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31/12/2018 Les théories de la magie dans les traditions anthropologiques anglaise et française

Methodos
Savoirs et textes

2 | 2002 :
L'esprit. Mind/Geist
Analyses et interprétations

Les théories de la magie dans les


traditions anthropologiques
anglaise et française
F K

Résumés
Français English
Cet article oppose les traditions anthropologiques française et anglaise sur leur traitement du
problème de la magie, en particulier sur les deux questions que pose le phénomène de la magie :
quel type de rationalité donne à la magie son efficacité alors qu’elle ne fournit aucune prévision ?
Comment passe-t-on de la rationalité magique à une rationalité critique et scientifique ? Après un
rappel des rapports entre magie, religion et science tels qu’il sont conçus par Tylor et Frazer, on
oppose l’idée d’une plasticité des énoncés magiques en fonction des contextes pragmatiques où ils
s’inscrivent, chez Malinowski et Evans-Pritchard, et l’idée d’une structure de la pensée magique
qui viendrait prendre corps dans les actes de l’individu magicien, chez Mauss et Lévi-Strauss. On
conclut alors sur la façon dont ces deux traditions abordent le problème d’une logique de la
pratique, et sur les conséquences qu’une telle différence dans la position des problèmes peut
avoir aujourd’hui.

This article contrasts French and English traditions of anthropology in their way of handling the
problem of magic, particularly as regards the two problems raised by the phenomenon of magic :
what kind of rationality gives magic its efficacy although it makes no predictions ? What made
possible the shift from a magical rationality to a scientific and critical rationality ? After a brief
survey of the relationships between magic, science and religion as they are conceived by Tylor
and Frazer, this article opposes the idea of a plasticity of magical utterances in relation to the
pragmatic contexts in which they are inscribed, in the works of Malinowski and Evans-Pritchard,
and the idea of a structure of magical thought that would be embodied in the acts of an individual
magician, in the works of Mauss and Lévi-Strauss. The conclusion focuses on the way these two
traditions have addressed the problem of the logic of practice, and the consequences that such a
difference in the position of the problem of magic has for today.

Entrées d’index
Mots-clés : Evans-Pritchard, Lévi-Strauss, logique de la pratique, magie, Malinowski, Mauss,
rationalité

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31/12/2018 Les théories de la magie dans les traditions anthropologiques anglaise et française

Keywords : logic of practice, magic, rationality, Evans-Pritchard, Lévi-Strauss, Malinowski

Notes de l’auteur
Cet article est issu d’un exposé à l’UMR « Savoirs et textes » de l’Université Lille 3, dans le cadre
d’une discussion interdisciplinaire. Je remercie Fabienne Blaise et André Laks de leurs
remarques et suggestions.

Texte intégral
1 De tous les problèmes traités par l’anthropologie, le problème de la magie est celui
qui a suscité le plus de curiosité. La magie est une pratique qui n’a pas d’équivalent
dans la société moderne, et elle a donc pu être considérée comme le type même du
comportement irrationnel, étrange, exotique. Mais on ne comprendrait pas la fécondité
théorique du problème de la magie si on en restait à la seule fascination pour l’étrange
et l’exotique. La magie a suscité un intérêt théorique en anthropologie parce qu’elle
apparaissait à la croisée de deux phénomènes familiers aux sociétés modernes et
essentiels à leur définition : la science et la religion. La magie semble à première vue
plus proche de la science que de la religion pour deux raisons : d’une part, elle postule
une unité des lois de la nature et prétend agir sur elle grâce à la connaissance de ces
lois, ce qui l’apparente à une science appliquée ou à une technique ; d’autre part, elle est
le fait d’individus marginaux, considérés comme géniaux ou comme malfaisants, et non
de collectifs se réunissant autour d’un culte, et c’est pourquoi l’apprenti sorcier a
davantage été une figure du savant des origines que du prêtre. Mais la magie est proche
de la religion en ce qu’elle invoque des entités non visibles dont elle postule l’action
efficace dans le monde sensible ; en cela, elle participe encore d’un mode de pensée
religieux, elle utilise des conceptions religieuses pour agir sur le monde. La magie serait
donc l’annonce de la science dans des sociétés religieuses et la persistance de la religion
dans des sociétés scientifiques.
2 Tout le problème pour les anthropologues a donc consisté à comprendre comment
une action sur le monde de type scientifique peut se développer dans des sociétés
religieuses sans que cette action soit véritablement scientifique, c’est-à-dire sans qu’elle
procède d’une connaissance des lois de la nature qui permettrait une prévision des
phénomènes. Autrement dit, tout le problème a consisté à expliquer l’efficacité de la
magie. La première hypothèse des anthropologues a été de mettre cette efficacité sur le
compte de charlatans et de séducteurs, qui imposeraient à la société leurs conceptions
magiques par une sorte de suggestion hypnotique ; mais une telle hypothèse repose sur
l’attribution aux individus d’une mystérieuse capacité d’influence, et elle ne rend pas
compte de la persistance de la magie dans de nombreuses sociétés. Il faut donc donner
au problème de la magie une solution sociologique. Plus précisément, c’est un
traitement sociologique qui permettra de résoudre le problème épistémologique posé
par la magie : comment comprendre qu’une pratique qui prétend s’appliquer à la nature
puisse se maintenir sans être jamais vérifiée ou falsifiée ? Pour comprendre cette inertie
de la magie, il faudra décrire sa systématicité, c’est-à-dire son rapport avec une
organisation totale qui est à la fois mentale et sociale. Mais un autre problème se posera
alors : comment comprendre qu’ait pu apparaître une forme de critique de la magie
dans certaines sociétés (en Grèce en particulier) alors que cette critique ne s’est pas
produite dans d’autres sociétés ? Il faudra donc aussi comprendre comment ce système
total de la magie peut se défaire et laisser place au mode d’organisation mentale et
sociale que nous appelons science.
3 On se propose ici d’analyser les dispositifs théoriques qui ont été mis en place dans
l’histoire de l’anthropologie pour répondre à ces problèmes soulevés par le phénomène
de la magie. On distinguera trois dispositifs théoriques, qui correspondent à trois
modes de systématicité donnés à la magie : une systématicité mentale chez Tylor et
Frazer, une systématicité linguistique et contextuelle chez Malinowski et Evans-
Pritchard, une systématicité sociale et symbolique chez Mauss et Lévi-Strauss. En
comparant ces trois solutions du problème de la magie, on ne propose pas une élégante
résolution dialectique de ce problème : il s’agit plutôt, en revenant à la source de ce

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problème anthropologique tel qu’il est constitué par Tylor et Frazer, de voir comment
deux solutions différentes ont été formulées à partir de et contre ce premier dispositif,
dans ce qu’on appellera une tradition anglaise et une tradition française (pour éviter
l’effet de doctrines que produisent les termes fonctionnalisme et structuralisme). Il
s’agira alors bien plutôt de constater l’écart entre ces deux traditions que de proclamer
la victoire de l’une sur l’autre, pour mesurer les conséquences de cet écart pour une
réflexion sur le problème de la magie. Un tel écart permettra par exemple de mesurer la
divergence entre l’analyse de la magie en Grèce ancienne proposée par Geoffrey Lloyd
en Angleterre et celle de Jean-Pierre Vernant en France, divergence qui tient en partie à
la différence des traditions anthropologiques auxquelles ils se réfèrent. C’est aussi dans
cet écart que nous proposerons en conclusion une reformulation du problème de la
magie.
4 Le premier dispositif théorique a été celui de l’évolutionnisme victorien, avec sa
fameuse ligne d’évolution par laquelle doivent passer nécessairement toutes les sociétés
: magie, religion, science. Cette hypothèse a été rendue célèbre par Frazer, mais elle a
d’abord été proposée par Tylor sous l’influence du darwinisme et de la géologie de
Lyell1. Cette loi d’évolution se donne comme une sorte de dialectique : la magie est une
forme de science, puisqu’elle tente d’agir sur la nature, mais c’est une fausse science,
car elle ne propose que des explications partielles, et il faut en passer par la
généralisation produite par la religion pour parvenir à une véritable science. À cette
généralisation dans l’ordre intellectuel correspond une purification dans l’ordre affectif
: la magie repose sur la crainte, la religion apprend la vénération, et la science découvre
l’amour de la vérité. La magie repose pour Tylor sur une erreur, qui consiste dans une
confusion entre les connexions idéales et les connexions réelles ; le raisonnement du
magicien infère du fait que le coq chante quand le soleil se lève l’idée que si l’on fait
chanter le coq le soleil se lèvera. C’est le même type d’erreur qui donne naissance à la
religion animiste, puisque Tylor l’explique par une confusion de la personne vue en rêve
et de l’ombre de l’individu, mais cette erreur mène à la production d’idées générales,
comme celle d’âme, qui permettent la venue de la science. La magie est donc comprise
par Tylor sur un modèle géologique comme une strate d’erreur et de confusion qui a été
enfouie mais qui peut toujours revenir2.
5 C’est ce modèle qui sert à Frazer pour élaborer sa propre théorie de la magie. Celle-ci
ne part pas directement comme chez Tylor d’une étude de la « culture primitive » mais
d’une énigme philologique posée par la légende du prêtre de Nemi, déjà analysée par
Renan. Selon cette légende, le prêtre-roi ne peut être remplacé que par un esclave en
fuite qui revient l’assassiner après s’être muni d’un « rameau d’or »3. Pour expliquer
cette légende qui fait intervenir le pouvoir magique d’une plante dans un rite de
changement du souverain, Frazer propose une théorie générale de la magie dans les
sociétés primitives. Pour Frazer, la magie est régie par deux principes, qui gouvernent
les associations d’idées dans l’esprit humain4 : le principe de similarité et le principe de
contact. Ces deux principes permettent à Frazer de proposer une classification des types
de magie. La magie imitative, régie par le principe de similarité, consiste par exemple à
planter des épines dans une poupée ressemblant à un ennemi pour lui porter atteinte ;
la magie contagieuse, régie par le principe de contact, consiste à prendre une partie du
corps d’un ennemi, comme ses ongles ou ses cheveux, pour que le traitement infligé à la
partie soit ressenti par tout le corps de son possesseur. Comme Tylor, Frazer fait donc
de la magie une mauvaise association d’idées; c’est pourquoi il caractérise la magie
comme « sympathique » au sens où elle postule des rapports entre les choses qui
n’existent pas réellement. Mais chez Frazer, la magie n’est pas une simple vision du
monde comme chez Tylor : elle a une véritable efficacité du fait de son intervention
dans des rituels de souveraineté. Dans une société où le roi est magicien et où tous les
rapports entre les choses sont gouvernés par des principes de sympathie, la magie n’est
plus seulement une fausse science, mais elle joue un rôle politique. C’est peut-être cette
prise en charge du politique qui est à l’origine de la diffusion des écrits de Frazer en
France, beaucoup plus massive que celle de Tylor.
6 Les théories de Tylor et de Frazer ont constitué le problème de la magie comme un
problème anthropologique en refusant d’expliquer la magie par le recours à des entités
invisibles et en reliant la diversité de ses applications empiriques à l’unité de principes
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qui sont ceux de l’esprit humain, en comparaison avec ces autres produits de l’esprit
humain que sont la religion et la science. C’est la prise en compte de la magie comme un
phénomène global, à partir d’un investissement total de l’esprit humain dans ses
productions, qui fait de ce moment anthropologique un moment fondateur. On a pu
ainsi considérer que Lévi-Strauss a repris les lois d’imitation et de contiguïté de Frazer
en les reformulant à partir des distinctions entre métaphore et métonymie proposées
par Jakobson5. Mais Lévi-Strauss ne fera plus de ces principes des lois d’association
entre les idées mais des termes structuraux, c’est-à-dire qu’il ne les rapportera pas
seulement à une organisation mentale mais aussi à des structures sociales. Ici se
marque toute la différence entre l’approche intellectualiste de Tylor et Frazer et la
démarche sociologique qui va la remplacer. Tylor et Frazer restaient prisonniers d’un
schéma de progrès intellectuel hérité des Lumières selon lequel la magie devait être
dépassée par la religion et la science, et d’une psychologie individualiste et
associationniste qui ne pouvait interpréter d’autres formes de pensée que comme des
erreurs. Or si l’on rapporte la magie à des contextes sociaux, on ne la considérera plus
comme une déviation par rapport à une organisation mentale normale.
L’anthropologie, en se constituant comme science sociale, en France et en Angleterre, a
donc rompu avec ces pères fondateurs en cherchant le mode de cohérence de la magie
non plus dans une organisation mentale mais dans un contexte social. On peut, à partir
de ce point d’accord, tracer une double orientation, qui ouvre aux traditions anglaise et
française sur la magie : soit on cherche la cohérence de la magie dans une pratique,
c’est-à-dire dans un contexte pragmatique d’élocution, soit on la cherche dans une
forme de pensée totale, c’est-à-dire dans une organisation sociale de la pensée. Cette
opposition est pour l’instant grossière et devra être raffinée, mais elle permettra de
comprendre la différence entre les approches de Malinowski et Evans-Pritchard d’une
part, Mauss et Lévi-Strauss de l’autre.
7 La démarche de Malinowski consiste à poser le problème de la magie sur le terrain,
c’est-à-dire par une observation participante de ceux qui opèrent la magie. Malinowski
a en effet introduit l’observation de terrain en anthropologie, notamment par ses
travaux sur les Trobriandais du Pacifique, dont il a tiré en particulier un ouvrage sur la
magie, Les Jardins de corail6. Dans cet ouvrage, Malinowski propose une théorie
ethnographique du langage de la magie, qui consiste à replacer les énoncés magiques
(spells, incantations) dans les contextes pratiques où ils prennent sens. Le problème
que pose Malinowski est celui de la traduction des énoncés magiques : il s’agit de
« ramener à la maison » (« bring home to the English reader ») l’énoncé magique, et
ainsi d’en atténuer l’étrangeté. Tout le problème est alors pour Malinowski de
distinguer les énoncés magiques des énoncés de sens commun en fonction des
contextes dans lesquels ils sont insérés. Les énoncés magiques ne diffèrent en effet des
énoncés du « sens commun » que par un ajout final, par exemple : « aujourd’hui nous
pénétrons dans le jardin, kay ! » La difficulté de cette théorie consiste à donner sens à
des mots dépourvus de sens (abracadabra, sésame, kay), en les rattachant aux énoncés
qu’ils modifient. La notion de contexte est alors essentielle pour fonder cette
observation des conditions pragmatiques d’élocution qui est la véritable invention de
Malinowski, et qui lui permet, pour la première fois, de prendre la magie au sérieux :

« Partons de la finalité de la magie. Elle est imaginaire de notre point de vue, mais
est-ce une raison pour la considérer comme non-pertinente d’un point de vue
social et culturel ? Certainement pas. La magie se produit dans un monde qui lui
est propre, mais ce monde est réel pour les indigènes. Il exerce par conséquent
une profonde influence sur leur comportement, et par suite il est également réel
pour l’anthropologue. La situation de la magie – et par ce mot j’entends la scène
d’action remplie d’influences et d’affinités sympathiques et toute pénétrée de
mana – cette situation forme le contexte des incantations. Elle est créée par la
croyance indigène, et cette croyance est une force sociale et culturelle très
puissante. Par conséquent nous devons essayer de replacer les énoncés de la
magie à l’intérieur des contextes appropriés de la croyance indigène, et voir quelle
information nous pouvons en tirer qui nous aiderait à comprendre les
incantations et à élucider les mots. »7

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8 Malinowski ne parvient cependant pas à une compréhension de la spécificité de la


magie, car il la rabat sur la technique. Ce qu’il remarque en effet, c’est que la magie est
utilisée dans des activités qui font l’objet d’une grande attention et d’une grande
perfection technique, comme la fabrication de pirogues ou la culture des yams et des
taros. La magie n’est pas une fausse science ou une technique illusoire, elle est un
supplément verbal à la technique pour que celle-ci atteigne une forme de perfection.
Malinowski retrouve ici des analyses couramment faites à son époque sur la magie
comme signe d’une faiblesse dans l’activité humaine et palliatif de cette faiblesse, et il
fait référence aux travaux de Piaget sur la mentalité magique de l’enfant8. Mais il élargit
cette réflexion à une analyse linguistique qui anticipe par beaucoup d’aspects la théorie
des actes performatifs de langage d’Austin, selon laquelle il y a une force dans l’énoncé
magique qui est une action par elle-même9. Ceci conduit Malinowski à reprendre le
problème de la magie sous l’angle de la religion dans un ouvrage tardif, Magic, Science
and Other Essays10, puisqu’il faut saisir d’où vient cette force de l’énoncé magique.
Tout le problème est en effet de comprendre pourquoi certaines activités techniques
font l’objet d’énoncés magiques, comme la fabrication de pirogues ou la culture des
taros, et d’autres non, comme la culture des noix de coco. Malinowski répond que les
activités techniques qui relèvent de la magie font l’objet d’une valorisation par la
société, qui les considère comme des activités sacrées. La dichotomie sacré/profane est
ainsi ce qui permet de distinguer magie et religion d’une part, science de l’autre.
9 L’analyse linguistique des énoncés magiques conduit donc Malinowski à réinscrire la
magie dans les contextes d’utilisation de la magie, c’est-à-dire dans la diversité des
activités techniques et de leurs valorisations. La démarche ethnographique de
Malinowski permet ainsi de renoncer au schéma évolutionniste en montrant comment
magie, science et religion sont trois éléments qui fonctionnent à l’intérieur de chaque
société en réponse à des besoins humains universels. Mais la vision de la nature
humaine qui commande cette analyse conduit cependant Malinowski à mettre la magie
davantage du côté de l’activité technique, dans une perspective utilitariste que
critiquera notamment Lévi-Strauss : en disant que la magie fonctionne dans des
contextes, on n’a pas encore compris les différentes façons dont elle fonctionne11. Par
ailleurs, cette analyse a pour mérite de poser une distinction entre les énoncés de sens
commun et les énoncés magiques, mais elle ne pose pas le problème du passage des
premiers aux seconds. Tout l’intérêt de la démarche d’Evans-Pritchard consiste alors à
poser ce problème, en élargissant le cadre d’analyse des énoncés magiques des seules
activités techniques au problème plus général du malheur.
10 Evans-Pritchard se rattache au fonctionnalisme et à l’observation de terrain qui ont
été la marque de Malinowski sur l’école anthropologique anglaise, mais il est aussi
influencé par les analyses de Lévy-Bruhl sur la mentalité primitive12. Ce qu’Evans-
Pritchard cherche dans ses analyses de la magie chez les Azandés du Soudan, c’est un
type de perception du monde qui n’est pas le nôtre, et qui est selon lui lié à ce qu’il
appelle, suivant Lévy-Bruhl, des notions mystiques. Mais cela ne signifie pas une
régression par rapport à la démarche scientifique de Tylor et une réintroduction
d’entités invisibles ; Evans-Pritchard ne cherche pas des faits mystiques comme des
états de transe ou de vision, mais, fidèle à la méthode de Malinowski, il analyse
comment des notions mystiques prennent sens dans des énoncés liés à un contexte
social différent du nôtre. Evans-Pritchard reprend la notion de situation qui
apparaissait chez Malinowski, et pose la question : dans quelles situations la magie est-
elle invoquée ? Sa réponse est : dans des situations de malheur. Le malheur est tout
événement qui vient perturber la vie sociale et qui ne peut pas être expliqué par des
mécanismes connus. Le malheur couvre donc plus que la sphère de la technique : il est
la part de l’action humaine qui ne peut pas être contrôlée par la technique. En
concentrant son attention sur la façon dont les Azandés réagissent à ces situations de
malheur, Evans-Pritchard analyse l’ensemble des chaînes d’action mises en œuvre pour
annuler le malheur. La magie n’est donc plus un univers mental, ni une simple
énonciation : elle est un ensemble d’actions et d’énoncés qui répondent à certaines
situations.
11 L’analyse d’Evans-Pritchard consiste alors à dissocier ce qu’on appelle magie en trois
moments, qui sont eux-mêmes distingués par les Azandés : la sorcellerie, les oracles et
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lamagie13. La sorcellerie est une procédure d’accusation permettant d’expliquer une


situation de malheur. Si un homme bute sur une souche plantée en terre, il pensera
qu’il a été ensorcelé; cela ne veut pas dire qu’il ne comprend pas que c’est la souche qui
l’a fait chuter, car le sens commun permet de comprendre cela, mais il explique par là
qu’il ait chuté sur cette souche-ci alors qu’il a l’habitude de ne pas chuter sur les
souches ; c’est donc qu’il a été ensorcelé, puisque son attention a baissé. Pour qu’il y ait
sorcellerie, il n’est donc pas besoin qu’il y ait des sorciers, c’est le sentiment d’être
ensorcelé qui est premier14. On voit alors que la croyance à la sorcellerie est quelque
chose de parfaitement ordinaire : celui qui croit qu’il est ensorcelé n’a pas peur, comme
le croyait Frazer, mais il est en colère contre celui qui l’a ensorcelé ; il rentre dans un
régime d’explication du monde qui est fréquemment utilisé. Evans-Pritchard note
d’ailleurs que lui-même avait recours à ce genre d’explication par la sorcellerie après un
long séjour chez les Azandés. Le deuxième moment est celui du recours aux oracles, qui
consiste à donner du poison à des volailles en posant une question dont la réponse
positive ou négative dépend de la mort ou de la survie du volatile. L’oracle permet ainsi
de désigner qui est le sorcier, et donc d’aller le voir pour lui demander d’arrêter son
action maléfique. Le troisième moment est alors celui du recours à la magie proprement
dite, qui consiste en l’utilisation de médecines pour guérir ou nuire à quelqu’un. À la
différence de la sorcellerie, qui repose seulement sur l’accusation ou l’attribution d’une
mauvaise intention, la magie est donc bien réelle puisqu’on peut observer le recours à
des médecines par les individus : à la circulation des accusations succède la circulation
des produits magiques. C’est ici que se réintroduit la figure du magicien, qui fournit les
produits magiques, et on considérera qu’il y a de bonnes ou de mauvaises magies selon
que l’intention du magicien est de nuire ou de guérir.
12 Le grand intérêt de cette analyse est d’introduire une plasticité des formes de magie
en fonction des situations. La magie ne nous apparaît contradictoire que parce que nous
en prenons une vue abstraite et théorique hors des situations pratiques où elle
fonctionne. La magie fonctionne toujours par fragments dans des chaînes d’action et
non comme un mode d’explication total :

« Je n’ai cessé de souligner la cohérence des croyances zandé quand on les


considère dans leur ensemble et quand on les interprète en fonction des situations
et des relations sociales. J’ai tenté aussi de montrer la plasticité des croyances
dans les diverses situations. Ces croyances ne sont pas des structures indivisibles
d’idéation, mais des associations de notions plutôt décousues. Quand un écrivain
les rassemble dans un livre et les présente comme un système conceptuel,
insuffisances et contradictions apparaissent aussitôt. Dans la vie réelle, ce n’est
pas comme un tout qu’elles fonctionnent, c’est en fragments. Placé dans une
certaine situation, un homme choisit dans les croyances celles qui lui conviennent,
et les utilise sans prêter la moindre attention aux autres éléments, alors qu’il
pourra lui arriver de s’en servir dans des situations différentes. Il s’ensuit qu’un
même événement peut remuer chez différentes personnes un certain nombre de
croyances diverses et contradictoires. »15

13 La notion de situation permet également de concilier l’existence d’un sens commun et


le recours à des notions mystiques, et donc d’introduire la possibilité d’un scepticisme
par rapport à la magie. Telle situation, comme la souche dans la terre, fera
immédiatement recourir à l’idée de la sorcellerie ; telle autre ne permet pas d’y recourir,
à moins de passer pour un tricheur. Ainsi, celui qui recourt à l’argument de la
sorcellerie pour justifier un adultère sera l’objet de la risée de tous si l’on sait qu’il est
coutumier de ce genre d’écarts, et Evans-Pritchard note avec humour que le seul qu’il
parviendra à convaincre sera l’ethnographe lui-même. Il y a donc une sorte de sens
commun de la magie, qui permet de juger de façon critique dans quelle situation celle-ci
peut être invoquée et dans quelle autre elle ne le peut pas. Evans-Pritchard montre par
exemple que les questions posées aux oracles permettent toujours de contourner la
question de l’efficacité : on pose à l’oracle la question de son efficacité avant de lui poser
une question sur une situation de malheur, et cette question est formulée en des termes
tels que la réponse de l’oracle ne peut pas être vérifiée ; on demandera : « si je plante
des graines dans tel champ à tel moment, aurai-je une bonne récolte ? », et non « aurai-
je une bonne récolte cette année ? ». L’oracle dit ce qu’il ne faut pas faire plutôt qu’il ne

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prédit ce qui va arriver. Si l’oracle ne donne pas le résultat escompté, on redonne du


poison à la volaille en lui demandant si elle est un bon oracle.
14 Tout le problème pour Evans-Pritchard est alors de comprendre pourquoi ce sens
critique dans l’utilisation de la magie ne débouche pas sur une critique générale de la
magie. Les Azandés déploient des stratégies rationnelles dans l’utilisation de notions
mystiques, mais ils ne retournent jamais cette rationalité contre les notions mystiques
elles-mêmes. Evans-Pritchard propose plusieurs réponses à ce problème. Il note
d’abord que ce qui apparaît comme contradictoire aux yeux de l’ethnologue ne l’est que
parce qu’il note sur un même papier des résultats qui sont donnés dans des situations
différentes, et il en conclut que c’est l’écriture qui permet de percevoir les
contradictions du mode de pensée magique. L’écriture substitue une totalisation
théorique aux logiques souples de la pratique, et elle permet de voir des contradictions
logiques qui n’apparaissaient pas dans la pratique16. Il note aussi que, sous l’influence
de la colonisation européenne, la magie a cessé d’influencer toute la vie sociale des
Azandés et s’est retranchée dans des associations secrètes, qui peuvent alors être
contestées par le reste de la société, alors que la croyance à la magie était jusque-là
partagée par toute la société. Il note enfin qu’une telle influence de la magie n’est
possible que dans une société reposant sur l’autorité d’un roi, car toutes les
contestations de la magie sont résolues au niveau du roi qui procède à des oracles
tranchant les conflits en dernière instance. Ce sont donc des transformations dans le
mode de transmission du savoir, dans les rapports avec l’extérieur et dans
l’organisation politique qui expliquent la critique de la magie en général.
15 La tradition anthropologique anglaise a donc eu pour geste principal d’introduire la
question de la magie dans une analyse des situations ordinaires, posant ainsi le
problème d’une conciliation de l’ordinaire et du sacré, du sens commun et de la magie.
L’intérêt d’une telle analyse est de laisser de côté la figure de l’individu magicien,
toujours soupçonné de leurrer les autres individus. En transposant l’analyse de la magie
au niveau d’une société, elle pose le problème de la coexistence dans cette société du
scepticisme et de la croyance à la magie. La résolution de ce problème est fournie par
une analyse des énoncés dans la plasticité des contextes où ils prennent sens, activités
techniques pour Malinowski, situations de malheur pour Evans-Pritchard, et donc par
une analyse de pratiques toujours fragmentaires dans des sociétés qui ne connaissent
pas de mode de totalisation théorique. La spécificité de l’approche française du
problème de la magie est à l’inverse de se tourner vers l’individu magicien pour
comprendre comment un phénomène social s’exprime à travers lui, y compris à travers
ces formes très violentes que sont la transe ou le rite, qui étaient jusqu’alors
interprétées comme une superstition ou un débordement d’affectivité17. L’opposition
entre l’approche anglaise et l’approche française est donc moins une opposition entre
l’anthropologie de terrain et l’anthropologie de cabinet, ou entre la plasticité des
pratiques et la totalisation théorique, qu’une opposition de problèmes théoriques posés
à l’occasion de la magie, et qui viennent donc de plus loin que le problème spécifique de
la magie. Ce que la tradition française a cherché dans le problème de la magie n’est pas
une conciliation de l’ordinaire et du sacré, ou du scepticisme et du fonctionnalisme,
mais plutôt une conciliation de l’individuel et du social, de l’affectif et du rationnel. On
peut aborder à présent cette opposition à partir des textes de Mauss et de Lévi-Strauss.
16 L’Esquisse d’une théorie de la magie de Hubert et Mauss s’inscrit en effet dans une
réflexion sur le rapport de l’individu et du collectif18. Mauss part du fait que la magie est
toujours effectuée par un individu isolé et marginal, mais que ce qui s’exprime en lui est
la pression de la société qui croit en la magie. L’efficacité de la magie est donc morale et
non physique, sociale et non individuelle, elle est le produit d’une croyance collective et
non le fait d’une mauvaise association d’idées comme le voulait Frazer. Mauss tente
d’établir la systématicité de la magie par-delà la diversité de ses rites et de ses
représentations, et c’est ici qu’il introduit la notion de mana, ce mot utilisé par les
Mélanésiens dans leurs rituels magiques et qui semble désigner la force du social. Tout
le problème est alors de décrire cette force du social sur l’individu sans en faire un
phénomène para-normal19 : il s’agit de comprendre comment un phénomène qui est
anormal si on se place du point de vue de l’individu (la transe, l’action à distance sur les
corps) devient normal si on l’interprète du point de vue de la société qui y croit. Mais
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cela suppose de comprendre la nature de la relation entre l’individuel et le collectif, et


en cela la magie pose un problème théorique essentiel dans la sociologie française, car
elle oblige à décrire de façon plus complexe que ne l’avait fait Durkheim l’action du
social sur l’individu. Il est notable en effet que Durkheim n’ait consacré que quelques
pages dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse à la magie, qu’il dérivait de la
religion comme véritable origine au lieu d’en faire la source fausse comme chez Frazer ;
pour Durkheim, la magie est un impératif hypothétique (Si tu veux ceci, alors fais cela)
alors que la religion est un impératif catégorique (Adore ton Dieu, c’est-à-dire : respecte
la société)20. La spécificité de l’approche de Mauss est de ne pas penser la relation du
social à l’individu comme une contrainte mais comme une expression de forces
différenciées. On comprend alors que la différence entre ces deux approches apparaisse
dans l’interprétation du mana : Durkheim y voit la substance du tout social, alors que
Mauss le décrit comme un ensemble de différences de potentiel, et de potentiel d’action
: le mana est un verbe et non un nom. Mauss renonce donc à une substantialisation du
social, qui ne permettrait pas de comprendre la spécificité du phénomène magique,
pour voir comment le social s’exprime à travers des différences de potentiel dans
l’action de ces individus particuliers que sont les magiciens. La magie est une
classification des choses, un jugement synthétique a priori, dit Mauss, que la société
postule pour agir sur la nature, et qu’elle actualise à travers les individus magiciens. La
magie n’est donc pas une unification du monde dans le miroir du social, elle établit des
différences et des contrastes. Il est essentiel que, dans son analyse, Mauss ajoute aux
deux lois de contagion et de ressemblance chez Frazer une loi des contrastes : la magie
ne rapproche pas ce qui est déjà proche, elle opère des découpes dans le réel selon des
différences, parce que la vie sociale est exigence de différences :

« Ce que nous appelions place relative ou valeur respective des choses, nous
pourrions l’appeler aussi bien différence de potentiel. Car c’est en vertu de ces
différences qu’elles agissent les unes sur les autres. Il ne nous suffit donc pas de
dire que la qualité de mana s’attache à certaines choses en raison de leur position
relative dans la société, mais il nous faut dire que l’idée de mana n’est rien autre
que l’idée de ces valeurs, de ces différences de potentiel. C’est là le tout de la
notion qui fonde la magie, et partant, de la magie. Il va de soi qu’une pareille
notion n’a pas de raison d’être en-dehors de la société, qu’elle est absurde au point
de vue de la raison pure, et qu’elle ne résulte que du fonctionnement de la vie
collective. »21

17 On est ici très proche des analyses de Lévi-Strauss, et Mauss compare d’ailleurs lui-
même la magie aux phénomènes linguistiques lorsqu’il la décrit comme un système de
différences. Lévi-Strauss reprend en effet les intuitions de Mauss, mais il ajoute une
notion qui les clarifie : celle de symbolique.
18 Lévi-Strauss a consacré deux textes à la magie en 1949, qui sont parmi les plus
audacieux et les plus problématiques de ce qui est alors son structuralisme
conquérant22, puisqu’il vise à résoudre par la notion de structure symbolique le mystère
de l’efficacité des pratiques magiques. Ce qui restait peu clair chez Mauss, c’est de
savoir comment un rituel dans lequel le social exerce une pression peut avoir un effet
sur le corps d’un individu. Lévi-Strauss élimine d’emblée le problème du charlatanisme,
puisqu’il prend pour exemple un Indien sceptique qui se fait initier à la magie pour en
montrer la fausseté, et qui finit par pratiquer la magie qu’on lui a enseignée en étant
certain qu’elle est meilleure que d’autres types de magie. Il n’y a donc pas au départ un
charlatan qui tente de faire croire la société à l’efficacité de sa magie, mais un ensemble
de croyances diffuses sur la magie, partagées au même niveau par le futur sorcier et par
le reste de la société. Ce qu’il s’agit de comprendre, c’est comment cette vague croyance
à la magie, cet ensemble diffus de sentiments collectifs, peut devenir une véritable
expérience. Il faut pour cela que la croyance se cristallise dans un schème, c’est-à-dire
que la magie actualise une structure qui est d’ordre intellectuel, et qui est autant une
structure sociale qu’une structure cosmologique. Cette structure se reflète dans ce que
Lévi-Strauss appelle à la suite de Mauss le complexe shamanistique, qui unit le shaman,
l’individu qu’il guérit et la société, qui les soutient de sa croyance et qui en même temps
trouve un intérêt vital à leur interaction. Sont mises ainsi en rapport, sous le regard de
la société, une pure activité, le sorcier, et une pure passivité, le malade, c’est-à-dire d’un
https://journals.openedition.org/methodos/90 8/13
31/12/2018 Les théories de la magie dans les traditions anthropologiques anglaise et française

côté un trop-plein d’énergie et de l’autre un trop peu d’énergie. Cette opposition renvoie
pour Lévi-Strauss à l’opposition constitutive de la nature humaine, qui est apparue avec
le langage, entre une pensée qui signifie trop et un monde qui ne signifie jamais assez.
Le magicien rejoue donc sous le regard de la société la scène primitive de rencontre de
l’homme avec le monde, dans laquelle l’homme éprouve un trop plein de signifiants
qu’il doit épuiser en cherchant les signifiés qui leur correspondent dans le monde ; d’où
la réinterprétation du mana comme un signifiant flottant, analogue à « machin » ou
« truc » dans l’introduction au recueil de textes de Mauss23. La magie est donc d’abord
d’ordre intellectuel, elle est une situation d’interlocution angoissée avec le monde :

« Si cette analyse est exacte, il faut voir dans les conduites magiques la réponse à
une situation qui se révèle à la conscience par des manifestations affectives, mais
dont la nature profonde est intellectuelle. Car seule l’histoire de la fonction
symbolique permettrait de rendre compte de cette condition intellectuelle de
l’homme, qui est que l’univers ne signifie jamais assez, et que la pensée dispose
toujours de trop de significations pour la quantité d’objets auxquels elle peut
accrocher celles-ci. Déchiré entre ces deux systèmes de références, celui du
signifiant et celui du signifié, l’homme demande à la pensée magique de lui fournir
un nouveau système de référence, au sein duquel des données jusqu’alors
contradictoires puissent s’intégrer. »24

19 Mais comment alors comprendre que ces rapports intellectuels entre signifiants et
signifiés puissent avoir une efficacité sur l’organisme du malade ? C’est à cette question
que répond Lévi-Strauss par la notion d’efficacité symbolique. Analysant un mythe
récité par un shaman pour favoriser un accouchement, et dont les différentes étapes
correspondent à un voyage du shaman à travers le corps de la femme, il observe que la
structure intellectuelle du mythe correspond à la structure organique du corps à
soulager. La fonction symbolique n’est alors rien d’autre que cette correspondance
entre des structures de nature différente, dont Lévi-Strauss va jusqu’à supposer qu’elle
reflète le caractère structuré du cerveau et du monde. Le symbolique joue donc le rôle
d’intermédiaire entre l’affectif et l’intellectuel, entre la structure du corps et la structure
linguistique, entre l’individuel et le social. Dire que la magie est symbolique, ce n’est
donc pas nier son efficacité, c’est au contraire expliquer son efficacité sans recourir à
l’hypothèse d’un psychisme agissant directement sur l’organisme : c’est intercaler entre
le psychisme du magicien et le corps qu’il guérit l’ensemble des structures (sociales,
linguistiques, cosmologiques, en un mot symboliques) que cette relation met en jeu.
C’est donc faire de la magie un rapport structuré au monde, une façon de donner sens
au monde, et de participer au sens que le monde prend pour lui-même.
20 On voit donc que chez Lévi-Strauss la magie est plus proche de la science que de la
religion, elle est une façon de structurer le monde qui a la même dignité que la science
moderne. Il n’est alors pas étonnant de voir revenir le triangle magie-religion-science
dans La Pensée sauvage. Il est à noter que Lévi-Strauss cite ici à la fois Evans-Pritchard
et Mauss dans un texte qui est une critique sévère de l’évolutionnisme de Tylor et
Frazer :

« La pensée magique, cette ‘gigantesque variation sur le thème du principe de


causalité’, disaient Hubert et Mauss, se distingue moins de la science par
l’ignorance ou le dédain du déterminisme que par une exigence de déterminisme
plus impérieuse et plus intransigeante, et que la science peut, tout au plus, juger
déraisonnable et précipitée (citation d’Evans-Pritchard). Entre magie et science, la
différence première serait donc, de ce point de vue, que l’une postule un
déterminisme global et intégral, tandis que l’autre opère en distinguant des
niveaux dont certains, seulement, admettent des formes de déterminisme tenues
pour inapplicables à d’autres niveaux. Mais ne pourrait-on aller plus loin, et
considérer la rigueur et la précision dont témoignent la pensée magique et les
pratiques rituelles comme traduisant une appréhension inconsciente de la vérité
du déterminisme en tant que mode d’existence des phénomènes scientifiques, de
sorte que le déterminisme serait globalement soupçonné et joué, avant d’être
connu et respecté ? Les rites et les croyances magiques apparaîtraient alors
comme autant d’expressions d’un acte de foi en une science encore à naître.»25

21 Dire que la magie est un acte de foi en une science encore à naître, ce n’est pas dire
comme Tylor et Frazer que la magie est l’origine fausse et affective d’une science vraie
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31/12/2018 Les théories de la magie dans les traditions anthropologiques anglaise et française

et rationnelle. Au contraire, la magie est entièrement rationnelle, puisqu’elle opère des


systèmes de classification détaillés et rigoureux26, et elle connaît « la vérité du
déterminisme », puisqu’elle veut tout expliquer de ce que la science moderne doit
diviser en niveaux pour en établir les déterminations. Si la magie anticipe la science,
c’est au sens où elle cherche à établir des rapports entre les choses dans une vision
systématique du monde, et Lévi-Strauss note que ces rapports établis par la magie
peuvent être retrouvés par la science, comme lorsque l’armée américaine utilisa les
classifications des plantes des Indiens pour leurs techniques de déshydratation des
aliments. C’est pourquoi la magie, au lieu d’être la strate enfouie par la science, en est
plutôt « l’ombre »27, tantôt derrière la science et tantôt devant. Il s’agit là de deux
systèmes de pensée qui peuvent se recouper ou s’éloigner, mais qui ont chacun une
cohérence égale. Ce qui a permis à la science de l’emporter sur la magie, c’est qu’elle a
opéré sur des éléments plus simples, les qualités premières (quantité, étendue…), pour
remonter ensuite aux phénomènes les plus complexes, alors que la pensée magique est
partie des qualités secondes (saveur, couleur, contact…), qui sont les phénomènes les
plus complexes et que la science moderne commence à peine à retrouver dans la
chimie. Mais en droit ces deux systèmes de pensée ont une cohérence égale et un
fonctionnement différent.
22 Mais alors se pose le problème du passage de la magie à la science. Comment
expliquer que dans certaines sociétés cette rationalisation des qualités secondes qu’est
la magie ait cédé la place à une rationalité plus modeste, qui part des qualités
premières, et qui de là rejoint l’ensemble des phénomènes ? Sur ce point Lévi-Strauss
ne se prononce pas. Bien plus, c’est le caractère énigmatique de ce passage qui sert de
preuve à sa thèse selon laquelle la magie n’est pas une science fausse mais un autre
mode de rationalité. Il désigne en effet cette énigme sous le nom de « paradoxe
néolithique » : le développement de techniques comme la poterie, le tissage,
l’agriculture et la domestication des animaux remonte à la période néolithique, c’est-à-
dire à un moment où la pensée est essentiellement magique, et donc des siècles avant la
naissance des sciences modernes en Grèce. Le fait que la pensée magique se soit arrêtée
au néolithique est la preuve pour Lévi-Strauss qu’elle avait alors atteint un
développement achevé, qu’elle avait exprimé toutes ses possibilités comme système
total d’explication du monde, et qu’elle n’avait nul besoin de la science. Mais alors
comment comprendre que la science soit née en Grèce au Ve siècle ? Sur ce point, Lévi-
Strauss ne fait que quelques allusions, et lorsqu’il y revient au terme du deuxième tome
de Mythologiques, dans lequel l’analyse des mythes a pu exhiber une « logique des
relations » proche des mathématiques grecques, il refuse de voir là une transition
possible du mythe à la science et conclut : « Une recherche tout entière tendue vers les
structures commence par s’incliner devant la puissance et l’inanité de l’événement. »28
23 Au terme de ce parcours, on voit que l’anthropologie s’est posé le problème de la
rationalité de la magie et de son rapport avec une rationalité critique comme celle qui se
produit dans la science. L’évolutionnisme de Tylor et Frazer a le premier posé la
question de la rationalité de la magie si on la considère comme un système total, mais il
en a fait une rationalité manquée, anticipant seulement la rationalité critique et la
menaçant toujours de ses violentes résurgences. L’anthropologie anglaise, à partir de
l’invention du terrain par Malinowski, a montré comment rationalité magique et
rationalité critique pouvaient coexister dans un même espace social, et comment, en
fonction des situations, on pouvait recourir à l’une ou à l’autre. Ce que découvraient ces
observateurs de terrain comme Malinowski et Evans-Pritchard, c’est que la rationalité
de la magie est une rationalité pratique, c’est-à-dire une rationalité qui assemble des
fragments de discours prenant des sens différents selon les situations sociales où ils
sont intriqués. Cette rationalité pratique doit être distinguée d’une rationalité
théorique, qui prend sur la vie sociale une position de surplomb, et qui range ces
fragments de pensée magique que sont les énoncés et les actes rituels dans une totalité
où ils perdent tout leur sens. Mais la plasticité des situations obligeait alors l’analyse à
suivre le cours sinueux de ces pratiques en reconfiguration permanente, et faisait
échouer l’effort pour mettre au jour cette logique en elle-même29. L’anthropologie
française, en partant de l’idée durkheimienne de l’origine sociale de la logique, essayait
de montrer dans le cas des rapports entre l’individu magicien et celui qu’il guérit
https://journals.openedition.org/methodos/90 10/13
31/12/2018 Les théories de la magie dans les traditions anthropologiques anglaise et française

comment cette logique sociale prend corps dans une situation d’interaction. Mais il
fallait alors recourir à l’idée d’une structure totalisant un ensemble de différences et de
relations, en perdant ainsi la plasticité des pratiques au bénéfice d’une analyse
purement théorique. À terme, l’analyse structurale se rendait incapable de rendre
compte du passage de la magie à la science, c’est-à-dire d’une rationalité pratique à une
rationalité théorique. Dans un cas, on accentuait l’analyse des pratiques au détriment
de leur logique ; dans l’autre, on privilégiait la mise à jour d’une logique au détriment
des pratiques.
24 On a grossi volontairement une telle opposition, car elle permet peut-être de
comprendre des divergences dues à l’existence de ces traditions anthropologiques
différentes. Ainsi, la divergence entre les analyses de Geoffrey Lloyd et de Jean-Pierre
Vernant est symptomatique des différences entre ces deux traditions. Jean-Pierre
Vernant a posé le problème du passage du mythe à la raison, analogue au problème du
passage de la magie à la science, en termes de mutation brusque d’un système de
pensée à un autre30 ; il fallait donc pour décrire cette mutation analyser la production
de structures sociales et de structures de pensée nouvelles à partir de structures
anciennes – tâche difficile, et qui luttait sans cesse avec l’idée du miracle grec ou de la
révolution d’un système à un autre. À terme, on se retrouvait toujours soit dans un
système soit dans un autre, désespérant de se retrouver sur leur limite31. Geoffrey Lloyd
a montré qu’il fallait au contraire analyser comment s’opérait, dans des énoncés
particuliers, le passage d’une rationalité de type magico-religieuse à une rationalité de
type scientifique32. Ainsi, analysant le fragment Des maladies sacrées, Lloyd montre
que, pour la première fois, la magie n’y est pas critiquée dans ses applications mais
globalement, avec un raisonnement par l’absurde du type : si la magie est vraie, alors
toutes les maladies sont voulues par les dieux, donc les dieux sont mauvais, ce qui est
impossible. Le passage de la magie à la science est donc rendu possible par une
totalisation théorique d’énoncés qui restaient pris jusque-là dans des situations
pratiques. C’est donc à l’intérieur du mode de penser magique, par passage à la limite,
que se produit une rationalité scientifique et critique. Dans Les Ruses de l’intelligence33,
Jean-Pierre Vernant et Marcel Detienne ont d’ailleurs opéré un mouvement semblable
en analysant une rationalité pratique comme celle de la mètis des Grecs, rationalité qui
n’est pas celle du mode de penser positif inventé par la cité athénienne, mais qui
possède sa propre cohérence interne.
25 La divergence entre la tradition anglaise et la tradition française est donc
l’indice d’un problème, qui est celui de la logique de la pratique. Si la magie a constitué
un objet anthropologique fécond, c’est parce qu’elle donnait à voir une logique insérée
dans la pratique. Dire que la magie est une logique pratique, c’est revenir à son sens
premier de volonté d’agir sur le monde, volonté d’action qui est toujours partie
prenante d’un ensemble de pratiques socialement acceptées ; mais c’est aussi prendre
en compte le fait que la magie, en voulant agir dans le monde, doit en suivre les lois, et
donc respecter une certaine logique. Le remplacement de la magie par la science ne
serait donc pas le remplacement de l’irrationnel par la rationalité mais celui d’une
logique profondément enracinée dans un contexte social par un système de lois valant
en dehors de toutes pratiques socialement déterminées. Il n’est pas sûr alors qu’une
telle distinction sépare radicalement la magie de la science ; elle est plutôt une coupure
qui passe à l’intérieur de chaque science entre sa dimension sociale et pratique et sa
dimension universalisable et théorique, coupure continuée qu’on n’aurait jamais fini
d’effectuer. La magie viendrait alors toujours inquiéter la science comme le souvenir de
cette coupure avec la pratique qu’elle n’a jamais véritablement opérée.

Notes
1 Cf. E.B. Tylor, La Civilisation primitive, 2 vol., Paris, Reinwald, 1876-1878 (Primitive Culture.
Researches into the Development of Mythology, Philosophy, Religion, Art and Custom, Londres,
Murray, 1871). Sur Tylor et son rôle fondateur pour la tradition anthropologique anglaise, cf.
G.W. Stocking, After Tylor, British Social Anthropology, 1888-1951, Londres, Athlone, 1995.
2 C’est la fameuse notion de survivance pour laquelle Tylor est resté célèbre. Toute la recherche
de Tylor sur « la culture primitive » est animée par l’angoisse que les comportements primitifs
https://journals.openedition.org/methodos/90 11/13
31/12/2018 Les théories de la magie dans les traditions anthropologiques anglaise et française
fassent résurgence dans le monde moderne. Sur ce point, cf. M. Detienne, L’Invention de la
mythologie, Paris, Gallimard, 1981, p. 46.
3 Cf. J. Frazer, Le Cycle du rameau d’or, 12 vol., Paris, Geuthner, 1925-1935, rééd. Le Rameau
d’or, 4 vol., Paris, Robert Laffont, 1981-1984 (The Golden Bough, A Study in Magic and Religion,
Londres, Mac Millan, 12 vol., 1911-1915).
4 Tylor et Frazer se réfèrent tous deux à la psychologie associationniste de Hume, selon laquelle
l’esprit associe les idées selon les principes de ressemblance et de contiguïté (auxquels Hume
ajoute le principe de cause à effet). Cf. D. Hume, Enquête sur l’entendement humain, Paris,
Flammarion, 1983, p. 81.
5 Cf.S.Tambiah, Magic, Science, Religion and the Scope of Rationality, Cambridge, Cambridge
University Press, 1990, p. 53, et L. Scubla, Lire Lévi-Strauss, Paris, Odile Jacob, 1999, p. 73.
6 B. Malinowski, Les Jardins de corail, Paris, Maspero, 1974 (Coral Gardens and their Magic,
Londres, Georges Allen and Uwin, 2 vol., 1935). Sur la méthode de terrain de Malinowski, cf.
B.De l’Estoile, « L’invention du terrain », Sciences Humaines, Hors Série n° 23, Décembre 1998-
Janvier 1999, p. 12-16.
7 B. Malinowski, Coral Gardens and their Magic, p. 215 (ma traduction).
8 Op. cit., p. 232. Selon Piaget, l’enfant s’approprie le monde magiquement parce qu’il n’a pas la
force de le contrôler réellement. Cf. J. Piaget, La Représentation du monde chez l’enfant, Paris,
Alcan, 1926.
9 C’est ce que remarque S. Tambiah, qui fonde toute son interprétation de la magie sur le
caractère performatif au sens d’Austin des énoncés magiques. Cf. S. Tambiah, op. cit., et « Form
and Meaning of Magical Acts, A Point of View », in R. Horton-R. Finnegan, Modes of Thought,
Londres, Faber and Faber, 1973.
10 B. Malinowski, Magic, Science and Other Essays, New York, Doubleday, 1948.
11 Cf. C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 26-29.
12 Cf. E. Evans-Pritchard, Theories of Primitive Religion, Oxford, Clarendon Press, 1965.
13 Cf. E. Evans-Pritchard, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandés, Paris, Gallimard, 1972
(Witchcraft, Oracles and Magic among the Azandés, Oxford, Clarendon Press, 1937). Pour une
présentation stimulante d’Evans-Pritchard et de ses problématiques, cf. M. Douglas, Evans-
Pritchard, Collins, Londres, 1970, et De la souillure, Paris, Maspero, 1971, chap. 4 (Purity and
Danger, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1967).
14 Jeanne Favret-Saada a développé cette idée en la liant à une perspective lacanienne dans son
livre sur la sorcellerie dans le bocage normand : ce qui compte dans la sorcellerie, ce ne sont pas
les actions du sorcier mais la croyance qu’un sorcier a agi et les mots qui sont échangés dans une
procédure infinie d’accusation. La sorcellerie prend sens dans un triangle qui enserre celui qui se
sent malade, celui qui dit au premier qu’il est ensorcelé, et celui qui le désensorcelle. Dans ce
triangle, l’ensorceleur joue le rôle du Grand Autre dont on parle sans cesse mais qui n’apparaît
jamais ; à la limite, il n’y a pas besoin de sorcier pour qu’il y ait sorcellerie. Cf. J. Favret-Saada,
Les Mots, la mort, les sorts : la sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, 1977.
15 Evans-Pritchard, op. cit., p. 607. Une telle réflexion sur les contradictions apparentes au seul
regard du théoricien est ici une critique implicite de Lévy-Bruhl et de sa notion de prélogique
comme ce qui ignore les contradictions.
16 Cet argument a été repris et développé par Jack Goody dans La Raison graphique, Paris,
Minuit, 1979 (Titre original : The Domestication of the Savage Mind, Cambridge, Cambridge
University Press, 1977).
17 Un tel intérêt pour les phénomènes de transe apparaît clairement dans les écrits des
surréalistes comme Michel Leiris ou Georges Bataille (il faut noter que le texte de Lévi-Strauss
intitulé « Le sorcier et sa magie » est une discussion avec Leiris), mais il revient aussi chez des
anthropologues plus classiques comme Roger Bastide. On peut l’expliquer par l’intérêt pour les
figures considérées comme pathologiques d’hystériques et de mystiques à la fin du XIXe siècle en
France.
18 M Mauss et H. Hubert, « Esquisse d’une théorie générale de la magie », L’Année Sociologique
7, 1903 (reproduit dans Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 1950). Sur Mauss, cf. B.
Karsenti, L’Homme total. Sociologie, anthropologie et philosophie dans l’œuvre de Marcel
Mauss, Paris, PUF, 1997, notamment p. 222-244.
19 La solution du para-normal avait été retenue par Ernesto de Martino dans Le Monde
magique, récemment republié chez Synthélabo, 1999.
20 Cf. E. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1998, p. 430.
21 M. Mauss, Sociologie et Anthropologie, p. 114.
22 C. Lévi-Strauss, « Le sorcier et sa magie » et « L’efficacité symbolique », in Anthropologie
structurale, Paris, Plon, 1958. Pour une critique de la notion d’efficacité symbolique, cf. V.
Descombes, La Denrée mentale, Paris, Minuit, 1995, p. 143 s.
23 Cf. C. Lévi-Strauss, « Introduction à M. Mauss », Sociologie et Anthropologie, op. cit., p.
XLIX.

https://journals.openedition.org/methodos/90 12/13
31/12/2018 Les théories de la magie dans les traditions anthropologiques anglaise et française
24 C. Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, p. 211.
25 C. Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Plon, 1962, p. 23 s.
26 Dans La Pensée sauvage, Lévi-Strauss présente la magie comme un problème de classement :
il s’agit pour le magicien qui veut guérir un mal de dents avec un bec de pic de déterminer si on
peut « faire aller ensemble » le bec de pic et la dent de l’homme, c’est-à-dire s’ils appartiennent à
la même classe d’êtres dans le monde (p. 21).
27 Op. cit., p. 26 : « On se priverait de tout moyen de comprendre la pensée magique si l’on
prétendait la réduire à un moment ou à une étape de l’évolution technique et scientifique. Ombre
plutôt anticipant son corps, elle est en un sens complète comme lui, aussi achevée et cohérente,
dans son immatérialité, que l’être solide par elle seulement devancé. »
28 C. Lévi-Strauss, Du miel aux cendres, Paris, Plon, 1966, p. 408.
29 Il est à noter que Lévi-Strauss cherche précisément à décrire une telle logique des fragments
par sa métaphore du bricolage.
30 Cf. J.-P. Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris, PUF, 1962.
31 Cf. A. Laks, « Les origines de Jean-Pierre Vernant », Critique, mai 1998, n° 612, p. 268-282.
32 G.Lloyd, Magie, raison et expérience, Paris, Flammarion, 1984 (Magic, Reason and
Experience, Studies in theOrigin and Development of Greek Science, Cambridge, Cambridge
University Press, 1979).
33 J.-P. Vernant et M. Detienne, Les Ruses de l’intelligence, La mètis des Grecs, Paris,
Flammarion, 1974.

Pour citer cet article


Référence électronique
Frédéric Keck, « Les théories de la magie dans les traditions anthropologiques anglaise et
française », Methodos [En ligne], 2 | 2002, mis en ligne le 05 avril 2004, consulté le 31 décembre
2018. URL : http://journals.openedition.org/methodos/90

Auteur
Frédéric Keck
Université de Lille 3, UMR « Savoirs et textes »

Articles du même auteur


Le primitif et le mystique chez Lévy-Bruhl, Bergson et Bataille [Texte intégral]
Paru dans Methodos, 3 | 2003

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