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Vous êtes récemment intervenu sur les sociétés de projets lors d’un
atelier organisé par l’ANAJ-IHEDN. En quoi ces sociétés consistent-elles
?
Cela dépend de ce que l’on entend par avancée. L’externalisation n’est pas un
processus neuf pour le ministère de la Défense, mais c’est la première fois que le
ministère vend des équipements militaires pour les relouer ensuite.
Progressivement, le ministère se dirige vers l’idée qu’il ne peut plus être pleinement
propriétaire de ses materiels et qu’il doit les louer. C’est un élément que l’on voyait se
dessiner depuis 2003 avec la stratégie ministèrielle de réforme, les pactes successifs
d’externalisation et la prise d’ampleur du Partenariat Public Privé. En 2012, on pensait
Par contre la philosophie est novatrive. On dit à des armées qui ont vécu pendant 200
ans sur un modèle étatisé que l’Etat ne peut plus tout faire, qu’il ne va plus tout faire
et que l’on va devoir solliciter le secteur privé. Ce changement s’opère par petits pas
avec des accélarations, des ruptures, puis de nouvelles accelérations. La constante
c’est bel et bien le passage du patrimonial au locatif. Puisqu’on ne peut plus tout faire
soi-même, il faut déléguer. C’est le vieil arbitrage économique « faire ou faire faire ».
Cela nous renvoie à la théorie des firmes : qu’est-ce que j’internalise, qu’est-ce que
j’externalise ? C’est un sujet que la théorie économique avait envisagé plutôt pour
les firmes et qui, en fin de compte, s’applique également aux administrations, pour
lesquelles se pose exactement la même question – à commencer par le ministère de la
Défense.
Au-delà de ça, la difficulté rencontrée par le ministère de la Défense est que les
projets lancés ne se sont pas inscrits dans une vision stratégique à moyen ou long
terme. De 2002 à 2012, aucun ministre n’a réellement proposé une vision claire à 10
ans de l’outil de défense, avec une feuille de route et une liste de projets
d’externalisations.
Aujourd’hui, on se rend bien compte que l’on revient bon gré mal gré à un partenariat
avec le privé et il faut absolument que cela s’assortisse d’un véritable cap stratégique
si on ne veut pas retomber dans les mêmes errements.
Depuis très longtemps DCI propose des formations à l’usage des armées des pays
amis et ce en bonne intelligence avec le ministère de la Défense et le Quai d’Orsay. De
ce point de vue, c’est une bonne chose que DCI soit détenue à 49,9 % par l’Etat. Cela
lui permet d’inscrire son activité dans un cadre para-étatique et de faire figure de
tiers de confiance entre l’Etat et des pays amis.
Pour ce qui est des ESSD françaises (pour moi DCI n’est pas une ESSD) qui se
positionnent sur de la formation, elles imitent le modèle de DCI sans pouvoir se
prévaloir d’une quelconque caution étatique. C’est potentiellement là une source de
dérives et il faut être vigilent.
Il est vrai que les ESSD françaises ont besoin de renforcer leur modèle économique.
Pour cela, elles doivent se diversifier et s’inspirer de ce qui marche. La formation fait
partie de ces activités rentables et lucratives. Les ESSD à la française, 10 ou 15 ans
après leurs consœurs anglos-saxonnes, s’intéressent à ces activités rentables.
Si Balckwater s’appelle aujourd’hui Academi, c’est bien parce que la formation est une
activité centrale. La véritable différence est que DCI n’est pas une ESSD dans le sens
où elle ne fournit pas de prestations de sûreté à l’international et où elle peut se
prévaloir d’un lien étroit et historique avec les armées françaises. DCI est plus qu’un
Les entreprises du secteur auraient souhaité que DCI intégre le Club des
Entreprises Françaises de Sûreté à l’International (CEFSI) mais il n’en a
rien été. Comment expliquer ce refus? Quid alors du rassemblement du
marché français ?
De mon point de vue – et cela n’engage que le chercheur – DCI n’avait pas intérêt à
rejoindre le CEFSI. Cela aurait créé de la confusion et brouillé l’image de DCI très
éloignée de l’univers des ESSD françaises.
Sur la question du rassemblement des ESSD françaises sous une seule banière, il y a
un aspect très français puisque les ESSD françaises, à l’inverse des entreprises anglo-
saxonnes, n’ont pas pu se développer sur le territoire national dans le cadre de grands
contrats étatiques. L’Etat ne leur a jamais fait confiance et elles se sont positionnées
sur le marché des relations privé-privé classiques.
On a aujourd’hui un secteur français des ESSD qui pèse assez peu et qui,
contrairement au secteur anglo-saxon, est très atomisé.
Pendant très longtemps, c’est la société Geos qui était très en avance sur ses
concurrentes. Aujourd’hui, c’est plutôt Risk & Co qui a le vent en poupe. Cela
s’explique principalement par l’entrée dans la société d’un fonds d’investissement,
Latour capital, qui permet la réalisation d’opérations de croissance externe.
Mais cela m’inspire deux remarques. Tout d’abord, la faible part de la croissance
organique dans la croissance des ESSD. Ces entreprises ont du mal à croître sur le plan
organique car il n’y a pas l’espace économique pour le faire.
D’autre part, même à l’issue d’opérations de croissance externe le chiffres d’affaires
des grosses ESSD françaises reste deux-tiers inférieur en moyenne à celui de leurs
consoeurs britanniques.
Deuxièmement, la question de l’armement des personnels des ESSD peut être très
problématique. Les appels d’offres de l’Union européenne pour la sécurisation de ses
missions dans des zones à risques, par exemple, sont trop rarement remportés par des
entreprises françaises, en particulier parce qu’elles ne sont pas en mesure de
proposer des solutions jugées satisfaisantes par la Commission européenne sur le
plan de l’armement. Les entreprises françaises sont contraintes par la legislation
française sur la possession et le transport d’armements et ce sont les Anglais qui le
plus souvent, remportent tous ces contrats. On assiste donc à une situation un peu
ubuesque où des ESSD françaises ouvrent des filliales en Irlande ou en Grande-
Bretagne et font porter leurs réponses aux appels d’offres européens par ces filliales.
Il y a un problème. La logique voudrait que l’on ait un secteur français structuré,
appuyé par une politique étatique volontariste, et que ses entreprises puissent
accompagner les grands groupes français à l’international.
Enfin, depuis à peine un an, Laurent FABIUS a lancé une politique de diplomatie
économique, à travers notamment la création d’une structure dédiée au sein du
ministère des Affaires étrangères. Il a également œuvré à faire changer la manière
dont les diplomates abordent la question et a nommé des ambassadeurs issus du
secteur privé. Une conclusion s’impose donc : il faut pouvoir s’appuyer sur les ESSD
françaises et donc créer des liens avec elles. La nouvelle Direction des entreprises et
de l’économie internationale travaille ainsi avec certaines ESSD, mais le marché
demeure insuffisant et l’on voit notamment de grands groupes français recourir à des
prestataires étrangers malgré le pillage économique et « informationnel » que cela
peut engendrer.
Sur le plan intellectuel, je souscris totalement à cette analyse mais, sur le plan
pratique, il s’avère parfois difficile pour les ESSD françaises, qui ont des moyens
limités, de répondre dans l’urgence aux besoins, et ce de l’aveu même des directeurs
sûreté de certaines entreprises du CAC 40.
Les Anglais ont compris avant les Français que s’adresser à des entreprises en tant
que prestataire de services de sûreté implique d’adopter le langage du monde des
affaires dans son intégralité. Côté ESSD françaises, le cordon ombilical avec le monde
de la défense n’a pas été totalement coupé, ce qui n’est pas un mal en soi mais qui
peut aussi présenter des difficultés en termes d’adaptation au monde de l’entreprise
et à ses codes.