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Sociologie des organisations

TD n°1 – 12 octobre 2023


Applications de la sociologie de Bourdieu à l’étude des organisations

Centrale Casablanca – 2A Gaillaguet-Lamrani-Llored-Saunier


Au programme aujourd’hui

1. Eléments de la sociologie de Bourdieu : notions d’habitus, de champ


et de capital
2. Etude du texte sur la vulnérabilité au travail des cadres d’origine
populaire
3. Exercice de mise en pratique pour la sociologie des organisations :
questions 1.1 et 1.2 à rendre aujourd’hui ; questions 2.1 et 2.2 à
envoyer à l’enseignant encadrant le TD le vendredi 20 octobre 2023
à 12h au plus tard. La question 2.1 est en bonus pour celles et ceux
qui arriveront à la traiter durant la séance de TD
Travail à rendre à la fin de la séance (par groupe)

1. En utilisant vos recherches préliminaires et l’échange avec l’enseignant en


début de TD, expliquer, avec votre vocabulaire, les concepts de « champ »,
de « capital » et « d’habitus » proposés par Pierre Bourdieu.
Un point sera fait avec l’enseignant encadrant le groupe de TD.

2. En quoi ces concepts vous semblent-ils intéressants pour étudier les


organisations ? La réponse doit inclure les échanges sur le texte évoquant la
vulnérabilité au travail des cadres d’origine populaire.
1. Eléments de la sociologie de Bourdieu (1930-
2002) : notions d’habitus, de champ et de
capital
À partir de vos recherches préliminaires, pouvez-
vous, s’il vous plaît, expliquer ce que signifient
les notions d’habitus, de champ et de capital dans
la sociologie de Bourdieu ?
Le champ : analogie pédagogique avec la physique

S'il existe dans l'espace une répartition de charges électriques statiques, et si j'apporte en un point M une
charge d'essai q qui ne modifie pas la répartition des charges précédentes, elle subit de la part de chacune
des autres une force proportionnelle à sa propre charge q.
La résultante de toutes ces forces est donc, elle aussi, proportionnelle à q et ne dépend que de l'endroit où je
l'ai placée.

Elle s’écrit : F = k q
Notre répartition de charges a donc créé en tout point un vecteur k qui est une propriété de l’espace étudié.
Mathématiquement, quand on a ainsi un vecteur défini en tout point de l'espace, on dit que l'on a un « champ
de vecteurs ». C'est pourquoi le coefficient vectoriel k est appelé le « champ électrique » au point M.
On le note habituellement par la lettre E. Notre répartition de charges a créé en tout point de l'espace un
champ électrique E.
Une charge q placée dans une région où règne un champ électrique E uniforme subit une force :
F = qE
Champ : Analogie avec la physique

Appliquer le théorème de Gauss pour


trouver l’expression du champ E
produit par ce fil de distribution
linéique constante, fil supposé infini
La notion de champ
« Les champs sont des espaces autonomes de luttes entre dominants et dominés "pour la conservation ou la
subversion de la structure de la distribution du capital spécifique" à chaque champ. » Bourdieu P., Questions de
sociologie, les Editions de Minuit, Paris, 2002, p. 114.
Remplacer les charges par des luttes, des rapports de force, des alliances, des relations de pouvoir qui structurent
une organisation, ou un ensemble d’organisations (exemple les rapports des différentes enseignes à l’intérieur de la
grande distribution), vous avez un champ économique, ou pour une administration un champ social. Vous êtes à
l’intérieur du condensateur, à l’intérieur des plaques, de l’organisation. Vous pouvez subir aussi un champ extérieur
comme si vous étiez une charge en dehors du fil infini. Plusieurs champs peuvent interagir.
C’est une abstraction, qui permet de penser une réalité non matérielle ou du moins une réalité qui ne se réduit pas
aux éléments matériels, qui s’inscrit dans une analyse relationnelle du monde. Cette notion est liée à l’idée d’un
espace où les gens occupent des positions où s’exercent des champs de forces sociales et des configurations
d’interaction auxquels la personne est exposée et auxquels elle participe. Il y a un réseau de relations dans lequel
vous êtes plongés et que vous contribuez, par vos actions, à façonner.
La notion de champ engage « via une double analogie, à désingulariser les auteurs (simples "limailles" dans un
champ de forces) et à les resingulariser (individus dotées de capitaux, êtres pulsionnels, plus ou moins gouvernés
notamment, par une pulsion autoassertive, qui savent ce qu’il y a à faire dans ce qu’ils perçoivent comme un
champ d’actions, un champ de luttes ». Marc Joly, La sociologie réflexive de Pierre Bourdieu, CNRS Editions, Collection
« Interdépendances », Paris, 2018, p. 107-108, l’italique est utilisée par l’auteur pour marquer une insistance.
Habitus : notion bio-psycho-sociologique
« L’habitus est cette sorte de sens pratique de ce qui est à faire dans une situation donnée. » Bourdieu P., « Les
conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 45, décembre
2002, p. 5.
Cela vient du concept de « Habits » développé par le philosophe Charles Saunders Peirce. Nos vies sont
structurées par des habitudes, des régularités acquises. Bourdieu est un lecteur, très attentif, de Peirce.
Peirce considère que la fonction de la pensée par signes (linguistique) est de créer « des habitudes d’action » :
« Toute la fonction de la pensée est de produire [créer] des habitudes d’action (…). Pour développer le sens
d’une pensée, il faut donc simplement déterminer quelles habitudes elle produit, car le sens d’une chose
consiste simplement dans les habitudes qu’elle indique. L’identité [le caractère] d’une habitude dépend de la
façon dont elle pourrait [peut] nous faire agir non pas seulement dans telle circonstance probable, mais dans
toute circonstance possible, si improbable qu’elle puisse être. Ce qu’est une habitude dépend de ces deux
points : quand et comment elle nous fait agir. Pour le premier point : quand ? tout stimulus [stimulant] à
l’action dérive d’une perception ; pour le second point : comment ? le but de toute action est de produire
quelque résultat sensible [d’amener au résultat sensible]. » (Livre Comment rendre nos idées claires, 1878 ;
trad. fr. Peirce, 2002, p. 246-77).
Système de dispositions acquises à sentir, penser, parler, agir sur le vif dans des contextes donnés
requérant en particulier de la part des agents, la mobilisation d’une dose plus ou moins élevée, plus ou
moins contraignante psychiquement, de compétences réflexives et d’habitudes.
Capital
Un capital spécifique constitue le « fondement du pouvoir ou de l’autorité spécifique
caractéristique d’un champ ». La structure de sa distribution dans le champ correspondant est
le produit des luttes qui traversent ce dernier. Dr. Abdellatif Zeroual « La sociologie de Pierre Bourdieu et les
sciences de gestion », Critique économique, n°35, 2017, p. 109-127, pp. 11-112 (texte mis à votre disposition dans le dossier
OneDrive).
« Le capital correspond à une palette de biens et de compétences, de connaissances et de
reconnaissances détenues par un individu ou un groupe et dont il peut jouer pour exercer une
influence, un pouvoir, acquérir d’autres éléments de cette palette. » Marc Joly, La sociologie réflexive
de Pierre Bourdieu, op. cit., p. 136.
Capital économique : revenus, patrimoine.
Capital culturel : compétences, connaissances, biens culturels (livres, tableaux, etc.), titres
distribués par le système scolaire, importance de la famille dans son acquisition.
Capital social : ensemble des contacts et réseaux qu’un individu peut mobiliser.
Capital symbolique : prestige, aura, reconnaissance, il naît d’une perception positive des
autres capitaux et de l’image qu’ils contribuent à donner de la personne (« qui en impose »
comme on dit).
2. Etude du texte sur la vulnérabilité au travail des
cadres d’origine populaire
Extrait 1 (fin p. 308-début p. 309)

« (…) la distribution inégale des capitaux restreint l’espace des possibles de ceux
qui sont les plus mal placés dans cette distribution, les cadres transfuges sociaux.
Dans un second temps, une typologie mettra en lumière les diverses tensions
vécues par ces cadres afin de pointer les éléments qui, par-delà la diversité des
expériences, éclairent leur plus grande vulnérabilité dans le champ de
l’entreprise moderne. »
Extrait 2 (fin p. 310-début p. 311)

« Autrement dit, même s’ils se trouvent dans un espace social différent de leur
milieu d’origine, ils conservent au moins en partie, ou au moins pendant un
certain temps leurs dispositions initiales. Cette « hystérésis de l’habitus (18) »
explique leur inadaptation – souvent temporaire – au nouvel espace social dans
lequel ils se situent. En dépit de la détention du titre de cadre, ils parviennent
donc plus difficilement que les autres à s’adapter à des normes
comportementales qui sont souvent trop éloignées de leurs dispositions sociales
d’origine. »

Pouvez-vous commenter ce passage et résumer la première partie du texte (Exigences


comportementales du management moderne et « hystérésis de l’habitus ») ?
Extrait 3 : partie « Barrières sociales des réseaux de
coopération informels » (fin p. 311)

« Exception faite de ces "cadres repérés" – parmi lesquels les directions puisent
les futurs managers et les experts qui leur sont les plus précieux, les autres cadres
ont plus que jamais besoin de mobiliser leurs réseaux pour opérer des choix de
carrière les plus appropriés et accéder aux positions dominantes dans le champ
de l’entreprise. Or, selon leur origine sociale, ils ne détiennent pas les mêmes
capacités à produire et à reproduire un réseau de relations sur lequel s’appuyer
pour entrer en mobilité. Constituer ce réseau et le maintenir nécessitent la
détention de certaines "compétences sociales", c’est-à-dire de certaines
ressources dont la valeur est socialement déterminée. »

Pouvez-vous commenter ce passage ?


Extrait 4 : partie « Barrières sociales des réseaux de
coopération informels » (fin p. 312)

« Le réseau des anciens élèves d’une école permet aux cadres qui y ont accès de
conserver ou d’augmenter leur patrimoine et corrélativement, de maintenir ou
d’améliorer leur position dans le champ de l’entreprise. Le "sens des relations"
autorise donc les détenteurs d’un fort capital social d’augmenter leur capital
symbolique par le biais d’une reconversion de leur capital culturel objectivé sous
la forme d’un titre scolaire, en une autre espèce de capital, le capital social.
N’ayant souvent pas fréquenté de grandes écoles, les cadres transfuges se
trouvent de fait exclus de ces réseaux de placement. Ils critiquent d’ailleurs assez
vivement leur fondement. »

Pouvez-vous commenter ce passage ?


Extrait 5 : partie « Barrières sociales des réseaux de
coopération informels » (p. 313)

« Dans leurs propos, Gilles et Simon signifient que le diplôme, et plus


précisément l’école qui le délivre, fonctionne comme une exigence tacite
orientant plus ou moins ouvertement les choix de cooptation tout au long de la
carrière, en sorte que les cadres dépourvus de ces traits se trouvent exclus ou
renvoyés à des positions marginales dans le champ. (…) »
« La détention d’un diplôme de rang A joue un déterminant dans les carrières
car en consolidant le capital culturel et social de ces cadres, cette formation les
dote d’un capital symbolique légitimant leur position dominante dans
l’entreprise. »

Pouvez-vous commenter ce passage ?


Extrait 6 : partie « Barrières sociales des réseaux de
coopération informels » (p. 313)

« Tout au long de la carrière, l’attribution des postes répond à des logiques d’"étiquetage" en
fonction des écoles d’où les cadres sont diplômés. Or, le fait d’exiger un diplôme déterminé
sur un poste peut être une manière d’exiger en réalité une origine sociale déterminée. Au bout
du compte, ce système d’« étiquetage » et de réseaux de placement masque la segmentation
qui a lieu au sein de la population des cadres et participe pour partie à la production et à
reproduction des inégalités sociales dans le champ de l’entreprise. L’accès au statut de cadre
ne dispense donc pas les mêmes bienfaits en termes de carrière selon l’origine sociale de ses
détenteurs. Les capitaux culturel, social et symbolique des cadres transfuges circonscrivent
leur espace des possibles et agissent dans le sens d’une fragilisation à l’égard des règles du
champ dans lequel ils évoluent. Voyons à présent comment ces handicaps sociaux façonnent
leur trajectoire professionnelle, dans le sens d’une plus grande vulnérabilité au travail. »
Pouvez-vous commenter ce passage ? Que pensez-vous de cette notion d’étiquetage pour
étudier une organisation ?
Extrait 7 : partie « Cherche sa place et craindre de trahir
sa classe» (p. 314-315)

« Le premier type d’expérience concerne les transfuges marqués par leur position d’entre-
deux-classes. Tiraillés entre leur milieu d’origine et leur milieu professionnel, ces transfuges
sont profondément affectés par le déracinement qu’implique la mobilité sociale et peinent à
concilier les référents culturels et idéologiques de leurs deux groupes d’appartenance. Les
cadres de la promotion ont par exemple été nombreux à relater leurs difficultés à rompre avec
leur ancienne identité de technicien. (…) Il refuse pourtant de le mobiliser pour contacter des
personnes influentes et susceptibles de recommander sa candidature pour des projets
importants et valorisés. C’est « un principe » dit-il car, à ses yeux, « ce fonctionnement par
cooptation est profondément injuste ». Ce « principe » signe la volonté de préserver une
certaine solidarité avec son milieu d’origine. Il s’agit de ne pas rompre avec ses référents
culturels et idéologiques. »

Pouvez-vous commenter ce passage, s’il vous plaît ?


Extrait 8 : partie « Cherche sa place et craindre de trahir
sa classe » (p. 316)
« En accédant à ce nouveau statut, les cadres transfuges doivent faire l’apprentissage de codes sociaux qui leur
paraissent parfois éloignés de ceux de leur classe d’origine. La peur de trahir leur classe traverse alors leur
identité et peut, dans certains cas, se traduire par un "état de schizophrénie culturelle" ou de "névrose de classe".
Pour sortir de cette contradiction, certains d’entre eux – généralement héritiers d’une culture militante –
s’engagent dans le syndicalisme, le plus souvent au sein des organisations qui défendent des intérêts
intercatégoriels. Caractérisés par des opinions de gauche et un sentiment de proximité à l’égard des ouvriers et
des employés, ils incarnent la figure des cadres « solidaristes » analysée par Grunberg et Mouriaux. À travers cet
engagement, ils trouvent un moyen de concilier leur nouvelle position sociale avec leur milieu d’origine. Face à
un dilemme comparable à l’égard de leur multi-positionnement social, d’autres pensent à quitter leur milieu
professionnel pour intégrer un univers, qui "leur correspond davantage".
(…) "Soit tu mets un mouchoir sur ta morale et tu te conformes à la voie royale tacite, tu passes chef de projet,
puis chef de groupe, avant d’être éjecté à un poste que tu as plus ou moins choisi ; soit tu réfléchis à ce que tu
veux faire dans la vie, ce qui te plaît foncièrement."»

Pouvez-vous commenter ce passage, s’il vous plaît ?


Que pensez-vous du cas de « Gilles » ?
Partie « Se surinvestir au travail pour investir sa place »
(p. 316-318)

Pouvez-vous résumer cette partie et exprimer vos réactions à ce qui est décrit ?
En quoi ce type d’informations peut vous aider à mieux diriger une équipe ? A mieux
comprendre une organisation et son « système d’action concret » comme diraient Crozier et
Friedberg ?
Partie « Se heurter au plafond de verre » (p. 318-320)

Pouvez-vous résumer cette partie et exprimer vos réactions à ce qui est décrit ?
Qu’est-ce que la « pathologie de la promotion » évoquée par le texte en faisant référence à
certains travaux de Boltanski ? Comment faire en sorte, en tant qu’ingénieur-manageur, de
combattre cette « pathologie » pour faire mieux fonctionner l’organisation ?
Extrait 9 : partie « Conclusion » (p. 320-321)
« Si certains d’entre eux sont susceptibles de s’approprier cette vision du monde et de mettre à profit leurs
capitaux social, culturel et symbolique pour accéder aux positions dominantes, d’autres, en revanche, s’en
trouvent déstabilisés. Il existe en effet une corrélation forte entre les positions sociales d’origine des cadres, les
dispositions qui les occupent et le rapport qu’ils entretiennent avec leur activité professionnelle. La trajectoire
sociale constitue un élément extrêmement structurant du rapport au travail des transfuges sociaux. Elle façonne
tant leurs modes d’investissement que leurs perspectives de carrière et les expose à trois types d’expériences
conflictuelles : chercher leur place au risque de trahir leur classe d’origine, se surinvestir au travail pour investir
leur nouvelle position sociale et perdre cette place en se heurtant au plafond de verre. Surdimensionnant la place
du travail dans leur identité sociale, ils sont par conséquent beaucoup plus affectés que les autres cadres lorsque
leur travail et leur carrière sont mis en cause.
Cette analyse en termes de « capitaux » met donc au jour les inégales ressources dont disposent les cadres, en
fonction de leur origine sociale, pour accomplir leurs désirs professionnels, s’approprier et mettre en œuvre les
nouvelles règles du jeu managérial. Elle permet de déconstruire l’idéologie méritocratique sous-jacente au «
nouvel esprit du capitalisme». Ainsi, si la sociologie de P. Bourdieu a largement contribué à l’analyse des
inégalités sociales dans le champ scolaire, elle constitue également un apport considérable pour comprendre
autrement tant les situations d’engagement que de mal-être au travail. »
Pouvez-vous commenter ce passage, s’il vous plaît ? Que retenez-vous de ce texte ? S’il
évoque l’habitus et le capital, il n’évoque pas explicitement la notion de champ.
Comment intervient-elle pourtant dans ces études ?
3. Exercice de mise en pratique

Document fourni séparément (juste lire, s’il vous


plaît, les questions et rappeler aux élèves qu’ils
doivent rendre ce travail le vendredi 20 octobre
2023 à midi au plus tard à l’encadrant du TD en
me mettant en copie de tous les messages)

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