commune à la vie politique qui la constitue
que le rapport d'identité, pour chaque citoyen, entre les droits et les devoirs. »
(p.229)

« Pour le député, représenter ne signifie pas être élu par des individus pris
isolément ou par la multitude, mais rendre effectivement présents, par sa
préparation et son expérience, les intérêts de l'une ou l'autre des sphères

987
essentielles de la société, qui ont tous un droit égal à être représentés. Hegel a
de plus le sentiment que le suffrage universel dévalorise en pratique l'individu
en lui révélant « la médiocrité réelle de son influence et de sa volonté
souveraine liée au droit de vote ». » (p.230)

« Les droits individuels sont des principes d'isolement : ils se présentent


d'ailleurs comme séparés, opposés l'un à l'autre et sans efficacité pratique.
L'État a pour mission de les articuler et d'assurer leur effectuation. » (p.233)

-Lionel Ponton, « Hegel et la politique des droits de l’homme », Laval


théologique et philosophique, vol. 43, n° 2, 1987, p. 217-234.

« La logique du système hégélien ne réserve aucun espace à une quelconque


autonomie de l'individu par rapport à l'Histoire, dont il est seulement un fugitif
instrument, ou à la Totalité sociale, dont il ne constitue qu'une infime fonction.
Tout désir d'émancipation individuelle ne peut dès lors relever que des illusions
de la conscience de soi, alors qu'il revient à l'individualité de consentir à
s'absorber dans la rationalité objective de l' "universel concret" (le peuple,
l'Etat...). Car dans la perspective de Hegel, la réalité humaine est supra-
individuelle et l'homme vrai est collectif. » -Alain Laurent, L'Individu et ses
ennemis, Hachette, coll. Pluriel, 1987, 571 pages, p.156.

« Ce que décrit Hegel [dans la dialectique du maître et de l'esclave] c'est la


transformation de l'artisan en bourgeois, et du bourgeois en entrepreneur.
Comme ça été dit très souvent, Hegel, c'est avant tout un penseur bourgeois, un
penseur de la bourgeoisie. [...] Ce qu'il décrit, c'est le savoir acquérant sa
noblesse, ses lettres de noblesse, c'est le travail acquérant sa noblesse à travers
la conquête d'un savoir. » -Bernard Stiegler, Intervention sur Marx et Simondon
dans le cadre du séminaire organisé par Jean Hugues Barthélémy le 20 mars
2012.

« Hegel, philosophe chrétien issu de l’Université, ne prend pas le parti des


peuples, il ne prend pas le parti des gens en colère secouant le joug de
l’aristocratie, se libérant du poids de l’universel ; il prend le parti de
l’universel, il prend le parti de la bourgeoisie, de Napoléon à cheval, de
l’unification, des États nationaux, de la France, de l’Italie et de l’Allemagne
(déjà). Bien sûr la révolte des gens, l’insurrection des peuples a de quoi
inquiéter tout bon croyant, il faut donc tenter de récupérer cette pensée critique
en action et la transposer dans les cadres de la pensée chrétienne ; ce que
988
cherche à faire Hegel, qui voit dans ce mouvement d’une pensée critique qui
emporte les gens, le mouvement même de la pensée universelle et la résolution
dialectique du rapport maître/esclave (la résolution de l’opposition entre les
contraires, de la liberté et de la contrainte, par exemple ; ou, si l’on veut, la
résolution du contradictoire qui se trouve inhérent à tout développement
intellectuel comme au cœur de la société occidentale). Il joue la carte
millénariste et révolutionnaire contenue en creux dans la pensée chrétienne
contre celle que jouent les gens dans la réalité : retrouver, inventer ou
reconstruire une vie collective qui leur soit propre ; sans plus. Il dit ce que font
les gens, il s’arroge leur propre pensée, leur pensée en action, leur pensée
pratique, leur pensée se réalisant, et il la récupère. Avec Hegel cette
récupération reste dans le domaine intellectuel, il n’a pas les moyens
d’intervenir dans la réalité, il ne cherche pas à constituer un parti, son parti
existe déjà, c’est la bourgeoisie, c’est le parti de l’unification de l’Allemagne. À
partir du moment où la bourgeoisie se substitue à l’aristocratie, la crise qui
avait secoué la pensée de l’Un s’estompe et « tout continue comme avant ». […]

Hegel est visionnaire, il « voit » l’unification de la France et, au-delà, il « voit »


l’unification de l’Italie, il « voit » l’unification de l’Allemagne et, au-delà, il «
pressent » l’unification de l’Europe ; il saisit le mouvement de l’Un, le
mouvement réel de l’universel modifiant la géographie de l’Europe, mais il ne
relève pas ce qui engendre la véritable richesse de l’humanité, la diversité des
usages et des traditions ; il ne parle pas de la prolifération des coutumes qui
constituent la richesse et la beauté des provinces françaises, italiennes ou
allemandes, il ne dit rien de la diversité des langues, de la diversité des usages
et des coutumes, des mœurs, des danses, des chants, des fêtes, des carnavals ; il
ne voit que le mouvement d’unification, le mouvement de l’Un, le mouvement de
l’universel, le mouvement de l’aliénation transformant toute la diversité, toute la
richesse de ce qui existait en folklore. » -Georges Lapierre, « La pensée critique
face à l’hydre capitaliste ou la misère de la philosophie », Lavoiedujaguar.net, 5
juin 2015.

« Hegel a exercé une grande influence, il a eu une foule de disciples, il a remué


l’Allemagne ; quelque chose de ses vues s’est même répandu au dehors, et a
pénétré dans le domaine de la pensée moderne ; et cependant, on peut le dire,
Hegel ne commence à être connu, sa philosophie ne commence à être jugée que
depuis qu’il n’y a plus d’hégéliens. »

989
« Jamais tentative aussi colossale que la sienne n’avait encore été faite pour
comprendre l’univers et le reproduire par la pensée. Aristote seul peut lui être
comparé, et entre Aristote et Hegel il y a tout l’intervalle qui sépare le monde
ancien du monde moderne, un Alexandre d’un Napoléon. »

« Au sortir de l’université, Hegel, qui était sans fortune, et qui ne paraît avoir eu
aucune velléité d’entrer dans l’église, chercha une place qui lui permît de
continuer ses études. Il devint précepteur dans une famille de Berne, et, trois ans
après, dans une autre famille à Francfort. Les années qu’il passa de la sorte
furent consacrées au travail le plus opiniâtre. À Tubingue, il s’était mis avec
ardeur à l’étude de l’antiquité grecque ; à Berne, ses préoccupations furent
théologiques : il écrivit une vie de Jésus-Christ et s’enfonça dans des recherches
sur les origines du christianisme. À Francfort, son attention se tourna vers la
politique : il lut Adam Smith, composa un écrit sur la constitution du
Wurtemberg, un autre sur l’organisation de l’Allemagne. Il embrassait ainsi
dans ses méditations l’antiquité et les temps modernes, la religion et la société,
tous les problèmes qu’offre le monde ; mais ces problèmes, à leur tour,
l’amenaient à la philosophie comme à leur solution commune, et lorsqu’il quitta
Francfort, il possédait en portefeuille un cours de philosophie complet dans
lequel on trouve déjà très nettement accusées la méthode caractéristique, les
grandes divisions et les données fondamentales du système auquel il a plus tard
attaché son nom. Hegel avait alors trente ans.

Il résolut à cette époque de se vouer à l’enseignement public, et il se mit à la


recherche d’une chaire de philosophie. Attiré par Schelling, il se rendit à Iéna.
Iéna était alors la capitale littéraire de l’Allemagne. Schiller et Fichte y avaient
enseigné, Guillaume de Humboldt et Goethe y avaient souvent visité leur ami,
les romantiques en avaient fait en quelque sorte leur quartier-général ;
Schelling enfin, malgré sa jeunesse, y enseignait avec éclat. »

« Les événemens de 1806 fondent sur l’Allemagne. Il faut avouer que le moment
était mal choisi pour la publication d’une Phénoménologie de l’Esprit humain :
Austerlitz avait jeté l’Autriche aux pieds de Napoléon ; le vainqueur, dans une
seconde campagne, allait, selon l’expression de Joseph de Maistre, écraser la
Prusse comme une citrouille. Tout cela n’empêche pas Hegel de poursuivre la
formule métaphysique des développemens de l’humanité. La guerre se
rapproche, les armées manœuvrent autour d’Iéna : le penseur n’a pas l’air de
s’en apercevoir ; il est occupé à envoyer les dernières feuilles de son livre à
990
l’imprimeur, et ses lettres expriment plus de craintes sur le sort de son
manuscrit que sur celui de la patrie allemande. Il y a plus : quand il fait allusion
aux événemens qui s’accomplissent sous ses yeux, c’est pour exprimer
l’admiration que lui inspire le général français. Il a vu l’empereur. « Cela fait
une singulière impression, écrit-il, de voir un pareil homme, qui là, sur un point
donné, à cheval, plane sur le monde et le domine. » Il explique les succès des
Français par la supériorité de l’intelligence sur la sottise et la barbarie. Il
ajoute que tout le monde fait des vœux pour eux. Ce dernier trait jette du jour,
sur la situation. M. Haym, en reprochant amèrement ces paroles à Hegel, à
commis un anachronisme : il a confondu 1806 avec 1815 ou 1860. Le
patriotisme allemand, tel qu’il est compris aujourd’hui, n’était pas encore né
alors : c’est Napoléon lui-même qui l’a évoqué à force d’oppression et
d’insultes. »

« La dernière période de la vie et des travaux de Hegel commence en 1818,


époque à laquelle il alla occuper à Berlin la chaire que la mort de Fichte avait
laissée vacante. Cette période est celle où, dans ses cours et dans ses livres, il
multiplie les applications de son système, où il voit se presser autour de lui de
nombreux disciples, qui, maîtres à leur tour, s’empressent de propager ses
doctrines, où il jouit d’une gloire croissante et incontestée. Toutes les sciences
viennent se rajeunir à la source de la métaphysique nouvelle ; la politique même
y puise des inspirations. Le monde pensant est aux pieds du professeur. Jamais
on ne vit de royauté intellectuelle mieux établie. C’est au milieu de ce triomphe
que le choléra, qui faisait alors sa première apparition en Europe, vint frapper
l’illustre victime. Hegel mourut le 14 octobre 1831, à l’âge de soixante ans.
Dans l’excès de leurs regrets et de leur enthousiasme, ses disciples allèrent
jusqu’à le comparer à Alexandre le Grand et à Jésus-Christ. »

« Sa langue usuelle est le comble de la barbarie, mais il a çà et là des mots d’un


rare bonheur. Il est telle page de la Logique ou de la Phénoménologie dont le
jargon semble défier l’intelligence humaine, et qui fait douter que l’auteur se
soit compris lui-même ; mais il y a des phrases qui ouvrent des horizons
inconnus, et laissent le lecteur interdit et pensif. Sa dialectique est d’une
subtilité, d’une ténuité telle que le Parménide de Platon semble en comparaison
n’être qu’un jeu d’enfant, et d’un autre côté il tombe sans cesse dans l’image,
dans la personnification, et l’on croirait, en le lisant, assister à la formation
d’une mythologie, au développement d’un monde semblable à celui des anciens
gnostiques, dans lequel les notions prenaient un corps, marchaient et passaient
991
par toute sorte d’aventures. La philosophie de Hegel, riche, vivante,
substantielle, est en même temps ingrate, scolastique, affaire de divisions, de
subdivisions et de formules. Jamais homme n’eut un tour d’esprit aussi abstrait
; nul depuis Spinoza ne s’est plus facilement dépouillé de son moi pour se
perdre dans le grand tout et vivre de la vie universelle. »

-Edmond Sherer, Hegel et l’Hégélianisme, Revue des Deux Mondes, T.31, 1861.

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Ritter/dp/2701002303/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1450654629&sr=8-
1&keywords=Hegel+et+la+r%C3%A9volution

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1

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2&keywords=le+jeune+Hegel

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4&keywords=de+hegel+%C3%A0+marx

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dialectique/dp/2711612848/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=41XS700QKPL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR101%2C160_&refRID=178CSBDHX3
9Q5JQB41MB

http://www.amazon.com/Analytic-Philosophy-Hegelian-Thought-
European/dp/0521172349

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philosophes/dp/2204075973/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1450566724&sr=8-
1&keywords=Michel+Espagne%2C+En+de%C3%A7%C3%A0+du+Rhin

997
Heinrich Heine (1797-1856): “C’est un poète allemand exilé à Paris, Heinrich
(Henri) Heine, qui célèbre en 1844, contre Dieu, le roi et la « fausse patrie », le
dur labeur et la tenace espérance des tisserands de Silésie : Das Schiffchen
fliegt, der Webstuhl kracht, Wir weben emsig Tag und Nacht, Altdeutschland,
wir weben dein Leichentuch, Wir weben hinein den dreifachen Fluch, Wir
weben, wir weben ! « La navette vole, le métier craque / Et jour et nuit nous
tissons avec ardeur. / Vieille Allemagne, nous tissons ton linceul, / Nous tissons
la triple malédiction, / Nous tissons, nous tissons ! »”. -Philippe Boutry, « Le
monde du travail et ses représentations », Cours d’agrégation, Sorbonne,
Amphithéâtre Richelieu, février 2021.

http://www.amazon.fr/De-lAllemagne-Heinrich-
Heine/dp/2070749827/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=410YF44BYBL&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR106%2C160_&refRID=1VQ6BHMSYCN8
HVWQDG56

http://www.amazon.fr/De-France-Henri-
Heine/dp/2070736172/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=41V5R9FPE4L&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=1VQ6BHMSYCN8
HVWQDG56

http://www.amazon.fr/Nouveaux-po%C3%A8mes-Henri-
Heine/dp/2070329410/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&dpID=41266K98CWL&dp
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KFEY2KM

Le Royaume-Uni à l’Époque georgienne (1714-1830): « Avec l’accession au


trône de Guillaume III Prince d’Orange, la Grande-Bretagne se trouva intégrée
à une coalition européenne protestante contre la France et l’Espagne. Pour la
France, cela marqua le début d’une seconde Guerre de Cent Ans (1688-1815).
Tout au long de cette période, l’État britannique demeura l’acteur belliqueux et
énergique d’un conflit tant commercial qu’idéologique. Les dépenses militaires
qu’il engagea surpassèrent celles de toutes les autres puissances européennes
impliquées dans le conflit, avec 83 % de l’argent public investi à des fins
militaires. La lutte dans laquelle la Grande-Bretagne était engagée fut une lutte
mondiale. Dans ce conflit, une importance capitale était accordée au commerce
et à l’industrie d’exportation, non seulement en tant que moteurs de la richesse
nationale mais aussi, à plus court terme, en tant que pourvoyeurs des recettes

998
fiscales nécessaires au financement des emprunts contractés pour entretenir la
guerre. » -Gareth Stedman Jones, « De l’histoire sociale au tournant linguistique
et au-delà. Où va l’historiographie britannique ? », Revue d'histoire du XIXe
siècle [En ligne], 33 | 2006, mis en ligne le 01 décembre 2008, consulté le 11
mai 2020.

« Si belle que semble la France au XVIIIe siècle, son niveau de vie ne se


compare pas à celui de l'Angleterre. » (p.95)

« La victoire anglaise sur la France, lente à s'affirmer, précoce à s'amorcer (à


mon avis, dès le traité d'Utrecht en 1713), éclate au grand jour dès 1786 (le
traité d'Eden), devient triomphale en 1815. » (p.107)

-Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, Flammarion, coll.


Champ.Histoire, 2008 (1985 pour la première édition), 122 pages.

« L’accord de Speenhamland qui avait permis d’empêcher de 1795 à 1834 la


création d’un marché concurrentiel du travail en Angleterre. Speenhamland est
le nom d’une commune où d’étaient rencontrés des juges du Berkshire pour
mettre au point un système de complément de salaire selon un barème indexé
sur le coût du pain. Héritier d’un système d’assistance remontant à Élisabeth
Ire (qui s’était approprié les terres des monastères qui assumaient auparavant
cette fonction d’assistance), cet accord fut un échec, encourageant les tire-au-
flanc et faisant baisser la productivité du travail. Son abrogation en 1834 fut le
point de départ du capitalisme moderne et mit fin au règne des propriétaires
fonciers charitables. Cette abrogation fut le fait de la nouvelle classe bourgeoise
et coïncide avec la transformation de la société anglaise en économie de
marché. » -Étienne Fouquet, « Libéralisme et égalité », Transversalités, 2013/3
(N° 127), p. 75-90.

"[Edward] Anthony Wrigley conteste ainsi l’idée d’une mécanisation précoce et


souligne la spécificité d’une économie encore « organique » jusque vers le
milieu du XIXe siècle. Dans une telle économie où l’énergie, les matières
premières et les outils sont issus de la matière végétale ou animale, les gains de
productivité sont soumis à des obstacles écologiques (selon le modèle de
Thomas Malthus) et ne peuvent découler que d’une meilleure division du travail
et d’un développement commercial (en conformité avec les idées d’Adam
Smith). Contrairement à cette économie qui repose sur des flux de matière
organique, l’économie minérale de la machine à vapeur ou du moteur à
999
explosion est fondée sur l’exploitation de stocks de houille, de minerais de fer ou
de pétrole. Si cette dernière commence à prendre forme dès la fin du XVIIIe
siècle, elle ne se développe que très lentement. Même dans le textile, la
mécanisation reste limitée jusque dans les années 1840, époque où les trois
quarts de la production industrielle continuent de se faire dans de petits ateliers
ou dans un cadre domestique. La croissance reste contenue à l’intérieur de
limites intrinsèques à l’économie organique, limites qui ne disparaissent qu’à
partir du deuxième tiers du dix-neuvième siècle, voire au-delà, à l’époque du
pétrole, des plastiques et des colorants synthétiques issus de la deuxième
révolution industrielle."

"Outre une efficacité croissante des transports, notamment par canaux, et un


système de crédit plus efficace que chez ses voisins, la Grande-Bretagne profite
d’une agriculture depuis longtemps plus productive et qui libère de nombreux
bras pour l’industrie textile."

"La population anglaise double en cinquante ans pour atteindre 17 millions


d’habitants en 1851, dont la moitié vit dans des villes."

"Charles Feinstein montre que les revenus réels stagnent jusque dans les années
1830 puis connaissent une croissance fragile avant de se consolider dans les
années 1840 et de connaître une accélération dans la deuxième moitié du siècle.
Mais de tels résultats soulèvent une difficulté. Depuis le début des années 1980
plusieurs travaux importants ont défendu l’idée d’une « révolution de la
consommation » au XVIIIe siècle. Comment réconcilier cette approche avec les
nouvelles données qui montrent que les salaires réels n’augmentent pas
significativement ?

Si les Anglais consomment plus, selon Hans-Joachim Voth, c’est d’abord parce
qu’ils ont un désir plus grand de consommer, ce qui, dans un contexte où les
salaires réels n’augmentent pas, les pousse à travailler plus. Cette « révolution
industrieuse », comme l’appelle Jan de Vries, se distingue de la révolution
industrielle en ce qu’elle est stimulée par la demande et non par l’offre, et
procède d’une situation dans laquelle « les hommes […] sont esclaves de leurs
propres désirs » qui les forcent à travailler. Une telle hypothèse s’écarte de la
perspective naguère proposée par Edward P. Thompson, qui faisait de
l’augmentation du temps de travail le résultat d’une série de mesures
1000
disciplinaires repérables dans les sources littéraires ou les règlements d’usine,
les horaires imposés ou la fin de la « Saint Lundi ». Mais elle témoigne de la
même inventivité dans l’utilisation des sources. Ainsi Hans-Joachim Voth a
étudié les déclarations de plus de 2 800 hommes et femmes de Londres et du
Nord de l’Angleterre appelés comme témoins de crimes devant des tribunaux et
sommés de détailler leurs activités heure par heure le jour du crime. Ces
témoignages permettent de confirmer la thèse d’un allongement global du temps
de travail entre 1760 et 1830, tout en montrant que l’expérience de
l’enfermement et de la discipline n’avait concerné qu’une minorité des
ouvriers."

"Le premier événement important est la renaissance de l’ouvrier qualifié, dont


le sort ne se résume pas à l’image toute faite de l’artisan humilié par la
machine, réduit au rôle de « surveillant de [sa] toute-puissante assistante »
quand il n’est pas purement et simplement remplacé par elle. Si beaucoup sont
fragilisés par la mécanisation, à l’image des tisseurs à bras (handloom
weavers), d’autres ressortent gagnants des confrontations avec leurs
employeurs dans les années 1830. Ainsi, même dans le cas des filatures de coton
où Karl Marx voyait l’exemple classique d’une technique – la self-acting mule
(fileuse automatique)– qui permettait au capital de dominer le travail, les
responsables des machines ou minders voient leurs responsabilités et leur
salaire augmenter. L’histoire des techniques, profondément renouvelée au cours
des dernières années, permet de mieux comprendre ce phénomène. À une
époque où l’innovation n’est pas encore le monopole des ingénieurs et des
scientifiques, la mécanisation n’est ni une sélection naturelle des « meilleurs »
procédés, ni un processus inévitable de déqualification du fait des avancées
techniques, mais plutôt une négociation pied à pied au terme de laquelle les
ouvriers qualifiés, ou du moins ceux qui étaient membres des trade unions
légalisés en 1824, surent défendre leur position au sein de la fabrique et donc
de leur famille. Les luttes constantes entre employeurs, employés et acteurs
extérieurs montrent donc que beaucoup d’hommes résistent bien à la
déqualification, mais que les femmes et les enfants en sont les principales
victimes."

"Le XIXe siècle, époque de la « séparation des sphères » entre hommes et


femmes, voit aussi le passage d’une économie familiale, fondée sur le partage
du travail et des ressources, à une économie salariale marquée par la
1001
domination du chef de famille (breadwinner) et la relégation des femmes et des
enfants à des tâches sous-payées ou non payées."

"D’autres travaux attirent plutôt l’attention sur la dégradation de la qualité de


l’eau et de l’air. C’est en effet dans la Grande-Bretagne du XIXe siècle que se
pose pour la première fois explicitement la question des pollutions industrielles.
Ces dernières sont un enjeu majeur du passage d’une économie « organique » à
une économie « minérale », dont des villes comme Manchester furent le
laboratoire. Avant même que les politiques de santé publique n’aient pu avoir
un impact mesurable, ces pollutions font naître de nouvelles inégalités
environnementales entre les urbains et les ruraux et, au sein des villes, entre
quartiers riches et quartiers pauvres. Telle est la situation que dénoncent
William Farr et d’autres hygiénistes au lendemain de la crise de choléra qui
ravage l’East End de Londres en 1866, mais qui épargne les quartiers aisés
dans lesquels les compagnies des eaux privées ont adopté des méthodes de
filtrage plus exigeantes."

"La relecture du concept de révolution industrielle à la suite des critiques


soulevées au début des années 1980 a donc conduit à remplacer l’opposition
ancienne entre une école « gradualiste » ou « optimiste » (héritée d’Alfred
Marshall et John Clapham) et une école « catastrophiste » ou « pessimiste »
(celle d’Arnold Toynbee et Karl Polanyi) par un consensus « gradualiste » mais
« pessimiste »."

"Comme le montre Boyd Hilton, la politique économique de plus en plus non-


interventionniste menée par Lord Liverpool et par les liberal tories dès les
années 1820 n’est pas guidée par une économie politique libérale à la Ricardo
fondée sur un impératif productiviste. Le principe d’une passivité de l’État face
à la succession des cycles de croissance et de crise s’explique plutôt par un
imaginaire évangélique que signale le succès des idées du calviniste écossais
Thomas Chalmers. Il s’ancre dans une théologie naturelle dont les historiens des
sciences ont redécouvert l’importance pour comprendre l’émergence des
théories thermodynamiques de Joule, Maxwell ou Kelvin, socle scientifique de
la seconde révolution industrielle. Les liberal tories comme les industriels
provinciaux qui soutiennent Robert Peel dans les années 1830 et 1840 postulent
un monde économique statique, issu de la volonté divine et traversé d’une
justice immanente dans laquelle le commerce « artificiel », la spéculation et la
1002
surproduction sont immédiatement sanctionnés. L’objectif du cabinet de
Liverpool, en abaissant certains droits de douane, n’est pas de s’approcher d’un
état idéal de libre-échange mais plutôt, en suivant la notion d’une rédemption
des péchés par les peines ou atonement, d’atteindre un point d’équilibre du
marché qui n’est pas seulement économique, mais aussi théologique. Pour les
évangéliques, les crises et les banqueroutes ne font que sanctionner
l’imprudence des périodes de faste, et la concurrence est encouragée
principalement pour des raisons morales.

En outre, si l’encouragement de la concurrence intérieure et l’effacement des


régulations anciennes sur les produits sont une réalité indéniable de la période, il
n’en est pas de même dans tous les domaines de la politique économique. Dans
le cas du travail, on voit moins une libéralisation qu’une augmentation des
régulations. Par exemple, la jurisprudence issue du Master and Servant Act de
1823 fut à l’origine de nombreux conflits entre employeurs et trade unions au
sein des tribunaux où se cristallisa une riche jurisprudence. Dans le domaine de
la protection sociale et du commerce international, l’interventionnisme étatique
vient en partie de ce que la mainmise de l’aristocratie sur le gouvernement, loin
de s’estomper au moment de la Révolution française, a été renforcée par les
guerres napoléoniennes. Opposée au laisser-faire, l’aristocratie whig du
deuxième quart du siècle montre à travers sa politique sociale des années 1830
et 1840 un attachement à sa fonction traditionnelle de représentante des intérêts
du peuple. Sur le plan commercial, l’État de la révolution industrielle défend la
classe dominante à travers une politique mercantiliste qui taxe les importations
de grains, interdit les importations de soie ou de calicots, et interdit les
exportations de machines. Dans un tel contexte il ne saurait y avoir de «
libéralisme économique » chimiquement pur, même du côté des opposants à la
Old Corruption. Ainsi, dans les années 1840 les principales critiques à
l’encontre des lois sur les grains, des privilèges de l’East India Company ou des
Navigation Laws, sont inséparables d’une dénonciation plus générale de
l’aristocratie terrienne et de ses privilèges face au peuple des villes et de
l’industrie. Finalement, ce qu’on a pris l’habitude de décrire comme un
ensemble de politiques libérales au début du XIXe siècle n’était généralement
pas vu comme tel par les contemporains. Aussi les liens entre le libéralisme et
l’industrialisation sont-ils plus complexes qu’on le pensait. Pas plus qu’il n’en
est l’anticipation ou le projet mis en pratique par la suite, le libéralisme n’est
simplement l’émanation culturelle ou la justification a posteriori de
1003
l’industrialisation. » -Julien Vincent, « Industrialisation et libéralisme au XIXe
siècle : nouvelles approches de l’histoire économique britannique », Revue
d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 37 | 2008, mis en ligne le 01 décembre
2010, consulté le 10 mai 2020.

William Cobbett (1763-1835) : « Cobbett révéla au grand jour la mauvaise


gestion des affaires civiles et militaires, les malversations, la vente de charges
par la maîtresse du duc d’York, la flagellation brutale pratiquée dans l’armée,
et cela avec une telle force qu’il captivait l’attention de gens aux convictions
diverses, pour qui, souvent, les vieux clivages des années 1790 avaient perdu
leur sens. Parce que Cobbett restait en quelque sorte un tory, qui revenait
toujours à l’idéal sentimental d’un peuple vigoureux, indépendant et ouvert,
méprisant la richesse et le rang, mais loyal à la Constitution, il échappait aux
préjugés antijacobins et facilitait le regroupement des réformateurs. » -Edward
P. Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise, Editions Points, 2012
(1963 pour l'édition originale anglaise), 1164 pages, p.606.

http://www.amazon.fr/Life-Adventures-William-Cobbett-
ebook/dp/B009FUFA0G/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1458726472&sr=8-
1&keywords=Richard+Ingrams%2C+The+Life+and+Adventures+of+William+
Cobbett

http://www.cse.dmu.ac.uk/~mward/gkc/books/William_Cobbett.txt

James Mill (1773-1836) : « Est-il sérieux de dire que les épicuriens comme
Lucrèce, Horace, Virgile et Jules César, pour ne nommer qu'eux, négligeaient
les plaisirs du goût et des arts de l'imagination ? » -James MILL, A Fragment
on Mackintosh, Longmans, Green Reader and Dyer, Londres, 1870, p. 272.

« Le véritable inventeur des avantages comparatifs est James Mill, le père de


Stuart Mill et le mentor de Ricardo. » -Philippe Simonnot, 39 leçons d'économie
contemporaine, Gallimard, coll. folio.essais, 1998, 551 pages, p.47.

« La critique des inégalités de représentation forment la base de la Westminster


Review fondée à Londres en 1823 par James Mill contre le census whig-tory sur
le sujet. » -Nicolas Roussellier, L'Europe des libéraux, Éditions Complexe,
1991, 225 pages, p.34.

Jeremy Bentham (1748-1832): « Un homme peut être dit partisan du principe


d'utilité lorsque l'approbation ou la désapprobation qu'il manifeste à l'égard d'une
1004
action ou d'une mesure, est déterminée par, et proportionnelle à la tendance
qu'elle a, d'après lui, à augmenter ou diminuer le bonheur de la communauté. » -
Jeremy BENTHAM, An Introduction ta the Principles of Marals and
Legislation, Clarendon-Oxford University Press, Oxford, 1970, p. 12-13.

« Jamais et nulle part un tel lieu commun, une telle trivialité n’a fait l’étalage
d’elle-même avec une telle complaisante arrogante. » -Karl Marx, Le Capital, à
propos de l’utilitarisme de Bentham.

« Prendre la logique au sérieux en matière de comparaisons interpersonnelles


et refuser tout compromis avec l'utilitarisme politique consiste à dire
qu'"additionner" la satisfaction tranquille de l'un et la joie exubérante de
l'autre, "déduire" les pleurs d'une femme du sourire d'une autre femme, sont des
absurdités conceptuelles qu'il ne peut être question d'envisager puisqu'il suffit
de les énoncer pour qu'elles s'effondrent aussitôt. Alors qu'on enseigne aux plus
jeunes enfants qu'il ne faut pas essayer d'additionner les carottes et les lapins,
comment donc des adultes peuvent-ils croire que, parce qu'elles auraient été
faites avec suffisamment de soin, en s'appuyant sur la recherche sociologique la
plus moderne, ces opérations pourraient servir de norme aux actions de l'Etat,
et aboutir à ce qu'on appelle encore avec trop d'indulgence un 'choix social' ?

[…] Un aveu qui en dit long sur l'honnêteté du procédé, découvert dans ses
papiers personnels par Elie HALEVY (The Growth of Philosophical Radicalism,
p. 495, cité par Lord ROBBINS, Politics and Economics, 1963, p. 15), nous a
été livré par BENTHAM lui-même. Ne le voit-on pas déclarer, à son corps
défendant :

‘C'est en vain que l'on parle d'ajouter des quantités qui, après cette addition,
continueraient comme devant ; le bonheur d'un homme ne sera jamais le
bonheur d'un autre [...] vous pourriez tout aussi bien feindre d'additionner vingt
pommes avec vingt poires [...] cette additivité des bonheurs de différents sujets
[...] est un postulat sans l'admission duquel tout raisonnement pratique est remis
en cause.’

« Chose curieuse, il était tout à la fois prêt à reconnaître que ce "postulat


d'additivité" est une véritable perversité pour un logicien, et à avouer que lui-
même ne pouvait pas s'en passer. Il aurait pu profiter de l'occasion pour
prendre le temps de réfléchir sur l'honnêteté du "raisonnement pratique" dont il
prétendait qu'on se servît. Et pourtant, il ne pouvait être question de souffrir que
1005
le "raisonnement pratique fût remis en cause". Il accepta donc l'imposture et
l'opportunisme intellectuel "pour les besoins de la cause", à peu près comme le
font le prêtre athée ou l'historien progressiste.

[…] Si l'on veut bien reconnaître que les utilités des différentes personnes sont
incommensurables, de sorte que l'utilité, le bonheur et le bien-être de personnes
différentes ne peuvent pas être intégrées, on admet ipso facto qu'on n'a
absolument aucun droit d'invoquer une théorie sociale qui partirait de
présupposés utilitaristes pour prouver (sauf dans les cas rares et politiquement
peu significatifs de ‘supériorité au sens de PARETO’) la justesse d'affirmations
prétendant qu'une politique serait 'objectivement supérieure' à une autre.
L'utilitarisme devient alors idéologiquement inutilisable. Dans la mesure où
certaines politiques auraient besoin de justifications intellectuellement solides,
il faudra aller les chercher dans un cadre doctrinal autrement moins commode
ou satisfaisant pour l'esprit.» -Anthony de Jasay, L’Etat, Paris, les Belles lettres,
1993, pp. 142-144.

« Un logicien ferait remarquer ici qu’il est impossible de poursuivre à la fois


deux « maximandes » (le plus grand bonheur ; le plus grand nombre). » -
Philippe Simonnot, 39 leçons d'économie contemporaine, Gallimard, coll.
folio.essais, 1998, 551 pages, note 2 p.188 in p.493.

http://hydra.forumactif.org/t1083-jeremie-bentham-oeuvres#1713

http://www.amazon.fr/Introduction-aux-principes-morale-
l%C3%A9gislation/dp/2711623246/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1449348612&sr
=8-2&keywords=bentham

https://www.amazon.fr/Utility-Democracy-Political-Thought-
Bentham/dp/0199563365/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1504
707439&sr=1-1

http://www.amazon.fr/lontologie-
Bentham/dp/202032332X/ref=sr_1_5?ie=UTF8&qid=1449348612&sr=8-
5&keywords=bentham

http://www.amazon.fr/Bentham-contre-droits-Bertrand-
Binoche/dp/2130558313/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1449348612&sr=8-
4&keywords=bentham

1006
http://www.amazon.fr/Jeremy-Bentham-peuple-comme-
fiction/dp/2859447903/ref=pd_sim_sbs_14_5?ie=UTF8&dpID=51romKfXPWL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR107%2C160_&refRID=0F6FYK0VVT
QS5NBF3DG8

Thomas Hodgskin (1787-1869) : « Contre l’athéisme benthamique, il affirme


l’existence de Dieu. » (p.13)

« Les gouvernements ne sont, en vertu de leur essence même, ni intéressés à


bien gouverner, ni capables de bien gouverner. » (p.26)

-Élie Halévy, Thomas Hodgskin (1787-1869), Société nouvelle de librairie et


d'édition, 1903, 219 pages.

David Ricardo (1772-1823): « La valeur d'une marchandise, ou la quantité de


toute autre marchandise contre laquelle elle s'échange, dépend de la quantité
relative de travail nécessaire pour la produire et non de la rémunération plus ou
moins forte accordée à l'ouvrier. » -David Ricardo, Des principes de l'économie
politique et de l'impôt, 1821, p.24.

« L’emploi des machines et des capitaux fixes modifie considérablement le


principe qui veut que la quantité de travail consacrée à la production des
marchandises détermine leur valeur relative. » -David Ricardo, Principes de
l’Économie politique et de l’Impôt, ch.I, sect, 4.

http://www.amazon.fr/Des-principes-l%C3%A9conomie-politique-
limp%C3%B4t/dp/2080706632/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=51dBMwI2
GyL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=0M3PX9F3
6K0EPQK6M3J2

Thomas Malthus (1766-1834): « Dans le pays de Malthus et de Ricardo, la


misère entre 1793 et 1815 est effroyable. Les guerres napoléoniennes ont coûté
à l’Angleterre environ 21 milliards. Le blocus continental, malgré son insuccès,
n’a pas laissé de porter atteinte à sa situation économique. La dette publique est
passée de 247 à 861 millions de £ : les charges publiques ont dû suivre la même
progression. D’autre part, la Grande-Bretagne est au plus douloureux moment
de sa transformation d’État agricole en État industriel. Les ouvriers sont
exposés à la concurrence des machines qui ont révolutionné l’industrie en
quelques années, et aussi à la concurrence qu’ils se font les uns aux autres, car
on sait que dans l’État qui s’industrialise la population s’accroît rapidement,
1007
l’industrie offrant un plus vaste débouché aux bras disponibles. Cet
accroissement pour l’Angleterre a été de 50% entre 1750 et 1800, de 90% entre
1800 et 1850. De 5 millions au début du XVIIIème siècle, la population passe à
19 millions en 1816. L’accroissement des subsistances n’a pas suivi cette
progression. Les campagnes sont abandonnées et la production agricole
décroît. Les approvisionnements militaires, une succession de mauvaises
récoltes ont accru la demande et diminué l’offre. Le prix du blé est passé de 49
sh. le quarter (21 fr. 07 l’hectol.) à un prix oscillant entre 80 et 120sh. (34 fr. 40
et 51 fr. 60) en 1800-1801220.

La rente du sol s’est accrue au bénéfice des propriétaires fonciers, mais la


misère du peuple est excessive et donne lieu à de sanglantes révoltes. » -Albert
Schatz, L’individualisme économique et social, Institut Coppet, 2012 (1907 pour
la première édition), p.95.

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6M3J2

John Stuart Mill (1806-1873) : « Il faut qu'il y ait un critère permettant de


juger du bien et du mal, absolu ou relatif, des buts, ou objets du désir. Et quel
que soit ce critère, il ne peut y en avoir qu'un seul: car, s'il y avait plusieurs
principes ultimes pour la conduite, une même conduite pourrait être approuvée
par un principe et condamnée par un autre; et il faudrait un principe plus
général encore pour trancher entre les deux. » -John Stuart Mill, A System of
Logic, 1843.

« Attribuer une quelconque nouveauté à la doctrine selon laquelle l'utilité


générale est le fondement de la morale révèle une grande ignorance de l'histoire
de la philosophie ... À toutes les époques de la philosophie, une de ses écoles a
été utilitariste – non seulement depuis le temps d'Épicure, mais bien avant. »
John Stuart Mill, « Bentham », dans The Collected Works, op. cit., vol. X, p. 86-
87.
1008
« Bentham n'a jamais songé à définir la morale comme l'intérêt personnel de
celui qui agit. Son "principe du plus grand bonheur" concernait le plus grand
bonheur de l'humanité et de tous les êtres doués de sensibilite. » -John Stuart
MILL, « Whewell on Moral Philosophy», The Collected Works, pp. cil., vol. X,
p. 184.

« Entre son bonheur personnel et le bonheur d’autrui, l’utilitarisme exige que


l’agent individuel soit aussi strictement impartial qu’un spectateur désintéressé
et bienveillant. Dans la règle d’or de Jésus de Nazareth, nous trouvons tout
l’esprit de la morale utilitariste. Faire ce que nous voudrions qu’on nous fît et
aimer notre prochain comme nous-mêmes constitue la perfection idéale de la
morale utilitariste. Comme moyens pour se rapprocher de cet idéal,
l’utilitarisme demande que les lois et l’organisation sociale mettent le bonheur
ou (comme on peut l’appeler dans la pratique) l’intérêt de chaque individu
autant que possible en harmonie avec l’intérêt du tout ; et, deuxièmement, que
l’éducation et l’opinion, qui ont un pouvoir si important sur le caractère
humain, usent de ce pouvoir pour établir dans l’esprit de chaque individu un
lien indissoluble entre son bonheur personnel et le bien du tout ; surtout entre
son bonheur personnel et les modes négatifs et positifs de conduite qui sont en
rapport avec ce que prescrit le bonheur universel ; de sorte que, non seulement
il ne puisse concevoir que son bonheur personnel est compatible avec une
conduite opposée au bien général, mais aussi qu’une impulsion directe à
favoriser le bien général puisse être en chaque individu l’un des motifs habituels
d’action et que les sentiments liés à cette impulsion puissent prendre une large
et dominante place dans l’existence sentante de tout être humain. » -John Stuart
Mill, L'utilitarisme, trad Philippe Folliot, coll "Les classiques des sciences
sociales" (1861 pour la première édition britannique), p.25-26.

« Il ne peut se trouver de terrain plus propice qu'une association communiste au


développement de cette idée que l'intérêt public est aussi l'intérêt particulier.
Toute l'émulation, toute l'activité physique et intellectuelle, qui s'épuisent
aujourd'hui à la poursuite d'intérêts personnels et égoïstes, chercheront un autre
champ d'action et le trouveront dans leurs efforts en vue du bien-être général de
la collectivité. » -John Stuart Mill, Économie politique, cité par August Bebel, in
La femme et le socialisme, 1891.

« Dans les circonstances particulières d'un âge ou d'une nation donnés, il n'y a
pratiquement rien de vraiment important pour l'intérêt général, qu'il ne soit pas
1009
désirable ou même nécessaire que le gouvernement entreprenne, non parce que
les individus ne pourraient pas le faire, mais simplement parce qu'ils ne le font
pas. Dans certains endroits et lieux il n'y aura pas de routes, de docks, de ports,
de canaux, de travaux d'irrigation, d'hôpitaux, d'écoles, de collèges, ni
d'imprimeries à moins que l'État ne les construise. » -J. S. MILL, Princip les of
Political Economy, livre V, ch. XI, § 16.

« L'éducation dispensée dans ce pays sur la base du principe volontaire [ ... ]


même en quantité est, et probablement demeurera, tout à fait insuffisante. [...]
L'éducation, donc, est une de ces choses qu'il est admissible, du point de vue des
principes, qu'un gouvernement fournisse au peuple. » -John Stuart MILL,
Principles of Political Economy, Penguin Classics, Londres, 1985, p. 318.

« Forcer des populations non préparées à subir le communisme, même si le


pouvoir donné par une révolution politique permet une telle tentative, se
terminerait par une déconvenue […] L’idée même de conduire toute l’industrie
d’un pays en la dirigeant à partir d’un centre unique est évidemment si
chimérique, que personne ne s’aventure à proposer une manière de la mettre en
œuvre. […] Si l’on peut faire confiance aux apparences, le principe qui anime
trop de révolutionnaires est la haine. » -John Stuart Mill (1806-1873), Essays
on Economics and Society, Chapters on Socialism, 1879, « The difficulties of
Socialism ».

« Dès la fin du 19ème siècle, Friedrich List (List [1857]) et John Stuart Mill
(Mill [Principles of Political Economy] [1848]) défendent l'idée selon laquelle le
surcoût lié au protectionnisme est légitime lorsqu'il permet l'émergence d'une
industrie nationale. »

« Les femmes sont aussi capables que les hommes d’apprécier et d’administrer
leurs intérêts, et la seule chose qui les en empêche est l’injustice de leur position
sociale actuelle. Tant que la loi comptera dans les biens du mari tout ce que la
femme acquiert, tandis qu’en la forçant à vivre avec lui elle la force à supporter
presque toute la somme d’oppression morale et même physique qu’il lui
convient d’imposer, il y a quelque motif de considérer tout acte fait par la
femme comme un résultat de la contrainte dans laquelle elle vit. » -John Stuart
Mill, Principes d’économie politique avec leurs applications en philosophie
sociale, 1848.

1010
« John Stuart Mill est un épigone du libéralisme classique qui fut plein de piteux
compromis, particulièrement à la fin de sa vie et sous l'influence de sa femme. Il
glissa progressivement vers le socialisme et est à l'origine de la confusion
irréfléchie des idées libérales et socialistes qui conduisit au déclin du
libéralisme anglais et à la diminution du niveau de vie de la population
anglaise.

Sans une étude sérieuse de Mill, il est impossible de comprendre les événements
qu'ont subis les deux dernières générations, car Mill est le grand défenseur du
socialisme. Il a élaboré avec attention et amour tous les arguments pouvant être
avancés en faveur du socialisme. Comparés à Mill, tous les autres auteurs —
même Marx, Engels et Lassalle — ont bien peu d'importance. » -Ludwig von
Mises, Le Socialisme, 1922.

“The influence which Mill's works exercised upon contemporary English


thought can scarcely be overestimated. His own writings and those of his
successors (e.g. J. E. Cairnes and Alexander Bain) practically held the field
during the third quarter of the 19th century and even later.” –“Mill, John
Stuart”, Encyclopædia Britannica, Volume 18, 1911.

“Social liberal thought originates in the writings of John Stuart Mill and his
successors labeled the New Liberals.” -Edwin van de Haar,
www.libertarianism.org, The Meaning of “Liberalism”, Apr 22, 2015.

« John Stuart Mill dont les idées empiristes et radicales sont officiellement
exclues du Tripos de sciences morales de Cambridge tant que celui-ci reste un
monopole anglican jusqu’en 1871. » -Julien Vincent, « Les « sciences morales »
: de la gloire à l’oubli ? », La revue pour l’histoire du CNRS [En ligne], 18 |
2007, mis en ligne le 03 octobre 2009, consulté le 15 janvier 2021. URL
: http://journals.openedition.org/histoire-cnrs/4551 ; DOI
: https://doi.org/10.4000/histoire-cnrs.4551

« Le principe du plus grand bonheur pour le plus grand nombre n’implique pas
seulement que je me décide moi-même à renoncer parfois à mes propres intérêts
(renoncement dont on vient de voir qu’il fallait, dans le cadre de l’utilitarisme et
en l’absence de l’idée de liberté comme arrachement à soi, l’expliquer par une
logique des sentiments), mais il peut s’accommoder aussi de ce que d’autres me
contraignent à le faire au nom du bien commun. Comme l’a parfaitement
montré John Rawls, l’utilitarisme ne peut éviter de trébucher sur la difficile
1011
question du sacrifice –par où il quitte l’orbite de l’individualisme moderne pour
s’apparenter à une nouvelle forme de « holisme », c’est-à-dire une vision du
monde dans laquelle l’intérêt du plus grand nombre prime sur celui de tel ou tel
individu particulier. » -Luc Ferry, Jean-Didier Vincent, Qu’est-ce que
l’homme ?, Éditions Odile Jacob, 2000.

« Dans l’utilitarisme de Mill, les hommes n’ont pas de droits naturels (comme le
dit Bentham, d’un point de vue utilitariste la notion de droits naturels est « une
absurdité montée sur des échasses »), ils n’ont pas de rapport avec un Dieu
créateur, pas de raison évidente se donner un gouvernement, et pas de principes
intangibles pour agencer celui-ci.

Certes, Mill affirme bien que « La seule raison légitime que puisse avoir une
communauté pour user de force contre un de ses membres, est de l’empêcher de
nuire aux autres », mais il ne nous donne pas de motifs puissants, ancrés dans la
nature humaine, pour accepter ce principe et s’y tenir ; outre le fait qu’il ne
définit pas clairement ce qui peut être considéré comme « nuisible ». » -Aristide
Renou, Vie et mort de la liberté de paroles, Ostracisme, jeudi 2 novembre 2017.

« Even Wendell Phillips, the former abolitionist who would defend unrestricted
Chinese immigration to his dying day, called the Chinese “barbarous”, of an
“alien blood”, and capable of “dragging down the American home to the level
of the houseless street herds of China”. And liberal-thinking John Stuart Mill
worried that Chinese immigration could result in “a permanent harm” to the
“more civilized and improved portion of mankink”. » -Andrew Gyory, Closing
the Gate. Race, Politics, and the Chinese Exclusion Act, University of North
California Press, 1998, 368 pages, p.18.

« John Stuart Mill (1806-1873) abandonne la conception de l'unité


fondamentale de l'humanité au profit de l'idée qu'il existe des différences
essentielles entre les races qui la constituent. Un tel basculement s'accompagne,
dans les premières décennies du XIXe siècle, par la dissociation dans les esprits
de deux phénomènes jusque-là étroitement liés: l'esclavage -aboli par
l'Angleterre en 1838- et les colonies- que ce pays développe alors, au contraire,
sur une grande échelle, en Afrique et surtout en Inde. Alors que chez les auteurs
libéraux du XVIIIe siècle, britanniques comme français, ces deux phénomènes
étaient l'objet, au nom de l'humanisme et de la morale, d'une même réprobation,
désormais, au nom de ces mêmes notions, l'esclavage est condamné. La

1012
colonisation, quand à elle, est vantée et préconisée. » -Gilles Manceron, préface
à Jennifer Pitts, Naissance de la bonne conscience coloniale: les libéraux
français et britanniques et la question impériale (1770-1870), Paris, Les
Éditions de l'Atelier/Éditions ouvrières, 2008, p.9.

« Mill a transformé la conception libérale classique de la liberté. Pour lui, les


obstacles à la liberté ne se situent pas dans les seules contraintes exercées
directement par autrui, dans les relations interpersonnelles ou dans les abus de
pouvoir de l'Etat, mais, de manière beaucoup plus insidieuse et invisible, dans
les conditions sociales elles-mêmes de l'existence individuelle ainsi que dans les
inégalités de pouvoir économique, social et culturel. La liberté suppose donc
une connaissance de ces facteurs sociaux. La sociologie naissante, l'histoire
vont être mises au service de l'émancipation humaine. La liberté doit cesser
d'être pensée comme un attribut " naturel " de l'individu présocial pour être
transformée en un concept " relationnel " et " positif " qui inclut les moyens
d'action et l'accès aux ressources sociales sans lesquelles le potentiel de
l'individu ne peut se réaliser. Mill ne définit donc pas la liberté individuelle par
la seule liberté des marchés, mais prône une intervention des pouvoirs publics
pour venir en aide aux déshérités, acceptant que les droits de propriété soient
encadrés et limités, réclamant même une taxe sur les héritages et appuyant le
mouvement coopératif naissant. » -Catherine Audard, « Le “nouveau”
libéralisme », L'Économie politique, 2009/4 (n° 44), p. 6-27.

"Depuis le milieu du XIXe siècle s’est développé une forme de libéralisme qui
prend en compte les limites du capitalisme et qui tend à dépasser le libéralisme
classique de John Locke et Adam Smith pour défendre une forme de libéralisme
social, de libéralisme égalitariste, voire même de socialisme libéral. C’est
précisément à cette famille de théories libérales, que je dénomme globalement
libéralisme moderne, que je me consacre. Deux figures clefs de la philosophie
morale et politique en incarnent les traits les plus saillants. Au XIXe siècle, il
s’agit en particulier de John Stuart Mill qui, tout en s’inscrivant dans la
tradition du libéralisme classique, ouvre la réflexion libérale à une forme de
socialisme, de même qu’à un libéralisme des mœurs cultivant une tolérance
étendue. Au XXe siècle, l’œuvre monumentale de John Rawls s’inscrit dans la
même veine. Cependant, Rawls substitue aux fondements utilitaristes et à
l’empirisme de Mill une approche contractualiste d’inspiration kantienne. Mais,
à l’image de Mill et peut-être même davantage que lui, Rawls reste tout à fait
ouvert à la possibilité d’un régime socialiste, au sens fort du mot." (p.9-10)
1013
-Alain Boyer, Quels fondements éthiques pour quel libéralisme ? Critique et
justification (malgré tout) du libéralisme moderne, Thèse de doctorat présentée à
la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg (Suisse) Genève, août 2007.

« L'économiste Stuart Mill, ce probe savant qu'il est bon de donner en exemple à
tous ses confrères. » -Élisée Reclus, "La peine de mort", Conférence faite à une
réunion convoquée par l’ " Association Ouvrière " de Lausanne (1879).

http://hydra.forumactif.org/t199-john-stuart-mill-de-la-liberte-l-utilitarisme-mes-
memoires-histoire-de-ma-vie-et-mes-idees#431

John Bright (1811 – 1889) et l’École de Manchester:


http://academienouvelle.forumactif.org/t6291-nicholas-elliott-john-bright-voice-
of-victorian-liberalism#7408

http://www.amazon.fr/John-Bright-Statesman-Orator-
Agitator/dp/1848859961/ref=tmm_hrd_title_0?ie=UTF8&qid=1447024222&sr=
8-1

http://hydra.forumactif.org/t2150-william-dyer-grampp-the-manchester-school-
of-economics#2863

Robert Peel (1788-1850): « Le succès de l'Ecole de Manchester entraîne une


recomposition de la vie parlementaire et politique dès 1846 lorsque le premier
ministre Robert Peel forme une nouvelle majorité autour du vote du libre-
échange: non seulement le courant libéral s'identifie pour la première fois avec
un programme plus large que le seul constitutionnalisme fondateur, avec le
libéralisme économique, le pacifisme, l'émancipation religieuse, mais surtout la
conquête du whiggisme par les libéraux ou par les conservateurs convertis
(Peel, Gladstone) permet au courant libéral de constituer, face au courant
conservateur issu du torysme, l'un des deux axes du two-party system
naissant. » -Nicolas Roussellier, L'Europe des libéraux, Éditions Complexe,
1991, 225 pages, p.58.

Richard Cobden (1804-1865) : http://academienouvelle.forumactif.org/t6122-


richard-cobden#7210

Benjamin Constant (1767-1830) : « J’ai défendu quarante ans le même


principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie,
en politique : et par liberté, j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur

1014
l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui
réclament le droit d’asservir la minorité à la majorité. » -Benjamin Constant.

« La route que Bentham a préférée l'a conduit à des résultats parfaitement


semblables aux miens ... Nul doute qu'en définissant convenablement le mot
d'utilité, l'on ne parvienne à appuyer sur cette notion précisément les mêmes
règles que celles qui découlent de l'idée du droit naturel. » -Benjamin
CONSTANT, « Du principe de l'utilité ... », in Principes de politique, Hachette,
coll. « Pluriel », Paris, 1997, p. 61-63.

« Depuis que l’esprit de l’homme marche en avant /…/ il n’est plus d’invasion
de barbares, plus de coalition d’oppresseurs, plus d’évocation de préjugés, qui
puisse le faire rétrograder. /…/ Il faut que les lumières s’étendent, que l’espèce
humaine s’égalise et s’élève, et que chacune de ces générations successives que
la mort engloutit, laisse du moins une trace brillante qui marque la route de la
vérité. » - Benjamin Constant, Écrits et discours, éd. O. Pozzo di Borgo, Jean-
Jacques Pauvert, 1964, vol. 1, p. 127.

« De ce que la liberté moderne diffère de la liberté antique, il s’ensuit qu’elle est


aussi menacée d’un danger d’espèce différente. Le danger de la liberté antique
était qu’attentifs uniquement à s’assurer le partage du pouvoir social, les
hommes ne fissent trop bon marché des droits et des jouissances individuelles.
Le danger de la liberté moderne, c’est qu’absorbés dans la jouissance de notre
indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne
renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir politique.

Les dépositaires de l’autorité ne manquent pas de nous y exhorter. Ils sont si


disposés à nous épargner toute espèce de peine, excepté celle d’obéir et de
payer ! Ils nous diront : Quel est au fond le but de vos efforts, le motif de vos
travaux, l’objet de toutes vos espérances ? N’est-ce-pas le bonheur ? Eh bien, ce
bonheur, laissez-nous faire, et nous vous le donnerons. Non, Messieurs, ne
laissons pas faire ; quelque touchant que ce soit un intérêt si tendre, prions
l’autorité de rester dans ses limites ; qu’elle se borne à être juste. Nous nous
chargerons d’être heureux. »

« Loin donc, Messieurs, de renoncer à aucune des deux espèces de liberté dont
je vous ai parlé, il faut, je l’ai démontré, apprendre à les combiner l’une avec
l’autre. » -Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des
Modernes, 1819.
1015
« Hayek claimed that the characteristic great liberals of the nineteenth century
were Tocqueville and Lord Acton. In my opinion, if one had to choose a single
fountainhead of liberalism in the century, it would be Benjamin Constant.”

-Ralph Raico, Authentic German Liberalism of the 19th Century, 20 avril 2005.

« Libéralisme de Constant dont les Principes de politique sont, en 1806, l’acte


français de naissance. »

« Chez Godwin, dont il a traduit l’Enquête à la fin du siècle, Constant rencontre


au contraire une figure positive de l’individu. »

« Il faut rejeter Godwin dans le camp des utopistes – aussi bien, Constant
renonce-t-il à publier sa traduction de l’Enquête. Pour le dire autrement : il est
faux que le gouvernement soit, comme le prétendait Paine, un « mal nécessaire
» ; il est encore plus faux qu’il soit, comme le prétendait Godwin, un mal
provisoirement nécessaire : en vérité, c’est un bien, à jamais indispensable,
pour autant du moins qu’il exerce son autorité dans l’étendue qui est
naturellement la sienne. » -Bertrand Binoche, « Les deux principes du
libéralisme », Actuel Marx, 2004/2 (n° 36), p. 123-149.

« Benjamin Constant, le pourfendeur de Napoléon Attila en 1814, qui en devient


le premier auxiliaire durant les Cent Jours. C’est lui qui composera l’Acte
additionnel aux constitutions de l’Empire. » -Annie Jourdan, « La France des
Cent Jours », La Vie des idées, 21 novembre 2008.

“L’arriviste qu’on nous dépeint présente une curieuse particularité, par rapport
à ceux qui seraient ainsi ses congénères : c’est qu’il n’est jamais, lui, vraiment
parvenu. Qu’il s’est au contraire, souvent, placé volontairement ou naïvement,
comme on voudra, à contre-courant : expulsé du Tribunat pour crime
d’opposition, exilé volontaire aux côtés de Mme de Staël, contraint de gagner
l’Angleterre pour avoir cru faire le bon choix aux Cent-Jours, leader de
l’opposition libérale aux pires heures de la Terreur blanche. Si cela ne
l’exempte pas de ses faiblesses, que cela soit néanmoins la preuve, — sauf à
croire qu’il se trompait à chaque fois dans ses calculs, ce qui ne laisserait pas
d’étonner chez un homme qu’on veut nous faire passer pour plus qu’avisé, —
qu’il plaçait sans aucun doute quelques valeurs réelles plus haut que ses intérêts
personnels. » -Paul Delbouille, « Aux sources de la démocratie libérale :

1016
Benjamin Constant », Revue d'histoire littéraire de la France, 2/2006 (Vol.
106), p. 259-270.

« La critique d’une société basée sur l’intérêt bien entendu est particulièrement
virulente chez Benjamin Constant, dans l’ouvrage qu’il consacre à la religion.
Cf. Constant B. De la religion considérée dans sa source, sa forme et ses
développements. » -Laurence Loeffel, « Aux sources de l'éducation laïque et
libérale : spiritualisme et libéralisme en France au xixe siècle », Les Sciences de
l'éducation - Pour l'Ère nouvelle, 2008/2 (Vol. 41), p. 25-43.

« La grande force de Constant est de ne pas considérer la souveraineté


populaire comme légitime par origine, mais plutôt par destination. Ce n’est pas
tant qu’émanant du peuple qu’elle est bonne, mais en ce qu’elle permet d’éviter
que le pouvoir soit détourné à des fins personnelles et que, ce faisant, il
amoindrisse les libertés. » -François Huguenin, Histoire intellectuelles des
droites. Le conservatisme impossible, Perrin, coll. Tempus, 2013 (2006 pour la
première édition), 496 pages, p.73.

« Le rationalisme libéral et le romantisme cohabitent dans la pensée de


Constant. » -Olivier Meuwly, « Constant et le romantisme », dans Liberté et
société. Constant et Tocqueville face aux limites du libéralisme moderne.
Genève, Librairie Droz, « Travaux de Sciences Sociales », 2002, p. 101-108.
URL : https://www.cairn.info/liberte-et-societe-constant-et-tocqueville--
9782600006309-page-101.htm

http://www.institutcoppet.org/2014/08/30/benjamin-constant-les-droits-
individuels-plutot-que-le-principe-de-lutilite

http://www.amazon.fr/Benjamin-Constant-muscadin-1795-1799-
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1017
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moderne/dp/2130457428/ref=sr_1_fkmr3_3?s=books&ie=UTF8&qid=1455197
749&sr=1-3-
fkmr3&keywords=les+sectes+le+lib%C3%A9ralisme+moderne+de+vaux

Antoine-Louis Destutt de Tracy (1754-1836) et les Idéologues : « Le vieux


Voltaire était alors reconnu dans toute l’Europe comme le pontife de la religion
nouvelle. M. de Tracy était allé le voir à Ferney. Voltaire l’avait accueilli avec
toutes les séductions de sa grâce et de son esprit, et, posant la main sur le
magnifique front de ce jeune homme, il sembla lui avoir donné la mission
philosophique qu’il exerça plus tard.

Avant de se consacrer à la science des idées, M. de Tracy embrassa et servit la


cause des réformes sociales. Devenu en 1776, à la mort de son grand-père,
comte de Tracy en Nivernais, seigneur de Paray-le-Frésil en Bourbonnais, et
possesseur d’une fortune considérable, il se maria peu de temps après avec Mlle
de Durfort-Civrac, proche parente du duc de Penthièvre, qui donna à M. de
Tracy le commandement du régiment de son nom. Il avait trente-cinq ans
lorsque la révolution éclata. Attaché aux intérêts de sa province, dévoué aux
grands principes politiques qui animaient alors toute la France, il prit une part
active aux opérations des états particuliers du Bourbonnais, en novembre 1788,
et fut nommé le 24 janvier 1789, par la noblesse de cette province, l’un de ses
trois députés aux états-généraux. Lié par son mandat, qui lui en faisait une
obligation impérieuse, M. de Tracy ne put se rendre dans la salle des communes
que le 28 juin avec la majorité de la noblesse. Mais, dès qu’il lui fut permis de
suivre librement ses convictions, il alla siéger dans l’assemblée constituante, du
même côté que le duc de La Rochefoucauld auquel il portait une affection
respectueuse, que le général Lafayette, son ami pendant cinquante ans, que tant
d’hommes généreux en un mot qui préféraient la nation à leur caste et la cause
des idées à celle de leurs intérêts. Modeste, mais résolu, M. de Tracy s’associa
sans bruit et avec persévérance à toutes les mesures prises par cette admirable
assemblée, qui, obéissant à l’impulsion de ses belles croyances, opéra dans la
société civile le plus vaste et le plus heureux changement sorti jusqu’alors des
délibérations humaines. […]

La plupart des officiers avaient quitté l’armée pour émigrer. Ceux qui n’avaient
point abandonné leur patrie et qui se proposaient de défendre la révolution avec
un dévouement sincère, restaient suspects. M. de Tracy avait eu le bonheur et
1018
l’habileté d’inspirer une confiance affectueuse au régiment de Penthièvre, qu’il
commandait depuis plus de dix ans, et qui, témoin de son constant esprit de
justice envers les sous-officiers et certain de son loyal attachement à la cause
populaire, lui demeurait inébranlablement fidèle. Dans ce temps de péril et de
suspicion, M. de Tracy aurait voulu combattre à sa tête ; mais il ne le put pas.
M. de Narbonne, alors ministre de la guerre et avec lequel il s’était lié d’une
étroite amitié à l’université de Strasbourg, le nomma malgré lui maréchal-de-
camp, et mit sous ses ordres toute la cavalerie de l’armée du nord, que
commandait le général Lafayette.

Avant d’aller occuper son poste, au printemps de 1792, M. Tracy se présenta


aux Tuileries pour prendre congé du roi. Le même jour, à la même heure, s’y
présentait aussi un homme de grande naissance prêt à partir pour l’émigration.
Entre ces deux serviteurs de la vieille et de la nouvelle monarchie, les
préférences ne furent pas douteuses. Celui qui se rendait à Coblentz, avec
l’intention non déguisée de rentrer bientôt en France les armes à la main, fut
comblé d’attentions ; celui qui se rendait à la frontière, pour y défendre son
pays contre l’Europe, n’obtint ni une parole ni un regard. M. de Tracy se retira,
l’âme remplie des plus tristes pressentiments, et il vit, dans un avenir prochain,
ou la France livrée à l’invasion étrangère, ou le roi succombant, par
l’imprudence de l’émigration, sous la défiance et sous les emportements
populaires.

Il ne se trompait point, et pendant qu’il allait combattre la coalition européenne,


le trône s’écroulait au 10 août. Le général Lafayette, qui venait d’essayer, par
un dernier mais inutile effort ; d’affermir la constitution ébranlée, demeurant
fidèle à ses opinions et à ses serments, se déclara contre la victoire
républicaine. Décrété d’accusation par le parti triomphant, il se vit réduit à
quitter la France pour que la révolution ne fût pas compromise par sa
résistance ou souillée par sa mort. La veille de son départ, il prévint M. de
Tracy de sa résolution. Elle était trop inévitable et trop légitime pour que M. de
Tracy la désapprouvât, mais il ne crut pas devoir s’y associer. Ses périls étant
moins certains, il se considéra comme soumis à d’autres obligations, et il pensa
que, s’il n’avait pas le pouvoir de servir sa cause, il n’avait pas le droit de
quitter son pays. Il ne se démit pas même de son grade de maréchal-de-camp, et
il se fit accorder un congé sans terme par le général qui, le lendemain, devait
être un proscrit. Alors ces nobles amis se séparèrent. L’un franchit la frontière
et n’échappa aux violences populaires que pour être jeté dans les cachots
1019
d’Olmütz ; l’autre se dirigea vers Paris, l’âme attristée, mais ferme, résolu de
traverser sans imprudence comme sans crainte les jours obscurs qui se levaient
sur l’horizon orageux de la France. […]

L’esprit de M. de Tracy, qui avait été trop exigeant pour rester dans l’école de
Buffon, était trop élevé pour s’arrêter dans celle de Lavoisier. Aussi, après avoir
étudié les phénomènes de la matière, il rechercha les lois de l’intelligence, et il
prit pour ses derniers maîtres Locke et Condillac. Mais ce ne fut pas dans sa
tranquille retraite, au sein de sa famille, au milieu de ses amis, qu’il aborda les
grands problèmes du monde moral. Il y avait un peu plus d’un an qu’il s’était
retiré à Auteuil, lorsqu’il fut arraché violemment à ses travaux. Au moment où
la plus sombre terreur se répandait sur la France, où tout ce qui avait distingué
autrefois rendait suspect, où tout homme suspect devenait captif, et où tout
captif semblait marqué d’avance du sceau de la mort, M. de Tracy fut enveloppé
dans la proscription commune. Le 2 novembre 1793, au matin, un détachement
de l’armée révolutionnaire commandé par le fameux général Ronsin entoura sa
maison d’Auteuil, et, après une visite domiciliaire qui ne laissa découvrir que
ses très innocents travaux, il fut conduit à Paris et enfermé à l’Abbaye. Il resta
déposé pendant six longues semaines au réfectoire de cette prison avec trois
cents compagnons de captivité, qui y étaient entassés dans un espace si étroit et
au milieu d’un air si infect, qu’ils pouvaient à peine s’y mouvoir et y respirer.
[…]

Tandis que l’école de Descartes examinant la pensée en elle-même, dans sa


nature spirituelle, dans ses facultés intrinsèques, avait trop négligé les relations
de ces facultés mêmes et avec les sens et avec le monde extérieur, l’école
nouvelle devait suivre une direction contraire. Partant des sens et voyant naître
réellement de leur action un très grand nombre d’idées qui composent
l’intelligence, elle devait être entraînée à confondre l’intelligence tout entière
avec la sensibilité, à déclarer qu’il n’y avait rien dans l’homme que la
sensation, et que l’âme c’était le corps. C’est ce qui fut fait successivement par
Locke et ses disciples.

Locke se borna d’abord à réhabiliter, dans son Essai sur l’entendement humain,
qui devint l’objet limité de la philosophie, la vieille maxime d’Aristote, qu’il n’y
avait rien dans l’intelligence qui n’y vînt par les sens. Il composa toutefois
l’entendement humain des sens et de la réflexion, qui concouraient également à
la formation des idées. Il ne mutilait pas l’homme spirituel, mais son principe
1020
avait des conséquences qui devaient être tirées, et elles le furent d’une manière
complète, avec l’inexorable logique de la pensée française.

Condillac, en effet, voyant que toutes les opérations de l’intelligence


s’accomplissaient à la suite des impressions produites sur les sens, considéra
ces opérations comme une dépendance des sensations elles-mêmes. La sensation
devint dès-lors la source unique de toutes les fonctions de l’entendement, le
principe de toutes les facultés, qui ne furent que des sensations transformées. Il
laissa bien entrevoir l’âme au-delà de toutes ces facultés en quelque sorte
passives, et au-dessus de ces opérations pour ainsi dire mécaniques ; mais il la
rendit inutile en la maintenant inactive. Elle n’était ni le siège des facultés ni la
cause de leurs actes. Condillac avait supprimé la réflexion active de Locke, M.
de Tracy supprima l’âme oisive de Condillac. […]

Successeur de Smith, émule de son ami J.-B. Say, il appréciait avec une grande
sagacité la valeur du travail, la théorie des monnaies, la nature et l’influence de
l’impôt, et il exposait toute la science de la richesse sous une forme saisissante,
dans l’enchaînement rigoureux de ses vérités fondamentales. […]

Traduit en anglais par M. Jefferson lui-même, enseigné dans le collège de


Charles-et-Marie, qu’il avait fondé, le Commentaire de l’Esprit des lois
prospéra d’autant plus en Amérique, qu’il semblait être la critique de l’Europe.
[…]

La chute de l’empereur lui parut le retour à la liberté, et, en votant sa


déchéance en 1814, le sénateur crut revenir aux idées de l’ancien constituant.
Nommé membre de la chambre des pairs, il s’éleva dans cette assemblée contre
la fougueuse réaction de 1815, refusa de prendre part aux procès politiques, et
repoussa toutes les lois contraires à l’esprit et aux établissements de la
révolution. […]

Les sentiments de M. de Tracy étaient droits et hauts comme son ame. Il cachait
un cœur passionné sous des dehors calmes. Il y avait en lui, un désir vrai du
bien, un besoin d’être utile qui passait fort avant la satisfaction d’être applaudi,
une modestie sincère qui ne laissait apercevoir aucun orgueil caché, et la plus
grande envie de ne tromper ni soi ni autrui. Aussi était-il dépourvu
d’exagération, excepté, si on peut dire ainsi, dans son horreur pour le
mensonge, qui lui donnait un air outré vis-à-vis de beaucoup de gens. Son
extrême politesse était mêlée à un certain désir de déplaire à ceux dont il faisait
1021
peu de cas. Autant il savait être aimable, autant il pouvait être sec. On l’a
appelé Têtu de Tracy. Il disait que c’était un excellent nom. Il y avait chez M. de
Tracy un contraste singulier de simplicité démocratique et de manières féodales.
Ayant à la fois reçu l’éducation aristocratique de l’ancien monde et les
principes libéraux du XVIIIe siècle, il était resté dans ses habitudes en arrière
de ses idées. […]

M. de Tracy est du petit nombre de ces hommes rares qui ont donné le beau
spectacle d’une parfaite harmonie entre l’intelligence et le caractère, entre la
raison et la conduite. Il n’a pas agi autrement qu’il n’a pensé, et sa vie a été le
pur reflet d’une longue idée. Pendant quatre-vingt-deux ans, il a eu le même
amour pour la liberté, la même foi dans la vérité, et il a marché avec courage
dans les voies droites où il était d’abord entré, sans autre ambition que celle de
voir la raison triomphante et l’humanité heureuse. Ayant fait partie de cette
généreuse noblesse qui avait coopéré à une révolution d’égalité ; n’ayant pas
voulu quitter le sol de la patrie dans les moments du plus extrême péril ; sans
crainte en prison, sans faiblesse au sénat ; dans ses livres, inspiré par le désir
d’être utile ; au milieu de sa famille, affectueux ; avec ses amis, dévoué ; dans
ses actions, irréprochable, M. de Tracy a été un grand philosophe, un excellent
citoyen et un homme de bien. » -François-Auguste Mignet, La vie et les travaux
de Destutt de Tracy, Revue des Deux Mondes, 4ème série, tome 30, 1842.

« Il n’y a pas eu de grands penseurs parmi les idéologues ; ce sont de médiocres


écrivains, usant de ce style terne et parfois empathique qui n’a pas été touché du
souffle romantique et conserve les mauvaises traditions du XVIIIe siècle
finissant. » -Émile Bréhier, Histoire de la philosophie, t.II, fasc. 3, p.610.

« Dans la tradition politico-économique française, les « Idéologues » assurent


la transition entre le XVIIIe et le XIXe siècles. C’est par eux que l’inspiration
économique libérale de Turgot et des Physiocrates passe à Benjamin Constant,
au groupe du Journal des Économistes (Charles Comte, Charles Dunoyer,
Charles Coquelin, Adolphe Blanqui…), à Frédéric Bastiat, et aux fondateurs de
la IIIe République comme Édouard de Laboulaye. Il vaut la peine de donner un
coup de projecteur sur Antoine-Claude Destutt, comte de Tracy (1754-1836),
auteur dont la pensée est d’autant plus significative qu’il n’est pas un
économiste spécialisé et qu’il reflète plutôt les idées dominantes du groupe, ou
du moins les idées couramment discutées en son sein (on sait que les «
Idéologues » se sont constamment réunis pendant la période révolutionnaire et
1022
sous le Consulat ). Il est conduit à discuter longuement de la liberté économique
dans un ouvrage où il expose une philosophie politique générale essentiellement
libérale, le Commentaire sur « L’Esprit des lois » de Montesquieu.  

Destutt de Tracy ne peut, comme Condorcet dans ses Observations sur le


XXIXe livre de « L’Esprit des lois », manquer de voir que Montesquieu, célébré
comme libéral par le parti philosophique parce qu’il a été, un temps,
compagnon de route des Encyclopédistes, est en réalité un partisan de la
réaction nobiliaire. S’il est anti-absolutiste, ce n’est pas au nom d’un état de
droit démocratique et libéral, mais au nom de l’ancienne société féodale. Il aime
la liberté, mais celle des aristocrates, et non la liberté de tous, non plus que
l’égalité devant la loi, ni en général le « règne du droit ». Le Commentaire de
Destutt est donc essentiellement une condamnation, polie, mais sans appel, de la
philosophie politique de Montesquieu. » -Philippe Nemo, « A. Destutt de Tracy
critique de Montesquieu : le libéralisme économique des Idéologues »,
Romantisme, 2006/3 (n° 133), p. 25-34.

"Les "Idéologues" sont un groupe d'intellectuels et de savants français de


l'époque de la Révolution, de l'Empire et de la Restauration, qui assurent la
continuité entre l'esprit des Lumières et le rationalisme et le républicanisme du
XIXe siècle. Ils appartiennent essentiellement à l'histoire de la démocratie
libérale, comme il est naturel pour les continuateurs de Turgot et des
Physiocrates, pour les prédécesseurs de Dunoyer, Bastiat ou Laboulaye. Ils
seront la référence intellectuelle obligée des fondateurs des IIe et IIIe
Républiques.
Quiconque fait l'histoire des sciences et l'histoire politique de la France de cette
époque ne peut manquer de les croiser. Ils ont joué un rôle crucial dans le
développement des sciences, notamment chimiques, biologiques et médicales,
mais aussi dans l'apparition de ce qu'on appellera bientôt les "sciences
humaines". [...] Ils sont à l'origine des études philologiques et grammaticales
modernes. Sur le plan tant théorique que pratique, ils appartiennent à l'histoire
des institutions scolaires et scientifiques du pays ; ils jouent le premier rôle dans
les discussions théoriques à ce sujet sous la Révolution, puis dans les
réalisations pratiques au moment où ils ont une part de pouvoir politique, c'est-
à-dire sous la Convention thermidorienne, sous le Directoire et pendant les
premiers mois du Consulat. Ils sont les créateurs des Écoles centrales, ancêtres
des lycées modernes, de l'Institut (notamment de sa fameuse deuxième classe,
celle des sciences morales et politiques) et des "écoles spéciales", c'est-à-dire
1023
les futures Grandes Écoles.
Un groupe aussi important n'aurait jamais dû être oublié ni cesser d'être étudié,
comme le sont, par exemple, les Philosophes du XVIIIe siècle, les
Encyclopédistes ou encore les représentants de l' "idéalisme allemand". Les
Idéologues ont cependant subi une singulière occultation de la part de
l'historiographie française officielle, et il semble bien que ce soit du fait de leur
libéralisme. D'une façon générale, on en parle peu ; quand on en parle, c'est
pour célébrer leur [...] action dans la construction des institutions scientifiques
et scolaires du pays, mais sans mettre en relief le fait qu'ils étaient opposés à
toute forme de monopole éducatif de l'Etat, projet qu'ils identifiaient avec le
despotisme (celui des Jacobins d'abord, de Napoléon ensuite)." (p.324)

"La principale revue des Idéologues a pour titre La Décade philosophique. Elle
est le reflet de leurs activités et de leurs réflexions. Le rédacteurs en chef en est
Jean-Baptise Say." (p.330)

"Les Idéologues sont et se veulent les adversaires, dès l'époque du Génie du


christianisme de Chateaubriand (1802), de tous les "réactionnaires" qu'ils
soupçonnent de vouloir restaurer l'esprit dogmatique et antiscientifique de
l'Ancien Régime. Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, ils
polémiquent contre les "théocrates" Maistre ou Bonald, et même contre les
éclectiques comme Victor Cousin." (p.331)
-Philippe Nemo, "Les Idéologues et le libéralisme" ", chapitre in Philippe Nemo
et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF,
2006, 1427 pages, pp.323-367.

http://hydra.forumactif.org/t773-antoine-louis-destutt-de-tracy-elements-
dideologie-traite-d-economie-politique-autres-œuvres

http://hydra.forumactif.org/t2694-timothy-d-terrell-leconomie-selon-destutt-de-
tracy#3448

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8-13&keywords=Destutt+de+Tracy

1024
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proprement/dp/2711621359/ref=sr_1_9?s=books&ie=UTF8&qid=1461787549
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Grammaire/dp/2711621367/ref=sr_1_15?s=books&ie=UTF8&qid=1461787681
&sr=1-15&keywords=destutt+de+tracy

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did%C3%A9ologie-
Troisi%C3%A8me/dp/2711621375/ref=sr_1_16?s=books&ie=UTF8&qid=1461
787681&sr=1-16&keywords=destutt+de+tracy

https://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-El%C3%A9ments-
did%C3%A9ologie-
volont%C3%A9/dp/2711621383/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=1461787
549&sr=1-3&keywords=destutt+de+tracy

https://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-VII-Commentaires-
Montesquieu/dp/2711621391/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1461787681
&sr=1-1&keywords=destutt+de+tracy

http://www.amazon.fr/Centre-introuvable-politique-doctrinaires-
Restauration/dp/2259203787/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1458149946&sr=8-
1&keywords=Le+centre+introuvable%3A+la+pens%C3%A9e+politique+des+d
octrinaires+sous+la+Restauration

Pierre Daunou (1761-1840): « Il est bon de payer tout le monde à la tâche,


même les philosophes et les précepteurs du genre humain. »

« Que ce genre d’instruction soit, comme le commerce, honoré et non pas


entrepris par l’Etat. » -Pierre Daunou, Essai sur l'instruction publique, 1793.

La Restauration (1815-1830) : « Et qui pourrait se plaindre de cette Charte ?


Elle réunit toutes les opinions, réalise toutes les espérances, satisfait tous les
besoins. […] Toutes les bases d’une liberté raisonnable y sont posées ; et les
principes républicains s’y trouvent si bien combinés qu’ils y servent à la force et
à la grandeur de la Monarchie. […]

La Charte n’est donc point une plante exotique, un accident fortuit du moment :
c’est le résultat de nos mœurs présentes, c’est un traité de paix signé entre les
1025
deux partis qui ont divisé les François, traité où chacun des deux abandonne
quelue chose de ses prétentions pour concourir à la gloire de la Patrie. » -
François René de Chateaubriand, De la monarchie selon la Charte, 1816.

« En présence de Dieu, je promets à mon peuple de maintenir et d’honorer notre


sainte religion, comme il appartient au Roi très chrétien et au fil ainé de
l’Église, de rendre bonne justice à mes sujets ; enfin de gouverner
conformément aux lois du royaume et à la Charte constitutionnelle, que je jure
d’observer fidèlement. Qu’ainsi Dieu me soit en aide et ses saints Évangiles. » -
Serment prononcé par Charles X à son sacre, mai 1825.

« Au sortir de la période révolutionnaire et de l’Empire, alors que les armées


européennes coalisées ont restauré la monarchie, l’interprétation de la
Révolution française devient une question centrale. Comment, en effet, intégrer
dans l’histoire de la France cette rupture revendiquée qui a soudainement
abrogé des institutions centenaires ? Est-elle un accident, une parenthèse que
l’on pourrait refermer, comme le soutiennent les ultras, ou bien le produit du
mouvement de la société, la conséquence d’une évolution nécessaire et
irréversible que tout gouvernement doit prendre en compte comme le pensent
leurs adversaires libéraux ?

Pendant les quinze années qui s’écoulent de la chute de l’Empire à la révolution


de 1830, l’actualité politique de ces questions ne se dément pas. Leur enjeu est,
ni plus ni moins, celui de la légitimité des élites bourgeoises à participer au
gouvernement de la France et la validité du compromis constitutionnel ébauché
par la Charte. » (p.11)

« Dès lors, concevoir une histoire qui explique la rupture révolutionnaire et


parvienne à articuler ensemble les parties disjointes de l’histoire de France est
une tâche primordiale. On attend de l’histoire qu’elle permette de comprendre
les conflits qui divisent les Français comme ce qui les unit. Face à la fragilité
des gouvernements et des institutions politiques, à la répétition compulsive du
geste révolutionnaire qui oppose même les héritiers de la Révolution entre eux,
les historiens se voient reconnus un formidable magistère : celui de dire la
vérité de la France. Par un singulier retournement, le spécialiste du passé fait
figure de prophète. » (p.112)

1026
-Christian Delacroix, François Dosse et Patrick Garcia, Les courants historiques
en France. XIXe – XXe siècle, Gallimard, coll. Folio histoire, 2007 (1999 pour la
première édition), 724 pages.

« J'appelle parti libéral, cette jeunesse incrédule et libertine, qui soupire


ardemment après une révolution nouvelle et plus complète que la première.
J'appelle enfin parti libéral, ces hommes dépravés pour qui le crime est un
besoin, qui ne reculent devant aucune atrocité, et qui saluent déjà avec
transport et comme assez rapproché le jour où ils pourront assouvir toute leur
rage sur les prêtres, les catholiques et les royalistes. Or ces hommes ennemis
sont répandus partout ; et quoiqu'ils ne forment pas le plus grand nombre des
Français, néanmoins ils sont évidemment assez pour tout bouleverser, si on les
laisse faire encore quelque temps. » -E. F. J. Lescouf (curé au diocèse de
Cambrai), Avis à tous les bons Français. Catéchisme anti-libéral. Projets
impies, immoraux et anarchiques du libéralisme, Marseille, 1830, 49 pages, p.3.

« Les théoriciens français de la contre-révolution ne jouissent d’une réelle


influence qu’à partir la Restauration. » -Jacques Prévotat, « La culture politique
traditionaliste », chapitre 2 in Serge Bernstein (dir.), Les cultures politiques en
France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003 (1999 pour la première édition),
440 pages, pp.38-72, pp.38-39.

« Il existe à Paris en 1828 plus de 500 cabinets de lecture pour une population
d’environ 800 000 habitants. » (p.80)

« Après la floraison de clubs et de journaux entre février et juin 1848, un décret


du 28 juillet 1848 soumet les clubs à l’obligation de la déclaration préalable et
impose la présence d’un représentant de la police. La loi du 19 juillet 1849,
completée en 1850 et en 1851, donne droit au gouvernement de surveiller et
même de fermer un club sur simple décision administrative. » (note 13 p.80-81)

« La monarchie de Juillet procède à une réforme du droit électoral mais


développe aussi un arsenal répressif contre les manifestations (loi du 10 avril
1831 contre les attroupements), contre la propagande politique et contre la
presse (lois de septembre 1835). » (p.86)

« Thiers, après l’attentat de Fieschi contre Louis-Philippe en juillet 1835, fait


voter des lois antilibérales : une loi sur la presse qui crée de nouveaux délits
(offense au roi, adhésion à la république) ; une augmentation des amendes et du

1027
cautionnement ; une obligation d’autorisation préalable pour tout dessin. »
(note 31 p.86)

-Nicolas Roussellier, « La culture politique libérale », chapitre 3 in Serge


Bernstein (dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire
», 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages, pp.73-118.

https://www.amazon.fr/France-Restauration-1814-1830-Limpossible-
retour/dp/2070396819/ref=pd_sbs_14_2?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=N1
7WAFG7QJHT7GBFE0JW
Nicolas Bourguinat, La ville, la haute police et la peur : Lyon entre le complot des subsistances et les
manœuvres politiques en 1816-1817 (forumactif.org)

Jean-Paul-Alban de Villeneuve-Bargemont: « Jean-Paul-Alban de


Villeneuve-Bargemont était un haut personnage de la Restauration, pendant
laquelle il effectua une carrière dans le corps préfectoral. Politiquement « ultra
», il démissionna à la suite de la révolution de 1830. Son dernier poste se situait
dans le département du Nord. C’est à cette occasion qu’il recueillit le matériau
de son Économie politique chrétienne ou recherches sur la nature et les causes
du paupérisme en France et en Europe (1834). Cet ouvrage, que cite Buret, lui
ouvrit les portes de l’Académie des sciences morales et politiques. Il est aussi
auteur d’une Histoire de l’économie politique (1841). » -François Vatin, « Le
travail, la servitude et la vie. Avant Marx et Polanyi, Eugène », Revue du
MAUSS, 2001/2 (no 18), p. 237-280. DOI : 10.3917/rdm.018.0237. URL :
https://www.cairn-int.info/revue-du-mauss-2001-2-page-237.htm

Maine de Biran (1766-1824) : « Philosopher, c’est réfléchir, faire usage de sa


raison, en tout et partout, au milieu des fous comme parmi les sages, dans le
tourbillon du monde comme dans la solitude et le silence du cabinet. » -Maine
de Biran, Journal, 27 juin 1816, Ed. Gouhier, I, p. 154.

« Dès le début du siècle, la France eut un grand métaphysicien, le plus grand


qu’elle ait produit depuis Descartes et Malebranche : Maine de Biran. […] Peu
remarquée au moment où elle parut, la doctrine de Maine de Biran a exercé une
influence croissante : on peut se demander si la voie que ce philosophe a
ouverte n’est pas celle où la métaphysique devra marcher définitivement. A
l’opposé de Kant (car c’est à tort qu’on l’a appelé « le Kant français »), Maine
de Biran a jugé que l’esprit humain était capable, au moins sur un point,
d’atteindre l’absolu et d’en faire l’objet de ses spéculations. Il a montré que la
1028
connaissance que nous avons de nous-mêmes, en particulier dans ce sentiment
de l’effort, est une connaissance privilégiée, qui dépasse le pur « phénomène »
et qui atteint la réalité « en soi » -cette réalité que Kant déclarait inaccessible à
nos spéculations. Bref, il a conçu l’idée d’une métaphysique qui s’élèverait de
plus en plus haut, vers l’esprit en général, à mesure que la conscience
descendrait plus bas dans les profondeurs de la vie intérieure. Vue géniale, dont
il a tiré les conséquences sans s’amuser à des jeux dialectiques, sans bâtir un
système. » -Henri Bergson, « La philosophie française », Revue de Paris, n°22,
1915, 236-56, p.247.

La Révolution de 1830 et la monarchie de Juillet : « Charles X ne peut plus


rentrer dans Paris, il a fait couler le sang du peuple. La république nous
exposerait à d’affreuses divisions, elle nous brouillerait avec l’Europe. Le duc
d’Orléans est un prince dévoué à la cause de la Révolution (…) Le duc
d’Orléans était à Jemmapes, a porté au feu les couleurs tricolores (…) Il
accepte la Charte comme nous l’avons toujours voulue et entendue. C’est du
peuple français qu’il tiendra sa couronne. » -Affiche Thiers-Mignet.

"La Révolution de la Liberté a inauguré le régime qui eut le premier à subir


l'assaut de la lutte populaire naissante ; de là vint que les forces de l'ordre ont
beaucoup plus souvent tiré sur le peuple sous Louis-Philippe que sous Charles
X. Le bourgeois vainqueur de 1830 s'est révélé égoïste, dur et avide, et le blâme
que la sensibilité populiste contemporaine lui décerne rejaillit u peu sur le
régime et la Révolution qui passent pour être les siens. [...]
Cette vision des choses a enfin reçu le renfort de l'interprétation sociologique de
David Pinkney, bien que les prémisses idéologiques de ce dernier fussent
probablement différentes [de celles de Jean-Louis Bory]. De ce travail si
remarquable, et si neuf en beaucoup de ses parties, le public retient surtout la
comparaison finale entre les personnels dirigeants d'avant et après 1830 [...]
d'où la conclusion-choc: une révolution de chasseurs de places." (pp.16-17)

"Le serment de fidélité dû par le Roi et ses successeurs à la Charte


constitutionnelle ne sera plus prête "dans la solennité de leur sacre" (Charte de
1814, article 74) mais "en présence des chambres réunies" (Charte révisée,
article 65). C'est la désacralisation au sens le plus précis du mot: une cérémonie
toute humaine et sociale remplace la consécration par un Dieu et par un clergé
que tous les citoyens ne reconnaissaient pas.

1029
L'histoire du Panthéon, que 1830 enlève une seconde fois (après 1790) au culte
catholique pour l'affecter au culte civique des grands hommes, réunit de façon
hautement significative ces deux premiers aspects de la liberté, l'hommage à 89
et la laïcisation de l'Etat." (pp.18-19)

"C'est une loi du 8 février 1831 qui fit bénéficier le culte israélite du budget des
cultes, le mettant ainsi juridiquement à parité avec le catholique et le réformé.

Pourquoi ce bilan libéral est-il si sous-estimé de nos jours ? La raison la plus


évidente est que, sur deux points politiquement importants, il y eut bientôt retour
en arrière, avec la loi de 1834 sur le contrôle des associations, et avec les lois
de septembre 1835 sur la presse." (p.20)

"Mais lorsque tout change dans l'Etat, depuis les principes et les symboles
jusqu'aux agents du gouvernement dans leur totalité (tous les préfets, par
exemple), lorsque ceux qui étaient ministres vont en prison et que ceux qui
étaient en prison, ou menacés d'y être mis, vont au gouvernement, comment
rejeter le terme de révolution [...] ?" (p.22)

"2000 grands propriétaires terrains électeurs pèseront moins dans un corps


électoral de 200 000, sans double vote, qu'ils ne pesaient dans un corps de 100
000, avec double vote aux plus riches.

[...] Le peuple dans sa masse ne peut voter parce que, très massivement pauvre,
il serait trop facilement dépendant de qui peut acheter son suffrage, et parce
que, très massivement ignorant, il serait trop facilement entraîné par les
autorités dotées d'une influence séculaire, religieuses principalement. Le
bourgeois de 1830 est en cela l'héritier direct des constituants de 1789 qui ont
inventé le principe du "citoyen actif - citoyen passif". Exclure le pauvre du vote,
c'est encore une façon indirecte d'en écarter le "féodal" et le prêtre, dont les
pauvres subornés multiplieraient abusivement la puissance." (p.23)

"La Révolution de 1848 ne s'est pas tant faite contre l'idéologie de 1830 que
contre la pratique du Guizot des années 40 [qui refusait l'abaissement du cens].
Cela nous aide peut-être à comprendre le prestige considérable [...] dont la
Révolution de Juillet 1830 a joui au cours de la Révolution de 1848." (p.24)

"Avant 1830, il existe des ouvriers, et même organisés, et même des grèves, mais
ils ignorent le socialisme ; il y a aussi des penseurs que l'on peut déjà dire
socialistes (les saint-simoniens, par exemple), mais ils sont tous bourgeois. C'est
1030
à partir de 1830 que s'opéreront les premières conjonctions et que l'on pourra
rencontrer les premiers ouvriers socialistes." (p.26)

-Maurice Agulhon, "1830 dans l'histoire du XIXème siècle


français", Romantisme, Année 1980, 28-29, pp. 15-27.

https://www.amazon.fr/R%C3%A9volution-juillet-29-1830/dp/2070280772

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Louis-Philippe d’Orléans (1773-1850): « Dès la première heure, entre le


prince et les députés, organes de la bourgeoisie française, une alliance se
forme, dissimulée bien plutôt qu'avouée, mais reposant sur une remarquable
communauté des vues et des intérêts. Les nouveaux élus, tout submergés sous les
événements, demeurent, au fond, consternés, comme des enfants en face d'un
jouet qu'ils ont rêvé de raccommoder à leur fantaisie, et que, tout à fait sans le
vouloir, ils ont cassé. Ce qu'ils souhaitent maintenant, ce n'est point poursuivre
mais limiter au plus vite la victoire. Et dans le brisement de l'ancien lien
monarchique, ils se tournent vers celui qui peut encore figurer la royauté, une
royauté mise à leur taille, mais tout de même protectrice de leur personne, de
leur fortune. Tel est le mandat tacite, très secret, mais éperdument suppliant,
confié au chef futur. Un sentiment très sensé, mais un peu subalterne, celui de la
peur, tel est le fondement du règne. Et là peut-être résidera la fragilité du règne
lui-même, car il est rare que Dieu accorde aux œuvres que la peur a suscitées le
privilège de la durée. » -Pierre de La Gorce, Louis-Philippe, 2014.

« Louis-Philippe ne s’écarta nullement des traditions de ses prédécesseurs, et se


berça comme eux de la folle pensée d’entraver la marche irrésistible de la
démocratie. » -Pierre-Eugène Flotard, La France démocratique, 1850.

« 1830, dans sa déviation, eut du bonheur. Dans l’établissement qui s’appela


l’ordre après la révolution coupée court, le roi valait mieux que la royauté.
Louis-Phillipe était un homme rare.

[…] Louis-Philippe avait été beau, et, vielli, était resté gracieux ; pas toujours
agrée de la nation, il l’était toujours de la foule ; il plaisait. Il avait ce don, le
charme. La majesté lui faisait défaut ; il ne portait ni la couronne, quoique roi,
1031
ni les cheveux blancs, quoique viellard. Ses manières étaient du vieux régime et
ses habitudes du nouveau, mélange du noble et du bourgeois qui convenait à
1830 ; Louis-Phillipe était la transition régnante […] Il portait l’habit de la
garde nationale comme Charles X, et le cordon de la légion d’honneur comme
Napoléon […].

Dans les griefs de l’histoire contre Louis-Philippe, il y a une défalcation à


faire ; il y a ce qui accuse la royauté, ce qui accuse le règne, et ce qui accuse le
roi ; trois colonnes qui donnent chacune un total différent. Le droit
démocratique confisqué, le progrès devenu le deuxième intérêt, les protestations
de la rue réprimées violemment, l’exécution militaire des insurrecions, l’émeute
passée par les armes, la rue Transnonain, les conseils de guerre, l’absorption
du pays réel par le pays légal, le gouvernement de compte à demi avec trois cent
mille privilégiés, sont le fait de la royauté ; la Belgique refusée, l’Algérie trop
durement conquise, et, comme l’Inde par les Anglais, avec plus de barbarie que
de civilisation, le manque de foi à Abd-el-Kader, Blaye, Deutz acheté, Pritchard
payé, sont le fait du règne ; la politique plus familiale que nationale est le fait
du roi […].

Disons-le.

Louis-Philippe a été un roi trop père ; cette indubation d’une famille qu’on veut
faire éclore dynastie a peur de tout et n’entend pas être dérangée ; de là des
timidités excessives, importunes au peuple qui a le 14 juillet dans sa tradition
civile et Austerlitz dans sa tradition militaire.

Louis-Philippe a été un roi de plein jour. Lui règnant, la presse a été libre, la
tribune a été libre, la conscience et la parole ont été libres. Les lois de
septembre sont à claire-voie. Bien que sachant le pouvoir rongeur de la lumière
sur les privilèges, il a laissé son trône exposé à la lumière. L’histoire lui tiendra
compte de la loyauté. » -Victor Hugo, Les Misérables, 1862.

"Dès 1830, Bastiat pouvait donc prévoir le maelström de février 1848. Car,
contrairement à ce que suggère Larousse, la monarchie de Juillet ne s'éloignait
pas du libéralisme en vertu de la traditionnelle usure du pouvoir, mais parce
que ceux qui allaient s'imposer auprès de Louis-Philippe et qui avaient déjà
goûté au pouvoir sous la Restauration n'étaient pas philosophiquement libéraux
mais appartenaient à une dissidence historiciste du libéralisme. Le
doctrinarisme part d'une confusion typiquement française entre la modération
1032
en politique et l'éclectisme du juste milieu. Loin de s'appuyer sur les acquis
libéraux de la Révolution, notamment sur la liberté du travail, la politique du
juste milieu consiste à s'opposer à la fois aux principes de la Révolution et aux
traditions de la monarchie d'Ancien Régime, à la souveraineté du peuple et au
droit divin. Dans cet intervalle où l'Etat repose sur du sable, ce sont donc les
intérêts privés qui vont prendre le pas sur l'intérêt général défendu par les
libéraux.
La doctrine protectionniste dominante sous la Restauration est reconduite sous
la monarchie de Juillet. La victoire de juillet 1830 marque donc l'éclatement du
front libéral. L'émergence de l'école de Paris, dans les années 1840, va
confirmer le fossé profond qui se creuse alors entre libéraux de circonstance et
libéraux philosophiques. Ceux-ci sont rejetés à l'extrême gauche de l'échiquier
politique, espace qu'ils partageront avec les sociétés secrètes républicaines
avant que les socialistes ne leur contestent cette position." (p.444)
-Michel Leter, "Éléments pour une étude de l'école de Paris (1803-1852)",
chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en
Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.429-509.

« La période romantique en fait [Napoléon] son héros privilégié, au point que le


régime de la monarchie de Juillet avec Louis-Philippe fait revenir ses cendres
en 1840. Victor Hugo le qualifie de « géant » dans une Ode à la Colonne de la
place Vendôme, et Stendhal comme Balzac en font un héros exemplaire. » -
François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La
Découverte, 2005, 480 pages, p.386.

http://hydra.forumactif.org/t892-pierre-de-la-gorce-louis-philippe#1503

https://www.amazon.fr/Trois-jours-qui-%C3%A9branl%C3%A8rent-
monarchie/dp/2035845874/ref=la_B004N2DBZW_1_4?s=books&ie=UTF8&qi
d=1545304837&sr=1-4

Louis Reybaud (1799-1879) : « Sous diverses formes, et à l’aide d’une grande


variété de combinaisons, le Trésor public paraît devenir de plus en plus une
caisse de secours pour les spéculations particulières. […] Si les caisses de
l’Etat continuent à se mettre au service des particuliers avec la facilité et la
générosité qui les distinguent, il va s’ensuivre que tous les yeux se tourneront
vers la manne officielle, et tous les efforts vers les moyens d’en avoir une part.
Dès lors il y aura pour les nationaux deux genres d’industrie et deux natures

1033
d’opérations ; les unes réalisées avec leurs propres deniers ; les autres avec les
deniers de tous. […] Habituer les industries privées aux largesses de l’Etat,
c’est leur rendre un détestable service, c’est tourner leur activité vers l’intrigue,
c’est déplacer le mobile qui les animait. […] Cela durera jusqu’à ce que ce
système périsse par ses excès. » -Louis Reybaud, « Des largesses de l’Etat
envers les industries privées. Primes – Subventions – Prêts d’argent – Garanties
d’un minimum d’intérêt – Indemnités », Journal des économistes, mai 1842,
p.105 et 115.

Eugène Buret (1810-1842) : « Il faut ou trouver un remède efficace à la plaie


du paupérisme, ou se préparer au bouleversement du monde. » -Eugène Buret,
De la misère des classes laborieuses en France et en Angleterre, Paris, 1840,
tome I, p.98.

« Il est loin de notre pensée de rendre l’économie politique responsable de la


malheureuse condition des hommes qui n’ont d’autre moyen de vivre qu’un
travail de plus en plus offert. Ce n’est pas la science économique qui fait la
société industrielle ; elle a seulement voulu l’expliquer. Tout son tort a été de
regarder comme des phénomènes réguliers et nécessaires, des circonstances
heureusement transitoires, d’avoir pris la confusion qui précède l’ordre pour la
condition permanente de la vie » -Eugène Buret, De la misère des classes
laborieuses en France et en Angleterre.

« Le seul moyen de salut qui reste aux nations, c’est d’organiser le régime
économique de façon que le travail ait la faculté de s’affranchir peu à peu de la
dépendance absolue du capital, en conquérant une part, si minime qu’elle soit,
de la propriété des instruments qu’il emploie. » -Eugène Buret, De la misère des
classes laborieuses en France et en Angleterre, tome 2, 1841, pp.340-341.

« En 1834, la toute nouvelle Académie des sciences morales et politiques


acceptait une fondation du baron Félix de Beaujour destinée à primer de cinq
mille francs tous les cinq ans « l’auteur du meilleur mémoire sur les questions
dont la solution indiquerait les moyens de prévenir ou de soulager la misère dans
les divers pays, mais particulièrement en France. » Elle lançait alors pour 1837
un concours sur le thème suivant : « Déterminer en quoi consiste et par quels
signes se manifeste la misère en divers pays.

1034
Rechercher les causes qui la produisent. »

Les cinq réponses obtenues ne satisfaisant pas le jury, l’Académie prorogeait le


concours et fixait au 30 décembre 1839 la date de remise des mémoires. Pas
moins de vingt-deux mémoires lui sont alors soumis. Le jury en retient trois sur
lesquels rapporte le docteur Louis-René Villermé dans la séance du 27 juin
1840. Parmi ceux-ci, figure celui d’Eugène Buret, qui reçoit une médaille d’or
d’un montant de 2500 francs. » -François Vatin, « Le travail, la servitude et la
vie. Avant Marx et Polanyi, Eugène », Revue du MAUSS, 2001/2 (no 18), p.
237-280. DOI : 10.3917/rdm.018.0237. URL : https://www.cairn-int.info/revue-
du-mauss-2001-2-page-237.htm

François-René de Chateaubriand (1768-1848) : « Chaque homme porte en


lui-même un monde composé de tout ce qu’il a vu et aimé, et où il rentre sans
cesse alors même qu’il parcourt et semble habiter un monde étranger. » -
Chateaubriand, Voyage en Italie.

« Ministre d'Etat, ses proches amis sont à trembler qu'il [Chateaubriand] ne


brise tout, comme un jeune homme qui n'a pas fini ses coups de tête. La
vieillesse ne le dompta pas. C'est elle qui le vit le plus impatient.
Avec cela, l'esprit le moins chimérique. Il a tout le réalisme des grandes races.
Il entend la politique, le commerce, les finances, les voyages, les aventures. Il
connaît les hommes. Mais tout ce qui s'est conté, depuis Platon jusqu'à Cousin,
sur le mystère de l'univers, n'existe pas à ses yeux, bien qu'il ait tout lu. [...]
Après un métaphysicien qui se creuse la tête, ce qui lui paraît le plus niais, c'est,
je crois bien, un poète qui bée après l'idéal. "Le grand dadais !", dira-t-il un
jour de Lamartine. » -Pierre Lasserre, Le Romantisme français. Essai sur la
révolution dans les sentiments et les idées au XIXème siècle, Thèse présentée à
la Faculté des lettres de l'université de Paris, Paris, Société du Mercure de
France, 1907, 547 pages, p.127.

« Châteaubriand n’est pas toujours loin de reprendre ces thèses, qui voit dans la
Réforme l’anarchie dans la religion, dans la Révolution, l’anarchie dans l’ordre
politique… Et dans le Romantisme, l’anarchie dans les idées ! » -Marc
Deleplace, cours « Outils et épistémologie de l’histoire » à Sorbonne Université,
Chapitre Premier - Les pratiques de l’histoire XVIIe-XIXe siècle, septembre
2020, p.19.

1035
« M. Bédier a prouvé que Chateaubriand en Amérique n'était jamais allé là où il
affirmait avoir été, et qu'il s'était contenté de s'inspirer du journal de route d'un
Père jésuite. » -Jacques Ancel, "Introduction à l'étude de la géographie
humaine", Revue pédagogique, Année 1924, 84-1, pp. 102-111, p.109.

« [À Colombey, le 24 octobre 1947, à l'heure du thé, le Général de Gaulle parle


de Chateaubriand] L'an dernier, j'ai relu lentement les Mémoires d'outre-tombe
[…] C'est une œuvre prodigieuse… Il pose sur l'avenir un regard profond… En
fait, il avait presque tout vu… y compris les bolcheviks… et puis, je sens comme
lui : essentiellement, voyez-vous, Chateaubriand est un désespéré… mais jusque
dans son désespoir il fait face, il se redresse de toute sa taille. » -Charles de
Gaulle, cité par Ph. de Saint Robert dans De Gaulle et ses témoins - Rencontres
historiques et littéraires, Bartillat, 1999, p. 28.

"Le romantisme est né dès le XVIIIe siècle de ce que l'homme désancré de tout
absolu par les révolutions en cours, s'est trouvé démesurément libre, mais d'une
liberté incapable de rejoindre aucune foi, et d'une liberté à qui ne s'offrait guère
pour carrière que la satisfaction de besoins et d'ambitions égoïstes, ceci dans le
cadre de ce que Rousseau appelait la société civile et que nous appellerions
aujourd'hui la société marchande: une société dans laquelle les valeurs
d'échange l'emportent sur les valeurs d'usage. Par conséquent, élans et
retombées, ce couple-clé du romantisme ne relève pas seulement de
particularités psychologiques ou biographiques, mais bien aussi et surtout d'une
situation historique. L'Homme moderne va d'une soif intense et démesurée de
vivre à la douloureuse prise de conscience des difficultés à vivre. Ce degré zéro
du romantisme se trouve déjà dans toute une première littérature romantique,
où les passions, le sentiment, que ne retient plus la morale traditionnelle,
envahissent tout l'être, le dilatent aux dimensions du monde, puis se replient,
amers, creusent, engendrent le doute, développent le goût pour la solitude. Il
fallait, d'abord, cette totale remise de l'Homme à lui-même par les révolutions
bourgeoises, la découverte d'immenses possibilités, pour que s'affirment les
exigences et s'ouvrent les portes de l'imaginaire. Il fallait, ensuite, la découverte
de nouvelles limites, au sein d'un monde cependant renouvelé, révolutionné, la
prise de conscience d'aliénations neuves, pour naisse le dégoût des choses. […]
Avant même que la révolution et ses conséquences ne viennent expliciter les
composantes historiques du mal du siècle, toute une littérature avait exprimé cet
état d'esprit, qui, bien plus que le procès d'individus hypersensisbles ou désaxés,
instruit le procès d'une société à son aurore. La nature, que chacun sent en soi
1036
et dont chacun éprouve la nostalgie ne saurait se reconnaître en cette société
qui se compose et qui s'installe. […] Chateaubriand vient en partie de là ; dès
avant 1789, il a l'idée qu'existe, que peut exister, une nature dont il voudrait
écrire l'épopée, une nature, non pas rugueuse, rompue, brisée par l'égoïsme
social, mais une nature libre et libératrice, alors que la société est
fondamentalement aliénée. Critique simplement passéiste ? Il est des époques où
l'idée de retour est la seule qu'on puisse opposer à un présent de moins en moins
acceptable mais qui a pour lui le seul avenir historique possible." (pp.547-548)

"Carrières brisées, propriétés vendues, raisons de vivre rendues vaines, l'avenir


à jamais paralysé : des milliers d'hommes dépouillés désormais, sans "maximes
d'action", vivaient d'une vie diminuée. René n'est pas seulement un jeune homme
que tourmentent ses désirs ; René est un jeune aristocrate dont la Révolution a
fait un proscrit. Etranger parmi les siens, il est aussi devenu comme étranger vis
à vis de soi-même. Quelles autres images pourraient affluer en lui que celles de
la mousse séchée, du puit tari, de la feuille emportée par le vent ? Ces longues
bruyères sur lesquelles il s'égare, c'est l'océan sans bornes, indéterminé, la vie
qui ne sait, qui ne peut se prendre à rien. La vie échappe à René, parce qu'elle
échappe à sa classe, errante, impuissante, dispersée." (p.550)

-Pierre Barbéris, "Chateaubriand et le préromantisme", Annales de Bretagne et


des pays de l'Ouest, Année 1968, 75-3, pp. 547-558.

La Grèce contemporaine depuis la Guerre d'indépendance (25 mars 1821-


12 septembre 1829): « Pour la première fois, la nation considère le hideux
spectacle de son ignorance et tremble en prenant la mesure de la distance qui la
sépare de la gloire de ses ancêtres. Cependant, cette pénible découverte ne fait
pas sombrer les Grecs dans le désespoir : Nous sommes les descendants des
Grecs, se disent-ils implicitement, nous devons soit essayer de revenir dignes de
ce nom, soit renoncer à le porter. » -Adamantios Koraes, discours prononcé à
Paris, 1803.

« L’influence des idées de la Révolution française, la diffusion du libéralisme


politique avec le sentiment d’un devoir des Français vis-à-vis de la liberté des
peuples, le sentiment traditionnel de respect envers la Grèce du passé et
l’hellénisme classique, mais aussi les intérêts matériels des régions
commerciales et maritimes, accompagnent un « philhellénisme mondain avec
fêtes, sauteries, quêtes à domicile, concerts de charité, expositions de tableaux,

1037
comédies jouées à propos de pallicares » et un philhellénisme religieux, qui
apporte son soutien aux Grecs chrétiens contre les Turcs musulmans. » -
Frédérique Tabaki-Iona, Philhellénisme religieux et mobilisation des Français
pendant la révolution grecque de 1821-1827.

« Y a une Grèce millénaire et il y a une Grèce qui a à peine 150 ans. Et c’est
celle-là qu’on voit quand on arrive. […] C’est dur quatre siècles
d’occupation. […] Je situerais en 1980 le début de la démocratie réelle en
Grèce » -Jacques Lacarrière.

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2&keywords=histoire+de+la+gr%C3%A8ce+moderne

Lord Byron (1788-1824) : « Byron entrait dans la société anglaise sous le


signe de la méfiance, de l'athéisme, de la révolte, de la pauvreté et de l'orgueil.
Telles sont les composantes de son temps, de sa biographie et de son œuvre. » -
Giuseppe Tomasi di Lampedusa.

« De tels hommes méprisaient la lutte pour le pouvoir et la fortune, l’hypocrisie


de leur propre classe et les prétentions des nouveaux riches. Dans leur
frustration, ils rêvaient peut-être, parfois, d’un quelconque soulèvement
révolutionnaire qui renverserait tout l’édifice de la « Vieille Corruption ». » -
Edward P. Thompson, à propos de Byron, in La formation de la classe ouvrière
anglaise, Editions Points, 2012 (1963 pour l'édition originale anglaise), 1164
pages, p.615.

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1038
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11&keywords=Lord+Byron

Giacomo Leopardi (1798-1837): "Leopardi’s pessimism does not have


romantic-existentialist origins, and therefore differs profoundly from that of
Schopenhauer, or that of more recent writers. It is often said that Leopardi was
a great ‘romantic’ poet, and this is an acceptable description if by romanticism
one understands a ‘state of mind’ deeply dissatisfied with reality, a nostalgia for
a happier past epoch, and a yearning for a world other than that found actually
existing. But with romanticism defined as that historically specific cultural–
political and literary movement that arose in reaction to the Enlightenment and
to the French revolution, Leopardi was at odds in every way, both during the
Rousseauist phase of his thinking, and more decidedly than ever in the
succeeding phase with which we are here concerned. Leopardi always remained
convinced that the 19th century represented a regression relative to the 18th.
His pessimism had a materialistic and hedonistic motivation, and its sources (in
its second stage) must be sought in the anti-providentialism of Voltaire’s poem
on the Lisbon Disaster, in Maupertius’ reflections on pleasure and pain and in
the work of Pietro Verri. But while these authors continued to maintain various
bridges to deism (and here one thinks of Voltaire in particular), Leopardi
consistently pursued his chosen course to its ultimate conclusion, displaying an
intellectual courage that is unique in the European culture of this period. His
radical materialism also had 18th century origins in the thought of La Mettrie,
Diderot, Helvétius and D’Holbach. But the 18th century materialists, in the
fervour of their struggle against obscurantist and religious prejudice, were
persuaded not only of the truth of their doctrine but also of its power to promote
happiness. Leopardi, though he, too, felt that ‘proud contentment’ (to use his
own words) in the destruction of the myths and dogmas of spiritualism,
considered materialism to be a true but doleful philosophy. These ideas find
their rational and artistic expression in Leopardi’s Canti, in the Operetti morali
and in the vast collection of writings that he addressed to himself over a number
of years in a series of notebooks which he entitled Zibaldone and which were not
published until long after his death."
1039
"Despite his extreme democratic views, his commitment to egalitarianism, and
his hostility not only to absolutism but also to constitutional monarchy
(positions adhered to especially during the years 1818–1823, and again in his
last years), he did not maintain, as did the Tuscan and Neapolitan liberals, that
socio-political regeneration could be accomplished on the basis of a religious
ideology."

"The theory of pleasure—the hedonism which is an essential element in


Leopardian thought—that provides the link between materialism and pessimism.
His uncompromising materialism is not in conflict with his assertion that man’s
physico-psychical constitution is such that far more suffering than pleasure
accrues to him: Leopardi himself defined his own materialism as ‘an unhappy
but true philosophy’. The human unhappiness of which Leopardi speaks is not a
romantic mal du siècle, nor a vague existentialist angst: it is (and the more
materialist he became, the more acute was his recognition of this fact) above all
a physical unhappiness, based on highly concrete givens: illness, old age, the
ephemerality of pleasure. Leopardi is, of course, fully aware that it is hedonism
which provides the bases for the development in man of a higher order of
demands (emotional, moral, cultural, etc.). But even at this more elevated level,
pessimism has its rightful place, since the sophisticated values of human
civilisation are fragile in the extreme, and nature is no less destructive of them
than she is of biological organisms." -Sebastiano Timpanaro, "The Pessimistic
Materialism of Giacomo Leopardi", New Left Review; I/116, July–August 1979:
29-50.

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L%C3%A9opardi/dp/2714307019/ref=pd_sim_14_1?_encoding=UTF8&psc=1
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=J5ZV59BEZTK0ZDNZXEJ6

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Leopardi/dp/2904235833/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1446895330&sr
=1-1&keywords=Giacomo+Leopardi+th%C3%A9orie+du+plaisir

Victorin Fabre (1785-1831) et le classicisme de gauche: « Indifférence


commune pour la pluralité des classicismes, et singulièrement pour les
1040
classiques progressistes. Il n’est pas anodin que nombre d’entre eux, à l’image
d’Andrieux, M.-J. Chénier ou Victorin Fabre, aient été proches des Idéologues.
Rappelons que Marrast lui-même, quelques semaines avant d’écrire sur
Hernani, fera encore l’éloge vibrant de cette mouvance philosophique. Comme
le suggère cette proximité avec les Idéologues, eux-mêmes longtemps évincés de
la mémoire collective, la mise en sourdine des classiques progressistes est le
signe d’une amnésie concernant les querelles de prééminence entre les lettres et
les sciences à l’orée du XIXe siècle. Ce qui disparaît avec eux, c’est un pan
essentiel des débats français sur le raccordement des lettres aux autres régimes
de discours (ainsi que la question, souvent instrumentalisée à l’époque, d’une
virtuelle guerre des lettres et des sciences). » -Stéphane Zékian, “Sommes-nous
sortis du XIXe siècle? Le romantisme français comme matrice
historiographique”, Cahiers d’études germaniques, Université de Provence-Aix-
Marseille, 2013, dossier Classiques d’hier aujourd’hui (65), pp.33-46, p.10.

Le romantisme français (1825-1869 ?) : « Dieu est peut-être mort, disait un


jour à celui qui écrit ces lignes Gérard de Nerval. » -Victor Hugo, Les
Misérables, 1ère partie, livre I, chap. XV).

« On pourrait dire de l’ère poétique, dont les œuvres se déroulèrent avec tant de
retentissement et d’éclat de 1825 à 1840, ce que Tacite disait d’une période,
égale en longueur, pendant laquelle s’étaient passés, en son temps, les
événements les plus considérables : quinze années peuvent tenir une large place
dans un siècle, Quindecim anni grande ævi spatium.

À quelle époque, en effet, a-t-on pareil essor, éveil plus subit et plus éclairé,
mouvement d’idées plus ardent, plus unanime, lutte d’un plus vif et plus sincère
entraînement contre les vieilleries routinières, rénovation plus complète dans les
choses de l’esprit, refondues toutes, et remaniées sur une base plus fière, avec
une forme de la plus rayonnante hardiesse ?

Sous cette forme peu à peu conquise, près de laquelle l’ancienne, qu’on
délaissait, ne paraissait plus être que lambeaux et haillons, quel infatigable vol,
même dans le ciel des autres — celui de Shakespeare et de Byron, de Schiller et
de Gœthe — vers les splendeurs du plus lumineux idéal, sans que la terre en fût
presque effleurée, si ce n’est dans ce qui la rattache aux choses d’en haut : la
Foi, la Mélancolie et l’Amour !

Quels coups d’aile, même dans le doute et le désespoir !


1041
Ainsi, de l’inspiration en pleine flamme, de l’élévation sans trêve et d’un élan
continu en montant, excelsior ; du génie souvent, du talent toujours, de la
jeunesse partout : voilà ce temps béni, ces quinze années prédestinées, pendant
lesquelles chacun, soit qu’il fit partie de l’ancienne noblesse, comme Lamartine,
Vigny, Musset, Rességuier ; soit qu’il fût fils de soldat, comme Victor Hugo et
Dumas ; soit qu’il fût sorti de la bourgeoisie, comme Auguste Barbier, les
Deschamps, Sainte-Beuve, Gautier et tant d’autres ; soit qu’il appartînt au
monde des ouvriers, comme Reboul, Poney, Magu, etc. ; apporta sa part de la
grande moisson de poésie.

Les femmes n’y furent pas les dernières. Jamais époque ne vit un plus grand
nombre de ce qu’aux siècles derniers on appelait des dixièmes Muses. Plusieurs
: Élisa Mercœur, Madame Tastu, etc., en méritèrent vraiment le nom.

Les vers semblaient être à ce moment la langue universelle. Aussi ne faut-il pas
être surpris de voirque l’usage n’en était pas étranger à ceux même, tels que
Chateaubriand, Balzac, Soulié, Eugène Sue, Georges Sand, dont on pouvait
penser que la prose était le langage exclusif.

Notre choix, dans cette foule de génies ou de talents, n’a pas été difficile. Nous
l’avons fait aussi large que l’exigeait leur nombre.

A l’exception de quelques-uns, qui n’ont pas suffisamment marqué, ou de


quelques autres d’une fougue et d’une fantaisie trop excentriques : Lassailly,
par exemple , Philothée O’Neddy, Petrus Borel, etc., tous y ont trouvé place
pour des extraits de leurs œuvres, dans la proportion à laquelle leur donnait
droit leur renommée.

La notice sur chacun a été écrite avec autant de soin que possible et contient
assez de détails pour que l’on puisse avoir ainsi, par fragments, l’histoire du
Romantisme et de ses Cénacles : le grand qui siégeait chez Victor Hugo, à la
place Royale ; l’autre, moins magistral, qui faisait son joyeux tapage à
l’impasse du Doyenné, chez Théophile Gautier. C’étaient des écoles irrégulières
: on en faisait partie un jour, on s’en échappait le lendemain, pour y revenir à
sa fantaisie ; et, somme toute, on ne cessait pas d’être indépendant. » -Édouard
Fournier, préface du 29 septembre 1879 aux Souvenirs poétiques de l’école
romantique (1825 à 1840), Laplace, Sanchez et Cie, libraires-éditeurs, 1880.

1042
« 1869, c’est en même temps, la mort de Sainte-Beuve et de Lamartine — ce
dernier, il est vrai, se survivant péniblement à lui-même depuis des décennies —
, et la partition de L’Éducation sentimentale, et des Chants de Maldoror, qui,
loin d’ouvrir à la modernité, sont le parodique tombeau du romantisme. » -
Pierre Laforgue, « Machinisme et industrialisme, ou romantisme, modernité et
mélancolie. Quelques jalons (1840-1870) », Revue d'histoire littéraire de la
France, 2003/1 (Vol. 103), p. 63-92.

"L'aube romantique est rose de tous les espoirs de la jeunesse. Mais aucune
flamme révolutionnaire ne l'incendie. Lisez ces première feuilles où elle
apparaît, ces petites revues qui ne sont pas tout à fait, malgré l'âge de leurs
rédacteurs, des feuilles de collégien, mais plutôt des revues de jeunes où de
grands noms illustres veulent bien se mêler à ceux des débutants, où l'Académie
voisine avec le Lycée. Lisez donc ce Conservateur littéraire, ces tablettes
romantiques, ces annales romantiques où s'exprime l'âme de la jeune école. Quel
sentiment y domine ? Une réaction, non point tant contre le classicisme du
XVIIe siècle que contre l'incrédulité du XVIIIe siècle. C'est Voltaire qui est visé
bien plus que Racine. C'est, comme disait plus tard Musset, le hideux sourire de
l'homme qui sapait de ses mains frêles l'édifice immense de la vieille société.
C'est tout cet anticléricalisme qu'incarne l'humanisme de l'Encyclopédie, c'est le
rationalisme qui prétend, par les clartés de l'intelligence, comprendre toutes
choses. Ce que le romantisme combattit d'abord, c'est en somme l'agnosticisme
de celui qui prétend ne faire dans sa vie à la tradition, au sentiment religieux, et
même au sentiment sans autre épithète, qu'une place tout à fait limitée. C'est un
tel état d'esprit et qui survit chez un critique devenu à la fin de sa vie un ardent
zélateur du romantisme, M. Souday. Voici tout ce que nos jeunes-France
voulaient abattre. Ils avaient du XVIIIe siècle un concept assez sommaire, celui
qu'on leur avait inculqué dans leurs écoles. Le siècle de Voltaire, c'était à leurs
yeux celui de la raillerie, de l'incroyance, de la destruction, de l'intelligence
desséchant. C'était surtout l'ennemi de la religion.
S'il fallait résumer l'idéologie romantique à son aurore, de 1820 à 1827, par
exemple, on pourrait la réduire semble-t-il à trois caractères essentiels. Sur le
plan des idées les romantiques sont essentiellement religieux et chrétiens.
Sur le plan pittoresque et historique, ils sont admirateurs fervents du Moyen Age
; le mot comprend pour eux toute l'histoire de France depuis ses origines
jusqu'à Louis XIII inclusivement. L'anticlassicisme représente donc une
opposition à l'esprit de la Grèce et de Rome dans la mesure où cet esprit a
1043
abouti au rationalisme du XVIIIe siècle. Et une opposition à l'art de la Grèce et
de Rome dans la mesure où il aboutit à la forme desséchante du pseudo-
classicisme, à la poésie sans âme du XVIIIe siècle.
A ce double titre nos jeunes-France nous apparaissent donc moins comme les
fils soumis que comme les fils révoltés de la Révolution.
Mais de cette Révolution ils ont hérité pourtant une idée profonde, qui, peu à
peu, dominera et englobera les deux autres tendances ; cette idée, c'est le culte
de la liberté, l'importance nouvelle accordée au moi, à son développement
intégral, à tout ce qu'on appellera l'égoïsme ou l'égotisme. Le romantisme a fait
refleurir le rameau qui reparaît plus éclatant à certaines périodes de l'histoire,
et qui, de Chateaubriand à Maurice Barrès, parfumera notre littérature
française.
Les écrivains d’Église l'ont bien vu et l'ont, à leur point de vue, justement
dénoncé. Sans doute, ils se sont montrés sensibles aux manifestations de piété de
ces jeunes gens. Ils se sont plû à retrouver les touchants vestiges de l'éducation
maternelle. Mais les plus orthodoxes d'entre eux se méfiaient: ils
reconnaissaient par delà les épanchements du cœur chrétien l'orgueilleuse
influence de Jean-Jacques qui enseigne à se faire un piédestal de ses fautes ; ils
trouvaient que ces cœurs étaient trop incendiaires ; que cette piété sentait trop
le fagot. Et s'ils ont été reconnaissants aux romantiques d'avoir pour un temps
débarrassé la pensée française de Voltaire, ils n'ont pu admettre que la
religiosité de ces jeunes gens fût entièrement conforme aux normes du
catholicisme.
Le crédit qu'ils avaient fait à la nouvelle école, il leur a semblé que celle-ci bien
souvent en abusait. Avec le recul des temps, les orthodoxes ont vu, dans la
floraison romantique, une offensive protestante et même une offensive anglo-
allemande." (p.12-13)

"Le romantisme, c'est la liberté dans l'art. Et celle-ci a pour point d'appui la
liberté dans la nation. Le romantisme étend et sanctionne sur un plan nouveau
la déclaration des droits de l'homme. Le libéralisme, qui est à la base de sa
doctrine, et, ce qui est bien plus important, un premier besoin de ses créateurs,
tout cela le prédispose à favoriser les idées de démocratie. Il croit à la primauté
de la personne humaine et par là rejoint la philosophie de ce XVIIIe siècle qu'il
commence par détester." (p.16)

"Dès son origine, le romantisme est social." (p.17)

1044
"Les romantiques accordent au socialisme une pleine adhésion de leur
sensibilité. Trop d'entre eux ont connu la faim, la soif et le taudis pour qu'il en
soit autrement. La vie du jeune étudiant Marius des Misérables, Victor Hugo
lui-même, à vingt ans, l'a vécue plusieurs mois et les autres, ceux qu'on appelle
bien injustement les petits romantiques, un Petrus Borel, un Aloysius Bertrand,
l'ont connue parfois toute leur vie. Force leur fut bien de comprendre que la
pauvreté s'alliait avec la plus grande noblesse de cœur, que la répartition
sociale des richesses n'était ni raisonnable, ni juste, que les plus grands génies
se trouvaient par les iniquités économiques étouffés à leur naissance, et qu'un
élément souci de la dignité humaine commandait l'avènement d'un ordre
nouveau où l'individu pût donner à ses qualités leur pleine expansion, où l'âme
pût librement s'épanouir." (p.19)

"Lamartine, bien qu'il siégeât au plafond, témoigna toujours au socialisme la


plus grande sympathie." (p.19)

"Les Jeunes France, bercés par leurs récits, ont grandi dans une nostalgie de
gloire. Ce que leurs pères avaient vécu, eux ils allaient le chanter. Ils avaient
senti l'odeur de la poudre, ils n'avaient pas senti l'odeur de la mort. Puis ce
cœur qu'une soif d'aventure dévorait, une grande ombre régnait sur lui:
Napoléon. Victor Hugo, Nodier, Deschamps, Lamartine et Gautier nous l'ont
confessé. Les deux dieux de leur jeunesse, ce furent Byron et Napoléon.
Quand on élève au plus profond de soi un autel à une pareille divinité, on ne
saurait avoir contre la guerre une antipathie insurmontable." (p.21)
-Pierre Paraf, "Le Romantisme et la Politique", Revue d'Histoire du XIXe siècle -
1848, Année 1930, 132, pp. 11-25.

« On mesure tout l’apport de l’étude des rapports de forces générationnels dans


l’analyse des sociétés et des justifications dont ils s’habillent. Par exemple, la «
vie de bohème » de la jeunesse bourgeoise et petite-bourgeoise des années 1830,
dépeinte par Alfred de Musset dans Confessions d’un enfant du siècle, comme «
une affreuse désespérance » ou « la maladie du siècle » apparaît comme l’une
des conséquences du blocage des carrières dans les professions libérales et la
haute administration du fait de la présence d’hommes relativement jeunes
recrutés sous la Révolution et l’Empire, et du retour des exilés, sous Louis xviii.
Exclus de carrières auxquelles ils pouvaient légitimement prétendre, ils sont «
prolongés » dans une adolescence tardive, expliquant la forme particulière que
prend le romantisme français à cette période. » -Laurent Bonelli, « De l’usage
1045
de la violence en politique », Cultures & Conflits [En ligne], 81-
82 | Printemps/Été 2011, mis en ligne le 05 septembre 2012, consulté le 02 mai
2019.

« Les conceptions romantiques attirent largement l'attention en 1820 avec les


Méditations poétiques de Lamartine, triomphent en 1830 avec le succès de Hugo
au théâtre français, et sont elles-mêmes attaquées en 1843 par une nouvelle
génération d'écrivains. Ainsi les grandes dates traditionnelles de la première
phase du romantisme français (1820/1830/1843) coïncident approximativement
avec les grands tournants de l'évolution biologique du groupe né en 1800
(1815/1830/1845). En dépit de légères différences, les évolutions littéraires et
biologiques sont parallèles et donnent du poids à l'hypothèse de l'existence
d'une génération romantique française de 1830. » (pp.106-107)

« Gautier croyait que la nouvelle littérature ne pouvait être l'œuvre que


d'hommes et de femmes jeunes. » (p.108)

« La littérature, comme la politique et la société, était souvent perçue en termes


de conflit de générations. » (p.109)

« Il faut comparer les 6 volumes de Quérard ne couvrant que 22 ans de


publications en France (1827-1849) avec ses 10 volumes couvrant plus de 250
ans (du XVIe siècle à 1826) pour avoir une idée de l'expansion du marché du
livre dans la période. » (p.111)

« Entre 1817 et 1836, il y eut une augmentation de 41% du nombre des


habitants de la capitale, âgés de 30 à 39 ans, alors que de 1836 à 1851, cette
même tranche d'âge perdit 8%. Apparemment on a un rajeunissement de la
population parisienne, entretenu par l'exode rural, et ce, au moment où apparaît
une vague de jeunes auteurs. »

« Scinder le mouvement en deux blocs, nés quinze ans avant et après 1800, mène
à inclure Béranger, Nisard et Ponsard, férocement hostiles au romantisme, et à
exclure Delécluze, Lamennais et Nodier, liés à ce qui constitue le cœur de la
sensibilité du mouvement. » (p.113)

« Pourquoi le romantisme français s'effaça-t-il en 1845 au moment même où ses


auteurs arrivaient dans la période où ils auraient dû le maintenir comme
courant littéraire dominant jusqu'en 1860. » (p.114)

1046
« Les auteurs romantiques avaient probablement plus de choses en commun
lorsque le néo-classicisme se présentait nettement comme l'ennemi. Une
camaraderie littéraire aussi étrange que celle du jeune Hugo, de Musset,
Nerval, Vigny et Mérimée était fondée au moins sur un objectif initial: explorer
un nouveau champ de sentiments et de mythes, en opposition avec la stérilité
émotionnelle et esthétique du néo-classicisme. Charles Baudelaire avait
probablement raison quand, en 1846, il remarquait que le Romantisme ne réside
ni dans le choix du sujet ni dans la peinture de la réalité, mais dans la façon de
sentir, une façon de percevoir le monde très différente de l'objectivité,
l'universalisme et la rationalité chers aux "lumières" du XVIIIème siècle. Mais
cet objectif ne pouvait suffire à soutenir un mouvement, mouvement qui n'a
assurément pas survécu à sa victoire, la reconnaissance officielle de 1830, avec
l'entrée de Lamartine à l'Académie. » (p.115)

-James S. Allen, "Y a-t-il eu en France une « génération romantique de 1830 »


?", Romantisme, Année 1980, 28-29, pp. 103-118.

« La « génération nouvelle », tel est bien le mot d’ordre du romantisme quand il


s’autoproclame. Or, un danger guette la recherche historique lorsqu’elle se
trouve d’emblée contrainte, par son objet d’étude lui-même, à percevoir celui-ci
sous un biais, autrement dit à convertir la revendication identitaire du groupe
qu’il étudie en grille d’analyse.

Sans nier la fiabilité relative de l’opérateur générationnel, la vraie question qui


émerge alors est celle de l’identité collective dont se dote un groupe ou un
mouvement littéraire. Cette identité collective correspond, nous allons tâcher de
le montrer, à la concaténation de facteurs de nature différente, principalement :
1) un ensemble d’indicateurs sociologiques parmi lesquels la date de naissance
et celle d’entrée dans le champ littéraire ; 2) l’adoption de lieux de sociabilité
généralement relayés par des relations multilatérales d’amitié et des
transactions sur le mode du don (don d’œuvres, de livres, de conseils, etc.) ; 3)
la construction d’un discours collectif, voire d’une vision du monde. »

« Partant de la méthode de l’analyse factorielle des correspondances multiples,


nous avons ailleurs proposé une étude prosopographique d’une centaine
d’écrivains dont la présence dans l’un des six principaux cénacles romantiques
est avérée entre 1819 et 1836 (cénacles de La Muse française, de Delécluze, de
Nodier, de Hugo, de Vigny et Petit Cénacle). Cette méthode qui confronte des

1047
modalités aussi diverses que la date et le lieu de naissance, la profession du
père, le niveau d’études atteint, la profession exercée au cours de la période
concernée, le volume et la distribution générique des œuvres publiées et la
reconnaissance par les instances littéraires permet de faire apparaître des
rapprochements entre des caractéristiques sociales partagées. En l’occurrence,
elle fait apparaître quatre individus modaux parmi les écrivains romantiques.
Le premier individu modal (par exemple Nodier, Lamartine, Sophie Gay) est un
aristocrate ou un grand bourgeois né en province vers 1780, il a eu un
précepteur, publie des recueils de poésie mais plus souvent encore des ouvrages
historiques, est édité chez Ladvocat, fréquente les académies, reçoit après 1820
le soutien de toutes les instances de consécration, qu’elles soient d’ordre social
(pension royale, légion d’honneur, sinécures) ou littéraire (élection à
l’Académie française et à l’académie des Jeux-Floraux de Toulouse, prix
décernés par ces mêmes académies). Au temps où il fait partie d’un mouvement
romantique encore balbutiant, on le lit dans La Muse française ou, s’il a
quelque accointance libérale, au Mercure de France au dix-neuvième siècle ; on
le rencontre enfin aux « dimanches » de l’Arsenal ou dans les salons
aristocratiques reformés sous la Restauration.

Les enfants de la moyenne bourgeoisie provinciale, entrés relativement jeunes


en littérature, issus de familles au statut social comparable, appartenant aux
mêmes classes d’âge (ils sont nés entre 1790 et 1810), donnent naissance à deux
autres individus modaux qui doivent être distingués par leur capital scolaire et
la suite de leur trajectoire : autour de Mérimée apparaît la branche libérale du
mouvement romantique, réunie d’abord au sein du grenier d’Étienne Delécluze
puis par Le Globe. Cet individu modal a achevé des études de droit en Sorbonne
(c’est le cas de Mérimée, Vitet et Duvergier de Hauranne), s’est illustré en
littérature et tout particulièrement dans les domaines du théâtre et du roman,
puis, profitant de la chasse aux places officielles consécutive à la révolution de
Juillet, a atteint de hautes fonctions dans l’appareil d’État (Dittmer sera
inspecteur général des haras, Cavé responsable de la censure au ministère de
l’Intérieur) ou dans le professorat. L’autre individu modal de cette classe d’âge,
incarné par personne mieux que par Victor Hugo, n’a guère brillé dans son
parcours scolaire. C’est l’individu romantique par excellence, qui a pu chasser
les prix au début de sa carrière, qui tente l’aventure du drame vers 1828
(Frédéric Soulié, Foucher, Vigny) et se consacrera ensuite, au cours des années
1830, aux revues et à son œuvre publiée par Renduel ou par tel autre grand
1048
éditeur romantique. On trouve à ses côtés des écrivains issus de couches
sociales moins dotées, mais qui ont su compenser ce déficit par la pénétration
réussie de plusieurs réseaux importants : il en va ainsi de Sainte-Beuve, de Jules
Janin ou encore d’Alexandre Dumas. Ces deux individus modaux se
caractérisent encore, et fortement, par leur participation active à différents
cénacles.

C’est aussi dans les cénacles des années 1827-1832 que se rencontre le
quatrième individu modal. Celui-ci, le moins bien doté en toutes sortes de «
capitaux », se fait remarquer par un investissement fort dans la communauté
émotionnelle romantique. Il appartient à la petite bourgeoisie parisienne, est
plutôt désargenté et publie beaucoup en revue et dans les journaux. Sa
production en volumes est peu abondante, ce malgré son jeune âge d’entrée en
littérature. C’est du profil de ce dernier individu modal que les Jeunes-France
sont le plus proche sans nécessairement se confondre avec lui. Les Jeunes-
France ne sont pas seuls dans ce groupe, mais ils y sont tous. Prenons un
échantillon de dix écrivains qui leur ont été assimilés : Lassailly, Borel, Brot,
Gautier, Maquet, Bouchardy, Dondey, Escousse, Nerval et Esquiros. Sept sur
dix sont nés à Paris, tous (sauf Nerval, fils de médecin) sont enfants de la petite
bourgeoisie intellectuelle ou plus souvent commerçante ; mis à part Maquet,
aucun n’a suivi d’études longues, et l’enseignement artistique concerne trois
d’entre eux. Enfin tous (moins Dondey), feront profession d’homme de lettres
après 1830, pour quelques années du moins. En revanche, entrés très tôt dans le
champ littéraire – au même âge, les Hugo et les Gaspard de Pons étaient déjà
de vraies bêtes à concours poétiques –, ils brillent par leur absence de
distinction institutionnelle : ils n’ont pas reçu de prix (parce qu’ils n’ont pas
concouru), n’ont participé à aucune société savante ou académie. En somme les
Jeunes-France n’existent littérairement que par la publication, dans le meilleur
des cas par Renduel et quelques périodiques comme L’Artiste, La France
littéraire ou Le Cabinet de lecture, et par leur formidable investissement dans le
mouvement romantique et ses cénacles. »

"Rappelons que Le Conservateur littéraire ne devint l’organe officiel du groupe


de Hugo et Soumet qu’entre la 21e à la 30e livraison, et que La Muse française,
quelle qu’ait été son importance historique, n’a connu que douze livraisons et
onze mois d’existence."

1049
« Le mouvement romantique sécrète, à partir de 1827, une « chapellisation »
qui aura raison de lui. Alors que Nodier avait réuni depuis 1824 les restes du
cénacle de La Muse française, Émile Deschamps rouvre en 1826, rue Ville-
l’Évêque, le cercle que son père avait tenu rue Saint-Florentin. Presque en
même temps, le débutant Alexandre Dumas, devenu l’amant de Mélanie Waldor,
investit le salon des Villenave où il fréquente des classiques libéraux mais règne
sur un petit groupe de romantiques, parmi lesquels Cordellier-Delanoue. Victor
Hugo va de son côté, dans le courant de 1827, constituer son propre cénacle et
progressivement réunir sous sa bannière les branches de La Muse française et
du Globe autrefois séparées. En 1828 ce sera au tour de Vigny d’ouvrir rue
Miromesnil ses « mercredis poétiques ». »

« Les cénacles romantiques s’étaient montrés aussi acharnés à affirmer les


amitiés et les admirations qui les fondaient, via les multiples manifestations de
la camaraderie littéraire, qu’ils s’étaient révélés stériles dans les entreprises
collectives. À l’inverse, La Liberté ne conçoit la création qu’individuelle : «
L’art vit d’indépendance, le génie s’inspire, compose, exécute dans la solitude,
car le frottement l’altère, use et polit son originalité. » Mais dans le même
temps, la revue parvient à unifier ses revendications et ses prises de position et
à harmoniser son ton. Ainsi, dans l’affirmation collective de l’émancipation
individuelle de l’artiste se trouve sans doute réalisée la mise en cohérence
identitaire du romantisme de 1830. Par les cénacles ou par les revues, ces
individus proches dans leur positionnement social ont mis en œuvre, en pleine
réorganisation du champ littéraire après Hernani et Juillet, le discours
d’identité collective qu’avaient échoué à élaborer leurs prédécesseurs. » -
Anthony Glinoer, « Y a-t-il eu une « identité collective » du romantisme de
1830 ? », Romantisme, 2010/1 (n° 147), p. 29-40. DOI : 10.3917/rom.147.0029.
URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2010-1-page-29.htm

« Comment définir le romantisme, si on le réduit à une simple réaction contre


l’appauvrissement et l’épuisement de l’art classique, sans y percevoir la
protestation désespérée qu’élèvent, contre le capitalisme, à la fois la noblesse
dépossédée et la petite bourgeoisie radicale ? » - Jean Fréville, Introduction aux
Grands textes du marxisme sur la littérature et l’art, 1936.

« Sur la période 1800- 1830, et même au-delà, la littérature du dix-huitième


siècle (sauf Voltaire, mais le poète, le tragédien), fait massivement les frais de la
récupération et de la nationalisation par la bourgeoisie industrieuse et patriote
1050
du patrimoine louis-quatorzien, véritable appropriation dont on peut considérer
que Casimir Delavigne (l’une des cibles privilégiées de Stendhal dans Racine et
Shakespeare, comme charlatan académique bourgeois) est l’expression
littéraire la plus marquante. Stendhal lui-même, et Courier, ont pour les «
monuments » du XVIIe siècle (pour Molière, Pascal, La Fontaine, Fénelon par
exemple) une vénération qu’ils n’ont, tout libéraux qu’ils soient, pour aucun des
philosophes. » -François Vanoosthuyse, « Le bon usage des romantiques, 1800-
1830 », Romantisme, 2009/4 (n° 146), p. 25-41.

"Le destin des fées et des génies est très étroitement lié à l’origine du
romantisme. L’ignorer, c’est prendre le risque de passer à côté de
questionnements qui ont participé à la structuration du champ des Lettres
pendant le demi-siècle qui a mené du Consulat à la Révolution de 1848 et vu
l’éclosion, en France, d’une déclinaison originale du vaste mouvement
esthétique qui parcourait l’Europe. Ce sont précisément les conditions de ce
qu’on pourrait appeler « l’exception française » qui se trouvent concernées par
le rapport des écrivains à la féerie. C’est en grande partie sur ce terrain que le
pays de Boileau et de Voltaire, comme de Robespierre et de Napoléon, se
distingue de ses voisins. La manière dont les romantiques ont sorti la féerie de
l’impasse esthétique et poétique dans laquelle elle se trouvait au début du siècle,
la manière dont ils ont géré les difficultés insolubles auxquelles elle les
confrontait, jusqu’à lui permettre de renaître de ses cendres, mérite d'être
exposée."

"Les quarante et un tomes du Cabinet des fées, composés par le Chevalier


Charles-Joseph de Mayer entre 1785 et 1789, sont parfaitement révélateurs de
la conception du conte qui prévalait, dans les dernières années du règne de
Louis XVI, à l’heure où les nations alentours recherchaient dans le merveilleux
leurs traditions populaires. Outre que la compilation est purement littéraire,
puisqu’elle ne reprend que des textes édités, elle mêle aux œuvres des
principaux auteurs français de larges extraits des Mille et Une Nuits de Galland
aussi bien que d’autres récits orientaux réels ou factices comme les prétendus
contes tartares de Thomas-Simon Gueullette. Elle relève donc de la culture
savante, lettrée, sans se soucier de transmission orale ni d’origine rurale, et
envisage le patrimoine féerique en dehors de toute préoccupation patriotique."

"La période révolutionnaire est marquée par la codification progressive d’un


sous-genre original, bientôt dénommé Féerie, qui se spécialise dans les fables
1051
amoureuses à grand spectacle, mêlant le chant, voire le ballet, à la comédie. Le
surnaturel y contribue au plaisir des yeux par le biais des décors et des
machines, comme à l’extravagance d’intrigues affranchies des contraintes de la
vraisemblance. C’est là d’ailleurs, bien avant l’apparition du drame
romantique, que s’amorce, sur le plan de la dramaturgie, la rupture avec les
unités classiques."

"L’émergence d’un marché pour la jeunesse débarrassé des raideurs


édificatrices d’antan, favorise un meilleur épanouissement du merveilleux. Les
circonstances y sont favorables et, désormais, la France est en phase avec ses
voisins. En 1836, F.C. Gérard donne une première traduction de contes choisis
des frères Grimm, qui viennent enrichir le patrimoine folklorique ; Xavier
Marmier présente Hans Christian Andersen dès 1837 dans La Revue de Paris et
deux ans plus tard dans son Histoire de la littérature en Danemark et en Suède.
S’il n’évoque alors que le romancier et le poète, ignorant tout des Eventyr
Fortalte för Barn (littéralement : Aventures racontées aux enfants dont la
parution avait commencé en 1835, il saisit bien la mélancolie de l’auteur – « sa
muse ne sait pas rire » – et ce qu’il en dit a tout pour donner aux romantiques
l’envie de le découvrir : « Sa vraie nature est de se laisser aller aux émotions du
cœur et de les dépeindre avec naïveté ; sa vraie nature est de s’associer aux
scènes champêtres qu’il observe. » En 1843, un séjour parisien donne au
conteur l’occasion de côtoyer Hugo, Vigny, Lamartine, tout le gratin des
Lettres. Il est connu de toute l’Europe intellectuelle, même s’il faudra attendre
1848 pour que sortent dans la presse française quelques traductions de ses
contes dont David Soldi, en 1856, donnera une sélection chez Hachette."
-Christian Chelebourg, « La quadrature du conte. La féerie en France au temps
du romantisme (1800-1848) », Romantisme, 2015/4 (n° 170), p. 35-48. DOI :
10.3917/rom.170.0035. URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2015-
4-page-35.htm

"Qu’un écrivain puisse ne suivre aucun ordre préétabli, qu’il puisse traiter de
sujets graves sur un mode léger et dans une langue familière, en retournant les
pensées communes, voilà ce que ne peuvent aisément accepter les professeurs et
les érudits. Excluant l’essai de leurs ouvrages, tout en relevant parfois, sans s’y
arrêter, sa propagation à l’échelle des littératures européennes, Nisard,
Vapereau, Petit de Julleville et Lanson – pour s’en tenir aux plus connus –
préféreront classer les productions relevant de la prose d’idées par disciplines
du savoir : la critique, la philosophie, la controverse religieuse, l’histoire... Il
1052
faudra attendre les premières décennies du XXe siècle pour voir l’essai
acquérir, non sans difficulté, une légitimité et une visibilité aux yeux des
théoriciens et des critiques 

Cependant, les écrivains, comme c’est souvent le cas, anticipent ce processus


d’institution générique : amorcée au XVIIIe siècle, par Marivaux et Diderot
entre autres, cette reconnaissance d’un style essayiste, qui lie une pensée et une
forme, s’affirme en France pendant le romantisme et la modernité littéraire,
phénomène dont témoignent les dictionnaires."

"Boiste, tout comme Hatzfeld et Darmesteter, voit dans l’essai un genre anglais.
De fait, l’essai, dont Montaigne a inauguré la forme en littérature, s’est
développé comme genre en Angleterre, dans la postérité de Bacon. Il y a
emprunté deux voies distinctes, désignant d’abord des ouvrages en forme
d’enquête (Enquiry), ayant un caractère expérimental. Susceptibles d’une
certaine ampleur, affichant en même temps leur modestie, ces essais traitent de
questions relevant souvent de la spéculation philosophique ou de l’investigation
scientifique. S’ils s’approchent parfois du traité, ils restent effectivement en
deçà de son ambition totalisante, ayant un caractère propre que relève Jean
Starobinski : ils se signalent, dit-il, comme des livres « où sont proposées des
idées nouvelles, une interprétation originale d’un problème controversé », des
livres qui font donc attendre au lecteur « un renouvellement des perspectives ».
Ainsi de l’essai Du progrès et de la promotion des savoirs de Bacon ou de
l’Essai sur l’entendement humain de Locke.

L’autre forme empruntée par le genre en Angleterre est celle de l’essai familier
(Familiar Essay), composition en général assez courte, abordant toutes sortes de
matières, en toute liberté, dans un style sans apprêt. Ce genre d’essai, dont la
réflexion alerte adopte une allure souple et ouverte, ne donne pas, lui aussi, au
sujet qu’il traite tous les développements attendus, n’ayant pas la prétention
d’entrer méthodiquement dans les détails. Avec l’essor de la presse au XVIIIe
siècle, il prendra une forme périodique, sous l’impulsion d’Addison et Steele,
puis de leurs imitateurs, et s’ouvrira plus largement sur la réalité sociale, que
les essayistes tenteront d’embrasser sous tous ses aspects dans le but civique
d’instruire et d’édifier les lecteurs."

"Dans une société en voie de sécularisation et de démocratisation, où l’opinion


joue un rôle déterminant, la forme de l’essai savant, genre flexible aux

1053
frontières de la littérature et des disciplines du savoir, destiné par ses origines –
le dialogue entre beaux esprits, l’enquête empirique – à s’adresser au public
dans une langue accessible, permet de débattre de toutes les questions, sans
exclusive : il répond au besoin d’exprimer des vues générales, de mettre en
relation les champs du savoir, ce que le traité ne saurait faire du fait de sa
spécialisation."
-Pierre Glaudes, « Un chantier ouvert : étudier l'essai au XIXe siècle »,
Romantisme, 2014/2 (n° 164), p. 3-14. DOI : 10.3917/rom.164.0003. URL :
https://www.cairn.info/revue-romantisme-2014-2-page-3.htm
Michel Brix, Le Romantisme français - Esthétique platonicienne et modernité littéraire
(forumactif.org)

http://academienouvelle.forumactif.org/t6274-deborah-gutermann-mal-du-
siecle-et-mal-du-sexe-dans-la-premiere-moitie-du-xixe-siecle-les-identites-
sexuees-romantiques-aux-prises-avec-le-reel#7389

http://academienouvelle.forumactif.org/t6275-james-s-allen-y-a-t-il-eu-en-
france-une-generation-romantique-de-1830#7390

http://academienouvelle.forumactif.org/t6276-anthony-glinoer-y-a-t-il-eu-une-
identite-collective-du-romantisme-de-1830

https://www.amazon.fr/Litterature-Fran%C3%A7aise-T13-Romantisme-
1843/dp/2700302567/ref=sr_1_9?ie=UTF8&qid=1546442504&sr=8-
9&keywords=Claude+Pichois+romantisme

https://www.amazon.fr/Romantismes-fran%C3%A7ais-1-Paul-
B%C3%A9nichou/dp/2070768465/ref=pd_sim_14_1?_encoding=UTF8&psc=1
&refRID=CQSM81KBYF4TQ0JEGRXE

https://www.amazon.fr/Romantisme-anglais-vuln%C3%A9rables-dissidences-
bonheur/dp/2810701741/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1484951586&sr=8-
4&keywords=Le+romantisme+anglais

http://www.amazon.fr/chair-diable-litt%C3%A9rature-si%C3%A8cle-
romantisme/dp/2070754537/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1455199013
&sr=1-
1&keywords=La+chair+la+mort+et+le+diable+dans+la+litt%C3%A9rature

1054
http://www.amazon.fr/LAme-insurg%C3%A9e-Ecrits-sur-
romantisme/dp/2757823140/ref=pd_rhf_dp_s_cp_6?ie=UTF8&dpID=41IsfSBO
NzL&dpSrc=sims&preST=_SL500_SR81%2C135_&refRID=0CRPVAKHBHF
TDQX1NY4F

Étienne Pivert de Senancour (1770-1846): "Écrite sous la forme de rêverie ou


de méditation philosophique, l’œuvre de Sénancour n'est qu'une longue analyse
du moi, indéfiniment reprise et creusée ; on ne peut dire: une autobiographie,
tant son existence est vide d'incidents. Sans état, à peu près indifférent aux
affaires publiques, étranger, ce qui est à peine croyance, aux événements
littéraires les plus retentissants de l'époque (il dit n'avoir connu le Génie du
Christianisme qu'en 1816), Senancour a systématiquement cherché la retraire et
n'a voulu tenir compte que de la vie intérieure. Il a eu vingt ans au début de la
Révolution, elle l'a ruiné, et il ne l'a pas vue. L'expérience n'existait pas pour lui
et n'entrait pour rien dans la formation purement subjective de sa pensée, qu'il
se flattait de tenir au-dessus du temps dans je ne sais quelle région de
"permanence" (c'est son mot favori), d'éternité.
Tant de dédain pour la réalité s'expie. Un fait minime: les avortements de sa
destiné individuelle, a exercé sur la philsophie de Senancour une influence qui
n'appartient légitimement qu'au spectacle de la nature et de la société." (p.82)

"Les baudelairiens reconnaîtront qu'Obermann les devance et contient le germe


de toutes les psychoses romantiques." (p.93)

"Obermann paru en 1804, ne fut lu qu'à partir de 1833." (p.105)


-Pierre Lasserre, Le Romantisme français. Essai sur la révolution dans les
sentiments et les idées au XIXème siècle, Thèse présentée à la Faculté des lettres
de l'université de Paris, Paris, Société du Mercure de France, 1907, 547 pages.

« Senancour qui était hostile, lui aussi à la Révolution, parce qu'elle l'avait
ruiné et tenu à l'écart, Senancour a vu clair, lui aussi, dans cette société
nouvelle qui avait exilé les aristocrates, mais qui exilait aussi les pauvres et qui
prétendait avoir donné le dernier mot de tout. » -Pierre Barbéris,
"Chateaubriand et le préromantisme", Annales de Bretagne et des pays de
l'Ouest, Année 1968, 75-3, pp. 547-558, p.554.

Gérard de Nerval (1808-1855): « Enfant, l’art n’est point là : il consiste à


créer. Quand tu dessines un de ces ornements qui serpentent le long des frises,
te bornes-tu à copier les fleurs et les feuillages qui rampent sur le sol ? Non : tu
1055
inventes, tu laisses courir le stylet au caprice de l’imagination, entremêlant les
fantaisies les plus bizarres. Eh bien, à côté de l’homme et des animaux existants,
que ne cherches-tu de même des formes inconnues, des êtres innommés, des
incarnations devant lesquelles l’homme a reculé, des accouplements terribles,
des figures propres à répandre le respect, la gaieté, la stupeur ou l’effroi ! » -
Gérard de Nerval, Voyage en Orient, 1851, t. 2.

« La loi musulmane n’a donc rien qui réduise, comme on l’a cru, les femmes à
un état d’esclavage et d’abjection. Elles héritent, elles possèdent
personnellement comme partout, et en dehors même de l’autorité du mari. Elles
ont le droit de provoquer le divorce pour des motifs réglés par la loi. » - Gérard
de Nerval, Voyage en Orient, chapitre 8 « Les mystères du harem ».

Philothée O'Neddy (1811-1875) : « Tout chez eux puissamment concourt à


proclamer

Qu’ils portent dans leurs seins des cœurs prompts à s’armer

De haine virulente et de pitié morose,

Contre la bourgeoisie et le Code et la prose ;

Des cœurs ne dépensant leur exaltation

Que pour deux vérités : l’art et la passion !… »

« Il y avait dans l’air comme une odeur magique

De moyen-âge, — arôme ardent et névralgique,

Qui se collait à l’ame, imprégnait le cerveau,

Et faisait serpenter des frissons sur la peau. » -Philothée O’Neddy,


« Pandæmonium », in Feu et Flamme, 1833.

« Philothée O’Neddy, redevenu Théophile Dondey, a dû abandonner la carrière


littéraire quand son père est mort du choléra-morbus. » -Anthony Glinoer, « Y
a-t-il eu une « identité collective » du romantisme de 1830 ? », Romantisme,
2010/1 (n° 147), p. 29-40. DOI : 10.3917/rom.147.0029. URL :
https://www.cairn.info/revue-romantisme-2010-1-page-29.htm

http://hydra.forumactif.org/t463-philothee-o-neddy-feu-et-flamme#935

1056
Alfred de Vigny (1797-1863): « Que Dieu guide à son but la vapeur
foudroyante

Sur le fer des chemins qui traversent les monts,

Qu’un Ange soit debout sur sa forge bruyante,

Quand elle va sous terre ou fait trembler les ponts

Et, de ses dents de feu dévorant ses chaudières,

Transperce les cités et saute les rivières,

Plus vite que le cerf dans l’ardeur de ses bonds ! […]

Adieu, voyages lents, bruits lointains qu’on écoute,

Le rire du passant, les retards de l’essieu,

Les détours imprévus des pentes variées,

Un ami rencontré, les heures oubliées,

L’espoir d’arriver tard dans un sauvage lieu

[…]

La distance et le temps sont vaincus. La science

Trace autour de la terre un chemin triste et droit.

Le Monde est rétréci par notre expérience

Et l’équateur n’est plus qu’un anneau trop étroit.

Plus de hasard. Chacun glissera sur sa ligne

Immobile au seul rang que le départ assigne,

Plongé dans un calcul silencieux et froid. » -Alfred de Vigny, La Maison du


Berger, v.64-70 et v.115-119 et v.120-126.

"À quoi bon les Arts s’ils n’étaient que le redoublement et la contre-épreuve de
l’existence ? Eh ! bon Dieu, nous ne voyons que trop autour de nous la triste et
désenchanteresse réalité : la tiédeur insupportable des demi-caractères, des
ébauches de vertus et de vices, des amours irrésolus, des haines mitigées, des
1057
amitiés tremblotantes, des doctrines variables, des fidélités qui ont leur hausse
et leur baisse, des opinions qui s’évaporent ; laissez-nous rêver que parfois ont
paru des hommes plus forts et plus grands, qui furent des bons ou des méchants
plus résolus ; cela fait du bien. Si la pâleur de votre vrai nous poursuit dans
l’Art, nous fermerons ensemble le théâtre et le livre pour ne pas le rencontrer
deux fois."
-Alfred de Vigny, Réflexions sur la vérité dans l’Art, 1827, avant propos à Cinq-
Mars, ou une conjuration sous Louis XIII, Michel Lévy frères, 1863 (1826 pour
la première édition) (p. 1-10).

http://academienouvelle.forumactif.org/t250-alfred-de-vigny-cinq-mars-poemes-
antiques-et-modernes-eloa#510

Aloysius Bertrand (1807-1841): http://hydra.forumactif.org/t254-aloysius-


bertrand-gaspard-de-la-nuit#514

Delphine de Girardin (1804-1855) : « Monter sur le faîte, non pas pour y voir
de plus haut et de plus loin le destin des hommes, mais pour y languir oisif, pour
s’y pavaner niaisement, c’est une ambition d’infirmes que nous ne pouvons pas
comprendre.

Quoi ! Vous voulez la force, et vous n’avez rien de difficile à accomplir ! Vous
voulez l’éclat, et vous n’avez rien de beau à faire briller au jour ! Vous voulez le
concours de tous et vous n’avez aucune idée généreuse à faire triompher !

Vous voulez être ministres uniquement pour avoir le droit de tenir un


portefeuille rouge sous le bras, pour le plaisir d’être cajolés, l’honneur d’être
appelé Monsieur le Ministre. Et vous restez là, satisfaits d’être là, n’ayant
d’autres pensées que de vous y maintenir, d’autre souci que d’empêcher vos
rivaux d’y arriver. En vérité, vous êtes des ambitieux bien modestes, et c’est à ce
pauvre désir, à cette ambition si petite, que vous sacrifiez les grandes destinées
d’un grand pays ! » -Delphine de Girardin, Lettres Parisiennes, 1847.

"L'opposition bourgeoise est représentée par Mme de Girardin, la plus célèbre


des femmes journalistes de son époque. Dans les articles qu'elle publia dans La
Presse sous le pseudonyme de "vicomte de Launay", elle critique d'une plume
alerte et incisive les actes du gouvernement (l'article sur le projet de
fortifications de Paris est un de ses plus intéressants) et s'attaque parfois aux
personnes (par exemple dans son spirituel portrait de Thiers)." -Léon Abensour,

1058
"Le féminisme sous la monarchie de Juillet. Les essais de réalisation et les
résultats", Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, Année 1911, 15-2, pp.
153-176, p.164.

Alfred de Musset (1810-1857): « Tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang
brûlant qui avait inondé la terre. […] Il y avait pour eux dans ce mot de liberté
quelque chose qui leur faisait battre le cœur à la fois comme un lointain et
terrible souvenir et comme une chère espérance, plus lointaine encore.
[…]Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens :
derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous
les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense
horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque
chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune
Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de
naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou
par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot,
qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à
tous deux à la fois, et où l’on ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur
une semence ou sur un débris.

Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des
enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petits-fils de la
Révolution.

Or, du passé, ils n’en voulaient plus, car la foi en rien ne se donne ; l’avenir, ils
l’aimaient, mais quoi ? comme Pygmalion Galathée ; c’était pour eux comme
une amante de marbre, et ils attendaient qu’elle s’animât, que le sang colorât
ses veines. »

« Je ne suis qu’un enfant qui souffre. »

« Ce fut comme une dénégation de toutes choses du ciel et de la terre, qu’on


peut nommer désenchantement, ou si l’on veut, désespérance, comme si
l’humanité en léthargie avait été crue morte par ceux qui lui tâtaient le pouls.
De même que ce soldat à qui l’on demanda jadis : À quoi crois-tu ? et qui le
premier répondit : À moi ; ainsi la jeunesse de France, entendant cette question,
répondit la première : À rien. »

1059
-Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, 1836, 1ère partie, chap
II.

« Bien que les lettres soient maintenant avilies, il fut un temps, monsieur, où
elles florissaient ; il fut un temps où l’on lisait les livres ; et dans nos théâtres,
naguère encore, il fut un temps où l’on sifflait. C’était, si notre mémoire est
bonne, de 1824 à 1829 ; le roi d’alors, le clergé aidant, se préparait à renverser la
charte, et à priver le peuple de ses droits ; et vous n’êtes pas sans vous souvenir
qu’à cette époque il a été grandement question d’une méthode toute nouvelle
qu’on venait d’inventer pour faire des pièces de théâtre, des romans et même des
sonnets. On s’en est fort ocupé ici ; mais nous n’avons jamais pu apprendre
clairement, ni mon ami Cotonet ni moi, ce que c’était que le romantisme. […]

Las d’examiner et de peser, trouvant toujours des phrases vides et des


professions de foi incompréhensibles, nous en vînmes à croire que ce mot de
romantisme n’était qu’un mot ; nous le trouvions beau, et il nous semblait que
c’était dommage qu’il ne voulût rien dire. Il ressemble à Rome et à Romain, à
roman et à romanesque. […]

Qu’est-ce donc alors que le romantisme ? Est-ce l’emploi des mots crus ? Est-ce
la haine des périphrases ? […] Sont-ce les néologismes, le néo-christianisme, et,
pour appeler d’un nom nouveau une peste nouvelle, tous les néosophismes de la
terre ? Est-ce de jurer par écrit ? Est-ce de choquer le bon sens et la grammaire ?
Est-ce quelque chose enfin, ou n’est-ce rien qu’un mot sonore et l’orgueil à vide
qui se bat les flancs ? »

« Perfectionner les choses n’est pas nouveau ; rien n’est plus vieux, tout au
contraire, mais aussi rien n’est plus permis, loisible, honnête et salutaire ;
quand on ne perfectionnerait que les allumettes, c’est rendre service au monde
entier, car les briquets s’éteignent sans cesse. Mais s’attaquer aux gens en
personne et s’en venir les perfectionner, oh, oh ! l’affaire est sérieuse, je ne sais
trop qui s’y prêterait, mais ce ne serait pas dans ce pays-ci. Perfectionner un
homme [comme le veulent les humanitaires], d’autorité, par force majeure et
arrêt de la cour, c’est une entreprise neuve de tout point : Lycurgue et Solon
sont ici fort en arrière ; mais croyez-vous qu’on réussira ?

Il y aurait de quoi prendre la poste et se sauver en Sibérie. Car j’imagine que ce


doit être une rude torture inquisitoriale que ces moyens de perfection ; c’est
quelque chose sans doute, au moral, comme un établissement orthopédique, à
1060
moins que par là on entende seulement le rudiment et l’école primaire ; mais il
n’y a rien de moins perfectionnant. Que diantre cela peut-il être ? Nous ôtera-t-
on nos cinq sens de nature ? nous en donnera-t-on un sixième ? Seraient-ce nos
passions que l’on corrigerait ? Par Dieu ! ce serait une belle merveille que de
nous empêcher d’être gourmands, ivrognes, menteurs, avares, vicieux ! et si
j’aime les œufs à la neige ? me défendrez-vous d’en manger ? Et si mon vin est
bon, ou le vôtre, à vous qui parlez, et si votre femme… vous me feriez dire
quelque sottise ; non, ce ne doit point être encore cela. Ouvrirait-on quelque
grand gymnase pour nous y administrer, au nom du roi, une éducation
jusqu’alors inconnue ? Mais nous voilà encore à Sparte ; je ne m’en tirerai
jamais. D’ailleurs, qui ose décider, ici-bas, entre un savant et un ignare, lequel
des deux est le plus parfait, ou le moins sot, pour parler net ? »

-Alfred de Musset, « Lettres de Depuis et Cotonet », Revue des Deux Mondes,


printemps 1836.

« C'est que la sagesse est un travail, et que pour être seulement raisonnable, il
faut se donner beaucoup de mal, tandis que pour faire des sottises, il n'y a qu'à
se laisser aller. » -Alfred de Musset, Œuvres complètes, Nouvelles et Contes I,
4, p.334.

"Iconoclaste, Musset le fut tout autant que Rimbaud, et à un âge aussi précoce.
Vis-à-vis de Hugo, son aîné de huit ans, il déchaîna l’ironie de sa verve
adolescente dans les Contes d’Espagne et d’Italie, dès 1829, puis dans Un
spectacle dans un fauteuil (vers), trois ans plus tard. Les Orientales, dans les
deux cas, furent la cible favorite de sa verdeur. Vers le même temps, il parodiait
son théâtre, de La Nuit vénitienne à Fantasio, pièce composée à l’automne 1833
et qui multipliait les allusions au Roi s’amuse, à Hernani et à Lucrèce Borgia.

Deux circonstances mirent en présence Musset et Hugo. La première remonte à


l’enfance, ou, si l’on préfère, à la prime adolescence. En juin 1822, Alfred, âgé
de onze ans, se rend le dimanche à Gentilly chez la mère de Paul Foucher, son
camarade du collège Henri IV, dont la sœur Adèle vient de se fiancer à Hugo.
Le mariage sera célébré en octobre de la même année. En 1828, lors des soirées
que Charles Nodier organise à la bibliothèque de l’Arsenal, Musset danse avec
Marie Nodier, écoute Hugo déclamer Les Feuilles d’automne et lit peut-être lui-
même des vers. La grande figure, le demi-dieu de ce salon érudit et mondain, où
se fomentent les coups d’état du romantisme, c’est incontestablement Hugo."
1061
"En juillet 1830, il se serait « déshugotisé », au dire de son père. La vérité est
qu’à aucun moment il ne fut hugolâtre, gardant raison et toujours une légère
ironie par rapport au maître du chœur. Du reste, il nourrit assez vite pour Hugo
un sentiment d’agacement, que traduisent les insolences de Mardoche et de
Namouna, parodiant l’éclatante palette des Orientales et mettant à mal le
philhellénisme en vogue. "

"Alfred lui-même, qui a conçu Mardoche à son image, rechignait à suivre Hugo
lors des fameux pèlerinages aux tours de Notre-Dame, pour contempler au loin
le crépuscule sur la plaine de Montrouge. C’est au cours de ces promenades
rituelles que Hugo a trouvé l’inspiration des « Soleils couchants » qui forment
une section des Feuilles d’automne et dont un premier exemple, « Rêverie », se
trouve dans Les Orientales."

"Musset fait de son héros un adepte de la cause turque au détriment de la liberté


grecque."

"L’esthétique, de toute évidence, prime sur la politique et la morale ; le beau


éternel compte seul au regard des convulsions et des révolutions humaines.
L’attentat le plus scandaleux est celui qui vise le minéral, non l’animal humain.
En soutenant, ou en feignant de soutenir cette position intenable, Musset jeune
veut choquer ses aînés, ses parents, ses amis, qui prirent du reste assez bien
cette plaisanterie risquée."

"La profession d’insensibilité de Mardoche, plus libertine que stoïque, se


retrouve un peu plus loin dans le poème, pour tourner en ridicule le
rousseauisme en vogue et les adeptes de la religion naturelle. [...] À cette
homélie qui pastiche la Profession de foi du vicaire savoyard, Mardoche
s’esclaffe. Décidément Musset n’est pas encore ce disciple de Jean-Jacques
qu’il deviendra après sa rencontre avec George Sand."

"Nulle part Musset ne s’est plus entièrement livré que dans ces deux poèmes, qui
sont peut-être ses deux premiers chefs-d’œuvre et qui offrent entre eux une
grande parenté. Même affectation de dandysme ici et là : Mardoche se place
sous le signe de George Brummel , tandis que Namouna transporte l’élégance
anglaise dans un Orient de pacotille. Même prise de distance par rapport au
romantisme et à son illustre avantcourrier Jean-Jacques Rousseau. Même
irréligion insolemment affichée au bénéfice du seul plaisir, un plaisir d’ordre
essentiellement sexuel. Même exhibitionnisme enfin d’un autoportrait en pied et,
1062
dans le cas de Namouna, en nu intégral.
Namouna, après Mardoche, pastiche les couchers de soleil romantiques si prisés
de Hugo."

"Le dandy et le sultan ont en commun la paresse et le spleen, sans oublier la


luxure, que la paresse favorise et qui trompe l’ennui, à moins qu’elle ne
l’approfondisse. Mardoche est un pacha, Hassan un dandy repeint à l’orientale,
et son harem ressemble à s’y méprendre à une maison close. Lui aussi coule des
jours d’une parfaite oisiveté, partageant son existence entre l’amour et le
sommeil."

"Le sadisme de Baudelaire, en effet, est déjà celui du jeune Musset."

"Matérialisme, soit ! Mais il vaudrait mieux dire nihilisme. L’indolence cynique


de Mardoche défiant les certitudes fragiles de son oncle bedeau le suggère. Le
nu exhibitionniste de Namouna le confirme. Ce nu ne fait pas que dénoncer un
orientalisme de pacotille, qui, pour des décennies encore, va revêtir de
déshabillés pittoresques et somme toute présentables les fantasmes du
bourgeois. Il exprime un vide insondable, et sous la peau complaisamment
exhibée, frottée et parfumée du dandy, un désespoir sans relève."
-Frank Lestringant, L'orientalisme dévoilé : Musset, lecteur de Hugo, Revue
d'histoire littéraire de la France, 2002/4 (Vol. 102), p. 563-578.

http://hydra.forumactif.org/t169-alfred-de-musset-la-confession-dun-enfant-du-
siecle-suivie-de-la-nuit-de-decembre#388

Georges Sand (1804-1876): « Il portait l’humanité future dans ses entrailles. Ils
le déclarèrent sauvage, misanthrope, parce qu’il méprisait les enivrements de la
vanité et fuyait le théatre des vanités puériles. En un mot, ils furent comme les
pharisiens de tous les âges à la venue des prophètes, et Dieu put dire d’eux
aussi : « Je leur ai envoyé mon fils et ils ne l’ont point connu… » Le temps n’est
pas loin où l’opinion ne fera pas plus le procès à saint Rousseau qu’elle ne le
fait à saint Augustin. Elle le verra d’autant plus grand qu’il est parti de plus bas
et revenu de plus loin, car Rousseau est un chrétien tout aussi orthodoxe pour
l’église de l’avenir que le centenier Mathieu et le persécuteur Paul le sont pour
l’église du passé. » -Georges Sand, Quelques Réflexions sur J. J. Rousseau,
1844.

1063
« Et quoi, tu veux que je cesse d’aimer ? Tu veux que je dise que je me suis
trompée toute ma vie, que l’humanité est méprisable, haïssable, qu’elle a
toujours été, qu’elle sera toujours ainsi ? Et tu me reproches ma douleur comme
une faiblesse, comme le puéril regret d’une illusion perdue ? Tu affirmes que le
peuple a toujours été féroce, le prêtre toujours hypocrite, le bourgeois toujours
lâche, le soldat toujours brigand, le paysan toujours stupide ? Tu dis que tu
savais tout cela dès ta jeunesse et tu te réjouis de n’en avoir jamais douté parce
que l’âge mûr ne t’a apporté aucune déception ; tu n’as donc pas été jeune ?
Ah ! nous différons bien, car je n’ai cessé de l’être si c’est être jeune que
d’aimer toujours… […]

Non, non, on ne s’isole pas, on ne rompt pas les liens du sang, on ne maudit pas,
on ne méprise pas son espèce. L’humanité n’est pas un vain mot. Notre vie est
faite d’amour et ne plus aimer, c’est ne plus vivre. Le peuple, dis-tu ! Le peuple
c’est toi et moi, nous nous en défendrions en vain… […] Le peuple toujours
féroce, dis-tu, moi je te dis : La noblesse toujours sauvage !…

Et toi, ami, tu veux que je voie ces choses avec une stoïque indifférence ? Tu
veux que je te dise : l’homme est ainsi fait ; le crime est son expression,
l’infamie est sa nature ?

Non, cent fois non. L’humanité est indignée en moi et avec moi… »

-George Sand, lettre à Gustave Flaubert, rendue publique dans le journal Le


Temps le 3 octobre 1871 sous le titre : « Réponse à un ami ».

« Son incompréhension pour la Commune se situe davantage dans la forme que


dans le fond. La base des revendications des communards était, en effet, depuis
longtemps dans sa réflexion et conforme à ses propositions. Mais l’aspect
insurrectionnel du mouvement, s’imposant en dehors du suffrage universel, et la
violence qu’il engendrait, cela elle ne pouvait l’admettre. Elle affirme cette
conviction le 21 octobre 1871 :

« Je hais le sang répandu et je ne veux plus de cette thèse : faisons le mal pour
amener le bien ; tuons pour créer. »

Elle ne peut se défaire de son cher rêve de « peuple uni ». C’est pour cela qu’elle
fit partie des opposants à la Commune, mais pas des plus virulents.

1064
Pourtant elle n’abandonne pas son espoir politique d’une République porteuse
d’un monde meilleur socialement. Elle affirme :

« Sachez donc, vous autres, que les républicains avancés sont dans la proportion
de un pour cent, sur la surface du pays entier, et que vous ne sauverez la
République qu’en montrant beaucoup de patience et en tâchant de ramener les
excessifs. »

Quelques mois avant sa mort elle écrit à Flaubert :

« Elle (la République) sera très bourgeoise et peu idéale, mais il faut bien
commencer par le commencement. Nous autres artistes, nous n’avons point de
patience. ». » -Georges Buisson, « Artiste, la société a besoin de toi ! », Revue
d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 47 | 2013, mis en ligne le 31 décembre
2016, consulté le 13 novembre 2020. URL :
http://journals.openedition.org/rh19/4549 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/rh19.4549

« [Goerge Sand] fait très tôt place dans ses romans, non seulement à des
personnages de paysans et de paysannes, mais à des figures de travailleurs et de
travailleuses de l’artisanat et de l’industrie : Geneviève, la fleuriste républicaine
au grand coeur dans André (1835) ; Eugénie, la couturière saintsimonienne et
révoltée dans Horace (1842). Son très romanesque Compagnon du Tour de
France (1840), qui fait la part belle aux rêves d’amour et de fraternité du
menuisier Pierre Huguenin et de son compagnon Amaury le Corinthien, est
directement inspiré du Livre du compagnonnage (1840) du menuisier Agricol
Perdiguier, dit « Avignonnais-la Vertu », que lui a fait connaître et rencontrer
Pierre Leroux ; le roman de George Sand diffuse largement l’idéologie à la fois
égalitaire, revendicative et fraternelle des ouvriers compagnons. Plus tard, après
les désillusions de 1848, George Sand continuera à donner naissance à des
personnages de travailleurs généreux et persévérants dans leurs idées comme
dans leurs amours ; le charbonnier Huriel, de la forêt de Tronçais (Allier), dans
Les Maîtres-Sonneurs (1853) ; ou le jeune ouvrier coutelier Étienne Lavoute, dit
« Sept-Épées », dans La Ville noire (1860), premier véritable « roman ouvrier »
de la littérature française du XIXe siècle, qui évoque le monde des hauts
fourneaux et des ateliers de coutellerie, des prolétaires et des bourgeois, de la «
ville haute » et de la « ville basse » dans la cité industrielle de Thiers (Puy de
Dôme), dans une perspective à la fois romanesque et de réconciliation entre les

1065
classes sociales. George Sand est d’autre part directement impliquée dans
l’effort de promotion des « poètes ouvriers » des années 1840, aux côtés de
Leroux, Perdiguier, ou de Philippe Buchez et de son journal L’Atelier, rédigé et
composé par les typographes. Il s’agit de créer une littérature du peuple par des
écrivains du peuple et une littérature ouvrière par des ouvriers. Dans un
manifeste de 1850 (Maître Adam, menuisier de Nevers), Agricol Perdiguier,
devenu représentant du peuple, écrit : « Que les poètes aux mains calleuses
surgissent de toutes parts et le dédain sera vaincu. Ces poètes, ce sont le
boulanger Reboul, les menuisiers Durand et Rolly, les imprimeurs Hégésippe
Moreau, Lachambeaudie et Voitelin, le tisserand Magu, le potier d’étain
Beuzeville, l’imprimeur sur indiennes Lebreton, le cordonnier Lapointe, le
fabricant de mesures linéaires Vinçard, le maçon Poncy, le vidangeur Ponty, le
serrurier Gilland, la couturière Marie Carré de Dijon, le perruquier Jasmin, et
tant d’autres… Tous ces poètes ne chantent pas comme [d’autres] le chantaient
jadis, le vin et la prostitution ; non, ce qui les inspire, c’est l’amour du travail et
des hommes. » -Philippe Boutry, « Le monde du travail et ses représentations »,
Cours d’agrégation, Sorbonne, Amphithéâtre Richelieu, février 2021.

Jules Pierre Théophile Gautier (1811-1872):


http://hydra.forumactif.org/t3933-theophile-gautier-oeuvre#4780

Alphonse Esquiros (1812-1876) : « Cette génération portée par l’onde de la


révolution de 1830 devait connaître un apogée éphémère en 1848 dans la
culture « quarante-huitarde » et la désillusion qui a suivi mit fin à une séquence
de l’histoire politique et intellectuelle caractérisée par la porosité entre la
pensée du politique et la pensée religieuse. »

« Député « radical » et sénateur sous la Troisième République, anticlérical,


éducateur du peuple, il ne revendique guère son parcours de jeunesse, comme le
montre le soin qu’il prend à expurger son passé en exerçant un sévère tri dans la
réédition de ses œuvres. »

« Esquiros entre dans la carrière au temps du saint-simonisme offensif (1831) ; il


écrit à l’heure du romantisme triomphant ; sa carrière accompagne la poussée
des socialismes dits « utopiques » ; il s’échoue finalement sous la Seconde
République et la fin de sa vie est celle d’un notable de la Troisième
République. »

1066
-Sylvain Milbach, « Alphonse Esquiros, l’inquiétude religieuse d’un démocrate
à l’âge romantique », Romantisme, 2015/1 (n° 167), p. 88-100. DOI :
10.3917/rom.167.0088. URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2015-
1-page-88.htm

Charles Baudelaire (1821-1867) : « Toute intention épique résulte d’un sens


imparfait de l’art. » -Charles Baudelaire, Notes nouvelles sur Poe, préface aux
Nouvelles histoires extraordinaires, Paris, Michel Levy, 1837.

« Trois volumes dépareillés de Racine, ce sont tous les trésors que j’ai gardés
de toi. » -Charles Baudelaire, lettre à sa mère, mars 1852.

« Le 21 juin 1857, Les Fleurs du Mal sortent en librairies. Baudelaire craint de


braquer contre lui le public. Il hésite même à en adresser un exemplaire
à sa mère, mais réflexion faite, sachant qu’elle en entendra parler, il lui
expédie son recueil: «Ce livre dont le titre, Fleurs du Mal, dit tout, est
revêtu, vous le verrez, d’une beauté sinistre et froide. Il a été fait avec fureur et
patience.» Alors qu’il s’efforce de rassurer sa mère, et de se rassurer lui-même,
la campagne de presse contre Les Fleurs du Mal a déjà commencé.
Baudelaire, qui n’avait que mépris pour les petits journaux, ne fut pas ménagé.
L’originalité de son livre ne pouvait que choquer. Le 5 juillet dans Le
Figaro, Gustave Bourdin, gendre du directeur, dénonçait pratiquement à
la justice Les Fleurs pour cause d’immoralité. Ce furent, dit-on, ces lignes
aussi sottes que méchantes qui déchainèrent les poursuites judiciaires.
Cependant à la direction générale de la Sûreté, un rapport confidentiel
spécifie que Les Fleurs du Mal constituent un défi jeté aux lois que protègent
la religion et la morale: blasphèmes, éloges de la lubricité, chants en l’honneur
de l’amour entre femmes, complaisance pour le satanisme et l’ordure.
L’ouvrage entier paraît à ces messieurs du ministère un outrage aux mœurs et à
l’Église. Dès le 7 juillet, le ministère de l’Intérieur demande au procureur
général d’engager des poursuites. Le 20 août 1857, Baudelaire, crispé de honte
et de rage, se présente au Palais de justice. Le redoutable procureur impérial
Pinard demande aux juges une certaine pondération: « Soyez indulgents pour
Baudelaire, mais donnez, en condamnant certaines pièces, un avertissement
devenu nécessaire. » Le jugement est rendu le jour même, Baudelaire est
condamné à 300 F d’amende, et Poulet Malassis à 200 F. De plus le tribunal
ordonne la suppression des poèmes qui lui paraissent les plus osés: Les Bijoux-
Le Léthé–Lesbos-Femmes damnées-Les Métamorphoses du vampire-A celle
1067
qui est trop gaie. (C’est seulement le 31 mai 1949 que la chambre
criminelle de la Cour de cassation annulera le jugement de 1857.). » -Mme
Vicky Bacri, « Charles Baudelaire », 17 novembre 2002, p.10.

« Révélant le « courage » de celui qui n’a pas renoncé à défendre les valeurs de
son art, beauté, vérité, le stigmate de l’infamie se retourne en signe d’élection. Il
devient un titre de gloire. Victor Hugo félicite Baudelaire de sa « flétrissure »
comme d’une des rares « décorations » que le régime actuel peut accorder.
Alors que Baudelaire n’en retient que le versant négatif, la souillure, Hugo en
voit la dimension positive : celle des valeurs à partir desquelles l’écrivain peut à
son tour critiquer, condamner le régime qui les proscrit, et qui fondent un autre
type de responsabilité, dont l’auteur des Misérables, lui-même exilé, banni, est
l’incarnation. » -Gisèle Sapiro, « Aux origines de la modernité littéraire : la
dissociation du Beau, du Vrai et du Bien », Nouvelle revue d’esthétique, 2010/2
(n° 6), p. 13-23. DOI : 10.3917/nre.006.0013. URL :
https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-d-esthetique-2010-2-page-13.htm

« La vérité est que les Fleurs du Mal transforment et retournent le romantisme,


avec ces trois ferments, aujourd’hui encore agissants une poésie chrétienne, une
poésie urbaine, une poésie critique.

Une poésie, chrétienne et une vraie ! Une vraie, c’est-à-dire le contraire de la


poésie chrétienne à la Chateaubriand, qui était décorative, glorieuse, lyrique.
Pas de christianisme vrai sans la conscience du péché, le sens du péché, un sens
dont on ne sait comment Baudelaire s’est trouvé le posséder comme Pascal. Or,
s’il existe bien en France, pour les philosophes, un grand pays de vie intérieure
venu des Grecs, d’autre part il semble que la vibration poétique, l’appel à la
sensibilité générale et au lecteur commun, ne coïncident, dans cet ordre de la
vie intérieure, qu’avec des thèmes chrétiens, même si ces thèmes ne font que
servir de mythe, et si la croyance authentique ne donne pas. Le péché originel,
ses récurrences personnelles, les drames de l’enfer et du ciel, l’examen de
conscience, la confession, la damnation et le salut, le démon et la Madone, sont
poétisés intérieurement et réellement par les Fleurs du Mal, comme ils l’ont été
extérieurement et décorativement par le Génie du Christianisme. Les grands
romantiques, et même Vigny dans le Mont des Oliviers, ont fait un usage
poétique des idées chrétiennes. Baudelaire, et cela nous introduit dans un autre
monde, en fait une profession poétique, voisine de la confession religieuse.

1068
Une poésie urbaine. Né à Paris comme Musset, brûlé jeune comme lui par la vie
de Paris, transposant comme lui ce feu en poisons, Baudelaire a succédé
complètement à Musset comme poète de la vie profonde de Paris, Victor Hugo
restant le poète de ses fêtes, de ses épiphanies. La poésie de Baudelaire suit «
les plis sinueux des vieilles capitales ». Elle donne une voix au péché multiplié
qui y coule, à ses lumières et à ses fards, à ses luxures et à ses secrètes pensées.
Elle ne les « chante » pas, elle les vit. Les Fleurs du Mal les traitent en
profondeur et les exposent en réalité, comme les Méditations ou les
Contemplations ont fait des lacs, des forêts et de la mer, comme Racine a fait de
la cour. Sans Baudelaire, Musset serait aujourd’hui beaucoup plus grand, car
Baudelaire l’a déclassé : le Paris de Musset est devenu le Paris factice que les
étrangers voient au café, le Parisien de Musset est retombé en acteur
romantique, cependant que le cœur mis à nu de Baudelaire devenait, dans Paris,
le cœur même de l’homme moderne.

Enfin une poésie critique, la poésie d’un esprit critique. Comme il a compris
Delacroix et Wagner, Baudelaire a compris l’homme de son temps. Il l’a vu en
analyste, et non plus, comme les romantiques, en lyrique généreux. Son
sentiment chrétien de la vie pécheresse est enté sur la clairvoyance dure et sur
la sensualité lucide du XVIIIe siècle. Après Baudelaire il faudra exiger de plus
en plus des poètes non pas des « idées », mais une intelligence critique
révolutionnaire, un non ! plus fort infligé à l’habitude, au conformisme, au tout
fait. » -Albert Thibaudet, Les Romantiques et les Parnassiens de 1870 à 1914,
La Revue de Paris, 1933.

« Baudelaire, de goût allemand, si jamais un Parisien peut avoir un tel goût,


témoigne d’une sensibilité allemande quand il ne peut supporter Victor Hugo et
l’appelle un « âne de génie ». » -Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes,
volume XI, p.162.

"C'est l'extraordinaire complexité de "l'âme humaine", en Baudelaire, et


l'audience qu'il sut donner à quelques-unes des revendications les plus violentes
du romantisme qui expliquent d'abord son pouvoir de rayonnement. Partagé
entre le désir de s'élever jusqu'à la contemplation des "trônes et des
dominations" et le besoin de savourer les liqueurs lourdes du péché, tour à tour,
et parfois simultanément, attiré et repoussé par les extrêmes -l'amour appelant
la haine et s'en nourrissant- l'homme en proie à cette cruelle ambivalence
affective finit par s'immobiliser au centre de lui-même, livré à une sorte
1069
d'horreur extatique. "La franchise absolue, moyen d'originalité". Sans doute ;
mais avant de devenir un moyen d'art, cette "franchise" répondait en Baudelaire
à une nécessité impérieuse, la nécessité d'aller jusqu'au bout des possibilités de
son être et de cultiver avec une volonté exacerbée des états d'âme exceptionnels.
"Tous les élégiaques sont des canailles", affirmait-il, refusant de voir en eux
autre chose que des hommes occupés à se duper eux-mêmes. Nul plus que lui,
spiritualiste et matérialiste à la fois, ne fut esclave de son corps, en un sens, et
de ses "perceptions obscures". De plus, rompant avec une morale et une
psychologie conventionnelles, il accepte comme un fait évident, dont il saura
dans sa poésie exploiter les premières conséquences, l'étroite relation du
physique et du spirituel. Un parfum "chargé de nonchaloir" est capable
d'enchaîner toutes ses puissances et de "changer son âme". Ce sentiment
profond des rapports longtemps insoupçonnés du plus haut et du plus bas, des
exigences de l'inconscient et des aspirations supérieures, en un mot cette
conscience de l'unité de la vie psychique, voilà bien une des plus importantes
révélations de la poésie de Baudelaire.
Seulement -et c'est là le signe de cette ambivalence affective dont nous parlions-
le poète prend en haine ce "corps et ce cœur" auxquels il s'attache cependant
presque amoureusement ; "horreur de la vie, extase de la vie" note-t-il avec une
terrible clairvoyance. Il est donc condamné à l'insatisfaction perpétuelle, forcé
de surmener une nature usée et de chercher sans cesse des moyens nouveaux de
ne pas sentir "l'horrible fardeau du temps". Les conditions "normales" de la vie
terrestre ne sauraient lui apporter désormais aucune jouissance qui ne se
change bientôt en une douleur et l'oubli seul d'un monde relatif déplorablement
peut l'élever un moment au-dessus des terres grises de l'ennui. Son histoire
s'inscrit entre les premiers vers du Voyage et le vœu qui l'achève: "Au fond de
l'inconnu pour trouver du nouveau !".
Mais le drame dont il s'agit n'engage pas qu'un malade, une personnalité
singulière ; par son désir éperdu d'aborder "n'importe où hors du monde",
Baudelaire développe jusqu'au degré supérieur du tragique le thème romantique
de la révolte et de l'évasion. De sorte que le secret de l'action décisive de son
livre sur la sensibilité moderne doit être cherché dans cet accord fondamental,
et qu'on a mis du temps à apercevoir, entre les sentiments et les aspirations
auxquels il a donné forme et l'âme obscure et désirante de son siècle.
"Bas romantisme", a-t-on dit à son sujet ; gardons l'épithète, mais avec le sens
de profond, qui tient à la moelle même de l'être. Les Fleurs du Mal ne sauraient
donc être envisagées seulement comme une illustration concertée de la poétique
1070
de l'Art pour l'Art, ni ne peuvent être expliquées [comme le fait Valéry] par
l'intention froidement délibérée de faire autre chose que ce qu'avaient accompli
Lamartine, Musset, Vigny, Hugo. Leur contenu moral, philosophique (au sens
large), ne peut être négligé. S'il y a en Baudelaire une part de jeu, ce jeu n'est
pas innocent." (p.16-18)

"Baudelaire esthéticien, disciple de Poe, l'est aussi de Coleridge et des premiers


romantiques anglais. Cette filiation est indéniable. Il y aurait cependant de
distinguer entre la théorie et la pratique ; alors que Poe, comme tant de ses
compatriotes, est un poète platonicien et séraphique, le poète des Fleurs du Mal
(qui devaient s'intituler d'abord Les Limbes) crée une beauté plus humaine, qui
ne se dégage pas toujours de la passion et plonge parfois dans une atmosphère
plus infernale que paradisiaque." (p.20)

-Marcel Raymond, De Baudelaire au surréalisme. Essai sur le mouvement


poétique contemporain, Paris, Éditions R. -A. Corrêa, 1933, 413 pages.

http://hydra.forumactif.org/t5146-marcelin-pleynet-racine-devant-
baudelaire#6138

http://www.langue-francaise.org/conference_Dargaud_100_decembre_2012.pdf

https://www.amazon.fr/Charles-Baudelaire-Jean-
Ziegler/dp/2213597731/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1480506357&sr=
1-1&keywords=Claude+Pichois+et+Jean+Ziegler%2C+Charles+Baudelaire

https://www.amazon.fr/Baudelaire-lexp%C3%A9rience-gouffre-
pr%C3%A9face-
cassou/dp/B0000DNJNS/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1480506185&sr
=1-
1&keywords=Benjamin+Fondane%2C+Baudelaire+et+l%27exp%C3%A9rienc
e+du+gouffre

https://www.amazon.fr/Baudelaire-Walter-
Benjamin/dp/2358720356/ref=sr_1_fkmr0_2?s=books&ie=UTF8&qid=148050
6236&sr=1-2-
fkmr0&keywords=Walter+Benjamin%2C+Charles+Baudelaire.+Un+po%C3%
A8te+lyrique+%C3%A0+l%27apog%C3%A9e+du+capitalisme

Arsène Houssaye (1814-1896):

1071
Xavier Forneret (1809-1884) : http://hydra.forumactif.org/t465-xavier-
forneret#939

Eugène Delacroix (1798-1863): « Les ouvrages d’Hugo ressemblent au


brouillon d’un homme qui a du talent : il dit tout ce qui lui vient. » -Eugène
Delacroix, Journal, t.1, p.120.

« Le génie d’Ingres, fait de la plus magnifique hyperbole classique, ne pouvait


comprendre ni tolérer celui de Delacroix, et la gloire de celui-ci lui paraissait
un scandale. Le romantique, d’intelligence plus large et de manières plus
courtoises que le classique, ne parlait au contraire d’Ingres qu’avec un respect
sincère et une politesse élégante. » -Albert Thibaudet, Les Idées de Charles
Maurras, 319 pages, in Trente ans de vie française, Éditions de la Nouvelle
Revue Française, 1919, p.24.

« Au moment où il est au bord de la ruine, Delacroix est amoureux d’une femme


qui n’éprouve rien pour lui. La lecture de La Divine Comédie de Dante l’émeut
et le console. Exemple même de l’art inspiré, cette œuvre est l'expression du
drame de la souffrance et du désespoir par la couleur, la lumière et le geste.

Dante et Virgile aux Enfers donne le signal de la révolution romantique. Les


grandes dimensions du tableau anoblissent le thème littéraire tenu jusque-là
pour secondaire dans l’art académique. Delacroix l’élève haut dans la
hiérarchie des genres. » -Malika Dorbani-Bouabdellah, « "Mal du siècle" et
révolution romantique », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 01 janvier
2019.

« Sur un panneau de bois, Barrès conserve, témoignage très précieux de la


fugacité, une Cybelle nue à laquelle Éros jette des fleurs, peinte par Delacroix
pour Nerval à même la porte de la clinique du docteur Blanche. » -Sarah Vajda,
Maurice Barrès, Flammarion, coll. Grandes Biographies, 2000, 434 pages,
p.225.

"La façon dont les contemporains ont interprété ce tableau ne fait pas de doute:
pour eux, cette Liberté n'était nullement une figure allégorique, mais une femme
bien réelle (probablement inspirée de l'héroïne Marie Deschamps, dont les
exploits ont donné à Delacroix l'idée du tableau), une femme du peuple,
appartenant au peuple, à l'aise au sein du peuple [...]

1072
Balzac la voyait d'origine paysanne: "la peau sombre, ardente, l'image même du
peuple". Fière et même insolente (toujours selon Balzac), elle représentait
l'exacte antithèse de l'image de la femme dans la société bourgeoise. En outre,
comme ne manquaient jamais de le souligner les contemporains, elle était
sexuellement libérée. Barbier, dont le poème La Curée a certainement été l'une
des sources d'inspiration de Delacroix, va jusqu'à inventer toute l'histoire de
son émancipation sexuelle." (p.5)

« La Liberté de Delacroix n'est pas seule et n'a rien de faible. Bien au contraire,
elle incarne toute la force concentrée du peuple invincible. Mais cela, en tant
qu'être sexuel, ce qui la sépare de la virginale Jeanne d'Arc, par exemple. »
(p.6)

-Eric Hobsbawm, "Sexe, symboles, vêtements et socialisme", Actes de la


Recherche en Sciences Sociales, Année 1978, 23, pp. 2-18.

https://www.amazon.fr/Delacroix-Maurice-
S%C3%A9rullaz/dp/2213022631/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1541198389&sr=
8-1&keywords=Maurice+S%C3%A9rullaz%2C+Delacroix

Grégoire XVI (1765-1846) : « C’est [au diable] que le pape Grégoire XVI
attribuait l’invention de la machine à vapeur. » -Eugen Weber, Satan franc-
maçon, 1964.

Honoré de Balzac (1799-1850) : « Ce mot de Bohème vous dit tout. La Bohème


n’a rien et vit de tout ce qu’elle a. L’espérance est sa religion, la foi en soi-
même est son code, la charité passe pour être son budget. Tous ces jeunes gens
sont plus grands que leur malheur, au-dessous de la fortune mais au-dessus du
destin. » -Balzac, Un prince de la bohème.

« J’écris à la lueur de deux Vérités éternelles : la Religion, la Monarchie, deux


nécessités que les événements contemporains proclament, et vers lesquelles tout
écrivain de bon sens doit essayer de ramener notre pays. [...] je me range du
côté de Bossuet et de Bonald. » (p.24)

« L’histoire est ou devrait être ce qu’elle fut ; tandis que le roman doit être le
monde meilleur, a dit madame Necker, un des esprits les plus distingués du
dernier siècle. » (p.26)

1073
-Balzac, Avant-propos à la Comédie Humaine, juillet 1842, in Œuvres
complètes de H. de Balzac, A. Houssiaux, 1855, 1, pp. 17-32.

« Les parents de Balzac l’ont obligé à s’inscrire en droit avec l’idée qu’il
deviendra notaire. Il a dû batailler ferme et sa famille n’a rien fait pour le
laisser donner libre cours à sa vocation. Elle l’a installé dans une misérable
mansarde à Paris en ne lui donnant qu’un an pour faire ses preuves, dans un
dénuement absolu. Là encore, les traces de cette période se retrouvent dans La
Peau du chagrin, roman dans lequel il décrit son lieu de vie comme relevant du
monde carcéral […] Très vite acculé à gagner sa vie par lui-même, Balzac se
met à écrire pour faire face à des dépenses au départ modestes. Son goût du
faste l’entraînera bientôt vers une situation de servitude constante. Il sera
poursuivi toute sa vie par ses créanciers et des tracasseries judiciaires. » (p.99-
100)

« Balzac disparaît dans la nuit du 17 au 18 août 1850 et lors de la cérémonie


d’enterrement, c’est Victor Hugo qui lui rend hommage. » (p.101)

-François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La


Découverte, 2005, 480 pages.

"Il apparaît cependant qu’un tel ralliement n’allait pas sans duplicité, puisque
les spécialistes attribuent au romancier un éreintement anonyme d’Hernani
paru, en deux parties, dans le Feuilleton des journaux politiques (les 24 mars et
7 avril 1830). Balzac a-t-il effectivement, pour l’occasion, joué double jeu et
assassiné sous l’anonymat une pièce qu’il était allé soutenir publiquement ?
Était-il effectivement à la première d’Hernani et aussi, quelques mois plus tôt, à
la lecture de Marion de Lorme ? Et l’a-t-on croisé en d’autres occasions encore
chez Hugo, quand se réunissait le cénacle de la rue Notre-Dame-des-Champs ?
Les “certitudes”, en ce dossier, reposent toutes sur le Victor Hugo raconté par
un témoin de sa vie : il s’avère en effet qu’on cherche vainement, sur pareils
points, des confirmations dans les documents laissés par d’autres acteurs de ces
événements.

Ainsi, Alexandre Dumas et Édouard Turquety, qui étaient présents à la lecture


de Marion de Lorme, ont consigné leurs souvenirs relatifs à cette soirée, –
Dumas dans un chapitre de Mes Mémoires et Turquety dans des notes
autographes, transcrites et publiées en 1885 par Frédéric Saulnier : nulle part
dans ces deux récits, il n’est question de Balzac. Vigny et Sainte-Beuve, piliers
1074
du cénacle, ont bien évidemment assisté eux aussi à la soirée de juillet 1829,
ainsi qu’à la première d’Hernani. Lorsqu’il apprit la mort de Balzac, Vigny
écrivit à la vicomtesse du Plessis qu’il n’avait rencontré le créateur de
Rastignac qu’à trois reprises : une fois comme imprimeur d’une édition de
Cinq-Mars, en 1827 (nous reviendrons sur cet épisode), puis en 1844 à
l’enterrement de Nodier et, vers la même époque, à la Chambre des Députés,
lors d’une discussion sur la propriété littéraire ; à lire Vigny, les deux écrivains
ne se seraient jamais vus, donc, entre 1827 et les années 1840. Quant à Sainte-
Beuve, on sait qu’il a évoqué les réunions du cénacle, et les personnalités qui
composaient celui-ci, dans deux recueils de vers, Joseph Delorme (1829) et Les
Consolations (1830) ; Balzac, qui n’était pourtant pas encore son ennemi, ne s’y
trouve jamais cité.."

"A la fin de cette année 1827, Balzac imprima le tome IV des Annales
romantiques, où figuraient notamment des pièces poétiques de Vigny, de Hugo,
ainsi que d’un certain nombre de hugoliens “historiques”, ou de la première
heure, en l’occurrence Gaspard de Pons, Jules de Rességuier et Adolphe de
Saint-Valry, qui avaient été tous les trois, et comme Hugo, liés en 1823-1824 à
la revue La Muse française."

"Cette réputation de commerçant, voire de « courtaud » de boutique, poursuivit


longtemps Balzac, qui aggrava même son cas, pourrait-on dire, en donnant à
l’argent, dès ses premiers romans, un rôle de premier plan dans le
fonctionnement de la société."

"La seule grande “figure” du romantisme avec qui Balzac se trouve en relation,
au début des années 1830, c’est Nodier, mais encore faut-il préciser que celui-ci
était alors brouillé avec Hugo et ne s’était du reste guère montré au cénacle.
Par contre, Hugo lui-même, Vigny, Sainte-Beuve, Gautier, Nerval et consorts ne
semblent jamais rencontrer Balzac, à l’époque."

"Le début des relations entre celui-ci et Balzac « écrivain » (et non plus
imprimeur) pourrait ainsi devoir être reporté à la fin de 1835 ou au début de
1836, quand Balzac tenta (sans succès) d’obtenir que Hugo collabore à sa
Chronique de Paris. »

« L’étonnement, la surprise voire de la stupeur qui furent celles des « anciens »


du cénacle, lorsqu’ils assistèrent à l’ascension fulgurante, dans le ciel littéraire
des années 1830, à la manière d’un ovni, de celui qui n’était à leurs yeux qu’un
1075
courtaud de boutique, venant des marges les plus lointaines du « milieu » des
écrivains, et qui avait toujours été absent de l’épicentre où se réunissaient les
rénovateurs. Ceux-ci, qui croyaient incarner à eux seuls l’avenir des lettres en
France, constatèrent que les faveurs du public allaient à un personnage qu’ils
avaient commencé par mépriser et qui se mettait en quelque sorte à les doubler,
en accaparant l’attention publique et en se mettant à incarner lui-même le
renouveau, dont les anciens du cénacle se trouvaient par là-même comme
exclus. Impuissants, ceux-ci assistaient de loin, depuis leurs tribunes que le
public se mettait à déserter, au feu d’artifice des premiers succès de Balzac, qui
se succédaient en rangs serrés : Scènes de la vie privée (avril 1830), La Peau de
chagrin (août 1831), les Romans et contes philosophiques (septembre 1831), les
Nouveaux contes philosophiques (octobre 1832), Louis Lambert (janvier 1833),
le deuxième dixain des Cent contes drolatiques (juillet 1833), Le Médecin de
campagne (septembre 1833), deux tomes de Scènes de la vie province, avec
Eugénie Grandet (décembre 1833), deux épisodes de l’Histoire des Treize (mars
1834), Séraphîta (juillet 1834), deux tomes de Scènes de la vie privée, avec La
Recherche de l’Absolu (septembre 1834), etc. »

« Hugo ne devait pas souhaiter avec moins d’ardeur que l’astre Balzac se mette
enfin à décroître sur l’horizon. On a vu que l’auteur de Notre-Dame de Paris
tonnait en 1832 contre « La Femme de trente ans ». Hugo avait encore à
l’époque la prétention d’être le premier dans tous les genres littéraires, roman,
poésie et théâtre. Ainsi, depuis son entrée dans l’arène des lettres, il avait
successivement publié, dans le créneau de la fiction en prose, Bug-Jargal, Han
d’Islande, Le Dernier Jour d’un condamné et Notre-Dame de Paris, – ce dernier
récit en 1831, c’est-à-dire à l’époque où Balzac se mettait à déployer son génie
dans tous les types de roman : intime, historique, personnel, philosophique,
sentimental, fantastique… On ne pouvait que faire le constat, à chacun des
essais de Balzac, de l’insolente supériorité de celui-ci (ainsi pour Le Lys dans la
vallée, vis-à-vis du Volupté de Sainte-Beuve. Il est tout à fait significatif, dans
cette perspective, d’observer que Hugo renonce au roman, au début des années
1830. Après Notre-Dame de Paris, il nourrit bien plusieurs projets, et la Revue
de Paris de septembre 1832 annonce au demeurant que Hugo va publier au cours
des semaines qui suivent deux romans, La Quiquengrogne et Le Fils de la
bossue. Cette annonce est confirmée par le témoignage d’Adolphe Jullien, qui
affirme avoir vu le traité signé par l’auteur avec Eugène Renduel pour Le Fils de
la bossue (en date du 25 août 1832) et qui indique aussi que La Quiquengrogne
1076
devait porter comme sous-titre « Le Manuscrit de l’évêque ». Mais, comme l’a
signalé Sainte-Beuve, Hugo se montra exaspéré en 1832 par les manifestations
répétées de la fécondité balzacienne. Il rangea sa plume de romancier et ne la
ressortit, dans le secret de son cabinet de travail, qu’au cours des années 1840,
pour préparer « Les Misères », qui deviendront Les Misérables… en 1862
seulement.

Hugo n’est pas, à l’évidence, le seul romancier sur qui Balzac a eu un effet
stérilisateur, parce que la barre avait été – par ses récits – placée trop haut. On
voit ainsi Gautier se mettre à faire des romans uniquement descriptifs, des
transpositions de tableaux, qui sont déjà des espèces de Salammbô avant la
lettre. Nerval, quant à lui, s’essaie au roman historique en 1849, avec Le
Marquis de Fayolle, mais abandonne au milieu du gué. Il est heureux d’ailleurs
pour quelqu’un comme Gérard de Nerval que Balzac ne s’intéressa ni au récit de
voyage ni à l’autobiographie, – soit autant de domaines où il était permis de
produire sans apparaître immédiatement comme inférieur à l'« ogre ». On voit
ainsi tous ces anciens du cénacle, loin de dominer la scène littéraire comme on
pouvait s’y attendre, contraints de se retrancher dans les territoires que Balzac a
délaissés.

À l’inverse de Sainte-Beuve, Hugo ne s’est jamais publiquement brouillé avec


Balzac, qui lui a d’ailleurs dédié Illusions perdues, à la fin de 1842. Décision un
peu maladroite, au reste : Hugo aurait pu voir quelque ironie dans le titre même
du roman que Balzac avait décidé de lui adresser. L’auteur du Père Goriot, en
tout cas, a soupçonné que Hugo inspirait en douce des articles contre lui, ou le
silence sur lui, dans la presse. Et Hugo, en privé, n’était guère élogieux pour
Balzac."

"Officiellement, les rapports entre les deux écrivains étaient sans nuage, et on
vit même Hugo s’employer en diverses occasions à rendre service à Balzac,
mais – de façon un peu curieuse – à peu près uniquement dans des combats qui
pouvaient passer pour perdus d’avance : ainsi, on le voit intervenir, en vain,
après la suspension du drame Vautrin, en 1840, puis soutenir les candidatures
successives du romancier à l’Académie, alors que tout Paris savait que la
situation financière de celui-ci lui interdisait en fait de devenir immortel.

On voit aussi accourir Hugo quand Balzac est malade : en juillet 1839, puis,
surtout, au cours de l’été de 1850, au moment de l’agonie. Et, quand survient la

1077
mort du romancier, c’est encore Hugo qui prend les choses en main : il porte le
cercueil, prononce l’éloge funèbre et ne laisse de la sorte à personne d’autre le
soin de refermer la tombe. Le discours qu’il prononce au cimetière, et qui sera
reproduit dans tous les journaux, est limpide : cette brève évocation de
l’ambition qui animait Balzac – l’élan vers une espèce d’œuvre totale, qui
renferme le monde – s’applique également, mot pour mot, à l’entreprise que
Hugo menait de son côté. On ne pouvait avouer plus clairement que la scène
littéraire française était trop petite pour contenir à la fois Balzac et Hugo. Une
fois la tombe refermée, d’ailleurs, celui-ci met à distance le souvenir de celui-là
et décline par exemple l’offre de préfacer les Œuvres complètes de Balzac."
-Michel Brix, « Balzac et le cénacle hugolien. Un point d’histoire du
romantisme », Romantisme, 2016/2 (n° 172), p. 93-105. DOI :
10.3917/rom.172.0093. URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2016-
2-page-93.htm

« La révolution de Juillet n'ouvre pour Balzac que le règne de l'argent. » -Paule


Petitier, 1830 ou les métamorphoses du centre (Michelet, Balzac, Hugo),
Romantisme, Année 2004, 123, pp. 7-20, p.12.

« Ancien notaire, obsédé par les questions de circulation financière, Balzac


raconte au fil de La Comédie humaine la conversion de la France au capitalisme.
L’écrivain aborde ce bouleversement historique sans a priori moral. Il souligne
la puissance corruptrice de l’argent, tout en reconnaissant l’efficacité du
capitalisme. Dans son œuvre, les personnages qui se soumettent à la logique de
l’intérêt personnel affichent tous des réussites exemplaires. Partagé entre
fascination et répulsion envers ce nouveau monde, l’artiste décrit, roman après
roman, l’émergence chaotique de la société contemporaine. » -Anne de Guigné,
Honoré de Balzac face à la révolution capitaliste, 10 août 2020 :
https://www.lefigaro.fr/conjoncture/honore-de-balzac-face-a-la-revolution-
capitaliste-20200810

« Les ouvriers de l’Envers de l’histoire contemporaine (1848), « infectés des


doctrines communistes et qui rêvent une destruction sociale », ne sont que des
silhouettes dans un roman de la philanthropie. » -Philippe Boutry, « Le monde
du travail et ses représentations », Cours d’agrégation, Sorbonne, Amphithéâtre
Richelieu, février 2021.

1078
Jules Barbey d'Aurevilly (1808-1889): « Ce catholicisme terroriste et théâtral
du haut duquel un autre homme de lettres, Barbey d'Aurevilly, a foudroyé le
XIXe siècle. » -Pierre Lasserre, Le Romantisme français. Essai sur la révolution
dans les sentiments et les idées au XIXème siècle, Thèse présentée à la Faculté
des lettres de l'université de Paris, Paris, Société du Mercure de France, 1907,
547 pages, p.37.

Gustave Courbet (1819-1877): “La vraie rupture intervient en 1863. Le


contexte est tout différent. Le Salon annuel est devenu un événement
international, où se pressent amateurs et acheteurs du monde entier. Comme
avant 1791, l’exposition n’est pas libre : il faut être agréé par un jury dont les
choix sont âprement controversés. L’agitation qui s’ensuit va pousser Napoléon
III, autoritaire en politique mais libéral en art, à organiser un deuxième Salon : le
public pourra juger sur pièces, et donc juger les juges. C’est le fameux « Salon
des refusés ». Le résultat, à court terme, fut sans appel : le public ratifia
massivement les choix du jury. La chose était, bien sûr, prévisible : il eût été
surprenant que le goût des visiteurs se révélât plus excentrique que celui des
artistes, même académiciens. Aussi l’expérience ne fût-elle pas renouvelée.
Mais parmi les exposants de cette unique manifestation on trouvait les noms de
Courbet, Manet, Jongkind, Whistler, Pissarro. S’inaugure ainsi un clivage
absolument inédit dans l’histoire de l’art.

On connaissait en effet des distinctions éprouvées : art populaire et art savant,


art à la mode contre art démodé, art des grands centres contre art provincial,
précurseur contre attardé, des chefs de file et des suiveurs… Les changements
de style étaient fréquents, parfois très brusques : la Renaissance engendre le
maniérisme, le baroque se transforme en classique, l’art galant de Boucher est
supplanté par l’art austère de son neveu David, qui lui-même est démodé par le
romantisme, etc. Mais le clivage dont l’art moderne est un pôle ne se réduit à
aucun de ces systèmes d’opposition. L’art à la mode démodait son prédécesseur
et le condamnait à l’oubli simplement parce qu’il était plus récent, comme c’est
encore le cas pour tout ce qui relève précisément, aujourd’hui, de la mode. Or
des œuvres qui ont plus d’un siècle (les toiles cubistes de Braque et Picasso, la
première aquarelle abstraite de Kandinsky) sont encore, à l’heure actuelle,
modernes, alors qu’un tableau dont la peinture n’est pas sèche est susceptible de
ne pas l’être – ou plutôt ne l’est certainement pas car, en utilisant des pinceaux,
l’auteur se dénonce comme peintre et non comme artiste plasticien. Le moderne

1079
n’est pas seulement du nouveau, caractère par nature relatif. Il possède
maintenant un contenu, qui en fait un absolu.

Le phénomène, toutefois, n’est étrange que dans la mesure où l’on oppose


traditionnellement « moderne » à « ancien ». Si l’on remplace « art moderne »
par « art d’avant-garde », le propos cesse de paraître paradoxal : le clivage
s’impose tout simplement parce que l’avant-garde a gagné la guerre, et même
doublement. Les refusés, du moins certains d’entre eux, sont devenus célèbres,
et riches s’ils ont vécu assez vieux. Mais en même temps s’est imposée l’idée
que l’art véritable ne saurait se réduire à un art autre : il doit être un autre art. La
transgression permanente légitime seule l’art en tant qu’art. Ainsi s’affirme
l’idéologie que Jean Clair résume (pour la discuter) en disant que « non
seulement l’avant-garde a une histoire, mais l’avant-garde est l’histoire ».

On voit l’immense portée d’une telle vision des choses. Si l’avant-garde est
l’histoire, l’art qui n’est pas d’avant-garde se trouve exclu de l’histoire. Fait
significatif, il n’a pas de nom : « académique », « bourgeois », « pompier » ou «
kitsch » sont des qualificatifs polémiques et surtout locaux ou conjoncturels. Ils
ne sauraient désigner le phénomène dans sa généralité. Pourtant la survivance de
celui-ci est nécessaire : sans arrière-garde, il ne saurait y avoir d’avant-garde.
Chassé de l’histoire, l’objet se trouve ainsi paradoxalement élevé à la qualité
d’absolu. Auparavant n’existait que des conservateurs, c’est-à-dire des attardés
relativement à l’époque. Tandis que l’artiste qui ignore ou refuse le devoir d’être
absolument moderne, donc d’avant-garde – ce qui n’exclut pas d’être à la mode,
mais ne l’implique pas non plus – peut être qualifié, absolument, de
conservateur. La catégorie est pensable, même si les artistes eux-mêmes
préfèrent généralement se définir comme classiques ou respectueux de la
tradition.

Le conservatisme esthétique n’est donc plus un phénomène de retard individuel,


celui d’un artiste qui peindrait en 1800 à la manière de Boucher ou, en 1850, de
David. C’est un choix, celui des artistes qui refusent l’avant-garde en ce double
sens qu’ils ne produisent pas des œuvres d’avant-garde – ils sont fidèles, par
exemple, à un réalisme illusionniste – et qu’ils ne tiennent pas l’appartenance à
l’avant-garde pour la seule justification légitime de l’œuvre d’art. Ils sont
contemporains, ils peuvent même être modernes en un des sens du terme car,
objectivement, leurs œuvres ne ressemblent pas aux œuvres du passé. Mais
n’étant pas modernes au sens d’avant-gardistes, ils sont objectivement
1080
conservateurs.” -Jean-Marie Denquin, « Le conservatisme esthétique », Revue
Française d'Histoire des Idées Politiques, 2014/1 (N° 39), p. 117-128. DOI :
10.3917/rfhip.039.0117. URL : https://www.cairn.info/revue-francaise-d-
histoire-des-idees-politiques1-2014-1-page-117.htm

https://www.amazon.fr/Gustave-Courbet-peintre-libert%C3%A9-
Michel/dp/2213615004/ref=sr_1_18?s=books&ie=UTF8&qid=1543410366&sr
=1-18&keywords=Courbet

Édouard Manet (1832-1883): « S'agit-il du dernier des grands peintres


classiques ou du premier des révolutionnaires ? Fut-il l'enfant terrible du grand
art persistant, l'élève un peu espiègle des maîtres, le restaurateur de la vraie
tradition au-delà de celle qu'on enseignait à l'école des Beaux-Arts ? — ou bien
le grand précurseur, l'initiateur de la peinture pure ? Bien évidemment, tout cela
à la fois, et dans des proportions dont seules les alternances du goût sont juges. »
-Françoise Cachin, introduction au catalogue de l'exposition Manet au Galeries
nationales du Grand Palais Paris avril-août 1983, Metropolitan Museum of Art,
New York, septembre- novembre 1983, Cachin, Moffett et Wilson-Bareau 1983,
p. 219-220.

« On connaît le compliment ambigu de Charles Baudelaire, éloge ironique et


subtile, pour consoler Édouard Manet, accablé de reproches et d’injures, au
lendemain de l’exposition du tableau Olympia en 1865 : « Vous n’êtes que le
premier dans la décrépitude de votre art ». Hommage malgré tout, malgré
l’attachement de Baudelaire à Delacroix. L’auteur des Fleurs du Mal ressent
exactement ce qu’exprime Théophile Gautier : « M. Manet a cet honneur d’être
un danger ». Et c’est bien le Moderne qui, comme le dit Gautier, s’impose
désormais grâce à Manet dans le grand art. » -Marc Jimenez, « La fin de la fin
de l'art », Le Philosophoire, 2011/2 (n° 36), p. 93-99.

https://www.amazon.fr/Manet-r%C3%A9volution-symbolique-Cours-
Coll%C3%A8ge/dp/2757863142/ref=sr_1_fkmr0_2?s=books&ie=UTF8&qid=1
543410695&sr=1-2-fkmr0&keywords=Pierre+Bourdieu%2C+Sur+Manet

François Guizot (1787-1874) : « Le chaos se cache aujourd’hui sous un mot :


Démocratie…Aurions-nous le privilège de toutes les impossibilités ? Oui, tant
que dans resterons dans le chaos où nous sommes plongés au nom et par le
culte idolâtre de la démocratie ; tant que nous ne verrons dans la société que la
démocratie comme si elle était seule ; tant que nous ne chercherons dans le
1081
gouvernement que la domination de la démocratie, comme si elle avait seule le
droit et le pouvoir de gouverner. » -François Guizot, cité dans Pierre-Eugène
Flotard, La France démocratique, 1850.

« L’Europe moderne est née de la lutte des diverses classes de la société.


Ailleurs […] cette lutte a amené des résultats bien différents : en Asie, par
exemple, une classe a complètement triomphé, et le régime des castes a succédé
à celui des classes, et la société est tombée dans l’immobilité. Rien de tel, grâce
à Dieu, n’est arrivé en Europe. Aucune classe n’a pu vaincre ni assujettir les
autres : la lutte des classes, au lieu de devenir un principe d’immobilité, a été
une cause de progrès : les rapports des diverses classes entre elles, la nécessité
où elles se sont trouvées de se combattre et de se céder tour à tour, la variété de
leurs intérêts et de leurs passions, le besoin de se vaincre, sans pouvoir en venir
à bout, de là est sorti peut-être le plus énergique, le plus fécond principe du
développement de la civilisation européenne. Les classes ont lutté constamment
; elles se sont détestées ; une profonde diversité de situations, d’intérêts, de
mœurs, a produit entre elles une profonde hostilité politique ; et pourtant elles
se sont progressivement rapprochées, assimilées, étendues ; chaque pays de
l’Europe a vu naître et se développer dans son sein un certain esprit général,
une certaine communauté d’intérêts, d’idées, de sentiments qui ont triomphé de
la diversité et de la guerre. » -François Guizot, Histoire de la civilisation en
Europe, présenté par Pierre Rosanvallon, Hachette/Pluriel, 1985. p. 182.

« L'histoire de la civilisation de Guizot est une histoire du progrès. » -Pierre


Rosanvallon, Le moment Guizot, Paris, Gallimard, 1985, p. 253.

« Guizot n’accorde qu’une part infime de son œuvre d’historien à la biographie,


et lorsqu’il s’attache à un personnage, il sacrifie le récit de sa formation pour se
concentrer exclusivement sur l’homme aux prises avec ses responsabilités
politiques. Ainsi dans son Sir Robert Peel, il ne consacre que huit pages à ses
vingt et une premières années, dans un ouvrage de trois cent cinquante-quatre
pages.

Guizot, en historien libéral, réagit vigoureusement contre la fascination


héroïque qu’a exercée un Napoléon sur les Français. Ce qu’il cherche à
instituer est d’un tout autre ordre. Il s’agit d’établir une bonne gouvernance, de
se doter d’institutions politiques assez modernes pour avoir prise sur la société,
et d’assurer une stabilité politique, hors des écueils de l’identification héroïque,

1082
source d’un destin qui ne peut être que funeste. » -François Dosse, Le Pari
biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La Découverte, 2005, 480 pages,
p.188.

« Guizot évoque très souvent le rôle de la Providence, dont le bras terrestre est
le grand homme, comme Charlemagne (84) ou le roi Alfred (86). Ailleurs il
invoque « le cours naturel des choses », « la loi de l'univers » (52), ou encore «
le mobile supérieur », à savoir « une cause morale qui décide de l'ensemble des
choses » (243). Ce facteur transcendant […] n'est pas sans rappeler parfois le
moteur d'une histoire universelle à la Bossuet. »

« Guizot n'hésite d'ailleurs pas à décrire explicitement les faits historiques


comme des faits naturels. Ainsi, par exemple, du régime féodal :

nous verrons [...] que le régime féodal a fait ce qu'il devait faire, que sa destinée
a été conforme à sa nature. Les événements peuvent être apportés en preuve de
toutes les conjectures, de toutes les inductions que je viens de tirer de la nature
même de ce régime (117-117) [nous soulignons]

Cette naturalisation de l'histoire relève manifestement d'une stratégie


argumentative aux termes de laquelle le progrès, artefact historiographique,
s'expose avant tout comme une évidence. Cette force de l'évidence met
logiquement à contribution les ressources argumentatives de son étymologie :
l'évidence, c'est d'abord « ce qui se voit » (et particulièrement ce qui se voit de
loin). » -Stéphane Zékian, « Le discours du progrès dans l'Histoire de la
civilisation en Europe de Guizot. L'historien rattrapé par son sujet », Revue
Française d'Histoire des Idées Politiques, 2006/1 (N°23), p. 55-82.

« L’initiation à l’art et à la politique du compromis, à un certain pragmatisme,


n’est pas la seule vertu que Guizot trouve à l’histoire, comme pour Thierry –
mais de façon encore plus explicite- celle-ci possède, de surcroît, une fonction
thérapeutique à destination des élites bourgeoises. Elle doit leur permettre de
vaincre la timidité et l’humilité excessives qu’il diagnostique et leur donner
confiance dans leur capacité et leur légitimité à diriger le pays. […] ce qui
conduit Pierre Rosanvallon à qualifier Guizot de « Gramsci de la bourgeoisie »
(1985b). » -Christian Delacroix, François Dosse et Patrick Garcia, Les courants
historiques en France. XIXe – XXe siècle, Gallimard, coll. Folio histoire, 2007
(1999 pour la première édition), 724 pages, p.38-39.

1083
« La formulation employée par Guizot indique clairement qu'il ne se voit pas
appartenir à la famille libérale. [...] S'il faut classer Guizot dans une famille
politique, c'est donc bien, à l'entendre dans celle des "conservateurs". » -Michel
Leter, "Éléments pour une étude de l'école de Paris (1803-1852)", chapitre in
Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris,
Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.429-509, p.483.

« Guizot et Thiers ont combattu Bastiat, Dunoyer, Passy ou Blanqui. » -Pierre


Rosanvallon, "Histoire des idées keynésiennes en France", Revue française
d'économie, Année 1987, 2-4, pp. 22-56, p.28.

« Guizot reconnaît que le droit de résistance est « irrécusable », quoique


seulement en présence de « faits terribles ». » -François Huguenin, Histoire
intellectuelles des droites. Le conservatisme impossible, Perrin, coll. Tempus,
2013 (2006 pour la première édition), 496 pages, p.57.

Augustin Thierry (1795-1856) : « Lorsque je commençai, un livre de génie


existait, celui de Thierry. Sagace et pénétrant, délicat interprète, grand ciseleur,
admirable ouvrier, mais trop asservi à un maître. Ce maître, ce tyran, c’est le
point de vue exclusif, systématique, de la perpétuité des races. Ce qui fait, au
total, la beauté de ce grand livre, c’est qu’avec ce système, qu’on croirait
fataliste, partout on sent respirer en dessous un cœur ému contre la force fatale,
l’invasion, tout plein de l’âme nationale et du droit de la liberté.

Je l’ai aimé beaucoup et admiré. Cependant, le dirai-je ? ni le matériel, ni le


spirituel, ne me suffisait dans son livre. » (p.5-6)
-Jules Michelet, préface de 1869 à l'Histoire de France, édition 1880, Tome 1.

« Augustin Thierry, fidèle jusqu’au bout à la monarchie de Juillet, vit la


révolution de février 1848 comme une catastrophe, parce que rupture,
bouleversement, du sens de l’histoire. » (p.26)

« Entré en 1811 à l’École normale supérieure (fondée en 1808 et supprimé


comme foyer d’opposition en 1822), Augustin Thierry devient secrétaire de
Saint-Simon de 1814 à 1817 –poste auquel Auguste Comte lui succède. Il
fréquente des cercles libéraux et collabore au Censeur européen puis au
Courrier français. Issu de la petite bourgeoisie de Blois, il bénéficie de l’aide
matérielle de grands notables libéraux comme le banquier Laffite, le duc de
Broglie ou La Fayette. » (p.27)
1084
« En identifiant la France et le Tiers état, l’histoire, que présente Thierry,
disqualifie la noblesse. » (p.29)

« [Marx] gratifie Thierry du titre de « père de la lutte de classes dans


l’historiographie » (Marx, 1854). » (p.33)

-Christian Delacroix, François Dosse et Patrick Garcia, Les courants historiques


en France. XIXe – XXe siècle, Gallimard, coll. Folio histoire, 2007 (1999 pour la
première édition), 724 pages.

« Thierry et Guizot voyaient dans la bourgeoisie temporairement alliée à la


monarchie la force décisive qui permit de faire triompher la nation. » -Denis
Richet, Le royaume de France au XVIème siècle, in Denis Richet, De la
Réforme à la Révolution. Études sur la France moderne, Aubier, 1991, 584
pages, pages 343-387, p.355.

« Kennedy décrit Augustin Thierry et Dunoyer comme de « vieux amis » de


Destutt de Tracy » -Ralph Raico, Les racines libérales classiques de la doctrine
marxiste des classes, www.institutcoppet.org, 20 mai 2011.

François-Auguste Mignet (1796-1884): « Par l'Histoire de la Révolution de


Thiers publiée en 1827, ils acceptent à l'encontre des libéraux modérés
l'héritage de toute la Révolution, celui du "patriotisme" de 1793 comme celui
des idéaux de 1789 et, par la création du National début 1830 de Thiers, Mignet
et Armand Carrel, ils contestent la prééminence du Globe (1824: Résumat,
Jouffroy, Duvergier de Hauranne, Saint-Beuve) au sein de la presse libérale en
plein développement (43 000 exemplaires pour l'opposition libérale toutes
tendances confondues contre 14 000 aux journaux gouvernementaux et 6000 à
la presse d'opposition royaliste). » -Nicolas Roussellier, L'Europe des libéraux,
Éditions Complexe, 1991, 225 pages, p.35.

Henri Lacordaire (1802-1861) : « Le 9 mai 1831, De Coux, Lacordaire et


Montalembert décident d'ouvrir, rue des Beaux-Arts à Paris, une "école gratuite
d'externes" pour les jeunes enfants qui apprendraient "catéchisme, français,
grec, latin, écriture et arithmétique". Or, en réagissant par la fermeture de
l'école puis la condamnation -même symbolique, 100F d'amende chacun- des
trois responsables en septembre 1831, le gouvernement de Casimir Perier le fait
d'une part au nom de la loi sur l'Université de 1806 qui avait instauré le
monopole de l'Etat et qui, par ce biais, avait permis, à ce moment, l'exaltation

1085
de l'Empire et de l'Empereur, et le fait, d'autre part, contre la Charte qui
proclamait la liberté de l'enseignement. » -Nicolas Roussellier, L'Europe des
libéraux, Éditions Complexe, 1991, 225 pages, p.48.

Charles de Montalembert (1810-1870) et le catholicisme libéral : « Il n’est


donc pas étonnant que la « mouvance » catholique libérale naisse avec la
monarchie de Juillet dont elle épouse, à sa manière, le projet : volonté de
terminer la Révolution, de domestiquer sa mémoire, en établissant un régime
politique qui, tant institutionnellement qu’idéologiquement, se veut synthèse des
héritages lointain et proche de la nation. Le nouveau régime paraît ouvrir des
perspectives nouvelles pour redéfinir la place du religieux dans la société. Pour
ce faire, l’argumentaire développé s’appuie sur le thème des libertés communes,
précisément celles héritées des valeurs de 1789 : c’est au nom de la Révolution
que ce groupe réclame les libertés religieuses.

Après la condamnation de Lamennais en 1834, le groupe retrouve une


cohérence dans les années 1840 avec la lutte pour la liberté de l’enseignement
secondaire : ce combat, mené par le comte de Montalembert à la Chambre,
appuyé par une campagne de presse, se fait précisément au nom des libertés
fondamentales issues de la Révolution et consignées dans la Charte. La
mouvance catholique libérale s’inscrit désormais nettement dans le jeu des
forces politiques et, en l’occurrence, dans l’opposition. Ce qu’on nomme parfois
« parti catholique » n’en est évidemment pas un. Il s’agit avant tout d’une
nébuleuse d’hommes aux parcours, à la culture et aux sensibilités assez
différents. Toutefois, ils ont des points communs. La plupart sont nés entre
Directoire et Empire. Ils ont d’abord été favorables à la Restauration, puis s’en
sont détachés. Ils découvrent les perspectives libérales avec la Révolution de
1830 : c’est dans cette effervescence qu’ils imaginent une possible alliance
entre révolution, libertés et religion. Ces hommes sont des notables, inscrits
dans les réseaux de la monarchie de Juillet : élite intellectuelle, littéraire et
politique, ils ont leurs entrées dans les grands salons de l’époque.

À l’évidence, ces hommes perçoivent la Révolution française dans le contexte de


la monarchie censitaire et bourgeoise. C’est-à-dire comme une œuvre désormais
achevée : en ce sens, ils sont indéfectiblement attachés à la Charte, cette œuvre
de transaction et d’équilibre dont il convient de réaliser les promesses. La
Révolution de 1848 apparaît comme une rupture brutale et jette le trouble. C’est
ce que montre le discours du comte de Montalembert, prononcé au début de
1086
1852, lors de sa réception comme membre de l’Académie française. Très
largement consacré à la Révolution française, ce discours est au cœur du
présent propos. Il est une porte d’entrée pour tenter de saisir la ligne
historiographique du mouvement catholique libéral. L’accueil qu’il reçut,
notamment auprès des siens, nuancera sa représentativité, bien que le comte ait
été le porte-parole révéré du mouvement sous la monarchie de Juillet : ses
prises de positions depuis 1849, dont le discours de 1852 est l’aboutissement,
ont fragilisé son leardership. Enfin, à partir de cette analyse, il conviendra
d’élargir la réflexion et de tâcher de réunir les éléments d’une historiographie
catholique libérale composite, incertaine peut-être, et empruntant à diverses
traditions.

En janvier 1851, le comte de Montalembert est élu à l’Académie française au


fauteuil de Joseph Droz. Sa réception officielle ne s’effectue que le 5 février
1852 et donne lieu au discours qui nous occupe. Le discours de réponse au
récipiendaire est prononcé par François Guizot. À cette date, Montalembert est
un héros de la tribune : les grands discours des années 1840 à la Chambre des
pairs ont assis sa renommée. Depuis 1848, il est un des orateurs les plus en vue
du parti de l’ordre, même s’il rompt progressivement avec les leaders de ce
dernier pour se rallier à Louis-Napoléon, dont il approuve publiquement le coup
d’État. Bref, en février 1852, Montalembert est à l’apogée de sa carrière
politique, bien qu’en voie de rupture avec le nouveau maître de la France.

L’éloge de Joseph Droz par Montalembert est, comme il se doit, un essai de «


biographie intellectuelle ». Le personnage permet toutefois au comte d’étendre
la portée de son discours. Né en 1773, Droz est d’abord acquis aux idées de la
Révolution, à laquelle il adhère : il s’engage pour trois ans dans les armées
révolutionnaires, puis est titulaire d’une chaire à l’école centrale de Besançon.
Durant la période napoléonienne, il est proche des Idéologues – il fréquente
Destutt de Tracy et Cabanis. Il se lance dans une carrière d’écrivain en «
philosophie morale ». Homme de lettres reconnu, il se convertit au catholicisme,
comme en témoignent ses deux derniers ouvrages. Ce parcours peut aisément se
mettre au service d’une manière d’apologétique catholique (libérale) : il est
donc logiquement le fil directeur de l’éloge. Toutefois, le discours privilégie une
des œuvres de Droz : l’Histoire du règne de Louis XVI pendant les années où
l’on pouvait prévoir et diriger la Révolution française. Cet essai donne
l’occasion à Montalembert de se livrer à une réflexion sur la Révolution. En
effet, sur les cinquante et une pages du discours, vingt-six sont consacrées à cet
1087
ouvrage. L’analyse, qui durcit la pensée du défunt, vise clairement à bâtir une
condamnation sans appel de la Révolution et, plus précisément, de 1789. »

« Reprenant les topoï de l’abbé Barruel, il stigmatise la Réforme, la décadence


du clergé, le rôle des hommes de lettres et confesse à cette occasion « remonter
plus haut » que ne le fait Droz. »

« Les biographes de Montalembert, qui érigent la statue d’un homme mariant


libertés modernes et société post-révolutionnaire, restent évasifs à propos de
l’éloge de Droz. […] Foisset, quant à lui, y voit le premier acte de résistance
contre Louis-Napoléon puisque le comte y fait l’éloge de la Charte contre le
gouvernement despotique. […] Le discours a été rédigé en novembre 1851 et ne
connaît aucune retouche après le coup d’État. Il salue l’action de deux chefs
d’État dont l’œuvre explique, selon l’orateur, que la France ne soit pas sortie
détruite de la Révolution : Louis XIV et Napoléon. Le coup de chapeau à l’oncle
peut difficilement passer pour un acte de résistance au neveu. »

« Démissionnaire en 1846 de sa chaire à la Sorbonne en raison de ses


convictions religieuses, [Charles] Lenormant est dans la seconde moitié des
années 1840, le vice-président du comité pour la liberté d’enseignement au côté
de Montalembert. Le Correspondant est l’organe du catholicisme libéral :
Lenormant y collabore depuis son premier numéro (1843) et en est le directeur
de 1845 à 1855. C’est donc un proche de Montalembert. Or, l’article qui
commente le discours est extrêmement sévère. À propos des formes, Lenormant
est même blessant quand il critique les effets rhétoriques du comte qui use de «
ce procédé à la Rembrandt que M. de Lamartine a mis à la mode, et qui consiste
à exagérer également, en vue de l’effet, l’ombre et la lumière ». La référence à
Lamartine est volontairement cruelle. D’une part, parce qu’après avoir été
admiré de Montalembert, le poète devenu tribun politique, est, on s’en doute,
l’objet de la détestation souveraine du comte. D’autre part, parce que
Lenormant renvoie ici à l’Histoire des Girondins dont la méthode historique est
vivement dénoncée par les catholiques libéraux dès sa publication en 184730.
La forme et le fond sont intimement liés : usant des recettes du récit romantique,
Montalembert à l’instar, quoiqu’à rebours, de Lamartine, est porté par une
tendance à l’exagération, voire à l’exaspération des passions, qui interdit la
saine intelligence de l’histoire. Lenormant fait en revanche l’éloge de la réponse
de Guizot qui, notamment, a refusé de répondre aux arguments polémiques du

1088
récipiendaire. L’attaque porte sur le fond, c’est-à-dire qu’elle condamne une
interprétation historique enracinée dans le traditionalisme. »

« Parler de la Révolution, c’est mettre à l’épreuve la cohésion fragile du


mouvement. Avec les parutions de 1847 et la Révolution de 1848, le silence est
impossible : les faits imposent des prises de positions. Ces dernières coïncident
avec l’éclatement du mouvement.

Les deux explications proposées ne sont pas exclusives l’une de l’autre. En fait,
1848 révèle des dissensions qui préexistaient mais qui, dans le cadre de la
monarchie censitaire qui était l’horizon commun, n’avaient pas d’actualité.
L’analyse de l’événement révolutionnaire ne relevait d’aucune nécessité. En
fait, cette pluralité est constitutive du catholicisme libéral, elle est aussi son
ambiguïté et sa faiblesse. Ainsi, peut-on distinguer au moins deux tendances :
une tendance « guizotiste », une autre « traditionaliste ». » -Sylvain Milbach,
« Les catholiques libéraux et la Révolution française autour de 1848 », Annales
historiques de la Révolution française [En ligne], 362 | octobre-décembre 2010,
mis en ligne le 01 décembre 2013, consulté le 01 avril 2019. URL :
http://journals.openedition.org/ahrf/11846 ; DOI : 10.4000/ahrf.11846

« Lucien Jaume a fortement montré combien le libéralisme politique de


Montalembert se conjugue avec une hostilité farouche envers la démocratie. » -
François Huguenin, Histoire intellectuelles des droites. Le conservatisme
impossible, Perrin, coll. Tempus, 2013 (2006 pour la première édition), 496
pages, p.375.

Charles Comte (1782-1837) et Charles Dunoyer (1786-1862) : « MM. Comte


et Dunoyer. Ces deux écrivains, alors tout jeunes, avaient publié en 1814 un
journal exclusivement politique sous le titre de Censeur. Ce journal, très hostile
à la restauration, fut supprimé par les Bourbons. Ce fut pendant les loisirs que
leur procura cette interruption violente de leurs travaux, que nos jeunes
libéraux furent amenés à des réflexions qui firent une révolution dans leurs
idées. Ils se demandèrent « si l’opposition libérale, si la politique
constitutionnelle avait un objet bien déterminé. » Ils furent obligés de convenir «
que le parti libéral ne savait pas et ne se demandait même pas où la société doit
tendre, et en vue de quel objet général d’activité elle devait être constituée. » Ils
s’appliquèrent donc à découvrir « le but d’activité sociale, » et reconnurent que
c’était « l’industrie. » De l’aveu de M. Dunoyer lui-même, « le Censeur avait été

1089
un ouvrage de pure polémique et de politique acerbe, » sans aucune
préoccupation économique. Ils comprirent enfin que ce qu’il fallait attaquer,
c’étaient « les passions révolutionnaires, militaires, ambitieuses, dominatrices,
» et que c’était vers « le travail » qu’il fallait diriger l’activité des intelligences.
On voit que la pensée fondamentale du Censeur européen était exactement la
même que celle de Saint-Simon dans les premiers temps. » -Paul Janet, "Le
Fondateur du socialisme moderne - Saint-Simon", Revue des Deux Mondes, 3e
période, tome 14, 1876, pp. 758-786, p.769.

« Il y a un peu plus d’un an (le 11 Janvier 2007) se tenait à l’ancienne Ecole


Polytechnique un colloque organisé par l’Institut d’Histoire de l’Industrie, sur
le thème : « Modernité des pères fondateurs de la science économique française
». Ce fut l’occasion de revenir sur les contributions d’un certain nombre
d’auteurs libéraux. Pour ma part, j’y ai présenté une communication sur deux
auteurs de la Restauration, auxquels je m’intéresse depuis longtemps, et dont je
considère qu’ils restent injustement méconnus, même de ceux qui aujourd’hui
multiplient les contributions sur l’histoire du libéralisme en France. Il s’agit de
Charles Comte et Charles Dunoyer. Ceci est le texte des notes à partir
desquelles j’ai fait mon exposé. J’ai la faiblesse de penser qu’il s’agit d’un texte
qui n’est pas inintéressant pour ceux qui s’intéressent à l’histoire des idées
libérales de notre pays.

Mon intention est de jeter un coup de projecteur sur l’épopée du Censeur


européen et de ses deux fondateurs : Charles Comte (1802-1835) et Charles
Dunoyer de Segonzac (1806-1869). Une épopée relativement courte : 1814-
1820, mais qui exerça une influence très importante sur les débats intellectuels
et politiques de la Restauration.

Trois raisons justifient qu’on en parle aujourd’hui:

1/ – Il s’agit d’abord de redresser une injustice . Sauf pour quelques spécialistes


de l’histoire des idées, Comte et Dunoyer figurent généralement parmi les
auteurs libéraux de la Restauration oubliés de nos contemporains. Ce qui est
paradoxal dans la mesure où la notoriété dont ils bénéficièrent à l’époque fut
immense; mais aussi parce que l’épopée du Censeur européen marque à bien
des égards l’acte d’établissement de l’école libérale radicale française, qui
s’incarnera plus tard dans la création de la Société d’économie politique(1842).

1090
Aujourd’hui, on redécouvre Say ou Bastiat ; mais Comte et Dunoyer restent
oubliés.

2/ – Ils anticipent, plus d’un siècle auparavant, les approches de l’Ecole


moderne dite des » choix publics ». On trouve dans leurs écrits une façon de
penser l’Etat et le politique centrée sur le concept de la « capture réglementaire
», qui anticipe sur les travaux contemporains d’auteurs économiques influents,
comme les professeurs James Buchanan et Gordon Tullock.

3/ – Ils occupent une position charnière dans l’histoire des idées politiques et
économiques modernes. S’ils sont par certains égards les ancêtres des anarcho-
capitalistes anglo-saxons d’aujourd’hui, leur pensée joue aussi un rôle
paradoxal dans la genèse de l’idéologie socialiste en raison de leur association
avec le comte Henri de Saint Simon (période 1814-1817), mais aussi du fait de
leur proximité avec Auguste Comte (le cousin de Charles).

La richesse de la Restauration

Il y a deux manières d’aborder l’histoire de la pensée libérale au 19ème siècle.

1. la première se situe du point de vue de l’histoire des idées politiques. C’est


celle que l’on trouve de manière classique dans des ouvrages comme celui
d’André Jardin : Histoire du Libéralisme politique de la crise de l’absolutisme à
la constitution de 1875 (Hachette 1985), dans Louis Girard : Les libéraux
français 1815-1875 (Aubier 1985), ou encore René Rémond : L’histoire des
droites en France (1954).

On y parle souvent de Constant, de Mme de Staël, de Guizot, des doctrinaires,


de Tocqueville, mais les libéraux « radicaux » comme Say, Tracy, Augustin
Thierry, Comte et Dunoyer sont le plus souvent négligés, ou ne sont mentionnés
qu’au détour d’une phrase.

2. la seconde se place au niveau de l’histoire des idées économiques. On y


étudie les physiocrates, les « idéologues » (Say, Tracy); puis on saute à Bastiat
et au Journal des économistes de la période 1840-1850. De la période de la
Restauration on ne retient que Sismonde de Sismondi et la naissance de la
préoccupation « sociale » (cf l’ouvrage de Francis Paul Bénoît). A la rigueur on
y trouve une mention du Traité de la Propriété (1840)de Charles Comte, ainsi
que des échos de sa. polémique avec Proudhon. Mais Dunoyer (L’industrie et la
morale reconsidérées dans leur rapport avec la liberté, 1825; Nouveau traité
1091
d’économie sociale, 1830; La liberté du travail, 1844), lui, est bien souvent
oublié.

Depuis quelques années, on assiste cependant à un retour d’intérêt pour le


libéralisme de la Restauration. Jusqu’à une époque récente, si l’on s’intéressait
à la pensée politique de cette période, c’était pour étudier soit les «
conservateurs » défenseurs de la restauration monarchique (de Bonald,
Chateaubriand), soit les socialistes « utopiques » comme Saint Simon et Auguste
Comte. On étudiait surtout ces derniers en tant que précurseurs du socialisme
scientifique de Marx, développé après la Révolution de 1848.

Depuis une décennie on assiste à une prise de conscience de ce que la


Restauration fut en réalité une période cruciale pour l’émergence en France du
libéralisme en tant que théorie politique moderne. On note la multiplication de
livres sur B. Constant, sur Tocqueville (cf la collection de Commentaires), sur
Guizot (cf Rosanvallon), et même Bastiat.

Dans son ouvrage sur Guizot, Rosanvallon soutient que « La Restauration


constitue un véritable âge d’or de la réflexion politique ». Elle constitue « le
moment libéral » par excellence de la pensée politique française. Mais les «
libéraux radicaux » que furent Comte et Dunoyer en restent exclus. Alors même
qu’ils bénéficiaient à leur époque d’une très forte notoriété.

Qui étaient Comte et Dunoyer ?

Charles Comte est né en Lozére en1782; Charles Dunoyer en 1786, à Turenne.


Ils appartiennent à une génération qui avait en gros 10 ans en 1795, 20 ans en
1805, 30 ans en 1815.

Ils font partie d’une génération née juste avant la Révolution française qui,
lorsqu’elle se retrouve au lycée, adhère pleinement aux « principes de 1789 »,
mais reste profondément marquée par les excès jacobins de la Terreur.
Adolescents à l’époque du Directoire, ils absorbent le libéralisme des
philosophes modérés, de Condorcet et des Girondins, mais rejettent le
Rousseauissme et sa variante politique, le Jacobinisme. Lycéens au moment de
l’arrivée de l’Empire, ils bénéficient des réformes du système éducatif français
mises en oeuvre par les « idéologues » et qui incorporent les grands principes
de base du libéralisme, malgré le rejet final de « l’idéologie » par Napoléon.
Etudiants à Paris (où Dunoyer arrive en 1803), ils assimilent la tradition du

1092
droit naturel, selon Pufendorf et Grotius (donc Locke). A l’Athénée, ils suivent
les cours, alors très populaires, de J.B. Say, dont Charles Comte deviendra le
gendre. A Paris, ils fréquentent le salon de cet autre grand « idéologue » qu’est
Destutt de Tracy.

Charles Comte et Charles Dunoyer se rencontrent à Paris en 1807. En 1814,


lors de la première Restauration, ils créent ensemble Le Censeur, un journal
initialement publié sous forme hebdomadaire – qui deviendra Le Censeur
européen en 1816. Pendant la période 1815-1820, leur journal s’impose comme
la publication indépendante d’analyse et de réflexion la plus influente du
microcosme parisien. Ils assoient leur notoriété sur un combat acharné pour la
liberté d’expression et contre la censure. Une censure dont ils seront eux-mêmes
victimes à plusieurs reprises, et qui obtiendra finalement leur peau en 1820, au
terme d’un affrontement judiciaire qui les rendra célèbres, mais conduira
Comte à l’exil (dont il reviendra en 1825), et Dunoyer en prison pour quelques
mois.

Leur maître à penser est Benjamin Constant, qui termine sa carrière comme
chef de file incontesté du journalisme libéral au début de la Restauration. Leurs
travaux se situent alors dans le «main stream » de la pensée politique libérale
de l’époque. Il s’agit d’imaginer des solutions politiques « constitutionnelles »
permettant d’éviter les excès dictatoriaux que le pays a connu sous l’Empire,
puis sous la Restauration des Bourbons. Leur journal milite pour la liberté
d’expression, la liberté de la presse, la liberté des cultes, la souveraineté de
l’Etat de droit, l’établissement d’une constitution écrite, la reconnaissance des
droits individuels, une justice administrée par des magistrats et des jurés
indépendants, le libre échange, la fin des subventions et des monopoles, une
fiscalité minimale…

Qu’est-ce qui fait leur originalité ?

A partir de 1817, devant l’échec des efforts déployés pour ‘libéraliser’ les
institutions politiques, leurs analyses deviennent de plus en plus « radicales ».
Ils s’opposent autant aux « conservateurs » à la Guizot ou à la Royer Collard
(constitutionnalistes, mais suspicieux de la démocratie, défenseurs du suffrage
censitaire, et surtout qui acceptent un certain interventionnisme économique de
l’Etat) qu’aux libéraux « indépendants » à la Constant (le « centre gauche » de

1093
l’époque, surtout préoccupés de la liberté de la presse, et de l’affirmation des
droits civiques).

Leur grande préoccupation est de « comprendre ». Comprendre comment les


grands idéaux des encyclopédistes et de 1789 ont pu déboucher sur le retour du
despotisme, avec son cycle infernal de dictature populaire, militaire,
réactionnaire. Comprendre pourquoi tous les espoirs fondés sur La Charte ont à
nouveau pu être déçus. Comprendre comment on peut y mettre fin. (Ce sont en
quelque sorte « les nouveaux philosophes » de la Restauration).

La réponse, ils la trouvent dans une démarche de type « métahistorique », dans


la recherche d’une sorte de continuité historique dont le vecteur serait
l’industrialisme – concept qu’ils empruntent à Jean-Baptiste Say, avant qu’il ne
soit accaparé (et détourné) par Saint Simon et ses disciples.

La liberté par l’industrie

Pour Comte et Dunoyer, la libération des peuples passe par « l’industrie », c’est
à dire par ce que nous appellerions aujourd’hui le marché, le libre échange, le
laissez-faire, ou encore même la mondialisation, car c’est l’essence même de
l’industrie et de la liberté du commerce que de favoriser l’essor de vertus
individuelles (calcul, rationalité, responsabilité, risque, donc précaution)
propices à l’affirmation d’une attitude de liberté. Malheureusement les
croyances et les valeurs n’évoluent pas au même rythme que l’industrie. Alors
que celle-ci se répand et concurrence les anciennes manières de faire, les
attitudes, les valeurs, les institutions, elles, restent liées à l’ancien ordre des
choses (le mercantilisme). C’est dans ce décalage, expliquent-ils, que réside la
source de l’échec des idéaux de l’Encyclopédie et de la Révolution à faire
obstacle au retour du despotisme.

Comment y mettre un terme ? Ce ne sont pas les efforts déployés pour mettre au
point des solutions constitutionnelles qui permettront d’en sortir si les gens
continuent d’adhérer à des valeurs qui leur font accepter volontairement leur
servitude ? Le seul espoir réside dans la poursuite, l’accélération du progrès
industriel lui-même. Autrement dit, c’est le « développement économique » et le
libre-échange, produits de la libération de l’économie des monopoles
mercantilistes, qui doivent libérer les gens de leurs croyances, donc de leur
propre servitude, et ainsi rendre possible la réforme politique. Le
constitutionalisme met la charrue avant les boeufs. Il faut d’abord changer les
1094
structures mentales avant d’avoir des chances d’agir avec succès sur les
structures politiques; et cela seul le développement économique peut permettre
de l’obtenir. (Débat très moderne que l’on a retrouvé dans certains pays de
l’Est avant la chute du mur de Berlin – par exemple en Pologne -, ou qui dure
encore comme en Chine).

La lutte des classes

Leur analyse se fonde sur une conception « dialectique » de l’histoire qui est
celle d’un processus conçu comme le produit d’une confrontation permanente
entre deux classes, d’un côté celle des dirigeants et oppresseurs, de l’autre celle
des opprimés et exploités. C’est l’approche que développe par exemple Augustin
Thierry dans sa fameuse histoire des révolutions anglaises (1817), ainsi que
dans son histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands (1825, mais
dont les premiers éléments ont été publiés dans le Censeur européen dès 1819).

L’histoire y est vécue comme un combat constant entre exploités et exploiteurs.


Pour Thierry, il s’agit d’un combat entre Tiers Etat et Noblesse, le Tiers Etat
luttant à travers les siècles pour assurer la reconnaissance et la sécurité de ses
droits de propriété, ainsi que l’élargissement continu de ses opportunités
industrielles et commerciales. Pour Comte, l’opposition la plus significative est
celle qui oppose les oisifs, bénéficiaires de rentes de l’Etat mercantiliste, et ceux
qui travaillent, qui entreprennent et qui produisent (les producteurs).

Cette approche en termes de conflit entre « classes » n’est pas totalement


nouvelle. On en trouve déjà les prémisses dans la théorie physiocratique de la
production avec l’opposition entre une « classe productive » et une « classe
stérile ». Mais alors que chez les Physiocrates la première s’identifie au monde
agricole, à tout ce qui cultive la terre, et la seconde à tout ce qui ne vit pas de la
terre, chez Comte et Dunoyer l’opposition se fait d’un côté entre ceux qui
travaillent et entreprennent, quelque soit le secteur d’activité auquel ils
appartiennent (on retrouve là tout l’apport de la théorie libérale de Say), et de
l’autre ceux qui détiennent le pouvoir et les privilèges – c’est à dire l’Etat et les
classes privilégiées qui lui sont liées.

Cette approche débouche donc sur une vision où l’histoire de la civilisation


s’analyse d’abord et avant tout comme un processus de « libération » des
classes exploitées par l’émergence d’une économie et d’une culture marchande
(l’industrie) qui se fait aux dépens des anciennes contraintes de l’Etat
1095
mercantiliste, avec ses clientèles, ses monopoles et cloisonnements
corporatistes.

Un libéralisme radical

Cette approche les amène à une conception de l’action politique où le rôle du


politique n’est pas seulement d’aménager des poids et contrepoids (checks and
balances) constitutionnels pour limiter les abus du pouvoir; mais
d’accompagner, de faciliter ce mouvement « historique » dans son inévitable
achèvement. Comment ? En introduisant une séparation radicale entre la «
société civile », paisible et productive, et le monde de l’Etat qui est celui des
privilèges et de leur exploitation par ce que l’on appellerait aujourd’hui les «
lobbies ». C’est à dire en « dépolitisant » le contenu des relations sociales et
économiques.

« Après avoir longuement analysé comment les classes sociales « exploiteuses »


se sont maintenu au pouvoir à travers les siècles, raconte David Hart, ils ont
entrepris d’en tirer des leçons, des prévisions pour l’avenir de la société
française. Pour Dunoyer en particulier, celui-ci passait par une dépolitisation
croissante de la société française, voire la disparition complète de l’Etat, pour
laisser place à une situation où tous les aspects de la vie sociale et économique
seraient régulés par l’interaction des forces de l’offre et de la demande et la loi
des contrats sur un marché libre. A certains de leurs moments d’euphorie
libérale, Comte et Dunoyer sont même allés jusqu’à suggérer la possibilité –
bien avant Gustave de Molinari (dans son célèbre opuscule « les soirées de la
rue Saint Lazare » de 1849) – d’une société où même les fonctions de police et
de défense seraient soit devenues inutiles, soit reprises par le marché. Mais,
ajoutaient-ils, cette société authentiquement «libérale» ne pourra se réaliser que
le jour où le développement du « régime industriel » aura si complètement
modifié les attentes de l’opinion publique à l’égard de l’Etat que les politiques
mercantilistes auront perdu toute légitimité aux yeux des français ».

Leur interrogation sur le pourquoi des événements et des déceptions qu’ils


viennent devivre les conduit ainsi à développer une perspective libérale poussée
à l’extrême dulaissez-faire et de l’Etat minimum. D’où leur qualificatif de «
libéraux radicaux ».C’est cette tradition radicale qui servira d’armature aux
activités de la Société d’économie politique (fondée en 1842, et dont Charles
Dunoyer fut le premier président) et que l’on retrouvera dans les colonnes du

1096
journal de la Société (Le Journal des Economistes), ainsi que sous la plume de
Frédéric Bastiat ou de Gustave de Molinari.

C’est cette tradition qui, après une éclipse d’un siècle, nous revient des Etats-
Unis à travers les ouvrages de ceux qu’on appelle « les libertariens », ou «
anarcho-capitalistes ». Ce qu’on nous présente comme une importation anglo-
saxonne, soit disant totalement étrangère à la culture française, a en réalité de
solides racines françaises . Et ce sont des anglo-saxons (les historiens
américains Leonard Liggio et Ralph Raico par exemple, l’Australien Hart) qui
nous font aujourd’hui redécouvrir ce qui fut en son temps une tradition libérale
française fort influente et respectée, mais largement oubliée par la suite.

Une pensée charnière

Que retenir de cette histoire ? Pourquoi reparler aujourd’hui de ces gens-là ?


Je citerai principalement trois raisons.

1. D’abord en raison d’une série de paradoxes inattendus. Je viens d’en évoquer


un : le retour de leur tradition via le monde anglo-saxon.

L’Ecole libérale de Manchester généralement citée comme l’école fondatrice du


libéralisme économique moderne, n’est en réalité qu’une école parmi d’autres.
Il y a une tradition libérale française authentique, fondée sur des concepts, des
approches radicalement différentes. Celle-ci est philosophiquement plus proche
de Godwin, de Mackintosh et de Paine (les « radicaux » britanniques qui
considèrent que, face au système politique, la Déclaration des droits est un
artifice insuffisant pour assurer la garantie des droits naturels), que de
Bentham, Malthus et Ricardo qui dénoncent déjà les ‘défaillances’ du marché
(cf la théorie des crises de surproduction à laquelle répond la ‘loi des
débouchés’ de Say) . C’est là quelque chose qu’on a oublié, et qu’oublient
encore le plus grand nombre de ceux qui remettent aujourd’hui les auteurs de la
Restauration à la mode (Constant, Guizot, Tocqueville).

Mais le plus énorme des paradoxes est bien entendu la filiation qui relie cette
école de pensée « ultra-libérale » à la genèse des idées socialistes, et même
marxistes, qui viendront plus tard.

Les concepts de « classe sociale », de « mode de production », de « structure de


production », d’ « exploitation », de « mouvement historique » sont exactement
ceux qui seront « retournés » et utilisés pour servir de fondement au
1097
développement de la pensée socialiste. D’abord les socialistes « utopiques » de
la première génération, puis ceux de la génération marxiste.

Le lien de filiation se fait par l’intermédiaire du comte Henri de Saint Simon et


d’Auguste Comte (un cousin de Charles Comte, qui restera très longtemps en
contact épistolaire étroit avec Charles Dunoyer). Si, sous l’influence d’Auguste
Comte (qui devient son secrétaire en 1817, en remplacement d’Augustin
Thierry), Saint Simon rompt avec ses amis du Censeur européen, c’est qu’en fait
il ne donne pas les mêmes réponses aux questions qu’ils se posent. L’aristocrate
ne croît guère à l’amélioration spontanée des moeurs sous l’influence des
disciplines de « l’industrie » naissante. D’une vingtaine d’années plus âgé (il est
né en 1760, il décède en 1825), il n’a pas le temps d’attendre l’effet du temps. Il
croît davantage à la « rééducation » par la prise en main du processus de
développement par une nouvelle élite dirigiste d’ingénieurs et de banquiers
ayant pour objectif de promouvoir ce qu’on appellerait aujourd’hui « la
croissance ».

En 1827, dans un article publié par la Revue encyclopédique (« Notice


historique sur l’industrialisme »), Charles Dunoyer se livrera à une analyse et
une critique approfondies des thèses et prétentions « scientistes » présentées par
les saint-simoniens dans leur journal Le producteur. Mais ils partent de
prémisses largement identiques. Ce sont les inventeurs de « la sociologie
historique ».

Dans une large mesure, l’un des actes de fondation du mouvement socialiste est
la grande diatribe que mène Proudhon contre le livre de Comte sur la propriété
(Traité de la Propriété, 1834). Diatribe à laquelle Comte n’a malheureusement
pas pu répondre puisqu’il est mort en 1837, soit trois ans avant la parution des
deux ouvrages de Proudhon sur le sujet.

C’est vraisemblablement par l’intermédiaire de Proudhon que Marx a eu


connaissance indirecte des travaux de Comte et Dunoyer. Bien que de manière
plutôt méprisante, il les évoque à plusieurs reprises dans sa correspondance.

Les ancêtres du Public Choice

2. Le second motif tient à leur mode de représentation de l’Etat et du politique


qui est extrêmement moderne si on le compare à la façon dont les économistes
appréhendent aujourd’hui le fonctionnement du marché politique.

1098
Derrière leur théorie des classes sociales, on retrouve un schéma qui nous est
aujourd’hui devenu familier : l’idée de la « capture » réglementaire. A savoir
que l’existence d’une réglementation ou d’un contrôle économique quelconque
induit nécessairement l’émergence d’une « classe » de gens pour qui la
jouissance des privilèges liés à leur fonction devient rapidement une fin en soi,
et donc un objectif de pouvoir politique.

Conclusion : la seule manière de débarrasser le monde de l’exploitation d’une


classe par une autre consiste à détruire le mécanisme même qui rend cette
exploitation possible : le pouvoir de l’Etat de distribuer et de contrôler la
propriété et la répartition des avantages qui y sont liés.

Dans un passage du Nouveau Traité Dunoyer attaque l’idée que le citoyen


devrait obligatoirement sacrifier ses intérêts à ceux de la communauté politique
ou de l’Etat. La pierre fondatrice du pouvoir politique, note-t-il, est la croyance
qu’il existe un code d’obligations morales pour le citoyen, et un autre pour
l’Etat et ses représentants. Dunoyer rejette cette dichotomie. S’il est immoral
d’user de la force contre la personne ou la propriété d’une autre personne, fait-
il remarquer, il est tout aussi immoral pour un homme ou une communauté
politique d’en faire autant.

Dunoyer note aussi l’étrange transformation qui frappe les individus selon
qu’ils agissent en tant que personnes privées ou membres de communautés
politiques. La majorité des individus, fait-il remarquer, semblent comprendre
que le vol et la violence sont un mal lorsqu’ils sont commis par un individu
contre un autre. Mais dès qu’ils agissent en tant que membre d’une communauté
ou d’un corps politique, ils acceptent le bien fondé de ces mêmes actes au nom
de ce qu’ils sont commis par l’Etat ou ses représentants, contribuant ainsi à leur
propre asservissement. On ne peut atteindre la vraie liberté, conclue Dunoyer,
que si les individus rejettent ce divorce entre morale publique et morale privée,
et s’accordent tous à respecter la propriété ainsi que la liberté personnelle de
tous.

Derrière ce langage très « normatif », on trouve en réalité une approche


méthodologique des fonctionnements de ce que l’on appellerait aujourd’hui « le
marché politique » très proche, bien que encore très frustre, des concepts qui
inspirent les travaux de l’école néo-libérale contemporaine des choix publics.
Comte et Dunoyer ambitionnent de donner une étude « scientifique » de l’Etat et

1099
de son développement. Ils ont une façon de penser le politique qui en fait, à bien
des égards, les précurseurs d’auteurs comme James Buchanan et Gordon
Tullock.

Le lien n’est pas purement fortuit. James Buchanan reconnait lui-même que
c’est en Italie, lors d’un séjour sabbatique à Rome, dans les années 1950, qu’il
découvrit les intuitions qui allaient orienter de manière déterminante son champ
de recherche. Or il faut relever que c’est précisément chez les économistes et
universitaires italiens du 19ème siècle que l’école française d’économie
politique a entretenu la postérité la plus féconde et la plus durable lorsque son
influence s’est mise à décliner sérieusement sur le sol français, à partir des
années 1870.

Les initiateurs du paradigme anarcho-capitaliste.

3. Au total, Comte et Dunoyer considèrent l’Etat comme la source même des


privilèges et des injustices, plutôt que comme l’instrument par lequel ces
problèmes peuvent être résolus.

C’est ce qui les oppose fondamentalement non seulement aux démocrates


rousseauistes de l’époque, aux socialistes, mais aussi aux conservateurs qui, à
l’inverse, veulent utiliser le pouvoir étatique pour créer une société plus juste et
meilleure en réglementant plus ou moins strictement le contenu de la propriété
privée.

Comte et Dunoyer rompent complètement avec les traditions de l’humanisme


civique, de la démocratie à la Rousseau et du conservatisme orthodoxe qui
demandent que l’individu se soumette à la communauté politique, à la » volonté
générale « , qu’elle soit exprimée par un type d’institutions ou un autre. Ils ne
demandent rien de la sorte aux individus.

Dans leur vision d’une société libérale et industrielle, souligne David Hart, il
n’y aurait aucun service militaire obligatoire puisqu’on aurait aboli les armées
permanentes, et que l’échange commercial remplacerait la guerre comme forme
normale d’interaction entre les nations. Il n’y aurait aucune obligation de voter
puisque l’Etat serait minimal ou inexistant. Dans une société comme celle
imaginée par Dunoyer, il n’y aurait aucun devoir civique, puisqu’il n’y aurait
aucun Etat ni « civitas » pour imposer l’obéissance. Les seules obligations qui
s’imposeraient aux individus seraient des règles morales choisies par chacun,

1100
qui évolueraient progressivement avec l’émergence de sociétés industrielles,
modifiant ou « perfectionnant » la manière de penser et de faire des gens. Parmi
ces obligations volontaires figurent en premier lieu le devoir de respect mutuel
de la propriété et de la liberté de tous ceux qui participent à l’échange, ainsi
que le renoncement à toute violence.

Murray Rothbard, le pape de l’anarcho-capitalisme moderne, n’éprouverait


sans doute rien à redire à une telle vision. En fait, Rothbard lui-même a subi
l’influence des écrits de Comte et Dunoyer. Non pas directement – car il ne
lisait pas le français – mais indirectement, par l’intermédiaire de son proche
ami le professeur Léonard Liggio (aujourd’hui à George Mason University) qui
a publié en 1977, dans le Journal of Libertarian Studies, un long article (Charles
Dunoyer and French Classical Liberalism) qui reste encore la source
d’information et d’étude la plus documentée sur le rôle joué par le Censeur
européen et ses animateur au sein de l’école libérale française du 19ème siècle.
Dans un texte de 1974 (Egalitarianism as a Revolt against Nature), Murray
Rothbard présente une interprétation de l’histoire moderne, avec une vision du
socialisme présenté comme une idéologie authentiquement « réactionnaire »,
qui s’inspire très directement de celle présentée un siècle et demie plus tôt par
Charles Comte et Charles Dunoyer dans les pages du Censeur européen. » -
Henri Lepage, Les oubliés du libéralisme français (Charles Comte and Charles
Dunoyer), Conférence à l’École Polytechnique, 11 janvier 2007.

« Dunoyer [...] ne craint pas de corriger Adam Smith qui admettait que l'Etat
puisse fournir directement un certain nombre de services publics comme
l'éducation. » (p.475)
-Michel Leter, "Éléments pour une étude de l'école de Paris (1803-1852)",
chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en
Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.429-509.

http://hydra.forumactif.org/t770-charles-dunoyer-lindustrie-et-la-morale-
considerees-dans-leurs-rapports-avec-la-liberte-nouveau-traite-d-economie-
sociale-de-la-liberte-du-travail#1381

Victor Cousin (1792-1867): « Les systèmes philosophiques suivent leur temps


bien plus qu’ils ne le dirigent ; ils reçoivent leur esprit des mains de leur siècle.
Au milieu du XVIIIe siècle, vers la fin de la régence et sous le règne de Louis
XV, la philosophie anglaise de Locke, transportée en France et développée

1101
selon le goût du temps, y produisit une école célèbre qui long-temps domina et
qui domine encore parmi nous, protégée par de vieilles habitudes, niais en
contradiction radicale avec l’esprit nouveau, avec les institutions et les mœurs
issues de la révolution française. Sorti du sein des tempêtes, nourri dans le
berceau d’une révolution, élevé sous la mâle discipline du génie de la guerre, le
XIXe siècle ne peut en vérité contempler son image et retrouver ses instincts
dans une philosophie née à l’ombre des délices de Versailles, admirablement
faite pour la décrépitude d’une monarchie arbitraire, mais non pas pour la vie
laborieuse d’une jeune liberté environnée de périls. » (p.179)
-Victor Cousin, "Du fondement de la morale", Revue des Deux Mondes, période
initiale, tome 13, 1846 (p. 177-188).

« Je peux faire ce que je veux : je peux, si je veux, donner aux pauvres tout ce
que je possède, et devenir pauvre moi-même – si je veux ! – Mais il n’est pas en
mon pouvoir de le vouloir, parce que les motifs opposés ont sur moi beaucoup
trop d’empire. Par contre, si j’avais un autre caractère, et si je poussais
l’abnégation jusqu’à la sainteté, alors je pourrais vouloir pareille chose ; mais
alors aussi je ne pourrais pas m’empêcher de la faire, et je la ferais
nécessairement – Tout cela s’accorde parfaitement avec le témoignage de la
conscience « je peux faire ce que je veux », où aujourd’hui encore quelques
philosophâmes sans cervelle s’imaginent trouver la preuve du libre arbitre, et
qu’ils font valoir en conséquence comme une vérité de fait que la conscience
atteste. Parmi ces derniers se distingue M. Cousin, qui mérite sous ce rapport
une mention honorable, puisque dans son Cours d’Histoire de la Philosophie,
professé en 1819-1820, et publié par Vacherot, 1841, il enseigne que le libre
arbitre est le fait le plus certain dont témoigne la conscience (vol. I, p. 19, 20) ;
et il blâme Kant de n’avoir démontré la liberté que par la loi morale, et de
l’avoir énoncée comme un postulat, tandis qu’en vérité elle est un fait. » -Arthur
Schopenhauer, Essai sur le libre-arbitre, 1839 pour la première édition,
Traduction de Salomon Reinach (1894), Numérisation et mise en page par Guy
Heff & David Buffo (Mai 2013), 184 pages, p.81.

« Les uns accuseront Cousin d’avoir perverti la France en y introduisant les


idées de Hegel, les autres d’avoir empêché la jonction de Hegel et de la pensée
socialiste française. » (p.57)

« Quant Cousin arrivera au pouvoir sous la Monarchie de juillet, il […] fera


tout son possible (en vain) pour entretenir des relations cordiales avec l’Église
1102
en séparant philosophie et religion. » -Frank-Paul Bowman, Symbole et
désymbolisation, Romantisme, Année 1985, Volume 15, Numéro 50, pp. 53-60.

« Victor Cousin opère ensuite une distinction entre l’histoire et la biographie à


partir de sa conception du grand homme. Selon lui, ce dernier est double : il y a
en lui une part qui relève de l’exceptionnel et une part ordinaire : « La première
seule appartient à l’histoire ; la seconde doit être abandonnée aux mémoires et
à la biographie ; c’est la partie vulgaire de ces grandes destinées ; c’est la
partie ridicule et comique du drame majestueux de l’histoire. ». La célébration
du grand homme, comme on la mesure, n’a rien à voir avec quelque
réhabilitation du genre biographique qui est bel et bien considéré comme un
reste, une forme de déchet insignifiant que laisse la vraie grandeur. Elle ne peut
donc intéresser les historiens, et le XIXe siècle porte pour l’essentiel cette
conception en tant que siècle de l’histoire fortement animé par une
chronosophie. Selon Cousin, l’historien se trouve habilité à délaisser le côté
biographique des grands hommes, car ce n’est pas cet aspect qui a été retenu et
admiré par l’humanité. L’intentionnalité des acteurs importe peu et seuls les
faits attestés, les comportements publics sont dignes d’attention. » -François
Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La Découverte,
2005, 480 pages, p.191.

« À partir de 1830, la philosophie cousinienne devient progressivement la


doctrine officielle. La monarchie de Juillet rétablit une « Académie des sciences
morales et politiques » et Cousin se porte immédiatement candidat. Il est déjà
maître de conférences à l’École normale et professeur à la Faculté de lettres de
Paris. Rapidement, il devient président du jury d’Agrégation, membre du
Conseil supérieur de l’instruction publique et membre de l’Académie française :
il s’agit d’une véritable prise de pouvoir idéologique au sein de l’État. Cousin
dispose à la fois du pouvoir de recruter et de former les élèves philosophes, de
nommer les professeurs dans les collèges et les facultés et de contrôler le
déroulement de leurs carrières. Professeurs et élèves sont à sa discrétion. Il ne
lui manque plus que la reconnaissance institutionnelle par les savants de
l’Académie des Sciences morales et politiques : Cousin est élu membre en 1832
et prend progressivement le dessus au sein de l’assemblée en renversant la
doctrine dominante, celle des idéologues, issue du dix-huitième siècle et
notamment de l’Empire, et en promouvant la sienne, l’éclectisme. Et pour finir
la description de cette domination absolue du cousinisme sous la monarchie de
Juillet, il faut ajouter qu’au moment où Cousin connaît la consécration de son
1103
pouvoir en devant ministre de l’Instruction publique en 1840, il crée un
concours spécial pour les agrégés des facultés de lettres, une agrégation des
facultés inspirée du modèle des « docteurs » allemands, concours spécial qui les
nomme et les autorise à suppléer les professeurs des universités. En philosophie,
ce concours confirme pratiquement l’hégémonie de l’éclectisme dans une
institution où son pouvoir était encore partagé : de 1840 à 1851, seuls des
cousiniens orthodoxes sont lauréats du concours. Ainsi, les chaires des
universités sont pourvues selon une procédure qui légitime un travail de
recherche strictement normé et une formation explicitement définie. Joseph
Ferrari parle aussi de la thèse comme d’un dispositif spéculatif et institutionnel
d’assujettissement de la jeunesse lettrée à la politique de la philosophie de
Cousin : « Il imposa de vive force l’érudition ; il condamna les élèves de l’école
normale à user toutes leur énergie dans des questions d’érudition philosophique.
[…] En imposant l’érudition, M. Cousin détourna l’attention des dogmes ; il
énerva les esprits, il devint le maître d’une génération énervée. De 1840 à 1849,
toutes les thèses du doctorat ont été constamment historiques ; aucune thèse
dogmatique. Tout éclectique se présente au doctorat pour prouver en barbara et
enbaroco qu’Aristote était éclectique, que Platon cherchait l’éclectisme, que tous
les grands philosophes ont été les précurseurs de M. Cousin. À force de
commenter, les adeptes de l’éclectisme sont devenus indifférents aux principes,
étrangers au mouvement actuel. » Ce passage de Ferrari manifeste clairement
l’existence d’un lien entre la domination politique et la place de l’histoire de la
philosophie. La prise de pouvoir idéologique dans l’État passe par la mise en
avant d’une histoire de la philosophie où les doctrines passées apparaissent
comme des monuments morts, écrasant la pensée vivante susceptible de se
développer au présent. »

« Avec la doctrine de l’éclectisme et notamment à travers les formules


auxquelles nous avons fait référence, la philosophie est tout entière rabattue sur
son histoire : il s’agit bien de constater la philosophie en se tournant vers le
passé. La philosophie développée par Cousin, et qui devient la doctrine officielle
enseignée en France, se définit par son caractère essentiellement factuel et son
caractère impératif ou autoritaire. Qu’est-ce qu’implique cette théorie ? Elle
suppose tout d’abord et en principe qu’il ne peut y avoir de philosophie
entièrement fausse : il y a toujours des éléments de vérité dans une philosophie,
il s’agit de les distinguer de ce qu’il y a de faux dans cette même doctrine. Il y a
du vrai dans toute philosophie, du vrai qu’il faut recueillir – voici la première
1104
thèse de l’éclectisme relative à l’histoire de la philosophie. Mais Cousin ajoute :
tout le vrai est déjà donné dans l’histoire de la philosophie. Autrement dit, il n’y
a plus rien de nouveau à penser, tous les éléments de la philosophie sont donnés,
ils se sont manifestés dans l’histoire : il s’agit à présent de les collecter de
nouveau : « Cette prétention de ne repousser aucun système, de n’en accepter
aucun entier, de négliger ceci, de prendre cela, de choisir dans tout ce qui est
vrai et bon et par conséquent durable, d’un seul mot, c'est l’éclectisme. » La
nouvelle philosophie est dans un rapport d’autorité par rapport aux précédentes,
en même temps qu’elle se caractérise par son absence totale d’autonomie de
pensée vis-à-vis du passé. »

« Enfin, à côté de ces affirmations qui donnent à l’histoire de la philosophie un


rôle apparemment central dans la constitution de la philosophie nouvelle, une
autre thèse, fondatrice également de la doctrine de Cousin, vient relativiser
considérablement ce rôle. En effet, loin d’offrir un enseignement inédit,
l’histoire de la philosophie n’est que le double vérificateur d’un autre
enseignement, celui que l’on peut tirer de l’analyse de la conscience grâce à la
psychologie. En effet, l’histoire est la manifestation à grande échelle d’un
dispositif naturellement à l’œuvre dans la conscience. Le désordre apparent de
l’histoire de la philosophie ne se comprend qu’à la lumière des lois naturelles
qui régissent le fonctionnement de l’esprit humain. La psychologie permet la
compréhension de l’ensemble de l’histoire de la philosophie et sa réduction à
quatre principes. Ainsi rapportée à la psychologie, l’histoire de la philosophie
est deshistoricisée : rien de nouveau ne se produit dans l’histoire de la pensée,
mais le même dispositif, psychologiquement fondé, se reproduit à l’infini à
moins qu’il ne soit compris et dépassé, tâche que l’éclectisme cousinien se
propose de mener à bien. »

« L’éclectisme comprend explicitement une légitimation du régime : la


monarchie constitutionnelle, comme dépassement de la monarchie absolue et de
la république, constitue le parallèle au niveau politique de l’éclectisme sur le
plan philosophique. Il s’agit avec l’éclectisme de dominer l’enseignement
philosophique en France et de lui imposer une doctrine qui appuie le pouvoir en
place. En 1847, Armand Fresnau définit ainsi la philosophie cousinienne : «
Éclectisme, philosophie de l’Université, nouvelle philosophie française, tous
termes synonymes dans le Dictionnaire de M. Cousin, dont l’école se proclame
la seule école philosophique actuellement existant en France, et déclare avec
raison à qui veut l’entendre que l’université lui appartient. » La doctrine
1105
éclectique s’est imposée en France, elle est le dogme officiel des programmes
enseignés dans les écoles, tandis que Cousin continue de la faire valoir comme
une philosophie libératrice, moderne et novatrice. »

« Le professeur de philosophie de la monarchie de Juillet n’est pas un


enseignant libre : il a l’obligation d’enseigner un certain nombre de dogmes,
d’éléments de doctrines incontestables. » -Lucie Rey, « L’héritage de Victor
Cousin dans l’enseignement de la philosophie en France », Revue Skhole, 21 mai
2014.

http://hydra.forumactif.org/t678-victor-cousin-du-beau-et-de-lart-et-autres-
textes#1265

Les révoltes des canuts (20-22 novembre 1831) : « Il ne faut rien dissimuler ;
car à quoi bon les feintes et les réticences ? la sédition de Lyon a révélé un
grave secret, celui de la lutte intestine qui a eu lieu dans la société entre la
classe qui possède et celle qui ne possède pas. Notre société commerciale et
industrielle a sa plaie comme toutes les autres sociétés ; cette plaie, ce sont les
ouvriers. Point de fabriques sans ouvriers, et, avec une population d’ouvriers
toujours croissante et toujours nécessiteuse point de repos pour la société…

[…] Chaque fabricant vit dans sa fabrique comme le planteur des colonies au
milieu de ses esclaves, un contre cent ; et la sédition de Lyon est une espèce
d’insurrection de Saint-Domingue.

[…]

Les concurrences commerciales font aujourd’hui l’effet que faisaient autrefois


les émigrations des peuples. La société antique a péri parce que les peuples se
sont remués dans les déserts du nord, et qu’ils se sont heurtés les uns aux
autres, jusqu’à ce que de proche en proche ils vinssent tomber sur l’empire
romain. Aujourd’hui que le blé se récolte à meilleur marché en Crimée qu’en
Angleterre, que le coton se file à plus bas prix à Vienne qu’à Manchester, voilà
la société anglaise réduite aux expédients… Les Barbares qui menacent la
société… sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières ; et ces
Barbarbares, il ne faut point les injurier [sic] ; ils sont, hélas ! plus à plaindre
qu’à blâmer : ils souffrent ; la misère les écrase. Comment ne chercheraient-ils
pas aussi une meilleure condition ? Comment ne se pousseraient-ils pas
tumultueusement non plus vers de meilleurs climats, comme leurs devanciers,

1106
mais vers une meilleure fortune ? … Ils sont les plus forts, les plus nombreux ;
vous leur donnez vous-mêmes des armes, et enfin, ils souffrent horriblement de
la misère. Quel courage, quelle vertu il faudrait pour ne pas céder à la
tentation ! Et ces hommes à qui il faudrait tant de modération, tant de réserve,
ce sont des hommes que la société a laissés pendant longtemps sans instruction.
Elle ne leur a pas donné la lecture qui pouvait les éclairer, les instruire, les
civiliser, et elle leur donne des armes !

…Dans cette position, il est nécessaire que la classe moyenne comprenne bien
ses intérets et le devoir qu’elle a à remplir. Il faut qu’elle évite avec un égal soin
d’être dupe ou d’être cruelle ou tyrannique.

D’être dupe, disons-nous ; et elle le serait si, éprise de je ne sais quels principes
démagogiques, elle donnait follement des armes et des droits à ses ennemis, si
elle laissait entrer le flot des prolétaires dans la garde nationale, dans les
institutions municipales, dans les lois électorales, dans tout ce qui est l’Etat…

Point de duperie donc, mais point de cruauté non plus et de tyrannie ; et ce


serait cruauté et tyrannie que de vouloir éléver une barrière insurmontable
entre la classe moyenne et les prolétaires… Ne donnons point de droits
politiques ni d’armes nationales à qui ne possède rien ; mais que nos lois
continuent de plus en plus à donner à chacun le moyen de posséder… Point de
droits politiques encore une fois hors de la propriété et de l’industrie ; mais que
tout le monde puisse aisément arriver à l’industrie et à la propriété… » -Saint-
Marc de Girardin (1801-1873), Journal des Débats, 3 décembre 1831.

« Les ouvriers de Lyon se figuraient ne poursuivre que des buts politiques,


n’être que des soldats de la République, alors qu’ils étaient en réalité les soldats
du socialisme. » (Gloses critiques marginales à l’article : « Le roi de Prusse et la
réforme sociale par un Prussien », Vorwärtz n°64 du 10 août 1844, traduction
française in K. Marx, Œuvres philosophiques, traduit par J. Molitor, t. 5, Paris,
Costes, 1937, p. 213-244, repris in Communisme, n° 40, mai 1994).

"L’insurrection des canuts lyonnais en novembre 1831 change la donne et, en


décembre 1831, les Amis du Peuple publient dans une brochure, la Voix du
Peuple, un article de Napoléon Lebon, étudiant néo-babouviste alors trésorier
de la Société, intitulé « La guerre civile » :

1107
« L’ordre va régner à Lyon. […] On veut châtier de faim les malheureux
ouvriers. […] On voit dans cette insurrection d’une cité la manifestation partielle
d’un mal généralement senti. Les citoyens, qui devraient être unis dans un
intérêt commun de liberté et de bonheur, sont divisés par des intérêts contraires
de classes et d’individus. La société, par l’action de ses lois, a fait tomber en
bloc aux mains de quelques-uns les richesses qu’elle devait incessamment
morceler, pour qu’une parcelle en arrivât à chacun. Les uns possèdent ; les
autres se résignent à servir ou bien se révoltent. C’est alors une guerre civile.
[…] Le profit du travail doit retourner au travailleur. Plus d’hommes qui servent
d’instruments à un autre homme ! » [Lebon, 1831, p. 2-4].

On reconnaît ici le discours républicain des masses opprimées par les tyrans,
mais ce discours prend un tour social : les masses, ce sont bien les travailleurs,
et les tyrans, plus seulement les rois, mais les possédants. À partir de la fin de
l’année 1831, sous l’influence du publiciste robespierriste Auguste Caunes,
suivi notamment par Lebon et Gaussuron-Despréaux, le recrutement spécifique
d’ouvriers devient un but d’une partie de la Société des Amis du Peuple, plus
radicale, qui grossit jusqu’à devenir, en 1832, la Société des Droits de l’homme,
clairement ouvriériste. » -Samuel Hayat, « Républicains, socialistes et ouvriers
face à l’émancipation des travailleurs (1830-1848) », Revue du MAUSS, 2016/2
(n° 48), p. 135-150. DOI : 10.3917/rdm.048.0135. URL
: https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2016-2-page-135.htm

https://www.amazon.fr/r%C3%A9voltes-canuts-1831-1834-Fernand-
RUDE/dp/2707152900/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1488894018&sr=8-
2&keywords=Les+r%C3%A9voltes+des+canuts

Robert Owen (1771-1858) et les débuts du socialisme britannique : « Le 1er


janvier de l'an 1800, Robert Owen ouvrait à New Lanark en Écosse une
manufacture "humanitaire" où le vil argent allait être remplacé par des Labour
Notes, des bons du travail. Le 25 décembre 1991, Mikhaïl Gorbatchev entérinait
la dissolution de l'URSS. Entre ces deux dates, entre cette nouvelle année et ce
jour de Noël, deux siècles de Grandes espérances ont mobilisé des foules
immenses sur les cinq continents. » -Marc Angenot, L'Histoire des idées.
Problématiques, objets, concepts, méthodes, enjeux, débats, Presse
Universitaires de Liège, coll. Situations, 2014, 392 pages, p.262.

1108
« Owen a été, parmi les dirigeants modernes de la classe ouvrière, le premier
adversaire du christianisme. » -Karl Polanyi, La Grande Transformation. Aux
origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, coll. tel,
1983 (1944 pour la première édition états-unienne), 463 pages, p.242.

Les débuts du socialisme en Europe continentale : Jean de Sismondi (1773-


1842), Étienne Cabet (1788-1856), Charles Fourier (1772-1837), Constantin
Pecqueur (1801-1887) et le mouvement ouvrier :

« L’expression « socialisme scientifique » se trouvait déjà chez les saint-


simoniens et les proudhoniens. » -Stéphane Haber & Frédéric Monferrand, « Un
capitalisme infini ? À propos de Marx, prénom : Karl, de Pierre Dardot et
Christian Laval. », Actuel Marx 1/2013 (n° 53), p. 169-184.

"Sismondi se réclame explicitement de Smith : « Les principes d’Adam Smith


m’ont constamment servi de guides : c’est cependant de ces principes, mais en y
ajoutant le complément que je crois nécessaire, qu’ils [ses lecteurs] verront sortir
des conséquences très différentes ». Dans la préface de la seconde édition
(1827), il désigne ses « adversaires » : Say, Ricardo, Malthus et Mac Culloch,
mais toujours pas Smith."

"Buret se réclamait de Sismondi, dont le « retournement » de 1819 fut beaucoup


moins marginal et « anti-libéral » qu’on ne le présente habituellement."

"Charles Fourier ( 1772-1837) ne participa aucunement à l’agitation


révolutionnaire; profondément marqué par la Terreur qu’il vécut à Lyon, il
partageait même à certains égards les thèses « réactionnaires » de Joseph de
Maistre et Louis de Bonald."

-François Vatin, « Le travail, la servitude et la vie. Avant Marx et


Polanyi, Eugène », Revue du MAUSS, 2001/2 (no 18), p. 237-280. DOI :
10.3917/rdm.018.0237. URL : https://www.cairn-int.info/revue-du-mauss-2001-
2-page-237.htm

« Quand on considère les richesses dont la bienfaisante Nature a comblé le


Genre humain, et l’Intelligence ou la Raison dont elle l’a gratifié pour lui servir
d’instrument et de guide, il est impossible d’admettre que la destinée de
l’homme soit d’être malheureux sur la Terre ; et quand on considère qu’il est
essentiellement sociable, par conséquent sympathique et affectueux, il n’est pas
plus possible qu’il soit naturellement méchant.
1109
Cependant, dans tous les temps et dans tous les pays, l’Histoire ne nous montre
que troubles et désordres, vices et crimes, guerres et révolutions, supplices et
massacres, catastrophes et calamités.

Mais si ces vices et ces malheurs ne sont pas l’effet de la volonté de la Nature, il
faut donc en chercher la cause ailleurs.

Cette cause n’est-elle pas dans la mauvaise organisation de la Société ? Et le


vice radical de cette organisation n’est-il pas l’Inégalité, qui lui sert de base ?

Aucune question n’est évidemment aussi digne d’exister l’intérêt universel ; car
s’il était démontré que les souffrances de l’Humanité fussent un immuable arrêt
du Destin, il faudrait n’y chercher de remède que dans la résignation et la
patience ; tandis que si, au contraire, le mal n’est que la conséquence d’une
mauvaise organisation sociale, et spécialement de l’Inégalité, il ne faut perdre
un moment pour travailler à supprimer ce mal en en supprimant la cause, en
substituant l’Égalité à l’Inégalité.[…]

Sous la forme d’un Roman, le Voyage en Icarie est un véritable traité de morale,
de philosophie, d’économie sociale et politique, fruit de longs travaux,
d’immenses recherches et constantes méditations. Pour le bien connaître, il ne
suffit pas de lire ; il faut le relire, le relire souvent et l’étudier.

Nous ne pouvons sans doute nous flatter de n’avoir commis aucune erreur :
mais notre conscience nous rend ce consolant témoignage que notre œuvre est
l’inspiration du plus pur et du plus ardent amour de l’Humanité.

Abreuvé déjà de calomnies et d’outrages, nous avons besoin de courage pour


braver la haine des partis, peut-être la persécution : mais de nobles et glorieux
examples nous ont appris que l’homme qu’enflamme et qu’entraîne son
dévouement au salut de ses frères doit tout sacrifier à ses convictions ; et quel
que puisse être le sacrifice, nous sommes prêts à l’accepter pour rendre, partout
et toujours, un solennel hommage à l’excellence et aux bienfaits de la doctrine
de la Communauté. » -Étienne Cabet, communiste chrétien français, Voyage en
Icarie, 1840.

« Tous les matins, on me demandait dans la salle du marchand de vin de lire à


haute voix Le Populaire de Cabet » -Martin Nadaud, Léonard, maçon de la
Creuse, Paris, La Découverte, 1998 [1895], p. 90.

1110
« Vastes réseaux de correspondance de Considérant ou de Cabet, réseaux qui
couvraient presque toute la France, et dont les membres joueront, au début de
la Révolution de 1848, un rôle dirigeant dans les événements provinciaux. »

-Jacques Valette, « Alexandrian : Le Socialisme romantique », Romantisme,


Année 1979, 25-26, pp. 245-246.

« Le grand mérite [de Fourier] est d’avoir énoncé comme objectif ultime
[l’abolition du] mode de production lui-même et son dépassement dans une
forme supérieure. » -Karl Marx, Grundrisse, « Fragment sur les machines »,
1857.

« Fourier n'est pas seulement un critique ; sa nature éternellement enjouée fait


de lui un satirique, et un des plus grands satiriques de tous les temps. […]
Fourier, comme on le voit, manie la dialectique avec la même maîtrise que son
contemporain Hegel. » -Engels, L’Anti-Dühring, 1878.

« Le Juif est la plaie de l'Humanité, l'ennemi de toutes les nations. » -Charles


Fourier, cité dans Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre.

« Fourier adapte le stéréotype du « Juif usurier » à l’époque du capitalisme


triomphant et des « progrès de l’esprit mercantile », qui est en même temps celle
de l’émancipation des Juifs. Commis de magasin qui déclarait à trente-cinq ans,
sans modestie, venir « dissiper les ténébres politiques et morale » pour bâtir
« la théorie de l’Harmonie universelle », Fourier, le rêveur de « cités
radieuses », voit dans l’entrée en citoyenneté des Juifs la pire des calamités de
la société industrielle naissante. » -Pierre-André Taguieff, La Judéophobie des
Modernes : Des Lumières au Jihad mondial, Odile Jacob, 2008, p.98-99.

« Que la circulation est inverse, opérée par les intermédiaires nommés


marchands, négociants qui, devenant propriétaires du produit, rançonnent le
producteur et le consommateur, et sèment les désordres dans le système
industriel par leurs menées d'accaparement, agiotage, fourberie, extorsion,
banqueroute, etc. ;

Que la concurrence est inverse, tendant à la réduction des salaires, et


conduisant le peuple à l'indigence par les progrès de l'industrie : plus elle
s'accroît, plus l'ouvrier est obligé d'accepter à vil prix un travail trop disputé ;
et d'autre part plus le nombre des marchands s'accroît, plus ils sont entraînés à

1111
la fourberie par la difficulté des bénéfices. » -Charles Fourier, Le nouveau
monde industriel et sociétaire (1828).

« La température se vicie rapidement; les excès climatériques deviennent


habituels, les régions voient disparaître leurs cultures ancestrales; les saisons
s’inversent; l’hiver surgit au printemps, le printemps arrive en hiver; la
disparition des saisons intermédiaires; la fin des forets; le tarissement des
sources; le déclenchement des ouragans ». -Charles Fourier, Le Nouveau Monde
industriel, 1830.

« L’enthousiaste le plus ardent et le plus excentrique de nos jours, Fourier, est


aussi l’homme qui, tout en croyant marcher vers un avenir indéfini, a reculé le
plus loin dans le passé. Il annonçait un nouveau monde industriel ; on l’a cru
sur parole, on l’a proclamé, comme Saint-Simon, le génie qui venait achever
d’un seul coup l’œuvre de la révolution française. Il a séduit, il devait séduire,
car le grand œuvre de la philosophie n’est point terminé. La révolution a posé
des prémisses, les préfaces de nos codes ont proclamé des principes, qui ouvrent
d’infinis horizons à la libre activité de l’esprit humain. La critique est donc
inévitable, la discussion légale, le mouvement nécessaire ; ni la science des
intérêts ni celle du droit n’ont prononcé leur dernier mot. On veut
malheureusement devancer, brusquer l’œuvre de la raison. De là cette
exaspération de la minorité qui prend le nom de parti social, ce désespoir, cette
impatience, qui se formulent dans les erreurs du communisme. Au milieu de ce
mouvement, que sont devenus les deux chefs des socialistes ? L’effervescence
révolutionnaire leur avait donné des adeptes ; ils avaient fondé deux sectes, et
aujourd’hui le saint-simonisme a disparu, le fouriérisme seul survit. »

« La civilisation se fonde sur la famille et la propriété. La famille renferme


l’homme dans une vie bornée, monotone, souvent odieuse ; elle sacrifie les
enfants, la femme : divisée dans le ménage, elle ne s’unit que pour lutter contre
l’ordre public. La propriété est exposée à l’émeute, aux confiscations, aux
procès, au vol, aux dilapidations : elle ne sert dans la civilisation qu’à
développer cette féodalité que la famille contient en germe. Aussi la famille
jointe à la propriété organise les castes, la guerre du manant et du seigneur. La
tyrannie pousse à la révolte, le peuple s’insurge ; mais il n’échappe à la
féodalité politique que pour tomber sous le joug de la féodalité industrielle. Il
est libre, il est souverain, à la condition de vivre dans les bagnes mitigés de la
grande industrie. L’ordre n’est maintenu que par l’action de la loi, par la
1112
prison, l’échafaud, les baïonnettes : ce sont des esclaves armés qui contiennent
des esclaves désarmés, tandis qu’à l’extérieur le sort des nations est livré à tous
les accidents de la guerre. Bref, la civilisation se réduit à la guerre de tous
contre tous, à une guerre savante, déguisée, souvent hypocrite, toujours terrible.
Ainsi, d’après Fourier, la libre concurrence est l’anarchie de la propriété
industrielle, parfaitement libre de se ruiner, et d’opprimer le travail et le talent.
Le commerce se trouve monopolisé par les marchands, naturellement hostiles
aux intérêts des producteurs et des consommateurs. »

« Les peuples civilisés ne s’accordent que pour déboiser les montagnes, ruiner
les climats, propager les pestes, développer les causes de la guerre universelle.
Plus la civilisation avance, plus elle nous éloigne du bonheur : elle est si
repoussante, dit Fourier, que, malgré ses avantages, elle répugne aux barbares
et aux sauvages. Elle ne fait que réprimer, comprimer, supprimer nos instincts,
elle se réduit à une triple lutte contre la nature, contre l’homme et contre
Dieu. »

« Autant Fourier a outré la critique de la société, autant il exagère l’apologie de


la nature ; dans la civilisation, il ne voit que le mal, comme si elle était l’œuvre
du bourreau ; dans la nature, il ne voit que le bien, comme si elle était le
paradis, il insiste sur une vérité vulgaire, il montre que l’instinct est infaillible,
qu’il est sanctifié sans cesse par le plaisir ; il montre que l’industrie animale est
attrayante, et il en conclut que les instincts, les attractions, sont
proportionnelles aux destinées, et que le bonheur est la vocation de tous les
êtres. Le fait isolé était vrai, la généralisation est démentie par tous les faits. La
nature est ensanglantée sur tous les points ; il est des races qui disparaissent, la
vie se nourrit de la mort ; tout être vivant sort armé des mains de la nature pour
exercer la destruction ; c’est le sacrificateur prédestiné d’une myriade d’êtres
vivants, il ne connaît pas lui-même ses propres victimes. Par une contradiction
fatale, en même temps que l’instinct est proportionnel à la destinée, tous les
instincts sont en désaccord avec toutes les destinées. La guerre est donc
naturelle ; l’opposition, l’antithèse entre la nature et la civilisation est donc
factice. »

« Il s’agit de prouver d’une manière directe et positive que, dans la nouvelle


commune, les paysans, les hommes du peuple, pourront se livrer à l’attrait des
travaux élégants, que les marquises se passionneront pour le blanchissage, que
les comtesses feront la cuisine, que les rois exerceront réellement le métier de
1113
serrurier et de cordonnier. Il s’agit d’utiliser tous les goûts, les plus immondes
comme les plus purs, d’absorber l’humanité dans l’industrie attrayante en lui
faisant oublier toutes les idées actuelles de décence, de distinction ; il s’agit de
trouver une myriade de coïncidences miraculeuses entre les instincts et
l’industrie, de manière à satisfaire toutes les vanités, toutes les ambitions, et si
un seul homme se trouve en dehors des lois de l’attrait, si un seul meurtre est
commis, il y a des geôliers, des supplices, il y a la guerre : le phalanstère est
manqué.

Quelle est donc, nous le répétons, la preuve directe et définitive du phalanstère


? Cette preuve, nous l’avons cherchée en vain dans le principe de l’association,
dans la critique de la société, dans l’apologie de la nature, dans l’apologie des
passions, dans la Providence divine. »

« Tandis que les saint-simoniens exagéraient la révolution, Fourier la niait et la


poursuivait de cyniques insultes. Les saint-simoniens, quelles que soient leurs
erreurs, ont été héroïques d’audace, ils ont inspiré plus de dévouement, plus
d’enthousiasme en deux ans que Fourier en quarante. Tous ont abordé de front
le problème de la nouvelle religion ; ils ont entraîné dans leurs rangs quelques-
uns des hommes les plus distingués de notre génération, et, en rendant le
dernier soupir, ils ont légué au fouriérisme son principe de vitalité, le
socialisme. »

« Il est pénible de voir tant d’efforts prodigués dans une œuvre impossible et le
dévouement mis au service de cette duperie gigantesque du phalanstère ;
puisque les fouriéristes semblent toucher à l’heure du réveil, ils doivent se
résoudre à entendre avec calme de franches félicitations sur leur conversion
prochaine, qui sera hâtée par l’anarchie même de l’école. Que les
phalanstériens attaquent les abus, les vices de la société, l’égoïsme des
conservateurs, rien de plus utile. Que les disciples du magicien s’occupent du
sort des ouvriers, de l’organisation du travail, des réformes administratives,
rien de plus juste : de là au phalanstère, il y a la distance de la terre au ciel, du
possible à l’impossible. » -M. Ferrari, Des idées et de l’école de Fourier depuis
1830, Revue des Deux Mondes, T.11, 1845.

« Le féminisme de Bebel n'est peut-être pas sans rapport avec son admiration
pour Fourier, à qui il consacra aussi un livre. » -Eric Hobsbawm, "Sexe,

1114
symboles, vêtements et socialisme", Actes de la Recherche en Sciences Sociales,
Année 1978, 23, pp. 2-18, note 50 p.17.

« Les idées de réforme sociale radicale et les visions déterministes de l'avenir


harmonieux chez Marx que je rencontre déjà verbatim chez Saint-Simon,
Enfantin, Victor Considerant, Pierre Leroux et autres socialistes romantiques ne
lui sont pas propres non plus. [...] L'idée de substituer la propriété collective
des moyens de production à la propriété privée afin que disparaissent la plupart
des maux sociaux est à coup sûr "dans Marx" mais elle est aussi bien dans
l'Utopia de Thomas More au XVIe siècle -quoique, chez l'humaniste anglais, à
titre de sceptique "expérience mentale" et non de programme positif. Elle est
vieille comme le monde judéo-chrétien et c'est chez les Pères de l'Église que le
chancelier More en a trouvé l'amorce. » -Marc Angenot, L'Histoire des idées.
Problématiques, objets, concepts, méthodes, enjeux, débats, Presse
Universitaires de Liège, coll. Situations, 2014, 392 pages, p.58.

« Les saint-simoniens ont aussi activement contribué aux débats sur la question
coloniale, qui émerge en particulier au moment de la prise d’Alger. Jean-Louis
Marçot, auteur d’une somme sur le sujet, évoque comment le socialisme
naissant a contribué à la diffusion de l’idée coloniale. Selon lui, et même si leurs
avis ont varié selon les écoles de pensée et à l’intérieur de ces écoles, tous les
premiers socialistes se sont prononcés en faveur de la colonisation de l’Algérie.
Ils proposaient, comme alternative à l’invasion militaire de l’Algérie, une
colonisation civile et pacifique. La colonisation par des armées industrielles
représentait une convergence de vues entre saint-simoniens, fouriéristes et
certains communistes comme Théodore Dézamy sur les moyens à mettre en
œuvre dans une démarche colonisatrice. Car l’Algérie se présentait à leurs yeux
comme un vaste champ disponible pour l’expérimentation de leurs idées. Jean-
Louis Marçot souligne aussi le lien qui unit la question coloniale et la question
sociale, car la colonisation est également perçue comme une des solutions
envisagées pour résoudre un des problèmes majeurs de l’époque, celui du
paupérisme. Les premiers socialistes ne se contentèrent pas d’alimenter les
débats dans la presse et de jouer à l’occasion les conseillers auprès du
gouvernement ou de ses édiles, ils passèrent à l’action et partirent dans les terres
algériennes pour mettre leurs idées en pratique et conquérir les territoires, non
par les armes mais par les idées. Ce faisant, pour Jean-Louis Marçot, ils n’en
sont pas moins des pionniers engagés dans l’idée d’« Algérie française », terme

1115
qui se trouve pour la première fois dans l’ouvrage de Prosper Enfantin, La
colonisation de l’Algérie (1843).

Comme l’exprimait Henri Desroche, le désir des réformateurs sociaux


d’expérimenter une nouvelle vie sociale s’inscrivait presque systématiquement
dans une logique particulière de « dynamique de l’exode ». Si l’Afrique du Nord
a incarné pour certains l’attirance des horizons éloignées et le mirage de la terre
vierge, pour d’autres ce sont les espaces neufs des États-Unis qui ont rempli ce
rôle. Grand spécialiste de ces questions, Michel Cordillot nous relate l’histoire
des exilés politiques français qui y émigrèrent entre 1848 et 1871. Il discerne
deux groupes distincts : d’une part les exilés politiques classiques, qui fuyaient
la France pour des raisons idéologiques mais n’avaient pas de projet particulier
aux États-Unis, à part celui de redémarrer leur vie à zéro ; d’autre part ceux que
l’on nommait alors les « utopistes », communistes icariens, fouriéristes, ou
adeptes des idées de Leroux, et qui partaient dans l’idée d’aller créer un
embryon de la société idéale à laquelle ils aspiraient. » -
Nathalie Brémand, « Introduction : « Socialistes utopiques », les mal-
nommés », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 124 | 2014,
mis en ligne le 01 juillet 2014, consulté le 01 mai 2021. URL :
http://journals.openedition.org/chrhc/3659

http://hydra.forumactif.org/t1457-etienne-cabet-voyage-en-icarie#2109

http://academienouvelle.forumactif.org/t7009-constantin-pecqueur#8171

http://www.amazon.fr/Fourier-Le-visionnaire-son-
monde/dp/2213031614/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=5177HSYN12L&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=1TREQ1CTGBK41
2B7B359

http://www.amazon.fr/SOCIALISTES-AVANT-MARX-
TOMES/dp/B005UL4DB6/ref=sr_1_5?s=books&ie=UTF8&qid=1448535596&
sr=1-5&keywords=Gian+Mario+Bravo%2C+Les+Socialistes+avant+Marx

https://www.amazon.fr/Aux-origines-mouvement-ouvrier-
fran%C3%A7ais/dp/2251603263

Clarisse Vigoureux (11 juin 1789 - 13 janvier 1865) : « Les articles de femmes
de la Phalange, où, dit avec quelque exagération la Gazette des Femmes, "les
femmes comptent autant que les hommes", et ceux de la Démocratie pacifique
1116
représentent, eux, le socialisme. Les plus importants sont ceux que Clarisse
Vigoureux, belle-mère de Considérant, fit paraître dans ces deux journaux.
Clarisse Vigoureux prend généralement parti contre le gouvernement dans les
plus importantes questions agitées de son temps. Citons en particulier un
chaleureux appel aux Français pour les engager à défendre la Pologne
opprimée (1846). » -Léon Abensour, "Le féminisme sous la monarchie de
Juillet. Les essais de réalisation et les résultats", Revue d’Histoire Moderne &
Contemporaine, Année 1911, 15-2, pp. 153-176, p.165.

Désirée Gay (1810-1891) et le féminisme sous la Monarchie de Juillet : «


Aucune période en France n’avait permis jusqu’alors une telle explosion de la
parole féminine ; elles prennent conscience de cette radicale nouveauté. » -
Michèle Riot-Sarcey, « « Par mes œuvres on saura mon nom » : l'engagement
pendant les « années folles » (1831-1835) », Romantisme, Année 1992, 77, pp.
37-45.

« Le féminisme qu'on aperçoit en filigrane dans la pratique révolutionnaire de


1789 surgit après 1830. » -Geneviève Fraisse & Michelle Perrot, "Ordres et
libertés", in Geneviève Fraisse & Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en
Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", Perrin, 2002 (1991 pour la première
édition), 765 pages, pp.11-18, p.13.

http://academienouvelle.forumactif.org/t5631-desiree-gay#6678

Adèle de Saint-Amand (17.. – 18..) :

http://academienouvelle.forumactif.org/t5632-adele-de-saint-amand-
proclamation-aux-femmes-sur-la-necessite-de-fonder-une-societe-des-droits-de-
la-femme#6679

Alphonse Toussenel (1803-1885): « Adversaire de l'admission des Juifs "au


droit de cité", Fourier ne se livre cependant qu'à des attaques dispersées dans
son oeuvre. C'est un de ses disciples, Toussenel, qui systématise le thème de
l'anticapitalisme antijuif dans ses Juifs, rois de l'époque, en 1846.
Non sans confusion, Toussenel appelle "Juif" "tout parasite improductif, vivant
de la substance et du travail d'autrui", ce qui l'amène à désigner les protestants,
les Anglais, les Genevois, les Hollandais, comme autant de "Juifs". [...] Le
fantasme du Juif conquérant, dominateur, qui gouvernera bientôt la France est
déjà dans cet ouvrage, "chef-d’œuvre impérissable" aux yeux de Drumont,

1117
auteur de La France juive en 1886. » -Michel Winock, Nationalisme,
antisémitisme et fascisme en France, Éditions du Seuil, coll. Points Histoire,
2014, 506 pages, p.109.

Louis Blanc (1811-1882) et le journal La Réforme : « La concurrence est pour


le peuple un système d'extermination ; elle n'est qu'un procédé industriel au
moyen duquel les prolétaires sont forcés de s'exterminer les uns les autres. » -
Louis Blanc, L’Organisation du travail, 1839.
(1) Louis Blanc, L'Organisation du travail + Histoire de dix ans + Histoire de la révolution française &
autres oeuvres + Le journal La Réforme (forumactif.org)

https://www.amazon.fr/Textes-politiques-1839-1882-Louis-
Blanc/dp/2356870636/ref=sr_1_15?s=books&ie=UTF8&qid=1474709148&sr=
1-15

Victor Considerant (1808-1893) : « Les économistes […] inscrivent sur leur


drapeau laissez faire, laissez passer. Oui, laissez passer le vol, l’agiotage, la
banqueroute, laissez piller, laissez détruire, laissez ruiner, laissez spolier le
corps social tout entier. » -Victor Considerant, Destinées sociales, Paris,
Librairie phalanstérienne, 1847, I, p.61.

Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825): « La société


n’est point une simple agglomération d’êtres vivants, dont les actions,
indépendantes de tout but final, n’ont d’autre cause que l’arbitraire des volontés
individuelles, ni d’autre résultat que des accidents éphémères ou sans
importance ; la société, au contraire, est surtout une véritable machine
organisée dont toutes les parties contribuent d’une manière différente à la
marche de l’ensemble.

La réunion des hommes constitue un véritable ETRE, dont l’existence est plus
ou moins vigoureuse ou chancelante, suivant que ses organes s’acquittent plus
ou moins régulièrement des fonctions qui leur sont confiées.

[…] La politique elle-même, envisagée […] comme une science dont le but est
de procurer la plus grande somme de bonheur à l’espèce humaine, n’est qu’une
physiologie générale pour laquelle les peuples ne sont que des organes
distincts : la réunion de ces organes forme un seul être (L’ESPECE
HUMAINE), à l’accroissement duquel ils sont chargés de contribuer, en
fournissant la part d’action qui dépend de leur nature particulière.
1118
[…] La physiologie est donc la science, non seulement de la vie individuelle,
mais encore de la vie générale, dont les vies des individus ne sont que les
rouages. Dans toute machine, la perfection des résultats dépend du maintien de
l’harmonie primitive établie entre tous les ressorts qui la composent ; chacun
d’eux doit nécessairement fournir son contingent d’action et de réaction ; le
désordre survient promptement quand des causes perturbatrices augmentent
vicieusement l’activité des uns aux dépens de celle des autres.

L’espèce humaine, considérée comme un seul être vivant, est susceptible d’offrir
de semblables irrégularités dans les différentes périodes de son existence. Nous
sommes donc intéressés à étudier la cause de ce dérangement, afin de le
prévenir ou de le faire disparaître si nous avons pu nous opposer à leur
arrivé. » -Saint-Simon, De la physiologie appliquée à l’amélioration des
institutions sociales, 1813.

« L’organisation d’un système bien ordonné […] exige qui les parties soient
fortement liées à l’ensemble et dans sa dépendance. »

« Le maintien de la liberté individuelle ne peut être le but du contrat social. »

-Saint-Simon, Le Système industriel, 1821.

« Le système des saint-simoniens est d'un bout à l'autre autoritaire et


hiérarchique. Les disciples de Saint-Simon ont été si peu choqués par le
césarisme de Napoléon III que la plupart d'entre eux y adhérèrent avec joie,
croyant y voir la réalisation des principes de socialisation économique. » -
Robert Michels, Les partis politiques - essai sur les tendances oligarchiques des
démocraties, 1914.

« Saint-Simon n’apprécie pas la philosophie de Condorcet qui est fondée sur les
Droits de l’homme et sur des institutions politiques démocratiques. C’est toute
la clé du problème. Pour lui, comme pour Comte, cette philosophie est la cause
des désordres sanglants de la Révolution française. L’un et l’autre veulent à
leur tour « terminer la révolution ». Et donc, cherchant une conception plus
propice à l’ordre auquel ils soupirent, ils trouvent dans l’esquisse sous la notion
de progrès, quelque chose que Condorcet n’y avait pas mis, une théodicée
scientiste, démontrant qu’une évolution naturelle emmenait l’homme, volens
nolens, d’étapes en étapes, vers un nouveau type de société, la société
industrielle. » -Jean-Louis Morgenthaler, « Condorcet, Sieyès, Saint-Simon et

1119
Comte », Socio-logos [En ligne], 2 | 2007, mis en ligne le 17 juin 2007, consulté
le 12 avril 2016. URL : http://socio-logos.revues.org/373.

"La Lettre à messieurs les Ouvriers, très significative, car elle indique le
moment où Saint-Simon a commencé à se tourner vers le prolétariat." (p.761)

"En 1817, époque où Saint-Simon a publié ses premiers écrits de réforme


sociale, il n’y avait que deux écoles en présence : d’un côté, l’école
aristocratique et théocratique, l’école de Bonald, De Maistre, l’abbé de
Lamennais, de l’autre, l’école libérale et philosophique, celle de Benjamin
Constant, des écrivains de la Minerve. La première défendait la société de
l’ancien régime et du moyen âge ; la seconde, le XVIIIe siècle et la révolution.
Pour les uns, la société la meilleure et la plus parfaite est celle qui est fondée
sur la hiérarchie sociale et l’unité de croyance : d’une part la protection des
faibles par les forts, organisée dans le régime féodal ; de l’autre, la paix,
l’union des âmes, la charité représentées par l’église. Selon l’école libérale, au
contraire, la domination féodale n’était qu’oppression, et l’empire de la foi
chrétienne, superstition. Le moyen âge avait été une période de barbarie et
d’anarchie. Voltaire était le philosophe de cette école, et Condorcet lui-même,
tout en défendant le principe de la perfectibilité, partageait sur ce point les vues
de Voltaire. L’antiquité grecque et latine, selon les mêmes philosophes, avait été
un temps de culture et de lumières, d’indépendance politique et de gloire
littéraire bien supérieur au moyen âge.

Saint-Simon essaya de s’élever au-dessus de ces deux écoles, et tout en


empruntant à la première ses prémisses, il en tira d’autres conséquences. Ce
qu’il reprochait au XVIIIe siècle, et notamment à Condorcet, c’était d’avoir dit
que les religions avaient toujours été un obstacle au bonheur de l’humanité."
(p.763)

"Cette antithèse perpétuelle entre l’esprit critique du siècle dernier et l’esprit


organisateur que doit avoir le siècle présent, voilà la vue dominante de Saint-
Simon. C’est lui qui a popularisé et répandu dans les écoles socialistes ce terme
« d’organisation, » devenu depuis le symbole caractéristique de toutes ces
écoles. S’il a une idée, c’est celle-là. C’est en se plaçant à ce point de vue qu’il
se rencontre si souvent avec les écoles rétrogrades dans ses critiques du
libéralisme : comme elles, il lui reproche de nier sans affirmer, de détruire sans
1120
rien fonder, de manquer de système, de plans, de vues positives. Il lui reproche
ses défiances excessives envers l’autorité ; lui-même, bien loin de partager ces
défiances, c’est au pouvoir, c’est à la royauté qu’il s’adresse pour opérer ses
réformes, lui rappelant l’antique alliance du roi et des communes contre le
régime féodal, et demandant à Louis XVIII de se mettre à la tête du système
industriel.

C’est un fait important à signaler que le socialisme du XIXe siècle, à son


origine, n’a eu aucune accointance avec l’esprit révolutionnaire, et même s’est
présenté en opposition avec lui. Nulle liaison en effet entre Saint-Simon et les
démagogues de 93 : pendant la révolution, on ne voit pas qu’il ait été préoccupé
de théories sociales ; il a manqué même d’être une des victimes de la terreur. Si
on lui eût dit que certaines de ses idées pouvaient bien aboutir un jour ou
l’autre à quelque chose de semblable au babouvisme, il en eût été fort étonné, et
certainement révolté. On peut trouver dans ses écrits des rêves, des conceptions
hardies, mais pas un mot d’esprit de révolte, de haine sociale, de passion
démagogique. C’est au contraire le sentiment de l’ordre social, de la hiérarchie
et des nécessités du pouvoir qui l’inspire partout." (p.765)

"Le socialisme de Saint-Simon se distingue de celui du XVIIIe siècle, celui de


Jean-Jacques, de Mably, de Saint-Just. Le communisme du XVIIIe siècle était né
d’une admiration mal éclairée des républiques de l’antiquité et en particulier
des institutions de Sparte. Il était porté à considérer la richesse comme un mal,
comme un principe corrupteur et désordonné, par conséquent l’industrie et le
commerce comme des institutions plus ou moins funestes. Montesquieu lui-même
semble donner raison à ces préjugés lorsqu’il nous dit que les républiques
doivent reposer sur la frugalité, lorsqu’il loue les impôts somptuaires, et
approuve les mesures antiques qui avaient établi l’égalité des biens. En un mot,
l’idée d’un certain âge d’or antérieur à la civilisation, le rêve d’une vie
patriarcale, agricole, sans arts, sans luxe, sans industrie, sans commerce, voilà
ce que Saint-Just dans ses Institutions républicaines appelait « le bonheur
commun, » et, quoique grossièrement interprétées par le dernier disciple de
l’école, Babœuf, c’étaient bien là cependant les idées favorites de ses deux
maîtres, Rousseau et Mably.

Tout autres et profondément différentes dans leur principe sont les idées de
Saint-Simon. Ce n’est pas dans la littérature classique mal entendue, c’est dans
1121
l’économie politique qu’il faut chercher l’origine de son socialisme. Ce sont les
économistes, c’est Adam Smith et Jean-Baptiste Say, dont il se déclare le
disciple, qui lui ont inspiré ses vues sur le rôle prépondérant de l’industrie. Bien
loin de faire la guerre au luxe et à la richesse, c’est au contraire
l’accroissement de la richesse publique qu’il se propose : son idéal n’est pas
une république militaire comme celle de Sparte, c’est une république
industrielle et commerçante, l’agriculture n’étant elle-même à ses yeux qu’une
industrie." (p.766)

"La liberté, selon Saint-Simon, n’est pas un but : « On ne s’associe pas pour
être libres. » Autant vaudrait rester isolés. On s’associe pour la chasse, pour la
guerre, pour une œuvre déterminée. C’est à quoi l’école libérale ne pense pas.
La liberté en réalité n’est ni un but, ni un moyen ; elle est un effet. Elle résulte
du développement progressif de l’humanité ; chacun est plus libre à mesure
qu’il est plus puissant et qu’il a plus de moyens d’action sur la nature." (p.767)
-Paul Janet, "Le Fondateur du socialisme moderne - Saint-Simon", Revue des
Deux Mondes, 3e période, tome 14, 1876, pp. 758-786.

« La concentration de toute l'activité économique et sociale dans l'Etat dirigé


par les possesseurs de la science commence avec le système de Saint-Simon.
Selon Georg Iggers dans son étude sur la genèse intellectuelle de l'esprit du
totalitarisme, The Cult of Authority: The Political Philosophy of the Saint-
Simonians, Saint-Simon doit être vu comme le précurseur d'un Etat
monopolistique et planiste [...] projet qui revenait à un rejet de principe de toute
forme de démocratie. [...]
Il y a, de fait, dans le système prôné par Saint-Simon, tous les éléments d'une
vision totalitaire du social où science, morale, politique, art et religion doivent
se confondre en un système cohésif, où l'Etat tout puissant devient aussi une
Église qui sera dirigée par un "clergé" savant, industriel et artistique, par des
savants-prêtres.
L'avènement des saines doctrines positivistes exigera, selon le discipline non
moins dirigiste et ex-secrétaire de Saint-Simon, Auguste Comte, l'instauration
d'une "dictature rationnelle" dont la première tâche sera de "hâter l'extinction
du parlementarisme". [...]
L'idée marxiste de Dictature du prolétariat n'est qu'un avatar de ces projets
autoritaires. » -Marc Angenot, L'Histoire des idées. Problématiques, objets,

1122
concepts, méthodes, enjeux, débats, Presse Universitaires de Liège, coll.
Situations, 2014, 392 pages, p.269-270.

https://www.amazon.fr/Saint-Simon-lutopie-raison-Olivier-
P%C3%A9tr%C3%A9-
Grenouilleau/dp/2228894338/ref=sr_1_13?s=books&ie=UTF8&qid=152640305
1&sr=1-13&keywords=Saint-Simon

Auguste Comte (1798-1857) et le positivisme : « La philosophie positive se


distingue surtout de l’ancienne philosophie, théologique ou métaphysique, par
sa tendance constante à écarte comme nécessairement vaine toute recherche
quelconque des causes proprement dites, soit premières, soit finales, pour se
borner à étudier les relations invariables qui constituent les lois effectives de
tous les événements observables, ainsi susceptibles d’être rationnellement
prévus les uns d’après les autres. » -Auguste Comte, Cours de philosophie
positive (1830-1842), 58 ème leçon.

« Le positivisme n’admet que des devoirs, chez tous et envers tous. Car son
point de vue toujours social ne peut comporter aucune notion de droit,
constamment fondée sur l’individualité. Nous naissons chargés d’obligations de
toute espèce, envers nos prédécesseurs, nos successeurs, et nos contemporains.
Elle ne font ensuite que se développer ou s’accumuler avant que nous puissions
rendre aucun service. Sur quel fondement humain pourrait donc s’asseoir l’idée
de droit, qui supposerait raisonnablement une efficacité préalable ? Quels que
puissent être nos efforts, la plus longue vie bien employée ne nous permettra
jamais de rendre qu’une portion imperceptible de ce que nous avons reçu. Ce ne
serait qu’après une restitution complète que nous serions dignement autorisées
à réclamer la réciprocité des nouveaux services. Tout droit humain est donc
absurde autant qu’immoral. Puisqu’il n’existe plus de droits divins, cette notion
doit s’effacer complètement, comme purement relative au régime préliminaire,
et directement incompatible avec l’état final, qui n’admet que des devoirs,
d’après des fonctions. » -Auguste Comte, Catéchisme positiviste, 1852.

"A propos de l'humanité, Comte disait qu'il n'y avait lieu d'établir réellement,
entre elle et l'animalité "aucune différence essentielle que celle du degré plus ou
moins prononcé que peut comporter le développement d'une faculté,
nécessairement commune, par sa nature, à toute vie animale". La "fameuse
définition scolastique de l'homme comme animal raisonnable" était par

1123
conséquent, selon lui, "un véritable non-sens" [A. Comte (1837), Cours de
philosophie positive, t.1, leçon 45, Paris, Hermann, 1998, p.858-859]. […]
Le positivisme comme système entretenait le projet de transformer la
philosophie en une synthèse des sciences." (p.103)

« La nature humaine apparaît ainsi dans la perspective positiviste comme


abstraction qui ne trouve que des objectivations particulières, en fonction des
formes sociales qui la produisent : c’est un ensemble de relations
historiquement variables entre l’organisme humain et le milieu. C’est la leçon
de Comte. » (p.108)
-Nathalie Bulle, L’école et son double. Essai sur l’évolution pédagogique en
France, Paris, Hermann, coll. Savoir et pensées, 2010, 338 pages.

« J’ai lu à Jérusalem un livre socialiste (Essai de philosophie positive par


Auguste Comte) (…) c’est assommant de bêtise. Il y a là-dedans des mines de
comiques immenses, des Californies de grotesque. Il y a peut-être autre chose
aussi. Ça se peut » -Gustave Flaubert, Lettre à Bouilhet du 4 septembre 1850.

« Ce que rêvait Comte, c'était en effet une véritable organisation, comme la


comprennent les partisans de l'autorité ; les croyances du public en matière de
science et, plus encore, le travail de recherche des savants eux-mêmes, devaient
être strictement réglés et surveillés par un corps constitué, composé d'hommes
jugés compétents et armés de toutes les rigueurs du bras séculier. Cette
réglementation devait, bien entendu, comme c'est le cas, partout et toujours, de
toute réglementation, consister principalement en interdictions, et Comte a tracé
d'avance le programme de quelques-unes d'entre ces dernières. Défense de se
livrer à des investigations autres que « positives », c'est-à-dire ayant pour objet
la recherche d'une loi ; défense de toute tentative visant à pénétrer des
problèmes que l'homme, manifestement, n'avait aucun intérêt à connaître et qui,
d'ailleurs, pour cette raison même, devaient rester entièrement impénétrables à
son esprit, tels que, par exemple, la constitution chimique des astres […]. »

-Émile Meyerson, La Déduction relativiste, § 253, Payot, paris, 1925.

« On sait quel magnifique éloge Auguste Comte fait du XIIIe siècle : âge
organique par excellence qui a réalisé l’unité spirituelle, la véritable catholicité.
Vers ce siècle se tourne le rêve de tous ceux qui jugent impossible toute paix
sociale sans le fondement d’une foi commune qui dirige la pensée et l’action et
se subordonne la philosophie, l’art et la morale. » -Émile Bréhier, Histoire de la
1124
philosophie, "Les classiques des sciences sociales" (à partir de Librairie Félix
Alcan, Paris, 1928, 788 pages), p.424.

« J’étudie maintenant accessoirement Comte, parce que les Anglais et les


Français font tant de bruit autour de ce type. Ce qui les séduit dans son œuvre,
c’est le caractère encyclopédique, la synthèse. Mais comparé à Hegel, c’est bien
piteux…Dire que ce piètre positivisme fit son apparition en 1832 ! » -Karl Marx,
à Friedrich Engels, lettre du 7 juillet 1866, cité par Maximilien Rubel, in Karl
Marx, Œuvres, t.I, Gallimard, 1963, p.1663.

« L’école apologétique de Comte usurpa la succession des Encyclopédistes


intransigeants et tendit la main à tout ce contre quoi ceux-ci avaient lutté jadis.
» -Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La Dialectique de la Raison.
Fragments philosophiques, Gallimard, coll. Tel, 1974 (1944 pour la première
édition allemande), 281, p.14.

« Un de ses plus grands torts est de ne laisser aucune question ouverte. » -John
Stuart Mill, à propos d’Auguste Comte.

« Auguste Comte peut être inscrit parmi les théoriciens de la contre-révolution.


» -Jacques Prévotat, « La culture politique traditionaliste », chapitre 2 in Serge
Bernstein (dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire
», 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages, pp.38-72, p.42.

« Auguste Comte élabore, à la suite de ses prédécesseurs depuis Turgot, une


science de l'histoire dans sa "Dynamique sociale ou Traité général du progrès
humain" qui forme le volume III du Système politique. La science de l'histoire
de l'histoire, comme toute science, a pour tâche de découvrir des "lois" -et la
Loi fondamentale est celle du progrès. L'histoire en cours permet de vérifier
constamment celle-ci. C'est précisément en quoi Comte peut parler d'une
science qu'il a personnellement "découverte": "Notre appréciation historique de
l'ensemble du passé humain constitue évidemment une vérification décisive de la
théorie fondamentale d'évolution que j'ai fondée et qui, j'ose le dire, est
désormais aussi pleinement démontrée qu'aucune autre loi essentielle de la
philosophie naturelle" [Cours de philosophie positive, VI, p.457]. [...]
Le sujet du récit du progrès, le héros du récit, c'est l'Humanité. Tous les termes
de ce récit à plusieurs mains sur la progression continue, la perfectibilité,
l'évolution par stades, la disparition "progressive" des vices sociaux et la fin
heureuse de l'histoire ne sont là que pour rendre raison d'un sujet et narrer sa
1125
"marche en avant" vers un havre ultime, l'Humanité. Le progrès est une
destinée. L'Humanité comme sujet et destinataire des systèmes historiques
totaux, des "millénarismes" post-religieux, tel est le noyau doctrinal commun
aux saint-simoniens, aux phalanstériens, aux icariens et autres communistes de
la Monarchie de Juillet, à Pierre Leroux, à Colins de Ham et à Constantin
Pecqueur, à Victor Hugo comme à Michelet, comme à Auguste Comte et aux
positivistes. C'est le fétiche idéologique indivis des hommes de bonne volonté du
XIXe siècle. Dieu avait créé l'homme à son image ; le siècle positiviste tire de
l'homme "empirique" un avatar transcendant qu'il substitue à l'image de Dieu.
Le Christ avait été crucifié pour le salut du genre humain, le siècle moderne
allait montre le genre humain réalisant par ses sacrifices et ses efforts son salut
ici-bas -accomplissement, scientifiquement prévu désormais, des "lois de
l'histoire". Auguste Comte théorise verbatim cette transposition sécularisatrice:
le christianisme n'avait fait que "préfigurer" le concept positif d'Humanité. Le
progrès rendait inutile l' "hypothèse Dieu", il était une providence immanente.
Dans la gnose progressiste, l'homme-individu n'est pas dès lors un atome isolé
et il n'a pas de destinée propre ; il doit se voir comme un "anneau" dans une
chaîne immense. L'Individu n'a pas de consistance autonome si je puis dire, les
véritables unités sont la famille, puis la nation, puis l'Humanité. On ne définira
plus dès lors l'humanité par l'homme, mais l'homme-individu par son rôle dans
et pour l'Humanité. L'Humanité est cet être collectif composé de la multitude des
êtres individuels qui ne sont que l'humanité en germe, qui ne sont que des
"organes du Grand Etre" [Discours préliminaire au Système de politique
positive, I, 363]. [...]
Chez Comte, toutefois, comme chez la plupart des penseurs du siècle, l'humanité
en progrès se limite à l'Occident. [...]
Le progrès est une marche vers la perfection finale d'un monde ultimement
délivré du mal, mais, en termes plus exacts, dans une pensée de l'Aboutissement,
il est la progression vers l' "état normal" de l'homme (c'est encore l'expression
de Comte). » (p.130-131)
-Marc Angenot, L'Histoire des idées. Problématiques, objets, concepts,
méthodes, enjeux, débats, Presse Universitaires de Liège, coll. Situations, 2014,
392 pages.

« Lorsque Comte critique l’état métaphysique, il ne s’en prend nullement à une


période abstraite mais vise singulièrement le travail des Encyclopédistes, et de
ceux qui à la veille de la Révolution Française ont transformé le travail critique
1126
de ces Encyclopédistes en un nouveau système politique. Pour lui, ils sont tous
responsables des dérapages sanglants de la Révolution. Il vise explicitement
Rousseau, le théoricien de la volonté générale, Il vise d’Holbach, auteur en
1773 d’un traité précurseur « le système social », Helvétius, Condorcet, les
théoriciens athées d’une société sans religion et, de son point de vue, sans
morale. Il vise Sieyès, le théoricien infatigable mais, selon lui, vain, des
constitutions révolutionnaires successives. Il vise Turgot et les physiocrates. Il
n’aime ni l’économie, ni les statistiques, ni les droits de l’homme qui vont
avec. »

« Alors que Condorcet exprimait l’idée que les hommes peuvent s’appuyer sur
une connaissance scientifique de la société pour maîtriser leur présent et leur
avenir, le positivisme exprime l’idée exactement inverse selon laquelle les
hommes n’ont pas de prise sur les lois inéluctables de l’évolution de l’histoire.
D’une vision constructive et humaniste de la science sociale, l’anamorphose de
Saint-Simon, reprise et développée par Auguste Comte, faisait basculer celle-ci
dans le déterminisme historiciste. » -Jean-Louis Morgenthaler, « Condorcet,
Sieyès, Saint-Simon et Comte », Socio-logos [En ligne], 2 | 2007, mis en ligne
le 17 juin 2007, consulté le 12 avril 2016. URL : http://socio-
logos.revues.org/373.

"En somme, les penseurs français de la première moitié du XIXe siècle furent
conduits à considérer l'homme comme un être social, à insister sur les facteurs
sociaux qui constituent la matière première de la personnalité et expliquent en
dernier ressort que la société n'est pas réductible à une construction artificielle
à base d'individus. […] Il y a donc ici, et en particulier dans le surgissement
parallèle et partiellement conjoint de la sociologie et du socialisme en France,
bien davantage et tout autre chose qu'une conséquence de la révolution
industrielle." -Louis Dumont, Essais sur l'individualisme. Une perspective
anthropologique sur l'idéologie moderne, Paris, Le Seuil, coll. Point, 1985
(1983 pour la première édition), 314 pages, p.132.

http://hydra.forumactif.org/t2094-henri-gouhier-la-vie-d-auguste-comte#2805

http://www.amazon.fr/Figures-savoir-num%C3%A9ro-18-
Comte/dp/2251760261/ref=sr_1_82?s=books&ie=UTF8&qid=1458751273&sr=
1-82&keywords=Figures+du+savoir

1127
http://www.amazon.fr/Philosophie-positiviste-Leszek-
Kolakowski/dp/2282301390/ref=sr_1_10?ie=UTF8&qid=1458657662&sr=8-
10&keywords=La+Philosophie+positiviste

http://www.amazon.fr/Auguste-Comte-politique-Juliette-Grange-
ebook/dp/B01D3WQHZS/ref=sr_1_15?ie=UTF8&qid=1458657841&sr=8-
15&keywords=auguste+comte

http://hydra.forumactif.org/t1993-emile-littre-conservation-revolution-et-
positivisme#2696

Antoine-Augustin Cournot (1801-1877) : « Cournot distingue deux catégories


de sciences, sciences théoriques et sciences historiques. D'une part, nous
organisons le système des lois selon lesquelles s'enchaînent les phénomènes,
d'autre part nous remontons de l'état actuel de l'univers aux états qui l'ont
précédé et nous tâchons de reconstituer l'évolution.
Cette opposition, au premier abord, est claire et nous pouvons lui donner une
première signification, en faisant abstraction du concept fondamental de
Cournot, l'ordre. En effet, supposons qu'une pierre tombe : ou bien nous
envisageons le fait comme susceptible de répétition afin d'analyser les lois selon
lesquelles tombent tous les corps (soit à la surface de la terre, soit même en tout
lieu) ; ou bien, au contraire, nous nous attacherons aux caractères singuliers de
cette chute, la pierre est tombée de tel rocher, tel mouvement en a été cause, etc.
Plus nous nous rapprocherons du concret absolu, de cette chute localisée,
décrite exactement, moins l'événement sera séparable de l'ensemble spatio-
temporel auquel il appartient, moins il sera légitime de discerner singularité
(qualitative) et unicité (temporelle). Car les caractères singuliers de l'événement
ne s'expliquent que par toutes les circonstances qui l'ont conditionné. [...]
Cette première définition, en tout état de cause, est insuffisante. Le réel passé ne
représente pas le but de la construction scientifique, il ne suggère pas l'idée
d'une discipline achevée. Au reste, cette définition ne coïncide pas avec la
pensée de Cournot, car celui-ci n'oppose pas l'une à l'autre deux directions de
la recherche, pas davantage le donné sensible aux lois, il sépare deux secteurs
différents de l'univers, la nature et le monde (cosmos). Toute succession n'est
pas historique, il faut encore qu'elle ne s'explique pas intégralement par des
lois. Le fait historique est, par essence, irréductible à l'ordre: le hasard est le
fondement de l'histoire.
On connaît la définition du hasard que propose Cournot: rencontre de deux
1128
séries indépendantes ou rencontre d'un système et d'un accident. Qu'une tuile
soit décrochée d'un toit par le grand vent est intelligible en fonction de lois
connues, que telle personne passe sous le toit pour se rendre sur la personne est
une rencontre à la fois nécessaire et irrationnelle. Nécessaire, puisqu'elle
résulte des déterminismes qui gouvernent les séries ; irrationnelle, puisque,
même pour un esprit divin, elle n'obéit à aucune loi. [...] Ainsi l'histoire
s'intéresse aux événements essentiellement définis par leur localisation spatio-
temporelle, au contraire les sciences théoriques établissent des lois, abstraites
du réel et valables pour des ensembles isolés. Nous aboutissons ainsi à un
deuxième concept d'histoire : non plus l'univers concret dans son devenir, mais
les événements qu'on appellera accidents, hasards ou rencontres, qui se
produisent plutôt qu'ils ne sont et qui échappent définitivement à la raison. » -
Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire. Essai sur les limites
de l'objectivité historique, Gallimard, 1986 (1938 pour la première édition), 521
pages, p.19-20.

http://academienouvelle.forumactif.org/t955-antoine-augustin-cournot-traite-de-
l-enchainement-des-idees-fondamentales-dans-les-sciences-et-dans-l-histoire-
essai-sur-les-fondements-de-nos-connaissances-et-sur-les-caracteres-de-la-
critique-philosophique-materialisme-vitalisme-rationalisme#1572

Pierre Leroux (1797-1871) : « On peut faire un portrait également hideux et


vrai de l’homme à l’état d’individualité absolue et de l’homme à l’état
d’obéissance absolue. Le principe d’autorité, même déguisé sous le beau nom
de dévouement, n’est pas meilleur que le principe de l’égoïsme, se cachant sous
le beau nom de liberté.

Aussi repoussons-nous de toutes les forces de notre âme le catholicisme sous


tous ses déguisements et sous toutes ses formes, qu’il se rattache encore, par je
ne sais quelles puériles espérances, aux vieux débris qui sont à Rome avec les
ruines de tant de siècles, soit que, par je ne sais quelle escobarderie, il prétende
s’incarner à neuf dans Robespierre, devenu le légitime successeur de Grégoire
VII et de l’Inquisition. En même temps, nous regardons comme un fléau, non
moins funeste que le papisme, l’individualisme actuel, l’individualisme de
l’économie politique anglaise, qui, au nom de la liberté, fait des hommes entre
eux des loups rapaces, et réduit la société en atomes, laissant d’ailleurs tout
s’arranger au hasard, comme Épicure disait que s’arrangeait. Pour nous, les

1129
théories papales en tout genre et les théories individualistes de toute espèce sont
également fausses. »

« Vous êtes amené avec Rousseau à penser : « Le souverain peut tout ; il est
omnipotent ; chaque citoyen lui a remis ses pouvoirs » […] Voilà où vous
conduit le sentimet de l’égalité. […] La loi ne sere jamais que l’expression de la
majorité, et un fait de domination de la majorité sur cette minorité. […]
L’homme ne peut remettre aux mains de l’Etat ni sa pensée, ni son amour, ni ses
amitiés, ni la direction de son travail, ni le fruit de son travail, en un mot une
multitude d’actes qui constituent sa personnalité. » -Pierre Leroux, De
l’individualisme et du communisme, 1834.

« Il y a deux « ciel ». Un ciel absolu / … / Et un ciel relatif, non permanent mais


progressif, qui est la manifestation du premier dans le temps et dans l’espace. »
-Pierre Leroux, De l’humanité, 1840.

« J’ai porté la République dans le Socialisme et le Socialisme dans la


République. » -Pierre Leroux, « Comment délivrer la France de la tyrannie »,
L’Espérance, 1858, p.170.

"Né en 1797, Pierre Leroux était entré en 1821 dans la Charbonnerie, « cette
grande conspiration du libéralisme adolescent ». Puis il prit part à la rédaction
du Globe, qu’il avait fondé en 1824 et qu’il céda aux saint-simoniens après la
révolution de 1830. Mais ce n’est qu’à partir de 1832, après sa rupture avec les
saint-simoniens, qu’il acquit aux yeux de ses contemporains une stature
intellectuelle originale et prit rang parmi les grands apôtres du progrès
démocratique et social : dès lors, de la Revue encyclopédique à l’Encyclopédie
nouvelle, puis à la Revue indépendante et à la Revue sociale, il est aisé de
suivre dans sa continuité le développement de sa pensée. [...]

Le Globe, qui fut l’un des périodiques les plus en vue de la Restauration, est
encore célèbre aujourd’hui pour avoir défendu, en littérature, la cause du
romantisme, vulgarisé en philosophie l’éclectisme de Victor Cousin, soutenu en
politique les principes du libéralisme."

"On sait qu’après de brillantes études au lycée de Rennes il avait eu l’ambition


d’entrer à l’Ecole polytechnique : la pauvreté de sa famille le contraignit à y
renoncer, et il se fit ouvrier typographe. Dès 1817, il avait conçu un procédé
typographique nouveau dont il attendait, pour le bien de l’humanité, des

1130
progrès décisifs dans la diffusion des connaissances et des idées. C’est peu de
temps après, si l’on en croit son propre témoignage, qu’il forma un autre projet
: fonder un journal « qui tiendrait ses lecteurs au courant de toutes les
découvertes faites dans les sciences et dans toutes les branches de l’activité
humaine, chez les principales nations ». Il en arrêta dans son esprit le titre —
Le Globe — et, jugeant que l’Angleterre était « le pays qu’il fallait étudier
avant de créer un tel journal », il fit un voyage en Angleterre. A son retour, en
1821, il entra dans une vente de carbonari où il retrouva d’anciens condisciples
du lycée de Rennes : Paul-François Dubois, le docteur Roulin, et le beau-frère
de celui-ci, Alexandre Bertrand, qui devint son ami intime.

Mais l’adhésion au carbonarisme, loin de détourner Leroux des grands projets


qu’il avait conçus, allait l’y ramener. Dès 1822, l’échec des complots militaires
provoquait chez un grand nombre de jeunes carbonari une crise de conscience
au terme de laquelle, renonçant à la perspective d’un bouleversement politique
immédiat et aux méthodes des sociétés secrètes, ils reportèrent leurs espérances
sur un autre terrain : celui de la lutte d’idées, du lent et patient effort pour
éclairer les esprits, enfin de la recherche spéculative d’une solution future aux
problèmes posés par la crise politique et sociale."

"Leroux demanda une entrevue à Lafayette, lui exposa ses vues et sollicita son
soutien : il fut courtoisement éconduit. Un an plus tard (1823), son esprit
travaillant toujours, il était prote chez l’imprimeur Cellot lorsque celui-ci prit
comme associé Alexandre Lachevardière, puis lui céda son fonds.
Lachevardière était un ancien camarade d’apprentissage de Leroux : jeune,
riche, entreprenant, très attentif aux nouveautés lancées par les éditeurs
anglais, il accepta d’engager ses capitaux dans la fondation du Globe Sur ce
qu’il advint alors on dispose de divers témoignages, dont celui de Leroux lui-
même. Mais les récits les plus détaillés se trouvent dans les Souvenirs de Paul-
François Dubois, qui restent en grande partie inédits. « Avec sa promptitude
hasardeuse », écrit Dubois, Leroux passa aussitôt à l’exécution : il s’assura la
collaboration de deux traducteurs — l’un pour l’anglais, l’autre pour
l’allemand — et leur fit faire « un nombre considérable d’extraits et de
nouvelles » tirés des publications étrangères18. Puis, ne sachant trop comment
mettre en œuvre ces matériaux, il alla trouver Paul-François Dubois et lui
demanda son concours.

1131
Professeur de rhétorique, ancien élève de l’Ecole normale, Dubois avait été
chassé de l’Université trois ans plus tôt ; il avait quelque expérience du
journalisme, et, en attendant mieux, vivait de divers travaux de plume : il
accepta, et se chargea de constituer la rédaction du nouveau journal ; mais il
s’en réserva expressément le contrôle et la direction20. Il fit aussitôt appel à ses
amis de l’Université et à quelques jeunes publicistes de sa connaissance, qui
acceptèrent de collaborer à son entreprise. Leroux, de son côté, fit entrer dans
la rédaction son ami Alexandre Bertrand. Le premier numéro du Globe parut le
15 septembre 1824."

"Il serait tout à fait gratuit de supposer, en 1824, une inspiration saint-
simonienne chez Leroux : ce qu’on retrouve bien plutôt dans sa conception
du Globe, c’est l’expérience du typographe, témoin de l’expansion rapide de la
librairie et de la presse depuis 1815, témoin et acteur manqué, si l’on peut dire,
de l’entrée de l’imprimerie dans l’ère industrielle. Cette expansion sans
précédent avait de quoi frapper les imaginations : en multipliant la circulation
des richesses intellectuelles, elle élargissait l’horizon de la pensée. Une ère
nouvelle s’ouvrait ainsi, que l’optimisme libéral saluait avec enthousiasme."

"Pour ce qui est du contenu du journal, le prospectus, rédigé par Dubois et


reproduit dans le premier numéro, insiste surtout sur la critique littéraire et sur
la nécessité de son renouvellement. Mais il annonce aussi que Le
Globe donnera « toutes les nouvelles étrangères, littéraires, industrielles ou
morales », et vante l’utilité qu’il y a à « propager dans un pays la connaissance
de tous les autres ». En fait, jusque vers le mois de novembre 1824, les grands
articles littéraires restent assez rares : les nouvelles scientifiques,
géographiques et industrielles, principalement empruntées aux journaux
anglais, les extraits d’ouvrages étrangers occupent la plus grande place.
Alexandre Bertrand publie de nombreux articles scientifiques où il s’efforce, dit-
il, de rendre « populaires » les résultats des sciences ; et dès le 16 octobre 1824,
il donne son premier compte rendu des séances de l’Académie des Sciences."

"Villermé, membre de l’Académie de Médecine, dont Bertrand avait présenté les


travaux sur la mortalité des indigents, expose lui-même dans Le Globe les
résultats d’une enquête statistique sur les enfants trouvés."

"Vint alors, en effet, le temps de la « politique » : Le Globe s’engagea sur ce


terrain dès 1827, lors de la discussion de la loi « de justice et d’amour », et plus

1132
nettement encore après les élections de novembre 1827 et la chute du ministère
Villèle. En août 1828, la nouvelle loi sur la presse lui permit de devenir un
journal « philosophique, politique et littéraire ». Dès lors la partie
documentaire, sans tout à fait disparaître, s’amenuisa encore ; les discussions
parlementaires, les combinaisons ministérielles examinées et commentées dans
l’esprit d’un sage libéralisme, donnèrent au Globe sa couleur et rétrécirent son
horizon à leur mesure : les vastes espérances de Leroux paraissaient
définitivement oubliées."

"Cet homme qui agitait en lui tant de pensées, et qui aurait pu être l’âme du
journal, n’en était que la « cheville ouvrière » : rôle sans doute indispensable
mais évidemment subalterne. [...] Sa pauvreté, son genre de vie et son caractère
l’isolaient des autres rédacteurs ; il n’avait de relations d’amitié qu’avec
certains d’entre eux : Bertrand d’abord, puis à un moindre degré Damiron et
Dubois, plus tard Sainte-Beuve et Roulin ; en revanche, il ne sympathisait guère
avec les doctrinaires — Guizot, Rémusat et leurs amis — qui dominèrent la
rédaction politique du Globe à partir de 1828."

"Tout semble indiquer que Leroux, dans la partie documentaire du Globe, se


chargeait des chroniques consacrées au monde extra-européen, au monde
asiatique surtout [...] série d’études consacrées au régime politique et social de
la Turquie, sur laquelle l’insurrection grecque appelait alors l’attention."

"Leroux accorda une large place, dans la partie documentaire du Globe, aux
questions de l’instruction populaire et de la vulgarisation des résultats des
sciences, conçues comme un instrument essentiel de l’amélioration du sort des
classes laborieuses : nous avons sur ce point un témoignage de Michelet, et
celui de Leroux lui-même, qui, dans sa « profession de foi saint-simonienne »,
évoque les documents qu’il publiait sur « l’instruction primaire aux frais de
l’état » et sur « l’émancipation des artisans ». Leroux fait allusion également à
des études « sur les essais divers de système coopératif et sur une foule d’autres
sujets » : par ces études et par ces documents, précise-t-il, il avait « sourdement
lutté contre les doctrines économiques d’indifférence et de laisser faire
professées dans des colonnes plus officielles ». Mais peut-être a-t-on exagéré
parfois la portée de ce témoignage. [...] Leroux, en 1831, est avant tout soucieux
d’illustrer la « logique » qui l’a conduit à adhérer au saint-simonisme : il insiste
donc sur les « pressentiments » qui l’y avaient secrètement poussé. Mais il a

1133
toujours affirmé que la question sociale, pour lui, ne s’était posée dans toute son
ampleur et dans son « invincible clarté » qu’après la révolution de juillet."

"Dès 1827 Leroux était en relations avec des libéraux belges, notamment avec
Auguste Baron, correspondant du Globe à Bruxelles. Il fit un peu plus tard un
voyage en Belgique, où il se lia avec Charles Rogier, l’un des futurs chefs de la
révolution belge de 1830, et avec d’autres collaborateurs du Politique, journal
libéral de Liège. La date de ce voyage reste incertaine, mais on peut supposer
qu’elle précède de peu la publication, dans Le Globe, des deux articles de
Leroux sur la « crise » des Pays-Bas (novembre-décembre 1828). Par la suite,
Leroux apparaît au Globe comme le spécialiste des affaires belges : en 1829, il
promet d’écrire un article sur le procès fait à Louis De Potter, l’un des chefs de
l’opposition libérale en Belgique, ainsi qu’un compte rendu de deux brochures
politiques dues à ce publiciste. Cette promesse ne semble pas avoir été tenue.
Mais en 1830 Le Globe, devenu journal quotidien, donne de nombreuses
informations sur le conflit qui oppose les libéraux et les catholiques belges au
roi Guillaume."

"En ces années d’apprentissage Leroux a beaucoup écrit et beaucoup lu ; que


loin de s’enfermer dans une spécialité, il s’est intéressé à une foule de
problèmes. [...] Homme harcelé de soucis matériels et de besognes : tandis que
d’autres jouissaient des nobles loisirs de l’esprit, il corrigeait des épreuves, ou
cultivait des champignons dans les carrières de Montrouge pour nourrir sa
nombreuse famille."

"On sait qu’il fut entre 1824 et 1829 l’un des organisateurs des banquets
bretons, qui chaque année rassemblaient les bleus de Bretagne habitant Paris,
et entretenaient parmi eux la fidélité aux idées de la Révolution. Certains ont
cru à cette époque que Leroux était d’origine bretonne, ce qui est faux. Mais la
méprise est significative : Leroux restait étranger à la société parisienne, et se
mêlait volontiers à ces provinciaux déracinés. [...] En Bretagne, et plus
généralement dans l’Ouest, la Charbonnerie avait recruté des adeptes
particulièrement nombreux, non seulement dans la « classe moyenne » mais
aussi dans les couches populaires des villes. D’où un vivace esprit « républicain
», qui prolongeait directement la tradition, encore toute récente, des luttes
contre la chouannerie. C’est dire que la Charbonnerie bretonne différait
sensiblement du carbonarisme élitaire, bourgeois, précocement tenté par les
intrigues orléanistes, qui caractérisait les états-majors parisiens.
1134
Si l’on en croit le témoignage d’Ange Guépin, Leroux, au temps où il faisait ses
études au lycée de Rennes, avait fréquenté la maison du tailleur Leperdit, ancien
maire républicain de la ville. Ainsi, dès son adolescence, il avait été marqué par
cette tradition particulière du républicanisme breton, qui maintenait vivant
l’esprit des luttes du « peuple » contre l’ancien régime. C’est cette tradition et
cet esprit que les banquets bretons de Paris, relayant le carbonarisme,
entretinrent jusqu’à la révolution de 1830."

"Le 26 juillet 1830, en l’absence de Dubois, Leroux signa la protestation des


journalistes contre les ordonnances de Charles X : le texte de cette protestation,
suivi du nom des signataires, fut publié le lendemain dans Le Globe, sorti des
presses malgré l’interdiction royale.

Mais tout indique que dès ce moment-là, la rédaction du journal est


profondément divisée : Victor Cousin se déclare fidèle au drapeau blanc, et
s’indigne que Leroux ait fait imprimer Le Globe ; Dubois, qui reparaît le 28
juillet, semble avant tout préoccupé d’écarter une issue républicaine ; certains
des rédacteurs font déjà leur la solution orléaniste ; beaucoup songent surtout
aux places à prendre. D’autres, dont Pierre Leroux, participent avec
enthousiasme au mouvement populaire. Un jeune rédacteur du Globe, Georges
Farcy, fut tué les armes à la main le 29 juillet, lors de l’attaque des Tuileries.

Le Globe cependant continue à paraître sur de petites feuilles qu’on placarde


dans les rues de Paris : il appelle « tous les hommes qui veulent conserver
l’ordre constitutionnel » à se rassembler « dans une commune action, à la fois
énergique et modératrice » ; puis il applaudit à la victoire de l’insurrection
populaire, mais insiste sur la nécessité de « mettre de l’ordre où ne fut que
l’enthousiasme ». Enfin, le 30 juillet, par la plume de Rémusat, il se déclare en
faveur du duc d’Orléans.

Deux jours plus tard, Le Globe publie un article d’un tout autre ton, dû
vraisemblablement à Leroux où l’on peut lire ceci :

« Mais le duc d’Orléans est-il roi ? Non.


Il ne le sera que par nous, par notre volonté, et aux conditions que nous lui
imposerons. Il recevra tout du peuple ; il lui devra sa couronne et sa
reconnaissance [...]. Nous l’appelons aujourd’hui ; nous le consacrerons en
recevant ses serments ; s’il les violait, il disparaîtrait aussitôt.

1135
Il faut le dire, une ère nouvelle commence. Le siècle politique est ouvert. Plus de
langueur, plus de criticisme impuissant. Il est des jours où de grands
perfectionnements deviennent tout à coup possibles.

Le génie politique consiste alors à comprendre le fait qui vient de s’accomplir, et


à savoir aller au-devant des nouveaux besoins qu’il fait naître ».

Cet article provoqua au sein de la rédaction une crise que le journal ne put
cacher à ses lecteurs. Dès le 2 août, Dubois écarte ceux qui voudraient «
républicaniser » Le Globe ; et pendant deux semaines, il s’y fait le porte-parole
d’une opinion sagement progressive, applaudit le roi-citoyen, défend contre ce
qu’il nomme les « prétentions républicaines » la cause de la meilleure des
républiques. En fait, il songe surtout à rentrer dans l’Université, et se dispose à
liquider Le Globe. Le 15 août, il abandonne son titre de gérant et se retire, suivi
par la plupart des rédacteurs, qui comme lui estiment que le temps est venu de se
mettre aux affaires. Restent Leroux, Sainte-Beuve, Lerminier, quelques autres,
qui entendent que Le Globe continue à vivre : ils en assurent désormais la
rédaction ; mais ils se heurtent à la majorité des actionnaires, que Dubois et ses
amis contrôlent. Le 20 septembre, après des discussions orageuses, ceux-ci
désignent l’un des leurs pour procéder à la liquidation fictive de la société. Un
mois plus tard les comptes sont établis, et les nouveaux maîtres du Globe sont
aux abois : ils sont mis en demeure de rembourser les actionnaires qui ne
voudront plus participer à leur entreprise. C’est alors qu’ils s’adressent à Prosper
Enfantin, et lui avouent « l’embarras de leur position » : dès le 28 octobre, la
cession du journal aux saint-simoniens est acquise. Mais ce n’est que le 10
novembre que ceux-ci en prennent véritablement la direction : Enfantin avait
jugé bon de ménager une « transition », afin de ne pas effaroucher le public. Et
cette transition, en fait, ne parvint à son terme que le 18 janvier 1831, lorsque Le
Globe devint officiellement le « journal de la doctrine de Saint-Simon ».

Les difficultés financières, on le voit, ont joué un rôle déterminant dans cette
affaire ; et quoi qu’on en ait dit, rien n’indique que Leroux ait été subitement
touché par la grâce."

"Il est probablement l’auteur d’une grande partie des articles politiques qui, en
dehors des nouvelles, forment l’essentiel du journal à cette époque. D’autres
sont dus à Sainte-Beuve. Mais Sainte-Beuve lui-même a précisé qu’il avait, en
ce temps-là, prêté sa plume à Leroux, et qu’il lui servait de « truchement pour la

1136
plupart de ses idées ». Certains articles ont dû être rédigés conjointement par
Leroux et par Sainte-Beuve, de sorte que, comme le notait Jules Troubat dans la
préface des Premiers Lundis, on croit y reconnaître « les idées de l’un, le style
de l’autre ». Nous pouvons donc considérer que les commentaires politiques du
Globe « républicain » expriment, dans leur ensemble, la pensée de Leroux.

L’influence saint-simonienne apparaît dès le mois de septembre, surtout dans


les articles philosophiques de Lerminier, qui vers la mi-octobre revêt
solennellement l’habit bleu de la secte. Mais Leroux et Sainte-Beuve, s’ils
sympathisent avec la doctrine de Saint-Simon, n’y adhèrent pas encore."

"On sait qu’il avait eu une entrevue avec Saint-Simon en 1825, et que cette
rencontre l’avait vivement impressionné [...] Les réserves de Leroux, on le voit,
semblent viser particulièrement l’école saint-simonienne."

"On sait qu’en fait son adhésion à l’école saint-simonienne fut de courte durée,
puisqu’il rompit avec Enfantin en novembre 1831. Du reste, tout semble
indiquer que sa tendance « démocratique et républicaine », à l’époque même où
il était l'ardent propagateur de la doctrine de Saint-Simon, fut loin d’être
étouffée par elle. Et d’autre part, dans les mois qui suivent la révolution de
juillet, Le Globe réalise déjà en partie cet alliage de démocratisme politique et
de réformisme social qui caractérise la pensée de Leroux à partir de 1832."

"Les journées de juillet furent donc un événement « révélateur ». Ce qu’elles ont


révélé ? Le peuple, ce « personnage nouveau et imprévu » (no 185, 25 août),
que la politique de la Restauration comptait pour rien. Par l’héroïsme dont elle
a fait preuve, « la partie la plus humble, la plus dénuée, la plus souffrante du
peuple » s’est acquis de nouveaux droits : le droit « d’être appelée à
l’instruction, formée au travail et au bien-être », le droit « d’être reconnue et
comptée pour quelque chose » (no 179, 19 août). La société devra lui
reconnaître sans délai ces droits, et lui en assurer l’exercice : ainsi sera
préservée cette « alliance intime des classes laborieuses et des classes moyennes
» qui est un des caractères de la révolution de juillet."

"Programme social aussi, ou du moins affirmation de la nécessité d’un


programme social ; car les droits politiques, si précieux qu’ils soient pour le
peuple, « sont insuffisants pour le sauver de la misère et de la souffrance » (no
206, 15 septembre) : il faut accorder aux travailleurs « toutes les facilités
d’associations particulières et d’organisations laborieuses » ; il faut aussi «
1137
aviser dès à présent à des moyens directs d’améliorer l’état de la classe
laborieuse en elle-même ». Politique internationale enfin : la France nouvelle,
non par les armes mais par son « ascendant » moral, a le devoir d’apporter sans
restriction son soutien à la révolution belge, et plus généralement à la cause des
peuples européens en lutte pour leur affranchissement.

A la même époque, Enfantin et ses disciples disent leur mépris de l’action


politique au jour le jour, déclarent que « l’inégalité naturelle entre les hommes »
est « la condition indispensable de l’ordre social », et en conséquence rejettent le
principe démocratique : on voit combien Leroux est éloigné de ces idées. [...]

Il faut tenir compte aussi de son origine ouvrière, et de l’influence que put
exercer sur lui son frère cadet Jules Leroux : ouvrier imprimeur comme l’avait
été Pierre, Jules Leroux semble avoir joué un rôle important dans l’éveil du
mouvement ouvrier après les Trois glorieuses."

"Le Pierre Leroux de 1832 [...] unissait dans un même hommage l’école saint-
simonienne et les républicains."

"Dans le numéro du 9 novembre [1832] (no 260). Le Globe constate que Laffitte
et les hommes du mouvement entrent dans les mêmes voies que ceux qu’ils
viennent de remplacer, et que — excepté quelques « grands citoyens » demeurés
« conséquents avec eux-mêmes » — les députés du côté gauche ont trahi la
cause de la liberté, pour laquelle ils avaient prononcé jadis tant de nobles
discours :

« Ainsi ces paroles qui faisaient battre nos cœurs d’un ardent patriotisme étaient
des paroles d’apparat, des armes de guerre qu’on jette loin de soi après la
victoire ! ainsi l’ennemi que nous détestions avait raison contre nos chefs ! Ainsi
le fond des choses, les principes, la liberté n’étaient réellement rien pour nos
tribuns ; ils voulaient seulement le pouvoir et ils le cherchaient par des luttes de
factieux ! [...] Mais qu’ils le sachent bien, nous avons pris au sérieux ces
questions de liberté dont ils se faisaient un vain jeu. Tandis qu’ils nous
introduisaient à la polémique, qu’ils nous encourageaient aux conspirations, ils
pouvaient bien rire de notre innocence, mais nous nous enflammions de
sentiments généreux et vrais. Avec des caresses et des menaces on n’aura pas si
bon marché de nous. Rentrés dans l’opposition, nous la voulons franche et
ferme. Nous connaissons trop bien les nouveaux ventrus pour n’avoir pas à leur
donner, quoique jeunes, des leçons aussi utiles que sévères ».
1138
Cet article est d’autant plus remarquable qu’à la date où il fut publié, nous
l’avons vu, la « transition » qui devait amener Le Globe à devenir l’organe du
saint-simonisme était déjà largement commencée. Le 10 novembre, Leroux
cédait la direction du journal à Michel Chevalier. Le lendemain, celui-ci
publiait son premier article : il soulignait la nécessité de « sortir graduellement
du négatif, pour arriver à quelque chose de positif », autrement dit de remettre à
leur juste place les luttes politiques et de se consacrer désormais à la recherche
de nouvelles solutions sociales, philosophiques et religieuses (no 262). Le 13
novembre Le Globe se félicitait de voir « au premier rang parmi les
personnages politiques » de « hautes notabilités industrielles », comme les
banquiers Laffitte et Périer (no 264) : qu’était donc devenue l’opposition «
franche et ferme » qu’il annonçait quatre jours plus tôt ?"

"Dans la période qui suit la révolution de juillet, la dénonciation de


l’aristocratie bourgeoise n’était nullement le fait des seuls saint-simoniens :
dans une large mesure, elle était devenue un thème commun à tous ceux qui
réclamaient l’abolition de l’hérédité de la pairie et une loi électorale
démocratique, c’est-à-dire à tous les adversaires de la « restauration mitigée ».
C’est ainsi qu’au mois de septembre la société des Amis du peuple avait
placardé dans les rues de Paris une affiche qui provoqua l’indignation
du Moniteur, la réprobation du Journal des débats, et même le blâme
du National : elle dénonçait précisément « l’aristocratie bourgeoise ». Et tout
semble indiquer que la polémique ainsi suscitée contribua beaucoup à répandre
l’usage de cette expression. En tout cas, c’est dans ce contexte que Le Globe, le
17 septembre, reprit l’idée et le mot à son compte : ce faisant, tout en se référant
à la « philosophie nouvelle » de Saint-Simon, il se rangeait clairement dans le
camp des républicains.

Dans l’esprit de républicains — et aussi, pensons-nous, dans l’esprit de Leroux


— la dénonciation de la « nouvelle aristocratie » mobilise contre le nouveau
régime l’élan démocratique hérité de la lutte contre l’ancien régime."

"Critiques qu’il adresse, en 1832, à ceux « qui ont pour ainsi dire désespéré de
la politique, qui ont abandonné toutes les traditions de l’histoire pour s’égarer
dans des rêves de sectaires, et quitté la grande route pour de petits oasis
imperceptibles »."

1139
"« Le génial Leroux » (Karl Marx à Ludwig Feuerbach, lettre du 3-X-1843,
in Correspondance, t. I, Editions sociales, 1971, p. 302)."

"Les commentateurs se sont intéressés surtout, et parfois exclusivement, à


l’article de 1829 sur le « style symbolique » (Le Globe, t. VII, no 28). Etude
capitale, il est vrai, l’une des plus belles que Leroux ait écrites : qui d’autre, à
cette époque, a mieux parlé de la poésie de Victor Hugo ?"

"L’idéalisme s’allie curieusement, chez Leroux, à une critique de l’idéalisme


dont la vigueur est parfois étonnante : par exemple dans cette Réfutation de
l’éclectisme (1839) où il s’en prend à la philosophie de Victor Cousin et de
Théodore Jouffroy."

"Victor Hugo et les poètes du Cénacle, avec lesquels Leroux, sans doute
entraîné par Sainte-Beuve, était entré en relations dès 1827. [...] C’est
vraisemblablement à la même époque que Leroux entra en relations avec Vigny,
lequel, deux ans plus tard, lui adressa un exemplaire du More de Venise, en «
témoignage de haute estime et d’amitié »."

"Le problème qu’il pose est le suivant : comment la langue française, « si


philosophique, si exacte, si précise », est-elle devenue apte à se revêtir « d’une
teinte de mystère », comment a-t-elle pu consentir « à faire entendre au lieu de
dire » ? Certains répondent en invoquant les emprunts aux littératures
étrangères : Leroux récuse cette explication ; il affirme qu’un tel changement
n’est pas dû à des causes externes, et n’a pu s’opérer que « par une force
intérieure de développement », par « une sorte de croissance naturelle » :

« Le besoin de poésie, de rénovation des idées morales et religieuses, et l’étude


de la nature et de ses mystérieuses harmonies, voilà ce qui l’a engendré. Après
cela, mille causes accessoires y ont concouru : on a pris goût au style poétique
de la Bible, qui était pour Voltaire un sujet d’ineffables risées, on a pris goût aux
littératures étrangères ; on a étudié l’Orient ; on a eu besoin d’émotions
nouvelles ; le sentiment de la liberté et de l’individualisme s’est montré partout,
s’est appliqué à tout ; enfin on retrouve ici, comme dans mille autres questions,
l’influence de tout ce qui compose ce qu’on appelle l’esprit du siècle. Et, comme
s’il y avait synchronisme pour la propagation des procédés de l’art dans le
monde européen, comme pour tout le reste, on voit à la fois ce style naître et se
développer en France, en Angleterre, en Allemagne »."

1140
"L’un des foyers de cette divergence, c’est précisément la philosophie de
l’histoire. Qu’appelait-on ainsi avant 1830 ? Disons qu’il s’agissait d’une de
ces nouveautés obscures et séduisantes, importées d’Allemagne, auxquelles
Victor Cousin devait sa réputation de philosophe. Dans les colonnes du Globe,
c’est Cousin qui pour la première fois, en 1826, parle de la « philosophie de
l’histoire » : sur un mode très programmatique, il la définit comme la
connaissance spéculative de l’essence du processus historique, et l’oppose à
l’histoire telle que les historiens la pratiquent, laquelle se trouve ainsi rabaissée
au niveau d’une simple connaissance empirique. Un an plus tard, la traduction
de Vico par Michelet et celle de Herder par Quinet (Quinet et Michelet étaient
alors des disciples fervents de Cousin) illustrent cette nouvelle branche de la
philosophie, qui dès lors est largement reconnue comme telle et qui fournit
au Globe l’intitulé d’une rubrique nouvelle, sous laquelle on relève notamment
des articles de Théodore Jouffroy (t. V, no 19, t. VI, no 9) et de Pierre Leroux (t.
VI, no 1, t. VII, no 50)."

"L’empire turc, explique Leroux, n’est pas une nation : ce n’est qu’un « bizarre
assemblage de nations toutes diverses par leur origine, leur langue, leurs mœurs
et leur religion » (t. I, no 70). De plus, la société y est divisée en classes :
militaires, lettrés, laboureurs et marchands (t. I, no 72). Le gouvernement lui-
même — le sérail — n’est rien d’autre que la « tribu particulière » du sultan, sa
« horde », qui se superpose à la multitude des peuples soumis sans abolir leur
hétérogénéité (t. IV, no 25). Issue de la conquête militaire, cette « organisation »
est demeurée à peu près telle quelle, et n’a pu se perpétuer que par la conquête.
Or les temps de la conquête ont pris fin. Les nations européennes ont gagné en
cohésion et en puissance : elles ont pu ainsi mettre un terme aux pirateries des
Barbaresques. Plus récemment les Russes ont conquis la Crimée ; ils
conquièrent à présent le Caucase, qui avait été longtemps pour l’empire turc une
« pépinière inépuisable d’esclaves ». D’où le marasme croissant de cet empire,
et le déclin rapide de l’autorité du sultan. Ainsi cette forme de gouvernement qui
a duré des siècles, et qui naguère encore « était intacte en apparence, quoique
sourdement minée », est près de s’effondrer : cela non point par l’effet d’une
crise accidentelle, mais « d’elle-même et par la force des choses »"

"Il a le sentiment de vivre une époque où s’opèrent des transformations si vastes


et si profondes que leurs effets, à terme, sont incalculables64. Par là, bien qu’il
partage pour l’essentiel les certitudes de l’optimisme libéral, il échappe à ses

1141
platitudes ; et s’il est attiré par la philosophie de l’histoire, il n’est pas de ceux
qui la pratiquent comme si l’histoire était terminée."

"Pour ce qui est de l’avenir de l’Asie, il est certain que notre auteur n’est pas
insensible aux « mythes civilisateurs » qui justifiaient l’expansion européenne
dans le monde. Mais à ses yeux c’est en quelque sorte malgré elle, voire par sa
propre négation, que la conquête coloniale, à terme, pourra servir la cause de la
civilisation ; si bien qu’il semble dépasser « prophétiquement » l’horizon même
de cette conquête : ce qu’il espère et croit déjà apercevoir, c’est moins
l’européanisation de l’Asie que la renaissance de l’Asie, grâce au contact de
l’Europe mais au besoin contre elle.

En tout cas, il dénonce avec vigueur les caractérologies vulgaires qui


condamnent ces peuples à une « éternelle enfance » en invoquant la prétendue
mollesse asiatique66. Pourtant, il lui paraît incontestable que la civilisation
asiatique est restée « stationnaire », tandis que celle de l’Europe « est
évidemment progressive depuis quelques siècles » : comment cela s’est-il pu
faire ? La réponse que Leroux apporte à cette question est en quelque sorte le
premier bilan de ses réflexions sur l’Asie, et mérite d’être largement citée. Il
commence par récuser les théories, héritées du XVIIIe siècle, qui invoquent la
race ou le climat."

"Leroux conclut en affirmant que si l’Orient est stationnaire, rien ne permet de


dire qu’il le restera éternellement : c’est qu’il n’y est pas condamné par la
nature, mais par sa propre histoire. Or l’histoire peut rompre les liens que
l’histoire a noués : viendra le temps où ces vieilles nations « dissiperont enfin les
ténèbres qu’elles se sont faites à elles-mêmes ».

Ainsi, une fois de plus, Leroux désigne l’organisation politique et sociale


comme la cause du destin historique des peuples de l’Orient. Mais le problème
posé engage en fait l’histoire de l’humanité dans son ensemble, puisqu’il s’agit
de confronter l’Orient stationnaire et l’Europe progressive. Pour autant, le
propos devient plus ambitieux : Leroux avance l’idée d’une succession
nécessaire, et observable chez tous les peuples, de certaines « formes de société
» — la « famille isolée », les tribus et les castes, la « nation »."

"Une même perspective évolutionniste paraît unir dans sa pensée les sciences de
la nature et les sciences historiques, auxquelles il fait appel conjointement : son
intérêt pour la géologie et pour l’anatomie comparée, son admiration pour
1142
l’œuvre de Geoffroy Saint-Hilaire témoignent que pour lui l’histoire de
l’humanité ne se sépare pas de l’histoire naturelle."

"Ce n’est pas sans inquiétude que Leroux constate le recul, dans les masses
populaires des villes, de la foi religieuse traditionnelle et de la morale qu’elle
inspirait : par quoi remplacer les vieilles croyances et le vieux culte, désormais
privé de vie ? Par les fêtes civiques et patriotiques, répond-il en substance (t. IV,
no 2), ainsi que par « l’étude religieuse des sciences naturelles dans leurs notions
les plus populaires ». Dans les articles où il rend compte des cours donnés aux
ouvriers par Charles Dupin, professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, il
insiste constamment sur les effets bienfaisants qu’un tel enseignement peut avoir
sur la moralité des classes laborieuses : « La science, loin de dépraver, comme
disent quelques insensés, élève les classes populaires ; et ce que la morale perd
par le dépérissement de la foi religieuse, les croyances fondées sur la science
peuvent le réparer » (t. IV, no 49). Comme on le voit, il semble que la science,
en prenant la place de la religion, devienne dans l’esprit de Leroux une sorte de
religion ! En définitive, il envisage moins un dépassement de la religion qu’une
mutation interne à la religion elle-même, les vieux dogmes laissant la place à
une « philosophie religieuse » programmatiquement conçue comme le résumé
populaire et le couronnement des acquisitions modernes du savoir.

Si la religion doit ainsi se survivre à elle-même, c’est qu’elle constitue, aux yeux
de Leroux, une forme nécessaire de l’existence sociale : ne fut-elle pas dans le
passé le ciment spirituel des sociétés humaines et le fondement de leur unité
morale, voire de leur organisation politique ? Ainsi en était-il de la chrétienté
médiévale : Leroux est sensible à la puissance de ce lien, de cette « chaîne
mystérieuse » qui, sous l’autorité des papes, « avait réuni tous les peuples dans
une admirable unité »."

"Bertrand et Leroux ne pouvaient souscrire à cette affirmation présomptueuse :


pour eux la psychologie, en rompant avec la physiologie, se ruinait elle-même.
D’où une divergence profonde, qui apparaît dans les colonnes du Globe dès
1826. A propos d’un cas de folie homicide, Bertrand entreprend de montrer la
relativité et les limites de la liberté morale. Leroux de même, examinant le
fanatisme religieux qui sévissait au XVIe siècle, parvient à des conclusions qui
contredisent de façon flagrante les principes posés par Jouffroy : « Notre
intelligence n’est pas à nous, affirme-t-il ; elle nous vient de nos organes et du
monde qui nous entoure » (t. IV, no 37). Enfin, en 1827, un long article de
1143
Bertrand, publié par Leroux malgré l’avis des autres rédacteurs, réfute les
thèses que Jouffroy avait soutenues sur le sommeil et dénonce le présupposé
selon lequel « l’âme, substance immatérielle, ne peut être assujettie aux besoins
du corps »."

"On a pu dire que la vie intellectuelle, dans la France du XIXe siècle, était
dominée par l’opposition de deux « cultures », l’une représentée par Victor
Cousin, l’autre par Auguste Comte : l’originalité de Pierre Leroux se mesure au
fait que son apprentissage intellectuel s’est effectué dans l’entourage de Cousin,
non dans celui de Comte, et qu’à certains égards il est pourtant beaucoup plus
proche de Comte que de Cousin."

"Quant à la doctrine chrétienne, est-il juste de dire, comme on le fait


ordinairement, que l’esclavage antique a pris fin grâce à elle ? Contre cette idée
reçue [mis en circulation par le Génie du christianisme de Chateaubriand],
Leroux n’hésite pas à s’inscrire en faux :

« On fait communément honneur à l’esprit du christianisme d’avoir détruit


l’esclavage qui pesait sur le monde romain lorsque l’Evangile y fut annoncé. Il
est vrai qu’à cette époque il se fit une grande révolution et que la constitution
sociale ne fut pas seulement altérée, mais détruite ; il est vrai encore que, l’église
entrant dans l’état, les empereurs accordèrent aux évêques et aux clercs mêmes
le privilège d’affranchir sans observer les formalités de l’ancien droit : mais
assurément ce n’était pas toujours la maxime d’aimer son prochain comme soi-
même qui produisait ce beau zèle d’émancipation car on commença par les
esclaves d’autrui ; on commença par déclarer à peu près libres tous ceux des
hérétiques, et cela fit qu’il n’y eut plus proprement d’esclaves dans l’empire que
pour les véritables chrétiens ».

Examinant ensuite les temps modernes, Leroux montre que la légitimité de


l’esclavage y a été, jusqu’à une date récente, très largement admise. Si Las
Casas prenait en pitié les Indiens d’Amérique qu’on faisait travailler dans les
mines, il ne proposait d’autre remède que l’esclavage des Africains. Des juristes
affirmaient doctement qu’un homme peut aliéner sa liberté et celle de ses
enfants : voit-on que les beaux esprits, et même les grands esprits du siècle de
Louis XIV s’en soient scandalisés ? En fait, la condamnation morale de
l’esclavage, si commune aujourd’hui, a été prononcée par les philosophes il n’y
a guère que soixante ans : c’est dire que « la notion de droit en cette matière a

1144
suivi les progrès de la vie sociale. Tant que l’esclavage n’a pas été directement
contraire à l’essence de la société, on ne l’a pas traité de crime ».

Ainsi, au lieu de dire que l’esclavage a existé parce que les hommes étaient
aveugles aux principes éternels de la justice, Leroux explique cet aveuglement,
qui aujourd’hui nous semble inconcevable, par le fait que la société était fondée
sur l’esclavage : en d’autres termes, au lieu de vouloir expliquer la manière de
vivre des générations passées par leur manière de penser, il montre que leur
manière de penser s’explique par leur manière de vivre."

"Que fait en effet le poète ? Il « saisit des rapports ». Or en géométrie, « comme


en poésie, comme en tout, la comparaison est la grande route de l’esprit humain.
Le poète rend l’abstrait par le sensible, le géomètre le sensible par l’abstrait ;
mais tous deux ne font que substituer des rapports à d’autres rapports, ou plutôt
reproduire sous des termes différents des rapports identiques. Seulement, ils ne
travaillent pas sur les mêmes matériaux » (ibid.). N’y a-t-il pas quelque chose
d’étonnamment moderne, et de bien peu mystique, dans cette conception du
travail poétique et dans ce rapprochement du poète avec le savant ?"

"Le passé ? Ce sont les castes, les aristocraties sacerdotales ou militaires, le


système féodal, les différentes formes de servitude. Ce sont les barrières de toute
sorte que ce système avait élevé entre les hommes : « Nulle part il n’y avait rien
d’homogène ; partout des castes et des corporations, des dissensions religieuses
et civiles ». [...] Pour Leroux, ce passé est bien loin d’être entièrement révolu :
il survit, et il survit si bien qu’il continue à prévaloir à Madrid, à
Constantinople et en maints autres lieux. Mais il a commencé à céder la place à
une nouvelle organisation sociale, fondée sur un principe nouveau dont l’avenir
verra l’épanouissement complet : le « principe de l’égalité »."

"La question de l’esclavage illustre bien cette différence. En 1848, dans son
livre De l’Egalité, Leroux retrace le développement historique du « dogme » de
l’égalité sans se soucier apparemment de rapporter ce développement à
l’évolution sociale objective ; et dès lors l’enseignement du Christ, « législateur
de la Fraternité », lui paraît avoir joué un rôle décisif dans la disparition de
l’esclavage antique : « La prédication de Jésus, écrit-il, a eu pour objet la
destruction des castes et de l’esclavage ». Au lieu qu’en 1827, nous l’avons vu, il
affirme que la destruction de l’esclavage antique est due à un bouleversement de

1145
la « constitution sociale », et non à la soudaine lumière qu’aurait apportée «
l’esprit du christianisme »."

"L’égalité, dans l’esprit de Leroux, n’a pas seulement une signification


juridique et formelle : il s’agit bien pour lui d’une « égalité sociale » (t. VII, no
50) qui implique l’abolition des privilèges de droit, mais aussi la suppression
des inégalités les plus criantes dans la distribution des propriétés. D’un autre
côté, on ne voit pas que Leroux mette nulle part en cause l’existence même de la
propriété privée : son égalitarisme n’est pas un « communisme » ; et si l’on peut
supposer qu’il a lu, peu après sa publication en 1828, la Conspiration pour
l’égalité de Buonarotti, ce n’est guère de cette tradition qu’il semble s’inspirer.
De Condorcet [dernier chapitre de l'Esquisse] et de Rousseau bien davantage,
sans doute."

"Qu’en est-il dès lors de cette union des intelligences, de ces nobles sentiments
partagés qui forment véritablement « une nation et une patrie commune » (t. IV,
no 6) ? La vérité est que « les masses languissent » : « Rien ne les appelle à se
voir, à se sentir marchant unies sous les mêmes croyances et les mêmes passions
» (t. IV, no 2) ; et c’est en vain que l’on voudrait dissimuler « le triste égoïsme et
le profond ennui d’une société dont l’enthousiasme n’est jamais excité par un
sentiment unanime »."

"De 1825 à 1848 et au-delà, Leroux est demeuré remarquablement fidèle à lui-
même, et pour l’essentiel sa problématique n’a pas changé : organiser la « vie de
l’égalité », organiser les résultats de la Révolution française, c’est ainsi qu’à ses
yeux se définit la tâche qui incombe à sa génération, la tâche du penseur comme
celle du citoyen et de l’homme politique.

Cette œuvre, il la conçoit d’abord dans le cadre de la pensée libérale. Puis il en


vient à découvrir l’impuissance du libéralisme, et le voilà saint-simonien. Mais
il ne tarde pas à rompre avec la secte saint-simonienne, et peut-être d’abord
parce qu’il ne peut faire siennes les conceptions inégalitaires et anti-
démocratiques d’Enfantin et de ses disciples173 : ce qu’il veut retenir du saint-
simonisme, c’est surtout une « doctrine de l’égalité organisée » prolongeant et
développant les principes proclamés par la Convention de 1793174. Plus tard, il
se dit socialiste, mais à ses yeux le socialisme n’est pas autre chose que la
réalisation des idées prophétiquement annoncées par la Révolution française."

"Son œuvre avait perdu beaucoup de son influence depuis 1848."


1146
"[La] perspective évolutionniste fait à la fois la force et la faiblesse de la pensée
de Pierre Leroux. Elle fait sa faiblesse : elle lui permet de se représenter comme
un mal provisoire, dû aux survivances de l’ancien régime, les contradictions
propres à la société bourgeoise. Mais elle fait aussi sa force. Elle le conduit à se
méfier des « révélations » et des « révélateurs » ; elle le conduit à affirmer,
contre les sectaires de tout acabit, que « les grandes synthèses sociales se font
par tous, non par quelques-uns, par progrès continu, et non par cataclysmes »."

"En 1833, à l’époque même où les saint-simoniens s’embarquent pour l’Egypte


à la recherche de la Femme-Messie : Leroux, avec son ami Jean Reynaud,
adhère à la Société des droits de l’homme ; et sous son influence cette société,
de petite conjuration républicaine qu’elle était, réunissant quelques centaines de
membres, se transforme en une association populaire forte de plusieurs milliers
d’adhérents, dont de nombreux ouvriers, et pourvue d’un programme
comportant une série de réformes démocratiques et de mesures sociales. Une
telle organisation était un fait sans précédent : on a pu dire sans exagération
qu’il y eut là « un événement de première importance pour le mouvement social
». Or si Leroux joua dans cet événement un rôle de premier plan, ce n’est point
par hasard : tout le cours de ses réflexions le conduisait à rejeter aussi bien
l’utopisme des saint-simoniens que les méthodes conspiratives des républicains,
à unir les luttes politiques et les revendications sociales, à soutenir la nécessité
d’une organisation de masse et d’un large travail de propagande."

"Il va jusqu’à dire qu’à l’époque où il collaborait à la Revue


encyclopédique (1831-1835) il ne connaissait rien de la philosophie allemande
moderne. En réalité ce n’est que tardivement, et par des ouvrages de seconde
main, qu’il put se faire une idée de la philosophie hégélienne."

"Une dialectique « profonde », mais idéaliste et conciliatrice, une dialectique où


l’unité prime la contradiction, et la continuité la rupture : voilà ce que Leroux a
pu trouver dans l’œuvre de Leibniz, probablement dès avant 1830. Par la
fréquentation de cette grande pensée, il put échapper en partie à la misère
philosophique que le règne de la bourgeoisie imposa à la France du XIXe
siècle." -Jean-Jacques Goblot, Aux origines du socialisme. Pierre Leroux et ses
premiers écrits (1824-1830), Presses universitaires de Lyon, 1977, 107 pages.

« Le socialisme, pour ses inventeurs, les saint-simoniens puis les fouriéristes, est
d’abord une méthode d’analyse de la société, qui emprunte les mêmes voies que

1147
d’autres écoles de science sociale au même moment. Dans l’article séminal de
Pierre Leroux, où apparaît pour la première fois, en 1834, le mot de socialisme,
l’auteur l’explique bien. » -Samuel Hayat, « Républicains, socialistes et ouvriers
face à l’émancipation des travailleurs (1830-1848) », Revue du MAUSS, 2016/2
(n° 48), p. 135-150. DOI : 10.3917/rdm.048.0135. URL :
https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2016-2-page-135.htm

« Pierre Leroux est né à Paris en 1797. Ses parents tenaient un débit de boisson
misérable place des Vosges (l’actuel café « Ma Bourgogne »). Il put néanmoins
faire de solides études secondaires au lycée de Rennes de 1809 à 1814 grâce à
une bourse impériale. Mais il renonça à présenter le concours de l’École
polytechnique pour venir en aide à sa mère et à ses trois frères cadets avec qui
il restera toujours uni, et devint ouvrier typographe. Il fut conspirateur dans le
carbonarisme sous la Restauration, puis fonda le journal libéral Le Globe.

Après 1830, il adhéra une année au mouvement saint-simonien. Plus tard, il


fondera et animera plusieurs revues : la Revue encyclopédique, La Revue
indépendante, la Revue sociale, L’Espérance, et réalisera avec son ami Jean
Reynaud l’Encyclopédie nouvelle dans laquelle Henri Heine a vu l’équivalent
pour la pensée républicaine et socialiste de ce qu’avait été l’Encyclopédie de
Diderot pour les Lumières. À cela s’ajoutent de nombreux ouvrages qui portent
à environ douze mille pages une œuvre colossale conçue surtout sous la
monarchie de Juillet. En 1845, il fonda avec l’aide de George Sand une
imprimerie et une colonie socialiste à Boussac, non loin de Nohant. L’entreprise
est semi-familiale :

Leroux a neuf enfants après son remariage et ses frères l’accompagnent. Il fut
représentant du peuple de Paris pendant toute la durée de la IIe République.

Après le coup d’État du 2-Décembre, il connut dix années d’exil et de grande


misère à Jersey. La grève de Samarez se fait l’écho de son amitié puis de sa
brouille avec Hugo, son voisin. Il mourut à Paris sous la Commune. On a oublié
combien sa notoriété et son influence furent importantes en France et dans
l’Europe entière au XIXe siècle. Son œuvre fut victime de la censure impériale et
du renouvellement de génération parmi les militants socialistes. On assiste à un
important renouveau des études leroussiennes depuis vingt ans et plusieurs
œuvres ont été rééditées. » -Bruno Viard, « Pierre Leroux, Marcel Mauss et Paul
Diel, trois « neveux » », Revue du MAUSS, 2002/2 (no 20), p. 328-334. DOI :

1148
10.3917/rdm.020.0328. URL : https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2002-2-
page-328.htm

« Il n’approuva guère les barricades de juin 48, même s’il se battit tant qu’il le
put à l’Assemblée contre la répression, avant d’en être lui-même victime, plus
tard, à Londres et à Jersey, après le 2 décembre. » -Bruno Viard, « Pierre
Leroux : une critique « socialiste » de la Terreur », Romantisme, Année 1996,
91, pp. 79-88, p.86.

« Contrairement aux idées et aux classements reçus, Pierre Leroux apparaîtrait


en fait presque plus « libéral » que Tocqueville, c’est-à-dire en l’occurrence
moins marqué par un arrière-fond « holiste » ou « communautarien ». Leroux
peut apparaître à bon droit comme le tenant d’un libéralisme démocratique
opposé à l’oligarchisme pseudo-libéral de la monarchie de Juillet. » -Joël
Roucloux, « Les cinq périodes de l'individualisme savant. L'histoire des idées et
le débat sur l'individualisme », Revue du MAUSS, 1/2006 (n° 27), p. 185-211.

"Le socialisme, -c'est précisément ce qui à mon sens en définit l' "essence", des
sectes romantiques au XXe siècle,- a magnifié, radicalisé, "fatalisé" cette idée
du progrès imperturbable conduisant à brève échéance à un aboutissement, à un
état indépassable, à une fin de l'histoire. [...] Le socialisme est "fatal", expose-t-
on déjà vers 1830, parce qu'il est le seul ordre possible, moralement et
pratiquement concevable au-delà de la gabegie criminelle du capitalisme (c'est
Pierre Leroux qui baptise le système de ce nom)." -Marc Angenot, L'Histoire
des idées. Problématiques, objets, concepts, méthodes, enjeux, débats, Presse
Universitaires de Liège, coll. Situations, 2014, 392 pages, p.137.

« Le républicanisme de Mazzini veut rompre en bonne partie avec les tendances


dictatoriales et autoritaires du babouvisme. Il en va de même du socialisme
républicain de Pierre Leroux, inspirateur de Mazzini qui, dès les années 1830,
dénonce les tendances liberticides du babouvisme. » (p.52)

« Par socialisme, Leroux désigne alors ce qu'il appellera plus tard le «


socialisme absolu »- pour le différencier d'un socialisme connoté positivement -,
à savoir une conception autoritaire, héritée de l'égalitarisme extrême de Babeuf
et de la doctrine saint-simonienne. Le projet de Leroux est de dépasser les
limites de l'individualisme des libéraux, qui s'accommode des inégalités et de la
fragmentation de la société en individus égoïstes, mais aussi du « socialisme
absolu » des saint-simoniens, qui se fonde sur un modèle organique de société
1149
aux effets liberticides. En défendant un socialisme démocratique intégrant le
legs républicain, il s'agit de trouver une voie originale entre ces deux écueils,
qui synthétise le meilleur de la tradition libérale et de la tradition socialiste. Le
modèle de l’« Association», emprunté aux saint-simoniens, apparaît à Leroux
comme une réponse aux difficultés sociales et politiques suscitées par la
conception individualiste héritée de la Révolution française. L'individualisme
radical est en effet un facteur majeur de dislocation de la société, qui favorise
l'égoïsme aux dépens de toute solidarité sociale. Si, par socialisme, Leroux
n'entend donc pas une doctrine conférant tout pouvoir à l'État (contrairement au
« socialisme absolu »), il ne s'agit pas non plus de prôner l'abolition de l'État,
selon la position libertaire d'un Proudhon, qui lui sera très hostile. Le but est
d'encourager le développement d'un tissu associatif qui limite d'un côté
l'emprise du marché, et de l'autre celle de l'État [Viard, 2002]. En refusant ainsi
la disqualification du politique opéré par Proudhon, Leroux dessine une
troisième voie, synthèse à la fois socialiste, libérale et républicaine. » (pp.52-
53)

-Serge Audier, Les théories de la république, Paris, Éditions La Découverte,


coll. Repères, 2015 (2004 pour la première édition), 125 pages.

"Son enterrement, négligé dans le bruit et la fureur de la guerre civile et de la


révolution, peut être interprété comme un nouvel acte du « procès aux maîtres
rêveurs  ». La rubrique nécrologique de La Commune présente Pierre Leroux
comme « un de ces pourchasseurs du rêve métaphysique et de l’utopie sociale ».
L’auteur, le très proudhonien George Duchêne, ajoute : « L’obscurité de ses
doctrines, le vague de ses conceptions étaient au diapason de toute cette
génération qui repoussait toute précision. Il contribua plus que tout autre, à
détourner la révolution de 1848 de la tradition révolutionnaire française. » La
mort de Pierre Leroux permet au communard de se définir contre la génération
de 1848, renvoyée au romantisme et à l’utopie.

Néanmoins, tous les révolutionnaires ne partagent pas un sentiment aussi


tranché et le sens de cette disparition est beaucoup plus ambivalent. La mort de
Pierre Leroux n’est pas méprisée par la Commune, qui débat du sort à réserver
à la dépouille de cet ancêtre prestigieux, suspect de religiosité pour beaucoup
de révolutionnaires. Finalement, la Commune lui accorde des obsèques
officielles, tout en déployant peu de fastes, en présence de quatre de ses

1150
représentants. Les funérailles de Pierre Leroux seraient-elles un non-événement,
une cérémonie impossible ?"

"Le témoignage d’Élie Reclus, également présent, est très utile, en dépit de sa
brièveté, car il suggère d’autres interprétations plus favorables aux
communards. Cette diversité des sources demande de considérer l’événement
selon de multiples points de vue – celui du régime politique, des proches du
philosophe, des participants – et selon différentes temporalités, le passé de
1848, le présent de la révolution et l’avenir imaginé du corps et de l’œuvre de
Leroux, autant de perspectives susceptibles de donner un sens différent aux
funérailles."

"La figure du philosophe socialiste et son œuvre sont controversées parmi la


nouvelle génération de révolutionnaires formée sous l’Empire. Pierre Leroux
reste associé à l’esprit de concorde entre les classes des républicains de 1848.
Surtout, il s’est opposé à l’une des références intellectuelles de nombreux
communards : Proudhon. En 1849, Leroux critique Proudhon pour son rejet du
principe religieux et du socialisme d’État. Celui-ci lui répond dans la Voix du
Peuple, atteignant un sommet de violence dans son article du 3 décembre 1849.
Après avoir successivement qualifié Leroux, de « mystagogue », de « théopompe
», et de « théoglosse », il conclut par ces propos menaçants : « Je vous
marquerai si avant et si brûlant, qu’il en sera fait mémoire dans les générations
futures. Ce sera, pour vous, un moyen d’arriver à la postérité, plus sûr que la
Triade, le Circulus et la Doctrine. »

Les conservateurs se délectent alors du duel qui discrédite la pensée socialiste.


Cham lui consacre plusieurs dessins, popularisant la figure échevelée de Pierre
Leroux. Le pamphlétaire Marchal de Bussy, passé de la gauche au
conservatisme, lui consacre également un opuscule. Conscients des effets
désastreux de la polémique, les deux théoriciens choisissent l’apaisement. Au
début de l’année 1850, Leroux fait paraître une série d’articles sur l’histoire du
socialisme, qu’il dédie à son adversaire. Le 15 février 1850, il intervient à la
Chambre des députés en faveur de Proudhon, arrêté après un article hostile au
président Louis-Napoléon."

"L’élément décisif qui convainc les blanquistes est la position de Leroux face
aux massacres de juin 1848. Effectivement, le 28 juin 1848, du haut de la
tribune de l’assemblée et sous les huées des conservateurs, Leroux demande la

1151
clémence pour les insurgés. Le 24 décembre 1849, il récidive. En août 1853, en
exil, il publie Aux États de Jersey, dans lequel il condamne la bourgeoisie pour
son rôle dans la mort de onze mille insurgés de Juin. Leroux s’attaque alors à
un tabou dans le camp républicain. Nombreux sont ceux qui exaltent la modeste
résistance au coup d’État dans la capitale et préfèrent oublier la répression de
l’insurrection de Juin qu’ils ont souvent soutenue."

"L’enterrement est une cérémonie inégalitaire avec 11 classes de funérailles


proposées, plus ou moins fastueuses. La Commune s’attache, dans la mesure du
possible, à donner une sépulture à tous, particulièrement à ses gardes nationaux
sans ressources tombés au combat. Elle prend le contrôle des pompes funèbres,
maintenant les services de l’adjudicataire Vafflard, puis le transformant en
simple régisseur, sous l’autorité d’une commission administrative."

"Un premier bouleversement de l’ordonnancement traditionnel des funérailles


intervient lorsque le cortège se constitue derrière le corbillard. À ce moment,
rapporte Malvina Blanchecotte, Verdure demande aux femmes de prendre place
en tête, car dans le « convoi de la philosophie, le cortège de la démocratie, les
dames doivent être en avant  ». Ce choix est en parfaite cohérence avec les idées
de Verdure dont la fille Maria, sans doute présente, est déléguée de
l’association l’Éducation nouvelle, auprès de la Commune. Cette inversion
rappelle les prises de position de Leroux sur la condition féminine. Le
philosophe a appelé à l’égalité des droits civils et politiques, à la tribune de
l’Assemblée, le 21 novembre 1851. Avec Pauline Rolland, il a également lutté
pour l’enseignement féminin. Il s’est aussi opposé aux positions antiféministes
de Proudhon. Ce bouleversement du cortège plaît également aux fusionnistes,
qui partagent les critiques de Leroux sur la vision catholique de la femme. Dans
De l’Humanité, Leroux relit la Genèse sous le prisme de l’androgynie. Pour
Leroux, l’homme ne préexiste pas à la femme qui n’est pas responsable du
péché originel. Pour Tourreil, la divinité est un être androgyne (Meramourpère)
et la division sexuelle doit disparaître dans une harmonie nouvelle. Tourreil
dénonce le sort réservé aux femmes par la société, fait l’apologie de l’union et
de l’amour (qualités féminines), aspire à des mariages nouveaux qui
organiseraient la fusion de l’homme et de la femme. Le nouvel ensemble
(Evadam) sauvera l’humanité . Ce bouleversement féministe des funérailles est
remarquable." -Jean-Noël Tardy, « Les funérailles de l’utopie. Les obsèques
officielles de Pierre Leroux et la Commune de Paris », Revue historique, 2017/3

1152
(n° 683), p. 589-618. DOI : 10.3917/rhis.173.0589. URL :
https://www.cairn.info/revue-historique-2017-3-page-589.htm

Martin Nadaud (1815-1898) :

André Imberdis (1810-1876) : « Le nom d’André Imberdis est peu connu de la


critique et paraît devoir être classé pour cette raison parmi les écrivains mineurs
de la génération 1830. Le Grand Dictionnaire Universel de Pierre Larousse lui
accorde une notice biographique laconique, rappelant que cet Auvergnat, né à
Ambert en 1810, s’est surtout signalé par une carrière dans la magistrature
d’abord à Riom puis à Alger. En revanche, sur sa brève mais significative
incursion dans l’actualité politique et littéraire dans les premières années de la
Monarchie de Juillet avec l’affaire du procès d’Avril, il se montre peu disert.

Imberdis écrivit son premier roman en 1832 et l’intitula L’Habit d’Arlequin.


L’originalité de cet ouvrage réside dans le fait qu’Imberdis, républicain dans
l’âme, a décidé d’y régler ses comptes avec tous les profiteurs du régime, tous
les puissants du jour qui sont également ceux qui ont confisqué en juillet 1830
au peuple sa révolution. Depuis ce jour, lui qui ne hait rien tant que l’arrogance
des nantis et des parvenus ne décolère pas : « Eh ! comment avoir les doux
loisirs, le calme inspirateur, la plume artistement taillée, dans un temps où toutes
les croyances s’en vont, où tout est désenchanté, où les trônes tremblent et
sonnent creux ? Comment s’attacher à une œuvre avec amour, et, belle et
sourieuse, la parer lentement, tous les jours, comme une madone adorée, lorsque
la voix du peuple gronde et que la patrie est à genoux ? ». Son modèle, dans ces
temps de fureur impuissante, est manifestement Auguste Barbier, le célèbre
auteur des Iambes, qui a su dénoncer avec tant de véhémence et de justesse les
profiteurs de Juillet dans La Curée : « Non, ce n’est plus la création gracieuse
qu’il faut alors, c’est l’iambe terrible ; ce n’est plus la plume, c’est le fouet
qu’on doit prendre; ce n’est pas le gant qu’on froisse et jette à la figure, c’est le
soufflet qu’il faut à de hauts fronts hypocrites et traîtres ! ». »

« La Curée, écrite en août 1830, pourfend les profiteurs de la révolution de


Juillet et elle conféra à Auguste Barbier (1805-1882) la célébrité. Ses poèmes
furent publiés dans la Revue de Paris au lendemain des Trois Glorieuses et
réunis en volume l’année suivante sous le titre de Iambes. »

« Ce que le républicain Imberdis a voulu signifier au lecteur dans ce roman


éruptif, c’est que toute l’œuvre de 1830 est à reprendre car elle a été manquée.
1153
Ce « mot d’ordre » en 1832 n’est certes pas nouveau. Un journaliste comme
Henri de Latouche l’a répété à satiété dans le Figaro depuis l’échec des
barricades. Mais la plainte d’Imberdis est à la fois naïve et touchante. Naïve, car
son républicanisme se teinte par exemple d’une indulgence à l’égard de
l’Empire et de ses serviteurs qui ne fait pas l’unanimité chez les écrivains de
l’époque, même les moins connus. Touchante, car Imberdis se montre en
permanence blessé par les réalités qu’il lui est donné de voir ou de sentir, même
du fond de sa province. Il ne perçoit autour de lui qu’avilissement et prostitution
des valeurs les plus sacrées. Son analyse est en tout point semblable à celle du «
parti du Mouvement », qui affirme dans ces années-là que la révolution de
Juillet ne s’est pas achevée en 1830 et qu’elle doit se prolonger et élargir son
champ d’action. Mais, lorsqu’il regarde l’état des forces politiques, il est bien
obligé de reconnaître que l’avenir est sombre. Trois expressions peuvent
résumer la situation : répression, cynisme, misère sociale. Quand l’auteur de
L’Habit d’Arlequin songe au bilan de ce qu’il appelle lui-même, avec une
immense nostalgie, « le grand Juillet », son constat est navrant : « Oh ! c’est
alors que le peuple comprit qu’il avait fait une partie où on avait glissé des dés
pipés ». Son héros n’a rien d’un Rastignac ; il n’a pas le cynisme des arrivistes ;
il agit jusqu’au bout comme un forcené. C’est un irresponsable. Mais c’est cette
irresponsabilité qui fait sa gloire dans une société de fripons. »

« Trois ans vont se dérouler avant qu’Imberdis ne reprenne la plume. Pendant


cette période, la situation se dégrade considérablement en France sur le plan
socio-économique et la contestation politique s’accroît. Elle atteint son
paroxysme avec la deuxième insurrection lyonnaise d’avril 1834, à laquelle
d’autres répondent comme en écho, particulièrement à Paris. Le gouvernement
procède à des milliers d’arrestations. Tous les inculpés sont renvoyés en 1835
devant une juridiction unique : la Chambre des pairs transformée en Cour des
pairs. Mais ce « coup politique » va finalement se retourner contre le pouvoir car
l’opposition trouve là une tribune inespérée. En effet, les accusés font appel pour
leur défense aux plus grands noms du barreau et de la politique : Marie, Garnier-
Pagès, Ledru-Rollin, Armand Carrel, Buonarroti, Voyer d’Argenson, Pierre
Leroux, Jean Reynaud, Raspail, Carnot, Michel de Bourges, Barbès… Imberdis
est du nombre et sa joie est d’autant plus vive qu’il peut faire ainsi la
connaissance de Lamennais dont les Paroles d’un croyant, parues l’année
précédente, l’ont enthousiasmé. »

1154
« C’est dans ce contexte qu’il écrit Le Dernier jour d’un suicide. Comme le titre
l’indique, la tonalité de cet ouvrage est encore plus lugubre que celle du roman
précédent. L’intrigue est aisée à suivre et elle est pour ainsi dire livrée dès les
premières lignes. Frédéric, un jeune étudiant de vingt-cinq ans, a décidé, la
veille, de se suicider. L’action débute aux premières lueurs du jour fatal et le
héros est en proie à une grande fébrilité. Pour Imberdis, la tâche est difficile car
le suicide en 1835 est une idée rebattue en littérature. Ce mode étrange de
célébrité a été recherché en février 1832 par deux auteurs dramatiques meurtris
par leurs échecs, Escousse et son collaborateur, Auguste Lebras. Leur sacrifice a
été évoqué par Musset en 1833 dans Rolla. Il faudrait encore citer le cas de
Charles Lassailly, l’auteur des Roueries de Trialph, du peintre Léopold Robert
qui s’est donné la mort en 1835, précisément. G. Sand, pour sa part, a raillé cette
manie dans Aldo le rimeur. Imberdis contourne la difficulté en donnant à cette
volonté de mourir une signification politique. Le ton qu’il emploie pour relater
les souffrances de son héros est aussi grandiloquent que dans L’Habit
d’Arlequin, mais ce qu’il faut lire dans ces plaintes, c’est avant tout un
témoignage car Frédéric, lui, a participé aux journées de Juillet. Il a donc connu
de manière intime la déception. Il est victime depuis 1830 du « cancer moral qui
ronge au cœur la pauvre France ». »

« Dans la Préface aux Nuits d’un criminel, son ultime roman publié en 1844,
Imberdis sentira la nécessité de revenir sur les raisons de cette sorte de hargne
sociale qui anime ses personnages. Pour lui, elle n’a rien de gratuit ; elle n’est
pas la conséquence d’une recherche frénétique du spectaculaire. Elle découle
d’une analyse philosophique qu’il résume ainsi : « […] on ne trône pas
éternellement sur une idée fausse, sur un principe sophistique. Les théories ne
triomphent plus à l’aide d’une incompréhensible obscurité, on les ouvre, on les
fouille, on tire les conséquences. Les peuples naissent ou se renouvellent, les
idées aussi. […] Un principe pur demeure toujours vainqueur ». Finalement, le
vice majeur de la Monarchie de Juillet ne réside pas dans le fait que ce régime
est le produit du cynisme politique, mais qu’il a persisté dans cette voie,
ignorant qu’il était vain de vouloir lutter contre tous les « Galilée » modernes. «
L’erreur, le mensonge, confie Imberdis, ont quelquefois d’étranges grands-
prêtres ; le peuple de Dieu plie les genoux devant le veau d’or, mais qu’arrive-t-
il enfin ? interrogez l’histoire ». » -Yves Chastagnaret, « Un romantique
républicain méconnu : André Imberdis », Revue d'histoire littéraire de la
France, 2004/2 (Vol. 104), p. 485-493. DOI : 10.3917/rhlf.042.0485. URL
1155
: https://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2004-2-page-
485.htm

Armand Carrel (1800-1836) : « Défenseur de la liberté de la presse,


d'association et des autonomies locales, Carrel incarne un républicanisme
libéral et décentralisateur, à côté d'un républicanisme aux tendances
antilibérales inspiré des héritiers de Babeuf. Sans partager leurs projets de
communisme, il soulignait aussi que la misère ouvrière était due à une mauvaise
constitution sociale et politique. » -Serge Audier, Les théories de la république,
Paris, Éditions La Découverte, coll. Repères, 2015 (2004 pour la première
édition), 125 pages, p.51.

http://academienouvelle.forumactif.org/t7135-gilles-crochemore-armand-carrel-
1800-1836-un-republicain-realiste#8305

Albert Laponneraye (1808-1849) : « Sans doute Napoléon fut un tyran, mais


un tyran comme l’avait été le grand Comité de salut public : il fit la dictature
comme en avaient fait les géants de la Montagne, pour sauver la France
révolutionnaire. Ce fut une tyrannie salutaire, une dictature providentielle, sans
laquelle nous serions peut-être prussiens, autrichiens ou russes. » -
Albert Laponneraye, Réfutation des idées napoléoniennes de Louis-
Napoléon Bonaparte, Paris, 1839, p. 113.

"Son combat politique n’était pas dirigé contre les seuls bourgeois mais
exprimait une critique sociale plus large qui était celle du despotisme et de
l’inégalité et d’une société française radicalement divisée en deux camps : « le
premier où siège l’oisiveté, l’orgueil et la richesse ; le second où habitent le
travail et la souffrance, la misère et la vertu ». La vertu : terme sacré dans le
lexique du jacobinisme et qui ouvre la porte à la dimension essentielle de la
pensée politique de Laponneraye."

"Il était actif dans les milieux néo-babouvistes, et son nom fut cité dans
plusieurs conspirations républicaines : il figurait dans la proclamation de la
Société des Saisons, début 1839, comme membre d’un « gouvernement
provisoire » parmi lesquels se retrouvaient également Auguste Blanqui, Marc-
René Voyer d’Argenson et Hugues-Félicité Lamennais. Mais son combat
politique fut surtout mené à travers ses conférences sur l’histoire de la
Révolution française qu’il fonda à Paris, quelques mois après la révolution de
juillet 1830 – d’abord dans une école gratuite pour ouvriers, puis dans le cadre
1156
d’une série de « Cours publics », dispensés à partir de novembre 1831 dans une
salle qui réunissait environ 300 personnes 12 rue Thévenot. Pour atteindre un
public encore plus large, Laponneraye fit distribuer gratuitement ces cours sous
forme de brochures, ce qui attira également l’attention des autorités. Fermé par
la police en décembre, le cours valut à son auteur des poursuites judiciaires :
aux assises de la Seine, pendant son procès du 21 avril 1832, l’un des griefs
essentiels retenus contre Laponneraye fut d’avoir « excité la haine des ouvriers
contre les bourgeois ». Il écopa d’une peine de prison et il ne fut libéré que le 8
mai 1837, soit après cinq ans, trois mois, et dix-huit jours de captivité. Il purgea
la majeure partie de sa peine à Sainte-Pélagie, ce qui ne fit qu’ajouter à sa
célébrité."

"Le « bonheur public » était l’objet du combat politique républicain ; mais


avant d’en arriver là, l’étape de la douleur et l’exclusion était nécessaire : «
nous savons souffrir... le christianisme a eu ses martyrs, le républicanisme a les
siens - Ibid., p. 10. », dit-il."

"L’antonyme de liberté, c’est l’esclavage : principe séculaire dans la tradition


républicaine, qui était défini de manière compréhensive par Laponneraye pour
inclure la dépendance sur la volonté arbitraire d’autrui, mais aussi l’absence de
conditions matérielles d’existence : « L’homme qui a faim n’est pas libre et le
prolétaire, sans cesse aux prises avec la faim, est nécessairement esclave. D’un
point de vue théorique, cet ordre social esclavagiste reposait sur deux piliers.
D’abord, la bourgeoisie, nouvelle caste née des cendres de la Révolution, au
sein de laquelle Laponneraye identifiait une strate particulièrement néfaste : «
les hauts et puissants financiers, aristocrates d’argent, êtres méprisables qui
enfouissent leur honneur et leur conscience sous les triples verrous d’un coffre-
fort. Deuxième pilier : la royauté et les aristocrates, qui étaient des « esclaves
révoltés contre le souverain de la terre, qui est le genre humain »."

"Son parcours fut marqué par un combat incessant contre la monarchie de


Juillet, légitimé à ses yeux par l’article 27 de la Déclaration de 1793, qui
donnait à tout citoyen « le droit de résistance à l’oppression ». Combat livré
dans ses écrits et ses cours de 1830-1831, où il revendiquait la « destruction du
principe monarchique, combat de l’intérieur, pour libérer les prisonniers
républicains de Sainte-Pélagie (Laponneraye fut l’un des dix organisateurs de
la rébellion d’avril 1832 à être traduits en justice). Combat journalistique qu’il
reprendra à sa sortie de prison en 1837 et où il se battra pour l’unité des
1157
républicains dont les « tristes divisions faisaient le jeu de l’ennemi, et qui
s’acheva en 1840, après une série de heurts avec les autorités, par la fermeture
de son journal et la « ruine personnelle » (dette de 20655 F). Et surtout combat
à travers la conspiration politique : dès les premières années de la monarchie
de Juillet, Laponneraye a été actif dans les cercles néo-babouvistes, et son nom
fut cité dans plusieurs conspirations régicides, notamment celle du « coup de
pistolet » en 1833 ainsi que celle du complot blanquiste de la Société des
Saisons en 1839."

"Certains républicains célébraient aussi systématiquement, comme temps fort


dans l’histoire de la lutte contre la tyrannie, l’anniversaire de la mort de Louis
XVI, le 21 janvier 1793. Proclamé comme jour de deuil en France sous la
Restauration, et commémoré par les légitimistes, cet anniversaire du régicide
donna lieu à de vigoureuses « anti-fêtes » républicaines, qui continuèrent
pendant les années 1830 malgré l’abrogation officielle de l’anniversaire en
1833. À Sainte-Pélagie, en 1835, les prisonniers républicains se divisèrent sur
l’opportunité de cette « anti-fête » : Armand Carrel, qui refusa de se joindre à la
manifestation, se fit conspuer par ses camarades. La position que prit
Laponneraye sur cette question n’est pas connue, mais il y a peu de doute qu’il
était du côté des fêtards, car ses écrits célébraient la mémoire de la Terreur et
de « ces terribles et indomptables montagnards qui, la hache à la main,
détruisaient à grands coups l’édifice du passé »."

"La mémoire révolutionnaire de Laponneraye était en partie construite à travers


les témoignages des survivants, au premier rang desquels figurait la sœur de
Robespierre, Charlotte, qu’il semble avoir rencontrée au début des années
1830. En même temps, cette mémoire des années révolutionnaires était une
arme stratégique pour faire face au présent. Laponneraye offrit une formulation
saisissante de la présence de ce passé révolutionnaire dans son Cours public : «
La Révolution française dure encore, et ne finira que lorsque les rois auront
exterminé les peuples ou lorsque les peuples auront dévoré les rois ». Symbole
incontestable de la grandeur et de l’actualité de la Révolution, Robespierre était
l’un des piliers de l’entreprise mémorielle de Laponneraye. S’inspirant des
écrits de Buonarroti et de Philippe Buchez, il présentait l’Incorruptible comme
la figure centrale de la lutte révolutionnaire contre le despotisme monarchique."

"Loin d’offrir une apologie inconditionnelle de la Terreur, Laponneraye


proposait toutefois une lecture contextualisée de la violence révolutionnaire,
1158
notant d’abord que la force n’avait été utilisée contre les dantonistes qu’à « la
dernière extrémité », après que Robespierre eut plaidé vainement auprès de
Camille Desmoulins pour un retour aux principes révolutionnaires. Il souligna
également qu’alors que certains aspects de la Terreur avaient été «
indispensables, d’autres avaient été « inutiles » et même néfastes – notamment
les agissements de Jean-Baptiste Carrier, Joseph Fouché et Jean Tallien.
Laponneraye faisait ici la distinction entre les vrais montagnards, regroupés
autour de Robespierre, et les « opportunistes » qui l’abandonnèrent finalement
– et c’étaient ces derniers qui avaient été les vrais responsables des excès
inutiles de la Terreur."

"La France avait une vocation particulière (et même unique) dans le monde,
celle d’incarner le progrès ; comme Jules Michelet, Laponneraye ne « séparait
pas l’universalisme révolutionnaire de l’idée de nationalité française »."

"Comme beaucoup de ses contemporains, l’anglophobie de Laponneraye


s’inspirait également du souvenir de Sainte-Hélène et de l’humiliation du
souverain déchu par les Anglais ; il s’insurgeait également contre la politique
étrangère de la monarchie de Juillet, qui cherchait à pacifier l’Angleterre à tout
prix – même celui de l’avilissement national."

"Les écrits de Laponneraye montrent d’abord à quel point la force était un


élément primordial, incontournable, de la vision républicaine du politique
pendant le premier XIXe siècle. »

"Sa vision du rôle historique de la France était ancrée dans une conception du
patriotisme qui célébrait l’idée de la Grande Nation – célébration qui se
manifestait dans les années 1840 par sa défense de la colonisation algérienne,
et de la « juste et légitime » prééminence de la France dans la Méditerranée."
-Sudhir Hazareesingh & Karma Nabulsi, « Entre Robespierre et Napoléon : les
paradoxes de la mémoire républicaine sous la monarchie de Juillet [*]
», Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2010/5 (65e année), p. 1225-1247. DOI :
10.3917/anna.655.1225. URL : https://www.cairn-int.info/revue-annales-2010-
5-page-1225.htm

Gilbert du Motier, marquis de La Fayette (1757-1834):

La colonisation de l’Algérie (1830-1962):

1159
-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions
Gallimard, 2009, 554 pages, pp.170-174.

Julie Fanfernot : « Au moment où j’étais en extase devant le magnifique


horizon qui se déroulait devant nous, comme vous j’ai été surprise et pétrifiée
d’horreur en voyant les lauriers de Juillet et la couronne de ses héros subir tant
de hideuses métamorphoses. » -Julie Fanfernot, L’Étincelle, prospectus, 1833.

« Pendant les journées de Juillet 1830, beaucoup de femmes excitèrent les


hommes à aller se battre pour défendre la Charte ; beaucoup même, payant de
leur personne, firent le coup de feu sur les barricades ; aussi se trouvait-il
certaines femmes qui, comme la saint-simonienne Julie Fanfernot, pouvaient
s'intituler fièrement "décorée de Juillet". » -Léon Abensour, "Le féminisme sous
la monarchie de Juillet. Les essais de réalisation et les résultats", Revue
d’Histoire Moderne & Contemporaine, Année 1911, 15-2, pp. 153-176, p.164.

Laure Grouvelle (1803-1842) : « En 1838, une femme, Laure Grouvelle, fut


l'âme d'une conspiration républicaine. Fille du conventionnel Grouvelle, elle
s'était signalée dès sa jeunesse par son zèle pour les bonnes œuvres. Liée avec
les républicains, elle fut plus ou moins associée aux diverses tentatives
insurrectionnelles du commencement du règne de Louis-Philippe, et, de 1830 à
1835, elle alla sans cesse "de la Force à Sainte-Pélagie, de Sainte-Pélagie à la
Conciergerie, consolant les uns, rassurant les autres, apportent à tous un
soulagement ou une espérance, et suppléant à la force physique qui lui
manquait par l'excès de son zèle et l'énergie de sa volonté".
Liée avec Morey, l'un des conjurés de 1835, elle forma en 1838, avec Huber et
Steuble, un complot qui avait pour but de faire disparaître le roi et de changer
ensuite la forme du gouvernement. Le complot échoua. Laure Grouvelle, arrêtée
et "accusée d'avoir inspiré Huber et Steuble et roupé autour d'elle des hommes
d'action tout prêts à servir la violence de ses passions politiques", fut, malgré
les très nombreuses dépositions favorables de ses témoins à décharge,
condamné à cinq ans de prison. Elle mourut en 1842. » (pp.163-164)

« [Elle] avait essayé, sans succès, de fonder un journal socialiste, L’Étincelle. »


-Léon Abensour, "Le féminisme sous la monarchie de Juillet. Les essais de
réalisation et les résultats", Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine,
Année 1911, 15-2, pp. 153-176.

1160
Henri Beyle dit Stendhal (1783-1842) : « Il n’y a pas de droit naturel… Ce mot
n’est qu’une antique niaiserie, bien digne de l’avocat général qui m’a donné
chasse l’autre jour et dont l’aïeul a été enrichi par une confiscation de Louis
XIV. Il n’y a de droit que lorsqu’il y a une loi pour défendre quelque chose sous
peine de punition. Avant la loi, il n’y a de naturel que la force du lion, ou le
besoin de l’être qui a faim, qui a froid, le besoin, en un mot… » -« Julien
Sorel », in Stendhal, Le Rouge et le Noir. Chronique de 1830, 13 novembre
1830.

« Son style sec, précis, la revendication d'écrire aussi nuement que le Code civil,
écartent de Stendhal tout soupçon de romantisme, si, par romantisme on entend
: voiles gonflées, vents en rafales, orageux aquilons, souffles brûlants de la nuit,
lunes épandues sur les lacs, cœurs en pâmoison, enflures, boursouflures et
tonnerre des grandes orgues. Pourtant, Sainte-Beuve le qualifiait de « hussard
du romantisme », et Racine et Shakespeare, paru en 1825, où il prenait parti
avec véhémence pour Shakespeare contre Racine, pour les sorcières échevelées
de Macbeth contre les perruques de Bérénice, fut considéré comme un manifeste
de la nouvelle école romantique, et même comme le premier manifeste, avant la
préface de Cromwell de Victor Hugo (1827). [En réalité] Stendhal ne livrait pas
bataille pour le romantisme en soi, il émettait l'idée neuve que le goût est
mobile, qu'à chaque siècle correspond une nouvelle sensibilité qui réclame des
œuvres d'un ton nouveau. » -Dominique Fernandez, Dictionnaire amoureux de
Stendhal, Plon-Grasset, 2013, p.614-616.

« Stendhal [...] avec une inintelligence tout à fait indigne de son rare esprit [...]
proscrivait les anciennes formes et n'hésitait pas à condamner par exemple
d'une façon absolue la langue des vers. » -Paul Bourget, Nouveaux essais de
psychologie contemporaine, Paris, Alphonse Lemerre Éditeur, 1886, 306 pages,
p.86.

« Peu après la révolution de 1830, Stendhal écrivait: "Je pense que la Chambre
actuelle nous conduit à la méchante condition de république, condition affreuse
partout ailleurs qu'en Amérique". » -Eugen Weber, L'Action française, Fayard,
coll. Pluriel, 1985 (1962 pour la première édition états-unienne), 685 pages,
p.100.

Juan Donoso Cortès (1809-1853) : « Vous me demandez les éléments d’une


notice biographique ? Je vous prie de m’excuser si je ne vous obéis pas en cette

1161
occasion. Le public vous la demande ? Raison de plus pour que vous ne la lui
donniez pas. Le train de nos jours veut que tout le monde pose devant lui ; la
pose me semble souverainement ridicule, et surtout celle d’un petit homme
comme moi. Quand vous voudrez connaître ma vie, vous la connaîtrez. Après
mon Dieu, ma vie appartient à mes parents et à mes amis ; quant au public, il
n’a rien à faire avec moi, ni moi avec lui. Nos rapports ne seront jamais
bienveillants ; je l’accuse de gâter tout ce qu’il touche, en commençant par lui-
même. Entre lui et moi, il ne peut y avoir d’autres rapports que ceux que Dieu a
établis entre le démon et la femme : l’inimitié. » -Juan Donoso Cortés,
Correspondance, Œuvres (Veuillot éd.), t. II, p. 209.

« Donoso Cortès, intéressante figure d’homme politique et de penseur


espagnol. » -Julius Evola, Historiographie de la droite, revue Exil, 1975, p. 115-
118.

« Donoso Cortès, one of the foremost representatives of decisionist thinking and


a Catholic philosopher of the state, one who was intensely conscious of the
metaphysical kernel of all politics, concluded in reference to the revolution of
1848, that the epoch of royalism was at an end. Royalism is no longer because
there are no kings. Therefore legitimacy no longer exists in the traditional sense.
For him there was thus only one solution: dictatorship. » -Carl Schmitt,
Théologie politique - Quatre chapitres sur le concept de souveraineté, 1922.
D'après la traduction anglaise de George Schwab, The MIT Press, Cambridge,
Massachusetts, and London, England, 1985, 70 pages, p.51-52.

« Pour le philosophe espagnol [Cortès], pénétré d'augustinisme, c'est une


évidence absolue que, "dans son infirmité, l'entendement humain ne peut
inventer la vérité ni la découvrir ; mais il la voit quand on la lui présente". [...]
La raison humaine étant infirme, elle ne peut accéder à la vérité qu'à la
condition qu'une "autorité infaillible et enseignante [...] la lui montre". Cette
autorité qui seule peut présenter la vérité à la raison, c'est l'Église. » -Pierre-
André Taguieff, "Le paradigme traditionaliste: horreur de la modernité et
antilibéralisme. Nietzsche dans la rhétorique réactionnaire", in Luc Ferry, André
Comte-Sponville, et al., Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens, Grasset,
1991, 305 pages, pp.219-305, p.240-241.

http://hydra.forumactif.org/t1151-juan-donoso-cortes-oeuvres#1785

1162
Les Révolutions de 1848: « Among the 21 states experiencing revolutionary
turmoil, 20 had been hit by a grain-price shock between 1845 and 1847. » -
Helge Berger & Mark Spoerer, Economic Crises and the European Revolutions
of 1848, The Journal of Economic History, Vol. 61, No. 2 (Jun., 2001), pp. 293-
326, p.315.

La Révolution Allemande de 1848: « Partout la poussée démographique,


inaugurée à la fin du XVIII siècle, se poursuivait. La France passa de 27 000
000 d'habitants en 1801 à 35 000 000 en 1846. L'Allemagne de 24 800 000 en
1816 à 34 400 000 en 1845 (limites de 1914). Les villes proliféraient ; les 634
000 Parisiens de 1816 étaient devenus 1 360 000 en 1846. En Saxe et en Silésie,
où l'industrie se concentrait, presque toutes les villes doublèrent au moins le
nombre de leurs habitants […]. Ces populations, que l'instruction gagnait peu à
peu, formaient des troupes toutes prêtes à soutenir le combat de la
bourgeoisie. » (p.130)

« 1848 est, sans contredit, le moment où le peuple allemand s'est le, plus
approché du libéralisme politique au xixe siècle. Il s'en écarte ensuite et suit une
route opposée à celle des démocraties occidentales. » (p.131)

« Le grand fait, c'est la rupture de cette tradition libérale qui s'était affirmée
sous Frédéric II et sous Joseph II, et qui s'était par la suite répandue dans tout
l'empire. Les armées de la réaction eurent plus vite raison des libéraux en
Allemagne qu'en France. Et surtout elles en eurent plus totalement raison. Les
bourgeois libéraux, traqués ou simplement trop attachés à leur idéal pour
pouvoir, subsister sous un régime de censure et de police politique, émigrèrent
en masses. A la veille de la Révolution les mauvaises récoltes avaient amené une
recrudescence de l'émigration qui, depuis longtemps, poussait les artisans et les
paysans à chercher fortune en Amérique. 96 000 d'entre eux s'en allèrent ainsi
en i846, 1 10 000 en 1847. La Révolution, qui éveilla tant d'espoirs, diminua
leur nombre ; il oscilla entre 80 et 90 000 de 1848 à 1850. Puis, en 1851, les
emigrants furent 113 000 ; en 1852, 162 000 ; en 1853, 163 000 ; en 1854, 300
000.

Cette brusque augmentation de l'émigration n'avait pas de raison économique.


Elle concernait les bourgeois. Un grand nombre de leaders libéraux des États
restaurés, le pasteur Dulon de Brème, Hadermann de Francfort, Karl Schurz,
des pédagogues, des avocats, des médecins, des poètes et des musiciens, des

1163
officiers même désertèrent. Valentin estime à 1 100 000, soit le quarantième de
la population, le nombre de ceux qui s'en, allèrent, entre 1849 et 1854. Ils
emportèrent leur fortune, évaluée à

300 millions de thaler au moins, soit 900 millions de mark d'or. Ce n'étaient pas
de pauvres gens, mais une élite, dont la carence devait se faire sentir. » (p.132)

« En Allemagne, les ouvriers, privés des élites bourgeoises, s'organisèrent plus


nettement en classe et firent passer leurs revendications matérielles avant leurs
idéaux humanitaires. » (p.133)

« Une nouvelle tradition, autoritaire, s'est créée, dominée par l'armée, la


noblesse; et les fonctionnaires, elle aboutit à l 'Allemagne capitaliste et
prussianisée de 1880.

Les deux blocs, dont les libéraux s'inquiètent aujourd'hui, dont ils veulent
empêcher la formation, dont ils voient avec effroi la limite passer de la Vistule à
l'Oder ou de l'Oder à l'Elbe, ces deux blocs se sont formés en 1850, quand
l'unité morale du continent a été brisée par la Révolution internationale de 1848
— et leur limite est sur le Rhin. » (p.134)

-Henri Brunschwig, Propos sur la Révolution de 1848. In: Annales. Économies,


Sociétés, Civilisations. 3e année, N. 2, 1948. pp.129-134.

Lajos Kossuth (1802-1894) et les Révolutions autrichienne et hongroise de


1848 : « A Vienne, le 15 mars, l'empereur Ferdinand, après la chute du
chancelier Metternich, octroie la liberté de la presse, la création d'une garde
nationale et annonce une Constitution. » -Nicolas Roussellier, L'Europe des
libéraux, Éditions Complexe, 1991, 225 pages, p.66-67.

http://hydra.forumactif.org/t3825-lajos-kossuth-et-les-revolutions-autrichienne-
et-hongroise-de-1848#4670

L’Unification de l’Italie (Risorgimento: 1848-1861): « Renverser l’ancien


gouvernement, cela ne suffit pas ; il faut encore lui en substituer un autre, et
pour nous, le meilleur gouvernement me semble la République, car il rappellera
nos anciennes gloires et sera amélioré par les libertés modernes. Non pas que
nous entendions par là nous séparer de nos autres frères italiens ! Bien au
contraire, nous allons former un de ces centres qui serviront à la fusion
graduelle, successive, de notre Italie chérie en un seul tout ! Vive donc la

1164
République ! Vive la liberté ! Vive saint Marc ! » -Daniele Manin proclame la
République sur la place Saint-Marc de Venise, 22 mars 1848.

« Dès le 23 mars, Isacco Pesaro Maurogonato28, une des figures importantes


du Quarantotto vénitien, dans une lettre à Nicolò Tommaseo, précise ce qui
distingue la « révolution sociale » française de 1848, menée par « les ouvriers
et le peuple » de celle de Venise, « révolution politique » faite « par la classe
intelligente », la bourgeoisie. À Venise, le droit au travail est des plus critiqué
par les dirigeants principalement issus de la bourgeoisie commerçante ou
d’affaires. Manin, par exemple, est conforté dans sa méfiance des ateliers
nationaux par les événements parisiens de Juin.

En revanche, Venise s’inspire de la France pour promouvoir la liberté de culte,


la liberté de la presse et le suffrage universel masculin. Les symboles
républicains français côtoient les symboles vénitiens lors des cérémonies
officielles, comme le 11 septembre 1848 lors de la revue des troupes de la
Garde nationale sur la place Saint-Marc, où la Marseillaise est chantée et
perçue comme l’emblème de la fraternité qui lie Venise à la nation française. Le
25 mars, Gustavo Modena prend la défense de la République, non pas celle de
la Sérénissime, mais bien la République française de 1792. » (p.8)

« La révolution italienne de 1848 s’oppose clairement à l’état d’esprit de 1789 :


Risorgimento signifie re-naissance, il s’agit de renouer avec la grandeur du
génie italique de l’époque moderne ou de l’Antiquité. 1848 ne se veut pas une
rupture, il s’inscrit au contraire dans une continuité historique forte.

L’historien Furio Diaz parle d’une véritable incompréhension de la Révolution


française par les hommes du Risorgimento, une incompréhension héritée de
l’expérience des républiques jacobines des années 1797-1799. Au XIX e siècle,
l’historiographie italienne de la Révolution ne retient que le régicide et la
Terreur. Un penseur comme Vincenzo Cuoco reproche par exemple à la
Révolution de 1789 d’être une construction de concepts abstraits, contraires aux
lois naturelles, sans profondeur temporelle, en d’autres termes sans racines. À
Venise, Antonio Alchini publie le 30 avril 1848 une prière à saint Marc, dans
laquelle il évoque l’outrage et l’échec de 1797 : les libertés nouvelles ne
peuvent s’établir à Venise que si elles respectent l’ordre naturel et historique de
la cité lagunaire57. Selon l’auteur, les mots d’égalité et de liberté étaient ceux
de Robespierre et donc de la Terreur, alors que 1848 se fait contre les principes

1165
de 1789, en s’appuyant sur ceux du Christ qui transcendent la révolution elle-
même, puisque millénaires. » (p.14)

« Manin refuse l’idée d’une Italie résultant de l’élargissement d’un seul État au
détriment des autres, la seule issue possible est pour lui celle d’une adhésion
spontanée de chaque État au sein d’une fédération, l’équilibre entre ses
membres étant fondamental. Cela ne l’empêchera pas de se rallier au Piémont à
partir de 1855 dans le cadre de la Société nationale. Mais en 1848, pour Manin,
la République de Venise est « une des familles italiennes », comme le rappelle le
lion de saint Marc, en haut à gauche sur le champ vert du nouveau drapeau
tricolore commun aux nouvelles républiques révolutionnaires.

L’unité qu’il nomme « communion italienne » doit passer par le fédéralisme,


une solution politique dont les États-Unis et la Suisse sont les meilleurs
exemples. En Italie le fait républicain conserve un lien étroit avec l’univers
urbain (les républiques de Florence, de Venise, etc.) et secondairement avec la
nation. La ville comme petit État et patrie à part entière, communauté solidaire
où la citoyenneté est vécue de manière directe, s’avère être la plus adaptée à
l’apprentissage des valeurs civiques. » (p.15)

- Ivan Brovelli, « 1848 à Venise : l’imaginaire politique d’une révolution


italienne », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 43 | 2011, mis en ligne le
10 juillet 2015, consulté le 30 septembre 2016.

« Les échecs des révolutions de 1821 et de 1831 allaient considérablement


marquer la génération qui apparut alors sur la scène politique. Elle fut, pendant
son exil, en contact avec les grands mouvements européens et elle essaya de
comprendre l’insuccès des tentatives italiennes et d’imaginer les solutions qui
pouvaient être mise en place. Deux modèles s'affrontèrent, ou plutôt se
succédèrent : un modèle révolutionnaire et démocratique, celui de Giuseppe
Mazzini, un modèle libéral et modéré qui se subdivisa en plusieurs courants, en
fonction de l’importance accordée au pape ou à la puissance laïque, en
l’occurrence la maison de Savoie.

Lorsque Charles-Albert de Savoie-Carignan accéda au trône du Piémont le 27


avril 1831, les espérances des milieux libéraux furent revivifiées. On se souvient
en effet de ses velléités en 1821. Pourtant, en 1831, Charles-Albert était surtout
partagé entre la haine de l’Autriche et la méfiance pour les milieux
« subversifs » qui faisaient de l’Autriche un rempart indispensable. […] Le
1166
clergé restait très présent, les militaires dominaient la société et la classe
dirigeante était empreinte d’un solide conservatisme, mais les idées nouvelles
pénétrèrent peu à peu sous le gouvernement des modérés, renforçant
l’antagonisme entre l’aristocratie et la bourgeoisie. C’est dans ce contexte que
naquit le mazzinisme. » (p.324-325)

« Ferdinand II des Deux-Siciles, un des souverains les plus réactionnaires


d’Italie, proche de l’Ancien Régime, accepta, après une révolte autonomiste à
Palerme, d’accorder une constitution à ses sujets. Bien qu’il faille ramener ce
projet de constitution à sa juste place –elle était très modérée-, cet exemple
obligea les autres souverains à faire de même. Les 11 et 8 février 1848 Charles-
Albert et Léopold II promirent à leur tour une constitution qui fut promulguée en
mars. Au Piémont ce fut le fameux Statuto et, le 14 mars, le royaume de
Sardaigne adoptait le drapeau vert-blanc-rouge apparu en 1796. Enfin, Pie IX se
décida à son tour pour une constitution modérée du type de la Charte française
révisée en 1830. […]

La révolte viennoise de mars 1848 […] déclencha le soulèvement de Milan,


débouchant sur les Cinq Jours (18-23 mars) et le retrait des troupes autrichiennes
du maréchal Radetzsky.

Quelques jours plus tard, Venise, sous la direction de Niccolo Tommaseo et de


Daniele Manin, chassa les Autrichiens et proclama immédiatement la
République. Les princes clients des Hasbourg s'effondrèrent à leur tour, à
Modène et à Parme. » (p.337)

-Catherine Brice, Histoire de l’Italie, Hatier, coll. Nations d’Europe, 1992, 495
pages.

« A l’époque moderne et au début de l’époque contemporaine, c’est la


disparition de l’Italie sur le plan politique qui constitue sa principale originalité :
encore un sujet politique actif au XVe siècle, elle devint, au terme de ce qu’on a
appelé en France « les Guerres d’Italie » (1492-1559) qui opposèrent la France
des Valois à l’Empire et à l’Espagne des Habsbourg, un objet passif que se
disputèrent les grands Etats continentaux constitués en Europe à la charnière du
Moyen Age et des temps modernes. » (p.3)

-Philippe Gut, L’Italie de la Renaissance à l’Unité. XVIe-XIXe siècle, Hachette,


coll. Carré.Histoire, 2001, 255 pages.

1167
« Le congrès de Vienne, guidé par le seul principe de légitimité et bien décidé à
effacer toute trace de la Révolution française, ne tint aucun compte des
aspirations nationales du peuple italien lorsqu’il procéda au redécoupage de la
péninsule. La nouvelle carte de l’Italie manifesta l’influence accrue de
l’Autriche. Lombardie, Vénétie et Valteline, la partie la plus riche et la plus
peuplée de l’Italie, réunies en un Royaume lombard-vénitien, devinrent une
province de l’Empire autrichien. La restauration y fut modérée : les codes
autrichiens se substituèrent aux codes français mais les institutions
administratives ou économiques du précédent Royaume restèrent en place ; on
organisa une police efficace qui traqua les nostalgiques du régime napoléonien,
tandis que l’enseignement primaire et secondaire fut encouragé, de sorte que le
Royaume lombard-vénitien connut bientôt le plus faible taux d’analphabétisme
de toute l’Italie. En Toscane (agrandie des Présides, de Piombino et de l’île
d’Elbe), Ferdinand III de Habsbourg-Lorraine, en digne fils de Pierre-Léopold,
penchait vers le libéralisme ; il conserva les institutions françaises qui avaient
fait leurs preuves et soutint la politique économique du premier ministre
Fossombroni qui s’arracha à développer l’agriculture et les travaux publics (les
routes) et à maintenir la liberté de commercer alors que Livourne retrouvait une
forte activité ; la police quant à elle se montra également libérale concernant les
idées « nouvelles ». L’impératrice Marie-Louise à la tête de Parme, Plaisance et
Guastalla, s’appuyant sur l’autrichien Neipperg qu’elle épousa à la mort de
Napoléon, maintint elle aussi les institutions françaises, assouplit même le code
pénal, se refusa à instaurer une censure, développa l’instruction et l’assistance
publiques, et conféra à son duché la réputation d’être l’Etat le mieux gouverné
de la péninsule et de jouir d’une relative liberté. A Parme comme dans le
Lombard-Vénitien et en Toscane, la subordination de l’Église à l’Etat, héritée de
Joseph II et de Napoléon, perdura et la vente des biens ecclésiastiques fut
confirmée.

Il en alla tout différemment dans le duché voisin de Modène où François IV


d’Este-Autriche, cousin de Marie-Louise, abolit les lois et institutions
postérieures à son exil (1796) et indemnisa la noblesse pour la perte de ses droits
féodaux. Après avoir épuré la haute administration, il gouverna en despote
nullement éclairé, en s’appuyant sur une police sourcilleuse qui traquait toute
velléité libérale et sur l’Église catholique : on rappela les jésuites et les ordres
religieux, naguères supprimés ; ce gouvernement « du trône et de l’autel » fut
rapidement détesté. Les Bourbons recouvrèrent leurs trônes : la duchesse Marie-
1168
Louise hérita de Lucques, en attendant de récupérer Parme à la mort de la veuve
de Napoléon, et Ferdinand IV réintégra, le 17 juin 1815, le royaume de Naples :
hostile au libéralisme, il se garda bien d’appliquer dans la partie continentale de
ses Etats la Constitution, proche de la Constitution française de 1791, que les
Anglais l’avaient obligé d’adopter en Sicile en 1812, mais il conserva les
institutions mises en place durant le decennio napoléonien. Son ministre
De’Medici, formé à l’école des Lumières, pratiqua au niveau administratif l’
« amalgame » entre les fonctionnaires de l’époque muratiste et ceux du royaume
de Sicile ; en dépit de la pression de la noblesse, on ne revint pas sur l’abolition
de la féodalité. Mais les tendances réactionnaires du souverain apparurent en
1816 lorsqu’il se proclama Roi des Deux-Siciles, manifestant ainsi le désir
d’unifier ses Etats, et abolit alors la constitution de 1812 en Sicile ; il s’aliéna de
la sorte les libéraux qui l’avaient assez favorablement accueilli à son retour et
beaucoup d’entre eux s’exilèrent.

Lorsqu’il revint à Rome, bien décidé à en chasser toute trace de l’époque


impériale dont il gardait un mauvais souvenir, Pie VII rétablit, en s’appuyant sur
des cardinaux « zélés » (les zelanti tel que le cardinal della Genga, futur pape
Léon XII (1823-1829), l’un des plus virulents), la législation archaïque en
vigueur dans les Etats pontificaux avant l’irruption des Français, de sorte que les
efforts du cardinal-secrétaire d’Etat Consalvi pour instaurer un Etat
« administratif » se trouvèrent en grande partie annihilés. La réaction prit une
tournure si violente qu’on interdit même la vaccination contre la variole et qu’on
supprima l’éclairage public dans les rues.

La restauration dans le royaume de Piémont-Sardaigne fut totale : les codes


français supprimés, les anciennes lois rétablies, les Juifs réintégrèrent les ghettos
et les Vaudois furent inquiétés. » (p.178-179)

« En dépit de la répression [du début des années 1820], d’autres insurrections


éclatèrent aussitôt sauvagement réprimées, dans le Cilento, massif montagneux
au sud de Salerne, dans le Napolitain, où les membres de la société des Filafelfi
avaient constaté que les puissances conservatrices européennes n’étaient pas
intervenues pour rétablir l’ « ordre » turc en Grèce, mais avaient au contraire
soutenu les insurgés grecs. Bien des patriotes libéraux italiens militaient dans
des comités philhellènes, bientôt transformés en comités libéraux intéressés par
les affaires italiennes. » (p.182)

1169
« Le Risorgimento italien, ce mouvement de renaissance qui aboutit à la création
d’un royaume d’Italie en 1861, plongeait ses racines dans le XVIIIe siècle des
Lumières et du despotisme éclairé. Il était soutenu par une bourgeoisie et une
partie de l’aristocratie attachée à des réformes politiques, qui espéraient, à terme,
une participation au pouvoir politique et économique, souhaitant la suppression
des contraintes qui pesaient sur les marchés et qui entravaient son
enrichissement. […] A la grande bourgeoisie mercantile se rallia [avec la
Révolution française] la petite bourgeoisie urbaine, voire même les travailleurs
des manufactures ou du commerce qui ne tardèrent pas à déchanter. Les masses
populaires, essentiellement paysannes, ne se sentirent que rarement concernées
par ce mouvement qui ne semblait pas devoir leur profiter. » (p.184)

« C’était à un régime libéral qu’aspiraient de leur côté Giampietro Vieusseux,


Niccolo Tommaseo ou Gino Caponi, à travers l’Antologia de Florence. Faute de
pouvoir formuler en Italie des projets politiques qu’interdisait la censure, ils
s’attachèrent, de 1815 à 1845, à proposer des solutions à des problèmes
économiques concrets : amélioration de la production agricole (les sociétés
agronomiques) ou industrielles, des transports (les chemins de fer), des crédits
(les caisses d’épargne), du progrès en général (les congrès scientifiques), ce qui
mettait en contact érudits, intellectuels, savants, hommes de terrain, venus de
toutes les régions d’Italie.

Pour ceux d’entre eux qui se compromirent dans les mouvements


révolutionnaires libéraux des années 1820-1821 et 1831, il fallut tirer des leçons
de leurs échecs lourdement payés, qui marquèrent le déclin irrémédiable de la
Charbonnerie. Beaucoup durent émigrer. » (p.185)

« Giuseppe Mazzini, né à Gênes en 1805, subit l’influence de son père, médecin


d’esprit républicain imprégné de jacobinisme, et de sa mère également patriote
mais aussi fervente catholique. Avocat, il adhéra à la Charbonnerie, collabora à
l’Antologia, mais la teneur de ses articles le rendirent suspect aux autorités ;
soupçonné de complot, il fut arrêté à Gênes en 1830 et contraint à l’exil : il
gagna Marseille où il créa une société secrète, La Giovine Italia (La Jeune
Italie), pour réaliser l’Italie une et indivisible ; il somma le nouveau roi de
Piémont Charles-Albert de faire l’unité de l’Italie sans quoi il appellerait à le
combattre, ce qui lui valut d’être condamné à mort par contumace ; puis il se
rendit à Lyon où il participa à une tentative d’invasion de la Savoie à l’initiative
de la Charbonnerie […]
1170
A Londres où il se réfugia, il rédigea un programme qui témoignait de son
admiration pour la Révolution française et de la religiosité héritée de sa mère,
pénétré en outre d’un déisme qui tenait autant de Rousseau que de Robespierre.
A la base de ce programme, s’exprimait la croyance fondamentale dans le
progrès sous-tendue par un principe universel que la devise « Dieu et Peuple »
de la Jeune Italie manifestait. Certains peuples ont reçu pour mission de faire
progresser l’humanité ; il en est ainsi pour la nation italienne qui a joué par le
passé, sur le continent européen, un rôle éminent. Mazzini rappelait ce que fut
l’Italie impériale dans l’Antiquité, l’Italie pontificale au Moyen Age et annonça
la troisième Italie (terza Italia) qui, après s’être rassemblée, conduirait les
peuples d’Europe à la fraternité. Ce qui devait amener le fondateur de la Jeune
Italie à créer en 1834 la Jeune Europe qui eut pour but de coordonner les
mouvements nationaux. Mazzini reprochait aux libéraux italiens de n’avoir pas
su impliquer le peuple italien dans le mouvement révolutionnaire. L’Italie devait
faire son unité avec le soutien du peuple qu’il convenait pour cela d’éduquer.
Les membres de la Jeune Italie avaient donc une mission : prêcher et enseigner
la révolution, élever le peuple à la conscience politique afin de fonder la nation
italienne dans une République une et indivisible. Pour être efficace, le
mouvement patriotique devait se doter d’une direction unique et, pour atteindre
le but qu’il s’était fixé, se donner un moyen : l’insurrection du peuple en armes
encadré par les éléments éclairés de la bourgeoisie. La notion de peuple, chez
Mazzini, restait vague et surtout ne renvoyait pas aux questions sociales. Pour
lui, les malheurs du peuple italien tenaient à la division de l’Italie, à l’oppression
politique et à l’occupation étrangère qu’elle subissait ; s’il admettait que la
propriété était un moyen d’oppression autant que de gouvernement, il estimait
pourtant, à la différence des socialistes, qu’il ne fallait pas l’abolir mais au
contraire la rendre accessible à tous ; hostile à la lutte des classes, il prêchait leur
union dans une association capital-travail. Cette doctrine connut un succès
incontestable auprès de nombreux éléments de la petite et moyenne bourgeoisie
qui, toutefois, étaient très peu représentatives de cette société italienne. La
disproportion entre les objectifs visés et les moyens mis en œuvre pour les
atteindre, jointe à cette méconnaissance de la réalité sociale italienne, conduisit
aux échecs répétés que connurent les entreprises mazziniennes. » (p.186-187)

« Pour la première fois, les révolutions italiennes ne furent pas, en 1848, à la


remorque d’événements extérieurs, mais les précédèrent. Le « Printemps des
peuples » précoce en Italie, débuta dès le mois de janvier. Tandis que le 3
1171
janvier des accrochages se produisaient à Milan entre la police autrichienne et
des patriotes qui faisaient la grève du tabac, une insurrection qui chassa l’armée
napolitaine éclata le 12 à Palerme ; un gouvernement provisoire se constitua et
proclama la Constitution de 1812 et la déchéance des Bourbons. Les troubles
s’étendirent au continent : Ferdinand II, craignant pour son trône annonça son
intention d’adopter une Constitution qui fut promulguée le 11 février. Ainsi, le
premier dans la péninsule, un des Etats les plus absolutistes d’Italie se dotait
d’un régime constitutionnel comparable à celui dont jouissait la France. Les
autres Etats italiens suivirent, et bientôt Turin, Florence et Rome se dotèrent de
constitutions comparables : bicaméralisme, suffrage censitaire et garde nationale
furent les piliers des nouveaux régimes. » (p.189)

« Charles-Albert hésitait : Lamartine, au nom de la République française, avait


fait savoir que la France n’interviendrait pas en Italie (4 mars) ; l’Angleterre se
contentait de suivre avec sympathie les événements de la péninsule ; en
revanche, la puissance de l’Autriche restait imposante, en dépit de la Révolution
qui avait éclaté à Vienne et chassé Metternich, et la Russie constituait une
menace sérieuse. Mais, apprenant le succès des Milanais, le 23 mars, Charles-
Albert lança la fameuse proclamation par laquelle il annonçait fièrement que
l’Italie se ferait seule (L’Italia fara da sé) et chasserait seule l’étranger. Le 24
mars [1848], le Conseil des ministres déclara la guerre à l’Autriche. » (p.190)

« Le 30 mai, les Piémontais obtinrent à Peschiera leur dernière victoire. La chute


de Vicence privait en effet Charles-Albert de tout espoir d’acquérir la
Vénétie […] A la demande des modérés, mais au grand dam des démocrates, des
plébiscites étaient organisés en Lombardie en faveur de l’annexion au Piémont
(votée par le Parlement de Turin le 15 juin), dans les duchés, en Vénétie de
Terre-Ferme et enfin (3 juillet) à Venise (contre l’avis de Manin). Pendant ce
temps, Radetzky reconquérait progressivement la Vénétie et le 25 juillet, après
avoir battu les Piémontais à Custozza, franchissait le Mincio. Charles-Albert
n’avaient plus que 20 000 hommes à opposer à 40 000 Autrichiens ; le 3 août, il
fut battu devant Milan qu’il évacua le 5, à la grande colère des Milanais qui
redoutait le retour des Tedeschi. Le 9 août, le général Salasco, au nom de
Charles-Albert, signa l’armistice avec le maréchal Radetzsky : tous les
territoires temporairement occupés par les Piémontais devaient être évacués ; la
Lombardie fut occupée par les Autrichiens jusqu’au Tessin. […] C’était […] la
fin du « Printemps des peuples ». » (p.191-192)

1172
« Garibaldi et une poignée de volontaires tentèrent en vain de gagner Venise où
Malin avait organisé la résistance contre les Autrichiens qui bombardait la ville
décimée par le choléra. Venise, ultime pôle de la révolution démocratique et
libérale en Europe, capitula le 26 août. » (p.194)

-Philippe Gut, chapitre 9 « De la Restauration au « Printemps des Peuples »


(1815-1848) », in L’Italie de la Renaissance à l’Unité. XVIe-XIXe siècle,
Hachette, coll. Carré.Histoire, 2001, 255 pages.

« La révolution de 1848 en France s’inscrit dans un cadre européen bien plus


large, dans lequel chaque mouvement dans une partie du continent a des
répercussions sur les autres. En ce qui concerne la France et l’Italie, ce lien est
évident : l’octroi de constitutions par les princes italiens au début de l’année
1848 précède la révolution de février en France, mais cette dernière accélère le
mouvement de transformation de la Péninsule et pousse les républicains italiens
à exiger davantage de réformes et d’engagement en faveur de l’indépendance de
la Péninsule. C’est dans ce contexte que doit se comprendre l’intervention du
roi du Piémont Charles-Albert en Lombardie pour y chasser les Autrichiens : il
se lance entre autre dans cette entreprise pour ne pas se laisser déborder par les
républicains italiens qui revendiquent l’indépendance avec d’autant plus de
force que la fin de la monarchie de Juillet leur laisse penser que l’ordre issu du
traité de Vienne est sur le point de s’effondrer. » -Angelo Morabito. La
construction nationale italienne dans le miroir français. Représentations
croisées des ”Pères de la Patrie italienne” en France du Printemps des Peuples
à la Grande Guerre (1848-1914). Histoire. Université Paris-Est, 2012.

« Son républicanisme témoigne d'un esprit de synthèse : ainsi défend-il un


patriotisme universaliste combinant l'idée de la nation héritée de Herder (que
Mazzini connaît par la traduction de son ami Quinet), et l'idée progressiste des
Lumières reprise à Paine et Condorcet. Proche d'Alexandre Ledru-Rollin et
surtout de Leroux, qu'il rencontrera par George Sand, Mazzini radicalisera
certaines analyses de celui-ci en montrant que le socialisme, dont il s'était
d'abord lui-même réclamé, n'est que l'héritier de l'utilitarisme de Bentham, et
qu'il ne peut donc plus incarner les idéaux généreux du mouvement
démocratique. De là sa rupture finale avec Leroux, non dénuée d'aspects
tactiques. Mazzini et les « mazziniens » apparaîtront en outre, tant à Marx et
Engels qu'à Bakounine, comme des adversaires à éliminer au sein de la Ire
Internationale. Pourtant, Mazzini sera souvent considéré comme un authentique
1173
socialiste, précurseur des théories de la coopération. » -Serge Audier, Les
théories de la république, Paris, Éditions La Découverte, coll. Repères, 2015
(2004 pour la première édition), 125 pages, p.54.

http://hydra.forumactif.org/t3614-paul-ginsborg-daniele-manin-and-the-
venetian-revolution-of-1848-49#4452

La Deuxième République (1848-1951) : « Et voici la Révolution française qui


recommence. » -Alexis de Tocqueville, Souvenirs.

« Pas un Français ne peut se résigner à croire que ce soit là le dénouement de


la glorieuse histoire de la France. » -François Guizot.

« On a fait une révolution sans idée. La Nation française est une nation de
comédiens. » -Proudhon, Carnets, février 1848.

« Il semble que la Seconde République se soit modelée sur la Première


République. » -Henri Guillemin, Les évènements de 48.

« Ce n'est pas une émeute, c'est la plus terrible de toutes les guerres civiles, la
guerre de classe à classe, de ceux qui n'ont rien contre ceux qui ont. » -Alexis
de Tocqueville, Lettre à Paul Clamorgan, 24 juin 1848.

« Le Peuple Constituant a commencé avec la République, il finit avec la


République : car ce que nous voyons, ce n’est pas, certes, la République, ce
n’est même rien qui ait un nom. Paris en état de siège, livré au pouvoir
militaire, livré lui-même à une faction qui en a fait un instrument ; les cachots et
les forts de Louis-Philippe encombrés de 14 000 prisonniers, à la suite d’une
affreuse boucherie organisée par des conspirateurs dynastiques devenus, le
lendemain, tout-puissants ; des transportations sans jugement, des proscriptions
telles que 93 n’en fournit pas d’exemple ; des lois attentatoires au droit de
réunion, détruit de fait ; l’esclavage et la ruine de la presse, par l’application
monstrueuse de la législation monarchique remise en vigueur ; la garde
nationale désarmée en partie ; le peuple décimé et refoulé dans sa misère, plus
profonde qu’elle ne le fut jamais ; non, encore une fois non, ce n’est pas là la
République, mais autour de sa tombe sanglante, les saturnales de la réaction.
Les hommes qui se sont faits ses ministres, ses serviteurs dévoués, ne tarderont
pas à recueillir la récompense qu’elle leur destine et qu’ils n’ont que trop
méritée. Chassés avec mépris, courbés sous la honte, maudits pour l’avenir, ils
s’en iront rejoindre les traîtres de tous les siècles dans le charnier où
1174
pourrissent les âmes cadavéreuses, les consciences mortes. Mais que les
factieux ne se flattent pas non plus d’échapper à la Justice inexorable qui pèse
les œuvres et compte les temps ! Leur triomphe sera court. Le passé qu’ils
veulent rétablir est désormais impossible. A la place de la royauté, qui, à peine
debout, retomberait d’elle-même sur un sol qui refuse de la porter, ils ne
parviendront à constituer que l’anarchie, un désordre profond dans lequel
aucune nation ne peut vivre, et de peu de durée dès lors. » -Félicité de
Lamennais, Silence au pauvre, 11 juillet 1848.

« Apprenons à connaître le peuple, ce souverain dont nous faisons partie,


apprenons à l’aimer puisque de toutes les grandes nations de l’Europe la
France semble appelée la première, après bien des crises funestes, à goûter
enfin sous son règne les bienfaits de la liberté, de l’ordre et du progrès. »

« Chez l’individu, la passion est souvent mesquine, étroite, parce qu’elle naît de
l’intérêt particulier ; chez les masses, les passions ont leur source dans les plus
nobles instincts ou tout au moins dans l’intérêt général ; elles ont donc toujours
une grandeur, une puissance, une beauté qui sont celles de la nature, de
l’humanité elle-même. » -Pierre-Eugène Flotard, La France démocratique, 1850.

« La « réprésentation nationale » est uniquement celle des vrais riches. Pour


être électeur, il faut payer, non même plus, comme sous la bourgeoisie
Constituante, l’équivalent, en contributions directes, de « dix journées de
travail », mais bien un minimum de 300 francs (et pour être éligible, 1000). De
telle sorte que « la France » politique est réduite au chiffre de 90 000 notables,
ou semi-notables, soit un sur cent des Français majeurs. » (p.20)

« Les « trois Glorieuses », en juillet 1830, débouchent, le 29, sur un


gouvernement provisoire qui, sur sept membres, ne compte pas moins de trois
banquiers (Laffitte, Odier, Casimir-Perier) et le premier président du Conseil du
régime Louis-Philippe est un banquier (Laffitte). Par précaution, ensuite, et
décence, et souci de trompe-l’œil, les banquiers, après Casamir, préféreront
s’effacer et ne maintenir leur toute-puissance que par personnes interposées.
Thiers leur sera précieux pour cet emploi ; si précieux que la Banque de France
fera frapper en son honneur (1840) une médaille d’or. » (p.24)

« Le commerçant est-il gêné dans ses profits par la concurrence de produits


importés que le consommateur se procure à bien meilleur prix et que les siens ?
L’Etat, l’Etat impartial, l’Etat absent (l’économie ne le concerne pas) oublie
1175
soudain sa règle de neutralité sereine. Il intervient, impérieux. Il pose ses
barrières de douane. Car « la protection, dira Pouyer-Quertier, industriel du
Havre, et futur ministre des Finances du gouvernement de M. Thiers, la
protection est une obligation que l’Etat se doit d’assurer à l’égard des
manufacturiers ».

Les chemins de fer vont naître sous Louis-Philippe. Et rien n’illustre mieux, et
en traits plus expliites, l’ « économie » telle que la conçoit l’équipe établie
depuis 1830 à Paris, aux leviers de commande, rien n’est plus admirablement
exemplaire que la loi d’organisation datée du 11 juin 1842 : l’Etat prend à sa
charge les frais d’expropriation pour le passage des lignes (et là même, déjà,
quel champ d’opérations financières avenantes !) et tous les frais de
substructure, comportant ponts et tunnels. La compagnie concessionnaire se
borne à fournir les rails (et à en assurer la pose) ainsi que le matériel roulant.
En échange de ces prestations, tous les bénéfices de l’exploitation lui sont
réservés ; il est prévu en outre que, si la concession n’est pas renouvelée, lui
seront remboursées les sommes qu’elle a engagées dans l’affaire. Type de
contrat, celui que passe l’Etat avec la Compagnie des Chemins de fer du Nord,
fondée par les Rothschlid : apport de l’Etat, 87 millions ; apport de la
Compagnie, 60 millions ; durée de la concession première : quarante ans. Les
bénéfices de la Compagnie seront de 14 millions par an. Autrement dit, les
financiers auront, en moins de cinq ans, récupéré leur capital et continueront
pendant trente-cinq ans, à toucher leurs 14 millions annuels. Qui dit mieux ?
[…]

Singulière « liberté » constituée d’un dispositif écrasant de prohibitions et de


lois dont l’objet est de faciliter et de couvrir les profits d’une bande –en
anglais : « gang »- à qui l’économie nationale appartient. » (p.26-27)

« La même année 1832, dans la Revue encyclopédique d’avril, J. Reynaud a fixé


un point important du vocabulaire. « Je nomme prolétaires, a-t-il dit, les
hommes qui, produisant toute la richesse de la nation, ne possèdent pour vivre
que le salaire journalier de leur travail, -travail qui dépend de causes laissées
en dehors d’eux. Je nomme bourgeois tous les hommes à la volonté desquels la
destinée du prolétaire est soumise et enchaînée, qui tiennent l’industrie à leurs
gages et qui n’ont de vœu, pour leur sort du lendemain, que la continuation de
leur sort de la veille » ; autrement dit : les conservateurs. En 1842, les
statistiques officielles –par conséquent suspectes d’atténuation – signalent, pour
1176
l’ensemble du pays, quatre millions de « mendiants reconnus » et quatre autres
millions d’ « indigents non mendiants ». Le 30 août 1848, nul ne contestera les
chiffres donnés, à la tribune, par Pierre Leroux : « plus de trente millions » de
personnes, en France, disposent de « moins de vingt sous par jour ».

Entre 1830 et 1848, les salaires ont généralement diminué, parfois de manière
très sensible (dans les filatures, la journée de travail est tombée, en moyenne, de
2.75F à 1.80F), tandis que le prix de la vie connaissait une hausse constante
(17% sur les principaux articles de consommation entre 1826 et 1846). » (p.32-
33)

« Concurrence enfantine et féminine [qui] explique principalement la baisse


générale des salaires. La main d’œuvre féminine en France (les chiffres ne sont
connus que pour l’année 1838) s’élevait alors, selon les régions, de 56 à 70%
dans les grandes entreprises. » (p.35)

« Lamartine […] a toujours su ce qu’avait été le rôle de Bonaparte, et dans une


lettre à Circourt, 2 août 1847, il parle avec clarté de « cette réaction […] qui
dure depuis le 18 Brumaire. » (p.47)

« Des grèves, cependant, ont lieu. Elles sont interdites et ne s’en multiplient pas
moins ; 44 affaires judiciaires pour délit de grève en 1838 ; 64 en 1839 ; 130 en
1840. La classe possédante commence à s’alarmer. Des rumeurs circulent au
sujet de « sociétés secrètes » qui s’organiseraient dans les profondeurs du
peuple. […] Si les « Icariens » de Cabet, plus ocupés de rêveries que d’action,
permettent à la police d’agiter le spectre rouge du communisme, ce n’est pas là
que se rassemblent les militants. Ni chez les disciples de Considérant, et encore
moins autour de Pierre Leroux, ce cauteleux, ce prudentissime, avec un
penchant, de surcroît, pour la vie d’entretenu. Que fut, au juste, la « Société des
Saisons », qui se serait scindée en 1847 et dont seraient sortis ces corpuscules :
la « Société matérialiste communiste » et la « Société communiste
révolutionnaire » ? A mon sens, si Paris, en 1848, peut compter un millier
d’hommes, tout au plus un millier, résolus à se battre, prêts aux risques
suprêmes, pour renverser, par la violence, un régime d’iniquité, c’est
l’estimation la plus optimiste que l’on puisse avancer des forces
révolutionnaires dans la capitale. Et rien ne prouve que ceux dont les noms
sortiront de l’ombre, en Février, les Lagrange, les Sobrier, les Caussidière aient
été, précédemment, les plus efficaces. Un Philippe Faure ne sera jamais du

1177
premier plan et pourtant je crois deviner en lui d’homme d’action réel. Les
blanquistes aussi, semble-t-il, ont de la consistance. Il y aura beaucoup de
morts, dans les journées de Février, et il n’est pas absurde de supposer que les
meilleurs furent précisément ceux qui disparurent au combat, « témoins »
anonymes mais qui se sont fait tuer.

Une certitude : ces militants de l’ombre savent ce qu’ils veulent détruire et


pourquoi ; mais l’ordre qu’ils voudraient substituer au désordre, ils sont fort
loin d’en concevoir clairement les structures. Un mot résume cet espoir –ardent,
confus- qui les brûle et les soulève : la République. Voilà cinquante ans, ou
presque, qu’elle a été assassinée, et il n’y a guère, parmi eux, de survivants de
93, ni des hontes du Directoire. Le vocable a repris son éclat, son pouvoir à la
fois d’éblouissement et d’aimantation. La République, c’est le peuple qui vote et
qui gère, en personne, les affaires de la nation, la fin de l’esclavage ; forcément,
du même coup, la fin de la misère. Avec la République, on vivra, on pourra
élever ses enfants au lieu de les voir mourir. Lamartine y est pour beaucoup,
avec son Histoire des Girondins, dans cette vaste ferveur d’espérance. Vaste,
car si les membres des Sociétés secrètes ne sont qu’une poignée, un
frémissement est né, à travers le pays, dans les villes et en quelques points des
campagnes, une attente, une fièvre, le plus souvent naïve et sans haine. » (p.49-
50)

« Quiconque a les yeux ouverts sait que la « corruption » sous Louis-Philippe


n’est pas l’accident, c’est le fondement, c’est la marche et la substance du
système qui repose tout entier sur le pillage de la nation par ceux qui se sont
institués l’Etat, et Louis-Philippe, pour sa part, faute d’être, de par sa couronne,
en position de recevoir des « dons et présents », se rattrape sur les forêts du
pays qu’il dévaste, coupes sur coupes, augmentant ainsi discrètement, de
soixante quinze millions, depuis 1830, les ressources que lui alloue sa liste
civile. » (p.51)

« Quand ont lieu les blanquets où les « capacités » boivent à la « réforme », on


constate, dans les villes, que la plèbe bouge. Des blousiers –la blouse est
l’uniforme de l’ouvrier- s’assemblent autour de la salle où sont réunis, pour
leurs agapes progressistes, les bourgeois « de gauche », et ils acclament, à la
sortie, les orateurs venus de la capitale. Le Pouvoir n’aime pas ces détails que
lui communique la police. Quant aux valeureux réformistes, ils se réjouissent au
contraire de l’appui que leur prête le prolétariat. Utile, précieux, indispensable
1178
même, le soutien populaire pour le succès de leur entreprise. Sans les ouvriers
de Paris, les « glorieuses » n’eussent pas été telles. […] On veillera, le moment
venu, et l’opération réussie, à maintenir la plèbe à sa place, c’est-à-dire au
sous-sol, par des moyens appropriés, oratoires et autres. L’exemple de Juillet
permet, sur ce point, les plus raisonnables espérances. Les convives des
banquets n’ont aucune ambition malsaine. Leur opposition, dans l’ensemble, est
« dynastique », c’est leur mot. Ils en ont à Guizot, décidément impossible dans
son égoïsme d’attablé sans cœur ; à Guizot, mais pas à « la couronne », -respect
du bon « pilote » Louis-Philippe (« pilote », pour le souverain, et même « pilote
hardi », cette trouvaille est d’Alfred de Musset, 1838) –et encore moins au
système qu’il ne s’agit pas, grands dieux ! d’abolir, mais d’élargir un peu
seulement au profit de nouveaux et légitimes bénéficiaires.

Odilon Barrot est le grand homme de l’ « opposition dynastique ». Il est un de


ceux qui, en Juillet, ont le plus vivement contribué à l’accès au trône du duc
d’Orléans, et depuis dix-sept ans il n’a pas cessé, avec une conscience
exemplaire, de rendre à Louis-Philippe le service de figurer cette gauche qui
symbole le Progrès, l’Avenir, mais sous des traits, pour le régime, exempts du
moindre danger. Il est le trompe-l’œil immuable. » (p.60)

« Thiers est un arriviste bourgeois, qui hait les pauvres, que le prolétariat
terrifie et qui ne s’affuble du bonnet rouge, pour battre sa caisse, que dans
l’intention de se faire hisser à la cime par ceux-là même qu’il exècre ; il compte
sur ces dupes pour le mettre en mesure, justement, de les empêcher de passer. »
(p.61-62)

« Dès les Journées de Juillet, Lamartine a compris que le problème français était
d’ordre social ; et il lui paraissait, en outre, évident que ce pouvoir royal de
raccroc, attribué au duc d’Orléans par une coterie politicienne et bancaire,
s’écroulerait un jour ou l’autre devant des barricades plus puissantes et vingt fois
plus peuplées de combattants que n’avaient été celles dont des habiles s’étaient
servis pour en faire un marchepied au souverain de leur choix. A date inconnue,
mais inexorable, Lamartine prévoyait le renversement d’un trône vaille que
vaille dressé par la voie d’un escamotage : à la monarchie « légitime », c’est-à-
dire ancestrale, se substituait une monarchie d’usurpation qui tenait la place, par
surcroît, et certainement pour peu d’années, de ce gouvernement du peuple par
le peuple, inscrit d’avance dans les faits. La démocracie, ce vœu du bon sens, le
monde y marchait par son mouvement même. Et Lamartine, avec des
1179
précautions de langage mais distinctement néanmoins, n’avait pas fait mystère
de sa conviction à cet égard dans sa brochure de 1831 : De la politique
rationnelle. Tout son effort, jusqu’en 1842, a été de persuasion : il s’est acharné
à montrer aux « conservateurs » qu’ils perdront tout et la France avec eux, s’ils
ne comprennent pas l’urgence de lois sociales équitables permettant au
prolétariat une vie décente, une vie humaine, la vie tout court. Son minuscule
« parti social » n’a rencontré aucun succès. Il a beau répéter que la compression
est le plus sûr moyen d’aboutir à une explosion, il parle dans le désert. En
décembre 1841, il a voulu en avoir le cœur net et faire le compte de ceux qui, à
la Chambre, commencent, peut-être, grâce à lui, à prendre conscience du
problème, du péril, et de ce qu’il faut faire, de toute nécessité et vite, pour
épargner au pays une convulsion tragique ; il s’est présenté au vote de ses
collègues pour la présidence de l’Assemblée ; le scrutin a eu lieu le 28 décembre
1841 et, sur 309 votants, Lamartine n’a réuni que 64 voix. Les conservateurs lui
ont préféré ce bon Sauzet qui, du moins, n’ennuie personne et ne joue pas les
Cassandre. Dès lors le député de Mâcon modifie sa tactique. « J’ai pris mon
parti, écrit-il à son collègue Cordier, du Jura, je vais combattre au lieu de
conseiller » et, le 22 septembre 1842, il déclare à Pagès (de l’Ariège) : « Dans
quatre ans [il ne se trompe que d’un an], ce sera l’heure des angoisses pour ce
vieux parti composé par tiers d’intriguants, d’imbéciles et d’honnêtes gens
qu’on appelle les hommes de gouvernement depuis 1830. Le pays leur
échappera […] ; nous nous en emparerons avec la force que donnent la lutte et la
popularité de l’opposition et, si Dieu nous assiste, nous le sauverons ».

Lamartine est l’isolé, l’incompris et, de ce fait, « l’homme de réserve ». Il dit à


son ami Champvans (24 février 1844) : « mon isolement est un capital que je ne
dépenserai pas légèrement », et à son beau-frère Ligonnés : « Je vais me rendre
impossible pour être puissant et nécessaire plus tard » (12 décembre 1842), et à
Ronot, l’ami mâconnais : « Je sais où je tends comme la boussole sait le pôle »
(17 février 1842). Il voit venir, inévitable, « le jour où les joueurs de gobelet
[…] auront perdu la dernière partie avec leurs cartes sales (à la Grange, 28
novembre 1842), et ces « joueurs de gobelet » se nomment « Guizot, Molé,
Thiers, Passy, Dufaure, cinq manières de dire le même mot » (au même, 5
octobre 1842). La comédie de « l’opposition dynastique » l’écoeure. « Je n’aime
les farces qu’aux Variétés […] J’attends, et j’écris les Girondins » (à
Champvans, 24 novembre 1844). Son Histoire des Girondins, il ne s’en cache

1180
pas, c’est un « discours » qu’il adresse « à la nation », il y veut « rallumer la
flamme » ; il entend « préparer l’avènement du peuple ». » (p.63-65)

« Qu’il y ait eu, dans l’action qu’il mène depuis 1842, un côté-rempart, un
aspect défensif, c’est certain. Ce châtelain n’est pas exempt d’un réflexe de
classe à l’égard de la plèbe. Incontestable également que Lamartine, avec ce
dédain un peu seigneurial qu’il professe pour les livres, n’a jamais prêté qu’une
attention distraite aux œuvres des théoriciens socialistes. » (p.66)

« Royaliste de naissance, il s’est rallié, peu à peu, puis ardemment, à la pensée


démocratique. Homme d’État, homme de gouvernement, il veut en même temps
un régime de liberté et où « la liberté ne sera pas le masque du privilège ». »
(p.67)

« Le 18 juillet 1847, le député de Mâcon a pris une initiative sérieuse. Un


banquet à participation plébéienne ayant été organisé dans sa ville natale en son
honneur, il y a prononcé des paroles qui ont rententi à travers toute la France. Il
ne s’est pas contenté de flétrir l’actuelle « régence de la bourgeoisie, aussi pleine
d’agiotages, de concessions et de scandales que la Régence » de 1715, mais il a
ouvertement réclamé une « représentation nationale » authentique « sans
acception de classe et de fortune » et il a annoncé à Louis-Philippe et à son
régime « la révolution du mépris ». Lorsque la Chambre se réunit pour la
première session de 1848, Lamartine, depuis dix-huit mois silencieux dans
l’enceinte parlementaire, reparaît à la tribune, et pour des propos frémissants. Il
vote contre l’Adresse au roi, préparée par la majorité, et il le fait violemment, ne
craignant pas d’ajouter que ce NON, ce total refus d’approbation, il l’apporte
« avec la voix et la main du pays tout entier », et il dénonce la politique de
Guizot « gibeline à Rome, sacerdotale à Berne, autrichienne dans le Piémont,
russe à Cracovie, française nulle part, contre-révolutionnaire partout » (29
janvier 1848). » (p.68)

« Si large que soit, depuis 1837, son recrutement, [la Garde Nationale] reste
formée de citoyens assujettis à la contribution personnelle, et chacun y doit
subvenir lui-même aux frais de son équipement ; c’est dire que les prolétaires
n’y ont point accès. Mais, s’il n’y a pas là d’ouvriers, il y a tout de même pas
mal d’artisans petits patrons, et les boutiquiers s’y sont introduits, lesquels
boutiquiers, dans les quartiers plébéiens, vivent, pour une part, de la clientèle
ouvrière ; ils connaissent, ils comprennent, les revendications de ces misérables.

1181
Et nous savons déjà qu’ailleurs, en dehors des zones « de l’ingence et du
travail », bon nombre de gardes nationaux sont des gens qui s’estiment
parfaitement qualifiés pour ce droit de vote que l’insupportable Guizot s’obstine
à leur interdire. Si bien que l’on assiste, en vingt, en cent endroits, à ce spectacle
révoltant : la garde nationale qui s’interpose entre la troupe et l’émeute, et des
officiers même de la milice bourgeoise qui crient : « Vive la Réforme ! » et qui
empêchent les soldats de tirer. Maxime Du Camp rapporte dans ses Souvenirs
qu’il a eu ce fait sous les yeux, place des Victoires ; il a vu, devant lui, un chef
de bataillon de la garde nationale enlever son shako, et le brandir à la pointe de
son sabre : « A bas Guizot ! », puis conduire vers le Boulevard tous ses hommes,
brusquement mués en protestataires énergiques. […]

Louis-Philippe apprend, vers midi, ce qu’on a voulu d’abord lui cacher mais qui
se vérifie de manière tragique et quasi générale : la défection de sa milice,
l’écroulement de ce rempart tenu pour inviolable, solide comme l’airain, et qui
s’affaissait comme du sable. » (p.84-85)

-Henri Guillemin, 1848. La première résurrection de la République, Éditions


d’Utovie, Coll. H.G, 2006 (1948 pour la première édition), 574 pages.

« La loi du 30 avril 1793 renvoie dans leurs foyers les femmes aventurées aux
armées et leur interdit désormais toute prestation militaire ; il en subsistera
quelques-unes, dissimulées. Mais l'opprobre désormais s'attache à celles qui
s'enrôlent. En 1848, la raillerie salace poursuit les Allemandes, et surtout les
Vésuviennes de Paris, ces femmes du peuple armées, qui avaient l'audace de
revendiquer une "Constitution politique des femmes", le port du costume
masculin et l'accès à tous les emplois publics, "civils, religieux, militaires". » -
Michelle Perrot, "Sortir", in Geneviève Fraisse & Michelle Perrot (dir.), Histoire
des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", Perrin, 2002 (1991 pour la
première édition), 765 pages, pp.539-574, p.570.

https://www.amazon.fr/1848-r%C3%A9volution-oubli%C3%A9e-
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http://www.amazon.fr/French-Republic-Under-Cavaignac-
Frederick/dp/0691051712/ref=sr_1_1?s=english-
books&ie=UTF8&qid=1429823876&sr=1-
1&keywords=The+French+Republic+under+Cavaignac

http://hydra.forumactif.org/t1812-auguste-jean-marie-vermorel-les-hommes-de-
1848#2495

http://www.contrepoints.org/2015/11/05/227079-les-generaux-de-la-republique-
ii-cavaignac

Alphonse de Lamartine (1790-1869) : « J'ai l'instinct des masses, voilà ma


seule supériorité politique. » -Alphonse de Lamartine, en 1828.

« Les prolétaires, classe nombreuse, inaperçue dans les gouvernements


théocratiques, despotiques et aristocratiques, où ils vivent à l’abri d’une des
puissances qui possèdent le sol, et ont leurs garanties d’existence au moins dans
leur patronage ; classe qui, aujourd’hui, livré à elle-même par la suppression de
leurs patrons et par l’individualisme, est dans une condition pire qu’elle n’a
jamais été, a reconquis des droits stériles, sans avoir le nécessaire, et remuera
la société jusqu’à ce que le socialisme ait succédé à l’odieux individualisme.

C’est de la situation des prolétaires qu’est née la question de la propriété qui se


traite partout aujourd’hui ; question qui se résoudrait par le combat et le

1183
partage si elle n’était résolue bientôt par la raison, la politique et la charité
sociale. La charité, c’est le socialisme ; l’égoïsme, c’est l’individualisme. »

-Alphonse de Lamartine, Voyage en Orient, 1835.

« Rien de grand ne s'est fait, de grand, de monumental en France, et je dirais


dans le monde, que par l'État : et comment cela serait-il autrement ? Vous avez
beau calomnié la force publique, la puissance de l'association universelle et
gouvernementale n'a-t-elle pas des conditions de capacité et d'omnipotence
mille fois supérieures à celles des associations individuelles ? »

-Alphonse de Lamartine, L'étatisation des chemins de fer, Discours prononcé à


la Chambre des députés, Paris, 9 mai 1838.

« Le patriotisme est le premier sentiment, le premier devoir de l’homme que la


nature attache à son pays avant tout, par-dessus tout, par tous les liens de la
famille et de la nationalité, qui n’est que la famille élargie. Celui qui ne serait
pas patriote ne serait pas un homme complet, ce serait un nomade. Pourquoi
est-il si beau de mourir pour son pays ? C’est que c’est mourir pour quelque
chose de plus que soi-même, pour quelque chose de divin, pour la durée et la
perpétuité de cette famille immortelle qui nous a engendrés et de qui nous avons
tout reçu ! […] Mais il y a deux patriotismes : il y en a un qui se compose de
toutes les haines, de tous les préjugés, de toutes les grossières antipathies que
les peuples abrutis par des gouvernements intéressés à les désunir nourrissent
les uns contre les autres. Je déteste bien, je méprise bien, je hais bien les nations
voisines et rivales de la mienne ; donc je suis bien patriote ! Voilà l’axiome
brutal de certains hommes d’aujourd’hui. Vous voyez que ce patriotisme coûte
peu : il suffit d’ignorer, d’injurier, et de haïr. […] Il en est un autre qui se
compose au contraire de toutes les vérités, de toutes les facultés, de tous les
droits que les peuples ont en commun et qui, en chérissant avant tout sa propre
patrie, laisse déborder ses sympathies au-delà des races, des langues, des
frontières, et qui considère les nationalités diverses comme les unités partielles
de cette grande unité générale dont les peuples divers ne sont que les rayons,
mais dont la civilisation est au centre ! C’est le patriotisme des religions, c’est
celui des philosophes, c’est celui des plus grands hommes d’État. » -Patrick
Clervoy, « Spécificités françaises », Inflexions, 2014/2 (N° 26), p. 37-41. DOI :
10.3917/infle.026.0037. URL : https://www.cairn-int.info/revue-inflexions-
2014-2-page-37.htm

1184
« La proclamation de la République française n’est un acte d’agression contre
aucune forme de gouvernement dans le monde. Les formes de gouvernement ont
des diversités aussi légitimes que les diversités de caractère, de situation
géographique et de développement intellectuel, moral et matériel chez les
peuples […].

La guerre n’est donc pas le principe de la République française, comme elle en


devint la fatale et glorieuse nécessité en 1792. Entre 1792 et 1848, il y a un
demi-siècle. Revenir, après un demi-siècle, au principe de 1792 ou au principe
de conquête de l’empire, ce ne serait pas avancer, ce serait rétrograder dans le
temps. La révolution d’hier est un pas en avant, non en arrière. Le monde et
nous, nous voulons marcher à la fraternité et à la paix.

Si la situation de la République française, en 1792, expliquait la guerre, les


différences qui existent entre cette époque de notre histoire et l’époque où nous
sommes expliquent la paix. […].

En 1792, la nation n’était pas une. Deux peuples existaient sur un même sol.
Une lutte terrible se prolongeait encore entre les classes dépossédées de leurs
privilèges et les classes qui venaient de conquérir l’égalité et la liberté. […] Il
n’y a plus de classes distinctes et inégales aujourd’hui. L’égalité devant la loi a
tout nivelé. […]

Les traités de 1815 n’existent plus en droit aux yeux de la République


française ; toutefois les circonscriptions territoriales de ces traités sont un fait
qu’elle admet comme base et comme point de départ dans ses rapports avec les
autres nations […]

Nous le disons hautement : si l’heure de la reconstruction de quelques


nationalités opprimées en Europe, ou ailleurs, nous paraissent avoir sonné dans
les décrets de la Providence ; si la Suisse, notre fidèle alliée depuis François
Ier, était contrainte ou menacée dans le mouvement de croissance qu’elle opère
chez elle pour prêter une force de plus au faisceau des gouvernements
démocratiques ; si les Etats indépendants de l’Italie étaient envahis ; si l’on
imposait des limites ou obstacles à leurs transformations intérieures ; si on leur
contestait à main armée le droit de s’allier entre eux pour consolider une patrie
italienne, la République française se croirait en droit d’armer elle-même pour
prôtéger ces mouvements légitimes de croissance et de nationalité des peuples. »
-Circulaire du ministre des Affaires étrangères du Gouvernement provisoire de
1185
la République française Alphonse de Lamartine, aux agents diplomatiques de la
République française. Extrait du Moniteur du 5 mars 1848. Texte tiré de Louis-
Antoine Garnier-Pagès, Histoire de la Révolution de 1848. Europe, Paris,
Pagnerre, 1861, t.3, p.357-363.

« Quelque chose qu’il arrive, il sera beau dans l’histoire d’avoir tenté la
République. » -Alphonse de Lamartine, Le Moniteur universel, 7 octobre 1848.

« Héros des romans populaires de Lamartine, Geneviève. Histoire d’une


servante (1850), dédié à la couturière et poète d’Aix en Provence Reine Garde,
qui raconte l’histoire des malheurs et du courage jamais démenti d’une fille du
peuple dans les vallées alpines ; ou Le Tailleur de pierres de Saint-Point (1851),
récit d’amours tragiques et fable philosophique autour d’un ouvrier compagnon
rural du Mâconnais. Lamartine, ancien chef du gouvernement provisoire de la
République qui a proclamé au printemps 1848 le « droit au travail » et a été
chassé du pouvoir, est conscient de la nécessité de renouveler la littérature en
direction du peuple de villes et des campagnes. Il écrit en 1850, dans la préface
de Geneviève : « Le peuple qui veut s’instruire, se distraire, s’intéresser par
l’imagination, s’attendrir par le sentiment, s’élever par la pensée, va mourir
d’inanition ou s’enivrer de corruptions, si on n’y prend garde. Il faut que la
société s’en occupe, ou il faut que Dieu suscite un génie populaire, un Homère
ouvrier, un Milton laboureur, un Tasse soldat, un Dante industriel, un Fénelon
de la chaumière, un Racine, un Corneille, un Buffon de l’atelier, pour faire à lui
seul ce que la société égoïste ou paresseuse ne veut pas faire, un commencement
de littérature, une poésie, une sensibilité du peuple ! » Mais les romans du poète
homme politique, originaire de l’aristocratie terrienne du Mâconnais, demeurent
aussi généreux que moralisants. » -Philippe Boutry, « Le monde du travail et ses
représentations », Cours d’agrégation, Sorbonne, Amphithéâtre Richelieu,
février 2021.

« Lamartine est un poète d’enivrement sans bornes, sans forme. » -Alfred de


Vigny, cité par Jacques-Philippe Saint-Gérand, Alfred de Vigny : vivre, écrire,
Presses universitaires de Nancy, 1994, p. 126.

« Il publie une première brochure politique, Sur la politique rationnelle (1831)


où il expose ses idées : liberté de la presse, liberté et gratuité de l’enseignement,
séparation de l’Église et de l’État, suffrage universel à plusieurs degrés,
abolition de la peine de mort… Ce sont des idées audacieuses pour le temps.

1186
Un voyage en Orient (1832-1833) le conforte dans ses convictions : « En
religion, en philosophie, en politique, tout ce qui a horreur de la raison a
horreur de la France. » Il considère que l’Empire turc est voué à la décrépitude
et qu’il convient aux puissances européennes de le coloniser pour lui apporter
« un sang nouveau et des idées nouvelles ». »

« Sur la peine de mort, il avait fait un remarquable discours le 18 avril 1836 :


« les échafauds, spectacle autrefois des rois et des cours, se construisent
honteusement la nuit pour échapper à l’horreur du peuple. » Il y revient, cette
fois devant la Chambre, le 18 mars 1838, reprenant les formules les plus
heureuses de son premier discours : « vous devez faire le dernier pas et
supprimer la mort que vous n’appliquez déjà presque plus. »

Le 10 février 1840, le banquet organisé par la société française de


l’émancipation de l’esclavage lui offre une tribune en présence d’Anglais et
d’Américains. Les esclaves ? « On les peint comme des brutes pour s’excuser de
n’en pas faire des hommes. » Il exalte les liens entre la France et l’Angleterre :
« nous sommes à nous deux le piédestal des droits du genre humain. » Les deux
pays n’ont-ils pas interdit la traite ? Il devait y revenir le 10 mars 1842,
dénonçant la traite avec « ces tombeaux flottants remplis de cargaisons
humaines. » N’avait-il pas écrit une pièce sur Toussaint Louverture qui fut
refusé par la Comédie Française ? »

« Centralisateur convaincu, il souhaite un réseau conçu par l’État et non laissé


exclusivement aux sociétés privées. « Les compagnies vous feront des chemins
aristocratiques dont le peuple sera exclu ; l’État vous fera des voies
démocratiques où tout le monde circulera aux frais de tout le monde. »

Mais, dans le même discours, dénonçant les barrières douanières, ne s’écrie-t-il


pas : « il n’y a point d’ennemis en matière d’échange et de commerce ? » Il
devait évoquer en 1846 les « douanes excessives, véritable gendarmerie qui
empêche la fortune de France d’entrer et de sortir. » Il défendra avec
obstination le libre-échangisme face aux intérêts particuliers qui ont obtenu le
maintien d’une politique protectionniste. » -Gérard-Michel Thermeau,
Lamartine : un romantique égaré en politique ?, Contrepoints, 28 février 2019.

http://www.utovie.com/catalog/histoire/lamartineetlaquestionsociale-p-43.html

http://hydra.forumactif.org/t859-alphonse-de-lamartine-oeuvres#1470

1187
https://soundcloud.com/club-44/les-evenements-de-48

Alexis de Tocqueville (1805-1859) : « Manchester, 2 juillet 1835.

Caractère particulier de Manchester.

La grande ville manufacturière des tissus, fils, cotons … comme Birmingham


l’est des ouvrages de fer, de cuivre et d’acier.

Circonstance favorable: à dix lieues [50 Km] du plus grand port de l’Angleterre
[Liverpool sur la côte ouest face à l’Irlande], lequel est le port de l’Europe le
mieux placé pour recevoir sûrement et en peu de temps les matières premières
d’Amérique. A côté, les plus grandes mines de charbon de terre pour faire
marcher à bas prix ses machines. A 25 lieues [125 Km], l’endroit du monde où
on fabrique le mieux ces machines [Birmingham]. Trois canaux et un chemin de
fer pour transporter rapidement dans toute l’Angleterre et sur tous les points du
globe ses produits.

A la tête des manufactures, la science, l’industrie, l’amour du gain, le capital


anglais. Parmi les ouvriers, des hommes qui arrivent d’un pays [l’Irlande] où les
besoins de l’homme se réduisent presque à ceux du sauvage, et qui travaillent à
très bas prix; qui, le pouvant, forcent les ouvriers anglais qui veulent établir une
concurrence, à faire à peu près comme eux. Ainsi, réunion des avantages d’un
peuple pauvre et d’un peuple riche, d’un peuple éclairé et d’un peuple ignorant,
de la civilisation et de la barbarie.
Comment s’étonner que Manchester qui a déjà 300.000 âmes s’accroisse sans
cesse avec une rapidité prodigieuse ? […]

Aspect extérieur de Manchester (2 juillet).

Une plaine ondulée ou, plutôt une réunion de petites collines. Au bas de ces
collines, un fleuve de peu de largeur (l’Irwell), qui coule lentement vers la Mer
d’Irlande. Deux ruisseaux (le Medlock et l’Irk) qui circulent au milieu des
inégalités du sol, et, après mille circuits, viennent se décharger dans le fleuve.
Trois canaux, faits de main d’homme, et qui viennent unir sur ce même point
leurs eaux tranquilles et paresseuses […]

Trente ou quarante manufactures s’élèvent au sommet des collines que je viens


de décrire. Leurs six étages montent dans les airs, leur immense enceinte
annonce au loin la centralisation de l’industrie. Autour d’elles ont été semées

1188
comme au gré des volontés les chétives demeures du pauvre. Entre elles
s’entendent des terrains incultes, qui n’ont plus les charmes de la nature
champêtre […] Ce sont les landes de l’industrie. Les rues qui attachent les uns
aux autres les membres encore mal joints de la grande cité présentent, comme
tout le reste, l’image d’une œuvre hâtive et encore incomplète ; effort passager
d’une population ardente au gain, qui cherche à amasser de l’or, pour avoir d’un
seul coup tout le reste, et, en attendant, méprise les agréments de la vie.
Quelques-unes de ces rues sont pavées, mais le plus grand nombre présente un
terrain inégal et fangeux, dans lequel s’enfonce le pied du passant ou le char du
voyageur. Des tas d’ordures, des débris d’édifices, des flaques d’eau dormantes
et croupies se montrent ça et là le long de la demeure des habitants ou sur la
surface bosselée et trouée des places publiques. Nulle part n’a passé le niveau du
géomètre et le cordeau de l’arpenteur.

Parmi ce labyrinthe infect, du milieu de cette vaste et sombre carrière de


briques, s’élancent, de temps en temps, de beaux édifices de pierre dont les
colonnes corinthiennes surprennent les regards de l’étranger. On dirait une ville
du moyen-âge, au milieu de laquelle se déploient les merveilles du XIXème
siècle. Mais qui pourrait décrire l’intérieur de ces quartiers placés à l’écart,
réceptacles du vice et de la misère, et qui enveloppent et serrent de leurs hideux
replis les vastes palais de l’industrie ? Sur un terrain plus bas que le niveau du
fleuve et domine de toutes parts par d’immenses ateliers, s’étend un terrain
marécageux, que des fosses fangeux tracas de loin en loin ne sauraient dessécher
ni assainir. Là aboutissent de petites rues tortueuses et étroites, que bordent des
maisons d’un seul étage, dont les ais mal joints et les carreaux brisés annoncent
de loin comme le dernier asile que puisse occuper l’homme entre la misère et la
mort. Cependant les êtres infortunés qui occupent ces réduits excitent encore
l’envie de quelques-uns de leurs semblables. Au-dessous de leurs misérables
demeures, se trouve une rangée de caves à laquelle conduit un corridor demi-
souterrain. Dans chacun de ces lieux humides et repoussants sont entasses pêle-
mêle douze ou quinze créatures humaines.

Tout autour de cet asile de la misère, l’un des ruisseaux dont j’ai décrit plus haut
le cours, traîne lentement ses eaux fétides et bourbeuses, que les travaux de
l’industrie ont teintées de mille couleurs. Elles ne sont point renfermées dans des
quais ; les maisons se sont élevées au hasard sur ses bords. Souvent du haut de
ses rives escarpées, on l’aperçoit qui semble s’ouvrir péniblement un chemin au

1189
milieu des débris du sol, de demeures ébauchées ou de ruines récentes. C’est le
Styx de ce nouvel enfer.

Levez la tête, et tout autour de cette place, vous verrez s’élever les immenses
palais de l’industrie. Vous entendez le bruit des fourneaux, les sifflements de la
vapeur. Ces vastes demeures empêchent l’air et la lumière de pénétrer dans les
demeures humaines qu’elles dominent ; elles les enveloppent d’un perpétuel
brouillard ; ici est l’esclave, là est le maître ; là, les richesses de quelques-uns ;
ici, la misère du plus grand nombre ; là, les forces organisées d’une multitude
produisent, au profit d’un seul, ce que la société n’avait pas encore su donner ;
ici, la faiblesse individuelle se montre plus débile et plus dépourvue encore
qu’au milieu des déserts ; ici les effets, là les causes.

Une épaisse et noire fumée couvre la cité. Le soleil paraît au travers comme un
disque sans rayons. C’est au milieu de ce jour incomplet que s’agitent sans cesse
300.000 créatures humaines. (…)

C’est au milieu de ce cloaque infect que le plus grand fleuve de l’industrie


humaine prend sa source et va féconder l’univers. De cet égout immonde, l’or
pur s’écoule. C’est là que l’esprit humain se perfectionne et s’abrutit ; que la
civilisation produit ses merveilles et que l’homme civilisé redevient presque
sauvage. » -Extraits de Alexis de Tocqueville, Œuvres complètes : Voyages en
Angleterre, Irlande, Suisse et Algérie, t. V, fasc. 2, éd. J.-P. Mayer, Gallimard,
Paris 1958, p. 78-82.

« Qu'on écoute attentivement la voix de nos différents partis... La plupart


estiment que le gouvernement agit mal ; mais tous pensent que le gouvernement
doit sans cesse agit et mettre à tout la main. »

« Il y a des gens qui n’ont pas craint de dire qu’un peuple, dans les objets qui
n’intéressaient que lui-même, ne pouvait sortir entièrement des limites de la
justice et de la raison, et qu’ainsi on ne devait pas craindre de donner tout
pouvoir à la majorité qui le représente. Mais c’est là un langage d’esclave.

Qu’est-ce donc qu’une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des
opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu’on
nomme la minorité ? Or, si vous admettez qu’un homme revêtu de la toute-
puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n’admettez-vous pas
la même chose pour une majorité ? Les hommes, en se réunissant, ont-ils

1190
changé de caractère ? Sont-ils devenus plus patients dans les obstacles en
devenant plus forts ? Pour moi, je ne saurais le croire ; et le pouvoir de tout
faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l’accorderai jamais à
plusieurs. »

« La majorité elle-même n’est pas toute-puissante. Au-dessus d’elle, dans le


monde moral, se trouvent l’humanité, la justice et la raison ; dans le monde
politique, les droits acquis. » -Alexis de Tocqueville, De la démocratie en
Amérique.

« Il est, en effet, difficile de concevoir comment des hommes qui ont entièrement
renoncé à l'habitude de se diriger eux-mêmes pourraient réussir à bien choisir
ceux qui doivent les conduire ; et l'on ne fera point croire qu'un gouvernement
libéral, énergique et sage, puisse jamais sortir des suffrages d'un peuple de
serviteurs. » -Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, vol II,
Quatrième Partie : Chapitre VI, 1840.

« Je ne craindrai pas de dire que la doctrine de l’intérêt bien entendu me


semble, de toutes les théories philosophiques, la mieux appropriée aux besoins
des hommes de notre temps, et que j’y vois la plus puissante garantie qui leur
reste contre eux-mêmes. » -Tocqueville, DA, OC, I, vol.2, VIII, p.129.

« L’idée que chaque individu, et par extension chaque peuple, a le droit de


diriger ses propres actes ; cette idée encore obscure, incomplètement définie et
mal formulée, s’introduit peu à peu dans tous les esprits. » -Alexis de
Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution.

« Ce n’est pas sans y avoir mûrement réfléchi que je me suis déterminé à écrire
ce livre que je publie en ce moment. Je ne me dissimule point ce qu’il y a de
fâcheux dans ma position : elle ne doit m’attirer les sympathies vives de
personne. Les uns trouveront qu’au fond je n’aime point la démocratie et que je
suis sévère envers elle, les autres penseront que je favorise imprudemment son
développement. Ce qu’il y aurait de plus heureux pour moi c’est qu’on ne lût
pas le livre, et c’est un bonheur qui m’arrivera peut-être. » -Tocqueville, Lettre
à Kergolay, janvier 1831.

« Je ne sais trop comment te répondre. Il faudrait le faire longuement pour être


compris, et je n’ai pas le temps d’écrire longuement. Ne prends donc cette
réponse que pour des à peu près fort vagues qui ont besoin d’être complétés. Tu

1191
me parais avoir bien compris les idées générales sur lesquelles repose mon
programme. Ce qui m’a le plus frappé de tout temps dans mon pays, mais
principalement depuis quelques années, ç’a été de voir rangés d’un côté les
hommes qui prisaient la moralité, la religion, l’ordre ; et de l’autre ceux qui
aimaient la liberté, l’égalité des hommes devant la loi. Ce spectacle m’a frappé
comme le plus extraordinaire et le plus déplorable qui ait jamais pu s’offrir aux
regards d’un homme ; car toutes ces choses que nous séparons ainsi sont, j’en
suis certain, unies indissolublement aux yeux de Dieu. Ce sont toutes des choses
saintes, si je puis m’exprimer ainsi, parce que la grandeur et le bonheur de
l’homme dans ce monde ne peuvent résulter que de la réunion de toutes ces
choses à la fois. Dès lors j’ai cru apercevoir que l’une des plus belles
entreprises de notre temps serait de montrer que toutes ces choses ne sont point
incompatibles ; qu’au contraire, elles se tiennent par un lien nécessaire, de telle
sorte que chacune d’elles s’affaiblit en se séparant des autres. Telle est mon
idée générale. Tu la comprends très bien ; tu la partages. Il y a cependant une
nuance déjà entre toi et moi. J’aime la liberté plus vivement, plus sincèrement
que toi. Tu la désires, s’il est possible de l’obtenir sans peine, et tu es prêt à
prendre ton parti de t’en passer. Ainsi d’une multitude d’honnêtes gens en
France. Ce n’est pas là mon sentiment. J’ai toujours aimé la liberté d’instinct, et
toutes mes réflexions me portent à croire qu’il n’y a pas de grandeur morale et
politique longtemps possible sans elle. Je tiens donc à la liberté avec la même
ténacité qu’à la moralité, et je suis prêt à perdre quelque chose de ma
tranquillité pour l’obtenir.

À cette nuance près nous sommes d’accord sur le but. Mais tu prétends que nous
différons prodigieusement sur les moyens : et je crois, en vérité, que c’est ici que
tu ne me comprends qu’incomplètement.

Tu crois que je vais mettre en avant des théories radicales et presque


révolutionnaires. En cela tu te trompes. J’ai montré et je continuerai à montrer
un goût vif et raisonné pour la liberté, et cela pour deux raisons : la première,
c’est que telle est profondément mon opinion ; la seconde, c’est que je ne veux
pas être confondu avec ces amis de l’ordre qui feraient bon marché du libre
arbitre et des lois pour pouvoir dormir tranquilles dans leur lit. Il y en a déjà
assez de ceux-là, et j’ose prédire qu’ils n’arriveront jamais à rien de grand et de
durable. Je montrerai donc franchement ce goût de la liberté, et ce désir général
de la voir se développer dans toutes les institutions politiques de mon pays ;
mais en même temps je professerai un si grand respect pour la justice, un
1192
sentiment si vrai d’amour de l’ordre et des lois, un attachement si profond et si
raisonné pour la morale et les croyances religieuses, que je ne puis croire qu’on
n’aperçoive pas nettement en moi un libéral d’une espèce nouvelle, et qu’on me
confonde avec la plupart des démocrates de nos jours. Voilà mon plan tout
entier. Je te le développe à bâtons rompus, mais sans arrière-pensée aucune. Te
dire par quels moyens je m’efforcerais de mettre en lumière ces idées, c’est ce
qu’il me serait impossible de faire d’avance. Dieu seul sait si je serai jamais en
état d’agir d’une manière quelconque sur mes contemporains, et c’est peut-être
chez moi déjà une grande présomption que d’en avoir la pensée. Mais sois sûr
que si j’agis jamais, ce sera successivement, avec prudence, en laissant conclure
de ma conduite mes idées, plutôt que de les jeter toutes ensemble à la tête du
public. Si j’ai montré jusqu’à présent une qualité quelconque, je crois que c’est
l’esprit de conduite. J’espère continuer à en faire usage ; mais rappelle-toi
toujours, mon cher ami, mon point de départ. Mon but serait de réunir, comme
je le disais au commencement de ma lettre, les deux ou trois grandes choses que
nous voyons séparées. Pour cela il faut d’abord que je montre ce qui est, c’est-
à-dire que j’aime passionnément les unes et les autres. Tu t’en serais bien
aperçu si tu avais été un démagogue. Tu m’aurais entendu plaider bien plus
vivement la cause de la religion et de la morale que celle de la liberté. Mais tu
es du nombre de ces braves gens que j’aime de tout mon cœur, et avec lesquels
j’ai bien de la peine à raisonner de sang-froid, parce qu’ils ont dans leurs mains
la destinée de leur pays et ne veulent pas s’en saisir. Si ces hommes purs et
honnêtes voulaient aimer la liberté comme ils aiment la vertu, ces deux choses
se réhabiliteraient l’une par l’autre, et nous serions sauvés. » -Alexis de
Tocqueville, Lettre à Eugène Stöffels, Berne, 24 juillet 1836.

« Je ne crois pas que la France puisse songer sérieusement à quitter l’Algérie.


L’abandon qu’elle en ferait serait aux yeux du monde l’annonce certaine de sa
décadence. […] Si la France reculait devant une entreprise où elle n’a devant
elle que les difficultées naturelles du pays et l’opposition des petites tribus
barabares qui l’habitent, elle paraîtrait aux yeux du monde plier sous sa propre
impuissance et succomber par son défaut de cœur. Tout peuple qui lâche
aisément ce qu’il a pris et se retire de lui-même dans ses anciennes limites
proclame que les beaux temps de son histoire sont passés. Si jamais la France
abandonne l’Algérie, il est évident qu’elle ne peut le faire qu’au moment où on
la verra entreprendre de grandes choses en Europe et non pas dans un temps
comme le nôtre et où elle semble descendre au second rang et paraît résignée à
1193
laisser passer en d’autres mains la direction des affaires européennes. » -
Tocqueville, « Travail sur l’Algérie », 1841, in De la colonie en Algérie, textes
choisis et présentés par T. Todorov, Bruxelles, Éditions Complexe, 1988, pp.57-
59.

« Je crois fermement qu’il dépend de nos contemporains d’être grands aussi


bien que prospères ; mais c’est à la condition de rester libres. Il n’y a que la
liberté qui soit en état de nous suggérer ces puissantes émotions communes qui
portent et soutiennent les âmes au-dessus d’elles-mêmes ; elle seule peut jeter de
la variété au milieu de l’uniformité de nos conditions et de la monotonie de nos
mœurs ; seule elle peut distraire nos esprits des petites pensées, et relever le but
de nos désirs. » -Alexis de Tocqueville, Discours de réception à l'Académie
française (21 avril 1842).

« Messieurs, je ne sais si je me trompe, mais il me semble que l'état actuel des


choses, l'état actuel de l'opinion, l'état des esprits en France, est de nature à
alarmer et à affliger. Pour mon compte, je déclare sincèrement à la Chambre
que, pour la première fois depuis quinze ans, j'éprouve une certaine crainte
pour l'avenir ; et ce qui me prouve que j'ai raison, c'est que cette impression ne
m'est pas particulière : je crois que je puis en appeler à tous ceux qui
m'écoutent, et que tous me répondront que, dans les pays qu'ils représentent,
une impression analogue subsiste ; qu'un certain malaise, une certaine crainte a
envahi les esprits ; que, pour la première fois peut-être depuis seize ans, le
sentiment, l'instinct de l'instabilité, ce sentiment précurseur des révolutions, qui
souvent les annonce, qui quelquefois les fait naître, que ce sentiment existe à un
degré très grave dans le pays. [...]

Si je jette, messieurs, un regard attentif sur la classe qui gouverne, sur la classe
qui a des droits et sur celle qui est gouvernée, ce qui s'y passe m'effraie et
m'inquiète. Et pour parler d'abord de ce que j'ai appelé la classe qui gouverne,
et remarquez bien que je ne compose pas cette classe de ce qu'on a appelé
improprement de nos jours la classe moyenne mais de tous ceux qui, dans
quelque position qu'ils soient, qui usent des droits et s'en servent, prenant ces
mots dans l'acception la plus générale, je dis que ce qui existe dans cette classe
m'inquiète et m'effraye. Ce que j'y vois, messieurs, je puis l'exprimer par un mot
: les moeurs publiques s'y altèrent, elles y sont déjà profondément altérées ;
elles s'y altèrent de plus en plus tous les jours ; de plus en plus aux opinions,
aux sentiments aux idées communes, succèdent des intérêts particuliers, des
1194
visées particulières, des points de vue empruntés à la vie et à l'intérêt privés.
[…]

La France avait jeté dans le monde, la première, au milieu du fracas du


tonnerre de sa première révolution, des principes qui depuis se sont trouvé des
principes régénérateurs de toutes les sociétés humaines. C'a été sa gloire, c'est
la plus précieuse partie d'elle-même. Eh bien ! messieurs, ce sont ces principes-
là que nos exemples affaiblissent aujourd'hui. L'application que nous semblons
en faire nous-mêmes fait que le monde doute d'elle. L'Europe qui nous regarde
commence à se demander si nous avons eu raison ou tort ; elle se demande si,
en effet, comme nous l'avons répété tant de fois, nous conduisons les sociétés
humaines vers un avenir plus heureux et plus prospère, ou bien si nous les
entraînons à notre suite vers les misères morales et la ruine. Voilà messieurs, ce
qui me fait le plus de peine dans le spectacle que nous donnons au monde. […]

On dit qu'il n'y a point de péril, parce qu'il n'y a pas d'émeute ; on dit que,
comme il n'y a pas de désordre matériel à la surface de la société, les
révolutions sont loin de nous. Messieurs, permettez-moi de vous dire, avec une
sincérité complète, que je crois que vous vous trompez. Sans doute, le désordre
n'est pas dans les faits, mais il est entré bien profondément dans les esprits.
Regardez ce qui se passe au sein de ces classes ouvrières, qui aujourd'hui, je le
reconnais, sont tranquilles. Il est vrai qu'elles ne sont pas tourmentées par les
passions politiques proprement dites, au même degré où elles ont été
tourmentées jadis ; mais ne voyez-vous pas que leurs passions, de politiques,
sont devenues sociales ? Ne voyez-vous pas qu'il se répand peu à peu dans leur
sein des opinions, des idées, qui ne vont point seulement à renverser telles lois,
tel ministère, tel gouvernement, mais la société même, à l'ébranler sur les bases
sur lesquelles elles reposent aujourd'hui ? Ne voyez-vous pas que, peu à peu, il
se dit dans leur sein que tout ce qui se trouve au-dessus d'elles est incapable et
indigne de les gouverner ; que la division des biens faite jusqu'à présent dans le
monde est injuste ; que la propriété y repose sur des bases qui ne sont pas des
bases équitables ? Et ne croyez-vous pas que, quand de telles opinions prennent
racine, quand elles se répandent d'une manière presque générale, quand elles
descendent profondément dans les masses, elles amènent tôt ou tard, je ne sais
pas quand, je ne sais comment, mais elles amènent tôt ou tard les révolutions les
plus redoutables ? Telle est, messieurs, ma conviction profonde ; je crois que
nous nous endormons à l'heure qu'il est sur un volcan. […]

1195
Gardez les lois si vous voulez ; quoique je pense que vous auriez tort de le faire,
gardez-les; gardez même les hommes, si cela vous fait plaisir, je n'y fais aucun
obstacle ; mais, pour Dieu changez l'esprit du gouvernement, car je vous le
répète, cet esprit-là vous conduit à l'abîme ! » -Alexis de Tocqueville, Discours
à la Chambre des députés du 27 janvier 1848.

« Je ne croirais point que cette espèce humaine qui est à la tête de la création
visible soit devenue ce troupeau abâtardi que vous nous dites et qu’il n’y ait
plus qu’à la livrer sans avenir et sans ressource à un petit nombre de bergers
qui, après tout, ne sont pas de meilleurs animaux que nous et souvent en sont de
pires. » -Alexis de Tocqueville, Lettre à Arthur de Gobineau (24 janvier 1857).

« Vous avez changé la face de la philosophie politique, vous avez conduit les
discussions relatives aux tendances de la société moderne, aux causes de celles-
ci et aux influences qui s’associent à des formes particulières de régime
politique et d’organisation sociale à des niveaux de hauteur et de profondeur
que personne n’avait atteint jusqu’ici et d’où toutes les spéculations et les
arguments antérieurs n’apparaissent plus que comme des jeux d’enfants. » -
John Stuart Mill, à Tocqueville, in Correspondance anglaise, Tocqueville,
Œuvres complètes, Gallimard, Tome VI (1), p.328.

« Élu député à la Chambre en 1839, après un échec aux élections de 1837,


Tocqueville est un membre distingué de la gauche dynastique, formation qui
accepte la constitution de la nouvelle Monarchie de Juillet mais qui s’oppose au
gouvernement en place. Partisan déclaré de l’abolition de l’esclavage dans les
colonies d’Outre-mer, il est nommé rapporteur d’une commission parlementaire
chargée de l’émancipation progressive des esclaves en France, commission qui,
sans succès définitif, élabora des propositions dans le but d’abolir cette
institution honteuse dans la société post-révolutionnaire française.

On doit dire qu’il n’y a aucun doute quant au jugement moral que Tocqueville
porte sur le sujet. Membre actif au sein de La Société pour l’abolition de
l’esclavage, il condamne ce dernier. »
(https://michaelhereth.wordpress.com/2006/09/18/tocqueville-de-l’abolition-de-
l’esclavage-a-la-colonisation-de-l’algerie/ )

« Tocqueville se réjouit de l'avènement de la démocratie, tout en éprouvant une


certaine mélancolie à voir les charmes de l'aristocratie s'évanouir à jamais. Si

1196
la penchant pour la démocratie l'emporte, Tocqueville exprime également
certains regrets et réserves. » -Olivia Leboyer, Élite et Libéralisme.

« [Tocqueville] se présente comme un libéral authentique, un libéral des


Lumières, et ce faisant il apporte la preuve qu’il n’existe pas de libéralisme
autre que celui qui est ancré dans les principes des Lumières. » (p.110)

« Alexis de Tocqueville est le plus important penseur français après Rousseau et


le dernier grand libéral. » (p.116)

« Pour ce libéral qu'est Tocqueville, l'alternative liberté négative/liberté positive


est quasiment incompréhensible. Il sait que la simple existence d'une garantie
des droits individuels sous un régime constitutionnels ne suffit pas pour faire des
hommes libres. Pour lui, la liberté ne réside pas seulement dans la préservation,
autour de l'individu, d'une zone de non-interférence, mais dans sa capacité à
s'unir avec ses concitoyens pour dominer son destin. C'est la capacité des
Américains à se rassembler pour se gouverner eux-mêmes et à ne pas attendre
la protection du souverain qui émerveille Tocqueville. [...] Ce n'est pas en
laissant l'individu livré à lui-même qu'on le sauve du "despotisme", mais en lui
apprenant à s'associer à ses semblables pour se gouverner lui-même : c'est par
la démocratie même que l'on pourra surmonter les dangers que représente
l'égalité pour la liberté. Pour Tocqueville, la participation aux affaires de la
cité, l'exercice de sa souveraineté, sa capacité d'être maître de lui-même
représente une condition sine qua non de la liberté ; la participation politique
affermit et développe les mœurs de la liberté. En revanche, c'est en s'enfermant
dans sa sphère particulière, quand il ne conçoit la liberté qu'en termes de non-
intervention et voit dans la liberté positive le plus grand danger qui puisse
guetter l'individu, que le citoyen finit par provoquer lui-même l'intervention de
l'Etat et de la société. » -Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une tradition du
XVIIIème siècle à la guerre froide. Saint-Amand, Gallimard, coll. Folio histoire,
2010, 945 pages.

« A trop s'enfermer dans sa sphère privée, l'individu libéral risquerait de perdre


toute prise sur l'élaboration des règles publiques. Cette critique, formulée pour
la première fois par un libéral, Alexis de Tocqueville, va inciter de nombreux
libéraux à revaloriser la participation politique chère à la tradition
républicaine. Ils pratiqueront de la sorte une forme de correction républicain du
libéralisme en mettant en évidence que les droits fondamentaux ne peuvent être

1197
restreint aux libertés privées mais doivent également inclure les libertés
politiques nécessaires à leur préservation. » -Laurent de Briey, Le sens du
politique: essai sur l'humanisme démocratique, Éditions Mardaga, 2009, 287
pages, p.56.

« Bien des livres et des articles savants, certains de la plus haute qualité, ont été
écrits pour élucider la conception noble mais énigmatique qu’avait Tocqueville
de la liberté et de la dignité humaine. Nous avons déjà vu que celle-ci n’a
presque rien en commun avec le libéralisme contractualiste de Hobbes ou de
Locke – en fait, elle en contient même une critique radicale – qui posent
l’hypothèse de la liberté et de l’égalité originelle des êtres humains dans un «
état de nature » pré-politique. Les êtres humains échappent aux « inconvénients
» de l’état de nature (les menaces qui pèsent sur la vie, l’intégrité physique,
ainsi que sur la possibilité de « vivre dans l’aisance », et qui résultent de
l’absence d’autorité politique dominante) afin de se procurer la sécurité et ce
que le philosophe politique Léo Strauss a appelé une « préservation confortable.
» Tocqueville appartient à un univers moral et politique entièrement différent.
Dans un célèbre passage du troisième chapitre du livre III de L’Ancien Régime
et la Révolution (« Comment les Français ont voulu des réformes avant de
vouloir des libertés ») Tocqueville avertit que quiconque « cherche dans la
liberté autre chose qu’elle-même est fait pour servir. » Ailleurs, Tocqueville
reconnaît que la doctrine de « l’intérêt bien entendu » est un instrument (ou un
concept) utile pour faire sortir d’eux-mêmes les hommes démocratiques, pour
leur rappeler qu’ils vivent en société et qu’ils ont des obligations envers
d’autres êtres humains. Mais elle est dépourvue de grandeur et elle risque de
transformer la liberté en simple instrument, comme si celle-ci n’avait d’utilité
que pour les biens matériels qu’elle tend à produire sur le long terme.
Tocqueville défendait et, pourrait-on dire, a même incarné personnellement une
conception de la liberté qui met en avant le charme propre de celle-ci, «
indépendant de ses bienfaits. ». -Daniel Mahoney, Les fondements conservateurs
de l’ordre libéral (2011).

« Tocqueville, que Nietzsche a lu et admiré. » -Dorian Astor, Nietzsche. La


détresse du présent, Gallimard, coll. Folio essais, 2014, 654 pages, p.299.

« Alexis de Tocqueville est pour moi, depuis longtemps, le plus grand historien
du XIXème siècle. » -Carl Schmitt, Ex Captivitate Salus et autres textes, Paris,
Vrin, 2003, p.136.
1198
« L'aspect du monde actuel, comparé aux prévisions de Tocqueville, donne un
exemple de la manière dont l'œil d'un bon observateur perce à jour la structure
des faits qui s'amoncellent. Son regard s'élance, par-delà les vallées et les
gorges, jusqu'au sommet qui s'esquisse au loin. » -Ernst Jünger, L'État universel
(1960).

« [Tocqueville] n’est pas non plus un continuateur de la pensée classique. Il sait


même à l’occasion prendre ses distances avec certaines notions traditionnelles ;
ainsi du gouvernement mixte, cher à Thomas d’Aquin, et qu’il trouve sans
consistance réelle. » -François Huguenin, Histoire intellectuelles des droites. Le
conservatisme impossible, Perrin, coll. Tempus, 2013 (2006 pour la première
édition), 496 pages, p.49-50.

"Dans le monde des idées de Tocqueville, le droit apparait alors comme la


matérialisation abstraite et plus générale des mœurs. L’identité ne peut pas se
fonder sur ces droits car ces derniers n’existent pas sans la présence pré requise
d’une « âme » commune." (p.6)

"Le patriotisme chez Tocqueville est un des instruments, avec la décentralisation


et la religion, qui assurent la recherche plurielle de la liberté (Dion, 2000).
Alors, « au législateur moderne, Tocqueville assigne, entre autres missions,
celle de maintenir la flamme patriotique » (Dion, 2000, 222). Pour affirmer son
point, Dion fait appel à une citation de Tocqueville qui l’illustre parfaitement: «
Il dépend des lois de réveiller et de diriger cet instinct vague de la patrie qui
n'abandonne jamais le cœur de l'homme ». Ce serait donc une erreur de taxer le
patriotisme réfléchi [c.a.d fondé sur l'égoïsme éclairé] de sain et l’irréfléchi
[c.a.d spontané et affectif] de nationalisme au sens péjoratif du terme. " (p.8)

"Il est effectivement clair que non seulement les deux patriotismes peuvent
cohabiter mais qu’il est également préférable qu’ils le fassent." (p.9)

"La nation chez Tocqueville se rapproche de la définition mise de l’avant par


Ernest Renan."

"« Pour qu’une confédération subsiste longtemps, il n’est pas moins nécessaire
qu’il y ait homogénéité dans la civilisation que dans les besoins des divers
peuples qui la composent » (Tocqueville, 1986, 258)." […] C’est en plaçant
l’emphase sur cette dualité de la nation que l’on peut comprendre comment
Alexis de Tocqueville concilie le libéralisme politique avec la question

1199
nationale. Il met de l’avant l’intérêt individuel comme consentement à
l’association politique tout en teintant cet intérêt d’une identité nationale. Alors,
on voit que son concept de nation se développe depuis la patrie en fonction des
degrés de liberté et d’égalité au sein de la société. En effet, les deux éléments
doivent se balancer l’un l’autre, entretenant un équilibre entre une entité unie
autour d’une identité historique (l’égalité et sa matérialisation sous le
patriotisme irréfléchi) et maintenue vivante et active via l’exercice de nos droits
(la liberté et sa matérialisation sous le patriotisme réfléchi). Alors, trop de
liberté, ou une patrie sans identité partagée, amènerait une possible rupture de
l’association, à une fin du politique. De la même manière, trop d’égalité, ou une
nation complètement homogénéisée résulterait en une société également
apolitique. Finalement, la question nationale chez Tocqueville semble répondre
à la même logique que tout le reste de sa théorie, soit trouver un point
d’équilibre entre la liberté et l’égalité" (p.11)

"Notons qu’il considère néanmoins qu’aucune nation ne saurait vivre ou


prospérer « sans une forte centralisation gouvernementale » (Idem). Ainsi, nous
pouvons tout d’abord nuancer la vision que Kahan entretient de Tocqueville : la
centralisation n’est pas forcement un mal, seul la centralisation administrative
l’est. Par ailleurs, cette vision que Tocqueville entretient de la centralisation
nous conforte dans l’idée qu’une nation, pour exister, a besoin d’une identité
commune et centralisée. " (p.13)

"Par ailleurs, et Daniel Jacques l’argumente très bien en utilisant les brouillons
de Tocqueville : « la circulation des idées est à la civilisation ce que la
circulation du sang est au cœur humain » (1995, 33). Il est donc nécessaire
d’éviter des nations trop petites qui entraveraient la circulation des Lumières.
Cependant, il est également important de maintenir un lien identitaire entre les
individus ce que la décentralisation des fédérations permet. Effectivement, elle
permet, d’un côté, la liberté via la participation des individus au sein de petites
entités auxquelles ils peuvent facilement s’identifier et, de l’autre, il offre la
grandeur d’une patrie qui permet la circulation des idées au sein d’un ensemble
commun permettant alors la survie d’une certaine diversité." (p.14)

"La nation n’apparaît donc pas chez Tocqueville comme un élément


nécessairement hostile au développement du libéralisme politique mais plutôt
comme une de ses composantes. Elle annihile certaines identités pour en créer
des nouvelles tout en restant garante de la diversité culturelle et de la promotion
1200
de la liberté. Elle peut être de mauvais augure, mais elle est n’en reste pas
moins indispensable à la liberté. Effectivement, si elle est mal organisée et
privée de liberté, elle peut se retourner contre ses créateurs et en faire des
individus isolés et privés des bienfaits de la vie en communauté. De la même
manière, dans une société démocratique corrompue, son patriotisme peut se
transformer en outil de haine, d’exclusion et d’isolation. Toutefois, ses qualités
sont, en fait, dépendantes de la constitution de la société démocratique dans
laquelle elle est évolue et qu’elle représente, comme si elle n’était que le reflet
de cette dernière. Si la liberté y est choyée, la nation peut remplir correctement
son rôle d’unité sociale nécessaire au bon gouvernement. On pourrait ainsi
presque croire que, chez Tocqueville, ce n’est pas la nation que les libéraux
devraient craindre mais une démocratie déficiente laissant ainsi supposer que
les critiques se tromperaient d’objet en accusant le concept de nation des maux
provoqués en réalité par une démocratie corrompue. Une telle conclusion
modifierait de nombreux débats de théorie politique et tout particulièrement
ceux qui tendent à rapprocher la question nationale et le libéralisme politique.

Tocqueville concilie donc la question nationale et le libéralisme politique à sa


manière et ce grâce à sa propre perception du libéralisme. Alors, il ne nous
laisse pas le choix quant à savoir si les deux concepts peuvent cohabiter, ils le
doivent et là est toute la difficulté de la société démocratique tocquevillienne :
elle repose sur un fragile équilibre entre deux concepts parfois contradictoires
mais tout deux nécessaires ou, comme le dirait Meuwly, sur un « symbiotique
équilibre » de la liberté et de l’égalité." (p.19)

-Le concept de nation chez Tocqueville, Raison


publique.fr: https://www.bing.com/search?q=tocqueville+et+la+nation&mkt=fr-
fr&httpsmsn=1&msnews=1&plvar=0&refig=6edc2f82cdf346ecbca4899808c86
79c&sp=-1&pq=tocqueville+et+la+nati&sc=0-
22&qs=n&sk=&cvid=6edc2f82cdf346ecbca4899808c8679c&first=31&FORM=
PORE

« Tocqueville a été assez vite écarté par l’historiographie universitaire de la


Révolution française. Il ne sortira de cet oubli que dans la seconde moitié du
XXe siècle. Fustel a eu au contraire une grande influence sur le milieu historien
de son temps. » -André Burguière, L’école des Annales. Une histoire
intellectuelle, Odile Jacob, 2006, 366 pages, p.88-89.

1201
http://www.amazon.fr/Tocqueville-Les-sources-aristocratiques-
libert%C3%A9/dp/2213635927/ref=pd_sim_sbs_14_5?ie=UTF8&dpID=413Sv
5SiCeL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=1QAC6
FB6B921SNE1JGKZ

http://www.amazon.fr/Tocqueville-Jean-Louis-
BENOIT/dp/2262041059/ref=pd_cp_14_3?ie=UTF8&refRID=144BGF6DET0
C4A7T8CF5

http://www.amazon.fr/d%C3%A9mocratie-Am%C3%A9rique-Souvenirs-
LAncien-
R%C3%A9volution/dp/2221131274/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1458837750&s
r=8-3&keywords=Melonio+Tocqueville+et+les+francais

https://www.amazon.fr/Une-critique-d%C3%A9mocratie-lib%C3%A9rale-
Tocqueville/dp/284934043X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1500333569
&sr=1-1&keywords=Une+Critique+republicaine+de+la+democratie+liberale

http://www.amazon.fr/Textes-%C3%A9conomiques-Anthologie-Alexis-
Tocqueville/dp/2266133527/ref=sr_1_83?s=books&ie=UTF8&qid=1458838155
&sr=1-83

http://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-III-discours-
politiques/dp/2070704300/ref=sr_1_41?s=books&ie=UTF8&qid=1458837979&
sr=1-41

http://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-Correspondance-Alexis-
Tocqueville/dp/2070763560/ref=sr_1_34?s=books&ie=UTF8&qid=1458837979
&sr=1-34

http://www.amazon.com/Tocquevilles-Political-Economy-Richard-
Swedberg/dp/0691132992

http://livre.fnac.com/a88378/Alexis-de-Tocqueville-Correspondance-avec-
Pierre-Paul-Royer-Collard-et-avec-Jean-Jacques-Ampere

http://livre.fnac.com/a3793504/Alexis-de-Tocqueville-euvres-completes-
Correspondance-d-Alexis-de-Tocqueville-et-de-Madame-Swetchine

http://livre.fnac.com/a922084/A-de-Tocqueville-Correspondance-familiale

1202
http://www.amazon.fr/Correspondance-dAlexis-Tocqueville-Louis-
Kergorlay/dp/2070291456/ref=sr_1_29?s=books&ie=UTF8&qid=1458837841
&sr=1-29

http://www.amazon.fr/Correspondance-dAlexis-Tocqueville-Gustave-
Beaumont/dp/2070279618/ref=sr_1_19?s=books&ie=UTF8&qid=1458837841
&sr=1-19

http://www.amazon.fr/OEuvres-compl%C3%A8tes-XVI%C2%A0-Tocqueville-
Alexis/dp/2070717445/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1458838067&sr=1
-1&keywords=Alexis-de-Tocqueville-Melanges

http://www.amazon.fr/Tocqueville-nature-d%C3%A9mocratie-Pierre-
Manent/dp/2070781216/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=41xy1T7cKrL&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=19P7GRBPC7NW7
2G7C46D

http://hydra.forumactif.org/t1152-pierre-gouirand-tocqueville#1786

http://www.amazon.fr/Tocqueville-aujourdhui-Raymond-
Boudon/dp/2738115497/ref=sr_1_5?s=books&ie=UTF8&qid=1458838187&sr=
1-5&keywords=sociologie+de+tocqueville

Arthur de Gobineau (1816-1882): « Sa théorie de la vie et de la mort des races


exposée dans le Traité de l’Inégalité des Races humaines, a fourni à l’Allemagne
une des bases de l’idéologie raciste. » -Albert Thibaudet, Histoire de la
littérature française, Paris, CNRS Éditions, 2007 (1936 pour la première
édition), 591 pages, p.410.

"Rien ne peut apaiser la violence et la férocité de Maurras, quand il s’exprime


sur L’essai sur l’inégalité des races humaines du Comte Joseph Arthur de
Gobineau. Car il lui semble inconcevable qu’un Français puisse dire que les
Germains sont la fleur des races européennes." (p.233-234)
-Philippe Bedouret. BARRES, MAURRAS et PEGUY face au germanisme (1870-
1914). Histoire. ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES, 2005. Français.
<tel-01511730>.

« Wagner et Houston Stewart Chamberlain furent les disciples les plus


malfaisants de Gobineau, ceux qui inspirèrent le plus directement peut-être les
théories raciales nazies. Mais Gobineau eut aussi d'autres disciples. Parmi les

1203
intellectuels célèbres qui subirent son influence, on compte Taine, Renan,
Bourget, Albert Sorel et bien sûr Barrès. » -Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le
nationalisme français, Éditions complexe, Librairie Armand Colin, 1972, 389
pages, p.13.

http://hydra.forumactif.org/t304-joseph-arthur-de-gobineau-essai-sur-linegalite-
des-races-humaines

Gustave de Beaumont (1802-1866) : « Il était proche des milieux socialistes et


soutint notamment la démarche de Flora Tristan. » -François Vatin, « Le travail,
la servitude et la vie. Avant Marx et Polanyi, Eugène », Revue du MAUSS,
2001/2 (no 18), p. 237-280. DOI : 10.3917/rdm.018.0237. URL :
https://www.cairn-int.info/revue-du-mauss-2001-2-page-237.htm

Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) : « La Révolution, en vendant les biens


d'Église et d'émigrés, a créé une nouvelle classe de propriétaires: elle a cru les
intéresser à la liberté. Point du tout. Elle les a intéressés à ce que les émigrés et
les Bourbons ne revinssent pas. Voilà tout. Et pour cela les bénéficiaires n'ont
rien imaginé de mieux que de se donner un maître, Napoléon. »

« Est-ce que votre ami Ullbach n'a pas honte de prôner comme il fait les
Misérables ? J'ai lu cela. C'est d'un bout à l'autre faux, outré, illogique, dénué
de vraisemblance, dépourvu de sensibilité et de vrai sens moral; des vulgarités,
des turpitudes, des balourdises, sur lesquelles l’auteur a étendu un style
pourpre; au total, un empoisonnement pour le public, Ces réclames monstres me
donnent de la colère, et j’ai presque envie de me faire critique. » -Pierre-Joseph
Proudhon.

« Le Juif est l'ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie ou
l'exterminer... Par le fer, par le feu ou par l'expulsion il faut que le Juif
disparaisse. » -Pierre-Joseph Proudhon, décembre 1847.

« Louis-Napoléon est, de même que son oncle, un dictateur révolutionnaire;


mais avec cette différence que le premier consul venait clore la première phase
de la révolution, tandis que le président ouvre la seconde. » -Pierre-Joseph
Proudhon.

« La guerre est le phénomène le plus profond, le plus sublime, de notre vie


morale. Aucun autre ne peut lui être comparé […] La guerre est l’expression la

1204
plus incorruptible de notre conscience, l’acte qui, en définitive, nous honore le
plus devant la création et devant l’Éternel. » -Proudhon, La guerre et la paix.

« N'est-ce pas le cas de se demander ce qu'il y a de commun entre la révolution


et la littérature, cequ'a fait pour la République, et de quelle utilité peut être à la
société, dans l'avenir, cette espèce deparasites vulgairement appelée gens de
lettres ? [...] Est-ce la littérature qui a préparé cette révolution ?Est-ce la
littérature qui en exprimera le but, les tendances, la loi ? Est-ce la littérature
qui viendra lajustifier, qui la vengera de ses ennemis ? Quand est-ce que M.
Victor Hugo a pris la défense des droits dutravail ? Quand est-ce que M.
Alexandre Dumas s'est fait connaître par ses idées, par ses mœursrépublicaines
? Qu'ont-ils fait l'un et l'autre, pour la révolution, sinon de calomnier les
révolutionnaires ?— Et qu'est-ce qu'ils nous veulent aujourd'hui, ces aligneurs
de rimes, ces enfileurs de dialogues ? » -Pierre-Joseph PROUDHON, « Ce que
la révolution doit à la littérature » (28 mai 1848), Idéesrévolutionnaires, Paris,
Garnier frères, 1849, p. 46-51. Voir aussi cette notation de 1843 dans les
Carnets, éd. par Pierre HAUBTMANN, Dijon, Les presses du réel, 2004, p. 26 :
« L’école romantique, corrompue,aristocratique, sensuelle = amie du pouvoir ».

« J'ai assez de la vile multitude et des démagogues... la classe la plus pauvre est,
par cela même qu'elle est la plus pauvre, la plus ingrate, la plus envieuse, la
plus immorale et la plus lâche ». –Proudhon, Lettre du 26 avril 1852.

« Je regarde la société, le groupe humain, comme un être sui generis, constitué


par le rapport fluidique et la solidarité économique de tous les individus soit de
la nation, soit de la localité ou corporation, soit de l'espèce entière ; lesquels
individus circulent librement les uns à travers les autres, s'approchent, se
joignent, s'écartent tour à tour dans toutes les directions ; -un être qui a ses
fonctions à lui, étrangères à notre individualité, ses idées qu'il nous
communique, ses jugements qui ne ressemblent point aux nôtres, sa volonté en
opposition diamétrale avec nos instincts, sa vie, qui n'est pas celle de l'animal
ou de la plante, bien qu'elle y rencontre des analogies; -un être, enfin, qui sorti
de la nature, semble le Dieu de la nature, dont il exprime à un degré supérieur
(surnaturel) les puissances et les lois. » -Proudhon, La Philosophie du progrès,
1853.

« [Rousseau fut le] premier de ces femmelins de l’intelligence en qui, l’idée se


troublant, la passion ou l’affectivité l’emporte sur la raison. » -Pierre-Joseph

1205
Proudhon, De la justice dans la révolution et l’Église, 11e étude, chapitre 2,
1858. Voir aussi Pierre-Joseph Proudhon, Les femmelins. Les grandes figures
romantiques, Nouvelle Librarie nationale, Paris, 1912 (première édition),
présentation de l’ouvrage posthume par Henri Lagrange.

« Rousseau: je le répudie ; cette tête fêlée n'est pas française, et nous nous
fussions fort bien passés de ses leçons. C'est justement à lui que commencent à
notre romantisme et notre absurde démocratie. » -Pierre-Joseph Proudhon, Du
principe de l’art et de sa destination sociale, 1865.

« Les classes ouvrières réunissent, dans les villes et dans les campagnes, toutes
les aptitudes productrices ; elles ont pour elles le nombre et la force ; elles
commencent à avoir la conscience de leur importance sociale. Il faut qu’elles
aient pour elles la science, le droit, la justice, dans son sens le plus rigoureux ;
il faut qu’elles s’élèvent à la notion de légalité, considérée comme principe
d’action régulière, et qu’elles se rendent aptes surtout à la pratique de cette
légalité, transformée en levier intellectuel et moral. À ces conditions, leur
prépondérance est assurée ; à ces conditions, elles ne peuvent manquer d’avoir
pour alliées toute cette partie active, capable, saine, de la bourgeoisie, qui
relève aussi du travail plus que du capital, et toute cette classe de lettrés,
d’artistes, de savants, qui vivent d’idées, inclinent naturellement au progrès, et
forment encore aujourd’hui l’élite de la nation. Le jour où elles se placeront
dans la loi, elles s’approprieront la loi, elles la domineront, elles la feront. La
légitimité de leur pouvoir ne sera plus ni contestable ni contestée. » -Pierre-
Joseph Proudhon, De la Capacité politique des classes ouvrières, 1865.

"Comment [...] escamoter ou amoindrir le rôle décisif que Proudhon a joué


dans la formation des idées anarchistes au XIXe siècle ? Comment lui contester
le titre de "père de l'anarchie" que tout son œuvre semble devoir confirmer, ne
fusse qu'à cause de son caractère "chaotique" et contradictoire ?
Comment en douter, enfin, quand c'est Pierre Kropotkine lui-même qui, en
1883, au procès des anarchistes de Lyon, dira: "On m'a reproché encore d'être
le père de l'anarchie. C'est trop d'honneurs qu'on veut me faire. Le père de
l'anarchie est l'immortel Proudhon qui l'a exposée, pour la première fois, en
1848"." (p.30)

"Les éloges s'accompagnent souvent de critiques qui sont loin d'être marginales,
en commençant par celles de son principal disciple: Bakounine." (p.31)
1206
"Kropotkine n'a rien d'un "adepte de Stirner". [...] familier de Proudhon qu'il
cite pratiquement dans tous ses livres et toujours d'une manière positive ou
élogieuse." (p.35)

"Si Bakounine et Stirner sont à peu près inconnus avant 1900, tel n'est tout de
même pas le cas de Proudhon." (p.37)

"Fernand Pelloutier [...] tout en n'étant peut-être pas un disciple inconditionnel


de Proudhon, n'a pas moins lu et apprécié son œuvre." (p.39)

"Le mouvement libertaire apparaît même singulièrement absent des réflexions


ou des débats que suscite Proudhon dans les milieux les plus divers tels que le
syndicalisme, le traditionalisme, le régionalisme, voire le nationalisme: les
compagnons ne prennent pas même la peine (à quelque rare exception près) de
combattre des interprétations abusives ou de se réapproprier un héritage qui
leur revenait de droit. [...] Rien de comparable, en tout cas, aux efforts menés
au même moment par les Sorel, Halévy, Guieysse et autres Berth pour sortir la
pensée proudhonienne de l'oubli." (p.42-43)

-Gaetano Manfredonia, Lignées proudhoniennes dans l'anarchisme français, Mil


neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle (Cahiers Georges Sorel), Année 1992,
10, pp.30-45.

« Il a été l’ami intime de Bakounine. »

« Il y a une influence de Proudhon chez les non-conformistes des années 30,


notamment le groupe de l’Ordre Nouveau de Robert Aron. » -Alain de Benoist.

« Nous remercions Proudhon des lumières qu'il nous donna sur la démocratie et
sur les démocrates, sur le libéralisme et sur les libéraux, mais c'est au sens
large que notre ami Louis Dimier, dans un très beau livre, l'a pu nommer «
Maître de la contre-révolution ».

Proudhon ne se rallie pas à la « réaction » avec la vigueur d'un Balzac ou d'un


Veuillot. Il n'a point les goûts d'ordre qui dominent à son insu un Sainte-Beuve.
Ses raisons ne se présentent pas dans le magnifique appareil militaire,
sacerdotal ou doctoral qui distingue les exposés de Maistre, Bonald, Comte et
Fustel de Coulanges. La netteté oblige à sacrifier. Or, il veut tout dire, tout
garder, sans pouvoir tout distribuer ; cette âpre volonté devait être vaincue,
1207
mais sa défaite inévitable est disputée d'un bras nerveux. On lit Proudhon
comme on suit une tragédie ; à chaque ligne, on se demande si ce rustre
héroïque ne soumettra pas le dieu Pan.

Son chaos ne saurait faire loi parmi nous, et nous nous bornerions à l'utiliser
par lambeaux si ce vaillant Français des Marches de Bourgogne ne nous
revenait tout entier dès que, au lieu de nous en tenir à ce qu'il enseigne, nous
considérons ce qu'il est. De cœur, de chair, de sang, de goût, Proudhon est
débordant de naturel français, et la qualité nationale de son être entier s'est
parfaitement exprimée dans ce sentiment, qu'il a eu si fort, de notre intérêt
national. Patriote, au sens où l'entendirent les hommes de 1840, 1850, 1860, je
ne sais si Proudhon le fut. Mais il était nationaliste comme un Français de 1910.
Abstraction faite de ses idées, Proudhon eut l'instinct de la politique française ;
l'information encyclopédique de cet autodidacte l'avait abondamment pourvu
des moyens de défendre tout ce qu'il sentait là-dessus.

Et, là-dessus, Proudhon est si près de nous que, en tête de son écrasant
réquisitoire contre les hommes de la Révolution et de l'Empire, à la première
page de Bismarck et la France 1, Jacques Bainville a pu inscrire cette dédicace
: « À la mémoire de P.-J. Proudhon qui, dans sa pleine liberté d'esprit, retrouva
la politique des rois de France et combattit le principe des nationalités ; à la
glorieuse mémoire des zouaves pontificaux qui sont tombés sur les champs de
bataille en défendant la cause française contre l'unité italienne à Rome, contre
l'Allemagne à Patay. »

— Quoi ? Proudhon avec les zouaves pontificaux ?

— Oui, et rien ne va mieux ensemble ! Oui, Proudhon défendit le Pape ; oui, il


combattit le Piémont. Au nez des « quatre ou cinq cent mille badauds » qui
lisaient les journaux libéraux, il s'écriait, le 7 septembre 1862 : « Si la France,
la première puissance militaire de l'Europe, la plus favorisée par sa position,
inquiète ses voisins par le progrès de ses armes et l'influence de sa politique,
pourquoi leur ferais-je un crime de chercher à l'amoindrir et à l'entourer d'un
cercle de fer ? Ce que je ne comprends pas, c'est l'attitude de la presse française
dominée par ses sympathies italiennes. Il est manifeste que la constitution de
l'Italie en puissance militaire, avec une armée de 300 000 hommes, amoindrit
l'Empire de toutes façons. » L'Empire, c'est ici l'Empire français, dont je vois le

1208
timbre quatre fois répété sur mon édition princeps de La Fédération et l'Unité
en Italie.

« L'Italie », poursuivait Proudhon, votre Italie unie, « va nous tirer aux jambes
et nous pousser la baïonnette dans le ventre, le seul côté par lequel nous soyons
à l'abri. La coalition contre la France a désormais un membre de plus… » Notre
influence en sera diminuée d'autant ; elle diminuera encore « de tout l'avantage
que nous assurait le titre de première puissance catholique, protectrice du Saint
Siège ».

« Protestants et anglicans le comprennent et s'en réjouissent ; ce n'est pas pour


la gloire d'une thèse de théologie qu'ils combattent le pouvoir temporel et
demandent l'évacuation de Rome par la France ! » Conclusion : « Le résultat de
l'unité italienne est clair pour nous, c'est que la France ayant perdu la
prépondérance que lui assurait sa force militaire, sacrifiant encore l'autorité de
sa foi sans la remplacer par celle des idées, la France est une nation qui
abdique, elle est finie. »

Et, comme ces observations de bon sens le faisaient traiter de catholique et de


clérical, « oui », ripostait Proudhon, « oui, je suis, par position, catholique,
clérical, si vous voulez, puisque la France, ma patrie, n'a pas encore cessé de
l'être, que les Anglais sont anglicans, les Prussiens protestants, les Suisses
calvinistes, les Américains unitaires, les Russes grecs ; parce que, tandis que
nos missionnaires se font martyriser en Cochinchine, ceux de l'Angleterre
vendent des Bibles et autres articles de commerce. » Des raisons plus hautes
encore inspiraient Proudhon, et il osait écrire : « La Papauté abolie, vingt
pontificats pour un vont surgir, depuis celui du Père Enfantin, jusqu'à celui du
Grand Maître des Francs-Maçons » , et il répétait avec une insistance
désespérée : « Je ne veux ni de l'unité allemande, ni de l'unité italienne ; je ne
veux d'aucun pontificat. »

Deux ans après avoir écrit ces lignes, Proudhon expirait ; assez tôt pour ne pas
assister à des vérifications qui devaient faire couler à flots notre sang, mutiler
notre territoire, inaugurer le demi-siècle de l'abaissement national ! Cet «
immense échec » qu'il avait prévu sans parvenir à comprendre, comme il le
disait encore, « l'adhésion donnée par la presse libérale française à cette
irréparable dégradation », confirma point par point ce regard d'une sublime
lucidité. L'unité italienne et l'unité allemande nous ont fait perdre tout à tour la

1209
prépondérance qu'assurait notre force militaire et l'autorité qu'imposait notre
foi. Le cléricalisme a été vaincu, le pape dépouillé, et l'on nous a imposé ce
gouvernement dont la seule idée stable est l'abaissement du Saint-Siège, le
règne de la franc-maçonnerie et de ses grands maîtres divers. Si l'Empereur a
disparu, sa politique dure ; la parti républicain en a été quarante ans légitime et
fidèle héritier.

Certes, et nous l'avons dit, avec Dumont, avec Georges Malet, avec le Junius de
L'Écho de Paris, aux avocats de l'empereur : rien n'efface cette responsabilité
napoléonienne que Napoléon III lui-même rattache à la tradition de Napoléon
Ier ; mais la vérité fondamentale établie, il faut en établir une autre et rappeler
aux hommes de gauche, que leurs aînés, leurs pères, leurs maîtres et, pour les
plus âgés, eux-mêmes, en 1860, ils étaient tout aussi Italiens et Prussiens que
Napoléon III ! Sauf Thiers, en qui s'était réveillé l'ancien ministre de la
monarchie, l'élève de Talleyrand, qui fut l'élève de Choiseul, tous les
républicains et tous les libéraux du dix-neuvième siècle ont été contre le Pape et
contre la France avec l'Empereur des Français. Il faut relire dans Bismarck et
la France ces textes décisifs auxquels nous ramène Bainville ; le ministre
Ollivier développant à la tribune la thèse idéaliste des nationalités et M. Thiers,
traditionnel pour la circonstance, s'écriant : « Nous sommes ici tantôt Italiens,
tantôt Allemands, nous ne sommes jamais Français », toute la gauche
applaudissait qui ? Émile Ollivier ! Guéroult défendait l'unité allemande, Jules
Favre, un des futurs fondateurs de la République, déclarait le 4 juillet 1868 que
nous n'avions « aucun intérêt à ce que les rivalités se continuent entre les deux
parties de l'Allemagne » !

Telle était la tradition révolutionnaire impériale ou républicaine et Proudhon


s'y étant opposé presque seul, la présence de M. Fallières au monument de
Proudhon est plus qu'un scandale, c'est un contresens. Je partage sur la
personne de M. Fallières le sentiment de Léon Daudet l'appelant le plus lâche et
le plus méprisable des ruminants ; et l'appréciation de Jacques Delebecque,
telle qu'on la lira plus loin sur l'harmonie de cet animal et de la fonction
constitutionnelle, me semble l'expression de la vérité pure. Mais le nom de
Proudhon met en cause plus que la personne ou la magistrature de M. Fallières
; le nom de Proudhon met en accusation le régime avec son revêtement de
blagologie nuageuse, avec son fond de sale envie et de bas appétits. Ce grand
nom de Proudhon frappe d'indignité et Fallières, et sa présidence et la
démocratie parce qu'il évoque le grand nom de la France et l'étoile obscurcie de
1210
notre destin national. Ce régime ne signifie que le pontificat de la maçonnerie
que Proudhon avait en horreur. Il ne figure rien que les hommes et les idées que
Proudhon combattait en France, en Europe, partout. Proudhon était fédéraliste
; que lui veut cette république centralisatrice ? Il était syndicaliste ; que lui veut
cette république étatiste ? Il était nationaliste et papalin ; que lui veut cette
république anticatholique, antifrançaise ? » -Charles Maurras, Paru dans les
Cahiers du Cercle Proudhon, n° 1 de janvier 1912 (le texte date de 1910).

« Proudhon n’oubliait jamais d’inclure dans sa critique globale du système


capitaliste l’ensemble des manières de vivre qui en représentent la traduction
quotidienne –allant même, en 1858, jusqu’à définir le nouveau mode de vie
capitaliste comme le règne de « l’absolutisme individuel, multiplié par le
nombre de coquilles d’huîtres qui l’expriment » (ce qui constitue la meilleure
description possible de l’univers moral et psychologique de ces nouvelles
classes moyennes –les fameux « bobos »- qui constituent, à présent, le noyau
dur des bataillons de la gauche). » -Jacques Julliard & Jean-Claude Michéa, La
gauche et le peuple, Flammarion, coll. Champs.essais, 2017 (2014 pour la
première édition).

"« Je vois peu de monde et m’éloigne autant que je puis des réunions politiques.
Cabet est ici en ce moment. Ce brave homme me désigne comme son successeur
à l’apostolat; je cède la succession à qui me donnera une tasse de café. Il se
prêche en ce moment je ne sais combien d’évangiles nouveaux, évangile selon
Buchez, évangile selon Pierre Leroux, évangile selon Lammenais, Considérant,
Mme Georges Sand, Mme Flora Tristan, évangile selon Pecqueur et encore bien
d’autres. Je n’ai pas envie d’augmenter le nombre de ces fous » [lettre à M.
Maurice du 27/07/1844, in t. II, p. 130]. Le 4 octobre de la même année,
[Proudhon] déclare toutefois que le « parti socialiste commence à s’organiser »
et s’y cite comme un de ses promoteurs à côté de Pierre Leroux et de Louis
Blanc (qu’il n’avait jusque-là cessé de dénigrer). Cela ne l’empêchera pas de
chercher à se faire reconnaître auprès du groupe des économistes avec lequel il
entretient à cette époque des relations suivies; c’est Guillaumin qui publie en
1847 son Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère."

« Rappelons en quelques mots la relation entre Proudhon et Marx. Marx


connaissait les premiers travaux de Proudhon dès sa période du Rheinische
Zeitung de Cologne. Il jugeait alors, dans un article publié dans cette revue en
octobre1842, son œuvre « si pénétrante » [ cf. Rubel, p. 56]. Proudhon avait déjà
1211
alors publié, outre son Essai de grammaire générale ( 1837), De l’utilité de la
célébration du dimanche (Besançon, 1839) et les deux mémoires (de 1840 et
1841) qui constituent Qu’est-ce que la propriété (Paris, 1841). Dans les
Manuscrits de 1844, Marx juge encore très favorablement Proudhon, qui vient
de publier De la création de l’ordre dans l’humanité ( 1843). Cet ouvrage est
encore salué positivement dans le manuscrit de l’Idéologie allemande,
abandonné dans le courant de l’année 1846. De son côté, Proudhon avait été
formé à l’hégélianisme par son ami le grammairien Paul Ackerman. Il était entré
en relation en 1844 avec les jeunes hégéliens exilés à Paris, dont Marx, mais
aussi Karl Grün, qui va se charger de traduire en allemand le livre qu’il avait
alors en préparation, Le système des contradictions économiques. Après son
départ pour Bruxelles, Marx reprendra contact avec Proudhon pour l’inciter à
participer au mouvement qu’il vient alors de fonder avec Engels et le mettre en
garde contre Grün [lettre du 5 mai 1846, reprise dans l’introduction de Molitor à
Marx, Misère de la philosophie, Paris, Coste, 1950, p. XX -XXI]. Dans sa
réponse du 17 mai 1846, Proudhon apportait une fin de non-recevoir à Marx sur
le plan politique et prenait la défense de Grün. Cette lettre allait marquer la fin
de leurs relations. Quand, en octobre 1846, paraît le livre de Proudhon, Marx et
Engels en connaissaient déjà la teneur par des indiscrétions du milieu
philosophique allemand de Paris. La riposte cinglante de Marx paraîtra à peine
un an plus tard. » -François Vatin, « Le travail, la servitude et la vie. Avant
Marx et Polanyi, Eugène », Revue du MAUSS, 2001/2 (no 18), p. 237-280. DOI
: 10.3917/rdm.018.0237. URL : https://www.cairn-int.info/revue-du-mauss-
2001-2-page-237.htm

http://academienouvelle.forumactif.org/t6583-pierre-ancery-1848-le-discours-
radical-de-proudhon-a-l-assemblee#7726

Frédéric Bastiat (1801-1850) et l’École de Paris: « C’est surtout la


modération qui joue un grand rôle dans cette armée de sophismes que je passe
rapidement en revue.

On veut à tout prix des modérés ; on craint les exagérés par-dessus tout ; et
comment juge-t-on à laquelle de ces classes appartient le candidat ? On
n’examine pas ses opinions, mais la place qu’il occupe ; et comme le centre est
bien le milieu entre la droite et la gauche, on en conclut que c’est là qu’est la
modération.

1212
Étaient-ils donc modérés ceux qui votaient chaque année plus d’impôts que la
nation n’en pouvait supporter ? ceux qui ne trouvaient jamais les contributions
assez lourdes, les traitements assez énormes, les sinécures assez nombreuses ? »
-Frédéric Bastiat, « Aux électeurs du département des Landes », 1830, on
Œuvres complètes, t.1, p.219.

« La propriété n'existe pas parce qu'il y a des lois, mais les lois existent parce
que la propriété existe. »

« Ce ne sera jamais d'un changement violent dans les formes ou les dépositaires
du pouvoir que j'attendrai le bonheur de ma patrie ; mais de notre bonne foi à le
seconder dans l'exercice utile de ses attributions essentielles et de notre fermeté
à l'y restreindre. Il faut que le gouvernement soit fort contre les ennemis du
dedans et du dehors, car sa mission est de maintenir la paix intérieure et
extérieure. Mais il faut qu'il abandonne à l'activité privée tout ce qui est de son
domaine. L'ordre et la liberté sont à ce prix. » -Frédéric Bastiat.

« Si l’impôt n’est pas nécessairement une perte, encore moins est-il


nécessairement une spoliation. Sans doute, dans les sociétés modernes, la
spoliation par l’impôt s’exerce sur une immense échelle. Nous le verrons plus
tard; c’est une des causes les plus actives entre toutes celles qui troublent
l’équivalence des services et l’harmonie des intérêts. Mais le meilleur moyen de
combattre et de détruire les abus de l’impôt, c’est de se préserver de cette
exagération qui le représente comme spoliateur par essence. » -Frédéric
Bastiat, Chapitre XVII des Harmonies économiques : Services privés, service
public.

« Parmi les auteurs anciens, il convient également de lire les Œuvres complètes
de Frédéric Bastiat (Paris, 1855). Bastiat était un brillant styliste, de sorte que
la lecture de ses écrits constitue un véritable plaisir. Étant données les
fantastiques avancées de la théorie économique depuis sa mort, il n'est pas
surprenant que ses enseignements soient aujourd'hui obsolètes. Cependant, sa
critique de toutes les tendances protectionnistes et assimilables reste encore
aujourd'hui pleinement valide. Les protectionnistes et les interventionnistes
n'ont pas été en mesure d'avancer un seul argument pertinent et n'ont pu donner
aucune réponse objective. Ils ont simplement continué à bégayer : Bastiat est «
superficiel. ». » -Ludwig von Mises, Le Libéralisme, 1927.

1213
« Aux élections générales du mois d'avril, les électeurs des Landes envoyèrent
notre économistes, maintenant illustre, siéger à l'Assemblée nationale. Éloigné
de la tribune par la faiblesse de sa voix, Bastiat n'en participa pas moins
activement aux travaux de l'Assemblée. Il s'était fait inscrire au nombre des
membres du Comité des finances, qui le choisit même pour son vice-président.
On sait quel rôle important ce Comité a joué à l'Assemblée constituante. Il avait
accepté la mission pénible de préserver les finances des embûches que leur
tendaient journellement les socialistes avoués et les socialistes sans le savoir de
l'Assemblée. Il défendait la bourse de la France, cette bourse dans laquelle tout
le monde voulait puiser et que personne ne songeait à remplir. Bastiat fut de
ceux qui contribuèrent le plus efficacement à maintenir les bonnes doctrines au
sein du Comité. Sa voix était d'autant mieux écoutée et respectée, qu'on
connaissait toutes ses sympathies pour les souffrances des masses. On savait
qu'en recommandant l'économie dans les dépenses, en refusant, par exemple, de
voter des millions pour transporter en Algérie de malheureux artisans parisiens,
il n'agissait point par dureté de coeur, mais qu'il obéissait, au contraire, à un
sentiment éclairé de sympathie pour les classes laborieuses. On savait qu'il était
un véritable philanthrope, quoiqu'il repoussât impitoyablement toutes les
mesures que suggérait une superficielle ou hypocrite philanthropie. Il ne put,
sans doute, prévenir toutes les fautes qui furent commises ; il ne réussit pas
toujours à faire goûter à ses collègues cette vérité si simple, mais à laquelle
l'intelligence des législateurs semble répugner instinctivement : "qu'ils ne
pouvaient rien donner aux uns, par une loi, sans être obligés de prendre aux
autres par une autre loi." Cependant, de l'aveu de tous, la présence, au Comité
des finances, de ce républicain-phénomène, qui s'obstinait à vouloir une
république à bon marché, n'en fut pas moins des plus salutaires. […]

A l'Assemblée, Bastiat ne s'était inféodé à aucun parti. Il avait voulu conserver


pleinement son libre arbitre, et sur toute question il donnait, non un vote de
parti, mais un vote de conscience. Toutefois, il s'était sincèrement rallié à la
République. Il ne l'avait pas appelée, car il n'attribuait pas une importance
exagérée à la question de la forme du gouvernement ; mais, à ses yeux, c'était le
devoir de tout bon citoyen de travailler à maintenir des institutions que les
représentants du pays avaient acceptées d'un accord unanime. Il avait confiance
dans le suffrage universel, et il ne voulut point consentir à le restreindre.
Cependant, il ne dissimulait pas les dangers que les erreurs généralement
répandues du protectionnisme et du communisme pouvaient faire courir à un
1214
pays où les masses avaient été soudainement appelées à se gouverner elles-
mêmes. Aussi employait-il le peu qui lui restait de forces et de vie à les éclairer
sur leurs droits et sur leurs intérêts. Il commença, dans ce but, la publication de
l'admirable série de pamphlets qui s'ouvre à Propriété et loi, justice et
fraternité, pour se fermer hâtivement, hélas ! à Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit
pas. Dans ces petits écrits, où les notions élémentaires de l'économie politique et
du droit naturel se trouvent exposées avec une éblouissante clarté, où les
fausses doctrines du protectionnisme et du communisme sont réfutées avec une
inimitable verve, Bastiat s'efforçait de donner aux masses, émancipées d'hier,
les lumières qui leur étaient indispensables pour bien pratiquer le self-
government ; il leur montrait les écueils redoutables sur lesquels une ignorance
présomptueuse pouvait les faire échouer, et il leur signalait la route à suivre
pour les éviter.

Vers la fin de 1849, la publication et le succès des pamphlets fournirent à


Bastiat l'occasion d'engager une lutte des plus utiles et des plus glorieuses avec
l'un des chefs du socialisme, M. Proudhon. »

« Nul n'a possédé au même degré que Bastiat le secret de rendre la science
accessible et attachante. » -Gustave de Molinari, Frédéric Bastiat, Nécrologie
publiée dans le Journal des économistes.

« Bastiat, le représentant le plus plat, partant le plus réussi, de l'économie


apologétique. » -Karl Marx, Extraits de la postface de la seconde édition
allemande du Capital, Livre I, 1867.

« Il était en bon rapport avec Lamartine […] en bon rapport avec Victor
Hugo. »

« Il était capable de lire Cervantès et Shakespeare dans le texte. » -Gilbert


Fournier, à propos de Frédéric Bastiat.

« J’appelle voyager, pénétrer la société qu’on visite, connaître l’état des esprits,
les goûts, les habitudes, les occupations, les plaisirs, les relations des classes, le
niveau moral, intellectuel et artistique, ce qu’on peut en attendre pour
l’avancement de l’humanité. » -Frédéric Bastiat.

« Honnête et malheureux Bastiat, tes idées n’ont jamais séduit qui que ce soit
autant que ta candeur et ton courage me touchent ! »

1215
« Bastiat avait d’avance donné son intelligence en même temps que son cœur à
quelques convictions arrêtées et définies touchant la société, touchant la famille,
touchant la propriété. Sa religion et sa philosophie ne lui interdisaient point
formellement de les mettre en doute et de les scruter : ce fut son génie borné qui
le lui défendit ; le coup de balai de Descartes était au-dessus de ses forces. Au
lieu de refaire la théorie de la propriété pour la théorie de la valeur, il voulut
refaire la théorie de la valeur pour la théorie de la propriété. Il fit de la science
de parti pris en vue d’une morale de sentiment.

Quand on exécute un pareil travail dans un intérêt de fortune ou d’amour-


propre, on mérite les plus cruelles, les plus impitoyables rigueurs de la critique.
Bastiat fut sincère, et paya sa tentative de sa santé et de sa vie. Paix donc à sa
mémoire ! Mais pourtant qu’il soit permis de regretter pour lui, qu’il ait
dépensé tant d’efforts à poursuivre une besogne aride et funeste. Qu’il soit
permis surtout de regretter pour la science qu’il l’ait entravée, et qu’en rompant
la grande tradition économique, il ait peut-être retardé l’avènement de la
science sociale. » -Léon Walras, L’Économie politique et la justice, 1860.

« Dans L’État, il est un étonnant précurseur, non seulement de Hayek, mais


aussi des théories du Public Choice, insistant notamment sur une idée fondatrice
de l’analyse économique du politique, selon laquelle l’État est réductible à une
somme d’hommes mus par leurs intérêts particuliers. » -Valentin Vincent, « Sur
les fondements du libéralisme. Évolutionnisme et droit naturel chez Bastiat et
Hayek », Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, 2003/1 (N° 17), p.
49-71.

"Héritière indirecte, par les Idéologues, de l'école des "économistes" (dite


"physiocratiques") du XVIIIe siècle, l'école de Paris a rassemblé les publicistes
qui, sous la monarchie de Juillet, sont restés fidèles à la philosophie libérale
alors que triomphait la lecture doctrinaire de la Charte de 1830 et que les
ministères orléanistes, portés au pouvoir par une révolution libérale, s'étaient
figés peu à peu dans les camps conservateurs en politique et protectionniste en
économie.
L'école de Paris va se cristalliser, hors de l'Université, autour du Journal des
économistes, fondé en 1841, et de la Société d'économie politique, fondée en
1842. A compter de cette dernière date, elle sera le fer de lance de l'opposition
libérale, essentiellement républicaine, qui grandira face au conservatisme
institutionnel -désormais incarné par Guizot- et luttera contre le lobby
1216
protectionniste, dont Thiers prend la tête à la Chambre dans les années 1840, et
également contre la prétendu intérêt national de la colonisation de l'Algérie
défendue par Tocqueville. Elle sera la seule force intellectuelle à combattre
rationnellement les doctrines qui, après l'impensable effondrement de février
1848, alimenteront pour la première fois un socialisme d'Etat." (p.444-445)

"Dans les années 1847-1848, moment d'efflorescence de la presse française, ce


groupe de jeunes économistes lance Jacques Bonhomme, Le Libre-échange et
La République française." (p.462)

"Entre 1841 et 1846, l'école va être principalement engagée sur trois fronts:
a) celui de la critique du "système protecteur", manifestation la plus injuste de
la "spoliation légale" [...]
b) celui de l'anticolonialisme, où l'école met en cause le principe même de la
colonisation de l'Algérie [...]
c) celui du pacifisme, avec pour point d'orgue le congrès des amis de la paix,
qui se tient à Paris, en 1849, sous la présidence de Victor Hugo, et dont l'école
de Paris est la cheville ouvrière." (p.465)
-Michel Leter, "Éléments pour une étude de l'école de Paris (1803-1852)",
chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en
Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.429-509.

http://academienouvelle.forumactif.org/t742-frederic-bastiat-oeuvres-
completes?highlight=bastiat

http://www.amazon.fr/Fr%C3%A9d%C3%A9ric-bastiat-1801-1850-
crois%C3%A9-libre-
%C3%A9change/dp/2747560309/ref=sr_1_12?ie=UTF8&qid=1450286093&sr
=8-12&keywords=Pierre+manent+les+lib%C3%A9raux

http://www.dailymotion.com/video/x9cd8m_la-vie-de-frederic-bastiat_news

Adolphe Blanqui (1798-1854): « Dans toutes les révolutions, il n'y a jamais eu


que deux partis en présence : celui des gens qui veulent vivre de leur travail et
celui des gens qui veulent vivre du travail d'autrui. Patriciens et plébéiens,
esclaves et affranchis, guelfes et gibelins, roses rouges et roses blanches,
libéraux et serviles, ne sont que des variétés de la même espèce. C'est toujours
la question du bien-être qui les divise, chacun voulant, si j'ose me servir d'une
expression vulgaire, tirer la couverture à soi au risque de découvrir son voisin.

1217
Ainsi, dans un pays, c'est par l'impôt qu'on arrache au travailleur, sous prétexte
du bien de l'État, le fruit de ses sueurs ; dans un autre, c'est par les privilèges,
en déclarant le travail objet de concession royale, et en faisant payer cher le
droit de s'y livrer. » -Adolphe Blanqui, Histoire de l'économie politique en
Europe, depuis les anciens jusqu'à nos jours, Vol. 1, Introduction.

« En dépit de l'activité inlassable déployée par Frédéric Bastiat au sein de


l'association centrale pour la liberté des échanges, ce n'est pas lui qui fait la
plus forte impression sur Cobden, mais Adolphe Blanqui, frère d'Auguste, le
socialiste, et élève de Say à l'École de commerce de Paris où il a repris sa
chaire, ainsi qu'au Conservatoire des arts et métiers. Tout plaide pour Blanqui,
que Cobden juge le plus aguerri pour combattre Thiers et les protectionnistes. Il
n'est certes que de quatre ans l'aîné de Bastiat, mais il enseigne déjà l'économie
depuis 1825 à l'École de commerce de Paris et, depuis 1833, au Conservatoire
des arts et métiers, devant des ouvriers, alors que le premier texte économique
de Frédéric Bastiat ne date que de 1834. » (p.464)
-Michel Leter, "Éléments pour une étude de l'école de Paris (1803-1852)",
chapitre in Philippe Nemo et Jean Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en
Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427 pages, pp.429-509.

Auguste Blanqui (1805-1881) : « [Blanqui] considérait Dieu comme « un


monstre abreuvé, gonflé, nourri, pétri de sang humain ». » -Jacqueline
Lalouette, "De quelques aspects de l’athéisme en France au XIXe
siècle", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [Online], 87 | 2002, Online
since 01 April 2005, connection on 11 February 2021.
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

« Chez Blanqui, l’insurrection est hissée au rang de forme politique parfaite.


Ses théories, auxquelles La démocratie inachevée consacre tout un chapitre,
font apparaître une idée démocratique « chimiquement pure », débarrassée des
apories de la représentation et de ses contingences menaçantes. La politique s’y
transforme en une pure énergie créatrice insufflée au corps social ; elle
s’assimile à une guerre civile, mettant en jeu les différentes classes en une
polarisation extrême de l’espace et du temps. Dans ce cadre, les institutions de
la politique ordinaire sont naturellement discréditées et rejetées comme des
leurres, la seule forme politique véritable étant la révolution permanente. Le

1218
système représentatif, ou même les débats théoriques, sont condamnés sans
appel, Blanqui traitant la démocratie de « mot en caoutchouc ».

Le peuple étant, selon lui, inapte à prendre son destin en main, le salut réside
dans l’instruction et par la conduite de la révolution par une petite élite
d’hommes éclairés qu’il appelle les « instituteurs du social ». Rosanvallon note
bien à cet égard que Blanqui rejoint presque, de façon paradoxale, les vues d’un
Guizot (mais, faudrait-il rajouter, dans une perspective politique
diamétralement opposée). » -Geneviève Verdo, « Pierre Rosanvallon,
archéologue de la démocratie », Revue historique, 2002/3 (n°623), p. 693-720.
DOI : 10.3917/rhis.023.0693. URL : https://www.cairn.info/revue-historique-
2002-3-page-693.htm

Armand Barbès (1809-1870) : "La Fédération communiste fondée en 1847 par


Karl Marx et Friedrich Engels héritait directement de la Fédération des justes
(1836-1839) de Wilhem Weitling où se retrouvaient des républicains radicaux
français et des exilés allemands. Celle-ci était apparentée à la Société des
saisons ( 1837-1839) d’Armand Barbès et Auguste Blanqui, dont le programme
était explicitement babouviste. Pour ces républicains radicaux, l’instauration
formelle de la République était en effet insuffisante à la réforme de l’ordre
social; il fallait « détruire les privilèges quelconques; autrement ce ne serait rien
faire »." -François Vatin, « Le travail, la servitude et la vie. Avant Marx et
Polanyi, Eugène », Revue du MAUSS, 2001/2 (no 18), p. 237-280. DOI :
10.3917/rdm.018.0237. URL : https://www.cairn-int.info/revue-du-mauss-2001-
2-page-237.htm

Ambroise Clément (1805-1886): http://hydra.forumactif.org/t4878-ambroise-


clement-de-la-spoliation-legale#5830

Joseph Déjacque (1821-1865) : « Le mot libertaire existe depuis 1857, lorsque


Joseph Déjacque, ouvrier et poète français, militant révolutionnaire, adresse à
Pierre-Joseph Proudhon un pamphlet intitulé « De l’Être-Humain mâle et
femelle ». Il y stigmatise la pensée misogyne du père de l’anarchisme, lui
reprochant de ne pas promouvoir l’égale liberté de tous les êtres humains, de se
montrer libéral et non libertaire. » -Simon Luck, Sociologie de l’engagement
libertaire dans la France contemporaine. Socialisations individuelles,
expériences collectives et cultures politiques alternatives, Thèse de Science
politique. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2008, 760 pages, p.9.

1219
Hippolyte Castille (1820-1886) : http://hydra.forumactif.org/t3583-hippolyte-
castille-histoire-de-la-seconde-republique-francaise-4-volumes-et-autres-
oeuvres#4419

Astolphe de Custine (1790-1857) : « Lorsque notre démocratie cosmopolite,


portant ses derniers fruits, aura fait de la guerre une chose odieuse à des
populations entières, lorsque les nations, soi-disant les plus civilisées de la
terre, auront achevé de s’énerver dans leurs débauches politiques, et que de
chute en chute elles seront tombées dans le sommeil au dedans et dans le mépris
au dehors, toute alliance étant reconnue impossible avec ces sociétés évanouies
dans l’égoïsme, les écluses du Nord se lèveront de nouveau sur nous, alors nous
subirons une dernière invasion non plus de barbares ignorants, mais de maîtres
rusés, éclairés, plus éclairés que nous, car ils auront appris de nos propres
excès comment on peut et l’on doit nous gouverner.

Ce n’est pas pour rien que la Providence amoncelle tant de forces inactives à
l’orient de l’Europe. Un jour le géant endormi se lèvera, et la force mettra fin
au règne de la parole. En vain alors, l’égalité éperdue rappellera la vieille
aristocratie au secours de la liberté ; l’arme ressaisie trop tard, portée par des
mains trop longtemps inactives, sera devenue impuissante. La société périra
pour s’être fiée à des mots vides de sens ou contradictoires ; alors les trompeurs
échos de l’opinion, les journaux, voulant à tout prix conserver des lecteurs,
pousseront au bouleversement, ne fût-ce qu’afin d’avoir quelque chose à
raconter pendant un mois de plus. Ils tueront la société pour vivre de son
cadavre. » -Astolphe de Custine, La Russie en 1839, Lettre cinquième.

http://hydra.forumactif.org/t2158-astolphe-de-custine-la-russie-en-
1839?highlight=Astolphe+de+Custine

Louis-Napoléon Bonaparte dit Napoléon III (1808-1873): « Aujourd'hui, le


règne des castes est fini, on ne peut gouverner qu'avec les masses. » - Louis-
Napoléon Bonaparte, L’Extinction du paupérisme (1844).

« Vous vous faites des illusions. Le peuple est mis dedans. Il ne bougera pas.
Bonaparte l'emportera. Cette bêtise, la restitution du suffrage universel, attrape
les niais. Bonaparte passe pour un socialiste. [...] Il a pour lui la force, les
canons, l’erreur du peuple et les sottises de l’Assemblée. Les quelques hommes
de la gauche dont vous êtes ne viendront pas à bout du coup d’État. Vous êtes
honnêtes, et il a sur vous cet avantage, qu’il est un coquin. Vous avez des
1220
scrupules, et il a sur vous cet avantage, qu’il n’en a pas. Cessez de résister,
croyez-moi. La situation est sans ressource. Il faut attendre ; mais, en ce
moment, la lutte serait folle. » -Proudhon, à Victor Hugo, cité dans Victor Hugo,
Histoire d’un crime.

« Les bourgeois et les paysans français du milieu du XIXème siècle, imbus


d'idées démocratiques, détestaient la monarchie légitimiste, mais donnaient
volontiers leurs votes au troisième Napoléon, parce qu'ils se rappelaient avec
quelles facilité leurs pères sont devenus grands dignitaires sous son glorieux
oncle. » -Robert Michels, Les partis politiques - essai sur les tendances
oligarchiques des démocraties, 1914.

« L'Empire n'était pas fait pour le libéralisme, ni le libéralisme pour l'empire.


L'antipathie était réciproque. Les libéraux étaient pour Napoléon les pires
idéologues, et se sentaient eux-mêmes dans un milieu tout à fait réfractaire. Ce
qui les touchait le plus, la liberté individuelle, l'indépendance de la pensée, le
contrôle, la discussion, et pour tout dire la dignité humaine, était précisement ce
que Napoléon ne pouvait supporter. » -Auguste Nefftzer, « Libéralisme »,
Dictionnaire général de la politique, 1873.

Le Coup d’Etat du 2 décembre 1851 : « Le 2 Décembre fut une perturbation,


une introduction d’un désordre, la plus grande perturbation peut-être qu’il y eut
dans l’histoire du dix-neuvième siècle français ; il mit au monde, il introduisit,
non pas seulement à la tête, mais dans le corps même, dans la nation, dans le
tissu du corps politique et social un personnel nouveau, nullement mystique,
purement politique et démagogique ; il fut proprement l’introduction d’une
démagogie. […] Le Deuxième Empire fut un régime de tous les désordres. Il fut
réellement l’introduction d’un désordre, d’un certain désordre, l’introduction,
l’installation au pouvoir d’une certaine bande, déconsidérée, très moderne, très
avancée, nullement ancienne France, nullement ancien régime. » -Charles
Péguy, Notre Jeunesse, 1910, p.76.
(1) Coup d'État du 2 décembre 1851 (forumactif.org)

https://livre.fnac.com/a1523161/Collectif-Comment-meurt-une-republique

Le Second Empire (1852-1870) : « Un gouvernement ne peut exécuter une


réforme qu'en mettant à profit cette guerre économique, qu'en opposant les
organismes industriels les uns aux autres, ainsi que le fit Napoléon III quand il
signa son fameux traité de commerce avec l'Angleterre : il opposa les
1221
viticulteurs du Midi, le Haut commerce et la Finance, qui par intérêt sont libre-
échangistes, aux propriétaires de terres à blé, aux cotonniers, aux lainiers, aux
seigneurs du Fer, qui sont protectionnistes et pour cause. » -Paul Lafargue,
« L’Autonomie », L'Egalité, organe du Parti Ouvrier Français, 25 décembre
1881.

« Actifs et influents dès le Second Empire, ils s’exprimèrent, durant cette


période, dans divers journaux, La Libre Pensée, La Pensée nouvelle, Le
Démocrite, L’Excommunié, L’Athée. Leur athéisme se fondait sur des
considérations d’ordre philosophique, moral et politique. Dieu, pensaient-ils,
est la principale source de l’asservissement et de l’humiliation de l’homme. » -
Jacqueline Lalouette, "De quelques aspects de l’athéisme en France au XIXe
siècle", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [Online], 87 | 2002, Online
since 01 April 2005, connection on 11 February 2021.
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

« Réintroduction de la philosophie dans l’enseignement secondaire en 1863. » -


Olivier Tinland, « Histoire d'une discipline scolaire de 1860 à 1990 : Bruno
Poucet Enseigner la philosophie », Communication & Langages, Année 2000,
123, pp. 119-120, p.120.
(1) Gabrielle Cadier, Les conséquences du traité de 1860 sur le commerce franco-britannique
(forumactif.org)

https://www.amazon.fr/second-Empire-Pierre-
MIQUEL/dp/2262028494/ref=pd_sim_14_61?_encoding=UTF8&psc=1&refRI
D=186FVXM5FS5MVHMX2FNS

http://www.amazon.fr/ouvri%C3%A8re-France-sous-second-
empire/dp/B0000DNHD0/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1457611497&sr=8-
2&keywords=La+Vie+ouvri%C3%A8re+sous+le+second+empire

https://www.amazon.fr/grande-d%C3%A9faite-Alain-
GOUTTMAN/dp/2262032459/ref=pd_sim_14_37?_encoding=UTF8&psc=1&r
efRID=ZG4FR5YM97WNSAMQJF8M

Victor Dury (1811-1894) : « Le Premier consul avait ouvert les lycées d’État le
1er mai 1802. Destinés à former les cadres de l’administration, ils reprenaient
les principes dune formation toute littéraire et classique, dans laquelle l’histoire
1222
se trouvait noyée. Il faut attendre le second Napoléon pour que son ministre,
Victor Dury, institue les premiers programmes d’un enseignement national
d’histoire dans le secondaire (1865). » (p.27)

« C’est Duruy que nous retrouvons ici, investissant l’université refondée par
l’Empereur en 1808 par l’enseignement de l’histoire, mais surtout donnant à
celle-ci un « sanctuaire », la IVe section de l’EPHE créée en 1868. Enfin, il joue
un rôle décisif par le soutien qu’il apporte à une nouvelle génération, celle de
Lavisse et de Gabriel Monod. » (p.28)

-Marc Deleplace, cours « Outils et épistémologie de l’histoire » à Sorbonne


Université, septembre 2020 Chapitre Premier Les pratiques de l’histoire XVIIe-
XIXe siècle.

http://academienouvelle.forumactif.org/t6733-victor-duruy-jean-charles-geslot-
victor-duruy-historien-et-ministre-1811-1894#7883

Maurice Joly (1829-1878) : http://academienouvelle.forumactif.org/t2815-


maurice-joly-dialogue-aux-enfers-entre-machiavel-et-
montesquieu?highlight=joly

Les Rothschild : http://www.amazon.fr/dynastie-Rothschild-Herbert-


Lottman/dp/2020205211/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1459077908&sr=8-
1&keywords=Herbert+Lottman%2C+La+dynastie+Rothschild

http://www.contrepoints.org/2016/03/27/244268-james-de-rothschild-le-grand-
baron-de-la-finance

Empires et guerres :

http://www.amazon.fr/Sayyid-Jamal-Ad-Din-Al-Afghani-
Political/dp/1597404675

Louis Faidherbe (1818-1889) et la colonisation du Sénégal (1854-): « En


France, l'éphémère Deuxième République, qui était née après la révolution de
1848, avait avancé des idées progressistes sur les colonies (abolition de
l'esclavage, assimilation, libertés politiques). Le Second Empire amena un
nouvel élan colonial qui était essentiellement d'inspiration économique. Après
l'abolition de la traite des esclaves, il fallut chercher à assurer l'avenir
économique de la colonie française du Sénégal en faisant le négoce de ses
produits agricoles tels que l'huile de palme. Or ces produits ne se trouvaient pas
1223
sur le littoral mais à l'intérieur du pays. Si le Sénégal voulait survivre sur le
plan économique, il devait préserver son arrière-pays. Or, deux rivaux
potentiels s'opposaient: les Anglais, qui étaient actifs sur la Côte-de-l'Or, et les
empires islamiques, dont le plus important était l'empire des Toucouleur.
L'empire des Toucouleur était l'un des empires islamiques qui au XIXe siècle
étaient nés du jihad, de la lutte pour l'expansion de l'islam, conduite par El-
Hadj Omar (env. 1797-1864). Il fit le pèlerinage de La Mecque en 1826, visita
sur le chemin du retour Le Caire, épousa la fille du sultan de Sokoto dans le
nord du Nigeria puis retourna dans sa terre natale à Futa Toro. En 1852, il
proclama la guerre sainte contre les païens du Soudan occidental et fonda
l'empire des Toucouleur qui s'étendit de Tombouctou à l'est au Sénégal français
à l'ouest. La capitale en était Ségou.
A l'ouest, les Toucouleur se heurtèrent à l'expansionnisme français. La France
leur déclara la guerre et étendit sa puissance vers l'est, sous le commandement
d'un officier du génie, Louis Faidherbe, qui fut gouverneur à deux reprises, de
1854 et 1861 et de 1863 à 1865. Lorsque Faidherbe fut nommé gouverneur du
Sénégal pour la première fois, il n'avait que trente-six ans. Homme d'initiative et
d'imagination, il deviendrait l'une des grandes figures de l'histoire militaire et
coloniale française. Son but était de faire du Sénégal une colonie viable. A cette
fin, il estimait nécessaire de soumettre militairement les Etats islamiques dans le
Soudan occidental. Cela s'était aussi révélé nécessaire en Algérie où Faidherbe
avait servi antérieurement. Ce n'était qu'ensuite qu'il serait possible de mettre
sur pied les activités commerciales qui devaient constituer la base de la
prospérité du Sénégal. Son grand projet était de mettre en place une liaison
reliant l'Algérie à l'océan Atlantique en passant par le Sahara et le Niger.
Mais provisoirement son grand projet d'expansion dans l'intérieur des terres
resterait en grande partie dans les limbes. Paris refusait en effet de dégager les
capitaux nécessaires. En revanche, son idée que l'expansion militaire fût la
condition pour la poursuite de la colonisation fut acceptée. Elle serait le
fondement de la future politique française en Afrique de l'Ouest. En 1870, la
chute de l'Empire français entraîna la fin brutale de la politique d'expansion au
Sénégal mais cette politique serait reprise à la fin des années soixante-dix. »
(p.185-186)

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages.

1224
https://www.amazon.fr/Faidherbe-1818-1889-Senegal-larmee-
Nord/dp/2235018882/ref=sr_1_fkmr0_1?s=books&ie=UTF8&qid=1514548993
&sr=1-1-fkmr0&keywords=Alain+Coursier%2C+Faidherbe%2C+1818-
1889+%3A+Du+S%C3%A9n%C3%A9gal+%C3%A0+l%27arm%C3%A9e+du
+Nord

La Chine au 19ème siècle : « La Chine était gouvernée depuis 1644 par la


dynastie Qing qui était issue des Mandchous qui avaient conquis l’Empire du
Milieu. Cette dynastie régnerait jusqu’à la proclamation de la république en
1912. Son régime était en déclin. Elle eut à relever un grand défi au moment de
la révolte Taiping qui éclata en 1851 et durerait jusqu’à 1864. Les rebelles
Taiping possédaient en la personne de Hong Xiuquan un dirigeant charismatique
mais qui croyait être le jeune frère du Christ. Ils nourrissaient des idées
utopiques et s’opposaient à l’hégémonie du confucianisme. Leur philosophie
était en partie inspirée de la Bible, du moins de l’Ancien Testament, mais pour
le reste elle était non occidentale. C’était un mélange de pseudo-christianisme,
de communisme primitif, de puritanisme sexuel et d’utopisme confucéen. Les
Taipings croyaient dans l’égalité des hommes et des femmes, et dans la
propriété foncière collective, et ils condamnaient le luxe et la jouissance. Leur
objectif était l’établissement d’un Royaume céleste de la Paix : Taiping Tien
Kwo.

L’insurrection éclata en Chine du Sud qui était depuis toujours le maillon le plus
faible de l’empire chinois et où l’influence du négoce européen et la guerre de
l’opium se faisaient sentir le plus. A l’origine, ce mouvement rebelle était
fortement centralisé mais, après quelque temps, il commença à se désagréger en
groupes de combat indisciplinés sous la houlette de chefs de guerre. Les
Britanniques mirent beaucoup de temps à réprimer la révolte des Taipings et ils
fournirent des efforts colossaux pour en venir à bout. Le général Charles
Gordon, qui deviendrait si célèbre par la suite, et son « Ever Victorious Army »
y contribuèrent dans une large mesure. C’est à cet épisode que ce général dut
son surnom de « Gordon chinois ». Cette insurrection réclama un lourd tribut.
La guerre civile qu’elle alimenta durant des années se solda par une véritable
hécatombe. Selon des estimations datant de cette époque, le nombre de tués
oscillerait entre vingt et trente millions.

L’empire chinois était intérieurement affaibli et c’est à peine s’il pouvait encore
résister aux puissances étrangères. La plus importante d’entre elles était
1225
l’Angleterre qui durant ces années-là mena deux guerres contre la Chine. Le
nom qui fut donné au premier de ces conflits en désigne explicitement l’objet :
la guerre de l’opium. Son enjeu était commercial. Le thé chinois était fort prisé
en Europe. Les Anglais en faisaient le commerce mais n’avaient aucune
marchandise à offrir en échange aux Chinois. L’unique produit apprécié en
Chine était l’opium qui était importé d’Inde. Quand le gouvernement chinois
tenta de limiter ce négoce, l’Angleterre lui déclara la guerre en 1839. Ce conflit
fut éphémère. En 1842, fut conclu le traité de Nankin aux termes duquel la
Chine cédait Hongkong à l’Angleterre.

En 1856, commença une autre guerre, plus importante, menée cette fois
conjointement par l’Angleterre et la France. Sa finalité était d’ouvrir la Chine
aux marchands européens et de placer des diplomates européens à Pékin. Les
deux nations mobilisèrent une armée forte de 17 000 soldats. La capitale, Pékin,
fut occupée et pillée. Il fut mis un terme à la guerre en 1858 par les traités de
T’ien-Tsin. Ces traités instaurèrent le système des ports conventionnels qui était
fondé sur le modèle des capitulations ottomanes. En vertu de ce système, les
Européens se virent attribuer dans quelques villes portuaires importantes, telles
que Shanghai et Canton, ce qu’on appelle des droits extraterritoriaux qui
entraînèrent l’avènement, dans ces cités, de quartiers européens spéciaux où le
droit européen s’appliquait aux Européens, ce qui signifiait que, dans une partie
du pays, l’autorité souveraine du gouvernement chinois avait cessé d’exister.

(p.222-225)

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages, pp.216-218.

Histoire de l’Inchonine avant la colonisation française :

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages, pp.216-218.

La colonisation de l’Indochine : « Le regain d’intérêt de la France pour l’Asie


du Sud-Est survint pendant le Second Empire de Napoléon III. Ce phénomène
avait son origine dans des mutations à la fois en France et en Extrême-Orient. Sa
cause profonde résidait dans la modernisation économique qui s’accomplissait
en France, même si, au demeurant, c’était à une échelle relativement modeste. A
cet égard, l’on songe notamment à l’essor, d’une part, de l’industrie de la soie et,

1226
d’autre part, du négoce et de la navigation d’outre-mer. Dans de grandes villes
portuaires telles que Marseille, Nantes et Bordeaux, et dans des cités
industrielles comme Lyon, des chambres du commerce virent le jour.

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages, pp.219-221.

La guerre Franco-allemande de 1870 : « Français,

Élevez vos âmes et vos résolutions à la hauteur des effroyables périls qui
fondent sur la patrie.

Il dépend encore de nous de lasser la mauvaise fortune et de montrer à l’univers


ce qu’est un grand peuple qui ne veut pas périr, et dont le courage s’exalte au
sein même des catastrophes.

Metz a capitulé.

Un général sur qui la France comptait, même après le Mexique, vient d’enlever
à la patrie en danger plus de deux cent mille de ses défenseurs.

Le maréchal Bazaine a trahi !

Il s’est fait l’agent de l’homme de Sedan, le complice de l’envahisseur ; et, au


mépris de l’honneur de l’armée dont il avait la garde, il a livré, sans même
essayer un suprême effort, cent vingt mille combattants, vingt mille blessés, ses
fusils, ses canons, ses drapeaux, et la plus forte des citadelles de la France,
Metz, vierge jusqu’à lui des souillures de l’étranger.

Un tel crime est au-dessus même des châtiments de la justice.

Et maintenant, Français, mesurez la profondeur de l’abîme où vous a précipités


l’Empire : vingt ans la France a subi ce pouvoir corrupteur, qui tarissait en elle
toutes les sources de la grandeur et de la vie.

L’armée de la France, dépouillé de son caractère national, devenue sans le


savoir un instrument de règne et de servitude, est engloutie, malgré l’héroïsme
des soldats, par la trahison des chefs, dans les désastres de la patrie. En moins
de deux mois, deux cent vingt-cinq mille hommes ont été livrés à l’ennemi :
sinistre épilogue du coup de main militaire de Décembre !

1227
Il est temps de nous ressaissir, citoyens, et, sous l’égide de la République que
nous sommes décidés à ne laisser capituler ni au dedans ni au dehors, de puiser
dans l’étendue même de nos malheurs le rajeunissement de notre moralité et de
notre virilité politique et sociale. Oui, quelle que soit l’étendue du désatre, il ne
nous trouve ni consternés ni hésitants.

Nous sommes prêts aux derniers sacrifices, et, en face d’ennemis que tout
favorise, nous jurons de ne jamais nous rendre. Tant qu’il restera un pouce du
sol sacré sous nos semelles, nous tiendrons ferme le glorieux drapeau de la
Révolution française.

Notre cause est celle de la justice et du droit : l’Europe le voit, l’Europe le sent ;
devant tant de malheurs immérités, spontanément, sans avoir reçu de nous ni
invitation, ni adhésion, elle s’est émue, elle s’agite. Pas d’illusions ! Ne nous
laissons ni alanguir ni énerver, et prouvons par des actes que nous voulons, que
nous pouvons tenir de nous-mêmes l’honneur, l’indépendance, l’intégrité, tout
ce qui fait la patrie libre et fière.

Vive la France ! Vive la République une et indivisible ! » -Discourd de Léon


Gambetta après la capitulation de Metz, 27 octobre 1870.

« Monsieur,

Vous avez adressé dernièrement trois lettres au peuple italien. Ces lettres, qui
ont paru d’abord dans les journaux de Milan et qui ont été ensuite réunies en
brochure sont un véritable manifeste contre notre nation. Vous avez quitté vos
études historiques pour attaquer la France ; je quitte les miennes pour vous
répondre.

Dans vos deux premières lettres, qui ont été écrites à la fin du mois de juillet,
vous vous êtes surtout efforcé de montrer que la Prusse, malencontreusement
attaquée, ne faisait que se défendre. Il est vrai qu’à cette époque nous
paraissions les agresseurs et qu’il était permis de s’y tromper. Vous n’auriez
pas commis la même méprise deux mois plus tard et surtout vous n’auriez pas
pu répéter que « la Prusse n’avait jamais fait et ne ferait jamais que des guerres
défensives ». Car les rôles ont été si bien intervertis dans l’entrevue de
Ferrières, que c’est manifestement la Prusse qui est devenue l’agresseur et que
son ambition n’a même plus pris la peine de se dissimuler. Du reste, monsieur,

1228
j’admire les nobles sentiments que vous professiez en faveur de la paix et du bon
droit… au mois de juillet.

Votre troisième lettre, écrite à la fin du mois d’août, c’est-à-dire au milieu des
victoires prussiennes, diffère sensiblement des deux premières. Vous ne vous
occupez plus de la défense de votre patrie soi-disant attaquée, mais de son
agrandissement. Il ne s’agit plus pour vous de salut, mais de conquête. Sans le
moindre détour, vous écrivez que la Prusse doit s’emparer de l’Alsace et la
garder.

Ainsi, dès le mois d’août, vous indiquiez avec une perspicacité parfaite le vrai
point qui était en litige entre la France et la Prusse. M. de Bismarck ne s’était
pas encore prononcé. Il n’avait pas encore dit tout haut qu’il nous faisait la
guerre pour mettre la main sur l’Alsace et la Lorraine. Mais déjà, monsieur,
vous étiez bon prophète et vous annonciez les prétentions et le but de la Prusse.
Vou déterminiez nettement quel serait l’objet de cette nouvelle guerre qu’elle
allait entreprendre à son tour contre notre nation. Nul ne peut plus l’ignorer
aujourd’hui : ce qui met aux prises toute la population militaire de l’Allemagne
et toute la population virile de la France, c’est cette question franchement
posée : « l’Alsace sera-t-elle à la France ou à l’Allemagne ? »

La Prusse compte bien résoudre cette question par la force ; mais la force ne lui
suffit pas : elle voudrait bien y joindre le Droit. Aussi, pendant que ses armées
envahissaient l’Alsace et bombardaient Strasbourg, vous vous efforciez de
prouver qu’elle était dans son droit et que l’Alsace et Strasbourg lui
appartenaient légitimement. L’Alsace, à vous en croire, est un pays allemand ;
donc elle doit appartenir à l’Allemagne. Elle en faisait partie autrefois ; vous
concluez de là qu’elle doit lui être rendue. Elle parle allemand, et vous en tirez
cette conséquence que la Prusse peut s’emparer d’elle. En vertu de ces raisons
vous la « revendiquez » ; vous voulez qu’elle vous soit « restituée ». Elle est
vôtre, dites-vous, et vous ajoutez : « Nous voulons prendre tout ce qui est nôtre,
rien de plus, rien de moins. » Vous appelez cela le principe de nationalité.

C’est sur ce point que je tiens à vous répondre. Car il faut que l’on sache bien
s’il est vrai que, dans cet horrible duel, le Droit se trouve du même côté que la
force. Il faut aussi que l’on sache s’il est vrai que l’Alsace ait eu tort en se
défendant et que la Prusse ait eu raison en bombardant Strasbourg.

1229
Vous invoquez le principe de nationalité, mais vous le comprenez autrement que
toute l’Europe. Suivant vous, ce principe autoriserait un État puissant à
s’emparer d’une province par la force, à la seule condition d’affirmer que cette
province est occupée par la même race que cet État. Suivant l’Europe et le bon
sens, il autorise simplement une province ou une population à ne pas obéir
malgré elle à un maître étranger. Je m’explique par un exemple : le principe de
nationalité ne permettait pas au Piémont de conquérir par la force Milan et
Venise ; mais il permettait à Milan et à Venise de s’affranchir de l’Autriche et
de se joindre volontairement au Piémont. Vous voyez la différence. Ce principe
peut bien donner à l’Alsace un droit, mais il ne vous en donne aucun sur elle.

Songez où nous arriverions si le principe de nationalité était entendu comme


l’entend la Prusse, et si elle réussissait à en faire la règle de la politique
européenne. Elle aurait désormais le droit de s’emparer de la Hollande. Elle
dépouillerait ensuite l’Autriche sur cette seule affirmation que l’Autriche serait
une étrangère à l’égard de ses provinces allemandes. Puis elle réclamerait à la
Suisse tous les cantons qui parlent allemand. Enfin s’adressant à la Russie, elle
revendiquerait la province de Livonie et la ville de Riga, qui sont habitées par la
race allemande ; c’est vous qui le dites page 16 de votre brochure. Nous n’en
finirions pas. L’Europe serait périodiquement embrasée par les
« revendications » de la Prusse. Mais il ne peut en être ainsi. Ce principe,
qu’elle a allégué pour le Slesvig, qu’elle allègue pour l’Alsace, qu’elle
alléguera pour la Hollande, pour l’Autriche, pour la Suisse allemande, pour la
Livonie, elle le prend à contre-sens. Il n’est pas ce qu’elle croit. Il constitue un
droit pour les faibles ; il n’est pas un prétexte pour les ambitieux. Le principe de
nationalité n’est pas, sous un nom nouveau, le vieux droit du plus fort.

Comprenons-le tel qu’il est compris par le bon sens de l’Europe. Que dit-il
relativement à l’Alsace ? Une seule chose : c’est que l’Alsace ne doit pas être
contrainte d’obéir à l’étranger. Voulez-vous maintenant que nous cherchions
quel est l’étranger pour l’Alsace ? Est-ce la France, ou est-ce l’Allemagne ?
Quelle est la nationalité des Alsaciens, quelle est leur vraie patrie ? Vous
affirmez, monsieur, que l’Alsace est de nationalité allemande. En êtes-vous bien
sûr ? Ne serait-ce pas là une de ces assertions qui reposent sur des mots et sur
des apparences plutôt que sur la réalité ? Je vous prie d’examiner cette question
posément, loyalement : à quoi distinguez-vous la nationalité ? à quoi
reconnaissez-vous la patrie ?

1230
Vous croyez avoir prouvé que l’Alsace est de nationalité allemande parce que sa
population est de race germanique et parce que son langage est l’allemand.
Mais je m’étonne qu’un historien comme vous affecte d’ignorer que ce n’est ni
la race ni la langue qui fait la nationalité.

Ce n’est pas la race : jetez en effet les yeux sur l’Europe et vous verrez bien que
les peuples ne sont presque jamais constitués d’après leur origine primitive. Les
convenances géographiques, les intérêts politiques ou commerciaux sont ce qui
a groupé les populations et fondé les États. Chaque nation s’est ainsi peu à peu
formée, chaque patrie s’est dessinée sans qu’on se soit préoccupé de ces raisons
ethnographiques que vous voudriez mettre à la mode. Si les nations
correspondaient aux races, la Belgique serait à la France, le Portugal à
l’Espagne, la Hollande à la Prusse ; en revanche, l’Ecosse se détacherait de
l’Angleterre, à laquelle elle est si étroitement liée depuis un siècle et demi, la
Russie et l’Autriche se diviseraient en trois ou quatre tronçons, la Suisse se
partagerait en deux, et assurément Posen se séparerait de Berlin. Votre théorie
des races est contraire à tout l’état actuel de l’Europe. Si elle venait à prévaloir,
le monde entier serait à refaire.

La langue n’est pas non plus le signe caractéristique de la nationalité. On parle


cinq langues en France, et pourtant personne ne s’avise de douter de notre unité
nationale. On parle trois langues en Suisse ; la Suisse en est-elle moins une
seule nation, et direz-vous qu’elle manque de patriotisme ? D’autre part, on
parle anglais aux États-Unis ; voyez-vous que les États-Unis songent à rétablir
le lien national qui les unissait autrefois à l’Angleterre ? Vous vous targuez de
ce qu’on parle allemand à Strasbourg ; en est-il moins vrai que c’est à
Strasbourg que l’on a chanté pour la première fois notre Marseillaise ? Ce qui
distingue les nations, ce n’est ni la race, ni la langue. Les hommes sentent dans
leur cœur qu’ils sont un même peuple lorsqu’ils ont une communauté d’idées,
d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances. Voilà ce qui fait la
patrie.Voilà pourquoi les hommes veulent marcher ensemble, ensemble
travailler, ensemble combattre, vivre et mourir les uns pour les autres. La
patrie, c’est ce qu’on aime. Il se peut que l’Alsace soit allemande par la race et
par le langage ; mais par la nationalité et le sentiment de la patrie elle est
française. Et savez-vous ce qui l’a rendue française ? Ce n’est pas Louis XIV,
c’est notre Révolution de 1789. Depuis ce moment, I’Alsace a suivi toutes nos
destinées ; elle a vécu de notre vie. Tout ce que nous pensions, elle le pensait ;
tout ce que nous sentions, elle le sentait. Elle a partagé nos victoires et nos
1231
revers, notre gloire et nos fautes, toutes nos joies et toutes nos douleurs. Elle n’a
rien eu de commun avec vous. La patrie, pour elle, c’est la France. L’étranger,
pour elle, c’est l’Allemagne.

Tous les raisonnements du monde n’y changeront rien. Vous avez beau invoquer
l’ethnographie et la philologie. Nous ne sommes pas ici dans un cours
d’université. Nous sommes au milieu des faits et en plein cœur humain. Si vos
raisonnements vous disent que l’Alsace doit avoir le cœur allemand, mes yeux et
mes oreilles m’assurent qu’elle a le cœur français. Vous affirmez, de loin,
« qu’elle garde un esprit d’opposition provinciale contre la France » ; je l’ai
vue de près ; j’ai connu des hommes de toutes les classes, de tous les cultes, de
tous les partis politiques, et je n’ai trouvé cet esprit d’opposition contre la
France nulle part. Vous insinuez qu’elle a une antipathie contre les hommes de
Paris ; je me vante de savoir avec quelle sympathie elle les accueille. Par le
cœur et par l’esprit, l’Alsace est une de nos provinces les plus françaises. Le
Strasbourgeois a, comme chacun de nous, deux patries : sa ville natale d’abord,
puis, au-dessus, la France. Quant à l’Allemagne, il n’a pas même la pensée
qu’elle puisse être en aucune façon sa patrie.

Vous l’avez bien vu depuis deux mois. Le 6 août, la France était vaincue ;
I’Alsace, dégarnie de troupes, était ouverte aux Allemands. Comment les a-t-elle
accueillis ? Les paysanss alsaciens ont pris leurs vieux fusils à pierre et leurs
pioches pour combattre l’étranger. Beaucoup d’entre eux, ne pouvant souffrir la
présence de l’ennemi dans leurs villages, se sont réfugiés dans les montagnes, et
à l’heure qu’il est ils défendent encore pied à pied chaque défilé et chaque
ravin. On a sommé Strasbourg de se rendre, et vous savez comment il a
répondu. Or notez ce point : Strasbourg n’avait pour garnison que 2500 soldats
français et le 6e régiment d’artillerie qui est composé d’Alsaciens. C’est la
population strasbourgeoise qui a résisté aux allemands. C’est un général
alsacien qui commandait la ville. L’évêque, que l’on a si durement repoussé du
camp allemand, était un Alsacien. Ceux qui ont si vaillamment combattu, ceux
qui ont frappé l’ennemi par de si rudes sorties étaient des Alsaciens. Tous ces
hommes-là sans doute parlaient votre langue ; mais ils ne se sentaient
certainement pas vos compatriotes. Et ces soldats allemands qui lançaient des
bombes contre Strasbourg, qui visaient la cathédrale, qui brûlaient le Temple-
Neuf, la bibliothèque, les maisons, 1’hôpital, qui, respectant les remparts et
ménageant la garnison, n’étaient impitoyables que pour les habitants, dites
franchement, la main sur le cœur, se sentaient-ils leurs compatriotes ! Ne parlez
1232
donc plus de nationalité, et surtout gardez-vous bien de dire aux Italiens :
Strasbourg est à nous du même droit que Milan et Venise sont à vous ; car les
Italiens vous répondraient qu’ils n’ont bombardé ni Milan ni Venise. Si l’on
avait pu avoir quelque doute sur la vraie nationalité de Strasbourg et de
l’Alsace, le doute ne serait plus possible aujourd’hui. La cruauté de l’attaque et
l’énergie de la défense ont fait éclater la vérité à tous les yeux. Quelle preuve
plus forte voudriez vous ?

Comme les premiers chrétiens confessaient leur foi, Strasbourg, par le martyre,
a confessé qu’il est Français. Vous êtes, monsieur, un historien éminent. Mais,
quand nous parlons du présent, ne fixons pas trop les yeux sur l’histoire. La
race, c’est de l’histoire, c’est du passé. La langue, c’est encore de l’histoire,
c’est le reste et le signe d’un passé lointain. Ce qui est actuel et vivant, ce sont
les volontés, les idées, les intérêts, les affections. L’histoire vous dit peut-être
que l’Alsace est un pays allemand ; mais le présent vous prouve qu’elle est un
pays français. Il serait puéril de soutenir qu’elle doit retourner à l’Allemagne
parce qu’elle en faisait partie iI y a quelques siècles. Allons-nous rétablir tout
ce qui était autrefois ? Et alors, je vous prie, quelle Europe referons-nous ?
celle du XVIIème siècle, ou celle du XVème, ou bien celle où la vieille Gaule
possédait le Rhin tout entier, et où Strasbourg, Saverne et Colmar étaient des
villes romaines ?

Soyons plutôt de notre temps. Nous avons aujourd’hui quelque chose de mieux
que l’histoire pour nous guider. Nous possédons au XIXe siècle un principe de
droit public qui est infiniment plus clair et plus indiscutable que votre prétendu
principe de nationalité. Notre principe à nous est qu’une population ne peut être
gouvernée que par les institutions qu’elle accepte librement, et qu’elle ne doit
aussi faire partie d’un État que par sa volonté et son consentement libre. Voilà
le principe moderne. Il est aujourd’hui l’unique fondement de l’ordre, et c’est à
lui que doit se rallier quiconque est à la fois ami de la paix et partisan du
progrès de l’humanité. Que la Prusse le veuille ou non, c’est ce principe-là qui
finira par triompher. Si l’Alsace est et reste française, c’est uniquement parce
qu’elle veut l’être. Vous ne la ferez allemande que si elle avait un jour quelques
raisons pour vouloir être allemande.

Son sort doit dépendre d’elle. En ce moment la France et la Prusse se la


disputent ; mais c’est l’Alsace seule qui doit prononcer. Vous dites que vous
revendiquez Strasbourg et qu’il doit vous être restitué. Que parlez-vous de
1233
revendication ? Strasbourg n’appartient à personne. Strasbourg n’est pas un
objet de possession que nous ayons à restituer. Strasbourg n’est pas à nous, il
est avec nous. Nous souhaitons que l’Alsace reste parmi les provinces
françaises, mais sachez bien quel motif nous alléguons pour cela. Disons-nous
que c’est parce que Louis XIV l’a conquise ? Nullement. Disons-nous que c’est
parce qu’elle est utile à notre défense ? Non. Ni les raisons tirées de la force, ni
les intérêts de la stratégie n’ont de valeur en cette affaire. Il ne s’agit que d’une
question de droit public, et nous devons résoudre cette question d’après les
principes modernes. La France n’a qu’un seul motif pour vouloir conserver
l’Alsace, c’est que l’Alsace a vaillamment montré qu’elle voulait rester avec la
France. Voilà pourquoi nous soutenons la guerre contre la Prusse. Bretons et
Bourguignons, Parisiens et Marseillais, nous combattons contre vous au sujet
de l’Alsace ; mais, que nul ne s’y trompe ; nous ne combattons pas pour la
contraindre, nous combattons pour vous empêcher de la contraindre. » -Fustel
de Coulanges, L’Alsace est-elle allemande ou française : réponse à M.
Mommsen, professeur à Berlin, Paris, 27 octobre 1870.

« Gambetta prétendait mener la grande guerre et il le fit, pour son malheur ;


car, pour les armées allemandes dans la France d’alors, une petite guerre, une
guerre de guérilla, aurait été bien plus dangereuse. » -Colmar, baron von der
Goltz, Léon Gambetta et ses armées, 1877, cité par Carl Schmitt in Théorie du
partisan.

« Sans l’imprudence du régime impérial à déclarer la guerre et sans les défaites


militaires, il n’est pas douteux que l’avènement de la République eût été retardé
d’une décennie au moins ; tel était bien le sentiment des républicains au
lendemain du plébiscite de mai 1870 : ne disaient-ils pas que l’Empire venait
d’être reconduit pour vingt ans et ne désespéraient-ils pas pour leur génération
de revoir un jour la République ? Un écart imprévu de l’histoire a rendu
soudainement possible ce qui, la veille encore, restait une chimère. » -René
Rémond, La République souveraine. La vie politique en France (1879-1939),
Fayard, coll. Pluriel, 2002, 435 pages, p.11.

« En 1870, la guerre franco-allemande éclate. Elle a pour conséquences la


défaite de la France, le départ de l'empereur Napoléon III et la proclamation de
la Troisième République, mais aussi l'achèvement de l'unité allemande sous la
forme d'un empire allemand avec le Roi de Prusse à sa tête. Cette guerre avait
été précédée d'une autre entre la Prusse et l'Autriche qui avait été aussi gagnée
1234
par la Prusse, ce qui avait mis fin à l'implication autrichienne dans les affaires
allemandes. Dorénavant, l'Autriche n'aurait plus qu'une seule sphère
d'influence: les Balkans.
La guerre de 1870 eut une influence déterminante sur les rapports de force en
Europe. Depuis la guerre de Trente Ans (1618-1648), qui avait laissé l'Empire
allemand divisé et désemparé, la France avait été la puissance dominante en
Europe. Et le Congrès de Vienne n'avait pas non plus apporté de changement
décisif dans la structure du système européen des Etats. La création de l'Empire
allemand, en revanche, changea profondément la donne. » -Henri Wesseling,
Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions Gallimard, 2009, 554
pages, p.236.

« Si les populations urbaines d'Alsace et du nord de la Lorraine (Metz


notamment) étaient pour une grande part francophones, les populations rurales
étaient alors très majoritairement de langue et de culture germaniques. En
1871, le Reich s'estime donc en droit de les annexer. » -Yves Lacoste, Vive la
Nation. Destin d'une idée géopolitique, Fayard, 1997, 339 pages, p.45.

Pierre Philippe Denfert-Rochereau (1823-1878):


http://hydra.forumactif.org/t4948-pierre-philippe-denfert-rochereau#5907

La Commune de Paris : « La guerre civile la plus sanglante de l’histoire de


France. » -Albert Thibaudet, Les Romantiques et les Parnassiens de 1870 à
1914, La Revue de Paris, 1933.

« La répression de la Commune […] a fait plus de victimes que la Terreur


révolutionnaire. » -Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française (XIXe
– XXe), Éditions du Seuil, 2002 (1986 pour la première édition), 321 pages,
p.119.

« L’histoire nous prépare une grande page, et le temps que vous croyez perdu
est le temps qu’elle met à retourner le feuillet. » -Edouard Moreau, Lettre à
Caroline Straus, 16 août 1870.

« Les chefs du gouvernement de la Défense Nationale, en livrant la France à la


Prusse n'ont eu en vue que tuer la République qu'ils craignaient de voir
consolidée par la victoire. » -Edouard Moreau, cité par Marc Cerf, Edouard
Moreau, l'âme du Comité Central de la Commune, Denoël, Dossiers des Lettres
Nouvelles, 1971, p. 95.

1235
« On ne saurait trop le répéter, la révolution de Paris ne fut que le contrecoup
du faux combat livré par les hommes du 4 septembre à l’ennemi national. » -
Jules Andrieu, Notes pour servir à l’histoire de la Commune de Paris en 1871,
Payot, 1971, p.107.

"Et la déclaration de guerre jetée par la France à la Prusse en juillet 1870 ?


Elle n'existe plus, en juillet, l'inquiétude légitime qu'avait causée la menace
d'une "Prusse du Sud", avec le projet bismarckien d'un Hohenzollern sur le
trône d'Espagne ; Guillaume a retiré cette candidature provocante. Dans
l'entourage de l'impératrice, cependant, l'effroi dynastique est grand. Si les
résultats du plébiscite, en mai, ont été satisfaisants dans la France rural, en
revanche, le régime s'est trouvé mis en minorité dans les plus grandes villes et
notamment à Paris. Tragique symptôme. De Napoléon III, malade, la charge du
pouvoir va bientôt passer au prince impérial, si jeune ; et sa mère est dans les
transes. Une guerre -très certainement victorieuse, Leboeuf en répond-, un
triomphe militaire arrangerait tout. Dans l'enthousiasme belliqueux, générateur
d'unité nationale, et dans l'euphorie de la victoire, le régime retrouverait une
rayonnante assise. D'où, pour l'aventure, l'aveuglement avec lequel le
gouvernement d'Emile Ollivier se précipite dans le piège tendu par Bismarck
qui, souhaitant d'en découdre au plutôt avec la France pour lui arracher
l'Alsace et une partie de la Lorraine, sait habilement épargner à la Prusse la
responsabilité de l'agression." (p.11)

"A Sedan, la France a perdu une bataille ; cent mille hommes s'y sont engloutis.
Mais ainsi que le soulignera Foch, quarante ans après, dans son cours professé
à l'École de guerre, la question militaire n'était pas réglée pour autant ; les
ressources de la France restaient immenses, en homme, en argent, en capacité
aussi de construire ou d'acheter le matériel nécessaire. Mais la chute de
l'empire changeait tout. Autant la classe dirigeante avait applaudi à une guerre
menée sous la conduite de l'empereur et destinée à raffermir l'ordre établi,
autant elle repoussait avec horreur et tremblement l'éventualité d'une victoire
que remporterait ce gouvernement républicain une fois de plus reparu à Paris.
Ceux, du reste, qui, le 4 septembre, se sont rués à l'Hôtel de Ville pour y
constituer un gouvernement provisoire, ces représentants de la gauche nantie,
Jules Favre, Jules Simon, Jules Ferry, Ernest Picard, n'éprouvent pas moins
d'aversion pour une République où seraient en péril les structures économiques
et sociales. Ils ont pu, par bonheur, interdire l'accès du pouvoir, à l'extrême-
gauche socialisante et leur unique pensé est d'obtenir, le plus vite possible, des
1236
Allemands un armistice d'où sortira la capitulation. Ainsi tout rentrerait dans
l'ordre et les vainqueurs procéderaient au désarmement de ces prolétaires que
l'empire lui-même, épardu, avait, dans sa fièvre, autorisé -une folie !- à disposer
de fusils. Récidive de 1848. Comme l'écrira si fortement Maurice Barrès en
1897, "la première condition de la paix sociale est que les pauvres aient le
sentiment de leur impuissance". Comment l'auraient-ils, ce "sentiment"
fondamental, s'ils tiennent dans leurs mains des fusils ? Leur enlever ces armes,
c'est la grande urgence ; le seul moyen d'y parvenir, c'est la capitulation.
Pour se faire admettre à la tête de l'Etat dans un Paris bien résolu à se
défendre, les Jules ont baptisé leur équipe "Gouvernement de la Défense
nationale", alors que leur vrai titre eût été Gouvernement de la Défense sociale
; mais voudraient-ils sincèrement se battre, résister, reprendre l'offensive qu'ils
en seraient bien incapables, car les généraux, pour rien au monde, n'entendent
mettre leur épée au service d'un régime exécrable. Les Trochu et les Ducrot, les
Vinoy et les Blanchards, à Paris, à cet égard, sont dans les mêmes dispositions
que les Bazaine, les Bourbaki et les Leboeuf qui commandent, à Metz, cette
puissante armée de 170 000 hommes dont ils vont faire cadeau à l'ennemi. A
cause de ces insupportables Parisiens férus de leur résistance, à cause aussi de
Gambetta qui a pris au sérieux la défense nationale, et qui même, un moment, a
beaucoup inquiété Bismarck (mais Thiers a su arranger cela), les généraux et le
gouvernement de Paris devront attendre trois mois, trois terribles mois
interminables, pour être en mesure, enfin, d'imiter Bazaine. Ils y parviendront
néanmoins et Trochu s'enorgueillira de sa performance: dans une capitale
insensée, dira-t-il, peuplée de frénétiques et des plus redoutables "ennemis de la
société", le gouvernement, à force de souplesse et de ruses, est arrivée à ses fins
sans se faire renverser ; il a atteint, lentement, mais il l'a atteint, le but que, dès
sa formation, il s'était assigné: maintenir l'ordre en attendant que les Allemands
puissent s'en charger eux-mêmes. Notre gouvernement, écrira Trochu avec
fierté, "a sauvé la situation qui [le 4 septembre] était perdue": plus de police, une
plèbe démuselée et en armes, et l'idée républicaine pour incendier les mauvais
esprits. Ah oui, on peut le dire, le Gouvernement de la Défense nationale a fait
des prodiges ; il a réalisé, la Providence aidant, un vrai miracle ; il a su
"empêcher la démagogie [Trochu veut dire la gauche authentique] de prendre la
défense de Paris et de produire [ainsi] dans la France entière un immense
bouleversement social" qui eût été la fin de tout La Politique et le Siège de
Paris, p.191]. L'Alsace et la Lorraine sont perdues ? Soit. Mais l'essentiel est
sauvé. Les Jules ont "dompté" la révolution, ils ont "triomphé d'elle", ils ont
1237
"acquis par là des droits réels à la reconnaissance des honnêtes gens" [Colonel
comte de Meffray, Les Fautes de la Défense de Paris, 1871, p.34]." (p.12-14)

"Thiers tablait avec assurance sur cette consultation du peuple. Les bons
candidats disposeraient, pour se faire élire, d'un argument-massue ; ils seraient
les "candidats de la paix". Voyez-vous les paysans, à qui l'on répétait que les
candidats de gauche, s'ils gagnaient la partie, amèneraient infailliblement chez
eux les Prussiens -gare à vos vaches !-, les imaginez-vous optant pour la reprise
d'une guerre où ils risquaient d'être, eux-mêmes ou leurs fils, mobilisés ? Et
pour quelle cause ? Strasbourg, Metz, que restassent françaises ou non ces
villes lointaines et dont l'existence même leur était inconnue, ils s'en
moquaient bien, les "rustres" de Bretagne et d'Auvergne, du Languedoc ou du
Dauphiné." (p.15)
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

« Au cours de la "Semaine sanglante" de répression qui marque la fin de


l'insurrection révolutionnaire du peuple parisien au printemps 1871, certains
prétendent avoir vu des communardes mettre le feu à de nombreux bâtiments
avec du pétrole. Pourtant, lorsque la Commune est balayée, parmi les milliers
de femmes arrêtées, pas une n'est condamnée comme incendiaire. La justice
conclut rapidement que les rares communardes qui sont accusées d'incendie
volontaire l'ont été sans raison valable. Pourtant, l'image de la "pétroleuse",
suscitée par des publicistes réactionnaires, persistera durant des décennies.

-Matthieu Auzanneau, Or Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La


Découverte/Poche, 2016, 881 pages, p.47.

« Les déclamations des socialistes révolutionnaires, les prétentions des


socialistes possibilistes, les explosions de dynamite n’ont pas modifié des idées
qui avaient été fortifiées chez moi, à cette époque, par le spectacle lamentable
des hommes et des choses de la Commune ; je considère que tout ce qui la
rappelle ou prépare le retour d’un événement analogue ne peut pas être plus
utile à l’avenir des travailleurs que ne l’a été dans le passé cette odieuse folie. »

« Je vois qu’au cimetière du Père Lachaise, le 28 mai, les socialistes,


broussistes, marxistes, allemanistes, blanquistes, au lieu de s’unir dans
l’hommage qu’ils rendaient aux combattants de la Commune qu’ils considèrent

1238
tous comme leurs guides et leurs modèles, se sont battus entre eux avec
acharnement. » (p.2)

-Yves Guyot, La Tyrannie socialiste, Ch. Delagrave, 1893, 264 pages, p.196.

« Dans Vendredi, l'hebdomadaire intellectuel du Front populaire, l'écrivain


André Chamson donne le sens du souvenir : « Tant d'hommes n'ont pourtant pas
pu mourir sans que notre destin national en soit marqué. La Commune a sa place
logique dans notre histoire. Elle est l'aboutissement de toutes les passions nobles
qui ont animé notre passé. Elle doit peser sur notre avenir. Elle nous aide à
comprendre que le XIXe siècle, s'il a su conquérir la liberté politique, n'a pas su
régler la question sociale ». » -Michel Winock, « Victoire électorale ou
révolution ? », article in L’Histoire, « Le cas Freud », mensuel N°309 daté mai
2006.

« La Commune a été la plus grande fête du XIXème siècle. On y trouve, à la


base, l’impression des insurgés d’être devenus les maîtres de leur propre
histoire, non tant au niveau de la déclaration politique "gouvernementale"
qu’au niveau de la vie quotidienne dans ce printemps de 1871 (voir le jeu de
tous avec les armes ; ce qui veut dire : jouer avec le pouvoir). C’est aussi en ce
sens qu’il faut comprendre Marx :"la plus grande mesure sociale de la
Commune était sa propre existence en actes".

[…] La Commune de Paris a été vaincue moins par la force des armes que par
la force de l’habitude. L’exemple pratique le plus scandaleux est le refus de
recourir au canon pour s’emparer de la Banque de France alors que l’argent a
tant manqué. Durant tout le pouvoir de la Commune, la Banque est restée une
enclave versaillaise dans Paris, défendue par quelques fusils et le mythe de la
propriété et du vol. Les autres habitudes idéologiques ont été ruineuses à tous
propos (la résurrection du jacobinisme, la stratégie défaitiste des barricades en
souvenir de 48, etc.). » -Attila Kotànyi, Guy Debord, Raoul Vaneigem, Sur la
Commune, 18 mars 1962.

« La révolution passive est la caractéristique de notre période historique, celle


qui commence en 1871 avec l’écrasement de la Commune de Paris. Les classes
dirigeantes débarrassées enfin de leur antagoniste historique (ancien régime
théologico-politique, privilégiés de la rente foncière) affrontent désormais leur
antagoniste fondamental qui est leur condition d’existence, la classe des
travailleurs, producteurs de survaleur et de profit, et elles lui signifient qu’il ne
1239
sera jamais question de dépasser une politique de redistribution du surplus
social, de justice distributive, et que ne sera jamais franchi par elle le seuil de
gestion de la production, de l’innovation technologique et de la direction
d’ensemble de la société et de ses institutions économiques, politiques et
culturelles. Par le dosage savant et sans cesse reproduit de contrainte et de
consensus, par la stricte rhétorique de la force et de la persuasion active ou
extorquée, les classes dirigeantes devenues des castes doivent reproduire et
élargir leur direction et leur domination au risque de la désassimilation
croissante de masses vouées à la subalternité et d’autres conséquences
aujourd’hui potentiellement catastrophiques. » -"De Spinoza à Gramsci",
entretien d'André Tosel avec Gianfranco Rebucini , 30 mai
2016: http://revueperiode.net/de-spinoza-a-gramsci-entretien-avec-andre-tosel/

https://www.amazon.fr/Commune-1870-1871-travers%C3%A9e-mondes-
si%C3%A8cle/dp/2021393720/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85
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https://www.amazon.fr/Insurgent-Identities-Community-Protest-
Commune/dp/0226305619/ref=sr_1_fkmr0_1?ie=UTF8&qid=1539015095&sr=
8-1-
fkmr0&keywords=Insurgent+Identities.+Class.+Community+and+Protest+in+P
aris+from+1848+to+the+Commune

Les Exilés : https://www.amazon.fr/Revolutionary-Thought-after-Commune-


1871-
1885/dp/1108713343/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=&sr=
(1) Jean-Numa Ducange, Michel Cordillot, Aux origines du socialisme moderne: la Première
Internationale, la Commune de Paris, l’Exil. Recherches et travaux (forumactif.org)

Jules Vallès (1832-1885):

Friedrich-Albert Lange (1828-1875) : http://hydra.forumactif.org/t2592-


friedrich-albert-lange-histoire-du-materialisme-et-de-son-importance-a-notre-
epoque#3339

Ernst Kapp (1808 – 1896): « Georges Canguilhem, lecteur attentif de Kapp,


l'a bien montré: l'insertion du phénomène technique dans l'ordre du vivant signe
son antériorité absolue sur le savoir scientifique, qui apparaît dans cette
1240
perspective comme le produit d'une rationalisation postérieure. Comme
Canguilhem l'écrit dans son article Machine et organisme, où Kapp figure en
bonne place parmi les représentants d'une "philosophie biologique de la
technique": "comprendre la construction même de la machine à partir de la
structure et du fonctionnement de l'organisme" implique de remettre en question
le postulat de "l'antériorité à la fois logique et chronologique du savoir sur ses
applications ».

Du point de vue de la connaissance du sujet, la science vient en dernier: il y a


d'abord la motricité du corps avec ses principes immanents, puis l'objet
technique, qui hérite de certains aspects du fonctionnement de l'organisme en
même temps que de certaines de ces formes, et ce n'est qu'ensuite, une fois ces
relations organiques objectivées dans la structure d'artefacts manipulables, qu'il
devient possible de les connaître en tant que rapports entre solides et de les
exprimer sous forme mathématique." (p.29)

« A la thèse d'une constitution du monde par extériorisation organique


correspond une conception préformationniste du processus historique. L'histoire
ne crée rien, elle déploie un ordre originaire.

On retrouvera ces deux traits (organisme et évolutionnisme préformationniste),


plus ou moins prononcés, dans toutes les "philosophies de la technique" qui se
fondent sur une théorie de la projection d'organe, qu'elles aient ou non
connaissance du texte de Kapp. On peut multiplier les exemples, mais la techno-
prophétie béate de Jöel de Rosnay suffit à illustrer le propos: "l'homme du futur
sera simplement l'homme symbiotique, en partenariat étroit, -s'il parvient à le
construire- avec le système sociétal qu'il a extériosé à partir de son cerveau, de
ses sens et de ses muscles. Un super organisme nourricier, vivant de la vie de
cellules, ces neurones de la Terre que nous sommes en train de devenir."

Poussé à son terme, la théorie de la projection d'organe aboutit à la


naturalisation de l'ordre social et ses transformations, alors présentées comme
le développement d'un principe germinal plutôt que comme un authentique
devenir historique.

Pour mener à bien sa démonstration, cet évolutionnisme continuiste doit


masquer ou ignorer les ruptures et les renversements qui marquent l'histoire des
techniques." (p.36)

1241
-Grégoire Chamayou, introduction à Ernst Kapp, Principes d'une philosophie de
la technique, Paris, Librairie philosophique, Vrin, 2007 (1887 pour la première
édition allemande).

« Il est possible de justifier l'existence d'une philosophie de la technique. Pour


cela, il faudrait qu'une observation réfléchie parvienne à montrer que la genèse
et le perfectionnement des artefacts issus de la main de l'homme sont la
condition première de son évolution vers la conscience de soi. [...]

Nous prouverons d'abord par des faits incontestables que l'homme transfère
inconsciemment la forme, la relation fonctionnelle et le rapport normal de son
organisation corporelle aux œuvres de sa main et qu'il prend conscience
seulement après coup des rapports d'analogie que celles-ci entretiennent avec
lui-même. » (p.47)

-Ernst Kapp, Principes d'une philosophie de la technique, Paris, Librairie


philosophique, Vrin, 2007 (1887 pour la première édition allemande).

Ludwig Feuerbach et la gauche hégélienne: « La philosophie qui porte votre


nom […] n’est pas l’affaire d’une école, mais celle de l’Humanité. »

« Le christianisme ne peut pas être conçu comme la religion parfaite et absolue.


Il ne peut y avoir que le Royaume de l’actualité, de l’Idée, de la raison
existante. » -Ludwig Feuerbach, Lettre à Hegel, 22 novembre 1828.

« Ne veuille pas être philosophe par contraste avec l'homme, sois rien d'autre
qu'un homme pensant, ne pense pas comme penseur, savoir dans une faculté
arrachée à la totalité de l'être humain réel, et isolée pour soi ; pense comme un
être vivant, réel, tel que tu es exposé aux vagues vivifiantes et réconfortantes de
l'océan ; pense dans l'existence, dans le monde comme un membre de ce monde,
et non dans le vide de l'abstraction, telle une monade esseulée, tel un monarque
absolu, tel un Dieu indifférent, extraterrestre - et c'est alors que tu peux espérer
que tes idées forment un tout où s'unissent l'être et le penser. » -Ludwig
Feuerbach.

« Les religions règnent seules et sans contrôle aussi longtemps que durent les
circonstances qui les ont fait naître. Quand le milieu chaotique où plongent
leurs racines commence à s'organiser pour des formes supérieures, elles se
trouvent aux prises avec des besoins nouveaux qu'elles sont impuissantes à
satisfaire. La contradiction éclate entre leurs brillantes promesses et le peu
1242
qu'elles sont capables d'en réaliser ; et les plus hardis parmi ceux qui s'en
aperçoivent travaillent à détruire l'illusion universelle, sans crainte de voir
périr le monde par la chute d'une erreur sacrée. Mais leur entreprise est
difficile, et leurs efforts restent longtemps sans résultats, car bien des cœurs
aiment leur illusion, et peu d'esprits se croient trompés ou veulent avouer qu'ils
le sont. » -Feuerbach, L’Essence de la religion.

« Le temps viendra cependant [où] la pure lumière de la raison éclairera et


échauffera l’humanité. »

« [Le désir des chrétiens, comme du marxisme] est un ciel dans lequel toute
limite, toute nécessité de la nature disparaîtront ; dans lequel il n’y aura plus ni
besoins, ni souffrances, ni blessures, ni combats, ni passions, ni changements. »

« L’humanité doit, si elle veut fonder une nouvelle époque, rompre entièrement
avec le passé ; elle doit d’abord poser en fait que ce qui a été jusqu’ici n’est
rien. Ce n’est que par ce moyen qu’elle peut gagner ardeur, énergie et force
pour des créations nouvelles. Tout ce qui se rattacherait à l’état présent des
choses ne ferait que paralyser l’essor de son activité. »

-Ludwig Feuerbach, La religion (1864 pour l’édition française).

« Hegel débute par l’être, c’est-à-dire par le concept de l’être, ou par l’être
abstrait. Pourquoi ne puis-je débuter par l’être même, c’est-à-dire par l’être
effectif ? » -Ludwig Feuerbach, Contribution à la critique de la philosophie de
Hegel, 1839.

« Autrefois, nous ne cherchions et n’apercevions notre essence que dans l’au-


delà, tandis qu’à présent que nous comprenons que Dieu n’est que notre essence
humaine, nous devons reconnaître cette dernière comme nôtre et la transposer
de nouveau de l’autre monde en ce monde.

Ce Dieu, qui est esprit, Ludwig Feuerbach l’appelle « notre essence ». Pouvons-
nous accepter cette opposition entre « notre essence » et nous, et admettre notre
division en un moi essentiel et un moi non essentiel ? Ne sommes-nous pas ainsi
de nouveau condamnés à nous voir misérablement bannis de nous-mêmes ?

Que gagnons-nous donc à métamorphoser le divin extérieur à nous en un divin


intérieur ? Sommes-nous ce qui est en nous ?

1243
Pas plus que ce qui est hors de nous. Je ne suis pas plus mon cœur que je ne suis
ma maîtresse, cet « autre moi ». C’est précisément parce que nous ne sommes
pas l’Esprit qui habite en nous que nous étions obligés de projeter cet Esprit
hors de nous : il n’était pas nous, ne faisant qu’un avec nous, aussi ne pouvions-
nous lui accorder d’autre existence que hors de nous, au-delà de nous, dans
l’au-delà.

Ludwig Feuerbach étreint avec l’énergie du désespoir tout le contenu du


Christianisme, non pour le jeter bas, mais pour s’en emparer, pour arracher de
son ciel par un dernier effort cet idéal toujours désiré, jamais atteint, et le
garder éternellement (…).

À la doctrine théologique de Ludwig Feuerbach, opposons en quelques mots les


objections qu’elle nous suggère : « L’être de l’homme est pour l’homme l’être
suprême. Cet être suprême, la religion l’appelle Dieu et en fait un être objectif ;
mais il n’est, en réalité, que le propre être de l’homme ; et nous sommes à un
tournant de l’histoire du monde, parce que désormais pour l’homme ce n’est
plus Dieu, mais l’Homme qui incarne la divinité. »

À cela, nous répondons : l’Être suprême est l’être ou l’essence de l’homme, je


vous l’accorde ; mais c’est précisément parce que cette essence suprême est «
son essence » et non « lui » qu’il est totalement indifférent que nous la voyions
hors de lui et en fassions « Dieu », ou que nous la voyions en lui et en fassions l’
« Essence de l’homme » ou l’ « Homme ».

Je ne suis ni Dieu ni Homme, je ne suis ni l’essence suprême ni mon essence, et


c’est au fond tout un que je conçoive l’essence en moi ou hors de moi.

Bien plus, toujours l’essence suprême a été conçue dans ce double au-delà, au-
delà intérieur et au-delà extérieur ; car, d’après la doctrine chrétienne, «
l’esprit de Dieu » est aussi « notre esprit » et « habite en nous » Il habite le ciel
et habite en nous, nous ne sommes que sa « demeure ».

Si Ludwig Feuerbach détruit sa demeure céleste et le force à venir s’installer


chez nous avec armes et bagages, nous serons, nous, son terrestre logis,
singulièrement encombrés. » -Max Stirner, L'Unique et sa propriété (1844).

« Feuerbach donne une direction nouvelle à la négation de l’idéalisme. Il met la


question du matérialisme à l’ordre du jour, en situant l’origine de la pensée
dans l’être.
1244
Cependant, il ne fait pas de cette inversion le moyen de fonder un véritable
immanentisme. Feuerbach demeure prisonnier des formes idéalistes, à travers
la persistance d’une certaine idée de la transcendance. Celle-ci s’exprime dans
ses Thèses provisoires pour la réforme de la philosophie (1842). Si le primat de
l’être doit permettre d’en finir avec la philosophie spéculative, il ne débarrasse
pas complètement la question de l’origine de la transcendance. Feuerbach veut
réaliser la synthèse du matérialisme et de l’idéalisme, au moyen d’une nouvelle
religion qui parviendrait à une authentique conscience de soi. Pour supprimer
le conflit entre la foi et la raison, l’homme devient le nouveau Dieu. L’essence
humaine, distincte de son existence, constitue l’objet du culte ou de la nouvelle
philosophie, appelée « anthropothéisme » par Feuerbach. L’homme joint à la
nature représente le principe unificateur de l’être et de la pensée. Mais, cet
homme est érigé en catégorie absolue et abstraite : son essence se
métamorphose en une nouvelle transcendance, car elle n’est comprise que par
des concepts généraux, détachés de ses conditions d’existence. Comment
séparer l’essence humaine de son existence sans risquer d’en faire une nouvelle
notion métaphysique ? Dès lors, l’homme abstrait devient un principe
transcendant, qui commande l’intelligence de l’origine de l’homme concret.
L’anthropothéisme ignore les déterminations existentielles, ou historiques, qui
font de l’essence humaine un substrat en mouvement constant. La transcendance
a revêtu les habits d’une nature humaine figée et partielle. […]

En négligeant les rapports sociaux, Feuerbach fait abstraction du cours de


l’histoire, et assimile l’humanité à une chose immuable et passive. » -Pascal
Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103,
706 pages, p.496-497.

https://www.marxists.org/reference/archive/feuerbach/index.htm

http://www.amazon.fr/Lessence-du-christianisme-Feuerbach-
Ludwig/dp/2070727238/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1454963084&sr=8-
1&keywords=Ludwig+Feuerbach

http://www.amazon.fr/Pour-r%C3%A9forme-philosophie-Ludwig-
Feuerbach/dp/2842058496/ref=sr_1_5?ie=UTF8&qid=1454963084&sr=8-
5&keywords=Ludwig+Feuerbach

http://www.amazon.fr/Ethique-lEud%C3%A9monisme-myst%C3%A8re-
sacrifice-
1245
Lhomme/dp/2705682643/ref=sr_1_6?ie=UTF8&qid=1454963084&sr=8-
6&keywords=Ludwig+Feuerbach

https://www.amazon.fr/Between-Reform-Revolution-Socialism-
Communism/dp/1571811206?ie=UTF8&qid=1461627001&ref_=tmm_pap_swa
tch_0&sr=8-2

Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) : « Parti de


l’idéalisme que, soit dit en passant, j’avais confronté à celui de Kant et celui de
Fichte, j’en arrivais à chercher l’idée dans le réel lui-même. Si les dieux avaient
autrefois habité au-dessus de la terre, ils en étaient maintenant devenus le
centre. » -Karl Marx, Lettre à son père, 10 novembre 1837, Œuvres III, NRF la
Pléiade, Paris, 1982, page 1376.

« La conscience de soi de l'humanité est le nouveau Graal autour duquel les


peuples se rassemblent pleins de joie... Telle est notre tâche : devenir les
chevaliers de ce Graal, ceindre l'épée pour lui et risquer joyeusement notre vie
dans la dernière guerre sainte qui sera suivie du Royaume millénaire de la
liberté. » -Friedrich Engels, cité dans Enrst Bloch, Le Principe d’Espérance,
tome II.

« C’est le parti libéral, en tant que parti du concept, qui réalise des progrès
réels, alors que la philosophie positive est incapable d’aller au-delà des
revendications et des aspirations. » -Karl Marx, Différence de la philosophie de
la nature chez Démocrite et Épicure, 1841, Marx-Engels Gesamtausgabe
(MEGA), vol. I, p. 65.

« La véritable éducation « publique » de l’Etat réside au contraire dans


l’existence rationnelle et publique de l’Etat ; l’Etat lui-même éduque ses
membres en faisant d’eux de véritables membres de l’Etat, en transformant les
buts individuels en buts généraux, l’instinct grossier en inclination morale,
l’indépendance naturelle en liberté intellectuelle, en faisant que l’individu
s’épanouisse dans la vie de l’ensemble et que l’ensemble vive dans l’esprit de
l’individu. »

« Les philosophes ne poussent pas comme les champignons, ils sont les fruits de
leur époque, de leur peuple, dont les humeurs les plus subtiles, les plus
précieuses et les moins visibles circulent dans les idées philosophiques. C’est le
même esprit qui édifie les systèmes philosophiques dans le cerveau des

1246
philosophes et qui construit les chemins de fer avec les mains des ouvriers. La
philosophie n’est pas hors du monde, pas plus que le cerveau n’est extérieur à
l’homme même s’il n’est pas dans son estomac ; mais il est sûr que la
philosophie a pris contact avec le monde par le cerveau avant de toucher le sol
avec ses pieds, tandis que maintes autres sphères humaines ont depuis
longtemps leurs pieds bien plantés sur la terre, et de leurs mains cueillent les
fruits du monde, avant de se douter que la « tête » aussi fait partie de ce monde,
ou que ce monde est celui de la tête.

Parce que toute vraie philosophie est la quintessence intellectuelle de son


époque, le temps doit venir nécessairement où la philosophie, non seulement
intérieurement par sa manifestation, entrera en contact avec le monde réel de
son époque et établira avec lui des échanges réciproque. La philosophie cessera
alors d’être un système déterminé face à d’autres systèmes déterminés, elle
deviendra la philosophie en général face au monde, elle deviendra la
philosophie du monde actuel. Les signes extérieurs qui dénotent que la
philosophie atteint cette importance, qu’elle devient l’âme vivante de la culture,
que la philosophie devient « de ce monde » et que ce monde devient
philosophique, ont été les mêmes à toutes les époques ; on peut ouvrir n’importe
quel livre d’histoire, et l’on verra se répéter avec une fidélité inaltérable les
rites les plus simples qui marquent, sans qu’on puisse s’y méprendre, son entrée
dans les salons et les presbytères, dans les salles de rédaction des journaux et
dans les antichambres des cours, dans le cœur rempli de haine ou d’amour des
contemporains. L’entrée de la philosophie dans le monde est marquée par les
cris de ses ennemis qui trahissent la contagion interne par les appels sauvages
de détresse qu’ils lancent contre l’incendie allumé par les idées. Ces cris de ses
ennemis, ont, pour la philosophie, la même importance que le premier
vagissement d’un enfant à l’oreille inquiète de la mère. C’est le cri qui lui
annonce que ses idées sont vivantes, qu’elles ont fait éclater la carapace sans
défaut d’hiéroglyphes que formait le système, et qu’elles se sont
métamorphosées en citoyens du monde. » -Karl Marx, L’éditorial du n° 179 de
la « Gazette de Cologne », Gazette rhénane n° 191, 193 et 195 des 10, 12 et 14
juillet 1842.

« Quand l’homme a reconnu et organise ses propres forces en forces sociales et


donc ne sépare plus de soi la force sociale sous la forme de la force politique,
c’est alors seulement que s’achève l’émancipation humaine. » -Karl Marx, La
question juive.
1247
« Si construire l'avenir et dresser des plans définitifs pour l'éternité n'est pas
notre affaire, ce que nous avons à réaliser dans le présent n'est que plus évident,
je veux dire la critique de tout l'ordre existant, radicale en ce sens qu'elle n'a
pas peur de ses propres résultats, pas plus que des conflits avec les puissances
établies. » -Karl Marx, Lettre à Ruge, mai 1843.

« À mes yeux le particulier n’est esprit et liberté que s’il est relié au tout, et
nullement s’il est séparé d’avec le tout. » -Karl Marx, Débats sur la liberté de la
presse in Œuvres III, NRF la Pléiade, Paris, 1982, page 192.

« Le Juif a un d’autant plus grand droit à cette reconnaissance de sa « libre


humanité́ » que la « libre société́ bourgeoise » est entièrement d’essence
commerciale juive et qu’il est de prime abord son membre nécessaire. » -Marx
& Engels, La Sainte Famille ou Critique de la Critique critique contre Bruno
Bauer et consorts, VIe chapitre, partie, 3, La troisième campagne de la critique
absolue, 1845.

« La première critique de la propriété privée part naturellement du fait où se


manifeste sous sa forme la plus tangible, la plus criante, la plus immédiatement
révoltante pour le sentiment humain, l'essence contradictoire de cette propriété :
ce fait, c'est la pauvreté, c'est la misère. »

« L’homme est soumis aux mêmes lois que la nature. »

« Parmi toutes les qualités inhérentes à la matière, le mouvement est sans doute
la première et la plus insigne, non pas seulement comme mouvement mécanique
et mathématique, mais plus encore comme pulsion, dynamisme, comme tourment
de la matière, pour employer un terme de Jakob Böhme. Les formes primitives
de ces derniers sont des forces essentielles, vivantes, individualisantes,
produisant les différences spécifiques. » -Karl Marx, La Sainte famille, 1845.

« Il ne s'agit pas de savoir ce que tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat


tout entier, se propose comme but momentanément. Il s'agit de savoir ce que le
prolétariat est et ce qu'il doit faire historiquement, conformément à son être. Son
but et son action historiques lui sont tracés, de manière tangible et irrévocable,
dans sa propre situation historique, comme dans toute l'organisation de la
société actuelle. » -Marx & Engels, La Sainte Famille, 1845.

« Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce


qui importe c'est de le transformer. » -Karl Marx, Thèses sur Feuerbach.
1248
« Un relèvement du salaire par la force (abstraction faite de toutes les autres
difficultés, abstraction faite de ce que, étant une anomalie, il ne pourrait être
également maintenu que par la force) ne serait donc rien d'autre qu'une
meilleure rétribution des esclaves et n'aurait conquis ni pour l'ouvrier ni pour le
travail leur destination et leur dignité humaines. » -Karl Marx, Manuscrit de
1844.

« Le salaire est un sacrifice du capital. » -Karl Marx, Manuscrit de 1844.

« Le dépassement positif de la propriété privée, qui est l’appropriation de la vie


humaine, signifie le dépassement positif de toute aliénation, par conséquent
l’abandon par l’homme de la religion, de la famille, de l’Etat, etc, et son retour
à son existence humaine, c’est-à-dire sociale. »

« Conscient d’agir en tant qu’être social, je ne fais rien de moi-même que je ne


fasse pour la société. »

« L’abolition de la propriété privée, est l’émancipation de tous les sens et de


toutes les qualités humaines. »

« Les sens de l’homme social sont autres que ceux de l’homme non social. »

« La propriété privée nous a rendus tellement sots et bornés qu’un objet est
nôtre uniquement quand nous l’avons, quand il existe donc pour nous comme
capital ou quand il est immédiatement possédé, mangé, bu, porté sur notre
corps, habité par nous, etc., bref quand il est utilisé par nous. […] A la place de
tous les sens physiques et intellectuels est donc apparue la simple aliénation de
tous ces sens, le sens de l’avoir. » -Karl Marx, Manuscrit de 1844, III.

« La vie matérielle des individus, qui ne dépend nullement de leur seule «


volonté », leur mode de production et leurs formes d’échanges, qui se
conditionnent réciproquement, sont la base réelle de l’Etat et le restent à tous
les stades où sont encore nécessaires la division du travail et la propriété
privée, tout à fait indépendamment de la volonté des individus. Ces conditions
réelles ne sont pas du tout créées par le pouvoir d’Etat ; ce sont au contraire
elles qui créent ce pouvoir. Les individus qui exercent le pouvoir dans ces
conditions ne peuvent donc, abstraction faite de ce que leur pouvoir doit se
constituer en Etat, que donner à leur volonté déterminée par ces conditions
précises, l’expression générale d’une volonté d’Etat, d’une loi – et le contenu de
cette expression est toujours donné par les conditions d’une classe, comme il
1249
ressort très clairement de l’examen du droit privé et du droit pénal. Il ne dépend
pas de leur volonté idéaliste, de leur bon plaisir, que leur corps ait ou n’ait pas
de poids ; il ne dépend pas davantage d’eux d’imposer leur volonté sous forme
de loi ou de ne pas le faire, et de l’affirmer, en même temps, indépendante du
bon plaisir de chacun d’entre eux pris individuellement. Leur domination
personnelle ne peut que se constituer en même temps comme domination
moyenne. Leur domination personnelle repose sur des conditions d’existence qui
sont communes à un grand nombre d’entre eux et dont ils ont, eux, les gens au
pouvoir, à assurer la persistance contre d’autres modes de vie et qu’ils doivent
affirmer valables pour la généralité. L’expression de la volonté déterminée par
leurs intérêts communs est la loi. C’est justement le triomphe des individus
indépendants les uns des autres et de leur volonté personnelle, triomphe qui, sur
cette base, ne peut qu’être égoïste quant à leur comportement social, qui rend
nécessaire la négation de soi dans la loi et le droit. L’abnégation est en réalité
l’exception, l’affirmation de l’intérêt personnel la règle générale (c’est pourquoi
eux n’y voient pas une négation de soi, seul peut l’y voir l’« égoïste » en accord
avec lui-même). La même chose vaut pour les classes dominées : il ne dépend
pas davantage de leur volonté qu’existent loi et Etat. Tant que, par exemple, les
forces productives n’ont pas atteint ce point de développement qui rendrait
superflus la concurrence, – elles ne feraient donc que faire renaître la
concurrence -, ce serait, pour les classes dominées, vouloir l’impossible que
d’avoir la « volonté » d’abolir la concurrence, et avec elle l’Etat et la loi. Au
reste, cette « volonté » n’existe, avant que le développement des conditions
sociales puisse la produire réellement, que dans l’imagination des idéologues.
Une fois les conditions susceptibles de la produire suffisamment développées,
l’idéologue peut alors se représenter cette volonté comme purement arbitraire et
donc concevable en tous temps et en toutes circonstances. »

« Sancho s’imagine que Raphaël a peint ses tableaux indépendamment de la


division du travail qui existait à Rome de son temps. S’il compare Raphaël à
Léonard de Vinci ou au Titien, il pourra constater combien les œuvres du
premier furent conditionnées par la splendeur de Rome à cette époque,
splendeur à laquelle elle s’était élevée sous l’influence florentine, celles du
second par la situation particulière de Florence, celles du troisième, plus tard,
par le développement différent de Venise. Raphaël, aussi bien que n’importe que
autre grand artiste, a été conditionné par les progrès techniques que l’art avait
réalisés avant lui, par l’organisation de la société et la division du travail qui
1250
existaient là où il habitait, et enfin par la division du travail dans tous les pays
avec lesquels la ville qu’il habitait entretenait des relations. Qu’un individu
comme Raphaël développe ou non son talent, cela dépend entièrement de la
commande, qui dépend elle-même de la division du travail et du degré de
culture atteint par les individus dans ces conditions. »

« La concentration exclusive du talent artistique chez quelques individualités,


et corrélativement son étouffement dans la grande masse des gens, est une
conséquence de la division du travail. A supposer même que dans certaines
conditions sociales chaque individu soit un excellent peintre, cela n’exclurait en
aucune façon que chacun fût un peintre original, si bien que là aussi la
distinction entre travail « humain » et travail « unique » aboutisse à un pur non-
sens. Dans une organisation communiste de la société, ce qui sera supprimé, en
tout état de cause, ce sont les barrières locales et nationales, produits de la
division du travail, dans lesquelles l’artiste est enfermé dans les limites d’un art
déterminé, limites qui font qu’il y a des peintres, des sculpteurs, etc., qui ne sont
que cela, et le nom à lui seul exprime suffisamment la limitation des possibilités
d’activité de cet individu et sa dépendance par rapport à la division du travail.
Dans une société communiste, il n’y aura plus de peintres, mais tout au plus
des gens qui, entre autres choses, feront de la peinture. » -Marx et Engels,
L'Idéologie allemande, 1845.

« Nous ne connaissons qu'une unique science, la science de l'histoire. On peut


considérer l'histoire de deux côtés, elle peut être subdivisée en histoire de la
nature et en histoire des hommes. Cependant, les deux côtés ne sont pas
séparables ; tant que les hommes existent, l'histoire de la nature et l'histoire des
hommes se conditionnent réciproquement. » -Karl Marx, Friedrich Engels &
Joseph Weydemeyer, L'idéologie allemande, trad. Jean Quétier et Guillaume
Fonde, Éditions sociales, GEME, 2014, 497 pages, p.271.

« L'histoire tout entière n'est qu'une transformation continue de la nature


humaine. » -Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847.

« La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner toujours plus avant les


instruments de production, donc les rapports de production, donc l’ensemble
des rapports sociaux. La conservation sans changement de l’ancien mode de
production était au contraire la première condition d’existence de toutes les
classes industrielles du passé. Le bouleversement continuel de la production,

1251
l’ébranlement ininterrompu de toutes les catégories sociales, l’insécurité et le
mouvement éternels, distinguent l’époque bourgeoise de toutes celles qui l’ont
précédée. » -Karl Marx, Manifeste communiste, 1848.

« Les massacres sans résultat depuis les journées de juin et d’octobre, la


fastidieuse fête expiatoire depuis février et mars, le cannibalisme de la contre-
révolution elle-même convaincront les peuples que, pour abréger, pour
simplifier, pour concentrer l’agonie meurtrière de la vieille société et les
souffrances sanglantes de l’enfantement de la nouvelle, il existe un seul moyen -
le terrorisme révolutionnaire. » -Karl Marx, N° 136 du 7 novembre 1848 de la
Nouvelle Gazette rhénane, « Victoire de la contre-révolution à Vienne ».

« De même que dans la vie privée, on distingue entre ce qu'un homme dit ou
pense de lui et ce qu'il est et fait réellement, il faut distinguer, encore davantage
dans les luttes historiques, entre la phraséologie et les prétentions des partis et
leur constitution et leurs intérêts véritables, entre ce qu'ils s'imaginent être et ce
qu'ils sont en réalité. »

« L’intérêt matériel de la bourgeoisie française est précisément lié de façon très


intime au maintien de cette machine gouvernementale vaste et compliquée. C'est
là qu'elle case sa population superflue et complète sous forme d'appointements
ce qu'elle ne peut encaisser sous forme de profits, d'intérêts, de rentes et
d'honoraires. »

« On enleva aux revendications sociales du prolétariat leur pointe


révolutionnaire, et on leur donna une tournure démocratique. On enleva aux
revendications démocratiques de la petite bourgeoisie leur forme purement
politique, et on fit ressortir leur pointe socialiste. C'est ainsi que fut créée la
social-démocratie. […]

Le caractère propre de la social-démocratie se résumait en ce qu'elle réclamait


des institutions républicaines démocratiques comme moyen, non pas de
supprimer les deux extrêmes, le capital et le salariat, mais d'atténuer leur
antagonisme et de le transformer en harmonie. » -Karl Marx, Le 18 brumaire de
Louis Bonaparte, 1851.

« Réduite à une simple abstraction d’activité, l’activité de l’ouvrier est


déterminée et réglée de tous côté par le mouvement de la machinerie et non
l’inverse. La science, qui oblige les membres sans vie de la machine, en vertu de

1252
leur construction, à agir de la manière voulue, comme un automate, n’existe pas
dans la conscience de l’ouvrier, mais agit sur lui à travers la machine comme
une force étrangère, comme une force de la machine elle-même. Dans la
production mécanisée, l’appropriation du travail par le travail objectivé, -
l’appropriation de la force ou de l’activité valorisante par la valeur pour soi-
appropriation qui tient au concept même de capital, est posée comme caractère
du procès de production lui-même, y compris sous le rapport de ses éléments
matériels et de son mouvement matériel. Le procès de production a cessé d’être
procès de travail au sens où le travail est considéré comme l’unité qui le domine
serait le moment qui détermine le reste. Le travail n’apparaît au contraire que
comme organe conscient, placé en de nombreux points du système mécanique,
dans des ouvriers vivants pris un à un ; dispersé, subsumé sous le procès global
de la machinerie elle-même, n’étant lui-même qu’une pièce du système, système
dont l’unité existe, non dans les ouvriers vivants, mais dans la machinerie
vivante (active) qui apparaît face à l’activité isolée insignifiante de cet ouvrier
comme un organisme lui imposant sa violence. »

« Ce n’est plus tant le travail qui apparaît comme inclus dans le procès de
production, mais l’homme plutôt qui se comporte en surveillant et régulateur du
procès de production lui-même. (Ce qui vaut pour la machinerie vaut aussi pour
la combinaison des activités humaines et pour le développement du commerce
des hommes. »

« Il y a toujours comme ultime résultat du procès de production social


l’apparition de la société elle-même, c’est-à-dire de l’homme lui-même dans ses
relations sociales. » -Karl Marx, Grundrisse, « Fragment sur les machines »,
1857.

« Le résultat général auquel je parvins, et qui, une fois acquis, servit de fil
conducteur à mes études, peut-être brièvement formulé ainsi : dans la
production sociale de leur existence, les hommes entrent dans des rapports
déterminés, nécessaires et indépendants de leur volonté, rapports de production
qui correspondent à un stade de développement de leurs forces productives
matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure
économique de la société, la base réelle sur laquelle s'élève une superstructure
juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience
sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le
processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la
1253
conscience des hommes qui détermine leur être mais inversement leur être
social qui détermine leur conscience. À un certain stade de leur développement,
les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les
rapports de production présents, ou ce qui n’en est qu’une expression juridique,
les rapports de propriété, à l’intérieur desquels elles s’étaient mues jusque-là.
De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports
se changent en chaînes pour ces dernières. Alors s’ouvre une époque de
révolution sociale. Avec la transformation de la base économique fondamentale
se trouve bouleversée plus ou moins rapidement toute l’énorme superstructure.
» (p.63) -Karl Marx, Préface de la Contribution à la critique de l'économie
politique. Introduction aux Grundrisse (dite de 1857), Les éditions sociales,
2014 (11 juin 1859 pour la première édition allemande), 280 pages.

« [Grundrisse] signifie à peu près : ébauche, esquisse globale, grandes lignes


fondamentales. » (p.8)

-Jean-Pierre Lefebvre, Introduction à Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits


« Grundrisse », Les éditions sociales, 2011 (1980 pour la première édition), 929
pages.

[NdT p.25] « Le manuscrit intitulé par Marx postérieurement « Bastiat et


Carey » a été redigé en juillet 1857. Il n’était pas destiné à la publication, et il
semble que Marx l’ait interrompu plus tôt que prévu, estimant que la poursuite
de cette critique était sans intérêt. Marx voyait en Bastiat l’archétype de
l’imbécilité en même temps que le plus typique représentant de l’économie
moderne. »

« [Carey et Bastiat] ont bien compris que l’opposition à l’économie politique –le
socialisme et le communisme- trouve sa présupposition théorique dans les
œuvres de l’économie classique elle-même, et spécialement chez Ricardo qui
doit être considéré comme son expression la plus achevée, ultime. C’est
pourquoi tous deux éprouvent la nécessité d’attaquer et de dénoncer comme une
interprétation erronée l’expression théorique acquise historiquement par la
société bourgeoise dans l’économie moderne, et de démontrer le caractère
harmonieux des rapports de production là où les économistes classiques avaient,
dans leur naïveté, désigné leur caractère antagonique. » (p.26)

« [L’Amérique du Nord] pays où la société bourgeoise ne s’est pas développée


sur la base de la féodalité, mais a commencé à partir d’elle-même. » (p.26)
1254
« Dans l’histoire réelle, le travail salarié provient de la dissolution de l’esclavage
et du servage –ou du déclin de la propriété communautaire, comme chez les
peuples slaves et orientaux- et, sous sa forme adéquate, constitutive d’une
époque historique et appréhendant le tout de l’existence sociale du travail, il
provient du déclin de l’économie corporative, du système féodal des ordres, du
travail et du revenu en nature ; de l’industrie pratiquée comme branche annexe
des activités rurales, de la petite économie rurale encore féodale, etc. Dans
toutes ces transitions réellement historiques, le travail salarié apparaît comme
dissolution, comme destruction de rapports où le travail, sous tous ses aspects,
était fixé, qu’il s’agisse de ses revenus, de son contenu, de sa localisation, de son
ampleur, etc. C’est-à-dire comme négation de la fixité du travail et de sa
rémunération. » (p.33)

« Que disent les économistes : que dans le rapport du salaire au profit, du travail
salarié au capital, le salaire aurait l’avantage de la fixité. Que dit M. Bastiat : que
la fixité, i.e l’un des aspects dans le rapport du salaire au profit, constitue le
fondement historique à partir duquel naît le salariat. » (p.34)

« L’existence universelle du travail salarié présuppose un niveau de


développement des forces productives supérieur à celui des stades antérieurs au
travail salarié. » (p.35)

« [Introduction dite de 1857] Le point de départ, évidemment, ce sont des


individus produisant en société –donc une production des individus qui est
socialement déterminée. Le chasseur et le pêcheur singulier et singularisé, par
lequel commencent Smith et Ricardo, ressortit aux plates illusions des
robinsonades du 18ème siècle, lesquelles n’expriment nullement, comme se
l’imaginent certains historiens de la civilisation, une simple réaction contre des
excès de raffinement et un retour à l’état de nature mal compris. Pas plus que le
Contrat social de Rousseau, qui établit par contrat des rapports et des liens entre
des sujets indépendants par nature, ne repose sur un tel naturalisme. C’est une
apparence, la simple apparence esthétique des petites et grandes robinsonades. Il
s’agit en réalité d’une anticipation de la « société civile-bourgeoise » qui se
préparait depuis le 16ème siècle et qui, au 18ème, fit des pas de géant vers sa
maturité. Dans cette société où règne la libre concurrence, l’individu apparaît
détaché des liens naturels, etc, qui font de lui à des époques historiques
antérieures un accessoire d’un conglomérat humain déterminé et délimité. Pour
les prophètes du 18ème siècle –sur les épaules de qui reposent encore entièrement
1255
Smith et Ricardo- cet individu du 18ème siècle, produit, d’une part, de la
décomposition des formes de sociétés féodales, d’autre part, des forces
productives nouvelles qui se sont développées depuis le 16ème siècle, apparaît
comme un idéal dont l’existence remonterait au passé non comme un résultat
historique, mais comme le point de départ de l’histoire, parce qu’ils le
considèrent comme un individu naturel, conforme à leur représentation de la
nature humaine, qui n’aurait pas sa source dans l’histoire, mais qui serait posé
par la nature. Cette illusion a été jusqu’à maintenant partagée par toute époque
nouvelle. » (p.39-40)

« Plus on remonte dans le cours de l’histoire, plus l’individu, et par suite


l’individu producteur lui aussi, apparaît dans un état de dépendance, membre
d’un ensemble plus grand : cet état se manifeste d’abord de façon tout à fait
naturelle dans la famille, et dans la famille élargie à la tribu ; puis dans les
différentes formes de la communauté issue de l’opposition et de la fusion des
tribus. Ce n’est qu’au 18ème siècle, dans la « société civile-bourgeoise », que les
différentes formes de l’interdépendance sociale se présentent à l’individu
comme un simple moyen de réaliser ses buts particuliers, comme une nécessité
extérieure. Mais l’époque qui engendre ce point de vue, celui de l’individu
singulier singularisé, est précisément celle où les rapports sociaux (et, de ce
point de vue, universels) ont atteint le plus grand développement qu’ils aient
connu. » (p.40)

« Si diverse que puisse être la distribution aux différents stades de la société, il


doit être possible, tout aussi bien que pour la production, de dégager des
caractères communs, et possible aussi d’effacer et de confondre toutes les
différences historiques dans des lois s’appliquant à l’homme en général. Par
exemple, l’esclave, le serf, le travailleur salarié reçoivent tous une quantité
déterminée de nourriture qui leur permet de subsister en tant qu’esclave, serf,
salarié. Qu’ils vivent du tribut, de l’impôt, de la rente foncière, de l’aumône ou
de la dîme, le conquérant, le fonctionnaire, le propriétaire foncier, le moine ou le
lévite reçoivent tous une quote-part de la production sociale qui est déterminée
suivant d’autres lois que la quote-part des esclaves, etc. » (p.43)

« Toute production est appropriation de la nature par l’individu dans le cadre et


par l’intermédiaire d’une forme de société déterminée. » (p.43)

1256
« Dans la production, les membres de la société approprient (élaborent,
façonnent) les produits de la nature aux besoins humains ; la distribution
détermine la proportion dans laquelle l’individu singulier reçoit sa part de ces
produits ; l’échange lui procure les produits particuliers en lesquels il veut
convertir la quote-part qui lui est dévolue par la distribution ; dans la
consommation enfin, les produits deviennent objets de jouissance,
d’appropriation individuelle. La production crée les objets qui répondent aux
besoins ; la distribution les répartit selon des lois sociales ; l’échange répartit de
nouveau ce qui a déjà été réparti, mais selon les besoins individuels ; dans la
consommation enfin, le produit s’évade de ce mouvement social, il devient
directement objet et serviteur du besoin individuel et le satisfait dans la
jouissance. La production apparaît ainsi comme le point de départ, la
consommation comme le point final, la distribution et l’échange comme le
moyen terme, lequel à son tour a un double caractère, la distribution étant le
moment qui a sa source dans la société, et l’échange, le moment qui l’a dans
l’individu. » (p.45)

« Production, distribution, échange, consommation forment ainsi un syllogisme


[hégélien] dans les règles ; la production constitue l’universalité, la distribution
et l’échange, la particularité, la consommation, la singularité dans laquelle se
conclut le tout. […] L’acte final de consommation, conçu non seulement comme
dernier aboutissement mais fin dernière, est à vrai dire en dehors de l’économie,
sauf dans la mesure où il réagit à son tour sur le point de départ, et relance tout
le processus. » (p.46)

« La production est aussi immédiatement consommation. Doublement


consommation, subjective et objective : d’une part, l’individu qui développe ses
facultés en produisant les dépenses également, les consomme dans l’acte de
production, tout comme la procréation naturelle est consommation de forces
vitales. Deuxièmement, consommation des moyens de production qu’on
emploie, qui s’usent, et qui en partie (comme, par exemple, lors de la
combustion) se dissolvent pour redevenir des éléments de l’univers. L’acte de
production lui-même dans tous ses moments est donc également un acte de
consommation. […] Cette identité de la production et de la consommation
revient ni plus ni moins à la proposition de Spinoza : Determinatio est negatio
[« Déterminer, c’est nier » : proposition reprise par Hegel dans la Science de la
Logique]. » (p.46)

1257
« La consommation est de manière immédiate également production, de même
que dans la nature la consommation des éléments et des substances chimiques
est production de la plante. Il est évident que dans l’alimentation, par exemple,
qui est une forme particulière de la consommation, l’homme produit son propre
corps. Mais cela vaut également pour tout autre genre de consommation qui,
d’une manière ou d’une autre, produit l’homme d’un certain point de vue.
[…] La production est donc immédiatement consommation, la consommation
immédiatement production. Chacune est immédiatement son contraire. Mais il
s’opère en même temps un mouvement médiateur entre les deux termes. La
production est médiatrice de la consommation, dont elle crée le matériau et à
qui, sans elle, manquerait son objet. Mais la consommation est aussi médiatrice
de la production dans la mesure où c’est seulement elle qui procure aux
produits le sujet pour lequel ils sont des produits. Le produit ne connaît son
ultime achèvement que dans la consommation. Un chemin de fer sur lequel on
ne roule pas, qu’on n’use donc pas, n’est pas consommé, n’est un chemin de fer
que [en puissance] et non dans la réalité. Sans production, pas de
consommation ; mais sans consommation, pas de production non plus, car la
production serait alors sans but. » (p.47)

« La faim est la faim, mais la faim qui se satisfait avec de la viande cuite,
mangée avec fourchette et couteau, est une autre faim que celle qui avale de la
chair crue à l’aide des mains, des ongles et des dents. Ce n’est pas seulement
l’objet de la consommation, mais aussi le mode de consommation qui est produit
par la production, et ceci non seulement d’une manière objective, mais aussi
subjective. La production crée donc le consommateur. […] La production ne
fournit donc pas seulement un matériau au besoin, elle fournit aussi un besoin à
ce matériau. […] L’objet d’art –comme tout autre produit- crée un public apte à
comprendre l’art et à jouir de la beauté. La production ne produit donc pas
seulement un objet pour le sujet, mais aussi un sujet pour l’objet. » (p.48-49)

« Que l’on considère la production et la consommation comme des activités


d’un sujet ou d’individus singuliers, elles apparaissent en tout cas comme les
moments d’un procès dans lequel la production est le point de départ effectif et
par suite aussi le moment qui recouvre les autres. » (p.50)

« Dans toutes les conquêtes, il y a trois possibilités. Le peuple conquérant


impose au peuple conquis son propre mode de production (par exemple, les
Anglais en Irlande au cours de ce siècle, partiellement aux Indes) ; ou bien il
1258
laisse subsister l’ancien mode de production et se contente de prélever un tribut
(par exemple, les Turcs et les Romains) ; ou bien il se produit une action
réciproque qui donne naissance à quelque chose de nouveau, à une synthèse.
(Partiellement, dans les conquêtes germaniques). Dans tous les cas, le mode de
production, que ce soit celui du peuple conquérant, celui du peuple conquis ou
encore celui qui provient de la fusion des deux précédents, est déterminant pour
la distribution nouvelle qui apparaît. […]

Le type de pillage est lui-même à son tour déterminé par le type de production. »
(p.54)

« Il est […] absolument erroné de placer l’échange au centre des communautés


en tant qu’élément constitutif à leur origine. Au début, il apparaît au contraire
dans les relations des diverses communautés entre elles plutôt que dans les
relations qu’ont entre eux les membres d’une seule et même communauté. »
(p.59)

« Pour l’art, on sait que des époques déterminées de floraison artistique ne sont
nullement en rapport avec le développement général de la société, ni, par
conséquent, avec celui de sa base matérielle, qui est pour ainsi dire l’ossature de
son organisation. Par exemple, les Grecs comparés aux modernes ou encore
Shakespeare. » (p.67)

« Le charme qu’exerce sur nous leur art [aux Grecs] n’est pas en contradiction
avec le stade social embryonnaire où il a poussé. Il en est au contraire le résultat,
il est au contraire indissolublement lié au fait que les conditions sociales
insuffisamment mûres où cet art est né, et où seulement il pouvait naître, ne
pourront jamais revenir. » (p.68)

-Karl Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », Les éditions sociales,


2011 (1980 pour la première édition), 929 pages.

« Un homme qui ne dispose d'aucun loisir, dont la vie tout entière, en dehors
des simples interruptions purement physiques pour le sommeil, les repas, etc.,
est accaparée par son travail pour le capitaliste, est moins qu'une bête de
somme. C'est une simple machine à produire de la richesse pour autrui, écrasée
physiquement et abrutie intellectuellement. Et pourtant, toute l'histoire de
l'industrie moderne montre que le capital, si on n'y met pas obstacle, travaille

1259
sans égard ni pitié à abaisser toute la classe ouvrière à ce niveau d'extrême
dégradation. » -Karl Marx, Salaire, prix et profit, 1865.

« Une nation peut et doit tirer un enseignement de l'histoire d'une autre nation.
Lors même qu'une société est arrivée à découvrir la piste de la loi naturelle qui
préside à son mouvement, et le but final de cet ouvrage est de dévoiler la loi
économique du mouvement de la société moderne, elle ne peut ni dépasser d'un
saut ni abolir par des décrets les phases son développement naturel ; mais elle
peut abréger la période de la gestation, et adoucir les maux de leur enfantement.

Pour éviter des malentendus possibles, encore un mot. Je n'ai pas peint en rose le
capitaliste et le propriétaire foncier. Mais il ne s’agit ici des personnes, qu'autant
qu'elles sont la personnification de catégories économiques, les supports
d'intérêts et de rapports de classes déterminés. Mon point de vue, d'après lequel
le développement de la formation économique de la société est assimilable à la
marche de la nature et à son histoire, peut moins que tout autre rendre l'individu
responsable de rapports dont il reste socialement la créature, quoi qu'il puisse
faire pour s'en dégager.

Sur le terrain de l'économie politique la libre et scientifique recherche rencontre


bien plus d'ennemis que dans ses autres champs d'exploration. La nature
particulière du sujet qu'elle traite soulève contre elle et amène sur le champ de
bataille les passions les plus vives, les plus mesquines et les plus haïssables du
coeur humain, toutes les furies de l'intérêt privé. La Haute Eglise d'Angleterre,
par exemple, pardonnera bien plus facilement une attaque contre trente huit de
ses trente neuf articles de foi que contre un trente neuvième de ses revenus.
Comparé à la critique de la vieille propriété, l'athéisme lui-même est aujourd'hui
une culpa levis. Cependant il est impossible de méconnaître ici un certain
progrès. Il me suffit pour cela de renvoyer le lecteur au livre bleu publié dans
ces dernières semaines : « Correspondence with Her Majesty's missions abroad,
regarding Industrial Questions and Trade's Unions. » Les représentants étrangers
de la couronne d'Angleterre y expriment tout net l'opinion qu'en Allemagne, en
France, en un mot dans tous les Etats civilisés du continent européen, une
transformation des rapports existants entre le capital et le travail est aussi
sensible et aussi inévitable que dans la Grande Bretagne. En même temps, par
delà l'océan Atlantique, M. Wade, vice président des Etats Unis du Nord de
l'Amérique, déclarait ouvertement dans plusieurs meetings publics, qu'après
l'abolition de l'esclavage, la question à l'ordre du jour serait celle de la
1260
transformation des rapports du capital et de la propriété foncière. Ce sont là des
signes du temps, que ni manteaux de pourpre ni soutanes noires ne peuvent
cacher. Ils ne signifient point que demain des miracles vont s'accomplir. Ils
montrent que même dans les classes sociales régnantes, le pressentiment
commence à poindre, que la société actuelle, bien loin d'être un cristal solide, est
un organisme susceptible de changement et toujours en voie de transformation. »

-Karl Marx, préface à la première édition du tome I du Capital, Londres, 25


juillet 1867.

« Le quelque chose de commun qui se montre dans le rapport d'échange ou dans


la valeur d'échange des marchandises est par conséquent leur valeur ; et une
valeur d'usage, ou un article quelconque, n'a une valeur qu'autant que du
travail humain est matérialisé en elle. [...] C'est donc seulement le quantum de
travail, ou le temps de travail nécessaire, dans une société donnée, à la
production d'un article qui en détermine la quantité de valeur. [...] Les
marchandises dans lesquelles sont contenues d'égales quantités de travail, ou
qui peuvent être produites dans le même temps, ont, par conséquent, une valeur
égale. [...] Nous connaissons maintenant la substance de la valeur : c'est le
travail. Nous connaissons la mesure de sa quantité : c'est la durée du travail. »

-Karl Marx, Le Capital, Livre I, Ière section, chapitre premier: la marchandise


1867.

« Corrélation fatale entre l'accumulation du capital et l'accumulation de la


misère, de telle sorte qu'accumulation de richesse à un pôle, c'est égale
accumulation de pauvreté, de souffrance, d'ignorance, d'abrutissement, de
dégradation morale, d'esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui
produit le capital même. »

« A mesure que diminue le nombre des potentats du capital qui usurpent et


monopolisent tous les avantages de cette période d'évolution sociale,
s'accroissent la misère, l'oppression, l'esclavage, la dégradation, l'exploitation,
mais aussi la résistance de la classe ouvrière sans cesse grossissante et de plus
en plus disciplinée, unie et organisée par le mécanisme même de la production
capitaliste. Le monopole du capital devient une entrave pour le mode de
production qui a grandi et prospéré avec lui et sous ses auspices. La
socialisation du travail et la centralisation de ses ressorts matériels arrivent à
un point où elles ne peuvent plus tenir dans leur enveloppe capitaliste. Cette
1261
enveloppe se brise en éclats. L'heure de la propriété capitaliste a sonné. Les
expropriateurs sont à leur tour expropriés.

L'appropriation capitaliste, conforme au mode de production capitaliste,


constitue la première négation de cette propriété privée qui n'est que le
corollaire du travail indépendant et individuel. Mais la production capitaliste
engendre elle-même sa propre négation avec la fatalité qui préside aux
métamorphoses de la nature. C'est la négation de la négation. » -Karl Marx, Le
Capital, Livre I, 1867, p. 726.

« Le royaume de la liberté commence seulement là où l'on cesse de travailler


par nécessité et opportunité imposée de l'extérieur ; il se situe donc, par nature,
au-delà de la sphère de la production matérielle proprement dite. De même que
l'homme primitif doit lutter contre la nature pour pourvoir à ses besoins, se
maintenir en vie et se reproduire, l'homme civilisé est forcé, lui aussi, de le faire
et de le faire quels que soient la structure de société et le mode de production.
Avec son développement s'étend également le domaine de la nécessité naturelle,
parce que les besoins augmentent ; mais en même temps s'élargissent les forces
productives pour les satisfaire. En ce domaine ; la seule liberté possible est, que
l'homme social, les producteurs associés, règlent rationnellement leurs
échanges avec la nature, qu'ils la contrôlent ensemble au lieu d'être dominés
par sa puissance aveugle et qu'ils accomplissent ces échanges en dépensant le
minimum de force et dans les conditions les plus dignes, les plus conformes à
leur nature humaine. Mais cette activité constituera toujours le royaume de la
nécessité. C'est au-delà que commence le développement des forces humaines
comme fin en soi, le véritable royaume de la liberté qui ne peut s'épanouir qu'en
se fondant sur l'autre royaume, sur l'autre base, celle de la nécessité. La
condition essentielle de cet épanouissement est la réduction de la journée de
travail. » -Karl Marx, Le Capital, livre III, chap. 4.

« Les hommes font leur histoire, quelque tournure qu'elle prenne, en


poursuivant chacun leurs fins propres, consciemment voulues, et ce sont
précisément les résultats de ces nombreuses volontés agissant dans des sens
différents et de leurs répercussions variées sur le monde extérieur qui
constituent l'histoire. Il s'agit aussi, par conséquent, de ce que veulent les
nombreux individus pris isolément. » -Friedrich Engels, Ludwig Feuerbach et la
fin de la philosophie classique allemande, 1888.

1262
« La violence est la sage-femme de toute vieille société grosse d’une nouvelle. »

-Karl Marx, Le Capital, Tome I, 1867.

« La production capitaliste développe donc la technique et la combinaison du


processus de production social, en épuisant en même temps les deux sources
d’où jaillit toute richesse : la Terre et le travailleur. » - Karl Marx, Le Capital,
Livre 1, quatrième section, tome I, La Pléiade.

« On dit que la classe ouvrière reçoit une trop faible part de son propre produit
et que cet inconvénient serait pallié dès qu'elle en recevrait une plus grande
part, dès que s'accoiserait en conséquence son salaire, [mais] il suffit de
remarquer que les crises sont chaque fois préparées justement par une période
de hausse générale des salaires, où la classe ouvrière obtient effectivement une
plus grande part de la fraction du produit annuel destinée à la consommation. »

-Karl Marx, Le Capital, tome II.

« La production capitaliste est hostile à certains secteurs de la production


intellectuelle, comme l’art et la poésie par exemple. » -Karl Marx, Théories sur
la plus-value (« Livre IV du Capital), Tome 1, Éditions Sociales, Paris, 1974,
pages 325-326.

« L'organisation juive de prêteurs compulsifs est aussi dangereuse pour le


peuple que l'organisation aristocratique des propriétaires terriens. » -Karl
Marx, article pour le New York Daily Tribune.

« La Commune ne fut pas une révolution contre une forme quelconque de


pouvoir d’État, légitimiste, constitutionnelle, républicaine ou impériale. Elle fut
une révolution contre l’État comme tel, contre cet avorton monstrueux de la
société (…) Elle ne fut pas une révolution ayant pour but de transférer le
pouvoir d’État d’une fraction des classes dominantes à une autre mais une
révolution tendant à détruire cette machine abjecte de la domination de classe.»

-Karl Marx, Lettre à Louis Kugelmann, 17 avril 1871.

« Si la Russie continue à marcher dans le sentier suivi depuis 1861, elle perdra
la plus belle chance que l’histoire ait jamais offerte à un peuple, pour subir
toutes les péripéties fatales du régime capitaliste. [...] si la Russie tend à devenir
une nation capitaliste à l’instar des nations de l’Europe occidentale, et pendant
ces dernières années elle s’est donnée beaucoup de mal en ce sens, elle n’y
1263
réussira pas sans avoir préalablement transformé une bonne partie de ses
paysans en prolétaires ; et après cela, amenée une fois au giron du régime
capitaliste, elle en subira les lois impitoyables, comme autrefois les peuples
profanes. » -Karl Marx, « Réponse à Mikhaïlovski », novembre 1877.

« Si précieux que soient et que resteront les écrits d’un Owen, d’un Saint-Simon,
d’un Fourier, il était réservé à un Allemand d’atteindre la hauteur d’où l’on
peut voir clairement et panoramiquement le domaine tout entier des rapports
sociaux modernes, de la même façon qu’apparaissent aux yeux du spectateur,
debout sur la plus haute cime, les sites montagneux moins élevés. » -Friedrich
Engels, Sur Le Capital de Marx, article paru dans la Demokratischen
Wochenblatt, Leipzig, 21 mars 1868.

« Telles sont, prouvées d’une façon rigoureusement scientifique –et les


économistes officiels se gardent bien de tenter seulement de les réfuter-
quelques-unes des lois principales du système capitaliste moderne. » -Friedrich
Engels, Sur Le Capital de Marx, article paru dans la Demokratischen
Wochenblatt, Leipzig, 28 mars 1868.

« Une révolution est certainement la chose la plus autoritaire qui soit, c'est
l'acte par lequel une fraction de la population impose sa volonté à l'autre au
moyen de fusils, de baïonnettes et de canons, moyens autoritaires s'il en est; et
le parti victorieux, s'il ne veut pas avoir combattu en vain, doit continuer à
dominer avec la terreur que ses armes inspirent aux réactionnaires. La
Commune de Paris eu-elle pu se maintenir un seul jour si elle n'avait pas usé de
l'autorité d'un peuple en armes contre la bourgeoisie ? Ne faut-il pas, au
contraire, la critiquer de ce qu'elle ait fait trop peu usage de son autorité ? »

-Friedrich Engels, A propos de l’autorité, 1873.

« Depuis près de quarante ans, nous avons fait ressortir au premier plan la lutte
de classes comme la force motrice directe de l'histoire, et en particulier, la lutte
de classes entre la bourgeoisie et le prolétariat comme le plus puissant levier de
la révolution sociale. Il nous est par conséquent impossible de marcher de
concert avec des gens qui tendent à rayer du mouvement cette lutte de classes.
En fondant l'Internationale, nous avons lancé en termes clairs son cri de guerre
: « L'émancipation de la classe ouvrière sera l'œuvre de la classe ouvrière elle-
même ». Nous ne pouvons donc pas marcher avec des gens déclarant à cor et à
cri que les ouvriers sont trop peu instruits pour pouvoir s'émanciper eux-mêmes
1264
et qu'ils doivent être affranchis par en haut, par les philanthropes bourgeois et
petits-bourgeois. Si le nouvel organe du parti prend une attitude qui correspond
aux idées de ces messieurs, si cette orientation est bourgeoise et non
prolétarienne, il ne nous restera plus autre chose à faire, si regrettable que ce
soit pour nous, que de nous expliquer là-dessus ouvertement et de rompre la
solidarité dont nous avons fait preuve jusqu'à présent, en qualité de
représentants du parti allemand à l'étranger. Mais, les choses n'iront pas
jusque-là, espérons-le... » -Marx et Engels, Lettre circulaire à A. Bebel, W.
Liebknecht, W. Bracke et autres de septembre 1879.

« La conception matérialiste de l'histoire part de la thèse que la production, et


après la production, l'échange de ses produits, constitue le fondement de tout
régime social, que dans toute société qui apparaît dans l'histoire, la répartition
des produits, et, avec elle, l'articulation sociale en classes ou en ordres se règle
sur ce qui est produit et sur la façon dont cela est produit ainsi que sur la façon
dont on échange les choses produites. » -Engels, L’Anti-Dühring, 1878.

« Depuis 1845, Marx et moi, nous avons pensé que l'une des conséquences
finales de la future révolution prolétarienne sera l'extinction progressive des
organisations politiques appelées du nom d'État. De tout temps, le but essentiel
de cet organisme a été de maintenir et de garantir, par la violence armée,
l'assujettissement économique de la majorité travailleuse par la stricte minorité
fortunée. Avec la disparition de cette stricte minorité fortunée disparaît aussi la
nécessité d'un pouvoir armé d'oppression, ou État. » -Friedrich Engels, Lettre à
Ph. Van Patten (18 avril 1883).

« Toutes les situations qui se sont succédées dans l'histoire ne sont que des
étapes transitoires dans le développement sans fin de la société humaine
progressant de l'inférieur vers le supérieur. » -Friedrich Engels, Ludwig
Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, 1888.

« En moins de 60 ans, le socialisme a conquis une position telle que son


triomphe définitif est absolument assuré. » -Friedrich Engels, Contributions à
l'Histoire du Christianisme primitif, Le Devenir social, 1894.

« Il n'est pas vrai que la situation économique est la seule cause active et que
tout le reste n'est qu'un effet passif. Mais il y a une action réciproque sur la base
de la nécessité économique qui finit toujours par l'emporter en dernière
instance. [...] Il n'y a donc pas, comme on arrive parfois à se le figurer, une
1265
action automatique de la situation économique ; les hommes font eux-mêmes
leur histoire, mais dans un milieu donné qui les conditionne, sur la base de
rapports réels préexistants, parmi lesquels les rapports économiques, si
influencés qu'ils puissent être par les autres rapports politiques et idéologiques
sont en dernière instance les rapports décisifs et forment le fil conducteur qui
permet seul de la comprendre. » -Friedrich Engels, Lettre à Walter Borgius, 25
janvier 1894.

« Qu’est-ce que le Marxisme ?

« L'année 1848 allait voir le point culminant et en même temps la crise de


l'ancien socialisme dans toutes ses variantes. Le prolétariat parisien, influencé
par la tradition des luttes révolutionnaires antérieures, remué par divers
systèmes socialistes, était passionnément attaché à des idées confuses de justice
sociale. Dès le renversement du roi-bourgeois Louis-Philippe, les ouvriers
parisiens utilisèrent leur position de force pour exiger cette fois de la
bourgeoisie effrayée la réalisation de la “ république sociale ” et d'une nouvelle
“ organisation du travail ”. Pour appliquer ce programme, le prolétariat
accorda au gouvernement provisoire le célèbre délai de trois mois pendant
lesquels les ouvriers avaient faim et attendaient tandis que la bourgeoisie et la
petite-bourgeoisie s'armaient en secret et préparaient l'écrasement des ouvriers.
Le délai prit fin avec les mémorables batailles de juin où l'idéal d'une “
république sociale à tout moment réalisable ” fut noyé dans le sang du
prolétariat parisien. La révolution de 1848 n'amena pas le règne de l'égalité
sociale, mais la domination politique de la bourgeoisie et un essor sans
précédent de l'exploitation capitaliste sous le Second Empire.

Au moment même où le socialisme des anciennes écoles semblait pour toujours


enterré sous les barricades de l'insurrection de juin, Marx et Engels fondaient
l'idée socialiste sur une assise entièrement nouvelle. Ils ne cherchaient les points
d'appui du socialisme ni dans la condamnation morale de l'ordre social existant,
ni dans la découverte de projets aussi ingénieux et séduisants que possible pour
introduire en contrebande l'égalité sociale dans le régime actuel. Ils se
tournèrent vers l'étude des relations économiques dans la société
contemporaine. C'est là, dans les lois de l'anarchie capitaliste, que Marx
découvrit le véritable levier des aspirations socialistes. Les classiques français
et anglais de l'économie politique avaient découvert les lois selon lesquelles
l'économie capitaliste vit et se développe; un demi-siècle plus tard, Marx reprit
1266
leur œuvre exactement là où ils l'avaient arrêtée. Il découvrit à son tour que les
lois de l'ordre économique contemporain travaillaient à la propre perte de cet
ordre économique en menaçant de plus en plus l'existence de la société par le
développement de l'anarchie et par un enchaînement de catastrophes
économiques et politiques. Ce sont, comme l'a démontré Marx, les tendances
évolutives de la domination du capital qui, parvenues à un certain point de
maturation, rendent nécessaire le passage à un mode d'économie consciemment
planifiée et organisée par l'ensemble de la société laborieuse, pour que toute la
société et toute la civilisation humaine ne sombrent pas dans les convulsions
d'une anarchie déchaînée. Le capital lui-même précipite inexorablement l'heure
de son destin, en rassemblant en masses toujours plus grandes ses futurs
fossoyeurs : les prolétaires; en s'étendant à tous les pays de la terre, en
instaurant une économie mondiale anarchique et en créant ainsi les bases d'un
rassemblement du prolétariat de tous les pays en une puissance révolutionnaire
mondiale qui balaiera la domination de la classe capitaliste. Le socialisme
cessait ainsi d'être un projet, un merveilleux phantasme, ou l'expérience,
acquise à la force du poignet par quelques groupes d'ouvriers isolés dans
différents pays. Le socialisme, programme commun d'action politique du
prolétariat international, est une nécessité historique, parce qu'il est le fruit des
tendances évolutives de l'économie capitaliste. » -Rosa Luxembourg,
Introduction à l’économie politique.

« Le lien que la théologie chrétienne a établi entre oikonomia et histoire est


déterminant pour la compréhension de l'histoire en occident. On peut dire,
notamment, que la conception de l'histoire dans l'idéalisme allemand, de Hegel
à Schelling et jusqu'à Feuerbach, n'est rien d'autre qu'un essai de penser le lien
"économique" entre le processus de la révélation divine et l'histoire. [...] Et
lorsque la gauche hégélienne voudra rompre avec cette conception théologique,
elle ne pourra le faire qu'en mettant au centre du processus historique
l'économie au sens moderne, à savoir l'autoproduction historique de l'homme.
C'était substituer à l'économie divine une économie purement humaine. »

-Giorgio Agamben, Le Règne et la Gloire. Pour une généalogie théologique de


l'économie et du gouvernement. Homo Sacer, II, 2. Éditions du Seuil, coll. «
L’ordre philosophique », septembre 2008 (2007 pour la première édition
italienne), 443 pages, p. 82.

1267
« La Sainte-Famille contient une section bien connue sur « Le mystère de la
spéculation spéculative » dans laquelle Marx montre que la méthode de Hegel,
qui est à la racine de toutes les découvertes de la « critique critique », est basée
sur une mystification idéaliste. À partir de nombreuses entités réelles le
philosophe construit une notion abstraite qu’il appelle substance (par exemple,
« fruit » est la substance de la poire, la pomme, de l’amande, etc.) Du point de
vue idéaliste, cette notion a une existence réelle, absolue, tandis que les diverses
entités concrètes sont de pures apparences, des modalités de l’existence du fruit.
La dissolution de l’existence matérielle dans le concept général est, quoi qu’il
en soit, une pure abstraction. En reconnaissant cette déficience, l’idéaliste
essaye de renoncer à l’abstraction, mais il le fait d’une « manière spéculative,
mystique ». Il transforme l’abstraction en une essence spirituelle active
générant des variétés multiformes de réalités concrètes, immanentes. » -Mikhaïl
Lifschitz, La philosophie de l’art de Karl Marx, 1933, p.74.

« Quand Marx, à partir des Manuscrits parisiens de 1844, pense l'être de


l'homme comme praxis, et la praxis comme autoproduction de l'homme, il ne fait
rien d'autre que de séculariser la conception théologique de l'être des créatures
comme opération divine. Une fois conçu l'être comme praxis, il suffit d'enlever
Dieu et de mettre l'homme à sa place pour obtenir que l'essence de l'homme ne
soit autre que la praxis à travers laquelle il se produit incessamment lui-
même. » -Giorgio Agamben, Le Règne et la Gloire. Pour une généalogie
théologique de l'économie et du gouvernement. Homo Sacer, II, 2. Éditions du
Seuil, coll. « L’ordre philosophique », septembre 2008 (2007 pour la première
édition italienne), 443 pages, p.147.

« Marx y a maintes fois insisté: ce n'est pas l'observation empirique des


prolétaires qui permet de connaître leur mission de classe. C'est, au contraire,
la connaissance de leur mission de classe qui permet de discerner l'être des
prolétaires dans sa vérité. Peu importe, par conséquence, le degré de
conscience que les prolétaires ont de leur être ; et peu importe ce qu'ils croient
faire ou vouloir: seul importe ce qu'ils sont. Même si, présentement, leurs
conduites sont mystifiés et les fins qu'ils croient poursuivre contraires à leur
mission historique, tôt ou tard l'être triomphera des apparences et la Raison des
mystifications. Autrement dit, l'être du prolétariat est transcendant aux
prolétaires ; il constitue une garantie transcendantale de l'adoption par les
prolétaires de la juste ligne de classe.

1268
Une question se pose aussitôt: qui est capable de connaître et de dire ce que le
prolétariat est quand les prolétaires eux-mêmes n'ont de cet être qu'une
conscience brouillée ou mystifiée ? Historiquement, la réponse à cette question
est : seul Marx a été capable de connaître et de dire ce que le prolétariat et sa
mission historique sont en vérité. Leur vérité est inscrite dans l'œuvre de Marx.
Celui-ci est l'alpha et l'oméga ; il est le fondateur.

Cette réponse n'est évidemment pas satisfaisante. En effet: pourquoi et comment


l'être transcendant du prolétariat a-t-il été accessible à la conscience de Marx
[et de lui seul] ? » -André Gorz, Adieux du prolétariat.

« La première objection que l'on puisse élever contre la critique de Karl Marx
repose sur sa théorie de la valeur, qui est totalement antiscientifique. » -Alfred
Naquet, Socialisme collectiviste et socialisme libéral (1890).

« Pour Marx, la valeur économique d’une chose dépend du travail qu’elle a


nécessité, elle est du travail cristallisé. En fait, le prix d’une chose dépasse
toujours la valeur ainsi calculée : la différence ou plus-value ne va pas au
travailleur, mais constitue un capital, qui profite à celui qui fait travailler, au
capitaliste. Cette plus-value, qui met les produits de son travail hors de portée
du travailleur, est un vol fait au travailleur. » -Jacques Mantoy, Précis d'histoire
de la philosophie, Paris, Éditions de l'École, 1965, 124 pages, p. 85-86.

« Marx reprendra chez Ricardo l’idée selon laquelle la valeur des choses
dépend de la quantité de travail nécessaire à les produire ; c’est la pierre
angulaire du socialisme scientifique – sans elle, tout l’édifice s’effondre. »

-Guillaume Nicoulaud, La valeur des choses, 6 avril 2011.

« Combien de marxistes ont lu "le Capital", étudié sa philosophie, se sont


convaincus du bien fondé des théories présentées après une analyse approfondie
? S'ils se disent "marxistes", c'est donc pour des raisons qui n'ont rien à voir
avec la théorie. » -Maurice Bouvard, Au-delà du marxisme : essai
d'interprétation des transformations technologiques, économiques, sociales et
politiques de notre époque à la lumière du matérialisme historique, Paris,
Éditions Antropos, 1977, p.12.

« L’attrait de la théorie économique de Marx tenait à la simple audace


intellectuelle de ses conclusions plutôt qu’à la crédibilité des moyens techniques

1269
employés pour y parvenir. » -Tony Judt, Le marxisme et la gauche française.
1830-1981, Hachette, coll. « La Force des idées », 1987 (1986 pour la première
édition britannique), 353 pages, p.194.

« L'étude de la Révolution française [fit découvrir à Marx] les ouvrages


historiques traitant du "tiers-état", un domaine ouvert sous la Restauration des
Bourbons par des historiens de grand talent qui s'étaient attachés à retracer
l'histoire de leur classe sociale à partir du XIème siècle et à présenter l'histoire
française depuis le Moyen Age comme une suite ininterrompue de luttes de
classes. C'est à ces historiens -Marx cite notamment Guizot et Thierry- qu'il doit
sa connaissance de l'histoire de classes sociales et de leurs luttes ; il en
découvrira ensuite l’anatomie économique grâce aux économistes bourgeois,
parmi lesquels il mentionne surtout Ricardo. Lui-même a toujours nié être à
l'origine de la théorie de la lutte des classes ; il n’a jamais revendiqué qu’un
mérite : celui d’avoir démontré que l’existence des classes est liée à des phases
historiques déterminées du développement de la production […]. » -Franz
Mehring, Karl Marx, histoire de sa vie, Bartillat, 2009 (1983 pour la première
édition française, 1918 pour la première édition allemande), 622 pages, Chapitre
III « L’exil parisien », pp.82-114, p.100.

« Au risque de me faire excommunier, j'ose aventurer l'opinion que le Capital


est loin d'être l'œuvre la plus importante et la mieux écrite de Marx. Mais elle
est très longue et très difficile à comprendre. Elle est surchargée de
considérations extrêmement abstraites et de formules algébriques d'une utilité
douteuse; le lecteur qui arrive à la fin de ce livre se trouve placé devant des
conclusions qui font apparaître comme superflus les trois quarts des arguments
qui ont précédé. Je suis tout prêt à reconnaître que cette opinion personnelle est
une question de goût qui se peut discuter. Mais ce qui ne peut être mis en doute,
c'est que le Capital doit une grande partie de son prestige magique précisément
aux circonstances qui découragent tant de ses lecteurs dès le début : sa
longueur indigeste, son style hermétique, son érudition ostentatoire, sa mystique
algébrique. La masse - et pas seulement celle des primaires - traite toujours les
savants dont elle vénère le nom à peu près comme le Noir africain traite le
sorcier de son village. Plus la science se présente sous des dehors mystérieux et
pompeux, plus elle impressionne le profane. » -Henri de Man, Au-delà du
Marxisme (1926).

1270
« Marx ne dit point "Je fais le socialisme, parce qu'il est une chose juste" [...] il
dit "Le socialisme se fait parce qu'il est dans l'enchaînement des faits
historiques qu'il se fasse.". [...] L'homme subit l'histoire. [...] Les hommes
aiment les causes gagnées ou toutes proches de l'être. [...] Au contraire de ce
Guillaume d'Orange qui n'avait besoin ni d'espérer pour entreprendre ni de
réussir pour persévérer, les hommes aiment à n'entreprendre que ce qui est
presque achevé et à faire réussir ce qui est en plein succès. Le coup de maître de
Karl Marx a donc été de présenter le collectivisme comme une évolution
historique arrivée presque à son terme. » -Émile Faguet, Le socialisme en 1907.

« Marx n'a pu surmonter l'être humain isolé de Feuerbach qu'en ramenant dans
l'histoire sous le nom de société le dieu que Feuerbach en avait éliminé. » -
Simone Weil, Le marxisme, 1934.

« Il y a contradiction -contradiction éclatante- entre la méthode d'analyse de


Marx, et ses conclusions. Ce n'est pas étonnant, il a élaboré les conclusions
avant la méthode. [...] Il lui a fallu donné un coup de pouce et à la méthode et à
l'idéal, les déformer l'une et l'autre. » -Simone Weil, Sur les contradictions du
marxisme, 1938.

« De quelle "science historique" relève le portrait du juif auquel Marx s'adonne


[dans La Question juive], qui sort tout droit du chapeau des préjugés européens
les mieux enracinés depuis le Moyen-âge ? » -Edith Fuchs, Entre Chiens et
Loups. Dérives politiques dans la pensée allemande du XXème siècle.

« Le marxisme théorique [...] s'est si grandement trompé sur le sens de la


"synthèse" hégélienne en croyant possible, après la Révolution communiste, une
société sans classes, c'est-à-dire sans contradictions. » -Raymond Abellio,
Manifeste de la Nouvelle Gnose.

« Le monde ne s’est pas réalisé de la façon dont Marx imaginait qu’il se


réaliserait. » -Claude Lévi-Strauss, Entretien avec Jacques Chancel, 1988.

« Pourquoi Marx tire-t-il d'un modèle d'économie dynamique, à forte


accumulation de capital, la conclusion d'un appauvrissement des masses en
dépit d'une productivité croissante ? Une réponse complète exigerait une étude
détaillée du système de Ricardo et de la manière dont Marx a utilisé celui-ci à
ses fins propres. Mais quelques remarques élémentaires suffiront. Ayant pris le
travail pour unité de mesure de la valeur, et pour mesure du salaire (ou valeur

1271
de la force du travail) les marchandises nécessaires à la vie de l'ouvrier et de sa
famille, Marx pouvait aboutir à deux conclusions. Si, grâce à l'élévation de la
productivité, les heures de travail nécessaires pour produire les marchandises
représentant la valeur du salaire diminuent, de ce fait, ou bien le taux
d'exploitation doit augmenter ou bien le salaire, sans représenter une valeur
accrue, doit être incarné en une quantité accrue de marchandises. Marx n'a pas
affirmé que le taux de l'exploitation augmentait, il a dit que ce taux demeurait
stable. Il aurait dû reconnaître que la même part de la journée étant consacrée
à produire une valeur équivalente à celle du salaire et la productivité ayant
augmenté, le niveau de vie devait tendre à s'élever ou la pauvreté à s'atténuer.
Pour éviter cette conclusion, Marx a fait intervenir, non pas, comme plusieurs
économistes de son temps, l'effet sur le taux de natalité, donc sur l'offre de
travail, d'une élévation des salaires, mais l'armée de réserve industrielle,
autrement dit la pression qu'exerce en permanence sur le taux des salaires
l'offre des travailleurs sans emploi du fait des transformations techniques.

Si Marx avait abordé l'étude de l'économie en pur observateur sans savoir à


l'avance ce qu'il voulait démontrer, il n'aurait pas affirmé avec autant de force
la paupérisation absolue qui ne résulte pas avec évidence de son analyse du
capitalisme, pas plus qu'il n'aurait tiré de l'augmentation du capital constant
par rapport au capital variable, donc de la baisse du taux du profit, la
conséquence d'une paralysie progressive d'une économie dont l' 'investissement
privé constitue le moteur.

En 1963, en un Occident prospère, Marx semble avoir eu tort, en matière


économique, précisément là où il était un des hommes les plus savants et les
plus érudits de son temps, et Tocqueville semble avoir deviné l'avenir, en dépit
de son ignorance (toute relative, il va de soi), peut-être grâce à elle. » (p.51-52)
-Raymond Aron, Essai sur les libertés, Hachette Littérature, coll. Pluriel, 1998
(1965 pour la première édition), 251 pages.

"Si l’on considère toutes les prédictions effectuées par Marx, bien peu se sont
réalisées. La baisse tendancielle du taux de profit n’a jamais eu lieu : N. Kaldor
a mesuré l’évolution du taux de profit au cours des XIXème et XXème siècles
pour constater que celui-ci est resté constant sur toute la période. De même, la
paupérisation accrue des salariés sous l’effet du machinisme ne s’est pas
produite, et la concentration du capitalisme malgré l’apparition des grandes
entreprises est restée identique. Enfin, alors que Marx prédisait l‘avènement de
1272
la révolution socialiste dans les pays capitalistes avancés, celle-ci a eu lieu dans
des pays fort peu capitalistes, et de dictature du prolétariat a surtout conservé la
dimension “dictature”." ( http://econo.free.fr/scripts/printfaq.php?codefaq=67 ).

« Le projet de surmonter l’économie, le projet de la prise de possession de


l’histoire, s’il doit connaître –et ramener à lui- la science de la société, ne peut
être lui-même scientifique. Dans ce dernier mouvement qui croit dominer
l’histoire présente par une connaissance scientifique, le point de vue
révolutionnaire est resté bourgeois. » -Guy Debord, La société du spectacle, IV.
Le prolétariat comme sujet et comme représentation, thèse n°82, 1967.

« Le côté déterministe-scientifique dans la pensée de Marx fut justement la


brèche par laquelle pénétra le processus d’« idéologisation », lui vivant, et
d’autant plus dans l’héritage théorique laissé au mouvement ouvrier. La venue
du sujet de l’histoire est encore repoussée à plus tard, et c’est la science
historique par excellence, l’économie, qui tend de plus en plus largement à
garantir la nécessité de sa propre négation future. Mais par-là est repoussée
hors du champ de la vision théorique la pratique révolutionnaire qui est la seule
vérité de cette négation. Ainsi il importe d’étudier patiemment le développement
économique, et d’en admettre encore, avec une tranquillité hégélienne, la
douleur, ce qui, dans son résultat, reste « cimetière des bonnes intentions ». On
découvre que maintenant, selon la science des révolutions, la conscience arrive
toujours trop tôt, et devra être enseignée. « L’histoire nous a donné tort, à nous
et à tous ceux qui pensaient comme nous. Elle a montré clairement que l’état du
développement économique sur le continent était alors bien loin encore d’être
mûr… » dira Engels en 1895. Toute sa vie, Marx a maintenu le point de vue
unitaire de sa théorie, mais l’exposé de sa théorie s’est porté sur le terrain de la
pensée dominante en se présentant sous forme de critiques de disciplines
particulières, principalement la critique de la science fondamentale de la
société bourgeoise, l’économie politique. C’est cette mutilation, ultérieurement
acceptée comme définitive, qui a constitué le « marxisme ». » -Guy Debord, La
société du spectacle, IV. Le prolétariat comme sujet et comme représentation,
thèse n°84, 1967.

« La philosophie de Marx [...] ne renversa pas tant Hegel qu'elle ne retourna la


hiérarchie traditionnelle de la pensée et de l'action, de la contemplation et du
travail, de la philosophie et de la politique. » (p.606)

1273
« C'est en opposition à la vie politique absorbante du citoyen à part entière
ordinaire de la polis grecque que les philosophes, Aristote, en particulier,
établirent leur idéal de la skholè, du loisir, qui dans l'Antiquité ne signifia
jamais: affranchissement du travail courant, ce qui de toute façon allait de soi,
mais: affranchissement de l'activité politique et des affaires de l'Etat.

Dans la société idéale de Marx, ces deux concepts différents sont étroitement
conjoints: la société sans classes et sans Etat réalise d'une certaine façon le
statut général du loisir dans l'Antiquité, loisir par rapport au travail et, en
même temps, loisir par rapport à la politique. Cela doit se produire quand l'
"administration des choses" aura remplacé le gouvernement et l'action
politique. Ce double loisir par rapport au travail aussi bien que par rapport à la
politique a été pour les philosophes la condition d'un bios théôrètikos, d'une vie
consacrée à la philosophie et à la connaissance au sens le plus large du mot. »
(p.607)

« Si le travail est la plus humaine et la plus productive des activités de l'homme,


que se passera-t-il lorsque, après la révolution, "le travail [sera] aboli" dans "le
royaume de la liberté", lorsque l'homme sera parvenu à s'en affranchir ? Quelle
activité productive et quelle activité essentiellement humaine restera-t-il ? Si la
violence est la sage-femme de l'histoire et par conséquent l'action violente,
parmi toutes les formes d'actions humaines, celle de plus haut rang, que se
passera-t-il quand, après l'aboutissement de la lutte des classes et la disparition
de l'Etat, aucune violence ne sera même plus possible ? Comment les hommes
seront-ils capables de la moindre action significative authentique ? Enfin,
lorsque la philosophie aura été à la fois réalisé et supprimée dans la société
future, quelle sorte de pensée restera-t-il ? » (p.611)

-Hannah Arendt, La Tradition et l'âge moderne, in La Crise de la Culture. Huit


exercices de pensée politique, 1961, repris dans Hannah Arendt. L'Humaine
Condition, Gallimard, coll. Quarto, 2012, 1050 pages.

« La philosophie politique de Marx n'était pas fondée sur une analyse de l'action
et des hommes agissants mais, à l'opposé, sur le souci hégélien de l'histoire. [...]
Ce qui distingue la théorie de Marx de toutes les autres où l'idée de "faire
l'histoire" a trouvé place est seulement que lui seul a compris que si l'on
considère l'histoire comme l'objet d'un processus de fabrication, il doit arriver
un moment où cet objet "est" achevé, et que si l'on imagine qu'on peut "faire

1274
l'histoire", on ne peut échapper à cette conséquence qu'il y aura une fin à
l'histoire. » (p.660)

-Hannah Arendt, Le concept d'Histoire: antique et moderne, in La Crise de la


Culture. Huit exercices de pensée politique, 1961, repris dans Hannah Arendt.
L'Humaine Condition, Gallimard, coll. Quarto, 2012, 1050 pages.

« Est-il utile de souligner que Durkheim comme Weber ont en grande partie
pensé leurs œuvres pour faire pièce à Marx dans le champ du social ? » -Bruno
Pequignot, A propos de quelques sociologues et de la sociologie, Linx, Année
1980, Volume 1, Numéro 1, pp. 107-126.

« Le matérialisme historique témoigne, par son nom même et le soin qu’il a


toujours mis à se distinguer du matérialisme du siècle qui l’a précédé, de l’essai
qu’il fit le premier de résoudre la contradiction antérieurement évoquée de la
science et de l’histoire. Je ne crois pas qu’il soit, comme on l’a dit, la
philosophie indépassable de notre temps, ni même — et je pense qu’il s’en flatte
— une philosophie du tout. Il reste qu’aucune école n’a mieux ni plus
puissamment démontré qu’on ne saurait impunément tenir l’homme pour
l’observateur essentiel et passif d’un univers objectivé ; que loin d’être, en un
mot, ce que la nature l’a fait, il est aussi et spécifiquement ce que par sa culture
il se fait ; qu’enfin la théorie par laquelle il se pense n’est en rien dissociable de
la praxis par laquelle, d’une certaine manière, il se crée. » -Jean Gagnepain, Du
vouloir dire : traité d'épistémologie des sciences humaines, vol. 1 : Du signe. De
l'outil, Paris, Livre & Communication, 1990 (1982 pour la première édition),
276 pages, pp.7-8.

« Cette mue du libéralisme démocratique au communisme est le résultat des


expériences et déceptions du mouvement des jeunes hégéliens. Pour
l’intelligentsia oppositionnelle allemande, l’année 1843 fut une année terrible,
marquée par un durcissement autoritaire du régime de Frédéric-Guillaume. Au
début de cette année, le gouvernement prussien a interdit la parution de la
Gazette rhénane que Marx dirigeait de fait depuis l’été 1842. L’escalade
répressive frappe d’obsolescence la stratégie réformiste de l’opposition
éclairée. L’anéantissement de tout espace de libre expression accule
l’intelligentsia oppositionnelle à choisir entre renoncer à toute activité politique
publique et suivre l’exemple de Heine en prenant le chemin de l’exil. » -Daniel

1275
Bensaïd, Les Annales franco-allemandes ou « le tournant parisien » de Marx,
2000.

« Le triomphe mondain du marxisme a été sa perte historique comme puissance


critique et foyer d’une mise en question radicale de l’état de chose existant. »

-Alain Manville & Ulysses Santamaria, Marx : entre l'idéalisme radical et


l'individualisme anarchique, L'Homme et la société, Année 1988, Volume 87,
Numéro 1, pp. 63-83, p.63.

« Contrairement aux matérialistes évolutionnistes, qui ne voient pas de


différence essentielle dans les transformations de la nature, Marx et Engels
montrent que toute évolution tend à introduire des discontinuités dans la nature,
en reprenant à leur manière les lois de la dialectique hégélienne. Les
évolutionnistes réduisent l'évolution au seul progrès quantitatif, en la
caractérisant comme un "développement lent et graduel". Au contraire, Marx et
Engels conçoivent l'accumulation quantitative comme un moment de l'évolution
; elle débouche nécessairement sur un changement qualitatif qui ruine l'identité
de l'état précédent. [...]
Ce saut qualitatif, et les autres lois de la dialectique hégélienne que Marx et
Engels s'approprient, permet de concevoir la totalité du mouvement. Selon leur
propre expression, ils remettent Hegel "sur ses pieds", c'est-à-dire qu'ils partent
d'une investigation des faits et des matériaux réels pour établir l'exposé du
mouvement des choses, ou le "concret pensé". A l'inverse, l'idéalisme dialectique
plaque un système logique sur la réalité, au risque de faire entrer celle-ci de
force dans le moule forgé par l'esprit. Le matérialisme dialectique se contente
d'observer la contradiction dans le mouvement réel, et de concevoir l'évolution
à la fois dans sa continuité et sa discontinuité. Cet effort réconcilie les différents
ordres de phénomènes car leur altérité est désormais comprise comme
l'expression d'un développement total. Il apparaît donc nécessaire de trouver la
méthode adéquate à chacun de ces moments.
En posant la question de l'origine spécifiquement sociale de l'homme, et en
traitant la société pour elle-même, Marx et Engels montrent que la chaîne qui
relie chaque phénomène n'est pas linéaire, mais constituée de crise et de
négations. C'est pourquoi ils qualifient le matérialisme évolutionniste de
"vulgaire", car il réduit tout objet à l'ordre physico-chimique. L'immanentisme
dialectique se fonde donc, non seulement sur la conscience du changement

1276
permanent, mais aussi sur la perception des contradictions, ou des
discontinuités, qui en résultent. » (p.438-439)

« Marx poursuit la critique de l’hégélianisme avec Engels. Dans La Sainte


Famille (1845), ils s’attaquent à la philosophie spéculative des hégéliens de
gauche. Ils procèdent tous de la même manière : ils isolent un objet quelconque
de ses rapports réels, pour en faire une catégorie abstraite, désignée ensuite
comme un « point de vue », c’est-à-dire un moment du mouvement spéculatif.
Les frères Bauer et leurs partisans se contentent de changer le Savoir absolu de
Hegel en une Critique, de faire de la substance spirituelle la Critique abstraite
de l’ancienne philosophie. Ces philosophes critiquent Hegel à partir de
concepts dégagés de toute existence réelle. Ils ne suppriment donc nullement sa
philosophie ; ils ne font que la répéter sous une forme caricaturale. Seul
Feuerbach a mené la véritable critique contre Hegel, car il a révélé que
l’homme lui-même, et non l’Esprit, conditionne son devenir et sa conscience.
Par exemple, dans sa philosophie de l’histoire, Bruno Bauer distingue la masse
humaine des individus « critiques » qui donneraient l’impulsion au mouvement
historique. La masse constitue l’élément inerte et passif, tandis que la Critique
est le moteur, ou l’esprit, des actions historiques. Cette vision dualiste est en
complète inadéquation avec le mouvement réel. Pour preuve, Marx analyse les
rapports de classe qui ont travaillé les différentes phases de la révolution
française. Il montre que les masses, la bourgeoisie en particulier, sont
directement agissantes dans l’histoire, et que l’œuvre des grands hommes, qu’ils
soient « critiques » ou non, répond toujours à la situation que celles-ci
imposent. » (p.494)

« Différents commentateurs ont cru bon de tracer une ligne de démarcation


entre les écrits d’Engels, sur sa conception dialectique appliquée à la nature, et
l’œuvre économique de Marx. Cette séparation est fictive, comme toutes les
tentatives de compartimenter leur pensée, et d’imaginer un « Marx philosophe »
opposé à un « Marx économiste », lui-même différent du « Marx politique ». La
correspondance de Marx et d’Engels suffit à montrer leur communauté de
pensée sur la question de la dialectique et de son rapport avec les sciences de la
nature. Dès 1873, au moment où il rédige les premiers morceaux de la future
Dialectique de la nature, Engels fait part à Marx de ses intentions (lettre du 30
mai 1873). Il lui annonce le plan d’une approche dialectique des phénomènes
physiques, chimiques et organiques. La correspondance de Marx traduit son
indéniable intérêt pour les sciences de la nature et les mathématiques, dont il
1277
suit de près les dernières avancées. Elle montre aussi que Marx est attentif au
travail entamé par Engels en 1873. Il lui apporte son soutien et considère cette
tâche comme importante (lettre de Marx à Liebknecht du 7 octobre 1876, et à
W. A. Freund du 21 janvier 1877). Ces échanges intellectuels constants entre les
deux hommes, et la proximité de leurs préoccupations en matière scientifique,
montrent qu’il n’y a pas à les distinguer sur le chapitre de la dialectique. La
Dialectique de la nature d’Engels peut donc être considérée comme une
application, aux sciences naturelles, de la méthode dialectique dont parle Marx
dans sa postface du Capital.

Quelles sont les lois générales de la dialectique auxquelles Marx et Engels se


réfèrent ? Elles sont résumées dans la Dialectique de la nature. La première est
la loi du passage de la quantité à la qualité : une accumulation de variations
apparemment identiques conduit à la transformation complète de l’état d’un
objet. L’inverse est aussi vrai : des retraits purement quantitatifs produisent, à
un seuil donné, un changement qualitatif, ou un saut dans la nature de l’objet
considéré. Pour Marx et Engels, cette loi vaut pour l’ensemble des sciences, de
la physique à l’histoire, en passant par la biologie. Ils l’illustrent à travers
différents sujets, mais l’exemple de la chimie revient sous la plume de chacun
des deux auteurs. […] Plus simplement, on pourrait prendre l’exemple des
différentes phases de l’eau (solide, liquide, gazeuse), qui révèlent elles aussi le
passage de la quantité à la qualité, lorsqu’un certain degré de température est
atteint. Ou encore, s’agissant de la nature de l’atome, Marx et Engels n’y voient
pas une limite absolue à la divisibilité de la matière, comme l’ancien atomisme,
mais une différence qualitative correspondant à un certain degré dans la série
infinie des divisions.

La seconde loi est celle de l’interpénétration des contraires. L’identité de


chaque chose est en constant mouvement ; la contradiction est le moteur de tout
phénomène. C’est là que se situe le vrai rapport de causalité, d’où l’on ne peut
extraire qu’artificiellement les notions de cause et d’effet. Dans le mouvement
réel, les choses entretiennent une lutte incessante entre leurs formes contraires,
qui les poussent à se transformer elles-mêmes en de nouvelles formes
contradictoires. Le principe d’identité aristotélicien, selon lequel une chose ne
peut pas être elle-même et son contraire, est donc réfuté. Dans son Anti-
Dühring, Engels prend l’exemple de l’identité du corps organique. Un animal
est à tout instant le même et un autre : en permanence des cellules de son corps
disparaissent tandis que d’autres se forment ; au bout d’un certain temps, tous
1278
les atomes de son être ont été remplacés, et pourtant l’unité de son organisation
persiste. La mort elle-même n’est pas un processus immédiat sur le plan
physiologique ; elle s’étale dans le temps, à mesure que les tissus sont
décomposés pour être assimilés à nouveau dans le cycle de la vie. Le positif et le
négatif se tiennent donc toujours ensemble dans une réciprocité irréductible.

La troisième loi est celle de la négation de la négation. Elle exprime, de manière


générale, la forme du devenir de chaque chose. Elle représente dans sa pureté le
procès de maturation des contradictions. Pour qu’une chose passe d’une forme
à une autre, elle doit nier son état actuel, qui est lui-même fruit d’une négation
antérieure. Tout mouvement dans l’univers consiste en cette chaîne
ininterrompue de négations de négations. Il n’y a ni début, ni fin, à ce
mouvement : c’est toujours à partir d’une négation préexistante que le
dépassement en une nouvelle négation est possible. Concrètement, Engels prend
l’exemple du grain d’orge : une fois entré dans sa phase de germination, il
donne naissance à une plante qui constitue une négation de l’état de grain. Mais
cette plante produit à son tour des grains, qui annoncent sa disparition, c’est-à-
dire une négation de la négation précédente. Cette loi s’applique à l’histoire
humaine, en particulier dans la question de la propriété. Les premières
communautés ont possédé leurs ressources en commun jusqu’à ce que la
propriété privée s’avère nécessaire pour faire progresser la production. Mais
arrivée à un certain stade, cette propriété privée se révèle être une entrave au
développement de la production, et le retour à une forme supérieure de
propriété commune devient indispensable. Le communisme, pour lequel militant
Marx et Engels, représente donc la négation de la propriété privée, qui a été
elle-même négation du communisme primitif des communautés issues du
néolithique.

Ces trois lois de la dialectique expriment sous des points différents un même
mouvement. C’est le cycle éternel de la matière en général, ou de l’être, qui
demeure toujours le même et pourtant se transforme sans cesse. La dialectique
matérialiste renoue avec la conception du flux éternel des Grecs anciens, mais
en la fondant sur les résultats empiriques et théoriques des sciences modernes.

Ainsi, cette dialectique conserve la forme du système hégélien, mais en renverse


le fond idéaliste. Elle nie que la pensée soit la « démiurge de la réalité », tout en
reconnaissant que c’est par la loi du développement dialectique que les
phénomènes deviennent intelligibles. Cette émancipation vis-à-vis de
1279
« l’enveloppe mystique », ou de la primauté de l’Idée sur le réel, permet de
résoudre la contradiction centrale de la philosophie hégélienne. En effet, faire
de l’Idée un principe absolu, assujettissant la réalité, implique la fermeture du
mouvement dialectique. Hegel conçoit son système comme la fin du processus
dialectique, parce que la simple affirmation de la suprématie de l’Idée achève le
développement de la pensée. Une fois énoncé, le savoir encyclopédique se suffit
à lui-même ; il a terminé son œuvre démiurgique ; il contient tout le
développement possible du réel. En rétablissant la primauté du réel, le
matérialisme libère la dialectique de cette finitude abstraite. Le mouvement réel
est sans fin et ne s’épuise pas dans les représentations mentales d’un individu à
un moment donné. Il n’est appréhendé que par les vérités relatives, établies
progressivement par le développement des sciences positives. L’illusion d’une
vérité absolue ou d’un système fermé se dissipe en même temps que la pensée
prend conscience de sa véritable origine. » (p.506-509)

« Comparé au matérialisme dialectique, le matérialisme vulgaire demeure dans


la sphère métaphysique, c’est-à-dire qu’il ne parvient pas à dépasser le principe
d’identité, ce qui explique pourquoi il envisage l’évolution sous une forme
uniquement graduelle : il ne peut admettre l’existence de la contradiction dans
les phénomènes naturels. Les choses se transforment peu à peu, sans
renversement, de sorte que le même soit toujours étranger à l’autre.

Cette divergence de conception du mouvement évolutif aboutit à un désaccord


politique. La société humaine n’est pas un organisme soumis aux mêmes lois
que la nature organique. Appliquer la méthode des sciences de la nature à
l’organisation sociale des hommes conduit ou bien à légitimer l’ordre existant
(Vogt), ou bien à demeurer dans l’impasse réformatrice du XVIIIème siècle
(Büchner). Dans son Capital, Marx pointe, dans la quatrième note du chapitre
XIII du livre I, le défaut essentiel de cette démarche : ignorer la spécificité du
procès historique de l’humanité. Cet aveuglement est lié tout autant à la
méconnaissance de la dialectique hégélienne qu’au réductionnisme physique. Si
tout est identique à soi-même dans la nature, il n’est pas possible de bâtir un
mode d’intelligibilité propre à la dimension historique de l’homme.
Réciproquement, si l’on considère la société humaine comme une forme
semblable à une quelconque société d’insectes, alors les sciences de la nature
suffisent à rendre compte de toutes les manifestations de l’être. Ainsi, la querelle
entre Marx et Vogt reflète aussi bien cette divergence conceptuelle, que l’écart
politique et social existant entre les deux courants. » (p.510)
1280
« Marx envoie un exemplaire dédicacé du livre I du Capital à Darwin. » (p.541)

-Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions


Kimé, 2103, 706 pages.

"Même s’il n’a jamais utilisé l’expression « matérialisme dialectique », Marx


s’est déclaré ouvertement partisan du matérialisme et de la méthode dialectique,
cette réunion constituant même la singularité de sa pensée. En outre, la
correspondance entre Marx et Engels atteste le fait qu’ils ont des vues
communes sur toutes les questions théoriques importantes, notamment sur
l’existence d’une dialectique de et dans la nature." (p.11)

-Lilian Truchon. Sortir de l’aporie du matérialisme marxien. 2017. <hal-


01593188>, 16 pages.

« Si la matière n’est habitée par aucune contradiction, il n’en va pas de même


du discours d’Engels qui, nous prévenant contre toute addition étrangère,
n’hésite pas à introduire, de force, dans la matière une structure qui lui est
pourtant étrangère, la dialectique et son cortège de contradictions. Exemplaire
lapsus engelsien qui révèle que « la matière conçue sans aucune addition
étrangère » est une construction au moment même où Engels prétend la
confondre avec ce qui est donné. Une telle matière est pure idéalité et
l’objectivisme qui la promeut s’avoue être une version de l’idéalisme
essentialiste au sens où « la matière conçue sans addition étrangère » n’est autre
qu’une représentation réifiée. » -Michel Kail et Richard Sobel, « Le marxisme
est un humanisme », Les Temps Modernes 4/2005 (n° 632-633-634), p. 505-
521.

« Le communisme comme fin de l’histoire, c’est encore une idée non


matérialiste et non dialectique. A entendre comme une idée de la raison pure
marxiste. Dans la mesure où elle suppose la fin de la rareté, la disparition de
l’Etat, la fin de la division du travail manuel et intellectuel, c’est évidemment ce
qu’on appelle une utopie. C’est d’ailleurs pourquoi Marx l’a reprise telle quelle
des utopistes et n’a jamais réfléchi dessus sérieusement. » -Régis Debray,
Entretien avec Carlos Rossi, Critique Communiste [revue théorique de la LCR],
1976.

1281
« Vers 1845, Marx avait rédigé le plan d'un ouvrage consacré à l'Etat qui n'a
jamais vu le jour, Vers l'abolition de l'Etat et de la société civile. » -Pierre
Bauby, L'Etat-stratège, Éditions ouvrières, 1991, p.43.

« Marx prône finalement un post-capitalisme non-étatique. » -Benoit Bohy-


Bunel, Critique radicale du concept, formulé par Frédéric Lordon, d' "Etat
général", Palim Psao, 14 Novembre 2016.

« Le matérialisme de Marx s’annonce non pas comme un matérialisme


naturaliste mais plutôt comme un nominalisme – une destruction des universaux
à travers lesquels sont pensées l’histoire et les sociétés dans la philosophie
idéaliste – un nominalisme qui me semble assez proche de celui de Spinoza
(voir Éthique II). Dans « La Sainte Famille », il explicite les relations entre le
matérialisme et le nominalisme : « Il se trouve que le nominalisme est un
élément primordial chez les matérialistes anglais, comme il est, en général, la
première expression du matérialisme. »(chap VI, iii) à partir de là on peut
comprendre le sens très particulier que prend le matérialisme de Marx : nous
avons à faire d'abord non à l’État, non à la société, non à l'Homme en général,
mais bien aux individus empiriques. Seuls les individus empiriques existent en
dehors des productions de notre esprit. L'État, la Société, la Classe, etc., sont des
réalités mentales, des éléments de notre « langue intérieure », mais nullement
des réalités qui existeraient en dehors de nous, qui existeraient en dehors des
individus. » -Denis Collin, L’enjeu du matérialisme, site de l’auteur,
25/03/2005.

« Supposons en effet qu'un historien établisse que, dans une telle société W, tel
changement x dans les techniques de production agricole (par exemple, la
diffusion d'un instrument tel que la charrue) a entraîné plus ou moins
directement telle mutation y dans le régime de la propriété foncière (par
exemple, la généralisation de la propriété privée des terres): on n'est nullement
tenu de considérer x comme une cause première. Il faut bien plutôt se demander
ce qui a fait arriver x. Or les causes de x peuvent elles-mêmes être d'ordre
infrastructurel ou superstructurel ; toutefois, à ces causes elles aussi on
assignera des causes, pouvant elles-mêmes relever ou bien des conditions
techniques et matérielles, ou bien des conditions idéologiques, et ainsi de suite.
Et l'on ne voit pas du tout, dans une série causale où s'enchevêtrent ainsi les
infrastructures et les superstructures, ce qui nous indiquerait que nous devons

1282
tenir tel moment de la série pour la cause première, ou plus première (si cela a
un sens) que les autres.

Puisque la régression à l'infini est impossible et qu'il faut s'arrêter, on aura


tendance à signaler ce coup d'arrêt dans la chaîne des causes et des effets par
un énoncé du type "x a causé y", qui signifie donc en substance "arrêtons-nous
là". Qu'on s'arrête à des causes matérielles ou à des causes idéologiques,
l'assignation de la cause "en dernière instance" (pour reprendre l'expression
marxiste usuelle) relève plus d'une décision que d'une connaissance. » -François
Athané, "Le nez de Cléopâtre et le démon de Laplace. Matérialismes et
déterminismes en sciences sociales", chapitre 19 in Marc Silberstein (dir.),
Matériaux philosophiques et scientifiques pour un matérialisme contemporain,
volume 2, Éditions Matériologiques, Paris, 2016.

« C’est bien à un besoin spécifiquement intellectuel d’intelligibilité que répond


la théorie marxienne, même si celui-ci est guidé par un souci de transformation
sociale que la mise à jour de cette intelligibilité rend possible. Or si
l’intelligibilité, spécialement l’intelligibilité scientifique, donne du sens à la
réalité socio-historique, elle ne lui confère pas un sens. Elle donne du sens
puisqu’elle transforme une masse de faits bruts en un ensemble de faits
organisés par des relations dans lequel il y a des causes et des effets, donc des
lois, des niveaux déterminants et d’autres déterminés ou subordonnés, et à
partir duquel on peut effectuer des prévisions sur l’évolution possible de la
société présente.

L’œuvre de Marx est de ce point de vue un extraordinaire facteur de sens ou


d’intelligibilité dans son domaine (comme celle de Freud dans le champ de la
psychologie) dans la mesure où, comme toute œuvre scientifique, elle est
déterministe dans ses postulats de recherche et ses résultats : elle n’abandonne
pas l’histoire à la fureur et à l’idiotie d’une suite d’événements soumis au seul
hasard ou à la seule contingence. À ce titre, on comprend qu’elle ait pu fasciner
bien des intellectuels qui ne voyaient pas pourquoi l’intelligibilité du réel
devrait s’arrêter à la porte de l’histoire et pourquoi la rationalité conquise dans
le champ de la nature ne devrait pas être prolongée dans celui de l’humain,
quitte à y être profondément renouvelée. »

« Le marxisme, et spécialement le marxisme-léninisme, a donc bel et bien


fonctionné comme une religion. Il s’est présenté et a été assimilé comme un

1283
système d’idées sur le présent et de croyances quant à l’avenir qui, à partir d’un
noyau juste, altérait en partie l’intelligence du réel en altérant la théorie censée
l’éclairer; il organisait de l’intérieur une pratique collective et il cimentait les
différents partis communistes en leur assurant une identité idéologique forte.
Qui ne voit qu’on a eu là tous les ingrédients d’une religion - conception
d’ensemble, croyances, pratique organisée, identité de groupe - et de quoi
répondre au double besoin de certitude et d’appartenance largement répandu
chez les êtres humains et qui les laisse désemparés quand il n’est pas satisfait ?
Les intellectuels communistes n’ont pas fait, pour beaucoup d’entre eux,
exception.

On peut même se demander si leur statut d’intellectuels, avec la solitude et le


désir exacerbé de reconnaissance sociale qu’il implique et sur lesquels G.
Mendel a justement insisté autrefois, ne les prédisposait pas tout
particulièrement à faire un choix religieux du marxisme, choix d’autant plus
menaçant ou redoutable qu’il était masqué ou dénié par un appareil de
raisons. »

« [Marx] ne croit pas ou paraît ne pas croire en l’existence de valeurs


objectives susceptibles d’obliger tous les hommes. » -Yvon Quiniou , « Raisons
et déraisons de l'engagement communiste », Nouvelles FondationS, 2006/3 (n°
3-4), p. 42-47. DOI : 10.3917/nf.003.0042. URL : https://www.cairn.info/revue-
nouvelles-fondations-2006-3-page-42.htm

"Marx s'interdit de questionner la transition qu'il considère pourtant inévitable.


Or le problème qui se pose est pourtant clair : comment l'État, force oppressive
par définition, acceptera-t-il de se liquider ? C'est par un recours à son
économisme structurel que Marx arrive à oblitérer la question : l'État ne fait
que refléter la société qui est déterminée en dernière instance par son
infrastructure économique (le mode de production, la division du travail, le
développement des forces productives, etc.). On ne peut traiter l'État « ... comme
une réalité indépendante, possédant ses propres "fondements intellectuels,
moraux et libres"». Ainsi lorsque le mode de production socialiste se
développera, il entraînera un dépérissement automatique de l'État.
Nous nous retrouvons toujours devant une pétition de principe : le socialisme
suppose le dépérissement de l'État, donc l'État dépérira ! Il y a plus encore chez
Marx une impossibilité de penser l'autonomie de l'État. Sans théorie de la
spécificité de l'État, sans théorie de la transition, le marxisme sera peu préparé
1284
à affronter le problème politique majeur qui sera le sien : la transformation de
la « dictature du prolétariat » en dictature bureaucratique d'État." (p.277)

"Engels présente cette théorie de l'extinction de l'État comme une alternative au


socialisme d'État et à la théorie anarchiste de l'abolition de l'État. Pourtant elle
fait problème à plusieurs égards. Premièrement il est extrêmement paradoxal,
du point de vue marxiste, d'opposer le « gouvernement des personnes » à «
l'organisation des opérations de production », puisque l'un des traits spécifiques
de l'aliénation du travail est justement l'absence de contrôle direct des
travailleurs sur l'organisation du travail, or celle-ci devient une prérogative de
l'État, non des travailleurs eux-mêmes. Ainsi l'État continuerait-il par ce biais à
« gouverner des personnes ». Deuxièmement on remarquera que le mode de
propriété caractéristique du socialisme devient la propriété étatique ; lorsque
l'on connaît l'insistance de Marx sur le fait que les formes de propriété reflètent
l'état social dans son ensemble (à chaque mode de production correspond une
forme spécifique de propriété), il nous faut reconnaître que la propriété étatique
représente un certain mode de production, qui n'est pas le communisme, et donc
est susceptible d'une certaine permanence.
Troisièmement ce qui caractérise en partie la bourgeoisie c'est qu'elle s'assure
la direction des opérations de production au détriment des producteurs eux-
mêmes ; le fantôme du capitalisme d'État nous hanterait alors à nouveau
justement à cause du transfert d'autorité vers l'État. Quatrièmement Engels
n'explique pas comment l'État se retirerait graduellement de tous ses champs
d'intervention, ni pourquoi, sinon que cette intervention deviendrait « superflue
»: mais alors de quel point de vue le devient-elle ?" (p.281)

"La clef de ce raisonnement se trouve ici : « La scission de la société en une


classe exploiteuse et une classe exploitée... était une conséquence nécessaire du
faible développement de la production dans le passé.» Comme la planification
étatique de la production devait, selon les marxistes, libérer les forces
productives de leurs entraves, la société devait ainsi cesser automatiquement
d'être divisée en classes. Ainsi c'est l'État socialiste qui aurait pour fonction de
développer rationnellement la production, jusqu'à ce qu'il devienne inutile."
(p.282)
-Robert Tremblay, Critique de la théorie marxiste de l’État, Philosophiques, vol.
13, n° 2, 1986, p. 267-289.

1285
« Dans Marx aux Antipodes, Kevin Anderson montre que Marx a profondément
modifié sa position avec la révolte anticoloniale des Cipayes en Inde en 1857. Il
a abandonné la vision téléologique et étapiste de l’histoire et a développé un
intérêt croissant pour le monde extra-européen et son potentiel
révolutionnaire. » -Benjamin Bürbaumer, « L’économie politique de la question
nationale », avant-propos à Roman Rosdolsky, Friedrich Engels et les « peuples
sans histoire ». La question nationale et la révolution de 1848, Paris, Éditions
Syllepse, 2019.

« [La critique morale de Marx] se déploie sur trois axes. En premier lieu, c'est
la critique de l'aliénation. Dans le mode de production capitaliste, le travailleur
se perd, il devient étranger à lui-même puisque son activité vitale est devenue le
moyen de quelqu'un d'autre, le produit de son travail lui échappe et les moyens
de travail ne sont plus ses moyens de travail, mais c'est lui qui devient le moyen
de ses moyens de travail [...]
En second lieu, l'homme est soumis au fétiche qu'est la marchandise. Les
rapports entre les hommes apparaissent comme des rapports entre les choses. Si
la marchandise n'est rien d'autre que du travail humain coagulé, dans l'échange
marchand le travail humain disparaît et la valeur de la marchandise semble être
une qualité qui lui est propre. Mais, du même coup, la marchandise fétichisée
devient l'objet d'un nouveau culte. La "société de consommation" n'est pas une
société d'abondance, mais une société entièrement soumise au culte de la
marchandise.
Résultat des deux précédentes transformations dues à la généralisation de
l'échange marchand, l'individu est transformé en chose, il est réifié. L'ouvrier
est la chose de la machine, mais l'homme en général devient chose: la
généralisation des procédés de procréation médicalement assistée va jusqu'au
bout de la réification du petit humain.
Les travailleurs salariés sont évidemment les premières victimes de la
domination absolue du capital sur l'ensemble de la vie sociale. Mais ils ne sont
pas les seuls. En réalité, tous les individus sont soumis au règne de la
marchandise. [...]
La culture de la marchandise transforme le monde entier en marchandise à
consommer [...] on ne va pas à Venise, on fait Venise, c'est-à-dire qu'on descend
d'un gigantesque paquebot qui surplombe entièrement San Marco, on se
bouscule pour faire des photos et acheter des gadgets et l'on repart: Venise ?

1286
Fait ! » -Denis Collin et Marie-Pierre Frondziak, La Force de la Morale.
Comment nous devenons humains, R&N Éditions, 2020, 311 pages, pp.109-110.

Max Stirner (1806-1856): « Dans la société humaine que nous promet


l’Humanitaire, il n’y a évidemment pas de place pour ce que toi et moi avons de
« particulier » et rien ne peut plus entrer en ligne de compte qui porte le cachet
d’ « affaire privée ».

[…] Comment pouvez-vous vivre d’une vie vraiment sociale, tant qu’il reste en
vous la moindre trace d’exclusivisme, la moindre chose qui n’est que vous et
rien que vous ?

Je demande au contraire : Comment pouvez-vous être vraiment uniques, tant


qu’il reste entre vous la moindre trace de dépendance, la moindre chose qui
n’est pas vous et rien que vous ? »

« La condition primitive de l’homme n’est pas l’isolement ou la solitude, mais la


vie en société. Notre existence commence par l’union la plus intime, puisque,
avant même de respirer, nous vivons ensemble avec notre mère: lorsque ensuite
nous ouvrons les yeux à la lumière, c’est pour nous retrouver sur la poitrine
d’un être humain ; son amour nous berce, nous tient en laisse et nous enchaîne
à sa personne par mille liens. La société est notre état naturel. C’est pourquoi, à
mesure que nous apprenons à nous sentir nous-mêmes, l’union qui a d’abord été
si intime se relâche toujours davantage et la dissolution de la société primitive
devient de plus en plus manifeste. Si la mère veut, une fois encore, avoir pour
elle seule l’enfant, qui naguère reposait sous son cœur, il faut qu’elle aille le
chercher dans la rue et qu’elle l’enlève à la compagnie de ses camarades de jeu.
Car l’enfant préfère la fréquentation de ses pareils à la société dans laquelle il
n’est pas entré de lui-même, mais où il n’a fait que naître. »

« Avec l’ère de la bourgeoisie s’ouvre celle du Libéralisme […] Ce que veut le


Libéralisme, c’est la libre évolution, la mise en valeur non point de la personne
ou du moi, mais de la Raison ; c’est en un mot la dictature de la Raison, et, en
somme, une dictature. Les Libéraux sont des apôtres, non pas précisément les
apôtres de la foi, de Dieu, etc., mais de la Raison, leur évangile. Leur
rationalisme, ne laissant aucune latitude au caprice, exclut en conséquence
toute spontanéité dans le développement et la réalisation du moi : leur tutelle
vaut celle des maîtres les plus absolus. »

1287
« On me dit que je dois être un homme parmi mes semblables (Marx, La
Question juive, page 60). Je dois respecter en eux mes semblables. Personne
n’est pour moi respectable, pas même mon semblable. Il est uniquement, comme
d’autres êtres, un objet auquel je m’intéresse ou ne m’intéresse pas, un sujet
utilisable ou inutilisable.

S’il peut m’être utile, je vais, bien sûr, m’entendre et m’associer avec lui, afin de
renforcer mon pouvoir et, à l’aide de notre force commune, accomplir
davantage que ne le pourrait chacun de nous isolément. Je ne vois rien d’autre
dans cette communauté qu’une multiplication de ma force et je n’y consens
qu’aussi longtemps que cette multiplication produira ses effets.

C’est alors qu’il y a association. » -Max Stirner, L’Unique et sa propriété, 1844.

« Tout ce qui est grand doit savoir mourir. » -Max Stirner, Le faux principe de
notre éducation, 1842.

« L'Unique est indéfinissable parce que les prédicats ne sauraient épuiser le


contenu du sujet. » -Albert Lévy, Stirner et Nietzsche.

« [L’ouvrage] le plus hardi, le plus descriptif, le plus libre que la pensée


humaine a pu imaginer » -Léon Blum, à propos de L’Unique et sa propriété.

« C'est la chose la plus conséquente que nous ayons. » -Friedrich Nietzsche, à


Adolf Baumgartner, en 1874, à propos de L’Unique et sa propriété.

« Il limite son apport, par ailleurs inexistant, à un plagiat de l’idéologie


hégélienne, qui atteste à quel point il peut ignorer ce qu’il plagie. » -Karl Marx,
L’Idéologie allemande, à propos de Max Stirner.

« Lorsque Stirner dresse l’un contre l’autre l’individu et la collectivité, en


professant l’obligation de délivrer le premier de la domination spoliatrice
exercée sur lui par la seconde, domination qui lui paraît scandaleuse, il se
trompe de cible : il ne comprend pas que l’individu et la collectivité, au lieu
d’être deux entités qui se font face et sont de ce fait engagées dans une lutte
inexpiable, sont impliqués ensemble dans l’évolution historique qui décide en
même temps du destin des individus et de celui de la collectivité à laquelle ils
appartiennent et dont il leur est impossible en pratique de se détacher. C’est
pourquoi les individus ne peuvent pas se libérer contre la collectivité, mais
seulement avec elle et en elle, en s’engageant dans l’effort de sa transformation,

1288
comme le demandent les communistes qui ne voient pas de salut hors de l’action
révolutionnaire. Le projet de rendre l’individu à lui-même, comme s’il n’existait
que par son unique initiative, n’a pas de sens : qu’il le veuille ou non, qu’il le
sache ou non, l’individu, dans la mesure où il est qualifié socialement, n’a pas
un sort indépendant de celui de la société, et c’est pourquoi, en faisant
l’impasse sur les problèmes réels qui concernent cette dernière et en se fixant
pour seul objectif la préservation de son identité personnelle unique, donc en se
consacrant entièrement, sur fond de détachement et de réserve mentale, à la
culture de son « propre », il condamne sa tentative d’émancipation à l’échec. »

-Pierre Macherey, Stirner et Marx, 23/05/2007 (cf : http://stl.recherche.univ-


lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20062007/macherey230520
07.html ).

« Quelques penseurs sentirent néanmoins très bien que Stirner, quoique passant
pour un prédécesseur borné de Nietzsche, était en fait le plus radical des deux.
Ils n'en négligèrent pas moins eux-mêmes de s'expliquer publiquement avec lui.
Edmund Husserl parle par exemple, dans un passage isolé, de la "puissante
tentation" que représente L'Unique –et ne l'évoque pas une seule fois dans ses
écrits. Carl Schmitt, bouleversé par sa lecture lorsqu'il était jeune, n'en dit pas
un mot jusqu'au jour où, en 1947, dans la détresse et l'abandon d'une cellule de
prison, Stirner vient à nouveau le "hanter". » - Bernd A. Laska, Comment Marx
et Nietzsche ont évincé leur collègue Max Stirner et pourquoi il leur a pourtant
survécu, traduit par Pierre Gallissaires, LSR, 30 avril 2001 (cf : http://www.lsr-
projekt.de/poly/frinnuce.html ).

« "Stirner" est, pour nombre de penseurs non théologiens, le nom de code de ce


qui est le Satan pour les théologiens. »

« Il n'est guère pensable que Mushacke n'ait pas parlé à un Nietzsche à la fois
intéressé et compétent de son ami Stirner; qu'il n'ait pas eu « L'Unique » dans
sa bibliothèque et que Nietzsche n'ait pas dévoré là cet ouvrage. Il put y lire,
alors qu'il venait, grâce à la critique de la religion de Feuerbach et peut-être
aussi à la critique des Evangiles de Bauer, de se frayer un chemin jusqu'à
l'athéisme étaient des "gens pieux", pourquoi et comment ils l'étaient. Il put y
lire que Dieu était mort, y entendre parler d'immoralisme, de nihilisme etc. Il y
vit comment quelqu'un s'était placé "au-delà du Bien et du Mal" et avait
"philosophé avec un marteau" -c'était là pour un être hautement sensible comme

1289
Nietzsche une surdose intellectuelle à peine assimilable. A l'ivresse mentale
qu'elle suscita en lui succédèrent un véritable effondrement, l'auto-thérapie, la
crise initiale, la fuite dans la philosophie de Schopenhauer d'une part et, d'autre
part, dans "l'insensibilité stupide ... due à mon travail de bûcheron philologue."
Même si Nietzsche n'a plus jamais parlé par la suite de cette "époque autrefois
admirée d'activité de l'esprit", il n'en a pas moins réalisé le grand projet évoqué,
de manière encore euphorique, dans sa lettre du 19 octobre à E. Mushacke –à
vrai dire de façon inversée. Il n'a pas continué la philosophie des Lumières
athée et radicale préparée par les Jeunes-hégeliens et initiée par Stirner -- il l'a
"dépassée". » -Bernd A. Laska, « La crise initiale de Nietzsche. Un nouvel
éclairage de la question "Nietzsche et Stirner" », paru en allemand dans
Germanic Notes and Reviews, vol. 33, n. 2, fall/Herbst 2002, pp. 109-133 (cf:
http://www.lsr-projekt.de/poly/frnietzsche.html ).

« Stirner proclame la libération de tout ce qui peut enchaîner l’individu ; il est


le prophète de l’égoïsme déchaîné. Il fait litière des rebuts éthiques du passé, il
montre le dernier idéal d’une race idolâtre, la morale, et s’écrie : « Voyez !
c’est une imposture ». Il se tourne vers l’Ego, vers tous les Egos de l’Univers et
s’écrie : « Chacun de vous est pour lui-même le vrai Dieu, faites comme il vous
plaît ». […]

Jusqu’ici nous avons applaudi la mort de l’ennemi tout puissant, Dieu ; à la


chute de la loi, à la destruction des droits de propriété, nous pouvons ajouter : «
A bas la moralité ». » -W. Curtis Swabey, L’En-Dehors, n°204-205, 15 avril
1931.

Jean-Baptiste Lamarck : http://www.amazon.fr/Philosophie-zoologique-Jean-


Baptiste-
Lamarck/dp/2080707078/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=51ZQ0F3QB
JL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR96%2C160_&refRID=0YFB88YJZ4
X6G8RB6RR7

Charles Darwin (1802-1889) : « Darwin a lui-même reconnu que sa théorie


était, au moins partiellement, la transposition en biologie de principes
appartenant à la sociologie et à l’économie (il se réfère notmmément à
Malthus). » -André Pichot, La société pure. De Darwin à Hitler, Flammarion,
2000, p.78-79.

1290
"Même si un standard élevé de moralité ne donne pas d'avantage à un individu
sur un autre de la même tribu, il en donne à une tribu sur une autre, puisque
grâce à lui certains seront prêts à se sacrifier pour le bien commun. Les vertus
valorisées, remarque en outre Darwin, concernent au départ les membres d'une
même tribu alors que les crimes envers ces membres n'en sont pas envers les
étrangers. La morale s'enracine ainsi dans la vie sociale et, plus lointainement
encore, dans la vie animale et l'évolution biologique. Elle n'a pas de fondement
intrinsèque. Elle se donne comme l'expression d'un rapport évolutif, celui des
actions humaines avec l'intérêt social." (p.124)
-Nathalie Bulle, L’école et son double. Essai sur l’évolution pédagogique en
France, Paris, Hermann, coll. Savoir et pensées, 2010, 338 pages.

http://www.amazon.fr/Dans-lumiere-ombres-Darwin-
bouleversement/dp/2757841920/ref=pd_sim_14_69?ie=UTF8&dpID=51-
eHwaTZLL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=1JA0
4B0FG35AT87QEPHS

Samuel Butler : http://www.amazon.fr/Ainsi-toute-chair-Samuel-


Butler/dp/2070314367/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1458749861&sr=1
-2&keywords=samuel+butler

Edgar Quinet (1803- 1875): « Quinet oppose [à Michelet] une mythologie de


l’échec qui transpose, en images, l’idée centrale de son livre : La Révolution a
échoué doublement. Politiquement, elle s’abîme dans le despotisme de la
Terreur, puis, de la dictature militaire que l’on voit poindre dès le 19 Brumaire.
Il y a plus grave. La prétendue liberté des cultes, au lieu de fonder une
authentique liberté religieuse, a fait le jeu du catholicisme romain, despotique
par nature, qui recevra du concordat une consécration indigne. » (p.151)

« Michelet ne pouvait accueillir qu’avec tristesse la bienveillance de Quinet à


l’égard du Christianisme. » (p.153)

-Simone Bernard-Griffiths, Rupture entre Michelet et Quinet [À propos de


l'Histoire de la Révolution], Romantisme, Année 1975, 10, pp. 145-165.

« On notera le poids de la référence à Herder chez Edgar Quinet. » -Michel


Espagne, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, coll.
Perspectives germaniques, 1999, 286 pages, p.30.

1291
Jules Michelet (1798-1874) : « Il leur faut un Œdipe qui leur explique leur
propre énigme dont ils n’ont pas eu le sens, qui leur apprenne ce que voulaient
dire leurs paroles, leurs actes, qu’ils n’ont pas compris. » -Jules Michelet,
Œuvres complètes, XXI, p.268, préface au volume 2 (« Jusqu’au 18 brumaire »,
de son Histoire du XIXème siècle.

« C’est à vous que je demanderai secours, mon noble pays ; il faut que vous
nous teniez lieu du Dieu qui nous échappe. » -Jules Michelet, Journal, t.1, 7
août 1831, p.83.

« A Victor Hugo, Michelet écrit, le 4 mai 1856 : « Le Christianisme et la


Révolution sont comme des angles saillants et entrants, symétriquement
opposés, sinon ennemis ». » -Roland Barthes, Michelet, Le Seuil, 1954, p. 54.

« Les masses font tout […] les grands noms font peu de chose. » -Jules Michelet,
Œuvres Complètes, t.III, Flammarion, 1972, p.335.

« Cela vient de loin, et tient au fond des choses, et non pas à tel accident. Dans
ma Révolution et ma petite Bible, j’ai suivi une ligne religieuse qui n’est pas la
vôtre. En en politique aussi, nous nous sommes trouvés écartés par ces points où
nos ennemis se sont armés de votre livre disant comme Renan : « La Révolution
est une affaire avortée ». » -Jules Michelet, Lettre à Edgar Quinet du 6
septembre 1868.

"Cette œuvre laborieuse d’environ quarante ans fut conçue d’un moment, de
l’éclair de Juillet. Dans ces jours mémorables, une grande lumière se fit, et
j’aperçus la France. [...]
Le premier je la vis comme une âme et une personne." (p.1)

"Plus compliqué encore, plus effrayant était mon problème historique posé
comme résurrection de la vie intégrale, non pas dans ses surfaces, mais dans ses
organismes intérieurs et profonds. Nul homme sage n’y eût songé. Par bonheur,
je ne l’étais pas." (p.4)

"J’avais une belle maladie qui assombrit ma jeunesse, mais bien propre à
l’historien. J’aimais la mort. J’avais vécu neuf ans à la porte du Père-Lachaise,
alors ma seule promenade. Puis j’habitai vers la Bièvre, au milieu de grands
jardins de couvents, autres sépulcres. Je menais une vie que le monde aurait pu
dire enterrée, n’ayant de société que celle du passé, et pour amis les peuples
ensevelis. Refaisant leur légende, je réveillais en eux mille choses évanouies.
1292
Certains chants de nourrice dont j’avais le secret, étaient d’un effet sûr. À
l’accent ils croyaient que j’étais un des leurs. Le don que saint Louis demande
et n’obtient pas, je l’eus : « le don des larmes. »

Don puissant, très-fécond. Tous ceux que j’ai pleurés, peuples et dieux,
revivaient." (p.17-18)

« J’ai passé à côté du monde, et j’ai pris l’histoire pour la vie.

La voici écoulée. Je ne regrette rien. Je ne demande rien. Eh! que demanderais-


je, chère France, avec qui j’ai vécu, que je quitte à si grand regret ! Dans quelle
communauté j’ai passé avec toi quarante années (dix siècles) ! Que d’heures
passionnées, nobles, austères, nous eûmes ensemble, souvent l’hiver même,
avant l’aube ! Que de jours de labeur et d’études au fond des Archives ! Je
travaillais pour toi, j’allais, venais, cherchais, écrivais. Je donnais chaque jour
de moi-même tout, peut-être encore plus. Le lendemain matin, te trouvant à ma
table, je me croyais le même, fort de ta vie puissante et de ta jeunesse éternelle.

Mais comment ayant eu ce bonheur singulier d’une telle société, ayant longues
années vécu de ta grande âme, n’ai-je pas profité plus en moi ? Ah ! c’est que
pour te refaire tout cela il m’a fallu reprendre ce long cours de misère, de
cruelle aventure, de cent choses morbides et fatales. J’ai bu trop d’amertumes.
J’ai avalé trop de fléaux, trop de vipères et trop de rois.

Eh bien ! ma grande France, s’il a fallu pour retrouver ta vie, qu’un homme se
donnât, passât et repassât tant de fois le fleuve des morts, il s’en console, te
remercie encore. Et son plus grand chagrin, c’est qu’il faut te quitter ici. »
(p.53-54)

-Jules Michelet, préface de 1869 à l'Histoire de France, édition 1880, Tome 1.

« Au reste, ce déclin universel du siècle étonne peu quand on songe aux


circonstances qui, dès sa naissance, semblaient lui présager peu de solidité.

Au jour de sa naissance, en 1800, un double prodige effrayant, se fit voir. Avez-


vous quelquefois, en pleine nuit, sur un chemin de fer, aperçu de loin un convoi
rapide qui vient à vous ? Ses deux gros yeux cyclopéens, ses étincelles, jettent
l’effroi.

C’est juste ce qu’on vit alors, en 1800.

1293
L’un était la terrible armée de Napoléon qui ruina l’Europe, en laissant la
France épuisée, desséchée.

Oui, s’écrient les humanitaires, mais heureusement l’autre œil flamboyant fut
celui de la machine de Watt et de la grande armée des ouvriers, instrument
bienfaisant de paix, d’utilité pour tous.

Provisoirement cet instrument de paix aide la guerre par des capitaux infinis,
sert la tyrannie maritime. Il fournit des forces inépuisables pour les guerres de
l’Europe et de l’Inde, d’où le choléra (1817), et mille maux.

De plus, ce règne des machines, admirables comme production de richesse, en


revanche attire et dévore les races, dépeuple les campagnes. » -Jules Michelet,
Histoire du XIXe siècle, 1872, éd. p. p. B. Leuilliot, in Œuvres complètes,
publiées sous la direction de P. Viallaneix, Flammarion, t. XXI, p. 459-460.

« Le travail solitaire du tisserand était bien moins pénible. Pourquoi ? c’est


qu’il pouvait rêver. La machine ne comporte aucune rêverie, nulle distraction.
Vous voudriez un moment ralentir le mouvement, sauf à le presser plus tard,
vous ne le pourriez pas. L’infatigable chariot aux cent broches est à peine
repoussé, qu’il revient à vous. Le tisserand à la main tisse vite ou lentement
selon qu’il respire lentement ou vite ; il agit comme il vit ; le métier se conforme
à l’homme. Là, au contraire, il faut bien que l’homme se conforme au métier,
que l’être de sang et de chair, où la vie varie selon les heures, subisse
l’invariabilité de cet être d’acier. »

-Jules Michelet, cité in J. Gaillard, Paris, la ville (1852-1870), Paris, Champion,


1977, p.438.

« Etre nègre, c’est bien moins une race qu’une véritable maladie ? » -Jules
Michelet, Histoire du XIXe siècle, posthume, tome 3, p.298.

« Quinet, persuadé de la décadence française dans les années qui suivent 1848,
retrouve paradoxalement courage après 1870, lorsque s’installe la République.
Quinet, mais non Michelet, qui, après avoir tant sacrifié à l’éternelle jeunesse
du monde, mourra désespéré ou à peu près en 1874. » -Victor Nguyen, Aux
origines de l’Action française. Intelligence et politique à l’aube du XXe siècle,
Fayard, 1991, 959 pages, p.34.

1294
« S'il est un ancêtre auquel on puisse rattacher le radicalisme français, dans
toutes ses dimensions et avec toutes ses racines, c'est Michelet. » -Albert
Thibaudet, Les Idées politiques de la France, Librairie Stock, Paris, 1932, 264
pages, p.235.

« Michelet, dans son Moyen Age -en tenant compte des rectifications que Fustel
de Coulanges et son école ont apportées sur nos origines-, reste digne d'être lu
et donne en général une impression juste. A partir du seizième siècle, s'il est
gâté par de furieux partis pris, ses vues sont encore parfois pénétrantes: c'est
l'avantage et la supériorité des historiens qui ont du talent, même quand leurs
théories sont contestables. » -Jacques Bainville, Histoire de France, Éditions
Perrin, coll. tempus, 2014 (1924 pour la première édition), 552 pages, p.13.

« Michelet […] le plus grand de tous, chez qui il y a tant d’éclairs et de


prémonitions géniales. » -Fernand Braudel, Leçon inaugurale au Collège de
France, 1er décembre 1950.

« Il ne faut pas oublier ce qu'étaient les études historiques aux environs de


1825, quand Michelet les abordait. Documentation insuffisante ? Mais il a dans
ce domaine été un novateur. [...] Et un labeur immense, des recherches
considérables ont assuré les fondements d'une œuvre qui aujourd'hui nous
paraît ruineuse. [...] Mieux encore: n'oublions pas que les banalités
d'aujourd'hui furent l'originalité presque révolutionnaire d'hier et d'avant-hier.
Michelet a si totalement gagné certaines batailles que nous ne songeons même
plus qu'il les fallait gagner. » -Lucien Febvre, Michelet créateur de l'histoire de
France, La librairie Vuibert, 2014, p. 28-29.

« L’historien, condamné un peu vite par l’école positiviste de Lavisse et par


l’école marxiste de Mathiez, n’accède pas seulement à la magistrature, toute
classique, qu’exerçaient déjà, malgré l’évolution du savoir, un Thucydide ou un
Tacite. Quand il rêve d’opérer une « résurrection intégrale du passé », quand il
combine tous les témoignages en les vivifiant par un mouvement délibéré de
sympathie, il apparaît aussi comme un prophète de l’histoire la plus moderne.
Lucien Febvre s’inspira de son exemple tout au long de ses Combats pour
l’histoire (Colin, 1947) et il rendit à l’historien de la France, au lendemain de la
Libération, le plus opportun des hommages (Michelet, Trois Collines, 1946).
Jacques Le Goff, préfaçant l’Histoire du Moyen Age dans l’édition Viallaneix
des Œuvres complètes (T. IV), affirme, non sans admettre que « le discours de

1295
l’histoire a changé », que « le médiéviste toujours devra être, ou s’efforcer
d’être Michelet ». » (p.211)

« Un des maîtres du romantisme français. » (p.213)

-Paul Viallaneix, Dossier bibliographique, in « Michelet cent ans après »,


Romantisme, Année 1975, 10, pp. 209-218.

« Michelet et son ami Quinet sont des disciples de Herder: ils se sont formés à
l'école du romantisme allemand. » -Georges Gusdorf, "Le cri de Valmy",
Communications, Année 1987, 45, pp.117-155, p.143.

« Connaissez-vous quelque chose de plus nul que Michelet ? […] Le culte de


Michelet… soit…, il est vrai qu'il y a de belles pages, mais sur le plan de la
recherche historique, c'est nul. » -Pierre Chaunu, Entretien avec François Dosse,
L'Instant éclaté. Entretiens, Aubier, 1994, p. 138.

« [Michelet] prouve ainsi que le passé de l’individu continue d’agiter son


présent. Par cette lucidité, qu’il doit sans doute à sa biographie singulière, il se
montre plus historien que beaucoup d’historiens ultérieurs. » -Gérard Noiriel,
Les ouvriers dans la société française (XIXe – XXe), Éditions du Seuil, 2002
(1986 pour la première édition), 321 pages, note 63 p.275.

« Son refus de prêter un serment de loyauté envers Louis Napoléon atteste de


manière touchante son attachement à 1789 et à la France. Brutalement démis de
ses fonctions aux Archives nationales, il vécut dans une quasi-pauvreté jusqu’à
sa mort, en 1874 –assez longtemps, cependant, pour voir la chute du
polichinelle et la restauration des institutions républicaines. » -Benedict
Anderson, L'imaginaire national. Réflexions sur l'origine et l'essor du
nationalisme, Paris, Éditions La Découverte & Syros, 2002 (1983 pour la
première édition américaine), 211 pages, p.200.

« Le grand historien Jules Michelet n’a pas vraiment écrit de biographies. Il


avait pourtant consacré sa thèse de doctorat à Plutarque et à ses Vies des
hommes illustres, posant le problème de la place de l’héroïsme dans le
déroulement de l’histoire […] [Pour lui] La France est une totalité organique
qui ne peut se subdiviser. » (p.193)

« Le héros des héros de son histoire est sans conteste Jeanne d’Arc. » (p.194)

1296
-François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La
Découverte, 2005, 480 pages.

"1830 est le déclencheur de son œuvre. Il est déjà l'auteur de plusieurs ouvrages
scolaires et d'une traduction de Vico (1827), et il prépare une Histoire romaine.
Mais ce n'est qu'après la révolution de Juillet que paraît son texte
programmatique, l'Introduction à l'histoire universelle (avril 1831). Cet essai
lance son œuvre et l'organise, lui donne une orientation, et un centre. Après cela
les volumes de l'Histoire de France pourront se succéder à une bonne cadence.
L'Introduction décrit le vaste schéma d'une histoire universelle allant de l'Orient
vers l'Occident, de la fatalité vers la liberté. La France est à la fois le but, le
meneur et la synecdoque de cette évolution. […]
Elle est le lieu central de l'Occident, et de l'Histoire. Aussi est-ce écrire
l'histoire universelle que de faire l'histoire de France. […]
Suit une apologie de la centralisation réalisée en France par l'action lente de la
monarchie et de l'Église […] Cette centralisation progressive s'accomplit au
prix d'un nivellement, potentiellement révolutionnaires. ("Les libertés
privilégiées doivent périr sous la force centralisante, qui doit tout broyer pour
tout égaler"). Or, à cette apologie de la centralisation et de son pouvoir
d'égalisation succèdent les références précises à la révolution de Juillet, dont on
comprend qu'elle s'inscrit dans le mouvement." (pp.7-8)

"La révolution de Juillet a frappé Michelet parce qu'elle a "présent[é] le premier


modèle d'une révolution sans héros, sans noms propres : point d'individu en qui
la gloire ait pu se localiser"." (p.9)

-Paule Petitier, « 1830 ou les métamorphoses du centre (Michelet, Balzac,


Hugo) », Romantisme, Année 2004, 123, pp. 7-20.

« Tout en proposant une analyse « sociologique » avant l’heure des classes, des
rapports sociaux et des formes de domination, Le Peuple est entièrement centré
sur les modes d’existence de la partie « la plus méconnue » et pourtant la « plus
importante » de la société française contemporaine. Ce peuple méconnu est
l’objet du voyage intellectuel de l’historien : en se rendant dans ses lieux
d’existence, en en répertoriant les passions et les élans, les désirs et les utopies,
Michelet souhaite contribuer à la production d’un peuple politique. En d’autres
termes, approfondir, à travers les logiques du savoir, la marche de la
démocratie. » -Federico Tarragoni, « Le peuple et son oracle. Une analyse du

1297
populisme savant à partir de Michelet », Romantisme, 2015/4 (n° 170), p. 113-
126. DOI : 10.3917/rom.170.0113. URL : https://www.cairn.info/revue-
romantisme-2015-4-page-113.htm
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Henri d'Orléans et l’évolution de la noblesse française :

Casimir Delavigne (1793-1843) : « Par l’attachement au moule classique de la


tragédie racinienne, forme culturellement et socialement anachronique dans la
France des années 1820, Delavigne n’accomplit guère les promesses «
romanticistes » de son sujet : la question du « peuple » au théâtre ne saurait
être posée hors d’une interrogation sur le « populaire » dans la forme et,
partant, sur la démocratisation du public. La réponse viendra quelques années
plus tard, non pas chez Delavigne mais chez Hugo ; le grotesque sera cette
réponse. » -Olivier Bara. ”Le Paria” de Casimir Delavigne (1821). Libéralisme
et romantisme mêlés ? . Sylvain Ledda Florence Naugrette. Casimir Delavigne
en son temps. Vie culturelle, théâtre, réception, Eurédit, pp.267-281, 2012. hal-
00910217

Victor Hugo (1802-1885): « Le Progrès calme et fort, et toujours innocent,

Ne sait pas ce que c'est que de verser le sang.

Il règne, conquérant désarmé ; quoi qu'on fasse,

De la hache et du glaive il détourne sa face,

Car le doigt éternel écrit dans le ciel bleu

Que la terre est à l'homme et que l'homme est à Dieu

Car la force invincible est la force impalpable. -

Peuple, jamais de sang ! - Vertueux ou coupable,

Le sang qu'on a versé monte des mains au front.

Quand sur une mémoire, indélébile affront,

Il jaillit, plus d'espoir ; cette fatale goutte

Finit par la couvrir et la dévorer toute ;

1298
Il n'est pas dans l'histoire une tache de sang

Qui sur les noirs bourreaux n'aille s'élargissant.

Sachons-le bien, la honte est la meilleure tombe.

Le même homme sur qui son crime enfin retombe,

Sort sanglant du sépulcre et fangeux du mépris.

Le bagne dédaigneux sur les coquins flétris

Se ferme, et tout est dit ; l'obscur tombeau se rouvre.

Qu'on le fasse profond et muré, qu'on le couvre

D'une dalle de marbre et d'un plafond massif,

Quand vous avez fini, le fantôme pensif

Lève du front la pierre et lentement se dresse.

Mettez sur ce tombeau toute une forteresse,

Tout un mont de granit, impénétrable et sourd,

Le fantôme est plus fort que le granit n'est lourd.

Il soulève ce mont comme une feuille morte.

Le voici, regardez, il sort ; il faut qu'il sorte,

Il faut qu'il aille et marche et traîne son linceul ;

Il surgit devant vous dès que vous êtes seul ;

Il dit : c'est moi ; tout vent qui souffle vous l'apporte ;

La nuit, vous l'entendez qui frappe à votre porte.

Les exterminateurs, avec ou sans le droit,

Je les hais, mais surtout je les plains. On les voit,

A travers l'âpre histoire où le vrai seul demeure,

Pour s'être délivrés de leurs rivaux d'une heure,


1299
D'ennemis innocents, ou même criminels,

Fuir dans l'ombre entourés de spectres éternels. » -Victor Hugo.

« On entend tous les jours, à propos de productions littéraires, parler de la


dignité de tel genre, des convenances de tel autre, des limites de celui-ci, des
latitudes de celui-là : la tragédie tolère ce que l’ode défend, etc. L’auteur de ce
livre a le malheur de ne rien comprendre à tout cela ; il y cherche des choses et
n’y voit que des mots ; il lui semble que ce qui est réellement beau et vrai est
beau et vrai partout ; que ce qui est dramatique dans un roman sera dramatique
sur la scène ; que ce qui est lyrique dans un couplet sera lyrique dans une
strophe ; qu’enfin et toujours la seule distinction véritable dans les œuvres de
l’esprit est celle du bon et du mauvais. La pensée est une terre vierge et féconde
dont les productions veulent croître librement, et, pour ainsi dire, au hasard, sans
se classer, sans s’aligner en plates-bandes, comme les bouquets dans un jardin
classique de Le Nôtre, ou comme les fleurs du langage dans un traité de
rhétorique. » -Victor Hugo, Préface de 1826 aux Odes et Ballades, Œuvres
complètes, « Poésie I », Paris, Laffont, « Bouquins », 1985, p. 63.

« Le romantisme tant de fois mal défini, n’est à tout prendre, et c’est là sa


définition réelle si l’on ne l’envisage que sous son côté militant, que le
libéralisme en littérature. » -Victor Hugo, préface d’Hernani (1830).

« En général, en France, on abandonne trop volontiers la liberté, qui est la


réalité, pour courir après l’égalité, qui est la chimère. C’est assez la manie
française de lâcher le corps pour l’ombre. » -Victor Hugo, Lettre à sa femme,
1836.

« Un bruit farouche et violent sort de ce chaos de travailleur. J’ai eu la curiosité


de mettre pied à terre et de m’approcher d’un de ces antres. Là, j’ai admiré
véritablement l’industrie. C’est un beau et prodigieux spectacle, qui, la nuit,
semble emprunter à la tristesse solennelle de l’heure quelque chose de
surnaturel. Les roues, les scies, les chaudières, les laminoirs, les cylindres, les
balanciers, tous ces monstres de cuivre, de tôle et d’airain que nous nommons
des machines et que la vapeur fait vivre d’une vie effrayante et terrible,
mugissent, sifflent, grincent, râlent, reniflent, aboient, glapissent, déchirent le
bronze, tordent le fer, mâchent le granit, et par moments, au milieu des ouvriers
noirs et enfumés qui les harcèlent, hurlent avec douleur dans l’atmosphère
ardente de l’usine comme des hydres et des dragons tourmentés par des démons
1300
dans un enfer. » -Victor Hugo, Le Rhin, Lettres à un ami, 1842, texte présenté et
commenté par J. Gaudon, Imprimerie nationale, « Lettres françaises », 1985,
t. 1, p. 138.

« À l’instant où nous sommes, vingt-cinq bateaux à vapeur montent et


descendent le Rhin chaque jour. Les dix-neuf bateaux de la compagnie de
Cologne, reconnaissables à leur cheminée blanche et noire, vont de Strasbourg
à Dusseldorf ; les six bateaux de la compagnie de Dusseldorf, qui ont la
cheminée tricolore, vont de Mayence à Rotterdam. Cette immense navigation se
rattache à la Suisse par le dampfschiff de Strasbourg à Bade, et à l’Angleterre
par les steamboats de Rotterdam à Londres.

L’ancienne navigation rhénane, que perpétuent les bateaux à voiles, contraste


avec la navigation nouvelle que représentent les bateaux à vapeur. […] Les
bateaux à vapeur sont vernis et dorés, les bateaux à voiles sont goudronnés. Le
bateau à vapeur c’est la spéculation ; le bateau à voiles c’est bien la vieille
navigation austère et croyante. Les uns cheminent en faisant une réclame, les
autres en faisant une prière. Les uns comptent sur les hommes, les autres sur
Dieu.

Cette vivace et frappante antithèse se croise et s’affronte à chaque instant sur le


Rhin.

Dans ce contraste respire avec une singulière puissance de réalité le double


esprit de notre époque, qui est fille d’un passé religieux et qui se croit mère d’un
avenir industriel. » -Victor Hugo, Le Rhin, Lettres à un ami, 1842, texte
présenté et commenté par J. Gaudon, Imprimerie nationale, « Lettres
françaises », 1985, t. 2, p.22-23.

« Le treizième siècle est une époque crépusculaire ; il y a là d'épaisses ténèbres,


peu de lumière, des violences, des crimes, des superstitions sans nombre,
beaucoup de barbarie partout. Les juifs étaient barbares, les chrétiens l'étaient
aussi ; les chrétiens étaient les oppresseurs, les juifs étaient les opprimés. » -
Victor Hugo, Correspondance,1843, p. 599.

« Il y a l’émeute, et il y a l'insurrection ; ce sont deux colères ; l’une a tort,


l’autre a droit. Dans les états démocratiques, les seuls fondés en justice, il
arrive quelquefois que la fraction usurpe ; alors le tout se lève, et la nécessaire
revendication de son droit peut aller jusqu’à la prise d’armes. Dans toutes les

1301
questions qui ressortissent à la souveraineté collective, la guerre du tout contre
la fraction est insurrection, l'attaque de la fraction contre le tout est émeute ;
selon que les Tuileries contiennent le roi ou contiennent la Convention, elles
sont justement ou injustement attaquées. Le même canon braqué contre la foule
a tort le 10 août et raison le 14 vendémiaire. Apparence semblable, fond
différent ; les suisses défendent le faux, Bonaparte défend le vrai. Ce que le
suffrage universel a fait dans sa liberté et dans sa souveraineté ne peut être
défait par la rue. De même dans les choses de pure civilisation ; l'instinct des
masses, hier clairvoyant, peut demain être trouble. La même furie est légitime
contre Terray et absurde contre Turgot. Les bris de machines, les pillages
d’entrepôts, les ruptures de rails, les démolitions de docks, les fausses routes
des multitudes, les dénis de justice du peuple au progrès, Ramus assassiné par
les écoliers, Rousseau chassé de Suisse à coups de pierres, c'est l'émeute. Israël
contre Moïse, Athènes contre Phocion, Rome contre Scipion, c'est l'émeute ;
Paris contre la Bastille, c'est l’insurrection. » -Victor Hugo, Les Misérables,
1862, Livre dixième : LE 5 JUIN 1832, II « Le fond de la question ».

« Le bien-être de l'homme, voilà ce qu'ils voulaient extraire de la société.


Ils élevaient les questions matérielles, les questions d'agriculture, d'industrie, de
commerce, presque à la dignité d'une religion. Dans la civilisation telle qu'elle
se fait, un peu par Dieu, beaucoup par l'homme, les intérêts se combinent,
s'agrègent et s'amalgament de manière à former une véritable roche dure, selon
une loi dynamique patiemment étudiée par les économistes, ces géologues de la
politique.
Ces hommes qui se groupaient sous des appellations différentes, mais qu'on peut
désigner tous par le titre générique de socialistes, tâchaient de percer cette
roche et d'en faire jaillir les eaux vives de la félicité humaine.
Depuis la question de l'échafaud jusqu'à la question de la guerre, leurs travaux
embrassaient tout. Au droit de l'homme, proclamé par la Révolution française,
ils ajoutaient le droit de la femme et le droit de l'enfant.
On ne s'étonnera pas que, pour des raisons diverses, nous ne traitions pas ici à
fond, au point de vue théorique, les questions soulevées par le socialisme. Nous
nous bornons à les indiquer.
Tous les problèmes que les socialistes se proposaient, les visions
cosmogoniques, la rêverie et le mysticisme écartés, peuvent être ramenés à deux
problèmes principaux.
Premier problème :
1302
Produire la richesse.
Deuxième problème :
La répartir.
Le premier problème contient la question du travail.
Le deuxième contient la question du salaire.
Dans le premier problème, il s'agit de l'emploi des forces.
Dans le second, de la distribution des jouissances.
Du bon emploi des forces résulte la puissance publique.
De la bonne distribution des jouissances résulte le bonheur individuel.
Par bonne distribution, il faut entendre non distribution égale, mais distribution
équitable. La première égalité, c'est l'équité.
De ces deux choses combinées, puissance publique au dehors, bonheur
individuel au dedans, résulte la prospérité sociale.
Prospérité sociale, cela veut dire l'homme heureux, le citoyen libre, la nation
grande.
L'Angleterre résout le premier de ces deux problèmes. Elle crée admirablement
la richesse; elle la répartit mal. Celte solution qui n'est complète que d'un côté
la mène fatalement à ces deux extrêmes : opulence monstrueuse, misère
monstrueuse. Toutes les jouissances à quelques-uns, toutes les privations aux
autres, c'est-à-dire au peuple ; le privilège, l'exception, le monopole, la
féodalité, naissant du travail même. Situation fausse et dangereuse qui assoit la
puissance publique sur la misère privée, qui enracine la grandeur de l'État dans
les souffrances de l'individu. Grandeur mal composée où se combinent tous les
éléments matériels et dans laquelle n'entre aucun élément moral.
Le communisme et la loi agraire croient résoudre le deuxième problème. Ils se
trompent. Leur répartition tue la production. Le partage égal abolit l'émulation
; et par conséquent le travail. C'est une répartition faite par le boucher, qui tue
ce qu'il partage. Il est donc impossible de s'arrêter à ces prétendues solutions.
Tuer la richesse, ce n'est pas la répartir.
Les deux problèmes veulent être résolus ensemble pour être bien résolus. Les
deux solutions veulent être combinées et n'en faire qu'une.
Ne résolvez que le premier des deux problèmes, vous serez Venise, vous serez
l'Angleterre. Vous aurez comme Venise une puissance artificielle, ou comme
l'Angleterre une puissance matérielle ; vous serez le mauvais riche. Vous périrez
par une voie de fait, comme est morte Venise, ou par une banqueroute, comme
tombera l'Angleterre. Et le monde vous laissera mourir et tomber, parce que le
monde laisse tomber et mourir tout ce qui n'est que l'égoïsme, tout ce qui ne
1303
représente pas pour le genre humain une vertu ou une idée.
Il est bien entendu ici que par ces mots, Venise , l'Angleterre, nous désignons
non des peuples, mais des constructions sociales ; les oligarchies superposées
aux nations, et non les nations elles-mêmes. Les nations ont toujours notre
respect et notre sympathie. Venise, peuple, renaîtra ; l'Angleterre, aristocratie,
tombera, mais l'Angleterre, nation, est immortelle. Cela dit, nous poursuivons.
Résolvez les deux problèmes, encouragez le riche et protégez le pauvre,
supprimez la misère, mettez un terme à l'exploitation injuste du faible par le
fort, mettez un frein à la jalousie inique de celui qui est en roule contre celui qui
est arrivé, ajustez mathématiquement et fraternellement le salaire au travail,
mêlez renseignement gratuit et obligatoire à la croissance de l'enfance et faites
de la science la base de la virilité, développez les intelligences tout en occupant
les bras, soyez à la fois un peuple puissant et une famille d'hommes heureux,
démocratisez la propriété, non en l'abolissant, mais en l'universalisant, de façon
que tout citoyen sans exception soit propriétaire, chose plus facile qu'on ne
croit; en deux mots, sachez produire la richesse et sachez la répartir, et vous
aurez tout ensemble la grandeur matérielle et la grandeur morale ; et vous serez
dignes de vous appeler la France. » -Victor Hugo, Les Misérables, VI, 1, 4.

« La transformation de la foule en peuple ; profond travail. C’est à ce travail


que se sont dévoués, dans ces quarante dernières années, les hommes qu’on
appelle socialistes. L’auteur de ce livre, si peu de choses qu’il soit, est un des
plus anciens ; le Dernier jour d’un condamné date de 1828 et Claude Gueux de
1834. S’il réclame parmi ces philosophes sa place, c’est que c’est une place de
persécution. Une certaine haine du socialisme, très-aveugle, mais très-générale,
a sévi depuis quinze ou seize ans, et sévit et se déchaîne encore, dans les classes
(il y a donc toujours les classes ?) influentes. Qu’on ne l’oublie pas, le
socialisme, le vrai, a pour but l’élévation des masses à la dignité civique, et
pour préoccupation principale, par conséquent, l’élaboration morale et
intellectuelle. »

« Le beau n’est pas dégradé pour avoir servi à la liberté et à l’amélioration des
multitudes humaines. Un peuple affranchi n’est point une mauvaise fin de
strophe. » -Victor Hugo, William Shakespeare, 1864.

« Pour que la croissance humaine soit normale, il faut que la France soit
entière ; une province qui manque à la France, c’est une force qui manque au
progrès, c’est un organe qui manque au genre humain ; c’est pourquoi la
1304
France ne peut rien concéder de la France. Sa mutilation mutile la civilisation »
-Victor Hugo.

« Les nations ont au-dessus d’elles quelque chose qui est en dessous d’elles, les
gouvernements. A de certains moments, ce contresens éclate: la civilisation est
dans les peuples, la barbarie est dans les gouvernants. Cette barbarie est-elle
voulue ? Non. Elle est simplement professionnelle. Ce que le genre humain sait,
les gouvernements l’ignorent. Cela tient à ce que les gouvernements ne voient
rien qu’à travers cette myopie, la raison d’Etat; le genre humain regarde avec
un autre œil, la conscience. »

« Oui, la nuit est noire ; on en est à la résurrection des spectres. Après le


Syllabus voici le Koran; d’une Bible à l’autre on fraternise; jungamus dextras;
derrière le Saint-Siège se dresse la Sublime Porte; on nous donne le choix des
ténèbres; et voyant que Rome nous offrait son moyen âge, la Turquie a cru
pouvoir nous offrir le sien.

De là les choses qui se font en Serbie.

Où s’arrêtera-t-on ? Quand finira le martyre de cette héroïque petite nation ? »

-Victor Hugo, Pour la Serbie, Le Rappel, 29 août 1876.

« Communisme. Une égalité d’aigles et de moineaux, de colibris et de chauves-


souris, qui consisterait à mettre toutes les envergures dans la même cage et
toutes les prunelles dans le même crépuscule, je n’en veux pas […]
Communisme. Rêve de quelques-uns et cauchemar de tous. » -Victor Hugo,
Dossier "Idées ça et là", VI, publié par Henri Guillemin, en 1951 dans Pierres.

« L’Asie a son histoire, l’Amérique a son histoire, l’Australie elle-même a son


histoire; l’Afrique n’a pas d’histoire. Une sorte de légende vaste et obscure
l’enveloppe. [...] Cette Afrique farouche n’a que deux aspects: peuplée, c’est la
barbarie; déserte, c’est la sauvagerie; mais elle ne se dérobe plus; les lieux
réputés inhabitables sont des climats possibles; on trouve partout des fleuves
navigables; des forêts se dressent, de vastes branchages encombrent çà et là
l’horizon; quelle sera l’attitude de la civilisation devant cette faune et cette flore
inconnues? Des lacs sont aperçus, qui sait? peut-être cette mer Nagaïn dont
parle la Bible. De gigantesques appareils hydrauliques sont préparés par la
nature et attendent l’homme; on voit les points où germeront des villes; on
devine les communications; des chaînes de montagnes se dessinent; des cols,
1305
des passages, des détroits sont praticables; cet univers, qui effrayait les
Romains, attire les Français. »

« Au dix-neuvième siècle, le blanc a fait du noir un homme; au vingtième siècle,


l’Europe fera de l’Afrique un monde. (Applaudissements.)

Refaire une Afrique nouvelle, rendre la vieille Afrique maniable à la civilisation,


tel est le problème. L’Europe le résoudra.

Allez, Peuples! emparez-vous de cette terre. Prenez-la. À qui? à personne.


Prenez cette terre à Dieu. Dieu donne la terre aux hommes, Dieu offre l’Afrique
à l’Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apportez la
concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue; non pour le
sabre, mais pour le commerce; non pour la bataille, mais pour l’industrie; non
pour la conquête, mais pour la fraternité. (Applaudissements prolongés.)

Versez votre trop-plein dans cette Afrique, et du même coup résolvez vos
questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires. » -Victor Hugo,
lors d'un banquet commémoratif de l’abolition de l’esclavage, 18 mai 1879.

« La littérature de combat, c’est le poète dans la cité. Et le poète, avec le


romantisme, s’y installa puissamment. Rien de civique n’est étranger à
Lamartine et à Hugo. Tous deux aspirent à la fonction de chefs, de guides
politiques. Là sont les parties mâles de leur poésie. Rien n’est au-dessus des
grandes odes politiques de l’un, nationales de l’autre. Poésie de combat, c’est-
à-dire poésie tantôt d’attaque, comme la Curée, tantôt de défense, comme À
Némésis. Mais toujours la poésie passe comme un air bruissant et pur dans les
poumons respirant de l’histoire. Le 2 décembre fait de Victor Hugo le grand
poète de combat de la France, et probablement de tous les temps. » -Albert
Thibaudet, Les Romantiques et les Parnassiens de 1870 à 1914, La Revue de
Paris, 1933.

« Victor Hugo, gloire littéraire nationale s’il en fut, a été traîné dans la boue
par toute la presse versaillaise, non pas pour avoir soutenu la Commune, mais
pour s’être indigné des excès de la répression. Victor Hugo échappe à la haine
vulgaire dominante et se désole de la déchirure dans le corps social de la nation
française. » -José Chatroussat, « La haine du prolétariat par les classes
dominantes », Variations [En ligne], 15 | 2011, mis en ligne le 01 février 2012,
consulté le 24 octobre 2017.

1306
« Quand on se figure ce qu’était la poésie française avant qu’il apparût, et quel
rajeunissement elle a subi depuis qu’il est venu ; combien de sentiments
mystérieux et profonds, qui ont été exprimés, seraient restés muets ; combien
d’intelligences il a accouchées, combien d’hommes qui ont rayonné par lui
seraient restés obscurs, il est impossible de ne pas le considérer comme un des
ces esprits rares et providentiels qui opèrent, dans l’ordre littéraire, le salut de
tous, comme d’autres dans l’ordre moral et d’autres dans l’ordre politique. »

-Charles Baudelaire, à propos de Victor Hugo, notice de 1861.

"L'un des griefs les plus tenaces de Baudelaire à l'égard de Hugo est sa
prétention à vouloir délivrer un enseignement par la poésie." (p.975)

"Cela n'empêche pas Baudelaire dans sa correspondance d'être très élogieux, et


très sincèrement élogieux, pour la Légende des Siècles." (note 31 p.976)
-Pierre Laforgue, « Baudelaire, Hugo et la royauté du poète: le romantisme en
1860 », Revue d'histoire littéraire de la France, 1996/5 (no 96), p. 966-982.
URL : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-1996-5-
page-966.htm

« Victor Hugo : ou le Phare de l’océan du non-sens. » -Nietzsche, Le Crépuscule


des idoles.

« Victor Hugo : riche et plus riche en trouvailles pittoresques, avec des yeux de
peintre qui regardent le visible, tout le visible, sans goût ni discipline, de façon
plate et démagogique, sur le ventre, comme un esclave, devant tous les mots qui
sonnent, un flatteur public, avec ce ton d’évangéliste pour défendre tous ceux
qui occupent le bas, les ratés, les opprimés, mais sans la moindre idée ce que
peut être la conscience intellectuelle et la grandeur du petit nombre. Son esprit
agit sur les Français à la manière d’une boisson alcoolique : il enivre et rend
bête. Son bavardage assourdissant vous met tout de plein les oreilles : et l’on
souffre comme dans un train qui traverse un tunnel. » -Nietzsche, Œuvres
philosophiques complètes, volume X, p.300-301.

« Un vieillard conformiste, révolutionnaire contre l'Empire, niaisement


humanitaire, patriote sur ses vieux jours et en fait exclusivement bourgeois, qui
a laissé en tout et pour tout une petite douzaine de poèmes à apprendre dans les
lycées. » -Antonin Artaud, à propos de Victor Hugo, août 1934.

1307
« Je ne crois pas à la descendance de Victor Hugo. Il emportera le romantisme
avec lui, comme une guenille de pauvre dans laquelle il s'est taillé un manteau
royal. » -Émile Zola.

« Quant à Hugo, vers 1860, il était, avec toute sa gloire, assez généralement
incompris. [...] L'opinion cultivée allait s'écarter d'un poète qu'elle pensait
connaître et à qui les critiques autorisés (Faguet, entre autres) allaient
reprocher, en toute naïveté et par un malentendu portant sur l'essence même de
la poésie, et de n'avoir pas d'idées, ou d'avoir les idées de tout le monde. » -
Marcel Raymond, De Baudelaire au surréalisme. Essai sur le mouvement
poétique contemporain, Paris, Éditions R. -A. Corrêa, 1933, 413 pages, p.15.

« La médiocrité même, la quasi-nullité de la « pensée » de Hugo, démontrait son


affinité avec une bêtise, humaine sans doute, mais plus particulièrement
française. » -Pierre Boutang, Maurras, La Destinée et l’œuvre, La Différence,
p.265.

"My school of writing is romantic realism: "romantic" in that I present man as


he ought to be ; "realistic" in that I place men here and now on this earth, in
terms applicable to every rational reader who shares these values and wants to
apply them to himself. It's realistic in that it's possible to man and applies to this
earth ; it's romantic in that it projects man and values as they ought to be, not as
stastical averages.
The writer I consider my closest ancestor literarily is Victor Hugo. He is a
romantic writer who presented values as they apply to human life. He's one of
the few who [...] wrote a great novel in contemporary terms, Les Misérables.
Offhand i can't think of another romantic novel presented in realistic terms." -
Ayn Rand, Answers, New American Library, 2005, 241 pages, p.188.

« Les lecteurs modernes, en particulier les jeunes, qui ont été élevés avec le
genre de littérature à côté duquel Zola passe pour Romantique en comparaison,
doivent être avertis qu’une première rencontre avec Hugo pourrait être
choquante pour eux : c’est comme sortir d’un souterrain obscur, rempli de
gémissements de semi-cadavres purulents, vers un éclat de soleil aveuglant. […]
Critiquer Hugo sur le fait que ses romans ne traitent pas des lieux communs
quotidiens des vies moyennes, c’est critiquer un chirurgien pour le fait qu’il ne
passe pas son temps à éplucher les pommes de terre. Considérer comme une

1308
défaillance de Hugo le fait que ses personnages soient « plus grands que la vie »
équivaut à considérer comme une défaillance de l’avion le fait qu’il vole. […]

Un grand nombre de choses hors-sujet ont été dites et écrites sur ce roman. Au
moment de sa publication, en 1874, il n’a pas été favorablement accueilli par
l’énorme public de Hugo ou par les critiques. L’explication généralement
donnée par les historiens littéraires est que le public français ne sympathisait
pas avec un roman qui semblait glorifier la première révolution, à une époque
où le sang et les horreurs récentes de la Commune de Paris de 1871 étaient
encore frais dans la mémoire du public. Deux des biographes modernes d’Hugo
se réfèrent au roman comme suit : Matthew Josephson, dans Victor Hugo, le
mentionne comme une « romance historique » avec des « personnages idéalisés
» ; André Maurois, dans Olympio ou la Vie de Victor Hugo, énumère un certain
nombre de relations personnelles de Hugo avec le contexte de l’histoire (comme
le fait que le père de Hugo combattait en Vendée, du côté républicain). […]

La sympathie de Hugo pour l’exubérance gaie et bruyante des soldats


républicains va de pair avec sa sympathie pour l’entêtement sombre et
désespéré des paysans royalistes. L’emphase qu’il projette n’est pas : « Quelles
grandes valeurs pour lesquels les hommes se battent ! » Mais : « De quelle
grandeur les hommes sont capables, lorsqu’ils se battent pour leurs valeurs ! »
[…]

Hugo le penseur était un archétypique des vertus et des erreurs fatales du dix-
neuvième siècle. Il croyait en un progrès humain illimité et automatique. Il
croyait que l’ignorance et la pauvreté étaient les seules causes du mal humain.
Sentant une énorme et incohérente bienveillance, il était impatient d’abolir toute
forme de souffrance humaine et il proclamait des fins, sans penser aux moyens :
il voulait abolir la pauvreté, sans aucune idée sur la source de la richesse ; il
voulait que le peuple soit libre, sans aucune idée de ce qui est nécessaire pour
garantir la liberté politique ; il voulait établir la fraternité universelle, sans
aucune idée sur le fait que la force et la terreur ne l’établiraient pas. Il prenait
la raison pour acquise et ne voyait pas la contradiction désastreuse d’essayer de
la combiner avec la foi — bien que sa forme particulière de mysticisme n’était
pas de la variété orientale abjecte, mais était plus proche des fières légendes des
Grecs, et son Dieu était un symbole de la perfection humaine, qu’il adorait avec
une certaine confiance arrogante, presque comme un égal ou un ami personnel.
[…]
1309
Même si aucun autre artiste n’avait jamais projeté un univers aussi
profondément joyeux que le sien, il y a une touche sombre de tragédie dans tous
ses écrits. La plupart de ses romans ont des fins tragiques — comme s’il était
incapable de concrétiser la forme dans laquelle ses héros pourraient triompher
sur terre, et qu’il ne pouvait guère que les laisser mourir au combat, avec une
intégrité inébranlable comme seule affirmation de leur loyauté envers la vie ;
comme si, pour lui, c’était la terre, et non le ciel, qui représentait un objet de
désir, qu’il ne pourrait jamais atteindre ou gagner complètement. […]

Telle était la nature de son conflit : mystique dans ses convictions conscientes, il
était passionnément amoureux de cette terre ; altruiste, il adorait la grandeur de
l’homme, non ses souffrances, ses faiblesses ou ses maux ; avocat avoué du
socialisme, il était un individualiste farouchement intransigeant ; champion de
la doctrine d’après laquelle les émotions sont supérieures à la raison, il a atteint
la grandeur de ses personnages en les rendant tous superbement conscients,
pleinement conscients de leurs motivations et de leurs désirs, entièrement
focalisés sur la réalité et agissant en conséquence — de la paysanne de
Quatrevingt-Treize à Jean Valjean dans Les Misérables. Et c’est le secret de
leur propreté particulière, c’est ce qui donne à un mendiant la stature d’un
géant, cette absence d’irrationalité aveugle, de dérive stupide et floue ; c’est la
marque de tous les personnages de Hugo ; c’est aussi la marque de l’estime de
soi humaine. » -Ayn Rand, préface à une édition américaine de Quatrevingt-
Treize de Victor Hugo, publiée en 1962. Repris en chapitre dans The Romantic
Manifesto.

« Nous définirons la perspective du romantisme libéral comme celle qui, tout en


étant critique à l’égard du monde moderne bourgeois régi par la puissance de
l’argent, ne tire pas des conséquences radicales de cette critique, et se contente
d’appeler de ses vœux des réformes quelconques plutôt que que des
changements plus fondamentaux. Ces romantiques font donc leur paix, au moins
dans une certaine mesure, avec le statu quo, et ils reculent devant la perspective
de bouleversements sociaux. S’ils se réfèrent, comme les jacobins-démocrates, à
la Révolution et à ses valeurs, c’est plutôt à ses éléments les plus modérés, aux
Girondins plutôt qu’aux Jacobins. Le plus souvent leur inspiration
révolutionnaire s’exprime dans un registre sentimental, vague, mythique, et ils
ont tendance à laisser de côté la question de l’exploitation d’une classe par une
autre.

1310
Les romantiques libéraux ne sont pas à confondre, cependant, avec les libéraux
tout court. Chez ces derniers –par exemple chez un Victor Cousin ou un Paul-
Louis Courier en France, et chez les philosophes de l’ « Utilitarism » comme
Bentham en Angleterre- il manque totalement la dimension critique et la
nostalgie du passé qui caractérisent la vision romantique ; chez eux on trouve
tout simplement une célébration du nouvel ordre bourgeois et de sa victoire sur
les forces du passé. Les romantiques libéraux par contre, représentent une
contradiction étonnante : ils sont à la fois critiques et non-critiques vis-à-vis du
présent. A notre avis ce paradoxe peut s’expliquer par deux facteurs, l’un
historiquement contingent et l’autre essentiel au romantisme. En premier lieu,
ce type contradictoire surgit dans la situation historique du début du XIXème
siècle, et plus particulièrement de la Restauration en France ; dans ce contexte
il pouvait sembler que la source des maux du présent, et donc l’ennemi principal
à combattre, était non pas l’ordre bourgeois mais la réaction aristocratique et
tout ce qui restait de l’Ancien Régime. D’autre part, il manquait encore une
prise claire des nouvelles forces sociales en place, une conscience que le Tiers-
Etat avait éclaté en deux classes antagonistes. » (p.159)

« Malgré le fait qu’il était un véritable Protée politique, et que par certains
côtés il pourrait sembler se rapprocher des « jacobins-démocrates », ou même
d’un socialisme humanitaire, en général l’œuvre de Hugo –après la première
période monarchiste- nous semble correspondre précisément à ce phénomène
du romantisme libéral : lui pour qui l’écrivain devait exprimer pleinement son
époque, l’a exprimée justement par ses deux côtés contradictoires, non
seulement par la révolte mais aussi par l’intégration. » (p.161)

-Michael Löwy & Robert Sayre, « Figures du romantisme anti-capitaliste : une


tentative de typologie », L'Homme et la société, Année 1984, 73-74, pp. 147-
172.

"Des solutions libérales rejetées par la bourgeoise [...]

Victor Hugo [...] prône la suppression des droits de douane car il voit dans le
libre-échange un facteur d'amélioration des conditions de vie de la classe
ouvrière. En effet, il espère que l'ouverture des entreprises françaises à la
concurrence entraînera une baisse des prix des produits à la consommation et,
partant, une augmentation du salaire réel des ouvriers. C'est pourquoi il dit:
"Savez-vous ce qui sort de vos lois protectionnistes ... ? La misère !"

1311
Cependant, la baisse des prix liées à l'augmentation de la production et à
l'ouverture sur la concurrence ne peut entraîner une augmentation des salaires
réels que si elle ne provoque pas une baisse des salaires nominaux.
Pour ce faire, Victor Hugo est favorable à la suppression de la fiscalité
indirecte, qui touche à la consommation. "Abolissez en outre ces impôts de
consommation". En effet, la suppression des impôts sur la consommation crée
pour les entreprises une marge supplémentaire qui leur permet de conserver le
même niveau de profits malgré une baisse des prix non compensée par la baisse
des salaires des ouvriers.
La suppression des impôts indirects nécessite évidemment la suppression de
certaines dépenses publiques, ce qui, aux yeux de Victor Hugo, implique une
réduction des budgets militaires par la suppression des armées de métier et leur
remplacement par des milices populaires chargées uniquement de défendre le
territoire. [...]
Pour réduire les dépenses publiques inutiles, Victor Hugo prône aussi la
séparation de l'Eglise et de l'Etat. "Vous pourriez, comme les Etats-Unis
d'Amérique, laisser rétribuer chaque culte par ses fidèles".
Ainsi, Victor Hugo dénonce la mauvaise gestion des budgets publics comme
source de misère et de pauvreté." (p.194-195)

"Si aujourd'hui, on peut s'étonner de voir un homme de gauche défendre des


solutions libérales, la question ne se posait pas du tout dans les mêmes termes
au dix-neuvième siècle.
A l'époque de Victor Hugo, le libéralisme, tant politique qu'économique,
entendu comme volonté de limiter l'emprise de l'Etat, se situe avant tout à
gauche. Même l'évolution droitière des orléanistes à partir de 1830 ne remet
pas en cause l'orientation à gauche du libéralisme. En effet, l'orléanisme n'est
pas tout le libéralisme: il en représente seulement la frange la plus
conservatrice. [...] à gauche, les républicains se battent pour ces idées libérales
que sont la liberté de la presse, le droit syndical et le droit de grève." (p.198-
199)

"Hugo voit dans le capitalisme le seul système qui permet de produire


efficacement les richesses." (p.200)

"On a rarement vu, dans toute la littérature française, un tel éloge de


l'entreprise. M. Madeleine, c'est le self-made man qui réalise le rêve américain.
C'est celui qui, parti de rien, réussit à fonder un empire qui lui permet de
1312
gagner des millions et qui profite à l'ensemble de la société.
Beaucoup de commentateurs des Misérables ont écrit que Jean Valjean réussit à
surpasser le niveau moral de son mentor, l'évêque de Digne. En effet, ce dernier
ne crée pas la richesse: il se contente de la redistribuer. Valjean, lui, crée la
richesse et la redistribue. Son entreprise a pu créer une dynamique de
croissance qui lui permis de multiplier les sommes à redistribuer en gagnant
beaucoup d'argent.
Ici, il y a une différence capitale entre l'extrême-gauche et Victor Hugo. En
effet, à ses yeux, la redistribution, qui est nécessaire, ne doit pas être comprise
comme le point de départ d'une volonté de nivellement social et de confiscation
de la propriété des riches. [...]
Défense de l'esprit d'entreprise, apologie de l'innovation, réhabilitation du profit
comme instrument nécessaire à une croissance sans laquelle aucune lutte contre
la misère n'est possible, ce sont là autant de thèmes du libéralisme économique."
(p.204)

-Pascal Melka, Victor Hugo, un combat pour les opprimés. Étude de son
évolution politique, La Compagnie Littéraire, 2008, 543 pages.

« Le romantisme français avec Hugo et sa Préface de Cromwell (1827) se


convertit à la liberté de l'individu et à la liberté des nations. » -Nicolas
Roussellier, L'Europe des libéraux, Éditions Complexe, 1991, 225 pages, p.33.

« Navire maudit, proprement infernal, il est l’emblème d’un XIXe siècle qui a
trahi la mission historique qu’il avait reçue de la Révolution française en se
faisant l’agent du mal, en l’occurrence le colonialisme qui est très clairement
dénoncé dans l’entreprise guerrière du Léviathan. Aussi Hugo, dans sa volonté
de sauver l’histoire sans que celle-ci soit entachée par un XIXe siècle qui a failli
à sa mission historique, présente-t-il ce bateau comme un débris du passé, et en
aucune façon comme une image positive du progrès. Littéralement le progrès est
au fond de l’eau. Pour des raisons extrêmement complexes, qui touchent à
l’économie idéologique et politique de La Légende des Siècles, Hugo a fait
naufrager dans ce poème la prophétie euphorique qui était délivrée dans Le
Satyre. L’examen de ces raisons n’entrant pas directement en ligne dans notre
exposé, nous les laisserons de côté, insistant plutôt sur le fait que la révolution
technique des temps modernes se révulse en archaïsme mythologique, au regard
d’un observateur qui se place au XXe siècle pour apprécier l’œuvre du XIXe. La
mythologie ici, à la différence de qui se passait dans Le Rhin ou dans
1313
Melancholia, ne concourt pas seulement à donner une représentation littéraire
d’une réalité que sa nouveauté fait échapper précisément à la représentation,
elle a un enjeu idéologique : elle désigne un régime historique dépassé, celui du
mythe qui ne participe pas de l’histoire, celle que Hugo dans William
Shakespeare appellera « l’histoire réelle » qui relève d’une historicité non-
historique, exactement préhistorique. Il est à nos yeux capital que cette réalité
industrielle et technique soit complètement tournée par Hugo du côté de
l’archaïque, et non pas du moderne. Ce n’est pas du tout, précisons-le, réflexe
passéiste et rétrograde de la part de Hugo face au modernisme ; cela exprime
bien plutôt la conscience des limites d’un tel progrès, mis au service
d’ambitions qui n’ont rien de progressistes. « Ce sinistre vaisseau les aidait
dans leur œuvre », est-il écrit à propos des hommes du XIXe siècle ayant «
imaginé de s’entre-dévorer », en réduisant en esclavage leurs semblables.
Quelle mélancolie est à l’œuvre dans cette vision des choses ? Elle est d’une
nature philosophique, mais pas affective. La mélancolie est dans le regard
amont que porte Hugo sur tout un XIXe siècle technicien et prométhéen, elle est
dans la vision de ruine sur laquelle s’ouvre le poème, et où est offert le tableau
hideux du navire du progrès à l’état d’épave, comme elle est dans le mouvement
final du poème. »

« C’est aussi sur le mode de la mélancolie que gagnent à s’appréhender Les


Travailleurs de la mer, écrits en 1864-1865, où se reformulent, l’espace de tout
un roman, bon nombre de questions posées dans Pleine Mer. La narration a
pour objet le sauvetage de la machine d’un bateau à vapeur, la Durande , en
plein milieu de l’archipel de la Manche, dans les années 1820. Apparemment on
est en présence d’un grand roman technicien, à la gloire de la machine à
vapeur, et les choses dans les tout premiers chapitres sont parfaitement claires,
elles s’organisent selon des oppositions tranchées : le progrès/l’obscurantisme,
les lumières/les ténèbres, la science/l’ignorance, etc. Hymne à la modernité,
dans ces conditions ? pas vraiment. Le bateau lui-même est un « devil boat »,
entretenant une inquiétante relation avec le « devil fish » qu’est la pieuvre.
Quant au sauvetage de la machine à vapeur, il est effectué non par la science,
mais grâce au bricolage, et le bricoleur de génie qui réalise cet exploit est
moins un technicien qu’un artisan chez qui se conjuguent le talent du forgeron
et celui de l’alchimiste. Gilliatt, c’est son nom, est un Goliath égaré au XIXe
siècle, un être appartenant au monde du mythe, et que Hugo définit comme un «
Job Prométhée », et s’il est qualifié de malin, c’est moins en raison de son
1314
astuce bricoleuse que de ses accointances supposées avec le Malin. Bref, il
appartient au monde du mythe, de la légende, de l’épopée, il appartient à une
sorte d’Urwelt, qui n’a pas grand-chose à voir avec le monde moderne ; il est le
témoin archaïque d’un ordre des choses qui est aujourd’hui anachronique. Et
pourtant, c’est à lui que revient de remettre le progrès en route, en sauvant la
machine emblématique de ce progrès. Tout se passe comme s’il fallait
emprunter la voie d’une espèce de régression historique et plus encore
philosophique pour penser le progrès. Cela est rendu de façon très visible par le
fait que toute la réflexion sur la science et la technique qui se déploie dans la
première partie du roman est doublée dans la deuxième par de longs
développements sur le songe et sur la rêverie, c’est-à-dire sur ce qui est le plus
étranger au modernisme qui peu à peu s’impose. Le songe, la rêverie
représentent tout ce que le modernisme machiniste et bientôt industriel va faire
disparaître. L’intéressant est que les deux paradigmes de l’archaïsme et du
modernisme coexistent dans le roman. » -Pierre Laforgue, « Machinisme et
industrialisme, ou romantisme, modernité et mélancolie. Quelques jalons (1840-
1870) », Revue d'histoire littéraire de la France, 2003/1 (Vol. 103), p. 63-92.

http://academienouvelle.forumactif.org/t6229-myriam-roman-ce-cri-que-nous-
jetons-souvent-le-progres-selon-hugo#7341

http://groupugo.div.jussieu.fr/Groupugo/Textes_et_documents/Laforgue_Politiq
ue%20de%20Hernani.pdf

https://www.amazon.fr/Hugo-Henri-
Guillemin/dp/2020210126/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1499293863&s
r=1-1&keywords=Henri-Guillemin-Hugo

https://www.amazon.fr/Choses-vues-Victor-
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-1&keywords=victor+hugo+choses

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Renouvier/dp/2706815795/ref=sr_1_11?ie=UTF8&qid=1452856133&sr=8-
11&keywords=charles+renouvier

1315
Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869): « Je puis goûter une œuvre, mais
il m’est difficile de la juger indépendamment de la connaissance de l’homme
même. » -Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, 22 juillet 1862.

Charles-Marie Leconte de Lisle [prononcé « l’île »] (1818 – 1894): « Vous


vivez lâchement, sans rêve, sans dessein,

Plus vieux, plus décrépits que la terre inféconde,

Châtrés dès le berceau par le siècle assassin

De toute passion vigoureuse et profonde.

Votre cervelle est vide autant que votre sein,

Et vous avez souillé ce misérable monde

D'un sang si corrompu, d'un souffle si malsain,

Que la mort germe seule en cette boue immonde.

Hommes, tueurs de Dieux, les temps ne sont pas loin

Où, sur un grand tas d'or vautrés dans quelque coin,

Ayant rongé le sol nourricier jusqu'aux roches,

Ne sachant faire rien ni des jours ni des nuits,

Noyés dans le néant des suprêmes ennuis,

Vous mourrez bêtement en emplissant vos poches. » -Charles-Marie Leconte de


Lisle, « Aux modernes », in Poèmes barbares (1862).

« Leconte de Lisle dans une lettre datée du 30 avril 1848 affirmait :

« Que l’humanité est une sale et dégoûtante engeance. Que le peuple est
stupide ! C’est une éternelle race d’esclaves qui ne peut vivre sans bât et sans
joug. »

Et un an plus tard, le 7 septembre 1849 il récidive en exprimant sa méfiance


d’artiste :

1316
« Comment l’artiste ne voit-il pas que tous ces hommes voués aux brutalités de
l’action, aux divagations banales, aux rabâchages des mesquines et pitoyables
théories contemporaines ne sont pas pétris du même limon que le sien ? ». »

-Georges Buisson, « Artiste, la société a besoin de toi ! », Revue d'histoire du


XIXe siècle [En ligne], 47 | 2013, mis en ligne le 31 décembre 2016, consulté le
13 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rh19/4549 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/rh19.4549

« Leconte de Lisle (1818-1894), figure dominante du mouvement parnassien,


était connu non seulement pour ses convictions républicaines, mais aussi pour
ses dénégations religieuses ; il a en effet composé des poèmes qui expriment son
athéisme. » -Jacqueline Lalouette, "De quelques aspects de l’athéisme en France
au XIXe siècle", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [Online], 87 |
2002, Online since 01 April 2005, connection on 11 February 2021.
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

http://hydra.forumactif.org/t4265-leconte-de-lisle-catechisme-populaire-
republicain-autres-oeuvres#5138

Lautréamont (1846-1870): « Il n’y a rien d’incompréhensible. » -Lautréamont,


Poésie II, 1870.

« A-t-il fallu qu'il adorât la Beauté, ce poète englouti dans les ténèbres, pour
l'insulter avec tant de soin, pour s'ingénier, comme il le fait, tout le long de son
livre, à en dénaturer les formules ! » -Léon Bloy, à propos de Lautréamont.

« Innombrables variétés d’irrationalisme ou d’anti-rationalisme qui ont pu


proliférer et attirer invariablement, tout au long du xxe siècle, l’attention de
ceux qu’Isidore Ducasse appelait plaisamment en son temps (et dans un
contexte certes historiquement mais non pas substantiellement si différent) les «
Grandes Têtes Molles ». » -François Clementz, Métaphysique du rationalisme,
rationalité de la métaphysique, in Claudine Tiercelin (dir.), La reconstruction de
la raison.

« L’usage du chant concerne, comme on sait, le genre épique traditionnellement


ainsi divisé de l’Odyssée d’Homère au Don Juan de Byron. Ducasse affiche le
genre dont il se veut capable (coupable ?) non par provocation, mais parce que
cette matière lui paraît la plus apte à exprimer ce qu’il cherche à dire, en
1317
utilisant des normes préfixées, parfaitement en accord avec son programme. Il
sera, par conséquent, question d’un personnage principal méritant le
qualificatif de héros et d’une action de grande envergure (quoiqu’infiniment
diversifiée) impliquant un théâtre cosmique et une étendue hiérarchisée
embrassant le ciel, la terre, les régions inférieures. Comme dans l’épopée
classique se voient plusieurs intrigues terrestres où des êtres humains divins ou
infernaux interviennent. Ducasse s’est donné comme point de départ une lutte
contre le créateur – ce qui, bien entendu, transforme les règles de l’épopée
classique qui, elle, en principe, ne s’attaque pas aux dieux, mais les montrent
attentifs aux manœuvres humaines qu’il leur arrive de soutenir ou de défaire, du
haut de leur empyrée. Le cadre choisi répond donc à un genre de la plus haute
antiquité. Il suppose toutefois son adaptation dans l’ère moderne, et c’est à n’en
pas douter dans cette transformation que Ducasse a trouvé des garanties pour
construire son œuvre. En un mot, les références qui nous interpellent à première
vue, l’Iliade ou l’Énéide, sont dévoyées. Nous ne les retrouvons pas chez lui et
nous devons nous aventurer plus délibérément dans les « suites » historiques de
l’épopée telle qu’elle se continua et ne cessa de se continuer sous la plume de
Dante (1303-1319), Camoens (1572), l’Arioste (1516), le Tasse (1581), Milton
(1667-1674), Klopstock (1748), pour s’achever, en période romantique, sans
avoir vraiment perdu de son énergie, avec Byron, Chateaubriand, Lamartine et
le Hugo de La Légende des siècles (1859). »

« On chercherait avec difficulté des références païennes dans le cours des


Chants, même si on devine qu’elles ne sont jamais loin. Les grandes figures de
la Fable n’y sont présentes que par de rares allusions, tant son univers ne peut
être que celui du christianisme, fort approprié pour qu’il y enfonce plus
fougueusement et à meilleur escient le coin de ses blasphèmes. Il n’annonce
donc nullement le courant mythologique, dont le Parnasse athée allait ouvrir
grandes les écluses, et sa connaissance d’un Leconte de Lisle, effective ailleurs ,
n’opère pas à cet endroit, les Parnassiens ne souhaitant pas donner une suite à
l’épopée (formelle), bien que leurs poèmes, parfois vastes et graves, se soient
articulés au milieu épique qu’ils connaissaient dans ses moindres détails. Leur
univers, s’il conçoit une reconstitution archéologique, garde la plupart du temps
son artistique impassibilité. »

« La tyrannie supérieure de Dieu est méprisée, vue des profondeurs, par le


regard rebelle de Maldoror, et Maldoror du fond de l’abîme signifie la fierté
1318
quasi triomphante de celui qui se raille du despote qui cruellement le
surplombe. »

« Le sublime tient à l’ampleur cosmique de ce « Grand Combat » qui ne cesse


d’opposer des êtres plus qu’humains, individus intermédiaires, êtres de
transformations infinies, animaux quasi totémiques. Car Ducasse nous place
dans un climat de constantes métamorphoses. Il cherche à signifier la variabilité
des figures qu’il nous présente. Celles-ci, incarnations momentanées du Mal ou
du Bien, évoluent dans un univers instable, à la limite du cauchemar. Le jamais
vu ou l’inouï apparaissent par le truchement d’entités souveraines ou
dégradées. Au-delà des allégories, des symboles, Ducasse forge sa mythologie
et sa tératologie en toute connaissance des prédécesseurs auxquels il emprunte,
en bouleversant, en révulsant, en inversant, pour créer offensivement la
stupéfaction (et non pas la « terreur ou la pitié ») du lecteur. Il réutilise à sa
façon les grandes machines épiques, revisite les monstres, met en circulation
des animaux aussi attirants ou répulsifs que la Chimère ou l’Hippogriffe de
jadis. C’est l’occasion pour lui de ranimer un matériel caduc qu’il relativise
avec fougue au nom d’un nouveau merveilleux, celui sur lequel Chateaubriand
avait médité avec une admirable ardeur théorique dans son Génie du
christianisme. De là l’estimation qu’en firent les surréalistes, sans
nécessairement percevoir ce que Ducasse devait à toute une tradition dont il
était particulièrement informé. »

« Dans un véritable va-tout, Ducasse, tout à la fois rétrograde et gyroscopique,


s’était voué à un genre en pleine obsolescence ; mais à ses yeux le monde (dont
on disait que le roman était le seul habilité à l’exprimer désormais) n’était en
fait, qu’une apparence, explicable, en dernière analyse, par des forces morales
agissantes, l’ensemble des contradictions par lesquelles s’exprime le Mal. » -
Jean-Luc Steinmetz, « L’épopée Maldoror », Romantisme, 2016/2 (n° 172), p.
79-88.

La guerre américano-mexicaine (1846-1848) : https://www.amazon.fr/Story-


Mexican-Robert-Selph-1989-03-
22/dp/B01K3J0AP2/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1499886613&sr=1-
1&keywords=Robert+Selph+Henry%2C+The+story+of+the+Mexican+War

La guerre civile américaine (1861-1865) : « La guerre civile américaine fut la


première des guerres mécaniques. Elle amorça la pompe de la fortune pour

1319
ceux qui fournissaient les lubrifiants et les solvants destinés aux usines
d'armement, aux chemins de fer, aux pièces d'artillerie ou encore aux rouages
des premiers navires de guerre cuirassés. En février 1865, au cours de la
bataille de Welmington (Caroline du Nord), à l'issue de laquelle tomba le
dernier port en eaux profondes contrôlé par les confédérés, l'armée nordiste
était capable de faire pleuvoir une centaine d'obus à la minute. » -Matthieu
Auzanneau, Or Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La
Découverte/Poche, 2016, 881 pages, p.31.

http://hydra.forumactif.org/t2020-karl-marx-oeuvre#4548

Ulysses S. Grant (1822-1885) : https://www.amazon.fr/Man-Who-Saved-


Union-
Ulysses/dp/0307475158/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=14998
86181&sr=1-1

Robert E. Lee (1807-1870) : http://www.amazon.fr/Robert-E-Lee-Vincent-


BERNARD/dp/2262040982/ref=pd_sim_14_18?ie=UTF8&dpID=515Jfhrqs0L
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=0BGFHC2FBX
FMA6W8FB1T

http://www.amazon.fr/guerre-S%C3%A9cession-1861-1865-James-
McPherson/dp/2221067428/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=51d7Co-
sWbL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR106%2C160_&refRID=0PKPYB
N9J9C2CKDX65G2

Abraham Lincoln (1809-1865): https://www.amazon.fr/Lincoln-Stephen-B-


Oates/dp/2702894712/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1474314646&sr=1-
1&keywords=Philippe-Delamare-Lincoln

Thaddeus Stevens (1792-1868): “He never flattered the people; he never


attempted to deceive them, he never courted and encouraged their errors. On
the contrary, on all occasions he attacked their sins, he assailed their
prejudices, he outraged all their bigotries; and when they turned upon him and
attacked him he marched straight forward, like Gulliver wading through the
fleets of the Lilliputians, dragging his enemies after him into the great harbor of
truth. » (épitaphe de Thaddeus Stevens).

La Grande-Bretagne du premier tiers du 19ème: « L’année 1815 constitue


pour la Grande-Bretagne un moment de triomphe : sa victoire sur la France
1320
marque la défaite définitive de son « ennemi héréditaire », dans le conflit qui les
oppose depuis le règne de Louis XIV, et que certains historiens considèrent
comme une « deuxième guerre de Cent Ans » à plus petite échelle, Waterloo
marque au moins la fin des French Wars (les guerres révolutionnaires et
impériales) débutées avec la déclaration de guerre de la France à la Grande-
Bretagne le 1er février 1793, et qui n’avait connu qu’une courte interruption de
quatorze mois après la signature de la paix d’Amiens (25 mars 1802). Pendant
tout le conflit, la Grande-Bretagne n’a cessé d’être l’âme des coalitions
européennes montées contre la Révolution, puis contre Napoléon.

Ayant éliminé la France, la Grande-Bretagne se retrouve en 1815 au rang de


principale puissance militaire d’Europe. Plus de vingt ans de guerre l’ont
poussée à se doter en la matière des moyens les plus importants de son histoire.
De 40 000 en 1793, l’armée britannique est passée à 250 000 soldats en 1813.
Cette armée a été profondément réformée et modernisée par le duc d’York, son
commandant en chef de 1795 à 1809 : la formation des officiers, les conditions
de vie (rations alimentaires, logements, protection sanitaire), l’organisation des
troupes et leurs mouvements tactiques ont été améliorées. Pour pallier les
problèmes chroniques de recrutement, on a recours aux soldats étrangers, qui
représentent en 1813 un cinquième de l’effectif total (52 000 hommes). En dépit
de ces difficultés de recrutement, l’efficacité de l’armée britannique n’est plus à
prouver : avec seulement quelques dizaines de milliers d’hommes (32 000 en
1808, 60 000 en 1813 dont moins de 43 000 véritablement aptes au combat),
épaulés il est vrai par des soldats portugais et la guérilla carliste, le général
Wellesley, futur duc de Wellington, a tenu tête en Espagne à 200 000 soldats de
la Grande Armée, reconquis l’ensemble de la Péninsule et envahi le Sud-Ouest
de la France jusqu’à Toulouse. De Vitoria, en Espagne (21 juin 1813), à
Waterloo, en Belgique (22 juin 1815), où Wellington tient tête à Napoléon
jusqu’à l’arrivée des Prussiens de Blücher, l’armée britannique s’est couverte
de gloire lors de plusieurs batailles terrestres victorieuses.

C’est surtout la Royal Navy qui constitue la force du Royaume-Uni. Le souvenir


de la bataille de Trafalgar (21 octobre 1805), au cours de laquelle fut tué
l’amiral Nelson, reste un sujet de fierté : elle a privé Napoléon de la maîtrise
des mers et compromis le projet de débarquement en Grande-Bretagne.
Renforcée par les French Wars, la flotte britannique atteint elle aussi des
proportions inédites. Devenue une véritable institution nationale au XVIIIe
siècle, elle a connu une longue ascension qui en fait, en 1815, la première du
1321
monde : 616 000 tonneaux, contre 228 000 à la marine française et 60 000 à
celle du roi d’Espagne. La domination de la flotte britannique, incontestée
depuis 1700 –date à laquelle elle rattrape puis dépasse celle du Roi Soleil- n’a
cessé de s’accentuer jusqu’aux French Wars. Les croiseurs, qui représentent
désormais près de la moitié des navires anglais (43% en 1810 contre 15% cent
ans plus tôt), étaient 264 en 1800, 390 en 1810. De 1791 à 1815, la Royal Navy
a construit 600 vaisseaux et en a pris 451 à l’ennemi (quand celui-ci n’en a
capturé que 84). De 85 000 en 1762, on est passé à 100 000 marins en 1804 et
145 000 à la fin de la guerre. Considérée comme « the Shield of Empire », la
marine fait l’objet depuis longtemps de toute l’attention des gouvernements
anglais, notamment en matière financière. Chaque année depuis le début des
French Wars, la Grande-Bretagne a dépensé plus de 15M£ (20 M en 1813), soit
deux fois plus que pendant la guerre de Sept Ans (1756-1763). L’effort
financier, humain, matériel est sans précédent et fait de la flotte britannique le
gendarme des mers. […]

Si le retour à la paix s’accompagne d’une importante vague de démobilisation


(235 000 soldats en 1815, 102 500 en 1828) ainsi que d’une restriction des
budgets (43 M£ pour l’armée en 1815, 10.7 M en 1820), la Grande-Bretagne
reste cependant après 1815 dans une position de puissance militaire et surtout
navale incontestable. » (p.33-34)

« La lutte […] fut aussi idéologique. A l’universalisme égalitariste et au


républicanisme inspirés des principes des Lumières, mis en avant par les
révolutionnaires français, les penseurs et propagandistes britanniques
opposèrent l’idée d’une société nécessairement inégalitaire (voir notamment les
Reflections on the Revolution in France d’Edmund Burke) et l’ancienneté du
modèle de la monarchie parlementaire. Ce modèle n’en constitue pas moins,
avant, pendant et après l’épisode révolutionnaire, une référence pour les
libéraux français. Certains monarchistes modérés, revenus d’émigration, ont
appris à connaître le fonctionnement de la constitution britannique, et
l’influence du bicamérisme anglais se ressent dans les prescriptions de la
Charte constitutionnelle de 1814. Le système politique britannique,
parlementaire et libéral, constitue bel et bien au XIXe siècle un modèle de
référence. » (p.38)

« L’Angleterre accueille d’ailleurs les chefs des mouvements libéraux proscrits


par la répression, et ce dès les années 1820. La population britannique prend
1322
souvent fait et cause pour eux. En juillet 1852, le Hongrois Lajos Kossuth est
accueilli en héros par les populations de Southampton et de Londres. Garibaldi,
lui, fait en avril 1864 une entrée triomphale dans la capitale britannique : il lui
faut six heures pour effectuer un trajet de 5km à travers la ville, où se presse un
public estimé à un demi-million de personnes. » (p.40)

« Au début du XIXème siècle, l’Etat britannique est fortement interventionniste.


Cette situation est liée à un double héritage. D’une part, la « deuxième guerre
de cent ans » qui a poussé le RU à mettre en place un Etat « militaro-fiscal »
capable de supporter l’affrontement permanent avec la France et d’assurer le
maintien du rang international du pays [Harling, 2001]. D’autre part, le modèle
mercantiliste, prégnant jusqu’au XVIIIe siècle, et vecteur d’une importante
régulation étatique : la législation est omniprésente dans l’activité, que ce soit
dans la production, l’organisation du travail, les flux de main-d’œuvre, le
commerce, l’émission de billets, l’activité entrepreneuriale… Le Royaume-Uni
reste par ailleurs, jusqu’au milieu du XIXe siècle, un pays protectionniste. Si le
marché intérieur est libre, le commerce extérieur reste entravé par une série de
barrières douanières parfois anciennes. Les Actes de navigation (Navigation
Laws), votés en 1651, 1660 et 1672, édictent que tout produit d’outre-mer
importé en Angleterre ou dans l’une de ses colonies ne peut l’être que sur un
bateau construit en Angleterre, appartenant à un armateur anglais et monté par
un équipage au moins à moitié anglais. Les privilèges des compagnies
maritimes, notamment l’East India Company, leur accordent le monopole du
commerce de certains produits, à l’exclusion de tout autre importateur. Afin de
protéger les secrets technologiques de l’industrie naissante, l’exportation des
machines est interdite en 1774, et ce jusqu’en 1842. Cet arsenal protectionniste
est encore renforcé en 1815 par le vote des Corn Laws (lois sur les blés), qui
instaurent des droits de douane élevés afin d’éviter la concurrence étrangère et
d’assurer aux propriétaires, comme aux exploitants, des prix soutenus et des
revenus élevés. L’Etat d’ailleurs y trouve aussi son intêret : les droits de douane
financent en effet le budget britannique à hauteur de 46%. Dans le même ordre
d’idées, afin de protéger l’industrie textile, l’importation de soies et de calicots
est interdite. » (p.45)

« Le budget du Royaume-Uni passe de 18 millions de livres à l’apogée des


Napoleonic Wars, à 67 millions en 1871. Mais avec l’enrichissement du pays, la
part de ce budget dans le produit national diminue en fait de 25 à 8% entre ces
deux dates. Durant la période, en dépit de l’engagement du Royaume-Uni dans
1323
treize guerres et 150 opérations militaires mineures, les dépenses militaires ne
cessent de diminuer (les affrontements ont surtout un cadre colonial, où le
rapport des forces est très nettement en faveur des Anglais). Ni la politique
coloniale, qui n’occupe que 6000 agents dans les années 1880, ni la politique
sociale, qui se met en place de façon très progressive, ni viennent grever le
budget. » (p.46)

« Les risques crées par l’industrialisation rendent nécessaire une intervention


protectrice de la puissance publique. Pour ce faire, une législation régulatrice
se maintient ou est crée. En limitant le temps de travail dans le textile, le
Factory Act de 1833 est un exemple de limites imposées aux patrons quant à
l’organisation de leur entreprise. » (p.46)

« La fiscalité directe ne cesse de s’alourdir, comme en témoigne la


pérennisation de l’income tax (impôt sur le revenu). Crée à titre temporaire en
temps de guerre en 1799, elle est supprimée en 1816. Peel la rétablit pour le
budget de 1843 (voté en 1842), à nouveau à titre provisoire, mais de fait, en
dépit du projet de Gladstone de le supprimer en 1874, elle devient définitive. »
(p.47)

« La stabilité de la monnaie est assurée par le monopole d’émission confié à la


Bank of England par le Banker Charter Act de 1844, et surtout la décision prise
en 1821d’adopter le Gold standard, l’étalon-or, qui facilite la circulation
monétaire internationale. » (p.49)

« L’année 1846 marque pour beaucoup d’historiens l’entrée du Royaume-Uni


dans une « ère libérale ». Le libéralisme économique britannique est pourtant
loin d’être parfait. » (p.50)

-Sylvie Aprile & Michel Rapoport (dir.), Le monde britannique. 1815-(1914)-


1931, Atlande, coll. Les clefs concours – Histoire contemporaine, 2010, 571
pages.

L’ère victorienne (1837-1901) : « The history of the Victorian Age will never
be written; we know too much about it. For ignorance is the first requisite of the
historian--ignorance,which simplifies and clarifies, which selects and omits,
with a placid perfection unattainable by the highest art. Concerning the Age
which has just passed, our fathers and our grandfathers have poured forth and
accumulated so vast a quantity of information that the industry of a Ranke

1324
would be submerged by it, and the perspicacity of a Gibbon would quail before
it. It is not by the direct method of a scrupulous narration that the explorer of
the past can hope to depict that singular epoch. If he is wise, he will adopt a
subtler strategy. He will attack his subject in unexpected places; he will fall
upon the flank, or the rear; he will shoot a sudden, revealing searchlight into
obscure recesses, hitherto undivined. He will row out over that great ocean of
material, and lower down into it, here and there, a little bucket, which will bring
up to the light of day some characteristic specimen, from those far depths, to be
examined with a careful curiosity. » -Lytton Strachey (1880-1932), Preface to
Eminent Victorians, 1918.

“Trop d’entre nous sont enclins à situer notre âge d’or dans le passé… Presque
tout le monde s’accorde dans un consentement commun à dévaluer et insulter le
present. Nous avouons que ne pouvons partager leur deception ni faire écho à
leurs plaintes. Nous considérons le passé avec respect et affection car c’est le
passage qui nous a permis d’atteindre la position élevée et avancée qui est en
fait la nôtre et du Futur, nous espérons la réalisation de ces rêves, presque de
perfection, auxquels une comparaison du Passé avec le Présent nous permet de
nous laisser aller. Mais nous ne voyons aucune raison d’être mécontents du
rythme de nos progrés ni du stade reel auquel nous sommes parvenus […]

Peut-être la meilleure façon de nous render compte […] des progress reels
accomplish au cours du demi-siècle serait-elle de nous imaginer soudainement
transportés en l’an 1800, avec toutes nos habitudes, nos espoirs, nos exigences
et notre niveau de vie reposant sur les superflus et les dispositifs rassemblés
autour de nous en 1850.

En l’an un du siècle, nous en serions à manger du pain à 1 shilling 10 ½ pence


les quatre livres, et ceux qui n’en auraient pas les moyens seraient réduits à la
portion congrue, à l’abstinence totale ou à quelque substitute de misère. Nous
maugréerions contre les lourds impôts frappant le necessaire et le superflu de
l’existence -même le sel ; nous maudirions le prix élevé du café, du thé et du
sucre, qui rendaient ces articles, même produits en abundance, accessibles
seulement aux classes riches et aisées de la société ; nous paierions quatre fois
plus cher nos chemises de lin, trois fois nos jupons de flanelle et plus de cinq
fois plus cher nos mouchoirs et bas de coton ; nous recevrions nos journaux
rarement… et certains jours bien après la date de parution ; nous recevrions à
Londres les lettres postées à Edimbourg une semaine après et paierions treize
1325
pence et demi à la remise ; nous échangerions l’instanténéité du télégraphe
pour la lenteur du coûteux cabriolet express ; nous voyagerions en diligence,
fatigues et meutris, à la vitesse de sept miles à l’heure, au lieu de cinquante par
le Great Western ; et nous régresserions de l’éclat de la lumière que le gaz
diverse dans nos rues à l’obscurité dangereuse et inconfortable percée à
intervalles espacés par quelques malheureuses lampes à huile.

Mais tout ceci ne représenterait ni la totalité ni le pire de cette descente en


barbarie.

Nous trouverions nos lois criminelles dans un état digne de Dracon ; des
executions par douzaines ; le vol de cinq shillings passible de sanctions et puni
aussi aisément que le viol et le meurtre ; l’esclavage et la traite des esclaves
florissant dans leur plus glorieuse atrocité. Nous trouverions la liberté
individuelle à son plus bas ; la liberté de parler et d’écrire entravée par la peur
et souvent par le danger ; les droits religieux foulés aux pieds ; les catholiques
esclaves et non citoyens ; les dissidents toujours exclus et méprisés. Le
Parlement n’était pas réformé ; la corruption flagrante et éhontée ; les
gentlemen buvaient une bouteille quand ils boivent maintenant un verre et
mesuraient leur capacité au nombre de coupes ingurgitées et la médaille de la
temperance était une chose à laquelle nul ne songeait. Finalement, on pensait
bien peu aux gens à cette époque, alors que maintenant ils constituent le
principal sujet de débat et d’action politique ; les bateaux à vapeur étaient
inconnus et une traversée vers l’Amérique prenait huit semaines au lieu de dix
jours ; et tandis qu’en 1850 une population de près de 30 000 000 millions
d’habitants payait 50 000 000 de livres d’impôts, en 1801, une population de
15 000 000 ne payait pas moins de 63 000 000.” -The Economist, 18 janvier
1851, cite dans Alain Jumeau, L’Angleterre victorienne.

« A aucun moment Londres ne détourne ses regards du vieux continent. Sa


sécurité repose sur l’équilibre des puissances (balance of powers) et sa
diplomatie attache autant d’importance à empêcher l’émergence d’une
superpuissance en Europe qu’à protéger l’Empire ottoman, la Méditerranée
orientale et la route des Indes des ambitions de la Russie. » (p.14)

"[La Révolution industrielle] a commencé dès le XVIIIe siècle, stimulée par une
série de facteurs favorables.
1326
1.1. Les facteurs techniques.

Les ressources minières. - Le Royaume-Uni dispose d'abondantes réserves de


charbon. La production, qui est de 11 millions de tonnes en 1800, atteint 100
millions de tonnes en 1865. En 1870, la Grande-Bretagne produit les deux tiers
du charbon mondial: 112 millions de tonnes, contre 26 à l'Allemagne, 13 à la
France et 10 aux Etats-Unis. En 1897, le Royaume-Uni est dépassé par ces
derniers, mais, avec 229 millions de tonnes en 1900, sa production est encore le
tiers de la production mondiale, qui est de 696 millions de tonnes. Cette part
tombe au quart en 1913 avec 292 millions de tonnes. Le retard de la France sur
son puissant voisin s'explique en partie par le manque de charbon: 4.5 millions
de tonnes en 1850 et 13.5 millions en 1869.
Dès le début du XIXe siècle se développe une "Angleterre noire", celle des mines
et des usines, de la métallurgie et de la chimie, des "gueules noires" et des
ouvriers […] L'insalubrité des villes industrielles, désormais privées de leur
lumière, de leurs couleurs, de la "transparence de l'air" est dénoncée par les
premiers défenseurs de l'environnement et de l'hygiène publique, comme le
docteur John Simon (1816-1904) […]
L'un des thèmes du célèbre et riche roman de D. H. Lawrence (1885-1930),
L'Amant de lady Chatterley, est la disparition de la vieille Angleterre, balayée
par l'industrialisation et envahie par la laideur." (pp.111-112)

"La mise au point de la machine à vapeur par l'Écossais James Watt (1736-
1819), qui dépose son premier brevet en 1769 et ne cesse d'améliorer son
invention jusqu'en 1782, révolutionne l'industrie et les transports. L'industrie
textile est la première bénéficiaire de la vapeur, appliquée à la spinning jenny,
la machine à filer inventée, en 1768, par le mécanicien anglais James
Hargreaves (1710-1778). En 1785, Edmund Cartwright (1743-1823) met au
point un métier à tisser mécanique mû par la machine à vapeur de Watt.
La machine à vapeur révolutionne également l'agriculture: la première batteuse
à vapeur apparaît en 1810 et la moissonneuse McCormick en 1826. Dans les
campagnes, la machine à vapeur asservit les hommes, les dépersonnalise,
comme dans les villes industrielles, et contribue également à l'exode rural."
(pp.112-113)

"La Révolution industrielle repose sur le charbon, la vapeur et l'acier. Le


1327
marteau-pilon apparaît en 1839, mais c'est le convertisseur à acier mis au point
en 1856 par l'ingénieur Henry Bessemer (1813-1898), qui révolutionne la
sidérurgie. Jusqu'à cette découverte, la transformation de la fonte en acier était
longue, coûteuse et aléatoire. […] Bessemer fonde son usine à Sheffield, qui
devient la capitale de l'acier. Peu après, en 1861, William Siemens (1823-1883)
découvre un autre procédé et met au point le four Martin Siemens. Il ouvre une
usine sidérurgique près de Swansea au Pays de Galles. Longtemps, le Royaume-
Uni est la première puissance sidérurgique du monde. En 1870, il produit 40%
de l'acier mondial: 4 millions de tonnes sur un total de 10 millions." (p.114-115)

"La révolution des transports - L'ingénieur anglais Richard Trevithick (1771-


1833) fait rouler en 1804 la première locomotive à haute pression: [elle est]
utilisée dans les houillières exclusivement. En revanche, en 1808, sa Catch me
who can tire un wagon dans lequel prennent place des curieux. En 1814, la
Puffing Billy de William Hadley (1779-1843) parvient à remorquer 50 tonnes à
8 km/h. Un autre ingénieur anglais, George Stephenson (1781-1848), présente
le 25 juillet 1814 une locomotive capable de tirer un train de wagons sur des
rails. En 1825, avec son fils Robert, il ouvre, pour le transport de voyageurs, la
ligne Stockton-Darlington, dans la région de Middlesbrought: la locomotive
peut tirer 90 tonnes à 20 km/h. Alors que George Stephenson relie les roues de
la locomotive par une chaîne, Timothy Hackworth (1786-1850) a l'idée, en
1827, de remplacer la chaîne par des bielles. La même année, le Français Marc
Séguin met au point la chaudière tubulaire, qu'utilise Stephenson en 1829 pour
sa Rocket, qui peut tenir une moyenne de 26 km/h et pousser des pointes à 47
km/h.
Le 15 septembre 1830, le duc de Wellington, accompagné de Robert Peel,
inaugure la ligne ferroviaire Liverpool-Manchester. […] La ligne est un grand
succès: cinq ans après l'ouverture, un demi million de personnes l'utilisent
chaque année. Il est vrai que le trajet s'effectue en une heure trente contre
quatre heures en diligence pour un coût six fois moindre.
Rien n'arrête désormais le chemin de fer, ni l'opposition des compagnies de
diligences ni celle des propriétaires terriens, qui dénoncent cette intrusion
bruyante et polluante ainsi que les expropriations ordonnées au profit de
compagnies privées. Au contraire, les chemins de fer sont bientôt à l'origine
d'une spéculation foncière effrénée: c'est la big railway mania des années 1844-
1847. […]
L'extension du réseau britannique s'accompagne de la nette progression du
1328
trafic voyageurs, de 50 millions de passagers en 1848 à plus d'un milliard
cinquante plus tard. […]
Les steamers apparaissent en même temps que la locomotive. Le premier, Le
Clermont, est mis au point par l'Américain Robert Fulton en 1806. En 1812, un
steamer remonte la Clyde jusqu'à Glasgow. Cependant, le premier bateau à
vapeur qui parvient à traverser l'Atlantique, en 1819, la Savannah, est
américain. D'autres progrès suivent: la coque métallique et l'hélice, en 1837,
qui remplacera vite la roue à aubes. En 1840, le Britannia, qui appartient à une
compagnie formée par Samuel Cunard (1787-1865), traverse l'Atlantique, dans
le sens Liverpool-Halifax, en douze jours et dix heures, battant les précédents
records du Sirius et du Great Eastern en 1838. […]
Les Britanniques sont les principaux bénéficiaires de la révolution
technologique reposant sur la vapeur. Plus que jamais, depuis Trafalgar, à la
tête de la première flotte de guerre et de commerce, ils dominent les océans, le
commerce maritime et le monde. La puissance et la prospérité reposant sur la
maîtrise des mers, les moindres progrès d'une puissance rivale suscitent un vif
émoi dans l'opinion et la réaction des autorités. Quant la France reconstitue sa
flotte, acquiert même une avance technologique certaine sur l'Angleterre,
disposant de vingt-sept steamers de guerre, en 1839, contre sept pour la
Grande-Bretagne, Robert Peel relance la construction navale afin que son pays
conserve l'hégémonie sur les océans. En 1848, la marine de guerre britannique
compte 164 navires sillonnant les mers et océans du monde entier, dont 35 sont
assignés à la défense des côtes britanniques." (pp.115-117)

"Une monnaie forte et un système bancaire sans égal. - Le Gold Standard Act de
1816 rend la livre convertible en or. En 1844, deux lois établissent les droits et
devoirs de la Bank of England: le Bank Charter Act lui attribue le monopole de
l'émission de la livre sterling et le Currency Principle Act lui impose d'avoir une
encaisse-or représentant le tiers de la masse monétaire en circulation. Elle doit
donc acheter de l'or quand elle veut émettre de la monnaie papier. Ces règles
contribuent à la grande stabilité de la livre et font de Londres le principal
marché mondial de l'or.
Vers 1820, on compte une centaine de banques privées à Londres et un millier
dans l'ensemble du pays. L'abondance du crédit stimule l'entreprise. Dans la
seconde moitié du XIXe siècle, les Big Eight dominent la City: Midland, Lloyd's,
Barclay's, District, Martins, Westminster, National Provincial, London and
County." (p.118)
1329
"Alors que la France, qui fut la "Chine de l'Europe", sort exsangue des guerres
napoléoniennes et voit sa population stagner au XIXe siècle, le Royaume-Uni
connaît une remarquable expansion démographique, sa population passant de
15.6 millions d'habitants en 1801 à 27.3 millions en 1851 et 41.5 millions en
1901, soit une croissance de 166% en un siècle. Pour l'Angleterre seule, la
croissance atteint même 270%: 8.8 millions d'habitants en 1801 et 32.5 millions
en 1901. […]
La croissance globale de 166% entre 1801 et 1901, est d'autant plus
remarquable que la population est amputée par une très forte émigration,
surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle: le nombre des émigrants, qui est
de 500 000 entre 1815 et 1850 passe de 7 millions entre 1850 et 1900. Cette
capacité du Royaume-Uni à envoyer ses enfants peupler le monde est un facteur
essentiel de son hégémonie. De plus, l'économie britannique dispose d'une
main-d'œuvre abondante et d'un marché intérieur considérable, surtout à partir
des années 1850, marquées par un progrès général du niveau de vie." (pp.119-
120)

"La révolution tarifaire.


Les réformes se heurtent aux intérêts des producteurs de céréales, qui ont
obtenu le vote en 1815 des Corn Laws, frappant de droits prohibitifs les céréales
importées. Pour eux, leur abolition signifierait la ruine de l'agriculture
britannique. Les squires et les fermiers titulaires de baux élevés, qui conduisent
l'opposition au libre-échange, sont les soutiens traditionnels des tories au
pouvoir. Quand un Premier ministre libéral, comme Lord Melbourne, propose
une modeste réforme, il est renversé par les tories.
C'est paradoxalement son successeur conservateur, Robert Peel (1788-1850),
qui est l'initiateur de cette révolution économique, à laquelle Victoria et Albert
sont favorables. Réaliste comme toujours, Peel y voit la solution à la crise
industrielle et au chômage. Il s'attend à de sérieuses oppositions dans son camp,
de la part des élus des comtés qui représentent l'aristocratie terrienne, mais il
sait aussi que les whigs ne pourront pas ne pas le soutenir. C'est
progressivement qu'il démantèle le système douanier britannique. En 1842, il
fait passer le nombre des articles payant des droits de douane de 1200 à 750. En
1845, le nombre des articles soumis au tarif est réduit à 450.
Les bons résultats produits par ce désarmement tarifaire unilatéral encouragent
Peel à s'attaquer au gros morceau: les droits sur les céréales. Il y est également
1330
invité par les récoltes catastrophiques de pommes de terre en Irlande en 1845 et
1846. Alors que la famine sévit dans l'île voisine, l'Angleterre, dont la
production céréalière est insuffisante, ne peut venir à son secours. L'opposition,
qui vient de son propre parti, et notamment de lord Stanley (futur lord Derby) et
de Disraeli, a beau vociférer que l'abolition des droits ruinera l'agriculture
anglaise sans nourrir les Irlandais qui n'ont pas les moyens d'acheter des blés
russes ou français, Peel, soutenu par les whigs, fait voter, en 1846, l'abolition
des Corn Laws et des droits sur les céréales. […]
La rupture de Peel avec la politique traditionnelle du parti qu'il dirigeait
provoque la scission. Il est abandonné par Derdy et Disraeli et, privé de
majorité, doit démissionner le 29 juin 1846. Lord John Russell et les libéraux
reviennent alors au pouvoir. En 1849, ils proposeront à Robert Peel et à ses
partisans, les Peelites, d'entrer dans une coalition. En vain. Bien que rejeté par
son propre parti, Robert Peel reste fidèle aux principes conservateurs. Il meurt
en 1850 des suites d'une chute de cheval.
Pour compenser les pertes budgétaires résultant de l'abolition des droits de
douane et assurer l'équilibre du budget, Peel rétablit l'income-tax, aboli en
1820: il est fixé à sept pence par livre pour les revenus de plus de 150 livres.
Cependant, l'expansion industrielle et commerciale résultant des réformes libre-
échangistes rapporte rapidement à l'Etat des sommes considérables, bien
supérieures aux revenus tirés jadis des douanes. Si bien que la baisse des impôts
peut se poursuivre: "De 1825 à 1870, les impôts tombèrent de deux livres, neuf
shillings, trois pence, à une livre, dix-huit shillings, cinq pence et demi par tête".
La prospérité générale générée par la révolution tarifaire est telle entre 1846 et
1875 que les critiques initiales ne tardent pas à tomber, y compris celle du
mordant Disraeli. Les réformes du conservateur Robert Peel sont parachevées
par William Gladstone dans un consensus général: en 1860, seuls 48 articles
sont encore soumis à des droits à l'entrée.
L'exposition universelle de 1851 montre au monde que l'Angleterre lui est
ouverte et qu'elle attend la réciprocité. Elle montre que le libre-échange, c'est la
prospérité et la puissance. Une ère nouvelle commence effectivement pour
l'Angleterre. […]

La France impériale suit l'exemple de l'Angleterre - Converti aux thèses libre-


échangistes par Michel Chevalier, Napoléon III ne voit que des avantages à un
traité de libre échange avec l'Angleterre: il est convaincu qu'il favorisera les
exportations agricoles de la France. Surtout, il stimulera le dynamisme des
1331
industriels: confrontés à une concurrence redoutable, ils devront investir pour
moderniser leur appareil de production. Enfin, les prix des produits industriels
baisseront, en raison de la concurrence internationale, ce qui entraînera une
hausse générale du niveau de vie. L'opposition vient des capitalistes, qui font
échouer les premières tentatives de réduction des droits sur la houille, le fer, la
fonte et l'acier.
Au terme de négociations entre Richard Cobden et Michel Chevalier, assisté de
Rouher et Fould, le traité de commerce est signé le 23 janvier 1860: les
prohibitions sont supprimés et les droits de douane ne peuvent excéder 30%. Les
milieux industriels français, mis devant le fait accompli, multiplient les
protestations. En vain. Une caisse de prêts leur versera quarante millions en
quatre ans pour contribuer à la modernisation de leurs entreprises. Très vite, en
France comme en Angleterre, les résultats dépassent les espérances de
l'entourage impérial." (pp.129-131)

tableau p.133

"En 1848, l'Angleterre possède 670 000 métiers à tisser mécaniques contre 121
000 à la France. […] En 1870, les quelques 60 000 usines textiles du royaume
emploient encore 2.6 millions d'ouvriers." (p.134)

"Les ports britanniques sont de loin les premiers du monde jusqu'à la fin du
siècle. En 1870, Marseille, avec un trafic de 2 millions de tonnes, vient loin
derrière Londres: 4 millions de tonnes. En 1888, Londres atteint les 13 millions,
mais le trafic de Liverpool est presque aussi considérables." (p.135)

"Le revenu moyen par habitant, qui était de 13 livres en 1801, passe à 52 £ en
1901. En 1860, alors qu'il atteint 33 £, il n'est que de 21 £ en France et 13 £ en
Allemagne. En 1863, Gladstone peut évoquer orgueilleusement "l'étourdissant
accroissement de richesses" de son pays." (p.137)

-Jacques Weber, Le Siècle d’Albion. L’Empire britannique au XIXe siècle, 1815-


1914, Paris, Les Indes savantes, 2011, 748 pages.

« Selon Philip Harling et Peter Mandler, l’État libéral est issu non d’une
adaptation mécanique à la nouvelle économie, mais à une volonté politique forte
de restaurer la confiance dans des institutions discréditées. Le passage de l’État
militaro-fiscal à l’État libéral n’est pas le résultat mécanique d’un essor de la
1332
bourgeoisie qui serait venue remplacer les élites traditionnelles : ce sont au
contraire ces dernières qui entamèrent les réformes qui devaient être qualifiées
a posteriori de « libérales », et dont l’objet était de réformer l’État dans la
tradition whig. Ainsi l’abandon des lois sur les grains par Robert Peel en 1846,
qui divisa le parti conservateur et mit fin à la carrière politique de celui-ci, ne
reflétait pas seulement l’influence de la Ligue pour l’abolition des lois sur les
grains (Anti-Corn Law League) de Richard Cobden. Il était motivé d’abord par
le désir de mettre fin à l’un des principaux privilèges hérités de l’État militaro-
fiscal. Les tentatives du Chancelier de l’Échiquier, puis Premier Ministre,
William Gladstone pour éliminer complètement l’impôt sur le revenu reflètent
un même souci de rompre avec la Old Corruption. Colin Matthew en a éclairé
les motivations profondes : limiter l’impôt au maximum en temps de paix, c’est
obliger les gouvernements futurs à justifier devant le Parlement toute nouvelle
augmentation des prélèvements, et donc à en démontrer la nécessité morale. »

« Les études portant sur cette période se sont longtemps focalisées sur deux
thèmes principaux : le déclin relatif de l’économie britannique à partir des
années 1870, et l’essor progressif d’un État social, qui connaît une accélération
rapide à partir de 1906 et pose les bases de l’État-providence ultérieur. Qu’ils
insistent sur l’émergence d’un « collectivisme » économico-législatif
indépendant de tout mouvement d’opinion, sur le déclin des valeurs industrielles
urbaines ou sur l’essor d’un « nouveau libéralisme » influencé par le
travaillisme émergeant et par la philosophie idéaliste, ces travaux s’accordent
pour voir dans cette double évolution la fin d’un âge d’or libéral qui aurait
débuté après l’abolition des lois sur le grain (Corn Laws) en 1846, et aurait
culminé avec l’essor du parti libéral de Gladstone dans les années 1860 et
1870. »

« Il est certes possible de parler, après 1846, d’une séparation accrue de


l’économie et de la politique, c’est-à-dire d’une dépolitisation du principe du
libre-échange, de l’État minimal et de l’étalon-or, trois principes qui ne
provoquent plus de division majeure dans la deuxième moitié du siècle. Mais ce
consensus libéral s’est accompagné de conflits culturels d’autant plus ardents.
Le libéralisme économique, issu d’une volonté de restaurer la confiance dans
l’État, n’est pas un credo défini à l’avance, mais plutôt un conflit ouvert sur la
nature et les frontières de la société civile.

1333
La différence peut se résumer d’une formule. Alors que Karl Polanyi décrivait
la situation des sociétés industrielles et libérales à l’aide du terme «
désencastrement », les historiens évoquent aujourd’hui un « encastrement »
(embeddedness) de l’économie. Au lieu de lire l’histoire anglaise du XIXe siècle
comme celle du projet (impossible) de désencastrement du marché, ils ont
montré que les comportements économiques y étaient tout aussi encastrés dans
les institutions, les relations sociales, les règles juridiques et les normes morales
que dans n’importe quelle autre économie. » -Julien Vincent, « Industrialisation
et libéralisme au XIXe siècle : nouvelles approches de l’histoire économique
britannique », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 37 | 2008, mis en ligne
le 01 décembre 2010, consulté le 10 mai 2020.

« Ce qui est intéressant, c’est qu’au 19ème siècle, la puissance anglaise va


s’auto-trahir, en quelque sorte. On pense toujours le 19ème comme l’apogée, le
siècle d’or britannique. […] Moi je ne pense pas, je pense au contraire que c’est
le début de la décadence britannique. La vrai apogée britannique c’est le 18 ème
siècle. […] Après 1815, ils se retrouvent, ils n’ont plus d’ennemis. […] Et puis,
ils vont être obsédés par la conquête des Indes. C’est-à-dire par un immense
empire terrestre. […] Dans les années 1957-1958 […] l’Empire britannique est
complètement foutu, stratégiquement, financièrement, économiquement. » -
Laurent Henninger, « La révolution militaire et la naissance de la modernité »,
Conférence au Cercle Aristote.

« Après des insurrections coloniales comme la guerre de Java (1825-1830) et la


"Révolte des Cipayes" en 1857, il serait souhaitable d'augmenter la distance
entre les maîtres et les asservis. Le ton changea et les mariages mixtes ne furent
plus jugés acceptables. Plus la mission se développait, plus le concubinage était
critiqué. L'Angleterre joua à cet égard un rôle de pionner. Aux Indes
britanniques, le concubinage tomba quasiment en désuétude après la "Révolte".
En 1909, lord Crewe, le ministre des Colonies, promulgua sa fameuse
"Circulaires Crewe" qui interdisait aux fonctionnaires de l'administration
britannique de fréquenter des femmes autochtones. Cela marqua le début d'une
véritable "campagne de pureté" où fut soulignée l'importance de la continence
et de l'abstinence sexuelles. » (p.60-61)

« La révolution industrielle eut pour conséquence une augmentation énorme de


la productivité. Dès 1830, un ouvrier anglais produisait avec sa trameuse
mécanique 350 à 400 fois plus de fil à l'heure qu'un artisan indien avec son
1334
rouet, ce qui eut des conséquences fatales pour le textile indien. En 1814, l'Inde
importait 915 000 mètres de textile anglais ; en 1820, elle en importa près de 12
millions et, en 1890, elle en importerait plus d'un milliard 800 millions. » (p.65)

« Un facteur important qui favorisa le développement de l'économie


internationale fut la relative stabilité monétaire. Après l'émergence de monnaies
nationales qui supplantèrent les différentes monnaies régionales, vient le temps
des banques centrales nationales. En Angleterre, cette fonction fut assurée après
1844 par la Bank of England. En France, la Banque de France obtint en 1848 le
monopole de l'émission des billets de banque. En Allemagne et en Italie, cela se
produisit plus tard, après l'unification -en Italie, il fallut même attendre 1907.
Un élément d'une importance considérable pour le circuit des paiements
internationaux fut l'instauration de l'étalon-or. L'Angleterre fut en 1821 le
premier pays qui passa totalement à l'or. Les autres pays connurent encore
longtemps le bimétallisme, caractérisé par la coexistence de monnaies en or et
en argent. L'Allemagne instaura l'étalon-or en 1871. Aux alentours de 1880, la
plupart des pays développés avaient adopté cet étalon-or. Le Japon suivit après
1900. Une grande stabilité monétaire en résulta, stabilité qui fut encore
consolidée par la position dominante de la livre sterling anglaise, due au fait
que Londres jouait un rôle clé comme centre financier. La livre sterling était
alors ce que le dollar serait après 1945: la devise de réserve internationale. »
(p.69)

"L'abrogation, en 1846, des Corn Laws, lois protectionnistes qui jusque-là


avaient empêché toute importation de blé étranger en Angleterre [...] inaugura
l'ère du libre-échange dans l'histoire britannique. La pensée libre-échangiste
gagna aussi du terrain ailleurs en Europe. Le traité de libre-échange franco-
britannique du 23 janvier 1860, mieux connu sous le nom de traité Cobden-
Chevalier, est considéré comme l'avancée la plus importante à cet égard.
L'empereur Napoléon III, qui s'était converti au libre-échangisme durant ses
longs séjours d'exilé en Angleterre, fit adopter ce traité contre la volonté du
Parlement et de la population.
Durant le dernier quart du siècle, l'idéologie favorable au libre-échange
régressa. En 1879, l'Allemagne fut le premier pays à instaurer un tarif
protectionniste sous l'impulsion de Bismarck qui voulait ainsi réconcilier les
principales catégories sociales auxquelles il s'adossait, d'une part, les Junkers
prussiens et leurs intérêts agraires et, d'autres part, les industriels rhénans. En
France, le gouvernement décida en 1881 de procéder à une révision tarifaire
1335
qui institua une protection limitée pour les produits industriels mais eut en
pratique une portée insignifiante. Mais par la suite, le protectionnisme finirait
aussi par avoir droit de cité en France. En 1892, le tarif très protectionniste de
la loi Méline y fut instauré. La fin de l'ère libre-échangiste approchait à grands
pas." (p.71)

"Nombre d'étude ont montré que la majorité des soldats [des armées coloniales]
ne décédait pas à la suite d'actes guerriers mais de maladies. [...]
Pendant la première moitié du XIXe siècle, 6% seulement des soldats de l'armée
coloniale britannique moururent sur le champ de bataille. Tous les autres
moururent après avoir contracté une maladie." (p.81)

"Les Anglais se trouvaient dans une situation unique en ce sens qu'ils


possédaient au sein de leur Indian Army un réservoir énorme de soldats qu'ils
pouvaient, si nécessaire, engager partout dans le monde -et cela aux frais du
budget indien. Entre 1829 et 1856, l'armée britannico-indienne fut engagée en
Chine (trois fois), en Perse, en Éthiopie, à Singapour, à Hongkong, en
Afghanistan, en Égypte, en Birmanie, au Soudan et en Ouganda. Au cours de la
période qui suivit la Révolte en 1857, elle dut intervenir en Chine, en Éthiopie,
au Baluchistan, à Malte, à Chypre, en Afghanistan, en Égypte, en Birmanie, au
Nyasaland, à Mombassa, en Ouganda et au Soudan." (p.83)

« En Angleterre, dans le dernier quart du XIXe siècle, virent également le jour


un mouvement colonial et une idéologie coloniale. Sir Charles Dilke publia en
1868 son livre Greater Britain, sir John Seeley fit paraître en 1884 The
Expansion of England et le livre de James Froude, Oceana, fut édité en 1886.
Tous ces ouvrages faisaient l'éloge des qualités du peuple et de la race
britannique et étaient en même temps des plaidoyers en faveur de l'expansion de
l'Angleterre. Au cours des années ultérieures, il y eut des propagandistes comme
Kipling et des idéologues comme Cecil Rhodes. L'un des plus fervents coloniales
fut Joseph Chamberlain (1836-1914). Chamberlain était un homme d'action
plutôt qu'un grand penseur, mais il avait une vision claire de l'avenir du monde,
de l'Angleterre et des colonies. Il croyait que l'avenir appartenait à de grands
empires tels que la Russie et les Etats-Unis, et que l'Angleterre ne pourrait jouer
un rôle à ce niveau que si elle maintenait vigoureusement soudé son Empire en
faisant collaborer étroitement ses différentes composantes, sous la direction de
l'Angleterre. [...]
Il en va de même pour l'homme qui l'avait précédé, lord Rosebery (1847-1929).
1336
Rosebery était libéral autant qu'impérialiste et, à ce double titre, il symbolisa la
rupture des libéraux avec la tradition de la "little England" de Cobden, Bright et
Gladstone. » (p.252-253)

"La première grande étude qualitative qui ait tenté d'analyser l'importance
économique de l'Empire britannique a été réalisée par deux historiens
américains: L. Davis et R. Huttenback du California Institute of Technology. Ils
ont collecté une très grande quantité de données et les ont ensuite analysées au
moyen de méthodes statistiques pointues. Leur livre, intitulé Mammon and the
Pursuit of Empire, essaie de répondre à la fameuse question que l'on s'est
toujours posée: "l'Empire a-t-il rapporté ?". Leur réponse, négative, est peut-
être un peu décevante. Après 1880, les marges bénéficiaires effectivement
élevées qui étaient perçues au début sur les investissements coloniaux
commencèrent à diminuer, jusqu'à atteindre des valeurs inférieures au niveau
de recettes comparables tirées d'autres destinations d'outre-mer ou
d'investissements réalisés en Angleterre même. Hobson et Lénine ont donc fait
fausse route lorsqu'ils ont étudié la relation entre les capitaux excédentaires et
la nécessité d'une expansion d'outre-mer." (p.498)

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages.

« En Angleterre même, la Chambre de commerce de Manchester, véritable


citadelle du libre-échangisme qui avait formé l'anti-Com-law league en 1839,
réclamera en 1887 le retour au tarif. » -Pierre Rosanvallon, Le Libéralisme
économique. Histoire de l'idée de marché, Seuil, coll. Points Essais,, 1999 (1979
pour la première édition), 243 pages, p.209.

« Jusqu’aux années 1860-1870, la question de l’existence de l’empire suscite


aussi peu d’intérêt dans la population britannique que d’unanimité parmi ceux
qui y sont sensibilisés. […] Pourtant dans le dernier tiers du siècle, cette
question devient centrale dans le débat politique, et la société anglaise semble
se convertir à l’impérialisme –même si cette conversion n’est ni durable, ni
profonde, ni égale. » (p.54)

« Le chômage […] s’élève à un taux moyen annuel de 5% dans les deux


décennies 1875-1895. Face à l’engorgement du marché du travail, l’émigration
vers les colonies semble à certains une solution toute trouvée. C’est ce que tend
à montrer l’historien James Anthony Froude dans une série d’articles au
1337
Fraser’s Magazine en 1870 : empire et question sociale sont liés, et la
colonisation, en assurant l’équilibre démographique et économique de la
métropole, doit pérenniser la domination de l’Angletterre. Cet argument
rencontre un écho parmi les impérialistes (d’Angletterre et d’ailleurs), qui
mobilisent l’opinion en sa faveur. Cette même année 1870, cent mille
travailleurs de Londres signent une pétition adressée à la reine Victoria pour
exhorter le gouvernement à faciliter la colonisation. Vingt ans plus tard, dans
les années 1890, l’argument fait toujours partie de l’idéologie impérialiste,
alors à son apogée. […]

L’autre élément d’inquiétude qui provoque un regain d’intérêt pour la


colonisation est le protectionnisme. […]

Les colonies apparaissent comme un élément nouveau du fonctionnement


économique. L’Afrique ainsi dispose de richesses précieuses. La découverte des
mines d’or du Witwatersrand (Afrique du Sud) en 1874 est une date importante.
L’exclusivité de l’extraction minière devient une priorité des colonisateurs :
ainsi, dès sa fondation en 1888, la British South Africa Compagny de Cecil
Rhodes obtient le privilège d’exploitation des mines du Mashoshaland, puis de
celles du Barotseland en 1890. L’empire apparaît donc comme un fournisseur
de richesses, mais aussi comme un débouché pour les capitaux. » (p.55)

« Auteur dans sa jeunesse de propos plutôt anti-colonialiste, il prononce le 24


juin 1872 au Crystal Palace un discours dans lequel il affirme son attachement
à l’empire. Premier ministre de 1874 à 1880, il mène une politique impérialiste,
mêlant iniatrices symboliques (ainsi le couronnement de Victoria comme
impératrice des Indes en 1877) et annexions. Les îles Fidhi dès octobre 1874, la
République du Transvaal en 1877, l’île de Chypre en 1878 sont rattachées à
l’empire. Le libéral Gladstone, revenu au pouvoir en 1880, cherche à rompre
avec cette politique impériale autoritaire et belleciste, ainsi qu’il l’avait
annoncé lors de la campagne dans son discours de Midlothian. D’autant que la
défaite des Anglais contre les Boers du Transvaal au Zoulouland et le retour de
cette colonie à son indépendance (1880) ne jouent pas en faveur de
l’impérialisme. Le nouveau gouvernement entreprend donc un certain
désengagement, en Afghanistan, en Afrique du Sud. Cependant, soumis à des
pressions issues de sa propre majorité (notamment celle de Joseph
Chamberlain, partisan convaincu de l’impéralisme), Gladstone doit lui aussi
mener une politique expansionniste. » (p.56)
1338
« Les expositions coloniales permettent aux habitants de la métropole de
visualiser ce qu’est l’Empire, sa richesse, sa diversité, son organisation, et de
tirer fierté de la mission civilisatrice accomplie par la patrie par-delà les
mers. » (p.59)

« Le nouveau roi Edouard VII reprend la tradition inaugurée par sa mère : il est
à son tour couronné empereur des Indes lors d’un grand durbar à Delhi, comme
le seront ses successeurs (à commencer par Georges V, couronné à Delhi en
1911 […] C’est également sous son règne, à partir de 1904, que le mai, jour
anniversaire de la naissance de Victoria, devient l’Empire Day. » (p.63)

« Après la révolte des Cipayes et la suppression de la compagnie et du Board


[of Control] est créé l’India Office (1858), chargé de contrôler l’activité du
gouvernorat des Indes. » (p.64)

« Le dernier tiers du XIXe siècle et les premières années du XXe voient une
reconfiguration de la position mondiale du Royaume-Uni. La montée en
puissance d’Etats concurrents (Allemagne et Etats-Unis surtout) remet en cause
la domination sans partage qu’il exerçait jusqu’alors. Ces contestations se
voient dans le domaine économique, avec un déclin relatif de l’économie
britannique, mais aussi diplomatique et militaire. Les années 1900-1914 sont un
moment de cristallisation des contestations du modèle et de la domination
britannique. […]

La notion de Great Depression et l’idée de « déclin britannique » ont fait l’objet


de débats historiographiques anciens et nombreux [Saul, 1969]. Il est à noter en
premier lieu que ces idées, sont avant tout liées aux représentations que les
contemporains se faisaient de la situation. Les années 1870-1890 sont une
période de doute et d’interrogation. » (p.65)

« Le libéralisme économique connaît […] au Royaume-Uni comme ailleurs une


importante remise en cause durant la Grande Guerre. » (p.82)

« Pendant près de quatre siècles, les rois d’Angleterre avaient tenté d’annexer à
leur domaine la France, l’Écosse et l’Irlande. La perte de Calais en 1558
marque la fin des possessions anglaises sur le continent européen (la Couronne
britannique ne renonce néanmoins à ses revendications sur la Couronne de
France qu’en 1801), mais l’ère des Grandes Découvertes ouvre de nouvelles
perspectives dans le sillage des empires portugais, espagnol, hollandais et

1339
français en Amérique. La fin de la guerre anglo-espagnole en 1604 (marquée
auparavant par la défaite de l’Invincible Armada en 1588) permet aux Anglais
de fonder leurs premières colonies en Amérique du Nord, aux Caraïbes et en
Inde. » (p.97)

« En dépit de quelques succès militaires français, la guerre tourne nettement à


l’avantage des Britanniques (devenus tels puisque l’Angleterre et l’Écosse sont
alors unies depuis 1707) tant au Canada qu’en Inde, et le traité de Paris en
1763 consacre le triomphe de leurs intérêts, en leur laissant les mains libres en
Asie du Sud et en Amérique du Nord. » (p.98)

« La détermination des insurgés américains et l’appui logistique du corps


expéditionnaire français sous les ordres du comte de Rochambeau permirent
d’obtenir l’indépendance des Treize Colonies, solennellement reconnue par le
second traité de Paris (1873). L’émancipation américaine amena les
Britanniques à augmenter leur contrôle sur le Canada, en même temps que
trente ou quarante mille « loyalistes » franchissaient la frontière nord du nouvel
Etat, pour rester sujets de la Couronne britannique. » (p.98)

« En 1914, l’intégralité du Canada actuel est désormais sous contrôle


britannique, ainsi que la quasi-totalité de l’Afrique australe, orientale et du
nord-est et le Nigeria, le Gold Coast, la Sierra Leone et la Gambie, le sous-
continent indien (y compris le Pakistan et la Birmanie actuels), la péninsule
malaise, les îles de Hong Kong, la Nouvelle-Guinée, l’Australie, la Nouvelle-
Zélande, sans compter une multitude de points d’appui conquis afin d’assurer le
ravitaillement de la toute-puissante Royal Navy. […]

L’Empire britannique ne résulte […] pas d’un grand dessein fixé à l’avance,
mais d’une succession de politiques plus ou moins cohérentes qui aboutirent à
la constitution d’un ensemble sur lequel « le soleil ne se couche jamais ». »
(p.99)

« Les utilitaristes, tel James Stuart Mill dans son ouvrage History of British
India (1818), estiment que l’Inde est une « ardoise vierge » qui ne demande qu’à
être développée. » (p.102)

« Située à 2500 kilomètres de l’Australie, la Nouvelle-Zélande a vu s’installer


quelques milliers de sujets de Sa Majesté au cours des années 1820-1830, qui
ont progressivement étendu leurs domaines, quelquefois par achat direct auprès

1340
des propriétaires indigènes. En dépit des réticences de leur gouvernement,
soucieux de s’épargner de nouvelles dépenses, les colons parviennent à faire
triompher leur cause à Londres, et par le traité de Waitangi (1840) entre la
Couronne britannique et les représentants des populations indigènes maories, la
Nouvelle-Zélande rejoint l’empire et se place sous la souveraineté de la jeune
reine Victoria, qui laisse aux chefs coutumiers leurs rôles locaux. L’agriculture
et l’élevage permettent par la suite à cette nouvelle colonie de prospérer.
Comme l’Australie, elle tire parti de la forte demande de laine induite par la
révolution industrielle, et s’impose comme une colonie de peuplement
britannique dans le Pacifique, au détriment des populations autochtones
réduites à vivoter, étrangères sur leurs propres terres, ou à se retirer vers
l’intérieur. » (p.105)

« Protectorat sur la Gambie en 1893. A l’issue de négociations serrées avec


l’Allemagne, la majeure partie de l’Afrique orientale fut divisée entre les deux
puissances, les Britanniques établissant un protectorat sur l’Ouganda entre
1890 et 1894, suivi de la conversion de la colonie du Kenya (établie en 1888) en
protectorat en 1895. Cette progression vers l’intérieur de l’Afrique orientale
procède d’une stratégie géopolitique visant à s’assurer du contrôle des eaux du
Nil depuis leur source […] les Britanniques ont beau avoir proclamé qu’ils ne
souhaitaient pas rester en Égypte, ils semblent bien décidés à faire le contraire.
[…] Ce vœu fut exaucé à l’issue du conflit diplomatique franco-britannique de
Fachoda, en 1898, qui vit la France ordonner le rapatriement du commandant
Marchand, qui était parvenue à devancer Kitchener à Fachoda de plus de deux
mois. Le retrait de toute prétention française dans la région du haut Nil laissa la
voie libre à une hégémonie politique britannique incontestée en Égypte. »
(p.122)

-Sylvie Aprile & Michel Rapoport (dir.), Le monde britannique. 1815-(1914)-


1931, Atlande, coll. Les clefs concours – Histoire contemporaine, 2010, 571
pages.

« Même à l’apogée de sa puissance économique en 1848 et en dépit de sa force


navale colossale, l’empire britannique demeura une aventure précaire et
impécunieuse dont les ressources étaient à peine suffisantes pour juguler la
grogne dans les colonies autrement que par le recours à une brutalité jugée tout
à fait déplacée en Grande-Bretagne. » -Gareth Stedman Jones, « De l’histoire
sociale au tournant linguistique et au-delà. Où va l’historiographie britannique ?
1341
», Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 33 | 2006, mis en ligne le 01
décembre 2008, consulté le 11 mai 2020.

“By 1914, with nearly a quarter of the earth’s population and land mass the
empire was the largest the world had known.” (p.197)

“The Treaty of Ghent ending the Anglo-American War of 1812-1814.” (p.198)

“The gains to Britain from ruling India (for example) can be measured as the
amount by which Britain benefited from its economic relationship with India
minus the benefits she would have gained if Britain had not ruled India but
merely traded with India.” (p.199)

“A separate calculation is required for each colony to assess whether it gained


or lost from membership of the empire, independent of whether Britain gained
or lost.” (p.200)

“West African purchases of British goods quadrupled between 1870 and 1913 at
the same time that British rule spread from a few enclaves to significant
territorial sovereignty.” (p.203)

“Not only was India self-supporting but Indian troops and funds were regularly
used for empire military actions in Africa and Asia. According to Mukerjee
(1972), some £0.4 million c. 1870 and, employing his methods, £4 million c.
1913 were transferred to Britain for (a) unjustified debt service for wars which
an independent India would not have undertaken, (b), military expenditures for
campaigns in Africa and Asia and (c) civil charges for empire operations
outside India.” (p.210)

“The colonies with responsible government (the white-settler colonies) appears


to have paid around a quarter of what foreign developed nations spent on
defence, and the dependent colonial governments and the princely states paid
about a fifth of what foreign underdeveloped nations expended. India, as we
have already noted, paid more, but it too expended about half of what foreign
underdeveloped nations spent. […] As Offer argues elsewhere (1989: 215-318),
Britain’s strategic planners viewed the nation’s food and raw material imports
as an important part of home island security and felt that these resources
required extensive naval and military protection.” (p.211)

1342
“The “strong non-imperialist” standard counterfactually assumes that the
empire never came into being, hence a trading (empire-less) Britain would have
had to spend something to make the waters off Asia, Africa and the Americas
safe for commercial activity in the eighteenth and nineteenth centuries. How
much naval expense would have been necessary ?” (p.213)

“Great Britain spent £44.029 billion on the First World War ; the empire spent
£4.494 billion (Bogart 1921: 105). Thus, Great Britain’s direct expenditures
might have been 10.2 per cent higher without empire support. […] More
significantly, Britain lost 744 000 persons in military uniform while the empire
lost 225 000 (Mendershausen 1943: 361). British wartime deaths might
therefore have been 30.2 per cent higher in the absence of empire support.”
(p.215-216)

-Michael Edelstein, “Imperialism: cost and benefit”, Roderick Floud & Donald
mcCloskey (ed.), The Economic History of Britain since 1700, vol 2: 1860-
1939, Cambridge University Press, 1994 (1981 pour la première edition
britannique), 510 pages, pp.197-216.

« En mai 1901, un ambitieux et très fortuné investisseur anglais du nom de


William Knox D'Arcy a acquis auprès du grand vizir de Téhéran et du shah
Mozaffar al-Din des droits de prospection sur un territoire immense, équivalant
à deux fois la taille du Texas. [...] Connus depuis toujours, les affleurements de
naphte des territoires arides persans se situent bien loin de tout centre
industriel, mais D'Arcy compte injecter les capitaux nécessaires à leur
développement [...]
Pour la Couronne britannique, la concession acquise pour soixante ans par
D'Arcy constitue une victoire dans le "grand jeu" qui l'oppose à la Russie pour
la domination de l'Asie centrale. Londres ne peut mesurer immédiatement toute
l'ampleur de cette victoire: D'Arcy a ravi à la barbe des Russes l'une des
principales sources futures de brut de la planète. » (p.119)

« Le pétrole anglais puisé en Perse sera commercialisé à partir de 1916 par une
société baptisée British Petroleum (BP). Le Moyen-Orient vient de faire son
apparition sur l'échiquier pétrolier mondial. » (p.120)

« Pour l’Amirauté, il devient évident que la Royal Navy doit disposer de ses
propres sources d’approvisionnement. […] A Westminster, le 17 juin 1914,
Winston Churchill se lève devant le Parlement pour défendre un projet de loi
1343
autorisant le gouvernement à acquérir 51% des parts de l’Anglo-Persian Oil
Company. […] Le projet de loi est adopté à une écrasante majorité. » (p.123)

-Matthieu Auzanneau, Or Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La


Découverte/Poche, 2016, 881 pages.

"There was a drop in the crime rate of nearly fifty percent in the second half of
the 19th century; again in dramatic contrast to the crime rate in our own times
which in the past thirty years has risen ten-fold. The low crime rate was a
reflection of the Victorian virtues – work, temperance, orderliness, and
responsibility.

It was also a reflection of the degree to which this ethos had been internalized.
We tend to think of stigma and sanctions as being externally imposed by society,
by law and coercion. But in fact, what was most characteristic about Victorian
England was the internalization of these sanctions. For the most part they were
accepted by the individual willingly, even unconsciously; they were
incorporated in his superego, as we would now say."

"This period saw an enormous expansion of private charities, especially in the


1880’s and 1890’s. Most of them, but not all, were religious based. Some were
denominational, some ecumenical, still others testified to a generalized religious
spirit. Charity itself was regarded as a religious virtue. Some philanthropists,
like Charles Booth, were not religious in any orthodox sense, but adhered to the
Positivist’s “Religion of Humanity”." -Gertrude Himmelfarb, « Learning from
Victorian Virtues », RELIGION & LIBERTY: VOLUME 5, NUMBER 4,
JULY 20, 2010.

« Laçage latéral ou enfilade de petits boutons ronds, la bottine enivre la raison.


D’une mode qui comprime le buste des femmes dans des corsets, elle enchâsse
bientôt le pied et le mollet dans des exiguïtés de cuir ; pied menu pour de menus
plaisirs… Il s’agit surtout de dissimuler le pied, objet de mille tentations. La
morale victorienne, dans sa négation du corps, veut ravir au regard masculin
les chevilles féminines. La reine Victoria somme son bottier de guérir cette
déviance pernicieuse. J.Sparkes Hall imagine alors un modèle adapté aux
promenades bucoliques dans les herbes écossaises du château de Balmoral.
Pourvue de semelles résistantes, plus haute, bicolore et lacée sur le devant, la «
botte de Balmoral » est adoptée à l’unanimité par ses sujets. Créée pour apaiser
les ardeurs, elle ne fait pourtant que les raviver. Les interdits poussant au vice :
1344
un soupçon de jupon relevé et c’est l’émotion. En soulignant le galbe du mollet,
le laçage étroit et compliqué de ces bottines montantes stimule les rêves
érotiques de ces messieurs. Et le retour du talon n’est pas pour leur déplaire.
Ainsi apparaît, dans cette Angleterre pudibonde baignée de tabous, le
fétichisme. Bottes et talons hauts ne seront plus jamais dissociés du mot
érotisme. L’amour est chaste quand la femme ôte ses bottes, pervers quand elle
les garde. Nul doute, la femme a trouvé son arme de séduction massive… »
(http://poirette.canalblog.com/archives/2008/02/11/7915091.html ).

http://hydra.forumactif.org/t3991-patrick-joyce-late-victorian-britain#4841

https://www.amazon.fr/soci%C3%A9t%C3%A9-anglaise-milieu-
si%C3%A8cle-
jours/dp/2020124041/ref=pd_cp_14_1?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=BZE
VBMG14JA57PYPMKC7

https://www.amazon.co.uk/Suffer-Still-Women-Victorian-
Age/dp/0253355729/ref=sr_1_1?dchild=1&keywords=Suffer+and+Be+Still+W
omen+in+the+Victorian+Age&qid=1588851756&s=books&sr=1-1

https://www.amazon.fr/Léconomie-Grande-Bretagne-victorienne-François-
Crouzet/dp/2701154677

https://www.amazon.co.uk/Victorians-N-
Wilson/dp/0099451867/ref=bmx_22?_encoding=UTF8&pd_rd_i=0099451867
&pd_rd_r=d27f57db-b708-4cd3-ae22-
ff58f003f8cc&pd_rd_w=FxU60&pd_rd_wg=tmJBu&pf_rd_p=1c67f0c1-d460-
4c49-88d7-
d8384dea5f37&pf_rd_r=XPRZ57A33K4EH2HZFJ9S&psc=1&refRID=XPRZ5
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Victoria/dp/284734425X/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=51pyWaduQ-
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1345
https://www.amazon.fr/famille-ouvri%C3%A8re-dans-lAngleterre-
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2&keywords=Victorian+People%3A+A+Reassessment+of+Persons+and+Them
es

http://www.amazon.com/Victorian-Things-Asa-
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3935&s=english-books&sr=1-590

La Reine Victoria (1819-1901) : https://www.amazon.fr/Reine-Victoria-


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LANGLADE/dp/2262030693/ref=pd_sbs_14_3?_encoding=UTF8&psc=1&ref
RID=F0NNCTFFH5RJ3SJ8C1J1

Le mouvement chartisme (1838-1858): « Il y a quelque chose d'étrange dans


l'agitation désordonnée, les tâtonnements et les fausses manœuvres d'une classe
en train de naître dont l'histoire a beaucoup plus tard révélé la nature véritable.
Du point de vue politique, la classe ouvrière britannique a été définie par la loi
de réforme parlementaire de 1832 qui lui a refusé le droit de vote ; du point de
vue économique, par la loi de réforme sur les pauvres de 1834 qui l'a exclue du
nombre des assistés et l'a distinguée des indigents. Pendant un certain temps,
ceux qui allaient former la classe ouvrière de l'industrie se sont demandé si leur
salut ne consistait pas, après tout, à retourner à la vie rurale et aux conditions
de l'artisanat. Au cours des vingt années qui ont suivi l'instauration du système
de Speenhamland, ils s'efforcèrent avant tout d'arrêter la libre utilisation des

1346
machines, soit par la mise en vigueur des clauses d'apprentissage du Statut des
artisans soit par des actions directes, comme dans le luddisme. Cette attitude
tournée vers le passé se prolongea sous la forme d'un courant souterrain dans
tout le mouvement owénien jusque vers 1850, quand la loi des Dix heures,
l'éclipse du chartisme et le début de l'âge d'or du capitalisme oblitérèrent la
vision du passé. Jusque-là, la classe ouvrière britannique à l'état naissant était
une énigme pour elle-même ; et ce n'est qu'en suivant avec sympathie ses
mouvements à demi conscients qu'il est possible de jauger l'immensité de la
perte que l'Angleterre a subie du fait que sa classe ouvrière a été empêchée de
participer dans l'égalité à la vie de la nation. » -Karl Polanyi, La Grande
Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris,
Gallimard, coll. tel, 1983 (1944 pour la première édition états-unienne), 463
pages, p.239.

« À aucune autre période [que 1815-1848] depuis le XVIIe siècle ne peut-on


parler de larges masses comme révolutionnaires, ou discerner au moins un
moment de crise politique [..] quand une situation révolutionnaire aurait
vraiment pu se développer. » -Eric Hobsbawm, Industry and Empire, Pelican,
1968, pp. 72-73.

« Là où Blanqui et les promoteurs de l’action clandestine entendent ne mobiliser


que des militants « professionnels », soumis à une stricte discipline dans les
structures pyramidales très hiérarchisées des sociétés secrètes, le chartisme
rassemble des foules impressionnantes, tant dans ses meetings ou ses
manifestations de rue qu’au bas de ses pétitions.

Pour autant, les formes d’action violente ne furent pas, loin de là, rejetées par le
chartisme. « Par la paix s’il se peut, par la force s’il le faut » : ce slogan est en
soi assez clair. L’un des grands apports de cette étude est d’insister sur la
progressive radicalisation d’un mouvement qui prône le recours aux armes de
manière ouverte. Il y a bien, à plusieurs reprises, un climat insurrectionnel qui
règne sur une partie au moins des militants chartistes. Le mouvement le plus
grave, l’insurrection de Newport (Pays de Galles) en novembre 1839, entraîne la
mort de 22 personnes au moins. M. Chase décrit les formes les plus intéressantes
de cette culture chartiste de l’insurrection : réunion préparatoire dans les
tavernes ; achat ou fabrication d’armes ; élaboration de tactiques d’affrontement
avec les forces de l’ordre ; publication par Francis Macerone des Defensive
Instructions for the People qui ne sont pas sans rappeler les Instructions pour
1347
une prise d’armes de Blanqui. Pourtant, et ce point mériterait d’être davantage
analysé, le bilan humain (nombre de morts ou de blessés) apparaît globalement
très faible. Les affrontements entre chartistes en armes et forces de l’ordre sont
très bien décrits dans leur déroulement : mais autant on saisit bien les stratégies
mises en œuvre de chaque côté, autant on peine à comprendre comment et
pourquoi jamais, en définitive, la guerre des rues ne prit en Grande-Bretagne une
ampleur comparable à celle qu’elle eut dans d’autres pays européens – et pas
seulement en France. Un sentiment s’impose : la description de certaines des
prises d’armes évoquées (ainsi à Halifax en 1842) renvoie à la jacquerie
d’Ancien Régime davantage qu’aux insurrections du XIXe siècle. Effet de
source ou réalité ? De plus, on a parfois le sentiment que la National Charter
Association accompagne le mouvement plus qu’elle ne le dirige.

Certes, M. Chase donne à voir un faisceau de motifs qui peuvent, au total,


fournir un cadre d’explication. Le premier est la continuelle rivalité et les
dissensions internes régnant parmi les leaders chartistes : pas un chapitre ne fait
l’économie de l’exposé de faits relatifs à ces dissensions qui ne cessent
d’affaiblir le mouvement. O’Connor, Lovett et les autres dirigeants sont ainsi
présentés avec toutes leurs contradictions – l’auteur n’hésitant pas, de surcroît, à
porter des jugements de valeur sur leurs qualités comme sur leurs défauts.
Malgré les six points qui, constituant le programme du mouvement chartiste,
fédèrent ses adhérents, on comprend que les buts à atteindre ne sont pas
nécessairement les mêmes suivant les régions et les groupes sociaux. L’un des
points les plus « exotiques » du chartisme pour un connaisseur des mouvements
sociaux français est la place accordée aux revendications agraires. Tant le
républicanisme radical que le socialisme naissant dans la France des années
1830-1840 ne prêtent guère d’attention à cette question dont s’emparent plutôt
les réformateurs sociaux de type fouriériste ou icarien. Un autre point intéressant
est la relation entre le chartisme et le non-conformisme. La phraséologie
chartiste paraît marquée par des emprunts bibliques importants, en Écosse
notamment. Mais à terme, les Églises de toutes obédiences ne constituent-elles
pas un frein plus qu’un élément moteur ? Il en est de même de la relation
difficile entre chartisme et mouvement anti-corn law : le second n’entend pas
être inféodé au premier, qui aimerait bien en capter une partie des militants.
Reste le rôle de l’État qui a su prendre la mesure du chartisme et agit en
conséquence : interdictions, arrestations, jugements, emprisonnements,

1348
déportations vers l’Australie ou la Tasmanie, plus rarement condamnations à
mort – jamais suivies d’exécution. »

« Confronté à de multiples accusations émanant d’un pouvoir dénonçant les


influences étrangères au sein du mouvement chartiste, ce dernier ne s’intéresse
guère à ce qui se passe en Europe continentale – ajoutons : même en 1848, avec
quelques exceptions en termes d’impact de la révolution française de février
1848, à Londres et à Glasgow pour l’essentiel. M. Chase tend de fait à relativiser
l’impact de l’année 1848 en Grande-Bretagne, malgré le « meeting-monstre » de
Kennington Common et la dernière pétition portée au Parlement. Il semble par
ailleurs que les affaires irlandaises aient alors eu un effet anesthésiant même si,
officiellement, le chartisme est hostile au moins depuis 1842 à l’acte d’Union. À
bien des égards, 1848 apparaît comme un baroud d’honneur du chartisme qui,
dans les années suivantes, ne connaît pas une mort brutale, mais un lent
dépérissement accompagné d’un réinvestissement de certains acteurs dans
d’autres lieux (comme le pouvoir municipal). » -Jean-Claude Caron, «
MALCOLM CHASE, Le chartisme. Aux origines du mouvement ouvrier
britannique, 1838-1858 [2007], Paris, Publications de la Sorbonne, 2013, 486 p.,
ISBN 978-2-85944-743-4 », Revue d’histoire moderne & contemporaine,
2018/1 (n° 65-1), p. 201-205. DOI : 10.3917/rhmc.651.0201. URL
: https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2018-1-
page-201.htm

Thomas Babington Macaulay (1800-1859) :

Benjamin Disraeli (1804-1881): « Disreali, avant de devenir le restaurateur du


parti conservateur, ne sera-t-il pas, à la fin du XIXe siècle, un radical, soucieux
de justice sociale (posture que son passage chez les tories ne fera pas varier) ?
» -François Huguenin, Histoire intellectuelles des droites. Le conservatisme
impossible, Perrin, coll. Tempus, 2013 (2006 pour la première édition), 496
pages, p.22.

« Un prêt opportun [de la banque Rothschild] a permis au gouvernement


anglais de Benjamin Disraeli de prendre le contrôle du canal [de Suez] en
1875. » -Matthieu Auzanneau, Or Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions
La Découverte/Poche, 2016, 881 pages, p.78.

https://www.amazon.fr/gp/product/2877069532/ref=pd_sim_14_9?ie=UTF8&ps
c=1&refRID=PRANF9TZM54R468772GA
1349
William Ewart Gladstone (1809-1898) et le libéralisme britannique: "A
l'approche de 1860, plusieurs événements d'importance majeure achèvent de
consacrer la montée en puissance politique et intellectuelle du libéralisme
anglais. 1859 est ainsi une année faste à tous égards. Elle voit d'abord
intervenir la naissance officielle d'un liberal party dans lequel se retrouvent
ancien whigs (cette appellation disparaît du coup définitivement de la
toponymie politique) et les radicals. Arborant fièrement et offensivement son
nom, premier du genre à cette échelle en Europe et en tant que parti de
gouvernement, il remporte des élections qui envoient à la Chambre des
communes deux hommes appelés à devenir d'illustres figures du libéralisme
d'outre-Manche, liés d'amitié mais incarnant déjà deux versions distinctes de
l'idée libérale: Lord Acton (1834-1902) et William Gladstone (1809-1898).
Depuis longtemps déjà membre du Parlement, ce dernier redevient d'abord
chancelier de l'Échiquier puis, en 1867, il devient le leader d'un parti qu'il
conduit à la victoire aux élections de 1868, date à laquelle la reine Victoria le
nomme Premier ministre, le premier en outre à pouvoir officiellement porter
l'étiquette "libéral", ce jusqu'en 1874. Par la suite à nouveau locataire à trois
reprises (1880-1885, 1886, 1892-1894) du célèbre 10 Downing Street,
Gladstone va profondément imprimer sa marque en pratiquant un libéralisme
hardiment réformiste en tous domaines. Lord Acton, quant à lui, ne cantonne
pas son activité dans une sphère politique qu'il délaisse vite. Auteur de la si
souvent citée formule "Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt
absolument", ce grand catholique et historien, professeur à Cambridge, a
manifesté la force de sa fibre libérale au travers d'une oeuvre consacrée à
établir que la liberté est une fin en soi qui donne son sens à toute l'histoire de
l'humanité. Un engagement qui se traduit par la publication à titre posthume de
sa monumentale History of Freedom (1906), où il s'attache en outre à montrer
que l'impératif catégorique de la liberté individuelle implique nécessairement
une claire limitation des pouvoirs et prérogatives de l'Etat. Ce qui le met en
porte à faux avec les nouvelles générations de liberals de plus en plus portés à
préconiser l'intervention croissante des gouvernements en tous domaines.
Mais l'année 1859 est également celle où John Stuart Mill fait paraître On
Liberty, hissé au fil du temps en ouvrage culte de la pensée libérale et placé par
lui sous le patronage moral et intellectuel d'un de ses grands prédécesseurs,
Wilhelm von Humboldt, l'une des plus éminentes figures des Lumières
germaniques." (p.65-66)
-Alain Laurent, "Après Adam Smith, la grande divergence au sein du libéralisme
1350
anglais: figures et évolutions", in Dominique Barjot, Olivier Dard, Frédéric
Fogacci et Jérôme Grondeux (dir.), Histoire de l'Europe libérale. Libéraux et
libéralisme en Europe (XVIIIe - XXIe siècle), Nouveau Monde Éditions, 2016,
359 pages, pp.63-76.

« Dès le gouvernement libéral de 1892-1894, le dernier dirigé par Gladstone,


les libéraux "expansionnistes", Rosebery, Asquith et Grey, s'opposent aux
libéraux gladstoniens, Harcourt et Morley, sur la question ougandaise mais un
tel débat sur l'impérialisme ne prend toute sa valeur et sa gravité qu'à la
lumière de la question irlandaise qui n'a pas menacé simplement la cohésion des
gouvernements libéraux, des derniers "grands ministères" de Gladstone, mais
l'existence même du parti libéral. C'est au nom même de la cohésion du nouveau
modèle impérial que Joseph Chamberlain, l' "espoir" du parti, le promoteur de
sa rénovation par un certain radicalisme social, avait condamné le projet de
Home Rule défendu par Gladstone en 1886: pour lui, l'autonomie de l'Irlande ne
pouvait que se limiter au domaine administratif et économique, à une simple
gestion interne des "affaires qui n'impliquent aucun intérêt impérial". C'est sur
cette thématique impériale qu'il avait entraîné avec lui 45 députés radicaux,
dont John Bright, pour voter contre le gouvernement en avril 1886, le faire
chuter, consommer la scission au sein du parti libéral et lui faire perdre les
élections consécutives avec 316 sièges pour les conservateurs et seulement 196
pour les libéraux. Certes, après la rupture de 1886, le parti, refondé sur un
nouveau programme, celui de Newcastle en 1891, de nouveau victorieux en
1892 (345 sièges contre 315 conservateurs et 47 unionistes de Chamberlain),
pourrait apparaître plus homogène et plus uni, libéré de son aile radicale et
impérialiste mais aussi de la fraction traditionnelle des "whigs" (Hartington)
elle aussi hostile à l'autonomie irlandaise, pourtant l'hypothèque de
l'impérialisme est loin d'être levée et prouve par là même sa force d'attraction
comme moyen d'encadrement national des nouvelles couches d'électeurs auprès
des libéraux, surtout des jeunes libéraux. En effet, le paroxysme des divisions fut
atteint lors de la guerre des Boers, le parti se divisant au sommet entre libéraux
impérialistes (Rosebery, Asquith, Grey), modérés (Campbell-Bannerman) et
pacifistes "pro-Boer" (Little Englander) mais surtout découvrant le clivage, déjà
lourd de menaces, entre le sommet parlementaire du parti (la majorité des
députés étant plutôt "impérialistes") et la base militante représentée par la
Fédération nationale à majorité acquise au pacifisme compte tenu du poids des
églises non conformistes. Certes, après la victoire conservatrice et unioniste des
1351
élections "khaki" d'octobre 1900, le parti retrouve en partie sa cohésion et le
chemin de l'opinion lorsqu'il dénonce avec Campbell-Bannerman les "méthodes
barbares" des camps d'internement civil mis en place en Afrique du Sud, ou
lorsqu'il s'appuie sur la critique théorique, économique et morale de
l'impérialisme faite par J. A. Hobson dès 1902: l'impérialisme, phénomène de
déperdition extérieure du capital national, révèle la sous-consommation de la
métropole, trahit la pauvreté entretenue des salariés nationaux en même temps
qu'il contredit tout effort de reformes et de dépenses sociales. Mais la division
initiale, celle de 1886, comme les tensions postérieures ont marqué le parti en
profondeur. » (p.109-110)

"En Angleterre, le néo-libéralisme de T. H. Green puis celui de J. A. Hobson se


fonde encore sur les principes individualistes initiaux mais accorde à l'Etat un
rôle propre, une sorte de personnalité théorique qui en fait le garant de l'égalité
des chances et le promoteur de la lutte contre les inégalités économiques et
sociales: dès le ministère libéral de 1892-1895, l'introduction d'un impôt sur les
successions montrait que la fiscalité n'était plus seulement conçue comme le
bilan comptable -équilibré par définition- de l'administration publique mais
comme un instrument autonome de redistribution des revenus et de répartition
des richesses par l'intervention sociale de l'Etat." (p.118-119)

-Nicolas Roussellier, L'Europe des libéraux, Éditions Complexe, 1991, 225


pages.

« Le Parti libéral dominait la vie politique britannique depuis les années 1830,
quand il se divisa en 1886 sur la question du gouvernement autonome, ou Home
Rule pour l’Irlande. Après 1886, il dut faire face, d’une part, à un Parti
conservateur revigoré allié aux unionistes libéraux qui refusaient le Home Rule,
d’autre part, à la contestation naissante des socialistes et des syndicalistes. Les
débats historiques autour du Parti libéral de 1886 à 1914 se sont en grande
partie concentrés sur la question de savoir jusqu’à quel point il avait réussi à
contenir ces forces adverses et s’il fallait attribuer son déclin brutal après la
Première Guerre mondiale aux années qui avaient précédé 1914 ou aux
difficultés rencontrées par les libéraux pendant la guerre, en particulier la
scission de 1916 entre les partisans de Herbert Asquith et ceux de David Lloyd
George. L’un des enjeux de ce débat consistait à reconnaître que le libéralisme
n’avait pas été, pendant cette période, un concept statique et qu’il y avait eu
plusieurs tentatives de redéfinition de son programme et de ses orientations.
1352
L’une des plus importantes d’entre elles consista en ce faisceau d’idées qui se fit
connaître sous le nom de Nouveau Libéralisme. »

« L’expression Nouveau Libéralisme semble avoir été utilisée pour la première


fois en 1889 dans un article rédigé pour la revue Nineteenth Century par un
député libéral dénommé Llewellyn Atherley-Jones. Il s’agissait avant tout d’un
appel lancé au Parti libéral pour qu’il se rallie à un « nouveau » libéralisme. À
l’époque, cet article suscita un certain intérêt et provoqua quelques réponses ;
puis, à partir des années 1890, l’expression semble être devenue relativement
courante pour décrire des tentatives de redéfinition des orientations politiques du
Parti libéral. Mais cela pose évidemment un certain nombre de questions : en
quoi consistait donc « l’ancien » libéralisme ? Et dans les changements
qu’Atherley-Jones jugeait nécessaires, qu’est-ce qui était « nouveau » ?
L’ancien libéralisme ressemblait beaucoup à ce à quoi le Parti libéral, et son
vénérable dirigeant William Gladstone, étaient associés à la fin des années 1880
: la défense du système de libre-échange, c’est-à-dire l’absence de taxes sur les
importations ; la réforme du système politique, en particulier l’extension du
suffrage et la réforme ou l’abolition de la Chambre des Lords ; la réduction du
rôle des Églises d’État, Église d’Angleterre et Église d’Écosse ; une meilleure
reconnaissance des nations non anglaises au sein du Royaume-Uni, en
particulier à travers l’adoption d’un Home Rule pour l’Irlande ; et certaines
exigences spécifiques émanant des non-conformistes religieux, dont un effort
pour faire baisser la consommation d’alcool en réduisant le nombre de pubs .

Llewellyn Atherley-Jones pensait qu’il fallait un renouvellement, non parce que


le programme existant était particulièrement « vieux », mais parce que les
mesures qu’il prônait étaient à l’origine de la catastrophique défaite aux
élections générales de 1886. L’élection avait succédé à l’adoption par William
Gladstone de la politique du Home Rule ; celle-ci avait divisé son propre parti
entraînant la défection d’un groupe important de députés, suivi par quelques
leaders radicaux, tel Joseph Chamberlain, qui formèrent le Parti libéral unioniste
et s’allièrent aux conservateurs. Tous les libéraux n’étaient pas convaincus que
l’insistance de Gladstone à faire du Home Rule une mesure phare du Parti leur
permettrait de se remettre de la défaite de 1886, et la fin des années 1880 fut
marquée par les rumeurs et les conjectures entourant la direction du Parti. Les
prescriptions de Llewellyn Atherley-Jones étaient vagues, mais elles contenaient
le noyau du Nouveau Libéralisme. Tout d’abord, il estimait que l’avenir du
libéralisme se trouvait dans la classe ouvrière. Ce n’était pas vraiment une
1353
révélation. Le Reform Act de 1884 introduit par le gouvernement de Gladstone
garantissait que plus des trois quarts du corps électoral serait composés
d’hommes issus de la classe ouvrière . Mais la vraie question était de savoir
comment séduire cet électorat. Llewellyn Atherley-Jones considérait qu’une des
clés consistait à promouvoir « une plus large diffusion du bien-être physique  »,
en d’autres termes, il fallait que l’État prenne des mesures pour élever le niveau
de vie des travailleurs en mettant en place des formes d’action sociale (social
welfare). Les libéraux, en s’engageant sur cette voie, seraient accusés de «
socialisme », prévenait-il, mais il fallait néanmoins qu’ils s’y engagent
vigoureusement."

"Pendant les années 1903-1906, les conservateurs, par exemple, finirent par
abandonner le libre-échange pour se tourner vers une taxation des
importations, ce qu’ils appelaient une « réforme tarifaire » (tariff reform), afin
de stimuler des secteurs vacillants de l’économie et d’encourager la prospérité
nationale et l’unité de l’Empire. Tous les projets visant à accroître
l’intervention de l’État dans l’économie et la société avaient tendance à être
taxés de « socialisme » par ceux à qui ils déplaisaient et qui souhaitaient les
discréditer en les associant au très petit nombre de socialistes engagés qui
avaient commencé à émerger dans les années 1880 au sein d’organisations
comme la Fédération social-démocrate (Social Democratic Federation) ou chez
les Fabiens. Mais il serait plus exact de dire que les socialistes n’étaient eux-
mêmes qu’un symptôme d’une tendance plus générale à ce que l’on pourrait
nommer de manière plus neutre le « collectivisme » dans tous les partis et dans
de nombreux domaines de réflexion, dont l’économie, la sociologie, la
philosophie et la théologie.

Mais le souhait de Llewellyn Atherley-Jones de voir les libéraux s’emparer de la


réforme sociale était à certains égards particulièrement problématique. L’un
des nombreux marqueurs de l’identité libérale était justement sa défense de la «
liberté » contre l’intervention de l’État : liberté de parole et d’assemblée, liberté
commerciale et religieuse. Ainsi, beaucoup de libéraux étaient hostiles à
l’intervention de l’État dans la société parce qu’ils considéraient qu’il était aux
mains d’une petite clique n’agissant pas dans l’intérêt du plus grand nombre. À
la fin du 19e siècle, lorsque le droit de vote fut étendu, on commença à
envisager un État contrôlé par le peuple et donc susceptible d’être une force de
libération et de promotion du bien-être général. Tout bien considéré, la façon
dont les libéraux se voyaient eux-mêmes comme « le parti peuple » pouvait
1354
prendre le pas sur leur conception de la liberté. Il existait déjà des signes
indiquant que le Parti libéral était prêt à recourir aux institutions
démocratiques locales pour étendre le rôle de l’État. Le gouvernement
Gladstone de 1868-1874 avait fait voter la première grande loi sur l’éducation
en 1870, autorisant la création d’écoles sur fonds publics et sous le contrôle de
conseils d’administration élus par les contribuables locaux. Son dernier
gouvernement (1892-1894) fit voter le Local Government Act de 1894 qui créait
en Angleterre et au Pays de Galles un réseau de conseils communaux élus ayant
le pouvoir, entre autres, d’attribuer à la population des terrains à bail. Dans les
années 1890, le Parti se distingua également en faisant des propositions sur le
contrôle du commerce de l’alcool, principalement en permettant à la population
d’organiser des référendums locaux pour savoir si la vente d’alcool devait être
ou non autorisée dans leur zone. »

"Après le raz de marée libéral lors de l’élection générale de 1906, les rangs des
jeunes députés libéraux comptaient un certain nombre de partisans de la réforme
sociale, notamment Charles F. G. Masterman, un journaliste qui, ayant comme
de nombreux autres nouveaux libéraux mené des enquêtes sociales et pris part à
des actions de terrain, se considérait comme un spécialiste de la question. Afin
de promouvoir leurs opinions, quelques nouveaux libéraux déclarés formèrent
un groupe « collectiviste » de députés de base (backbenchers) rassemblés autour
de leur collègue chevronné sir Charles Dilke. Une analyse des votes libéraux
aux Communes montre qu’il y avait un noyau de vingt-cinq à trente députés
prêts à voter de manière régulière contre leur gouvernement afin de le pousser
plus loin sur le chemin des réformes sociales. Il y avait aussi ceux qui, comme
l’ex-leader du Parti, lord Rosebery, se plaignaient du fait que « le Nouveau
Libéralisme [était] en réalité largement dirigé contre la liberté, alors que le vieux
libéralisme entendait la promouvoir ». Mais, dès 1907, Rosebery, sentant qu’il
était à contre-courant, avait pratiquement rompu ses liens avec le Parti libéral."

"Le tropisme général vers le « collectivisme » (collectivism) à la fin du 19e


siècle et au début du 20e siècle avait mis les réformes sociales au cœur du débat
entre libéraux et conservateurs dans les années 1890 et 1900. Par exemple, la
réforme sociale de loin la plus importante introduite par le gouvernement libéral
à cette période fut la loi sur les pensions de retraite de 1908 (Old Age Pensions
Act). Celle-ci nous paraît fort modeste aujourd’hui, avec ses cinq shillings par
semaine accordés aux citoyens au-dessus de soixante-dix ans dont le revenu
annuel était inférieur à trente et une livres et dix shillings ; elle comprenait, en
1355
outre, toute une série d’exceptions. Toutefois, elle introduisit quelques principes
très importants en séparant, de fait, les prestations sociales de l’ancienne loi sur
les pauvres (Poor Law) ; et en octroyant des pensions comme un droit et non
plus comme une aide humiliante distribuée à contrecœur à des nécessiteux."

"à l’instigation de Joseph Chamberlain, les conservateurs avaient mis en avant


leur volonté d’instaurer ces pensions lorsqu’ils remportèrent l’élection générale
de 1895, avant de notoirement échouer à tenir leurs promesses durant toute la
période où ils furent au pouvoir entre 1895 et 1905. Les libéraux ne manquèrent
pas de critiquer la supposée duplicité de Chamberlain, mais ce faisant ils
devaient eux-mêmes être prêts à reprendre ce projet de pensions. Le coup joué
par Chamberlain en 1895 semblait prouver que cette idée était populaire et pas
moins de 59 % des candidats libéraux l’introduisirent dans leur programme
électoral en 1906. Cela eut pour effet de prendre les conservateurs à revers, alors
que c’est eux, et non les libéraux, qui avaient placé ce sujet au centre du débat
politique britannique."

"Bon nombre de libéraux n’étaient pas prêts à accepter un fort accroissement des
dépenses, alors même que l’instauration de pensions de vieillesse le rendait
inévitable et que venait s’y ajouter un budget en hausse pour le réarmement
naval. En 1908-1909, le déficit budgétaire atteignait seize millions de livres.

Depuis le milieu des années 1890, les libéraux avaient pris parti en faveur d’une
méthode particulière pour faire face aux dépenses croissantes de l’État, mais ils
n’avaient pas prévu que celles-ci atteindraient de tels niveaux. La méthode en
question reposait sur la « progressivité » de l’impôt direct ; il s’agissait de faire
payer aux plus hauts revenus un plus fort pourcentage de leur richesse qu’à ceux
dont les revenus étaient plus faibles. Cela permettait aux libéraux de ne pas
remettre en cause leur sacro-saint principe de libre-échange, en ne taxant pas les
importations et en faisant supporter les hausses d’impôts au plus petit nombre.
Ce principe avait été appliqué pour la première fois aux droits de succession
dans le budget de 1894. Dans le budget de 1909, il fut également appliqué à
l’impôt sur le revenu et les fortes augmentations des impôts directs progressifs
permirent au gouvernement libéral de financer ses réformes sociales. Mais
comment l’ampleur de ces hausses d’impôts pouvait-elle se justifier aux yeux
des libéraux, dont beaucoup continuaient de croire dans la réduction des
dépenses ? Il aurait été possible de reprendre certains arguments classiques des
nouveaux libéraux, en particulier ceux avancés par John A. Hobson, pour
1356
justifier de telles mesures. En effet, déjà en 1894, Hobson avait suggéré que
l’économie souffrait d’une crise de « sous-consommation  ». Les pauvres
n’avaient tout simplement pas assez de revenu disponible pour constituer un
marché destiné aux biens britanniques ; ainsi, leur distribuer davantage de
revenu permettrait de stimuler l’activité économique. Mais alors que cette
théorie économique allait se révéler extrêmement influente dans les années 1920
et 1930, on n’a guère lieu de penser qu’elle fut mise en avant pour défendre le
budget du gouvernement par les dirigeants politiques ou les journalistes libéraux
en 1909-1910."

"L’autre grande initiative des libéraux après les pensions de retraite, la loi sur
l’assurance nationale de 1911. Tous les citoyens gagnant moins de cent soixante
livres par an étaient intégrés à un système administré par l’État, dans lequel,
travailleurs, employeurs et État versaient une contribution hebdomadaire à un
fonds ; en échange, les membres du fonds bénéficiaient d’indemnités de maladie
et d’autres avantages médicaux. En 1913, l’assurance nationale fut étendue à
titre expérimental afin de verser des indemnités de chômage à deux millions et
demi de travailleurs dans les industries où le chômage cyclique ou saisonnier
était fréquent. Ces mesures reçurent, bien sûr, le soutien de John A. Hobson et
Leonard T. Hobhouse, et elles s’accordaient parfaitement avec leur vision d’une
société plus solidaire, avec des droits et des responsabilités mutuels. Mais elles
n’avaient pas fait l’objet d’une large discussion. La plupart des débats sur les
grandes réformes sociales n’étaient pas allés plus loin que le financement des
pensions, tandis que les socialistes et les travaillistes s’étaient davantage
préoccupés de la journée de huit heures et de la législation sur le « droit au
travail » pour aider les chômeurs. Surtout, ni Hobson ni Hobhouse (ou aucun
autre libéral de premier plan) n’avaient évoqué un système semblable à
l’assurance nationale dans leurs écrits. En réalité, les deux auteurs avaient fourni
des arguments généraux et théoriques en faveur de la réforme sociale, mais en
aucune manière les plans détaillés de systèmes spécifiques. L’assurance
nationale était en grande partie l’idée de David Lloyd George, fruit de son
implication dans le pilotage de la réforme sur les pensions de retraite à la
Chambre des Communes en 1908. La popularité et l’envergure de ces
propositions l’amenèrent à voir dans la législation sociale la clé de la réussite du
Parti dans l’avenir, et les pensions devraient servir de précédent pour
promouvoir de nouvelles prestations sociales. David Lloyd George eut donc
l’idée d’un vaste système d’assurance-maladie, mais qui, cette fois, ne serait pas
1357
financé entièrement par les impôts comme les pensions de vieillesse. Il
s’appuierait au contraire sur le principe qui était déjà connu de millions de gens
et sur l’expertise de sociétés d’assurance amies déjà existantes pour administrer
le système. Celui-ci, plus encore que dans le cas des pensions, serait fondé sur
un droit à l’assistance pour ceux qui auraient participé et contribué à un
programme d’assurances. » -Ian Packer et Bruno Poncharal, « Libéralisme et
Nouveau Libéralisme des années 1880 à 1914 », Vingtième Siècle. Revue
d'histoire, 2013/4 (N° 120), p. 15-25. DOI : 10.3917/ving.120.0015. URL :
https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2013-4-page-
15.htm

https://www.amazon.fr/William-Ewart-Gladstone-James-
McCearney/dp/2363711726/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1506025046
&sr=1-1&keywords=James+McCearney%2C+William+Ewart+Gladstone

https://www.amazon.fr/Liberty-Retrenchment-Reform-Liberalism-
Gladstone/dp/0521548861/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=158
9314727&sr=1-1

https://www.amazon.fr/Rise-Liberal-Government-Victorian-
Britain/dp/0300067186/ref=sr_1_1?s=english-
books&ie=UTF8&qid=1506027503&sr=1-
1&keywords=The+Rise+and+Fall+of+Liberal+Government+in+Victorian+Brit
ain

https://www.amazon.co.uk/Downfall-Liberal-Party-1914-1935/dp/0571280218

Albert Venn Dicey (1835-1922): « Dicey, ce libéral éminent […] s'est donné
pour tâche de rechercher les origines de la tendance "anti-laissez-faire", ou,
comme il l'appelle, "collectiviste", dans l'opinion publique anglaise, tendance
dont l'existence est manifeste depuis la fin des années 1860. » -Karl Polanyi, La
Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps,
Paris, Gallimard, coll. tel, 1983 (1944 pour la première édition états-unienne),
463 pages, p.206.

John Dalberg-Acton, 1st Baron Acton (1834-1902): « J'admets avec vous que
les plus grands dangers intérieurs qui menacent aujourd'hui les Etats du Nord
sont moins l'esclavage que la corruption des institutions démocratiques. [...]
Quant à la politique qui laisse l'esclavage se développer dans toute une portion

1358
de la terre dans laquelle il était jusqu'ici inconnu, j'avouerais, si vous le voulez,
avec vous, que dans l'intérêt particulier et actuel de l'Union, on ne peut faire
autrement que de le laisser ainsi s'étendre. » -Lord Acton, Lettre à T. Sedgwick,
13 avril 1857.

« Les vrais amis de la liberté ont toujours été rares, et l'on ne doit ses triomphes
qu'à des minorités qui l'ont emporté en se donnant des alliés dont les objectifs
différaient souvent des leurs. » -John Dalberg-Acton, 1st Baron Acton, Histoire
de la Liberté dans l’Antiquité, 26 février 1877.

« Lord Acton développe une autre idée selon laquelle la nationalité n'est qu'un
des éléments constitutifs de "détermination des formes de l'Etat" ; elle n'est pas
dans un rapport de fusion avec celui-ci, mais, pourrait-on dire, dans un rapport
de contre-pouvoir ; elle doit avoir pour effet la limitation du pouvoir de l'Etat.
"La présence, dit-il, de diverses nations sous la même souveraineté produit un
effet analogue à celui de l'indépendance de l'Église et de l'Etat. Elle prémunit
contre la servilité qui se développe à l'ombre d'une autorité unique, en
équilibrant les intérêts, en multipliant les associations et en apportant au sujet
la modération et le soutien d'une opinion rassemblée." [...]
C'est donc l'Etat multinational qui présente les meilleures chances de
civilisation: "Un Etat qui n'est pas capable de satisfaire des races différentes se
condamne lui-même ; un Etat qui œuvre à les neutraliser, à les absorber ou à les
exclure détruit sa propre vitalité ; un Etat qui ne les inclut pas dans son système
se prive de la principale base d'un gouvernement libre. » -Michel Winock, Le
XXème siècle idéologique et politique, Éditions Perrin, coll. Tempus, 2009, 540
pages, p.188-189.

Charles Dilke (1843-1911): https://www.amazon.fr/Lost-Prime-Minister-


Charles-
Dilke/dp/1852851252/ref=sr_1_cc_1?s=aps&ie=UTF8&qid=1515585835&sr=1
-1-
catcorr&keywords=The+Lost+Prime+Minister%3A+Life+of+Sir+Charles+Dilk
e

Herbert Henry Asquith (1852-1928):

Francis Wrigley Hirst (1873-1953): « Dès les années 1930, on assiste [...] en
Grande-Bretagne, à une contre-offensive en faveur du libre marché. Exemplaire
à cet égard est la bataille du journaliste Francis Wrigley Hirst, qui publie en
1359
1935 Liberty and Tyranny, ainsi que Economic Freedom and Private Property. »
-Serge Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris,
Éditions Grasset et Fasquelle, 2012, 631 pages, p.329.

Ernest Benn (1875-1954): « L'animateur de la Society of Individualists, Ernest


Benn, défendait depuis les années 1920 un libéralisme radical et ultra-
individualiste qui voulait renouer avec le vieux libéralisme de l'école de
Manchester. Son essai, The Confession of a Capitalist, publié en 1925, atteint
dans les années 1940 un tirage de près de 250 000 exemplaires: l'écho de la
propagande de Benn est alors incommensurablement plus important que celui
du Colloque Lippmann. Son combat acharné contre les idées sociales-libérales
de Beveridge se traduit ensuite, en 1941, par le Manifesto of British Liberty:
bien des aspects du réquisitoire que Hayek dressera bientôt dans La Route de la
servitude sont alors, déjà, publiquement exposés. Or, c'est précisément au sein
de cette Society of Individualists de Benn que les jeunes Smedley et Fisher, les
deux futurs piliers de l'Institute of Economic Affairs, se sont précocement
rencontrés. » -Serge Audier, Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle,
Paris, Éditions Grasset et Fasquelle, 2012, 631 pages, p.329.

Archibald Primrose, 5th Earl of Rosebery (1847-1929):

David Lloyd George (1863-1945): “David Lloyd George, le chancelier de


l’Échiquier, chargé de défendre la mesure, n’hésita pas à proclamer que tout
libéral qui refuserait cet argument n’était en rien un libéral, mais appartenait «
au nouveau parti anarchiste […] ouvertement et cruellement individualiste »,
démontrant ainsi que l’attachement à l’individualisme, qui avait été un mot
d’ordre pour de nombreux libéraux de l’époque victorienne, était en 1908
redéfini comme antilibéral.” -Ian Packer et Bruno Poncharal, « Libéralisme et
Nouveau Libéralisme des années 1880 à 1914 », Vingtième Siècle. Revue
d'histoire, 2013/4 (N° 120), p. 15-25. DOI : 10.3917/ving.120.0015. URL :
https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2013-4-page-
15.htm

« Les Libéraux concédèrent l’impôt progressif, baptisé « Budget du Peuple »


(1911), mais continuèrent à perdre du terrain pendant la Première Guerre
mondiale, face aux progrès de l’organisation syndicaliste et à l’émergence de
courants radicaux, combatifs et pacifistes ou féministes. » -Fabien Knittel et all,
Le travail en Europe occidentale des années 1830 aux années 1930. Mains-

1360
d’œuvre artisanales et industrielles, pratiques et questions sociales, Ellipses
Édition, 2020, 440 pages, p.366.

"The quote from the English Prime Minister Lloyd George in Vienna’s Neuen
Freien Press shows how dangerous this possibility appeared to the status of
Versailles: “The steady expansion of communism in Germany represents a
grave danger for the whole of Europe. The War has shown what a powerful
people the Germans are when they are put to the test. That’s why a Communist
Germany would be far more dangerous to the world than Communist Russia… I
cannot imagine any greater danger for Europe, yes, for the whole world, than for
there to be a great Communist state in Central Europe, directed and maintained
by one of the world’s most intelligent and disciplined peoples.” " -Karl Otto
Paetel, The National Bolshevist Manifesto, Berlin, 1933, 83 pages, note 5 p.11.

Joseph Chamberlain (1836-1914): https://www.amazon.fr/Joseph-


Chamberlain-Entrepreneur-Peter-
Marsh/dp/0300058012/ref=sr_1_cc_1?s=aps&ie=UTF8&qid=1506025495&sr=
1-1-catcorr&keywords=Joseph+Chamberlain%3A+Entrepreneur+in+Politics

Matthew Arnold (1822-1888): http://academienouvelle.forumactif.org/t6290-


matthew-arnold#7407

John Ruskin (1819-1900) : « On se souviendra de John Ruskin — avec Carlyle,


les Webb, Bernard Shaw et quelques autres — comme l'un des grands
fossoyeurs de la liberté, de la civilisation et de la prospérité britanniques.
Personnage misérable dans sa vie privée comme dans sa vie publique, il
glorifiait la guerre et l'effusion de sang, et calomniait les enseignements de
l'économie politique qu'il ne comprenait pas. C'était un grand détracteur de
l'économie de marché et un apologiste romantique des guildes. Il rendait
hommage aux arts des siècles passés. Mais quand il se trouva en face de l'œuvre
d'un grand artiste vivant, Whistler, il la critiqua avec un langage tellement
infect et tellement plein de reproches qu'il fut poursuivi pour diffamation et
condamné par le jury. Ce furent les écrits de Ruskin qui popularisèrent le
préjugé selon lequel le capitalisme, en plus d'être un mauvais système
économique, aurait remplacé la beauté par la laideur, la grandeur par
l'insignifiance, l'art par l'ordure. » -Ludwig von Mises, La Mentalité anti-
capitaliste, 1956.

1361
« Théorie des "sphères" dont Ruskin se fait l'interprète (Of Queen's Gardens,
1864). » -Michelle Perrot, "Sortir", in Geneviève Fraisse & Michelle Perrot
(dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", Perrin, 2002
(1991 pour la première édition), 765 pages, pp.539-574, p.539.

Thomas Carlyle (1795-1881) : « L’Histoire du monde n’est rien d’autre que la


biographie des grands hommes. » (p.55)

« Le monde entier, toute l’histoire de l’humanité attendaient la venue de cet


homme [Luther]. » (p.174)

-Thomas Carlyle, Les Héros (1841), Maisonneuve et Larose, 1998.

« L'historien anglais Carlyle célèbre à son tour la Révolution, en 1837, pour sa


destruction d'un Ancien Régime corrompu. » -Jean Tulard, Jean-François Fayard
& Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française. 1789-1799,
Éditions Robert Lafont, coll. Bouquins, 2002 (1987 pour la première édition),
1223 pages, p.1153.

« Cette vision doit beaucoup au romantisme de l’époque, ainsi qu’au transport


quasi mystique d’un historien dont la matière héroïque est considérée comme
l’expression de la Providence. Chaque individu érigé en héros est perçu comme
une incarnation de Dieu dans le monde d’ici-bas, et son parcours biographique
retrace donc le cheminement de la vérité. A ce titre, Carlyle exalte bien des
héros au sens antique du terme, des êtres mi-humains et mi-divins, invitant son
lecteur à un véritable culte du héros pour faire contrepoids au repli individuel.
C’est le héros contre l’individu, et la biographie s’entend dans ce cas comme un
« collyre pour nettoyer les yeux de l’égotisme ». Paradoxalement, la focalisation
sur la figure héroïque présuppose un renoncement de soi, une ascèse qui laisse
place à l’universel incarné. » (p.179)

« La section suivante est consacrée aux héros en tant qu’hommes de lettres et


Carlyle retrace la biographie de Rousseau, Johnson et Burns. […] En dernier
lieu, Carlyle envisage le héros comme un roi et distingue deux modes
d’incarnation de l’esprit révolutionnaire moderne avec les personnages de
Cromwell et de Napoléon. […] Le seul Grand Homme historique qui émerge de
son œuvre, c’est Cromwell, pourtant non reconnu par l’Histoire. Ce parcours
d’humanisation qui conduit à la question politique suit la ligne d’un progrès
postulé par Carlyle selon une forme continue. Fasciné par l’équation

1362
biographique, Carlyle consacre treize années de sa vie et à la publication d’une
monumentale biographie de Frédéric II. » (p.180-181)

-François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La


Découverte, 2005, 480 pages.

« Carlyle influença profondément l’imaginaire littéraire de l’Angleterre


victorienne, de Charles Dickens à Friedrich Engels en passant par George
Eliot, John Ruskin et William Morris. C’est également lui qui inspira la
première école d’histoire sociale, celle qui vit le jour dans les années 1880 avec
les travaux d’Arnold Toynbee. » -Gareth Stedman Jones, « De l’histoire sociale
au tournant linguistique et au-delà. Où va l’historiographie britannique ? »,
Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 33 | 2006, mis en ligne le 01
décembre 2008, consulté le 11 mai 2020.

« Ce dont manque et a toujours manqué l'Angleterre, ce demi-comédien et


rhéteur, cet esprit confus et inepte de Carlyle le savait bien, lui qui chercha à
cacher sous des grimaces passionnées ce qu'il savait de lui-même: à savoir ce
qui manquait à Carlyle- la véritable puissance de l'esprit, la véritable
profondeur du regard spirituel, bref la philosophie. » -Friedrich Nietzsche, Par-
delà bien et mal, traduction Patrick Wotling, Paris, GF Flammarion, 2000 (1886
pour la première édition allemande), 385 pages, p.234, §252.

« Carlyle est un auteur anglais du XIXe siècle qui passait pour le prototype du
sage à l'époque victorienne. Ce qui ne va pas sans paradoxe, car nul n'a
dénoncé avec plus de persévérance et plus de violence ce qu'il considérait
comme la petitesse matérialiste de son siècle. Il faisait "claquer le fouet destiné
à cingler, entre autres choses, notre Lugubre Science -dismal science" -ladite
science économique. [...] Dès que l'économie est apparue, elle a suscité une
opposition que l'on pourrait dire "romantique". » -Philippe Simonnot, 39 leçons
d'économie contemporaine, Gallimard, coll. folio.essais, 1998, 551 pages, p.13.

« Comme Renan et Taine, Carlyle voit dans l'impérialisme une bénédiction.


"The Nigger Question" est aussi un panégyrique de l'action civilisatrice de
l'homme blanc. » -Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une tradition du XVIIIème
siècle à la guerre froide. Saint-Amand, Gallimard, coll. Folio histoire, 2010, 945
pages, p.436.

1363
Octavia Hill (1838-1912) : « La philanthropie a constitué pour les femmes une
expérience non négligeable qui a modifié leur perception du monde, leur sens
d'elles-mêmes et, jusqu'à un certain point, leur insertion publique. [...] London
Bible Women and Nurses Mission de Ellen R. White en 1859 ou la Charity
Organization Society d'Octavia Hill en 1869. [...] Octavia Hill, femme d'affaires
avisée et membre de très nombreux comités, conçoit la philanthropie comme une
science destinée à promouvoir la responsabilité individuelle ; son livre, Our
Common Land (1877), empreint d'idéologie libérale, exprime une foi optimiste
dans l'initiative privée qu'elle préfère à l'intervention de l'Etat. » (p.541)

-Michelle Perrot, "Sortir", in Geneviève Fraisse & Michelle Perrot


(dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 4 "Le XIXe siècle", Perrin, 2002
(1991 pour la première édition), 765 pages, pp.539-574.

http://academienouvelle.forumactif.org/t6838-octavia-hill-our-common-
land?highlight=octavia+hill

Herbert Spencer (1820-1903): « An overwhelming prejudice in favour of


ancient and existing usages has ever been, and probably will long continue to
be, one of the most prominent characteristics of humanity. No matter how totally
inconsistent with the existing state of society — no matter how utterly
unreasonable, both in principle and practice — no matter how eminently
absurd, in every respect, such institutions or customs may be — still, if they have
but the countenance of fashion or antiquity — if they have but been patronised
and handed down to us by our forefathers — their glaring inconsistencies,
defects, and puerilities are so completely hidden by the radiant halo wherewith
a blind veneration has invested them, that it is almost impossible to open the
dazzled eyes of the world, to an unprejudiced view of them. » -Herbert Spencer,
The Proper Sphere of Government.

« L’homme ultime sera tel que ses exigences privées coïncident avec les
exigences publiques. Il sera ce type d’homme qui, en réalisant spontanément sa
propre nature accomplit incidemment les fonctions d’une unité sociale ; et alors
qu’il lui est donné de réaliser sa nature propre, chacun fait de même. » -Herbert
Spencer, Social Statics, London, John Chapman, 1851, p.410.

“To the same extent that the triumph of might over right is seen in a nation’s
political institutions, it is seen in its domestic ones. Despotism in the state is
necessarily associated with despotism in the family. … [I]n as far as our laws
1364
and customs violate the rights of humanity by giving the richer classes power
over the poorer, in so far do they similarly violate those rights by giving the
stronger sex power over the weaker. … To the same extent that the old leaven of
tyranny shows itself in the transactions of the senate, it will creep out in the
doings of the household. If injustice sways men’s public acts, it will inevitably
sway their private ones also. The mere fact, therefore, that oppression marks the
relationships of out-door life, is ample proof that it exists in the relationships of
the fireside.” -Herbert Spencer, Social Statics: or, The Conditions Essential to
Human Happiness Specified, and the First of Them Developed (New York:
Robert Schalkenbach Foundation, 1970), pp. 143-4.

« Herbert Spencer (1820-1903) entre sur la scène intellectuelle publique en


publiant, très jeune, le bref The Proper Sphere of Government (1843), un recueil
de douze lettres parues dans la revue The Non-Conformist où, au sujet de la vie
sociale et religieuse, il défend des vues fortement imprégnées de non-
conformisme et donc typiquement libérales. Puis, en 1851, il change de registre
en même que d'ambition avec les très volumineux Social Statics, un maître-
ouvrage de sociologie où figure néanmoins un chapitre plus "idéologique" et
polémique qui va vite avoir un certain retentissement: "Le droit d'ignorer l'Etat"
-un titre à connotation anarchisante et tout cas expression d'un libéralisme pur
et dur. » -Alain Laurent, "Après Adam Smith, la grande divergence au sein du
libéralisme anglais: figures et évolutions", in Dominique Barjot, Olivier Dard,
Frédéric Fogacci et Jérôme Grondeux (dir.), Histoire de l'Europe libérale.
Libéraux et libéralisme en Europe (XVIIIe - XXIe siècle), Nouveau Monde
Éditions, 2016, 359 pages, pp.63-76, p.65.

« Le système de Spencer est tout entier construit sur la base d'une loi supposée
rendre compte de la dynamique d'évolution au sein de la nature: la vie et l'esprit
répondent au principe d'adaptation fondamental, l'ajustement des relations
organiques internes aux relations externes dans l'environnement.

Les idées d'organisme et de milieu, telles que conçues par Comte, sont
rationnelles articulées à l'aide de deux partis pris doctrinaux chez Spencer, l'un
inspiré de la psychologie associationniste, l'autre de la théorie lamarckienne de
l'hérédité des caractères acquis. Selon le philosophe anglais, les "successions
psychologiques" habituelles suscitent des tendances héréditaires aux mêmes
successions qui, sous l'effet de conditions persistantes, deviennent cumulatives
de générations en générations. Les lois de la pensée résulteraient ainsi de
1365
l'expérience adaptative de l'espèce. L'augmentation en complexité de
l'environnement conduit progressivement vie organique et vie de l'esprit à des
ordres de complexité supérieurs. Cette évolution renvoie à une loi de la vie
organique: une structure hétérogène naît de l'homogène et constitue un
perfectionnement de la vie. Le développement de la société suit cette même loi
qui se traduit par l'avancement de la spécialisation des fonctions sociales. »
(p.111)

"Les conceptions en matière d'éducation développées par Spencer participent de


cette loi du milieu. Elles sont dérivées du modèle biologique d'adaptation qui
supporte son système. […] Les méthodes d'apprentissage préconisées vont du
concret vers l'abstrait. Elles s'appuient sur l'observation et non sur l'
"autorité"." (pp.116-117)

-Nathalie Bulle, L’école et son double. Essai sur l’évolution pédagogique en


France, Paris, Hermann, coll. Savoir et pensées, 2010, 338 pages.

« L’évolution des courants philosophiques dans l’Angleterre du XIXe siècle :


d’abord une pensée influencée par l’évolutionnisme (Spencer, Huxley) qui
s’étend à toutes les branches de la philosophie ; ensuite une réaction idéaliste
contre le naturalisme (Green, Caird, Bradley, Bosanquet) pour substituer la
dialectique à l’évolutionnisme, l’esprit absolu de Hegel à la nature des savants
et, enfin, une réaction contre l’idéalisme (Russell et Moore) qui souligne
l’influence de Lotze. » - « Analyses et comptes rendus », Revue philosophique
de la France et de l'étranger, 2009/2 (Tome 134), p. 237-280. DOI :
10.3917/rphi.092.0237. URL : https://www.cairn.info/revue-philosophique-
2009-2-page-237.htm

Le positivisme britannique : Richard Congreve (1818-1899), Frederic


Harrison (1831-1923), George Henry Lewes (1817-1878) :
(1) Le positivisme britannique : Richard Congreve, Frederic Harrison, George Henry Lewes
(forumactif.org)

George Eliot, de son vrai nom Mary Ann Evans (1819-1880) :

Thomas Hill Green (1836-1882), l’idéalisme britannique et la naissance du


progressisme social: "Un philosophe membre du parti libéral, Thomas H.
Green (1836-1882) [...] dans deux séries de conférences données à Oxford,
Lectures on Political Obligations en 1879 et Lectures on Liberal Legislation and
1366
Freedom of Contract en 1881, soutient que depuis des débuts avec Locke, le
libéralisme s'est engagé dans une impasse et qu'il convient d'en reconstruire
tout l'édifice intellectuel. Pour cet adepte de l'idéalisme hégélien, il faut
commencer par distinguer deux types de libertés, la "liberté négative" et la
"liberté positive". Consistant à ne pas être entravée, la première ne suffit pas à
permettre à chacun de satisfaire ses besoins. Seule la seconde qui équivaut au
pouvoir d'obtenir et de jouir des biens nécessaires à la vie peut assurer une
réelle égalité des chances pour tous. Les hommes n'ont pas de droits en tant
qu'individus mais sont membres de la société conçue comme une communauté et
un tout organique. Tout en se voulant toujours "libéral", Green répudie donc
ainsi l'essentiel du paradigme libéral classique dans lequel J. S. Mill se
reconnaissait encore. Et ce d'autant que récusant aussi bien l'utilitarisme que la
référence jusnaturaliste du droit naturel, il prône une forte intervention de
l'Etat, dont la mission n'est plus seulement d'assurer la sûreté des individus et de
faire respecter l'état de droit mais de se muer en éducateur moral soucieux de
construire un environnement social (social welfare) favorisant le bien commun.
Si quelqu'un prend alors fortement conscience que Green ne fait que théoriser et
formaliser un glissement idéologique déjà perceptible au sein du libéralisme
anglais depuis le début des années 1870, c'est bien Herbert Spencer, qui entre
en guerre intellectuelle ouverte contre ce révisionnisme radical [...] En 1884,
dans son ouvrage le plus connu, The Man versus the State [...] il constate et
déplore que depuis les réformes sociales initiées par Gladstone lors de son
second passage au pouvoir, le libéralisme s'est peu à peu vidé de son contenu
authentique pour en arriver même à se retourner en son contraire." (p.67-68)
-Alain Laurent, "Après Adam Smith, la grande divergence au sein du libéralisme
anglais: figures et évolutions", in Dominique Barjot, Olivier Dard, Frédéric
Fogacci et Jérôme Grondeux (dir.), Histoire de l'Europe libérale. Libéraux et
libéralisme en Europe (XVIIIe - XXIe siècle), Nouveau Monde Éditions, 2016,
359 pages, pp.63-76.

« La fin du siècle a vu alors se développer en Angleterre ce qu'on a appelé un "


nouveau libéralisme ", libéralisme social préoccupé de justice et d'égalité,
prônant l'intervention de l'Etat, dont Thomas Hill Green, John A. Hobson et
Leonard Hobhouse sont les principaux théoriciens, et auquel Keynes se
référera dans les années 1920. » -Gilles Dostaler, « Les chemins sinueux de la
pensée économique libérale », L'Économie politique, 2009/4 (n° 44), p. 42-64.

1367
http://hydra.forumactif.org/t708-thomas-hill-green-prolegomena-to-ethics-
lectures-on-the-principles-of-political-obligation#1303

https://www.amazon.fr/nouveau-lib%C3%A9ralisme-anglais-Maurice-
Chretien/dp/2717837841/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=1537292829&sr
=1-3&keywords=Le+Nouveau+lib%C3%A9ralisme+anglais

https://www.amazon.fr/Persistence-Victorian-Liberalism-Politics-1870-
1900/dp/0313313059/ref=tmm_hrd_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=&sr=

Francis Herbert Bradley (1846-1924):

Bernard Bosanquet (1848-1929):


http://academienouvelle.forumactif.org/t5688-bernard-bosanquet#6736

Leonard Trelawny Hobhouse (1864-1929) et la naissance de la sociologie


universitaire britannique: "Leonard T. Hobhouse, journaliste et universitaire,
et John A. Hobson, auteur à son compte, sont les plus connus des penseurs
libéraux à avoir repris les suggestions de Llewellyn Atherley-Jones et à
développer son idée d’une réorientation du libéralisme en faveur de la réforme
sociale. Ni l’un ni l’autre n’occupaient de fonction politique, mais ils publiaient
régulièrement dans la presse libérale, en particulier le Manchester Guardian, le
Daily News et l’hebdomadaire Nation, tout en diffusant leur pensée dans divers
ouvrages, dont Liberalism publié par Hobhouse en 1911 et The Crisis of
Liberalism par Hobson en 1909. Tous deux se considéraient comme fermement
ancrés dans la tradition libérale et défendaient farouchement de nombreux
principes au cœur du « vieux » programme libéral des années 1880 ; ainsi,
Hobhouse fut un temps secrétaire de l’Union pour le libre-échange (Free Trade
Union). Pour les deux hommes, la réforme sociale s’inscrivait dans le
prolongement des préceptes libéraux en vigueur et un de leurs principaux
objectifs était de montrer que le vocabulaire libéral et les idées qui y étaient
associées n’étaient pas incompatibles avec celle-ci ; et ils insistaient tout
particulièrement sur le fait que des concepts comme liberty et freedom auxquels
souscrivait tout libéral pouvaient être interprétés dans le sens de la réforme
sociale.

Ils abordaient ce problème sous des angles variés. Leonard T. Hobhouse, par
exemple, réfutait l’idée selon laquelle la liberté (freedom ou liberty) dans la
société reposait sur la liberté de contrat entre les parties, entre employeurs et

1368
employés par exemple, tenant l’État à l’écart de toute réglementation des
conditions de travail. Hobhouse estimait qu’en réalité « la véritable liberté
postule une égalité effective (substantial) entre les parties. À proportion de la
position dominante d’une partie, cette dernière est en mesure de dicter ses
conditions. Inversement, à proportion de la faiblesse de l’autre partie, cette
dernière est forcée d’accepter des conditions défavorables ». L’État, selon lui,
était donc justifié à intervenir afin d’assurer de meilleures conditions de travail
aux employés, car cela ne faisait que rétablir les conditions d’une négociation
libre et égale incarnant une véritable liberté de contrat : « le vrai consentement
est le libre consentement, et une pleine liberté de consentement implique
l’égalité des deux parties dans la négociation  ». Ce genre d’intervention de
l’État restreignait nécessairement la liberté des employeurs, « mais, soutenait
Hobhouse, la fonction de la coercition exercée par l’État est de prévaloir sur la
coercition individuelle… », et cela était nécessaire pour assurer la liberté des
employés au travail, tout comme pour préserver toutes les autres libertés civiles
menacées par des groupes puissants. C’est ainsi que Hobhouse en arrivait à la
conclusion suivante : « dans de nombreux domaines, un contrôle accru est
essentiel à la liberté – par exemple en matière de contrats industriels. Il n’y a,
pour moi, aucune contradiction entre liberté et contrôle public ».

De la même manière, John A. Hobson soutenait que si le but du libéralisme était


d’étendre la liberté, ce problème pouvait être formulé en posant la question
suivante : « De quelles chances égales [equal opportunities] doit bénéficier
chaque Britannique pour s’assurer une réelle liberté d’évolution personnelle
[self-development] ? » De quel type d’égalité des chances a-t-on besoin pour
assurer à chaque individu une réelle liberté de développement et
d’épanouissement de soi ? En d’autres termes, la liberté n’était pas simplement
une affaire d’absence de contraintes, mais impliquait aussi la liberté de
développer sa personnalité et ses talents, définition que l’on pouvait faire
remonter à John Stuart Mill, le saint patron du libéralisme au milieu du 19e
siècle. Selon la formule de Hobhouse, « c’était la fonction de l’État d’assurer les
conditions grâce auxquelles l’esprit et le caractère de chacun puissent se
développer ». C’était là une vision beaucoup plus solidaire des relations entre
les individus et la société et de leurs responsabilités mutuelles. En particulier,
tandis que l’État était en droit d’attendre de l’individu qu’il fasse tout ce qui
était en son pouvoir pour assurer sa propre subsistance, l’individu, en retour,
pouvait réclamer « les moyens de préserver les conditions d’une vie civilisée »,
1369
puisque c’était là une condition sine qua non à tout sentiment de liberté ou à
toute perspective de réalisation de soi. Ainsi, pour Hobson comme pour
Hobhouse la garantie de conditions minimum de bien-être était un paramètre
essentiel à toute société libérale.” -Ian Packer et Bruno Poncharal, « Libéralisme
et Nouveau Libéralisme des années 1880 à 1914 », Vingtième Siècle. Revue
d'histoire, 2013/4 (N° 120), p. 15-25. DOI : 10.3917/ving.120.0015. URL :
https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2013-4-page-
15.htm

“Le célèbre terme « sociologie » fut inventé par Auguste Comte en 1830 et ce
néologisme fut repris en Grande-Bretagne sous le terme « sociology » par
Herbert Spencer lorsqu’il a élaboré son propre système intellectuel à partir du
milieu du XIXe siècle. Considéré par les puristes en linguistique comme une
combinaison barbare de latin et de grec, le nom que Spencer a donné à ses idées
sur l’évolution de la société fut rejeté par beaucoup de personnes, y compris ses
idées, et ce jusqu’au beau milieu du xxe siècle.

Une Société de Sociologie fut cependant formée en 1903 pour promouvoir la


mise en place du sujet et une revue (The Sociological Review, à l’origine
Sociological Papers) fut fondée avec comme but une publication
professionnelle. La première chaire universitaire portant le nom de « sociologie
» a été mise en place à la London School of Economics quatre ans plus tard.
Tant l’association que la revue ont échoué dans le développement de leur succès
initial et avaient perdu beaucoup de leur élan au moment de la première guerre
mondiale. Le département de Sociologie à la LSE (London School of
Economics) se développa très lentement et il fallut attendre la fin la seconde
guerre mondiale pour qu’il connaisse un véritable essor dans les domaines de
l’enseignement universitaire et de la recherche en sociologie. Une nouvelle
revue, The British Journal of Sociology fut créée sous la ferme autorité de la
LSE et les nouveaux départements furent parrainés dans les universités de
province.” -John Scott, « La sociologie en Grande-Bretagne », Sociologies
pratiques, 2019/2 (N° 39), p. 145-156. DOI : 10.3917/sopr.039.0145. URL :
https://www.cairn-int.info/revue-sociologies-pratiques-2019-2-page-145.htm

http://hydra.forumactif.org/t710-leonard-trelawny-hobhouse-the-elements-of-
social-justice#1305

1370
http://academienouvelle.forumactif.org/t6976-sociologie-britannique-leonard-
trelawny-hobhouse-social-evolution-and-political-theory-development-and-
purpose-the-material-culture-and-social-institutions-of-the-simpler-peoples-an-
essay-in-correlation#8135

John McTaggart Ellis McTaggart (1866-1925):

Henry Jones (1852-1922) : http://academienouvelle.forumactif.org/t5698-


henry-jones-the-working-faith-of-the-social-reformer-and-other-essays#6746

William Morris (1834-1896) and The Making of British Socialism: « Mais


c'est perdre son temps que de vouloir exprimer l'étendue du mépris que peuvent
inspirer les productions de cet âge bon marché dont on vante tellement les
mérites. Il suffira de dire que le style bon marché est inhérent au système
d'exploitation sur lequel est fondée l'industrie moderne. Autrement dit, notre
société comprend une masse énorme d'esclaves, qui doivent être nourris, vêtus,
logés et divertis en tant qu'esclaves, et que leurs besoins quotidiens obligent à
produire les denrées serviles dont l'usage garantit la perpétuation de leur
asservissement. » -William Morris, La civilisation et le travail, Le Passager
clandestin (éditions), 2013, 144 pages.

« William Morris (1834-1896) est un des exemples les plus frappants – ou


pourrait presque dire « idéal-typique » dans le sens de Max Weber – de
romantisme révolutionnaire. Intellectuel brillant et raffiné, poète, romancier,
peintre, architecte, décorateur, il occupe une place singulière dans l’histoire du
socialisme en Angleterre. Fondateur, avec Burne-Jones et Dante Gabriel Rosseti,
de la très selecte confrérie des artistes préraphaélites, disciple et ami de John
Ruskin, dirigeant de la Société pour la Protection des Monuments Anciens, il
finira par devenir, à partir des années 1880, l’auteur d’une œuvre à la fois
littéraire et politique profondément révolutionnaire, à mi-chemin entre
anarchisme et marxisme.

Tout d’abord, jusqu’aux années 1880, prédomine dans sa vision du monde un


romantisme « restitutionniste », c’est-à-dire un mouvement orienté vers le
rétablissement de normes sociales et culturelles détruites par la civilisation
moderne. À cette époque, ses deux principales références sont Thomas Carlyle
et John Ruskin, deux penseurs torys (conservateurs). Il partage avec ce dernier,
dont il était très proche, le mépris pour la modernité industrielle/capitaliste et la
nostalgie du gothique – les « Pierres de Venise » ou la « Cathédrale d’Amiens »,
1371
pour citer deux livres célèbres de Ruskin. Les poèmes et contes de Morris
chantaient les charmes perdus du Moyen Âge, l’enchantement poétique et
émotionnel du passé préindustriel. À ses yeux, la Fraternité Préraphaélite était
« une croisade et une guerre sainte contre l’époque ».

Si pendant la première période de son activité, prédominait ce type de


romantisme « passéiste », à partir de son adhésion au socialisme la nostalgie du
paradis perdu est investie dans l’espérance de l’avenir et devient énergie
révolutionnaire. Son engagement est multiple et radical : non seulement
conférences, pamphlets, édition de périodiques – Commonwealth – mais aussi,
en cas de nécessité, l’affrontement avec la police : lors de la féroce répression
d’une manifestation ouvrière le 13 novembre 1887, connue comme « le
Dimanche Sanglant » (3 morts et 200 blessés), l’artiste et poète William Morris
était dans la rue avec les camarades socialistes. En désaccord avec le
« socialisme d’État », nationaliste et pro-impérialiste, de la Social-Democratic
Federation de Henry Hyndman, il va fonder avec ses amis en 1885 la Socialist
League.

Pour le socialiste Morris il ne s’agit plus de revenir au passé précapitaliste, mais


d’opérer une sorte de « promenade utopique » à travers ce passé, pour avancer
en direction au futur socialiste. En fait, il y a une profonde continuité entre les
vues romantiques du premier Morris et son engagement communiste – c’est un
des termes qu’il utilise pour définir ses idées révolutionnaires – postérieur. Dans
une célèbre conférence de 1894, « Comment je suis devenu socialiste », il
proclame fièrement : « Outre le désir de produire de belles choses, la passion
dominante de ma vie a été et est la haine de la civilisation moderne ». Il va donc,
à partir de sa conversion au socialisme en 1883, articuler ses nouvelles
convictions politiques avec son ancienne sensibilité romantique, sans songer un
seul moment à y renoncer. Le sentiment de perte d’un univers pré-moderne de
beauté, de romance – au sens anglais du terme – et de valeurs culturelles,
éthiques et esthétiques va inspirer son combat anticapitaliste. Ce n’est pas un
hasard si dans une de ses premières conférences socialistes, « L’Art sous la
Plutocratie », il évoque – comme Ruskin l’avait fait – la splendeur de la
Basilique Saint Marc et des cathédrales françaises, en contraste avec la brutale
laideur de la civilisation capitaliste (« plutocratique »). Il ne s’agit plus
cependant de revenir au passé médiéval – qu’il continue d’idéaliser dans ses
romans « gothiques » rédigées pendant ses années socialistes – mais d’abolir,

1372
par la révolution prolétarienne et la guerre civile conçues en termes marxistes,
l’État bourgeois et le système capitaliste.

Refusant aussi bien les illusions du progrès bourgeois que celles d’une
restauration réactionnaire, William Morris fonde sa doctrine révolutionnaire sur
une conception étonnamment dialectique du rapport entre l’avenir (post-
capitaliste) et le passé (pré-capitaliste) : « Le développement nouveau retourne à
un point qui représente le principe antérieur élevé à un plan supérieur ; le
principe ancien réapparaît transformé, purifié, affermi et prêt à poursuivre sa
marche tout gonflé de la vie nouvelle qu’il a puisée dans sa mort apparente. » 

Comme Marx et Engels, Morris concevait le socialisme comme un mouvement


qui devrait conduire la société vers le communisme. Voici ce qu’il a écrit en
1889 dans un article de la revue de la Ligue Socialiste, Commonwealth : « Je me
désigne comme communiste, et je n’ai aucun désir de qualifier ce mot en lui
ajoutant un autre terme. »

News from Nowhere (1890)

Le plus célèbre livre de Morris est son roman Nouvelles de Nulle Parti (1890),
qui propose une vision imaginaire de l’Angleterre socialiste de l’an 2102. Avant
d’examiner quelques aspects de ce texte, il est important de rappeler qu’il s’agit
d’une œuvre littéraire et non d’un système utopique fermé, d’un discours
programmatique, ou d’une prévision « scientifique » de l’avenir. Le sous-titre du
livre indique qu’il s’agit de « quelques chapitres d’un roman utopique (utopian
romance) ». Il faut prendre en compte la signification en anglais du mot
romance, d’origine médiévale : conte fantastique, narration de chevaliers
errants. C’est d’ailleurs une des sources du mot « romantisme »… Comme
l’observe si bien Miguel Abensour, l’univers de Morris est celui du merveilleux
utopique, ce qui explique la qualité magique, le climat onirique des paysages et
des scènes du livre. L’esprit libertaire de cette utopie est lié à son caractère
d’œuvre littéraire, ouverte, pluridimensionnelle, dialogique.

Le titre du livre est sans doute un hommage à l’Utopia (1518) de Thomas More.
Mais tandis que l’utopie de More, et de beaucoup de socialistes du xix e siècle,
comme le fouriériste Étienne Cabe, auteur du Voyage en Icarie (1842), situe la
communauté harmonieuse dans un autre espace, chez Morris c’est l’axe
temporel qui prédomine : le Nulle Part (Nowhere) est quelque chose qui n’existe
pas mais qui pourrait bien avoir lieu dans le futur. Le principe moteur du roman
1373
est le Principe Espérance dans le sens que lui donne Ernst Bloch : le rêve éveillé
de ce qui n’existe-pas-encore (Noch-nicht-sein).

Une autre différence importante entre William Morris et les socialistes utopiques
du passé est que l’auteur des News from Nowhere a appris la leçon commune à
Marx et aux anarchistes : l’utopie ne peut pas se réaliser en abandonnant la
société corrompue pour expérimenter une vie harmonieuse dans ses marges : le
défi c’est de transformer la société elle-même, grâce à une action collective des
classes opprimées. En d’autres termes, Morris est un utopiste révolutionnaire et
un marxiste libertaire. D’ailleurs, tout un chapitre du livre, intitulé « Comment
s’est accompli le changement », raconte le « terrible passage de l’esclavage
commercial à la liberté » par une guerre civile entre le communisme et la contre-
révolution, jusqu’à la victoire finale des rebelles.

Le romantisme est omniprésent dans le livre, déjà dans le caractère gothique de


l’architecture du xxiie siècle et des habits de la population. À un niveau plus
profond de l’argument, Morris imagine une société égalitaire et libre où la
production aurait à nouveau un caractère artisanal, grâce à des machines
« infiniment supérieures à celles du passé », qui libèrent les individus des tâches
ennuyeuses et désagréables, pour qu’ils puissent se dédier à une activité
humaine libre et créatrice, artistique et/ou artisanale. Le romantisme se traduit
aussi dans la recherche d’une vie sociale en harmonie avec la nature, comme
dans les sociétés du passé. Morris apparaît comme un précurseur de l’écologie,
en rêvant d’une société sans villes polluées, dans laquelle les maisons sont
entourées de verdure, et les bois ou forêts remplacent les quartiers décrépits et
insalubres de la Londres capitaliste de 1890.

Le lecteur d’aujourd’hui trouvera sans doute beaucoup d’aspects problématiques


dans la vision de Morris, à commencer par sa conception traditionaliste du rôle
(« maternel ») des femmes. Mais il est difficile de résister au charme poétique de
cette romance utopique/révolutionnaire, à l’enchantement de ces longues
promenades par la rivière Tamise métamorphosée par le communisme, à la
fascination de ces surprenants dialogues entre le passé et l’avenir. Notre
xxie siècle est très loin de ressembler à celui dont rêvait William Morris, mais
son livre reste une référence essentielle pour la pensée critique actuelle. » -
Michael Löwy, « William Morris, romantique révolutionnaire », Multitudes,
2014/1 (n° 55), p. 129-133.
William Morris, Nouvelles de nulle part + série des livres sur Morris (forumactif.org)
1374
https://www.amazon.fr/William-Morris-Romantic-Revolutionary-
Thompson/dp/1604862432/ref=sr_1_cc_1?s=aps&ie=UTF8&qid=1507396050
&sr=1-1-
catcorr&keywords=E.+P.+Thompson%2C+William+Morris%3A+Romantic+to
+Revolutionary

https://www.amazon.fr/Making-British-Socialism-Mark-
Bevir/dp/0691173729/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=&sr=

https://www.amazon.fr/Socialism-English-Working-Class-1883-
1939/dp/0710812051

William Holman Hunt (1837-1910) et les préraphaélites:


https://www.amazon.fr/Pr%C3%A9rapha%C3%A9lites-Rossetti-%C3%A0-
Burne-
Jones/dp/2809910626/ref=sr_1_336?s=books&ie=UTF8&qid=1539806636&sr=
1-336&keywords=histoire+de+la+peinture+fran%C3%A7aise

John William Godward (1861-1922):

Keir Hardie (1856-1915):

Arthur Henderson (1863-1935): http://academienouvelle.forumactif.org/t7561-


arthur-henderson#8763

Domination de la Compagnie britannique des Indes orientales en Inde


(1754-1857): « The greatest fact, judged by the magnitude of its results, in the
entire history of the world, is the establishment of the East India Company » -
John William Kaye, 1828, cité dans Douglas M. Peers, India Under Colonial
Rule: 1700-1885, Routledge, 2013 (2006 pour la première édition), 162 pages,
p.XI.

« Dès 1813 […] l’East India Compagny a perdu le monopole du commerce avec
les Indes. » (p.46)

« La défaite de la Confédération des Marathas en 1818 marque la suprématie


totale de l’East India Company dans le sous-continent indien, ouvrant la voie à
un mouvement de pénétration vers l’intérieur, notamment en direction du nord-
ouest, avec le Pendjab (conquis au cours d’opérations en 1814-1820 et surtout
en 1845-1849) et la première guerre d’Afghanistan (1838-1842), militairement
désastreuse mais qui permet la conquête du Sind en 1843. Par grignotages
1375
successifs, sans grand plan de conquête mais en tirant le meilleur parti des
troupes disponibles et des alliances avec des chefs locaux, la Compagnie des
Indes orientales complète le puzzle de ses possessions à partir de ses bases
historiques de Bombay, Calcutta et Madras et d’autres possessions plus
récemment acquises à l’intérieur du continent, telles les provinces du Nord-
Ouest. » (p.100)

-Sylvie Aprile & Michel Rapoport (dir.), Le monde britannique. 1815-(1914)-


1931, Atlande, coll. Les clefs concours – Histoire contemporaine, 2010, 571
pages.

"Un des plus grands projets coloniaux en matière d'infrastructures fut


l'aménagement du chemin de fer. Les Anglais en avaient été les grands
précurseurs en Inde. En 1845, ils avaient créé leur première entreprise, l'East
Indian Railway Co. Sous la pression du lobby ferroviaire en Angleterre, l'East
India Company, qui y était au départ opposé, leva ses objections et en 1852
débutèrent les travaux de pose de la première ligne de chemin de fer qui
relierait Bombay à Kalyani, deux villes distantes de 55 kilomètres. Beaucoup
d'autres entreprises suivirent. Résultat: en 1902, l'Inde britannique disposait
d'un réseau ferré de près de 42 000 kilomètres qui n'était alors dépassé en
importance que par celui de la Russie, des Etats-Unis et du Canada, et était plus
vaste que celui du reste de l'Asie." (p.73)

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages.

Histoire de l’Inde jusqu’au 18ème siècle :

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages, pp.206-208.

La révolte des Cipayes (1857-1858) conquête des Indes (1857-1947) et la


formation de la classe ouvrière indienne : « La propriété privée fit son entrée
aux Indes et avec elle, le typhus, la faim, le scorbut, devenus les hôtes
permanents des plaines du Gange. » -Rosa Luxembourg, Introduction à
l'économie politique, chapitre 2 « La société communiste primitive », section I,
1907.

« Véritable séisme militaire et psychologique au sein de l’Empire britannique, la


« Grande Mutinerie » de 1857-1858 […] souvent appelée « première guerre
1376
d’indépendance » par les Indiens, apparaît comme une réaction à
l’interventionnisme du colonisateur. » (p.107)

« La révolte part de Meerut, dans la région de Delhi dans la dernière semaine du


mois de mai 1857 quand trois régiments d’infanterie et un de cavalerie se
rebellent spontanément, saccagent le cantonnement britannique et tuent
plusieurs officiers ainsi que leurs familles. Les insurgés se dirigent vers Delhi,
prennent la ville, et proclament Bahadur Shah Zafar (le dernier descendant des
empereurs moghols), semble-t-il contre son gré, empereur de l’Inde. […]

Le problème dépasse […] largement la seule question du graissage des


cartouches, et représente l’aboutissement de décennies de tensions nées des
interventions modernisatrices des Britanniques en Inde. Par exemple,
l’interdiction du sati (créamation de la veuve sur le bûcher funéraire de son
mari) fut interprétée comme une intervention inopportune dans les traditions
locales, alimentant la peur de la conversion forcée au christianisme. […]

La rébellion s’étend rapidement à d’autres provinces, notamment celles du


Nord-Ouest (North-Western Provinces), du Oudh (qui deviendront les United
Provinces), les Etats du Maratha et l’Ouest du Bihar, cependant que des poches
insurrectionnelles se développent au Pendjab et au Bengale. Les Britanniques
perdent ainsi le contrôle d’un sixième du sous-continent indien, et d’un dixième
de sa population. » (p.108)

« La reconquête, menée d’une main de fer, est brutale. Le massacre de


Cawnpore, perpétré par les troupes de Nana Sahib sur les civils britanniques, est
vengé dans le sang. Le tournant décisif est la reprise de Delhi en septembre 1857
qui porte un coup fatal à la rébellion. […]

L’indépendance ne fait pas partie des revendications exprimées par les insurgés.
De plus la révolte reste limitée géographiquement au Nord et au Centre de
l’Inde. » (p.109)

« Le gouverneur général de l’Inde en résidence à Calcutta prend, à partir de cette


date [août 1858], le titre de vice-roi des Indes (Viceroy of India) en tant que
représentant officiel de la Couronne auprès des Etats princiers.

Il est chargé de mettre en place les politiques élaborées en métropole. Il répond


directement au ministre des Affaires indiennes à Londres et, par son
intermédiaire, au Parlement britannique. » (p.110)
1377
-Sylvie Aprile & Michel Rapoport (dir.), Le monde britannique. 1815-(1914)-
1931, Atlande, coll. Les clefs concours – Histoire contemporaine, 2010, 571
pages.

« Au début du XIXe siècle, les navires rapides reliaient Londres à Calcutta en


deux mois. En 1914, ce périple ne durait plus que deux semaines. Le creusement
du canal de Suez joua un grand rôle à cet égard, car il permit de réduire de
41% la distance séparant Londres de Bombay. Et Bombay put ainsi assumer le
rôle de centre économique de l'Inde joué jusque-là par Calcutta. » (p.66)

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages.

https://www.amazon.fr/Making-Indian-Working-Class-1880-
1946/dp/0803991878/ref=sr_1_1?s=english-
books&ie=UTF8&qid=1462487033&sr=1-
1&keywords=the+making+of+the+indian+working+class

Oscar Wilde (1854-1900): « Vivre est la chose la plus rare du monde. La


plupart des gens existent, et c'est tout. » -Oscar Wilde, L'âme humaine et le
socialisme, 1891.

Alfred Lord Tennyson (1809–1892) :« Man for the field and woman for the
hearth;

for the sword, and for the needle she;

Man with the head, and women with the heart;

Man to command, and woman to obey;

All else is confusion. » -Alfred Lord Tennyson, The Princess (1847).

Gilbert Keith Chesterton (1874-1936):


« Chesterton ne cesse de critiquer l’impérialisme anglais, qui a corrompu selon
lui l’idée de nation. Hilaire Belloc établissait un lien étroit entre l’Englishry de
Chesterton et son enracinement dans la culture classique européenne : le
caractère anglais de Chesterton, manifesté par son style et sa culture littéraire,
renvoie, selon Belloc, à une certaine idée de l’identité anglaise d’avant la
Réforme et l’Empire. »

1378
"Au moment de la Première Guerre mondiale, Chesterton se met au service de
la propagande anglaise. Dès septembre 1914, il signe le manifeste des
intellectuels anglais intitulé « Sus à l’Allemagne ». Sûr de l’idée que la guerre
est menée au nom de la civilisation et de la religion, pour défendre la
Chrétienté, il publie en 1914 The Barbarism of Berlin – ouvrage traduit en
français en 1915 par Isabelle Rivière et largement diffusé."

"Chesterton dîne à Paris avec Jacques Maritain et Henri Massis en décembre


1929."

"Dans les romans et nouvelles de Chesterton, les éléments d’une mise-en-scène


globale des enjeux de la période."
-Florian Michel, « Histoire des relations internationales, histoire globale et
imaginaire catholique. L’exemple de Gilbert Keith Chesterton », Bulletin de
l'Institut Pierre Renouvin, 2018/2 (N° 48), p. 15-28. DOI :
10.3917/bipr1.048.0015. URL : https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-
institut-pierre-renouvin-2018-2-page-15.htm

"Moi, j’étais ouvertement, ostensiblement un pro-Boer ; je n’étais pas un


pacifiste. Mon point de vue était que les Boers avaient raison de combattre ; et
non pas que chacun a forcément tort s’il se bat. Je pensais que leurs fermiers
étaient parfaitement fondés à prendre leur fusil et à sauter en selle pour la
défense de leurs fermes, de leur petit État républicain rural, quand il était
envahi par un empire plus cosmopolite, à la discrétion de financiers très
cosmopolites." (p.149)

« Dès les premiers jours de la querelle du Home Rule [1911-1912], j’ai pensé
que l’Irlande devrait être gouvernée selon les idées irlandaises. Et je continue à
penser ainsi, même après que mes amis les libéraux ont fait la surprenante
découverte que les idées irlandaises ne sont que des idées chrétiennes
ordinaires.  » (p.310)
-Gilbert Keith Chesterton, L’homme à la clef d’or. Autobiographie, Paris, Les
Belles Lettres, 2015, p. 149.

« Quant à moi, j’avoue ne pas croire que, sachant ce que valent les bandes qui
nous gouvernent les uns et les autres, il y ait encore des gens pour admettre que
nos cyniques représentants de la politique vieillissante ne veulent étrangler
l’Italie que par pure sympathie pour l’Éthiopie. L’empire qui tient sous sa
lourde patte la moitié de l’Afrique, aurait-il soudain conçu un scrupule en
1379
voyant des hommes blancs attaquer des hommes noirs ? Les maîtres de la
finance américaine qui témoignent rarement de sentiments désintéressés et
chevaleresques à l’égard de leur propre pays, auraient-ils conçu de pareils
sentiments à l’égard de la lointaine Éthiopie. Le fascisme a tort. Mais ses
adversaires ont-ils raison ?" -Gilbert Keith Chesterton, « Le fascisme et ses
ennemis », Sept, Paris, 17 janvier 1936 n°99, p. 2.

https://www.amazon.fr/enqu%C3%AAtes-du-P%C3%A8re-
Brown/dp/2258076080/ref=pd_sim_14_10?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
TKSKHS29NFSSDY85V67S

https://www.amazon.fr/nomm%C3%A9-Jeudi-Un-
cauchemar/dp/2070766683/ref=pd_sim_14_5?_encoding=UTF8&psc=1&refRI
D=TKSKHS29NFSSDY85V67S

https://www.amazon.fr/Plaidoyer-pour-une-propri%C3%A9t%C3%A9-
anticapitaliste/dp/2915988285/ref=pd_sim_14_4?_encoding=UTF8&psc=1&ref
RID=CJK0BKPF9BMFR7JM527B

James Edwin Thorold Rogers (1823-1890) and the English historical school
of economics : « James E. Thorold Rogers […] propose une histoire du travail
en Angleterre à partir du salaire des travailleurs et de leur pouvoir d’achat. » -
Fabien Knittel et all, Le travail en Europe occidentale des années 1830 aux
années 1930. Mains-d’œuvre artisanales et industrielles, pratiques et questions
sociales, Ellipses Édition, 2020, 440 pages, p.7.

http://academienouvelle.forumactif.org/t7001-james-edwin-thorold-rogers-and-
the-english-historical-school-of-economics#8162

Arnold Toynbee (1852-1883) : « Ce dernier devint célèbre pour avoir introduit


la notion de « révolution industrielle » au sein du débat anglais et pour avoir
défini les termes d’une controverse dont les écrits d’Hobsbawm et de Thompson
débattaient encore 80 ans plus tard. Son ouvrage paru en 1884, Lectures on the
Industrial Revolution, était un chef-d’œuvre éclectique qui empruntait tout
autant à Carlyle qu’à Marx et à la pensée de la Charity Organisation Society.
Fait particulièrement surprenant, dans son exposé sur la révolution industrielle
Toynbee ne fit aucune allusion aux répercussions de la Révolution française en
Angleterre. Il laissa de côté la répression politique, le climat de terreur sociale,
la propagation de notions évangéliques d’expiation, les pressions en faveur de

1380
l’abolition de la Poor Law et la progression de la doctrine démographique de
Malthus. Les effets néfastes de la guerre, ceux du chômage qui accompagna la
démobilisation et la déflation, la crispation des attitudes envers les déshérités,
tout cela était traité comme faisant partie de la révolution industrielle – et
considéré comme un phénomène purement social. Selon Toynbee, à l’exception
des célèbres inventions de Richard Arkwright et de James Watt, « l’essence de
la révolution industrielle fut le remplacement par la concurrence des
réglementations médiévales qui avaient jusqu’alors régi la production et la
distribution des richesses ». En d’autres termes, Toynbee s’appuyait sur ce que
Carlyle avait décrit comme la substitution du « cash nexus » au « lien humain »
et la « fin des rapports séculaires entre maîtres et serviteurs », mais il ramenait
ce changement aux années 1760 et 1770, à l’époque des écrits d’Adam Smith et
des inventions de Watt. L’historien dissociait le changement économique et
social du contexte politique mouvant dans lequel il se produisait. »

« Des années 1890 jusqu’aux années 1980, la peinture de l’histoire britannique


qu’offrit cette discipline vint renforcer une philosophie résolument anti-
industrielle qui comptait des partisans sur tout l’échiquier politique et ne
laissait pas insensible la classe politique dans son ensemble. »

-Gareth Stedman Jones, « De l’histoire sociale au tournant linguistique et au-


delà. Où va l’historiographie britannique ? », Revue d'histoire du XIXe siècle
[En ligne], 33 | 2006, mis en ligne le 01 décembre 2008, consulté le 11 mai
2020.

Arnold Joseph Toynbee (1889-1975) : « Ce qu’il y a de distinctement juif dans


l’inspiration marxiste, c’est la vision apocalyptique d’une révolution violente et
inévitable parce que (...) décrétée par Dieu lui-même, afin d’intervertir les rôles
actuels du prolétariat et de la minorité dominante (...) renversement de rôles qui,
d’un seul bond, fera passer le peuple élu de la dernière à la première place dans
le royaume de ce monde. Chez Marx, la déesse "nécessité" historique" est une
déesse toute-puissante qui remplace Jéhovah et substitue au judaïsme le
prolétariat du monde occidental moderne, tandis que le royaume messianique est
représenté par la dictature du prolétariat. Malgré cela les traits distinctifs de
l’apocalypse juive traditionnelle apparaissent derrière ce déguisement
transparent, et c’est en fait le judaïsme prérabbinique que notre philosophe
imprésario présente en accoutrement occidental. » -Arnold Toynbee, A Study of
History, vol.II, Oxford University Press, 1934, p. 178.
1381
Le féminisme à l’ère victorienne : "Outre-Manche aussi, la place de la femme
a changé sous la poussée d'un mouvement féministe plus radical qui conteste
l'idéologie victorienne des sphères séparées et de la double morale sexuelle.
Dans les années de trouble qui précèdent la guerre, la question féminine vient
en tête de la discussion publique, devant le problème irlandais ou l'agitation
sociale. Née en 1903 dans le Lancashire, la Women's Social and Political Union
(WSPU) qui, adoptant la stratégie et le type de propagande des socialistes, a
réussi à faire du vote une question majeure en Angleterre et ailleurs, s'est
effritée sous l'effet conjugué du cycle violence-répression et de l'autoritarisme
des Pankhursts. L'été 1914, Christabel est réfugiée en France pour échapper à
la prison, mais la fédération suffragiste de Mrs Fawcett, la National Union of
Women's Suffrage Societies (NUWSS), qui a le soutien de nombreux libéraux et
travaillistes, montre la force de ses 480 sociétés et 53 000 membres en un
immense défilé dans les rues de Londres. 1914 aurait pu être l'année des
femmes, c'est l'année de la guerre qui remet chaque sexe à sa place." (p.89)

-Françoise Thébaud, "La Grande Guerre. Le triomphe de la division sexuelle.",


in Françoise Thébaud (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 5 "Le XXe
siècle", Perrin, 2002 (1992 pour la première édition), 765 pages.

Histoire de l’Afrique du Sud jusqu’à la Seconde guerre des Boers (11


octobre 1899 au 31 mai 1902) :

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages, pp.187-191.

Histoire du Royaume des Pays-Bas (19 avril 1839) et des Indes orientales
néerlandaises :

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages, pp.198-205.

Fiodor Dostoïevski (1821-1881) : « Dostoïewski le seul psychologue dont, soit


dit en passant, j'ai eu quelque chose à apprendre ; il fait partie des hasards les
plus heureux de ma vie. » -Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles,
"Flâneries inactuelles", trad. Henri Albert, GF-Flammarion, 1985 (1889 pour la
première édition allemande), 250 pages, p.164, §45.

« Dostoïevski ne dissimulait guère ses opinions ardemment conservatrices. »

1382
-Norman Davies, Histoire de la Pologne, Fayard, 1986 (1984 pour l'édition
britannique), 542 pages, p.201.

« Dostoïevski reste pour moi le premier romancier de l’ère moderne, et il n’est


pas étonnant que le thème de la perte de la dignité de l’homme soit si présent
chez lui. Il a parfaitement représenté le statut de l’homme dans un monde post-
naturel et urbain : des êtres anonymes, écrasés par des forces primaires comme
l’argent, les pulsions, les névroses, des êtres dont les aspirations ne trouvent
aucune voie pour s’exprimer dignement, qui vivent et meurent sans que
personne ne fasse attention à eux. Chez Dostoïevski, l’individu est souvent un
déclassé : un ancien noble, un ancien bourgeois, qui a reçu une éducation
conforme aux anciennes normes sociales et morales, et qui se retrouve plongé
dans la lie de la Grande Ville. En cela, son diagnostic reste plus que jamais
actuel. » -Laconique, « Fiodor Dostoïevski : Crime et Châtiment », 20 février
2020 : http://www.legoutdeslettres.com/2020/02/fiodor-dostoievski-crime-et-
chatiment.html

https://www.amazon.fr/Dosto%C3%AFevski-Tanase-
Virgil/dp/207043902X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1480506777&sr=8-
1&keywords=Virgil-Tanase-Dostoievski

https://www.amazon.fr/philosophie-trag%C3%A9die-Dosto%C3%AFevski-
Nietzsche/dp/2358730432/ref=pd_sim_14_28?_encoding=UTF8&psc=1&refRI
D=9J3SRGEHKYYEEF9WERGX

Léon Tolstoï (1828-1901) : « L'interprétation [anarchiste] du christianisme


défendue par Tolstoï est loin d'être doctrinaire -à tel point que, en 1901, l'Église
orthodoxe russe l'a déclaré hérétique et l'a excommunié. Dans Le royaume des
cieux est en vous, œuvre monumentale interdite de publication dans son pays
natal, Tolstoï fonde ses critiques cinglantes de la propriétée privée et de la
violence d'Etat sur les enseignements de Jésus-Christ. » -Simon Springer, Pour
une géographie anarchiste, Lux Éditeur, coll. "Instinct de liberté, 2018 (2017
pour la première édition américaine), 308 pages, p.197.

Alexandre III de Russie (1845-1894) : « Antisémites "lois de Mai" signées [en


1882] par Alexandre III, lois à l'origine de la plus grande vague d'émigration
judaïque antérieure à la création d'Israël, et qui interdisent entre autres aux
sujets juifs du tsar d'investir des capitaux sur les terres de la Sainte Russie. » -

1383
Matthieu Auzanneau, Or Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La
Découverte/Poche, 2016, 881 pages, p.69.

Léon Walras (1834-1910) et le marginalisme : « La reconnaissance des


syndicats ouvriers en 1884 en France (loi Waldeck-Rousseau), la formation de
partis ouvriers, l’existence de députés ouvriers comme l’abbé Jules Lemire
(1853-1928, député maire d’Hazebrouck, Nord) soutiennent, diffusent et
renforcent les revendications ouvrières. En réaction, les économistes
remplacent le travail par l’utilité comme fondement de la valeur et ils
abandonnent les approches globales pour se focaliser sur l’individu. » -Fabien
Knittel et all, Le travail en Europe occidentale des années 1830 aux années
1930. Mains-d’œuvre artisanales et industrielles, pratiques et questions
sociales, Ellipses Édition, 2020, 440 pages, p.36.

[Un économiste attéré a déjà soutenu cette légende. Il n’existe aucune preuve.]

Vilfredo Pareto (1848-1923) : « Nous sommes entraînés vers une révolution


économique qui ne sera comparable qu’à celle qui éteignit la civilisation
romaine et répandit sur l’Europe les ténèbres du moyen âge. Cette révolution,
pour ma part, je la crois inévitable, non pas à cause des forces des partis qui
marchent à l’assaut de la société, mais à cause de l’ignorance, de la légèreté et
de la lâcheté des classes possédantes, qu’il s’agit de spolier. » -Vilfredo Pareto,
Le péril socialiste (1900).

« Le prix ou la valeur d'échange est déterminé en même temps que l'équilibre


économique, et celui-ci naît de l'opposition entre les goûts et les obstacles » -
Vilfredo Pareto, Manuel d’économie politique, 1906.

« Membre actif de la Société Adam Smith de Florence, donc lié à un groupe


politique et culturel qui n'avait aucun poids dans la vie politique du pays,
Pareto mène une bataille dont le sens échappe aussi bien aux progressistes
qu'aux conservateurs. [...]
Le sentiment de solitude, de lutter pour une cause à laquelle la plus grande
partie de ses compatriotes ne s'intéresse pas, de sentir que ses arguments
n'étaient même pas discutés par ses adversaires, qu'ils étaient simplement
ignorés de ceux-là même à qui ils étaient destinés, devient toujours plus aigu à
mesure que passent les années. Le tarif douanier de 1887 marque un véritable
tournant dans la vie de Pareto. Jusque-là, il avait le sentiment de prêcher à des
sourds, désormais il a l'impression de contempler des fous. Car la pratique
1384
commerce que les milieux dirigeants ont imposée lui semble véritablement une
folie. Il lui paraît que les nouveaux tarifs n'ont qu'un seul but: procurer de
nouvelles ressources au gouvernement pour réaliser une politique qui n'a pas de
lien avec la réalité et favoriser un petit nombre de personnes aux dépens des
masses laborieuses. » -Giovanni Busino, Introduction à une histoire de la
sociologie de Pareto, Genève, Libraire Droz, Cahiers Vilfredo Pareto, Revue
européenne d'histoire des sciences sociales, n°12, 1967, p.16.

"Pareto's criticisms of Marx were never translated and exerted no significant


influence in German or English-speaking countries." -Paul M. Sweezy,
introduction to Eugen von Böhm-Bawerk, Karl Marx and the Close of His
System, New York, 1949 (1896 pour la première édition autrichienne), 224
pages, p.XII.

http://hydra.forumactif.org/t805-vilfredo-pareto-manuel-d-economie-politique-
autres-textes?highlight=Vilfredo+Pareto

Nathaniel Hawthorne (1804-1864) :

http://academienouvelle.forumactif.org/t7620-nathaniel-hawthorne-la-lettre-
ecarlate#8826

Herman Melville (1819-1891): « Au prix d'immenses efforts, nous nous frayons


une voie souterraine dans la pyramide ; au prix d'horribles tâtonnements, nous
parvenons dans la chambre centrale ; à notre grande joie, nous découvrons le
sarcophage ; nous levons le couvercle et... il n'y a personne ! L'âme de l'homme
est un vide immense et terrifiant. » -Herman Melville, Pierre ou les ambiguïtés,
in Œuvres, III, p. 964.

« Pourquoi le romancier se croirait-il obligé d'expliquer le comportement de ses


personnages, et de leur donner des raisons, alors que la vie n'explique jamais
rien pour son compte et laisse dans ses créatures tant de zones obscures,
indiscernables, indéterminées, qui défient tout éclaircissement ? L'acte
fondateur du roman américain, le même que celui du roman russe, a été
d'emporter loin la voie des raisons, et de faire naître ces personnages qui se
tiennent dans le néant, ne survivent que dans le vide, gardent jusqu'au bout leur
mystère et défient logique et psychologie. » -Gilles Deleuze, Postface, in
Herman Melville, Bartleby, Flammarion, 1989, p. 190.

1385
« Lorsque l'industrie pétrolière vit le jour aux Etats-Unis, l'huile des baleines
était la plus recherchée de ces sources, pour les chandelles et les lampes, les
réverbères et même les phares, ou pour graisser toutes sortes de mécanismes. Le
spermaceti en particulier, une huile très fine extraite de la tête des cachalots,
était considéré comme l' "huile des rois". Il était la plus haute récompense après
laquelle cinglaient tout autour du globe les baleiniers français du Havre ou de
New Bedford en Nouvelle-Angleterre. C'est pour lui que les marins du Pequod
pourchassent Moby Dick, le cachalot blanc, dans le roman d'Herman Melville
publié en 1851. [...]
L'apparition de l'industrie du pétrole a sans doute sauvé les baleines, les
cachalots, les phoques, les éléphants de mer et les autres mammifères marins
étaient déjà contraints d'aller chercher toujours plus loin vers les pôles des
spécimens de moins en moins nombreux. Aux États-Unis, la flotte de baleiniers
atteignit son pic en 1846 et déclina ensuite, à peu près en même temps que la
production d'huile de baleine et de cachalot. La ruée vers le pétrole de
Pennsylvanie accéléra les choses: avec de la chance et au prix d'un
interminable labeur, les baleiniers pouvaient extraire jusqu'à 2000 litres de
spermaceti de l'énorme crâne d'un cachalot ; 3000 litres de brut remontaient
quotidiennement du puits d'Edwin Drake. » -Matthieu Auzanneau, Or Noir. La
grande histoire du pétrole, Éditions La Découverte/Poche, 2016, 881 pages,
p.29-30.

http://hydra.forumactif.org/t5119-herman-melville-bartleby-the-scrivener-a-
story-of-wall-street#6107

Joseph Conrad (1857-1924): https://www.amazon.fr/Joseph-Conrad-Renouard-


Michel/dp/2070451623/ref=sr_1_25?ie=UTF8&qid=1490736603&sr=8-
25&keywords=Joseph+Conrad

https://www.amazon.fr/Nostromo-Joseph-
Conrad/dp/2070385655/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1490736670&sr=8-
1&keywords=Joseph+Conrad+nostromo

https://www.amazon.fr/Miroir-mer-Conrad-
Joseph/dp/2070336700/ref=sr_1_24?ie=UTF8&qid=1490736603&sr=8-
24&keywords=Joseph+Conrad

1386
https://www.amazon.fr/Ligne-dombre-Conrad-
Joseph/dp/2070336697/ref=sr_1_26?ie=UTF8&qid=1490736603&sr=8-
26&keywords=Joseph+Conrad

https://www.amazon.fr/Sous-Yeux-lOccident-Conrad-
Joseph/dp/208134288X/ref=sr_1_30?ie=UTF8&qid=1490736603&sr=8-
30&keywords=Joseph+Conrad

https://www.amazon.fr/Victoire-Conrad-
Joseph/dp/2070412709/ref=sr_1_22?ie=UTF8&qid=1490736603&sr=8-
22&keywords=Joseph+Conrad

Mikhaïl Bakounine (1814-1876) : « J’entends par individualisme cette


tendance qui, considérant toute la société, la masse des individus, comme des
indifférents, des rivaux, des concurrents, comme des ennemis naturels, en un
mot, avec lesquels chacun est bien forcé de vivre, mais qui obstruent la voie à
chacun, pousse l’individu à conquérir et à établir son propre bien-être, sa
prospérité, son bonheur malgré tout le monde, au détriment et sur le dos de tous
les autres. […] Malheurs aux faibles qui s’arrêtent, ils sont devancés. Malheurs
à ceux qui, lassés de fatigue, tombent en chemin, ils sont de suite écrasés. La
concurrence n’a point de cœur, n’a point de pitié. Malheur aux vaincus ! » -
Bakounine, La Guerre et la Commune, 1870.

« Considérés comme nation, les Juifs sont par excellence les exploiteurs du
travail des autres hommes. » -Bakounine, cité dans Bagatelles pour un
massacre.

Louis Ménard (1822-1901) : "Cette volupté maudite, la mère des désirs


adultères, la Diablesse Vénus, comme l’appelait le moyen âge, n’en est pas
moins la loi divine de l’Attraction universelle, la source bienfaisante de la vie,
l’irrésistible beauté qui nous souriait sur l’écume des flots." (p.26)
-Louis Ménard, Catéchisme religieux des libres penseurs, 1875.

« La Révolution française s’est posée comme une réaction contre les principes
religieux et les formes sociales du moyen-âge. Elle a remplacé le dogme
chrétien de l’autorité par le dogme païen de la liberté, la foi par la raison, la
grâce arbitraire par la justice, l’obéissance par le droit, la résignation par la lutte,
la hiérarchie par la légalité. »

1387
« Toutes les promesses de l’avenir ne valent pas pour moi les souvenirs du
passé. » -Louis Ménard, Lettres d’un mort. Opinions d’un païen sur la société
moderne (1895).

http://academienouvelle.forumactif.org/t86-louis-menard-oeuvres

https://www.amazon.fr/Prologue-dune-r%C3%A9volution-F%C3%A9vrier-
juin-1848/dp/2913372694/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1467922552&sr=8-
1&keywords=Louis-Menard-Prologue-d-une-revolution-fevrier-juin-1848

Friedrich List (1789-1846) : « Friedrich List, le grand théoricien allemand du


protectionnisme au XIXème siècle. » -Philippe Simonnot, 39 leçons d'économie
contemporaine, Gallimard, coll. folio.essais, 1998, 551 pages, p.272.

« En 1825, List se rend aux Etats-Unis d’Amérique accompagné du Général La


Fayette. Il y rédigea Outlines of American Political Economy, où y est repris
tout particulièrement l’argument de l’industrie naissante de l’économiste
américain Daniel Raymond. Dans cet ouvrage également, List vante le blocus
du continent européen mis en place par le 1er Empire, qui permit aux industries
allemandes d’émerger, ainsi qu’au nationalisme économique français tel qu’il
s’exprime dans les écrits d’Adolphe Thiers et de Mathieu de Dombasle. List
exporte ce modèle économique française aux Etats-Unis, et contribue ainsi
fortement à l’élaboration des futures politiques protectionnistes américaines. » -
Christian Harbulot, Le nationalisme économique américain, VA Editions, coll. «
Guerre de l’information », 2017, 117 pages, p.33.

Otto von Bismarck (1815-1898) : « M. de Bismarck a suivi pas à pas son


guide, Frédéric List, et il ne s’en cache pas. Le Système national d’économie
politique est le livret de chevet du chancelier ; sa lecture éclaire pour nous le
passé et dévoile l’avenir. » -Jules Domergue, L'évangile de M. de Bismarck : la
crise économique, Paris, E. Dentu Libraire-Éditeur, 1884, 86 pages, p.3.

« On a voulu dans ce livre décrire les causes qui ont amené en Allemagne ce fait
très important de l'histoire contemporaine: l'établissement de la monarchie
sociale. Parmi toutes les transformations récentes de l'Allemagne, il n'en est pas
de plus curieuse, car elle tient à des causes intellectuelles. » (p.1)

« Rodbertus occupa, entre 1868 et 1872, une situation intellectuelle unique. Ce


qu'il avait médité vingt-cinq années, il venait alors de le fixer en une série de
formules pratiques. Il apportait à la fois une solution à la crise agraire et le
1388
moyen de résister à l' "irruption" du socialisme marxiste. Par là il fut
indispensable.
Le point auquel il nous faut arrêter cette étude est donc ce Congrès des
socialistes universitaires réuni à Eisenach en 1872, où les disciples de
Rodbertus subirent pour la première fois l'assaut des adversaires. Les
Rodbertiens succombèrent ce jour-là. M. de Bismarck, représenté dans
l'assemblée par des délégués plus ou moins occultes, avait mené la campagne.
Mais de ce jour, date en Allemagne la crise des opinions sociales. Depuis on
étudia, on enseigna Rodbertus. Aujourd'hui il n'y a guère d'économiste allemand
qui ne lui doive tout le fond de sa culture. Les plus autorisés et les plus âgés
durent d'abord se remettre à son école. La législation contemporaine est pleine
de ses dogmes. M. de Bismarck, quand il eut abjuré la doctrine
manchestérienne, vint à Rodbertus. » (p.4)
-Charles Andler, Les Origines du socialisme d'État en Allemagne, Paris, Félix
Alcan Éditeur, 1897, 495 pages.

« Qu’un de leurs intérêts communs vienne à être menacé, et les monstres


industriels font une trêve et présentent à l'ennemi commun un front uni.
Bismarck, qui pour la bourgeoisie allemande fut l'incarnation de la force, et du
succès, voulut enlever des mains individuelles l'exploitation des tabacs ; tous ces
bourgeois si rampants, si vils, se sont redressés alors et ont dit à Bismarck le
victorieux : Halte ! Et Bismarck sera brisé comme un simple Gambetta. » -Paul
Lafargue, « L’Autonomie », L'Egalité, organe du Parti Ouvrier Français, 25
décembre 1881.

"Un homme d'Etat allemand sait bien que l'Eglise catholique n'aura jamais des
desseins identiques à ceux de la Russie, que même elle s'unirait aux Turcs plutôt
qu'à elle ; il sait d'autre part, que tout danger d'alliance entre France et Russie
est une menace pour l'Allemagne. S'il peut alors arriver à faire de la France le
foyer et le rempart de l'Eglise catholique, il se trouve avoir pour longtemps
écarté ce danger. Il a, par conséquent, un intérêt à montrer de la haine contre
les catholiques et, par des hostilités de toute nature, à faire de ceux qui
reconnaissent l'autorité du pape une puissance politique passionnée, qui sera
hostile à la politique allemande et naturellement s’amalgamera avec la France,
en qualité d'adversaire de l'Allemagne: il a pour but la catholicisation de la
France aussi nécessairement que Mirabeau voyait dans la décatholicisation le
salut de sa patrie. » -Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, trad. Angèle

1389
Kremer-Marietti, Librairie Générale Française, 1995 (1878 pour la première
édition allemande), 768 pages, §453, p.292.

« Si l'on se dépense pour la puissance, la grande politique, l'économie, le


commerce international, le parlementarisme, les intérêts militaires, - si l'on
dissipe de ce côté la dose de raison, de sérieux, de volonté, de domination de soi
que l'on possède, l'autre côté s'en ressentira. La Culture et l’État — qu’on ne s’y
trompe pas — sont antagonistes : « État civilisé », ce n’est là qu’une idée
moderne. L’un vit de l’autre, l’un prospère au détriment de l’autre. Toutes les
grandes époques de culture sont des époques de décadence politique. » (p.122,
§4)

« Ce que les « écoles supérieures » allemandes atteignent en effet, c’est un


dressage brutal pour rendre utilisable, exploitable pour le service de l’État, une
légion de jeunes gens avec une perte de temps aussi minime que possible. [...] -à
trente ans l'on est, au sens de la haute culture, un commençant, un enfant. [...]
Nos lycées débordants, nos professeurs de lycée surchargés et abêtis sont un
scandale. » (p.124, §5)

-Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, "Ce que les Allemands sont en
train de perdre", trad. Henri Albert, GF-Flammarion, 1985 (1889 pour la
première édition allemande), 250 pages.

« En Prusse où les progrès de l'urbanisation et de l'industrialisation


promettaient de germaniser la population polonaise naturellement et sans
douleur, la politique obtuse d'un gouvernement insensible et provoqua un âpre
conflit. En 1872, le Kulturkampf de Bismarck était peut-être dirigé surtout
contre les catholiques allemands de Rhénanie et de Bavière, mais il fit du jour
au lendemain des rebelles en puissance de tous les catholiques polonais de
Posnanie et de Silésie. De même la commission de colonisation (1886-1913) fort
mal conçue, qui devait renforcer l'élément allemand dans l'Est, eut en fait le
résultat contraire. A la fin du siècle la robuste paysannerie polonaise de Prusse,
mobilisée par un clergé catholique militant, était entièrement hostile et, comme
devaient le montrer les grèves de l'enseignement en 1901-1907, décidée à
défendre son identité par tous les moyens. » -Norman Davies, Histoire de la
Pologne, Fayard, 1986 (1984 pour l'édition britannique), 542 pages, p.196-197.

1390
https://www.amazon.fr/Bismarck-Jean-Paul-
BLED/dp/2262042748/ref=pd_sbs_14_1?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=D
31MGBC94979P2K8SK12

Le Deuxième Reich (1871-1918): https://www.amazon.fr/Imperial-Germany-


1871-1914-Economy-
Politics/dp/1571810145/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=&sr=

https://www.amazon.fr/Absolute-Destruction-Military-Practices-
Imperial/dp/0801472938/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1510
610682&sr=1-1-catcorr

https://www.amazon.fr/Industrial-Culture-Bourgeois-Society-
Bureaucracy/dp/1571811982/ref=sr_1_6?s=english-
books&ie=UTF8&qid=1499695476&sr=1-6

Eugen Richter (1838-1908) : « L’effroyable monotonie de la vie nouvelle, la


servitude physique et mentale, l’interdiction absolue de tout espoir
d’amélioration personnelle, l’impossibilité de toute initiative propre,
l’extinction du foyer domestique, les obstacles aux relations et aux joies de
famille, la conscience de la nullité individuelle dans ce grand tout qui enserre la
personne humaine de ses implacables règlements, un ensemble de conditions
affadissantes et énervantes, voilà ce que, avec beaucoup d’art et de vérité, par
une gradation insensible, nous montre Eugène Richter.

Sa brochure eut en Allemagne un énorme succès : plus de 225 000 exemplaires


en ont été tirés.

On nous a demandé de la présenter au public français, qui, lui aussi, commence


à être atteint de l’infection socialiste.

Nous sommes heureux d’associer en cette circonstance notre nom à celui du


chef des libéraux allemands. » -Paul Leroy-Beaulieu, préface à Eugen Richter,
Où mène le socialisme ? Journal d’un ouvrier, 1891.

http://hydra.forumactif.org/t1208-ralph-raico-la-theorie-liberale-de-la-lutte-de-
classes-classical-liberalism-and-the-austrian-school-authentic-german-
liberalism-of-the-19th-century-new-individualist-review#1844

http://hydra.forumactif.org/t1509-eugen-richter-ou-mene-le-
socialisme?highlight=eugen+richter
1391
Leopold von Ranke (1795-1886) : « On a assigné à l’historien la tâche de
juger le passé, de former ses contemporains et ainsi de cerner l’avenir. Le
présent essai ne s’assigne pas des tâches aussi élevées. Il entend seulement
montrer ce qui s’est réellement passé. » -Leopold von Ranke, Zur Geschichte
der germanischen und romanischen Völker, 1824.

« Bien que, dès Thucydide ou Polybe, nous reconnaissions, quant à l'essentiel,


notre manière de travailler, nous admettons que l'histoire véritablement
scientifique n'a achevé de se constituer qu'au XIXe siècle, quand la rigueur des
méthodes critiques, mises au point par les grands érudits des XVIIe et XVIIIe
siècles fut étendue du domaine des sciences auxiliaires (numismatique,
paléographie...) à la construction même de l'histoire: strioctiore sensu, notre
tradition n'est définitivement inaugurée que par B. G. Niebuhr et surtout
Leopold von Ranke. » -Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique,
Éditions du Seuil, coll. Points, 1954, 318 pages, p.27.

« Le positivisme de Ranke, qui ne fut pas sans influencer Dilthey […] et suscita
les critiques de Simmel, intervenait avant tout en réaction contre la
métaphysique hégélienne de l’histoire : la formule de Ranke, en ce sens,
devenue emblématique d’un réalisme que son auteur lui-même ne défendait pas
sans de fortes nuances. » -Sylvie Mesure, Note 2 de la page 12, p.464, in
Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire. Essai sur les limites
de l'objectivité historique, Gallimard, 1986 (1938 pour la première édition), 521
pages.

August Böckh (1785-1867) : "Tout métèque pouvait exercer un métier,


quoiqu'il ne pût posséder un fonds: les naturels avaient seulement pour la vente
au marché quelque avantage sur les étrangers, qui étaient obligés d'en acheter
la permission. La loi de Solon qui défendait aux hommes de vendre des parfums
[…] avait un but purement moral, d'éloigner les hommes du travail des femmes ;
elle n'était plus observée dans la suite ; Æschine le philosophe avait une
fabrique de cette denrée. Au moyen d'une liberté entière, de la foule des
métèques et des esclaves, de la faculté de faire de grandes exportations
maritimes, enfin par l'étendue des besoins intérieurs qu'augmentait encore le
concours des étrangers, tous les arts fleurirent, de nombreuses fabriques
s'établirent et occupèrent un peuple d'ouvriers. Les armes et autres ouvrages en
métal, les meubles, les étoffes d'Athènes étaient renommés ; les tanneurs, les
armuriers, les fabricans de lampes et de tissus ; les meuniers et les boulangers
1392
mêmes, qui excellaient dans leur art, vivaient dans l'abondance. On pourrait
croire que les prix des marchandises étaient proportionnellement peu élevés,
puisqu'il y avait toute liberté d'industrie, et que les ouvriers et quelquefois les
chefs d'atelier étant esclaves, le salaire devait être bas ; mais ils étaient
augmentés par l'étendue de l'exportation, ainsi que par le taux très fort de
l'intérêt que prenaient les fabricans et les négocians pour qui c'était une source
de profits. Cependant plusieurs choses, comme le pain et le vêtemens, se
préparaient dans l'intérieur de la plupart des familles et ne s'achetaient pas des
artisans." (pp.75-77)

-August Böckh, Économie politique des Athéniens, tome 1, Paris, A. Sautelet et


Cie, 1828 (1817 pour la première édition allemande), 484 pages.

Arthur Schopenhauer (1788-1860) : « Désirer l’immortalité de l’individualité,


c’est, à vrai dire, vouloir perpétuer une erreur à l’infini ; car au fond chaque
individualité n’est qu’une erreur particulière, un faux pas, une chose qui ferait
mieux de ne pas être, et d’où le but propre de cette existence est de nous
ramener. Et ce qui confirme cette idée, c’est que la plupart des hommes et tous
les hommes mêmes sont, à vrai dire, ainsi faits, qu’ils ne sauraient être heureux,
dans quelque monde qu’ils pussent être transportés. »

« Mourir sans répugnance, mourir volontiers, mourir avec joie est le privilège
de l’homme résigné, de celui qui renonce à la volonté de vivre et la renie. »

-Arthur Schopenhauer, La Métaphysique de la Mort (1818).

« Les processus géologiques ayant précédé toute vie sur la terre se sont
effectués sans aucune conscience; non dans la leur, puisqu'ils n’en ont pas: non
dans une conscience étrangère, parce qu’il n’en existait pas. Ils n’avaient donc
pas, par manque de tout sujet, d’existence objective, c’est-à-dire qu'ils
n’existaient pas du tout. » -Arthur Schopenhauer, Parerga et Paralipomena,
Philosophie et science de la nature.

« La satisfaction, le bonheur, comme l’appellent les hommes, n’est au propre et


dans son essence rien que de négatif ; en elle, rien de positif. Il n’y a pas de
satisfaction qui d’elle-même et comme de son propre mouvement vienne à nous :
il faut qu’elle soit la satisfaction d’un désir. Le désir, en effet, la privation, est la
condition préliminaire de toute jouissance. Or avec la satisfaction cesse le désir,
et par conséquent la jouissance aussi. Donc la satisfaction, le contentement, ne

1393
sauraient être qu’une délivrance à l’égard d’une douleur, d’un besoin (...) Tout
bonheur est négatif, sans rien de positif ; nulle satisfaction, nul contentement,
par suite, ne peut être de durée: au fond ils ne sont que la cessation d’une
douleur ou d’une privation. » -Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté
et comme représentation, livre IV, chapitre 58, traduction Burdeau revue par
Richard Roos, PUF, Paris, 2004, pp.403-404.

« Kant a déclaré qu'en dehors de l'État il n'y a pas de droit parfait de propriété :
c'est une erreur profonde. (...) même dans l'état de nature, la propriété existe,
accompagnée d'un droit parfait, droit naturel, c'est-à-dire moral, qui ne peut
être violé sans injustice, et qui peut au contraire être défendu sans injustice
jusqu'à la dernière extrémité. » -Arthur Schopenhauer, Le Monde comme
volonté et comme représentation - Livre quatrième - § 62.

« Si les autres parties du monde ont des singes ; l'Europe a des Français. Cela
se compense. » -Arthur Schopenhauer, Caractères des différents peuples.

« Arthur Schopenhauer est né à Dantzig le 22 février 1788, fils d'un des


principaux négociants de la ville. Envoyé très jeune à l'étranger, il séjourna
plusieurs années en Angleterre et en France. Il s'initia ainsi de bonne heure à la
connaissance des langues, et finit par parler facilement le français, l'anglais,
l'italien et même l'espagnol. Il montrait la plus vive répulsion pour la carrière
commerciale à laquelle on le destinait; aussi, à la mort de son père, abandonna-
t-il le comptoir pour aller étudier à l'Université d'Iéna. Au sortir de l'Université,
il visita Weimar et connut Gœthe, puis fit de longs voyages, particulièrement en
Italie. Sa fortune se trouva un instant compromise par la mauvaise gestion de sa
mère, et, cherchant à se créer une profession, il se fit inscrire à l'Université de
Berlin comme privat-docent, pour enseigner la philosophie. Le cours qu'il
essaya n'eut aucun succès. Il dut renoncer à l'enseignement que régentaient
alors des professeurs célèbres, tels que Hegel, dont il s'était déclaré
l'implacable ennemi. En 1832, il s'établit à Francfort qu'il ne quitta plus, et où il
mourut le 23 septembre 1860. » -Théodore Duret, « Schopenhauer », Critique
d'avant-garde, Paris, Charpentier, 1885.

« Jouisseur désabusé, il a renversé les croyances, les espoirs, les poésies, les
chimères, détruit les aspirations, ravagé la confiance des âmes, tué l’amour,
abattu le culte idéal de la femme, crevé les illusions des cœurs, accompli la plus

1394
gigantesque besogne de sceptique qui ait jamais été faite. Il a tout traversé de sa
moquerie, et tout vidé. » -Guy de Maupassant, Auprès d’un mort.

« …mon premier et seul éducateur, le grand Arthur Schopenhauer… » -Friedrich


Nietzsche, Humain, trop humain.

« Mon initiation philosophique, c’est à Schopenhauer, et à lui seul, que je la


dois. » -André Gide, Si le grain ne meurt.

« Schopenhauer, cet Heidegger du XIXème siècle. » -Daniel Lindenberg, Les


années souterraines (1937-1947).

« On cite souvent, pour en rire, Schopenhauer qui faisait l’éloge du suicide


devant une table bien garnie. Il n’y a point là matière à plaisanterie. Cette façon
de ne pas prendre le tragique au sérieux n’est pas si grave, mais elle finit par
juger son homme. » -Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe. Essai sur l'absurde,
1942. Repris dans Albert Camus, Œuvre, Gallimard, Coll. Quarto, 2013, 1526
pages, p.258.

« Schopenhauer, qui prétendait n'être qu'un audacieux continuateur de Kant,


commet pourtant à son encontre un double crime de lèse-majesté: d'abord il
affirme la possibilité d'une connaissance de l'en-soi (même s'il prend soin de la
qualifier d'intuitive, et même de relative) ; ensuite, et à cause de cela, il opte
résolument pour une compréhension de la phénoménalité non plus comme
apparition (Erscheinung, qui est le terme kantien) mais comme apparence
(Schein). Le phénomène n'est plus l'apparition de l'en-soi sous les conditions
indépassables par lesquelles l'homme peut connaître quelque chose, mais le
voile d'illusion par lequel l'en-soi se cache et se trahit à la fois. Dans sa quête
éperdue de vérité, l'homme bute contre l'ensemble de la phénoménalité comme
illusion, ou aussi bien -Schopenhauer y insiste- comme folie. » -Dorian Astor,
Nietzsche. La détresse du présent, Gallimard, coll. Folio essais, 2014, 654 pages,
p.27.

« Pour Schopenhauer, une action morale est une action accomplie selon
l’unique critère de venir en aide à autrui, sans le moindre motif égoïste. » -
Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, trad. Angèle Kremer-Marietti,
Librairie Générale Française, 1995 (1878 pour la première édition allemande),
768 pages, note 57, p.699.

1395
http://www.amazon.fr/Schopenhauer-Christophe-
Bouriau/dp/2251760741/ref=sr_1_53?ie=UTF8&qid=1454659766&sr=8-
53&keywords=Schopenhauer

http://www.amazon.fr/M%C3%A9taphysique-lamour-mort-Arthur-
SCHOPENHAUER/dp/2264033193/ref=sr_1_5?ie=UTF8&qid=1454659678&s
r=8-5&keywords=Schopenhauer

http://www.amazon.fr/deux-probl%C3%A8mes-fondamentaux-
l%C3%A9thique/dp/2070394220/ref=sr_1_22?ie=UTF8&qid=1454659720&sr=
8-22&keywords=Schopenhauer

http://www.amazon.fr/Schopenhauer-critique-Kant-Alexis-
Philonenko/dp/2251442847/ref=sr_1_204?ie=UTF8&qid=1455488482&sr=8-
204&keywords=po%C3%A9sies+philosophie

Richard Wagner (1813-1883) : « Avec la fin de sa vie R[ichard] W[agner]


s'est rayé lui-même: il a fait l'aveu involontaire qu'il désespérait et qu'il se
prosternait devant le Christianisme. » (Printemps 1884. 25 [416], p.138)
-Friedrich Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes, X, Fragments
posthumes. Printemps-automne 1884, Gallimard, NRF, 1982, 386 pages.

http://www.amazon.fr/Wagner-Jacques-De-
Decker/dp/2070346994/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&dpID=51zDdbIQaQL&dp
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http://www.amazon.fr/Siegfried-Richard-
Wagner/dp/2081250152/ref=pd_sim_14_14?ie=UTF8&dpID=5180Uhua3HL&

1396
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http://www.amazon.fr/Le-cr%C3%A9puscule-dieux-Richard-
Wagner/dp/2080708236/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=51EECS3FS5L&d
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Jacob Burckhardt (1818-1897): « La véritable grandeur est un mystère. »


(p.237)

« Les grands hommes sont nécessaires à notre existence, afin que le mouvement
de l’histoire puisse périodiquement se libérer des formes de vie purement
extérieures et mortes, ainsi que du bavardage ratiocinant. » (p.275)

-Jacob Burckhardt, Considérations sur l’histoire universelle, Payot, PBP, 1971.

« J’ai bien reçu, par l’intermédiaire de monsieur Schmeitzner, le supplément


d’« Humain » et c’est avec un nouvel étonnement sur la libre plénitude de votre
esprit que je l’ai lu et grignoté. Comme chacun sait, je n’ai jamais pénétré dans
le temple de la véritable pensée, mais suis resté ma vie durant à m’amuser dans
la cour et les salles du peribolos, où règne le figuré au sens le plus large du
terme. Mais justement, même pour des pèlerins aussi nonchalants que je le suis,
votre livre est pourvu à chaque page de la façon la plus riche qui soit. Toutefois,
là où je ne peux vous accompagner, je regarde avec un mélange de peur et de
plaisir avec quelle assurance vous vous promenez sur les crêtes vertigineuses, et
je cherche à me faire une image de ces choses que vous devez voir dans les
profondeurs et les lointains. » -Jacob Burckhardt à Friedrich Nietzsche, Bâle, 5
avril 1879.

« Selon Carl Burckhardt, Nietzsche se serait "illusionné sur l'admiration que lui
portait ce collègue [Jacob Burckhardt] âgé et célèbre. » -Jacques le Ridier,
Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle au temps présent, PUF, 1999
(première version en allemand, 1997), 279 pages, p.117.

« Burckhardt était le plus ancien de beaucoup, quinquagénaire déjà quand


Nietzsche avait vingt-cinq ans. La déférence de Nietzsche pour son aîné ne se
démentit jamais. Mais la sympathie effaçait la distance de l’âge. Nietzsche, de
bonne heure, eut une prédilection pour les hommes âgés, ne se sentait à l’aise
qu’avec eux et ne trouvait que chez eux la maturité qu’il fallait pour entendre et
1397
juger sa pensée nouvelle. » (p.265)
-Charles Andler, Nietzsche, sa vie et sa pensée, I. Les Précurseurs de Nietzsche,
Bossard, 1920, 379 pages, pages 265-339, p.265.

Heinrich Wölfflin (1864-1945) : « [Selon les Principes fondamentaux de


l'histoire de l'art de Heinrich Wolfflin] La forme ouverte, qui recouvre les
productions de l'art baroque, désigne le débordement du sens hors de l'œuvre
strictement visible, et l'appel visuel à ce qui n'est pas représenté et qui marque
les frontières de la connaissance comme celles des conditions de la vision.
Vision fragmentée et fragmentaire, qui tient la réalité enserrée dans un
mouvement d'appel vers ce qui se situe en dehors du cadre et vit le mode de sa
présence dans cette tension silencieuse vers ce qui n'est pas là. La forme fermée,
en revanche, offre une complétude et une détermination qui reposent sur
l'accroissement du champ visuel par ce qui peut être su et connu. Le pouvoir de
l'œil s'augmente de celui de la connaissance et livre au regard du spectateur ce
qui ne peut guère solliciter la collaboration de l'interprétation, étant lui-même
saturé de son propre achèvement scénographique. L'art classique offre ainsi une
série de mondes clos, qui tirent leur force spectaculaire de leur autosuffisance
dans l'ordre du sens, de la sensorialité et de la signification symboliquement
traduite. » -Marie-Hélène Gauthier-Muzellec, compte rendu de Annick
Jaulin, Eidos et Ousia. De l'unité théorique de la « Métaphysique » d'Aristote et
Annick Stevens, L'ontologie d'Aristote au carrefour du logique et du réel, Revue
Philosophique de Louvain, Année 2004, 102-1, pp. 165-178, p.166.
(1) Heinrich Wölfflin (forumactif.org)

Friedrich Nietzsche (1844-1900) : « Le socialisme est le fantastique frère cadet


du despotisme presque défunt, dont il veut recueillir l’héritage ; ses efforts sont
donc, au sens le plus profond, réactionnaires. Car il désire une plénitude de
puissance de l’État telle que le despotisme seul ne l’a jamais eue, il dépasse
même tout ce que montre le passé, car il travaille à l’anéantissement formel de
l’individu : c’est que celui-ci lui apparaît comme un luxe injustifiable de la
nature, qui doit être par lui corrigé en un organe utile de la communauté. » -
Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, §473.

« À l’individu, dès lors qu’il cherche son bonheur on ne doit pas imposer de
prescriptions sur le chemin qui y mène. Car le bonheur individuel procède de
lois propres à chacun et que tous ignorent, il ne peut qu’être empêché et entravé
par des prescriptions venues du dehors. Les prescriptions que l’on appelle
1398
‘morales’ sont en vérité dirigées contre les individus et ne visent pas leur
bonheur. Ces prescriptions se rapportent tout aussi peu au ‘bonheur et au bien-
être de l’humanité’, termes auxquels on ne peut aucunement associer des
concepts rigoureux (...) Il n’est pas vrai que la fin inconsciente du progrès de
tout être conscient (animal, homme, humanité, etc) soit son ‘bonheur suprême’:
au contraire, à tous les degrés du progrès, le bonheur à atteindre est singulier et
incomparable, ni plus élevé ni plus bas, mais justement particulier. Le progrès
ne vise pas le bonheur, mais seulement le progrès, rien de plus. C’est seulement
si l’humanité avait une fin universellement admise qu’on pourrait proposer ‘tu
dois agir de telle ou telle façon’ : en attendant, il n’existe pas de fin de cette
sorte. » -Friedrich Nietzsche, Aurore. Réflexions sur les préjugés moraux, 108,
1881.

« Si loin qu’on pousse la connaissance de soi, rien ne saurait être plus


incomplet que le tableau de l’ensemble des pulsions qui constituent son être. »

-Friedrich Nietzsche, Aurore. Réflexions sur les préjugés moraux, 119, 1881.

« Que signifie vivre. — Vivre — cela signifie : repousser sans cesse quelque
chose qui veut mourir. » -Nietzsche, Le Gai Savoir, 1882.

« L’invention de dieux, de héros, de toutes sortes d’êtres surhumains, en marge


ou au-dessous de l’humain, de nains, de fées, de centaures, de satyres, de
démons et de diables, constituait l’inestimable prélude à la justification des
aspirations du moi et de la souveraineté de l’individu : la liberté que l’on
reconnaissait à tel dieu contre d’autres dieux, on finissait par se l’accorder à
soi-même contre les lois, les mœurs et contre ses voisins. » -Nietzsche, Le Gai
Savoir, § 143, 1882.

"Notre croyance en une virilisation de l'Europe. - C'est à Napoléon (et


absolument pas à la Révolution française, qui a visé à la "fraternité" entre les
peuples et à un commerce sentimental universel et fleuri) que l'on doit la
possibilité aujourd'hui d'une succession de quelques siècles guerriers qui n'ont
pas leurs pareils dans l'histoire, bref, notre entrée dans l'âge classique de la
guerre, de la guerre savante et en même temps populaire sur la plus grande
échelle (de moyens, de dons, de discipline), que tous les millénaires à venir
considéreront rétrospectivement avec envie et respect comme un pan de
perfection: - car le mouvement national dont sort cette gloire de la guerre n'est
que le choc en retour dirigé contre Napoléon et n'existerait pas sans Napoléon.
1399
C'est donc à lui que l'on pourra attribuer un jour le fait que l'homme, en
Europe, a triomphé à nouveau du commerçant et du philistin ; peut-être même
de "la femme", qui a été choyée par le christianisme et l'esprit exalté du dix-
huitième siècle, et plus encore par les "idées modernes". Napoléon, qui voyait
dans les idées modernes et, sans détour, dans la civilisation une sorte d'ennemi
personnel, a prouvé par cette hostilité qu'il était l'un des plus grands
continuateurs de la Renaissance: il a ramené au jour tout un pan d'Antiquité de
nature antique, peut-être le pan décisif, le pan de granit. Et qui sait si ce pan de
nature antique ne finira pas aussi par triompher du mouvement national et se
faire, au sens affirmatif, l'héritier et le continuateur de Napoléon: -lequel
voulait l'Europe unie, comme on le sait, et ce comme maîtresse de la terre."
(p.323, §362)
-Nietzsche, Le Gai savoir, Livre V, traduction Patrick Wotling, Paris, GF
Flammarion, 2007 (1882 pour la première édition allemande), 445 pages.

« Je frémis en songeant à tous ceux qui, sans justification et tout à fait


impropres à mes idées, se réclameront de mon autorité. » -Friedrich Nietzsche,
à Malwida von Meysenbug, Lettre du début mai 1884, cité in Nietzsche, Aurore.
Pensées sur les préjugés moraux, trad. Éric Blondel et all., Paris, GF
Flammarion, 2012 (1881 pour la première édition allemande), 419 pages, p.326.

« Ouvrez les oreilles, je vais vous parler de la mort des peuples.

L’État, c’est le plus froid de tous les monstres froids : il ment froidement et voici
le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l’État, je suis le Peuple. »

[…]Voyez donc ces superflus ! Ils sont toujours malades, ils rendent leur bile et
appellent cela des journaux. […]

Voyez donc ces superflus ! Ils acquièrent des richesses et en deviennent plus
pauvres. Ils veulent la puissance et avant tout le levier de la puissance,
beaucoup d’argent, — ces impuissants !

[…] Ils veulent tous s’approcher du trône : c’est leur folie, — comme si le
bonheur était sur le trône ! Souvent la boue est sur le trône — et souvent aussi le
trône est dans la boue.

[…]Là où finit l’État, — regardez donc, mes frères ! Ne voyez-vous pas l’arc-
1400
en-ciel et le pont du Surhumain ? » -Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra,
1883-1885.

« La volonté de surmonter un affect n’est en dernière instance que la volonté


d’un autre ou de plusieurs autres affects. » (§117)

« Les morales ne sont aussi qu’un langage figuré des affects. » (§187)

-Nietzsche, Par-delà bien et mal, traduction Patrick Wotling, Paris, GF


Flammarion, 2000 (1886 pour la première édition allemande), 385 pages.

« Les "bien-nés" s’éprouvaient justement comme les "heureux"; ils n’avaient pas
besoin d’abord de se figurer artificiellement leur bonheur par référence à leurs
ennemis, voire de s’en persuader au moyen du mensonge (comme ont coutume
de faire tous les hommes du ressentiment) (...). - tout cela ! étant très opposé au
"bonheur" selon l’échelle des impuissants, des soumis, purulents de sentiments
empoisonnés et hostiles, chez lesquels le bonheur apparaît essentiellement
comme narcose, hébétude, calme, paix, "sabbat", détente de l’esprit et
décontraction du corps, bref comme passivité. » -Friedrich Nietzsche,
Généalogie de la morale. Un écrit polémique, 1er traité, §10, 1887.

« Voir souffrir fait du bien, faire souffrir plus de bien encore – c’est une dure
vérité, mais une vieille, puissante, capitale vérité humaine-trop humaine. »

-Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale. Un écrit polémique, II, § 6,


1887.

« Avec ces réflexions, soit dit en passant, je n’entends nullement apporter de


l’eau au moulin dissonant et grinçant de nos pessimistes dégoûtés de la vie ; au
contraire, il importe d’affirmer qu’aux temps où l’humanité n’avait pas encore
honte de sa cruauté, la vie était plus heureuse. » -Friedrich Nietzsche,
Généalogie de la morale. Un écrit polémique, II, § 7, 1887.

« Nous ne sommes prêts ni l’un ni l’autre [il s’agit de Peter Gast] de succomber
à la tentation de revenir dans notre chère patrie ; l’esprit borné de ses habitants
me fait rire. […] Je serais encore certainement découvert en France quelques
années plus tôt que dans ma patrie. » -Friedrich Nietzsche, Lettre à sa mère du
30 octobre 1887, cité dans Friedrich Nietzsche, Par-delà bien et mal, traduction
Patrick Wotling, Paris, GF Flammarion, 2000 (1886 pour la première édition
allemande), 385 pages, p.352.

1401
« La question ouvrière –C’est la bêtise, ou plutôt la dégénérescence de l’instinct
que l’on retrouve au fond de toutes les bêtises, qui fait qu’il y ait une question
ouvrière. Il y a certaines choses sur lesquelles on ne se pose pas de questions :
premier impératif de l’instinct. –Je ne vois absolument pas ce qu’on veut faire
de l’ouvrier européen après avoir fait de lui une question. Il se trouve en
beaucoup trop bonne posture pour ne point « questionner » toujours davantage,
et avec toujours plus d’outrecuidance. En fin de compte, il a le grand nombre
pour lui. Il faut complètement renoncer à l’espoir de voir se développer une
espèce d’homme modeste et frugale, une classe qui répondrait au type du
Chinois : et cela eût été raisonnable, et aurait simplement répondu à une
nécessité. Qu’a-t-on fait ? –Tout pour anéantir en son germe la condition même
d’un pareil état de choses, -avec une impardonnable étourderie on a détruit
dans leurs germes les instincts qui rendent les travailleurs possibles comme
classe, qui leur feraient admettre à eux-mêmes cette possibilité. On a rendu
l’ouvrier apte au service militaire, on lui a donné le droit de coalition, le droit
de vote politique : quoi d’étonnant si son existence lui apparaît aujourd’hui déjà
une calamité (pour parler la langue de la morale, comme une injustice-) ? Mais
que veut-on ? je le demande encore. Si l’on veut atteindre un but, on doit en
vouloir aussi les moyens : si l’on veut des esclaves, on est fou de leur accorder
ce qui en fait des maîtres. » -Friedrich Nietzsche, Le Crépuscule des idoles ou
Comment on philosophe avec un marteau, 1888, « La morale en tant que
manifestation contre nature », 40 (p. 159-160 in GF-Flammarion, Paris, 1985).

« Il ne faut pas se méprendre sur le sens du titre que veut prendre l'évangile de
l'avenir. " La Volonté de Puissance. Essai d'une transmutation de toutes les
valeurs " - dans cette formule s'exprime un contre-mouvement, par rapport au
principe et à la tâche; un mouvement qui, dans un avenir quelconque,
remplacera ce nihilisme complet; mais qui en admet la nécessité, logique et
psychologique; et ne peut absolument venir qu'après lui et par lui. Car pourquoi
la venue du nihilisme est-elle dès lors nécessaire ? Parce que ce sont nos
valeurs elles-mêmes, celles qui ont eu cours jusqu'à présent, qui, dans le
nihilisme, tirent leurs dernières conséquences ; parce que le nihilisme est le
dernier aboutissant logique de nos grandes valeurs et de notre idéal ; parce
qu'il nous faut d'abord traverser le nihilisme, pour nous rendre compte de la
vraie valeur de ces " valeurs " dans le passé... Quel que soit ce mouvement, nous
aurons un jour besoin de valeurs nouvelles... » -Nietzsche, La Volonté de
puissance.
1402
« Les antisémites -autre nom des "pauvres d'esprit". » -Nietzsche, La volonté de
puissance.

« Il n’y a pas de fait, seulement des interprétations. » -Nietzsche, Fragments


posthumes, OPC, t. XII, Fgt. 7 [60], p. 305.

"Socialism ― or the tyranny of the meanest and the most brainless, ―that is to
say, the superficial, the envious, and the mummers, brought to its zenith [...]
Socialism is on the whole a hopelessly bitter affair: and there is nothing more
amusing than to observe the discord between the poisonous and desperate faces
of present-day socialists―and what wretched and nonsensical feelings does not
their style reveal to us! ―and the childish lamblike happiness of their hopes and
desires." -Nietzsche, The Complete Works Friedrich Nietzsche, Vol XIV: The
Will to Power : An Attempted Transvaluation of All Values, tr. by Anthony M.
Ludovici and edited by Oscar Levy, Edinburgh and London: T.N. Foulis, § 125,
p. 102-103.

« Comprendre que le goût classique, où qu’il soit, exige une dose de froideur, de
lucidité, de dureté: la logique avant tout, le goût de l’intellectualité, les « trois
unités », la concentration, la haine du sentiment, de la bonhomie, du trait
d’esprit ; la haine de ce qui est compliqué, incertain, flottant, mystérieux, ainsi
que la haine de ce qui est bref, pointu, joli, affable. […] Pour être classique, il
faut avoir tous les dons et tous les besoins forts et contradictoires en apparence,
mais les plier tous sous un même joug ; il faut venir à temps pour porter à sa
cime et à son comble un genre littéraire ou artistique ou politique ; il faut
refléter au plus profond de son âme un état collectif, à une époque où cet état
existe encore sans être défiguré par l’imitation de l’étranger. » -Friedrich
Nietzsche, La Volonté de puissance, 2, Paris, Gallimard, 1968, p. 339-340.

"Une race débordante de force et amie du jeu affirmerait au sens eudémoniste


justement les passions, la déraison et le changement, avec leurs conséquences :
danger, contrastes, catastrophes." -Nietzsche, La Volonté de puissance, I, 220.

« À la valeur de ce qui demeure éternellement semblable à soi-même (cf. la


naïveté de Spinoza, de Descartes également), opposer la valeur de ce qu'il y a
de plus bref et de plus passager, l'éclair d'or séduisant qui s'allume au ventre du
serpent, la vie… » -Nietzsche, La Volonté de puissance, III, 513.

1403
« La pensée de Nietzsche a ceci de curieux que deux notions du temps, le
progrès et le retour, y sont défendues avec une égale énergie. » -Ernst Jünger,
Traité du sablier.

"Il y a dans la vie de certaines âmes de brusques voltes-faces, où, prises d’une
haine violente contre l’objet de leur culte, elles brûlent ce qu’elles ont adoré et
adorent ce qu’elles ont brûlé. En pareil cas, l’idole renversée n’est qu’une
occasion qui fait éclater la vraie nature et jaillir du fond de l’homme l’ange ou
le démon. Il y a eu un de ces points tournans dans la vie intime de Nietzsche ; ce
fut sa rupture avec Richard Wagner." (p.777)

"Je rencontrai Nietzsche à Bayreuth, en 1876, aux premières représentations de


l’Anneau du Nibelung. Si ces mémorables fêtes scéniques marquent désormais
un point capital dans l’histoire de l’art dramatique, elles furent peut-être aussi
l’origine secrète de la nouvelle évolution de Nietzsche. Du moins m’a-t-il semblé
qu’il reçut là les premières atteintes du mal qui l’a poussé dans cette voie.

En causant avec lui, je fus frappé de la supériorité de son esprit et de l’étrange


té de sa physionomie. Front large, cheveux courts repoussés en brosse,
pommettes saillantes du Slave. La forte moustache pendante, la coupe hardie du
visage lui auraient donné l’air d’un officier de cavalerie, sans un je ne sais quoi
de timide et hautain à la fois dans l’abord. La voix musicale, le parler lent,
dénotaient son organisation d’artiste ; la démarche prudente et méditative était
d’un philosophe. Rien de plus trompeur que le calme apparent de son
expression. L’œil fixe trahissait le travail douloureux de la pensée. C’était à la
fois l’œil d’un observateur aigu et d’un visionnaire fanatique. Ce double
caractère lui donnait quelque chose d’inquiet et d’inquiétant, d’autant plus qu’il
semblait toujours rivé sur un point unique. Dans les momens d’eflusion, ce
regard s’humectait d’une douceur de rêve, mais bientôt il redevenait hostile.
Toute la manière d’être de Nietzsche avait cet air distant, ce dédain discret et
voilé qui caractérise souvent les aristocrates de la pensée. Mme Salomé, qui
juge l’homme avec une singulière pénétration, dit : « Ses yeux semblaient les
gardiens de trésors muets. Leur regard était tourné au dedans ; ils reflétaient
ses impressions intérieures ; regard tourné au loin vers les régions inexplorées
de l’âme humaine. Dans une conversation animée, ces yeux pouvaient avoir des
éclairs saisissans, mais dans ses heures sombres, la solitude parlait à travers
eux avec une expression lugubre, menaçante et comme de profondeurs
inconnues. »" (p.782-783)
1404
"Nietzsche assista donc sans enthousiasme aux scènes grandioses de la
Walkyrie, de Siegfried et du Crépuscule des Dieux, dont il s’était promis tant de
joie. Quand nous partîmes ensemble, aucune critique, aucune parole de blâme
ne lui échappa, mais il avait la tristesse résignée d’un vaincu. Je me souviens de
l’expression de lassitude et de déception avec laquelle il parla de l’œuvre
prochaine du maître et laissa tomber ce propos : « Il m’a dit qu’il voulait relire
l’histoire universelle avant d’écrire son poème de Parsifal !... » Ce fut dit avec
le sourire et l’accent d’une indulgence ironique, dont le sens caché pouvait être
celui-ci : « Voilà bien les illusions des poètes et des musiciens, qui croient faire
entrer l’univers dans leurs fantasmagories et n’y mettent qu’eux-mêmes ! »
Ajoutons que Nietzsche, païen et antireligieux jusqu’à la racine de son être, en
voulait dès lors à Wagner de traiter un mystère chrétien. Il ne comprenait pas
qu’en son maître, comme en tout vrai créateur, le poète agissait
indépendamment de toute philosophie abstraite et n’obéissait qu’au sentiment
intime ; que d’ailleurs ce courant chrétien qui coule déjà à pleins bords dans
Tannhæuser et dans Lohengrin venait des sources les plus profondes de sa riche
nature ; et qu’ainsi l’hommage au Christ par la glorification du saint Graal,
loin d’être une simple fantaisie d’artiste, était peut-être l’acte le plus sincère et
le plus sérieux de sa vie. Mais pour Nietzsche, être chrétien à im titre
quelconque, fût-ce avec le symbolisme d’un artiste de génie, fût-ce avec
l’indépendance d’une foi personnelle et libre, c’était faire acte d’hypocrisie ou
de lâcheté. La publication du poème de Parsifal n’eut lieu que deux ans après.
En même temps, Nietzsche publiait un livre où il rompait avec tout son passé.
Une brouille irrémédiable s’ensuivit. Mais le refroidissement avait précédé la
rupture, et je demeure persuadé que l’orgueil blessé du disciple en fut la cause
première et secrète.

Le nouveau livre de Nietzsche était un recueil d’aphorismes et de morceaux


détachés, avec ce titre bizarre : Choses humaines, par trop humaines. Il ne
fallait pas une grande perspicacité pour y reconnaître le contre-coup des
déceptions personnelles de l’écrivain." (p.784-785)

"Jamais style plus beau ne fut mis au service d’idées plus meurtrières du
véritable, de l’éternel idéal humain." (p.791)

"Écrivain de premier ordre, moraliste pénétrant, penseur profond, satyrique


génial, poète puissant à ses heures, ses dons merveilleux semblaient l’appeler à
être un réformateur bienfaisant de la pensée pour sa génération. Tout a été
1405
englouti dans la pléthore du moi et dans la folie furieuse de l’athéisme. Voilà
pourtant celui qu’une fraction de la jeunesse se propose pour modèle et que des
esprits légers citent journellement comme le prophète de l’avenir !" (p.805)
-Edouard Schuré, L’Individualisme et l’Anarchie en littérature - Frédéric
Nietzsche et sa Philosophie, Revue des Deux Mondes, tome 130, 1895.

"Tout le problème de Nietzsche est effectivement de penser la mort de Dieu, non


comme la désertion d’un « lieu autre » en lequel il suffirait de placer l’homme
ou l’État, cette « nouvelle idole », mais comme la désertion de la place elle-
même : il n’y a plus d’arrière-monde signifie aussi bien qu’il n’y a plus de
monde du tout, pas plus de monde des apparences que de monde des essences, et
plus personne pour l’occuper, pas plus d’essence de l’homme que d’essence
divine. [...] l’homme est cet « animal dont le genre n’est pas encore fixé », cet
animal « qui doit sans cesse se surmonter ». Dès lors, si l’on admet que l’une
des fonctions du divin était bien de donner à l’homme un genre ou une nature
(celle de créature), il faut reconnaître que « mort de Dieu » et « mort de
l’homme » sont pour Nietzsche des événements parfaitement contemporains:
tuer Dieu, c’est d’emblée tuer l’homme." (pp.322-323)

"Quant au meurtrier de Dieu, Nietzsche ne l’appelle pas pour rien le « plus


hideux des hommes » : c’est le prototype supérieur de l’homme réactif, l’homme
ne pouvant affirmer sa supériorité que dans l’instinct de vengeance et le mépris
de soi [...] Folie, imposture et hideur, c’est-à-dire maladie de soi, mensonge sur
soi et mépris de soi, l’athéisme chez Nietzsche est à ce prix. C’est pourquoi
l’homme sans Dieu, l’homme supérieur ou l’esprit fort, est, autant que Dieu,
quelque chose qui doit sans cesse se surmonter ; c’est pourquoi, si Dieu fut «
jusqu’à présent la plus grande objection contre l’existence », l’homme n’en est
pas moins une objection presque aussi forte, « la maladie de la vie » dit
Nietzsche ; et c’est pourquoi encore Nietzsche aura de plus en plus besoin de
revenir aux Anciens, aux classiques, à la tragédie, à Dionysos contre le
Crucifié, au polythéisme contre le monothéisme – l’homme, y compris l’homme
Nietzsche, ne peut pas être athée, c’est là un défi trop grand pour lui, il ne peut
que tendre vers un tel athéisme, traquant sans relâche ses formes les plus
dissimulées de sa piété essentielle (dans la science, dans l’État, dans l’homme
même), mais sans espérance d’y parvenir un jour pour son propre compte."
(p.323)

1406
-Pierre Zaoui, « L'athéisme louche de la pensée française contemporaine
», Esprit, 2007/3-4 (Mars/avril), p. 315-327. DOI : 10.3917/espri.0703.0315.
URL : https://www.cairn.info/revue-esprit-2007-3-page-315.htm

« Quand une œuvre est accaparée et pillée sans vergogne comme celle de
Nietzsche par les nazis, ne convient-il quand même pas de se demander si elle
n'y prêtait pas le flanc ? Le long combat de l'auteur de Par-delà le bien et le mal
contre l'humanisme, l'égalité et la démocratie, en jouant un rôle de premier plan
dans l'éducation de toute une génération d'Allemands, n'a-t-il pas contribué à
ouvrir une brèche qui a permis cette usurpation inacceptable en soi ? Pourquoi
une telle mésaventure n'a-t-elle pu arriver à l'œuvre de Tocqueville ou celle de
Benjamin Constant ? » (p.76)

« Nietzsche, par horreur de la démocratie, abhorre le nationalisme. » (p.452)

« Le plus grand ennemi que la pensée des Lumières ait jamais connu est
incontestablement Nietzsche. Sa figure formidable domine le tournant du XXème
siècle. Pourtant, par son antinationalisme violent, par son anti-antisémitisme
intense, par son cosmopolitisme sans faille, par son individualisme
aristocratique, par sa francophilie, Nietzsche occupe une place à part. Il
contribue à nourrir la révolte contre les droits de l'homme, le libéralisme et la
démocratie, il donne le cachet du génie à l'antirationalisme et à l'anti-
universalisme et nul n'a fait plus que lui pour tourner en dérision la prétention à
l'égalité. Il est, contrairement à ce que l'on prétend souvent, très conscient de la
signification politique de son œuvre. Cependant, cet aristocrate de la pensée ne
descend pas dans la rue. La campagne politique sur le terrain sera menée par
les hommes qui prendront sur eux la tâche de traduire en termes de politique
des masses aussi bien le travail de Nietzsche que celui de la génération
précédente. Ils se feront sciemment publicistes, simplificateurs et
vulgarisateurs. » (p.620-621) -Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une tradition
du XVIIIème siècle à la guerre froide. Saint-Amand, Gallimard, coll. Folio
histoire, 2010, 945 pages.

« Si Nietzsche avait connu le nazisme, il l'aurait assurément détesté. »

« L'abandon des exigences de détermination, d'explication de la nature des


problèmes, de la nature des concepts et des rapports qu'ils entretiennent entre
eux, l'abandon des exigences de fondation et de détermination des champs de

1407
validité et de signification, l'abandon de tous ces réquisits qui prévalaient
depuis Leibniz et Kant est flagrant dans l'œuvre novatrice de Nietzsche. »

-Edith Fuchs, Entre Chiens et Loups. Dérives politiques dans la pensée


allemande du XXème siècle.

« Si pour Nietzsche, c’est une erreur de penser que le bonheur serait le but réel
de toute vie humaine, il l’est tout autant de penser que le bonheur serait le
résultat d’une conduite vertueuse et conforme à des règles morales. » -Roxane
Khodabandehlou, Nietzsche et la conception cartésienne du bonheur, 2014-
2015.

« Rand first read Nietzsche in 1920, at the age of fifteen, when a cousin told her
that Nietzsche had beaten her to her ideas. “Naturally,” Rand recalled in a 1961
interview, “I was very curious to read him. And I started with Zarathustra, and
my feelings were quite mixed. I very quickly saw that he hadn’t beat me to [my
ideas], and that it wasn’t exactly my ideas; that it was not what I wanted to say,
but I certainly was enthusiastic about the individualist part of it. I had not
expected that there existed anybody who would go that far in praising the
individual.”

However attracted to Nietzsche’s seeming praise of the individual, Rand had her
doubts even then about his philosophy. As she learned more about philosophy
and about Nietzsche’s ideas, she became increasingly disillusioned. “I think I
read all his works; I did not read the smaller letters or epigrams, but everything
that was translated in Russian. And that’s when the disappointment started, more
and more.” The final break came in late 1942, when she removed her favorite
Nietzsche quote (“The noble soul has reverence for itself”) from the title page of
The Fountainhead. By this time, she had concluded that political and ethical
ideas—including individualism—are not fundamental but rest on ideas in
metaphysics and epistemology. And this is where the differences between her
philosophy and that of Nietzsche most fundamentally lie.” -John Ridpath, Ayn
Rand Contra Nietzsche, The Objective Standard, Vol. 12, No. 1, spring 2017.

"I disagree with [Nietzsche] emphatically on all fundamentals. Judge a


philosopher by the fundamentals of his philosophy -namely, his metaphysics and
epistemology. Nietzsche was a subjectivist and an irrationalist. Existentialism
claims him as an ancestor, with a great deal of justice." -Ayn Rand, Answers,
New American Library, 2005, 241 pages, p.117.
1408
"Nietzsche's rebellion against altruism consisted of replacing the sacrifice of
oneself to others by the sacrifice of others to oneself." -Ayn Rand, For the new
intellectual, Signet, 1963 (1961 pour la première édition américaine), 216 pages,
p.34.

« Aristocracy, it could be argued, is the sign or the star under which Nietzsche
writes, and the generative principle that gives unity, coherence and force to his
otherwise fragmentary and conceptually confounding work.” -Mikael Hornqvist,
2009, The few and the many : Machiavelli, Tocqueville and Nietzsche on
authority and equality, p.11, Columbia University Academic Commons,
http://hdl.handle.net/10022/AC:P:10033.

« Aujourd'hui, nous disons de quelqu'un qu'il est "nihiliste" pour signifier qu'il
ne croit en rien, qu'il est "cynique", bref qu'il n'a pas d'idéal. Pour Nietzsche,
c'est rigoureusement l'inverse : le nihiliste est justement celui qui est bourré de
"convictions fortes" et hautement morales. C'est celui qui possède des idéaux
supérieurs, quels qu'ils soient : religieux, métaphysiques ou laïques, humanistes
et matérialistes. Pourquoi alors employer ce terme ? Tout simplement parce
qu'aux yeux de Nietzsche les idéaux, toutes les "idoles" comme il les appelle,
reconduisent la structure métaphysico-religieuse de "l'au-delà" opposé à "l'ici-
bas", de ce ciel dont on se sert toujours pour annihiler la terre. » -Luc Ferry.

« La critique nietzschéenne de la vérité peut, à première vue, sembler s’adresser


principalement aux adhérents d’une épistémologie fondationnelle suivant
l’optique empiriste ; c’est-à-dire à ceux qui croient que la connaissance repose
sur un fondement de propositions indubitables car relevant de l’ordre de la pure
expérience. En prenant un peu de recul, nous découvrons cependant qu’il est au
moins tout aussi dévastateur vis-à-vis d’une manière alternative de « croire à la
vérité », à savoir celle incarnée par la pratique de la dialectique et (par
conséquent) par les théories cohérentistes modernes de la connaissance.
Nietzsche entrevoit en réalité, dans la méthode argumentative inventée par
Socrate et Platon, la clé psychologique de toutes les manifestations
subséquentes de rationalisme. Car le mode de pensée socratique suppose la
possibilité et le désir d’éliminer le conflit à travers la convergence graduelle de
tous les partis vers un point de vue unique et stable. En tant que tel, il a toujours
eu une tonalité plébéienne – car l’élimination des conflits, observe Nietzsche, est
un objectif capable de séduire par-dessus tout ceux qui peuvent s’attendre à
avoir le dessous dans le conflit : en d’autres termes, ceux qui sont faibles. »
1409
-Sabina Lovibond, Féminisme & postmodernisme, in Revue Agone, n°43 «
Comment le genre trouble la classe », 18/06/2010.

« Nietzsche est un immense penseur réactionnaire. » -Dominico Losurdo.

« Avec Nietzsche apparaît pour la première fois sur les mers de la philosophie
allemande le pavillon noir du corsaire et du pirate : un homme d'une autre
espèce, d'une autre race, une nouvelle sorte d'héroïsme, une philosophie qui ne
se présente plus sous la robe de professeurs et des savants, mais cuirassée et
armée pour la lutte (...) Nietzsche, au contraire, fait irruption dans la
philosophie allemande comme les flibustiers à la fin du XVIe siècle faisaient
leur apparition dans l'empire espagnol -un essaim de desperados sauvages,
téméraires, sans frein, sans nation, sans souverain, sans roi, sans drapeau, sans
domicile ni foyer. Comme eux, il ne conquiert rien pour lui ni pour personne
après lui, ni pour Dieu, ni pour un roi, ni pour une foi ; il lutte pour la joie de la
lutte, car il ne veut rien posséder, rien gagner, rien acquérir. » -Stefan Zweig.

"Le jour, il n'était pas sauvage, et il lui était agréable d'emmener une compagne
dans ses marches d'après-midi. Hélène Zimmern et Meta von Salis-Marschlins
racontaient volontiers ces promenades où elles écoutaient, sans doute, plus
qu'elles ne parlaient. "Sa parole, me dit Hélène Zimmern, c'était un fleuve".
Encore Nietzsche était-capable de s'intéresser à ce que disaient ses compagnes.
Sa courtoisie était sincère, et, dès que sa pensée ne le dominait pas, l'attention à
autrui lui était naturelle. Quand Meta von Salis-Marschlins lui parlait de ses
études de droit, elle ne l'importunait nullement. Reconnaissons ici ce même
Nietzsche qu'Overbeck, l'ami baslois, nous a montré "capable de l'intimité la
plus débordante et toujours enfermé dans la plus inaccessible solitude"." (p.43)

"Violence et cruauté: ces dispositions lui sont totalement étrangères, et l'attirent


d'autant plus." (p.60)

"Nietzsche vivait, depuis 1877, du revenu de cette somme [30 000 francs],
auquel s'ajoutaient 3000 francs de pension que lui servaient la ville et
l'Université de Bâle, où il avait enseigné huit ans. N'oublions pas qu'à cette
époque un professeur gagnait, en France, 4000 francs par an." (pp.64-65)
-Daniel Halévy, "Masques et détours de Frédéric Nietzsche", in Henri Clouard
(dir.), Bilan de Barrès, Paris, Sequana, coll. "Hier et demain", 1943, 175 pages.

1410
« Nietzsche paraît être le seul artiste à avoir tiré les conséquences extrêmes
d’une esthétique de l’Absurde, puisque son ultime message réside dans une
lucidité stérile et conquérante et une négation obstinée de toute consolation
surnaturelle. » -Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe. Essai sur l'absurde, 1942.
Repris dans Albert Camus, Œuvre, Gallimard, Coll. Quarto, 2013, 1526 pages,
p.336.

« La pensée tragique n'a guère trouvé, depuis Nietzsche, d'interprète


philosophe. » -Clément Rosset, Logique du pire. Éléments pour une philosophie
tragique, Paris, Presses Universitaires de France, coll. «Bibliothèque de
philosophie contemporaine», 2015 (1971 pour la première édition).

« Etrange mélange de tradition et de renouveau qu’est la pensée nietzschéenne.


Mais s’il est une idée, une tendance, un instinct auquel il s’est toujours refusé,
c’est bien celui de l’antisémitisme. » -Matthias Schubel, « Nietzsche, le
philosémite européen », Philosophique, 10 | 2007, 143-152.

« Je n’admets point la créance que l’on me présente quelquefois au nom de


Frédéric Nietzsche, parce que je sais bien ne rien lui devoir de réel : tout ce que
ce philosophe germano-slave peut nous sembler nous avoir appris sur l’autorité,
sur la liberté et sur leurs rapports, c’est lui au fond qui nous le doit, car il le
doit à des esprits de notre race ou qui sont de notre héritage, un Joseph de
Maistre, un Voltaire, un Renan, un Lucain, un Aristote ou un Thucydide. Si,
d’ailleurs, nous n’avions possédé une règle supérieure à celle de Nietzsche, il
n’y aurait point eu de raison pour que l’auteur du Zarathoustra ne nous
entraînât point dans son anarchisme orgueilleux et incohérent et dans sa révolte
mystique contre l’ordre logique et la loi naturelle. Notre personne s’exprime
donc quand elle désavoue et élimine un maître si faux ; elle n’est pas moins
souveraine quand elle reconnaît les docteurs dignes d’elle. » -Charles Maurras,
La Gazette de France, 1900.

"Nietzsche would certainly have rejected the abstract rationalism and counter-
revolutionary utopianism of the Action Française." -Reino Virtanen, "Nietzsche
and the Action Française: Nietzsche's Significance for French Rightist
Thought", Journal of the History of Ideas, Vol. 11, No. 2 (Apr., 1950), pp. 191-
214, p.214.

« Nietzsche ne me mène pas loin et ne m'apporte pas grand-chose. Il est plus un


artiste qu'un philosophe. Il ne possède pas cette clarté de cristal des
1411
raisonnements de Schopenhauer, cette limpidité d'intelligence. » -Adolf Hitler,
cité dans Leni Riefensthal, Mémoires, traduction de l'allemand par Laurent
Dispot, Paris, Grasset, 1987.

« Si on est attiré comme je le suis par une forme de "rationalisme satirique",


c'est-à-dire si on pense que la philosophie n'est surtout pas faite pour se
raconter des histoires et tenir un discours idéaliste et consolateur, on a
tendance à revenir toujours à Nietzsche. » -Jacques Bouveresse, Le Philosophe
et le réel, Entretiens avec Jean-Jacques Rosat, Hachette, 1998.

« La méfiance est aux yeux de Nietzsche l’une des vertus philosophiques les plus
importantes ; c’est peut-être la vertu la plus essentielle. » -Jacques Bouveresse.

« Troisième malchance de Nietzsche : avoir été récupéré par la gauche


française ! (Rires.) Certains intellectuels progressistes ont en effet également
aménagé un Nietzsche à la mesure de leurs fantasmes. Après l’épouvantable
Nietzsche de droite, les philosophes français (Klossowski, Foucault, Deleuze,
Derrida et d’autres) ont fabriqué un Nietzsche révolutionnaire de gauche
complètement insensé. » -Clément Rosset, Entretien avec Aude Lancelin et
Marie Lemonnier, L’Obs, 23 juillet 2015.

« Nietzsche reste résolument kantien lorsqu'il affirme que l'en-soi est


inconnaissable, et que la phénoménalité dépend des conditions a priori de la
sensibilité. Mais chez lui la sensibilité est déjà une puissance active que
l'homme tient de l'essence même de la vie, qui est appropriation, assimilation,
création: faute de pouvoir connaître cet "x énigmatique" qu'est l'en-soi (à
propos duquel, du reste, il conviendrait d'observer un silence éléatique),
l'homme traduit. La perception sensible est déjà traduction active d'une sphère à
une autre, entre sphères absolument hétérogènes entre elles. L'excitation
nerveuse est traduite en image mentale. Et le langage sera traduction sonore de
l'image. Le langage est ainsi une traduction de traduction, saut au carré entre
sphères hétérogènes, sans aucune certitude quand au texte de départ. » (p.204-
205)

"Chez le tout jeune Nietzsche jusque vers 1868 environ, on trouve un mélange
entre l'influence libérale du Vormärz et une borussophilie conventionnelle. En
1866, la guerre de Bismarck contre l'Autriche suscite son enthousiasme, ainsi
que, de manière générale, la politique d'annexion de la Prusse, qui entend
surmonter l'atomisation de l'Allemagne. Paradoxalement, le nationalisme
1412
unificateur prussien a été pour Nietzsche le premier terreur d'où croîtra sa
revendication d'une entité politique supranationale et européenne. Mais, à cette
époque précoce, le malentendu et les illusions sont encore grands sur la nature
des formations d'unité supérieure. C'est ce que Nietzsche comprend très vite, dès
1869, notamment sous l'influence de son nouveau maître Jacob Burckhardt: le
succès de l'Etat et celui de la culture sont deux choses différentes, et leur
croissance est même inversement proportionnelle, ce qui sera affirmé au début
de la Première Inactuelle. Les années 1870 sont donc marquées pour Nietzsche
par un net primat de la culture sur la politique, par l'opposition alors largement
répandue en Allemagne entre la Kultur et la Zivilisation. [...] Ce qui est certain,
c'est que Nietzsche est largement tributaire d'une idéologie de régénération de
la culture allemande par la résurrection de la grécité, idéal que le classicisme
allemand nourrissait déjà autour de 1800. Conjuguant ce classicisme à
l'influence de Wagner, il articule encore la renaissance de type grec aux espoirs
d'un "esprit allemand". Cette pensée nationale, pourtant, n'est déjà plus
nationaliste et réclame un élargissement au cosmopolitisme, qui sera chez
Nietzsche toujours plus marqué. On voit bien que dans ce second débat intérieur
entre la spécificité allemande (le fameux et fatal SonderbewuBtsein) et le
cosmopolitisme, qui est la conséquence d'un premier débat entre la culture et la
politique, se joue un progressif arrachement à une doxa qui entravait la
dynamique philosophique. Dans cette prise de distance que Nietzsche présente
(et perçoit peut-être lui-même) comme posture apolitique, ce n'est pas le
politique qui est évacué, mais bien le plan doxique dominant où le nationalisme
allemand et le culte de l'Etat cherchent des légitimations métaphysiques,
combinant l'idéalisme ancien à un cynisme nouveau." (p.261-262)

« [Nietzsche] est devenu francophile du jour où la Prusse a gagné la guerre


contre la France. » (p.381)

"Il ne faut pas croire que ce soit par ses envolées eugénistes que Nietzsche ait
pensé choquer ses contemporains: l'époque est brutale, et largement convaincue
des bienfaits de la discrimination eugéniste. Ce qui est véritablement
provoquant, c'est sa manière très "inactuelle" de définir les malades qui doivent
être éradiqués: là où ses contemporains stigmatisent les pauvres, les criminels,
les pervers, les handicapées mentaux et physiques, et évidemment les Juifs,
Nietzsche leur parle de platonisme, de christianisme, d'idéalisme, de scientisme,
d'historicisme, de nationalisme, d'antisémitisme, etc. A vrai dire, que signifierait
appliquer à la lettre des mesures d'enfermement, de stérilisation, d'euthanasie
1413
aux sujets atteints de ces "perversions"-là ? Cela n'a pas de sens, ne serait-ce
que parce que les pouvoirs politiques, médicaux, psychiatriques, judiciaires sont
en tant que tels toujours déjà infectés par la décadence que vise Nietzsche,
marqués qu'ils sont par des régimes grégaires ou serviles de "vérité". Le
diagnostic généalogique de Nietzsche est trop redoutablement complexe et
précis pour qu'il ait manqué de voir cette contradiction-là. La question qui
demeure est celle de sa compromission possible avec une certaine vulgarité
odieuse des formes de discours dominants." (p.441)

"La définition de toute réalité comme intégralement pulsionnelle interdit toute


conception spiritualiste de la pensée indépendamment du corps, mais aussi bien
toute conception matérialiste ramenant l'esprit à une simple matérialité
corporelle." (p.496)

« Richard Roos a repéré une couleur épicurienne, en même temps que la


louange explicite d'Épicure, tout au long de la période dite médiane de
Nietzsche, entre 1878 et 1882, d'Humain, trop humain au Gai Savoir. Les
préfaces de 1886 rédigées par Nietzsche témoignent rétrospectivement de ce
changement, de cette convalescence et de cette guérison. » (p.505-506)

-Dorian Astor, Nietzsche. La détresse du présent, Gallimard, coll. Folio essais,


2014, 654 pages.

« Nietzsche partage avec les Allemands et la petite bourgeoisie dont il est issu,
la haine viscérale des Anglais. Il insulte les Anglais comme les Allemands. Cela
l’a dispensé de découvrir Hume, Hobbes.

La civilisation allemande a donc une certaine spécificité. Nietzsche va être déçu.


Il termine par un déluge d’invectives contre les Allemands. Il ne manque pas
une occasion d’en dire du mal. Il cesse de vivre en Allemagne. Il déclare que les
Allemands sont infréquentables. Il se pique de parsemer son œuvre de mots
français. Tout cela pour dire aux Allemands que ce peuple français, considéré
comme décadent, vaincu militairement, peut en remontrer aux Allemands. » -
Éric Blondel, Prolégomènes à une lecture philologique de Nietzsche
(retranscription d’un cours oral professé par Eric Blondel à La Sorbonne, Paris I,
pour l’agrégation de philosophie, Philopsis, 2007, 81 pages, p.23.

« Il y a une altitude intellectuelle, venue, outre des penseurs libéraux, entre


Tocqueville et Aron, de Nietzsche qui doit nous protéger de la bassesse d’une

1414
démocratie qui ne serait plus celle des libertés. » -Thierry Guinhut, Pourquoi un
libéral lit-il Nietzsche ?, 26 février 2012.

« Beaucoup de philosophes ont délaissé l’approche holistique nécessaire au


traitement du problème amené par le nihilisme pour des recherches plus
spécifiques. Mais quelques penseurs, voyant la nécessité d’une reconstruction,
se sont donné la tâche de repenser une Weltanschauung à la suite du nihilisme.
Nietzsche est l’un d’eux. Non seulement entreprend-il d’élaborer une
reconstruction, mais il effectue aussi une analyse du nihilisme. […] Son but
n’est pas uniquement le rejet de l’ordre traditionnel. Il voit bien que le nihilisme
est une situation intenable et qu’il est nécessaire de reconstruire, de fournir une
nouvelle réponse à la question du sens et d’apporter une nouvelle
Weltanschauung qui permettra de fonder une nouvelle éthique. Nietzsche ne se
présente pas seulement en critique de la tradition, mais également en
constructeur et il proposera donc une solution. » (p.5)

« Il est permis de parler de proches parents et de source d’inspiration pour


Sartre dans la pensée de Nietzsche. » (p.6)

-Christine Daigle, Le nihilisme est-il un humanisme ?: étude sur Nietzsche et


Sartre, Les Presses de l’Université Laval, 2005.

« [Kant] immole la métaphysique en tant que telle, pour la ressusciter ensuite


asservie, assimilée par la morale. Les axes de la nature cosmique et humaine
(Dieu, la liberté, l’immortalité de l’âme) se transforment en exigences de la
raison pratique, autrement dit en jugement moraux. Par un renversement
curieux des pôles du savoir humain, Kant soumet l’être à la régulation du désir.
[…] Kant inaugure l’ère où le ciseau des inclinaisons individuelles sculptera le
visage de la vérité. Nietzsche poursuivra son oeuvre : il montrera que cette
morale autonome, subjective, nimbée de fausse ontologie n’est pas moralement
viable. » -Gustave Thibon, Nietzsche ou le déclin de l’esprit, Paris, France,
Fayard, 1975, p. 108.

"Pur un philosophe de ma génération, le rapport Spinoza-Nietzsche fait partie


des passages obligés de l'histoire de la philosophie. Ce fut, pendant dix ou vingt
ans, comme la voie royale de la modernité. Il y avait d'un côté la trinité des «
maîtres du soupçon » – Marx, Nietzsche, Freud –, et de l'autre (ou plutôt du
même, mais en amont), fortement marquée par Gilles Deleuze ou Clément
Rosset, la filiation Lucrèce-Spinoza-Nietzsche, laquelle traversait
1415
souterrainement l'histoire de la philosophie et maintenait, contre les arrière-
mondes de l'idéalisme ou de la superstition, les exigences toniques d'une pensée
de l'immanence, de l'affirmation et de la joie.

Disons-le tout de suite : cette trinité comme cette filiation me paraissent toujours
correspondre à quelque chose de réel, et mon but n'est pas d'en nier totalement le
bien-fondé. Il reste que, de ces deux triades, l'une à peu près synchronique (les
maîtres du soupçon) et l'autre diachronique (disons : les maîtres de la joie),
Nietzsche est le seul élément commun et fait fonction, à ce titre, de pivot ou de
plaque tournante de l'ensemble. C'est l'une des raisons – non certes la seule – qui
explique son exceptionnelle importance pour notre époque. Sa pensée semble
constituer, au moins depuis les années 1970 (et à l'égal de ce que fut Marx dans
la période précédente), l'horizon indépassable de notre temps." (p.321)

"[Contre-sens de Nietzsche sur le rejet spinoziste des passions] Il va de soi que


Spinoza ne préconise par ailleurs aucun « renoncement au rire », bien au
contraire ! Voir par exemple Éthique, IV, scolie du corollaire 2 de la prop. 45 : «
Entre la raillerie (que j'ai dit être mauvaise) et le rire, je fais une grande
différence. Car le rire, comme aussi la plaisanterie, est une pure joie et, par suite,
pourvu qu'il soit sans excès, il est bon par lui-même. »." (note 2 p.331)

"Conatus – que Nietzsche interprète, bien sûr à tort, comme une force purement
défensive et conservatrice." (p.335)

"Spinoza – malgré sa grandeur et peut-être à cause d'elle – résume ainsi une


bonne part de ce que Nietzsche refuse : la métaphysique « suceuse de sang », la
douceur haineuse des faibles, l'universalisation (via le christianisme) du Dieu
juif, l'esprit démocratique qui en résulte ou dont elle procède (le Dieu judéo-
chrétien est « le démocrate parmi les dieux »), la pâleur du malade (Spinoza, «
poitrinaire », était en effet « d'une constitution très faible, malsain, maigre, et
attaqué de phtisie »), enfin, au service du ressentiment et de l'égalitarisme
plébéien, l'« intelligence supérieure » et la « formidable logique », la «
terrifiante logique » du Juif…" (pp.341-342)
-André Comte-Sponville, "« Un anachorète malade » (Nietzsche et Spinoza)",
chapitre in Du matérialisme au tragique et retour, PUF, 2015.

"Je pense qu'à la condition d'opérer une sélection drastique dans ses écrits et de
n'avoir aucune inclination à le considérer comme une autorité, on doit regarder
Nietzsche comme un élément fondamental de toute philosophie morale valable à
1416
venir." (p.XIX)
-Bernard Williams, L'Éthique et les limites de la philosophie, Gallimard, nrf
essais, 1990 (1985 pour la première édition britannique), 243 pages.

"Nietzsche believed in the correspondance "theory" of truth, and in both the


possibility and the desirability of objectivity and the acquisition thereby of
knowledge or rational belief." (p.7)
-Laird Addis, Nietzsche’s Ontology, 2012.

« Entre Humain, trop humain (1878-1879) et Le gai savoir, Nietzsche opère un


renversement apparemment complet par rapport aux thèses défendues dans La
naissance de la tragédie et dans les Considérations inactuelles : à l’
« irrationalisme » de sa jeunesse, Nietzsche substitue soudain une fervente
apologie du classicisme français, des Lumières et du « positivisme », dont la
place dans sa philosophie continue d’intriguer ses meilleurs interprètes. »
(p.202)

« Le « classicisme » de la deuxième période reste fidèle à l’idée majeure de La


naissance de la tragédie, qui est celle de l’équilibre entre les deux instincts
« apollinien » et « dionysiaque » et, parallèlement, le type d’histoire qui est
évoqué dans Humain, trop humain ou dans Aurore repose sur une critique
généralisée des différentes formes du rationalisme historique. » (p.204)

« Antidote de l’esprit moderne, la pensée de Nietzsche doit être prise comme un


moyen privilégié de l’autocritique de la modernité. » (p.214)

-Philippe Raynaud, « Nietzsche éducateur », in Luc Ferry, André Comte-


Sponville, et al., Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens, Grasset, 1991, 305
pages, pp.197-216.

« L’individualisme néo-aristocratique de Nietzsche, avant tout une réaction


philosophique contre les tendances socialistes et communistes du xixe siècle,
une réaction marquée avant tout par le radicalisme d’une vision individualiste
du monde. »

« S’il est attesté que le combat « perspectiviste » mené par Nietzsche contre
toute morale fondée sur le ressentiment et le refoulement des instincts est limité
à l’analyse radicale de la superstructure de la société bourgeoise, de sa culture
et de son épistémologie idéaliste, il n’est pas moins acquis que
l’incompréhension voire l’indifférence quasi totale de Nietzsche à l’égard de la
1417
critique de l’économie politique – menée par Marx, Engels et les fondateurs du
socialisme-communisme –, qui est renforcée encore par 1’ « aristocratisme de
l’esprit » du philosophe allemand, a poussé Nietzsche à adopter des positions
très critiques et polémiques face au mouvement ouvrier en général, et au
socialisme/communisme en particulier qui ont pu être interprétées comme une
apologie de l’ordre économique d’une société bourgeoise dont Nietzsche n’a
cessé de vilipender l’ordre moral pendant toute sa vie d’écrivain et de
philosophe. Contradiction énorme dans la pensée d’un philosophe qui demeure
quand même – malgré cette attitude critique et polémique à l’égard des forces
progressistes de son siècle – un rebelle contre l’ordre bourgeois et l’État
(bourgeois). »

« Nietzsche, en se moquant des démocrates et des socialistes comme de tous


ceux qui défendent hypocritement les intérêts des faibles, rejoint donc pour
partie le scepticisme sumérien à l’égard de la démocratie, du socialisme et du
communisme, en ne défendant nullement à leur place la dictature ou un
quelconque principe monarchique. » -Arno Münster, « Le moi, l’unique et le
néant : Nietzsche et Stirner. Enquête sur les motifs libertaires dans la pensée
nietzschéenne », Revue germanique internationale [En ligne], 11 | 1999, mis en
ligne le 07 septembre 2011, consulté le 26 août 2018.

« Nietzsche ridicules the vulgarity of the liberal-capitalist order, dismissing it as


a society of mediocre “last men” (of a kind who would treat the arrival of the
next iPhone like an event of religious significance). Leftist interpreters of
Nietzsche, like Terry Eagleton and Theodor Adorno, heartily agreed. Following
Nietzsche—with plenty of Marx in the blend—they railed against the inhuman
and stultifying effects of consumer societies and the culture industry in
producing masses of one-dimensional drones, passively indifferent to their
domination by capital. » -Matt McManus, "On Left and Right Nietzscheanism",
19/08/2020: https://areomagazine.com/2020/08/19/on-left-and-right-
nietzscheanism/#:~:text=Left-
Nietzscheans%20appropriated%20these%20dimensions%20of%20his%20philos
ophy%20to,forms%20of%20state%20discipline%20and%20even%20legal%20p
rohibition.

« Avant Nietzsche dans Le Gai Savoir, le thème de la mort de Dieu était un


thème littéraire romantique, qui n’avait rien à voir avec la fin de la
métaphysique.
1418
Comment ces deux thèmes se sont-ils combinés ? Chez Nietzsche, la réponse est
claire : le thème romantique de la mort de Dieu est interprété comme la fin du
suprasensible, et dans la mesure où la métaphysique est identifiée avec la
promotion du suprasensible, la mort de Dieu exprime la fin de la métaphysique
comme fondement théiste des valeurs. » -Frédéric Nef, Qu’est-ce que la
métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais, 2004, 1062 pages, p.141-142.

« Le sentiment moderne […] sur lequel repose la religion moderne [est] le


sentiment que Dieu lui-même est mort. » -Jacques Derrida, Glas, p.111, col.1.

« Tout chrétien, tout platonicien et même simplement tout théiste rencontre en


Nietzsche le Gegner, l’adversaire, le contradicteur indispensable et qui dispense
de tous les autres. » -Charles du Bos, in M. Savouret, Nietzsche et Du Bos,
Paris, Minard, 1960, p.101.

« La réalité est d’abord appréhendée à partir du clivage Apollon/Dionysos,


dans la période de La naissance de la tragédie. Cette approche n’est intelligible
que si l’on souligne l’influence de Schopenhauer lecteur de Kant sur le jeune
Nietzsche. En ce sens, la réalité est pensée à partir de la Volonté
schopenhauérienne, influencée par la chose en soi kantienne. Ici, c’est la
musique qui permet de s’ouvrir à la réalité.

Celle-ci est ensuite pensée comme devenir absolument insaisissable, et c’est à ce


titre qu’elle est l’irréalité même. Plus simplement, la réalité ne serait qu’une
projection des catégories figées de l’esprit humain sur du radicalement
fluctuant. Elle serait une simple fiction issue du besoin de trouver de la stabilité
dans le monde. »

« Parler de volonté de puissance, ce serait dire qu’il n’y a que des phénomènes
en conflit avec eux-mêmes et les uns avec les autres, sans chose en soi. La
volonté de puissance nous conduit à un monisme de la force, c’est-à-dire à la
réalité comme interprétation, par laquelle des configurations de forces donnent
formes et sens à d’autres configurations de forces. » -Blaise Benoit, « La réalité
selon Nietzsche », Revue philosophique de la France et de l'étranger, 2006/4
(Tome 131), p. 403-420.

« Il apparaît cependant que la « volonté de puissance » dans chaque force n’est


qu’une individualisation de cette Volonté métaphysique schopenhauerienne
récusée. Jamais Nietzsche ne se libéra vraiment de l’influence de

1419
Schopenhauer. » -Jean-Pierre Vandeuren, Nietzsche : une lecture « ontologique
» (10/10), https://vivrespinoza.com, 4 octobre 2018.

« Son style, si paradoxal, d'un romantisme effréné, plein de soubresauts


inattendus et de contrastes, en même temps exalté et moqueur, débraillé et
somptueux, familier et superbe [...] Ce rêveur arrogant fut un écrivain de
grande allure. » -Raphaël Cor, Essais sur la sensibilité contemporaine, Paris,
Falque, 1912, 209 pages, p.91.

« Il y a un Nietzsche rationaliste, partisan des Lumières et occulté par beaucoup


de « nietzschéens ». C’est celui de Humain, trop humain, dédié à Voltaire, de
Aurore ou du Gai savoir. C’est aussi le Nietzsche soucieux de comprendre
scientifiquement le phénomène moral et, plus largement, les valeurs. » -Yvon
Quiniou, Du rationalisme au matérialisme : contrainte théorique et enjeu
pratique.

« Selon Nietzsche, l’utilisation des concepts généraux repose sur trois illusions
ontologiques. D’une part, le langage est inapte à dire le devenir qui est le fond
du réel : « les moyens d’expressions du langage sont inutilisables pour exprimer
le “devenir” » (FP, XIII, 11(73), p. 234). D’autre part, le langage exprime des
idées générales dont l’universalité, même objectivement restreinte, est
totalement fausse, puisque le réel, étant en vérité constitué d’une multiplicité
d’êtres singuliers, ne contient aucune généralité qui soit essentielle. Enfin, le
langage est par principe subjectivement universel : il s’adresse, virtuellement, à
la totalité des sujets composant l’espèce humaine. C’est là pour Nietzsche une
ultime illusion. En effet, d’un côté, l’humanité se compose d’individus singuliers
irréductibles, du moins pour ce qui importe essentiellement, à des qualités
communes et, d’un autre côté, un style de langage ne peut être compris à la
rigueur que d’un type d’homme. C’est celui dont relèvent l’auteur et
l’interprète, sans plus, s’il est vrai que « les livres pour tout le monde sont
malodorants » (PBM, § 30, p. 69). »

« Selon [Yvon Quiniou], Nietzsche formule lui-même, nonobstant ses critiques


bien connues du matérialisme mécaniste, un certains nombre de positions
philosophiques « … caractéristiques d’un matérialisme » en général : extériorité
et antériorité du monde vis-à-vis de la « conscience », « origine naturelle de
l’homme » (exclusive de toute origine transcendante ou transcendantale et a

1420
priori), « phénoménalité intégrale de l’expérience » (libérée de tout dualisme
métaphysique), nécessitarisme enfin. »

« Pour un matérialisme antique, mais aussi bien marxiste, l’être originaire de la


nature n’est en aucune façon valorisation, la matière n’est en aucun sens
volonté, l’extériorité factuelle ne saurait dissimuler d’aucune façon une
intériorité normante. Mais, précisément, la valorisation interne à la nature et
même, sans que cette expression soit pour lui en rien contradictoire, interne à la
matière, est ce qui permet à Nietzsche d’éviter la contradiction entre son
ontologie et sa visée pratique lorsqu’il parle à l’impératif à ses lecteurs, puisque
la nécessité naturelle est déjà selon lui celle d’une évaluation et d’une
normativité internes. C’est là ce que reconnaît d’ailleurs Y. Quiniou, en parlant
du « matérialisme vitaliste » de Nietzsche posant dans la matière le
perspectivisme interprétatif et la volonté de puissance caractéristiques de la vie.
En tant que volonté de puissance, toute réalité est interprétante, c’est-à-dire
évaluante.

Dès lors, engager ses lecteurs à l’action et à la transvaluation n’est pas


contradictoire sur le plan pratique puisque sur ce plan Nietzsche ne postule
nullement la liberté comme indépendance de la subjectivité pratique vis-à-vis de
la matière de nature. Plus encore, sa théorie de la nécessité, n’étant pas celle du
déterminisme mécanique, laisse place au hasard des « rencontres », c’est-à-dire
des combinaisons, c’est-à-dire de dominations et d’alliances pratiques
imprévisibles à partir de l’état passé de la configuration des forces et de leurs
interactions présentes. Par suite, l’effet pratique, c’est-à-dire l’effet du discours
sur l’action, garde sa dimension normative et sa contingence chez Nietzsche, et
ce, de façon parfaitement rigoureuse. Ce n’est pas le cas, selon Y. Quiniou, pour
un matérialisme radical qui a purifié la matière de toute volonté normative
comme de toute contingence, en d’autres termes l’ontologie de toute axiologie. »

« La nécessité du fatum nietzschéen implique le hasard ou la contingence des


rencontres et n’est donc pas assimilable à la nécessité purement mécanique de
la nature au sens de Spinoza. »

« Neutraliser la volonté de puissance qui donne en effet son sens à la matière,


c’est nier le dualisme radical des types volontaires de forces, et avec ce
dualisme, renoncer à la nécessité d’affirmer et de mener pratiquement la lutte
entre les types. Or c’est précisément la permanence de cette lutte dans laquelle

1421
chaque volonté est engagée qui est, avec le caractère inéluctablement provisoire
d’une domination, le tragique le plus radical. Supposant faussement la
possibilité d’une maîtrise universelle d’un réel neutralisé par le savoir,
notamment des passions, le matérialisme absurdiste peut ainsi prétendre au
confort serein d’un jeu passionnel définitivement calmé pour tout individu, au
moins dans le jardin d’Épicure ou dans la société désaliénée. »

« [Nietzsche] est incapable, selon M. Conche, de maintenir l’absence de tout


sens de la totalité. D’un côté, en effet, la volonté de puissance, en tant
qu’intérieure à la moindre parcelle de « matière » contribue à orienter et à
diriger tous les phénomènes, en d’autres termes à leur donner un sens. D’un
autre côté, « vers l’avenir…, le surhomme lui sert à donner un « sens » à la
présente existence humaine » : « … de leur être, je veux apprendre aux hommes
quel est le sens : et c’est le surhomme » (APZ, Prologue, 7, p. 30). »

« Selon [Yvon Quiniou], Nietzsche formule lui-même, nonobstant ses critiques


bien connues du matérialisme mécaniste, un certains nombre de positions
philosophiques « … caractéristiques d’un matérialisme » en général : extériorité
et antériorité du monde vis-à-vis de la « conscience », « origine naturelle de
l’homme » (exclusive de toute origine transcendante ou transcendantale et a
priori), « phénoménalité intégrale de l’expérience » (libérée de tout dualisme
métaphysique), nécessitarisme enfin. » -André Stanguennec, "Le matérialisme
questionne Nietzsche : le tragique et l’immoralisme impossibles ?", chapitre 3
in Le questionnement moral de Nietzsche, Presses universitaires du Septentrion,
2005, 368 pages.

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1422
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Ladislav Klíma (1878-1928):

Lucien-Anatole Prévost-Paradol (1829-1870): « Au début de l'année 1865,


[Anatole Prévost-Paradol] publiait ses Etudes sur les Moralistes français qui
allaient grandement contribuer à son élection au mois d'avril à l'Académie
française, refuge de l'orléanisme intellectuel. Il y fut reçu par Guizot et cet acte
symbolisa le passage d'une génération libérale à une autre. Avec l'Académie et
1425
les Débats, Paradol disposait d'une forte légitimité intellectuelle qu'il mit au
service de ses convictions politiques. La parution en 1868 de La France
nouvelle, véritable bréviaire de la pensée libérale, connut un grand
retentissement. Les grands thèmes du libéralisme y étaient largement présents:
décentralisation, magistrature indépendante, liberté de la presse, encadraient
des réflexions nouvelles qui illustrent les idées plus souples de la deuxième
génération libérale, prêtes à des compromis avec les républicains. Paradol se
montrait en effet indifférent à l'égard de la forme du régime pourvu que celui-ci
respectât les principes du fonctionnement parlementaire. Contrairement à
d'autres libéraux orléanistes, il ne souhaitait pas que la chambre haute soit
héréditaire et était prêt à accepter l'élection de la chambre basse au suffrage
universel. La France nouvelle montrait que le caractère "moral" plus que
dogmatique ou affectif, de son libéralisme. Les concessions auxquelles il était
disposé et qui annonçaient l'alliance de certains libéraux avec les opportunistes,
démontraient qu'il n'était pas orléaniste par attachement dynastique mais parce
qu'il tenait au régime parlementaire et à l'influence d'une bourgeoisie éclairée
au sein de la société. Mais cet essai montrait également l'aveuglement de la
pensée libérale à l'égard de l'évolution sociale contemporaine qui remettait
profondément en cause la société libérale rêvée par les orléanistes. Incapable
de prévoir la poussée démocratique qui en résulta, les élections de 1869
sonnèrent comme un premier avertissement. Il fut d'une certaine façon fatal à
Paradol qui essuya à Nantes son second échec électoral. Ludovic a relaté dans
ses Carnets l'abattement de son demi-frère et l'amertume qu'il retira
définitivement du combat politique.
Paradol avait considéré avec circonspection les premières décisions de l'Empire
libéral, craignant qu'elles n'entraînent un regain républicain, voire socialiste.
Cependant la formation du ministère Ollivier le fit changer d'avis: lassé peut-
être du journalisme, il discerna dans ce ministère le début de la construction
d'un régime parlementaire tant attendu. Il refusa le ministère de l'Instruction
publique mais accepta au début de l'année 1870 de siéger dans deux
commissions extra-parlementaires, celle de la décentralisation et celle de
l'enseignement supérieur. Reçu par l'Empereur le 1er juin 1870, il accepta deux
semaines plus tard le poste d'ambassadeur à Washington que lui proposait
Ollivier. Cette nomination fit scandale parmi les libéraux qui dénonçaient la
trahison de celui qui avait été un critique subtil du régime ; il devint alors selon
Pierre Guiral, le "bouc émissaire du ralliement". Il embarqua pour les Etats-
Unis accablé par de violentes attaques. Apprenant avec désespoir la déclaration
1426
de guerre à son arrivée sur le sol américain, craignant probablement
l'accusation de duplicité, il se tira le 18 juillet 1870 une balle dans la poitrine.
Cette fin dramatique donna plus encore d'éclat et de grandeur à sa rapide
ascension. Il laissait derrière lui une œuvre importante de critique littéraire, un
ton de publiciste particulier, critique -mais rarement polémique- et un ouvrage
majeur de la pensée libérale française, La France nouvelle. A bien des égards, il
a été un des inspirateurs de la Constitution de 1875 et du Sénat, une des
références de la "République des ducs", étudiée par son neveu Daniel une
soixantaine d'années plus tard. » (p.41-42)
-Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme, Éditions
Grasset & Fasquelle, Paris, 2001, 601 pages.

« Louis Blanc, exilé en Angleterre (où il s’est lié d’amitié avec Mill), qui
défendait déjà en 1848 un socialisme prônant l’union des classes sociales, ne
pouvait qu’être sensible aux mises en garde de Mill. Après l’avoir décrite dans
sa correspondance au quotidien Le Temps, Blanc y consacre une brochure
entière, intitulée De la représentation proportionnelle des minorités. Ces anciens
défenseurs du vote populaire, qui voient dans la représentation proportionnelle
un correctif à ajouter au mécanisme de l’élection, rejoignent alors
paradoxalement les positions d’auteurs orléanistes qui, dans un mouvement
inverse, recherchent les conditions qui rendraient acceptable un suffrage
universel désormais perçu comme inévitable. La page du suffrage censitaire et
de l’exclusivité du pouvoir des « capacités » étant tournée, on se contente de
défendre leur droit à être représentées. C’est ainsi que le libéral Lucien‑Anatole
Prévost-Paradol, dans son œuvre majeure La France Nouvelle, qui donne une
nouvelle vigueur à ce débat en 1868, voit dans le « suffrage accumulé » un
moyen de garantir une représentation proportionnelle aux minorités et donc de
prévenir « la suprématie presque absolue de la classe la plus nombreuse et la
moins éclairée de la nation sur le corps politique. » -Vincent Guillin & Djamel
Souafa, « La réception de Stuart Mill en France », La Vie des idées , 18 mai
2010. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/La-reception-de-
Stuart-Mill-en.html

Adolphe Thiers (1797-1877): « Vous serez dès lors les complices obligés de
toutes les grèves, de toutes les violences essayées envers les maîtres pour les
contraindre à élever les salaires. Si le droit est un vrai droit, non une flatterie
écrite dans une loi pour n'y plus penser ensuite, mais un droit sérieusement
reconnu, et efficacement accordé, vous fournirez à tous les ouvriers un moyen
1427
de ruiner l'industrie par l'élévation factice des salaires. » -Adolphe Tiers, à
propos du droit de grève.

« Ce sont des hommes qui forment, non pas le fond, mais la partie dangereuse
des grandes populations agglomérées ; ce sont ces hommes qui méritent ce titre,
l’un des plus flétris de l’histoire, entendez-vous, le titre de multitude. » (Thiers,
24 mai 1850, à propos de la restriction du droit de vote selon le critère de
domiciliation. A Paris, 60% des habitants perdent le droit de vote).

« De toutes les chimères que j’ai eu à combattre, il n’y en a pas de plus vaine et
de plus dangereuse que celle qui s’est appelée le libre-échange. […] Nous ne
sommes pas dans la voie du libre-échange, et j’espère, je le répète, que la
France n’y entrera jamais. » -Adolphe Thiers, Discours sur le régime
commercial de la France, Paris, Paulun, Lheureux et Cie, 1851, p.4 et p.13.

"M. Thiers [...] montre une prédilection secrète pour le despotisme absolu de
l’État, une admiration instinctive pour les institutions de Crète et de
Lacédémone qui donnaient au législateur le pouvoir de jeter toute la jeunesse
dans le moule, de la frapper, comme une monnaie, à son effigie." -Frédéric
Bastiat, Baccalauréat et Socialisme, 1848, in Sophismes économiques et petits
pamplets II, Guillaumin, 1863, Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, tome 4
(pp. 442-503), p.490.

« De la Restauration […] à 1871 […], il a été le national. » -Pierre Guiral,


Adolphe Thiers, Fayard, 1986, p.540.

« En avril 1834, retour au régime de censure préalable et fermeture des


journaux républicains dans le cadre des lois de septembre 1835 préparées et
assumées par deux des chefs libéraux [sic] issus de la courte période de
conjonction révolutionnaire en 1830: de Broglie et Thiers. » -Nicolas
Roussellier, L'Europe des libéraux, Éditions Complexe, 1991, 225 pages, p.53.

« Par la loi électorale du 31 mai 1850, proposé par Thiers, la majorité de


l'Assemblée fait obligation aux électeurs d'avoir trois ans de domiciliation dans
le canton, ce qui écarte une bonne partie de "la vile multitude" (environ un tiers
d'électeurs en moins). » -Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et
fascisme en France, Éditions du Seuil, coll. Points Histoire, 2014, 506 pages,
note 1 p.227.

1428
« Thiers était bien seul, dans sa lucidité, au Corps législatif, réclamant
vainement des éclaircissements : « Je regarde cette guerre comme une
imprudence. » On l’accusa de se faire l’avocat du roi de Prusse. Les crédits
étaient votés par 245 voix contre 10 et 7 abstentions. Même des républicains,
comme Gambetta ou Ferry, s’étaient laissés emporter par l’exaltation
générale. » -Gérard-Michel Thermeau, « La guerre de 1870, il y a 150 ans : une
guerre oubliée », 19 juillet 2020 :
https://www.contrepoints.org/2020/07/19/376115-la-guerre-de-1870-il-y-a-150-
ans-une-guerre-oubliee

http://www.amazon.fr/Adolphe-Thiers-Ou-n%C3%A9cessit%C3%A9-
politique/dp/2213018251/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=51H1FEVM0TL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR99%2C160_&refRID=0FQQ1F9ZE49T
3EDJNF7R

La Troisième République (1871-1940) : « La France présente aujourd’hui au


monde un étonnant spectacle. Elle n’a pas d’institutions établies, et elle s’en
passe à force de sagesse : son gouvernement ne peut se maintenir que grâce à
l’assentiment quotidien du pays ; il est remis en question tous les jours, et il se
montre plus solide, plus robuste dans sa fragilité même que beaucoup de
pouvoirs solennellement constitués et entourés de toutes les garanties légales.
C’est qu’il s’appuie sur l’opinion publique, sur le patriotisme et sur le bon sens
de la nation. Les factions qui voudraient le culbuter, et pour qui la tranquillité
du pays est le plus grand des malheurs, s’écrient tous les jours que cela ne peut
durer. En dépit de leurs prédictions, cela dure, cela se fortifie ; l’ordre règne, le
travail renaît, nous refaisons nos finances, nous libérons notre territoire, et ce
gouvernement de fait, ce misérable provisoire dont nos grands politiques
raillent ou déplorent la faiblesse, trouve en deux ans 5 milliards à emprunter au
nom de la France. En présence de ces résultats positifs, la nation reprend
confiance, et elle se dégoûte des charlatans qui voudraient de nouveau la
troubler pour se poser encore une fois en sauveurs. »

« Si l’opinion publique se détourne un peu plus qu’il ne faudrait des idées


conservatrices pour se rapprocher des opinions radicales, faut-il en accuser le
gouvernement qui proclame la république conservatrice, ou les royalistes qui
s’obstinent à confondre la cause conservatrice avec celle d’une monarchie à
jamais répudiée par la France ? Si l’assemblée nationale elle-même est lasse de
ces divisions et de ces combats stériles qui l’affaiblissent, la discréditent, et
1429
discréditent malheureusement avec elle les institutions parlementaires, pourquoi
ne se résigne-t-telle pas à jeter l’ancre dans le port de la république
conservatrice ? Ce sera un sujet d’étonnement pour l’histoire ; elle ne
comprendra pas que des hommes modérés, qui devraient mettre l’intérêt
national avant l’esprit de parti ou l’esprit de système se soient obstinés, après
quinze révolutions, dans un pays dont l’existence même dépend de son repos, à
empêcher un gouvernement honnête de s’établir, et que, dans leur dépit de ne
pouvoir restaurer la monarchie, ils se soient faits les ennemis d’une république
qu’ils pouvaient adopter et diriger eux-mêmes dans le sens des intérêts
conservateurs. » -Ernest Duvergier de Hauranne, "La République et les
conservateurs", Revue des Deux Mondes, T.100, 1872.

« Avec l'ordre, nos ateliers se sont rouverts, les bras ont repris leur activité, les
capitaux sont revenus vers nous, le calme a reparu avec le travail et déjà la
France relève la tête, et, chose plus surprenante encore! une forme de
gouvernement, qui d'ordinaire la troublait profondément, commence à entrer
peu à peu dans les habitudes. Les événements ont donné la République, et
remonter à ses causes pour les discuter et pour les juger serait aujourd'hui une
entreprise aussi dangereuse qu'inutile. La République existe, elle sera le
gouvernement légal du pays, vouloir autre chose serait une nouvelle révolution
et la plus redoutable de toutes. Ne perdons pas notre temps à la proclamer, mais
employons-le à lui imprimer ses caractères désirables et nécessaires. Une
commission nommée par vous il y a quelques mois lui donnait le titre de
République conservatrice. Emparons-nous de ce titre et tâchons surtout qu'il
soit mérité. Tout gouvernement doit être conservateur, et nulle société ne
pourrait vivre sous un gouvernement qui ne le serait point. La République sera
conservatrice ou ne sera pas. La France ne peut pas vivre dans de continuelles
alarmes. » -Adolphe Thiers, Message à l'Assemblée des députés, 13 novembre
1873.

« Il fut un temps où l'on réglait les conflits sociaux à coups de sabres et


chassepots. Les grèves et les manifestations ouvrières ont longtemps été
considérées comme des actes insurrectionnels. Le 1er mai 1891, à Fourmies,
dans le Nord, dans la ville en état de siège, la troupe tire sur la foule des
manifestants: dix morts. Dans le Midi, le 19 juin 1906, les soldats ouvrent le feu
sur les viticulteurs du Midi en révolte: cinq morts et vingt blessés. En juin 1908,
à Draveil, deux grévistes sont tués et dix autres grièvement blessés ; à
Villeneuve-Saint-Georges, la troupe tire: quatre morts. » -Jean-Pierre Le Goff,
1430
Mai 68, l'impossible héritage, La Découverte / Poche, 2006 (1998 pour la
première édition), 486 pages, p.121.

« Selon les chiffres cités par Vindt (1996), le salariat représentait en France
30% de la population active en 1881, 40% en 1906, 50% en 1931, plus de 80%
aujourd'hui. » -Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le Nouvel esprit du capitalisme,
Paris Gallimard, coll. Tel, 2011 (1999 pour la première édition), 971 pages,
p.748.

« Il n'était pas rare […] sous la troisième République pour une famille
d'industriels de former le fils aîné pour reprendre l'usine ou le haut-fourneau
familial, et le cadet pour devenir député et défendre au Parlement les intérêts de
sa maison. » -Jean-Edouard Colliard, économiste français.

« La France de 1900 a pu être présentée comme l'archétype du pays libéral. A


cette époque, nulle instance publique ne cherche à imposer aux acteurs privés
leurs objectifs économiques à moyen ou à long terme. Le pays ne dispose pas
même d'un ministère de l'Économie nationale. Pourtant, depuis la fin du XIXe
siècle, l'Etat républicain ne se contente pas d'user de ses prérogatives en faveur
de la défense, de l'éducation ou de l'accès à la propriété. Il soutient l'expansion
de la banque, des chemins de fer, de la sidérurgie ou encore de l'électricité, et il
protège l'agriculture, principal secteur d'activité du pays, derrière des barrières
douanières. » -François Denord, Le Néo-libéralisme à la française. Histoire
d'une idéologie politique, Éditions Agone, 2016 (2007 pour la première édition),
466 pages, p.19.

« Après la défaite de 1870, il est décidé que l'histoire et la géographie doivent


faire partie de l'enseignement primaire et a fortiori des lycées, pour lesquels il
faut former des professeurs d'histoire et de géographie dans les universités.
Bientôt le Tour de France de deux enfants (1877) deviendra, pour près de
quarante ans, le livre de lecture courante pour la plupart des petits Français. Il
s'agit d'un manuel d'instruction civique républicaine et de "géopolitique"
patriotique: la découverte des diverses régions de France et de leur histoire par
deux petits Lorrains chassés de chez eux par les Prussiens et qui sont à la
recherche d'un oncle itinérant. Ce livre a inculqué un sentiment et une idée de la
France qui expliquent, parmi d'autres facteurs, le courage et l'abnégation de ces
millions de paysans qui furent les soldats de la Grande Guerre. » (p.82-83)

1431
"Au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, [la croissance
démographique française fut] très inférieure à celle des Etats voisins,
notamment l'Allemagne où la population, en dépit d'une forte émigration,
s'accroissait rapidement.
C'est à la demande de l'état-major, pour tenter de pallier l'insuffisance
numérique de l'armée française face à l'armée allemande, qu'est passée en 1890
la loi entraînant la naturalisation automatique des enfants nés en France de
famille immigrée, afin qu'ils accomplissent le service militaire." (p.129)

-Yves Lacoste, Vive la Nation. Destin d'une idée géopolitique, Fayard, 1997,
339 pages.

« Le trajet Paris-Marseille s’accomplissait vers 1780 en 184 heures ; en 1887


13 heures suffisent. » -Frédéric Chauvaud, compte-rendu de Christophe Studeny,
L'invention de la vitesse, France, XVIIIe -XXe siècle, Revue d’Histoire Moderne
& Contemporaine, Année 1997, 44-4, pp. 720-723.

« Dès le début de la IIIème République, la très bavarde grande muette avait été
le refuge des aristocrates de plus en plus écartés du pouvoir dans toutes les
institutions importantes de la vie civile. En 1898, un bon quart des généraux de
brigade et de division étaient des aristocrates. De surcroît, ce corps d'officiers
dominé par l'aristocratie joua un rôle crucial dans l'impérialisme au XIXème et
au XXème siècle. » -Benedict Anderson, L'imaginaire national. Réflexions sur
l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, Éditions La Découverte & Syros,
2002 (1983 pour la première édition américaine), 211 pages, p.156.

« Dès 1885, Jules Guesde avait dit : qu’est-ce que le colonialisme, ça se fait
comment ? Hé bien ça se fait au moyen du sang et de l’argent de la nation, de la
collectivité. On commence par envoyer des soldats, c’est-à-dire les enfants du
peuple, ensuite on envoie un peu d’argent pour les premiers travaux, les routes,
l’aménagement du port, c’est encore l’argent du peuple, et puis après, ce sont
des compagnies privées qui raflent tous les bénéfices. […] Les colonies
coûteront toujours très cher à la Métropole, et ne rapporteront pratiquement
rien à la Métropole, elles rapporteront à des groupes d’intérêts privés. » -Henri
Guillemin, L'autre avant guerre - 1871-1914 - L'occident dévore le monde.

« En France, par exemple, de 1870 à 1987, les salaires en termes réels, c'est-à-
dire une fois défalqué l'effet de la hausse des prix, ont été multipliés par treize.
Dans le même temps, le nombre annuel d'heures travaillées est passé de 2945 à
1432
1543. C'est dire qu'il presque été divisé par deux. Dans le temps d'une active,
comme on l'a fait remarquer récemment, la durée du travail a diminué de
15%. » -Philippe Simonnot, 39 leçons d'économie contemporaine, Gallimard,
coll. folio.essais, 1998, 551 pages, p.371.

« La défaite de 1870 et la répression de la Commune avaient mis à mal


l’optimisme positiviste bien avant la Première Guerre mondiale. » -Jean Colrat,
« Eugène Véron : contribution à une histoire de l'esthétique au temps de Spencer
et Monet (1860-1890) », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2008/1 (n°
18), p. 203-228.

"L'année 1885 fut sans aucun doute une année cardinale dans l'histoire de la
IIIe République: les résultats des législatives qui se traduisent par une Chambre
composée de trois tronçons égaux où les crises ministérielles se succèdent et
consacrent un immobilisme qui a toutes les chances de s'éterniser. Les crises de
gouvernement qui expriment les difficultés que rencontre le centre bourgeois au
pouvoir entraînent finalement une crise de régime." (p.29)
-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises
du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

"Les deux congrès ouvriers internationaux qui se tiennent à Paris en 1889


inaugurent l'histoire de la Deuxième Internationale, révélant à la droite le
danger renaissant du mouvement socialiste et, face à celui-ci, l'instrument
idéologique de sa protection : contre l'internationalisme prolétarien, contre les
sans-patrie du socialisme, la droite va se faire championne d'un nationalisme
français, que le radicalisme jacobin avait jusqu'alors hautement assumé."
(p.377)

"En 1891, blanquistes, guesdistes, broussistes, allemanistes, toutes les fractions


organisées du socialisme rançais maintiennent la suppression des armées
permanentes comme un impératif que les événements depuis la Commune n'ont
fait que rendre à leurs yeux plus évident." (p.382)

"La fusillade de Fourmies, le 1er mai 1891, suscite, au-delà des protestation, un
regain d'intérêt pour la question militaire: c'est l'armée nationale qui, mise à
disposition de l'ordre capitaliste, a tiré sur la nation travailleuse." (p.383)

1433
"Les idées exposées jadis par Blanqui sur la "nation armée" sont reprises dans
tous les programmes des partis socialistes. A l'armée permanente et
professionnelle se substitue l'universalisation de l'armement et l'armée défensive
des citoyens. [...]
Ces idées vont être résumées dans un projet de loi que Vaillant, en bon disciple
de Blanqui, dépose à l'Assemblée après les élections de 1893." (p.391)

"A la fin de l'année 1894, Jaurès est frappé de la censure avec exclusion
temporaire de la Chambre, à la suite du débat sur le projet de loi qu'il dépose
tendant à supprimer la peine de mort du code de justice militaire." (p.392)

"Tout enthousiasme a [...] été banni des rangs socialistes au sujet de l'alliance
franco-russe: les esprits se sont partagés entre le "mariage de raison" et
l'hostilité ouverte. Les premiers se recrutent exclusivement dans les rangs des
"indépendants" et des "broussistes" [...] les autres appartiennent aux groupes
plus révolutionnaires qui ont pour chefs Vaillant, Allemane et Guesde." (p.403)

"Les allemanistes, qui prêchent l'antipatriotisme, se refusent autant que les


autres à toute espèce de défaitisme." (p.417)
-Michel Winock, Socialisme et patriotisme en France (1891-1894), Revue
d’Histoire Moderne & Contemporaine, Année 1973, 20-3, pp. 376-423.

"Jusqu'en 1914, aucun ministre catholique ne sera admis au gouvernement. Au


cours des années 1879-80, l'enseignement est interdit au clergé, pourtant à
l'origine du tissu éducatif français." (p.140)

"De 1879 à 1914 s'effectue la plus vaste épuration administrative de toute


l'histoire de la France: juges, bâtonniers, avocats se voient privés de leurs
emplois ou mis à la retraite d'office par décision du Parlement et du
gouvernement, rompant avec le libéralisme affiché. [...] Bien que le parti
monarchiste ne fomente aucun complot, Freycinet déclare les membres des
anciennes familles régnantes "hors la loi par leur naissance", et fait promulguer
la Loi d'exil du 22 juin 1886 -en vigueur jusqu'en 1950. Ces entorses aux
libertés publiques témoignent inversement de la peur ou de la fragilité de la
nouvelle République, solitaire dans une Europe composée d'empires et de
royaumes. Elles suggèrent aux monarchistes de tradition que la Liberté
républicaine ne correspondent pas pleinement avec la liberté. Telle est la
critique posée par le catholicisme (même après le Ralliement), mais aussi, sur
un autre plan, par de nombreux félibres: la liberté d'enseigner les langues d'oc
1434
est sans cesse rejetée, les écoles publiques imposent l'unilinguisme en
stigmatisant les parlers locaux." (p.141)
-Stéphane Giocanti, Maurras : le chaos et l'ordre, Paris, Flammarion, coll.
Grandes biographies, 2008 (2006 pour la première édition), 568 pages.

« Entre 1871 et 1914, la France a-t-elle voulu la Revanche, c'est-à-dire une


guerre offensive contre l'Allemagne pour reprendre l'Alsace-Lorraine ? On doit
répondre par la négative: la France n'a jamais voulu la Revanche, même pas
dans les premiers mois qui suivirent la défaite. Le présent article veut tenter
d'établir ce refus catégorique d'une guerre de Revanche, montrer que les
revanchards déclarés furent une infime minorité mais aussi souligner que cela
ne signifiait nullement "l'acceptation du fait accompli", pour reprendre
l'expression consacrée, et s'accompagnait d'un ensemble complexe d'aspirations
vagues et de mauvaise conscience. » -Bertrand Joly, La France et la Revanche
(1871-1914), Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, Année 1999, 46-2,
pp. 325-347, p.326.

« Les premières années du XXe siècle sont douces à la République ; d'heureuses


conversions viennent renforcer l'ordre établi ; plusieurs monstres de la veille,
dépouillant leur peau de loup, se muent en fidèles bergers. Après Millerand,
dont nous avons déjà suivi des yeux la métamorphose, voici Briand, hier forcené
et chevauchant un des coursiers de l'Apocalypse, qui s'humanise ; voici
Clemenceau le rebelle qui change de camp et se proclame le "premier flic de
France" ; voici Viviani le socialiste qui a lâché son parti pour devenir ministre
sous Clemenceau et qui rendra à Poincaré d'inappréciables services. » (p.82)
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

http://hydra.forumactif.org/t5072-rene-remond-la-republique-souveraine-la-vie-
politique-en-france-1879-1939#6040

http://www.amazon.fr/R%C3%A9publique-universitaires-1870-1940-
Christophe-
Charle/dp/2020146029/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=41NYSD67F0L&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR111%2C160_&refRID=032R7SBC3SR32X
3XVZGE

https://www.amazon.fr/go%C3%BBt-l%C3%A9meute-Manifestations-
violences-
1435
banlieue/dp/2915830398/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=51bSZ%2BzJQ5L
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR104%2C160_&refRID=EPNHDYH6X
DF9J0HQ9DYP

https://www.amazon.fr/grands-discours-troisi%C3%A8me-r%C3%A9publique-
Cl%C3%A9menceau/dp/2200266847/ref=sr_1_fkmr0_3?s=books&ie=UTF8&q
id=1462464673&sr=1-3-
fkmr0&keywords=Jean+Garrigues+grands+discours+parlementaires+de+la+IIIe
me+republique

https://www.amazon.fr/grands-discours-parlementaires-IIIe-
R%C3%A9publique/dp/2200267916/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=51R3
RNPG3WL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR108%2C160_&refRID=793
3MV8RKCJ78HB2W8DF

Henri-Alexandre Wallon (1812-1904) : Henri Wallon (forumactif.org)

Le Parnasse :

Le symbolisme : "An attitude of systematic detachment manifested itself most


visibly in the literacy school of Symbolism, which flourished during the 1880s
and counted as its most illustrious practitioners Stéphane Mallarmé, Paul
Verlaine, Gustave Kahn, Paul Bourget, Joris-Karl Huysmans, and Philippe
Villiers de l'Isle-Adam. As a response to the Naturalism of Emile Zola and Guy
de Maupassant, Symbolism offered its adherents a conception of the world and a
state of mind which would pervade much of French literacy life. Positing the
absurdity of political action and the inevitable suffering of human existence, the
Symbolists rejected external reality in favor of a new kind of idealism, which in
its variety of forms included solipsism, occultism, mysticism, and a fascination
with the morbid. Paramount to this movement was the artists' resolve to flee
reality through a variety of means, such as hallucinatory drugs, dreams, or
other altered states of mind. Finally, the decadent Symbolists refused to
participate in political and social life, arguing instead for the detached position
of "l'art pour l'art"." -Christopher E. Forth, Nietzsche, Decadence, and
Regeneration in France, 1891-95, Journal of the History of Ideas, Vol. 54, No. 1
(Jan., 1993), pp. 97-117, p.99.

"L'année 1886, que l'on considère généralement comme l'année de naissance du


symbolisme, mérite à plus d'un titre d'être étudiée. Non seulement le manifeste

1436
de Moréas, en date du 18 septembre, donne au mouvement une existence
officielle, et le Traité du Verbe de René Ghil un corps de doctrine, mais encore
de nombreux livres de poèmes, imprégnés de l'esthétique nouvelle, voient alors
le jour. Quelle floraison en effet, en cette année 1886: sans parler de Rimbaud
dont les Illuminations paraissent enfin ; Laforgue publie L'Imitation de Notre-
Dame la Lune et le Concile féérique, Moréas Les Cantilènes, et Régnier
Apaisement. Quatre jeune poètes donnent leur premier livre: Rodenbach avec
La Jeunesse blanche, Mockel avec Poèmes minuscules, Viélé-Griffin avec
Cueille d'avril, enfin Ephraïm Mikhaël avec L'Automne."
(p.71)

"Les deux maîtres qui ont préparé l'éclosion du symbolisme, Mallarmé et


Verlaine." (p.71-72)

-Yves-Alain Favre, Ephraïm Mikhaël et le thème de l'automne en 1886,


Littératures, Année 1991, 24, pp. 71-81.

"Certes, Madame Bovary met en question les idéaux du romantisme, mais


Stendhal, Balzac et Sainte-Beuve – pour ne citer qu’eux – avaient instruit des
procès littéraires analogues en plein milieu de l’effervescence «romantique». Au
reste, sur le plan du contenu – et sans parler de l’art du récit –, Flaubert n’a fait
que reprendre, dans son roman de 1857, des choses déjà dites avant lui par
Balzac. La contestation des modèles idéalistes n’était pas moins forte en 1830
qu’en 1860. Et elle ne s’est d’ailleurs pas éteinte à la fin du siècle: ainsi,
reprenant un canevas balzacien, L’Œuvre de Zola dénonce les errements d’un
artiste hanté par les préoccupations de l’Absolu.

En fait, le XIXe siècle montre, tout au long de son déroulement, une tension, un
conflit permanents entre partisans et adversaires de l’idéalisme, et ne se laisse
pas appréhender comme une succession de moments pendant lesquels chacune
de ces tendances aurait, à tour de rôle, régné seule. La publication de Madame
Bovary n’a pas empêché Vigny ou Hugo de continuer à produire, ni Leconte de
Lisle de rendre témoignage de la continuité de l’inspiration idéaliste en
France."

"ll est clair pourtant qu’à l’époque, une même préoccupation de l’Absolu fédère
les acteurs rangés sous la bannière du symbolisme et que tous les textes à valeur
de manifeste poétique contiennent des professions de foi idéalistes. Ces
programmes esthétiques clament chez leurs auteurs la volonté de faire
1437
apparaître, au-delà des apparences matérielles, une Vérité plus haute, qui
découvre l’Idée «immarcescible», pour reprendre une épithète
qu’affectionnaient les écrivains du temps. À l’instar des toiles de Gustave
Moreau, l’œuvre littéraire se doit d’évoquer un monde mystérieux et surnaturel,
invisible ici-bas aux yeux profanes."

"[Pour Jean Moréas]: L’écrivain doit se mettre en quête de signes qui


manifestent la divinité; à l’artiste incombe de remonter de l’apparence, de ce
qui s’écoule, jusqu’à la part céleste et immuable des choses, – la poésie
symboliste ambitionnant, en tant qu’essai de restitution de l’infini dans le fini,
de se faire la traduction «humaine» de l’Absolu."

"En 1891, Jean Thorel souligne les liens unissant les écrivains français
contemporains – au premier rang desquels il place Villiers de l’Isle-Adam,
récemment disparu, ainsi que Mallarmé – et leurs ancêtres, les romantiques
allemands : aux yeux de Jean Thorel, tous ces auteurs partagent une même
conception du symbole, un système philosophique idéaliste hérité de Fichte et
l’ambition d’exprimer la part invisible du monde."

"L’idéalisme fin-de-siècle doit sa spécificité à ce constat: les poètes se sont en


vain préoccupés de l’histoire. Ainsi, chez les symbolistes, demeure l’ambition
romantique de s’approprier le point de vue totalisant du regard de Dieu, ou de
l’Absolu, mais la fin-de-siècle ne voit plus le poète revenir parmi les hommes.
L’art et l’écrivain ne se donnent plus à connaître que résolument et
radicalement coupés du monde.

On entend Villiers, Joséphin Péladan et Stanislas de Guaïta clamer leur dégoût


pour la société humaine, Mallarmé se déclarer incompétent pour toute autre
chose que l’Absolu puis assurer que le bonheur d’ici-bas est ignoble et que le
réel est vil. Les artistes font état de l’horreur qu’inspirent l’amour, les relations
sociales, la vie quotidienne… Des Esseintes, le héros de À rebours, va jusqu’à
délaisser les tableaux et les livres dont les sujets appartiennent au monde
moderne. Mallarmé, encore, apparaît comme la figure, admirée par tous, du
poète qui a réussi le mieux à s’émanciper des pénibles réalités du siècle."

"Les écrivains affirment hautement leur dédain pour le progrès, pour


l’éducation du peuple, pour la philosophie de l’histoire et plus généralement
pour toute mission didactique que l’on voudrait assigner à la littérature. À la fin
du siècle, le poète n’est plus – comme il l’était chez Hugo – l’éclaireur de
1438
l’humanité sur la route du progrès et de la liberté. Chez les symbolistes, il n’y a
plus d’autres révolutions qui vaillent que celles qui concernent le vers ou la
prosodie. La poésie étant célébrée comme la bombe suprême, les seules activités
politiques qui ne sont pas indignes de l’art et qui trouvent grâce aux yeux des
idéalistes fin-de-siècle ressortissent au nihilisme: discours prônant l’anarchie
ou actes terroristes. Autant dire que les poètes ont choisi – pour ce qui regarde
la conduite de la polis – de se taire. La société, à leurs yeux, ne mérite que
d’être dynamitée."

"L’incompréhension du public est souhaitée: elle apparaît comme un gage


accordé par l’Absolu. Ainsi que le propose René Ghil dans le Traité du verbe
(1886), on voudrait même rendre la poésie semblable à la musique, – art qui,
libéré de l’illusion référentielle et des réalités phénoménales, a été de tous
temps, mais plus particulièrement à l’époque symboliste, considéré comme le
plus apte à atteindre l’univers des Idées et à les exprimer."

"Mais Narcisse est aussi stérile. Et le dédain affiché pour la société est tel, chez
les idéalistes fin-de-siècle, que beaucoup de ceux-ci répugnent même à aller au-
delà de la conception d’une œuvre d’art: on pense, mais on ne produit pas,
puisqu’il faudrait alors faire des concessions envers le monde quotidien et
accepter que l’Idée sublime se trouvât comme souillée au contact de la réalité.
Des Esseintes se dit écrivain, mais en fait n’écrit pas; il se contente d’absorber
les œuvres des autres et, pour lui-même, de nourrir des idées d’ouvrages.
Beaucoup de ces artistes se reconnaîtront dans la figure d’Hamlet, l’intellectuel
pur, reclus dans sa chambre-sanctuaire, garrotté par sa cérébralité et
répugnant à toute forme d’action.
L’idéaliste fin-de-siècle entend donc n’avoir à connaître que lui-même; son
esprit constitue à ses yeux la seule instance qui vaille, tout le reste n’étant selon
lui – et par rapport à cette essentielle réalité – qu’illusion voire hallucination."

"Pour justifier le bien-fondé de ces doctrines, les idéalistes fin-de-siècle se


réclament de l’œuvre du philosophe allemand Arthur Schopenhauer, qu’ils se
sont choisi pour parrain. Le traité majeur de Schopenhauer, Le Monde comme
Volonté et comme Représentation (Die Welt als Wille und Vorstellung) avait
été publié en 1819 déjà, mais il ne recueillit presque aucun écho avant les
révolutions européennes de 1848. C’est seulement après celles-ci que Wagner
attira l’attention sur ce philosophe qui semblait avoir annoncé l’échec
inéluctable de toute entreprise politique.
1439
La philosophie pessimiste de Schopenhauer proclamait l’impossibilité du
bonheur terrestre et, partant, l’inutilité des révolutions ainsi que la vanité des
efforts de tout gouvernement ou de toute institution qui voudrait améliorer le
sort des individus. La misère et le mécontentement sont ontologiques et
entraînés par le fait même d’exister. Le penseur allemand réfutait des notions
comme le progrès, le destin collectif d’un peuple ou le devenir historique. Selon
lui, l’histoire ne donnerait à percevoir que la cacophonie confuse et
assourdissante produite par l’infinité des consciences individuelles."

"De cette idéale forteresse de l’Art étaient évidemment bannies les femmes,
assimilées à des goules ou des vampires, coupables de vouloir ramener l’homme
dans les misères du vouloir-vivre. Les écrivains et les peintres s’autorisent
également de Schopenhauer pour professer comme un dogme l’horreur du
moderne (englué dans la Volonté) et pour diriger tous leurs efforts cognitifs vers
le passé, censé conserver plus purement les lois de l’universelle répétition. Les
idéalistes fin-de-siècle étudient le monde «à rebours» – cette formule définit
aussi un programme intellectuel – et se plongent dans l’Antiquité, dans les
mythes anciens, dans les fables et légendes du Moyen Âge, etc."
-Michel Brix, « L'idéalisme fin-de-siècle », Romantisme, 2004/2 (n° 124), p.
141-154. DOI : 10.3917/rom.124.0141. URL : https://www.cairn.info/revue-
romantisme-2004-2-page-141.htm

https://www.amazon.fr/Crise-valeurs-symbolistes-po%C3%A9sie-
fran%C3%A7aise/dp/2745326864/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=154195
0968&sr=1-1&keywords=La+crise+des+valeurs+symbolistes

Ephraïm Mikhaël (1866-1890) : « La pluie et le brouillard estompent les


formes et les lignes ; le monde s'efface et se transforme. L'automne est, par
excellence le domaine de la nuance. » -Yves-Alain Favre, Ephraïm Mikhaël et le
thème de l'automne en 1886, Littératures, Année 1991, 24, pp. 71-81, p.79.

Gabriel-Albert Aurier (1865-1892): « Une littérature de rêve n’est-ce pas une


littérature de vie vraie, de vie réelle autant que le réalisme ? Les rêves que nous
faisons tout éveillés ne sont-ils pas logiquement déterminés, de l’aveu des
physiologistes mêmes, par les faits matériels de notre existence ? Si donc je vous
raconte la suite de ces rêves, ne sera-ce pas, indirectement, ma vie elle-même,
intégralement mais transposée dans un monde que j’estime plus beau et plus
intéressant que celui où nous nous agitons. J’essaye, en ce moment, cette

1440
expérience en un roman sans me dissimuler que le public, de longue date
habitué au plat et précis terre-à-terre de la littérature immédiate, sera, sans
doute, dérouté par cette tentative. Mais qui sait aussi si quelques-uns ne se
réjouiront pas d’être ainsi arrachés à l’ignoble réalité de leur au jour-le-jour
? » -Gabriel-Albert Aurier, interrogé par Jules Huret dans son Enquête sur
l’évolution littéraire, 1891.

Jules Huret (1863-1915): http://hydra.forumactif.org/t4986-jules-huret-


enquete-sur-l-evolution-litteraire#5948

Les décadents (1883-1909 ?): « Tandis que le Naturalisme essaye vainement de


casser les ailes à la fantaisie et de mettre l’imagination sous clef, la fantaisie
s’enfonce dans le pays des rêves d’un vol fou et l’imagination vagabonde dans
les plus étranges sentiers. Jamais on n’aura mieux vu combien l’esprit humain
est incompressible, et combien il est chimérique de prétendre l’enfermer dans
les règles étroites d’un système qu’à notre époque, où à côté d’une brillante
école de romanciers uniquement épris de réalités, s’est formée une école de
poètes réfugiés, comme le savant de Hawthorne en sa serre, dans un monde
absolument artificiel. Point d’antithèse plus tranchée.

Bien qu’ils n’aient, comme jadis les Parnassiens, ni éditeur commun, ni recueil
à eux, où leur groupe apparaisse nettement délimité, ceux qui s’occupent de vers
savent qui l’on désigne par ce nom ironique de décadents. Baudelaire est leur
père direct, et toute l’école danse et voltige sur le rayon macabre qu’il a ajouté
au ciel de l’art, suivant l’expression de Victor Hugo. » -Chronique de Paul
Bourde sur les Poètes décadents, Le Temps, 6 aout 1885.

« On peut voir dans le moment décadent une manifestation comparable à ce


qu'avait été la réaction romantique au 19e siècle ; il est aisé d'y déceler une
manière de conflit de génération littéraire. Cependant, lorsque les romantiques
– nés du fracas révolutionnaire et de son avatar napoléonien – affirment en
même temps leur désespoir et leur dégoût du monde, une foi dans le progrès par
la Littérature et la Science (c'était la position d'un Victor Hugo), les décadents,
eux, rejettent tout positivisme scientiste. Ceux qui, plus par autodérision que par
souci de faire réellement école, s'appellent eux-mêmes les décadents, ont le
sentiment de vivre dans une époque de « perversité cruelle, de blasement
général ; image fidèle de l'ère des derniers Césars » (Léo d'Orfer).

1441
Le désespoir décadent n'est donc pas étranger à cette référence à la Rome
décadente. Il prend la forme d'un sentiment d'impuissance face à un monde
finissant, un monde putrescent ; à ce désespoir on réagit en cherchant, dans la
littérature, une échappatoire – Any where out of the world – un refuge, un
moyen de transcender son « taedium vitae » (dégoût de la vie), sa névrose –
version décadente du spleen –, par une esthétique du précieux, du rare, qui
permet de se défendre de la « platitude des temps présents » (Verlaine).

A l'intérieur de ce mouvement qui n'en est pas vraiment un, nous avons choisi de
nous arrêter sur A Rebours de J.K. Huysmans et sur les Moralités Légendaires
de Jules Laforgue. Ces deux œuvres nous paraissent en effet être les plus
représentatives et les plus quintessencielles du désespoir décadent. De plus, si la
réputation et l'autorité en matière littéraire de Huysmans – consacré par ses
contemporains comme le « Pape du décadentisme » – ne sont plus à faire, il n'en
est pas de même pour Laforgue, auteur trop méconnu, à qui nous voudrions ici
rendre justice. »

« Cette fin du 19e siècle est en effet vécue comme l'aboutissement de grandes
transformations tant sociales que politiques, techniques et culturelles. La
Révolution Industrielle – avec son cortège d'innovations techniques – la
République – encore toute jeune dans un siècle de révolutions et d'empires –
l'avènement du positivisme etc. : autant de facteurs de ces changements
radicaux. Avec la révolution industrielle et l'émergence d'une classe ouvrière, la
société change de visage : les campagnes sont désertées et suite à un
mouvement d'exode rural important, les « villes tentaculaires » (Verhaeren)
s'étendent en France. Ce siècle est également celui de l'avènement de la
bourgeoisie (dont Flaubert a tant fustigé la bêtise), et de l'argent en tant que
valeur. Le suffrage universel – bien que certains le considèrent comme
conservateur – choque également les âmes aristocratiques comme celle de
Flaubert, profondément opposé à ce qu'il considère comme le triomphe de la
vulgarité. Huysmans résume parfaitement ce sentiment élitiste de médiocrité de
l'époque en mettant dans la bouche de son héros, le duc Jean des Floressas des
Esseintes, les mots suivants : « un temps de suffrage universel et de lucre ». Les
artistes contemporains se sentent en porte-à-faux avec cette société dominée par
les intérêts économiques.

A ces profondes transformations sociales s'ajoute un contexte politique troublé.


Les décadents apparaissent en effet dans les années 1880, c'est-à-dire après la
1442
cuisante défaite de la France face à l'Allemagne en 1870. Le thème de la
décadence de la France est alors dans toutes les bouches : la France aurait-elle
perdu son aura, sa puissance politique – en même temps que militaire – qui la
faisait tant admirer de l'étranger ? Les universités françaises se mettent à
adopter les méthodes allemandes, l'apprentissage de la géographie date de cette
époque, Kant est diffusé dans les milieux universitaires, etc. Beaucoup y voient
le signe d'une démission intellectuelle de la France. La défaite signe l'arrêt de
mort du second Empire et l'avènement d'une toute jeune république. La vie
politique de ce régime est ponctuée de scandales retentissants (scandale de
Panama, Affaire Dreyfus…) qui ne vont pas sans conforter dans leur opinion
ceux qui croient à une déchéance morale de la France.

Dans cette société dominée par l'esprit de lucre et qui semble indiquer la fin
d'une certaine « Grande France », la jeunesse se sent quelque peu étriquée.
L'Empire était l'avènement de tous les possibles (ce que Stendhal montrait assez
bien dans le Rouge et le Noir, ou encore Victor Hugo avec l'anoblissement du
Baron de Pontmercy pour faits d'armes) et la République n'offre plus la
possibilité d'une vie marquée par la gloire et l'ambition noble. Il en résulte pour
la jeunesse artiste de ces années-là un sentiment de faillite qui fait naître une «
désespérance voisine de l'anéantissement » (Baudelaire). En cette fin de siècle
marquée par des idées millénaristes la littérature reflète ce malaise, ce mal de
vivre en même temps qu'un profond besoin d'idéal, de foi, de mystère. »

« C'est dans cette époque de troubles qu'apparaît le décadentisme. Ce n'est à


proprement parler ni une école ni un mouvement littéraire organisé. Il s'agit en
fait de la désignation d'un certain état d'esprit où l'ironie se mêle au désespoir,
ce qui explique que ceux que l'on range sous l'étiquette de décadents empruntent
également quelques traits à d'autres mouvements littéraires comme au
romantisme, au symbolisme, aux « voyants » (dans la lignée rimbaldienne)…

Le mot « décadent » appliqué à la littérature apparaît pour la première fois sous


la plume de Théophile Gautier en 1868 pour désigner Baudelaire : « Le poète
des Fleurs du Mal aimait ce qu'on appelle improprement un style de décadence
et qui n'est autre que l'art arrivé à ce point de maturité extrême que déterminent
à leur oblique les civilisations qui vieillissent ». »

« On retrouve enfin dans la littérature ce désespoir dû à un profond pessimisme


auquel Schopenhauer n'est pas étranger. Ceci est vrai chez Huysmans (des

1443
Esseintes au dernier chapitre, « appelle à l'aide, pour se cicatriser, les
consolantes maximes de Schopenhauer ») comme chez Laforgue. Il y a en effet
chez le philosophe allemand l'idée que l'ennui, aspect « triste, lugubre, du
dégoût et de la douleur » est une valeur aristocratique : « l'ennui est le tourment
des classes supérieures », celles qui peuvent se payer le luxe de s'ennuyer car
elles ne travaillent pas. C'est exactement le cas de des Esseintes qui souffre de
la névrose, mal qu'il considère comme le mal aristocratique par excellence et
réservé aux âmes d'élite. » -Elisabeth Rosa & Leila Slimani, « Réflexions sur le
désespoir moderne », http://www.sens-public.org, 4 octobre 2003.

https://www.amazon.fr/LImaginaire-d%C3%A9cadent-Jean-
Pierot/dp/287775149X/ref=sr_1_fkmr1_1?s=books&ie=UTF8&qid=153537949
8&sr=1-1-
fkmr1&keywords=L%E2%80%99Imaginaire+d%C3%A9cadent+%281880-
1900%29

Émile Littré (1801-1881) : « Littré, dont le rôle intellectuel et politique fut


considérable au début de la IIIe République. » -Yves Lacoste, Vive la Nation.
Destin d'une idée géopolitique, Fayard, 1997, 339 pages, p.142.

"Émile Littré, pénétré de la vérité du système positiviste." -Marc Angenot,


L'Histoire des idées. Problématiques, objets, concepts, méthodes, enjeux,
débats, Presse Universitaires de Liège, coll. Situations, 2014, 392 pages, p.132.

Léon XIII (1810-1903) : "Pour situer en Dieu la source du pouvoir, l'Eglise ne


récuse pas pour autant l'idée d'une redistribution au peuple de la fonction
politique. Léon XIII l'admettait déjà [dans Immortale Dei] en un temps où les
milieux catholiques célébraient massivement l'alliance indéfectible du trône et
de l'autel: "On ne réprouve pas que le peuple ait sa part plus ou moins grande au
gouvernement. Il est même des cas où cette participation doit être considérée
non seulement comme un avantage mais aussi comme un devoir". L'Eglise
conciliaire souligne l'idée plus fortement encore: "[Il faut reconnaître] le droit
pour les membres de toute communauté nationale d'intervenir dans leur propre
vie politique et de disposer des moyens leur permettant d'y prendre une part
active" [Paul IV, 7 mai 1967]." (p.328)

-Philippe Portier, "La philosophie politique de l'Église catholique : changement


ou permanence ?", Revue française de science politique, Année 1986, 36-3, pp.
325-341.
1444
« A Rome, Léon XIII, épaulé par le cardinal Rampolla, réoriente habilement la
stratégie pontificale pour "adapter le monde moderne à l'Église" (Jérôme
Grondeux). S'il condamne sans appel "la secte maçonnique" (Humanum Genus,
1884), il encourage l'émergence du christianisme social (Rerum Novarum,
1891) et prend clairement position en faveur du ralliement des catholiques
français à la République (Au milieu des sollicitudes, publiée en français en
1892). Il confirme la position avancée, le 12 novembre 1890, par le cardinal
Lavigerie. Archevêque d'Alger, monarchiste de coeur, mais acteur de la
colonisation républicaine, le prélat avait affiché sa volonté de "mettre un terme
à nos divisions" et d'accepter le régime légal [...]
Le "toast d'Alger" et l'encyclique pontificale se heurtent toutefois à de profondes
résistances, dont témoignent, par exemple, les professions de foi des
conservateurs élus dans la Loire-Inférieure en 1893. » (p.220-221)
-Arnaud-Dominique Houte, Le triomphe de la République (1871-1914), La
France contemporaine vol. 4, Paris, Éditions du Seuil, coll. Points Histoire,
2014, 470 pages.

"En invitant les catholiques à cesser leur opposition devenue déraisonnable et


même pernicieuse, Léon XIII n'a pas d'autre but que de "consolider le
gouvernement par l'appui des éléments conservateurs en face des partis
subversifs qui menacent la société". Le fait est que les élections municipales qui
viennent de se dérouler, en mai 1892 (la lettre à Mgr Fava, rappelons-le, est de
juin) ont été alarmantes: les mairies de Marseille, de Roubaix, de Narbonne, de
Toulon, de Montluçon et de Commentry sont tombées aux mains des socialistes ;
à Carmaux, le marquis de Solages a perdu son fauteuil de maire et c'est un de
ses ouvriers (où allons-nous ?) qui le lui a ravi. Tout indique, pour les élections
législatives de l'an prochain, une poussée, peut-être une marée, révolutionnaire.
L'offre de Léon XIII arrive à point nommé ; ce qu'il propose -et il le dit, en toute
limpidité, au député Henri Lorin-, c'est "la création d'un grand parti
conservateur dont les catholiques formeraient la droite et les républicains
modérés la gauche" ; en somme, contre tous les scélérats, le front commun des
possédants. En échange, Léon XIII compte bien obtenir la fin des querelles
"religieuses" entre gens de bien." (p.43-44)
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

https://www.amazon.fr/ralliement-L%C3%A9on-XIII-L%C3%A9chec-
pastoral/dp/2204105554/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1510257334&sr=
1445
1-
1&keywords=Le+ralliement+de+L%C3%A9on+XIII+%3A+l%27%C3%A9che
c+d%27un+projet+pastoral

Léon Gambetta (1838-1882) : « Oui ! Je pressens, je sens, j’annonce la venue


et la présence, dans la politique, d’une couche sociale nouvelle qui est aux
affaires depuis tantôt dix-huit mois, et qui est loin, à coup sûr, d’être inférieure
à ses devancières. » -Léon Gambetta, Discours à Grenoble, 26 septembre 1872.

« Qui ils sont ? Ils sont la contrefaçon – et c’est par là qu’ils présentent, pour
les populations rurales, un certain péril – ils sont la contrefaçon de la
démocratie. Ils parlent notre langue, ils parodient nos idées, ils défigurent nos
principes. Pour une certaine démocratie, qui heureusement ne peut être
confondue avec la vraie […] ils sont les premiers démocrates, prêts à faire table
rase de tout ce qui rime avec institutions, à parlement, à constitution, à
légalité. » -Gambetta, Discours prononcé à Auxerre, 1er juin 1874, cité par
Pierre Barral, Les Fondateurs de la République, Paris, Armand Colin, 1968,
p. 101.

« C’est grâce au fonctionnement du suffrage universel, qui permet aux plus


humbles, aux plus modestes dans la famille française, de se pénétrer des
questions, de s’en enquérir, de les discuter, de devenir véritablement une partie
prenante, une partie solidaire dans la société moderne ; c’est parce que ce
suffrage fournit l’occasion, une excitation à s’occuper de politique, que tous les
conservateurs de la République devrait y tenir comme un instrument de liberté,
de progrès, d’apaisement, de concorde. C’est le suffrage universel qui réunit et
qui groupe les forces du peuple tout entier, sans distinction de classes ni de
nuances dans les opinions. » -Léon Gambetta, Discours à Paris, Cirque du
Château d’Eau, 9 octobre 1877.

« Ceux là sont dupes d’une chimère, qui s’imaginent qu’il est prescrit et qu’il
est possible au gouvernement de faire le bonheur de tous. Le gouvernement ne
doit strictement à tous qu’une chose : la justice. Chacun s’y appartenant, il
convient à chacun de se rendre heureux ou malheureux par le bon ou le mauvais
usage de sa liberté. » -Léon Gambetta, discours aux ouvriers de l’Aveyron, 8
novembre 1878.

« Il pensait –et il n’était pas le seul- que la France pourrait peut-être récupérer
l’Alsace-Lorraine si elle cédait en échange à l’Allemagne un certain nombre de
1446
colonies. Selon ses propres dires, il était même possédé par cette idée. Mais ce
n’était là qu’un aspect de sa pensée coloniale. Gambetta et les gambettistes
considéraient que l’expansion coloniale contribuerait surtout à résoudre la
question sociale. Les colonies étaient un exutoire pour les mauvais éléments de
la société, un terrain de jeu où le peuple pouvait lâcher la bride à ses instincts
martiaux, un moyen de conserver la société existante et de freiner la marche du
socialisme. » -Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919),
Éditions Gallimard, 2009, 554 pages, p.257.

« [Gambetta] semble avoir pris conscience de l’importance de la politique


d’expansion entre 1878 et 1880, en partie sous l’influence du baron de Courcel,
peut-être aussi de certaines amitiés britanniques, notamment celle de Dilke. »

-Jean-Louis Miège, Expansion européenne et décolonisation de 1870 à nos


jours, PUF, coll. Nouvelle Clio, 1993 (1971 pour la première édition), 427
pages, p.181.

« D’après Roger des Fourniels, Gambetta « s’était fait athée » parce qu’il avait
estimé que l’irréligion était « un moyen d’arriver ». » -Jacqueline Lalouette, "De
quelques aspects de l’athéisme en France au XIXe siècle", Cahiers d’histoire.
Revue d’histoire critique [Online], 87 | 2002, Online since 01 April 2005,
connection on 11 February 2021.
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

https://www.amazon.fr/GAMBETTA-PATRIE-REPUBLIQUE-MAYEUR-
JEAN-
MARIE/dp/B00H9KBM5G/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1480611715&sr=8-
2&keywords=L%C3%A9on+Gambetta.+La+Patrie+et+la+R%C3%A9publique

Ernest Renan (1823-1892): « Ne comprenant pas [...] l'inégalité des races, [...]
la France est amenée à concevoir comme la perfection sociale une sorte de
médiocrité universelle. » -Ernest Renan, La Monarchie constitutionnelle en
France, p.242.

« Je suis le premier à reconnaître que la race sémitique, comparée à la race


indo-européenne, représente réellement une combinaison inférieure de la nature
humaine. » -Ernest Renan, Histoire générale et système comparé des langues
sémitiques.

1447
« Un pays qui ne colonise pas est infailliblement voué au socialisme. » -Ernest
Renan, Œuvres complètes (10 tomes), Paris, Calmann-Lévy, 1947-1961, tome 1,
p.390.

« Son œuvre [à Renan], parfois ambivalente, relève de la pensée conservatrice.


» -Jacques Prévotat, « La culture politique traditionaliste », chapitre 2 in Serge
Bernstein (dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire
», 2003 (1999 pour la première édition), 440 pages, pp.38-72, p.42.

"Renan instruit lui aussi le procès du XVIIIe siècle, de Rousseau et la


Révolution française. [...] Sa conception de la société diffère totalement de celle
des philosophes du libéralisme et vient tout droit de l'organicisme herderien."
(p.XXII)

"Renan accepte la République par patriotisme, car dans la situation historique


des années 1880, abattre la République dans une nouvelle guerre extérieure ou
une guerre civile signifierait durablement blesser la France. Alors que
Nietzsche par horreur de la démocratie abhorre le nationalisme, Renan par
nationalisme accepte la démocratie." (p.XXVI)

-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises


du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

« Renan produira en 1871, au lendemain de Sedan, sa Réforme intellectuelle et


morale de la France, un essai virulent contre le XVIIIème siècle français où,
comme Taine dans Les Origines de la France contemporaine, il rend
responsables de la décadence française les Lumières et la Révolution, Rousseau
et la démocratie. Le même type d'arguments reviendra au lendemain de la
débâcle de 1940, et la Réforme sera lue dans les premiers mois où se met en
marche la Révolution nationale comme si elle sortait tout juste de
l'imprimerie. » (p.87-88)

« Il est difficile d'imaginer le succès du mouvement antisémite, de Drumont,


Barrès et Maurras jusqu'aux lois raciales de 1940, sans la respectabilité
acquise grâce à Renan, par l'idée de l'inégalité des races et l'infériorité des
Sémites. » (p.470)

-Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une tradition du XVIIIème siècle à la


guerre froide. Saint-Amand, Gallimard, coll. Folio histoire, 2010, 945 pages.
1448
« Ernest Renan postulait que les conquêtes dans les mêmes races étaient
condamnables mais que l'assujettissement de races inférieures par des races
supérieures était souhaitable. » -Henri Wesseling, Les empires coloniaux
européens (1815-1919), Éditions Gallimard, 2009, 554 pages, p.245.

“Ludwig von Mises himself rallied around this essay [Qu’est-ce qu’une nation
?] as the best expression of classically liberal doctrine.” -Jeffrey A. Tucker, Do
You Know What a Nation Is ?, fee.org, July 03, 2017.

« Il n'est pas vrai qu'on puisse attribuer aux seuls penseurs allemands la théorie
"naturelle", "objective", ou "ethnographique" de la nation. Bien des auteurs
français y ont contribué, à commencer par Renan lui-même, fort entiché de
l'approche racialiste dans les débuts de sa carrière. » -Michel Winock, Le
XXème siècle idéologique et politique, Éditions Perrin, coll. Tempus, 2009, 540
pages, p.181.

« L’influence de Renan sur sa génération et sur les générations postérieures, en


particulier sur les hommes de la troisième République, est considérable.
Nietzsche comme Bergson, Bernard Lazare comme Charles Péguy, Jaurès
comme Maurras, ont été durablement marqués par la lecture de Renan alors
que la Vie de Jésus qui jouit dès sa parution en 1863 d’un large succès
populaire suscite l’intérêt des savants pour l’étude historique des origines du
christianisme. » -Joël Sebban, « La genèse de la « morale judéo-chrétienne » »,
Revue de l’histoire des religions [En ligne], 1 | 2012, mis en ligne le 01 mars
2015, consulté le 30 mai 2018.

« C'est de lui [Renan] qu'on a pu dire à juste titre qu'il voulait garder une
religion pour le peuple. » -Georges Guy-Grand, La philosophie nationaliste,
Paris, Bernard Grasset Éditeur, 1911, 227 pages, p.149.

Jules Simon (1814-1896) : « En 1886, des libres-penseurs déistes et


spiritualistes et des protestants fondèrent la Ligue nationale contre l’athéisme.
Jules Simon, qui, en 1848, avait présidé la première Société française de libres-
penseurs, en devint le président d’honneur ; les protestants y étaient nombreux ;
ses membres s’engageaient « à combattre l’athéisme sous toutes ses formes ». »
-Jacqueline Lalouette, "De quelques aspects de l’athéisme en France au XIXe
siècle", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [Online], 87 | 2002, Online
since 01 April 2005, connection on 11 February 2021.

1449
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

Jules Ferry (1832-1893) : « Je le dis bien haut, il est juste, il est nécessaire que
le riche paye l'enseignement du pauvre, et c'est par là que la propriété se
légitime. » -Jules Ferry, De l’égalité de l’éducation, 10 avril 1870.

« Dans les écoles confessionnelles, les jeunes reçoivent un enseignement dirigé


tout entier contre les institutions modernes. Si cet état des choses se perpétue, il
est à craindre que d’autres écoles ne se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers
et de paysans, où l’on enseignera des principes totalement opposés, inspirés
d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par
exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24
mai 1871. » -Jules Ferry, Discours de Jules Ferry devant le Conseil général des
Vosges, 1879.

« Le gouvernement doit être le surintendant de la prévoyance sociale et le tuteur


des malheureux qui n’en ont pas. » -Jules Ferry, à la Chambre des députés, 31
janvier 1884, in Discours et Opinions, T. VI, p.241.

« Il y a là paradoxe, Ferry étant acquis au positivisme dès les années 1850 et


entièrement étranger aux croyances et aux conceptions spiritualistes. C’est
pourtant le spiritualisme libéral qui est à la source de sa défense d’un État
éducateur, défense soutenue par la conception d’un État dont le pouvoir est
moral et spirituel, tout comme elle l’était chez Jules Simon. Pour Jules Ferry, en
effet, l’État n’est pas neutre, il a une morale, la morale du devoir et du
dévouement, il est prescripteur du Bien commun et en ce sens garant de la
diffusion des « bonnes doctrines ». Contrairement à Jules Simon, toutefois, Jules
Ferry défend le droit de l’État laïc non seulement à instruire, mais
principalement à « éduquer », c’est-à-dire à moraliser l’enfance populaire,
projet auquel un libéral comme Jules Simon ne pouvait souscrire sans scrupule,
l’enseignement de la morale lui semblant une prérogative relevant de la
compétence des seuls professeurs de philosophie et non du droit de l’État
enseignant. » -Laurence Loeffel, « Aux sources de l'éducation laïque et libérale :
spiritualisme et libéralisme en France au xixe siècle », Les Sciences de
l'éducation - Pour l'Ère nouvelle, 2008/2 (Vol. 41), p. 25-43.

« Ce n'est pas que cet homme remarquable manquât de philosophie et de vues


générales. Mais il se refusait de parti pris aux perspectives lointaines, et l'idée
1450
qu'il se faisait du rôle dominant de la bourgeoisie brisait presque tout essor. Je
le pressais un jour sur les fins dernières de sa politique : "Quel est donc votre
idéal ? Vers quel terme croyez-vous qu'évolue la société humaine, et où
prétendez-vous la conduire ? – Laissez ces choses, me dit-il ; un gouvernement
n'est pas la trompette de l'avenir. – Mais enfin, vous n'êtes pas un empirique :
vous avez une conception générale du monde et de l'histoire. Quel est votre but
?" Il réfléchit un instant, comme pour trouver la formule la plus décisive de sa
pensée : "Mon but, c'est d'organiser l'humanité sans Dieu et sans roi." S'il eût
ajouté "et sans patron", c'eût été la formule complète du socialisme qui veut
abolir théocratie, monarchie, capitalisme, et substituer la libre coopération des
esprits et des forces à l'autorité du dogme, à la tyrannie du monarque, au
despotisme de la propriété… Mais il s'arrêtait au seuil du problème social. »

-Jean Jaurès, à propos de Jules Ferry, Préface aux Discours parlementaires, le


socialisme et le radicalisme en 1885, réédition Slatkine, 1980, p. 28-29.

« Il faut reconnaître que, sous notre Troisième République, l'enseignement


populaire n'a subi, au point de vue moral, que quelques transformations
anodines, en comparaison avec celui auquel il succédait. Les instituteurs laïques
ont suppléé les ecclésiastiques, mais l'esprit déiste n'en a pas moins subsisté,
soit dans les livres consacrés à la jeunesse, soit dans la bouche des instituteurs.
Les rois y sont également portés sur le pavois du triomphe et des chants
d'allégresse accompagnent de même leurs exploits belliqueux, préparant ainsi
les jeunes cervelles à l'enthousiasme national et à l'esprit de conquête, qui
peuvent être funestes aux destinées d'un pays. La patrie est placée au-dessus de
tout : au-dessus de la justice, au-dessus de la fraternité, au-dessus de
l'humanité. La charité y est prônée aux place et lieu de la solidarité réciproque.
L'obéissance aveugle, passive, l'automatisme de la brute y sont recommandés ;
le respect aux forts et à leur puissance immuable ; la résignation aux infortunés
: voilà camarades, de quel enseignement on obsède les jeunes têtes de nos
enfants. Étonnons-nous ensuite si, après trente années de République, on est
contraint de lutter contre le chauvinisme, contre le retour aux guerres de
religion, que l'on croyait à jamais éteints. » -Fernand Pelloutier, VIIe Congrès
des Bourses du travail de France et des colonies, Paris, 5-8 septembre 1900.

« Ferry est avant tout un homme d'ordre et son action pédagogique s'inscrit
dans une perspective délibérément conservatrice. S'il a œuvré pour le
prolétariat, ce fut, avant tout, par souci de discipline collective, pour améliorer
1451
le fonctionnement de l'organisme social, en un mot et conformément à
l'inspiration positiviste, pour mettre fin à la révolution. » -Louis Legrand,
L'influence du positivisme dans l’œuvre scolaire de Jules Ferry, Rivière, 1961.

"Pour détourner les humbles de la question sociale, rien de tel que le drapeau.
A titre de diversion, Ferry a utilisé d'abord le spectre des Jésuites ; un
républicain pour de bon, le militant de l' "article 7", en juillet 1879, et des
décrets de mars 1880 ; ses lois laïques, son "école sans Dieu", lui valent d'être
appelé indifféremment "Néron", "Satan" ou l' "Antéchrist" par la Droite
cléricale ; un beau brevet, je pense, de fidélité démocratique. Et maintenant il
veut que les écoliers tiennent les yeux fixés sur "la ligne bleue des Vosges". A la
niaise et trompeuse religion des curés, il entend substituer -ce sont ses termes
mêmes- "la religion de la Patrie". En 1882, avec Paul Bert, autre ami de l'ordre,
il crée les "bataillons scolaires" où les enfants, dès la communale, se
prépareront au service armé. [...] On apprend, dans les classes, les Chants du
soldat de Déroulède, et une image d'Épinal, à grand tirage, monte un instituteur
cambré désignant du doigt à ses petits élèves le tableau noir où il a tracé, à la
craie, en grosses lettres, ces mots exaltants: "Tu seras soldat". L'Histoire de
France, cette nouvelle Histoire sainte, conçue, rédigée par Ernest Lavisse, et
dans laquelle les écoliers, sur les pas de Michelet, iront d'émerveillement en
émerveillements, avec la prise de la Bastille, la nuit du 4-Août, la Fédération,
Danton, le triomphe de Valmy, et la République apportant aux peuples d'Europe
la Liberté à la pointe de ses baïonnettes, l'Histoire de France de Lavisse
s'achève sur une exhortation explicite: "La France a perdu sa renommée
militaire pendant la guerre de 1870 [...] Pour reprendre à l'Allemagne ce qu'elle
nous a pris, il faut que nous soyons de bons citoyens et de bons soldats. C'est
pour que vous deveniez de bons soldats que vos maîtres vous apprennent
l'histoire de France [...] C'est à vous, enfants élevés dans nos écoles, qu'il
appartient de venger vos pères vaincus à Sedan et à Metz ; c'est votre devoir, le
grand devoir de votre vie ; vous devez y penser toujours".
Ainsi doit s'embraser dans les écoles de Jules Ferry la ferveur nationale. La
revanche ! La revanche ! Que tous les écoliers brûlent de cette passion. Autant
de gagné pour la paix sociale." (p.27-28)

"Jules Ferry est tout animé par une idée neuve. Comment n'y a-t-il pas songé
plus tôt ? Il découvre, au pouvoir, les vertus multiples du colonialisme. Renan,
son maître à penser, l'avait cependant averti, dès 1871, dans sa Réforme
intellectuelle et morale, médication proposée à la France au lendemain de la
1452
Commune. Renan avait enseigné: "Un pays qui ne colonise pas est voué
infailliblement au socialisme."." (p.29)
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

« Il était courant à l'époque de Paul Bourget de parler de racines, de distinguer


entre les différents caractères régionaux, c'est que l'uniformité était moindre
qu'aujourd'hui. Les communications difficiles et incomplètes, les voyages
réservés à une minorité, maintenaient les disparités locales et les
caractéristiques régionales. La France était constituée de différentes nations et
ne trouvait son unité sous la tutelle du centralisme parisien que dans l'ignorance
de cette réalité que la république jacobine s'efforcera de combattre et d'effacer,
ce résultat n'étant presque réalisé que par l'explosion médiatique et le grand
brassage des populations. On se souvient du caractère odieux que prit ce
combat par exemple quand on condamnait des enfants à tourner dans la cour de
l'école les souliers pendant sur la poitrine attachés aux lacets passés autour du
cou, parce qu'ils avaient prononcé un mot de ceux qui étaient d'usage courant
chez leurs parents et voisins. Ce traitement relevait de la torture morale, était
abject et annonçait assez bien le mépris total de l'homme réel qui présidera au
massacre de 1914-1918. Jules Ferry et consorts le trouvaient utile et digne,
témoignant ainsi du même aveuglement et pratiquant la même façon de penser
que leurs adversaires pour qui l'homme n'est qu'un constituant d'un ensemble
qui compte plus que lui. » -André Georges Bourgeois (cf:
http://andrebourgeois.fr/paul_bourget.htm ).

http://www.amazon.fr/Jules-Ferry-Jean-Michel-
Gaillard/dp/2213022763/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1448032643&sr=8-
3&keywords=Jules+Ferry

http://www.amazon.fr/Jules-Ferry-fondateur-R%C3%A9publique-
Fran%C3%A7ois/dp/2713208394/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1448032618&sr=
8-1&keywords=Jules+Ferry%2C+fondateur+de+la+R%C3%A9publique

Ernest Lavisse (1842-1922): « Pour tout dire, si l’écolier n’emporte pas avec
lui le vivant souvenir de nos gloires nationales, si l’écolier ne devient pas un
citoyen pénétré de ses devoirs et un soldat qui aime son fusil, l’instituteur aura
perdu son temps. » -Ernest Lavisse, cité in Pierre Nora « Ernest Lavisse : son

1453
rôle dans la formation du sentiment national », Revue historique, 86e année,
t.228, juillet-septembre 1962, p.102.

« L'homme du peuple en France, le paysan surtout, est l'homme le plus


prosaïque du monde. […] Montrons lui […] qu’il y a des légitimités successives
au cours de la vie d'un peuple et qu’on peut aimer toute la France sans manquer
à ses obligations envers la République. » -Ernest LAVISSE, « L’enseignement
historique en Sorbonne et l’Éducation nationale », 1881, repris dans Ernest
LAVISSE, Questions d’enseignement national, Paris, A. Colin, 1885. Cité dans
Christian DELACROIX, François DOSSE, Patrick GARCIA, Les Courants
historiques en France 19e-20e siècle, Paris, A. Colin, « U », 1999.

« Vous voilà devant vos juges pour répondre du plus grand crime de l’Histoire.
Vous allez mentir, car le mensonge vous est congénital. Mais prenez garde ! Car
mentir est gênant quand on sait que ceux qui vous écoutent et vous regardent
savent que vous mentez. » -Ernest Lavisse, parlant des délégués allemands à la
Conférence de Versailles, Le Temps, 2 mai 1919.

http://www.amazon.fr/Histoire-France-Gaule-nos-
jours/dp/2200600151/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1458834150&sr=1-
1&keywords=Ernest-Lavisse-Histoire-de-France

Édouard Laboulaye (1811-1883) : « Laboulaye, élu député en 1871, devient le


chef du centre gauche, pivot de la politique à un moment crucial où le pays
hésitait entre république et monarchie constitutionnelle. Flach rappelle que « si
M. Laboulaye ne fut pas le père de la république, il en fut du moins le parrain».
C’est en effet Henri Wallon qui, le 30 janvier 1875, introduit dans les lois
constitutionnelles le mot « république», avec une majorité d’une voix, mais
Laboulaye avait beaucoup contribué à ce succès par le discours qu’il avait
prononcé pour déposer un amendement semblable –rejeté le 29 janvier sous la
pression des monarchistes. Républicain modéré, conservateur, attaché à la
défense des libertés et méfiant à l’égard des révolutions, il est élu sénateur
inamovible en décembre 1875. » -Marc Kirsch, « Un portrait d’Édouard
Laboulaye (1811-1883) », La lettre du Collège de France [En ligne], 26 | juin
2009.

« Laboulaye, l'un des rédacteurs de la "Constitution" de 1875, avait d'ailleurs


été l'éditeur des oeuvres de Constant ; ses travaux au Collège de France
portaient sur le droit constitutionnel américain. » -Philippe Nemo et Jean Petitot
1454
(dir.), Histoire du libéralisme en Europe, Paris, Quadrige/PUF, 2006, 1427
pages, p.34.

Alexandre Ribot (1842-1923): « Nous ne voulions pas la guerre, nous l’avons


déclaré très haut ; nous voulions respecter toutes les conditions du traité avec
loyauté et avec courtoisie vis-à-vis de l’Allemagne ; mais ce que nous ne
voulions pas, c’était oublier 1870, pas plus que les Alsaciens eux-mêmes. […]
Quiconque aurait voulu lutter contre ce sentiment unanime eût été désavoué par
la France entière. » -Alexandre Ribot, J.O., Chambre des députés, Débats, 22
janvier 1904.

« Libéral et modérément républicain à l'origine, proche du nouvel orléanisme,


proche de Duvergier de Hauranne, d'Emile Boutmy, le fondateur de l'Ecole libre
des sciences politiques, et d'Edouard Laboulaye, il se place dans le double
sillage de Thiers, jusqu'à sa chute en 1873, et d'Armand Dufaure, exemple même
du "modéré", puisqu'il devient dans le cabinet de celui-ci secrétaire général du
ministère de la Justice puis conseiller d'Etat (1876). Dans la bataille de l'article
7, il s'oppose à J. Ferry en considérant que l'interdiction des congrégations non
autorisées est triplement antilibérale parce qu'elle porte atteinte au droit
individuel d'enseigner prenant prétexte d'une interdiction collective d'ordre
public, parce que la liberté de choix des parents est niée et que là aussi le
combat laïque n'a pas su faire le départ libéral entre sphère publique et espace
privé, parce que cette interdiction législative et solennelle est la marque d'une
visée volontariste et dirigiste à l'égard de l'enseignement (croire que l'on peut
extirper les idées antirépublicaines en interdisant les jésuites) là où l'Etat, dans
la conception traditionnelle que partage encore Ribot, devrait seulement
favoriser le développement de l'école laïque dans un cadre de libre concurrence
avec l'école privée. A cette date, Ribot reprend l'héritage de Guizot et veut
fonder, face au radicalisme mais aussi face aux républicains "opportunistes", un
"parti de la résistance" (lettre du 14 avril 1878 à Eugène Boucher) et pour cela,
à défaut d'avoir pu racheter Le Temps, il crée un journal, le Parlement, qui se
fixe pour devise et pour projet de réconcilier "les droits de l'Etat et ceux de la
liberté", formule qui résume, en le trahissant au plus juste, le dilemme de la
transition libérale vers la démocratie moderne mais qui n'évitera pas l'échec de
l'entreprise obligée de fusionner avec le Journal des débats de Léon Say en
1884.
Pourtant, la séparation entre libéraux républicains et républicains
"opportunistes" n'est pas si nette ou si exclusive. A la lumière des grands débats
1455
de démocratisation, de laïcisation et de scolarisation, Ribot, comme Gladstone
ou Ferry, évolue du libéralisme censitaire vers le libéralisme démocratique:
reconnaissant le rôle directeur de l'Etat comme la réussite démocratique du
jeune régime républicain accepté par les campagnes et plus seulement par les
villes, il se rapproche des opportunistes après 1880, s'éloigne de Dufaure et
rompt avec ses amis libéraux du Journaux des débats lorsqu'il refuse d'aller
combattre au nom des centristes un républicain lors des élections de 1885 en
Seine-et-Oise. Du coup, il est battu deux fois la même année, dans le Pas-de-
Calais puis lors d'une élection partielle à Paris malgré ou à cause de son choix
d'une "liste de conciliation" comprenant libéraux et républicains opportunistes,
soutenue par Adrien Hébrard et son journal Le Temps, mais son intégration
progressive dans la majorité du gouvernement, dans son intégration progressive
dans la majorité du gouvernement, dans le "parti" républicain, est
définitivement acquise après 1887 lorsque, réélu, il est l'un des premiers à
s'opposer comme Jules Ferry au boulangisme. Certes, en raison même de son
intégration républicaine, il n'a pas pu fonder le parti libéral et conservateur
dont il rêvait au début des années 1870, mais il deviendra avec Jules Méline
l'une des figures libérales si ce n'est le chef du courant libéral, qui dominera les
gouvernements républicains des années 1890. » -Nicolas Roussellier, L'Europe
des libéraux, Éditions Complexe, 1991, 225 pages, p.94-96.

http://hydra.forumactif.org/t1385-alexandre-ribot-discours-politiques-lettres-a-
un-ami-souvenirs-de-ma-vie-politique

http://hydra.forumactif.org/t4864-walter-badier-alexandre-ribot-et-la-
republique-moderee-formation-et-ascension-dun-homme-politique-liberal-1858-
1895#5815

Alphonse Aulard (1849-1928) : « C'est la gauche radicale qui s'engage le plus


fermement dans l'apologie de 1789, avec notamment la création d'une chaire
d'histoire de la Révolution française à la Sorbonne, en 1885, pour Alphonse
Aulard. Militant sincère, Aulard profite de la préparation de la commémoration
de 1789 pour constituer une armée d'historiens chargés de réhabiliter la
Révolution grâce aux subventions de l'Etat et de la ville de Paris et aux
méthodes positivistes qualifiées alors de scientifiques. [...]
Aulard [...] passe deux années à réfuter Taine en Sorbonne (1905-1907). » -Jean
Tulard, Jean-François Fayard & Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de la

1456
Révolution française. 1789-1799, Éditions Robert Lafont, coll. Bouquins, 2002
(1987 pour la première édition), 1223 pages, p.1156.

Albert Mathiez (1874-1932) : "Les bolcheviks édifient une statue à Robespierre


en 1918 et baptisent Marat un de leurs croiseurs. Mathiez soutient activement le
nouveau régime soviétique." (p.1157)
-Jean Tulard, Jean-François Fayard & Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de
la Révolution française. 1789-1799, Éditions Robert Lafont, coll. Bouquins,
2002 (1987 pour la première édition), 1223 pages.

Georges Lefebvre (1874-1959) : "Pour Ernest Labrousse, Georges Lefebvre fut,


avec Bloch et Febvre, l'une des « trois cimes de la chaîne ». Mais sous la plume
de François Furet, il n'était plus qu'un « historien étroit, imbattable pour une cote
d'archives », auquel on ne pouvait concéder « qu'un positivisme plus moderne et
plus rigoureux »."

"A la fin de 1927, Georges Lefebvre fut élu à la chaire d'histoire contemporaine
de l'université de Strasbourg, à l'instigation des fondateurs des Annales. Il fut
ensuite un collaborateur assez important de la nouvelle revue, avec 43 textes
publiés avant 1938. [...]

L'hypothèse d'une génération des Annales et de ses idées s'illustre assez bien
pour les fondateurs de la revue : héritiers de l'élite universitaire (réussite
scolaire, parisienne et ulmienne), d'âges proches et insérés dans des réseaux de
sociabilité similaires, sinon identiques. Georges Lefebvre, lui, est issu d'un
milieu très modeste, d'une université de province, et n'a été reçu à l'agrégation
qu'à sa troisième tentative. Il a toujours revendiqué son absence de liens avec les
« milieux parisiens ». Si la différence d'âge avec Lucien Febvre est faible (4
ans), Marc Bloch est en revanche de 12 ans son cadet. Il faut laisser de côté
l'hypothèse « générationnelle » pour expliquer la participation de Georges
Lefebvre aux Annales. Du point de vue de la carrière, il apparaît dans une
situation plus difficile que celle des fondateurs de la revue : si l'on entend par
jeunesse l'âge socialement défini par des apprentissages menant à une position
de réussite, par la poursuite d'une trajectoire vers une place reconnue légitime (la
Sorbonne), alors Georges Lefebvre est un vieux jeune, avec, quand il arrive à
Strasbourg à 55 ans, seulement cinq ans de carrière universitaire derrière lui... à
rapprocher d'un âge moyen pour le début d'une carrière universitaire, pour les
historiens, qui était de 37 ans et 5 mois en 1929."

1457
"Contraste singulier aussi, par rapport à l'histoire révolutionnaire déchirée entre
Alphonse Aulard et Albert Mathiez. Tout renouvellement critique est nié par
Lefebvre qui s'inscrit dans la tradition universitaire, présentée dans une unité un
peu artificielle. Il s'agit d'affirmer la continuité de la filiation légitime,
l'Université. Ainsi le marxisme est-il présenté comme « consensuel » chez les
historiens de la Révolution tel Philippe Sagnac, professeur en Sorbonne...
pourtant politiquement libéral pour qui « l'hypothèse de travail » marxiste
signifie avant tout un intérêt pour les bases matérielles de l'action politique et la
pression sociale. [...] Le légitimisme de Lefebvre peut s'interpréter à l'aune de la
faiblesse relative des réseaux et des relais à sa disposition dans la profession."

"Il faut aussi observer ses contributions régulières à des revues incarnant mieux
l'orthodoxie, la tradition de la profession dans la Revue Historique et la Revue
d'histoire moderne, 5 et 9 contributions (soit le tiers des publications de Georges
Lefebvre), entre 1929 et 1931. En étendant le champ d'observation, il paraît que
le rôle des Annales comme espace de publication décroît après 1932 (9,6 % des
publications en revue, de 1932 à 1941) et devient comparable à celui de revues
plus officielles, la Revue historique ou la Revue d'histoire moderne (6,8 %). Et
le fait que Georges Lefebvre soit chargé du bulletin bibliographique de la Revue
historique pour la période de la Révolution et de l'Empire dès 1930 montre la
notoriété déjà acquise.

La déflation des contributions aux Annales après 1932 s'explique d'abord par la
conquête des Annales historiques de la Révolution française. Albert Mathiez
ayant été foudroyé par une attaque en plein milieu d'un cours (février 1932),
Lefebvre, bien que n'ayant que de faibles attaches dans la Société d'études
robespierristes, est choisi comme le seul remplaçant possible : universitaire sans
querelle envers Mathiez, auteur d'une thèse de grande notoriété, et d'histoire
sociale ? alors qu'il était impossible d'élire le titulaire de la chaire en Sorbonne,
Sagnac, choisi par Aulard. Dès lors, Lefebvre publie essentiellement dans « sa »
revue : 79,3 % de ses contributions, soit 22,2 textes par an (!)."

"Cette évolution doit être comparée avec celle des fondateurs, puisque Marc
Bloch tenait lui-même le bulletin pour la période médiévale dans la Revue
historique et dans Le Moyen Age, et que Lucien Febvre était membre fondateur
du comité de rédaction de la Revue d'histoire moderne."

1458
"Il s'agit d'abord de pouvoir écrire du point de vue du peuple, de ses conditions
de vie, de regarder l'histoire par en bas."

"La thèse de Lefebvre est jugée par d'éminents universitaires : Seignobos,


Eisenmann (historien en Sorbonne), le géographe Albert Demangeon, Alphonse
Aulard, premier détenteur de la chaire d'Histoire de la Révolution, enfin
l'archiviste Camille Bloch. Le rapporteur est Philippe Sagnac, successeur
d'Aulard en Sorbonne depuis 1922. Il faut dire que l'impétrant professe déjà à
Henri-IV. Cette thèse est un succès (très honorable, félicitations), même si elle
n'est pas tout entière comprise."

"Couronné du titre de docteur, Georges Lefebvre est rapidement élu à


l'université de Clermont (1924). L'échec en Sorbonne (1926), face à Raymond
Guyot, et la présence d'Albert Mathiez (qui y occupe une suppléance à partir de
1929) semblaient lui barrer toute ambition parisienne. On comprend pourquoi la
mort de Mathiez est un événement important : non seulement c'est l'acquisition
des Annales historiques de la Révolution française mais aussi l'élimination du
principal rival objectif, auquel il se substitue dans une revue non sans
importance, où il reprend la défense du consensus universitaire, reléguant les
querelles internes au second plan. A partir de 1932, Georges Lefebvre peut ainsi
orienter plus directement l'histoire de la Révolution dans un sens plus «
économique et social » : si Mathiez a introduit la classe dans la Révolution sans
l'étudier, Lefebvre, lui, l'étudie directement."

"La guerre brise les perspectives de l'historien et en 1946, il est mis à la retraite
de l'enseignement supérieur. Il demeure néanmoins le dirigeant de l'Institut
d'histoire de la Révolution française et de la commission Jaurès. Il professe à la
VIe section des Hautes Études et participe à la création du Centre de Recherches
Historiques de Lucien Febvre, où il supervise en particulier l'édition de sources
(œuvres de Robespierre) ainsi que des dépouillements systématiques sous forme
de fiches types. Cependant le choix d'Ernest Labrousse de succéder à Marc
Bloch plutôt qu'à Georges Lefebvre fut une déception."
-Stéphane Buzzi, « Georges Lefebvre (1874-1959), ou une histoire sociale
possible », Le Mouvement Social, 2002/3 (no 200), p. 177-195. DOI :
10.3917/lms.200.0177. URL : https://www.cairn-int.info/revue-le-mouvement-
social-2002-3-page-177.htm

1459
Émile Boutmy (1835-1906) : http://www.amazon.fr/Emile-Boutmy-Sciences-
Po-Fran%C3%A7ois-
Leblond/dp/284337698X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1446982181&sr=8-
1&keywords=%C3%89mile+Boutmy

Le général Boulanger (1837-1891) : « Si par malheur il pouvait être établi que


le régime parlementaire est impossible en France, que les hommes y sont
incapables de ce degré de bon sens, d'intelligence, de désintéressement, sans
lesquels il ne peut fonctionner, encore une fois les conséquences seraient
graves. Cela voudrait dire, Messieurs, que tout ce que la France a souffert
d'agitations et de déchirements depuis cent ans a été en pure perte ! Cela
voudrait dire qu'après avoir voulu ardemment la liberté, (...) elle se voit elle-
même vouée sans remède au despotisme ! Cela voudrait dire qu'après avoir
rompu tragiquement, il y a un siècle, avec une maison dont la grandeur était
sans égale dans l'histoire elle se voit condamnée à tomber épuisée, n'en pouvant
plus, non pas entre les bras, mais sous les pieds, du plus audacieux et du dernier
des aventuriers. » -Intervention au Sénat de Challemel-Lacourt (ancien ministre
des Affaires étrangères) en décembre 1888.

« Le troisième « populisme fondateur », le boulangisme français, est très


différent des deux précédents, et sans doute plus proche du sens contemporain
(européen) du terme – c’est d’ailleurs pour cela qu’il a une image beaucoup
plus négative que ses équivalents russe et américain.

Le boulangisme est un mouvement principalement urbain, dont les bases


populaires sont petites-bourgeoises et ouvrières plus que paysannes et dont le
programme politique est à la fois essentiellement nationaliste et plus
plébiscitaire que démocratique.

Il est d’une certaine manière l’héritier des Bonaparte par sa combinaison entre
l’appel à l’État fort, la méfiance à l’égard de la représentation et des
médiations, et la fidélité à l’héritage social de la Révolution française.
Anticipant sur les populismes ultérieurs, il s’incarne dans la figure d’un
leader populaire – le général Georges Boulanger (1837-1891) – supposé
représenter la volonté du peuple en court-circuitant les élites, même si, dans son
cas, la médiocrité du personnage a joué un grand rôle dans le délitement du
mouvement.

1460
Rassemblant des hommes issus des courants les plus divers – anciens
communards, républicains jacobins, bonapartistes, orléanistes –, il se
présente comme un mouvement situé au-delà de l’opposition entre la gauche et
la droite, ce qui, comme chacun sait, le situe plutôt à droite et même très à
droite, puisque cette prétention sera plus tard rémanente dans les mouvements
de type fasciste. » -Philippe Raynaud, « Le populisme existe-t-il ? », Questions
internationales, no 83, janvier-février 2017, p.11-12.

« En Russie, par exemple, le populisme incarnait une résistance socialiste plus


ou moins anarchisante à l’essor du capitalisme, même si l’on voyait déjà naître
ailleurs des mouvements populistes d’inspiration plus autoritaire et nationaliste,
comme le boulangisme, en France. » -Thibault Isabel, Entretien avec Olivier
Dard “Les populismes actuels ne sont pas sortis de nulle part”, L'inactuelle, 9
octobre 2019.

"Ce ne sera qu'en 1890, avec la publication des Coulisses du boulangisme de


Mermeix, qu'éclatera au grand jour la collusion de Boulanger et des bailleurs
de fonds monarchistes. Ces combinaisons menées dans les antichambres et
boudoirs royalistes, chez Arthur Meyer ou la duchesse d'Uzès, étaient inconnues
du petit peuple de la capitale." (p.28)
-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises
du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

"Chassé-croisé. Le chauvinisme change de camp. La Gauche l'abandonne et la


Droite l'adopte. En juillet 1887, lorsque Boulanger, écarté du pouvoir, groupait
ses partisans, entamant avec eux sa campagne de protestataire, Cassagnac, le
vociférant ordinaire de l'extrême-droite, le pourfendeur patenté de "la gueuse",
Cassagnac s'écriait encore: Boulanger ? Révocation ! A la retraite, et tout de
suite ! La Ligue des Patriotes ? Dissolution immédiate ! [...] Le chemin,
cependant, est en train de s'ouvrir au bout duquel nous verrons la même Droite
acclamer, sous le nom à peine modifié de Ligue de la Patrie française cette
même Ligue des Patriotes dont elle réclamait en 1887 l'interdiction." (p.36)
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

« Aux élections de septembre-octobre, les boulangistes n'obtiennent que 44


sièges, Boulanger étant lui-même élu à Clignancourt. Une petite minorité était

1461
composée de conservateurs ; le reste -dont était Barrès, élu à Nancy- allait
siéger à l'extrême gauche, aux côtés de socialistes. Le boulangisme était
retombé, il se morcelait, mais il avait semé une nouvelle graine dans la vie
politique et dans la société française: celle du nationalisme. » -Michel Winock,
Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions du Seuil, coll.
Points Histoire, 2014, 506 pages, p.348.

http://www.amazon.fr/g%C3%A9n%C3%A9ral-Boulanger-Jean-
Garrigues/dp/2855655498/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=1451420913&s
r=1-3&keywords=le+g%C3%A9n%C3%A9ral+boulanger

Gustave Flaubert (1821-1880): « C’est à force de travail que j’arrive à faire


taire ma mélancolie native. Mais le vieux fond reparaît souvent, le vieux fond
que personne ne connaît, la plaie profonde toujours cachée. » -Gustave
Flaubert, Lettre à Mlle Leroyer de Chantepie, Croisset, 6 octobre 1864.

« Tous les drapeaux ont été tellement souillés de sang et de merde qu’il est
temps de n’en plus avoir du tout. » -Gustave Flaubert, lettre à Georges Sand, 5
juillet 1869.

« Avant Flaubert il n'y avait pas d'artistes. » -Pierre Bourdieu, Entretien avec
Roger Chartier, 1988. Entretien IV: "Le concept de champ et d'habitus".

« En 1845, Gustave reprend et achève la rédaction de la première Éducation


sentimentale, publiée trente après sa mort. » (p.260)

« Ennuyé par l’idée de République, Flaubert sera effrayé par la Commune, mais
séduit par Louis-Napoléon Bonaparte […] Il est d’ailleurs consacré par le
nouveau régime comme le grand écrivain du Second Empire. » (p.262)

-François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La


Découverte, 2005, 480 pages.

Guy de Maupassant (1850-1893) : « Il se révolte [ce peuple algérien], dites-


vous ; mais est-il vrai qu’on l’exproprie et qu’on lui paye ses terres un centième
de ce qu’elles valent ? Il se révolte. Est-il vrai que, sans raison, même sans
prétexte, on lui prenne des propriétés qui valent environ soixante mille francs et
qu’on lui donne comme compensation une rente de trois cents francs par an ?
[…] On crie : Extermination ! Mais c’est justement quand on l’extermine qu’il

1462
se révolte, ce peuple ! » -Guy de Maupassant, chronique publiée dans Le
Gaulois, 20 août 1881.

« Plus inattendu sans doute est un texte laissé par Guy de Maupassant peu de
temps avant la crise qui le fit définitivement sombrer dans la folie. Voyant dans
les imprécations de l’écrivain contre Dieu « un magnifique et émouvant
blasphème », le journal libre-penseur L’Action les reproduisit dans son «
supplément littéraire » du 1er janvier 1910. » -Jacqueline Lalouette, "De
quelques aspects de l’athéisme en France au XIXe siècle", Cahiers d’histoire.
Revue d’histoire critique [Online], 87 | 2002, Online since 01 April 2005,
connection on 11 February 2021.
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

Hippolyte Taine (1828-1893) : « Les nouvelles deviennent de plus en plus


tristes. Il y a des jours où j’ai l’âme comme une plaie. Je ne savais pas qu’on
tenait tant à sa patrie. » -Hippolyte Taine, Lettre à sa mère, 28 décembre 1870,
in H. Taine, sa vie et sa correspondance, Hachette, t.III, 1905, p.39.

« Vous me faites un grand honneur dans votre lettre en me mettant à côté de M.


Burckhardt de Bâle que j'admire infiniment. » -Hippolyte Taine, Lettre à
Friedrich Nietzsche, 17 octobre 1886.

« A partir du milieu du siècle [et avec Sainte-Beuve], les portraits laissent place
à des biographies conçues comme un stade préliminaire à toute démarche
scientifique dans son accès à la littérature […]

L’autre source d’inspiration de ces notices biographique littéraires est la


psychologie telle que la définit l’historien Hippolyte Taine, qui entend restituer
« les règles de la végétation humaine » de manière très déterministe sur le
modèle des sciences de la nature. » (p.87)

« Son déterminisme est tel que Sainte-Beuve prendra quelques distances avec
ses thèses. » (p.88)

-François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La


Découverte, 2005, 480 pages.

1463
« Taine a, sans aucun doute, une tendance à embellir l'aristocratie. » -Johan
Huizinga, L'Automne du Moyen Age, Les classiques des sciences sociales, 1948
(1919 pour la première édition néerlandaise), 300 pages, p.62.

« Comme Burke, il croit qu’un droit idéal ne conviendrait qu’à des « automates
abstraits dont on aurait retranché toutes les différences qui séparent un homme
d’un autre ». » -Jacques Droz, Histoire des doctrines politiques en France, éd.
PUF, coll. Que sais-je ?, 1948.

« Darwiniste social convaincu, Taine prêche un déterminisme racial et un


élitisme sans grande ambiguïté. [...] Pour lui, la Révolution française prend les
dimensions d'un véritable désastre culturel: elle s'explique par la revanche des
petits et des faibles sur les grands et les puissants, par une réaction plébéienne
contre les maîtres naturels. [...] Tout comme Nietzsche qui par haine de la
démocratie dénonce le nationalisme et le pouvoir de l'Etat, Taine face au
jacobin prend la défense de la société civile, et de ce fait développe des éléments
de libéralisme, mais d'un libéralisme très aristocratique qui réduirait la
participation politique au minimum. [...] Taine condamne l'Ancien Régime -il
n'est pas Maistre-, mais la société civile qu'il défend constitue un corps
organique et non pas un ensemble d'individus. » (p.XXVII-XXVIII)
-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises
du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

« Adversaire du spiritualisme de Victor Cousin, opposant au Second Empire,


Taine est, comme Tocqueville, un libéral, attaché aux libertés locales et
adversaire de la centralisation. Mais l’expérience de la Commune a fait aussi de
lui, comme Renan cette fois, un conservateur qui dénonce “l’injustice profonde
du suffrage universel et en général de l’organisation démocratique”. [Taine
1902, 348] Conçu dès le départ comme un manuel à l’usage des gouvernants de
la République, Les origines de la France contemporaine est la réponse de
l’auteur à la question : comment a-t-on pu en arriver là ? On mesure mal
aujourd’hui l’impact énorme de l’ouvrage mais, au début du vingtième siècle, il
était admis que “le mouvement contre-révolutionnaire date de 1876, où parut le
premiervolume de l’Histoire de la Révolution de Taine” [dixit Louis Dimier]. La
description de l’ancien régime qui figure au début de l’ouvrage a toujours été
considérée comme une des parties les plus réussies et, près de cent ans après sa
publication, Raymond Aron en recommandait encore la lecture à ses étudiants
1464
de Sciences Po. […]Taine y décrit en détail comment l’esprit révolutionnaire
résulte de la combinaison de deux éléments : l’esprit scientifique, et l’esprit
classique. » -Michel Bourdeau, « Le rationalisme comme mystique politique et
sa critique », Philosophia Scientiæ [En ligne], CS 7 | 2007, mis en ligne le 08
juin 2011, consulté le 17 avril 2019, p.108.

« L'âge d'or du positivisme s'achève paradoxalement au moment où le régime


républicain et l'école s'en revendiquent. Pour Gérard Cholvy, l'année 1886
marque une rupture symbolique, avec les conversions au catholicisme de Paul
Claudel et de Charles de Foucauld, tandis que la publication du Roman russe de
Melchior de Vogüe amorce une nouvelle mode littéraire, le naturalisme et son
ambition scientifique s'effaçant derrière le retour du roman psychologique. Paul
Bourget rencontre le succès en 1889 avec Le Disciple: l'ouvrage met en scène
un philosophe déterministe qui conduit son élève dans une spirale criminelle,
enrayée par le retour à la religion. Modèle du roman, Taine le lit avec
amertume: "Ma génération est finie", conclut-il.
Autre figure majeure en plein désarroi, Ernest Renan ajoute en 1890 une
sombre préface à son Avenir de la science: "Il est possible", explique-t-il,
"qu'un abaissement réel du moral de l'humanité date du jour où elle a vu la
réalité des choses". Ces doutes font écho à l'air du temps, qui témoigne, à
l'échelle européenne, d'une première remise en cause du rationalisme. » -
Arnaud-Dominique Houte, Le triomphe de la République (1871-1914), La
France contemporaine vol. 4, Paris, Éditions du Seuil, coll. Points Histoire,
2014, 470 pages, p.220.

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Taine/dp/2705667784/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1471029172&sr=8-
1&keywords=taine+philosophie+de+l%27art

Jean-Marie Guyau (1854-1888) : « Lorsqu’en 1884, Guyau publie Les


problèmes de l'esthétique contemporaine, il se prévaut d’une longue enquête sur
1465
le problème moral, qu’il avait déjà développée quelques années auparavant
dans deux volumes intitulés La morale d'Epicure et La morale anglaise
contemporaine, laquelle enquête aboutira aux résultats les plus originaux tout
juste un an après, avec la parution de l’Esquisse d'une morale sans obligation ni
sanction. Il nous semble donc opportun de commencer par ce problème: car
c’est de là que naît la réflexion de Guyau, poussé à rechercher dans la sphère
esthétique les instruments théorico-méthodologiques pour sortir d’une impasse
dans laquelle se trouvait bloquée la sphère éthique. En quoi consiste-t-elle, cette
impasse ? En ce que, d’après lui, pas même la tentative alors plus audacieuse de
reformer la pensée morale - soit l’utilitarisme de Bentham, Stuart Mill et
Spencer – n’est parvenue à bâtir sur de nouveaux fondements le comportement
éthique. L’utilitarisme insistera sans doute sur l’aspect intellectualiste et
abstrait de la morale traditionnelle, mais il n’en propose pas moins un modèle
trop mécanique et déterministe, trop déséquilibré sur le versant du plaisir et de
l’utile pour pouvoir briser le cercle de l’égoïsme et concilier véritablement les
intérêts individuel et collectif. »

« Le déclin des dogmes et des certitudes traditionnels a d’ores et déjà ébranlé


l’idée de pouvoir renfermer la pensée et la moralité dans des schémas absolus et
définitifs, leur traçant un parcours obligatoire et univoque; Guyau soutient
aussi qu’à l’avenir ce processus ne pourra que s’accentuer: à l’instar de
Spencer, il voit l’évolution sociale comme le passage de l’homogène à
l’hétérogène, dans une différenciation croissante des pensées et des actions
individuelles. Pour décrire pareille tendance, Guyau formule un concept destiné
à emporter un vif succès au champ sociologique : reprenant un terme d’origine
grecque, il parle d’anomie, tenue pour l’absence d’une loi fixe et universelle,
une condition (tant intellectuelle que morale) qui se prévaut d’une pluralité de
modèles théoriques et d’orientations pratiques. A l’inverse de la position
qu’assumera Durkheim dans De la division du travail social (1893), Guyau
entrevoit l’anomie comme une qualité positive du monde contemporain: dans les
sphères spirituelle et éthique, l’anomie renforce l’autonomie de l’individu, en
stimulant son originalité. » -Annamaria Contini, in revue Sociétés, n°58 (1997).

« Nietzsche, au contraire, connut l’Esquisse d’une morale sans obligation ni


sanction et l’Irréligion de l’avenir, livres qu’il avait peut-être achetés (ainsi que
la Science sociale contemporaine) à la librairie Visconti, de Nice, où les
intellectuels fréquentaient alors volontiers, feuilletant et emportant les volumes
nouveaux. Toujours est-il que Nietzsche avait dans sa bibliothèque l’Esquisse
1466
d’une morale sans obligation ni sanction et l’Irréligion de l’avenir. Il en parle
aussi dans Ecce homo. Ces exemplaires sont couverts de notes marginales, de
traits, de points d’exclamation, de marques d’approbation ou d’improbation.
Les jugements de Nietzsche sur Guyau, que nous reproduirons plus loin, offrent
le plus grand intérêt, car ils nous montrent à quel point divergent en sens
opposés, malgré les évidentes similitudes que gardent parfois leurs doctrines,
deux esprits partis d’une même conception fondamentale, celle de la vie intense
et extensive. Ces notes indiquent d’ailleurs, de la part de Nietzsche, une réelle
sympathie pour Guyau et une très profonde estime, qui va jusqu’à
l’admiration. » (p.II-III)

-Alfred Fouillée, Nietzsche et l’immoralisme, 1902.

« Représentants de la sociologie française que Nietzsche connnaissait bien,


notamment Alfred Fouillé et Jean-Marie Guyau. » (p.169)
-Maria Cristina Fornari, « La morale anglaise contemporaine », in Paolo D’Iorio
& Gilbert Merlio (dir.), Nietzsche et l’Europe, Paris, Éditions de la Maison des
Sciences de l’Homme, coll. Philia, 2006, 290 pages, pp.153-176.

http://hydra.forumactif.org/t644-jean-marie-guyau-oeuvres?highlight=Guyau

L’ère des Empires (1875-1914): « Les barbaries et les atrocités exécrables


perpétrées par les races soi-disant chrétiennes dans toutes les régions du monde
et contre tous les peuples qu'elles ont pu subjugué n'ont de parallèle dans
aucune autre ère de l'histoire universelle, chez aucune race si sauvage, si
grossière, si impitoyable, si éhontée qu'elle fût. » -William Howitt, Colonisation
and Christianity. A Popular History el the treatment of the natives by the
Europeans in all their colonies, 1838. Cité par Karl Marx, Le Capital, Livre I,
1867.

« En 1870, la France n'avait qu'une colonie importante, l'Algérie. La Troisième


République lui a donné un empire colonial, le second du monde par l'étendue et
la population. Elle a ainsi montré que la France s'était relevée des désastres de
1870 et restait une grande nation.

En Asie, Jules Ferry, malgré de violentes critiques, a assuré, au prix d'une


guerre avec la Chine, la soumission (1885) de l'Annam et du Tonkin qui, avec la
Cochinchine et le Cambodge acquis sous Napoléon III, forment l'Indochine
française.

1467
En Afrique, les Français, après avoir colonisé l'Algérie, ont établi leur
protectorat sur la Tunisie en 1881 et sur le Maroc en 1912. Ils exercent ainsi
leur influence sur toute l'Afrique du Nord. Celle-ci, voisine de la France et
habitée par beaucoup de Français, est la plus précieuse de nos colonies.

La France possédait depuis longtemps le Sénégal. Elle a peu à peu occupé et


civilisé, de 1879 à 1898, l'immense région tropicale du Soudan qui forme
aujourd'hui l'Afrique occidentale française, et les pays situés au nord du Congo,
ou Afrique équatoriale française. Entre ces régions et l'Afrique du Nord s'étend
le désert du Sahara qui a aussi été occupé par les Français.

Dans l'océan Indien, a été conquise, en 1895, l'île de Madagascar.

L'empire colonial de la France est vingt fois plus vaste qu'elle et compte
soixante millions d'habitants. Les Français sont en train de le transformer
complètement.

Ils ont partout établi l'ordre et la paix. Ils ont mis fin aux guerres entre tribus
dans l'Afrique du Nord, au trafic des marchands d'esclaves dans l'Afrique
occidentale et aux brigandages des pirates en Indochine.

Ils ont construit des routes, des chemins de fer et des ports, grâce auxquels le
commerce s'est fortement développé, ce qui enrichit à la fois la France et ses
colonies. Ils ont aussi créé des hôpitaux et des écoles*. Les indigènes, Blancs de
l'Afrique du Nord, Noirs de l'Afrique occidentale et de l'Afrique équatoriale,
Jaunes de l'Indochine bénéficient ainsi peu à peu, grâce à la France, des
bienfaits de la civilisation européenne. » -Ernest Lavisse, Histoire de France,
manuel de Certificat d'études, Armand Colin, 1942, p. 318-321.

« Il faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le


colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux
instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme
moral, et montrer que, chaque fois qu'il y a eu au Viêt-nam une tête coupée et un
oeil crevé et qu'en France on accepte, une fillette violée et qu'en France on
accepte, un Malgache supplicié et qu'en France on accepte, il y a un acquis de
la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère,
une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous
ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions
punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et "interrogés", de tous ces

1468
patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette lactance
étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le progrès lent,
mais sûr, de l'ensauvagement du continent. » -Aimé Césaire, Discours sur le
colonialisme, 1950.

« Le premier fait qui frappe l’homme sincère dans ses études sur les évolutions
contrastées de l’Homme et de la Terre est l’unité définitive s’accomplissant
dans l’infinie variété des contrées du monde habitable. L’histoire se composait
jadis d’histoires distinctes, locales et partielles, ne convergeant point vers un
centre commun : pour les gens de l’Occident, elles gravitaient autour de
Babylone ou de Jérusalem, d’Athènes ou d’Alexandrie, de Rome ou de Byzance ;
pour les Asiates, elles avaient les foyers distincts de Cambalou, Nanking,
Oujein, Bénarès ou Delhi ; tandis que dans le Nouveau Monde, alors inconnu de
l’Ancien, des peuples regardaient les uns vers Tezcuco ou Mexico, les autres
vers Cuzco ou Cajamarca, et que des milliers de tribus sauvages imaginaient
pour centre du monde un groupe de huttes blotti dans la forêt, peut-être même
une simple cabane au milieu des prairies, une roche, un arbre sacré auquel
pendait quelques étoffes. Maintenant l’histoire est bien celle du monde entier :
elle se meut autour de Séoul et sur les bords du golfe de Petchili, dans les forêts
profondes du Caucase et sur les plateaux abyssins, dans les îles de la Sonde et
dans les Antilles aussi bien que dans tous les lieux fameux considérés jadis
comme les « ombilics » du grand corps terrestre. Toutes les sources du fleuve,
autrefois distinctes et coulant souterrainement dans les cavernes, se sont unies
en un seul lit, et les eaux se déroulent largement à la lumière du ciel. De nos
jours seulement l’histoire peut se dire « universelle » et s’appliquer à toute la
famille des hommes. Les petites patries locales perdent de leur importance
relative en proportion inverse de la valeur que prend la grande patrie mondiale.
Les frontières de convention, toujours incertaines et flottantes, s’effacent
graduellement, et, sans le vouloir, le patriote le plus ardent devient citoyen du
monde : malgré son aversion de l’étranger, malgré la douane qui le protège
contre le commerce avec le dehors, malgré les canons affrontés des deux côtés
de la ligne tabouée, il mange du pain qui lui vient de l’Inde, boit un café qu’ont
récolté des nègres ou des Malais, s’habille d’étoffes dont l’Amérique envoie la
fibre, utilise des inventions dues au travail combiné de mille inventeurs de tout
temps et de toute race, vit des sentiments et des pensées que des millions
d’hommes vivent avec lui d’un bout du monde à l’autre. » -Élisée Reclus, La

1469
Société Nouvelle, Revue internationale, Sociologie, Arts, Sciences, Lettres,
année 10, t. 2, 1894, Quelques mots d’histoire.

« Le premier enseignement de l'approche comparative est bien qu'au XIXe


siècle, si nombre de pays européens possédèrent alors des colonies, parler
d'empires coloniaux dans tous les cas est peut-être un peu excessif. En 1815, il
ne restait déjà plus grand-chose de l'empire mondial espagnol naguère si
grandiose et en 1914 il n'en subsistait presque plus rien. Après la perte du
Brésil, les possessions portugaises furent limitées principalement à l'Afrique.
Elles étaient relativement limitées principalement à l'Afrique. Elles étaient
relativement vastes mais ne revêtaient pas un très grand intérêt. L'Allemagne et,
dans une mesure encore plus importante, l'Italie connurent une situation
similaire. L'empire colonial de la Belgique ne se composait que d'une seule
colonie, si immense fût-elle comparée à la petite métropole.
S'agissant des Pays-Bas, en revanche, on peut parler à bon droit d'empire
colonial. Les possessions coloniales néerlandaises s'étendaient toujours -ce
serait du moins le cas jusqu'en 1872- sur trois continents ; toutefois les Indes
néerlandaises étaient de loin la plus importante de ces possessions, voire en
réalité la seule colonie vraiment importante. Au cours de ce siècle, la France se
dota d'un nouvel empire colonial qui, avec ses dix millions de kilomètres
carrées, peut prétendre légitimement au titre d'imperium. L'Empire russe
s'étendait sur une superficie bien plus vaste encore mais la question demeure de
savoir jusqu'à quel point, dans son cas, l'expression "empire colonial" est
pertinente. Le seul véritable empire colonial à l'échelle mondiale était l'Empire
britannique.
Beaucoup de ces empires ne virent le jour qu'au XIXe siècle. Le Congo belge
avait son origine dans l'Etat indépendant du Congo fondé par le roi des Belges
Léopold II et qui avait été reconnu par la communauté internationale en 1884-
1885. Durant ces mêmes années se constituèrent les empires coloniaux
allemand et italien. Les colonies françaises furent, elles aussi, acquises en
grande partie au cours des années 1880 et suivantes. En cette fin de XIXe siècle,
des pays non européens tels que le Japon et les Etats-Unis participaient
également à la compétition coloniale. Ainsi prit fin le monopole colonial de
l'Europe. Aussi le XIXe siècle peut-il être appelé avec juste raison le "siècle
colonial de l'Europe", même si les empires coloniaux européens n'atteignirent
leur plus grande envergure qu'au XXe siècle avec le partage des reliquats de
l'empire ottoman lors de la conférence de la paix de 1918-1919. Hormis
1470
l'annexion de l'Éthiopie par l'Italie mussolinienne en 1936, plus aucune
mutation territoriale majeure ne surviendrait après 1918-1919. » (p.14-15)

« En France, on discerne indéniablement une période impérialiste qui se


distingue clairement de la tiédeur coloniale caractérisant la période antérieure.
Si, en 1878, le territoire total des colonies françaises atteignait presque 5
millions de kilomètres carrés ; en 1913, il avait plus que doublé. Le nombre de
ressortissants français outre-mer était passé de 7 à 48 millions. Pour des pays
comme l'Allemagne, l'Italie et la Belgique, qui ne possédaient pas du tout de
colonies avant les années quatre-vingt, la rupture est encore plus nette. En
1880, le territoire total de toutes les colonies européennes s'étendait sur une
superficie de 24.5 millions de kilomètres carrés. En 1914, cette superficie avait
plus que doublé puisqu'elle était désormais de 53.2 millions de kilomètres
carrés. Pendant le même laps de temps, la population coloniale totale était
passée de 312 à 554 millions de personnes. Entre-temps, les Etats-Unis et le
Japon avaient fait eux aussi leur apparition sur la scène coloniale. » (p.277)

« En Afrique [...] il n'y avait quasi pas de possessions européennes avant 1870.
En 1914, en revanche, il n'y avait plus que deux pays qui n'étaient pas des
colonies: le Liberia, qui venait d'être fondé, et le seul pays qui s'était opposé
avec succès à l'expansion coloniale européenne: l'Éthiopie. En Afrique, des pays
qui n'avaient jamais possédé de colonies, comme l'Allemagne et l'Italie, prirent
part à la colonisation. Sur le continent noir, il fut possible à la Belgique, l'un
des plus petits pays d'Europe, d'acquérir l'une des plus grandes colonies
d'Afrique. Le Congo belge était quatre-vingt fois plus grand que la Belgique
elle-même. Sur ce continent, il fut aussi possible à un pays de taille très modeste
et, à de nombreux égards, arriéré comme le Portugal d'acquérir deux très
grandes colonies: l'Angola et le Mozambique. [...]
Trois phases peuvent être distinguées dans ce processus. La première, très
brève, débuta par l'occupation française de la Tunisie en 1881 et s'acheva par
l'occupation anglaise de l'Égypte l'année suivante. Cette période revêtit un
caractère propre parce que ces événements se déroulèrent dans le monde
méditerranéen et étaient étroitement liés à des questions traditionnelles dont
s'occupait la diplomatie européenne. Durant la seconde phase, la plus longue
puisqu'elle se déroula de 1882 à 1898, l'Europe s'intéressa à l'Afrique profonde,
d'abord au Congo et au reste de l'Afrique centrale (1882-1885) puis à l'Afrique
de l'Est dont le partage eut lieu entre 1890 et 1898. Enfin, pendant la troisième
et dernière phase qui dura de 1898 à 1902, deux questions stratégiquement
1471
importantes furent à l'ordre du jour: la lutte pour l'hégémonie sur le Nil qui
aboutirait à la crise de Fachoda de 1898 et la lutte pour le pouvoir que se
livrèrent les Boers et les Anglais en Afrique du Sud et qui déboucha sur la
guerre des Boers de 1899-1902. » (p.282-283)

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages.

« Dès 1885, Jules Guesde avait dit : qu’est-ce que le colonialisme, ça se fait
comment ? Hé bien ça se fait au moyen du sang et de l’argent de la nation, de la
collectivité. On commence par envoyer des soldats, c’est-à-dire les enfants du
peuple, ensuite on envoie un peu d’argent pour les premiers travaux, les routes,
l’aménagement du port, c’est encore l’argent du peuple, et puis après, ce sont
des compagnies privées qui raflent tous les bénéfices. […] Les colonies
coûteront toujours très cher à la Métropole, et ne rapporteront pratiquement
rien à la Métropole, elles rapporteront à des groupes d’intérêts privés. » -Henri
Guillemin, L'autre avant guerre - 1871-1914 - L'occident dévore le monde.

« La politique coloniale telle que l’entendent les hommes d’État […] met à la
disposition de quelques individus l’argent des contribuables, le sang des marins
et des soldats, l’ensemble des forces nationales qui ne doivent être employées
qu’à la sécurité de la patrie. L’expérience du passé nous prouve que ces
privilégiés ont le plus souvent été ruinés, quand ils n’ont pas été tués par leurs
privilèges. L’ironie perpétuelle de la politique protectionniste est d’aboutir
toujours au résultat opposé à celui qu’elle se propose. » -Yves Guyot, Journal
des Économistes, 1885, p. 37. Cité dans Alain Clément, « L'analyse économique
de la question coloniale en France (1870-1914) », Revue d'économie politique,
2013/1 (Vol. 123), p. 51-82.

« C’est à une minorité de grands négociants, d’industriels, de porteurs de titres


des grandes sociétés coloniales ou métropolitaines engagées dans la mise en
valeur que bénéficie l’exploitation coloniale. [...] Deux cents de ces sociétés
représentent 197 millions de francs en 1914, et le total des exportations de
capitaux s’élèverait à environ 7 milliards de francs, si bien que sur le plan
spécifique des flux financiers, l’empire constitue la troisième destination dans la
répartition des avoirs extérieurs en 1914 mais l’État y apparaît comme
l’investisseur privilégié, garantissant la sécurité des investissements privés. » -

1472
Alain Clément, « L'analyse économique de la question coloniale en France
(1870-1914) », Revue d'économie politique, 2013/1 (Vol. 123), p. 51-82.

http://hydra.forumactif.org/t3684-john-gallagher-and-ronald-robinson-the-
imperialism-of-free-trade#4523

https://www.amazon.fr/L%C3%A8re-empires-1875-1914-Eric-
Hobsbawm/dp/2818501628/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1479059951&sr=8-
1&keywords=Eric+Hobsbawm

http://www.amazon.fr/colonial-capitalisme-fran%C3%A7ais-Histoire-
divorce/dp/2020108941/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1447440565&sr=8-
3&keywords=Empire+colonial+et+capitalisme+fran%C3%A7ais.+Histoire+d%
E2%80%99un+divorce

https://www.amazon.fr/Professer-lEmpire-Pierre-
Singarav%C3%A9lou/dp/2859446788/ref=sr_1_fkmr2_3?ie=UTF8&qid=14601
14505&sr=8-3-
fkmr2&keywords=Christophe+Charle%2C+Histoire+sociale+de+la+France+au
+XIXe+si%C3%A8cle

https://www.amazon.fr/R%C3%A9publique-raciale-Paradigme-
id%C3%A9ologie-
r%C3%A9publicaine/dp/2130549756/ref=sr_1_20?s=books&ie=UTF8&qid=14
60114793&sr=1-20

La colonisation de la Tunisie (1881-1956) ; Hubert Lyautey (1854-1934) et la


colonisation du Maroc (1912-1956) : « En 1881, la Tunisie était toujours,
officiellement, une province de l'empire turc, mais l'hégémonie turque était
relativement théorique. En réalité, la Tunisie était un Etat indépendant qui avait
son propre drapeau, sa propre monnaie, sa propre armée et sa propre flotte.
C'était un petit pays qui était limité au nord par la mer et au sud par le désert.
Sur son flanc est se trouvait Tripoli, autre province ottomane, et, sur son flanc
ouest, la colonie française d'Algérie avait vu le jour en 1830. La Tunisie
comptait environ un million d'habitants. C'était un pays agricole où l'on ne
dénombrait qu'une poignée de villes dont Tunis était de loin la plus grande avec
près de cent mille habitants. Comme tant de pays en Afrique du Nord, la Tunisie
mena une politique de développement et, par voie de conséquence, elle
s'endetta. L'influence financière de l'Europe ne cessa de croître et de plus en

1473
plus d'Européens, en particulier des Italiens, vinrent s'y établir. L'Italie avait
donc des visées sur la Tunisie. Pour l'Angleterre, elle présentait surtout un
intérêt stratégique parce qu'elle était située à l'intersection entre l'ouest et l'est
du bassin méditerranéen. La France était, financièrement, très impliquée dans
les affaires tunisiennes et elle avait en outre un intérêt stratégique en Tunisie en
raison de sa frontière avec l'Algérie. Il existait dès lors un certain équilibre qui
faisait qu'il était dangereux pour la France d'intervenir. Cette situation changea
lorsque l'Angleterre et l'Allemagne invitèrent ouvertement la France à le faire
lors du Congrès de Berlin de 1878. L'Angleterre voulait offrir une compensation
à la France car elle avait elle-même annexé Chypre, et Bismarck espérait
détourner ainsi l'attention des Français de la "ligne bleue des Vosges". Au
début, le gouvernement français n'osa pas répondre à cette invitation. Elle ne se
fiait pas aux intentions affichées par l'Allemagne et redoutait des complications.
Mais en 1881, Gambetta, le chef de file des républicains, décida qu'on ne
pouvait attendre plus longtemps. Le risque de voir l'Italie intervenir si la France
n'agissait pas était trop grand. Le Premier ministre, Jules Ferry, marqua son
accord. Un incident frontalier fournit le prétexte nécessaire à l'organisation
d'une expédition dont l'objectif était prétendument d'aider le bey de Tunis à
restaurer son autorité. Le 24 avril 1881, un corps expéditionnaire français
franchit la frontière algéro-tunisienne. Le 12 mai, il atteignit Tunis et, quelques
heures plus tard, le bey signait le traité du Bardo qui mit fin de facto à
l'indépendance de la Tunisie. Douze jours plus tard, la Chambre des députés
française ratifia ce traité à une majorité écrasante. La Chambre partagea
l'enthousiasme de Gambetta qui félicita Ferry pour avoir redonné à la France
"son rang de grande puissance". » (p.285-286)

(p.292-296)

« En Tunisie, existait le système du protectorat. Le bey restait nominalement


souverain et la Tunisie conservait son propre drapeau. Mais le pouvoir était, en
réalité, entre les mains du tout-puissant résident général français qui était
ministre des Affaires étrangères et président du conseil des ministres du bey.
Toute décision devait être approuvée par lui. Du reste, le conseil des ministres
n'était composé que de deux membres: le Premier ministre et un ministre qui
portait le titre curieux de "ministre de la Plume". La direction de
l'administration était assurée par le secrétaire général du gouvernement qui
1474
dépendait du Premier ministre. Aux fins de l'administration, un certain nombre
de directions générales (des finances, de l'agriculture, etc.) furent créées. Les
fonctionnaires d'administration du bey travaillaient sous la surveillance de
contrôleurs français. Pour le surplus, l'ancien appareil administratif resta en
place, sauf pour la justice et l'enseignement. Dans ces deux domaines, des
dispositions spéciales furent prises à l'intention des Européens.
L'autorité française sur la Maroc commença officiellement à s'exercer en 1912.
Mais l'assujettissement réel du Maroc s'avérerait une tout autre paire de
manches que celui sur papier. Peu après la divulgation du traité de Fès, les
soldats et les habitants de Fès s'insurgèrent. Ils tuèrent tous les Européens qu'ils
purent trouver. L'établissement du protectorat devrait donc s'accomplir par la
force et cela prendrait beaucoup de temps et coûterait beaucoup d'argent.
L'homme qui en fut chargé, le maréchal Lyautey, serait vice-roi du Maroc de
1912 à 1925, avec une brève interruption pendant la Première Guerre
mondiale. Il opta pour une approche graduelle. Il commença par l'occupation
du "Maroc utile", le Maroc des villes et des plaines, et ne se tourna qu'ensuite
vers le Moyen Atlas. Il n'occupa le Sud qu'en dernier lieu. La conquête de
l'ensemble du Maroc ne fut achevée qu'en 1934 et, après 1912, elle a donc pris
encore vingt-deux ans. Et vingt-deux ans plus tard, en 1956, le Maroc recouvrit
son indépendance.
Au Maroc existait officiellement, comme en Tunisie, un ordre double. Le sultan
garda nominativement la souveraineté sur son pays et ne se dessaisit que du
contrôle de la justice, de la défense, de la diplomatie et des finances. Mais, en
réalité, le résident général trustait tout le pouvoir. Les anciens ministères et
services continuèrent, ici aussi, d'exister mais Lyautey créa en outre, sur le
modèle européen, quelques ministères dont le fonctionnement fut assuré par des
Français pour lesquels il fit construire une ville administrative moderne à
Rabat. Le Maroc fut subdivisé en régions dont le nombre augmenta au fut et à
mesure que s'étendit l'autorité du gouvernement. Les Européens, qui possédaient
leurs propres tribunaux depuis le traité de Madrid de 1880, furent conviés à se
placer sous le système juridique français. Les Marocains conservèrent leur
propre système. » (p.298-300)

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages.

"Les Tharaud, détachés auprès de Lyautey, demeurent au Maroc jusqu'en mai


1919. […] Ils deviennent des chantres de ce héros de l'Empire qui fait l'histoire
1475
et de la plus grande France qu'ils légitiment." (p.97)
-Michel Leymarie, La Preuve par deux. Jérôme et Jean Tharaud, Paris, CNRS
Éditions, 2014, 399 pages.

https://www.amazon.fr/Maroc-face-aux-imp%C3%A9rialismes-1415-
1956/dp/2869504217/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1502550573&sr=1-
1&keywords=Le+Maroc+face+aux+imp%C3%A9rialismes

La Guerre d'indépendance cubaine (1895-1898) et la Guerre hispano-


américaine (25 avril – 12 août 1898): « Au cours du 19° siècle, deux années
symbolisent cette histoire militaire chaotique : 1808 et 1898. 1808, c’est le
soulèvement victorieux contre les troupes de Napoléon, marquant de facto le
début de la fin du rêve impérial français. C’est également l’apparition d’une
nouvelle forme de guerre, la guérilla, dont les généraux espagnols vont se
targuer d’en être les pionniers. 1898, c’est l’expression du déclin irréversible de
l’Espagne avec les défaites humiliantes de Cuba et des Philippines face aux
Etats-Unis et mettant fin à l’empire colonial, qui va désormais se limiter au
Nord du Maroc et au Sahara. C’est aussi l’effacement quasi définitif de la
marine comme acteur militaire majeur et dont la lente agonie va durer jusqu’à
la fin des années 1950. » -Colonel Jérôme Pellistrandi, La transformation de
l’institution militaire espagnole, 23/10/2012 (cf :
https://www.defense.gouv.fr/irsem/publications/lettre-de-l-irsem/les-lettres-de-l-
irsem-2012-2013/2012-lettre-de-l-irsem/lettre-de-l-irsem-n-8-2012/enjeux/la-
transformation-de-l-institution-militaire-espagnole ).

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages, pp.158-160.

“Mises here expresses essentially the same idea as William Graham Sumner in
his famous essay on “The Conquest of the United States by Spain” (Yale Law
Journal, January 1899) in which he argued that, although the democratic United
States had won the 1898 war with imperialist Spain, the Spanish spirit had
conquered the United States.” -Jörg Guido Hülsmann, Mises. The Last Knight of
Liberalism, Auburn (Alabam), 2007, 1143 pages, p.304.

William Graham Sumner (1840-1910) :


http://academienouvelle.forumactif.org/t5162-william-graham-sumner-what-

1476
social-classes-owe-to-each-other-what-makes-the-rich-richer-and-the-poor-
poorer-sociology-and-socialism-1881-protectionism-the-ism-which-teaches-
that-waste-makes-wealth#6154

La guerre américano-philippine (1899-1902): « Les colons, autrement dit les


Européens. » -Claire Araujo Da Justa, 2017.

http://hydra.forumactif.org/t3709-stuart-creighton-miller-benevolent-
assimilation-the-american-conquest-of-the-philippines-1899-1903#4550

https://www.amazon.fr/Our-Image-Americas-Philippines-
Paperback/dp/B00M0L3QRG/ref=sr_1_cc_1?s=aps&ie=UTF8&qid=150931092
4&sr=1-1-
catcorr&keywords=In+Our+Image%3A+America%27s+Empire+in+the+Philipp
ines

Histoire du Mexique à l’époque contemporaine : "Les deux pays forment un


couple comparable à l’ensemble Europe/Maghreb, mais dans un contexte
géopolitique très différent. Un continuum continental au lieu d’une liaison
maritime et surtout, au lieu de conflits coloniaux ou post-coloniaux qui ne
s’apaisent que depuis un demi-siècle entre Europe et Afrique, une frontière
terrestre qui a globalement cessé d’être un enjeu politique depuis 1848. On sait
qu’à cette date la victoire militaire (avec occupation de la capitale, Mexico) a
donné aux États-Unis un territoire à peu près vide, presque incontrôlé, mal
délimité, qui était une moitié du Mexique. Depuis lors, le seul gouvernement
installé au Mexique sans l’accord des États-Unis fut, de 1864 à 1867, celui de
Maximilien d’Autriche, appuyé militairement sur des troupes françaises. Par la
suite le Mexique, qui à la différence des pays sud-américains ne s’est jamais
doté d’une armée professionnelle consistante, n’a plus changé de gouvernement
sans l’aveu des États-Unis : un groupe opposant peut gagner au Mexique
seulement s’il obtient du voisin du nord un asile, puis l’accès à de l’argent et des
armes. Après les conflits intérieurs violents, à partir de 1929, pendant les sept
décennies de stabilité politique assurées par le Parti Révolutionnaire
Institutionnel, chaque fois que le Mexique a frôlé la banqueroute, les États-Unis
ont sauvé son système bancaire ou ses exportations pétrolières, chance dont n’a
pas bénéficié l’Argentine. Inversement, chaque fois que la main-d’œuvre
manquait aux États-Unis, des Mexicains étaient disponibles : construction des
voies ferrées au sud-ouest à la fin du XIXe siècle, première guerre, puis seconde

1477
guerre mondiale. Pendant un quart de siècle centré sur la décennie 1970, le
Mexique a pu importer à bas prix les excédents de la production de maïs des
États-Unis pour fournir l’entreprise d’État mexicaine qui distribuait cette céréale
pour fabriquer dans les villes mexicaines la crêpe (tortilla), base de
l’alimentation populaire."

"Au moins jusqu’aux années 1920, aller chez le voisin était la solution des
problèmes de tout un chacun : les perdants de la Guerre de sécession vont
chercher fortune au Mexique (thème récurrent dans les westerns), comme les
perdants de la Révolution mexicaine le font aux États-Unis. Les intellectuels
nord américains marginaux vont rêver, parfois agir, au Mexique. Les
anthropologues qui créent cette discipline nouvelle dans les années 1920 à
l’Université de Chicago ont pour « terrain » le monde rural mexicain. De droite
ou d’extrême gauche, les intellectuels mexicains vont aux États-Unis, parfois
avec des contrats de grandes firmes [...]
L’idéal de l’éleveur-cavalier, libre et autonome dans son ranch/rancho est
commun à l’ouest des États-Unis et à l’ensemble nord et ouest du Mexique. Le
modèle politique, à la fois présidentiel et fédéral, né aux États-Unis, est commun
aux deux pays. L’intrication d’un idéal républicain laïc et d’une société civile
pénétrée de religiosité leur est aussi commune. Les niveaux de fécondité, les
modes de consommation, les idéaux de bonnes mœurs et d’éducation convergent
entre les deux pays, surtout dans les villes."

"Le tourisme vers le Mexique stagne : il est passé du 6e rang mondial au 10e de
1990 à 2010. Si l’écotourisme « rural » se développait, le potentiel d’accueil
dispersé en gîtes et petite hôtellerie serait énorme (à proximité ceci existe au
Costa Rica). Il irriguerait un milieu « paysan » dont on sait (Arias) qu’il vit plus
de l’argent que lui envoient ceux qui l’ont quitté pour les villes que des profits
agropastoraux. L’insécurité endémique, accrue notablement depuis 2006, freine
une telle activité. Le tourisme classique, au-delà des grandes villes, de quelques
sites archéologiques et des mouvements frontaliers, concerne surtout les stations
balnéaires nées dès 1930 (Acapulco), multipliées dans les années 1960-1990 :
Cancun en est le symbole contemporain, couplant un aéroport et une batterie de
très grands hôtels. Après les États-Unis, le Mexique accueille de loin le flux le
plus important de touristes du continent américain. Ce flux est constitué par la
classe moyenne des États-Unis et du Canada. S’y joint de plus en plus celle des
pays sud-américains. Cela rapporte au Mexique quelque 11 milliards de dollars
en 2010, sans être notablement affecté par l’insécurité diffuse… parce qu’il est
1478
extrêmement concentré en quelques lieux dont la sécurité est préservée, car elle
intéresse tout le monde, narcos inclus. Les États-Unis accueillent annuellement
un tourisme principalement canadien (17 millions) et mexicain (12 millions)."

"Sur 110 millions de Mexicains, quelque 12 millions vivent émigrés aux États-
Unis. Ils y forment la minorité la plus ancienne, la plus nombreuse, la plus
visible, par rapport à une masse étrangère dépassant 22 millions de Latinos (dont
5 millions de Caribéens, 2,8 de Centraméricains, 2,6 de Sud-Américains). Le
transit des Centraméricains compose un flux qui traverse le Mexique et aboutit
aux États-Unis, flux bientôt plus gros que celui des Mexicains. Les allers et
venues des Mexicains migrants seraient de 400 000 à 500 000 par an. La part
des migrants sans papiers est forte chez ces Mexicains migrants (on parle de 4 à
7 millions). Mais en quelle proportion sont-ils inclus ou viennent-ils en plus des
12 millions « recensés » ? Cette part est plus forte encore chez les
Centraméricains (au total les ONG avancent un besoin de régularisation pour 12
millions de « Latinos »). Les migrants centraméricains, bien plus que les
Mexicains, sont les victimes de mafias qui les prennent en charge depuis le
Salvador, à travers le Guatemala et le Mexique. Le film Sin nombre, 2009, de
Cary Joji Fukanaga, donne l’image extrême de ce système mafieux. Pour la
grande masse des migrants mexicains les multiples réseaux d’amis et de parents
déjà installés aux États-Unis depuis plus d’une génération leur permet d’éviter
les risques du passage par les tunnels des villes jumelles ou par le désert.

Les flux financiers d’argent destiné par les migrants à leurs proches restés au
pays sont « évalués » à 23 milliards de dollars par an pour le Mexique, soit 2 %
du PIB."

"La migration a d’abord atteint principalement des hommes jeunes embauchés


dans les travaux de force (récoltes dans les champs, chantiers de construction,
grosse industrie). Elle s’est étendue à des tâches de services où les femmes sont
majoritaires (commerce de détail, service à la personne). Les couples mexicains,
leurs enfants, ont pris de l’âge et se sont fondus dans les classes moyennes
urbaines de tout le pays, même s’ils se concentrent plus dans le sud (Californie,
Texas) et dans les villes du Middle West, Chicago en tête. Les migrants sont
d’abord venus des campagnes de l’ouest mexicain (Michoacán, Guanajuato,
Jalisco), puis toutes les zones rurales et toutes les villes ont fourni, y compris
tous les foyers économiques mexicains qui jusqu’aux années 1980 attiraient la
main-d’œuvre : zones pétrolières, métropole nationale, villes du nord. Souvent
1479
les familles « migrantes » vivent aux États-Unis depuis quatre générations,
même si l’apport des parents et amis vient rajeunir et grossir des quartiers où
tout le monde parle espagnol. Ceux qui possèdent la green card (permis de
travail) sont les plus mobiles, alors que ceux qui ne l’ont pas continuent à limiter
leurs mouvements et évitent d’être trop visibles, même si aux États-Unis leur «
illégalité » ne leur interdit ni le compte en banque, ni le permis de conduire, ni
les cotisations sociales qui leur donnent accès aux soins."

"Au-delà des Latinos « étrangers » il importe de cerner la part des descendants


de Latinos devenus citoyens aux États-Unis. Leur particularisme se marque par
leur pratique de la religion catholique, par le maintien partiel de l’usage de
l’espagnol et par celui des liens familiaux avec les pays d’origine. Ils participent
bien sûr aux flux et reflux de touristes entre les deux pays. « En 2010, les
Hispaniques (50 millions de personnes) ont dépassé les 42 millions d’Afro-
Américains." -Claude Bataillon, « Osmose : note réflexive sur le couple
Mexique-États-Unis », L'Information géographique, 2013/2 (Vol. 77), p. 6-12.
DOI : 10.3917/lig.772.0006. URL : https://www.cairn.info/revue-l-information-
geographique-2013-2-page-6.htm
Du Mexique (forumactif.org)

Élisée Reclus (1830-1905) : « Toujours la haine des rois et des classes


dominantes s'est tournée contre les hommes qui revendiquaient la liberté de
penser et d'agir. C'est au service de la tyrannie qu'a toujours été la peine de
mort. Qu'a fait Calvin, maître du pouvoir ? Il a fait brûler Michel Servet, un de
ces hommes de divination scientifique comme on en compte à peine dix ou douze
dans l'histoire de l'humanité toute entière. Qu'a fait Luther, autre fondateur de
religion ? Il a excité ses amis les seigneurs à courir sus aux paysans : " tuez-les
tous, tuez-les, l'enfer les reprendra plus tôt. " Qu'a fait l'Église catholique
triomphante ? Elle a organisé des autodafés. C'est elle qui alluma les bûchers,
qui tint pendant trois siècles le noble peuple de l'Espagne sous la terreur. Et
récemment quand une ville libre, coupable d'avoir maintenu son autonomie, a
été reconquise par ses oppresseurs, n'avons-nous pas vu ceux-ci tuer par
milliers, hommes, femmes, enfants et se servir de la mitrailleuse pour grossir
plus vite les tas de cadavres ? »

« Le sang appelle le sang, c'est autour des échafauds et dans les prisons que se
forment les meurtriers et les voleurs. »

1480
« S'il est un fait prouvé par l'étude de l'hygiène, c'est que la vie moyenne
pourrait être doublée. La misère abrège la vie du pauvre. Tel métier tue dans
l'espace de quelques années, tel autre en quelques mois. Si tous avaient les
jouissances de la vie, ils vivraient comme des pairs d'Angleterre, ils
dépasseraient la soixantaine, mais condamnés pratiquement soit aux travaux
forcés, soit - ce qui est pis - au manque de travail, ils meurent avant le temps, et
pendant leur courte vie, la maladie les a torturés. Le calcul est facile à faire.
C'est au moins 8 à 10 millions d'hommes que la société extermine chaque année,
en Europe seulement, non en les tuant à coups de fusils, mais en les forçant à
mourir en supprimant leur couvert au banquet de la vie. Il y a dix ans, un
ouvrier anglais, Duggan, se suicida avec toute sa famille. Un infâme journal,
toujours occupé à vanter les mérites des rois et des puissants, eut l'impudence
de se féliciter de ce suicide d'ouvrier. " Quel bon débarras, s'écria-t-il, les
ouvriers pour qui il n'y a pas de place, se tuent eux-mêmes, ils nous dispensent
de la besogne désagréable de les tuer de nos mains ". Voilà le cynique aveu de
ce que pensent tous les adorateurs du Dieu Capital ! »

« Quel est donc le remède à tous ces meurtres en masse, en même temps qu'aux
meurtres qui se commettent isolément ? Vous savez d'avance ce que propose un
socialiste. » -Élisée Reclus, "La peine de mort", Conférence faite à une réunion
convoquée par l’ " Association Ouvrière " de Lausanne (1879).

« Nous ne nous séparerons jamais du monde pour bâtir une petite église isolée
dans quelque vaste étendue sauvage. Le champ de bataille est ici, et nous
devons rester dans les rangs, prêts à aider quiconque en aura le plus grand
besoin. » -Élisée Reclus, « An Anarchist on Anarchy », Contemporary Review,
vol. 45, 1884, p.637.

« Les géographes d'Hérodote étaient donc partis en guerre en 1976 contre cette
conception atrophiée de la géographie et l'image fastidieuse de celle-ci qui
s'étaient établies dans les universités.
C'est alors qu'ils redécouvrirent l’œuvre énorme du très grand géographe
libertaire Élisée Reclus (1830-1905), tombée dans l'oubli en dépit de tout son
intérêt et de toute sa modernité: elle traite en particulier des conflits territoriaux
avec une grande précision, et c'est la raison pour laquelle les universitaires
l'escamotèrent par la suite. Mais Reclus n'était pas professeur, puisqu'il avait
été proscrit après la Commune de Paris. Pourtant, en dépit de la taille de ses
ouvrages, son œuvre considérable -sa Géographie universelle et L'Homme et la
1481
Terre, notamment- eut un très grand nombre de lecteurs, car elle était vendue et
diffusée en fascicules qui pouvaient être reliés ensuite. Non seulement Reclus a
traité en géographe et en penseur politique des conflits aussi bien entre les
puissances impérialistes qu'entre les peuples colonisés, mais ses conceptions
libertaires ont fait qu'il a présenté de façon critique et équitable les mobiles et
les arguments de chacun des protagonistes de ces conflits.
Je me suis largement inspiré d'Élisée Reclus et j'ai en quelque sorte développé et
systématisé sa démarche pour l'analyse des rivalités de pouvoir sur des
territoires, en construisant une méthode permettant de confronter les arguments
(fussent-ils tout à fait de mauvaise foi) que les dirigeants destinent
habituellement à leurs partisans et à l'opinion internationale. » -Yves Lacoste,
Vive la Nation. Destin d'une idée géopolitique, Fayard, 1997, 339 pages, p.32.

« L’on doit sans doute à Élisée Reclus d’avoir reconnu le premier, à la fin du
XIXe siècle, dans un cadre théorique clairement formulé, la capacité
progressive des sociétés à contrôler l’espace physique et à se dégager de son
emprise. D’esprit très indépendant, éloigné de l’institution universitaire
française, il avait su se nourrir des grands courants de la pensée progressiste de
son siècle : positivisme, darwinisme, marxisme, anarchisme. Il s’inspirait aussi
des travaux du sociologue Frédéric Le Play. […]
Imprégnée d’histoire, la géographie sociale d’Élisée Reclus (L’homme et la
terre, publié de 1905 à 1908) reposait sur l’analyse des interactions intervenant
entre deux « milieux » : le « milieu statique » formé des « milieux naturels »,
sources de potentialités et de contraintes ; le « milieu dynamique »,
nécessairement changeant, constitué par l’entrelacs des rapports sociaux de
tous ordres. Pour Reclus, au gré de son développement, l’humanité se libère des
contraintes de la nature. Elle tend ainsi à renforcer sa maîtrise des milieux
naturels et, conjointement, à consolider ses cohésions sociales. Si le progrès
techniques constitue l’un des moteurs de cette évolution, la lutte des classes
(influence du marxisme), les changements politiques, économiques et sociaux
qu’elle suscite, contribuent aussi à cette dynamique. La vision sociale de Reclus
ne disqualifiait nullement l’individu en tant qu’acteur central de ce mouvement
historique. Pour lui, c’est par la somme des initiatives et des efforts personnels
que la société avance et que son rapport à l’espace s’améliore, devient plus
performant et plus juste. Précisons que c’est dans La Réforme sociale, journal
créé en 1881 par Le Play, que l’expression de « géographie sociale », fut
employée pour la première fois par Paul de Rousiers, commentant La Nouvelle
1482
Géographie universelle de Reclus, publiée entre 1875 et 1894. » -Guy Di Méo,
Introduction à la géographie sociale, Armand Colin, coll. Cursus.Géographie,
2014, 189 pages, p.16-17.

http://hydra.forumactif.org/t336-elisee-reclus-lhomme-et-la-terre#674
Élisée Reclus, Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes & autres textes (forumactif.org)

Émile Zola (1840-1902) : « J’ai grand-peur d’avoir trop trempé, pour ma part,
dans la mixture romantique […]. Si j’ai parfois des colères contre le
romantisme, c’est que je le hais pour toute la fausse éducation littéraire qu’il
m’a donnée. J’en suis, et j’en enrage. » -Émile Zola, Le Voltaire, 6 mai 1879.

« « Eh bien ! quoi ? ripostent les nationalistes, se rejetant sur un second


argument, ces étrangers, après tout, ne nous apportent rien que nous n'ayons
dans notre littérature, et, d'ailleurs, tous ces prétendus novateurs, ils ont été à
l'école de nos grands Français. »

MM. de Goncourt, Daudet et Zola, sans que je puisse trop préciser dans quels
écrits ou conversations, ont à plusieurs reprises énoncé cette opinion, qui
d'ailleurs est plausible. » -Maurice Barrès, « La Querelle des nationalistes et des
cosmopolites », Le Figaro, 1892.

« Le premier roman ouvrier d’Émile Zola, qui est aussi son premier grand
succès public, le livre qui fit sa réputation, sa gloire et sa fortune, est
L’Assommoir (1877), c’est-à-dire le débit de boisson où l’ouvrier vient perdre
sa paie, son travail et sa dignité. L’héroïne du roman est une femme, Gervaise
Macquart, blanchisseuse dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris (XVIIIe
arrondissement) où elle gagne d’abord très convenablement sa vie grâce à son
travail et ouvre un atelier. Sur le plan sentimental, elle a d’abord un amant,
Lantier, paresseux et beau parleur, qui lui fait deux enfants avant de
l’abandonner, puis un mari, Coupeau, ouvrierzingueur, qui lui fait une fille (la
future Nana), puis tombe d’un toit et devient alcoolique ; elle a aussi un
soupirant timide, l’honnête forgeron Goujet, qui l’aime et l’aide en secret. Le
roman conte l’histoire tragique de la déchéance de Gervaise, entre Lantier qui
est revenu et Coupeau toujours ivre. La blanchisseuse, victime de son bon cœur
et de ses illusions, épuisée, engraissée, sombre progressivement dans la misère,
puis l’alcoolisme et frise la prostitution. Elle meurt sous un escalier. Le roman
est mal reçu, tant à droite (où l’on accuse Zola de turpitude et de pornographie et
où l’on dénonce ses idées politiques) que chez les républicains (où l’on déplore
1483
l’image très négative du monde ouvrier qui s’y déploie ; Victor Hugo écrit : «
Vous n’avez pas le droit de nudité sur la misère et le malheur ») ; mais le succès
public, prolongé bientôt par le théâtre, puis par le cinéma (Albert Capellani en
1909), est immense (40.000 exemplaires vendus dès la première année). »

« Le plus puissant roman ouvrier d’Émile Zola est publié deux ans plus tard :
c’est Germinal (1885). C’est le roman de la mine et des mineurs, entièrement
consacré aux « gueules noires », à leur travail souterrain, à leur vie de pauvreté
dans les corons (quartiers d’habitation ouvrière à un étage avec jardinet, loués
par les sociétés minières à leurs employés), à leurs misères, à leurs amours et à
leurs espoirs, aux ingénieurs, aux patrons et aux actionnaires des compagnies,
enfin aux grandes grèves et aux accidents de mines qui ponctuent leur histoire.
Zola a donné la description la plus saisissante qui ait jamais été écrite du travail
de la mine ; il s’est renseigné avec exactitude et est descendu avec des mineurs
au fond du puits. Lorsque, dans les différents chapitres du roman, il suit son
héros, Étienne Lantier, l’un des fils de Gervaise, ancien machineur au chômage
devenu mineur et promu bientôt dirigeant de la grève conduite contre les
nouveaux « tarifs » que veut imposer la Compagnie pour réduire encore les
coûts d’exploitation et les salaires ouvriers, il ne se trompe ni sur les fonctions ni
sur les gestes de chacun : le maître-porion (chef de chantier) et les porions
(contremaîtres) ; les machineurs qui gèrent les treuils, les câbles et les cages qui
descendent les ouvriers dans les profondeurs de la mine ; les chauffeurs qui
alimentent les chaudières ; les marqueurs qui contrôlent la présence des ouvriers
dans la mine et leurs fournissent les lampes Davy ; les havreurs qui creusent,
allongés dans les filons, la houille avec leurs pioches ; les herscheurs qui
poussent les berlines ou les wagonets dans les galeries pour évacuer la terre et le
charbon et doivent également veiller à boiser (étayer) les galeries au fur et à
mesure de leur progression ; les galibots – filles et garçons, freineurs ou
receveurs – qui accrochent les berlines aux trains emportés par les chevaux de
mines ; les palefreniers qui nourrissent, soignent et mènent les chevaux ; les
chargeurs qui gèrent la remontée du minerai, de la terre, des bêtes et des
hommes dans les cages ; et bien d’autres encore… La fosse, le Voreux, le bien
nommé, dévore littéralement les hommes lorsqu’ils descendent dans le puits
exploiter les filons de charbon (« le puits avalait des hommes par bouchées de
vingt et de trente »), et jusqu’aux chevaux de mine, qui sont l’objet de pages
particulièrement sensibles à la souffrance des bêtes condamnées pour toujours à
l’obscurité. La fascination du travail de la mine emporte l’ensemble du récit vers
1484
la double tragédie qui vient frapper de plein fouet les hommes et les femmes du
roman dans leur chair, leurs amours et leurs espoirs : l’échec de la grande grève
contre les nouveaux tarifs emmenée par Lantier au nom de la première
Internationale ; puis l’accident de mine provoqué volontairement par le nihiliste
Souvarine qui inonde le puits et fait périr des dizaines de mineurs – Lantier seul
en réchappera, brisé mais à jamais déterminé. Le roman s’achève sur la
grandiose vision d’avenir que porte en lui son titre : germinal, le mois du
renouveau de la nature dans le calendrier révolutionnaire. Dans les dernières
lignes, Lantier s’éloigne de la mine à travers les champs ; et il lui semble
entendre, « de plus en plus distinctement, comme s’ils se fussent rapprochés du
sol, les camarades [qui] tapaient. C’était de cette rumeur que la campagne était
grosse. Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait
lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la
germination allait faire bientôt éclater la terre. ». » -Philippe Boutry, « Le monde
du travail et ses représentations », Cours d’agrégation, Sorbonne, Amphithéâtre
Richelieu, février 2021.

« Je crois que l’avenir de l’humanité est dans le progrès de la raison par la


science. Je crois que la poursuite de la vérité par la science est l’idéal divin que
l’homme doit se proposer. Je crois que tout est illusion et vanité, en dehors du
trésor des vérités lentement acquises et qui ne se perdront jamais plus. Je crois
que la somme de ces vérités, augmentées toujours, finira par donner à l’homme
un pouvoir incalculable, et la sérénité, sinon le bonheur... Oui, je crois au
triomphe final de la vie. » -Émile Zola, Le Docteur Pascal, 1893.

« On a trouvé des hommes pour résister aux rois les plus puissants, pour refuser
de s’incliner devant eux : on a trouvé très peu d’hommes pour résister aux
foules, pour se dresser, tout seuls devant les masses, égarées trop souvent
jusqu’aux pires excès de la fureur, pour affronter, sans armes, les bras croisés,
d’implacables colères, pour oser, quand on exige un « oui », lever la tête et dire
« non ». Voilà ce qu’a fait Zola. » -Georges Clemenceau, Discours au Sénat, 11
décembre 1906.

"Qu'est-ce que M. Emile Zola ? Je le regarde à ses racines: cet homme n'est pas
un Français. [...] Nous ne tenons pas nos idées et nos raisonnements de la
nationalité que nous adoptons, et quand je me ferais naturaliser Chinois en me
conformant scrupuleusement aux prescriptions de la légalité chinoise, je ne
cesserais pas d'élaborer des idées françaises et de les associer en Français.
1485
Parce que son père et la série de ses ancêtres sont des Vénitiens, Emile Zola
pense tout naturellement en Vénitien déraciné." (p.40)

-Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, Paris, Félix Juven


Éditeur, 1902, 518 pages.

« Victor Hugo se fit le héraut de la colonisation de l’Afrique de l’Ouest et Émile


Zola consacra à ce thème son roman Fécondité, plaidoyer en faveur de la
colonisation du delta du Niger. » -Henri Wesseling, Les empires coloniaux
européens (1815-1919), Éditions Gallimard, 2009, 554 pages, p.138.

« En France, l’extrême gauche révolutionnaire a explicitement été antijuive tout


au long du XIXe –de Fourier et Toussenel à Blanqui, Tridon, Chirac, Regnard,
Malon et Hamon, en passant par Proudhon-, sauf durant les quelques années
où, sous la houlette de Jean Jaurès, Lucien Herr, Bernard Lazare, Zola et
Péguy, elle a choisi le camps dreyfusard. […]

Pour les socialistes, le Juif, c’est toujours alors « l’usurier », métamorphosé en


banquier ou en capitaliste. C’est seulement avec l’article publié par Émile Zola
le 16 mai 1896 dans Le Figaro, « Pour les Juifs », que commencent à se dénouer
les liens de connivence, voire de complicité, entre les milieux socialistes et les
antisémites. Mais il faut attendre la publication du « J’accuse » de Zola dans
L’Aurore, le 13 janvier 1898, pour que la plupart des socialistes (Jaurès
compris) en finissent, ou plus exactement commencent à en finir avec leurs
hésitations. » -Pierre-André Taguieff, La Judéophobie des Modernes : Des
Lumières au Jihad mondial, Odile Jacob, 2008, p.118-119.

http://pone.lateb.pagesperso-orange.fr/Bien_Public.htm

Georges Clemenceau (1841-1929): « M. Clemenceau : Les races supérieures


ont sur les races inférieures un droit qu'elles exercent, ce droit, par une
transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation. Voilà
en propres termes la thèse de M. Ferry, et l'on voit le gouvernement français
exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et
les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ?
races inférieures, c'est bientôt dit ! Pour ma part, j'en rabats singulièrement
depuis que j'ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la
France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande parce que le
Français est d'une race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y

1486
regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une
civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation inférieurs. Race inférieure,
les Hindous ! Avec cette grande civilisation raffinée qui se perd dans la nuit des
temps ! avec cette grande religion bouddhiste qui a quitté l'Inde pour la Chine,
avec cette grande efflorescence d'art dont nous voyons encore aujourd'hui les
magnifiques vestiges ! Race inférieure, les Chinois ! avec cette civilisation dont
les origines sont inconnues et qui paraît avoir été poussée tout d'abord jusqu'à
ses extrêmes limites. Inférieur Confucius ! En vérité, aujourd'hui même,
permettez-moi de dire que, quand les diplomates chinois sont aux prises avec
certains diplomates européens... (rires et applaudissements sur divers bancs), ils
font bonne figure et que, si l'un veut consulter les annales diplomatiques de
certains peuples, on y peut voir des documents qui prouvent assurément que la
race jaune, au point de vue de l'entente des affaires, de la bonne conduite
d'opération infiniment délicates, n'est en rien inférieure à ceux qui se hâtent trop
de proclamer leur suprématie.

[…] Je ne veux pas juger au fond la thèse qui a été apportée ici et qui n'est pas
autre chose que la proclamation de la primauté de la force sur le droit ;
l'histoire de France depuis la Révolution est une vivante protestation contre
cette inique prétention. » -Georges Clemenceau, discours à la Chambre du 31
juillet 1885.

« En 1875, un indicateur signalait encore que « les discussions religieuses entre


étudiants ne sont plus permises ; elles sont bafouées, conspuées. Veut-on
discuter sur l’existence de Dieu ou de l’âme, sur les vérités primordiales de la
religion ? On est traité de crétin, de faible d’esprit, ou bien d’hypocrite, de
jésuite ». Encouragés par l’enseignement de quelques-uns de leurs professeurs,
comme Charles Robin, le maître de Clemenceau, sensibilisés aux thèses
matérialistes par certaines recherches sur le cerveau ou sur la génération
spontanée, les étudiants en médecine se montrèrent particulièrement ouverts aux
doctrines athées et aux doctrines positivistes, ce qui, pour les catholiques,
revenait au même. »

« Dans sa thèse, soutenue en 1865, [Clemenceau] estima que « dire qu’il y a eu


une création parce qu’il y a eu une force créatrice est déjà une pétition de
principe. Mais placer cette force en dehors de la matière et lui donner
l’intelligence et la conscience d’elle-même est une conception qui ne relève ni
de l’expérience ni du jugement ». » -Jacqueline Lalouette, "De quelques aspects
1487
de l’athéisme en France au XIXe siècle", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire
critique [Online], 87 | 2002, Online since 01 April 2005, connection on 11
February 2021.
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

« En 1898, le très radical Clemenceau, publiant Au pied du Sinaï, fustige le


"Juif crasseux" au "nez crochu". » -François Huguenin, L'Action française. Une
histoire intellectuelle, Perrin, coll. Tempus, 2011 (1998 pour la première
édition), 686 pages, p.38.

« Jamais la répression républicaine anti-ouvrière n’a atteint une ampleur aussi


grande que dans ces années où Clemenceau devient ministre de l’Intérieur ; ce
qui lui vaut d’être élu, par les travailleurs qui le détestent, « premier flic de
France ». » -Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française (XIXe –
XXe), Éditions du Seuil, 2002 (1986 pour la première édition), 321 pages, p.115.

« Clémenceau est aussi l’homme dont, autant que la plume, l’épée et le pistolet
étaient redoutés. Drumont, certain d’être tué, redige son testament avant de
l’affronter en duel. » -Georges Navet, Raison présente, Année 1990, 93, pp.137-
140, p.139.

Louis Barthou (1862-1934) : « [Je suis] l’adversaire irréductible du


nationalisme, masque nouveau de l’entreprise cléricale. » -Louis Barthou,
Discours d’Oloron, 2 avril 1902.

« A la fin de l'été, la situation est décantée et l'état des relations internationales


modifié. L'Allemagne comme la Pologne ont refusé le projet de pacte oriental.
Cependant, le 18 septembre, l'URSS est admise à la SDN et Barthou peut se
consacrer à son projet d'alliance franco-soviétique. Le ministre désire toutefois
le compléter par un rapprochement franco-italien et un pacte méditerranéen. Il
invite à cette fin le roi de Yougoslavie à Marseille: dès son débarquement, ce
dernier est victime d'un attentat à l’occasion duquel Barthou trouve également
la mort.
Celle-ci a inspiré de grands regrets à Jean-Baptise Duroselle qui y a vu "la fin
d'une grande politique, la seule peut-être qui pouvait encore [...] protéger [la
France] de la guerre et de l'agression". Cela étant, il est difficile de juger un
ensemble marqué du sceau du pragmatisme et de l'inachevé. Cette politique
porte cependant des marques d'originalité. D'abord, un souci d'initiative qui
1488
voit la diplomatie française essayer de prendre en main la situation et de bâtir
une politique extérieure digne de ce nom. Le corollaire en est une prise de
distance vis-à-vis de la Grande-Bretagne, dont on considère alors que tout en
devant être un partenaire privilégié elle n'a pas à être ménagée à tout prix.
Cependant, du fait de sa brièveté, l'action politique de Louis Barthou peut
difficilement être jugée à l'aune de ses résultats. On relève cependant une
"incohérence" soulignée par Jean Doise et Maurice Vaïsse: la fermeté affichée
ne s'accompagne pas d'une hausse des crédits militaires. Par ailleurs, le projet
d'alliance franco-soviétique divise l'opinion française. A gauche, s'il réjouit les
communistes, et trouve chez les radicaux de fervents adeptes (Edouard Herriot),
il gêne les socialistes traditionnellement partisans de la sécurité collective (Léon
Blum se déclare hostile "aux pactes fermés partageant l'Europe en clans
antagonistes"). La droite est divisée. D'un côté, les "réalistes" (Jean-Baptise
Duroselle), inquiets de la menace nazie, sont prêts à surmonter leur anti-
communisme pour s’accommoder d'une alliance qui rappelle l'alliance franco-
soviétique d'avant 1914 et éloigne le spectre d'un nouveau Rapallo qui hante
"Pertinax" et la rédaction de L'Echo de Paris. Pour les autres, la "droite
irréconciliable" (Jean-Baptiste Duroselle) l'idée d'une alliance est un non-sens.
Elle déchaîne même les foudres de l'ultra-droite nationaliste: cette insanité
(Léon Daudet) n'aurait au surplus aucune efficacité car pour l'historien
maurrassien Pierre Gaxotte, "les Soviets [...] sont une impuissance de guerre".
Manifestement, la position de Louis Barthou n'aurait pas été évidente et l'état
des controverses en 1934 comme la teneur des débats ultérieurs sur la
ratification du pacte franco-soviétique montrent que l'imbrication croissante à
partir de 1934 des enjeux de politique intérieure et extérieure aurait fragilisé le
"réalisme" prêté à Barthou. » -Olivier Dard, Les années 30. Le choix impossible,
Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, coll. La France contemporaine,
1999, 278 pages, pp.84-86.

https://www.amazon.fr/Pouvoir-passions-Louis-Barthou-
R%C3%A9publique/dp/2853021645/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1510
598285&sr=1-
1&keywords=Pouvoir+et+passions+%3A+Louis+Barthou+et+la+IIIe+R%C3%
A9publique

Émile Combes (1835-1921): « Combes [...] lui aussi a placé l'impôt sur le
revenu dans son programme. Non seulement Combes tient à achever, et avec
une énergie presque suspecte, l’œuvre anticléricale de son prédécesseur, mais il
1489
vise, pour la paix "religieuse", à une prompte Séparation des Églises et de
l'Etat, et beaucoup, dans son parti même, déplorent ce vœu qui est le sien
d'annuler le Concordat de Bonaparte: lourde erreur, car ce serait perdre le
puissant moyen de contrainte que le Consulat a mis ainsi, contre l'Église
catholique, à la disposition du pouvoir civil. Ajoutez que Combes est un homme
désintéressé, sans liens avec les milieux d'affaires, et, de ce fait, inquiétant. On
apprécie peu, enfin, la stricte surveillance de l'Armée qu'exerce, à la Guerre, le
général André, lequel souscrirait volontiers à la formule de Robespierre et de
Saint-Just, énoncée par eux en 1793: "L'insubordination des généraux est la
pire dans une République ; dans un Etat libre, c'est le pouvoir militaire qui doit
être le plus astreint". Un homme de bien se doit de n'importuner point les
officiers et André déplaît comme un malotru dont le respect est insuffisant à
l'égard d'une Puissance sociale de première importance. Rien n'ira plus, fin
1904, lorsque Combes ayant réglé la question des congrégations (il a brisé les
congrégations enseignantes, ainsi que les "moines ligueurs et moines d'affaires"
dont les Assomptionnistes étaient les plus beaux représentants ; il n'a touché ni
à certains ordre contemplatifs ni aux religieuses dévouées aux malades et aux
misérables) se propose de passer à l'examen des choses interdites. L'Alliance
démocratique, fort amie du président du Conseil tant qu'il s'agissait seulement
des "curés", se refroidit, hausse les sourcils, glisse à l'opposition. Le prétexte
dont elle a besoin pour se séparer de Combes sans avouer les raisons politiques
et sociales de cet abandon, elle le trouve -ou le suscite- dans le scandale dit "des
fiches" qu'un officier en retraite, Guyot de Villeneuve, porte à la tribune dans
une intervention bruyante et bien calculée. Et les Barthou, les Doumer,
conservateurs fidèles, affectent l'horreur. Millerand -que Combes n'a pas
maintenu au pouvoir, et qui dessèche d'y revenir- tonne contre le "régime
abject", choisissant avec pertinence son vocabulaire et dénonçant un
"espionnage" auquel "les honnêtes gens refusent de collaborer". Remarquable,
ce coup d'épaule fourni à la Droite pour renverser Combes par le "socialiste"
de Saint-Mandé au moment même où Combes veut aborder la question de
l'impôt sur le revenu et celle des retraites ouvrières ; et Millerand feint
précisément d'attaquer le gouvernement sur son indifférence aux problèmes
sociaux.
En janvier 1905, Combes est acculé à la démission. » (p.62-63)

« Il est certain qu'un climat pénible régnait alors en France. Officiers et


fonctionnaires étaient épiés, notamment par les membres des Loges
1490
maçonniques ; et il suffisait non même pas qu'ils aillent à la messe mais qu'ils y
laissent aller leurs enfants pour se voir brimés dans leur avancement.
Répétition, en sens inverse, de ce qui s'était constamment, au cours du siècle -et
avec quelle ampleur- sous l'Ordre moral de Mac-Mahon. La Droite éprouvait
pour la première fois les inconvénients d'un système dont elle avait été
longtemps bénéficiaire et elle poussait des cris terribles. La franc-maçonnerie
cependant ne faisait que reprendre à son compte, assez laidement, le travail qui,
sous Charles X par exemple, avait été celui de la Congrégation. Clemenceau
parlait de l'entourage de Combes en l'appelant "une jésuitière retournée". »
(note 2 p.63)
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

Charles Mangin (1866-1925): http://hydra.forumactif.org/t4009-charles-


mangin-comment-finit-la-guerre#4862

https://www.amazon.fr/g%C3%A9n%C3%A9ral-Mangin-1866-1925-
MANGIN-LOUIS-
EUGENE/dp/B0046IQPQK/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1
514893806&sr=1-1

Juliette Adam (1836-1936): « La « Revancharde » : voilà un nom qu’elle


mérite bien, dont elle est fière à si juste titre et qui lui sera conservé. Mme Adam
a été, depuis 70, la Déroulède-femme de la Revanche. Plus heureuse que lui,
elle a vécu assez pour assister sans faiblir, au milieu des angoissantes
fluctuations de la Fortune, au triomphe final du Droit et de la Justice. » -Préface
du général Robert Nivelle à Anatole Elliott, Madame Adam (Juliette Lamber)
par un de ses camarades vétérans de 1870-71, Plon-Nourrit, 1922, p.VIII.

« S’appuyant sur son salon et sur sa revue, elle fonda une première Société des
amis de la Russie et joua un rôle central dans le tournant qui offrait à la France
l’alliance russe. Elle prôna la revanche, elle déplora la guerre, elle fut mêlée et
toutes les affaires qui jalonnèrent le cours de la IIIe République. La vie de
Juliette Adam illustre et explique mieux qu’aucune autre la tragédie de ce
régime. »

« Elle en a quinze [ans] au lendemain du 2 décembre 1851, lorsque les


Parisiens se soulèvent à nouveau pour protester contre le coup d’Etat de Louis-
Napoléon. Juliette en garde la conviction profonde que les idées républicaines
1491
méritent qu’on leur sacrifie sa vie. Elle est émue aux larmes et prend le parti des
ouvriers, mais elle ne comprend rien aux théories égalitaristes à la Fourier. »
(p.13)

-Anne Hogenhuis-Seliverstoff, Juliette Adam (1836-1936) : L’Instigatrice,


Paris, L'Harmattan, 2002.

« Juliette Adam, ancienne gambettiste de renom, également passée à l’Action


française, pour qui le voyage des étudiants représente rien de moins que la «
glorification de l’oubli » de 71, une « abdication coupable », une « trahison
criminelle », en somme un « crime national ». » -Antoinette Blum, « Charles
Andler en 1908 : un Germaniste pris entre la France et l'Allemagne », Revue
germanique internationale [En ligne], 4 | 1995, mis en ligne le 05 juillet 2011,
consulté le 12 novembre 2018.

« Juliette Adam, âgée de quatre-vingts ans, qui, il y avait longtemps, avait fondé
la Nouvelle Revue en vue de soutenir Gambetta et les républicains, à présent ne
lisait plus que l'Action française, ne pouvant plus vivre sans les coups
quotidiennement administrés par Daudet à l'hydre de la trahison. » -Eugen
Weber, L'Action française, Fayard, coll. Pluriel, 1985 (1962 pour la première
édition états-unienne), 685 pages, p.116.

Mustafâ Kâmil et la naissance de la nation égyptienne (14 juillet 1801-été


1956) : «

-Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions


Gallimard, 2009, 554 pages, pp.286-292.

« C’est d’abord au sein de la petite élite formée dans les écoles modernes ou à
l’étranger que la conscience nationale égyptienne émerge et se développe. La
notion de patrie et le sentiment de solidarité qui en découle apparaissent pour la
première fois, en arabe, sous la plume de Rifa’a al-Tahtâwî dans l’ouvrage qu’il
publie en 1869. » (p.100)

« Les années 1890 voient la présence juridique française en Égypte se renforcer


avec la création de l’École française de droit du Caire. […] Rapidement prisée
par les familles égyptiennes aisées dans la mesure où les débouchés qu’elle offre
aux diplômés sont variés, qu’il s’agisse de s’engager dans la carrière judiciaire
ou d’entrer dans la fonction publique égyptienne. Le succès de l’école tient
également au fait que l’enseignement y est dispensé en français. S’exprime à
1492
travers ce choix une forme de résistance à la domination britannique. L’École
française de droit du Caire a contribué à former une petite élite égyptienne
francophone, voire francophile, dont certains membres, tel Mustafâ Kâmil, ont
espéré trouver dans la France, à la fin des années 1890 et jusqu’en 1904, année
de la signature de l’Entente cordiale franco-britannique, un partenaire pour
lutter contre la présence britannique sur le sol égyptien. » (p.123)

« Le gouvernement britannique […] à soixante-six reprises, selon le décompte


opéré par Juliette Adam entre 1881 et 1895, rappelle que la présence
britannique n’a pas vocation à se prolonger. Signe de cette longue hésitation ou
ambiguïté, aucun traité, aucune convention ne sont signés pour préciser la
position des Britanniques en Égypte pendant la période ottomane ni même avant
1936. L’Égypte ne connaît donc pas de modification de son statut, en dépit du
poids grandissant des Britanniques dans la vie du pays. Elle reste une province
ottomane et le demeurera jusqu’en décembre 1914. Symboliquement, elle
continuera de verser annuellement un tribut à la Sublime Porte jusqu’au
bouleversement que produit le déclenchement de la Première Guerre mondiale.
Le délégué ottoman est maintenu au Caire et le représentant de la Grande-
Bretagne, diplomate du Foreign Office et non fonctionnaire du Colonial Office,
porte, comme ses homologues européens, le titre de consul général.

S’il est une mission que le gouvernement britannique est d’emblée prêt à
assumer dans la durée, c’est la protection du canal de Suez. En 1882, elle a été
un argument de poids avancé par le courant interventionniste pour vaincre les
réticences de Gladstone à une intervention armée en Égypte. D’ailleurs, c’est à
Suez que débarque le principal corps expéditionnaire britannique en août 1882
et à l’est du Delta que la bataille décisive de Tall al-Kabîr est livrée en
septembre. Ferdinand de Lesseps a immédiatement protesté contre la présence
militaire anglaise dans l’isthme de Suez et s’est hautement indigné que la
Grande-Bretagne s’érige en protectrice du canal. Mais le président de la
Compagnie du canal est forcé de s’incliner. » (p.163-164)

« La scène politique est […] pratiquement vide de tout acteur nationaliste quand
Mustafâ Kâmil y fait son entrée, très jeune, vers 1890. » (p.203)

« Il professe l’existence d’une nation égyptienne qui veut prendre en main,


seule, son destin et dont l’ennemi est l’Angleterre, en tant que puissance
tutélaire. […]

1493
Ce sentiment profondément enraciné, qu’il s’agit d’exhumer, transcende les
différences de langue, de statut ou de religion. » (p.204)

« Pour faire pression sur la Grande-Bretagne, Mustafâ Kâmil n’envisage pas le


recours à la lutte armée. Il a tiré les leçons de l’expérience du colonel exilé. Il
lui semble en revanche important de chercher des appuis extérieurs, celui de
l’Empire ottoman ou celui de la France, susceptible de soutenir les Égyptiens
dans leur combat pour l’évacuation. En 1904, il constate, amèrement, qu’il n’est
plus possible d’attendre de l’aide de la France. […] « Monsieur Delcassé vient
de nous faire un mal énorme avec son accord anglo-français, l’engagement de
la France à ne jamais demander un délai pour l’évacuation est un
« enterrement » de la question d’Égypte et une condamnation de notre pays par
le vôtre. », écrit-il à Juliette Adam après la signature des accords franco-
britanniques mettant fin aux contentieux extra-européens des deux puissances et
procédant à un troc entre l’Égypte et le Maroc. Par cette Entente cordiale,
« souvenir le plus le plus pénible de mon règne », confesse le khédive ‘Abbas
Hilmi, la France s’engage à ne « pas entraver l’action de la Grande-Bretagne
en Égypte » tandis que l’Angleterre déclare qu’ « il appartient à la France de
veiller à la tranquillité » du Maroc. » (p.204-205)

« Cette nouvelle configuration internationale pousse le jeune avocat à


réorienter sa stratégie en direction de la population d’Égypte elle-même : il
s’agit de la mobiliser directement contre la présence britannique, à travers des
manifestations ou des grèves. L’espace politique doit être investi par les
Égyptiens eux-mêmes. Le journal al-Liwâ’, qu’il fonde au tournant du siècle,
devient vite un relais dans cette entreprise de mobilisation des esprits. On
estime à 10 000 exemplaires les tirages du quotidien nationaliste à ses plus
belles heures. » (p.205)

«Mustafâ Kâmil entretient longtemps des relations confiantes avec le khédive


Abbâs Hilmî. Entre les deux hommes, nés la même année, il existe une
convergence de vues et une véritable affinité. Après avoir constaté
l’impossibilité d’une confrontation directe avec les Anglais, le khédive s’est
résolu à agir indirectement et soutient en sous-main le mouvement
nationaliste. » (p.206)

« En 1892, Gladstone fait campagne pour la fin de l’occupation [de l’Égypte]


qu’il qualifie de « cause de faiblesse et source d’embarras ». […] Si Gladstone

1494
est resté hostile à toute politique impériale, les esprits ont changé en Grande-
Bretagne et le mouvement d’enthousiasme impérial a gagné toute la société
anglaise. » (p.180)

« L’Empire britannique s’habitue à regarder comme siennes les rives du Nil,


comme le confirme la reconquête du Soudan entreprise quelques années plus
tard. En septembre 1898, la grande bataille d’Omdurman oppose les forces
anglo-égyptiennes aux 40 000 hommes du khalîfa Abd Allâhî, successeur du
Mahdî. […] Le général Kitchener décime ses adversaires. » (p.181)

-Anne Claire de Gayffier-Bonneville, Histoire de l’Égypte moderne. L’éveil


d’une nation. XIXe-XXIe siècle, Flammarion, coll. Champ.histoire, 2016, 616
pages.

Robert Nivelle (1856-1924) : https://www.amazon.fr/Nivelle-linconnu-du-


Chemin-Dames/dp/2849521663

Numa Denis Fustel de Coulanges (1830-1889) : « L'historien avisé qu'était


Fustel [...] inclinait à [...] croire que les diverses formes du culte social -
religion du foyer, du clan, de la cité- aient suffi à épuiser la religiosité de
l'homme antique: M. Nilsson vient opportunément de souligner combien dès
l'époque archaïque, VII-VIe siècles, les courants extatiques de la religion
personnelle se sont toujours opposés avec force et vitalité aux formes de la
religion civique. » -Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique,
Éditions du Seuil, coll. Points, 1954, 318 pages, p.165.

« A l’encontre du déterminisme biologique qui domine l’anthropologie française


à son époque et séduit l’élite intellectuelle républicaine par son allure scientiste,
[Fustel] récuse les interprétations naturalistes de la famille. En affirmant que le
lien social a besoin pour exister de « quelque chose de plus puissant » que la
force des mécanismes naturels, il pose le principe d’une discontinuité entre le
monde naturel et le monde social qui rend aux sciences sociales leur autonomie
conceptuelle. […] La leçon a été retenue par Durkheim. Elle a été bien oubliée
par Seignobos. » (pp.92-93)

« Fernand Braudel considère Fustel de Coulanges comme l’un des grands


précurseurs de la longue durée. » (p.98)

-André Burguière, L’école des Annales. Une histoire intellectuelle, Odile Jacob,
2006, 366 pages.
1495
http://hydra.forumactif.org/t262-fustel-de-coulanges-la-cite-antique#525

Augustin Cochin (1876-1916) : « Le futur auteur de Paris et le désert français


[…] Gravier avait cité les travaux d’Augustin Cochin et Maurras saisit
l’occasion pour nous rappeler ses relations avec le grand chartiste qui avait
donné à l’Action française la primeur de ses premières études. » -François
Léger, Une jeunesse réactionnaire, Paris, Publiccation F. B., 1993, 183 pages,
p.109.

Paul Verlaine (1844-1896): "Une connaissance plus intime du personnage


Verlaine s'est ensuite affirmée grâce à la fréquentation de Moréas et Barrès,
tous deux amis de l'auteur de Sagesse. [...] En 1894, au temps de La Cocarde,
Barrès et Robert de Montesquiou ont constitué un comité pour fournir au poète
déchu une pension mensuelle, mais l'auteur du Culte du Moi lui vient
régulièrement en aide depuis 1882. En 1895, dans la Revue encyclopédique,
Maurras consacre au poète son article le plus développé, le plus précis et sans
doute le plus exact: "Verlaine, les époques de sa poésie". Il propose un portrait
comparé: "Ce n'est pas seulement par la perfection des rythmes que La Bonne
Chanson et les Fêtes galantes diffèrent des Fleurs du mal. La sincérité de
l'accent, la vérité du ton, des mots, des sentiments, l'absence de toute affectation
de cruauté, de toute grimace cruelle, voilà les grands points distinctifs." (p.148)
-Stéphane Giocanti, Maurras : le chaos et l'ordre, Paris, Flammarion, coll.
Grandes biographies, 2008 (2006 pour la première édition), 568 pages.

« Verlaine aura fait une vingtaine de séjours dans les hôpitaux et maisons de
convalescence. » -François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris,
Éditions La Découverte, 2005, 480 pages, p.343.

Stéphane Mallarmé (1842-1898) : "Il existe aujourd'hui une tradition


esthétique fondée par les Fleurs du Mal (et prolongée, magnifiée ensuite par
Mallarmé)." (p.19)

"Depuis environ vingt-cinq ans -après la période d'oubli relatif, de purgatoire,


qui commence assez généralement au lendemain de la mort des grands artistes
et qui précède leur entrée dans l'immortalité -l'étoile de Mallarmé n'a cessé de
monter au-dessus de l'horizon poétique. Son destin de poète pur, de clerc,
"exhibant volontiers son incompétence sur toute autre chose que l'absolu", son
héroïsme tempéré d'ironie, n'ont pas cessé de séduire les imaginations et son
œuvre, qu'on disait stérile, a porté des fruits.
1496
Au premier regard, ses poèmes révèlent une exceptionnelle maîtrise de l'écrivain
sur sa matière." (p.30)

-Marcel Raymond, De Baudelaire au surréalisme. Essai sur le mouvement


poétique contemporain, Paris, Éditions R. -A. Corrêa, 1933, 413 pages.

« « L’action restreinte » (1895) selon Mallarmé, celle de l’écriture poétique


dont les effets de sens s’adressent électivement selon le poète à l’aristocratie des
pairs, les esprits artistes. Il est vrai qu’en sa maturité le poète les transférera,
par voie d’un « nouveau théâtre », au « peuple souverain », ce en quoi
Mallarmé demeure sincèrement républicain et accomplirait selon Niezsche – s’il
l’avait lu et formulé un avis – la décadence reprochée à Baudelaire. » -André
Stanguennec, "Le matérialisme questionne Nietzsche : le tragique et
l’immoralisme impossibles ?", chapitre 3 in Le questionnement moral de
Nietzsche, Presses universitaires du Septentrion, 2005, 368 pages.

Guillaume Apollinaire (1880-1918) : "Il serait très injuste d'affirmer, comme le


faisait il y a quelques années l'auteur d'une Anthologie de la nouvelle poésie
française: "Verlaine représente une fin...". Songeons à tout ce que lui doit, par
exemple, un Guillaume Apollinaire." (p.29)
-Marcel Raymond, De Baudelaire au surréalisme. Essai sur le mouvement
poétique contemporain, Paris, Éditions R. -A. Corrêa, 1933, 413 pages.

Marcel Proust (1871-1922): "A côté de Léon Blum et de Jean Lorrain, Maurras
est aussi l'un des premiers soutiens de Marcel Proust, qu'il fréquente depuis
l'année précédente, dans le salon de Mme Arman de Caillavet [...] En juin 1896,
il reçoit son premier livre, Les Plaisirs et les Jours, dans son édition luxueuse
avec couverture glacée vert, chez Calmann-Lévy. Ébloui par les qualités
d'écriture étalées devant lui, Maurras constate l' "extrême diversité de talents"
de l'auteur." (p.149)
-Stéphane Giocanti, Maurras : le chaos et l'ordre, Paris, Flammarion, coll.
Grandes biographies, 2008 (2006 pour la première édition), 568 pages.

"Lire L'Action française, avait enseigné Marcel Proust, c'est "faire une cure
d'altitude mentale". » -Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-
1940), Gallimard, coll. Idées, 1974, 476 pages, p.238-239.

L’Affaire Dreyfus : "La personne d'Alfred Dreyfus est dépassé par les enjeux
idéologiques qui se greffent peu à peu sur son procès. De 1897 à 1906, la

1497
République va vivre une crise, une ivresse de la division montée sur le nouveau
pouvoir de la presse et de l'Opinion." (p.159)
-Stéphane Giocanti, Maurras : le chaos et l'ordre, Paris, Flammarion, coll.
Grandes biographies, 2008 (2006 pour la première édition), 568 pages.

« La redistribution des forces politiques provoquée par l'Affaire purge


progressivement le discours de la gauche de ce lexique antisémite, dont l'emploi
devient quasiment nul à partir de la rupture historique que fut le suicide du
colonel Henry (31 août 1898). » -Jean-Paul Honoré, "Le vocabulaire de
l'antisémitisme en France pendant l'affaire Dreyfus", Mots. Les langages du
politique, Année 1981, 2, pp. 73-92, p.79.

« Souvenons-nous, nous qui redessinons la carte du passé, de la violence avec


laquelle Anatole France le dreyfusien avait, dans un article haut en couleurs,
sabré Zola: Les Géorgiques de la crapule et avait souhaité "qu'il ne fût pas né",
que Drumont comme Zola avaient grandi à l'ombre de [Alphonse] Daudet
soupant de conserve chez madame Daudet, que Maurras, cinq ans durant, avait
servi de secrétaire à Anatole France et que celui-ci voterait pour lui à
l'Académie, après l'Affaire. » -Sarah Vajda, Maurice Barrès, Flammarion, coll.
Grandes Biographies, 2000, 434 pages, p.161.

Aristide Briand (1862-1932): « Comme moi […] il a été membre du parti


socialiste ; et comme moi, il a dû abandonner ce parti dès qu’il a pris contact
avec les réalités…Évidemment je ne suis pas allé aussi loin que lui ; mais les
circonstances ne furent pas les mêmes…l’Italie a connu des heures plus
difficiles que nous…en tout cas, nous sommes l’un et l’autre, des réalisateurs.
Nous nous entendrons très bien… » -Aristide Briand, à propos de Mussolini,
journal stéphanois du 23 décembre 1927.

« Un monstre de souplesse. » -Maurice Barrès, à propos d’Aristide Briand.

"Au-delà des principes, ce sont donc les détails de la loi qui font débat quand
s'ouvre, le 21 mars 1905, l'une des plus longues discussions parlementaires de
la Troisième République. Sont en effet déposés 320 amendements, "320 rochers
à travers lesquels il a fallu conduire la barque", dira Briand, qui tient la tribune
avec talent, tirant profit de l'important travail préparatoire mené avec une
équipe au sein de laquelle se distingue un jeune protestant, Louis Méjan.
Souvent cités, les débats font preuve d'une hauteur de vue et d'une éloquence qui
témoignent tant de l'importance des enjeux que de la maturité du régime.
1498
A droite et à gauche, deux minorités font bloc contre le projet. Pour les députés
de l'Action libérale populaire, Groussau en tête, la séparation est une "espèce
de persécution religieuse mieux organisée" et un "obstacle absolu à la
tranquillité du pays". Tout aussi déterminée, une frange de libres-penseurs se
réunit autour d'Édouard Vaillant et de Maurice Allard pour demander une
"vraie séparation", la substitution des fêtes civiques aux fêtes religieuses, la
remise des églises aux municipalités, qui en feront "des bibliothèques, des cours,
des œuvres sociales".
Les modérés débattent principalement de l'article 4, qui prévoit, sur la
suggestion de Francis de Pressensé et de Jean Jaurès, la mise en place
d'associations cultuelles auxquelles reviendront les biens du clergé et la
jouissance des lieux de culte. "Nous ne devons rien faire qui soit une atteinte à
la libre constitution de ces églises", estime Briand, à qui l'on reproche de
favoriser des schismes et de vouloir briser l'unité catholique. Les garanties qu'il
offre, avec l'appui de Jaurès, inquiètent les radicaux -Clemenceau et Pelletan
dénoncent "une loi qui consacre l'asservissement des fidèles au joug du pape
romain" -et rassurent les modérés et la droite catholique. "Il est de toute
nécessité que la presse catholique ne fasse pas état du succès obtenu, ce serait
de mauvaise politique", note le cardinal Merry del Val, habile stratège qui
s'inquiète en revanche de l'article 6, qui fait du Conseil d'Etat l'arbitre des
conflits à venir.
"Je n'ai pas reculé devant les concessions nécessaires", conclut Aristide Briand,
qui appelle chacun à reconnaître l'équilibre du compromis. De fait, l'abbé
Lemire vote contre sans cacher qu'il le fait "avec des arguments qui font qu'il
pourrait être pour" (sic)... Avec 341 voix contre 233, la majorité dépasse les
espérances. A son tour, le Sénat vote la loi, qui définitivement adoptée le 6
décembre 1905. Alors qu'apparaissent de nouveaux sujets d'inquiétude sur le
front international, la question religieuse semble apaisée." (p.276-278)
-Arnaud-Dominique Houte, Le triomphe de la République (1871-1914), La
France contemporaine vol. 4, Paris, Éditions du Seuil, coll. Points Histoire,
2014, 470 pages.

« De 1906 à 1932, Aristide Briand aura été vingt-cinq fois ministre. » -Henri
Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll. Idées,
1974, 476 pages.

1499
http://www.amazon.fr/Aristide-Briand-Gerard-
Unger/dp/2213623392/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1458834499&sr=1
-1&keywords=Gerard-Unger-Aristide-Briand

Edouard Drumont (1844-1917): « Ce sont des hommes pareils à nous que


ceux-là [les socialistes à la Benoît Malon], ils sont nés comme nous en terre
française ; ils ont été corrompus sans doute par l’atmosphère de calomnies et de
mensonges contre l’Église, créée par la bourgeoisie athée, mais ils ont gardé,
quand même, le fond humain, honnête, religieux même à leur insu, qu’avaient
mis en eux d’innombrables générations de paysans vivant, honnêtes et chrétiens,
dans des villages tranquilles, loin des manufactures et des usines
d’aujourd’hui. » -Édouard Drumont, La fin d’un monde, Paris, 1889, p.125.

« La publication en 1886 de La France juive de Drumont constitue un tournant.


[…] Grand succès de l’édition -100 000 exemplaires en 1914 […] Drumont
rend les juifs responsables du déclin national, réactive le thème du complot (« la
conquête juive ») et ajoute aux formes d’antisémitisme déjà notées un
antisémitisme racial. Hostile à la République laïque, il affirme que « le seul
auquel la Révolution ait profité est le Juif ». » -Michel Leymarie, De la Belle
Époque à la Grade Guerre. Le triomphe de la République (1893-1918), Librarie
Générale Française, coll. La France contemporaine, 1999, 379 pages, p.99.

« Les Européens d'Algérie ne se sont pas tenus à l'écart de la vie politique


française. Ils y interviennent même activement, notamment lors de l'affaire
Dreyfus qui leur donne le prétexte de mener une campagne antisémite forcenée
contre les Juifs algériens devenus citoyens français depuis 1870. C'est comme
député d'Alger qu'entre au Parlement en 1898 Édouard Drumont dont le livre
La France juive (1886), qui a déjà connu un énorme succès politique, redouble
encore d'influence durant l'affaire Dreyfus. » -Yves Lacoste, Vive la Nation.
Destin d'une idée géopolitique, Fayard, 1997, 339 pages, p.54.

« Edouard Drumont fait l’éloge des braves communards et multiplie les gestes à
l’égard des socialistes. » -Michel Winock, Rochefort : la Commune contre
Dreyfus, Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle (Cahiers Georges Sorel),
Année 1993, 11, pp. 82-86, p.85.

« L’œuvre de Drumont, complétée par les articles du quotidien La Libre Parole,


fait feu de tous les griefs antijuifs. Catholique, l'auteur reprend à son compte le
viel antijudaïsme médiéval contre le peuple déicide, l'anticapitalisme des
1500
socialistes et des légitimistes, y ajoutant les stéréotypes d'un racisme
nouvellement encouragé par les sciences biologiques et l'eugénisme. Le Juif est
ainsi repérable à un type physique ("nez recourbé, yeux clignotants, oreilles
saillantes", etc.), à sa bassesse morale, à sa rapacité, et à sa haine du chrétien
qui se manifeste, entre autres, par les meurtres rituels. Autant que
l'antichristianisme, le Juif incarne le capitalisme. Et Drumont de tenter un
rapprochement avec les socialistes en plein essor, faisant l'éloge de Benoît
Malon, "homme du peuple tel qu'il est sorti de la vieille terre française", de
Jules Guesde, "homme d'exceptionnel mérite", et l'apologie de la majorité des
communards, braves types trompés par la bourgeoisie bohème et par les Juifs.
[...]
Il est vrai que l'antisémitisme d'origine socialiste n'avait pas désarmé depuis
Fourier, Toussenel et Proudhon. Albert Regnard, collaborateur de la Revue
socialiste, rend hommage à Drumont dans son ouvrage Aryens et Sémites, en
1890. » (p.115)

"Drumont n'a pas toujours été compris des siens. Les conservateurs pressentis
se sont bien vite effarouchés du caractère social que prenait son antisémitisme:
son anticapitalisme juif risquait d'atteindre au rebond les bastions du
capitalisme catholique. Ils surent finalement trouver leur compte à l'épouvantail
sémitique, lors de l'affaire Dreyfus, tout en se riant des rêveries socialisantes de
Drumont. [...]
Dès lors qu'on désigne aux yeux des foules indigentes, aux petits commerçants
et aux artisans victimes de l'évolution économique, aux ouvriers exploités et aux
paysans contraints à l'exode rural, les Juifs responsables de tous leurs maux, on
offre une arme inestimable à la conservation sociale qui, forte de son contrôle
sur la presse, va orchestrer le développement du mythe à son propre usage. Les
conflits de classes s'envolent: il ne reste plus qu'une minorité de profiteurs juifs
écrasant l'immense majorité de leurs victimes aryennes et catholiques." (p.160)

"Il n'est pas exagéré de dire [...] que son expérience et ses idées ont été une des
sources françaises du national-socialisme." (p.162)

-Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions


du Seuil, coll. Points Histoire, 2014, 506 pages.

1501
http://www.amazon.fr/Edouard-Drumont-Gr%C3%A9goire-
KAUFFMANN/dp/2262023999/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1458834
467&sr=1-1&keywords=Gregoire-Kauffmann-Edouard-Drumont

Paul Déroulède (1846-1912) : « C’est en 1886, à Buzenval, au milieu des


drapeaux rouges criminellement déployés sur la tombe de nos soldats, et cela en
présence et avec l’approbation de certains députés, que j’ai compris pour la
première fois dans quel état d’anarchie nous étions tombés et que, pour la
première fois, j’ai déclaré qu’avant de libérer l’Alsace et la Lorraine, il fallait
libérer la France. » -Paul Déroulède, Qui vive ? France ! « Quand même »,
Notes et discours 1883-1910, 1910, p.254.

« La gloire que, durant ce même quart de siècle, connut Paul Déroulède se


légitime mieux, et fait partie du climat des années quatre-vingts. Il figura la
poésie patriotique parce qu’on le connaissait comme le poète patriote, et que les
Chants du Soldat étaient les chants d’un soldat courageux dont on savait les
sacrifices tangibles à la patrie. Ils puisaient leur prestige dans une destinée
voulue, consacrée tout entière à l’entretien du patriotisme et à un service aussi
militaire que pouvait le fournir un officier devenu civil par accident physique.
Ils étaient gauches, oratoires, étrangers aux coupes et aux artifices parnassiens,
mais leur allant, leur pas de chasseur à pied, leur sincérité, leur appel direct
aux sentiments de tous, leur valurent une diffusion immense. Les écoliers les
apprenaient, et en 1914 ils habitaient encore la mémoire de milliers de
territoriaux. Écrits pour former la génération de la revanche, ils ne prétendaient
pas lui survivre, ils n’ont même pas survécu, comme livre, à l’affaire Dreyfus,
qui limita à un parti politique l’influence de Déroulède. » -Albert Thibaudet, Les
Romantiques et les Parnassiens de 1870 à 1914, La Revue de Paris, 1933,
p.842.

« L’un des principaux représentants, par le renom et la longévité, du


nationalisme français entre 1871 et 1914, Paul Déroulède. » -Bertrand Joly,
« Déroulède et l’Angleterre », in Philippe Vervaecke (dir.), À droite de la droite,
Droites radicales en France et en Grande-Bretagne au xxe siècle, Presses
universitaires du Septentrion, Collection « Espaces Politiques », 2012, p. 41-57.

« En septembre 1889, il est élu député en Charente, en même temps que


quelques dizaines d'autres révisionnistes, dont Barrès à Nancy.[...] Le scandale
de Panama lui donne l’occasion de prononcer un violent réquisitoire contre

1502
Clemenceau [...] qu'il accuse d'avoir reçu pour son journal La Justice 400 000
francs de Cornelius Herz, présenté à la fois comme un financier véreux et
comme un espion allemand. [...] Clemenceau se défend et accuse Déroulède de
mensonge. La querelle est vidée par un inévitable duel, à Saint-Ouen, le 22
décembre 1892: on échangea six balles en vain. L'accusation était sans preuves,
mais Clemenceau en perdit son siège à la Chambre aux élections de 1893. »
(p.362)
-Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions
du Seuil, coll. Points Histoire, 2014, 506 pages.

« Paul Déroulède, le 23 février 1899, à l’occasion des funérailles du président


Félix Faure, avait tenté d'entraîner le général Roger à marcher sur l'Élysée.
Malgré son acquittement par le jury de la Seine, Déroulède, de nouveau arrêté,
est condamné par la Haute Cour à dix ans de bannissement. » -Michel Winock,
Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions du Seuil, coll.
Points Histoire, 2014, 506 pages, note 2 p.18.

« L’échec transforme les dreyfusards en remparts de la légalité et fait d’eux des


conservateurs, ce qui leur assure l’appui de la majorité rurale du pays.
Désormais, les nationalistes représentent l’aventure et la violence, et tout
l’appareil de l’Etat va se retourner contre eux. » -Bertrand Joly, Déroulède.
L’inventeur du nationalisme, Perrin, 1998, p.293.

« On ne peut confondre ce rejet catégorique avec les vues des partisans d’un
régime présidentiel plus ou moins inspiré des États-Unis, réclamant l’élection
du président de la République au suffrage universel et des ministres pris hors du
Parlement et responsables seulement devant le chef de l’État. Déroulède appelle
ce modèle la République plébiscitaire, sans réaliser que cette titulature
malencontreuse donne à son projet un aspect césarien propre à le rendre
inaudible, alors qu’il propose en réalité un système qu’on qualifiera plus
justement de « pré-gaullien ». Il est d’ailleurs suggestif de constater combien ce
terme de République plébiscitaire passe mal chez les nationalistes, y compris
dans les rangs les plus fidèles de la Ligue des patriotes. Déroulède ne songe
nullement à supprimer le Parlement et son droit de contrôle et il déclare à
plusieurs reprises son rejet de toute dictature, mais il veut relever l’exécutif et
rééquilibrer les rapports entre les deux pouvoirs par des voies qui heurtent toute
la culture politique de son temps, puisque pour la quasi-totalité des Français,
décembre 1848 conduit forcément à décembre 1851. »
1503
« Le projet de république présidentielle défendu par Déroulède inspire à ce
dernier force diatribes contre le régime de 1875, imposé, dit-il, à la France par
Bismarck pour l’affaiblir à l’intérieur et l’isoler à l’extérieur, mais la virulence
de la forme dissimule un fond relativement modéré. En 1890, le tribun lance à la
Chambre ces propos en totale contradiction avec la culture politique du temps :
« Il y a plusieurs formes de République ; vous n’êtes pas la République, vous
êtes une République, la République parlementaire », et il ajoute : « Certes, sous
cette forme que je combats, elle a rendu des services au pays, je ne le conteste
pas. ». À l’apogée du boulangisme et au moment où tous ses alliés célébraient
déjà la mort prochaine du parlementarisme, il avait même déclaré : « Nous ne
voulons pas l’abolition du parlementarisme, mas sa réglementation. » On
perçoit ainsi toute la contradiction de sa démarche, juxtaposant fins modérées et
moyens violents : Déroulède prône un régime proche de ce que sera la Ve
République mais est prêt à recourir à la force pour l’imposer, alors que
plusieurs de ses ligueurs ont l’attitude inverse et ne répugneraient sans doute
pas à un régime à poigne, mais n’entendent prendre aucun risque pour
l’obtenir.
Déroulède n’a jamais approfondi sérieusement ses conceptions ni rédigé le
moindre projet de constitution. Il s’est borné à résumer ses idées en 1901 dans
un tract intitulé La République du peuple, pour et par le peuple, très
abondamment diffusé, qui mélange la constitution de 1848 et celle des États-
Unis. Mais, quelles que soient l’imprécision du schéma et ses variations (par
exemple sur le Sénat, à supprimer puis à maintenir), Déroulède est le seul
meneur nationaliste à tenter de dépasser la simple imprécation contre le
Parlement, parce qu’il sait que l’on ne détruit que ce que l’on remplace. Il
propose une alternative que l’avenir jugera crédible mais que ses
contemporains ne comprennent absolument pas, y compris ses propres alliés qui
accueillent ces idées avec indifférence voire mépris et s’effarouchent du mot
plébiscite. » -Bertrand Joly, « L'antiparlementarisme des nationalistes
antidreyfusards », Parlement[s], Revue d'histoire politique, 2013/3 (n° HS 9), p.
59-71.

"On estime généralement que le rôle politique de Déroulède et de sa ligue


s’arrête en 1899, brisé net par la répression policière et judiciaire du
gouvernement de défense républicaine, et qu’il en est de même pour l’ensemble
du nationalisme antidreyfusard, définitivement battu aux législatives de 1902 et
presque aussitôt dispersé. Cette vision traditionnelle, globalement fondée, ne
1504
permet toutefois pas d’expliquer pourquoi, à la veille de la guerre, ce sont deux
membres de la Ligue des patriotes qui président le Conseil municipal de Paris et
le Conseil général de la Seine, avec le soutien d’une partie de l’ancienne
majorité dreyfusarde."

"La coalition antidreyfusarde est extrêmement hétérogène, voire hétéroclite [...]


les affrontements en son sein sont permanents et par conséquent [...] les
rapports de force internes y ont beaucoup évolué depuis 1897. Or, l’élimination
des activistes à l’été 1899 donne soudain la direction du mouvement nationaliste
à la Ligue de la patrie française, c’est-à-dire, pour simplifier, aux éléments les
plus modérés, qui ne s’y attendaient pas, n’y sont pas préparés et ne seront
guère à la hauteur de leur tâche. Confortés par la victoire aux municipales de
Paris (mai 1900), ils vont mener l’opposition jusqu’en 1902, en occupant une
position intermédiaire entre ses diverses composantes qui se détestent et en
nouant de discrets contacts avec les amis de Méline : il leur faut impérativement
être crédibles et rassurer les électeurs, ce qui implique la marginalisation des
éléments les plus excités et explique notamment la liquidation énergique des
groupes antisémites en 1901 (Ligue antisémitique de Guérin et Jeunesse
antisémitique de Dubuc). Dans cet ensemble discordant, la Ligue des patriotes,
rendue suspecte par ses velléités séditieuses et affaiblie par l’exil de son chef, a
beaucoup de difficultés à exercer une influence quelconque et va longtemps
rester très discrète."

"Tel est le cadre général, peu favorable, dans lequel Déroulède, en exil à Saint-
Sébastien, va tenter de poursuivre son combat. Or, il a fort peu d’atouts dans
son jeu, beaucoup moins encore qu’il ne se l’imagine, et il va lui falloir près de
trois ans pour l’admettre. En effet, aux difficultés évidentes liées à
l’éloignement, s’ajoutent deux handicaps insurmontables : le premier est la
situation de sa ligue, dont les effectifs et les moyens financiers baissent
dangereusement ; le second est Déroulède lui-même dont les conceptions
politiques déplaisent souverainement à ses alliés. Ce qu’il appelle bien
malencontreusement la « République plébiscitaire », c’est-à-dire une
République dont le président, élu au suffrage universel, exercerait l’essentiel du
pouvoir exécutif, évoque beaucoup trop l’Empire pour convaincre, et les
ligueurs eux-mêmes, malgré leur grande fidélité à leur chef, refusent
catégoriquement de faire campagne sur un programme aussi impopulaire ; en
outre, Déroulède représente l’agitation au moment où l’opposition se vante
1505
d’incarner l’ordre ; enfin il refuse les nécessités du combat unitaire, c’est-à-dire
l’alliance avec les monarchistes et les parlementaires mélinistes d’une part, les
principaux thèmes nationalistes (antisémitisme, antiprotestantisme,
anglophobie) de l’autre, au nom d’une orthodoxie républicaine jugée
intempestive par ses alliés."

"La défaite modifie considérablement la situation à droite en rompant l’unité


d’ailleurs fragile de l’opposition, en condamnant les anciens mouvements
antidreyfusards et en lançant le signal d’un lent et profond travail de
reclassement qui va se poursuivre pendant plusieurs années. Comme de
nouveaux partis ou ligues se créent ou émergent, il va peu à peu apparaître que
les vaincus de 1902 ont à choisir entre trois orientations, s’ils veulent
politiquement survivre :

– L’Action française représente à la fois le maintien d’une opposition absolue


au régime et en même temps un approfondissement de cette opposition, tant
dans la doctrine que par la pratique, résolument factieuse et anti-électoraliste,
au moins en paroles. Elle présente toutefois l’inconvénient d’être royaliste, ce
qui peut heurter le républicanisme des derniers héritiers du boulangisme, et son
implantation médiocre dans les premières années du siècle n’en fait pas un
candidat encore très crédible au pouvoir.

– L’Action libérale populaire incarne le Ralliement, donc une opposition


modérée au régime, et paraît alors avoir plus d’avenir. Gérée avec un sérieux
qui tranche sur les habitudes des ligues, elle a des principes, des moyens
financiers et bientôt des effectifs importants, mais elle est trop cléricale et la
question religieuse qui se rouvre la rejette forcément dans une opposition plus
tranchée qu’elle ne le souhaitait au départ.

– Restent les Républicains modérés hostiles au Bloc des gauches, ceux qui vont
former la Fédération républicaine en 1903. Ils ont, pour bien des nationalistes,
le défaut de rester fidèles au parlementarisme et eux-mêmes se méfient des
aventuriers de l’opposition, mais ils constituent l’unique voie pour cette partie
du nationalisme qui reste malgré tout attachée à la République.

Il ne faut pas s’y tromper : cette apparente clarté du choix à faire est très
largement rétrospective. Aux yeux des contemporains, la situation ne se décante
que progressivement, au rythme des défaites électorales successives et de divers

1506
incidents que l’on va décrire, ce qui explique les hésitations bien visibles des
années 1902-1904 (voire 1906) et aggravées encore par la question religieuse."

"Les derniers revers du nationalisme en 1904 vont confirmer que l’action


purement politique est une impasse dont il faut sortir. Aux municipales
parisiennes de 1904, la coalition nationaliste perd la majorité, ce qui donne le
coup de grâce à la Ligue de la patrie française et aux derniers antisémites.
Cette défaite consacre la domination des modérés sur la coalition
antiministérielle, décourage les éléments actifs qui rejoignent l’Action française
et montre aux derniers nationalistes l’urgence d’un reclassement ; elle prouve
aussi que seuls survivent les élus qui savent se modérer et, en mordant vers le
centre, réunir un électorat plus large que le vote protestataire de 1900."

"Dès 1903, Déroulède songe à revenir à la ligue de 1882, c’est-à-dire à une


action plus patriotique que politique. Au cours des mois qui suivent et alors
qu’il renonce (amnistie oblige) à tout projet d’agitation, il commence à
entrevoir la possibilité d’une nouvelle alliance avec les modérés qui l’avaient
aidé jadis à fonder sa ligue, au moment où l’aile droite du Bloc des gauches
donne des signes de lassitude. L’affaire Delsor et quelques indices
supplémentaires (comme la campagne contre Pelletan, l’évolution socialiste et
l’affaire des fiches) confirment ces vues : une faille existe du côté des
progressistes et de certains radicaux, prémices d’une éventuelle recomposition
politique. L’ennemi, ce n’est plus le bloc indistinct des dreyfusards mais son aile
gauche seule, et la bête noire, ce n’est plus Waldeck ou même Combes, mais
Jaurès que le Drapeau, organe (peu lu) de la ligue, poursuit d’une haine
frénétique. Il faut par conséquent tirer un trait sur le passé, cesser une
opposition manifestement stérile, tendre la main à d’anciens ennemis et livrer
bataille sur les questions patriotiques. On résume là un tournant lent et peu
visible, en germe depuis 1902 et encore inachevé à la fin de l’exil, mais on peut
admettre de façon plausible que les grandes lignes de la nouvelle orientation se
mettent en place à la fin de l’hiver 1903-1904. Un incident symbolise bien cette
évolution : apprenant la mort de Waldeck-Rousseau, Déroulède envoie à sa
veuve, le 11 août 1904, un télégramme de condoléances rendant un hommage
appuyé au défunt et évoquant leurs « premières et cordiales relations chez
Gambetta » : rappel des vieilles solidarités gambettistes et politique de la main
tendue, qui provoque stupéfaction et indignation dans son propre camp.

1507
Cette nouvelle stratégie réclame forcément diverses concessions de la part de
Déroulède et des siens. La plus douloureuse pour l’exilé est l’abandon de son
cher plébiscite, nom qu’il donnait imprudemment à l’élection du président de la
République au suffrage universel ; il cesse d’y faire constamment allusion dans
ses interventions puis, en 1906, le radiera officiellement de son programme . Les
autres sacrifices semblent plus légers : modération dans l’affaire des fiches,
refus de toute intervention dans l’agitation religieuse, rappel des troupes à
l’orthodoxie républicaine (cela vise l’Action française, mais aussi l’Action
libérale), vote par quatre députés nationalistes de la loi de Séparation , plus
tard acceptation sans réserve de la conclusion donnée à l’affaire Dreyfus. En
décembre 1904, le duel assez ridicule avec Jaurès désigne l’unique ennemi à
combattre désormais : l’extrême gauche antimilitariste et pacifiste, ceux que
l’on appelle globalement les « sans-patrie ».

Déjà très affaiblie, la Ligue des patriotes commence par maugréer face à un
changement aussi radical puis, dans l’ensemble, finit par se soumettre, Henri
Galli, qui a remplacé Déroulède pendant l’exil, jouant d’ailleurs un grand rôle
dans le rapprochement avec les modérés à l’Hôtel de ville. Il est évident que les
élus de la ligue, qui ont impérieusement besoin des voix du centre, poussent
vivement dans le même sens. Le prix à payer est forcément le départ des
éléments les plus offensifs, déçus par la nouvelle ligne du mouvement qui se
transforme lentement en cercle de notables parisiens."

« Insensiblement, il se rapproche du pouvoir que l’éloignement socialiste


déporte à droite, et la ligue soutient désormais Barthou, Briand, Doumer,
Millerand, Viviani et même Clemenceau, en plaçant de grands espoirs en
Poincaré. [...] En 1913, les ligueurs appartiendront sans réserves à la majorité
poincariste et Galli, nouvel élu du ive arrondissement, s’inscrira au groupe
parlementaire progressiste. » -Bertrand Joly, « L'évolution de Paul Déroulède et
de la Ligue des patriotes (1900-1913) », Mil neuf cent. Revue d'histoire
intellectuelle, 2001/1 (n° 19), p. 109-117.

« Paul Déroulède, poète médiocre et politicien don-quichottesque qui, de défaite


en défaite, s'était haussé jusqu'au rang d'incarnation du patriotisme revanchard,
mourait à Nice le 30 janvier 1914. Cent mille personnes suivirent sa dépouille
mortelle, le 3 février suivant, de la gare de Lyon jusqu'à Saint-Augustin, et
quand, sur la place de la Concorde, le cortège fit halte devant la statue de
Strasbourg drapée de deuil, il ne fut pas besoin d'un Camelot pour diriger le cri
1508
spontané de "Vive la France" qui déferla sur la place et les grandes avenues. »
-Eugen Weber, L'Action française, Fayard, coll. Pluriel, 1985 (1962 pour la
première édition états-unienne), 685 pages, p.107.

http://www.amazon.fr/D%C3%A9roul%C3%A8de-linventeur-du-nationalisme-
fran%C3%A7ais/dp/2262013314

Antoine Blanc de Saint-Bonnet (1815-1880) :


http://hydra.forumactif.org/t3743-antoine-blanc-de-saint-bonnet#4585

Frédéric Le Play (1806-1882): « Toute la pensée de La Tour du Pin est chez Le


Play, comme l'essentiel de la doctrine de décentralisation du royalisme provient
de lui. » -François Huguenin, L'Action française. Une histoire intellectuelle,
Perrin, coll. Tempus, 2011 (1998 pour la première édition), 686 pages, p.89.

https://www.amazon.fr/m%C3%A9thode-sociale-Fr%C3%A9d%C3%A9ric-
Play/dp/2865632288/ref=sr_1_7?s=books&ie=UTF8&qid=1509896093&sr=1-
7&keywords=Fr%C3%A9d%C3%A9ric+Le+Playf

https://www.amazon.fr/Fr%C3%A9d%C3%A9ric-Play-Parcours-audience-
h%C3%A9ritage/dp/291176286X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=150989
3190&sr=1-
1&keywords=Fabien+Cardoni+et+Antoine+Savoye%2C+Fr%C3%A9d%C3%A
9ric+Le+Play

René de La Tour du Pin (1834-1924) : « Le maître de M. Maurras en


économie sociale -il aime à le répéter- est M. le marquis de la Tour du Pin La
Charce. » -Georges Guy-Grand, Le procès de la démocratie, Paris, Librairie
Armand Colin, 1911, p.96.

« La Tour du Pin restait royaliste et, en 1905, adhérait à l'Action Française. » -


Eugen Weber, L'Action française, Fayard, coll. Pluriel, 1985 (1962 pour la
première édition états-unienne), 685 pages, p.87.

« Les solutions préconisées par La Tour du Pin dépassent le « paternalisme » et


demandent l’intervention de l’Etat et la fixation d’un revenu minimal. » -Jacques
Prévotat, « La culture politique traditionaliste », chapitre 2 in Serge Bernstein
(dir.), Les cultures politiques en France, Seuil, coll. « Points Histoire », 2003
(1999 pour la première édition), 440 pages, pp.38-72, p.56.

http://hydra.forumactif.org/t3744-rene-de-la-tour-du-pin#4586
1509
https://www.amazon.fr/Tour-Pin-son-
temps/dp/2916727329/ref=sr_1_fkmr0_1?s=books&ie=UTF8&qid=150980438
4&sr=1-1-
fkmr0&keywords=ntoine+Murat%2C+La+Tour+du+Pin+en+son+temps

Albert de Mun (1841-1914) : « Au lendemain des élections de 1885, le parti


[conservateur] est d'abord ébranlé par le projet, défendu par l'un de ses
principaux dirigeants, Albert de Mun, d'organiser un grand parti catholique sur
le modèle allemand, visant à dépasser les conservateurs en mettant de côté la
dimension patriotique, et notamment la question du régime. Quelques mois plus
tard, en novembre 1886, c'est un député de l'Union conservatrice, Raoul Duval,
qui se rallie à la république et exhorte ses amis [à] le suivre. En 1889, le
catholique social Jacques Piou lance de son côté l'idée d'une droite républicaine
ayant un but "essentiellement conservateur au point de vue social religieux".
Enfin, le ralliement à la république, explicitement prôné par le pape Léon XIII
dans son encyclique Au milieu des sollicitudes (1892) se soldera sur ce plan par
un désastre sans appel: loin de renforcer le conservatisme en
l'institutionnalisant, le ralliement contribuera à l'explosion du camp
conservateur. » -Frédéric Rouvillois, Olivier Dard, Christophe Boutin, Le
dictionnaire du conservatisme, Les Éditions du Cerf, 2017.

« Qui sont ces rares revanchards ? A droite, dans les rangs conservateurs,
Albert de Mun paraît être le seul à vouloir vraiment la guerre, avec une
impatience accrue par les années. » -Bertrand Joly, La France et la Revanche
(1871-1914), Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, Année 1999, 46-2,
pp. 325-347, p.340.

Henri Lichtenberger (1864-1941) : « Beaucoup de motifs d’ordre assez peu


relevé ont pu contribuer au succès actuel de Nietzsche. L’arrivisme burtal…, le
dilettantisme esthétique prêt… à sacrifier de vagues humanités à un beau geste,
l’aristocratique orgueil de caste qui dénie hautainement à la foule le droit à la
culture et au bonheur, l’anarchisme littéraire et la « décadence » moderne ont
pu, à des titres divers, se réclamer de Nietzsche. » -Henri Lichtenberger,
« Nietzsche » in Études sur la philosophie morale au XIXe siècle, ed. G. Belot
(Paris, 1904), p.243.

« Le professeur de littérature allemande Henri Lichtenberger a enseigné en


Sorbonne un cours sur Nietzsche d’une année (1902-1903), et son livre La

1510
Philosophie de Nietzsche, publié pour la première en 1898, en était à sa
neuvième édition en 1905. » - Patrice Maniglier (dir.), Le moment philosophique
des années 1960 en France, PUF, Paris, 2015.

« Les contacts entre Henri Lichtenberger et Elisabeth Förster-Nietzsche


remontaient à 1898. Leur correspondance révèle [...] que cette amitié se fondait
sur des options politiques communes antidreyfusardes et conservatrices. Malgré
les bonnes paroles qu'il répand à propos de Charles Andler, Lichtenberger ne
fera pour faciliter l'accès des Archives Nietzsche à son futur collègue et rival en
matières d'études nietzschéennes [...]
Lichtenberger (1864-1941), avait, en 1907 dans L'Allemagne moderne, dénoncé
l'impérialisme du Reich. En 1915, il exigeait la restitution sans conditions de
l'Alsace-Lorraine, dans une brochure cosignée par son frère André
Lichtenberger, La guerre européenne et la question de l'Alsace-Lorraine. En
1918, il publiait, en collaboration avec Paul Petit, L'impérialisme économique
allemand. Mais, dans les années 20, Lichtenberger était devenu un actif partisan
du rapprochement franco-allemand. Il ne changea pas de ligne après 1933. Son
livre de 1936, L'Allemagne nouvelle, malgré les réserves, est dans l'ensemble un
témoignage d'admiration pour le régime national-socialiste. Par la suite,
Lichtenberger se retrouve à proximité des milieux "germanophiles" qui
choisissent la Collaboration après la défaite française de 1940. » -Jacques le
Ridier, Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle au temps présent, PUF,
1999 (première version en allemand, 1997), 279 pages, p.40-41.

http://hydra.forumactif.org/t4482-henri-lichtenberger-la-philosophie-de-
nietzsche#5382

Gabriel Monod (1844-1912) : « On s’est trop habitué en histoire à s’attacher


surtout aux manifestations brillantes, retentissantes et éphémères de l’activité
humaine, grands événements ou grands hommes, au lieu d’insister sur les
grands et lents mouvements des institutions, des conditions économiques et
sociales » -Gabriel Monod, Revue historique, 7-8/1896, p. 325.

« Un grand professeur issu de l’une des plus prestigieuses familles du


protestantisme français: Gabriel Monod. Ce dernier est né en 1844 de mère
alsacienne. Il a participé comme ambulancier aux opérations de l’armée de la
Loire, pendant la guerre de 1870. Il a été maître de conférences à l’Ecole
Normale Supérieure (1880-1904) et directeur d’études à l’Ecole Pratique des

1511
Hautes Etudes (1868-1905), spécialiste de l’histoire des Carolingiens et des
Mérovingiens, Président de la IVième section, et à partir de 1897 membre de
l’Académie des sciences morales et politiques. Il fut l’un des premiers
intellectuels à soutenir l’action de Bernard Lazare en faveur du capitaine
Dreyfus, et fut aussi le cofondateur de la Ligue des Droits de l’homme. Il
soutiendra les Cahiers de Charles Péguy, auxquels il est abonné dès le début. Il
remplissait donc tous les critères pour que Maurras s’acharne sur lui, à partir
de 1897, avec injustice et une terrible violence. » (p.199)

« Le compte rendu de Schopenhauer éducateur, publié dans la Revue critique


d'histoire et de littérature, est attribué à Gabriel Monod. Nietzsche sera furieux
de ce compte rendu, à vrai dire très réservé, où, dit-il à son éditeur, il voit
l'oeuvre d'un garçon de café français plutôt que celle d'un savant. Mais cette
mauvaise expérience n'empêchera pas Nietzsche d'envoyer régulièrement ses
oeuvres à Monod, dont il connaît le rayonnement universitaire. Rêvant de se
faire connaître en France, il attendra certainement trop de Gabriel Monod:
celui-ci, historien, aurait-il eu les moyens de faire éditer Nietzsche à Paris ? Il
reste que c'est Monod qui mettra Nietzsche en relation épistolaire avec Taine. Et
surtout, c'est à Gabriel Monod que revient le mérite d'avoir incité plusieurs
normaliens à s'intéresser à Nietzsche: Romain Rolland, nous le verrons, mais
aussi Charles Andler. Daniel Halévy, lui aussi, fut encouragé par Gabriel
Monod. [...]
Gabriel Monod (1844-1912) avait consulté Taine sur ses orientations
intellectuelles et c'est Taine, en 1864, qui l'avait encouragé à entreprendre un
séjour universitaire en Allemagne pour compléter sa formation. Fondateur de la
Revue historique en 1876, enseignant à l'École pratique des hautes études et à
l'École normale supérieure, élu à l'Académie des sciences morales et politiques
en 1896, Gabriel Monod joua un rôle de premier plan dans l'affaire Dreyfus,
aux côtés du parti dreyfusard de l'École normale supérieure. Cible de Maurras
qui parlait de l' "Etat Monod", il déposa en janvier 1899 devant la chambre
criminelle de la Chambre de cassation. » -Jacques le Ridier, Nietzsche en
France, de la fin du XIXe siècle au temps présent, PUF, 1999 (première version
en allemand, 1997), 279 pages, p.46-47.

Henri Albert (1869-1921): “[Henri] Albert conceived [...] Nietzsche as a


socialist whose ideas would liberate the proletariat from its chains.” -
Christopher E. Forth, Nietzsche, Decadence, and Regeneration in France, 1891-

1512
95, Journal of the History of Ideas, Vol. 54, No. 1 (Jan., 1993), pp. 97-117,
p.115.

"Henri Albert fut jusqu'à la Première Guerre mondiale le fidèle serviteur des
Archives Nietzsche en France: non seulement comme traducteur, mais aussi
comme journaliste influent dans la grande presse parisienne. [...] Le 13 mars
1896, il se plaint d'avoir à corriger chaque ligne de l' "exécrable traduction" de
Par-delà le bien et le mal par L. Weiscopf et G. Art.
Le 18 janvier 1897, il écrit à Fritz Koegel pour déplorer que la Revue blanche
se soit permis de publier un choix "inepte" de fragments de Nietzsche [...]
Attaque contre [la] traduction de Daniel Halévy et Robert Dreyfus [...] En 1909,
il dira dans ses lettres à Elisabeth Förster-Nietzsche le plus grand mal de La vie
de Frédéric Nietzsche publiée par Daniel Halévy." (p.52-53)

"Le 3 mai 1899, Henri Albert écrit à Naumann qu'on n'a encore vendu que 214
exemplaires de Zarathoustra et 155 de Par-delà le bien et le mal. Par la suite, il
insistera fréquemment sur le fait que les traductions de Nietzsche sont des
succès commerciaux fort inégaux. Ainsi, le 12 avril 1910, il déplore qu'on n'ait
pu vendre en deux ans que 1500 exemplaires du premier volume des
Considérations inactuelles. [...]
Le 20 janvier 1911, il écrira encore à Elisabeth Förster que le Zarathoustra est
le seul titre qui se vende très bien, mais par exemple Ecce homo, paru trois ans
plus tôt, ne s'est pas encore vendu qu'à moins de 2000 exemplaires." (p.54-55)

"Henri Albert (pseudonyme d'Henri-Albert Haug, 1865-1921) est originaire


d'une famille alsacienne. Il a suivi une formation de libraire à Strasbourg, avant
de devenir journaliste à Paris, au Journal des débats, dont il restera
collaborateur pendant vingt ans, tout en contribuant au Messager d'Alsace et de
Lorraine (gazette des Alsaciens et des Lorrains de Paris). Bilingue, mais ardent
patriote français, Henri Albert est un germaniste hostile à l'influence allemande
en France: son article sur "La force française en Alsace" dans la Renaissance
latine de 1903 critique la politique allemande de "germanisation" des territoires
annexés en 1871. [...]
En 1896, Henri Albert fonda la luxueuse revue trimestrielle Le Centaure (deux
numéros, en mars 1896 et en décembre 1896) à laquelle collaborèrent J.-É.
Blanche, Gide, Pierre Louÿs, Jean de Tinan, Valéry, etc." (p.59-60)

1513
"Depuis 1914, Henri Albert était devenu un nationaliste germanophobe, proche
des positions de Maurice Barrès." (p.63)

"Les premiers présentateurs de Nietzsche en France mettent en valeur les


attaques du philosophe contre la culture allemande contemporaine et contre le
Reich. En janvier 1893, Henri Albert écrit dans le Mercure de France: "[A
propos de la première Inactuelle] Quoi ! La civilisation allemande aurait-elle
vaincu la culture française ? Non, répond Nietzsche"." (p.64)

"Henri Albert est antidreyfusard par antigermanisme ; il cède parfois à


l'antisémitisme par antimodernisme et par hostilité à la démocratie." (p.65)

"En 1915, Henri Albert prendra la parole dans L'opinion pour défendre
Nietzsche contre les Français germanophobes, mais aussi contre les Allemands
eux-mêmes." (p.66)

-Jacques le Ridier, Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle au temps


présent, PUF, 1999 (première version en allemand, 1997), 279 pages.

Remy de Gourmont (1858-1915) : "En novembre 1889, Alfred Vallette, mécène


du symbolisme, qui avait édité de 1886 à 1889 la revue La Pléiade, fonde la
"Série moderne" du Mercure de France. L'entreprise connaît bientôt le succès.
La revue devient bihebdomadaire à partir de 1905. C'est Henri Albert qui tient
la rubrique "Lettres allemandes". Remy de Gourmont, directeur de la revue,
s'est rendu célèbre en avril 1891 par un article retentissant qui minimisait
l'importance de l'Alsace-Lorraine et affirmait la volonté d'un rapprochement
culturel franco-allemand." (p.57)

"Parmi les autres collaborateurs du Mercure intéressés par les questions


allemandes, il faut mentionner Paul Gérardy et Pierre Lasserre." (p.58)

"Un des auteurs-vedettes du Mercure de France, Remy de Gourmont, est lui


aussi antidreyfusard: "Au moment où les esclaves tentaient contre la civilisation
leur effort périodique et quasi séculaire, M. Henri Albert mettait, par sa belle
traduction, à la portée de ceux qui ne savent l'allemand, les pages où le dernier
des grands philosophes nous avertissait, avec sa verve hautaine, du péril qui
menace le monde moderne" [MdF, 1899, n°32, p.214]. [...] En octobre 1900,
Remy de Gourmont publiera une nécrologie de Nietzsche dans le Mercure de
France, réaffirmant que "même dangereuses, si l'on veut, les idées de Nietzsche
sont libératrices"."(p.65-66)
1514
-Jacques le Ridier, Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle au temps
présent, PUF, 1999 (première version en allemand, 1997), 279 pages.

Hugues Rebell (1867-1905): « Le petit essai Union des trois aristocraties


(1894), celles du nom, de l'argent et du talent, établit une philosophie politique
originale et surprenante qu'on qualifia peut-être trop rapidement de
réactionnaire en la prenant en tant qu'absolu. Il fut salué par Maurras et
l'Action Française reprit non sans ajustements un "abrégé" de ce petit texte en
1905 (n°148 du 15 août). » -André Georges Bourgeois (cf :
http://andrebourgeois.fr/hugues_rebell.htm ).

http://hydra.forumactif.org/t4517-hugues-rebell#5424

Jules de Gaultier (1858-1942): “If Jules de Gaultier had been a more active
figure in the political movement led by Maurras, he would merit more attention
than it is possible to give here [...] Common hostility to Kant, and especially to
his ethics of the categorical imperative, unites Gaultier with Maurras and
Barrès.” -Reino Virtanen, "Nietzsche and the Action Française: Nietzsche's
Significance for French Rightist Thought", Journal of the History of Ideas, Vol.
11, No. 2 (Apr., 1950), pp. 191-214, p.198-199.

"Jules de Gaultier se voulait "néopaïen" et antichrétien." (p.71)

"Le 24 juin 1903, [Henri Lichtenberger] recommande à Elisabeth Förster-


Nietzsche, dans les termes les plus chaleureux, Jules de Gaultier, le publiciste
proche de l'Action française." (p.78)

-Jacques le Ridier, Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle au temps


présent, PUF, 1999 (première version en allemand, 1997), 279 pages.

« L'auteur qui, plus que tout autre, s'est consacré à la lecture proprement
philosophique de l’œuvre nietzschéenne est Jules de Gaultier, collaborateur du
Mercure de France. Cet autodicate issu d'une famille aristocratique en déclin
était détenteur d'une licence en droit, et, ne pouvant prétendre à une carrière
universitaire, devait satisfaire ses aspirations intellectuelles tout en acceptant
d'occuper, y compris en province, un poste dans l'administration des Finances
qui lui procurait des ressources stables. Ayant acquis une renommée de critique
en littérature et en philosophie à travers les diverses revues où il collaborait,
notamment au Mercure de France, il disposait d'une certaine autorité savante en
partie gagée sur un capital de relations diversifié (Léon Chestov, Rémy de
1515
Gourmont, Matisse, Frédéric Paulhan...) et attestée par des lieux de publication
comme la Revue philosophique et la maison Alcan. Décrit comme discret et
effacé, il n'en était pas moins acide et virulent dans ses jugements contre les
diverses formes d'esprit moderne (les protestants, les Juifs, les Anglais, les
Allemands...) et, quoique spontanément "néophobe", il a dû résister à ses
pulsions anti-intellectuelles en les combinant avec leurs contraires, mêlant ainsi
l'anarchisme et l'Action française, l'athéisme et la tradition catholique, etc. » -
Louis Pinto, Les Neveux de Zarathoustra. La réception de Nietzsche en France,
Paris, Éditions du Seuil, 1995, 207 pages, p.52.

http://hydra.forumactif.org/t4340-georges-palante#5219

http://hydra.forumactif.org/t4484-jules-de-gaultier#5385

Charles Maurras (1868-1952) et l’Action française : « Maurice Barrès a cent


fois raison de dire que cette doctrine de la philosophie officielle fabrique des
cosmopolites ; aux coutumes locales, comme aux traditions historiques,
comme aux pratiques religieuses, elle prétend substituer ses maximes
universelles. Mais il faut ajouter qu’elle n’y réussit jamais: ses prétendus
citoyens du monde sont des anarchistes tout purs. L’Universel et l’Absolu,
qu’ils prétendent avoir saisi dans le moral de l’individu, s’évanouit à l’analyse.
» -Charles Maurras, La Gazette de France, 23 mai 1898, in DPC, Paris, A la cité
des livres, 1932, t. 2, p. 380.

« Le romantisme se présente à l’historien impartial en premier lieu comme une


rupture dans la suite des traditions nationales, en deuxième lieu comme une
invasion étrangère. » -Charles Maurras, La Gazette de France, 3 juillet 1898, in
DPC, Paris, A la cité des livres, 1934, t.5, p. 122.

« Seul le roi de France pourra s’appliquer à décentraliser sans rien risquer


pour lui ni pour la France […] N’attendez la décentralisation d’aucun autre
dictateur. » -Charles Maurras, « La République du Martigue », L’Action
française (revue), 15 juin 1900.

« La démocratie, c’est le mal. La démocratie, c’est la mort. » Charles Maurras,


Enquête sur la monarchie, suivi de Une campagne royaliste au "Figaro", et Si le
coup de force est possible, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1925, 615 pages,
p.121.

1516
« On peut définir la « vraie République » par la domination des intérêts,
passions, volontés des partis sur l’intérêt majeur du peuple français, sur son
intérêt national, tel qu’il résulte des conditions de la vie du monde. Quel est cet
intérêt ? La défense de la paix, la garantie du territoire l’emporte sur tout. » -
Charles Maurras, Enquête sur la monarchie, 1900.

« La liberté économique aboutit […] par une déduction rapide, à la célèbre


liberté de mourir de faim. » -Maurras, « Libéralisme et libertés : démocratie et
peuple », L’Action française, 1er février 1906, p.169.

« LA RÉPUBLIQUE, C'EST LE MAL.

La République est le gouvernement des juifs, des juifs traîtres comme Dreyfus,
des juifs voleurs, des juifs corrupteurs du peuple et persécuteurs de la religion
catholique, comme l'inventeur juif de la loi du divorce et le juif inventeur de la
loi de Séparation.

La République est le gouvernement des pédagogues protestants qui importent


d'Allemagne un système d'éducation qui abrutit et dépayse le cerveau des jeunes
Français.

La République est le gouvernement des francs-maçons, qui n'ont qu'une haine,


l'Église, qu'un amour, les sinécures et le trésor public. (...)

La République est le gouvernement des étrangers plus ou moins naturalisés ou


métèques, qui ces jours-ci souilleront du cadavre de leur Zola le Panthéon
désaffecté; ils accaparent le sol de la France, ils disputent aux travailleurs de
sang français leur juste salaire, ils font voter des lois qui ruinent l'industrie.

NOUS Y METTRONS UN ROI.

LE ROI : c'est-à-dire la France personnifiée par le descendant et l'héritier des


quarante chefs qui l'ont faite, agrandie, maintenue et développée. Le
gouvernement du Roi est aussi le seul qui, en maintenant l'ordre, puisse
effectuer parmi nous les mêmes progrès sociaux qu'ils ont accomplis les
monarchies voisines, et ajouter à ces progrès tout ce que la richesse et le génie
de notre race permettent de prévoir et de réaliser. (...)

Patriotes français, nationalistes, antidreyfusards, catholiques, hommes d'ordre,


hommes de progrès, riches, pauvres, de toute classe, de tout métier, de tout
parti:
1517
Vous lirez tous l'Action Française, qui dira chaque jour non seulement les maux
publics mais le moyen, le moyen sûr, le moyen radical, l'unique moyen de
terminer les misères de la patrie,

JETER À BAS LA RÉPUBLIQUE! PROCLAMER LE DUC D'ORLÉANS! " -


L'Action française, 23 mars 1908.

« La loi française, depuis cent vingt ans, fait un gros mensonge ; elle considère
comme français des gens qui ne sont pas français puisqu'ils sont juifs. La
législation doit se remettre d'accord avec la vérité. Elle doit rendre aux Juifs
leur nationalité de Juifs, conformément à la raison, à la justice, à l'humanité. » -
Charles Maurras, « Les Juifs dans l'Administration », dans L'Action française,
23 mars 1911, p. 1.

« Tout paraît impossible, ou affreusement difficile, sans cette providence de


l’antisémitisme. Par elle tout s’arrange, s’aplanit et se simplifie. » -Charles
Maurras, L’Action française, 28 mars 1911.

« Depuis le XVIe siècle, par la doctrine du libre examen, et de la souveraineté


du sens propre, l’Allemagne, autrefois participante de la civilisation
européenne, a fait schisme, puis régression, puis un vrai retour à l’état sauvage
; la science de l’Allemagne, bénéficiant de la vitesse acquise, s’est développée
d’une part, mais sa philosophie théologique et morale a été, d’autre, part en
recul constant, car l’individualisme absolu, tel qu’il se dessina chez Kant, dut
aboutir à un anarchisme effréné, chaque être ayant qualité pour faire un dieu de
son « moi ». » -Charles Maurras, L’Action française, 4 décembre 1914, in DPC,
Paris, A la cité du livre, 1933, t. 1, p.36.

« Voilà l’erreur philosophique allemande. Son rapport avec le kantisme, qui fait
tourner le monde autour du moi, qui prend le moi pour le soleil des planètes
intérieures et extérieures, ce rapport-là n’est pas douteux. » -Charles Maurras,
L’Action française, 17 octobre 1914, in DPC, Paris, A la cité des livres, 1932, t.
2, p.127-128.

« Politiquement, socialement, nous n’avons qu’une règle, et c’est la patrie. Si


l’Etat protestant a trop souvent conspiré contre la Patrie, la plupart des
personnes protestantes en sont bien innocentes! C’est pourquoi, nous leur avons
toujours ouvert les bras ou tendu la main, et de très grand cœur. » -Charles

1518
Maurras, L’Action française, 17 juin 1912, in DPC, Paris, A la cité des livres,
1933, t. 4, p. 198.

« Ce Kant à qui la proclamation des Droits de l’Homme et du Citoyen faisant


modifier sa promenade somnambulique, ce Luther qui remplit l’éloquence de
tous les prophètes, pères et docteurs du régime, celui-ci maître de Rousseau et
celui-là son disciple, comment les impliquer dans la critique du pangermanisme,
sans avouer l’essence proprement germanique des idées de Rousseau, et par-là
de tous les différents modes d’anarchie et de sauvagerie systématisées que,
depuis 1789, nous appelons libéralisme ou démocratie ? ». » -Charles Maurras,
Devant l’Allemagne éternelle, L’Action française, 23 novembre 1914, Paris,
Editions à l’Etoile, 1937, p. 264.

« Le socialisme de Marx tendit à éliminer du monde ouvrier français ce que le


proudhonisme y maintenait de conforme à nos traditions nationales, bien que le
proudhonisme fût en partie originaire d’Allemagne par la Révolution, Rousseau
et Hegel. Les éléments français du proudhonisme une fois exclus, l’influence
croissante de Marx fut une des formes de l’invasion de l’Allemagne
intellectuelle. Il y a cependant quelque intérêt à voir que cette pensée née
allemande fut aussi animée d’une volonté et d’une intention formellement et
passionnément germanique. » -Charles Maurras, L’Action française, 7 décembre
1914, in DPC, Paris, A la cité des livres, 1932, t. 3, p. 29.

« L’on ne nous croyait pas quand nous disions avec l’auteur des Déracinés, dès
1894, dans la Cocarde de Barrès, que le Kantisme était la religion de la
troisième République. » -Charles Maurras, Quand les Français ne s’aimaient
pas, Paris, NLN, 1916, p. 269.

« Au lieu de dire que le romantisme a fait dégénérer les âmes ou les esprits
français, ne serait-il pas meilleur de se rendre compte qu'il les effémina ? Hugo
lui-même, qui nous fut donné pour le type de l'homme sain et de la nature virile,
n'échappe pas à ce caractère, si, au lieu de considérer le siège de la volonté et
de la puissance, on prend garde à ce qu'elle se réduisit à une impressionnabilité
infinie. Elle sentit, elle reçut, plus qu'elle ne créa. » -Charles Maurras, L’Avenir
de l’intelligence, Paris, Albert Fontemoing éditeur, 1905, 304 pages, p.235.

« La menace élevée par l’unité allemande contre la civilisation universelle est


inexorable. Le jeu de « l’éternelle Allemagne » est là pour le démontrer......Ou
l’unité de ce peuple sera détruite ou le militarisme allemand, reconstitué à
1519
grande vitesse, malgré les précautions juridiques plus ou moins mal imitées du
premier Empire, fera courir au monde le risque d’une guerre prochaine
infiniment plus cruelle que l’atroce conflit auquel nous assistons. » -Charles
Maurras, L’Action Française, 6 juin 1917, in DPC, Paris, A la cité des livres,
1932, t. 1, p. 41.

« Il n’y a pas à rejeter ce qui, en Allemagne, peut honorer l’héritage du genre


humain, un Leibniz, un Goethe, par exemple, un Schopenhauer, parfois un
Nietzsche. » -Charles Maurras, L’Action française, 28 avril 1918, in DPC, Paris,
A la cité du livre, 1932, t.3, p. 31.

« La paix armée veut la force. Nous n’avons pas le choix, le militarisme


s’impose. S’il faut la monter aussi pour défendre notre sol, notre sous-sol, nos
ports et nos chantiers, contre le produit, le producteur et le capitaliste
d’Allemagne, pacifiques envahisseurs. » -Charles Maurras, Kiel et Tanger, Paris,
NLN, 1921, p. 257.

« Les protestants sont des Français de race, de langages et de mœurs, mais dont
les mœurs et même la race et la langue même, un peu arrêtées dans leur
développement sur place, ont reçu de l’étranger de sérieuses infiltrations et des
influences très lourdes. » (p. 223)

« Voilà, bien mis au clair, le plus « conscient » des quatre Etats Confédérés qui
occupent la France: ce n’est point l’Etat juif, ce n’est point l’Etat maçon, ce
n’est même point l’Etat métèque, c’est l’Etat protestant, celui qui élabore et
répand la pensée religieuse, politique, morale, philosophique et littéraire d’un
Gouvernement d’anarchistes au service d’une civilisation de barbares. » (p.364)

-Charles Maurras, La Démocratie religieuse, La Politique religieuse, Paris,


NLN, 1921.

« Les bases du fascisme, sociales, nationales et non individualistes, sont saines,


il faut l’avouer. » -Charles Maurras, in L’Action française, 4 janvier 1932.

« Toutes les fois que cette fable de la victime d’une erreur judiciaire m’était
réassenée avec des trémolos qui m’écœurent encore, je distinguais en esprit un
champ de bataille, sans doute moins spacieux et moins affreux que ne devais
l’aménager la plus grande des guerres, mais enfin, et à la mesure de mon
imagination, j’y voyais la jonchée funèbre de ces beaux enfants de la France «
couchés froids et sanglants sur leur terre mal défendue » parce que, l’émeute
1520
orientale ayant renversé le rempart et brisé les armes, ils opposaient à
l’artillerie leurs poitrines nues. Ce million et demi de morts et de mourants fait
un rude charnier. Ceux qui l’ont élevé ou accru par sotte imprudence ne sont
pas encore assez repentis pour émouvoir la miséricorde. » (p.60)

« Outre donc qu’elle dispersait ce qui était ainsi concentré et qu’elle avilissait
ce qui était d’un très grand prix, la Révolution ajoutait à ce dommage
économique un cataclysme politique: les biens qui, avant elle, constituaient,
dans la force du terme, des biens nationaux se trouvaient par elle
dénationalisés. La Révolution les délia du corps de la France. Elle les mit à la
portée du premier venu. Il suffisait d’en acquitter le prix monnayé pour les
posséder de plein droit. La vieille France devint donc, pour une grande part, un
objet de commerce. Elle connut l’argent pour maître. Mais l’argent n’a point de
patrie. » (p.188)

-Charles Maurras, Au signe de Flore, (La fondation de l’Action française, 1898-


1900), Paris, Grasset, 1933.

« Je le répète : il n’y a pas de plus grand danger que l’hitlérisme et le


soviétisme. A égalité ! Et ces égaux-là sont faits pour s’entendre. La carte le
confirme. L’avenir le vérifiera. » -Charles Maurras, L’Action française, 3 juillet
1934.

« S’attaquer à Hitler, ce serait une croisade juive. » -Charles Maurras, L’Action


française, 15 mars 1936.

« Beaucoup d’entre mes nouveaux amis étaient de mon âge. Je découvris chez
eux, outre de vives affinités de sentiments, des aventures de pensées courues en
commun sur le sens général des rapports franco-allemands. Ils connaissaient
l’Allemagne mieux que moi, savaient la langue, avaient visité le pays. Pujo,
grand wagnérien, traduisait Novalis. Il venait de parcourir la Bavière et le
Tyrol en direction de Venise. Bainville rentrait de l’Allemagne du sud avec les
matériaux de son Louis II. Pierre Lasserre achevait une préface magistrale à la
version nouvelle de morceaux choisit de Goethe. Henri Vaugeois réexaminait
sévèrement son premier enthousiasme kantien. Léon Daudet, autre wagnérien
fieffé, rentrait de Hambourg, il parlait l’allemand comme le français. Nous ne
tardâmes pas à déserter en cœur la Patriefrançaise absorbée par les
ménagements académiques et les soucis électoraux. Et, notre Action française à
peine fondée, les premières démarches communes nous fixèrent, comme plus
1521
tard à la Revue universelle, dans un effort constant d’études germaniques, mais
d’études attentives et sincères, affranchies des complaisances de l’Oligarchie. ».
-Charles Maurras, Pour un jeune Français, Paris, Amiot-Dumont, 1949, p. 107-
108.

« Rome nous offrait son exemple. Maurras lui-même expliquait souvent la belle
étymologie du « fascisme », de toutes les forces de la nation réunies. Nous
n’ignorions pas que Mussolini, de son côté, saluait notre vieux maître comme
l’un de ses précurseurs. » -Lucien Rebatet, Les décombres.

« La droite contre-révolutionnaire, incarnée par Joseph de Maistre et Louis de


Bonald, puis par les catholiques sociaux (René de la Tour du Pin, Albert de
Mun), la droite pré-maurrassienne ou proto-maurrassienne (Edouard Drumont,
Emmanuel Beau de Loménie), la droite maurrassienne pure (Charles Maurras,
Léon Daudet, Jacques Bainville), la droite non-conformiste (Thierry Maulnier,
Jean-Pierre Maxence, Denis de Rougemont), la droite révolutionnaire (Pierre
Drieu La Rochelle, Lucien Rebatet), l'anarchisme de droite (Louis Ferdinand
Céline, Pierre Gripari), et une droite plus hétérodoxe composée d'auteurs
mystiques chrétiens à la foi héroïque et très française comme Léon Bloy,
Charles Péguy et Georges Bernanos, peuvent être considérées comme des
droites antimarchandes. » -Arnaud Guyot-Jeannin, "La droite et l'argent", in
Arnaud Guyot-Jeannin (dir.), Aux sources de la droite.Pour en finir avec les
clichés, 2000, L'âge d'Homme, coll. Vu Autrement, p.22-23.

« L’Action française (AF) est née dans le contexte de l’affaire Dreyfus. Autour
d’Henri Vaugeois et de Maurice Pujo, jeunes philosophes républicains ralliés
au nationalisme, un groupe d’intellectuels se constitue. La plupart d’entre eux
ont moins de 30 ans et veulent trouver les solutions à l’ « impuissance » des
mouvements nationalistes existants, telle la ligue de la Patrie française.

Le 20 juin 1899, devant 350 personnes réunies dans une petite salle parisienne,
Vaugeois définit l’objet de l’AF et le sens de son engagement : « Tout le mal
dont souffre le pays, M. Vaugeois l’attribue à l’esprit protestant, à l’esprit
maçonnique et surtout à l’esprit juif qui, depuis quelques années, domine toute
la politique de la France. (...) À l’esprit des sectes juives et protestantes et de la
secte maçonnique, il oppose la vieille tradition de l’esprit français. C’est contre
l’élément étranger que doit s’exercer l’action française. ». »

1522
« Maurras accorde une grande importance au mouvement antisémite de son
temps. À la fin de 1902 et au début de l’année suivante, il se voit offrir
l’opportunité de publier une série de six articles dans La Libre Parole. Ces «
Lettres à Édouard Drumont » sont motivées par un débat sur la question juive
lancé par le célèbre polémiste. »

« La réhabilitation de Dreyfus par la Cour de cassation le 12 juillet 1906, au


prix d’une interprétation contestable de l’article 445 du Code civil, exacerbe
l’antisémitisme de l’AF. Pour Maurras, cette violation du droit marque la
consécration du pouvoir des Juifs sur les Français.

À l’époque, l’AF est, pour ainsi dire, entrée dans sa phase « révolutionnaire ».
Le contexte est favorable : les troubles sociaux se multiplient ; le gouvernement
réagit par une répression des grèves, violente et parfois sanglante ; un
sentiment de révolte et de rejet de la République naît dans le monde ouvrier, que
les nationalistes pensent pouvoir exploiter. »

« À la Sorbonne, l’AF parvient à mobiliser ses troupes contre des professeurs


juifs sous les prétextes les plus futiles. À la fin de l’année 1909, une campagne
est menée contre le doyen de la faculté de droit, le professeur Lyon-Caen : « Les
étudiants d’AF font merveille et, à la faveur de l’affaire Lyon-Caen – bonne
occasion d’ailleurs puisqu’elle groupe autour d’eux la très grosse majorité des
étudiants en Droit –, révolutionnent littéralement le quartier de l’École. » En
janvier 1910, le professeur est mis à la retraite. »

« En 1908, quelques jours avant la translation des cendres de Zola au


Panthéon, des dirigeants de l’AF, menés par Daudet, imaginent d’assassiner le
capitaine Dreyfus à cette occasion – c’est ce que tentera un journaliste du
Gaulois, tirant deux coups de feu en direction de Dreyfus. Maurras renverse ce
projet en démontrant que, « en supprimant DREYFUS, l’Action française
perdrait sa meilleure arme contre la République ». »

« À peine lancée, L’Action française connaît une vague de désabonnements en


raison de l’attitude trop favorable manifestée par Daudet et Maurras à l’égard
des syndicalistes de la CGT. Le conseil d’administration du journal se réunit et
incite les deux hommes à plus de prudence.

1523
Dans les faits, la ligue soutient sans grand succès les velléités antisémites de
deux francs-tireurs du syndicalisme, Émile Janvion, qui rejoindra l’AF, et Émile
Pataud, de la CGT. Elle doit vite renoncer à ses ambitions en la matière. »

« Pour l’essentiel, l’AF s’en tient à la déclaration antisémite du duc d’Orléans


de 1899, dite de San Remo, pour justifier son combat contre les Juifs. Mais le
prétendant se lasse de l’antisémitisme qu’il juge politiquement inutile. En
décembre 1910, il finit par désavouer l’action de la ligue et se sépare de l’un de
ses proches, Roger Lambelin, partisan de l’agitation antisémite, qui rejoint
officiellement l’AF. »

« Maurras ne prétend pas innover. L’idée de dénaturalisation des Juifs (afin de


revenir sur l’acquis révolutionnaire de 1791), il la trouve dans le programme
social arrêté et rédigé par René de La Tour du Pin et Albert de Mun en 1889. »

« L’affaire Bernstein permet à l’AF de revenir dans les bonnes grâces du


prétendant, qui s’apprêtait justement à diffuser un manifeste hostile à la ligue
avant le déclenchement de la campagne.  »

« Lancée le 21 mars 1908 grâce, en grande partie, aux fonds versés par la
famille Daudet, L’Action française des années d’avant guerre est, à bien des
égards, un journal antisémite. Son secrétaire de rédaction, le commandant Biot,
est un transfuge du quotidien d’Édouard Drumont où il a exercé les mêmes
fonctions pendant plus de quinze ans. L’Action française reprend
rigoureusement le même modèle de présentation – calligraphie et mise en page
– que La Libre Parole de la fin du XIXe siècle. Un autre journaliste est
débauché de l’équipe de Drumont par Daudet : Henry Leroy-Fournier. »

« En 1910, L’Action française est le seul quotidien antisémite avec La Libre


Parole. Mais ses ventes atteignent rarement les 30 000 d’exemplaires (dont 6
000 abonnés), alors que les trois quotidiens français les plus lus bénéficient
d’un tirage dépassant les 800 000. »

« Si, à partir de la Grande Guerre, la doctrine maurrassienne nuancera


l’antisémitisme et tolérera les Juifs qui rallieront son camp ou défendront
l’intérêt national, le combat antijuif n’en gardera pas moins une importance
symbolique centrale. Les deux grandes condamnations judiciaires de Maurras
pendant l’entre-deux-guerres viendront sanctionner des insultes et des menaces
de mort lancées contre des hommes politiques juifs, Abraham Schrameck et

1524
Léon Blum. À la fin des années 1930, L’Action française retrouvera le ton de
l’avant-guerre avant de soutenir sans beaucoup de nuance la politique
antisémite de Vichy.

Chez Charles Maurras, la haine du Juif occupe une place prépondérante tant
dans son univers mental que dans la construction politique qu’il a élaborée. Et
il est exagéré de mettre, comme on le fait souvent, son antisémitisme sur le
même plan que ses sentiments à l’égard des protestants et des francs-maçons, et
de ne le considérer que comme une conséquence de son idéologie antilibérale et
monarchiste. Habituellement virulent contre ses adversaires politiques, Maurras
peut modérer son point de vue vis-à-vis des protestants, comme les Monod par
exemple. Il ne manifestera jamais la même clémence à l’égard d’un Juif. Ce
dernier peut rendre des services à la nation, il ne sera jamais un vrai
Français. » -Laurent Joly, « Les débuts de l'Action française (1899-1914) ou
l'élaboration d'un nationalisme antisémite », Revue historique, 2006/3 (n° 639),
p. 695-718.

« Comment les positions définies par l’Action française progressent dans la


presse nationale et dans la presse de province et à partir de quand sa doctrine
devient une pensée de référence. Si l’on pose la question en ces termes au
niveau national, je me demande s’il ne faut pas repousser jusqu’à 1918-1919 le
véritable tournant qui s’explique par le prestige acquis pendant la guerre, le
soutien sans failles donné à l’Union sacrée, la défense acharnée de Clemenceau,
la dénonciation des traîtres par Léon Daudet, qui s’accompagne d’un
accroissement spectaculaire du tirage (notamment en 1917, 156 000 exemplaires
vendus contre 20 000 en 1913 et 1914 et, pour l’après-guerre, 41 000 en 1923).

Si l’on s’en tient au catholicisme, ce n’est guère avant 1912 que les bulletins
diocésains ou la revue Questions actuelles mentionnent l’Action française en
publiant des comptes rendus des deux livres de Maurras, La politique religieuse
(1912) et L’Action française et la religion catholique (1913). »

« La propagande et la stratégie visent d’abord le vieux parti royaliste, d’où les


liens étroits contractés avec la Revue catholique et royaliste dont le premier
numéro paraît le 20 juin 1901, sous le patronage du général Athanase de
Charrette de la Contrie (1832-1911), ancien zouave pontifical qui a combattu à
Mentana et qui, sous la bannière du drapeau du Sacré-Cœur, participe en
décembre 1870 à la charge héroïque de Loigny à la tête du régiment des

1525
Volontaires de l’Ouest. Parmi les collaborateurs de cette revue, citons le comte
de Lantivy de Trédion (du Morbihan), le père Georges de Pascal, le marquis
René de La Tour du Pin, futurs collaborateurs de la revue l’Action française. Un
des champions de la conquête du monde catholique et royaliste en ces premières
années du siècle est un moine bénédiction, dom Jean-Martial Besse, de l’abbaye
de Ligugé, alors réfugié en Belgique, qui sillonne la France en tous sens,
insufflant l’esprit d’Action française aux vieux comités royalistes. Son combat
est avant tout royaliste et catholique. La jeunesse de Maurras et sa force de
conviction, l’ardeur de l’équipe qui l’entoure lui paraissent l’instrument
providentiel d’une œuvre de restauration. C’est sous le pseudonyme de « Jehan
» qu’il écrit un temps dans le quotidien l’Action française.

Le terrain catholique est encombré de deux obstacles : les catholiques


démocrates rassemblés autour de Sangnier dans le Sillon, dont Maurras s’efforce
dès 1904 de dénoncer les idées néfastes sur le plan politique comme sur le plan
religieux. Ses articles réunis en volume paraissent en 1906 sous le titre Le
dilemme de Marc Sangnier. Autre cible, les catholiques « ralliés » de l’Action
libérale populaire, dont l’école nationaliste s’efforce de démontrer que l’esprit
républicain s’inspire d’un libéralisme prêt aux concessions, et donc frondeur vis-
à-vis des directives du pape Pie X. Cette propagande se heurte aux autorités
romaines qui accordent leur confiance au parti de Jacques Piou, au moins
jusqu’en 1908.

La conquête du terrain catholique s’est faite progressivement et s’est, dès


l’origine, efforcée de gagner la jeunesse. Un épisode significatif le montre dès
1904 lorsqu’un jeune militant acquis à la cause met en parallèle dans la Revue
de la jeunesse catholique l’action morale de Paul Desjardins et l’Action
française, en dénigrant la première, pour mieux exalter la seconde. L’affaire
émeut la direction de la revue puisque, deux mois après, un article long et
circonstancié réfute point par point les thèses maurrassiennes et invite la
jeunesse catholique à ne pas céder à la tentation d’une émigration « hors de
notre époque. »

« Après avoir, en mars 1905, célébré avec éclat le soixante-quinzième


anniversaire de Fustel de Coulanges (mort en 1889) dans le but de marquer la
rupture avec l’université officielle, en février 1906 est fondé l’Institut d’Action
française que dirige Louis Dimier, agrégé de philosophie et historien d’art,
véritable contre-Sorbonne, pourvue de huit chaires d’enseignement : Syllabus
1526
(politique catholique), Auguste Comte (philosophie positive), Frédéric
Amouretti (relations internationales), Rivarol (histoire des idées politiques),
Sainte-Beuve (l’empirisme organisateur), Maurice Barrès (nationalisme
français), La Tour du Pin (économie sociale), Louis XI (formation de l’unité
nationale). C’est au cours de la même année que Maurras, soucieux de renforcer
l’alliance avec les catholiques, commente le Syllabus en insistant sur la
coïncidence de la doctrine officielle de l’Église avec la doctrine politique de
l’Action française. »

« Condamnation pontificale du modernisme par l’encyclique Pascendi (8


septembre 1907). L’Action française se range aussitôt parmi les défenseurs les
plus actifs de l’enseignement pontifical en publiant, sous la plume de Louis
Dimier, un article intitulé : « La défense de la raison ». Ce choix est capital pour
l’avenir : l’Action française se donne un brevet d’orthodoxie. Trois ans plus
tard, les mises en garde de Maurras contre les doctrines du Sillon paraissent
recevoir la pleine approbation de la papauté. Ainsi l’œuvre de redressement
intérieur de la jeune école nationaliste coïncide-t-elle, du moins en apparence,
avec les axes essentiels de la politique catholique.

Les années 1908-1909 se caractérisent par la poursuite de cette stratégie : la


création du quotidien en mars 1908 est suivie par la création de la Revue critique
des idées et des livres qui veut être pour la pensée de droite ce que la Nouvelle
revue française est pour la gauche. Les camelots du roi créés en 1908 imposent
l’Action française dans l’espace public. »

« Désormais les milieux catholiques semblent acquis : dans les séminaires, les
collèges, les évêchés, les œuvres aussi, l’emprise de l’école est une réalité. La
publication, au seuil de l’année 1909, du premier livre de sévère critique dans
l’ordre religieux contre le péril maurrassien est un signe, renforcé par le fait que
c’est au cours de cette même année que la revue des jésuites Études prend parti
pour l’alliance entre les catholiques et l’Action française sous la plume du père
Descoqs, déclenchant une vive réplique d’adversaires, tels le philosophe
Maurice Blondel et l’oratorien Laberthonnière. C’est encore au même moment
qu’une requête déposée au Saint-Office pour un examen des doctrines d’Action
française aboutit dès le printemps 1909 à la désignation d’un consulteur de la
congrégation de l’Index en la personne du bénédictin belge dom Laurent
Janssens, recteur du collège Saint-Anselme de Rome, qui conclut un an plus tard
en faveur d’une condamnation.
1527
C’est donc entre 1908 et 1910 qu’on peut situer le tournant qui marque la
conquête des milieux catholiques. »

« Si une partie des élites catholiques est gagnée, surtout après 1910, il existe un
peuple catholique républicain, attaché au régime, conformément aux directives
de Léon XIII. Malgré un recul net, l’Action libérale populaire n’est pas
écrasée. » -Jacques Prévotat, « L'Action française et les catholiques. Le tournant
de 1908 », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 2001/1 (n° 19), p. 119-
126.

« En plus d’être idéologiquement gênant, le positivisme de Maurras est


philosophiquement dépassé et il a du mal à attirer la jeune génération tout
entière vouée à Bergson. Son royalisme est également jugé inadapté à la société
française moderne, et certains antiparlementaires préfèrent se tourner vers le
syndicalisme révolutionnaire de Sorel. Une alliance entre ces deux mouvements
est alors envisagée. Entre 1909 et 1914, on assiste ainsi à un surprenant
rapprochement entre les royalistes de l’Action française et les syndicalistes
révolutionnaires disciples de Georges Sorel. »

« Bien que partageant les thèses antiparlementaires et antisémites du national-


socialisme, Maurras et les membres de l’Action française rejettent la menace
politique et culturelle que représente le nazisme. Ils considèrent surtout que le
nazisme est une doctrine messianique et narcissique héritée de l’idéalisme
allemand. Ils sont donc parmi les premiers à établir un lien entre rousseauisme
et national-socialisme. » -Christophe Salvat, « Rousseau et la « Renaissance
classique » française (1898-1933) », Astérion [En ligne], 12 | 2014, mis en ligne
le 24 juin 2014, consulté le 30 mai 2018.

« La lecture de Maurras s’imposait, non pas lui-même un antimoderne, mais la


contre-épreuve ou l’antitype de l’antimoderne. De ce point de vue, le premier
Maurras, avant l’Action française, est le plus intéressant : le poète néo-
classique de l’École romane, le conteur philosophique du Chemin de Paradis, le
critique littéraire des Amants de Venise, l’essayiste ironique des Trois idées
politiques et de L’Avenir de l’intelligence. Même si le jeune Maurras paraît
souvent ambigu, les traits habituels de l’antimodernité disparaissent vite chez
lui : c’est un rationaliste — un bon critère de l’antimodernité est le choix de
Pascal contre Descartes, encore que la haine de Maurras pour Pascal reste
jusqu’à la fin si excessive qu’elle en devienne presque suspecte —, un optimiste

1528
— ou du moins un rigoureux censeur du pessimisme : « Tout désespoir en
politique est une sottise absolue », juge-t-il sévèrement, comme se faisant la
leçon à lui-même, en conclusion de la préface de L’Avenir de l’intelligence en
1905 —, et un antiromantique — mais là aussi, impossible d’assurer que Sand
et Musset, héros des Amants de Venise, ne le séduisent pas malgré tout, ou
Chateaubriand, sa bête noire. »

« Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Thibaudet consacrait ses


Trente ans de vie française aux trois influences qui, selon lui, avaient été
capitales entre 1890 et 1920 : Maurras, Barrès et Bergson, non pas les
écrivains les meilleurs, mais certainement les plus marquants pour leurs
contemporains, comme Taine et Renan pour les générations qui avaient atteint
vingt ans entre 1870 et 1890. »

« Maurras, monté à Paris à dix-sept ans, autodidacte, donna de la critique


littéraire abondante et éclectique, entre 1885 et 1908, aux Annales de
philosophie chrétienne, à L’Instruction publique, à La Réforme sociale, à
L’Observateur français, à la Revue encyclopédique Larousse, à La Cocarde, à
La Gazette de France, au Soleil, au Figaro, enfin à la Revue d’Action
française. »

« Brunetière était sa tête de Turc, qui « a toujours manqué en premier lieu de


jugement, en second lieu de goût », les deux qualités indispensables du critique :
Brunetière est donc un « faux critique », car il ne sent rien et se fie à la tradition
pour juger, par exemple quand il s’écrie : « Où irions-nous, grands Dieux ! si
nous aimions ce qui nous plaît ! » Le directeur de la Revue des Deux Mondes,
qui paraît de tous le plus proche de Maurras par ses engagements politiques,
religieux et littéraires du temps de l’affaire Dreyfus — tous deux sont des
hommes d’ordre, des catholiques sans l’amour de Dieu, défendant l’Église au
nom de la société, et des partisans des classiques contre les romantiques —,
représente pourtant à ses yeux l’envers même du critique en raison de son
dogmatisme doctrinaire. »

« Proche de Lemaitre et de France, il se prononce pour Barrès ou Villiers de


l’Isle-Adam, pour les Cahiers d’André Walter de Gide en 1891, pour Valéry,
disciple de Mallarmé, en 1892, et encore pour Nerval en 1897. Malgré des
réserves qui s’amplifieront, Chateaubriand, Lamartine et Hugo, célébré lors du
centenaire de sa naissance en 1902, restent à ses yeux les grands écrivains du

1529
XIXe siècle. Il n’aime pas Rousseau, cela va de soi, ou Huysmans, mais défend
Balzac, Sainte-Beuve, Comte, Renan, Taine et Fustel de Coulanges, ou encore
Dante, Chénier, Stendhal, Mistral, Moréas et Anatole France. Fidèle à ses
premières amours, il ne se résout à condamner ni le vers de Baudelaire ni la
prose de Flaubert, et il avoue son faible pour Mallarmé ou pour Verlaine, dont
il loue Parallèlement en en faisant la clôture du romantisme. »

« Le romantisme constitue la lignée de Chateaubriand. Maurras lui est hostile à


la fois d’un point de vue littéraire et pour des raisons politiques, mais non sans
ambiguïté. Comme l’écrit Thibaudet, Maurras « venu de la critique littéraire à
la politique, a vu naturellement, d’abord, la vie politique française comme une
transgression d’un flot littéraire, le romantisme, puis il a envisagé la réforme
littéraire comme une conséquence de la réforme politique » [Thibaudet, Trente
ans de vie française, t. I, Les Idées de Charles Maurras, Paris, Gallimard, 1919,
p.202]. Ainsi s’expliquerait que cet « individualiste retourné », initialement
séduit par le tempérament romantique, se soit converti à la défense de la
tradition classique. « Nous voyons, poursuit Thibaudet, qu’il n’aime pas le
romantisme, en vertu d’un goût littéraire et d’un sentiment politique qui
évidemment s’éclairent l’un l’autre, mais l’amènent aussi à transporter dans
l’appréciation littéraire des considérants politiques, et à donner à sa politique
sinon le fond du moins la couleur de ses antipathies littéraires » [Thibaudet,
ibid, p.206]. 

Le combat contre le romantisme n’est pas nouveau lorsque Maurras s’y engage.
Il se poursuit au moins depuis Nisard et animera en 1907 la thèse de Pierre
Lasserre, meilleur critique d’Action française. Mais la visée de Maurras est
différente : à travers le romantisme, il s’en prend au mouvement d’idées qui va
de la Réforme à la Révolution, dont il voit le romantisme comme la
continuation. À la triade Réforme-Révolution-Romantisme, « monstre à trois
têtes », il oppose un peu artificiellement la triade Catholicisme-Contre-
Révolution-Classicisme. »

« Maurras voue donc le romantisme aux gémonies, non sans exagération : « Les
Lettres romantiques attaquaient les lois ou l’État, la discipline publique et
privée, la patrie, la famille et la propriété ; une condition presque unique de
leur succès parut être de plaire à l’opposition, de travailler à l’anarchie »,
affirme-t-il dans L’Avenir de l’intelligence [in Œuvres capitales, Paris,
Flammarion, 1954, 4 vol., t. II, p.123]. Voyant peu de différence entre
1530
romantisme et individualisme, ou entre romantisme et anarchie, il fait bon
marché du légitimisme monarchique des premiers romantiques, qu’il n’ignore
pas. »

« C’était d’ailleurs Faguet, traditionaliste isolé dans la nouvelle Sorbonne de


Lanson, qui avait dirigé la thèse de Lasserre. Dans ses premiers ouvrages,
notamment lorsqu’il réglait leurs comptes aux Lumières, Maurras avait reconnu
en lui le successeur de Taine ; il louera encore son livre sur le XVIIIe siècle à la
mort de Faguet en 1916, longtemps après que l’auteur l’eut déçu par son
impressionnisme critique et son libéralisme politique. Lasserre, dont la thèse
incendiaire sur le romantisme avait illustré la critique d’Action française avant
la Première Guerre mondiale, devait lui aussi glisser vers le libéralisme et
rompre avec Maurras au début des années 1920. »

« Tout le romantisme est donc féminin, y compris la succession des écrivains


avec lesquels Maurras s’était un temps reconnu des affinités : l’imagination de
Hugo fut féminine « en ce qu’elle se réduisit à une impressionnabilité infinie.
Elle sentit, elle reçut, plus qu’elle ne créa […]. Chateaubriand différa-t-il d’une
prodigieuse coquette ? Musset, d’une étourdie vainement folle de cœur ?
Baudelaire, Verlaine ressemblent à de vieilles coureuses de sabbat; Lamartine,
Michelet, Quinet furent des prêtresses plus ou moins brûlées de leur Dieu »
[Maurras, « Le Romantisme féminin », L’Avenir de l’intelligence (1905), Paris,
Nouvelle librairie nationale, 1917,2e éd., p. 248-249]. »

« Associant Réforme, Révolution, Romantisme et République, Maurras se sépare


donc nettement de la conception tainienne du classicisme, en passe de s’imposer
dans les milieux libéraux. » -Antoine Compagnon, « Maurras critique », Revue
d'histoire littéraire de la France, 2005/3 (Vol. 105), p. 517-532.

« Le germanisme est l’indéfini, l’amorphe, la déraison ; il est l’Allemagne de


Luther, de Kant, de Fichte ; il est aussi la Suisse de Rousseau et peut devenir la
Russie de Tolstoï ; il est l’individualisme et aussi la confusion de l’individu ; il
est le protestantisme et aussi le judaïsme ; il est tout à la fois la conscience
exaltée et l’inconscience ; il est le Devoir aussi bien que l’Anarchie. C’est
l’ennemi, le Mal. Mais ce mal, n’est-ce pas essentiellement les autres ? Maurras
l’a combattu passionnément en lui prêtant des visages divers, parce qu’il le
voyait installé à demeure, puissant et fêté, dans la France de l’affaire Dreyfus,
et parce qu’il s’opposait à des groupes français fort divers ; le « germanisme »

1531
peut alors unir protestants et anarchistes, jacobins et romantiques, en dépit de
leurs caractères très français. » -Claude Digeon, La crise allemande de la
pensée française, 1870-1914, Paris, PUF, 1992, p. 444.

« Kant, Pascal, le « funeste Pascal », voilà que, du fond de ma mémoire se


lèvent telles confidences que Maurras me fit, un jour: Mon maître vénéré, Mgr
Penon, qui me savait engagé dans un agnosticisme trop évident pour qu’il ne
s’en désolât point, voulait que Kant, Emmanuel Kant, en fût responsable. «
C’est la faute à Kant ! » disait-il. Je n’ai jamais pu le convaincre qu’il n’en était
rien. Le responsable, c’était Pascal qui reprenant, pour les traduire en termes
pathétiques, les arguments que Montaigne avait empruntés aux académistes et
aux pyrrhoniens, m’avait découvert le néant de la métaphysique. Oui, aux idées
où Montaigne se promène en nous fredonnant sa souriante ironie, le ton,
l’accent si grave de Pascal imprime une grandeur tragique. C’est ainsi que
Pascal me prépara au kantisme, à Berkeley, à Hume. Héritier par Montaigne
des sceptiques, Pascal ouvrait mon premier soupirail sur le doute philosophique
; il m’invitait à l’idéalisme subjectif, sans que je puisse m’en douter. ». -Henri
Massis, Maurras et notre temps, Paris, La Palatine, 1951, t. 1, p.19.

« Maurras n’avait pas lu Nietzsche lorsqu’il avait écrit ses pages prétendument
nietzschéennes […] Un « Voltaire barbare » ? Assez joli contresens, puisque,
barbare, Voltaire n’est plus Voltaire ; et aussi un «Allemand du XVIIIe siècle
qui s’incline devant le génie français », mais alors est-il encore barbare ? Non
décidément l’abbé Pierre n’avait pas de chance ; rien de nietzchéen
sérieusement, autour de Maurras ; rien non plus qui témoignât de la saisie du
nihilisme de Nietzsche et de ses risques effroyables, sauf peut-être chez Pierre
Lasserre: « je vous demande un peu de pitié pour la crispation de ce beau
visage. ». » -Pierre Boutang, Maurras la destinée et l’oeuvre, Paris, La
Différence, 1993, p. 329.

"Dès la déclaration de guerre, il appelle ses partisans à l'union nationale et


renonce à la lutte systématique contre le régime républicain, comme y invite le
duc d'Orléans dans un appel solennel publié dans L'Écho de Paris du 23 avril.
[...] Alors qu'un combat sans merci a été jusqu'alors mené contre la République,
on va voir Maurras soutenir le gouvernement radical de Viviani, jusqu'à
Aristide Briand, bête noire de l'Action française ; on le verra faire l'éloge des
ministres jugés compétents, comme Albert Thomas, ancien rédacteur de
L'Humanité et ministre des Armements." (p.257)
1532
-Stéphane Giocanti, Maurras : le chaos et l'ordre, Paris, Flammarion, coll.
Grandes biographies, 2008 (2006 pour la première édition), 568 pages.

« On relève chez Maurras une volonté de théoriser ce que pourrait être une
bonne politique coloniale. Le principe de la colonisation ne le gène nullement
car la situation géopolitique de la France l’impose : « L’immense
développement de ses côtes ne donne qu’une idée faible et imparfaite de
l’immense intérêt qu’elle a à naviguer et à coloniser. » [Action française, 22
novembre 1922] Il n’en demeure pas moins, selon lui, qu’elle doit se prémunir à
l’Est contre l’Allemagne. Le méridional Maurras a les yeux rivés sur la « ligne
bleue des Vosges », ce qui le conduit à proposer une politique étrangère à
double détente : « La défense contre l’ennemi germanique a le numéro un, parce
qu’elle est le salut. L’expansion occidentale et méridionale, d’ordre alimentaire
et vital, a le numéro deux. » Si le principe est acquis, encore faut-il s’entendre
sur les modalités. Le monarchiste Maurras s’inscrit dans le sillage de la politique
coloniale de la monarchie dont il loue les résultats et qu’il explique par une
coordination bien conduite entre finalités et moyens (la mise sur pied d’une
marine performante). La Troisième République, loin de s’inscrire dans un tel
héritage pècherait par ses insuffisances et ses « incohérences ». Au lendemain
du premier conflit mondial, dressant comme d’autres un bilan fort négatif de
l’état de la marine française le constat du penseur martégal est le même : « Notre
politique maritime contredit notre politique coloniale », ce qui le conduit à
formuler des craintes sur sa pérennité : « Prenons garde de perdre notre position
de second empire colonial sur notre planète. » [Action française, 23 juin
1920]. » -Olivier Dard, Les droites radicales et l’empire colonial au vingtième
siècle : https://books.openedition.org/septentrion/16168?lang=fr#ftn2

« Selon Pierre Nora, l'Action française connut deux apogées. Le premier, au


lendemain de la Grande Guerre -au cours de laquelle le journal de Maurras et
Daudet avait fait preuve d'un patriotisme et d'un antigermanisme propres à leur
rallier une vaste opinion, y compris dans les rangs des chefs politiques, comme
ce fut le cas de Raymond Poincaré: président de la République et indiscutable
républicain, il n'en eut pas moins une correspondance politique attentive avec le
chef de l'Action française. En 1919, quoique hostile au régime parlementaire,
l'Action française compta une trentaine des siens parmi les élus au Bloc
national.
Aux yeux d'un certain nombre de ses membres, l'Action française était en train
de s'embourgeoiser. Elle perdait de vue ses ambitions premières en gérant le
1533
capital de sympathie acquis durant la guerre en père de famille. Ce jugement
était, par exemple, celui d'un ancien Camelot du Roi -Georges Bernanos- qui
s'éloigna à ce moment-là de l'AF. » -Michel Winock, Le XXème siècle
idéologique et politique, Éditions Perrin, coll. Tempus, 2009, 540 pages, p.234.

"Le 5 juin [1940], Maurras commentait en l'approuvant la déclaration de


Churchill à ses compatriotes, après Dunkerque: "Nous n'abandonnerons jamais,
et même si nous le faisions, ce que je ne crois pas un instant, si cette île ou une
partie d'elle était soumise, réduite à la famine, notre Empire, au-delà des mers,
armé et gardé par la Flotte, poursuivrait le combat", remarquant simplement
que Churchill dramatisait peut-être: "Nous avons aussi de belles portes de
sortie du côté de l'Algérie et de toute l'Afrique du Nord -mais, diable ! diable !
diable ! comment peut-on penser qu'on puisse en venir là ! Tout le monde est
résolu à se défendre. Personne ne se rendra. Personne n'acceptera la paix des
Boches". […]
Les journalistes arrivaient à Villefranche-de-Rouergue quand ils reçurent des
nouvelles de l'Armistice, signé le 22 juin, et c'est de là qu'ils télégraphièrent à
Pétain leur chaleureuse approbation pour son appel à l'Union Nationale. Il
n'était plus question désormais de poursuivre le combat dans l'Empire d'outre-
mer. Trois semaines auparavant, Maurras avait pensé qu'il faudrait le faire si
les choses en arrivaient là. Il fallait être fou à lier, déclarait-il aujourd'hui à
l'Agence Havas, pour essayer de faire prévaloir le jugement de n'importe qui sur
la science militaire de Pétain et Weygand." (p.482-483)
-Eugen Weber, L'Action française, Fayard, coll. Pluriel, 1985 (1962 pour la
première édition états-unienne), 685 pages.

Jacques Bainville (1879-1936) : « L’Allemagne parla en maîtresse, comme on


le vit en 1905 par le renvoi de M. Delcassé (l’« humiliation sans précédent », le
phénomène « unique dans l’histoire»). » -Jacques Bainville, « Quarante ans
d’Empire allemand », L’Action Française Mensuelle, 15 février 1911.

« A sa seule impudeur le Juif se révèle étranger parmi nous. » -Jacques


Bainville, L’Action française, 1er octobre 1937.

« L'image de Jacques Bainville est d'abord celle, un peu convenue, d'une


référence éminente de l'Action française, journaliste et historien de talent,
brillant analyste de la situation internationale de l'entre-deux-guerres. Né à
Vincennes en 1879 dans une famille de souche lorraine, républicaine depuis le

1534
Second Empire, il étudie au lycée Henri IV et fréquente brièvement la Faculté de
Droit de Paris. Les questions financières le passionnent déjà, mais aussi
l'Allemagne, qu'il découvre dans les écrits d'Heinrich Heine ou de Nietzsche,
avant de voyager outre-Rhin dès l'été 1897. La conscience du danger allemand,
en même temps que l’influence prégnante de Barrès, le conduit au nationalisme.
Lorsqu'éclate l'affaire Dreyfus, il soutient dans une premier temps le capitaine,
par souci de justice, mais ne tarde pas à rejoindre le camp adverse, par réflexe
conservateur, contre Zola et pour la défense de l'armée.
En mars 1900, il rencontre Charles Maurras au café de Flore, qui le séduit tout
autant par la qualité de sa critique littéraire que par la cohérence de sa
doctrine, son empirisme et son absence de préjugé religieux. Convaincu de la
supériorité du modèle politique allemand, Bainville est déjà gagnée aux idées
monarchistes. Il est l'un des premiers à répondre dans la Gazette de France à
l'Enquête sur la monarchie. Avec Maurras, il collabore à la revue traditionaliste
Minerva, fondée en 1902 par Réné-Marc Ferry, et enseigne les relations
internationales à l'Institut d'Action française, tout en assurant nombre de
chroniques dans le journal du mouvement: vie parlementaire, diplomatie,
économie, bourse et même vie théâtrale, rien n'échappe à sa plume.
Il s'engage en 1914, mais, réformé par Poincaré, il est envoyé en mission dans
la Russie de 1916, où il est témoin des derniers soubresauts du régime tsariste.
Hostile au traité de Versailles, il publie en 1920 Les Conséquences politiques de
la paix, ouvrage prophétique où il dénonce en une formule célèbre "une paix
trop douce pour ce qu'elle a de dur", déjà lourde des tensions internationales à
venir. Son audience s'étend alors bien au-delà des cercles monarchistes. Il écrit
sans relâche, dans La Liberté, Le Capital, Le Petit Journal, Le Petit Parisien, la
Revue des deux Mondes, fonde La Revue Universelle en 1920 et collabore à
Candide en 1924. Quand à son œuvre historique, elle lui vaut aussi la notoriété.
Il avait débuté en 1900 avec une biographie de Louis II de Bavière ; ce furent
ensuite Bismarck et la France en 1907 et plusieurs ouvrages sur l'Allemagne,
avant une Histoire de France exaltant l’œuvre capétienne, largement diffusée en
1924. Napoléon en 1931, puis La Troisième République en 1935 retiennent son
attention. Mais lorsqu'il se consacre aux Dictateurs, se font jour les limites de
son analyse, tout autant que l'ambiguïté de son admiration pour les "grands
hommes". Sur le fascisme naissant en Italie, sa réflexion sait se montrer
mesurée, loin de l'exaltation d'un Georges Valois ; il se montre lucide sur la
gravité de la menace hitlérienne, mais n'en mesure pas -à l'instar de Maurras-
la spécificité, alors même qu'il est devenu aux yeux du public l'oracle incontesté
1535
des tourmentes internationales des années trente. Un "cercle d'études Jacques
Bainville", réunissant entre Paul Valéry, Henry Bordeaux ou Abel Bonnard,
atteste de sa renommée.

Bainville meurt d'un cancer le 9 février 1936, trois mois après avoir été reçu à
l'Académie française, au fauteuil de Raymond Poincaré. Ses obsèques, le 13
février, sont marquées par l'épisode bien connu de l'agression de Léon Blum par
les Camelots du Roi sur le trajet du cortège. Conséquence directe de ces
troubles, l'Action française est dissoute par décret dès le lendemain, en
application d'une loi contre les ligues votées un mois plus tôt. » (p.29 et 32)

-Agnès Callu & Patricia Gillet, "Jacques Bainville (1879-1936)", in Agnès Callu
& Patricia Gillet (éds), Lettres à Charles Maurras. Amitiés politiques, lettres
autographes (1898-1952), Presse Universitaires du Septentrion, 2008, 259
pages.

« Jacques Bainville est très marqué par l’influence de Carlyle. » -Christophe


Salvat, « Rousseau et la « Renaissance classique » française (1898-1933) »,
Astérion [En ligne], 12 | 2014, mis en ligne le 24 juin 2014, consulté le 30 mai
2018.

« L’entrée du jeune homme dans le monde de la critique littéraire ne surprend


guère dans la mesure où celui-ci, avant de s’attacher à l’histoire et à la
politique, s’intéresse beaucoup à la littérature. Son premier article, consacré à
Nietzsche, est d’ailleurs publié en 1897 dans la revue L’Avenir artistique et
littéraire. Cependant, dans Le Critique mort jeune, qui constitue un recueil
d’articles datant des années 1902-1907 mais publié seulement en 1927,
Bainville fait en préface une confidence : « Depuis longtemps, j’ai cesé d’être
un critique littéraire. Je ne crois pas que telle fût ma vocation. » Pourtant, c’est
effectivement le directeur de Minerva, René-Marc Ferry, qui donna sa chance à
ce jeune garçon qui n’avait pas vingt-trois ans. A cette époque, celui-ci
recherche les idées dans la littérature. La lecture du livre capital de Maurras
Trois idées politiques : Chateaubriand, Michelet, Sainte-Beuve l’a confirmé
dans cette voie. C’est d’ailleurs Maurras qui pousse Bainville vers Minerva,
revue bimensuelle de critique littéraire fondée en 1902 par René-Marc Ferry et
par Félix Jeantet. La date de 1902 est importante. Nous savons en effet que
Bainville songeait à abandonner la carrière de critique en cette année 1902 :

1536
« Je songe (et non par caprice) à cesser d’écrire et ne pas prendre le métier
d’auteur », confie-t-il à Maurras. « Je n’ai aucune confiance en moi-même.
Imagination nulle, intelligence médiocre, peu brillant au jeu des idées […]. Je
me connais quelques qualités qui seront mieux employées à tout autre chose
qu’à la littérature. »

Et il pense alors à sa famille portée vers l’entreprise commerciale. Mais


Maurras confirme Bainville dans la carrière de critique. Dès lors, les années
suivantes, il gardera toujours à l’égard de Maurras bien sûr, mais aussi de
Ferry, une immense reconnaissance : on se souvient de ceux qui étaient là lors
des moments de doute ou de crise. […]

Maurras […] incite […] le jeune Bainville à plus de prudence et de retenue


dans ses critiques : c’est ce qui le gêne et le fait douter de ses propres
capacités. » (p.36-37)

« Bainville appelait gentiment le XIXe siècle « le vieil utopiste ». C’est ici toute
la retenue qui le distingue d’un Daudet qui, lui, qualifiait le siècle des
révolutions comme « le stupide XIXe siècle ». Bainville utilise pour la première
fois l’expression de « viel utopiste » dans sa préface de L’Histoire de Trois
générations publiées en 1918 et qui constitue une critique et une analyse des
rapports franco-allemands au XIXème siècle. Dans les premières pages du livre,
il écrit :

« Notre cher XIXe siècle ! Il est souvent mal traité dans ce récit, le vieil
utopiste ! Nous lui en voulons des douleurs et des tâches qu’il a léguées au
vingtième. Mais c’est de lui que nous sortons et que nous aurons vécu. »

Le Viel utopiste est précisément le nom du troisième recueil d’articles de


Bainville consacré à ses critiques littéraires d’avant-guerre ; le volume publié
lui aussi en 1927, rassemble des textes de La Gazette de France des années 1901
à 1907. Dans sa préface, l’auteur se pose en fils du XIXe siècle, un XIXe siècle
long dont il voit le terme dans la période de la Grande Guerre. » (p.38-39)

« Le Vieil utopiste s’ouvre par deux articles sur l’Écossais Carlyle. Il considère
son œuvre comme supérieure en influence à celle de Nietzsche sur sa
génération. Influence dans les idées d’ordre, de réaction, du besoin d’un pays
d’être dirigé par des êtres d’exception, des hommes d’élite. » (p.39)

« Bainville […] n’a rien de l’antisémitisme maurrassien. » (p.41)


1537
« En cette période d’avant-guerre, l’œuvre barrésienne et le culte du moi
influencent encore le jeune homme qu’il est. » (p.42)

-Christophe Dickès, « Jacques Bainville, une critique culturelle éphémère ? »,


chapitre in Olivier Dard, Michel Leymarie & Neil McWilliam (eds.), Le
maurrassisme et la culture. L’Action française. Culture, société, politique (III),
Presses Universitaires du Septentrion, coll. Histoires et Civilisations, 2010, 370
pages, pp.35-44.

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-49&keywords=Olivier+Dard

Léon Daudet (1867-1942): « Quant à la Critique de la Raison pure: la


distinction fondamentale, irrémédiable, entre le noumène et le phénomène, entre
le moi et le non moi, aboutit à découronner la science de son caractère de
certitude et à détrôner la raison. Notre prétendue incapacité à concevoir
l’essence des choses et des êtres nous impose l’état de doute, de fantaisie,
d’arbitraire permanent, nous engourdit quant au monde extérieur, et se perd,
tantôt dans un scepticisme morne et boudeur, tantôt dans un altier refus de
conclure. C’est l’école de la paralysie mentale, du rêve à vide, de la chimère
divinisée. A chacun sa nuée, et défense de s’entendre sur quelques principes
fondamentaux qui ne soient ni restrictifs, ni prohibitifs, ni négatifs, défense
1538
d’être reliés (religio). (....). Tous les systèmes fondés sur le sensible au détriment
de la Raison, soit en Allemagne, soit en France, doivent se réclamer
d’Emmanuel Kant. Il est le père de cette loucherie, de ce que j’appellerai cette
diplopie mentale, qui décompose le relief de la vie, du réel, en deux éléments
désormais incapables de se rejoindre: le concevant et le conçu, le percevant et
le conçu, le percevant et le perçu, le sentant et le senti. Par cette fissure
s’écoulera dans toute la substance philosophique que nous devons à Aristote, à
Platon et à saint Thomas. » -Léon Daudet, Hors du joug allemand, NLN, Paris,
1915, p.15.

« Personnage emblématique de l’Action française, Léon Daudet (1867-1942) est


un auteur prolixe. Il a écrit cent-vingt-huit ouvrages. En 1891, dès l’âge de 24
ans, il commence à publier dans La Nouvelle Revue de Juliette Adam un
feuilleton qui donne lieu à son premier roman : L’Héritier. Cette frénésie
d’écriture va durer un demi-siècle. C’est en 1941 que paraît son dernier
ouvrage : Sauveteurs et incendiaires. […] Entre 1908, année de la fondation du
quotidien L’Action française, et décembre 1941 quelques mois avant sa mort, le
fils d’Alphonse Daudet aura donné au journal monarchiste un éditorial presque
chaque jour. […]

Durant ces cinq décennies, la plume insatiable de Léon Daudet brosse un


portrait cruel de ses contemporains. La causticité rivalise sans cesse avec la
furie, ce qui rend son inscription dans la veine pamphlétaire légitime. Pourtant,
l’intéressé ne la revendique guère, préférant sa définir dans Au temps de Judas,
comme « un historien des mœurs » de son temps. » (p.25)

« Dans La France juive, Édouard Drumont a ouvert une brèche dans laquelle
s’engouffrent les nationalistes. Léon Daudet le fréquente et apprécie cet
« historien et critique génial des phénomènes sociaux ». Il participe aux
campagnes de dénigrement des juifs, milite au sein de la Fédération nationale
antijuive, fondée en 1903, et La Libre Parole lui ouvre ses colonnes. Le succès
de son livre Le pays des Parlementeurs (1901) lui apporte une légitimité très
forte au sein des milieux antisémites. » (p.28)

« Léon Daudet explore tous les recoins de l’espace politique en assénant ce qui
lui apparaît comme des vérités absolues. De fait, l’auteur ne se remet jamais en
cause ; jamais il ne manifeste une quelconque hésitation. » (p.31)

1539
-Philippe Secondy, « Léon Daudet pamphlétaire », chapitre in Olivier Dard,
Michel Leymarie & Neil McWilliam (eds.), Le maurrassisme et la culture.
L’Action française. Culture, société, politique (III), Presses Universitaires du
Septentrion, coll. Histoires et Civilisations, 2010, 370 pages, pp.25-34.

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BROCHE/dp/2221072073/ref=sr_1_32?s=books&ie=UTF8&qid=1528447157
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Pierre Lasserre (1867-1930): "When he comes to write his Nietzsche, during


his stay in Germany, some features of the first book will have vanished, others
will have been heightened and sharpened. No more preoccupation with divine
Grace, no more stereotyped boutades at deterministic science. [...] Lasserre
goes on to say: "Nietzsche nous a surtout aidé ainsi que maint autre de notre
génération à rentrer en jouissance de certaines vérités naturelles". And these
truths, he tells us, are "classical, positive, traditional". With a sense for French
classicism rare among Germans, Nietzsche is an astute critic also of German
culture. Nietzsche is a conservative who talks like a rebel." (p.201)

"Two decades later, he was to reaffirm [...] the importance of Nietzsche in his
intellectual development." (p.203)

"His Morale de Nietzsche was published as a sort of anti-Dreyfusard manifesto


in November 1899. In a review of Anthinéa in 1902, Lasserre points out that the
movement led by Maurras owed much to the German writer. He notes:
"Maurras qui ne peut que sympathiser avec ce grand allié ne le trouve pas très
sûr". In explanation of Maurras"s reserve and his own enthusiasm, he writes:

Ceux-là seuls seront équitables envers Nietzsche et connaîtront sa valeur, dont il


a, sans les faire solidaires de ses propres entraînements, aidé l'intelligence à se
purifier. Ce que Maurras combat du grand jour avec les dons simples de la
raison, Nietzsche le décompose parmi les minuties et les odeurs du laboratoire.
Vous n'avez pas eu besoin de Nietzsche, ô fils de Provence... Vous n'avez pas
subi les ténébreux événements des épuisants scrupules de la vie chrétienne...
vous étidez d'instinct polythéiste ; votre pensée ne s'est jamais égarée dans le
désert du monothéisme juif, ni du mono-panthéisme allemand. [Mercure de
France 42 (June, 1902), 611-621.]" (p.205)

1540
-Reino Virtanen, "Nietzsche and the Action Française: Nietzsche's Significance
for French Rightist Thought", Journal of the History of Ideas, Vol. 11, No. 2
(Apr., 1950), pp. 191-214.

“Pierre Lasserre offre un exemple encore plus net d'un libéral rallié à Maurras.
Reçu à l'agrégation de philosophie en compagnie d'Élie Halévy et Louis Dimier,
Lasserre a compté parmi les premiers membres de l'Action française dès 1899,
en étant à la fois dreyfusard sur le plan judiciaire et antidreyfusard en politique.
Il écrit dans L'Action française mensuelle, et soutient en 1907 une thèse qui fait
scandale à la Sorbonne, appelée à retentir au moins jusqu'à la guerre: Le
Romantisme français. Essai sur la révolution dans les idées et les sentiments au
XIXème siècle. Là, il complète les intuitions de Maurras dans un langage
universitaire parfois étroit, mais où il démontre que le romantisme, loin de se
confiner au seul espace littéraire, touche à la métaphysique, à la morale et à
l'attitude de l'homme devant la vie, au problème de sa responsabilité dans la
Cité. L'ouvrage marque une date charnière en préparant l'antiromantisme de la
Revue critique des idées et des livres, celui de la NRF. Julien Benda lui devra
beaucoup: Maurras et Lasserre l'accuseront de plagiat. Gide note que l'ouvrage
de Lasserre est "le plus important livre de critique qu'on nous ait donné depuis
Taine". Thibaudet le considère comme l'un des meilleurs critiques de son temps.
Les débats provoqués incitent Lasserre à poursuivre sa tâche, en critiquant le
haut enseignement de l'Etat et en défendant les Humanités classiques. Lorsqu'il
publie au Mercure de France La Morale de Nietzsche, Maurras saisit l'occasion
pour reprendre sa critique du philosophe allemand (à l'emporte-pièce), et
dénouer les fausses analogies. C'est Lasserre qui tient la critique littéraire de
L'Action française depuis sa création. Il s'éloignera du mouvement en 1914,
agacé, semble-t-il, par les réductions militantes auxquelles ses thèses donnent
lieu, mais surtout désireux de se consacrer à son travail, quitte à rejoindre ce
libéralisme politique dont il était originaire, auprès de Paul Desjardins. Il
enseignera à l'École pratique des hautes études et donnera encore plusieurs
œuvres marquantes, comme La Jeunesse d'Ernest Renan. Malgré ce retrait,
lorsque Lasserre publie en 1918 Mistral, poète, moraliste et citoyen, Maurras
commente favorablement cet ouvrage. Il ne semble pas que les deux hommes
aient nourri une amitié intime. » -Stéphane Giocanti, Maurras : le chaos et
l'ordre, Paris, Flammarion, coll. Grandes biographies, 2008 (2006 pour la
première édition), 568 pages, p.243-244.

1541
« Plus tard, c’est Lasserre [agrégé de philosophie] qui combat vigoureusement
la philosophie de Bergson : en août et en septembre 1910 il consacre toute une
série d’articles dans le journal L’Action française à « La philosophie de M.
Bergson », et en janvier 1911 il revient sur le sujet à l’Institut d’Action
française. Pour l’auteur de la thèse retentissante Le Romantisme français
(1907), la pensée du professeur du Collège de France est contaminée par un
penchant excessif à la sensibilité et au confus. Cependant, comme note avec
pertinence François Azouvi, la critique de Lasserre n’est pas unilatérale. Ainsi
Bergson est-il crédité de son rejet, depuis le temps des Données immédiates de
la conscience, de l’intellectualisme néo-kantien. Mais, d’autre part, Bergson est
jugé incapable de se hisser au niveau d’un Aristote, d’un Leibniz ou d’un
Auguste Comte, tout simplement parce qu’il est juif ; on voit là toute la
prégnance de l’antisémitisme maurrassien. » -Michael Sutton, « Le
maurrassisme face aux philosophies bergsonienne et blondélienne », chapitre in
Olivier Dard, Michel Leymarie & Neil McWilliam (eds.), Le maurrassisme et la
culture. L’Action française. Culture, société, politique (III), Presses
Universitaires du Septentrion, coll. Histoires et Civilisations, 2010, 370 pages,
pp.83-97, p.92.

« Le 18 juillet 1906 eut lieu en amphithéatre de Sorbonne un événement qualifié


presque trente ans plus tard par Gilbert Maire, ancien disciple de Bergson et
apostat royaliste, de « coup de foudre ». La soutenance de thèse du jeune
critique Pierre Lasserre, présentée sous le titre apparemment anodin de
Romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les
idées au XIXe siècle provoqua une controverse qui garantit la célébrité de son
auteur. D’après Maire, la confrontation constitua une victoire hautement
symbolique :

« Le talent, l’audace du candidat avaient triomphé des dispositions du jury. Ses


ripostes cinglantes avaient brisé les perfidies d’Aulard, les insolences de Basch.
Dans ce combat oratoire que la sympathie du public faillit transformer en mêlée
générale, la Sorbonne avait dû s’avouer vaincue. Elle en gardait comme la
meurtrisure d’une gifle sur un visage. » [Maire, Bergson, mon maître, Paris,
Grasset, 1935, p.149]

La publication de la thèse en 1907 renouvela la controverse et redoubla les


éloges. Le jeune militant royaliste Henri Clouard félicita l’auteur d’avoir offert
une formule qui marqua un « retour conscient, et magnifiquement motivé, à
1542
l’Ordre, au Classicisme intégral ». Déclarant que ce livre de critique était « un
livre de vie », il indiqua la dette que devait Lasserre, ainsi que bien de ses
contemporains, à l’exemple de Charles Maurras : « Une forte part de la France
pensante lui doit d’avoir éliminé l’anarchie des sentiments et de la pensée. Il fut
un précurseur. » (p.173)

« Dès le début des années 1890 et la fondation avec Jean Moréas de l’École
romane française, Maurras met en cause le romantisme. Avec des titres aussi
célèbres que ses Amants de Venise, analyse mordante de la liaison entre Alfred
de Musset et George Sand apparue en 1902, et L’Avenir de l’intelligence, publié
en 1905 avec des chapitres consacrés au « romantisme féminin », Maurras pose
les termes du débat bien avant l’irruption sur scène de Lasserre. Mais, il importe
de reconnaître que le réquisitoire prononcé contre le romantisme par des
personnalités royalistes se situe au cœur d’un débat plus large et aux
implications multiples, influencé par des penseurs comme Friedrich Nietzsche,
Henri Bergson, et Charles Darwin, et formé par des discours concernant, entre
autres, la dégénérescence nationale, le mysticisme religieux, la hiérarchie sociale
et l’émancipation de la femme. La centralité symbolique du romantisme, ainsi
que la longevité de ces débats qui se poursuivent jusqu’aux années 30, forment
bien sûr un pôle d’une dialectique politico-esthétique dont le terme opposé, le
classicisme, figure largement dans les études consacrées au maurrassisme
culturel. […]

En 1907, l’année de la publication du livre de Lasserre, Maurras lui-même


déclara : « la moitié au moins de ma vie intellectuelle s’est dépensée à la critique
du sentiment et du goût romantiques » [Lettre à Serge Basset, publiée dans Le
Figaro du 27 février 1907, citée d’après Ivan P. Barko, L’Esthétique littéraire de
Charles Maurras, Genève, Droz, 1961, p.107]. Cette affirmation rappelle
l’observation, faite d’ailleurs non seulement par Maurras mais aussi par d’autres
militants [par exemple, Louis Dimier, « Chronique artistique », L’Action
française, 17 mars 1912 : « si quelques-uns de nous sont devenus royalistes, il
faut qu’on sache que l’aversion pour le romantisme […] y a été pour
beaucoup. »], que leur engagement politique fut le fruit d’une prise de
conscience esthétique. Pour ce qui concerne les tares attribuées au romantisme,
Maurras en avait identifiés trois principales dans Trois Idées politiques, publié
en 1898 : « manque d’observation, arrêt du sens critique, lésion profonde de la
faculté logique ». Attribuant cette maladie mentale aux conséquences de la
Révolution française –et surtout à l’exemple de son précurseur Rousseau-,
1543
Maurras condamna le romantisme comme la manifestation culturelle d’un
individualisme qui avait porté un coup fatal aux structures traditionnelles de
l’autorité politique. » (p.174-175)

« La bizarrerie formelle discernée par Maurras dans la poésie de ces femmes


romantiques est liée aussi à ce qui constitue leur aberration : elles sont des
« métèques indisciplinées », et, dans le cas de Lucie Delarue et de Renée Vivien,
des lesbiennes notoires. En tant que femmes et étrangères, elles sont jugées
insensibles à l’esprit français fondé sur la logique et exprimé par le classicisme.
Leur art est le produit d’une sensibilité déréglée que Maurras considère
irrévocablement autre. Ainsi constitué, le féminin représente tout ce qui est
hostile aux valeurs authentiquement françaises : codé comme féminin, le
romantisme n’est rien moins que castrateur. Les femmes-artistes, comme le
quatuor présenté par Maurras ou comme Georges Sand, qui incarne pour Daudet
« une erreur de la nature, qui lui avait donné la violence du mâle dans un
organisme féminin » [Daudet, Le Stupide XIXème siècle, 1922, in Souvenirs et
polémiques, Paris, Robert Laffont, 1992, p.1229], symbolisent une anarchie
sexuelle ressentie comme autrement plus grave dans le domaine masculin. […]
Maurras lui-même est formel : le Romantisme entraîna chez les mieux organisés
un changement de sexe, et il passe en revue ses victimes, de la « prodigieuse
coquette » Chateaubriand jusqu’à Baudelaire et Verlaine, ces « vieilles
coureuses de sabbat », en passant par Musset, « une étourdie vainement folle de
son cœur ».

Cette réaction hystérique envers un romantisme féminin dans le plein sens du


terme semble être un symptôme de ce que plusieurs historiens ont identifié
comme une crise de la masculinité à la fin du XIXe siècle. La période voit une
renégociation difficile des rapports entre les sexes, grâce surtout à l’apparition
de la « Femme nouvelle » avec ses réclamations d’une liberté personnelle et
politique plus large. Exacerbée par une crise de confiance entraînée par l’échec
militaire de 1870, cette renégociation provoqua une résistance qui visa à la
restauration de l’équilibre soi-disant naturel entre les sexes. Les milieux
conservateurs et nationalistes furent particulièrement virulents dans leur
opposition à l’accès des femmes à l’instruction et à des campagnes féministes
qui réclamaient une plus large autonomie civile, professionnelle et culturelle.
Pour des personnalités comme Edouard Drumont, Jules Lemaître ou Gustave Le
Bon, ainsi que dans la presse catholique, la famille représentait le domaine
privilégié, voire exclusif, de la femme, jugée inapte à assumer un rôle plus actif
1544
dans la société. C’est ainsi que le publiciste Victor Joze caractérise la femme en
1895 comme « une espèce de grand enfant nerveux, incapable de juger les
choses à froid, avec justesse et bons sens. Voilà pourquoi les écrits de la plupart
des bas bleus sont remplis de tant d’exagérations, d’emballements inutiles, de
phrases épatoires et vides… ». Vue d’une telle perspective, l’émancipation
féminine, et les prétentions qui en découlaient, faisaient violence à la nature
véritable de la femme et compromettaient la survie de l’ordre social. Dans un
réquisitoire contre le féminisme publié en 1897, Maurras est formel : la
« curieuse interversion de sexes qui se produit autour de nous » n’était autre que
le symptôme d’une crise radicale sapant les fondements de la société française :

« Tout a beaucoup changé, malheureusement. […] Il y a crise philosophique et


religieuse, crise politique, crise économique, dont les mœurs éprouvent et
doivent éprouver le contre-coup naturel. » [Maurras, « Le Féminisme », La
Revue encyclopédique, vol. 7, n°191, 1 mai 1897, p.355 et 356]

La dénatalité, grave sujet d’inquiétude à droite, fut perçue comme symptôme


d’un affaiblissement de la hiérarchie familiale par une vague d’individualisme
qui menaçait le beau sexe et entraînait « la pseudo-virilisation de la femme ».
Dépréciée en tant que créature dénaturée en voie d’assumer une identité
masculine, la « femme nouvelle » fut perçue comme une menace aussi nocive
que le socialisme, l’anticléricalisme ou le protestantisme, victime d’une
« maladie anti-française » cosmopolite et perverse. Selon ses ennemis, le
féminisme entraînait « une glorification de l’instinct », vaine tentative de
compenser l’infériorité intellectuelle du sexe, qui encourageait l’irruption des
femmes dans le monde artistique et littéraire, où elles se faisaient remarquer par
un saphisme effronté dont Renée Vivien, la bête noire de Maurras, devint
exemplaire.

Cette image de confusion sexuelle se complique au tournant du siècle dans le


climat conflictuel provoqué par l’affaire Dreyfus. Pour les publicistes anti-
dreyfusards –dont les militants de l’Action française- les hommes de lettres
ralliés autour du Capitaine, ainsi que Dreyfus lui-même, sont souvent dénigrés
en tant que figures féminisées. L’intellectuel dreyfusard est doué, dans le
discours nationaliste, de traits qui suggèrent son insurmontable altérité :
physiquement, il est faible et sans énergie ; moralement, il est narcissique et
indifférent à ses obligations envers la patrie ; socialement, il fréquente un monde
à part, cosmopolite et efféminé. » (p.177-180)
1545
« Comme l’a bien montré François Azouvi, le bergonisme est ciblé par Maurras
et ses proches à partir de 1907 sous le signe de « La Défense de la raison » titre
d’un article annonciateur signé par Louis Dimier qui s’en prend aux « droits de
l’instinct et du sentiment » promus par le philosophe [Dimier, « La Défense de
la raison », L’Action française, 1 octobre 1907]. Les origines juives et les
sympathies dreyfusardes de Bergson accentuent la virulence de la critique d’une
doctrine perçue comme anti-française dans le défi qu’elle présente à la tradition
rationaliste. Mais l’altérité du bergsonisme froisse d’autres sensibilités, révélées
en 1914 quand Maurras dénonce le « romantisme féminin » du philosophe. »
(p.181)

« Inspiré par une interprétation particulière de Nietzsche, qu’il découvre au


milieu des années 1890, Lasserre exalte le classicisme […] Se référant surtout
au Gai Savoir, Lasserre souligne la faiblesse et le sensualisme du romantique
[…] L’art est ainsi réduit à un « vertige sensuel » [« Nietzsche et l’anarchisme »,
L’Action française, vol 1, n°11, 15 décembre 1899, p.659] Là encore, on est
confronté à un schéma, calqué sur Nietzsche, qui aligne des valeurs négatives
codées comme féminines, opposées à des antithèses positives qui portent des
connotations viriles : esclave contre élite, corps contre esprit, sentiment contre
raison. » (p.182-183)

-Neil McWilliam, « Qui a peur de George Sand ?: Antiromantisme et


antiféminisme chez les maurrassiens », chapitre in Olivier Dard, Michel
Leymarie & Neil McWilliam (eds.), Le maurrassisme et la culture. L’Action
française. Culture, société, politique (III), Presses Universitaires du Septentrion,
coll. Histoires et Civilisations, 2010, 370 pages, pp.173-184.

« En 1914, Lasserre se sépare également de Maurras et de l’Action française


qu’il accuse de vouloir caricaturer sa pensée. Ses écrits postérieurs sont plus
ouverts envers l’influence allemande et envers le romantisme. Dans sa Jeunesse
de Renan, publié en 1925, il tente ainsi d’expliquer (plutôt que de condamner)
l’intérêt intellectuel que Renan portait à l’Allemagne. Dans Des Romantiques à
nous (1927), il atténue le rôle de Rousseau et reconsidère ses positions
notamment vis-à-vis de la Révolution française et des auteurs Romantiques qui
lui sont associés (Michelet, Hugo). » -Christophe Salvat, « Rousseau et la «
Renaissance classique » française (1898-1933) », Astérion [En ligne], 12 | 2014,
mis en ligne le 24 juin 2014, consulté le 30 mai 2018.

1546
A. M. Gasztowt, Pierre Lasserre (1867-1930), Paris, Le Divan, 1931.

http://hydra.forumactif.org/t4356-pierre-lasserre-la-morale-de-nietzsche#5236

Louis Dimier (1865-1943): « Dans le véritable culte dont le XIXe siècle avait
entouré le Moyen Age et les primitifs Dimier voyait un des effets les plus
néfastes de la Révolution sur la culture. La Révolution avait introduit une
fracture dans le goût, brisant la continuité d’une tradition critique qui
reconnaissait dans la Renaissance italienne, puis dans l’art français du XVIIe
siècle, le sommet de l’histoire artistique de l’Europe. » (p.216)

« Par cet attachement à l’idée de tradition s’explique aussi le mépris dont


Dimier a toujours fait preuve à l’égard de son temps. Le XIXe siècle s’ouvre sur
ce qu’il désignait sous le nom éloquent de « révolution davidienne ». En
supprimant l’Académie des Beaux-arts, David a décrété la fin du système
traditionnel d’organisation et de contrôle de l’activité artistique, laissant libre
cours à l’anarchie des principes et des méthodes. » (p.217)

-Michela Passini, « Louis Dimier, l’Action française et la question de l’art


national », chapitre in Olivier Dard, Michel Leymarie & Neil McWilliam (eds.),
Le maurrassisme et la culture. L’Action française. Culture, société, politique
(III), Presses Universitaires du Septentrion, coll. Histoires et Civilisations, 2010,
370 pages, pp.209-218.

http://hydra.forumactif.org/t4298-louis-dimier-les-troncons-du-serpent-idee-d-
une-dislocation-de-l-empire-allemand-et-d-une-reconstitution-des-allemagnes-
vingt-ans-d-action-francaise-et-autres-souvenirs?highlight=Louis+Dimier

Henri Massis (1886-1970): « Cette sorte de bolchevisme raciste, qu’est en


réalité le germanisme hitlérien, ne saurait, d’aucune façon, passer pour une
défense de la civilisation d’Occident. […] Le problème posé par le racisme
allemand atteint les plans profonds et derniers de l’âme ; il met en cause nos
positions de base métaphysiques, et l’humanisme lui-même est touché par cette
subversion farouche de tous les principes de la pensée humaine. […] Contre
l’oppression raciste, les chrétiens n’ont, en effet, que la foi. Mais « la vraie lutte
commence là ». » -Henri Massis, « La Guerre religieuse du IIIe Reich », La
Revue universelle, novembre 1938, repris in Chefs.

« Henri Massis occupe une place à part. Il n’est pas un doctrinaire ni une plume
marquante du quotidien dans lequel il n’a pas écrit. […] Pourtant, depuis ses
1547
premiers échanges épistolaires avec Maurras en 1912 et surtout son
rapprochement avec l’AF au lendemain du premier conflit mondial, Henri
Massis a été en contact quotidien avec elle […] Le catholique militant Henri
Massis, contrairement à son ami Jacques Maritain, a fait le choix de la fidélité
au maurrassisme même « quand Rome a parlé ». » (p.219)

« Dès avant 1914, Henri Massis est un critique politique reconnu dont l’écho de
l’essai de 1927, Défense de l’Occident ne doit pas faire négliger ses autres
ouvrages politiques, de Chefs à L’Europe en question en passant par
Découverte de la Russie. […]

Dès la publication de la célèbre enquête d’Agathon, il fait montre de son intérêt


pour la jeunesse, dont il est alors une des figures emblématiques, et se place
d’emblée à travers un goût marqué pour les débats autour de la génération ou
de la relation maître-disciple, comme un homme qui reçoit, diffuse mais aspire
aussi à donner. Massis est en effet, après le premier conflit mondial, un
remarquable éveilleur pour toute la Jeune droite, de Fabrègues à Maxence, de
Brasillach à Maulnier. Massis est aussi un entrepreneur culturel et politique via
la rédaction de manifestes et surtout la mise sur pied de revues, du Roseau d’Or
à la Revue universelle dont il est, avec Jacques Bainville, la principale cheville
ouvrière.

Figure majeure de la scène intellectuelle française, Henri Massis est encore, un


des maurassiens les plus diffusés à l’étranger. Défense de l’Occident a été
traduit en anglais, en allemand et en espagnol (Massis y a été traduit avant
Maurras). Par la suite, et dans le prolongement des Cadets de l’Alcazar, les
ouvrages de Massis ont été principalement diffusés dans la péninsule ibérique et
en Argentine. Par la diffusion de ses idées mais aussi de ses récits et
témoignages (en particulier sur Maurras), Henri Massis peut être considéré
comme un ambassadeur de la culture maurrassienne. » (p.220)

« Littérature, religion et politique scandent ainsi un cheminement intellectul


entamé au lycée Condorcet, où il est l’élève d’Alain (1903), puis poursuivi en
lettres à la Sorbonne où il obtient une licence de philosophie en 1908. C’est
aussi le temps des rencontres d’Anatole France (vu chaque mercredi à la villa
Said entre 1905 et 1907), de Maurice Barrès (visité à Neuillt ou dans sa
permanence de député des Halles) ou encore d’Henri Bergson dont il suit les
cours au collège de France et qu’il va voir le dimanche matin à la villa

1548
Montmorency. La vocation littéraire de Massis s’affirme et se traduit par un
premier ouvrage sur Zola remarqué par Émile Faguet, une étude sur La Pensée
de Maurice Barrès et les deux célèbres ouvrages publiés, avec Alfred de Tarde,
sous le pseudonyme d’Agathon, L’esprit de la nouvelle Sorbonne et Les jeunes
gens d’aujourd’hui. […]

Henri Massis est une figure marquante du jeune renouveau catholique de


l’avant 14. Bergson a joué, comme pour d’autres (de Psichari à Maritain en
passant par Etienne Gilson et Gilbert Maire), un rôle essentiel dans cette
évolution même si, après avoir été adulé, le philosophe a été rejeté. » (p.221)

« Henri Massis existe intellectuellement et éditorialement avant sa rencontre


avec Maurras et l’Action française dont les débuts, qu’il s’agisse de la ligue ou
du quotidien, ne l’ont nullement marqué. Il a raconté son premier contact, alors
qu’il déambule dans les Halles, en compagnie de Barrès, avec des affiches
annonçant au printemps de 1908 la naissance de « l’Action française, organe
quotidien du nationalisme intégral » : « Ce journal, ces hommes, ces noms
m’étaient presque inconnus ! Mais pour Barrès, je compris que la chose était
d’importance. [Massis, Maurras et notre temps. Entretiens et souvenirs, Paris,
Plon, 1961 [1951], pp.44-45]. Massis n’est pas alors complètement fixé sur le
plan politique. Certes, il appartient à la galaxie nationaliste mais il est
barrésien et non maurrassien. » (p.221-222)

« Il fut l’acteur majeur de deux des manifestes les plus importants de l’histoire
intellectuelle de l’entre-deux-guerres, le manifeste « Pour le Parti de
l’Intelligence » du 17 juillet 1919 et le manifeste « pour la défense de
l’Occident » publié le 4 octobre 1935. Les lieux de publication (Le Figaro et Le
Temps) montrent que Massis a ses entrées bien au-delà des organes de la presse
nationaliste. La liste (54 puis 64 noms) et le statut des signatures sont à chaque
fois imposant. Massis attire mais surtout est capable de fédérer, en particulier
en 1935, les droites intellectuelles, des académiciens à la Jeune Droite. Il y a
chez lui une incontestable maîtrise de l’exercice qui repose sur l’héritage des
premières enquêtes mais aussi sur sa connaissance intime des milieux qu’il veut
rallier : la Revue universelle est un pont entre l’Action française et la Revue des
deux mondes. » (p.226-227)

« Face à la NRF, Massis tenta, avec Maritain de monter une forme de NRF
catholique avec la collection du Roseau d’Or publiée chez Plon. La

1549
condamnation de l’Action française et leurs divergences profondes à ce sujet
eurent raison d’une telle collaboration. Evoquer Massis comme entrepreneur
culturel, c’est d’abord souligner qu’il fut le rédacteur en chef puis, après la
mort de Bainville en 1936, le directeur de la Revue universelle dont le premier
numéro est paru le premier avril 1920. L’entreprise est née de la volonté de
Maurras, appuyé alors par Maritain, et reprend à son compte le titre d’une
publication du début du siècle que Maurras s’est fait céder. La Publication est
administrée par la Société française de publications périodiques qui nomme
Massis rédacteur en chef et lui en confie la gestion, tâche lourde quand on
songe que la publication titre selon Eugen Weber à 5000 exemplaires en 1921 et
8000 en 1930. Quoique la ligne éditoriale soit fixée par Bainville et Massis dans
les réunions hebdomadaires du lundi, c’est à Massis, appointé pour ce faire,
qu’il appartient de faire tourner la publication. Son rôle est donc beaucoup
moins important comme auteur (même s’il lui a donné différents articles
importants de critiques littéraire et de politique) que comme organisateur.
Massis a su en effet faire écrire plusieurs centaines d’auteurs entre 1920 et
1940. Si l’Action française et ses périphéries y sont représentées, ce qui frappe
c’est la capacité à attirer dans la publication des figures gravitant dans d’autres
sphères des droites (comme Lucien Romier ou les frères Tharaud) et même des
personnalités éloignées du maurrassisme comme Albert Thibaudet. » (p.227)

-Olivier Dard, « Henri Massis (1886-1970) », chapitre in Olivier Dard, Michel


Leymarie & Neil McWilliam (eds.), Le maurrassisme et la culture. L’Action
française. Culture, société, politique (III), Presses Universitaires du Septentrion,
coll. Histoires et Civilisations, 2010, 370 pages, pp.219-233.

« Entre Maurras et Maritain, entre l’Action française et l’Eglise, c’est


longtemps Henri Massis qui fournira le modèle d’un positionnement médian.
Compagnon de route de l’Action française et proche collaborateur de Maritain,
catholique convaincu et maurrassien impénitent, le directeur de la Revue
universelle constitue tout au long des années 30 le plus sûr relais entre les deux
réseaux. […] Inlassable trait d’union entre les générations, c’est lui qui
familiarise un Maulnier, un Maxence, un Brasillach ou un Fabrègues avec les
œuvres déjà lointaines de Bergson et de Barrès, de Péguy et de Claudel, de
Blondel et de Psichari. » -Nicolas Kessler, Histoire politique de la Jeune Droite
(1929-1942). Une révolution conservatrice à la française, L’Harmattan, 2001,
494 pages, p.27.

1550
"Ce fut Massis qui, à la fin d'août 1944, à la veille de la déportation de Pétain
en Allemagne, aida le Maréchal à préparer son ultime message au peuple
français." (p.491)
-Eugen Weber, L'Action française, Fayard, coll. Pluriel, 1985 (1962 pour la
première édition états-unienne), 685 pages.

Henri Clouard (1889-1974): "Henri Clouard, figure en vue de la première


génération de disciples de Maurras." (p.60)
-Olivier Dard, Charles Maurras. Le maître et l'action, Armand Collin, coll.
Nouvelles biographies historiques, 2013, 352 pages.

« Henri Clouard, né en 1885 à Constantine, de parents breton et poitevin, ayant


grandi dans les montagnes d'Auvergne, a débouté en littérature comme un trois-
quart aile fonçant à l'essai. Doctrinaire et polémiste de la revue Les Guêpes,
auteur de savantes études pour Le Mercure de France, se brouillant avec la terre
entière par ses conclusions tirées d'une enquête sur la littérature moderne pour
La Phalange, Clouard incarnait la santé et l'ironie d'une jeunesse dont la vitalité
étonne aujourd'hui. Tombé très jeune dans les vieux feuillets de la Revue
encyclopédique, il admirait par-dessus tout Nerval, Maurras et Maurice de
Guérin. Moins "bourgeois" que ses amis de la Revue critique, volontiers
"déclassé", il arpentera la nuit parisienne en compagnie de Toulet de Willy.
Selon son ami Gilbert Maire, bergsonien royaliste de la revue, il fut "l'âme" du
groupe. Tout au moins le chef et le théoricien.
Publiées en 1913, sous le patronage de Georges Sorel, Les Disciplines de
Clouard constituent le bréviaire enflammé et intransigeant de la Revue critique.
Avec méthode, Clouard enterre en préambule le culte moribond de l'art pour
l'art: il est "impossible de séparer l'histoire des lettres et l'histoire des idées et,
par suite, du mouvement politique et social". Les lettres ne sont pas de l'ordre
du pur esprit, "elles ont des conditions de vie". Elles réclament une société qui
n'existe plus, la "poussière des gens de goût" n'en constituant plus une. Le relais
ne se fait plus entre les lettrés et le corps social. Il y a anarchie, clame Clouard,
"dès que la littérature, ayant perdu sa destination, qui est de ranger un public
autour d'elle, rejette tout le solide, tout le permanent, tout l'irréductible de son
objet, qui est intellectuel et social". On voit tout ce que cette analyse exclut, du
narcissisme à l'élitisme. Le constat est net: de chapelles en cénacles, la
littérature s'épuise. La critique doit redevenir "une puissance sociale".
Dès lors, Clouard peut développer sa thèse que l'on qualifiera volontiers de
classique quand lui-même met en garde contre une mode néo-classique,
1551
répandue de la revue Occident à la NRF, et qu'il juge illusoire sans une réforme
politique qui instaurerait les conditions d'une renaissance, ou encore
dangereuse lorsqu'un Mithouart, à la tête d'Occident, se réclame d'une tradition
française excluant la latinité.
Classique, Clouard veut bien l'être, à condition toutefois de n'y pas voir
seulement "quelques manies alexandrines" ou "l'art parfait du verbe et du
sujet". De ce classicisme-là, étriqué comme un costume de petit-bourgeois,
Clouard ne veut pas. » (p.168-169)

-François Huguenin, L'Action française. Une histoire intellectuelle, Perrin, coll.


Tempus, 2011 (1998 pour la première édition), 686 pages.

« Petite revue bimensuelle, de couleur bleue, lancée au printemps 1908, la


Revue critique des idées et des livres (RCIL) […] Œuvre de jeunes disciples
d’AF, la Revue critique connaîtra son heure de gloire à la veille du premier
conflit mondial, s’imposant, dans les années 1911-1914, comme l’une des
principales instances de l’école « néo-classique » et de la critique littéraire
française. Ce succès viendra consacrer l’activité d’un groupe d’intellectuels
prometteurs réunis par la fréquentation du salon de la très influente comtesse de
Courville et soudés derrière leur directeur Jean Rivain. Nés au milieu des
années 1880, Pierre Gilbert, Henri Clouard, Jean Longnon ou Eugène Marsan
appartiennent à la première génération des disciples formés par Maurras, la
première à le considérer comme un « Maître »… et la première à se séparer de
l’Action française après l’ « excommunication » par ledit « Maître » en février
1914. » (p.45)

« En 1908-1909, les pages sont encombrées par de nombreux articles


historiques […] et surtout par l’interminable et rébarbative « Enquête sur la
monarchie et la classe ouvrière » de Georges Valois. […]

Il faut dire que jusqu’à la fin de 1910, Rivain se soumet aux impératifs de
l’intérêt général de la propagande d’AF, et la RCIL est largement accaparée
par Valois et ses amis, qui tente de faire de la revue la tribune du
rapprochement entre antidémocrate de gauche et antidémocrate de droite. Dans
ses souvenirs, Georges Valois note de manière lénifiante :

« Le centre de nos travaux était à la Revue critique des Idées et des Livres. […]
Mais, vers 1910, il nous apparut que la Revue Critique ne pourrait demeurer le
centre de nos études et de notre action, à l’intérieur de l’Action française ». La
1552
revue « devenait presque exclusivement littéraire » et c’est pour cela qu’ils
durent se résoudre à quitter ses pages et à créer le cercle et les Cahiers
Proudhon, afin de réaliser un « large développement à [leurs] études » !
[Valois, D’un siècle à l’autre, chronique d’une génération (1885-1920), Paris,
NLN, 1921, p.252-253. On accordera aussi peu de crédit à ses propos sur ses
relations avec Rivain [fondateur de la Nouvelle Librarie Nationale] et l’affaire
de la NLN (ibid, p.24-257)]

A la vérité, une lutte d’influence particulièrement violente s’est engagée entre le


groupe Valois et le groupe Rivain au sein de l’AF : elle oppose deux tendances,
la tendance « sociale », favorable à un hypothétique rapprochement avec le
monde ouvrier et syndical, à la tendance « néo-classique », qui fait l’admiration
des habitués du salon de la comtesse de Courville. » (p.49)

« La RCIL n’est pas la seule revue de la Belle Époque à défendre le


« classicisme », l’exigence d’ordre, de sobriété, de clarté et de pureté du style
dans la littérature, la poésie et le théatre, contre les « excès » du romantisme et
des écoles symbolistes et naturalistes. La NRF, par exemple, défend des
orientations voisines, quoique plus ouvertes à l’innovation. Mais la RCIL
incarna une position plus ferme, qui a le vent en poupe au début de ces années
1910 marquées par la prédominance des idées nationales sur la jeunesse et
l’élite intellectuelles. Elle s’impose donc comme l’organe officiel du « néo-
classicisme ». […] La revue fondée par Jean Rivain bénéficie d’un rayonnement
considérable dans les années 1912-1914 –rayonnement qui sera brutalement
brisé par la Grande Guerre. Luxueusement éditée, tirant à plus de 3000
exemplaires, la RCIL est assurément, avec la NRF et le Mercure de France,
l’une des plus importantes revues littéraires de son temps. » (p.53)

« « Le traditionnalisme des néo-classiques […] n’est absolument rien s’il n’est


une révolte, tout d’abord. » [Henri Clouard, « Sur le programme des néo-
classiques, RCIL, n°140, 10 février 1914, p.269-281] » (p.54)

« Dans le même temps que la RCIL acquiert reconnaissance et visibilité dans le


champ littéraire, les rapports entre Jean Rivain et les principaux chefs de l’AF
s’aigrissent. Après l’échec de la fusion entre les deux revues d’AF, qui a
mécontenté Charles Maurras, Rivain a dû céder la Nouvelle librairie nationale
à Georges Valois. En février 1913, une affaire mineure est prise comme
prétexte, par Vaugeois, Maurras et Montesquiou, pour exiger la démission de

1553
leur jeune camarade des Comités directeurs de l’AF ; Jean Rivain ne fait plus
partie des quatorze dirigeants du mouvement. On lui reproche ses manquements
à l’esprit d’entente, tandis que Rivain considère que ses amis n’ont pas vraiment
fait preuve de solidarité en prenant le parti de Valois contre le sien dans
l’affaire de la NLN. D’autre part, l’écho obtenu par le numéro « Stendhal » a
suscité bien des agacements dans l’entourage d’un Maurras dont on connaît les
réserves à l’égard de l’auteur des Chroniques italiennes : il le juge trop
romantique par ses sujets choisis et déplore ses orientations politiques
(bonapartistes et anticléricales). Il y a aussi les articles de Gilbert Maire,
collaborateur de la RCIL favorable à Bergson, qui apparaissent comme
d’autant plus scandaleux qu’au début de l’année 1914 l’AF quotidienne mène,
par Daudet interposé, une campagne d’une violence inouïe contre le philosophe
« de ghetto » élu à l’Académie française.

Le 22 février 1914, dans son éditorial quotidien, Charles Maurras publie une
petite note intitulée « Éclaircissement », sonnant comme une véritable
excommunication de la Revue critique des idées et des libres. Trois griefs sont
formulés par le « maître du nationalisme intégral » : le bergsonisme de certains
rédacteurs ; un point de vue trop favorable à l’Allemagne ; l’abandon du texte-
manifeste d’allégeance à l’ « empirisme organisateur » apparaissant au verso
de la couverture depuis juin 1908. L’auteur de L’Enquête sur la monarchie
estime que ce retrait est significatif […]

Contrairement à ce qui a souvent été dit par la suite, il y a bien eu rupture entre
l’AF et la Revue critique, qui constitue la première dissidence dans l’histoire du
mouvement maurrassien. Clouard et Maire démissionnent immédiatement de
l’Action française et toute l’équipe de la RCIL se solidarise avec Rivain. »
(p.55-56)

« Cette dynamique n’est pas annoncer la campagne contre Georges Valois


engagée par Maurras au milieu de la décennie suivante à la suite du tonitruant
lancement du Nouveau Siècle. » (p.58)

-Laurent Joly, « La Revue critique des idées et des livres. Première dissidence
d’Action française ou première génération intellectuelle de « maurassiens »
indépendants ? (avril 1908 - février 1914). », chapitre in Olivier Dard, Michel
Leymarie & Neil McWilliam (eds.), Le maurrassisme et la culture. L’Action

1554
française. Culture, société, politique (III), Presses Universitaires du Septentrion,
coll. Histoires et Civilisations, 2010, 370 pages, pp.45-59.

« Suivant Lasserre à travers les louanges du « sage délire d’un Charles Maurras
sur l’Acropole », et, s’inspirant du discours disciplinaire de Bernard, Henri
Clouard, l’un des promoteurs acharnés de la Renaissance maurrassienne,
s’enquit, dans Les Disciplines, nécessité littéraire et sociale d’une renaissance
classique, livre-manifeste qui paraît à l’apogée de la controverse du classicisme
[1908-1914] en 1913, « Quand allumerons-nous des lampes joyeuses au-dessus
d’un petit livre classique et français où l’autobiographie atteindrait à la
métaphysique morale ? » Pour mieux saisir le sens de cette phrase, il nous faut
revenir deux ans en arrière où, dans son article « Charles Maurras et la critique
des lettres », paru dans la Revue critique des idées et des livres, comparant le
style de Maurras à celui de Xénophon dans Economique […] Ce sont des mots
qui renvoient à l’autoportrait de Maurras dans Anthinéa et évoquent son
esthétique politique, source d’énergie nationale pour les jeunes maurrassiens de
l’époque […]

Cependant, une étude plus détaillée de cet enthousiaste portrait que nous offrent
Lasserre et Clouard révèle qu’il ne correspond pas tout à fait à l’image du poète-
critique, censé baigner dans l’harmonie classique telle que le peint Maurras dans
Jean Moréas et Anthinéa. En effet, en guise de conclusion à son article,
comparant Maurras à Nietzsche, Lasserre déclara : « Ce que Maurras combat au
grand jour avec les armes simples de la raison, Nietzsche le décompose parmi
les minuties et les odeurs du laboratoire. » Cette dernière observation,
observation savante de la part d’un Lasserre germanophile, coûtera bien cher à
Maurras car quelques années plus tard il aura à soutenir les attaques assidues du
père Lucien Laberthonnière et de l’abbé Jules Pierre, ce qui lui vaudra à la
longue une première mise à l’index de ses livres de jeunesse par le Saint-Siège,
en 1914, laquelle sera suivie par une seconde, plus définitive, en 1926. D’autre
part, la germanophilie chez Lasserre, telle que ce dernier la justifiera dans Mes
Routes (1922), sera source de rupture entre lui et l’Action française à la veille de
la Grande Guerre. Depuis ce moment, l’écriture de Maurras commencera à
acquérir un ton plus défensif, ce qui le poussera à déconsidérer publiquement ses
propres disciples afin d’atténuer la sévérité de Rome. » (p.165-167)

« Le classicisme plus ouvert que propose Clouard mène ce dernier à embrasser


certains auteurs, tels que Proudhon, Renan et Comte, parmi d’autres, que
1555
Maurras jugeait suspects par leur appartenance au XIXe siècle, siècle qu’il avait
condamné depuis l’École romane comme étant purement romantique, et que
l’abbé Pierre accuse, Maurras inclut, de nietzschéisme et d’athéisme. Une
discorde naquit entre Maurras et l’équipe des jeunes maurrassiens de la Revue
critique, lorsque celle-ci, à l’occasion de l’apparition des premiers volumes des
Œuvres complètes de Stendhal édités par Honoré et Edouard Champion,
consacre le numéro du 10 mars 1913 à Stendhal et annonce la création d’un Prix
Stendhal. Bien que ce petit incident soit passé presque inaperçu dans l’aparté de
l’histoire littéraire que représente la querelle du classicisme, il laisse paraître une
brèche dans la ligne de front soutenue par les maurrassiens. » (p.168)

« « L’homme supérieur », épithète avec lequel Clouard ennoblit Stendhal,


évoque sans aucun doute le « Ubermensch » de Nietzsche, concept à partir
duquel Maurras avait subtilisé dans son « Prologue d’un essai sur la critique » en
1898 son idée de « l’homme parfait », « [c’est] un homme qui remplisse
exactement l’idée de notre condition commune et qui puisse nous servir de
modèle à tous », par opposition à « l’homme idéal » dont on se sert, déclare-t-il,
« toutes les fois qu’on veut parler allemand ». Et comme si son « homme
supérieur » n’avait pas assez jeté de l’huile sur le feu, dans son zèle Clouard
lâche un mot qui provoquera une réaction dure chez Maurras : les personnages
de Stendhal participent « dans le cortège des âmes supérieures qui vient du fond
des temps classiques pour consoler la nostalgie née des démocraties modernes.
En un siècle de bourgeoisie et de pensée corrompue, le culte des héros de
Stendhal pourrait ressusciter l’énergie, réveiller la passion en la sublimant »
[Clouard, « La Tradition du roman psychologique », Revue critique, 613, 614].

Quelques jours plus tard, sous la plume de Criton, un Maurras indigné demande
dans l’Action française du 16 mars : « La Revue critique des Idées et des Livres
a-t-elle donné un exemple de « désintéressement politique » en fondant un prix
Stendhal et en consacrant à Stendhal tout un numéro ? » (p.169)

« Lasserre et Clouard s’éloignent de l’Action française dès la veille de la guerre


et cessent tout contact avec Maurras. Cependant, une lecture plus attentive de
leurs écrits après l’Action française et Revue critique révèle un moi qui, à
travers des commentaires, des confidences, voire même des lacunes, voulues,
continue de cibler Maurras. Lassere qui se convertit au libéralisme après la
guerre passe son temps à justifier cet acte, mais aussi ces actions d’avant-guerre,
surtout dans les préfaces de ses essais-souvenirs. En 1922, dans Cinquante ans
1556
de pensée françaie, Lasserre s’exclame : « l’étude sur le « Germanisme et
l’esprit humain », publié en 1916 par la Revue bleue, a choqué certaines
personnes, comme étant trop favorable à l’Allemagne. Ces personnes sont
difficiles ! » Quatre ans plus tard, il avoue dans la préface à Faust en France :
« Un esprit qui étudie et produit sans se transformer a quelque chose de mort en
lui. Mais je n’ai connu pendant ce temps aucun brusque changement de
direction, rencontré aucun chemin de Damas. J’espère seulement avoir
progressé, m’être élargi et accru. »

Mais c’est dans les Nouvelles Littéraires que Lasserre se laisse aller à une
critique plus pointilleuse vis-à-vis du maurrassisme : « Les disciplines intégraux
sont toujours médiocres. On en voit trop de cette sorte aujourd’hui, et qui
veulent faire la loi. » [« L’Esprit libéral », Nouvelles littéraires, 30 juin 1928] »
(p.170-171)

-Gaetano DeLeonibus, « Discordances du classicisme maurrassien », chapitre in


Olivier Dard, Michel Leymarie & Neil McWilliam (eds.), Le maurrassisme et la
culture. L’Action française. Culture, société, politique (III), Presses
Universitaires du Septentrion, coll. Histoires et Civilisations, 2010, 370 pages,
pp.161-172.

"Le 25 septembre 1915, le lieutenant Léon de Montesquiou-Fezensac, du 2e de


marche du 2e étranger, tombe "glorieusement" au champ d'honneur alors que
sa compagnie vient d'enlever un point de résistance de l'ennemi. Réconcilié avec
Dieu, sa mort sur le terrain même de la fameuse bataille des Champs
Catalauniques clôt une destinée placée sous le signe de la fidélité. La même
année, c'est la jeunesse d'Action française qui perd deux de ses meilleurs
éléments: Henri Lagrange et Octave de Barral. Par leur mort, toute la
dynamique du mouvement est atteinte. Comment saisir l'ampleur d'un tel
désastre ? Arrêtons-nous seulement sur le sort réservé à l'équipe de la Revue
critique. Vingt-cinq morts, dont, outre Lagrange, Pierre Gilbert, à la bataille de
la Marne, en 1914, Lionel des Rieux, en 1915, monté à l'assaut sur sa propre
demande, Jean-Marc Bernard, la même année, engagé volontaire en dépit de sa
réforme, André du Fresnois, Henry Cellerier, en septembre 1914." (p.232)

"La guerre, on le pressent déjà, a brisé l'Action française, atteinte, qui plus est,
en 1916, par la mort d'Henri Vaugeois. Mettant entre parenthèses la lutte contre
la République quatre ans durant, pratiquant une "Union sacrée" de chaque

1557
instant, perdant au feu la plupart de ses éléments moteurs, l'Action française se
vide alors d'une bonne part de son instinct insurrectionnel, comme l'après-
guerre le prouvera. La guerre gommant les idéologies, les origines raciales,
culturelles ou religieuses, change beaucoup de données. L'Action française est
devenue durant la guerre un rempart contre l'Allemagne, protégeant par la
même démarche la France et la République. La jeune Juif Pierre David pourra
ainsi, dans les tranchées, venir à Maurras et écrire à son "maître" sa
reconnaissance pour l'avoir amené au patriotisme." (p.233-234)

-François Huguenin, L'Action française. Une histoire intellectuelle, Perrin, coll.


Tempus, 2011 (1998 pour la première édition), 686 pages.

Jules Lemaître et la Ligue de la Patrie française (1853-1914) : « Nous


voudrions faire de l’amour de la patrie une sorte de religion. » -Jules Lemaître,
Conférence du 19 janvier 1899, « La Patrie française ».

« [Jules Lemaître] est, avec Maurice Barrès, membre dirigeant de la Ligue de


patrie française, fondée en 1898 en réaction à la création de la Ligue des droits
de l’homme. » -Christophe Salvat, « Rousseau et la « Renaissance classique »
française (1898-1933) », Astérion [En ligne], 12 | 2014, mis en ligne le 24 juin
2014, consulté le 30 mai 2018.

« Avec lui la critique est vraiment sortie de l’âge théologique. » -Anatole


France, « Sérénus », La Vie littéraire, 1ère série, éd. cit., p. 10.

« Les initiateurs du nationalisme doctrinal en France, à la fin du XIXe siècle (P.


Bourget, J. Lemaître, M. Barrès, E. Drumont, C. Maurras). » -Pierre-André
Taguieff, "Le paradigme traditionaliste: horreur de la modernité et
antilibéralisme. Nietzsche dans la rhétorique réactionnaire", in Luc Ferry, André
Comte-Sponville, et al., Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens, Grasset,
1991, 305 pages, pp.219-305, p.242.

« C’est Lemaitre qui lance la première pierre, lors de son compte rendu en 1884
d’une série d’ouvrages de Brunetière, à savoir Études sur l’histoire de la
littérature française (1ère série, 1880), Nouvelles études critiques sur l’histoire
de la littérature française (1882), Le Roman naturaliste (1883), et Histoire et
littérature (1884).Il reviendra à l’assaut entre 1889 et 1893, en réponse aux
invectives de Brunetière contre le développement inquiétant d’une « littérature
personnelle », dans les trois courts textes composant le morceau introductif

1558
intitulé « En guise de préface », qui ouvrira en 1896 la sixième série de ses
Contemporains. Mais la défense de sa conception de la critique se fera aussi
ponctuellement, tout au long des différentes études qu’il publie durant cette
période. Tentons de résumer ici sa position, qu’il faut bien dans un premier
temps qualifier de réactive.

Il s’agit d’abord de remettre en cause l’objectivité revendiquée de cette critique


prétendument « scientifique », qui cache d’abord un subjectivisme inconscient
de lui-même. Le jugement qui se veut fondé en raison n’est jamais « qu’une
préférence [du] tempérament ou un sentiment tourné en doctrine », puisque
Brunetière ne fait que livrer « des sentiments qu’il érige en lois ». Ensuite, ces «
préférences » conduisent à ériger une esthétique particulière en canon
indépassable. Le jugement pseudo-objectif cache cette fois le préjugé classique,
dès lors queles valeurs du XVIIe siècle se voient érigées en norme absolue, le
Grand Siècle constituant non pas une époque, mais une essence. Brunetière juge
toute littérature en fonction de critères « classiques » : primat de l’idéalisme sur
le réalisme ; portée universelle de l’œuvre ; psychologie des facultés nobles de
l’âme. Aux yeux de Lemaitre, cela aboutit à une confusion entre art et morale,
comme à un enfermement dans une logique sectaire qui ne cesse de hiérarchiser
(« hiérarchie des plaisirs » et « hiérarchie des genres »). Ainsi, Madame Bovary
se donne comme une œuvre parfaite sans être belle pour Brunetière, car jugée
avec les critères qui servent à juger Iphigénie. Un tel dogmatisme fondé sur
l’occultation du caractère finalement historique et relatif de l’universalisme du
goût attaché à l’esthétique classique, débouche alors sur une véritable déni du «
contemporain », au sens de Lemaitre, qui s’écrie : « j’aime cette littérature de la
seconde moitié du XIXe siècle, si intelligente, si inquiète, si folle, si morose, si
détraquée, si subtile », ou encore : « j’aime mieux lire […] Le Nabab que La
Princesses de Clèves ». En effet, pour lui, un artiste se définit avant tout par une
« façon de voir, de sentir, d’écrire », et non par un respect des règles littéraires,
ou des normes morales. Brunetière consacre donc le grand retour des Doctes.

Le critique de la Revue des Deux Mondes, enfermé dans une lecture de type
scolaire et savante, se caractérise en outre par un art de lire qui relève d’un
ascétisme, voired’unpuritanisme, marqué par un primat de la connaissance sur la
jouissance : « juger toujours, c’est peut-être ne jamais jouir » écrit-il en 1892.
Lemaitre regrette, chez ce lecteur professionnel, cette incapacité à « lire pour le
plaisir », qui empêche un contact direct avec les œuvres, quand le rapport aux
textes est toujours médiatisé à l’infini par d’autres textes. Cette attitude
1559
spéculative révèle un excès d’esprit philosophique, qui ne cesse de classer sur le
mode de la passion triste : « il ne touche rien qu’il ne le classe, et pour l’éternité
» Manie classificatoire, esprit de système, démon de la théorie, tout cela
empêche de saisir l’œuvre en tant que telle, dans sa singularité et son originalité.
Lemaitre entend ainsi dénoncer l’illusion scientiste d’une démarche jugée
scolaire, voire scolastique, inconsciemment normative et doctrinaire. En croyant
dégager des lois, en croyant juger selon des normes rationnelles et universelles,
Brunetière ne fait qu’exprimer son Moi en fonction d’une orientation
idéologique précise. C’est explicite sous la plume de l’auteur des Contemporains
: on pratique ici une « critique qui n’est qu’idéologie ». Pris en flagrant délit
d’absolutisation du relatif, d’essentialisation de l’historique, le critique de la
Revue des Deux Mondes devrait assumer pleinement le caractère
fondamentalement subjectif de la critique. »

« En 1888, on l’a vu, Brunetière, apôtre des valeurs universelles et des vérités
générales, dénonce les dérives d’une « littérature personnelle » marquée par le «
développement maladif et monstrueux du Moi », à une époque où s’affirme une
tendance intimiste de la littérature, où l’on découvre l’égotisme stendhalien, les
écrits intimes d’Amiel et de Baudelaire, où le « psychologisme » s’affirme
comme un courant nouveau face à un naturalisme jugé moribond, où le jeune
Barrès enfin instaure son fameux « culte du Moi » trilogique. Quant à la critique
personnelle, pour Brunetière, elle n’est jamais que la simple expression d’une
idiosyncrasie ou d’une opinion, « une façon de penser ou de sentir, qui varie
selon leur humeur même ou la couleur du temps », alors que la connaissance
devrait prévaloir. Il écrit alors, contre toutes les tentations subjectives, que «
l’idéal de la critique serait d’être anonyme ». Mais c’est en 1891 qu’il riposte en
s’en prenant à la démarche d’un France, d’un Lemaitre ou d’un Paul Desjardin,
« nos impressionnistes », qui ont revendiqué le droit pour la critique de n’être
plus « désormais que personnelle, impressionniste, et, comme on dit, subjective
». Une telle attitude trahit d’abord à ses yeux une solution de facilité, permettant
de « ne pas se documenter ». Le critique impressionniste est un dilettante, mi-
paresseux, mi-désinvolte, enfermé dans sa sensibilité volatile. Par conséquent, sa
critique, d’humeur, sera par définition changeante, instable, et soumise à la
contradiction. C’est bien ce que l’on aura tendance à reprocher à Lemaitre, par
delà le débat avec Brunetière. Dépourvu de « doctrine » ferme, Lemaitre, aux
yeux de Georges Renard, n’est déjà plus un critique ; sa « charmante
désinvolture » le fait errer d’impressions en impressions. Son défaut n’est pas
1560
tant l’impressionisme, que l’impressionnisme continué et permanent, c’est-à-
dire le dilettantisme. »

« Au plan politique, on ne saurait passer sous silence la rencontre idéologique


liée au déclenchement de l’Affaire Dreyfus, dans le salon de la comtesse de
Loynes, sur les fauteuils de l’Académie – en 1893 pour Brunetière, en 1895 pour
Lemaitre – ou encore dans les rangs de la Ligue de la patrie française créée en
1898. Les deux hommes vont basculer dans le camp de l’antidreyfusisme,
donnant explicitement et de concert, dans le nationalisme, le militarisme et le
cléricalisme. Écoutons pour finir Bourget, revenant a posteriori sur l’ambiguïté
idéologique déjà présente, comme l’on sait, dans les Essais de psychologie
contemporaine, et écrivant à Lemaitre en 1912 une lettre qui servira de préface
à ses Pages de critique et de doctrine : « le traditionalisme était déjà enveloppé
dans nos propres hésitations d’il y a trente ans. » Quant au suffrage universel,
ses défenseurs, ironise Bourget, le voient comme « une espèce
d’impressionnisme gouvernemental ». Après la peinture, le roman, puis la
critique, voici la politique impressionniste… Cette fois, Lemaitre, se ralliant,
comme l’auteur du Disciple, à l’antidémocratisme de Taine, de Balzac ou de Le
Play, ne souscrit plus à cet impressionnisme-là, lui qui dénonce en 1903 «
l’incurable absurdité du suffrage universel ». » -Thierry Roger, université de
Rouen, « Jules Lemaitre et la querelle de l’impressionnisme », Fabula / Les
colloques, Jules Lemaitre: « un don d'ubiquité familière », URL :
http://test.fabula.org/colloques/document1609.php, page consultée le 30 mai
2018.

« Bien qu’appartenant à deux mouvements politiques différents, Lasserre et


Lemaître vont mener une campagne commune contre Rousseau et le
romantisme. De calibres très différents, Le romantisme français. Essai sur la
révolution dans les sentiments et dans les idées au xixe siècle et Jean-Jacques
Rousseau, leurs ouvrages respectifs, tous deux publiés en 1907, vont exercer une
très forte influence jusqu’à la seconde guerre mondiale. Le livre de Lemaître
connaît un très grand succès populaire. Il est immédiatement traduit en anglais
et sera réédité en France presque sans discontinuité jusqu’en 1939. Albert
Schinz note qu’il atteint sa trente-huitième édition en 1921! Le travail
académique de Lasserre est, quant à lui, considéré comme une référence. Il sera
notamment salué par Carl Schmidt dans son Politische Romantik (1919).
L’ouvrage de Lasserre s’ouvre par un chapitre consacré à Jean-Jacques
Rousseau. Selon Lasserre, en effet, « Rousseau n’est pas à l’égard du
1561
romantisme un précurseur. Il est le romantisme intégral. […] [R]ien dans le
romantisme qui ne soit du Rousseau. Rien dans Rousseau qui ne soit
Romantique ». Cette posture, qui consiste à déconsidérer la totalité du
mouvement romantique en l’associant à Rousseau (et inversement), est à
l’époque également adoptée par deux autres importants critiques du
romantisme, le néo-nietzschéen Ernest Seillière (qui publie Le Mal romantique.
Essai sur l’impérialisme irrationnel en 1908 et Jean-Jacques Rousseau en
1921). » -Christophe Salvat, « Rousseau et la « Renaissance classique »
française (1898-1933) », Astérion [En ligne], 12 | 2014, mis en ligne le 24 juin
2014, consulté le 30 mai 2018.

« S’exprimant lors du deuxième congrès de l’Action française, en 1909, Pierre


Lasserre, lui-même converti par Maurras quelques années plus tôt, note : « De
mon temps, nous avions quatre grands écrivains que nous admirions : deux sont
avec nous, Bourget, Lemaître ; un troisième, Barrès, est bien près de nous ; le
quatrième, Anatole France, est le seul littérateur de marque que le dreyfusisme
ait eu. [Archives nationales (désormais, AN), F7 12862, note de police, 19 juin
1909] ». […]

Si le ralliement de Bourget en 1900 ne surprend guère, les prises de positions


monarchistes de l’auteur du Disciple n’en sont pas moins fort rares avant cette
date [cf Michel Mansuy, Un moderne. Paul Bourget. De l’enfance au Disciple,
Les Belles Lettres, 1968 (1ère édition 1961)]. Quant à Lemaître, président de la
puissante Ligue de la Patrie française (1899-1904), son adhésion, officialisée au
moment de la création du quotidien L’Action française en mars 1908, étonne
davantage, vue de l’extérieur –même si depuis plusieurs années le célèbre
critique se rapprochait insensiblement des rives du « nationalisme intégral ».
Dans la préface d’un recueil publié en 1912, Paul Bourget s’adresse à son
confrère, âgé comme lui d’une soixantaine d’années. L’heure est au bilan :
« Nous avons grandi tous les deux, mon cher Lemaître, dans l’atmosphère et
dans l’esprit de la Révolution, et nous sommes arrivés, tous les deux, à des
conclusions traditionnelles […]. Ni de votre part, ni de la mienne, ce ne fut là
une conversion. [Paul Bourget, Pages de critique et de doctrine, t.1, Plon, 1912,
p.II-III] ». » (p.37-38)

« Depuis le début des années 1890, Charles Maurras, collaborateur littéraire de


diverses publications, est connu de Paul Bourget, qui apprécie son acuité et ses
dons de jeune critique. La fin du siècle approchant, Maurras investit des thèmes
1562
politiques chers au romancier –la décentralisation, la monarchie- et ne tarde pas
à être reconnu par ce dernier comme un penseur décisif, destiné à rénover la
doctrine traditionnelle. En 1898, Maurras lui dédie sa brochure Trois idées
politiques : « A M. Paul Bourget. En souvenirs des justes conclusions d’Outre-
Mer ». Dans une lettre privée à André Buffet, chef du bureau politique du duc
d’Orléans, Maurras admet pourtant n’avoir « pas trouvé grand’chose » en faveur
de la décentralisation dans cet ouvrage de Bourget sur les Etats-Unis. Mais la
cause vaut bien cette annexion d’une figure aussi prestigieuse et fermement
royaliste.

Comme critique littéraire, Maurras sait mieux que personne séduire et capter
l’attention de ses aînés. […] A la fin de 1899, après un nouveau dithyrambe de
Maurras, Bourget l’invite à déjeuner à son domicile, rue Barbet-de-Jouy, à Paris,
pour le remercier de « ces nobles pages », qui sont « l’une des grandes joies de
[sa] vie littéraire » : « Mon cher ami. Laissez-moi vous donner ce nom par
reconnaissance de votre si remarquable étude. [AN, fonds Maurras (576AP),
576AP 183, Bourget à Maurras, 5 décembre 1899]. »

[…]

Sur le plan politique, l’académicien est subjugué par Maurras et ses amis de la
Revue d’Action française, fondée en juillet 1899 : « N’en doutez pas, dit-il à
Barrès, voilà l’avenir ! ». Corpechot, qui rapporte ce propos, est frappé, lors de
sa première visite rue Barbet-de-Jouy, de la « tendresse » avec laquelle Bourget
parle de Maurras. Dans les années 1900-1902, l’écrivain enamouré se rend
fréquemment au café de Flore pour y retrouver ses jeunes amis ; il les
recommande activement auprès de la presse royaliste, obtient une tribune pour
Maurras dans Le Figaro, donne quelques articles à la revue, qu’il lit
attentivement, et distribue ses conseils. » (p.38-39)

« Comme Bourget, le célèbre critique éprouve d’emblée une vive admiration


pour son jeune confrère, l’un des esprits les plus prometteurs du camp
antidreyfusard. En avril 1899, il note, dans sa chronique du jour de L’Écho de
Paris : « je voudrais que tout le monde fût averti que M. Charles Maurras écrit
depuis quelques mois, à la Gazette de France, de fort belles études sociales. […]
Il a hérité de Joseph de Maistre et de Bonald leur conception mystique du
fondement des sociétés humaines, mais il donne à leurs théories un air de
renouveau […]. Il pense avec profondeur. » Comme chef politique, Lemaitre est

1563
un homme dévoué mais facilement impressionnable et à l’humeur changeante –
les phases de pessimisme alternant avec des moments d’optimisme de plus en
plus rares. Dès janvier 1900, il confie à Maurras être « absolument découragé »
par la Ligue de la Patrie française, où il n’est entouré que d’ « ambitieux ». »
(p.40)

« Le résultat des élections [de 1902] s’avère plus catastrophique que prévu.
Meurtri par l’impuissance du nationalisme, jaloux de l’essor de l’Action libérale
populaire de Jacques Piou, Lemaitre cache de moins en moins sa mélancolie.
Maurras le tente ; le jeune théoricien a mené une habile campagne royaliste dans
les colonnes du Figaro et Bourget ne cesse de parler de lui. Mais le Jules
Lemaitre dirigeant politique sait bien qu’une alliance avec les royalistes
reviendrait à s’exclure du champ politique républicain. Il continue donc à
« mentir » tout en donnant des signes de sympathie maurrassienne de plus en
plus visibles. A l’automne 1903, l’écrivain étale ses doutes et ses nouvelles
inclinations au grand jour, dans une série d’articles de L’Écho de Paris
significativement intitulée : « Un nouvel état d’esprit ». Sous la forme d’un
dialogue imaginaire avec un ami, Lemaitre dénonce le parlementarisme, le
sectarisme et la démocratie : « j’ai lu ou relu, ces temps-ci, Comte, LePlay,
Balzac, Taine, Renan, et j’ai vu que les plus fortes têtes du dernier siècle
exécraient la Révolution, son esprit et ses œuvres ». « Bref, je suis maintenant ce
qu’on appelle un « réactionnaire », tout comme les grands hommes que
j’énumérais tout à l’heure », poursuit le narrateur, avant d’évoquer un « groupe
d’esprits qui n’est point négligeable », les jeunes et ardents néo-royalistes… La
publication des premiers articles de la série, en septembre et octobre 1903, fait
« grande impression dans les divers milieux nationalistes de la capitale » ; à la
Patrie française, on multiplie les démentis auprès des ligueurs et l’entourage de
Lemaitre est catastrophé : comment présenter des candidats aux élections
municipales de 1904 si le président s’affirme royaliste ? » (p.41)

« En 1904, le Jules Lemaitre déprimé laisse temporairement place à un Jules


Lemaitre conquérant, persuadé que les élections municipales souriront, cette
fois, à la Ligue. Mais, c’est un nouvel échec. L’affaire Syveton, au cours de
laquelle on [l’Amiral Bienaimé] lui reproche son comportement de « loque »,
précipite sa démission. Dégoûté de la vie politique, vieilli et presque ringardisé,
Lemaitre se raproche de l’AF […] La personnalité de Maurras, qu’il admire
désormais sans restriction, le fascine et le sécurise : « Il exerce sur ses
collaborateurs un ascendant comparable à celui de Lamennais sur ses
1564
compagnons de la Chesnaye. […] Il a la foi », dit-il à une amie [Myriam Harry,
La Vie de Jules Lemaitre, Flammarion, 1946, p.226-227. Truffé d’erreurs
factuelles]. En 1908, il passe le pas, huit ans après son ami Paul Bourget. »
(p.42)

« L’auteur de L’Échéance est, en août 1900, le seul grand nom à apporter son
adhésion à l’ « enquête sur la monarchie », lancée par Charles Maurras dans les
colonnes du vieux quotidien royaliste La Gazette de France. » (p.43)

« C’est à l’Action française que le romancier de la tradition trouve ses lecteurs


les plus enthousiastes. En juillet 1902, Maurras et ses amis offrent un banquet en
l’honneur de Paul Bourget, flatté et heureux. » (p.44)

« Lemaitre radicalise peu à peu ses positions, fait bon accueil aux antisémites et
promeut l’élection du président de la République au suffrage universel. Toutes
ces idées plaisent à la foule, même si, rapporte un indicateur, leur porte-parole
finit par « embêter » les dirigeants nationalistes « avec toutes ses évolutions »…
Après 1903 […] Lemaitre soutient les principales campagnes de l’AF –ainsi, la
défense de Jeanne d’Arc ou l’hommage à l’historien Fustel de Coulanges. Son
départ de la présidence de la Ligue de la Patrie française, joint au prosélytisme
de Léon Daudet, dont il est très forte et que Maurras a « converti » depuis peu,
achète de le convaincre. » (p.45)

« Henri Vaugeois, qui sait trouver les mots pour flatter un Lemaitre qu’il
épargnait peu naguère, explique à 2000 militants surchauffés, réunis salle
Wagram à la fin de mars 1908, que le programme de l’AF est « le prolongement
du geste de Jules Lemaître et de la Patrie Française » ! […]

L’Action française de l’avant-1914 a besoin de maîtres pour se légitimer et


élargir son public. » (p.47)

« Après Barrès en 1899-1901, Bourget est au début du siècle le « grand maître »


de l’Action française –un peu par défaut, en vérité, à mesure que les amis de
Maurras se convertissent à la monarchie et que l’auteur des Déracinés s’y refuse,
au grand dam de tous. […] De manière significative, Montesquiou qui a dédié
son volume Salut Public à Barrès en 1901 dédie l’année suivante Raison d’Etat à
Bourget… » (p.47)

« Le Duc d’Orléans et son entourage reprochant aux dirigeants de l’AF de


négliger la province, la serviabilité de Lemaitre est d’un précieux secours. Le
1565
viel académicien ne ménage pas sa peine. Ainsi le 13 avril 1912, il accepte de
« s’arrêter à Nevers » pour présider une grande réunion d’AF aux côtés d’Henri
Vaugeois et de la marquise de Mac Mahon. Le lendemain, un dimanche, il est à
Lyon où il donne une conférence sur Louis Veuillot à la Société d’Études
historiques et littéraires. Le périple s’achève le jour d’après à Marseille, le lundi
15 avril, où il préside une conférence de Vaugeois. » (p.50)

« Usé à soixante ans, Jules Lemaitre meurt le 5 août 1914, au lendemain de la


déclaration de guerre […] Le rôle du célèbre académicien, les services rendus
tombent rapidement dans l’oubli. Trace symbolique : il n’y a pas d’entrée
« Lemaitre » dans le Dictionnaire politique et critique, le grand œuvre
maurrassien publié au début des années 1930…

A la veille de la guerre, Maurras atteint les quarante-cinq ans. Son autorité sur
l’Action française est bien établie. Le maître, c’est lui désormais. En 1912,
répondant à un article de Lucien Corpechot publié dans Le Gaulois, le jeune
maurrassien Jean-Marc Bernard écrit : « il cite comme nos maîtres en
nationalisme : Barrès, Bourget et Lemaitre. Certes nous admirons et respectons
comme il convient ces trois grands écrivains ; mais nous reconnaissons comme
notre premier Maître, M. Charles Maurras ». Dans une lettre privée à Barrès, en
1914, un autre disciple, Henri Clouard, de La Revue critique des idées et des
livres, note plus crument que Bourget « est vraiment […] d’avant le
déluge »… » (p.51)

« Dans les années 1920, Maurras s’impose comme le maître des nouvelles
générations nationalistes, faisant oublier cette période de l’histoire de l’Action
française où la présence de parrains et de figures tutélaires extérieurs était
indispensable. Non pas qu’après la Grande Guerre, l’AF n’ait plus cherché à
attirer des grands noms –comme le montre l’organisation du grand banquet de la
salle Bullier en l’honneur du converti de prestige Charles Benoist. Mais elle n’a
tout simplement plus besoin d’ « illustres maîtres ». Avant 1914, sa place
dominante au sein du parti royaliste était encore loin d’être acquise. Pour le duc
d’Orléans, Bourget et Lemaitre étaient des noms célèbres, et lorsque, dès la fin
de 1908, il hésitait sur la position à tenir –condamner ou pas un mouvement
adepte de la violence et de l’agitation, -il pensait à ces grands noms et
temporisait… » (p.53)

1566
-Laurent Joly, « Les « grands écrivains sont avec nous ». Bourget, Lemaître et
l’Action française », chapitre in Olivier Dard, Michel Leymarie & Jeanyves
Guérin (eds.), Le maurrassisme et la culture. L’Action française. Culture,
société, politique (IV), Presses Universitaires du Septentrion, coll. Histoires et
Civilisations, 2012, 320 pages, pp.37-53.

http://hydra.forumactif.org/t4516-jules-lemaitre#5423

Paul Bourget (1852-1935): « Victor Hugo et ses disciples vécurent, eux, les
ennemis du XVIIIe siècle, du mouvement révolutionnaire issu de ce siècle qu’ils
détestaient. » -Paul Bourget, Essais de psychologie contemporaine. Études
littéraires, André Guyaux (éd.), Gallimard, 1993 (deuxième série de 1886),
p.339.

« Prendre aux révolutionnaires la Science, voilà notre tactique. Nous avons la


vérité (Maistre, Bonald, Le Play, Balzac). » -Paul Bourget, Journaux « Fels »,
volume 8, 19 avril 1900.

« [Bourget] fut, au tournant du siècle, l'écrivain majeur du moment avec Barrès.


Ses Essais de psychologie contemporaine, imprégnés de déterminisme tainien,
livrés au Parlement puis au Journal des débats, et ensuite à La Nouvelle revue
de Juliette Adam, rassemblés en volume en 1883 et 1885, avaient révolutionné
la critique [...] Son influence sur la jeunesse fut immense entre 1890 et 1914. » -
François Huguenin, L'Action française. Une histoire intellectuelle, Perrin, coll.
Tempus, 2011 (1998 pour la première édition), 686 pages, p.56-57.

"Jusqu'à la guerre de 1914, Bourget avait été un des principaux auteurs de son
temps qui adhérèrent et restèrent fidèles au nouveau mouvement monarchiste.
Cette adhésion à la suite de l'affaire Dreyfus, avait été précédée d'un retour à la
religion, retour remarqué quoique s'inscrivant dans un mouvement assez
général au cours des années 1890." (p.14)

"A la fin du 19ème siècle, Bourget était un écrivain de tout premier plan en
France: benjamin de l'Académie française, élu en 1895 à l'âge de 43 ans,
critique littéraire écouté, dont les idées et la pénétration sur les questions
artistiques étaient fort louées, il était également l'un des principaux théoriciens
du roman psychologiste [...] qu'il opposait à l'omniprésent roman naturaliste.
Proclamé par Maurras "Prince de la jeunesse", Bourget fut, en 1900, le seul des
grandeurs auteurs de l'époque à se déclarer en faveur d'un mouvement
1567
monarchiste d'un nouveau genre, fondé non sur un préjugé sentimental, mais
sur un monarchisme raisonné et scientifique. Monarchiste philosophique et
positiviste, il était pour beaucoup de jeunes intellectuels de l'Action française
celui qui avait tenté une synthèse de la pensée de Bonald, de Le Play et de
Taine, ce qui faisait de lui une autorité intellectuelle vivante. Les œuvres de
Maurras, Lasserre, Bainville, quelque brillantes qu'elles fussent déjà, n'avaient
pas encore trouvé un écho assez puissant dans l'opinion ; et le mouvement
monarchiste avait besoin d'une figure de la stature de Bourget.
Bourget était en effet un publiciste qui avait ses entrées dans tous les journaux
de son époque comme dans les milieux politiques et financiers ; qui était reçu
dans les cercles de la noblesse et dans les salons les plus huppés: chez Mme
Daudet, Mme de Loynnes, Mme Adam ; qui était en relations avec des hommes
politiques républicains comme Freycinet et Poincaré aussi bien qu'avec des
catholiques comme Brunetière et Mgr Cabriéris, ou des médecins et des
psychologues tels que Joseph Grasset et Théodore Ribot." (p.15)

"Bien que l'année précédente, 1899, il eût signé la pétition antidreyfusarde de la


Ligue de la patrie française, son attitude à l'égard de celle-ci restait très
critique ; il la tenait pour une organisation opportuniste: "Un opinion sur une
affaire n'est pas un principe". Il était également très réservé à l'égard de ses
dirigeants: "Lemaître n'est qu'un anarchiste par bien des portions de son
esprit... et Coppée, un jacobin typique" [Lettre à Barrès, 16 avril 1899]." (p.16)

"Dans les années qui suivirent, sa collaboration avec l'Action française resta
strictement littéraire ; mais il ne publia qu'un article dans le journal de
Maurras, préférant les grands quotidiens. En revanche, il prit part aux activités
de l'Institut de l'Action française, établi en 1906, ainsi qu'aux banquets de
L'Appel au soldat ; notamment à celui dont il reçut l'hommage après la
publication de L'étape et après l'orage que ses thèses avaient suscité dans
l'opinion publique. Après que l'Action française eut institué une assemblée
annuelle, au niveau national, Bourget fut plusieurs fois convié à y prononcer le
discours d'ouverture, témoignant du prestige dont il jouissait auprès de ses
militants." (p.17)

"On le retrouve vice-président de la Ligue nationale pour la décentralisation


(qui, sur ses instances, avait biffé le terme de républicaine), dirigé par Marcène,
sénateur influent et républicain de vieille date, mais qui, à la suite de l'affaire
1568
Dreyfus, était devenu un des "désabusés du régime". En 1905, Bourget entrait
au Comité de patronage de la Ligue des étudiants patriotes qui, parmi d'autres,
tenta de combler le fossé entre royalistes et républicains."(p.17)

"Bourget adhéra également à un cercle de débat idéologique royaliste et


catholique, Tradition et progrès, dirigé, outre Bourget, par l'abbé Pascal, qui
avait des rapports étroits avec Drumont, et par Firmin Baconnier, un des
dirigeants de la Jeunesse catholique et antijuive, et auteur du Manuel du
royaliste, ouvrage qui obtint une large diffusion. Ici encore, Bourget se
retrouvait en compagnie de gens dont il ne partageait pas entièrement les voies
politiques. Non qu'ils s'opposât aux antisémites ; loin de là: la question juive
était pour lui une obsession. Ses journaux du temps de l'Affaire montre
clairement sa colère contre ses amis juifs de naguère "dont j'ai été pour un long
temps dupe". Il était d'ailleurs persuadé que les juifs étaient les seuls à avoir tiré
profit de la Révolution et du régime républicain de la Troisième République ; et
leur "patriotisme vulgaire" lui paraissait déplacé et le dégoûtait plutôt.
A première vue, la politique antisémite était un exutoire à cette hostilité ; mais
Bourget refusa néanmoins de s'y engager et de prendre part à quelque réunion
publique que ce fût, où seraient entendus des slogans antisémites. Ce n'était pas
la première fois qu'il manifestait des scrupules moraux et une retenue que ses
compagnons plus jeunes ne comprenaient pas: en 1898, il avait refusé de se
déclarer contre Zola ; et lorsque, en 1908, Barrès mena campagne au
Parlement contre le transfert de la dépouille de Zola au Panthéon, Bourget lui
écrivit qu'il l'aurait volontiers aidé "s'il n'y avait le souvenir personnel du
pauvre Zola, très innocent, je vous jure, de cette farce "montée" par les
dreyfusards de la politique". Ses fidélités personnelles jouèrent ainsi un rôle non
négligeable dans le choix de ses participations à des réunions publiques ; mais
son refus de l'antisémitisme relevait également d'un choix doctrinal ; on ne
pouvait s'opposer à la démocratie et, à la fois, mobiliser les foules, comme le
faisaient ses amis: les attaques contre la République devaient venir de l'élite de
la société et de ses intellectuels ou bien encore de l'armée. Bourget restait ainsi
un bourgeois élitiste impénitent et un artiste qui s'écartait de la foule autant que
des opportunistes qui trahissaient leurs fidélités personnelles." (p.17-18)

"D'écrivain adulé, Bourget devint en effet un auteur contesté, voire décrié: les
idées que véhiculaient ses romans étaient considérées comme "scandaleuses"
même par ses compagnons de route. Certains critiques attribuèrent cette
1569
révolution vers une situation d'écrivain "engagé" au désir d'attirer l'attention du
public. De fait, Bourget n'avait pu rééditer le succès du Disciple (1889), et ses
tirages des années 1890 étaient restés médiocres. Les plus importants de ces
romans "engagés", L'étape (1902), Un divorce (1904), L'émigré (1905), Le
démon de midi (1914), Lazarine (1916) connurent, il est vrai, de meilleurs
tirages, sans toutefois égaler celui du Disciple. S'y ajoutèrent les succès des
pièces de Bourget: Un divorce (adaptation dramatique du roman, en 1908) ; La
barricade (1910), qui fut sans doute le clou de la saison théâtrale de cette année
; Le tribun (1912). Les deux premières étaient la représentation de conflits
sociaux et moraux parfaitement actuels, pour la gauche comme pour la droite
françaises.
Il reste que l'on n'y trouve guère de référence à l'idée monarchiste. Et si l'on a
pu dire de Maurras qu'il était "un monarchisme sans roi", on le dira a fortiori
du monarchisme de Bourget: son mode de pensée monarchiste se passait
absolument de monarchie. A l'exception de celui de L'émigré, aucun des
personnages principaux de ses romans ne manifestent un quelconque
attachement pour l'idée monarchiste, quoiqu'ils soient tous catholiques fervents
et qu'ils nourrissent les idées sociales du "traditionalisme intégral" (ou
"traditionalisme par positivisme")."(p.19)

"Le disciple manifestait en effet chez Bourget, en 1889, un réveil de la foi


religieuse qui allait s'accentuer encore dans la décennie suivante." (p.19)

"Il était l'écrivain du "juste milieu" bourgeois, à une époque où les qualités
bourgeoises étaient vivement critiquées." (p.26)

"Lors de la publication de L'étape (1902), Le Sillon s'était empressé d'en faire la


critique, et seule L'Action française s'était mobilisée en sa faveur. Cette fois, les
rôles furent inversés: Sangnier, enthousiasmé, prit part à des réunions de
politiciens consacrées à la discussion de La barricade, alors que Maurras
reprochait à Bourget son ignorance de la détresse ouvrière ; mais Bourget
continua ses attaques contre la gauche et plus particulièrement contre ses
politiciens bourgeois qui "menaient un mauvais combat". Dans Le tribun, il
mettait en scène un président du Conseil socialiste forcé de reconnaître que sa
famille lui était plus précieuse que ne lui permettait l'idéologie sociale de son
parti et qui, en conséquence, démissionnait de ses fonctions." (p.27)

1570
-Mathias Yehoshua, Paul Bourget, écrivain engagé, Vingtième Siècle. Revue
d'histoire, Année 1995, 45, pp. 14-29.

« Nietzsche découvrit […] les Essais de psychologie contemporaine de Bourget


— dans lesquels il puisa notamment le terme français de « décadence » — dès
leur publication en 1883. » -Johan Grzelczyk, « Féré et Nietzsche : Au sujet de
la décadence », Le Philosophoire, 2005/1 (n° 24), p. 188-205.

« C’est Bourget qui introduisit l'inconscient - bien avant Freud - dans la


littérature, ce n'est pas pour rien que Nietzche l'admirait. » -André Georges
Bourgeois (cf: http://andrebourgeois.fr/paul_bourget.htm ).

http://hydra.forumactif.org/t4460-paul-bourget#5358

http://hydra.forumactif.org/t4797-louis-bertrand-loeuvre-de-paul-bourget#5741

Ferdinand Brunetière (1849-1906): « Charges bien connues de Brunetière


contre Zola et Baudelaire, sans parler de Mallarmé, jugé incompréhensible. »

« « L’individualisme esthétique » et « l’individualisme social », à savoir «


l’anarchisme », défini sous l’angle de la pensée de Stirner, dont on traduit
l’œuvre par extraits dans ces années 1890, parallèlement à l’œuvre de
Nietzsche, également très en vogue à cette date dans certains milieux
symbolistes et wagnériens, constituent à l’époque, pour certains, les deux faces
d’un même phénomène jugé « antisocial ». Mais Brunetière y décelait plutôt une
permanence du subjectivisme romantique. Ainsi, Lemaitre sera l’homme du
culte du Moi, forcément adorable dans une perspective hédoniste, ce qui
explique son intérêt pour la « critique égotiste » de Bourget. » -Thierry Roger,
université de Rouen, « Jules Lemaitre et la querelle de l’impressionnisme »,
Fabula / Les colloques, Jules Lemaitre: « un don d'ubiquité familière », URL :
http://test.fabula.org/colloques/document1609.php, page consultée le 30 mai
2018.

« Nous voudrions souligner la continuité idéologique qui commande et ses


positions lingustico-littéraires et son attitude lors de l’Affaire Dreyfus, en
montrant que les motivations de sa préférence pour une langue classique sont
précisément celles qui justifient son engagement. Un indice milite en faveur de
ce rapprochement : si Brunetière s’est opposé à Zola lors de l’Affaire, il ne faut
pas perdre de vue qu’il le combattait déjà dans ses articles contre le
naturalisme. » (p.134)
1571
« Privilégiant une langue que l’on peut qualifier d’ « unioniste » et condamnant
toutes les doctrines qui fragmentent la nation quand il faudrait la marier (qu’il
s’agisse de la théorie des races de Renan et des antisémites ou d’A. Thierry ou
de la lutte des classes), il ne semble pas possible de désigner dans
l’antisémitisme la clé de son attitude. Et en effet, Dreyfus, qu’il laisse à ses
juges, n’apparait pas dans ses textes. Mais il nous semble que c’est encore et
toujours cette invariable quête de l’unité nationale qui commande ses actes :
dans sa ligne de mire, il y a ce nouveau venu, qui émerge et sort la tête (c’est ici
le mot juste), « l’intellectuel », figure importune qui ose asséner au nom de la
science ce qui n’est qu’une « opinion » tout « individuelle », qui « s’érige en
juge souverain de tout, n’admet pas même pas que l’on discute l’opinion qu’il
s’est faite », proche parent de l’artiste libre qui « pose le droit d’être soi-même,
envers et contre tous ! ». Les « intellectuels » sont, tout comme les romantiques,
des individualistes, qui jouent le rôle de « l’aristocrate ». A tous, leur
contentement de soi est « antisocial ». » (p.137)

« Brunetière définit ainsi les intellectuels : « C’est le « superhomme » de


Nietzsche, ou encore « l’ennemi des lois » [Barrès], qui n’est point fait pour
elles, mais pour se mettre au-dessus d’elles ; et nous n’avons, nous autres
médiocres, qu’à l’admirer et l’en remercier. » (p.138)

-Gilles Boulard, Idéal classique et affaire Dreyfus : l'invariant anti-individualiste


de F. Brunetière, Mots. Les langages du politique, Année 1998, 54, pp. 134-138.

« La proximité de Brunetière avec certains cercles du Vatican, et ses rapports


privilégiés avec Léon XIII lui-même, en firent l’une des figures marquantes de la
défense catholique entre 1895 et 1906. Il bénéficia toujours de l’appui du Saint-
Père et du secrétaire d’État, le cardinal Rampolla, qui voyaient en lui un porte-
voix de première importance, « un sûr garant du retentissement » du discours
romain en France.  »

« On peut dire de Brunetière ce que Michael Sutton dit de Maurras : qu’il


chercha d’abord chez Auguste Comte « une estimation négative de
l’individualisme ». Chez Brunetière la violente critique de l’individualisme sert
de fondement tant à l’axe épistémologique qu’à l’axe sociologique, à la fois
dans la critique de la légitimité de la science à établir une morale que dans celle
de l’individualisme libéral hérité de la philosophie politique du xviiie siècle et
que les Républicains au pouvoir érigèrent en dogme, notamment à partir du

1572
concept de laïcité. C’est donc la conception individualiste et libérale de la
croyance, hérité des Lumières, qui est en fait rejetée par Brunetière, au profit de
la restauration d’un ordre social chrétien, solidariste et organiciste, dans la
lignée directe de Rerum Novarum. »

« Lors de la réforme de l’ENS en 1903, Brunetière fut le seul enseignant à


n’avoir pas été reversé dans le corps des maîtres de conférences de la Sorbonne,
ce qui souleva l’indignation de nombre de ses collègues y compris républicains
et laïcs comme Ernest Lavisse ou Alphonse Aulard. Cet épisode est suivi par son
échec Collège de France qui, en 1904, lui préféra Abel Lefranc. » -Thomas
Loué, « L'apologétique de Ferdinand Brunetière et le positivisme : un bricolage
idéologique « généreux et accueillant » », Revue des sciences philosophiques et
théologiques, 2003/1 (Tome 87), p. 101-126.

« N['as-t-il] pas montré, vers la fin de sa vie, [des] velléités d'indépendance, vite
réprimées par le Souverain Pontife ? Sur quoi donc s'appuyait Brunetière pour
être démocrate ? Il ne pouvait s'empêcher d'établir certains rapprochements
entre l'Évangile et la Déclaration des Droits, et il ne trouvait pas entre ces deux
monuments d'essentielles contradictions. » -Georges Guy-Grand, Le procès de
la démocratie, Paris, Librairie Armand Colin, 1911, p.58.

http://hydra.forumactif.org/t4459-ferdinand-brunetiere#5357

Maurice Barrès (1862-1923): « Notre tâche sociale, à nous jeunes hommes,


c’est de reprendre la terre enlevée. » -Maurice Barrès, « Un mauvais français:
M.Victor Tissot », Les Taches d’encre, n° 1, 5 novembre 1884, in L’œuvre de
Maurice Barrès, sous la direction de Philippe Barrès, Paris, Au club de
l’honnête homme, t. 1, 1965, p. 404.

« Que Rousseau est admirable ! C’est notre source de vie ; les passions ardentes
et tristes, les fiers caractères sont sortis pêle-mêle de son incomparable génie
[…] c’est (le) meilleur des hommes qui sont dans ma bibliothèque. » -Maurice
Barrès, « La doyenne des institutrices laïques », Le Voltaire, 29 août 1887.

« Vous êtes des ouvriers isolés, les pauvres travailleurs des salines, des
soudières ; donnez la main à tous les autres travailleurs, vos frères, avec votre
misérable salaire, vos fatigues jamais interrompues, pourtant vous dominez le
monde […] Vous pouvez entrer […] dans une association puissante : dans une
vaste société qui s’étend sur toute la France, gagne chaque jour du terrain, a

1573
ses ramifications dans l’Europe, dans le monde entier. » -Maurice Barrès, « A
des amis de Saint-Nicolas et de Dombasle (lettre ouverte ), Le Courrier de l’Est,
27 juillet 1890.

« L’antisémitisme n’était qu’une tradition un peu honteuse de l’ancienne France


quand, au printemps 1886, Drumont le rajeunit dans une formule qui fit tapage
» -Maurice Barrès, « La formule antijuive », Le Figaro, 22 février 1890.

« Le nom seul des Saint-Just, des Danton, des Robespierre, des Bonaparte, nous
brûle le sang. Que Laclos fut un homme heureux ! Qu’elles durent être belles à
vivre ces journées révolutionnaires puisque nous en avons encore la fièvre. » -
Maurice Barrès, à propos d’une réprésentation de Thermidor de Sardou au
Théâtre français, Le Figaro, 21 janvier 1891.

« L’avenir est au socialisme »

« Tant qu’il y aura un budget de guerre et de la marine, rien d’utile ne peut être
fait dans la direction du socialisme. Le seul titre que puisse entrevoir celui qui
aspirerait à une popularité dominante dans ce pays c’est de négocier avec nous
le désarmement. On eût voulu un général nous rendant Metz et Strasbourg ; il y
a une seconde forme de la popularité, elle irait à celui qui aurait présidé à la
pacification de l’Europe. » -Maurice Barrès, « 27 janvier », La Cocarde, 27
janvier 1895.

« La cause de la démocratie moderne est désormais indiscutable. Elle est la


force, il faut que nous lui accordions, contre nos prédilections aristocrates,
contre notre goût de la grande culture, la qualité de justice. » -Maurice Barrès,
Mes Cahiers, T1, 1896-98, Paris, Plon, 1929, p. 97.

« S’il croisa douze gardiens de la paix avant de rentrer dans sa tanière,


quelques observateurs, considèrent cet homme dans la vigueur de l’âge, et qui
n’est pas intéressé à la bonne organisation de la collectivité, jugeront que le
budget de la police n’est pas encore assez élevé. Vraiment aucune force armée
n’y peut suffire : un garçon qui a de l’audace et qui ne raisonne pas le rapport
des moyens avec leurs conséquences, des efforts avec les obstacles, c’est tout ce
qu’il y a de plus dangereux. Que les pauvres aient le sentiment de leur
impuissance, voilà une condition première de la paix sociale. » -Maurice Barrès,
Les Déracinés (Roman de l'énergie nationale Tome I), Paris, Émile-Paul,
Éditeurs, 1897, p.185.

1574
« L'Individu n'est rien, la société est tout. » -Maurice Barrès, Les Déracinés
(Roman de l'énergie nationale Tome I), 1897, in, in Romans et voyages, R.
Laffont Bouquins, 1994, p.615.

« Il y a dans cette règle morale [l’impératif catégorique de Kant] un élément de


stoïcisme, et aussi un élément de grand orgueil, car elle équivaut à dire que
l’on peut connaître la règle applicable à tous les hommes, et puis encore un
germe d’intolérance fanatique, car concevoir une règle commune à tous les
hommes, c’est être fort tenté de les y asservir pour leur bien, enfin il y a une
méconnaissance totale des droits de l’individu, de tout ce que la vie comporte de
varié, de peu analogue, de spontané dans milles directions diverses. » -Maurice
Barrès, Les Déracinés (Roman de l'énergie nationale Tome I), 1897, in, in
Romans et voyages, Paris, R. Laffont Bouquins, 1994, p.504.

« L’Etat pour Hegel est un produit de la raison ; c’est le monde moral réalisé et
organisé. Qu’il prenne conscience de ses droits, qu’il étudie ses attributions...
Pensée puissante et qui justifie pour moi le socialisme. » -Maurice Barrès, Mes
Cahiers, t. 1, 1896-1898, Paris, Plon, 1929, p. 222.

« Contre la féodalité financière internationale, qui, par ses syndicats anonymes,


élimine le travailleur du pays pour le remplacer au rabais par des ouvriers
étrangers, paralyse l’action des mesures protectrices prises en faveur de
l’agriculture et de l’industrie, organise le monopole et l’agiotage sur des objets
de premières nécessité, fausse les prix, fait la hausse et la baisse, et finalement
ruine les producteurs réels de la richesse : nos agriculteurs, nos commerçants,
nos ouvriers. » (p.437)

« Institution d’une caisse de retraite pour les travailleurs organisée par l’Etat.
[…]

La liberté d’association. Elle implique l’extension de la personnalité civile des


syndicats ouvriers. » (p.438)

-Maurice Barrès, programme électoral pour la députation de Nancy, 1898, in


Scènes et doctrines du nationalisme.

« Les assises d’une France fondée sur la logique ne me satisfont pas ; je les
veux sur la sensibilité. » -Maurice Barrès, Mes Cahiers, sixième cahier, du 1er
octobre 1899 à juillet 1901.

1575
« L’intelligence, quelle très petite chose à la surface de nous-même… » -
Maurice Barrès, L’Appel au soldat, Paris, Fasquelle, 1900, p.X.

« Ce fut, la destinée constante de notre Lorraine de se sacrifier pour que le


germanisme, déjà filtré par nos voisins d’Alsace, ne dénaturât point la
civilisation latine (...). Les gens de la marche lorraine furent éternellement
l’extrême bastion du classicisme à l’Est. » -Maurice Barrès, Leurs figures
(Roman de l’énergie nationale Tome III), in Romans et voyages, Paris, Robert
Laffont, 1994, t. 1, p.1175.

« Il n’y a pas même de liberté de pensée. » -Maurice Barrès, Scènes et doctrines


du nationalisme, Paris, Juven, 1902, p.93.

« Le triomphe du camp qui soutient Dreyfus-symbole installerait décidement au


pouvoir les hommes qui poursuivent la transformation de la France selon leur
esprit propre. Et moi je veux conserver la France (...) C’est ce que n’entendront
jamais je le crois bien, les théoriciens de l’Université ivres d’un kantisme
malsain. Ils répètent comme notre Bouteiller: Je dois toujours agir de telle sorte
que je puisse vouloir que mon action serve de règle universelle. » (p.36)

« Ce kantisme de nos classes prétend régler l’homme universel, l’homme


abstrait, sans tenir compte des différences individuelles. Il tend à former nos
jeunes lorrains, provençaux, bretons, parisiens de cette année d’après un
homme abstrait, idéal, identique partout à lui-même, tandis que nous aurions
besoin d’hommes racinés solidement dans notre sol, dans notre histoire, dans la
conscience nationale, et adaptés aux nécessités françaises de cette date-ci. La
philosophie qu’enseigne l’Etat est responsable en première ligne si des
personnes croient intellectuel de mépriser l’inconscient national est de faire
fonctionner l’intelligence dans l’abstrait pur, hors du plan des réalités. ». (p.60)

"De manière totalement péremptoire, il va affirmer qu’il ne peut y avoir de loi


universelle, et il va bâtir son système de pensée en opposition à Kant, en ne
concevant l’homme que comme le produit d’un milieu déterminé à un moment
donné de l’histoire qui s’attache: « à distinguer les conceptions propres à
chaque type humain. ». Les hommes, de siècle en siècle, comme de pays en pays,
auraient conçu des morales diverses, qui selon les époques et les climats
auraient été nécessaires. Le tort immense de la morale kantienne aurait été de
nier ces réalités et de créer un type d’homme nouveau, un sans famille et un
sans patrie, un être artificiel vivant selon les critères de la raison abstraite, à
1576
l’image des sept jeunes déracinés lorrains qui : « errent sur le pavé de Paris
comme des Tonkinois dans leurs marais, sans lien social, sans règle de vie. ».
Barrès nie donc l’existence de vérités universelles. Pour lui, il y a des vérités
françaises, allemandes, anglaises, mais pas de vérité tout court, ce qui
supposerait qu’il n’existe pas un homme abstrait, idéal, identique partout à lui-
même." (p.117)

-Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, Paris, Plon, 1925 (1902


pour la première édition), t. 1.

« L’Alsace et les deux rives du Rhin sont le champ d’une bataille éternelle entre
la Germanie et la Latinité. Un homme vit assez pour apercevoir une passe
d’armes, mais, que cet épisode soit heureux ou malheureux, il n’en peut rien
préjuger quant au résultat d’une lutte dont l’origine appartient à la préhistoire,
il en va de cette querelle pour la possession du Rhin comme de la lutte entre le
soleil et la pluie qui se développe d’alternative en alternative sans atteindre
jamais l’état stable. » -Maurice Barrès, « La solution est à Paris », La Patrie, 12
septembre 1902.

« Ce que j’ai demandé à ma Lorraine, Nietzsche le marque quand il dit que « les
entraves les plus favorables et les remèdes contre la modernité », c’est-à-dire
contre « l’indiscipline de l’esprit moderne sous toute sorte d’apprêts moraux »,
c’est « l’étroitesse nationale qui simplifie et concentre ». (Nietzsche, Volonté de
puissance, t. I, p. 86-87) Comment cela ne me frapperait-il pas puisque c’est par
là que je disais Pascal nationaliste. Je n’ai pas osé publier cette thèse bizarre.
Mais l’homme monstre et chaos, l’homme incapable de connaître la vérité par
suite de sa corruption et de sa décomposition morale, c’est celui, dit Pascal, qui
n’a pas la foi chrétienne, je lui propose la révélation lorraine de sa mission sur
la terre. (Bastions de l’Est). « Se rendre maître du chaos que l’on est soi-même
; contraindre son chaos à devenir forme, à devenir logique, simple, sans
équivoque, mathématique, loi, c’est là la grande ambition. » » -Maurice Barrès,
Mes Cahiers, t. 3, 1902-1904, Paris, Plon, 1931, p.138-139.

« Le nationalisme nous ordonne de juger tout par rapport à la France. Déserter


la cause des déshérités serait trahir la cause de la nation elle-même. » -Maurice
Barrès, « Socialisme et nationalisme », La Patrie, 27 février 1903.

« En politique je n’ai jamais tenu profondément qu’à une chose : la reprise de


Metz et de Strasbourg. Tout le reste, je le subordonne à ce but principal. Pour
1577
juger tout événement, pour apprécier chaque projet (administratif ou législatif),
je me demande : nous fera-t-il plus forts ? Orientera-t-il nos pensées vers les
frontières du Rhin ? […]

En littérature, sans rien renier de nos pères romantiques, je ne demande qu’à


descendre des forêts barbares et qu’à rallier la route classique, pourvu qu’en
nous enrôlant sous la discipline parfaite de Racine et de Molière, on nous laisse
nos riches bagages et nos bannières assez glorieuses. » -Maurice Barrès,
interview paru dans Le Matin, 1er mars 1908.

« C’eût été pour Nietzsche un réconfort de savoir que vers 1887 « dans
un temps où il était profondément ignoré de ses compatriotes », il eût trouvé à
Paris un jeune homme qui, sans avoir lu aucun de ses livres, se rencontrait dans
le mépris des Barbares et le Culte du Moi. » (p.124)

« Rousseau est par excellence le génie qui essaie de nous lancer dans cette
révolte néfaste, et d’ailleurs impuissant et qui nous conseille d’agir comme si
nous avions à refaire tout à neuf, comme si nous n’avions jamais été civilisés. »
(p.317)

-Maurice Barrès, Mes Cahiers, t. 9, 1911-1912, Paris, Plon, 1935, p.317.

« Messieurs,

Je ne voterai pas les crédits que le Gouvernement nous demande pour la


glorification de Jean-Jacques Rousseau et je voudrais m’en expliquer
brièvement. J’admire autant que personne l’artiste, tout de passion et de
sensibilité, le musicien, pourrais-je dire, des Rêveries d’un promeneur solitaire,
des Confessions et de la Nouvelle Héloïse. L’homme lui-même, cette vertu
pauvre et revêche alliée à cet amour lyrique de la nature et de la solitude, non,
je ne ferai pas son procès. Et je ne conteste pas que du point de vue social il
n’ait eu son moment d’utilité, de bienfaisance même, quand il apportait, dans
une société intellectualisée à l’excès, une riche effusion d’imagination et de
sentiments. Je sens toute la vérité de cette phrase que j’ai retenue d’un jeune
émigré, du fils du général Custine, guillotiné par la Révolution et qui, lisant un
soir dans son exil de Darmstadt ce terrible pamphlet des Liaisons dangereuses,
où beaucoup voulaient voir le miroir d’une société corrompue, s’écriait: “Que
je comprends Rousseau et sa sublime haine pour les vices recherchés ! Après la
lecture du livre de Laclos, véritable poème épique de certains salons du XVIIIe

1578
siècle, on excuse ce qu’a d’excessif l’amour de Rousseau pour la nature; il fait
respirer de l’air pur.”

Voilà, Messieurs, la part de mon admiration. Mais vous m’en demandez plus.
Vous voulez que j’adhère aux principes sociaux, politiques et pédagogiques de
l’auteur du Discours sur l’Inégalité, du Contrat Social et de l’Émile. Je ne le
peux pas, et laissez-moi ajouter que la plupart d’entre vous ne le peuvent pas. Il
y a un manque de vérité profonde dans la sollicitation que l’on vous adresse de
glorifier Rousseau.

A l’heure où nous sommes, avez-vous vraiment l’idée qu’il est utile et fécond
d’exalter solennellement, au nom de l’État, l’homme qui a inventé le paradoxe
détestable de mettre la société en dehors de la nature et de dresser l’individu
contre la société au nom de la nature? Ce n’est pas au moment où vous abattez
comme des chiens ceux qui s’insurgent contre la société en lui disant qu’elle est
injuste et mauvaise et qu’ils lui déclarent une guerre à mort, qu’il faut glorifier
celui dont peuvent se réclamer, à juste titre, tous les théoriciens de l’anarchie.
Entre Kropotkine ou Jean Grave et Rousseau, il n’y a rien, et ni Jean Grave, ni
Kropotkine ne peuvent intellectuellement désavouer Garnier et Bonnot.

Avez-vous vraiment l’idée qu’il est utile et fécond d’exalter solennellement, au


nom de l’État, le pédagogue qui a le plus systématiquement écarté de l’enfant
les influences de la famille et de la race? Pour ma part, je considère que le
devoir de l’éducateur c’est d’imprimer au plus vite sur une personnalité qui se
forme la marque de la civilisation et de déposer dans un esprit encore neuf
toutes les pensées, tous les sentiments vérifiés comme les meilleurs par sa
famille et sa nation.

Avez-vous vraiment l’idée qu’il est utile et fécond d’exalter solennellement, au


nom de l’État, l’homme qui a posé comme principe que l’ordre social est tout
artificiel, qu’il est fondé sur des conventions, que la famille elle-même ne se
maintient que par des conventions, et qui en déduit le droit pour chacun de nous
de reconstruire la société au gré de sa fantaisie? Eh! Messieurs, nous savons
bien tous que la société n’est pas l’œuvre de la raison pure, que ce n’est pas un
contrat social qui est à son origine, mais des influences autrement mystérieuses
et qui, en dehors de toute raison individuelle, ont fondé et continuent de
maintenir la famille, la société, tout l’ordre dans l’humanité.

1579
Ce n’est pas au moment où s’opère dans tous les partis de la jeunesse française
un vigoureux travail, dont on voit déjà les fruits, pour enrayer toutes les formes
de l’anarchie, que nous pouvons glorifier l’apôtre éminent et le principe de
toutes les anarchies. Dans tous ses livres politiques, chez Rousseau, c’est la
même chimère de coucher la vie sur un lit de Procuste. Sa raison arbitraire
s’imagine qu’elle suffit à elle seule pour créer une société plus saine et plus
vigoureuse que celle qui a sa racine dans les profondeurs mystérieuses du
temps. Quelle orgueilleuse confiance en soi! C’est que Rousseau ignore les
méthodes de la science. Il n’observe pas. Il imagine. A ses constructions
purement idéologiques, nous opposons les résultats de l’esprit d’observation et,
j’oserai dire, d’expérimentation par l’histoire. Examen, enquête, analyse, cela
s’est opposé longtemps à tradition. Mais des maîtres sont venus qui ont
examiné, analysé, et c’est pour aboutir à découvrir la force bienfaisante de la
tradition. Un d’eux, que vous ne pouvez pas renier, car vous lui avez dressé une
statue en face de la Sorbonne, Auguste Comte, a résumé ce vaste travail d’un
mot: “Les vivants sont gouvernés par les morts.” Les morts sont nos maîtres,
nous pouvons adapter leurs volontés à la nécessité présente, nous ne pouvons ni
ne devons les renier. Rousseau est par excellence le génie qui essaie de nous
lancer dans cette révolte néfaste, et d’ailleurs impuissante, et qui nous conseille
d’agir comme si nous avions tout à refaire à neuf, comme si nous n’avions
jamais été civilisés. Nous refusons de le suivre.

Messieurs, j’ai le droit de dire que, de la part d’hommes de gouvernement, la


glorification des principes de Rousseau est une manifestation sans vérité
profonde. Est-ce un geste machinal, un vieil air d’orphéon que vous allez jouer
sans trop en examiner le sens? Ou, pis encore, vous êtes-vous fait à vous-même
les objections que je soulève, mais n’osez-vous pas refuser cet hommage à celui
qui se trouve classé parmi les saints de la Révolution? Quoi qu’il en soit, je ne
vois rien, dans votre projet, qui convienne à la France de 1912. Je ne voterai
pas ces crédits; je ne proclamerai pas que Rousseau est un prophète que doit
écouter notre société. Il est un grand artiste, mais limité par des bizarreries et
des fautes que seul l’esprit de parti peut nier. Que d’autres fassent leur Bible de
l’Émile, du Discours sur l’Inégalité et du Contrat Social. Pour moi, je l’écoute
comme un enchanteur dans ses grandes symphonies, mais je ne demanderai pas
de conseils de vie à cet extravagant Musicien. » -Maurice Barrès, discours à la
Chambre, 11 juin 1912.

1580
« Je suis las d’entendre parler, de voir écrire sur la Révolution avec des
sentiments de partisan. Elle n’a pas été faite par les révolutionnaires à l’assaut,
mais par les possédents de Versailles. Robespierre est moins coupable,
responsable, laissons ces mots, il est moins actif que Marie-Antoinette et les
Polignac. Je vais plus loin, si un Danton, si un Marat sont des apaches,
Robespierre n’en est pas un et Versailles est plein d’apaches. » -Maurice Barrès,
à Charles Maurras, La République ou le Roi, Correspondance inédite (1888-
1923), Plon, 1970, p.XXVII.

« L’idée rationaliste est antagoniste de la vie et de ses formes spontanées. » -


Maurice Barrès, Mes Cahiers, t.IX, p.290.

« Il saute aux yeux que je ne prétends à aucune autorité doctrinale, que je n’en
cherche aucune, que personne ne m’en attribue. Ceci bien posé (et que vous
avez le droit et le devoir, vous, jeune lévite, de dire et de répéter), vous avez tort
de me faire barrage. » -Barrès, in Henri Massis, Barrès et nous, (mars 1914),
Plon, 1962, p.136-137.

« Une telle victoire nous comptions qu’elle fixerait au Rhin la frontière


allemande et assurerait la garde militaire des têtes de pont. C’est l’idée
fixe de l’histoire de France, l’ardente, la tenace aspiration de notre race à
trouver enfin la sécurité au Nord, dans les Ardennes, en Lorraine, contre la
perpétuelle menace allemande. » -Maurice Barrès, Journal officiel, débats
parlementaires, Chambre des députés, 30 août 1919, p. 4067.

"Nous sommes travaillés par la trahison et nous le serons de plus en plus. Je ne


crois pas à la résignation des Allemands. Il ne faut pas les connaître pour croire
qu'ils délaisseront l'arme qu'ils considèrent comme la plus efficace: celle de la
dissociation intérieure. Vraiment elle leur a trop bien réussi, en Russie et même
chez nous, car nous avons été à deux doigts de notre perte. Il faudrait être d'une
naïveté peu commune pour supposer qu'ils ne continueront pas. Représentons-
nous ces gens qui rêvaient la conquête du monde, l'organisation de la planète et
que voici réduits à obéir aux Français -et aux Polonais ! Ils vont faire le silence,
mais ils agiront. Il saute aux yeux que, plutôt que de nous apporter sur un plat
d'argent les 165 milliards qu'ils nous doivent, ils n'hésiteront pas à dépenser
cinq milliards, dix milliards, à déchaîner sur nous tous les journalistes vénaux,
tous les "moutons" qu'ils ont recrutés dans les départements envahis et dans les
camps de prisonniers, tous les neutres qui ne demandent qu'à gagner de

1581
l'argent. Ouvrez les yeux et les oreilles, entendez et voyez l'extraordinaire
campagne qu'ils ont déjà commencée pour la révision du traité de Versailles !"
(p.IX)

"Actuellement un agent de l'Etat-Major boche comme René Prévôt, le principal


rédacteur de la Gazette des Ardennes, peut impunément insérer sa prose dans
les journaux de Paris et continuer sans se gêner son immonde besogne
d'empoisonneur du moral français." (p.XI)
-Maurice Barrès, préface à Louis Marchand, L'offensive morale des allemands
en France, pendant la guerre. L'assaut de l'âme française, Paris, La Renaissance
du Livre, 1920, 339 pages.

« Devant Wagner, je ne me suis pas trompé. J’ai senti une force puissante,
capable de soulever et de lever des foules, une force religieuse. J’ai cru: « Ici
naît une religion nouvelle ». Quelle religion ? C’est là mon erreur singulière.
J’avais reçu un tonus. Tous ce qui était en moi s’émouvait. Et ces idées dont je
vivais alors, du Culte du Moi, s’exaltaient, croyaient entendre leur messe. En
fait, les Allemands y trouvaient l’exaltation de leur propre personnalité. Ils
assistaient à la messe du pangermanisme. Je ne tardais pas à m’en
apercevoir. » - Maurice Barrès, Mes cahiers, t. 13, 1920-1922, Paris, Plon, 1950,
p.117-118.

« De Barrès à Gide, l'homme ne monte pas ; il descend. Quant à l'écrivain, il


n'est qu'à voir le désossement progressif de la prose française, faute d'autres
maîtres que des escamoteurs, pour ressentir l'absence de Barrès, que n'a pu
combler Giraudoux. » -Préface d'Aragon au tome II de l'œuvre de Maurice
Barrès, Ed. Club de l'honnête homme, Paris, 1965.

« Ce qui est sûr, c'est que nous l'aimons. Alors même qu'il ne serait pas un
grand écrivain comme il est, sûr de son style et de sa pensée, maître d'une forme
qui est bien à lui, nul ne lui contesterait le mérite plus rare d'avoir empreint
d'une marque indélébile l'esprit de toute une génération. » -Léon Blum.

« Barrès et la majorité de son équipe de « non-conformistes » sont attachés à


l’imaginaire jacobin, qui n’est pas pour eux une simple image d’Épinal. Pour
eux, la Révolution française et le bonapartisme, qui en découle, font partie de
l’héritage du « parti national ». Ils n’ont eu qu’un seul tort : promouvoir
l’individualisme, jeter l’homme en proie aux grandes machines anonymes de
l’industrie et de la finance, le « déraciner » de ses cadres naturels, la famille, le
1582
métier, la province… L’acceptation de 1789 différenciera toujours Barrès de
Maurras. » -Daniel Lindenberg, Les années souterraines (1937-1947).

« En 1890, Maurice Barrès, l’illustre auteur nationaliste français, résuma en


ces termes l’objectif à atteindre : « Fonder en Afrique le plus grand empire
colonial du monde ». » -Henri Wesseling, Les empires coloniaux européens
(1815-1919), Éditions Gallimard, 2009, 554 pages, p.260.

« Il n’écrira jamais dans l’Action française. Il a des liens avec Maurras au


moment de l’Affaire Dreyfus, mais une chose le sépare de manière à mon avis
essentielle de Maurras, c’est que Maurras est monarchiste, qu’il lie le
nationalisme au monarchisme, alors que Barrès est quelqu’un qui se veut aussi
bien l’héritier de la Révolution française et de l’empire. […] Le nationalisme
barrésien est composé, de manière très riche, de la multiplicité des cultures
régionales de la France –ce qui n’en fait d’ailleurs pas un régionalisme. » -
Christian Jambet in Une vie, une œuvre : Maurice Barrès, complexe ou ambigu
? (1862-1923).

« De Gaulle a fréquenté Barrès jusqu’à la fin. […] N’oublions pas que quand
Barrès siégeait à l’Assemblée, il séigeait à l’extrême-gauche. » -Michel
Cazenave, in Une vie, une œuvre : Maurice Barrès, complexe ou ambigu ?
(1862-1923).

« Au fond c’est le dernier des romantiques français mais probablement le seul


qui est donné au sentiment, au retour de la terre et des morts, cette importance
fondamentale qu’un homme comme Hölderlin lui a donné. » -Jean-Marie
Domenach, in Une vie, une œuvre : Maurice Barrès, complexe ou ambigu ?
(1862-1923).

"Leconte de Lisle lui fit connaître [à Barrès] Louis Ménard, le "dernier apôtre
de l'hellénisme"." (p.3)

"Michelet, ne serait-ce que le Michelet du Tableau de la France, n'est pas la


moindre de ses préférences. Même lorsqu'il a consenti à entrer dans la patrie
classique, il exigea d'y être reçu avec ses oriflammes romantiques déployées."
(p.15)

-Henri Clouard (dir.), Bilan de Barrès, Paris, Sequana, coll. "Hier et demain",
1943, 175 pages.

1583
« Barrès avait eu pendant une trentaine d’années des millions de Français
derrière lui. » (p.137)

« Barrès, comme Rousseau, ne compte pour ainsi dire pas de précurseurs


directs dans la littérature. » (p.139)

« Donc « l’homme libre » se découvre un beau jour enchaîné à sa terre et à ses


morts. » (p.143)

« Barrès est éminemment romantique ! » (p.148)

« Il y a un païen enfoui dans Barrès le catholique ; il y traîne des traces d’un


paganisme très ancien qui nous remonterait aux premiers âges de l’humanité
des cavernes et des forêts. » (p.155)

-Georges Tronquart, L'enracinement barrésien ou le mystère de Barrès, Bulletin


de l'Association Guillaume Budé, Année 1954, LH-13, pp. 137-167.

« A peu près contemporains (nés en 1859 et 1862), entrés à peu près au même
moment à la Chambre (1885 et 1889, puis 1902 et 1906) (entre temps, Jaurès
avait été réelu en 93, l’année de l’échec de Barrès à Nancy), ils ne sont pas
beaucoup rencontrés dans le privé sinon à la bibliothèque et dans les couloirs
du Palais Bourbon, une fois chez Larréta et chez le libraire de la Place Victor
Hugo ; mais quel duel, quelle fresque homériue ! Et, sous de fatales différences,
quel dialogue intérieur Barrès n’a-t-il pas entrenu avec Jaurès pendant vingt-
cinq ans, avant et après son assassinat ! Jaurès n’a pas quitté sa pensée
jusqu’en 1923. » (p.99)

« Jaurès aura été pour lui un des vivants qu’il admira le plus avec Maurras,
Mistral, Déroulède, et avec Hugo auquel on sent qu’il le compare dans
l’Enquête. » (p.100)

« Gêné par ses insuccès scolaires, au moins jusqu’en 1906, où l’Académie le


rassura en lui conférant l’Immortalité, Barrès souffrit d’un complexe
d’infériorité en face du « grand universitaire » Jaurès reçu premier à l’École
Normale à dix-neuf ans, agrégé de philosophie à vingt-deux, chargé de cours à
la Faculté de Toulouse à vingt-cinq et docteur en philosophie à trente-trois. »
(p.100)

« Barrès était un de ces aristocrates de l’esprit qui respectent les vraies valeurs,
où qu’elles soient. » (p.104)
1584
« Barrès souffre « de voir le talent, l’instruction, la culture à l’extrême-
gauche. ». » (p.106)

« Ajoutez à Jaurès une courtoisie qui n’est pas pour déplaire au dandy, d’autant
plus que l’extrême-gauche se tient en général si mal. Enfin, il y a chez Jaurès
une générosité, une foi d’apôtre qu’il ne trouve pas chez ses collègues chrétiens
et qui fait de lui un homme heureux, rayonnant d’euphorie […] Ah ! si
seulement Barrès était aussi sûr que la vie a un sens, alors que son œuvre
entière est gangrenée par la mort et un désespérant à-quoi-bon ! […] Barrès
envie ce « grossier optimisme », essaie de l’analyser, de le critiquer, mais
toujours y revient car son tempérament souffreteux et sa philosophie héritée des
maîtres romantiques et parnassiens en manquent terriblement. » (p.107)

« Il avait chez Barrès une profonde admiration pour le génial tribun. » (p.100)

-Georges Tronquart, Barrès juge de Jaurès, Bulletin de l'Association Guillaume


Budé, Année 1963, 1 pp. 99-113.

« Le nationalisme barrésien désigne à la fois un ennemi extérieur (l’Allemand)


et un ennemi intérieur (le Juif) : ce couple d’opposés incarne les deux figures
complices de l’étranger menaçant. » -Pierre-André Taguieff, « Civilisation
contre barbarie ? Archéologie critique de quelques corruptions idéologiques
contemporaines (nationalisme, humanitarisme, impérialisme) », L'Homme et la
société, Année 1988, 87, pp. 30-52.

"Pour sa première trilogie, [Barrès] dit s'être inspiré de Schopenhauer, de


Fichte et de Hartmann." (p.22)

"En 1892, et après le passage de la vague boulangiste, Barrès s'élève encore,


dans un célèbre article du Figaro, souvent mal interprété, contre le chauvinisme
culturel ; Jules Lemaître notamment, futur président de la Ligue de la patrie
française, y est l'objet de sarcasmes à peine voilés, de même que Déroulède et
ses ligueurs firent, dans Les Taches d'encre, les frais de l'énergique protestation
de Barrès contre les délires verbaux du patriotisme professionnel. [...] Il a en
horreur le patriotisme bavard qui sévit alors." (p.27-28)

« En 1912, il considère que dans le Culte du Moi, sa pensée rencontre celle de


Nietzsche [Mes Cahiers, t. IX, p.124]. Ce point de rencontre, c’est leur
commune aversion pour la civilisation industrielle, pour le progrès technique,
pour le monde moderne : « Toute cette modernité », écrit Barrès, « est contre
1585
quoi je lutte, modernité telle que Nietzsche la définit… » [Mes Cahiers, t. III,
p.139]

Mais d’autre part, lorsqu’il découvre La Volonté de puissance, il sent qu’entre


lui et le philosophe allemand il y aurait toujours l’enseignement de Pascal : « il
outrage mon état d’esprit », dit-il en août 1901. « Je regarde Pascal et je ris
avec mon maître de cet orgeuilleux… » [Mes Cahiers, t. II, p.243]. Quelques
années plus tard, Barrès se dire profondément choéqué par le caractère
« antipathique » et « inhumain » du surhomme de Nietzsche, ce « brutal
insensé » : « Pour affirmer sa personnalité », poursuit-il, « Nietzsche sort de
l’humanité » [Mes Cahiers, t. VI, p.6 et pp.10-11]. » (p.46)

"De nombreuses contradictions apparentes se résolvent dès que l'on comprend


ce que fut la grande inquiétude de la pensée de Barrès: découvrir le vrai, le
solide, l'immuable, échapper à la terrible incertitude qui plane sur l'existence
humaine. [...] Son traditionalisme est donc le fruit de cette recherche de
l'absolu." (p.48)

"Une telle conception du monde n'aurait pas porté à conséquence si elle avait
été réellement limitée au niveau de l'individu. Tel ne fut pas le cas de Barrès
qui, en élevant immédiatement au niveau des collectivités sa vision des relations
entre le Moi et le barbare -relations de lutte perpétuelle- donna à cette vision
des attributs d'une loi naturelle. Très rapidement en effet, la première règle de
l'éthique barrésienne qui consistait à s'affirmer contre tout ce qui n'était pas le
Moi, à se cantonner dans un monde fermé à la vie des hommes, acquiert la
dimension du collectif." (p.52)

"C'est ainsi qu'au-delà des thèmes d'un certain anarchisme qui avait, comme l'a
fait remarquer Roger Labrousse, secoué toutes les contraintes, y compris celles
du passé, apparaissent dans Le Culte du Moi les éléments d'acceptation qui
préparent le traditionnalisme et Le Roman de l'énergie nationale. On discerne
en effet que le même fil -l'acceptation du verdict de l'histoire- rattache ses
premières romans aux Déracinés, à sa campagne pour les églises de France et
enfin à son refus de rallier l'Action française." (p.55)

"Dans le boulangisme, Barrès collabore avec des blanquistes et des radicaux ;


dans les années 1890, il n'est pas très éloigné de Jaurès pour qui il professe
alors une profonde admiration. Le boulangisme de gauche ne pouvait-il pas, sur

1586
la base du programme social de 1889-1891, établir avec le socialisme un
accord qui, sans être un accord sur les principes, aurait pu servir de base à une
action politique commune ?" (p.172)

"Dans Le Journal du 20 janvier 1893, Barrès publie, à l'occasion de la


soutenance de la thèse de Jaurès, un article plein d'éloges pour le leader
socialiste." (note 48 p.172)

-Zeev Sternhell, Maurice Barrès et le nationalisme français, Éditions complexe,


Librairie Armand Colin, 1972, 389 pages.

"Le 23 février 1899, jour de la Saint-Maurice, place de la Nation, Barrès lance


un ultime appel au soldat. En habit noir, Barrès conspire et accompagne
Déroulède qui s'essaie à convaincre le général Roget de marcher sur l'Élysée.
Une fois encore, c'est à Labiche et à Courteline qu'il faut emprunter la plume
pour narrer le fiasco de Reuilly. La nuit du 22 au 23 -mois béni selon Napoléon
pour les insurrections- Barrès, Habert et Déroulède roulent en fiacre, non vers
Emma et la cathédrale de Rouen, mais vers la France dont ils vont enfin
prendre possession. Barrès, dans la langue de Zola, parle de "crime d'amour" et
Déroulède, à ses hommes, une langue d'amant. Félix Faure vient de rendre
l'âme -ajoutant encore un chapitre à la légende française. Déroulède, en hâte
rentré du Midi, interpelle son successeur Émile Loubet qui, au temps de
Panama, aida les chéquards à se tirer d'affaire. A Versailles, lorsqu'il prend la
parole devant le congrès de la Ligue, il retrouve intacte la vague qui aurait
porté Boulanger à l'Élysée si Boulanger avait voulu. Ivre de cette mer
déchaînée, prisonnier du délire populaire, Déroulède entraîne ses bacchantes
patriotiques à la statue de Jeanne d'Arc et, au lieu de marcher sur l'Élysée, leur
fixe rendez-vous: Dans trois jours, pour trouver un soldat qui réponde à l'appel
! Il finit par dénicher un général. Pellieux appartient à l'état-major
antidreyfusien, soupçonné de collusion avec Esterhazy. Les deux hommes
règlent l'affaire dans les moindres détails, jusqu'au cheval que monterait le chef
des Ligueurs quand il prendrait la tête des troupes. Ensuite, il prend langue
avec des hommes politiques qui, réunis le soir même du coup d'Etat autour du
tapis vert, en appelleront au peuple de France pour élire une assemblée
constituante. Le lendemain se passe à rouler en fiacre avec Barrès et Barillier.
A la dernière minute, place de la Nation, boulevard de Charonne, Déroulède en
appelle à Hugo et brame: "Grouchy ! C'était Blücher... L'espoir changea de
camps, le combat changea d'âme." Fin du coup ! En lieu et place du général de
1587
Pellieux, le général Roget mène les troupes à cheval à la caserne de Reuilly et
non à l'Élysée, au repos vespéral et non à la gloire ! Déroulède est arrêté par le
général Florentin." (p.181-182)

"Déroulède gagne Saint-Sébastien et Barrès ravi/peiné d'avoir échappé aux


Assisses et à la Haute Cour se calfeutre boulevard Maillot pour y consigner la
mémoire de cet impérissable 23 février où, nouveau Retz, il a marché avec les
factieux contre le pouvoir en place." (p.183)

"Barrès, s'il reste fidèle à Déroulède et lui rend visite à Saint-Sébastien tous les
23 février, refuse désormais les coups de poings nationaux. Il ne suivra pas
Maurras sur le tombe du général Pellieux, pas plus qu'il n'acceptera de troubler
les funérailles de Zola. Barrès dissuade même Syveton, Coppée, Castellane et
Rochefort de conduire une contre-manifestation nationale." (p.183-184)

"En mars de cette même année où Barrès ne fut pas plus chanceux que le
cardinal de Retz, il est encore une fois battu contre Gervaize, plus franchement
réactionnaire, plus franchement antisémite que lui, en dépit du soutien de
Déroulède. L'écart est infime: 5887 voix contre 5786. Barrès devra encore
attendre six ans pour être à nouveau député." (p.184

"A René Gilloin qui l'aimait si fort qu'il voulait, jeune Nietzschéen repenti,
célébrer Seillière, Barrès demande:

-Parlez-moi donc un peu de ce M. Seillière dont je n'ai pas lu une ligne et dont
vous faites tant de cas.

[Pour lui complaire Gilloin s'exécute, vante]:

-son immense érudition et sa rare connaissance des choses allemandes.

[Gilloin expose]:

-la triade Impérialisme - Mysticisme - Raison qu'il avait prise pour fondement
de sa doctrine.

[conclut]:

1588
-Au surplus, c'est un homme avec qui vous devriez sympathiser, car il a mené
des campagnes parallèles aux vôtres, contre le romantisme anarchique, contre
l'individualisme révolutionnaire, contre les désordres de la sensibilité, contre la
passion anti-sociale.

Barrès pousse alors un grand soupir, coule [vers lui] un regard amusé et,
complice: "Enfin, contre tout ce que nous aimons"." (p.201)

"Je me souviens que le moi renforcé éloigne de tout narcissisme puisqu'il se sait
solidifié par une hérédité, une tradition, inscrit dans une époque et ne devant
presque rien à soi-même, quand le moi atomisé qui se sait minuscule, dévoré
par l'impuissance et la conscience de son néant aboutit au narcissisme du sujet
et à sa traduction politique la croyance en une supériorité de race, de caste ou
de classe." (p.203)

"Quand Barrès dédie "A Édouard Drumont, ce témoignage" le dernier volet du


Roman de l'énergie nationale, il se place librement sous le signe de
l'antisémitisme." (p.205)

"Ni la vie ni l’œuvre de Barrès n'auraient été telles si cet amour et ce drame
[rupture de 1907] n'étaient survenus, véritables bête dans la jungle, attendues
toute sa vie et surtout à ceci, ils se sont revus en 1917 et ont été amants,
d'heureux amants -la correspondance en fait foi. Contre les Tharaud, Barrès a
tranché, le 11 mai 1923, il lui écrit ceci, exergue obligé de toute lecture de
Barrès: "Je demande qu'un jour votre nom qui fut le rêve et le secret de ma vie
soit inscrit à la première page de ce qui pourrait survivre de votre ami"."
(p.238)

"Les filles toujours doivent-elles avant de sourire aux garçons songer aux
suicides potentiels de ceux qu'elles ne parviendront à aimer ? Barrès, au plus
fort de sa détresse, alors qu'il vient de passer trois jours au chevet de [son
neveu] Charles agonisant, guettant une reprise de conscience qui n'est pas
venue, ne l'a pas cru." (p.245)

"En octobre 1901, trois mois après la mort de sa mère, Barrès quitte le comité
directeur de La Patrie française. [...] [En 1904], il rompt son serment
d'orphelin ivre et échoue à l'élection législative d'avril." (p.259)

1589
"Parmi tous les reproches adressés à Maurice Barrès, celui d'avoir sonné du
clairon et couvert le massacre d'une génération de jeunes gens paraît ne souffrir
aucune atténuation. Résumé en un mot de l'auteur d'Au-dessus de la mêlée qui,
d'ailleurs, s'y trouva si bien qu'Hitler lui-même ne l'en déménagea pas [...] ce
reproche le sacre eernitate: "Rossignol du carnage". La formule est belle, elle
est fausse. [...]
Montherlant raconte, non sans émotion, comment Barrès fut sifflé par la foule,
lors du défilé de la Victoire, tout bonnement mis au ban, traité en paria."
(p.286-287)

"Trop vieux pour porter l'uniforme -réformé à vingt ans, il en a cinquante-deux-


plusieurs fois, il tente, en vain, de s'engager, mais le ministère lui refuse
jusqu'au poste de correspondant de guerre. Sa fonction sera humble, servir de
porte-parole aux combattants, à leurs épouses ou à leurs veuves, à leurs parents
et à leurs fils, intercéder pour les mutilés et tenter d'adoucir leurs conditions de
vie. Barrès intercède pour des pensions, des prothèses ; tente de faire rester des
chirurgiens à l'arrière et enfin pour que "les mutilés ne mendient pas aux portes
des cinémas" il use de son prestige et de son nom en faveur de la Fédération
nationale pour la défense des mutilés des armées de Terre et de Mer. Quatre
années durant, il préfère au sublime et à la "gloigloire" des Lettres des tâches
très humbles comme celle de généraliser l'emploi du réchaud à alcool dans les
tranchées, comme la création d’œuvres d'apprentissage et de placement pour les
gueules cassées. [...] Ces années-là, Barrès s'obstine et parvient à ne fixer son
attention que sur les pensions des mères de famille dont l'époux est au front et
les enfants à l'école ; il borne son univers aux unités que l'état-major a oublié de
relever ; à l'instauration d'une croix de guerre pour les braves ou à
l'élargissement du registre des musiques-qui-vont-quelque-part. A la Chambre,
il se bat contre certain décret, apparemment de peu d'importance, et gagne: des
hygiénistes, trop dignes ancêtres de nos Verts, décident de brûler les corps des
soldats non identifiés. A ce vœu sanitaire, il répond par une défense de la
tradition de l'ensevelissement et par la nécessité qu'ont les familles de pleurer
un mort qui soit quelque part." (p.289)

"C'est le 11 juillet 1893 qu'il [Barrès] épouse Paul Couche à l'église Saint-
Séverin et en mars 1901 qu'il rencontre Anna." (note 22 p.376)
-Sarah Vajda, Maurice Barrès, Flammarion, coll. Grandes Biographies, 2000,
434 pages.

1590
« Barrès s’intéresse à Nietzsche principalement à deux moments, en 1907,
quand ses conversations avec l’abbé Pastourel le conduisent à distinguer extase
catholique et extase panthéiste (Mes cahiers, V, p. 298 sqq., « cahier rouge » ;
VI, p. 6-11, cahier 17) et pendant les années de guerre et d’après-guerre où il
critique la doctrine de la force primant le droit (Mes cahiers, XII, p. 49, cahier
40). » -Claire Bompaire-Evesque, « Barrès et claudel : une incompréhension
réciproque », Revue d'histoire littéraire de la France, 2004/1 (Vol. 104), p. 93-
126.

"Pendant un quart de siècle Barrès mène un combat nietzschéen contre les


Lumières françaises, le rationalisme cartésien, l'impératif catégorique kantien,
les droits de l'homme, l'humanisme, l'utilitarisme, l'école républicaine, cette
machine à produire des déracinés, donc à briser la nation. Mais là où Nietzsche
prêche un individualisme extrême, Barrès préconise la subordination absolue de
l'individu à la communauté ; là où Nietzsche clame son horreur de la masse et
exalte l'aristocratie de la pensée et de la volonté, la primauté de la culture,
l'indépendance de l'intellectuel et le non-conformisme, Barrès se range du côté
de la foule, seule dépositaire des grandes valeurs collectives." (p.XXXIII)

"Le modèle le plus complet de toutes ces tentatives de rassemblement effectuées


au cours de cette période complexe et riche en ambiguïtés est, sans aucun doute,
La Cocarde, telle que la fit Barrès de septembre 1894 à mars 1895. [...]
La Cocarde réunit, sous la direction de Barrès, Eugène Fournière, Clovis
Hugues, Camille Pelletan, Fernand Pelloutier, Camille Mauclair, mais aussi
Maurras, Daudet, Amouretti, Soury et Morès. Les socialistes ne semblent être
choqués ni par la fréquence ni par la chaleur des hommages rendus par leur
directeur politique au mouvement boulangiste et aux grands hommes du parti
national. Au cours de la veillée d'armes qui précède l'Affaire, socialisme et
internationalisme cohabitent facilement avec l'antisémitisme, le fédéralisme et
un certain traditionalisme.
La Cocarde brûle d'un authentique désir de renouvellement. [...] Elle refuse le
monde bourgeois, le parlementarisme, l'encasernement de la jeunesse et
l'éducation traditionnelle. Elle refuse la société industrielle et la centralisation
qui écrasent l'individu. Mais elle veut aussi le regroupement de tous ceux qui
refusent: socialistes, antisémites de gauche, anciens boulangistes. Elle prolonge,
à un niveau de réflexion plus élevé, le boulangisme, et très souvent elle s'attache
à systématiser et à développer les vieux thèmes boulangistes. Elle poursuit en
l'accentuant le redressement vers la gauche amorcé au lendemain de l'échec du
1591
boulangisme ; elle cherche à élaborer une plate-forme commune à l'ensemble de
l'opposition de gauche. Barrès et son équipe se tournent, par conséquent, vers
cette clientèle que le boulangisme, enlisé en fin de course dans ses
compromissions avec la droite, n'avait pas su pleinement mobiliser, vers ces
couches sociales qui ne se reconnaissent pas dans la République opportuniste,
vers cette jeunesse intellectuelle qui, ils en sont convaincus, aurait dû et aurait
pu former l'aile marchante du mouvement.
La Cocarde exprime aussi un refus de la médiocrité bourgeoise qui a amené la
France à sommeiller "dans cette même brume, avec ce même sourire médiocre
que lui avait fait la monarchie de Juillet", elle énonce un profond sentiment de
décadence, de doute et d'inquiétude face à un monde "où semblent s'éteindre
toutes les forces vives de l'humanité". Selon Barrès, l'origine du mal réside dans
l'ordre social imposé par les générations disparues et que l'enseignement
bourgeois perpétue par le biais de la transmission du système des valeurs. Voilà
pourquoi Barrès ouvre le procès de l'Université qui dispense un enseignement
sclérosé, destiné à perpétuer la domination de la bourgeoisie. L'Université est le
pilier de l'ordre établi, de cette République opportuniste qui, barricadée
derrière sa phraséologie, est devenue non seulement le régime de la médiocrité,
du conservatisme et de l'injustice, mais encore un système destiné à modeler
l'individu en le vidant de sa substance originale. [...] C'est de là, conclut Barrès,
que vient le malaise de la jeune génération. Car elle ne veut pas, elle ne peut
pas vivre dans un monde façonné par les générations précédentes [...]
La génération de 1890 n'avait pas le sens du progrès technique et industriel, ni
celui des possibilités qui s'ouvraient à l'homme grâce à ce progrès. Sa
conception du monde était loin d'être optimiste et, si elle avait un sens aigu de la
misère et de l'exploitation, elle avait souvent la tentation d'en rendre
responsables autant les iniquités de l'ordre social que la croissance industrielle.
D'autre part, et c'est là un des dimensions les plus caractéristiques du
socialisme national -et, plus tard, du fascisme-, l'engagement de l'équipe de La
Cocarde en faveur du socialisme prend aussi les aspects d'une révolte
bourgeoise, alimentée principalement par le "prolétariat des bacheliers", cette
catégorie sociale nouvelle que met en scène Les Déracinés et dont l'importance,
depuis, n'a cessé d'augmenter. [...]
Mieux que quiconque, c'est le jeune et brillant député boulangiste, élu à Nancy à
l'âge de vingt-sept ans, parvenu à l'apogée de son influence idéologique et
littéraire au temps de l'Affaire, qui représente et concrétise de la manière la plus
fidèle l'esprit de révolte de la génération de 1890. Il est l'un des tout premiers à
1592
avoir compris qu'un mouvement "national" ne peut être tel que s'il assure
l'intégration des couches sociales les plus déshéritées dans la collectivité
nationale, que s'il leur offre un terrain de ralliement sur des thèmes neutres et
acceptables pour l'ensemble de la société. Complété par l'antiparlementarisme
et un certain autoritarisme -dérivé d'une conception plébiscitaire de la
démocratie-, le boulangisme barrésien, socialisant et antisémite, forme un
ensemble relativement cohérent. Ainsi donc, élaboré au cours des premières
années de la dernière décennie du siècle, qui annonce déjà les affrontements
idéologiques que connaîtront la France et l'Europe tout au long de la première
moitié du XXe siècle.
Tout d'abord, Barrès oppose aux vices du régime représentatif, régime de
corruption, les mérites de la démocratie directe, d'un retour aux sources. Il
assimile le boulangisme aux élans libérateurs de la Révolution, de 1848 et de la
Commune: il fait appel à la vieille tradition jacobine et révolutionnaire qui
abattit d'autres systèmes d'oppression. [...] Les critiques qu'il adresse au régime
portent non tant sur son étiquette démocratique que sur le fait qu'il ne l'est pas
vraiment. Le boulangisme se présente, par conséquent, comme un mouvement de
reconquête de la République, un "nettoyage" bienfaisant qui rendra la
République vivable. Ce caractère populaire et républicain est constamment
réaffirmé avec une grande vigueur, et, en cette année du centenaire de la
Grande Révolution, l'imagerie révolutionnaire est amplement exploitée. Barrès
célèbre toutes les gloires de la France jacobine, toutes les "journées"
populaires, depuis la convocation des états généraux jusqu'à la Commune. Tout
cela, non seulement pour exploiter les sentiments de la traditionnelle clientèle
radicale, mais aussi pour faire témoigner l'histoire de France en faveur du
"parti national". [...] Fils légitimes des hommes du tiers état, les boulangistes
portent, cent ans après leurs pères spirituels, les espérances de tous les
opprimés. Car, depuis 89, la nature de l'oppression n'a point changé ; ce qui a
changé, c'est l'identité des oppresseurs. A cet égard, l'analyse des socialistes
nationaux ne diffère guère de celle des marxistes. Ne font-ils pas, à l'instar des
marxistes, le même procès à la bourgeoisie et aux moyens qu'elle emploie pour
se maintenir au pouvoir ? Dans un article quasi marxiste, "La lutte entre
capitalistes et travailleurs", Barrès accuse la bourgeoisie de n'avoir jamais,
depuis 1789, considéré le peuple que comme un simple moyen, un moyen
commode, pour abattre l'Ancien Régime et établir sa propre suprématie. C'est
contre elle que se dresse le boulangisme. "Sorti des ouvriers", fidèle à une
"République...ouverte toujours aux petits électeurs", le "parti national" leur
1593
offre l'occasion d'abattre "la coalition bourgeoise". [...] Égalité politique et
suffrage universel ne sont que les paravents derrière lesquels se cache une
aristocratie nouvelle. Les boulangistes s'adressent à l'instinct "antiprivilèges"
du prolétariat, au sentiment le plus ancré dans la conscience populaire, celui de
l'égalité. [...]
La société bourgeoise est malade parce que bourgeoise, mais surtout parce que
société industrielle. Tout compte fait, les boulangistes, à l'exception de
l'ingénieur Francis Laur, craignent la société industrielle et la comprennent
mal. La vision que se fait Barrès de l'ouvrier, réduit "à un véritable servage"
par le "machinisme [qui] l'enterre dans les usines", est fort caractéristique de ce
courant de pensée. [...] Ce socialisme s'élève contre le concept même de lutte de
classe [...] il revêt les formes d'un populisme antibourgeois et anti-industriel.
C'est pourquoi ce socialisme -auquel se rattache un Drumont, auquel se
rattachera plus tard un Biétry- rêve d'un âge d'or où la France, une France du
"petit peuple", sera enfin le pays des intérêts en harmonie, le pays de l'entente
des classes laborieuses. C'est pourquoi, enfin, ce socialisme, qui prône la
fraternité des malheureux, encourage aussi une certaine xénophobie afin de ne
pas laisser les conflits d'intérêts prendre le pas sur l'intégration de tout le corps
national. [...]
[Il ne craint] pas de préconiser comme solution à la question sociale la même
solution que proposent les marxistes: donner au travailler "la propriété de son
instrument de travail". C'est en effet à quoi tendent les propositions du fameux
groupe de "Morès et ses amis", qui veut la création d'un système de crédit
ouvrier. Francis Laur, de son côté, défend le principe de la coopération minière
et de la participation aux bénéfices. [...]
Mais les solutions marxistes ou marxisantes sont finalement de peu de poids
dans le socialisme national des années quatre-vingt. C'est encore sur la
solidarité capital-travail que l'on compte pour résoudre la question sociale ; en
fait, on croit plus, à l'instar de Naquet, à la participation des ouvriers à "des
sociétés par actions [qui] ne sont pas autre chose que le moyen indirect de
morcellement de l'usine". [...]
Barrès aussi se range résolument sous la bannière de la participation et de la
solidarité. [...]
Une même conception se dégage de la masse des écrits de Paul Déroulède. On
ne peut, certes, rattacher le chef de la Ligue des patriotes au socialisme national
stricto sensu. N'empêche que lui aussi est pour la solidarité capital-travail,
solidarité qui, en permettant la collaboration du patronat et des chambres
1594
syndicales, doit assurer la protection du travailleur français. En effet, pour
Déroulède, comme pour tous les courants de la nouvelle droite, le problème
social est d'abord un problème de défense: du prolétariat français contre le
travail étranger, de l'industrie et du commerce français contre la concurrence
étrangère. [...]
L'essence même du nationalisme est, par conséquent, le maintien de la
cohésion du groupe-nation et la recherche d'un consensus. D'où, dans un
premier temps, le désir de dépasser les oppositions intérieures, les oppositions
de classe, et, dans un second temps, le rejet des éléments jugés étrangers au
consensus. Ces derniers seront par la suite, du fait de leur comportement,
accusés de complot, et leur présence considérée comme un danger permanent.
Barrès comprend parfaitement que la cohésion national passe par la solution de
la question sociale: il faut protéger "le menu peuple contre le peuple gras", il
faut éviter que l'idée de patrie ne se présente aux couches sociales les plus
défavorisées uniquement sous forme de "charges à subir et de corvées à
remplir". Il faut favoriser l'éclosion du sentiment de solidarité à l'intérieur du
groupe national "par la haine du voisin": "L'idée de patrie implique une
inégalité mais au détriment des étrangers...". Dans cette optique, Barrès lance
une longue campagne en faveur du protectionnisme -qui "introduit le
patriotisme dans l'économie politique" -et une campagne pour la protection des
travailleurs français contre la concurrence des ouvriers étrangers."(p.58-70)

"Les nationalistes s'appliquent à mettre en valeur l'importance et la portée du


dénominateur commun au socialisme et au nationalisme: "L'idée socialiste est
une idée organisatrice si on la purge du poison libéral qui n'y est point
nécessaire", dit Barrès. Dans l'esprit des révoltés de la fin du siècle, socialisme
et nationalisme ne représentent que deux aspects de l'antilibéralisme, deux
aspects d'un même refus de l'individualisme démocratique, deux idéologies qui
saisissent l'individu seulement en sa qualité de parcelle d'un tout organique. Ce
qui permet à Maurras d'expliquer aux ouvriers que, "travailleurs, ils sont
société avant d'être individus". Voilà pourquoi le socialisme "en son sens
naturel et pur" ne signifie pas nécessairement "la destruction et le partage de la
propriété privée" ; en réalité, "un système socialiste pur serait dégagé de tout
élément de démocratisme. Il se plierait aux règles de la hiérarchie inscrites dans
la constitution de la nature et de l'esprit".
C'est dans ce sens que le nationalisme peut être conçu comme "socialiste" par
définition. C'est bien l'idée qu'exprime Barrès quand, en 1898, il reprend le
1595
combat en Lorraine. Il y revient au nom du boulangisme: son programme, celui
du "Comité républicain socialiste-nationaliste de Meurthe-et-Moselle", recoupe
les grandes options du "Comité républicain socialite-révisionniste" qui l'a
précédé. Ce programme exprime cependant les nouvelles préoccupations des
socialistes nationaux: la lutte "contre ce socialisme trop cosmopolite ou plutôt
trop allemand qui énerverait la défense de la patrie", la lutte contre la
conspiration de la finance internationale et des ennemis de l'intérieur liés à elle,
plus particulièrement les juifs qui, par "des mœurs d'accaparement, de
spéculation, de cosmopolitisme", menacent de vider le pays de sa substance."
(p.72-73)

"Maurras n'hésite pas à heurter de front la personnalité antidreyfusarde la plus


imposante du moment: Barrès, à qui son œuvre littéraire donne, en ce début du
siècle, une stature que son action politique manque toujours de lui gagner.
Ainsi, lorsque l'auteur des Déracinés en vient à repousser les conclusions de
l'Enquête sur la monarchie, invoquant sa volonté de rester sur le terrain des
réalités, la réplique de Maurras est vive et acerbe. [...]
Le grand reproche que Barrès adresse à Maurras est de s'enfermer dans une
construction abstraite, donc anti-historique, car l'histoire ne possède guère
d'autres critères que celui du fait établi. Les faits sont les fruits d'une évolution.
Or, qui dit évolution dit continuité et se doit d'accepter la légitimité de cette
continuité. [...]
Ce refus que Barrès signifie à Maurras, il l'avait déjà énoncé lors de la
fondation de la Ligue de la Patrie française. [...]
Barrès s'incline devant le jugement rendu par le temps, et il accepte sa
légitimité. Pour Maurras, au contraire, le temps est synonyme de mort, il est le
responsable du déclin de la nation, de son dépérissement. Libéré par la
Révolution, le temps de l'histoire dissout l'être national. C'est pourquoi la
naissance de l'Action française prend cette direction particulière qui sera la
sienne: la réaction contre cette première génération du socialisme national qui
venait de perdre les grandes batailles des années 1880-1890, et qui sera aussi la
première à se désagréger. Une bonne partie de ces hommes avait
progressivement disparu de la scène politique, mais d'autres, et c'est le cas de
Barrès, avaient pu refaire surface, sous un autre visage.
En effet, en ce début de siècle, l'ancien directeur de La Cocarde vient de céder la
place à l'auteur du Roman de l'énergie nationale: le jeune et bouillant député de
Nancy, le brillant auteur de L'Ennemi des lois vient de se muer en un paisible
1596
conservateur. Parce que sa théorie de La Terre et les Morts implique
l'acceptation du verdict de l'histoire, Barrès ne peut et ne veut pas donner son
adhésion à une théorie politique qu'il considère comme antihistorique. Pour lui,
le temps des aventures est révolu: les échecs successifs du boulangisme et de
l'antidreyfusisme ont fait du révolté des années quatre-vingt un solide
conservateur. A l'issue de toutes ces batailles perdues, il s'attache surtout à
défendre ce qui est -en proposant d'améliorer ce qui peut l'être-, à préserver et à
consolider les trésors de la lignée, à cultiver la fidélité à la continuité française.
La politique de Barrès est dès lors commandée par sa vision de l'histoire ; son
nationalisme conservateur repose sur la volonté de considérer l'histoire de
France comme un tout indivisible dans lequel la Révolution française a droit de
cité. En d'autres termes, Barrès, parvenu au terme de son évolution
intellectuelle, glisse vers le centre: il personnifie alors cet esprit de la Patrie
française qui accepte la légitimité de l'ordre établi. Cette option fait qu'il restera
toujours réticent à l'égard de la pensée de Maurras, comme à l'égard des
tentatives de rapprochement que certains milieux du syndicalisme et le
mouvement maurrassien essaieront de faire aboutir.
Les hommes de l'Action française, Vaugeois, Léon de Montesquiou, Valois,
Maurras lui-même, ne manqueront jamais de se recommander de Barrès, et
l'Action française lui rendre toujours hommage, plus spécialement au cours des
premières années qui suivent sa fondation. Mais tout cela ne saurait masquer la
réalité: si, en ce début de siècle, Maurras fait figure d'héritier de Barrès, c'est
seulement de la filiation du jeune Barrès qu'il peut se réclamer, le Barrès
révolutionnaire qui menait la jeune génération à l'assaut de l'ordre établi. La
naissance du mouvement maurrassien incarne ainsi l'apparition, à droite, d'un
nouvel activisme, de même que le syndicalisme révolutionnaire traduit la
volonté de renouveau de l'extrême gauche. Et Valois n'a pas tort lorsqu'il s'en
prend aux "conservateurs de gauche et de droite" ; car, au moment où mûrit la
nouvelle génération qui se lève contre la démocratie libérale, Barrès, à l'instar
de Jaurès ou de Guesde, fait déjà figure de pilier de l'ordre établi." (p.468-472)

-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises


du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

« Barrès dans Les Déracinés, après Bourget dans Le Disciple, dénonçait le


professeur de philosophie comme un manipulateur de consciences, un
corrupteur de la jeunesse. » -Michel Leymarie, De la Belle Époque à la Grade
1597
Guerre. Le triomphe de la République (1893-1918), Librarie Générale
Française, coll. La France contemporaine, 1999, 379 pages, p.186.

"Le Culte du Moi, porte l’empreinte des œuvres de Fichte, Schopenhauer et


Hartmann. Aux deux premiers, il doit l’idée essentielle que le Moi soit « la seule
réalité » et que la réalité varie avec chacun de nous, puisqu’elle est l’ensemble
de nos habitudes de voir, de sentir et de raisonner ; au dernier la révélation de
l’importance de l’inconscient sur laquelle débouche le troisième ouvrage de la
trilogie Le Jardin de Bérénice. On reconnaîtra bien évidemment dans cette
affirmation : « C’est nous qui créons l’univers », un résumé des convictions
idéalistes de Barrès, mais surtout l’influence déterminante qu’exerce sur lui, le
philosophe allemand Fichte." (p.39)

"Claude Digeon, dans La crise allemande de la pensée française, énumère les


nombreuses similitudes entre Barrès et Fichte, notamment l’affirmation que le
monde est la création du Moi ; que l’effort vers le non-Moi est peut-être mis
dans le Moi par une force invisible ; que les convictions se forment dans une
sphère inaccessible au raisonnement et que la pensée à sa racine dans un
instinct plus profond ; que l’intelligence doit connaître ces déterminations, afin
d’assurer la liberté et que les avantages de la liberté seront obtenus par des
conventions réciproques méritant seules le nom d’institutions sociales." (p.40)

"La profonde attirance du jeune Barrès pour le socialisme est indissociable de


celle qu’exerce sur lui la philosophie allemande. Son attachement au socialisme
ne sera qu’une étape de sa vie littéraire et politique, qui va de la quête du Moi
au nationalisme [...] Les sources idéologiques du socialisme
français, sont selon lui : « de Rousseau pour sa sensibilité et de Hegel pour sa
dialectique.»." (p.53)

"Dans Le Journal du 20 janvier 1893, Barrès publie à l’occasion de la


soutenance de la thèse de Jaurès, un article plein d’éloges pour le leader
socialiste. Il se félicite de la rentrée prochaine de celui-ci à la Chambre et
appelle la jeunesse à se grouper autour du philosophe Jean Jaurès." (p.56)

"Mais à cette époque, la critique la plus dure que Barrès va instruire sur le
socialisme d’origine germanique, ira en direction du socialisme prétendu
scientifique, matérialiste, dur et géométrique: le marxisme. Il aurait été
l’incarnation même du « germanisme » dans le socialisme. Cette critique est
contenue dans plusieurs articles de presse, mais surtout dans un ouvrage de
1598
1893 L’Ennemi des lois. Barrès rejette d’ailleurs Marx, à un tel point, qu’il ne
le compte même pas dans les sources du socialisme. Sans être un spécialiste de
science politique, Barrès dégage néanmoins, avec une réelle précision et parfois
une vision assez prophétique, les grands traits de l’idéologie marxiste et ses
dangers potentiels. Mais la grande faiblesse de l’approche barrèsienne réside
dans une volonté continuelle de vouloir associer l’antisémitisme et
l’antigermanisme, à son analyse politique. Il s’acharne à démontrer que le
matérialisme marxiste manque de contenu moral, de spiritualité, car il ne serait
qu’une synthèse « du socialisme juif » et du « socialisme allemand », qui allie
l’esprit « des durs logiciens juifs », avec « le sentiment du ventre » inhérent à la
nature allemande et à son exploitation par les « agitateurs juifs »." (p.58)

"Au « socialisme judéo-allemand » qui selon ses propres termes: « élimine les
notions de pitié et de justice », il oppose l’école française de l’enthousiasme et
notamment, celle de Saint-Simon et de Fourier. Mais c’est le socialisme de
Proudhon qui serait selon lui le plus original, car: « il combine notre sensibilité
nationale et l’hégélianisme », et prend comme levier de la révolution sociale: «
l’idée de justice, de fraternité, ou tel autre sentiment de 48.»." (p.68)

"Auguste Burdeau, note Barrès est à l’origine de la thèse centrale de Sous l’œil
des Barbares, à laquelle il ne renoncera jamais tout à fait, selon laquelle le
monde n’est qu’un phénomène cérébral, une grande fantasmagorie, une illusion
produite par la structure de l’esprit et à laquelle rien dans le dehors ne
correspond." (p.74)

"La pensée de Barrès ne peut être dissociée de la défaite de 1870. Ce choc


désastreux va d’ailleurs l’amener certainement à une meilleure acceptation des
valeurs léguées par le XVIIIe siècle français, par la Révolution et le
nationalisme messianique d’un Michelet. Car la perte de l’Alsace-Lorraine
donne un réel crédit au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui devient
l’argument pertinent et nécessaire pour dénoncer le traité de Francfort. Les
fondements idéologiques de la Révolution et de la République, étaient donc les
seuls, alors à même de légitimer la revendication du retour des annexés." (p.89)

"De nombreux soutiens de Maurice Barrès vont définitivement s’éloigner de lui,


suite à ses positions dans l’affaire Dreyfus, comme par exemple Léon Blum ou
Lucien Herr." (p.100)

1599
-Philippe Bedouret. BARRES, MAURRAS et PEGUY face au germanisme
(1870-1914). Histoire. ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES, 2005.
Français. <tel-01511730>.

Maurice Barrès, Charles Maurras, La République ou le roi, Correspondance


inédite (1888-1923), Plon, 1970.

« Ce métier M. Barrès l’a pratiqué consciencieusement. En même temps qu’il


est, cette année 1920, un de nos deux ou trois plus grands écrivains vivants, un
représentant éminent de la pleine tradition littéraire française, il occupe parmi
les gens de lettres une situation de patron, de princeps, qu’il paraît employer
pour le plus grand bien et dignité de la culture française. Il aime son métier
comme Louis XIV aimait le métier de roi. » -Albert Thibaudet, La vie de
Maurice Barrès, in Trente ans de vie française, volume 2, Éditions de la
Nouvelle Revue Française, 1919, 312 pages, p.242-243.

Anna de Noailles (1876-1933): "Les femmes importaient peu à Barrès avant


qu'Anna ne vînt." (p.32)

-Sarah Vajda, Maurice Barrès, Flammarion, coll. Grandes Biographies, 2000,


434 pages.

« Quand Mme de Noailles osa se porter candidate au fauteuil de l’Académie


française, [Henri] Vaugeois, furibond, la traita de « nouveau monstre de laideur
et d’absurdité ». » -Wolf Lepenies, Les trois cultures: Entre science et
littérature, l'avènement de la sociologie, Paris, Éditions de la maison des
sciences de l'homme, 1990, 317 pages, p.34.

http://hydra.forumactif.org/t4539-anna-de-noailles-la-domination-autres-
oeuvres?highlight=Anna

https://www.amazon.fr/Anna-Noailles-myst%C3%A8re-pleine-
lumi%C3%A8re/dp/2221056825/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1541765
071&sr=1-1&keywords=Fran%C3%A7ois+Broche%2C+Anna+de+Noailles

https://www.amazon.fr/Anthologie-po%C3%A9tique-romanesque-Anna-
Noailles/dp/225316366X/ref=pd_sim_14_4?_encoding=UTF8&pd_rd_i=22531
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Henri Clouard (1889-1974) et la Revue critique des idées et des livres:

Georges Valois (1878-1945): « On désigne ici sous le nom de régime capitaliste


l’extension des principes capitalistes de l’économie financière des entreprises :
1o à l’économie humaine de la production (c’est-à-dire à l’organisation du travail
dans l’atelier et aux rapports entre chefs d’industries et travailleurs) ; 2o à
l’économie nationale (c’est-à-dire à l’exploitation des ressources du sol et aux
échanges avec les nations étrangères) ; 3o à l’organisation politique de la nation.
On conçoit que les principes capitalistes de l’économie financière des
entreprises industrielles et commerciales, qui sont nécessaires lorsqu’ils sont
appliqués à leur objet propre, sont funestes à tout groupement humain lorsqu’ils
sont appliqués hors de leur domaine. Dans ce dernier cas, étant donné qu’ils ont
été établis uniquement en vue d’assurer aux capitaux le plus haut rendement
possible, les chefs d’entreprises sont amenés, autant par la force de ces principes
que par leur égoïsme naturel (heureux dans d’autres conditions) à détruire toutes
les institutions qui limitent, en vue d’un intérêt supérieur qui est l’intérêt
national, les possibilités immédiates du rendement des capitaux et de
l’exploitation du sol. Ainsi la vie religieuse est diminuée, la vie ouvrière
dégradée, la famille détruite, l’ouvrier étranger appelé dans le pays, les richesses
naturelles sont exploitées sans mesure, les institutions politiques transformées en
organe de coercition pour augmenter le rendement abusif des capitaux. En toutes
choses, l’intérêt national est gravement compromis. La démocratie est le seul
régime qui crée les conditions politiques permettant cette domination du régime
capitaliste. Les spéculateurs tendront donc naturellement à la favoriser. Mais on
observe que les capitalistes d’une nation donnée, formés par une longue hérédité
aux disciplines nationales, résistent en général à leur propre entraînement, même
dans une démocratie absolue. Ils se trouvent ainsi dans un état d’infériorité vis-
à-vis des capitalistes étrangers et particulièrement des capitalistes juifs, lesquels,
sans aucun lien avec la vie nationale, n’ont aucun scrupule à appliquer partout
les seuls principes capitalistes. Ainsi, par toutes les voies, le régime capitaliste,
tel que nous l’avons défini, s’oppose à l’intérêt national. » -Georges Valois,
rapport au Congrès d’Action Française de 1912.

« Nous sommes résolument opposés au capitalisme politique. Par syndicalisme,


par nationalisme, par catholicisme nous sommes opposés à la domination de
1601
l’or, à la ploutocratie, qu’elle soit nationale ou internationale, qu’elle règne
sous son nom propre ou sous le couvert de la république ou de la monarchie.
Mais ceci n’est pas nouveau dans les positions politiques déterminées depuis
vingt ans. Cette opposition au régime de l’or, qui donc l’a affirmée avec plus de
force que Maurras, au nom de la contre-révolution, dans ce livre dont nous
répétons encore qu’il est le plus beau livre du siècle, l’Avenir de l’intelligence ?
À quoi tend le mouvement de l’Action française, si ce n’est à arracher le
pouvoir politique à l’Or pour le rendre au Sang ? Veut-on dire, enfin, que nous
sommes anticapitalistes dans l’économie ? Il nous faut dire encore que c’est
parfaitement exact. Poursuivant, dans l’économie privée, l’application de
principes qui doivent régir la politique, c’est-à-dire, en somme, l’économie
générale, nous nous opposons à la domination capitaliste dans l’économie. Ce
n’est pas seulement le pouvoir de l’État, la domination d’une nation qui doit
être arrachée à l’Or, c’est encore, si l’on veut la santé de toute la nation, c’est
encore les pouvoirs particuliers qui existent dans l’État. Le capitalisme s’est
révélé un des plus grands moyens de production qui existent au monde s’il est
contenu dans ses limites (ce que nous avons désigné : l’économie financière des
entreprises) ; mais il est le plus grand facteur de destruction des nations qui le
laissent sans frein. Il ne vaut pas pour déterminer les rapports des hommes entre
eux, à l’intérieur d’une nation. Nous jugerions mauvais un régime politique
monarchique qui, ayant éliminé la ploutocratie politique, laisserait subsister
une ploutocratie économique. Ce n’est pas seulement pour des raisons
politiques que la France doit être « hérissée de libertés », c’est pour des raisons
économiques. Le salut national l’exige. Dans ces limites, il est clair que nous
sommes opposés au capitalisme. Cette position est commune, au Cercle, aux
“capitalistes” et à ceux qui ne le sont pas. Elle n’est pas déterminée par un
intérêt de classe, mais par le souci de l’intérêt national. En tout cas, voilà une
des principales raisons d’être du Cercle Proudhon : préparer, entretenir,
développer un état d’esprit qui fasse naître, ou fasse reconnaître, ou fortifie les
institutions qui, dans l’économie, devront défendre le sang français contre l’or,
même contre l’or français. » -Georges Valois, Cahiers du Cercle Proudhon,
cahiers 3 & 4, 1912 (p. 150-169), p.158-160.

"En 1905-1906, Georges Gressent dit Valois travaille à un gros livre, L'Homme
qui vient, dont l'élaboration fiévreuse le pousse tout à la fois vers la monarchie
et vers le catholicisme. Valois a réalisé seul son évolution politique, ignorant
jusqu'à l'existence de l'Action française. C'est Bourget qui le reçoit à bras
1602
ouverts et lui lance: "Voyez Maurras, voyez Maurras, votre place est à l'Action
française". Dès lors, tout s'enchaîne. Durant l'été 1906, Valois rencontre
Maurras, puis Philippe d'Orléans, à Ostende. Il est prêt pour l'action. Et en
novembre, l'Action française publie son livre en lançant la Librairie Nationale.
Maurras lui apprend La Tour du Pin et Valois développe les thèses soreliennes:
une conception dynamique, voire conflictuelle des rapports sociaux qu'il
sublime par la monarchie. La synthèse improbable est en termes.
Travailleur, volontaire, éloquent, "d'une intelligence subtile" conjuguée à
"l'orgueil, l'émulation et la méfiance" populaires, déclare de lui Dimier, Valois
entre à L'Action française en publiant à la fin de l'année 1907 une série
d'articles, réunis sous le titre de La Révolution sociale ou le roi, qui donnent une
impulsion nouvelle à la pensée sociale royaliste." (p.199)

-François Huguenin, L'Action française. Une histoire intellectuelle, Perrin, coll.


Tempus, 2011 (1998 pour la première édition), 686 pages.

"Sorel is at the point of intersection of Marxian and Nietzschean influence. [...]


His disciple Georges Valois is a prototype of such figures as Mussolini who
shifted from the socialist or syndicalist Left to the extreme Right of fascism. The
story of Valois' transformation from a vagabond intellectual and self-styled
Nietzschean to a militant of the Action Française affords an interesting sidelight
on the movement. As one living among anarchists, he was influenced more by
Sorel than Nietzsche:

C'est lui qui nous a arrachés définitivement à la démocratie... Les raisons


aristocratiques que nous fournissait à cette époque Nietzsche, qui devenait un
grand homme de l'anarchie, nous séduisaient, mais nous repoussaient aussi. Les
raisons prolétaires... de Sorel eurent au contraire prise sur notre esprit et sur nos
sentiments. [Valois, D'un Siècle à l'autre (Nouvelle Librairie Nationale, 1924),
134]

But he returned from his military service more egoist than anarchist:

Je rentrai à Paris, à l'automne de 1901, avec le dégoût de la politique et disposé à


l'individualisme le plus franc. Puisque rien n'est vrai... un homme qui a quelque
énergie doit suivre sa propre loi. Nietzsche a raison: cherchons le surhumain.
[ibid, p.150]

1603
It was not until 1906 that he joined Maurras's group. Explaining that a strong
contempt for parliamentary democracy was a point in common between
anarchists and integral nationalists, he tells of other one-time anarchists who
became sympathetic to the Action Française. One of these was Lucien Jean, who
himself had once fallen under the Nietzschean spell." -Reino Virtanen,
"Nietzsche and the Action Française: Nietzsche's Significance for French
Rightist Thought", Journal of the History of Ideas, Vol. 11, No. 2 (Apr., 1950),
pp. 191-214, p.212.

"Combien de monde contient la salle Wagram à Paris ? 3000, 4000, 5000


places ? Les avis divergent dans les reportages. En tout cas, en ce 11 novembre
1925, elle est pleine à craquer, d'un public attentif, de gens très comme il faut:
ingénieurs, voyageurs de commerce, employés des assurances. La date de la
réunion n'a pas été choisie au hasard: la salle est décoré de drapeaux tricolores
et les anciens combattants sont en majorité. L'un d'eux, Georges Gressent, qui
depuis longtemps signe des articles et des livres "Georges Valois", domine la
tribune, flanqué d'un ancien officier, Jacques Arthuys, et du fils d'un écrivain
célèbre mort depuis peu, Philippe Barrès. [...]
Ce jour-là était fondé dans l'enthousiasme et accueilli par une vibrante
Marseillaise le premier parti fasciste français: le Faisceau des combattants et
des producteurs." (p.239)

"Valois ne cachait pas son admiration pour Mussolini: "A l'Italie, écrivait-il le 3
décembre 1925, reviendra l'honneur d'avoir donné un nom au mouvement par
lequel l'Europe contemporaine tend à la création de l'Etat moderne". [...]
Le fascisme que Valois et ses amis voulaient donner à la France n'était pas un
mouvement d'extrême droite de plus, à la manière des Jeunesses patriotes de
Pierre Taittinger, destiné à protéger les intérêts de la bourgeoisie face au péril
rouge. Non seulement Valois affirmait son fascisme "antiploutocratique" [...]
mais il se montrait partisan résolu d'un syndicalisme ouvrier "absolument livre"
et en appelait aux producteurs, sans lesquels -disait-il- il n'y avait rien à
espérer. [...]
Mussolini avait inventé le mot ; l'idée était née en France, avant 1914. Georges
Valois lui-même avait contribué à son accouchement: "Nos emprunts au
fascisme italien se réduisent au choix de la chemise comme pièce
caractéristique de l'uniforme, et à une conception de l'opération révolutionnaire
inspirée de la marche sur Rome [...] c'est tout. Pour le reste, conception de la
structure de l'Etat moderne, c'est nous les inventeurs, et c'est nous que l'on
1604
copiait en Italie..."
Dans un livre qu'il publie en 1927 [Le Fascisme], Valois définit le fascisme par
la fusion de deux courants jusqu'alors contradictoires: le nationalisme et le
socialisme. Le nationalisme et le socialisme ne doivent plus se faire la guerre
mais se réconcilier ; ils ont le même ennemi, le libéralisme et le régime
parlementaire. Cette fusion eût été imaginable dans le socialisme français,
blanquiste ou proudhonien, mais, dit Valois, "le marxisme l'a rendu impossible".
[...]
Dans la genèse de l'idée fasciste, Valois insiste sur la dette qu'il a contractée
envers Maurice Barrès. Le Barrès boulangiste, le député "révisionniste" élu en
1889, le journaliste franc-tireur: "Sa Cocarde, faite avec des républicains, des
royalistes, des socialistes, c'était la préface de notre œuvre"." (p.241)

"A vingt ans, [Valois] est dreyfusard. Mais, précisément, il va faire partie de
cette petite cohorte d'intellectuels dreyfusards qui sont bientôt déçus par l’œuvre
de la gauche parlementaire accédant au pouvoir, sous les auspices de Combes
et avec l'appui de Jaurès." (p.242)

"En février 1925, il lance un hebdomadaire, Le Nouveau Siècle. [...]


La fondation du Faisceau provoque les attaques du parti communiste. Valois,
cependant, ne cesse d'appeler à lui les militants ouvriers. [...] En mars 1926, le
maire communiste de Périgueux, Delagrange, qu'il a affronté naguère en
réunion publique, donne son adhésion au Faisceau.
Victoire plus symbolique que substantielle. Peu d'ouvriers s'engagent au
Faisceau dont la composante bourgeoise prédomine. [...] C'est aussi de la
droite qu'il reçoit les coups les plus durs. Principalement ceux de l'Action
française, qui, après quelques semaines de neutralité, passe à l'offensive
verbale, puis à l'action de commando. [...]
Ils sont sans doute alors 25 000, mais le mouvement s'affaiblit en se divisant.
L'arrivée de Delagrange et les discours ouvriéristes de Valois déplaisent à la
plupart des adhérents. Georges Valois, malgré ses qualités intellectuelles et son
sens pratique, n'est pas et ne veut pas être le chef "charismatique" qui semble
indispensable au succès des fascistes. Enfin Poincaré vient, rétablit la droite au
pouvoir en 1926 et le franc sur ses bases en 1928. A la même date, Valois est
exclu de son propre mouvement. Son évolution personnelle vers la gauche est
alors entamée." (p.244-245)
-Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions
du Seuil, coll. Points Histoire, 2014, 506 pages.
1605
http://academienouvelle.forumactif.org/t4485-georges-valois?highlight=valois

Philippe Barrès (1896-1975) : « J'étais particulièrement heureux de l'adhésion


effective de Philippe Barrès. D'abord parce que je dois une bonne partie de ma
formation à Maurice Barrès, bien que je sois d'un tempérament tout à fait
étranger au barrésisme. Il n'en reste pas moins que je dois beaucoup à Barrès:
le dégoût du vieux parlementaire en premier lieu, et tout un système de
sentiments très profonds en ce qui concerne la mission de la France, par Jeanne
d'Arc, la Convention, Napoléon, et ce nationalisme français qui s'exprima si mal
dans le boulangisme et qui contenait tant de socialisme.
Le Barrès de Tolède et de Venise, c'est pour les barrésiens du monde. Mais le
Barrès de Leurs figures parle souvent un langage qui atteint l'âme du peuple
ouvrier et paysan. C'est ce Barrès que je saluais dans son fils Philippe. Sa
Cocarde, faite avec des républicains, des royalistes, des socialistes, c'était la
préface de notre œuvre. Philippe Barrès avait le sens de notre action. De nous
tous, à ce moment-là, c'est lui qui voyait le plus justement la situation politique.
C'est lui qui, dès janvier 1926, nous mettait en garde contre le courant
dictatorial qui nous poussait, et auquel il ne cédait pas, bien qu'il fût un des plus
beaux garçons de notre troupe. […]
-Ne nous y trompons pas, disait Philippe Barrès ; ce peuple même est
profondément républicain, il veut une assemblée où sa souveraineté sera
affirmée. Ne croyez pas que vous la supprimerez. Nous devons en changer la
forme.
Philippe Barrès, qui avait alors trente ans, disait cela avec un sentiment
profond, et avec une autorité pleine de déférence, enveloppée de l'amitié la plus
loyale, de l'affection la plus désintéressée. Cent fois dans la suite, il a été un de
nos meilleurs conseillers. Je lui avais donné ma pleine sympathie dès notre
première rencontre. La sympathie fut vite transformée en une vive amitié, que
n'a pas diminuée notre séparation. Heureux ceux qui travailleront avec Philippe
Barrès: c'est un des hommes les plus droits que j'aie connus, et que sa
magnifique droiture n'aveugle pas un instant sur les intrigues qui se produisent
à côté de lui. » (p.196)

-Georges Valois, L'Homme contre l'argent. Souvenirs de dix ans (1918-1928),


1928, édition présentée par Olivier Dard, Presses Universitaires du Septentrion,
2012, 373 pages.

1606
"Cette "journée nationale de Verdun" met l'accent sur le rituel, le décorum et
l'unanimité, au détriment de la parole. Le Faisceau, en somme, préfère les
cérémonies au déroulement prévu d'avance, aux gestes orchestrés, où les
militants jouent le rôle de soldats bien disciplinés et où abondent les gestes
devant symboliser leur "foi collective", c'est-à-dire des réunions politiques où
l'esthétique joue un rôle primordial. Voilà pourquoi un Philippe Barrès peut
parler du congrès tenu à Reims par le Faisceau à l'été de 1926 en le qualifiant
d' "irrésistible" et en assurant: "ce fut un beau spectacle"." (p.10)

-Michel Lacroix, La Beauté comme violence. La dimension esthétique du


fascisme français, Université McGill, thèse présentée à la Faculté des études
supérieures et de la recherche en vue de l'obtention du grade de Ph. D. en
Langue et littérature françaises, août 2000, 483 pages.

« Depuis octobre, Jérôme est hospitalisé à Dieppe. Frappé d'hémiplégie, il


retrouve peu à peu l'usage de ses membres mais pas celui de la parole. Philippe
Barrès l'a invité à prononcer à Charmes un discours pour l'inauguration d'une
stèle en souvenir de Barrès. Comme il ne peut voyager, c'est Émile Henriot qui
lit le 2 novembre 1952 en Lorraine l'allocation qu'il a préparé. […] L'aîné des
Tharaud meurt le 28 janvier 1953. » -Michel Leymarie, La Preuve par deux.
Jérôme et Jean Tharaud, Paris, CNRS Éditions, 2014, 399 pages, p.246.

Gustave Téry (1870-1928) : « Le 4 janvier 1911, L’Œuvre, hebdomadaire


nationaliste de tendance républicaine et vaguement socialisante, « qui dit tout
haut ce que tout le monde pense tout bas », publie un dossier, « Les Juifs au
Théâtre ». Après Moi d’Henry Bernstein est la troisième pièce de la saison jouée
à la Comédie-Française – la troisième écrite par un Juif, dénonce-t-on.
Plusieurs articles sur les Juifs au théâtre sont publiés dans la rubrique «
Gazette du ghetto » durant tout le mois de janvier. Dans le même temps, une
brochure, Comment nous débarrasser des Juifs ?, écrite par un « Goy »
(pseudonyme cachant Urbain Gohier), est éditée par le journal dirigé par
Gustave Téry. Ce que le « théâtre hébreu » choque en Téry, qui se revendique
socialiste et plutôt anticlérical, « c’est vraiment, et c’est presque uniquement, le
Français » : « C’est tout ce que mes obscurs ancêtres m’ont laissé d’eux-mêmes
dans le sang, dans les nerfs et dans les fibres, c’est tout ce que n’ont pu effacer
de mon cerveau mes professeurs israélites, c’est ma race et ma racine. »

1607
En 1897, Bernstein commit ce que l’on appelle une erreur de jeunesse. Il
abandonna sa garnison pour aller rejoindre une demoiselle en Belgique. Dès le
17 février 1911, Gustave Téry vend une brochure, Le Juif déserteur, aux abords
de la Comédie-Française. Ayant acheté quelques billets, il tente de créer un
incident avec sa poignée d’amis et réussit à se faire arrêter par la police. L’AF,
qui dispose de vraies troupes et d’une organisation efficace, ne tarde pas à
récupérer le mouvement. Du 21 février au 2 mars, des manifestations d’une
violence inédite ont lieu aux abords et au sein même du théâtre, sous les cris « À
bas les Juifs ! », « Mort aux Juifs ! », etc. Le 3 mars, la pièce est retirée de
l’affiche. »

« L’affaire Bernstein fait grand bruit. La Libre Parole titre « La Première


Victoire ». Dans L’Œuvre, Téry triomphe tout autant et essaie de rallier ses
amis de gauche à l’antisémitisme. Se complaisant à relater les débats sur la
question juive dans les milieux syndicalistes, La Terre libre de Janvion, La
Guerre sociale et Les Hommes du Jour, il espère convaincre Gustave Hervé et
se félicite que Victor Méric reprenne son concept d’ « asémitisme » ;
l’antisémitisme « gagne les milieux socialistes et recouvre insensiblement son
véritable caractère : ce n’est plus le cri de guerre d’un parti, c’est un
mouvement national qui s’ébauche. Révolutionnaires ou conservateurs,
républicains ou royalistes, tous les Français, quelles que soient leur origine
sociale, leurs convictions politiques, philosophiques ou confessionnelles,
peuvent et doivent s’unir contre les Juifs », proclame-t-il. » -Laurent Joly, « Les
débuts de l'Action française (1899-1914) ou l'élaboration d'un nationalisme
antisémite », Revue historique, 2006/3 (n° 639), p. 695-718.

http://hydra.forumactif.org/t4473-gustave-tery-l-oeuvre-journal#5372

Adrien Hébrard (1833-1914) : http://hydra.forumactif.org/t4474-adrien-


hebrard-et-le-temps-1861-1942#5373

Jean Cocteau (1889-1963): "L'écrivain mondain de la rive droite." -M. Michel


Einfalt, La critique littéraire de "L'Action française", Cahiers de l'AIEF, Année
2007, 59, pp. 303-319, p.308.

« Avec Jean Cocteau et Anna de Noailles en 1923 ils vont célébrer en Hongrie
le centenaire de la naissance de Petôfi, héros de la révolution en 1848. » -
Michel Leymarie, La Preuve par deux. Jérôme et Jean Tharaud, Paris, CNRS
Éditions, 2014, 399 pages, p.117.
1608
« [Sacha Guitry] a dirigé le volume De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain, ouvrage
de luxe où des membres des deux académies rivales s’unissent à d’autres
intellectuels de renom [dont René Benjamin, Jean Cocteau et Jean Giraudoux,
et des frères Thraraud, Paul Valéry] pour célébrer le chef français. » (p.348)

-Gisèle Sapiro, La guerre des écrivains (1940-1953), Fayard, 1999, 807 pages.

« Cocteau, Jean (1889-1963). […]


Poète, dramaturge, romancier, figure du Tout-Paris littéraire et artistique depuis
les années 1910, il connaît au début de la Seconde Guerre mondiale deux grands
succès au théâtre, avec Les Monstres sacrés et surtout Le Bel Indifférent, créé
par Edith Piaf (1940). De tempérament pacifiste, il ressent une certaine attirance
pour Adolf Hitler : « Chez Hitler, c’est le poète qui échappait à ces âmes de
pions », écrit-il en parlant des dirigeants français de l’avant-guerre. « Il est
fasciné par l’idée du chef-artiste, politique tout puissant en même temps que
mécène et protecteur des arts, à la fois Napoléon et poète » (Ph. Burrin). Il
fréquente les salons de la Collaboration, l’ambassade d’Allemagne, l’Institut
allemand, et se laisse aller à écrire dans son Journal à propos de Hitler : « Il
serait funeste d’empêcher un esprit pareil d’aller au bout de sa tâche, de
l’étrangler en route » (2 juillet 1942). Cela ne l’empêche nullement d’être la
cible de la presse collaborationniste parisienne, qui, lui faisant grief d’une
homosexualité affichée, voit en lui un « Jocrisse dégénéré » (Lucien Rebatet),
tente de faire interdire les représentations de La Machine à écrire et obtient la
suspension des Parents terribles à la suite de chahuts organisés par le critique
Alain Laubreaux (1941).
Ces manifestations ne dissuadent pas Cocteau de collaborer à La Gerbe, de faire
partie du comité d’honneur de l’exposition Arno Breker à l’Orangerie,
d’adresser au sculpteur préféré de Hitler un admiratif « Salut à Breker »
(Comoedia, 23 mai 1942), enfin, à la Libération, de signer la pétition en faveur
de Robert Brasillach. Fréquentant à la fois des collaborateurs et des résistants,
des nazis et des Juifs, il entend bien conserver en toutes circonstances son
entière liberté. […] Aucune charge n’est finalement retenue contre lui par les
diverses instances de l’épuration intellectuelle. » (p.251)

-François Broche, Dictionnaire de la Collaboration. Collaborations,


compromissions, contradictions, Paris, Éditions Bellin, 2014, 925 pages.

1609
Jean Anouilh (1910-1987) : « La rubrique théâtrale [de La Gerbe], tenue par
André Castelot et H.-R. Lenormand, bénéficie à ses débuts des noms de Jean
Anouilh, Charles Dullin et Jean Cocteau. » (p.38)

« Devenu « grand hebdomadaire politique et littéraire », Je suis partout dispute


à La Gerbe les quelques écrivains en vogue qui ne rechignent pas à donner des
textes à la presse collaborationniste, Marcel Aymé, Jean de La Varende,
Anouilh. » (p.42)

-Gisèle Sapiro, La guerre des écrivains (1940-1953), Fayard, 1999, 807 pages.

Henry de Montherlant (1895-1972) : « Il n’y a pas le pouvoir, il n’y a que


l’abus de pouvoir. » -Montherlant.

« Maurras est, avec Bourget et surtout avec Barrès, l’un des écrivains français
vivants auxquels je crois devoir le plus. […] Mon maître ! Comme les coureurs
dans une course de relais, je pars du point où il arrive, avec l’avance qu’il m’a
gagnée. […] Beaucoup sursautent au nom de Maurras, qui sont venus,
persuadés qu’ils y venaient librement, sur un terrain choisi par Maurras et où
Maurras les conduisait. Et c’est pourquoi son influence réelle est plus grande
encore que ce qui en est reconnu. » -Henry de Montherlant, Réponse à
l’Enquête sur les maîtres de la jeune littérature, de Pierre Varillon et Henri
Ramboud, Bloud et Gay, 1923.

« Un jour, donc, vous me direz peut-être que les conseils que je vous ai donnés
ne sont pas adaptés à un homme moderne. A coup sûr : les vertus que je
demande de vous sont les plus nuisibles à qui veut « réussir » (toujours ces mots
obscènes) dans le monde moderne […] Car, de même que vous n’attendez pas
de vos vertus qu’elles servent à quelque chose, de même, et plus fortement
encore, vous n’attendrez pas qu’il vous en soit tenu compte… De chacun de vos
actes « bien » vous serez puni automatiquement. Celui qui est brave est tué,
celui qui veut la justice est traité de tiède, celui qui épouse par point d’honneur
ruine sa vie. La libéralité appauvrit, la clémence enhardit les méchants, la
franchise leur donne des armes, la constance d’âme empêche qu’on prenne vos
peines au sériex, la maître de soi passe pour manque de sang, la raison pour
lâcheté, la modestie pour incapacité, le pardon pour aveu de ses torts… Il vous
railleront et vous dénigreront, et à ce signe vous reconnaîtrez que vous êtes
dans la bonne voie… Ce n’est pas qu’il soit nécessaire d’être haï. Mais, le
monde étant ce qu’il est, comment un honnête homme ne serait-il pas fier de lui
1610
inspirer ce sentiment-là ? » -Henry de Montherlant, « Lettre d’un père à son
fils », Service inutile, Paris, Gallimard, 1963, pp.212-214.

« Montherlant est peut-être le seul, parmi les grands écrivains français, qui ait
osé comprendre Nietzsche. Son goût des valeurs "nobles" lui a valu de passer,
pendant des années, pour un professeur d'énergie. On lui a même fait le grand
honneur de le traiter de fasciste... En réalité, quand on le connaît bien, on
s'aperçoit qu'il est beaucoup plus un disciple d'Epicure et d'Alfred de Vigny, que
de Mussolini ou de Maurice Barrès. Malgré ses protestations, il n'est jamais
autant lui-même que quand il se projette dans Pierre Costals, le héros du cycle
des Jeunes Filles (sympathique dragueur et individualiste voluptueux), voire
dans Léon de Coantré, qui est celui des Célibataires: un peureux, un timide, un
aboulique, mais un être touchant, d'une indiscutable qualité humaine. » -Pierre
Gripari, L'Évangile du rien. Lectures commentées, L'Age d'Homme, 1980, 203
pages, p.186.

"Issu de la droite, Montherlant, jusqu'en 1923, rend à Maurras quelques


marques d'allégeance, dans trois textes: en 1921, dans son étude sur Reims
dévastée [...], en 1923, dans sa réponse à l'Enquête sur les maîtres de la jeune
littérature [ainsi qu’à Barrès] ; puis dans une belle contribution au numéro
spécial du Nouveau Mercure consacré à Maurras par la droite littéraire." (p.41)

"Au début des années vingt, du fait de la ferveur nationaliste née de la guerre,
Maurras, au sommet de sa gloire, exerce une très large influence sur la nouvelle
génération: Montherlant, Drieu, Malraux en témoignent." (p.42)

"Maurras condamne Chateaubriand et Michelet, Léon Daudet accable de ses


sacarsmes "le stupide XIXe siècle" ; Montherlant les admire. Maurras
condamne "le romantisme féminin" ; Montherlant, dans les années trente, prend
la défense de "la poésie du cri", scandaleusement décadente aux yeux de
Maurras, et "rêve de composer une anthologie de la poésie féminine
contemporaine" [...] Classicisme, romantisme, ces antinomies, Montherlant
aspire à les concilier [...]
Romantique par bien des aspects de son art, Montherlant rejette le
néoclassicisme de Maurras et se rallie à l'idée, très en vogue dans l'immédiat
après-guerre, en particulier à la NRF, d'un classicisme moderne, qui serait un
"romantisme dompté"." (p.47)

1611
-Jean-François Domenget, Montherlant critique, Genève, Droz, 2003, 424
pages.

« Mais c'est à Montherlant que revient le titre incontesté de fils qui forge la
notion de "service inutile" et ne cesse de revenir à Barrès son libérateur. »
(p.19)

"1923, à Neuilly, le jeune Montherlant suit le convoi funèbre." (p.40)

"Montherlant a connu, à son tour, une disgrâce passagère et vu son nom mis au
ban pour un étrange livre où il vilipendait la bassesse de ses contemporains.
[...]
L'auteur du Solstice de juin a, à son tour, été la proie de jeunes gens qui lui ont
reproché d'avoir chanté la guerre et de ne pas l'avoir faite." (p.42)

« Inscription de Montherlant sur la liste noire pour avoir commis un des plus
vibrants plaidoyers contre la France de Vichy : Le Solstice de juin. » (note 12
p.368)

« Montherlant n’a pas choisi d’entrer en résistance armée, il a un instant hésité


à rejoindre la zone libre avant de s’enfermer Quai Voltaire pour y écrire Le
Solstice de juin qui ne dut, après un premier refus de la Propagandastaffel, sa
publication qu’aux efforts de Karl Heinz Bremer qui avait été avant-guerre son
traducteur en Allemagne et avait sympathisé avec lui lors de son séjour à
l’École normale. Les services rendus au parti nazi par Bremer aboutirent à son
envoi sur le front de l’Est où il disparut, remplacé par le fameux Heller qui
devint l’ami de Mauriac et de Paulhan. » (note 40 p.369)

-Sarah Vajda, Maurice Barrès, Flammarion, coll. Grandes Biographies, 2000,


434 pages.

"Les officiers de carrière, dans l'ensemble, lisent peu, et uniquement -remarque


Henry Michel, un pondéré- "les journaux de droite et d'extrême-droite",
L'Action française, Candide, Gringoire et ce Je suis partout auquel ils ont
abonné quelques trois cents "foyers du soldat" ; le 10 mai, deux cents autres
seront en instance d'abonnement. Henry de Montherlant n'a aucun intérêt à
mentir lorsque, rallié au régime de Vichy, il évoque, dans son Solstice de juin,
ces officiers que "la guerre n'intéressait pas" et qu'il entendait dire, avec
simplicité […] "On verra que nous savons nous battre le jour où nous pourrons
tirer sur des Français"." (p.348)
1612
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

« L’Équinoxe de septembre (1938) passe pour un livre antimunichois. Dans la


version publiée en 1976 du « mémoire » qu’il a rédigé à la Libération pour
justifier ses positions sous l’Occupation, il le présente comme un « livre on ne
peut plus « antimunichois ». » Nous disposons de deux versions de ce mémoire,
l’une datée du 13 septembre 1944 (au moment où Montherlant apprend qu’il
figure sur la « liste noire » des écrivains « indésirables » établie par le Comité
national des écrivains, dont une première version paraît dans Le Figaro littéraire
du 9 septembre), l’autre envoyée en octobre 1946 au Comité national
d’épuration des gens de lettres. Alors que, dans la seconde version, L’Équinoxe
de septembre est présenté comme un livre « antimunichois », la version du
septembre 1944 est beaucoup moins catégorique :

« L’horreur qu’a de la guerre tout homme raisonnable était balancée en moi par
la croyance qu’il fallait en finir, cesser de continuellement « caner », et aussi que
dans la guerre (idée fort répandue) la France retouverait ses vertus et sa
fraternité ; au moment des accords de Munich, les deux tendances s’équilibraient
en moi : c’est le symbole contenu dans le titre que je publiai alors (équinoxe :
date où la nuit est égale au jour). Par la suite, entre 38 et 39, je penchai pour la
guerre. »

Certes, dans le contexte du large consensus qui a accueilli les accords de


Munich, le livre fournissait des arguments aux antimunichois. Son auteur avait
du reste signé l’appel à l’union nationale publié le 20 mars 1938 par Ce soir,
parmi treize écrivains dont Aragon, Bernanos, Malraux, Maritain, Mauriac, ce
qui le situait dans le camp antipacifique.
Correspondant de Marianne pendant la « drôle de guerre », Montherlant
s’installe après la défaite en zone sud, où il demeure jusqu’en mai 1941. Il est
partisan de l’armistice. Acquis au régime de Vichy par mépris de la démocratie
et par sympathie pour son autoritarisme, il s’en détache à mesure qu’il constate
le tour conforme et moralisateur que prend la « Révolution nationale ». […] Sa
morale aristocratique exige l’amélioration de la « qualité humaine ». La
décadence française tient selon lui à la « perversion pathologique du goût », à «
l’envahissement de la grossièreté », et il réclame une censure de la presse et du
1613
cinéma qui interdise les produits moyens et vulgaires.
De retour à Paris, il poursuit sa collaboration à La NRF de Drieu La Rochelle et
donne des articles dans la presse collaborationniste (Le Matin, Aujourd’hui, La
Gerbe, Comoedia, Deustchland-Frankreich…). […] Le Solstice de juin, qui
paraît à l’automne 1940, est d’abord interdit, non par par les Allemands, comme
il l’affirme, mais par le gouvernement de Vichy, en raison des attaques qui le
visent. Les directeurs de l’Institut allemand Karl Epting et Karl-Heinz Bremer,
qui sont ses amis d’avant-guerre -le second est son traducteur en allemand-,
interviennent en sa faveur. Le livre, qui conclut à une acceptation de la défaite et
du joug du vainqueur, figure sur la liste de la « littérature à promouvoir » de la
Propaganda et dans le catalogue « Miroir des livres ». Montherlant justifiera
cette position par sa conception de la guerre qui tient à la fois de la compétition
sportive (le « fair play ») et de la morale chevalresque : quand on est battu, on
s’incline devant l’adversaire. C’est pourquoi Le Solstice de juin s’inscrit selon
lui dans la continuité de L’Équinoxe de septembre. Cette acceptation relève
aussi de sa conception de « l’alternance » que symbolise la « roue solaire ». La
victoire allemande de 1940 répond à la victoire française de 1918. L’armistice a
été signé le 24 juin, date du solstice d’été : « La croix gammée, qui est la Roue
solaire, triomphe en une des fêtes du Soleil ». Il admire dans l’armée allemande
les forces païennes et viriles dont la « mission est « de ruiner la morale
bourgeoise et la morale escclésiastique, depuis les rives de l’Atlantique
jusqu’aux marches de la Russie » et face à laquelle l’armée chrétienne fait bien
piètre figure (le christianisme est pour Montherlant à l’origine de la décadence
française et de cette « morale de midinette » qu’il dénonçait déjà avant la
guerre). Si la plupart de ses écrits d’alors, y compris dans la presse, restent
suffissament ambigus pour se prêter à des interprétations contraires, il n’en a pas
moins pris position expressément en faveur de l’ « Europe nouvelle » :

« Cette Europe est à faire vivre historiquement et politiquement ; elle est à


construire. Une lutte est ouverte : lutte de l’élite héroïque des grands aventuriers
de la nouvelle civilisation européenne contre les Européens moyens […] lutte de
l’harmonie contre le chaos. » [Montherlant, « Au-delà du Solstice de juin », Le
Matin, 4 décembre 1941]

Si les inexactitudes, les omissions, et les remaniements apportés au « mémoire »


témoignent d’une certaine mauvaise foi, on peut croire Montherlant quand il
1614
énumère les refus qu’il a opposés à nombre de sollicitations, qui disent que sa
participation était recherchée en raison du prestige associé à son nom, mais aussi
qu’il était identifié comme favorable à la Collobaration : il a ainsi décliné
l’invitation au Congrès des écrivains « européens » à Weimar et plusieurs offres
de publication, il a refusé de signer des exemplaires de ses livres à la librairie «
Rive gauche » qui était proallemande, il n’a appartenu à aucun groupement
politique.
On peut aussi le croire quand il affirme n’avoir « nulle âpreté du côté de l’argent
». Encore qu’il ne dédaigne pas les gratifications temporelles. […]
Montherlant perçoit, sous l’Occupation, une moyenne de 2000 francs pour un
article dans la presse (il en écrit 47 de décembre 1940 à novembre 1942 et 12
ensuite dans la presse de la zone occupée, 9 dans la presse de la zone non
occupé, ce qui lui rapporte 132 850 francs sur toute la période), 5000 francs pour
deux conférences, 6604 francs pour six causeries à la Radio nationale au début
de l’année 1942 ; les droits d’auteurs que lui verse Gallimard en janvier 1943 et
en juin 1944 s’élèvent à 743 107 francs, soit une somme plus élevée que celle
que perçoit Lucien Rebatet pour le best-seller de l’époque, Les Décombres (et
sans compter les publications chez d’autres éditeurs). Il obtient, enfin, 47 000
francs d’à-valoir d’un éditeur allemand pour des droits de reproduction et de
représentation en Allemagne de La Reine morte (représentations qui n’ont pas
eu lieu), dont il fait don à la Croix-Rouge suisse. La Reine morte, pièce créée en
novembre 1942 à la Comédie-Française, et Fils de personne, drame créé en
décembre 1943 au théâtre Saint-Georges, furent représentées quatre cent fois
entre 1943 et 1944. […] Travail que l’abstention eût importunément perturbé, et
qui l’a sans doute empêché, au même titre que sa fascination pour le culte de la
force que symbolisait l’Allemagne nazie, de voir que l’héroïsme et le
patriotisme qu’il avait prônés de tout temps était peut-être du côté de ces soldats
de l’ombre qu’il préféra ignorer. » (pp.97-98)

« Dans La NRF de janvier 1941, a paru l’article de Montherlant sur « Les


Chevaleries ». Pour Montherlant, la morale chevaleresque était l’expression
d’une civilisation guerrière fondée sur un ordre viril dont les femmes étaient
exclues, et fut pervertie précisément par les femmes, la galanterie lui ayant
substitué une « morale de midinette, qui, depuis lors jusqu’à nos jours, en
l’émasculant et en l’éloignant du réel, a fait tant de mal à notre France ». »
(p.437)

-Gisèle Sapiro, La guerre des écrivains (1940-1953), Fayard, 1999, 807 pages.
1615
« Nul écrivain n’a poussé aussi loin le reniement, sinon Montherlant, qui ayant
chanté l’héroïsme, trahit lorsque fut venue l’heure de l’héroïsme. Giono, lui
aussi, a bien servi les oppresseurs de la France. Il ne lui sera point pardonné.
De la lâcheté à la trahison, comme la voie est courte ! » -Claude Morgan, Les
Lettres Françaises, n°7, juin 1943.

"Il était beaucoup plus facile à M. de Montherlant de se penser un héros quand


il se confrontait à des femmes (d'ailleurs choisies à dessein) que lorsqu'il a eu à
tenir parmi les hommes son rôle d'homme: rôle dont beaucoup de femmes se
sont acquittées mieux que lui." -Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, Tome 1:
Les faits et les mythes, coll. Folio essais, 1949 pour la première édition.

Léon Bloy (1846-1917): « Aimer autre chose que ce qui est ignoble, puant et
bête ; convoiter la Beauté, la Splendeur, la Béatitude ; préférer une œuvre d’art
à une saleté et le Jugement dernier de Michel-Ange à un inventaire de fin
d’année ; avoir plus besoin du rassasiement de l’âme que de la plénitude des
intestins ; croire enfin à la Poésie, à l’Héroïsme, à la Sainteté, voilà ce que le
Bourgeois appelle « être dans les nuages ». » -Léon Bloy, Exégèse des Lieux
Communs.

« La méchanceté la plus horrible est d’opprimer les faibles, ceux qui ne peuvent
pas se défendre. Prendre le pain d’un enfant ou d’un vieillard, par exemple, et
combien d’autres iniquités du même genre dont la seule pensée crève le cœur,
c’est tout cela qui doit être strictement, rigoureusement, éternellement reproché
aux riches. » -Léon Bloy, Le Sang du pauvre.

« Le Moyen Age, mon enfant, c'était une immense église comme on n'en verra
plus jusqu'à ce que Dieu revienne sur terre, - un lieu de prières aussi vaste que
l'Occident et bâti sur dix siècles d'extase qui font penser aux Dix
Commandements du Sabaoth ! C'était l'agenouillement universel dans
l'adoration ou dans la terreur. Les blasphémateurs eux-mêmes et les
sanguinaires étaient à genoux, parce qu'il n'y avait pas d'autre attitude en la
présence du Crucifié redoutable qui devait juger tous les hommes... Au dehors,
il n'y avait que les ténèbres pleines de dragons et de cérémonies infernales. On
était toujours à la Mort du Christ et le soleil ne se montrait pas. Les pauvres
gens des campagnes labouraient le sol en tremblant, comme s'ils avaient craint
d'éveiller les trépassés avant l'heure. Les chevaliers et leurs serviteurs de guerre
chevauchaient silencieusement au loin, sur les horizons, dans le crépuscule.

1616
Tout le monde pleurait en demandant grâce. Quelquefois, une rafale subite
ouvrait les portes, poussant les sombres figures de l'extérieur jusqu'au fond du
sanctuaire, dont tous les flambeaux s'éteignaient, et on n'entendait plus qu'un
très long cri d'épouvante répercuté dans les deux mondes angéliques, en
attendant que le Vicaire du Rédempteur eût élevé ses terribles Mains
conjuratrices. Les mille ans du Moyen Age ont été la durée du grand deuil
chrétien, de votre patronne sainte Clotilde à Christophe Colomb, qui emporta
l'enthousiasme de la charité dans son cercueil, - car il n'y a que les Saints ou les
antagonistes des saints capables de délimiter l'histoire. » -Léon Bloy, La femme
pauvre.

« [À la France] s’oppose, dans cette nation [l’Angleterre] – aussi moderne par


la bassesse de ses convoitises qu’elle est antique par sa dureté à l’égard des
faibles – le gouvernement exclusif des intérêts mercantiles. Car telle est la honte
et la tare indélébile de l’Angleterre. C’est une usurière carthaginoise, une
marchande à la toilette politique, son isolement insulaire lui permettant, disait
Montesquieu, « d’insulter partout » et de voler impunément. La fameuse Rivalité
traditionnelle n’est pas autre chose que l’antagonisme séculaire d’un peuple
noble et d’un peuple ignoble, la haine d’une nation cupide pour une nation
généreuse. » -Léon Bloy, L’Âme de Napoléon.

« L’histoire de nos colonies, surtout dans l’Extrême-Orient, n’est que douleur,


férocité sans mesure et indicible turpitude. [...] C’est l’image stricte de l’Enfer,
autant qu’il est possible d’imaginer cet Empire du Désespoir. » -Léon Bloy,
Jésus-Christ aux colonies, in L'Assiette au Beurre, le 9 mai 1903.

« Léon Bloy fustige dans Le Sang du Pauvre (1909) les magistrats et sous-
officiers « équarrisseurs d’indigènes ». » -Michel Leymarie, De la Belle Époque
à la Grade Guerre. Le triomphe de la République (1893-1918), Librarie
Générale Française, coll. La France contemporaine, 1999, 379 pages, p.260.

« Je viens de parcourir rapidement quelques documents sur la guerre de 1870 ;


il y a eu, en effet, bien des épisodes atroces de barbarie primitive, des vols, des
brutalités féroces, des viols épouvantables et des incendies humains. Tout cela a
disparu pour nous dans l’immensité du désastre. […] La guerre, quelle qu’elle
soit, ne va point sans tout ce que Léon Bloy a vu et conté et gravé au vitriol. »

-Jean Jaurès.

1617
« Les catholiques extrémistes sont les seuls qui me paraissent sympathiques,
Léon Bloy notamment. » -Guy Debord, Lettre à Ricardo Paseyro, 12 avril 1994.

http://hydra.forumactif.org/t168-leon-bloy-oeuvres#387

http://www.amazon.fr/Bloy-ou-fureur-du-
Juste/dp/275783035X/ref=pd_sim_14_7?ie=UTF8&dpID=515jpGzK%2BBL&
dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=1SYZMZ591D9G
X0SHP4R3

Joris-Karl Huysmans (1848-1907) : "Comment expliquer mon pressentiment


que Huysmans, dont pendant des années je n'ai connu que les syllabes du nom,
devait être d'une grande importance pour moi, pressentiment qui se révéla plus
tard parfaitement justifié ?" (p.15)
-Ernst Jünger, Le cœur aventureux, version de 1929, Gallimard, coll. NRF,
1995, 203 pages.

Gustave Le Bon (1841-1931) : http://hydra.forumactif.org/t3171-gustave-le-


bon-psychologie-des-foules#3954

http://hydra.forumactif.org/t3742-johan-rivalland-pourquoi-le-liberalisme-nest-
pas-la-defense-du-grand-capital-la-revolution-francaise-et-la-psychologie-des-
revolutions-de-gustave-le-bon#4584

Gabriel Tarde (1843-1904) : « Je crois qu’il est peu de vérités sociologiques


aussi utiles à examiner que les erreurs de M. Durkheim, si manifestes qu’elles
soient. »

« L’individuel écarté, le social n’est rien. » -Gabriel Tarde, « Deux éléments de


la sociologie », Éléments de psychologie sociale, 1898.

« Quand Gabriel Tarde fondait une micro-sociologie […] il n’expliquait pas le


social par l’individu. » (p.44)

« Il faudrait confronter la pensée de Foucault et la sociologie des "stratégies"


de Pierre Bourdieu: en quel sens celle-ci constitue une micro-sociologie. Peut-
être faudrait-il rapporter les deux à la micro-sociologie de Tarde. » (p.81)

-Gilles Deleuze, Foucault, Les éditions de Minuit (coll. « Critique »), Paris,
1986, 143 pages.

1618
http://www.amazon.fr/Oeuvres-1-Logique-sociale-
2/dp/2843241170/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1457177016&sr=8-
4&keywords=gabriel+tarde

http://www.amazon.fr/Lopposition-universelle-Oeuvres-Gabriel-
Tarde/dp/2843241146/ref=sr_1_10?ie=UTF8&qid=1457177016&sr=8-
10&keywords=gabriel+tarde

http://www.amazon.fr/Oeuvres-Gabriel-Tarde-premi%C3%A8re-
s%C3%A9rie/dp/2843240751/ref=sr_1_11?ie=UTF8&qid=1457177016&sr=8-
11&keywords=gabriel+tarde

http://www.amazon.fr/morale-sexuelle-Gabriel-
Tarde/dp/2228903035/ref=asap_bc?ie=UTF8

Heinrich Rickert (1863-1936) : "Au début du siècle, Rickert était devenu le


mentor de Weber en matière de philosophie." (p.17)
-Otthein Rammsted, "Heinrich Rickert et la philosophie de l'histoire", in
Heinrich Rickert, Les problèmes de la philosophie de l'histoire: une
introduction, Toulouse, Presses universitaires du Mirail (PUM), 1998.

Wilhelm Dilthey (1833-1911): « Nous appelons compréhension le processus


par lequel nous connaissons quelque chose de psychique à l’aide de signes
sensibles qui en sont la manifestation. » -Wilhelm Dilthey, Origines et
développement de l’herméneutique, in Le Monde de l’esprit, I, p.320.

« Œuvre, à tant d'égards si féconde, de Wilhelm Dilthey [...] aujourd'hui assez


oublié en Allemagne. [...] Si conscient de son opposition à Hegel, la référence à
Kant est évidente. » -Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique,
Éditions du Seuil, coll. Points, 1954, 318 pages, p.17-18.

« La pertinence de l’entrée dans le monde historique par la biographie est


défendue par Wilhelm Dilthey autour de la notion d’Erlebnis, soit la possibilité
de « revivre » l’expérience historique. Alors que le courant durkheimien dénie à
la biographie toute pertinence, la sociologie compréhensive en fait son objet
privilégié dans la mesure où elle intègre dans l’acte de savoir l’implication
subjective du savant : « Le cours de la vie humaine est l’unité naturelle qui nous
est donnée pour mesurer d’une manière concrète l’histoire des mouvements
spirituels ». Dilthey accorde une grande importance à l’empathie dans le
processus de connaissance des sciences de l’esprit, à l’implication du sujet dans
1619
son objet de recherche et il insiste sur le besoin que ressent tout individu de son
autre, qui fonde le désir biographique : « Comment une conscience
individualisée peut-elle permettre ainsi une connaissance objective d’une
individualité toute différente ? Quel est ce processus qui ressemble si peu aux
autres démarches de la connaissance ? »

Contre la conception positiviste de Windelbrand pour lequel les sciences de la


nature permettent seules d’accéder à l’universel alors que les sciences morales
ne relèveraient que du particulier, Dilthey valorise l’individuation comme forme
de combinaison possible du singulier et du général dans la mesure où il n’y a
pas de différence d’objet entre ces deux dimensions. […]

Selon Dilthey, le chercheur dispose avec la biographie du terrain


d’expérimentation le plus favorable pour saisir les processus d’individuation à
l’œuvre dans le principe d’évolution. La recherche s’élève ainsi du vécu dans la
multiplicité de ses manifestations, ses passions, ses aventures vers le monde de
la pensée et de l’abstraction de l’idée. La biographie représente la voie la plus
appropriée pour conduire du singulier à l’idéal-type. » -François Dosse, Le Pari
biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La Découverte, 2005, 480 pages,
p.375-376.

Max Weber (1864-1920): « La sincérité d’un intellectuel aujourd’hui,


singulièrement d’un philosophe, peut se mesurer à la façon dont il se situe par
rapport à Nietzsche et à Marx. Celui qui ne reconnaît pas que sans le travail de
ces deux auteurs, il n’aurait pu mener à bien une grande partie de son travail se
dupe lui-même et dupe les autres. Le monde intellectuel dans lequel nous vivons
a été en grande partie formé par Marx et Nietzsche. » -Max Weber.

« Si je suis finalement devenu sociologue (comme l’indique mon arrêté de


nomination) c’est essentiellement afin de mettre un point final à ces exercices à
base de concepts collectifs dont le spectre rôde toujours. En d’autres termes, la
sociologie, elle aussi, ne peut procéder que des actions d’un, de quelques, ou de
nombreux individus séparés. C’est pourquoi elle se doit d’adopter des méthodes
strictement "individualistes". » -Max Weber, Lettre à l’économiste marginaliste
Lietman, 1920.

« Apport bien sûr de premier ordre de Max Weber (1864-1920) à l'édification


théorique de l'individualisme méthodologique puisque les principaux ouvrages
dans lesquels il expose ses thèses à ce sujet ont été publiés en 1913 (Essai sur
1620
quelques catégories de la sociologie compréhensive) puis 1922 (Économie et
société). Mais ce retour chronologique en arrière s'impose sans incohérence du
fait que malgré une grande parenté d'inspiration subjectiviste avec la tradition «
autrichienne » (pour lui aussi, il est possible et nécessaire de fonder les sciences
sociales sur la compréhension de la signification intentionnelle des actions
individuelles), Weber n'y appartient pas du point de vue « généalogique » et
géographique. Il s'en distingue même épistémologiquement sur plusieurs points
importants: moindre insistance sur le caractère non attendu et non intentionnel
des régularités sociales produites par l'activité humain. » -Alain Laurent,
L'individualisme méthodologique, PUF, coll.Que sais-je ?, 1994, 128 pages,
p.63.

« Max Weber interdisait au professeur de prendre parti dans les querelles du


Forum, à l’intérieur de l’université, mais il ne pouvait pas ne pas considérer
l’action, au moins par la parole ou par la plume, comme l’aboutissement de son
travail. » - Préface de Raymond Aron à Max Weber, Le Savant et le politique,
Paris, Plon, 1959, p. 13.

« La pratique de Weber ne correspond pas aux principes qu'il formule


logiquement [...]
Seules les relations causales faisaient, à ses yeux, partie intégrante de la
science. Les types idéaux, instruments nécessaires pour découper un champ
d'investigation, sélectionner les données ou établir les règles de la
connaissance, n'étaient que moyens et jamais fin de la connaissance. [...]
On finit [...] par exclure de la science le travail effectif du savant: dans le
chapitre de sociologie juridique de Wirtschaft und Gesellschaft, rares sont les
rapports nécessaires qui, théoriquement, constitueraient le tout de la science. » -
Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire. Essai sur les limites
de l'objectivité historique, Gallimard, 1986 (1938 pour la première édition), 521
pages, p.118.

« Weber fut un national-libéral, mais il n'était pas libéral au sens américain, il


n'était même pas à proprement parler un démocrate au sens que Français,
Anglais ou Américains donnaient ou donnent à ce terme. Il mettait la grandeur
de la nation et la puissance de l'État au-dessus de tout. » -Raymond Aron, Les
étapes de la pensée sociologique, collection Tel, Gallimard, 1967, p. 562.

1621
« Max Weber, l’un des principaux idéologues de l’impérialisme libéral. » -
Georg Lukàcs, Schicksalswende (1944), repris dans Tournant du destin,
Contributions à une nouvelle idéologie allemande, Aufbau, Berlin, 1956, p.5.

“You must understand that Weber was an absolutely honest person. He had a
great contempt for the Emperor, for example. He used to say to us in private
that the great German misfortune was that, unlike the Stuarts or the Bourbons,
no Hohenzollern had ever been decapitated. You can imagine that it was no
ordinary German professor who could say such a thing in 1912. Weber was
quite unlike Sombart — he never made any concessions to anti-semitism, for
instance. Let me tell you a story that is characteristic of him. He was asked by a
German University to send his recommendations for a chair at that university —
they were going to make a new appointment. Weber wrote back to them, giving
them three names, in order of merit. He then added, any three of these would be
an absolutely suitable choice — they are all excellent: but you will not choose
any one of them, because they are all Jews. So I am adding a list of three other
names, not one of whom is as worthy as the three whom I have recommended,
and you will undoubtedly accept one of them, because they are not Jews. Yet
with all this, you must remember that Weber was a deeply convinced imperialist,
whose liberalism was merely a matter of his belief that an efficient imperialism
was necessary, and only liberalism could guarantee that efficiency. He was a
sworn enemy of the October and November Revolutions. He was both an
extraordinary scholar and deeply reactionary. The irrationalism which began
with the late Schelling and Schopenhauer finds one of its most important
expressions in him.” -Georg Lukàcs, an interview conducted by the New Left
Review, translated 1971.

« Weber c’est un bourgeois, quelqu’un qui s’identifie avec la bourgeoisie, avec


l’impérialisme allemand. […] C’est un adversaire du socialisme. […] On va
trouver chez Weber une critique du capitalisme. […] La forme que prend le
romantisme en Allemagne à cette époque est le […] pessimisme culturel ; Weber
baigne dans cette culture intellectuelle, des universités, des mandarins. […]
C’est un romantisme résigné. C’est un peu dans l’esprit de Nietzsche : il faut
accepter les choses comme elles sont. […] La cage d’acier, c’est le
capitalisme. » -Michaël Lowy, Tirer parti de Max Weber, le 24 septembre 2013,
au Lieu-dit, Paris.

1622
« A la différence de Marx, Weber estime que la caractéristique essentielle de la
société moderne, c'est la rationalisation bureaucratique et, quel que soit le
statut de propriété des moyens de production, aucune collectivité ne peut y
renoncer. [...] Le socialisme planificateur, qui est contraint de renforcer le
contrôle de l'économie, se situe dans la lignée du capitalisme. » -Freddy
Raphael, « Werner Sombart et Max Weber », Les Cahiers du Centre de
Recherches Historiques [En ligne], 00 | 1988, mis en ligne le 13 avril 2009,
consulté le 13 novembre 2015.

« J'entends protester contre la déclaration de l'un des orateurs, selon laquelle


un seul facteur, que ce soit la technologie ou l'économie, peut constituer la
cause "ultime" ou "réelle" d'un phénomène. Si nous considérons les différentes
chaînes causales, nous remarquons que parfois l'on passe des facteurs
politiques à des facteurs politiques et économiques, et parfois des facteurs
politiques à des facteurs religieux et économiques, etc... Tout ceci évolue sans
cesse. J'estime que l'affirmation du matérialisme historique, selon laquelle
l'économique est, dans un certain sens, le point ultime dans la filiation causale,
n'est plus du tout recevable dans une perspective scientifique. » -Max Weber,
Verhandlungen des ersten deutschen Soziologentages, Tübingen, 1911, p. 101.
Cité par Raphael Freddy, "Werner Sombart et Max Weber », Les Cahiers du
Centre de Recherches Historiques, [En ligne], 00 | 1988, mis en ligne le 13 avril
2009.

« Weber n'a jamais expliqué ce qu'il entendait par valeur ; ce qui l'intéressait en
premier lieu, ce sont les relations qui unissent valeurs et faits. Faits et valeurs
sont absolument irréductibles, comme le montre l'absolue irréductibilité des
questions de fait et des questions de valeur. D'un fait quelconque il est
impossible de tirer aucune conclusion sur sa valeur et inversement il est
impossible d'inférer le caractère factuel d'une chose de la valeur qu'elle a ou du
désir qu'elle peut inspirer. [...] En prouvant qu'un ordre social donné est le but
de l'évolution historique, on ne dit rien sur la valeur ou la désirabilité de cet
ordre. [...] Comprendre une évaluation et l'approuver ou l'excuser sont deux
choses entièrement différentes. Weber assurait que l'absolue irréductibilité des
faits aux valeurs implique nécessairement que les sciences sociales soient
éthiquement neutres: les sciences sociales peuvent donner la réponse à des
problèmes de fait et de causalité, elles sont incompétences devant un problème
de valeur. Mais Weber insistait vivement sur le rôle joué par les valeurs dans les
sciences sociales: l'objet des sciences sociales est déterminé par un "rapport
1623
aux valeurs" [Wertbeziehung]. Sans cette démarche il n'y aurait ni centre
d'intérêt, ni sélection raisonnable des thèmes, ni principe de discrimination
entre faits pertinents ou non. Par ce "rapport aux valeurs", l'objet des sciences
sociales émerge de l'océan ou du marécage des faits. Weber n'insistait pas
moins sur la différence fondamentale entre "rapports aux valeurs" et "jugements
de valeur": en disant que quelque chose est important au regard de la liberté
politique, par exemple, on ne prend pas position pour ou contre la liberté
politique. Le sociologue n'évalue pas les objets déterminés par un "rapport aux
valeurs" ; il les explique simplement en les rattachant à leurs causes. » (p.48-
49)

« Weber, comme tous ceux qui ont un jour réfléchi sur la condition humaine, ne
pouvait pas s'empêcher de parler d'avarice, de cupidité, de manque de scrupule,
de vanité, de dévouement, de sens de la mesure et d'autres chose semblables,
bref de prononcer des jugements de valeur. » (p.59-60)

-Leo Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion, Champ.essais, 1986 (1954


pour la première édition française, 1953 pour la première édition états-unienne),
324 pages.

"It is not surprising that Weber's understanding of values was indebted chiefly to
Nietzsche and that Donald G. Macrae in his book on Weber (1974) calls him an
existentialist ; for while he holds that an agent may be more or less rational in
acting consistently with his values, the choice of anyone particular evaluative
stance or commitment can be no more rational than that of any other. All faiths
and all evaluations are equally non-rational; all are subjective directions given
to sentiment and feeling. Weber is then, in the broader sense in which I have
understood the term, an emotivist." (p.26)
-Alasdair MacIntyre, After Virtue. A Study in Moral Theory, University of Notre
Dame Press, Notre Dame, Indiana, Third edition, 2007 (1981 pour la première
édition américaine), 286 pages.

« Weber hérite en effet de quatre thèmes nietzschéens majeurs : le


« perspectivisme », le refus de toute interprétation « providentialiste » de
l’histoire, la dissociation entre l’idéal de l’autonomie et le rationalisme moral
kantien, l’impossibilité, enfin, d’une fondation rationnelle des jugements
éthiques. Sur chacun de ces points, certes, Weber procède à une limitation de la
critique nietzschéenne, ce qui présuppose une certaine fidélité à l’héritage

1624
rationaliste, mais tout se passe néanmoins comme si, décidément, le travail de
sape accompli par Nietzsche n’était pas simple pour lui une donnée à prendre
en compte, mais aussi, en quelque sorte, la condition de la survie des idéaux des
Lumières. » -Philippe Raynaud, « Nietzsche éducateur », in Luc Ferry, André
Comte-Sponville, et al., Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens, Grasset,
1991, 305 pages, pp.197-216, p.206.

« L'absence de conviction et l'"objectivité" scientifique n'ont entre elles aucune


espèce d'affinité. » -Max Weber, Essais sur la théorie de la science, trad. Julien
Freund, I, Paris, Plon, 1965, p. 115.

"The institutional expression of the New Morality was the breakaway Bund für
Mutterschutz (League for the Protection of Mothers) established in 1905. By
1912 it could claim about four thousand members. Apart from Stöcker and
Braun, well-known figures such as Iwan Bloch, Hedwig Dohm, Ellen Key, Max
Marcuse, Werner Sombart and Max Weber endorsed its activities. The league
advocated state recognition of unformalized marriages, established hostels for
unmarried mothers, promoted free love, and provided easier access to
contraception. It was in constant tension with the more conservative Bund
Deutscher Frauenvereine which resisted their attempts to legalize abortion and
after 1909 refused to grant them membership.
Liberals and the mainline women's organizations regarded the league,
especially its Nietzsche connection, as an outrage to Wilhelmine respectability.
[...] Its critics, most notably Helen Lange, regarded erotic Nietzscheanism as a
betrayal of the moderating, cultivating, Bildung conception of personality and
as an outright attack on the "honor of bourgeois morality"." (p.90-91)
-Steven E. Aschheim, The Nietzsche Legacy in Germany (1890-1990),
University of California Press, 1994, 337 pages.

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%C3%A9poques/dp/2735121755/ref=pd_sbs_14_3?_encoding=UTF8&psc=1&
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1625
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l%C3%A9conomie/dp/2266132458/ref=sr_1_7?s=books&ie=UTF8&qid=14448
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Weber/dp/2130609341/ref=sr_1_14?s=books&ie=UTF8&qid=1444819212&sr=
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http://www.amazon.fr/ville-Max-
WEBER/dp/2707178047/ref=sr_1_13?s=books&ie=UTF8&qid=1444819212&s
r=1-13

http://www.amazon.fr/Bourse-Max-
Weber/dp/2844853404/ref=sr_1_15?s=books&ie=UTF8&qid=1444819212&sr=
1-15

http://www.amazon.fr/Hindouisme-bouddhisme-Max-
Weber/dp/2081307715/ref=sr_1_18?s=books&ie=UTF8&qid=1444819301&sr=
1-18

http://www.amazon.fr/Economie-soci%C3%A9t%C3%A9-dans-
lAntiquit%C3%A9-
Weber/dp/2707134635/ref=sr_1_17?s=books&ie=UTF8&qid=1444819318&sr=
1-17

http://www.amazon.fr/juda%C3%AFsme-antique-Max-
Weber/dp/2081211165/ref=sr_1_21?s=books&ie=UTF8&qid=1444819318&sr=
1-21

1626
http://www.amazon.fr/Histoire-%C3%A9conomique-Esquisse-universelle-
l%C3%A9conomie/dp/2070724883/ref=sr_1_22?s=books&ie=UTF8&qid=1444
819318&sr=1-22

http://www.amazon.fr/Discours-guerre-dapr%C3%A8s-guerre-Max-
Weber/dp/271322506X/ref=sr_1_25?s=books&ie=UTF8&qid=1444819318&sr
=1-25

http://www.amazon.fr/d%C3%A9mocratie-impossible-Politique-
modernit%C3%A9-
Habermas/dp/2707130893/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1444682328&s
r=1-
2&keywords=Le+droit%2C+le+politique.+Autour+de+Max+Weber%2C+Hans
+Kelsen%2C+Carl+Schmitt

http://www.amazon.fr/cage-dacier-marxisme-w%C3%A9b%C3%A9rien-
Documents-
ebook/dp/B00BWM55TQ/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1457176283&sr=8-
4&keywords=marxisme+sociologie

http://www.amazon.fr/DESENCHANTEMENT-LETAT-Hegel-Max-
Weber/dp/2707314307/ref=asap_bc?ie=UTF8

http://www.amazon.fr/Weber-Value-free-Sociology-John-
Lewis/dp/085315340X/ref=asap_bc?ie=UTF8

http://hydra.forumactif.org/t2072-michael-pollak-la-place-de-max-weber-dans-
le-champ-intellectuel-francais#2782

https://mises.org/library/legacy-max-weber

Georg Simmel (1858-1918): "Nietzsche's furnishing a new criteria for modern


ethics, wrote Georg Simmel in 1896, was nothing less than "a Copernican
deed"." -Steven E. Aschheim, The Nietzsche Legacy in Germany (1890-1990),
University of California Press, 1994, 337 pages, p.23.

“Rob Shields souligne que Simmel a un point de vue topologique, même s’il
l’exprime parfois en termes géométriques. Il attribue à l’espace six propriétés
socialement construites :

1627
-un espace est exclusif : il est approprié et réservé à un groupe (une nation, une
église, un logement familial) ou à une activité (industrielle, scolaire, sportive).
Cette exclusivité peut toujours être contestée et donner naissance à des divisions
ou des fusions, etc. Simmel associe aussi la spatialité et la temporalité dans une
forme idéal-typique : la religion est au pôle temporel et l’État au pôle spatial ;

-la frontière est le fait social par excellence. Shields cite la célèbre phrase : « La
frontière n’est pas un fait spatial avec des conséquences sociologiques, mais un
fait sociologique qui prend une forme spatiale » (Simmel, tr. frçse, 1999?: 601) ;

-l’espace comprend des points fixes, ou pivots. La douane rend visible la


frontière et elle organise les échanges entre les deux côtés. La disposition d’une
église, d’une salle de classe ou d’un terrain de jeu structure les échanges entre
les participants ;

-la proximité facilite l’interaction sociale et les échanges, mais elle produit en
même temps des tensions et des conflits. Trouver le point d’équilibre entre
proximité et distance (la « bonne » distance) est tout un art : c’est une forme
d’urbanité ;

-la mobilité renvoie chez Simmel à la figure bien connue de « l’étranger », à la


fois dedans et dehors, de la ville comme de la société ;

-un espace apparemment vide peut être source de stratégies d’appropriation et de


conflits. Selon le proverbe, « la nature a horreur du vide » ; la société aussi.”

-Compte-rendu de Rob Shields, Spatial Questions. Cultural Topologies and


Social Spatialisations [Questions spatiales. Topologies culturelles et
spatialisations sociales], London, Sage, 2013, 212 pages, in « Recensions
d'ouvrages », Espaces et sociétés, 2014/3 (n° 158), p. 169-190. DOI :
10.3917/esp.158.0169. URL : https://www.cairn.info/revue-espaces-et-societes-
2014-3-page-169.htm

http://www.amazon.fr/La-trag%C3%A9die-culture-autres-
essais/dp/2869306288/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=51jKo-
0QWhL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR104%2C160_&refRID=1VP7P
TSEQW5ZSQB04D9X

http://www.amazon.fr/paradigme-com%C3%A9dien-introduction-
Com%C3%A9dien-

1628
philosophie/dp/2705687076/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1457176830
&sr=1-1&keywords=Francois-Thomas-Le-paradigme-du-comedien

http://www.amazon.fr/Sociologie-%C3%89tudes-sur-formes-
socialisation/dp/2130609384/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1457176640&sr=8-
3&keywords=Georg+Simmel

http://www.amazon.fr/Le-Conflit-Georges-
Simmel/dp/2908024837/ref=pd_sim_14_13?ie=UTF8&refRID=0MBWVK6MS
H74292CW2S3

http://www.amazon.fr/Philosophie-largent-Georg-
Simmel/dp/2130627323/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=31RnClQWGWL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=0C92K7XFDQ
SJNY54VAGG

http://www.amazon.fr/Philosophie-lamour-Georg-
Simmel/dp/2869304927/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=51FTxHLE4uL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR104%2C160_&refRID=19BVJ6NRHQHG
N1FA6M6W

http://www.amazon.fr/Les-grandes-villes-vie-
lesprit/dp/2228908878/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=51jy2K0kWNL&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR102%2C160_&refRID=1ME9P9008KG9F1
NQ0HY3

http://www.amazon.fr/Psychologie-femmes-Georg-
Simmel/dp/222890998X/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=41z0B9j8L0L&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=0DRQWVJNTA9D
QHCKKZ1E

http://www.amazon.fr/Le-Conflit-Georges-
Simmel/dp/2908024837/ref=pd_sim_14_9?ie=UTF8&refRID=066X17TMNX7
64MW189ED

Otto von Gierke (1841-1921): http://www.amazon.fr/th%C3%A9ories-


politiques-Moyen-
Age/dp/2247076475/ref=sr_1_67?ie=UTF8&qid=1448537196&sr=8-
67&keywords=Biblioth%C3%A8que+dalloz

1629
Ernst Haeckel (1834-1919) : « La différence entre la raison d’hommes tels que
Goethe, Lamarck, Kant, Darwin et celle de l’homme inculte le plus inférieur,
d’un Wedda, d’un Akka, d’un nègre de l’Australie ou d’un Patagonien, est bien
plus grande que la différence graduée entre la raison de ces derniers et celles
des Mammifères les plus raisonnables, des singes anthropoïdes ou même des
Papiomorphes, des chiens et des éléphants. » -E. Haeckel, Les énigmes de
l’univers, Paris, trad. C. Bos, éd. Schleicher Frères, 1902, p.114.

« Aujourd'hui encore, certains biologistes se réfèrent à Haeckel en des termes


louangeurs, en général moins pour ses travaux scientifiques (un peu oubliés)
que pour la philosophie « moniste » qu'il a développée. Ces biologistes
s'attachent souvent à son matérialisme et à son antipapisme, mais passent sous
silence son racisme, son pangermanisme et les fantaisies un peu ésotériques de
la fin de sa vie. Avec Darwin et quelques autres, Haeckel fait partie d'une sorte
de panthéon scientiste de la biologie moderne. » - André Pichot, La Société
pure. De Darwin à Hitler, Flammarion, coll. « Champs Flammarion », 2000,
p.27.

Émile Durkheim (1858-1917) : « La charité est pour l'État un strict devoir de


justice ; c'est une des clauses tacites du contrat social. La société ne peut exiger
le respect des propriétés acquises que si elle assure à chacun quelque moyen
d'existence. On objecte, il est vrai, que la philanthropie s'exerce en sens inverse
de la sélection et en contrarie les effets salutaires. Elle protège, dit-on, les
faibles et les incapables, leur permet de se perpétuer et abaisse ainsi peu à peu
le niveau physique et moral de la race. Mais encore faut-il distinguer. Il ne peut
être question de laisser mourir sans secours le travailleur qu'une maladie
accidentelle prive de ses forces. C'est donc aux infirmes seulement que la société
devrait refuser sa pitié. Or, ils sont bien peu nombreux, ne se marient guère, et,
en tout cas, on pourrait mettre à leur mariage des obstacles légaux. La charité
publique n'a donc pas de graves inconvénients ; en revanche elle offre de grands
et sérieux avantages. Elle diminue entre les hommes les excès d'inégalité ; elle
préserve souvent de la mort de précieuses intelligences ; enfin et surtout elle est
une excellente éducatrice des âmes qu'elle ouvre à la sympathie et à la pitié. » -
Émile Durkheim, « Alfred Fouillée, La Propriété sociale et la démocratie » —
Analyse critique du livre publiée dans Revue philosophique, XIX, 1885, pp.
446-453.

1630
« [La société est] une réalité qui n’est [pas] plus notre œuvre que le monde
extérieur et à laquelle, par conséquent, nous devons nous plier pour pouvoir
vivre ; et c’est parce qu’elle change que nous devons changer. » -Émile
Durkheim, De la division du travail social, p.335.

« L’individu écarté, il ne reste que la société ; c’est donc dans la nature de la


société elle-même qu’il faut aller chercher l’explication de la vie sociale. […]
En s’agrégeant, en se pénétrant, en se fusionnant, les âmes individuelles
donnent naissance à un être, psychique si on veut, mais qui constitue une
individualité psychique d’un genre nouveau. » -Durkheim, Les règles de la
méthode sociologique, 1895.

« La grande différence entre les sociétés animales et les sociétés humaines est
que, dans les premières, l’individu est gouverné exclusivement du dedans, par
les instincts (sauf une faible part d’éducation individuelle, qui dépend elle-même
de l’instinct); tandis que les sociétés humaines présentent un phénomène
nouveau, d’une nature spéciale, qui consiste en ce que certaines manières
d’agir sont imposées ou du moins proposées du dehors à l’individu et se
surajoutent à sa nature propre : tel est le caractère des ‘institutions’ (au sens
large du mot) que rend possible l’existence du langage, et dont le langage est
lui-même un exemple. Elles prennent corps dans des individus successifs sans
que cette succession en détruise la continuité; leur présence est le caractère
distinctif des sociétés humaines, et l’objet propre de la sociologie. » -Émile
Durkheim, Textes, Paris, Minuit, 1975, t. I, p. 71.

« Pour faire plus facilement le procès de l’individualisme, on le confond avec


l’utilitarisme étroit et l’égoïsme utilitaire de Spencer et des économistes. C’est
se faire la partie belle. On a beau jeu, en effet, à dénoncer comme un idéal sans
grandeur ce commercialisme mesquin qui réduit la société à n’être qu’un vaste
appareil de production et d’échange, et il est trop clair que toute vie commune
est impossible s’il n’existe pas des d’intérêts supérieurs aux intérêts individuels.
Que de semblables doctrines soient traitées d’anarchiques, rien donc n’est plus
mérité et nous y donnons les mains. Mais ce qui est inadmissible, c’est qu’on
raisonne comme si cet individualisme était le seul qui existât ou même qui fût
possible. Tout au contraire, il devient de plus en plus une rareté et une
exception. La philosophie pratique de Spencer est d’une telle misère morale
qu’elle ne compte plus guère de partisans. Quant aux économistes, s’ils se sont
laissé jadis séduire par le simplisme de cette théorie, depuis longtemps ils ont
1631
senti la nécessité de tempérer la rigueur de leur orthodoxie primitive et de
s’ouvrir à des sentiments plus généreux. M. de Molinari est à peu près le seul,
en France, qui soit resté intraitable et je ne sache pas qu’il ait exercé une
grande influence sur les idées de notre époque. En vérité, si l’individualisme
n’avait d’autres représentants, il serait bien inutile de remuer ainsi ciel et terre
pour combattre un ennemi qui est en train de mourir tranquillement de mort
naturelle.

Mais il existe un autre individualisme dont il est moins facile de triompher. Il a


été professé, depuis un siècle, par la très grande généralisé des penseurs : c’est
celui de Kant et de Rousseau, celui des spiritualistes, celui que la Déclaration
des droits de l’homme a tenté, plus ou moins heureusement, de traduire en
formules, celui qu’on enseigne couramment dans nos écoles et qui est devenu la
base de notre catéchisme moral. On croit, il est vrai, l’atteindre sous le couvert
du premier, mais il en diffère profondément et les critiques qui s’appliquent à
l’un ne sauraient convenir à l’autre. Bien loin qu’il fasse de l’intérêt personnel
l’objectif de la conduite, il voit dans tout ce qui est mobile personnel la source
même du mal. Suivant Kant, je ne suis certain de bien agir que si les motifs qui
me déterminent tiennent, non aux circonstances particulières dans laquelle je
suis placé, mais à ma qualité d’hommes in abstracto. Inversement, mon action
est mauvaise, quand elle ne peut se justifier logiquement que par ma situation de
fortune ou par ma condition sociale, par mes intérêts de classe ou de caste, par
mes passions, etc. C’est pourquoi la conduite immorale se reconnaît à ce signe
qu’elle est étroitement liée à l’individualité de l’agent et ne peut être généralisée
sans absurdité manifeste. »

« Les doctrines se jugent surtout par leurs produits, c’est-à-dire par l’esprit des
doctrines qu’elles suscitent : or, du kantisme, sont sorties de l’éthique de Fichte,
qui est déjà imprégnée de socialisme, et la philosophie de Hegel dont Marx fut
le disciple. » -Émile Durkheim, L’individualisme et les intellectuels, La Revue
des deux mondes (juillet 1898).

« [Le socialisme vise] le rattachement de toutes les fonctions économiques, ou


de certaines d’entre elles qui sont actuellement diffuses, aux centres directeurs
et conscients de la société. » -Émile Durkheim, Le Socialisme, Paris, Alcan,
1928, p.25.

1632
« En définissant, parallèlement à d'autres formes de suicide, la catégorie de
"suicide anomique", Durkheim avait établi une corrélation entre la diminution
de l'action régulatrice de la société sur les individus et l'augmentation du taux
de suicide. Cela équivalait à postuler, comme il le fait sans fournir la moindre
explication, un besoin qu'auraient les êtres humains à être contrôlés dans leurs
activités et dans leurs passions. » -Giorgio Agamben, État d'Exception. Homo
Sacer, II,1, Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, 153 pages,
p.113.

« M. Durkheim [Le suicide, p. 440] voit dans les corporations le grand remède
à ce qu’il appelle l’anomie sociale : « Le principal rôle des corporations, dit-il,
dans l’avenir comme dans le passé, serait de régler les fonctions sociales et plus
spécialement les fonctions économiques, de les tirer par conséquent de l’état
d’inorganisation où elles sont maintenant. Toutes les fois que les convoitises
excitées tendraient à ne plus connaître de bornes, ce serait à la corporation
qu’il appartiendrait de fixer la part qui doit équitablement revenir à chaque
ordre de coopérateurs. ― Supérieure à ses membres, elle aurait toute l’autorité
nécessaire pour réclamer d’eux les sacrifices et les concessions indispensables
et leur imposer une règle. » -Georges Palante, L’Esprit de corps, Revue
philosophique de la France et de l'étranger, n°48, Août 1899.

« Durkheim était le théoricien le plus conscient de la technocratie: le sociologue


ayant le savoir du tout, peut dire aux individus particuliers, mieux qu'eux, ce qui
est bien pour eux. » -Pierre Bourdieu, Entretien avec Roger Chartier, 1988.
Entretien III: "Les fausses oppositions dans les sciences sociales".

« Chez Durkheim, la société est équivalente au sacré ou à Dieu. » -Pierre Gisel,


Qu’est-ce qu’une religion ?, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2007, 128
pages, p.64.

« L’individualisme, la libre pensée ne datent ni de nos jours, ni de 1789, ni de la


réforme, ni de la scolastique, ni de la chute du polythéisme gréco-latin ou des
théocraties orientales. C’est un phénomène qui ne commence nulle part, mais
qui se développe sans s’arrêter, tout le long de l’histoire. » -Émile Durkheim,
De la division du travail social, op. cit., p. 146.

« Impossible de nier qu’il y a une contradiction entre la thèse holiste de


Durkheim sur la conscience collective et sa thèse sur la continuité du processus
d’individualisation. D’une part, Durkheim veut opposer deux types de société, et
1633
il définit le type traditionnel ou « communautaire » par l’absence d’un individu
indépendant. D’autre part, Durkheim veut que le processus de
l’individualisation soit continu. Les deux thèses sont incompatibles. Il apparaît
donc justifié de remarquer que si Durkheim veut maintenir cette dernière thèse
(anthropologique), il doit renoncer à parler d’une forme sociale dans laquelle
l’individu n’existait pas et il doit par conséquent embrasser les vues de
l’individualisme méthodologique.

Durkheim éprouve le besoin de poser sa thèse de la continuité du processus


d’individualisation parce qu’il veut écarter une interprétation superficielle du
phénomène qui en ferait un événement récent, peut-être éphémère. En réalité, le
processus de l’émancipation individuelle est irréversible. L’histoire universelle
montre que le « type collectif » d’homme tend à décliner au profit de
l’individualité. S’il s’agissait d’une tendance récente (produit de notre
civilisation) ou d’un « événement unique dans l’histoire des sociétés », on
pourrait se demander si ce n’est pas réversible. En fait, l’évolution se fait dans
ce sens « depuis les temps les plus lointains ». » -Vincent Descombes, «
Individuation et individualisation », Revue européenne des sciences sociales[En
ligne], XLI-127 | 2003, mis en ligne le 30 novembre 2009, consulté le 03 mai
2016.

« A Saint-Simon, dit Durkheim, revient "l'honneur" d'avoir le premier "donné la


formule" de la science sociale ; à Comte celui d'avoir voulu "faire" cette
science. Or, l'un comme l'autre fondaient leur représentation de son objet et de
ses principes sur l'analogie entre la société et l'organisme vivant. Cette
analogie, Durkheim ne cherche pas à la remettre en question, -seulement à
l'aménager. » -Jean-Claude Filloux, Durkheim et l'organicisme: l'influence de
Spencer et d'Espinas dans l'élaboration du fonctionnalisme durkheimien, in
Revue européenne des sciences sociales, T. 17, No. 47 (1979), pp. 135-148.

« C'est le credo positiviste. Les sciences de l'homme en se constituant ont pris


modèle sur les sciences de la nature et de la vie alors en plein essor. Les
relations causales entre facteurs observables évacuaient les idées, les motifs
conscients, comme moteurs des actions humaines, pour les réduire à de simples
épiphénomènes. L'esprit moderne a ainsi, dans une entreprise mal comprise de
compréhension scientifique, tendu à naturaliser le sujet humain. » -Nathalie
Bulle, L’école et son double. Essai sur l’évolution pédagogique en France,
Paris, Hermann, coll. Savoir et pensées, 2010, 338 pages, p.22
1634
« Les durkheimiens (s’)investirent pleinement (dans) le concept de social pour
théoriser et examiner empiriquement une dimension sui generis de l’existence
humaine unanimement perçue comme irréductible – dans une mesure plus ou
moins grande – aux dimensions dites « biologique » et « psychologique ». »

-Marc Joly, « Du déterminisme biologique au déterminisme social », Socio [En


ligne], 6 | 2016, mis en ligne le 11 mai 2016, consulté le 08 janvier 2017.

« Dans le cas de la France, les sciences sociales furent orientées conjointement,


aussi bien par leurs origines historiques que par leurs fondements théoriques,
vers une ontologie dualiste et vers des modes d'explication intrinsèquement
culturalistes des faits sociaux. [...] Les dérives racio-craniologiques du
matérialisme naturaliste de l'école de Broca, et la méfiance antinaturaliste
qu'elles ont réactivement et légitimement suscitée chez les chercheurs expliquent
en grande partie que le seul matérialisme ayant été notablement développé dans
les sciences sociales du XXe siècle soit un matérialisme non naturaliste. » -
François Athané, "Le nez de Cléopâtre et le démon de Laplace. Matérialismes et
déterminismes en sciences sociales", chapitre 19 in Marc Silberstein (dir.),
Matériaux philosophiques et scientifiques pour un matérialisme contemporain,
volume 2, Éditions Matériologiques, Paris, 2016.

« Durkheim [...] pose une autre question, proprement historique, à savoir:


comment est-on passé des groupements primitifs à la division du travail ?
Comme si, d'avance, il était certain que toutes les sociétés ont passé par les
mêmes phases, obéi aux mêmes lois. Comme si l'on pouvait, scientifiquement,
mettre au jour la cause de l'évolution historique dans sa totalité. Manifestement
Durkheim est prisonnier des anciennes philosophies de l'histoire qu'il prétend
remplacer par la science, mais dont il conserve les prémisses, étrangères à la
pratique scientifique. L'alternative individu ou société est aussi arbitraire que
l'alternative histoire ou société.
Ainsi, dans sa théorie comme dans sa pratique, Durkheim est prisonnier d'une
sorte de réalisme, presque métaphysique. La totalité sociale doit avoir toutes ses
causes en elle-même. L'évolution historique, dans son ensemble, doit s'expliquer
par un facteur primaire. Alors que, en fait, la science surtout causale commence
par l'analyse, c'est-à-dire la décomposition des touts en éléments dont ensuite
on cherche à établir la solidarité.

1635
Nul n'a affirmé avec autant d'énergie que Max Weber cette nécessité de la
sélection que nous venons de reconnaître. (Nous entendons ici par sélection
l'organisation, la construction des termes unis par des rapports de causalité). »
(p.252)

-Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire. Essai sur les limites


de l'objectivité historique, Gallimard, 1986 (1938 pour la première édition), 521
pages.

« Ni Durkheim ni ses disciples n’ont appliqué leurs conceptions


épistémologiques. » -Raymond Aron, Comment l'historien écrit l'épistémologie :
à propos du livre de Paul Veyne, Annales, Année 1971, 26-6, pp. 1319-1354,
p.1343.

« Le sacré est ambivalent, il peut être maudit, le divin ne l'est jamais [...]
Le sacré est une coupure sociale ou éthique, le divin est une qualité sui generis,
assez spécifique pour justifier l'existence du mot "religion", même si le sentiment
du divin n'occupe en général qu'une place réduite dans ces agrégats confus et
variables que sont les religions. C'est aplatir les phénomènes que de réduire la
religion [comme le fait Durkheim] à du sacré, à cette barrière ambivalente qui
coupe en deux les choses sociales, à cette puissance qui agit sur ce qui est
profane. Le sacré, puissance anonyme, sans visage, ne suffirait pas à déclencher
les sentiments et les conduites que déclenche seule une divinité qui est une
personne (ou parfois une abstraction personnifiée et divinisée). » -Paul
Veynes, L'Empire gréco-romain, Seuil, coll. Points, 2005, 1058 pages, note 42
pp.516-517.

« Idée, déjà présente chez Durkheim, que dans nos sociétés la justice sociale est
au cœur de la cohésion. » -Sao Ousmane, « Unité nationale et Cohésion sociale :
Les défis d’une Nation comme projet politique et social : Tentative de
réflexion », 11 avril 2019 : Unité nationale et Cohésion sociale : Les défis d'une Nation
comme projet politique et social : Tentative de réflexion : Dr Sao Ousmane - Kassataya Mauritanie

« Shields fait une lecture originale, mais très convaincante, de l’apport de


Durkheim (contemporain de Simmel) à la conceptualisation de l’espace social.
Lui aussi relie l’espace à la religion : dans Les formes élémentaires de la vie
religieuse (1912), Shields voit les prémices de l’anthropologie structurale.
« Cette vision de l’espace social est topologique, car elle souligne son
hétérogénéité qualitative » (Shields, p. 84). Globalement, la sociologie française
1636
ignore cet apport de Durkheim. » -Compte-rendu de Rob Shields, Spatial
Questions. Cultural Topologies and Social Spatialisations [Questions spatiales.
Topologies culturelles et spatialisations sociales], London, Sage, 2013, 212
pages, in « Recensions d'ouvrages », Espaces et sociétés, 2014/3 (n° 158), p.
169-190. DOI : 10.3917/esp.158.0169. URL : https://www.cairn.info/revue-
espaces-et-societes-2014-3-page-169.htm

http://www.amazon.fr/Emile-Durkheim-1858-1917-Marcel-
Fournier/dp/2213615373/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1459
839986&sr=8-8

http://www.amazon.fr/socialisme-%C3%89mile-
Durkheim/dp/2130590039/ref=sr_1_11?ie=UTF8&qid=1459839986&sr=8-
11&keywords=%C3%89mile+Durkheim

http://www.amazon.fr/Sociologie-philosophie-%C3%89mile-
Durkheim/dp/2130567525/ref=sr_1_53?ie=UTF8&qid=1459840455&sr=8-
53&keywords=%C3%89mile+Durkheim

http://www.amazon.fr/L%C3%A9volution-p%C3%A9dagogique-France-Emile-
Durkheim/dp/2130567495/ref=sr_1_32?ie=UTF8&qid=1459840383&sr=8-
32&keywords=%C3%89mile+Durkheim

Marcel Mauss (1872-1950) :

"Claude Lévi-Strauss a écrit une « Introduction à l'œuvre de Marcel Mauss »


qui est importante, et, je crois, indispensable si l'on veut comprendre l'impact
des idées de Mauss sur les questions de l'anthropologie contemporaine. Je ne
suivrai pas la critique de certains sociologues selon qui la pensée de Mauss
aurait été dans ce texte détournée dans une direction structurale, car je crois
que cet auteur est ici fidèle à l'inspiration profonde de Mauss." (p.193)

"Avec Mauss, l'étroite culture classique dans laquelle nous avions été élevés
éclatait en un humanisme plus large, plus réel, embrassant tous les peuples,
toutes les classes, toutes les activités. Vous alliez le trouver à la fin d'une leçon
et il vous laissait deux heures plus tard à l'autre bout de Paris. Tout
le temps il avait parlé en marchant, et c'était comme si les secrets de races
lointaines, un morceau des archives de l'humanité vous avaient été révélés par
un expert sous la forme d'une simple conversation, car il avait fait le tour du

1637
monde sans quitter son fauteuil, s'identifiant avec les hommes à travers les
livres." (p.196)

"La carrière active de Mauss, depuis l'agrégation de philosophie en 1895, à 23


ans, jusqu'à sa retraite en 1940, à 68 ans, peut être divisée en trois périodes. La
première s'étend jusqu'en 1914, Mauss est alors un spécialiste des religions,
principalement indienne et primitives, qui prend une part importante au
mouvement de l'Année sociologique sous la direction de son oncle Durkheim.
C'est une période de travail d'équipe enthousiaste, de publications nombreuses et
brillantes. Jusqu'en 1900, Mauss avait étudié la philologie sanscrite et comparée,
l'histoire des religions et l'anthropologie, avec des maîtres à Paris tels que
Meillet, Foucher, Sylvain Lévi, qui, paraît-il, considérait son étudiant comme un
génie et regrettait plutôt l'influence excessive que son oncle exerçait sur lui; en
Hollande, Cal and ; à Oxford, Tylor et Winternitz. En 1901, Mauss est nommé à
l'École des hautes études à la chaire d'« histoire des religions des peuples non
civilisés ». En même temps, et depuis le début, il avait la charge de la seconde
section de L'Année sociologique
concernant la sociologie de la religion, et il y publiait chaque année, avec l'aide
d'Hubert, des comptes rendus fort détaillés et instructifs de toutes les
publications de quelque importance. Ces comptes rendus sont une partie
considérable de l'œuvre de Mauss ; je viens de les relire et je doute fort qu'il
existe ailleurs quoi que ce soit de comparable : chaque ouvrage est résumé avec
grand soin avant d'être loué ou critiqué, corrigé ou complété, et tout cela du seul
point de vue de la connaissance." (p.197)

"La guerre de 1914 frappa durement le groupe des sociologues, lui ôtant ses
meilleurs espoirs, comme Hertz, l'auteur de la Prééminence de la main droite et
de la découverte de la coutume des doubles obsèques. Avec la mort de
Durkheim, en 1917, commença la seconde période de l'activité scientifique de
Mauss, période marquée d'une part par le deuil et la préparation dévouée pour la
publication des ouvrages des disparus (les Mélanges de Hertz, et, de Durkheim,
son Éducation morale et son Socialisme), de l'autre par une responsabilité
élargie. Succédant à Durkheim à la direction de l'Année, Mauss devait se
consacrer non plus à la seule religion, mais à la sociologie en général. Le champ
d'activité s'accrut avec la création en 1925 de l'Institut d'ethnologie où Mauss
donna ses « Instructions » année après année." (p.198)

1638
"On peut considérer qu'une troisième période s'ouvre autour de 1930. Hubert à
son tour a quitté son compagnon de travail et Mauss publie ses deux volumes
sur les Celtes. Mauss est élu au Collège de France et pendant dix ans il va
enseigner quelque huit heures par semaine dans trois institutions différentes."
(p.199)

"Plus clairement encore plus tard, surtout en 1908, Mauss s'éloigne de la


définition de Durkheim, spécialement en ce qui concerne la religion: «
l'obligation n'est pas pour nous une caractéristique des faits sociaux »." (p.205)

-Louis Dumont, Essais sur l'individualisme. Une perspective anthropologique


sur l'idéologie moderne, Paris, Le Seuil, coll. Point, 1985 (1983 pour la
première édition), 314 pages.

"Marcel Mauss fit un éloge chaleureux du livre de Bloch après sa publication."


(p.1304)

"Ce classique de l’anthropologie est, aujourd’hui plus que jamais, au centre de


discussions acharnées : ou, plus précisément, de critiques corrosives qui
entament non seulement ses bases ethnographiques mais jusqu’à son armature
conceptuelle. C’est bien ce qu’a fait Testart lui-même quand il a soutenu, d’une
part, que le potlatch ne constitue pas un exemple de l’obligation de la
réciprocité du don et quand il a nié, d’autre part, que cette obligation à la
réciprocité constitue un phénomène universel. Toute discussion à propos de
l’Essai sur le don doit se mesurer à cette double critique." (p.1305)

"Œdipe tyran, relu à travers Socrate, enseigne que la politique, l’art suprême,
est un art de la mesure. Mauss pense par contraste aux bolcheviques : une des
cibles implicites des pages conclusives de l’Essai sur le don. En abolissant le
marché entre 1918 et 1922, les bolcheviques ont accompli un geste violent et
éphémère. Mauss développa son jugement dans un essai paru en cinq livraisons,
entre le 3 février et le 5 mars 1923 dans La vie socialiste. La première, intitulée
« Fascisme et bolchevisme. Réflexions sur la violence », s’ouvrait par une
attaque féroce contre Georges Sorel, reprise ensuite dans la dernière livraison
qui avait pour titre « Observations sur la violence. Contre la violence. Pour la
force ». Écrites en même temps que l’Essai sur le don, ces pages l’illuminent
d’une lumière vive – et inversement.

1639
« Le crime et la faute du bolchevisme, écrit Mauss, c’est de s’être imposé au
peuple et d’avoir molesté même la classe ouvrière dont le gouvernement se dit
issu, d’avoir meurtri toutes les institutions sociales qui eussent pu être la base de
l’édifice. Nous ne voulons donc pas de la force qui s’impose contre le droit ou
sans le droit. Mais nous ne renonçons pas à mettre la force au service du droit. »

La force est pour Mauss une composante inéliminable de la vie sociale : « Il n’y
a pas de société sans discipline, sans contrainte, sans sanctions. » Mais la force
visible ne pourrait pas agir si elle n’était soutenue par celle qu’on ne saurait
voir. Une des sections les plus discutées de l’Essai sur le don s’intitule
justement « La force des choses ». « Dans les choses échangées au potlatch, écrit
Mauss, il y a une vertu qui force les dons à circuler, à être donnés et à être
rendus. »." (p.1314)

"Kojève avait retrouvé Rousseau chez Hegel grâce à Mauss, qui avait lu Boas à
travers Rousseau." (p.1317)

"Claude Lefort intervint pour défendre « le ‘vrai’ Mauss » contre l’ensemble de


l’interprétation de Lévi-Strauss. [...] La thèse de Lefort était inattaquable : la
lecture kantienne de l’Essai sur le don (et fût-ce sous la forme d’un « kantisme
sans moi transcendantal », selon la formule de Paul Ricœur, reprise ensuite par
Lévi-Strauss lui-même) 69 nous mène très loin de la « lutte des hommes », du
potlatch agonistique, d’Hegel – et, ajouterais-je, de Rousseau. Sur un plan
général, observait Lefort :

Quand on a substitué à l’échange vécu, à l’expérience de la rivalité, du prestige


ou de l’amour, l’échange pensé, on obtient un système de cycles de réciprocité
entre les lignées A B C D : les sujets concrets de l’échange ont disparu."
(p.1319)
-Carlo Ginzburg, "Lectures de Mauss", Annales. Histoire, Sciences Sociales,
vol. 65, n°6, 2010.

« L'élection de Mauss au Collège, qui marque une forme de consécration pour


le durkheimisme et pour les sciences sociales en général, est difficile [...]
Finalement, c'est sur la création d'une chaire de "Sociologie" que l'on
s'accorde. » (p.2)

"Lorsque le journal [Le Populaire] se transforme en quotidien du matin, Mauss


accepte d'être membre de son conseil d'administration et de sa direction. Entre

1640
1921 et 1925, il publie de nombreux articles [...] Mauss lit Keynes et Charles
Rist, l'auteur de La Déflation, et discute avec son ami François Simiand,
sociologue et économiste." (p.11)

"Fidèle en ceci à Durkheim, Mauss se méfie des abstractions philosophiques, du


cosmopolitisme, des philosophies de l'histoire montrant l'humanité culminer
dans un Etat mondial. Il est ainsi hors de question que son internationalisme
soit une simple position normative, un simple desideratum." (p.19)

"Mauss, défenseur de l'auto-organisation et aussi du marché, qui en est l'une


des formes, n'interdit pas à l'Etat tout rôle économique, notamment dans le
domaine du crédit, et peut-être celui de l'industrie lourde. Dans ses riches
réflexions sur le développement de l'économie depuis la fin du XIXe siècle,
Mauss identifie trois tendances du capitalisme, qui témoignent toutes d'un
progrès du contrôle collectif sur le devenir socio-économique: 1) la diffusion de
l'intervention étatique en matière économique (ce que Mauss nomme le
"socialisme par en haut") ; 2) l'effort d'auto-organisation de la classe ouvrière
pour peser sur la direction politique (le "socialisme par en bas") ; 3) enfin, une
tendance à l'anonymisation et à la dilution de la propriété (déclin de la
propriété familiale, naissance des sociétés anonymes, etc.) -Mauss perçoit dans
ce dernier phénomène un prélude à la socialisation du capital. [...] En
définissant le socialisme comme une réalisation ultime du principe national,
Mauss, membre de la SFIO, prend position dans les débats en cours au sein de
la Deuxième Internationale ouvrière: contre Rosa Luxemburg notamment, il
refuse de voir ces deux principes comme antithétiques et se rapproche ainsi [...]
de la ligne des socialistes autrichiens, comme Otto Bauer." (p.34)

"Mauss est attentif à la démarche du leader du nouveau Parti socialiste de


France [Marcel Déat], mais il ne le suit pas." (p.39)

-Jean Terrier et Marcel Fournier, Présentation de Marcel Mauss, La nation ou le


sens du social, PUF / Humensis, coll. Quadrige, 2018 (2013 pour la première
édition), 404 pages.

« Comme l'avait parfaitement compris Marcel Mauss, ce n'est pas parce qu'une
émotion est ritualisée, qu'elle s'exprime selon un scénario prédéfini, qu'elle n'est
pas ressentie de façon sincère. » -Damien Boquet & Piroska Nagy, Sensible
Moyen Âge. Une histoire des émotions dans l'Occident médiéval, Paris, Seuil,
2015, 480 pages, p.17.
1641
Nicolas Olivier, Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés
archaïques (forumactif.org)

Bruno Karsenti, Une autre approche de la nation : Marcel Mauss + Albert Doja, L’idée de nation: du
postulat de Marcel Mauss à la question actuelle des identités nationales et culturelles
(forumactif.org)

http://www.amazon.fr/Oeuvres-Fonctions-sociales-Marcel-
Mauss/dp/2707302597/ref=sr_1_16?ie=UTF8&qid=1445592588&sr=8-
16&keywords=Marcel+mauss

http://www.amazon.fr/Oeuvres-Repr%C3%A9sentations-collectives-
diversit%C3%A9-
civilisations/dp/2707303925/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&refRID=1NN8MTJ9
SVHX371826SK&dpID=418YWKRXV5L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160
_SR101%2C160_

http://www.amazon.fr/Ecrits-politiques-textes-pr%C3%A9sent%C3%A9s-
Fournier/dp/2213599564/ref=sr_1_27?ie=UTF8&qid=1445592743&sr=8-
27&keywords=Marcel+mauss

http://www.amazon.fr/Techniques-technologie-civilisation-Marcel-
Mauss/dp/2130595286/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=41JaM%2B0AGuL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=0WW4YK91R
MA2884ZXT9H

François Simiand (1873-1935) : « Étant donné le retentissement de l’œuvre de


Simiand, nous ne pouvions négliger de confronter nos idées avec les textes
essentiels, articles de jeunesse et introduction du Salaire. » -Raymond Aron,
Introduction à la philosophie de l'histoire. Essai sur les limites de l'objectivité
historique, Gallimard, 1986 (1938 pour la première édition), 521 pages, p.268.

« En 1903 un sociologue, François Simiand enfonçait le clou dans la nouvelle


Revue de synthèse historique d’Henri Berr. Il invitait « les historiens à passer
du singulier au phénomène régulier, aux relations stables qui permettent de
dégager des lois, des systèmes de causalité » et les conviait à passer de
l’individuel au social en ralliant les méthodes de la jeune sociologie.
Néanmoins, si l’on en croit le travail d’Alain Corbin sur la Revue historique, il
a fallu attendre encore une bonne vingtaine d’années avant que ne se mette en
place une histoire qui réponde à ce programme. C’est, en fait, le mouvement
d’où est sortie la revue Annales ESC (Économie, Société, Civilisation) à la fin
1642
des années vingt qui a consommé la rupture avec l’histoire des « grands
hommes » pour promouvoir une histoire sociale dans laquelle l’individu n’était
plus pris en compte comme singularité mais comme partie du collectif. » -Anne
Levallois, « Le retour de la biographie historique. L'histoire et la psychanalyse
s'y rejoindraient-elles ? », L'Homme & la Société, 2002/4 (n° 146), p. 127-140.

« Certains spécialistes d’histoire économique et sociale font partie du


mouvement durkheimien comme Paul Mantoux, Hubert Bourgin et surtout
François Simiand. » (p.84)

« Bien des historiens plus traditionnels montrent qu’ils savent faire bon usage
des critiques de Simiand […] Pierre Caron, le spécialiste de la Terreur, invite
les historiens à « écarter l’idole individuelle pour envisager les masses. » »
(p.84)

-André Burguière, L’école des Annales. Une histoire intellectuelle, Odile Jacob,
2006, 366 pages.

« Élève de Durkheim, François Simiand (1872-1935) signe [...] en 1909, dans la


principale revue durkheimienne L'Année sociologique, une recension critique
des thèses publiées entre 1905 et 1909 par cinq élèves de Vidal de la Blache
(Albert Demangeon, Raoul Blanchard, Camille Vallaux, Antoine Vacher, Jules
Sion). Maniant l'ironie avec brio, Simiand met alors au jour les faiblesses et les
contradictions du paradigme vidalien, en constatant l'absence ou l'inanité de la
définition de l'objet géographique, la "défaite" d'un système explicatif qui ne
parvient jamais vraiment à expliquer le social par la nature, et enfin,
l'inefficience de la méthode idiographique. Simiand conclut alors que les
géographes, s'ils adoptaient raisonnablement les principes élémentaires d'une
science sociale, pourraient produire utilement "une science de la morphologie
sociale", champ parfaitement légitime puisque n'étant couvert par aucune
discipline. L'habileté de Simiand réside dans le non-dit logique de sa
conclusion: une géographie véritablement scientifique ne peut donc être qu'une
sous-spécialité de la sociologie.
La critique des sociologues ne parvient pourtant pas à miner l'édifice vidalien
dont la légitimité repose alors sur un réseau d'intérêts puissants qui lient
notamment les champs scolaires et politique (parisien, provinciaux et
coloniaux). » -Pascal Clerc (dir.), Géographies. Épistémologies et histoire des

1643
savoirs sur l'espace, Armand Colin, coll. U, 2019 (2013 pour la première
édition), 351 pages, p.45.

Paul Mantoux (1877-1956) : « P. MANTOUX : La Révolution industrielle au


XVIII° siècle, Paris, Génin, 1905 ; réédité en 1959, daté, mais excellent. » -E. J.
Hobsbawm, préface à Friedrich Engels, La situation de la classe laborieuse en
Angleterre, 1845, Les classiques des sciences sociales, 270 pages, note 7 p.5.

Paul Lacombe (1834-1919) : « [Proche de Simiand, Paul Lacombe] combat à


la fois le refus historisant [méthodiste] de toute généralisation et le
déterminisme biologisant de la psychologie des foules. » -André Burguière,
L’école des Annales. Une histoire intellectuelle, Odile Jacob, 2006, 366 pages.
p.84.

« Cet ancien compagnon de Gambetta, devenu Inspecteur général des


bibliothèques, après un court passage par la préfectorale, est présenté par
Braudel comme un « historien de première classe ». En réalité, Paul Lacombe
est un « touche à tout » assez représentatif de la génération qui a précédé la
professionnalisation de l’histoire. Il a publié une multitude d’essais qui vont
d’une étude sur la famille dans l’Antiquité, jusqu’à l’inévitable « petite histoire
du peuple français », en passant par des réflexions sur la psychologie de
l’enfant, des propositions pour l’adoption du mode de scrutin à la
proportionnelle, etc. Son livre sur la « science de l’histoire » est un tissu de
banalités. Fasciné par les thèses de Tarde sur l’imitation, il s’appuie
essentiellement sur la « sociologie » de Spencer pour nourrir une polémique
visant à défendre les partisans du « milieu » contre les partisans de la « race
». » -Gérard Noiriel, « Comment on récrit l’histoire. Les usages du temps dans
les Écrits sur l’histoire de Fernand Braudel », Revue d'histoire du XIXe siècle
[En ligne], 25 | 2002, mis en ligne le 07 mars 2008, consulté le 19 mai 2020.
URL : http://journals.openedition.org/rh19/419 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/rh19.419

Célestin Bouglé (1870-1940): « Dans deux éditoriaux de La Dépêche de


Toulouse, le sociologue et ancien dreyfusard Célestin Bouglé défend Andler
contre les attaques de L’Action française. Il se place sur le même plan que les
nationalistes — la défense de la culture française, de la patrie française.
Contrairement à ce qu’affirment « les revenants » qui font une « cynique
utilisation du patriotisme » et ont une notion surannée du nationalisme, le

1644
voyage d’Andler vise justement à défendre l’intégrité de ces valeurs nationales.
La culture française n’est pas homogène, selon Bouglé, sa littérature s’est
enrichie aux cours des siècles grâce à des emprunts faits à des pays voisins.
C’est donc dans « l’intérêt même de notre culture française » que les rencontres
avec les étrangers doivent se multiplier.
Par ailleurs, d’après Bouglé, les contacts entre la France et l’Allemagne sont
encore plus importants pendant cette période rendue particulièrement tendue
par les intérêts conflictuels des deux pays au Maroc. De tels « rapprochements
de groupe à groupe » peuvent aider les deux peuples à résister à leur « ennemi
commun » qu’est l’ambition coloniale, à savoir « l’esprit impérialiste ». A
travers son voyage, Andler n’a fait que poursuivre, « à travers la réalité
concrète, l’œuvre de transmission scientifique à laquelle il s’est voué ». En bref,
il a ainsi rempli sa mission de professeur, celle « d’intermédiaire intellectuel »
entre les deux pays. » -Antoinette Blum, « Charles Andler en 1908 : un
Germaniste pris entre la France et l'Allemagne », Revue germanique
internationale [En ligne], 4 | 1995, mis en ligne le 05 juillet 2011, consulté le 12
novembre 2018.

Maurice Halbwachs (1877-1945) : « Maurice Halbwachs, ce collaborateur


important des Annales jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale dont l’œuvre
curieusement avait ensuite peu marqué les historiens, y compris ceux qui se
réclamaient de l’héritage de Marc Bloch et de Lucien Febvre. Mais alors que
Pierre Nora s’est surtout inspiré de l’essai d’Halbwachs sur La mémoire
collective, c’est aux Cadres sociaux de la mémoire que Jacques Ozouf doit une
partie de sa réflexion ; à l’idée que la mémoire individuelle, même dans ce
qu’elle a de plus personnel et de plus intime, a besoin pour convoquer un
souvenir, de repères spatio-temporels extérieurs à l’individu. » -André
Burguière, « Jacques Ozouf, Nous, les maîtres d’école », Les Cahiers du Centre
de Recherches Historiques [En ligne], 43 | 2009, mis en ligne le 17 février 2012,
consulté le 18 février 2019.

« Né en 1877, Halbwachs a pourtant traversé l’affaire Dreyfus à l’âge de la


maturité. Normalien en 1898, il est déjà un intellectuel engagé dans le combat
des dreyfusards et il adhère peu après en 1906 au parti socialiste. Il a déjà,
avant guerre, publié des ouvrages qui comptent pour la nouvelle sociologie
durkheimienne. Pourtant, Annette Becker laisse tout ce premier pan de vie dans
l’ombre pour se concentrer sur une question qui est d’ordre biographique :
« Comment la guerre, par deux fois, a renontré Halbwachs, et comment, par
1645
deux fois, il l’a vécué, comprise ? ». Le paradoxe qu’interroge Annette Becker
tient dans le silence, le véritable refoulement par Halbwachs de ses souvenirs de
la Première Guerre, alors qu’il se donne pour objet d’étude le phénomène de la
mémoire collective. En effet, dans cette réflexion majeure dans le sens de la
distinction d’une dimension mémorielle spécifique et distincte de la dimension
historique, Halbwachs ne fait aucune mention de sa propre expérience de
traversée de la Grande Guerre. Il a été particulièrement actif durant le conflit.
Certes, il n’est pas directement engagé comme combattant, mais, professeur de
philosophie à Nancy, il n’est pas loin des opérations militaires qui tonnent à
proximité, et participe jusqu’en 917 au cabinet d’Albert Thomas, contribuant
ainsi au plus haut niveau à l’effort de guerre dans le cadre de l’Union sacrée. Et
surtout, il entretient des relations de grande proximité avec sa sœur Jeanne,
restée fidèle à des positions radicalement pacifistes pendant toute la guerre,
positions qu’elle exprime sans faillir avec son mari, le dirigeant de la Ligue des
droits de l’homme Michel Alexandre. On ne peut donc qu’être étonné de
constater que celui qui travaille dès l’après-guerre sur la mémoire et publie en
1925 sur la question Les Cadres sociaux de la mémoire ne mentionne jamais,
malgré son sens aigu de l’observation, cette période qui reste totalement
refoulée dans ses écrits. Constatant cette coupure quasi schizophrénique chez
un sociologue qui axe sa réflexion sur le vécu et le présent, l’auteur ne donne
pas de véritable réponse à la question de cet évitement et c’est là que se situent
sans doute les limites de l’entreprise biographique. On peut émettre l’hypothèse
d’un scientisme de Maurice Halbwachs, fidèle en cela à l’enseignement de son
maître Durkheim, qui au nom de l’objetivation de l’objet invite les sociologues à
mettre à l’écart toute implication du sujet de l’observation. […] Les sciences
humaines, qui à l’époque recherchent leur légitimation scientifique, se donnent
pour modèles les sciences exactes et les sciences expérimentales et commencent
donc par réifier leur objet d’étude. » -François Dosse, Le Pari biographique.
Écrire une vie, Paris, Éditions La Découverte, 2005, 480 pages, p.427-428.

« M. Halbwachs se refuse à admettre qu'il y ait deux types de suicide (il utilise
l'argument curieux qu'en ce cas, on ne les désignerait pas par le même concept,
comme si les caractères communs à toute mort volontaire ne suffisaient pas à
justifier l'usage). Il fait justement observer que la santé nerveuse dépend, au
moins partiellement, de la vie sociale (qui multiplie les maladies mentales,
sélectionne les individus d'un certain tempérament, etc.) Mais de quel droit
passer de la solidarité à la confusion des causes ? M. Halbwachs invoque alors
1646
l'identité de l'état mental chez tous ceux qui renoncent à la vie: le suicidé est un
isolé, il est exclu de toute communauté, peu importe que cette solitude vienne de
la maladie de l'état mental, à supposer que le sociologue décrive exactement ce
qui se passe dans les consciences, ne supprime ni ne résout le problème posé,
car le même état (ou plus exactement un état analogue) peut provenir de causes
diverses. Or, la question était de savoir si cette solitude venait de causes
internes ou d'accidents extérieurs. Et, sur ce point, nous ne sommes pas plus
avancés, à moins qu'une fois encore on affirme qu'un même état provient
inévitablement d'une seule cause. Affirmation singulièrement contestable, car,
en première apparence, l'individu exclu d'un groupe par un jugement moral ne
se confond pas avec un anxieux qui, égaré par sa détresse, oublie le groupe prêt
à l'accueillir. » -Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire.
Essai sur les limites de l'objectivité historique, Gallimard, 1986 (1938 pour la
première édition), 521 pages, p.263.

« Chez Halbwachs, apparaissent des analyses très littéraires sur le problème


des classes sociales. » -Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française
(XIXe – XXe), Éditions du Seuil, 2002 (1986 pour la première édition), 321
pages, p.170.

https://www.amazon.fr/Maurice-Halbwachs-intellectuel-mondiales-1914-
1945/dp/2914645465/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1522662078&sr=1-
1&keywords=Annette+Becker%2C+Maurice+Halbwachs%2C+un+intellectuel+
en+guerres+mondiales+1914-1945

Léon Duguit (1859-1928) : « C’est seulement à partir du début du XXe siècle


qu’un Duguit s’efforcera d’abaisser cet Etat souverain jusque-là exalté par ses
légistes. » -Jean Rivero, « L'État libéral et la démocratie gouvernée », Revue
française de science politique, Année 1955, 5-1, pp. 152-161.

« Pour Duguit, c’est aux pouvoirs publics de décider si une activité présente le
caractère de service public ! » -Philippe Simonnot, 39 leçons d'économie
contemporaine, Gallimard, coll. folio.essais, 1998, 551 pages, note 1 de la p.170
in p.492.

http://hydra.forumactif.org/t3510-leon-duguit-traite-de-droit-constitutionnel-
tome-cinquieme-les-libertes-publiques-manuel-de-droit-constitutionnel-
souverainete-et-liberte?highlight=L%C3%A9on+Duguit

1647
http://www.amazon.fr/LEtat-droit-objectif-loi-
positive/dp/224705398X/ref=sr_1_17?ie=UTF8&qid=1448537084&sr=8-
17&keywords=Biblioth%C3%A8que+dalloz

Maurice Hauriou (1856-1929) : « Seul un type de conduite humaine peut être


rédempteur du pêché originel : le sacrifice volontaire de l’individu à la
communauté. C’est bien là, « dans cette force de sacrifice », que réside la
dynamique du progrès de l’humanité, selon Hauriou. »

« L’intervention économique de l’État est légitime à condition qu’elle soit


stabilisée de l’extérieur par l’organisation de la vie économique et corporative.
C’est à cette condition que l’on pourra éviter de céder aux chants des sirènes
socialistes mais également que l’on se mettra en position de répondre aux
ravages de la concurrence, des faillites, des ruines, de la spéculation boursière
effrénée, etc., bref au capitalisme. Ainsi, « la représentation des intérêts au sein
des assemblées actuelles, ou par assemblées spéciales, serait la véritable
réforme, celle qu’il convient de populariser et pour laquelle il convient de créer
une agitation ». Hauriou peut ainsi se réjouir de la campagne qui commence en
faveur de cette représentation des intérêts, en citant ses leaders tous marqués
politiquement et appartenant aux confins de la droite réactionnaire et de la
droite libérale conservatrice : Théodore Ferneuil, Paul Lafitte, Charles Benoist,
Raoul de la Grasserie, Léon Duguit, Paul Bourget, Maurice Barrès et Raoul
Jay. »

« On voit combien cette théorie complexe est marquée par la pensée théologique
opposée à la modernité et l’on comprend que les autorités académiques de
l’époque, à commencer par Louis Liard, le tout puissant directeur de
l’enseignement supérieur, héraut du positivisme républicain, veillent à bien
s’opposer à la venue, à la faculté de droit de Paris, d’un professeur
manifestement révolutionnaire dans son approche de la science sociale et du
droit mais revendiquant haut et fort une révolution en arrière, utilisant les
atours de la modernité scientiste pour la retourner comme un gant en
substituant à l’ubris insensé des Lumières la saine tradition et la terre, seules
capables de guider l’homme dans un monde obscur.

Hauriou participe bien au renouveau d’une morale alternative de celle proposée


par les autorités républicaines. D’ailleurs, au sein même de l’univers des
facultés de droit, en prenant une position aussi tranchée du côté de la Réaction,

1648
il s’oppose non seulement à des professeurs militants de la cause républicaine,
tels qu’Adhémar Esmein, mais également aux tenants du libéralisme politique,
chrétiens comme lui mais épris des principes révolutionnaires individualistes
proclamés si solennellement un siècle auparavant par la Déclaration de 1789 :
c’est le cas de l’ancien doyen de la faculté de droit de Paris, Charles Beudant,
qui s’oppose clairement à sa venue à Paris. » -Guillaume Sacriste, « L'ontologie
politique de Maurice Hauriou », Droit et société, 2011/2 (n° 78), p. 475-480.

« Hauriou s'inscrit on ne peut plus clairement dans une philosophie naturaliste


et anti-contractualiste du droit : un monde objectif existe, un ordre naturel,
transcendant, a été voulu et ordonné par Dieu. Dès lors, à partir du moment où
il n'est pas créé par la volonté humaine, à partir du moment où il trouve son
fondement dans la nature des choses, le droit ne saurait être appréhendé et
compris de manière strictement formelle au moyen d'un raisonnement a priori.
Il réclame au contraire une observation méticuleuse des faits. Tel est
précisément le programme méthodologique de Maurice Hauriou, par lequel il
entend être un juriste positiviste conséquent sans rien renier de ses convictions
jusnaturalistes. Reste cependant à savoir s'il a véritablement réussi dans cette
entreprise, autrement dit s'il est parvenu à reconstruire le droit positif en
sauvegardant les exigences du droit naturel, à réconcilier le droit naturel et les
formes modernes du droit positif, ou encore à faire valoir les exigences du droit
naturel classique dans le monde moderne. »

« Non sans une pointe d'admiration, Carl Schmitt va d'ailleurs jusqu'à déceler
dans l'institutionnalisme d'Hauriou la voie d'un possible dépassement du
positivisme juridique - normativiste tout autant que décisionniste. »

« Dans l'esprit d'Hauriou, ce qui hiérarchise les lois positives, c'est leur rapport
au droit naturel et à la morale. »

« Il puise, certes, dans la pensée de Thomas d'Aquin, mais ce réinvestissement


intellectuel a ceci de particulier qu'il intervient dans un moment de rupture
historique, le moment précis où l'Église catholique, sous l'impulsion de Léon
XIII, le pape du renouveau thomiste, organise son ralliement à la modernité.
C'est le sens de son « thomisme teinté de catholicisme social » ; son
néothomisme positiviste le conduit, contre toute tendance augustinienne, à
redonner une dignité propre à la loi positive, pour peu qu'elle veuille bien se
conformer au programme de la nature. »

1649
« Adhérant au principe libéral de laïcité et à la loi de 1905, Hauriou souligne
l'importance de la séparation de l'État et de l'Église, du tissu étatique et du tissu
religieux tout en reconnaissant au second une capacité rédemptrice
supérieure. »

« Hauriou insiste sur la séparation de la société politique et de la société


économique mais pour ajouter dans le même temps : « on ne peut s'en tenir au
libéralisme économique, c'est-à-dire à la doctrine du laisser faire », au risque,
sinon, de laisser le matériel et l'intérêt prendre le pas sur le spirituel et le
sacrifice. L'impératif de la séparation va de pair chez Hauriou avec une
supériorité, pas toujours avouée mais non moins réelle, du politique sur
l'économique - marque du reste caractéristique de la culture française. » -Julien
Barroche, « Maurice Hauriou, juriste catholique ou libéral ? », Revue Française
d'Histoire des Idées Politiques, 2008/2 (N° 28), p. 307-335.

http://hydra.forumactif.org/t3511-maurice-hauriou-precis-elementaire-de-droit-
constitutionnel#4346

Raymond Carré de Malberg (1861-1935) : « Le positivisme d’un CARRE de


MALBERG exclut l’étude des révolutions du champ juridique car la révolution
écarte le droit et n’est que force. […] A rebours de la pensée d’A. HAURIOU ou
de L. DUGUIT, pour qui la question de la légitimité est essentielle. L’étude
juridique de la révolution ne saurait s’affranchir de son fondement. Le
phénomène politique est lié au phénomène juridique, en cela celui-ci ne saurait
rester neutre. Pour A. HAURIOU, il existerait « un idéal de justice universel et
immuable, et le droit ne s’identifie pas avec la force ». La question du juste
fonde le droit qu’il n’envisage pas comme une science, mais comme un art, une
œuvre en quelque sorte. C’est pourquoi il fustige les gouvernements de fait, les
gouvernements dits révolutionnaires qui emploient la force et qui subordonnent
le durable au momentané. N’oublions pas qu’A. HAURIOU est un conservateur
catholique, contemporain de la révolution soviétique. » -Elodie Derdaele, « Du
droit du peuple à faire la révolution. Réflexions sur la pensée de Johan Benjamin
Erhard (1766-1827) », Civitas Europa, 2014/1 (N° 32), p. 165-188.

http://www.amazon.fr/Contribution-%C3%A0-th%C3%A9orie-
g%C3%A9n%C3%A9rale-
lEtat/dp/2247052274/ref=la_B004N8A1YU_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=145
9936532&sr=1-1

1650
Charles Seignobos (1854-1942) : « Lorsqu'il s'agit de formuler l'histoire, de la
préserver contre les empiétements faciles de l'imagination, de réparer les
désastres de l'oubli, les questions parfois encombrantes, souvent naïves, de
l'Introduction aux études historiques de Ch.-V. Langlois et Ch. Seignobos (1896)
et autres manuels du genre, sont bien utiles. Nous les verrions encore premières,
arrière-plan pédagogique qui précéderait, à la manière d'une étape provisoire
mais nécessaire, et nécessairement première, le stage plus parfait, le stage plus
vertueux, le stage "Marrou", celui de l'historien cultivé, fin lettré, humaniste et
déjà prédisposé au bien... » -Benoît Lacroix,. (1954). Compte rendu de
[MARROU, Henri-Irénée, De la connaissance historique. Paris, éditions du
Seuil, 27, rue Jacob, 1954, 300 p.] Revue d'histoire de l'Amérique française, 8
(3), 435–441. https://doi.org/10.7202/301669ar, p.441.

"Langlois et Seignobos ne considère pas que les faits soient tout faits: ils
passent au contraire beaucoup de temps à expliquer quelles règles on doit
suivre pour les construire. Mais, dans leur esprit comme dans celui de toute
l'école méthodique qu'ils formalisent, les faits une fois construits le sont
définitivement." (p.56)

"S'il y a pas de caractère historique inhérent aux faits, s'il n'y a d'historique que
la façon de les connaître, alors il en résulte comme le marque clairement
Seignobos, avocat pourtant d'une histoire "scientifique", que "l'histoire n'est pas
une science, elle n'est qu'un procédé de connaissance". C'est un point très
souvent et très légitimement souligné. Il justifie par exemple le titre qu'H.-I.
Marrou donnait à son livre: De la connaissance historique." (p.70)

"Les historiens de l'école méthodique comme Langlois et Seignobos, parce qu'ils


étaient relativement unanimes sur les questions qui se posaient, n'ont pas
dégagé cette interdépendance des faits, des documents et des questions." (p.76)
-Antoine Prost, Douze leçons sur l'histoire, Seuil, 2010 (1996 pour la première
édition), 389 pages.

« On a négligé le fait que L’Introduction aux études historiques, le livre de


Charles Victor Langlois et Charles Seignobos qui a déclenché la polémique,
était lui-même un livre de circonstance ; les auteurs réagissent contre
l’annexionisme de la sociologie qui laisse aux historiens un rôle de
documentalistes. C’est en revendiquant pour l’histoire une singularité
épistémologique hasardeuse, celle d’être la science de ce qui n’arrive qu’une

1651
fois, qu’ils espèrent la protéger de l’absorption par la sociologie. » -André
Burguière, L’école des Annales. Une histoire intellectuelle, Odile Jacob, 2006,
366 pages, p.83.

http://academienouvelle.forumactif.org/t1618-charles-seignobos-la-methode-
historique-appliquee-aux-sciences-sociales-histoire-sincere-de-la-nation-
francaise-charles-victor-langlois-charles-seignobos-introduction-aux-etudes-
historiques#2294

Carl Ritter (1779-1859) : « Carl Ritter est souvent associé à Humboldt comme
père de la géographie moderne. Ni explorateur, ni naturaliste, Ritter est un
enseignant qui, après avoir écrit une géographie de l'Europe, entreprend une
Géographie générale comparée dans laquelle il veut comprendre les rapports
entre les peuples, leur position et la nature. L'impact de l'enseignement et de
l'œuvre de Ritter a été très important sur les géographes de la seconde moitié du
XIXe siècle. Reclus ou Vidal le considèrent comme leur maître. Pour Ritter, la
Terre est un tout, un véritable organisme, dont la nature des lieux explique le
destin des peuples. » -Philippe Sierra (dir.), La géographie: concepts, savoirs et
enseignements, Armand Colin, coll. U, 2017 (2011 pour la première édition),
366 pages, p.18.

Friedrich Ratzel (1844-1904) : « L'institutionnalisation de la géographie


s'opère dans tous les pays occidentaux à la fin du XIXe siècle. Le processus
commence en Allemagne, avec, en 1874, la création des départements de
géographie pour un Etat neuf en quête d'expansion. Ferdinand Von Richthofen
(1833-1905) définit la géographie comme la science de la surface terrestre.
Alfred Hettner (1859-1941) développe cette conception à travers la géographie
régionale, ses travaux ayant une grande influence aux Etats-Unis. L'œuvre la
plus marquante est celle de Friedrich Ratzel (1844-1904). Un temps journaliste,
ayant vécu en Amérique du Nord, celui-ci réalise une thèse sur l'immigration
chinoise en Californie, qui lui permet d'obtenir une chaire de géographie à
Munich puis à Leipzig. Voulant ancrer sa discipline comme science à part
entière, il centre sa réflexion sur les lois qui organisent les relations entre
l'environnement et les groupes humains et fonde l'anthropogéographie, première
acception de la géographie humaine.

L'œuvre majeure de F. Ratzel est l'Anthropogéographie, publiée en 1882 et


1891. Il y distingue la "géographie physique" de l' "anthropogéographie", le

1652
tout inclus dans les sciences de la vie. Influencé par l'œuvre de Darwin -et plus
exactement son interprétation par Moritz Wagner-, Ratzel insiste sur
l'importance des migrations et de la distance, et distingue les relations au milieu
des peuples de nature de celles des peuples de culture qui se libèrent de
l'emprise de l'environnement grâce à leurs techniques et à leur organisation.
Même s'il est beaucoup moins "déterministe" que Ritter, c'est pourtant son
"déterminisme" qui est repris aux Etats-Unis par Miss Semple et dénoncé en
France par Lucien Febvre et les sociologues durkheimiens. » -Philippe Sierra
(dir.), La géographie: concepts, savoirs et enseignements, Armand Colin, coll.
U, 2017 (2011 pour la première édition), 366 pages, p.20.

"L'expression même de "géographie culturelle" a été utilisée pour la première


fois par Friedrich Ratzel (1844-1904) en 1876 dans le sous-titre de sa thèse, Die
Chinesische Auswanderung. Ein Betrag zur Kultur und
Handelsgeographie ("L'émigration chinoise: contribution à la géographie
culturelle et commerciale"). C'est également lui qui a proposé les termes d'
"anthropogéographie" et de "géographie politique" dans deux de ses ouvrages
majeurs publiés respectivement en 1891 [...] et 1897. Même si ces termes n'ont
pas ou peu été appropriés à l'époque, F. Ratzel a néanmoins contribué à
théoriser la géographie en général et la géographie culturelle en particulier, et
ce alors qu'il était lui-même issu des sciences naturelles. [...]
Que ce soit dans ses ouvrages de géographie culturelle, humaine ou politique,
l'ambition de F. Ratzel a été de rendre compte de l'inégalité répartition des
hommes à la surface de la Terre et de l'expliquer. Pour ce faire, et dans la
continuité de ses travaux en sciences naturelles, il s'est attaché plus
particulièrement à l'étude de l'influence de la nature sur les sociétés. Il a ainsi
défendu l'idée que les groupes humains étaient largement dépendants du milieu
dans lequel ils se trouvaient et que seule leur capacité à maîtriser un certain
nombre de techniques pouvait leur permettre de s'en affranchir. Dans cette
perspective, il a distingué, d'un côté, les Kulturvölker ("peuples de culture"),
échappant aux déterminations du milieu du fait de leur culture, notamment
technique et, de l'autre, les Naturvölker ("peuples de nature"), soumis à leur
milieu à cause de leur manque ou de leur absence de culture. [...]
La culture est ici envisagée dans ses traductions concrètes, notamment sous
forme d'artefacts. L'approche de la culture proposée par F. Ratzel repose en
effet sur un examen des objets et des faits matériels (outils, techniques, etc.) qui
caractérisent tel ou tel groupe humain et lui permettent d'adapter son milieu à
1653
ses besoins, et non pas uniquement de s'adapter à son milieu. La pensée de F.
Ratzel intègre en outre des facteurs d'explication d'ordre politique, puisqu'il
envisageait l'Etat comme un moyen pour les groupes humains de mieux
organiser leurs relations à leur milieu [...]
Si F. Ratzel a joué un rôle crucial dans la théorisation de la géographie,
notamment culturelle, il n'est pourtant pas le seul géographe allemand de cette
période à s'être intéressé à la dimension culturelle des phénomènes spatiaux. A
sa suite, Otto Schlüter (1872-1959) a ainsi proposé la notion
de Kulturlandscaft ("paysage culturel") pour désigner une portion d'espace
humanisé, c'est-à-dire un milieu transformé par un groupe humain et dont les
transformations seraient visibles dans l'espace." (pp.17-19)

-Pauline Guinard, Géographies culturelles. Objets, concepts, méthodes, Armand


Colin, 2019, 207 pages.

http://hydra.forumactif.org/t5398-friedrich-ratzel-marie-claire-robic-la-
reception-de-friedrich-ratzel-en-france-et-ses-usages-au-temps-de-linstallation-
de-la-geographie-a-luniversite-annees-1880-1914#6423

Paul Vidal de La Blache (1845-1918) : "La civilisation la plus rudimentaire


comme la plus raffinée est digne d'attention […] elle a sa place, si modeste
qu'elle soit, dans les archives de l'humanité." (p.15)

"Les Anglais se seraient épargné de graves déboires, si, au début de leur


domination dans l'Inde, quand ils voulurent organiser le Bengale et le Bahar
suivant le principe qui leur était cher de la grande propriété, ils avaient eu un
sentiment plus exact des conditions naturelles." (p.19)
-Paul Vidal de La Blache, "Les Conditions géographiques des faits sociaux",
Annales de géographie, Année 1902, 55, pp. 13-23.

« En France, dès les années 1870, Ludovic Drapeyron, normalien et professeur


de lycée à Paris, essaie de donner une autonomie institutionnelle à la
géographie. Il fonde, en 1877, la Revue de Géographie [qui paraît de 1877 à
1924] et propose la création d'une école nationale de la géographie et d'une
agrégation de géographie, deux projets qui n'aboutissent pas. Au même moment,
mais selon une optique différente, c'est autour de Paul Vidal de La Blache que
la géographie s'ancre comme discipline universitaire.
Normalien lui aussi, premier à l'agrégation de 1866, ayant réalisé une thèse
d'histoire classique, il commence à enseigner la géographie lorsqu'il est nommé
1654
professeur d'histoire et géographie à Nancy en 1872. Cinq ans plus tard, il
enseigne la géographie à l'École normale supérieure, déployant alors une large
activité pédagogique, et attirant à la discipline de brillants étudiants. Sa
carrière se termine à la Sorbonne où il obtient la chaire de géographie. C'est
donc grâce à son œuvre pédagogique et sa carrière universitaire que Vidal se
voit confier la rédaction du Tableau de la Géographie de la France, en
introduction à l'Histoire de France de Lavisse. En 1891, la création des Annales
de Géographie avec Louis Gallois et Marcel Dubois (titulaire de la chaire de
géographie coloniale) donne un cadre à l'école française de géographie.
Vidal explicite ses positions sur la géographie à travers une série d'articles ou
la préface de son Atlas. Bien qu'historien de formation, Vidal prend pour
modèle les démarches naturalistes, en particulier celles des sciences de la vie et
de l'écologie naissante, ce qui le rapproche de Ratzel. Science des lieux, la
géographie doit permettre de comprendre l'expression de l'articulation des lois
générales de la nature et des réponses des sociétés, qui explique la diversité du
monde. Dès lors, chaque lieu correspond à une combinaison particulière qu'il
faut établir et démêler de façon à déterminer, grâce à la comparaison, les lois
générales de la Terre. A la différence de Ritter ou de Ratzel, Vidal insiste sur
l'interrelation: si les milieux sont contraignants, l'homme y répond différemment
modifiant différemment les milieux, c'est le "possibilisme" [terme de Lucien
Febvre]. » (p.21)

"La diffusion de la géographie vidalienne, sensible à la longue durée, joue un


rôle moteur dans la rupture des Annales avec l'histoire politique et
événementielle, au profit d'une histoire économique et sociale. […] Les
historiens défendent la géographie contre la concurrence de la sociologie
durkheimienne." (p.53)

-Philippe Sierra (dir.), La géographie : concepts, savoirs et enseignements,


Armand Colin, coll. U, 2017 (2011 pour la première édition), 366 pages.

"La multiplication, dans les années 1950, des études sur [...] les régions
historiques présentant peu d'unité physique (la Bourgogne, par exemple)
sonnera le glas de la géographie vidalienne." -Pascal Baud, Serge Bourgeat &
Catherine Bras, Dictionnaire de géographie, 5ème édition, Hatier, 2013, 607
pages, p.417.

1655
« Vidal de la Blache et ses élèves ont confiance dans leurs voies d'accès au
monde, qu'il s'agisse simplement de la mobilisation de leur sens, la vue en
premier lieu, de leurs raisonnements ou encore des moyens techniques comme la
photographie.

Olivier Orain [2009] montre que dans les écrits de la plupart des géographes
vidaliens, l'énonciateur disparaît au profit d'une forme d'inscription directe du
terrain, sans médiation, sur les pages d'un article ou des livres. L'absence de
paratexte (notamment les notes de bas de page) et d'intertexte (notamment les
citations) caractérise nombre d'écrits de ces auteurs. Par conséquent, les
travaux de ces géographes ne sont pas mis en dialogue avec d'autres ; ils
occultent la genèse, les références, les interprétations, les débats, bref la
construction d'un propos. Ces écrits passent alors pour transparents et pour
conformes au réel, "vrais". » -Pascal Clerc (dir.), Géographies. Épistémologies
et histoire des savoirs sur l'espace, Armand Colin, coll. U, 2019 (2013 pour la
première édition), 351 pages, p.19.

« Vidal a choisi de privilégier dans sa géographie humaine le concept de «


genre de vie » [terme emprunté à Montesquieu] plutôt que celui de civilisation.
Il associe systématiquement milieu à genre de vie : « Un genre de vie constitué
implique une action méthodique et continue, partant très forte, sur la nature, ou,
pour parler en géographe, sur la physionomie des contrées » (Vidal de la Blache,
1911, 339). Il définit les genres de vie comme « des modes de groupements
sociaux originairement sortis de la collaboration de la nature et des hommes,
mais de plus en plus émancipés de l’influence directe des milieux... À l’aide de
matériaux et d’éléments pris dans la nature ambiante, il a réussi, non d’un seul
coup, mais par une transmission héréditaire de procédés et d’inventions, à
constituer quelque chose de méthodique qui assure son existence, et qui lui fait
un milieu à son usage. Chasseur, pêcheur, agriculteur, il est cela grâce à une
combinaison d’instruments qui sont son œuvre personnelle, sa conquête, ce qu’il
ajoute de son chef à la création » (Vidal de la Blache, 1922, 115).

Vidal définit des « domaines de civilisation » qu’il met en rapport avec les
genres de vie : « Il se forme, à la longue, des domaines de civilisation absorbant
les milieux locaux, des milieux de civilisation imposant une tenue générale qui
s’imprime dans beaucoup d’usages de la vie » (Vidal de la Blache, 1922, 288-
290). Il parle de civilisation supérieure à propos de l’Islam, de l’Hindouisme, de
la Chine, de l’Europe, du Yankee. Il distingue de ces civilisations supérieures ce
1656
qu’il appelle des « civilisations stéréotypées » ou autonomes plus rudimentaires,
nées de l’affrontement entre des groupes humains relativement isolés et un
milieu naturel hostile ou difficile (populations de la forêt dense équatoriale ou
esquimaux du grand Nord). » -Michel Bruneau, « Civilisation(s) : pertinence ou
résilience d'un terme ou d'un concept en géographie ? », Annales de géographie,
2010/4 (n° 674), p. 315-337. DOI : 10.3917/ag.674.0315. URL
: https://www.cairn-int.info/revue-annales-de-geographie-2010-4-page-315.htm

http://hydra.forumactif.org/t3479-paul-vidal-de-la-blache-les-conditions-
geographiques-des-faits-sociaux-des-caracteres-distinctifs-de-la-geographie-
tableau-de-la-geographie-de-la-france#4312

Halford John Mackinder (1861-1947) : « Au Royaume-Uni, c'est H. J.


Mackinder (1861-1947) -le vainqueur du mont Kenya- qui organise la discipline
et, tout en suivant les exemples français et allemands de géographie régionale,
oriente l'analyse géographique vers de larges représentations géopolitiques,
facilement utilisables. Considérant l'histoire du monde dominée par l'opposition
entre la terre et la mer, incarnée par une succession d'Etats opposés, il estime
que le contrôle du cœur du monde -heartland (qu'il situe en Sibérie entre
Atlantique et Pacifique!) -déterminerait la puissance mondiale… » -Philippe
Sierra (dir.), La géographie: concepts, savoirs et enseignements, Armand Colin,
coll. U, 2017 (2011 pour la première édition), 366 pages, p.20.

http://hydra.forumactif.org/t3596-halford-john-mackinder-britain-and-the-
british-seas#4432

Le socialisme français de 1870 à 1914 : « Les deux congrès ouvriers


internationaux qui se tiennent à Paris en 1889 inaugurent l'histoire de la
Deuxième Internationale, révélant à la droite le danger renaissant du
mouvement socialiste et, face à celui-ci, l'instrument idéologique de sa
protection : contre l'internationalisme prolétarien, contre les sans-patrie du
socialisme, la droite va se faire championne d'un nationalisme français, que le
radicalisme jacobin avait jusqu'alors hautement assumé. » -Michel Winock,
Socialisme et patriotisme en France (1891-1894), Revue d’Histoire Moderne &
Contemporaine, Année 1973, 20-3, pp. 376-423, p.377.

« Une réponse que la droite a apportée à la politisation de l’identité ouvrière.


C’est très précisément au moment de la création du Parti ouvrier français de
Jules Guesde, au moment donc où naît le premier parti marxiste, et aussi
1657
l’anarchisme, que l’on voit une alliance se créer entre l’ancienne droite des
notables monarchistes ou bonapartistes, qui se rallie alors à la république, et
une nouvelle droite venue du camp républicain (c’est-à-dire de l’ancienne
gauche). La défense de « l’identité nationale » est le thème qui permet de souder
l’alliance entre ces deux fractions de la classe dominante. » -Gérard Noiriel,
Entretien avec Gérard Mauger, « « L'identité nationale » en
France », Savoir/Agir, 2007/2 (n° 2), p. 79-89. DOI : 10.3917/sava.002.0079.
URL : https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2007-2-page-79.htm

« Alfred Bonnet (1866-1933) est en 1893 secrétaire du groupe des ESRI dont il
est, avec Diamandy, l’un des fondateurs. Ce qui explique qu’il soit, l’année
suivante, secrétaire de rédaction de L’Ère nouvelle. Il conserve cette tâche au
Devenir social. Marxiste convaincu, il réussit à en faire, jusqu’à sa fin en
décembre 1898, une revue de référence, qui est aussi ouverte à l’étude critique
des différents courants de la pensée sociologique et économique. La question du
matérialisme historique, jusque-là encore peu abordée, y est largement traitée,
grâce aux interventions notables de Georges Sorel et des philosophes italiens
dont il obtient le concours, Antonio Labriola et Benedetto Croce. Bonnet sait
également utiliser les contacts noués, il y a peu, avec des étudiants socialistes
ou proches – tels Marcel Mauss ou les frères Milhaud – pour élargir le cercle
des collaborateurs et le nombre des lecteurs de la revue. Désormais attaché aux
éditions Giard et Brière, où il est aussi traducteur d’italien, il sera chargé en
1899 de diriger la « Bibliothèque internationale d’économie politique », une
importante collection créée à l’occasion d’une nouvelle extension de la maison.
Bonnet n’hésitera pas à y publier des économistes critiques de Marx, comme en
1901 Böhm-Bawerk dont les ouvrages alimentent depuis plusieurs années un vif
débat sur Le Capital.

En fait, le rôle d’Alfred Bonnet s’avère décisif pour l’édition de Marx et


d’Engels. Certains de leurs textes publiés dans Le Devenir social sont tirés en
brochures. C’est le cas, pour Marx, de la Critique de la « Philosophie du droit »
de Hegel (1895), puis de Salaire, prix, profit (1899) ; pour Engels, de La Force
et l’économie dans le développement social (1896), formé de chapitres de
l’Anti-Dühring. En 1896 également, Misère de la philosophie, dont la réédition
était attendue depuis des années, inaugure la Bibliothèque socialiste
internationale ; tandis qu’en 1897 le Manifeste du Parti communiste est enfin
disponible chez un véritable éditeur, ce qui lui assure une plus large diffusion.

1658
Plus tard sera menée à bien une entreprise éditoriale d’envergure : la parution
du Livre II (1900) et du Livre III (2 vol. 1901, 1902) du Capital.

Il faut ajouter que Bonnet publie, de 1896 à 1898, une demi-douzaine


d’ouvrages touchant au marxisme, rédigés pour la plupart par des
universitaires italiens introduits par Sorel. Parmi eux, le livre de Labriola,
Essais sur la conception matérialiste de l’histoire (1897), fait date. Il révèle en
effet – bien au-delà du milieu socialiste, à un public nouveau d’étudiants et
d’intellectuels – un Marx philosophe encore méconnu, et dont la théorie de
l’histoire, constituée par Labriola en objet d’étude, se prête désormais à la
discussion. »

« Le chemin parcouru en vingt ans est considérable. Sur le plan politique, le


marxisme s’est affirmé, au cours de la dernière décennie, comme l’une des
tendances majeures des socialistes français. Il est au centre des débats houleux
qui précèdent, et préparent, la formation du parti unifié. Mais les conceptions
de Marx sont aussi l’objet de discussions serrées dans les milieux académiques,
qu’il s’agisse d’économie, de sociologie ou de philosophie. Or, les éditeurs de
Marx ont fortement contribué à ce que cette dualité politique et théorique de son
œuvre soit reconnue. Après la fougue militante des pionniers, ces éditeurs
universitaires des années 1890 ont en effet su concilier leur engagement
professionnel avec leurs options politiques personnelles. Ouverts aux sciences
sociales qui étaient en train de bouleverser le paysage intellectuel de cette fin de
siècle, ils sont parvenus à y intégrer les théories de Marx et d’Engels, sans en
occulter toutefois le tranchant politique. D’ailleurs, ils n’ont pas hésité à
s’engager, à leur manière, aux côtés des divers réseaux socialistes en soutenant
leurs revues, ou en choisissant leurs directeurs de collections parmi leurs
militants. N’étant pas tenus eux-mêmes par une discipline de parti qui
s’imposera souvent, à l’avenir, aux éditeurs socialistes et communistes, ils ont
ainsi réussi à faire de ces années de crise et d’affrontements idéologiques
intenses jusqu’en 1905, une période de grande profusion éditoriale – favorisant
la diffusion des œuvres de Marx et d’Engels, mais aussi des ouvrages de leurs
interprètes, comme de leurs contradicteurs. Toutefois, passé le temps de cette
brûlante actualité, les éditions de Marx et d’Engels se font rares. On ne relève,
de 1902 à 1914, que deux livres, tous deux publiés par Giard et Brière. » -
Jacqueline Cahen, « Les premiers éditeurs de Marx et Engels en France (1880-
1901) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 114 | 2011, 20-37.

1659
"Dans les années 1900, à l'issue de l'échec de l'opération dreyfusienne,
l'extrême-gauche non conformiste en avait déjà conclu que, pour sauver le
socialisme, il était capital de casser la démocratie libérale, son idéologie, ses
courroies de transmission et ses institutions. Tel est le sens des affrontements
qui opposeront les "gauchistes" de l'époque, Sorel, Berth, Hervé, Lagardelle,
Janvion, à l'ensemble du socialisme français." (p.XLIII-XLIV)
-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises
du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

"Le cas de Jean Longuet montre l’existence au sein de la SFIO d’un réseau au
fait de la théorie marxiste qu’il semble ne pas détacher de l’action politique.
Proche un temps du guesdisme, ce réseau pèse dans les problématiques
d’édition des œuvres de Marx par le parti à la Belle Époque. La confrontation
de ces deux approches révèle en somme deux marxismes au sein de la SFIO.
L’un est celui des intellectuels, davantage porté vers une pratique universitaire
– le marxisme est méthode. L’autre est guesdiste, vulgate simplifiée autour de
quelques axiomes bien définis. On renoue là, l’objet se complexifiant, avec
l’hypothèse d’un marxisme introuvable dans la SFIO, celle-ci s’avérant immune
à celui-ci du fait d’anticorps institutionnels (Lucien Herr, l’École Normale, la
sociologie durkheimienne), du fait de son immersion dans le système
républicain. Il y aurait donc au mieux un surmoi marxiste, porté par la culture
guesdiste ou néo-guesdiste sur le siècle. Ce surmoi fait écran au réformisme de
la SFIO et rend difficile son rapport au pouvoir dès la Belle Époque."

"Au regard de sa naissance, le marxisme est dans la SFIO le langage de


l’Internationale plus que celui du parti lui-même. Harvey Goldberg déduisait de
ce fait le long compagnonnage de Charles Rappoport avec les guesdistes, ceux-
ci se faisant l’écho de l’orthodoxie de la IIe Internationale."

"L’entreprise socialiste suppose l’éducation du militant. Propagander paraît la


tâche essentielle d’un parti à la conquête des terroirs pour construire la France
socialiste. L’énumération des tournées de propagande dans Le Socialiste,
organe officiel de la SFIO, se borne à de courtes notations sibyllines : les
conférenciers exposent la doctrine socialiste, l’incertitude demeure sur la part
du marxisme dans celle-ci. Gilles Candar évoque un marxisme « adapté » aux
besoins de la propagande. Aussi faut-il choisir d’autres indicateurs. Le
catalogue de la Librairie du Parti offre un premier point d’observation, d’autant
1660
que la question de la publication des œuvres de Marx y fait débat lors des
congrès18. L’observation est certes limitée par la présence d’autres éditeurs
plus ou moins militants et le manque de connaissance sur les bibliothèques des
sections."

"La Librairie du parti reprend les fonds du PSF et du PsdF. Elle est administrée
par le guesdiste Lucien Roland. Son fonds est essentiellement constitué de
brochures qui, comme le note Frédéric Cépède, constituent souvent des
syllabaires essentiels à la promotion et la construction de l’identité socialiste.
Présenté par Lucien Roland au Congrès de Nancy (1907), le catalogue repère, en
partie, la place des œuvres de Marx et Engels au sein des brochures. Celles-ci ne
sont pas datées. Le classement par prix, s’étalonnant de cinq centimes à dix
francs, vaut également indice. À partir de vingt centimes, le militant pourra se
procurer Socialisme utopique et socialisme scientifique et le Manifeste du Parti
Communiste. Pour trente centimes, À propos d’unité par Karl Marx. À
cinquante centimes, la dimension économique de l’analyse marxiste se profile :
Salaires, prix et profits. Pour deux francs et cinquante centimes, on peut se
procurer Révolution et Contre-Révolution et La Commune, ouvrages de Marx
indiquant un déplacement vers l’histoire du mouvement ouvrier français. Enfin,
pour un franc supplémentaire, c’est-à-dire pour des bourses militantes motivées,
on peut s’offrir La critique de l’économie politique, La lutte des classes en
France, Le procès des communistes ainsi que deux ouvrages d’Engels, Religion
et Philosophie et Les origines de la société.

Le catalogue ne donne ni le tirage des brochures, ni la pagination. Sur les 211


qu’il compte, les ouvrages de Marx et Engels représentent seulement 5 % du
fonds. L’analyse quantitative doit se tempérer des brochures pédagogiques à
visée vulgarisatrice de la pensée marxiste, essentiellement dues à Paul Lafargue
et Gabriel Deville. De surcroît, l’échelle des prix indique, pour partie, le public
visé : celui de militants plus avertis sans doute. Il faut également poser la
question de la pratique. Organisé suivant le seul principe du prix, le catalogue ne
hiérarchise aucune des brochures dans une visée pédagogique. Il s’agit là d’un
inventaire du stock. À partir de 1908, l’initiative lancée par Lucien Roland de la
« brochure mensuelle » nuance ce constat : moyennant un abonnement annuel,
le militant reçoit une brochure par mois comme La Commune de Paris ou La
lutte des classes en France. En fait, Marx fait partie du bagage intellectuel de «
l’honnête » militant socialiste. Averti, celui-ci sait par les brochures bricoler une
identité politique, pourvu qu’il ait le goût de se cultiver, et la bourse adéquate.
1661
Notons alors que les lectures proposées mettent systématiquement l’accent sur le
corpus français des écrits de Marx."

"Frédéric Cépède estime que le fonds de 1906 à 1913 passa de 178 266 à 265
076 brochures."

"Le rapport au marxisme n’est pas exactement pris en charge par le parti, mais
plutôt par ses marges intellectuelles au sein des revues (Revue socialiste, Le
Mouvement socialiste) ou de la presse de tendance (La guerre sociale, Le
socialisme). On ne voit pas alors se dessiner le projet d’une construction de
l’identité socialiste par le rapport aux textes de Marx. Jouent ici toute
l’ambiguïté de l’unité réalisée en 1905 et le heurt des tendances qui identifient
souvent la citation marxiste et la qualité de guesdiste. S’ajoutent également
l’inscription de la SFIO dans un système républicain et une tradition
révolutionnaire spécifique parfois étrangère à l’analyse marxiste. Comptent
enfin les pesanteurs financières. Cet état de fait correspond aux premières
années du parti, lorsque l’unité est un combat. Cette situation signale également
qu’il existe deux rapports à Marx au sein du parti. L’un relève de la théorie et
des joutes intellectuelles aux confins du parti, où les positions de chacun
s’apprécient au fil de l’Internationale, le marxisme constituant le langage
commun par lequel converser, s’opposer. Rabattu par la brochure sous le seul
angle du militant de base, le second usage indique alors que les écrits de Marx
participent d’un bagage attendu, mais n’augure aucune doxa, même celle que
les adversaires du guesdisme croient déceler dans la réitération d’axiomes
stéréotypés. La situation change après le congrès de Toulouse (1908) qui, s’il
fut celui de la synthèse jaurésienne, annonce surtout un équilibre plus pérenne
au sein de la SFIO entre les grandes tendances."

"Si le congrès de Toulouse entérine un nouvel équilibre autour du jauressisme


comme courant majoritaire, de nouvelles tendances se font jour : l’hervéisme se
renforce, la revue Le Mouvement socialiste incarne une autre variante de la
gauche du Parti quand, à droite, Albert Thomas, lançant ses Cahiers du
socialisme et l’École socialiste, rassemble un réseau normalien, tandis
qu’Alexandre Varenne somme la SFIO de se prononcer sur les thèses de
Bernstein. La question de l’identité du socialisme français se pose dans des
termes renouvelés. D’une part, la SFIO va connaître sur ses marges de 1908 à
1911 toute une série d’initiatives visant à codifier ou asseoir cette identité du
socialisme français. D’autre part, lors des congrès, la question de la Librairie
1662
du Parti suscite des débats. Son action est jugée trop timorée, une part des
critiques souhaite que la SFIO se dote, comme ses homologues belge et
allemande, d’un véritable dispositif éditorial. Cette volonté s’inscrit également
dans les vœux de la IIe Internationale, souhaitant, lors de son congrès de 1909,
que les textes de Marx soient publiés.

La SFIO crée une Commission à la Librairie et à l’Édition en 1909. Sa


composition prouve un réel œcuménisme : Jean Longuet, Lucien Roland, Ernest
Lafont, Albert Thomas, Alfred Bonnet, Marcel Sembat et Compère-Morel en font
partie. Dans cette configuration nouvelle, Jean Longuet propose dans son
rapport sur la Librairie d’éditer Marx intégralement, escomptant une
collaboration avec les partis frères. Cette édition devrait être celle d’une
science de propagande, et non une édition scientifique. Il s’agit en effet de
former des militants, de parachever leur éducation socialiste en leur donnant à
lire Marx, que ne publient pas (plus) les éditeurs bourgeois et militants. Le
projet bénéficie de « l’héritage » par la SFIO du fonds de la maison d’édition
Jacques, dont le catalogue contient nombre d’ouvrages de Marx."

"Les réseaux se recoupent et peinent à se circonscrire sous le seul angle du


guesdisme : la publication par le parti des œuvres de Marx dépasse le seul
segment guesdiste, car droite et gauche de la SFIO s’y associent."
-Vincent Chambarlhac, « L’orthodoxie marxiste de la SFIO : à propos d’une
fausse évidence (1905-1914) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En
ligne], 114 | 2011, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 06 février 2021.
URL : http://journals.openedition.org/chrhc/2215 ; DOI
: https://doi.org/10.4000/chrhc.2215

Henri Tolain (1828-1897) et l’Association internationale des travailleurs :


"La liberté que le Tiers Etat sut conquérir avec tant de vigueur et de
persévérance doit s’étendre en France, pays démocratique, à tous les citoyens.
Droit politique égal implique nécessairement un égal droit social. On a répété à
satiété : il n’y a plus de classes ; depuis 1789, tous les Français sont égaux
devant la loi.

Mais nous qui n’avons d’autre propriété que nos bras, nous qui subissons tous
les jours les conditions légitimes ou arbitraires du capital ; nous qui vivons sous
des lois exceptionnelles, telles que la loi sur les coalitions et l’article 1781, qui

1663
portent atteinte à nos intérêts en même temps qu’à notre dignité, il nous est bien
difficile de croire à cette affirmation.

Nous qui, dans un pays où nous avons le droit de nommer les députés, n’avons
pas toujours le moyen d’apprendre à lire ; nous qui, faute de pouvoir nous
réunir, nous associer librement, sommes impuissants pour organiser
l’instruction professionnelle, et qui voyons ce précieux instrument du progrès
industriel devenir le privilège du capital, nous ne pouvons nous faire cette
illusion.

Nous dont les enfants passent souvent leurs plus jeunes ans dans le milieu
démoralisant et malsain des fabriques, ou dans l’apprentissage, qui n’est guère
encore aujourd’hui qu’un état voisin de la domesticité ; nous dont les femmes
désertent forcément le foyer pour un travail excessif, contraire à leur nature, et
détruisant la famille ; nous qui n’avons pas le droit de nous entendre pour
défendre pacifiquement notre salaire, pour nous assurer contre le chômage,
nous affirmons que l’égalité écrite dans la loi n’est pas dans les mœurs, et
qu’elle est encore à réaliser dans les faits. Ceux qui, dépourvus d’instruction et
de capital ne peuvent résister par la liberté et la solidarité à des exigences
égoïstes et oppressives, ceux-là subissent fatalement la domination du capital :
leurs intérêts restent subordonnés à d’autres intérêts.

Nous le savons, les intérêts ne se réglementent point ; ils échappent à la loi ; ils
ne peuvent se concilier que par des conventions particulières, mobiles et
changeantes comme ces intérêts eux-mêmes. Sans la liberté donnée à tous cette
conciliation est impossible. Nous marcherons à la conquête de nos droits,
pacifiquement légalement, mais avec énergie et persistance. Notre
affranchissement montrerait bientôt les progrès réalisés dans l’esprit des
classes laborieuses, de l’immense multitude qui végète dans ce qu’on appelle le
prolétariat, et que, pour nous servir d’une expression plus juste, nous
appellerons le salariat.

A ceux qui croient voir s’organiser la résistance, la grève, aussitôt que nous
revendiquons l’a liberté, nous disons : vous ne connaissez pas les ouvriers ; ils
poursuivent un but bien autrement grand, bien autrement fécond que celui
d’épuiser leurs forces dans des luttes journalières où, des deux côtés, les
adversaires ne trouveraient en définitive que la ruine pour les uns et la misère
pour les autres."

1664
"On doit reconnaître qu’il existe une classe spéciale de citoyens ayant besoin
d’une représentation directe."

"Que veut la bourgeoisie démocratique, que nous ne voulions comme elle avec
la même ardeur ? Le suffrage universel dégagé de toute entrave ? Nous le
voulons. La liberté de presse, de réunion régies par le droit commun ? Nous les
voulons. La séparation complète de l’Eglise et de l’Etat, l’équilibre du budget,
les franchises municipales ? Nous voulons tout cela.

Eh bien ! sans notre concours, la bourgeoisie obtiendra ou conservera,


difficilement, ces droits, ces libertés, qui sont l’essence d’une société
démocratique.

Que voulons-nous plus spécialement qu’elle, ou du moins plus énergiquement,


parce que nous y sommes plus intéressés ? L’instruction primaire, gratuite et
obligatoire, et la liberté du travail."
-Manifeste des soixante ouvriers de la Seine, publié dans L’Opinion
nationale [journal républicain], 17 février 1864.
(1) Henri Tolain, L'Opinion nationale + Manifeste des Soixante + Association internationale des
travailleurs (forumactif.org)

Georges Vacher de Lapouge (1854-1936) : « Tous les hommes sont frères, tous
les animaux sont frères, mais être frères n’est pas de nature à empêcher qu’on
se mange. Fraternité, soit, mais malheur aux vaincus ! La vie ne se maintient
que par la mort. Pour vivre il faut manger, tuer pour manger. » -Georges
Vacher de Lapouge, L’Aryen, son rôle social. Cours libre de science politique
professé à l’Université de Montpellier, 1889-1890, Paris, Fontemoing, 1899,
p.511.

http://hydra.forumactif.org/t1444-georges-vacher-de-lapouge-pierre-andre-
taguieff-selectionnisme-et-socialisme-dans-une-perspective-aryaniste-theories-
visions-et-previsions-de-georges-vacher-de-lapouge-1854-1936#2095

Albert Regnard (1836-1903) : http://academienouvelle.forumactif.org/t5806-


gustave-tridon-albert-regnard-gustave-flourens-commune-de-
paris?highlight=regnard

Gustave Tridon (1841-1871) : "Loin d’être une figure admirée des


révolutionnaires les plus déterminés de la seconde moitié du XIXe siècle,
l’Incorruptible en était au contraire détesté. Henri Verlet, Jules Vallès et Gustave
1665
Tridon n’éprouvaient pour lui que haine et mépris ; pour Tridon, c’est pour avoir
exprimé son repentir « au Père Éternel » que la Révolution avait reculé « jusqu’à
César ». Leur opinion se rapprochait de celles qu’avait exprimées Edgar Quinet
dans ses leçons professées au Collège de France en 1845."

"Gustave Tridon (1841-1871). Tout d’abord gagné aux thèses de Proudhon,


Tridon fit la connaissance de Blanqui à Sainte-Pélagie et en devint le lieutenant
fidèle. Il assista au congrès des étudiants de Liège, aux congrès de la Première
Internationale. Il signa l’affiche rouge, participa à la Commune. Réfugié à
Bruxelles, il y mourut de maladie au mois d’août 1871."

-Jacqueline Lalouette, "De quelques aspects de l’athéisme en France au XIXe


siècle", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [Online], 87 | 2002, Online
since 01 April 2005, connection on 11 February 2021.
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

Benoît Malon (1841-1893): « Chaque fois qu’en France on est entré dans cette
voie, on est tombé dans les fondrières du despotisme et de l’invasion. Sont-ils
donc déjà si oubliés ces noms funèbres : Brumaire et Waterloo, Décembre et
Sedan ? » -Benoît Malon, « Physiologie du socialisme », Revue socialiste, mai
1888, p.521.

« Benoît Malon, dans le courant socialiste duquel se situait le jeune Péguy, a


développé une vision religieuse du socialisme proche de celle de Leroux. » -
Jérôme Grondeux, « Péguy conservateur ? », Mil neuf cent. Revue d'histoire
intellectuelle, 2002/1 (n° 20), p. 35-53.

« Benoît Malon, maître à penser de Jean Jaurès. » -Stéphane Giocanti, Maurras


: le chaos et l'ordre, Paris, Flammarion, coll. Grandes biographies, 2008 (2006
pour la première édition), 568 pages, p.182.

"Les socialistes indépendants, les hommes de La Revue socialiste -notamment


Malon et Rouanet- accumulent critiques et objections ; ils élaborent, face à un
socialisme étranger, des théories qui se veulent conformes au tempérament et au
milieu national, et qui se rencontrent aisément avec celles des boulangistes. [...]
Les milieux de La Revue socialiste consacrent la légitimité aussi bien du
boulangisme que de l'antisémitisme social. Largement ouverts à l’œuvre d'un
Chirac, d'un Regnard, d'un Drumont, les socialistes indépendants permettant à

1666
un socialisme nationaliste et antisémite de faire très bonne figure dans
l’éclectisme des écoles et des chapelles des années quatre-vingt-dix." (p.35)
-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises
du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

« En 1886, La Revue socialiste de Benoît Malon, par ailleurs attachée à la


figure de Hugo, publie une réflexion de Jules Bernard sur la position des «
lettres devant la plèbe ». Sans être gravement écorné, le prestige du grand
homme n’en sort pas tout à fait indemne :

De la pitié, de la pitié, toujours de la pitié ; ils n’ont que de la pitié. La Cosette


au sceau des Misérables et le Claude Gueux à la hache : groupes de pitié de ce
bonasse bourgeois de génie qui fut Hugo. Tous, tous ; un même vent de charité
dédaigneuse presse leurs mots, enfle leur phrase. […] Hugo parlait au peuple
comme aux enfants, avec la même bonté de vieillard à tout petit : une bonté de
riche à pauvre. Quand donc leur encre battra-t-elle en mesure avec le sang des
plèbes ? Quand donc descendront-ils des chaires de Sorbonnes ou des marches
d'Instituts pour écrire dans la mêlée de la rue, à hauteur du Peuple ?... [La Revue
socialiste, t. 4, n° 22, septembre 1886, p. 811.]

Cet article n’a rien d’un cas isolé. Son intérêt est au contraire de ramasser en
quelques lignes plusieurs décennies de dépit. En 1882, la reprise en fanfare du
Roi s’amuse, cinquante ans après la censure exercée par Louis-Philippe, ne
suscite que scepticisme dans L’Égalité de Jules Guesde : la pièce n’est qu’une
pantalonnade qui ne doit qu’à la censure l’intérêt qu’elle suscite ; pire, elle fut
produite en un temps et dans un milieu « où on avait fait de la littérature un sujet
de controverses partiales et de combats ridicules ». Le matérialisme soutenu par
L’Égalité ne se retrouve évidemment pas dans un ouvrage comme Religions et
religion que Hugo avait publié en 1880. » -Stéphane Zékian, « Sommes-nous
sortis du XIXe siècle ? Le romantisme français comme matrice
historiographique. » Cahiers d’études germaniques, Université de Provence-
Aix-Marseille, 2013, dossier Classiques d’hier aujourd’hui (65), pp.33-46, p.4-
5).
(1) Benoît Malon (forumactif.org)

Victoire Léodile Béra dite André Léo (1824-1900): (1) André Léo (féministe et
socialiste libertaire) (forumactif.org)

1667
Séraphine Pajaud (1858-1934) : « En 1904, à Bressuire (Deux-Sèvres), la
conférencière anarchiste et libre-penseuse Séraphine Pajaud commença sa
conférence par une attaque en règle contre Dieu, dans laquelle, comme chez
Eugène Chatelain, l’argument du mal recoupe celui des inégalités sociales : «
Dieu n’existe pas, il ne peut exister, loin de nous désormais l’idée de Dieu. Dieu,
c’est le mal, c’est l’opprobre, c’est l’oppression, c’est l’infâmie. » Ces vigoureux
propos ayant entraîné des applaudissements, l’oratrice poursuivit : « Comment
se fait-il, citoyens, que cet être prétendu si bon et sans défauts laisse commettre
sur terre un tas de vilenies et un tas d’atrocités ? Comment se fait-il qu’il soit si
injuste en permettant que les prolétaires crèvent de faim, tandis que les
bourgeois et les capitalistes crèvent d’indigestion ? ». » -Jacqueline Lalouette,
"De quelques aspects de l’athéisme en France au XIXe siècle", Cahiers
d’histoire. Revue d’histoire critique [Online], 87 | 2002, Online since 01 April
2005, connection on 11 February 2021.
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

http://academienouvelle.forumactif.org/t7455-seraphine-pajaud#8645

Hubertine Auclert (1848-1914) : « Si vous, prolétaires, vous voulez aussi


conserver des privilèges, les privilèges de sexes, je vous le demande, quelle
autorité avez-vous pour protester contre les privilèges de classes ? Que pouvez-
vous reprocher aux gouvernants qui vous dominent, qui vous exploitent, si vous
êtes partisans de laisser subsister dans l'espèce humaine des catégories de
supérieurs et d'inférieurs ? Craignez d'être accusés par vos maîtres de leur
disputer des prérogatives dont vous êtes jaloux. Proclamez l'égalité entre les
êtres que le hasard de la naissance fait homme ou femme. Ou, si vous l'osez,
niez-la cette égalité, et, en bons logiciens, reconnaissez votre infériorité native,
le droit pour les classes dirigeantes de penser, d'agir, de jouir à votre place. » -
Hubertine Auclert, Au Congrès socialiste ouvrier de Marseille, octobre 1879.

Henry Michel (1857-1904) : http://hydra.forumactif.org/t1967-henry-michel-l-


idee-de-l-etat-essai-critique-sur-les-theories-sociales-et-politique-en-france-
depuis-la-revolution#2665

Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904) :


http://academienouvelle.forumactif.org/t5521-pierre-waldeck-rousseau-ce-qui-
tue-les-republiques#6554

1668
Charles Péguy (1873-1914) : « [Les socialistes] veulent socialiser la matière
qui est nécessaire au travail social, c’est-à-dire les moyens sociaux de
production : la terre en ce qu’elle peut servir à la culture sociale ; le sous-sol,
mines et carrières ; l’outillage industriel, machines, ateliers, magasins,
l’outillage commercial, magasins, voies et moyens de communication. Les
moyens de production seront socialisés, c’est-à-dire qu’ils seront rendus à la
cité, à l’ensemble des citoyens.
Le travail social sera socialisé, c’est-à-dire qu’il sera fait par l’ensemble des
citoyens. Les parts individuelles du travail social, c’est-à-dire les parts du travail
social qui seront données à la cité par chacun des citoyens, seront, non pas sans
doute identiques entre elles, car cela ne se pourrait pas, mais, autant que
possible, égales entre elles, en ce sens que les différences qu’elles auront encore
ne seront commandées que par les différents besoins de la cité et par les
différentes aptitudes individuelles des citoyens comme travailleurs, et en ce sens
que ces inévitables différences de qualité, d’intensité, de durée, seront, autant
que possible, compensées par d’autres différences de qualité, d’intensité, de
durée, de manière que les parts individuelles du travail social soient, autant que
possible, égales en quantité.
En échange la cité assurera aux citoyens une éducation vraiment humaine, et
l’assistance exacte en cas de maladie ou d’infirmité, enfin l’assistance entière
pendant la vieillesse.
L’éducation sera égale pour tous les enfants, non pas, bien entendu, en ce sens
que les éducations individuelles seraient identiques entre elles, mais en ce sens
que les différences des éducations individuelles ne seront commandées que par
les différentes ressources de la cité et par les différentes aptitudes individuelles
des citoyens comme élèves
Les moyens de consommation seront laissés à la libre disposition des citoyens
en quantités autant que possible égales entre elles. »

« L’oisiveté sera supprimée. Pour calculer l’épargne de travail social ainsi


réalisée, il ne faut pas comparer seulement dans la société présente le nombre
des oisifs au nombre total des citoyens ; il faut aujouter au nombre des oisifs le
nombre de tous les citoyens qui travaillent dans la société présente à pourvoir au
luxe individuel des oisifs.

La production sera centralisée autant qu’il est possible ; or, si la centralisation


est mauvaise pour la vie intérieure des hommes et pour le travail supérieur de
l’humanité, surtout pour l’art et pour la philosophie, elle est bonne pour la
1669
production sociale, parce qu’elle permet aux citoyens de faire mieux et plus vite
le travail social de production, et, justement ainsi, d’être mieux et plus tôt libres
pour leur vie intérieure et pour le travail supérieur de l’humanité. La cité
socialiste organisera la culture intensive, l’industrie intensive, centralisera le
commerce, de manière à tirer de la matière qui est proposée à l’activité humaine
le plus des meilleurs moyens de consommation.

A l’égard des citoyens, le régime socialiste aura sur la société présente au moins
deux avantages :

Il établira entre et pour tous les citoyens une fraternité, une solidarité réelle et
vivante ; une justice, une égalité réelle et vivante ; une liberté réelle, — au lieu
d’une fraternité fictive ; d’une justice fictive ; d’une liberté fictive.

Il amortira autant que possible les à-coups individuels. Dans la société présente
on laisse les malheurs individuels tomber de tout leur poids sur ceux des
citoyens qui se trouvent au droit, et qui souvent en sont écrasés. Et comme il y a,
malgré tout, en fait, des solidarités individuelles indéfinies, ces malheurs ont des
répercussions indéfinies, incalculables. Si bien que le progrès même est, en fin
de compte, onéreux. Par exemple quand on invente une machine qui supprime la
moitié du travail dans un métier, les consommateurs, en général, en tirent un
certain bénéfice parce que les prix baissent, mais la moitié des producteurs sont
mis à pied, et ces malheurs individuels ont le plus souvent de telles et si
lointaines répercussions que l’ensemble du mal ainsi causé aux citoyens est pire
que n’est avantageux le bénéfice donné aux consommateurs. Dans la cité
socialiste, au contraire, il suffira, quand on fera pour un métier de telles
inventions, de réduire sans à-coup le nombre des travailleurs intéressés, soit en
faisant moins d’apprentis de ce métier-là, soit en donnant à certains de ces
travailleurs le temps d’apprendre un nouveau métier ; en attendant d’ailleurs,
que les mesures prises aient leur plein effet, on en sera quitte pour diminuer le
nombre des heures où travailleront les ouvriers de ce métier, ce qui ne sera pour
personne un malheur dans la cité. »

-Charles Péguy, « De la Cité socialiste », La revue socialiste, 1897.

« Vous insinuez que nous ne sommes pas patriotes: c’est nous qui le sommes,
puisque nous voulons pas que la patrie soit déshonorée par une infamie ; et
c’est vous qui ne l’êtes pas, puisque vous voulez que la patrie soit déshonorée

1670
par cette infamie. » -Charles Péguy, Le Progrès du Loiret, 20 octobre 1898,
OPC, t.1, Paris, Gallimard, Pléiade, 1987, p. 119.

« Nous attaquons particulièrement l’armée française en ce qu’elle est un


instrument de guerre offensive en Algérie, en Tunisie, en Tonkin, en Soudan et
en Madagascar, c’est-à-dire un outil de violence injuste [...] C’est parce que
nous sommes bien français que les massacres coloniaux commis par de mauvais
Français nous donnent comme un remords personnel. » -Charles Péguy, Service
militaire, 1er février 1899, OPC, t. 1, Paris, Gallimard, Pléiade, 1988, p. 189.

« J’ai trouvé le guesdisme dans le socialisme comme j’ai trouvé le jésuitisme


dans le catholicisme […] je crois que je combats plus que jamais pour le
socialisme entendu purement, je crois que je combats contre un capitalisme : il
n’y a pas seulement des capitalismes d’argent : Guesde est un capitaliste
d’hommes. » (p. 337)

« Irons-nous vanter au peuple, qui est en général simple et droit, la dictature


impersonnelle du prolétariat ? Mais le premier citoyen libre à qui nous
adresserons la parole nous dira simplement et droitement: « Pardon, mais je
voudrais seulement voir quelles personnes exerceront la dictature impersonnelle
du prolétariat. » (p. 338)

-Charles Péguy, Réponse provisoire, 20 janvier 1900, 2ème cahier de la 1ère série,
OPC, t. 1, Paris, Gallimard, Pléiade, 1987.

« Non seulement la lutte des classes n’a aucune valeur socialiste, mais elle n’a
même aucun sens qui soit socialiste. Toute guerre est bourgeoise, car la guerre
est fondée sur la compétition, sur la rivalité, sur la concurrence ; toute lutte est
bourgeoise, et la lutte des classes est bourgeoise comme les autres luttes. » -
Charles Péguy, 5 février 1900, La préparation du congrès socialiste, OPC, t. 1,
Paris, Gallimard, Pléiade, 1987, p. 357.

« Il suffit que l’on se reporte aux premières listes Zola pour y lire le nom de M.
Herr et les noms de la plupart de ses amis, dont j’étais. » -Charles Péguy, Pour
ma maison, 21 décembre 1900, OPC, t. 1, Paris, Gallimard, Pléiade, 1987, p.
647.

« Je désobéirai si la justice et la vérité le veulent. Je suis réserviste. Si demain


matin je recevais ma feuille de route pour aller en Chine, sachant comme je le
sais ce que les Internationaux sont allés faire en Chine, je refuserais le service
1671
militaire, je déserterais. » -Charles Péguy, Pour moi, 28 janvier 1901, OPC, t. 1,
Paris, Gallimard, Pléiade, 1988, p. 681.

« Et pourquoi voulez-vous [Jaurès] attribuer Spinoza, né juif portugais


d’Amsterdam, à la famille allemande ? Est-ce de la politesse internationale ? Ne
soyons pas allemands. Ne soyons pas nationalistes allemands. Ne soyons pas
non plus nationalistes français. Soyons exactement internationalistes, c’est-à-
dire Français devenus internationalistes. » -Charles Péguy, Casse-cou, 2 mars
1901, OPC, t. 1, Paris, Gallimard, Pléiade, 1987, p. 705.

« La raison ne procède pas de l’autorité gouvernementale. C’est donc trahir la


raison que de vouloir assurer le triomphe de la raison par des moyens
gouvernementaux. C’est manquer à la raison que de vouloir établir un
gouvernement de la raison. Il ne peut y avoir, il ne doit y avoir ni ministère, ni
préfecture, ni sous-préfecture de la raison, ni consulat ni proconsulat de la
raison. La raison ne peut pas, la raison ne doit pas commander au nom d’un
gouvernement. […] La raison ne demande pas, la raison ne veut pas, la raison
n’accepte pas qu’on la défende ou qu’on la soutienne ou qu’on agisse en son
nom par les moyens de l’autorité gouvernementale. En aucun sens la raison
n’est la raison d’État. » (p.IX-X)

« Le peuple abusé ne peut pas faire que la raison ne soit pas la raison, et que la
déraison devienne la raison. La foule abusée ne peut pas plus que ne pouvait le
monarque abusé. Le peuple n’est pas souverain de la raison. » (p.XIII)

« Nous ne méprisons pas les humanités passées, nous n’avons ni cet orgueil, ni
cette vanité, ni cette insolence, ni cette imbécillité, cette faiblesse. Nous ne
méprisons pas ce qu’a d’humain l’humanité présente. Au contraire nous voulons
conserver ce qu’avaient d’humain les anciennes humanités. » (p.XVI)

« Ni le publiciste, ni le journaliste, ni le tribun, ni l’orateur, ni le conférencier


ne sont aujourd’hui de simples citoyens. Le journaliste qui a trente ou cinquante
ou quatre-vingts milliers de lecteurs, le conférencier qui a régulièrement douze
ou quinze cents spectateurs exercent en effet, comme le ministre, comme le
député, une autorité gouvernementale. On conduit aujourd’hui les lecteurs
comme on n’a pas cessé de conduire les électeurs. La presse constitue un
quatrième pouvoir. Beaucoup de journalistes, qui blâment avec raison la
faiblesse des mœurs parlementaires, feraient bien de se retourner sur soi-même
et de considérer que les salles de rédaction se tiennent comme les Parlements. Il
1672
y a au moins autant de démagogie parlementaire dans les journaux que dans les
assemblées. Il se dépense autant d’autorité dans un comité de rédaction que
dans un conseil des ministres ; et autant de faiblesse démagogique. Les
journalistes écrivent comme les députés parlent. Un rédacteur en chef est un
président du conseil, aussi autoritaire, aussi faible. Il y a moins de libéraux
parmi les journalistes que parmi les sénateurs.

C’est le jeu ordinaire des journalistes que d’ameuter toutes les libertés, toutes
les licences, toutes les révoltes, et en effet toutes les autorités, le plus souvent
contradictoires, contre les autorités gouvernementales officielles. — Nous
simples citoyens, vont-ils répétant. Ils veulent ainsi cumuler tous les privilèges
de l’autorité avec tous les droits de la liberté. Mais le véritable libertaire sait
apercevoir l’autorité partout où elle sévit ; et nulle part elle n’est aussi
dangereuse que là où elle revêt les aspects de la liberté. Le véritable libertaire
sait qu’il y a vraiment un gouvernement des journaux et des meetings, une
autorité des journalistes et des orateurs populaires comme il y a un
gouvernement des bureaux et des assemblées, une autorité des ministres et des
orateurs parlementaires. Le véritable libertaire se gare des gouvernements
officieux autant que des gouvernements officiels. Car la popularité aussi est une
forme de gouvernement, et non des moins dangereuses. » (p.XXIV-XXV)

« La raison n’est pas tout le monde. Nous savons, par la raison même, que la
force n’est pas négligeable, que beaucoup de passions et de sentiments sont
vénérables ou respectables, puissants, profonds. Nous savons que la raison
n’épuise pas la vie et même le meilleur de la vie ; nous savons que les instincts
et les inconscients sont d’un être plus profondément existant sans doute. Nous
estimons à leur valeur les pensées confuses, les impressions, les pensées
obscures, les sentiments et même les sensations. Mais nous demandons que l’on
n’oublie pas que la raison est pour l’humanité la condition rigoureusement
indispensable. Nous ne pouvons sans la raison estimer à sa juste valeur tout ce
qui n’est pas de la raison. Et la question même de savoir ce qui revient à la
raison et ce qui ne revient pas à la raison, ce n’est que par le travail de la
raison que nous pouvons nous la poser.

Ce que nous demandons seulement, mais nous le demandons sans aucune


réserve, sans aucune limitation, ce n’est pas que la raison devienne et soit tout,
c’est qu’il n’y ait aucun malentendu dans l’usage de la raison. Nous ne
défendons pas la raison contre les autres manifestations de la vie. Nous la
1673
défendons contre les manifestations qui, étant autres, veulent se donner pour
elle et dégénèrent ainsi en déraisons. » (p.XXXV-XXXVI)

-Charles Péguy, « De la raison », Études socialistes, Cahiers de la Quinzaine,


1901, 270 pages, pp. IX-XXXVI.

« Je prie qu’on veuille noter que je suis un des plus grands ennemis ­ loyaux ­
de Jaurès. Même je suis son plus grand ennemi, s’il est vrai qu’il n’y a pas de
socialiste en France qui ait, comme lui, l’amour de l’unité mystique, et s’il est
vrai qu’il n’y a pas de véritable anarchiste qui ait plus que moi la passion de la
liberté. […] Je suis l’adversaire le plus résolu de son ministérialisme et d’un
certain parlementarisme qu’ils ont. » -Charles Péguy, Vraiment vrai. 2e cahier
de la 3e série (17 octobre 1901). Œuvres en prose complètes. I Op. cit., p. 833.

« Ceux qui font de la philanthropie en chambre, et qui sont, à parler


proprement, les cuistres de la philanthropie, peuvent s’imaginer que la misère
fait reluire les vertus. On peut se demander alors pourquoi ils combattent la
misère. Si elle était pierre ponce, ou tripoli à faire briller les vertus précieuses,
il faudrait la développer soigneusement. En réalité la misère altère, oblitère les
vertus, qui sont filles de force et filles de santé. »

« La misère ne rend pas seulement les misérables malheureux, ce qui est grave ;
elle rend les misérables mauvais, laids, faibles, ce qui n’est pas moins grave ;
un bourgeois peut s’imaginer loyalement et logiquement que la misère est un
moyen de culture, un exercice de vertus ; nous socialistes nous savons que la
misère économique est un empêchement sans faute à l’amélioration morale et
mentale, parce qu’elle est un instrument de servitude sans défaut. C’est même
pour cela que nous sommes socialistes. Nous le sommes exactement parce que
nous savons que tout affranchissement moral et mental est précaire s’il n’est pas
accompagné d’un affranchissement économique. »

« On confond presque toujours la misère avec la pauvreté ; cette confusion vient


de ce que la misère et la pauvreté sont voisines ; elles sont voisines sans doute,
mais situées de part et d’autre d’une limite ; et cette limite est justement celle
qui départage l’économie au regard de la morale ; cette limite économique est
celle en deçà de qui la vie économique n’est pas assurée, au delà de qui la vie
économique est assurée ; cette limite est celle où commence l’assurance de la
vie économique ; en deçà de cette limite le misérable ou bien a la certitude que
sa vie économique n’est pas assurée ou bien n’a aucune certitude qu’elle soit ou
1674
ne soit pas assurée, court le risque ; le risque cesse à cette limite ; au delà de
cette limite le pauvre ou le riche a la certitude que sa vie économique est
assurée; la certitude règne au delà de cette limite; le doute et la contre-certitude
se partagent les vies qui demeurent en deçà; tout est misère en deçà, misère du
doute ou misère de la certitude misérable ; la première zone au delà est celle de
la pauvreté ; puis s’étagent les zones successives des richesses. » -Charles
Péguy, « De Jean Coste », 1902.

« Un patron qui absorbe de la pression, de la servitude, fait littéralement,


exactement, du travail, de l’action socialiste ; une institution communiste qui
par mauvaise administration, par vice politique parlementaire, accroît, la
transmettant, la pression économique, la servitude, fait littéralement,
exactement du travail bourgeois, de l’action antisocialiste. » -Charles Péguy,
Suite posthume, Décembre 1903, OPC, t. 1, Paris, Gallimard, Pléiade, 1987,
1277-1278.

« Seule une morale socialiste, strictement kantienne en sa forme, astreinte à ne


jamais traiter les hommes et les institutions comme des moyens, mais à les
traiter toujours et sans exception comme des fins morales, peut et vaut elle-
même comme institution conscientielle au regard et en face de la morale
chrétienne. » (p.1288-1289)

« Une révolution n’est vraiment et pleinement révolutionnaire et ne réussit


comme révolution que si elle atteint, comme d’un coup de sonde, que si elle fait
surgir et soudre une humanité plus profonde que l’humanité de la tradition à qui
elle s’oppose, à qui elle s’attaque ; elle ne vaut que si elle met dans le commerce
une humanité plus profonde et, proprement, plus traditionnelle, que l’humanité
courante, que l’humanité actuelle, usuelle, que l’humanité connue ; elle ne vaut
que si elle apporte ce merveilleux renouvellement, ce merveilleux
rafraîchissement de l’humanité, par approfondissement, qui donne tant de jeune
ivresse aux véritables crises révolutionnaires, dans toute leur peine, dans toute
leur misère, dans tout leur effort ; au fond une révolution n’est une pleine
révolution que si elle est une plus pleine tradition, une plus pleine conservation,
une antérieure tradition, plus profonde, plus vraie, plus ancienne, et ainsi plus
éternelle. » (p.1306)

-Charles Péguy, Avertissement au cahier de M. Mangasarian, 1 mars 1904,


OPC, t. 1, Paris, Gallimard, Pléiade, 1987.

1675
« Car nos aïeux [...] ont peiné, lutté, souffert leur vie et leur mort pour que ce
peuple devînt un peuple libre, pour que ce coin de terre devînt le chaud foyer de
la liberté dans le monde, pour que Paris devînt ce qu’il est littéralement la
capitale de la liberté dans le monde. » -Charles Péguy, Cahiers de la quinzaine,
15 mars 1904, OPC, t.1, Paris, Gallimard, Pléiade, 1987, p.1364.

« A défaut des théologies et des philosophies providentielles, une seule voie


reste ouverte, qui est celle d’une éternelle inquiétude. » (p.103)

« Par les moyens de la guerre, par les moyens de la force, par les moyens de la
guerre la plus soudaine, la plus brutale de toutes, la plus injuste, la plus
malheureuse ; et aussi par les moyens de la ruse, par les moyens d’une
astucieuse agression de la France, qui est un peuple enfin, avait subi la plus
odieuse, la plus injuste, la plus inoubliable des atteintes que jamais un peuple
libre ait subi ; et non point seulement une atteinte de guerre, mais une atteinte
de conquête, non point seulement une atteinte de fait, mais une atteinte de
situation, non point une atteinte de crise, mais une atteinte perpétuelle et
durable ; deux provinces avaient été arrachées du peuple français par l’armée
allemande, et cela dans des conditions si parfaitement, si formellement
caractérisées que l’on peut dire que l’arrachement de l’Alsace-Lorraine forme
un cas maximum, un cas type d’injustice, d’usurpation, d’arrachement
International ; tout y était: la colère la rage et l’éternelle protestation du peuple
vaincu, plus particulièrement la colère, la rage, la solennelle et l'éternelle
protestation des provinces arrachées. » (p.109)

« Un homme comme Richelieu était un révolutionnaire, le plus grand des


révolutionnaires, et un homme comme Jaurès n’est pas un révolutionnaire ;
pareillement un homme comme Louis XIV était cent fois plus révolutionnaire
que Guesde, qui lui est un révolutionnaire. » (p. 157)

« L’humanité a été cent fois plus enrichie de droiture et de force par la grande
révolte, par la grande haine de Nietzsche contre Wagner que par cette amitié
soumise de Schiller pour Goethe. » (p.195)

-Charles Péguy, Par ce demi-clair matin, novembre 1905, OPC, t. 2, Paris,


Gallimard, Pléiade, 1988.

« Le socialisme, la révolution sociale ne consiste point, comme nos intellectuels,


révolutionnaire de haute et de basse bourgeoisie, voudraient nous le faire croire

1676
à introduire dans les relations économiques des désordres là ou il y a encore
quelque peu d’ordre. (....) Toute Révolution, bien entendue, est une opération
d’ordre. Toute opération de désordre, bien entendue, est une opération de
réaction. L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait
la servitude. Les seuls démagogues ont intérêt à essayer de nous faire croire le
contraire. » -Charles Péguy, Cahier VII-4, 5 novembre 1905, OPC, t. 2, Paris,
Gallimard, Pléiade, 1988, p. 64-65.

« Une révolution est essentiellement au contraire une opération qui fonde. » -


Charles Péguy, Les suppliants parallèles, 17 décembre 1905, OPC, t. 2, Paris,
Gallimard, Pléiade, 1988, p.358.

« Nous espérons que si par impossible un gouvernement césarien de réaction


militaire français préparait, aussi ouvertement, exécutait une invasion militaire
des provinces rhénanes pour écraser les libertés nationales politiques et
sociales des Allemands, nous espérons que les socialistes allemands se
lèveraient comme un seul homme contre ceux de nos français qui se feraient les
complices de ce crime. Et ces Français ne seraient pas nous. Car contre ce
crime nous serions les premiers à donner non seulement le précepte, mais
l’exemple non seulement de la désertion, mais de l’insurrection et de la révolte.
» -Charles Péguy, Les Suppliants parallèles, 17 décembre 1905, OPC, t. 2,
Paris, Gallimard, Pléiade, 1988, p. 363.

« En territoire français, en pays de domination française nous pouvons


introduire de la justice, de l’humanité, de la bonté. » -Charles Péguy, Cahiers de
la Quinzaine, VII, 12, février 1906.

« On oublie trop que le monde moderne, sous une autre face est le monde
bourgeois, le monde capitaliste. C’est même un spectacle amusant que de voir
comment nos socialistes antichrétiens, particulièrement anticatholiques,
insoucieux de la contradiction, encensent le même monde sous le nom de
moderne et le flétrissent sous le nom de bourgeois et de capitaliste. […] On
oublie trop ainsi que l’avènement du monde moderne a été, sous une autre face,
l’avènement du même monde politique parlementaire économique bourgeois et
capitaliste. » -Charles Péguy, « De la situation faite au parti intellectuel dans le
monde moderne devant les accidents de la gloire temporelle », 6 octobre 1907,
in Œuvres, II, 1988, p. 699-700.

1677
« Nos grands-pères de la Révolution française se sont bien aperçus, qui ayant
voulu parler un autre langage, un langage nouveau, substituer simplement un
langage à un autre, un nouveau à un ancien, le langage nouveau régime au
langage ancien régime, l’Europe bientôt s’intercala, finit par s’intercaler ;
s’opposa, et il y eut maille à partir. » -Charles Péguy, A nos amis, nos abonnés,
20 juin 1909, OPC, t. 2, Paris, Gallimard, Pléiade, 1988, p.1304.

« Nos bons maîtres de l’école primaire nous disaient sensiblement : jusqu’au


premier janvier 1789 (heure de Paris) notre pauvre France était un abîme de
ténèbres et d’ignorance, de misères les plus effrayantes, des barbaries les plus
grossières, (enfin ils faisaient leur leçon), et vous ne pouvez pas même vous en
faire une idée ; le premier janvier 1789 on installa partout la lumière électrique.
Nos bons adversaires de l’École d’en face nous disent presque : jusqu’au
premier janvier 1789 brillait le soleil naturel ; depuis le premier janvier 1789
nous ne sommes plus qu’au régime de la lumière électrique. Les uns et les
autres exagèrent.

Le débat n’est pas entre un ancien régime, une ancienne France qui finirait en
1789 et une nouvelle France qui commencerait en 1789. Le débat est beaucoup
plus profond. Il est entre toute l’ancienne France ensemble, païenne (la
Renaissance, les humanités, la culture, les lettres anciennes et modernes,
grecques, latines, françaises), païenne et chrétienne, traditionnelle et
révolutionnaire, monarchiste, royaliste et républicaine, – et d’autre part, et en
face, et au contraire une certaine domination primaire, qui s’est établie vers
1881, qui n’est pas la République, qui se dit la République, qui parasite la
République, qui est le plus dangereux ennemi de la République, qui est
proprement la domination du parti intellectuel.

Le débat est entre toute cette culture, toute la culture, et toute cette barbarie, qui
est proprement la barbarie. » (p.71-72)

« La suite, la continuation de la troisième République ne continue pas le


commencement de la troisième République. Sans qu’il y ait eu en 1881 aucun
grand événement, je veux dire aucun événement inscriptible, à cette date la
République a commencé de se discontinuer. » (p.77-78)

-Charles Péguy, Notre Jeunesse, 1910.

1678
« Il ne faut pas parler de transformation, ni de conversion. Ce n’est pas cela. On
a dit de moi: « Voilà Péguy qui vient à nous. » Ce n’est pas cela. Tout ce que je
donne aujourd’hui était en moi auparavant. Ce n’est pas hier que j’ai organisé
ma vie comme elle l’est aujourd’hui. Le Péguy antimilitariste d’un roman que
vous connaissez, c’est une légende. La vérité c’est qu’à ce moment-là, j’étais
officier de réserve. » -Charles Péguy, in Georges Valois, « Après une
conversation avec M. Charles Péguy », L’Action française, 19 juin 1910.

« Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains. » (p. 331)

« Devenir classiques, messieurs, continuait Barrès, c’est décidément détester


toute surcharge, c’est atteindre à une délicatesse d’âme qui rejetant les
mensonges, si aimables qu’ils se fassent, ne peut goûter que le vrai ; c’est, en un
mot, devenir plus honnête. » (p.341)

-Charles Péguy, Victor-Marie, comte Hugo (1er cahier de la 12ème série), 23


octobre 1910, OPC, t.3 , Paris, Gallimard, Pléiade, 1992.

« Je suis pour la Commune de Paris, pour l’une et l’autre Commune, contre la


paix, je suis pour la Commune contre la capitulation, je suis pour la politique de
Proudhon et pour la politique de Blanqui contre l’affreux petit Thiers. » (p.925)

« Pour Jaurès l’explication est extrêmement simple. Il est pangermaniste. (il


faudrait l’en féliciter, s’il était né sujet allemand.) Il est un agent du parti
allemand. Il travaille pour la plus grande Allemagne. » (p.932)

« Mais dans le laïque (je ne dis pas dans le profane), dans le laïque, et peut-être
dans une autre sorte de sacré, dans le civique, dans un sacré de la loi
extérieure, il est indéniable qu’elle à la garde de la liberté qui est la condition
même de la grâce, qui a avec la grâce une parenté si profonde, une liaison si
singulière et si obstinément mystérieuse. » (p.948)

-Charles Péguy, L’Argent suite, 27 avril 1913, OPC, t.3, Paris, Gallimard,
Pléiade, 1992.

« Les vignerons et les bûcherons que sont ses ancêtres avaient marqué
l’écrivain d’une empreinte indélébile. Paysan, il l’était jusqu’aux moelles. Il en
avait la solidité et l’âpreté, la malice et la méfiance, voire l’allure. Il s’en est
fallu de peu, de bien peu, lui-même l’a conté quelque part avec comme un
tremblement rétrospectif, qu’il ne manquât sa voie et ignorât à jamais les

1679
délices des humanités. De l’école primaire on l’avait aiguillé vers l’école
professionnelle quand un pédagogue de sens et de cœur auquel Péguy en garda
une infinie reconnaissance lui ouvrit les portes du lycée de sa ville natale. Il
quitta Orléans pour aller à Sainte-Barbe et de là à l’École normale. Il n’y passa
point les trois années réglementaires. La première terminée, il demanda un
congé.

Péguy avait la hâte de l’action. Il possédait l’âme d’un chef, d’un entraîneur
d’hommes. Ses camarades, ses amis, sentaient son autorité, l’acceptaient, la
réclamaient.

Une anecdote exquise, qui se place dès sa première année de Normale, éclaire à
cru la physionomie de Péguy, révèle son tempérament, son besoin d’agir et
comme pour le satisfaire il sait concilier ce qui eût semblé à d’autres
inconciliable. Un de ses camarades l’a décidé à devenir comme lui membre
d’une Conférence de Saint-Vincent de Paul. Il y est à peine entré qu’on le
supplie d’en accepter la présidence. Grave difficulté. Péguy qui n’a éprouvé
aucun embarras à participer aux travaux d’une association catholique n’est pas
croyant et il ne s’en cache pas. Or, à l’ouverture de chaque séance, le Président
doit réciter la prière à haute voix. Péguy de se récuser. Qu’à cela ne tienne : il
entrera en séance après que le vice-président l’aura récitée à sa place.

Jusqu’au bout, Péguy sera l’homme, de cette anecdote. Il écrira de la mystique


chrétienne avec le respect, l’enthousiasme du catholique le plus docile. Mais il
s’écarte des sacrements et il ne va pas à la messe.

Il est républicain, socialiste dès la première heure. Mais personne n’a déployé
plus de franchise et de vigueur à fustiger les défauts et les tares du parti
socialiste et du régime républicain.

La règle de sa vie qui en fait la profonde unité il la formule aux premières pages
du premier des Cahiers : « Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire
bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité
triste : voilà ce que nous nous sommes proposé depuis plus de vingt mois et non
pas seulement pour les questions de doctrine et de méthode, mais aussi, mais
surtout pour l’action. Nous y avons à peu près réussi. Faut-il que nous y
renoncions ? »

Non certes, jamais il ne consentira à y renoncer. » (p.18-20)

1680
« Il a disparu. Son œuvre demeure, plus vivante, plus puissante qu’elle ne fut
jamais. Les morts mènent les vivants. » (p.32-33)

-Alexandre Millerand, Introduction aux Œuvres complètes de Charles Péguy,


Nouvelle Revue Française, 1916 (1, pp. 17-36).

« L'un de mes premiers disciples, qui m'a si bien compris. » -Henri Bergson,
Lettre à Jacques Chevalier, 1919, in Jacques Chevalier, Entretiens avec Bergson,
Plon Paris, 1959, p. 26.

« Cinquante ans après sa mort au combat, voilà que nous le sentons, Péguy,
présent comme le plus vivant des humains, et cela dans la mesure même où nous
avons besoin de lui. [...]
Ce qui nous frappe dans l’œuvre de Péguy, c'est le pouvoir de germination, de
fécondation qu'elle garde, animée qu'elle est par une sorte de ferment vital qui
foisonne et fructifie. [...]
Il appartenait au neveu de Joseph Lotte -l'ami, le confident le plus proche de
Péguy- de dégager ainsi ce que l’œuvre de Péguy recèle toujours d'utile,
d'efficace, de fécond -d'une fécondité postérieuse, posthume- et d'ouvrir toutes
les voies de filiation à venir, toutes les échappées qu'elle propose. » -Henri
Massis, préface à Théodore Quoniam, La pensée de Péguy, Bordas, 1967, p.3.

« Péguy aurait été, à l’Ecole normale, partisan de l’hégélianisme marxiste ?


Tous ceux qui l’ont approché alors souriront de cette affirmation. » -Félicien
Challaye, Péguy socialiste, Paris, Amiot-Dumont, 1954, p. 245.

« Il faut bien reconnaitre que tout semble jouer contre Péguy ; un socialiste
excommunié par les socialistes, un nationaliste que les nationalistes jugent trop
sulfureux, un catholique qui s’arrête au porche de l’église. Comment prendre au
sérieux quelqu’un rejeté de toute part ? »

« L’affaire des « fiches » devient ainsi une affaire politique, et Jaurès, alors
soutien essentiel de Combes, entre en jeu. Il intervient sur ce problème
essentiellement trois fois, le 28 octobre 1904, le 4 novembre 1904 et le 14
janvier 1905. Et il n’est pas exagéré de prétendre que le ministère Combes n’a
dû de survivre jusqu’au 19 janvier que grâce à la force de Jaurès. Plusieurs
arguments de Jaurès méritent d’être relevés :

­ tout d’abord, chronologiquement, en bon dreyfusard, le fameux auteur des


Preuves met en garde les députés de ne pas se laisser influencer par un
1681
document : « J’ai le droit de rappeler à la Chambre qu’un jour, à cette tribune,
sur la parole d’un homme dont personne ne contestait la clairvoyance et la
bonne foi, la Chambre s’est engagée à fond, en une séance redoutable, sur la foi
d’un document dont elle n’avait pu contrôler ni l’origine ni la valeur » ­ bien
sûr, l’emploi de ces moyens de délation est détestable. Mais la République a un
droit et même un devoir de contrôler l’armée : « ce que veut M. Guyot de
Villeneuve, c’est laisser se reconstituer sans contrôle, sans garantie pour la
République une caste militaire factieuse et irresponsable ». Jaurès, se souvenant
de l’Affaire Dreyfus, vilipende dans l’armée l’esprit de caste et de réaction,
proclame même qu’« il faut que toutes les fois que des associations
républicaines signaleront des violations du droit, qu’elles le fassent » ­ enfin, «
sera dupe qui voudra ! Sera complice qui voudra ! ». Il ne faut pas se laisser
aveugler par cette affaire. Ce que veut l’opposition, c’est avant tout renverser ce
ministère. Dès lors, les députés de gauche ne doivent pas se tromper de combat.
Il ne s’agit plus maintenant de condamner ou non des méthodes de
renseignements, il s’agit d’un problème de haute politique qui peut entraîner la
mort du ministère Combes : « les républicains diront si, à cette heure obscure et
redoutable que traversent les destinées de ce monde, il convient de renverser un
gouvernement qui a su maintenir la paix, et de se livrer à tous les césariens,
entrepreneurs de guerre et d’aventure […]. Je dis aux républicains qui veulent
se risquer dans cette aventure qu’ils en seront les dupes ».

Voilà comment d’une affaire qui est essentiellement morale on passe à un


problème politique. C’est ainsi que Jaurès amène les voix des députés de gauche
nécessaires à la survie de Combes. Il n’est besoin que de lire les débats pour se
rendre compte du génie politique et parlementaire qu’est Jaurès, puisque par
deux fois, le 28 octobre et le 4 novembre, il fait adopter des ordres du jour qui
réussissent à la fois à condamner le procédé des fiches et à maintenir le
ministère. Pour terminer avec les interventions de Jaurès, on peut être
intimement persuadé que le mécanisme même de la délation lui répugne,
puisqu’il est à l’origine, en avril 1905, avec Marcel Sembat, d’un amendement
proposant un article additionnel à la loi de finances de 1905, rendant
automatique le droit pour tout fonctionnaire à la communication de son dossier
; « tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de
toutes administrations publiques, ont droit à la communication de toutes notes,
feuilles signalétiques et tous autres documents composant leurs dossiers ». 

1682
On ne peut s’imaginer aujourd’hui ce que cette affaire provoqua comme trouble
chez les anciens dreyfusards. Trouble d’ailleurs perceptible lors des débats à
l’Assemblée où nombre de républicains exigent des explications, par exemple
Klotz qui affirme que « nous, républicains, […] ne devons jamais imiter les
procédés que nous avons condamnés et flétris chez autrui. Je dis que la délation
ne saurait faire aimer la République », Mirman qui, refusant de tomber dans le
jeu de Jaurès qui prétend que tout ceci ne peut que profiter à la droite,
interpelle ces mêmes députés de droite : « messieurs de la droite, je vous le
demande avec déférence, faites-moi grâce, je vous prie de vos
applaudissements. Vous poursuivez, cela est naturel de votre part, un but
politique ; mais il y a des explications qui ne peuvent s’échanger qu’entre
républicains », n’hésitant pas à qualifier d’infamie la responsabilité du
gouvernement qui a déclenché la délation. Georges Leygues est, lui, encore plus
explicite : « L’enjeu de ce débat est l’honneur du parti républicain, et peut-être
son existence même. Il faudra que la majorité dise nettement si elle abdique sa
raison et sa conscience, ou si elle a l’énergie pour flétrir publiquement les actes
inadmissibles qu’elle condamne et abhorre en secret ». Cette révolte est,
évidemment, partagée par Péguy. Il attend pourtant le 24 janvier 1905 pour
s’engager explicitement dans la bataille, par l’intermédiaire d’un cahier intitulé
: Textes formant dossier. La Délation aux Droits de l’Homme. Fidèle à la
vocation première des Cahiers de rassembler avant tout des textes de première
main, Péguy publie ici les lettres, entre autres, de Célestin Bouglé (professeur à
l’Université de Toulouse), de Charles Rist (professeur à la faculté de droit de
Montpellier), membres du comité central de la Ligue française pour la défense
des Droits de l’homme et du citoyen. En effet, de nombreux « ligueurs »
demandent vigoureusement au Comité central de la Ligue des droits de l’homme
et à son président, Francis de Pressensé (également député socialiste), de
condamner publiquement le procédé de la délation. Selon Bouglé et Rist, la
Ligue ne peut rester indifférente à une telle violation des principes les plus
élémentaires qu’elle est censée défendre. Du refus de Pressensé s’ensuivra un
nombre important de démissions du Comité central, en particulier celle de
Joseph Reinach, fondateur de la Ligue avec Ludovic Trarieux. »

« Péguy va donc évoquer la pureté du dreyfusisme des origines contre la dérive


de l’institution censée combattre toutes les injustices. De façon plus
conjoncturelle (et pour qui connaît Péguy tout aussi importante), il ne fait pas
l’ombre d’un doute que ce cahier est aussi l’occasion pour lui de croiser le fer
1683
avec Pressensé. Dès l’élection de Pressensé à la Chambre en 1902, Péguy est
sur ses gardes : il se méfie de ces convertis au dreyfusisme et au socialisme qui
n’ont, selon lui, qu’une seule ambition : devenir des chefs, éloignés du peuple et
de la réalité. »

« C’est au fond la même critique qu’encourra Jaurès : celle d’avoir trahi l’idéal
de jeunesse, pour le détourner et s’en servir à des fins personnelles, au seul but
d’exercer une autorité.

Quant aux relations Péguy-Jaurès en janvier 1905, elles se sont détériorées


depuis fort longtemps. Dès la création des Cahiers de la Quinzaine, en janvier
1900, la crise couve. La création des Cahiers ne se fait pas contre la personne
de Jaurès, mais au moins contre sa volonté d’unifier les partis socialistes, Péguy
considère qu’il n’a rien en commun avec les guesdistes, il leur reproche
essentiellement leur attitude lors de l’Affaire Dreyfus et leur penchant à
l’exercice d’une autorité. Certes Péguy publie ce magnifique recueil d’articles
de Jaurès intitulé Études socialistes, mais en le faisant précéder d’un texte
annonciateur des pires orages et des pires menaces, intitulé De la raison. Mais
des textes comme Casse-cou montrent bien que l’opposition est essentiellement
philosophique : la synthèse jaurésiennne est incompatible avec la dialectique
binaire de Péguy refusant la destruction des antinomies, au nom de la vraie
représentation du réel. Pour Péguy, les antinomies ne se résolvent pas
nécessairement. Mieux même, ces irréductibilités sont nécessaires à une vraie
liberté. »

« Le désaccord politique devient alors inéluctable, Péguy condamnant le soutien


de Jaurès à la politique de Combes qui fait fermer les établissements
congréganistes d’enseignement (juillet-août 1902). Jaurès étant élu vice-
président de la Chambre en janvier 1903, Péguy lui reproche d’avoir tenté de
relancer politiquement à l’Assemblée l’Affaire Dreyfus (avril 1903) : Jaurès
essayant de faire invalider l’élection du député nationaliste Syveton. Ainsi, les
Cahiers de Péguy à compter d’octobre-novembre 1904 (c’est-à-dire à partir du
moment où la pratique des fiches est connue) s’inscrivent dans une véritable
logique. »

« Le texte de Péguy montre bien qu’il a toujours été socialiste ET nationaliste,


démentant magnifiquement tous ceux qui pensent que le coup de Tanger (mars
1905) a fait de lui un renégat au socialisme, se convertissant au nationalisme, si

1684
ce n’est bien entendu, que son nationalisme n’a rien à voir avec celui d’un
Barrès ou d’un Maurras. »

« On ne peut donc faire de Péguy un anti-politicien, sauf à considérer que


l’emploi du terme « politique » est péjoratif, ce qui n’est pas une constante chez
Péguy. Pour preuve, et ce qu’on oublie souvent, c’est que Péguy soutient
fermement, derrière Jaurès, la participation de Millerand au gouvernement
Waldeck-Rousseau en juillet 1899. Car selon lui, ce qui est en cause à cette
période là, c’est la République : si Waldeck-Rousseau tombe, la République
meurt. Il fallait donc soutenir ce ministère de Salut public, et en cela, « c’est une
entreprise révolutionnaire de premier ordre ». »

« Il ne souhaite pas que le socialisme se perde pour sauver le gouvernement


Combes. Comment ainsi refuser la garantie de droits à certains individus ? Il
faut avoir présent à l’esprit que l’Affaire Dreyfus, c’est justement la nécessité de
soutenir l’individu, quel qu’il soit et quelle que soit son origine, lorsqu’il est
victime d’une injustice. N’oublions pas que le socialisme de Péguy exècre la
lutte des classes, la « Cité harmonieuse » ne pouvant trouver son origine dans
une guerre civile. C’est ainsi que pour Péguy, le combat pour Dreyfus et le
combat pour la liberté de conscience des fonctionnaires se rejoignent : c’est la
lutte pour le socialisme c’est-à-dire, selon Péguy, pour la justice universelle. »

« Ce refus de la lutte des classes chez Péguy est à mettre en parallèle avec son
refus de la damnation dans le catholicisme : il ne peut concevoir qu’il y ait,
nulle part, une quelconque exclusion. »

« Péguy se découvre un accent tocquevillien lorsqu’il décrit notre tyrannie


contemporaine, celle qui « se nomme aujourd’hui de défense républicaine ».
Elle est à la fois tyrannie dure, c’est-à-dire autoritaire, tyrannie des
bureaucraties, des administrations gouvernementales, des fonctionnaires, et à la
fois tyrannie molle, tyrannie des foules, corruption des peuples, décadence des
publics. La spécificité de notre monde moderne vient du fait que ces deux
tyrannies s’y exercent conjointement. Et à quoi devons nous cet « accouplement
monstrueux » ? « À la corruption de la démocratie moderne, et à son
dépérissement presque totalement accompli en démagogie. Le combisme selon
Péguy, c’est la démagogie portée à son plus haut degré, c’est flatter les vices du
peuple, c’est faire une application outrancière des lois portant autorisation des
congrégations, cultivant l’anticléricalisme d’une certaine partie du peuple, c’est

1685
par l’intermédiaire des « fiches », la police des esprits. C’est l’État omnipotent
s’infiltrant jusque dans les moindres recoins de la sphère privée : c’est la
collusion d’un parti de gouvernement avec une métaphysique. Péguy, libéral et
libertaire, réclame la séparation de la métaphysique et de l’État : « Quand donc
nos Français ne demanderont-ils à l’État et n’accepteront-ils de l’État que le
gouvernement des valeurs temporelles ? […] quand donc l’État, fabricant
d’allumettes et de contraventions, comprendra-t-il que ce n’est point son affaire
que de se faire philosophe et métaphysicien ». »

« La fracture essentielle repose sur une « question de méthode » : Jaurès étant


persuadé que le prolétariat peut commencer la révolution en se saisissant, par
le biais du suffrage universel, des institutions étatiques, Péguy, lui, affirmant
que le système capitaliste et bourgeois est plus fort que les représentants
socialistes, qu’il les avalera, et que seul un socialisme d’éducation, engendrant
une véritable autonomie intellectuelle de la personne, peut mettre à bas le
système : bref, deux conceptions de la révolution qui semblent s’opposer. »

« Dans un article à l’Amitié Charles Péguy, Émile Moselly, écrivain et ami de


Péguy, évoque le caractère si difficile de Péguy, qui « ne pardonnait pas, et se
réconciliait rarement ». Il raconte aussi comment il rencontra un jour Jaurès, en
été 1912, qui s’enquit auprès de lui de la pratique catholique de Péguy. Jaurès
parle : « hélas, comme la vie est dure ! Elle nous sépare de ceux que nous
aimons. Si j’avais une conversation de cinq minutes avec lui, plus rien ne
subsisterait entre nous ». Moselly prend ceci comme une avance et la rapporte à
Péguy. Celui-ci conclut : « Il a bien raison, si on se voyait, tout se passerait
comme il dit… Mais c’est inutile ». Cet homme n’était décidément pas de ceux
qui reviennent. Et pourtant, une telle réconciliation, de l’avis des deux
protagonistes, eut été possible. »

-Charlot Patrick, « Péguy contre Jaurès. L'affaire des « fiches » et la « délation


aux droits de l'homme » », Revue Française d'Histoire des Idées Politiques,
2003/1 (N° 17), p. 73-91.

"Pour Péguy, en ce « demi-clair matin » du 6 juin 1905, est alors apparue de


manière brutale, aux yeux de tous, la menace d’une invasion allemande. Le
tournant de juin 1905 est avant tout la prise de conscience que l’anéantissement
est proche. « Un orage montait que nul ne voyait venir », écrit-il. Cette menace

1686
n’est pas seulement celle qui pèse sur la France, mais au-delà sur toute idée de
civilisation. Péguy a, en effet, la vision de la fin possible de la liberté et du
progrès. Car ce dernier n’est en rien une fatalité inéluctable. Il appartient aux
hommes d’en préserver le principe, en maintenant en eux cette conscience aiguë
de la fragilité de l’idée de progrès humain."

"La France du 5 juin ne s’est pas réveillée le lendemain nationaliste. Péguy ne


considère pas, d’ailleurs, que l’élément pertinent serait, à cet instant précis, le
passage d’une France dreyfusarde à une France nationaliste. Car, pour lui, la
corruption du dreyfusisme a déjà eu lieu. De même, le basculement observé le 6
juin n’est pas intellectuel ; il est populaire. Il est la prise de conscience d’une
menace qui n’est pas apparue ex nihilo, mais qui existait bel et bien depuis
plusieurs décennies. La nouveauté réelle est bien la conscience contagieuse
d’une identité menacée."

"Romain Rolland s’y arrête en 1944 dans son Péguy. Il évoque cette résonance
personnelle, ce plaisir de Péguy à son propre accablement, sa hantise de la
mort violente. Pour Péguy, 1905 est la référence."

"Mais cette perception n’est pas, selon lui, née de l’action consciente, concertée
du monde intellectuel ou politique. C’est une perception populaire. C’est le
peuple qui a compris à cet instant que la vie n’était pas celle qu’il avait cru être
jusqu’alors, et c’est lui, le peuple, qui va changer le cours des choses en se
préparant à faire face à la menace d’invasion allemande.

Le rôle de l’intellectuel est alors, pour Péguy, d’être de son peuple, de sa race.
Or, à ses yeux, la France a une mission dans le carcan du monde moderne. Elle
est la dernière nation qui puisse encore donner à la liberté et à la justice leur
véritable sens. Cette inscription de l’intellectuel dans la communauté nationale
lui permet de la sorte de demeurer fidèle à la mystique dreyfusarde." -Éric
Thiers, « Charles Péguy : la révélation du 6 juin 1905 », Mil neuf cent. Revue
d'histoire intellectuelle, 2001/1 (n° 19), p. 43-52. DOI : 10.3917/mnc.019.0043.
URL : https://www.cairn-int.info/revue-mil-neuf-cent-2001-1-page-43.htm

« Sorel, dont Péguy fut très proche pendant de nombreuses années. »

« Par le refus de l’unité, par le goût d’une loyale confrontation de convictions


également respectables, il y a chez cet antimoderne, chez ce « mécontemporain
1687
», un assentiment donné au monde qu’il combat. » -Jérôme Grondeux, « Péguy
conservateur ? », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 2002/1 (n° 20), p.
35-53.

"Le gérant des Cahiers se faisait de la Commune, avancent-ils, "une certaine


conception épique" qui ne s'accordait pas avec le fond de leur récit. Après ce
refus, les deux frères ne publieront plus dans la revue où ils ont fait leurs
débuts." -Michel Leymarie, La Preuve par deux. Jérôme et Jean Tharaud, Paris,
CNRS Éditions, 2014, 399 pages, p.53.

« Peu d'écrivains socialistes ont élaboré une critique plus approfondie, radicale
et corrosive de la société bourgeoise moderne, de l'esprit d'accumulation
capitaliste et de la logique impersonnelle de l'argent que Charles Péguy. Il
fonda une tradition spécifiquement française d'anticapitalisme progressiste
chrétien. » -Michael Löwy, La cage d'acier: Max Weber et le marxisme
wébérien, Paris, Éditions Stock, coll. « Un ordre d'idées », 2013.

« Sans doute Péguy a-t-il été un anticonformiste, un irrécupérable, un


inclassable, et c’est pourquoi, comme dans le cas d’un Georges Sorel ou d’un
Georges Bernanos, son œuvre sera toujours susceptible de récupération. Mais
cela ne la place pas pour autant au-dessus de toute critique. L’antimodernisme
de Péguy – de quelque façon qu’on l’explique – me semble une de ses
obsessions qui l’ont exposé au risque d’enrôlement sous les bannières
pétainistes » -Michel Winock, « Péguy 1940-1944 », in Julie Sabiani, Françoise
Gerbod, Géraldi Leroy (eds.), Colloque international 1988. La réception de
Charles Péguy en France et à l’étranger, Orléans, Centre Charles Péguy, 1991,
p. 73.

« 1899. Péguy a 26 ans. En jeune éditeur, en jeune intellectuel et militant


socialiste, il édite Jaurès. Et justifie ainsi son choix : « Rare est le vrai poète et
le vrai philosophe, celui qui n’ignore pas, qui ne méprise pas le réel, celui qui
s’en nourrit, qui en nourrit incessamment son œuvre, celui qui ne devient pas
chef d’école, qui ne devient pas chef de parti, qui ne devient pas chef de poètes
ou de philosophes ou de partisans, mais qui, resté homme libre, propose à des
hommes qui restent libres une œuvre d’art, de poésie, de philosophie, d’action
nourrie incessamment de la vie universelle. Nos lecteurs trouveront dans
l’œuvre de Jaurès une aussi rare sincérité. »

1688
1913. Péguy prévient : « Dès la déclaration de guerre, la première chose que
nous ferons sera de fusiller Jaurès. »

Entre les deux, quatorze ans. Quatorze ans pour passer d’une sincère admiration
à une haine quasi obsessionnelle, pour passer des débats d’idées aux tombereaux
d’insultes. »

« Péguy, comme nombre de normaliens, admire en Jaurès l’intellectuel et le


philosophe – mais aussi le politique. Celui qui s’engage et engage les socialistes
dans l’Affaire Dreyfus (le livre de Jaurès, Les Preuves, a joué un rôle moins
médiatique que le J’Accuse mais tout aussi essentiel) ; celui qui témoigne, par
son parcours, d’un républicanisme et d’un socialisme sincères et incarnés. »

« Péguy, proche de Bergson, ne voit pas la Raison à l’œuvre dans l’histoire


comme la voit Jaurès. »

« 1904 et 1905 apporteront d’autres raisons de discordes : création de


l’Humanité sans Péguy (Henri Guillemin estime qu’il tînt profonde rancune à
Jaurès de n’être pas parmi les nombreux intellectuels invités à y écrire) ; loi de
séparation des églises et de l’État ; Coup de Tanger. Ce dernier événement
radicalisera encore plus la rupture. L’obsession de Jaurès pour la paix s’oppose
désormais à l’obsession de Péguy pour la revanche. Quand le premier affirme
que « la paix en Europe est nécessaire au progrès humain ; et la paix assurée,
la paix durable, la paix confiante entre l’Allemagne et la France, est nécessaire
à la paix de l’Europe », le second écrit que la France et les Français, « peuple
élu » et « humilié depuis 1870 », ont désormais la tâche historique de défendre «
toute la liberté du monde » face à la « barbarie germanique ». »

« Il est désormais très fréquent, dans les textes concernant l’assassinat de


Jaurès, de voir citer les deux passages de l’oeuvre de Péguy où celui-ci appelle
en effet au meurtre de Jaurès. Et de ne voir citer que Péguy… Comme si seul
Péguy, dans les années 1910-1914, parmi les écrivains, journalistes, hommes
politiques, etc., avait lancé de tels appels. Rappelons donc que, les dernières
années, ce furent la majorité des journaux et des journalistes, et une très grande
partie des intellectuels et des politiques, qui ne cessèrent de calomnier,
d’insulter et de clairement affirmer qu’ils préfèreraient le voir mort.

Oui, bien au-delà du seul Péguy, il est clair que l’assassin de Jaurès fut
mentalement armé par la majorité de la presse de l’époque et par toute une

1689
partie de l’opinion, nationaliste et capitaliste. Celle-là même, d’ailleurs, qui
acquitta l’assassin, lors de son procès, en 1919 (tandis qu’elle condamnait à
mort, la même année, un anarchiste coupable d’une tentative d’assassinat sur
Georges Clemenceau…). » -Jérôme Pellissier, Jaurès et Péguy : le grand
malentendu ? (cf : http://www.jaures.eu/syntheses/jaures-et-peguy-le-grand-
malentendu-jerome-pellissier/ ).

« Même si Charles ne va naître que le 7 janvier 1873, il est déjà plongé au cœur
de cette histoire dramatique, car son père meurt à vingt-sept ans le 18 novembre
1873, d’une santé détériorée par les terribles souffrances endurées lors du siège
de Paris. Dans son processus de représentation de la situation de contraste
apparent entre la faiblesse de la France, et la puissance germanique de son
époque, il va évoluer, se radicaliser, mais il n’aura jamais de complicité
intellectuelle réelle avec l’Allemagne. Mais même si ses rencontres sont
apparemment fortuites, elles sont néanmoins décisives, notamment en ce qui
concerne son attrait pour le socialisme qui à cette époque est dominé par les
penseurs allemands, et qu’il va étudier à la meilleure source de l’époque, avant
de le rejeter et de l’attaquer avec virulence pour une autre conception du
socialisme, et la philosophie de Kant qui va le séduire dans un premier temps,
puis donner une tonalité décisive à son « germanisme ».
Mais pour que son rejet éclate et sa névrose obsessionnelle se développe, il lui
faudra le choc de 1905, qui va l’atteindre à la manière d’un choc psychique et
se surajouter à 1870. Pour comprendre l’évolution de Péguy cette date est
décisive. » (p.244)

"[Péguy] rejette la version d’un socialisme d’Etat que Herr voudrait développer
dans le socialisme." (p.254)

"L’unité condamnée par Péguy se fera en 1905 au congrès de Paris, en un parti


socialiste unifié: la section française de l’internationale ouvrière. [...] Péguy à
la suite de cet événement va multiplier les attaques contre Jaurès. Elles
deviennent le révélateur des sentiments que Péguy nourri à l’égard de
l’Allemagne. Il accuse Jaurès d’oublier l’oppression que l’Allemagne fait subir
à l’Alsace et à la Lorraine."(p.260)

"Ce qui triomphe avec Guesde, c’est une forme de socialisme que Péguy
n’accepte pas. Il s’agit d’un socialisme autoritaire fait d’obéissance au chef, et
de vénération pour celui qui exerce l’autorité, et qui est directement selon lui,

1690
sous l’influence de l’Allemand Marx et de la social-démocratie allemande."
(p.264-265)

"Sans le moindre répit, sans romantisme et sans littérature, Péguy ne va


pascesser de dénoncer la barbarie, les « monstruosités de tous ordres », que ce
soit celle de l’impérialisme militariste allemand, de l’autocratie tsariste, du
despotisme hamidien, ou des exactions coloniales et des massacres des
populations." (p.272)

"Les deux premières œuvres où il affirme son socialisme sont: De la Cité


socialiste (août 1897) et Marcel de la Cité harmonieuse (juin 1898). Il est clair
que Péguy n’est pas un théoricien de la révolution, il n’y parle pas de moyens à
mettre en œuvre pour arriver au but [...] Le socialisme de Péguy est
d’inspiration largement humaniste et nostalgique. Les constantes sont l’idée de
justice dans la répartition du travail, la liberté dans le domaine de l’esprit,
l’amour du travail bien fait, le souci de la vérité et de l’objectivité, l’importance
accordée à l’éthique." (p.273)

"Le socialisme de Péguy est un socialisme de communion, pas de division,


respectueux des droits et des libertés de l’individu." (p.274)

"Il trouve inacceptable la théorie de Marx qui avait prédit que pendant la
période prérévolutionnaire, la paupérisation irait croissante jusqu’au moment
où la misère pousserait les prolétaires à la révolte. L’augmentation de la misère
est donc partie intégrante du système marxiste. Péguy pense à l’inverse que la
disparition de la misère est un préalable pour construire un monde meilleur.
C’est dans la mesure où chaque individu aura accepté l’idée d’un monde
meilleur qu’on acceptera la révolution et le passage à un monde plus juste. La
misère rend le miséreux incapable de réactions morales." (p.276)

"Péguy a été socialiste kantien et kantien, jusqu’en 1907. La morale kantienne a


séduit le socialiste sensible aux valeurs morales et soucieux de sauver la liberté,
l’équité et la justice." (p.281)

"Mais il va se lancer à partir de 1907 dans une puissante critique et un total


rejet de la pensée de Kant. Ses critiques vont façonner les caractéristiques
même de sa représentation, de son « germanisme ». Il va trouver que toute cette
pensée baigne dans un formalisme indéfini. Ce qui est proposé ce sont toujours
des formes pures de la raison. Péguy va lui objecter le désaccord pratique de la

1691
vie, la douleur des consciences déchirées entre l’être et le devoir, et la nécessité
d’expliquer pleinement le tragique de l’histoire. En 1910 dans Victor-Marie,
comte Hugo, souhaitant régler un différent qui l’oppose à son ami Daniel
Halévy, il dresse un véritable réquisitoire sur le système kantien. Car Péguy est
fatigué, il n’est pas toujours arrivé à se régler sur l’impératif catégorique. Il
pense que Kant propose une morale trop abstraite, inaccessible pour l’homme
de chair et de sang, donc totalement en dehors de la vie réelle, et qui de plus
néglige totalement les exigences concrètes de l’action." (p.287)

"L’événement le plus important est celui qui retentit en 1905 dans Notre patrie:
celui de la menace d’invasion de la France par l’Allemagne. Désormais pour
préparer la cité harmonieuse et la cité socialiste qui y conduit, l’événement
commande que la priorité soit accordée à sauver la patrie de la « barbarie
impériale » allemande." (p.289)

"Péguy affirme préférer la morale « souple » de Bergson, à la morale « raide,


systématique et impuissante » de Kant." (p.290)

"Ce second semestre de 1905 extraordinairement fécond en production


littéraire, constitue l’une de ces périodes décisives où brusquement ses idées
s’ordonnent en de nouvelles perspectives, se reclassent ou bien sont
abandonnées. L’année 1905-1906 vit paraître la septième série des Cahiers.
Péguy tenait « expressément que la thèse du pacifisme le plus pur fût présentée
». Le deuxième Cahier de cette série est en effet occupé par La paix et la guerre
de Charles Richet qui est une mise au point de la thèse pacifiste. Mais le
troisième Cahier (22 octobre 1905) Notre Patrie, apparaît comme sa propre
réponse angoissée aux espoirs de l’idéalisme. L’Allemagne n’aurait pas fait
partie de la Civilisation, car elle n’aurait été que du côté de la matière, de
l’énorme réalité de la barbarie. Il limite la Civilisation aux peuples qu’il
qualifie de culture et de liberté, France, Angleterre, Italie du Nord, des
fragments de l’Amérique, de Belgique, de Suisse qui occupent une étroite bande
de terrain, menacée toujours ; or cette partie de l’humanité porte selon lui le
seul espoir du monde. Péguy en 1905 s’est déjà éloigné du mouvement
socialiste, depuis l’affaire Dreyfus. Il s’est fait le chroniqueur inlassable de
l’envahissement du socialisme et du dreyfusisme par les mœurs parlementaires.
Il est devenu d’un amer pessimisme quant aux réalisations et aux chances du
socialisme français. En 1905, cette angoisse se conjugue avec une tempête
pacifiste. Notre Patrie ne se rapporte pas à la crise, mais au livre Leur Patrie de
1692
Gustave Hervé. Un phénomène vient de se produire, à l’époque même de cette
crise: la publication de Leur Patrie en juin 1905, doublée par la naissance d’un
mouvement antipatriotique dans une partie importante de la classe ouvrière.
Péguy résumera ainsi dans Les Suppliants parallèles, ce qu’est le hervéisme: «
Le hervéisme est essentiellement le sabotage, un sabotage, un cas particulier de
sabotage appliqué aux relations, aux fonctions, aux opérations internationales.
» Péguy ne le cède en rien à Hervé en matière de pessimisme sur l’état de la
République, et sur le peu de réalisation du socialisme parlementaire de
l’époque. Mais il entend réaffirmer le vieux mot d’ordre de défense
républicaine, qu’il a hérité des milieux populaires de sa jeunesse. La
République française malgré ses imperfections est le seul bastion de la liberté
contre « l’impérialisme allemand ». Le républicanisme de Péguy fait partie de
l’ensemble des valeurs d’avant 1880, menacées par le monde moderne qui
envahit le socialisme et le syndicalisme. Selon lui, la conscience républicaine de
l’ouvrier est en train d’être remplacée par la seule conscience de classe, l’idéal
de « l’ouvrage bien fait » par l’appel au sabotage, le patriotisme par
l’antipatriotisme. Mais surtout Hervé préconise la grève militaire contre toute
guerre, qu’elle soit défensive ou non. C’est là le « crime » essentiel de Hervé
aux yeux de Péguy." (p.303-304)

"Ce qui effraie de manière confuse Péguy dans la modernité, c’est l’intelligence
moderne, sa brutalité, sa volonté de puissance qui se déchaîne au moyen de la
rigueur, du positivisme, du scientisme, et d’une certaine « religion du progrès ».
Il va amalgamer dans son « germanisme » les images qu’il a de ce monde
nouveau qu’il déteste, d’une industrie qui fabrique de la force, de l’économie
allemande, de son efficacité et de sa puissance mondiale. Péguy est l’homme
d’une civilisation agraire et littéraire. Il ne se reconnaît pas dans la nouvelle
civilisation industrielle et scientifique, qu’il identifie à l’Allemagne." (p.316)

"Pourtant bien qu’il n’aime pas l’Allemagne, il connaît bien son socialisme, sa
langue, son histoire et aussi la philosophie de Kant. Il a puisé cette culture chez
Andler, Herr et Jaurès. A côté de cela, il a une certaine admiration pour Goethe
et Schiller, pour Beethoven, et un intérêt réel pour Nietzsche." (p.320-321)

"Barrès restera malgré son opposition totale à l’Allemagne, et sa conversion au


classicisme, un nostalgique du romantisme de sa jeunesse. Péguy défend des
positions semblables sur ce thème à celles de Barrès." (p.368

1693
"Péguy va éditer plusieurs de ses amis qui vont traiter de ce philosophe
allemand. Il édite un douzième cahier de la dixième série de Daniel Halèvy le 25
avril 1909, Le travail du Zarathoustra." (p.385)

"[Péguy] est donc fier et malgré la mauvaise conscience plus tard de son ami
dreyfusard Daniel Halèvy, il va confirmer cette fierté. En juillet 1910, en
réponse à celui-ci, il va publier Notre Jeunesse, qui est un cri d’orgueil et de
fidélité, celui d’être resté, contrairement à beaucoup de ces anciens
compagnons de combat de 1898, un dreyfusard mystique." (p.402)

"Le 1er août 1914, c’est la mobilisation générale. Le 2 août, Charles Péguy fait
une tournée d’adieux de ses amis parisiens avec qui il était brouillé, notamment
Léon Blum, Charles Lucas de Pesloüan et Jean Variot. Mais surtout, il va dire
adieu à son plus proche ami le philosophe Henri Bergson, qui va d’ailleurs le
11 août, lui adresser sur le front, une dernière lettre pour l’assurer que s’il
venait à disparaître, il s’occuperait de son épouse et de ses enfants. Promesse
qu’Henri Bergson tiendra avec fidélité en devenant à la mort de Péguy, le tuteur
de ses quatre enfants. Le 4 août 1914, le jour des obsèques de Jean Jaurès,
Péguy quitte Paris pour Coulommiers, puis le front de l’Est. Il laisse ces mots à
son amie Geneviève Favre, fille d’un républicain de 1848 : « Grande amie je
pars, soldat de la République, pour le désarmement et la dernière des guerres.
». Le soir du 4 septembre, il se recueille dans la chapelle de Montmélian, près
de Saint-Wilz. Le 5 septembre 1914, au deuxième jour de la bataille de la
Marne, à 5 heures et demi du soir, près de Villeroy, l’officier Péguy commande
debout à la tête de son bataillon un assaut contre les Allemands. Il hurle: «
Tirez, tirez, nom de Dieu ! ». Il tombe, tué d’une balle en plein front. C’est le
prélude à la victoire de la Marne. Le 17 septembre 1914, la France apprend par
l’article bouleversant de son ami Maurice Barrès à L’Echo de Paris, la mort de
Charles Péguy." (p.617)

"Le 10 janvier 1910, Péguy publie Le Mystère de la Charité de Jeanne d’Arc.


Barrès, défenseur du catholicisme en tant que générateur de sentiments
nationaux, ne demande pas mieux que d’accorder publiquement le sceau de son
approbation à son jeune ami, dont le mystère ne manque pas d’à propos. Dans
L’Echo de Paris du 28 février 1910, l’article de Barrès « Une Jeanne d’Arc en
1910 » va lancer et mettre Péguy dans la lumière de la célébrité littéraire.
Barrès révèle au public, qui ignore à peu près tout jusqu’ici du Péguy des
Cahiers, du socialiste, du dreyfusard: un Péguy catholique." (p.692)
1694
"Devant les difficultés financières constantes de Péguy, dont la cause sont les
déficits permanents des Cahiers de la quinzaine, il va soutenir la candidature de
son cadet et ami Péguy au grand prix de littérature de l’Académie française
pour la Jeanne d’Arc. Mais la conjonction de la double opposition de la gauche
intellectuelle et de la droite catholique, face à l’intransigeance de Péguy, vont
faire échouer ce projet. En compensation Péguy obtiendra le prix Estrade-
Delcros. Barrès tentera, mais sans plus de succès, de faire élire son jeune ami à
l’Académie française." (p.694)

-Philippe Bedouret. BARRES, MAURRAS et PEGUY face au germanisme (1870-


1914). Histoire. ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES, 2005. Français.
<tel-01511730>.

« J’ai grandement souffert de l’attitude de Péguy vis-à-vis de Herr et de Jaurès.


J’ai été révolté de son injustice, puis je me suis demandé si sa déconcertante
intuition n’avait pas senti des choses qui m’échappaient, si en un mot, il n’avait
pas vu le vrai. » -Charles Andler, cité par Jérôme et Jean Tharaud dans, Notre
cher Péguy, t. 2, Paris, Plon, 1926, p.195-196.

« [Péguy] était sûrement un génie, et nous le reconnaissions pour tel, nous ses
anciens. » -Charles Andler, La Vie de Lucien Herr, Paris, Rieder, 1932, p.118.

"Péguy n'adresse-t-il pas chacune de ses œuvres à Maurras depuis 1911 ? Les
amis du premier ne tendent-ils pas à devenir les amis du second, quand ils ne le
sont pas déjà ?" (p.255)
-Stéphane Giocanti, Maurras : le chaos et l'ordre, Paris, Flammarion, coll.
Grandes biographies, 2008 (2006 pour la première édition), 568 pages.

« Allez au quartier Latin, entrez dans cette modeste boutique des Cahiers de la
Quinzaine [...] Voilà des âmes qui débordent. Vous me parlez d’affaiblissement
de la pensée et des caractères. Moi je vous montre immédiatement des groupes
d’hommes qui ont un idéal et, notez-le, un idéal qui commande à leur destinée.
C’est cela qui est beau chez Péguy. La compagnie perpétuelle de leur idée leur
suffit et les ennoblit. » -Maurice Barrès, Entretien avec Amédée BOYER, «
L’état actuel et l’avenir de la littérature et des Arts: M. Maurice Barrès », L’écho
de Paris, 19 août 1909.

« Nous sommes fiers de notre ami. [...] Honneur au maître Charles Péguy. Il
passe devant tous ses émules. [...] Mais plus qu’une perte, c’est une semence,

1695
plus qu’un mort, un exemple, une parole de vie, un ferment. La Renaissance
française tirera parti de l’œuvre de Péguy, authentifiée par le sacrifice. » -
Maurice Barrès, « Charles Péguy mort au champ d’honneur », L’Echo de Paris,
17 septembre 1914.

« Je sens comme un remords de l’avoir laissé s’en aller hors de toute portée de
notre démonstration. » -Charles Maurras, « Charles Péguy », L’Action française,
18 septembre 1914, in DPC, A la cité des livres, 1933, Paris, t. 3, p. 439.

« Il porta, comme il eût dit, son « message », un message très noble, tout
ensemble pur et confus. Il prit une part active et puissante au relèvement
national avant l’autre guerre et, en particulier à celui qui se produisit au cœur
du monde strictement dreyfusien où son génie promenait sa flamme et sa fumée.
Dans l’entre-deux où se tenait Déroulède et même Barrès, notre compagnon
d’esprit malgré tout, l’influence de Péguy pointait, chauffait, luisait, brûlait
dans une demi-ombre. Son sublime point final de héros ne pouvait qu’étendre
l’action ainsi définie et orientée. Daniel Halévy a raison, elle ne cessera plus de
grandir. » -Charles Maurras, La contre-révolution spontanée, Lyon, Lardanchet,
1943, p.152-153.

« Il n’est pas difficile d’imaginer ce qu’eût été une polémique entre Maurras et
Péguy, polémiste d’égale force: Péguy aurait mémorablement montré que
Maurras méconnaissait entièrement l’âme du peuple français, Maurras aurait
mémorablement montré que ce qui tenait lieu de pensée à Péguy était un tissu de
contradictions. Ni l’un, ni l’autre ne le voulut. » -Daniel Halévy, Péguy, Paris,
Pluriel, Livre de Poche, 1979, p. 230.

"L'opposition des deux nationalismes, celui de droite et celui de gauche, devait


s'affaiblir à partir du moment où le Reich de Guillaume II, menant une agressive
Weltpolitik, prend, en 1905, la figure d'un danger, non plus théorique, mais
concret, immédiat, et mortel, lors du voyage du Kaiser à Tanger. Cette année-là,
le nationalisme français entre dans une nouvelle phase: celle d'une convergence
entre républicains et conservateurs, qui s'achève en "Union sacrée", en août
1914. Autant le nationalisme des premières années du siècle est obnubilé par les
affaires intérieures, autant les relations internationales deviennent, à partir de
1905, et progressivement, le facteur décisif d'une passion nationale dont la
tonalité a changé.
Pour illustrer ce mouvement de convergence, on peut retenir le cas de Péguy.

1696
Certes, Charles Péguy, en raison des contradictions qu'on lui a reprochées, ne
représente que lui-même. Et pourtant, son attitude, son évolution, témoignent
d'un changement d'esprit dont il n'a pas le monopole, même s'il exprime mieux
que d'autres. Péguy avait été un dreyfusard militant, un socialiste, un
républicain laïque. De 1905 à 1914, sans jamais renier ni son dreyfusisme ni
son républicanisme, il se place sur des positions de plus en plus hostiles au parti
socialiste, tout en manifestant sa nouvelle foi catholique. Péguy devient-il
nationaliste ? Non, il l'a toujours été. Mais, à partir de 1905, son nationalisme
républicain se trouve en contradiction avec les idées et les pratiques de sa
propre famille politique -celle du socialisme français. Déjà le socialisme
parlementaire de Jaurès, alliance du socialisme et du combisme, avaient rendu
sévère Péguy à l'endroit de ses amis socialistes. Mais la crise de Tanger
aggrave sa critique et consomme sa rupture.
Le 31 mars 1905, Guillaume II, lors de sa visite éclair et théâtrale à Tanger,
remet en cause le récent accord franco-britannique sur le Maroc, déclarant:
"C'est au sultan du Maroc, souverain indépendant, que je fais ma visite, et
j'espère que, sous sa haute souveraineté, un Maroc libre sera ouvert à la
concurrence pacifique de toutes les nations, sans monopole de toute sorte".
L'émoi que provoque ce défi germanique à la France, la crise qui s'ensuit (la
démission de Delcassé du Quai d'Orsay, le compromis d'Algésiras en 1906,
lequel, tout en confirmant l'indépendance de l'empire chérifien, reconnaissait à
la France des droits spéciaux au Maroc) déclenchent la crainte d'une guerre
imminente. "Ce fut une révélation", dira Péguy. Le 18 juin 1905, Clemenceau,
autre dreyfusard, écrit dans L'Aurore: "Etre ou ne pas être, voilà le problème
qui nous est posé pour la première fois depuis la guerre de Cent Ans par une
implacable volonté de suprématie. Nous devons à nos mères, à nos pères, et à
nos enfants de tout épuiser pour sauver le trésor de vie française que nous avons
reçu de ceux qui nous précédèrent et dont nous devrons rendre compte à ceux
qui suivront". [...]
Peu à peu, Péguy se sépare de la gauche. Notamment de cette gauche socialiste,
où un Gustave Hervé défraie la chronique antimilitariste et que ménage Jaurès.
A Leur Patrie d'Hervé, il oppose Notre Patrie, livre dans lequel il renouvelle
l'expression du nationalisme révolutionnaire. [...]
En 1913, le roman d'Ernest Psichari, L'Appel des armes, symbolise au mieux
cette redécouverte de la "grandeur militaire" par une nouvelle génération
bourgeoise. Le désir de "revanche", l'envie d'en découvre, deviennent explicite
dans la correspondance de Péguy. En janvier 1912, il écrit à un ami: J'ai passé
1697
une nuit fort agréable. J'ai rêvé toute la nuit qu'on mobilisait". [...] Quelques
jours plus tard, à Alexandre Millerand, nouveau ministre de la Guerre:
"Puissions-nous avoir sous vous cette guerre qui depuis 1905 est notre seule
pensée ; non pas l'avoir seulement mais la faire"." (p.22-25)

« Péguy n’est pas seulement un moralisateur de notre vie politique, c’en est un
de nos meilleurs prosateurs. » (p.391)
-Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions
du Seuil, coll. Points Histoire, 2014, 506 pages.

"Au matin du départ, son amie Geneviève Favre a noté : « Je l’ai vu s’éloigner
soulevé d’enthousiasme et du bonheur d’être le soldat de la République de
France. » Puis : « Péguy, d’une voix lente, mettant en chaque mot un accent
solennel, me dit : “Grande amie, je pars soldat de la République, pour le
désarmement général, pour la dernière des guerres”. »."

"Deux autres figures quasi paternelles ont complété son éducation patriotique
au faubourg Bourgogne. Louis Boitier d’abord, le forgeron autodidacte, libre-
penseur et républicain à l’antique, le premier qui lui « ait mis Hugo entre les
mains », qui s’était battu lui aussi et racontait à l’enfant la campagne de
l’armée de Chanzy et l’entrée des Prussiens dans Orléans. Monsieur Naudy
ensuite, le directeur de l’école normale des instituteurs du Loiret qui a accueilli
Charles à sept ans et l’a poussé aux « études » via l’école primaire des «
hussards noirs », qui a brossé pour ce bon élève la fresque de la patrie, l’a
installé enfant dans un nationalisme « sincère » et « honnête », né de la
Révolution mais « foncier » puisqu’il prolongeait celui de « l’ancienne France »
et préparait à laver l’outrage et sauver une fois encore « l’âme » nationale.
L’élève Péguy et ses petits camarades avaient dès lors vocation à servir
militairement une patrie révolutionnaire et messianique, celle qui défend le sol
natal, apporte la liberté aux opprimés et prolonge de bataille en bataille « la
République de nos pères »."

"Ce patriote d’héritage n’est pas dissociable de ses engagements de jeune


révolutionnaire dès 1894 rue d’Ulm, l’année même où le capitaine Dreyfus est
condamné. Dans un article intitulé « Service militaire » publié en 1899 dans La
Revue blanche, Péguy a tenu à mettre en exergue à ses engagements un
internationalisme de garantie des « âmes nationales ». « Oui, écrit-il, nous
attaquons toute armée en ce qu’elle est un instrument de guerre offensive, c’est-

1698
à-dire un outil de violence collective injuste ; et nous attaquons particulièrement
l’armée française en ce qu’elle est un instrument de guerre offensive en Algérie,
en Tunisie, en Tonkin, en Soudan et en Madagascar […] justement parce que,
étant internationalistes, nous sommes encore français, parce que dans
l’Internationale nous sommes vraiment la nation française ; il n’y a même que
nous qui soyons bien Français : les nationalistes le sont mal. »."

"Conclusion, à la veille de 1914, d’un Péguy revenu sur l’entrefaite à la foi


chrétienne et plein de l’évangélique : « Je ne suis pas venu apporter la paix mais
la guerre. » « Non seulement la justice mais la charité même est pleine de
guerre. […] Tel est précisément le sort temporel. Tel est le sort de l’homme et
du monde. […] Il y a dans la Déclaration des droits de l’homme […] de quoi
faire la guerre à tout le monde pendant la durée de tout le monde. » Le fond de
sa pensée ? « Avoir la paix, le grand mot de toutes les lâchetés civiques et
intellectuelles. Tant que le présent est présent, tant que la vie est vivante, tant
que la liberté est libre elle est bien embêtante, elle fait la guerre. »."
-Jean-Pierre Rioux, « Charles Péguy, patriote de 1914 », Inflexions, 2014/2 (N°
26), p. 43-54. DOI : 10.3917/infle.026.0043. URL : https://www.cairn-
int.info/revue-inflexions-2014-2-page-43.htm

"Il était quasiment inconnu de son vivant [...] C'est dans dans l'entre-deux
guerres [...] que la gloire de Péguy s'est installé."

"C'est durant l'Occupation quand on sortit pour la première fois, dans la


Pléiade, les œuvres complètes de Péguy."

"Il s'est passé depuis la fin de la guerre, le déclin, le déclin, de Péguy. Il faut le
constater."

"Extraordinaire contradiction de cet homme."

"Jusqu'en 1905, Péguy s'affirmait antireligieux et même athée."

"Sur le plan religieux d'une part, sur le plan militaire d'autre part, renversement
complet de cet homme qui affirme n'avoir jamais eu de contradiction."

"Il va pratiquement devenir un homme de droite."

"Péguy a le sentiment qu'il a des dons littéraires. Ce qu'il vaudrait faire, c'est
une grande carrière littéraire."

1699
"Il s'estime écrivain, poète. Et il était tendu vers la gloire, ce qu'il désire c'est
une grande gloire littéraire. [...] Il voulait se faire connaître littérairement."

"Alors, qu'est-ce qu'il va faire en 97 ? Il va décider de quitter l'enseignement, de


ne pas passer l'agrégation, et de se marier."

"Sa librairie socialiste, c'est un effondrement. Peut-être parce que Péguy est
imprudent, peut-être parce qu'il ne sait pas gérer les affaires financières."

"A la fin de l'année 99, il décide de lancer une revue qui sera à lui, qu'il
appellera les Cahiers de la Quinzaine. [...] C'est le moment aussi où il va
commencer à se séparer du parti socialiste, la Révolution n'ayant pas eu lieu."

"Ses Cahiers, dont il espérait faire son tremplin vers la gloire, sont un piège, un
espèce de glu dans lequel il est pris. [...] Il a des gens -des instituteurs en
particulier- qui se désabonnent, qui se disent "on s'est abonné à une revue
socialiste, et elle cesse de l'être"." -Henri Guillemin, Charles Péguy I, 11 août
1972.

"Voilà qu'il essaye [en 1910] de se faire présenter à Barrès [qu'il avait traité de
"tartuffe moisi"]. [...] Barrès, qui dans L'Écho de Paris, écrivait l'article de tête,
va faire un admirable article de tête, un véritable article de lancement [...] pour
dire aux Français, aux bons lecteurs de L'Écho de Paris, enfin à tout ce qu'il y a
de correct et de distingué en France: "Y a un jeune poète qui vient de surgir, et
qui s'appelle Charles Péguy." [...] Il ne s'agit pas du tout d'un lancement
littéraire, il s'agit d'un lancement politique."

"Péguy est bien content d'être lancé. Mais en même temps il a en lui une
certaine gêne. Il se rend parfaitement compte que c'est un lancement politique et
que c'est un lancement de transfuge, et ça, ça lui déplaît. Alors, en plein milieu
de cette année 1910 où il était parti pour la gloire, en plein milieu, au mois de
juillet 1910, il va écrire un texte qui s'appelle Notre Jeunesse."

"Alors ça ne va plus. On lui avait promis, Barrès lui avait promis, de le pousser
du côté de l'Académie, de lui faire avoir le Grand Prix de l'Académie française
[...] il ne l'aura pas. [...] Les grandes revues ne parlaient pas de lui, parce qu'il
avait déçu."

"Il essaye d'avoir le Femina ou le Goncourt, il rate naturellement tous les deux."

1700
"Y a une telle amertume en lui qu'il déchire tous le monde. Ses anciens
camarades de l'école normale, il les appelle le parti intellectuel, c'était le mot
même qu'avait employé Brunetière et les anti-dreyfusards pour désigner les
dreyfusards."

"Péguy est un malheureux. Quand on parle de lui, il faut avant tout savoir que
c'est un homme qui n'a pas été heureux. [...] Sa mère lui en avait voulu,
terriblement [...] en 1897, d'avoir changé de carrière."

"Y avait le drame du côté de sa mère, y avait le drame du côté de son foyer, et y
avait le drame permanent des Cahiers. [...] C'est un homme qui a été
endommagé par la souffrance."

"Y s'est passé dans sa vie intérieure, entre 1906 et 1908, deux grands drames
qui ont l'air contradictoires [...] d'une part Péguy va se convertir, d'autre part il
va entrer dans une passion, dans un amour interdit."

"Péguy n'a jamais été un catholique pratiquant. [...] Il va jamais à la messe [...]
c'est pas quelqu'un qui s'est jamais confessé."

"Je voudrais, si vous devez garder le moindre souvenir de mon exposé, ceci,
l'image d'un Péguy au bord du suicide."

"C'est un raté à la fin Péguy. Un homme qui se tourmentait, se déchirait." -


Henri Guillemin, Charles Péguy II, 18 août 1972.

« Sans nul doute s’il avait vécu, il aurait été avec nous ! Bien mieux, il l’était
d’avance. » -Charles de Gaulle, à propos de Péguy.

« Il préfère la « résurrection » ambitionnée par Michelet plutôt que


l’enregistrement des positivistes. La prose de Michelet est « mystérieusement
forte […] a en elle un tel secret, une telle source mystérieuse de poésie ». »

« Il est aux côtés des défenseurs traditionalistes du latin et du grec contre la


Nouvelle Sorbonne, mais parmi eux se trouvent des défenseurs républicains de
l’héritage. Ils défendent une position de « boursier », si l’on reprend le terme de
Thibaudet dans La République des professeurs. Péguy est socialiste et
républicain de cœur, libertaire dans sa conception du classique, attaché aux
traditions du judéo-christianisme. Si ses thèmes et ses positions le rapprochent
de la droite littéraire, il reste foncièrement inclassable. » -Pauline Bernon, «
Péguy critique, l'envers du tragique », Revue d'histoire littéraire de la France,
1701
2005/3 (Vol. 105), p. 573-586. DOI : 10.3917/rhlf.053.0573. URL :
https://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2005-3-page-
573.htm

http://academienouvelle.forumactif.org/t6723-andrea-cavazzini-et-jonathan-
soskin-le-temps-apres-leternite-sur-les-notes-de-charles-peguy#7872

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Charles/dp/2070111148/ref=sr_1_9?s=books&ie=UTF8&qid=1515607156&sr=
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D8T47E6QP0GQKMDK

Jérôme et Jean Tharaud : "Des livres tels que Quand Israël est roi ou Quand
Israël n'est plus roi ne laissent aucun doute: leur teneur antisémite fait leur
succès." (p.130)
-Michel Leymarie, La Preuve par deux. Jérôme et Jean Tharaud, Paris, CNRS
Éditions, 2014, 399 pages.

http://academienouvelle.forumactif.org/t5087-michel-leymarie-la-preuve-par-
deux-jerome-et-jean-tharaud#6059

Jean Allemane (1843-1935) :

1702
Édouard Vaillant (1840-1915) : « Pour Édouard Vaillant, toute religion était
un fléau ; le manifeste de 1874, intitulé Aux Communeux, que Vaillant cosigna
avec Granger, proclame : « l’homme ne sera jamais libre tant qu’il n’aura pas
chassé Dieu de son intelligence et de sa raison ». » -Jacqueline Lalouette, "De
quelques aspects de l’athéisme en France au XIXe siècle", Cahiers d’histoire.
Revue d’histoire critique [Online], 87 | 2002, Online since 01 April 2005,
connection on 11 February 2021.
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

Paul Brousse (1844-1912) : "Nombre de chambres syndicales, comme l'a


montré Michel Winock, se détachent du possibilisme, engagé dans
l'antiboulangisme militant. La politique de défense républicaine que préconisent
alors Brousse et Allemane se heurte souvent à la résistance ouvrière, surtout
quand Brousse en vient à dénoncer, en 1888, ce qu'il appelle "les grèves
boulangistes"." (p.21)
-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises
du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

http://academienouvelle.forumactif.org/t7564-paul-brousse#8766

Sébastien Faure (1858-1942) : "L’anarchiste libre-penseur Sébastien Faure


parcourait la France pour présenter une conférence dont le titre était « Les
crimes de Dieu »." -Jacqueline Lalouette, "De quelques aspects de l’athéisme en
France au XIXe siècle", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [Online],
87 | 2002, Online since 01 April 2005, connection on 11 February 2021.
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

Paul Lafargue (1842-1911) : "Lafargue préféra retirer sa candidature au siège


du Ve arrondissement de Paris plutôt que de se mesurer à Naquet, sachant que,
de toute façon, les voix socialistes du quartier Latin iront au lieutenant de
Boulanger." (p.22)

"Dans l'esprit de Lafargue, il ne fait aucun doute que le socialisme se doit


d'exploiter ce mouvement populaire, car il remplit la fonction que le parti
ouvrier est encore incapable d'assurer. Voilà pourquoi, ne pouvant, pour le
moment, ni le supplanter ni même jouer un rôle identique, il appartient au parti
1703
de soutenir le boulangisme dans son œuvre de destruction de l'ordre établi.
Cette analyse, qui ne diffère en rien de celle des chefs blanquistes, est alors
reprise par l'ensemble des militants de l'Agglomération parisienne et du CRC.
Quand elle n'est pas franchement boulangiste, l'extrême-gauche du socialisme
français refuse, presque jusqu'à la veille des législatives de 1889, de prendre
une part active à la campagne menée contre le parti national. Dès décembre
1887, au moment où éclate la crise présidentielle, de nombreux militants
guesdites s'apprêtent à marcher aux côtés des blanquistes. De même, début
1888, l'Agglomération parisienne s'oppose, malgré son hostilité de principe au
boulangisme, à une collaboration avec les possibilistes, qui sont alors en train
de poser les bases de la politique de défense républicaine, donc d'alliance avec
le centre libéral." (p.25-26)

-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises


du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

Gustave Hervé (1871-1944) : "C'est la France qui engendre aussi bien les
premiers mouvements de masse de droite que ce premier gauchisme que
représentent Hervé ou Lagardelle, gauchisme qui conduira finalement ses
adeptes aux portes du fascisme." (p.XLII)
-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises
du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

"[Hervé] peut se vanter, vers 1910, au moment où dirige l'hebdomadaire La


Guerre sociale, de pouvoir compter sur des milliers de "bons bougres", qui
n'attendent que son signal pour se jeter dans l'insurrection. Gustave Hervé est
alors, pour une minorité fiévreuse du Parti socialiste et bon nombres d' "anars",
un vrai révolutionnaire qui ne fait pas carrière à la Chambre, comme les
"blablateurs" et les "bourgeois" du parti. Certains l'appellent le "Blanqui
moderne": il croit au coup de force plutôt qu'aux urnes et il passe une bonne
partie de son temps en prison -tout comme l'Enfermé. [...]
Bénéficiant d'une bourse, il a pu faire ses études à Paris. Et puis, à force
d'entêtement, de privations, de travail solitaire, il est devenu, de pion,
professeur, réussissant l'agrégation d'histoire en 1897. Il se fixe à Sens, en
pleine affaire Dreyfus ; c'est de là que commence sa carrière publique.
Sa carrière de professeur, quant à elle, ne va pas s'éterniser puisqu'il est
1704
révoqué assez vite par le Conseil supérieur de l'Instruction publique." (p.393-
394)

"Le 6 décembre 1901, Gustave est flanqué à la porte de son lycée.


Qu'à cela ne tienne ! Le pédagogue, chez Hervé, ne sommeillera pas pour
autant. Sa vocation de professeur, il lui donne libre cours toute sa vie. Et pas
seulement dans les journaux. Il rédige de vrais manuels d'histoire et
d'instruction civique, non officiels évidemment, qu'il signe fièrement: "Gustave
Hervé, agrégé de l'Université, professeur révoqué". [...] Hervé y professe sa foi
socialiste avec des images fortes et des mots simples: "Les socialistes
considèrent que, par-dessus les frontières, tous les travailleurs exploités ont les
mêmes intérêts ; qu'ils doivent s'entendre pour empêcher leurs classes
dirigeantes de les jeter les uns contre les autres dans des guerres internationales
fratricides, etc"." (p.394)

"Hervé et ses compagnons entretiennent l'esprit insurrectionnel, antimilitariste,


anticolonialiste, à coups de déclarations tonitruantes et de reportages à effets.
La crise marocaine leur donne l'occasion de fustiger le "brigandage" de la
conquête et de prendre parti pour les Marocains. Les inculpations pleuvent, les
condamnations s'accumulent, la Santé et la Conciergerie deviennent les
résidences secondaires d'Hervé. Rien de paraît l'arrêter." (p.395)

"Quand Gustave Hervé sort une nouvelle fois de la Conciergerie, en juillet


1912, il publie dans La Guerre sociale le produit de ses méditations carcérales.
Il est resté le même, Hervé, il le dit, il le proclame, il est toujours le socialiste
révolutionnaire qu'on a toujours connu. Mais il a réfléchi. Il faut changer de
tactique, dit-il, sur trois points. Primo, on doit cesser d'attaquer l'activité
parlementaire, parce que c'est affaiblir le parti. Secundo, un "désarmement des
haines" est nécessaire, face au danger de césarisme et de guerre ; seul un bloc
soudé entre Parti socialiste et CGT barrera la route à un nouveau boulangisme.
Tertio, et voici le plus nouveau, Hervé demande à ses amis de reconsidérer le
problème militaire. Si l'on veut faire la révolution, il nous faut compter sur
l'appui de l'armée, ou d'une partie de l'armée ; donc, fini l'anti-militarisme, vive
le "militarisme révolutionnaire". [...]
Le lecteur ordinaire de La Guerre sociale en reste bouche bée. Le "Général",
qui mérite décidément son surnom, vient s'expliquer lors d'une grande réunion,
salle Wagram [...] le 25 septembre 1912. Il y a foule, mais l'orateur est chahuté
1705
par les anars de la Fédération communiste. [...]
Quand la guerre éclate en 1914, Hervé veut s'engager, mais le ministre de la
Guerre le juge trop précieux à la tête de son journal. Certes ! Comme Hervé en
fait toujours trop, il va désormais en rajouter dans le patriotisme. Dès le 9 août,
La Guerre sociale reproduit à la une... Le Clairon de Déroulède, avec portrait
photographique du poète ligueur en prime.
Le néo-hervéisme indispose, tout autant que le primo-hervéisme, les instances
de la SFIO. Le 1er janvier 1916, Hervé le poilu troque sa Guerre sociale contre
un quotidien, dont le titre -La Victoire- est plus approprié aux circonstances. Au
fil de ses éditoriaux, il développe l'idée d'un "socialisme national", qu'il oppose
à la lutte des classes et à l'internationalisme. Le 22 octobre 1916, Hervé est
exclu du Parti socialiste.
La guerre a achevé la métamorphose de l'ex-insurgé. Dans les années vingt et
trente, il garde la même passion, mais il a changé de foi. Hier, la Révolution ;
aujourd'hui, la Patrie. Pendant vingt années encore, il va se dépenser en faveur
de son "socialisme national", fondateur de groupuscules éphémères,
éditorialiste toujours désintéressé et toujours véhément de La Victoire. En 1935,
il en appelle à une République autoritaire et plébiscitaire. Après la victoire de la
gauche en 1936, il publie une brochure au titre tristement prémonitoire: C'est
Pétain qu'il nous faut. Pourtant, Hervé cesse toute activité politique, au moment
même où, dans le lit de la défaite, le maréchal dictateur, qu'il avait appelé de
ses voeux, s'installe." (p.397)
-Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions
du Seuil, coll. Points Histoire, 2014, 506 pages.

« La vision de l' "Etat syndicaliste" prochain dont Émile Pouget, Émile Pataud,
Gustave Hervé et quelques autres imaginent vers 1910 le bon fonctionnement,
part de l'idée d'autogestion ouvrière pour aboutir à l'unanimité discipliné d'un
syndicalisme totalitaire. » -Marc Angenot, L'Histoire des idées. Problématiques,
objets, concepts, méthodes, enjeux, débats, Presse Universitaires de Liège, coll.
Situations, 2014, 392 pages, p.306.

Georges Sorel (1847-1922) : « À travers tout cet encombrement verbal, nous


arrivons à comprendre que Jaurès nous convie à une nouvelle religion du devoir
social, à un nouveau messianisme laïque, en un mot à une renaissance du vieil
utopisme antérieur à 1848. Il n'ignore pas que très nombreux sont les
catholiques et les protestants qui prêchent la même doctrine que lui, dans une
langue presque aussi obscure que la sienne. À l'heure actuelle, il existe un
1706
grand mouvement humanitaire dans les classes dirigeantes ; la fameuse doctrine
de la solidarité est l'expression de cette nouvelle tendance. En se plaçant sur un
terrain singulièrement voisin de celui où se tiennent les bourgeois sensibles, le
socialisme modern style ne peut manquer de récolter beaucoup
d'applaudissements ; il peut même obtenir des résultats pratiques d'une certaine
valeur; mais avant de rompre avec une tradition qui a été l'honneur du
socialisme contemporain et de revenir aux imitations des caricatures du
christianisme, il faudrait bien se rendre compte de ce que l'on fait et poser les
questions d'une manière intelligible. » -Georges Sorel, Introduction à
l’économie moderne.

« Les auteurs qui avaient critiqué Marx lui avaient souvent reproché d'avoir
parlé un langage plein d'images qui ne leur semblait point convenir à une
recherche ayant la prétention d'être scientifique. Ce sont les parties
symboliques, regardées jadis comme ayant une valeur douteuse, qui
représentent, au contraire, la valeur de l'œuvre. Nous savons aujourd'hui, par
l'enseignement de Bergson, que le mouvement s'exprime surtout au moyen
d'images, que les formules mythiques sont celles dans lesquelles s'enveloppe la
pensée fondamentale d'un philosophe, et que la métaphysique ne saurait se
servir du langage qui convient à la science. D'autre part, c'est en recourant à
ces parties longtemps négligées que la nouvelle école a pu arriver à une
intelligence complète du syndicalisme révolutionnaire.

La catastrophe — qui était la grande pierre de scandale pour les socialistes qui
voulaient mettre le marxisme en accord avec la pratique des hommes politiques
de la démocratie — se trouve correspondre parfaitement à la grève générale
qui, pour les syndicalistes révolutionnaires, représente l'avènement du monde
futur. On ne peut pas accuser ceux-ci d'avoir été trompés par la dialectique
hégélienne et, comme ils repoussent la direction des politiciens, même les plus
avancés, ils ne sont pas non plus des imitateurs du blanquisme. Nous sommes
ainsi amenés, par l'observation des faits qui se manifestent dans le prolétariat, à
comprendre la valeur des images employées par Marx, et celles-ci à leur tour
nous permettent de mieux apprécier la portée du mouvement ouvrier.

De même la notion de lutte de classe était demeurée assez vague tant qu'on
n'avait pas eu sous les yeux des organisations ouvrières conçues comme les
concevait Pelloutier, des organisateurs de producteurs qui font leur affaires
eux-mêmes, sans avoir besoin d'avoir recours aux lumières que possèdent les
1707
représentants des idéologies bourgeoises. Dans la brochure que j'ai déjà citée,
Pelloutier exposait ainsi la situation de ses amis : «Proscrits du Parti, parce
que, non moins révolutionnaires que Vaillant et que Guesde, aussi résolument
partisans de la suppression de la propriété individuelle, nous sommes en outre
ce qu'ils ne sont pas, des révoltés de toutes les heures, des hommes sans dieu,
sans maître et sans patrie, les ennemis irréconciliables de tout despotisme,
moral ou matériel, individuel ou collectif, c'est-à-dire des lois et des dictatures,
y compris celle du prolétariat. » Des gens qui sont animés de tels sentiments, ne
peuvent faire autrement que de mettre en pratique, sous la forme rigoureuse, la
doctrine de la lutte de classe.

Les efforts que le gouvernement français, après l'affaire Dreyfus, a faits pour se
concilier les bonnes grâces des hommes les plus marquants du monde ouvrier,
ont beaucoup contribué à éclairer la nature des rapports qui existent entre le
socialisme et la démocratie. Étant donné qu'aujourd'hui la mode est à
l'évolution, il était impossible qu'on ne considérât pas la démocratie comme une
étape entre la société aristocratique de l'Ancien Régime et le socialisme :
nobles, bourgeois, petits bourgeois, ouvriers ; l'échelle descendante des fortunes
devait correspondre à un mouvement vers le gouvernement des plus pauvres.
Marx croyait que le régime démocratique offre cet avantage que l'attention des
ouvriers n'étant plus attiré par des luttes contre la royauté ou l'aristocratie, la
notion de lutte de classe devient alors beaucoup plus facile à entendre.
L'expérience nous apprend, au contraire, que la démocratie peut travailler
efficacement à empêcher le progrès du socialisme, en orientant la pensée
ouvrière vers un trade-unionisme protégé par le gouvernement. Depuis que nous
avons sous les yeux les deux formes opposées de l'organisation syndicale, ce
danger de la démocratie apparaît clairement. »

« Les catholiques font les plus grands efforts pour grouper des ouvriers dans
des syndicats auxquels ils promettent monts et merveilles, dans l'espérance de
faire peur aux politiciens radicaux et de sauver l'Église. L'affaire Dreyfus peut
être comparée fort bien à une révolution politique, et elle aurait eu pour résultat
une complète déformation du socialisme, si l'entrée de beaucoup d'anarchistes
dans les syndicats n'avait, à cette époque, orienté ceux-ci dans la voie du
syndicalisme révolutionnaire et renforcé la nation de lutte de classe. »

« Les apologies du catholicisme ont été si frappés de l'incohérence que présente


cette histoire qu'ils ont prétendu qu'on ne saurait l'expliquer sans faire
1708
intervenir les desseins mystérieux de la Providence. Je vois les choses sous un
aspect plus simple ; je vois que l'Église s'est sauvée malgré les fautes des chefs,
grâce à des organisations spontanées ; à chaque rajeunissement se sont
constitués de nouveaux ordres religieux qui ont soutenu l'édifice en ruines, et
même l'ont relevé. Ce rôle des moines n'est pas sans analogies avec celui des
syndicats révolutionnaires qui sauvent le socialisme ; les déviations vers le
trade-unionisme, qui sont la menace toujours redoutable pour le socialisme,
rappellent ces relâchements des règles monastiques qui finissent par faire
disparaître la séparation que les fondateurs avaient voulu établir entre leurs
disciples et le monde.

La prodigieuse expérience que nous offre l'histoire de l'Église est bien de nature
à encourager ceux qui fondent de grandes espérances sur le syndicalisme
révolutionnaire et qui conseillent aux ouvriers de ne chercher aucune alliance
savamment politique avec les partis bourgeois, — car l'Église a plus profité des
efforts qui tendaient à la séparer du monde que des alliances conclues entre le
pape et les princes. » -Georges Sorel, La Décomposition du marxisme, 1re éd.
Paris, Librairie de Pages libres, 1908.

« Un chef d’Etat dont le génie rappelle celui de Pierre le Grand. »

« Maudites soient les démocraties ploutocratiques qui affament la Russie ; je ne


suis qu’un viellard dont l’existence est à la merci de minimes accidents : mais
puissé-je, avant de descendre dans la tombe, voir humilitées les orgueilleuses
démocraties bourgeoises, aujourd’hui cyniquement triomphantes. » -Georges
Sorel, à propos de Lénine, in « Pour Lénine », troisième appendice aux
Réflexions sur la violence.

"Pierre Andreau, dans Notre Maître, M. Sorel, a qualifié sa carrière de


brillante." (p.9)

"Il fera de la lutte des classes, un mythe destiné à exalter l'action prolétarienne
et non pas un combat entre deux objets sociologiques impossible à identifier
précisément dans la réalité économique: la bourgeoisie et le prolétariat. [...]
Contrairement à ce que pensent les "marxistes", avec le temps les classes
sociales ne se réduisent pas à une dichotomie de plus en plus conflictuelle."
(p.18)

1709
« Sorel veut que les ouvriers s'écartent des politiciens, des "déclamateurs"
(Jaurès fait partie du lot), du discours politique en tant que tel qui les détourne
de ce qui doit être leur mission historique: la construction d'un vaste atelier
industriel, constitué par le système des machines d'où surgira une civilisation du
travail, porteuse des authentiques progrès dont sont désormais incapables les
classes fourbues, l'aristocratie évidemment, mais surtout la bourgeoisie
empêtrée désormais dans la défense de ses intérêts les plus mesquins. » (p.29)
-Yves Guchet, préface à Georges Sorel, Les illusions du progrès, L'Age
d'Homme, coll. "Les classiques de la politique", 2007 (1908 pour la première
édition).

« Sorel suggère que la volonté de résoudre les problèmes sociaux par la


discussion est une preuve de bassesse, de pacifisme bourgeois. A ses yeux, le
socialiste démocrate, qui va au Parlement dans l'espoir d'arranger les choses
légalement, est un être méprisable, alors que celui qui se bat et affirme qu'il n'y
a pas d'accord possible, est un être admirable. » -Raymond Aron, Etats
démocratiques et Etats totalitaires, communication présentée devant la Société
française de philosophie, le 17 juin 1939 ; publiée dans le Bulletin de la Société
française de philosophie, 40e année, n°2, avril-mai 1946. Repris dans Raymond
Aron, Penser la liberté, penser la démocratie, Gallimard, coll. Quarto, 2005,
1815 pages, p.76.

« Sorel, petit bourgeois étranger au métier des armes aussi bien qu'à
l'authentique vie ouvrière, rêve d'une violence qui serait aussi peu sanglante que
possible. A la manière de tous les romantiques, il idéalise la violence, il la veut
"sans haine et sans esprit de vengeance", il l'imagine sur le modèle des combats
chevaleresques. Il souhaite conférer aux conflits sociaux "un caractère de pure
lutte, semblable à celui des armées en campagne". » -Raymond Aron, L'Homme
contre les tyrans, Gallimard, 1946. Repris dans Raymond Aron, Penser la
liberté, penser la démocratie, Gallimard, coll. Quarto, 2005, 1815 pages, p.127.

« L'idéologie la plus pernicieuse des soixante dernières années fut le


syndicalisme de Georges Sorel et son enthousiasme pour l'action directe. Créée
par un intellectuel français frustré, elle s'empara rapidement des gens de lettres
de tous les pays d'Europe. Ce fut un facteur déterminant dans la radicalisation
de tous les mouvements subversifs. Elle influença le royalisme, le militarisme et
l'antisémitisme français. Elle joua un rôle important dans l'évolution du
bolchevisme russe, du fascisme italien et du jeune mouvement allemand qui
1710
conduisit finalement au développement du nazisme. Elle transforma les partis
politiques, qui cherchaient alors à remporter la victoire lors des campagnes
électorales, en factions comptant sur l'organisation de bandes armées. Elle
porta le discrédit sur le gouvernement représentatif et sur la « sécurité
bourgeoise ». Elle prêcha l'évangile de la guerre civile et de la guerre contre
l'étranger. Son slogan principal était : la violence et encore la violence. L'état
actuel des affaires européennes est en grande partie le résultat de la
prédominance des enseignements de Sorel.

Les intellectuels furent les premiers à saluer les idées de Sorel : ils les rendirent
populaires. Mais la teneur de son idéologie était évidemment anti-intellectuelle.
Elle s'opposait au raisonnement froid et à la réflexion posée. Ce qui comptait
pour Sorel, c'était uniquement l'action, à savoir l'acte de violence pour la
violence. Battez-vous pour un mythe, quoi qu'il puisse vouloir dire, tel était son
conseil. « Quand on se place sur ce terrain des mythes, on est à l'abri de toute
réfutation. ». Quelle merveilleuse philosophie que de détruire pour détruire. Ne
parlez pas, ne raisonnez pas, tuez ! Sorel rejetait « l'effort intellectuel », même
celui des champions littéraires de la révolution. » -Ludwig von Mises, La
Mentalité anti-capitaliste, 1956.

« L’irrationalisme, auquel Sorel recourut pour transformer en « mythes »


certaines thèses capitales de Marx, l’amenèrent […] à « démantibuler » en
quelque sorte ces thèses, dans la mesure où il s’agissait de leur portée pratique
pour la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat, et fraya sur le plan
idéologique la voie au fascisme de Mussolini. » -Karl Korsch, Pourquoi je suis
un marxiste, Modern Quarterly, avril 1935.

« Les bavardages fascistes de Sorel. » -Jean-Paul Sartre, préface à Frantz Fanon,


Les Damnés de la Terre, 1961.

« En Sorel se trouvent réunies trois branches majeures de l'antirationnalisme:


les apports successifs de Vico, de Nietzsche et de Bergson. La campagne menée
par Sorel contre le XVIIIème siècle français, associée à celle que lance à la
même époque Croce, constitue l'étape de transition vers le pallier suivant, celui
du fascisme. » (p.598)

« Sorel accomplit un véritable tour de force : il parvient à vider le marxisme de


son rationalisme. » (p.601)

1711
-Zeev Sternhell, Les anti-Lumières. Une tradition du XVIIIème siècle à la
guerre froide. Saint-Amand, Gallimard, coll. Folio histoire, 2010, 945 pages.

« En 1893, il entame sa carrière de penseur socialiste. Portant sur son époque


et sur le régime de république bourgeoise un regard méprisant de moraliste
(c'est le temps du scandale de Panama), épris d'un souci d'absolu, il croit
trouver chez Marx les outils scientifiques d'une philosophie sociale. Il devient
alors, pendant cinq ans, comme le dit Shlomo Sand, "une espèce de compagnon
de route du parti guesdiste". Il collabore à ces deux premières revues marxistes
qu'ont été, en France, L’Ère nouvelle, puis Le Devenir social, en compagnie de
Lafargue, Deville et autres intellectuels proches du Parti ouvrier français. Mais,
en 1908, premier coup de barre à droite: à la suite d'Édouard Bernstein, Sorel
va entrer dans le révisionnisme du marxisme, planter là ses amis guesdistes, et,
l'affaire Dreyfus explosant en janvier, se faire le militant de cet autre
révisionnisme, également abhorré des guesdistes: la révision du procès qui a
expédié à l'île du Diable le capitaine juif.
Au cours de cette phase "dreyfusienne", Sorel, qui a toujours conçu le plus grain
dédain pour le socialisme démocratique, porte Jaurès aux nues et soutient même
la participation de Millerand dans le gouvernement bourgeois de Waldeck-
Rousseau: "La conduite admirable de Jaurès est la plus belle preuve qu'il y a
une éthique socialiste". Contre la réaction, redevenue si dangereuse, les
socialistes doivent prendre leurs responsabilités et ne pas hésiter à soutenir la
gauche. Mais, en 1902, coup de barre à gauche et adieu Jaurès ! Après les
élections qui portent Émile Combes à la tête du gouvernement, le spectacle
d'une république radicale, à la mesquinerie de laquelle Jaurès donne la caution
socialiste, partis à la "curée": de 1903 à 1908, il va se faire le praticien d'un
autre compagnonnage de route, celui du syndicalisme révolutionnaire, nouvelle
chance de ce "socialisme prolétarien", dont les partis marxistes et les pratiques
parlementaires des réformistes se sont révélés de si piètres interprètes.
Au cours de cette nouvelle séquence quinquennale (c'est Sand qui observe ce
rythme quinquennal dans l'évolution de Sorel), notre auteur fait entendre la voix
des déçus du dreyfusisme. Parmi ceux-ci, Charles Péguy a été le plus éloquent.
Du reste, Sorel et Péguy ont fait un bout de chemin ensemble. Le premier
fréquentait la boutique des Cahiers du second et le second appelait le premier,
par un hommage de cadet à aîné: "Notre bon maître à M. Sorel". Un autre
cénacle exprime alors cette critique du dreyfusisme politique: Le Mouvement
socialiste, revue dirigée par Hubert Lagardelle et dans laquelle Sorel va se
1712
trouver un moment en communion d'esprit. C'est au cours de cette période, en
1906, qu'il publie son livre resté le plus célèbre, Réflexions sur la violence,
réputé comme une sorte de théorie officieuse du syndicalisme révolutionnaire."
(p.381-382)

"C'est aussi au cours de cette période rouge que Sorel commence à distiller un
antisémitisme d'autant plus curieux chez lui qu'il l'avait dénoncé antérieurement
comme une duperie pour la classe ouvrière et qu'il avait vanté la culture et
l'histoire juives. [...] Il n'était, du reste, pas unique en son genre. En juillet 1906,
Le Mouvement socialiste publie un article de Robert Louzon intitulé "La faillite
du dreyfusisme ou le triomphe du parti juif". Sorel l'approuve, au point, nous dit
Sand, de suggérer à Lagardelle d'adresser l'article à... Drumont." (p.383)
-Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions
du Seuil, coll. Points Histoire, 2014, 506 pages.

« Sorel fera paraître, entre mars 1911 et juillet 1913, une revue bimensuelle:
L'Indépendance. Devenue mensuelle un court moment, du 15 mars au 15 juin
1913, L'Indépendance eut 48 numéros. Tout au long de son existence, elle
chercha, en vain, la formule idéale, le format satisfaisant. [...]
En octobre 1912, Barrès, Bourget et Francis Jammes entrent au comité de
rédaction, mais ce remaniement ne suffit pas à donner à la revue du mordant, de
la couleur, ou simplement une quelconque spécificité. [...] L'Indépendance ne
parvient pas véritablement à se démarquer par rapport à L'Action française
hebdomadaire.
On y retrouve en effet les mêmes thèmes: nationalisme, antisémitisme, défense
de la culture, du classicisme, de l'héritage gréco-romain, lutte contre la
Sorbonne et l'enseignement laïque. L'Indépendance lance de longues campagnes
contre Gambetta et la Défense nationale -la République est une créature de
Bismarck, mais elle rend un vibrant hommage à la révolte royaliste dans le
Midi. Mais, malgré la collaboration de Pareto, de Le Bon ou de Claudel, la
revue ne parvient pas à s'affirmer et ne répond pas au besoin qui l'avait fait
naître. » (p.526-527)

""La cause de la civilisation, la cause du classicisme, la cause du grand art, la


cause de la France sont une seule cause, voilà tout notre point de vue", lit-on
dans L'Indépendance." (p.533)
-Zeev Sternhell, "A la recherche d'une assise populaire: l'Action française et le
prolétariat", chapitre IX in La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines
1713
françaises du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première
édition française), 602 pages.

« On sait qu'aux environs de 1907 Sorel s'éloignait du mouvement syndical, dont


il avait attendu tant de choses. A mesure que les syndicats accusaient une
volonté sans cesse croissante de coopérer avec les partis politiques, Sorel les
trouvait aussi "gourmands", aussi "avides" que la bourgeoisie haïssable.
Quelques années avaient suffi au théoricien vieilli pour tomber d'accord avec
Croce que le socialisme était mort et en venir à apprécier ce public en puissance
que représentaient les cercles d'Action Française. Dans son essai publié
pendant l'été 1909, et qui a pour titre "La Déroule des Mufles", Sorel attaquait
les politiciens corrompus et les rhéteurs socialistes qui, comme Jaurès, jouaient
le jeu perdant du parlementarisme. Il faisait l'éloge des royalistes de l'Action
Française, seuls capables d'animer un mouvement protestataire contre la
décadence qui menaçait. Nul autre groupe social ne possédait intelligence, foi et
courage nécessaires pour déclencher la grande offensive contre les "mufles qui
corrompaient la France". "Leur mérite sera grand aux yeux de l'historien, car
l'on peut espérer que, grâce à eux, le règne de la bêtise et de la goujaterie sera
promptement terminé."
Puis, le 14 avril 1910, l'Action française publiait un article "du plus puissant, du
plus pénétrant des sociologues français" sur "L'Eveil du Coeur Français", suivi
le 29 septembre d'une interview où Sorel déclarait soutenir la "Réaction"."
(p.93-94)
-Eugen Weber, L'Action française, Fayard, coll. Pluriel, 1985 (1962 pour la
première édition états-unienne), 685 pages.

« Au cours de trente années de vie intellectuelle, Sorel s’est durant trois ans
(1909-1912) rapproché de l’extrême-droite antiparlementaire. Il s’en est écarté
à la veille de la guerre, pendant laquelle il s’est affirmé pacifiste et même avec
un sens de la provocation inné chez lui, pro-allemand ; il a achevé sa vie (1922)
en défenseur de Lénine et du bolchevisme. Sternhell, qui affirme à tort (p.106)
qu’à partir de la guerre, Sorel garde le silence, déclare que son attitude
ultérieure « ne change rien à l’affaire » (p.168). Cela change au contraire
beaucoup. Car il est impossible, même pendant la période de flirt avec l’Action
française, de faire de Sorel un nationaliste. Il l’est moins que Barrès ou que
Maurras, il l’est moins que Jaurès. Son antiétatisme résolu, qui à lui seul
interdit d’en faire un ancêtre du fascisme, s’accompagne d’un internationalisme
assez exceptionnel dans le mouvement ouvrier français. » -Jacques Julliard, «
1714
Sur un fascisme imaginaire : à propos d'un livre de Zeev Sternhell », Annales,
volume 39, 1984, pp. 849-861, p.855.

"Depuis la victoire des révolutionnaires russes, Sorel emploie l'essentiel de ses


activités à défendre le bolchevisme. En France, sa première prise de position
publique est publiée en annexe d'une réédition des Réflexions. Il s'agit du
Plaidoyer pour Lénine (septembre 1919). Dans son dernier texte, écrit en mars
1922, Sorel polémique avec Guglielmo Ferrero, contempteur de Marx et de
Lénine." (p.37-38)

"Lorsque Sorel meurt le 27 août 1922, il est clair que, pour l'opinion française,
c'est un partisan de l'intransigeance socialiste qui disparaît. L'Humanité, la Vie
Ouvrière et la Correspondance Internationale (IIIe Internationale) lui rendent
hommage. Robert Louzon, dans la Vie Ouvrière, conclut que l’œuvre de Sorel
est "la justification la plus complète et la plus haute de la révolution" tandis que
Marcel Ollivier, dans la Correspondance, affirme qu'il fut "l'homme qui exerça
la plus grande influence sur la pensée révolutionnaire française, au cours des
cinquante dernières années"." (p.38)

"Au contraire, l'Action française dans sa rubrique nécrologique du 31 août


1922, se démarque nettement de l'auteur des Illusions du Progrès: "Sorel
sombrera dans le bolchevisme... il ne sut pas se délivrer des idées agonisantes
reçues dans sa jeunesse: il meurt avec elles." (p.38)

"Sorel qui a constamment souligné l'antagonisme entre le mouvement ouvrier et


le mouvement fasciste a été un observateur attentif, sinon toujours clairvoyant,
du fascisme. Il n'a, en aucune circonstance, écrit un mot en sa faveur, alors qu'il
n'a cessé d'exprimer son inquiétude devant la montée de ce nouveau
"thermidorisme"." (p.42)

"La légende de Sorel, "père du fascisme" ne peut, dès lors, être nourrie que par
des "témoignages", des "propos" apocryphes, des "citations" indirectes et
suspectes. [...] Les "propos" attribués à Sorel par Variot dans lesquels Sorel
aurait établi le parallèle Mussolini-Lénine sont d'une authenticité
problématique. On sait que Variot, journaliste de médiocre talent, avait
fréquenté Sorel au moment de la puration de l'Indépendance. Son recueil, pour
lequel il demande de "l'indulgence" au lecteur, est constitué de prétendus
comptes rendus de conversations que Sorel l'aurait autorisé à prendre. Le

1715
manque de sérieux du personnage éclate dès la seconde page de sa préface
lorsqu'il situe la mort de Sorel en 1924 (et non en 1922)." (p.42)

"Bourget, les frères Tharaud, Johannet, Variot et le Valois des années 20


façonnent l'image atrophiée d'un Sorel, inclassable contempteur de la
décadence démocratique, admirateur de Mussolini et de Lénine." (p.49)
-Michel Charzat, "Georges Sorel et le fascisme. Éléments d'explication d'une
légende tenace", Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle (Cahiers Georges
Sorel), Année 1983, 1, pp. 37-51.

https://www.amazon.fr/Notre-ma%C3%AEtre-Sorel-Andreu-
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2-
fkmr2&keywords=Pierre+Andreu+Georges+Sorel+entre+le+noir+et+le+rouge

http://www.amazon.fr/%C3%89douard-Berth-socialisme-
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Sorel/dp/2867144671/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&refRID=0AMH9G1X23C6
Q61GVWNW&dpID=51zAOXhJsLL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR1
12%2C160_

Edouard Berth (1875-1939) : « La Force de l’AF jusqu’ici, c’est précisément


qu’elle est apparue non comme un parti prêt à transiger, comme tous les partis,
mais comme une force d’implacable opposition au régime. Si elle baisse le ton,
si elle se met à ménager les hommes de ce régime abject, je crains fort que son
prestige ne diminue rapidement. » -Édouard Berth, Lettre à Charles Maurras, 15
mars 1912, cité dans Stéphane Giocanti, Maurras : le chaos et l'ordre, Paris,
Flammarion, coll. Grandes biographies, 2008 (2006 pour la première édition),
568 pages, note 6 p.248.

« Les ouvriers ont une patrie plus encore que les bourgeois, qu'on pourrait
considérer, eux, comme étant les vrais ''sans-patrie'' ; car le riche est le vrai
déraciné qui, partout dans le monde, se trouve bien, précisément, grâce à sa
richesse ; tandis que l'homme du peuple, le pauvre, dépaysé, déraciné,
transplanté, livré à la double domination capitaliste et étrangère, est
doublement esclave et malheureux. […] L'homme du peuple est immergé dans
sa patrie bien plus profondément que l'homme des classes riches, dont
l'existence abstraite et transcendantale fait presque naturellement un habitant

1716
de Cosmopolis. » -Edouard Berth , « Satellites de la ploutocratie », Cahiers du
Cercle Proudhon, 3-4 mai-août 1912.

« Il faudrait que le réveil des valeurs héroïques, qui semble se manifester dans
la jeune bourgeoisie, se produisît aussi dans la jeunesse ouvrière : nous
entrerions ainsi dans une nouvelle ère classique, guerrière et révolutionnaire,
où, toute espèce de romantisme étant décidément surmontée, de grandes choses
pourraient de nouveau s'accomplir. Puisse l'intérêt qui semble se réveiller
autour de la mémoire de Proudhon être le signe et le gage de cette Renaissance
! » -Edouard Berth, Les Méfaits des intellectuels, préface, p.15.

« La violence appelle l’ordre, comme le sublime appelle le beau ; Apollon doit


compléter l’œuvre de Dionysos. » -Édouard Berth, Les Méfaits des intellectuels,
Paris, Marcel Rivière, 1914, 333 pages, p.329.

"De tous les disciples de Sorel, le plus conséquent sera aussi celui qui ira le plus
loin dans le compagnonnage avec l'Action française: Édouard Berth. Son maître
ouvrage, Les Méfaits des intellectuels, paru en 1914, mais reprenant des
articles donnés, pour la plupart au Mouvement socialiste entre 1905 et 1908,
traduit les influences de Nietzsche, Proudhon et Sorel, mais aussi une pensée
originale, dégagée de tout conformisme, et qui, déjà, rencontre celle de l'Action
française. En 1905, sous le titre "Tradition et Révolution", Berth fait l'éloge de
Maurras: "L'Etat dont Maurras et l'Action française poursuivent la restauration
ne ressemble pas plus à l'Etat démocratique moderne que le chien,
constellation, ne ressemble au chien, animal aboyant". L'Etat maurrassien
présente pour Berth l'avantage d'être concret, à l'opposé de "cette monstrueuse
abstraction bureaucratique, qu'est l'Etat démocratique moderne". Opposition
déjà relevée par Proudhon, dans Du Principe fédératif, et que Berth perpétue en
revendiquant une "grandeur de la patrie française" et un "Etat guerrier",
expressément "non intellectuel". Influence de Proudhon, certes, mais aussi de
Maurras directement, principalement de L'Avenir de l'intelligence,
contemporain de cet article mais paru deux ans auparavant dans la revue
Minerva. Les pages de Berth sur l'avilissement de l'intelligence, sur la
corruption d'un régime où la place des intellectuels est excessive, sont
largement héritées de Maurras, dont on mesure ainsi l'influence sur des milieux
a priori étrangers au royalisme. Berth est donc, dès 1905, tombé sous le charme
du "réalisme" maurrassien qu'il dénomme "rationalisme classique" en
opposition au "rationalisme démocratique". Curieuse pensée que celle de Berth:
1717
elle mêle Maurras à Sorel et Proudhon, mais se réclame aussi de l'intuition
bergsonienne et de Nietzsche. C'est par Nietzsche, d'ailleurs, que Berth veut
concilier Maurras et Sorel, le premier s'attachant davantage au beau, le second
au "sublime", incarnant l'un la tendance apollinienne et l'autre la tendance
dionysiaque qui se sont réunies, une fois, dans la tragédie grecque. Comme
Nietzsche d'ailleurs, Berth considère que l'ennemi est Socrate, "l'initiateur de la
culture théorique et le prototype de nos Intellectuels"[Berth, Les Méfaits des
intellectuels, Marcel Rivière, 1914, 2e édition, 1926, p.83-88), dans une critique
aussi partiale que celle de son grand aîné allemand, et qui marque bien, en
dépit du désir de Berth, tout le fossé qui sépare Maurras d'une pensée non
seulement hostile à l'intellectualisme mais aussi méfiante envers la raison..
Néanmoins, entre nationalistes et syndicalistes, l'accord est bien réel sur la lutte
contre la démocratie, "aussi impuissante à sauvegarder les intérêts supérieurs
de l'Etat qu'à former de vrais producteurs". Ce travail commun, Berth va s'y
atteler sans tarder.
A la Revue critique, Berth livrera deux textes importants: une réponse à
l'enquête sur le protestantisme, d'abord, très proudhonienne et aussi très
maurrassienne dans ce qu'elle condamne, en un seul mouvement, la Réforme et
la Révolution, isolant l'individu "d'une part, en face de l'Absolu et de l'infini,
d'autre part, en face de l'Etat omnipotent". Puis, vient, "le procès de la
démocratie" que Berth dresse dans la revue maurrassienne, en réponse aux
thèses de Georges Guy-Grand dans la Revue de métaphysique et de morale. Au
"sentimentalisme" démocratique, Berth répond qu' "il est impossible de
retrouver le social, en partant de l'individuel". En maurrassien, il distingue
individu et personne: "L'individu n'a jamais été grand, fort, n'a jamais été une
personnalité que par l'effet de forces qui, dépassant l'individu, le haussaient
jusqu'à des réalités". Si la Revue critique publie ce texte en précisant qu'il
n'engage que son auteur, c'est certainement parce que Berth s'y montre
antisocratique et volontiers nietzschéen. Mais l'alliance entre royalistes et
syndicalistes est dès lors fondée dans les faits. Autour du groupe de la Revue
critique, un courant commence à prendre corps, animé par Valois, Gilbert,
Berth et René de Marans, enrichi d'une toute jeune génération maurrassienne,
celle de Henri Lagrange, Octave de Barral et Henry de Bruchard et d'une
nouvelle vague de syndicalistes ou d'anarchistes repentis, Marius Riquier,
Albert Vincent et Joseph Boissier. Quand en 1910, la Revue critique devient de
plus en plus exclusivement littéraire -René de Marans, malade, n'en assume plus
vraiment la direction- cette équipe-là songe à fonder un autre organe,
1718
principalement dédié à la réflexion sociale. Ce sera le cercle Proudhon que ne
fera que perpétuer le travail de la Revue critique." (p.209)

"Anticapitaliste, le cercle l'est cependant bel et bien: le jeune Lagrange,


reprenant la terminologie de L'Avenir de l'intelligence, conclut à l'alliance des
vertus nationales, "Filles du Sang" contre "l'invasion des puissances de l'or".
Mais le cercle Proudhon rejette aussi toute pensée niant l'existence des classes,
non sans avoir refusé l'antipatriotisme. A cet égard, Berth se réfère à Labriola
énonçant que "si la patrie est là où l'on est bien, la classe est celle qui nous fait
vivre le mieux". Comme l'homme est à la fois producteur, animal politique et
animal religieux, il est bon qu'il ait un sentiment d'appartenance sociale -celui
de l'indépendance nationale-, une foi. Et il est souhaitable que ces communautés
vivent ; avec, en préalable, la résolution du problème institutionnel, souligne
Valois. Ce n'est pas à une abolition de la lutte des classes que rêvent les jeunes
gens du cercle Proudhon mais à sa sublimation, non pas à une éradication du
conflit mais à son dépassement. "Dans une monarchie pure, écrit Valois, avec le
concours d'un syndicalisme ouvrier pur de toute influence parlementaire ou
juive et dirigeant l'action de ses corps spécialisés contre toutes les classes
bourgeoises, les antagonismes utiles à la vie d'une nation se produiront
heureusement, dans la paix civile, et la bourgeoisie française se reformera,
ardente et forte, pour remplir, dans la production et la conservation des
richesses nationales, sa fonction historique, interrompue pendant un siècle".
"Politique d'abord" maurrassien, conception d'un Etat minimal garantissant une
société libre et corporée -héritage de La Tour du Pin-, culte nietzschéen de la
violence chez ses membres les plus "gauchistes", dynamique hégélienne dans la
conception de l'histoire sociale, esprit proudhonien: le cercle Proudhon ne livre
aucune idéologie toute faite." (p.213-214)

-François Huguenin, L'Action française. Une histoire intellectuelle, Perrin, coll.


Tempus, 2011 (1998 pour la première édition), 686 pages.

Jean Variot (1881-1962) et L’Indépendance: "Né le 8 avril 1881 à Neuilly-sur-


Seine, Jean Variot est d’origine alsacienne par sa mère. Son père est médecin
militaire. Jean effectue des études littéraires au lycée Louis-le-Grand à Paris.
Peintre avant de se lancer dans une carrière journalistique et littéraire, il côtoie
dans les années 1900 le milieu des Cahiers de la Quinzaine où il rencontre
Sorel. Il débute véritablement sa carrière littéraire avec l’Indépendance, après
l’échec de la Cité française. Il avait déjà publié en 1910 son premier roman, la
1719
Très véridique histoire de deux gredins, portrait à charge des milieux
dreyfusards. Mais ce n’est qu’à partir de 1913 que son nom commence à être
connu avec les Hasards de la guerre (Crès). À la même époque, fort de ses
talents en peinture, il s’illustre dans le milieu du théâtre : il réalise pour Paul
Claudel les décors de l’Annonce faite à Marie, puis ceux de la Brebis égarée de
Francis Jammes. Mobilisé le 2 août 1914, il est affecté au Service de la
propagande dépendant du Cabinet du Ministre des Affaires étrangères et prend
part aux principaux combats, ce qui lui vaut de recevoir la croix de guerre.
Éditeur dans les années vingt, il est alors très proche de Maurras. À partir de
1934, il écrit pour Je suis partout. Sous l’Occupation, parallèlement à des
activités radiophoniques, il tient une rubrique dans Aujourd’hui, organe
collaborationniste. À la Libération, s’affirmant un barrésien indéfectible et
impénitent, il est condamné à vingt ans d’indignité nationale. Les années 1950
prolongent son activité littéraire. Il collabore à la Table Ronde et publie de
nombreux ouvrages consacrés au théâtre. Il décède le 10 août 1962."

"L’Indépendance appartient en effet à la postérité de l’Affaire. Dans l’espace


politique et intellectuel bipolarisé qui fait suite à ce séisme, on trouve dans les
colonnes de la revue les plumes de nombreux antidreyfusards notoires (Maurice
Barrès, Paul Bourget, Émile Baumann ou Vincent d’Indy) et celle d’une
population particulière, les « antidreyfusards du lendemain » (Michel Prat). Ces
hommes, dreyfusards par attachement au droit, à la justice, par solidarité avec
une classe ouvrière dont ils espéraient que la victoire dreyfusarde exaucerait
certains espoirs, reviennent rapidement sur leurs engagements, déçus par « la
République radicale ». Citons Sorel, Daniel Halévy, Jean Variot, Édouard
Berth, Urbain Gohier, les frères Tharaud ou encore Paul Acker. Tous
reconsidèrent, rejettent ou interrogent leur dreyfusisme. Pensons à la chute de
la « mystique » dreyfusarde dans la « politique » et ses compromissions,
évoquée par Charles Péguy. Ce retour du pendule peut se traduire chez certains
par le basculement dans l’antisémitisme voire un antiparlementarisme parfois
virulent. Les deux essais contemporains d’Halévy et de Sorel, l’Apologie pour
notre passé et La révolution dreyfusienne, sont ici emblématiques."

"Sorel est aussi un homme de cénacle, qui a besoin d’un lieu où une sociabilité
vive s’exerce. Or, en 1911, il se trouve isolé de deux groupes très importants
pour lui : le Mouvement socialiste d’Hubert Lagardelle et la boutique des
Cahiers de Péguy. La rupture d’avec le Mouvement socialiste survient en 1908.
1720
Déjà, des articles de Sorel avaient pu dérouter le lectorat syndicaliste de la
revue : des études sur Bergson, un article intitulé « La crise morale et religieuse
» développent des thèmes que l’on retrouvera à l’Indépendance. Mais c’est par
les événements de Villeneuve-Saint-Georges que la scission intervient. Sorel
accuse alors Lagardelle d’être entré dans le jeu politique derrière Jaurès, fût-ce
en s’opposant aux équipes en place. Il quitte la revue à l’automne. Selon nous,
des tensions accrues avec le milieu péguyste ont concouru également à
l’apparent isolement de Sorel. Parmi les premiers abonnés des Cahiers de la
Quinzaine, il est l’un des grands fidèles des jeudis de la boutique de Péguy, où il
occupe une place de maître. Ce milieu intellectuel est important pour
comprendre la naissance et le fonctionnement de l’Indépendance, en raison de
l’attachement particulier de Sorel pour cet endroit, du nombre remarquable de
rédacteurs des Cahiers qui s’associeront à la revue et de la proximité
idéologique entre ces deux organes. C’est en effet dans la boutique des Cahiers
que Sorel et Variot se rencontrent, le premier jeudi d’octobre 1908. Mais Péguy
montre des signes d’agacement devant le magistère de son aîné  qui, de son
côté, aurait aimé être publié à nouveau aux Cahiers. Il faut dire qu’entre le
dreyfusard mystique et le philosophe aux tentations iconoclastes et à l’analyse
froide et raisonnée de la religion, un fossé se creuse ; Péguy hésite à publier un
auteur qui, depuis La révolution dreyfusienne, peut choquer le lectorat
dreyfusard et juif des Cahiers ."

"L’identité traditionaliste de l’Indépendance est démontrée par la filiation que


la revue, sous la plume de Variot, revendique. Le jeune nationaliste évoque en
effet le modèle de Minerva, revue publiée en 1902 et 1903 sous la direction de
René-Marc Ferry. Cette revue littéraire bimensuelle accueille alors les plumes
de personnalités conservatrices. Citons Henry Bordeaux, Louis Dimier,
Maurras qui y publie « L’avenir de l’Intelligence », Jacques Bainville ou
encore, parce qu’ils collaboreront à l’Indépendance, Barrès, Bourget et d’Indy.
Cette tutelle est manifestée également par la présence du directeur, Ferry, au
comité de rédaction de l’Indépendance. Le discours antidreyfusard, résolument
traditionaliste et antimoderne, anti-intellectualiste et nationaliste de Minerva
préfigure en effet celui de l’Indépendance."

"Le premier numéro de la revue paraît ainsi le 1er mars 1911. Le titre exact en
est l’Indépendance. Chronique bimensuelle. Il s’agit d’une revue de format
modeste. Avec 34 pages pour ce premier numéro, c’est une revue maigre. Le
1721
nombre de pages évoluera d’ailleurs peu. La revue annonce donc une parution
bimensuelle, les 1ers et 15 de chaque mois, qui sera en fait souvent perturbée
par des retards et l’édition de numéros doubles, voire triples. De format in
octavo, chaque numéro coûte 0,60 f, prix moyen d’une revue à l’époque, mais
un prix élevé restreignant de facto le public auquel la revue s’adresse."

"Avec 59 articles et notes, le catholicisme et la religion arrivent en tête. Suivent


le traditionalisme (51 articles), l’antidémocratisme (50), l’antimodernisme sous
toutes ses formes (45), le classicisme (44) et l’anti-intellectualisme (40). Ces
grands thèmes chapeautent des thématiques plus précises. L’Indépendance est
une revue qui combat une modernité jugée décadente. Antiféministe et sexiste,
elle exalte au contraire les vertus du travail, de la famille, de la terre et du sang.
Ce nationalisme, le plus souvent militariste, peut être régionaliste. Catholique,
la revue dénonce tant les anticléricaux que les modernistes."

"Gide est affolé par une revue qui, également éditée chez Marcel Rivière, vient
directement concurrencer à ses yeux la NRF."

"Sorel continuera de côtoyer et d’apprécier Valois par exemple, qu’il soutiendra


en 1914 pour le Grand Prix de littérature de l’Académie française, contre
Variot !"

"La rupture entre Péguy et Sorel intervient en décembre 1912 des suites de
l’affaire Benda. Rendant Sorel et Variot responsables de l’échec de Julien
Benda au prix Goncourt, et accusant le philosophe de menées contre les
Cahiers, Péguy lui interdit désormais de venir à la boutique le jeudi."

"Variot, jeune écrivain encore peu remarqué, n’a sans doute pas insisté pour
sauver une revue qui ne peut plus lui servir. Il change alors son fusil d’épaule
et, avec l’aide de Barrès qui lui ouvre les portes de l’Écho de Paris, il
abandonne la critique pour la littérature."

« C’est une droite conservatrice que la modernité affole, une droite violente
mais conservatrice, pas révolutionnaire, qui étale ses conceptions dans les
pages d’une revue culturelle. » -Thomas Roman, « L'Indépendance. Une revue
traditionaliste des années 1910 », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle,
2002/1 (n° 20), p. 173-193.
1722
« Avec 48 numéros en moins de trois ans (Mars 1911 – Août 1913),
l’Indépendance, revue de culture fondée par l’écrivain nationaliste Jean Variot
pour Georges Sorel, intéresse néanmoins l’historien des idées et de la « Belle
époque ». Traditionnaliste, la revue témoigne des renaissances nationaliste,
catholique et classique de ces années. Elle pose aussi la question du « cas
Sorel » : ces années montrent, chez l’auteur des Réflexions sur la violence
(1908), un basculement du syndicalisme révolutionnaire, dont il fut l’un des
théoriciens, vers une doctrine au conservatisme pugnace. » (p.61)

« Chez ce « déçu du dreyfusisme », auteur de La Révolution dreyfusienne


(1909), une pensée réactionnaire aux accents parfois contre-révolutionnaires se
fait jour (voir Les Illusions du Progrès, 1908). Ses intérêts évoluant alors de la
question ouvrière vers des préoccupations plus morales et religieuses, le
philosophe s’isole peu à peu dans le champ intellectuel : en 1908, il rompt avec
le Mouvement socialiste d’Hubert Lagardelle alors que des tensions apparaissent
déjà avec Péguy et le milieu des Cahiers de la Quinzaine (il n’y publiera aucun
Cahier). C’est d’ailleurs dans la Boutique des Cahiers que Sorel rencontre, le
premier jeudi d’octobre 1908, Jean Variot. […]

Ces évolutions intéressent en retour certains penseurs conservateurs, à


commencer par Paul Bourget qui, avec sa pièce La Barricade [Chronique de
1910, Paris, Plon-Nourrit, 1910], montée au Vaudeville en 1910, propose une
lecture résolument conservatrice des Réflexions sur la violence. » (p.62)

« A partir de 1908, une relation épistolaire et par articles interposés se met en


place entre Sorel et l’AF. […] Le 13 août, dans l’article « La Violence »,
Maurras s’essaie à un éloge prudent de Sorel. La même année, Sorel répons à
l’Enquête sur la Monarchie et la classe ouvrière de Georges Valois, l’un de ses
disciples, devenu maurrassien, dans la tout aussi maurrassienne Revue Critique
des Idées et des Livres (RCIL), fondée en avril […]

Berth rencontre les maurassiens de la RCIL Pierre Gilbert, Henri Lagrange et


Gilbert Maire en mars 1910. »

« Les maurrassiens de la RCIL fonderont le Cercle Proudhon, sans Sorel. Variot


propose alors à ce dernier de créer une nouvelle revue ; ce sera l’Indépendance.

L’échec de la Cité française est important car il explique à la fois la naissance de


l’Indépendance (un titre qui, choisi par Sorel lui-même, prend alors tout son

1723
sens), tout comme il annonce son échec deux ans plus tard, à nouveau par
l’amalgame qui sera fait entre la nouvelle revue, le philosophe et l’AF. Si Sorel
manifeste un intérêt réel pour la mouvance de Maurras, il pense le faire de loin,
en ne voulant surtout pas être confondu avec elle. Les premiers numéros de la
revue, par les plumes y écrivant, les thèmes abordés et le comité de rédaction
rassemblé témoignent de ce souci d’autonomie. Le projet éditorial cher à Sorel
vise à parler d’art et de culture, avec certes une optique antimoderne mais, Sorel
le précise à de nombreux correspondents, sans traiter de questions sociales ou
politiques. La revue se met ainsi en place entre décembre 1910 et mars 1911,
financée à parts égales par l’éditeur Marcel Rivière (éditeur de Sorel) et Jean
Variot. Le recrutement des plumes et des noms pour le comité de rédaction se
fait auprès des amis des deux hommes, notamment les réseaux artistiques de
Variot. Le premier comité témoigne de l’objectif initial : avec Émile Baumann,
René Benjamin, Paul Jamot, Ernest Laurent, Vincent d’Indy, Émile Moselly et
les frères Tharaud, la revue rassemble des personnalités reconnues du monde des
arts et des lettres, certes plutôt marquées à droite mais sans ostentation, surtout
au regard de ce que deviendra la revue par la suite.

Dès le départ cependant, l’Indépendant affiche une teinte résolument


traditionaliste. Il s’agit en effet d’une revue combattant une modernité jugée
décadente. Les vertus qu’elle exalte sont celles du travail, de la famille, de la
terre et du sang. Son nationalisme, le plus souvent militariste, est également
teinté de régionalisme. Catholique, la revue dénonce tant les anticléricaux que le
modernisme. Dans le domaine des arts et des lettres, contre le romantisme, le
symbolisme ou le naturalisme, elle développe un discours classique et une
conception nationaliste et religieuse de l’art. Son antidémocratisme en fait une
revue antiparlementaire, opposée à la république radicale et développant une
conception élitiste mêlant, nous le verrons, libéralisme conservateur et
monarchisme. Son anti-intellectualisme se traduit par des attaques violentes
contre la Sorbonne et ses professeurs, et un anti-rationalisme virulent exaltant en
retour des figures telles que Pascal ou Bergson. Enfin, son idéologie
réactionnaire en fait une revue violemment antisémite, xénophobe, anti-
protestante et anti-maçonnique. Mais est-elle maurrassienne pour autant ? […] la
revue de Variot et Sorel n’accueille au départ aucun maurrassien […]
L’Indépendance naît sans Maurras. Mais, en s’inscrivant dans cet univers
intellectuel particulier, lui est-il possible d’éviter non seulement la

1724
contamination de ce discours prétendument indépendant par les idées de l’AF,
mais aussi de se prémunir de tout amalgame ? » (p.64-65)

« L’Indépendance voit son discours se radicaliser vers toujours plus de


nationalisme, prêtant ainsi le flanc aux critiques et confusions avec les discours
de l’AF. L’évolution des comités de rédaction et confusions avec les discours de
l’AF. L’évolution des comités de rédaction témoigne de ces changements. Le 1er
septembre 1911 (n°13), Elémir Bourges et René-Marc Ferry, fondateur au début
du siècle de la revue Minerva (qui publia notamment Maurras et Barrès)
remplacent Ernest Laurent et Paul Jamot, deux artistes par ailleurs amis. On peut
supposer que Jamot comprend assez tôt que la ligne éditoriale de la revue ne
correspond pas à celle annoncée, montrant un visage beaucoup plus politique et
idéologique, pour ne pas dire polémique, qui a pu déplaire au conservateur du
Louvre. Mais c’est le 10 octobre 1912 (n°36/37/38) que le changement le plus
important s’opère. Aux côtés des anciens membres du comité, qu’Émile Moselly
abandonne, sans doute par fidèlité à Péguy, les trois académiciens Maurice
Barrès, Paul Bourget et Maurice Donnay prêtent leurs noms à l’Indépendance.
Avec eux, deux autres hommes de lettres font leur entrée : Henri Clouard, jeune
critique littéraire au maurrassisme notoire, et Francis Jammes, écrivain proche
des milieux catholiques et réactionnaires. Au numéro suivant, le 15 novembre
1912(n°39/40), Jacques Gouverné, ami de Variot, occupe le poste de secrétaire
de rédaction et entre au comité avec Jean Thogorma, autre proche de Variot, en
février suivant (n°43). En termes de lisibilité, la revue se pose donc de plus en
plus en organe, non pas artistique et culturel, mais traditionaliste.

Tout tourne ici autour de Jean Variot qui, principal recruteur pour la revue,
démarche certes auprès des milieux artistiques, mais aussi dans les cercles
catholiques et, surtout, nationalistes. Via le jeune lorrain, diverses teintes du
nationalisme français arrivent à l’Indépendance : les militaires, les barrésiens, et,
finalement, des maurrassiens. La revue pourrait cependant être qualifiée de
barrésienne plus aisément que de maurrassienne. Variot, en effet, est proche à la
fois de la famille de Barrès et des milieux barrésiens. Dès janvier 1912, la revue
publie des écrits posthumes de Charles Demange, neveu de Barrès, et Variot est
très proche du fils de ce dernier, Philippe. Barrès lui-même finit d’ailleurs par
entrer au comité de rédaction de la revue. La revue est en outre proche des
Marches de l’Est, revue barrésienne animée par Georges Ducrocq.

1725
Quant aux royalistes, c’est toute une cohorte bigarrée qui arrive dans les
colonnes de la revue, entre les vieux royalistes –Émile Baumann, Elémir
Bourges- et les jeunes maurrassiens, pour la plupart venus du barrésisme : Henri
Clouard donc, secrétaire de la RCIL, Jean Thogorma (pseudonyme d’Edouard
Guerber), Jacques Gouverné, André Fernet, Robert Launay, un jeune historien
nationaliste et royaliste, également collaborateur à la RCIL, René Benjamin ou
encore Jean Longnon, de la RCIL, futur bibliothécaire de l’Institut d’Action
française. […] Variot […] attire à l’Indépendance toute une série de « jeunes
loups » dont Sorel aura par la suite à se plaindre. Ces jeunes critiques et
écrivains subissent en ces années d’avant-guerre l’attraction littéraire, puis
politique, du maurassisme, à partir d’un barrésisme originel. Le schéma est assez
classique et rend compte de nombreuses trajectoires intellectuelles à l’époque.
D’abord fascinés par Barrès, « professeur d’énergie », tous ces jeunes
nationalistes ont ensuite trouvé chez Maurras les directions canalisant cette
fougue. C’est d’ailleurs du bureau de l’Indépendance que ceux-ci (Variot,
Gouverné, Clouard et Thogorma) écrivent à l’époque à Maurras pour le féliciter
de son succès au procès contre Worms, juif attaqué par l’AF. Variot est ainsi
proche des milieux maurassiens. […] Variot sera très proche de Maurras après la
Guerre, avec notamment la Société de Littérature Française qu’il gérera et qui
éditera de nombreux ouvrages de Maurras. Mais cette relation n’est
qu’embryonnaire dans les années 1910. […]

D’autres noms prêtent leur plume à l’Indépendance tout en étant proche de la


nébuleuse maurrassienne. Paul Acker, ami de Péguy et barrésien, est à l’époque
également maurrassien. […] René Benjamin, jeune essayiste à la plume vive
qui, passée la Guerre, sera l’un des proches de Maurras, doit déjà éprouver,
comme beaucoup de jeunes écrivains de sa génération, l’attirance de l’AF en ces
années où débute sa carrière. Enfin, personnalité forte des rangs maurrassiens,
Dom Besse, démarcheurs de l’AF dans les milieux catholiques, donne un article
à l’Indépendance. Nous ignorons dans quelles circonstances Besse est contacté
mais à la même époque, Variot entame une collaboration à l’Univers. Or,
l’Univers, le vieux journal de Louis Veuillot, vient d’être annexé en 1912 par les
catholiques d’AF. » (p.65-68)

« C’est en libéraux que des hommes comme Sorel, Daniel Halévy, Georges
Platon ou Gustave Le Bon criquent dans les pages de la revue l’ordre en place.
En la matière, ils se distinguent bien de la critique maurrassienne et royaliste du
même régime. Ces hommes sont des bourgeois libéraux, hommes d’élite
1726
attachés au droit et aux libertés fondamentales, mais chez qui l’ordre social et
politique ne saurait être confié ni aux masses, ni à des professionnels de la
politique. Le modèle parlementaire de ces hommes est la Rome patricienne et
sénatoriale, l’Angleterre victorienne ou les Monarchies censitaires du début du
XIXe siècle en France. Mais bien que ce libéralisme conservateur appartienne au
discours social et politique de l’Indépendance, il n’est qu’un son de cloche dans
la polyphonie traditionaliste de la revue. De même que les rédacteurs de
l’Indépendance expriment des nuances distinctes d’un catholicisme tantôt social,
tantôt mystique, de même que diverses conceptions du classicisme artistique et
littéraire s’y rencontrent, on peut affirmer que, sur le plan politique, autour d’un
commun credo antidémocratique et antiparlementaire, plusieurs approches sont
exposées, au point d’apparaître finalement comme inconciliables. Car quand
Sorel et ses amis critiquent l’ordre en place en exprimant le regret d’un ordre
ancien, Variot et les siens évoluent de plus en plus vers l’espoir du retour d’un
autre ordre social et économique, en la personne du roi. » (p.68-69)

« L’anti-intellectualisme sorélien, l’admiration du philosophe pour Bergson, ne


peuvent qu’éloigner Maurras de la revue animée alors par le philosophe. » (p.70)

« Sorel reproche à […] Variot de faire, dans l’Indépendance, du journalisme


nationaliste. […] Ses premières inquiétudes apparaissent à l’automne 1912 ; six
mois plus tard, il quitte définitivement la revue. » (p.71)

« Ce départ est enfin lié à l’insuccès de l’entreprise. L’Indépendance,


bénéficiant d’une réputation au sein du microcosme intellectuel et littéraire
parisien, se vend cependant très peu, n’a que quelques abonnés (49 à sa
fondation, 69 en 1912) et constitue un naufrage financier. […] L’Indépendance,
non seulement peine à trouver sa place dans un champ intellectuel déjà saturé et
fortement marqué idéologiquement, mais se trouve aussi en position de
concurrence forte avec de nombreuses autres revues d’idées : la NRF et la RCIL
dans le domaine du classicisme, la RCIL encore et l’Action française dans celui
de l’anti-démocratisme et du nationalisme, et les nombreuses revues catholiques
pour ce qui est de la religion. […] Elle s’éteint en août 1913. » (p.72)

-Thomas Roman, « L’Indépendance : avec ou sans Maurras ? », chapitre in


Olivier Dard, Michel Leymarie & Neil McWilliam (eds.), Le maurrassisme et la
culture. L’Action française. Culture, société, politique (III), Presses

1727
Universitaires du Septentrion, coll. Histoires et Civilisations, 2010, 370 pages,
pp.61-72.

Jean Jaurès (1859-1914): « Le drapeau rouge se colorera tous les jours plus
largement d’un reflet pourpre à la vive aurore du socialisme grandissant. »
(Jean Jaurès)

« Vous tenez en vos mains l’intelligence et l’âme des enfants ; vous êtes
responsables de la patrie. Les enfants qui vous sont confiés sont Français et
doivent connaître la France, sa géographie et son histoire: son corps et son
âme. Ils seront citoyens et ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre,
quels droits leur confèrent, quels devoirs leur impose la souveraineté de la
nation. Enfin ils seront hommes, et il faut qu’ils sachent quel est le principe de
notre grandeur: la fierté unie à la tendresse. Il faut qu’ils puissent se
représenter à grands traits l’espèce humaine et qu’ils démêlent les éléments
principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur
montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de
l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre
force. » -Jean Jaurès, « Lettre aux instituteurs et aux institutrices », La dépêche
de Toulouse (1888).

"Il y a eu le socialisme idéaliste et politique de la Révolution française, le


socialisme religieux de la période Saint-Simonienne et enfin le Socialisme
scientifique et historique représenté en France avec bien des mélanges, par
Proudhon d’abord, et en Allemagne dans toute sa rigueur par Marx et Lassalle.
Je voudrais montrer qu’il n’y a pas eu élimination totale de formes surannées
du socialisme par des formes nouvelles, mais qu’en droit et en fait il subsiste
dans le socialisme actuel quelques éléments vivants, inaltérables, des
conceptions socialistes successives. Il y a donc une doctrine socialiste, et c’est
avec toutes les forces de la pensée humaine depuis un siècle que nous pourrons
agir sur la société présente pour la transformer."

"Le socialisme est beaucoup plus éloigné de la production du Moyen Âge que de
la production capitaliste moderne : celle-ci est une étape nécessaire vers le
socialisme, et en abolissant tout ce qui restait de l’économie du Moyen Âge, la
Révolution a rapproché l’avènement du socialisme. Il n’est réalisable que par le
développement de la grande industrie et du grand commerce par la
concentration préalable des moyens de production et d’échange. Une société où

1728
seraient juxtaposés le régime capitaliste des manufactures et le régime des
corporations du Moyen Âge, de la petite production réglementée et privilégiée
serait beaucoup plus réfractaire au collectivisme que la société homogène créée
par la Révolution et où la puissance du Capital se déploie sans obstacle. Il n’y a
aucun rapport entre l’ancienne corporation et l’organisation socialiste."

"La corporation ancienne est née du morcellement du territoire et des


antagonismes innombrables des intérêts et des forces : chaque ville, chaque
commune avait ses corporations, qui se défendaient jalousement contre
l’étranger, c’est-à-dire contre le citoyen de la ville voisine. De plus, c’est pour
se protéger contre les seigneurs et les évêques que les artisans, producteurs et
marchands se groupaient et se liaient les uns aux autres par des règlements
étroits. Au contraire, l’organisation socialiste suppose la fusion de tous les
éléments du pays, l’unité nationale absolue, la disparition de toutes les
barrières entre les cités et entre les classes."

"Ceux qui ne retiennent de la Révolution que la condamnation portée par elle


contre les groupements professionnels se méprennent étrangement. Elle ne
songeait guère qu’aux corporations, et elle voulait avant tout que l’individu
libéré n’ait en face de lui que la Nation et le Droit. Mais cela même est le
socialisme. Les syndicats ouvriers ne sont pas le socialisme : ils n’en sont pas la
forme définitive : ils sont un moyen de préparer le socialisme. Ils disparaîtront
dans leur triomphe : car il n’y aura avec le socialisme ni patrons, ni ouvriers,
mais des producteurs égaux et libres dont les rapports seront réglés par le droit,
sous le contrôle de la nation."

"Cette idée du progrès illimité, non point banale et bourgeoise, mais grandiose
et humaine puisque l’exaltation de sa puissance intérieure de pensée, est au
XVIIIe siècle l’atmosphère même des esprits. Or comment espérer, comment
affirmer le progrès illimité de l’homme sans affirmer, sans espérer le progrès
illimité de tous les hommes ? Si l’humanité peut vaincre la nature par la science
et la raison, elle doit avant tout vaincre ce qu’il y a en elle-même de nature
rebelle et mauvaise, c’est-à-dire l’ignorance et la misère. Associer tous les
hommes à la grandeur de l’humanité est le premier vœu et la plus belle victoire
de la science. Tout homme a en lui la raison, et la raison, dirigée par une
méthode exacte, peut en tout homme aboutir au vrai. L’éducation universelle
sera donc une des plus grandes tâches de la science, et la science qui perce la
nature comme un trait de feu devra se réfléchir en tous les esprits. Mais il est un
1729
excès de misère qui supprime dans l’homme le sentiment de la raison et le
besoin de la vérité. Qui dit misère dit ignorance, et pis que cela, fatalité, éternité
de l’ignorance. Guerre à l’ignorance signifiera donc aussi : guerre à la misère."

"Quelle humanité admirable et forte le XVIIIe siècle avait rêvée ! C’était là


l’état d’esprit et de conscience de ces Conventionnels en qui la pensée du XVIIIe
siècle respirait et combattait. Et si la Révolution française n’avait pas été plus
qu’à demi-vaincue, si elle avait pu réaliser les programmes de la Convention,
elle aurait accompli l’œuvre du socialisme sans que le mot même de socialisme
eût été prononcé, par la seule vertu de l’idée de science identique pour elle à
l’idée d’humanité : tandis que nous nous efforçons vers la justice sociale des
bas-fonds de la misère, de l’ignorance et de la haine, elle y serait arrivée en
suivant les hauteurs, dans la sérénité de la lumière."

".« Les hommes éclairés » eux-mêmes commencent à savoir que le socialisme a


rompu avec le communisme, ou plutôt s’en est dégagé, et que le collectivisme
n’est pas le communisme. Les utopies communistes des Mably, des Jean-
Jacques, des Morelly n’avaient de valeur que comme antithèse absolue à un état
social où sous le nom de propriété règne le brigandage. Si la Révolution
française s’était efforcée vers l’idéal égal de Jean-Jacques, de Mably, de
Babeuf, elle n’y serait certainement pas parvenue car elle aurait rencontré
toutes les résistances de la liberté et de la vie. Elle aurait dû concilier dans une
large synthèse l’égalité sociale avec l’individualité, la spontanéité, l’initiative
des citoyens, la sévérité de la justice et les richesses de la civilisation. Les
systèmes communistes les plus extrêmes et, à nos yeux, les plus impraticables et
les plus absurdes ne sont donc pas dans la Révolution française une quantité
négligeable. Ils sont un des pôles, un des centres d’attraction entre lesquels la
Révolution se mouvait, et on en peut constater l’influence croissante dans la
courbe de la pensée et de l’action Révolutionnaires. Si cette pensée et cette
action n’avaient pas été contrariées et refoulées par toutes les puissances de
réaction coalisées sourdement au 9 Thermidor, si la courbe, au lieu de
rebrousser, avait pu se prolonger et manifester toute sa loi, c’est à un
socialisme très vivant et très varié, mais au socialisme que la Révolution eût
abouti ; c’est un collectivisme très souple et très libéral, mais c’est le
collectivisme qu’elle eût réalisé. Ce n’est point là une hypothèse, car toutes les
forces de la Révolution, consciemment ou non, tendaient là, et il suffit de les
continuer par la pensée, au-delà des réactions bourgeoises, cléricales et
césariennes qui ont interrompu la Révolution pour les voir converger en un
1730
socialisme puissant, civilisé et humain." -Jean Jaurès, "Unité doctrinale du
socialisme" ou "Manuscrit de 1891".

« Qu'est-ce encore que ces Juifs, étroitement alliés entre eux, qui sont séparés
des autres hommes comme d'ennemis et qui s'en écartent effectivement par le
sang, la religion, la profession lucrative, qui accaparent toutes les affaires,
toutes les richesses, qui courbent tous les hommes libres sous le joug de l'argent
? » -Jean Jaurès, Les origines du socialisme allemand, traduction par Adrien
Veber de la thèse latine, in Revue Socialiste (de Benoît Malon), 1892.

« Je n’accorde pas à Marx que les conceptions religieuses, politiques, morales,


ne sont qu’un reflet des phénomènes économiques. Il y a dans l’homme une telle
pénétration de l’homme même et du milieu économique qu’il est impossible de
dissocier la vie économique et la vie morale ; pour les subordonner l’une à
l’autre, il faudrait d’abord les abstraire l’une de l’autre ; or, cette abstraction
est impossible : pas plus qu’on ne peut couper l’homme en deux et dissocier en
lui la vie organique et la vie consciente, on ne peut couper l’humanité historique
en deux et dissocier en elle la vie idéale et la vie économique. Telle est ma thèse,
dont je trouve la confirmation partielle dans la philosophie grecque.

[…] Il y a dans l’histoire humaine non seulement une évolution nécessaire, mais
une direction intelligible et un sens idéal. Donc, tout le long des siècles,
l’homme n’a pu aspirer à la justice qu’en aspirant à un ordre social moins
contradictoire à l’homme que l’ordre présent, et préparé par cet ordre présent,
et ainsi l’évolution des formes économiques, mais en même temps, à travers tous
ces arrangements successifs, l’humanité se cherche et s’affirme elle-même, et
quelle que soit la diversité des milieux, des temps, des revendications
économiques, c’est un même souffle de plainte et d’espérance qui sort de la
bouche de l’esclave, du serf et du prolétaire ; c’est ce souffle immortel
d’humanité qui est l’âme de ce qu’on appelle le droit. Il ne faut donc pas
opposer la conception matérialiste et la conception idéaliste de l’histoire. Elles
se confondent en un développement unique et insoluble, parce que si on ne peut
abstraire l’homme des rapports économiques, on ne peut abstraire les rapports
économiques de l’homme et l’histoire, en même temps qu’elle est un phénomène
qui se déroule selon une loi mécanique, est une aspiration qui se réalise selon
une loi idéale. » -Jean Jaurès, Idéalisme et matérialisme dans la conception de
l’histoire, décembre 1894.

1731
« Mais ce qu’il faut sauvegarder avant tout, ce qui est le bien inestimable
conquis par l’homme à travers tous les préjugés, toutes les souffrances et tous
les combats, c’est cette idée qu’il n’y a pas de vérité sacrée, c’est-à-dire
interdite à la pleine investigation de l’homme ; c’est cette idée que ce qu’il y a
de plus grand dans le monde, c’est la liberté souveraine de l’esprit ; c’est cette
idée qu’aucune puissance ou intérieure ou extérieure, aucun pouvoir et aucun
dogme ne doit limiter le perpétuel effort et la perpétuelle recherche de la raison
humaine ; cette idée que l’humanité dans l’univers est une grande commission
d’enquête dont aucune intervention gouvernementale, aucune intrigue céleste ou
terrestre ne doit jamais restreindre ou fausser les opérations ; cette idée que
toute vérité qui ne vient pas de nous est un mensonge ; que, jusque dans les
adhésions que nous donnons, notre sens critique doit rester toujours en éveil et
qu’une révolte secrète doit se mêler à toutes nos affirmations et à toutes nos
pensées ; que si l’idée même de Dieu prenait une forme palpable, si Dieu lui-
même se dressait, visible, sur les multitudes, le premier devoir de l’homme
serait de refuser l’obéissance et de le traiter comme l’égal avec qui l’on discute,
mais non comme le maître que l’on subit. » -Jaurès à la Chambre des députés, en
janvier 1895.

« Dans les villes, ce qui exaspère le gros de la population française contre les
Juifs, c’est que, par l’usure, par l’infatiguable activité commerciale et par
l’abus des influences politiques, ils accaparent peu à peu la fortune, le
commerce, les emplois lucratifs, les fonctions administratives, la puissance. […]
En France, l’influence politique des Juifs est énorme, mais elle est, si je puis
dire, indirecte. Elle ne s’exerce pas par la puissance du nombre, mais par la
puissance de l’argent. Ils tiennent une grande partie de la presse, les grandes
institutions financières, et, quand ils n’ont pu agir sur les électeurs, ils agissent
sur les élus. Ici, ils ont, en plus d’un point, la double force de l’argent et du
nombre. » -Jean Jaurès, « La question juive en Algérie », La Dépêche, 1er mai
1895.

« Si M. Drumont avait eu la clairvoyance qu’il s’attribue tous les matins, il se


serait borné à dénoncer dans l’action juive un cas particulièrement aigu de
l’action capitaliste. Comme Marx, qu’il citait l’autre jour à contresens, il aurait
montré que la conception sociale des Juifs, fondée sur l’idée du trafic, était en
parfaite harmonie avec les mécanismes du capital. Et il aurait pu ajouter sans
excès, que les Juifs, habitués par des spéculations séculaires à la pratique de la
solidarité et façonnés dès longtemps au mainement de la richesse mobilière,
1732
exerçaient dans notre société une action démusurée et redoutable. Ce socialisme
nauncé d’antisémitisme n’aurait guère soulevé d’objections chez les esprits
libres. » -Jean Jaurès, La Petite République, le 12 décembre 1898.

« Il y a déjà, dans toutes les constitutions de l’Europe centrale et occidentale,


assez d’éléments de démocratie pour que le passage à l’entière démocratie
s’accomplisse sans crise révolutionnaire. Ainsi le prolétariat ne peut plus,
comme l’avaient pensé Marx et Blanqui, abriter sa Révolution derrière les
révolutions bourgeoises : il ne peut plus saisir et tourner à son profit les
agitations révolutionnaires de la bourgeoisie, qui sont épuisées. Maintenant
c’est à découvert, sur le large terrain de la légalité démocratique et du suffrage
universel, que le prolétariat socialiste prépare, étend, organise sa Révolution.

C’est à cette action révolutionnaire méthodique, directe et légale que Engels,


dans la dernière partie de sa vie, conviait le prolétariat européen en des paroles
fameuses qui rejetaient, en fait, le Manifeste communiste dans le passé.
Désormais, l’action révolutionnaire de la bourgeoisie étant close, tout moyen de
violence employé par le prolétariat ne ferait que coaliser contre lui toutes les
forces non prolétariennes. Et c’est pourquoi j’ai toujours interprété la grève
générale non comme un moyen de violence, mais comme un des plus vastes
mécanismes de pression légale que, pour des objets définis et grands, pouvait
manier le prolétariat éduqué et organisé. »

« C’est donc sous une transposition hégélienne du christianisme que Marx se


représente le mouvement moderne d’émancipation. De même que le Dieu
chrétien s’est abaissé au plus bas de l’humanité souffrante pour relever
l’humanité toute entière, de même que le sauveur, pour sauver en effet tous les
hommes, a dû se réduire à ce degré de dénuement tout voisin de l’animalité, au-
dessous duquel ne se pouvait rencontrer aucun homme, de même que cet
abaissement infini de Dieu était la condition du relèvement infini de l’homme,
de même dans la dialectique de Marx, le prolétariat, le Sauveur moderne, a dû
être dépouillé de toute garantie, dévêtu de tout droit, abaissé au plus profond du
néant historique et social, pour relever en se relevant toute l’humanité.

Et comme le dieu-homme, pour rester dans sa mission, a dû rester pauvre,


souffrant et humilié jusqu’au jour triomphal de la résurrection, jusqu’à cette
victoire particulière sur la mort qui a affranchi de la mort toute l’humanité,
ainsi le prolétariat reste d’autant mieux dans sa mission dialectique, que,

1733
jusqu’au soulèvement final, jusqu’à la résurrection révolutionnaire de
l’humanité, il porte, comme une croix toujours plus pesante, la loi essentielle
d’oppression et de dépression du capitalisme.

De là évidemment, chez Marx, une tendance originelle à accueillir difficilement


l’idée d’un relèvement partiel du prolétariat. De là une sorte de joie, où il entre
quelque mysticité dialectique, à constater les forces d’écrasement qui pèsent sur
les prolétaires.

Marx se trompait. Ce n’est pas du dénuement absolu que pouvait venir la


libération absolue. Quelque pauvre que fût le prolétaire allemand, il n’était pas
la pauvreté suprême. D’abord dans l’ouvrier moderne il y a d’emblée toute la
part d’humanité conquise par l’abolition des sauvageries et des barbaries
premières, par l’abolition de l’esclavage et du servage. »

« Nul des socialistes, aujourd’hui, n’accepte la théorie de la paupérisation


absolue du prolétariat.

Les uns ouvertement, les autres avec des précautions infinies, quelques-uns avec
une malicieuse bonhomie viennoise, tous déclarent qu’il est faux que dans
l’ensemble la condition économique matérielle des prolétaires aille en empirant.
Des tendances de dépression et des tendances de relèvement, ce ne sont pas au
total, et dans la réalité immédiate de la vie, les tendances dépressives qui
l’emportent.

Dès lors il n’est plus permis de répéter après Marx et Engels que le système
capitaliste périra parce qu’il n’assure même pas à ceux qu’il exploite le
minimum nécessaire à la vie. Dès lors encore, il devient puéril d’attendre qu’un
cataclysme économique menaçant le prolétariat dans sa vie même provoque,
sous la révolte de l’instinct vital, « l’effondrement violent de la bourgeoisie ».
Ainsi, les deux hypothèses, l’une historique, l’autre économique, d’où devait
sortir, dans la pensée du Manifeste communiste, la soudaine Révolution
prolétarienne, la Révolution de dictature ouvrière, sont également ruinées. »

« Ce n’est pas par l’effondrement de la bourgeoisie capitaliste, c’est par la


croissance du prolétariat que l’ordre communiste s’installera graduellement
dans notre société. » -Jean Jaurès, Question de méthode, novembre 1901.

« Ce qui est nouveau, c’est que cette propriété collective d’État qui s’appelle
l’impôt ait pris une si énorme extension dans une société qui a inscrit dans ses
1734
codes le droit souverain de la propriété individuelle. Ce qui est nouveau, c’est
que la société bourgeoise et bourgeoisement individualiste ait été conduite, pour
assurer son propre fonctionnement, à créer cette propriété d’État, qui
représente un cinquième de l’activité nationale, et qui, malgré sa destination
première de classe, est, au moins par sa forme collective, en opposition avec la
forme individuelle de la propriété. » -Jean Jaurès, « LA PROPRIÉTÉ
INDIVIDUELLE ET L'IMPÔT », Études socialistes, Cahiers de la Quinzaine,
1901, 270 pages, p.185.

« Le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes
désordonnés et de paroles tumultueuses ! Quelques hommes se rassemblent, à
huis clos, dans la sécurité, dans l’intimité d’un conseil d’administration, et à
quelques-uns, sans violence, sans gestes désordonnés, sans éclat de voix, comme
des diplomates causant autour du tapis vert, ils décident que le salaire
raisonnable sera refusé aux ouvriers ; ils décident que les ouvriers qui
continueront la lutte seront exclus, seront chassés, seront désignés par des
marques imperceptibles, mais connues des autres patrons, à l’universelle
vindicte patronale. Cela ne fait pas de bruit. » -Jean Jaurès, devant l'Assemblée
nationale, le 19 juin 1906.

« Dans les villes, ce qui exaspère le gros de la population française contre les
Juifs, c'est que, par l'usure, par l'infatigable activité commerciale et par l'abus
des influences politiques, ils accaparent peu à peu la fortune, le commerce, les
emplois lucratifs, les fonctions administratives, la puissance publique. En
France, l'influence politique des Juifs est énorme, mais elle est, si je puis dire,
indirecte. Elle ne s'exerce que par la puissance de l'argent. Ils tiennent une
grand partie de la presse, les grandes institutions financières, et, quand ils n'ont
pu agir sur les électeurs, ils agissent sur les élus. Ici, ils ont, en plus d'un point,
la double force de l'argent et du nombre. » -Jean Jaurès, La question juive en
Algérie.

« Nous savons bien que la race juive [...] manie avec une particulière habileté le
mécanisme capitaliste de rapine, de mensonge, de corset, d'extorsion. » -Jean
Jaurès.

« Le courage dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts,
c’est de choisir un métier et de le bien faire, quel qu’il soit ; c’est de ne pas se
rebuter du détail minutieux ou monotone ; c’est de devenir, autant que l’on peut,

1735
un technicien accompli ; c’est d’accepter et de comprendre cette loi de la
spécialisation du travail qui est la condition de l’action utile, et cependant de
ménager à son regard, à son esprit, quelques échappées vers le vaste monde et
des perspectives plus étendues. »

[…] Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard


tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se
donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort
l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de
chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge
triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et
de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »

-Jean Jaurès, Discours à la Jeunesse (Albi).

« J’ai tenté de concilier le panthéisme idéaliste de Spinoza et le panthéisme


réaliste de Hegel. » -Jean Jaurès, La Petite République, 31 octobre 1901.

« La classe ouvrière a intérêt à s’emparer de la République pour en faire un


instrument de révolution sociale. » -Jean Jaurés, intervention au deuxième
congrès national de Chalon-sur-Saône (29 octobre-1er novembre 1905).

« Il y a eu le Jaurès des débuts, néophyte du socialisme. Il y a eu le Jaurès de


l’Affaire Dreyfus, qui aboutit au Jaurès vice-président de la Chambre, soutien
du ministère Combes, partisan du Bloc des Gauches. Il y a eu le Jaurès du
Congrès d’Amsterdam, se pliant sous la discipline. Il y a eu, enfin, le Jaurès
ennemi de la guerre, le Jaurès pacifiste, celui qu’on a assassiné.

Tous ces Jaurès confondus n’en font qu’un : l’homme du progrès, l’homme de
l’idée, le Défenseur du prolétariat, l’Apôtre. Et par-dessus tout, le Tribun. Il
était l’homme de la foule ! Il lui fallait les vastes salles houleuses, où se pressent
les multitudes enthousiastes. C’était là que son génie prenait son libre essor.
Ceux qui ne l’ont pas entendu sont bien à plaindre. Ils n’entendront jamais rien
de semblable. Ils ne sentiront jamais ce que c’est que l’Éloquence — mieux le
Verbe fait Homme ! »

« J’avançai que la guerre aurait au moins l’utilité de nous apporter la


révolution. A l’énoncé de cette ânerie, Jaurès se fâcha tout rouge.

— Non, pas ça ! gronda-t-il. Pas dans le sang, pas dans les tueries.

1736
Il aurait préféré ne jamais voir surgir la révolution que de la payer du prix des
massacres. » -Victor Méric, À travers la jungle politique et littéraire, Librairie
Valois, 1931, 2e série, pp. 144-164.

« Il y a chez Jaurès […] une dette philosophique contractée à l'égard


d'Aristote. »

« On cite souvent Lucien Herr comme étant celui qui a dirigé Jaurès vers le
socialisme mais on oublie le dialogue constant entre Durkheim et Jaurès. »

« Dans La question religieuse et le socialisme, Jaurès se révèle en outre tout-à-


fait hétérodoxe par rapport aux positions socialistes traditionnelles. Il ne
conçoit le matérialisme que comme un moment du socialisme qui sera dépassé
lors de la réalisation de celui-ci et qui débouchera vers une ouverture sur le
divin, et il ne conçoit pas de société sans religion ou sans idéologie qui en tienne
lieu, regrettant à ce titre que l'attitude du mouvement socialiste sur la question
ne puisse davantage être « discutée et examinée ». » -Frédéric Ménager-Aranyi,
Jaurès philosophe et la métaphysique du socialisme, Slate.fr, 30.10.2014.

« M. Jaurès, ce professeur doctrinaire, mais ignorant, surtout en économie


politique, talent essentiellement superficiel, abuse de sa faconde pour se forcer
dans la première place et poser comme le porte-voix du socialisme qu’il ne
comprend même pas. » -Friedrich Engels, Lettre à Paul Lafargue, 6 mai 1894.

« Avant la Première Guerre mondiale, Jaurès ou Lucien Herr n’eurent avec


Marx qu’un rapport lointain. Guesde fut un médiocre vulgarisateur. » -Daniel
Bensaïd, « Visages et mirages du marxisme français », Quatrième Internationale
n° 46, septembre-novembre 1993, repris sur le site de l’auteur.

« Les doctrines économiques de Jaurès qui ne pourraient s'installer et durer


qu'à l'aide d'une dictature et par une magnifique discipline. Aussi bien, à son
dur marxisme et à sa lutte de classes, Jaurès mêle continuellement quelque
chose de fade, un vieux libéralisme à la Jules Simon. Est-ce la rançon de son
génie oratoire nourri des déclamations romantiques ? Est-ce une tare
universitaire ? » -Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, Paris,
Félix Juven Éditeur, 1902, 518 pages, p.192.

« Lorsque le chef socialiste est assassiné, un bruit court selon lequel l'auteur du
crime serait un Camelot du Roi. L'AF publie aussitôt un démenti par les agences
de presse. Maurras qualifie cette action d' "indigne et sotte". L'assassin, Raoul
1737
Villain, était membre du Sillon, mais avant tout, déséquilibré. [...] La rumeur
aura néanmoins fait long feu, agitée, selon Maurras, par des adversaires
soucieux de ne pas voir le mouvement royaliste mordre sur la force ouvrière.
"Nous nous sommes inclinés hier devant la dépouille sanglante de M. Jean
Jaurès, et nous avons immédiatement exprimé la réprobation que nous inspirait
cet attentat deux fois criminel, puisqu'il est stupide. L'incomparable honneur qui
vient d'être accordé à M. Jean Jaurès de tomber en signe de sa foi et de sa
doctrine affranchit sa personne des jugements d'ordre moral sur sa politique et
sur son action. Seules ses idées restent exposées au débat qui ne peut mourir"
[Maurras, "La vie et la mort de M. Jean Jaurès, AF, 2 août 1914]. » -Stéphane
Giocanti, Maurras : le chaos et l'ordre, Paris, Flammarion, coll. Grandes
biographies, 2008 (2006 pour la première édition), 568 pages, p.255-256.

"Jaurès n’est pas des socialistes qui regardent les officiers avec défiance, et
redoutent une prise de pouvoir par les militaires. Ses prises de position lui
valurent l’accusation d’être au service de la guerre dans l’hebdomadaire
guesdiste, Le Socialisme, et de l’Allemagne par la droite nationaliste. Pour lui,
l’armée française est l’héritière d’une tradition de loyalisme. Jaurès n’est pas
un antimilitariste. Contrairement à certains de ses amis socialistes, il ne nourrit
pas de préjugés à l’encontre des hommes en uniforme. En revanche, il sait le
dur métier des armes et admire ceux qui l’exercent. Mais cette sympathie
l’incite à un examen objectif, sans complaisance, de l’armée. C’est après une
enquête minutieuse qu’il prend la défense de Dreyfus, compare l’état-major à
une « forgerie du faux » et dénonce la couverture par l’autorité politique de ces
pratiques.

À l’instar du penseur auquel on l’oppose traditionnellement, de Gaulle, Jaurès


sait la primauté de la toge sur les armes."

"Jaurès écrit une histoire qu’il date depuis la Grèce antique pour montrer que
la patrie n’est pas un concept bourgeois ou foncier, mais l’un des éléments de
l’identité, « un fonds d’impressions communes formé, dans la familiarité des
jours, au fond de toutes les consciences. » [J. Jaurès, L’Armée nouvelle,
Collection Acteurs de l’Histoire dirigée par Georges Duby, Paris, Imprimerie
nationale, 1982, présentée par J.-N. Jeanneney, 2 volumes, 599 pages, vol. 2, p.
482]. Il est étranger à l’antipatriotisme de la CGT. Socialiste et
internationaliste, Jaurès ne gomme pas le fait national, mais paradoxalement,
lui donne un rôle dans l’avènement de la paix. Soucieux du lien entre l’armée et
1738
la société, il rejette une armée de techniciens et lui préfère le modèle d’une
armée de citoyens."

-Lucile Desmoulins, « Jean Jaurès, L’Armée nouvelle, un « essai » de sociologie


militaire », Les Champs de Mars, 2001/2 (N° 10), p. 71-84. DOI :
10.3917/lcdm1.010.0071. URL : https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-
mars-ldm-2001-2-page-71.htm

"Les différents articles incitent par ailleurs à se demander, à la suite de Jacques


Julliard, si le clivage le plus pertinent n’est pas ici, au lieu de l’opposition
classique entre réformistes et révolutionnaires, celui qui sépare les
centralisateurs (autant en matière de conception du parti que de révolution) des
décentralisateurs. Parmi ces derniers se trouve Jaurès. Il pèse de tout son poids
au moment de l’unification pour que ce soient les fédérations qui constituent le
socle de l’organisation, un socle qui limite finalement de manière considérable
l’impact que peuvent espérer exercer les institutions centrales du Parti. Ce
clivage entre centralisateurs et décentralisateurs joue avant 1905 et distingue
déjà le Parti socialiste de France (PSdF) et le Parti socialiste français (PSF) ;
c’est finalement lui qui, d’une certaine manière, fait éclater la SFIO au congrès
de Tours en 1920."

"Jaurès est, de fait, l’un des meilleurs témoins de ces tiraillements, de ces
disputes personnelles et/ou théoriques, de ces espoirs comme de ces
désillusions, qui fondent la nouvelle expérience que constitue pour les militants
la vie à l’intérieur d’un parti. Beaucoup d’articles insistent sur cet aspect, qui a
en outre le mérite de rendre moins monolithique et moins lisse la figure du
député de Carmaux. Homme du XIXe siècle, il doit affronter une série de
nouveaux problèmes, allant de l’attitude à adopter face au flash des
photographes à la question de la consommation. Fidèle du socialisme comme
espérance suprême, il apparaît aussi comme un stratège pragmatique, parfois
brutal, au cours des congrès qui deviennent l’un des nouveaux supports de son
charisme. Entre attachement à l’héritage républicain et au socialisme d’avant
l’unité et adaptation aux nouvelles conditions de la vie partisane, s’esquisse en
tous les cas, à partir de 1905, un Jaurès différent de celui de 1898 par exemple.
Ce Jaurès là conserve simultanément des traits permanents. C’est le cas
notamment de la conception large qu’il se fait du parti et qu’il exprime déjà en
1900 : « Pour moi, il ne me déplaît pas que dans son mouvement, dans son
développement, le parti socialiste et le prolétariat organisé coupent, rencontrent
1739
toutes les grandes causes […]. Je veux, nous voulons que le parti socialiste soit
le lieu géométrique de toutes les grandes choses, de toutes les grandes idées, et
par là, nous ne désertons pas le combat pour la révolution sociale, nous nous
armons au contraire de force, de dignité pour hâter cette heure révolutionnaire."
-Marion Fontaine, « La formation du parti socialiste unifié 1905-1914
», Cahiers Jaurès, 2008/1 (N° 187-188), p. 5-13. DOI : 10.3917/cj.187.0005.
URL : https://www.cairn-int.info/revue-cahiers-jaures-2008-1-page-5.htm

https://www.amazon.fr/Jaures-Oeuvres-philosophiques-Cours-
philosophie/dp/B00E2TVZJA/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=147677537
3&sr=1-1&keywords=Jaur%C3%A8s+Oeuvres+philosophiques+%3A+Tome+1

https://www.amazon.fr/Oeuvres-philosophiques-r%C3%A9alit%C3%A9-
monde-
sensible/dp/2859270957/ref=sr_1_9?s=books&ie=UTF8&qid=1476775234&sr=
1-9&keywords=Jaur%C3%A8s+philosophe

https://www.amazon.fr/Oeuvres-philosophiques-Ecrits-discours-
th%C3%A9ologico-
politiques/dp/2859271082/ref=sr_1_8?s=books&ie=UTF8&qid=1476775234&s
r=1-8&keywords=Jaur%C3%A8s+philosophe

http://hydra.forumactif.org/t659-jean-jaures-oeuvres?highlight=Jaur%C3%A8s

https://www.amazon.fr/gp/product/221361623X/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&p
sc=1&refRID=J41DENJ82ZTC1TFV085J

Christophe Thivrier (1841-1895) :

Jean Longuet (1876-1938) : http://academienouvelle.forumactif.org/t7568-


charles-longuet-jean-longuet#8770

Jules Guesde (1845-1922): « Il y a six ans, la classe ouvrière qui n’était pas
encore remise de l’épouvantable saignée de 1871, avait abandonné la tradition
révolutionnaire en n’attendait plus son affranchissement que des associations
coopératives généralisées. Les mots parti ouvrier et collectivisme, aujourd’hui
passés dans notre langue politique, étaient, peut-on dire, inconnus ; les idées
qu’ils représentent ne comptaient plus en France que de rares partisans, sans
lien, sans possibilité d’action commune.

1740
C’est le journal L’Egalité, fondé, à la fin de 1877, sur l’initiative de Jules
Guesde et dirigé par lui, qui a seul donné l’impulsion au mouvement socialiste
révolutionnaire actuel. »

« L’esclavage et le servage ont été conformes à la nature de la production. Ils


ont disparu lorsque le degré de développement de la production a rendu le
travail de l’homme libre plus utile que le travail de l’esclave ou du serf ; la
justice et la fraternité n’ont été pour rien dans cette disparition.

Quelle que puisse être la valeur subjective de la morale, du progrès et autres


grands principes mirobolants, cette belle phraséologie n’influe pas sur les
fluctuations des sociétés humaines, elle est par elle-même impuissante à amener
le moindre changement. Les évolutions sociales sont déterminées par des
considérations moins sentimentales. »

« Le socialisme combat pour la disparition du salariat. »

« Il n’y a pas à perfectionner, mais à supprimer l’Etat, qui n’est que


l’organisation de la classe exploitante pour garantir son exploitation et
maintenir dans la soumission ses exploités. Or, c’est un mauvais système pour
détruire quelque chose que de commencer par le fortifier. Et ce serait
augmenter la force de résistance de l’Etat que de favoriser l’accaparement par
lui des moyens de production, c’est-à-dire de domination. Ne voyons-nous pas
les ouvriers des industries d’Etat courbés, comparativement aux autres, sous un
joug plus pénible à secouer ? »

« Ce sont des salariés, ingénieurs ou administrateurs plus ou moins bien


rétribués, mais en définitive des salariés, qui remplissent, à l’heure présente, les
anciennes fonctions du propriétaire là où la forme collective de la propriété a
remplacé la forme individuelle. C’est en dehors de la féodalité capitaliste, que
s’est élaborée l’élite intellectuelle pourvue des aptitudes nécessaires à la mise
en œuvre des forces productives. La suppression des actionnaires, c’est-à-dire
du propriétaire devenu rouage inutile, n’occasionnerait donc aucun trouble
dans la production. »

« Les combinaisons sociales de l’époque bourgeoise, troublées à chaque instant


par des modifications fondamentales des forces productives, sont loin d’avoir le
caractère éminemment conservateur des modes de production précédents, et

1741
sont, par conséquent, plus aptes que ces derniers à créer rapidement une
situation révolutionnaire. »

« Dans les sociétés humaines, les combattants pour la vie sont dans des
conditions d’inégalité étrangères à leur nature, les uns reçoivent une instruction
dont les autres sont privés, les uns profitent des capitaux dont les autres sont
dépourvus. Dès lors, le résultat de la lutte n’indique pas celui qui est réellement
le meilleur, mais celui qui est socialement le mieux armé. »

« Pour offrir un dérivatif aux passions populaires menaçantes, les Napoléon III,
les Bismarck et les Alexandre de Russie ont songé à substituer les guerres de
races aux luttes nationales intérieures. Ces diversions qui peuvent avoir pour
leurs auteurs une utilité momentanée, sont désormais impuissantes à ressusciter
le chauvinisme, à donner l’étranger comme aliment aux haines intestines
détournées de leur but.

Le capital n’a pas de patrie, il va là où il trouve de bons placements. Si


l’exploitation bourgeoise est nécessairement devenue, par le fait des
développements économiques, une exploitation internationale, si elle ne connaît
ni races ni frontières, s’exerçant indifféremment partout où il y a à voler et
l’intervention gouvernementale se produisant en sa faveur partout où elle
s’exerce, en face de ce cosmopolitisme financier, de l’Internationale jaune,
l’internationalisme ouvrier se dresse, correspondant au véritable antagonisme
des intérêts en jeu. »

« La classe moyenne, guidée par ses instincts conservateurs mais peu


clairvoyants, s’interposait entre la bourgeoisie capitaliste et le prolétariat, au
bénéfice de la première ; elle tend à disparaître, car la centralisation
économique s’accroît, à ses dépens, par l’absorption constante des moyens de
production appartenant aux petits détenteurs dans l’impossibilité de soutenir la
concurrence des gros capitaux. »

« A quantité et qualité égales, le travail de la femme est moins rétribué que celui
de l’homme. Donc, qu’elle soit ou non sous la dépendance patronale, elle
n’échappe pas à la dépendance masculine et est, de toutes façons, contrainte à
chercher dans son sexe, transformé d’une manière plus ou moins apparente en
marchandise, le supplément à des ressources insuffisantes.

1742
Si elle a été longtemps placée par sa nature même dans une situation inférieure,
à cette heure existent les conditions qui lui ouvrent les divers genres d’activité.
Le développement de l’industrie mécanique a élargi la sphère étroite dans
laquelle la femme était confinée. Il l’a débarrassée des anciennes fonctions
ménagères et, en supprimant l’effort musculaire, l’a rendue apte aux emplois
industriels. Aussi, déjà arrachée au foyer domestique et jetée dans la fabrique,
devenue l’égale de l’homme devant la production, il ne lui reste plus qu’à
s’émanciper en tant qu’ouvrière, pour être socialement son égale en tous
ordres, pour être maîtresse d’elle-même.

Son infériorité légale n’étant que le reflet de l’asservissement économique


particulier dont elle est victime, son égalité civile et civique ne saurait être
efficacement poursuivie en dehors de ce qui peut amener l'émancipation
économique, à laquelle, pour elle comme pour l’homme, est subordonnée la
disparition de toutes les servitudes. »

« Si, dans la période de traitement qu’exigera la modification de l’ordre social,


refuser la liberté à ceux dont l’action pourrait mettre en péril notre
réorganisation, c’est être autoritaire, nous sommes autoritaires. Nous voulons
procéder autoritairement contre la caste ennemie, nous voulons supprimer les
libertés capitalistes qui entravent l’épanouissement des libertés ouvrières. »

« Tous les progrès humains, toutes les transformations sociales et politiques de


notre espèce, ont été l’œuvre de la force. » -Gabriel Deville, Aperçu sur le
socialisme scientifique, 1883.

« Après la défaite subie par les ouvriers et artisans parisiens, lors de


l’écrasement de la Commune en 1871, la réorganisation du mouvement
populaire ne s’opéra pas du jour au lendemain. Le découragement, la confusion
des idées, la concurrence entre courants, paraissaient rendre impossible toute
reprise de l’initiative. C’est au sein de petits «cercles d’études sociales» que les
premières ébauches d’une réorganisation d’ensemble se constituèrent. On y
étudiait des questions politiques, s’efforçant de comprendre la situation
générale et de populariser les luttes menées par les différentes classes de la
société. C’est sur la base de ce travail que put se reconstituer une organisation
solide, le Parti Ouvrier Français sous la direction de Jules Guesde. » -Pour les
classes populaires l’espérance est-elle possible ?, Nouvelle série, n° 1 – janvier
2007.

1743
« Au tournant du XIXème siècle, dans la propagande socialiste, le mandat
"historique" de préparer la Révolution qui anéantira le capitalisme et le pouvoir
de la bourgeoisie glisse des mains de la passive et "veule" masse prolétarienne
pour devenir la mission du seul Parti et de ses militants. C'est ici une évolution
décisive de l'histoire idéologique moderne. Les "masses", finit-on par constater,
ne répondent pas, en leur majorité, à l'Appel de l'histoire. Elles demeurent
assoupies dans une "torpeur" résignée. La conscience leur fait défaut et aussi,
ajoute-t-on, la "virilité"[Le Parti ouvrier, 5 février 1889, p.1]. En vain, on les
tance, on les secoue: "Voyons, peuple d'exploités, masse d'esclaves du Capital,
ouvriras-tu les yeux ?" [L'Affamé, anarchiste, 13 juillet 1884, p.1]. La
propagande continue machinalement à rêver à "une classe ouvrière qui marche
unie, compacte vers son émancipation politique et sociale" [Le Prolétariat, 1
mars 1890, p.1], mais seule la minorité organisée, finalement, lui apparaît
porteuse de la conscience historique et prête à "jouer son rôle". Ce sont les
seuls prolétaires "conscients et organisés" (épithètes homériques favorites de
Jules Guesde), c'est-à-dire les membres du Parti qui sont alors appelés à jouer
le rôle d' "accoucheurs du grand renouveau social" et il convient de leur faire
sentir leur supériorité sur ces "masses amorphes" pour lesquelles ils se
dévouent sans compter [Frédéric Stackelberg, Vers la société communiste, Nice,
Au droit du peuple, 1909, p.15]. La propagande socialiste passe ainsi de la
dévolution du grand rôle historique au "parti de classe" [Almanach du Parti
ouvrier 1892, p.17]. Tout ceci, qui est abondamment attesté en France vers
1900, fait plus que préfigurer le léninisme qui n'est que la version russe de cette
évolution significative du discours de l'Internationale au tournant du siècle.
Bientôt, assure-t-on du côté des guesdistes français, "le Parti Socialiste [le
parti, pas la classe !] aura accompli la mission historique qui lui est assignée
dans la grande transformation sociale qui s'impose au monde entier"
[Ghesquière, La Défense, Troyes, 18 janvier 1907, p.1]. » (p.231)

« Marx et Engels (Paul Lafargue est aussi présent ce soir de mai 1880 à
Londres) amendent et cautionnent au cours d'une soirée "historique" le
Programme minimum du Parti Ouvrier en gestation dont Jules Guesde leur a
soumis le brouillon. Marx semblait plutôt content de ses corrections. » (note 1
p.250)

-Marc Angenot, L'Histoire des idées. Problématiques, objets, concepts,


méthodes, enjeux, débats, Presse Universitaires de Liège, coll. Situations, 2014,
392 pages.
1744
« L'affaire Dreyfus eut un autre effet durable: rendre l'antisémitisme
incompatible avec les idéaux républicains et socialistes. [...] Ainsi que l'affirme
en son congrès de Montluçon, en septembre 1898, le Parti ouvrier français de
Jules Guesde: "L'antisémitisme n'est qu'une des formes de la réaction". » -
Michel Winock, Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Éditions du
Seuil, coll. Points Histoire, 2014, 506 pages, p.120.

https://www.amazon.fr/Jules-Guesde-Lanti-Jaur%C3%A8s-Jean-Numa-
Ducange/dp/2200274718/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1509312624&sr
=1-1&keywords=Jean-Numa+Ducange%2C+Jules+Guesde+%3A+l%27anti-
Jaur%C3%A8s+%3F

https://www.amazon.fr/Jules-Guesde-lap%C3%B4tre-Claude-
Willard/dp/2708228897/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1476035110&sr=
1-1&keywords=Jules+Guesde%2C+l%27ap%C3%B4tre+et+la+loi

https://www.amazon.fr/Mouvement-Socialiste-France-1893-1905-
Guesdistes/dp/B007BP2686/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1476035204
&sr=1-2&keywords=Le+mouvement+socialiste+en+France+%281893-
1905%29+les+guesdistes

Lucien Herr (1864-1926): « Bien postérieurement, quelques lignes de Lucien


Herr adressées à Charles Andler, datées de 1913 (lorsque celui-ci dénonce le
comportement de la social-démocratie allemande devant la menace grandissante
de la guerre), montrent bien quel est l’état d’esprit de celui qui sacrifie tout au
parti : « je t’ai dit que j’acceptais résolument la discipline qui fait abnégation de
ses révoltes, de ses propres blessures, de ses souffrances, parce que mieux vaut
une organisation que rien. Je t’ai dit qu’on peut agir, pour l’amélioration d’un
parti tant qu’on est à l’intérieur d’un parti, et que j’avais la certitude, fondée sur
l’expérience de toute ma vie, qu’une fois sorti du parti on en est l’ennemi et le
destructeur. » [Lettre de Lucien Herr à Charles Andler, 22 décembre 1913.
Correspondance entre Charles Andler et Lucien Herr. Presses de l’École
Normale Supérieure. 1992. p. 166]. Peut-être Herr avait-il Péguy à l’esprit en
écrivant ces lignes ? Autres lignes très significatives : « Tu peux croire de bonne
foi que tu sers ces causes et ces idées en dénonçant des méthodes, des pratiques,
des actes et des hommes et tu peux, de bonne foi, leur causer un danger grave et
mortel. Tu ne peux en juger, en ce moment, avec impartialité, avec toute la
clairvoyance, avec la sûreté et la certitude de ton jugement. Dusses-tu en

1745
souffrir, ton devoir est de t’abstenir et d’attendre : je te le dis avec toute ma
conscience, avec la certitude que j’agis bien en te parlant ainsi. Nous avons plus
d’une fois fait passer la cause publique avant l’injure personnelle. Il faut encore
en avoir le courage et la patience cette fois. Il n’y a là ni hypocrisie ni
jésuitisme. Nous savons l’un et l’autre qu’il n’est pas possible d’être pleinement
conséquent si l’on veut ne pas être tout à fait isolé et participer à l’action
commune » [Lettre de Lucien Herr à Charles Andler, 10 septembre 1913, ibid.
p. 156]. » -Charlot Patrick, « Péguy contre Jaurès. L'affaire des « fiches » et la
« délation aux droits de l'homme » », Revue Française d'Histoire des Idées
Politiques, 2003/1 (N° 17), p. 73-91.

« Avec Charles Andler nous passons à un autre personnage impossible à oublier


quand on parle de Hegel en France, à l’époque où Aron et moi étions élèves à
l’École. Il s’agit de Lucien Herr, bibliothécaire de l’École. D’origine
alsacienne, agrégé de philosophie, germaniste, polyglotte, musicien, de culture
encyclopédique, socialiste, ami de Jean Jaurès et de Léon Blum, fondateur du
journal L’Humanité, homme droit, d’abord rugueux, mais chaleureux, étranger
aux honneurs. Je lui dois beaucoup. Herr doit apparaître ici comme celui qui
durant sa vie, terminée brutalement en 1926, a fait espérer et attendre à ses
contemporains concernés l’étude sur Hegel dont l’absence, en France, au xixe
siècle, apparaissait à l’étranger comme une médiocre réplique à la défaite de
1870. Koyré, après tant d’autres, considère l’article de Herr sur Hegel, dans le
tome XVI de la Grande Encyclopédie, en 1890, comme très remarquable.
Charles Andler, dans sa Vie de Lucien Herr, révèle que les amis de Herr
considéraient cet article comme un échantillon du grand travail qu’il disait
poursuivre et qui n’a jamais vu le jour. » -Georges Canguilhem, « Raymond
Aron et la philosophie critique de l’histoire », Enquête [En ligne], 7 | 1992, mis
en ligne le 09 juillet 2013, consulté le 03 janvier 2018.

http://www.amazon.fr/Vie-Lucien-Herr-1864-
1926/dp/2707109010/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1459844823&sr=1-
1&keywords=Charles+Andler%2C+Vie+de+Lucien+Herr

http://www.amazon.fr/Correspondance-Charles-Andler-Lucien-1891-
1926/dp/2728801800/ref=sr_1_5?s=books&ie=UTF8&qid=1459844926&sr=1-
5&keywords=Charles+Andler

1746
Charles Andler (1866-1933) : « Mon socialisme était fait surtout de la lecture
de Fichte et de Proudhon. J’ai lu Lassalle, Bebel, Liebknecht avant de lire Marx
en 1889. » -Charles Andler, La Vie de Lucien Herr, Paris, Rieder, 1932, p. 90.

« Deux autres maisons, de taille nettement plus modeste, mais très militantes,
entrent en scène. La première est la Société Nouvelle de Librairie et d’Édition
(SNLE). Elle prend la suite, en été 1899, de la Librairie Bellais, fondée par
Charles Péguy l’année précédente43. Celle-ci a été un solide bastion du
dreyfusisme, mais – mal gérée économiquement – elle a dû être renflouée et
réorganisée par Lucien Herr, Charles Andler et leurs amis du Groupe de
l’Unité socialiste d’inspiration jaurésienne. La SNLE publie des ouvrages
d’histoire et de sciences sociales, dont la revue Notes critiques à laquelle
collaborent des durkheimiens. Mais elle ne cache pas non plus ses engagements
politiques. Elle crée une « Bibliothèque socialiste », où voisinent le Proudhon
d’Hubert Bourgin et Les Congrès ouvriers et socialistes français de Léon Blum.
De plus, elle édite Le Mouvement socialiste, la revue fondée en janvier 1899 par
Hubert Lagardelle, qui vise elle aussi à favoriser le rapprochement des
socialistes. Les réseaux qui se retrouvent autour de la SNLE se distinguent donc
de celui qu’anime Hamon chez Schleicher. Mais tous s’accordent pour penser
que, en cette période de réévaluation du marxisme, les guesdistes n’ont aucun
droit de propriété intellectuelle sur les écrits de Marx et d’Engels.

La démonstration va en être faite magistralement par la publication, dans la


Bibliothèque socialiste, en 1901, du Manifeste communiste, traduit et commenté
par Charles Andler. Ce dernier est un farouche adversaire des guesdistes, mais
il est aussi l’un des plus profonds connaisseurs de Marx. En éclairant le
Manifeste par une introduction historique fournie et des commentaires érudits
qui accompagnent chacun de ses paragraphes, il en propose une lecture très
neuve : le texte en est « désacralisé, devenu objet d’histoire ». Si l’on ajoute que
l’orientation politique d’Andler le conduit à valoriser l’apport des socialistes
français dont Marx s’inspire, tout en limitant l’originalité propre de celui-ci, on
comprend que le livre ait fait polémique. Tandis que Franz Mehring proteste
violemment, les guesdistes ripostent sur le plan éditorial. » -Jacqueline Cahen, «
Les premiers éditeurs de Marx et Engels en France (1880-1901) », Cahiers
d’histoire. Revue d’histoire critique, 114 | 2011, 20-37.

« Fait ironique, après avoir été la « bête noire » des nationalistes français en
1908, Andler deviendra, en 1912-1913, celle du Parti socialiste pour avoir
1747
déclaré publiquement sa méfiance à l’égard de la social-démocratie
allemande. »

« En 1912-1913, la polémique publique qu’Andler engagera avec le Parti


socialiste français attestera à nouveau qu’il n’est pas homme à éviter des
confrontations pénibles. » -Antoinette Blum, « Charles Andler en 1908 : un
Germaniste pris entre la France et l'Allemagne », Revue germanique
internationale [En ligne], 4 | 1995, mis en ligne le 05 juillet 2011, consulté le 12
novembre 2018.

« Charles Andler (1866-1933), né à Strasbourg, était professeur à la Sorbonne,


germaniste éminent et collaborateur régulier de la RMM. Avant la guerre, il
s’était déjà distingué par son jugement sévère du socialisme allemand dans une
fameuse controverse avec Jaurès. Son étude fut publiée dans la RMM en
septembre 1916. Il y présente une thèse opposée à celle de Basch, car selon lui
la philosophie allemande, globalement parlant, est « une pensée qui réfléchit
une expérience vivante et passionnée. On y peut lire […] toute la destinée du
peuple allemand. » Commençant son commentaire par Fichte et non pas par
Leibniz et Kant, il prétend « démasquer » la vraie nature de la philosophie
allemande par-dessous son prétendu humanisme. D’après lui, Fichte est le père
du pangermanisme, le prophète du nationalisme exclusif des Allemands et la
source de leur orgueil ; Hegel représente l’enchaînement et l’achèvement de
l’œuvre de Fichte, en matière de philosophie d’État et de race : « Fichte aboutit
au machiavélisme ; Hegel commence par lui », affirme-t-il. La filiation entre
l’Allemagne actuelle et ses philosophes classiques est ainsi établie : « Pour
Hegel la guerre est éternelle et elle est morale ». « Les théoriciens militaires de
la Prusse actuelle n’oublieront pas cet enseignement qu’ils puisent dans
l’hégélianisme diffus qui n’a cessé de remplir le xixe siècle allemand. » Fichte,
Hegel, Goerres et Friedrich Schlegel, chacun représente, d’après Andler, une
étape de la même pensée : la métaphysique d’un peuple élu, le délire religieux. »
-Yaël Dagan, « Justifier philosophiquement notre cause ». La Revue de
métaphysique et de morale, 1914-1918 », Mil neuf cent. Revue d'histoire
intellectuelle, 2005/1 (n° 23), p. 49-74.

"Charles Andler, né en 1866 à Strasbourg, issu d'un milieu de petite bourgeoisie


protestante (son père était pharmacien, sa mère institutrice), avait fait ses
études à Strasbourg, Gray, Versailles, au lycée Condorcet, avant d'entrer à
l'École normale supérieure en 1884. C'est Gabriel Monod, alors caïman
1748
d'histoire à l'École normale supérieure, qui attira son attention sur Nietzsche, en
1889, l'année où Andler passa l'agrégation d'allemand. Dreyfusard et socialiste,
Andler adhère au Parti socialiste ouvrier révolutionnaire de Jean Allemane, qui
s'inscrit dans la tradition proudhonienne libertaire et fédéraliste." (p.79)

"Andler insiste sur le fait que la pensée de Nietzsche est parfaitement


compatible avec une position démocratique face aux problèmes sociaux et
politiques." (p.84)

"Andler s'arrête à l'hypothèse qu'il y aurait eu deux grands moments dans la


pensée de Nietzsche, correspondant à deux cycles d’œuvres qui s'y joignent,
mais aussi s'en séparent: le premier sous le signe de Schopenhauer et de
Wagner ; le second, à partir de 1881." (p.86)
-Jacques le Ridier, Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle au temps
présent, PUF, 1999 (première version en allemand, 1997), 279 pages.

« Andler, minimisant les aspects les plus irrationnels de Nietzsche, n'hésite pas
à en faire une figure centrale de ce qu'il appelle l' "intellectualisme". » -Louis
Pinto, Les Neveux de Zarathoustra. La réception de Nietzsche en France, Paris,
Éditions du Seuil, 1995, 207 pages, p.57.

"Quand la SFIO est créée, Andler n’y milite guère. Dans L’Humanité du 14 mai
1905, Andler regrette amèrement le silence de la France dans l’hommage
universel rendu au grand poète Schiller, mort le 9 mai 1805, à l’homme que
notre Législative avait fait citoyen d’honneur: « Schiller, est le premier qui ait
eu conscience que le poète est au service du peuple. ». Moins que quiconque,
Charles Andler, pouvait être suspecté de chauvinisme. En 1908, à la tête d’une
trentaine d’étudiants, il effectua un voyage en Allemagne qui lui attira, à son
retour l’hostilité bruyante de la jeunesse d’Action française du Quartier latin. Il
y retournera en 1911. Mais il jugea la social-démocratie contaminée par le
pangermanisme. Malgré la célèbre brouille entre Herr et Péguy, Andler ne
rompra jamais totalement avec Péguy. Les chemins des deux Charles se
croiseront une dernière fois à la veille du grand cataclysme de 1914. A
l’automne de 1912, Charles Andler qui suit de très près les affaires internes du
socialisme allemand, s’inquiète de la confiance aveugle que Jaurès fait à la
volonté de paix du SPD. Il constate avec angoisse la montée en son sein de
tendances militaristes, colonialistes, pangermanistes. Il veut pousser un cri
d’alarme dans la presse de la SFIO, mais Jaurès refuse. Il le fera en novembre

1749
et décembre 1912 dans L’Action nationale, où il fustige les positions des chefs
du SPD, notamment Gerhard Hilebrand, Max Schippel, Ludwig Kessel et Karl
Luthner, et où surtout il relève les paroles qu’aurait prononcées Auguste Bebel,
au congrès social-démocrate d’Iéna : « la question du désarmement ne nous
séparera plus à l’avenir. Le mot d’ordre n’est pas de désarmer, mais
d’augmenter les armements. ». Après un long silence, Jaurès répliqua avec
violence dans L’Humanité du 4 mars 1913 [...]
Même son vieil ami Lucien Herr lui oppose aussi la raison du parti, qu’il avait
déjà objectée à Péguy en 1899-1900. Andler est alors attaqué par la quasi-
totalité des socialistes français. Seul Péguy va se projeter dans le débat, afin de
soutenir son ami et son maître avec le talent." (p.250-251)
-Philippe Bedouret. BARRES, MAURRAS et PEGUY face au germanisme (1870-
1914). Histoire. ECOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES, 2005. Français.
<tel-01511730>.

« Jaurès ne permit pas que l’on doutât de ces rêveries. Siégeant sur son pis
Sibyllin, Jaurès excommunia Andler. Cette cérémonie absurde n’aurait dû agir
qu’à l’intérieur du parti socialiste unifié. Tout le pays légal de la République se
leva pour en applaudir Jean Jaurès. [...] C’est bien en vain que les derniers
Cahiers de Péguy donnant tort à Jaurès et raison à Andler, la réponse était toute
faite: Andler est fou. Il noircit l’Allemagne. » -Charles Maurras, Pour un jeune
Français, Paris, Amiot-Dumont, 1949, p. 85-86.

"Michele Maggi [La Formazione dell'egemonia in Francia. L'ideologia nella


Terza Republica tra Sorel e Durkheim, Bari, De Donato, 1977] consacre tout un
développement à Andler, en qui l'auteur voit, malgré son socialisme non
marxiste, un des principaux médiateurs du marxisme en France aux côtés de
Lafargue et de Deville. Il faut noter qu'un auteur aussi résolument non socialiste
que l'était Elie Halévy était dès les années 1890 un excellent connaisseur de
l'œuvre de Marx. Il anima la discussion qui suivit l'exposé sur le matérialisme
historique que fit Sorel en 1902 à la Société française de philosophie." (note 7
p.86)

"Andler n'a jamais écrit de livre sur le marxisme. Sa critique est éparpillée dans
plusieurs préfaces, articles ou commentaires. [...] On trouvera des informations
précieuses concernant l'élaboration du travail d'Andler dans les lettres de Sorel
à Croce publiées par La Critica." (note 8 p.87)

1750
"L'histoire du marxisme se trouve donc à l'intersection de deux histoires, celle
des intellectuels et celle du socialisme. Et l'on ne s'étonnera pas d'y trouver
souvent comme principaux protagonistes, des marginaux, intellectuels situés aux
lisières du monde académique et du monde militant." (p.87)

"Andler bénéficiait d'un avantage certain sur bon nombre d'intellectuels


français: il connaissait parfaitement la langue allemande. Immense avantage
lorsque l'on envisage le retard avec lequel l'œuvre de Marx était traduite en
France... Sorel qui, ignorant l'allemand, dut se fier aux traductions disponibles
ou aux bons offices d'Andler lui-même, en sut quelque chose. En traduisant
le Manifeste communiste (1901), Andler contribuait donc aussi à rendre plus
accessibles des textes difficiles à trouver. Laura Lafargue avait fourni en 1895
une nouvelle édition de la traduction du Manifeste qu'elle avait déjà faite pour
l'Égalité en 1882: c'était alors la plus récente." (p.88)

"En 1891, Andler s'était rendu à Londres. Il y avait rencontré Engels à qui il
s'était présenté comme "un débutant dans la littérature et dans le socialisme".
Cette visite avait pour but d'enrichir son information en vue d'un livre sur les
origines philosophiques du socialisme allemand. Il y prévoyait un chapitre sur
Marx. Cet ouvrage ne verra pas le jour mais de ce séjour, Andler rapporta sans
doute une forte impression qui imprégna par la suite toute sa vision du
socialisme allemand et du "marxisme orthodoxe". Il avait lu les deux premiers
volumes du Capital dès 1889 mais, de son propre aveu, il se sentait alors plus
proche des anarchistes qu'il fréquentait par l'intermédiaire de son ami Bernard-
Lazare, que des marxistes. Au cours de son voyage à Londres, il avait également
rencontré Sidney Webb, Béatrice Potter et Graham Wallas qui avaient suscité
chez lui "la plus vive admiration". Son adhésion, enfin, au parti possibiliste de
Paul Brousse, puis son ralliement au P.O.S.R. de Jean Allemane confirment la
méfiance qu'il éprouvait à l'encontre du marxisme français. La "scandaleuse
insuffisance scientifique d'un Paul Lafargue" l'indignait. [...]
Andler n'aura de cesse de dénoncer le caractère ecclésial du marxisme allemand,
dogme figé que l'on n'enrichissait plus de nouvelles études et qui n'attendait plus
que la réalisation de la prédiction d'Engels [...]

"En un sens, le Kapital de K. Marx [...] a été fatal au socialisme allemand par sa
grandeur même. En dehors de la pensée marxiste, personne n'ose plus penser, on
n'ose même plus interpréter cette pensée du maître. On s'en va chez F. Engels
s'informer timidement des passages obscurs. [...] Marx n'a rien dit sur la société
1751
future, donc on n'en dira rien, on aurait peur si l'on pensait par soi-même,
d'endommager la pensée du maître"." (pp.89-90)

"A partir de 1895 et jusque vers 1902-1903, Andler se livra à une offensive
critique contre les bases théoriques du marxisme. C'est une période où
fleurissaient en France les premières revues marxistes, l'Ere nouvelle, le
Devenir social, le Mouvement socialiste dans lesquelles Andler n'écrivit point.
Leur caractère militant le rebutait. C'est une époque aussi où le marxisme, selon
l'expression consacrée par Masaryk, connaît sa première crise dans plusieurs
pays européens." (p.91)

"Ce fut l'année suivante, en 1896, qu'Andler débuta un cours sur Marx, au
Collège libre des sciences sociales [où il ne fut que professeur]. [...] Sorel sut
mettre à profit le titre de ce cours qui s'étendit sur deux années en publiquant la
Décomposition du marxisme." (p.92)

"Dans le même temps qu'il enseignait au Collège libre, Andler achevait une
thèse soutenue en 1897. Elle portait sur les origines du socialisme d'Etat en
Allemagne. Marx y est peu présent.

[P.418] "Ils disent que des industries diverses sont inégalement productives pour
un même travail. Mais mesurant toutes choses par le travail, ils n'ont pas le droit
de dire cela, et le même travail doit engendrer nécessairement, dans leur théorie,
des valeurs égales. Pourtant ils constatent avec raison que le produit d'un travail
également grand en diverses industries ne serait échangeable contre une somme
égale des produits de toutes les industries. Il ne vaut pas de même. Et voilà leur
dogme en ruines devant le simple fait de cette différence. Mais ce qui peut faire
cette différence, puisque ce n'est pas le travail, c'est uniquement que des produits
divers sont inégalement désirés." [...]

Andler précisait ses arguments. Son objectif est bien alors la ruine des
fondements du marxisme [...] D'autres auteurs attirèrent alors l'attention
d'Andler, même lorsque leurs systèmes sont "faux", comme Croce ou Labriola.
En revanche, il trouve d'immenses qualités à L'Utilité sociale de la propriété
individuelle d'Adolphe Landry, disciple d'un auteur auquel Andler se référa très
souvent avec enthousiasme, Otto Effertz, un "socialiste allemand d'une espèce
hétérodoxe", qu'il fit inviter par Dick May à l'École des hautes études sociales.
Le Viennois Anton Menger, professeur de droit, frère de l'économiste Carl
Menger qui fonda l'école marginaliste, fut, lui aussi, étudié..." (p.92-93)
1752
"De Labriola, il retint le refus de la "métaphysique de Marx", rejetant toute
détermination, tout mécanisme. Il puisa chez Sorel des remarques sur
l'insuffisance des explications faites par Marx des relations infrastructure /
superstructure et récusa l'idée que lorsque "l'infrastructure est changée la
superstructure s'effondre"." (pp.93-94)

"Fidèles aux analyses d'Otto Effertz, Andler contestait radicalement la théorie


de la valeur-travail. Il existait selon lui une partie de la valeur d'une
marchandise que le travail ne produisait pas. [...] Andler reviendra sans cesse
sur cette "faille" qui paraissait, évidemment, renverser tout le système de Marx."
(p.95)

"En se fédérant les unes aux autres, en annexant des ateliers productifs, les
coopératives de consommation accompliraient la révolution sociale,
pacifiquement, sans générer de phénomène bureaucratique et dans la
liberté."(p.96)

"[Dans son commentaire du Manifeste, Andler montrait que] La lutte des


classes comme moteur de l'histoire était déjà présente chez Babeuf mais aussi
chez Blanqui et Bazard. L'ascension historique de la bourgeoisie par les progrès
de l'industrialisme devait beaucoup à Proudhon, à Liste, à Pecqueur, à Vidal, à
Sismondi et à Buret. [...] Marx avait emprunté à Pecqueur la description des
nouvelles valeurs de la bourgeoisie. Engels avait construit sa théorie des crises
de surproduction en "bon disciple de Sismondi"." (p.97)

"Il adhéra à la S.F.I.O. en 1905 et [...] accomplit même un travail de


militantisme intellectuel important notamment lors de la fondation de l'Ecole
socialiste. En ce sens, il fut plus engagé dans la vie politique que la plupart des
intellectuels socialistes de cette période post-dreyfusienne." (p.99)

"Le socialisme andlérien était trop éthique pour pouvoir être marxiste. [...] De
plus en plus nourri d'un individualisme nietzschéen, il s'éloigne d'une
conception qui identifie le socialisme à un nouveau mode de production. Si la
classe ouvrière est une classe d'avenir, c'est avant tout parce que la bourgeoisie
est une classe en décadence morale, qui a usé tout son capital d'idéal." (p.102)

"La guerre le vit, enfin, se livrer à des exercices littéraires d'un patriotisme
échevelé. Il s'opposa violemment à tout courant pacifiste, condamna

1753
Zimmerwald et Kienthal, et adhéra, fin mai 1917, à la protestation des quarante
députés socialistes contre la conférence de Stockholm." (p.104)

"On trouve chez Marx, selon Andler, le même mépris de la démocratie que chez
les socialistes allemands." (p.105)

"La révolution russe de février 1917 ne souleva pas l'enthousiasme d'Andler. En


mai, il écrivit à Maria Allart: "Cela marche mal. Voilà un grand crime à l'actif
des marxistes russes, germanophiles"." (p.107)
-Christophe Prochasson, "Sur la réception du marxisme en France : le cas
Andler (1890–1920)", Revue de Synthèse, Janvier
1989: https://paperity.org/p/51530813/sur-la-reception-du-marxisme-en-france-
le-cas-andler-1890-1920

Edouard Vaillant (1840-1915) : https://www.amazon.fr/Edouard-Vaillant-


Grand-Socialiste-1840-
1915/dp/B000ICGORS/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1486400513&sr=8-
1&keywords=%C3%89douard+Vaillant%2C+un+grand+socialiste

Henri Rochefort (1831-1913) : « La démagogie est une galère dont il est le


forçat. » -Jules Lemaître, Les Contemporains, 3ème série, p.315.

« Rochefort, l’ancien adversaire de Napoléon III, l’ancien déporté de la


Nouvelle-Calédonie, est devenu anti-dreyfusard en compagnie d’un certain
nombre de révolutionnaires et, surtout, en même temps qu’un nombre
appréciable de lecteurs de son journal, L’Intransigeant, fondé à son retour
d’exil, en juillet 1880, après avoir bénéficié de la loi d’amnistie. L’Intransigeant
a été un journal populaire d’extrême-gauche, se réclamant de la Commune de
Paris, soutenant les candidatures socialistes aux élections, et particulièrement
les candidats du Comité révolutionnaire central des blanquistes. La ligne
politique du journal, au vu des éditoriaux de Rochefort, a été foncièrement anti-
opportuniste. Les motivations personnelles de Rochefort sont manifestes : sa
haine de Gambetta, de Grévy, de Ferry, de Joseph Reinach et autres, a ses
origines dans l’histoire de la Commune et de l’amnistie. […] La mentalité des
anciens « trente sous » de la Commune, socialisants, anti-prussiens, volontiers
antiparlementaires, explique pour une bonne part le succès de Boulanger à
Paris, lors de l’élection partielle de janvier 1889.

1754
Rochefort, dans cette même logique d’anti-opportunisme, adhéra au
boulangisme, dont il devint un des camelots les plus tonitruants. Tandis que
Déoulède en représentait l’aile droite, conservatrice, surtout soucieuse de
révision constitutionnelle, Rochefort en exprima le courant anticapitaliste –
notamment sur le mode de l’antisémitisme. » -Michel Winock, Rochefort : la
Commune contre Dreyfus, Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle (Cahiers
Georges Sorel), Année 1993, 11, pp. 82-86, p.83-84.

"Les éditoriaux du directeur de L'Intransigeant, qui déversent quotidiennement


leur cargaison d'injures sur les hommes au pouvoir, sont dégustés tous les
matins par 200 000 lecteurs." (p.38)

"Jaurès [...] fait le voyage de Bruxelles où Rochefort se trouve en exil, pour


solliciter l'appui du célèbre des hommes du parti national à la candidature du
socialiste Gérault-Richard au siège de député devenu vacant dans le très
boulangiste XIIIe arrondissement de Paris." (p.58)
-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises
du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

Ernest Psichari (1883-1914): « Psichari, dans son Appel des armes, donne
place à un paragraphe remarquable ; le capitaine Grandier a interrogé un de
ses hommes, un "rempilé", un brigadier ; il sait que cet excellent soldat a été,
jadis, un des grévistes de Courrières et il lui demande: "S'il y avait une grève et
qu'on vous demande de tirer", que feriez-vous ? Et le brigadier de répondre,
ardemment: "Je tâcherais de tuer autant de grévistes que j'ai voulu tuer de
soldats autrefois". Le brave homme ! » (p.98)
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

Anatole France (1844-1924) : « On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour


des industriels. Ces maîtres de l'heure possédaient les trois choses nécessaires
aux grandes entreprises modernes : des usines, des banques, des journaux.
Michel Corday nous montre comment ils usèrent de ces trois machines à broyer
le monde. Il me donna, notamment, l'explication d'un phénomène qui m'avait
surpris non par lui-même, mais par son excessive intensité, et dont l'histoire ne
m'avait pas fourni un semblable exemple : c'est comment la haine d'un peuple,
de tout un peuple, s'étendit en France avec une violence inouïe et hors de toute

1755
proportion avec les haines soulevées dans ce même pays par les guerre de la
Révolution et de l'Empire. Je ne parle pas des guerres de l'ancien régime qui ne
faisaient pas haïr aux français les peuples ennemis. Ce fut cette fois, chez nous,
une haine qui ne s’éteignit pas avec la paix, nous fit oublier nos propres intérêts
et perdre tout sens des réalités, sans même que nous sentions cette passion qui
nous possédait, sinon parfois pour la trouver trop faible. » -Anatole France,
« On croit mourir pour la patrie… », L’Humanité, 18 Juillet 1922.

"Il n'y a pas de Dreyfus mort ou vif qui vaille que je froisse un maître [Anatole
France] que j'aime depuis quinze ans plus qu'aucun homme du monde." (p.48)
-Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, Paris, Félix Juven
Éditeur, 1902, 518 pages.

« Anatole France, auquel Maurras restera toujours fidèle. » -Antoine


Compagnon, « Maurras critique », Revue d'histoire littéraire de la France,
2005/3 (Vol. 105), p. 517-532.

http://hydra.forumactif.org/t298-anatole-france-oeuvre#606

https://www.amazon.fr/Anatole-France-sceptique-Marie-Claire-
Bancquart/dp/2702113249/ref=sr_1_16?s=books&ie=UTF8&qid=1527870252
&sr=1-16

https://www.amazon.fr/Essai-lEvolution-Intellectuelle-dAnatole-
France/dp/B001SHXEMK/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1527870114&s
r=1-
1&keywords=Jean+Levaillant%2C+Essai+sur+l%27%C3%A9volution+intellec
tuelle+d%27Anatole+France&dpID=41OOtg2YG6L&preST=_SX218_BO1,20
4,203,200_QL40_&dpSrc=srch

https://www.amazon.fr/Anatole-France-nationalisme-litt%C3%A9raire-
Scepticisme/dp/2866457420/ref=pd_sbs_14_1?_encoding=UTF8&psc=1&refRI
D=BJM5NFZQ4Z368PXWD5J2

Albert Thibaudet (1874-1936): « Albert Thibaudet, le grand critique de la


NRF, qui est un republicain incontestable. » -Olivier Dard, Sur Charles
Maurras, conférence au Cercle Aristote, 24 juin 2017.

« Thibaudet, faux paysan du Danube, "radical" évolué et qui veillait à rester


dans le vent, rejoignait chaque jour les jeunes loups de l'extrême-droite "dans

1756
les cafés de Saint-Germain-des-Prés" où, rapporte Brasillach, "il nous lisait à
haute voix" sans cacher son admiration, l'article de Maurras paru le matin. » -
Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages, p.239.

« L’art comme la philosophie consistent à remonter et à dépasser cette nature


d’artisan, d’homo faber, pour atteindre, sur leurs deux registres particuliers, la
vision désintéressée. Mais ce désintéressement ne saurait être réalisé longtemps
ni purement. De même que nous ne pouvons philosopher sans nous servir de ces
concepts qui tournent le dos à la réalité de la philosophie, de même nous ne
pouvons être artistes sans être dans une certaine mesure artisans. » -Albert
Thibaudet, Le Bergsonisme, Gallimard, NRF, 1923, 263 pages, p.53.

« Thibaudet fonda l’analyse des idées politiques en France dans les années
1920. » -Antoine Compagnon, « Maurras critique », Revue d'histoire littéraire
de la France, 2005/3 (Vol. 105), p. 517-532.

http://hydra.forumactif.org/t1551-michel-leymarie-albert-thibaudet-l-outsider-
du-dedans#2221

Alain (1868-1951) : « L'homme est courageux ; non pas à l'occasion mais


essentiellement. Agir, c'est oser. Penser, c'est oser. Le risque est partout ; cela
n'effraie point l'homme. Vous le voyez chercher la mort et la défier ; mais il ne
sait point l'attendre. Tous ceux qui sont inoccupés sont assez guerriers par
l'impatience. Ce n'est pas qu'ils veuillent mourir, mais c'est plutôt qu'ils veulent
vivre. Et la vraie cause de la guerre est certainement l'ennui d'un petit nombre,
qui voudraient des risques bien clairs, et même cherchés et définis, comme aux
cartes. Et ce n'est point par hasard que ceux qui travaillent de leurs mains sont
pacifiques ; c'est qu'aussi ils sont victorieux d'instant en instant. » -Alain.

« L’individu qui pense, contre la société qui dort, voilà l’histoire éternelle, et le
printemps a toujours le même hivers à vaincre. » -Alain, 24 avril 1911.

« Alain […] inaugure une prédication qui ne sauve le parlementarisme et le


gouvernement faible que par défaut. […] Le maître en science politique le plus
souvent cité par Alain n’est-il pas le fort peu démocrate Guglielmo Ferroro ? »

-Daniel Lindenberg, Les années souterraines (1937-1947).

1757
« Le mépris de l'histoire qu'affectait Alain, communiqué à des disciples sans
génie, nourrissait une sorte d'obscurantisme.
Lui-même n'était pas dupe de ses boutades, de ses excès, de ses
excommunications. Quand je lui confiai, vers 1931 ou 1932, mon intention de
réfléchir sur la politique, il me répondit: "Ne prenez pas trop au sérieux mes
propos sur la politique. Il y a des hommes que je n'aime pas. J'ai passé mon
temps à le leur faire savoir". Il n'ignorait pas qu'il "manquait" la dimension
historique en se référant toujours à la nature humaine, constante, immuable en
ses traits essentiels. Il refusa Einstein et la relativité, il refusa la psychanalyse.
[...]
"Sophiste", ainsi l'a qualifié Marcel Mauss, au cours d'une conversation privée.
Sans hostilité, sans passion, sans mépris [...] D. Brogan, avec plus de sévérité,
écrivit vers l'année 40 une phrase que je mis en épigraphe d'un article sur Alain
dans la France libre: "Le prestige d'un sophiste tel Alain annonce la ruine d'un
Etat". » -Raymond Aron, Mémoires, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2010
(1983 pour la première édition), 1030 pages, p.72-73.

« Alain érigeait en principes philosophiques les modes de fonctionnement d'une


République radicale au demeurant décadente ; sa critique des institutions
contribuait par ailleurs à alimenter l'antiparlementarisme et la crise du régime
qu'il offrait en modèle ; surtout, son pacifisme représentait un contresens
historique absolu face à la montée des menaces totalitaires. » -Nicolas Baverez,
préface à Raymond Aron, Penser la liberté, penser la démocratie, Gallimard,
coll. Quarto, 2005, 1815 pages, p.21.

Bernard Groethuysen (1880-1946): http://www.amazon.fr/Anthropologie-


philosophique-Bernard-
Groethuysen/dp/2070204138/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1458330671&sr=8-
1&keywords=anthropologie+philosophique

Paul Leroy-Beaulieu (1843-1916): « 12 février 1908 : « M. Paul Leroy-


Beaulieu, dont le concours [à L’Économiste français] est inappréciable, revient
à la charge » ; il veut des sous ; et Raffalovitch estime qu’étant donné la
position mondaine de « l’honorable académicien », on ne saurait hésiter à lui
être agréable. » (p.114)

-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.


Idées, 1974, 476 pages.

1758
Albert Schatz (1879-1940) : « On pourrait s’étonner qu’après avoir fait du
rationalisme l’attribut caractéristique des constructions socialistes, nous le
signalions avec insistance dans la première forme doctrinale du libéralisme.
Nous verrons bientôt que cette exception apparente confirme la règle, que la
doctrine physiocratique doit précisément à ce caractère rationaliste d’être
inapplicable, et qu’elle appelle sur ce point plus que sur tout autre les
amendements que lui apportera l’évolution ultérieure de l’individualisme. »
(p.51)

« Si nous cherchons la cause profonde de cette faiblesse des théories


physiocratiques, nous ne la pouvons trouver, à mon sens, qu’en remontant aux
caractères généraux de leur philosophie sociale. Les Physiocrates ont été des
rationalistes. Ils ont cru que la Raison pouvait nous guider, que nous pouvions
par elle parvenir à réaliser la Justice et l’Ordre absolus. C’était pour leur
doctrine comme pour toute doctrine sociale un germe de mort, puisqu’il devait
les conduire à mettre l’absolu dans un domaine qui ne comporte que le relatif,
la recherche patiente d’une vérité incertaine, la prudence et la tolérance
intellectuelles, enfin qui sont pour les économistes, non seulement « l’honnêteté
», comme on disait au grand siècle, mais la sagesse. » (p.67)

-Albert Schatz, L’individualisme économique et social, Institut Coppet, 2012


(1907 pour la première édition).

« Dans son excellente revue de l’histoire des théories individualistes, Albert


Schatz conclut avec raison que « nous voyons tout d’abord avec évidence ce que
l’individualisme n’est pas. C’est précisément ce qu’on croit communément qu’il
est : un système d’isolement dans l’existence et une apologie de l’égoïsme »
(L’Individualisme économique et social, Paris, 1907). Cet ouvrage, à qui je dois
beaucoup, mérite d’être bien plus largement connu non seulement comme
contribution à notre sujet mais comme histoire de la théorie économique en
général. » -Friedrich August von Hayek, Vrai et faux individualisme (1946).

Gustave de Molinari (1819-1912) : « Les chemins de fer sont inventés, et voilà


que les routes auxquelles ils font une concurrence inégale sont désertées, les
relais sont abandonnés, les maîtres de poste et les aubergistes ruinés. […] Qui
voudrait arrêter le progrès pour mettre un terme aux perturbations qu’il
provoque ? » -Gustave de Molinari, Le Mouvement socialiste avant le 4
septembre 1870, Paris, 1872, p.X.

1759
« Le colonialisme, tel que le comprend et le pratique l’Etat, n’est autre chose
qu’une branche du protectionnisme appliqué à l’industrie des fonctionnaires
aux dépens de toutes les autres. » -Gustave de Molinari, « Revue de l’année
1898, in Journal des Économistes, cité par Jacques Thobie, « Les hésitations du
colonisateur », chapitre 1 in Charles-Robert Ageron, Catherine Coquery-
Vidrovitch, Gilbert Meynier & Jacques Thobie, Histoire de la France coloniale,
tome II 1914-1990, Armand Colin, coll. U Histoire, 2016 (1990 pour la première
édition), 654 pages, pp.7-24, p.24.

« Lafargue a réussi, en effet, à tisser des relations assez étonnantes avec


Guillaumin, l’éditeur des économistes libéraux. La maison, créée en 1835, a été
reprise à la mort du fondateur par ses filles, et elle est entièrement dédiée à
l’économie politique. Avec le Journal des Économistes, qu’elle édite depuis
1841, elle constitue une pièce maîtresse du réseau libéral, et se situe ainsi à
l’avant-garde de la lutte contre le socialisme dès avant 1848.

Il a donc fallu à Lafargue user de tout son « toupet africain », comme il le


raconte à Engels, pour obtenir en 1884 de Gustave de Molinari, le rédacteur en
chef du Journal des Économistes, qu’il accepte d’y publier d’abord sa longue
étude sur « Le blé en Amérique » (en juillet et août), puis surtout sa réfutation
de l’ouvrage du professeur au Collège de France, Paul Leroy-Beaulieu, Le
Collectivisme (septembre et novembre 1884).

Mais le point d’orgue de ces relations ambivalentes, faites de reconnaissance et


de polémiques vives, est la parution en 1894, chez Guillaumin, d’un recueil
d’extraits du Capital réalisé par Lafargue. Celui-ci a dû accepter qu’en
introduction figure une critique de la doctrine rédigée par un économiste. Les
volontaires n’étant semble-t-il pas nombreux, elle est confiée à Vilfredo Pareto,
un proche de Walras – au grand dam de Lafargue, qui n’a pu lui répondre que
dans L’Ère nouvelle. Toutefois, cette édition prend valeur de légitimation, de la
part d’économistes qui se préoccupent de réfuter Le Capital depuis 1872. Le
livre est en effet publié dans la « Petite Bibliothèque économique, française et
étrangère ». Une collection d’une quinzaine de titres, visant à populariser les
classiques de l’économie politique, parmi lesquels Marx fait donc son entrée,
après Ricardo, mais un peu avant Quesnay. » - Jacqueline Cahen, « Les
premiers éditeurs de Marx et Engels en France (1880-1901) », Cahiers
d’histoire. Revue d’histoire critique, 114 | 2011, 20-37.

1760
http://hydra.forumactif.org/t743-gustave-de-molinari-l-utopie-de-la-liberte-
autres-oeuvres?highlight=Gustave+de+Molinari

Yves Guyot (1848-1928) : « La politique coloniale telle que l’entendent les


hommes d’État […] met à la disposition de quelques individus l’argent des
contribuables, le sang des marins et des soldats, l’ensemble des forces
nationales qui ne doivent être employées qu’à la sécurité de la patrie.
L’expérience du passé nous prouve que ces privilégiés ont le plus souvent été
ruinés, quand ils n’ont pas été tués par leurs privilèges. L’ironie perpétuelle de
la politique protectionniste est d’aboutir toujours au résultat opposé à celui
qu’elle se propose. » -Yves Guyot, Journal des Économistes, 1885, p. 37. Cité
dans Alain Clément, « L'analyse économique de la question coloniale en France
(1870-1914) », Revue d'économie politique, 2013/1 (Vol. 123), p. 51-82.

« Comment donc les colonies que nous établissons pourraient-elles contribuer à


"l'expansion de la race française ?". Elles n'ont jusqu'à présent servi que de
cimetières à nos soldats et nos marins. » -Yves Guyot, Lettres sur la politique
coloniale, C. Reinwald Libraire-Éditeur, 1885, 472 pages, p.59.

« Qu’il y ait des crises et des difficultés dans la vie sociale, nous ne devons pas
nous en effrayer. Nos besoins changent, et ils précèdent toujours la formation
définitive de l’organe. Comme l’a fait remarquer Darwin, tout organe est la
transformation d’autres organes antérieurs préexistant chez les formes
ancestrales dans un état différent et pour des fonctions différentes. Au point de
vue sociologique le problème est le même qu’au point de vue biologique :
l’adaptation aux nouvelles fonctions est toujours difficile et reste incomplète. Il
s’agit de la rendre aussi facile, aussi peu douloureuse et aussi parfaite que
possible. Il s’agit surtout d’empêcher les régressions qui ne sont que la
prédominance de l’hérédité sur l’adaptation au milieu ; et comme le mouvement
socialiste n’est que l’expression de vielles formes de sociétés, de vieilles idées,
de vieux sophismes, de survivances de fétichismes, un essai de subordination du
progrès industriel et économique à des modalités de civilisation primitives, nous
devons nous y opposer, au nom du progrès : car les prétendus « avancés », qui
le dirigent, ramèneraient l’organisme social avec ses éléments complexes, de
plus en plus adaptés à la division du travail, au collectivisme primitif. L’homme
se transformant en méduse ! voilà leur idéal. » (pp.259-260)

1761
« Les secours donnés à ces gens, au lieu de les aider à se développer et à
s’élever dans la vie, en avaient fait une corporation de mendiants ; et il en sera
de même de toute mesure qui, en ayant pour objet d’atténuer ou de supprimer la
lutte pour l’existence, diminuera l’effort de l’homme.

Par analogie, la biologie nous montre que toute espèce végétale ou animale
protégée contre la concurrence, contre les difficultés de l’existence, est
condamnée à s’étioler et à périr. Darwin a constaté dans les îles de l’Océanie
combien la flore et la faune étaient pauvres et limitées : et pourquoi ? Parce
qu’elles sont isolées, c’est-à-dire protégées. Ce n’est que par l’effort que les
organismes, qu’il s’agisse des plantes, des animaux ou des hommes, peuvent se
développer. » (p.263)
-Yves Guyot, La Tyrannie socialiste, Ch. Delagrave, 1893, 264 pages.

http://hydra.forumactif.org/t3412-yves-guyot-les-principes-de-89-et-le-
socialisme#4238

Anatole Leroy-Beaulieu (1842-1912) : « Vous savez, Messieurs, que, depuis un


demi siècle, nombre de savants et de philosophes se sont appliqués à rattacher,
à souder la science sociale, ce qu'ils appellent la sociologie, aux sciences
physiques et naturelles. Vous connaissez la fameuse classification des sciences
d'Auguste Comte, classification que les positivistes regardent comme un des
titres de gloire de leur maître. Et ils ont raison, Messieurs ; car, quelque
opinion qu'on ait de la philosophie de Comte, il est malaisé d'imaginer une
autre hiérarchie des sciences. Or, quelle est, de toutes les sciences humaines,
celle que Comte plaçait au sommet de son échelle, à la cime du savoir humain,
comme étant, par l'importance de son objet, par la multiplicité et la complexité
même de ses éléments, la reine des sciences, la plus ardue et la plus difficile de
toutes ? C'était la science sociale. Et cette science, complexe et malaisée entre
toutes, des hommes, des jeunes gens qui se croient des esprits modernes et se
disent des esprits positifs s'arrogent le droit d'en raisonner, d'en décider, d'en
trancher à la légère, suivant les caprices des foules ou selon le vent de l'opinion,
sans même s'être donné la peine d'en étudier les éléments ! Et ce qui paraîtrait
insensé ou enfantin pour des sciences d'un ordre après tout inférieur, des
sciences en tout cas d'une moindre complexité, pour la physique, la chimie, la
botanique, cela semblerait légitime, quand il s'agit de la science sociale ! C'est
là une tendance contre laquelle, pour notre part, nous ne cesserons de protester,
au nom de la science, au nom de la vérité, au nom de la société.
1762
Nous prétendons que les questions sociales doivent être étudiées patiemment,
scientifiquement, méthodiquement, et nous nous scandalisons de les voir
discutées et résolues entre deux bocks de bière, au cabaret ou à la taverne. » -
Anatole Leroy-Beaulieu, Pourquoi nous ne sommes pas socialistes, 1895.

http://hydra.forumactif.org/t861-anatole-leroy-beaulieu-la-revolution-et-le-
liberalisme-pourquoi-nous-ne-sommes-pas-socialistes#1472

Émile Faguet (1847-1916) : « À quoi est-il bon d’extraire d’Auguste Comte du


catholicisme comme des classiques le bon Deschanel extrayait un romantisme
douteux ? […] À donner à la thèse catholique quelques arguments nouveaux,
avec cela de piquant qu’ils sont tirés d’un adversaire ? Jeu agréable, surtout
quand le joueur est de la force de M. Brunetière, mais peu utile, le catholicisme
ayant à son actif et à son service des vérités plus fortes que les vérités à
caractère ou à apparence catholique que l’on peut faire jaillir des textes
d’Auguste Comte. » -Émile Faguet, « Sur les chemins de la croyance » in Revue
Latine, 25 novembre 1904, p. 662-663.

« L'élection en soi n'est peut-être pas un mauvais moyen de sélection, accorde


"un sceptique, mais non pas aucunement un ennemi" de la démocratie, M.
Faguet ; mais il faut pour cela que les électeurs soient "très informés, très
intelligents et sans passion" [La démocratie devant la science, Revue latine, 23
mars 1906, p.160-161], et ce n'est pas le cas des électeurs populaires. » -
Georges Guy-Grand, Le procès de la démocratie, Paris, Librairie Armand Colin,
1911, p.181.

« Né en 1847 à Poitiers, fils d’un professeur de lettres, Émile Faguet entre à


l’École normale supérieure en 1867, obtient l’agrégation en 1871 et embrasse
une carrière de professeur de lycée en province, avant d’atteindre les plus
prestigieux lycées de la capitale. Docteur ès-lettres en 1883, il devient en 1890
suppléant dans la chaire de poésie française à la Sorbonne, puis titulaire du
poste en 1897. Proche de Brunetière et reprenant à son compte les méthodes de
Taine et de Sainte-Beuve, il s’impose en quelques années comme l’un des
auteurs et critiques les plus productifs au tournant du siècle, se spécialisant
dans les monographies intellectuelles (Corneille, 1885 ; La Fontaine, 1889 ;
Voltaire, 1894 ; Flaubert, 1899 ; Madame de Sévigné, 1910 ; Vie de Rousseau,
1910) et critiques d’idées (Le Libéralisme, 1903 ; L’Anticléricalisme, 1906 ; Le
Socialisme, 1907 ; Le Pacifisme, 1908), pour ne citer que ceux-là.

1763
Parallèlement aux nombreux ouvrages qu’il fait paraître et qui vont former des
générations entières d’étudiants, il rédige dans la presse de nombreux portraits
littéraires, qui sont autant de chefs-d’œuvre de verve et d’érudition, lesquels se
trouveront plus tard rassemblés dans ses Études littéraires (des xvie, xviie, xviiie
et xixe siècles), ses Propos littéraires et son Histoire de la littérature française de
la Renaissance au romantisme (dont la publication posthume s’échelonne entre
1923 et 1936). Élu à l’Académie française en 1900, il fait aussi partie de ceux
qui prennent position contre Dreyfus et revendiquent leur appartenance à la très
nationaliste Ligue de la patrie française, aux côtés de Jules Lemaître, Edgar
Degas, Paul Bourget, Jules Verne et… Honoré Champion ! » (cf :
http://montaignotheque.blogspot.com/2017/09/emile-faguet-autour-de-
montaigne.html )

« Le troisième grief fait à Rousseau est de nature politique. La philosophie


romantique est, selon ses détracteurs, anarchiste et révolutionnaire. La thèse de
la responsabilité de Rousseau dans la Révolution Française n’est pas nouvelle.
Burke, Maistre et Bonald l’ont très vite défendue. Les attaques politiques contre
Rousseau au début du xxe siècle diffèrent, cependant, de celles du siècle
précédent. Elles sont, tout d’abord, marquées par le spectre de la Commune de
1870 et de la menace communiste. Il n’est donc pas anodin à l’époque de voir
en Rousseau « un socialiste, et même, au point de vue du génie, comme le plus
grand des socialistes » [E. Faguet, Rousseau penseur], ou encore d’affirmer que
« [L]e communisme est enveloppé dans Rousseau » [J. Lemaître, Jean-Jacques
Rousseau]. Intellectuellement, ensuite, elles sont très inspirées par la
philosophie de Nietzsche. Ainsi c’est la perspective de l’anarchie et du nihilisme
qui est agitée face aux principes démocratiques de Rousseau. Ainsi pour
Lasserre, « [L]es théories de Jean-Jacques sont la glorification de ses mœurs.
[…] Elles aboutissent par cinq ou six voies différentes au nihilisme social qui
est le vœu profond de son cœur. Elles proposent avec éloquence soit l’anarchie,
soit la Révolution éternelle » [P. Lasserre, Le romantisme français]. Pendant le
premier tiers du xxe siècle, les attaques politiques contre Rousseau se
concentrent, donc, sur deux points spécifiques, la responsabilité morale qu’il
porte à l’égard de la Révolution française et son influence sur l’anarchisme
contemporain. » -Christophe Salvat, « Rousseau et la « Renaissance classique »
française (1898-1933) », Astérion [En ligne], 12 | 2014, mis en ligne le 24 juin
2014, consulté le 30 mai 2018.

http://hydra.forumactif.org/t1701-emile-faguet-le-liberalisme#2379
1764
Élie Halévy (1870-1937) : « Il est permis ... de plaider la cause de
l'individualisme (lorsqu')on le considère comme une méthode pour l'explication
des faits sociaux (...) Nous voulons constituer une science sociale, définie
comme une science des représentations, des passions et des institutions
collectives: mais comment pouvions-nous proposer une explication de ces
phénomènes qui ne repose sur l'hypothèse individualiste ? (...) Voulons-nous...
que la science sociale soit véritablement explicative ? Il faudra donc admettre
de deux choses l'une. Ou bien la représentation collective, dès sa première
apparition, a été commune à plusieurs individus : il reste alors à expliquer
comment, chez chacun de ces individus pris isolément, cette représentation s'est
formée. Ou bien la représentation collective a d'abord été une représentation
individuelle, avant de se propager à une pluralité d'individus et de devenir
collective: expliquer, en ce cas, la représentation collective, c'est dire comment
d'individuelle elle est devenue sociale, et comment elle s'est communiquée
d'individu à individu (...) Dans tous les cas, les radicaux philosophiques avaient
raison lorsqu'ils voyaient dans l'individu le principe d'explication des sciences
sociales. » -Élie Halévy, La formation du radicalisme philosophique, 1904, p.
368-369.

« Les seuls plaisirs dont le moraliste utilitaire veuille en dernière analyse tenir
compte, ce sont les plaisirs qui ont leur source non pas dans l'exercice de nos
habitudes mentales, mais dans des causes extérieures ... le bonheur social
consiste donc essentiellement à acquérir de la richesse avec les plaisirs qu'elle
procure. » -Elie Halévy, La Formation du radicalisme philosophique, vol. m (p.
316 dans l'édition de 1901-1904 et p. 196 dans l'édition de 1995).

« J’ai perdu le fil de cette guerre. Dans ce débordement universel de haines, de


fureurs, de violences, je me sens inondé, égaré, abruti. […] je sais bien que,
pour longtemps, les philosophes vont rentrer dans leurs trous, et que, pour
longtemps, les places publiques appartiennent aux guerriers. » -Lettre d’Élie
Halévy à Xavier Léon du 18 mai 1915, in Élie Halévy, Correspondance, 1891-
1973, Paris, Éd. de Fallois, 1996, p. 481.

« Si l’Allemagne sortait victorieuse du conflit où elle se trouve aux prises avec


quatre grandes nations, quel triomphe pour l’idée prussienne et monarchique de
l’État ! Quel châtiment pour les peuples qui ont cru aux bienfaits de la liberté !
» -Lettre d’Élie Halévy à Xavier Léon du 25 février 1917.

1765
« Dans l’Allemagne moderne la classe de professeurs, des universitaires, est
particulièrement responsable. Il faut donc que l’Allemagne porte la faute des
crimes intellectuels qu’elle a commis contre la raison et le sens commun, quand
elle voit ses intellectuels condamnés, par l’instinct des peuples qu’elle a
combattus, à une espèce de quarantaine morale. Il faut, pour que les relations
scientifiques se rétablissent normalement entre les nations, que le régime des
universitaires prussiens s’effondre comme vient de s’effondrer le régime des
junkers. » -Élie Halévy, lettre à Xavier Léon du 12 décembre 1918.

« Des gauches qui montrent le poing aux tyrans [Hitler et Mussolini], mais qui
sont pour la paix à tout prix ; des droites qui sont toujours prêtes à armer mais
que la peur du communisme jette dans les bras de leurs pires ennemis. » -Élie
Halévy, lettre à son ami René Berthelot, 30 juin 1937.

« Le portrait intellectuel idéal du libéral français ... aux côtés d'Alexis de


Tocqueville et de Raymond Aron. » -Préface de François Furet, in Élie Halévy,
Correspondance, Paris, Éd. de Fallois, 1996.

« Halévy, quarante-quatre ans, est mobilisé en novembre 1914, après avoir déjà
exercé le métier d’infirmier dès le début de la guerre comme bénévole ; il
continue à servir en cette qualité jusqu’à sa démobilisation en mars 1918 […]
Alain (1868-1951), ami intime d’Halévy de la rue d’Ulm. Ce pacifiste intégral,
non-mobilisable, s’était engagé immédiatement « pour avoir encore le droit de
parler contre la guerre » ; « Envions Chartier », s’exclame le sociologue
durkheimien Célestin Bouglé (1870-1940), lui aussi ami d’Élie Halévy du temps
de la Normale, et collaborateur régulier de la revue. « Il aura le droit, ayant
payé de sa personne, de parler encore, après la guerre, un langage républicain.
» Bouglé, comme Halévy, est infirmier au début de la guerre. » -Yaël Dagan, « «
Justifier philosophiquement notre cause ». La Revue de métaphysique et de
morale, 1914-1918 », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 2005/1 (n°
23), p. 49-74.

« Tout se passe comme si l'une des oppositions majeures du champ intellectuel


entre essayistes et universitaires se trouvait reflétée et condensée, au sein même
de la famille Halévy, à travers l'opposition entre les frères Daniel et Élie. Celui-
ci, l'aîné (né en 1870), normalien et agrégé de philosophie, apparaît comme
particulièrement représentatif de la génération des jeunes philosophes des
années 1890: il fonde en 1893 avec ses amis Léon Brunschvicg et Xavier Léon

1766
la Revue de métaphysique et de morale et, comme ceux-ci, il s'est lancé au début
de sa carrière dans des recherches spécialisées. Marqué par le kantisme, il a
soutenu vers vingt-cinq ans ses thèses sur Platon et Hume et rédigé des articles
sur des sujets alors consacrés comme l'associationisme en psychologie. Et si,
après ces débuts relativement orthodoxes, il tend à se distinguer des autres
philosophes du même âge, c'est peut-être parce que, ayant été relégué vers
l'érudition historique dans une conjoncture plutôt favorable à la "science", il n'a
pu accéder à un poste correspondant à ses espérances: dans le cadre de l'École
des sciences politiques, il entreprend une deuxième carrière d'historien des
idées et se consacre à une tradition et à un pays philosophiquement dominés, le
radicalisme de la lignée de Bentham et l'Angleterre. » -Louis Pinto, Les Neveux
de Zarathoustra. La réception de Nietzsche en France, Paris, Éditions du Seuil,
1995, 207 pages, p.50.

« Halévy appartient à la promotion 1889 de l’École normale supérieure. On ne


sera pas étonné de trouver parmi ses principaux correspondant Émile Chartier,
dit Alain (promotion 1889 également), Charles Andler (1884), Célestin Bouglé
(1890), Léon Brunschvicg (1888), Lucien Herr (1883), le bibliothécaire
perpétuel de l’ENS, Lucien Lévy-Bruhl (1876), Dominique Parodi (1890) et,
beaucoup plus jeune, Raymond Aron (1920). Au total, un échantillon prestigieux
et représentatif de la philosophie française de l’époque, auquel il ne manque
que la figure majeure, celle d’Henri Bergson (1878). Parmi les correspondants
de tout premier ordre, le seul non-normalien est Xavier Léon, le condisciple de
Condorcet, l’ami de toujours, véritable entrepreneur en philosophie, à l’ombre
duquel il tient à rester caché, dans la direction et la fondation de la Revue de
métaphysique et de morale. Car à vingt-deux et vingt-quatre ans, à l’âge où les
uns courent les filles tandis que les autres conquièrent le monde, les deux
normaliens conçoivent et mènent à bien la plus austère des revues, qui
deviendra vite l’une des institutions les plus vénérables de la philosophie
française. » (p.30-31)

« A peine sorti de l’École normale supérieure et de l’agrégation de philosophie


(1892), il fait à Winchester, Londres, Oxford son premier voyage. Cela
deviendra chez lui une habitude annuelle. » (p.31)

« Il a beau jouer les démocrates, il sera toujours, par ses réflexes intimes, un
aristocrate éclairé, dans la tradition de Tocqueville. Ce qui, notons-le au
passage, le rend attentif à la question coloniale. Les petits Blancs, ceux que l’on
1767
n’appelle pas encore en Algérie les « pieds-noirs », sont décrits avec une
lucidité cruelle. En avril 1897, il voit des colons asséner des coups de trique sur
les indigènes, assortis de plaisanteries « bon enfant » sur cette « religion
grotesque » (l’islam). « Les gredins ! conclut-il. […] Près de vingt ans plus tard,
il revient à la charge dans une lettre à Bouglé : « J’en reviens donc à ma vieille
idée : que fait la Ligue des droits de l’homme pour les indigènes algériens ? ». »
(p.33-34)

« Il affirme l’innocence de Dreyfus et n’a de cesse qu’il ne convainque ses amis


les plus proches, à commencer par Bouglé qui donne des signes d’hésitation, et
Xavier Léon, peu pressé de s’engager. » (p.34)

« Athée de conviction et protestant de culture, républicain en politique, il


considère le combat contre l’Église comme partie intégrante de la civilisation. »
(p.37)

« Pis : il regrette, en 1903, qu’on n’ait pu aller jusqu’au « monopole de


l’enseignement ». Point de vue qui, de nos jours, le ferait classer aux antipodes
du libéralisme. » (p.38)

-Jacques Julliard, « Élie Halévy, le témoin engagé », Mil neuf cent. Revue
d'histoire intellectuelle (Cahiers Georges Sorel), Année 1999, 17, pp. 27-44.

"En 1934 et en 1936, Élie Halévy entreprend d’inclure une leçon sur « la
question sociale aux États-Unis et l’expérience Roosevelt » dans son cours sur
le « Socialisme en Europe au XIXe siècle » qu’il professe à l’École libre des
sciences politiques depuis 1902. Non reproduite dans le manuscrit publié chez
Gallimard en 1948 par les amis et les élèves d’Élie Halévy sous le titre Histoire
du socialisme européen." (p.1)

"Bien que membre d’une École libre des sciences politiques adepte d’une
histoire du temps présent aux limites du journalisme, Élie Halévy s’appuie avant
tout sur des sources pour disserter de l’expérience Roosevelt – à l’inverse, par
exemple, de son collègue André Siegfried qui a fait du voyage et de
l’observation directe l’alpha et l’omega de son dispositif d’enquête. Halévy
recourt néanmoins à une gamme de sources de nature très variée, allant de la
documentation primaire (textes législatifs, rapports, littérature grise) à la presse
généraliste (Times et Manchester Guardian Weekly), des mémoires des
protagonistes (discours, interviews, biographies des New Dealers) aux

1768
reportages et essais des visiteurs étrangers (de Tessan, Maurois), de la
chronique factuelle (L’année politique) à la presse spécialisée (numéro spécial
des Cahiers des droits de l’homme, articles de The Round Table. The
Commonwealth Journal of International Affairs et du The Political Quarterly) et
à la littérature scientifique existante."(p.3)

"Élie Halévy recommande également à ses étudiants l’histoire du socialisme aux


ÉtatsUnis (1903) écrite par l’avocat et militant juif new-yorkais, Morris
Hillquit, introducteur du marxisme aux États-Unis, membre fondateur du parti
socialiste américain, en même temps que l’un de ses premiers historiens." (p.3)

"Le Manchester Guardian et The Political Quarterly, utilisés de manière plus


systématique, sont deux titres marqués à gauche, proches du Labour et des
milieux réformateurs libéraux. The Political Quartely a ainsi été fondé en 1930
par deux professeurs de Public Administration de la London School of
Economics and Political Science (LSE), Kingsley Martin et William Robson, et
publie les articles de deux autres de ses membres, le libéral William Beveridge
et le travailliste Harold Laski, en plus de ceux de John Maynard Keynes." (p.4)

"À Londres, Élie fréquente principalement la LSE, institution fondée par la


société Fabienne, et entretient des liens d’amitiés avec son directeur Sidney
Webb et son épouse, Béatrice, ainsi qu’avec deux autres membres fondateurs,
Bernard Shaw et Graham Wallas, professeur de science politique ; il est
également reçu à Cambridge par Bertrand Russell et sa première épouse Alys. Il
partage avec ces intellectuels anglais un même intérêt pour les jeunes sciences
sociales (sociologie empirique, science politique et public administration,
relations internationales) et, à défaut des mêmes engagements politiques, un
même intérêt pour la réforme sociale et les doctrines socialistes." (note 15 p.4)

"Il n’en va pas de même de ceux, très critiques envers le New Deal, de Siegfried
qu’il mentionne par obligation dans la bibliographie de l’ELSP mais dont il ne
fait aucun usage dans son « pré-cours»." (p.6)

"Parce qu’il se déclare incompétent et n’a pas lu le Treatise on Money publié en


1930 ni la General Theory of Employment, Interest and Money parue en 1936, il
reste tributaire de l’interprétation française de la pensée de Keynes. Ainsi
assimile-t-il ce dernier – suivant en cela les économistes libéraux français – à la
première école libérale, comme en témoigne cette généalogie précise – « Adam
Smith et Ricardo, Richard Cobden, Norman Angell et Maynard Keynes, loin
1769
d’être socialistes, sont des doctrinaires libéraux, des adversaires conscients du
socialisme » – et son insistance à faire des théories keynésiennes un «
mercantilisme » et de Keynes un champion de l’échange et de l’ouverture des
marchés. Il s’étonne dès lors que le Labour Party reprenne à bon compte les
théories de Keynes, tout en soulignant l’influence plus naturelle de ce dernier
sur le programme économique du parti libéral de Lloyd George. S’alignant sur
les plus orthodoxes des économistes français, Élie Halévy peut conclure, en
extrapolant à la situation américaine, que, si le rooseveltisme est d’inspiration
keynésienne, c’est un libéralisme…" (p.19)

-Marie Scot, « Élie Halévy. Un regard français inédit sur le New Deal de
Franklin D. Roosevelt », Histoire@Politique, n° 31, janvier-avril 2017.

"Hayek critique alors durement l'influence de Elie Halévy sur les visions
négatives du capitalisme et Mises utilisera en 1957 les mêmes termes pour
fustiger l'historien libéral lors du Colloque d'Ostende." -Serge Audier, Néo-
libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris, Éditions Grasset et
Fasquelle, 2012, 631 pages, p.247.
Elie Halévy, L'ère des tyrannies (forumactif.org)

https://www.amazon.fr/Chase-Halevy-Intellectual-Biography-
Cloth/dp/0231048564/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1461794061&sr=8-
1&keywords=%C3%89lie+Hal%C3%A9vy+%3A+an+Intellectual+Biography

Robert Marjolin (1911-1986) : "Robert Marjolin, jeune chercheur que le


directeur de l’École normale supérieure (ENS), Célestin Bouglé, a envoyé un an
à Yale en 1932-1933 grâce à une Rockefeller Fellowship pour y réaliser une
étude sur le syndicalisme américain25 et qui s’impose comme l’un des meilleurs
spécialistes français du New Deal." (p.5)

"Élie Halévy participe aux travaux du CDS où se noue une sociabilité


intellectuelle intergénérationnelle entre les « vieux » philosophes Bouglé et
Halévy et les « jeunes » spécialistes des nouvelles sciences sociales – sociologie,
économie, relations internationales, science et sociologie politique – que sont
Raymond Aron, Robert Marjolin, Jean Stoetzel, Georges Friedmann et Étienne
Mantoux. Élie Halévy propose ainsi un article sur le libéralisme anglais
confronté à la crise économique et au repli protectionniste, dans le premier
volume des Inventaires : la crise sociale et les idéologies nationales, publié en
1936 par le CDS, où figurent également les textes de Bouglé sur
1770
l’individualisme français, de Aron sur l’Allemagne et l’anti-prolétarisme
hitlérien, de Bernard sur l’Italie et le corporatisme, de Friedmann sur la Russie
« nouvelle », de Marjolin sur le New Deal, d’Étienne Dennery sur le Japon et
l’Occident. C’est également au CDS qu’il fréquente Marjolin, jeune historien
philosophe reconverti en « économiste », qui intègre l’Institut scientifique de
recherches économiques et sociales (ISRES) fondé par Charles Rist et
également financé par la Rockefeller, dont il devient la cheville ouvrière à partir
de 193435. Le jeune homme, qui est l’un des « premiers économistes français
que l’on puisse qualifier de keynésien », est également l’un des expert-
économistes de la SFIO : il fait partie, avant de s’en éloigner, du groupe de la
Révolution constructive, et se voit confier la rubrique hebdomadaire consacrée
aux questions économiques nationales et internationales dans les colonnes du
Populaire." (p.7)

-Marie Scot, « Élie Halévy. Un regard français inédit sur le New Deal de
Franklin D. Roosevelt », Histoire@Politique, n° 31, janvier-avril 2017.

Daniel Halévy (1872-1962) : « Nous ne sommes pas si aveugles que de ne point


voir ce que la culture européenne a perdu depuis 1789. La doctrine de nos
pères, l’humanisme, traduite dans la langue du peuple, embarassée du
christianisme et des rêves apocalyptiques, est devenue cette chose grossière et
vague, l’humanitarime. La culture se dégrade, nous le savons, et comment n’en
éprouverions-nous pas de la tristesse ? » -Daniel Halévy, « Charles Maurras et
la tradition », La Grande France, janvier 1902.

« D’où vient qu’ayant été si heureux de notre dreyfusisme, et mieux qu’heureux,


si fiers, d’où vient-il qu’il nous inspire aujourd’hui un mouvement si faible ? Cet
obscurcissement de nos souvenirs, qu’est ce donc enfin, sinon le signe d’un
regret inavoué, l’effet d’un sentiment d’un tort ? » -Daniel Halévy, Apologie
pour notre passé, Cahiers XI-10, 10 avril 1910, p.7-10.

« Pour moi, je considérais ce spectacle si rare dans nos rues parisiennes, cette
élégance virile, cette beauté, cette noblesse, je la considérais avec émotion,
reconnaissance, et un mot, un nom, un seul me venait à l’esprit et sur les lèvres
même : Maurras ! Tous ces jeunes gens étaient à lui, ils auraient été fiers de le
dire. C’était lui l’inspirateur de cet élan, l’ordonnateur de cette discipline,
l’éducateur, le maître de ces âmes. Cette jeune France que je croyais vivante
sous mes yeux, il l’avait voulue, enfantée, formée. Je lui en rapportais la gloire,

1771
c’était justice ; c’était justice de prononcer son nom : Charles Maurras ! » -
Daniel Halévy, à propos des cinquante mille personnes se pressant au défile de
Jeanne d’Arc du 24 mai 1914, in Daniel Halévy, « Charles Maurras », Le Feu,
Nouvelle Librairie Nationale, 1919, p.184-185.

"Daniel Halévy n'ayant pas l'honneur d'être franc-comtois, G. Guy-Grand, qui


l'était, le classait malicieusement parmi les "proudhoniens de l'extérieur". Et il
est certain qu'il vibrait plus spontanément aux accents de Proudhon père de
famille, passablement bonaldiens, qu'aux imprécations de Proudhon socialiste.
Il n'empêche qu'il fréquentait depuis toujours Proudhon, et qu'il l'admirait
sincèrement. C'était un grand Monsieur." -Pierre Haubtmann, Pierre-Joseph
Proudhon: sa vie et sa pensée, 1809-1849, Paris, Beauschene Éditeur, 1982,
1136 pages, p.12.

« Le premier des lecteurs juifs de Nietzsche en France fut sans doute Daniel
Halévy, le fils du librettiste d'Offenbach. Sensibilisé par l'affaire Dreyfus à la
question sociale, proche du mouvement ouvrier anarcho-syndicaliste, ami de
Péguy et (depuis 1903) collaborateur des Cahiers de la quinzaine, il avait fait de
sa petite revue Le Banquet un premier foyer du nietzchéisme parisien: plusieurs
numéros de 1892 contiennent des contributions sur Nietzsche et l'éditeur A.
Schulz publie en 1893 les deux premiers livres de Nietzsche en langue française,
une anthologie nietzschéenne et la première traduction française du Cas
Wagner par Daniel Halévy et Robert Dreyfus. Cette éphémère publication
contribue à faire connaître le philosophe par Léon Blum et Marcel Proust. Le
plus fidèle à cette précoce passion intellectuelle sera Daniel Halévy lui-même
qui publie en 1905 Le travail de Zarathoustra [Cahiers de la quinzaine,
Douzième cahier de la dixième série, 1905] et, chez Calmann-Lévy, La vie de
Frédéric Nietzsche, réédité en 1944 chez Bernard Grasset, dans une version
remaniée, intitulée Nietzsche.
En insistant sur l'opposition Wagner-Nietzsche, Halévy lave le philosophe de
tout soupçon d'antisémitisme et met l'accent sur son élitisme, pour lequel il
éprouve de toute évidence une vive sympathie. [...] On peut donc confirmer
l'hypothèse déjà formulée par Hella Tiedemann dans son étude sur le
conservatisme traditionaliste de Charles Péguy et suggérer que celui-ci
connaissait la pensée de Nietzsche, au moins par les travaux de Daniel Halévy,
sans doute aussi par Georges Sorel. » (p.92-93)

1772
"C'est en 1891 que Daniel Halévy (1872-1962) entend parler de Nietzsche par
Mlle de Nemethy [...] En 1892, Daniel Halévy publie un article sur Nietzsche
dans Le Banquet (la revue qu'il a fondée avec des condisciples du lycée
Condorcet). Proche des positions de Barrès, il s'enthousiasme pour un Nietzsche
aristocratique. Le mois suivant, c'est Robert Dreyfus qui publie un article sur
Nietzsche dans Le Banquet. En 1892, les deux amis publient la traduction
française du Cas Wagner. Ils sont tous deux wagnériens, mais appartiennent à
la génération intellectuelle qui va dépasser la mode wagnériste. Par une
piquante coïncidence, Daniel Halévy est le fils d'un des librettistes d'Offenbach
et le cousin de la femme de Bizet, deux compositeurs que Nietzsche admirait
particulièrement. Dans l'immédiat, la critique musicale parisienne réserve un
accueil plutôt réservé au Cas Wagner. "L'esprit de Nietzsche s'y montre dans
toute sa laideur morale", écrit Willy dans L'Écho de Paris de décembre 1892.
C'est dans les Cahiers de la quinzaine de Péguy, avec qui Daniel Halévy était lié
d'amitié, que paraîtront en avril 1909 trois chapitres de la biographie, dans leur
première monture. Auprès de Malwida von Meysenburg, à qui Gabriel Monod
l'avait recommandé, il a puisé quelques informations de première main [...]
Pour le reste, Daniel Halévy s'est rangé du côté des nietzschéens de Bâle et de
Carl Albrecht Bernoulli. En 1908, il avait fait le compte rendu du livre de
Bernoulli sur l'amitié de Nietzsche et Overbeck, non sans égratigner la
biographie en trois tomes publiées par Elisabeth-Förster-Nietzsche entre 1896
et 1904 [...]
Au lendemain de la publication de son livre sur Nietzsche, en 1909, Daniel
Halévy subira les attaques d'Elisabeth Förster-Nietzsche." (p.112)

-Jacques le Ridier, Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle au temps


présent, PUF, 1999 (première version en allemand, 1997), 279 pages.

"Le Banquet was formed in 1892 by several graduates of the Lycée Condorcet,
the most prestigious of the right-bank schools. The leader of this literacy coterie
was Daniel Halévy, and grouped around him were Fernand Gregh, Robert
Dreyfus, and Marcel Proust. In addition to this circle from Condorcet were
several from the Lycée Henri IV, most notably Léon Blum. While the journal
was dedicated to their teacher and discussion leader, Mallarmé, the direction
that the magazine chose seemed ad odds with the Symbolist program ; in fact
Mallarmé and his fellow Symbolist Paul Verlaine had inspired the young
littérateurs to set out on their own rebellious directions. Robert Dreyfus recalled
that Le Banquet, despite the dedication to Mallarmé, had been "founded in
1773
reaction against symbolism" and that one of its chief aims was to "renew the
pure and rich French tradition by an intelligent fusion of classicism and
romanticism". "Enough of Shakespeare", Dreyfus declared in an early article
for Le Banquet, "enough of Ibsen, enough of Tolstoy, enough of [Maurice]
Maeterlinck. Let us return to France, the devil !". Presumably impressed by
Nietzsche's effusive praise of French culture, Dreyfus suggested the writings of
the German thinker for his "return to France". In the eyes of the Symbolists,
Fernand Gregh remembered, "we seemed a bit like heretics. The literacy public
had gone to the great [Symbolist] church of the Mercure de France and
neglected our little chapel". Hence, an attack on the Symbolist establishment
was one of the primary aims of these writers, an end for which they effectively
used the ideas of Nietzsche.
In the April 1892 issue of Le Banquet, Halévy and Gregh presented an article
entitled "Frédéric Nietzsche", a ringing defense of the philosopher against the
first French commentators whom they believed had grossly misrepresented and
distorted his ideas. The article with which the young men were most angry was
"Frédéric Nietzsche, le dernier métaphysicien", written by the well-known
literacy critic and German specialist, Téodor de Wyzewa." (p.103)
-Christopher E. Forth, Nietzsche, Decadence, and Regeneration in France, 1891-
95, Journal of the History of Ideas, Vol. 54, No. 1 (Jan., 1993), pp. 97-117.

"Issu d'un milieu de grande bourgeoisie libérale de nuance orléaniste,


admirateur de la monarchie constitutionnelle, convaincu que le seul
gouvernement qui vaille est celui exercé par les élites compétentes et cultivées,
Halévy va se trouver en porte-à-faux par rapport à l'évolution sociale et
politique de son temps. Il se trouve que, comme nombre de jeunes intellectuels
libéraux, Daniel Halévy est dreyfusard. Sans doute par mimétisme familial
(après tout, les origines juives de la famille la désignent aux attaques des
antisémites), mais aussi par réaction contre le déchaînement populiste des
antidreyfusards et refus de se laisser emporter par les haines irrationnelles
d'une populace pour laquelle il n'éprouve que mépris. Son idéal est ailleurs. Il
est dans l'attachement sentimental à un socialisme humaniste, dans le devoir
d'éducation populaire qui incombe aux élites et qui le conduit à fréquenter les
milieux du christianisme social, à militer à la Ligue des Droits de l'Homme et à
l'Union pour l'action morale, à tâter du socialisme à Versailles, à prononcer des
conférences dans les Universités populaires, à collaborer aux Cahiers de la
Quinzaine de Charles Péguy. Comme nombre d'intellectuels, en particulier
1774
Sorel, avec lequel il est lié, Halévy fait partie des déçus du dreyfusisme qui
considèrent que les raisons morales qui les ont conduits à s'engager dans
l'Affaire sont déviées par l'utilisation politique qui est faite de la victoire des
dreyfusards. Le tournant démocratique pris par la vie politique française au
début du XXe siècle heurte profondément ce libéral élitiste, méfiant envers le
suffrage universel, et conservateur de tempérament. La brouille avec Péguy,
consécutive à leurs différences de lecture sur l'Affaire, achève de le couper de
ses anciens amis. C'est désormais, et de plus en plus, vers les adversaires de la
République parlementaire et de l'évolution démocratique que se sent attiré
Halévy. Dès avant la guerre de 1914, il se rapproche de Maurras, tout en
pointant ses désaccords avec lui et en subissant de plein fouet l'antisémitisme
des tenants du nationalisme intégral. Toutefois les critiques adressées aux
dreyfusards par Halévy, instrumentalisées par l'Action Française, provoquent
un rapprochement de fait, accentué par l'analyse très favorable que les
fondateurs du Cercle Proudhon font des thèses de Daniel Halévy sur la
décadence démocratique. Désormais, ce dernier, profondément convaincu que
l'évolution politique de la France conduit celle-ci au désastre passe du
dilettantisme qui a marqué sa jeunesse à un engagement qui lui fait considérer
comme novice l'évolution de la société française au cours du XXe siècle. Le
libéral est devenu traditionaliste pour retrouver le monde enfui de sa jeunesse
dorée et l'amertume marque son œuvre, qu'il s'agisse du regret de la perte des
racines rurales dans sa Visite aux paysans du Centre, de la description de l'âge
d'or que fut à ses yeux la République des ducs ou de l'exécration du radicalisme
et du parlementarisme qui sourd de la République des comités. L'écrivain
encore modéré de Décadence de la liberté, paru en 1931, devient un
pamphlétaire parfois violent après 1934, s'adaptant à la tonalité d'une vie
politique où le manichéisme l'emporte sur la sérénité des analyses. Désormais
identifié à la droite maurrassienne, il va en suivre l'évolution comme les
dérapages. Coupé des milieux libéraux eux-mêmes qui le considèrent comme un
"réactionnaire", isolé de ses anciens amis, il va pousser jusqu'au bout la logique
de l'engrenage dans lequel il s'est piégé. Ce libéral, et qui se considère toujours
comme tel, partage la "divine surprise" de Maurras devant l'effondrement de la
"gueuse" en 1940, se montre pétainiste idolâtre, collabore à la propagande de
l'Etat français et, comme ses nouveaux amis, trouve dans la défaite la
justification de ses diagnostics pessimistes sur la décadence française. Comme
eux encore, il juge qu'il faut accepter la loi du vainqueur. Suspect à la
Libération, marqué par sa sympathie pour Vichy, même si aucun acte de
1775
collaboration ne peut lui être reproché, Daniel Halévy n'est plus au lendemain
de la guerre qu'un marginal par rapport aux courants politiques et littéraires
dominants. Il trouve refuge dans les milieux néo-maurrassiens, nouant des
amitiés avec de jeunes écrivains issus des milieux d'Action Française comme
Pierre Boutang, Pierre Andreu ou Philippe Ariès, collaborant à l'hebdomadaire
Paroles Françaises, ouvrant son salon du quai de l'Horloge à d'anciens
pétainistes et fréquentant la boutique des Amitiés françaises où se retrouvent
autour d'Henri Massis des écrivains marginalisés à la Libération."
-Serge Berstein, préface à Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au
traditionalisme, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2001, 601 pages, p.14-16.

"A l'été 1948, Charles Maurras, emprisonné à Clairvaux affirmait à son


codétenu Xavier Vallat, ancien commissaire général aux questions juives, que
Daniel Halévy -qui quelques mois plus tôt avait participé à un numéro d'Aspects
de la France demandant "justice pour Maurras"- avait "toujours incliné vers les
solutions nationalistes". Dès les années 1930, l'appartenance de Daniel Halévy
à la droite littéraire était une évidence pour ses contemporains. Cependant quoi
qu'en ait pensé le fondateur de l'Action Française, il n'en fut pas toujours ainsi,
le même Maurras écrivant d'ailleurs en 1914 dans les colonnes du quotidien
d'extrême droite qu'Halévy était un "critique adverse". La longue vie de Daniel
Halévy (1872-1962), né quelques mois après la reddition de Napoléon III à
Sedan, décédé peu de temps avant la fin de la guerre d'Algérie, offre la
possibilité assez rare de suivre dans la longue durée un itinéraire intellectuel et
une évolution qui l'ont mené du dreyfusisme à un nationalisme proche de celui
de l'Action Française. Cette évolution ne serait pas exceptionnelle si le
personnage ne présentait pas d'autres particularités qui rendent cette mutation
plus curieuse encore. En effet, Daniel Halévy est issu d'une famille de juifs
bavarois installée en France au moment de la Révolution française qui
s'agrégea par le biais de mariages mixtes à la bourgeoisie protestante. Or, la
situation minoritaire du judaïsme et du protestantisme dans la société française
fut à l'origine du soutien durable porté par ces confessions aux idées et aux
forces politiques démocratiques." (p.17)

-Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme, Éditions


Grasset & Fasquelle, Paris, 2001, 601 pages.

1776
« Halévy sera nommé par Pétain, le 21 juin 1941, membre de ce Conseil
national. » -Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940),
Gallimard, coll. Idées, 1974, 476 pages, p.472.

Georges Guy-Grand (1879-1957): « Georges Guy-Grand, ce jurassien "laïc et


républicain", fut une des belles figures de la IIIe République, l'un des premiers
animateurs de l'Union pour la Vérité. J'ai toujours admiré son honnêteté
scrupuleuse. Il croyait à la vertu du dialogue franc et courtois. Et nous en avons
souvent usé ensemble. Il fut surpris, au début, de voir un homme d'Église qui ne
cachait pas son attachement au meilleur de l'idéologie des Droits de l'Homme,
et même son admiration pour Proudhon. Mais il me fit entièrement confiance, et
me livra ses propres archives proudhoniennes. » -Pierre Haubtmann, Pierre-
Joseph Proudhon: sa vie et sa pensée, 1809-1849, Paris, Beauschene Éditeur,
1982, 1136 pages, p.11.

Alfred Fabre-Luce (1899-1983) : « Grand bourgeois, qui vécut de ses rentes sa


vie durant, et subsidiairement des revenus d’une plume diserte, Alfred Fabre-
Luce déploya les talents de son intelligence dans les domaines divers de la
littérature et de l’essai ; mais, plus que tout, il fut dans l’entre-deux-guerres
passionné par la politique, et payé d’ingratitude. Dans les années 20, il s’était
signalé par plusieurs essais politiques qui l’avaient situé dans la mouvance des
jeunes radicaux disciples de Caillaux (auquel il consacra en 1933 un ouvrage
admiratif). Adversaire de la politique de Poincaré, il avait critiqué dans un livre
remarqué la thèse de la responsabilité exclusive de l’Allemagne dans le
déclenchement de la Grande Guerre. Partisan du rapprochement avec
l’ancienne ennemie, il y voyait la condition sine qua non de la paix européenne
et se montrait défiant envers les alliances orientales de la France, d’autant plus
que l’idée d’une guerre qui profiterait au communisme était bien présente à son
esprit. Le parti radical incarnait son idéal politique -laïcité, esprit de paix,
respect de la propriété-, et il souhaitait le voir s’en tenir au rôle d’ « un parti de
juste milieu », permettant à la vie parlementaire, après les expériences
contraires du Bloc national et du Cartel, de « se dérouler, non plus par
succession de fractions extrêmes, mais par déplacements d’équilibre légers
autour d’un centre de modération, également affranchi du nationalisme et du
collectivisme et fidèle à un programme minimum. » C’était ce libéral que la
crise des années 30 allait ébranler et porter vers des chemins aussi improbables
que le PPF.
En février 1933, Fabre-Luce lança la publication de Pamphlet, une revue qui
1777
parut pendant une année et ne connut qu’un succès d’estime, mais qui constitue
pour l’historien un document remarquable où est inscrit la vibration de l’onde
de choc nazie. » (pp.79-80)

« Fabre-Luce […] soutenait le PPF à quelque distance dans l’Assaut, un


hebdomadaire qu’il fit paraître entre octobre 1936 et juin 1937. » (p.288)

« En juin 1937, l’Assaut fusionna avec la Liberté dont il devint un supplément


hebdomadaire ; du coup, Fabre-Luce faisait profession publique de doriotisme.
» (p.291)

-Philippe Burrin, La Dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery (1933-1945), Paris,


Seuil, coll. L’Univers historique, 1986, 533 pages.

Raymond Poincaré (1860-1934) : « … Ils ont revu (les écrivains morts au


champ d’honneur)… les prétentions graduelles de l’esprit allemand au
monopole du sérieux et de la profondeur, la révolte momantanée contre les
règles et les disciplines de cet esprit méditerranéen dont Nietzsche s’efforça
vainement de montrer à l’Allemagne la supériorité esthétique et rationnelle. » -
Raymond Poincaré, Président de la République, discours prononcé à
l’inauguration du moment élevé à la mémoire des écrivains tombés au champ
d’honneur, le 3 mai 1916. Cité dans Daniel-Lesueur (pseudonyme de Jeanne
Loiseau), Nietzschéenne, Paris, Édition Plon, 1919 (1908 pour la première
édition), 249 pages.

"Cette même année 1894, Raymond Poincaré s'impose à l'admiration


reconnaissante des nantis par la charge à fond qu'il mène contre l'impôt sur le
revenu, cette inqualifiable tentative de "pénétration dans les fortunes privées"
que l'on médite, de longue date, à l'extrême-gauche. Raymond Poincaré se
constitue le vivant barrage dressé contre un tel dessein. La France "honnête" ne
l'oubliera plus." (p.48)

« Voici Caillaux renversé ; c’est de Selves qui provoque sa chute en


démissionnant, le 9 janvier 1912 ; et voici Raymond Poincaré, le 15 janvier
1912 ; président du Conseil, avec Briand à la vice-présidence, Millerand à la
Guerre et Delcassé à la Marine. […] Si Poincaré, privément, travaille pour
Saint-Gobain, Millerand, lui, est « chez Schneider », avocat-conseil de même. »
(p.95)

1778
"Acclamé par L'Action française (Léon Daudet parle avec ravissement de cette
"entrée dans le paradis de l'action"), Poincaré décide de mettre la main sur la
Ruhr. Le 9 janvier 1923, deux divisions d'infanterie et une division de cavalerie
envahissent le territoire allemand ; la France va se payer elle-même en
exploitant à son profit les ressources industrielles et minières de la Ruhr ; mais
une "résistance passive" s'organise aussitôt ; arrêt de l'extraction, suivi d'une
grève des chemins de fer non seulement de la Ruhr mais de toute la Rhénanie.
Poincaré riposte en expulsant 1400 cheminots allemands et en faisant amener
sur place 12 500 mineurs et cheminots français et belges, établissant en outre un
cordon douanier qui barrera toute exportation de la Ruhr en direction du reste
de l'Allemagne. Des heurts se produisent. Le 2 avril, à Essen, treize ouvriers
allemands sont tués dans une échauffourée et le 8 mai, l' "agitateur" Schlageter
est passé par les armes. Le gouvernement de Berlin octroie des indemnités à
tous les ouvriers et "cadres" qui refusent de collaborer avec l'occupant, et le
mark s'effondre ; en avril un dollar vaut 35 000 marks ; en août, 500 000 ; en
septembre, quatre millions. Fin septembre, Stresemann, qui est le délégué au
Pouvoir des milieux industriels et bancaires, ordonne la cessation de la
résistance passive." (p.189)
"En avril 1927, le ministre de l'Intérieur Sarraut lance le mot d'ordre: "Le
communisme, voilà l'ennemi !". La fortune politique des Sarraut s'est faite au
moyen de l'anticléricalisme ("Le cléricalisme, voilà l'ennemi !") ; mais l'heure
n'est plus à ces misères et les catholiques soutiennent Poincaré. Et, pour faire
pièce aux socialistes, quinze jours avant le scrutin, le gouvernement fera voter le
principe des assurances sociales -le principe seulement ; l'application est
différée (ç'avait été la méthode de Briand, pour les retraites ouvrières, à la
veille des élections, déjà redoutables, de 1910).
Dextremement manié, le scrutin d'arrondissement confirmera l'espoir dont il
était porteur, et, en dépit de leurs 200 000 voix de plus qu'en 1924, les
communistes (qui totalisent maintenant un million de suffrages) perdent dix
députés, leur représentation parlementaire tombant de vingt-six hommes à seize.
Les socialistes, grosso modo, conservent leurs positions (104 députés au lieu de
107), mais les radicaux reculent, perdant quarante sièges (ils ne sont plus que
111) et la Droite -autrement baptisée, cela va de soi- gagne cinquante sièges et
plus. Poincaré l'emporte. Il dispose désormais de quelque 330 voix sur les 612
de la Chambre. Le cap est franchi. On peut y aller, maintenant, pour la
dévaluation. Elle s'opère le 25 juin 1928 ; le franc est amputé des quatre
cinquièmes de sa valeur-1914. Naissance d'un radieux petit franc de quatre
1779
sous, le "franc-Poincaré", issu de cette manipulation "qui eût été jugée sacrilège
si elle avait été l’œuvre d'un autre"." (p.202)

-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.


Idées, 1974, 476 pages.

André Tardieu (1876-1945) : « Au premier rang des adversaires de Caillaux se


distinguait André Tardieu. Tardieu s’était mis au service de la compagnie dite
de « N’goko Sangha » qui cherchait à obtenir de l’Etat, de manière parfaitement
indue, une indemnité colossale. » -Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux"
(1870-1940), Gallimard, coll. Idées, 1974, 476 pages, note 1 p.93.

« Tardieu […] incarne une droite libérale. » -Antoine Prost, Petite histoire de la
France au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2005 (1979 pour la première
édition), 153 pages, p.30.

« Une partie des libéraux, de Tardieu à Barthélémy, réclament dès 1934 un


renforcement de l’exécutif et contestent même la légitimité démocratique. » -
Alexandre Saintin, « Des intellectuels français à la rencontre du Duce et du
Führer », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2017/1 (N° 133), p. 83-97. DOI :
10.3917/ving.133.0083. URL : https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-
revue-d-histoire-2017-1-page-83.htm

« Normalien, diplomate puis secrétaire de Waldeck-Rousseau, il devint député


avant la guerre. Profondément libéral, ses trois années au pouvoir (1929-1932)
furent l’occasion pour lui d’essayer de mettre en œuvre trois réformes afin de
« réhabiliter la notion d’autorité dans la République » : une politique de
rassemblement national, un essai de personnalisation du pouvoir du Président
du Conseil et l’appel au citoyen. […] Prenant sa retraite politique, Tardieu sur
lequel s’exerçait de plus en plus une « forte séduction de la tentation
« réactionnaire » « , se mua en pamplétaire dans Gringoire et publia les
premiers volumes de La Révolution à refaire, œuvre qui resta inachevée. En
1937, Tardieu reconnaissait sa dette à l’égard de Daniel Halévy en lui écrivant
qu’il était pour lui un guide. » -Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du
libéralisme au traditionalisme, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2001, 601
pages, pp.392-393.

« Dans un discours important, prononcé à Dijon en juin 1930, [André Tardieu]


insiste sur la nécessité de réviser les "doctrines d'hier" et de s'adapter à un

1780
"Etat social" en favorisant l'intervention de l'Etat dans l'économie, par un rôle
de soutien, de coordination et d'harmonisation des initiatives privées. » -Jean
Garrigues, « Les libéraux français et la défense de l’autonomie patronale de
1870 à nos jours », Mélanges de l'école française de Rome, Année 2002, 114-2,
pp. 731-743, p.738.

"Tardieu déclarait que [le 6 février] socialistes et communistes menaient


l'assaut sur le pont, Flandin s'était convaincu que le peuple avait été attiré dans
un guet-apens tendu par des politiciens sans scrupules. Quant à Candide, ses
lecteurs savaient que d'honnêtes citoyens, réclamant justice, avaient été fusillés.
"Ils" avaient fait parler les mitrailleuses." (p.383)
-Eugen Weber, L'Action française, Fayard, coll. Pluriel, 1985 (1962 pour la
première édition états-unienne), 685 pages.

https://www.amazon.fr/André-Tardieu-Maxime-
TANDONNET/dp/2262072582/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85
%C5%BD%C3%95%C3%91&keywords=andr%C3%A9+tardieu&qid=157831
4821&sr=8-1

Pierre-Étienne Flandin (1889-1953) : "Pierre-Étienne Flandin […] en 1936,


alors qu'il était ministre des Affaires étrangères, s'est retrouvé pratiquement
seul partisan d'une réplique armée à la réoccupation de la Rhénanie par
l'Allemagne." (p.572)

"Pierre-Étienne Flandin et Joseph Barthélemy sont républicains, d'un


républicanisme sans faille." (p.572)

"Il se prononce, dès la fin de la [grande] guerre, pour un suffrage universel


étendu aux femmes, à l'exemple de ce que réalisent les Britanniques." (note 8
p.574)

"Flandin engage dès lors le poids de l'Alliance démocratique contre une


intervention armée de la France. Au problème de la caducité des traités
soulevés par Barthélemy, il ajoute le caractère interne de la question des
Sudètes et donc l'incapacité de la France à intervenir dans un conflit de ce
type." (p.583)

"Après le départ de Flandin, seul le projet constitutionnel de Barthélemy permet


de croire encore à une tentative de restauration libérale." (p.590)
-Gilles Martinez, "Comment les libéraux sont arrivés à Vichy. Étude d'un
1781
parcours paradoxal", Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, Année 1999,
46-3 pp. 571-590.

« Flandin songeait à s'entendre amiablement avec les conseillers municipaux


nationalistes les plus en flèche du Front National. Comme appât, il mit en avant
un projet de loi modifiant les circonscriptions électorales de Paris qui devinrent
(et sont encore) notoirement favorables aux quartiers riches. » (p.392)

"Homme d'Etat conservateur." (p.472)

-Eugen Weber, L'Action française, Fayard, coll. Pluriel, 1985 (1962 pour la
première édition états-unienne), 685 pages.

Xavier Léon (1868-1935): « L’agression de l’Allemagne, ni son orgueil n’ont


été pour moi une surprise : depuis que j’avais été en relation personnelle face à
face en Allemagne et en Italie, aux deux derniers Congrès, avec les Allemands
j’avais compris le fossé infranchissable qui nous séparait, j’avais compris que
l’Allemagne se croyait supérieure à toutes les autres nations et ne comprenait
l’amitié que sous la forme de la vassalité. Mais je n’aurais jamais cru que le
pays de tous les grands génies que j’ai étudiés et admirés pût devenir comme il
l’est devenu, la proie du génie du mal, du satanisme à proprement parler, et j’en
suis presque humilié. » -Xavier Léon, Lettre du 21 mai 1915 destinée à Bertrand
Russel.

« L’état d’esprit de ces gens-là m’étonne moins que toi ; combien d’hommes de
lettres, de savants y avait-il sous Napoléon pour braver l’opinion guerrière ? » -
Élie Halévy, Lettre à à X. Léon du 21 octobre 1914.

« Xavier Léon, l'éminent spécialiste de Fichte, rejette Nietzsche avec passion.


Chez Albert Lévy, au contraire, Nietzsche se voit présenté comme un
socialiste... » -Jacques le Ridier, Nietzsche en France, de la fin du XIXe siècle
au temps présent, PUF, 1999 (première version en allemand, 1997), 279 pages,
p.92.

Léon Brunschvicg (1869-1944) : « Nous ne repoussons, nous ne proscrivons


que la haine. Certes, la haine aussi est une force, une force très puissante ; mais
nous ne pouvons nous en servir, parce qu’elle rapetisse, parce qu’elle est
comme une lorgnette dans laquelle on ne peut regarder que par le gros bout ;
même de peuple à peuple, la haine est néfaste, et ce n’est pas elle qui fait les
vrais héros. Je ne sais si, au-delà de certaines frontières, on croit trouver
1782
avantage à faire du patriotisme avec de la haine, mais cela est contraire aux
instincts de notre race et à ses traditions. Les armées françaises se sont toujours
battues pour quelqu’un ou pour quelque chose, et non pas contre quelqu’un,
elles ne se sont pas moins bien battues pour cela. » - Léon Brunschvicg, « La
Culture allemande et la Guerre de 1914 », Nature et Liberté, Paris, Ed.
Flammarion, 1921.

"Merleau-Ponty a témoigné de ce que sa génération devait à l’enseignement de


Léon Brunschvicg. En tant que professeur à la Sorbonne de 1909 à 1940, il
exerça une autorité intellectuelle remarquable en France (vis-à-vis de Bergson,
dont l’influence était au second plan et qui, en tant que professeur au Collège de
France, n’avait jamais fait partie de l’Université), qui contribua à l’installation
du néo-kantisme français comme doctrine dominante. Cf. La philosophie de
l’existence, recueilli dans Parcours II, op. cit., p. 247 et suiv. La philosophie de
Léon Brunschvicg est « la simple connaissance de l’activité spirituelle à l’œuvre
dans la science » (ibid., p. 66), une réflexion sur la science, qui se contente, en
d’autres termes, de rechercher les conditions de possibilité de l’objectivité
scientifique, de l’univers exact de la science newtonienne. Cela ferait de
Brunschvicg le représentant le plus significatif (l’incarnation) de
l’intellectualisme : pour lui, « de ce qui n’a pas été réduit en objet de science,
nous ne pouvons rien dire, ni penser, pas même qu’il existe » (ibid., p. 32), notre
accès au monde se fait donc par la pensée, et par la pensée scientifique en
particulier. C’est bien un monde partiel que me livre cette pensée, un monde, qui
ne saurait être coextensif à ce qui existe. Cependant, même si l’on accordera que
l’objectivité ne peut pas épuiser l’existence, « il n’y avait rien à dire de l’objet
hors de ce qu’en dit la science, l’objet naturel restait pour nous une unité idéale
» (Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 67). « L’enseignement de
Brunschvicg » – nous dit Merleau-Ponty – « nous a appris une fois pour toutes
que la science, construction de l’intelligence aux prises avec le concret, reste
ouverte et ne saurait être interprétée dans un sens dogmatique. Mais la
philosophie propre de Brunschvicg ne cherchait pas à explorer ce monde concret
qui reste en marge de la science. La perception, l’art, la religion n’étaient selon
lui que des ébauches de la connaissance scientifique », Parcours II, op. cit., p.
66."

-Lucia Angelino, « Merleau-Ponty et la critique des « intellectualismes » »,


Philonsorbonne [En ligne], 2 | 2008, mis en ligne le 28 janvier 2013, consulté le

1783
15 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/philonsorbonne/144 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/philonsorbonne.144

http://hydra.forumactif.org/t1724-leon-brunschvicg-spinoza-et-ses-
contemporains-autres-oeuvres#2404

Cécile Brunschvicg (1877-1946): https://www.amazon.fr/F%C3%A9ministe-


dabord-C%C3%A9cile-Brunschvicg-1877-
1946/dp/2753533709/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1553528861&sr=8-
1&keywords=C%C3%A9cile+Formaglio%2C+F%C3%A9ministe+d%27abord
+%3A+C%C3%A9cile+Brunschvicg

Alfred Fouillée (1838-1912) : « Alfred Fouillée, un des coriaces ennemis du


socialisme à la Belle Époque. » -Marc Angenot, L'Histoire des idées.
Problématiques, objets, concepts, méthodes, enjeux, débats, Presse
Universitaires de Liège, coll. Situations, 2014, 392 pages, p.146.

Léon Bourgeois (1851-1925): "Nommé en novembre 1895, Léon Bourgeois


compose le premier gouvernement franchement radical de la Troisième
République. Il est néanmoins dépourvu de véritables majorité parlementaire. Si
Alexandre Millerand lui promet, au nom des socialistes, "une union plus étroite
et plus cordiale que jamais", ces voix d'extrême gauche restent fragiles et
contribuent surtout à révulser une droite particulièrement remontée contre
l'expérience radicale. "Ce cabinet Bourgeois ! Ah, l'horreur", s'insurge dans son
journal intime la jeune Catherine Pozzi, fille d'un riche médecin parisien.
Répétant tous les clichés de son milieu, l'adolescente lui reproche, en vrac, de
faire la politique de la franc-maçonnerie, de mettre en péril l'alliance russe,
d'accabler les Français de taxes: "Nous sommes le pays le plus imposé de tous
!"
Défendu par Paul Doumer, le projet d'impôt sur le revenu constitue un casus
belli. Chacun sait pourtant que le système fiscal hérité de la Révolution se
caractérise par son archaïsme: surnommés les "quatre vieille", les contributions
directes obéissent à un mode de prélèvement aussi opaque qu'injuste qu'il est
devenu nécessaire de réformer. De là à admettre la progressivité de l'impôt, il y
a un pas que les milieux d'affaires répugnent à franchir. Quant à la déclaration
obligatoire des revenus, elle suscite une vive levée de boucliers relayée par les
notables locaux et les conseils généraux. On crie à l'inquisition fiscale, et le
Sénat déclenche l'assaut par des votes de défiance répétés qui aboutissent à la

1784
démission du cabinet." (p.224-225)
-Arnaud-Dominique Houte, Le triomphe de la République (1871-1914), La
France contemporaine vol. 4, Paris, Éditions du Seuil, coll. Points Histoire,
2014, 470 pages.

Victor Basch (1863-1944) : « Victor Basch (né en 1863) occupe également une
position marginale. Juif né à l'étranger, agrégé de langues vivantes, il entre
dans l'Université à titre de germaniste, à travers l'enseignement dit de
littérature étrangère, avant d'être admis parmi les philosophes ; tout en publiant
des ouvrages sur Kant, sur Schiller, et en écrivant des articles sur des sujets de
critiques littéraire ou sur Stirner, qui faisait un peu figure de pis-aller de
Nietzsche (et sans doute moins conservateur que Schopenhauer), il s'est
consacré à un domaine relativement périphérique, l'esthétique. Dreyfusard
convaincu et actif, il n'a pas hésité à s'engager publiquement, ce qui l'a conduit
à militer dans le cadre de la Ligue des droits de l'homme qu'il a contribué à
fonder, et plus tard au sein d'organisations de lutte contre le fascisme. Son
intérêt pour Nietzsche au début du siècle était presque relégué par lui dans le
jardin secret du professeur. » -Louis Pinto, Les Neveux de Zarathoustra. La
réception de Nietzsche en France, Paris, Éditions du Seuil, 1995, 207 pages,
p.41-42.

Georges Palante (1862-1925) : « Dans les races existant aujourd'hui, les races
jaunes, les races noires et les races blanches, il est évident que les différences
physiques de ces races sont accompagnées de différences intellectuelles. Ces
différences ont été admirablement étudiées par de Gobineau dans son livre sur
l'Inégalité des races humaines. » -Georges Palante, Les antinomies entre
l'individu et la société.

http://hydra.forumactif.org/t4340-georges-palante#5219

Charles Gide (1847-1932): « C'est également parce qu'ils contestaient le


dogmatisme du Journal des économistes que des économistes universitaires ont
créé autour de Charles Gide la Revue d'économie politique (1887), solidariste
et coopératiste à ses origines. » -François Denord, Le Néo-libéralisme à la
française. Histoire d'une idéologie politique, Éditions Agone, 2016 (2007 pour
la première édition), 466 pages, p.60-61.

« La dernière école d’économie sociale, à laquelle Charles Gide est rattaché,


est le « solidarisme ». Dans la lignée, entre autres d’Auguste Ott (1814-1903),
1785
disciple de Buchez et également auteur d’un Traité d’économie sociale en 1851,
le solidarisme rejette l’individualisme et prétend à travers les coopératives
parvenir à « l’abolition du capitalisme et du salariat sans sacrifier ni la
propriétée privée ni les libertées héritées de la Révolution » [Gide, 1910,
préface à la 2ème édition]. Influencé également par le mouvement oweniste et les
travaux du coopérateur Édouard de Boyve (1840-1923), le solidarisme a joué
une grande influence sous la IIIe République. » -Fabien Knittel et all, Le travail
en Europe occidentale des années 1830 aux années 1930. Mains-d’œuvre
artisanales et industrielles, pratiques et questions sociales, Ellipses Édition,
2020, 440 pages, pp.84-86.

André Gide (1869-1951) : « Grâces soient rendues à MM. Henri Albert et Cie,
qui nous donnent enfin notre Nietzsche, et dans une fort bonne traduction.
Depuis si longtemps déjà nous l’attendions ! L’impatience nous le fait épeler
déjà dans le texte –mais nous lisons si mal les étrangers ! Et peut-être valait-il
mieux que cette traduction ait mis tant de temps à paraître : grâce à cette
cruelle lenteur, l’influence de Nietzsche a précédé chez nous l’apparition de son
œuvre ; celle-ci tombe en terrain préparé. » -André Gide, « Lettre à Angèle du
10 décembre 1899 [?] », publié dans L’Ermitage en janvier 1899, in Prétextes,
Paris, Mercure de France, 1990, p.81.

« A présent je sais que notre civilisation occidentale (j’allais dire française) est
non point seulement la plus belle ; je crois qu’elle est la seule –oui, celle même
de la Grèce, dont nous sommes les seuls héritiers. » -André Gide, Journal, mi-
mai 1914, Gallimard, coll. La Pléiade, p.785-786.

« Il me paraît que cette sorte de résolution de mettre continuellement en avant le


Juif, de préférence, et de s’intéresser de préférence à lui, cette prédisposition à
lui reconnaître du talent, voire du génie, vient de ce qu’un Juif est plus
particulièrement sensible aux qualités juives ; vient surtout de ce que Blum
considère la race juive comme supérieure, comme appelée à dominer, après
avoir été longtemps dominée, et croit son devoir de travailler, d’aider à son
triomphe, d’y aider de toutes ses forces. » -André Gide, Œuvres complètes, tome
VIII, p.571.

« André Gide réagit avec vigueur contre la thèse de l’enracinement et la valeur


de la tradition. Ce sont pour lui l’ouverture et la disponibilité de l’individu qui
font l’originalité : « le déracinement peut être une école de vertu ». Le héros de

1786
L’immoraliste (1902), qui doit au surhomme de Nietzsche, s’ouvre avec audace
à ces Nourritures terrestres qu’il célébrait en 1897. Celui des Caves du Vatican
(1914) cherche à se libérer par un acte gratuit. » -Michel Leymarie, De la Belle
Époque à la Grade Guerre. Le triomphe de la République (1893-1918), Librarie
Générale Française, coll. La France contemporaine, 1999, 379 pages, p.195-196.

« Quelque dix ans plus tard, en France, une réaction pareillement ambiguë fut
suscitée par Bagatelles pour un massacre, où Céline proposait de massacrer
tous les Juifs. André Gide se dit publiquement ravi dans les pages de la
Nouvelle Revue française, non qu'il voulut tuer les Juifs de France, mais parce
qu'il appréciait l'aveu brutal d'un tel désir, ainsi que la contradiction fascinante
entre la brutalité de Céline et la politesse hypocrite dont tous les milieux
respectables enrobaient la question juive. Le désir de démasquer l'hypocrisie
était irrésistible parmi l'élite: on peut en juger en voyant qu'un tel plaisir ne
pouvait même pas être gâté par la persécution très réelle des Juifs par Hitler,
battait déjà son plein au moment où Céline écrivait. Pourtant, cette réaction
était due à l'aversion pour le philosémitisme des libéraux, bien plus qu'à la
haine des Juifs. La même disposition d'esprit explique un phénomène
remarquable: les opinions artistiques, largement répandues, de Hitler et Staline,
et leur persécution des artistes modernes n'ont jamais réussi à détruire l'attrait
que les mouvements totalitaires exerçaient sur les artistes d'avant-garde ; cela
dénote chez l'élite un manque de sens des réalités, ainsi qu'un désintérêt de soi
perverti, deux traits qui ne ressemblent que trop au monde fictif et à l'absence
d'intérêt personnel parmi les masses." -Hannah Arendt, Le Totalitarisme,
troisième volume des Origines du Totalitarisme (d'après le texte de la deuxième
édition augmentée de 1958), Gallimard, coll. Quarto, 2002, 1616 pages, pp.609-
838, pp.648-650.

« André Gide fut un instant « pétainiste ». Il devait évoluer par la suite, et


finalement se rallier au général de Gaulle après l’arrivée de celui-ci à Alger. » -
Paul Sérant, Le Romantisme fasciste, Paris, Éditions Pierre Guillaume de Roux,
2017 (1959 pour la première édition), 355 pages.

Romain Rolland (1966-1944) :

Louis-Marie-Julien Viaud dit Pierre Loti (1850-1921) : "Dans La mort de notre


chère France en Orient, [Loti] considère la Méditerranée comme "un lac
français" et regrette "le temps où nous étions chez nous au Liban et en Syrie" ; il

1787
voit la Grande-Bretagne développer son projet de devenir "la seule puissance
islamique du monde" et supplanter la France." (p.106)
-Michel Leymarie, La Preuve par deux. Jérôme et Jean Tharaud, Paris, CNRS
Éditions, 2014, 399 pages.

Le « Nouveau Libéralisme » : http://www.amazon.fr/The-New-Liberalism-


Ideology-Social/dp/0198229615

http://www.amazon.fr/Liberalism-Old-New-J-G-
Merquior/dp/0805786023/ref=sr_1_3?s=english-
books&ie=UTF8&qid=1429631361&sr=1-
3&keywords=Liberalism%2C+Old+and+New

Jules Verne (1828-1905) : « Toute loi, prescription ou défense, édictée en vue


du soi-disant intérêt de la masse au détriment des individus, est une duperie.
Que l’individu se développe au contraire dans la plénitude de sa liberté, et la
masse jouira d’un bonheur total fait de tous les bonheurs particuliers. » -Jules
Verne, Les naufragés du Jonathan.

« Contemporain de la Commune, Jules Verne fit part d’observations sévères à


Hetzel, partageant la même réprobation que la plupart de ses contemporains
romanciers. Dans une lettre datée de 1871, il écrivit ainsi : « Les mobiles
tiendront en respect ces énergumènes. La République est le seul gouvernement
qui ait le droit d’être sans pitié pour les fauves, puisque c’est le gouvernement
voulu par la majorité du troupeau. » Dans une autre lettre à Hetzel, non datée, il
renchérit : « Quant à la politique, cela finira. Il fallait que ce mouvement
socialiste eût lieu. Eh bien, c’est fait, il sera vaincu, et si le gouvernement
républicain montre dans la répression une énergie terrible, comme il en a le
devoir et le droit, la France républicaine a cinquante ans de paix intérieure. »
Si la Commune peut être estimée comme un sursaut mêlant instincts patriotiques
et idéaux socialistes, l’époque la jugea plutôt comme un agent du désordre, et
Jules Verne ne se distinguait pas d’une George Sand à ce sujet. Imaginer, à la
lumière de ces extraits ou de sa déclaration en 1887 : « Moi, conservateur, je
voterai pour Ferry », qu’il fût favorable aux auspices libéraux-libertaires est des
plus incongrus. Il réitéra des propos similaires lors d’une session du conseil
municipal d’Amiens, ou encore lors de la distribution des prix du lycée de
jeunes filles d’Amiens en 1893 dont son discours souligna l’importance à ses
yeux du rôle de la femme au foyer : « Que penser de celles qui cherchent à se

1788
jeter dans les luttes sociales, à une époque où les purs citoyens sont éclaboussés
d’injures, qui prétendent se lancer dans le fracas des affaires ? […] Vous avez à
mieux diriger vos aptitudes en rendant agréable le toit familial et le foyer
domestique. »

Jules Verne était néanmoins un modéré de son époque ; de ses propos sur la
Commune à ce discours en juillet 1893, ils reflètent un imaginaire collectif
normal de la fin du XIXe siècle. Son antidreyfusisme allait de pair, ainsi que son
adhésion à la Ligue pour la patrie française fondée par Maurice Barrès. Son
patriotisme se révèle d’ailleurs nettement dans son œuvre littéraire, en tête
les 500 millions de la Bégum où Franceville illustre à elle seule son exaltation
du mode de vie français ainsi que de l’hygiénisme, dont l’opposé est l’esprit
germanique qu’il résume à une prédation industrielle et impérialiste nihiliste. Ce
faisant, le rapport de Jules Verne à la modernité ne va pas de soi mais semble au
contraire ambivalent. Paris au XXe siècle, son premier roman qui fut rejeté par
Hetzel, décrit un Paris dystopique où les artistes se retrouvent marginalisés par
une société qui ne mesure la valeur que sous l’angle du numéraire, de l’utile.
Hetzel le jugea trop négatif, à rebours de l’air du temps qui vivait sa deuxième
révolution industrielle et l’enthousiasme envers le progrès technologique qui
allait de pair. Cependant, Jules Verne revint sur cette problématique de la valeur
artistique au sein d’une société consacrant la valeur de l’argent dans L’Île
Flottante, où après l’art, ce sont les artistes eux-mêmes qui finissent par être
réifiés. En soulevant une problématique intéressante au sujet de l’art et des
artistes en les transformant en marchandises sur lesquelles il est possible de
spéculer, Jules Verne entrouvrit la question de savoir si l’art est consommable
ou non. De la même façon que l’on pourrait se pencher un peu plus sur la fin
ironique qu’il donna à son île volante, laquelle suffit à estomper les derniers
soubresauts d’une interprétation foncièrement libertaire ou saint-simonienne de
l’œuvre comme du personnage. La chute qui sonne la fin de l’hégémonie
bourgeoise de l’île volante n’est pas le grand soir auquel des gens intelligents
comme Jean Chesneaux devaient penser, mais elle est substantielle à l’esprit
conservateur de Jules Verne, résumé par les dernières lignes de L’Île à hélice :
« n’est-il pas défendu à l’homme, qui ne dispose ni des vents ni des flots,
d’usurper si témérairement sur le Créateur ? »

Sans doute le cœur de l’aporie intellectuelle qui consiste à penser que Jules
Verne soit susceptible de sympathies libertaires est-il dû à un raisonnement
binaire qui se représente le monde des idées en blocs grossiers. Que Jules Verne
1789
fut méfiant à l’égard du capitalisme, et carrément pessimiste envers l’avenir du
progrès qui s’est confondu avec le développement lors de la révolution
industrielle – ce que Jules Verne semble avoir saisi contrairement à un H.G.
Wells – est plausible. Face au drapeau peut ainsi sembler prémonitoire parce
qu’il semble rétroactivement annoncer la crise de la modernité provoquée par la
Première Guerre Mondiale en combinant développement technique et industrie
d’armement, propos que l’on retrouve aussi dans Les 500 Millions de la
Bégum. En revanche, le raisonnement qui veut associer l’anticapitalisme, aussi
modéré soit-il, à un paradigme de gauche – comme le fait Jean Chesnaux – est
des plus dogmatiques, parce que cela reviendrait à classer des personnages
éminemment de droite comme un Bernanos ou un Evola à gauche aussi sous
prétexte qu’ils ont tous contesté le capitalisme ou le libéralisme. Avec des
procédés de pensée pareils, il est aussi possible, à l’inverse, d’attribuer des
étiquettes politiques de droite saugrenues à des personnalités comme Pasolini ou
Péguy sous prétexte qu’ils furent des hagiographes de « la force du Passé ».

Cette remise en ordre des idées permet de mieux comprendre ce que représente
un personnage comme Nemo dans l’imaginaire vernien. Il n’est ni anarchiste, ni
de gauche, et encore moins écologiste contrairement à ce qu’il est possible de
lire sur le personnage. Si l’on revient au roman, Nemo est présenté au lecteur
comme un marginal s’étant retiré de la vie des hommes par misanthropie, de
même qu’il chasse et utilise les ressources maritimes dans son seul intérêt.
Nemo est un anarque ; il peut vivre de la solitude, au contraire de l’anarchiste
qui a besoin de sociabilisation, de même, qu’il est sans idéologie politique, il vit
pour lui-même avant tout. » -Fabrizio Tribuzio-Bugatti, Lecture politique de
Jules Verne, 5 mai 2020 : Lecture politique de Jules Verne | Accattone

Herbert George Wells (1866-1946) : "Peu de marxistes se sont aventurés très


avant dans Das Kapital.

Le Marxiste est représenté par des gens de même sorte dans toutes les
communautés modernes et j’avouerai que, par tempérament comme par l’effet
des circonstances, j’ai pour lui une très vive sympathie. S’il adopte Marx pour
prophète, c’est tout simplement qu’il pense que Marx a écrit sur la guerre de
classes — une guerre implacable des « travailleurs » contre les « employeurs »
et qu’il a prophétisé le triomphe des premiers, puis une dictature du monde par
les masses libérées (dictature du prolétariat) et enfin l’âge d’or communiste
surgissant de cette dictature.
1790
La doctrine et la prophétie ont, dans tous les pays, exercé une extraordinaire
attirance sur les jeunes gens, surtout sur les jeunes hommes d’énergie et
d’imagination qui, au début de la vie, se sont vus, imparfaitement instruits, mal
équipés, agrippés par l’esclavage salarié du système économique actuel.

Ceux-ci sentent, dans leur propre personne, l’injustice sociale, la négligence


stupide, la colossale grossièreté de ce système. Ils comprennent qu’il les lèse et
les sacrifie. Et ils se vouent à le détruire, à en émanciper le monde.

Pour faire de tels rebelles, point n’est besoin d’insidieuse propagande.

Ce sont les crimes de notre régime qui, leur donnant une demi-éducation pour
les rendre ensuite esclaves, a créé le mouvement communiste partout où
l’industrialisme s’est développé.

Marx n’eût-il jamais vécu, qu’il y aurait des marxistes tout de même.

À l’âge de quatorze ans j’étais un marxiste complet, sans avoir encore entendu
prononcer le nom de Marx.

Mon éducation brusquement interrompue, j’avais été placé dans un détestable


atelier où me brisait une existence de travail âpre et fastidieux.

On me faisait peiner si durement, si longuement, que toute aspiration vers le


perfectionnement de moi-même semblait sans espoir. [...]

C’est cette indignation des jeunes énergies brisées, mal utilisées, c’est cela bien
plus que les théories économiques qui, à travers le monde, sert d’inspiration
vivante et de lien au mouvement marxiste." (p.77-91)

« Il admit sans aucune tristesse que la plupart des villes se désagrégeraient et


finiraient par disparaître.

Il me semble que cela lui réjouissait le cœur de trouver quelqu’un qui


comprenait une des conséquences nécessaires du collectivisme — conséquence
que beaucoup, même parmi ses disciples, ne peuvent saisir.

— La Russie, me dit-il, a besoin d’être reconstruite de toutes pièces… Il faut de


la Russie faire une chose entièrement neuve…

— Et l’industrie, questionnai-je, ne faudra-t-il pas la reconstruire de fond en


comble, elle aussi ?
1791
Il me demanda si je me rendais compte de ce qu’on avait déjà commencé à faire
dans cette voie dans son pays. N’avais-je donc pas encore entendu parler de
l’électrification totale de la Russie ?

Car Lénine, qui, comme tout bon marxiste orthodoxe, raille et dénonce
volontiers les utopistes, a fini, lui aussi, par tomber victime d’une utopie,
l’utopie des électriciens.

Il appuie de tout son pouvoir un projet grandiose qui comporte l’établissement


de grandes centrales électriques en Russie, capables de distribuer à des
provinces entières, lumière, moyens de transport et force motrice pour
l’industrie.

— À titre d’expérience, dit-il, on a déjà électrifié deux districts.

Peut-on imaginer un projet plus hardi dans ce pays plat, couvert de forêts,
peuplé de paysans illettrés, dans ce pays sans houille blanche, sans techniciens,
et dont l’industrie et le commerce sont en agonie.

Des plans d’électrification du même genre — il faut le dire — sont en cours


d’exécution en Hollande. D’autres ont donné et donnent lieu à des discussions
techniques et financières en Angleterre.

Dans ces contrées, à population dense, à industrie développée, on comprend fort


bien que ce système puisse donner d’excellents résultats, qu’il puisse être
économique et soit appelé à rendre d’immenses services.

Mais appliquer ce système de l’avenir à la Russie d’à présent, voilà qui


demande un grand effort à l’imagination la plus résolument créatrice.

Il m’est impossible, quant à moi, de concevoir la réalisation de rien de pareil


dans cette Russie sombre et inscrutable.

Mais le petit homme du Kremlin est plein de confiance.

Il voit les chemins de fer aujourd’hui délabrés remplacés par un mode de


locomotion électrique tout neuf. Il voit de nouvelles routes se déroulant en longs
rubans à travers tout le pays. Il voit un industrialisme communiste — tout
nouveau et plus heureux que celui que nous connaissons — s’installant bientôt
sur les ruines de celui-ci.

1792
Et pendant que je causais avec lui, il avait presque réussi à me faire partager
son enthousiasme et sa confiance en sa vision." (p.144-147)

-Herbert George Wells, La Russie telle que je viens de la voir, 1921, Chapitre III
"Quintessence du Bolchevisme".

« [H. G. Wells] est le dernier prêcheur de la morale des Lumières, de la foi en


l’éradication par la nouvelle élite des planificateurs scientifiques du lourd
fardeau des préjugés, de l’ignorance et des superstitions, et des règles,
économiques, politiques, raciales et sexuelles, absurdes et répressives en
lesquelles ils s’incarnent. » -Isaiah Berlin, « La branche ployé. Sur la montée du
nationalisme », 1972 pour la première version, in Le bois tordu de l’humanité.
Romantisme, nationalisme et totalitarisme, Albin Michel, coll. Idées, 1992
(1990 pour la première édition britannique), 258 pages, p.238.

http://hydra.forumactif.org/t3931-herbert-george-wells-la-guerre-des-mondes-la-
russie-telle-que-je-viens-de-la-voir?highlight=Wells

Bernard Bolzano (1781-1848) : « Un des traits les plus étonnants des penseurs
de notre époque est qu'ils ne se sentent pas du tout liés par ou du moins ne
satisfont que médiocrement aux règles jusque là en vigueur de la logique,
notamment au devoir de dire toujours précisément avec clarté de quoi l'on
parle, en quel sens on prend tel ou tel mot, puis d'indiquer pour quelles raisons
on affirme telle ou telle chose, etc. » -Bernard Bolzano, Lehrbuch der
Religionswissenschaft, paragr. 63.

« En ontologie, Bolzano dispose d’une doctrine incomparablement plus riche


que celle de Frege. » (p.131)

« Le Husserl de la première édition de la Première Recherche logique est


l’héritier de ce courant bolzanien qui insiste sur la différence entre les
propositions, les jugements et les objets abstraits. » (p.132)

« Bolzano […] met admirablement en lumière les contradictions et faiblesses de


Kant. » (p.137)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,


2004, 1062 pages.

1793
http://hydra.forumactif.org/t2023-bernard-bolzano-the-theory-of-science-the-
philosophy-of-bernard-bolzano-logic-and-ontology-bolzano-critique-de-
kant#2727

http://www.amazon.fr/Th%C3%A9orie-science-Bolzano-
Bernard/dp/2070730697/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449919718&sr=8-
1&keywords=Bernard+Bolzano

http://www.amazon.fr/Bolzano-critique-Kant-
Collectif/dp/2711610993/ref=sr_1_6?ie=UTF8&qid=1449919718&sr=8-
6&keywords=Bernard+Bolzano

http://www.amazon.fr/L%C3%A0-priori-conceptuel-Bolzano-
Husserl/dp/2711614034/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1449919718&sr=8-
4&keywords=Bernard+Bolzano

Franz Brentano (1838-1917) : https://www.amazon.fr/Aristote-diverses-


acceptions-Franz-
Brentano/dp/2711611272/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1500679648&sr
=1-
1&keywords=Aristote+%3A+Les+diverses+acceptions+de+l%27%C3%AAtre

Hermann Cohen (1842-1918) et l'École de Marbourg : « L'idée que


l'humanité a le privilège de devoir être traitée comme une fin conduit à l'idée du
socialisme, du fait que tout homme doit être défini comme une fin dernière,
comme une fin en soi. » -Hermann Cohen, Ethik des reinen Willens, Berlin,
1904.

« Tout nouveau travail philosophique doit dans son progrès se nourrir d’une
discussion avec Kant. » -Hermann Cohen.

« Si le socialisme a pu, à la fin du XIXe siècle et au commencement du XXe,


parvenir au premier rang des partis politiques, il le doit à cette interdiction de
discuter et d'approfondir ce qu'est la société socialiste.

On ne saurait mieux justifier cet exposé qu'en citant un passage des œuvres
d'Hermann Cohen. Cet écrivain est l'un de ceux qui, dans les dernières décades
avant la guerre, exercèrent l'influence la plus forte sur la vie intellectuelle de
l'Allemagne. « Aujourd'hui, écrit Cohen, personne n'est plus assez sot pour se
montrer réfractaire au « bon fond » de la question sociale et donc, même d'une

1794
manière déguisée, à l'inéluctable nécessité d'une politique sociale. Il n'y a plus
que les gens de mauvaise volonté ou de bonne volonté insuffisante. C'est
seulement cette manière de pensée défectueuse qui explique la prétention par
laquelle on essaie de porter le trouble dans le parti socialiste en lui demandant de
dérouler en spectacle public le tableau de son état de l'avenir. A la place des
revendications morales on met le tableau de l'État, alors que la conception de
l'État découle de la conception du droit. En bouleversant les conceptions l'on
confond l'éthique socialiste avec la poésie des utopies. Or l'éthique n'est pas la
poésie, et l'idée n'a pas besoin d'image pour être vraie. Son image c'est la réalité,
qui ne peut naître que d'après le modèle fourni par l'éthique même. L'idéalisme
de justice du socialisme est devenu aujourd'hui une vérité courante de la
conscience publique, quoiqu'elle ne soit encore qu'un secret de Polichinelle. Il
n'y a plus que l'égoïsme, ennemi de tout idéal, la cupidité la plus crue — c'est-à-
dire le véritable matérialisme — pour lui refuser créance. » Celui qui pensait et
écrivait ainsi était considéré par beaucoup comme le plus grand et le plus hardi
penseur allemand de son temps, et les adversaires de sa doctrine eux-mêmes
avaient de l'estime pour son activité intellectuelle.

Et précisément pour cette raison l'on doit souligner que Cohen non seulement
admet sans aucune critique préalable toutes les revendications socialistes, mais
qu'il traite d'individus moralement méprisables tous ceux qui « songent à porter
le trouble dans le socialisme de parti en exigeant des éclaircissements sur les
problèmes de la constitution économique du socialisme ». Qu'un penseur qui
autrement dans sa critique ne ménage rien, réfrène toute audace devant une
puissante idole de son temps, c'est là un phénomène qu'on peut observer assez
souvent dans l'histoire intellectuelle. On fait le même reproche à Kant, le grand
modèle de Cohen. Mais qu'un philosophe reproche leur mauvaise volonté, leur
pensée médiocre, leur cupidité crue, non seulement à ceux qui sont d'une autre
opinion que lui, mais à ceux qui oseraient poser une question sur un problème
dangereux pour les tout-puissants, voilà qui heureusement n'est pas fréquent
dans l'histoire de la philosophie. » -Ludwig von Mises, Le Socialisme, 1922.

« Le regain d’intérêt pour la philosophie kantienne, dont Cassirer écrit dans


l’article « Néokantisme » qu’il « commence en Allemagne dans les années
1860 », a toutefois des racines plus lointaines. D’une part, il ne faut pas croire
que la philosophie kantienne était jusque-là tombée dans l’oubli –on compte,
après 1804, année de la mort du philosophe et de la publication de la cinquième

1795
édition de la Critique de la raison pure, des parutions non seulement de textes du
philosophe […] mais aussi des commentaires sur la philosophie kantienne. […]

Le retour à Kant lié à l’émergence du néokantisme possède deux


caractéristiques. En premier lieu, il s’agit d’un mouvement qui devient
prédominant dans la philosophie allemande et qui regroupe des chercheurs aux
directions très différentes. En second lieu, ces chercheurs accordent à la
philosophie kantienne un intérêt, non plus seulement historique (comme si sa
vocation était d’être dépassée), mais proprement philosophique : s’il faut
revenir à Kant, c’est dans la mesure où seule la lecture de ses ouvrages peut
fournir les bases d’une investigation philosophique sérieuse et rigoureuse.

Ce retour à Kant est dû à plusieurs causes :

1 : Il est indissociable du déclin de l’idéalisme hégélien, l’influence de Hegel


redevenant manifeste au moment où le néokantisme est à son apogée, c’est-à-
dire au début du XXème siècle. Ce n’est pas seulement l’éclatement de la
science en sciences particulières et l’émergence de disciplines nouvelles qui,
comme l’histoire, conquièrent leur caractère scientifique, mais aussi leur
complète autonomisation qui apparaissent incompatibles avec l’idéalisme
hégélien, lequel prétendait se subordonner les sciences. […]

2 : Il est une réaction au matérialisme d’origine schopenhauérienne […] La


querelle du matérialisme, qui domine dans l’Allemagne philosophique à partir
de 1854, conduit Lange à rédiger son Histoire du matérialisme –et si l’on peut
voir en Lange le précurseur des néokantiens, c’est parce que son ouvrage est
orientée vers une justification et une réhabilitation du véritable idéalisme
critique contre le matérialisme qui se prétend l’issue scientifique de la
philosophie, comme l’écrit Cohen dans sa Préface à sa réédition de l’ouvrage
(p. IX).

3 : Il est favorisé par une constellation politique due à l’échec de la révolution


de 1848. Si la référence à Kant signifie d’abord, pour ceux qui s’en réclament,
un retour à une philosophie de la connaissance et un abandon des questions
politiques et morales –de sorte que c’est une seule sphère, certes premières, de
la philosophie critique, qui se trouve mise en avant-, une telle conception de la
philosophie passe tout à fait bien sur la scène universitaire, et donc politique. »
(p.7-9)

1796
« La question de savoir comment comprendre et construire cette théorie de la
connaissance fait apparaître des oppositions entre des auteurs qui, pourtant, se
réclament tous de Kant et voient dans cette théorie la poursuite et l’achèvement
de l’entreprise inaugurée par la Critique de la raison pure. » (p.10)

« Si la philosophie est définie par les deux écoles [de Marbourg et de


Heidelberg] comme une discipline scientifique, fondée sur des procédures
argumentatives, qui vise la vérité, le statut scientifique de la philosophie et son
aptitude à saisir la vérité ne sont jamais dogmatiquement affirmés comme un
fait –on peut toujours en effet douter, face à la diversité des thèses présentées
par l’histoire de la philosophie, que celle-ci soit entrée dans « la voie sûre de la
science », pour reprendre une formule de Kant […]-, mais comme une tâche ou
un idéal vers lequel doit seulement tendre la recherche –ce que, en revanche, on
ne peut nier sans ravaler la philosophie au rang d’une Weltanschauung toute
subjective. » (p.12)

« L’école de Marbourg naît avec le premier livre de Hermann Cohen (1842-


1918), La Théorie kantienne de l’expérience (1871), qui propose une
interprétation radicalement nouvelle de la Critique de la raison pure, dans
laquelle l’assimilation de la critique de la connaissance à une théorie de la
connaissance scientifique permet d’échapper aux apories auxquelles se sont
heurtées jusque-là les exégèses de Kant. Non seulement Cohen ne cesse de
reprendre cette interprétation pour l’approfondir (et l’asseoir contre les
critiques), mais il étendra progressivement son travail aux deux autres ouvrages
critiques de Kant. […]

Pour ce qui est de l’école de Heidelberg, son fondateur, Wilhelm Windelband


(1848-1915), publie un premier texte, sa thèse intitulée Sur la certitude de la
connaissance, en 1873. On y trouve déjà l’idée selon laquelle la connaissance
renferme un élément pratique. C’est en effet l’examen de la connaissance qui
conduit à affirmer le « primat de la raison pratique » et l’assimilation de la
vérité à une valeur. La différence entre Windelband et Cohen est la suivante :
d’une part, Windelband, s’il est certes un historien de la philosophie –ce que, en
revanche, n’est pas proprement Cohen-, n’est toutefois pas un exégète de Kant,
mais un philosophe qui voit dans la philosophie kantienne des instruments
méthodologiques lui permettant de développer sa conception de la philosophie
et, somme toute, une certaine préfiguration de cette conception ; d’autre part, il

1797
élargit immédiatement son investigation aux autres domaines de la philosophie,
comme en témoigne le recueil d’article intitulé Préludes (1884). […]

Les deux écoles ont eu le même destin. C’est pendant la guerre que se dissout
dans les deux cas la communauté de travail, essentiellement à cause de la mort
des principaux représentants : Lask, Windelband et Cohen. […] L’après-guerre
est, dans les deux cas, le moment où les survivants s’éloignent de la
communauté de travail antérieure. Cela est manifeste dans la fondation radicale
tentée par Natorp dans ses derniers livres, qui semble revenir sur les
présupposés minimaux qui fondent l’unité de l’école, mais aussi dans les
ouvrages de Rickert à partir de 1929, où il semble que la théorie de la
connaissance fasse peau de chagrin au profit d’une ontologie ; ou encore dans
la philosophie des formes symboliques dans laquelle s’engage Cassirer. » (p.13-
16)

« On peut tout à fait distinguer les écoles néokantiennes en montrant comment,


dans la Critique de la raison pure, les deux écoles ne majorent pas la même
partie. Rickert lui-même écrit que le centre de l’ouvrage n’est pas l’Analytique,
mais la Dialectique –ce qui signifie, comme le montre le contexte, que la théorie
de la connaissance constitue, non pas toute la philosophie (attaque contre les
marbourgeois), mais seulement la première étape d’une philosophie de la
culture en général. » (p.18)

-Eric Dufour, Les Néokantiens. Valeur et vérité, Vrin, 2003, 190 pages.

Léonard Nelson (1882-1927) : « Si nous voulions faire dépendre la confiance


que nous avons en notre raison de l'assentiment de quelque instance supérieure,
par exemple de celui d'un pape infaillible ou d'un livre sacré, alors surgirait la
question: à quoi reconnaissons-nous la compétence de cette instance supérieure,
quelle marque distinctive avons-nous de son infaillibilité ? Nous devrions déjà
posséder cette marque d'infaillibilité avant de pouvoir reconnaître comme telle
cette instance supérieure. Nous ne pourrions tirer cette marque distinctive que
de notre propre raison. C'est pourquoi nous serions dans un cercle si nous
voulions faire dépendre la compétence de notre raison de la sanction de quelque
autorité extérieure. » -Léonard Nelson, "Qu'est-ce que le libéralisme ?", 1910,
repris in Certitudes de la raison, Paris, Beauchesne, coll. Bibliothèque des
"archives de philosophie", numéro 39, 1982 (1975 pour la première édition
allemande), 267 pages, p.36.

1798
Hans Vaihinger (1852-1933) : http://www.amazon.fr/philosophie-du-comme-
si/dp/2841744620/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1449919571&sr=8-
1&keywords=Hans+Vaihinger

Wilhelm Windelband (1848-1915) : « Tout comme Kant, Hegel a connu,


avec le changement de génération, un changement de reconnaissance, et ce
de manière encore plus nette que son précurseur. Accueilli autrefois avec
enthousiasme par toute une génération, puis dédaigné, oublié, abandonné à la
moquerie, Hegel semble maintenant bénéficier d’un regain d’intérêt. »

« Plus la nostalgie actuelle aspire à s’extirper de l’étouffante masse de la


particularité et de l’extériorité vers un sens englobant toute réalité, plus
elle est fascinée par le caractère radicalement un et sublimement fermé de
la composition systématique qui est celle du panlogisme hégélien. Cette
forme recèle aussi sans aucun doute de quoi satisfaire le sens esthétique,
et c’est ce facteur qui tranche certainement fréquemment en faveur de Hegel,
par delà Fichte, Schelling et Herbart. À cela s’ajoute l’optimisme joyeux qui
irradie de plus en plus toute son oeuvre, c’est-à-dire la confiance en la
puissance de la raison, par laquelle il triomphe du sombre sermon
schopenhauerien sur la misère du monde. Enfin, le jeune élan hégélien
manifeste le dévouement à une communauté spirituelle, à une vie
rationnelle et universelle, qui rompt radicalement avec l’individualisme
sans borne par lequel Nietzsche a pour un temps enthousiasmé notre peuple. »

« Si, après Kant, la philosophie devait orienter son travail conceptuel vers le
perfectionnement du système de la raison, c’est parce qu’il y avait en effet un
progrès nécessaire à accomplir, qui devait mener de Kant à Hegel en passant
par Fichte et Schelling. La répétition de ce processus dans le passage du
néo-kantisme au néo-hégélianisme des philosophies les plus récentes n’est
pas le fait du hasard, mais possède en soi une nécessité réelle. » -Wilhelm
Windelband, "Le renouveau de l'hégélianisme", 1910.

« L'hégélianisme britannique à la fin du XIXème siècle est marqué par une


opposition entre deux courants. Le premier est personnaliste: tout est esprit et la
structure de la réalité est un ensemble de substances spirituelles personnelles
liées par l'amour. Le principal représentant de ce courant est McTaggart, dont
Russell affirma qu'il fut le philosophe idéaliste qui eut le plus d'influence sur lui
[...] Le second est absolutiste: dans les systèmes philosophiques issus de ce

1799
courant, tout est impersonnel et non relationnel. Bradley est le principal
représentant de ce courant, à côté de Green et F. J. Ferrier (1808-1864). Il est
plaisant de constater que l'hégélianisme renaît en Angleterre, profondément
transformé, plus métaphysique, moins politique, au moment où il s'effondre en
partie en Allemagne, du fait conjugué du développement du néokantisme qui
pointe les énormes faiblesses épistémologiques du système hégélien et les
critiques des socialistes, marxistes ou non. Le développement du néokantisme
entraîne de facto une certaine diffraction de la philosophie en épistémologie,
éthique, philosophie de la nature et de l'art, diffraction correspondant aux trois
Critiques de Kant. » -Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard,
coll. Folio essais, 2004, 1062 pages, p.442.

Leonard Nelson (1882-1927) : https://www.amazon.fr/System-Ethics-Leonard-


Nelson/dp/0300007906/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1498734530&sr=8-
1&keywords=System+of+Ethics+Leonard+Nelson

Edmund Husserl (1859-1938): « L’existence de la nature ne peut pas être la


condition de l’existence de la conscience, puisque la nature elle-même est un
corrélât de la conscience. » -Husserl, Idées directrices pour une
phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique.

« La vie d’un homme n’est rien d’autre qu’un chemin vers Dieu. J’ai essayé de
parvenir au but sans l’idée de la théologie, ses preuves, ses méthodes, en
d’autres termes, j’ai voulu atteindre Dieu sans Dieu. Il me fallait éliminer Dieu
de ma pensée scientifique pour ouvrir la voie à ceux qui ne connaissaient pas la
route sûre de la foi passant par l’Eglise. Je suis conscient du danger que
comporte un tel procédé et du risque que j’aurais moi-même couru si je ne
m’étais pas senti profondément lié à Dieu et chrétien du fond du cœur. »

-Husserl à R. Ingarden et E. Stein.

« Kant est le premier à distinguer le phénomène du noumène et, partant, à


délimiter notre pouvoir de connaître aux seuls phénomènes, c’est-à-dire à la
représentation humaine de l’être soumise aux catégories de l’entendement et au
temps. La chose en soi, l’être tel qu’il est indépendamment de nos
représentations demeure mystérieux, inconnaissable car échappant fatalement à
l’expérience empirique. Dieu, l’immortalité de l’âme, la liberté ne sont donc
plus des savoirs mais des croyances, c’est-à-dire des Idées régulatrices.

1800
La phénoménologie a donc abandonné le problème insoluble de la chose en soi
pour se consacrer uniquement aux phénomènes, aux seules manifestations de
l’être accessibles à l’homme. La philosophie pour avancer sur le chemin de la
vérité doit toujours se demander : Cette question mérite-t-elle d’être posée ?
Pour la phénoménologie, la question de la chose en soi est inféconde. Mieux
vaut penser le monde tel qu’il apparaît plutôt que de chercher à déceler une
réalité d’ordre supérieur derrière les apparences. » -Matthieu Giroux,
« Aristote : aux origines de la phénoménologie », Philitt, 7 octobre 2013.

« Husserl et les phénoménologues restituent le monde dans sa diversité et nient


le pouvoir transcendant de la raison. L’univers spirituel s’enrichit avec eux de
façon incalculable. Le pétale de rose, la borne kilométrique ou la main humaine
ont autant d’importance que l’amour, le désir, ou les lois de la gravitation.
Penser, ce n’est plus unifier, rendre familière l’apparence sous le visage d’un
grand principe. Penser, c’est réapprendre à voir, à être attentif, c’est diriger sa
conscience, c’est faire de chaque idée et de chaque image, à la façon de Proust,
un lieu privilégié. Paradoxalement, tout est privilégié. Ce qui justifie la pensée,
c’est son extrême conscience. Pour être plus positive que chez Kierkegaard ou
Chestov, la démarche husserlienne, à l’origine, nie cependant la méthode
classique de la raison, déçoit l’espoir, ouvre à l’intuition et au cœur toute une
prolifération de phénomènes dont la richesse a quelque chose d’inhumain. Ces
chemins mènent à toutes les sciences ou à aucune. C’est dire que le moyen ici a
plus d’importance que la fin. Il s’agit seulement « d’une attitude pour
connaître » et non d’une consolation. Encore une fois, à l’origine du moins. »

-Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe. Essai sur l'absurde, 1942. Repris dans
Albert Camus, Œuvre, Gallimard, Coll. Quarto, 2013, 1526 pages, p.269.

« Husserl, à la différence de Carnap, Popper, Wittgenstein, est passé à côté des


travaux de Tarski et Gödel. Ceci contraste avec son attitude antérieure dans les
Recherches logiques concernant la grammaire catégorielle d’Adjukiewicz, dont
il avait aperçu l’importance cruciale non seulement pour la sémantique, mais
aussi pour l’ontologie. Le même phénomène s’est produit avec Bergson. » (note
27 p.175)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,


2004, 1062 pages.

1801
« La phénoménologie, c'est purement la perception et c'est terriblement
dangereux, il faut aller très au fond des choses, voir la réalité. » -Gilbert
Simondon, Entretien sur la mécanologie, avec Jean Le Moyne, 1968.

« Kant est à l'origine de l'épistémologie de notre période culturelle. Mais en tant


que néo-kantisme, c'est-à-dire reprise et infléchissement, tendancieux, du corpus
kantien. La démarche scientifique, légitime chez Kant, ne l'est plus chez
Husserl. » -Michel Clouscard, L'Etre et le Code. Le procès de production d'un
ensemble précapitaliste, L'Harmattan, Logiques sociales, 2003 (1973 pour sa
première édition), 595 pages, p.7.

Gottlob Frege (1848-1925): « La réponse a la question contenue dans le titre


est donc que la philosophie analytique est une tradition qui tient à la fois par
des liens d'influence mutuelle et par des airs de familles. [...] La philosophie
analytique a émergé peu à peu à partir du moment où la révolution frégéenne
dans la logique formelle s'est articulé au débat à propos de la nature des
propositions, débat qu'ont rendu nécessaire la révolte de Moore et Russell
contre l'idéalisme, ainsi que le tournant linguistique du Tractatus. » -Hans-
Johann Glock, Qu'est-ce que la philosophie analytique ?, Gallimard, Folio
essais, 2011, 545 pages, p.387.

« Je considère que la philosophie analytique a son origine dans les travaux de


Frege, Russell, Moore, Wittgenstein. » -Hans Sluga, cité Hans-Johann Glock, in
Qu'est-ce que la philosophie analytique ?, Gallimard, Folio essais, 2011, 545
pages, p. 412.

« Frege fut de loin le pionnier le plus important de la philosophie analytique de


langue allemande. » -Hans-Johann Glock, Qu'est-ce que la philosophie
analytique ?, Gallimard, Folio essais, 2011, 545 pages, p.154-155.

« [Il y a trente ans] les philosophes analytiques supposaient que l'étude du


langage était la méthode requise pour le traitement de tous les problèmes
philosophiques. Non seulement il existait alors, comme encore aujourd'hui, un
domaine ou un champ important constitué par la philosophie du langage ; mais,
surtout, la philosophie analytique était ou s'efforçait d'être, en un sens distinctif,
de la philosophie linguistique. Cependant, si c'était alors la grande ambition de
la philosophie communément appelée "analytique", c'est beaucoup moins le cas
aujourd'hui. » (p.VII)

1802
-Bernard Williams, L'Éthique et les limites de la philosophie, Gallimard, nrf
essais, 1990 (1985 pour la première édition britannique), 243 pages.

« La création par Frege et Russell de la logique symbolique constitua sans


aucun doute l'une des inventions majeures du XXème siècle. » -Denis Vernant,
Introduction à la logique standard, Flammarion, coll. Champs essais, 2011
(2001 pour la première édition), 447 pages, p. 9.

http://hydra.forumactif.org/t2074-pascal-engel-la-philosophie-analytique-en-
france-un-bilan-institutionnel-romain-pudal-la-difficile-reception-de-la-
philosophie-analytique-en-france#2784

http://www.amazon.fr/Ecrits-logiques-philosophiques-Gottlob-
Frege/dp/2020229668/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=41Eqlp1rqoL&dpSrc
=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=0J04YJRKSKJJ7FSSAA
Z1

http://livre.fnac.com/a7102594/Elisabeth-Anscombe-Trois-philosophes-
Aristote-Thomas-Frege

http://www.amazon.fr/ontologie-renouveau-m%C3%A9taphysique-tradition-
analytique/dp/2711623211/ref=pd_sim_14_22?ie=UTF8&dpID=41dhXvJH1jL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR100%2C160_&refRID=0SN22PS0RS0
1F3HJ2HPR

Alexius Meinong (1853-1920) : "Meinong est donc interprété (correctement)


comme une réaction à l'idéalisme allemand, ce qui se conçoit quand on connaît
l'hostilité de toute l'école brentanienne à ce courant, commençant avec le rejet
par Brentano de l'opposition établie par Schelling entre la méthode
philosophique et celle des sciences de la nature. Il est rapproché de Frege et de
Husserl, et le parallèle entre cette réaction germanique et les propres travaux
de rupture de Moore et Russell est dressé explicitement. La "nouvelle
philosophie" qui résulte de ces ruptures multiples a pour Russell plusieurs
caractéristiques en commun. La première est l'adoption par la philosophie des
méthodes des sciences [...] la distinction hégélienne entre science et savoir
disparaît. Cette philosophie nouvelle a trois sources: la théorie de la
connaissance, la logique et les principes des mathématiques. Il est tenu pour
impossible qu'une chose existe sans être conue, ce qui est une pierre dans le
jardin de Kant." (p.452)

1803
-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,
2004, 1062 pages.

Henry Sidgwick (1838-1900) : « J'obtiens le principe évident que le bien


particulier de quiconque n'a pas plus d'importance, au regard de l'Univers (si je
peux m'exprimer ainsi), que le bien d'un autre... et il est évident pour moi qu'en
tant qu'être rationnel, je suis destiné -autant que mes efforts me permettent de
l'atteindre- à viser le bien en général et non telle partie particulière du bien. » -
Henry Sidgwick, Les méthodes de l'éthique, 1874. Traduit dans Bernard
Williams, L'Éthique et les limites de la philosophie, Gallimard, nrf essais, 1990
(1985 pour la première édition britannique), 243 pages, p.116-117.

« Bien que la liberté soit intensément et généralement désirée [...] la tentative de


l'ériger en notion fondamentale de la jurisprudence théorique entraîne des
difficultés insurmontables. » -Henry Sidgwick, The Methods of Ethics, 1874,
p.278.

“No one could write in English on the history of moral philosophy and not feel
awed by the example of Henry Sidgwick’s Outlines of the History of Ethics,
published in 1886 as a revision of his Encyclopaedia Britannica article.” –
Alasdair MacIntyre, A short history of ethics. A History of Moral Philosophy
from the Homeric Age to the Twentieth Century, Londres, Routledge, 2000
(1966 pour la première edition américaine), 280 pages, p.XX.

http://hydra.forumactif.org/t1988-henry-sidgwick-oeuvre#2690

Francis Herbert Bradley (1846-1924): http://hydra.forumactif.org/t4656-


francis-herbert-bradley#5587

Samuel Alexander (1859-1938): http://academienouvelle.forumactif.org/t2267-


samuel-alexander-moral-order-and-progress-an-analysis-of-ethical-
conceptions#2985

William Ritchie Sorley (1855-1935): http://hydra.forumactif.org/t4657-


william-ritchie-sorley-the-ethics-of-naturalism#5588

Hastings Rashdall (1858-1924): http://hydra.forumactif.org/t2266-hastings-


rashdall-the-theory-of-good-and-evil-ethics#2984

Aurel Kolnai (1900-1975): http://www.amazon.fr/Ethics-Value-Reality-


Selected-Papers/dp/0915144395/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1450975664&sr=8-
1804
1&keywords=Ethics%2C+Value+and+Reality%3A+Selected+Papers+of+Aurel
+Kolnai

Moritz Schlick (1886-1932) : « La théorie quantique, d’un côté, et la théorie


“classique”, de l’autre, représentent manifestement deux aspects différents de
ce qui arrive dans la nature, et le font toutes les deux, jusqu’à un certain point,
avec une perfection et une exactitude considérables ; mais pour ce qui est de la
question de savoir comment les deux aspects sont connectés l’un à l’autre, nous
sommes encore, pour le moment, dans une obscurité profonde. Introduire la
lumière dans cette obscurité est sans aucun doute la tâche première de la
physique actuelle, et le problème ne peut être résolu que par la recherche
empirique ; sans son aide, même le philosophe de la nature ne peut pas
regarder au-delà. Il est possible que la théorie quantique puisse supporter
d’être incorporée à une théorie approfondie de la continuité ; mais c’est peut-
être aussi la conception discontinuiste de la nature qui l’emportera. Il semble
pour le moment, cependant, que des instruments de pensée tout à fait nouveaux
soient nécessaires pour surmonter la difficulté ; ainsi, une modification encore
plus radicale des concepts d’espace et de temps pourrait fournir la solution. »

-Moritz Schlick, Naturphilosophie, 1925.

http://www.amazon.fr/Th%C3%A9orie-g%C3%A9n%C3%A9rale-
connaissance-Schlick-
Moritz/dp/2070771857/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1447240545&sr=1
-
1&keywords=Th%C3%A9orie+g%C3%A9n%C3%A9rale+de+la+connaissance

http://www.amazon.fr/Formes-contenu-introduction-pens%C3%A9e-
philosophique/dp/2748900154/ref=asap_bc?ie=UTF8

Rudolf Carnap (1891-1970) et l’empirisme logique : « Il ne saurait s’agir


d’identifier le positivisme de Comte et le positivisme logique. Il y a certainement
une filiation historique, marquée par le fait que le terme de positivisme logique
fut revendiquée par certains philosophes du cercle de Vienne (d’autres préférant
« empirisme logique », qui semble effectivement moins trompeur), mais cette
filiation historique ne saurait masquer les profondes différences entre les
positions d’un Comte et celles d’un Carnap. Rappelons que Comte est ennemi
de la méthode statistique, de la logique, de la psychologie scientifique, de la
théorie cellulaire, de la nature ondulatoire de la lumière, de la théorie
1805
transformiste, de toute enquête sur la nature chimique des astres […] marquons
la différence entre la physique sociale de Comte et l’ontologie des objets
culturels de Carnap et cela devrait suffire à bien distinguer les deux pensées,
qui s’opposent aussi sur le plan politique. » (note 7 p.155)

« Les critères de signification de Carnap sont trop forts. » (p.159)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,


2004, 1062 pages.

"Carnap's version of emotivism." -Alasdair MacIntyre, After Virtue. A Study in


Moral Theory, University of Notre Dame Press, Notre Dame, Indiana, Third
edition, 2007 (1981 pour la première édition américaine), 286 pages, p.18.

Otto Neurath (1882-1945): « Il y a du matérialisme épistémologique dans le


Wiener Kreis (le physicalisme est en vérité un matérialisme). Mais ce courant si
important est soigneusement contourné alors que certains de ses membres
comme Neurath ou Frank sont des matérialistes déclarés. » -Denis Collin,
L’enjeu du matérialisme, site de l’auteur, 25/03/2005.

« Neurath's economic theory intended to challenge Carl Menger's Aristotelian,


sometimes Platonist, essentialism, Schmoller's inductivism, Weber's ideal-types
value theory, and Böhm-Bawerk and others' expected and marginal utility
theory, based on maximization of utility. While remaining within the tradition of
the Austrian school of economic theory, in the technical form of decision theory
(and a corresponding model of rationality), Neurath rejected the assumption of
the value and even possibility of a precise calculus of utility involving an
abstract and universal unit of calculation and uni-dimensionally commensurable
alternatives. He defended, instead, an irreducibly multi-factorial notion of
welfare over profit.

Neurath shaped and changed his ideas through engagement in ongoing debates
dating from the late 19th century til the early 20th century: the socialism debate
(centered around Marx), the method debate (centered around Schmoller and
Menger), the value-judgment debate (centered around Weber and Sombart), the
unity of science -or natural vs. human sciences- debate (centered around Rickert
and Dilthey), the socialization debate (centered around Kautsky, Adler, Bauer
and Bernstein), and the socialist calculation debate (centered around von Mises

1806
and Hayek). » -Supplement to Cat, Jordi, "Otto Neurath", The Stanford
Encyclopedia of Philosophy (Winter 2014 Edition), Edward N. Zalta (ed.).

George Edward Moore [prononcé Moure] (1873-1958): « J'ai l'intention


d'utiliser le mot "Éthique" pour désigner. .. l’interrogation générale sur le bien.
[...] Qu'est-ce que le bien ? Qu'est-ce que le mal ? C'est la discussion de cette
question (ou de ces questions) que je désigne par l'expression "Éthique". » -G. E.
Moore, Principia Ethica, Cambridge University Press, Cambridge, 1992, p. 2 et
3.

« En tant que mouvement philosophique constitué, on ne peut penser la


philosophie analytique sans Russell et Moore. » -Hans-Johann Glock, Qu'est-ce
que la philosophie analytique ?, Gallimard, Folio essais, 2011, 545 pages, p.143.

« Les considérations éthiques occupent une large place dans la révolte de


Moore contre l'idéalisme [...]. En outre, les Principia Ethica se sont révélés
jouer un rôle central dans le développement de la philosophie morale de langue
anglaise. La dénonciation du sophisme naturaliste et l'idée selon laquelle les
propriétés morales sont des propriétés non naturelles et inanalysables, dont
nous pouvons avoir l'intuition, restent centrales encore maintenant. Enfin,
l'ouvrage est un document fondateur de la philosophie analytique, en particulier
par l'importance qu'il attache à la clarification des questions, la diffusion de
l'analyse et le rôle qu'il a joué en prévenant les générations à venir du paradoxe
de l'analyse. » -Hans-Johann Glock, Qu'est-ce que la philosophie analytique ?,
Gallimard, Folio essais, 2011, 545 pages, p.341-343.

« Étudiant de Sidgwick, G. E. Moore (1873-1958) s'est intéressé à la fois à la


philosophie morale et à l'épistémologie. Avec Bertrand Russel (1872-1970),
Moore est considéré comme l'un des fondateurs de la philosophie analytique
britannique ; et l'on gardera à l'esprit son opposition au néo-idéalisme d'une
partie de ses professeurs de Cambridge (J. M. E. McTaggart en particulier), et
son attachement au sens commun. » -Anna. C. Zielinska, Introduction à
Métaéthique. Connaissance morale, scepticismes et réalismes, Vrin, 2013, 326
pages, p.34-35.

"La production la plus remarquable de la philosophie logico-analytique fut


aussi la plus précoce -les Principia ethica de Moore, publiés en 1903 [...]
Son importance ne résidait pas dans "l'analyse" que proposait Moore des
jugements de valeurs (une analyse que même les propres disciples de Moore ont
1807
rejetée). Son importance réside davantage dans la reformulation par Moore du
problème principal de l'éthique, ou philosophie morale. Jusque-là, les
philosophes qui avaient traité de l'éthique s'étaient efforcés de déterminer des
contenus moralement "bon" et d'identifier des actions souhaitables. Moore, en
revanche, posait la question en ces termes: "Qu'entendons-nous par "bon" ?" Il
ne se demandait pas "si telle ou telle chose est bonne, mais plutôt comment
définir ce "bon" ". Il lui paraissait vain de décider si une chose était bonne
avant d'avoir défini ce que nous entendons par "bon", autrement dit jusqu'à ce
que l'on ait procédé à l'analyse des propositions du type "x est bon". Quant aux
propositions exprimant une obligation morale ("Vous devriez faire ceci", "je
devrais faire ceci"), il considérait comme une évidence qu'elles doivent être
subordonnées aux propositions de forme "x est bon", puisque ce que nous
devons faire ou ne pas faire dépend de ce qui est bon ou mauvais." -Maurice
Cornforth, L'idéologie anglaise. De l'empirisme au positivisme logique, Éditions
Delga, 2010 (traduction de la première partie de Marxism and the Linguistic
Philosophy, 1965 pour la première édition anglaise), 221 pages, p.159-160.

« As Moore came to acknowledge when he attempted in 1921 to compose a new


preface for the proposed second edition of Principia Ethica, even if there is a
mistake here, it is tendentious to maintain that in making this mistake one
commits a « fallacy » (« Preface to the second edition », p. 21). Furthermore he
recognised that the claim that one makes a mistake by asserting that it is
possible to analyse goodness in naturalistic or metaphysical terms runs together
two propositions which should be treated separately : (i) that goodness is not
analysable, and (ii) that goodness is not a natural or metaphysical property (PE,
p. 13-14). Having made this distinction, Moore goes on to say that he regards
the second proposition as much more important than the first : it is a
proposition which « I still think to be true and important ; and I think it comes
much nearer to what I now really want to say about G <goodness>, than does
the proposition that G is unanalysable » (PE, p. 15).

Given the emphasis in Principia Ethica on the role of analysis, this is a


surprising remark.”

“The result is that, for Moore, there is little, if anything, that one can say to
vindicate a claim to have ethical knowledge; Moore’s « intuitions » have only
the status of confident assertions. In some cases in which a thinker cannot say
anything much to support a claim to knowledge, e.g. where memory is involved,
1808
the adoption of an externalist, reliabilist, position is helpful. But in the present
case it does not help at all: Moore’s abstract anti-realist position provides no
purchase for third-person assessments of the reliability of ethical judgment. So it
is not surprising that many of those who were impressed by Moore’s criticisms
of ethical naturalism and his arguments for the unanalysability of goodness
moved on to a non-cognitivist position with respect to ethics ; Moore’s
intuitionism seemed to them to be no more than an expression of faith on his
part in the possibility of ethical knowledge, but a possibility which was
undermined by his own arguments. In this respect, therefore, Moore’s ethics
was, in effect, undermined from within, and the emotivist movement, and its
increasingly sophisticated successors, are part of the historical legacy of
Moore’s antinaturalism.

Yet a striking feature of Principia Ethica is that alongside the official doctrine
that one cannot give any reasons for fundamental ethical propositions, Moore
does just this from time to time, especially when he is discussing hedonism in
chapter three.”

-Thomas Baldwin, « Moore's rejection of ethical naturalism », Revue de


métaphysique et de morale, 2006/3 (n° 51), p. 291-311. DOI :
10.3917/rmm.063.0291. URL : https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-
et-de-morale-2006-3-page-291.htm

« Barrès s'illustrera aussi à un certain dîner chez Blanche. Georges Moore, qui
habite alors Paris et prépare avec Édouard Dujardin des conférences franco-
anglaises, souhaite rencontrer Barrès. L'Affaire vient sur le tapis, ils
s'empoignent, Barrès reçoit la serviette de Moore en plein visage. » -Sarah
Vajda, Maurice Barrès, Flammarion, coll. Grandes Biographies, 2000, 434
pages, p.153.

"In the eighteenth century Hume embodied emotivist elements in the large and
complex fabric of his total moral theory; but it is only in this century that
emotivism has flourished as a theory on its own. And it did so as a response to a
set of theories which flourished, especially in England, between 1903 and 1939 .
We ought therefore to ask whether emotivism as a theory may not have been
both a response to, and in the very first instance, an account of not, as its
protagonists indeed supposed, moral language as such, but moral language in
England in the years after 1903 as and when that language was interpreted in

1809
accordance with that body of theory to the refutation of which emotivism was
primarily dedicated.

The theory in question borrowed from the early nineteenth century the name of
'intuitionism' and its immediate progenitor was G.E. Moore. 'I went up to
Cambridge at Michaelmas 1902, and Moore's Principia Ethica came out at the
end of my first year ... it was exciting, exhilarating, the beginning of a
renaissance, the opening of a new heaven on a new earth.' So wrote John
Maynard Keynes (quoted in Rosenbaum 1975, p. 52), and so in their own
rhetorical modes Lytton Strachey and Desmond McCarth y and later Virginia W
oolf, who struggled through Principia Ethica page by page in 1908, and a whole
network of Cambridge and London friends and acquaintances. What opened the
new heaven was Moore's quiet but apocalyptic proclamation in 1903 that after
many centuries he had at last solved the problems of ethics by being the first
philosopher to attend with sufficient care to the precise nature of the questions
which it is the task of ethics to answer." (p.14-15)

"First that 'good' is the name of a simple indefinable property, a property


different from that named by 'pleasant' or 'conducive to evolutionary survival' or
any other natural property. Hence Moore speaks of good as a non-natural
property. Propositions declaring this or that to be good are what Moore called
'intuitions'; they are incapable of proof or disproof and indeed no evidence or
reasoning whatever can be adduced in their favor or disfavor. Although Moore
disclaims any use of the word 'intuition' which might suggest the name of a
faculty of intuition comparable to our power of vision, he none the less does
compare good as a property with yellow as a property in such a way as to make
verdicts that a given state of affairs is or is not good comparable to the simplest
judgments of normal visual perception.

Secondly, Moore takes it that to call an action right is simply to say that of the
available alternative actions it is the one which does or did as a matter of fact
produce the most good. Moore is thus a utilitarian; every action is to be
evaluated solely by its consequences, as compared with the conséquences of
alternative possible courses of action. And as with at least some other versions
of utilitarianism it follows that no action is ever right or wrong as such.
Anything whatsoever may under certain circumstances be permitted.

1810
Thirdly, it turns out to be the case, in the sixth and final chapter of Principia
Ethica, that 'personal affections and aesthetic enjoyments include all the
greatest, and by far the greatest goods we can imagine ... ' This is 'the ultimate
and fundamental truth of Moral Philosophy'. The achievement of friendship and
the contemplation of what is beautiful in nature or in art become certainly
almost the sole and perhaps the sole justifiable ends of all human action.

We ought to notice immediately two crucial facts about Moore's moral theory.
The first is that his three central positions are logically independent of each
other. There would be no breach in consistency if one were to affirm anyone of
the three and deny the other two. One can be an intuitionist without being a
utilitarian; most English intuitionists came to hold the view that there was a
non-natural property of 'right' as well as of 'good' and held that to perceive that
a certain type of action was 'right' was to see that one had at least a prima facie
obligation to perform that type of action, independently of its consequences.
Likewise a utilitarian has no necessary commitment to intuitionism. And neither
utilitarians nor intuitionists have any necessary commitment to the values of
Moore's sixth chapter. The second crucial fact is easy to see retrospectively: the
first part of what Moore says is plainly false and the second and third parts are,
at the very least highly contentious. Moore's arguments at times are, it must
seem now, obviously defective -he tries to show that 'good' is indefinable, for
example, by relying on a bad dictionary definition of 'definition' -and a great
deal is asserted rather than argued. And yet it is this to us plainly false, badly
argued position which Keynes treated as 'the beginning of a renaissance', which
Lytton Strachey declared to have 'shattered all writers on ethics from Aristotle
and Christ to Herbert Spencer and Mr. Bradley' and which Leonard Woolf
described as 'substituting for the religious and philosophical nightmares,
delusions, hallucinations in which Jehovah, Christ and St. Paul, Plato, Kant and
Hegel had entangled us, the fresh air and pure light of commonsense' ". (p.15-
16)
-Alasdair MacIntyre, After Virtue. A Study in Moral Theory, University of Notre
Dame Press, Notre Dame, Indiana, Third edition, 2007 (1981 pour la première
édition américaine), 286 pages.

http://hydra.forumactif.org/t1951-george-edward-moore-oeuvres#2648

http://hydra.forumactif.org/t4408-brandon-thomas-byrd-virtue-ethics-and-
moore-s-criticisms-of-naturalism#5298
1811
https://www.amazon.fr/Principia-Ethica-George-Edward-
Moore/dp/2130492592/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1523192059&sr=1
-1&keywords=George+Edward+Moore

Bertrand Russell (1872-1970) : « Tout est vague à un degré dont on n’a pas le
soupçon, jusqu’à ce qu’on ait essayé d’être précis. » -Bertrand Russell.

« Ce fut aux alentours de la fin de 1898 que Moore et moi-même nous


rebellâmes à la fois contre Kant et contre Hegel. Moore ouvrit la voie, mais je le
suivais de près […]. Je ressentis une vive impression de liberté, comme si je
m’étais échappé d’une maison calfeutrée dans une lande sauvage balayée par
les vents […]. Dans le premier enthousiasme de la libération, je devins un
réaliste naïf et me réjouis de la pensée que l’herbe est réellement verte. » -
Bertrand Russell (1959).

“The question whether a code is good or bad is the same as the question
whether or not it promotes human happiness.”

“All ignorance is regrettable, but ignorance on so important a matter as sex is a


serious danger.”

“Virtue which is based upon a false view of the facts is not real virtue.”

“Much ground remains to be covered by a complete sexual ethic, but I do not


think we can say anything very positive until we have more experience, both of
the effects of various systems and of the changes resulting from a rational
education in matters of sex.” -Bertrand Russell, Our Sexual Ethics, 1936.

« Toute tentative pour persuader les gens que quelque chose est bon (ou
mauvais) en soi, et non seulement par ses effets, repose sur l'art d'éveiller des
sentiments, et non sur le recours aux preuves. […]

Quand un homme dit : « Ceci est bon en soi », il paraît affirmer un fait, tout
comme s'il disait : « Ceci est carré » ou « Ceci est sucré ». Je pense que c'est là
une erreur. Je pense qu'il veut dire en réalité : « Je souhaite que tout le monde
désire ceci », ou plutôt : « Puisse tout le monde désirer ceci ». Si l'on interprète
ses paroles comme une affirmation, il s'agit seulement de l'affirmation de son
désir personnel ; par contre, si on les interprète d'une façon plus générale, elles
n'affirment rien, mais ne font qu'exprimer un désir. Le désir lui-même est
personnel, mais son objet est universel. C'est, à mon avis, ce singulier

1812
enchevêtrement du particulier et de l'universel qui a causé une telle confusion
en matière de morale.

La question deviendra peut-être plus claire si nous opposons une sentence


morale à une phrase qui affirme un fait. Si je dis : « Tous les Chinois sont
bouddhistes », on peut me confondre en exhibant un Chinois chrétien ou
musulman. Si je dis : « Je crois que tous les Chinois sont bouddhistes », on ne
peut pas me confondre par des preuves venues de Chine, mais seulement par la
preuve que je ne crois pas ce que je dis : car ce que j'affirme ne concerne que
mon propre état d'esprit. Si maintenant un philosophe dit : « La beauté est un
bien », je peux interpréter sa phrase comme signifiant : « Puisse tout le monde
aimer ce qui est beau » (ce qui correspond à « Tous les Chinois sont
bouddhistes »), ou « Je souhaite que tout le monde aime ce qui est beau » (ce
qui correspond à « Je crois que tous les Chinois sont bouddhistes »). La
première phrase n'affirme rien, mais exprime un souhait ; étant donné qu'elle
n'affirme rien, il est logiquement impossible qu'il existe des preuves pour ou
contre, ou qu'elle soit vraie ou fausse. La deuxième phrase, au lieu d'être
simplement optative, affirme un fait, mais ce fait concerne l'état d'esprit du
philosophe, et on ne peut réfuter cette affirmation qu'en démontrant qu'il
n'éprouve pas le désir qu'il prétend éprouver. Cette deuxième phrase n'est pas
du ressort de la morale, mais de la psychologie ou de la biographie. La
première phrase, qui est bien du ressort de la morale, exprime le désir de
quelque chose, mais n'affirme rien.

Si l'analyse ci-dessus est correcte, la morale ne contient aucune affirmation,


vraie ou fausse, mais se compose de désirs d'un certain genre, à savoir de ceux
qui ont trait aux désirs de l'humanité en général – et des dieux, des anges et des
démons, s'ils existent. La science peut examiner les causes des désirs, et les
moyens de les réaliser, mais elle ne peut contenir aucune sentence morale
proprement dite, parce qu'elle s'occupe de ce qui est vrai ou faux. »

-Bertrand Russell, Science et religion, 1935, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio
essais, p. 175-176.

« Beaucoup de mes amis espérèrent en l’Union soviétique, mais quand je m’y


rendis en 1920, je ne trouvai rien que je puisse aimer ou admirer. » -Bertrand
Russell, « My mental development [1943] », The Philosophy of Bertrand
Russell, Evanston (Illinois) : The Library of Living philosophers, 1946.

1813
« [Russell] conclut son interview de 1957 à la BBC par un conseil aux
générations futures, celui de toujours distinguer strictement entre ce dont on
voudrait que ce soit vrai et ce dont on peut montrer que c'est vrai. » -Hans-
Johann Glock, Qu'est-ce que la philosophie analytique ?, Gallimard, Folio
essais, 2011, 545 pages, p.381.

http://hydra.forumactif.org/t2082-bertrand-russell-our-knowledge-of-the-
external-world#2793

http://www.amazon.com/Bertrand-Russell-Spirit-Solitude-1872-
1921/dp/0684828022/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1450981056&sr=1-
1&keywords=Bertrand+Russell%3A+The+Spirit+of+Solitude+1872%E2%80%
931921

http://www.amazon.com/Bertrand-Russell-1921-1970-Ghost-
Madness/dp/0743212150/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=51DEHt%2BuyP
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H7AJ0Z8M

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7AJ0Z8M

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2PL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR104%2C160_&refRID=0VPHBSY
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1814
http://www.amazon.fr/Probl%C3%A8mes-philosophie-Bertrand-
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AJ0Z8M

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1-3&keywords=Ethique+et+politique

http://www.amazon.fr/monde-qui-pourrait-%C3%AAtre-anarcho-
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ESBK3F3X0

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Russell/dp/2365120512/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=31DDjBxOUcL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR108%2C160_&refRID=0JD22B70AT9RX
2RRJ88V

http://www.amazon.fr/La-Conqu%C3%AAte-bonheur-Bertrand-
Russell/dp/2228894524/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=51D8jjQqG-
L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR104%2C160_&refRID=0JD22B70AT
9RX2RRJ88V

http://www.amazon.fr/Signification-v%C3%A9rit%C3%A9-Bertrand-
Russell/dp/2081307782/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&dpID=41podshU7kL&dp
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AAZ1

Alfred North Whitehead (1861-1947): « Quant à la métaphysique de


Whitehead, à laquelle Russell s'était partiellement opposé dans L'Analyse de la
matière (1927), elle est définitivement anti-substantialiste. » -Angèle Kremer
Marietti, recension de Jean-Gérard Rossi, Le problème ontologique dans la
philosophie analytique.

Ludwig Wittgenstein (1889-1951): « La plupart des propositions et des


questions qui ont été écrites touchant les matières philosophiques ne sont pas
fausses, mais sont dépourvues de sens. » - Ludwig Wittgenstein, Tractatus
logico-philosophicus, 4.003, 1921.

1815
« Nous sommes à l’évidence incapable de préciser et de circonscire les concepts
dont nous nous servons, non pas du fait que nous ignorons leur définition réelle,
mais du fait qu’ils ne comportent pas de « définition réelle ». Supposer qu’il est
indispensable qu’il y ait une, cela reviendrait à supposer que des enfants qui
jouent à la belle appliquent toujours dans leurs jeux des règles strictes. » -
Wittgenstein.

« Pour aussi peu que j’ai lu de la philosophie, je n’en ai certainement pas lu


trop peu et plutôt trop. Je constate que chaque fois que j’ai lu un ouvrage
philosophique, mes pensées ne s’en sont pas trouvées améliorées, mais bien
plutôt que je n’en ai tiré aucun bénéfice, au contraire. » -Ludwig Wittgenstein,
cité par Hans-Johann Glock, Qu'est-ce que la philosophie analytique ?,
Gallimard, Folio essais, 2011, 545 pages, p.180.

« Schlick dit qu'il y a eu dans l'éthique théologique deux conceptions de


l'essence du bien : selon l'interprétation la plus superficielle, ce qui est bon est
bon parce que Dieu le veut ; selon la plus profonde, Dieu veut ce qui est bon
parce que cela est bon. Mon opinion est que c'est la première conception qui
est le plus profonde : est bon ce que Dieu a ordonné. Car cette conception coupe
court à toute tentative d'expliquer "pourquoi" cela est bon, tandis que la
seconde est la conception plate, rationaliste, qui fait "comme si" ce qui est bon
pouvait encore être fondé.

La permière conception dit clairement que l'essence du bien n'a rien à voir avec
les faits, et par conséquent ne peut être expliquée par aucune proposition. S'il
existe une proposition qui exprime bien mon opinion, c'est la suivante : Est bon
ce que Dieu ordonne. » -Ludwig Wittgenstein, Cercle de vienne, "Sur l'éthique
de Schlick".

« Si je m'arrête à considérer ce que l'éthique devrait être réellement, à supposer


qu'une telle science existe, le résultat me semble tout à fait évident. Il me semble
évident que rien de ce que nous ne pourrions jamais penser ou dire ne pourrait
être cette chose, l'éthique ; que nous ne pouvons pas écrire un livre scientifique
qui traiterait d'un sujet intrinsèquement sublime et d'un niveau supérieur à
tous autres sujets. Je ne puis décrire mon sentiment à ce propos que par cette
métaphore : si un homme pouvait écrire un livre sur l'éthique qui fût réellement
un livre sur l'éthique, ce livre, comme une explosion, anéantirait tous les autres
livres de ce monde. Nos mots, tels que nous les employons en science, sont des

1816
vaisseaux qui ne sont capables que de contenir et de transmettre signification et
sens - signification et sens naturels. L'éthique, si elle existe, est surnaturelle,
alors que nos mots ne peuvent exprimer que des faits ; comme une tasse à thé
qui ne contiendra jamais d'eau que la valeur d'une tasse, quand bien même j'y
verserais un litre d'eau. J'ai dit que dans la mesure où il s'agit de faits et de
propositions, il y a seulement valeur relative, justesse, bien relatifs. Avant de
poursuivre, permettez-moi de l'illustrer par un exemple assez parlant. La route
correcte est celle qui conduit à un but que l'on a prédéterminé de façon
arbitraire et il est tout à fait clair pour chacun de nous qu'il n'y a pas de sens à
parler d'une route correcte en dehors d'un tel but prédéterminé. Voyons
maintenant ce que nous pourrions entendre par l'expression : "la route
absolument correcte". Je pense que ce serait la route que chacun devrait
prendre, mû par une nécessité logique, dès qu'il la verrait, ou sinon il devrait
avoir honte. Similairement, le bien absolu, si toutefois c'est là un état de choses
susceptible de description, serait un état dont chacun, nécessairement,
poursuivrait la réalisation, indépendamment de ses goûts et inclinations, ou
dont on se sentirait coupable de ne pas poursuivre la réalisation. Et je tiens à
dire qu'un tel état de choses est une chimère. Aucun état de choses n'a, en soi, ce
que j'appellerais volontiers le pouvoir coercitif d'un juge absolu. » -Ludwig
Wittgenstein, Conférence sur l'Éthique, 1929, Folio Essais, p. 146-148.

« La difficulté, c'est de nous rendre compte du manque de fondement de nos


croyances. » -Ludwig Wittgenstein, De la certitude, 1951, fragments 158-166,
trad. J. Fauve, Gallimard, coll. tel.

« Le Tractatus logico-philosophicus de M. Wittgenstein, qu' il se révèle ou non


comme donnant la vérité définitive sur les sujets dont il traite, mérite
certainement, par son ampleur et sa portée et sa profondeur, d'être considéré
comme un événement important dans le monde philosophique. Partant des
principes de symbolisation et des relations nécessaires entre les mots et les
choses en tout langage, il applique le résultat de cette enquête à différents
départements de la philosophie traditionnelle, montrant dans chaque cas
comment la philosophie et les solutions traditionnelles naissent de l'ignorance
des principes de symbolisation et d'un usage erroné du langage. » (p.8)

« Le fait que rien ne peut être déduit d'une proposition atomique a des
applications intéressantes, par exemple à la causalité. Il ne peut y avoir, dans la
logique de Wittgenstein, de lien causal. » (p.16)
1817
-Avant-Propos de Bertrand Russell au Tractatus logico-philosophicus, in
Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, Éditions Gallimard,
Bibliothèque de philosophie, 1993 (1922 pour la première édition britannique),
122 pages.

« Le monde consiste en faits. » -Avant-Propos de Bertrand Russell au Tractatus


logico-philosophicus, in Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus,
Éditions Gallimard, Bibliothèque de philosophie, 1993 (1922 pour la première
édition britannique), 122 pages, p.12.

« Le livre traite des problèmes philosophiques, et montre – à ce que je crois -


que leur formulation repose sur une mauvaise compréhension de la logique de
notre langue. On pourrait résumer en quelque sorte tout le sens du livre en ces
termes : tout ce qui proprement peut être dit peut être dit clairement, et sur ce
dont on ne peut parler, il faut garder le silence. » -Ludwig Wittgenstein,
Tractatus logico-philosophicus, Éditions Gallimard, Bibliothèque de
philosophie, 1993 (1922 pour la première édition britannique), 122 pages, p.26.

« L'éthique ne se laisse pas énoncer. L'éthique est transcendantale. »

« Il y a assurément de l'indicible. Il se montre, c'est le mystique. »

« Ce qui est mystique, ce n’est pas comment est le monde, mais le fait qu’il
soit. »

« Le sens du monde doit se trouver en dehors du monde. » -Ludwig


Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus.

« Il y a ainsi une profonde ironie à considérer l'œuvre de Wittgenstein: il voua


sa philosophie à la poursuite de la clarté, mais il tendit vers ce but d'une
manière qui verse parfois dans l'extrême obscurité. » -Hans-Johann Glock,
Qu'est-ce que la philosophie analytique ?, Gallimard, Folio essais, 2011, 545
pages, p.325.

« Mon ingénieur allemand est, je pense, stupide. Il pense qu’on ne peut rien
connaître d’empirique –je luis ai demandé d’admettre qu’il n’y avait pas de
rhinocéros dans la salle, mais il n’a pas voulu. » -Bertrand Russell, Lettre à
Lady Ottoline, 2 novembre 1911.

« Oui, Wittgenstein a été un grand événement dans ma vie –quoi qu’il puisse
advenir dans le futur […]. Je l’aime et je sens qu’il résoudra les problèmes que
1818
je suis trop vieux pour résoudre –tous les types de problème que mon travail
engendre, mais qui nécessitent un esprit frais et la vigueur de la jeunesse. Il est
le jeune homme que j’espérais. » -Bertrand Russell, Lettre à Lady Ottoline.

« On sait que d’une part Wittgenstein s’était plaint qu’absolument personne (ni
Frege, ni même Russell –voir sa préface !), n’avait compris son [Tractatus
Logico-Philosophicus] et d’autre part que selon lui le sens du livre était en fait
éthique :

« Le sens du livre est éthique […] En effet, mon livre trace les limites de
l’Éthique, pour ainsi dire de l’intérieur, et je suis convaincu qu’elle ne peuvent
être tracées rigoureusement que de cette façon. » -Lettre à Ludwig von Ficker,
octobre ou novembre 1919. » (p.420)

« Le Tractatus présente plus d’un point commun avec l’Éthique [de Spinoza]. »
(note 6 p.420)

-Frédéric Nef, Qu’est-ce que la métaphysique ?, Gallimard, coll. Folio essais,


2004, 1062 pages.

« Le philosophe juif Wittgenstein s’est trouvé un moment élève dans la classe


que Hitler à la Realschule de Linz en 1904-1905, et il a même entretenu avec lui
des relations d’amitié. » -François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie,
Paris, Éditions La Découverte, 2005, 480 pages, p.344.

« Le philosophe qui a écrit « J’anéantis, j’anéantis, j’anéantis » ne rejetait pas


l’idée que quelque chose de neuf pourrait être édifié une fois que les restes
d’une culture en décomposition auraient été nettoyés. En cela assez semblable à
certains gauchistes, il semble avoir vu quelque chose d’heureux dans le
balayage drastique d’un ordre social obsolète qui avait eu lieu en Russie. Ses
projets d’installation en Russie peuvent aussi être vus sous ce jour. Parmi ses
amis de Cambridge pendant les années trente, beaucoup avaient une orientation
marxiste marquée. La seule revue que je l’ai vu lire sans déplaisir était The
New Statesman and Nation, beaucoup plus en accord avec le goût des
intellectuels de gauche qu’avec celui des conservateurs apolitiques. » -G. H.
von Wright, Le Mythe du progrès, traduit du suédois par Philippe Quesne,
L’Arche Éditeur, 2000, pp. 125-126.

http://hydra.forumactif.org/t3107-ludwig-wittgenstein-tractatus-logico-
philosophicus?highlight=wittgenstein
1819
http://www.amazon.fr/Wittgenstein-devoir-g%C3%A9nie-Ray-Monk-
ebook/dp/B005P280QO/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1457555348&sr=8-
1&keywords=R.+monk+wittgenstein

http://www.amazon.fr/Wittgenstein-Georg-Henrik-von-
Wright/dp/2905670185/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=1444929755&sr=
1-3

http://www.amazon.fr/Introduction-Wittgensteins-Tractatus-G-
Anscombe/dp/189031854X/ref=asap_bc?ie=UTF8

https://www.amazon.fr/Conf%C3%A9rence-sur-l%C3%A9thique-Wittgenstein-
Ludwig/dp/2070355187/ref=sr_1_10?ie=UTF8&qid=1470936881&sr=8-
10&keywords=Wittgenstein.

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religieuse-Conf%C3%A9rence/dp/2070326888/ref=asap_bc?ie=UTF8

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Ludwig/dp/2070141470/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1470936881&sr=8-
1&keywords=Wittgenstein.

https://www.amazon.fr/Recherches-philosophiques-Wittgenstein-Sandra-
Laugier/dp/271161882X/ref=sr_1_31?ie=UTF8&qid=1470937080&sr=8-
31&keywords=Wittgenstein.

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Wittgenstein/dp/2080708155/ref=asap_bc?ie=UTF8

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Ludwig/dp/2070780880/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1470937355&sr=
1-1&keywords=wittgenstein+de+la+certitude

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Wittgenstein/dp/2070127656/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=31QGdzB2Xr
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philosophiques/dp/2700736524/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1470936711&sr=8-
1&keywords=David+Pears%2C+La+pens%C3%A9e-Wittgenstein.
1820
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Chauvir%C3%A9/dp/2729874372/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1470937588&sr=
8-1&keywords=lectures+de+Wittgenstein

https://www.amazon.fr/Foucault-Wittgenstein-Subjectivit%C3%A9-politique-
%C3%A9thique/dp/2271089379/ref=sr_1_16?ie=UTF8&qid=1470936881&sr=
8-16&keywords=Wittgenstein.

http://www.amazon.fr/Sup%C3%A9riorit%C3%A9-l%C3%A9thique-Paul-
Audi/dp/2081200783/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1444681621&sr=1-
1&keywords=Sup%C3%A9riorit%C3%A9+de+l%E2%80%99%C3%A9thique

Alfred Jules Ayer (1910-1989): « La présence d'un symbole éthique dans une
proposition n'ajoute rien à son contenu factuel. Ainsi si je dis à quelqu'un : «
Vous avez mal agi en volant cet argent. » En ajoutant que cette action est
mauvaise, je ne formule aucun autre jugement sur elle, je manifeste
simplement ma désapprobation de la chose. C'est comme si j'avais dit « vous
avez volé cet argent » sur un ton particulier d'horreur ou si je l'avais écrit avec
l'addition de quelque marque spéciale d'exclamation. Le ton, ou la marque
de l'exclamation n'ajoute rien au sens littéral de la phrase. Il sert simplement
à montrer que son expression est accompagnée de certains sentiments chez le
sujet parlant.

Si maintenant je généralise mon premier jugement et dis « voler de l'argent est


mal », je produis un énoncé qui n'a aucun contenu factuel, n'exprime aucune
proposition qui pourra être dite vraie ou fausse. C'est comme si j'avais écrit : «
Voler de l'argent !! » où la forme et l'abondance des signes d'exclamation
montrent, par une convention convenable, qu'une espèce spéciale de
désapprobation morale est le sentiment qui est exprimé. Il est clair qu'il n'est
rien dit ici qui puisse être vrai ou faux. Une autre personne peut être en
désaccord avec moi sur le caractère mauvais du vol, dans le sens qu'elle peut
n'avoir pas les mêmes sentiments que moi sur le vol, et elle peut me quereller
sur mes sentiments moraux. Mais elle ne peut pas, exactement parlant, me
contredire, car en disant qu'un certain type d'action est bien ou mal, je
ne formule aucun jugement factuel, pas même un jugement sur mon propre état
d'esprit. J'exprime simplement certains jugements moraux. Et celui qui est
censé me contredire ne fait qu'exprimer ses sentiments moraux. Il n'y a donc

1821
absolument pas de sens à demander qui de nous a raison. Car aucun de nous
n'exprime une proposition authentique. […]

Il est bon de remarquer que les termes éthiques ne servent pas seulement à
exprimer des sentiments. Ils sont destinés aussi à susciter les sentiments, et ainsi
à stimuler l'action. En effet, quelques-uns d'entre eux sont employés de manière
à donner aux phrases dans lesquelles ils se rencontrent l'effet de
commandements. Ainsi la phrase : « C'est votre devoir de dire la vérité » peut
être regardée à la fois comme l'expression d'une certaine sorte de sentiment
éthique sur la véracité et comme l'expression du commandement : « Dites la
vérité. » […] En fait, nous pouvons définir le sens des différents mots éthiques
en termes de sentiments divers qu'ils ont l'habitude d'exprimer, et en même
temps par rapport aux différentes réponses qu'ils sont destinés à provoquer.

Nous pouvons maintenant voir pourquoi il est impossible de trouver un


critère pour déterminer la validité des jugements éthiques. Ce n'est pas parce
qu'ils ont une valeur « absolue », qui serait mystérieusement indépendante de
l'expérience des sens, mais parce qu'ils n'ont pas de valeur objective d'aucune
sorte. […] Et nous avons vu que les phrases qui expriment simplement les
jugements moraux ne disent rien. Ce sont de pures expressions de sentiment, et
comme telles, elles ne tombent pas dans la catégorie du vrai et du faux. » -A. J.
Ayer, Langage, vérité et logique, 1936, éd. Flammarion, p.150-152.

John Leslie Mackie (1917-1981) : http://hydra.forumactif.org/t3339-j-l-mackie-


ethics-inventing-right-and-wrong#4157

Karl Popper (1902-1994) : « Nous exigeons que l'État limite la liberté dans une
certaine mesure, de telle sorte que la liberté de chacun soit protégée par la loi*.
Personne ne doit être à la merci d'autres, mais tous doivent avoir le droit d'être
protégé par l'État. Je crois que ces considérations, visant initialement le
domaine de la force brute et de l'intimidation physique, doivent aussi être
appliquées au domaine économique. […] Nous devons construire des
institutions sociales, imposées par l’État, pour protéger les économiquement
faibles des économiquement forts. » -Karl Popper, La société ouverte et ses
ennemis, 1945, ch.17, section 3.

"Je tenterai de montrer que les divergences qui séparent ces deux écoles,
empiriste et rationaliste, sont moins importantes que les similitudes qu'elles
laissent apparaître, mais aussi qu'elles sont toutes deux dans l'erreur. Telle est
1822
en effet ma position, bien que je sois moi-même un empiriste et un rationaliste
d'un style particulier. Je considère que si l'observation et la raison ont chacune
un rôle important à remplir, leurs fonctions respectives diffèrent néanmoins de
celles que leurs classiques champions leur ont assignées. Je chercherai à
montrer, tout particulièrement, que ni l'observation ni la raison ne peuvent être
définies comme la source de la connaissance, ainsi qu'on a prétendu le faire
jusqu'ici." (p.16-17)

"Ce problème relève de la théorie de la connaissance ou de l'épistémologie,


domaines qui passent pour les plus abstraits, les plus abscons et les plus vains
de la philosophie pure." (p.19)

"Je pense que Russell a raison d'attribuer à l'épistémologie des conséquences


pratiques effectives pour la science, la morale et même pour la politique. Il
explique en effet que le relativisme épistémologique ou l'idée qu'il n'existe pas
de vérité objective, tout comme le pragmatisme épistémologique, c'est-à-dire
l'idée que la vérité est synonyme d'utilité, nourrissent d'étroits rapports avec
l'autoritarisme et les conceptions totalitaires " (p.20)

-Karl Popper, Des sources de la connaissance et de l'ignorance, Paris, Éditions


Payot & Rivages, 1998 (1985 pour la première édition française, 1963 pour la
première édition britannique), 157 pages.

« [Karl] Popper n'avait pas tout oublié du socialisme de sa jeunesse. [...] Il


rêvait de réunir libéraux et socialistes. » -Serge Audier, L'histoire des idées
comme philosophie politique.

« La logique de la découverte scientifique [de Karl Popper] refuse à la fois


Hume et Kant. » -Jean-Michel Besnier, Les Théories de la connaissance, PUF,
coll « Que sais-je ? », 2011 (2005 pour la première édition), 128 pages, p.56.

"Dans la mesure où elle constitue l'objet principal de Misère de l'historicisme et


par suite l'axe central de la nécessaire redéfinition de la méthodologie des
sciences sociales, la critique popperienne du holisme se révèle bien plus
soutenue et argumentée que chez les autres « pères fondateurs » de
l'individualisme méthodologique. Ramenant sans cesse les thèmes holistes aux
présupposés et finalités idéologiques qui les imprègnent (leur connexion avec le
collectivisme et le totalitarisme lui paraît clairement établie), Popper ne se
contente pas de dévoiler et dénoncer l'illusion épistémologique qu'implique la

1823
description des phénomènes sociaux en termes de touts: il met
fondamentalement en cause le postulat selon lequel « le groupe social est plus
que la simple somme totale de ses membres et il est aussi plus que la simple
somme totale des relations purement personnelles qui existent à n'importe quel
moment entre n'importe lesquels de ses membres ».
La réfutation commence en récusant la pertinence même de l'usage de la notion
de tout qui paraît des plus ambiguës et imprécises à Popper lorsqu'on la
transfère dans le domaine des sciences sociales -alors qu'il apparaît légitime en
sciences naturelles à propos des organismes vivants. S'agissant du social, la
description d'un phénomène comme constituant un tout est d'autant plus
arbitraire qu'elle résulte toujours d'un procédé d'abstraction sélectionnant
certains aspects du réel au détriment d'autres: l'idée même qu'il pourrait exister
des touts sociaux précisément isolables est dépourvue de toute validité
scientifique. Par suite, affirmer que le tout est plus que la somme de ses parties
ou bien renvoie à la plus plate des banalités puisque personne n'a jamais
contesté que dans la description d'un phénomène, il faille tenir compte des
relations entre les parties et composantes élémentaires -ou bien revient à faire
du tout social un nouvel objet réel, autonome, délimitable et transcendant, et
l'on se retrouve en plein confusionnisme dissimulant le fait majeur que les
phénomènes (ou touts) sociaux ne sont alors jamais que des constructions
abstraites spontanées de l'esprit humain autant dénuées de rigueur que d'assise
empirique." (p.73-74)

"Cette approche « nominaliste » (selon ses propres termes) ne limite cependant


pas les atomes individuels au strict état d'êtres isolés et séparés les uns des
autres à la manière de monades autosuffisantes. Sans cesse, Popper souligne
que les atomes en cause sont des individus engagés dans de multiples relations
de réciprocité agissante avec les autres et que c'est à ce niveau que se trouvent
les éléments concrets obtenus par la réduction analytique." (p.76)
-Alain Laurent, L'individualisme méthodologique, PUF, coll.Que sais-je ?, 1994,
128 pages.

https://www.amazon.fr/logique-d%C3%A9couverte-scientifique-Karl-
Popper/dp/2228902012/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1476187521&sr=8-
1&keywords=la+logique+de+la+d%C3%A9couverte+scientifique

1824
https://www.amazon.fr/Post-scriptum-logique-d%C3%A9couverte-scientifique-
r%C3%A9alisme/dp/2705660372/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1476187521&sr=
8-3&keywords=la+logique+de+la+d%C3%A9couverte+scientifique

https://www.amazon.fr/Post-scriptum-logique-d%C3%A9couverte-scientifique-
lind%C3%A9terminisme/dp/2705659811/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=14761875
21&sr=8-4&keywords=la+logique+de+la+d%C3%A9couverte+scientifique

https://www.amazon.fr/Recherche-dun-monde-meilleur-
conf%C3%A9rences/dp/2251200193/ref=sr_1_sc_1?ie=UTF8&qid=148597397
7&sr=8-1-spell&keywords=karl+poper+%C3%A0+la+recherc

https://www.amazon.fr/gp/product/2081233649/ref=pd_sim_14_2?ie=UTF8&ps
c=1&refRID=HH1JGFP618V18ZNF9BX7

https://www.amazon.fr/gp/product/2251200193/ref=pd_sim_14_28?ie=UTF8&
psc=1&refRID=HH1JGFP618V18ZNF9BX7

Paul Feyerabend (1924-1994): “Ancien des jeunesses hitlériennes et lieutenant


sur le front de l’Est, Feyerabend tenta d’expier son passé nazi par une
surenchère de contestation de toute forme d’ordre établi.” -Techno-Prêtre,
“Michel Onfray, l’ignorance et la médiocrité”, 15 avril 2020: http://rage-
culture.com/michel-onfray-lignorance-et-la-mediocrite/

"Pour son collègue Paul Feyerabend, l’enfant terrible de la philosophie et de la


sociologie des sciences qui récusa entièrement le « rationalisme critique » de
son maître Karl Popper, les vérités établies par la science ne seraient pas plus
solides que les représentations du monde que véhiculent les mythes." -Raymond
Boudon, « Misère du relativisme », Commentaire, 2006/4 (Numéro 116), p. 876-
892. DOI : 10.3917/comm.116.0876. URL : https://www.cairn.info/revue-
commentaire-2006-4-page-876.htm

Carl Menger (1840-1921) et la formation de l’École Autrichienne


d’économie : « Le conflit de points de vue à propos de la nature de notre
science, de ses tâches et de ses frontières [...], commence par la reconnaissance
de plus en plus évidente que la théorie économique telle que l'ont laissée Adam
Smith et ses disciples manque de base assurée, que même ses problèmes les plus
élémentaires n'ont pas trouvé de solution satisfaisante, et qu'elle est en
particulier une base insuffisante pour les sciences pratiques de l'économie

1825
nationale et pour la pratique dans ce domaine. » -Carl Menger, Recherches sur
la méthode des sciences sociales et de l'économie politique en particulier, 1883.

« Le problème des membres de l’École Autrichienne c’est que ce sont


fondamentalement les héritiers les plus purs du libéralisme du XVIIIème siècle
[et donc ils ne comprennent pas l'importance de l'Etat]. » -Pierre-Yves
Rougeyron.

"[Austrian economists] attempt -von Mises particularly- to substitute economics


for philosophy. That cannot be done." -Ayn Rand, Answers, New American
Library, 2005, 241 pages, p.43.

http://www.amazon.fr/Carl-Menger-entre-Aristote-
Hayek/dp/2271066395/ref=sr_1_15?s=books&ie=UTF8&qid=1450479630&sr=
1-15&keywords=hayek

http://www.amazon.fr/Recherches-sciences-sociales-politique-
particulier/dp/2713222702/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1450479785&s
r=1-2&keywords=Carl+Menger

http://www.amazon.fr/L%C3%A9cole-autrichienne-d%C3%A9conomie-autre-
h%C3%A9t%C3%A9rodoxie/dp/2757401637/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpI
D=51LhbLtG9GL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRI
D=19TBVBT06AE6X200CZJ7

http://hydra.forumactif.org/t1947-carl-menger-principles-of-economics-les-
origines-de-la-monnaie-la-rupture-de-carl-menger-avec-l-economie-classique-
de-pierre-le-masne#2644

Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914): "Eugen von Böhm-Bawerk was born


(1851) into one of the aristocratic-bureaucratic families which were the real
rulers of Imperial Austria, his father being at the time a high official in Moravia.
When he was still very young his father died and the family moved to Vienna
where, except for nine years of teaching at the University of Innsbruck (1880-
1889), he spent most of the rest of his life. After taking a course of law at the
University of Vienna he entered the Finance Ministry in 1872. In 1875 he took a
three-year leave of absence to study economics with some of the outstanding
German professors of the day. From this time on, his career was a mixture of
government service and university teaching. He served as Finance Minister in
three different cabinets (1895, 1897-1898, 1900-1904). From 1904 until his
1826
death in 1914 he held a chair in political economy at the University of Vienna.
As an economist, Böhm-Bawerk was from the first a champion of the new
subjective value or marginal utility theory which his somewhat older
contemporary, Carl Menger, had been the first to enunciate in Austria. Böhm-
Bawerk, along with Menger and Friedrich Wieser (whose sister he married in
1880), was thus one of the founders of the so-called Austrian school. His two
major works, Capital and Interest and The Positive Theory of Capital,
were published in 1884 and 1889 respectively, before he was forty years old;
and as the subjective value theory spread geo-graphically and gained in
popularity, Böhm-Bawerk's fame grew by leaps and bounds. Outside of his own
country he came to be much better known than Menger or Wieser, and by the
turn of the century it is probable that his international reputation was greater
than that of any other living economist, with the possible exception of Alfred
Marshall. Only in Britain, where the authority of Marshall and Edgeworth (at
Cambridge and Oxford respectively) was virtually unchallenged, did Böhm-
Bawerk fail to attract a substantial following; while in countries as widely
separated as Sweden, the United States, and Japan his influence upon academic
economics was profound." (p.VII-VIII)

"When Karl Marx and the Close of His System was published in 1896 it was an
immediate success and soon became what might almost be called the official
answer of the economics profession to Marx and the Marxian school." (p.IX)

-Paul M. Sweezy, introduction to Eugen von Böhm-Bawerk, Karl Marx and the
Close of His System, New York, 1949 (1896 pour la première édition
autrichienne), 224 pages.

Cycle du XXème siècle : « Un siècle de barbarie sans précédent commence. Et


la science sera à son service. » -Friedrich Nietzsche, La Volonté de Puissance,
1888.

"Parmi les philosophes qui ont le plus compté au cours du XXe siècle, bien peu
ont été des défenseurs de la raison et des Lumières ; et certains de ceux qui ont
exercé et continuent, encore aujourd’hui, à exercer l’influence la plus
considérable (comme c’est le cas de Nietzsche et Heidegger) ont même été ses
adversaires déclarés."

1827
"Le moins que l’on puisse dire est que la philosophie française, dans la
deuxième moitié du dernier siècle, ne s’est pas beaucoup mobilisée pour la
défense de ce que Sternhell appelle « les lumières franco-kantiennes » et a
emprunté plutôt, sous des formes diverses, le chemin de la deuxième modernité."

-Jacques Bouveresse, "Les deux modernités et la reconstruction de la raison",


avant-propos à Claudine Tiercelin (dir.), La reconstruction de la raison.
Dialogues avec Jacques Bouveresse, Paris, Collège de France, coll. Philosophie
de la connaissance, 2014.

« Aujourd'hui, l'histoire du XXème siècle est achevée: chacun sait qu'elle débuta
dans l'enthousiasme aberrant de la mobilisation générale de 1914 pour
s'achever dans le triomphe ambigu de 1989, avec la chute du mur de Berlin et
l'effondrement de l'Union soviétique. » -Nicolas Baverez, préface à Raymond
Aron, Penser la liberté, penser la démocratie, Gallimard, coll. Quarto, 2005,
1815 pages, p.9.

« Le XXème siècle est une machine à broyer les individualités fortes, les pensées
libres et les illusions. » -Max Gallo, Une femme rebelle : vie et mort de Rosa
Luxembourg, Fayard, 2000, 383 pages, p.364.

« On a commencé le XXe siècle avec 33 % de la population mondiale vivant


dans l’hémisphère nord, c’est-à-dire de Vancouver jusqu’à Vladivostok. Vous
avez une idée de combien nous représentons, actuellement ? On est à 15 %
maintenant ; 85 % de la population mondiale vit ailleurs. » -Gérard Chaliand,
Entretien, site Le Comptoir, 24 mai 2017.

« Il n’est pas permis de dire que c’était mieux avant. Avec ses totalitarismes,
avec ses deux guerres mondiales, avec le goulag et la Shoah, avec les drames à
répétition de la fin du colonialisme, avec le Cambodge et le Rwanda, avec la
crise de 1929, avec la montée inexorable du chômage et la crainte d’un retour
aux désastres de l’inflation qui avait frappé l’Allemagne dans les années 1920,
avec le doute soudain jeté sur la marche de l’histoire, le XXe siècle ne laissera
pas le souvenir d’une époque estimable et heureuse.

Le XIXe siècle a été un siècle, à beaucoup d’égards, injuste et cruel, mais il était
au moins porté par l’espérance. Le mot qui revient le plus souvent chez Hugo
est le mot « aurore » et le communisme de Karl Marx promettait à l’humanité
des lendemains qui chantent. Le monde vivait à crédit. On sait ce que sont

1828
devenues ces espérances. » -Jean d’Ormesson, « Quelques nuances de noir, et
un peu d’espérance », Le Figaro, 9 mars 2013, repris dans Jean d’Ormesson,
Dieu, les affaires et nous. Chronique d’un demi-siècle, Robert Laffont, coll.
Pocket, 2015, 846 pages, p.538.

« Le XXe siècle a vu, pour la première fois, dans des pays de plus en plus
nombreux, les populations urbaines devenir plus nombreux que les populations
rurales.
Le mouvement de concentration humaine dans la société industrielle a donné
naissance à l'ère des masses. La politique se fera de moins en moins dans le
secret des cabinets: le suffrage universel aidant, elle exige l'assentiment des
foules. C'est une particularité du XXe siècle: les trois grandes idéologies qui
s'affrontent, la démocratie, le fascisme et le communisme, se réclament du
peuple, remplaçant, balayant les idéologies élitistes du XIXe siècle, le
libéralisme des notables ou la Contre-Révolution. » -Michel Winock, Le XXème
siècle idéologique et politique, Éditions Perrin, coll. Tempus, 2009, 540 pages,
p.16.

« Technologique, le XXe siècle apporte aux hommes comme aux femmes une
santé meilleure et une longévité accrue (pensons à la victoire sur la mort des
enfants), de plus hauts niveaux d'éducation et de nouveaux modes de vie
marqués par l'urbanisation et la multiplication de biens et de services.
Globalement peut-être, malgré les méfaits et les inégalités des sociétés de
consommation, une vie meilleure, moins vouée au travail et à la peine. Pour les
femmes, cela se traduit d'abord par une transformation du travail ménager et du
régime de la maternité, qui diminue le temps nécessaire à ces activités de
reproduction et leur permet une plus grande participation à la vie sociale. Mais,
pour celles qui furent longtemps prises dans le filet de la communauté naturelle
qu'est la famille et tenues en dehors de la dynamique des droits individuels
déclenchée par la Révolution française, la modernité est plus encore la conquête
d'une position de sujet, individu à part entière et citoyenne, la conquête d'une
autonomie économique, juridique et symbolique par rapport aux pères et aux
maris. » -Françoise Thébaud, Introduction in Histoire des femmes en Occident,
tome 5 "Le XXe siècle", Perrin, 2002 (1992 pour la première édition), 765
pages, p.70-71.

“It has been a great century for philosophy, perhaps the greatest period since
the 5th-4th centuries BC. Even comparing the situation when I came in, in the
1829
late 40s, with the situation today, I seem to see improvement. Many great issues
seem to me now to be at least more thoroughly canvassed and understood than
they were in the past. Important bridges have been built, to logic and
mathematics on the one hand, and to the natural sciences, on the other, and
even between moral philosophy and evolutionary theory.” -David M.
Armstrong, Interview in In Matters of the Mind: Poems, Essays and Interviews
in Honour of Leonie Kramer, eds. Lee Jobling and Catherine Runcie. Sydney:
University of Sydney, 2001: pp. 322-332.

La guerre russo-japonaise (8 février 1904 au 5 septembre 1905) :


https://www.amazon.fr/Tide-Sunrise-History-Russo-Japanese-1904-
05/dp/0714682349/ref=la_B00DXKZ4QE_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=14998
51585&sr=1-1

Guillaume II de Hohenzollern (1859-1941) et l’Allemagne avant 1914: « Pas


de pardon ! Pas de prisonniers ! De même que les Huns ont acquis, il y a mille
ans, une réputation qu’ils ont toujours, aujourd’hui, de même plus veillerez à ce
que le nom « Allemand » inspire pendant mille ans une telle crainte aux Chinois
qu’aucun Chinois n’osera regarder un Allemand droit dans les yeux. » -
Guillaume II, extrait du “Discours des Huns” aux soldats allemands mobilisés
pour l’expédition internationale contre la révolte des Boxers, 27 juillet 1900.
Cité dans Michael Balfour, The Kaiser and his Times, Londres, The Cresset
Press, 1964, p.226-227.

« Ce n’est pas la soif de conquête qui nous anime ; ce qui nous enflamme, c’est
la volonté ferme de conserver pour nous et toutes les générations à venir la
place où Dieu nous a mis. » -Guillaume II, discours prononcé le 4 août 1914
devant le Reichstag.

« L'importance économique de l'empire colonial allemand, qui n'existerait que


trente ans (1884-1914), fut modeste. En 1914, la population blanche totale de
toutes les colonies allemandes n'atteignait pas 25 000 habitants dont 20 000
étaient des Allemands. Ce nombre était inférieur à la population d'une ville de
province et il était également inférieur au nombre d'Allemands qui émigraient
chaque année aux Etats-Unis. En 1914, le commerce total avec les colonies
représentait un 0.5% du total du commerce extérieur allemand. » -Henri
Wesseling, Les empires coloniaux européens (1815-1919), Éditions Gallimard,
2009, 554 pages, p.263.

1830
"An exemple of a case that contradicts offensive realism involves Germany in
1905. At the time Germany was the most powerful state in Europe. Its main
rivals on the continent were France and Russia, which some fifteen years earlier
had formed an alliance to contain the Germans. The United Kingdom had a tiny
army at the time because it was counting on France and Russia to keep
Germany at bay. When Japan unexpectedly inflicted a devastating defeat on
Russia between 1904 and 1905, which temporarily knocked Russia out of the
European balance of power, France was left standing virtually alone against
mighty Germany. Here was an excellent opportunity for Germany to crush
France and take a giant step toward achieving hegemony in Europe. It surely
made more sense for Germany to go to war in 1905 than in 1914. But Germany
did not even seriously consider going to war in 1905, which contradicts what
offensive realism would predict."
-John J. Mearsheimer, The Tragedy of Great Power Politics, W. W. Norton &
Company, 2001, 448 pages.

https://www.amazon.fr/Guillaume-II-Kaiser-C-
Baechler/dp/2213615578/ref=tmm_hrd_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1508
952471&sr=1-2

La Première Guerre Mondiale (1914-1918) : « Quiconque n’est pas


complètement étourdi par les clameurs du moment, ou n’a pas intérêt à égarer
le peuple allemand, comprendra qu’une guerre entre l’Allemagne et la Russie
doit nécessairement naître de la guerre de 1870, aussi nécessairement que la
guerre de 1870 est née de la guerre de 1866. Je dis nécessairement, fatalement,
sauf au cas peu probable où une révolution éclaterait auparavant en Russie.
Hors ce cas peu probable, la guerre entre l’Allemagne et la Russie peut d’ores
et déjà être considérée comme un fait accompli. » -Karl Marx, Lettre à Engels, 2
septembre 1870.

« La conception du droit n’est pas une, ne peut pas être une partout […]

La seule solution dans bien des cas sera toujours la guerre. Entraînera-t-elle
dans les campagnes futures plus de maux que dans le passé ! C’est peu
vraisemblable. Les progrès de l’armement, comme ceux des moyens
stratégiques, ont surtout pour effet de substituer à une destruction des forces
matérielles du vaincu, une destruction de ses forces morales. Aussi la

1831
proportion des victimes diminue-t-elle, en quelque sorte, à mesure qu’augmente
la puissance des armes par lesquelles elles sont frappées.

Il est vraisemblable dans le domaine des grandes luttes collectives, comme


presque partout ailleurs, l’avenir ne sera qu’une répétition plus ou moins exacte
de ce qui a été. Quels sont donc les ravages que fait la guerre ? C’est une élite
qui tombe sur les champs de bataille, alors que les malingres restent chez eux. »
-Le Capitaine Constantin, « Du rôle sociologique de la guerre et le sentiment
national », Publications de la Société Linnéenne de Lyon, Année 1909, 28, pp.
45-52.

« [Parmi les mobilisés] la France [perd] 1.3 million d'hommes, soit 10% de sa
population active masculine et plus de 3% de sa population totale, l'Allemagne
près de 3% avec 1.8 million d'hommes, l'Italie et le Royaume-Uni environ 750
000 soldats chacun. » (Françoise Thébaud, "La Grande Guerre. Le triomphe de
la division sexuelle.", in Françoise Thébaud (dir.), Histoire des femmes en
Occident, tome 5 "Le XXe siècle", Perrin, 2002 (1992 pour la première édition),
765 pages, p.119).

« Le 11 novembre 1918, le monde d'hier n'était plus que ruine. Quatre grands
empires avaient mordu la poussière: l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Russie
et l'Empire ottoman avaient sombré. » -Christopher Booker & Richard North,
La Grande Dissimulation, L'Artilleur, coll. "Interventions", 2016 (2003 pour la
première édition anglaise), 832 pages, p.27.

« La guerre de 1914 marque la fin du XIXe siècle et l'entrée dans le XXe siècle
pour trois raisons: elle met fin à l'hégémonie européenne dans le monde,
désormais dominé par la puissance américaine et la révolution soviétique ; elle
ouvre la voie à une société d'inflation qui contraste avec la société stable du
XIXe ; elle pose enfin à la France des problèmes politiques nouveaux, qui
relèguent au second plan ceux du début du siècle. » -Antoine Prost, Petite
histoire de la France au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2005 (1979 pour la
première édition), 153 pages, p.18.

« On dit généralement que le XIXe siècle s'achève en 1914. On peut dès lors
considérer la Grande Guerre comme le point d'orgue des idéologies du XIXe
siècle, la victoire du grand mouvement national et libéral, dont le coup d'envoi
avait été donné par la Révolution française.
Le mouvement des nationalités visait à la fondation des Etats-nations contre les
1832
empires ; le mouvement libéral, lui, à la fin des absolutismes. En 1918, la fin de
la guerre mondiale consacre la fin des empires (notamment celle de l'Empire
ottoman et celle de l'Empire austro-hongrois), au profit du principe des
nationalités, en même temps que la défaite des Empires centraux consacre la fin
définitive des "anciens régimes", avec l'installation de régimes plus ou moins
démocratiques (exception faite de la Russie, nous y reviendrons).
Si l'on prend l'exemple des Etats successeurs de l'Empire austro-hongrois, on
voit que le principe des nationalités a triomphé avec la naissance ou la
renaissance de la Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie (en
attendant son implosion à la fin du siècle), tandis que l'Autriche et la Hongrie
sont réduites à la portion congrue.
Ces cinq Etats sont des démocraties: l'Autriche est devenue une république
fédérale ; la Hongrie, après la tentative révolutionnaire de Bela Kun, se donne à
partir de 1921 les apparences de l'Etat de droit (élections libres, régime
parlementaire, pluralisme) ; la Yougoslavie (royaume des Serbes, Croates et
Slovènes) se dote par la Constitution de 1921 d'un régime parlementaire ; la
Pologne ressuscitée adopte des institutions démocratiques, dans le cadre d'une
IIe République, par la Constitution de 1921 imitée de celle de la France ; enfin
la Tchécoslovaquie adopte une constitution en 1920, copiée elle aussi sur le
modèle français.
Si l'on ajoute à ces exemples ceux de l'Allemagne, où la république de Weimar
succède au IIe Reich ; de l'Italie, où le suffrage universel est définitivement
adopté, on le voit: le double principe national et libéral démocratique triomphe
en Europe. Le XIXe siècle, à cet égard, est bien terminé.
Cependant, la victoire de la démocratie pluraliste n'est qu'une apparence. Deux
défis lui sont lancés, celui de la révolution bolchevique, qui, contre toute attente,
réussit à mettre en place un régime de type socialiste, et celui de l'Italie
mussolinienne, qui, dès 1922, remet en question les fondements de l'Etat libéral
et démocratique. S'engage alors une guerre idéologique entre trois courants de
pensée, trois systèmes antagonistes. » (pp.17-18)

-Michel Winock, Le XXème siècle idéologique et politique, Éditions Perrin, coll.


Tempus, 2009, 540 pages.

« Ce que Ludendorff a pu dénommer –à raison- la Première « Guerre totale » :


non seulement elle exigea une mobilisation sans précédent des énergies et des
ressources, mais –pour reprendre les termes du vainqueur de la bataille de
Tannenberg- elle concerna « non pas seulement les armées mais aussi les
1833
peuples ». » -Jean-Pierre Azéma, « La guerre », chapitre in Réné Rémond (dir.),
Pour une histoire politique, Seuil, coll. L’Univers historique, 1998, 400 pages,
pp.345-376, p.357.

« La première guerre mondiale, début de l’ère totalitaire. » -Denis de


Rougemont, L’amour et l’Occident, Livre VII « Le Mythe contre le Mariage »,
Plon, Bibliothèque 10/18, 1972 (1939 pour la première édition), 445 pages,
p.311.

« La Première Guerre mondiale, cette matrice de toutes les folies du XXème


siècle. » -Max Gallo, Une femme rebelle : vie et mort de Rosa Luxembourg,
Fayard, 2000, 383 pages, p.366.

« En 1914, les peuples et les gouvernements d’Europe, comme pris de vertige, se


sont précipités dans la Première Guerre Mondiale sans hostilité réelle. » -Carl
Schmitt, Théorie du partisan.

« Dans l'Europe occidentale (en particulier en Allemagne) et aux États-Unis


d'Amérique, presque toute la production fut remise aux mains de l'État
capitaliste pillard pendant la guerre. La bourgeoisie comprit qu'elle ne pouvait
obtenir la victoire que si la guerre criminelle était organisée au mieux. La
guerre actuelle ne nécessite pas seulement l'abandon d'argent, elle demande que
toute la production soit organisée pour la guerre, qu'il y ait un compte serré de
toutes choses afin que rien ne reste inutilisé et que toutes les forces soient
régulièrement réparties. Cela n’est possible que grâce à une administration
réunie et centralisée. La bourgeoisie européenne réalisa cela en mettant
presque toute la production à la disposition de son État pillard. On comprend
bien que cette production n’est pas organisée pour l’avantage de la classe
ouvrière, mais pour conduire la guerre pillarde et pour donner à la bourgeoisie
la possibilité de s'enrichir. Il n'y a rien d'étonnant qu’à la tête de ces travaux
forcés organisés se trouvent des généraux, des banquiers et de gros exploiteurs.
Il n'y a rien d’étonnant non plus que la classe ouvrière y soit exploitée, et les
ouvriers transformés en esclaves blancs, en serfs. D'un autre côté, si la classe
ouvrière brise là le régime capitaliste, il lui sera très facile de reprendre la
production et de l’organiser d'une nouvelle manière.

Elle doit en chasser les généraux et les banquiers et nommer partout de ses
propres hommes. Mais elle peut utiliser cet appareil de comptes, de contrôle et
d'administration que les pillards du capitalisme ont déjà créé. C’est pourquoi il
1834
est mille fois plus difficile aux ouvriers de l'Europe occidentale de commencer
(de détruire le formidable État bourgeois) ; mais il leur sera beaucoup plus
facile après de venir à bout de la production organisée déjà par la
bourgeoisie. » -Boukharine, Le programme des Communistes (Bolcheviks), IX.
La grande industrie au peuple travailleur (Nationalisation de l'industrie), 1918.

« La première guerre mondiale -et les années qui suivirent- apparaît comme
[...] le laboratoire où ont été expérimentés et mis au point les mécanismes et les
dispositifs fonctionnels de l'état d'exception comme paradigme de
gouvernement. » -Giorgio Agamben, État d'Exception. Homo Sacer, II,1,
Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, 153 pages, p.19.

« De 1803 à 1914, le franc (germinal) valait 290.25 milligrammes d’or,


l’inflation était quasi-nulle et l’État n’avait aucune difficulté à rembourser ses
dettes. Comment ? Eh bien c’est simple : en équilibrant son budget, il a fallu
une guerre mondiale pour qu’il ne soit plus en mesure de le faire. » -Guillaume
Nicoulaud, Protectionnisme, dévaluation et réindustrialisation : 3 erreurs de
Marine Le Pen, Contrepoints, 15 mars 2017.

« C’est le début de la Première Guerre mondiale [qui marque le]


commencement de l’étatisation de l’économie. » -Philippe Simonnot, 39 leçons
d'économie contemporaine, Gallimard, coll. folio.essais, 1998, 551 pages, p.325.

« La Grande Guerre a vu aussi l’État prendre le contrôle de l’appareil


productif. C’était la guerre totale. Ce qui préfigure l’interventionnisme
croissant de l’État dans l’économie par la suite. Ainsi, le président Herbert
Hoover, qui a fait preuve d’un très grand interventionnisme pendant la crise de
1929, a-t-il joué un rôle dans l’administration US durant cette guerre.

Le cours de l’histoire ne s’explique pas par un événement, fut-il aussi terrible


que la Grande Guerre. Cependant, celle-ci peut représenter un symbole, une
marche vers un état interventionniste financé par l’inflation. » -Vladimir
Vodarevski, La Première Guerre mondiale, début de l’interventionnisme,
www.contrepoints.org, 13 novembre 2017.

« Parce que la mobilisation prive villes et campagnes de main-d'oeuvre, raréfie


les capitaux et met fin au système de l'étalon-or, l'Etat alloue les ressources, fixe
les prix, contrôle importations et exportations. Il devient le principal moteur de
l'économie, sans toutefois disposer d'un corps de fonctionnaires préparés à cette

1835
tâche. Rien n'eût d'ailleurs été plus contraire à la vision du monde d'un
inspecteur des finances que de se risquer à mettre en péril l'équilibre budgétaire
ou la valeur du franc. La guerre fournit l'occasion à des individus, pour la
plupart étrangers au monde parlementaire et aux grands corps, d'intervenir non
seulement dans les débats économiques, mais plus encore dans la gestion de
l'économie nationale. Elle a ainsi contribué à l'expérimentation d'un mode de
régulation peu respectueux des principes marchands et à l'émergence de
nouvelles formes d'expertises. » (p.21)

« Bien que la plupart des institutions mises en place durant le conflit ont été
démantelées par le Bloc national (coalition de droite largement victorieuse lors
des législatives de 1919) l'esprit de la mobilisation perdure. » (p.23)
-François Denord, Le Néo-libéralisme à la française. Histoire d'une idéologie
politique, Éditions Agone, 2016 (2007 pour la première édition), 466 pages.

« Le XXe siècle connaît une augmentation spectaculaire de la part de la


richesse nationale que l’Etat parvient à prélever par l’impôt, et constitue à ce
titre une période sans précédent dans l’histoire de la fiscalité en France. C’est
dans le même temps une période d’apaisement des débats autour de l’impôt,
d’apparition de nouvelles logiques et de nouvelles justifications de l’imposition.

Des impôts motivés par des besoins extraordinaires

Prenant une place croissante dans l’économie, l’Etat a-t-il augmenté les
prélèvements pour faire face à des besoins ou à des demandes croissantes, ou
ses prestations ont-elles augmenté parce que de nouveaux outils fiscaux, plus
productifs, devenaient disponibles ? Les deux sont vrais : l’impôt sur le revenu
(dans sa partie progressive, Impôt Général sur le Revenu, IGR) naît en 1914,
mais ne représente pas alors un changement d’échelle : les contribuables
gagnant les revenus les plus élevés ont un taux moyen proche de 2 %, ce qui
reste dans la norme des taux effectifs d’imposition avant 1914. Les énormes
besoins liés à la guerre motivent de nouveaux impôts et provoquent un véritable
tournant : les « quatre vieilles » sont supprimées en 1917 et remplacées par une
imposition proportionnelle* sur les différents revenus (ou « cédules »), selon
une classification encore en vigueur aujourd’hui, système complété par l’IGR
imposant de manière progressive la somme de tous ces revenus. La plupart des
grandes hausses ultérieures de l’impôt correspondent à de nouveaux besoins de
financement : la nécessité de régler les pensions et les indemnisations des

1836
dommages liés à la guerre motive une hausse considérable de l’impôt sur le
revenu qui prend le 25 juin 1920 son aspect « moderne », avec des taux moyens
de plusieurs dizaines de pourcents. Suivent de nouvelles hausses en 1945 pour
financer les projets de la 1re Assemblée Constituante, ou encore en 1948. En
revanche, il apparaît que les impôts provisoires ou exceptionnels demeurent
après la période de crise. L’Etat ne s’est ainsi jamais désengagé après la
première guerre mondiale, et les impôts annoncés comme provisoires perdurent
et alimentent l’octroi de nouveaux services publics dont la demande est
croissante.

Vers l’impôt redistributif, des principes de justice contestés

Cette place croissante des services publics s’accompagne également d’une


évolution dans les justifications de l’imposition. En 1900, l’impôt n’est encore
envisagé que comme un financement collectif des dépenses régaliennes de
l’Etat, l’impôt étant à ce titre à peu près proportionnel. La première grande
atteinte à ce principe est votée par la Chambre « Bleu horizon » en 1920 qui
porte le taux marginal* supérieur de l’IGR (celui s’appliquant à la plus haute
tranche de revenus) à 50 % contre 2 % en 1915 ! Si ce taux atteint même 90 %
en 1924 (son maximum historique), le véritable changement d’échelle a été voté
par une Chambre de droite, à laquelle il est apparu qu’on ne pouvait demander
un effort fiscal important aux Français au lendemain de la guerre sans faire
contribuer les riches davantage. L’entre-deux-guerres est une période
d’incertitude, à la fois sur les barèmes qui bougent très rapidement (vote en
1924 d’un « double décime », soit d’une augmentation de 20 % de l’IGR en une
seule loi !), et sur le rôle de l’impôt. Les idées de la gauche selon lesquelles
l’impôt doit être un instrument de redistribution, de réduction des inégalités et
de financement de nouveaux services pour tous progressent dans les années
1920 et culminent au début du Front Populaire, qui bénéficie en arrivant au
pouvoir d’un instrument fiscal préparé par les radicaux et la droite. Par
opposition avec l’entre-deux-guerres, l’après-1945 est selon Thomas Piketty une
période d’impôt « apaisé », les barèmes ne varient plus guère, le taux marginal
d’imposition supérieur restant compris entre 55 % et 65 %. » -Jean-Édouard
Colliard, Claire Montialoux, « Une brève histoire de l'impôt », Regards croisés
sur l'économie, 2007/1 (n° 1), p. 56-65.

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes


mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers,
1837
d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins; descendus
au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies
et leurs sciences pures et appliquées, avec leurs grammaires, leurs
dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs
critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre
apparente est faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose. Nous
apercevions à travers l’épaisseur de l’histoire, les fantômes d’immenses navires
qui furent chargés de richesse et d’esprit. Nous ne pouvions pas les compter.
Mais ces naufrages, après tout, n’étaient pas notre affaire.

Élam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces
mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même.
Mais France, Angleterre, Russie... ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania
aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est
assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même
fragilité qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les oeuvres de Keats et
celles de Baudelaire rejoindre les oeuvres de Ménandre ne sont plus du tout
inconcevables : elles sont dans les journaux.

Ce n’est pas tout. La brûlante leçon est plus complète encore. Il n’a pas suffi à
notre génération d’apprendre par sa propre expérience comment les plus belles
choses et les plus antiques, et les plus formidables et les mieux ordonnées sont
périssables par accident; elle a vu, dans l’ordre de la pensée, du sens commun,
et du sentiment, se produire des phénomènes extraordinaires, des réalisations
brusques de paradoxes, des déceptions brutales de l’évid ence.

Je n’en citerai qu’un exemple : les grandes vertus des peuples allemands ont
engendré plus de maux que l’oisiveté jamais n’a créé de vices. Nous avons vu,
de nos yeux vu, le travail consciencieux, l’instruction la plus solide, la discipline
et l’application les plus sérieuses, adaptés à d’épouvantables desseins. […]

Ainsi la Persépolis spirituelle n’est pas moins ravagée que la Suse matérielle.
Tout ne s’est pas perdu, mais tout s’est senti périr.

Un frisson extraordinaire a couru la moelle de l’Europe. Elle a senti, par tous


ses noyaux pensants, qu’elle ne se reconnaissait plus, qu’elle cessait de se
ressembler, qu’elle allait perdre conscience — une conscience acquise par des
siècles de malheurs supportables, par des milliers d’hommes du premier ordre,
par des chances géographiques, ethniques, historiques innombrables.
1838
Alors, — comme pour une défense désespérée de son être et de son avoir
physiologiques, toute sa mémoire lui est revenue confusément. Ses grands
hommes et ses grands livres lui sont remontés pêle-mêle. Jamais on n’a tant lu,
ni si passionnément que pendant la guerre: demandez aux libraires. Jamais on
n’a tant prié, ni si profondément : demandez aux prêtres. On a évoque tous les
sauveurs, les fondateurs, les protecteurs, les martyrs, les héros, les pères des
patries, les saintes héroïnes, les poètes nationaux...

Et dans le même désordre mental, à l’appel de la même angoisse, l’Europe


cultivée a subi la reviviscence rapide de ses innombrables pensées : dogmes,
philosophies, idéaux hétérogènes; les trois cents manières d’expliquer le
Monde, les mille et une nuances du christianisme, les deux douzaines de
positivismes : tout le spectre de la lumière intellectuelle a étalé ses couleurs
incompatibles, éclairant d’une étrange lueur contradictoire l’agonie de l’âme
européenne. Tandis que les inventeurs cherchaient fiévreusement dans leurs
images, dans les annales des guerres d’autrefois, les moyens de se défaire des
fils de fer barbelés, de déjouer les sous-marins ou de paralyser les vols
d’avions, l’âme invoquait à la fois toutes les incantations qu’elle savait,
considérait sérieusement les plus bizarres prophéties; elle se cherchait des
refuges, des indices, des consolations dans le registre entier des souvenirs, des
actes antérieurs, des attitudes ancestrales. Et ce sont là les produits connus de
l’anxiété, les entreprises désordonnées du cerveau qui court du réel au
cauchemar et retourne du cauchemar au réel, affolé comme le rat tombé dans la
trappe...

La crise militaire est peut-être finie. La crise économique est visible dans toute
sa force; mais la crise intellectuelle, plus subtile, et qui, par sa nature même,
prend les apparences les plus trompeuses (puisqu’elle se passe dans le royaume
même de la dissimulation), cette crise laisse difficilement saisir son véritable
point, sa phase.

Personne ne peut dire ce qui demain sera mort ou vivant en littérature, en


philosophie, en esthétique. Nul ne sait encore quelles idées et quels modes
d’expression seront inscrits sur la liste des pertes, quelles nouveautés seront
proclamées. » (p.4-5)

« L’Europe deviendra-t-elle ce qu’elle est en réalité, c’est-à-dire : un petit cap


du continent asiatique ? » (p.10)

1839
-Paul Valéry, La crise de l’esprit, 1919, « Les classiques des sciences sociales »,
14 pages.

« The Great War destroyed European culture and the commitment to truths. In
their place, generations embraced relativism, nihilism and socialism, and from
the ashes arose Lenin, Stalin and Hitler and their evil doctrines that infect
contemporary culture. In the words of the British historian, Niall Ferguson, the
First World War "was nothing less than the greatest error in modern history.".”
-Adam Young, The Real Churchill, mises.org, 02/27/2004.

"Quelle que fût la manière de penser des gouvernants ou du monde des affaires,
quelle qu'ait été la responsabilité des conflits d'outre-mer dans l'alignement des
Etats européens, la guerre de 1914 prit naissance dans les Balkans, là où se
heurtaient les intérêts des Slaves et des Germains, pour employer une
expression trop grandiose, plus simplement là où l'Autriche-Hongrie se heurtait
aux pays slaves qui entretenaient l'irrédentisme des Slaves de l'empire dualiste.
L'Alsace-Lorraine nourrissait l'hostilité franco-allemande plus que la question
du Maroc. La Grande-Bretagne redoutait plus la flotte allemande de haute mer
que la concurrence des marchandises made in Germany." (p.XIV)

"Le marché mondial capitaliste d'avant 1914 était dominé par l'empire
britannique, avec pour centre Londres et la place de Londres. Dès le dernier
quart du XIXe siècle, l'Angleterre avait perdu son rôle de pionnier industriel:
dans les secteurs de pointe, électricité et chimie, l'Allemagne wilhelmienne
tenait le premier rang. Les exportations allemandes progressaient plus vite que
celles de la Grande-Bretagne, mais celles-ci gardaient une supériorité
quantitative. De plus, l'expansion allemande continuait de se diriger plus vers
l'Europe que vers l'Outre-mer. La répartition des exportations anglaises était
inverse." (p.XV)

-Raymond Aron, "La société internationale", projet de présentation à la huitième


édition, 1983, in Paix et guerre entre les nations, Calmann-Lévy, 2004 (1962
pour la première édition), 794 pages.

« Les prisonniers et les habitants des territoires occupés ont fait dès alors une
expérience qui les place au cœur du processus de totalisation de la guerre du
XXe siècle. » (p.11)

1840
« On décompte environ 600 000 soldats [français] prisonniers en Allemagne
entre 1914 et 1918. Entre les décédés, les rapatriés, les évadés, il en restait
environ 520 000 en 1918. » (p.15)

-Annette Becker, Oubliés de la Grande Guerre. Humanitaire et culture de


guerre (1914-1918), Fayard/Pluriel, 2012 (1998 pour la première édition), 395
pages.

« Long projet qu'à partir des témoignages des survivants, Barrès a consacré
sous le titre de Gerbéviller au 21 août 1914, 22e jour de la guerre en Alsace où
le village tint héroïquement 10 heures avant l'arrivée des troupes françaises et
vit la soldatesque s'amuser à un jeu de massacre sur adolescents, mères,
enfants, vieillards et invalides en prenant soin de séparer les sexes et d'abattre
d'abord les enfants sous les yeux de leurs mères, prenant plaisir à brûler vifs les
jeunes filles et les adolescents. En 1870, les Allemands avaient été vainqueurs,
ils n'étaient donc pas des enfants humiliés ; la guerre venait de commencer, ils
n'avaient donc encore à se venger d'aucun pillage ni d'aucune barbarie contre
leurs civils. Ils n'agirent ainsi que pour faire régner la terreur chez l'ennemi
selon le vœu de l'état-major qui prônait une guerre psychologique. » -Sarah
Vajda, Maurice Barrès, Flammarion, coll. Grandes Biographies, 2000, 434
pages, note 32 p.394.

“A peu près insignifiant en 1914 aux yeux d'officiers ayant tendance à préférer
par tradition les mouvements et les charges de cavalerie, le problème de l'accès
au pétrole aura acquis en 1918 dans les états-majors une attention que nulle
armée ne relâchera jamais plus.
Dès les premiers jours de septembre 1914, l'armée allemande est aux portes de
Paris. Des détachements à cheval des terribles uhlans sont aperçus à quelques
dizaines de kilomètres seulement des faubourgs de la capitale. L'état-major
français cherche par tous les moyens à accélérer l'envoi de troupes fraîches. Le
général Joseph Gallieni, gouverneur militaire de Paris, réquisitionne les 6 et 7
septembre plus d'un millier de taxis de la ville ainsi que des autobus.
Rassemblés aux Invalides, taxis et bus acheminent environ 5 000 soldats
jusqu'au front lorsque débute la bataille de la Marne ; l'armée française
s'acquitte dûment du paiement de chacune des courses. Contrairement à l'idée
reçue, les "taxis de la Marne" n'ont en rien décidé de l'issue de cette bataille,
qui aboutit au repli des Allemands et permet de leur barrer définitivement la
route de Paris. Des dizaines de divisions sont engagées, et l'immense majorité
1841
des centaines de milliers de soldats français qui y participent sont transportés
par train. Cependant, l'épisode des "taxis de la Marne" restera comme le
premier indice du bouleversement des fondations tactiques et stratégiques de la
guerre qu'est en passe de provoquer le moteur à combustion interne.
Au sein de l'armée française, l'officier d'artillerie Jean-Baptiste Étienne est
considéré comme le "père des chars". Juste avant la guerre, il a dirigé l'un des
tout premiers groupes d'avions de reconnaissance de l'armée française. Le 25
août, trois semaines après le début des combats, le colonel Étienne déclare aux
officiers de son régiment qui chevauchent à ses côtés: "Messieurs, la victoire
appartiendra dans cette guerre à celui des deux belligérants qui parviendra le
premier à placer un canon de 75 sur une voiture capable de se mouvoir en tout
terrain". La même idée germe en octobre dans l'esprit du colonel anglais Ernest
Swinton. Ingénieur de formation, Swinton suit de près les expériences qui ont
déjà lieu au sein de l'armée britannique pour transformer des tracteurs
agricoles en véhicules tout-terrain capables de tirer des pièces d'artillerie ou de
percer des lignes de défense barbelées. A son tour, le colonel Étienne a vent des
expérimentations menées outre-Manche. Swinton expose ses idées à son état-
major, puis Winston Churchill se saisit promptement du dossier pour former dès
février 1915 un "Comité des vaisseaux terrestres". De nombreux nouveaux
prototypes sont testés. Dans les échanges secrets du bureau de la Guerre
britannique, un nom de code génétique leur est attribué: "tank", ce qui en
anglais signifie "réservoir". De son côté, Jean-Baptise Étienne entre en contact
en décembre 1915 avec Joseph Joffre, généralissime de l'armée française. Le 31
janvier 1916, Joffre commande les 400 premiers chars à la compagnie
Schneider.
Les chars d'assaut jouent un rôle décisif pour mettre fin à la guerre de tranchée.
Des tanks britanniques Mark I sont engagés pour la première fois le 15
septembre 1916 durant la bataille de la Somme. Ils sont lents et capricieux.
Beaucoup tombent en panne durant l'offensive ou sont aisément détruits par
l'artillerie allemande. Mais quelques-uns parviennent tout de même à répandre
la mort et l'effroi dans les lignes ennemies. Le 16 avril 1917, les chars blindés
français Schneider participent à l'offensive dantesque du Chemin des Dames. L'
"artillerie d'assaut", comme on l'appelle dans l'armée française, est rapidement
perfectionnée. A partir de la fin 1917, les usines Renault fabriquent plus de
3000 exemplaires du char léger FT. C'est le premier char d'assaut bénéficiant
de la configuration moderne: une tourelle rotative et un moteur placé à
l'arrière. 600 tanks britanniques réussissent une percée historique au cours de
1842
la bataille d'Amiens le 8 août 1918 ; une journée qualifiée plus tard de "journée
noire" pour l'armée allemande par le général en chef des troupes du Reich,
Erich Ludendorff. Les États-Unis, entrés en guerre en 1917, fabriquent sous
licence plus de 900 des chars Renault FT. Au milieu du mois de septembre 1918,
le jeune major américain George Patton lance victorieusement deux bataillons
de chars français à l'assaut du Saillant de Saint-Michel, près de Verdun.
L'armée allemande prend conscience trop tard du progrès fatal que constituent
les chars blindés des Alliés. Elle parvient seulement à partir de mars 1918 à
mener au combat quelque unité de leur lent et massif modèle A7V, qui pèse plus
de 30 tonnes.
Outre les chars, les Alliés ont à leur disposition en 1918 des centaines de
milliers de véhicules terrestres -camions, voitures et motocyclettes-, là où au
début de la guerre ils n'étaient que quelques centaines, réquisitionnés pour la
plupart. Dans les tranchées, la paraffine peut être vitale pour protéger de
l'humidité les vivres et les munitions. Le ronron des générateurs électriques
mobiles alimentés au "fioul" permet de faire fonctionner les téléphones de
campagne jusque dans les secteurs du front les plus exposés. Les avions de
chasse, de bombardement et de reconnaissance, enfin, se comptent par dizaines
de milliers lors de l'armistice, pour les deux tiers du côté allié. Ils complètent
l'intensification de la guerre, et confirment la prééminence décisive que confère
le pétrole dans l'issue des conflits armés. » (p.127-129)

« Dès 1915, l'Allemagne voit son industrie gênée par des pénuries de lubrifiants.
A partir de 1916, elle ne parvient plus du tout à sécuriser l'accès au pétrole.
L'entrée en guerre de la Roumanie du côté des Alliés en août coupe le Reich de
sa principale source d'approvisionnement. En novembre, les Alliés réussissent à
faire sauter la plupart des installations pétrolières roumaines juste avant que
l'armée allemande ne mette la main dessus. A l'issue de la paix conclue avec la
jeune Russie bolchevique le 3 mars 1918 par le traité de Brest-Litovsk, Berlin
réclame à Lénine un accès au pétrole de Bakou que l'Allemagne n'obtiendra
jamais. Les alliés turcs assiègent la cité des bords de la Caspienne à la fin du
mois de juillet, et mettent la main sur certains puits. Mais, au milieu du mois
d'août, le Royaume-Uni envoie à travers la Perse une force expéditionnaire, et
chasse les Turcs de la Ville noire.
Pour protéger la raffinerie d'Abadan, l'armée britannique s'empare dès
novembre 1914 du port mésopotamien de Bassora, sur l'estuaire du Tigre et de
l'Euphrate. Puis elle prend Bagdad en mars 1917, grâce à des troupes
1843
indiennes, et s'avance jusqu'à Mossoul en novembre 1918. Pendant ce temps, en
Perse, les ingénieurs de l'Anglo-Persian Oil Company développent la
production à marche forcée. Celle-ci n'atteint toutefois que 23 000 barils par
jour en 1918, égalant à peine la production birmane. En dépit des précautions
prises à la veille de la guerre par Winston Churchill pour doter son pays de la
première compagnie pétrolière nationale de l'histoire, les volumes encore
faibles de brut puisés par l'Anglo-Persian Oil Company ne répondent qu'à une
maigre part des besoins des armées britanniques. Quant à la France, elle est
coupée dès 1914 de ses sources d'approvisionnement de Russie et de Roumanie,
qui fournissaient jusque-là près de la moitié de ses importations.
En somme, environ 80% du pétrole de la machine de guerre alliée sont
américains. [...] La guerre maritime totale que déclenchent les sous-marins
allemands en janvier 1917 conduit les États-Unis à entrer en guerre le 6 avril. »
(p.129-130)

« Un signal de détresse est envoyé au gouvernement français en décembre 1917


par les compagnies qui importent le pétrole américain: les stocks d'essence sont
tombés le mois précédent à 34 000 tonnes, ce qui représente à peine trois
semaines de consommation. La France comprend un peu tard qu'elle a commis
l'erreur de faire pratiquement l'impasse sur ce que l'on n'appelle pas encore
l'indépendance énergétique. Faute d'accélérer le ravitaillement, les réserves
menacent d'être totalement à sec dès le mois de mars 1918. Le 15 décembre,
Georges Clemenceau, nommé chef du gouvernement un mois auparavant, remet
à l'ambassadeur américain une note dans laquelle il agite le risque de
capitulation pure et simple: "Toute défaillance d'essence causerait la paralysie
brusque de nos armées et pourrait nous acculer à une paix inacceptable pour
les Alliés". Clemenceau adjure le président américain Woodrow Wilson de lui
envoyer au plus vite 100 000 tonnes de pétrole. La supplique signée par le
"Tigre" est transmise immédiatement par câblogramme à travers l'Atlantique.
Sa dernière phrase restera fameuse: "Si les Alliés ne veulent pas perdre la
guerre, il faut que la France combattante, à l'heure du suprême choc
germanique, possède l'essence aussi nécessaire que le sang dans les batailles de
demain". Woodrow Wilson n'envoie pas de réponse, mais fait suivre la requête:
117 450 tonnes de produits pétroliers sont livrées à la France dès le début du
mois de janvier 1918 par dix-neuf "bateaux-citernes" venus des États-Unis. »
(p.131-132)

1844
« Le 9 novembre 1918, une semaine après la capitulation de l'Empire ottoman,
Paris et Londres publient la "déclaration franco-anglaise" qui stipule que les
deux capitales apporteront leur soutien aux gouvernements futurs issus du "libre
[...] choix des populations indigènes". Mais Londres fait savoir que son soutien
concernant les conditions de la restitution de l'Alsace-Lorraine par l'Allemagne,
question évidemment ultrasensible pour Paris, n'est en rien garanti (sans parler
des visées françaises sur la Ruhr) si jamais la France refuse de lâcher du lest à
propos de Mossoul. Les deux plus énormes trésors de la guerre 1914-1918 sont
de nature énergétiques, et Downing Street n'hésite pas à les mettre en balance:
ce sera le charbon de la Lorraine et de la Ruhr contre l'or noir ottoman !
Lorsque, en visite à Londres le 1er décembre, Clemenceau demande à Lloyd
George ce qu'il souhaite, celui-ci répond: "Je veux Mossoul.
-Vous l'aurez, réplique le chef du gouvernement français. Autre chose ?
-Oui, je veux aussi Jérusalem.
-Vous l'aurez", promet à nouveau Clemenceau [...]
Exsangue, la France n'a pas les moyens d'occuper militairement le nord de la
trop lointaine Mésopotamie. Le mois suivant, le Quai d'Orsay transmet aux
Britanniques un mémorandum confirmant le renoncement des Français à leurs
prétentions sur la ville. Mais, en contrepartie, Paris réclame un accès égal au
pétrole de Mésopotamie, dont pas une goutte n'a encore été puisée. La leçon de
la guerre a porté: l'accès à l'or noir est devenu une priorité stratégique majeure
pour la France. » (p.158-159)

-Matthieu Auzanneau, Or Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La


Découverte/Poche, 2016, 881 pages.

« A l’été 1914, la République se retrouve soudain confrontée à la guerre. Elle ne


l’a ni voulue ni désirée, c’est l’Allemagne impériale qui la lui déclare : que faire
d’autre que de relever le défi ? L’a-t-elle au moins bien préparée ? Il se trouve
que, le 13 juillet, à un moment où l’on ne pouvait encore prévoir l’issue de la
crise déclenchée le 28 juin par l’assassinat de Sarajevo, s’était ouvert au Sénat
un débat sur l’état de la défense nationale : le sénateur Charles Hubert avait
fait des révélations alarmantes sur notre impréparation, en particulier pour
l’artillerie et les munitions : il aurait manqué deux millions de paires de
chaussures pour équiper les réservistes. » (p.360)

« L’état-major raisonnait à partir de l’expérience des conflits précédents, sur un


taux de réfractaires de 13% : il ne dépassera pas 1.5%. Ceux qui, fidèles à leurs
1845
convictions, refusent de se laisser emporter par le mouvement et entendent se
tenir « au-dessus de la mêlée », tel Romain Rolland, font scandale. » (p.367)

« Le gouvernement décide d’abord de ne pas procéder aux arrestations prévues


des sujets inscrits au carnet B : une circulaire à cet effet en annule une
première. La confiance du gouvernement ne sera pas déçue. Aux funérailles de
Jean Jaurès, Léon Jouhaux prononce des paroles d’union patriotique : lui-
même accepte de faire partie du Comité national de secours qui se constitue
pour faire face aux besoins les plus pressants et même d’exercer les fonctions, à
la vérité assez mal définies, de commissaire à la Nation qui font de lui une sorte
de ministre d’Etat in partibus. Les syndicalistes entrent dans des organismes
paritaires où ils collaboreront avec les représentants du patronat : ces
commissions mixtes enquêteront sur les conditions de travail, les affectations
spéciales, le travail des femmes, participeront aux procédures de conciliation et
d’arbitrage ainsi qu’à la fixation des salaires par voie réglementaire. La guerre
a eu ainsi pour conséquence d’associer le mouvement syndical à l’exercice des
responsabilités sociales et d’en faire pour un temps un partenaire de l’Etat.
La portée de l’autre initiative n’est pas moindre : c’est la décision, pareillement
signifiée par une circulaire du ministre aux préfêts, de suspendre pour la durée
de la guerre l’application des lois contre les congrégations qui avaient contraint
des milliers de religieux, entendant rester fidèles aux vœux qu’ils avaient
prononcés, à s’exiler : les intéressés reviennent aussitôt en grand nombre
prendre leur place dans les combats au côté de leurs concitoyens. Le geste du
gouvernement est apprécié des catholiques. D’autres suivront : en août le
nombre des aumôniers militaires est porté à deux cent cinquante ; ils percevront
une solde à partir de novembre. Le cardinal Amette, archevêque de Paris, entre
lui aussi au Comité national de secours. En 1915, le recteur de l’Institut
catholique de Paris, Mgr Alfred Baudrillart, avec le concours actif d’un jeune
éditeur catholique venu du Sillon, Francisque Gay, fonde un Comité catholique
de propagande française à l’étranger, qui sera subventionné par le Quai
d’Orsay, pour contre-battre auprès des catholiques étrangers, en Espagne, en
Irlande, aux Etats-Unis, la propagande des Empires centraux qui prend
argument de la politique anticléricale des gouvernements républicains, et
reconquérir les sympathies perdues ou hésitantes.
Cet élan d’unanimité, cet instant de communion nationale qui s’accompagne de
l’apaisement momentané des querelles a un nom qu’il tient du président de la
République, Raymond Poincaré : l’Union sacrée. Le 4 août, le président du
1846
Conseil, René Viviani, a donné lecture à la tribune de la Chambre des députés
du message du chef de l’Etat au Parlement et à travers lui à la nation. « Dans la
guerre qui s’engage, la France […] sera héroïquement défendue par tous ses
fils, dont rien ne brisera devant l’ennemi l’Union sacrée ». » (p.369-370)

« Les occassions qui scandaient le déroulement de la vie politique ont disparu :


toutes les élections sont ajournées, y compris celles des conseils municipaux.
[…] Quant à la Chambre dont le mandat aurait dû expirer au printemps 1918,
elle sera prorogée jusqu’à l’automne 1919. » (p.373)

« L’union sera même élargie avec l’entrée en octobre 1915, dans le cabinet que
forme Briand succédant à Viviani, de Jules Méline à l’Agriculture et de Denys
Cochin à un poste de sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères : il est le
premier catholique à faire partie d’un gouvernement depuis 1879 ; c’est la levée
d’une exclusive de plus d’un tiers de siècle qui frappait tout homme politique
suspect d’être dévoué à l’Église. » (p.374)

« Durant l’été 1917, la rupture survient entre les socialistes et les autres partis :
c’est la fin de l’Union sacrée. Il y a désormais une opposition. Le point extrême
de la dégradation est atteint ce jour du 14 novembre 1917 où, pour la première
fois après trois ans de guerre, une majorité parlementaire refuse la confiance au
gouvernement que dirige Paul Painlevé. » (p.385)

« L’expérience de la guerre de 1914-1918 a fait tomber l’objection en dissipant


les craintes ; même si à droite on a souvent critiqué les hésitations et les
lenteurs des gouvernements, leur retard à prendre certaines décisions pour la
conduite de la guerre, il reste que la République a gagné la plus grande guerre
de toute notre histoire : la victoire de la France est aussi celle de la République.
Aussi les droites parlementaires sont-elles en 1919 sincèrement ralliées. »
(p.403)
-René Rémond, La République souveraine. La vie politique en France (1879-
1939), Fayard, coll. Pluriel, 2002, 435 pages.

"Lorsque le Grand Etat-Major allemand et le général Falkenhayn déclenchent


l'offensive sur Verdun, le 21 février 1916, leur objectif déclaré est de "saigner à
blanc l'armée française". Ils ont en effet compris que la guerre était sur le point
de prendre un tournant véritablement mondial et allait passer à une échelle
supérieure: les Britanniques commencent à mobiliser pleinement les immenses
ressources de leur empire, et ce n'est plus un mystère pour Berlin que les Etats-
1847
Unis entreront tôt ou tard dans le conflit. Les Allemands savent qu'ils ne seront
alors plus en mesure de résister à une telle puissance économique, industrielle
et démographique. Ils pensent donc devoir, avant cette échéance, vaincre les
Français, qu'ils considèrent comme les "valets d'armes des Anglais". En outre,
leur élite militaire, formée depuis toujours aux meilleures écoles théoriques, se
considère comme humiliée d'avoir à mener une guerre à la fois statique et
défensive ; le rétablissement de la manœuvre et de l'offensive est à leurs yeux
nécessaire également pour des raisons d'honneur professionnel. Fondant leur
raisonnement sur la base des piètres performances tactiques françaises depuis
la Marne, ils élaborent un plan qui s'il est solide d'un point de vue purement
théorique et logique, ne prend pas suffisamment en compte certaines réalités,
comme les performances réelles de l'artillerie, la capacité de l'adversaire à se
protéger ou la volonté française de résister quel qu'en soit le prix. Surtout, ce
plan est conçu dès le départ pour être délibérément celui d'une bataille
d'attrition -ou d'usure-, ce qui constitue le "degré zéro" de l'art de la guerre et
de la manœuvre. Un comble pour des stratèges se proclamant les héritiers de
Clausewitz et de Moltke !
Or, ironie de l'histoire, ce plan a presque trop bien fonctionné dans un premier
temps: les divisions allemandes ont réussi à percer le front français -ce qui
n'était pas leur objectif et qui constituait alors une "première" puisque, depuis
l'hiver 1914-195 et l'enterrement des fronts, aucun des adversaires n'était
parvenu à obtenir un tel résultat. Mais les Français vont se ressaisir et, surtout,
"jouer le jeu": comme dans un gigantesque et sanglant jeu de poker, ils vont
progressivement lancer toutes leurs forces dans une bataille qu'ils considèrent à
leur tout comme décisive. Au bout du compte, la bataille pour Verdun et ses
alentours va être investie par les deux adversaires d'une valeur symbolique
allant bien au-delà de son intérêt stratégique réel. Pour les Français, cette
bataille devient une cause nationale qui ranime leur moral, au plus bas depuis
les crises de 1915 ; là encore, l'effet est à l'inverse de celui recherché à
l'origine. Et les Allemands, pris à leur propre piège logique, ont désormais trop
investi pour pouvoir renoncer. Pendant des mois, la guerre industrielle et ses
pilonnages d'artillerie vont transformer la zone en un chaos dantesque. Il n'y a
plus de tranchées ni de lignes géométriques, mais des groupes qui luttent et
survivent dans des trous épars. L'objectif de ces bombardements en vient peu à
peu à être de "tuer le terrain", ce qui est, là encore, un comble d'absurdité
puisque la stratégie ne peut s'exercer contre la nature. Peut-être plus encore que
beaucoup de stratèges de cette époque, les Allemands étaient restés bloqués sur
1848
le vieux paradigme de la "bataille décisive en un point unique". Ils referont
d'ailleurs un autre Verdun en 1942, à Stalingrad... En se cassant les dents sur la
résistance opiniâtre des Français, ils allaient payer leur incompréhension d'un
des principaux secrets de la guerre industrielle moderne: l'idée même de
bataille décisive était caduque ; l'heure était désormais aux opérations
distribuées dans le temps et dans l'espace." (p.157-159)
-Laurent Henninger & Thierry Widemann, Comprendre la guerre. Histoire et
notions, Éditions Perrin, coll.Tempus, 2012, 227 pages.

« Quelque dix millions d’hommes moururent pendant la Première Guerre


mondiale alors que Napoléon, lors de la campagne de Russie, la plus sanglante
jusqu’alors, perdit 400 000 hommes. […] La guerre franco-prussienne (1870-
1871), la plus importante du XIXe siècle, tua 140 000 Français et 44 780
Prussiens. » (p.8 )

« Un autre aspect de la vie de tranchées marqua les combattants : la


camaraderie unissait les hommes d’un même peloton, qui partageraient tout et
étaient dépendants les uns des autres pour survivre. Cela fut ressenti,
rétrospectivement, comme une expérience positive car, déjà avant la guerre,
nombreux étaient ceux qui rêvaient, en ce monde moderne, d’une vie
communautaire constructive qui leur offrirait un antidote au sentiment de plus
en plus envahissant de solitude. » (p.10)

« La réalité de la guerre en vint à être transformée en ce que l’on pourrait


appeler le mythe de la guerre qui en faisait, rétrospectivement, un événement
doté d’un sens sacré. Cette vision se développa surtout, mais pas exclusivement,
dans les pays vaincus auxquels elle était particulièrement nécessaire. » (p.11-
12)

« Le mythe de la camaraderie de guerre était prometteur d’un mode de relations


pleines de sens, dans une société de plus en plus abstraite et anonyme. » (p.31)

« Par une loi du 29 décembre 1915, la France devint le premier pays d’Europe
à attribuer une sépulture à tous les morts de guerre ; les autres nations suivirent
bientôt son exemple. […] Le cimetière militaire, réservé aux héros de la nation,
devint dans bien des cas le symbole crucial du mythe de la guerre. » (p.56-57)

1849
-George L. Mosse, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des
sociétés européennes, 1999 (1990 pour la première édition britannique), 291
pages.

"En 1894, Barrès ne sait pas encore que c'est à Dreyfus -le chef d'escadron
détaché en août 1914 au fort de Domont qui avertit Galliéni du changement de
cap allemand, à la sortie de Luzarches- que la France devra les prémices de la
manœuvre de la Marne. Il ne sait pas encore que l'ancien bagnard finira la
guerre lieutenant-colonel et officier de la Légion d'honneur et, dans le 20e
corps, sera du Chemin des Dames où son fils commande une batterie de 75, ni
que le sien, Philippe, servira en compagnie de celui de Jaurès au 12e régiment
de cuirassiers à pied et que Louis [Jaurès] disparaîtra le 3 juin 1918. Pour
l'heure, les juifs n'appartiennent pas encore, selon Barrès, à l'histoire de
France." (p.149)

-Sarah Vajda, Maurice Barrès, Flammarion, coll. Grandes Biographies, 2000,


434 pages.

« Droits des peuples à disposer d'eux-mêmes ? Mais un demi-million


d'Allemands passent sous une domination étrangère pour permettre à la
Pologne de posséder ce "couloir" en forme d'avenue qui lui donne accès à la
mer ; mais trois millions d'autres Germains, ceux des monts Sudètes, sont
attribués à la Tchécoslovaquie ; mais le Tyrol de langue allemande est annexé à
l'Italie au mépris d'un plébiscite officieux purement et simplement annulé par les
vainqueurs ; mais l'Autriche, devenue minuscule, réclame en vain son
rattachement à l'Allemagne, comme la Savoie, cinquante ans plutôt, avait
rejoint la France ; mais trois millions et demi d'authentiques Hongrois sont, en
Transylvanie, autoritairement détachés de leur patrie pour devenir Roumains. »
(p.163)

"Le 5 septembre 1919, en manchette énorme, Le Journal reproduisait la


déclaration faite la veille par le ministre des Finances: "L'Allemagne paiera 463
milliards" -par annuités de 13 milliards, avait précisé Klotz. Le 12 septembre,
Loucheur, ministre de la Reconstruction, rectifie: non pas treize milliards par
an, mais dix-huit. Et Le Figaro du 13 couvre d'éloges ce gouvernant selon son
cœur ; avec de pareilles "rentrées", prévoir des impôts nouveaux (et
particulièrement une stricte application de l'impôt sur le revenu) serait insensé ;
pis, anti-français. Ces chiffres délirants, la Commission des Réparations les

1850
ramène, en 1921, à 132 milliards, payables en annuités de 500 millions de
dollars, estimation qui demeure sans commune mesure avec les possibilités du
réel. Aucun doute, d'ailleurs, inutile de le dire: les gouvernements allemands
s'évertueront à tout faire pour se dérober de leur mieux au paiement des
sommes qu'on leur réclame. Au printemps de 1921, ils ont tout de même déjà
versé aux vainqueurs plus de sept milliards ; au total, lorsque la question des
réparations sera enterrée (Lausanne, juillet 1932), l'Allemagne s'en sera tirée
avec quelque vingt-cinq milliards de débours." (p.187)

-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.


Idées, 1974, 476 pages.

https://www.amazon.fr/France-guerre-1914-1918-grande-
mutation/dp/2870272618/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%
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1918%29&qid=1578932287&sr=8-1
Amazon.fr - 1914-1918 La Grande Guerre des classes - Pauwels, Jacques, Degrez, Frank - Livres

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mondiale/dp/2213022151/ref=pd_sim_14_99?ie=UTF8&dpID=51zi4pPJilL&dp
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1851
L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR102%2C160_&refRID=130Q8NTQM
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https://www.amazon.fr/1914-Jean-Yves-
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https://www.amazon.fr/1917-Jean-Yves-
NAOUR/dp/2262030375/ref=pd_sim_14_8?_encoding=UTF8&psc=1&refRID
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http://www.amazon.fr/The-Fall-Ottomans-Middle-1914-
1920/dp/1846144396/ref=pd_sim_14_68?ie=UTF8&dpID=51f6skOKDCL&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=0TRYY3J4TS34AF
PQ781Y

http://www.amazon.fr/Temps-maudits-Carnets-ann%C3%A9es-
guerre/dp/2910846784/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1459417941&sr=8-
1&keywords=Marcel+Martinet

Ferdinand Foch (1851-1929): « [C'est] pour préserver le pays d'une contagion


russe que l'Etat-Major allemand, au début de novembre 1918, a lui-même
poussé à la formation d'un gouvernement parlementaire qui portera la
responsabilité de l'armistice tout en obtenant des vainqueurs l'essentiel:
l'autorisation accordée au vaincu de conserver une force militaire suffisante
pour écraser, chez lui, les "rouges". Foch, du reste, y prête la main. S'il écarte
l'idée, nourrie par Castelnau, d'une offensive, assurée du succès, sur
l'Allemagne du Sud et portant la guerre, enfin, sur le territoire ennemi, et s'il
s'empresse d'accueillir les plénipotentiaires de Berlin, c'est qu'il redoute de
travailler, en poursuivant l'assaut, au profit des révolutionnaires et d'accroître
ainsi, de la manière la plus dangereuse, la puissance du bolchevisme. L'intérêt
du Bien exige que l'Allemagne conserve un régime "honnête", protégé par des
bataillons solides, et une artillerie suffisante, contre les pavés de la canaille. »
(p.153-154)

1852
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

https://www.amazon.fr/Foch-Jean-Christophe-
NOTIN/dp/2262076952/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1540903057&sr=
1-1&keywords=Jean-Christophe+Notin%2C+Foch

Joseph Joffre (1852-1931): https://www.amazon.fr/Joffre-R%C3%A9my-


Porte/dp/2262034435/ref=pd_sbs_14_1?_encoding=UTF8&pd_rd_i=22620344
35&pd_rd_r=977588d8-dc40-11e8-ba39-
9112ea063a0b&pd_rd_w=Mgy5v&pd_rd_wg=6b1q9&pf_rd_i=desktop-dp-
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Édouard de Curières de Castelnau (1851-1944) et la Fédération nationale


catholique: « Je pense au surgissement dans l’opinion publique à ce moment de
la figure de mon arrière-grand-père, Édouard de Castelnau qui méritait plus
que tout autre d’être élevé à la dignité de maréchal de France. Et ce
surgissement se fait comme le symbole contraire de celui de Pétain. Claude
Askolovitch (!!) le résume très bien dans un tweet en forme de commentaire sur
la polémique Pétain : « Pensée au général de Castelnau, qui sauva en 14 l’armée
de Lorraine, qui perdit trois fils dans la Grande guerre, dont la République ne fît
pas un maréchal car il était trop catholique, et qui condamna Pétain en 1940 et
encouragea la Résistance. A propos de « grands soldats… ».

Et l’aspect étonnant de cette forme d’intronisation comme contre modèle de


celui qu’il avait nommé à Verdun le 23 février 1916, c’est qu’elle est
absolument justifiée. Les historiens s’accordent à considérer à la fois sa stature,
l’importance de son rôle, l’ampleur de ses sacrifices, et le caractère injuste de
la mesquinerie politicienne dont il eut à souffrir. Mais il y a plus. On sait peu
aujourd’hui, compte tenu de l’importance de cette fin des hostilités sonnée sur
la terre de France en cette 11e heure du 11e jour du 11e mois de cette année
1918, que le 13 novembre la IIe armée française commandée par Édouard de
Castelnau devait lancer en Lorraine l’offensive pour permettre de rentrer sur la
terre de l’ennemi. Et le mettre complètement à genoux. Je suis de ceux qui
pensent que l’armistice du 11 novembre était inévitable pour mettre fin au
cauchemar et qu’il est difficile d’en faire le reproche à ceux qui l’ont voulu.

1853
Mais l’Histoire a montré ensuite, comme l’avait analysé Castelnau dès ce
moment-là que c’était une erreur stratégique majeure. Son territoire inviolé, son
armée rentrant à peu près en bon ordre, la légende du coup de poignard dans le
dos pouvait naître en Allemagne et amener aux conséquences funestes que l’on
sait. 20 ans plus tard cette erreur allait coûter les 60 millions de morts et les
horreurs de la deuxième guerre mondiale. Entre les deux guerres, chaque fois
qu’il appelait à la méfiance et à la vigilance vis-à-vis de l’Allemagne on le traita
de Cassandre et de belliciste. Un parlementaire lui lancera même à la face : «
trois fils, mon général ce n’est pas assez ? ».

Lorsque surviendra l’effondrement de 40, âgé de 90 ans, il désavouera


l’armistice et l’instauration de l’État français, auquel il refusera son soutien.
Deux de ses petits-fils et deux de ses petits-neveux en âge de porter les armes
rejoindront, avec son approbation les armées de la France combattante et
participeront aux combats pour la Libération. Noël de Mauroy sera tué dans les
Vosges en décembre 1944, Jean de Castelnau dans son char, Le 23 novembre
en rentrant dans Strasbourg, Urbain de La Croix le petit-fils orphelin
qu’Édouard avait élevé sera tué le 9 avril 1945 au passage du Rhin. Gérald de
Castelnau, mon père, le dernier des quatre sera grièvement blessé. Eh oui, il
faut croire que le destin avait décidé que pour le service de ce pays, trois fils ce
n’était pas assez. Pendant ce temps, Philippe Pétain poursuivait jusqu’au bout,
jusque tout en bas, le chemin de ses trahisons. » -Régis de Castelnau, «Général
Édouard de Castelnau : comme un anti-Pétain », http://www.vududroit.com, 9
novembre 2018 : http://www.vududroit.com/2018/11/general-edouard-de-
castelnau-anti-petain/

"Sur l'essentiel, Herriot s'esquive, reprenant la bonne méthode de Waldeck-


Rousseau que lui facilitent les milieux catholiques et la Fédération cléricale du
général de Castelnau déchaînée, au nom de la Foi, contre le Cartel des Gauches
; délaissant un peu trop ses saintes préoccupations, dans L'Écho de Paris du 30
septembre 1924, Castelnau stigmatisera les "politiciens du Bloc des gauches",
ces "joueurs de bonneteau électoral qui devraient être arrêtés, jugés et
condamnés et qui nagent dans la béatitude des grands et petits profits du
pouvoir". Les réformes économiques et sociales ? Patience ! L'important, c'est
la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican qu'a rétablies le Bloc
national et l'extension des "lois laïques" aux départements recouvrés." (p.193)
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.
1854
"La plupart des dirigeants de la Fédération Nationale Catholique furent
également hostiles à la condamnation -Grousseau, Castelnau et Vallat. De
nombreux dirigeants locaux de la F. N. C. restaient royalistes." (p.276)
-Eugen Weber, L'Action française, Fayard, coll. Pluriel, 1985 (1962 pour la
première édition états-unienne), 685 pages.

« Vous allez voir, disent-ils, que Blum-le-Juif va vouloir voler au secours, en


Espagne, de ses pareils, les "rouges", du "Frente crapular", comme dit si Bien
Castelnau -lequel, dans L'Écho de Paris, définit ainsi le soulèvement de Franco:
c'est "la civilisation occidentale" (toujours elle) en lutte contre "la barbarie
moscovite". » -Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940),
Gallimard, coll. Idées, 1974, 476 pages, p.282.

https://www.amazon.fr/Castelnau-%C2%AB-quatri%C3%A8me-
mar%C3%A9chal-1914-
1918/dp/2758702045/ref=pd_sbs_14_7?_encoding=UTF8&pd_rd_i=275870204
5&pd_rd_r=977588d8-dc40-11e8-ba39-
9112ea063a0b&pd_rd_w=Mgy5v&pd_rd_wg=6b1q9&pf_rd_i=desktop-dp-
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Les USA après la Guerre de Sécession (the « Gilded Age » 1870-1900 and
the « Progressive Era » 1890’s – 1920): “I cannot tell you how often since I
came here I have felt the force of your declaration that the U.S. was a Pacific
power or at least ought to be.” –William Henry Trescot, shortly after arriving in
Asia, to William M. Evarts, August. 15, 1880.

Henry Louis Mencken (1880-1956) et l’anarchisme de droite : (1) Henry Louis


Mencken et l'anarchisme de droite (forumactif.org)

Woodrow Wilson (1856-1924): « Le "progressisme" américain n'a pas été que


le fait d'intellectuels. Son succès a été lié au soutien d'hommes politiques de
première importance. L'élection en 1912 de l'un de ses grands intellectuels,
Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), professeur de sciences politiques à
Princeton, comme Président des Etats-Unis, marque un tournant dans l'histoire
du libéralisme. Admirateur de l'Allemagne et de Bismarck, Wilson pense que le
moment est venu d'abandonner le constitutionnalisme et la doctrine de la
séparation des pouvoirs pour mettre en place une administration efficace et
1855
indépendante du pouvoir législatif, au service du bien-être de tous et de la
prospérité économique. » -Catherine Audard, « Le “nouveau” libéralisme »,
L'Économie politique, 2009/4 (n° 44), p. 6-27.

« Suite à son élection en mars 1913, le président Wilson s’attache à baisser les
barrières douanières. La réduction des tarifs est en moyenne de 30%, ce qui
accroît la pénétration des produits étrangers sur le marché américain. Le 3
octobre 1913 est votée la loi Underwood-Simmons qui supprime les droits de
douane sur le fer, l’acier, la laine brute et le sucre, égalant ainsi une protection
minimale qui n’avait plus été pratiquée depuis le tarif Walker de 1857. » (p.37)

« Le 27 mai 1921, l’Emergency Tariff Ac test voté et instaure des droits de


douane sur les produits agricoles afin de soulager la crise des fermiers
américains. » (p.38)

-Christian Harbulot, Le nationalisme économique américain, VA Editions, coll.


« Guerre de l’information », 2017, 117 pages.

« Lorsque le gouvernement des États-Unis décide d'entrer en guerre, le 6 avril


1917, la population est en effet largement opposée à cette décision : et c'est avec
le mandat explicite de la faire changer d'avis qu'est créée par le président
Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), le 13 avril 1917, la Commission on
Public Information (CPI) – souvent appelée « Commission Creel », du nom du
journaliste qui l'a dirigée, George Creel (1876-1953).

Cette commission, qui accueille une foule de journalistes, d'intellectuels et de


publicistes, sera un véritable laboratoire de la propagande moderne, ayant
recours à tous les moyens alors connus de diffusion d'idées (presse, brochures,
films, posters, caricatures notamment) et en inventant d'autres. Elle était
composée d'une Section étrangère (Foreign Section), qui possédait des bureaux
dans plus de trente pays, et d'une Section intérieure (Domestic Section): elles
émettront des milliers de communiqués de presse, feront paraître des millions de
posters (le plus célèbre étant sans doute celui où on lit: I want you for US Army,
clamé par Uncle Sam) et éditeront un nombre incalculable de tracts, d'images et
de documents sonores.

La commission inventera notamment les fameux « four minute men » : il s'agit


de ces dizaines de milliers de volontaires – le plus souvent des personnalités
bien en vue dans leur communauté – qui se lèvent soudain pour prendre la

1856
parole dans des lieux publics (salles de théâtre ou de cinéma, églises,
synagogues, locaux de réunions syndicales, et ainsi de suite) afin de prononcer
un discours ou réciter un poème qui fait valoir le point de vue gouvernemental
sur la guerre, incite à la mobilisation, rappelle les raisons qui justifient l'entrée
en guerre des États-Unis ou incite à la méfiance – voire à la haine – de
l'ennemi. » -Normand Baillargeon, préface à Edward Bernays, Propaganda.
Comment manipuler l'opinion publique en démocratie, Paris, Éditions Zones,
2007 (1928 pour la première édition américaine), 219 pages, p.16.

"Le président Wilson écrit au secrétaire d'Etat chargé des Affaires étrangères en
juillet 1917: "L'Angleterre et la France n'ont aucunement les mêmes vues que
nous sur la paix. Quand la guerre sera finie, nous pourrons les forcer à suivre
notre manière de penser car, à ce moment, ils seront, parmi d'autres choses,
financièrement entre nos mains."." (p.53)

-Frédéric Monier, Les années 20 (1919-1930), Paris, Librarie Générale


Française, coll. La France contemporaine, 1999, 217 pages.

"C'est précisément cette orientation nouvelle et vitale qu'a proposée Wilson, le 8


janvier 1918, dans les quatorze points de son message. Il suggère à l'Europe de
se construire à la façon des Etats-Unis: autonomie des Etats dans le domaine de
la justice, de l'enseignement, de la police, mais suppression des barrières
douanières et adoption d'une monnaie commune." (p.160)
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

https://www.amazon.fr/damnation-Woodrow-Wilson-Pr%C3%A9sident-Etats-
Unis/dp/2888921839/ref=sr_1_5?s=books&ie=UTF8&qid=1500304962&sr=1-
5&keywords=Woodrow+Wilson

Empire d’Autriche (1804 à 1867) : https://www.amazon.fr/Habsburg-Empire-


New-
History/dp/0674047761/ref=sr_1_cc_1?s=aps&ie=UTF8&qid=1509054309&sr
=1-1-catcorr&keywords=the+Habsburg+Empire%3A+A+New+History

https://www.amazon.fr/guerre-Autriche-Hongrie-R%C3%A9publique-Conseils-
1914-1920/dp/2915727481/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1486475723&sr=8-
2&keywords=Julien+Papp

1857
http://www.amazon.fr/Histoire-lAutriche-Steven-
BELLER/dp/2262028893/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1459773929&sr=8-
2&keywords=histoire+de+l%27autriche

http://www.amazon.fr/Histoire-sociale-lAutriche-Ernst-
Bruckm%C3%BCller/dp/2735108724/ref=sr_1_42?ie=UTF8&qid=1459774047
&sr=8-42&keywords=histoire+de+l%27autriche

François-Joseph Ier d'Autriche, roi de Hongrie (1830-1916): « Le


Compromis austro-hongrois de 1867 signifierait-il, si l’on suit Motyl, la
faiblesse d’un empire responsable d’un transfert de pouvoir du centre vers les
périphéries allant jusqu’à l’indépendance de celles-ci ? Judson répond que la
dernière grande réforme des institutions de la monarchie traduisait plutôt « les
objectifs trop ambitieux de l’empire. Il explicite sa pensée, sans vraiment réfuter
la thèse de Motyl, mais en reculant de vingt ans dans la réalité historique. Pour
lui, le néo-absolutisme imposé par François-Joseph et ses ministres
Schwarzenberg et Bach après l’échec des révolutions de 1848, avec son projet
radical de centralisation et de modernisation politique, administrative,
économique, fiscale, culturelle, industrielle et infrastructurelle, avait mis entre
1849 et 1859 l’État au bord de la faillite. Il fallut donc, pour obtenir le crédit
financier qui manquait, consentir à « démocratiser » – nous dirons aussi en «
constitutionnalisant » l’empire –, c’est-à-dire à revenir à une représentation
politique des différents pays et régions en élargissant sa base sociale. » -Marie-
Elizabeth Ducreux, « Nommer l'État et définir l'Empire. Monarchie des
Habsbourg, Autriche-Hongrie », Monde(s), 2012/2 (N° 2), p. 39-65.

https://www.amazon.fr/Fran%C3%A7ois-Joseph-Jean-Paul-
BLED/dp/2262035830/ref=sr_1_23?ie=UTF8&qid=1486398787&sr=8-
23&keywords=Jean-Paul+Bled

http://www.amazon.fr/Requiem-pour-un-empire-
d%C3%A9funt/dp/2262043795/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=14472813
33&sr=1-1&keywords=Requiem+pour+un+empire+d%C3%A9funt

Camillo Sitte (1843-1903): « Camillo Sitte, architecte viennois, spécialiste du


Moyen Age et de la Renaissance, fut conduit à écrire, en 1889, Der Städe-Bau,
nach seinen künstlischen Grundsätzen, pour protester contre l'aménagement de
Vienne (et en particulier du Ring) par O. Wagner selon les principes
haussmanniens. Il participa aux projets de développement de plusieurs villes
1858
autrichiennes et exerça une influence sur les urbanistes germaniques puis
anglo-saxons. Sitte doit être classé parmi les urbanistes, à la fois en raison de
cet engagement professionnel et de l'origine de son œuvre, en réaction contre
l'urbanisme haussmannien.
Sitte adopte une attitude résolument passéiste: "Ce n'est qu'en étudiant l’œuvre
de nos prédécesseurs que nous pourrons réformer l'ordonnance banale de nos
grandes villes". Il faut assurer la diversité et l'irrégularité des espaces, surtout
dans le centre des villes en prenant exemple sur la ville antique, médiévale et, à
la limite, renaissante. L'espace urbain doit être lié, cimenté par les monuments.
La rue joue un rôle fondamental, de passage, de rencontre. L'espace doit être
fermé, intime, à petite échelle, diversifié, imprévisible. Il doit rassurer et
stimuler, favoriser les rencontres. Pour cela, l'esthétique doit guider tous les
choix. On voit que le terme Städtebau doit être traduit par "l'art de bâtir les
villes" et non par "l'urbanisme", terme d'ailleurs inusité lors de la publication
de l'ouvrage. Ces principes doivent garder l'établissement de plans d'extension,
s'inspirant des modèles anciens sans les recopier.
A l'héritage de la ville traditionnelle [...] Sitte oppose "l'indigence et la banalité
des aménagements urbains modernes" et "les limites de l'art" dans ces
aménagements et "les améliorations à y apporter". » -Pierre Merlin,
L’Urbanisme, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1991, 124 pages, p.49.

https://www.amazon.fr/Lart-b%C3%A2tir-villes-Camillo-
Sitte/dp/2020293277/ref=pd_sim_14_6?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=FQ
AJHC7F5N3QPZG79DHB

République des conseils de Hongrie + Guerre hungaro-roumaine de 1919 :


http://hydra.forumactif.org/t4016-republique-des-conseils-de-hongrie-guerre-
hungaro-roumaine-de-1919#4872

L’Irlande, une marge proche dans l’Empire britannique : « La nation qui


[voit l’effusion de sang] comme l’horreur ultime a perdu sa virilité. Il y a
beaucoup de choses qui sont plus horribles que l’effusion de sang -l’esclavage
par exemple. » -Patrick Pearse, « The Coming Revolution », Political Writings
and Speeches, Dublin, Phoenix, 1924, p.99.

James Connolly (1868-1916) : « La vitalité de l’action sur les lieux de travail,


telle que les ouvriers la découvraient dans ces années, inspira un courant
syndicaliste révolutionnaire animé par Tom Mann, Ben Tillett, James Connelly

1859
et d’autres à l’écoute de correspondants en France (CGT) et aux Etats-Unis
(IWW). En 1914, le mouvement syndical dépassa les quatre millions de
membres. » -Fabien Knittel et all, Le travail en Europe occidentale des années
1830 aux années 1930. Mains-d’œuvre artisanales et industrielles, pratiques et
questions sociales, Ellipses Édition, 2020, 440 pages, p.371.

« Il s'est produit pour le mouvement ouvrier irlandais ce qui est familier au


mouvement républicain : est considérée comme un succès toute action qui
réussit à se construire des héros et des martyrs. L'échec de 1916 a été un succès
puisque James Connolly y a été sanctifié. 1913 a été un succès du syndicalisme
irlandais puisque Jim Larkin a une statue devant la Grande Poste. L'éminence
de ces deux figures a relégué dans l'ombre d'autres personnages moins
attachants mais dont les traces sont peut-être plus profondément inscrite dans la
réalité nationale. Elle a surtout empêché d'affronter la question centrale :
pourquoi le mouvement ouvrier irlandais n'a-t-il pas réussi à se donner une
expression politique indépendante et durable ? A la suite d'Arthur Mitchell,
d'autres ouvrages apportent des éléments de réflexion sur cette question
centrale.

Bernard Ransom présente James Connolly comme un théoricien marxiste


d'importance majeure. Rompant avec le marxisme ossifié au XIXe siècle,
déterministe et scientiste, Connolly a réintégré les valeurs morales du
catholicisme et du nationalisme dans le matérialisme historique. [...] Comment
[la classe ouvrière] pouvait-elle conquérir une place dans un pays où la
question nationale occupait toute la scène ? Les justifications économiques du
socialisme qui prédominaient dans le mouvement ouvrier britannique ne
suffisait pas. Au contraire, elles contribuaient à maintenir la conception d'une
Irlande comme pays "retardataire" dont le faible niveau de conscience avait
besoin de l'aide du grand frère. En "naturalisant" le marxisme, Connolly
transforma radicalement la question du "retard" économique. La survivance des
clans, de la propriété collective des terres dans la société celte, n'était pas signe
de "retard", mais les annonces prémonitoires d'un socialisme irlandais. Il suivit
la même démarche sur les questions religieuses. Alors que le socialisme
européen heurtait de front les idées religieuses en leur opposant rationalisme et
matérialisme, Connolly s'efforça de démontrer que christianisme et socialisme
ne s'excluaient pas. L'enseignement de l'église pouvait amener des catholiques à
militer pour le socialisme à partir des valeurs religieuses fondamentales. Il

1860
opposait le catholicisme qui condamnait le capitalisme au protestantisme,
morale de la bourgeoisie triomphante. [...]

L'objectif de Connolly était d'arracher à la bourgeoisie la direction du combat


national. Pour mener cette bataille d'idées, il voulait reprendre à la bourgeoisie
nationale les valeurs qui étaient ses armes les plus redoutables de domination. Il
y a brûlé son âme. Le simple fait que la carrière politique de Connolly culmine
avec la participe de "The Irish Citizen Army" au soulèvement de Pâques 1916,
indique une difficulté théorique non surmontée. Au lieu d'engager un bilan
critique du grand affrontement de 1913, le dirigeant syndical déplaça son
activité sur le terrain militaire, celui précisément où les affrontements de classe
deviennent les plus confus. Dans les circonstances, il n'y avait peut-être pas
d'autre issue possible. Ne faisons pas semblant de croire qu'il en avait trouvé
une.

Il reste que James Connolly a posé une question centrale : si la classe ouvrière
veut jouer un rôle dirigeant, elle doit se doter d'une ambition politique,
considérer que rien de ce qui est national ne lui est étranger, intervenir et
proposer des solutions sur les questions les plus aiguës. En Irlande, elle est
restée en marge des conflits centraux. » -Maurice Goldring, [compte-rendu de]
Bernard Ransom, Connolly's Marxism, 1980, Etudes irlandaises, Année 1982, 7,
pp. 303-308, pp.304-305.
(1) James Connolly (forumactif.org)

La République d’Irlande (24 avril 1916 à nos jours) :

http://academienouvelle.forumactif.org/t5819-alexandra-slaby-histoire-de-
lirlande-de-1912-a-nos-jours?highlight=irlande

https://www.amazon.fr/Histoire-lIrlande-Pierre-
JOANNON/dp/2262030227/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C
5%BD%C3%95%C3%91&crid=2JGWKOLL0T85T&keywords=histoire+de+l
%27irlande&qid=1577813181&sprefix=histoire+de+l%27irl%2Caps%2C177&
sr=8-1

https://www.amazon.fr/Michael-Collins-biographie-Pierre-
Joannon/dp/2710383152/ref=tmm_mmp_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=&sr
=

1861
https://www.amazon.fr/Libérateurs-lIrlande-Huit-siècles-
lutte/dp/2363581989/ref=pd_sim_14_7?_encoding=UTF8&pd_rd_i=236358198
9&pd_rd_r=1e44bf5d-cc5d-447c-abd4-
fb23d2beb62b&pd_rd_w=191AA&pd_rd_wg=rqxS6&pf_rd_p=bceabd13-
5994-41b5-a68e-
27a375cb5c23&pf_rd_r=45XE1863ADCNE4NTWM9F&psc=1&refRID=45XE
1863ADCNE4NTWM9F

L’Ascension et la Chute de la Social-démocratie allemande (1870-1933) :


« Il est nécessaire d'instituer une administration qui embrasse tout le champ
d'action de la société. »

« Dès lors que, dans une société socialisée, l'étal de choses sera bien mieux
ordonné, que tout marchera suivant un plan et un ordre déterminés, que la
société entière sera organisée, il sera bien facile de dresser une échelle des
divers besoins, et pour peu que quelque expérience soit une fois acquise,
l'ensemble ira comme sur des roulettes. »

« Dans la société nouvelle, les conditions de l'existence seront les mêmes pour
tous. »

« Il n'est pas douteux que, dans les grandes, les gigantesques luttes de l'avenir,
l'Allemagne remplira le rôle directeur auquel la prédestinent l'ensemble de son
développement et sa position géographique au « cœur de l'Europe ». Ce n'est
pas l'effet d'un hasard si ce furent des Allemands qui découvrirent les lois de
l'évolution de la société moderne et qui établirent scientifiquement le socialisme
comme la forme de la société de l'avenir. Ce furent en première ligne Karl
Marx, aidé de Frédéric Engels, et après eux Ferdinand Lassalle, lequel jeta la
lumière jusque dans les masses. Ce n'est pas non plus par hasard que le
mouvement socialiste allemand est le plus important et le plus efficace du
monde, qu'il a dépassé celui des autres nations, en particulier de la France, qui
en est restée à une espèce de développement semi-bourgeois, et que les
socialistes allemands sont les pionniers qui répandent l'idée socialiste chez les
peuples les plus divers. » -August Bebel, La femme et le socialisme, 1891.

« La Noradeutsche de Bismarck était pleinement dans son droit quand elle


annonçait, pour la satisfaction de son maître, que le Parti ouvrier allemand a,
dans son nouveau programme, abjuré l'internationalisme. » -Karl Marx, Gloses
marginales au programme du Parti Ouvrier allemand, 1875.
1862
"Even the Socialism which upon the continent retains a measure of the spirit of
internationalism is so tightly confined within the national limits, in its struggle
with bureaucracy and capitalism, that "the international" expresses little more
than a holy aspiration, and has little opportunity of putting into practice the
genuine sentiments of brotherhood which its prophets have always preached." -
John A. Hobson, Imperialism: A Study, New York, James Pott & Co., 1902, 221
pages, p.11.

« Le 5 décembre 1899, Bebel prononçait à Berlin un discours dans lequel se


faisait jour le plus pur socialisme d'État ; il osait même revenir aux
coopératives subventionnées par l'État que Marx avait condamnées dans sa
lettre de 1875 sur le programme de Gotha. Toutefois on n'en continuait pas
moins à considérer Bernstein comme un hérétique, afin de paraître toujours
fidèle aux vieilles espérances révolutionnaires. » -Georges Sorel, La
Décomposition du marxisme, 1re éd. Paris, Librairie de Pages libres, 1908.

« Au XIXe siècle, les luttes ouvrières s’opposaient au patronat sans mediation


étatique ; depuis Bismarck et au XXe siècle, l’Etat devient médiateur. Les
objectifs de nationalisation et de planification économique comme la recherche
du tripartisme (Etat, patronat, syndicats) s’ajoutent à la veille de 1914 aux
essais et projets du socialisme municipal ; les syndicats du reste devancent le
plus souvent les partis dans la demande de législation sociale, puis dans cette
marche à la négociation de conventions collectives et au partenariat.

En quittant leur position de minorité « anti » que l’on appelle généralement


révolutionnaire, les partis ouvriers se définissent comme partis de gouvernement
engagés dans « la marche du pouvoir » ; les partis révolutionnaires restent des
partis d’avant-garde redoublant par là, la situation « minoritaire ». Le
révisionnisme ne relève pas d’un malin génie et de la trahison, mais d’une
transformation sociologique

L’on retrouve là le partage de 1914 puis la scission du mouvement ouvrier ; le


socialisme démocratique qui est lié à des partis et à un socialisme national est
majoritaire. » -René Gallissot, Mai 68 : qu'est-ce qu'un mouvement social ? Au-
delà du mouvement ouvrier, L'Homme et la société, Année 1990, Volume 98,
Numéro 4, pp. 87-108, p.93.

Ferdinand Lassalle (1825-1864) : « Théoricien de l’État fort et démagogue,


Lassalle doit en effet être considéré comme un des fondateurs non seulement du
1863
socialisme européen, mais aussi des doctrines du “leadership” et du fascisme
romantique. » -Isaiah Berlin, Karl Marx, Paris, Gallimard, 1962 (1re éd.
originale : 1939), p. 280.

« Le lassallanisme se caractérise [...] par une organisation disciplinée,


hiérarchisée, du parti ouvrier, une idéologie ouvrière à forte accentuation
étatiste, une très grande importance accordée à la personnalité du chef, et enfin
une politique d'alliance, même avec des forces réactionnaires, pour combattre
la bourgeoisie démocratique.
Il serait donc utile d'étudier, et de près, le mouvement lassallien pour voir s'il y
a, ou non, entre ces différents éléments, une liaison structurale qui se retrouve,
à une autre échelle, bien entendu, dans le stalinisme du XXe siècle. » -Lucien
Goldmann, "Pour une approche marxiste des études sur le marxisme", Annales,
Année 1963, 18-1, pp. 114-118, p.116.

Karl Kautsky (1854-1938) :

Franz Mehring (1846-1919) : http://academienouvelle.forumactif.org/t7866-


franz-mehring-karl-marx-histoire-de-sa-vie#9082

Rosa Luxembourg (1871-1919): « À l’époque de la grande Révolution


française, les meilleures personnalités étaient du côté de la bourgeoisie. De nos
jours, les personnalités les plus nobles issues de la bourgeoisie (de la « couche
intellectuelle ») sont passées du côté du prolétariat.

À la fin du siècle dernier, la victoire de la bourgeoisie sur la noblesse était une


nécessité historique. Aujourd’hui, la victoire du prolétariat sur la bourgeoisie
est au même titre une nécessité historique. » -Rosa Luxembourg, L’année 1793,
extrait d’un article paru en juillet 1893 dans la revue polonaise Sprawa
Robotnicza (La Cause ouvrière), éditée à Paris et diffusée clandestinement en
Pologne.

« On ne peut imaginer rien de plus simple et de plus harmonieux que ce système


économique des anciennes Marches germaniques. Tout le mécanisme de la vie
sociale est comme à ciel ouvert. Un plan rigoureux, une organisation robuste
enserrent ici l'activité de chacun et l'intègrent comme un élément du tout. Les
besoins immédiats de la vie quotidienne et leur satisfaction égale pour tous, tel
est le point de départ et l'aboutissement de cette organisation. Tous travaillent
ensemble pour tous et décident ensemble de tout. D'où proviennent et sur quoi

1864
se fondent cette organisation et le pouvoir de la collectivité sur l'individu ? Du
communisme du sol, c'est-à-dire de la possession en commun du plus important
moyen de production. » -Rosa Luxembourg, Introduction à l'économie politique,
Chapitre 3 « La dissolution de la société communiste primitive », section I,
1907.

« Au moment même où le socialisme des anciennes écoles semblait pour


toujours enterré sous les barricades de l'insurrection de juin, Marx et Engels
fondaient l'idée socialiste sur une assise entièrement nouvelle. Ils ne cherchaient
les points d'appui du socialisme ni dans la condamnation morale de l'ordre
social existant, ni dans la découverte de projets aussi ingénieux et séduisants
que possible pour introduire en contrebande l'égalité sociale dans le régime
actuel. Ils se tournèrent vers l'étude des relations économiques dans la société
contemporaine. C'est là, dans les lois de l'anarchie capitaliste, que Marx
découvrit le véritable levier des aspirations socialistes. Les classiques français
et anglais de l'économie politique avaient découvert les lois selon lesquelles
l'économie capitaliste vit et se développe; un demi-siècle plus tard, Marx reprit
leur œuvre exactement là où ils l'avaient arrêtée. Il découvrit à son tour que les
lois de l'ordre économique contemporain travaillaient à la propre perte de cet
ordre économique en menaçant de plus en plus l'existence de la société par le
développement de l'anarchie et par un enchaînement de catastrophes
économiques et politiques. Ce sont, comme l'a démontré Marx, les tendances
évolutives de la domination du capital qui, parvenues à un certain point de
maturation, rendent nécessaire le passage à un mode d'économie consciemment
planifiée et organisée par l'ensemble de la société laborieuse, pour que toute la
société et toute la civilisation humaine ne sombrent pas dans les convulsions
d'une anarchie déchaînée. Le capital lui-même précipite inexorablement l'heure
de son destin, en rassemblant en masses toujours plus grandes ses futurs
fossoyeurs : les prolétaires; en s'étendant à tous les pays de la terre, en
instaurant une économie mondiale anarchique et en créant ainsi les bases d'un
rassemblement du prolétariat de tous les pays en une puissance révolutionnaire
mondiale qui balaiera la domination de la classe capitaliste. Le socialisme
cessait ainsi d'être un projet, un merveilleux phantasme, ou l'expérience,
acquise à la force du poignet par quelques groupes d'ouvriers isolés dans
différents pays. Le socialisme, programme commun d'action politique du
prolétariat international, est une nécessité historique, parce qu'il est le fruit des

1865
tendances évolutives de l'économie capitaliste. » -Rosa Luxembourg,
Introduction à l’économie politique, 1907.

« La tâche historique qui incombe au prolétariat, une fois au pouvoir, c'est de


créer, à la place de la démocratie bourgeoise, la démocratie socialiste, et non
pas de supprimer toute démocratie. » -Rosa Luxembourg, La Révolution russe,
1918.

« A mon tour peut-être je serai expédiée dans l’autre monde par la balle de la
contre-révolution qui est partout à l’affût. » -Rosa Luxembourg, 18 novembre
1918. Cité dans Max Gallo, Une femme rebelle : vie et mort de Rosa
Luxembourg, Fayard, 2000, 383 pages, p. 322.

« La révolution prolétarienne n'a nul besoin de la terreur pour réaliser ses


objectifs. Elle hait et abhorre l'assassinat. Elle n'a pas besoin de recourir à ces
moyens de lutte parce qu'elle ne combat pas des individus, mais des
institutions. » -Rosa Luxembourg, Que veut la Ligue Spartakiste ?

« La révolution prolétarienne n’a besoin d’aucune terreur pour atteindre ses


objectifs, elle abhorre et hait le meurtre. » -Rosa Luxembourg, au congrès de
fondation du Parti communiste allemand, décembre 1918. Cité dans Max Gallo,
Une femme rebelle : vie et mort de Rosa Luxembourg, Fayard, 2000, 383 pages,
p. 334.

« Rosa a vu […] ces affiches qui couvrent les murs de Berlin : « Tuez
Liebknecht et Luxembourg si vous voulez avoir la paix, du travail et du pain ». »
(p.352)

« Ils savent [ceux qu’accablent le massacre des spartakistes] que quand le


capitaine Pabst dit « C’est nous les Freikorps qui somme le pouvoir dans
l’Etat », le suffrage universel, l’Assemblée constituante ne sont plus que des
apparences. Et que l’ordre des soldats est celui de la violence des armes.
L’assassinat de Rosa annonce pour l’Allemagne un futur de meurtres. » (p.361)

« Le XXème siècle est une machine à broyer les individualités fortes, les pensées
libres et les illusions. » -Max Gallo, Une femme rebelle : vie et mort de Rosa
Luxembourg, Fayard, 2000, 383 pages, p.364.

« [Friedrich Engels] tenait pour possible que la démocratie bourgeoise finirait,


le suffrage universel aidant, par procurer au prolétariat une majorité au

1866
Parlement, réalisant de la sorte par des voies légales le passage de l’ordre
social bourgeois à la société sans classes. Il s’ensuit qu’un révisionnisme qui ne
doit rien au partisan pouvait, lui aussi, se réclamer de Marx et d’Engels. » -Carl
Schmitt, Théorie du partisan.

« Deux conceptions radicalement opposées de l’histoire de l’humanité. Ces deux


conceptions antinomiques sont présentes dans les œuvres de tous les grands
théoriciens marxistes. L’œuvre de Rosa Luxemburg l’exprime très clairement.
D’une part, on trouve chez elle des arguments très forts en faveur de l’action
autonome du prolétariat, sur sa créativité sociale… mais d’autre part, elle
essaye de démontrer dans un de ses principaux ouvrages
théoriques, L’accumulation du capital, l’effondrement inéluctable du
capitalisme à partir de considérations strictement économiques, en dehors de
toute lutte de classes. » -Pierre Khalfa, "Peut-on critiquer Marx ? À propos d’un
article de Daniel Bensaid sur Castoriadis", 27 décembre
2017: https://www.contretemps.eu/marx-bensaid-castoriadis/

« Le « marxisme orthodoxe » de la II° Internationale est l’idéologie scientifique


de la révolution socialiste, qui identifie toute sa vérité au processus objectif
dans l’économie, et au progrès d’une reconnaissance de cette nécessité dans la
classe ouvrière éduquée par l’organisation. » -Guy Debord, La société du
spectacle, IV. Le prolétariat comme sujet et comme représentation, thèse n°95,
1967.

« Tout au long de la République de Weimar et au cours des sombres jours du


fascisme d’Hitler, le Parti Communiste d’Allemagne (KPD) adhéra de plus en
plus à la ligne stalinienne condamnant la fondatrice de leur parti. Après la lettre
de Staline de 1931, qui fut rapidement traduite en allemand, les dirigeants du
KPD comme Ernst Thaelmann faisaient régulièrement des discours où ils
dénonçaient Luxemburg et Trotsky comme des diables jumeaux qui hantaient le
mouvement ouvrier révolutionnaire. Un porte-parole du KPD avertit que le
luxemburgisme était une arme de la contre-révolution différant « seulement
formellement des théoriciens sociaux-fascistes ». » -William A. Pelz, Texte
présenté à la Conférence Internationale Rosa Luxemburg de Tokyo des 1 et 2
avril 2007.

1867
http://www.amazon.fr/Working-class-Politics-German-Revolution-
Revolutionary/dp/1608465500/ref=sr_1_23?ie=UTF8&qid=1459078225&sr=8-
23&keywords=working+class

Anton Pannekoek (1873-1960) : https://www.amazon.fr/Ni-parlement-


syndicats-conseils-
ouvriers/dp/2913112196/ref=pd_sim_14_7?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
VG9SMT50KRCSJF1A2CXN

Gustav Landauer (1870-1918): "The Jungen's direct attack on the party


leadership inevitably resulted in a struggle that could only lead to their defeat.
Many of its adherents left the party and became independent socialists. Their
journal, Der Sozialist, soon took on an anticentralist, antistatist hue.
Nietzschean volition informed their anarchist socialist vision of the future. No
one worked out the bases of this Nietzschean anarchism more radically than the
one-time editor of Der Sozialist, Gustav Landauer (1870-1919).
Landauer, as Eugene Lunn has demonstrated, was able to harness Nietzschean
irrationalism and voluntarism and point them leftward. He created an
anarchism based on a form of vitalism and the notion of an individual and
collective willful self-transformation. Landauer filtered Nietzsche's negation of
human solidarity and community out of his system while incorporating the
philosopher's critique of materialism and suspicion of the state. Landauer
insisted that social questions could best be solved through willful
transformations of consciousness. As Landauer put it in his Aufruf zum
Sozialismus (1911): "Socialism is possible and impossible at all times ; it is
possible when the right people are there to will it and to it ; it is impossible
when people either don't will it or only supposedly will it, but are not capable of
doing it". Nietzschean anarchic socialism thus served as an alternative to a
cold, determinist Marxist orthodoxy. Landauer explicitly upheld the Nietzschean
insistence that life and culture required illusion. Viewed from this perspective,
socialism was a consciously generated antihistoricist myth of perpertual self-
creation." -Steven E. Aschheim, The Nietzsche Legacy in Germany (1890-
1990), University of California Press, 1994, 337 pages, p.170-171.

« Gustav Landauer considère le nationalisme comme une idéologie développée


par les élites pour mieux justifier leur domination, même si la nation lui
apparaît un phénomène naturel, conséquence d’une histoire commune. Selon
lui, le peuple juif constitue une nation, mais qui n’a pas d’État ni d’attache
1868
territoriale, ce qui représente un grand avantage politique : émancipé de fait de
l’État-nation, le Juif pourrait d’autant mieux participer des mouvements
universalistes de type socialiste et anarchiste. » -Francis Dupuis-Déri,
"L’anarchisme entre nationalisme et cosmopolitisme. L’expérience des Juifs
israéliens du groupe Anarchists Against the Wall", 2012, p.247.
Gustav Landauer + Anatole Lucet, Gustav Landauer : le devenir révolutionnaire comme alternative
anarchiste (forumactif.org)

Gustav Landauer, un anarchiste de l'envers - broché - Gustav Landauer, Freddy Gomez, Gaël Cheptou
- Achat Livre | fnac

Nicolas Ier (1796- * règne de 1825-1855) : « Le nouveau souverain ne manque


ni de résolution, ni de suite dans les idées, et il a une volonté de fer. Son sens du
devoir est absolu, et sa capacité de travail, énorme. Par son caractère, et même
par son aspect physique, d’une puissance impressionnante, Nicolas Ier semble
être taillé pour le rôle de despote. Rien d’étonnant s’il est toujours resté un
militaire, officier subalterne dans l’âme, dévoué à ses hommes, passionné
d’exercices, du champ de manœuvres. […] Le génie, plus particulièrement les
fortifications, fut l’autre passion durable de Nicolas. […] Il se spécialisa dans les
forteresses, devint chef du corps des ingénieurs militaires, et donc l’ingénieur
militaire en chef du pays, sans doute la fonction la plus importante qu’il it
exercée sous le règne de son frère ; plus tard encore, devenu empereur, il
n’épargna aucun effort pour faire du pays tout entier une forteresse
imprenable. » (p.352)

« L’insurrection décembriste, au tout début du règne de Nicolas Ier, n’avait pu


que durcir encore les idées du nouvel empereur, et sa volonté inflexible de
combattre la révolution jusqu’au bout. » (p.353)

« Pendant tout son règne, l’empereur redouta simultanément deux révolutions :


si décidait de priver les propriétaires terriens de leurs serfs, la noblesse pourrait
s’efforcer d’obtenir une Constitution. D’un autre côté, un ébranlement majeur de
l’ordre existant, comme celui que déclencherait l’émancipation tant désirée,
pourrait entraîner un soulèvement populaire, une véritable vague de fond. »
(p.356-357)

« Après 1848, cependant, même les réformes limitées devinrent impensables.


Effrayé par les révolutions européennes, Nicolas se convertit totalement à la
réaction. On interdit aux Russes de voyager à l’étranger, ordre qui frappa plus
1869
particulièrement les professeurs et les étudiants. Le nombre des étudiants non
boursiers fut limité à trois cents par université, à l’exception de l’École de
médecine. […] Le droit constitutionnel et la philosophie furent éliminés des
programmes ; la logique et la psychologie survécurent, mais elles devaient être
enseignées par des professeurs de théologie. En fait, certains historiens pensent
que les universités elles-mêmes furent bien près d’être supprimées ; certains
hauts-fonctionnaires purent intervenir à temps pour éviter le désastre. […] La
littérature, comme la pensée, était étouffée. » (p.358)

« C’est dans cette atmosphère où elle suffoquait que la Russie essuya une défaite
écrasante au cours de la guerre de Crimée. » (p.359)

« L’empereur russe n’avait pas la moindre intention de faire la guerre aux autres
puissances européennes. Partisan fanatique de l’autocratie dans son propre pays,
il devint également un champion intrépide de la doctrine légitimiste chez les
autres. » (p.359)

« [Le traité d’Andrinople de 1829] donnait à la Russie les bouches du Danube,


ainsi que de vastes territoires dans le Caucase ; garantissait l’autonomie, sous
protectorat russe, des principautés danubiennes de Moldavie et de Valachie ;
imposait à la Turquie une lourde indemnité ; garantissait le passage de la marine
marchande russe à travers les Détroits ; et assurait, incidemment, le triomphe de
la révolution grecque, que le tsar détestait toujours autant. Toutefois, malgré ces
avantages considérables, et d’autres encore, que le traité consentait à la Russie,
cet accord a souvent été considéré, à juste titre, comme un exemple de
modération en matière de relations internationales. L’empereur russe n’essaya
pas de détruire son adversaire d’hier, considérant la Turquie comme un élément
essentiel et indispensable de l’équilibre européen. » (p.360)

« En 1830, tandis que la révolution s’étendait en Europe, Varsovie se souleva


contre les Russes, à la fin novembre. Le commandant en chef des troupes du
royaume, le grand-duc Constantin, se montra incapable de faire face à la
situation, et bientôt la Pologne échappait totalement au contrôle russe. Il fallait
donc la reconquérir et entreprendre une véritable guerre, puisque les Polonais
avaient leur propre armée permanente, qui se rallia à la cause patriotique. Les
troupes russes de Paskévitch ne purent faire leur entrée à Varsovie qu’après neuf
mois de combats, et il fallut plus de temps encore pour anéantir détachements et
bandes patriotiques dans la danse forêt polonaise. Néanmoins, l’issue de la

1870
guerre n’avait jamais fait de doute pour personne. Non seulement les patriotes
polonais étaient inférieurs en nombre, mais encore ils n’avaient pas su conserver
l’appui des paysans et s’étaient aventurés en dehors de la zone de peuplement
polonais, là où la population ne les soutenait plus.

Le résultat fut une nouvelle tragédie pour la Pologne. La constitution de 1815 fut
remplacée par le Statut organique de 1832, qui faisait de la Pologne une « partie
inaliénable » de l’Empire russe. Le Statut accordait les libertés civiles, prévoyait
un droit à une administration locale distincts, et un large usage de la langue
polonaise. Mais il ne fut pas appliqué, et la Pologne fut administrée, de façon
brutale et autoritaire, par son vainqueur, le maréchal Paskévitch, nouveau prince
de Varsovie et vice-roi de Pologne. » (p.361)

« Abrogation des barrières douanières entre la Russie et la Pologne, en 1850. La


langue russe régnait dans l’enseignement secondaire comme une
l’administration, tandis qu’une censure rigoureuse interdisait comme
subversives les œuvres de la plupart des meilleurs auteurs polonais. » (p.362)

« Bien qu’enchanté de la chute de Louis-Philippe, qu’il détestait comme un


usurpateur et traître à la cause de sa légitimité, le tsar n’était pas disposé pour
autant à tolérer une révolution. Il rompit les relations diplomatiques avec la
France et massa trois ou quatre cen milles hommes de troupes dans l’Ouest de la
Russie, prêts à marcher sur le Rhin. […] Le gouvernement russe accorda à
l’Autriche un prêt de six millions de roubles, et informa la Grande-Bretagne que,
si une puissance extérieure venait en aide à l’un des Etats italiens contre les
Habsbourg, la Russie combattrait sans restrictions aux côtés de l’Autriche. »
(p.364)

« Les Russes instruits adhéraient à la philosophie des lumières ; c’est dans ce


milieu qu’au lendemain de la révolution française, apparaissent les premiers
martyrs de l’idéal rationaliste : Novikov, et surtout Radichtchev. Le libéralisme
du XVIIIe siècle, y compris sa variante radicale, se prolonge, au XIXe, à travers
des groupes de pensée aussi divers que le Comité intime d’Alexandre Ier ou les
Décembristes. Mais dans l’ensemble, le paysage intellectuel change du tout au
tout. Le romantisme et la philosophie idéaliste allemande remplacent les
lumières et les philosophes français à l’avant-garde de la pensée européenne. Le
nouveau Zeitgeist intellectuel privilégiait la connaissance totale, par
approfondissement de l’objet (et non dépourvue, le plus souvent, d’éléments

1871
mystiques ou religieux), aux dépens du rationalisme pur. A la conception
mécaniste de l’univers, il préférait une approche organiciste ; à une vision
utilitariste de la société, qui volontairement se bornait au présent, il préférait
celle que procure l’histoire. Alors que les hommes des lumières, cosmopolites
dans l’âme, ne rêvaient qu’unité et harmonie, les apôtres du nouveau
mouvement insistaient volontiers sur le rôle irremplaçable du combat, et l’état
de séparation inhérent aux différents éléments constitutifs de l’univers. Enfin, ils
plaçaient l’art et la culture au sommet de l’échelle des valeurs. » (p.390)

« Slavophiles et occidentaux avaient le même point de départ : la philosophie


idéaliste allemande ; mais ils en donnaient des interprétations divergentes et
arrivaient à des conclusions opposées. Tandis que Khomiakov et ses amis
affirmaient l’originalité irréductible de la Russie, et la supériorité de ses
principes sur ceux de l’Occident, les occidentaux soutenaient que la Russie
devait prendre modèle sur celui-ci. C’était seulement dans le cadre de la
civilisation occidentale, non en s’opposant à elle, que la Russie pourrait
accomplir sa mission historique. […] Contrairement aux slavophiles, ils
faisaient l’éloge de Pierre le Grand, mais ils entendaient poursuivre le processus
d’occidentalisation. » (p.394)

« Les radicaux […] sous l’influence en grande partie de la philosophie et de la


gauche hégéliennes, en arrivèrent à contester la religion, la société, l’ensemble
des institutions russes et européennes, et à préconiser la révolution. Bien que peu
nombreux, ils comptaient dans leurs rangs des personnages de premier plan
comme Vissarion Bélinski (1811-1848), Alexandre Herzen (1812-1870), et
Michel Bakounine (1814-1876). » (p.395)

« Les Petrachevsty appartenaient à une autre catégorie de radicaux. Ce groupe,


qui n’eut jamais d’existence officielle, comprenait un peu plus d’une vingtaine
de membres, et se réunissait le vendredi, au domicile de Michel Boutachévitch-
Petrachevski, à Saint-Pétersbourg. Commencées à la fin de 1845, ces réunions
prirent fin au printemps de 1849, avec l’arrestation des membres du groupe.
Ceux-ci se passionnaient pour la doctrine étrange d’un socialiste utopique
français nommé Fourier. Il préconisait la transformation pacifique de la société
en un certain nombre de petites communautés, bien intégrées et se suffisant à
elles-mêmes ; ce serait le moyen de libérer et d’harmoniser entre elles les
passions humaines […] De nombreux Petrachevtsky, non contents d’être
fouriéristes, exigeaient en outre des réformes et, de façon générale, s’opposaient
1872
politiquement a régime de Nicolas II. […] C’est en tant que membre de ce
groupe que Dostoïevski éprouva les affres d’une exécution imminente, puis fut
déporté en Sibérie. » (p.396)

-Nicholas V. Riasanovsky, Histoire de la Russie. Des origines à nos jours,


Éditions Robert Laffont, 1994 (1966 pour la première édition américaine), coll.
Bouquins, 1016 pages.

Alexandre II (règne de 1855 à 1881) : « Alexandre II succéda à son père,


Nicolas Ier, sur le trône de Russie, à l’âge de trente-sept ans. Il avait reçu une
assez bonne éducation, et il avait une expérience considérable des affaires de
l’Etat. […] Toute sa vie, il garda une mentalité essentiellement conservatrice, et
on ne peut pas, non plus, s’extasier sur ses talents ou sa force de caractère. Il
n’en reste pas moins que le nouveau monarque, contraint par la logique des
événements, décida d’entreprendre, et mena effectivement à bien, des réformes
fondamentales, d’une envergure sans précédent dans l’histoire de la Russie
depuis Pierre le Grand. Bien que profondes, ces réformes ne suffirent cependant
pas à guérir tous les maux dont souffrait la Russie, et entraînèrent, à leur tour, de
nouvelles difficultés et de nouveaux troubles, qui aboutirent, entre autres choses,
à l’assassinat du « tsar libérateur ». » (p.399)

« 58 pour cent [de serfs dans] la population totale en 1811, et 44.5 pour cent à la
veille des « grandes réformes ». » (p.400)

« Sémevski, d’après les rapports officiels, en compte [des révoltes de serfs] 550
entre 1800 et 1861. Une historienne soviétique, Ignatovitch, arrive à un total de
1467. » (p.400)

« A la veille de l’abolition [du servage] (contrairement à ce qui se passait dans le


sud des Etats-Unis au sujet de l’esclavage), il ne se trouvait pratiquement
personne en Russie pour défendre l’institution. […]

Enfin, la guerre de Crimée fournit de nouvelles preuves des inconvénients et des


dangers du servage : les recrues étaient en mauvaise condition physique et
complètement apathiques, le pays souffrait d’un grave retard économique et
technique. Par ailleurs, comme Rieber l’a récemment démontré, la Russie se
reposait uniquement sur son armée permanente et n’avait pas de réserves, car le
gouvernement n’osait pas laisser les soldats retourner dans leurs villages. »
(p.401)

1873
« [La libération des serfs] toucha directement quelque cinquante-deux millions
de paysans, dont plus de vingt millions appartenaient à des propriétaires privés.
On peut la comparer, par exemple, à la libération des quatre millions d’esclaves
noirs aux Etats-Unis, qui eut lieu presque au même moment, mais fut le résultat
d’une longue guerre civile, et non d’une évolution pacifique et légale. » (p.404)

« L’abolition du servage fut suivie par une éruption de violences agraires, et la


détresse, le désespoir, la colère des campagnes restèrent une menace redoutable
pour le pouvoir impérial, jusqu’à l’extrême-fin de celui-ci. » (p.406)

« Sous le règne d’Alexandre, le territoire de l’empire s’étendit considérablement


au Caucase, en Asie centrale, et en Extrême-Orient. Mais il n’y eut pas que des
succès : la Russie subit également d’importants revers diplomatiques. Qui plus
est, le rapport des forces en Europe évolua de façon défavorable pour la Russie :
l’unification de l’Allemagne, que le gouvernement tsariste avait plutôt facilitée,
créait une situation nouvelle, et la Russie avait beaucoup de mal à faire prévaloir
sa politique en 1881 que cinquante ans auparavant. » (p.417)

« Les dissonances apparurent clairement en 1875, lorsque la Russie et la


Grande-Bretagne exercèrent de fortes pressions sur l’Allemagne pour
l’empêcher de déclarer une guerre préventive à la France. » (p.418)

« En 1876, les Turcs réprimèrent avec brutalité l’insurrection bulgare, tandis que
combats et massacres se produisaient un peu partout ; la Serbie et le Monténégro
déclarèrent la guerre à la Sublime Porte. […] Les Serbes furent vaincus par les
Turcs ; dans la lutte inégale qu’ils avaient engagées contre les Ottomans, les
peuples balkaniqes n’avaient plus d’espoir que dans l’armée russe. […] Après
s’être entendu avec l’Autriche-Hongrie, le gouvernement tsariste déclara la
guerre à la Turquie, le 24 avril 1877.

Cette guerre difficile, âpre et coûteuse […] se termina par une victoire écrasante
des Russes. […] La Serbie et le Monténégro augmentaient leur territoire, et leur
indépendance était pleinement reconnue, ainsi que celle de la Roumanie. »
(p.419)

« Énormes gains de territoires réalisés par la Russie durant le troisième quart du


XIXe siècle, que ce soit dans le Caucase, en Asie centrale ou en Extrême-Orient.
Par ailleurs, en 1867, le gouvernement tsariste se retira de l’hémisphère
occidental en vendant l’Alaska aux Etats-Unis pour 7 200 000 dollars. » (p.421)

1874
« A l’avènement d’Alexandre II, le Caucase restait à pacifier, mais l’Asie
centrale restait à conquérir. Ce fut l’œuvre d’une série de campagnes
audacieuses, qui s’échelonnèrent entre 1865 à 1876. Menées par des généraux
habiles et pleins de ressources, comme Constantin Kaufmann et Michel
Skobélev, les troupes russes, effectuant une série de mouvements convergents
dans le désert, réussissent à encercler et à vaincre l’ennemi. Ainsi, en une
dizaine d’années, la Russie s’empara des khânats de Kokand, Boukhara et
Khiva, et, pour finir, en 1881, annexa également la région transcapienne.
L’expansion russe en Asie centrale ressemble à la fois aux guerres coloniales un
peu partout dans le monde, et à la migration vers l’Ouest des Américains.
L’Asie centrale était intéressante au point de vue commercial, car les peuples de
cette région pouvaient approvisionner les Russes en matières premières, en
coton par exemple, tout en absorbant les produits manufacturés de la Russie.
[…] En Asie centrale, comme dans le Caucase, la domination russe laissa
généralement intacts l’économie, la société, le droit et les coutumes indigènes. »
(p.422)

-Nicholas V. Riasanovsky, Histoire de la Russie. Des origines à nos jours,


Éditions Robert Laffont, 1994 (1966 pour la première édition américaine), coll.
Bouquins, 1016 pages.

Nicolas II (1868-1918): "En août 1898, Nicolas II avait surpris tout le monde.
Brusquement il avait proposé un arrêt général des armements, une entente
internationale pour que cessât, partout, l'augmentation ininterrompue des
crédits de guerre. De toute sa bonne volonté, le jeune tzar, profondément
religieux, essayait de protéger les peuples, de les préserver des tueries ; et
parallèlement il comptait sur ce meilleur emploi des deniers publics que
permettrait à chaque puissance une réduction des dépenses improductives. On
imagine sans peine le sursaut, les colères, que provoque, dans certains parages,
cette stupéfiante proposition. Se trouvent en péril tout à coup les bénéfices
immenses et régulièrement accrus que procurent, à de grandes entreprises, les
commandes officielles. Guillaume II est d'une simplicité candide dans cette note
que nous avons de sa main: "Avec quoi M. Krupp paiera-t-il ses ouvriers ?"
Écho du cris d'angoisse qui lui est parvenu de la Ruhr." (p.72)
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

1875
« En 1901, la Russie fournit 233 000 barils par jour, contre 190 000 pour les
États-Unis: elle est le premier producteur ainsi que le premier exportateur
mondial. [...] La Grande-Bretagne importe alors plus de pétrole russe que de
pétrole américain. » (p.87-88)
-Matthieu Auzanneau, Or Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La
Découverte/Poche, 2016, 881 pages.

https://www.amazon.fr/Nicolas-II-H%C3%A9l%C3%A8ne-Carr%C3%A8re-
dEncausse/dp/2818502543/ref=sr_1_7?s=books&ie=UTF8&qid=1500050004&
sr=1-7&keywords=Nicolas+II

Les Révolutions Russes et la naissance de l’URSS : « La raison ne peut rien


face à un peuple qui a faim. » -Sénèque, De Brevitate vitae (La Brièveté de la
vie).

« Il faut que toute Révolution aboutisse par le bien ou par le mal. Elle pouvait
arriver par le bien, vous ne l’avez pas voulu ; laissez-la donc frayer sa voie par
le mal.

L’humanité a fait le grand écart. Elle est dans l’attente d’une Révolution plus
profonde que celle qu’amena le christianisme. La civilisation craque et
s’écroule : rangez-vous, si vous ne voulez être écrasés sous ses décombres !!

La Révolution qui nous presse ! elle aura pour théâtre le monde ; pour acteurs,
les peuples ; pour moyens, un cataclysme ; pour résultat, comme toujours, un
despotisme unitaire d’abord, et puis l’égalité partout. Qu’ont à voir, dans tout
cela, vos chétives personnalités ? »

« S’il appartient à la France savante de propager les idées de la Révolution, il


faut une nation inculte pour les réaliser. [...]

Puisqu’il le faut… qu’elles viennent, les hordes du Nord ! qu’elles se précipitent


sur l’Europe au galop de leurs cavales, la lance au poing, ébranlant de hourras
sauvages les glaciers des Alpes, les vieux châteaux du Rhin, les échos de
Versailles et la Ville aux sept collines.

Qu’ils descendent, les Barbares ! qu’ils transfusent leur sang jeune dans les
veines de nos sociétés décrépites, constitutionnellement, organiquement
bourgeoises.

Qu’ils viennent et qu’ils soient bénis ! ne sont-ils pas nos frères ?…


1876
À nous fils de la France, républicains-démocrates-socialistes, il tarde de voir
arriver les Cosaques. » -Ernest Cœurderoy, La Barrière du Combat, 1852.

« En raison de l’effondrement anarchique, de la disparition totale de l’État, un


groupe d’hommes armés, animés par une foi commune, a décrété qu’il était
l’État : le soviétisme, sous cette forme, est, à la lettre, un "fascisme". » -Élie
Halévy, « L’Ère des tyrannies », Bulletin de la Société française de philosophie,
octobre-décembre 1936 [Séance du 28 novembre 1936].

« [La Révolution en Russie] est la révolution contre Le Capital de Karl Marx.


Le Capital était, en Russie, le livre des bourgeois plus que des prolétaires.
C'était la démonstration critique qu'il y avait en Russie une nécessité fatale à ce
que se formât une bourgeoisie, à ce que s’inaugurât une civilisation de type
occidental, avant que le prolétariat pût seulement penser à sa revanche, à ses
revendications de classe, à sa révolution. Les faits ont dépassé les idéologies.
Les faits ont fait éclater les schémas critiques à l'intérieur desquels l'histoire de
la Russie aurait dû se dérouler, selon les canons du matérialisme historique. »

-Antonio Gramsci.

« En fait, je souhaiterais qu’il fût démontré par quelques grandes expériences


que dans une société socialiste la vie se nie elle-même, tranche ses propres
racines […] cette démonstration par l’absurde dût-elle être conquise et payée
d’une énorme dépense de vies humaines. » -Friedrich Nietzsche.

« [Les Bolcheviks] s’attachent désespérément à cette croyance qu’il existe en


Angleterre des centaines de mille de communistes convaincus, familiers avec
l’évangile de Karl Marx, et qu’il y a chez nous une solidarité prolétarienne, qui
est à la veille de s’emparer du pouvoir et de proclamer la république des soviets
britanniques.

Oui, c’est à cela, malgré trois années d’attente vaine, qu’ils accrochent leur
espoir ! Mais leur foi faiblit.

Parmi les incidents les plus amusants suscités par cette étrange mentalité, on
doit noter les gronderies fréquentes que le télégraphe sans fil de Moscou répand
sur les travailleurs occidentaux parce qu’ils ne se comportent pas comme Marx
dit qu’ils devraient se comporter ! » -Herbert George Wells, La Russie telle que
je viens de la voir, 1921, Chapitre III « Quintessence du Bolchevisme », p.87.

1877
« La révolution offrit aux bolcheviks la possibilité de créer un ordre social
centralisé permettant de maintenir la séparation capitaliste entre ouvriers et
moyens de production et de refaire de la Russie une puissance impérialiste.

[…] Derechef la Russie se trouvait complètement organisée conformément aux


intérêts d’une classe bien déterminée : la classe privilégiée du système
capitalisme d’Etat naissant.

Tout cela n’a rien à voir, ni avec le stalinisme ni avec un quelconque «


thermidor ». Il n’est question que de la politique menée par Lénine et Trotsky
depuis le moment où ils prirent le pouvoir. Dans un rapport au VIe congrès des
soviets (1918), on put entendre Trotsky se plaindre : « tous les ouvriers
soviétiques n’ont pas compris que notre gouvernement est un gouvernement
centralisé et que toutes les décisions prises doivent être sans appel... Nous serons
sans pitié contre les ouvriers soviétiques qui n’auraient pas encore compris ;
nous les mettrons à pied, nous les éliminerons de nos rangs et nous leur ferons
sentir le poids de la répression ». Trotsky nous explique aujourd’hui que ces
mots visaient Staline, car celui-ci ne menait pas à bien la coordination de ses
activités dans la poursuite de la guerre. Nous voulons bien le croire ; mais
comme ces mots pouvaient encore mieux s’appliquer à tous ceux qui n’avaient
jamais appartenu à la « deuxième élite », ou qui plus généralement n avaient
aucun rang dans la hiérarchie soviétique ! Comme le remarque Trotsky, il y
avait déjà « une séparation profonde entre les classes en mouvement et les
intérêts de l’appareil du Parti. Même les cadres du parti bolchevique qui se
réjouissaient d’avoir à remplir en toute priorité une tâche révolutionnaire
exceptionnelle, étaient finalement assez enclins à mépriser les masses et à
identifier leurs intérêts particuliers à ceux de l’Appareil, et cela dès le jour du
renversement de la monarchie. » Trotsky se dépêche d’ajouter que les dangers
qu’aurait pu entraîner cette situation, étaient contrebalancés par la vigilance de
Lénine et par les conditions objectives qui faisaient que « les masses étaient plus
révolutionnaires que le Parti et le Parti plus révolutionnaire que l’Appareil ». Et
pourtant l’Appareil était dirigé par Lénine ! Avant la Révolution déjà, le Comité
Central du Parti, et Trotsky nous l’explique dans les moindres détails,
fonctionnait de manière quasi réglée et était entièrement entre les mains de
Lénine. Après la Révolution, cet état de fait ne fit que se renforcer. […]

L’impossibilité où il se trouve d’attaquer Staline sans s’en prendre du même


coup à Lénine nous fait comprendre dans quelles énormes difficultés se débat
1878
Trotsky en tant qu’oppositionnel. Son propre passé, ses propres théories lui
interdisent de faire naître un mouvement qui soit à gauche du stalinisme. Le «
trotskisme » se trouve ainsi condamné à ne rester qu’une simple agence de
rassemblement de bolcheviks malheureux. » -Paul Mattick, Stalinisme et
bolchevisme, 1947.

« La Révolution d’Octobre a ouvert une nouvelle ère dans l’histoire de


l’humanité. » (p.8)

« L’URSS consacre désormais de 25 à 30% de son produit national brut à des


dépenses militaires (contre 7 à 8% pour les États-Unis). » (p.11)

« Sous le couvert de la propriété d’Etat, existent aujourd’hui en URSS des


rapports d’exploitation semblables à ceux qui existent dans les autres pays
capitalistes. » (p.14)

« [Trotsky, comme Staline, affirme que] « dans les sociétés civilisées », c’est
« la loi (qui) fixe les rapports de production », ce qui fait apparaître les rapports
de production comme inscrits dans la superstructure et non pas comme
correspondant aux rapports qui s’établissent dans le procès social de production
et de reproduction. » (p.25)

« On peut beaucoup mieux comprendre l’ampleur de la répression, ses formes et


les contradictions qui s’y sont manifestées, lorsqu’on met ces faits en rapport
non pas [comme le fait Staline] principalement avec l’activité des services
d’espionnage étrangers et avec la « veulerie » des citoyens soviétiques, mais
avec une lutte de classes à la fois acharnée et aveugle. » (p.29)

« Les thèses « économistes » [le développement des forces productives comme


condition suffisante du passage au socialisme], sous la forme où elles triomphent
à partir de la fin des années 1920, n’ont fondamentalement pas été mises en
cause par les différents courants « oppositionnels ». » (p.35)

« [Lénine] n’a jamais hésité à aller « contre le courant », si bien qu’il a été mis
plus d’une fois en minorité au sein du Comité central, y compris sur des
questions essentielles. » (p.36)

« La gestion des entreprises soviétiques repose sur deux principes essentiels : la


direction unique responsable vis-à-vis des instances supérieures et l’
« autonomie financière » orientant l’entreprise vers la recherche d’un profit.

1879
Lorsque ces deux principes ont été introduits en 1918 et 1921, Lénine avait
souligné qu’ils correspondaient à une « retraite » provisoire, imposée par les
circonstances de l’époque et que leur application introduisait des rapports
capitalistes dans le secteur d’Etat. Parlant de l’ « autonomie financière »
accordée aux entreprises d’Etat, Lénine indique qu’elle place dans une large
mesure ces entreprises sur « des bases commerciales capitalistes » (cf., Lénine,
O.C, tome 42, p.396). Depuis 1965, l’autonomie financière des entreprises et la
recherche de la rentabilité ont été considérablement développées. » (p.42)

« La première étape de la Révolution soviétique victorieuse est celle de


l’instauration du pouvoir prolétarien et des transformations économiques et
politiques initiales liées à cette instauration. Cette étape couvre les mois qui vont
de l’insurrection d’octobre 1917 au début des insurrections blanches (fin mai
1918).Pendant ces quelques mois, le pouvoir soviétique s’efforce de briser le
pouvoir économique que donne à la bourgeoisie la propriété des principaux
moyens de production et de circulation, en nationalisant les grandes entreprises
industrielles, les mines, les banques, etc., et en plaçant l’ensemble de l’économie
sous le contrôle de la classe ouvrière, tout en évitant de procéder à des
nationalisations étendues. » (p.47)

« Le déclenchement des insurrections blanches et des interventions des armées


impérialistes conduit au développement de pratiques économiques et politiques
très différentes de celles qui avaient d’abord été envisagées. Ces pratiques –qui
accordent un rôle prédominant aux appareils d’Etat et à la contrainte étatique,
notamment sous la forme de réquisition des produits agricoles –caractérisent le
« communisme de guerre ». Celui-ci correspond à une période qui va de juin
1918 à mars 1921.

Au terme de la période de guerre civile et d’intervention étrangère, la Russie est


dévastée et se trouve au bord de la famine. Les pratiques du « communisme de
guerre » ne paraissent pas capables d’aider au redressement de la situation. Une
nouvelle politique économique (ou NEP) est alors adoptée. Cette politique se
présente d’abord comme un retour au « capitalisme d’Etat » de l’hiver 1917-
1918. La conception de la NEP connaît diverses transformations jusqu’à son
abandon, en 1919. Un de ses principaux aspects est le rétablissement de la
liberté du commerce des produits agricoles et l’abandon des réquisitions. »
(p.48)

1880
« La bourgeoisie russe et les propriétaires fonciers ont perdu le pouvoir le 25
octobre 1917 [7 novembre 1917]. Ce jour-là, les ouvriers en armes ainsi que les
soldats et les marins de Pétrograd et de Cronstadt, qui forment les forces
insurrectionnelles de la révolution dirigée par le parti bolchevik, sont entrés en
action. En quelques heures, tous les bâtiments publics importants de la capitale
tombent aux mains des forces révolutionnaires. Au petit matin du 26 octobre, le
Palais d’Hiver, siège du gouvernement provisoire de Kérenski, est occupé à son
tour. Les ministres qui y siègent sont faits prisonniers. […]

Au soir du 25 octobre se réunit le IIe Congrès panrusse des Soviets de Russie.


Les bolcheviks y sont en majorité. Dans la nuit du 25 au 26, le Congrès (dont la
plupart des mencheviks et S.R. se sont retirés) confirme à son tour le
renversement du gouvernement provisoire. Il déclare expirés les pouvoirs du
précédent Comité exécutif central des Soviets et il prend lui-même en main le
pouvoir. Dans les heures qui suivent, le IIe Congrès panrusse des Soviets décide
la formation d’un gouvernement provisoire ouvrier et paysan, portant le nom de
Conseil des commissaires du Peuple et formé de dirigeants du parti bolchevik.
Le Congrès charge le gouvernement « d’entamer des pourparlers immédiats en
vue d’une paix juste et démocratique » et adopte le « décret sur la terre » qui
abolit la propriété des propriétaires fonciers.

L’insurrection armée a triomphé presque simultanément à Moscou (alors la


deuxième capitale) et dans les grands centres urbains. Ce triomphe témoigne de
la perte d’autorité, aux yeux des masses populaires, de l’ancien gouvernement
provisoire. Aussi Kérenski, qui est parvenu à s’échapper de Pétrograd, n’est-il
plus obéi par l’essentiel de l’armée. Seules quelques troupes le suivent encore,
mais elles sont si peu nombreuses et si démoralisées que l’offensive qu’il essaie
de monter contre Pétrograd, au lendemain des journées d’Octobre, échoue
lamentablement. L’épreuve des armes confirme ainsi que la bourgeoisie a bien
perdu le pouvoir et que celui-ci est désormais exercé par les Soviets sous la
direction du parti bolchevik. » (p.56)

« La Russie d’avant octobre 1917 est à la fois un pays impérialiste et un pays


fortement dépendent de l’impérialisme mondial (principalement des
impérialismes français et anglais) qui y a investi des milliards de francs, soit en
prêts à l’Etat tsariste, soit dans l’extraction du pétrole et du charbon et dans les
industries sidérurgiques et mécaniques.

1881
La dépendance de l’impérialisme russe vis-à-vis du capital anglais et français est
une des sources de sa faiblesse ; elle est elle-même une conséquence de la forme
spécifique du développement de l’impérialisme russe dont le capitalisme
industriel repose sur des bases extrêmement limitées. » (p.57)

« Il faut […] rappeler les traités [d’Aïgoun en 1858, de Pékin en 1860] imposés
par la Russie à la Chine pendant la deuxième moitié du XIXème siècle.

Ces opérations, réalisées en conjonction avec les agressions franco-britanniques


contre la Chine, ont permis au tsarisme d’arracher à ce pays près d’un million et
demi de kilomètres carrés. » (p.58-59)

« En 1913, le prolétariat russe représente 14% de la population, mais ce


prolétariat est fortement concentré dans quelques grands centres industriels […]
En 193, la paysannerie représente 67% de la population. » (p.59)

« Fin février 1917, le seul organe pouvant parler au nom de la révolution qui
vient de triompher est le Soviet de Pétrograd, appuyé par les Soviets qui naissent
un peu partout à travers la Russie. Ce pouvoir soviétique, soutenu par les corps
de troupes insurgés, n’a apparemment en face de lui aucun autre pouvoir. Le
seul organe qui aurait pu prétendre s’opposer à lui, le Comité issu de la Douma
d’Empire (parodie de « parlement » tsariste), ne jouit d’aucun prestige auprès
des masses révolutionnaires, car il est composé de représentants de la
bourgeoisie et de la propriété foncière. Or, le Soviet de Pétrograd, constitué
principalement de mencheviks et de S.R., passe un accord avec le Comité de la
Douma. En vertu de cet accord, conclu le 1er mars, se forme un gouvernement
provisoire composé de politiciens bourgeois, et le Soviet s’engage à soutenir ce
gouvernement sous certaines conditions. Ainsi prend naissance une situation que
Lénine a caractérisé comme une « dualité du pouvoir ». » (p.60-61)

« On estime qu’il existait 400 Soviets en mai, 600 en août et 900 en octobre.
Parallèlement se développe le mouvement des comités d’usine et se constituent
des Soviets de quartiers dans les villes d’une certaine importance. » (p.61)

« Au Ier Congrès panrusse des Soviets, en juin, on ne compte encore que 105
bolcheviks sur 1090 délégués, mais les bolcheviks jouent déjà un rôle dominant
dans la section ouvrière du Congrès où une résolution exprimant leur position
est adoptée par 173 voix contre 144. En octobre, les bolcheviks, s’appuyant sur

1882
la classe ouvrière, sont majoritaires au IIe Congrès des Soviets tout comme au
Soviet de Pétrograd. » (p.63)

« Au cours de l’été, l’échec sanglant de l’offensive décidée par Kérenski, et la


propagande de mieux en mieux organisée des bolcheviks transforment
rapidement la situation. En octobre, les soldats du front comme ceux de l’arrière
soutiendront massivement les positions des bolcheviks.

Par contre, les paysans proprement dits s’engagent avec beaucoup plus de
réticence dans le mouvement soviétique et ils sont loin de se rallier massivement
aux initiatives et aux positions bolcheviques. » (p.64)

« Le centre de gravité de l’organisation de la « paysannerie » n’est pas constitué


par le système soviétique mais par le système des comités agraires qui
s’installent principalement au niveau des provinces, des arrondissements et des
districts, c’est-à-dire loin des villages. Ces comités travaillent en collaboration
avec le gouvernement provisoire. Ils sont dominés par la petite bourgeoisie
« rurale » (agronomes, instituteurs, représentants des zemstvos, organisateurs de
coopératives, etc.). Politiquement, ces comités sont massivement sous
l’influence des S.R. et la situation ne changera guère entre février et octobre. »
(p.64-65)

« Le renversement du pouvoir de la bourgeoisie exercé par le gouvernement


provisoire de Kérenski et l’instauration d’un nouveau pouvoir sont le résultat
d’un affrontement armé qui prend la forme d’une insurrection. » (p.69)

« C’est le 10 octobre [1917], après plusieurs semaines d’hésitations, que le


Comité central se prononce pour l’insurrection. Auparavant, il avait laissé sans
réponse les indications de Lénine et même « biffé » certains de ses articles. Ceci
avait conduit Lénine à présenter sa démission du Comité central afin « de faire
de la propagande (pour ses positions) dans les rangs du parti et au congrès du
parti. ». » (note 2 p.71)

« En octobre 1917, le prolétariat a disposé de la puissance militaire décisive


parce que les forces armées qui pouvaient décider du sort de la révolution
n’étaient plus prêtes à combattre pour la bourgeoisie. Elles se sont ralliées à la
révolution pour des raisons idéologiques et politiques : parce qu’elles ne
pouvaient pas échapper à la pression et à l’action des masses populaires. Les
masses étaient en effet poussées en avant par la situation sans issue dans laquelle

1883
la bourgeoisie russe maintenait le pays. La poussée des masses ouvrières est
devenue irrésistible grâce au parti bolchevik qui les a aidées à saisir le caractère
de la situation et à agir de façon unifiée et au juste moment. C’est donc la
combinaison de conditions révolutionnaires d’ensemble et de l’action du parti
bolchevik qui a permis la victoire de l’Insurrection d’Octobre et l’instauration de
la dictature du prolétariat. » (p.77)

« [Fixation de] la représentation paysanne à un délégué pour 125 000 habitants


et [de] la représentation urbaine à un délégué pour 25 000 électeurs. […]

L’adoption de cette mesure discriminatoire à l’égard de la paysannerie n’est pas


sans rapport avec les résultats des élections de l’Assemblée constituante
(dissoute à peine réunie, les 5-6 janvier 1918). Ces élections, organisées sous le
pouvoir soviétique, n’ont donné, sur les 707 membres élus, que 175 sièges aux
bolcheviks contre 410 aux S.R., 17 au parti Cadet [K.D, pour constitutionnel
démocrate], 16 aux mencheviks et 86 à différents groupes nationaux.

Les mêmes raisons ont conduit à limiter sérieusement, puis pratiquement à


interdire l’activité des partis autres que le parti bolchevik, notamment celle du
parti S.R., fortement lié aux couches aisées des campagnes.

Il est difficile de déterminer les effets que ces différentes mesures ont eus sur
l’attitude des paysans à l’égard des organes soviétiques. On constate en tout cas
qu’au niveau des Soviets d’arrondissements (ceux où l’influence de la
paysannerie pouvait le plus se faire sentir et sur lesquels on est suffisamment
informé), la proportion des délégués communistes est de près de 61% en 1918 et
tombe progressivement jusqu’à 43% en 1920 et 44% en 1921. La disparition des
autres partis ne s’accompagne pas de l’accroissement des effectifs délégués
bolcheviks mais de celui des délégués sans parti. En 1920 et 1921, ceux-ci sont
même plus nombreux que les délégués communistes. » (p.88-89)

« Dès le soir du 26 octobre 1917, le Congrès panrusse des Soviets ouvriers et


soldats, dans sa deuxième et dernière réunion, approuve la constitution d’un
Conseil des commissaires du Peuple (en abregé, en russe : Sovnarkom),
« premier gouvernement des ouvriers et des paysans ».

Ce premier Sovnarkom est uniquement composé de bolcheviks. Ses membres


ont été désignés par le parti.

1884
Pendant une brève période, entre la fin novembre 1917 et l’été de 1918,
quelques S.R. de gauche sont appelés à participer au Sovnarkom, c’est-à-dire au
gouvernement, mais l’hostilité croissante des S.R. de gauche à la politique du
parti bolchevik (notamment à la conclusion de la paix de Brest-Litovsk avec
l’Allemagne) aboutit à leur exclusion du Sovnarkom. Désormais, ce dernier est
exclusivement composé de bolcheviks.

Jusqu’à sa mort, Lénine est président du Sovnarkom. » (p.92)

« Le pouvoir gouvernemental est concentré dans le Sovnarkom. Les S.R. de


gauche ayant alors été éliminés du Sovnarkom, le pouvoir gouvernemental se
trouve donc entre les mains du parti bolchevik, et, progressivement, de son
Comité central (C.C.), puis, ultérieurement, du bureau politique du parti. Ce
dernier examine la plupart des décisions importantes en même temps que le
Sovnarkom et même, le plus souvent, avant celui-ci. […]

Avant la victoire de la Révolution d’Octobre, l’idée de la constitution d’un


organe gouvernemental tel que le Sovnarkom, constituant un organisme distinct
de l’organisation soviétique, n’avait pratiquement jamais été évoquée. Tous les
pouvoirs semblaient appelés à être concentrés dans les organes soviétiques
proprements dits. Au terme du procès qui vient d’être décrit, il en est autrement :
c’est le Sovnarkom, dont les membres sont choisis par le parti bolchevik et qui
n’est pas directement issu des organes soviétiques […] qui exerce le pouvoir
gouvernemental. On aboutit ainsi à la mise en place d’une structure de pouvoir
sensiblement différente de celle qui avait été projetée avant la Révolution
d’Octobre, y compris par le parti bolchevik lui-même. » (p.94)

« En février 1917, le parti bolchevik compte […] environ 40 000 militants. […]
En avril 1917, le parti bolchevik compte 80 000 membres, en août, il en compte
déjà 240 000. D’un parti de militants, il tend alors à devenir un parti de masse :
au moment de l’Insurrection d’Octobre, le parti compte environ 300 000
membres. » (p.109)

« Le soutien apporté au parti bolchevik par les masses populaires a


essentiellement pour base la coïncidence avec les mots d’ordre politiques
immédiats du parti bolchevik de la volonté de paix des masses et de la lutte des
paysans pour la terre. » (p.110)

1885
-Charles Bettelheim, Les luttes de classes en URSS. 1ère période 1917-1923,
Maspero/Seuil, 1974, 524 pages.

« La Révolution d’Octobre a été l’aboutissement d’un processus qui a


commencé bien avant l’année 1917, et même bien avant la guerre. Si la
paysannerie russe occupe dans ce processus une place importante, si dans les
faits immédiats le rôle de la classe ouvrière, regroupée à Saint-Pétersbourg et à
Moscou a été important, ces deux classes n’auraient pas réussi à abattre le
régime tsariste sans les contradictions qui minaient ce dernier. Il a fallu qu’une
large partie de l’élite russe se détache du régime tsariste pour que ce dernier
s’écroule. De ce point de vue, les aspirations à la modernisation économique
d’une partie de l’élite ont joué un rôle au moins aussi important. Ces
aspirations à la modernisation économique, qui débouchent rapidement sur une
aspiration à la modernisation politique, trouvent néanmoins leurs origines dans
un sentiment national puissant, que le régime tsariste n’a su ou n’a pu incarner.

Ce sentiment national s’exprime en Russie depuis la guerre contre l’empire


ottoman de 1876-1877. Il souffre de la vision de la défaite, mais plus encore de
la vision de l’incompétence que donne l’élite tsariste lors de la guerre contre le
Japon en 1904-1905. Il va se radicaliser quand, après des premières semaines
victorieuses, l’armée russe va subir de nouvelles défaites cette fois face à
l’Allemagne en 1914. L’incapacité du régime tsariste à conduire la guerre sera
le détonateur qui fera éclater ce sentiment national en un sentiment anti-tsariste
dès 1916 et le début de 1917.

Ce sentiment national va resurgir avec l’intervention étrangère dès la fin de


1918. En un sens, le soutien des armées britanniques, françaises, des Etats-Unis
et du Japon aux armées blanches sera leur baiser de la mort. Il permettra à un
consensus patriotique de se souder, consensus qui se traduira par le succès des
bolchéviques. La dimension nationale dans le succès de ces derniers ne pourra
pas être reconnue directement. Mais cette dimension sera reconnue
indirectement dans le tournant de la NEP, qui sera la forme politique d’une
alliance avec ce que les communistes chinois appelleront, plusieurs dizaines
d’années après la « bourgeoisie nationale ». C’est pourquoi la NEP ne doit pas
être étudiée comme une simple « pause » ni comme une « politique
économique ». Elle est, en réalité, une solution politique qui correspond aux
fractures de la société russe depuis le début du XXème siècle, et elle est dans la

1886
continuité politique avec la Révolution d’Octobre. » -Jacques Sapir, La
Révolution d’Octobre : réflexion sur un centenaire, site de l’auteur, 4 août 2017.

http://academienouvelle.forumactif.org/t7363-sophie-coeure-sabine-dullin-1917-
un-moment-revolutionnaire-sabine-dullin-l-entre-voisins-en-periode-de-
transition-etatique-1917-1924-la-frontiere-epaisse-des-bolcheviks-a-l-est-de-l-
europe-des-frontieres-s-ouvrent-et-se-ferment#8543

https://www.amazon.fr/guerre-civile-russe-Alexandre-
JEVAKHOFF/dp/2262039933/ref=sr_1_10?s=books&ie=UTF8&qid=14835655
09&sr=1-10&keywords=la+r%C3%A9volution+russe

https://www.amazon.fr/Anarchistes-Russes-Soviets-Revolution-
1917/dp/B0748YN1BB/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1505991220&sr=
1-
1&keywords=Alexandre+Skirda%2C+Les+Anarchistes+russes%2C+les+soviets
+et+la+r%C3%A9volution+de+1917

https://www.amazon.fr/histoire-sociale-regime-sovi%C3%A9tique-1918-
1936/dp/2747517020/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1483565193&sr=8-
1&keywords=Pour+une+histoire+sociale+du+r%C3%A9gime+sovi%C3%A9tiq
ue+%281918-1936%29

https://www.amazon.fr/ouvriers-URSS-1928-
1941/dp/2859443207/ref=asap_bc?ie=UTF8

http://www.amazon.fr/LUTTES-DE-CLASSES-URSS-
LES/dp/2020022060/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=51F459NTPXL&dpSr
c=sims&preST=_AC_UL160_SR109%2C160_&refRID=1BHS0WZNT7A4G7
QKJWCP

http://www.amazon.fr/luttes-classes-en-
URSS/dp/2020046156/ref=sr_1_27?ie=UTF8&qid=1459774991&sr=8-
27&keywords=lutte+des+classes

http://www.amazon.fr/La-R%C3%A9volution-russe-Tome-1891-
1924/dp/2070398862/ref=pd_sim_sbs_14_6?ie=UTF8&dpID=41Iz-
uAB9zL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR106%2C160_&refRID=1NF7Y
KVPNDRPCW2WY3HM

1887
http://www.amazon.fr/La-R%C3%A9volution-russe-Tome-1891-
1924/dp/2070320111/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=41KumRrkeAL&dpS
rc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=1J84D7WTNS1DG1B
Z8PY0

https://www.amazon.fr/R%C3%A9volution-russe-Richard-
Pipes/dp/2130453732/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=1483450051&sr=1-
3&keywords=Richard+Pipes

https://www.amazon.fr/Une-r%C3%A9volution-au-
jour/dp/2909589358/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1488282410&sr=8-
1&keywords=Une+r%C3%A9volution+au+jour+le+jour

http://www.amazon.fr/La-trag%C3%A9die-sovi%C3%A9tique-Martin-
Malia/dp/202036283X/ref=pd_sim_14_33?ie=UTF8&dpID=514GHpyw9fL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=09RYKFFVGME5
HEA7Z9RS

https://www.amazon.fr/Stalinisme-quotidien-Russie-sovi%C3%A9tique-
ann%C3%A9es/dp/2082100502/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1483565029&sr=8-
1&keywords=Le+Stalinisme+au+quotidien.+La+Russie+sovi%C3%A9tique+da
ns+les+ann%C3%A9es+30

https://www.amazon.fr/Russian-Sideshow-Americas-Undeclared-1918-
1920/dp/1574887068/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1478767
420&sr=8-1

http://www.amazon.fr/combats-ind%C3%A9pendantistes-Caucasiens-
puissances-
occidentales/dp/2296094767/ref=sr_1_cc_4?s=aps&ie=UTF8&qid=1429705806
&sr=1-4-catcorr&keywords=Civil+War+in+South+Russia%2C+1919-
1920%3A+The+Defeat+of+the+Whites

Peter Berngardovich Struve (1870-1944): « Issu des milieux de l'intelligentsia


et des professions libérales, directement influencé par les modèles
démocratiques occidentaux, l'Union pour la libération (1903) ayant été créée en
exil en Suisse par Struve, Milioukov et Lvov avant la transformation de 1905, le
mouvement libéral-démocrate réussit non seulement à rallier en 1905 la
majorité des zemstva et des mouvements professionnels réunis dans l'Union des
unions mais surtout à obtenir la majorité relative des sièges à la première
1888
Douma (environ 184 sur 497 sièges) en 1906. A cette date, comme en 1904 pour
les libéraux conservateurs, les libéraux-démocrates paraissent en mesure
d'imposer la transformation du régime mais, comme leurs prédécesseurs, et
aussi contre eux, ils vont échouer: s'étant alliés pour les élections avec la
gauche socialiste, ils se sont coupés des modérés et des Octobristes au sein de la
Douma et ne peuvent former une majorité de gouvernement ; refusant leur
participation à un gouvernement non responsable, ils ne réussissent pas plus à
former un gouvernement de majorité (cadets et travaillistes) ; restant divisés
entre monarchistes et républicains, modérés, tel Maklakov, et radicaux, leur
programme de réformes paraît plus ambigu, notamment sur la propriété
agricole, que celui des extrêmes, droite conservatrice et gauche socialiste, qui
toutes les deux progressent aux élections de la deuxième Douma. L'échec de la
première Douma, sa dissolution au bout de deux mois par Nicolas II marquaient
déjà en fait l'échec de la voie libérale et démocratique: le nombre de sièges du
parti K. D. était divisé par deux après les nouvelles élections (99 députés),
rendant plus difficile encore la formation d'une majorité responsable et le parti,
resté fidèle à l'alliance à gauche, rejetait une nouvelle fois les propositions
(individuelles) du gouvernement Stolypine (1907-1911), risquant encore plus de
perdre son électorat au profit des travaillistes, des socialistes-révolutionnaires
et des sociaux-démocrates. Le mouvement libéral et démocrate ne retrouvera
pas cette situation de prépondérance, même pas après la Révolution de février
1917 et le gouvernement de Georges Lvov, de Milioukov et de Goutchkov
comme le prouvait la prise du pouvoir par les bolcheviks. » -Nicolas
Roussellier, L'Europe des libéraux, Éditions Complexe, 1991, 225 pages, p.126-
127.

http://www.amazon.com/Struve-Liberal-1870-1905-Russian-
Research/dp/0674845951/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1425317333&sr
=1-1&keywords=Richard+Pipes+Struve%3A+Liberal+on+the+Left

http://www.amazon.com/Struve-Liberal-1905-1944-Russian-
Research/dp/0674846001/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1425317357&sr
=1-1&keywords=Richard+Pipes+Struve%3A+Liberal+on+the+right

Parti socialiste révolutionnaire et socialiste-révolutionnaire de gauche :


http://academienouvelle.forumactif.org/t7743-parti-socialiste-revolutionnaire-
russie-parti-socialiste-revolutionnaire-de-gauche#8957

1889
Lénine (1870-1924) et la fondation du totalitarisme : « La guerre entre les
nations est un jeu puéril, une survivance bourgeoise qui ne nous regarde pas. La
véritable guerre, notre guerre c’est la révolution mondiale pour la destruction
de la bourgeoisie et pour le triomphe du prolétariat ». -Lénine.

« A la place de tout nationalisme, le marxisme met l’internationalisme, la fusion


de toutes les nations dans une unité suprême qui se développe sous nos yeux
avec chaque nouvelle verste de chemin de fer, chaque nouveau trust
international, chaque association ouvrière (internationale par son activité
économique et aussi par ses idées, ses aspirations).

Le principe de la nationalité est historiquement inéluctable dans la société


bourgeoise, et, compte tenu de cette société, le marxiste reconnaît pleinement la
légitimité historique des mouvements nationaux. Mais, pour que cette
reconnaissance ne tourne pas à l’apologie du nationalisme, elle doit se borner
très strictement à ce qu’il y a progressif dans ces mouvements, afin que cette
reconnaissance ne conduise pas à obscurcir la conscience prolétarienne par
l’idéologie bourgeoise. […]

Le principe du nationalisme bourgeois, c’est le développement de la nationalité


en général, d’où le caractère exclusif du nationalisme bourgeois, les querelles
nationales sans issue. Quant au prolétariat, loin de vouloir défendre le
développement national de toute nation, il met au contraire les masses en garde
contre de telles illusions, préconise la liberté la plus complète des échanges
capitalistes et salue toute assimilation des nations, excepté l’assimilation par la
contrainte ou celle qui s’appuie sur des privilèges.

Consacrer le nationalisme en le contenant dans de « justes limites », «


constituer » le nationalisme, dresser des barrières solides et durables entre
toutes les nations au moyen d’un organisme d’Etat particulier : telle est la base
idéologique et le contenu de l’autonomie nationale culturelle. Cette idée est
bourgeoise de bout en bout et fausse de bout en bout.

Le prolétariat ne peut donner son soutien à aucune consécration du


nationalisme; au contraire, il soutient tout ce qui aide à effacer les distinctions
nationales et à faire tomber les barrières nationales, tout ce qui rend la liaison
entre nationalités de plus en plus étroite, tout ce qui mène à la fusion des
nations. Agir autrement, c’est se ranger aux côtés de la petite bourgeoisie

1890
nationaliste réactionnaire. » -Lénine, Notes critiques sur la question nationale,
1913.

« L’histoire de tous les pays atteste que, livrée à ses seules forces, la classe
ouvrière ne peut arriver qu’à une conscience trade-unioniste, c’est-à-dire à la
conviction qu’il faut s’unir en syndicats, mener la lutte contre le patronat,
réclamer du gouvernement telle ou telle loi nécessaire aux ouvriers, etc. Quant
à la doctrine socialiste, elle est née des théories philosophiques, historiques,
économiques élaborées par les représentants instruits des classes possédantes :
les intellectuels. » -Lénine, Que Faire ?, 1902.

« Seule l'incompréhension la plus grossière du marxisme […] pouvait amener à


croire que la naissance d’un mouvement ouvrier de masse spontané nous libère
de l’obligation de créer une organisation révolutionnaire aussi bonne,
incomparablement meilleure que celle des zemlévoltsy. Au contraire, ce
mouvement, nous impose précisément cette obligation, car la lutte spontanée du
prolétariat ne deviendra une véritable “lutte de classe” du prolétariat que
lorsqu’elle sera dirigée par une forte organisation de révolutionnaires. » -
Lénine, Que Faire ?, IV : Le travail artisinal des économistes et l’organisation
des révolutionnaires. E) : L’organisation « conspirative » et le « démocratisme »,
1902.

« Cela ne signifie pas que nous voulions copier les jacobins de 1793 et faire
nôtres leurs idées, leur programme, leurs mots d’ordre, leurs méthodes
d’action... Par cette comparaison, nous voulons simplement expliquer que les
représentants de la classe avancée du 20ème siècle... se divisent en deux ailes
(opportuniste et révolutionnaire), tout comme les représentants de la classe
avancée du 18ème, ceux de la bourgeoisie, se divisaient en girondins et
jacobins. » -Lénine, Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution
démocratique, 1905.

« Les historiens de la bourgeoisie voient dans le jacobinisme une déchéance.


Les historiens du prolétariat voient dans le jacobinisme l’un des points
culminants les plus élevés atteints par une classe opprimée dans la lutte pour
son émancipation. Les jacobins ont donné à la France les meilleurs exemples de
révolution démocratique et de riposte à la coalition des monarques contre la
république. Il ne pouvait être question pour eux de remporter une victoire
complète, surtout parce que la France du XVIIIème siècle était entourée sur le

1891
continent de pays trop arriérés et parce qu’en France même les bases
matérielles du socialisme, les banques, les syndicats capitalistes, l’industrie
mécanique, les chemins de fer faisaient défaut.

Le « jacobinisme » en Europe ou à la frontière de l’Europe et de l’Asie, au


XXème siècle, serait la domination de la classe révolutionnaire, du prolétariat,
qui, épaulé par la paysannerie pauvre et mettant à profit les conditions
matérielles existantes favorables pour marcher au socialisme, pourrait non
seulement apporter tout ce que les jacobins du XVIIIème siècle apportèrent de
grand, d’indestructible, d’inoubliable, mais amener aussi dans le monde entier
la victoire durable des travailleurs.

Le propre de la bourgeoisie est d’exécrer le jacobinisme. Le propre de la petite


bourgeoisie est de le craindre. Les ouvriers et les travailleurs conscients croient
au passage du pouvoir à la classe révolutionnaire, opprimée, car c’est là le fond
du jacobinisme, la seule issue à la crise, la seule façon d’en finir avec le
marasme et la guerre. » -Lénine, La Pravda, 7 juillet 1917.

« Il nous faut consolider ce que nous-mêmes avons conquis, ce que nous avons
nous-mêmes décrété, légalisé, arrêté, préconisé ; nous avons à consolider tout
cela sous les formes durables d'une discipline de travail quotidienne. C'est la
tâche la plus ardue, mais aussi la plus féconde car seul son accomplissement
nous donnera le régime socialiste. Il nous faut apprendre à conjuguer l'esprit
démocratique des masses laborieuses, tel qu'il se manifeste dans les meetings,
impétueux, débordant, pareil à une crue printanière, avec une discipline de fer
pendant le travail, avec la soumission absolue pendant le travail à la volonté
d'un seul, du dirigeant soviétique. Nous ne savons pas encore le faire. Nous
l'apprendrons. » -Lénine, « Les tâches immédiates du pouvoir des Soviets »,
publié le 28 avril 1918 dans le n° 83 de la Pravda et dans le Supplément au
journal Izvestia du Comité exécutif central de Russie n° 85.

« La productivité c’est, en dernière analyse, ce qu’il y a de plus important,


d’essentiel pour la victoire du nouvel ordre social… Le capitalisme peut être
définitivement vaincu et il le sera parce que le socialisme crée une productivité
nouvelle, beaucoup plus élevée… » -Lénine, La grande initiative, 1919.

« Notre constitution reconnaît la prééminence du prolétariat sur la paysannerie


et retire aux exploiteurs le droit de vote. » -Lénine, rapport au VIIIe Congrès du
PC(b) R. sur le programme du parti, in Œuvres Complètes., tome 29, p.183.
1892
« Certains des éléments de ce que deviendra le totalitarisme sont déjà en place
dans le marxisme: fantasme de la maîtrise totale hérité du capitalisme,
orthodoxie, fétichisme de l'organisation, idée d'une "nécessité historique"
pouvant tout justifier au nom du salut final. Mais il serait absurde d'imputer au
marxisme -et encore plus à Marx lui-même- l'engendrement du totalitarisme,
comme cela a été facilement et démagogiquement fait depuis soixante ans.
Autant (et numériquement plus) que dans le léninisme, le marxisme se prolonge
dans la social-démocratie dont on peut dire tout ce qu'on veut sauf qu'elle est
totalitaire, et qui n'a pas eu de peine à trouver chez Marx toutes les citations
nécessaires à sa polémique contre le bolchevisme au pouvoir.
Le véritable créateur du totalitarisme est Lénine. » -Cornelius Castoriadis,
Marxisme-léninisme: la pulvérisation, publié dans Le Monde, 24 et 25 avril
1990, repris dans La montée de l'insignifiance, 1996, p.51.

« La toute-puissance de la "richesse" est plus sûre en république démocratique,


parce qu'elle ne dépend pas des défauts de l'enveloppe politique du capitalisme.
La république démocratique est la meilleure forme politique possible du
capitalisme; aussi bien le Capital, après s'en être emparé (par l'entremise des
Paltchinski, Tchernov, Tsérétéli et Cie), assoit son pouvoir si solidement, si
sûrement, que celui-ci ne peut être ébranlé par aucun changement de personnes,
d'institutions ou de partis dans la république démocratique bourgeoise.

Il faut noter encore qu'Engels est tout à fait catégorique lorsqu'il qualifie le
suffrage universel d'instrument de domination de la bourgeoisie. » -Lénine,
L'Etat et la Révolution, chapitre I « La société de classes et l'Etat », 1917.

« Le titre de la brochure de Kautsky n'en est pas moins : la Dictature du


prolétariat. Que ce soit là le fond même de la doctrine de Marx, tout le monde le
sait. Et Kautsky est obligé, après tout ce bavardage à côté du sujet, de citer les
paroles de Marx sur la dictature du prolétariat.

Comment le...marxiste...Kautsky s'y est pris, voilà qui est d'un comique achevé !
Ecoutez plutôt :

« Cette façon de voir [que Kautsky dit être le mépris de la démocratie] repose
sur un seul mot de Karl Marx. » C'est ce qu'on lit textuellement à la page 20. Et
à la page 60 il le répète encore et va jusqu'à dire que [les bolchéviks] « se sont
souvenus à temps du petit mot » [c'est textuel !! des Wörtchens] « sur la
dictature du prolétariat, que Marx a employé une fois en 1875 dans une lettre ».
1893
Voici ce « petit mot » de Marx :

« Entre la société capitaliste et la société communiste se place la période de


transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. A quoi correspond une
période de transition politique, où l’État ne saurait être autre chose que la
dictature révolutionnaire du prolétariat. »

D'abord, appeler ce développement célèbre de Marx, qui résume toute sa


doctrine révolutionnaire, « un seul mot » et même « un petit mot », c'est se
moquer du marxisme, c'est le renier entièrement. Il ne faut pas oublier que
Kautsky connaît Marx presque par cœur; qu'à en juger par tous ses écrits, il
dispose sur son bureau, ou dans sa tête, d'une série de casiers où il a réparti
avec soin, pour pouvoir facilement faire usage des citations, tout ce que Marx a
écrit. Kautsky ne peut pas ne pas savoir que Marx et Engels, dans leurs lettres
aussi bien que dans leurs œuvres imprimées, ont maintes fois, avant et surtout
après la Commune, parlé de la dictature du prolétariat. Kautsky ne peut pas ne
pas savoir que la formule : « dictature du prolétariat » n'est qu'une énonciation
historiquement plus concrète et scientifiquement plus exacte de cette tâche du
prolétariat : « briser » la machine d’État bourgeoise, tâche dont Marx et
Engels, compte tenu de l'expérience des révolutions de 1848 et plus encore de
celle de 1871, ont parlé de 1852 à 1891, soit pendant quarante ans. » -Lénine,
La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, 1918.

« L'homme moyen [dans la société communiste future] se hissera au niveau d'un


Aristote, d'un Goethe ou d'un Marx. Et de nouvelles cimes s'élèveront à partir de
ses sommets.» -Léon Trotski, Littérature et révolution, 1925. Cité par Ludwig
von Mises in Le Libéralisme, 1927.

« La société sans antagonismes sociaux sera, cela va de soi, sans mensonge et


sans violence. Mais on ne peut jeter vers elle un pont que par les méthodes de
violence. La révolution est elle-même le produit de la société divisée en classes
dont elle porte nécessairement les marques. Du point de vue des « vérités
éternelles », la révolution est naturellement, « immorale ». » -Léon Trotski,
Leur morale et la nôtre, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1966 [1939], p. 70.

« Lénine était le plus grand des hommes après Hitler et la différence entre le
communisme et la foi d’Hitler est très subtile. » -Joseph Goebbels.

1894
« Le partisan combat en s'alignant sur une politique et c'est précisément le
caractère politique de son action qui remet en évidence le sens originel du terme
de partisan. Ce terme, en effet, vient de parti et implique le rattachement à un
parti ou à un groupe combattant, belligérant ou politiquement actif de quelques
manières que ce soit. Ces liens avec un parti se font particulièrement solides aux
époques révolutionnaires.

Dans la guerre révolutionnaire, l'appartenance à un parti révolutionnaire


implique rien moins qu'une réquisition totale. D'autres groupes, d'autres
organisations, et particulièrement l'Etat de notre temps ne sont plus à même
d'intégrer leurs membres et leurs ressortissants aussi totalement qu'un parti
menant un combat révolutionnaire requiert ses combattants actifs. Le vaste
débat autour de l'Etat dit total n'a pas encore abouti à une prise de conscience
bien nette de ce fait que ce n'est pas, de nos jours, l'Etat en tant que tel mais
bien plutôt le parti révolutionnaire en tant que tel qui représente l'organisation
totalitaire proprement dite et, à tout prendre, la seule. »

« Lénine était un grand familier et admirateur de Clausewitz. Il s’est adonné à


une étude intensive de son livre De la guerre durant la Première Guerre
mondiale, en 1915, et il en a transcrit des extraits en langue allemande, avec
des notes marginales en russe, des mots soulignés et des points d’interrogation
dans son cahier de notes, la Tetradka. Il a créé de la sorte un des documents les
plus grandioses de l’histoire universelle et de l’histoire des idées. Un examen
approfondi de ces extraits, notes et signes divers permet d’en déduire la
nouvelle théorie de la guerre absolue et de l’hostilité absolue qui commande
l’ère de la guerre révolutionnaire et les méthodes de la guerre froide moderne.
Ce que Lénine a pu apprendre de Clausewitz, et il l’a appris à fond, ce n’est pas
seulement la célèbre formule de la guerre, continuation de la politique. C’est
aussi cette conviction que la distinction de l’ami et de l’ennemi est, à l’ère
révolutionnaire, la démarche primaire et qu’elle commande aussi bien la guerre
que la politique. Seule la guerre révolutionnaire est une guerre véritable aux
yeux de Lénine, parce qu’elle naît de l’hostilité absolue. Tout le reste n’est
qu’un jeu conventionnel.

C’est Lénine lui-même qui souligne expressément la distinction entre la guerre


(Woina) et le jeu (Igra) dans une note en marge d’un passage du chapitre 23 du
Livre II (Clé de pays). C’est dans la logique de cette distinction que s’accomplit
ensuite la démarche décisive qui renverse les bornes que la guerre interétatique
1895
du droit des gens de l’Europe continentale du XVIIIème siècle avait réussi à
fixer, que le Congrès de Vienne de 1814-1815 avait restaurées si efficacement
qu’elles se maintinrent jusque dans la Seconde Guerre mondiale, et dont
Clausewitz n’envisageait pas encore réellement l’abolition. Comparée à une
guerre issue de l’hostilité absolue, la guerre limitée, se déroulant selon des
règles reconnues, celles du droit des gens européen classique, n’est guère plus
qu’un duel entre hommes d’honneur. Aux yeux d’un communiste animé d’une
hostilité absolue, tel que fut Lénine, cette forme de guerre devait prendre figure
de simple jeu, un jeu auquel il participait, si les circonstances s’y prêtaient,
pour égarer l’ennemi, sans cesser de le mépriser et de le juger ridicule au fond
de lui-même.

La guerre issue de l’hostilité absolue ne se connaît pas de limites. C’est la mise


en œuvre conséquence d’une hostilité absolue qui lui confère son sens et sa
justice. Reste donc à savoir : existe-il un ennemi absolu, et qui est-il in
concreto ? Pour Lénine, il n’y a pas un instant de doute et c’est ce qui faisait sa
supériorité sur tous les autres socialistes et marxistes : l’hostilité absolue était
pour lui chose sérieuse. Son ennemi absolu, était, concrètement, l’ennemi de
classe, le bourgeois, le capitaliste occidental et son ordre social dans tout pays
où régnait celui-ci. Connaître l’ennemi, tel fut le secret de l’énorme force
d’impact de Lénine. Son intelligence du partisan reposait sur le fait que le
partisan moderne était devenu l’irrégulier par excellence, et, partant, la
négation la plus vigoureuse de l’ordre capitaliste établi, et qu’il avait vocation
privilégiée pour mettre en œuvre l’hostilité. » -Carl Schmitt, Théorie du
partisan.

« Si nous payons un tribut plus élevé au capitalisme d'État, cela ne nous nuira
en rien, mais servira au contraire à nous conduire au socialisme par le chemin
le plus sûr. […] notre devoir est de nous mettre à l'école du capitalisme d'État
des Allemands, de nous appliquer de toutes nos forces à l'assimiler, de ne pas
ménager les procédés dictatoriaux pour l'implanter en Russie […] le
raisonnement des « communistes de gauche » au sujet de la menace que ferait
peser sur nous le "capitalisme d'État" n'est qu'une erreur économique […] le
pouvoir soviétique confie la « direction » aux capitalistes non pas en tant que
capitalistes, mais en tant que spécialistes techniciens ou organisateurs,
moyennant des salaires élevés. » -Lénine, dans Sur l'infantilisme « de gauche »
et les idées petites-bourgeoises, le 5 mai 1918.

1896
« Ricoeur speaks of State and Revolution with respect, but he does not seem to
deal with Lenin’s ‘philosophy’. Sartre says that the materialist philosophy of
Engels and Lenin is ‘unthinkable’ in the sense of an Unding, a thought which
cannot stand the test of mere thought, since it is a naturalistic, pre-critical, pre-
Kantian and pre-Hegelian metaphysic; but he generously concedes that it may
have the function of a Platonic ‘myth’ which helps proletarians to be
revolutionaries. Merleau-Ponty dismisses it with a single word: Lenin’s
philosophy is an ‘expedient’.” -Louis Althusser, Lénine et la philosophie,
communication à la Société Française de Philosophie, 24 février 1968.

« Le parlement russe élu en 1917 par tous les citoyens adultes et sous les
auspices du gouvernement de Lénine ne comprenait, malgré la violence exercée
sur les électeurs par le parti au pouvoir, que moins de 25 pour cent de membres
communistes. Les trois quarts de la population avaient voté contre les
communistes. Mais Lénine décida de dissoudre le parlement par la force des
armes et d'instaurer avec fermeté le règne dictatorial d'une minorité. Le chef de
la puissance soviétique devint le pontife suprême de la secte marxiste. Son droit
à détenir ce poste découlait du fait qu'il l'avait emporté sur ses rivaux au cours
d'une sanglante guerre civile. » -Ludwig von Mises, Théorie et Histoire. Une
interprétation de l'évolution économique et sociale (1957).

« [Tomski] voulait que le contrôle des travailleurs s'exerçât par l'intermédiaire


de syndicats autonomes, mais à la première occasion qui se présenta après la
guerre civile, c'est-à-dire au Xème Congrès de 1921, il fut vilipendé par Lénine
et privé de tout poste de responsabilité par des votes massifs. Aucune ambiguïté
sur la conception qu'avait ce dernier du "contrôle des travailleurs" ; cela
signifie que le Parti doit les contrôler. Depuis lors, toutes les tentatives des
travailleurs soviétiques pour prendre leurs affaires en main ont été
impitoyablement écrasées -et en tant que tels ils ne jouent aucun rôle dans le
système. » -Norman Davies, Histoire de la Pologne, Fayard, 1986 (1984 pour
l'édition britannique), 542 pages, p.409.

"Le public ignorera -ces détails ne sont pas pour lui- que le gouvernement a
rejeté la proposition de Lénine offrant d'avaliser toutes les créances françaises
inférieures ou égales à dix mille roubles, pourvu que la France renonçât à
soutenir les entreprises des généraux blancs essayant un démembrement de la
Russie." (p.157)

1897
"Sous le prétexte de chercher à rouvrir un front de l'Est après la paix de Brest-
Litovsk, et dès le début d'août 1918, la France, d'une part, l'Angleterre de
l'autre, envoient des hommes à Arkhangelsk et à Vladivostok ; mais il apparaît
très vite qu'il s'agit en fait de tenter, par tous les moyens, la destruction, en
Russie, d'un régime inadmissible. On utilise contre les "bolcheviks" -devenus, en
mars 1918, les "communistes", avec leur pouvoir central à Moscou- les 40 000
hommes de la légion tchécoslovaque qui devaient, en principe, s'embarquer à
Vladivostok pour gagner le front de l'Ouest ; conseillés par le général Janin, ils
font volte-face et marchent sur Moscou. Le gouvernement soviétique est assailli
de tous côtés par les Joudenitch, les Koltchak, les Denikine, les Wrangel et ces
"partisans du rétablissement de l'ordre" qui s'appliquent à mettre en pièces la
Russie de la Baltique au Caucase et de la Crimée en Sibérie. Le 29 décembre
1918, le ministre français des Affaires étrangères, Pichon, qui foudroie le
régime "odieux, abominable", instauré en Russie par "une poignée
d'énergumènes", exalte la grande victoire qu'auraient remportée les troupes
"blanches" dans l'Oural et salue Koltchak et son "gouvernement d'Omsk",
dictateur militaire avec Janin pour maître d’œuvre ; et Millerand, en mai 1920,
"reconnaîtra" même, officiellement, le "gouvernement" de Wrangel, lui
accordant un "large appui moral et matériel". Le plan français est de couper en
deux la Russie ; une flotte française est en mer Noire pour un débarquement à
Odessa, tandis que les Anglais cherchent à s'emparer de la Transcaucasie et de
ses puits de pétrole. Le général Berthelot encourage les Roumains à se jeter sur
la Moldavie, et Foch déclare qu'il est prêt à envisager la reconstitution, sous
son contrôle, d'une sérieuse armée allemande et que, si les Etats-Unis mettent
cent mille hommes à sa disposition, il se fait fort de rejeter les Russes sur
l'Oural, au-delà duquel les Forces "blanches" de Sibérie les anéantiront. Mais
si Wilson a consenti à une présence américaine, symbolique surtout, à
Vladivostok, il ne l'a fait que pour surveiller les Japonais dont les avidités
l'inquiètent, et il n'entend pas engager son pays dans une croisade
antisoviétique.
Le gouvernement français adopte et perfectionne à l'égard de la Russie le
comportement dont l'Allemagne impériale lui avait donné l'exemple: qu'un
"cordon sanitaire" s'établisse autour de cette part de l'Europe en proie à la
peste rouge. Une Roumanie démesurément accrue sera, au sud-est, la tête de
pont de l'Occident"libre" contre ce qui va devenir, en décembre 1922, l'U.R.S.S.
; et la même Pologne secrètement sacrifiée en février 1917 aux intérêts tzaristes,
formera le bastion principal du monde civilisé face aux barbares "asiates" de
1898
Moscou. La frontière ethnique et légitime de la Pologne ressuscitée suivait, en
décembre 1919, la "ligne Curzon" ; mais Pilsudski, qu'entourent neuf généraux
français et qui veut profiter de la faiblesse russe, se jette à l'attaque au
printemps de l'année suivante ; la connivence de Petlioura lui permet de
prendre Kiev (7 mai 1920) ; une contre-offensive inattendue amène l'armée
rouge aux portes de Varsovie. Millerand délègue aussitôt Weygand en Pologne,
avec une puissante mission militaire (plus de deux mille "cadres" et conseillers),
et l'agression polonaise aura sa récompense au traité de Riga (18 mars 1921)
qui reporte de 250 kilomètres vers l'est la frontière polono-russe et tient pour
Polonais, dorénavant, un million et demi de Blancs-Russiens et quatre millions
et demi d'Ukrainiens." (p.163-165)
-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.
Idées, 1974, 476 pages.

« La terreur froide du stalinisme, matérialisée par la dékoulakisation et par les


grandes purges des années trente, ne peut cacher le fait que les bases du
totalitarisme soviétique furent jetées sous la dictature de Lénine et Trotski,
pendant la guerre civile et le communisme de guerre. » -Enzo Traverso, "De
l'anticommunisme. L'histoire du xxe siècle relue par Nolte, Furet et Courtois",
L'Homme & la Société, 2001/2 (n° 140-141), p. 169-194. DOI :
10.3917/lhs.140.0169. URL : https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-
societe-2001-2-page-169.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9publique_d%C3%A9mocratique_de_G
%C3%A9orgie

http://www.amazon.com/And-God-Created-Lenin-1917-1929/dp/1591023068

https://www.amazon.fr/Origines-intellectuelles-du-
l%C3%A9ninisme/dp/2070736229/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1468531956&sr
=8-
1&keywords=Alain+Besan%C3%A7on%2C+Les+origines+intellectuelles+du+l
%C3%A9ninisme.

https://www.amazon.fr/L-nine-paysans-Taylor-Robert-
Linhart/dp/2021027937/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=14759
67172&sr=8-1

1899
http://www.amazon.fr/Les-Orphelins-Tsar-Vladimir-
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9A69Y92TP

http://www.amazon.fr/formation-syst%C3%A8me-sovi%C3%A9tique-lhistoire-
lentre-deux-
guerres/dp/2070137988/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=41NgO3h2%2
BmL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR103%2C160_&refRID=1W9XXY
0VN4VJDPQC93GK

https://www.amazon.fr/capitalisme-d%C3%89tat-URSS-Staline-
Gorbatchev/dp/2851390953/ref=sr_1_6?ie=UTF8&qid=1467827136&sr=8-
6&keywords=tony+cliff

Nicolas Boukharine : « Dans une telle société [communiste], tous les rapports
entre les hommes seront clairs pour chacun. » -Nicolas Boukharine, La théorie
du matérialisme historique, 1921.

« On pourrait nous opposer l'argument suivant : vous dites que tout cela est très
simple, et pourtant, les communistes, par exemple, n'admettent pas que la
propriété privée soit sacrée et, cependant, ils n'osent pas dire que le vol est
moral. Ainsi, il y a des choses qui sont sacrées pour tous et qu'on ne peut pas
expliquer par des causes terrestres. Mais cet argument n'est pas juste, malgré sa
force apparente. Voici pourquoi : d'abord les communistes ne défendent pas du
tout l'intangibilité absolue de la propriété, privée. La nationalisation des
entreprises constitue l'expropriation de la bourgeoisie; on la dépouille sans
indemnité. La classe ouvrière s'empare « de ce qui ne lui appartient pas », porte
atteinte au droit de la propriété privée « fait despotiquement irruption dans le
domaine des rapports de propriété » (Marx). En second lieu, les communistes
sont contre le vol, pourquoi ? Parce que si l'ouvrier isolé s'emparait des choses
appartenant aux capitalistes, dans son intérêt personnel, il ne pourrait pas
mener une lutte générale et se transformerait lui-même en bourgeois. Des
voleurs de chevaux et des cambrioleurs ne seront jamais des éléments actifs de
la lutte de classe, même s'ils sont de la plus pure origine prolétarienne. Si un
grand nombre de prolétaires devenaient des voleurs, la classe elle-même se
désagrégerait et s'affaiblirait. Voilà pourquoi les communistes ont adopté cette
règle : ne vole pas, pour ne pas déchoir. Cela ne constitue pas une norme de

1900
défense de la propriété privée, mais un moyen de conserver l'intégrité de la
classe ouvrière, de la protéger contre la « démoralisation », contre la
décomposition, le moyen de l'avertir contre les procédés irréguliers, de diriger
les prolétaires dans leur voie propre. C'est la règle de conduite de classe du
prolétariat. » -N.I. Boukharine, La théorie du matérialisme historique, ch. VI
"L'équilibre entre les éléments de la société", 38: La superstructure et ses
formes, 1921.

https://www.amazon.fr/Nicolas-Boukharine-bolchevik-Biblioth%C3%A8que-
socialiste/dp/B0006XA1IC/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1462480810&
sr=1-1&keywords=Nicolas-Boukharine-la-vie-d-un-bolchevik

https://www.amazon.fr/L%C3%A9conomie-politique-rentier-autrichienne-
mariginaliste/dp/284950260X/ref=sr_1_146?s=books&ie=UTF8&qid=1462480
449&sr=1-146&keywords=marxisme+et

Chercher l’ouvrage Karl Radek (1885-1939) : une biographie politique, de Jean-


François FAYET.

Pierre Kropotkine (1842 – 1921): « Si la France était envahie par les


Allemands, je regretterais une chose : c’est qu’avec mes soixante ans passés, je
n’aurais probablement pas la force de prendre le fusil pour la défendre… Non
pas comme soldat de la bourgeoisie, bien entendu, mais comme soldats de la
Révolution […] Un nouvel écrasement de la France serait un malheur pour la
civilisation. » -Pierre Kropotkine, Les Temps nouveaux, 4 novembre 1905.

« Il s’agit, pour nous, d’abolir l’exploitation de l’homme. Il s’agit de mettre fin


aux iniquités, aux vices, aux crimes qui résultent de l’existence oisive des uns et
de la servitude économique, intellectuelle et morale des autres. Le problème est
immense. Mais, puisque les siècles passés ont légué ce problème à notre
génération ; puisque c’est nous qui nous trouvons dans la nécessité historique
de travailler à sa solution tout entière, nous devons accepter la tâche. » -Pierre
Kropotkine, Paroles d’un révolté.

« Du jour où la société a commencé à évaluer, en monnaie ou en toute autre


espèce de salaire, les services rendus — du jour où il fut dit que chacun n’aurait
que ce qu’il réussirait à se faire payer pour ses œuvres, — toute l’histoire de la
société capitaliste (l’État y aidant) était écrite d’avance ; elle était renfermée,
en germe, dans ce principe. »

1901
« Aucune distinction ne peut être faite entre les œuvres de chacun. Les mesurer
par les résultats, nous mène à l’absurde. Les fractionner et les mesurer par les
heures de travail, nous mène aussi à l’absurde. Reste une chose : ne pas les
mesurer du tout et reconnaître le droit à l’aisance pour tous ceux qui prendront
part à la production.

Mais prenez une autre branche de l’activité humaine, prenez tout l’ensemble de
notre existence, et dites : Lequel d’entre nous peut réclamer une rétribution plus
forte pour ses œuvres ? Est-ce le médecin qui a deviné la maladie, ou la garde-
malade qui a assuré la guérison par ses soins hygiéniques ? »

« Le peuple se dira : « Commençons par satisfaire nos besoins de vie, de gaité,


de liberté.» Et quand tous auront gouté de ce bonheur, nous nous mettrons à
l’œuvre : à l’œuvre de démolition des derniers vestiges du régime bourgeois : de
sa morale, puisée dans le livre de comptabilité, de sa philosophie du «doit» et
«avoir», de ses institutions du tien et du mien. Et, en démolissant, nous
édifierons, comme disait Proudhon ; mais nous édifierons sur des bases
nouvelles, — sur celles du Communisme et de l’Anarchie, et non pas celle de
l’Individualisme et de l’Autorité. » -Pierre Kropotkine, « Le Salariat », d'après la
quatrième édition - Publications des Temps Nouveaux - N°37 - 1911. Brochure
tirée de "La Conquête du pain".

« Bien des hommes et bien des femmes ont accompli une grande œuvre, sans
avoir vécu une grande vie. Bien des gens sont intéressants, bien que leur vie
puisse avoir été tout à fait insignifiante et banale. La vie de Kropotkine est à la
fois grande et intéressante.

[...] Il a vécu la vie de l’aristocrate et celle de l’ouvrier ; il a été page de


l’empereur et il a été un écrivain bien pauvre ; il a vécu la vie de l’étudiant, de
l’officier, de l’homme de science, de l’explorateur de pays inconnus, de
l’administrateur et du révolutionnaire banni. En exil il a dû parfois vivre de
pain et de thé comme un paysan russe ; et il a été exposé à l’espionnage et aux
tentatives d’assassinat comme un empereur de Russie.

[...] C’est un révolutionnaire sans emphase et sans emblème. Il rit des serments
et des cérémonies par lesquels se lient les conspirateurs dans les drames et les
opéras. Cet homme est la simplicité en personne. Sous le rapport du caractère il
peut soutenir la comparaison avec tous ceux qui ont lutté pour la liberté. Aucun
n’a été plus que lui désintéressé, aucun n’a aimé l’humanité plus que lui. » -
1902
Georges Brandès, préface aux Mémoires d'un révolutionnaire de Pierre
Kropotkine.

"Le prince Kropotkine, dans ses Paroles d’un Révolté, savoure, avec une volupté
qui est du ressort de la psychiatrie, la guerre civile, les massacres, péripéties de
la lutte par laquelle le prolétaire « se saisira joyeusement de la propriété privée
au profit commun ! »." (p.196)

-Yves Guyot, La Tyrannie socialiste, Ch. Delagrave, 1893, 264 pages, p.196.

http://hydra.forumactif.org/t4825-renaud-garcia-nature-humaine-et-anarchie-la-
pensee-de-pierre-kropotkine#5773

https://www.amazon.fr/Pierre-Kropotkine-prince-anarchiste-
Woodcock/dp/2921561344/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1539620397&
sr=1-1&keywords=Pierre+Kropotkine%2C+le+prince+anarchiste

http://www.amazon.fr/Mouvement-anarchiste-France-origines-
1914/dp/2070724980/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1454790796&sr=8-
1&keywords=Le+mouvement+anarchiste+en+France%2C+des+origines+%C3
%A0+1914

http://www.amazon.fr/Le-Mouvement-anarchiste-France-
jours/dp/2070724999/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=41WR0TPV80L&dp
Src=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=16R1M4Y409TCS
XDV9FPX

Emma Goldmann (1869-1940) : « Dans le sens le plus profond des valeurs


spirituelles, je sens que “mon pays”, c’est les États-Unis. Pas, bien sûr, les
États-Unis des membres du Ku Kluk Klan, des censeurs puritains officiels ou
non, des réactionnaires de toutes sortes. Pas les membres du Congrès ou les
millionnaires vivant en haut des grattet-ciel. Pas les États-Unis du petit
provincialisme, du nationalisme étroit, du matérialisme vain et de l’exagération
naïve. Il y a, heureusement, un autre États-Unis […]. Le pays de la Jeune
Amérique de la vie et de la pensée, des arts et des lettres, l’Amérique de la
nouvelle génération qui frappe à la porte, d’hommes et de femmes avec des
idéaux, des aspirations pour des jours meilleurs, l’Amérique de la rébellion
sociale et de la promesse spirituelle, des « indésirables » glorieux qui sont la
cible de toutes les lois d’exil, d’expulsion, de déportation. » -Emma Goldmann,
Patriotism: A Menace to Liberty, 1917.
1903
« Cet attachement à des valeurs et des coutumes nationales qui seraient en
phase avec l’anarchisme n’entraîne pas pour autant Goldman à prendre le parti
de la France et de ses valeurs déclarées («Liberté, égalité, fraternité ») lors de
la Première Guerre mondiale. Elle s’oppose même publiquement à ce sujet à
Pierre Kropotkine, qui prend le parti de la « civilisation » (la France et ses
alliés) contre la « barbarie ». » -Francis Dupuis-Déri, "L’anarchisme entre
nationalisme et cosmopolitisme. L’expérience des Juifs israéliens du
groupe Anarchists Against the Wall", 2012, p.245.

Nestor Makhno : http://www.amazon.fr/M%C3%A9moires-%C3%A9crits-


1917-1932-Nestor-Makhno/dp/2851842862

http://hydra.forumactif.org/t179-voline-la-revolution-inconnue#401

Gyorgy von Lukàcs (1885-1971) : « Quand l’homme prend le mal pour le bien,
c’est qu’un dieu mène son esprit à l’égarement, et il lui faut peu de temps pour
le connaître, le désastre. » -Sophocle, Antigone.

« La possibilité même de poser le problème éthique dépend […] de la manière


dont on décide si la démocratie fait partie seulement de la tactique du
socialisme (comme instrument de combat dans la période où il est minoritaire,
pendant qu’il lutte contre la terreur légalisée et illégale des classes
oppresseuses), ou bien elle en est une partie intégrante au point qu’on ne peut
pas la supprimer sans toutes ses conséquences éthiques et historiques ne soient
d’abord clarifiées. Parce que, dans le dernier cas, pour tout socialiste conscient
et responsable, la rupture avec le principe de démocratie serait un problème
éthique très grave. »

« Pour qu’arrive enfin l’ère de la vraie liberté ne connaissant ni oppresseur ni


opprimé, la victoire du prolétariat est, bien entendu, une condition préalable
indispensable –car elle permet la libération de la dernière classe opprimée-
mais elle ne peut être qu’une condition préalable, un fait négatif. Pour que
s’accomplisse cette ère de liberté il est nécessaire, au-delà des simples
constations de faits sociologiques et des lois (dont il ne peut pas découler) de
vouloir ce nouveau monde : le monde démocratique. Cependant, cette volonté –
justement parce qu’elle ne découle d’aucune constatation de fait sociologique-
est un élément si essentiel de l’optique socialiste, qu’elle ne peut en être écartée
sans le risque de faire écrouler tout l’édifice. Car c’est cette volonté-là qui fait

1904
du prolétariat le porteur de la rédemption sociale de l’humanité, qui en fait la
classe messie de l’histoire du monde. »

« Si Engels voyait dans le prolétariat l’héritier de la philosophie classique


allemande, il le fit à juste titre, car ainsi se changea enfin en action l’idéalisme
éthique de Kant et Fichte qui supprimait tout attachement terrestre et qui voulait
arracher de ses gonds –métaphysiquement- l’ancien monde. Ainsi seulement a
pu devenir action ce qui n’était chez eux que pensée ; ainsi a pu se diriger droit
vers le but ce qui, chez Schelling, s’écarta de la voie du progrès par
l’esthétique, et chez Hegel par la théorie de l’Etat, pour devenir en fin de
compte réactionnaire. »

« Toute question importante [est] de nature éthique. »

« Le dilemme éthique vient du fait que chaque attitude recèle en elle la


possibilité de crimes effroyables et d’erreurs incommensurables, mais ils
devront être assumées en tout conscience et en toute responsabilité par celui qui
se sent obligé de choisir. […] Peut-on atteindre ce qui est bon par des procédés
mauvais, peut-on atteindre la liberté par la voie de l’oppression ? »

« Le bolchevisme repose sur l’hypothèse métaphysique suivante : le bien peut


sortir du mal […]. L’auteur de ces lignes est incapable de partager cette foi, et
c’est pourquoi il voit un dilemme moral insoluble dans la racine même de
l’attitude bolchevique, alors que la démocratie –croit-il- n’exige de ceux qui
veulent la réaliser jusqu’au bout consciemment et honnêtement, qu’une
renonciation surhumaine et le sacrifice de soi. » -Gyorgy von Lukàcs, Le
bolchevisme comme problème moral (1918).

« La philosophie de la lutte de classe n’a jamais fait de sentiment, et n’a jamais


fait de ceux qui sont tombés pour elle des martyrs. Elle exigeait simplement de
chacun de ses combattants le sacrifice complet de lui-même, comme un devoir
simple et allant de soi. »

« Le caractère impitoyable de la lutte de classes ne fait que se renforcer encore.


À présent, c’est de la victoire finale qu’il est question, de l’anéantissement de la
classe bourgeoise. C’est la raison pour laquelle la lutte de classe à nu, ne
connaissant pas de pitié, se manifeste avec plus de vigueur qu’à l’époque de
l’oppression. La lutte de classe représentait alors une légitime défense contre un
ennemi supérieur en force. A présent, elle revêt un caractère offensif. A présent,

1905
il s’agit d’anéantir définitivement l’ennemi vaincu. Nous n’avons pas le droit de
nous arrêter à mi-chemin dans cette lutte finale. »

« L’élimination radicale des différences de classe n’a de sens que si elle


entraîne la disparition de la vie communautaire des hommes de tout ce qui les
séparait les uns des autres, de toute hostilité, de toute haine, de toute envie et de
tout orgueil, en un mot, si la société sans classes est une société de l’amour et de
la compréhension réciproques. » -Le fondement moral du communisme. Texte
du discours prononcé par Gyorgy Lukács à l’occasion du Congrès des Jeunesses
Ouvrières, Az Ifju Proletar [Le Jeune Prolétaire] 13 avril 1919.

« C’est seulement au sein de la classe prolétarienne que la solidarité, la


soumission aux intérêts communautaires des penchants et des passions de
l’individu coïncident avec l’intérêt individuel bien compris. Ainsi, la possibilité
sociale est donnée de voir tous les individus faisant partie de la classe
prolétarienne se soumettre volontairement à ce que demandent les intérêts de sa
classe, sans préjudice aucun de ses intérêts individuels. »

« C’est la morale de classe qui jette un pont par-dessus le fossé séparant


l’action fondée sur l’intérêt égoïste de celle qui est fondée sur la morale pure. »

« Il n’est besoin de contrainte au sein de la classe ouvrière que dans la mesure


où les individus composant la classe ouvrière ne sont pas capables d’agir comme
le commandent leurs propres intérêts ou n’y sont pas disposés. » -Gyorgy
Lukács, Le rôle de la morale dans la production communiste, Szocialis
Termelés [Production Sociale] 20 juillet 1919.

« La conscience de classe est l' « éthique » du prolétariat, l'unité de sa théorie et


de sa praxis est le point où la nécessité économique de sa lutte émancipatrice se
transforme dialectiquement en liberté. »

« La bourgeoisie confère d'une part à l'individualité une importance toute


nouvelle et par ailleurs, supprime toute individualité par les conditions
économiques de cet individualisme, par la réification que crée la production
marchande. Toutes ces contradictions, dont la série n'a pas du tout été épuisée
par ces exemples, mais pourrait au contraire être poursuivie à l'infini, ne sont
qu'un reflet des contradictions profondes du capitalisme lui-même. »

« L'organe de lutte de l'ensemble du prolétariat [est] le conseil ouvrier. »

1906
« Si l'on suit le chemin que l'évolution du processus du travail parcourt depuis
l'artisanat, en passant par la corporation et la manufacture, jusqu'au
machinisme industriel, on y voit une rationalisation sans cesse croissante, une
élimination toujours plus grande des propriétés qualitatives, humaines et
individuelles du travailleur. […] En conséquence de la rationalisation du
processus du travail, les propriétés et particularités humaines du travailleur
apparaissent de plus en plus comme de simples sources d'erreurs, face au
fonctionnement calculé rationnellement d'avance de ces lois partielles
abstraites. L'homme n'apparaît, ni objectivement ni dans son comportement à
l’égard du processus du travail, comme le véritable porteur de ce processus, il
est incorporé comme partie mécanisée dans un système mécanique qu'il trouve
devant lui, achevé et fonctionnant dans une totale indépendance par rapport à
lui, aux lois duquel il doit se soumettre. »

« De même que le système capitaliste se produit et se reproduit- sans cesse


économiquement à un niveau plus élevé, de même, au cours de l'évolution du
capitalisme, la structure de réification s'enfonce de plus en plus profondément,
fatalement, constitutivement, dans la conscience des hommes. »

« La spécialisation dans l'accomplissement du travail fait disparaître toute


image de la totalité. »

« La structure fondamentale de la réification peut être saisie dans toutes les


formes sociales du capitalisme moderne. »

« Une situation a surgi qui ne peut être résolue que par la violence. […]Cette
violence n'est rien d'autre que la volonté devenue consciente, chez le prolétariat,
de se supprimer lui-même - et de supprimer en même temps la domination
asservissante des relations réifiées sur les hommes, la domination de l'économie
sur la société. » -Gyorgy von Lukàcs, Histoire et conscience de classe. Essai de
dialectique marxiste (1922).

« L’heure est mauvaise, nous sommes à un tournant obscur. Ménageons nos


forces : l’histoire fera encore appel à nous. » -Gyorgy Lukàcs, à Victor Serge,
en 1930. Cité dans Victor Serge, Mémoires d’un révolutionnaire, Paris, 1951,
Seuil, p.211.

1907
« Le rapport entre l’artiste et son public a non seulement perdu son caractère
immédiat ; mais un intermédiaire nouveau, spécifiquement moderne, s’est inséré
entre eux : le capital. […]

Pour le capitaliste, l’artiste représente une valeur en tant qu’individualité. […]


Plus la révolte est intime, plus elle est abstraite, moins elle menace l’existence
du capitalisme. […] Le repli sur soi équivaut en lui-même à l’abandon des
problèmes sociaux objectifs. […] Seule une reprise de contact direct avec les
formes de la vie populaire peut sortir l’art authentique du labyrinthe de la vie
moderne. » -Gyorgy Lukàcs, Art libre ou art dirigé ? (1948).

« Malgré toutes ses erreurs, l’industrialisation stalinienne a été en mesure de


créer les possibilités techniques de la guerre victorieuse contre l’Allemagne
hitlérienne. La nouvelle situation mondiale place cependant l’Union Soviétique
devant de toutes nouvelles tâches dans les domaines économiques : elle doit
édifier une économie qui, dans tous les domaines de la vie, surpasse celle du
capitalisme le plus développé, celui des États-Unis, qui élève le niveau de vie de
la population soviétique au-dessus de celui atteint là-bas, mais qui en-même
temps soit en mesure de fournir, tant aux autres États socialistes qu’aux peuples
en voie de libération, économiquement arriérés, une aide économique
diversifiée, systématique et permanente. Pour cela, de nouvelles méthodes plus
démocratiques, moins bureaucratiquement centralisées que celles qui avaient pu
se constituer jusqu’à maintenant, sont nécessaires. Le XXIIe congrès a initié là
un travail de réformes de grande ampleur, aux aspects multiples. Je
mentionnerai seulement la décision extrêmement intéressante et importante de
ne pas réélire 25 % de l’ancienne direction dans les votes pour les instances du
parti. Seul le renouveau démocratique systématique de toute la vie peut fournir
la base saine de la renaissance culturelle du socialisme.

La résistance contre une critique de principe radicale de la période stalinienne


est aujourd’hui encore très forte. » -Georg Lukàcs, Lettre à Alberto Carocci sur
le stalinisme, 1962, p.28-29.

« Aucun esprit impartial ne négligera ce qu’il y a de positif dans l’activité de


Staline. » -Georg Lukàcs, Lettre à Alberto Carocci sur le stalinisme, 1962, 29.

“The belief in an immanent teleology of history was unfounded.”

-Georg Lukàcs, an interview conducted by the New Left Review, translated 1971.

1908
« Déjà dans les années 20, lorsqu’il écrit son livre sur les origines du théatre
baroque, Benjamin a lu un livre qui, cinquante ans plus tard, sera d’une
importance immense pour la théorie debordienne du spectacle : Histoire de
conscience de classe […] de Georg Lukàcs, où l’analyse du fétichisme de la
marchandise de Marx est transformée en une ontologie de la société capitaliste
et de sa pensée. » -Jörn Etzold, Guy Debord et la mélancolie révolutionnaire, in
Dérives pour Guy Debord, éditions Van Dieren, p.89.

« Il n'est guère possible, non plus, d'essayer de maintenir une orthodoxie comme
le faisait Lukács en 1919 en la limitant à une méthode marxiste, qui serait
séparable du contenu et pour ainsi dire indifférente quand à celui-ci. Bien que
marquant déjà un progrès relativement aux diverses variétés de crétinisme
"orthodoxe", cette position est intenable, pour une raison que Lukács, pourtant
nourri de dialectique, oubliait: c'est que, à moins de prendre le terme dans son
acceptation la plus superficielle, la méthode ne peut pas être ainsi séparée du
contenu, et singulièrement pas lorsqu'il s'agit de théorie historique et sociale. La
méthode, au sens philosophique, n'est que l'ensemble opérant des catégories. »
(p.18)

« Un des marxistes les plus féconds et les plus originaux, G. Lukàcs […] est
toujours resté, face à l’art, un digne héritier de la grande tradition classique
« humaniste » européenne, un « homme de culture » foncièrement conservateur
et étranger au « chaos » moderne et aux formes qui s’y font jour. » (note 67
p.101-102)

-Cornelius Castoriadis, "Marxisme et théorie révolutionnaire", publié dans


Socialisme ou barbarie d'avril 1964 à juin 1965, repris L'institution imaginaire
de la société, Éditions du Seuil, coll Essais. Points, 1975, 538 pages, p.13-170.

« Le terme de réification apparaît chez Marx dans les derniers chapitres du


troisième livre du Capital, et Lukács en est parti pour constituer son concept
fondamental. » -Youssef Ishaghpour, « Histoire et conscience de classe de
Georg Lukács », avant propos au Lukács et Heidegger de Lucien Goldmann,
1973.

« Lukàcs était encore, à côté de son profond travail théorique, un idéologue,


parlant au nom du pouvoir le plus vulgairement extérieur au mouvement
prolétarien, en croyant et en faisant croire qu’il se trouvait lui-même, avec sa
personnalité totale, dans ce pouvoir comme dans le sien propre. Alors que la
1909
suite manifestait de quelle manière ce pouvoir désavoue et supprime ses valets,
Lukàcs, se désavouant lui-même sans fin, a fait voir avec une netteté
caricaturale à quoi il s’était exactement identifié : au contraire de lui-même, et
de ce qu’il avait soutenu dans Histoire et conscience de classe. » -Guy Debord,
La société du spectacle, IV. Le prolétariat comme sujet et comme
représentation, thèse n°112, 1967.

« Sous l’influence du Parti, son horizon s’est rétréci, ses jugements étaient
obéissants et marqués du sceau des apparatchiks, son échelle de valeurs
éliminait, détruisait et méconnaissait tout ce qui n’était pas homogène avec les
apparatchiks de Moscou. » -Ernst Bloch, à propos de Lukàcs, Interview avec
Michaël Löwy, 1974, publié en annexe à L’évolution politique de Lukacs, 1909-
1929, Université Lille III, 1975).

« György Lukács (1885-1971) […] s’engage dans le mouvement communiste en


1918, avant de devenir commissaire au peuple pour l’instruction dans le
gouvernement de Bela Kun. Après l’écrasement de la commune hongroise, il se
réfugie à Vienne. Il inaugure son œuvre philosophique par deux ouvrages :
Histoire et conscience de classe (1923) et Dialectique et spontanéité (1925),
critiqués par des marxistes russes tels que Zinoviev ou Déborine, bien qu’il se
réclame lui-même d’un « marxisme orthodoxe ». Lukács bénéfice des dernières
années de liberté intellectuelle du mouvement communiste. Dans ces deux textes,
il est conduit à discuter avec Déborine de la place de la dialectique dans la
nature. Déborine lui reproche d’introduire une forme de relativisme dans la
connaissance de la nature. Lukács affirme que toute science est le fruit d’un
certain degré du développement historique, et que les catégories servant la
compréhension de la réalité sont déterminées par une époque. Mais, cela ne
signifie pas pour lui la relativité des connaissances ainsi produite. Lukács veut
seulement montrer que l’homme n’appréhende pas la nature de façon
immédiate, mais au moyen d’une « médiation sociale », c’est-à-dire grâce aux
possibilités économiques et politiques de sa société. Une thèse majeure pour la
compréhension de l’histoire des idées, déjà formulée par Engels, est ainsi
énoncée par Lukács : la production détermine l’état d’avancement des sciences
et la configuration des idées. Contrairement à ce que pense Déborine, Lukács ne
fait qu’exprimer le point de vue matérialiste de L’Idéologie allemande.

Toutefois, Lukács s’oppose à Engels à propos de l’argument de la praxis qu’il


utilise pour réfuter le kantisme. Ce n’est pas une production empirique, ou une
1910
réalisation industrielle, qui convainc de l’objectivité, selon Lukács.
L’agnosticisme ne peut être réfuté que sur un plan philosophique, et non
expérimental. Grâce à la « praxis révolutionnaire », le sujet sort de la posture
contemplative pour effectivement transformer l’en soi en un pour nous. Seul le
matérialisme historique donne accès à cette conscience des fondements
matériels de « l’être social ». Le sujet, contemplant un produit de l’industrie,
peut toujours douter de l’existence de l’objet en dehors de sa perception. Mais,
lorsqu’il saisit que sa conscience est déterminée par une société et une époque
données, il réalise que sa subjectivité ne dépend pas que de lui, mais aussi de
l’activité pratique des autres hommes, se manifestant dans des rapports sociaux
désormais objectifs. En ce sens, Lukács pense que le marxisme préserve sa
spécificité dialectique […]

Dans cette polémique, il y a déjà une critique de la part de Lukács des prémices
de l’orthodoxie, car il perçoit que la portée révolutionnaire de la dialectique
matérialiste commence à disparaître. En 1928, Lukács est condamné pour
révisionnisme par la IIIème Internationale, suite à une prise de position contre
la dictature du prolétariat. Lorsque Hitler arrive au pouvoir, il se réfugie en
URSS jusqu’en 1945. Il est emprisonné durant deux mois, en 1941, pour son
interprétation hétérodoxe du marxisme. Revenu en Hongrie, il devient ministre
de la culture, avant d’être déporté en Roumanie suite à l’insurrection de 1956.
En 1968, il condamne l’invasion de la Tchécoslovaquie. Malgré ses démêlés
avec le pouvoir, Lukács continue de défendre le marxisme contre ses détracteurs
philosophiques, notamment dans une polémique avec Sartre. Dans
Existentialisme ou marxisme ? (1961), Lukács reproche à Sartre d’embrouiller
la question de la dialectique. Ce dernier interprète la dialectique matérialiste
comme un fatalisme qui s’impose à tout le réel, nature et humanité comprise.
Pour Lukács, Sartre nie l’historicité de la nature tout en ne reconnaissant que
celle de l’homme. Le marxisme ne nie pas la subjectivité, mais il en rend raison
en examinant ses fondements matériels, au lieu de la considérer comme un
absolu, à la manière de Kierkegaard ou de Husserl. Finalement, Lukács
explique l’incapacité de Sartre à comprendre le marxisme par sa posture
contemplative, étrangère au mouvement ouvrier.

Lukács consacre les dernières années de sa vie à la rédaction de L’esthétique


(1963) et de L’ontologie de l’être social (posthume, 1984). Dans ce dernier
texte, alors que la référence au mot « matérialisme » a disparu, le philosophe
tente de montrer comment la dialectique marxiste embrasse la totalité des
1911
formes de l’être, et non pas seulement celles de l’être social. Selon lui, Marx n’a
jamais renoncé à une connaissance universelle de l’être. Sa conception de
l’histoire vaut aussi pour l’être organique d’où l’homme est issu. Elle permet de
penser l’être en général au moyen de la notion de « praxis », qui infirme toute
perspective téléologique. L’histoire, comme les autres modes de l’être, n’est pas
prise dans un mouvement nécessaire et prévisible. La véritable dialectique de
l’être conçoit le mouvement comme un rapport ouvert et libre, entre des
ensembles complexes, mais dont le devenir est irréversible. » -Pascal
Charbonnat, Histoire des philosophies matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103,
706 pages, 612-614.

« Postérité hégélienne de Marx dont Lukács passe à juste titre pour le plus
illustre représentant. » -Raymond Aron, Histoire et dialectique de la violence,
Gallimard, coll. NRF, 1973, 271 pages, p.33.

Alexandra Kollontaï : https://www.amazon.fr/Alexandra-Kollonta%C3%AF-


Arkadi-
Vaksberg/dp/2213596530/ref=sr_1_fkmr0_1?ie=UTF8&qid=1469314642&sr=8
-1-fkmr0&keywords=Arcady+Vaksberg+Alexandra+kollontai

https://www.amazon.fr/Marxisme-r%C3%A9volution-sexuelle-Alexandra-
Kollontai/dp/2707134392/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=41yHr6r2Cg
L&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&psc=1&refRID=W5ZE9
TWMFH6AK40Q0F01

Beria : http://www.amazon.fr/Beria-Le-bourreau-politique-
Staline/dp/B00CJ6V8I6/ref=pd_sim_14_13?ie=UTF8&dpID=51liMqvgzXL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR108%2C160_&refRID=07MCNM3ZY5C
E2N6T9VN9

Evgueni Pachoukanis: http://hydra.forumactif.org/t2039-evgueni-


pachoukanis#2745

http://hydra.forumactif.org/t3437-leon-loiseau-directions-pour-une-approche-
marxiste-du-droit-la-theorie-generale-du-droit-d-e-b-pachukanis#4266

Alexandre Svetchine (1878-1938) : « Après la défaite de 1905, un officier


russe, Alexandre Svetchine, a voulu comprendre pourquoi les Japonais avaient
battu l’armée du Tsar. Il propose une réforme de l’armée et de l’État russes, se
fait renvoyer dans une caserne puis rejoint les Bolcheviques qui représentent
1912
pour lui la modernité : il devient le responsable des groupes de recherches qui
vont mettre au point l’art opératif. Svetchine est fusillé en 1938 comme
beaucoup d’autres chercheurs - l’autre grand théoricien de cette question,
Gueorgui Isserson, se contentera d’être arrêté et de passer toute la guerre au
goulag - mais son oeuvre est l’équivalent au XXe siècle de celle de Clausewitz et
ce sont les principes de l’école militaire soviétique qui permettront de vaincre la
Wehrmacht. J’ajoute que c’est un Allemand, Von Schlichting qui a forgé le
concept d’opératif. Mais il n’a pas été écouté par l’état-major et ce sont les
Russes qui en ont tiré profit. » -Laurent Henninger.

Christian Rakovski : http://www.amazon.fr/Rakovsky-R%C3%A9volution-


dans-tous-pays/dp/2213595992/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1454790144&sr=8-
1&keywords=Pierre+Brou%C3%A9%2C+Rakovsky+ou+la+R%C3%A9volutio
n+dans+tous+les+pays

Isaac Babel : http://www.amazon.fr/Isaac-Babel-Adrien-LE-


BIHAN/dp/2262040168/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=41eSKf-
roQL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR102%2C160_&refRID=0ZZ7DDF
QEA47BMESBX6N

http://www.amazon.fr/Oeuvres-compl%C3%A8tes-Isaac-
Babel/dp/2358730343/ref=pd_sim_14_88?ie=UTF8&dpID=41tUuF66t9L&dpS
rc=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=1PYS83VV80HEE84
CHZ4G

Vassili Grossman : http://www.amazon.fr/Vassili-Grossman-Un-


%C3%A9crivain-
combat/dp/2020978393/ref=pd_sim_14_1?ie=UTF8&dpID=51GmRYn1QIL&d
pSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR102%2C160_&refRID=1S9XVB3K4G3F
Y8CWEA3T

http://www.amazon.fr/Oeuvres-Vassilli-
GROSSMAN/dp/2221101936/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=51MEUhmP
5vL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR106%2C160_&refRID=0ZZ7DDF
QEA47BMESBX6N

Pierre Pascal (1890-1983) : https://www.amazon.fr/Journal-Russie-1928-


Pierre-Pascal/dp/2882503547/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1463409726&sr=8-
1&keywords=Pierre+Pascal

1913
Michael Rostovtzeff (1870-1952) : « Voyez la vision singulièrement enrichie
que le génie (autant que la richesse d'information) du grand Rostovtsev nous a
procurée de la civilisation hellénistique: elle nous apparaît maintenant comme
l'admirable maturité de la civilisation antique -"ce long été sous l'immobile
soleil de midi", au lieu d'en représenter déjà la décadence. » (p.63)

"Le véritable apport du marxisme à l'histoire romaine n'est pas représenté par
ces pitoyables manuels soviétiques mais par l’œuvre, si féconde, de M.
Rostovtsev." (p.191)

-Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, Éditions du Seuil, coll.


Points, 1954, 318 pages, p.63.

L’URSS (30 décembre 1922 - 25 décembre 1991) : « L’URSS dans son nom
même ne fait référence à aucun toponyme pour manifester sa vocation à
s’étendre à toute la Terre. » ( http://www.hypergeo.eu/spip.php?article417 )

« Parmi les pétroliers occidentaux, un franc-tireur va s'imposer comme le


meilleur allié des bolcheviks dans la renaissance de l'industrie russe de l'or
noir. Un colosse américain polyglotte, Henry Mason Day, chasseur de
concessions, débarque à Bakou peu après la conférence de Gênes [avril 1922].
[...] Il parvient à négocier un accord de quinze ans pour remettre en état les
puits de la Ville noire et en forer de nouveaux. En échange, Day obtient un
pourcentage confortable sur les ventes de brut. Sa première équipe de pétroliers
arrive à Bakou en juin 1923. Elle compte six ingénieurs américains. Ces
derniers vont introduire les foreuses rotatives et les pompes modernes qui vont
faire renaître Bakou de ses cendres. » (p.141)

« Une fois Lénine disparu en 1924, Staline va rapidement fermer la porte aux
investissements occidentaux dans l'or noir soviétique, et annuler les uns après
les autres les accords passés. Mais il ne fermera jamais la porte aux ingénieurs
venus d'Europe et des États-Unis. Au contraire, il fait appel à eux en nombre et
importe du matériel occidental destiné à plusieurs filières stratégiques, et en
tout premier lieu à celle du pétrole, lorsqu'il lance en 1928 son plan
quinquennal d'industrialisation à marche forcée. [...] A partir de 1930, Bakou
sera redevenu l'un des champs pétroliers les plus productifs du monde. Après
avoir aidé à l ressusciter, l'industrie capitaliste sera privée du contrôle de son
brut durant les soixante années qui vont suivre. » (p.143)

1914
-Matthieu Auzanneau, Or Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La
Découverte/Poche, 2016, 881 pages.

L’Entre-Deux Guerres (1918-1939) : « …une époque où les hommes, pris dans


la désintégration de la communauté et l’atomisation de la société, voulaient à
tout prix faire partie de quelque chose. » -Hannah Arendt, L’Impérialisme
(p.505).

« On pensait en effet dans l’Entre-deux guerres pouvoir imputer la crise de la


conscience et de la culture européenne à la montée en puissance des masses –
c’était le thème de l’époque. […] On aimerait savoir ce qu’il est advenu des
masses, dont personne ne parle plus. » - Françoise Bonardel, La crise de la
l'identité européenne, 24 juin 2017.

« L'entre-deux-guerres fut une période de bassesse et de médiocrité dont la


France ne se releva qu'avec l'arrivée de la génération de Sartre et de Camus. » -
Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche. L'idéologie fasciste en France. Barcelone,
Gallimard, coll. Folio Histoire, 2012 (1983 pour la première édition), 1075
pages, p.787.

« Durant les années qui suivirent 1918, les pays européens tombèrent les uns
après les autres dans les rets de dictature aux types divers. Depuis la "marche
sur Rome" de Mussolini en 1922, jusqu'à l'invasion de l'Espagne républicaine
par Franco en 1936, les démocraties du Vieux Continent s'écroulèrent comme
des quilles devant l'assaut des dictateurs. En Europe centrale et orientale, le
régime parlementaire dura jusqu'en mars 1939 en Tchécoslovaquie, soit vingt
ans, le record ; en Autriche, il ne dura que dix-neuf ans, en Allemagne, seize, en
Yougoslavie, neuf et en Pologne, tout juste sept. » -Norman Davies, Histoire de
la Pologne, Fayard, 1986 (1984 pour l'édition britannique), 542 pages, p.146.

« Une fois de plus, les évolutions divergent de chaque côté du Rhin. Les
Allemands pensent le destin de l’Occident et les « idées de 1914 » pour en tirer
des leçons propres à approfondir leur Sonderweg (leur « voie spécifique ») et à
promouvoir, malgré la défaite, leur volonté de puissance rapidement réaffirmée.
Les Français, dont nombre de grands intellectuels, contrairement à l’idée reçue,
n’ont pas souhaité la victoire de leurs pays (Sorel, Romain Rolland, Edouard
Dujardin, et dans une moindre mesure, Gide et Alain), lorgnent immédiatement
vers Lénine et Mussolini, dédaignant aussi bien l’idéalisme protestant de
Woodrow Wilson que le jacobinisme de Clemenceau, dont l’échec à l’Élysée
1915
(1920) est hautement symbolique. Le retour à la sécession ouvrière (grèves
insurrectionnelles, création du parti communiste) achève de donner à cette
période l’aspect d’une répétition de 1848. Valéry reprend significativement le
flambeau des Flaubert et des Renan, en proclamant la mortalité des civilisations
et l’inanité de l’histoire. L’Université républicaine n’est plus là pour lui
répondre. Physiquement saignée par les tranchées, elle ne fait que se survivre à
elle-même, alors que germent en son sein de nouvelles tendances théoriques qui
ne sont pas loin des diagnostics de Valéry (triomphe de l’école « vidalienne » de
géographie, cristallisation, à Strasbourg, de la future « école des Annales »,
ville où pénétre également, par le canal concordataire de la faculté de théologie
réformée, la phénoménologie d’Husserl et de Scheler).

La distinction faite par Péguy entre les « époques » -pendent lesquelles « il se


passe » vraiment quelque chose de grand, qui reste-, et les « périodes » de
simple survie, devient significativement un lieu commun répété jusqu’à
l’écœurement. La tentation du néant s’affiche partout, y compris chez ces
chantres supposés de la vie, les surréalistes. Dans leur Lettre ouverte à M. Paul
Claudel, ces derniers n’écrivent-ils pas : « … Nous souhaitons de toutes nos
forces que les révolutions, les guerres et les insurrections coloniales viennent
anéantir cette civilisation occidentale dont vous défendez jusqu’en Orient la
vermine et nous appelons à cette destruction comme l’état de choses le moins
inacceptable pour l’esprit. […] Le salut pour nous n’est nulle part. » -Daniel
Lindenberg, Les années souterraines (1937-1947).

« En 1920, les Etats-Unis contrôlent 30% des réserves-or du monde [contre


15% en 1913]. […] En 1932, les Etats-Unis contrôlent autour de 44% des
réserves d’or du monde [et jusqu’à 66% en 1934 ; autour de 75% en 1944]. » -
Norman Palma, « La crise du dollar et le nouveau système monétaire
international », Conférence au Cercle Aristote, 4 juin 2017.

"Après avoir exporté plus des deux tiers de leurs produits pétroliers durant les
premières décennies de l'industrie, et encore un quart en 1914, les États-Unis se
sont transformés pour la première fois en importateurs nets à l'issue de la
Première Guerre mondiale. En dehors des deux intermèdes tragiques de la crise
de 1929 et de la Seconde Guerre mondiale, la plus grande nation pétrolière
restera importatrice de brut, et de plus en plus, durant toute la suite de son
histoire." (p.146)

1916
"Dès août 1919, près de 200 navires de guerre de l'US Navy sont ancrés dans la
baie de San Pedro, face à la plage de Long Beach: à la veille du boom pétrolier,
Los Angeles devient la base de ravitaillement de la marine américaine dans la
Pacifique. Certains des plus récents cuirassés américains rejoignent la
Californie par le canal de Panama, ouvert en 1914. Ils vont défendre les intérêts
commerciaux des États-Unis dans le Pacifique et en Chine face à l'impérialisme
japonais, dont les Alliés viennent d'avaliser le premier pas. San Pedro restera le
port d'attache principal de la flotte du Pacifique, jusqu'à ce que celle-ci soit
avancée à Pearl Harbor, sur l'île d'Hawaï, en 1940." (p.150)

« Par l'article 156 du traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, les États-Unis,
le Royaume-Uni et la France autorisent le Japon à s'approprier "les chemins de
fer, les mines et les câbles sous-marins" que l'Allemagne possédait dans la
région stratégique chinoise du Shandong, initialement promis à Pékin par le
président Wilson. » (note a p.150)

"Lors de la conférence qui se tient en avril 1920 à San Remo, sur la Riviera
italienne, la France obtient un mandat plaçant sous sa tutelle la Syrie et le
Liban. Le mandat britannique sur la Palestine et la Mésopotamie est confirmé.
Un "Accord sur les pétroles" spécifique est en outre signé le 24 avril par Lloyd
George et Alexandre Millerand, ministre des Affaires étrangères et président du
Conseil français. Conformément aux arrangements d'avant-guerre, près de la
moitié des parts de la Turkish Petroleum Compagny (TPC) -qui n'a rien de turc
-reviennent à la compagnie nationale britannique, l'Anglo-Persian Oil
Company. La Royal Dutch Shell conserve un quart du capital. Lloyd George
consent à céder aux Français les parts allemandes dans la TPC placées sous
séquestre par Londres au début de la guerre: en mettant la main sur le quart du
capital de la compagnie, la France obtient, tardivement, son premier accès
direct à une source potentielle de brut." (p.161)
-Matthieu Auzanneau, Or Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La
Découverte/Poche, 2016, 881 pages.

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1917
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1918
La Syrie et le Liban dans l’Entre-deux guerres (1918-1946) : « L’initiative de
la révolte arabe permet au Hedjaz de faire figure de vainqueur aux côtés des
Alliés. Aussi, si les Britanniques s’opposent à la venue de délégations
égyptiennes, palestiniennes, mésopotamienne et persane, Faysal, accompagné et
même piloté par T. E. Lawrence, est-il invité à la conférence de la Paix de Paris
(janvier 1919-août 1920), en dépit de l’hostilité que lui vouent les Français en
raison de leurs visées concurrentes sur la Syrie. Le 6 février, devant la
conférence, Faysal réitère sa demande de création d’une confédération arabe
indépendante composée du Hedjaz, du Yémen, de la Syrie et de la Mésopotamie,
mais d’où serait exclue la Palestine, « en raison de son caractère
international ». Ce mémorandum, qui réclame l’indépendance complète mais
reste favorable aux intérêts britanniques, et qui n’évoque même pas les
prétentions françaises sur la Syrie, est contré par des demandes libanaises et
syriennes concurrentes, soutenues par la France. » (p.136)

« Dans le même temps, et en marge des rencontres officielles de la conférence


de la Paix, la France et la Grande-Bretagne poursuivent des manœuvres
diplomatiques dans un esprit de rivalité qui va dominer toute l’année 1919. En
décembre 1918, les deux pays cherchent à s’entendre en toute discrétion sur le
sort à réserver aux provinces arabes de l’ex-Empire ottoman. Les Britanniques
réaffirment que les accords Sykes-Picot sont désormais caducs, et les deux
puissances replacent les pions sur l’échiquier. La France accepte de céder la
Palestine et Mossoul à l’Angleterre, en échange d’une participation à
l’exploitation du pétrole de Mésopotamie. Clemenceau, qui négocie ce nouveau
partage avec Lloyd George, n’entend en revanche en rien céder sur la Syrie. Or,
la concurrence qui oppose la France et les Chérifiens sur le contrôle de la Syrie
place la Grande-Bretagne dans une situation délicate ; elle s’était en effet
engagée auprès des deux protagonistes et empêche tout accord sur cette
question syrienne durant la conférence de la Paix. Les Etats-Unis se proposent
alors comme médiateurs. En vertu des principes énoncés en janvier 1918 dans
son programme de paix en 14 points, qui prône l’autodétermination des peuples,
le président américain Woodrow Wilson suggère d’envoyer sur place une
commission d’enquête interalliée afin de recueillir l’avis des populations la
Syrien du Liban et de la Palestine. La France et la Grande-Bretagne, d’abord
hostiles à l’initiative, finissent par l’accepter mais ne s’y joignent pas. Deux
Américains, Henri King et Charles Crane, entreprennent en mai 1919 une
tournée dans la région, recevant de nombreuses délégations et plus encore de
1919
pétitions émanant de la population. […] En Syrie, l’arrivée prochaine de la
commission King-Crane suscite l’élection d’un Congrès arabe qui prépare et
adopte, le 2 juillet, une déclaration à soumettre aux deux Américains, le
Programme de Damas. Celui-ci confirme l’aspiration à l’indépendance totale
d’une fédération syrienne qui engloberait le Liban et la Palestine, et rejette
toute perspective de mandat sur cet espace. Il rejette tout aussi fermement la
mise en application de la promesse contenue dans la déclaration Balfour. Seuls
les milieux maronites du Liban aspirent à une présence française et à la
création d’un Liban détaché de la Syrie. Le rapport final de la commission
King-Crane répercute ces demandes et recommande de maintenir l’unité de la
Grande-Syrie, sous l’autorité de Faysal, de contenir les projets sionistes et
d’envisager un mandat américain, ou à défaut britannique, sur la Syrie. Mais,
au moment où ce rapport est finalisé, Woodrow Wilson a déjà quitté Paris et les
Etats-Unis se replient aussitôt sur un isolationnisme confirmé par leur refus
d’adhérer à la SDN. La voix des populations locales n’est donc pas entendue.

Français et Britanniques engagent alors une ultime négociation. Fragilisée par


une série de troubles qui éclatent en divers points de son Empire, la Grande-
Bretagne entame un revirement de sa politique arabe et décide de céder du
terrain en Syrie. Les deux pays signent à Londres, le 13 septembre 1919, un
accord qui prévoit le désengagement militaire britannique de la région, à
l’exception de la Palestine, la Grande-Bretagne cédant à Faysal la zone des
« quatre villes » (Damas, Homs, Hama et Alep) et à la France les territoires
placés à l’ouest de cette ligne, dont la Cilicie. Le retrait britannique laisse la
France et les Chérifiens face à face. C’est alors, sitôt l’évacuation militaire
britannique commencée, que la France décide de donner des gages à sa
clientèle libanaise. Clemenceau adresse en novembre 1919, alors qu’il négocie
par ailleurs avec Faysal le devenir de la Syrie, un courrier au patriarche
maronite, qu’il avait reçu le mois précédent, l’assurant du soutien de la France
au projet d’indépendance du Grand-Liban. Une importante force militaire
française, sous le commandement du général Gouraud, est envoyée sur place.
Le 6 janvier 1920, les négociations menées entre Faysal et Clemenceau
aboutissent de leur côté à un accord où l’émir, lâché par les Britanniques et
acculé, accepte le projet de la création d’un Liban séparé de la Syrie et confié à
un mandat français, et une supervision française sur le reste de la Syrie
nominalement indépendante. Ces termes sont si éloignés des aspirations

1920
syriennes que Faysal n’avoue pas, à son retour à Damas, qu’il l’a déjà signé. »
(p.136-137)

« Le 6 octobre [1918], un gouvernement arabe […] est formé et le drapeau aux


couleurs de Faysal est hissé sur le sérail de Beyrouth. Un gouverneur du Mont-
Liban est nommé au nom du nouveau gouverneur arabe ; il prête serment
d’allégeance à Faysal au sérail de Baabda, siège du gouvernement de la
montagne. Mais cette volonté de rattachement au royaume arabe, porté par les
nationalistes syriens, n’est pas du goût des chrétiens du Mont-Liban et se heurte
tout autant aux ambitions françaises. Elle est d’ailleurs aussitôt balayée par le
débarquement des Français qui prennent possession du port de Beyrouth,
poussent les représentants de Faysal à se retirer et remplacent ceux-ci dans les
rouages de l’administration. Au cours de l’année 1919, la présence militaire
française ne cesse de se renforcer sur le littoral et la montagne, autant pour
alimenter les opérations de la guerre en Cilicie que pour préparer une
occupation de la Syrie. » (p.139)

« A l’annonce du partage mandataire des provinces arabes [conférence de San


Remo d’avril 1920], qui sème partout dans la région le désarroi et la colère, la
tension augmente encore en Syrie et au Liban. Les raids contre les troupes
françaises dans la zone frontalière et dans la Bekaa se multiplient. L’armée
chérifienne bloque notamment la ligne de chemin de fer Rayak (au Liban)-Alep
qui permet de ravitailler l’armée française alors en difficulté dans la guerre
qu’elle mène contre les Turcs en Cilicie. L’armistice provisoire signé avec les
nationalistes turcs, le 23 mai 1920, permet à la France de mieux se concentrer
sur le dossier syrien et de durcir sa politique à l’égard des Chérifiens. Le
général Gouraud, qui a été nommé haut-commissaire du gouvernement français
au Levant, augmente la pression sur Faysal, empêtré dans ses contradictions
entre sa volonté de donner des gages à la France tout en réclamant
l’indépendance, et celle de ménager les nationalistes durs de Damas. Gouraud
lui fait parvenir le 14 juillet un ultimatum à quatre jours réclamant la remise à
disposition de la ligne Rayak-Alep, la démobilisation de l’armée chérifienne et
« l’acceptation du mandat français dont l’application se présentera sous forme
d’aide et de collaboration ». Faysal accepte l’ultimatum en dépit de l’hostilité
de la population et de ses représentants au gouvernement et au Congrès général
syrien. Mais, prétextant un retard d’une demi-heure de l’arrivée à Beyrouth de
sa réponse, en raison d’un sabotage de la ligne de télégraphe. Gouraud impose,
sous la pression de Paris, une nouvelle série d’exigences si sévères qu’elles
1921
semblent bien viser la rupture avec Faysal […]. Sans réponse de la part de ce
dernier, les troupes françaises poursuivent vers Damas leur marche entamée
quelques jours auparavant. Elles défont l’armée chérifienne à Maysaloun, le 24
juillet, et entrent dans Damas le jour suivant. Faysal et les principaux chefs
nationalistes quittent la ville et se dispersent en exil ; le mandat s’impose
finalement par les armes. Gouraud est accueilli par un nouveau gouvernement
conciliant mis en place le 27 juillet, à qui il assure que son but n’est aucunement
de coloniser le pays. Pourtant, c’est bien un régime de domination coloniale,
mâtiné d’un contrôle international par la SDN, qui se met en place les jours
suivants. Le 1er septembre 1920, est proclamée la création du Liban, dans les
limites élargies proposées à Paris par les libanistes. Ceux-ci voient donc aboutir
leur projet, construit en opposition à la posture majoritaire des nationalistes
arabes. Les espérances de ces derniers sont plus encore bafouées par la France
lorsque Gouraud entreprend ensuite de diviser la Syrie en entités distinctes au
prétexte de protéger les minorités religieuses : en septembre 1920 sont créés par
décret l’Etat indépendant de Damas et le Gouvernement d’Alep (avec un statut
spécial pour le sandjak d’Alexandrette, débouché maritime de la région d’Alep
peuplé d’un tiers de turcophones), ainsi que le Territoire autonome des
Alaouites. Puis en mars 1921, c’est le djebel druze qui devient à son tour un
Etat autonome. » (p.141-142)

« En Syrie, berceau du nationalisme arabe, l’imposition du mandat français est


vécue comme une insulte et l’objectif de l’indépendance, prévue par la SDN,
demeure l’horizon unique auquel accéder au plus vite. Si Damas était tombé
sans résistance aux mains des Français, la conquête des zones rurales se révèle
plus difficile en raison de l’activité des bandes armées, notamment à la frontière
turco-syrienne où elles reçoivent l’appui des kémalistes. Après avoir pacifié
successivement la région de l’Euphrate, celle d’Alep puis les montagnes
alaouites et druze, la conquête n’est achevée qu’en 1922. L’organisation
administrative de la Syrie est alors mise en place mais au lieu d’une tutelle
relativement légère, qui était censée caractériser le système des mandats, les
Français mettent en œuvre un contrôle lourd, de type colonial, celui-là même
qui leur est familier au Maghreb. A Beyrouth, un haut-commissaire pour la
Syrie et le Liban, épaulé d’un gouvernement, chapeaute les gouverneurs
français établis dans chacun des Etats crées en 1920 et 1921 (Etat des Druzes,
Etat d’Alep, Etat de Damas, Etat des Alaouites), lesquels sont assistés d’un
conseil administratif. Chaque échelon administratif est aux mains de
1922
fonctionnaires français. Sur le terrain, et notamment dans les zones
périphériques, la présence de l’armée et des services de renseignement est
importante. Cette mise en coupe, peu conforme à l’esprit des mandats, ajoute un
grief supplémentaire pour les nationalistes, déjà outrés du fractionnement du
pays en quatre entités. En 1922, les Etats de Damas, Alep et des Alaouites sont
rassemblés en une Fédération syrienne, seul le Djebel druze demeurant
autonome. Mais dès 1924, l’Etat des Alaouites est de nouveau séparé de la
Fédération qui se transforme en un Etat de Syrie, avec les seules régions de
Damas et Alep. La France aime à jouer sur les particularismes. […]

Les forces nationalistes syriennes, dispersées après l’échec du royaume arabe,


se reconstruisent d’abord à l’étranger. Les exilés forment un comité syro-
palestinien dont le premier congrès se tient à Genève en août 1921. Un bureau
permanent est installé dans la ville suisse. A sa tête, Chakib Arslan plaide
inlassablement la cause arabe auprès de la SDN et des gouvernements
européens. En Syrie, le Dr Shahbandar, qui avait participé au gouvernement de
Faysal, parvient en 1925 à fonder le Parti du peuple qui défend un nationalisme
virulent et se montre très hostile au gouvernement installé par les Français. Ses
membres sont pour la plupart des notables et des grands propriétaires terriens
dont l’influence se diffuse par capillarité, via le clientélisme, dans la société
rurale et urbaine syrienne. Mais c’est de l’Etat druze que surgit une opposition
violente. Formé en Etat indépendant en 1922, le Djebel druze, qui aurait dû
avoir à sa tête un gouverneur local en vertu de son statut d’autonomie, est pris
en main par un gouverneur militaire français dont les entreprises autoritaires et
hâtives irritent la population. Ses protestations n’étant pas entendues par les
autorités mandataires, Sultan al-Atrach, qui appartient à la plus grande famille
druze, décide de passer à l’action armée. La révolte embrase le Djebel druze
puis s’étend à l’ensemble du pays après l’adhésion de Shahbandar à l’initiative.
Le Parti du peuple donne des mots d’ordre nationaliste à l’insurrection, mais
les acteurs de celle-ci, issus de toutes les couches de la société syrienne, s’y
engagent tout autant au nom de l’islam que du nationalisme. Il faut une année et
demie à l’armée française pour faire revenir l’ordre, au prix de nombreux morts
et de destructions importantes ; Damas est bombardée à deux reprises, en
octobre 1925 et mai 1926.

Après la grande révolte, les nationalistes, regroupés dans un Bloc national,


parviennent à investir certains rouages des institutions et du gouvernement
mandataires, mais les rapports avec les autorités françaises demeurent tendus,
1923
pour ne pas dire exécrables. Les Français campent sur les principes du mandat
alors que les nationalistes revendiquent la réunification de la Syrie et
l’indépendance. La situation d’incompréhension réciproque est telle que le
projet constitutionnel est ajournée sine die et la chambre, élue en 1928,
dissoute. » (p.167-169)

« La République libanaise […] est promulguée le 23 mai 1926. Elle réitère la


distribution communautaire de la représentation parlementaire et l’article 95,
toujours en vigueur, achève l’institutionnalisation du confessionnalisme
politique en stipulant qu’à « titre provisoire et dans une intention de justice et
de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les
emplois publics et dans la composition du ministère, sans que cela puisse nuire
au bien de l’Etat ».

La vie politique libanaise demeure toutefois étroitement contrôlée par les


Français et elle est également marquée par les dissensions entre chrétiens et
musulmans. Les premiers, surtout les Maronites, appuient dans un premier
temps le mandat, dont ils peuplent l’administration. Leurs élites bénéficient
pleinement des avantages du système, tant du point de vue politique
qu’économique. Mais les musulmans se voient, dans le nouveau système
libanais, ramenés à un statut communautaire qui ne concernait sous l’Empire
ottoman que les seuls minoritaires. De plus, ils défendent toujours, les sunnites
du moins, le rattachement à la Syrie pour des raisons culturelles mais aussi
économiques, puisque les nouvelles frontières ont coupé leurs réseaux
marchands. » (p.171)

-Sylvia Chiffoleau, Norig Neveu, Matthieu Rey, Anne-Claire de Gayffier-


Bonneville, Anna-Laura Turiano, Manon-Nour Tannous et al., Le Moyen-
Orient. 1876-1980, Atlande, coll. Clefs concours –Histoire contemporaine,
2017, 766 pages.

« La victoire des Alliés à la bataille de Sarona le 19 septembre 1918 est


considérée comme une véritable délivrance. Déjà à la fin de 1916 le chérif
Hussein aidé par ses trois fils Ali, Fayçal et Abdallah organise le soulèvement
contre l’oppresseur ottoman. Soutenu par le colonel Lawrence qui mène « la
révolte dans le désert », les colonnes chérifiennes de l’émir Fayçal entrent à
Damas le 3 octobre 1918 suivant les Bédouins Rouallah de Nouri Chaalan. Le
contingent français, symbolique, qui participe à la prise de la ville aux côtés des

1924
Anglais rejoint alors Beyrouth et, renforcé, forme les « Troupes françaises du
Levant ». Celles-ci occupent le mont Liban, la Bekaa avant de réduire les
Alaouites du djebel Ansariyé et plus tard les Turcs de Cilicie. Mais les accords
Sykes-Picot de 1916, qui délimitent entre les Alliés les zones d’influence
respectives, sont quelques peu interprétés par les Britanniques : Fayçal,
accompagné de Lawrence, se rend en janvier 1919 à la Conférence de la Paix à
Paris pour y revendiquer une complète indépendance arabe. En mars 1920, un
congrès national syrien réuni à Damas proclame l’indépendance de la « Grande
Syrie » sous la couronne chérifienne. Mais, en avril 1920, la conférence de San
Remo, confirmant les accords Sykes-Picot modifiés, donne à la France les
mandats sur le Liban et la Syrie, à l’Angleterre les mandats sur la Palestine, la
Syrie du Nord (Transjordanie) et l’Irak. Le 24 juillet 1920, après avoir lancé un
ultimatum à l’émir Fayçal pour qu’il respecte les accords conclus, une colonne
française défait l’armée chérifienne à Khan Meyssaloun et entre à Damas.
Fayçal rejoint Bagdad où il est proclamé roi d’Irak le 21 août 1921. Le mandat
français sur la Syrie commence et va durer un peu plus de vingt ans.

La France a d’abord en Syrie, comme au Liban voisin, la lourde tâche de mener


à bien la remise en état et la pacification du pays. […] Mais cette politique de
redressement est contrariée par la poursuite des intrigues britanniques et les
réticences certaines de l’élite politique syrienne. Le nationalisme syrien, apparu
dès avant la guerre, s’est non seulement renforcé mais donne naissance
maintenant à un profond sentiment unitaire de l’arabisme. Cette évolution est
mal comprise ou ignorée par les autorités françaises qui jouent avec les
antagonismes des minorités. Afin de répondre à ces particularismes locaux, à
l’attitude centrifuge et ombrageuse des sectes dissidentes de l’islam, enfin aux
privilèges consentis par traité à la minorité turque, la Syrie est divisée en quatre
Etats : Damas et Alep qui seront réunis par la suite, le territoire autonome des
Alaouites, le Djebel Druze dans le Hauran qui bénéficie d’un gouvernement. Les
sandjaks d’Alexandrette et de Deir ez-Zor jouissent quant à eux de certaines
dispositions. A côté le Grand Liban, détaché de cet ensemble, proclamé
indépendant le 1er septembre 1920, a un statut particulier. La Société des
Nations en confirmant, le 24 juillet 1922, le mandat français sur les Etats du
Levant, reconnaît l’organisation administrative ainsi réalisée.

En 1923, est tenté un essai de fédération avec les Etats des Alaouites, de Damas,
d’Alep et du Djebel Druze, dont la capitale devait être Homs, qui échoue surtout
à cause de la résistance des féodaux alaouites encouragés par les
1925
administrateurs locaux français. Les régimes administratifs dans chacun de ces
ensembles sont différents : en Syrie, résultat de la réunion des Etats de Damas
et Alep et du sandjak d’Alexandrette, le chef d’Etat est un notable désigné par le
mandat appuyé par une administration syrienne où les Français n’ont qu’un
rôle de conseillers. Dans les Etats des Alaouites et du Djebel Druze
l’administration française, placée sous la responsabilité d’un gouverneur
français, est directe. L’action du mandat français a surtout consisté à faire
régresser les autonomies pour arriver graduellement à l’Etat unitaire, ce qui ne
s’est pas réalisé sans difficultés, du fait des dissidences.

Après avoir réglé celle des Alaouites, une colonne doit réduire en 1921 les
Bédouins qui ont attaqué Deir ez-Zor. En août 1922, c’est au tour des Druzes de
Soltan Pacha al Attrache de prendre les armes, probablement soutenu par les
Anglais de Transjordanie, pays qu’il rejoint d’ailleurs après l’intervention des
troupes françaises. Mais surtout en 1925 une nouvelle révolte éclate dans le
Djebel Druze et s’étend rapidement sur une partie de la Syrie. Pendant un an,
« la guerre du Djebel Druze » va opposer les farouches guerriers druzes aux
colonnes françaises qui subissent de lourdes pertes. Le conflit entretenu par les
agents de l’émir Abdallah de Transjordanie et l’Arab Legion de Peake Pacha
gagne l’Hermon, peuplé également de Druzes, la Ghouta, oasis de Damas et
l’Anti-Liban , débordant sur la riche plaine de la Békaa au Liban. Les autorités
françaises viennent à bout de l’insurrection au début de l’été 1926 avec la prise
de Soueida, la capitale du Djebel Druze, et de Salkhad que Soltan Pacha doit
abandonner. L’oasis de la Ghouta est réoccupée par les troupes françaises non
sans difficultés quelques mois plus tard. Le calme est définitivement revenu en
Syrie et ne sera plus troublé jusqu’en 1936.

Mais le combat se situe désormais sur un autre terrain, politique cette fois.
L’Assemblée constituante, élue en avril 1928, vote une Constitution qui est
refusée par le haut-commissaire car elle revendique des territoires passés au
Grand Liban et postule l’unité territoriale passés au Grand Liban et postule
l’unité nationale intégrale et immédiate impliquant la fin brusquée du mandat.
La Chambre est dissoute en mai 1930. Les nouvelles élections de janvier 1932
ne permettent pas de trouver un compromis entre les autorités et les
nationalistes pour la conclusion d’un traité franco-syrien sur le modèle du traité
anglo-irakien de 1930. En 1934, la Chambre est suspendue définitivement. Mais
l’arrivée au pouvoir en France, en 1936, du Front populaire, provoque un
nouvel examen des aspirations nationalistes syriennes. Un traité franco-syrien,
1926
prévoyait l’indépendance de la Syrie dans un délai de trois ans, est conclu,
agréé à l’unanimité par le Parlement syrien mais n’est pas soumis à la
ratification du Parlement français à la suite d’une campagne déclenchée par les
milieux conservateurs de Paris.

Le gouvernement turc, inquiet de voir que la souveraineté de la Syrie


indépendante puisse un jour s’étendre sur le sandjak d’Alexandrette où se
trouve installé une minorité turque, obtient que la France cède en juin 1939 le
territoire, devenu le Hatay, à la Turquie. Cette décision est très vivement
ressentie par les Syriens qui gardent encore aujourd’hui le sentiment que le
sandjak est partie intégrante de leur pays.

En décembre 1938, le gouvernement français, soucieux de ne pas perdre au


Moyen-Orient ses positions militaires, confirme qu’il n’est pas question
d’envisager la ratification du traité franco-syrien. La déclaration de la guerre
de septembre 1939 accentue le raidissement français. L’effondrement de la
France et l’installation du gouvernement de Vichy ont pour conséquence la
désignation du général Dentz comme haut-commissaire tandis que la flotte
britannique fait le blocus des côtes et que la résistance tente de s’organiser au
Liban comme en Syrie.

En juin 1941, afin de mettre en échec les tentatives du général Dentz pour
maintenir l’autorité du gouvernement de Vichy sur la Syrie, les forces françaises
libres et les forces britanniques pénètrent dans le pays. Le général Catroux, au
nom du Comité national de la Libération, proclame formellement
l’indépendance syrienne le 27 septembre 1941 et la fin du mandat français. »
(p.23-28)

-Philippe Rondot, La Syrie, Presse Universitaire de France, Que sais-je ?, 1978,


126 pages.

"Le général Gouraud, qui avait servi au Maroc sous les ordres de Lyautey et qui
fait le lien entre la colonisation africaine et le régime mandataire en Orient, a
été nommé en octobre 1919 commandant de la IVe armé, Haut Commissaire de
la République de France en Syrie et au Liban. Avec son secrétaire général
Robert de Caix, il mène une politique qui rejette l'idée d'un Etat unitaire arabe.
Soutenu par la Chambre Bleu horizon et s'appuyant sur les particularismes
régionaux et religieux, il désire voir les Etats du Levant demeurer un agrégat de
nations dont le lien fédérateur serait la France ; il adopte une politique de
1927
morcellement de la Syrie en plusieurs Etats et créé l'Etat du Grand-Liban. Il
reprend la politique de popularisation de son action que menait Lyautey et
invite à son tour littérateurs et hommes politiques.
Pierre Lyautey, neveu du Résident général au Maroc et chef de cabinet civil de
Gouraud, facilite le voyage que font dans le pays les deux frères, accompagnés
de madame Jérôme Tharaud. Ceux-ci sont à Beyrouth en mai et à Damas en
juin 1922, dans une phase où culmine la "Mésentente cordiale"." (p.105)
-Michel Leymarie, La Preuve par deux. Jérôme et Jean Tharaud, Paris, CNRS
Éditions, 2014, 399 pages.

http://hydra.forumactif.org/t3783-histoire-de-la-syrie-et-du-liban-dans-l-entre-
deux-guerres#4626

https://www.amazon.fr/LArm%C3%A9e-fran%C3%A7aise-Etats-Levant-1936-
1946/dp/2271057132/ref=sr_1_1_twi_pap_2?s=books&ie=UTF8&qid=1510511
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Fayçal Ier d’Irak (1885-1933) : https://www.amazon.fr/Faisal-I-Iraq-Ali-


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1-1-catcorr&keywords=Faisal+I+of+Iraq

Boris III de Bulgarie (30 janvier 1894 – 28 août 1943) :


https://www.amazon.fr/Crown-Thorns-Reign-Bulgaria-1918-
1943/dp/1568331142/ref=sr_1_cc_1?s=aps&ie=UTF8&qid=1508009355&sr=1-
1-
catcorr&keywords=Crown+of+Thorns%3A+the+Reign+of+King+Boris+III+of
+Bulgaria+1918-1943

Corneliu Zelea Codreanu (1899-1938), Ion Antonescu (1882-1946), et le


fascisme roumain: "Codreanu a fondé, à côté de la Légion de l'Archange Saint-
Michel, la Garde de Fer, un nouveau parti antiparlementaire, anticapitaliste,
antisémite et antimaçonnique, qui se réclame du christianisme et ambitionne de
créer l'homme nouveau. Son mouvement, qui attire de jeunes intellectuels tels
que Cioran ou Eliade, s'oppose au régime démocratique. Il est organisé d'une
façon toute militaire à la manière des Chemises noires italiennes et des S. S.
hitlériens. Le libéral président du Conseil Duca, qui avait dissous la Garde de
fer et les associations nazies, a été assassiné en décembre 1933 par des hommes
1928
de main. Le mouvement est interdit. Comme la propagande national-socialiste
travaille la Roumanie, le ministre de l'Intérieur Calinescu, qui considère
Codreanu comme un chef de bande à la solde de l'Allemagne, le poursuit. "Le
Capitaine" forme en mars 1935 un nouveau parti "Tout pour la Patrie". Après
que deux de ses légionnaires, Ion Mota et Vasile Marin, engagés sur le font
espagnol aux côtés des franquistes, eurent été tués devant Madrid, ils sont
enterrés à Bucarest en grande pompe le 13 février 1937, en présence du
patriarche Miron Cristea et de Codreanu.
Jérôme est toujours en Roumanie quand se déroulent en décembre des élections
particulièrement importantes, lors desquelles le parti de Codreanu obtient plus
de 15% des suffrages. Le roi appelle le 28 au pouvoir Octavian Goga ; ce chef
du Parti national chrétien avait chaque année "pris l'habitude d'aller rendre
visite à Mussolini et à Hitler" ; son gouvernement fait adopter des mesures
antidémocratiques et antisémites: les juifs sont exclus de la fonction publique et
du barreau, les naturalisations sont remises en cause. Le gouvernement
déconsidère le régime parlementaire et Codreanu rompt le pacte électoral. […]
Le 10 février 1938, le président du Conseil est démis et le roi instaure une
dictature personnelle, un "régime autoritaire de droite antifasciste". En février,
Carol fait approuver une nouvelle constitution par référendum. En mars, Miron
Cristea est chargé de former un nouveau gouvernement et tous les partis sont
supprimés. Codreanu félicite Hitler de l'annexion de l'Autriche, voit une
nouvelle fois son parti dissout, tout en poursuivant son activité secrète. Le roi,
jusqu'alors tolérant envers le mouvement légionnaire, décide de le combattre: le
"Capitaine", qui accuse Carol de lui avoir volé son programme antisémite,
antidémocratique et antiparlementaire, est condamné en mai à dix ans de
travaux forcés pour haute trahison et complot contre la sûreté de l'Etat. Dans la
nuit du 29 au 30 novembre 1938, il est assassiné avec treize chefs de la Légion.
Les Tharaud évoquent alors son "tragide destin" dans Candide du 7 décembre
1938 […]. Armand Calinescu, nommé premier ministre par Carol en mars 1939,
est assassiné en septembre par des légionnaires et un tueur venu d'Allemagne.
[…]
La Constitution de 1923 a accordé une pleine égalité de droits aux juifs. »
(p.184-185) -Michel Leymarie, La Preuve par deux. Jérôme et Jean Tharaud,
Paris, CNRS Éditions, 2014, 399 pages.

« L’Allemagne s’était […] assurée, dès avant la Grande Guerre, la première


place dans le commerce roumain. » -Hubert Beuve-Méry, Vers la plus grande
1929
Allemagne, Paris, Paul Hartmann éditeur, Centre d’études de politique étrangère,
1939. Analyse la pénétration économique allemande en Europe de l’Est, p.11.

https://www.amazon.fr/fascisme-roumain-Traian-
SANDU/dp/2262033471/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1508010351&sr
=1-2&keywords=Traian+Sandu%2C+Histoire+de+la+Roumanie

L'école de Chicago (1882-1952) : « L’école de Chicago utilise depuis


longtemps déjà ce type de sources et ses travaux peuvent servir de modèle. La
constitution d’un département de sociologie à Chicago date de la fin du XIXe
siècle, en 1892. Il est marqué par la personnalité d’Albion W. Small qui fut
directeur de ce département pendant trente ans. Un de ses étudiants, William
Thomas, revient pour y enseigner entre 1897 et 1918. C’est lui qui démontre la
fécondité de cette école grâce à son enquête sur le « paysan polonais » devenue
célèbre, qu’il publie en 1918 avec Znaniecki. Elle représente une somme de
travail impressionnante de cinq volumes, fruit d’une collecte de milliers de
lettres d’immigrants, d’histoire de vie, de la comparaison entre le pays
d’origine et le pays d’accueil. Plus tard, et sous l’influence des thèses
pragmatistes de Charles S. Peirce et de John Dewey, les sociologues prennent
leurs distances avec la tradition spéculative des grands systèmes théoriques et
s’occupent d’études empiriques. Les travaux de recherche s’orientent vers
l’étude des modalités du changement social et les problèmes qu’il engendre.
L’empirisme domine alors, en ces années trente, la sociologie américaine, « loin
cependant de rejeter toute orientation théorique, il se caractérise plutôt par sa
défiance à l’égard d’une démarche hypothético-décuctive à partir d’un corps
systématisé de postulats, préférant étudier chaque phénomène social particulier
dans le cadre de problématiques construites selon des « rationalités »
spécifiques ».

C’est dans ce cadre que l’école de Chicago voit se développer une série de
projets de recherche, dits d’écologie urbaine, dénommés Urban Area Projects.
Ce qui fonde l’unité de ces travaux est de considérer la ville comme un
laboratoire priviligié pour étudier les problèmes de marginalité, de ségrégation
et de violence. Ces enquêtes sociologiques vont permettre de faire école dans le
souci, très pragmatique, de concentrer l’attention du sociologue sur les actions
réciproques des individus et de leur environnement. Un des promoteurs majeurs
de cette école dominante aux Etats-Unis dans les années 1920 est R. E. Park,
ancien élève de Windelbrand et de Simmel, arrivé à Chicago en 1915. Le
1930
déracinement est un des éléments majeurs qui expliquent les formes de la
« pathologie urbaine » selon l’école de Chicago. Cette école de sociologues a
bien compris l’intérêt que peuvent représenter une meilleure écoute du discours
tenu par les acteurs sur eux-mêmes et la prise en compte de leur capacité à
rendre intelligile leur situation : « La façon dont le sujet a perçu la situation, le
sens qu’il lui a donné, peuvent être un aspect très important pour comprendre sa
conduite ». » -François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris,
Éditions La Découverte, 2005, 480 pages, p.268-269.

Les « Indutrial Workers of the World » : "Fondé à Chicago en 1905 par des
syndicalistes chevronnés, de nationalités diverses, les I.W.W. — ou Wobblies
— comme ils se sont appelés eux-mêmes à partir de 1913 environ, étaient, sans
conteste, des anticapitalistes. Réponse révolutionnaire aux plus récents
développements de la production capitaliste, le nouveau syndicat rejetait le
modèle d’organisation par métier qu’ils jugeaient révolu et étriqué et appelaient
à ce qu’ils nommèrent un « syndicalisme industriel révolutionnaire ». De leur
point de vue, la formation d’« un grand syndicat pour tous les ouvriers » (One
Big Union of All Workers) était la meilleure manière de « construire les bases
d’une nouvelle société au cœur de l’ancienne ». Opposés à VAmerican
Federation of Labor (A.F.L.), raciste et conservatrice, les I.W.W. concentrèrent
leur action sur l’organisation des ouvriers jugés « inorganisables » par l’A.F.L. :
les ouvriers non qualifiés, les immigrés, les femmes, les gens de couleur, les
itinérants (hoboes). Novateurs en pratique comme en théorie, la foule colorée
des Wobblies organisait des manifestations, des grèves, des prises de parole
contribuant à écrire les pages les plus inspirées des annales de l’histoire de la
classe ouvrière nord-américaine. Une des qualités remarquables — et non la
moindre — des I.W.W. fut de porter l’accent sur la dimension culturelle du
combat de la classe ouvrière. Cela ne serait pas exagéré de dire que, dans le
domaine de la bande dessinée,de la caricature et surtout dans celui de la poésie
et du chant, les contributions des Wobblies furent bien supérieures,
qualitativement et quantitativement, et largement plus populaires que celles de
tous les autres syndicats américains réunis. Le fameux Little Red Song Book
que publia pour la première fois les I.W.W. en 1908 reste à ce jour le best-seller
dumouvement ouvrier américain. Traduit en de nombreuses langues, les chants
des Wobblies écrits par Joe Hill et par d’autres sont toujours entonnés à travers
le monde.

1931
Durant le premier quart de siècle (1905-1930) d’existence des I.W.W., une
conscience aiguë de la poésie et de ses impératifs semble avoir pénétré leur
syndicat tout entier. Si répandue fut leur ardeur pour l’art poétique qu’un
collaborateur bavard d’un magazine à grand tirage en ricanait et affirmait avec
condescendance que « chaque Wobbly se prenait pour un poète béni des dieux
»."

"Joe Hill — le poète des I.W.W. le plus célébré de tous — semble avoir éprouvé
de la satisfaction à écrire des chants, à s’adonner de temps à autre à la réalisation
de bandes dessinées et à prendre en charge les tâches quotidiennes en tant que
secrétaire de la permanence du syndicat à San Pedro (Californie). Cependant
tous ces poètes n’adoptaient pas un comportement aussi effacé. Ralph Chaplin,
Arturo Giovannitti et Covington Hall — poètes connus des I.W.W. dont les
textes parurent en recueils dès 1910 — étaient d’actifs organisateurs, des
coordinateurs de grèves et les éditeurs des journaux des I.W.W. . Chaplin publia
Solidarity à Cleveland, puis Industrial Worker à Chicago ; quant à Giovannitti, il
publiait, à New York et en italien, Il Proletario tandis que Hall se chargeait de
The Lumberjack puis de The Voice of the People à la Nouvelle-Orléans et
ailleurs.

Un autre poète bien connu, Richard Brazier, secrétaire de la fédération des


sections des I.W.W. à Spokane (Washington)."

"Laura Payne Emerson joua un rôle significatif dans le combat pour la liberté
d’expression (Free Speech Fight) à San Diego (Californie) en 1912. Matilda
Robbins fut particulièrement active au cours des grèves des I.W.W. à Little Falls
(Minnesota) et Akron (Ohio) en 1913 puis, plus tard, dans la défense de Sacco et
Vanzetti.

Mary Marcy — dont Eugene Debs disait qu’elle était la femme la plus
intelligente du mouvement socialiste américain — écrivit l’une des brochures les
plus lues des I.W.W. qui fut aussi très largement traduite : Shop Talks on
Economics ; ce n’était pas son seul écrit, il y en eut beaucoup d’autres ainsi que
d’innombrables articles dans la presse des I.W.W. dont l’International Socialist
Review (éditée à Chicago par la coopérative socialiste de Charles H. Kerr). Jane
Street œuvra en faveur de la syndicalisation des employées de maison à Denver
en 1916. Charles Ashleigh dont les poèmes parurent dans les publications des
I.W.W., mais aussi dans d’autres comme The Little Review ou The Liberator,

1932
joua un rôle important dans l’organisation des campagnes du syndicat et en fut
le propagandiste dans la défense d’Everett. Le dimanche 5 novembre 1916,
deux-cent soixante membres des…. Mortimer Downing fut aussi un
propagandiste syndical particulièrement actif en matière de défense. Le recueil
d’Henry George Weiss The Shame of California and Other Poems fut publié par
le Comité de défense, aux environs de 1924, pour soutenir le combat contre les
lois criminalisant le syndicalisme. Donald Crocker publia Industrial Worker
pendant un temps aux environs de 1920 et Henry Van Dorn le magazine des
I.W.W. “Industrial Pioneer” dans les années 20.

Jamais on n’a vu, précédemment ou depuis, autant de poètes exercer des


fonctions importantes au sein des organisations syndicales américaines."

"Justus Hebert, dans l’une des publications des I.W.W. la plus fréquemment
rééditée — The IWW in Theory and Practice —, répondit affirmativement à
l’accusation dont furent l’objet les membres des I.W.W. : être qualifiés de
rêveurs lui semblait fondé. « Rêveurs ! Oui ! A quoi bon des rêves si on ne les
réalise pas ? » Aux critiques qui mettaient en doute les possibilités de mise en
œuvre du programme des I.W.W., Joseph Ettor — un des principaux
organisateurs du syndicat — dans son texte Industrial Unionism : The Road to
Freedom, rétorquait avec l’insouciance d’un Oscar Wilde : « On dit que nos
idées sont irréalistes. C’est vrai. Du point de vue des vieilles institutions, de
leurs intérêts et de leurs bénéficiaires, le Nouveau est toujours irréalisable ». De
telles remarques, provocatrices et passionnées, rares dans les textes militants et
notamment dans ceux du mouvement ouvrier, suggèrent l’éloignement des
I.W.W. de l’idéologie rationaliste, et l’importance que leurs auteurs donnaient à
l’audace et à l’imagination. Les membres des I.W.W. lisaient Voltaire et
d’autres auteurs rationalistes bien éloignés du romantisme, mais leurs
préférences les conduisaient vers les poètes et les rêveurs. Au fond, leurs
conceptions présentaient d’étroites affinités avec les écrits des pré-romantiques
et des romantiques, particulièrement Blake, le jeune Wordsworth et Shelley."

"Les I.W.W. sont bien au-delà de la romantisation car ils furent, largement et
délibérément, romantiques dès leur origine. Aucun groupe dans l’histoire des
Etats-Unis ne se fixa des buts aussi nobles, des espérances aussi hautes, aucun
groupe n’agit autant dans cette direction et ne laissa un si riche héritage malgré
une si redoutable opposition.

1933
En dépit des efforts répétés d’historiens, de journalistes, de militants, de
biographes et de romanciers pour dé-romantiser les I.W.W., pour déformer leurs
aspirations, pour rabaisser leur œuvre et leur dénier toute légitimité, leurs rêves
merveilleux, leur combat héroïque pour les réaliser restent inoubliables et
marqués par la gloire. Les Wobblies furent de bout en bout des romantiques et
ils savaient qu’ils l’étaient, l’héritage — au meilleur sens du mot — qu’ils
laissent est celui d’intraitables romantiques.

En fait, et contrairement à ce qui peut apparaître à première vue, cette


organisation d’ouvriers itinérants et non-qualifiés, sans règles précises de
fonctionnement, auto-proclamée « Rebel band of labor », s’avéra être l’une des
dernières et grandes manifestations du mouvement romantique international. «
Syndicalisme industriel révolutionnaire » reste l’expression qui rend compte
précisément du programme économique et social de base des I.W.W., mais la
dimension culturelle du syndicat, et notamment telle qu’elle se manifeste
dans la poésie et les chants, pourrait être justement qualifiée de romantisme
de la classe ouvrière révolutionnaire. Les historiens n’ont pas suffisamment
insisté sur le fait que les I.W.W. — et notamment leurs larges fractions
d’ouvriers itinérants d’où naquirent poètes et penseurs — n’étaient pas
simplement opposés au capitalisme, mais partageaient certaines valeurs
précapitalistes. Ce sont ces valeurs que les premiers romantiques mirent
précisément en avant : liberté, beauté, générosité et conception d’une vie
humaine intense entendue comme aventure, exaltation, accomplissement de
soi et enchantement. Les Wobblies partagèrent complètement le rejet des
premiers romantiques du désir bourgeois d’acquérir, de la mécanisation et
du cloisonnement affectant tous les domaines de la vie, de la réification des
relations humaines et, conséquemment, de la bureaucratisation et de la
destruction de la véritable communauté des hommes. Certains d’entre eux,
et en particulier Bill Haywood, Covington Hall et celui que l’on nommait T-
Bone Slim questionnèrent le mythe débilitant du Progrès pour revaloriser
les sociétés primitives.

En bref, la critique économique de la société capitaliste formulée par les


I.W.W. fut enrichie par une puissante critique poétique largement inspirée
par les poètes romantiques. Les Wobblies détestaient le capitalisme, non
seulement parce qu’il est exploiteur, autoritaire et injuste, mais aussi parce
qu’il est hideux, nauséabond, bruyant, inutile, abêtissant, totalement
incompatible avec la « vie bonne » telle que l’ont rêvée les poètes et, pour
1934
ces raisons, irrémédiablement mauvais. Fermement opposés à la
rationalisation capitaliste de la misère et de l’injustice, les I.W.W. ne
défendirent pas l’irrationalisme, mais à l’inverse, une raison plus haute."

"Pour remplacer l’ordre oppressif fondé sur l’esclavage salarié,


l’accumulation du capital et le fétichisme de la marchandise, les I.W.W.
imaginèrent un projet de communauté radicalement neuf établi sur la
solidarité, l’aide mutuelle et l’idéal d’un grand syndicat pour tous. Ils voyaient
« la nouvelle société » commencer à prendre forme dans l’activisme sur les
lieux de travail, dans l’organisation des syndicats de l’industrie, dans les
grèves, mais aussi dans la communauté des travailleurs itinérants,
communauté très mobile et libertaire, au sein de laquelle la compétition
capitaliste était remplacée par la créativité et la coopération prolétariennes. A
l’instar du romantisme tardif, la conception ouvrière des I.W.W. était chargée
d’une forte dimension « utopique ». Il n’y avait là rien de « réactionnaire » —
comme quelques « marxistes » myopes le craignaient — l’objectif n’était pas
un retour au passé, mais plutôt un renforcement de certains aspects toujours
vivants des vestiges pré-capitalistes qui étaient parvenus à se maintenir parmi
les ruines du présent capitaliste."

"Selon Richard Brazier, le but fondamental de la poésie et des chants des I.W.W.
était de tirer les ouvriers de l’apathie et du contentement et, par dessus tout, d’«
exalter l’esprit de rébellion. Contre le conformisme « scissorbillish » et le
respect des normes bourgeoises, ces ouvriers itinérants ne toléraient pas
seulement la « différence », mais accueillaient même la singularité. Personne ne
pourrait affirmer que lesgrèves ou que les combats pour la liberté d’expression
des I.W.W. étaient « indisciplinés » et pourtant la « discipline » en tant que telle
n’était guère présente dans les publications du syndicat. De ce point de vue
(comme de bien d’autres), les I.W.W. étaient strictement à l’opposé du Parti
communiste, dans lequel la « discipline » était célébrée et l’« individualisme »
considéré comme l’une des pires déviations contre-révolutionnaires. Dans le «
grand syndicat pour tous », les éclatantes manifestations d’individualité et la
lutte collective en faveur de la révolution prolétarienne n’étaient pas
considérées comme incohérentes. Dans leur pratique de la poésie, l’humour
était très présent."

"Dans le combat pour créer une nouvelle société à partir de celle qui existait, le
poète était à la fois créateur et destructeur. Retourner le langage répressif,
1935
dévalorisé, dégradé, prosaïque était évidemment une priorité. Pour les poètes
des I.W.W., la poésie était agitation, d’abord et toujours, pour provoquer
émotion et tressaillement, inspirer rêves et action. La meilleure poésie des
I.W.W. n’avait rien de commun ni avec le langage brutal du commerce et du
pouvoir, ni avec la rhétorique moralisante, sectaire et bornée de la gauche
traditionnelle ; celui-là et celle-ci sont aussi éloignés de la vie réelle qu’une
allocution présidentielle au journal télévisé. En revanche, les meilleurs des
poètes des I.W.W. proposaient à leurs compagnons une langue emplie de visions
brisant la routine, d’images s’attaquant à l’illusion, d’éclats de rire lucifériens,
de métaphores séditieuses pour aiguiser et stimuler l’esprit. Une langue sans
cesse recréée grâce à l’argot."

"Inspiration romantique et révolte furent les éléments-clefs non seulement de la


poésie et du chant au sein du syndicat, mais aussi dans ses œuvres artistiques,
dans ses dessins, ses pièces de théâtre, ses prises de parole. Contre les valeurs
classiques d’autorité, d’obédience, de normalité, d’ordre, d’équilibre, de
propriété, de maturité, les manifestations artistiques des Wobblies résonnent de
leurs opposés romantiques : liberté, révolte, passion, extravagance, urgence,
défiance et génie de la jeunesse." -Franklin Rosemont, « Le romantisme de la
classe ouvrière révolutionnaire. La politique culturelle des Industrial Workers of
the World », Tumultes, 2003/1 (n° 20), p. 105-118. DOI :
10.3917/tumu.020.0105. URL : https://www.cairn.info/revue-tumultes-2003-1-
page-105.htm
(1) Industrial Workers of the World (forumactif.org)

http://academienouvelle.forumactif.org/t7584-chevaliers-du-travail-industrial-
workers-of-the-world#8788

https://www.amazon.fr/Joe-Hill-cr%C3%A9ation-contre-culture-
r%C3%A9volutionnaire/dp/2915731209/ref=sr_1_96?s=books&ie=UTF8&qid=
1509896508&sr=1-96&keywords=contre-r%C3%A9volutionnaire

https://www.amazon.fr/Wobblies-Their-Heyday-Destruction-
During/dp/1937146952/ref=sr_1_cc_2?s=aps&ie=UTF8&qid=1508084266&sr=
1-2-catcorr&keywords=The+Wobblies+in+Their+Heyday

Le syndicalisme américain dans l’entre-deux-guerres: « Aux États-Unis, par


exemple, la grève générale de Seattle de 1919 a été, fondamentalement, une
forme de Commune de Seattle. » -David Harvey, Frédéric Dufaux, Philippe
1936
Gervais-Lambony, Chloé Buire, Henri Desbois, « Justice territoriale,
épanouissement humain et stratégies géographiques de libération. Un entretien
avec David Harvey», traduction : Henri Desbois, justice spatiale | spatial justice,
n° 4, décembre 2011, www.jssj.org

Eduard Bernstein (1850-1932): « On a prétendu que j'avais cessé de croire


que le prolétariat puisse un jour conquérir le pouvoir économique et politique.
Cette assertion est fausse.

J'ai simplement nié que l'effondrement de la société bourgeoise soit


proche et j'ai dit que la social-démocratie ne devait pas fonder sa tactique sur
l'espoir d'une catastrophe imminente (...);

Les partisans de cette théorie apocalyptique invoquent à leur appui le


"manifeste communiste (...). Le "manifeste communiste" appréciait correctement
les tendances générales de l'évolution de la société bourgeoise. Mais il faisait
erreur dans plusieurs de ses conclusions, notamment dans l'évaluation du temps
que nécessitait cette évolution (...). Et puisque l'évolution économique a pris un
cours beaucoup plus lent que celui escompté, nous devrions nous trouver dans
une situation que le "manifeste" ne prévoyait pas. La situation économique ne
s'est pas aggravée comme l'avait prédit le "manifeste". Il est inutile et absurde
de se dissimuler le fait. Le nombre des possédants n'a pas diminué, il s'est accru.
La richesse sociale, en se multipliant, ne s'est pas concentrée dans les mains de
quelques magnats que la théorie voulait de moins en moins nombreux. La classe
des capitalistes s'est au contraire développée à tous les niveaux. Et si les classes
moyennes ont évolué, elles n'en ont pas pour autant disparu.

La concentration de la production s'est inégalement réalisée. Dans


certaines branches, le phénomène est resté conforme à la prévision socialiste;
dans d'autres, il s'en est écarté. Dans l'agriculture, la concentration est encore
plus lente. Les statistiques industrielles révèlent une hiérarchie infinie
d'entreprises.

(...) Dans le domaine politique, nous voyons les privilèges de la


bourgeoisie capitaliste s'effacer peu à peu devant les progrès des institutions
démocratiques. Et la démocratie, ainsi que les pressions accrues du mouvement
ouvrier en viennent à contrecarrer l'exploitation capitaliste.

1937
(...) Et si l'on songe encore en Allemagne à freiner l'action syndicale, il
faut y voir une preuve que ce pays est en retard et non en avance, sur
l'évolution. En se démocratisant, les institutions des nations modernes rendent
les catastrophes beaucoup moins probables et nécessaires. » -Edouard
Bernstein, "Les prémisses du socialisme", Le Seuil éd. 1899.

« Bien que Bernstein ne s'est pas libéré de toutes ses illusions, notamment de
l'idée abstraite du socialisme, et bien qu'il est resté social-démocrate jusqu'à sa
mort en 1932, il a dispersé la nappe de brouillard dogmatique pour apercevoir
le monde réel et a pratiquement "trahit" la cause du socialisme concret, par
nature incompatible avec la liberté. Car Bernstein est devenu un démocrate
convaincu, ennemi de la violence et de la dictature, autrement dit, il est devenu
un Petit Judas, selon la terminologie léniniste (d'autant plus qu'il a rejeté avec
horreur en 1918 la révolution bolchevique). » -Jacob Sher, Avertissement contre
le socialisme, Introduction à « Tableaux de l'avenir social-démocrate » d'Eugen
Richter, avril 1998, 57 pages.

La France des années 20 : « Le nombre des grévistes chute dans les années
vingt d’une façon spectaculaire. Après la pointe de 1920 (1.3 million), il baisse
à 400 000 en 1921. Le creux de la vague est atteint en 1927 avec un total de
110 000 grévistes […]

En 1920, la CGT comptait 1.6 million de membres d’après les chiffres officiels
(2.4 millions selon l’organisation), et la CFTC, environ 100 000. Les effectifs
s’effondrent dans les années suivantes, aux alentours de 600 000. » (pp.156-
157)

-Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société française (XIXe – XXe), Éditions
du Seuil, 2002 (1986 pour la première édition), 321 pages.

André Lefèvre (1834-1904) : "En 1870, Ernest Lavigne, ancien élève de


l’École normale supérieure, publia une traduction en prose de Lucrèce. Pour
cet auteur, « Lucrèce et ses devanciers avaient tout dit, et originalement ».
Lucrèce a dégagé l’esprit humain des liens qui l’enlaçaient et lui interdisaient «
un libre essor » ; la recherche exclusive de la vérité le guidait et, pour y
parvenir, il se fia aux témoignages de ses sens, sous le contrôle de sa raison. Il
appartient à cette race d’« hommes courageux, [d’] esprits droits et
indépendants » qui ont ouvert « la route que d’autres plus tard ont parcourue »
et secoué « le joug des doctrines scolastiques, des vérités soi-disant révélées,
1938
des superstitions de toutes sortes ». Certes, le De Natura Rerum contient nombre
d’erreurs, mais la méthode sur laquelle ce texte repose demeure « la vraie, la
seule », puisqu’elle consiste à combattre « l’engourdissement des intelligences
[…], la tendance fatale qu’éprouve l’esprit humain à accepter sans contrôle les
principes que lui lègue la tradition, ou qu’un long usage semble avoir consacré
». Pour Ernest Lavigne, le De Natura Rerum « a été dans le domaine de la
philosophie et des sciences positives comme une aube nouvelle, qui […] fait
pressentir le jour désiré, le jour qui doit rendre au monde la lumière, la vérité,
la vie ». Enfin, Lucrèce a donné aux sciences des fondations durables, sur
lesquelles les générations suivantes ont pu élever un édifice solide.

Légèrement postérieure – elle a été publiée en 1876 – la traduction d’André


Lefèvre est aussi celle d’un admirateur de Lucrèce, resté fidèle à la forme
poétique de l’original. Pour Lefèvre, il était temps d’associer Lucrèce « au
triomphe définitif de la science » ; alors qu’« une terreur superstitieuse »
planait depuis longtemps sur ce poète, il était enfin sorti « de sa gloire solitaire
» pour être reçu et discuté à l’Académie, à la Sorbonne et dans les collèges."

"André Lefèvre (1834-1904). Archiviste-paléographe, il collabora à L’histoire


de France par les monuments et à la Revue de l’Instruction publique. Libre-
penseur, il joua un rôle important dans la vie de La Libre Pensée et de La
Pensée nouvelle. Il publia Religions et mythologies comparées (1877) et La
Renaissance du matérialisme (1881)."

-Jacqueline Lalouette, "De quelques aspects de l’athéisme en France au XIXe


siècle", Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [Online], 87 | 2002, Online
since 01 April 2005, connection on 11 February 2021.
URL: http://journals.openedition.org/chrhc/1661; DOI: https://doi.org/10.4000/c
hrhc.1661

http://academienouvelle.forumactif.org/t7454-andre-lefevre-la-renaissance-du-
materialisme#8644

Henri Bergson (1859-1941) : « Je parle d’un centre d’où les mondes jaillirent
comme des fusées d’un immense bouquet, -pourvu que je ne donne pas ce centre
pour une chose, mais une continuité de jaillissement. Dieu, ainsi défini, n’a rien
de tout fait ; il est vie incessante, action, liberté. La création, ainsi conçue, n’est
pas un mystère, nous l’expérimentons en nous dès que nous agissons. » -Henri
Bergson, L’Évolution créatrice.
1939
« Je parle de Dieu comme de la source d’où sortent tour à tour, par un effet de
sa liberté, les « courants » ou « élans » dont chacun formera un monde : il en
reste distinct et ce n’est pas de lui qu’on peut dire que « le plus souvent, il
tourne court », ou qu’il soit « à la merci de la matérialité qu’il a su se donner ».
Enfin l’argumentation par laquelle j’établis l’impossibilité du néant n’est
nullement dirigée contre l’existence d’une cause transcendante du monde : j’ai
expliqué au contraire qu’elle vise la conception spinoziste de l’être. Elle aboutit
simplement à montrer que quelque chose a toujours existé. Sur la nature de ce
« quelque chose », elle n’apporte, il est vrai, aucune conclusion positive ; mais
elle ne dit en aucune façon, que ce qui a toujours existé soit le monde lui-même,
et le reste du livre dit explicitement le contraire. » -Henri Bergson, lettre à J. de
Tonquédec, 1908, cité dans Yvette Conry, L’évolution créatrice d’Henri
Bergson. Investigations critiques, L’Harmattan, coll. Épistémologie et
philosophie des sciences, 2000, 328 pages, p. 36.

« Mes réflexions m'ont amené de plus en plus près du catholicisme. » -Henri


Bergson, Testament de 1937.

« J’ai fait chacun de mes livres en oubliant tous les autres. […] Mes livres ne
sont pas toujours cohérents entre eux : le « temps » de l’Évolution créatrice ne
« colle » pas avec celui des Données immédiates. » -Henri Bergson, d’après A.
Béguin et P. Thévenaz, Henri Bergson, Essais et témoignages, Neuchâtel, La
Baconnière, 1941, 360. cité dans Yvette Conry, L’évolution créatrice d’Henri
Bergson. Investigations critiques, L’Harmattan, coll. Épistémologie et
philosophie des sciences, 2000, 328 pages, p. 36.

« Pour ce qui est des événements remarquables, il n’y en a pas au cours de ma


carrière, du moins rien d’objectivement remarquable. Mais, subjectivement, je
ne puis m’empêcher d’attribuer une grande importance au changement survenu
dans ma manière de penser pendant les deux années qui suivirent ma sortie de
l’École normale, de 1881 à 1883. J’étais resté tout imbu, jusque-là, de théories
mécanistiques auxquelles j’avais été conduit de très bonne heure par la lecture
de Herbert Spencer, le philosophe auquel j’adhérais à peu près sans réserve.
Mon intuition était de me consacrer à ce qu’on appelait alors « la philosophie
des sciences », et c’est dans ce but que j’avais entrepris, dès ma sortie de
l’École normale, l’examen de quelques-unes des notions scientifiques
fondamentales. Ce fut l’analyse de la notion de temps, telle qu’elle intervient en
mécanique ou en physique, qui bouleversa toutes mes idées. Je m’aperçus, à
1940
mon grand étonnement, que le temps scientifique ne dure pas, qu’il n’y aurait
rien à changer à notre connaissance scientifique des choses si la totalité du réel
était déployée tout d’un coup dans l’instantané, et que la science positive
consiste essentiellement dans l’élimination de la durée. Ceci fut le point de
départ d’une série de réflexions qui m’amenèrent, de degré en degré, à rejeter
presque tout ce que j’avais accepté jusqu’alors, et à changer complètement de
point de vue. » -Henri Bergson, lettre à William James, 9 mai 1908.

« Les ressources de Bergson en matière d’érudition sont remarquables, et, en


matière d’expression, tout simplement merveilleuses. » -William James, A
pluralistic universe, 1909, 226-227.

« L'enseignement de Bergson au Collège de France commence avant sa


nomination le 17 mai 1900. » (p.19)

« Fort curieuse est aussi la place occupée par les arguments de Zénon dans la
conférence donnée sur "La Personnalité", à l'Athénée de Madrid, le 6 mai 1916.
Bergson lui-même dira "J'ai fais un bien long détour". Nous sommes alors en
guerre. Le gouvernement français envoie quatre membres de l'Institut faire des
conférences. Bergson entend maintenir les siennes à un haut niveau sans rien
qui paraisse relever de la propagande. » (p.28)

« En cette même année 1898, Bergson est nommé maître de conférences à


l'École Normale supérieure. » (p.109)
-Henri Gouhier, Bergson dans l'histoire de la pensée occidentale, Paris, Vrin,
1989.

« Les conséquences anthropologiques de cette interprétation schélérienne


livrent un point de vue diffus dans le débat allemand sur la Zivilisation qui
depuis Nietzsche a donné vie à des positions qui considèrent l’esprit comme une
maladie de la vie et qui exaltent une image dionysiaque et biologique de
l’homme. Dans l’essai de 1913, Scheler reconnait chez Bergson une critique
adressée à la Zivilisation, c’est-à-dire à la forme fragmentée, intellectualiste et
mécaniste de la civilisation moderne. La tendance de l’Homo Faber à la
fabrication est cependant également entendue comme un moyen afin de libérer
l’esprit et d’affranchir l’homme des contraintes biologiques. L’ambivalence de
la technique discernée par Scheler ne sera approfondie par Bergson que dans
Les deux sources, où il s’éloignera de la position optimiste prédominante de
L’évolution créatrice. Durant la guerre, Bergson commence à s’approprier la
1941
critique à l’égard de la Zivilisation qui lui a probablement été transmise à
travers Scheler comme Eucken, Benrubi et Simmel, pour décrire l’Etat militaire
prussien et l’opposer, tantôt à une part oubliée de la culture allemande,
sentimentale et morale, tantôt à la France même, bastion de la moralité et du
droit. La référence de Bergson à la dichotomie typiquement allemande de Kultur
et Zivilisation durant les années du conflit mondial indique son déplacement
vers une position d’aversion pour les aspects matériels et extérieurs de la
civilisation, qui sera néanmoins réabsorbée dans une conception moins radicale
dans Les deux sources. En effet, la mécanique s’y trouvera en interaction avec
la mystique et la civilisation, quant à elle, loin de l’idée schélérienne qui en fait
un aspect de décadence et de la maladie de l’humanité, sera reconnue comme ce
qui permet de dévier les instincts de guerre et les tendances naturelles à la
fermeture et à la haine envers l’ennemi. Tout progrès moral et spirituel a besoin
d’être soutenu par les efforts de la civilisation afin de combattre les obstacles de
la nature et de la mécanique, dont le développement frénétique peut cependant à
la fois bloquer toute avancée de la vie. Dans les positions des Deux sources se
trouvent ainsi les termes d’un vaste débat franco-allemand traversé par Bergson
au cours des années précédentes. » -Caterina Zanfi, Bergson et la philosophie
allemande: 1907-1932, Armand Colin, coll. Recherches, 2013, 320 pages.

« Méfiez-vous de ceux qui vous mettent en garde contre ce qu'ils appellent les
systèmes et qui vous conseillent, sous le nom de philosophie de l'instinct ou de
l'intuition, l'abdication de l'intelligence. » -Jean Jaurès, à propos d'Henri
Bergson, cité par Max Gallo in Le Grand Jaurès.

« Les Données immédiates de la Conscience de Bergson furent publiées en


1889, et Matière et mémoire, en 1896. Mais sa grande célébrité date de
l’Évolution créatrice (1907) ; ce livre n’est pas meilleur que les précédents,
mais il contient moins d’argumentation et plus de rhétorique, si bien qu’il eut un
effet plus convaincant. Il n’y a pas dans ce livre, depuis le commencement
jusqu’à la fin, un seul raisonnement, donc un seul mauvais raisonnement ; il ne
contient qu’une peinture poétique qui fait appel à l’imagination. Rien dans ce
livre ne peut nous aider à nous faire une idée de la vérité ou la fausseté de la
philosophie qu’il enseigne ; Bergson laisse à d’autres le soin de résoudre cette
question qu’on pourrait pourtant croire assez importante. Mais selon ses
propres théories, il a raison à procéder ainsi, puisqu’on atteint la vérité par
l’intuition et non par l’intelligence : elle n’est donc pas matière à raisonnement.
» -Bertrand Russell, Essais sceptiques, 1928.
1942
« Les théories de la science de Bergson renvoient à l’archaïque et à
l’insoutenable. » -François Dagonet, préface à Yvette Conry, L’évolution
créatrice d’Henri Bergson. Investigations critiques, L’Harmattan, coll.
Épistémologie et philosophie des sciences, 2000, 328 pages, p.10.

« Mise à l’Index de l’Évolution créatrice, le 1er juin 1914, par la Sacrée


Congrégation, sous la direction de Pie X, avec les Données immédiates et
Matière et mémoire. » (p.15)

« L’Évolution créatrice est proprement encerclée par les deux systèmes répudiés
et référentiels que sont la biologie spencérienne et l’épistémologie kantienne,
avec pour conséquence d’appeler la construction circulaire d’une théorie de la
vie qui suppose une théorie de la connaissance, en même temps que la théorie
de la connaissance implique une théorie de la vie. » (p.27)

« [Pour Bergson] la connaissance scientifique n’épuise pas son objet :


entendons par là qu’elle ne le comprend pas (il est évidemment difficile de ne
pas évoquer Dilthey) ; elle est simplement « représentative ». […]
D’autre part, l’intelligence est postulée étrangère à tout ce qui n’est pas de
l’ordre de l’inerte : car, à ce plan cesse toute adéquation à son objet. Incapable
de pénétrer l’intimité du vivant et de la vie, l’extériorité de la procédure
rationnelle définit son insuffisance. Interdite d’absolu, elle signe par-là même
son imperfection et les limites de son champ d’application. Loin de pouvoir
prétendre à la vérité d’un vécu, elle échoue dans une analyse destructrice de son
objet : où sont ici proprement mises en causes, dans l’ordre théorique (et non
pas éthique) la possibilité-légitimité d’une expérimentation biologique. » (p.34)
-Yvette Conry, L’évolution créatrice d’Henri Bergson. Investigations critiques,
L’Harmattan, coll. Épistémologie et philosophie des sciences, 2000, 328 pages.

« On y étudiait [au séminaire de Reims, en 1937] la philosophie thomiste, mais


aussi Bergson, qui, après avoir été condamné par l'Église pour avoir écrit
L'Évolution créatrice, était presque devenu un Père de l'Église, depuis qu'il
avait écrit Les Deux Sources de la Morale et de la Religion. Bergson a eu une
influence considérable sur l'évolution de ma pensée, dans la mesure où toute sa
philosophie est centrée sur l'expérience d'un jaillissement de l'existence, de la
vie, que nous expérimentons en nous dans le vouloir et dans la durée et que nous
voyons à l’œuvre dans l'élan qui produit l'évolution vivante. J'ai passé le
baccalauréat de philosophie en 1939, et la dissertation avait pour sujet le

1943
commentaire de cette phrase de Bergson: "La philosophie n'est pas une
construction de système, mais la résolution une fois prise de regarder naïvement
en soi et autour de soi". » -Pierre Hadot, La Philosophie comme manière de
vivre, Entretiens avec Jeannie Carlier et Arnold I. Davidson, Paris, Éditions
Albin Michel, coll. Le livre de Poche, 2001, 280 pages, p.30.

« La Pensée serait à l'origine, bien que la pensée humaine ne se manifeste qu'au


terme du mouvement. Car celui-ci tout entier serait la manifestation d'un élan
créateur, d'essence spirituelle, qui dans l'homme atteindrait à la lucidité. [...]
Solution [idéaliste] à la fois facile et vague. [...]
Certes, lorsque l'on dispose d'un élan spirituel, capable de créer, d'innover
subitement, peu importe l'hétérogénéité des êtres rapprochés dans une série
évolutive. La continuité est alors aussi facile à affirmer que difficile à démontrer
et impossible à réfuter. Pour la science positive, la continuité véritable
impliquerait la réduction du supérieur à l'inférieur, ou du moins l'explication de
celui-là par celui-ci. Or le mécanisme de l'évolution des espèces nous reste
mystérieux, nous ne comprenons pas davantage le surgissement de la vie à
partir du non-vivant. Pas davantage la naissance de l'homme ou de
l'intelligence. Dans ces conditions, même si l'on admet le fait de la succession,
la vision historique n'impose ni n'implique aucune conséquence philosophique.
Chacun a le droit d'interpréter le passé dont nous recueillons les traces et fixons
les moments. » -Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire.
Essai sur les limites de l'objectivité historique, Gallimard, 1986 (1938 pour la
première édition), 521 pages, p.41.

« Henri Bergson [...] critiquait avec force l’Allemagne moderne en voyant en


elle le front même du matérialisme. » -Philippe Bedouret. BARRES, MAURRAS
et PEGUY face au germanisme (1870-1914). Histoire. ECOLE PRATIQUE
DES HAUTES ETUDES, 2005. Français. <tel-01511730>, p.187.

« Déchaînement de la propagande et de l'antigermanisme (Bergson lui-même


n'avait pas échappé à la déraison). » -Raymond Aron, Mémoires, Paris, Robert
Laffont, coll. Bouquins, 2010 (1983 pour la première édition), 1030 pages, p.69.

« Cette assimilation se double d’une absence de prise de position devant


l’affaire Dreyfus. Quant à la traversée de la Première Guerre mondiale, il
s’intègre à ce point au conflit qu’il devient en février 1917 l’émissaire de Briand
auprès du président américain Wilson pour le convaincre d’entrer en guerre. » -

1944
François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La
Découverte, 2005, 480 pages, p.421.

http://www.amazon.fr/gloire-Bergson-Essai-magist%C3%A8re-
philosophique/dp/2070774236/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1454148482&sr=8-
1&keywords=Fran%C3%A7ois+Azouvi%2C+La+Gloire+de+Bergson

Henri Focillon (1881-1943) : http://www.amazon.fr/Vie-formes-Henri-


Focillon/dp/213061941X/ref=sr_1_sc_1?s=books&ie=UTF8&qid=1459346442
&sr=1-1-spell&keywords=Henri+Foucillon

Gaston Bachelard (1884-1962): « Comparé à la connaissance actuelle des


diverses instances du matérialisme scientifique (instances mécanique, physique,
chimique, électrique), on peut bien dire que le matérialisme philosophique
traditionnel est un matérialisme sans matière, un matérialisme tout
métaphorique, une philosophie dont les métaphores ont été l'une après l'autre
déracinées par les progrès de la science. Est-il encore un chimiste pour essayer
de relier les images des 4 éléments matériels et les propriétés des substances
chimiques ? Finalement, le philosophe idéaliste ne dirige ses traits que contre
ses propres notions, contre les idées désuètes qu'il se fait de la matière.
Il nous paraît donc nécessaire d'étudier vraiment le matérialisme de la matière,
le matérialisme instruit par l'énorme pluralité des matières différentes, le
matérialisme expérimentateur, réel, progressif, humainement instructeur. Nous
verrons qu'après l'échec des essais rationalistes prématurés, se constitue
vraiment, dans la science contemporaine, un rationalisme matérialiste. » -
Gaston Bachelard, Le matérialisme rationnel, Les classiques des sciences
sociales, 1972 (1953 pour la 1ère édition), 264 pages, p.10.

Louis Lavelle (1883-1951): « La paix où nous avons vécu entre les deux
guerres était elle-même si mêlée à la guerre, à celle qui nous hantait encore, à
celle qui déjà nous menaçait, qu’elle était comme un équilibre en suspens dont
on ne savait s’il allait se rompre ou s’établir : c’était un incendie mal éteint » -
Louis Lavelle, Avant-Propos sur le Temps de Guerre, p. 3-4.

« M’inscrivis pour la rentrée d’octobre en « première vétérans » (hypokhâgne)


au lycée Louis-le-Grand. » (p.78)

1945
« Aux jours des compositions de philosophie nous peinions des heures à écrire
des pages et des pages, [Jacques Lévy] remettait vingt lignes à M. Lavelle et sa
copie était de loin la meilleure. » (p.80)

-François Léger, Une jeunesse réactionnaire, Paris, Publiccation F. B., 1993,


183 pages.

« Il a lui-même éditée en 1936 [l’essai de Max Scheler, Le Sens de la


Souffrance]. »

« Ce que le Sermon sur la Montagne avait proclamé, Lavelle l’a redécouvert à


sa façon, sans prétendre d’ailleurs qu’il offrait une voie autre que celle des
Béatitudes, mais avec l’assurance, sans doute, qu’il avait interprété ces
dernières comme elles doivent l’être, à la lumière de la vie et de l’enseignement
du Pauvre d’Assise. » -Hervé Barreau, « Louis Lavelle, philosophe du mal et de
la souffrance », Revue des sciences philosophiques et théologiques 2/2004
(Tome 88), p. 281-302.

http://hydra.forumactif.org/t2075-louis-lavelle-oeuvres?highlight=louis+lavelle

Félicien Challaye (1875-1967) : « Professeur de philosophie, socialiste,


membre dirigeant de la Ligue des droits de l’homme, anticolonialiste de
toujours, [Félicien] Challaye avait été favorable à l’Union sacrée en 1914 ;
décoré de la croix de guerre, il s’était apparemment juré de ne plus s’y laisser
reprendre. […] En novembre 1933, il écrivit un article intitulé « Pour la paix
désarmée même en face de Hitler » : « Si douloureuse qu’elle puisse être,
l’occupation étrangère serait un moindre mal que la guerre ». Ce fut la position
à laquelle il se tint dans les années suivantes. […] Challaye éprouvait une
culpabilité intense, qui lui venait de la responsabilité qu’il attribuait à la France
dans la situation allemande. » -Philippe Burrin, La Dérive fasciste. Doriot,
Déat, Bergery (1933-1945), Paris, Seuil, coll. L’Univers historique, 1986, 533
pages, p.73-74.

Jules Romains (1885-1972): « Des personnalités proches du radicalisme


comme Jules Romains, des membres et des sympathisants du mouvement Jeune-
Turc du parti radical comme Bertrand de Jouvenel, Jean Luchaire et Alfred
Fabre-Luce furent de ceux qui se prononcèrent quasi immédiatement en faveur
de la recherche d’un accord avec l’hitlérisme. » (p.75)

1946
« Proche du parti radical, partisan de la Fédération européenne, favorable à la
représentation des peuples à la SDN, il considéra l’arrivée de Hitler au pouvoir
comme une raison supplémentaire de réaliser l’accord entre les deux pays. A
partir de l’automne de 1933, il défendit en des termes mesurés la nécessité de
« conversations » avec l’Allemagne. En 1934, une série de séjours à Berlin lui
fit rencontrer Rosenberg, Goebbels, Ribbentrop. Entouré des plus grandes
attentions, il fut traité comme commençaient à l’être au même moment par la
Russie stalinienne les compagnons de route du communisme ; ses romans furent
traduits, ses pièces de théâtre portées sur les scènes allemandes, le tout
accompagné d’exemptions spéciales pour l’exportation de ses droits d’auteurs.
Il est très improbable que la vénalité ou l’intérêt matériel aient joué le moindre
rôle dans l’action de rapprochement franco-allemand qu’il mena […] Pour la
propagande allemande, il suffisait qu’un homme comme lui appuyât et attestât
du poids de sa notoriété les protestations de paix du régime hitlérien ; sa
participation au Comité France-Allemagne allait être la conséquence logique de
son engagement pour l’entente entre les deux pays. » (p.76-77)

-Philippe Burrin, La Dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery (1933-1945), Paris,


Seuil, coll. L’Univers historique, 1986, 533 pages.

https://www.amazon.fr/Jules-Romains-Lappel-monde-
Olivier/dp/2221065115/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1464555662&sr=
1-1&keywords=Jules+Romains%2C+ou+l%27appel+au+monde

https://www.amazon.fr/hommes-bonne-volont%C3%A9-enfantines-
Recherche/dp/2221101367/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1464555720&
sr=1-2&keywords=Jules+Romains

Paul Valéry (1871-1945) : « Rappelez-vous tout simplement qu'entre les


hommes il n'existe que deux relations: la logique ou la guerre. Demandez
toujours des preuves, la preuve est la politesse élémentaire qu'on se doit. Si l'on
refuse, souvenez-vous que vous êtes attaqués, et qu'on va vous faire obéir par
tous les moyens. » -Paul Valéry, Monsieur Teste, 1926.

« Qu’aviez-vous fait ? Pour ne parler ici que des deux choses les plus grandes,
vous avez préservé Verdun, vous avez sauvé l’âme de l’armée. »

« Il semble cependant que l’expérience n’est pas suffisante. Quelques-uns


placent leurs espoirs dans une reprise du carnage. On trouve qu’il n’y eut pas

1947
assez de détresse, de déceptions, pas assez de ruines ni de larmes ; pas assez de
mutilés, d’aveugles, de veuves et d’orphelins. Il paraît que les difficultés de la
paix font pâlir l’atrocité de la guerre, dont on voit cependant interdire çà et là
les effrayantes images. […]

Ne dirait-on pas que l’humanité, toute lucide et raisonnante qu’elle est,


incapable de sacrifier ses impulsions à la connaissance et ses haines à ses
douleurs, se comporte comme un essaim d’absurdes et misérables insectes
invinciblement attirés par la flamme ? » -Réponse de M. Paul Valéry au
discours de M. le maréchal Pétain, 31 janvier 1931.

« Les sections d'Action française […] se baptisent "Cercle Jeanne-d'Arc", au


Raincy […] "Cercle Jacques-Bainville", à Paris (le président du Cercle est le
mérachal Francet d'Esperey ; cinq académiciens sont membres du Comité: Abel
Bonnard, Henry Bordeaux, Maurice Donnay, Georges Lecomte et Paul
Valéry). » (p.260)

« Recevant le maréchal Pétain à l'Académie française, Paul Valéry n'avait pas


omis de souligner que la "politique", cette réalité basse et "qui vit de choses
injustes", avait su, du moins, "respecter" un aussi grand homme. » (p.363)

-Henri Guillemin, Nationalistes et "nationaux" (1870-1940), Gallimard, coll.


Idées, 1974, 476 pages.

Le dernier siècle de l’Empire Ottoman (1789-1923) : « Comment [...] est-on


passé d'un empire, autrefois immense territoire s'étendant sur trois continents, à
un pays quasiment réduit au plateau anatolien ? D'un empire musulman, dirigé
par un sultan-calife confiné dans ses palais du Bosphore, à un pays laïc ayant
pour capitale Ankara ? » (p.7)

« Le début du règne d'Abdülhamid II est catastrophique. Neuf mois après son


accession au trône, le souverain est confronté à une nouvelle guerre avec la
Russie. Mais contrairement à la guerre de Crimée (1854-1856), cette fois-ci
l'Empire n'est pas soutenu par la France et l'Angleterre ; il est seul. Le 24 avril
1877, les troupes russes lancent leur assaut. La guerre sera courte et s'achève,
au bout de neuf mois, par une défaite écrasante des armées ottomanes, les
troupes russes s'arrêtant à seulement dix kilomètres d'Istanbul. Les Anglais
sauvent la capitale in extremis en envoyant des navires dans le Bosphore ; le
prix à payer sera Chypre quelque mois plus tard. [...]
1948
Le congrès de Berlin, qui se réunit du 13 juin au 13 juillet 1878, marque une
nouvelle étape dans l'affaiblissement de l'Empire en Europe. La Serbie est
déclarée indépendante ; le Monténégro obtient des gains territoriaux. [...] En
Anatolie orientale, les Russes conservent les provinces de Kars et d'Ardahan
[...] Les provinces de Bosnie et d'Herzégovine sont occupées et administrées par
l'Autriche-Hongrie. » (p.29)

« Le 23 juillet 1908, sous la menace d'un coup de force militaire, Abdülhamid


rétablit la monarchie constitutionnelle. C'est la révolution jeune-turque,
soutenue par des patriotes, à l'esprit progressiste et séculariste. Ils veulent
sauver l'Empire par une constitution, instaurer l'égalité entre les communautés.
A Istanbul et dans les grandes villes de l'Empire, une foule en liesse applaudit la
fin du despotisme hamidien et le début d'une nouvelle ère. L'Empire se retrouve
doté d'une constitution, d'un parlement, d'élection et, pendant un certain temps,
d'une grande liberté d'expression et d'association.
Mais les jeunes-turcs subissent trois déconvenues en octobre 1908. Tout
d'abord, la Bulgarie, encore vassale théoriquement, proclame son indépendance
(5 octobre). Le même jour, l'Autriche-Hongrie annexe la Bosnie-Herzégovine
qu'elle administre depuis le congrès de Berlin. Enfin, le lendemain, la Crète
demande son rattachement à la Grèce. » (p.30)

« Les guerres balkaniques (octobre 1912-août 1913) se soldent par un bilan


catastrophique: perte de Salonique, foyer de la révolution jeune-turque ; perte
de l'Albanie, de l'Épire, de la Macédoine et d'une bonne partie de la Thrace.
Amputée de ses possessions, la Turquie ne conserve plus en Europe qu'Istanbul
et la Thrace orientale.
En 1913, après l'échec d'un contre-coup d'Etat libéral, le CUP [Comité Union
et Progrès] prend le pouvoir et décrète des mesures d'exception: état de siège,
arrestations, condamnations à mort ou à l'exil, suspension des journaux hostiles
et suppression des partis d'opposition. Dominé par les chefs du mouvement,
Talat, Enver pacha et Cemal pacha, il dispose de pouvoirs quasi dictatoriaux et
tient à l'écart les non-Turcs.
A la veille de la Première Guerre mondiale, l'opinion publique est favorable à la
France et à la Triple-Entente, mais le CUP, par hostilité envers les russes,
conclut une alliance secrète avec l'Allemagne. Les Turcs entrent en guerre le 11
novembre 1914. [...]
L'attaque russe de 1915-1916 en Anatolie est très meurtrière, tandis que dans
1949
les provinces arabes, les Arabes et les Anglais progressent [...]
Acculé, à bout de souffle, l'Empire ottoman n'a pas d'autre issue que de signer
l'armistice de Moudros (30 octobre 1918). Tandis que les Alliés pénètrent en
Thrace orientale et que la flotte anglaise arrive dans la mer de Marmara, les
dirigeants du CUP s'enfuient de la capitale où les troupes alliées entrent le 13
novembre 1918. L'Empire a cessé d'exister, même s'il se maintient encore
officiellement jusqu'à la fondation de la République turque en 1923. » (p.33)
-Frédéric Hitzel, Le dernier siècle de l’Empire Ottoman (1789-1923), Les Belles
Lettres, coll Guide Belles Lettres des civilisations, 2015, 319 pages.

Mustafa Kemal Atatürk (188-1931) et la naissance de la Turquie: « Ataturk,


l’homme au large visage et aux yeux tristes, le fondateur bien-aimé et le héros
de la nouvelle république turque. Beaucoup reste à dire et à écrire sur cet
homme remarquable, par certains côtés l’une des figures politiques les plus
significatives de notre siècle. » -Samuel Noah Kramer, L'histoire commence à
Sumer, Flammarion, coll. Champ histoire, 2015 (1957 pour la première édition
française), 316 pages, p.42.

http://www.amazon.fr/Atat%C3%BCrk-Naissance-Turquie-Fabrice-
Monnier/dp/2271083133/ref=pd_sim_sbs_14_1?ie=UTF8&dpID=51hx7E1h5JL
&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR105%2C160_&refRID=10TD31XMPC
WPW71P71Y4

Phan Boi Chau : https://www.amazon.fr/Phan-Boi-Chau-1867-1940-


nationalisme/dp/2296069533/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1464559819&sr=8-
1&keywords=Phan+Boi+Chau+%281867-
1940%29%2C+le+nationalisme+vietnamien+avant+Ho+Chi+Minh

La Troisième Internationale et le communisme en Europe : « Dans notre


Parti que la bataille révolutionnaire n'a pas complètement épuré du vieux fond
social-démocrate, l'influence des personnalités joue encore un trop grand rôle.
[...] C'est dans la mesure où toutes les survivances petites-bourgeoises du "Moi"
individualiste seront détruites que se formera l'anonyme cohorte de fer des
bolcheviks français. [...] s'il veut être digne des traces glorieuses du Parti
Russe, le Parti communiste Français doit briser sans faiblesse tous ceux qui,
dans son sein, refuseraient de se plier à sa loi! » -L'Humanité, 19 juillet 1924.

« En défilant devant le Panthéon, saluez, avec le souvenir de Jaurès, l'un des


plus sanglants combats de la Commune. La bourgeoisie de Versailles est
1950
toujours au pouvoir. Vous ne l'en chasserez que les armes à la main. » -Paul
Vaillant-Couturier, L’Humanité, 24 novembre 1924.

http://www.amazon.fr/Komintern-Dictionnaire-biographique-delinternationale-
communiste/dp/2708235060/ref=sr_1_6?ie=UTF8&qid=1457611640&sr=8-
6&keywords=jean+maitron

http://www.amazon.fr/Georges-Izard-communisme-L%C3%A9volution-
communiste/dp/B00180ZH86/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1457617116&sr=8-
1&keywords=O%C3%B9+va+le+communisme+%3F+L%27%C3%A9volution
+du+parti+communiste.+Les+textes

http://www.amazon.fr/guerre-civile-europ%C3%A9enne-National-socialisme-
bolchevisme/dp/2262034583

http://www.amazon.fr/Totalitarisme-XXe-si%C3%A8cle-
d%C3%A9bat/dp/2020378574/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1457611751&sr=8-
1&keywords=Enzo-Traverso-Le-totalitarisme

Liang Shuming : http://www.amazon.com/Last-Confucian-Shu-ming-


Modernity-
Berkeley/dp/0520053184/ref=sr_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1431018204&sr
=1-2&keywords=The+Last+Confucian%3A+Liang+Shu-
ming+and+the+Chinese+Dilemma+of+Modernity

Le Biennio rosso (1919-1920) : http://academienouvelle.forumactif.org/t6879-


le-biennio-rosso-maurice-f-neufeld-italy-school-for-awakening-countries-the-
italian-labor-movement-in-its-political-social-and-economic-setting-from-1800-
to-1960#8038

Benito Mussolini et la Révolution Fasciste (1919-1945) : « Pour le libéralisme


(tout comme pour la démocratie et pour le socialisme), l’individu est une fin, la
société un moyen ; il n’est pas non plus concevable pour lui que l’individu, qui
est une fin, puisse jamais servir de moyen. Pour le fascisme, en revanche, la
société est une fin et l’individu un moyen, et toute la vie de la société consiste à
user des individus comme instruments pour ses fins sociales. » -Alfredo Rocco,
ministre de la Justice (1925-1932), « La Dottrina Politica del Fascismo », [La
Doctrine politique du fascisme], 1925.

1951
« L'homme du fascisme est un individu qui est nation et patrie, une loi morale
unissant les individus et les générations dans une tradition et une mission,
supprimant l'instinct de la vie limitée au cercle étroit du plaisir, pour instaurer
dans le devoir une vie supérieure, libérée des limites du temps et de l'espace:
une vie où l'individu, par l'abnégation de lui-même, par le sacrifice de ses
intérêts particuliers, par la mort même, réalise cette existence toute spirituelle
qui fait sa valeur d'homme. »

« Le fascisme est non seulement un système de gouvernement, mais encore, et


avant tout, un système de pensée. »

« Le libéralisme niait l'Etat dans l'intérêt de l'individu ; le fascisme réaffirme


l'Etat comme la véritable réalité de l'individu. »

« Le principe d'après lequel la société n'existe que pour le bien-être et la liberté


des individus qui la composent ne semble pas être conforme aux plans de la
nature. » -Benito Mussolini, Le Fascisme (1929).

« Le fascisme ne revient pas en arrière. La doctrine fasciste n’a pas choisi


[Joseph] de Maistre pour prophète. L’absolutisme monarchique a fait son
temps, au même titre que l’ecclésiolâtrie, que les privilèges féodaux ou les
castes fermées à cloisons étanches. » -Michel Winock, Le XXème siècle
idéologique et politique, Éditions Perrin, coll. Tempus, 2009, 540 pages, p.21.

« La base de la doctrine fasciste est la conception de l’État. Pour le fascisme,


l’État est un absolu en face duquel l’individu et les groupes sont le relatif. Sans
l’État, il n’y a pas de nation. Pour le fasciste tout est dans l’État et rien
d’humain et de spirituel n’existe hors de l’État, pas d’individus, pas de
groupes[...] l’État fasciste s’attribue aussi le domaine économique. Le
corporatisme dépasse le libéralisme, il crée une nouvelle synthèse où tous les
intérêts sont conciliés dans l’unité de l’État. Seule la guerre porte au maximum
de tension toutes les énergies humaines et imprime un sceau de noblesse aux
peuples qui l’affrontent. » -Benito Mussolini, 1938, Œuvre et discours,
Flammarion.

«We will glorify war—the world’s only hygiene—militarism, patriotism, the


destructive gesture of freedom-bringers, beautiful ideas worth dying for, and
scorn for woman.

1952
We will destroy the museums, libraries, academies of every kind, will fight
moralism, feminism, every opportunistic or utilitarian cowardice. » -Marinetti,
Manifeste de 1909.

“We declare that in human flesh wings lie dormant.

The day when it will be possible for man to externalize his will so that, like a
huge invisible arm, it can extend beyond him, then his Dream and Desire, which
today are merely idle words, will rule supreme over conquered Space and Time.

This nonhuman, mechanical species, built for constant speed, will quite
naturally be cruel, omniscient, and warlike…

Even now we can predict the development of the external protrusion of the
sternum, resembling a prow, which will have great significance, given that man,
in the future, will become an increasingly better aviator.” -Marinetti, “Extended
Man and the Kingdom of the Machine” (1910).

« Depuis vingt-sept ans, nous autres futuristes nous élevons contre l’affirmation
que la guerre n’est pas esthétique. […] Aussi sommes-nous amenés à constater
[…] que la guerre est belle, car, grâce aux masques à gaz, aux terrifiants
mégaphones, aux lance-flammes et aux petits tanks, elle fonde la suprématie de
l’homme sur la machine subjuguée. La guerre est belle, car elle réalise pour la
première fois le rêve d’un corps humain métallique. La guerre est belle, car elle
enrichit un pré en fleurs des flamboyantes orchidées des mitrailleuses. La
guerre est belle, car elle rassemble, pour en faire une symphonie, les coups de
fusils, les canonnades, les arrêts du tir, les parfums et les odeurs de
décomposition. La guerre est belle, car elle crée de nouvelles architectures
comme celles des grands chars, des escadres aériennes aux formes
géométriques, des spirales de fumée montant des villages incendiés, et bien
d’autres encore […]. Poètes et artistes du Futurisme […], rappelez-vous ces
principes fondamentaux d’une esthétique de la guerre, pour que soit ainsi
éclairé […] votre combat pour une nouvelle poésie et une nouvelle sculpture ! »

-Marinetti, Manifeste sur la guerre d’Éthiopie, cité par Walter Benjamin in


L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (première version,
1935).

« En mars 1872, les sections italiennes de la Ire Internationale, réunies à


Bologne en congrès régional, adoptèrent le nom de Fasci operai, Faisceaux
1953
ouvriers (à cette époque l'ensemble des révolutionnaires en Italie appuyait les
thèses anarchistes de Bakounine, la doctrine autoritaire de Marx, qui s'opposait
à ces thèses, apparaissait comme "la négation du sentiment révolutionnaire du
prolétariat italien").
A la fin du XIXè siècle, sous le roi Humbert, la misère accrue par la
centralisation poussait la Sicile au désespoir et à la révolte. Vers 1891 les
socialistes, afin d'organiser l'insurrection, formèrent les Faisceaux siciliens. Ces
nouveaux Fasci révolutionnaires, en grande partie paysans, ont reçu l'impulsion
décisive de Garibaldi Bosco, ouvrier de Palerme qui, ayant travaillé à Paris,
avait étudié là non seulement l'organisation des Bourses du Travail mais celle
de la Ligue des Patriotes: Bosco s'inspira de ces deux formations. Les Fasci
eurent un rôle historique et créèrent en Sicile au début de 93 une situation
insurrectionnelle: assauts de mairies, incendies et pillage qui bientôt furent
réprimés sauvagement. Il y eut de nombreux morts, de nombreuses
condamnations. Les Fasci furent dissous, Bosco condamné à 14 ans de prison.
Les troubles socialistes commencés en Sicile se prolongèrent dans l'ensemble de
l'Italie (il y eut 80 morts le 6 mai 99 à Milan sous les fusils du général Bava
Baccaris) ; ils ne s'apaisèrent qu'à la mort du roi Humbert assasiné à Monza
par l'anarchiste Bresci [note en bas de page: Benito Mussolini protestait contre
ceux des socialistes qui désavouent Bresci]. » (p.205)

« En janvier 1915, exclu du parti socialiste et chassé de la direction de l'Avanti,


Mussolini, devenu favorable à l'intervention aux côtés de l'Entente, fonda les
Fasci d'azione revoluzionaria. Ceux-ci ne doivent pas être confondus avec les
Fasci interventisti, fondés par d'anciens socialistes de droite et des syndicalistes
(Bissolati, Corridoni), qui présent en commun avec les premiers le fait d'être
issus du mouvement ouvrier et d'être, cependant, nationalistes.
C'est seulement le 23 mars 1919 que fut fondée à Milan sous le nom de Fasci
Italiani di combattimento l'association dont procède le parti fasciste actuel. »
(p.206)

« Le fascisme est le régime dans lequel la souveraineté appartient (en fait sinon
en droit) à un parti militarisé qui délègue à vie cette souveraineté à son chef.
[...]
Ce régime implique la suppression de toute activité politique -et même, à
certains égards, intellectuelle et religieuse- autre que celle des fascistes ; il

1954
exige la soumission sans réserve de chaque personne, sous peine de violences
effrénées. » (p.206-207)

« Si le communisme et le fascisme présentent un grand nombre de caractères


communs, cette similitude est due en premier lieu au fait que les fascistes
italiens se sont appropriés l'acquit de l'expérience bolchéviste. L'Etat
mussolinien n'est que la réédition de l'Etat développé (malgré lui) par Lénine.
Les Russes ont en quelques sorte montré aux Italiens avec quelle légèreté le chef
d'un parti d'hommes bien organisés et violents peut traiter une représentation
élue. » (p.207)
-Georges Bataille, "Le fascisme en France", 1934, repris dans Œuvres
complètes, tome II, Gallimard, NRF, 1970, 461 pages.

« Le mouvement ouvrier révolutionnaire, entre les deux guerres, fut anéanti par
l’action conjuguée de la bureaucratie stalinienne et du totalitarisme fasciste, qui
avait emprunté sa forme d’organisation au parti totalitaire expérimenté en
Russie. »

« Le fascisme est l’archaïsme techniquement équipé. » -Guy Debord, La société


du spectacle, IV. Le prolétariat comme sujet et comme représentation, thèse
n°109, 1967.

« Plusieurs de ma génération gardent un vif souvenir de la façon dont les


manuels scolaires en vigueur dans les lycées [dans les années 1930] traitaient
de la Révolution française. C’était une dévalorisation, un dénigrement, dans le
meilleur des cas un affadissement. Les motifs de fond étaient limités et
élémentaires. Erronés les fondements théoriques dont la Révolution s’était
nourrie : les idées des Lumières et les « principes immortels ». Chaotique la
formation de l’Assemblée Constituante des États Généraux, et dépourvue
d’esprit constructif suivant les canons du droit public. Expression inutile de
féroce rage plébéienne la prise de la Bastille. Apparition de la « canaille »
comme protagoniste du mouvement dans les journées des 5-6 octobre 1789.
Coup de main injuste et féroce des sections jacobines le 10 août 1792, qui avait
renversé la monarchie. Meurtre impitoyable le procès du roi en janvier 1793,
légitimé seulement en apparence. Et bien entendu tous les ingrédients
convergeaient vers le tableau de ce qui avait été la manifestation maximale du
mal : la dictature du Comité de Salut Public, la folie homicide de Robespierre,
Saint-Just, etc., la Terreur. » - Furio Diaz, L’incomprensione italiana della

1955
Rivoluzione francese. Dagli inizi ai primi del Novecento, Torino, Bollati
Boringhieri, 1989, p. 7.

« En 1915, pour une bonne partie de la classe dirigeante, l’objectif majeur


résidait au minimum dans « l’achèvement de l’unité », c’est-à-dire dans
l’occupation des terres irrédentes enfin arrachées à l’Autriche. Au maximum, il
s’agissait de poser les bases de la domination italienne sur l’Adriatique,
première étape d’une [expansion ?] impériale à vocation balkanique et
méditerranéenne. Les divergences portaient seulement sur la façon de réaliser ce
programme. Les « interventionnistes » pensaient qu’une guerre était nécessaire,
tandis que les neutralistes, rassemblés autour de Giolitti, estimaient qu’une
habile négociation devait suffire pour obtenir « beaucoup de choses »
(parecchio), selon la formule employée par l’ancien président du Conseil dans
une lettre publiée en février 1915 dans La Tribuna. Dans les deux cas, il
s’agissait de faire monter les enchères et, à ce jeu, les pays de l’Entente étaient
nécessairement gagnants puisque les territoires que réclamait l’Italie étaient
ceux de leurs adversaires. Par le traité de Londres, signé le 26 avril 1915, les
Alliés offraient ainsi aux Italiens le Trentin et le Tyrol méridional jusqu’au
Brenner, la Vénétie julienne avec Triste et Gorizia, mais sans le port de Fiume
qui devait rester croate, une grande partie du littoral et des îles dalmates, ainsi
que le protectorat sur l’Albanie et des compensations coloniales, dans le cas
d’un accroissement des Empires français et britanniques. Il était également
question d’une zone d’influence en Asie Mineure dans l’éventualité du
démembrement de la Turquie, point qui devait être précisé en avril 1917 par les
accords de Saint-Jean-de-Maurienne, l’Italie conservant la Dodécanèse et
occupant le sud de l’Asie Mineure, avec Adalia et Smyrne. Promesses
généreuses, qui devaient faire de l’Italie la première puissances
méditerrannéenne, mais qui, une fois la victoire acquise, allaient à la fois
susciter les réserves de Wilson et être jugées insuffisantes par l’opinion
nationaliste. » (p.37)

« Si le Trentin, Trieste et Gorizia sont incontestablement italiens, il est loin d’en


être de même pour le Haut-Adige, où vivent en majorité des populations de
langue allemande, et de la plupart des territoires revendiqués en Vénétie julienne
et en Dalmatie, où domine le peuplement slave (Slovènes et Croates). Quant à
Fiume […] la plus grande partie de sa population est sentimentalement et
culturellement italienne. Aussi les Italiens la revendiquent-ils, au nom du
principe des nationalités qu’ils sont ailleurs peu disposés à admettre. » (p.38)
1956
« On retrouve dans le bloc des partisans d’une paix « anti-impérialiste » les
anciens champions de la neutralité italienne, à savoir la masse des libéraux
giolittiens, les socialistes et les représentants du jeune parti catholique, les
interventionnistes se trouvent divisés entre une tendance dure, nettement
impérialiste, et ceux qui ont prêché l’entrée en guerre de leur pays par
attachement aux idéaux démocratiques.

Ce sont ces derniers que les nationalistes qualifient de « renonciateurs ». Fidèles


aux options des « interventionnistes de gauche », trouvant dans les idées
wilsoniennes la justification du combat qu’ils ont livré, ils préconisent une
entente avec la Yougoslavie et poussent à l’abandon des revendications
italiennes sur la Dalmatie (à l’exception de Zara), en échange de Fiume, ville
italienne. » (p.40)

« Entre ces tendances [nationalistes] aux contours mal délimités, le commun


dénominateur se définit surtout de façon négative : haine de l’idéologie
« bourgeoise » héritée au XIXe scientiste et positiviste, refus de l’humaniste, du
rationalisme, de l’intellectualisme, considérés comme autant de facteurs de
décadence, mépris surtout du parlementarisme et de la démocracie. Tout cela
noyé dans un discours confus, où la rhétorique et la séduction par le verbe
l’emportent de très loin sur la logique et sur la solidité des concepts. Cela suffit
cependant pour attirer dans le camp des nationalistes un certain nombre
d’artistes et d’écrivains en quête d’émotions esthétiques et de sources
d’inspiration. Tel est le cas notamment de Gabriele D’Annunzio. » (p.41)

« L’ordre du jour voté le 15 décembre 1918 par la commission exécutive de


l’Association nationaliste […] réclame avec force la Dalmatie, des
compensations coloniales, la pénétration en Éthiopie, etc. » (p.43)

« [Woodrow Wilson] refuse aux Italiens l’Istrie orientale et la Dalmatie, tout en


proposant pour Fiume –dont les faubourgs et l’arrière-pays sont
incontestablement slovènes- un statut de ville libre.

Bien entendu Orlando et Sonnino protestent, mais pour des raisons différentes.
L’impérialisme Sonnino est prêt à abandonner Fiume pour obtenir la Dalmatie,
et il invoque auprès de Clemenceau et de Lloyd George le pacte de Londres. Le
libéral Orlando accepterait au contraire de renoncer à la Dalmatie pour avoir
Fiume, épousant ainsi les vœux des « renonciateurs » et invoquant le principe
des nationalités. […]
1957
Seuls les socialistes vont à contre-courant, en cherchant à faire prévaloir l’idée
d’une « paix des peuples ». Tous les autres secteurs de l’opinion,
interventionnistes et neutralistes, « dalmatiens » et « renonciateurs », se
réunissent pour exprimer l’indignation du sentiment national blessé par
l’intransigeance des Alliés. […]

Lorsque Orlando arrive à Rome, le 26 avril, une foule considérable, convoquée


par les nationalistes et par Mussolini, l’attend dans un climat de fièvre
patriotique auquel se laisse prendre le président du Conseil. Celui-ci entame
bientôt avec son auditoire un de ces dialogues frénétiques que D’Annunzio, puis
Mussolini, sauront manier pour mobiliser les masses : […] « Je sais que l’armée
et la marine d’Italie sont plus prêtes en ce moment qu’elles ne l’étaient en mai
1915. » Trois jours plus tard, il obtient de la Chambre un vote de confiance
massif. » (p.44-45)

« Pendant un mois, les Italiens vont essuyer refus sur refus de la part des Alliés,
et lorsque la conférence se sépare provisoirement le 6 juin, l’échec de la
délégation transalpine est total. Revenu à Rome les mains vides, Orlando va
payer cette déroute diplomatique d’un vote de méfiance de la Chambre (262
voix contre 78) le 19 juin. Renversé, il doit céder la place à Nitti.

Le bilan est lourd et va profondément marquer l’évolution intérieure du pays.


C’est entre avril et juin 1919 que naît en Italie le thème de la victoire mutilée, du
sacrifice d’un demi-million de morts rendu inutile par le complot de la
« ploutocratie », et « l’impérialisme bancaire étranger » contre « la nation
prolétaire ». Une insatisfaction qui touche non seulement les nationalistes et les
« interventionnistes de gauche » du Popolo d’Italia, mais aussi la totalité de la
presse modérée et de larges secteurs de l’opinion publique. » (p.47)

« A neuf ans, le jeune Mussolini entre cependant au collège des Salésiens de


Faenza, où il accomplit de bonnes études secondaires avant d’entrer à l’école
normale de Forlimpopoli. Il en sort à l’âge de dix-huit ans avec un diplôme
d’instituteur qui lui permet d’obtenir, en février 1902, un poste de maître
suppléant à Gualtieri, en Émilie. Mais à la fin de l’année scolaire,
l’administration municipale ne renouvelle pas son contrat, moins, semble-t-il,
parce qu’on lui reproche son engagement politique- depuis 1900 Benito est
membre du parti socialiste, mais son activité dans le parti est encore très réduite-

1958
que parce qu’il entretient une liaison qui fait scandale dans le village avec une
jeune femme dont le mari est soldat.

Sans travail, et peu désireux d’accomplir ses obligations militaires, Mussolini


décide alors de se rendre en Suisse où il mène pendant deux ans (1902-1904)
une existence difficile, pratiquant les métiers les plus divers (maçon, manœuvre,
etc.) et passant d’un canton à l’autre pour échapper aux poursuites qu’entraînent
ses activités politiques et syndicales. Années capitales pour la formation du
jeune homme. Il fréquente les leaders en exil du socialisme italien, Serrati et
Angela Balabanoff, et il se donne une culture politique très composite, lisant
pêle-mêle les théoriciens du marxisme, ceux de la violence révolutionnaire –
Sorel et Kropotkine-, Nietzsche et Schopenhauer, et suivant un moment à
Lausanne les cours de Vilfredo Pareto, à qui le fascisme doit une critique
impitoyable de la démocratie libérale. Lorsqu’il rentre en Italie en novembre
1904 à la suite d’une amnistie, il est largement acquis aux tendances anarcho-
syndicalistes du socialisme italien. Après deux ans de service militaire et une
période de bohème et de vagabondage, il se fixe en 190 à Forli où il trouve un
poste de professeur de français. […]

[En 1911], la guerre de Libye va lui donner l’occasion de prendre une éclatante
revanche. A Forli, Mussolini organise avec l’aide du jeune Pietro Nenni,
secrétaire local du parti républicain, une véritable émeute contre le départ des
troupes pour l’Afrique. La gare est prise d’assaut, kes rails déboulonnés, les fils
télégraphiques coupés. Mussolini est arrêté et condamné à un an de prison
(peine réduite à 6 en appel). Libéré, il prend la tête du courant socialiste
révolutionnaire. Son influence est telle qu’au congrès de Reggio Emilia il
parvient à faire expulser ceux des dirigeants du parti qui ont soutenu la guerre de
Libye, Bonomi, Bissolati, Labriola, et à faire perdre la majorité à la direction
réformiste.

Dès lors, Mussolini commence à jouer les premiers rôles. Il est désigné comme
membre de la nouvelle équipe dirigeante du PSI et il se voit confier la direction
du grand quotidien socialiste Avanti ! Lorsque éclate la guerre européenne, le
futur Duce, qui a été en juin 1914 l’un des organisateurs de la vague
insurrectionnelle qui a déferlé sur la Romagne et l’Émilie (la fameuse « Semaine
rouge »), fait incontestablement figure de chef de file des éléments durs du parti.
Il se montre tout d’abord résolument neutraliste et attaque avec violence les
interventionnistes de gauche, à commencer par les syndicalistes révolutionnaires
1959
comme Corradini et De Ambris. Puis, brusquement, il change de camp [par un
article du 18 octobre 1914]. […] La réaction des autres dirigeants du parti est
immédiate. Dès le 20 octobre, Mussolini est écarté de la direction du quotidien
socialiste et, le 24 novembre, il est exclu du PSI, aux cris de « traître » et de
« Judas ». » (p.91-93)

« Bien entendu, cette conversions a été favorisée par de nombreux appuis


financiers. Celui de la SFIO, ralliée à l’Union Sacrée et qui dépêche en Italie
plusieurs émissaires parmi lesquels Marcel Cachin. Celui enfin de certains
milieux d’affaires interventionnistes et plus particulièrement de Filippo Naldi,
directeur du Resto del Carlino. […]

On sait par exemple qu’il [Mussolini] s’est rendu au moins une fois au Palais
Farnèse, siège de l’ambassade de France, pour y réclamer des subsides. » (p.93)

« Si l’on voit se constituer des fasci dans la plupart des grandes villes italiennes,
à Gênes, Bergame, Trévise, Naples, à Bologne autour de Dino Grandi, à
Florence avec Italo Balbo et Dumini, etc., il n’y a encore au premier congrès, en
octobre 1919, que 56 faisceaux groupant 17 000 membres. […] En juillet 1920,
on ne compte toujours que 108 faisceaux et 30 000 membres. […]

La classe dirigeante est plus inquiétée que séduite par une organisation qui n’a
pas encore rompu avec ses attaches anarchisantes et dont le programme […] ne
ménage pas les attaques contre le grand capital. […]

Lors des élections de novembre 1919, Mussolini présente à Milan une liste
fasciste. […] Le fiasco est complet : 4795 voix contre 17000 aux socialistes et
74000 aux populaires. […] Pour les fascistes, c’est le creux de la vague. » (p.95-
96)

« [Il faut attendre] le milieu de l’année 1921 pour le financement du fascisme


par les grands intérêts prenne une allure massive, mais dès cette époque le flux
est suffisant pour que Mussolini puisse faire vivre son journal et développer son
mouvement.

L’alliance avec la classe dirigeante ne revêt pas seulement des aspects


financiers. Dès le mois d’octobre 1920, elle prend un caractère politique avec les
élections administratives qui permettent aux fascistes de figurer sur les listes du
« bloc constitutionnel » formé par les partis de gouvernement. C’est également
au mois d’octobre que l’Etat-major adresse aux commandants d’unités une
1960
circulaires demendant des renseignements sur l’activité des fasci et qui est en
général interprétée comme une invite faite aux officiers d’adhérer au
mouvement fasciste. Un autre document, la fameuse « circulaire Bonomi » -dont
le leader des socialistes indépendant refusera toujours la paternité- incite au
même moment les 50 000 officiers en cours de démobilisation à se joindre aux
faisceaux, moyennant quoi ils conserveraient les quatre cinquième de leur solde.
Partout, enfin, les fascistes vont trouver l’appui des autorités locales, de l’armée,
de la police, de la gendarmerie. Qu’elles aient ou non reçu des assurances de
Mussolini, les classes dirigeantes préfèrent donc la subversion fasciste au danger
d’une révolution de type bolchevique. » (p.98-99)

« Dans les campagnes, le mouvement gagne les petits agglomérations et les


villes moyennes à la fin de 1920. En novembre, les fascistes lancent leurs
troupes sur Bologne, au moment où s’installe la municipalité d’extrême-gauche.
Il y a 9 morts et plus de 100 blessés. Un mois plus tard, un incident semblable se
produit à Ravenne. […]

Agrariens et industriels de Florence, groupés en Alliance de défense civique,


financent les escouades d’Amerigo Dumini, un ex-ardito qui inaugure son action
en attaquant le 22 octobre 1920 la municipalité socialiste de la ville. » (p.101)

« Haine farouche dirigé à la fois contre le communisme et contre l’ordre


bourgeois. » (p.102)

« Le gouvernement de Giolitti, ravi de cette leçon donnée aux socialistes, est


resté « neutre ». Entendons par là qu’au lieu de poursuivre les fascistes il a
dissous, pour des raisons « d’ordre public », les municipalités socialistes dans
une centaine de villes, dont Bologne, Modène, Ferrare, etc. Et il a engagé les
magistrats à suspendre les poursuites contre les fascistes à la veille des élections
de 1921. Sauf dans quelques métropoles où les socialistes restent les maîtres, à
Milan, à Turin, à Gênes, où les quadristes ne se manifestent que
sporadiquement, la terreur a eu raison des organisations ouvrières. Des milliers
de Maisons du peuple et de sièges syndicaux ont flambé, il y a des centaines de
morts, des dizaines de milliers de blessés. » (p.103)

« [En 1921] sur les 275 élus de la coalition, les fascistes en obtiennent 35,
Mussolini étant pour sa part élu deux fois, à Milan et à Bologne, à la grande
satisfaction de Giolitti qui pense pouvoir ainsi domestiquer le mouvement. »
(p.103)
1961
« Avec la démission de Giolitti, le 1er juillet 1921, le régime libéral voit
s’effondrer sa dernière chance sérieuse de survie. […]

[Son successeur, l’ex-ministre de la Guerre Ivanoe] Bonomi réunit sur un


programme très vague de maintien de l’ordre public une équipe qui comprend 2
socialistes réformistes, 3 démocrates libéraux (giolittiens), 3 démocrates sociaux
(nittiens), 3 populaires, 1 conservateur et 3 membres du Sénat. Cette large
« ouverture » du cabinet Bonomi lui vaut d’être investi avec une forte majorité -
302 voix contre 136. D’où une fausse impression de sécurité et d’appui massif
de l’opinion dont le nouveau président du Conseil va essayer de tirer parti pour
opérer un retour au calme, mais qui va très vite s’avérer illusoire. […]

Préfets, magistrats, officiers de gendarmerie laissent faire les fascistes et leur


assurent l’impunité. […] L’Etat se décompose. » (p.109-110)

« Mussolini lui-même propose au futur parti un programme qui ne doit plus rien
aux tendances gauchistes de 1919. Dans le domaine économique, le libéralisme
absolu, l’Etat renonçant à toute intervention et à toute nationalisation, ainsi
qu’aux mesures fiscales qualifiées de « démagogiques ». […] Dans le domaine
extérieur, le rejet des principes de la SDN et l’adoption d’une politique
expansionniste. Autrement dit, un programme d’extrême-droite, impérialiste,
réactionnaire et nettement favorable aux grands intérêts dont Mussolini
recherche maintenant l’appui politique et financier. » (p.110-111)

« Le 26 mars [1922], 20 000 fascistes paradent dans les rues de Milan, capitale
du socialisme italien. Le 1er mai, alors que se déroule la traditionnelle grève
générale, de vastes rassemblements se produisent à Bologne, à Rovigo, et il y a
dans toute l’Italie une dizaine de morts. Le 12 mai, à Ferrare, Italo Balbo envahit
la ville à la tête de 40 000 fascistes, libérant un de ses amis emprisonné et
obtenant pour les syndicats fascistes une importante commande de travaux
publics. » (p.116)

« La capitulation gouvernementale est totale. » (p.117)

« Le 2 août, une vague de violences déferle sur toute l’Italie. Les fascistes
envahissent les villes, détruisent les bourses du travail, les sièges des
coopératives, attaquent les quartiers ouvriers. Partout, sous la menace du
gourdin ou du relvolver, on oblige les grévistes à reprendre le travail. Le 3 août,
reconnaissant sa défaite et l’échec de la grève, l’Alliance du travail donne

1962
l’ordre de reprise. C’est l’effondrement de la résistance ouvrière face au
fascisme. » (p.118)

« Sur le plan insurrectionnel, la « Marche sur Rome » est un événement d’une


ampleur assez médiocre. Dès le 27 octobre, aidés en certains endroits par les
autorités militaires, les squadristes se mettent en marche, tandis que dans toute
l’Italie du Nord et du Centre ils se présentent devant les préfectures, les
commisariats de police, les centraux téléphoniques, les gares, pour s’en emparer.
Généralement, les autorités civiles ont cédé leurs pouvoirs aux militaires qui
négocient aussitôt avec les fascisttes. Rares sont les cas où, comme à Vérone,
Ancône et surtout Bologne, l’armée résiste. Partout ailleurs cependant, il y a un
ou deux jours d’hésitation, pendant lesquels squadristi et soldats se trouvent face
à face. Pendant cette courte période de flottement, le gouvernement a la
possibilité d’opérer une résistance efficace, mais il ne fait rien. Quant aux
colonnes qui doivent converger sur la capitale, elles ne rassemblent que 26 000
hommes, médiocretement armés, sans vivres qui avancent sous une pluie
battante. Dans la ville, le général Pugliese dispose de 28 000 hommes bien
équipés. De l’avis général, la Marche sur Rome est militairement un échec, et
dans le pays un ordre énergique donné à l’armé peut encore tout sauver.

Mais pour Mussolini la Marche sur Rome n’est qu’un moyen de pression et il
dispose d’atouts politiques plus sérieux. L’appui de Salandra notamment qui,
d’accord avec lui, provoque la démission de la coalition gouvernementale en
obtenant la démission de son ami, le ministre Riccio. Facta, qui croyait pouvoir
négocier directement avec Mussolini, comprend dès lors que sa chute est
inévitable. Il décide cependant de résister et prépare un décret proclamant l’état
de siège dans la capitale. Mais le 28 octobre, à 10 heures du matin, le roi refuse
de signer ce décret. Il a craint de payer de sa couronne une résistance incertaine
au fascisme. Il a surtout subi la pression des militaires, le général Diaz, l’amiral
Thaon di Revel, celle des nationalistes comme Federzoni, celle aussi de
Salandra. Il traduit enfin par son refus l’attitude de la majeure partie de la classe
dirigeante, peu empressée finalement à défendre le libéralisme, dès lors que les
fascistes lui promettent de sauvegarder l’essentiel de ses prérogatives. » (p.121)

« Le 29, dans l’après-midi, Mussolini reçoit un télégramme du général Cittadini


l’informant que le roi l’invite à se rendre à Rome pour y constituer le ministère.
Il part le 29 au soir, en agon-lit, tandis que les fascistes donnent l’assaut à Milan
l’assaut à l’Avanti !, incendient à Turin l’organe communiste Ordine nuovo et
1963
saccagent à Rome les journaux hostiles au mouvement. Le 30 au matin,
Mussolini se présente devant le roi en tenue fasciste, tout en donnant l’ordre aux
squadristi d’entrer à Rome en chemin de fer pour y défiler. Ainsi son arrivée
légale au pouvoir se trouve-t-elle maquillée en victoire insurrectionnelle. »
(p.122)

« Le fascisme a été la rencontre d’un homme et d’une situation. L’homme est un


rénégat du socialisme, ayant le goût de la violence, dévoré d’ambition et à la
recherche d’une force politique capable de servir cette ambition. Il la trouve
dans ce mélange confus de déclassés, de nostalgiques de la guerre, d’anarchistes
dressés contre l’Etat, de bourgeois en difficulté, de représentants des couches
nouvelles aspirant à substituer leur pouvoir à celui des élites traditionnelles, de
chômeurs enfin, qui va continuer la clientèle du fascisme. Mais ce groupe
politique de mécontents et d’inadaptés n’a pas d’assise véritable dans les
masses, comme en témoignent les élections de 1919. Comment parvient-il dans
ces conditions à conquérir le pouvoir ?

D’abord parce que l’Etat libéral est en pleine décomposition, contesté à gauche
par les socialistes, à droite par les nationalistes. Parce qu’il a perdu la confiance
des milieux d’affaires qui lui reprochent à la fois ses interventions dans le
domaine économique et son impuissance en matière politique et sociale. C’est
de cette décomposition de l’Etat que le fascisme tire sa propre vigueur. Rompant
avec ses origines de gauche, il offre ses services aux possédants et se présente
comme la seule solution de rechange possible au libéralisme en faillite. […]

Le fascisme n’a pas remporté une victoire sur des adversaires menaçants. Il s’est
installé à la tête de l’Italie à la faveur du vide politique qui y régnait. » (p.123)

« Le fascisme condamne et combat –au moins verbalement- ce qui le précède :


l’idéologie, le modèle politique et l’hégémonie culturelle de la bourgeoisie
libérale, tels qu’ils se sont imposés dans l’Italie giolittienne, dans cette
« Italietta » dont les nationalistes et futuristes dénonçaient déjà, à l’aube du
siècle, les langueurs décadantes.

Pour aboutir à quoi ? Si l’on en croit la phraséologie mussolinienne, à une


société sans classes, fondée sur la coopération des divers groupes sociaux fondus
dans un projet commun, à la création d’un « homme nouveau », ayant rompu ses
attaches avec le monde « bourgeois » pour renouer avec les vertus viriles de
l’ancienne Rome. » (p.274)
1964
« Loin d’être détruit par le fascisme comme le laissait augurer le premier
programme des faisceaux, le capitalisme italien a trouvé en lui un défenseur qui
a su le sauver de la révolution et de la faillite, avant de le renforcer dans ses
structures et dans ses moyens d’action. » (p.276)

« Très grande difficulté rencontrée par le fascisme pour imposer ses modèles
« novateurs » dans un champ culturel qui reste, jusqu’aux toutes dernières
années du ventennio, dominé par des modes de penser et de sentir qui sont ceux
des élites traditionnelles. » (p.276)

« Les hauts fonctionnaires, les cadres de la diplomatie, les notables locaux,


membres de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie, doivent souvent, surtout à
partir des années trente, céder la place aux « hommes nouveaux », aux anciens
du sqadrisme, jugés plus sûrs et plus conformes à l’idéal du régime. » (p.277)

« Le fascisme favorise l’évolution monopolistique du capitalisme italien. Il est


incontestable que, si l’on considère les vingt années de l’ère fasciste, la petite
bourgeoisie a été –économiquement parlant- l’une des grandes victimes du
régime. En règle générale, la politique menée par celui-ci lèse gravement le petit
commerce et la petite production. » (p.279)

« A la faveur de l’épuration des cadres administratifs, qui commence dès 1922


mais qui prend surtout un caractère massif entre 1926 et 1928 –c’est-à-dire au
moment du tournant totalitaire du régime-, nombre d’anciens dirigeants locaux
du sqadrisme obtiennent des postes importants dans la fonction publique. »
(p.280)

« Il y a dans le totalitarisme fasciste –et c’est ce qui le distingue


fondamentalement des autres formes d’Etat d’exception mises en place par la
bourgeoisie, la dictature militaire classique de style latino-américain, par
exemple, ou encore les régimes autoritaires et réactionnaires qui essaiment un
peu partout en Europe pendant la période de l’entre-deux-guerres- une volonté
clairement formulée d’intégrer les masses. Ceci suppose en premier lieu leur
enrégimentement et leur encadrement, et c’est là l’une des fonctions essentielles
du système corporatiste. » (p.282)

« Sur le marché de l’emploi, l’amélioration est certaine, du moins jusqu’à la


crise. Dès 1925, le nombre des demandes d’emploi non satisfaites tombe à
125 000 et se stabilise à ce niveau pendant quelques années. Quant aux salaires

1965
moyens réels (compte tenu du coût de la vie), ils se maintiennent en gros au
même niveau pendant toute la période, jusqu’aux environs de l’immédiats de la
guerre. […]

Dans l’ensemble, on peut dire que la situation de la classe ouvrière a tendance à


s’améliorer légèrement. » (p.283)

« Reprenant à son compte une politique qui a été depuis la création du royaume
d’Italie celle de l’Etat libéral, le fascisme fait supporter par les campagnes le
poids de l’industrialisation, écrasant les petites exploitations sous le fardeau
d’une fiscalité excessive et favorisant systématiquement les agrariens, qui
bénéficient des subsides de l’Etat, d’importantes exonérations fiscales et d’une
politique douanière conforme à leurs intérêts. » (p.284)

« En avril 1925, [Giovanni Gentile] prend officiellement la tête du mouvement


des intellectuels favorables au régime en rédigeant, à la suite d’un colloque
culturel tenu à Bologne, un Manifeste des intellectuels du fascisme adressé
« aux intellectuels de toutes les nations » et destiné à justifier, aux yeux de
l’opinion internationale, les mesures d’exception adoptées par Mussolini à la
suite des retombées de l’affaire Matteotti. Parmi les signataires, on trouve les
noms de Luigi Barzini, Fransceco Coppola, Prampolini, Soffici, Orano,
Corradini, Ugo Spirito, Marinetti, Carli, Luigi Pirandello. Ce document donne le
signal de la rupture avec les intellectuels libéraux. Quelques jours plus tard, en
effet, le 1er mai 1925, paraît dans Il Mondo « une réponse des écrivains,
professeurs et publicistes italiens au Manifeste des intellectuels fascistes »,
rédigée par Benedetto Croce en personne et contresignée par des hommes
comme Giovanni Amendola, Luigi Albertini, Gaetano Salvemini, Luigi
Salvatorelli, A. C. Jemolo, Gaetano Mosca, Luigi Einaudi, Arthuro Labriola,
pour ne citer que les plus illustres. Plus moral que politique, ce contre-manifeste
s’indignait surtout de voir des hommes de lettres et des savants s’écarter de leur
mission, qui consistait à « élever tous les hommes et tous les partis au plus haut
niveau spirituel », et invitait les intellectuels à se comporter en arbitres moraux,
à défendre la liberté d’expression, à condamner toutes les violences. » (p.287)

« Parmi les intellectuels italiens qui étaient venus au fascisme par admiration
pour son nihilisme purificateur et antibourgeois, figurent deux noms importants :
celui du futuriste Ardengo Soffici et celui de Curzio Malaparte. Le premier
restera jusqu’à la fin –comme Marinetti mais en poussant beaucoup plus loin les

1966
limites de la logique futuriste- fidèle à l’esprit du premier fascisme, acceptant,
par haine de l’establisment fasciste, l’alignement sur l’Allemagne hitlérienne, la
politique raciste du régime et bientôt le sinistre retour aux sources du
squadrisme de la République de Salo. Attitude d’écoeurement et de désespoir,
qui fait un peu songer à celle d’un Drieu, dont Soffici partage curieusement dans
ses derniers écrits la fascination pour Staline. « Si l’Axe ne devait pas gagner la
guerre, écrit-il en juin 1944, la plupart des vrais fascistes qui auraient échappé à
la répression passeraient au communisme et formeraient un bloc avec lui. Nous
aurions alors franchi le fossé qui sépare les deux révolutions ». » (p.289)

« Le « sauvagisme », défini par Maccari [et partagé par Malaparte] comme la


résistance de la tradition, « cette grande amie et protectrice des peuples », aux
méfaits de la modernité, « un tripatouillage manipulé par les banquiers juifs, par
les pédérastes, par les profiteurs de guerre, par les tenanciers de bordels », n’est
pour la revue [Il Selvaggio, 1924] qu’un rameau de la culture fasciste, celui qui
se rattache à la tradition populaire, provinciale et fondamentalement contre-
révolutionnaire de « l’anti-Risorgimento ». Cette veine d’inspiration petite-
bourgeoise, et qui traduit dans le champ culturel certaines des aspirations du
sqadrisme rural, s’oppose à l’autre grande tendance qui est celle du modernisme
fasciste et qui s’incarne dans le mouvement du novecentismo (de Novecento =
XXe siècle), représenté notamment par l’écrivain Massimo Bontempelli et par
nombre de peintres parmi lesquels De Chririco, Sironi, Morandi et l’ancien
futuriste Carra. » (p.291)

« Malaparte, déçu par l’évolution du régime, commença à se détacher de lui et à


se tourner de nouveau du côté du communisme. « Je crois, écrit-il au début des
années trente, que le phénomène de la révolution russe, qui se poursuit
parallèlement à la révolution italienne, dans sa haine et sa lutte contre l’esprit
moderne… est le complément de la révolution italienne. Elles s’aident l’une
l’autre dans leur commune destruction de la modernité, et l’une n’est ni
concevable, ni possible, ni juste sans l’autre. » (p.291)

« Fiume sera annexé à l’Italie [en 1924]. » (p.293)

-Pierre Milza et Serge Berstein, Le fascisme italien (1919-1945), Éditions du


Seuil, 1980 (1970 pour la première édition), 438 pages.

« La victoire du Japon, pauvre comme l’Italie, mais soudé par le militarisme,


fournit un modèle. La guerre semble un antidote au socialisme, car elle porte la
1967
lutte des classes au plan international (l’Italie comme « nation prolétaire » face
aux autres puissance), elle soude la nation, et promet d’intégrer les masses grâce
à un débouché colonial. » (p.26)

« La guerre [contre la Libye, en 1911] est plus difficile que prévu […] Les
populations arabes apprécient peu la prétendue délivrance du joug turc. Les
militaires se seraient contentés d’une démonstration de force et d’un chantage,
mais Giolitti a voulu multiplier les combats pour souder les Italiens au spectacle
des batailles. Résultat, il faut passer de 35 000 à 100 000 soldats, dégarnir la
métropole, irriter les rappelés, mater même une révolte à Forli, et, sur place,
gérer des troupes mal logées et mal utilisées. Même après la paix d’Ouchy en
octobre 1912, la guérilla continue, aidée en sous-main par Londres –du fait entre
autres de l’occupation du Dodécanèse. » (p.27)

« Mussolini intègre en 1921 l’impérialisme à l’idéologie fasciste, puis clame que


« les peuples qui s’enferment chez eux s’acheminent vers la mort ». » (p.119)

« Lancée avant le fascisme par Amendola, la reconquête de la Libye,


abandonnée de fait aux autochtones dans le cadre d’une domination indirecte,
occupe les années 1920. En Cyrénaïque, la guerre contre les bédouins rebelles
dure sept ans. En 1930, pour les isoler, le général Rodolfo Graziani appuyé par
Badoglio fait interner de 60 à 100 000 personnes dans des camps, soit plus d’un
quart ou presque la moitié de la population. Entre marches forcées, maladies et
faim, 40 000 meurent avant la fermeture des camps en 1932. S’y ajoute le
massacre de plus de 90% des ovins et 80% des chevaux, chameaux ou bovins,
qui ruine l’économie locale. En Somalie, le ras piémontais De Vecchi, nommé
gouverneur en 1923, veut l’illustrer, ordonne de désarmer des populations
paisibles mais par tradition armées, les pousse à la révolte et lance en mars 1924
une série de bombardements, incendies de villages et expéditions punitives
comme pour égaler plus tard et ailleurs les exploits d’autres ras, car le
squadrisme n’avait guère pu sévir à Turin. […]

En un sens, la société cautionne l’opération et en bénéficie, mais elle ne


manifeste ni enthousiasme ni intérêt, y compris dans les milieux militaires. »
(p.122)

« Les fascistes mettent en valeur le soldat de 1915-1917, autant dire eux-


mêmes. » (p.125)

1968
« Le culte de la romanité […] fédère fascistes, monarchistes et catholiques
conservateurs autour d’un rêve impérial et d’un rejet de la démocracie. » (p.126)

« La normalisation passe par l’institutionnalisation du sqadrisme dans la milice.


Cela l’officialise comme défenseur de la « révolution fasciste » et gardien de
l’ordre public, et offre une situation à au moins 200 000 déclassés et chômeurs
dont beaucoup avaient pu survivre grâce à l’exercice de la violence. Mais ils ne
colonisent pas l’appareil d’Etat : équipés et payés par lui et non plus par des ras
ou des agrariens locaux, ils lui sont subordonnés. Leurs plus hauts gradés sont
officiers de métier, souvent non inscrits au parti. En cas de guerre, l’armée les
absorbe et les encadre. Dès 1923, ils ont interdiction de « faire de la politique ».
A partir de 1924, ils prêtent sermen au roi. Toute organisation saquadriste
autonome est dissoute en 1925. L’envoi de De Vecchi en Somalie ou la refonte
du parti qui met à l’écart les plus excités vont dans le même sens. […]

Tension avec des éléments marginalisés, qui attendent confusément une


« seconde vague » de la révolution, ou déplorent que « leur » Duce soit victime
d’un entourage ministériel et bourgeois. » (p.127)

« Les patrons ont voulu et applaudi la fin de l’appareil de la Mobilisation


industrielle et des contraintes qu’elle imposait, mais ils apprécient le retour à
une législation qui met au pas le salarié, l’interdition des grèves, les possibilités
disciplinaires, la réduction drastique de la place du syndicat (unique et fasciste).
[…] En réponse à la crise mondiale [de 1929], le dirigisme s’accentue, un
énorme secteur public est créé, des consortiums par branche sont imposés en
1932. Sous la bannière du corporatisme, l’Etat se fait régulateur, fixe des
priorités, limite la concurrence, répartit les matières premières, autorise ou non
les nouvelles usines. » (p.128)

« Fin 1934, 30 soldats italiens sont tués à Ual-Ual, à la frontière entre Éthiopie
et Somalie. […] L’Éthiopie ne peut capituler et Rome veut sa guerre.
L’agression commence le 39 octobre 1935, piétine un peu, mais aboutit à la
prise de la capitale, Addis-Abeda, le 5 mai 1936, et à la proclamation de
l’Empire le 9. » (p.134)

« Il s’agit surtout de mobiliser le pays, soit, selon une formule de Pierre Milza,
de « sceller dans une entreprise commune, et au prix du sang versé, cette
communauté de la nation, transcendant les clivages sociaux, [qu’il] avait
prétendu forger », et de faire des Italiens un peuple de héros et d’aventuriers.
1969
Selon Graziani, « la passion des colonies est la plus masculine, la plus fière et la
plus puissante qu’un Italien puisse nourrir. ». » (p.135)

« Le pays est surtout présenté comme un Eldorado, un débouché migratoire, un


espace de développement qui va fournir du travail et du café. Cela touche une
opinion qui redoute une guerre […] Pour certains jeunes, élevés dans le discours
fasciste, c’est l’occasion d’égaler leurs aînés de 1915-1918 ou de 1922, de
participer à l’Histoire. » (p.136)

« C’est l’apogée du régime, la seule guerre italienne vraiment populaire. […] Le


consensus fasciste triomphe jusque dans les quartiers ouvriers et dans une
citadelle « rouge » comme Empoli. […] Le clergé est entousiaste à l’idée de
convertir des Éthiopiens souvent chrétiens mais non catholiques. » (p.137)

« Il y a certes des pertes côté italien, mais limitées : 9000 blessés, 3000 à 4500
tués, de quoi affliger des familles mais non marquer la société.

Côté éthiopien, au contraire, c’est un massacre : il est question de 275 000


morts. […] Des villages sont brûlés, des unités en retraite pilonnées. Vittorio
Mussolini raconte avec complaisance un lâcher de bombes incendiaires organisé
pour combler une « lacune de [s]on éducation » parce qu’il n’avait « jamais vu
un grand incendie » ; « entourés d’un cercle de flammes, quatre à cinq mille
Abyssins sont arrivés à leur fin par aphyxie. ». » (p.138-139)

« La nouvelle pax romana est un mythe. Huit jours après la prise d’Addis-
Abeda, la moitié de sa population a fui dans les collines. Forte de traditions
locales et des facilités du terrain, la guérilla, même divisée entre chefs féodaux,
tient le pays, sauf, de jour, les grandes villes et les principales routes. Elle
immobilise 200 000 soldats, mais entre censure et éloignement, cela intéresse
peu l’opinion en métropole. Sur place, la situation explique le recours à la
terreur, d’autant que Graziani, nommé gouverneur, est un paranoïaque
mégalomane qui a cultivé en Libye un profond mépris des indigènes. » (p.140)

« Mussolini, lecteur d’Oswald Spengler, s’alarmait en 1933 d’une


« submersion » des Blancs par les peuples de couleur. En 1936, il fait interdire à
tout Italien de passer plus de six mois en Éthiopie sans son épouse « pour parer
dès le début aux terribles et proches effets du métissage », propos inconnus en
Italie avant 1922 et rares ensuites. […] Treize ans avant l’Afrique du Sud, un
apartheid est instauré dans les quartiers d’habitation, les établissements publics

1970
ou les transports, avec l’idée que le dernier des Italiens doit être supérieur au
premier des indigènes. » (p.141)

« Il était question de deux millions de colons ; en 1940, sont installés au plus


3550 familles, riches ou pauvres, soit 31 000 personnes. » (p.142)

-Éric Vial, Guerres, sociétés et mentalités. L’Italie au premier XXe siècle,


Éditions Seli Arslan, coll. Histoire, cultures et sociétés, 2003, 285.

« Politique antiyougoslave que Mussolini souhaite mener dans la mesure où la


Yougoslavie fait figure d’Etat protégé par la France dans les Balkans. Le 4 juin
1923, à Venise, Mussolini s’en prend à la Yougoslavie et à la France, affirmant
les droits d’un peuple qui s’élève par rapport aux peuples qui déclinent,
argument qui vise la France, pays victorieux de la Grande Guerre, mais dont la
faible démographie en fait, aux yeux de Mussolini, une puissance déclinante. »
(p.158)

« Les relations franco-italiennes sont également tendues au sujet de la colonie


italienne de Tunisie. Protectorat français depuis 1881, la Tunisie compte une
importante colonie italienne avoisinant les 85 000 personnes en 1921. L’article
13 de la convention de 1896 protège les nationalités des Italiens et la
naturalisation française ne peut s’effectuer que de manière individuelle.
Rapidement, le pouvoir fasciste entreprend une campagne de propagande envers
les Italiens de Tunisie afin de magnifier leur « italianité », campagne qui prend
des allures violentes au moment du voyage de Mussolini en Libye en avril 1926.
[…]

De fait, la Tunisie est une des revendications que l’Italie fasciste brandira
régulièrement au nez de la France. » (p.159)

« Relations traditionnellement amicales, renforcées par la Première Guerre


mondiale, dont hérite Mussolini. Lors de la visite du roi George V à Rome en
mai 1923 (le couple royal italien est reçu à Londres l’année suivante), porteur
d’un message d’estime adressé par Lord Curzon, secrétaire au Foreign Office,
au chef du gouvernement italien, le souverain britannique confère à ce dernier
l’ordre du Bain. Le 27 juillet 1923, à la fin de la conférence de Lausanne qui
reconnaît la nouvelle Turquie de Kemal Atatürk à la suite de la disparition du
sultanat, l’Italie se voit confirmer, avec l’appui britannique, la possession du
Dodécanèse, occupé en 1912 au moment de la guerre de Libye et déjà reconnu

1971
par le traité de Sèvres du 10 août 1920. Le soutien est également valable dans
l’autre sens. Le 16 août 1924, l’Italie s’est alignée sur la position britannique
lors de la conférence de Londres sur les répérations allemandes, abandonnant sa
politique pro-française sur la question. » (p.159)

« La coopération italo-britannique est particulièrement active en matière


coloniale. Le 15 juillet 1925, un accord, négocié entre Harold Nicolson et
Raffaele Guariglia, située à l’ouest du fleuve Giuba et jusqu’à-là rattachée au
Kenya britannique. L’annexion est officielle le 1er juillet 1926. Le 19 avril 1926,
nouvel accord colonial italo-britannique concernant cette fois-ci les zones
d’influences en Éthiopie occidentale et la possibilité de construire une ligne de
chemin de fer reliant la Somalie italienne et l’Érythrée au travers du territoire
éthiopien. » (p.160)

« Ayant rencontré Mussolini le 15 janvier 1927, [Winston Churchill] exprime,


lors d’une conférence de presse tenue à l’ambassade britannique de Rome, son
estime pour l’œuvre accomplie par l’Italie fasciste et de son chef :

« On ne peut s’empêcher d’être séduit, comme tant d’autres, par l’apparence


simple et aimable de M. Mussolini, par son calme et son équilibre, malgré les
charges et les périls pesant sur lui. On voit tout de suite qu’il ne pense qu’au
bien du peuple italien, tel qu’il le comprend. […] Si j’avais été Italien, je suis sûr
que j’aurais été à fond avec lui. »

[…] Churchill reste pendant plusieurs années sur cette position politique
favorable au régime fasciste. Le 18 février 1933, parlant lors d’une réunion de la
ligue antisocialiste britannique, celui qui est redevenu simple député du parti
conservateur estime que Mussolini est « le plus grand législateur vivant », celui
qui « a montré à beaucoup de nations que l’on peut résister au développement du
socialisme ». » (p.160-161)

« Mussolini est sur des positions antiyougoslaves et n’a pas oublié que la
Dalmatie avait était confiée à la Yougoslavie et non à l’Italie au moment des
accords de paix. En juillet 1927, il convoque les chefs d’états-major des trois
armes afin de préparer une éventuelle attaque de la Yougoslavie. » (p.162)

« C’est vis-à-vis de l’Albanie que l’esprit impérial de l’Italie fasciste s’affirme le


plus dans la région des Balkans. Depuis la fin de la guerre, l’Albanie est à la
recherche d’une stabilité politique alors que s’opposent Fan Noli et Ahmed

1972
Zogu pour le contrôle du pouvoir. Si le premier est soutenu par l’Italie, le second
l’est par la Yougoslavie. Mais une fois devenu président de la République en
janvier 1925, Ahmed Zogu souhaite privilégier les relations avec Rome, plus
susceptible de lui accorder des subsides. La diplomatie italienne voit tout de
suite l’intérêt de la carte albanaise dans son jeu politique dans les Balkans. Dès
mars 1925, Rome et Tirana signent un accord économique qui place l’Albanie
sous la mainmise italienne, selon la propre formule de Mussolini. En août 1926,
un accord secret prévoit que le territoire albanais pourra servir de base en cas de
conflit italo-yougoslave. En contrepartie, Rome reconnaît à l’Albanie le droit
d’avancer des revendications à propos des territoires yougoslaves peuplés
d’Albanais. […] Le 22 novembre 1927, un traité est conclu qui correspond, peu
ou prou, à un protectorat italien sur l’Albanie, le gouvernement italien
supervisant la politique économique et financière albanaise. Venant cinq mois
après la rupture des relations diplomatiques entre Tirana et Belgrade suite à des
incidents de frontière et onze jours après le traité d’amitié franco-yougoslave, la
politique de Mussolini ne manque pas d’inquiéter la France et la
Yougoslavie. […]

Devenu roi d’Albanie le 1er septembre 1928, Zog Ier s’accomode, bon gré, mal
gré, de la protection de l’Italie dont l’influence ne cesse de grandir. Le 30 août
1933, l’enseignement de la langue italienne devient obligatoire dans les écoles
albanaises. Par contre, le gouvernement albanais refuse un projet d’union
douanière et Mussolini est obligé d’envoyer une escadre navale à Durazzo, le 23
juin 1934, pour amener le roi à accepter un nouvel accord prévoyant le
renforcement des liens économiques et militaires. Dès lors, l’annexion pure et
simple semble être une prochaine étape envisageable, renforçant ainsi la
présence italienne en Adriatique. » (p.162-163)

« Pour le Duce, la paix perpétuelle est un mythe. Dans l’article « fascisme » de


l’encyclopédie Treccani, il écrit :

« Le fascisme, en ce qui concerne l’avenir et le développement de l’humanité, et


mise à part toute considération de politique actuelle, ne croit pas à la possibilité,
ni à l’utilité d’une paix perpétuelle. » (p.165)

« C’est au nom des réparations justes et nécessaires dues à l’Italie par les Alliés
que l’Italie obtient, le 25 juillet 1928, de participer à l’administration
internationale de Tanger ce qui, en outre, renforce la puissance italienne dans le

1973
bassin occidental de la Méditerranée. Les 11 et 22 mai 1930, à Livourne et à
Milan, Mussolini réclame la révision des traités de paix de la Première Guerre
mondiale. » (p.166)

« Le 24 novembre [1930], Maxime Litinov, commissaire du Peuple aux Affaires


étrangères, rencontre Grandi à Milan. Ces divers contacts, encouragés par
Bernardo Attolico, ambassadeur italien à Moscou, aboutissent à la signature
d’un pacte d’amitié, de non-agression et de neutralité, le 2 septembre 1933, entre
l’Italie et l’Union soviétique. » (p.166-167)

« Le cuisant souvenir de la défaite des troupes italiennes à Adoua, en 1896, alors


que Fransceco Cripi oeuvrait pour la constitution d’un empire colonial italien,
avait mis à l’arrière-plan l’intention d’en découdre avec l’Empire éthiopien. En
1923, l’Italie soutient l’entrée de ce dernier au sein de la SDN. Le 2 août 1928,
est conclu un traité d’amitié italo-éthiopien pour une durée de vingt ans et une
convention pour la construction d’une route entre le port d’Assab, en Érythrée,
et la ville de Dessié. […] Le 3 avril 1930, l’arrivée sur le trône impérial
éthiopien du ras Tarafi Makonnen devenu empereur sous le nom d’Hailé
Selassié Ier est accueillie sans difficulté à Rome. Cependant, à parir du début
des années 1930, le projet de conquête de l’Éthiopie devient à nouveau
d’actualité. Celle-ci est envisageable dans la mesure où les possessions
italiennes ne sont plus troublées, en particulier la Libye. […] La conquête de la
Tripolitaine ne se termine qu’en 1925. Le Fezzan n’est maîtrisé qu’en 1929-
1930. […] C’est donc avec un ordre rétabli dans les colonies que Mussolini peut
travailler à la conquête de l’Éthiopie. »

« Adigrat est occupé le 5 octobre, Adoua le 6 (cette victoire est particulièrement


célébrée en Italie, car elle efface l’humiliation de 1896) […] La guerre en
Éthiopie donne l’occasion au régime d’organiser une opération de consensus en
direction de l’opinion publique italienne. Le 1er décembre, Mussolini reçoit au
palais de Venise 850 veuves et mères de soldats italiens tombés durant la
Première Guerre mondiale. Le 18, la « journée de la foi » mobilise des millions
d’Italiens et d’Italiennes afin de donner leurs alliances en or pour participer au
financement de l’effort de guerre. L’opinion publique soutient le régime lors de
l’entreprise éthiopienne comme le soulignen les rapports sur l’état de l’esprit des
Italiens. » (p.175)

1974
« La participation italienne à la guerre civile a indéniablement aidé le camp
franquiste. Elle a coûté 3266 tués, 11 186 blessés et 6 milliards de lire de
fournitures militaires. » (p.180)

« Le 30 novembre [1938], à la suite d’un discours du comte Ciano à


Montecitorio, les députés fascistes, en présence du Duce et de l’ambassadeur de
France, hurlent les territoires français que l’Italie revendique : la Tunisie, la
Corse, Nice, la Savoie. […] Le 4 février 1939, une nouvelle réunion du Grand
Conseil est l’occasion pour Mussolini de formuler les grandes lignes d’une
expansion italienne appelée « la marche vers l’Océan ». Dans des délais que le
Duce ne précise pas, l’Italie doit être maîtresse de la Corse, de la Tunisie, de
Malte, de Chypre, du canal de Suez, de Gibraltar. Ainsi, la Méditerranée
deviendrait une Mare nostrum italienne et l’Italie aurait accès à l’Atlantique et à
l’océan Indien. Ces perspectives supposent un conflit avec la France et la
Grande-Bretagne. » (p.184)

« L’annexion [de l’Albanie] […] a lieu le 7 avril [1939] sans importante


résistance (les troupes italiennes n’ont que 12 tués). Le roi Zog parvient à
s’enfuir en Grèce avec son épouse et leur bébé. Le 12 avril, une Assemblée
constituante, composé de notables de toutes les provinces albanaises, offre la
couronne d’Albanie au roi Victor-Emmanuel III. Le souverain est représenté à
Tirana par un lieutenant-général. L’accord du 3 juin place directement la gestion
des relations internationales albanaises sous l’autorité du ministère italien des
Affaires étrangères. » (p.185)

-Philippe Foro, « La politique extérieur de l’Italie fasciste », chapitre 6 in


L’Italie fasciste, Armand Colin, Coll. U Histoire, 2016, 303 pages, pp.157-187.

« [La défaite d’] Adoua, en Abyssinie, en 1896- avait eu dans la vie politique
italienne, bien que sur une plus petite échelle, une signification analogue à celle
de Sedan en France. Au lieu de repousser l’événement et de le réduire à un
épisode colonial sans grande importance, une partie de l’opinion italienne en
avait cultivé le souvenir. Pour les nationalistes, en particulier, Adoua avait
révélé, plus encore que le manque de préparation de l’armée, la fragilité de la
conscience nationale, le faible métal dont était faite la volonté du pays. Pour eux
donc, Adoua restait un nœud de la vie unitaire et par Adoua il fallait à nouveau
passer afin que la tache de cette défaite ne noircisse pas à jamais le livre dans
lequel l’Italie écrirait son histoire. Prise en charge par le fascisme, cette

1975
approche, plus sentimentale que politique, avait fortement marqué sa politique
coloniale. […] Le fascisme avait hérité des nationalistes et des syndicalistes
révolutionnaires la conception de l’expansion coloniale comme aspiration
légitime d’une « nation prolétaire », la conquête d’une « place au soleil » dans la
seule terre africaine qui ne fût pas encore réservée aux grandes puissances. »
(p.224)

-Sergio Romano, chapitre 2 « La politique étrangère : une place au soleil »,


partie 4 « De l’antifascisme à la démocracie » in Histoire de l’Italie du
Risorgimento à nos jours, Éditions du seuil, coll. Point, 1977, 393 pages,
pp.218-227.

« Pour la seconde fois en un quart de siècle l’Albanie était victime de l’agression


impérialiste italienne. […]

Un gouvernement fantoche fut mis en place à Tirana, Ciano déclarait que ces
décisions ne portaient atteinte à l’indépendance de l’Albanie ni dans le fond ni
dans la forme. Or, le même jour, il écrivait dans son journal : « Il n’y a plus
d’Albanie indépendante…je vois les yeux de nombreux patriotes étinceler de
haine et des larmes glisser sur leurs joues. » Le dernier acte se joua à Rome, le
16 avril 1939, au Quirinal ; une délégation de la soi-disant assemblée offrit la
« couronne de Skanderbeg » à Victor-Emmanuel III, qui voyait ainsi ajouter à
ses titres de roi d’Italie et d’empereur d’Ethiopie, celui de roi d’Albanie. »
(p.265)

« En vertu des conventions du 20 avril l’Albanie et l’Italie formaient dorénavant


un seul territoire. Les douanes entre les deux pays étaient supprimées, le franc
albanais voyait son sort lié à celui de la lire italienne, les ressortissants italiens
jouiraient désormais en Albanie des mêmes droits que les citoyens albanais,
mais la clause de réciprocité stipulée dans ces mêmes accords était purement
fictive. […]

Quant à l’armée albanaise, elle se voyait incorporée dans l’armée italienne. Les
fascistes laissèrent bien en place l’administration précédente subalterne, mais ne
manquèrent pas de nommer aux postes importants leurs adeptes albanais, ainsi
qu’un grand nombre de conseilliers italiens. […]

L’Albanie connut une véritable invasion économique. Des ouvriers affluèrent


d’Italie par milliers, cependant que les groupes financiers et industriels italiens,

1976
attirés par les ressources économiques, couvraient le pays de leurs filiales. Des
dizaines d’entreprises se mirent à l’œuvre pour exploiter les richesses minières,
en particuliers les matières premières stratégiques, pétrole, chrome, fer, cuivre,
bitume, etc…, dont l’économie italienne avait le plus pressant besoin. » (p.266)

« Enseignement de la culture fasciste et de la langue italienne dans les écoles. »


(p.267)

-Stefanaq Pollo et Arben Puto (dir), Histoire de l’Albanie des origines à nos
jours, Éditions Horvath, 1974, 367 pages.

« L’investissement principal de l’Italie libérale pour l’institution et la diffusion


populaire d’une « religion de la patrie » eut lieu dans l’enseignement public et
dans l’armée, les deux piliers du système pédagogique national sur lesquels
s’appuyaient les espoirs de nationalisation des masses dans la Troisième Italie.
A partir de 1870, les gouvernements libéraux accrurent le pouvoir de l’Etat sur
l’éducation pour faire de l’Ecole un moyen de renforcement de l’unité, tout en
garantissant la liberté d’enseignement. L’Enseignement public devait être, pour
les libéraux les plus rationalistes et anticléricaux, la véritable « église des temps
modernes ». L’enseignement obligatoire de la doctrine catholique dans les
écoles, tel que le prévoyait la loi Casati de 1859, fut progressivement limité
après 1870. Il devint facultatif ou fut supprimé. » (p.24)

« Le fascisme se présenta comme l’héritier et le continuateur du radicalisme


national, le protagoniste de la lutte pour l’interventionisme, l’interprète des
anciens combattants, le défenseur de la victoire et l’avant-garde de la « nouvelle
Italie » née dans les tranchées. La « révolution italienne » ne signifiait pas, pour
les fascistes, un bouleversement social et la destruction des piliers de la société
bourgeoise, qu’ils déclaraient vouloir protéger et consolider contre le social-
communisme. Cette révolution voulait s’ouvrir de nouveau au culte de la nation
et régénérer le peuple pour le transformer en une communauté unie et forte,
capable d’affronter le défi du monde moderne, de reconquérir sa première place
et d’exécuter sa mission civilisatrice afin d’offrir aux temps modernes l’esprit et
la grandeur de la romanité. » (p.51)

« Les fascistes attribuèrent à la symbolique politique une fonction prédominante


dans l’action et l’organisation, en y associant, dans le langage et dans les gestes,
des expressions et des significations explicitement religieuses. » (p.52)

1977
« Les fascistes se faisaient les défenseurs de la religion traditionnelle face à ses
contempteurs. » (p.55)

« Se présentent comme le restaurateur des valeurs de l’esprit et du prestige de la


religion catholique après une période d’agnosticisme, d’athéisme et de
matérialisme. » (p.109)

« Le mythe de la romanité […] exalté par le fascisme pour donner du lustre à


des conquêtes coloniales. » (p.149)

-Emilio Gentile, La religion fasciste. La sacralisation de la politique dans


l’Italie fasciste, Perrin, coll. Terre d’histoire, 2002 (1993 pour la première
édition italienne), 352 pages.

"Le fascisme s'efforça d'encourager les grossesses en interdisant l'avortement,


la vente de contraceptifs et l'éducation sexuelle." (p.202-203)

"En 1919, le jeune mouvement avait [...] embrassé les positions des intellectuels
futuristes, portés à ridiculiser la morale conventionnelle en défendant le divorce
et en prônant la suppression de la famille bourgeoise. Cette même année, la
fraction populiste du mouvement s'était prononcée en faveur du vote des
femmes." (p.208)

"Dans le domaine politique, le fascisme passa d'un mouvement "subversif" à un


gouvernement de parti unique au milieu des années vingt, et d'un régime
autoritaire peu enraciné dans la société civile à un Etat s'appuyant sur un
mouvement de masse dans les années trente. En matière de politique
économique, la dictature passa du laissez-faire au protectionnisme dans la
seconde moitié des années vingt. Dans le sillage de la Dépression et de la
guerre en Éthiopie, en 1936, elle s'attacha à réaliser l'autarcie totale. Cette
évolution supposait -ce qui se vérifia- la consolidation des alliances sociales de
la dictature avec l'Italie conservatrice: les milieux d'affaires et les grands
propriétaires fonciers, la monarchie, l'armée et l'Église catholique. A son tour,
le régime soumit le parti fasciste à la bureaucratie d'Etat." (p.210)

"D'un côté, une agriculture inefficace et de larges couches de petites entreprises


[...] De l'autre, un secteur industriel fortement concentré, soutenu par des aides
gouvernementales et stimulé par le réarmement après 1933. Au milieu des
années trente, un peu plus de 10% du revenu national et jusqu'à un tiers du
revenu de l'Etat était dévolu à l'armée. Simultanément, la part des forces du
1978
travail dans le revenu national continuait à diminuer. Un bon indicateur de
l'économie fasciste de "bas salaires" est qu'en 1938 le revenu réel des
travailleurs de l'industrie était toujours inférieur de 3% à ce qu'il était en 1929,
et de 26% par rapport à la pointe de l'après-guerre, en 1921. Jusqu'en 1938,
plus de la moitié du revenu familial moyen était consacrée à la nourriture
(contre 25% aux Etats-Unis). Bref, l'Italie fut le seul pays industrialisé où les
salaires restèrent à la baisse entre le début des années vingt et le déclenchement
de la Seconde Guerre mondiale. Le niveau de vie, en termes de dépenses
d'alimentation, d'achat de biens de consommation durables et d'offre de services
publics, mettait le pays au dernier rang des nations industrialisées." (pp.210-
211)

"Le 26 mai 1927, dans son célèbre discours de l'Ascension, Mussolini plaça la
politique de "défense de la race" au cœur des objectifs du fascisme concernant
la vie privée ; le Duce voulait faire passer la population italienne de 40 millions
d'individus à 60 millions au milieu du siècle. Il s'appuyait sur deux types
d'arguments, auxquels nous pouvons en ajouter un troisième au moins aussi
important: rétablir ou "normaliser" les différences entre hommes et femmes, qui
avaient été bouleversées du fait de la Grande Guerre. Le premier argument de
Mussolini, d'ordre mercantiliste, insistait sur le besoin d'une abondante main-
d'œuvre à bon marché. Le second était typique d'une nation lancée dans une
expansion impérialiste ; la baisse de croissance de la population italienne au
cours des années vingt (baisse d'autant mieux perçue que le gouvernement avait
amélioré les techniques de recensement) bridait les ambitions expansionnistes
des dirigeants. Si l'Italie ne devenait pas un empire, martelait le Duce, elle
deviendrait à coup sûr une colonie.
Dans sa quête pour "des naissances, plus de naissances", la dictature oscilla
entre les réformes et la répression, entre l'exhortation à l'initiative individuelle
et les aides publiques."(p.212)

"Exemptions d'impôt pour les pères de famille nombreuse, congés de maternité


et les assurances maternité payés par l'Etat, les prêts au mariage et à la
naissance et les allocations familiales versées aux salariées et aux soutiens de
famille. [...] Impôt spécial pour les célibataires." (p.213)

"L'autoconsommation, c'est-à-dire la quantité totale de biens et de services


générée par les entreprises familiales et non mise sur le marché, était estimée à
30%." (p.216)
1979
"La ruralisation joua un rôle particulièrement important dans l'effort que fit le
régime pour diminuer la dépendance de l'Italie vis-à-vis des importations de
denrées étrangères, surtout de blé, et pour décourager les paysans de migrer
vers les villes, où ils grossissaient le nombre des chômeurs et des bénéficiaires
de l'aide sociale, et aggravaient l'agitation. [...] Des mesures furent prises dès
1928 pour déporter les chômeurs vers leur lieu de résidence originel et pour
restreindre les migrations internes ; s'y ajouta une aide du gouvernement aux
contrats de métayage et aux projets qui favorisaient le maintien sur place en
accordant des prêts à long terme dans les zones d'assèchement des terres. La
conséquence immédiate de ces mesures fut de rassembler les familles dans les
zones à faible consommation, où elles n'étaient pas couvertes par la législation
sociale, et souvent privées des secours municipaux et paroissiaux. [...]
Dans les fermes toscanes, au début des années trente, selon les enquêteurs de
l'Institut national d'économie agricole, Giuseppe, Egisto et Faustino
travaillaient dur pendant 2926, 2884 et 2487 heures annuelles, tandis que leurs
épouses Lucia, Virginia et Maria travaillaient, elles, 3290, 3001 et 3655 [de
+300 à +1000]." (pp.216-217)

"En dépit de l'idéologie fasciste, la proportion de femmes mariées actives


s'accrut, passant de 12% en 1931 à 20.7% en 1936." (p.218)

"[En 1936] environ 25% des femmes en âge de travailler avaient un emploi."
(p.221)

"Dans l'Italie de l'entre-deux-guerres, [le nombre des employés de maison]


passa de 445 631 en 1921 à 660 725 en 1936." (p.224)

"A la fin des années trente, un nombre croissant d'étudiantes qui, tout comme les
jeunes gens de la "génération du Littorio", voyaient dans le régime vieillissant
un obstacle à la réalisation de leurs légitimes ambitions professionnelles,
adhérèrent au marxisme ou au catholicisme social." (p.230)

-Victoria de Grazia, "Le patriarcat fasciste. Mussolini et les Italiennes (1922-


1940)", in Françoise Thébaud (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 5
"Le XXe siècle", Perrin, 2002 (1992 pour la première édition), 765 pages,
pp.197-232.

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1980
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Giovanni Gentile : https://www.amazon.fr/Entre-philosophie-politique-gentile-


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http://hydra.forumactif.org/t1159-a-james-gregor-giovanni-gentile-philosopher-
of-fascism#1793

http://hydra.forumactif.org/t1161-evelyne-buissiere-giovanni-gentile-et-la-fin-
de-l-auto-conscience#1795

http://hydra.forumactif.org/t1162-jean-yves-fretigne-les-conceptions-educatives-
de-giovanni-gentile-entre-elitisme-et-fascisme#1796

Antonio Labriola (1843-1904): « C’est Antonio Labriola, le plus grand


marxiste italien et peut-être européen de son temps, qui fut en Italie l’un des
plus fervents apôtres de la colonisation en Afrique du Nord. » -Serge Audier,
Néo-libéralisme(s). Une archéologie intellectuelle, Paris, Éditions Grasset et
Fasquelle, 2012, 631 pages, note 2 p.611.

"Un processus parallèle de désignation eut lieu en Italie. À la fin de 1904, au


lendemain d’une première grève nationale qui mit en émoi tout le pays, la
gauche révolutionnaire du Parti socialiste commença à invoquer le «
syndicalisme révolutionnaire ». La référence au mouvement français, et donc en
quelque sorte la paternité de celui-ci, étaient indéniables puisque le mot même
de « syndicat » était inconnu en italien dans l’acception française (on parlait en
ce sens de « résistance » – comme jadis en France – ou de « ligue »), ce qui
permettait, de façon non anodine, de nommer ce courant par l’abréviation de
sindacalismo (« syndicalisme »).

Arturo Labriola, mentor de cette mouvance naissante, connaissait bien la


France pour y avoir été en exil (1898-1899) tout comme l’œuvre de Sorel qu’il
citait souvent et dont, en 1903, il avait publié dans son hebdomadaire
milanais Avanguardia socialista la brochure très ouvriériste sur L’avenir

1982
socialiste des syndicats. Les contacts entre un versant et l’autre des Alpes furent
fréquents. Les militants italiens réservèrent un bon accueil aux articles de Sorel,
Lagardelle et Gustave Hervé qui les payèrent en retour en leur ouvrant
généreusement les colonnes de leurs périodiques (le Mouvement socialiste, la
Guerre sociale), ainsi que le fera plus tard la Vie ouvrière. Différemment que
pour la France, le syndicalisme révolutionnaire représentait, jusqu’au
néologisme qui le désignait, une grande nouveauté pour l’Italie. Mais il ne fait
guère de doute que sa naissance et son essor tenaient plus à des raisons
nationales qu’à l’importation d’idées qui seraient demeurées stériles sans un
terreau préparé à les recevoir."

"En Italie, le cours libéral que Giovanni Giolitti imprima aux gouvernements qui
se succédèrent à partir du printemps 1901 bénéficia de la bienveillance des
parlementaires socialistes en échange de la neutralité de l’État dans les conflits
sociaux. De nombreuses grèves spontanées se déroulèrent avec succès en 1901
et 1902. Le mouvement paysan (composé de salariés et de métayers) prit son
envol, surtout en Émilie. Mais c’était sans compter avec le faible niveau
d’organisation et d’encadrement des travailleurs du Midi qui s’exposaient, lors
de conflits devenus plus âpres à la suite du renversement de conjoncture en
1903, aux fusillades des forces de l’ordre ; en se répétant, ces répressions
sanglantes suscitaient parmi les ouvriers conscients de l’Italie une indignation de
plus en plus grande et difficile à contenir. En 1903, il était évident que le souffle
libéral du gouvernement, s’il avait jamais existé, s’était épuisé et que le va-tout
parlementaire du leader réformiste Filippo Turati n’avait plus la cote au sein du
parti.

Dès 1901, l’opposition s’était cristallisée à Naples où les socialistes locaux


(Enrico Leone, Ernesto Cesare Longobardi, Arturo Labriola), qui menaient la
guerre à la camorra liée au parti au pouvoir, n’avaient que faire de la modération
réformiste. Le transfert de Labriola de Naples à Milan, à la fin de 1902, fut une
tentative réussie pour rallier le Nord à la cause des socialistes révolutionnaires.
Ceux-ci obtinrent une majorité limitée mais retentissante lors du congrès
régional de Lombardie qui eut lieu à Brescia en février 1904 (Lafargue et
Kautsky les en félicitèrent) et, en alliance temporaire avec le centre-gauche
intransigeant d’Enrico Ferri, la direction du parti lors du congrès national de
Bologne qui suivit en avril.

1983
En septembre, le déclenchement d’une impressionnante grève spontanée à la
suite de deux nouveaux massacres, en Sardaigne et en Sicile, donna des ailes
aux partisans de Labriola qui, en prenant la tête de la protestation, espérèrent
faire chuter le gouvernement. En tirant le bilan, Labriola constata que le parti
avait été à la traîne du mouvement et que « le prolétariat italien commen[çait] à
avoir une conscience si claire de sa position de classe qu’il n’allait plus avoir
besoin du parrainage d’un parti politique distinct des organisations de métier,
Avanguardia socialista,… ». Les labrioliens conjuguèrent alors les thèmes de la
violence et de la grève générale (que le tout récent congrès international
d’Amsterdam avait débattue) à celui de l’action directe que confortait la reprise
des luttes ouvrières au cours de 1904 : le syndicalisme révolutionnaire italien
était né."

"En Italie le Parti socialiste (Psi) exerçait une emprise sur le mouvement ouvrier
encore plus forte. À l’inverse du cas français où les sectes politiques avaient
pullulé, il avait toujours été unique depuis sa fondation en 1892 et avait précédé
la naissance, en 1906, de la confédération des syndicats. Dans un pays où la
structure de la classe ouvrière reflétait le caractère segmenté et inégal du
développement capitaliste, le socialisme était une référence nationale
incontournable pour unifier politiquement, ou au moins sentimentalement,
l’ensemble des opprimés. C’est tout naturellement que le syndicalisme
révolutionnaire avait surgi en son sein. La conjoncture poussait de surcroît les
dissidents à ne pas rompre brutalement avec le parti.

Les difficultés que le « syndicalisme » rencontrait sur le terrain de l’organisation


économique à cause d’une contre-offensive patronale qui fit chuter en 1905 le
taux des grèves globalement victorieuses, le découragement qui suivit l’échec de
la lutte des cheminots, inspirée par les syndicalistes, pour la défense du droit de
grève, la même année, et la faillite d’une nouvelle grève générale contre les
fusillades meurtrières des forces de l’ordre, en 1906, étaient autant de signaux
qui incitaient à la prudence."

"Au début de leur expérience, les syndicalistes italiens théorisèrent, contre Sorel
et contre leurs amis confédéraux français, l’usage du parlement par les
organisations ouvrières elles-mêmes. Pour Leone, la présence au Parlement
aurait fourni une tribune à l’action directe et un moyen de contrôler la
législation relative aux questions ouvrières, pour Labriola, un moyen de
surveiller la garantie des droits collectifs et individuels dans le cadre particulier
1984
de l’institution monarchique. C’est pourquoi ce dernier incita, en 1905, à une
campagne en faveur du suffrage universel."

"En 1912, au moins 170 militants révolutionnaires étaient emprisonnés et 60 en


fuite à l’étranger."

"La fonction d’organisateur, dans un nombre de cas assez fréquents, rémunérée


ou indemnisée, exigeait une grande disponibilité et, pour les militants itinérants,
rendait quasiment impossible l’exercice d’une autre profession. Cette fonction
était pourtant aléatoire non seulement à cause de contextes politiques locaux
changeants, mais aussi à cause de la solvabilité incertaine des organisations –
au moins jusqu’en 1910 – qui étaient parfois contraintes, en période de
marasme, de réduire les dépenses de fonctionnement. Selon notre enquête, les
rémunérations éventuelles correspondaient, au minimum, au traitement d’un
instituteur en ville (soit 1200 L), au maximum, à celui d’un préposé de l’État
(soit 2220 L ; à titre de comparaison, le rédacteur en chef du quotidien
socialiste l’Avanti ! touchait en 1903 3000 L).

Les militants étaient jeunes, parfois à peine majeurs – aussi monopolisaient-ils


la Fédération de la Jeunesse socialiste –, mais la plupart approchaient la
trentaine et avaient déjà à leur actif un passé militant. Leur travail d’agitation
semi-professionnel représentait tantôt une promotion militante à l’intérieur du
métier, tantôt une solution de rechange à un renvoi pour fait de grève, tantôt un
choix lié à l’abandon des études et de la carrière correspondante. Pour
caractériser ces militants de l’idée syndicaliste, on peut dire qu’ils étaient à mi-
chemin entre le chevalier errant et le fonctionnaire permanent. Parmi eux se
trouvait des ouvriers, des employés, mais aussi nombre d’intellectuels ou demi-
intellectuels."

"Le groupe d’intellectuels qui participèrent à la naissance et à la direction du


courant syndicaliste à ses débuts s’étaient formés dans les universités pendant
les tumultueuses années quatre-vingt-dix. Ils faisaient partie d’une génération
qui avait eu massivement accès à l’Université alors que les débouchés
correspondants faisaient défaut. Ces étudiants, fils d’employés et d’artisans,
parfois de bourgeois, étaient voués à grossir les rangs dudit prolétariat
intellectuel. Ils manifestaient leur inquiétude par une agitation politique
permanente qui prit les couleurs de l’engagement républicain et socialiste, voire
garibaldien pour ceux qui s’engagèrent pour libérer la Crète en 1897. Tantôt

1985
marqués par une révolte antibourgeoise individualiste, messianique et
vaguement bohémienne (qui en appelait à Giosuè Carducci, le poète national, à
Zola, Shelley, Carlyle et Ruskin) tantôt par la foi positiviste en la rédemption
par la science (via Achille Loria et Marx), ils devinrent, souvent au prix
d’études négligées ou interrompues, des propagandistes enthousiastes et des
organisateurs infatigables auprès des masses – aussi, à cet égard, pourrait-on
les comparer aux populistes russes. C’est ainsi que la frustration qu’ils
ressentaient du fait d’un diplôme déprécié qui les privait de la reconnaissance
sociale escomptée trouvait un pendant dans la frustration des masses, souvent
celles les plus démunies et écartées des bénéfices de la croissance économique.
Le syndicalisme révolutionnaire réussissait le pari inouï de réunir dans la même
conscience d’un état d’exclusion sociale l’intellectuel féru de droit, d’économie,
et l’ouvrier agricole analphabète."

"La génération suivante d’intellectuels, qui adhéra aux idéaux syndicalistes


après la scission de 1907, respecta l’antintellectualisme professé par le
syndicalisme lui-même en se cantonnant davantage à un militantisme de plume.
Il est vrai aussi que les possibilités de carrière professionnelle dans
l’Université, l’édition, la grande presse et en général dans le tertiaire s’étaient
sensiblement accrues."

"Avec le déclenchement de la guerre coloniale en Libye à l’automne 1911,


l’antimilitarisme prit les couleurs de la lutte contre l’autoritarisme dynastique et
la politique réactionnaire de l’État. Mis à part quelques rares intellectuels de
renom (Angelo Oliviero Olivetti, Paolo Orano et Labriola qui toutefois se
rebiffa), tout l’état-major syndicaliste révolutionnaire s’engagea à fond dans la
protestation – qui réunit à Parme 30 000 manifestants – en essuyant un très
grand nombre d’inculpations. Sur cette lancée, l’antimilitarisme devint un axe
majeur de l’agitation révolutionnaire d’avant-guerre."

"À Mirandola, dans le Modénais, Ottavio Dinale, qui organisait depuis 1901 les
ouvriers agricoles auxquels s’étaient joints les métayers, conduisit avec succès
une série de luttes qui s’épuisèrent toutefois en 1906 avec sa fuite en exil. Il
avait été le premier à subir l’ostracisme du Parti socialiste et à tenter en
conséquence un rapprochement avec les anarchistes. Ce fut ensuite le tour du
Ferrarais où Umberto Pasella fut appelé pour régler le conflit d’Argenta qui
impliquait l’ensemble des paysans et qui déboucha, en 1907, sur trois mois de
grève intense – avec la nouveauté de l’hébergement solidaire de 1200 enfants de
1986
grévistes dans d’autres régions ! Peu après la conclusion heureuse de cette lutte,
il dirigea à Copparo une grève très dure des seuls journaliers – souvent des
chômeurs –, avec incendies de récoltes et de granges, qui sembla à Sorel l’« un
des grands événements de l’époque, mais qui se solda par une cinglante défaite,
par l’emprisonnement de l’agitateur et par la fuite en Autriche du maire pro-
syndicaliste. Pendant cette même année 1907, les ouvriers agricoles du
Parmesan, avec à leur tête Alceste De Ambris, menèrent une lutte victorieuse.
La contre-offensive patronale de 1908, qui consistait à renier les accords, fut
sans précédent par sa méthode et sa virulence (création de l’organisation
patronale soudée par le dépôt de chèques en blanc, intimidations musclées,
recours massif aux « travailleurs volontaires » des régions « blanches » de
Lombardie) : elle provoqua en réponse, après deux mois de « lutte héroïque »
que Sorel ne laissa pas sans commentaire, une mémorable grève générale,
étendue à la ville de Parme, qui mobilisa, à la fin du mois de juin, 20 000
travailleurs. La répression fut sans quartiers : après avoir protégé les jaunes, la
cavalerie occupa la chambre du travail et multiplia les arrestations, alors que De
Ambris se sauva à l’étranger. Cet épisode, qui poussa à l’introduction des
machines agricoles, provoqua une vague d’émigration de paysans défaits et sans
travail. Il mit en fait un terme à l’expansion du syndicalisme révolutionnaire
dans les campagnes."

"En 1913, avec 101 000 membres, l’Usi [Union syndicale italienne] parvenait à
un rapport de un à trois avec la CGdL."

"Le 7 juin 1914, journée nationale d’action contre le militarisme, les


événements se précipitèrent : une fusillade meurtrière à Ancône déclencha sur
le champ une vaste protestation qui prit une tournure quasi insurrectionnelle
dans les Marches et en Romagne et s’étendit, sous la forme d’une grève
générale et de combats de rue sanglants, à presque tout le pays. Mais
l’insuffisance de la coordination, le défaut d’objectifs, en dépit des slogans qui
fusèrent contre la monarchie, et les inquiétantes contre-manifestations des
nationalistes indiquèrent que les conditions d’une révolution n’étaient pas
réunies. Ce manque de débouchés politiques fut ressenti cruellement par l’état-
major syndicaliste. Contrairement à ce qu’avaient proclamé Sorel, Labriola et
même Corridoni, la grève, pour étendue qu’elle fût, n’épuisait pas la marche au
socialisme. Une « révision » était nécessaire.

1987
C’était l’avis d’Alceste De Ambris : pour que le mouvement ouvrier, et en
particulier son aile marchante, le syndicalisme, pût s’épanouir, il fallait «
libérer la vie sociale de l’oppression de l’État politique » en développant le
pouvoir fédéré des communes, suivant l’exemple des communes du Moyen Âge
(ou de la Commune de Paris, comme écrivaient par ailleurs les « communalistes
» de Parme). À ce programme de liberté, réalisable sur le terrain de la
politique, toutes les forces révolutionnaires et démocratiques pouvaient
concourir en formant ensemble un « bloc rouge » (c’est dans ce cadre qu’à
Parme, en 1913, De Ambris avait été élu député, consacrant son retour
triomphal après cinq ans d’exil)."

"Les dissidents s’engagèrent à fond dans un combat qu’ils partagèrent avec les
autres composantes de l’interventionnisme de gauche et qui les amena
progressivement à user d’une rhétorique grandiloquente fondée sur les thèmes
de la Patrie combattante, de la classe qui n’est pas contre la patrie mais en son
sein, de l’État qu’il ne fallait plus détruire mais conquérir, de l’effort de tous
pour développer la production nationale, et du patronat non patriote et profiteur
qu’il fallait combattre."

"En mars 1918, Alceste De Ambris créa il Rinnovamento, « revue du


révisionnisme socialiste » prônant des mesures d’expropriation, qui inspirèrent
Mussolini en quête de programme. Il fit partie de la direction de l’Union
socialiste italienne (U.S.I.), regroupement patriotique de syndicalistes et de
socialistes dissidents qui tint son congrès fondateur en mai 1918 et obtint douze
députés aux élections de novembre 1919, dont Labriola."

"L’UIdL, exsangue, demanda à entrer dans la CGdL en mars 1925. En octobre,


tout syndicat non fasciste était privé de pouvoir."

"Portée par l’expansion des luttes sociales qui caractérisèrent les années 1919-
1920, l’Usi ne cessa de croître, passant de 180 000 adhérents à la mi-1919 à
500 000 à la fin de 1920, mais ses forces restèrent toujours très inférieures à
celles de la CGdL : le rapport, constant, fut de un à cinq."
-Willy Gianinazzi, « Le syndicalisme révolutionnaire en Italie (1904-1925). Les
hommes et les luttes », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 2006/1 (n°
24), p. 95-121. DOI : 10.3917/mnc.024.0095. URL : https://www.cairn-
int.info/revue-mil-neuf-cent-2006-1-page-95.htm

1988
Teresa Labriola (1873-1941) : « Les "féministes latines", comme la brillante
Teresa Labriola (qui se livrait à un grand écart idéologique pour concilier
fascisme et féminisme), se situaient aux antipodes des officiels suffisants dont les
bons mots antiféministes circulaient dans les salons romains. » -Victoria de
Grazia, "Le patriarcat fasciste. Mussolini et les Italiennes (1922-1940)", in
Françoise Thébaud (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 5 "Le XXe
siècle", Perrin, 2002 (1992 pour la première édition), 765 pages, pp.197-225,
p.209.

Benedetto Croce (1866-1952): “Le beau n’appartient pas aux choses ; ce n’est
pas un fait physique ; il appartient à l’activité de l’homme, à l’énergie
spirituelle.” -Benedetto Croce, Esthétique comme science de l’expression et
linguistique générale, Paris, 1904, p.93.

https://www.amazon.fr/Histoire-lEurope-au-XIXe-
si%C3%A8cle/dp/2070328007?ie=UTF8&*Version*=1&*entries*=0

Piero Gobetti (1901-1925): « Le rêve tyrannique de Mussolini, ne différant en


rien de la charmante dictature bureaucratique et syndicale conçue par nos
sociaux-démocrates […] représenta précisément le renoncement des individus à
leurs responsabilités, le renoncement des classes aux efforts engagés par leurs
troupes et fut la palingénésie d’une décadence, où les minorités les plus
combatives et les plus dignes allaient être balayées par le chômage et une crise
économique annihilant leur volonté et fatalement propice au retour de cette
économie esclavagiste rêvée par les rhéteurs. »

« Comme l’a montré l’occupation des usines, la signification révolutionnaire du


mouvement ouvrier consiste dans sa capacité à devenir de plus en plus
bourgeoise, alors que trop d’industriels ne savent assumer leurs fonctions
d’épargnants et d’entrepreneurs. Loin d’aller vers son déclin, le système
bourgeois sera ravivé précisément par les fossoyeurs de la bourgeoisie.

Les classes, donc, ont la même valeur ou fonction que les mythes : ce sont des
forces qui se renouvellent et se disputent sans cesse le pouvoir. »

« Invoquer un gouvernement des producteurs, alors que seule la proportionnelle


pourrait agir véritablement comme un instrument de lutte politique et de
formation libre des partis, signifie s’épouvanter de la liberté et se réfugier dans
un corporatisme aussi réconfortant que moyenâgeux. Cette haine des fascistes

1989
pour la politique, en hommage à l’idylle littéraire et à des expédients
économiques pratiques, est la meilleure preuve de la décadence de nos mœurs et
de la faiblesse de ceux qui désirent, en guise de repos, un retour au Moyen
Age. »

« Le gouvernement de Mussolini exile la critique dans les couvents, il offre aux


faibles une religion d’Etat, une garde prétorienne, un philosophe hégélien à la
tête des établissements scolaires ; il annule dans l’Etat éthique toute initiative. Il
offre à l’Italie immature un berceau qui pourrait bien devenir le tombeau des
consciences publiques devenues privées, après avoir éliminé, en s’alliant une
fois de plus avec la ploutocratie, les deux problèmes qui auraient pu constituer
la Bastille du peuple italien : les rapports entre l’Etat et les classes ouvrières ;
la rencontre et l’antithèse entre l’industrie et l’agriculture. »

« Le concept même d’une révolution libérale, considéré d’abord comme un


paradoxe, s’est désormais établi dans l’usage. » -Piero Gobetti, La Révolution
libérale.

http://www.amazon.fr/Du-prince-lettres-Vittorio-
Alfieri/dp/2844853595/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1446415431&sr=1
-1&keywords=Piero+Gobetti

http://www.amazon.fr/Piero-Gobetti-Politcs-Liberal-Revolution/dp/0230602746

http://hydra.forumactif.org/t2125-eric-vial-piero-gobetti-entre-liberalisme-et-
revolution#2837

Carlo Sforza : https://www.amazon.fr/LItalie-telle-que-1914-


1944/dp/B00279HATG/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1462820712&sr=8-
2&keywords=L%27Italie+telle+que+je+l%27ai+vue

Antonio Gramsci (1891-1937): « Toute révolution a été précédée d’une


intense activité de critique, de pénétration culturelle, d’imprégnation d’idées,
s’exerçant sur des agrégats d’hommes, au départ réfractaires, et uniquement
préoccupés de résoudre, jour après jour, heure par heure, pour leur propre
compte, leur problème économique et politique, sans lien de solidarité avec tous
ceux qui partageaient leur condition. »

« Se connaître soi-même signifie être maître de soi, se différencier, se dégager


du chaos, être un élément d’ordre, mais un élément de son ordre propre et de sa

1990
propre discipline à l’égard d’un idéal. Et tout ceci ne peut s’obtenir sans
connaître aussi les autres, leur histoire, la succession des efforts qu’ils ont faits
pour être ce qu’ils sont, pour créer la civilisation qu’ils ont créée, et à laquelle
nous voulons substituer la nôtre. » -Antonio Gramsci, Socialisme et culture, 29
janvier 1916.

« La question de morale et de civilisation la plus importante, liée à la question


sexuelle, est celle de la formation d'une nouvelle personnalité féminine : aussi
longtemps que la femme ne sera pas parvenue non seulement à une réelle
indépendance par rapport à l'homme, mais aussi à une nouvelle façon de se
concevoir elle-même et de concevoir son rôle dans les rapports sexuels, la
question sexuelle demeurera encombrée de caractères morbides et il faudra être
prudent dans toute innovation législative à ce sujet. Toute crise de coercition
unilatérale dans le domaine sexuel conduit à un dérèglement « romantique » qui
peut être aggravé par l'abolition de la prostitution légale et organisée. Tous ces
éléments compliquent et rendent extrêmement difficile toute réglementation du
fait sexuel et toute tentative de créer une nouvelle éthique sexuelle conforme aux
nouvelles méthodes de production et de travail. D'autre part, il est nécessaire de
procéder à une telle réglementation et à la création d'une nouvelle éthique. Il
faut remarquer que les industriels (et particulièrement Ford) se sont intéressés
aux rapports sexuels de ceux qui sont sous leur dépendance et, d'une façon
générale, de l'installation de leurs familles; les apparences de « puritanisme »
qu'a pris cet intérêt (comme dans le cas de la « prohibition » ) ne doit pas faire
illusion; la vérité est que le nouveau type d'homme que réclame la
rationalisation de la production et du travail ne peut se développer tant que
l'instinct sexuel n'a pas été réglementé en accord avec cette rationalisation, tant
qu'il n'a pas été lui aussi rationalisé. » -Antonio Gramsci, Problèmes de
civilisation et de culture, Notes extraites du Cahier V écrit en 1934.

« Le soviet est l'instrument de lutte révolutionnaire qui permet le développement


autonome de l'organisation économique qui va du conseil d'usine au conseil
central économique, qui établit les plans de production et de distribution et
parvient ainsi à supprimer la concurrence capitaliste; le conseil d'usine, comme
forme de l'autonomie du producteur dans le domaine industriel et comme base
de l'organisation économique communiste, est l'instrument de la lutte mortelle
pour le régime capitaliste, dans la mesure où elle crée les conditions dans
lesquelles la société divisée en classes est supprimée, et dans lesquelles est
rendue « matériellement » impossible toute nouvelle division de classes.»
1991
-Antonio Gramsci, Deux Révolutions (1920).

« Jamais comme en ce moment les éléments ouvriers les plus avancés, n'ont eu
besoin de plus de sang-froid. Il faut qu'ils fassent connaître à leurs camarades
la notion exacte des événements sans craintes démagogiques, les convaincre
tous de l'énorme responsabilité qui pèse sur chacun; il faut qu'ils rendent
chaque ouvrier conscient qu'il est devenu un soldat, qu'il a une consigne, qu'il
doit être solidement encadré, dans les rangs prolétariens, et que toute défection,
toute faiblesse, tout geste impulsif doit être considéré comme une trahison
ouverte, comme un acte contre-révolutionnaire. » -Antonio Gramsci,
L'occupation, Sans signature, Avanti !, édition piémontaise, 2 septembre 1920;
édition milanaise, 5 septembre 1920, repris dans Écrits politiques, tome 4.

« Les partis démocratiques servaient à révéler les hommes politiques de valeur


et à les faire triompher dans la concurrence politique; aujourd'hui les hommes
de gouvernement sont imposés par les banques, par les grands journaux, par les
groupes industriels, les partis se sont effrités en une multiplicité de cliques
personnelles. Le Parti communiste, surgissant des cendres des partis
socialistes, répudie ses origines démocratiques et parlementaires. » -Antonio
Gramsci, Le Parti communiste, L'Ordine Nuovo, 11, 15, 4 septembre 1920 et 11,
17, 9 octobre 1920, repris dans Écrits politiques, tome 4.

« Le Prince moderne doit et ne peut pas ne pas promouvoir et organiser une


réforme intellectuelle et morale, ce qui signifie créer le terrain pour un
développement futur de la volonté collective nationale-populaire vers
l'accomplissement d'une forme supérieure et totale de civilisation moderne. »

-Antonio Gramsci, Notes sur Machiavel, sur la politique et sur le Prince


moderne (1931-1933).

« Il ne peut y avoir destruction, négation, sans une construction implicite, une


affirmation. »

« Le langage est à la fois une chose vivante et un musée qui expose les fossiles
de la vie et des civilisations. »

« Toute religion […] est en réalité une pluralité de religions distinctes et


souvent contradictoires. »

1992
« Quand on n'a pas l'initiative de la lutte et que la lutte même finit par
s'identifier avec une série de défaites, le déterminisme mécanique devient une
formidable force de résistance morale, de cohésion, de persévérance patiente et
obstinée. « Je suis battu momentanément, mais à la longue la force des choses
travaille pour moi, etc. » La volonté réelle se travestit en un acte de foi, en une
certaine rationalité de l'histoire, en une forme empirique et primitive de
finalisme passionné qui apparaît comme un substitut de la prédestination, de la
providence, etc., des religions confessionnelles. Il faut insister sur le fait que
même en ce cas, il existe réellement une forte activité de la volonté, une
intervention directe sur la « force des choses », mais justement sous une forme
implicite voilée, qui a honte d'elle-même, d'où les contradictions de la
conscience dépourvue d'unité critique, etc.

[…] Voilà pourquoi il faut toujours démontrer la futilité du déterminisme


mécanique, qui, explicable comme philosophie naïve de la masse, et,
uniquement en tant que tel, élément intrinsèque de force, devient, lorsqu'il est
pris comme philosophie réfléchie et cohérente de la part des intellectuels, une
source de passivité, d'autosuffisance imbécile. »

« La prétention (présentée comme postulat essentiel du matérialisme historique)


de présenter et d'exposer toute fluctuation de la politique et de l'Idéologie
comme une expression immédiate de la structure, doit être combattue
théoriquement comme un infantilisme primitif. »

« Il n'est pas vrai que la philosophie de la praxis « détache » la structure des


superstructures quand elle conçoit au contraire leur développement comme
intimement lié et nécessairement inter-relatif et réciproque. » -Antonio Gramsci,
Carnets de Prison.

« Juger tout le passé philosophique comme un délire et une folie n'est pas
seulement une erreur due à une conception antihistorique, - car dans cette
conception, se trouve la prétention anachronique d'exiger du passé qu'il pensât
comme nous pensons aujourd'hui, - mais c'est à proprement parler un résidu de
métaphysique, car on suppose une pensée dogmatique valable en tout temps et
dans tous les pays, qui devient la mesure de tout jugement sur le passé.
L'antihistoricisme méthodique n'est rien d'autre que de la métaphysique. Que les
systèmes philosophiques aient été dépassés, n'exclut pas qu'ils aient été
historiquement valables ni qu'ils aient rempli une fonction nécessaire : leur

1993
caducité doit être considérée du point de vue du développement historique tout
entier et de la dialectique réelle ; quand on dit qu'ils étaient dignes de tomber,
on ne prononce pas un jugement d'ordre moral ou répondant à une hygiène de
la pensée, formulé d'un point de vue « objectif », mais un jugement dialectique-
historique.» -Antonio Gramsci, Carnet de prisons n°11.

« Qu'est-ce que l'homme ?

C'est la question première, la question principale de la philosophie. »

« L'humanité qui se reflète dans chaque individualité est composée de divers


éléments : 1º l'individu ; 2º les autres hommes ; 3º la nature. Mais le deuxième
et le troisième élément ne sont pas aussi simples qu'il peut sembler. L'individu
n'entre pas en rapport avec les autres hommes par juxtaposition, mais
organiquement, c'est-à-dire dans la mesure où il s'intègre à des organismes qui
vont des plus simples aux plus complexes. Ainsi l'homme n'entre pas en rapport
avec la nature simplement par le fait qu'il est lui-même nature, mais activement,
par le travail et par la technique. Autre chose : ces rapports ne sont pas
mécaniques. Ils sont actifs et conscients, c'est-à-dire qu'ils correspondent au
degré d'intelligence plus ou moins grand que chaque homme en a. Aussi peut-on
dire que chacun se change lui-même, se modifie, dans la mesure où il change et
modifie tout le complexe des rapports dont il est le centre de liaison. »

-Antonio Gramsci, Carnets de Prison.

« Chacun se change lui-même [de manière active et consciente], se modifie,


dans la mesure où il change et modifie tout le complexe des rapports dont il est
le centre de liaison. C'est en ce sens que le philosophe réel est, et doit être
nécessairement identique au politique, c'est-à-dire de l'homme actif qui modifie
le milieu, en entendant par milieu l'ensemble, des rapports auxquels s'intègre
chaque homme pris en particulier. Si notre propre individualité est l'ensemble
de ces rapports, nous créer une personnalité signifie acquérir la conscience de
ces rapports; modifier notre propre personnalité signifie modifier l'ensemble de
ces rapports.

[…] Tout individu est, non seulement la synthèse des rapports existants, mais
aussi l'histoire de ces rapports, c'est-à-dire le résumé de tout le passé. Mais,
dira-t-on, ce que chaque individu peut changer est bien peu de chose, si l'on
considère ses forces. Ce qui est vrai jusqu'à un certain point. Puisque chaque

1994
homme pris en particulier peut s'associer à tous ceux qui veulent le même
changement, et, si ce changement est rationnel, chaque homme peut se
multiplier par un nombre imposant de fois et obtenir un changement bien plus
radical que celui qui, à première vue, peut sembler possible. […]

L'homme [est] riche des possibilités qui lui sont offertes par les autres hommes
et par la société. » -Antonio Gramsci, Qu’est-ce que l’homme ? (1935).

« Un certain moment historico-social n'est jamais homogène, il est même riche


en contradictions. » -Antonio Gramsci, Problèmes de civilisation et de culture
(1930-1935).

« Comme écrivain Gramsci fut la révélation de l’Avanti ! Dans les pages


consacrées à la vie turinoise il eut sa rubrique, Sotto la Mole, à la polémique
corrosive et à la satire acerbe : dans ses écrits on perçut d’emblée un style
féroce, haletant, dialectique, rude mais serein : le désespoir lucide et tragique
de Marx mêlé aux visions de la dialectique historique d’Oriani, et l’art des
correspondances et des constructions harmonieuses propres aux classiques. »

-Piero Gobetti, La Révolution libérale.

« Si Gramsci appartient politiquement au stalinisme, il en est le philosophe le


moins dogmatique, c’est-à-dire le plus libre vis-à-vis de sa direction. Cette
situation est due aux conditions particulières de l’élaboration de son œuvre : le
relatif isolement causé par son enfermement carcéral de 1924 à 1937. Sa
philosophie n’est pas matérialiste, comme il l’affirme lui-même. Pour lui, Marx
n’aurait jamais appelé sa conception « matérialiste », et n’aurait fait que
critiquer le matérialisme français, sans rien en retenir. Marx aurait utilisé le
terme de « dialectique rationnelle », uniquement par opposition à la mystique
hégélienne. Dans cette perspective, Gramsci propose une « philosophie de la
praxis », qui unirait l’histoire, la politique et l’économie dans une seule théorie.
Elle serait la prise de conscience historiciste, dans laquelle toute réalité
correspond à un « rapport humain ».

La philosophie de Gramsci tente d’unifier la dialectique à travers la réunion des


concepts de l’histoire, de l’économie et de la politique. Elle rejette dans le même
temps la caractérisation « matérialiste » de la philosophie de Marx. En effet,
celle-ci implique une division entre la philosophie et l’histoire, comme le fait
Nikolaï Boukharine (1888-1938) dans La théorie du matérialisme historique :

1995
manuel populaire de sociologie marxiste (1921). Il n’y a pas d’un côté une
science de l’histoire, et de l’autre une conception philosophique générale des
choses. Les catégories de l’histoire s’imprègnent dans la totalité de la pensée et
modifient la subjectivité philosophique. Gramsci considère qu’il faut étudier
Kant, car il a pris en compte la relativité de nos connaissances, et leur manque
essentiel d’objectivité. Les connaissances ne reflètent que nos besoins et pas la
réalité en soi. Ainsi, l’historicisme devient la nouvelle structure a priori de la
connaissance, dans laquelle toute idée trouve sa condition de validité. Par
conséquent, les sciences de la nature, qui considèrent la matière comme une
chose objective et non comme un résultat historique, sont à jamais étrangères à
cette philosophie de la praxis. » -Pascal Charbonnat, Histoire des philosophies
matérialistes, Paris, Éditions Kimé, 2103, 706 pages, p.572-573.

« Antonio Gramsci a d’abord été l’un des intellectuels qui a le plus œuvré à
compléter l’analyse marxiste de la superstructure. Dans la perspective
gramscienne, on ne peut comprendre la domination d’une classe sociale comme
la bourgeoisie sans comprendre qu’elle peut susciter le consentement des
classes subalternes. » -Gaël Brustier, Le Front National a-t-il remporté la «
bataille culturelle» ?, Slate.fr, 09.03.2017.

"Gramsci est présenté au public français par Giacomo Cantoni, élève du chef de
file de l’existentialisme italien, formé à la phénoménologie husserlienne, Enzo
Paci. Cantoni propose une vita de Gramsci construite sur la légende de cet
intellectuel, écrivain avant tout, qui dans une filiation romantique et populiste,
va au peuple et découvre un monde qui lui était jusqu’alors inconnu autant qu’il
se découvre lui-même. De ce récit, Sartre peut opposer, avec Gramsci et le
marxisme italien, une « philosophie du sujet » à ce qu’il voit dominant en
France, autour du PCF, une « philosophie de l’objet »."

"Les catholiques hétérodoxes de la revue Esprit opposent le « marxisme ouvert »


de Gramsci ou Lukacs, mais aussi des premiers communistes qui les connaissent
comme le linguiste Georges Mounin ou l’écrivain Claude Roy sans oublier
Edgar Morin, au « marxisme scolastique » devenu dogme d’État à Moscou, et
importé en France par la Section des intellectuels du PCF dirigée par Laurent
Casanova." -Anthony Crezegut, « Le miroir de l’intelligence française. Le néo-
romantisme italien ou la gauche idéale à la lumière de Gramsci (1945-1960) »,
Cahiers d’études italiennes [En ligne], 28 | 2019, mis en ligne le 15 février
2019, consulté le 28 avril 2020.
1996
« Les tentatives de Lukacs, limitées à l’histoire de la littérature et de la
philosophie, me semblent contaminées par un hégélianisme honteux : comme si
Lukacs voulait se faire absoudre par Hegel d’avoir été élève de Simmel et de
Dilthey. Gramsci est d’une autre taille. Les développements et les notes de ses
Cahiers de Prison touchent à tous les problèmes fondamentaux de l’histoire
italienne et européenne : économique, sociale, politique, culturelle. On y trouve
des vues absolument originales et parfois géniales sur ce problème, fondamental
aujourd’hui, des superstructures. On y trouve aussi, comme il se doit quand il
s’agit de vraies découvertes, des concepts nouveaux, par exemple le concept
d’hégémonie, remarquable exemple d’une esquisse de solution théorique aux
problèmes de l’interpénétration de l’économique et du politique.
Malheureusement qui a repris et prolongé, du moins en France, l’effort
théorique de Gramsci ? » -Louis Althusser, « Contradiction et sur-détermination
», La Pensée, décembre 1962, p. 21.

-L’Internationale situationniste, n°12.

« Il importe simultanément de confronter et ses analyses, ses thèses et analyses


aux formes inédites de notre monde, sans craindre d’en discuter les limites :
productivisme, faible sensibilité à l’hyper appropriation des énergies bio-
cosmologiques, timidité sur la question féministe, contradiction entre une
problématique du pluriversum et de la société civile, de ses langages et le
recours à l’Un de la volonté collective et de ses appareils disciplinaires comme
le parti et l’usine. » -"De Spinoza à Gramsci", entretien d'André Tosel avec
1997
Gianfranco Rebucini , 30 mai 2016: http://revueperiode.net/de-spinoza-a-
gramsci-entretien-avec-andre-tosel/

http://www.amazon.fr/Gramsci-suicide-r%C3%A9volution-Augusto-
Noce/dp/2204090581/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1458950638&sr=8-
1&keywords=Augusto-Del-Noce-Gramsci-ou-le-suicide-de-la-revolution

http://hydra.forumactif.org/t1217-james-martin-antonio-gramsci-intellectual-
and-political-context#1854

Guglielmo Ferrero (1871-1942): « En Italie également l’ouvrage [La Fin des


Notables] fut apprécié : l’historien Guglielmo Ferrero (1871-1943), professeur
à l’Université de Genève, remercia D. Halévy en soulignant la qualité du
livre. » -Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Du libéralisme au traditionalisme,
Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2001, 601 pages, p.410.

La République de Weimar (1918-1933) : Ordonner le chaos, fonder la


République. Révolution et guerre civile dans l’Allemagne de Weimar (1916-
1924).

« Il faut donc en conclure d’une part […] et d’autre part, élément essentiel pour
notre raisonnement. »

« Trois choses sont à observer en toute histoire révolutionnaire :

Le régime antérieur, que la révolution a pour but d’abolir, et qui, par sa volonté
de se conserver, devient contre-révolution ;

Les partis, qui prenant la révolution à des points de vue, suivant des préjugés et
des intérêts divers, s’efforcent, chacun de son côté, de l’attirer à eux et de
l’exploiter à leur profit ;

La révolution en elle-même, ou la solution. » -Pierre-Joseph Proudhon, Idée


générale de la Révolution au dix-neuvième siècle, Garnier frères, 1851, 350
pages, p.1.

« Peu importe quels seront les groupes politiques qui triompheront : ce n'est pas
la floraison de l'été qui nous attend, mais tout d'abord une nuit polaire, glaciale,
sombre et rude. [...] Et lorsque cette nuit se sera lentement dissipée, combien
encore vivront, de tous ceux qui ont vécu l'actuel printemps, au visage si opulent
? Que seront-ils tous devenus en leur for intérieur ? » -Max Weber, "Le métier
1998
et la vocation d'homme politique", in Le Savant et le Politique, 1919, "Les
classiques des sciences sociales", 152 pages, p.151.

« [ce pays] où il ne se produit qu'un développement historique sordide... » -Karl


Marx, Friedrich Engels & Joseph Weydemeyer, L'idéologie allemande, trad.
Jean Quétier et Guillaume Fonde, Éditions sociales, GEME, 2014, 497 pages,
p.49.

“We will define a revolution either as widespread collective violence targeted at


changing the political system, or as immediate and substantial constitutional
reform implemented to prevent it.” -Helge Berger & Mark Spoerer, Economic
Crises and the European Revolutions of 1848, The Journal of Economic History,
Vol. 61, No. 2 (Jun., 2001), pp. 293-326, p.296.

« La crise dans tout groupe social est [...] ce moment à haute densité intensive,
ce kairos propice à la brusque révélation de ce qui, dans et par ce groupe, était
inhibé et refoulé ; mais c'est aussi, indissociablement, cet instant où doivent être
prises les décisions qui orienteront radicalement l'avenir du groupe et où
pourtant domine l'indécision résultant de ce que l'incertitude, en raison de la
déroute des routines et du dévoilement soudain de la pluralité vertigineuse des
possibles, y es portée à son faîte. » -André Béjin, Différenciation,
complexification, évolution des sociétés, Communications, 1974, Volume 22,
Numéro 1, pp. 109-118, p.117.

« Les crises sont révélatrices du fonctionnement d’un système politique. » -


Pierre Cosme, L'année des quatre empereurs, 2012, Fayard, 344 pages, p.259.

« Les puissances centrales, considérablement gênées par le blocus, échouent,


faute de contrôle efficace sur la politique alimentaire comme sur l'ensemble des
affaires économiques, à mettre sur pied un système qui nourrisse à la fois
l'arrière et l'armée. Elles font payer à leur population civile un lourd tribut
qu'Ute Daniel évalue pour l'Allemagne à 700 000 morts par malnutrition. [...]
Dès 1916, [les femmes de milieux populaires] sont à l'origine d'émeutes de la
faim qui transforment les villes allemandes en théâtre de la guerre civile. »
(p.123)

« Allemagne où les droits politiques sont octroyés aux femmes le 30 novembre


1918 par décret du Conseil des représentants du peuple, alors que se creuse le

1999
fossé entre SPD et les spartakistes qui ne veulent pas d'une Constituante. »
(p.133)

"Les Allemandes envoient 37 femmes députés à la Constituante de Weimar, mais


aucune des 15 candidates anglaises n'est élue à la Chambres des communes
(élection de décembre 1918)." (p.135)

-Françoise Thébaud, "La Grande Guerre. Le triomphe de la division sexuelle.",


in Françoise Thébaud (dir.), Histoire des femmes en Occident, tome 5 "Le XXe
siècle", Perrin, 2002 (1992 pour la première édition), 765 pages.

« L’Allemagne après 1918, qui connaît coup sur coup une défaite militaire,
plusieurs tentatives révolutionnaires et une crise économique majeure, fournit
ainsi un contexte favorable au développement de croyances assez fantasques
pour apaiser ces peurs et à l’installation d’un régime autoritaire. » - Florence
Delmotte, « Une théorie de la civilisation face à « l'effondrement de la
civilisation » », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2010/2 (n° 106), p. 54-70.

« Malgré tous les attentats et mouvements de masse extrémistes, on pouvait


constater qu’il était possible de mobiliser largement la population autour des
objectifs politiques des partis démocratiques. »
http://hydra.forumactif.org/t4175-horst-moller-le-liberalisme-allemand-dans-
lentre-deux-guerres#5038

« S’il y a un acte politique premier, c’est de mettre fin à la violence, d’établir


l’ordre. » -Nicolas Rousseau, recension de "Marshall Sahlins : La nature
humaine, une illusion occidentale", site de l'auteur, 9 décembre 2010.

« L'influence de la situation internationale [sur la guerre civile] est parfois


indirecte ; une faction peut tenter un coup d’État en espérant bénéficier après
coup d'un soutien extérieur ; le pari peut se révéler juste ou non. » -Pierre
Carlier, Le IVe siècle grec, jusqu'à la mort d'Alexandre, Nouvelle histoire de
l'Antiquité, Éditions du Seuil, tome III, coll. Points, 1995, 353 pages, p.252.

« L’expérience de la conquête et de ses états limites modifie les êtres dans leurs
rythmes et leurs comportements les plus profonds. » -Carmen Bernand et Serge
Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, Tome I « De la découverte à la
conquête, une expérience européenne (1492-1550) », Fayard, 1991, 768 pages,
chapitre VIII « La conquête du Mexique », p.287-325, p.294.

2000
« Le ghetto de la femme était la famille et le foyer domestique ; son
émancipation et son entrée dans la vie publique furent perçues, au même titre
que l’émancipation juive, comme des manifestations typiques de la modernité
qui brisait et bouleversait l’ordre hiérarchique (à la fois national, religieux et
sexuel) de la société traditionnelle. » -Enzo Traverso, « Judéité et féminité :
Rosa Luxemburg», dans Les juifs et l’Allemagne : de la «symbiose judéo-
allemande» à la mémoire d’Auschwitz, 1992, Paris, La Découverte, p. 83-89,
p.83.

"The quote from the English Prime Minister Lloyd George in Vienna’s Neuen
Freien Press shows how dangerous this possibility appeared to the status of
Versailles: “The steady expansion of communism in Germany represents a
grave danger for the whole of Europe. The War has shown what a powerful
people the Germans are when they are put to the test. That’s why a Communist
Germany would be far more dangerous to the world than Communist Russia… I
cannot imagine any greater danger for Europe, yes, for the whole world, than for
there to be a great Communist state in Central Europe, directed and maintained
by one of the world’s most intelligent and disciplined peoples.” " -Karl Otto
Paetel, The National Bolshevist Manifesto, Berlin, 1933, 83 pages, note 5 p.11.

[27 décembre 1918 : la population polonaise se souleva à Poznan, avant l'arrivée


des troupes du maréchal Pilsudski qui reconstituait l'Etat polonais, l'insurrection
se constitua en conseils, comme en Allemagne et en Russie, tout en revêtant un
aspect essentiellement nationaliste.

15 janvier 1919 : Assassinat de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.

21 février 1919 : Assassinat à Munich de Kurt Eisner [à Munich] par le comte


von Arco Valley.

3 mai 1919 : écrasement de la République des conseils de Bavière le,

5 juin 1919 : exécution d’Eugen Leviné à Munich.

13 mars 1920 : Putsch de Kapp.

1921 : Assassinat par des nationalistes de l’ex-ministre et délégué à la


Conférence de Versailles Erzberger.

Mars-avril 1921 : Soulèvement de la Ruhr.

2001
Mars 1921 : Action de mars.

24 juin 1922 : Assassinat de Walter Ratheneau par des nationalistes, dont Ernst
von Salomon.

Octobre 1923 : Insurrection de Hambourg

21 octobre 1923 : Insurrection des sépératistes rhénans à Aix-la-Chapelle;

Novembre 1923 : Putsch de la Brasserie.

12 février 1924 : massacre de Pirmasens.

« Il est bon de se souvenir de ce temps où les défenseurs de la liberté, les


défenseurs d’une Allemagne humaine, étaient victimes d’attitudes hostiles et de
persécutions. Il est bon de se souvenir que ces persécutions ne les firent pas
céder d’un iota dans leurs convictions. D’où leur venait ce courage ? De la
croyance en cette autre Allemagne qui, au cours des siècles, a mis fin à
plusieurs reprises à l’auto-déchirement marqué par le bruit des armes, mêmes
lorsque la force cherchait à lui imposer le silence. » -Henrich Simon, rédacteur
en chef de la Frankfurter Zeitung, discours du 29 octobre 1913 (?). Rapporté
dans Peter Gay, Le suicide d’une République. Weimar 1918-1933, Gallimard,
Tel, 1993 (1968 pour la première édition), 268 pages, p.102.

"La sécurité de la France exige le morcellement de l'empire. [...] "Exécrable


unité" de l'Allemagne, c'est le mot dont M. Anatole France s'est servi pour
parler de l'édifice à détruire. A la cérémonie de Champigny de décembre
dernier, Barrès terminait son discours par ces mots: "La France se bat pour que
l'empire soit terrassé et disloqué"." (p.7)

"Il faudra partager l'Allemagne: cela est dû au salut de la France, cela est dû à
ceux qui meurent pour elle, cela est dû à ceux qui demain dans la patrie en deuil
viendront occuper leur place vide, si l'on ne veut pas qu'une nouvelle guerre,
engendrée d'une paix imprudente, fauche sur les corps à peine refroidis de ses
aînés la génération qui s'élève." (p.7-8)
-Louis Dimier, Les tronçons du serpent : idée d'une dislocation de l'Empire
allemand et d'une reconstitution des Allemagnes, Paris, Nouvelle librairie
nationale, 1915, 137 pages.

« Au cours des ultimes journées de combat, entre le 1er et le 4 novembre 1918,


les marins allemands de Kiel se mutinent, refusant de suivre leurs officiers dans
2002
un baroud d'honneur dérisoire et suicidaire face à la Royal Navy. Les serviteurs
des machines de mort les plus formidables jamais construites par l'homme se
portent à l'avant-garde d'une nouvelle tentative de révolution, comme les marins
russes de Kronstadt un an auparavant. L'empereur d'Allemagne Guillaume II
sait qu'il ne peut plus compter ni sur la troupe ni sur les usines. Le 5 novembre,
il appelle les sociaux-démocrates du SPD au gouvernement pour négocier
l'armistice. Le 7, à Munich, des conseils révolutionnaires de soldats et
d'ouvriers prennent de court les réformistes du SPD, et proclament le lendemain
la République socialiste de Bavière. D'autres conseils de travailleurs contrôlent
aussi Berlin et plusieurs autres grandes villes allemandes lorsque Guillaume II
abdique le 9 novembre, au lendemain de l'armistice.
La révolution allemande va pourtant échouer. Nommé chancelier le même jour,
Friedrich Ebert, le chef du SPD qui n'a cessé de soutenir la guerre, s'appuie
durant les mois suivants sur l'encadrement militaire, la police et les juges pour
mettre en échec la révolution communiste et sauvegarder l'ordre établi. » -
Matthieu Auzanneau, Or Noir. La grande histoire du pétrole, Éditions La
Découverte/Poche, 2016, 881 pages, p.134-135.

« Si elle réalisait un certain ordre bourgeois-libéral sous l'égide de


gouvernements d'abord sociaux-démocrates puis conservateurs-autoritaires, la
République de Weimar a dû sa survie à un pacte avec l'armée pour la répression
de la révolution spartakiste, puis à l'action des syndicats et des partis de gauche
pour la mise en échec d'un putsch de droite soutenu par l'armée. Autant dire
qu'elle était bâtie sur des fondements hautement instables et qu'elle a existé sous
la menace quasi constante d'une guerre civile. » (p.24)

« Dans son usage intensif, de 1921 à 1923, de l'article 48, alinéa 2, habilitant le
Reichspräsident à "prendre toutes les mesures qu'il juge nécessaires pour
préserver l'ordre public", il est vrai qu'Ebert a visé à la fois les menées
révolutionnaires de l'extrême gauche et de l'extrême droite, et qu'il en a usé
"surtout face au gouvernement [fédéral] de droite du Land de Bavière (von
Kahr) dans une crise qui culmina en 1923 avec le putsch manqué d'Hitler et
Ludendorff qui voulaient déborder von Kahr sur sa droite.". » (note 1 p.27)

« Après une période initiale de troubles graves marqués par un usage fréquent
de l’article 48 (1919-1924), suit une période de calme politique où le Parlement
et les partis gouvernent (1924-1929), puis la crise économique de 1929 entraîne

2003
des troubles d’ordre public majeurs, une montée des partis extrêmes et une
présidentialisation du régime (1930-1933). » (note 1 p.29)

-Jean-Claude Monod, introduction à Carl Schmitt, La Dictature. Des débuts de


la conception moderne de la souveraineté à la lutte des classes prolétarienne,
Seuil, coll. "Essais Points", 2000 (1921 pour la première édition allemande), 427
pages.

« Tous les signes autour de nous font apparaître que la dictature


constitutionnelle prévue par l’article 48 va être appelée à jouer
malheureusement un rôle encore plus important que celui qu’elle a eu jusque-là
dans la défense du Reich et de son unité. Les autorités compétentes devraient
être prêtres à cette éventualité et préparées au combat. » -Hugo Preuss,
« Reichverfassungmässige Diktatur », Zeitschrift für Politik, 13, 1924, p.97-113,
p.113.

"Du 29 décembre 1918 au 1er janvier 1919 se tient le congrès de fondation du


Kommunistiche Partei Deutschlands (Spartakusbund) -K.P.D., Parti communiste
d'Allemagne (Ligue Spartakus). - Les deux formations représentant la gauche la
plus conséquente de l'ancienne social-démocratie se réunissent enfin dans le
nouveau parti: le groupe de Rosa Luxemburg et les Communistes internationaux
d'Allemagne (I.K.D.). A ces militants chevronnés vient s'ajouter un certain
nombre de jeunes éléments très combatifs que la guerre a poussés vers la lutte
révolutionnaire. La majorité des délégués s'y prononce contre la participation
aux élections bourgeoises et lance le mot d'ordre "Hors des syndicats !". [...]
Début mars, lors de la "semaine sanglante" à Berlin, les affrontements avec la
troupe conduisent au massacre des communistes." (p.191)
-René Bonamy, Anton Pannekoek [1873-1960]. Chronologie de sa vie et de son
œuvre, in Anton Pannekoek, Darwinisme et marxisme, Les éditions arkhê, 2011
(1909 pour la première édition hollandaise), 248 pages.

« Le 8 novembre, Ernest-Auguste III duc de Brunswick et gendre du Kaiser


abdiquait, suivi par Guillaume II qui, le 9, renonçait à ses droits à l’Empire
mais non à ceux de Prusse, songeant sans doute qu’il venait de sauver le
principal. Ce même 9 novembre, Ernest-Louis, grand-duc de Hesse et du Rhin,
Guillaume-Ernest, grand-duc de Saxe-Weimar-Eisenach, descendaient de leurs
trônes. Les journées des 10 et 11 novembre ne sont guère plus plaisantes à
Bernard III, duc de Saxe-Meiningen-Hildbourghausen, Auguste, grand-duc

2004
d’Oldenbourg, Henri XXVII, prince Reuss. Les 12 et 13, la chute devant être
générale, Léopold IV, prince de Lippe, Aribert, prince d’Anhalt, Ernest II, duc
de Saxe Altenbourg et Frédéric-Auguste III, roi de Saxe, s’effacèrent à leur
tour. »

« Les républicains purs et durs sont minoritaires et complaisants vis-à-vis des


anciennes structures politiques – l’hymne national et les couleurs ne sont pas
modifiés, les fils du Kaiser reviennent, etc. – la présidence de la République est
rapidement dévolue à l’une des plus honorables figures de l’ancienne cour qui
occupe la place que l’on imagine devoir revenir à l’un des petits-fils du
monarque déchu. » -Philippe Gain, « Princes et nobles d'Allemagne des années
1920 à l'effondrement du IIIe reich », Guerres mondiales et conflits
contemporains, 4/2001 (n° 204), p. 15-39.

« La décision de réunir l’Assemblée constituante à Weimar fut prise à l’orogine


pour des raisons de prudence –la ville de Berlin n’était pas sûre, ainsi que
devait l’admettre plus tard Philipp Scherdemann, qui fut Premier ministre de la
République à sa naissance. Mais Weimar en vint aussi à symboliser une
prédiction ou tout au moins une espérance, celle d’un nouveau départ ; choisir
Weimar plutôt que Berlin, c’était reconnaître tacitement l’accusation, largement
répandue par les Alliés pendant la guerre et rejetée avec indignation par les
Allemands, qu’il existait en fait deux Allemagne : celle des fanfaronnades
militaires, de la soumission abjecte à l’autorité, de l’aventurisme agressif à
l’extérieur, du souci obsessionnel de la forme, et celle de la poésie lyrique, de la
philosophie humanisye et du cosmopolitisme pacifique. L’Allemagne avait
essayé la méthode de Bismarck et de Schlieffen ; à présent, elle était prête à
essayer celle de Goethe et de Humboldt. » (p.15)

« La République naquit dans la défaite, vécut dans la tourmente et mourut dans


le désastre, et dès le départ nombreux furent ceux qui observèrent sa gestation
avec une superbe indifférence ou avec ce plaisir malsain que certains prennent
aux souffrances des autres et pour lequel les Allemands ont forgé le terme
évocateur de Schadenfreude que l’on pourrait rendre par « joie maligne ».
Cependant, le choix de Weimar ne fut ni don quichottisme ni décision
arbitraire ; pendant un temps, la République eut vraiment une chance de succès.
Quoi qu’en aient dit certains historiens railleurs, la fin de la République, même
si elle semblait inscrite dans son commencement, n’en était pas moins évitable.
Ainsi que l’a noté Toni Stolper, observateur perspicace et rescapé de Weimar, la
2005
République fut marqué du signe de la créativité au milieu des souffrances, du
labeur au milieu des déceptions répétées, de l’espérance face à des adversaires
puissants et sans pitié. Je pourrais ajouter que c’est précisément ce pessimisme
facile, qui voyait alors (et qui voit encore) la République condamnée dès sa
naissance à l’échec, qui a contribué à l’accomplissement de ses propres
prophéties. Cette fin n’était pas écrite car il y eut des républicains pour prendre
au sérieux le symbole de Weimar et s’efforcer, avec ténacité et courage, de
donner un véritable contenu à cet idéal. » (p.16)

« Les événements de l’hivers 1918-1919, suivis par les bouleversements des


années de fondation de la République, dissipèrent le capital de bonne volonté
accumulé au cours des journées pleines d’espérance qui avaient vu
l’effondrement de l’empire. Nombreux furent ceux qui, après s’être réjouis de la
révolution, en vinrent pour diverses raisons à se sentir déçus par son évolution
et ses conséquences. Les nouveaux conservateurs se prirent à mépriser les
changements que la République apportait ; les révolutionnaires, de leur côté,
critiquèrent les survivances de l’empire. » (p.24)

« Véritable période de troubles, les quatre premières années de la République


furent des années de crise presque ininterrompue. La sanglante guerre civile, la
réémergence de l’armée en tant qu’élément politique, le maintien, en dépit des
tentatives pour la discréditer, de l’alliance –qui avait triomphé sous l’empire-
entre l’aristocratie et l’industrie, la fréquence des assassinats politiques et
l’impunité des meurtriers, le traité de Versailles ressenti comme un diktat, le
putsch de Kapp et les autres tentatives de subversion interne, l’occupation de la
Ruhr par la France et l’escalade vertigineuse de l’inflation- tout cela donnait de
nouvelles espérances aux monarchistes, aux militaires fanatiques, aux
antisémites et xénophobes de tout poil, aux industriels que le spectre des
nationalisations avait dans un premier temps terrifiés et qui n’avaient plus que
mépris pour ces socialistes qui n’osaient pas nationaliser, tout cela contribuait
à faire apparaître la République comme une imposture ou une farce. La
naissance même de la République s’était accompagnée d’un certain burlesque :
elle fut proclamée au début de l’après-midi du 9 novembre 1918 par le
socialiste Philipp Scheidemann, non par conviction républicaine mais par
crainte qu’une république soviétique ne fût instaurée par Karl Liebknecht.
Apprennant quelques minutes plus tard l’initiative de Scheidemann, Friedrich
Ebert s’indigna violamment de l’irrégularité de la procédure. Personne ne

2006
pouvait donc ignorer que la République était venue au monde presque par
accident et avec forces excuses. » (p.26)

« Le pire ennemi de Weimar, et le plus efficace, fut la guerre intestine qui


déchira la gauche républicaine, la lutte, ainsi que la définit Eduard Bernstein,
qui dressa « socialistes contre socialistes », et éclata dès que la République fut
proclamée ; après tout, cette proclamation n’était pas simplement dirigée contre
la monarchie mais également contre les spartakistes.

Ce déchirement était inévitable. L’unité socialiste s’était fissurée au cours de la


guerre et au moment où il avait fallu mettre un terme au conflit ; la révolution
russe et la forme prise par l’effondrement de l’Allemagne, qui donnèrent aux
socialistes une prééminence fragile et assez artificielle, n’étaient pas propres à
restaurer cette unité. Après l’éviction définitive de l’empire, en novembre 1918,
vint le temps de la confrontation pour deux groupes socialistes concurrents ; les
enjeux de la lutte pour le pouvoir étaient considérables, car ceux qui
l’emporteraient détermineraient l’avenir de l’Allemagne : les spartakistes
voulaient faire du pays une république de type soviétique, les socialistes
majoritaires une démocratie parlementaire. Aucune autre alternative ne
semblait possible ; mais c’est l’une des plus terribles ironies de l’histoire
allemande que la lutte intestine pour imposer l’un des deux projets existant ait
fait le lit de forces à la recherche d’une troisième voie : une dictature militaire.
Partout les socialistes se heurtèrent aux socialistes ; les vieilles institutions
ayant été balayées, la révolution offrait de nouveaux et nombreux terrains
d’affrontement. Spartakistes et socialistes moderés se battaient à Berlin et dans
les provinces, dans les réunions politiques et dans les rues, dans les conseils
ouvriers et à l’occasion des funérailles des victimes de la droite. On échangeait
force propos acerbes qui ne seraient ni oubliés, ni pardonnés. Mais les
invectives n’étaient pas tout : chacun en outre était armé, irritable et peu
désireux d’accepter la frustration de la défaite. Un grand nombre d’individus
avaient été formés à tuer et restaient prêts à le faire ; le désordre généralisé
constituait un encouragement aux actions de masse irrationnelles et assurait
une protection aux aventuriers politiques. Pendant presque deux mois le régime
parvint à maintenir une unité de façade parmi les forces de la gauche ; le
gouvernement provisoire de six membres institué le 10 novembre comprenait
trois représentants des sociaux-démocrates majoritaires (S.P.D) et trois
indépendants (U.S.P.D). Mais cela ne pouvait durer ; le 27 décembre, les

2007
indépendants démissionèrent et le fossé ne cessa de se creuser. Il suffisait alors
à l’ennemi de droite de prendre patience.

En fait, la droite ne se contenta pas d’attendre : elle se livre, en toute impunité,


à une débauche de meurtres. Les dirigeants du mouvement spartakiste, Rosa
Luxemburg et Karl Liebknecht, furent assassinés le 15 janvier 199 ; Kurt Eisner,
Premier ministre de Bavière, tomba sous les coups d’un étudiant d’origine
aristocratique le 21 février, et la République soviétique bavaroise, instaurée à la
suite de cet assassinat, fut brutalement renversée par les Freikorps (corps
francs) et par des troupes régulières entre la fin d’avril et le début de mai. Ces
événements ne pouvaient qu’exacerber les rancoeurs fratricides : les
spartakistes accusèrent les socialistes au pouvoir de se comporter en bouchers
complaisants et ambitieux, les socialistes dénoncèrent à leur tour les
spartakistes comme agents russes. » (p.27-29)

« Ebert et ses compagnons furent confrontés à des difficultés propres à


décourager les hommes d’Etat les plus impassibles et les plus expérimentés. Le
désordre était endémique, la population affamé, la démoralisation régnait chez
les intellectuels ; il fallait ramener l’armée au pays, démobiliser la troupe,
cicatriser les plaies, et le temps manquait ; il fallait rédiger une Constitution et
la mettre en pratique. Et, à l’arrière-plan de tout cela, un autre facteur occupait
une place particulière dans l’histoire de Weimar, car les mythes qui
l’entouraient devaient blesser la République plus cruellement encore que la
réalité : le traité de Versailles. » (p.29)

« [La Révolution] offrit des possibilités nouvelles à des individus de talent qui
n’auraient pas eu accès à de hautes fonctions sous l’Empire, ouvrant des
centres de prestige et d’autorité aux professeurs progressistes, aux dramaturges
et metteurs en scène modernistes, aux penseurs politiques démocrates. Hugo
Preuss, l’architecte de la Constitution de Weimar, était un symbole de la
révolution ; en tant que Juif et démocrate de gauche, il avait été tenu, malgré
ses mérites, à l’écart des instances officielles de l’Université et, à présent, lui,
l’étranger, donnait forme à la jeune république, sa république. » (p.33)

« Preuss, que l’hégémonie de la Pruss inquiétait sérieusement, voulait détruire


l’ancienne mosaïque fédérale d’Etats, diviser la Prusse en plusieurs Länder et
réunir certains petits Etats en des unités plus grandes. Son plan ne fut pas
adopté, et parmi ses adversaires les plus acharnés se trouvaient des sociaux-

2008
démocrates peu désireux d’abandonner ce qu’ils venaient d’obtenir, ou (comme
Eisner en Bavière) méfiants à l’égard du régime central. Un compromis
conserva les Etats tels qu’ils étaient et préserva la domination prussienne, sans
rapporter aucun apaisement aux relations troublées entre le Reich et les
Länder. » (p.34)

« La nationalisation des grandes industries connut la même histoire ; projets


ambitieux et bonnes intentions ne se traduisirent jamais en décisions
politiques. » (p.34)

« Les hommes de Weimar commirent une faute encore plus dramatique en


échouant à contrôler ou à transformer les rouages de l’ordre ancien –l’armée,
la fonction publique et les cours de justice. La caste militaire sortait de la
guerre démoralisée, affolée, prête à tous les compromis, et son prestige était
réuné. […] Cependant, après quelques années, ce combinat retrouva son
charisme auprès de vastes cercles du public et alourdit encore le fardeau de la
République avec la légende d’une armée allemande invaincue et poignardée
dans le dos par les ennemis de l’intérieur, Juifs et communistes –la célèbre
Dochstosslegende.

La responsabilité de cette résurgence incomba en grande partie aux dirigeants


de Weimar qui firent de l’ancienne armée un instrument indispensable. Le 10
novembre, au lendemain de la proclamation de la République, Ebert concluait
un accord de vaste portée de vaste portée avec le général Groener et acceptait
l’aide de l’armée dans le maintien de l’ordre. Les troupes regulières, avec
l’assistance de Freikorps hâtivement constitués, tuèrent les militants spartakistes
par dizaines ; le social-démocrate Noske, « chien sanguinaire » de la
République, donna aux troupes de la droite toute latitude pour agir, c’est-à-dire
pour organiser des assassinats. Il y eut des excès de toutes parts. » (p.35)

« Le 2 février 1919, plus d’un mois avant le célèbre décrêt de Noske


commandant à ses troupes de tirer à vue sur quiconque serait trouvé les armes à
la main, et trois mois avant que la terreur blanche laissât éclater sa fureur dans
la République soviétique bavaroise nouvellement conquise, le comte Kessler
prophétisa que le régime actuel ne pouvait durer. » (p.36)

« La même atmosphère irréelle caractérisa le maintien à leur poste des


fonctionnaires impériaux. […] L’administration allemande était célèbre dans le
monde entier pour son efficacité et sa neutralité, mais sous la République elle
2009
utilisa essentiellement ses remarquables compétences à des actes de sabotage ;
apparemment, sa loyauté proverbiale à l’égard de l’autorité hiérarchique ne
s’étendit pas aux ministres sociaux-démocrates ou libéraux. Mais l’exemple le
plus frappant de ce recours sophistique à des principes d’indépendance et
d’objerctivité […] tient à la conduite des juges, procureurs et jurés de la
République. Les juges qui avaient survécu à l’empire reprirent du service après
la révolution ; ils étaient inamovibles et, ainsi que leur comportement devait le
démontrer, inébranlables : ils étaient presque tous issus des ordres privilégiés,
et si leurs liens étroits avec les aristocrates, officiers et politiciens
conservateurs, ne les inclinaient guère à la pitié envers les communistes
inculpés, ils se montraient d’une indulgence courtoise à l’égard des anciens
officiers. […]

Entre 1918 et 1922, les assassinats imputables à des éléments de gauche


s’élevèrent à vingt-deux ; dix-sept de ces meurtres furent sévèrement punis, dont
dix par la peine de mort. Les extrémistes de droite, en revanche, profitèrent de
la compréhension des tribunaux : sur les trois cent cinquante-quatre meurtres
commis par des activistes de droite, un seulement fut rigoureusement puni et pas
même par la peine capitale. Les peines d’emprisonnement appliquées à ces
assassins politiques reflètent le même parti pris : leur durée fut en moyenne de
quinze ans pour les condamnés de gauche et de quatre mois pour ceux de droite.
Des putchistes de droite comme Kapp, qui tenta de renverser la République par
la force et la violence (ses comparses commirent plusieurs meurtres révoltants)
se virent acquittés, libérés pour des questions de procédure ou laisser libres de
s’enfuir à l’étranger. Après l’échec du putsch Hitler-Luddendorff de novembre
1923, le procès des conjurés tourna à la farce politique ; le tribunal laissa les
accusés et leurs avocats insulter le gouvernement de manière extrêment violente
et abjecte et condamna finalement Hitler à cinq ans de Festungschaft, une forme
confortable de détention, peine dont il servit moins d’une année. Les meurtres
de la Sainte-Vehme commis par des « organisations de défense » illégales et par
des groupes paramilitaires d’autodéfense comptent parmi les crimes les plus
atroces d’un siècle riche en atrocités : fanatiques sans travail et ex-officiers
sans emploi possible bâtonnaient à mort des hommes et étranglaient des
femmes, souvent sous le simple prétexte qu’ils les soupçonnaient d’ « activités
antipatriotiques ». Rares furent les meurtiers jugés et rares furent ceux
condamnés ; aucun de ces derniers ne demeura longtemps en prison et ne fut en

2010
aucune façon empêché par la suite de se livrer à des activités criminelles. »
(p.36-37)

« Chaque fois que les juges pouvaient contourner la loi au bénéfice des forces
réactionnaires, ils n’hésitaient pas : Hitler, en tant qu’Autrichien, aurit dû être
expulsé après le putsch, mais on l’autorisa à rester en Allemagne parce qu’il se
jugeait allemand. Les tribunaux agirent par ailleurs avec la plus extrême
rigueur contre les spartakistes, les communistes ou les journalistes candides.
Quiconque se trouvait avoir le rapport le plus ténu avec la République
soviétique de Bavière en était sévèrement chatié ; les personnes qui, dans leurs
écrits, « insultaient » la Reichswehr furent poursuivies et condamnées, même
lorsque leurs critiques se révelaient fondées. » (p.38)

« Professeurs, industriels, politiciens, ils étaient des milliers à Weimar qui


haïssaient les nazis sans pour autant aimer la République. Intelligent, instruits,
peu désireux d’échanger les valeurs de l’empire contre les avantages incertains
de la démocratie, ces hommes furent nombreux, au cours de ces années, à
poursuivre, paralysés par leurs conflits intérieurs, des carrières publiques dont
l’inutilité honorable se voyait ponctuée d’accès d’activité fébrile. Ils apprirent à
vivre avec la République, virent dans son avènement une nécessité historique et
respectèrent certains de ses dirigeants, mais jamais ils n’apprirent à l’aimer et
jamais ils ne crurent en son avenir. On en vint à les désigner par le terme de
Vernunftrepublikaner, de « républicains par raison », par choix intellectuel
plutôt que par conviction. » (p.41)

« Comme l’affirmaient les républicains par raison, la politique violamment


antisocialiste de Bismarck avait, dans le passé, empêché cette réconciliation
[entre classes sociales] qui se retrouvait à présent menacée par la rhétorique
radicale des sociaux-démocrates. La forme de gouvernement était moins
importante que son efficacité à induire une collaboration de classes. » (p.42)

« Les Vernunftrepublikaner jugeaient concevables de collaborer avec l’armée. »


(p.43)

« A l’époque du putsch de Kapp, en 1920, Stresemann excusa les menées


subversives de droite et maintint des contats étroits avec les hommes politiques
et les officiers qui oeuvraient pour rétablir une forme de monarchie. […]
Jusqu’au jour d’août 1923 où il devint chancelier de la République, et même par
la suite, Stresemann conserva certainement l’espoir tenace d’une restauration.
2011
Mais, tout comme ses déclarations primitives en faveur de Weimar manquaient
de sincérité politique, ses déclarations royalistes plus tardives restèrent
purement formelles ; la brutalité de l’extrême droite lui avait enseigné les vertus
de Weimar, les impératifs de la politique intérieure et étrangère firent de lui un
homme d’Etat ayant le sens des responsabilités. » (p.44-45)

« En 1925, l’amosphère était plus paisible en Allemagne qu’elle ne l’avait été


depuis la révolution et la guerre ; la conduite correcte de Hindenburg n’était
pas la cause mais le signe d’une baisse de la température politique. En politique
comme en art, le temps de l’expérimentation révolutionnaire paraissait révolu. »
(p.151)

« Les années de 1918 à 1924, avec la révolution, la guerre civile, l’occupation


étrangère, les assassinats politiques, et l’extraordinaire inflation,
correspondirent à un temps d’expérimentation dans le domaine artistique ;
l’expressionnisme dominait alors autant la politique que la peinture ou la scène.
Entre 1924 et 1929, alors que l’Allemagne connaissait une stabilisation
budgétaire, une baisse de la violence politique, un regain de prestige à
l’étranger et une prospérité généralisée, les arts entrèrent dans la phase de la
Neue Sachlichkeit, la « nouvelle objectivité », du sens des réalités et de la
sobriété. » (p.152)

« Le gouvernement provisoire se divisa le 27 décembre, quand les indépendants


le quittèrent après de vaines et stériles discussions sur l’avenir de l’Allemagne
au sein du cabinet, à l’occasion de rassemblement publics et dans les rues. La
gauche voulait que les soviets eussent tout le pouvoir et souhaitait une
reconstruction complète de la société. Les sociaux-démocrates se prononçaient
pour un régime parlementaire et prônaient une politique attentiste en matière de
transformations économiques et sociales. En décembre, des affrontements dans
les rues firent quelques morts qui laissèrent un souvenir amer. Mais le pays
dans son ensemble soutenait le parlementarisme des socialistes majoritaires. Il
y eut donc, le 19 janvier 1919, des élections nationales pour une assemblée
constituante qui devait se réunir à Weimar ; en dépit du boycott des
communistes, plus de trente millions d’Allemands se rendirent aux urnes. 421
sièges étaient à pourvoir. Le Parti social-démocrate (S.P.D) remporta les
élections avec 11.5 millions de voix et 163 sièges ; le Zentrum catholique, qui
rassemblait des monarchistes et des républicains modérés, obtint un peu moins
de 6 millions de voix et 89 sièges ; le nouveau Parti démocrate (D.D.P), qui
2012
comptait nombre d’intellectuels bourgeois et d’industriels progressistes
distingués, arriva à des résultats remarquables avec 5.5 millions de suffrages et
75 élus : c’est ce parti, riche en talents divers, aux méthodes électorales
décentes, au programme rationnel, qui devait devenir « le seul parti qui perdît à
chaque élection » ; le Parti national allemand (D.N.V.P), rassemblant les
conservateurs de l’empire, qui n’avait changé que de nom, reçut 3 millions des
suffrages et 42 sièges ; les socialistes indépendants déçurent leurs partisans
avec moins de 2.5 millions de voix et 22 sièges ; enfin le Parti populiste (D.V.P)
de Stresemann, nouvellement crée, qui avait des sympathies à droite et
représentait le monde des affaires, obtint 21 sièges avec seulement 1.5 million
de voix. La coalition de Weimar disposait d’un mandat solide. »

« Le meurtre d’Eisner provoqua de nouvelles violences en Bavière, une grève


générale et la proclamation d’une République des conseils socialistes ; cette
dernière fut, à son tour, renversée avec une sauvage brutalité entre la fin d’avril
et les premiers jours de mai par les troupes gouvernementales. L’une des
victimes de ces troubles devait être l’écrivain Gustav Landauer, idéaliste et
communiste de noble stature, battu à mort en prison par des soldats. » (p.185)

« L’Allemagne devenait une république démocratique ; les élections au


Reichstag, le corps législatif de la nation, se faisaient au suffrage universel et la
majorité électorale était fixée à vingt ans ; l’Allemagne demeurait un Etat
fédéral, même si les pouvoirs de plusieurs Länder se voyait sérieusement
réduits. L’exécutif était confié à un gouvernement responsable devant le
Reichstag. Mais l’Allemagne ne devenait pas pour autant un régime strictement
parlementaire : la Constitution lui donnait un président fort, élu pour sept ans
par des élections populaires ; symbole à l’intérieur du pays, le président en était
le représentant sur la scène internationale ; il pouvait dissoudre le Reichstag,
choisir et renvoyer le chancelier, et assumer les pleins pouvoirs si « la sécurité
et l’ordre publics étaient sérieusement troublés ou menacés. » Ainsi le précisait
le célèbre article 48. Par le recours à des procédures comme la représentation
proportionnelle, le référendum et l’initiative populaire, la Constitution était
aussi moderne que son électorat démocratique. » (p.187)

« Le chancelier Bauer cèda la place à son collègue social-démocrate Müller en


mars 1920, après le terrible putsch manqué de Kapp, et Müller préserva l’unité
de la coalition jusqu’en juin. Le putsch de Kapp constituait la première tentative
sérieuse de contre-révolution générale. Depuis l’acceptation du traité de
2013
Versailles, les opposants conduisaient une campagne contre la République et
complotaient pour la restauration de la monarchie. Le 13 mars 1920, les
conjurés passaient à l’action. Une brigade de 6000 hommes menée par le
capitaine de corvette Erhardt marcha sur Berlin, où elle fut saluée par
Ludendorff, et le chef du putsch, le Dr Wolfgang Kapp (fonctionnaire de Prusse
orientale et donc, chose significative, un civil) arriva dans la ville pour exiger le
poste de chancelier. Les troupes refusèrent de tirer sur les rebelles –leurs
compagnons d’armes- et le gouvernement prit prudemment la fuite. Mais les
conjurés étaient inexpérimentés et maladroits, les fonctionnaires civils ne se
rallièrent pas et une grève générale paralysa le « nouveau régime ». Au bout de
4 jours, Kapp et ses collègues « démissionnèrent » et rendirent ce qu’ils
n’avaient jamais conquis. A l’exception de la Bavière, où les réactionnaires
conservaient le contrôle, le gouvernement se trouva renforcé. Noske, jugé trop
indulgent à l’égard des militaires, dut abandonner le gouvernement, mais Kapp
parvint à s’enfuir à l’étranger et la grande purge réclamée avec raison par
Scheideman ne devint jamais réalité. » (p.188)

« Le 24 juin 1922, Rathenau était assassiné par des militants de droite. Traqués
par la police, un des meurtriers fut tué, un autre se suicida ; le troisième fut
condamné à quinze ans d’emprisonnement mais il ne passa que sept ans
derrière les barreaux…la République se montrait toujours généreuse avec ses
ennemis. » (p.190)

« Le 11 janvier 1923, un contingent franco-belge occupa la Ruhr afin


d’exploiter les mines et les usines au profit des puissances victorieuses. Les
Français cherchèrent à pousser la population au séparatisme ; les troupes
d’occupation agirent de manière autoritaire et avec une franche brutalité. Il y
eut des affrontements sanglants. Le gouvernement allemand incita à la
résistance passive. La production s’arrêta. Et l’inflation, qui représentait déjà
une menace sérieuse, échappa alors à tout contrôle ; l’interruption des
échanges commerciaux, la baisse désatreuse des rentrées fiscales, conséquences
de l’occupation de la Ruhr, étaient plus que le mark pouvait supporter. La
Reichsbank essaya d’intervenir, mais ses réserves étaient presque vides et, en
avril 1923, le barrage céda : la monnaie dévalua chaque jour et l’inflation
atteignit des proportions fantastiques : en octobre 1923 une miche de pain ou un
timbre-poste ne se payait plus en millions mais en milliards de marks mais en
billions. Les agriculteurs refusaient de livrer leurs produits, la production
industrielle tomba au plus bas, il y eut des émeutes de la faim, les ouvriers
2014
étaient au bord de la famine, les bourgeois perdirent toutes leurs économies
tandis que les spéculateurs s’enrichissaient. La désintégration économique et le
bouleversement psychologique qui s’ensuirent renforcèrent encore la méfiance
déjà générale à l’égard de la République de Weimar.

Au début d’août 1923, les sociaux-démocrates affirmèrent la nécessité d’une


coalition nationale […] Ebert demanda à Stresemann de former un
gouvernement ; le premier cabinet Stresemann dura jusqu’au début d’octobre et
fut suivi par un second qui se maintint jusqu’à la fin de novembre. Il mit fin à la
résistance passive pour relancer la production et, en novembre, sous la
direction de Hjalmar Schacht, lança une politique économique rigoureuse et
créa un nouveau mark, le Rentenmark, garanti sur l’ensemble des ressources du
pays. Schacht fut récompensé ; il devint président de la Reichsbank. La stabilité
réapparut, même si les difficultés persistaient.

La politique de conciliation de Stresemann exaspéra une droite déjà aigrie et


enhardie par la violence française, ses succès locaux en Bavière et l’incertitude
générale. Au cours de la nuit du 8 novembre 1923 et de la matinée du 9, Hitler,
Goering, Ludendorff et une poignée d’autres personnes organisèrent un putsch
à Munich. Ludendorff, bien évidemment, fut acquitté ; Hitler fut inculpé de
haute trahison mais on le laissa transformer le procès en exercice de
propagande contre la République. Condamné à la peine minimale –cinq ans
d’emprisonnement- il ne devait en fait rester que huit mois en prison ; à sa
libération il avait acquis une véritable stature politique. » (p.191-192)

« En novembre 1923, les sociaux-démocrates renversèrent le gouvernement


Stresemann, l’accusant d’indulgence à l’égard de la subversion de droite et
d’action trop vigoureyse contre le radicalisme de gauche, mais les six cabinets
qui devaient gouverner l’Allemagne entre 1923 et 1928 firent montre d’une
grande continuité : ils eurent tous Stresemnn comme ministre des Affaires
étrangères : quatre d’entre eux furent présidés par Wilhelm Marx, le dirigeant
centriste, et deux par Hans Luther, un fonctionnaire qui n’appartenait à aucun
parti et avait des penchants conservateurs. » (p.193)

-Peter Gay, Le suicide d’une République. Weimar 1918-1933, Gammilard, Tel,


1993 (1968 pour la première édition), 268 pages.

« Les troubles politiques et sociaux qui accompagnent la défaite de 1918


dégénèrent rapidement en une forme de guerre civile, marquée par la
2015
banalisation générale de la violence et par des affrontements d'une grande
férocité entre des mouvements fanatiques de gauche et de droite. » -Pierre de
Senarclens, Le Nationalisme, Armand Colin, 2010.

« L’Allemagne entre dans une ère de croissance lente avec une position
économique internationale détériorée. Cette situation offre un net constraste
avec les performances de l’Allemagne impériale d’avant 1914 ou de
l’Allemagne chrétienne-démocrate d’après 1948. L’expansion commerce
mondiale de l’Allemagne a été sévèrement touchée par le blocus maritime allié
et les mesures de séquestre de biens allemands. » (p.99)

« A la veille de la Grande Crise, en 1928, les exportations allemandes ne


représentent que 9.1% du total mondial contre 13.3% en 1913. » (p.100)

Chômage en pourcentage de la population active : 1.7 (1920), 1.2 (1921), 0.7


(1922), 4.5 (1923), 5.8 (1924), 3.0 (1925), 8.0 (1926), 3.9 (1927), 3.8 (1928),
5.9 (1929), 9.5 (1930), 13.9 (1931), 17.2 (1932), 14.8 (1933). [p.100]

Produit National Brut par habitant en Allemagne et dans d’autres pays (1910-
1930) en dollars : Allemagne : 189.5 en 1910, 268.5 en 1925 ; France : 158.8 en
1919, 243.3 en 1925 ; Royaume-Uni : 227.6 en 1910, 487.7 en 1925 ; États-
Unis : 383.7 en 1910, 804.0 en 1925. [p.101]

« Difficultés de logement dans les villes. Le blocage des loyers, institué le 18


août 1914, est maintenu après la fin de la guerre et se traduit par une baisse de
la construction locative et de l’offre de logement à louer. » (p.102)

« L’hyperinflation des années 1921-1923 s’accompagne d’une réduction


temporaire du chômage, mais celui-ci reprend à partir de partir de 1924 et
dépasse en moyenne 10% de la population des ouvriers syndiqués dans la
seconde moitié des années vingt. » (p.103)

« Au déficit de 6 millions d’habitants causé directement par la guerre il faut


ajouter la chute de population due aux pertes territoriales, soit 6.5 millions
d’habitants. Il faut déduire de ce nombre le rapatriement de 1.3 millions
d’habitants des territoires perdus et l’immigration de 280 000 Polonais et
Russes blancs qui ont fui les troubles dans leurs pays pour s’établir en
Allemagne. » (p.104)

2016
« Les charges de l’après-guerre sont lourdes : il faut payer des pensions à 1.5
millions de blessés ou invalides ainsi qu’à un demi-million de veuves et
d’orphelins ; il faut aussi subventionner le maintien d’emplois pour placer les
démobilisés et payer des indemnités de chômage aux autres, dans le cadre de l’
« Erwerbslosenfürsorge » (assistance aux démobilisés sans moyen d’existence).
Enfin, il faut régler les Réparations, qui pèsent lourdement sur le budget. »
(p.104)

[Influence de la stasis sur la crise d’hyperinflation]

« Les gouvernements qui se succèdent jusqu’en 1923 […] développent les


dépenses civiles, ne serait-ce que pour rattraper les retards accumulés pendant
la guerre en matière d’éducation, de santé ou de transports, mais refusent
d’accroître les impôts sur les revenus ou sur la consommation des ménages. Les
déficits budgétaires persistent donc après la fin de la guerre et l’accumulation
des avances de la Reichsbank destinées à les financer est la cause essentielle de
l’accélération de l’inflation en Allemagne après 1918. […]

Redoutant par-dessus tout le potentiel de trouble que constituent les soldats


démobilisés, les gouvernements successifs interviennent auprès de la
Reichsbank pour qu’elle stimule le redémarrage de l’économie civile par une
politique de crédit bon marché. Alors que les prix subissent déjà une croissance
annuelle à trois chiffres, la Reichsbank continue à fixer son taux d’escompte à
5%. Le premier relèvement intervient seulement dans l’été 1922. En septembre
1923, le taux d’escompte pratiqué par la Reichsbank n’est encore que de 90%.
Durant toute cette période, les taux d’intérêts réels sont donc négatifs : ils
incitent puissamment à emprunter, tandis que l’épargne volontaire se dérobe
progressivement. » (p.105)

« La perte de la confiance dans la monnaie incite les différents partenaires du


jeu économique à se débarasser le plus vite possible de leurs encaisses liquides
et à les transformer en biens réels. L’accélaration du rythme des transactions
crée une nouvelle demande de moyens de paiements, qui se traduit par des
émissions toujours plus importantes. Au cours des années 1920 et 1921, la
masse des billets en circulation fait plus que doubler. Durant l’année 1922, elle
est multipliée par 10. Durant l’année 1923, elle est multipliée par 500 000. »
(p.105)

2017
« En termes d’emplois, l’amélioration est spectaculaire : le taux de chômage,
qui atteint 7% de la population active au début de 1919, passe à 0.6% à la fin de
1922. Les baisses successives du taux de chômage coïncident avec les
accélarations de la hausse des prix. » (p.107)

« Les propriétaires de logements et de terres agricoles enregistrent des pertes,


les loyers et les fermages ne suivant plus la hausse des charges qui leur
incombent. Les rentiers voient fondre leurs revenus et leurs patrimoines.
L’inflation ne touche pas seulement les gens fortunés. En fait, c’est tout un
système de redistribution des revenus entre générations qui, conçu avant 1914,
à une époque de stabilité monétaire, fait naufrage. Pour de nombreux artisans et
commerçants, les rentes devaient tenir lieu de retraite ou de pension de révision
à leur veuve. » (p.107)

[Inflation, ruine des épargnants et antisémitisme]

« Seuls s’enrichissent ceux qui, tournant le dos à la morale traditionnelle ou


comprenant, avant les autres, ce qui est en train de se produire, s’endettent sans
mesure pour acheter des valeurs réelles. Cette crise y est vécue comme un
renversement des valeurs. Que soit pénalisée l’épargne […] et récompensée au
contraire la prodigialité choque très profondément une opinion façonnée par
des siècles de sagesse paysanne et de prédication protestante ou catholique. Cet
épisode laissera des traces durables dans les mentalités. Il permet sans doute de
mieux comprendre l’obsession de la stabilité monétaire qui caractérise les
dirigeants allemands de toutes tendances depuis cette époque. » (p.107-108)

« Les milieux d’affaires réclament avec de plus en plus d’insistance un


redressement monétaire. Gustav Stresemann, dont le parti, le Deutsche
Volkspartei, est soutenu par de nombreux chefs de petites et moyennes
entreprises, est alors investi de la fonction de chancelier. Il obtient du
Reichstag, le 13 octobre 1923, le vote de pouvoirs étendus. Le plan de
rétablissement monétaire comporte deux volets : un plan d’austérité destiné à
mettre fin à l’inflation et la mise en circulation d’une nouvelle monnaie.

Le nouveau ministre des Finances, Hans Luther, prend le contre-pied des


mesures prises depuis l’armistice et adopte un sévère plan d’économies
budgétaires : il supprime les subventions d’Etat aux postes et aux chemins de
fer, diminue le nombre de fonctionnaires et augmente les impôts. Le déficit
budgétaire fait place à un important excèdent pour 1924. » (p.108)
2018
« En novembre 1922, [l’Allemagne] décide unilatéralement de cesser tout
paiement [des réparations]. Le 11 janvier 1923, la Belgique et la France
répondent au manqument allemand en occupant militairement la Ruhr. Le
gouvernement allemand organise alors la résistance passive, prenant en charge
le paiement des salaires des ouvriers en grève. Les autorités d’occupation
répliquent par l’envoi de cheminots français et belges. En quelques semaines, la
production de la Ruhr s’effondre et l’inflation s’accèlère. Le prix de cette
opération (3.5 milliards de Marks-or de janvier à novembre 1923) représente,
pour l’Etat allemand, à peu près le double de ce qu’aurait coûté le versement
des Réparations exigé par les Alliés.

Le 26 septembre 1923, le gouvernement Stresemann ordonne la fin de la


résistance passive. » (p.112)

« Peut-on faire des réparations la cause de l’hyperinflation du début des années


Vingt et de l’entrée précoce de l’Allemagne dans la crise ? Keynes, dans son
ouvrage intitulé Les conséquences économiques de la paix, insiste sur leur effet
inflationniste : des biens, notamment des biens de production, ont été retirés du
circuit économique sans réduction comparable de la circulation intérieure.
Mais, comme nous l’avons vu, la crise monétaire de 1922-1924 est due
essentiellement aux dépenses de guerre, au maintien d’un déficit budgétaire
après 1918 et la politique de crédit bon marché poursuivie par la Reichsbank
jusqu’à l’été 1922. » (p.113)

« La poussée des salaires est telle qu’[…] elle dépasse le simple jeu des
mécanismes de marché. […] Son ampleur excède un renchérissement qui
résulterait seulement d’une pénurie de main-d’œuvre. Une preuve de l’origine
non économique et essentiellement politique de cette hausse de salaire serait le
comportmeent remarquablement uniforme des augmentations accordées dans
les diverses branches d’industries […] La procédure de la négociation de
conventions collectives et le recours à l’arbitrage, hérités de la révolution de
novembre 1918, expliqueraient le phénomène.

Tout se passe comme si le patronat avait voulu acheter un peu de stabilité


politique en donnant des gages importants à l’aile réformiste du mouvement
ouvrier pour contrer une extrême-gauche plus puissante qu’à aucun momen de
l’histoire allemande contemporaine. L’insurrection spartakiste à Berlin en
janvier 199, le gouvernement des Conseils à Munich, les centuries

2019
prolétairennes en Saxe et en Thuringe ou l’insurrection communiste d’octobre
1923 à Hambourg révèlent de façon spectaculaire le danger encouru par la
coalition de Weimar et l’ordre établi. » (p.115)

« L’ensemble des prestations sociales passe de 3% du Revenu national allemand


en 1913 à 9.2% en 1925. » (p.117)

-Michel Hau, Histoire économique de l’Allemagne. XIXème – XXème siècles,


Economico, col « Économies et sociétés contemporaines », 1994, 364 pages.

« Entre les audaces des avants-gardes et la virulence de la lutte menée par


l’opinion conservatrice contre le « bolchevisme culturel », le paysage culturel
témoigne de clivages profonds dans les mentalités. A aucun moment de l’histoire
allemande les différences n’ont été aussi tranchées entre le monde des villes et
celui des campagnes. Alors que Berlin s’affirme comme la métropole la plus
audacieuse de la modernité, la Pomérarie toute proche apparaît comme un
univers d’un autre âge caractérisé par la quasi-absence du fait urbain et
industriel et la prédominance des visions du monde traditionalistes. Loin de
déboucher sur la stabilisation d’une société bouleversée par plusieurs décennies
de développement accéléré, la stagnation économique de l’entre-deux-guerres
exacerbe les tensions liées à la confrontation de croyance et d’intérêts
divergents qui rèflètent des conditions de vie et des traditions culturelles d’une
très grande diversité. » (p.22)

« Le 11 novembre [1918], l’armistice est signé à Rethondes, au prix de


conditions draconiennes, par Matthias Erzberger, le chef de la délégation
allemande. » (p.26)

« Le 5 janvier, une manifestation organisée par l’extrême-gauche à Berlin


tourne à l’émeute insurrectionnelle : c’est le « soulèvement de janvier ». […]
Dans la nuit du 11 au 12 janvier, la tentative insurrectionelle de l’extrême-
gauche […] est violemment reprimée. » (p.27)

« A Berlin, les affrontements et la répression font plus de 1000 morts en mars


[1919]. » (p.28)

« La répression de la République des conseils de Munich, menée par les corps


francs au début du mois de mai, marque toutefois le reflux de cette seconde
vague révolutionnaire qui a débuté en janvier. » (p.28)

2020
« Au lendemain de Versailles [28 juin 1919], la Jeune République allemande
sort de sa phase de gestation. L’agitation révolutionnaire est sur le déclin
depuis le printemps 1919 et le mouvement des conseils s’éteint progressivement
durant l’automne et l’hiver. L’élaboration démocratique des nouvelles
institutions et le règlement de la paix, aussi mal accepté soit-il, témoigne de la
détermination de la nouvelle Allemagne à sortir du provisoire. » (p.31)

« L’adoption de mesures plus radicales, dont la légitimité démocratique aurait


été de surcroît sujette à caution, n’aurait pas manqué d’accroître les risques de
chaos politique politique et de guerre civile dans un pays où les oppositions au
nouvel ordre républicain se multiplient au lendemain de sa mise en place. »
(p.32)

« Le 13 mars 1920, les milieux ultra-conservateurs de l’Union nationale


(Nationale Vereinigung) déclenchent un putsch en collaboration avec les
éléments les plus radicaux de l’armée et des corps francs, sous la direction d’un
haut fonctionnaire, Wolfgang Kapp, et du général von Lüttwitz, le « père des
corps francs ». S’ils bénéficient de la neutralité indulgente de la Reichswehr, qui
refuse d’intervenir contre eux, les putschistes, mal préparés, ne bénéficient
toutefois que d’un soutien limité au sein de l’appareil d’Etat. La grève générale
lancée par les syndicats achève de condamner la tentative insurrectionnelle qui
n’aura duré que quatre jours. En 1921 et en 1922, la menace représentée par
l’opposition de droite et d’extrême droite change de nature, mais conserve son
caratère de grande gravité. Nombre d’anciens des corps francs, qui ont été
dissous conformément aux clauses du traité de Versailles, se sont en effet
regroupés au sein de sociétés secrètes dont la principale activité est un
terrorisme meurtrier qui vise les représentants des partis politiques favorables à
la république. Alors que Philipp Scheidemann échappe de peu à la mort, le
signataire allemand de la paix de Versailles, Matthias Erzberger, est assassiné
en août 1921, après avoir été l’objet plusieurs mois durant d’une violente
campagne de diffamation orchestrée par la droite antidémocratique. » (p.33)

« En mars-avril 1920, la mobilisation des ouvriers consécutive au putsch Kapp


dégènére en des troubles violents. Dans la Ruhr, l’ « Armée rouge » des
grévistes insurgés s’oppose aux unités des corps francs et de la Reichswehr : les
combats et une répression particulièrement brutale font plus de mille victimes.
Sur le plan politique, l’USPD poursuit sa radicalisation, mais se disloque sur la
question cruciale de l’adhésion à la IIIème Internationale. En octobre 1920,
2021
l’aile gauche majoritaire rejoint le KPD, qui devient alors le fer de lance de la
contestation d’extrême gauche. En mars 1921, c’est à l’initiative d’un parti
communiste revigoré par cet apport de sang neuf que de violentes grèves
insurrectionnelles secouent l’Allemagne centrale, la Ruhr et la région de
Hambourg. Les affrontements font près de 200 morts. […] situation de semi-
guerre civile. » (p.34-35)

« En Saxe, le gouvernement régional social-démocrate soutenu par le KPD a


autorisé la constitution de formations paramilitaires, les « centuries
prolétariennes », dont la mission est de s’opposer à toute tentative de putsch de
l’extrême-droite. Dans ce Land, comme en Thuringe voisine, les communistes
font leur entrée au gouvernement début octobre [1923]. Depuis que la situation
en Allemagne a été décrétée révolutionnaire par le politburo du Parti
communiste russe, le KPD multiplie les préparatifs en vue d’un « octobre
allemand » […] A la fin du mois d’octobre, bien que la nomination des ministres
communistes se soit déroulée dans la légalité, le gouvernement Stresemann
réagit en faisant investir les principales villes de Saxe par les troupes de la
Reichswehr : les « centuries prolétariennes » sont dissoutes, le gouvernement
régional est suspendu et un commissaire est nommé par Berlin. » (p.35)

-Jean Solchany, L’Allemagne au XXème siècle, PUF, coll « Nouvelle Clio », 490
pages.

« A cette époque, l’Allemagne était une démocratie libérale. Le régime était


connu sous le nom de République de Weimar. A la lumière du document
politique de l’Allemagne récente qui fait le plus autorité –les Pensées et
souvenirs de Bismarck- le choix de Weimar se révèle être un choix contre
Bismarck. Aux yeux de Bismarck, Weimar représentait le rapprochement avec
l’Ouest, voire la dépendance intime des Allemands par rapport aux Français et
surtout par rapport aux Anglais, et une aversion correspondante envers tout ce
qui était russe. Mais Weimar était surtout l’endroit où avait vécu Goethe,
l’homme qui avait vu l’effondrement du Saint Empire romain germanique, et la
victoire de la Révolution Française et de Napoléon –Goethe dont la
bienveillante compréhension se manifesta également aux deux adversaires et qui
ne s’est identifié profondément à aucun. En s’attachant à Weimar, la démocratie
libérale allemande proclamait son caractère modéré, son absence de
radicalisme : sa résolution de maintenir un équilibre entre le dévouement aux

2022
principes de 1789 et le dévouement à la tradition allemande la plus haute. »
(p.323)

« La République de Weimar était faible. Elle connut un unique moment de force,


sinon de grandeur : sa réaction énergétique devant le meurtre du ministre juif
des Affaires étrangères. Walther Ratheneau, en 1922. Dans l’ensemble, elle
donna le spectacle pitoyable d’une justice dépourvue de force ou d’une justice
incapable d’employer la force. […] La faiblesse de la République de Weimar
rendait assurée sa destruction rapide. » (p.324)

« Le régime bismarckien tel que le dirigeait Guillaume II avait déjà perdu tout
crédit avant la première guerre mondiale, et qu’il en perdit encore au cours de
cette guerre et à cause du résultat de cette guerre. » (p.324)

« Les juifs allemands durent leur émancipation à la Révolution française ou à


ses conséquences. La République de Weimar leur donna pour la première fois
de pleins droits politiques. » (p.326)

-Leo Strauss, Le libéralisme antique et moderne, PUF, coll. Politique


d’aujourd’hui, 1990 (1968 pour la première édition américaine), 390 pages.

http://hydra.forumactif.org/t3090-la-stasis-dans-lallemagne-de-weimar-1918-
1923?highlight=stasis

http://www.diploweb.com/Mecanismes-des-violences-quelles.html#nb1

http://hydra.forumactif.org/t3265-jean-louis-le-run-les-mecanismes-
psychologiques-de-la-violence#4058

http://hydra.forumactif.org/t3267-lisa-bellinghausen-les-dynamiques-de-la-
violence-comprendre-les-mecanismes-emotionnels-de-la-violence#4060

http://hydra.forumactif.org/t3268-alexandre-dorna-de-la-violence-physique-a-la-
parole-un-point-de-vue-psycho-politique#4061

http://hydra.forumactif.org/t3266-regis-meyran-les-mecanismes-de-la-
violence#4059

https://www.amazon.fr/Grande-Guerre-totalitarisme-brutalisation-
europ%C3%A9ennes/dp/2213677646/ref=pd_cp_14_1?_encoding=UTF8&psc=
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2023
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Harman/dp/2358720720/ref=sr_1_fkmr0_1?ie=UTF8&qid=1486025095&sr=8-
1-
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%A9volution+trahie

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86025305&sr=8-1-
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contre+l%27%C3%89tat

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D=SVRR2QZGSR8NKES7H6SX

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Dupeux/dp/2130425739/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1527340991&sr=
1-
1&keywords=Louis+Dupeux+Histoire+culturelle+de+l%27Allemagne&dpID=3
19XBXC24EL&preST=_SY291_BO1,204,203,200_QL40_&dpSrc=srch

http://www.amazon.fr/Chroniques-allemandes-1918-1935-Kurt-
Tucholsky/dp/2715803494

https://www.amazon.fr/LAllemagne-XIXe-si%C3%A8cle-num%C3%A9ro-
45/dp/201144988X/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1515593401&sr=1-
1&keywords=Sandrine+Kott%2C+L%27Allemagne+du+XIXe+si%C3%A8cle

https://www.amazon.fr/Rise-Fall-Weimar-
Democracy/dp/0807847216/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=15
15593752&sr=1-1-catcorr

https://www.amazon.fr/Fantasm%C3%A2lgories-Klaus-
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r=1-1&keywords=Fantasm%C3%A2lgories

https://www.amazon.fr/Weimar-Republic-Sourcebook-
Paper/dp/0520067754/ref=sr_1_cc_1?s=aps&ie=UTF8&qid=1517332378&sr=1
-1-catcorr&keywords=The+Weimar+Republic+Sourcebook

2024
https://www.amazon.fr/German-History-Marxist-Perspective-
Dorpalen/dp/0814320767/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=148
6752020&sr=8-1

https://www.amazon.fr/LAllemagne-Weimar-1918-1933-G-
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1&keywords=G.+Castellan%2C+L%E2%80%99Allemagne+de+Weimar+1918-
1933

http://www.amazon.fr/Weimar-Jurisprudence-Crisis-Arthur-
Jacobson/dp/0520236815

http://www.amazon.fr/Novembre-1918-une-r%C3%A9volution-
allemande/dp/2748901002/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1446890591&sr=8-
4&keywords=Alfred+D%C3%B6blin

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Tome/dp/2748901010/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&dpID=41A3lJO9fwL&dpSr
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http://www.amazon.fr/Novembre-1918-une-r%C3%A9volution-
allemande/dp/2748900790/ref=sr_1_5?ie=UTF8&qid=1446890591&sr=8-
5&keywords=Alfred+D%C3%B6blin

Walther Rathenau (1867-1922): « Walter Rathenau (1867-1922) a été


l'organisateur, en 1914, d'une mobilisation économique exemplaire de son pays.
Industriel, politicien, écrivain et homme d'Etat, victime de l'animosité de Robert
Musil (personnage principal de L'Homme sans qualités), W. Rathenau est le fils
d'Emil (1838-1915), hommes d'affaires juif et créateur d'Allgemeine
Elektricitäts-Gesellschaft (AEG). Ingénieur, diplomé en physique, chimie et
philosophie, W. Rathenau connaît une brillante carrière: membre du directoire
de l'AEG en 1899, puis président en 1915. Pangermaniste modéré, il crée, en
août 1914, le Département des matières premières de guerre (Kriegs Rohstoff
Abteilung ou KRA), dont l'activité s'étend, par étapes et jusqu'en 1916, à
l'ensemble des matières premières industrielles. Le KRA constitue un modèle de
coopération entre Etat et industrie. Reposant sur la constitution de cartels de
guerre intégrés à l'appareil d'Etat, il tire son succès de trois facteurs:
l'organisation de cartels branche ; la création d'un comité de guerre, qui

2025
contrôle les importations et les exportations, répartit les commandes et les
financements de l'Etat ; la création de sociétés de guerre, notamment en vue de
développer des ersatz. W. Rathenau doit quitter ses fonctions en juin 1916, face
à la pression des sidérurgistes (Krupp, Stinnes, Thyssen) et, surtout, la montée
des militants (Hinderburg et Ludendorff) après l'échec de Verdun. » -Dominique
Barjot, "Le libéralisme face au défi de la guerre totale" in Dominique Barjot,
Olivier Dard, Frédéric Fogacci et Jérôme Grondeux (dir.), Histoire de l'Europe
libérale. Libéraux et libéralisme en Europe (XVIIIe - XXIe siècle), Nouveau
Monde Éditions, 2016, 359 pages, pp.79-94, p.108-109.

http://hydra.forumactif.org/t546-walther-rathenau-ou-va-le-monde-
considerations-philosophiques-sur-l-organisation-sociale-de-demain

Franz Kafka (1883-1924) : http://hydra.forumactif.org/t5221-le-blog-de-


michael-lowy#6223

Ludwig Klages (1872-1956): « As Karl Löwith wrote en 1927, there was a


veritable Klages cult during this period. » (note 117 p.80)

“Klages offered a critique of power, repression, and aggression in which all the
modern alternatives of liberalism, socialism, and capitalism seemed culpable.
From this point of view, Klages’s ideas belonged to the anarchist-liberationist
Asconan, not the authoritarian, tradition.” (p.83)

-Steven E. Aschheim, The Nietzsche Legacy in Germany (1890-1990),


University of California Press, 1994, 337 pages.

Ernst Bertram (1884-1957): « Ernest Bertram’s enormously important


Nietzsche. That work, reissued seven times betweeen 1918 and 1927, played a
crucial role in the history of the völkisch appropriation of Nietzsche and his
transfiguration into a Germanic right-wing prophet.” (p.77)

-Steven E. Aschheim, The Nietzsche Legacy in Germany (1890-1990),


University of California Press, 1994, 337 pages.

“Bertram’s Nietzsche. Versuch einer Mythologie (Nietzsche: Attempt at a


Mythology, 1918) became a key work in Nietzsche interpretation, placing
Nietzsche firmly within a tradition of völkisch right-wing German ideology.” -
Carol Diethe, Historical Dictionary of Nietzscheanism, Lanham and London,
Scarecrow, 2007 (1999 pour la première édition), 358 pages, p.xxv.

2026
Hugo von Hofmannsthal (1874-1929): "La Neuromantik est également
contemporaine du Jugendstil en Allemagne ou des Sécessions viennoise,
munichoise et suisse. Mais tandis que ces mouvements visent à introduire la vie
quotidienne dans l’art et à la styliser par le recours à l’ornement et à la forme
courbe ou géométrique pour restaurer esthétiquement une unité organique du
monde que l’on croyait perdue dans le monde industriel, la Neuromantik, loin
de viser cette réconciliation de l’art et de la vie quotidienne, oppose un contre-
univers au culte de la technique et de la matière. Si le monde du travail et de la
technique est laid, le monde de l’art est beau et affirme son autonomie en
cultivant la perfection formelle telle que la développent les jeunes George,
Hofmannsthal ou Rilke, opposant à la pesanteur de la matière et aux laideurs du
réel une langue épurée et des images stylisées."

"Le culte de la solitude et de la distance par rapport à la vie, comme chez


Hofmannsthal et George, la fuite dans le royaume du rêve, la sensibilité
exacerbée et la passivité érigée au rang de principe font de la Neuromantik un
mouvement dangereux, immature et inapte selon Lublinski à produire une
nouvelle culture."

"Le jeune Hofmannsthal qui, selon Ernst Alker, opère la fusion, caractéristique
de la Vienne fin de siècle, du néo-romantisme et de la fascination pour la
décadence et l’esthétisme aristocratique."

-Florence Bancaud, « La Neuromantik : une notion problématique »,


Romantisme, 2006/2 (n° 132), p. 49-66. DOI : 10.3917/rom.132.0049. URL :
https://www.cairn.info/revue-romantisme-2006-2-page-49.htm

http://www.amazon.fr/Hofmannsthal-renoncement-m%C3%A9tamorphose-
Jean-Yves-
Masson/dp/2864324849/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1458737630&sr=8-
1&keywords=Hofmannsthal%2C+renoncement+et+m%C3%A9tamorphose

http://www.amazon.fr/OEuvres-prose-Hugo-Hofmannsthal-
von/dp/2253131296/ref=sr_1_2?ie=UTF8&qid=1458737738&sr=8-
2&keywords=Hofmannsthal

http://www.amazon.fr/Electre-Chevalier-%C3%A9dition-bilingue-
fran%C3%A7ais-

2027
allemand/dp/2080708686/ref=sr_1_4?ie=UTF8&qid=1458737738&sr=8-
4&keywords=Hofmannsthal

Hermann Broch (1886-1951): https://www.amazon.fr/Th%C3%A9orie-folie-


masses-Hermann-
Broch/dp/2841621634/ref=pd_sbs_14_2?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=Q
PP4D3TH0YX8YDRCVVRB

Hermann Hesse (1878-1957): "Around the turn of the century, the ranks of
confirmed Nietzscheans included Thomas Mann, Heinrich Mann, Martin Buber,
Paul Heyse, Christian Morgenstern, Georg Simmel, Carl Gustav Jung, Robert
Musil, Hermann Hesse, and Rainer Maria Rilke as well as Karl Kraus,
Margarete Susman, Emil Ludwig, Albert Schweitzer, and Max Brod, though not
all remained under Nietzsche’s spell." -Carol Diethe, Historical Dictionary of
Nietzscheanism, Lanham and London, Scarecrow, 2007 (1999 pour la première
édition), 358 pages, p.26.

“Hesse reste toute sa vie un néo-romantique assumé. » -Florence Bancaud, « La


Neuromantik : une notion problématique », Romantisme, 2006/2 (n° 132), p. 49-
66. DOI : 10.3917/rom.132.0049. URL : https://www.cairn.info/revue-
romantisme-2006-2-page-49.htm

http://www.amazon.fr/Hermann-Hesse-po%C3%A8te-ou-
rien/dp/2702143377/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1454765354&sr=8-
1&keywords=Fran%C3%A7ois+Mathieu%2C+Hermann+Hesse%2C+po%C3%
A8te+ou+rien

http://www.amazon.fr/Lhomme-qui-voulait-changer-
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Hesse/dp/2253174963/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=51LMvhDSl0L&dpS
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T0PFG

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Hesse/dp/2253933279/ref=pd_sim_14_9?ie=UTF8&dpID=41MO8CWXzUL&d

2028
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Hesse/dp/2253933104/ref=pd_sim_14_4?ie=UTF8&dpID=41wGEyLpkSL&dp
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Hesse/dp/2253933767/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&dpID=51EunJUfsJL&dpSr
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VZNVQ

Thomas Mann (1875-1955): « Le principe de non-ingérence, qui se fonde sur


l’idée de la souveraineté de l’État-nation, est impossible à soutenir. » -Thomas
Mann, Cette guerre, Paris, Yago, 2012, p.43.

« L’un de ceux qui a [sic] sauvé l’honneur de l’Allemagne au 20ème siècle. » -


Dominique Pagani.

https://www.amazon.fr/Buddenbrook-d%C3%A9clin-dune-
famille/dp/2253063193/ref=sr_1_4?s=books&ie=UTF8&qid=1500490597&sr=
1-4&keywords=la+montagne+magique

Kurt Tucholsky (1890-1935): http://hydra.forumactif.org/t4338-kurt-


tucholsky#5217

https://www.amazon.fr/Bonsoir-r%C3%A9volution-allemande-Kurt-
Tucholsky/dp/2706102004/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1522430411&
sr=1-1&keywords=Bonsoir%2C+r%C3%A9volution+allemande

2029
https://www.amazon.fr/Chroniques-parisiennes-1924-1928-Kurt-
Tucholsky/dp/2743620595/ref=pd_sbs_14_2?_encoding=UTF8&psc=1&refRID
=D50DF7EZGNEGZ3GE5H27

Alfred Döblin (1878-1941): http://www.amazon.fr/Berlin-Alexanderplatz-


Histoire-Franz-
Biberkopf/dp/2070438368/ref=pd_sim_14_6?ie=UTF8&dpID=41mJ-
BVKBDL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_SR97%2C160_&refRID=0HC2
SXMEEQG5SPEJ7WWN

http://www.amazon.fr/Lart-nest-pas-libre-
agit/dp/2748901754/ref=sr_1_15?s=books&ie=UTF8&qid=1458742847&sr=1-
15

Ernst von Salomon (1902-1972) : "Ernst von Salomon est impliqué dans
l'assassinat de Walther Rathenau. Il est gracié après cinq ans de prison." (p.LV)
-Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire: 1885-1914. Les origines françaises
du fascisme, Gallimard, folio.histoire, 1997 (1978 pour la première édition
française), 602 pages.

https://www.amazon.fr/r%C3%A9prouv%C3%A9s-Ernst-von-
Salomon/dp/2841006077/ref=pd_sbs_14_1?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=
AT33VFJ6CYGVGGB5XPN7

https://www.amazon.fr/Ville-Salomon-Ernst-
von/dp/2070707660/ref=pd_sbs_14_3?_encoding=UTF8&psc=1&refRID=ZGS
C0FXXHBZN7ZX0EBFZ

Robert Musil (1880-1942) : « Musil, qui, à la différence de Kraus, est un


défenseur de la modernité scientifique et technique et de l’héritage des
Lumières. » -Jacques Bouveresse, Le mythe du progrès selon Wittgenstein et
von Wright, Mouvements, 2002/1 (no19), p. 126-141.

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2030
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Hans Fallada (1893-1947) : http://www.amazon.com/More-Lives-Than-One-


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Sigmund Freud (1856-1939): « La vérité en matière biographique est


inaccessible, et si nous pouvions y accéder, elle ne nous serait d’aucun usage
[…] La vérité est impossible, l’humanité ne le mérite pas. » -Sigmund Freud,
« Lettre à Arnold Zweig ».

« Freud ne s’encombre pas du caractère indispensable [des] archives à


l’occasion de ses quelques incursions dans le domaine biographique. » -
François Dosse, Le Pari biographique. Écrire une vie, Paris, Éditions La
Découverte, 2005, 480 pages, p.359.

“Mises was the great champion of subjectivist economic theory, with its radical
observation that the whole shape of the world of economics is ultimately
traceable to values residing in human minds. Freud did the same for the

2031
discipline of medicine and therapy. They both went beyond materialism to find
explanatory power in how and what we think. Both highlighted the awesome
power of the inner life of the individual mind.

To be sure, Mises recognizes all the criticisms that can be justly leveled against
later developments in psychology, particularly its use by the state. He has no
interest in defending that. But as for Freud himself, Mises maintained his
celebration of Freudian psychology all through his life, from his earliest work
until these 1952 lectures, at which point Mises himself was 71 years old. That’s
a long and enduring relationship between one great intellectual and another.” -
Jeffrey A. Tucker, “Why Ludwig von Mises Admired Sigmund Freud”, July 9,
2015: https://fee.org/articles/why-ludwig-von-mises-admired-sigmund-freud/

Carl Gustav Jung : « Le rejet du rationalisme par Jung constitua certainement


une évolution remarquable, et il est exact que, par contraste, Freud suivait la
tradition des Lumières. » -Kōjin Karatani, Transcritique: On Kant and Marx,
London, The MIT press, 2005 (2003 pour la première édition), p.33.

Wilhelm Reich (1897-1957):

Max Hölz et le Parti communiste ouvrier d'Allemagne (1889-1933) :


http://academienouvelle.forumactif.org/t7924-max-holz-et-le-parti-communiste-
ouvrier-d-allemagne#9142

Theodor Adorno (1903-1969) et l’École de Francfort : « L’Institut de


Francfort était profondément hégélien et ancré à gauche. Fondé en 1923 grâce
à diverses donations d’origine privée et rattaché à l’université de Francfort, il
ne commença réellement à fonctionner qu’en 1924 lorsque Carl Grünberg,
vétéran du socialisme, en prit la direction. Lors de la conférence qu’il prononça
pour la cérémonie d’inauguration de l’Institut für Sozialforschung, Grünberg
souligna avec force son rôle de centre de recherches –fonction révolutionnaire
selon la logique candide de Grünberg. » (p.61)

« Mais il fallait bien saisir, expliqua Grünberg pour rassurer son auditoire, que
son marxisme n’impliquait ni alignement sur la doctrine d’un parti, ni
dogmatisme ; les étudiants seraient libres. Cependant, aucun doute ne devait
subsister : la solution que l’Ecole proposerait aux questions sociales pressantes
serait marxiste. » (p.61-62)

2032
-Peter Gay, Le suicide d’une République. Weimar 1918-1933, Gammilard, Tel,
1993 (1968 pour la première édition), 268 pages.

« [Spengler] fait partie de ces théoriciens de la réaction extrémiste, dont la


critique du libéralisme s’avéra à maints égards supérieure à la critique
progressiste. »

« Spengler n’a pas trouvé d’adversaire à sa taille : l’oubli ressemble à une


dérobade. »

« Une des tâches – non des moindres – devant lesquelles se trouve placée la
pensée est de mettre tous les arguments réactionnaires contre la civilisation
occidentale au service de l’Aufklärung progressiste. » -Theodor W. Adorno.

« La réflexion concernant l’aspect destructif du progrès est laissée aux ennemis


de ce dernier. » (p.15)

« De tout temps, l’Aufklärung, au sens le plus large de pensée en progrès, a eu


pour but de libérer les hommes de la peur et de les rendre souverains. Mais la
terre, entièrement « éclairée », resplendit sous le signe des calamités triomphant
partout. » (p.21)

« Les néo-païens et bellicistes allemands veulent libérer le plaisir. Mais, sous


l’oppression séculaire du travail, celui-ci avait appris à se détester, si bien
qu’en période d’émancipation totalitaire il reste vulgaire et mutilé par le mépris
qu’il a de lui-même. » (p.47)

« Tant que l’art renoncera à avoir valeur de connaissance, s’isolant ainsi de la


pratique, la pratique sociale le tolérera au même titre que le plaisir. » (p.48)

«Le rapport de dépendance à la nature, c’est sa domination […] En


reconnaissant avec humilité sa domination sur la nature et en se rétractant en
elle, [l’esprit] détruit sa prétention dominatrice qui l’asservit justement à la
nature. » (p.55)
-Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La Dialectique de la Raison.
Fragments philosophiques, Gallimard, coll. Tel, 1974 (1944 pour la première
édition allemande), 281 pages.

« La formulation de Dialectique négative pèche contre la tradition. La pensée


dialectique veut, dès Platon, que par le moyen de la négation se produise un
positif ; plus tard la figure d’une négation de la négation désigna cela de façon
2033
frappante. Ce livre voudrait délivrer la dialectique d’une telle essence
affirmative, sans rien perdre en déterminité. Le déploiement de son titre
paradoxal est l’une de ses intentions. » (p.8)

« La philosophie qui parut jadis dépassé, se maintient en vie parce que le


moment de sa réalisation fut manqué. Le jugement sommaire selon lequel elle
n’aurait fait qu’interpréter le monde et que par résignation devant la réalité,
elle se serait aussi atrophiée en elle-même, se transforme en défaitisme de la
raison après que la transformation du monde ait échoué. » (p.11)

« La philosophie veut bien plutôt se plonger littéralement dans ce qui lui est
hétérogène, sans le ramener à des catégories toutes faites. […] Elle tend à une
extériorisation (Entaüsserung) intégrale. » (p.18-19)

« La connaissance ne possède complètement aucun de ses objets. Elle ne doit


pas susciter le fantasme d’un tout. […] La pensée non naïve sait combien peu
elle atteint ce qui est pensé et doit toujours pourtant parler comme si elle le
possédait complètement. Ceci la rapproche de la clownerie. Elle a d’autant
moins le droit de nier les traits de cette clownerie que c’est elle seule qui lui fait
naître l’espoir de ce qui lui est refusé. La philosophie est ce qu’il y a de plus
sérieux mais elle n’est pas non plus si sérieuse que cela. » (p.19-20)

-Theodor W. Adorno, Dialectique négative, 1966.

« Adorno lui-même, qu’avait-il à nous offrir, sinon la condamnation globale de


la civilisation industrielle et bureaucratique qui nous emprisonne dans ses
formes « réifiées », sinon l’éloge de la culture des élites féodales ? » -Leszek
Kolakowski, Le Village introuvable, Éditions complexe, 1986, p.11.

« Hannah Arendt […] le détestait »

« [Il fût] dans l’Allemagne de l’après-guerre, l’un des principaux philosophes et


maître à penser des années 1950-1960. » -René-Éric Dagorn, "Theodor Adorno
: « un écrivain égaré parmi des fonctionnaires », EspacesTemps.net, Livres,
06.09.2004.

« Theodor Wiesengrund Adorno est un personnage fascinant et paradoxal:


bourgeois aux goûts raffinés et aristocratiques, il est l’auteur d’une des
critiques les plus dévastatrices de la société bourgeoise moderne; mandarin
universitaire hostile aux agitations étudiantes, il a été l’un des principaux

2034
maîtres à penser de la génération de jeunes allemands rebelles des années
1960; homme des Lumières quant au coeur de ses valeurs et de sa philosophie,
il a impitoyablement déconstruit la rationalité moderne héritée des Lumières;
refusant tout engagement politique, il n’est pas moins resté fidèle, dans l’exil
américain et dans l’Allemagne conservatrice de l’après-guerre, aux idéaux
émancipateurs du marxisme; enfin, typiquement eurocentrique dans tous ses
écrits – où les questions concernant les pays du Sud et leurs cultures brillent par
leur absence – il n’a pas moins été l’un des inspirateurs d’Edward Saïd et du
courant postcolonial contemporain. »

« Disciple du professeur néo-kantien de Francfort Hans Cornelius, et il


présente, sous sa direction, une thèse inaugurale intitulée «La transcendance du
chosal et du noématique dans la phénoménologie de Husserl» (1924); le
chapitre qui traite de cet écrit et d’autres travaux de cette époque est réservé
aux initiés, à ceux qui connaissent bien la différence entre la réduction eidétique
et le noème chosal… (ce qui n’est pas mon cas!) Ce n’est que plus tard – en fait
au début des années 1930 – que Wiesengrund va découvrir le matérialisme
historique, grâce à la lecture d’Histoire et Conscience de Classe (1923) de
György Lukacs – le livre culte pour toute cette génération d’intellectuels de
gauche – et grâce à ses discussions amicales avec Walter Benjamin et Max
Horkheimer, et qu’il va devenir un participant actif de l’Institut de recherche
sociale de Francfort. On peut considérer son livre sur Kierkegaard – publié,
ironie de l’histoire, en janvier 1933, au moment même où un sinistre peintre
autrichien devenait chancelier du Reich allemand – comme son premier ouvrage
marxiste: l’« intériorité » du philosophe danois est analysée et impitoyablement
déconstruite, comme repli du sujet bourgeois sur soi-même, à l’époque du
capitalisme développé, c’est-à-dire de la prédominance de la valeur d’usage. » -
Michael Löwy, « Theodor W. Adorno, ou le pessimisme de la raison », La
Revue internationale des livres et des idées.

« Adorno et Horkheimer ont passé la modernité au crible d’un travail critique


novateur qui enrichit incontestablement le corpus théorique du marxisme et en
affine les instruments. Mais ils n’ont été que des « professeurs », des
consciences critiques du monde, des produits donc de la dislocation de l’unité
organique du marxisme, des pensées « non-intervenantes » -ou si peu. » -Alain
Brossat, Brecht et Lukács, staliniens en situation, L'Homme et la société, Année
1988, Volume 87, Numéro 1, pp. 84-103.

2035
http://hydra.forumactif.org/t2772-raphael-clerget-introduction-a-l-esthetique-d-
adorno#3529

Walter Benjamin (1892-1940): « Un regard qui ne porterait que sur la réalité


la plus proche n'est en mesure, au mieux, que de percevoir un va-et-vient
dialectique entre les formes que prend la violence comme fondatrice et comme
conservatrice de droit. La loi de ces oscillations repose sur le fait que toute
violence conservatrice de droit, à la longue, par la répression des contre-
violences hostiles, affaiblit elle-même indirectement la violence fondatrice de
droit qui est représentée en elle. [...] La chose dure jusqu'au moment où soit des
violences nouvelles, soit les violences précédemment réprimées l'emportent sur
la violence jusqu'alors fondatrice de droit, et de la sorte fondent un droit
nouveau pour un nouveau déclin. C'est sur la rupture de ce cercle magique des
formes mythiques du droit, sur la destitution du droit, y compris les pouvoirs
dont il dépend, et qui dépendent de lui, finalement donc du pouvoir de l'Etat,
que se fondera une nouvelle ère historique. » -Walter Benjamin, Critique de la
violence, août 1921, in in Œuvres, Tome I, Gallimard, coll. Folio essais, 2000,
400 pages, p.242.

« La guerre impérialiste, dans ce qu’elle a précisément de plus dur et de plus


néfaste, est partiellement déterminée par la disparité criante entre les moyens
gigantesques de la technique et l’infime travail d’élucidation morale dont ils
font l’objet. En effet, de par sa nature économique, la société bourgeoise doit
retrancher aussi rigoureusement que possible la technique de la sphère dite
spirituelle, elle doit empêcher aussi rigoureusement que possible la pensée
technique de participer à l’organisation sociale. Toute guerre à venir sera aussi
une révolte de la technique contre la condition servile dans laquelle elle est
tenue. » (p.199)

« Ce qui se profile sous le masque d’abord de l’engagé volontaire de la Grande


Guerre, puis du mercenaire de l’après-guerre, c’est en vérité le fidèle exécutant
fasciste de la guerre des classes, et ce que les auteurs désignent sous le terme de
« nation », c’est une classe de maîtres soutenues par de tels éxécutants, une
classe qui, trônant sur des hauteurs inacessibles, n’a de comptes à rendre à
personne et surtout pas à elle-même ; elle offre la face de sphinx du producteur,
qui promet d’être très bientôt l’unique consommateur de ses propres
marchandises. Avec ce visage de sphinx, la nation des fascistes apparaît comme
un nouveau mystère de la nature, un mystère économique qui s’ajoute à l’ancien
2036
et qui, bin loin d’éclairer celui-ci à l’aide de la technique, en fait ressortir les
traits les plus menaçants. » (p.212-213)

« Tant que l’Allemagne n’aura pas brisé les traits de Méduse dont l’assemblage
lui est présenté ici, elle ne peut espérer aucun avenir. » (p.214)

« Voir dans la prochaine guerre [non] un surgissement magique […] [mais]


plutôt l’image de la réalité quotidienne […] la métatamorphoser […] en une
guerre civile, exécutant le tour de prestidigitation marxiste qui seul est capable
de faire pièce à cet obscur sortilège runique. » (p.215)

-Walter Benjamin, Théories du fascisme allemand. A propos de l’ouvrage


collectif Guerre et Guerriers, publié sous la direction d’Ernst Jünger, 1930, in
Œuvres, Tome II, Gallimard, coll. Folio essais, 2000, 459 pages.

« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus novus. Il représente un ange


qui semble avoir dessein de s’éloigner de ce à quoi son regard semble rivé. Ses
yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l’aspect
que doit avoir nécessairement l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le
passé. Où paraît devant nous une suite d’événements, il ne voit qu’une seule et
unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses
pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus.
Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que
l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers
l’avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lui
s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. » -
Walter Benjamin, Thèses sur la philosophie de l’histoire, éditions Denoël, 1971.

« La description benjaminienne du souverain baroque dans l'Origine du drame


baroque allemand peut être lue comme une réponse à la théorie schmittienne de
la souveraineté. » -Giorgio Agamben, État d'Exception. Homo Sacer, II,1,
Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, 153 pages, p.94.

Herbert Marcuse (1898-1976) : « Comme toute société individualiste, la


société national-socialiste se fonde sur la propriété privée des moyens de
production. » -Herbert Marcuse, « Etat et individu sous le national-socialisme »,
1942.

« Nous sommes tous enfants de Marcuse. Que ce soit par l’intermédiaire


d’Henri Lefebvre ou de Jean Baudrillard, de Jacques Attali ou d’Alain
2037
Touraine, de Jean-François Bizot ou de Brice Lalonde, d’Edmond Maire ou de
Roger Garaudy, c’est de Marcuse que nous sont venus les thèmes dominants qui
font la sensibilité de cette époque. » -André Gorz, « Professeur de liberté », 6
août 1979.

« Nul mieux que Marcuse, dont la pensée procède d'une interprétation marxiste
du freudisme, n'a montré comment la société de consommation parvient, sans
même user de la terreur, à créer un univers totalitaire au sein duquel l'homme
se trouve défiguré. Dominée par une science et une technologie qui, dans la
logique du capitalisme, ont hypertrophié et rendu envahissante l'intelligence
opérationnelle, la société tend de toutes les manières à instrumentaliser
l'homme lui-même et à l'enfermer dans un univers clos, au sein duquel ses
capacités à penser et à réaliser une négation active du monde donné, sont en
train de s'oblitérer. Quoique dans des formes nouvelles, Marcuse fait ainsi
resurgir la perspective menaçante d'une histoire qui ne déboucherait que sur un
enlisement sans fin, dans une oppression indépassable. […]

[Il]redoute[…] que le prolétariat, idéologiquement intégré à la société de


consommation, ait de moins en moins la possibilité de détruire le système de
l'intérieur. […]

Marcuse, cependant, ne tient pas une telle issue pour fatale. Le sombre
diagnostic qu'il formule sur la crise de la civilisation introduit en réalité un
appel à une prise de conscience et à un sursaut de la liberté. Le refus radical,
non pas de la consommation elle-même, mais de la manière d'être, de l'idéologie
et de la finalité même d'une société qui perpétue une sur-répression dont la
puissance même du développement technologique a ruiné la nécessité, peut
servir de point de départ à une résurgence du mouvement vers le socialisme.
Mais celui-ci, naissant d'une négation de la culture et du système de valeur
d'une société industrielle avancée, en sera, à la différence du régime soviétique
qui reproduit la même subordination de l'homme au « principe du rendement »
que le capitalisme, l'antithèse totale. L'exigence marxiste d'un changement
qualitatif de la société, rendant enfin l'homme désaliéné maître de déployer sa
liberté concrète en se donnant le sa propre vie sociale, peut ainsi resurgir mais,
à un stade du développement économique, qui lui permettrait de se réaliser
beaucoup plus rapidement et complètement qu'à l'époque de Marx. Désormais,
il est possible de mettre en œuvre l'utopie, dit Marcuse, qui cependant n'indique

2038
pas de quelle manière, révoltes et contestations pourraient effectivement briser
le capitalisme, si elles cessaient définitivement d'être le fait du prolétariat. »

-Pierre Souyri, Le Marxisme après Marx, 1970.

« Herbert Marcuse […] les randonnées et les feux de bois des Wandervögel. »

« Recommandé par Husserl, Herbert Marcuse rejoint, à Francfort, Adorno et


Walter Benjamin à l’Institut für Sozial Forschung, dirigé par Horkheimer. »

-Gilles Châtelet, « Relire Marcuse pour ne pas vivre comme des porcs », Le
Monde Diplomatique, août 1998, p.22-23.

« Herbert Marcuse entreprend des études de philosophie et soutient en 1932,


sous la direction de Martin Heidegger (il a lu avec passion Être et temps en
1927), une thèse sur L’ontologie de Hegel et le fondement d’une théorie de
l’historicité. Lecteur de Marx (il s’intéresse notamment aux écrits du jeune Marx
et aux Manuscrits de 1844 en particulier), Herbert Marcuse ne se reconnaît
guère dans le marxisme soviétique. Mêlant diverses références (Hegel,
Kierkegaard, Husserl…), les premiers écrits de Herbert Marcuse explorent,
selon l’analyse proposée par Gérard Raulet, une « troisième voie ». Plus
précisément, son but serait, selon l’auteur, « de corriger le marxisme et
l’existentialisme heideggerien l’un par l’autre ». »

« Herbert Marcuse n’exclut pas le recours à des formes d’action contraires aux
lois démocratiques. » -Jean-Marc Lachaud, « Du « Grand refus » selon Herbert
Marcuse », Actuel Marx, 1/2009 (n° 45), p.137-148.

« La tâche d’Herbert Marcuse auprès des services secrets américains (Office of


strategics services) était, parmi d’autres, d’«identifier dans l’Allemagne fasciste
les groupes qui ont contribué à sa croissance économique. ». » -Werner Plumpe,
« Les entreprises sous le nazisme: bilan intermédiaire », Histoire, économie &
société, 2005/4 (24e année), p. 453-472. DOI : 10.3917/hes.054.0453. URL :
https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2005-4-page-453.htm

« Marcuse a signalé depuis longtemps ce dérapage de la dialectique


matérialiste : les rapports de production, loin d’être déconstruits par les forces
productives, se soumettent désormais les forces productives (science, technique,
etc.) et y trouvent une légitimité nouvelle. Là aussi, il faut passer au deuxième
niveau : ce sont les rapports sociaux de domination symbolique qui se

2039
soumettent le mode de production tout entier [sic] (forces productives et
rapports de production tout ensemble). » -Jean Baudrillard, L’échange
symbolique et la mort, Gallimard, 1976, 341 pages, p.50-51.

http://hydra.forumactif.org/t1468-herbert-marcuse-eros-and-civilization-an-
essay-on-liberation-heideggerian-marxism#2120

Bertolt Brecht (1898-1956) : « L'avant-garde ignorait qu'elle enfonçait non des


murs, mais des portes ouvertes, et qu'un succès unanime démentirait sa
prétention à être une minorité révolutionnaire, en prouvant au contraire qu'elle
était sur le point d'exprimer un nouvel état d'esprit de masse, l'état d'esprit de
l'époque. A cet égard, il est particulièrement significatif de voir l'accueil réservé
à l'Opéra de quat'sous de Brecht par l'Allemagne préhitlérienne. La pièce
présentait des gangsters comme de respectables hommes d'affaires, et de
respectables hommes d'affaires comme des gangsters. L'ironie fut un peu perdue
de vue lorsque des hommes d'affaires respectables, dans le public, considèrent
qu'il s'agissait d'une vue pénétrante des réalités du monde, et que la populace
salua dans la pièce une consécration artistique du ganstérisme. Le refrain de la
pièce, "Erst Kommt das Fressen, dann kommt die Moral" [D'abord la bouffe,
ensuite la morale], souleva les applaudissements frénétiques d'absolument tout
le monde, quoique pour des raisons différentes. La populace applaudissait parce
qu'elle prenait l'argument à la lettre ; la bourgeoisie, parce que, trompée depuis
si longtemps par sa propre hypocrisie, elle était lasse de cette tension et trouvait
une sagesse profonde dans l'expression de la banalité qui était sa règle de vie ;
l'élite, parce que la mise à nu de l'hypocrisie était un merveilleux spectacle.
L'œuvre eut un effet exactement contraire à ce qu'avait cherché Brecht. Il n'était
plus possible de choquer les bourgeois ; ils applaudirent la révélation de leur
philosophie cachée, dont la popularité prouvait qu'ils avaient raison depuis
toujours, si bien que le seul résultat politique de la "révolution" brechtienne fut
d'encourager tout un chacun à jeter le masque encombrant de l'hypocrisie et à
accepter ouvertement les critères de la populace. » -Hannah Arendt, Le
Totalitarisme, troisième volume des Origines du Totalitarisme (d'après le texte
de la deuxième édition augmentée de 1958), Gallimard, coll. Quarto, 2002, 1616
pages, pp.609-838, pp.648-649.

Werner Heisenberg (1901-1976) :

2040
La Révolution Conservatrice allemande : « La transformation du sens (ré-
interprétation, Umdeutung) du socialisme par l'idée nationale. On observe
aujourd'hui en Allemagne un phénomène très particulier, confondant à première
vue. Du vacarme étourdissant du marché littéraire né de la fermentation
spirituelle du temps de guerre et de l'écroulement s'élèvent de plus en plus
distinctement les voix de penseurs sérieux annonçant avec une force de
persuasion croissante que l'Allemagne, sans le savoir et sans le vouloir
consciemment, serait entrée à proprement parler dès longtemps avant la guerre
dans la voie de la réalisation pratique du socialisme, [ou encore] que
l'Allemagne serait à tout le moins, du fait de sa constitution spirituelle et de son
développement économique particuliers, propre et appelée à s'engager dans cette
voie dans le très proche avenir, [ou] enfin que tout particulièrement la
conception politique, économique et sociale incorporée dans l'héritage prussien
(Preussentum) , par opposition aux idéaux démocratiques et à l'éthique
économique de l'Angleterre, amènerait à son expression la plus pure l'idée du
vrai socialisme. Une telle transformation des représentations traditionnelles
revient en quelque sorte à arracher au socialisme ses dents révolutionnaires ; elle
apparaît comme un mouvement de défense montant du plus profond du penser et
du vouloir du peuple allemand tout entier - et non de la seule classe ouvrière - et
dirigé contre l'ordre économique capitaliste élevé sur la base de l'individualisme,
tandis que l'individualisme lui-même et ses formes conceptuelles et
économiques sont caractérisés comme des immigrants douteux venus de l'Ouest,
dont c'est la grande mission de l'Allemagne de venir à bout, d'abord chez elle et
ensuite dans le monde. Selon cette conception, le combat contre l'ordre
capitaliste serait la continuation de la guerre contre l'Entente avec les armes de
l'esprit et de l'organisation économique, l'entrée dans la carrière qui conduit au
socialisme pratique, un retour du peuple allemand à ses traditions les plus nobles
et les meilleures. C'est évidemment de certaines représentations éthiques propres
au socialisme que ces penseurs dérivent les affirmations qu'ils présentent fort
différemment, mais toujours avec la même chaleur de persuasion. En même
temps ils refusent uniformément le socialisme sous la forme qu'il a reçue du
marxisme, c'est-à-dire avant tout la doctrine de la lutte des classes comme agent
du développement social et économique. » -Karl Pribram (sociologue de langue
allemande et d’origine tchèque), « Deutscher Nationalismus und deutscher
Sozialismus », Archiv für Sozia/wissenschaft und Sozia/politik, 49, essai de
1922, p.298-376.

2041
« En écrivant The Politics of Cultural Despair (La Politique du pessimisme
culturel), j'ai découvert que les gens qui dénonçaient tous les défauts d'un
monde nouveau, souffraient de la modernité, rêvaient d'un passé qui n'avait
jamais été et d'un futur qui ne serait jamais trouvaient une large audience en
Allemagne. J'ai étudié trois générations de commentateurs et critiques qui, sous
prétexte qu'ils dénigraient les valeurs "occidentales", le matérialisme ou le
libéralisme, étaient salués comme des prophètes et pouvaient donc couvrir du
manteau de l'idéalisme l'antisémitisme le plus grossier et les plus grandes
ambitions impérialistes. Ces hommes faisaient des sermons anti-bourgeois et
déploraient la disparition d'une Allemagne ancienne caractérisée par
l'authenticité de la religion et une véritable communauté. [...] Leurs principes
anti-capitalistes, anti-bourgeois et anti-matérialistes n'étaient pas sans rappeler
certaines pensées du jeune Marx. Bref, j'ai découvert dans les œuvres de
Lagarde, Langbehn, Moeller van der Bruck, et dans la réception faite à ces
œuvres, la version pervertie d'une grande tradition européenne de noble
protestation contre les vices de la société moderne capitaliste et matérialiste. Et
je me suis dit qu'il y avait là un lien entre l'idéalisme européen et le nihilisme de
Hitler. » (p13-14)

« La "révolution conservatrice" et le national-socialisme présentaient beaucoup


de points communs: la critique du système existant, l'aspiration à une
communauté nationale et à une nouvelle foi. Mais la révolution conservatrice
restait sur le plan de la théorie et du rêve ; elle ne combattait qu'avec des idées.
Ses partisans n'en rendirent pas moins de grands services au national-
socialisme. Ce sont eux qui conduisirent les classes supérieures au Troisième
Reich. » -Fritz Stern, Rêves et illusions. Le drame de l'histoire allemande. Saint-
Amand-Montrond, Albin Michel, coll. Les Grandes Traductions, 1989.

« Le bouleversement rapide de la structure sociale à la période impériale se


traduit par des migrations intérieures accrues, et en particulier par
l’accroissement de la population des villes, la poussée de l’urbanisation, la
modification des règles de l’ascension sociale et la décomposition d’une société
bourgeoise de notables jusqu’alors solidement structurée ; c’est sur cette toile
de fond que s’éveille la conscience bourgeoise d’une crise qui se développe à
partir du tournant du siècle. Ce bouleversement se produit aussi bien au niveau
des zones de résidence, qui commencent à perdre leur homogénéité sociale,
qu’au niveau de la gestion des municipalités, où la position jusqu’alors
incontestée des notables bourgeois est désormais concurrencée. Dans le même
2042
registre, la prédominance sociale des segments des couches moyennes
supérieures influencés par la bourgeoisie cultivée, comme des groupes en
ascension récente de la bourgeoisie économique, est menacée, notamment par
l’aristocratie financière nouvelle et souvent d’origine juive. La différenciation
sociale croissante des couches moyennes, qui coïncide avec la montée de la
classe des employés, se traduit par un éclatement très net de la vie associative,
qui représente certes des intérêts bourgeois communs face à la social-
démocratie, mais poursuit aussi des buts tout à fait hétérogènes.

Ces modifications, résumées ici à grands traits, sont perçues d’abord dans le
camp bourgeois comme une crise culturelle, mais elles y suscitent dans le même
temps une autocritique, qui prend à l’occasion la forme de courants
antibourgeois. Le « mouvement de la jeunesse » (Jugendbewegung), qui se veut
un rejet de la sécurité bourgeoise, les mouvements de réforme qui naissent au
même moment et qu’accompagnent des phénomènes sectaires, le vitalisme et
une tendance de plus en plus manifeste à l’irrationalité, tels sont les
phénomènes qui traversent la bourgeoisie et qui, en tant que déviation partielle,
préservent l’ensemble de la structure bourgeoise. Le marginal est toléré tant
qu’il ne met pas en danger cette structure. Cela vaut pour l’acceptation des juifs
assimilés comme pour les marginaux du Monte Verità, les partisans du
naturisme, les anthroposophes et les autres mouvements néo-religieux qui n’ont
encore fait l’objet d’aucune étude systématique. La dénonciation de la sécurité
bourgeoise – qualifiée avec mépris de « petite-bourgeoise » –, qui stigmatise
une mentalité bourgeoise purement matérialiste, est typique de nombreux
groupes intellectuels de la fin de siècle. Elle est étroitement liée au relativisme
moral qui se répand et qui, depuis longtemps déjà, fonde la tendance à défendre
des valeurs décisionnistes.

La Première Guerre mondiale précipite ces mouvements qui s’exprimaient dans


l’appel à un réveil de la société, prôné par les représentants actifs de la jeune
génération. Le sentiment que la guerre, d’une façon ou d’une autre, avait mis fin
à l’ère de la prospérité et de la sécurité bourgeoises était largement partagé. Il
s’accompagnait d’un conflit poussé jusqu’au différend idéologique entre les
générations de la guerre et de l’après-guerre d’une part, et de l’autre les élites
dirigeantes qui vivaient toujours dans le respect des valeurs de la société
wilhelminienne. L’agitation entretenue par l’extrême droite, par exemple par
Gregor Straßer et Joseph Goebbels, la polémique contre une bourgeoisie «
dépassée » étaient inséparables de la critique des « vieillards de Weimar ». Un
2043
fossé infranchissable séparait également les élites essentiellement bourgeoises
de Weimar de la mentalité de la jeunesse bündisch qui, tout en se détournant
d’abord de toute participation à la vie politique, était pourtant en quête des
nouvelles formes communautaires qui devaient constituer le fondement de la
nouvelle formation sociale à laquelle ils aspiraient. Dans le même temps, la
pensée néo-conservatrice, dont il ne faut pas sous-estimer l’écho dans les
milieux intellectuels, voulait revenir à l’avant-1789 et abolir ainsi non
seulement les formes politiques libérales, mais aussi l’individualisme bourgeois
qu’elles présupposent.

[…] Mais des sentiments équivalents animaient la gauche réformiste,


qu’exprimait Theodor Haubach quand il parlait du cordon sanitaire établi par
la République contre les forces de la jeune génération. Ce conflit de générations
dissimulait toutefois un nouveau sentiment de l’existence, qui se voulait
antibourgeois alors même qu’il ne pouvait prospérer que sur le terreau des
formes de vie spécifiquement bourgeoises. Les corps francs, qui se recrutaient à
peu près exclusivement dans la bourgeoisie, en sont une autre illustration.
Dénonçant la société bourgeoise comme décadente, ils développèrent une
contre-culture héroïco-militaire issue du rejet profond d’un XIXe siècle repu, et
dont Ernst von Salomon fut un représentant typique. Il fut également le chantre
de la violence en politique, qui, comme Hitler eut l’intelligence de le pressentir,
trouva un écho favorable dans des pans entiers de la bourgeoisie. Avec le rejet
du règlement institutionnalisé et organisé des conflits, avec la fuite vers un
mythe esthétisé de la violence, on touche du doigt l’abandon par la bourgeoisie
de ses convictions morales, même si cet abandon était en relation dialectique
avec un attachement à des représentations spécifiquement bourgeoises de
l’ordre. »

« Lorsque l’Alldeutscher Verband (Ligue pangermanique) fut confronté à la


réalité d’une parlementarisation achevée et de la généralisation du suffrage
universel égalitaire, y compris en Prusse – c’est-à-dire à une situation qui
rendait impossible la poursuite de la politique, pratiquée jusqu’alors par les
notables, de recours à des canaux détournés pour influer sur le système
politique ainsi que sur la presse, grâce à des liens financiers –, il entreprit de
constituer des organisations parallèles de type partisan, destinées à « capter les
masses ». Le conseiller Claß résuma cette nouvelle stratégie par la formule : «
Qu’avons-nous à offrir vers le bas ? » Pour répondre à l’objectif de
démocratisation, la collaboration entre le Germanenorden et la Thule-
2044
Gesellschaft (Société Thulé) d’une part et l’Alldeutscher Verband d’autre part
aboutit à la fondation du Deutschvölkischer Schutz- und Trutz-Bund (Ligue
défensive et offensive du peuple allemand), qui se proposait explicitement de
mobiliser les masses autour de l’antisémitisme et de les soustraire à l’influence
redoutable du mouvement socialiste. Le DAP/NSDAP naquit exactement dans le
même contexte. »

« Les groupements bourgeois qui s’efforçaient de soumettre à leur influence les


masses qui n’appartenaient pas à la bourgeoisie cultivée et possédante, et de les
arracher à l’emprise du mouvement ouvrier socialiste, durent faire des
concessions aux thèmes populistes, parmi lesquels l’antisémitisme et le
nationalisme intransigeant occupaient une place centrale.

Cette tendance, qui joue à plein depuis la crise de 1873, s’exprime dans la
naissance du mouvement berlinois, l’apparition de partis antisémites et l’impact
inhabituellement large de l’antisémitisme intellectuel dans les milieux
bourgeois. Des enquêtes récentes montrent que ces courants ne relevaient pas
de la bourgeoisie cultivée traditionnelle, mais que les associations antisémites
recrutaient parmi les intellectuels qui n’avaient pas réussi à accéder à la culture
et à la fortune ainsi que dans la bourgeoisie urbaine et commerciale en
ascension, particulièrement perméable aux courants antisémites lorsque la
récession économique s’accentua après 1873 et que les influences juives dans
l’économie et la vie intellectuelle furent tenues pour responsables du déclin qui
s’esquissa alors. C’est dans ces milieux, où l’idéalisme classique n’avait que
superficiellement pénétré, que les éléments pseudo-religieux d’un antisémitisme
désormais raciste et d’un nationalisme allemand se réclamant des mythes
germaniques se révélèrent pleinement comme une compensation idéologique au
nivellement social redouté et à la fragilité effective des statuts. »

« Tous les groupements du Reformbewegung bourgeois – qu’ils s’ouvrent à


l’occultisme, qu’ils prônent la culture comme moyen d’intégration sociale,
qu’ils célèbrent le naturisme, les sports collectifs, le rejet des contraintes de la
mode, la vie en communautés et en colonies rurales, une réforme agraire totale
dans l’esprit de Damaschke ou le « mouvement de la terre libre »
(Freilandbewegung) avec Sylvio Gsell, ou enfin qu’ils s’enthousiasment pour
l’invention toute nouvelle de l’hygiène raciale et pour les idées de sélection –
cherchaient à créer une sous-culture spécifiquement antimoderne, s’élevaient
contre la domination du grand capital dénoncé comme juif, critiquaient le
2045
progrès de l’urbanisation et la menace de la massification, qu’ils assimilaient
au développement de mœurs de plus en plus brutales et à l’anéantissement des
traditions culturelles nationales. »

« L’inquiétude quant au statut devint désormais un sentiment fondamental


jusque dans les couches moyennes supérieures – professeurs, hauts
fonctionnaires ou membres des classes moyennes industrielles, artisanales et
commerciales, à présent exposés à la concurrence des grands Konzern, des
grands magasins et des chaînes de discount.

Le conflit interne à la bourgeoisie, qui coïncidait largement avec l’opposition


entre anciennes et nouvelles classes moyennes, s’exprima notamment dans le
milieu associatif. »

« En tant que parti protestataire, le NSDAP profita en première ligne de


l’opposition de plus en plus vive entre les secteurs modernes et traditionnels de
la société. Après avoir réalisé sa percée la plus forte dans le camp paysan, il
parvint peu à peu à capter la fraction de la bourgeoisie frappée ou menacée de
déclin social. » -Hans Mommsen, « La décomposition de la bourgeoisie à partir
de la fin du XIXe siècle », Trivium [En ligne], 22* | 2016, mis en ligne le 02
septembre 2016, consulté le 09 janvier 2017.

« Dans les années qui précédèrent l'avènement du national-socialisme,


l'Allemagne vécut une période d'intense activité intellectuelle. Jamais les
méthodes nietzschéennes d'analyse et de critique ne furent maniées avec plus de
virtuosité. Jamais les hommes n'avaient aperçu, avec plus de lucidité, les pièges
de l'intérêt ou de l'amour-propre, la force de leurs désirs, la fragilité des
impératifs intérieurs. Jamais cette prise de conscience n'avait approché d'aussi
près un scepticisme anarchique. […]
Ceux qui avaient exploré les replis de l'âme ne sont certainement pas ceux qui
ont ensuite enseigné aux hommes à écarter doutes et scrupules et à vouloir
frénétiquement ce que voudrait le Führer. Mais ils avaient recueilli, vulgarisé,
les résultats de cette exploration. Comme Nietzsche, ils démasquaient leurs
adversaires ; derrière les valeurs démocratiques, ils dénonçaient la lâcheté des
peuples vieillis ; derrière les valeurs supérieures, l'hypocrisie de bien-pensants
qui s'abusent eux-mêmes ou veulent abuser les autres, derrière la religion
même, les instincts. A un homme qui avait pris conscience de ses impulsions et
qui en supportait impatiemment l'inhibition, ils promettaient la pleine expansion

2046
de ses appétits. Ils niaient violemment les valeurs déjà ébranlées par l'analyse et
la critique. La force pure, nue, devenait une sorte d'idéal, si tous les prétendus
idéaux n'en étaient qu'un travestissement ou un camouflage.
Mais un monde livré au hasard des forces naturelles, à la brutalité des passions
humaines, au bon plaisir de la violence, n'a plus de but ni de sens. » -Raymond
Aron, L'Homme contre les tyrans, Gallimard, 1946. Repris dans Raymond Aron,
Penser la liberté, penser la démocratie, Gallimard, coll. Quarto, 2005, 1815
pages, p.171.

"C'est seulement durant la Grande Guerre qu'en Allemagne Nietzsche est mis
pour la première fois à contribution à des fins politiques: il fournira à la
propagande belliciste quelques-uns de ses arguments. Mais c'est avec Moeller
van den Bruck et surtout O. Spengler qu'il apparaîtra Outre-Rhin comme un
penseur politique de premier plan qui, entre autres, aura également eu le mérite
de déceler les connexions existant entre les domaines culturel et politique. Dès
lors que Nietzsche va devenir la référence quasi-obligée, à la fois philosophique
et idéologique, du mouvement qualifié de Révolution Conservatrice, et ce pour
tous ses adeptes." (p.277)

"On ne risque guère de se tromper en affirmant que la "vision du monde"


hitlérienne et la pensée de Nietzsche présentent seulement quelques analogies
ponctuelles qui ne sont pas le produit d'une influence directe." (p.279)

"Disciples fervents de Nietzsche, tels Jünger, Spengler ou même Benn [mais


aussi Sombart ou Moeller van den Bruck, Thomas Mann, Ernst Bertram]. »
(p.281)

-Yves Guéneau, "Les Idéologues et le philosophe, Paris, Kimé, coll. "Histoire


des idées, théorie politique et recherches en sciences sociales", 1992, 437 pages,
pp.277-294.

"We need waste little time establishing the centrality of Nietzsche for the
Weimar radical right between 1918 and 1933. A few dissenting voices
notwithstanding, he was its most authoritative and inspirational source. As its
sympathetic chronicler Armin Mohler put it, the "conservative revolution" would
have been "unthinkable" without Nietzsche. In his protean works the new right
discovered a remarkably plastic, almost inexhaustible, source for enunciating a
radical worldview and for locating both its enemies and positive ideals. In 1931
Friedrich Hielscher, an active publicist on the radical right, summed up
2047
Nietzsche's multiple functions for this political universe: "Nietzsche stands as
questioner, as fighter, as the solitary one. He stands for the Reich as protector
of the past, as crusher of the present, as transformer of the future"." (p.153)

"Friedrich Mess's massive 1930 work, Nietzsche: The Lawgiver, was only the
most systematic of many attempts. "Just as canonical law derived from the Bible
and the writings of the Church fathers", Mess proclaimed, "so must the lex
Futurana Europeanum be built upon Nietzsche's wisdom"." (p.154)

"From 1918 to 1933 the Right comprised over 550 clubs and 530 journals."
(p.155)

"When the radical right sought to appropriate socialism for their own purposes,
Nietzsche was a central enabling force in the transition. That the new right
chose to designate itself as socialist was perhaps a paradox, but it did reflect an
awareness that the term had become an essential catchword in modern mass
politics. In the eyes of the radical right, it was extremely important to wrest both
the socialist constituency and its definitional monopoly from the left. In forging
its own notion of socialism it stripped the concept of almost all Marxist
landmarks and made any precise graps of its contours even more elusive.
The right now offered a national socialism as a counterweight to the Marxist
idea of international proletarian revolution. Its ideologues could proclaim
themselves socialists not only because they assigned to the state authoritarian
powers to regulate socioeconomic life along quasicorporate lines but also
because they couched their analysis of society in a biting critique of the
bourgeoisie and accorded to the lower classes a major role in their visions of
national regeneration. Nietzsche provided a fruitful source for these themes. His
radicalism was easily molded into the framework of a new right that, unlike its
older conservative counterpart, put a premium on the national mobilization and
integration of the working classes. Socialism here referred to the conflation of
the national with the social. It aimed at inclusiveness and participation of the
working masses within the broader whole. Dedication to the nation would create
a socialism of the Volksgemeinschaft, a viable substitute for the socialism of
class." (p.166-167)
-Steven E. Aschheim, The Nietzsche Legacy in Germany (1890-1990),
University of California Press, 1994, 337 pages.

2048
« Les conservateurs-révolutionnaires allemands estiment que, dans les
conditions que connaît l’Allemagne des années 20, le seul moyen de conserver
ce qui mérite de l’être, c’est justement une Révolution. […] La Révolution
conservatrice, quand on voit le beau livre d’Armin Mohler, c’est 300 ou 400
personnes, qui ont par conséquent connus des évolutions très variés. »

« Il y a une très forte influence de la pensée de Nietzsche dans cette mouvance.


[…] Ce n’est pas une règle absolue. Il y a au contraire dans la Révolution
conservatrice des courants chrétiens très affirmés. »

« Bien sûr, il y a un effet de génération. » -Alain de Benoist, « La Révolution


conservatrice allemande », Entretien au Libre Journal des idées politiques, Radio
Courtoisie, février 2015.

https://www.amazon.fr/Conservative-Revolution-Germany-1918-
1932/dp/1593680597/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD
%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=La+R%C3%A9volution+conservatric
e+en+Allemagne+Armin+Mohler&qid=1604959040&sr=8-1

http://www.amazon.fr/Quatre-figures-R%C3%A9volution-Conservatrice-
allemande/dp/295283217X/ref=sr_1_19?s=books&ie=UTF8&qid=1446221930
&sr=1-19

Wolfgang Köhler (18871967):

Ernst Kantorowicz (1895-1963): « Kantorowicz, malgré sa discrétion,


connaissait donc bien l'emploi du terme [de théologie politique] par Carl
Schmitt. » -Alain Boureau, Histoires d'un historien, Kantorowicz, postface à
Ernst Kantorowicz, Œuvres, Gallimard, coll. Quarto, 2000, 1369 pages,
pp.1225-1313, p.1306.

http://hydra.forumactif.org/t4285-loic-blondiaux-kantorowicz-ernst-les-deux-
corps-du-roi#5159

Oswald Spengler (1880-1936): « Tout ce que j'ai opposé au capitalisme sous le


nom de socialisme, tout cela deviendra subitement le point de concentration de
formidables énergies vitales. »

« L'avènement du césarisme brise la dictature de l'argent et son arme politique,


la démocratie. »

2049
« L'histoire universelle [...] a toujours [...] condamné à mort les hommes et les
peuples qui prisaient les vérités plus que les actes, la justice plus que la
puissance. » -Oswald Spengler.

“Nietzsche’s effect is a transformation, for the melody of his vision did not end
with his death… Nietzsche’s type of vision will pass on to new friends and
enemies, and these in turn will hand it down to other followers and adversaries.
[…] His work is not a part of our past to be enjoyed ; it is a task that makes
servants of us all.” -Oswald Spengler, “Nietzsche and His Century”, 1924, in
Selected Essays, trans. Donald O. White (Chicago: Gateway, 1967), p.196.

“Oswald Spengler, who visited the Nietzsche-Archiv in Weimar for the first time
in July 1920, praised Nietzsche’s spirit as typically German, something that
would help Germany (at that time bruisingly defeated) to win through in the end.
His comments in Der Untergang des Abendlandes (I: 1918, II: 1923) (The
Decline of the West, 1934) marked the acceleration of the coupling of
Nietzsche’s name with that of the German Volk, a coupling Nietzsche himself
would have resisted.” -Carol Diethe, Historical Dictionary of Nietzscheanism,
Lanham and London, Scarecrow, 2007 (1999 pour la première édition), 358
pages, p.xxviii.

« Ce pseudo-prophète, ce maître d'erreurs sombres qu'est Spengler n'en est pas


à un sophisme près. » -Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique,
Éditions du Seuil, coll. Points, 1954, 318 pages, p.65.

« Le grand succès aussitôt rencontré par Le Déclin de l'Occident s'explique


peut-être par deux raisons : ceux qui le lisent sont depuis longtemps familiers
des professions de foi antirationaliste, anti-françaises, anti-anglaises,
germanophiles et conservatrices. Mais en outre, aucune "épine dialectique" ne
barre la route, qui peut être en quelque sorte dévaluée : les deux volumes
requièrent, assurément, quelque patience, mais assez rarement la méditation.
Comment un ouvrage aussi volumineux, répétitif, obscur, bourré d'erreurs et
d'affirmations arbitraires aussitôt relevées par les lecteurs dès la parution, a-t-il
pu être confectionné par un homme instruit, docteur en philosophie ?
Le Déclin de l'Occident n'a rien d'un manifeste, ou d'un pamphlet, écrit avec la
vivacité de la polémique et de la conviction. C'est bien tout le contraire :
écriture pesante, insistante à multiplier en juxtaposition d'innombrables "faits"
historiques hétéroclites de sorte que, les interminables énumérations valent

2050
visiblement aux yeux de leur auteur, pour argument. C'est que Spengler entend
nommément faire à la fois œuvre de savant, d'historien et de philosophe. Les
trois d'un genre inédit. A la façon de Nietzsche, il affiche sans cesse un hostile
mépris à l'égard des tâcherons de la connaissance scientifique, comme à
l'endroit des artisans de la connaissance historique ; mais pour les faiseurs de
systèmes et concepts philosophiques, c'est une franche raillerie qui s'empare de
lui ! Son ambition déclarée sera donc d'avoir inventé une "philosophie a-
philosophique" qui sera, espère-t-il, une "philosophie allemande". Sa bataille
antiphilosophique fait rage sur deux lignes de front, on le devine déjà: l'une est
constituée par les "philosophes français", tous promus rationalistes abstraits, au
premier rang desquels Rousseau. Laissons pour l'heure la conviction que le
libéralisme, le droit, la religion naturels seraient anglais, ainsi que la
souveraineté du peuple, conviction qui conduit à baptiser anglais non seulement
Voltaire, Diderot et Rousseau, mais aussi la Révolution française. La seconde
ligne de front, quand à elle, se limite à l'Allemagne et à ses "faiseurs de
systèmes" au premier (et seul) rang desquels Spengler érige Kant en œuvre à
abattre. [...] Lui font horreur [...] l'universalisme et le cosmopolitisme.
Prenant dès lors des chemins opposés à ceux des "faiseurs de concepts et de
systèmes", Spengler discourt de tout: il a science de tout, aucun domaine de la
culture n'échappe à sa sagacité, pas plus l'architecture, la peinture, la musique,
les religions, les mœurs, l'habitat que les sciences physiques et les
connaissances mathématiques. Aucune époque, aucun lieu ne lui sont inconnus."

"Sont proclamés [...] l'engouement pour la démocratie et le règne de l'argent


qui lui est inhérent -décadente la multiplication des grandes villes cosmopolites,
dont les masses anonymes ne savent plus rien ni du sol ni du sang- décadents
l'individualisme et le rationalisme abstraits, méprisants l'autorité des coutumes
et traditions pour sombre dans l'irréligion."

"Spengler imagine peut-être se situer dans le sillage de Nietzsche pour lui


emprunter des mots, des figures ou mêmes des phrases ; toutefois, ni inspiré ni
visionnaire, Spengler donne plutôt le sentiment d'un écrivain laborieux et
obstiné dont l'esprit muselle d'avance toute interrogation, tout retour sur soi un
peu sincère. [...] Quant à la "volonté de puissance" ! Le mot y est, assurément,
mais non la chose: comment y aurait-il place pour un vouloir qui se veut lui-
même, dans la fresque du destin cosmique auquel tous sont soumis, sans le
savoir ? Nulle possibilité d'un amor fati, quel qu'il soit."

2051
"L'histoire, selon Spengler, n'est aucunement une histoire. L'historisme radical
paraît voué à cette situation paradoxale: en rabattant chaque homme, chaque
société, chaque élément de la culture matérielle ou spirituelle sur sa localisation
temporelle, spatiale et "culturelle", l'historisme, par définition, dénie tout
univers commun. Comment dès lors, si seul un "grec" perçoit et comprend ce
qui est grec, comment la philosophie, la géométrie, la sculpture grecques
pourraient-elles se transmettre à d'autres ? Spengler, nous l'avons vu, ne recule
nullement devant cette conséquence, au point qu'il y a lieu de croire que ce
serait même pour y venir que le tout est échafaudé."

"Spengler serait celui qui se déclare philosophe, pour ruiner toute philosophie ;
écrivant une "philosophie du destin, la première de son espèce", il entend
expressément ramener ontologie, métaphysique, logique, éthique, philosophie
du droit, épistémologie au rang de travaux superflus, propres tout justes à
alimenter l'alexandrinisme de bibliothèques de spécialistes. Toute "droite
philosophie" se réduirait donc à un symptôme de décadence, tandis que, au
contraire, la "philosophie naturelle, pressentie par tous", relèverait du "tact
cosmique", tant de son auteur que de ses lecteurs."

"Nous cherchons dans Le Déclin de l'Occident un exemple d'idéologie


philosophique." (p.210)

-Edith Fuchs, Entre Chiens et Loups. Dérives politiques dans la pensée


allemande du XXème siècle, Éditions du Félin, coll. Les marches du temps,
2011, 541 pages.

« La littérature néo-conservatrice est traversée par un débat sur la technique


qui connaît une sorte d’apogée avec la publication du livre de Spengler
sur l’Homme et la Technique (1932). […] G. Merlio a montré comment le
pessimisme l’emporte quand Spengler évoque la lassitude des techniciens, la «
révolte des mains » et surtout la « légèreté » avec laquelle l’Occident transmet
la technique aux peuples de couleur. » -Louis Dupeux (dir.), La « Révolution
Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, coll. "Histoire des
idées, théorie politique et recherches en sciences sociales", 1992, 437 pages.

"Toute la problématique spenglérienne tourne autour de ces deux questions:


comment peut-on être moderne ? Comment peut-on ne pas être moderne ?
Spengler est quelqu'un qui, d'une part, est mal dans son temps, mais qui, d'autre
part, ne voit aucune possibilité de s'y soustraire. Le sentiment qui a dicté toute
2052
son œuvre est celui du décadent qui arrive trop tard dans un monde trop vieux.
Trop vieux pour qu'il puisse y réaliser l'œuvre à laquelle il se sent intimement
appelé et qui est une œuvre artistique et littéraire. Écrivain manqué, Spengler
rend responsable le siècle dans lequel il vit de sa propre stérilité. [...] Il est loin
de vouloir être un écrivain décadent, c'est-à-dire un écrivain qui fait de la
décadence son thème majeur, qui s'y complaît, qui tire de la conscience de son
état de état de décadent une supériorité ou un profil esthétiques. Devant la
modernité qu'il rend responsable de sa propre stérilité, Spengler a mauvaise
conscience. Il en souffre mais elle le fascine. Et le vrai sujet qu'il entend traiter
dans ses œuvres n'est pas décadence mais le passage de ce qu'il appelle la
culture, qui se définit par la religion, la philosophie, la poésie et l'art, à ce qu'il
appelle la civilisation, où l'emporte les aspects pratiques, techniques et
organisationnels."

"Qu'est-ce que la civilisation selon Spengler ? C'est essentiellement l'empire de


la raison, de l'intellect, de la causalité: bref, la surintellectualisation, la
"dictature" ou la "tyrannie" de l'entendement (Verstand). Avant les
représentants de l'École de Francfort, bien que d'une manière différente,
Spengler a découvert dans l'évolution historique une dialectique de la raison. La
culture naît de l'effort de l'esprit pour se donner une forme spécifique à l'élan
vital. Elle correspond à une "spiritualisation" de la
vie (Vergeistigung ou Durchgeistigung). L'apogée culturel est atteint lorsqu'est
réalisé un point d'équilibre entre l'esprit et la vie, l'inspiration et la convention,
le dionysiaque et l'apollinien (on reconnaît là la définition du classicisme chez
Nietzsche). La culture, c'est de "l'instinct discipliné". Mais il arrive un moment
ou la discipline l'emporte sur l'instinct, où la raison cherche par trop à dominer
la vie. La "haute culture" entre alors dans sa phase rationaliste qui l'entraîne
vers une mort lente mais inéluctable. Car non seulement l'esprit tue la vie
(Spengler accentue les dichotomies vitalistes de Nietzsche), non seulement la
raison discursive, éprise d'objectivité et d'universalité, opérant sur les mots du
langage et les concepts de la pensée abstraite, entame l'égoïsme naïf des
individus et des collectivités et porte ainsi atteinte à l'élan vital. Mais bientôt,
l'esprit, l'entendement, poursuivant son travail de sape, s'en prend à ses propres
constructions. Le doute qui avait permis à la raison de tuer le mythe religieux
(Dieu) et la métaphysique, continue son travail. Si bien que la raison est prise
au piège de son propre scepticisme. L'Aufklärung se dissout de lui-même. La
raison finit par avoir raison de sa propre tyrannie. Voilà très exactement ce qui
2053
est en train de se passer dans notre XXème siècle: à l'âge rationaliste, qui a lui-
même suivi l'âge religieux et métaphysique, est sur le point de succéder l'âge
sceptique. A l'intérieur des cycles spengleriens se dessine un schéma de type
comtien, mais avec inversion de signe."

"Spengler est-il un Kulturpessimist ou un Kulturkritiker ? Comme son nom ne


l'indique pas, la Kulturkritik n'est pas une critique de la culture mais une
critique de la civilisation (de la modernité) au nom de la culture. Cet aspect
n'est pas absent chez Spengler chez qui l'on ne peut nier l'amour profond et la
compréhension intime de grandes formes culturelles du passé. Mais en projetant
en diachronie, sur la ligne cyclique suivie fatalement par l'évolution des "hautes
cultures", l'opposition culture/civilisation, il supprime en vérité toute
alternative: la culture est définitivement forclose ; seule la civilisation reste
possible ; toute régénération culturelle est exclue. Spengler est le dernier
Kulturkritiker, celui qui décrète la vanité de toute Kulturkritik. Car au fond, là
où Nietzsche met encore en garde, il ne fait, lui, que constater [...] L'itinéraire
qu'il présente à ses contemporains comme incontournable et donc souhaitable
(voilà sa version de l'amor fati, du "scepticisme courageux" (tapfere Skepsis),
du réalisme héroïque qui refuse l'illusion "romantique" que l'on pourrait revenir
en arrière) est l'itinéraire qui va de Munich, la ville d'art du passé, à Berlin, la
ville moderne en qiu Langbehn voyait le siège de l'américanisme dont les
Allemands devraient à tout prix se libérer."

"Comme Nietzsche, Spengler propose à ses contemporains une fuite en avant,


une fuite vers une modernité encore plus moderne que celle qui aujourd'hui
reste entachée de rationalisme et de libéralisme. Sa solution à la crise de la
modernité, c'est aussi le recours au nouveau barbare, qui prend chez lui la
figure du César. Le césarisme vers lequel s'achemine inexorablement notre
civilisation est certes un phénomène de décadence puisqu'il résulte de la
décomposition des structures politiques et sociales: Spengler reprend ici la
thèse de Burckhardt, Nietzsche, Tocqueville...et Platon, selon laquelle la
démocratie est une école de tyrans."

"Le problème de la valeur est dépassé pour Spengler. C'est ce qui le différencie
fondamentalement de Nietzsche dont la critique de la décadence lui paraît
irréfutable mais dont la théorie du surhomme lui semble être un phantasme, et à
qui, plus généralement, il reproche, comme l'avait fait Moeller van den Bruck,
son manque de sens pratique. Aveuglé par son romantisme, sa nostalgie de
2054
nouvelles valeurs, Nietzsche n'a pas eu le courage prosaïque de reconnaître le
surhomme dans les grands capitaines d'industries, les grands ingénieurs, les
grands organisateurs, bref ces "hommes des faits" ("Tatsachenmenschen"), qui,
à l"époque sceptique où nous vivons, occupent le devant de la scène et
préfigurent les grandes individualités césariennes de l'avenir. Selon Spengler, il
faut traduire la volonté de puissance nietzschéenne en termes sociaux,
économiques et politiques ainsi que l'exige notre temps. C'est au prix d'un tel
réalisme dénué de toute illusion et de toute justification morale que non
seulement pourra s'édifier l'Empire allemand, mais que l'Occident décadent
pourra aussi assurer sa survie en résistant le plus longtemps possible au défi
des peuples de couleur qui commencent à l'assaillir de toutes parts.
Il est temps de s'interroger sur la signification de ce qu'il faut bien appeler cette
trahison du clerc, d'un clerc qui, après avoir chanté la grandeur de la culture
passée, prône résolument la conversion au fait et à la force qui prévalent, selon
lui, dans les tâches réalistes de la civilisation, c'est-à-dire de la modernité. Au
niveau de la psychologie individuelle, cette attitude est aisée à interpréter.
Spengler a vécu à l'évidence la drame de l'intellectuel coupé du réel qui rêve
d'être homme d'action. Ses échecs littéraires ont nourri son pessimisme culturel
et sa glorification du réalisme et de la force, peut s'expliquer en partie par un
phénomène de compensation. Mais le cas personnel de Spengler ne s'inscrit-il
pas dans une problématique sociologique ou idéologique plus générale ? Ne
peut-on voir en effet dans la négation catégorique du rôle que les idées, les
vérités et les valeurs morales peuvent dorénavant jouer dans l'histoire le reflet
de la constatation amère faite par les couches moyennes cultivées de la
bourgeoisie allemande que dans le monde moderne, où elles se sentent de plus
en plus marginalisées par le développement technique, industriel, économique et
politique, seuls ces "faits" comptent, et non plus les idéaux que le lycée
humaniste continue à dispenser ? Le déchirement de Spengler, homme de
culture décrétant l'impossibilité de la culture, homme d'esprit déniant tout rôle
réel aux idées dans l'histoire, n'est-il pas celui de toute une couche sociale ? » -
Gilbert Merlio, "Spengler ou le dernier des Kulturkritiker", in
Louis Dupeux (direction), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de
Weimar.

« Spengler a été déçu par la "nouvelle réalité allemande" du national-


socialisme. » -Jean Nurdin, "De la "Zwischeneuropa" à l'Europe hitlérienne:

2055
l'itinéraire de G. Wirsing.", in Louis Dupeux (direction), La « Révolution
Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar.

Werner Sombart (1861-1943) : « [Dans la période précapitaliste] la vie


économique, dans toutes ses vicissitudes, restait subordonnée à la loi religieuse
ou morale ; il n'était pas encore question de séparation entre la vie économique,
d'un côté, la religion et la morale, de l'autre. Tout acte était encore sous la
dépendance immédiate de la suprême instance morale: la volonté divine. Et,
pour autant que l'esprit du moyen-âge restait en vigueur, cette volonté était
entièrement et rigoureusement étrangère à la conception mammoniste des
choses, et de ce fait la vie matérielle du temps jadis se trouvait tempérée par un
solide facteur moral. [...]
C'était une action "antichrétienne" immorale que d'enlever des clients à son
voisin. [...]
Encore pendant la première moitié du XVIIIème siècle, les marchands de
Londres voyaient une concurrence déloyale dans les efforts que faisait tel ou tel
de leurs collègues pour orner sa boutique ou attirer les clients par un étalage
fait avec goût et élégance. [...]
L'annonce commerciale, surtout sous forme de réclame, compte au nombre des
choses défendues, et cela longtemps après le début du l'époque capitaliste,
jusqu'à une période assez avancée du XVIIIème siècle. [...]
Mais le procédé qui, entre tous, était considéré comme le plus déloyal était celui
qui consistait à annoncer qu'on vendait meilleur marché que les concurrents.
[...]
D'après la manière de voir du moyen âge, telle que nous la retrouvons encore
dans toute sa pureté chez Luther, le montant du prix devait être établi d'après
les frais et le travail que la fabrication d'une marchandise avaient coûtés au
producteur (ou commerçant): le prix, dirions-nous, était établi sur la base des
frais de production. [...] Ce qui importe, c'est que le prix est conçu comme
quelque chose qui est soustrait à l'arbitraire individuel et dont la formation
obéit à des normes objectives, obligatoires pour tous. [...]
L'atmosphère générale créé par l'obéissance à ces principes était, pendant toute
la durée des premières phases du capitalisme, celle d'une vie calme, exempte
d'imprévu. La stabilité, le traditionalisme, telle étaient encore les
caractéristiques de cette époque.
[...]
C'est à ce monde solide et stable que les Juifs sont venus donner l'assaut. [...]
2056
Dans les violations du droit et de la morale commises par les Juifs il s'agit non
de l'immoralité accidentelle d'un individu égaré, mais de manifestations de la
mentalité commerciale juive, de leur manière normale de comprendre la
conduite des affaires. De la mise en pratique générale et continue de certains
usages, nous sommes en droit de conclure que les Juifs, au lieu de considérer
comme immorale et défendue cette manière d'agir, contraire aux règlements,
étaient persuadés, en agissant comme ils le faisaient, qu'ils opposaient une vraie
morale, un "droit véritable" à un système de droit et de morale absurde. » -
Werner Sombart, Les Juifs et la vie économique.

« A la différence de Marx, Weber estime que la caractéristique essentielle de la


société moderne, c'est la rationalisation bureaucratique et, quel que soit le
statut de propriété des moyens de production, aucune collectivité ne peut y
renoncer. [...] Le socialisme planificateur, qui est contraint de renforcer le
contrôle de l'économie, se situe dans la lignée du capitalisme. »

« Sombart définit l'esprit du capitalisme d'une manière radicalement opposée à


celle de Weber, quand il écrit que le puritanisme n'est pas « responsable de
l'épanouissement illimité de l'amour du gain, de la passion insensée de l'argent,
de l'idiosyncrasie des affaires, toutes qualités caractéristiques de l'esprit
capitaliste à son apogée… La morale puritaine n'a pas favorisé la course
éhontée, sans scrupule dans le choix des moyens, aux richesses. Comme la
morale thomiste, elle ne se lasse pas de recommander et de prêcher l'emploi de
moyens honnêtes »67. C'est sous la pression des conditions économiques et « à
contrecœur » que les prédicateurs puritains durent s'efforcer de concilier les
progrès du capitalisme avec leurs conceptions religieuses et qu'ils finirent par «
reconnaître que le genre de vie bourgeois était compatible avec l'état de grâce
»68. Le capitalisme s'oppose, pour W. Sombart, à la mentalité économique
traditionnelle, qui se définit par l'idéal de la subsistance, l'organisation
corporative et la stabilité. Il introduit une conception essentiellement
individualiste de l'économie, conception d'après laquelle la sphère d'action de
chaque sujet économique ne devait être limitée par aucune réglementation
restrictive portant soit sur le volume de la vente, soit sur la spécialisation et sur
la séparation des professions. Selon l'éthique capitaliste, chaque sujet a, au
contraire, le droit d'étendre son champ d'action, dans la mesure de ses moyens,
même aux dépens de ses voisins. » -Freddy Raphael, « Werner Sombart et Max

2057
Weber », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques [En ligne], 00 |
1988, mis en ligne le 13 avril 2009, consulté le 13 novembre 2015.

http://hydra.forumactif.org/t2171-werner-sombart-œuvres

Carl Schmitt (1888-1985) : « La dictature et le consulat ne sont autre chose au


fond que la royauté continuée. » -Theodor Mommsen, Histoire romaine, Tome
1 "Des commencements de Rome jusqu'aux guerres civiles", Livre Premier
"Depuis Rome fondée jusqu'à la suppression des rois", Robert Laffont, coll.
Bouquins, Paris, 1985, 1141 pages, p.61.

"There exists no norm that is applicable to chaos. For a legal order to make
sense, a normal situation must exist, and he is sovereign who definitely decides
whether this normal situation actually exists." (p.13)

"The sovereign produces and guarantees the situation in its totality. He has the
monopoly over this last decision. Therein resides the essence of the state's
sovereignty, which must be juristically defined correctly, not as the monopoly to
coerce or to rule, but as the monopoly to decide. The exception reveals most
dearly the essence of the state's authority. The decision parts here from the legal
norm, and (to formulate it paradoxically) authority proves that to produce law it
need not be based on law." (p.13)

“The essence of liberalism is negociation, a cautious half measure, in the hope


that the definitive dispute, the decisive bloody battle, can be transformed into a
parliamentary debate and permit the decision to be suspended forever in an
everlasting discussion.” (p.63)

"Today nothing is more modem than the onslaught against the political.
American financiers, industrial technicians, Marxist socialists, and anarchic-
syndicalist revolutionaries unite in demanding that the biased rule of politics
over unbiased economic management be done away with. There must no longer
be political problems, only organizational-technical and economic-sociological
tasks. The kind of economic-technical thinking that prevails today is no longer
capable of perceiving a political idea. The modem state seems to have actually
become what Max Weber envisioned: a huge industrial plant. Political ideas are
generally recognized only when groups can be identified that have a plausible
economic interest in turning them to their advantage. Whereas, on the one hand,
the political vanishes into the economic or technical-organizational, on the

2058
other hand the political dissolves into the everlasting discussion of cultural and
philosophical-historical commonplaces, which, by aesthetic characterization,
identify and accept an epoch as classical, romantic, or baroque. The core of the
political idea, the exacting moral decision, is evaded in both." (p.65)

-Carl Schmitt, Théologie politique - Quatre chapitres sur le concept de


souveraineté, 1922. D'après la traduction anglaise de George Schwab, The MIT
Press, Cambridge, Massachusetts, and London, England, 1985, 70 pages.

« Toutes les théories politiques véritables postulent un homme corrompu, c’est-


à-dire un être dangereux et dynamique, parfaitement problématique. » -Carl
Schmit, Théologie politique, p.65.

« La distinction spécifique du politique, à laquelle peuvent se ramener les actes


et les mobiles politiques, c'est la discrimination de l'ami et de l'ennemi. Elle
fournit un principe d'identification qui a valeur de critère, et non une définition
exhaustive ou compréhensive. » -Carl Schmitt, La notion de politique, 1927.

« Une suprématie de l'Etat sur l'économie n'est réalisable qu'au moyen d'une
organisation unie, du type d'un Ordre. [...] Le fascisme, tout comme le
communisme, a besoin d'un tel appareil pour dominer l'économie. » -Carl
Schmitt, en 1929. Cité par Louis Dupeux in La « Révolution Conservatrice »
dans l’Allemagne de Weimar.

« Franz Kafka aurait pu écrire un roman : L’Ennemi. Alors il serait devenu


clair que l’indétermination de l’ennemi provoque l’anxiété (il n’y a pas d’autre
anxiété, et l’essence même de l’angoisse est la perception d’un ennemi
indéterminé) ; en revanche, c’est l’affaire de la raison (et, dans ce sens, de la
haute politique) de déterminer qui est l’ennemi (ce qui revient toujours à se
déterminer soi-même) ; grâce à cette détermination, l’anxiété disparaît, ne
subsiste tout au plus que la crainte. » -Carl Schmitt, Aufzeichnungen der Jahre
1947-1951, p.36.

« Carl Schmitt, un des théoriciens officiels du national-socialisme. » -Raymond


Aron, L'Homme contre les tyrans, Gallimard, 1946. Repris dans Raymond Aron,
Penser la liberté, penser la démocratie, Gallimard, coll. Quarto, 2005, 1815
pages, p.168.

« Quel est le centre de gravité de sa philosophie politique ? Je crois l'avoir


saisi, un jour que je me promenais avec lui à Plettenberg et que je l'interrogeais
2059
sur sa position à l'égard de la République de Weimar. « La Constitution de
Weimar, me dit-il, fut belle, presque parfaite juridiquement, mais trop belle pour
être encore politique. Elle a évacué la politique au profit d'une constitution
idéale, abstraitement idéale. Par la nature des choses une constitution doit être
politique. Que faire politiquement d'un texte qui élimine d'emblée la politique,
c'est-à-dire le plein exercice du pouvoir ? » Pour avoir longuement réfléchi à
ces paroles, j'avance à titre d'hypothèse une interprétation de la pensée de C.
Schmitt qui montre son actualité. Il est impossible d'exprimer une volonté
réellement politique si d'avance on renonce à utiliser les moyens normaux de la
politique, à savoir la puissance, la contrainte et, dans les cas exceptionnels, la
violence. Agir politiquement, c'est exercer l'autorité, manifester de la puissance,
sinon on risque d'être emporté par une puissance rivale qui entend agir
pleinement du point de vue politique. Autrement dit, toute politique implique la
puissance ; elle constitue un de ses impératifs. Par conséquent, c'est agir contre
la loi même de la politique que d'exclure d'emblée l'exercice de la puissance, en
faisant par exemple d'un gouvernement un simple lieu de concertation ou une
simple instance d'arbitrage à l'image d'un tribunal civil. La logique même de la
puissance veut qu'elle soit puissance et non pas impuissance. Et, puisque par
essence la politique exige de la puissance, toute politique qui y renonce par
faiblesse ou par juridisme cesse aussi d'être réellement de la politique, parce
qu'elle cesse de remplir sa fonction normale du fait qu'elle devient incapable de
protéger les membres de la collectivité dont elle a la charge. Le problème n'est
donc pas pour un pays de posséder une constitution juridiquement parfaite ni
non plus d'être en quête d'une démocratie idéale, mais de se donner un régime
capable de répondre aux difficultés concrètes, de maintenir l'ordre en suscitant
un consensus favorable aux innovations susceptibles de résoudre les conflits qui
surgissent inévitablement dans toute société. De ce point de vue, la critique de
la République de Weimar faite par Carl Schmitt ne procède pas du tout d'une
intention hostile à ce régime, mais du souci de lui donner l'autorité suffisante
pour mener une politique efficace. C'est ce qui ressort clairement de l'ouvrage
Legalität und Legitimität publié à peine quelques mois avant la venue au
pouvoir de Hitler. Il s'agissait comme Schmitt le déclare lui-même d'une
« tentative désespérée pour sauver le système présidentiel, la dernière chance de
la République de Weimar, face à une jurisprudence qui refusait de poser le
problème de la constitution en termes d'amis et d'ennemis ». Au fond, c'est au
nom d'une fausse conception de la légalité que les défenseurs attitrés de la

2060
Constitution de Weimar ont finalement permis à Hitler de venir de venir
légalement au pouvoir.

Pour comprendre les conceptions de Carl Schmitt il faut donc se replacer à


l'époque où sa pensée politique s'est formée, au contact de Max Weber, et où il a
publié ses premiers ouvrages d'analyse politique. C'était justement le temps où
le gouvernement allemand, faute de se donner les moyens de la politique, était à
la merci de putschs successifs et de pressions extérieures qui ont conduit à
l'occupation de la Ruhr. Le pouvoir essayait de compenser l'impuissance à
laquelle il s'était lui-même condamné en multipliant les vagues promesses
tendant à substituer à la démocratie politique la démocratie sociale, , celle-ci
étant présentée comme la démocratie idéale, celle qui devrait exister et dans
laquelle l'éthique réglerait mieux les difficultés que l'autorité et la puissance.
Pour Carl Schmitt, une démocratie ne pouvait être sociale que si d'abord elle
était politique, c'est-à-dire si elle acceptait pleinement les impératifs et les
servitudes de la politique. Il n'a cependant jamais été partisan d'une puissance
illimitée – il était trop juriste et spécialiste du droit constitutionnel pour soutenir
une pareille aberration – mais il refusait une politique qui excluait le vrai jeu
politique et espérait s'en tirer avec des mots d'ordre creux concernant la paix, le
progrès social ou l'avenir du socialisme. Il s'agissait d'une politique de la non
politique (Politik des Unpolitischen) qui ne pouvait que conduire à la pire des
politiques, faute de prendre ses responsabilités. La problématique de la
politique, C. Schmitt l'a posé dans les catégories de Hobbes. »

« Il n'y a pas de doute que C. Schmitt est le véritable fils spirituel de Max
Weber. » -Julien Freund, préface à La notion du politique, Carl Schmitt, éd.
Flammarion, 2009, pp. 14-17.

« Carl Schmitt, le profond juriste, fait plus que loucher du côté de la philosophie
politique ; il a nourri une grande admiration pour Hegel, dont une part au
moins de l'œuvre fait partie du "bagage" schmittien, avant, en tout cas, que
Schmitt ne déclare Hegel "mort en 33". »

« Penseur de la souveraineté de l'État, Carl Schmitt voit dans le libéralisme la


destruction de cette souveraineté et, par là même, l'instauration d'un nouvel État
de nature, gros de la menace de la guerre de tous contre tous. Nous serions
entrés, avec l'extension des démocraties libérales contemporaines, dans ce que
Marx appelait déjà, le "stade de l'économie". Mais loin que Carl Schmitt ait en

2061
vue le règne de la marchandise et de l'exploitation généralisée qui en est
solidaire, loin qu'il accorde un sens à l'idée d'économie politique, le règne de
l'économie signe, au contraire, selon lui, la fin de la politique ; aussi longtemps
du moins que les conflits de puissance et richesses ne jettent pas les sociétés
libérales hors de la "neutralisation" du marché et des échanges mondiaux, pour
retrouver la politique par la guerre elle-même. La priorité libérale de
l'économie sur tous les autres domaines de l'existence collective ferait donc,
selon Carl Schmitt, basculer le monde contemporain dans un apolitisme
infiniment plus dangereux pour la paix que ne l'étaient les conflits de puissance
entre les États modernes (depuis les XVIIème et XVIIIème siècles). »

« Carl Schmitt est fermé à la dialectique. Ce n'est même pas qu'il y serait
hostile, c'est qu'il ne l'entend pas, muré qu'il est dans une "pensée
d'entendement", fermé à la rationalité philosophique. [...] Carl Schmitt ne cesse
de biaiser, parce qu'il s'en tient à quelques écrits de jeunesse de Hegel, tout en
ignorant superbement le système hégélien. Il ne tient compte ni de la Logique ni
de l'Encyclopédie, ni de la Philosophie de l'Histoire. » -Edith Fuchs, Entre
Chiens et Loups. Dérives politiques dans la pensée allemande du XXème siècle.

« Le spécialiste officiel de la philosophie du droit du national-socialisme, Carl


Schmitt. » -Georg Lukàcs, Schicksalswende (1944), repris dans Tournant du
destin, Contributions à une nouvelle idéologie allemande, Aufbau, Berlin, 1956,
p.9.

« La doctrine de la souveraineté que Schmitt développe dans sa Théologie


politique peut être lue comme une réponse précise à l'essai de Benjamin
[Critique de la violence]. » -Giorgio Agamben, État d'Exception. Homo Sacer,
II,1, Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2003, 153 pages, p.92.

« Schmitt parlait de Création (Schöpfung) à propos du grand espace, ce qui,


sous la plume d’un catholique aussi scrupuleux que lui, témoigne du fait qu’il
était pleinement convaincu de la mission historique du nazisme. » -Joël Mouric,
Raymond Aron et l’Europe.

« Le partisan combat en s'alignant sur une politique et c'est précisément le


caractère politique de son action qui remet en évidence le sens originel du terme
de partisan. Ce terme, en effet, vient de parti et implique le rattachement à un
parti ou à un groupe combattant, belligérant ou politiquement actif de quelques

2062
manières que ce soit. Ces liens avec un parti se font particulièrement solides aux
époques révolutionnaires.

Dans la guerre révolutionnaire, l'appartenance à un parti révolutionnaire


implique rien moins qu'une réquisition totale. D'autres groupes, d'autres
organisations, et particulièrement l'Etat de notre temps ne sont plus à même
d'intégrer leurs membres et leurs ressortissants aussi totalement qu'un parti
menant un combat révolutionnaire requiert ses combattants actifs. Le vaste
débat autour de l'Etat dit total n'a pas encore abouti à une prise de conscience
bien nette de ce fait que ce n'est pas, de nos jours, l'Etat en tant que tel mais
bien plutôt le parti révolutionnaire en tant que tel qui représente l'organisation
totalitaire proprement dite et, à tout prendre, la seule. » -Carl Schmitt, Théorie
du partisan.

« Le suffrage individuel secret, qui n’est précédé d’aucun débat public réglé par
quelque procédure, annihile véritablement les moyens particuliers du peuple
rassemblé. En effet, l’activité, la capacité et la fonction véritables du peuple, le
noyau de toute expression populaire, le phénomène démocratique originaire, ce
que Rousseau lui-même a présenté comme la vraie démocratie, c’est
l’acclamation, le cri d’approbation ou de refus des masses rassemblées. Le
peuple acclame un chef, l’armée (ici identique au peuple), le général ou
l’empereur, les citoyens, ou bien les communes rurales acclament une
proposition (toutefois reste ouverte la question de savoir si c’est vraiment le
chef ou la proposition qui est acclamée dans son contenu) ; le peuple crie
« Vive ! » ou « A bas ! », exulte ou gronde, fait tomber l’un pour élever l’autre,
approuve une délibération par un seul mot ou la rejette par son silence. Une
recherche fondamentale d’Erik Peterson, débordant largement en importance
scientifique le cadre de sa discipline, a décrit l’acclamatio et les formes qu’elle
a revêtue aux premiers siècles du christianisme. » -Carl Schmitt, « Référendum
et proposition de loi sur initiative populaire », article de 1927.

« Dans tous ses ouvrages parus avant 1933, on ne trouve pas la moindre trace
d’antisémitisme. Dans son Romantisme politique, Schmitt dénonce d’ailleurs
sans aucune ambiguïté toute forme d’idéologie raciale. Quand il parle de la
nécessaire « homogénéité » du peuple comme l’un des présupposés de la
démocratie, il n’a jamais en vue une homogénéité ethnique, mais une
homogénéité politique évoquant la volonté générale de Rousseau. […] À cette
époque, Schmitt compte d’ailleurs de nombreux Juifs parmi ses élèves. En 1928,
2063
il dédie sa Verfassungslehre à Fritz Eisler, mort sur le front en 1914, et n’a
qu’admiration pour Hugo Preuss, corédacteur de la Constitution de Weimar, à
qui il consacre également un livre en 1930. Il est aussi l’un des rares auteurs «
de droite » en Allemagne dont la pensée, sous Weimar, n’a cessé d’être prise au
sérieux par des auteurs de gauche et d’extrême gauche. »

« En octobre 1932, Carl Schmitt défend officiellement le « Reich » contre le


gouvernement prussien devant la Cour suprême de Leipzig, suite au « coup
d’État de Prusse » (Preussenschlag) du 20 juillet 1932, par lequel Franz von
Papen, dont il est devenu l’un des conseillers, a suspendu le gouvernement
social-démocrate Braun-Severing. La même année, dans Legalität und
Legitimität, celui que Yves Charles Zarka appelle un « nazi philosophe » se
prononce… pour l’interdiction conjointe du parti nazi et du parti communiste,
qu’il déclare tous deux « ennemis de la Constitution », et pour l’instauration
d’un régime présidentiel de quatre ans. Son intention est alors de sauver la
République de Weimar en faisant proclamer l’état d’urgence. À la veille de
l’élection du Reichstag prévue pour le 31 juillet, il appelle à voter contre le
parti nazi dans un article de la Tägliche Rundschau reprenant plusieurs
passages de son livre. « Qui donnera la majorité au national-socialisme […],
écrit-il, agira mal. Il donnera la possibilité à ce mouvement encore immature sur
le plan idéologique et politique de modifier la Constitution […] Il abandonnera
complètement l’Allemagne aux mains de ce groupe ». » -Alain de Benoist, Carl
Schmitt et les sagouins, Éléments, n°110, 2003.

« Un cas extrêmement intéressant est celui du juriste Carl Schmitt, dont les
ingénieuses théories sur la fin de la démocratie et du gouvernement légal se
lisent encore avec profit ; dès le milieu des années 30, il fut remplacé par la
variété purement nazie de théoriciens politiques et juridiques, comme Hans
Frank, le futur responsable du Generalgouvernement de Pologne, Gottfried
Neesse et Reinhard Höhn. » -Hannah Arendt, Le Totalitarisme, troisième
volume des Origines du Totalitarisme (d'après le texte de la deuxième édition
augmentée de 1958), Gallimard, coll. Quarto, 2002, 1616 pages, pp.609-838,
note 66 p.655.

« Carl Schmitt considérait Sorel comme le Machiavel du XXe siècle, admirait


Lénine, correspondait avec Benjamin, Taubes, entretenant ainsi des relations
étroites avec une gauche radicale qu’il a toujours davantage estimée
intellectuellement et politiquement que les modérés de gauche ou de droite.
2064
L’impact des théories de Schmitt est donc « non seulement direct, mais il est
également « médiatisé » par l’influence qu’il a exercée sur des penseurs qui
eux-mêmes influent sur elles. »

Sa réception est donc complexe, plurielle, contradictoire, et constitue avant


tout une confrontation inéluctable liée à des thématiques qui dépassent
largement son cadre de pensée. La plupart des auteurs qui reprennent Carl
Schmitt, comme Agamben, Balibar, Negri, Derrida, Mouffe, sont marqués par le
marxisme. C’est que les figures de Carl Schmitt et de Karl Marx, dans leur
critique commune de la démocratie libérale et de la morale « petite-bourgeoise
», et dans leur approche « matérialiste » ou « concrète » du monde censée
dévoiler les rapports de force derrière le droit, ont plus d’un point commun
pour susciter leur rencontre. » -Edouard Jourdain, Réfraction 27, p.79.

« A l'heure actuelle, il se publie un livre sur Carl Schmitt tous les 10 ou 12


jours. » -Alain de Benoist, Les Idées à l’endroit : Une évocation de Carl
Schmitt.

http://hydra.forumactif.org/t1073-carl-schmitt-oeuvres#2786

http://hydra.forumactif.org/t2068-codrin-taut-theologie-politique-et-
secularisation-chez-carl-schmit-wagdi-sabete-du-mythe-de-l-augustinisme-
politique-de-carl-schmitt-sandrine-baume-carl-schmitt-penseur-de-l-etat#2778

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Schmitt/dp/2735122743/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1481402476&sr=
1-1

2065
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espaces/dp/2916916067/ref=sr_1_15?s=books&ie=UTF8&qid=1481402476&sr
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1947/dp/2711615936/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1446557866&sr=8-
1&keywords=Ex+Captivitate+Salus.+Exp%C3%A9riences+des+ann%C3%A9e
s+1945-1947

https://www.amazon.fr/Hamlet-H%C3%A9cube-Lirruption-temps-
dans/dp/2851812947/ref=sr_1_8?s=books&ie=UTF8&qid=1481402476&sr=1-8

http://www.amazon.fr/faire-Carl-Schmitt-Jean-Fran%C3%A7ois-
Kerv%C3%A9gan/dp/2070135411/ref=pd_sim_14_3?ie=UTF8&refRID=0X56
C7MYZ250DNTVR04Q&dpID=41trLmSR5PL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL
160_SR106%2C160_

http://www.amazon.fr/LEtat-total-selon-Carl-
Schmitt/dp/2917285443/ref=pd_sim_14_5?ie=UTF8&refRID=1GFSZMW0FM
K1B4SXHEHP&dpID=51CDxKWIVBL&dpSrc=sims&preST=_AC_UL160_S
R103%2C160_

http://www.amazon.fr/Hegel-Carl-Schmitt-sp%C3%A9culation-
positivit%C3%A9/dp/2130548636/ref=sr_1_3?s=books&ie=UTF8&qid=14450
85311&sr=1-3&keywords=Carl+Schmitt%2C+La+notion+de+politique

http://www.amazon.fr/Carl-Schmitt-Un-esprit-
dangereux/dp/220035049X/ref=pd_sim_sbs_14_6?ie=UTF8&refRID=064V3P
V5N1S9SVEDWV4M&dpID=51ixJ-
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https://www.amazon.fr/Law-Politics-Schmitts-Liberalism-
Paperback/dp/B00FOTNT5K/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1462905571
&sr=1-
1&keywords=Law+as+Politics%3A+Carl+Schmitt%27s+Critique+of+Liberalis
m

http://www.amazon.fr/Ren%C3%A9-Capitant-Carl-Schmitt-
parlementarisme/dp/2738470181/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1446235240&sr=8
-

2066
1&keywords=Ren%C3%A9+Capitant%2C+Carl+Schmitt+%3A+crise+et+r%C
3%A9forme+du+parlementarisme.+De+Weimar+%C3%A0+la+Cinqui%C3%A
8me+R%C3%A9publique

http://www.amazon.fr/Ecrits-dentre-deux-guerres-1928-1940-Ren%C3%A9-
Capitant/dp/2913397387/ref=asap_bc?ie=UTF8

http://livre.fnac.com/a6743536/Heinrich-Meier-La-lecon-de-Carl-Schmitt

Hermann Heller (1891-1933): « Social-démocrate, non positiviste, Hermann


Heller publie à la fin des années 1920 et au début des années 1930 une série
d’articles d’une grande lucidité: “Rechtsstaat oder Diktatur”, « État de droit ou
dictature » ; c’est lui qui défendra le gouvernement social-démocrate de Prusse
contre Hindenburg au moment du « coup de Prusse », tandis que le Reich était
alors défendu par Carl Schmitt. On peut dire que Heller est l’anti-Schmitt, à la
fois son opposant historique et son antidote théorique.

Dans un article de 1929, « Was bringt uns eine Diktatur ? Fascismus und
Wirklichkeit », Heller observe que l’Europe traverse une crise politique
profonde et que « beaucoup, à gauche comme à droite, croient pouvoir guérir
cette crise par la dictature ». A cette croyance, Heller oppose l’expérience
récente et en cours de la dictature bolchévique et de l’expérience fasciste, dont
le « modèle » est italien mais que l’Espagne, le Portugal, la Grèce, la Pologne,
la Hongrie et la Turquie ont « plus ou moins imitée ». Démolissant point par
point les prétentions du fascisme –le « sauvetage » économique de l’Italie par
Mussolini d’une situation dont on oublie d’imputer une large part à la guerre, la
« conduite » simplifiée d’un pays intellectuellement développé dont on prétend
« qu’il pourrait n’avoir qu’une opinion politique, à savoir celle du dictateur »,
etc., -Heller conclut : « Les Italiens ont appris qu’il était beaucoup plus facile de
recevoir un dictateur que de s’en débarasser. Faisons en sorte de toutes nos
forces que cette expérience amère nous soit épargnée. »

Dans l’article de 1929 « Rechtsstaat oder Diktatur ? » (« État de droit ou


dictature »), Heller dénonce la « haine néo-féodale de la loi » des théoriciens
fascistes. Si, dans ces deux articles, Heller ne cite pas Carl Schmitt, l’opposition
au « concept de politique » de ce dernier est détaillé dans d’autres essais de la
même période (Probleme der Demokratie, 1928) tandis que l’essai de 1929,
Europa und der Fascismus, inclut Schmitt dans la constellation fasciste et récuse
aussi bien sa conception agonistique du politique que sa prétention à
2067
promouvoir un concept de démocratie amputé de la dimension de la discussion,
du parlementarisme, de la pluralité et de la protection des minorités. « Sans
[son fondement dans la discussion] », note Heller, « le principe d’organisation
constitutif de la démocratie, le choix politique des dirigeants et la définition
d’objectifs par la décision de la majorité perd toute validité. […] Le moyen
technique de la formation d’unité démocratique » implique le « renoncement de
la majorité à la soumission violente de la minorité et de ses prétentions à
devenir la majorité dans de prochaines occassions ». Heller oppose à cette
compréhension d’une conflictualité démocratique qui respecte les adversaires la
vision schmitienne d’un « ennemi » tel qu’il engagerait toujours « la possibilité
réelle de la mise à mort physique » : « on ne peut croire à une base de
compréhension et de discussion entre de tels ennemis politiques », note Heller.
« Ici, Parler est impossible, on ne peut que Dicter (« Hier ist kein Parlieren, nur
noc hein Diktieren möglich »). » -Jean-Claude Monod, introduction à Carl
Schmitt, La Dictature. Des débuts de la conception moderne de la souveraineté
à la lutte des classes prolétarienne, Seuil, coll. "Essais Points", 2000 (1921 pour
la première édition allemande), 427 pages, p.43-44.

https://www.amazon.fr/crise-th%C3%A9orie-lEtat-
2/dp/2247121128/ref=la_B009O4VF70_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1494603
590&sr=1-1

Hans Kelsen (1881-1973): "La distinction logique entre être et devoir-être -qui
réside dans l'impossibilité de passer, au moyen d'une déduction logique, du
domaine de l'un à celui de l'autre- est une des positions centrales de la théorie
pure du droit."

"[La théorie pure du droit] assigne à l'interprétation scientifique l'unique tâche


de révéler les significations possibles d'une norme concrète et de laisser à
l'organe chargé d'appliquer le droit le choix, déterminable uniquement en
termes de considérations politiques, entre les différentes interprétations
théoriquement possibles. Qu'une seule de celles-ci soit "juste" ne peut être
soutenu du point de vue de la science du droit. Une telle affirmation contribue
uniquement à maintenir l'illusion d'une sécurité juridique qui, en vérité, n'existe
pas." (p.559)

"Le droit ne peut être isolé de la politique dès lors qu'il en est un instrument. Sa
création aussi bien que son application sont politiques et cela implique des

2068
fonctions déterminées par des jugements de valeur. Mais la science du droit
peut et doit être séparée de la politique s'il lui est permis, en définitive, de
prétendre au statut de science. Cela signifie que la connaissance du droit positif,
sa description, l'analyse de sa structure, la définition des concepts qui le
conçoivent et son interprétation scientifique -éléments inhérents à l'essence de
chaque science- doivent être strictement objectives et, partant, ne peuvent être
influencées par les jugements de valeur du théoricien du droit qui revêtent
toujours un caractère subjectif et émotionnel."(pp.559-560)

"La justice est, en son essence, une valeur absolue ; et l'absolu en général,
comme les valeurs absolues en particulier, se situent au-delà de la connaissance
scientifique et rationnelle. La théorie pure du droit est un positivisme juridique.
Elle est même la théorie du positivisme juridique ; et le positivisme juridique
marche main dans la main avec le relativisme. En d'autres termes, lorsqu'on
pose la question de la valeur d'un droit positif, de sa justice, la seule réponse
qui peut être avancée est qu'il est relatif ; c'est-à-dire qu'il n'est juste que sous la
présupposition d'une certaine valeur supérieure [...] Mais l'adoption d'une
valeur supérieure repose toujours sur un jugement de valeur subjectif et
irrationnel." (p.560)
-Hans Kelsen, "Qu'est-ce que la théorie pure du droit ?", Droit et Société, Année
1992, 22, pp. 551-568.

"Kelsen solved the problem of the concept of sovereignty by negating it. The
result of his deduction is that "the concept of sovereignty must be radically
repressed." This is in fact the old liberal negation of the state vis-à-vis law and
the disregard of the independent problem of the realization of law.” -Carl
Schmitt, Théologie politique - Quatre chapitres sur le concept de souveraineté,
1922. D'après la traduction anglaise de George Schwab, The MIT Press,
Cambridge, Massachusetts, and London, England, 1985, 70 pages, p.21.

« Rappelons simplement pour montrer l'importance de l'oeuvre d'Hans


KELSEN, peu connue du grand public, qu'il est le théoricien et le promoteur,
dans le cadre de l'"Ecole normativiste de Vienne", de la conception la plus
rigoureuse de l'Etat de droit (le Droit, c'est l'Etat), de l'ordre juridique
hiérarchisé statique (chaque norme doit avoir un contenu conforme ou
compatible avec une norme supérieure) et dynamique (chaque norme ne peut
être posée que conformément à une procédure prescrite par une norme
supérieure), qui est aussi un ordre pyramidal où trône la norme fondamentale
2069
constitutionnelle, où la Constitution est posée par hypothèse comme valide. Il
est également le théoricien de l'ordre juridique international qui affirme sa
primauté sur le droit interne des Etats, ce principe étant à la base de la
conception de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et de l'Union
Européenne (UE).

Souvent, le normalisme kelsénien est présenté comme une "forme


paroxystique du positivisme juridique (qui) présenterait l'aspect fâcheux d'une
doctrine manquant de correction politique. Ne faisant, par attachement viscéral
au principe épistémologique de neutralité axiologique, pas de discrimination
entre systèmes politiques démocratiques et systèmes totalitaires pour
l'identification théorique d'un ordre juridique, KELSEN est souvent dénoncé
comme le promoteur d'une vision du droit qui favoriserait la complicité du
juriste (praticien autant que théoricien) avec le pouvoir politique le plus
injustifiable. Si bien que le positivisme kelnésien semble un peu décalé, dans le
contexte contemporain de retour au "souci éthique", particulièrement marqué
dans le champ actuel de la philosophie du droit (...)." (Olivier CAYLA).
Or, cette présentation, proche de l'absurde, reflète surtout l'opinion de juristes
civilistes (favorables au droit privé) qui refusent la primauté de l'Etat. "Il faut
dire que, tout en réfutant la distinction traditionnelle entre droit privé et droit
public, La théorie pure du droit, en s'appuyant sur la notion de norme, promeut
une conception du droit qui (...) véhicule une idéologie nettement publiciste.
Autrement dit, le normativisme kélsénien réactive d'une certaine façon le conflit
entre les disciplines privatiste et publiciste, en faisant valoir le caractère
authentiquement scientifique du concept de norme, comme argument de
supériorité de la culture publiciste sur la culture privativiste (...). Ce qui est
assez mal vu dans les régions à tradition anglo-saxonne, par exemple, où le
droit privé possède une influence considérable.
Tout l'édifice juridique d'Hans KELSEN repose sur son efficacité : "c'est
le constat que l'ordre normatif posé par la constitution est efficace "en gros et
en général" : de sorte que, si, pour KELSEN, la norme fondamentale demeure
toujours, logiquement, le seul fondement de la validité de la constitution, on doit
tout de même concéder que l'efficacité de cette constitution est aussi la condition
de sa validité". La rigueur de cette cascade de normes repose sur l'accord de
tous ou presque sur la validité de ces normes et, en fin de compte, ces normes
proviennent directement de l'état des relations entre les membres de la société
qui se donne pour cadre de vie un Etat. Pour dire les choses directement, toute
2070
cette rigoureuse construction juridique repose sur l'état dynamique des conflits
sociaux.
On a pu écrire comme Olivier CAYLA, que la théorie de l'interprétation d'Hans
KELSEN, exposée dans les dix dernières pages de La théorie pure du droit
"subvertit tout bonnement la théorie de la hiérarchie des normes et de la norme
fondamentale et constitue la principale et ravageuse source de contradiction
interne à la pensée du maître viennois". Car l'acte d'interprétation est toujours
un acte de volonté, et non un acte de connaissance. L'existence juridique d'une
norme législative, écrit Hans KELSEN, ne résulte pas de sa conformité à la
constitution, mais de l'interprétation par le juge. La validité ne provient pas de
la norme supérieure, mais du processus de production de normes inférieures."
Ce qui se comprend quand on lit les écrits du juriste sur la démocratie.

Proche idéologiquement du Parti social-démocrate, acteur de la


politique intérieure de l'Autriche (dont il écrit la Constitution de 1920), Hans
KELSEN rejette toute "ingérence" religieuse et métaphysique, toute relation
avec un droit naturel dans l'établissement du droit public. "Or l'idée que, dans
la nature qui est une manifestation de sa volonté - ou de toute autre façon - Dieu
commanderait aux hommes de se conduire d'une certaine façon, est une thèse
métaphysique qui ne peut pas être acceptée d'une façon générale par une
science quelconque et en particulier par la science du droit : la connaissance
scientifique ne peut avoir pour objet un quelconque processus que l'on situe au-
delà de toute expérience possible." (Théorie pure du droit). Exclu de
l'enseignement du droit à Cologne dès 1933, préparateur des aspects juridiques
du Procès de Nuremberg, Hans KELSEN professe l'identité entre droit et Etat :
celui-ci relève du devoir-être, et est en priorité un ordre de contrainte qui
applique le droit. L'Etat n'assure son unité que par la soumission de ses
membres à un ordre juridique commun (pas de droits privés déconnectés de
l'action de l'Etat) et jamais par des ferments de nature sociologique ou
religieuse et encore moins "raciale".
Il faut toujours se souvenir, quand l'assimilation de la légitimité et de la
légalité est critiquée (car elle est par ailleurs critiquable) du contexte dans
lequel vit Hans KELSEN. "Le combat que KELSEN mène pour l'indépendance
de la science du droit à l'égard

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