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Législatives 2022 : une situation inédite

pour l’Assemblée nationale sous la Vᵉ


République
L’Hémicycle va incarner la complexité d’un paysage politique fragmenté comme il l’a
rarement fait depuis 1958. Sur la dizaine de groupes potentiels, sept seront
d’opposition dont trois seront en mesure de déposer une motion de censure.

Par Mariama Darame

Publié aujourd’hui à 05h08, mis à jour à 12h52


Temps deLecture 4 min.

Résultats du second tour des élections législatives


577
sièges
Ensemble
246 sièges
Nupes
142 sièges
Rassemblement national
89 sièges
LR-UDI
64 sièges
Gauche
13 sièges
Voir l’intégralité des résultats

Les résultats de 577 circonscriptions sur 577 sont parvenus à 00 h 49.

Source : Ministère de l’intérieur / étiquetage Le Monde

Une majorité absolue envolée, deux partis contestataires consacrés comme premiers groupes
d’opposition, un président de l’Assemblée nationale défait… Au soir du second tour des
élections législatives, la logique du scrutin majoritaire a craqué de toute part sous la pression
de l’abstention et d’une campagne erratique entre coups d’éclat et invectives. Chose inédite
sous la Ve République et encore davantage depuis 2002 et la réforme du calendrier électoral,
l’Hémicycle va incarner la complexité d’un paysage politique fragmenté.

Lire aussi : Législatives 2022 en direct : Jean-Luc Mélenchon appelle la Nupes à


constituer un seul groupe parlementaire

Ensemble ! obtient 246 sièges, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes),
142, le Rassemblement national (RN), 89, le parti Les Républicains (LR) et l’Union des
démocrates et indépendants (UDI), 64, la gauche hors Nupes, 13. Les députés élus dimanche
19 juin commenceront officiellement leur mandat mercredi, avant l’ouverture de la
16e législature, mardi 28 juin.

Entre ces deux échéances, sept jours sont alloués aux élus de la précédente mandature pour
vider leurs bureaux et laisser les nouveaux s’installer au Palais-Bourbon. Sept jours qui ne
seront pas de trop pour les différentes formations, qui vont devoir prendre leurs marques dans
cette nouvelle configuration politique et parlementaire. Quel positionnement vis-à-vis de la
majorité relative d’Emmanuel Macron ? Quel avenir pour les alliances électorales comme
Ensemble ! ou la Nupes ? Quelle présidence pour l’Assemblée nationale et les différents
groupes parlementaires ?

Les tractations qui auront lieu cette semaine autour de la composition de ces groupes
officialisés le 28 juin constituent le bras de fer ultime – après ce « troisième tour » – entre la
majorité et ses oppositions. Sous la précédente mandature, l’Hémicycle a compté jusqu’à
dix groupes parlementaires – un record – du fait des dissensions internes à La République en
marche (LRM), qui avait fini par perdre la majorité absolue – passant de 314 députés à 266
députés à la fin de la législature.

Olivia Grégoire, la porte-parole du gouvernement, lors de la soirée électorale du second tour


des législatives, sur le plateau de France Télévisions, le 19 juin 2022. BRUNO LEVY /
DIVERGENCE POUR « LE MONDE »

Ce nombre fatidique de dix entités à l’Assemblée nationale pourrait être de nouveau atteint et
poserait d’importants défis organisationnels pour l’institution. Sur la dizaine de groupes
parlementaires potentiels, sept seraient d’opposition, dont trois – LR, La France insoumise
(LFI) et le RN – seraient en mesure de déposer une motion de censure pour renverser le
gouvernement (qui nécessite 58 paraphes) et de recourir à une saisine du Conseil
constitutionnel après l’examen d’un texte (60 signatures au minimum).

Qui dit oppositions sous la Ve République dit afflux d’amendements et un travail légistique
soutenu pour les fonctionnaires de l’Assemblée nationale, qui devront traiter des demandes
abondantes de la part de la Nupes, là où, durant la précédente législature, les dix-sept députés
LFI avaient usé et parfois abusé des avalanches d’amendements pour contraindre leurs
adversaires.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Les élections législatives brisent l’élan du second
mandat d’Emmanuel Macron

Alors que le RN constitue à ce stade le premier groupe d’opposition, avec 89 députés, la


Nupes pourrait envisager de revoir sa stratégie. L’idée d’un intergroupe, portée durant la
campagne afin de respecter les identités politiques de toutes ses composantes, se heurte à la
réalité parlementaire, qui n’admet pas ce type de structure.

En l’état, le RN pourrait demander à obtenir de droit la prestigieuse et stratégique présidence


de la commission des finances – qui, depuis la réforme du règlement de l’Assemblée de 2009,
doit échoir à un député de l’opposition. Les soutiens d’Emmanuel Macron préviennent déjà en
coulisses qu’ils n’hésiteront pas à prendre part au scrutin de cette élection qui doit se dérouler
jeudi 30 juin, comme pour les autres commissions, afin de contrecarrer cette éventualité qu’il
redoutait, avant l’élection, avec LFI. Mais l’expérience des élus RN dans une autre assemblée,
le Parlement européen, démontre qu’ils n’ont jamais vraiment investi le travail législatif,
délaissé au profit de sa fonction tribunicienne.

Souplesse des institutions de la Ve République


Pour LFI comme pour le RN, formations à la culture contestataire, tout l’enjeu sera dans les
prochaines semaines de les voir se plier ou non aux logiques institutionnelles de l’Assemblée
nationale, du fait de leur centralité en matière de nombre de sièges et de la visibilité liée
au temps de parole conséquent dont ils disposeront dans l’Hémicycle.

L’Assemblée nationale, qui a été envisagée sous la Ve République comme un espace


bipolarisé entre la gauche et la droite, doit s’habituer depuis 2017 à une organisation où les
oppositions sont prépondérantes. Chaque groupe a accès à un droit de tirage pour lancer des
commissions d’enquête parlementaire, à des journées consacrées à ses propres textes – les
niches parlementaires – sans compter la participation aux réunions qui concourent
à l’organisation de la vie parlementaire.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La Nupes et le RN, deux fronts anti-Macron
totalement opposés

A ce stade, il serait précipité de confondre crise politique et crise institutionnelle. Le risque


d’une paralysie du pouvoir législatif, qui entraînerait celle de l’exécutif, et donc un blocage
institutionnel, comme le dramatisent déjà les macronistes, tentés de relativiser ainsi leur
déroute électorale, semble exagéré.

Les précédents sous la Ve République, notamment celui de 1986 avec l’arrivée d’un groupe de
trente-cinq députés du Front national dans une Assemblée élue à la proportionnelle, puis de
1988, avec une majorité relative pour François Mitterrand, ont permis de démontrer la
souplesse des institutions de la Ve République et leur grande capacité d’adaptation aux
contextes politiques, même les plus tumultueux, pour préserver la stabilité du pouvoir.

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Les « marcheurs » n’auront plus le droit aux faux


pas
Le débat parlementaire sera plus ardu, plus coûteux politiquement, voire plus brutal pour les
macronistes habitués à une position de quasi-hégémonie depuis 2017. Ils ne pourront
certainement plus balayer dès l’examen des textes en commission les amendements proposés
par les oppositions, en allant parfois même jusqu’à les reprendre à leur compte en séance
publique pour se donner le beau rôle. Avec les élus LR pressentis pour être la force d’appoint
principale, c’est une nouvelle dialectique qui s’impose.

Cette culture du compromis, invisible à l’Assemblée nationale, s’exerce en silence au Sénat


depuis cinq ans. Le gouvernement a été constamment obligé de faire des concessions à la
majorité de droite et du centre et à son président (LR) Gérard Larcher sur de nombreux textes,
le plus souvent techniques, mais qui ont pour leur grande majorité abouti à des commissions
mixtes paritaires conclusives.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Législatives 2022 : Les Républicains divisés sur
l’attitude à adopter face à Emmanuel Macron

Après ce scrutin sans précédent, la base du système majoritaire reste inchangée et le


Parlement reste ce qu’il est, à savoir faible, sous la Ve République. Il suffirait à Emmanuel
Macron de reconstituer un axe fort entre lui, sa première ministre, le président de l’Assemblée
nationale et le chef du groupe présidentiel pour immédiatement retrouver ses appuis
stratégiques au Palais-Bourbon, et faire naviguer plus facilement ses textes. D’autant plus que
le gouvernement a la mainmise sur l’ordre du jour.

Mais avec l’élimination de cadres historiques de LRM, dimanche – du président de


l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, à Christophe Castaner, chef de file des députés
LRM –, Emmanuel Macron se retrouve amputé de son dispositif de gestion de sa majorité,
soumis désormais aux desiderata d’Edouard Philippe et de François Bayrou, les patrons des
partis alliés, respectivement Horizons et MoDem. Dans l’Hémicycle, les « marcheurs »
n’auront plus droit aux faux pas, et leur assiduité risque de devenir l’alpha et l’oméga de leur
nouveau quotidien à l’Assemblée nationale.

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après les législatives et évoque « une dissolution » de l’Assemblée dans un an
Mariama Darame

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