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PEROU - Stérilisations Forcées
PEROU - Stérilisations Forcées
Téodula Pusma Carrion, elle, est tombée entre les mains de ses
tortionnaires en se rendant au poste médical du village de Ñangali, dans la
province de Huancabamba, pour demander une aide alimentaire, alors que
ses jeunes enfants souffraient de malnutrition. « On va te donner de la
nourriture, mais si tu fais la ligature. Sinon on ne te donne rien, car vous
vous remplissez d’enfants comme des lapines », s’entend-elle rétorquer,
avant d’être attachée de force sur une table chirurgicale. Des femmes ont
été stérilisées sans en être averties, à l’occasion d’autres interventions
chirurgicales, comme des césariennes. En 1996, Serafina Ylla Quispe a
failli y rester. Elle a ouvert les yeux dans la morgue d’un hôpital à Cuzco :
à 34 ans, elle avait été déclarée morte lors d'une opération de ligature des
trompes à laquelle elle n’avait jamais donné son aval. Beaucoup de ces
femmes stérilisées de force ont gardé de lourdes séquelles, physiques et
psychologiques, de cette épreuve. « Depuis ce moment, j’ai perdu ma
bonne santé. Je ressens beaucoup de douleurs à l’endroit de l’opération, je
ne peux plus faire d’efforts », témoigne Luisa Pinedo Rango.
Les victimes n’ont pas attendu la chute de Fujimori pour engager des
procédures judiciaires. Un interminable chemin de croix. Dès 1998, la
famille de María Mamérita Mestanza, décédée des complications d’une
stérilisation imposée, se retournait contre le médecin ayant pratiqué cette
intervention. Plainte classée sans suite à deux reprises, la justice assurant
manquer de motifs pour justifier ces poursuites. En 2009, Fujimori,
reconnu coupable de détournements de fonds faramineux, était aussi
condamné par la Cour suprême du Pérou à 25 ans de prison pour crimes
contre l’humanité, en raison des massacres de civils perpétrés en 1991 et
1992 par ses escadrons de la mort. L’affaire des stérilisations était restée
dans les limbes. Pourtant, la Commission interaméricaine des droits de
l’homme avait constaté, en 2003, l’impunité entourant ces crimes et poussé
l’Etat péruvien à « reconnaître sa responsabilité » en ouvrant la voie à
« une enquête exhaustive ». Une nouvelle instruction s’est bien ouverte en
2011, mais elle ne visait que des fonctionnaires subalternes et des
médecins, les juges arguant d’un « manque de preuves » contre Fujimori.
Sept ans plus tard, le parquet général engageait enfin une procédure
judiciaire contre le satrape, visé par plus de 2000 plaintes pour
stérilisations forcées.
Ce 1er mars, l’accusation a présenté des preuves accablantes, propres à
établir l’existence d’une politique d’Etat criminelle, délibérée, cousue
d’objectifs annuels et de vertigineux quotas. Pour l’anthropologue
Alejandra Ballón, ces stérilisations forcées relèvent bien d’une politique de
« violence sexuelle » : « C’est le crime de guerre le plus grave que l'État
péruvien ait commis contre les femmes autochtones dans le contexte du
conflit armé interne » des années 90. Une page lugubre de la « sale
guerre » conduite par l’Etat péruvien contre les populations rurales et
indigènes, au nom de la lutte contre la guérilla maoïste du Sentier
lumineux. Prises entre deux feux, au moins 70.000 personnes ont été tuées
dans cette confrontation. Dans leur immense majorité, des paysannes et des
paysans de langue quechua, vivant dans les replis enclavés des Andes.
Rosa Moussaoui