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Si une Daeyaméenne furax vous demande où elle peut me trouver, je m’appelle John Smith et

je suis là en vacances. C’est clair ?


- Sonny Dunkan, pour Hell-point radio.

Prologue

Ses doigts filaient sur le clavier, traçant des lignes de code. Les caractères s’enchainaient,
comme animés d’une volonté propre. Hacker cette bijouterie était d’une simplicité enfantine.
C’était bien en dessous de son niveau habituel, mais cette parure en diamants noirs et saphirs
rose lui avait tapé dans l’œil.
Bien. Ca devrait être bon.
L’individu se leva, presque nonchalamment. Ces petites opérations faisaient parties de son
quotidien. Souriant à l’avance en songeant au collier, le cycker se saisit d’une paire de lunette.
Une fois sur son nez, celles-ci se développèrent, jusqu’à camoufler l’ensemble de son visage.
Voleur, certes, mais prudent.
Sifflotant, l’individu sortit de chez lui, un sac sur les épaules.

Examen final

- Ils allaient voir ce qu’ils allaient voir.


Serrant les dents, Antarès fit une dernière manœuvre afin d’arrimer le Wonder.
Fils à papa. Privilégié.
Il secoua la tête. Il allait leur montrer !
Il avait délaissé la navette pour prendre son propre vaisseau, celui-là même qui lui avait valu
ses premiers sobriquets. Les paroles de l’instructeur résonnaient encore dans son esprit :
Choisissez n'importe quel nom se trouvant dans la liste des primes d'état émis par la
Confédération d'Ambrosia et ramenez-le à Hell-Point avant ce soir minuit.
Une prime. Fallait qu’il ramène une prime.
Et pas n’importe laquelle ! Il s’était imposé l’audacieux pari de ramener Rouge. Le cycker
était recherché pour l’alléchante somme de 100 000 crédits. Il était soi-disant introuvable mais
Antarès avait réussi à retracer sa signature. Ce qui l’avait conduit tout droit sur Delph. Bon,
c’était un peu vague comme piste mais il était confiant. Il avait poussé le Wonder à fond afin
d’avoir le plus de temps possible sur place.
« Arrimage terminée. Bon séjour sur Delph », lui indiqua la voix artificielle de Evey, son IR.
Il expira profondément. C’était le moment de faire ses preuves.

« Signature négative. Il n’est pas ici. » Antarès soupira. Il ne lui restait plus que 7h, voyage
inclus pour trouver sa prime. Autant dire qu’il était mal barré. Pourtant il était si sûr de son
coup ! Découragé, il s’assit sur un trottoir.
L’enfer avait commencé à Hell-Point, comme quoi le lieu portait bien son nom. Il avait
débarqué avec toute la naïveté d’un jeune homme de vingt ans, rêvant de justice et d’aventure.
Le retour à la réalité avait été dur. Apparemment, le fait d’avoir déjà son propre vaisseau avait
suffit pour le classer dans la catégorie « Fils à papa ». Puis ses piètres compétences au combat
lui avaient valu le surnom de « chiffe mole ». Sa timidité naturelle et son introversion avaient
fait le reste et il était rapidement devenu le boulet de la promo. Il avait bien tenté de se
reprendre, mais rien à faire : il avait toujours un temps de retard sur les autres. C’est
volontairement qu’il était parti seul pour cette mission (de toute façon, personne n’aurait
voulu de lui dans son équipe). Ramener la prime numéro 1 du moment lui vaudrait à tous les
coups une place dans une équipe ! Voir même parmi les Démons Hurlants…
L’averse qui s’abattit d’un coup le sortit de ses rêveries. Pestant, il fila se réfugier sous un
porche. Il n’aimait pas cette planète. Les rues sales empestaient l’eau croupie et les habitants
le regardaient de travers. Quant au climat, c’était bien simple : quand il ne pleuvait pas,
l’atmosphère était saturée d’une humidité qui collait à la peau. Il passa la main dans ses
cheveux blonds, tachant de les sécher à l’aide de mouvements vigoureux. Bien. Et
maintenant ?
Comme un écho à ses propres pensées, Evey déclara de sa voix mélodieuse :
« La prime sur Rouge vient de grimper. Elle est désormais de 200 000 crédits ».
Antarès avala de travers. 200 000 crédits ! Même pour un privilégié comme lui, la somme
était impressionnante !
- Evey, cherche la cause de cette augmentation ! ordonna-t-il.
« La corporation Eden a doublé la prime après le vol de la parure Zaniah, commis il y a un
quart d’heure ».
- Le lieu du vol ? demanda le jeune homme, fébrile.
« Bijouterie Eden, quartier Nord ».
En même temps qu’elle parlait, Evey afficha un plan en temps réel devant ses yeux. Antarès
eut le souffle coupé. C’était à 10 minutes d’ici ! Il n’y avait pas de temps à perdre !

Course poursuite

Le plan sous les yeux, il dévala les rues, se prenant juste une poubelle de temps à autre. Il
avait demandé à Evey de faire une nouvelle recherche de la signature du cycker. C’était une
technique qu’il avait développé seul, alors que ses « camarades de promotion » allaient boire
un verre le soir. Cela faisait un bon moment qu’il s’intéressait à ce criminel et à ses méthodes.
Il frappait comme la foudre, personne ne le voyait jamais venir. Neutralisant tous les
systèmes, il entrait tranquillement dans les plus grandes bijouteries avant de se servir. Puis il
disparaissait, comme la brume le matin. Aucune caméra, aucun policier n’arrivait à
l’identifier. Il avait tenté beaucoup de choses avant de tomber sur cette signature. A vrai dire,
il ne savait pas vraiment à quoi elle correspondait. Ce n’était pas une IR, le cycker étant trop
expérimenté pour faire une erreur pareille. Mais alors quoi ? Il n’en avait aucune idée.
Essoufflée, il s’arrêta. Il était arrivé sur les lieux du crime. Evey fit une dernière mise à jour et
c’est avec plaisir qu’il vit la trace du cycker s’afficher. Il n’était pas très loin.
Par précaution, il tâta sa poche et fut rassuré de sentir le poids de son neutraliseur. C’était peu
mais il n’était pas encore un Spectre. Il allait repartir quand deux types le bousculèrent. De
nature chétive, Antarès fut littéralement propulsé dans une flaque d’eau.
- ‘Tention gamin ! le fustigea l’un des balourds.
Crachant de l’eau, le jeune homme n’eut pas le temps de répondre. Les deux gars étaient
lourdement armés et ils marchaient vite. Ils jetaient des regards anxieux autour d’eux, leurs
larges mains serrées autour de deux brûles nefs. Antarès déglutit difficilement à la vue des
armes. Il n’aimait pas beaucoup ce genre de joujoux. Il se releva avec difficulté, pestant
contre « cette planète pourrie et son climat de… »
- Shikta ! On l’a perdu ! marmonna l’un des deux types.
- On va l’avoir, déclara l’autre. Tourne à droite.
Soudain intrigué, Antarès vérifia les coordonnées que lui fournissait Evey. De toute évidence,
les deux balourds étaient également à la recherche du cycker. Déterminé, il s’élança derrière
eux. Tout en courant, il ajusta son oreillette, qu’il avait également un peu bidouillée.
Rapidement, il réussi à intercepter la conversation des deux hommes.
- Fais gaffe à ça ! Tu sais quel genre de blessure ça fait un truc comme ça ?
- C’est le stress, désolé.
- Ouais bah fais attention ! Faudrait pas que tu te trompes de cible.
- T’es sûr que ça ira ?
- T’inquiète, au pire, on a toujours nos Aruka Viper.
Interpellé, Antarès s’arrêta. Ils ne comptaient tout de même pas…non ? La cible devait être
livrée vivante !
- L’enfoiré, poursuivit un des hommes. Une vie entière de boulot qu’il a chourée !
- C’est pas le moment de ressasser le passé ! Concentre toi ! On y est presque !
Une vengeance. C’est deux crétins allaient pourrir sa prime pour une bête histoire de
vengeance !
Les deux hommes s’étaient arrêtés et attendaient désormais, accroupis derrière une voiture.
Antarès se posta quelques mètres derrière eux. Celui qui semblait être l’ainé vérifia une
dernière fois les informations que lui projetaient sa montre (un vieux modèle d’après ce qu’il
en avait vu) avant de se tourner vers la ruelle en face d’eux. Il fit un signe à son compagnon
qui acquiesça. Inquiet, le jeune homme se rapprocha de quelques pas, en veillant bien
toutefois à rester discret. C’est alors qu’il les vit : les balises. Trahies par leurs LED bleues
qui scintillaient, elles étaient posées stratégiquement des deux côtés de la rue.
Un piège.
C’était un piège.
Il serra les poings jusqu’à faire blanchir ses articulations. Il avait beau comprendre la
motivation des deux hommes, un seul mot martelait son esprit.
Meurtre.
Attirer un homme dans un piège puis le descendre alors qu’il est sans défense, c’était tout
simplement écœurant ! A peine avait-il formulé cette pensée qu’une ombre se dessina en face.
Un court instant, il cessa de respirer. Puis la silhouette se précisa, dévoilant un corps svelte et
un masque rouge.
Le doute n’était plus permis. Rouge était là.
Et il fonçait droit vers la mort.

Rouge et noir

Le temps semblait s’être arrêté pour Antarès. Ses pensées tourbillonnaient à un rythme
effréné. Que devait-il faire ? Sa raison le poussait à laisser le cycker entrer dans le piège.
Peut-être parviendrait-il à négocier avec les hommes pour la prime ensuite ? Ou alors il se
servirait de son neutraliseur pour les shooter tous les trois.
« Allez mon gars, tu es un Spectre, tu es un Spectre », se répéta-t-il à voix basse.
« Théoriquement pas encore », crut bon de signaler Evey.
Il secoua la tête. Il ne devait pas se laisser distraire ! Pourtant il ne pouvait se détacher de la
sensation de dégoût qui l’habitait. Un meurtre. Inconsciemment, il allait participer à un
meurtre. Chouette moyen de commencer une carrière !
- Oh et puis Shikta !
De toute façon, vu comme il était doué, il ne risquait pas de rester Spectre très longtemps.
Autant partir la conscience tranquille.
- C’EST UN PIÈGE ! hurla-t-il.
Son cri eut l’avantage de figer tout le monde. Rouge n’était qu’à quelques mètres des balises
quand il s’arrêta à son tour. Les deux hommes pivotèrent lentement vers lui, leurs traits
déformés par la rage. Antarès vit le brûle nef se lever dans sa direction et le bruit
caractéristique du tir retentit. Il eut le réflexe de se jeter sur le côté, pas assez vite cependant
pour éviter complètement le coup. Le tir lui laissa une jolie marque sur le flanc. Le deuxième
homme s’était tourné vers Rouge et avait également fait feu. Comme au ralenti, il vit la
silhouette du cycker se plier sous la douleur. Une bouffée d’adrénaline se déchargea alors
dans ses veines. Ses doigts s’enroulèrent mécaniquement autour de ses neutraliseurs. D’un
bond, il fut sur les hommes, content de constater que son entrainement n’avait pas été
complètement inutile. Ceux-ci, surpris par sa soudaine apparition, eurent tout juste le temps
de riposter. Il étouffa un cri quand une déflagration projeta son bras hors de son axe habituel.
Il tira une bonne dizaine de coups avant d’être sûr que ses cibles aient bien été touchées.
- Evey, essaye de voir si tu peux désactiver les balises.
« Il s’agit de simples rayons neutralisateurs » commenta-t-elle, puis après un temps,
« désactivation complète ».
Se tenant le flanc de son bras valide, Antarès s’approcha en claudicant de la silhouette
affaissée.
- Euh…ça va ?
La silhouette émit un faible gémissement. Soupirant, Antarès se pencha près d’elle. Bien
qu’en état de choc, le cycker avait l’air d’aller bien. Le plastron sur son torse l’avait protégé
du coup et seul son masque semblait avoir souffert. Littéralement scié en deux, celui-ci
pendait lamentablement sur le côté, à peine retenu par quelques fils. A l’aide de gestes
minutieux, Antarès l’enleva, cherchant d’éventuelles plaies. Le visage qu’il découvrit le
laissa sans voix. Non, ce n’était pas possible.
- Une fille !
Rouge ouvrit les yeux. Ses deux prunelles noisette se posèrent sur lui, semblant sonder son
âme. Il déglutit. Quand la jeune femme fit mine de se lever, il se recula d’un bond, comme
piquer par une guêpe.
- Vos…vos plaies sont superficielles, déclara-t-il à toute vitesse.
- Ce qui n’a pas l’air d’être votre cas.
La voix, fraiche et musicale, le fit frissonner. Un simple coup d’œil lui suffit pour évaluer son
état. Son flanc saignait et son bras pendait contre son torse, inerte. Le sol se mit soudain à
tourner alors que la douleur revenait en masse. Le monde fut réduit à un étrange mélange de
couleur puis le noir l’engloba.

Réveil

Quand il reprit conscience, il était allongé sur une couche, un projecteur holographique
diffusant un vieux film en 2D près de lui. Il cligna des yeux. Il faisait sombre, seul la lumière
du holo éclairant les lieux. Adossée sur un bureau, une silhouette s’affairait. Ses souvenirs lui
revinrent progressivement. Rouge, la traque, les deux hommes. Par réflexe, sa main glissa
vers sa blessure. Au lieu d’une plaie sanguinolente, il fut surpris de sentir la douceur d’un
bandage. Précautionneusement, il tenta de mobiliser son bras. C’était douloureux mais
possible. Il soupira de soulagement.
- Ah. Tu es réveillé.
Il se figea. Rouge se leva avant de se pencher pour examiner ses blessures. Antarès se
redressa, raide comme un piquet.
- Ta plaie va mieux. Quant à ton bras, il était seulement déboité.
- Euh…Merci.
Mal à l’aise, le jeune homme laissa son regard errer dans la pièce. Ses yeux ne mirent qu’une
poignée de secondes à trouver Zaniah. Le collier étalait ses six longues rangées de diamants
noirs sur une chaise.
« Mais qu’est-ce que j’ai fait ? »
- Quelle heure est-il ? demanda-t-il, soudain effrayé.
- 21h47. Tu es resté inconscient un bon moment.
Ca y est. C’était la fin, il ne parviendrait jamais à rentrer à temps. Découragé, il se laissa
retomber sur sa couche.
- Dure journée ? demanda Rouge en sortant deux canettes de Füze Coke d’un petit frigo.
- C’est vraiment toi ? Je veux dire…le cycker.
- Bah oui. Pourquoi ? Tu en doutais encore ?
- Non. Enfin…je ne pensais pas que tu étais…enfin…laisse tomber.
Rouge haussa un sourcil mais n’insista pas. Elle était jeune, ses cheveux bruns, courts,
encadraient deux yeux noisette. Elle était jolie dans son genre.
- Merci de m’avoir sauvée, dit-elle entre deux gorgées. J’avoue avoir été surprise en
entendant ton avertissement.
- Moi aussi, avoua-t-il.
La boisson lui fit du bien. Rouge pianotait contre sa canette.
- Pourquoi m’avoir aidée ? demanda-t-elle. Tu connaissais pourtant mon identité.
- Je ne sais pas trop… Quand j’ai vu ces deux types et leur piège…je ne sais pas, j’ai
trouvé ça écœurant. Je dois être trop naïf.
- Sans aucun doute, mais dans ce cas, ça m’arrange bien !
Elle souriait. Antarès rougit.
- En tout cas, une chance pour moi que tu fus là au bon moment !
- Ah. Oui. A ce propos…
Au point où il en était, autant avouer. Et puis, la jeune fille lui inspirait confiance. Il avait
beau savoir qu’elle avait plusieurs centaines de vols à son actif, il se sentait bien avec elle.
Alors il raconta : son arrivée à Hell-point, les brimades, sa volonté de se démarquer… Quand
il termina, l’horloge affichait 22h19.
- Et tu as dit que tu as réussi à me tracer ? Comment ? s’inquiéta Rouge.
- J’ai fini par isoler un signal sans vraiment savoir à quoi il correspondait.
- Montre.
Un ordre de sa part et Evey afficha toutes les données à la cycker. Celle-ci les regarda
longuement.
- Mon masque. Tu as réussi à tracer mon masque !
- Ah ? Je me disais bien que ça ne pouvait pas être une IR.
- C’est plus qu’un déguisement, avoua-t-elle. Il m’affiche en temps réel tout ce dont j’ai
besoin, c’est également une interface à partir de laquelle je peux coder. Bref, c’est
vachement utile ! Et tu as réussi à le retrouver ! Je vais devoir modifier deux-trois trucs.
En tout cas c’est sympa de ta part de me l’avouer !
- Bah, de toute façon, ma carrière de Spectre est foutue alors…
Rouge fit la moue.
- Ne baisse pas les bras ! Je suis sûre que tu peux y arriver ! Ton comportement de tout à
l’heure l’a prouvé ! Tu es un vrai justicier ! Bon, faudrait revoir un peu le combat
rapproché, je te l’accorde.
Antarès sourit faiblement.
- Sinon tu peux toujours faire cycker ! poursuivit-elle. Une équipe en a toujours besoin !
Après tout, tu es le seul qui ait réussi à me tracer !
- Tu…tu crois ?
- Mais oui ! Crois un peu en toi !
Flatté, le jeune homme sourit. Mais sa joie retomba vite.
- Il me reste 1h30 et je n’ai pas de prime à ramener. Je crois que de toute façon, c’est la fin.
Il eut un rire nerveux. Rouge réfléchissait.
- Hum…y a peut-être moyen de s’arranger. Après tout, j’ai une dette envers toi maintenant.
Bien, écoute moi.
Et Rouge se mit à parler.

Epilogue

Hey ! Hey ! Hey ! Ici Sonny Dunkan ! Info de dernière minute ! A la surprise générale c’est le
jeune Antarès Sparkle qui a ramené la plus grosse prime hier ! La jeune et très recherchée
Rouge ! Malheureusement, la cycker a filé cinq minutes après avoir été enfermée ! Eh oui les
mecs, quand on enferme une cycker, on évite de lui laisser une interface !

Antarès sourit en écoutant la radio. Ses 200 000 crédits en poche, il s’installait
confortablement au poste de pilotage du Wonder quand une fenêtre s’ouvrit devant lui. C’était
un simple message, en lettres rouges :
« Witts City, see you soon ! ».
Son sourire s’élargit. Il avait rendez-vous.

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