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ORDRE PUBLIC ÉCONOMIQUE ET POUVOIRS PRIVÉS ÉCONOMIQUES :

LE DROIT DE LA CONCURRENCE CŒUR DE L’ORDRE PUBLIC


ÉCONOMIQUE

Patrice Reis

Association internationale de droit économique | « Revue internationale de droit


économique »

2019/1 t. XXXIII | pages 11 à 22


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ISSN 1010-8831
ISBN 9782807393189
DOI 10.3917/ride.331.0011
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2019-1-page-11.htm
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ORDRE PUBLIC ÉCONOMIQUE ET POUVOIRS
PRIVÉS ÉCONOMIQUES : LE DROIT DE LA
CONCURRENCE CŒUR DE L’ORDRE PUBLIC
ÉCONOMIQUE

Patrice REIS 1
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Résumé : Le droit de la concurrence est considéré à juste titre comme étant le cœur
de l’ordre public économique, cependant le droit de la concurrence est trop sou-
vent limité à la seule prise en compte du droit antitrust. Dans la défense de l’ordre
public économique, il n’est pas et ne peut être ainsi limité, le droit des pratiques
restrictives de concurrence et, dans une moindre mesure, le droit de la concurrence
déloyale contribuent aussi à la sauvegarde de l’ordre public économique.

1 Introduction
2 Atteintes à la concurrence et ordre public économique
2.1 Le droit antitrust et l’ordre public économique
2.2 L’intervention des pouvoirs publics sollicitée ou imposée par les pouvoirs privés
économiques et l’ordre public économique
3 Excès de concurrence et ordre public économique
3.1 Désorganisation du marché, concurrence déloyale et ordre public économique
3.2 Pratiques restrictives de concurrence et ordre public économique

1 INTRODUCTION
Le droit de la concurrence, cœur du droit économique 2, est une discipline qui, par
essence même, se situe au confluent des notions d’ordre public économique et de

1. Maître de conférences en droit privé.


Université de Nice Sophia Antipolis GREDEG UMR7321 CNRS/UCA.
2. G. Farjat, Droit économique, coll. Thémis, Paris, PUF, 1982 ; G. Farjat, Pour un droit écono-
mique, Paris, PUF, 2004.

Revue Internationale de Droit Économique – 2019 – pp. 11-22 – DOI: 10.3917/ride.331.0011


Ordre public économique et pouvoirs privés économiques 12

pouvoirs privés économiques. L’ordre public économique 3, entendu dans sa défi-


nition la plus restrictive, vise a priori à garantir le fonctionnement concurrentiel
des marchés même s’il convient de rappeler que la sauvegarde de l’ordre public
économique va au-delà du maintien de la concurrence pour englober d’autres com-
posantes de l’ordre public général 4, comme l’illustrent par exemple les missions
confiées aux autorités de régulation sectorielle 5. Si le droit économique est le droit
du pouvoir économique 6, le droit de la concurrence est le droit du contrôle de l’exer-
cice de ce pouvoir économique, le pouvoir de marché acquis par les opérateurs éco-
nomiques au premier rang desquels l’on retrouve les pouvoirs privés économiques.
Il suffit ici de penser au contrôle des concentrations, contrôle a priori du pouvoir
économique afin d’éviter une trop forte concentration susceptible de nuire par la
suite à la concurrence ou encore au contrôle des pratiques anticoncurrentielles,
en principe un contrôle a posteriori, qu’elles soient unilatérales comme l’abus de
position dominante ou collectives comme les ententes ou cartels. La concentration
économique du pouvoir a conduit à ce que certains marchés soient aujourd’hui
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oligopolistiques dans un contexte mondial, y compris dans des secteurs d’activités
marqués par des innovations dites disruptives comme l’incarnent les GAFAM 7.
Le contrôle de l’exercice du pouvoir économique au titre de l’ordre public
économique en droit de la concurrence se traduit certes par un droit visant à limi-
ter les atteintes à la libre concurrence, incarné par le contrôle des concentrations
et le droit des pratiques anticoncurrentielles ou encore par le contrôle des aides
publiques, mais aussi par un droit qui vise à contrôler les excès de concurrence
incarné par tout un ensemble de pratiques excessives de concurrence que l’on
peut qualifier de déloyales, d’agressives ou encore de restrictives de concurrence.

3. G. Ripert, « L’ordre économique et la liberté contractuelle », in Mélanges François Gény, Paris,


Sirey, 1934, t. 2, p. 352 ; G. Farjat, L’ordre public économique, Bibliothèque de Droit privé,
t. 34, Paris, LGDJ, 1963, 543 p. ; R. Savatier, « L’ordre public économique », D., 1965, chron.
p. 37 ; B. Oppetit, « Droit et économie », Arch. phil. dr., 1992, vol. 37, pp. 17 et s. ; Ph. Malaurie,
« La notion d’ordre public économique », RCC, 1995, n° 83, p. 48 ; M. Malaurie-Vignal, « Dans
quelles conditions les règles de bon fonctionnement du marché peuvent-elles prévaloir sur le
contrat ? », RCC, 1995, spéc. p. 49 ; S. Poillot-Peruzzetto, « Ordre public et droit communau-
taire », D., 1993, chron. p. 177 ; G. Marcou, « L’ordre public économique. Un essai de redé-
finition », in Th. Revet, L. Vidal (dir.), Annales de la régulation, Paris, IRJS Éditions, 2009 ;
Th. Pez, « L’ordre public économique », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, octobre
2015, n° 49, pp. 44-57 ; M.-A. Frison-Roche, « Les différentes natures de l’ordre public écono-
mique », Arch. phil. dr., 2015, n° 58, pp. 147-170.
4. Th. Pez, « L’ordre public économique », op. cit. ; A.-S. Mescheriakoff, Droit public économique,
coll. Droit fondamental, 2e éd., Paris, PUF, 1996 ; G. Marcou, « L’ordre public économique. Un
essai de redéfinition », op. cit. ; M.-A. Frison-Roche, « Les différentes natures de l’ordre public
économique », op. cit.
5. A. Laget-Annamayer, « Le règlement des différends comme vecteur du renforcement des pou-
voirs de l’ARAFER », Droit administratif, octobre 2017, n° 10, comm. 44 ; Th. Pez, « L’ordre
public économique », op. cit.
6. J.-B. Racine, F. Siiriainen, « Retour sur l’analyse substantielle en droit économique », RIDE,
2007, p. 259.
7. M. Ponsard, L. Arcelin, « Économie numérique, données et plateforme », Contrats, conc.
consom., 2016, n° 6, p. 16 ; Association française de l’étude de la concurrence (AFEC), Rapport
sur l’économie numérique, 10 février 2016, disponible sur le site : afec.asso.fr.
Ordre public économique et pouvoirs privés économiques 13

Le droit de la concurrence est, en effet, très souvent présenté notamment d’un


point de vue pédagogique en procédant à une distinction somme toute assez clas-
sique entre d’une part, le « grand droit de la concurrence » ou droit antitrust et
d’autre part, le « petit droit de la concurrence » ou droit des pratiques restrictives
de concurrence 8. Le droit des pratiques anticoncurrentielles auquel on adjoint le
contrôle des concentrations et celui des aides publiques, « vrai droit de la concur-
rence » 9, a pour fonction première la protection du jeu de la concurrence sur le
marché et serait bien entendu le seul qui relèverait de la sauvegarde de l’ordre
public économique, alors que le droit des pratiques restrictives de concurrence a
pour fonction plutôt la protection des contractants 10 ou concurrents victimes de ces
pratiques et donc, in fine, la protection d’intérêts privés. Les pratiques restrictives,
sanctionnées pénalement pour certaines et civilement pour d’autres, sont interdites
per se, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de démontrer une incidence actuelle
ou potentielle sur la concurrence dans la mesure où, a priori, il ne s’agit pas de
protéger l’ordre public économique, mais plutôt des droits subjectifs. Cependant,
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cette distinction formelle ne recouvre pas la réalité. En effet, si le contrôle des
atteintes actuelles ou potentielles à la concurrence, en tant que mode d’organisa-
tion, a pour objet la protection de la libre concurrence, la sanction des excès de
concurrence permet aussi de garantir l’existence même de cette libre concurrence
en assurant au préalable une égalité dans les conditions d’exercice de la concur-
rence, c’est-à-dire dans les conditions d’accès au marché. La sauvegarde de l’ordre
public économique ne peut dès lors être limitée, en droit de la concurrence, au seul
droit antitrust.
L’ordre public économique vise donc, en droit de la concurrence en tant
que gardien des marchés 11, certes à garantir le fonctionnement du marché par la

8. Cette distinction est inscrite dans le Livre IV du Code de commerce avec un Titre II consacré aux
pratiques anticoncurrentielles et un titre IV relatif à la transparence et aux pratiques restrictives.
Il est de tradition d’inclure aussi dans le petit droit de la concurrence, le droit de la concurrence
déloyale ou encore les règles relatives aux clauses de non-concurrence (Y. Serra, « Les fon-
dements et le régime de l’obligation de non-concurrence », RTD com., 1998, p. 8), ce qui a pu
conduire à le percevoir comme un « droit des boutiquiers ». Pour une critique de cette expression,
voir A. Pirovano, M. Salah, « L’abus de dépendance économique : une notion subversive ? »,
LPA, 21 et 24 septembre 1990, sur la connotation boutiquière du droit de la concurrence déloyale,
A. Pirovano, « Pour un droit économique de G. Farjat », RTD civ., 2005, p. 671.
9. Sur l’utilisation de cette expression, voir L. Idot, « L’empiétement du droit de la concurrence sur
le droit du contrat », RDC, 2004, p. 882 ; M. Pedamon, A. Decocq, « Les vingt ans de l’ordon-
nance du 1er décembre 1986 : prologue », Journ. soc., 2006, n° 38, p. 32 ; L. Boy, « L’abus de
pouvoir de marché, contrôle de la domination ou protection de la concurrence », RIDE, 2005,
pp. 27-50.
10. Une partie de la doctrine a pu considérer que ces dispositions relèvent en réalité du droit commun
des obligations puisqu’elles visent à assurer la protection d’un contractant et non celle du mar-
ché. L. Idot, « La protection par le droit de la concurrence », in D. Mazeaud, C. Jamin (dir.), Les
clauses abusives entre professionnels, Paris, Economica, 1998, p. 55 ; L. Vogel, « L’articulation
entre le droit civil, le droit commercial et le droit de la concurrence », RCC, 2000, n° 155, p. 7 ;
J.-Cl. Fourgoux, « Inutilité du droit interne de la concurrence », RJ com., 1989, p. 145. Plus ré-
cemment, voir les propositions du Rapport pour une réforme du droit de la concurrence, sous la
présidence de G. Canivet et F. Jenny, Club des juristes, janvier 2018.
11. M.-A. Frison-Roche, « Les différentes natures de l’ordre public économique », op. cit., p. 152.
Ordre public économique et pouvoirs privés économiques 14

sanction des atteintes à la concurrence (2), mais aussi à lutter contre les excès de
concurrence au nom de la sauvegarde de l’ordre public économique (3).

2 ATTEINTES À LA CONCURRENCE ET ORDRE PUBLIC


ÉCONOMIQUE
La concurrence n’est pas un état spontané et elle n’est pas non plus simplement un
mécanisme permettant de faire se rencontrer l’offre et la demande, elle est avant
tout une confrontation et une contrainte économique entre opérateurs économiques
se traduisant par le droit de nuire à autrui puisqu’il s’agit tout de même d’accroître
ses parts de marché au détriment des concurrents présents sur un même marché
pertinent. Cette confrontation se doit d’être encadrée par le droit, par des dispo-
sitions d’ordre public instituant ainsi pour les entreprises une contrainte juridique
rendant la contrainte économique effective. Il s’agit ici, tout d’abord, des règles
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qui ont pour objet d’assurer le maintien de cette contrainte économique pour les
entreprises qu’est la concurrence en assurant la protection de la concurrence sur
le marché (2.1). Cependant l’atteinte à la concurrence ne peut être limitée au seul
contrôle des comportements ou des structures des entreprises, l’intervention des
pouvoirs publics sur le marché lorsqu’elle est sollicitée ou obtenue par les pouvoirs
privés économiques peut aussi constituer une atteinte à la concurrence, c’est là le
rôle du contrôle des aides publiques (2.2).

2.1  Le droit antitrust et l’ordre public économique

Le droit antitrust peut être considéré comme le cœur du droit de la concurrence


dans la mesure où le droit des ententes et des abus de domination incarne l’ordre
public économique dans sa fonction de préservation du fonctionnement concur-
rentiel des marchés en posant un certain nombre d’interdictions en droit interne
comme en droit européen de la concurrence ou encore aux États-Unis depuis le
Sherman Act de 1890. À cet égard, l’immixtion du droit de la concurrence dans le
droit des contrats et les atteintes à la liberté contractuelle, voire au droit de propriété
au nom de l’ordre public économique, ont pu être soulignées par la doctrine 12 dans
la mesure où il s’agit bien, par ces atteintes, de garantir in fine la liberté d’accès
au marché et donc la libre concurrence. Ainsi le droit de la concurrence va « sur-
veiller les clauses contractuelles » 13, tout contrat ou toute clause qui se rapporterait

12. M. Chagny, Droit de la concurrence et droit commun des obligations, coll. Nouvelle bibliothèque
de thèses, Paris, Dalloz, 2004 ; M. Chagny, « L’empiétement du droit de la concurrence sur le
droit du contrat », RDC, 2004, p. 861 ; B. Fages, J. Mestre, « L’emprise du droit de la concur-
rence sur le contrat. Droit du marché et droit commun des obligations », RTD com., 1998, p. 71 ;
F. Dreifuss-Netter, « Droit de la concurrence et droit commun des obligations », RTD civ., 1990,
p. 369.
13. M. Chagny, Droit de la concurrence et droit commun des obligations, op. cit., spéc. n° 385 et s.
Ordre public économique et pouvoirs privés économiques 15

à une pratique anticoncurrentielle serait ainsi nulle 14. De plus, l’utilisation de la


théorie des facilités essentielles en matière d’abus de position dominante permet,
en consacrant un droit d’accès pour les concurrents, de porter atteinte à la fois au
droit de propriété du détenteur de l’infrastructure et à sa liberté contractuelle, ce
dernier ne pouvant effectivement plus déterminer librement les conditions contrac-
tuelles de cet accès notamment en termes de détermination du prix d’utilisation de
l’infrastructure 15.
Il y a ici une apparente contradiction, mais qui n’est qu’apparente dans la
mesure où tout un ensemble d’interdits ont pour objet d’assurer la protection de la
libre concurrence même si la libre concurrence, fondement de l’économie de mar-
ché, implique en pratique la garantie de la propriété privée, la liberté contractuelle
et le respect des contrats. Mais les atteintes à ces principes se fait au nom de la
sauvegarde de la concurrence, cœur de l’ordre public économique.
Les autorités de la concurrence se réfèrent explicitement à cette notion d’ordre
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public économique. Ainsi, par exemple, la Cour de justice de l’Union européenne
a jugé que le montant de l’amende venant sanctionner la violation des règles de
concurrence est fixé, notamment, en fonction « de la gravité de l’infraction et des
éléments objectifs tels le contenu et la durée des comportements anticoncurrentiels,
leur nombre et leur intensité, l’étendue du marché affecté et la détérioration subie
par l’ordre public économique » 16.
Les pratiques anticoncurrentielles ne sont interdites et sanctionnées que si elles
ont une incidence actuelle ou potentielle sur la concurrence sensible, justifiant ainsi
d’une part que les accords d’importance mineure soient exonérés, car non suscep-
tibles de fausser la concurrence, et d’autre part que les ententes contribuant au
progrès économique soient exemptées de sanctions. Il ne s’agit pas de protéger une
concurrence idéalisée relevant d’un modèle théorique de la concurrence pure et
parfaite, mais bien d’assurer une concurrence effective 17. Néanmoins, les pratiques
unilatérales incarnées par l’abus de position dominante ne bénéficient pas de cette
possibilité d’exemptions au titre de la contribution au progrès économique 18, ce qui

14. Article L. 420-3 du Code de commerce.


15. C’est là notamment un des rôles des autorités de régulation sectorielle dans la mesure où le droit
de la régulation est « bâtisseur de marchés » et non pas simplement gardien des marchés comme le
droit de la concurrence. En ce sens, voy. M.-A. Frison-Roche, « Les différentes natures de l’ordre
public économique », op. cit., p. 152.
16. CJUE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a. c. Commission, aff. C-204/00 P, C-205/00 P,
C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Rec. p. I-123, point 91.
17. Sur cette notion, voy. F. Riem, « Concurrence effective ou concurrence efficace ? L’ordre concur-
rentiel en trompe-l’œil », RIDE, 2008, p. 67. Cependant, dans certains cas, la pratique décision-
nelle des autorités de concurrence nationales et européenne écarte toute possibilité d’exonération
de sanctions en matière d’ententes anticoncurrentielles. C’est le cas dans le secteur des marchés
publics, car au-delà de l’atteinte à l’ordre public économique que constitue l’entente anticoncur-
rentielle entre entreprises candidates à un marché public, il y a dans ce cas aussi une atteinte à
l’ordre public par la mise en cause des deniers publics et des finances publiques.
18. Même si l’entreprise invoque le fait que sa pratique est favorable aux consommateurs. Voir, à ce
titre, les arguments de Google dans les deux affaires suivantes : décision (UE) du 17 juin 2017,
Ordre public économique et pouvoirs privés économiques 16

démontre bien la volonté de sanctionner l’abus de pouvoir économique unilatéral


dans la mesure où la notion de domination incarne le pouvoir privé économique 19.
Le contrôle des pratiques anticoncurrentielles traditionnellement perçu comme
un droit de « père Fouettard » 20 se transforme en ordre négocié et évolutif comme
l’utilisation croissante de procédures dites négociées 21 qui permettent d’associer
les opérateurs économiques à la mise en œuvre effective de l’ordre public écono-
mique. Les pouvoirs privés économiques, destinataires ou « victimes » de l’ordre
public économique, deviennent ainsi des acteurs de sa mise en œuvre. Ainsi, à titre
d’exemple, la procédure d’engagements, qui suit la notification de préoccupations
de concurrence en droit interne ou d’un test de marché en droit européen, permet
d’obtenir d’une ou de plusieurs entreprises qu’elle(s) adopte(nt) pour l’avenir un
comportement déterminé avant même toute qualification juridique de la pratique.
Le contrôle des pratiques anticoncurrentielles n’est dès lors plus seulement un
contrôle a posteriori, il devient aussi un contrôle a priori sur le modèle du contrôle
des concentrations permettant de construire la concurrence et non pas simplement
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d’agir en tant que gardien 22.
Le droit antitrust, c’est aussi le contrôle des concentrations dans la mesure où
le phénomène de concentration économique est à l’origine même de l’apparition
de pouvoirs privés économiques. Ce contrôle a priori ou ex ante vise lui aussi à
garantir le bon fonctionnement concurrentiel des marchés en portant atteinte aux
libertés économiques et particulièrement à la liberté d’entreprendre. Néanmoins, il
a pour caractéristique d’incarner un contrôle des structures de marché et non pas
des comportements à l’inverse du droit des pratiques anticoncurrentielles tout en
étant tourné vers la prospective. De ce fait, il présente un caractère subversif 23,

Google Search Shopping, COMP/39.740, IP/17/1784, N. Banasevic, B. Marques, A. Portuese,


« The Google Shopping Decision », Concurrences, 2018, n° 86715, pp. 25-37 ; décision (UE)
du 19 juillet 2018, Google Android, aff. AT-40099, IP/18/4581, C. Prieto, « Nouveaux abus de
position dominante de Google, après celui lié à Google Shopping, ceux relatifs à Android », RTD
eur., 2018, p. 513.
19. La position dominante n’est pas interdite per se puisqu’elle est peut-être acquise, maintenue, voire
développée, par les mérites tout en sachant que l’entreprise en position dominante à une respon-
sabilité particulière sur un marché. Pour une application récente, C. Prieto, « Les mérites étouffés
des concurrents de Google ou l’abus par algorithme », RTD eur., 2017. p. 429.
20. Ph. Malaurie, « Le marché et l’État à l’heure de la mondialisation. (Réglementations contrai-
gnantes et libertés économiques : la quadrature du cercle ?) », LPA, 18 janvier 2008, p. 9.
21. F. Marty, P. Reis, « Analyses croisées juridiques et économiques des procédures négociées en
droit de la concurrence », in Les procédures négociées en droit de la concurrence, Les Dossiers de
la RIDE, 2011, vol. 4, pp. 17-45.
22. Voir, par exemple, les engagements de Booking, Autorité de la concurrence, 21 avril 2015, déci-
sion no 15-D-06 sur les pratiques mises en œuvre par les sociétés Booking.com BV, Booking.
com France SAS et Booking.com Customer Service France SAS dans le secteur de la réservation
hôtelière en ligne, D., 2016, p. 964, obs. D. Ferrier ; T. com. Paris, 7 mai 2015, Expedia, RG
no 2015/000040 ; M. Chagny, « Les clauses de parité tarifaire entre le droit des pratiques restric-
tives de concurrence et droit des pratiques anticoncurrentielles. De la Commission d’examen des
pratiques commerciales au législateur en passant par l’Autorité de la concurrence », RTD com.,
2015, p. 483.
23. Au même titre que l’abus de dépendance économique, A. Pirovano et M. Salah, « L’abus de
dépendance économique : une notion subversive ? », op. cit., p. 12 ; F. Marty, P. Reis, « Une
Ordre public économique et pouvoirs privés économiques 17

car aucun acte répréhensible n’a encore été commis, il s’agit d’éviter des atteintes
futures à la concurrence du fait d’une trop forte concentration économique qui
viendrait à créer ou à renforcer une position dominante sur le marché. Ce carac-
tère subversif explique probablement le fait qu’il ne soit apparu en droit interne
et en droit européen de la concurrence qu’assez tardivement par rapport au droit
des pratiques anticoncurrentielles 24. Le contrôle sélectif des concentrations en droit
interne et européen de la concurrence qui suppose le franchissement de certains
seuils quantitatifs en termes de chiffres d’affaires 25 vise le maintien d’une concur-
rence suffisante préservant ainsi l’ordre public économique.
Le maintien du fonctionnement concurrentiel des marchés ne peut être cepen-
dant garanti en ne visant que les seules entreprises, l’ordre public économique vient
aussi limiter les possibilités d’interventions des pouvoirs publics sur le marché,
interventions qui peuvent être sollicitées ou imposées directement ou indirecte-
ment par des pouvoirs privés économiques.
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2.2 L’intervention des pouvoirs publics sollicitée ou imposée
par les pouvoirs privés économiques et l’ordre public
économique

L’ordre public économique dans sa fonction première de protection du fonctionne-


ment concurrentiel des marchés s’impose aussi aux États aussi bien dans un cadre
national, européen qu’international.
En effet, les pouvoirs publics peuvent intervenir sur le marché en tant qu’ache-
teurs publics, ce qui justifie l’encadrement de la passation des marchés publics par
tout un ensemble de règles nationales européennes ou internationales 26, ou encore
lorsqu’ils octroient des aides publiques et, à ce titre, ils peuvent porter atteinte

approche critique du contrôle de l’exercice des pouvoirs privés économiques par l’abus de dépen-
dance économique », RIDE, 2013, pp. 579-588 et P. Reis, « Déséquilibres économiques et rela-
tions entre la grande distribution et ses fournisseurs », in S. Menétrey, L. Boy (dir.), Déséquilibres
économiques et le droit économique sous la direction, Bruxelles, Larcier, 2014, chapitre III,
pp. 51-65.
24. Le premier texte sur le contrôle des concentrations en droit interne est la loi de 1977 tandis qu’en
droit européen il a fallu attendre le règlement du 21 décembre 1989 alors que le contrôle des pra-
tiques anticoncurrentielles remonte à la fin de la Seconde Guerre mondiale en France et au Traité
de Rome en 1957.
25. Sur le dépassement de ce critère de contrôle en matière de concentrations dans le secteur du numé-
rique et l’utilisation du critère de la valeur transactionnelle en droit allemand ou autrichien, voy.
P. Reis, « Économie collaborative, plateformes d’intermédiation et droit de la concurrence », in
I. Parachekovova, M. Teller (dir.), Quelles régulations pour l’économie collaborative ? Un défi
pour le droit économique, Paris, Dalloz, 2018, pp. 145-158.
26. Voir, à titre d’illustration, l’accord sur les marchés publics de l’OMC du 15 avril 1994, la version
renégociée en 2011 de cet accord a été ratifiée par l’Union européenne en 2013 pour une entrée en
vigueur en 2014, JOUE, 7 mars 2014 ; E. Clerc, « La mondialisation des marchés publics : bilan
et perspectives de l’accord de l’OMC sur les marchés publics », in Les marchés publics à l’aube
du XXIe siècle, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 141.
Ordre public économique et pouvoirs privés économiques 18

dans certaines circonstances au fonctionnement concurrentiel des marchés. Cette


intervention des pouvoirs publics sur le marché est le plus souvent sollicitée, voire
parfois imposée, par des pouvoirs privés économiques. Ainsi, les délits relatifs à
la probité des agents publics relèvent aussi de la protection du fonctionnement
concurrentiel des marchés dans la mesure où ils contribuent à fausser la concur-
rence entre opérateurs 27. La législation américaine en matière de corruption a servi
de modèle au niveau international 28 dès lors que la corruption fausse la concurrence
en créant un avantage dans la concurrence pour celui qui corrompt au détriment des
concurrents qui ne le font pas ou pas assez bien 29. Il s’agissait de faire en sorte que
certains États ne favorisent plus leurs entreprises dans la concurrence internatio-
nale en leur permettant de déduire fiscalement les commissions propres aux actes
de corruption dans les transactions commerciales internationales.
De même, le droit des aides publiques illustre le fait que certaines aides sont
sollicitées par les pouvoirs privés économiques parfois sous la menace de repré-
sailles économiques et sociales comme les délocalisations. Il suffit, ici, de penser
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aux systèmes de « rulings fiscaux » 30 appréhendés par la Commission européenne
sous l’angle du droit des aides publiques : l’aide publique illégale là aussi porte
atteinte à la concurrence, mais en créant un avantage dans la concurrence pour son
bénéficiaire et un désavantage pour les autres. Le droit des aides publiques n’est
pas uniquement une spécificité européenne, ces dernières sont aussi appréhendées
par le droit du commerce international dans le cadre de l’Organisation mondiale du
commerce et de son Organe de règlement des différends comme, par exemple, le
système américain des aides fiscales à l’exportation 31.

27. On pense ici aux délits de corruption, de prise illégale d’intérêts ou encore en matière de marchés
publics et en délégations de service public au délit de favoritisme. Voir la convention de l’OCDE
sur la lutte contre la corruption des agents publics étrangers dans les transactions commerciales
internationales du 17 décembre 1997, ratifiée par la France, Loi no 2000-595 du 30 juin 2000, D.,
2000, p. 300 ; P. Moulette, « Le rôle de l’OCDE dans la lutte contre la corruption », AJ pénal,
2013, p. 82 ; J. Lelieur, M. Pieth, « Dix ans d’application de la Convention OCDE contre la cor-
ruption transnationale », D., 2008, chron. p. 1086.
28. Le Foreign Corrupt Practices Act of 1977 est à l’origine de la convention de l’OCDE sur la
lutte contre la corruption : P. Montigny, L’entreprise face à la corruption internationale, Paris,
Ellipses, 2006 ; P. Moulette, « Le rôle de l’OCDE dans la lutte contre la corruption », op. cit.
29. P. Montigny, L’entreprise face à la corruption internationale, op. cit. ; J.-H. Robert, « L’affaire
Pétrole contre nourriture », Rev. sociétés, 2018, p. 459.
30. Décision (UE) 2017/1283 de la Commission du 30 août 2016 concernant l’aide d’État SA.38373
(2014/C) octroyée par l’Irlande en faveur d’Apple. La Commission européenne a retenu que
l’Irlande devait obtenir d’Apple la restitution de 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux illi-
cites ; F. Jury, « Le régime des aides d’État : un moteur efficace de la politique fiscale euro-
péenne », Rev. UE, 2018, p. 427 ; Décision de la Commission du 21 février 2014 concernant
l’aide d’État SA.38374 (2014/C ex-2014/NN) mise à exécution par les Pays-Bas en faveur de
Starbucks, JOUE, L83/38, 29 mars 2017 ; Décision de la Commission du 21 octobre 2015 concer-
nant l’aide d’État SA.38375 (2014/C ex-2014/NN) mise à exécution par le Luxembourg en faveur
de Fiat, C(2015) 7152 final, JOUE, L 351/1, 22 décembre 2016.
31. Décision du groupe spécial de l’ORD du 8 octobre 1999 relative au traitement fiscal spécial pour
les sociétés de ventes à l’étranger (FSC), confirmée par l’organe d’appel du 20 mars 2000 sur
l’incompatibilité du traitement fiscal accordé par les États-Unis aux sociétés de vente à l’étranger
en tant qu’il constituait une subvention illicite aux exportations. Sur cette affaire et ses suites,
H. Gherari, R. Chemain, Chronique UE-OMC (2006), « Le règlement des différends », RMCUE,
2007, p. 673.
Ordre public économique et pouvoirs privés économiques 19

Avec le contrôle des aides publiques ou des infractions tenant à la probité des
agents publics, l’on constate qu’il s’agit bien d’éviter des atteintes à la concurrence
et d’assurer la sauvegarde du fonctionnement concurrentiel des marchés, mais dans
ce cadre apparaît un élément quelque peu atypique par rapport au droit antitrust.
Cet élément étant la nécessité de garantir l’égalité des conditions d’accès au marché
et donc des conditions d’exercice de la concurrence : la liberté de la concurrence
n’est que purement formelle sans la garantie préalable de l’égalité des conditions
d’accès au marché. Cette notion d’égalité dans les conditions d’accès au marché se
retrouve lorsque l’on passe en droit de la concurrence des atteintes à la concurrence
aux excès de concurrence.

3 EXCÈS DE CONCURRENCE ET ORDRE PUBLIC


ÉCONOMIQUE
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Les excès de concurrence ont tendance à être exclus de la sauvegarde de l’ordre
public économique dans la mesure où il ne s’agirait plus de protéger directement la
concurrence comme peut le faire le droit antitrust, mais plutôt de protéger des droits
subjectifs, ceux des concurrents et des partenaires commerciaux 32. Cependant, la
protection des concurrents ou des partenaires commerciaux n’est pas si éloignée
qu’il n’y paraît de la protection de la concurrence dans certaines circonstances 33
comme, par exemple, l’acte de concurrence déloyale se traduisant par la désorga-
nisation du marché (3.1). De même, les pratiques restrictives de concurrence font
intervenir des mécanismes qui attestent une volonté d’assurer l’ordre public écono-
mique grâce à l’intervention du ministre de l’Économie (3.2).

3.1 Désorganisation du marché, concurrence déloyale et ordre


public économique

Si la plupart des actes de concurrence déloyale n’ont que peu à voir avec l’ordre
public économique, lorsque l’acte de concurrence déloyale se caractérise par la
désorganisation du marché, sa sanction vise certes la protection des intérêts des
concurrents ou d’une profession, mais aussi la protection du fonctionnement
concurrentiel du marché. Ainsi, par exemple, le non-respect d’une réglementation
environnementale par certains opérateurs économiques est susceptible de conduire

32. Une partie de la doctrine a pu considérer que ces dispositions relevaient en réalité du droit commun
des obligations puisqu’elles visent à assurer la protection d’un contractant et non celle du marché,
L. Idot, « La protection par le droit de la concurrence », op. cit. ; L. Vogel, « L’articulation entre
le droit civil, le droit commercial et le droit de la concurrence », op. cit.
33. Y. Serra, « Les fondements et le régime de l’obligation de non-concurrence », op. cit. ; L. Boy,
« L’abus de pouvoir de marché, contrôle de la domination ou protection de la concurrence »,
op. cit. ; L. Boy, « Abus de dépendance économique : reculer pour mieux sauter ? », RLC, 2010-23,
p. 9.
Ordre public économique et pouvoirs privés économiques 20

à des distorsions de concurrence et constituer ainsi un acte de concurrence déloyale


à l’encontre de ceux qui, sur le marché pertinent, respectent la réglementation
environnementale avec les coûts qu’elle comporte. La Cour de cassation, dans
un arrêt du 21 janvier 2014 34, a reconnu que l’inobservation de la réglementation
ICPE caractérise un acte de concurrence déloyale qui peut ouvrir droit à répara-
tion du préjudice subi par un concurrent ou une association professionnelle dont
les membres exploitent l’activité conformément à la réglementation en vigueur.
De manière générale, l’opérateur économique, qui ne respecte pas une contrainte
réglementaire propre à son activité économique, crée une rupture d’égalité dans
les conditions d’exercice de la concurrence portant ainsi indirectement atteinte au
fonctionnement concurrentiel du marché. Dès lors, la protection directe par le juge
des intérêts subjectifs des concurrents conduit indirectement à protéger la concur-
rence en matière d’actes de concurrence déloyale désorganisant le marché, cet état
de fait se constate aussi pour certaines pratiques restrictives de concurrence.
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3.2 Pratiques restrictives de concurrence et ordre public
économique

En matière de pratiques restrictives de concurrence sanctionnées civilement, dont


la prolifération ne cesse d’être soulignée par la doctrine 35, le ministre de l’Écono-
mie dispose, sur le fondement de l’article L. 442-6 du Code de commerce, d’une
action autonome qui a pour objet la sauvegarde de l’ordre public économique 36,
il n’a donc pas à solliciter le consentement des victimes, mais seulement à les
en informer 37. L’ouverture de l’action à d’autres personnes que la seule victime

34. Cass. com., 21 janvier 2014, n° 12-25.443, Sté Revival c. Sté Marchetto, JurisData n° 2014-
000659 ; voir M. Guérin, « Inobservation de la réglementation ICPE et distorsion de concur-
rence », Environnement, mai 2014, comm. 37 ; F.-G. Trébule, « Environnement et concurrence :
la loyauté consacrée », Environnement, avril 2014, repère 4.
35. A. Decocq, « En guise de synthèse (20 ans de l’ordonnance de 1986) », Contrats, conc. consom.,
2006, p. 30 ; M. Chagny, Droit de la concurrence et droit commun des obligations, op. cit. ;
M. Chagny, « L’empiétement du droit de la concurrence sur le droit du contrat », op. cit.
36. P. Reis, « L’intervention du ministre de l’Économie dans le cadre des pratiques restrictives de
concurrence sanctionnées civilement : entre défense d’intérêts privés et protection de l’ordre pu-
blic économique », in É. Balate, J. Drexl, S. Menétrey, H. Ulrich (dir.), Le droit économique
entre intérêts privés et intérêt général. Hommage à Laurence Boy, Aix-en-Provence, PUAM,
2016, pp. 161-175.
37. Cass. com. 8 juillet 2008, no 07-16.761, SA Coopérative groupement d’achats des centres
Leclerc [Galec] et no 07-13.350, ITM, Bull. civ., IV, no 143 ; D., 2008, jurispr. p. 3046, note
M. Bandrac ; Cass. com. 16 décembre 2008, nos 07-20.099 et 08-13.162, JCP E, 2009, n° 1479,
obs. D. Mainguy ; Cons. const., 13 janvier 2011, no 2010-85 QPC, JCP, 2011, note 717,
A.-M. Luciani ; D. Mainguy, « Le Conseil constitutionnel et l’article L. 442-6 du Code de com-
merce », JCP E, 2011, n° 1136 ; CEDH, 17 janv. 2012, no 51255.08, SA Coopérative groupement
d’achats des centres Leclerc [Galec] c. France, D. actualités, 17 février 2012, note E. Chevrier ;
A.-M. Luciani, « Conformité à l’article 6 de la Convention EDH des pouvoirs du ministre de
l’Économie pour lutter contre les pratiques restrictives de concurrence », note sous CEDH, 17 jan-
vier 2012, JCP, 2012, n° 462 ; M. Malaurie-Vignal, « L’action du ministre fondée sur l’article
L442-6 est autonome », Contrats, conc. consom., 2012, n° 94.
Ordre public économique et pouvoirs privés économiques 21

permet, d’une part, d’assurer l’effectivité de certaines dispositions qui ne sont que
très exceptionnellement mises en œuvre par les victimes par crainte de rétorsions
économiques 38 et, d’autre part, de démontrer que les pratiques restrictives pré-
sentent une double finalité : protection de la concurrence d’un côté, et protection
des acteurs économiques de l’autre 39. De plus, le ministre de l’Économie peut,
dans le cadre de cette action autonome, demander la réparation du préjudice subi
par les victimes, la répétition de l’indu ou encore la nullité de certaines clauses,
il peut aussi et surtout demander le prononcé d’une amende civile 40. En érigeant
ainsi les sanctions civiles en instrument de police du marché, le droit des pratiques
restrictives de concurrence permet au ministre de l’Économie de s’immiscer dans
les rapports contractuels afin de protéger l’ordre public économique.
Dans le même sens, en droit européen, il existe depuis le 12 avril 2018 une pro-
position de directive visant à lutter contre les pratiques commerciales dites déloyales
dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire 41, qui s’inspirent fortement des pra-
tiques restrictives de concurrence sanctionnées civilement en France au titre de l’ar-
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ticle L. 442-6 du Code de commerce. La directive, en cours de discussion 42, définirait
une liste minimale de huit pratiques interdites, comme le paiement de produits péris-
sables au-delà de trente jours après leur livraison, le changement unilatéral des condi-
tions du contrat par l’acheteur, l’annulation de commandes à très courte échéance
ou encore l’ajout de charges en cas de gaspillage des produits dans les locaux de
l’acheteur. Il s’agit donc de limiter là aussi la liberté contractuelle dans un souci de
protection de l’ordre public économique. Dans son projet, la Commission propose
d’établir dans chaque État membre une autorité de contrôle des pratiques commer-
ciales déloyales, une nouvelle autorité de régulation sectorielle 43, ce qui signifie en
droit français que la commission d’examen des pratiques commerciales sera dotée de
nouveaux pouvoirs, mais seulement pour l’instant à destination de la filière agricole.

38. L’intérêt d’un opérateur économique en état de dépendance économique étant de conserver l’accès
au marché, il n’agira pas tant qu’il garde espoir de retrouver un accès au marché ou tant que sa
situation économique n’est pas définitivement compromise comme dans le cadre d’une procédure
collective. J.-Y. Le Déaut, Rapport sur l’évolution de la distribution : de la coopération à la
domination commerciale, doc. AN, 476 p. et spéc. p. 121.
39. D. Ferrier, Droit de la distribution, Paris, Litec, 2014, n° 292.
40. L’amende peut même atteindre le triple des sommes indûment versées, plafond instauré par la loi
no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, JO, 5 août 2008, ou 5 % du chiffre
d’affaires réalisé en France par l’auteur des pratiques incriminées, plafond introduit par la loi du
6 août 2015, JO, 7 août 2015 ; M.-E. Pancrazi, « Nouveautés dans le secteur de la distribution »,
JCP E, 2015, p. 1405 ; P. Arhel, « Volet “concurrence” de la loi Macron pour la croissance, l’acti-
vité et l’égalité des chances économiques », LPA, 29 septembre 2015, p. 7.
41. Proposition de directive du Parlement et du Conseil sur les pratiques commerciales déloyales dans
les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, COM(2018)
173 final, 2018/0082.
42. Le Parlement européen a donné son accord, le 25 octobre 2018, pour lancer les négociations avec
le Conseil des ministres concernant le futur cadre de lutte contre les pratiques déloyales dans la
chaîne d’approvisionnement alimentaire ; un texte définitif pourrait être publié avant les élections
européennes de 2019.
43. La proposition de directive n’a pas retenu la création d’une autorité de régulation européenne en
la matière préférant s’appuyer sur des autorités dans chaque État membre.
Ordre public économique et pouvoirs privés économiques 22

ABSTRACT: ECONOMIC PUBLIC ORDER AND PRIVATE


ECONOMIC POWERS: COMPETITION LAW AT THE HEART
OF THE ECONOMIC PUBLIC ORDER
Competition law is rightly considered to be the heart of the economic public order,
however it is too often limited to solely taking into account antitrust law. In the
defense of the economic public order, it is not, and cannot, be so limited; the law of
restrictive practices of competition and, to a lesser extent, the law of unfair compe-
tition also contribute to the safeguarding of the economic public order.

Mots-clés : droit de la concurrence, pouvoirs privés économiques, ordre public


économique

Keywords: competition law, private economic powers, economic public order


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