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n°674.

Comment Mustapha
Bakkoury s’est brûlé les ailes à
Masen
Kenza Filali

Surcoût à Ouarzazate, enlisement à Midelt : le programme Noor,


vitrine de l’énergie verte marocaine a vu son soleil pâlir suite à des
errements stratégiques et des couacs rédhibitoires. Il est aussi
reproché au patron de Masen, sous le coup d’une enquête doublée
d’une interdiction de sortie du territoire, de trop s’investir dans les
chantiers immobiliers de la région Casa-Settat qu’il préside au
détriment des dossiers incandescents de Rabat

C’est aujourd’hui officiel, Mustapha Bakkoury est sous enquête


judiciaire. A son départ pour Dubaï ce lundi, il a été prié de
rebrousser chemin de l’aéroport Mohammed V de Casablanca. Une
mesure qui vient confirmer les rumeurs insistantes qui circulaient
depuis des mois sur la disparition des radars du président de la
région Casablanca-Settat et, depuis fin décembre 2009, patron de
l’agence marocaine pour l’énergie durable (Masen).

Depuis que l’information a été rendue publique, mille conjectures


sont avancées pour expliquer sa disgrâce, seconde de sa carrière
après son limogeage de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) en
juin 2009. Ce qui demeure tangible est en lien avec un des colossaux
chantiers du pays que le roi Mohammed VI suit de près, celui des
énergies renouvelables et dont le royaume en a fait un des axes de
son développement socio-économique à coûts de milliards
d’investissements.
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Mais l’engagement pris par Bakkoury devant le roi pour que le Maroc
atteigne le seuil de 2 000 MW d’électricité éolienne et solaire dans
son programme de transition énergétique dès 2020 ne l’a pas été.
Pour atteindre ce pallier, la mise en route du projet Noor Midelt, lancé
en 2015, a connu accroc sur accroc au point qu’aujourd’hui certains
chuchotent à Rabat que le mégaprojet, qui devait rapidement
s’ajouter à son ainé de Ouarzazate, est considéré comme agonisant.

Des retards et des atermoiements dommageables

Accusant déjà du retard fin 2018, l’agence Masen qui pilote tous ces
projets, avait déjà dû se résoudre pour donner un coup de fouet au
chantier, à scinder l’ambitieuse première phase de Noor Midelt
(représentant 825 MW, sur 1 600 au total) en deux contrats distincts,
l’un portant sur une centrale solaire à concentration (CSP) de 300
MW et l’autre sur un parc photovoltaïque de 525 MW).

En parallèle, début 2019, selon Africa Intelligence qui a suivi pas à


pas les déboires de Bakkoury, Masen butait encore sur l’attribution
de la première phase de Noor Midelt. Le consortium composé du
français EDF Energies Nouvelles, de l’émirati Masdar et du Marocain
Green Of Africa (en partie détenu par Akwa Group de Aziz
Akhannouch), finaliste face au tandem saoudo-américain ACWA-GE,
était à la peine avec son partenaire-constructeur espagnol TSK,
englué dans une crise financière après son rachat en 2013 par
l’Allemand Flagsol.

Au printemps, nouveau coup dur pour Mustapha Bakkoury qui a du


geler l’attribution de la seconde phase de Noor Midelt, le duo ACWA-
GE proposait un tarif d’électricité d’environ 9 cents ( $) par kWh, que
Masen n’a pas réussi à négocier à la baisse.
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Sur la première phase, alors que le groupement Nareva (holding
royale Al Mada) -Engie jetait l’éponge, n’étant pas favorable à la
technologie CSP, l’agence désignait dans la douleur le trio EDF-
Masdar-Green, et ce, malgré la santé fragile de l’espagnol TSK. Noor
Midelt I qui devait, selon le calendrier initial, être opérationnelle en
2021, a été, malgré cette attribution à l’arraché, repoussée d’au
moins un an, sinon plus.

En septembre, Masen reportait d’un mois la date butoir de


soumission pour l’appel à pré-qualification de la deuxième phase afin
de permettre à ACWA-GE de réviser son offre, sans succès jusqu’à
aujourd’hui…

Bref pour Noor Midelt, le bilan est désastreux. Le 22 octobre dernier,


le roi Mohammed VI convoquait au Palais royal tous les intervenants
en charge de la stratégie des énergies renouvelables. Le Souverain a
relevé « un certain nombre de retards pris dans l’exécution de ce
vaste projet et a attiré l’attention sur la nécessité de faire aboutir ce
chantier stratégique dans les délais impartis », informait alors le
Cabinet royal.

Il faut dire que les chantiers sont tous à traine y compris le


programme Noor PV, prévoyant le développement, par des
producteurs privés, de 400 MW en photovoltaïque. La date limite de
soumission à l’appel à projets, lancé début janvier, a été prolongée
par deux fois, d’abord au 15 février, puis au 26 février. Et lui aussi est
considéré comme moribond.

Entretemps, à l’été dernier, c’est un « avis » du Conseil économique


et social (CESE) qui est venu doucher un peu plus les espoirs mis
dans ce chantier de règne : l’instance dirigée par Ahmed Chami y
pointait le gouffre financier de la centrale pharaonique de
Ouarzazate (580 MW au total), du au choix contesté de la
:
technologie CSP. Avec un KW/h dans une fourchette 1,38 et 1,62
dirham, soit un déficit de 800 millions de dirhams par an, l’ONEE ne
rachetant cette électricité verte qu’à 0,85 dirham…

Un tropisme pour les affaires casablancaises…

Mustapha Bakkoury cristalliserait ainsi ces échecs et l’enquête


ouverte à son encontre, dit-on, qui ferait état de « mauvaise
gestion ».

Mais d’autres griefs sont avancés à l’encontre de l’ex-banquier passé


à la tête de la Sonadac qui dans les années 90 était en charge de
quelques grands projets à Casablanca, comme la mort-née Avenue
royale. On lui reprocherait ainsi d’avoir été trop absorbé par les
projets immobiliers de la capitale économique en sa qualité de
président de la région Casablanca-Settat au point où la chefferie de
son parti, le PAM, avait même songé à lui désigner un challenger…

Si certains vont dans ce sens jusqu’à évoquer sa fortune personnelle


dont les biens se comptent autant au Maroc qu’à l’étranger, c’est son
management à la tête de Masen qui focalise l’essentiel des critiques.
Depuis le départ en 2019 de son ex-numéro 2, Obaid Amrane, pour
prendre les rennes du fonds souverain Ithmar, « les dossiers se sont
empilés sur son bureau de Rabat, là où il fallait trancher dans le vif,
et vite », témoigne son entourage…
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