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Que ton linceul soit de velours

de
Colin Richard
INT.JOUR/GRAND HOTEL/CHAMBRE/SÉJOUR
Plongée dans la pénombre, une magnifique chambre d’hôtel
délicieusement décorée...

Vide.
Posé sur une massive console marbrée, juste sous un miroir,
un téléphone déjà ancien se met à sonner - le son cristallin
résonne à travers la pièce.

Une fois. Deux fois. Trois.


Personne pour y répondre.
La machine se tait enfin, mais le silence nouveau est
rapidement troublé:

Une clé se glisse dans la serrure et, dans un glissement des


plus délicats, la porte d’entrée en bois massif s’ouvre pour
révéler, debout dans l’entrebâillement, à la frontière du
couloir trop éclairé et à demi cachée derrière un steward;
une silhouette, no moins gracieuse que la chambre elle-même.

LAURA.
La jeune femme, dont on ne perçoit encore que les contours,
est accrochée au bras du steward: étrangement masqué, ce
dernier ne laisse entrevoir aucune émotion, ni même aucune
humanité.
Tous deux progressent dans la pièce, à peine éclairée par la
lumière qui perce depuis la porte encore ouverte, et se
séparent enfin.

Lorsque le steward, après une courte et muette révérence,


prend la direction de la porte, il tend le bras vers
l’interrupteur - la lumière emplit brièvement la pièce,
révélant la profuse et élégante décoration sous un jour
nouveau et, avec elle, l’extravangante beauté de la jeune
femme:
Plutôt juvénile, ses yeux noirs reflètent une expérience de
la vie plus dure et plus sombre que les autres femmes de son
âge. Autour de son cou, la large écharpe de fourrure, et le
reste de ses atours aussi élégants que flamboyants laissent
perplexe quant à ses activités nocturnes : bien que sa tenue
ait fait l’objet d’un soin et d’un goût indéniables, il ne
fait aucun doute que Laura n’est pas tout à fait ce qu’on
pourrait appeler "une fille de la haute".

(CONTINUED)
CONTINUED: 2.

Cet instant de clarté ne dure cependant pas longtemps :


aussitôt la lumière s’allume-t-elle que Laura, prise de
court et ne désirant visiblement pas se sentir exposée de la
sorte au regard du spectateur, se tourne promptement dans la
direction du steward dans un léger mouvement de tête:

LAURA
Éteignez, s’il vous plait.
Pour la première fois, le steward trahit une émotion:
légèrement surpris, lui qui jusque là semblait d’un
professionnalisme sans faille met un instant à s’exécuter...
le genre d’étonnement qu’aucun masque ne peut dissimuler.
Il s’exécute tout de même, et prend le chemin de la sortie,
toujours sans un mot, laissant son invitée à la pénombre.

Laura, elle, n’a pas bougé. Quelques instants immobile,


debout au milieu de la pièce, elle semble perdue dans ses
pensées.
Puis elle s’active finalement, ôtant son manteau et sa
parure pour les jeter sur le lit. Elle se débarrasse de ses
talons aiguilles, ne trahissant qu’à peine son soulagement -
elle les a portés toute la journée, et ses pieds lui font un
mal de chien... Mais elle a l’habitude.
Alors que sa deuxième chaussure retombe sur le sol, Laura se
laisse tomber sur le lit - assise, elle fouille dans son sac
à main, en sort une cigarette et un briquet.
Elle marque une pause.
Subitement, elle attrape son manteau toujours pausé à côté
d’elle, et en fouille les poches pour y trouver une maigre
liasse de billets, accompagnée d’un petit morceau de papier
qu’elle déplie promptement.
On peut y lire:

"hotel Saint Saens, chambre40;


22H30"
L’oeil vif de la jeune femme passe rapidement du papier à
l’horloge sur le mur:

20h40.
Visiblement soulagée, Laura jette le petit papier sur son
manteau, s’allonge sur le lit et allume sa cigarette.

(CONTINUED)
CONTINUED: 3.

Comme si les quelques heures qui la séparaient encore de son


rendez-vous l’avaient soudain libérée de l’angoisse qui
pesait sur ses épaules, les mouvements de Laura se font
désormais plus aériens, ses respirations plus profuses : ces
quelques minutes de répit lui semblent une étérnité - autant
profiter de cette jolie chambre.
Revigorée, Laura se lève et prend la direction du minibar,
où elle attrape une petite bouteille de vin rouge qu’elle
débouche promptement - elle en boit une courte rasade au
goulot pus se ravise:
N’ayant pas encore tout à fait oublié les bonnes manières
elle se met en tête de trouver un verre. elle fouille les
différents meubles de la chambre et finit par en trouver un
- elle le remplit à raz bord et l’empoigne.
D’un pas toujours aussi léger, presque dansant, elle
traverse la petite chambre en direction de la radio posée à
côté du téléphone - une musique légère et entrainante
résonne bientôt dans la chambre.

Laura déambule, avale son verre d’un trait puis se ressert


aussitôt.
Ses pensées sont visiblement occupées par quelque
réjouissant souvenir, car sa morosité a désormais totalment
disparu.
Elle voltige encore quelques temps, buvant et rebuvant,
finit par se poser sur le lit, termine son dernier verre et
s’allonge.

Innévitablement, elle s’endort...

INT.SOIR/GRAND HOTEL/CHAMBRE/SÉJOUR

... pour se réveiller en sursaut quelques heures plus tard.


La radio tourne toujours, mais c’est désormais un son un peu
plus mystérieux, presque inquiétant qui s’en dégage.
Laura met quelques secondes à retrouver ses esprits, et un
rapide regard en direction de l’horloge suffit à confirmer
ses craintes:
Il est 22h10 passées.
Agitée, Laura jette un coup d’oeil au miroir le plus proche
- constatant qu’elle n’est pas présentable, elle attrape son
nécessaire de maquillage et se propulse d’un bord du lit
jusqu’à la porte de la salle de bain, saisissant son verre
au passage.

(CONTINUED)
CONTINUED: 4.

elle disparait derrière la porte de la salle de bain et...

*BLING* - un verre se brise sur le sol.


Laura pousse un terrible cri - de la radio émane une musique
toujours plus déstabilisante.
Éclaté sur le sol, ce qui fut un jour un magnifique verre à
pied répand son contenu sur le carrelage de la salle de
bain:
Le liquide bordeaux s’écoule tranquillement, s’éloignant des
pieds nus de Laura, suvant les reinures du sol marbré, et
vient finalement se mêler à une autre substance, plus rouge
encore : du sang.

Dans la baignoire, de laquelle de Laura, sous le choc, ne


peut détourner les yeux, le cadavre d’un homme.
La jeune femme recule à petits pas, s’éloignant du macabre
spectacle dans un réflexe presque instinctif. Et alors
qu’elle sort de la salle de bain...

*DRIING*
Le téléphone se met à sonner, provoquant un nouveau sursaut.

Cette nouvelle surprise a toutefois un avantage: sortie de


sa stupeur, Laura retrouve peu à peu ses esprits, bien que
profondément secouée par l’horreur de la situation.
Paniquée, son attention passe du téléphone à la salle de
bain, puis de nouveau au téléphone, qui continue de sonner.

Acculée, recroquevillée sur le pas de la porte de la salle


de bain, Laura comme prise entre deux feux attend, fébrile,
la fin de la sonnerie et le silence salvateur qui
s’ensuivra...

Mais il n’arrive pas. Inlassablement, le téléphone continue


de sonner, ajoutant au vacarme de la radio toujours en
marche.
Prenant son courage à deux mains, Laura se lève. Lentement,
elle approche du téléphone... finit par l’atteindre - il
sonne toujours.
D’une main, la jeune femme éteint la radio. elle jette un
oeil sur la porte d’entrée - c’est le moment ou jamais de
quitter cet hôtel pour toujours...

elle s’empare du combiné, le porte à son oreille...


Le silence.

(CONTINUED)
CONTINUED: 5.

Un instant passe.
À mi chemin entre la terreur et la curiosité, Laura prend la
parole.
LAURA
... Allo ?
ROMERO (TELEPHONE)
Bonsoir, Laura.

LAURA
... Qui êtes-vous ?
ROMERO (TELEPHONE)
C’est... C’est gentil d’être venue.

LAURA
Ça... Ça ne me fait pas rire !
Qu’est-ce que vous voulez ?
Laura est submergée par l’émotion. Colère, peur,
desespoir... Peut-être aurait-elle dû partir il y a
longtemps. Peut-être le peut-elle encore ? Elle regarde une
nouvelle fois la porte d’entrée.
ROMERO (TELEPHONE)
... J’avais hâte de voir votre
visage. Merci de me l’avoir montré.

Au téléphone, la voix est calme, douce, innocente. Presque


bienveillante.
Laura, confuse, fait les cent pas devant meuble à téléphone.

LAURA
Écoutez... Je ne sais pas qui vous
êtes, mais je...
ROMERO (TELEPHONE)
Je comprend votre désarroi. Vous
désirez probablement partir,
maintenant... Mais... Peut-être
pourriez vous me le montrer encore
une fois ?

LAURA
Qu’est-ce que...
ROMERO (TELEPHONE)
Si vous êtes d’accord, je n’ai pas
bougé.

(CONTINUED)
CONTINUED: 6.

LAURA
Je... Je ne comprends pas. Où êtes
vous ?
ROMERO (TELEPHONE)
À la salle de bain. Je vous l’ai
dit: je n’ai pas bougé.
Laura commence à comprendre. Hésitante, elle regarde une
dernière fois vers la porte d’entrée... Mais son attention
se porte définitivement vers la salle de bain.

LAURA
Impossible... Il y a...
ROMERO (TELEPHONE)
Prenez le téléphone avec vous. J’en
ai besoin pour vous parler.
Toujours hésitante, Laura finit par attraper le boitier
téléphonique.
Elle ne se dirige pas tout de suite vers la salle de bain: à
pas feutrés, elle regagne discrètement son sac, toujours
posé sur le lit, d’où elle sort un petit revolver.
Le téléphone dans une main, l’autre fermement serrée sur son
arme et le combiné coincé entre l’oreille et l’épaule, Laura
avance avec précaution en direction de la salle de bain,
biend écidée à faire la lumière sur toute cette histoire.
Malgré la rassurante présence de son revolver, elle fait
tout de fois preuve de prudence : l’adrénaline et l’angoisse
font un dangereux mélange, et qui sait ce qui l’attend
réellement derrière cette porte ?

INT.SOIR/GRAND HOTEL/CHAMBRE/SALLE DE BAIN


Laura, toujours encombrée, est désormais sur le pas de la
porte.
Alors qu’elle fait précautionneusement glisser son regard à
travers l’entrebâillement, un nouveau frisson, presque un
sursaut, secoue son corps :

Là où se trouvait, il y a quelques minutes, un cadavre


ensanglanté, se tient désormais un homme, parfaitement
droit.
Son costume est toujours déchiré, et les tâches de sang sur
sa chemise n’ont pas disparu. Son teint blafard, lui aussi,
est resté.

(CONTINUED)
CONTINUED: 7.

Il est pourtant debout.


Lentement, aussi rigide que le cadavre qu’il est sensé
demeurer, son con se tord, et sa tête pivote en direction de
Laura.

Deux yeux bleus comme le ciel viennent se planter dans ceux


de la jeune femme.
Un léger sourire se dessine sur son visage.

ROMERO (TELEPHONE)
Mon nom est Romero.
Ses lèvres n’ont pas bougé. Pourtant, Laura en est persuadée
: c’est bien de cet "homme" que provient la voix.

Les yeux de l’étrange personnage soutiennent son regard


encore quelques secondes, puis se baissent finalement vers
l’arme qu’elle tient toujours dressée, presque
inconsciemment, au bout de son bras tendu.
ROMERO (TELEPHONE)
On peut reprocher beaucoup de
choses à ce pauvre homme...
Le sourire de Romero se fait plus large, la lumière au fond
de ses yeux plus brillante. Son regard se porte sur son
propre corps, comme pour en constater l’état déplorable.

ROMERO (TELEPHONE)
Mais je ne crois pas qu’il manque
de trous.
En effet, l’œil averti aura remarqué les quelques impacts de
balles, à l’origine tes tâches de sang sur son torse.
Laura n’est pas amusée. Peu à peu, l’agacement prend le pas
sur la peur. Elle abaisse le chien de son arme.

Romero, remarquant que son petit trait d’humour n’a pas fait
mouche, se passe lui aussi de commentaire. Depuis longtemps
résolu, il ne peut pourtant pas s’empêcher de trahir une
légère déception.
Un instant passe.

Romero, dont le flegme a repris le dessus, relève la tête et


tend le bras en direction de la jeune femme, paume ouverte
vers le plafond.

(CONTINUED)
CONTINUED: 8.

ROMERO (TELEPHONE)
voulez-vous bien m’aider ? Mon
équilibre laisse à désirer, j’en ai
peur.

Déconcertée, Laura reste un instant immobile. Pourtant,


quelque-chose en elle semble s’être allumé...
Comme une petite flamme, timide et vacillante, qui la pousse
irrésistiblement...

À baisser son arme.


Elle ne se rapproche pas pour autant du cadavre animé : sa
colère s’est simplement muée en incompréhension...
... Puis en pitié lorsque Romero, comprenant qu’elle ne
l’aiderait pas, tente péniblement d’enjamber la baignoire
par lui-même.
Elle repense à la liasse de billets, toujours dans son
manteau.

LAURA
Est-ce que... Est-ce que c’est vous
qui...
ROMERO (TELEPHONE)
Oui. J’espère que c’était assez.
Une vague de dégout parcourt le visage de Laura.
LAURA
Je ne pense pas que...

À cet instant, Romero trébuche, et son corps rigide se


retrouve propulsé en direction de Laura, qui le rattrape
dans un réflexe, lâchant son arme et le téléphone, dont le
combiné glisse de son oreille pour se retrouver à
pendouiller à son bras.

Romero se redresse péniblement.


Leurs regards se croisent une nouvelle fois, bien plus
proches.

Laura peut désormais apprécier tout le charme qui se dégage


de Romero : très pâle, une lèvre légèrement ouverte, il se
dégage de ses traits une certaine impression de force; de
ses yeux, la sérenité.

Romero attrape le combiné et, lentement, le porte à


l’oreille de Laura.

(CONTINUED)
CONTINUED: 9.

ROMERO (TELEPHONE)
Je ne veux que danser.

Et tandis que Laura, destabilisée, reste muette, le corps de


Romero est soudain parcouru d’un spasme:
Loin d’un tremblement fébrile, le violent courant d’énergie
qui le secoue lui permet de se redresser totalement, tel un
un automate auquel on aurait insufflé du courant.

Rapide et puissant, ferme mais doux à la fois, son bras


enserre subitement la taille de Laura. Sans aucune violence,
mais avec toute la force d’un homme revigoré, voilà qu’il
l’entraine avec lui jusque dans la chambre.

Sans un mot de plus, Laura accepte l’invitation.


Les pas de Romero n’ont rien à voir avec ceux, très aériens,
dont Laura nous a déjà fait profier:
Rapides et précis, ils semblent tout à la fois figés sur le
sol et capables de ne jamais le toucher.
C’est un tango.
Mais alors qu’ils atteignent tous deux le milieu de la
pièce, Romero s’interrompt soudain. Laissant sa partenaire à
son poste, il ramasse le téléphone, et la ramène à son
meuble - dans le même geste, il allume la radio, dont la
musique résonne une nouvelle fois.
Ils dansent.

C’est une belle soirée...

INT.MATINÉE/GRAND HOTEL/CHAMBRE/SÉJOUR

Laura s’éveille, étendue sur le lit.


Seule.
Cherchant son compagnon du regard, elle ne le trouve pas.

La chambre est en ordre : ne reste que son verre de la


veille, et la bouteille à moitié pleine.
De même pour la salle de bain. Elle vérifie la baignoire à
deux reprises, à la recherche de la moindre tâche de sang :

Rien.
Et alors que, désespérée, elle contemple ses affaires posées
sur le lit, relisant le bout de papier...

(CONTINUED)
CONTINUED: 10.

Le téléphone sonne.
Elle se précipite : sa main se tend vers le combiné, mais
elle s’arrête avant de décrocher.
Et si ça n’était pas lui ?

Les yeux de Laura se posent sur son reflet dans le mirroir.


Tandis que le téléphone continue de sonner, elle remarque
quelque chose...

Là, sur sa lèvre...


Elle y passe le doigt.
Du sang.

Elle décroche.
LAURA
... Allo?

FIN.

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