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4/9/2019 Maurice Blanchot en fougueux nationaliste

LIVRES

Maurice Blanchot en fougueux nationaliste


Les articles politiques du grand critique dans la presse d’extrême droite des années 1930 sont
enfin publiés dans leur intégralité.

Par Nicolas Weill • Publié le 27 avril 2017 à 09h16 - Mis à jour le 27 avril 2017 à 11h31

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¶ Chroniques politiques des années trente (1931-1940), de Maurice


Blanchot, édité par David Uhrig, Gallimard, « Les cahiers de la NRF », 552
p., 29 €.

Maurice Blanchot, années 1950. DR

Bien des écrivains, philosophes ou artistes se risquant à une parole politique finissent par être
rattrapés par leur itinéraire ou leurs dérives. Ne serait-ce que parce que celles-ci n’ont pas entraîné
qu’eux mais aussi leur public. Tel fut le cas de Maurice Blanchot (1907-2003), l’un des plus grands
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critiques français du XXe siècle. La publication intégrale des chroniques politiques livrées par le
jeune Blanchot à la presse nationaliste d’avant-guerre donne enfin la mesure exacte de cette dérive.

Ces textes, souvent évoqués mais jusque-là difficilement accessibles pour la plupart, sinon sur
microfiches à la Bibliothèque nationale, frappent par leur masse : 177 analyses ou éditoriaux sur les
sujets intérieurs et diplomatiques qui font l’ordinaire de la presse d’opinion. Des articles tous animés
par une idéologie d’extrême droite de « refus » violent tant de la république que de la démocratie, où
l’on retrouve déjà la phrase subtilement guindée du Blanchot de toujours.

Jusque dans les années 1980, une figure d’intellectuel de gauche


Cette « écriture de jour » – expression reprise par l’essayiste Michel Surya dans son Autre Blanchot
(Gallimard, 2015) afin de désigner le travail journalistique de l’écrivain –, inspirée par l’Action
française et son maître à penser, Charles Maurras (1868-1952), disparaît après-guerre au profit d’un
Blanchot en lutte contre la colonisation, rédacteur principal, avec Dionys Mascolo, du Manifeste des
121 de 1960 contre la torture et pour l’indépendance algérienne.

Animé d’un rejet passionnel du régime gaulliste, il adhère à une sorte de « communisme spirituel » et
à un culte de la révolution qui trouve à s’incarner dans Mai 68. Le reflux du mouvement conduit
l’auteur de L’Espace littéraire (Gallimard, 1955) au retrait quasi total dans sa maison du Mesnil-Saint-
Denis (Yvelines). Pourfendant la « nouvelle droite », affirmant sa sympathie pour Israël et sa
proximité avec son « ami » de jeunesse, le philosophe Emmanuel Levinas (1906-1995) – à
l’étonnement parfois de ce dernier –, Blanchot est, jusque dans les années 1980, une figure classique
d’intellectuel de gauche, voire d’extrême gauche.

C’était sans compter sur les travaux des historiens américains tels Eugen Weber (L’Action française,
Fayard, 1962) ou Jeffrey Mehlman (Legs de l’antisémitisme en France, Denoël, 1984), qui exhument
le Blanchot des années 1930 nageant comme un poisson dans le marigot des intellectuels dits
« anticonformistes », partisans d’une « révolution nationale » dont le vocabulaire, malgré
l’anti-« germanisme », installe déjà Vichy dans les têtes… L’« anticonformisme » de cette mouvance
consiste à appeler la jeunesse française à se soulever, au nom de l’« ordre nouveau », contre la
république radicale et le Front populaire.

Cercles maréchalistes sous l’Occupation


L’antisémitisme de ce temps trouve aussi son chemin dans ce corpus, sous la voie tortueuse de la
prétérition (affirmer qu’on ne dira pas les choses tout en les disant), remarque David Uhrig, éditeur
de ces textes. « Dans notre empire [colonial], ceux qui avaient l’habitude de crier : “à bas les
communistes !” ou “à bas les juifs !” crient maintenant : “à bas les Français !”. Nous pensons qu’il n’y a
rien d’honorable pour notre pays à être injurié pour ce qu’il n’est pas », écrit ainsi Blanchot en 1937,
dans L’Insurgé, du royaliste Thierry Maulnier (1909-1988).

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Sous l’Occupation, tout en publiant son premier roman, Thomas l’Obscur (Gallimard, 1941), Maurice
Blanchot continue à adhérer à des cercles maréchalistes. Il publie encore des articles politiques
(réédités par la revue Lignes, n° 43, mars 2014), à côté de nombreuses « Chroniques littéraires » pour
Le Journal des débats (Gallimard, 2007). Il protège cependant des juifs de l’arrestation : la femme et la
fille de Levinas ou le directeur de journaux d’extrême droite (Le Rempart ou Aux écoutes), Paul Lévy,
père de l’avocat Thierry Lévy (1945-2017), et se détourne de ses passions nationalistes sans pour
autant participer à la Résistance.

Confronté à ce passé, Blanchot a-t-il autrement réagi que par le silence ? Pour Michel Surya, il « ne
s’est jugé lui-même qu’autant que l’extrême discrétion qu’il a toujours entretenue le lui permettait.
C’est-à-dire indirectement. S’il ne lui est en effet jamais arrivé de convenir qu’il s’était rendu
responsable d’énoncés réellement compromettants, il ne s’est pas fait faute d’affirmer que de tels
énoncés compromettraient réellement qui les aurait tenus ».

Dans un texte paru d’abord dans Le Débat (mars 1984), puis sous le titre Les Intellectuels en question.
Ebauche d’une réflexion (Fourbis, 1996), Maurice Blanchot s’étend longuement sur le cas Heidegger
ou sur celui du Paul Valéry antidreyfusard. Bizarrement, il conclut cet écrit par une citation de René
Char (1907-1988)… à propos de la Résistance : « Je veux n’oublier que l’on m’a contraint à devenir –
pour combien de temps ? – un monstre de justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré, un
personnage arctique qui se désintéresse du sort de quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les
chiens de l’enfer. » Blanchot s’appliquait-il ce regret à lui-même ? Un ultime aveu, peut-être. En forme
de prétérition.

Nicolas Weill

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