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LA PRATIQUE DU GOÛT : DE PIERRE BOURDIEU À ANTOINE DE

COURTIN

Erec R. Koch

Presses Universitaires de France | « Dix-septième siècle »

2013/1 n° 258 | pages 45 à 54


ISSN 0012-4273
ISBN 9782130617990
DOI 10.3917/dss.131.0045
Article disponible en ligne à l'adresse :
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28 janvier 2013 - Revue n 258 - Collectif - Revue du 17e siècle - 155 x 240 - page 45 / XXX

La pratique du goût :
de Pierre Bourdieu à Antoine de Courtin

Maintes fois dans La Distinction : Critique sociale du jugement, Pierre Bourdieu


cite le xviie siècle en tant que modèle de la culture d’élite, modèle qui se pour‑
suit jusqu’à nos jours. Le siècle « classique » est essentiel pour comprendre chez
Bourdieu le développement de son concept du goût et sa critique tranchante de
Kant et de l’idéal kantien normatif, que l’Allemand limite au plaisir désintéressé
devant toute création d’art. Bourdieu redonne au goût une signification plus éten‑
due : il en relève la présence dans presque toute interaction, toute transaction de la
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vie quotidienne. Le goût devient ainsi une modalité de la notion féconde d’habi‑
tus ; c’est‑à‑dire, une disposition sociétalement inculquée, source d’actions, de
perceptions, de comportements et d’appréciations. Dans La Distinction, l’une des
intuitions clefs de Bourdieu découle du glissement qu’il fait subir au goût, d’une
faculté de discernement (faculté qui, historiquement, a résisté à toute définition
précise et qui se résume par le « je ne sais quoi ») à une disposition qui génère des
actions et des réactions attendues par la société. Le goût se révèle donc comme une
pratique incarnée qui exige un espace social et physique pour sa performance : elle
est jouée par le corps et s’y inscrit. On met en relief de cette façon non pas ce que
sont le goût et le bon goût en tant qu’abstractions, mais plutôt comment ils sont
mis en scène dans un endroit et un milieu spécifiques. Je me propose par la suite
de dessiner la façon dont l’analyse de Bourdieu illumine l’inflexion problématique
du goût au xviie siècle en examinant l’exemple du Nouveau traité de la civilité qui
se pratique en France parmi les honnêtes gens, texte capital d’Antoine de Courtin. À
première vue, on sera peut‑être surpris par l’ouvrage choisi pour illustrer la ques‑
tion du goût, mais je compte montrer en recourant à Bourdieu qu’en effet ce traité
est exemplaire, puisqu’il explique le goût en s’appuyant précisément sur la perfor‑
mance normative sociale.
Un résumé succinct de l’analyse du goût faite par Bourdieu nous aidera à en
suivre l’application à la culture française du xviie siècle. Comme nous l’avons déjà
vu, Bourdieu conteste la vénérable tradition esthétique de Kant codifiée dans
la Critique du jugement. Les principes fondateurs de l’esthétique kantienne sont
doubles : d’abord, l’intellectualisation de l’expérience esthétique, terrain mitoyen,
pour ainsi dire, entre le camp sensualiste anglais de Hutcheson (1694‑1746),
Hume (1711‑1776) et Burke (1729‑1797), et celui des rationalistes allemands,
XVIIe siècle, n° 258, 65e année, n° 1-2013
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dont Leibniz (1646‑1716) et, surtout, Wolff (1679‑1754) et Baumgarten


(1714‑1762) ; ensuite, la séparation voulue entre le jugement du goût, d’une
part, et l’agréable et le bon, de l’autre. Pour Kant le goût normatif, ou « vrai »,
règne sur une expérience pure, désintéressée, universelle, expérience de la forme
seule, ce qui permet à l’appréciation et à la création de s’établir dans le domaine
de l’imagination plutôt que dans celui de l’expérience « réelle », « quotidienne ».
Cette appréciation kantienne crée une frontière infranchissable, bannit toute
autre forme d’expérience, comme si l’encadrement de l’objet d’art, la bordure qui
le sépare du « réel », du monde socio‑économique, représentait aussi un divorce
irrévocable d’avec les sentiments qui nous plongent dans les préoccupations socia‑
les de tous les jours.
Pierre Bourdieu met en doute cette narration téléologique. Par des recensements,
des sondages et les analyses sociologiques qui en dérivent, il met en lumière la désa‑
grégation de la distinction érigée par Kant entre le sensuel ou l’agréable non norma‑
tifs et les modalités du goût normatives, sublimées, intellectuelles. Plusieurs principes
importants se dégagent de la critique de Bourdieu. Premièrement, il démontre que
la prétention kantienne d’universalité pour les jugements esthétiques du goût n’a
pas cours dans l’expérience concrète des classes sociales. En fait, le goût change de
nature d’une classe à l’autre. Autrement dit, les objets que l’on trouve beaux diffèrent
non seulement selon la classe sociale, mais même leur statut d’objets authentiques
de l’expérience esthétique varie aussi. Sans surprise donc, le goût grand‑bourgeois et
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aristocratique se conforme à l’idéal kantien, tandis que celui des classes inférieures
assume progressivement des formes moins « encadrées », « désintéressées ». Ainsi, par
exemple, dans la classe ouvrière ne considère‑t‑on la photo comme « belle » que dans
la mesure où elle est reconnaissable et qu’elle s’imprègne d’une « fonctionnalité »
compatible avec le monde social environnant en prenant une inflexion éthique. Dans
sa préface à l’édition anglaise de La Distinction, Bourdieu précise succinctement qu’il
essaiera de donner une « scientific answer to the old questions of Kant’s critique of
judgment, by seeking in the structure of social classes the basis of the systems of
classification which structure perception of the social world and designate the objects
of aesthetic judgment1 ». La graphie « systems » (au pluriel) semble tenir compte des
variétés multiples et socialement dérivées du jugement esthétique.
Il est significatif également que, s’éloignant du credo kantien, Bourdieu théorise
la possibilité que le même mécanisme structure la « perception du monde social »
et « les objets du plaisir esthétique », ce qui nous amène à ma seconde observation.
Dès les premières pages de son étude, Bourdieu affirme que, sans la formation inin‑
terrompue depuis le xviie siècle d’une noblesse culturelle, la doctrine esthétique kan‑
tienne moderne ne serait pas si florissante aujourd’hui en France2. Bourdieu ajoute
ailleurs que le « le regard esthétique pur » et désintéressé est une invention historique
(et, en plus, assez récente) due à la transformation, au xixe siècle naissant, de l’œuvre
d’art en objet de contemplation ; c’est‑à‑dire, dès le moment où les œuvres d’art se

1.  Pierre Bourdieu, préface à l’édition en langue anglaise, Distinction: A Social Critique of the
Judgment of Taste, trad. Richard Nice, Cambridge, MA, Harvard University Press, pp. xii‑xiv.
2.  Pierre Bourdieu, « Introduction », La Distinction : critique sociale du jugement, Paris, Éditions de
Minuit, 1979, p. ii.
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voient attribuer cette étiquette socialement instituée3. La thèse de Bourdieu est que,
même sous ses formes kantiennes les plus pures et les plus raffinées, le goût n’est
jamais tout à fait désintéressé. Nous l’avons déjà constaté plus haut dans l’exemple de
l’esthétique populaire qui n’hésite pas à faire cohabiter l’agréable et le bon avec l’art,
mais l’intérêt s’étend aussi à tous les objets du goût, quels qu’ils soient. Vu la diver‑
gence des goûts selon les classes, il y a aussi une différence notable dans le choix des
objets de consommation culturelle. Le goût, modalité de l’habitus, est une disposi‑
tion et un principe génératifs de perceptions, de comportements et d’actions qui sont
modelés socialement, pédagogiquement, et qui fondent les choix culturels : le goût
fonctionne en tant que base de classement à la fois des objets et des sujets. Il n’est
jamais purement désintéressé, mais à tout le moins sert‑il à exprimer l’appartenance,
ou bien, peut‑être, l’aspiration, à une classe sociale. Aucun objet de consommation
culturelle ne trahit plus efficacement le rang social du sujet, selon Bourdieu, que les
objets d’art ; c’est‑à‑dire, la gamme socialement variable des objets ciblés par les juge‑
ments du goût4. Dans ce domaine, le goût confirme la distinction sociale véritable5.
D’une manière qui rappelle la culture dix‑septiémiste, Bourdieu affirme que l’idéolo‑
gie sous‑tendant la classe dominante naturalise une telle distinction, « convertissant »
ainsi « en différences de nature des différences dans les modes d’acquisition de la
culture »6. Cette différenciation entre les cultures haute et basse dicte « la fonction
sociale de légitimation des différences sociales7 ». Le goût est intéressé dans la mesure
où il affirme « un rapport social d’appartenance et d’exclusion8 ».
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Suivant ce second principe, Bourdieu affirme que la consommation culturelle unifie
toutes les formes du goût (qu’on les traite d’agréable, morale ou esthétique d’après le
classement de Kant) et que toutes sont sujettes à des normes, qui peuvent varier selon la
classe sociale. Le goût entre en jeu non seulement pour les objets d’art, mais aussi pour
la gamme entière des objets de consommation culturelle : cuisine, vêtements et décora‑
tion, bric‑à‑brac, comportements, conduite et actions, enfin, tout ce qui fait partie de
ce qu’on appelle « mode de vie ». Bourdieu note que la classe privilégiée est plus encline
à considérer ces objets comme des objets esthétiques au sens kantien (car la perspective
esthétique est aristocratique), mais il n’en reste pas moins vrai que les jugements du
goût dépassent les frontières de l’art proprement dit9. Cette observation commence à
ébranler l’opposition kantienne entre « le goût sensuel » et celui « réfléchi », aussi bien
que l’incompatibilité de l’esthétique avec le moral, l’agréable et l’éthique. C’est pour
cette raison que Bourdieu prétend que l’esthétique constitue « la rationalisation d’un

3.  Pierre Bourdieu, « The Field of Cultural Production, or : The Economic Reversed », trad. Richard
Nice, Poetics, 12 (1983), pp. 311‑356 (p. 317). Voir également l’article de Meyer Howard Abrams qui
relève les conditions sociologiques aux xviiie et xixe siècles qui ont rendu possible la constitution de l’art
en tant que domaine esthétique (M. H. Abrams, « Art‑as‑Such: the Sociology of Modern Aesthetics »,
Doing Things with Texts: Essays in Criticism and Critical Theory, New York and London, Norton and
Company, 1989, pp. 125‑58).
4.  Pierre Bourdieu, La Distinction, p. 19.
5.  Ibid., p. 64‑65.
6.  Ibid., p. 73. Voir également : Norbert Elias, The Civilizing Process: The History of Manners, trad.
Edmund Jephcott, vol. 1, New York, Urizen, 1978, pp. 70‑84.
7.  Pierre Bourdieu, op. cit., p. viii.
8.  Ibid., p. 585.
9.  Ibid., pp. 34, 40‑44.
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ethos10 » – du fait, par exemple, de son rejet implicite du plaisir de concupiscence bas,
crasse et populaire : « L’analyse kantienne du jugement de goût trouve son principe
réel dans un ensemble de principes éthiques qui sont l’universalisation des dispositions
associées à une condition particulière11. »
La révolution du concept du goût opérée par Bourdieu tient davantage d’un
retour aux sources que d’un chamboulement radical. Un premier symptôme
en serait la place qu’occupe, dans l’analyse de Bourdieu, le xviie siècle français,
période qui revient à des moments critiques de La Distinction et d’autres écrits.
Ce siècle semble être à la fois le modèle et l’origine de la modalité particulière de
la culture élevée, élitiste et « distinguée » que Bourdieu introduit dans ses études.
Hier comme aujourd’hui, la culture aristocratique se fonde sur la distinction de
son goût naturalisé. Le recours fréquent de Bourdieu au xviie siècle ne se fait pas
que comme un retour aux sources et aux origines de la culture contemporaine ;
ce balancement veut en plus souligner que le drame socio‑culturel contemporain
renoue avec celui du passé.
Dans l’immédiat, le plus important est de noter que Bourdieu élargit la gamme des
objets de goût et des performances du goût pour y comprendre des champs que Kant
relègue aux catégories de l’agréable et du bon. Pareillement, au xviie siècle, le goût
ne fait pas de différenciation entre, d’une part, les objets d’art et, de l’autre, le plaisir
sensuel, l’agréable, ou bien les activités sociales et leurs objectifs. Le clivage entre le
monde de l’art et celui du « réel » n’existe pas encore, du moins, pas le clivage esthé‑
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tique que nous reconnaissons aujourd’hui. J’ai soutenu ailleurs qu’au même moment
où les historiens des idées notent que le goût figuratif ou intellectualisé commence à
se manifester (seconde moitié du xviie siècle), on constate simultanément un rayonne‑
ment extraordinaire de livres de cuisine et de discours sur les plaisirs sensuels, agréables,
alimentaires, lesquels semblent suivre un itinéraire parallèle à celui du goût figuratif
et donnent lieu, significativement, à la même espèce de débat vigoureux sur les nor‑
mes12. On fait peu de différence dans les appréciations du goût soit au mode sensuel,
terre à terre, soit au mode intellectuel, raffiné, différence, si elle existait, qui justifierait
la dichotomie qui rend possible l’esthétique kantienne. Pour atteindre la distinction
sociale, il s’agit d’observer un ensemble de normes du goût dans des champs passant des
aliments à l’art, mais aucune division insurmontable ne s’établit entre l’art et les plaisirs
agréables élémentaires telle la gastronomie. D’ailleurs, les appréciations de cette espèce
sont toujours intéressées : l’œuvre d’art, comme tout autre objet de consommation,
offre un profit de prestige tant au créateur qu’au consommateur. N’importe quel objet
devient donc source d’une valeur symbolique forcément intéressée.
Revenons, pourtant, au point de départ de l’analyse de Bourdieu. Le xviie siècle
a été témoin d’une véritable explosion de manuels de politesse et de distinction. Au
long du siècle, ces ouvrages tendent à mettre la pratique toujours plus en relief. Dans
les écrits les plus anciens, tel L’Honnête Homme, ou l’Art de plaire à la cour (1630)
de Nicolas Faret, on assignait le premier rôle à la formation de l’intellect et de ses

10.  Ibid., p. 576.


11.  Ibid., p. 577.
12. Erec R. Koch, The Aesthetic Body: Passion, Sensibility, and Corporeality in Seventeenth‑Century
France, Newark, University of Delaware Press, 2008, pp. 179‑234.
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facultés, mais, plus tard, on insiste bien davantage sur l’entraînememt du goût. La
mise en scène d’actions et de comportements illustrera mieux les préceptes du goût
dans des manuels plus récents pour aboutir, vers la fin du siécle, à l’exemple du
manuel de Courtin. Composé à l’apogée du débat sur le goût et les bienséances, le
Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens est un
échantillon représentatif de ces considérations sur le goût dans un contexte social
donné. Courtin s’intéresse à l’éducation des « personnes de goût13 », formule qu’il
fait alterner avec les « honnêtes‑gens » pour désigner les modèles de civilité à imiter.
Le manuel de Courtin se concentre sur le corps et ses gestes. Il énumère, dans des
situations sociales précises, des recommandations touchant les actions, comportements
et affects convenables qui cernent, en tout et partout, ce que l’on entend par le goût ; il
se défend de définir le goût parce que c’est une disposition qui génère une gamme éten‑
due de pratiques sociales plutôt qu’une faculté autonome, encore moins une faculté
visant exclusivement les objets esthétiques. Courtin focalise son discours éducatif sur la
pratique, l’inflexion du corps dans des situations sociales spécifiques et sur la maîtrise
calculée des actions jusqu’au moindre geste. Dès l’avertissement, Courtin annonce au
lecteur qu’il va considérer « la pratique & le detail particulier de la bienséance14 » ;
quitte, pour qui le veut, à chercher ailleurs « [la] théorie & les principes generaux de
la Civilité15 ». Les quarante premières pages (à peu près le dixième du texte) passent
en revue les qualités morales nécessaires à la civilité : à savoir, modestie, humilité et
respect, mais Courtin laisse entendre que la civilité est moins l’effet d’une formation
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basée sur les exercices moraux et l’ascèse que celui de l’assiduité et de la répétition ;
c’est‑à‑dire, de l’entraînement corporel ininterrompu grâce à la répétition appliquée
des mouvements prescrits. Sans tarder, Courtin nous rappelle que les actes doivent
exprimer l’humilité et la modestie du sujet. En déconseillant les exercices moraux ou
spirituels dans son manuel, Courtin paraît dégager la voie aux actions pratiques qui s’y
succèdent exhaustivement pour illustrer, dans des contextes sociaux multiples, la disci‑
pline corporelle nécessaire à l’acquisition des qualités recommandées.
Je me propose maintenant de vérifier comment, chez Courtin, le goût peut se
réduire à une suite d’actions en examinant la plus normative de celles‑ci : la façon de
se tenir à table au cours du repas. J’espère laisser voir aussi, en passant, que l’ordre
chronologique inversé de mon titre n’est pas un caprice anachronique mais, au
contraire, la redécouverte du goût, tel qu’il fut originellement formulé dans les dis‑
cours de l’époque classique. Ce faisant, j’emboîte le pas aux remarques perspicaces
de Michael Moriarty sur la matière. C’est lui qui a éclairé avec élégance les façons
dont les idéaux de bon goût et d’honnêteté deviennent à peu près synonymes : le
goût devient, comme il le dit, un moyen d’introduire la culture dans le train de vie
de la noblesse à la place de l’éthique militaire et politique traditionnelle ; il fait naî‑
tre « un discernement du “bien” et du “mal” dans divers domaines sociaux16 ». De

13.  Antoine de Courtin, Nouveau traité de la civilité qui se pratique en France parmi les honnêtes gens,
Paris, H. Josset, 1671, p. 251.
14.  Ibid., p. 11.
15.  Ibid., p. 12.
16.  Michael Moriarty, Taste and Ideology in Seventeenth‑Century France, Cambridge, Cambridge
University Press, 1988, pp. 82 et 55.
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même Jean‑Pierre Dens fait‑il remarquer que « [le bon goût], emblème et point de
ralliement de l’honnête homme, [...] est la marque suprême d’un raffinement acquis
et d’une appartenance sociale17 ». Et j’ajouterais que le goût devient aussi un « acte »
plutôt qu’une « réflexion » ou un « sentiment » : le goût est mis en scène.
Mis en vente pour la première fois en 1671, le Nouveau traité de la civilité qui se pra‑
tique en France parmi les honnêtes gens fut réimprimé bien des fois au long du siècle et
même au siècle suivant. Une version anglaise parut peu après la première édition fran‑
çaise. Le manuel a pour but d’enseigner les principes de comportement et de conduite
de l’honnête homme (de la personne de bon goût) dans toutes les circonstances sociales
où il pourrait se trouver. On atteint le statut de personne de bon goût en se comportant
d’une certaine manière attendue, en exécutant des actes conventionnels et convenus.
Comme je l’ai déjà fait remarquer, ce manuel de civilité et de bon goût se focalise
sur la conduite. L’ouvrage définit le mot « goût » de la même manière que Balthasar
Gracian qui insiste sur son étymologie originelle de tact ou de propriété, autrement dit,
de stratégie sociale18. Le traité mène le lecteur d’abord à une suite de considérations
sur le comportement, les vêtements, la conversation raffinée, pour l’introduire ensuite
aux situations sociales les plus fréquentes où il pourrait se trouver engagé : réceptions,
visites, chasses, promenades en carrosse. On met en relief, avant tout, les règles de
sociabilité en présence d’un notable de rang supérieur, mais ce n’est pas là l’orientation
exclusive du traité. En avertissant le lecteur de ce qu’il faut faire (ou ne pas faire) dans
les réunions socialement significatives (et cela des points de vue tant linguistique que
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gestuel), Courtin révèle comment on doit maîtriser normativement et le corps et la
conversation d’une façon compatible avec la convenance.
La dédicace au duc de Chevreuse est un exemple en action de cette politesse et de
cette civilité prescrites si souvent dans l’ouvrage. Courtin y fait l’éloge du dédicataire
en tant qu’homme de guerre et de goût, ce qui greffe l’idée plutôt contemporaine de
civilité sur le vieil idéal de noblesse. Le duc de Chevreuse offre un exemple à imiter
à l’auteur autant qu’au lecteur. Certes, ce noble distingué n’aurait rien à apprendre
en lisant le texte de Courtin ; tant les normes de la bienséance, le respect des règles
de la propriété sont naturels à un homme de distinction et de bon goût comme
lui. Nous sommes invités implicitement à relever dans ses actions, comportement et
attitudes des exemples de civilité et de bon goût. Le livre a pour but d’automatiser
chez le lecteur ces actions habituelles (jusqu’aux plus insignifiantes) qui feraient de
lui un homme de bon goût et de distinction grâce à cette pratique performative.
Ces prescriptions se transforment en parties intégrantes d’une discipline de civilité
corporelle : au moyen de répétitions, elles inculquent les réflexes de certains com‑
portements et attitudes. Autrement dit, Courtin ne nous conseille pas ce que nous
devrions penser, ce que nous devrions sentir, comment nous devrions diriger notre
conscience ou notre jugement, mais, au contraire, ce que, concrètement et méthodi‑
quement, nous devrions faire. Le texte se déroule comme une suite de mouvements

17.  Jean‑Pierre Dens, L’Honnête Homme et la critique du goût : esthétique et société au xviie siècle,
Lexington, KY, French Forum, 1981, p. 89.
18.  Jeffrey Barnouw, « The Beginnings of “Aesthetics” and the Leibnizian Conception of Sensation »,
dans Paul Mattick, Jr. (ed.), Eighteenth‑Century Aesthetics and the Reconstruction of Art, Cambridge,
Cambridge University Press, 1993, p. 54.
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de ballet soigneusement répétés, de gestes et de comportements à imiter sans la moin‑


dre improvisation. Dans ce qui suit, nous allons nous limiter à la scène de celui qui
est invité à dîner chez un noble. Depuis les recherches de Norbert Elias sur les bonnes
manières, la table est devenue le lieu exemplaire où se joue la représentation sociale
du processus civilisateur. Comme l’a noté Claudine Marenco, à partir du xviie siècle,
« la table va dorénavant participer au processus de façonnement des mœurs de “civi‑
lisation” [...] qui a défini les codes du savoir‑vivre19 ».
Pour Courtin, le déroulement réussi du repas dépend de l’observation stricte
d’une suite ne varietur de gestes, de comportements et d’actions, laquelle débute dès
que l’on entre dans la résidence d’un être socialement supérieur. Les prescriptions de
Courtin, qui commencent depuis le pas de la porte, traitent ensuite de la place où
devrait s’asseoir l’invité, des divers services qui composent le repas et enfin des déve‑
loppements imprévus qui pourraient arriver à table. Le comportement de l’invité
est censé faire preuve de « naturel » (lequel dénote l’humilité) et, en même temps,
éviter toute modalité hyperbolique, excessive. Par exemple, le chapitre en question
commence par prescrire certaines actions tout en les circonscrivant : en se lavant
avant le repas, on ne devrait pas avoir la hardiesse de le faire en présence de son hôte
si celui‑ci est d’un rang supérieur – à moins qu’il ne vous y invite ; puis, on devrait
passer la serviette au laquais – sans qu’elle ne frôle les mains du maître. En l’absence
du laquais, on devrait se contenter de garder la serviette jusqu’à ce qu’un serviteur
paraisse pour vous en défaire20.
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Le placement à table se fait, lui aussi, conformément à des conventions fixes : on
s’assied comme l’a désigné l’hôte, ou, à défaut d’instructions, au bas de la table en
guise d’aveu modeste de son rang social moins illustre. On nous avertit de ne pas
remettre le chapeau avant de s’asseoir ou avant que l’hôte ne l’ait fait ; on doit garder
son habit et son épée à table, comme le veut la bienséance21. Une fois assis, « il faut
tenir le corps droit sur son siege, & ne mettre jamais les coudes sur la table22 ». Les
indications concernant le positionnement du corps, ses actions et poses expriment
toutes l’humilité, la déférence et le respect et impliquent une limitation de mouve‑
ment jugée « naturelle » aussi bien que « convenable ». La notion de contrainte est
signifiée par l’intitulé de la seconde partie qui traite du service et de la consommation
à table : la prescription principale est de modérer l’appétit, tout comme on modère
les gestes. La dernière recommandation sert de transition rhétorique à l’analyse du
propre et de la propriété considérés, avant tout, comme des moyens pour esquiver
la modalité des excès corporels. Si l’ornementation excessive émousse un discours,
détraque une présentation, ou dérègle un banquet, il en est de même des gestes,
poses, comportements et actions exagérés qui signalent une impropriété, une absence
de civilité et d’honnêteté.
Courtin continue par étoffer le détail de ces mouvements et comportements à
mesure que la « comédie » de la civilité se déroule devant le lecteur. On exprime

19. Claudine Marenco, Manières de table, modèles de mœurs : xviie‑xxe siècles, Cachan, Éditions de


l’ENS‑Cachan, 1992, p. 10.
20. Courtin, op. cit., p. 161.
21.  Ibid., pp. 161‑162.
22.  Ibid., p. 162
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52 La pratique du goût : de Pierre Bourdieu à Antoine de Courtin

la discrétion en restreignant les mouvements et les poses, ce qui met en relief la


propriété de l’« acteur ». Courtin se plaît à décrire par le menu comment, appelé
à servir un mets à d’autres convives, l’invité doit procéder : « Si on sert, il faut
toujoûrs donner le meilleur morceau & garder le moindre », pour passer ensuite à
des considérations sur les tranches à réserver aux autres ou à s’attribuer23. Outre ces
observations sur les tranches de bœuf, de veau et de porc, Courtin introduit une
différenciation des plus délicates entre les oiseaux qui marchent et courent (les ailes
sont de loin les meilleures) et ceux qui volent (dans ce cas, offrir les cuisses)24. Au
lieu de nous présenter une définition résultant d’une division, Courtin nous four‑
nit une prescription fondée sur la divisibilité : il amplifie le nombre de variables
grâce aux ramifications de possibles et de choix hypothétiques qui détermineront
les actions. Courtin fait assister le lecteur aux étapes cérémoniales de tout le repas :
comment il faut annoncer que celui‑ci est servi ; quand il faut enlever le chapeau
(ou non) ; servir autrui (ou non) ; de quels ustensiles se servir ; lesquels il faut net‑
toyer ostensiblement avant de les utiliser (ou après), etc. De toute évidence, chaque
geste comporte une signification sociale, depuis le choix du morceau jusqu’au posi‑
tionnement du corps à table ; chaque geste est un indice de bon goût (ou de son
absence) ; chaque geste et sa suite sérielle contribuent au façonnement volontaire
de l’invité en personnage de goût et de distinction.
Les prescriptions créent une suite de mouvements et de positionnements du
corps qui expriment la déférence, l’humilité, la politesse en même temps qu’un
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« naturel » joué qui se conforme à la civilité ; toutes choses qui ont leur mot à dire
sur la « qualité » de l’acteur. On n’est pas ce que l’on mange mais plutôt ce que l’on
fait en mangeant ; chaque geste est un indicateur de bon goût et de distinction. Les
prescriptions n’impliquent pas seulement un réglage du mouvement corporel mais,
encore plus, une limitation du mouvement et un ordre sériel qui réduisent l’acti‑
vité du corps à des attitudes confinées à l’espace circonscrit qui lui a été assigné à
la table ; espace modique qui n’excède pas les cloisons de sa « place » (physique et
sociale) et n’attire pas le regard d’autrui par son excès. Cette notion de restriction,
de confinement des mouvements corporels est illustrée surtout par des injonc‑
tions négatives visant la suppression de jaillissements et d’excès spatiaux dont serait
capable le corps humain. Par exemple, Courtin rappelle au lecteur que la langue,
si essentielle à la conversation polie et modérée, ne devrait pas se précipiter hors
de la bouche pour lécher doigts, fourchette, couteau ou cuiller25. De semblables
expulsions de nature explosives sont également condamnées par rapport à d’autres
organes ou orifices : tout comme Érasme l’avait fait en s’adressant à son jeune lec‑
teur dans De Civilitate morum puerilium, Courtin conseille au sien de ne jamais
cracher ni de se moucher à table (éructer et péter ne trouvent pas grâce non plus
chez notre auteur). Idem : ne pas souffler à table sur les assiettes pour épousseter
ou nettoyer votre truffe, car vos exhalaisons sont aptes à dégoûter d’autres convi‑
ves. Si l’on doit se débarrasser d’un morceau brûlant que l’on a déjà mis dans la
bouche, il ne faut le cracher ni sur la table ni par terre « comme si on vomissoit » ;

23.  Ibid., pp. 163‑164.


24.  Ibid., p. 164.
25.  Ibid., p. 174.
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Erec R. Koch 53

au contraire, mieux vaudrait mettre le morceau dans la main, puis le laisser tomber
doucement dans l’assiette qui sera emportée par le laquais26. Les « déversements »
précipités (donc, à éviter) reviennent un peu plus loin dans l’image du verre trop
rempli : « Il ne faut pas trop laisser remplir son verre, de peur d’en répandre en
le portant à la bouche27. » Outre qu’il déploie de nombreux conseils concordants
sur la modération (ne videz pas votre verre d’un trait28, ne mangez ni ne buvez à
l’excès, ne soyez ni « petite bouche » ni « insatiable »29), notre auteur nous prému‑
nit contre une nouvelle forme de déluge, verbal cette fois, en recommandant la
bonne conversation telle qu’elle émane d’une langue modérée. À table, ne permet‑
tez pas que les préférences ou les restrictions diététiques personnelles deviennent
le foyer principal de la conversation, ne demandez jamais les meilleurs morceaux
de quelque mets que ce soit30. L’invité poli ne doit critiquer ni la préparation des
plats ni les sauces, comme il ne devrait pas être le premier à demander à boire, et,
quand il demande au laquais de lui remplir son verre, il faut le faire discrètement
par un geste imperceptible. Quand on porte un toast à une personne de qualité, il
importe de lui adresser la parole à la troisième personne au lieu de la deuxième et
de se servir aussi soit de son titre complet soit de son nom de famille.
L’observation de ces recommandations garantira que les actions se conforment
aux préceptes de la civilité et aux normes du bon goût. Il est particulièrement révé‑
lateur qu’au lieu de s’arrêter sur une série de prescriptions morales, notre manuel
s’attarde à la réglementation des actions à accomplir dès le moment où l’invité arrive
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à la maison de son hôte distingué. Une économie de gestes est essentielle pour révéler
le rang social convenable de l’invité. C’est par ses actions, gestes et comportement
que l’être manifeste qu’il possède le bon goût requis en se positionnant, en servant
les autres à table, en choisissant le moment où il demande à boire ou porte un toast à
l’hôte et la façon dont il le fait, ou bien en sachant les sujets de conversation à aborder
(ou à esquiver). Plutôt qu’un indice approximatif quelconque, le bon goût est une
preuve irréfutable que l’on sait se comporter convenablement en société. D’ailleurs,
ces actions, comportements et gestes trouvent leur signification principale par rap‑
port à ce qu’ils révèlent de l’invité : son statut social d’honnête homme, d’homme de
bon goût. On le voit clairement dans la dédicace de l’ouvrage au duc de Chevreuse, le
modèle même de cette civilité qui est disséquée dans le traité. Ce serait en regardant
le duc et en imitant tout ce qu’il fait pour illustrer « la civilité, la sagesse, la douceur,
et l’honnêteté qui [lui] sont naturelles » que la lecture du manuel deviendrait super‑
flue31. On atteint le rang d’honnête homme civilisé et d’homme de bon goût en
emboîtant le pas au duc. Bref, la distinction de ce modèle est illustrée à chaque page
du livre qui énumère par le menu l’ordonnance des gestes, les comportements et les
discours dans toutes les circonstances sociales possibles, comme nous l’avons fait ici
surtout par rapport à la table.

26.  Ibid., p. 175.


27.  Ibid., p. 178.
28.  Ibid., p. 178.
29.  Ibid., p. 176.
30.  Ibid., p. 169.
31.  Ibid., p. iii.
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54 La pratique du goût : de Pierre Bourdieu à Antoine de Courtin

L’un des défis inhérents à l’analyse du goût au xviie siècle est qu’il paraît et s’exerce
dans des champs où on ne le nomme pas toujours. Pourtant, nous nous rendons
compte, du moins, que, quand nous nous trouvons devant des prescriptions et des
réglementations visant les comportements qui contribuent à la civilité, nous sommes
bel et bien arrivés au domaine du goût et de son application. D’où, encore une fois,
cette observation de Courtin que les parangons de la civilité sont tous des « person‑
nes de bon goût32 ». Le goût se réalise dans des situations qui font appel aux compor‑
tement, réactions et discours plutôt qu’à la sensibilité, et encore moins, à la sensibilité
esthétique. Comme nous le rappelle Courtin au début de son manuel, si la civilité
peut dépendre quelque peu du « for intérieur » et de ses jugements, elle ne s’actualise
qu’autant qu’elle s’extériorise dans nos comportements et notre conduite. De cette
façon seulement pourrons‑nous aspirer à nous rapprocher du modèle incarné par le
duc de Chevreuse ou, mieux, à ajouter à sa distinction.

Erec R. Koch
Hunter College of the City University of New York
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32.  Ibid., p. 251.

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