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1960 Annee de Lafrique
1960 Annee de Lafrique
50 ans après, ces États commémorent leur indépendance et l’on célèbre, surtout dans le monde
francophone – premier concerné par cette vague d’émancipation – le « cinquantenaire des indépendances
africaines » (on notera que le monde anglophone n’a pas érigé l’année 1960 en date emblématique, et qu’il
tend même à associer cette date à la décolonisation française). À l’heure des commémorations, quel bilan
peut-on dresser de ce demi-siècle d’indépendance ? 2010 est-elle celle de la « renaissance africaine » ?
Si l’année 1960 peut sembler pouvoir résumer l’émancipation de l’Afrique subsaharienne, braquer
de la sorte le projecteur sur cet épisode, présente cependant toute une série de biais et peut conduire à
certaines illusions rétrospectives. Le risque est de déformer la réalité de la décolonisation en occultant, en
amont, les luttes des peuples colonisés et les réponses apportées par les métropoles ; et, en aval, les
difficultés des lendemains des indépendances et la perpétuation, sous d’autres formes, de la domination
occidentale, objet des études postcoloniales. Ce choix privilégie également le cas français, puisque 15 des
indépendances de 1960 concernent des colonies ou des territoires sous tutelle française, au risque de
mettre dans l’ombre le rôle et la place d’autres territoires, notamment d’Afrique australe marqués par
l’apartheid. Il met enfin en valeur une décolonisation négociée, donnant ainsi une vision optimiste du
processus, au détriment des indépendances arrachées ou des indépendances immédiatement suivies de
crises violentes.
L’année 1960 mérite donc un examen à une double échelle. Il s’agit d’abord de la replacer dans le
temps moyen de la décolonisation, des contestations du système colonial au lendemain des
indépendances et jusqu’à aujourd’hui. Nombre de questions restent posées. Comment expliquer
« l’accélération » des indépendances en Afrique autour de 1960 ? Cette année est-elle représentative du
processus d’émancipation de l’Afrique subsaharienne, qui se poursuit bien au-delà ? Et que reste-t-il
aujourd’hui des rêves et des espoirs de 1960 ? Cette émancipation apparemment complète du continent –
à la différence par exemple des Antilles où d’anciennes colonies ont, non sans heurts, choisi la voie de
l’assimilation et de la départementalisation – est-elle pour autant parfaitement achevée ? Y a-t-il aujourd’hui
des formes de domination post ou néocoloniales ? Dans quelle mesure les difficultés actuelles de l’Afrique
sont-elles imputables à la colonisation ?
Il s’agit aussi d’examiner de plus près les événements afin de dresser un tableau plus nuancé de
l’année 1960 qui permettra de réviser la traditionnelle opposition entre un modèle britannique et un modèle
français ainsi que de relativiser l’image d’une décolonisation « douce ».
Pour répondre à ces questions, le choix a été fait de privilégier les archives de l’Institut national de
l’audiovisuel (Ina) sans exclure d’autres sources ou documents. L’intérêt est multiple : constituer une sorte
de fil rouge à l’étude, problématiser l’approche (ici : comment les actualités ou la télévision française
Ce choix axe l’étude sur le cas français, et le point de vue de la métropole. Ces aspects ne sont
pas à cacher, au contraire : on amènera les élèves à saisir ce double biais et on les invitera à chercher des
points de vue alternatifs autres que ceux qui sont déjà fournis dans ce dossier.
Dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, la colonisation est mise en
cause à la fois sur le plan international et dans les territoires dépendants.
Le conflit a accéléré le développement des revendications nationales en Afrique comme dans les
autres parties du monde sous domination européenne. Comme pendant les années 1914-1918, les aléas
de la guerre remettent en cause la suprématie des Blancs et contribuent à détériorer l’image de l’Europe.
Nombreux furent aussi les Africains qui espérèrent une récompense de leur loyauté. Les populations
coloniales, qui avaient participé à la guerre, étaient convaincues qu’on avait exigé d’elles des sacrifices
pour combattre l’oppression au nom d’une liberté dont elles devaient bénéficier. En outre, les pays
traditionnellement opposés à la colonisation, les États-Unis et l’URSS, sortaient renforcés du conflit alors
que les métropoles étaient affaiblies. La victoire des Alliés engendrait donc de l’espoir. L’Organisation des
Nations unies (ONU), née de la Seconde Guerre mondiale, est aussi intervenue dans le processus,
encourageant l’émancipation et fournissant une tribune aux anticolonialistes. Dans ce contexte nouveau,
les puissances coloniales ont tenté de s’adapter, usant de la réforme, de la négociation mais aussi de la
répression.
L’Afrique en 1945
La plus grande partie du continent africain est, en 1945, sous domination coloniale. Si certains
territoires ont été colonisés précocement (l’Afrique du Sud dès le XVIIe siècle, l’Algérie à partir de 1830), la
plupart des territoires sont passés sous souveraineté européenne autour de la fin du XIXe siècle. En 1945, la
carte indique cinq pays indépendants : l’Égypte (depuis 1922), le Liberia (depuis 1945), l’Érythrée (mais ce
territoire fait alors partie de l’Éthiopie avant de s’en séparer en 1993), l’Éthiopie (qui n’a jamais été
colonisée hormis la parenthèse de l’occupation italienne entre 1935 et 1941), l’Union sud-africaine (qui est
alors un dominion britannique et le restera jusqu’en 1961, date de sa pleine et entière indépendance). En
dehors de l’Érythrée, ce sont les quatre pays africains signataires de la charte des Nations unies.
L’ONU
L’ONU était considérée par les colonisés comme ayant vocation à soutenir leurs revendications du
fait de ses textes de référence (charte des Nations unies et Déclaration universelle des droits de l’homme)
et du fait qu’elle exerçait une tutelle sur certaines colonies comme le Togo. L’ONU constitua une tribune
dans laquelle les pays non-colonisateurs ou fraîchement décolonisés critiquèrent les colonisateurs.
Dès le 14 août 1941, Roosevelt et Churchill avaient affirmé, dans la charte de l’Atlantique : « Chaque
peuple a le droit de choisir la forme de gouvernement sous laquelle il doit vivre. »
Cette déclaration était ambiguë car, si elle visait d’abord les peuples d’Europe occupés par les puissances
de l’Axe, elle pouvait s’appliquer également à toutes les populations assujetties, y compris coloniales.
Dans son discours du 5 octobre 1941, Churchill récusa cette interprétation : « Je désire être clair : ce que
nous avons, nous le gardons. Je ne suis pas devenu Premier ministre de Sa Majesté afin de procéder à la
liquidation de l’Empire britannique. »
Cependant, le travailliste Clément Attlee, s’adressant à des étudiants ouest-africains, estimait que la charte
concerne toutes les « races » : « Après les horreurs de la guerre et la destruction, nous arriverons à un
monde de paix, de sécurité et de justice sociale non pour un peuple, non pour un continent, mais pour tous
les peuples de tous les continents du monde. » (Times, 16 août 1941).
Du côté américain, le président Roosevelt reprenait à son compte la tradition anticolonialiste des États-
Unis, qui s’était déjà exprimée à la conférence de Berlin (1885) ou lors de la question des mandats (1919).
L’Organisation des Nations unies traduisit ces préoccupations en mentionnant dans sa charte (26 juin
1945) l’existence de populations dépendantes, ce que certains appelèrent la « charte coloniale » :
Article 73
Les membres des Nations unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont
les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent le principe de la
primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l’obligation
de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité
internationales établi par la présente charte et, à cette fin :
1. D’assurer, en respectant la culture des populations en question, leur progrès politique, économique et
social, ainsi que le développement de leur instruction, de les traiter avec équité et de les protéger contre les
abus.
2. De développer leur capacité de s’administrer elles-mêmes, de tenir compte des aspirations politiques des
populations et de les aider dans le développement progressif de leurs libres institutions politiques, dans la
mesure appropriée aux conditions particulières de chaque territoire et de ses populations et à leurs degrés
variables de développement.
5. De communiquer régulièrement au secrétaire général, à titre d’information, sous réserve des exigences
de la sécurité et de considérations d’ordre constitutionnel, des renseignements statistiques et autres de
nature technique relatifs aux conditions économiques, sociales et de l’instruction dans les territoires dont ils
sont respectivement responsables, autres que ceux auxquels s’appliquent les chapitres XII et XIII. »
On notera que le texte se montre prudent (il n’emploie pas le terme de « colonies » pour ne pas heurter de
front les métropoles) et peu innovant dans la mesure où les puissances coloniales demeurent libres
d’apprécier « les conditions particulières de chaque territoire » et « leurs degrés variables de
développement ». En outre, les termes d’indépendance et même de self-government sont soigneusement
évités.
L’Organisation des Nations unies établira, sous son autorité, un régime international de tutelle pour
l’administration et la surveillance des territoires qui pourront être placés sous ce régime en vertu d’accords
particuliers ultérieurs. Ces territoires sont désignés ci-après par l’expression “territoires sous tutelle” ».
Les territoires sous mandat sont confiés en tutelle aux anciens pays mandataires. Le chapitre XII crée un
Conseil de tutelle, qui dispose de pouvoirs d’investigation. On observera que cela n’a guère accéléré
l’accession à l’indépendance de ces territoires : Cameroun, Togo, Rwanda, Burundi, Sud-ouest africain.
Résolution 637 des Nations unies sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, 16 décembre
1952
Cette résolution précise le devoir, pour les puissances coloniales, de préparer les territoires non autonomes
« à l’autonomie complète ou à l’indépendance ». Elle s’explique par l’admission à l’ONU de colonies
récemment parvenues à l’indépendance (Inde, Pakistan, Ceylan, Birmanie, Indonésie, Libye) et reflète la
structuration de l’afro-asiatisme. Voir sur le site de l’ONU
Considérant que le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes est une condition préalable de
la jouissance de tous les droits fondamentaux de l’homme,
Considérant que les articles 1 et 55 de la charte des Nations unies visent à développer entre les nations
des relations amicales fondées sur le respect de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer
d’eux-mêmes, en vue de consolider la paix du monde,
Considérant que la charte des Nations unies reconnaît que certains membres de l’Organisation des Nations
unies ont la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore
complètement elles-mêmes et proclame les principes dont ils doivent s’inspirer,
Considérant que chaque membre de l’Organisation doit, conformément à la charte, respecter le maintien du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans les autres États,
1. Les États membres de l’Organisation doivent soutenir le principe du droit de tous les peuples et de toutes
les nations à disposer d’eux-mêmes ;
2. Les États membres de l’Organisation doivent reconnaître et favoriser la réalisation, en ce qui concerne
les populations des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle placés sous leur administration,
du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et doivent faciliter l’exercice de ce droit aux populations de
ces territoires compte tenu des principes et de l’esprit de la charte des Nations unies en ce qui concerne
chaque territoire et de la volonté librement exprimée des populations intéressées, la volonté de la
population étant déterminée par voie de plébiscite ou par d’autres moyens démocratiques reconnus, de
préférence sous l’égide des Nations unies ;
3. Les États Membres de l’Organisation qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non
autonomes et des territoires sous tutelle prendront des mesures pratiques, en attendant la réalisation du
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et afin de préparer cette réalisation, pour assurer la participation
directe des populations autochtones aux organes législatifs et exécutifs du gouvernement de ces territoires,
ainsi que pour préparer lesdites populations à l’autonomie complète ou à l’indépendance.
Cette résolution, prend acte pour s’en réjouir de la récente accession à l’indépendance de nombreux
territoires, est beaucoup plus radicale car elle attaque directement le « colonialisme dans toutes ses
manifestations ».
En septembre, le secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, accueille solennellement les
représentants de ces nouveaux États devant le siège de l’Organisation.
L'Assemblée générale,
Consciente de ce que les peuples du monde se sont, dans la Charte des Nations Unies, déclarés résolus
à proclamer à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la
personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et
petites, et à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus
grande,
Consciente de la nécessité de créer des conditions de stabilité et de bien-être et des relations pacifiques et
amicales fondées sur le respect des principes de l'égalité de droits et de la libre détermination de tous les
peuples, et d'assurer le respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales
pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion,
Reconnaissant le désir passionné de liberté de tous les peuples dépendants et le rôle décisif de ces
peuples dans leur accession à l'indépendance,
Consciente des conflits croissants qu'entraîne le fait de refuser la liberté à ces peuples ou d'y faire
obstacle, qui constituent une grave menace à la paix mondiale,
Considérant le rôle important de l'Organisation des Nations Unies comme moyen d'aider le mouvement
vers l'indépendance dans les territoires sous tutelle et les territoires non autonomes,
Reconnaissant que les peuples du monde souhaitent ardemment la fin du colonialisme dans toutes ses
manifestations,
Affirmant que les peuples peuvent, pour leurs propres fins, disposer librement de leurs richesses et
ressources naturelles sans préjudice des obligations qui découleraient de la coopération économique
internationale, fondée sur le principe de l'avantage mutuel, et du droit international,
Persuadée que le processus de libération est irrésistible et irréversible et que, pour éviter de graves crises,
il faut mettre fin au colonialisme et à toutes les pratiques de ségrégation et de discrimination dont il
s'accompagne,
Convaincue que tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l'exercice de leur
souveraineté et à l'intégrité de leur territoire national,
2. Tous les peuples ont le droit de libre détermination; en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur
statut politique et poursuivent librement leur développement économique, social et culturel.
3. Le manque de préparation dans les domaines politique, économique ou social ou dans celui de
l'enseignement ne doit jamais être pris comme prétexte pour retarder l'indépendance.
4. Il sera mis fin à toute action armée et à toutes mesures de répression, de quelque sorte qu'elles soient,
dirigées contre les peuples dépendants, pour permettre à ces peuples d'exercer pacifiquement et librement
leur droit à l'indépendance complète, et l'intégrité de leur territoire national sera respectée.
5. Des mesures immédiates seront prises, dans les territoires sous tutelle, les territoires non autonomes et
tous autres territoires qui n'ont pas encore accédé à l'indépendance, pour transférer tous pouvoirs aux
peuples de ces territoires, sans aucune condition ni réserve, conformément à leur volonté et à leurs vœux
librement exprimés, sans aucune distinction de race, de croyance ou de couleur, afin de leur permettre de
jouir d'une indépendance et d'une liberté complètes.
6. Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un
pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.
7. Tous les Etats doivent observer fidèlement et strictement les dispositions de la Charte des Nations
Unies, de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la présente Déclaration sur la base de
l'égalité, de la non- ingérence dans les affaires intérieures des Etats et du respect des droits souverains et
de l'intégrité territoriale de tous les peuples.
Les États-Unis et l’URSS, qui s’imposent comme les puissances majeures au lendemain de la
guerre, condamnent le colonialisme mais selon des arguments différents. Dans le contexte de la guerre
froide, la question coloniale devient un sujet de rivalités entre l’Est et l’Ouest, comme en témoigne cette
confrontation d’Eisenhower et Khrouchtchev à l’ONU en 1960.
Images INA - A New York, l’ONU centre du monde (Les Actualités Françaises - 28/09/1960)
Voir la vidéo sur le site de l’INA
On observera pour finir que jusque dans les années 1950, les problèmes africains restent au
second plan derrière ceux de l’Asie et que, hormis l’Indochine, la décolonisation n’a suscité aucune crise
grave entre les deux blocs.
Les années de guerre et celles qui suivent sont l’histoire d’un vaste malentendu entre colonisateurs
et colonisés. Les Européens restent attachés à leurs empires, rempart de leur puissance en déclin. Ils
concèdent à leurs colonies africaines des réformes de faible portée tout en ayant le sentiment de faire
preuve d’une grande générosité. Mais les Africains veulent plus : ils franchissent le pas qui sépare l’espoir
de progrès de la volonté d’obtenir un changement radical.
Convoquée à l’initiative de de Gaulle avec comme mission de réfléchir à l’avenir de l’empire, elle
est conçue et organisée par René Pleven, le commissaire aux Colonies de la France libre, et se tient du
30 janvier au 8 février 1944 dans la ville qui a été érigée en capitale de la France libre en 1941. Elle a un
double but : affirmer la mainmise française sur son empire face aux manœuvres anticoloniales
américaines ; témoigner que la participation des peuples colonisés dans la « libération nationale » serait
prise en compte.
Outre de Gaulle (qui n’est resté que deux jours) et Félix Eboué, son hôte (Noir originaire de
Guyane, il avait rallié la France libre dès août 1940 alors qu’il était gouverneur du Tchad, avant d’être
nommé gouverneur général de l’AEF, premier Noir à occuper un poste aussi élevé dans l’administration
coloniale française), la conférence réunit les gouverneurs et les grands administrateurs de l’Afrique
française. Aucun Africain n’est invité à participer aux travaux. Les « évolués » peuvent seulement
transmettre leurs revendications par le biais du gouverneur Eboué.
« Nous continuerons simplement les grandes traditions coloniales de la France, celle des grands hommes à
qui le pays doit son empire. [...] Votre présence [...] nous permet de faire de cette conférence africaine
française ce que nous voulons en premier lieu qu’elle soit : l’affirmation de notre foi en la mission de la
France en Afrique, de notre conviction que les Français portent en eux l’aptitude, la volonté de la force de la
mener à bien, enfin, l’affirmation de notre volonté de prendre nous-mêmes et surtout sans les partager avec
aucune institution anonyme, les immenses mais exaltantes responsabilités qui sont les nôtres, vis-à-vis des
races qui vivent sous notre drapeau. »
« En Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il
n’y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n’en profitaient pas
moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront capables
de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C’est le devoir de la France de faire en sorte
qu’il en soit ainsi. Tel est le but vers lequel nous avons à nous diriger. Nous ne nous dissimulons pas la
longueur des étapes. »
Cette phrase est en partie à l’origine du mythe. En réalité, il n’était nullement question
d’indépendance des colonies africaines. En effet, les réformes sociales prévues étaient importantes mais
aucune place ne fut laissée au dialogue, et le préalable à la recommandation votée par la conférence
excluait toute perspective d’indépendance ni même d’autonomie :
L’œuvre de la conférence fut diversement jugée. Pour les uns, elle représentait une volonté de
nouveauté par rapport à l’immobilisme précédent et contenait un programme audacieux. Pour les autres,
elle restait conservatrice, voire rétrograde, surtout en ce qui concerne le travail forcé et l’avenir politique des
colonisés.
Considérée par la suite comme un tournant de la politique coloniale française, elle prit alors une
signification mythique consacrée par de Gaulle, lorsqu’il commença sa tournée africaine en 1958 par la
capitale du Congo.
Images INA - De Gaulle discours de Brazzaville 30 janvier 1944 (Office Français d'Informations
Cinématographiques - 01/01/1944)
Voir la vidéo sur le site de l’INA
C’était bien ici que devait se réunir la conférence africaine. C’était bien ici que devaient se réunir
les meilleurs serviteurs de la civilisation française en Afrique. Parce qu’ils étaient les serviteurs de cette
civilisation, pour la première fois dans une conférence de ce genre, la primauté fut accordée non plus aux
problèmes économiques mais aux problèmes humains.
Et enfin pour cette raison, déclara le général de Gaulle, ayant tiré du drame la leçon qu’il convient,
la France nouvelle a décidé, pour ce qui la concerne et pour ce qui concerne tous ceux qui dépendent
d’elle, de choisir noblement, largement des chemins nouveaux en même temps que pratiques vers le
destin.
C’est l’homme, c’est l’Africain, devait résumer aussi le commissaire aux colonies René Pleven, ce
sont ses aspirations, ses besoins, c’est l’Africain comme individu et membre de la société qui sera la
préoccupation constante de la conférence. »
Ce compte rendu est révélateur de la manière dont la métropole envisage l’avenir de l’Afrique au
sein de l’empire colonial français. Il insiste d’abord sur le choix de Brazzaville, symbole de l’attachement de
la métropole à son empire. Il reprend des éléments des discours de de Gaulle et de Pleven au caractère
paternaliste et excessivement flou. Enfin, de manière involontaire, par l’image, il illustre le fossé séparant
les Blancs, présents à la conférence, des Noirs, cantonnés dans la rue.
La carte est représentative de l’avancée du processus de décolonisation en 1955 : alors que l’Asie,
très largement émancipée, fournit le gros des participants, seuls six États africains sont présents à
Bandung.
Cette conférence est perçue par Senghor, alors envoyé officiel français et futur président du
Sénégal, comme un « coup de tonnerre ». En effet, les États-Unis et l’URSS ont été tenus à l’écart des
débats et c’est ce qui explique en partie la curiosité médiatique qui entoure l’événement. De plus, dans le
communiqué final, ces pays appellent à la poursuite de la décolonisation en Afrique (dont certains pays
encore colonisés sont invités en tant qu’observateurs) et à la non-ingérence des grandes puissances dans
leurs affaires intérieures. Ils adoptent également le principe d’une coopération internationale pour aider au
développement des pays les plus pauvres.
Mais au terme de cette conférence, utilisée comme vitrine internationale pour des pays comme la
Chine (représentée par son ministre des Affaires étrangères Zhou Enlai), des divergences d’opinions
apparaissent entre pays pro-occidentaux, communistes et neutralistes. Elles ne permettent pas aux
délégations présentes d’affirmer une position claire et commune de non-alignement par rapport aux États-
Unis et à l’URSS.
1. La Conférence afro-asiatique déclare appuyer totalement les principes fondamentaux des droits de
l’homme tels qu’ils sont définis dans la charte des Nations unies et prendre en considération la Déclaration
universelle des droits de l’homme comme un but commun vers lequel doivent tendre tous les peuples et
toutes les Nations.
La Conférence déclare appuyer totalement le principe du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-
mêmes tel qu’il est défini dans la charte des Nations unies et prendre en considération les résolutions des
Nations unies sur le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes, qui est la condition préalable
à la jouissance totale de tous les droits fondamentaux de l’homme.
3. Considérant la tension existant au Moyen-Orient, tension qui est causée par la situation en Palestine, et
considérant le danger que cette tension constitue pour la paix mondiale, la Conférence afro-asiatique
déclare appuyer les droits du peuple arabe de Palestine et demande l’application des résolutions des
Nations unies sur la Palestine et la réalisation d’une solution pacifique du problème palestinien.
1. Pour déclarer que le colonialisme, dans toutes ses manifestations, est un mal auquel il doit être mis fin
rapidement.
2. Pour déclarer que la question des peuples soumis à l’assujettissement à l’étranger, à sa domination et à
son exploitation constitue une négation des droits fondamentaux de l’homme, est contraire à la charte des
Nations unies et empêche de favoriser la paix et la coopération mondiales.
4. Et pour faire appel aux Puissances intéressées pour qu’elles accordent la liberté et l’indépendance à ces
peuples. »
Les conditions même d’une prise de conscience nationale n’existent pas : elles n’étaient pas
réunies avant la colonisation, et des identités nationales fortes n’ont pas eu le temps de se former durant la
colonisation, à l’intérieur des découpages coloniaux.
C’est aussi un effet de la politique (ou du discours) d’assimilation culturelle de la France qui a
encouragé parmi les élites davantage le désir d’égalité avec l’ensemble des citoyens français que celui du
divorce. Autrement dit, il y a plus d’égalitarisme que d’indépendantisme, y compris chez un Senghor, ardent
promoteur de la « négritude ». Parmi ces élites, nées avant ou pendant la Première Guerre mondiale et
ayant vécu une colonisation tout à la fois assimilatrice et paternaliste, on peut citer Senghor (Sénégal),
Houphouët-Boigny (Côte-d’Ivoire), Modibo Keïta (Soudan-Mali), Philibert Tsiranana (Madagascar), Léon
M’Ba (Gabon). Cependant, de nouvelles générations de militants et de leaders africains apparaissent, plus
radicaux, plus attentifs à l’évolution générale du monde, formés par le syndicalisme ou par les universités
de la métropole. Mais ce n’est pas qu’affaire de génération : aux radicaux Sékou Touré ou Ruben Um
Nyobé (leader de l’Union des populations du Cameroun [UPC]), nés dans les années 1910-1920,
s’opposent des « modérés » qui comptent des hommes jeunes comme Hmadou Ahidjo (adversaire de
l’UPC au Cameroun) ou David Dacko (Oubangui). Quoiqu’il en soit, au cours des années 1950, les
modérés sont débordés par des éléments plus radicaux au sein des syndicats, des organisations
étudiantes, des associations. Beaucoup, marxisés, critiquent ouvertement l’impérialisme français, invoquant
la solidarité des colonisés, et bientôt l’indépendance immédiate.
En 1958, l’empire colonial français, rebaptisé depuis 1946 « Union française », reste l’objet d’un
discours télévisuel à la gloire de l’œuvre réalisée par la France et qui passe entièrement sous silence
l’émergence de ces mouvements contestataires.
Le commentaire multiplie les éloges de l’œuvre coloniale : « Poursuivant un effort entrepris depuis
plus de cinquante ans, la France a obtenu dans cette Afrique noire [...] des résultats qui la placent au tout
premier rang des nations qui ont œuvré en faveur de pays incomplètement développés [...]. C’est à la
France qu’ils devront leur éducation civique, leur émancipation sociale, la pratique de la démocratie, et
aussi cette promotion dans l’ordre des valeurs humaines qui a donné aux Africains cette joie de vivre, cette
authentique élégance, ce rythme moderne d’activité… »
Par contre, le commentaire observe un silence total sur les intérêts de la métropole, les formes
d’exploitation, l’émergence de mouvements contestataires, voire indépendantistes…
Introduction
L’accession des colonies d’Afrique à la souveraineté fut l’aboutissement des multiples formes de
résistance, de dissidence et de lutte que le continent a connues depuis les débuts de la colonisation et qui
se sont amplifiées à partir des années 1930, pour se radicaliser à peu près partout après la Seconde
Guerre mondiale. Mais le rythme du processus d’émancipation a dû compter aussi avec d’autres facteurs,
en particulier avec le rapport des forces politiques à l’intérieur des États colonisateurs et avec la
compétition opposant les grandes puissances.
Ce jeu complexe aboutit à des décolonisations multiformes. L’année 1960, qui semble marquée
par des émancipations négociées et pacifiques, ne fut cependant pas exempte de tensions et a connu de
graves crises, comme au Congo belge.
Phases et modalités
© Editions Hâtier
La confrontation de ces deux cartes peut constituer le point de départ d’un travail sur les
indépendances africaines de 1960 permettant d’en dégager les grandes caractéristiques (des
indépendances nombreuses, pacifiques et concernant des territoires majoritairement sous souveraineté ou
tutelle française) qu’il s’agira ensuite d’expliquer.
La carte de gauche représente simplement la chronologie des indépendances, celle de droite, les
modalités d’accession à la souveraineté. Quels territoires accèdent à l’indépendance en 1960 ? Selon
quelles voies ? Peut-on observer une spécificité de l’année 1960 par rapport aux années antérieures ou
postérieures ? Dans l’affirmative, avec quels contre-exemples ?
On verra ainsi que les indépendances africaines ne se réduisent pas à 1960 mais s’échelonnent
sur une période relativement longue puisque, sans même prendre en compte le cas de l’Égypte (1922-
1936), quatre décennies s’écoulent entre l’indépendance de la Libye (24 décembre 1951) et celle de la
Namibie (21 mars 1990).
La première phase (1956-1959) concerne la partie occidentale du continent, la plus riche et la plus
développée. Les exemples contagieux du Ghana, de la Guinée ou du Togo ouvrent une seconde phase
(1960-1965) en abrégeant d’abord l’existence de la Communauté franco-africaine instaurée par le général
de Gaulle en 1958. Celle-ci se disloque avec l’indépendance de 12 possessions françaises (dont
Madagascar) et des deux territoires sous tutelle (Togo et Cameroun). Le Congo belge accède également à
l’indépendance, mais dans une précipitation et une absence de préparation qui conduisent à de graves
conflits. L’année 1960 correspond aussi à la décolonisation plus hésitante des possessions britanniques, à
commencer par le Nigeria, suivi en 1961 du Sierra Leone, puis des territoires d’Afrique orientale
(Tanganyika, Kenya, Ouganda) et centrale (Nyassaland et Rhodésie du Nord). Le 11 novembre 1965,
lorsque la Rhodésie du Sud déclare unilatéralement son indépendance, toutes les possessions françaises
et anglaises d’Afrique noire ainsi que le Congo belge sont devenus des États souverains.
Les modalités
Dans la fièvre des événements qui agitèrent le continent pendant la grande décennie des
indépendances, entre 1955 et 1965, les dirigeants élaborèrent leur propre vision du processus
d’émancipation, opposant les « indépendances conquises », comme celles du Ghana, de la Guinée et, plus
tard, des colonies portugaises, et les « indépendances octroyées », dont les exemples les plus clairs
viendraient des territoires sous domination française et qui auraient été l’antichambre du néocolonialisme.
Cette classification conçue dans la polémique est trop sommaire pour rendre compte de la complexité des
diverses situations dans lesquelles il y eut toujours, dans des proportions constamment changeantes, une
part de combat et une part de négociation. Les historiens se sont ensuite essayés à d’autres typologies,
privilégiant soit les acteurs (du côté des métropoles ou des colonies, selon la volonté plus ou moins
affirmée d’accorder, pour les unes, ou d’obtenir, pour les autres, l’indépendance), soit les méthodes
(guerre, évolution institutionnelle, négociation), soit encore la situation locale. Toutes ces approches sont
opératoires… mais la répartition des pays dans une catégorie plutôt que dans une autre reste souvent
arbitraire.
On s’interrogera d’abord sur les « modalités » retenues par la carte de droite avant d’observer que
les indépendances de l’année 1960, sans exclusive, sont qualifiées de « paisibles » à l’exception de celle
Dans le schéma classique qui oppose la Grande-Bretagne et la France, la première est créditée
d’une décolonisation pleinement assumée, négociée et pacifique, conforme à un tempérament porté au
pragmatisme et à l’appréciation sans états d’âme de ses intérêts, tandis que la seconde se verrait attribuer
une décolonisation beaucoup plus réticente et conflictuelle s’expliquant par son jacobinisme. Quant à la
décolonisation belge, elle se rapprocherait, avec la décolonisation portugaise, du cas français. Que valent
ces modèles dans le cas des indépendances africaines de 1960 ? Comment les médias audiovisuels
français (actualités cinématographiques ou reportages télévisés) rendent-ils compte de ces différents
modes d’accession à l’indépendance ?
Il reste qu’au-delà de la bonne volonté de Macmillan, s’est fait jour la résistance du Colonial Office,
soucieux de perpétuer la domination des Blancs. Cela explique les compromis laborieux associant, en
principe, une triple garantie : du régime parlementaire, de la représentation des minorités et de
l’appartenance au Commonwealth des futurs États.
Pour nuancer le portrait d’une Grande-Bretagne conduisant une décolonisation précoce, négociée et
pacifique, on pourra s’appuyer sur le cas du Ghana (à travers la figure de Nkrumah dans la sous-rubrique
« Les héros de l’indépendance ») ou celui du Kenya, en Afrique orientale, présenté ici.
Ce document muet, extrait du journal télévisé du 30 janvier 1954 (la bande-son n’a pas été
conservée) présente un camp de prisonniers, au Kenya, où les colons britanniques enferment les paysans
rebelles Mau Mau, qui se battent depuis 1952 contre la loi coloniale britannique.
Ces images seront replacées dans un double contexte, celui de la colonisation britannique du
Kenya et celui de la répression de la révolte Mau Mau, avec la question du rôle de cette dernière dans
l’accession du Kenya à l’indépendance (obtenue en 1963).
À partir de ces recherches, on pourra faire écrire aux élèves un commentaire des images, sur deux
modes au choix : le point de vue britannique d’alors, justifiant la répression du mouvement ; l’analyse d’un
historien aujourd’hui, utilisant ces images comme un document sur la brutalité de la répression et évoquant
le rôle de cette révolte et de sa répression dans l’accession du Kenya à l’indépendance.
La conquête britannique du Kenya avait initialement pour but de donner au Buganda (futur
Ouganda) un débouché sur l’océan Indien. Mais la richesse du pays le transforme rapidement en terre de
colonisation blanche. Au début du XXe siècle, plusieurs milliers de colons venus d’Angleterre ou d’Afrique du
Sud s’approprient les riches White-Highlands qu’ils transforment en grandes plantations ou petites
exploitations de café, de maïs ou de lin, destinées à la métropole. Colonisation brutale qui provoque très tôt
des mouvements de protestation, surtout chez les Kikuyu dépossédés de leurs terres, rejetés dans des
réserves ou réduits à un quasi-servage (les squatters). C’est dans ce contexte que naissent diverses
associations telles la Kikuyu Central Association, dans les années 1920, à laquelle appartient Jomo
Kenyatta. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, quelques réformes assurent une meilleure
représentation des Noirs et autorisent les partis politiques, comme la Kenya African Union (KAU). La misère
des paysans sans terres et des masses urbaines est cependant à l’origine d’un cycle de manifestations et
On s’est beaucoup interrogé sur le rôle de Kenyatta dans l’accession ultérieure du Kenya à
l’indépendance. Sans appeler directement à l’indépendance, le mouvement Mau Mau a mobilisé les
masses urbaines et provoqué l’arrestation de Kenyatta, faisant de lui un héros national. Indirectement, il a
donc encouragé et renforcé les revendications d’indépendance. Libéré de prison en 1961, Kenyatta prend
la tête de la KAU, devenue KANU (National) et mène, aux côtés de la Kenya Africain Democratic Union
(KADU), plus modérée et moins exclusive, les négociations qui amènent à l’autonomie interne du Kenya.
Après les élections de juin 1963, qui assurent la victoire de la KANU, l’indépendance est proclamée le
12 décembre.
Les indépendances que les territoires sous souveraineté française proclament au cours de l’année
1960 sont le fruit non prévu d’une évolution institutionnelle qui a connu deux grands moments : la « loi-
cadre Defferre », qui accorde à ces territoires l’autonomie en 1956, la mise sur pied, dans le cadre de la
Constitution de la Ve République en 1958, d’une Communauté franco-africaine, qui finit par éclater en 1960.
On peut affirmer, après coup, que la loi de 1956 comme la Constitution de 1958 ont préparé
l’indépendance de ces États, mais c’est une illusion d’optique car aucun de ces textes ne voulait ou ne
prévoyait un tel processus. Il s’agissait au contraire de préserver une part de souveraineté française. Il est
vrai cependant que ces deux textes ont fourni les cadres dans lesquels les futurs États indépendants ont pu
se forger et exprimer progressivement – et diversement, car tous n’avaient pas la même position – leur
volonté de s’émanciper de la France.
Inscrite au titre XII de la nouvelle Constitution de 1958, la Communauté n’a ainsi connu qu’une
brève existence. Elle concerne Madagascar, l’Afrique noire à l’exception de la Guinée qui s’en est
volontaire exclue dès 1958, ainsi que les territoires d’outre-mer. Le sénat de la Communauté ne détient
qu’un mince pouvoir législatif (art. 83) et la France conserve la haute main sur les affaires communes (art.
82). Après un bref essai d’indépendance dans la Communauté, le général de Gaulle accède à la demande
des jeunes États africains et malgache : leur indépendance s’échelonne entre août et novembre 1960. La
Communauté a vécu. Pourquoi cet échec ?
Au début de l’année 1960, la fédération du Mali regroupe le Sénégal et le Soudan français (futur
Mali). Elle rassemblait à la fin de 1958 le Sénégal, le Soudan, la Haute-Volta et le Dahomey, et avait été
créée dans une vue confédéraliste. Léopold Senghor appartenait à cette tendance. Il voulait reconstituer les
fédérations d’AOF et d’AEF avant de transformer la Communauté en confédération d’États. Félix
Houphouët-Boigny était quant à lui partisan d’un fédéralisme franco-africain sans intermédiaire entre la
Communauté et les territoires, et parvint à détacher de la fédération du Mali la Haute-Volta et le Dahomey.
Cet extrait de la mythique émission 5 colonnes à la une, consacré à la fédération du Mali à la veille
de son indépendance, révèle les fragilités de cette entité (parfois confondue par les habitants avec un
parti), mais aussi les espoirs (« construire un nouveau Mali »), les déceptions (le manque de volontarisme
des Sénégalais pour la construction collective des routes) tout en présageant d’autres difficultés à venir
(parti unique).
Léopold Sédar Senghor, alors présenté comme le probable futur président du Mali indépendant,
explique la voie choisie dans l’accession à l’indépendance : celle offerte par l’article 78 de la Constitution,
qui permet un transfert des compétences communes et un maintien dans la Communauté, plutôt que celle
du référendum, prévue par l’article 86 de la Constitution (voie choisie par la Guinée).
Filant la métaphore familiale, cette voie, qui ne rompt pas les « liens familiaux », apparaît selon lui
comme un geste plus amical vis-à-vis de la France et de de Gaulle, présenté comme un « bon père de
famille ». Senghor manifeste avec force son attachement tant à l’indépendance qu’à l’association avec la
France à travers une « communauté rénovée » conçue comme un « Commonwealth à la française ».
L’évolution de la Communauté, avec la loi du 4 juin 1960, ne suffit cependant à la maintenir en vie :
la plupart des États qui proclament leur indépendance autour du mois d’août 1960 la quittent, la vidant ainsi
de sa substance.
Ces Actualités françaises rendent compte de la naissance d’un nouvel État : la fédération du Mali
(Sénégal et Soudan), le 20 juin 1960, que marquent certains symboles (lever du drapeau malien,
cérémonies officielles de transfert de souveraineté).
Deux questions sont alors en suspens : les tensions internes qui font peser une grave menace sur
le devenir de la fédération, qui éclate durant l’été (après la Haute-Volta, futur Burkina-Faso, et le Dahomey,
futur Bénin, le Soudan s’en retire ; le Sénégal proclame son indépendance le 20 août, le Soudan français
fait de même le 22 septembre, sous le nom de Mali) ; la question des liens avec l’ex-métropole, vus ici sous
un jour forcément heureux, et dans le cadre de la Communauté : « C’était ainsi un pays totalement
souverain qui allait par la suite, en signant les accords de coopération et de participation à la Communauté,
engager son avenir aux côtés de la France. » On sait que si le Sénégal, avec Madagascar et les quatre
États de l’ancienne AEF restèrent dans la Communauté « rénovée », les autres États qui proclamèrent leur
indépendance en août 1960 en sortirent.
Cet extrait des Actualités françaises du 31 août 1960 annonce la sortie du Sénégal de la fédération
du Mali et sa proclamation d’indépendance. Il retransmet le discours du président du jeune État, Léopold
Senghor, qui justifie cet éclatement.
Au bilan, le cas de la fédération du Mali éclaire les circonstances dans lesquelles les
indépendances des États membres de la Communauté franco-africaine ont été proclamées au cours de
l’année 1960. Ces indépendances signent l’échec du projet de confédération franco-africaine imaginé à
partir de 1958. Cet échec tient d’abord au caractère inégalitaire de l’association franco-africaine qui
renforçait la contagion de l’indépendance. Plusieurs précédents poussaient les territoires africains à
revendiquer leur émancipation. Le Ghana de Kwame Nkrumah condamnait la Communauté au nom de
l’indépendance et de l’unité africaine. La Guinée de Sékou Touré, qui avait osé faire « sécession », avait
survécu au retrait de l’aide française : elle avait été reconnue par les grandes puissances et admise à
l’ONU ; la France avait fini par normaliser ses relations avec elle. Le Togo et le Cameroun, territoires sous
tutelle, avaient engagé la levée de cette tutelle. D’autres indépendances étaient prévues pour 1960 : celles
du Nigeria britannique, du Congo belge et des Somalies. Le statut d’autonomie dans la Communauté
semblait de plus en plus dépassé.
L’autre facteur d’éclatement de la Communauté réside dans les divisions entre leaders africains,
les uns fédéralistes (comme Félix Houphouët-Boigny), les autres confédéralistes (comme Léopold
Senghor). La fédération du Mali n’y survécut pas. De la même façon, les quatre États de l’AEF ne purent
pas s’entendre pour former l’Union des républiques d’Afrique centrale à cause du refus du Gabon. Ils
négocièrent donc séparément le transfert des compétences et les accords de coopération.
C’est ainsi que presque tous les États de la Communauté finirent par proclamer leur indépendance
en août 1960.
Il reste que la Communauté n’était pas condamnée d’avance. En 1959, la majorité des partis et des
leaders était favorable au projet et ce, pour plusieurs raisons. Jouait d’abord l’attachement à la France,
patrie de la Révolution de 1789, dans laquelle siégeaient des députés africains et même des ministres
(Félix Houphouët-Boigny fut ministre délégué à la présidence du Conseil de 1956 à 1957, avant d’être
« ministre conseiller » dans le gouvernement Debré). L’idée était aussi présente que l’Afrique avait besoin
du soutien de la France pour se développer. La Communauté rejoignait enfin le projet aujourd’hui oublié
d’une « Eurafrique » permettant aux deux continents d’échapper à la domination américaine et à la menace
communiste.
L’indépendance du Congo est reconnue en juin 1960 au terme d’une brève négociation. Le fait
peut sembler refléter une attitude belge libérale. En réalité, cette émancipation, accordée dans la
précipitation et sans la moindre préparation, a succédé à un long passé d’immobilisme et n’a pas empêché
le jeu trouble des dirigeants de Bruxelles lors des crises consécutives à l’indépendance.
Ce montage muet est constitué d’images non utilisées sur l’indépendance du Congo qui a été
octroyée par le roi Baudouin le 30 juin 1960. Il rend compte des circonstances troublées de l’indépendance
Les images des manifestations révèlent néanmoins de profondes divisions, comme l’illustrent
pancartes et banderoles : « Nous exigeons la division du Kasai, seule solution de paix » ; « Pas de
gouvernement sans Palonji » ; « À bas le gouvernement Lumumba fantoche ». Les élections de mai 1960
ont été remportées par l’unitariste Mouvement national congolais (MNC) lancé en octobre 1958 par Patrice
Lumumba, mais qui n’a obtenu qu’un tiers des sièges. Lumumba devient Premier ministre et accepte de
faire porter le fédéraliste Kasa-Vubu à la présidence de la République. Ancien séminariste, Joseph Kasa-
Vubu a pris la tête en 1954 de l’Abako, association culturelle de l’ethnie Bakongo, fondée en 1950, de
tendance fédéraliste. Parmi les autres mouvements concurrents on compte aussi le Conokat de Moïse
Tshombé, qui représente la province du Katanga.
On pourra imaginer de faire produire par les élèves un court reportage rendant compte de la
situation troublée du Congo à l’heure de l’indépendance, entre réjouissance et crise à venir. À partir de ces
rushes, on procédera à un nouveau montage, une sonorisation et on rédigera un commentaire.
Cette production s’appuiera sur une recherche documentaire sur l’histoire du Congo belge, les
circonstances dans lesquelles la métropole accorde, dans l’urgence, l’indépendance, et les questions qui
restent en suspens…
Images INA - Émeute contre le gouvernement Lumumba lors de la conférence panafricaine (Cinq colonnes
à la une - 02/09/1960)
Voir la vidéo sur le site de l’INA
Quel est le point de vue du journaliste ? « Pour eux, ce qui compte, ce n’est pas le Congo, c’est
leur tribu », commente-t-il ; « J’ai l’impression que vous êtes un peu contre tout », dit-il encore au
manifestant anti-Lumumba, qui qualifie les « pères de l’indépendance » d’« associés du colonialisme ».
Se précise ici la grave et complexe crise qui plonge le Congo dans le chaos. Cette crise mêle
plusieurs « ingrédients » : mutinerie de l’armée congolaise encadrée par des officiers belges dès le 5 juillet ;
conflit personnel entre Kasa-Vubu et Lumumba qui, en adoptant progressivement des positions tiers-
mondistes et panafricanistes, inquiète de plus en plus les milieux conservateurs du pays et les pays
occidentaux ; sécession du Katanga par Tshombé soutenu par les milieux capitalistes belges, puis celle de
l’État minier du Sud-Kasaï par Albert Kalondji, le tout sur fond de guerre froide avec de durs affrontements
à l’ONU entre délégués américains et soviétiques.
Par ailleurs, elle passe en revue les principaux éléments de la crise : les émeutes, l’exode de la
population blanche et l’écho dans l’ex-métropole, l’intervention de l’ONU, la division entre Kasa-Vubu et
Lumumba, la sécession du Katanga mené par Moïse Tshombé. On relèvera l’accusation lancée à l’ONU
par Lumumba contre la Belgique, qui aurait « accordé l’indépendance sans préparation aucune », thèse
d’ailleurs reprise par le journaliste en fin de reportage.
Le dernier intérêt du document réside dans l’utilisation d’images très dures d’enfants chétifs et
malades du Kasaï auxquels des soldats de l’ONU distribuent de la nourriture. Si on peut avoir l’impression
d’avoir déjà vu ces images, c’est que de très semblables vont être massivement diffusées, alimentant
« l’afro-pessimisme ».
Introduction
Étudier les décolonisations africaines à partir de leurs acteurs présente plusieurs intérêts. D’abord,
celui de montrer que la décolonisation ne fut pas un processus mécanique, sorte de marche inéluctable
vers l’émancipation selon une ligne écrite à l’avance. Ensuite, celui de décentrer le regard en montrant que
tout ne fut pas décidé ou conduit depuis la métropole. Il s’agit également de suggérer la diversité des
trajectoires individuelles et des stratégies politiques ainsi que la variété des processus d’émancipation.
Enfin, un des intérêts est d’inscrire la décolonisation dans un temps plus long, celui d’une vie, des combats
initiaux aux difficiles réalités des lendemains des indépendances.
Si elle permet d’éviter toute dépersonnalisation de l’histoire, la prise en compte des acteurs
individuels présente un écueil inverse : celui, justement, de la personnalisation excessive, et de la
glorification de ces « héros de l’indépendance ». Dans les jeunes États nés de la décolonisation, l’idée
nationale se cristallise autour des personnalités qui ont conduit le pays à l’indépendance et dont beaucoup
se considèrent comme les héritiers des héros d’antan. Le risque est alors d’adopter le point de vue de ces
autres « vainqueurs », qui ont pu être tentés d’asseoir leur autorité de chefs d’État à la faveur de leur rôle
dans l’émancipation de leur peuple. On se gardera donc de verser dans la légende.
Il convient d’inscrire chaque parcours individuel dans un processus collectif : celui du rapport entre
métropole et colonies. On pourra à cet égard croiser la rubrique « Acteurs » avec tel ou tel autre thème, par
exemple en éclairant le parcours d’Houphouët-Boigny par le projet de Communauté franco-africaine entre
1958 et 1960. À l’inverse, on peut approfondir une problématique en s’appuyant sur une figure : la
contestation du système colonial à travers la figure de Nkrumah ou le néocolonialisme à travers celle de
Félix Houphouët-Boigny.
On pourra aussi naviguer au sein de la rubrique afin de rechercher points communs et différences entre les
grandes figures et déterminer en quoi elles sont représentatives du processus de décolonisation de tel ou
tel empire.
« Vous parlez de choisir entre les Britanniques et les Allemands. Pour la véritable renaissance de l’Afrique,
il ne doit pas y avoir de choix. Pourquoi devrions-nous choisir entre la barbarie impitoyable des nazis et
l’exploitation et la domination froide, suffisante et sans cœur avec laquelle les Britanniques ont assujetti
notre peuple depuis de si nombreuses années ? Non ! C’est notre devoir de construire, pas de choisir mais
de procéder à l’unification et aux développements, de telle sorte que, peu importe qui sera vainqueur dans
cette guerre, ceux qui espèrent exploiter et maintenir un empire, qu’ils soient britanniques ou allemands ou
n’importe quoi d’autre, qu’ils trouvent un enfer vivant en Afrique. »
(Cité par J. M. Akita (ed.), Commission on Kwame Nkrumah Papers, Accra, 1965, et M’Bokolo, 2008,
p. 441).
Contemporain du garveyisme, le panafricanisme apparaît dès 1900. Il est porté par William Edward
Burghardt Du Bois (1868-1963), universitaire noir américain, qui, à la différence de Garvey, défend l’égalité
de droits entre les races et s’oppose à toute notion de supériorité de l’une sur l’autre. Du Bois organise des
congrès dans l’entre-deux-guerres dont l’objectif prioritaire est d’obtenir des puissances coloniales une
reconnaissance des services rendus par les Africains pendant la guerre et un nouveau statut pour la race
noire en Afrique. Nkrumah fait partie des hommes qui gravitent autour de Du Bois comme Kenyatta avant
lui.
Aussitôt après avoir participé au congrès panafricain qui se tient à Manchester en 1945, il crée un
Secrétariat national ouest-africain, activement soutenu par la WASU (West Africa Students Union), destiné
à promouvoir une fédération ouest-africaine. En 1947, il est invité à prendre la direction de l’United
Convention of the Gold Coast, puis rentre au pays après 12 ans d’absence.
Dès lors, le panafricanisme s’identifie en partie avec la lutte pour l’indépendance de la Gold Coast :
Nkrumah y organise un congrès panafricain en 1953 à Kumasi ; il recrute George Padmore comme
conseiller aux affaires africaines en 1958, et organise la même année à Accra deux conférences
panafricaines, celle des chefs d’État et de gouvernement en avril, et celle des peuples et des partis en
décembre. En 1963, il est l’un des fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine (OUA).
Dans le même temps, il prend la tête du mouvement pour l’indépendance. En 1949, il fonde le
Convention People’s Party (CPP), modèle des grands partis de masse africains, et combine l’agitation
légale et les techniques inspirées de Gandhi de grève et de boycott. Le parti subit la répression britannique
lors des grèves de février 1948 et janvier 1950 tandis que Nkrumah est arrêté à plusieurs reprises. Avec la
victoire du CPP aux élections de 1951, Nkrumah commence à négocier avec les Britanniques, qui
accordent à la Gold Coast le self-government en 1956 et reconnaissent la pleine indépendance le 6 mars
1957. Le Ghana entre dans le Commonwealth. Accusé d’autocratie, il est renversé par une junte militaire
en 1966.
On pourra compléter ce document avec un reportage antérieur, réalisé en 1978, sur certains points
plus explicites.
Images INA - Patrice Lumumba, premier ministre de la République démocratique du Congo (Cinq colonnes
à la une - 02/09/1960)
Voir la vidéo sur le site de l’INA
« Qui êtes-vous, M. Patrice Lumumba ? » L’interview est à replacer dans son contexte : celui d’un
Congo qui, aussitôt son indépendance acquise, se trouve plongé dans une grave crise marquée par le
conflit entre le président Kasa-Vubu et le Premier ministre Lumumba ainsi que par la sécession du
Katanga. Cette crise explique les circonstances très particulières dans lesquelles cette interview est
réalisée : Lumumba est dans la résidence de l’ancien gouverneur, gardée par des soldats. Cela explique
aussi la question initiale du journaliste : « Est-ce un fou ? Est-ce un héros ? Est-ce un dictateur ? »
L’interview mêle trois grandes questions : les origines sociales de Lumumba, ses influences
intellectuelles, son combat pour l’indépendance. On relèvera la manière dont Lumumba résume la grande
contradiction – source de son combat à venir – entre les valeurs défendues par les métropoles
européennes et leur application dans les empires. On dégagera également le non-dit de l’interview, autour
duquel tournent cependant questions et réponses : les convictions marxistes de Lumumba qui le font alors
passer pour un communiste.
Cet extrait du journal télévisé, réalisé à l’occasion de la mort de Jomo Kenyatta, « père de
l’indépendance » du Kenya, pourra servir de point de départ à une recherche documentaire. Celle-ci sera
destinée à expliciter et critiquer le très allusif et parfois « euphémistique » commentaire. Ce travail sera
l’occasion d’aborder la complexité de figures de « pères fondateurs », tour à tour considérés comme des
héros ou des tyrans.
Kenyatta fut d’abord « le javelot flamboyant » puis, en tant que président de l’État indépendant
jusqu’à sa mort (1963-1978), le Mzee (« l’ancien », le « vieux lion »), c’est-à-dire l’homme d’expérience qui,
ayant acquis la sagesse et la lucidité, peut dispenser un enseignement. De son côté, Kwame Nkrumah était
appelé par les Ghanéens l’Osaqyefo (« le faiseur de victoires », « le général victorieux ») tandis qu’en Côte-
d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny, d’abord considéré comme le « magicien invisible » et « le bélier,
défenseur du peuple », est devenu « le vieux », dans le sens de dépositaire de la conscience morale et
politique et celui de père.
Une autre phrase mérite éclaircissement : « Depuis l’indépendance en 1963, il se présentait à son
peuple et à l’étranger comme un homme d’ordre, conciliant l’originalité de l’organisation tribale avec le
principe d’union sans négliger de bonnes relations avec la Grande-Bretagne. » On rappellera notamment
que Kenyatta publia en 1938 à Londres sa thèse, Facing Mount Kenya, qui exaltait la société traditionnelle
kikuyu et attaquait la colonisation. La Kenyan African National Union (KANU), créée en 1960 par Tom
Mboya, fit partie de ces partis indépendantistes à vocation nationale s’efforçant de rassembler dans leur
combat les populations vivant sur le même territoire. Ses succès portèrent Kenyatta au poste de Premier
ministre, le 1er juin 1963, dans le cadre de l’autonomie. Répondant à la préoccupation britannique de
protéger les minorités blanche et asiatique, il affirmait qu’il y avait dans son pays « une place pour tous les
immigrants ». Libéré en 1961, il conduisit les négociations qui amenèrent le Kenya à l’indépendance, le
12 décembre 1963, au sein du Commonwealth, avant qu’il devienne en 1964, une république parlementaire
et centralisée.
Une troisième phrase permettra de poser la question de l’action de ces leaders au lendemain des
indépendances : « Président à vie depuis 1974, à la tête d’un parti unique, il devait préserver son pays
prospère des remous qui secouent le continent africain, et ceci malgré l’effondrement de la Communauté
est-africaine, que ce soit le conflit entre l’Éthiopie et la Somalie, l’incertitude de la diplomatie ougandaise,
ou les difficultés avec la Tanzanie. » On explicitera ces allusions aux dérives autoritaires et militaristes, dont
témoignaient d’autres de ces « pères fondateurs », autant qu’aux difficultés de développement. On
éclaircira aussi l’allusion à la Communauté est-africaine, qui réunit la Tanzanie, l’Ouganda et le Kenya, le
1er décembre 1967, et qui constitue l’une de ces zones douanières dont une grande partie de l’Afrique se
couvrit pendant les années 1960. « Toutefois Nairobi a dû accentuer ses efforts d’armement, ce qui ne va
pas sans porter préjudice à l’économie nationale. Autre difficulté à venir avec la disparition du président
Kenyatta, les rivalités internes risquent de se réveiller. Jusqu’à présent, il avait su les mettre en sommeil à
l’aide d’un cri de ralliement qui traduisait toute sa politique : harambee, ce qui signifie : “en avant !” » De
fait, des rivalités intra-kikuyu vont se faire jour lors de la succession de Kenyatta.
Au bilan, on verra comment le court reportage reprend bien des ingrédients des malheurs de
l’Afrique et du rôle de ses dirigeants dans ceux-ci. On réfléchira à l’effet cumulatif que ces faits peuvent
produire sur le spectateur français.
Né à Yamoussoukro, il devient médecin, accède à la chefferie puis dirige une plantation. En 1944,
il engage une campagne contre le travail forcé puis fonde en 1946 le Rassemblement démocratique africain
(RDA), anticolonialiste plus qu’indépendantiste. À partir de 1950, il devient le principal interlocuteur africain
des autorités françaises. Artisan, avec Gaston Defferre, de la « loi-cadre » de 1956 qui accorde aux
colonies d’Afrique noire l’autonomie interne, il joue un rôle important dans la formation de la Communauté
en 1958.
Interrogé sur les divergences des dirigeants africains, Félix Houphouët-Boigny se déclare
optimiste, parlant d’indépendance, certes, mais avec le maintien de liens avec la France, seule manière
selon lui d’assurer aux États africains une indépendance véritable. Pourtant, la fédération franco-africaine,
fondée sur l’égalité de ses membres, dont il est partisan, ne résiste pas aux indépendances de l’année
1960. La Communauté éclate sous l’effet de forces centrifuges, encouragées par l’indépendance obtenue
par plusieurs États voisins comme le Ghana, la Guinée puis le Togo et le Cameroun. Elle se disloque aussi
du fait de la rivalité entre dirigeants africains fédéralistes (parmi lesquels Léopold Senghor, qui veut
reconstituer les fédérations d’AOF et d’AEF) et confédéralistes (comme Félix Houphouët-Boigny, partisan
d’une association franco-africaine sans instance intermédiaire entre la Communauté et les territoires).
L’incapacité des dirigeants à se mettre d’accord, notamment sur les contours des fédérations africaines,
aboutit aux déclarations d’indépendance de l’année 1960.
C’est finalement un « père de l’indépendance » paradoxal car s’il a bien mené la Côte-d’Ivoire à
l’indépendance, il a tout fait pour préserver une Communauté qui maintenait des liens forts et institutionnels
entre les territoires africains et leur ancienne métropole.
Rappelé au pouvoir en 1958 pour sauver l’Algérie française, de Gaulle ne pouvait favoriser
d’emblée l’indépendance des peuples africains, si tant est qu’il le voulut. Face aux revendications
d’indépendance manifestées par les territoires africains, y compris en dehors de la Communauté, à partir
de 1958, de Gaulle céda pour mieux faire accepter la décolonisation à l’opinion française et maintenir les
liens passés qui étaient selon lui l’une des conditions de la grandeur de la France.
Trois documents, qu’on pourra étudier isolément ou bien confronter pour en faire ressortir les
points communs, permettent d’analyser comment de Gaulle transfigure un échec – celui de la Communauté
– en décolonisation délibérée, aboutissement logique selon lui à la fois de sa vision des choses depuis la
Seconde Guerre mondiale et de l’action civilisatrice de la France coloniale.
Images INA - De Gaulle sur décolonisation Afrique Noire (Edition spéciale - 10/11/1959)
Voir la vidéo sur le site de l’INA
Cet extrait de conférence de presse sur la décolonisation de l’Afrique noire présente un double
intérêt. Il révèle la vision gaullienne de la colonisation mais aussi la manière dont il justifie la décolonisation.
Il illustre également l’évolution de la politique française à l’égard des territoires africains à un moment
charnière, celui où de Gaulle reconnaît les États africains tout en essayant de préserver la Communauté.
S’il reconnaît le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, de Gaulle justifie la colonisation, mais
au passé (« Il est vrai que pendant longtemps l’humanité a admis – je crois qu’elle avait parfaitement raison
– que pour ouvrir à la civilisation des populations qui en étaient écartées, par les obstacles de la nature ou
par leurs propres caractères, il était nécessaire qu’il y eut pénétration de la part de l’Europe occidentale,
malgré quelques fâcheuses péripéties »). Il dresse un bilan « positif » de l’œuvre coloniale, faisant des
réclamations d’indépendance une sorte d’aboutissement logique de l’action des puissances colonisatrices
en Afrique et ailleurs : « Oui, ces pays furent conquis, révélés et éveillés. »
De Gaulle évoque le cas particulier du Cameroun et du Togo, qui étaient sous la tutelle, et non
sous la souveraineté de la France, et qui pourront choisir leur destin « l’année prochaine ». De fait, le
Cameroun accède à l’indépendance dès le 1er janvier 1960, le Togo le 27 avril suivant.
Le général a des mots très durs sur la Guinée, qui a refusé la Communauté et proclamé son
indépendance dès 1958, pays qu’il présente comme « une république démocratique populaire, un régime
totalitaire sous la dictature d’un parti unique ».
Face aux revendications d’indépendances dans le cadre de la Communauté exprimées par nombre
de leaders africains, de Gaulle hésite puis admet, en décembre 1959, l’accession d’un État à
l’indépendance sans qu’il cesse, de ce fait, d’appartenir à la Communauté. Ici, de Gaulle cherche encore à
sauver la Communauté : « La Communauté, pour tout le monde, c’est l’indépendance effective et c’est la
coopération garantie. » À propos des revendications des peuples jusque-là « attachés à la France », il
parle, non sans condescendance ou au moins prise de distance, de « passion d’autodétermination, de libre
disposition d’eux-mêmes et, à leurs yeux, d’indépendance ».
Images INA - Allocution radiodiffusée et télévisée du général de Gaulle (14/06/1960 - ne conserver que :
15min21’-17min49’)
Voir la vidéo sur le site de l’INA
On peut retrouver fiche et transcription intégrale de l’allocution sur le site de l’Ina, « Charles de Gaulle,
paroles publiques ».
Tandis que le génie du siècle change notre pays, il change aussi les conditions de son action outre-mer.
Inutile d’énumérer les causes de l’évolution qui nous conduisent à mettre un terme à la colonisation par le
fait des progrès accomplis dans nos territoires, de la formation que nous donnons à leurs élites et du grand
mouvement d’affranchissement des peuples de toute la Terre ! Nous avons reconnu à ceux qui
dépendaient de nous le droit de disposer d’eux-mêmes. Le leur refuser, c’eût été contrarier notre idéal,
entamer une série de luttes interminables, nous attirer la réprobation du monde, et tout cela pour une
contrepartie qui fut inévitablement effritée entre nos mains. Il est tout à fait naturel que l’on ressente la
nostalgie de ce qui était l’empire, comme on peut regretter la douceur des lampes à huile, la splendeur de
la marine à voile, le charme du temps des équipages. Mais quoi ? Il n’y a pas de politique qui vaille en
dehors des réalités ! C’est en les prenant pour base, ainsi que le font comme nous onze républiques
africaines et la république malgache, que nous constituons avec elles un libre et amical ensemble
pratiquant à l’intérieur de lui-même des relations étroites nourries de culture française, soutenant le même
idéal, prêt à une défense commune dans le grand trouble, dans les grands remous auxquels l’Afrique est
en proie et au milieu des courants qui divisent le monde, la Communauté nous renforce tout en servant la
raison et la fraternité.
Le 14 juin 1960, le général de Gaulle vient à la télévision prononcer une allocution qui reste célèbre
à plus d’un titre. L’allocution commence par « Il était une fois un vieux pays, tout bardé d’habitudes et de
circonspection » : par ces mots, le général appelle à l’expansion et à la rénovation économique et sociale.
Le second point abordé est celui de la nécessaire décolonisation ; c’est la fameuse petite phrase faisant
allusion au « temps des lampes à huile ». La troisième partie du discours, et la plus importante, concerne
l’Algérie. De Gaulle y réaffirme le principe d’autodétermination, renforcé par l’expression « l’Algérie
algérienne », et lance aux « dirigeants de l’insurrection » un appel à déposer les armes.
Dans cette allocution, de Gaulle justifie une nouvelle fois aux yeux des Français la décolonisation.
Parmi les causes du processus, il cite en premier « les progrès accomplis dans nos territoires [et] la
Voir aussi la fiche (contexte, notice, transcription) sur le site de l’INA, « Charles de Gaulle, paroles
publiques ».
La conférence de presse du 5 septembre 1960, même si elle aborde de nombreux sujets est
essentiellement celle où le général de Gaulle expose ses vues sur la décolonisation. Il définit cette dernière
comme un phénomène mondial inéluctable et comme la finalité de sa politique depuis la Seconde Guerre
mondiale. Il situe l’enjeu du processus : la question n’est pas de savoir si les peuples colonisés accéderont
ou non à l’indépendance, mais si leur émancipation se fera avec la France ou contre elle. Cette justification
a posteriori contredit en réalité le refus du général, au départ, d’accorder aux peuples africains le droit de
choisir entre la fédération, la confédération et l’indépendance, puis l’obligation qu’il leur a imposé de choisir
entre l’association dans la Communauté et la sécession en rupture totale avec la France, et son espoir
enfin de maintenir la Communauté malgré les indépendances.
Introduction
Les indépendances donnent lieu à des images très diverses. Trois sortes en sont présentées ici :
− les images d’actualité française, qui rendent compte, du point de vue de l’ex-colonisateur,
des cérémonies organisées le jour ou le premier anniversaire du jour de l’indépendance ;
− les images – beaucoup plus froides mais à la portée symbolique immense – d’un autre type
de « cérémonies », celles consacrant l’admission des jeunes États à l’ONU ;
− les timbres-poste édités par ces jeunes États qui trouvent là matière à manifester leur
souveraineté.
L’enjeu est à chaque fois le même : célébrer l’indépendance pour mieux fonder l’État. Ces images
confrontent cependant des regards différents – celui du colonisé et celui du colonisateur – et reflètent des
réalités différentes – festivités populaires ou cérémonies officielles.
Les cérémonies
Comment les indépendances furent-elles fêtées ? Comment les médias français donnèrent-ils à
voir ces célébrations à leur public ?
Comme le Togo, le Cameroun était un territoire sous tutelle et avait engagé en 1958 le processus
de levée de cette dernière à l’ONU. C’est le premier État africain à proclamer son indépendance en 1960
(dès le 1er janvier). Cette émancipation donne lieu à des images très variables, qui rendent compte aussi
bien de la cérémonie officielle organisée dans le pays que des réjouissances populaires ou de l’admission
du nouvel État à l’ONU (le 27 janvier 1960).
Ces images, destinées au public français, représentent la cérémonie officielle qui marque
l’indépendance du Cameroun à Yaoundé. Le reportage met en valeur la reconnaissance internationale du
nouvel État : outre le président camerounais Ahmadou Ahidjo, on aperçoit en particulier Hammaskjold,
secrétaire général de l’ONU, et Robert Buron, secrétaire à l’outre-mer du gouvernement français.
Cet extrait d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, diffusée dans le journal télévisé du
27 janvier 1960, donne une image froide mais néanmoins forte de l’accession des États africains à
l’indépendance : à travers le vote d’une simple résolution, on y voit la reconnaissance institutionnelle de
leur souveraineté à l’échelle internationale.
Dans le détail, une remarque s’impose : malgré son caractère académique, le discours évoque des
difficultés que rencontre déjà le nouvel État (manque de cohérence et problème de la partie anglophone du
Cameroun qui s’était rattaché au Ghana indépendant en 1957), annonçant ainsi les crises à venir…
Le premier anniversaire de l’indépendance est, pour ces jeunes États, l’occasion de manifester aux
yeux du monde leur nouvelle existence en exhibant quelques-uns des attributs de la souveraineté : palais,
drapeau, hymne, armée…
Images INA - Le Dahomey fête le premier anniversaire de son independence (Les Actualités Françaises -
09/08/1961)
Voir la vidéo sur le site de l’INA
Images INA - La Côte d’Ivoire fête le premier anniversaire de son indépendance (Les Actualités Françaises
- 16/08/1961)
Voir la vidéo sur le site de l’INA
Dans ces cérémonies officielles, l’influence de l’ancienne métropole ou plus largement du monde
occidental demeure prégnante. Les images de l’armée ivoirienne et des dignitaires africains sont à cet
égard significatives (vêtements et uniformes sont pour la plupart de type occidental), de même que le
drapeau (tricolore à trois bandes verticales, inspiré du drapeau français). De la même manière, les hymnes
nationaux ne sont pas toujours émancipés des influences métropolitaines, comme le montrent certains
titres (l’Abidjanaise, la Tchadienne, la Congolaise…) aux thèmes proches de la Marseillaise.
Faute de transition et de cadres suffisants, nombre de jeunes États africains demeurent tributaires
d’une coopération avec l’ancienne métropole. La France est ainsi appelée à former les cadres militaires,
administratifs et judiciaires de ses anciennes possessions.
Par réaction anticoloniale, certains États abandonnent cependant le nom imposé par les
Européens pour mieux s’ancrer dans un passé occulté par le colonisateur. La Gold Coast devient ainsi le
Ghana (bien que les frontières du nouvel État ne coïncident pas avec celles de l’ancien empire du Ghana),
le Congo belge devient la république du Congo puis le Zaïre, en 1971, pour manifester la réhabilitation de
Plusieurs activités sont possibles sur ce thème. On pourra demander aux élèves de rechercher sur
le site de l’Ina des images des fêtes de l’indépendance d’un pays africain au choix et de les analyser. La
comparaison, qui fera apparaître points communs (comme le lever de drapeau, le défilé, mais aussi
l’exotisme) et différences, pourra se faire en classe entière.
Comme nombre de ces documents sont muets, on peut aussi imaginer de faire produire un
commentaire des images par les élèves. Pour prendre l’exemple du Gabon, on partira du reportage réalisé
sur la cérémonie officielle célébrant l’indépendance et diffusé dans le journal télévisé de nuit du 12 février
[sic] 1960 :
À partir du visionnage d’autres séquences du même type, cette fois-ci accompagnées de commentaire, les
élèves peuvent imaginer un commentaire « dans le ton » de l’époque.
Le monopole postal et l’émission de timbres sont un autre signe de la souveraineté, et l’occasion de célébrer
l’indépendance. Les effigies en disent beaucoup sur l’orientation des nouveaux régimes mais aussi, parfois, sur
les liens qu’ils maintiennent avec l’ancienne métropole…
L’éphémère fédération du Mali a édité un timbre pour célébrer sa création, en janvier 1959, avant son
éclatement qui donnera naissance au Sénégal et au Mali indépendants :
Source
Timbre sur lequel le Ghana nouvellement indépendant, appose son nouveau nom.
Comme pour la fédération du Mali ou la Côte-d’Ivoire, le Cameroun n’a pas attendu la déclaration
d’indépendance pour éditer des timbres. Dès 1958, un timbre commémore « l’anniversaire de l’installation
du premier gouvernement camerounais »
La présence française est marquée de multiples façons : par l’emploi d’une figure féminine
symbolisant la république (sur le modèle français), par la langue (le français, qui est la langue des colons,
est aussi celle qui peut faire l’unité du Sénégal, pays qui compte de nombreux dialectes), par la monnaie (le
franc des colonies françaises d’Afrique remplacé en 1962 par le franc de la communauté financière, dit
« franc CFA »). Ajoutons que l’artiste qui réalisa ce timbre est un Français, Pierre Gandon, ce qui peut
expliquer bien des choix iconographiques, toutefois validés par l’autorité sénégalaise.
Introduction
Les populations africaines ont accueilli la fin de la colonisation avec enthousiasme : l’accession à la
souveraineté politique devait apporter, en même temps que la liberté, progrès et unité du continent.
L’optimisme des premières années se heurta pourtant à nombre de difficultés, aussi bien politiques (coups
d’État, guerres civiles) qu’économiques et sociales (endettement, problème du sous-développement). Les
États ont tenté de s’organiser pour les surmonter mais les difficultés persistantes ont nourri le thème de
l’« afro-pessimisme ».
Aujourd’hui, « l’Afrique s’identifie pour le plus grand nombre au malheur et à l’échec. Guerre,
sécheresse, maladies, pauvreté, enfants qui meurent de faim et qu’il faut aider : le continent tout entier
semble ne susciter qu’une pitié mêlée de répulsion. » Cette observation de la géographe spécialiste du
développement Sylvie Brunel, qui regrette ces stéréotypes réducteurs, suggère que dans l’opinion
commune le bilan de l’Afrique 50 ans après les indépendances est mince. S’il n’est pas question de nier les
difficultés rencontrées par les jeunes États africains, il s’agit aussi de réfléchir à la manière dont s’est
construite cette image de l’Afrique, à travers les médias notamment, et à sa mutation récente : le
cinquantenaire des indépendances semble hésiter entre amère désillusion et célébration d’un « réveil de
l’Afrique » que peut symboliser, d’après certains, l’organisation de la coupe du monde de football en Afrique
du Sud.
À quels défis les États nés de la décolonisation en 1960 se sont-ils trouvés confrontés ?
Cette interview du président du Sénégal Senghor, sur le perron de l’Élysée, huit ans après la vague
d’indépendances de 1960, permet de repérer les éléments d’un premier bilan et constituer ainsi le point de
départ d’une analyse du devenir des États au lendemain des indépendances.
Senghor évoque d’abord la « situation dramatique » dans laquelle se trouvent de nombreux pays africains,
situation qu’il attribue à la « dégradation des termes de l’échange ». Il reprend ici une thèse économique
alors récente selon laquelle les échanges sont structurellement défavorables aux exportateurs de matières
premières. En faisant de la sorte le lien entre commerce international et sous-développement, Senghor
suggère que les pays africains n’ont pas accédé à la souveraineté économique mais qu’ils restent placés
dans la dépendance des pays industrialisés.
Senghor évoque les enjeux politiques de cette question des rapports Nord-Sud – enjeux intérieurs
(l’instabilité politique, dont on pourra discuter par la suite le lien avec la situation économique) ou extérieurs
(tentatives de regroupement à même de renforcer les pays africains).
En creux se dessine aussi la question des liens entre la France et ses anciennes colonies – liens
forts en ce qui concerne le Sénégal (et dont témoigne cette visite au général de Gaulle, qu’on aperçoit au
début de l’extrait), liens rompus avec la Guinée, qui avait « osé » dire non à la Communauté en 1958. On
introduira ici la problématique de ces liens, justifiés au nom de la coopération pour certains, dénoncés par
d’autres pour leur inefficacité ou comme forme de néocolonialisme.
À l’heure des indépendances, le panafricanisme vise à unifier le continent. Tel fut le but de la
première conférence des États africains, réunie à Accra (Ghana) en 1958, à l’initiative de Kwame
Nkrumah : c’était selon lui la seule option pour faire sortir l’Afrique du sous-développement.
Toutefois de profondes divergences entre les dirigeants africains apparurent. Ils se concertèrent
lors de la fondation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963.
Comment les médias français relaient-ils les tentatives d’organisation des États africains depuis
1960, que ce soit à l’échelle continentale ou régionale ?
Ce reportage rend compte des espoirs mais aussi, déjà, des difficultés de l’unité africaine. Le
président du Sénégal Léopold Senghor fait allusion à la conférence d’Addis-Abeba (Éthiopie), première
conférence des États africains indépendants qui s’est tenue du 22 au 25 mai 1963 et à l’issue de laquelle
est née l’Organisation de l’unité africaine, le 25 mai 1963. Le pays a été choisi en raison de l’indépendance
du très vieil Empire et du prestige de son chef, le négus Hailé Sélassié.
La charte de l’OUA marque la victoire des modérés en abandonnant tout projet supranational
(marché commun africain, citoyenneté africaine), en reconnaissant le caractère définitif des frontières
héritées de la colonisation et en proclamant l’égalité souveraine des États et le principe de non-ingérence
dans leurs affaires intérieures.
Par principe, l’OUA soutient les peuples en lutte pour leur libération mais ne dispose pas de
moyens appropriés. Très divisée sur la conduite à tenir face à l’Afrique du Sud, l’OUA s’est par ailleurs
En 1981, Senghor revient sur la conférence d’Addis-Abeba de 1963 qui donna naissance à l’OUA.
Il rappelle les deux grandes conceptions de la manière de faire l’unité africaine qui s’y affrontèrent, et se
montre optimiste pour l’avenir.
Des unions se nouèrent également sur une base régionale ou sur l’appartenance à une
communauté culturelle telles que l’Organisation commune africaine et malgache (OCAM) en 1965.
Organisation de l’Afrique francophone, elle intéresse particulièrement la télévision française. Quelle vision
en donna-t-elle ?
Créée à Nouakchott en janvier 1965, l’OCAM regroupe 14 États francophones. Elle « coexiste ou
succède à de nombreuses unions africaines », telle l’Union africaine et malgache (UAM), créée par des
États africains au lendemain de leur indépendance, et qui, suite à la création de l’OUA, s’était transformée
en une union économique, l’UAMCE, qui dura à peine un an… La création de l’OCAM est justifiée par les
conflits qui règnent au sein de l’OUA.
Dans ce reportage extrait de l’émission 7 jours du monde, trois participants sont interviewés :
Mokhtar Ould Daddah (1960-1978) pour la Mauritanie (qui dénie toute « menace communiste »), Hamani
Diori pour le Niger (qui dénonce les manœuvres d’« infiltration chinoise »), et Léopold Senghor pour le
Sénégal.
Cette union fut cependant dénoncée par Sékou Touré (Guinée) qui voyait précisément en elle
« une nouvelle mystification, forgée pour saper les bases de l’unité africaine, pour retarder l’évolution de
l’Afrique au profit de l’impérialisme ».
Depuis la décolonisation, l’Afrique a donné l’image d’un continent cumulant les handicaps. Sans
dresser un inventaire exhaustif des « maux de l’Afrique » – tâche vaine et qui conduira nécessairement à
déformer la réalité par un effet de loupe – on repérera quelques-unes des vicissitudes de l’après-
indépendance à travers le destin de tel ou tel « héros de l’indépendance » devenu chef d’État, dans la
rubrique « Acteurs ».
Au-delà des difficultés politiques, économiques ou sociales plus ou moins dramatiques rencontrées
ici ou là depuis 1960, quel bilan peut-on dresser de l’Afrique, 50 ans après les indépendances et à l’heure
de la mondialisation ?
Dans le langage courant et dans celui des médias, le mot Afrique désigne surtout l’Afrique au sud du
Sahara, l’Afrique tropicale et ce que l’on appelle encore « l’Afrique noire ». La partie septentrionale du
continent africain, Sahara compris, n’est plus de nos jours dénommée « l’Afrique blanche », et elle est
considérée comme un vaste sous-ensemble du monde arabe. Lorsque les médias évoquent l’Afrique, c’est
traditionnellement à propos de sa pauvreté chronique, de la famine qui frappe certaines régions et menace
beaucoup d’autres. Depuis une dizaine d’années, surtout depuis le génocide perpétré en 1991 au Rwanda,
c’est en raison de la multiplication de « conflits ethniques » (Soudan, Congo, Liberia, Sierra Leone) qui se
transforment en atrocités spectaculaires faisant des centaines de milliers de victimes que l’Afrique fait hélas
partie de « l’actualité ». De surcroît, l’Afrique est la partie du monde tropical la plus affectée par les
maladies que l’on appelle tropicales. L’Afrique orientale est considérée comme la région d’apparition du
sida il y a une vingtaine d’années et l’Afrique australe semble détenir aujourd’hui le triste record pour la
proportion des personnes contaminées. Ces représentations ne sont malheureusement pas sans rapport
avec les réalités. L’Afrique au sud du Sahara est la partie du tiers-monde dont les progrès depuis la
décolonisation ont été les plus faibles et dont l’évolution est somme toute négative, puisque les effectifs de
population ont continué de s’accroître rapidement : les taux de natalité restent très élevés, en regard des
taux de mortalité qui ont été sensiblement réduits par les campagnes sanitaires, ce qui est tout de même un
progrès. L’Afrique subit le plus lourdement les contraintes du monde tropical, surtout parce que les
productions agricoles se font principalement sur les sols latéritiques pauvres et fragiles, alors qu’en Asie
tropicale, ce sont les sols beaucoup plus fertiles des vallées alluviales qui ont pu être mis en culture, grâce
à de considérables travaux hydrauliques réalisés depuis des siècles par les peuples et les États (digues
contre les terribles crues des fleuves et canaux pour évacuer les eaux de pluie qui risquent de noyer les
rizières)… En Afrique tropicale, la plupart des grandes vallées qui pourraient de nos jours être mises en
valeur avec l’aide internationale, sont encore plus ou moins désertes. Une grande opération sanitaire
internationale a été lancée contre l’onchocercose (maladie parasitaire) il y a vingt-cinq ans au Burkina Faso
et dans les États voisins et encore de nos jours elle est poursuivie avec succès. En revanche, la mise en
valeur par des cultures vivrières des vallées où sévissait la maladie a été un échec, moins pour des
questions internes que par la concurrence de l’émigration vers la Côte-d’Ivoire où l’on pouvait gagner un
peu d’argent. Une des causes majeures des difficultés croissantes de l’Afrique, au fur et à mesure que
s’accroissent les populations, est d’origine géopolitique. La plupart des États africains sont le théâtre de
tensions « ethniques » de plus en plus marquées. En effet, dans le cadre des frontières de chacun d’entre
eux (à quelques exceptions près) se trouvent un grand nombre de peuples, entre lesquels existent de très
graves contentieux historiques : la traite des esclaves a sévi durant des siècles en Afrique noire, tant du fait
des négriers européens que des Arabes. Malgré son interdiction par les puissances européennes au début
du XIXe siècle (précisément au congrès de Vienne en 1815), elle a perduré entre Africains jusqu’à la fin du
e
XIX siècle. Aussi entre les peuples victimes de la traite et ceux qui la pratiquaient, se sont établis des murs
d’incompréhension d’autant plus durables que dans la plupart des États, après leur indépendance, les
gouvernements ont imposé le silence sur cette grave question que l’on a qualifiée à tort de « tribalisme ».
Ces anciennes rivalités entre peuples auraient sans doute pu être surmontées, s’il en avait été discuté
entre intellectuels tout d’abord, quitte à rejeter les responsabilités historiques sur les Européens. Mais cela
n’a pas été le cas, les méfiances et les antagonismes entre les peuples d’un même État ont perduré et ceci
a freiné le développement d’un commun sentiment national. Dans de nombreux États, les forces armées et
les appareils d’État ont été contrôlés par des groupes politiques qui se sont appuyés sur l’une des
« ethnies » du pays pour s’imposer aux autres. De ce genre de situation, les grandes compagnies
occidentales ont su tirer avantage ainsi que les gouvernements d’ex-puissances coloniales dont l’influence
reste grande. Dans de nombreux pays africains où d’importants gisements pétroliers ont été découverts et
mis en exploitation dans les régions littorales ou au large des côtes, une grande partie des revenus du
pétrole est clandestinement accaparée par de petites minorités privilégiées qui placent leur fortune dans les
« paradis fiscaux ». Toutes ces causes s’enchevêtrent les unes aux autres, pour affaiblir les États africains
et handicaper grandement les progrès de la démocratie et les efforts de développement. L’accroissement
considérable de la population et la destruction définitive des sols cultivés sur de très vastes étendues
entraînent l’aggravation des tensions entre peuples voisins qui se disputent les terres qui sont encore
cultivables. Mais les tensions s’aggravent aussi entre États voisins, certaines cliques au pouvoir cherchant
à profiter des difficultés internes des uns ou des autres, pour faire des profits sur les trafics d’armes et piller
certaines ressources minières, comme les diamants. Dans les deux autres grandes parties du tiers-monde,
l’Amérique latine et l’Asie, qui ont pourtant reçu une bien moindre grande partie de l’aide internationale, la
Ce point de vue du géographe spécialiste de géopolitique Yves Lacoste dresse un bilan très
sombre (« L’Afrique au sud du Sahara est la partie du tiers-monde dont les progrès depuis la décolonisation
ont été les plus faibles et dont l’évolution est somme toute négative »). On reprendra ce bilan dans un
tableau distinguant signes du « désastre » (pauvreté, famines, conflits ethniques, épidémies…) et causes
(contraintes naturelles, mais surtout facteur géopolitique). On remarquera à cet égard que l’analyse se
place dans un temps plus long que celui de la colonisation/décolonisation pour remonter à l’histoire des
traites négrières, source encore aujourd’hui de tensions entre ethnies, et qu’elle passe quasiment sous
silence l’argument économique des rapports Nord-Sud.
À cette lecture géopolitique des difficultés de l’Afrique contemporaine, on pourra opposer une
lecture économique qui, au contraire, lie directement la problématique du sous-développement à celle de la
colonisation/décolonisation. Journaliste au Monde diplomatique, Anne-Cécile Robert nous explique que les
indépendances de 1960 n’ont été que théoriques. Elle dénonce l’emprise qu’exercent les institutions
financières sur l’Afrique et les effets dévastateurs du libre-échange (Interview vidéo : « une deuxième
indépendance pour l’Afrique, 28 décembre 2009, à consulter sur le site : www.tv5.org, dossier de la
rédaction « Afrique 1960, un continent en marche vers son indépendance », ouvrir le sous-dossier « Les
traces indélébiles de la colonisation »).
Dans le même esprit d’une lecture critique du texte d’Yves Lacoste, on relèvera quelques
assertions qu’on examinera à la lumière d’une ou plusieurs cartes thématiques, soit proposées par le
professeur, soit trouvées par les élèves, par exemple sur le site de la Documentation française (à la
rubrique « Cartothèque ») ou de l’Atelier de cartographie de Sciences-po. On attendra à chaque fois une
analyse rapide justifiant le choix et relevant les idées allant dans le sens d’Yves Lacoste ou au contraire à
rebours.
DF Indicateur de développement humain en Afrique 2007
DF Indice du développement humain de 1995 à 2003 dans le monde
Ces deux cartes permettent de situer l’Afrique par rapport au reste du monde en termes de
développement humain, donnant raison à Yves Lacoste, tout en révélant la situation très contrastée du
continent, qui concentre les pays à la fois à forte croissance et à très faible croissance de l’IDH.
D’autres cartes pourront être mobilisées pour nuancer le constat d’Yves Lacoste :
DF L’espérance de vie en Afrique en 2007
DF La prévalence du sida en Afrique
DF Taux d’analphabétisme de la population de plus de 15 ans en Afrique en 2007
DF Les principaux conflits en Afrique de 1974 à 2003
SP Afrique, opérations de paix et réfugiés – 2007-2008
DF Opérations de maintien de la paix de l’ONU en Afrique de 1960 à 2004
Enfin, toujours en contrepoint du texte d’Yves Lacoste (ou dans le prolongement de sa conclusion),
on présentera des visions récentes plus réjouissantes de l’avenir du continent comme celles-ci.
« Le fric arrive jusqu’en Afrique », Libération, vendredi 19 octobre 2007 (« Le Libé des historiens »),
« Eco-Terre »
L’Afrique est-elle en train de sortir de la pauvreté ? Elle connaît actuellement ses plus forts taux de
croissance économique depuis la fin de la décolonisation. Le FMI prévoit dans son dernier rapport
semestriel de conjoncture une croissance économique de 6,1 % pour 2007 et même de 6,8 % pour 2008.
C’est deux points de plus que la croissance de l’économie mondiale. La croissance semble donc bien être
durablement de retour en Afrique depuis une dizaine d’années.
Ce miracle économique s’explique bien sûr par la hausse du prix du pétrole, multiplié par dix depuis le
creux de la fin des années 1990. Elle est directement à l’origine des 20 % de croissance du PIB de
l’Angola. Mais l’embellie économique se fonde plus généralement sur la hausse de l’ensemble des matières
premières, y compris agricoles comme le cacao ou le café. Cette évolution tranche avec l’afro-pessimisme
dominant depuis les années 1980. Les pays les moins avancés (PMA), selon l’euphémisme convenu,
n’étaient-ils pas condamnés à rester au bord du chemin de la croissance et de la mondialisation ?
Manne. Ce miracle économique a comme toujours des causes financières. C’est le principal enseignement
du rapport annuel sur l’investissement dans le monde que vient de publier la Cnuced. Les transferts
financiers vers l’Afrique ont atteint des records. Les investissements étrangers dans l’ensemble du
continent ont dépassé 36 milliards de dollars en 2006. C’est deux fois plus qu’en 2004. Cette manne profite
pour l’essentiel aux industries minières. Le Nigeria et le Soudan en sont les grands bénéficiaires. Ces flux
proviennent encore en majorité des pays du Nord. Mais le fait nouveau est la nette percée des
investisseurs du Sud : la Chine mais aussi l’Inde, la Malaisie ou le Koweït.
La croissance de l’économie africaine est donc fragile. Elle est à la merci d’un contre-choc pétrolier similaire
à celui qui avait fait sombrer ce qu’on appelait encore le tiers-monde dans la crise de la dette des années
1980. Mais l’embellie est surtout un effet d’optique. Un taux de croissance est d’autant plus fort que l’on
part de très bas. Il masque les inégalités entre les différents secteurs de la vie économique. Surtout, rien ne
permet encore de dire que cette croissance se fait sentir au niveau microéconomique, celui de la vie des
gens.
Inégalités. La question de la répartition des fruits de cette embellie économique reste plus que jamais
posée en Afrique. Elle se pose en particulier pour les groupes sociaux en marge de l’économie de marché.
Le creusement des inégalités et les tensions sociales croissantes qui en résultent sont en tout cas le signe
le plus frappant que le continent africain à son tour est entré dans la mondialisation.
Comment les médias audiovisuels présentent-ils la coopération et l’aide apportée par l’Europe à
l’Afrique depuis 50 ans ?
Images INA - Dossier les liens France Afrique (Soir 3 journal - 27/02/2008)
Voir la vidéo sur le site de l’INA
Cet extrait du journal du soir de France 3 peut être l’objet d’un travail sur la forme (le dispositif
télévisuel du reportage et de son annonce en plateau) et sur le fond (« Qu’est-ce que la “Françafrique” ? Le
président Sarkozy a-t-il rompu avec elle ? »). On verra naturellement comment le dispositif oriente la
réponse à la question posée en introduction.
On pourra approfondir le cas gabonais, présenté ici comme l’archétype du régime qui a abusé de
la coopération, par cet historique diffusé dans le Soir 3 du 24 mai 1990.
On y relèvera les critiques portées à l’encontre du régime d’Omar Bongo (mal développement,
endettement, corruption, parti unique, libertés…).
Introduction
Quel sens donne-t-on, en 2010, au cinquantenaire des indépendances africaines ? Comment cet
anniversaire est-il célébré en 2010, dans les États africains et les ex-métropoles ? Quelles sont, 50 ans
après, les mémoires de 1960 ?
Le cinquantenaire des indépendances de 1960 est sujet à polémiques. Pour les uns, il est
l’occasion de marquer, parfois en grande pompe, la « renaissance africaine ». Pour d’autres, au contraire,
les célébrations ne sont là que pour dissimuler les manques d’une souveraineté inachevée et les nombreux
problèmes qui persistent. La France, qui a déclaré 1960 « année de l’Afrique », et invité 14 nations
africaines à défiler sur les Champs-Élysées le 14 juillet, provoque l’étonnement de certains (depuis quand
célèbre-t-on une rupture ou un divorce ?) et l’offuscation d’autres (n’est-ce pas la preuve d’un
néocolonialisme ?).
Le travail peut prendre la forme d’une revue de presse. Les articles ci-après constituent non pas
une proposition mais une illustration de la diversité des articles (dans le ton, le point de vue, le genre) qu’on
pourra réunir sur ce sujet, et posent quelques éléments de problématique.
L’exercice peut se décliner de plusieurs manières : réunion d’articles de plusieurs journaux sur un
même pays ou inversement d’un même journal sur plusieurs pays, comparaison de différents journaux sur
une même célébration, confrontation de différents points de vue exprimés dans des interviews, etc.
Tableau d’ensemble
Vincent Hugeux, « Afrique : "Paris est à court d’idées" », L’Express, mercredi 30 juin 2010
Un jubilé sans jubilation. Ainsi peut-on dépeindre le cinquantenaire des indépendances africaines. D’ici à
la fin du mois d’août, 17 pays subsahariens – dont 14 ex-colonies françaises – auront soufflé les 50 bougies
d’une souveraineté souvent inaboutie. Avant cela, une dizaine de détachements africains ouvriront le défilé
militaire du 14 juillet sur les Champs-Élysées.
Insolite initiative que cette parade en treillis d’apparat. Un retour du refoulé colonial trop maladroit, au
mieux, pour ne pas attiser l’ironie de l’intelligentsia continentale. Depuis quand revient-il au maître d’hier de
fêter sur son sol l’affranchissement des anciens « sujets » ? 2010 devait être l’année de l’Afrique en
France. Une certitude : elle ne sera pas celle de la France en Afrique. « Un truc insoluble », soupirait voilà
peu Nicolas Sarkozy. « Si on ne fait rien, ça passe pour du mépris. Si on s’en occupe, en avant pour le
procès en néocolonialisme ! »
Quel était, au sud du Sahara, le tube de l’été 1960 ? Indépendance Cha Cha. Un demi-siècle plus tard,
Paris danse au bras de son ex-empire un tango languissant, avec pour maîtres de ballet une poignée de
rescapés de la Françafrique : un pas en avant, deux pas en arrière. Scène de genre anachronique, que
contemplent avec un mélange de lassitude et d’hostilité les jeunesses africaines, enclines à unir leurs voix
en une même injonction : laissez-nous célébrer nos 50 printemps et nos 50 hivers à notre guise. Sans
tambours ni clairons.
Au regard des promesses ouvertes par la décolonisation, il y a au fond très peu à fêter. Si les Africains en
avaient aujourd’hui la liberté, la plupart d’entre eux choisiraient de partir loin de chez eux. Beaucoup sont
prêts à risquer leur vie pour ne pas vivre là où ils sont nés. Il n’y a rien de plus grave que ce désir
généralisé de défection.
Pour autant, ce demi-siècle n’est pas un jeu à somme nulle. Beaucoup de progrès ont été accomplis, ne
serait-ce qu’en matière de scolarisation… L’Afrique de 2010 n’est pas celle des années 1950. Le continent
est à la veille de grandes transformations, démographiques, économiques et culturelles. Il comptera sous
peu plus d’un milliard d’habitants, représente un énorme marché potentiel et dispose d’une diaspora en
expansion, en Europe, aux États-Unis et en Asie. Le cycle économique de dépression amorcé dans les
années 1970 et 1980 semble toucher à sa fin. Un nouveau cycle de croissance point à l’horizon.
« C’était mieux avant ! », entend-on parfois, d’Abidjan à Brazzaville. Existe-t-il en Afrique une forme
de nostalgie coloniale ?
N’exagérons rien. Je ne crois pas que nombre d’Africains souhaitent revivre le règne du racisme colonial.
Je doute que les Congolais aspirent à assister, à l’aube, au lever du drapeau belge ni à voir un
commandant de cercle bastonner un indigène. Reste que certains aspects de la colonisation ont séduit : la
stabilité, la discipline, le sens de la hiérarchie. Les biens occidentaux, l’imaginaire du progrès économique
et social exerçaient un attrait indéniable sur les esprits. Quand on évoque la nostalgie, c’est à ces aspects
qu’elle renvoie, non à la violence ou au mépris des colons.
L’idéal panafricain constitue toujours une immense réserve symbolique. Voyez la fascination qu’inspirent
des personnages tels que Kwame Nkrumah ou Patrice Lumumba, héros de la décolonisation et du
panafricanisme. Les éditos publiés en cette période dans la presse témoignent de ce retour des figures
mythiques. Le dessein panafricain, c’est la persistance du rêve d’une Afrique qui se met debout seule. Cela
posé, les commémorations revêtent aussi un aspect très national. L’État-nation comme forme moderne
d’organisation s’est bel et bien enraciné sur le continent. Il ne s’agit plus d’un concept importé.
Les structures politiques, les formes institutionnelles héritées de la colonisation ne permettaient guère à
l’Afrique de s’émanciper. L’héritage colonial a souvent constitué un facteur de blocage sur la route de
l’indépendance réelle. Ensuite, les politiques suivies par les élites autochtones n’ont pas davantage permis
aux pays naissants de négocier leur insertion au sein de l’économie mondiale. Qui faut-il blâmer ? Les torts
sont évidemment partagés. Mais si les Africains veulent vraiment s’en sortir, c’est bien à eux qu’incombe
aujourd’hui la responsabilité principale.
Aux yeux de maints intellectuels africains, la France n’a concédé en 1960 qu’une souveraineté
purement formelle. Sont-ils fondés à prôner une « seconde indépendance » ?
Il existe deux formes de souveraineté. La souveraineté externe, que traduit l’affranchissement vis-à-vis de
la puissance coloniale. Et la souveraineté interne, qui suppose d’exercer sa responsabilité sur soi-même.
D’un point de vue philosophique, la notion de seconde indépendance s’applique à l’une et à l’autre de ces
deux formes, qui sont d’ailleurs liées. À ce stade, il ne semble pas que les peuples africains disposent
d’une telle souveraineté. Pour preuve, ils ne sont pas à même de choisir librement leurs dirigeants. On ne
peut pas passer son temps à incriminer les puissances extérieures sans rien faire pour créer par soi-même
les conditions de la liberté. Dès lors, cette idée de seconde indépendance a quelque chose de paradoxal et
d’ambigu. Elle peut servir de prétexte au refus des élites d’assumer les travers qui sont les leurs.
Le cinquantenaire sonne aussi l’heure du bilan. Exercice embarrassant pour les chefs d’État en
place ?
Oui, car leur bilan est catastrophique. Et ce constat renforce la nécessité des changements radicaux
évoqués à l’instant. C’est un peu le drame de l’Afrique : à l’instant où s’ébauchent des mutations majeures
– population, rapport villes-campagnes, mobilité, bouleversements climatiques, irruption d’une puissante
diaspora chinoise – on cherche en vain les forces sociales capables de bâtir la maison neuve. L’Afrique en
gestation, cette Afrique qui vient, doit devenir l’objet prioritaire de notre réflexion. Bien davantage que tous
les tralalas sur les Champs-Élysées.
À cet égard, que vous inspire la position de la France officielle envers le cinquantenaire ?
S’agissant de l’Afrique, Paris est absolument à court d’idées. C’est étonnant, pour qui connaît la richesse
de la réflexion et de la recherche menées chez vous. Il existe un écart énorme entre cette connaissance du
continent et la politique menée. Laquelle repose sur des présupposés datant du XIXe siècle. À la clef, une
navrante régression mentale et intellectuelle. L’ex-puissance coloniale a cru décoloniser, mais ne s’est pas
décolonisée elle-même. Ce qui conduit à prétendre célébrer la liberté des esclaves en lieu et place des
esclaves eux-mêmes. C’est comique. Comique et tragique à la fois.
Le sommet qui se tient lundi à Nice s’annonce comme celui du bilan pour quatorze pays africains,
cinquante ans après la fin de la colonisation française. Dix armées du continent sont invitées à
défiler à Paris le 14 juillet.
Commémorations. Le Sénégal a fêté, début avril, le cinquantième anniversaire de son indépendance. Des
célébrations en grande pompe, avec défilé militaire et inauguration d’une gigantesque statue à la gloire du
continent. Le faste sénégalais risque cependant de rester bien singulier. Alors que treize autres pays
africains commémorent cette année la fin de la domination française en 1960, les festivités, partout ailleurs,
restent étonnamment discrètes. Les difficultés financières ne suffisent pas à expliquer les programmes
étriqués des agapes. La gêne est palpable, comme si ce souvenir risquait davantage de réveiller les
ambiguïtés de la relation entre la France et ses anciennes colonies qu’une amitié que l’on dit trop
facilement indéfectible. Le silence entourant le jubilé n’étonne pas tout le monde. « Il y a une indifférence
en France, mais en Afrique aussi. Pour qu’il y ait fête, il faudrait qu’il y ait quelque chose à fêter. Et on peut
vraiment se demander si c’est le cas », analyse Martin Ziguélé, ancien Premier ministre centrafricain. Pour
lui, les difficultés du quotidien après un demi-siècle de liberté accaparent toute l’attention des Africains,
souvent trop jeunes pour se souvenir. Sur le continent, 60 à 65 % de la population a moins de 25 ans. En
France, un sondage montre que 69 % des citoyens ne se sentent pas concernés. « Le temps passe. Il y a
de moins en moins de Français qui connaissent l’Afrique et de moins d’Africains qui ont fait leurs études en
France. Mais il reste des liens », veut croire Hubert Védrine. Ce sont ces liens qui ont poussé Nicolas
Sarkozy à organiser des célébrations en France. Mais en pointillé. Jacques Toubon, nommé secrétaire
général du cinquantenaire, se dit conscient des risques : « Il y avait deux écueils. Le premier était de n’être
pas assez présent et d’être taxé d’indifférence. L’autre, d’en faire trop et d’être accusé de
néocolonialisme. » Il n’est pas certain que ce proche de Jacques Chirac, peu connu pour ces connexions
africaines, parvienne à éviter de tomber dans ce vieux piège de la relation franco-africaine. À Paris, à moins
de deux mois des célébrations du 14 juillet, le programme français reste flou. Et la décision phare,
l’invitation faite à dix armées africaines de défiler sur les Champs-Élysées, a immédiatement soulevé une
polémique. « La France n’est pas dans son rôle en fêtant les indépendances », insiste Elikia Mbokolo,
directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Un lourd héritage. Jacques Toubon assure qu’« il ne s’agit pas de mettre en valeur les armées
d’aujourd’hui, mais celles d’hier, de la Force noire qui a tant contribué à la Libération ». Le petit budget
alloué – 16 millions d’euros – ne permet pourtant pas grand-chose d’autre, si ce n’est un concert sur le
Champ-de-Mars. La réussite repose donc sur le mini sommet organisé le 13 juillet, ombre portée du
sommet France-Afrique qui se tient lundi et mardi prochain à Nice. « Ce sera l’occasion de définir une
nouvelle approche de la politique africaine », soutient l’ancien ministre. Selon lui, tous les sujets seront
débattus, y compris ceux de l’immigration et des visas ». Deux questions qui sont pour Jean-François
Bayard « les vrais contentieux actuels entre le France et l’Afrique ». Côté africain, on ne montre guère plus
d’enthousiasme à célébrer la liberté. « Les dirigeants sont hostiles à l’idée de faire le bilan car il n’est guère
fameux – et plus encore à tracer des perspectives d’avenir », explique Elikia Mbokolo. La situation
économique des anciennes colonies est globalement très délicate et les populations éprouvent le sentiment
amer d’un immense gâchis. Comme le souligne Mamadou Diouf, professeur à l’université de Columbia, « la
situation est d’autant plus compliquée que les partis des indépendances ne sont souvent plus au pouvoir et
leurs successeurs répugnent à gérer cet héritage ». Le Sénégal est l’un des rares à se retourner sans
appréhension vers son passé. Autre exception : la Côte-d’Ivoire. Le président Laurent Gbagbo, brouillé
avec Paris, boycottera les festivités françaises, mais affiche des intentions grandioses pour le jubilé à
Abidjan. Le président ivoirien entend utiliser la date symbolique pour mettre en avant sa « refondation »
politique. Une façon de montrer que l’ex-élève modèle du « pré carré » se rêve désormais en chef de file de
la contestation, pour une seconde indépendance.
Alternance démocratique. Ni l’un ni l’autre ne sont assez angéliques pour oublier les débuts difficiles et le
régime parfois musclé de Senghor. « Mais il a su construire un État. C’est à lui que nous devons la solidité
des institutions », souligne Seydou Madani Sy. Comme tous les Sénégalais, il met en avant la stabilité du
pays, un cas unique sur le continent. Il rappelle le départ sans drame de Senghor en 1980 et l’alternance
démocratique qui vit arriver l’opposant Abdoulaye Wade à la présidence en 2000, autre spécificité du pays.
L’ancien ministre Assane Seck, du haut de ses 91 ans, regrette toutefois que le cinquantenaire ne soit pas
assez « l’occasion d’une introspection sur le passé » et les raisons qui maintiennent le Sénégal dans la
pauvreté. À Pikine, on est bien loin de ces débats. Cette banlieue, fondée en 1952 pour agrandir la capitale,
s’est muée en zone tampon pour accueillir un demi-siècle d’exode rural. Aujourd’hui, elle compte un million
d’habitants. Dix fois plus que le Dakar de 1960. Et, dans ses rues ensablées, bordées de maisons
construites à la hâte, le souvenir de l’indépendance n’est pas une priorité. « C’est important pour l’histoire
mais nous, ce qu’on veut, c’est du travail pour manger », lâche Fatou Diop. Cette enseignante a son seul
salaire pour faire vivre cinq adultes et dix-huit enfants. Les voisins ne sont pas mieux lotis. Assise près de
sa mère, Mariatou, 10 ans, s’interroge sur cette renaissance, qu’elle aimerait voir un jour. Mais le ticket de
bus pour couvrir les 10 km qui la séparent de l’œuvre est un trop grand luxe.
Relever les critiques dont le monument est l’objet. Justifier en vous appuyant sur l’analyse de la
photographie du monument.
À vrai dire, ce thème de la renaissance africaine n’est pas neuf. Il puise ses racines dans le
panafricanisme développé dans l’entre-deux-guerres, et remis en avant vers la fin du XXe siècle. Déjà, en
1984-1985, le centième anniversaire de la conférence de Berlin donna lieu à de nombreuses rencontres et
à des débats passionnés sur le partage de l’Afrique par les puissances européennes et sur la nécessité,
pour les Africains, de « recoudre le tissu » de leurs territoires et de leurs sociétés. À la tête du Burkina
Faso, Thomas Sankara afficha alors, tout à la fois, un anti-impérialisme et un panafricanisme dans lesquels
certains virent revivre le combat d’un Kwame Nkrumah. Il suscita l’enthousiasme des intellectuels et des
jeunes en lançant l’idée d’un Institut des peuples noirs qui ne vit le jour qu’après sa mort.
Parallèlement, la mémoire de l’esclavage a pris récemment une dimension accrue. Relayée par
l’énorme succès du livre de l’écrivain africain-américain Alex Haley, Roots (Racines), soutenue par un afflux
croissant de visiteurs, et portée par la visite du pape Jean-Paul II en 1992 qui y stigmatisa le « crime
odieux » de la traite et demanda pardon à l’Afrique, l’érection de Gorée en lieu de mémoire du trafic des
Africains, reconnu comme tel par l’Unesco, en est emblématique. Durant les années 1990, des chefs d’État
comme le Nigérian Moshood Abiola ou le Béninois Nicéphore Soglo se sont emparés du thème pour poser
le problème des réparations dues à l’Afrique. En France, ce phénomène trouva sa traduction dans la loi dite
Taubira de 2001, qualifiant la traite atlantique et l’esclavage de crime contre l’humanité.
La mondialisation, avec la réactivation des sentiments identitaires qu’elle peut susciter, joue
également un rôle dans ce retour de la thématique de la renaissance africaine.
De cette renaissance africaine, Thabo Mbeki, président de la république d’Afrique du Sud de 1999
à 2008, s’est fait l’ardent promoteur.
Au Cameroun
Le volontarisme sénégalais semble en effet quelque peu atypique : les autres États issus de la
décolonisation de 1960 se montrent plus discrets, à l’image du Cameroun.
« J’en ai rien à faire du cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun. On n’a même pas d’eau
potable ! », 20 minutes, jeudi 20 mai 2010
La scène semble résumer à elle seule l’ambiance de la commémoration organisée par le Cameroun pour
les cinquante ans de son indépendance, célébrés aujourd’hui à l’occasion de la fête nationale. Une
quarantaine de badauds sont massés au-dessus d’un terrain vague où s’amoncellent papiers et détritus, à
Yaoundé, la capitale. En face se dresse le Hilton, l’hôtel de luxe où logent les personnalités étrangères
invitées pour l’occasion. En contrebas se déroule le défilé. Certains sont venus par curiosité, d’autres parce
que « c’est important ». Mais tous se sentent mis à l’écart de cet anniversaire symbolique, que la plupart
des habitants suivront à la télévision.
Dans le groupe, Patrice Njeng, 30 ans, venu avec son fils pour voir les chars et « vérifier si mon armée est
assez solide pour nous défendre en cas d’attaque ». Il ne s’attardera pas pour autant. Car pour lui, « cette
commémoration est là pour montrer à la communauté internationale qu’il y a la paix et la sécurité, alors
qu’à l’intérieur du pays cela ne tourne pas bien ». Cinquante ans après l’indépendance du Cameroun, la
La preuve, affirme Patrice Njeng : impossible de trouver du travail malgré son diplôme en biologie animale.
« On m’a dit que ce n’est pas de la faute du président (Paul Biya, au pouvoir depuis 1982) mais de son
entourage. » Il n’empêche, « un chômeur ne peut pas applaudir un homme à la tête de son pays. Tant qu’il
restera au pouvoir, les riches resteront riches et les pauvres resteront pauvres ». Il se dit d’autant plus
« désespéré » que Paul Biya a modifié la Constitution pour pouvoir se représenter à la présidentielle en
2011. « On piétine la démocratie, ici », affirme-t-il calmement en observant le défilé.
« Il n’y a pas de démocratie ». Autour de lui, des dizaines d’habitants marchent d’un pas pressé. Toutes
les rues alentour ont été fermées à la circulation jusqu’à l’aéroport. Quand une voiture du cortège
présidentiel passe, tout le monde s’immobilise immédiatement. Une consigne des militaires. Un signe de
tête, puis ils reprennent leur marche. Charles Tchoula, 71 ans, s’en agace : « Vous avez déjà vu un endroit
où on s’arrête quand le président passe, vous ? » Il marche depuis une heure à cause des routes bloquées.
« Hier c’était déjà le cas, et là je subis le même sort. À chaque fois c’est pareil. »
Lui ne s’arrêtera pas pour entr’apercevoir le défilé avec le reste du groupe. « J’en ai rien à faire du
cinquantenaire, lâche le vieil homme. On n’a même pas d’eau potable ! Cinquante ans après ! Même pas
de toilettes publiques, et regardez nos rues… » Il avait 21 ans quand le Cameroun est devenu indépendant.
Mais déjà à cette époque, « mes espoirs se sont envolés quand j’ai vu que ceux qui ont lutté pour
l’indépendance, les membres du parti UPC, ont été mis à l’écart ». Pour lui, « le Cameroun n’est pas
indépendant. Nous sommes encore au Franc CFA, nous n’avons même pas notre propre monnaie. Et il
existe 350 partis politiques. Que voulez-vous faire avec ça ? C’est absurde et le signe qu’il n’y a pas de
démocratie. Alors forcément le bilan du cinquantenaire est plus négatif que positif. » La France ? « Ce n’est
pas de sa faute si le pays est dans cet état mais celle des valets qui sont au pouvoir ici. La Françafrique n’a
pas disparu avec Sarkozy, contrairement à ce qu’il dit. Il est allé voir (l’ex-président du Gabon) Omar Bongo
quand il était à peine investi à la présidence. »
Célébrations à un niveau très officiel. Le long des rues, derrière les immeubles, on aperçoit parfois la
tribune présidentielle. Pour ce cinquantenaire célébré à un niveau très officiel, le président Biya a demandé
à EuroRSCG de faire venir des personnalités étrangères pour participer à une conférence internationale sur
l’avenir du continent. Parmi eux, des chefs d’État africains, deux prix Nobel de la paix, deux anciens
Premiers ministres français, Alain Juppé et Michel Rocard, et le ministre à la Coopération, Alain Joyandet.
Alain Juppé reconnaît que le bilan est « contrasté. Il y a eu des échecs, mais pas seulement à cause de la
France ». Cinquante ans après, ce bilan laisse un goût amer aux Camerounais, qui se sentent délaissés
par le pouvoir. À l’image des commémorations, qu’ils observent de loin faute d’avoir été invités à y
participer.
Enfin, en République démocratique du Congo (ex-Congo belge), l’anniversaire est marqué par un
profond malaise, qui tient autant à la tension qui règne alors au Congo qu’à la crise institutionnelle que
traverse la Belgique. Cet article du journal Libération en rend compte.
Sabine Cessou, « Albert II au Congo, en colonie de vacance belge », Libération, jeudi 1er juillet 2010
Ne pouvant s’exprimer à cause de la crise institutionnelle dans son pays, le souverain a célébré,
muet, le cinquantenaire de l’indépendance de la RDC.
Ce sont les vétérans de la Seconde Guerre mondiale et les femmes douanières, en raison de leur petite
danse, qui ont été les plus applaudis, durant un défilé qui a laissé la foule assez froide. L’armée régulière, il
est vrai, est accusée d’exactions à l’encontre de la population civile, dans les zones du pays où la guerre
reste larvée. Joseph Kabila, 39 ans, le chef de l’État congolais, a d’ailleurs appelé dans son discours à
« une révolution morale » et à « punir sans complaisance l’atteinte à la vie et à la dignité humaine, le viol, le
tribalisme, le régionalisme, le favoritisme, l’irresponsabilité, le vol et le détournement de deniers publics »,
dressant ainsi l’inventaire des fléaux nationaux. Potentiellement l’un des pays les plus riches d’Afrique, le
Congo a été dévasté par la « kleptocratie » de ses dirigeants, le pillage de son sous-sol par des intérêts
étrangers, et par la guerre la plus meurtrière depuis 1945 : 5,4 millions de morts, entre 1998 et 2003, selon
l’ONG International Rescue Committee (IRC).
« Ubuesque ». Un contingent de casques bleus a d’ailleurs pris part au défilé, hier, en présence du
secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. Le tout sur fond de polémique persistante au sujet du
départ – réclamé par les autorités de Kinshasa – des 20 000 casques bleus qui stationnent toujours au
Congo. Quant aux quelques chefs d’État africains présents, seuls Paul Kagame (Rwanda) et Yoweri
Museveni (Ouganda) se sont vraiment fait remarquer, en tant qu’anciens envahisseurs du Congo (1998-
2003). Les autres, peu nombreux, ne sont pas des grands champions de démocratie ou du respect des
droits de l’homme, avec Robert Mugabe (Zimbabwe), Idriss Déby (Tchad), Paul Biya (Cameroun), Ali
Bongo (Gabon) et Denis Sassou-Nguesso (Congo Brazzaville). Annoncé, Jacob Zuma, le président sud-
africain, n’a finalement pas fait le déplacement.
« Il y avait quelque chose d’ubuesque dans ces festivités », note l’écrivain belge David Van Reybrouck,
auteur, en néerlandais, d’une histoire du Congo vue par les Congolais (Congo. Een geschiedenis), un best-
seller en Flandre et aux Pays-Bas. « C’était assez curieux, raconte l’écrivain, de voir le couple royal, à
l’ambassade de Belgique, écouter une chorale belgo-congolaise lui chanter Dans le port d’Amsterdam de
Jacques Brel et les Filles du bord de mer d’Adamo, deux chansons qui évoquent la prostitution… »
Les rapports entre la Belgique et le Congo (alors appelé Zaïre), étroits du temps de Mobutu Sese Seko
(1965-1997), se sont ensuite rafraîchis. Lors de la dernière visite royale faite au Congo, en 1985, le roi
Baudouin avait célébré une amitié indéfectible. Cinq ans plus tard, un prétendu massacre d’étudiants à
Lubumbashi, dramatisé à souhait par la Belgique, avait permis à Bruxelles de suspendre sa coopération
avec le Congo. Après la chute du Mur, Mobutu, inutile, était devenu infréquentable. Et, à la mort de
Baudouin, en 1993, il n’avait même pas été autorisé à se rendre à ses funérailles.
Assassinat. La visite d’Albert II, frère de Baudouin et descendant de Léopold II, qui avait fait du Congo une
« possession personnelle », n’a pas manqué de faire polémique en Belgique. Certains lui ont reproché de
donner du crédit au régime controversé de Joseph Kabila. D’autres ont affirmé que bouder l’anniversaire
aurait été se comporter comme « un père qui refuse de se rendre au mariage d’un de ses enfants », note
Van Reybrouck. « Serait-il muet et couleur de muraille qu’il serait tout de même le “primus inter pares”,
celui dont la visite est la plus attendue, la plus fêtée aussi, après avoir été la plus controversée par ceux qui
y voient une caution politique, alors qu’il ne s’agit que de la participation à une fête de la mémoire et un pari
sur l’avenir », note sur son blog Colette Braeckman, spécialiste du Congo pour le quotidien belge Le Soir.
La plainte pour « crime de guerre », annoncée le 22 juin par les enfants de Patrice Lumumba, père de
l’indépendance, assassiné en 1961 avec la complicité de l’armée belge, n’a guère fait parler d’elle. C’est
plutôt l’assassinat de Floribert Chebeya, militant des droits de l’homme retrouvé le 2 juin à Kinshasa après
un rendez-vous avec l’Inspection générale de la police, qui fait couler de l’encre. Amnesty a jugé
« hypocrite » la célébration de l’indépendance, alors que la situation des droits humains est « révoltante »
au Congo. L’ombre de Floribert Chebeya a plané sur les festivités. Les obsèques du militant, organisées
samedi, ont donné lieu à un énième casse-tête protocolaire pour les Belges. Le roi Albert II n’a pas signé le
« Les Belges n’ont pas associé les Congolais à la gestion du Congo. On ne peut en dire davantage
aujourd’hui pour ces derniers. Les Belges ne toléraient aucune contradiction ni aucune manifestation
publique dénonçant la mauvaise gouvernance et autres violences politiques. La polyarchie au pouvoir,
cinquante ans après, ne les tolère pas non plus.
Le Congo fut une colonie d’exploitation et non de peuplement. Cinquante ans après, il est les deux
à la fois. Et pas toujours de la meilleure manière. Les nouveaux prédateurs viennent s’installer avec leurs
grands-parents et injurient leurs travailleurs congolais, sans que cela émeuve le pouvoir. Comme hier. »
Stades vides, violence dans les rues, agressions contre les supporteurs venus assister aux matches, risque
de viol pour les supportrices, menace d’attentats terroristes à l’image de ce qui s’était passé pour la coupe
d’Afrique des nations en Angola, interrogations sur l’hôtellerie et les transports… c’est peu dire que le
scepticisme régnait avant le coup d’envoi du Mondial en Afrique du Sud.
Tout d’abord, cette coupe du monde a été une fête. À quelques exceptions près, tous les matches se sont
déroulés dans des stades abondamment remplis, à tel point que l’édition 2010 devrait monter sur le podium
des affluences record. Les tribunes ont été chaleureuses et bigarrées, spectateurs sud-africains, hauts en
couleur, se mélangeant avec les supporteurs étrangers, qui rivalisaient autant dans les tribunes pour leurs
accoutrements sympathiques que leurs équipes le faisaient sur le terrain pour remporter le match. Pas de
bagarres dans les stades, pas de violences dans les rues. Ceux qui craignaient des stades vides et
silencieux se sont mis à se plaindre du vacarme des vuvuzelas, qui resteront le symbole de ce Mondial.
On disait que l’Afrique du Sud, ce n’était pas l’Afrique. On a vu, au contraire, une grande solidarité
continentale, les Sud-Africains prenant fait et cause pour toutes les équipes africaines, puis pour celle du
Ghana, après l’élimination des Bafana Bafana. La fréquentation touristique a augmenté, et les reportages
sur l’Afrique du Sud devraient permettre au pari des organisateurs de passer de 8,5 millions de visiteurs à
10 millions par an d’être atteint. Les stades sont des bijoux et de parfaites réussites architecturales, même
si certains auront du mal à conserver une rentabilité après la fin du Mondial. Bref, c’est le visage d’une
Afrique à la fois ouverte et dynamique, hospitalière et moderne, qui a été donnée. Le football va franchir un
nouveau cap en Afrique, et la perception que le reste du monde a du continent va s’améliorer. Dans la
bataille entre afro-pessimistes et afro-optimistes, ce sont les seconds qui ont gagné.
Collège, 3e
En éducation civique, dans la partie sur la défense et la paix, la responsabilité des États et le rôle
des Nations unies sont abordés.
À partir de la rentrée 2012, les nouveaux programmes accordent encore une large place aux
indépendances : « Dès le lendemain du conflit mondial, grandissent des revendications qui débouchent sur
les indépendances. Les nouveaux États entendent être reconnus sur la scène internationale, notamment
par le biais de l’ONU. » Ce processus est étudié à partir d’un exemple au choix, qui peut être un pays
d’Afrique subsaharienne. On attend de l’élève qu’il soit capable de « raconter la manière dont une colonie
devient un État souverain » et de « décrire quelques problèmes de développement auxquels ce nouvel État
est confronté ».
Lycée
Terminale L/ES/S
Dans les séries L et ES, les indépendances africaines de 1960 s’inscrivent dans la partie « Le tiers-
monde : indépendances, contestation de l’ordre mondial, diversification ». Dans la série S, l’émancipation
politique des colonies d’Afrique subsaharienne en 1960 appartient à la partie « Colonisation et
indépendance », et plus spécifiquement à la sous-partie « La décolonisation et ses conséquences ».
Dans l’ensemble des séries générales, le programme invite d’abord à traiter de la transformation
du contexte international pendant et après la Seconde Guerre mondiale qui favorise, avec des décalages,
l’épanouissement et la radicalisation des revendications nationales, ainsi que les réactions diverses des
métropoles devant la remise en cause du système colonial par les colonisés, les nouvelles puissances
dominantes et l’ONU. Les indépendances de 1960 et leurs suites permettent de traiter le recul des
puissances européennes et l’émergence du tiers-monde sur la scène internationale, qui, après Bandung, se
traduit dans les années 1960 par la relance du non-alignement et les efforts d’organisation dont témoigne la
mise sur pied de l’Organisation de l’unité africaine (1963). La réunion de la première conférence des
Nations unies pour le commerce et le développement en 1964 manifeste par ailleurs l’importance nouvelle
prise par la question économique. Dans le même temps se déploient une politique de coopération des
anciennes métropoles avec les jeunes nations (de manière bilatérale ou par l’intermédiaire de la CEE : la
convention de Yaoundé date de 1963) et une radicalisation d’une partie du tiers-monde, qui dénonce,
notamment aux conférences du Caire (1964) et de Lusaka (1970), le néocolonialisme.
Terminale STG
Terminale ST2S
Bibliographie
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Brunel Sylvie, « L’Afrique dans la mondialisation », Documentation photographique, La
Documentation française, 2005, n° 8048.
Chrétien Jean-Pierre (dir.), L’Afrique de Sarkozy, un déni d’histoire, Karthala, 2010.
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Coquery-Vidrovitch Catherine et Moniot Henri, L’Afrique noire de 1800 à nos jours, PUF, 2005.
Droz Bernard, Histoire de la décolonisation au XXe siècle, Éditions du Seuil, 2006.
Droz Bernard, « La décolonisation », Documentation photographique, La Documentation française,
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Hatier-AUF, 2008.
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Smouts Marie-Claude (dir.), La situation postcoloniale. Les postcolonial studies dans le débat
français, Presses de Sciences Po, 2007.
Ressources vidéos
Sitographie
Sur le site de RFI, un dossier très riche, complété au fur et à mesure par des articles récents sur
les commémorations : http://www.rfi.fr/contenu/20091231-il-y-cinquante-ans-independances
Sur le site d’Arte, http://afrique.arte.tv, un web documentaire sur l’« Afrique : 50 ans
d’indépendance », nous amène du Burkina Faso au Togo en passant par le Cameroun, le Sénégal ou le
Tchad en compagnie d’hommes ou de femmes qui, au long d’une journée, nous servent de guide et
dressent le bilan de ces 50 ans d’indépendance, parcours enrichi de cartes et d’analyses (un historien, un
économiste, un géographe), dont certaines révisent nombre d’idées reçues sur le continent africain
aujourd’hui.
Sur le site de l’INA, la collection Afrique(s) donne la parole à de grands témoins racontant l’histoire
du continent du point de vue africain : http://www.ina.fr/grands-entretiens/video/Afriques.