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To cite this article: HOCINE BENDJOUDI & PIERRE HUBERT (2002) Le coefficient de compacité
de Gravelius: analyse critique d'un indice de forme des bassins versants, Hydrological Sciences
Journal, 47:6, 921-930, DOI: 10.1080/02626660209493000
HOCINE BENDJOUDI
UMR Sisyphe, Laboratoire de Géologie appliquée, Université Pierre et Marie Curie, Paris,
Case 123, 4 Place Jussieu, F-75252 Paris Cedex 05, France
hocine.bendioudi@ccr.iussieu.fr
PIERRE HUBERT
UMR Sisyphe, Centre d'Informatique Géologique, École des Mines de Paris, 35 Rue Saint
Honoré, F-77305 Fontainebleau Cedex. France
hubertrmcm.ensfflp.fr
INTRODUCTION
La discussion concernant cet article est ouverte jusqu 'cm 1 juin 2003
922 Hocine Bendjoudi & Pierre Hubert
INDICES DE FORME
L'idée la plus simple est de comparer le bassin étudié à un bassin de forme standard.
C'est ainsi que Gravelius (1861-1938), professeur à l'Université de Dresde
(Allemagne), a proposé en 1914 le coefficient de compacité ("compactness coefficient")
défini comme le rapport du périmètre du bassin à celui d'un cercle de même surface
(Wisler & Brater, 1959; Roche, 1963; Ward, 1975; OMM, 1996). Si le périmètre du
bassin est noté P et sa surface A, le coefficient de compacité s'exprime par:
P P
K = ^ ^ = 02S^j= (1)
2VTD4 JA
On sait que le cercle est la figure dont la surface est maximale pour un périmètre
donné ou, de façon duale, la figure dont le périmètre est minimal pour une surface
donnée. On doit donc s'attendre à ce que le périmètre de tout bassin soit supérieur à
celui du cercle de même surface. Le coefficient de Gravelius sera donc nécessairement
supérieur à l'unité. Il vaut par exemple environ 1.12 pour un bassin carré, et est
d'autant plus grand que le bassin est allongé.
Toujours en se référant à un bassin circulaire, Miller (1953) a défini un indice de
circularité, rapport de la surface du bassin étudié à la surface du cercle de même
périmètre, soit:
A A
C = 4TC—^- = 12.57—r- (2)
P2 P2
Il ne s'agit en fait que d'un avatar du coefficient de Gravelius puisqu'en comparant les
équations (1) et (2) on établit aisément que K' = 1/C.
Le cercle n'est cependant pas une forme très réaliste pour un bassin versant.
Partant de l'observation que les bassins versants "ont généralement une forme ovoïde
ou semblable à celle d'une poire" (Gray & Wigham, 1972). Chorley et al. (1957) ont
proposé comme forme "idéale" d'un bassin versant la surface limitée par une
lemniscate dont l'équation, en coordonnées polaires, est:
p = /cosA;0 (3)
où 0 varie entre -n/2k et +n/2k; 1 est la "longueur" du bassin; et k est un facteur de
forme tel qu'illustré par la Fig. 1.
L'aire de ce bassin de référence est obtenue par intégration de l'équation (3) par
rapport à 0, ce qui donne:
A =— (4)
lemniscate . 7 V /
4k
Le coefficient de compacité de Gravelius 923
La forme d'un bassin versant de surface A peut alors être caractérisée par la valeur de k
extraite de l'équation (4) soit:
(5)
AA
On peut aussi, à l'instar du coefficient de Gravelius, définir un "lemniscate ratio",
rapport du périmètre du bassin étudié au périmètre de la lemniscate de même longueur
/ et même facteur k. Le périmètre de la lemniscate étant donné par:
Jk1"^
lemniscate
= 2IE (6)
Les concepts fractals ont connu depuis leur introduction par Mandelbrot (1975) de
nombreux développements et applications dont nous ne donnerons ici qu'un faible
aperçu, concernant le comportement de certaines courbes.
924 Hocine Bendjoudi & Pierre Hubert
Les courbes auxquelles nous sommes habitués (droites, cercles, ellipses, etc.) sont
rectifiables, ce qui signifie que nous sommes capables d'attribuer une longueur à tout
arc défini par deux points de telles courbes. En toute rigueur, cela signifie que si nous
appelons respectivement A0 et A„ l'origine et l'extrémité de cet arc, que nous
choisissons n- 1 points consécutifs A\, A2, ..., An.\ entre ces deux points, réalisant
ainsi une approximation polygonale de l'arc étudié, la longueur de cette approximation
polygonale (Fig. 2):
AQA] +AiA2+ ... +A„.iA„
tend vers une limite finie, qui sera la longueur de l'arc étudié, lorsque simultanément «
augmente indéfiniment et que la longueur des segments élémentaires AiAA-t tend vers
zéro.
Si nous faisons en sorte que les segments élémentaires A^\A, soient égaux, leur
longueur étant alors égale à e, que l'on peut interpréter comme une jauge de mesure
(l'ouverture d'un compas par exemple), il faudra «(e) tels segments pour réaliser
l'approximation polygonale de l'arc et sa longueur sera alors égale à:
L(e) = ra(e)e (7)
Pour une courbe rectifiable:
L(e) -> L quand e H> 0 (8)
En fait, pour de très nombreuses courbes naturelles, celles dessinées par les côtes
en particulier, on n'observe pas un tel comportement et L(e) augmente indéfiniment
lorsque e -» 0, selon une relation linéaire en coordonnées log-log (Fig. 3, d'après Le
Méhauté, 1990), ce qui signifie que:
1(e) « e1"4 (9)
où (1 - A) est la pente, négative dans ce cas, de la relation linéaire entre L(e) et e sur le
diagramme log-log.
Nous avons donc simultanément:
L(e) oc e '- A et L(e) = «(e)e
soit encore:
«(e) oc e~A ou w(e)eA = Cste
Le coefficient de compacité de Gravelius 925
Longueur
a
R , Recfifiable
Jauge
— oo Ln £ + 0 0
Fig. 3 Courbe fractale et courbe rectiftable, d'après Le Méhauté (1990).
Cette constante peut toujours être exprimée en référence à une longueur e0 de telle
sorte que:
«(e)e â = Eo
soit:
Cette équation nous rappelle des notions très familières, à condition que A soit un
nombre entier. Par exemple si A = 1, «(e) est le nombre de segments de longueur e
nécessaires pour paver (c'est à dire pour diviser en éléments identiques, sans lacune et
sans recouvrement) un segment de longueur e0. Si A = 2, «(e) est le nombre de carrés
de coté e, et de surface e2, nécessaires pour paver un carré de coté e0 et de surface e<f.
Pour A = 3, il s'agirait du pavage d'un cube de coté e0, par des cubes élémentaires de
coté e. Il est cependant assez étrange que l'on arrive à cette formalisation au terme
d'un exercice destiné à mesurer un arc de courbe!
Pour A non entier nous avons affaire à des grandeurs spatiales d'un type nouveau
se mesurant en puissance non entière de l'unité de longueur (eA). Le fait que lorsque A
est entier il se confonde avec la dimension euclidienne de l'objet mesuré nous amène à
conjecturer que les objets auxquels peut être associé un A non entier possèdent une
caractéristique que nous appellerons encore dimension puisqu'elle généralise cette
notion, dimension non entière baptisée fractale.
APPLICATION
icz,
- -, f-»
vr
Fig. 4 Bassin du Danube (d'après Danube Pollution Reduction Programme, UNDP).
AGENCE DE L'EAU
SEINE.NOEMANME
20 0 20 « Kilomètres
S ioo
10
10 jaugée (km) 100
Fig. 6 Relation entre la longueur de la jauge de mesure et le nombre de mesures pour
le périmètre du bassin du Danube.
-S". 100
c
:
10
1 10 100
jauge e (km)
Fig. 7 Relation entre la longueur de la jauge de mesure et le nombre de mesures pour
le périmètre du bassin de la Seine.
En tenant compte des valeurs obtenues plus haut pour les surfaces et les périmètres des
deux bassins étudiés, nous avons calculé pour chacun le coefficient de compacité de
Gravelius. Les valeurs obtenues varient entre 1.29 et 1.66 pour le Danube, et entre 1.10
et 1.41 pour la Seine. Il ne s'agit pas là d'une simple incertitude, mais d'une relation
fonctionnelle entre la valeur de la jauge de mesure et celle du coefficient de compacité.
Le coefficient de compacité augmenterait indéfiniment si la jauge de mesure tendait
vers 0! L'estimateur de ce coefficient n'a donc aucune valeur intrinsèque et les
"protocoles" d'estimation tels que celui de Roche (1963) apparaissent alors comme de
dérisoires garde fous, ne contenant la nature fractale du périmètre d'un bassin versant
qu'au prix d'une troncature qui la détruit.
CONCLUSION
Cette étude montre qu'il convient d'être particulièrement circonspect dans le choix des
grandeurs que l'on mesure ou dans la définition d'indices de toutes natures, dans la
mesure où ils peuvent dépendre de l'échelle d'observation. Cette circonspection est
d'autant plus nécessaire que les modèles numériques de terrain et les logiciels de
gestion de l'information géographique (SIG) permettent de calculer très aisément des
valeurs de ces grandeurs ou de ces indices dont rien ne garantit a priori qu'elles sont
indépendantes de la résolution (taille du pixel) des données utilisées.
On pourra aussi se tourner vers des indices de forme qui ne font pas intervenir le
périmètre. On peut citer l'indice de Horton, rapport de la surface du bassin au carré de
sa "longueur" (Horton, 1932) ou celui de Schumm, rapport du diamètre du cercle de
même surface à la longueur maximale du bassin (Schumm, 1956). Réméniéras (1965)
attribue à Caquot l'indice appelé "allongement moyen du bassin", défini par:
C = -^L (19)
VA
où E est le plus long parcours de l'eau entre la périphérie et l'exutoire du bassin et A sa
surface.
Au delà de ces indices empiriques, il faudrait prendre en compte explicitement le
caractère fractal de certaines grandeurs. A cet égard les approches fractales et
multifractales actuellement en développement devraient permettre de surmonter ces
difficultés en introduisant des paramètres et exposants (comme la dimension fractale)
indépendants d'échelle, qui se révèlent particulièrement utiles et féconds, tant au plan
théorique qu'au plan pratique, dans les sciences de la Terre en général et en hydrologie
en particulier (Bendjoudi et al., 1997; Bendjoudi & Hubert, 1998).
REFERENCES
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