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IS
'JL
FRANÇOIS DEBRABANT
Mémoire
présenté
à la Faculté de s étude s supérie ure s
pour l'obte ntion
du grade maître ès arts (M.A.)
Département d'Histoire
FACULTÉ DES LETTRES
UNIVERSITÉ LAVAL
Mai 2003
V\OÏA^ (■:■
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f LIVRES RARfS
© François De brabant, 2003
?h
RESUME
Sigles et abréviations 95
Bibliographie 96
TABLE DES ILLUSTRATIONS
INTRODUCTION
1.1.2 C o n t e x t e chronologique
1.3 Problématique
Mon sujet de recherche consiste donc en l'étude des relations entre l'État et le
commerce en Mésopotamie au m™16 millénaire. Ceci nécessite de poser comme a
priori l'existence de tiens significatifs entre État et commerce à cette époque.
La manière d'étudier ce rapport État-commerce consiste dans mon travail à se
pencher sur deux catégories de produits importés : biens utilitaires et biens de luxe.
Dans chacun de ces ensembles je ne retiendrai qu'un produit que j'estime représentatif,
en l'occurrence le cuivre pour les produits utilitaires, et le lapis-lazuli pour les produits
de luxe.
Je ferai ici une remarque concernant ma définition du produit utilitaire. Par ce
terme, j'entends désigner les produits ayant une apptication technologique concrète
dans le cadre d'activités artisanales, agricoles ou encore militaires. Si son emploi peut
être courant, cela ne veut pas automatiquement signifier que ce type de produit est
facilement accessible à tous les membres de la société ou encore qu'il ait une faible
valeur aux yeux de ses utilisateurs.
J'oppose cette catégorie à celle des produits de luxe, qui eux, n'ont pas
d'application pratique directe. Les objets de luxe sont en effet essentiellement utilisés à
des fins ostentatoires. Leur rôle est primordial dans les sociétés hiérarchisées, mais
relève de l'ordre du symbolique, même quand ils prennent la forme d'objets a priori
utilitaires. Par exemple, on peut signaler en ce sens l'existence d'armes d'apparat en or
qui sont, de fait, inutilisables au combat (Huot, 2001 : 61).
J'utiliserai pour mon analyse un modèle interprétatif s'inspirant de plusieurs
théories et d'un modèle en particulier. Ce modèle est celui de Edens (1992) basé sur la
World-System Theory de Wallerstein (1976). Sa particularité est que l'échelle n'est pas
l'unité politico-économique d'une culture, comme la cité ou l'empire, mais l'ensemble
régional où interagissent différents partenaires. Ceux-ci se répartissent entre « centres »
et « périphéries ». De ce fait, la différence entre cité-États et empires mésopotamiens
est moins importante car leur action en tant que « centre » au sein du World-System est
la même. Pour modifier le modèle de Edens, je m'appuie sur travaux de différents
chercheurs comme Kohi (1996) ou Crawford (1997). Pour compléter l'analyse des
échanges, je ferai aussi appel à certains principes des théories économiques de Smith
(1776) et Ricardo (1817). Il s'agit d'adapter les principes économiques classiques
d'avantages absolus et d'avantages comparatifs aux réalités des sociétés précapitatistes
du Proche-Orient ancien.
La confrontation de cette construction théorique avec les données disponibles
permettra d'établir les relations entre État et commerce pour cette période. Les
questions sous-jacentes sont les suivantes : les produits sont-ils importés suivant le
même processus queUe que soit leur nature ? L'État s'implique-t-il dans l'importation
de ces produits ? Si oui, son rôle est-il identique pour les produits de base et de luxe ?
La participation éventuelle de l'État est-elle directe ou indirecte dans ces échanges
commerciaux ? QueUe était la contrepartie de ces importations ? Quelle était la nature
des relations entre partenaires de ces échanges ? Enfin, qui, au sein de l'État participait
à la transformation, à l'usage et à la consommation de ces produits importés ?
Ce travail de mémoire, sans avoir l'ambition d'une synthèse, veut présenter un
bilan et une interprétation des rapports État-commerce en général pour le HIeme
millénaire avant notre ère.
déterminée. Enfin, ces travaux peuvent présenter une certaine disparité entre eux,
certains étant plus poussés que d'autres sur les sources étudiées ou sur la méthodologie
employée. Ceci influence par conséquent la qualité des conclusions qui en résultent.
En outre, toujours à propos des sources, il faut signaler que la documentation
archéologique n'est pas homogène pour le cadre chronologique. Nous disposons de
plus d'informations pour la fin du Hf-"1116 millénaire. En ce sens, les textes cunéiformes
nous informant sur l'État comme sur les échanges commerciaux sont de plus en plus
nombreux vers la fin de la période retenue. Cela doit être gardé à l'esprit pour éviter
certaines erreurs, comme de voir une intensification des échanges parce que nous
disposons de textes les évoquant. Les textes anciens sont une source primordiale, mais
il faut garder une certaine réserve. L'absence de textes les évoquant ne signifie pas
l'absence de faits. De plus, les tablettes retrouvées ne sont peut-être pas toujours
représentatives, les découvertes étant souvent fortuites. À cela s'ajoute le fait qu'elles
évoquent souvent une situation à tin moment donné et il en faut un certain nombre pour
chacune des périodes pour pouvoir généraliser à une région ou une période un
phénomène relaté dans ces écrits.
Sur le fond même de mon étude, deux limites apparaissent clairement. Dans un
premier temps, la durée : il s'agit d'un travail qui couvre un ensemble de plus de 1000
ans. Par conséquent, cette étude entend retracer les grandes tendances générales, les
traits communs aux différentes cultures qui se succèdent. Les particularités propres à
chaque époque ou à certains contextes historiques courts (tensions politiques,
changement climatique de faible durée...), bien que connues de l'auteur, ne sont pas
prises en compte dans l'analyse générale.
Le deuxième aspect important concerne davantage la méthodologie. Aux vues
de la quantité de données à traiter, cette recherche ne s'attarde qu'à détailler deux
éléments caractéristiques du commerce : les échanges de cuivre et de lapis-lazuli. Bien
qu'ayant voulu sélectionner des produits particulièrement représentatifs de leur
catégone, l'étude de deux matériaux seulement sur la totalité des produits commerces
n'en demeure pas moins une limite qui doit nous retenir de tirer trop de généralités sur
un phénomène aussi complexe que les échanges longues distances.
II
CONCEPTS ET THEORIES
L'État, qui est au point de départ de cette étude, renvoie à une réalité moderne
parfaitement connue de nos contemporains. Cependant, cette réalité s'appuie sur une
perception plus diffuse de l'idée d'État. Pour étudier l'État présent ou passé il est utile
d'en avoir une perception claire, une définition établie. Je partirai pour cela d'une
définition moderne pour, ensuite, présenter les conceptions théoriques moins
dépendantes du cadre temporel, et ainsi en retirer les principes généraux qui peuvent
s'appliquer à la majorité des structures étatiques, présentes ou passées. Par la suite, je
préciserai certaines particularités du cas mésopotamien et sa matérialisation
archéologique.
13
Dans une définition ouverte et moderne faite en science politique, l'État est une
organisation politique et administrative souveraine sur un territoire et une population
délimités (Debbasch et al, 1983 : 15-19, 22-23). Par conséquent, il a le monopole de
certaines prérogatives comme la justice, l'émission de monnaie et le prélèvement de
l'impôt, l'usage exclusif de la violence légitime (police et défense) et enfin la gestion
des relations internationales. Cette définition moderne peut être reprise en grande partie
pour les sociétés du ni6™6 millénaire.
Cependant comme elle demeure incomplète sur le plan anthropologique et
archéologique, plusieurs théories et définitions ont été avancées. Bien que parfois en
opposition, elles sont le plus souvent complémentaires. Je reprends donc les idées de
plusieurs auteurs qui posent avant tout l'État comme une forme particulière
d'organisation sociale. Ainsi, Haas (1982 : 20) définit l'État comme un type de société
dans laquelle on trouve une institution de gouvernement spécialisée et centrahsée. De
ce point de vue, c'est donc la société dans son ensemble qui est prise en compte.
L'institution dirigeante et normative n'en est qu'un élément parmi d'autres. Par
conséquent, l'État, de par son organisation poUtique et administrative, entraîne toute
une série d'implications sociales et économiques qui correspondent à une société type.
Cependant, il n'inclut pas comme éléments nécessaires une économie stratifiée ou le
monopole de l'application de la force.
Cette société étatique présente donc des structures politiques, économiques et
sociales particulières. Les auteurs s'entendent généralement pour retenir les éléments
suivants comme significatifs de l'État, même s'il ne les posent pas toujours comme
obligatoires (Childe, 1956 : 118, 140-154, 1961 : 85-97 ; Huot, 1982 : 99-101 ; Meyer,
2000 : 221). Il s'agit d'un pouvoir poUtique et retigieux centralisés, de l'usage d'une
forme d'administration, d'une hiérarchisation de la société, de la spécialisation
économique (producteurs, artisans, gestionnaires, clergé, miUtaires), du recours aux
échanges longues distances et de la création de centres urbains. Ceci implique en
conséquence certaines innovations, que ce soit sur le plan de l'organisation
(rationalisation de l'agriculture, planification du commerce) ou dans le domaine
14
Cette élite représente le principal acteur dans l'ensemble des échanges longues
distances.
Si ces critères ne sont plus totalement pertinents pour d'autres aires culturelles,
ils le demeurent pour ia Mésopotamie avec peut-être certaines nuances concernant par
exemple la disparition de l'appartenance à la famille ou au clan.
Le phénomène urbain constitue ainsi une concentration de population dans un
espace clairement délimité occupé de manière permanente. Cependant, plus important
encore, la ville dans son organisation physique reflète une spécialisation économique
(apparition d'artisans spécialisés, de fonctionnaires) et, de ce fait, une transformation
du mode de production agricole. De plus, il s'y opère ime accentuation importante de la
hiérarchisation sociale. À une élite dirigeante nettement détachée du groupe sont
conférées des charges et droits importants. Celle-ci se caractérise notamment par un
pouvoir politique et religieux. Une religion structurée et organisée est aussi un des
éléments de définition de la viUe mésopotamienne.
Enfin l'accroissement des échanges longues distances paraît constituer tin
facteur important chez beaucoup d'auteurs et est l'objet d'une présentation détaillée ci-
après.
18
Cette définition de la ville est complétée sur certains points par celles d'autres
chercheurs qui insistent sur différents aspects. Frick (1997 : 14-19) met davantage en
contexte la vtile dans son environnement direct. La ville mésopotamienne n'est pas
coupée du monde rural dont eUe dépend pour sa subsistance. La cité est en fait
l'élément central d'un système local intégré. Le système urbain gère la nouvelle
manière de produire des excédents agricoles. La cité reçoit une partie de cette récolte
en rétribution de cette gestion administrative. On discerne une relation de centre (la
ville) avec sa périphérie (des villages environnants rattachés à la cité). U apparaît donc
ici un facteur de réciprocité.
Fritz (1997 : 19-20) reprend sensiblement les mêmes éléments déterminant la
ville en Mésopotamie, mais il insiste en plus sur l'existence des fortifications dès le
II^"16 miUénaire. En outre l'architecture monumentale est désignée comme bâtiments
publics, les deux principaux étant le temple et le palais.
Sur un plan plus concret, Van de Mieroop (1999: 63-82) décrit les différentes
parties physiques de la vtile. Autour de la ville mésopotamienne se situent les champs
et les vergers nécessaires aux besoins vivriers. Par la suite, on retrouve hors des murs
de défense les faubourgs, lieux notamment d'activités artisanales nécessitant espace,
accès aux matières premières ou encore source de nuisances indésirables en centre-ville
(poterie, tanneurs...). Entourant le centre même de la vtile, les murs de défense sont
ponctués de tours et de portes monumentales. La viUe intra muros a une situation plus
élevée. Cela s'exphque par les reconstructions successives à travers le temps. Cette
hauteur artifïcieUe présente de fait un intérêt défensif notable. Le centre ville comprend
des zones résidentielles mais aussi les bâtiments importants. Cette architecture
monumentale se caractérise tout d'abord par le temple auquel par la suite s'ajoute le
palais. À la fin du ni eme millénaire, la ziggourat s'intègre au complexe cérémoniel
tandis que le palais est parfois complété d'une citadelle. La zone résidentielle de la
viUe, quadrillée de rues et canaux, se découpe en différents quartiers où l'on retrouve
encore des activités artisanales (joaillerie, métallurgie...).
On s'aperçoit que déjà dans la définition de la ville transparaissent les éléments
constitutifs de l'État mésopotamien, qu'il s'agisse de la structure sociale et
économique, comme des institutions administratives et politiques. Le temple et le
19
palais sont ainsi les deux principales entités politiques et administratives de la cité et de
l'État.
On retrouve les premières traces univoques du temple et du palais dans les
différents textes cunéiformes du IlFme millénaire (Huot, 1989 : 168, 175). À la tête du
palais se retrouvent des dynastes dont les titres en sumérien sont en, ensi, ou encore
lugal (Huot, 1989 :170). Ces dirigeants, de par leur statut, devaient assurément vivre
dans des résidences différentes de celles du commun des mortels. De même, le
phénomène religieux qui a une part importante de la vie sociale de l'époque, devait
s'établir dans des sanctuaires distincts des installations profanes. De fait, il s'observe
bien une architecture monumentale distincte des installations courantes. Cependant, s'il
peut être légitiment posé que ces bâtiments de grande taille se rattachent aux
institutions que sont le temple et le palais, un problème demeure. En fait, les fouilles
archéologiques ont mis au jour de nombreux bâtiments de grande taille, mais il est très
difficile pour la plus grande partie du fflclI,e mtilénaire de distinguer lesquels sont des
palais et lesquels sont des temples (Huot, 1989: 175, 186). Il n'existe pas de plan type
pour cette époque ni pour le palais, ni pour le temple. Jean Daniel Forest établit
cependant quelques critères qui semblent se retrouver au sein des premiers temples
mésopotamiens. U apparaît, selon lui, que le temple présente un plan étroit, mono ou
biceUulaire avec une galerie périphérique. Les bâtiments reposent généralement sur un
socle plein. Le sanctuaire est en lui-même isolé du monde profane par une enceinte.
L'ensemble religieux est aussi placé en hauteur, de sorte qu'il impose sa présence sur
tout le paysage urbain (Forest, 1999 : '89). L'interprétation de ces bâtiments
monumentaux se trouve confirmée lorsque sont découvertes des preuves tangibles
comme des statues votives ou des textes explicites. Or, dans nombre de cas, il n'a été
retrouvé aucun matériel se rattachant spécifiquement à une activité palatiale ou
religieuse.'De plus, les dimensions peuvent varier énonnément, de 30X15 m à 100X70
m (Huot, 1989: 177, 181).
Néanmoins, il peut être tenu pour acquis que l'architecture monumentale est à
rattacher à ces organisations. Le temple est l'institution qui est
chronologiquement la première. Il représente l'institutionnalisation du
idéologique et religieux. Le temple fut établi dans les sociétés complexes passe
20
jouer un rôle intégrateur qui bénéficie à Féhte. Cette dernière est devenue en effet
l'intermédiaire entre les dieux et les hommes. La religion officieUe se rattachait
directement à l'État (Forest, 1999 : 1). Si le temple était un lieu de culte, il était aussi
un centre administratif et économique. Van de Mieroop (Î999 : 217) le pose comme
centre de redistribution, auquel viendra s'adjoindre le palais plus tard. Les prêtres
détenaient indéniablement un pouvoir au sein de la cité. Ils étaient les principaux
détenteurs et utilisateurs de l'écriture avec les fonctionnaires du palais. De fait, ils sont
en charge de l'organisation administrative et de la comptabilité pubhque. Le temple
possédait ses propres terres et dépendances qu'il gérait à sa guise. Il employait nombre
de travaiUeurs, paysans et artisans, et nourrissait ainsi directement ou indirectement une
grande partie des citadins.
Le palais était ie deuxième centre de pouvoir de la cité. Il apparaît ne pas
présenter de caractéristiques architecturales propres en dehors d'une superficie
largement supérieure à celle des autres bâtiments de la cité (Margueron, 1982': 7).
Parfois des éléments spécifiques permettent d'identifier le palais : des briques
marquées au nom du roi, ou des tablettes cunéiformes que Fon retrouve dans une salle
du bâtiment, comme ce fut le cas à Mari (Margueron, 1982 : 6). Ce genre de
découvertes n'est malheureusement pas systématique. En outre, il peut arriver que le
lien entre le palais et le domaine religieux puisse apparaître dans F architecture
palatiale, ce qui peut entraîner une ambiguïté sur la fonction de l'édifice (Margueron,
1982 : 6). Cependant, bien que difficile, l'identification du palais et son interprétation
nous permettent de mieux comprendre le pouvoir séculier.
En tant qu'institution, le palais gagnera en importance au cours du IIIern
mtilénaire, au point de supplanter le temple. II sera le principal centre de pouvoir
politique dès le milieu du ni eme miUénaire, sans pour autant que le temple soit
marginalisé. À sa tête, le roi cumulait pouvoirs politique et religieux (les deux étant en
fait étroitement liés) ainsi qu'un certain pouvoir économique. On retrouve au sein du
complexe palatial, tout au moins à partir de la période d'Ur III, des services
administratifs, une intendance, des salles officielles et des appartements privés
(Margueron et Pfirsch, 1996 .172-173). Le roi avait pour obligation de nourrir ses
sujets et de les protéger de l'ennemi (Van de Mieroop, 1999 : 119). U menait la guerre,
21
faisait entretenir les canaux et les champs, rendait la justice, s'occupait du culte. Cette
dernière fonction était très importante, car le roi s'imposait comme l'intermédiaire
entre les dieux et les hommes. U devait s'assurer que les dieux étaient satisfaits pour
éviter que leur colère ne s'abatte sur la cité-État. Ainsi, le pouvoir du roi dans ces
domaines était illimité. Les sujets en retour devaient payer des taxes, se soumettre à des
corvées et à un service militaire. Comme le temple, le palais disposait de vastes
propriétés. Pour les entretenir, il mobilisait de la main d'œuvre artisanale et paysanne.
Pour gérer le domaine royal comme les affaires publiques, le palais faisait appel à un
corps de fonctionnaires important et spécialisé (Van de Mieroop, 1999 : 120).
L'administration variait cependant aussi par sa taille et ses fonctions suivant que
l'État auquel elle se rattachait était une simple cité, disposait d'un certain territoire ou
atteignait le stade d'empire. Les grands États et les empires plaçaient ainsi à la tête des
provinces conquises des gouverneurs directement responsables devant le roi.
Néanmoins, au cours des temps la situation ne fut pas homogène. À certaines époques,
les provinces, surtout les plus éloignées, conservèrent une relative autonomie. Pour les
assister, ces gouverneurs disposaient de toute une administration standardisée, civile et
parfois militaire (Margueron et Pfirsch, 1996 : 173-174).
Pour ce qui est de la gestion courante de la viUe, Van de Mieroop affirme que
les citadins détenaient une certaine autonomie. On remarque en particulier l'existence
de cours de justice, sous forme d'assemblée, propre à chaque quartier. Cependant, peu
de données sont disponibles à ce jour sur ces tribunaux et leur fonctionnement (Van de
Mieroop, 1999 : 122-124). Servant d'intermédiaires entre ces assemblées et le roi, on a
traces de deux fonctionnaires aux rôles visiblement importants, le président de
l'assemblée (gai ukken na) et le maire du quartier (rabianum), ce dentier faisant la
liaison entre le roi et les employés travaiUant sur les tenes du palais (Van de Mieroop,
1999 : 129). Il n'est pas possible d'affirmer, concernant ces deux personnages publics,
s'ils étaient nommés par le roi ou par les assemblées.
22
2.2 Le commerce
gains obtenus peuvent être économiques, mais aussi politiques, idéologiques ou parfois
simplement symboliques.
Ainsi ne sont pas inclus dans la définition des échanges les tributs et pillages
issus de la guerre car ce sont des échanges inégaux. Le présent travail s'attardera
uniquement à l'étude du commerce longue distance, échanges non belliqueux
impliquant des partenaires économiques relativement éloignés géographiquement.
L'étude du rapport État-commerce a déjà été réalisée de différentes manières dans des
recherches précédentes. 11 en résulte que plusieurs auteurs mettent en relation l'État,
institution sociale et politique, avec le commerce, activité économique. Renfrew
(1977: 85-89) a développé dans les années soixante-dix plusieurs modèles interprétatifs
du phénomène commercial dans les sociétés anciennes. L'un d'eux s'applique aux cas
des sociétés complexes hiérarchisées. Je ne retiens pas du travail de Renfrew la
méthode d'analyse car elle est en effet basée essentieUement sur des outils
mathématiques et statistiques directement empruntés aux sciences économiques
(Renfrew, 1977: 71-81). Or, l'archéologie ne peut prétendre pouvoir collecter des
données quantitatives aussi nombreuses et incontestables que dans le cas d'études sur
nos sociétés contemporaines. La recherche archéologique est selon moi trop soumise
aux aléas de la collecte d'informations sur ie terrain, pour pouvoir utiliser directement
un instrument de l'analyse économique moderne. Il faudrait dans ce cas adapter l'outil
à la nature des données et surtout ne pas conserver ces résultats comme seule base de
réflexion à l'interprétation. Néanmoins, je considère comme pertinentes certaines de
ses affirmations (Renfrew, 1977 : 85) sur les mouvements des produits échangés. Il
soutient que n'est pas respecté, dans le cas de sociétés complexes hiérarchisées, le
principe selon lequel, plus l'éloignement est grand, moins importante sera la présence
du produit exporté par rapport à son heu d'origine. En fait, la plus grande concentration
27
rapport de l'État avec un type particulier de produit importé, ou encore le rapport entre
l'État institution publique et un élément de la société.
Degraeve (1996) s'est ainsi interrogée sur les rapports unissant la Mésopotamie
et ses voisins du nord, en particulier le Caucase. L'étude combinée des textes et des
ressources géologiques permet de reconstituer les routes commerciales et d'identifier
les types de produits échangés. Cette étude traite donc de produits échangés entre des
régions distinctes. Je retiens l'idée de retracer un produit de par sa source géologique
dans le cas d'un minéral, et de compléter ces informations par les textes anciens. U
s'agit ainsi de la démarche qui sera appliquée au lapis-lazuli, dont la source géologique
est aisée à retracer. Cependant dans son étude, il est dommage que Degraeve ne
cherche pas à établir les implications sociales, politiques et économiques entre ces
sociétés et à l'intérieur même de ces cultures.
Une analyse plus poussée et complète est réalisée par contre par Potts (1994)
qui cherche à faire le hen entre échanges régionaux et implications locales. U analyse
aussi bien les motivations que la manière dont se mettent en place ces échanges. Là
encore, dans cette étude, le lien État-commerce est très présent. L'État est instigateur
et client du commerce. La démarche de Potts me sera utile dans l'étude de la
dynamique commerciale aussi bien interne qu'externe à l'État.
En parallèle à cette vision de l'interaction État-commerce, on peut se demander
quelle est la place des acteurs privés. Cette question, moins étudiée et beaucoup moms
documentée pour la période nous concernant est abordée d'une manière intéressante
par Neumann (1997). Son interprétation nous présente une autre manière d'envisager la
définition d'acteur commercial privé à la fin du III01110 millénaire en Mésopotamie. Les
nombreux textes épigraphiques de la période d'Ur III nous apprennent l'existence de
marchands privés, distincts des fonctionnaires mandatés, qui exercent une activité
commerciale significative. Cependant, ils ne forment pas encore une classe sociale
uniforme et importante. En outre, ces acteurs économiques n'ont comme principaux
clients que les deux institutions majeures de la ville : le palais et le temple. Ces
derniers, en cette fin de III61110 millénaire, commuent de concentrer la plus grande part
du pouvoir économique (Neumann, 1997 : 45-46).
29
fortement impliqué dans les échanges longues distances. Lié à cela, je retiens l'idée
d'un système international organisé et cohérent qui englobe les échanges commerciaux
mais aussi les autres types de relations (qui ne seront pas analysés dans ce travail).
Dans ce système d'échanges, des spécialisations économiques s'opèrent sur les
produits exportés. Chaque région développe une spécialité dans un ou plusieurs types
de produit donné.
Par atileurs, la division concernant produits utilitaires et produits de luxe est
primordiale pour mon analyse et par conséquent, l'interprétation des échanges. De plus,
en ne les mettant pas en opposition, mais au contraire sur un même plan elle rend
légitime la comparaison entre ces catégories ainsi que la recherche de points communs
et différences.
Cependant, la World-System Theory, présente ses limites. S'il est acceptable de
voir dans l'ancien monde la Mésopotamie, l'Egypte et la vallée de ITndus comme
constituant des «centres» de grande importance, il ne faut pas sous-estimer les dites
«périphéries». Si elles paraissent secondaires, c'est peut-être aussi parce qu'elles ont
été moins étudiées. De plus, les afftimations concernant leur retard technologique ont
aussi été remises en cause par des travaux plus récents (Potts, 2000 : 48).
On remarque aussi que concernant la Mésopotamie et la vallée de l'Indus, des
échanges commerciaux existent entre ces cultures. Ici le modèle centre-périphérie ne
fonctionne pas. On se retrouve plutôt dans un rapport centre à centre.
Enfin, pour ce qui concerne la vision globale des relations dites centre-
périphérie, elle ne me semble pas adaptée à la réalité des données archéologiques
disponibles pour la région.
Une critique intéressante de la World-System Theory est faite en ce sens par
Kohi (1996). Tout d'abord, ce dernier conteste l'idée que le système de l'économie
internationale et l'empire politique soient proportionnés l'un par rapport à l'autre,
l'empire (le centre) rayonnant sur toute la zone du système (les pénphéries) (Kohi,
1996 : 145). De plus, l'idée d'empire est à écarter pour le lllcinc millénaire, car les
données rappellent que la cité reste l'unité définissant l'État (Kohi, 1996 : 146). Sur ce
point, cette affirmation est à nuancer aux vues de l'existence de deux empires au III0"3
millénaire (akkadien, Ur UI) représentant une période de plus de 200 ans. Un autre
32
point de la critique de Kohi, que cette fois-ci je ne retiens pas du tout, est le rejet de la
distinction entre produit utilitaire et produit de luxe (Kohi, 1996 : 147). L'affirmation
que cette classification fausse l'interprétation ne me paraît pas pertinente. En effet, je
pense que cette division entre produit utilitaire et produit de luxe est justifiée. Si
certaines marchandises ont parfois appartenu aux deux catégories, ce ne fut
généralement pas aux mêmes époques ou dans les mêmes proportions. Ainsi le cuivre
au chalcolithique était souvent utilisé pour des parures (Moorey, 1999 : 255-257). Mais
au ni c n i c millénaire bien que cette fonction ne disparaisse pas totalement, il en est fait
un usage technique indéniable pour la production d'outils, d'armes ou d'instruments
(Moorey, 1999 : 258). La catégone des produits de luxe me paraît, elle, plus fermée
encore pour le in cm " millénaire. Que ce soit le lapis-lazuli, For, l'améthyste, pour ne
citer qu'eux, il ne peut être véritablement fait usage de ces matières sur un plan
technique. Aucune arme, outil, ou instrument ne requiert spécifiquement Fusage de ces
matériaux. Par conséquent l'utilisation de ces produits de luxe ne s'explique que sur un
plan symbolique. Ainsi, comme ces deux catégories conespondent à des usages
clairement différents, il m'apparaît légitime de s'interroger sur la manière dont ils sont
commerces. Peut-être des différences significatives sont-elles à relever sur le commerce
de ces deux types de marchandises ?
En revanche, le présupposé théorique de Kohi concernant l'influence du
commerce sur la structure interne de l'économie des États me paraît tout à fait justifie
(Kohi, 1996: 147). Le développement du commerce amène, selon lui, une
spécialisation dans les productions déjà préexistantes. Ceci a un tinpact direct sur la
structure sociale et économique. Mais l'élément principal de la critique de Kohi
concerne les relations entre les différentes régions composant le système. Selon lui, le
principe d'un centre dominant, au niveau économique, les périphéries ne fonctionne pas
(Kohi, 1996 : 148). Centres et périphéries dans son interprétation développent des
relations étroites d'égal à égal. De plus, les périphéries ne restent pas toujours intégrées
à une seule sphère mais peuvent faire partie de plusieurs systèmes régionaux, ce qui
renforce leur autonomie par une diversification des partenaires économiques. Enfin,
Kohi remet en cause le principe d'avantage technologique, défendu par Edens (1992 :
125-132), qui le définit comme un avantage économique aux centres. Il développe,
33
pom'justifier ce point de vue, l'idée de transfert technologique (Kohi, 1996 : 150). Pour
Kohi, les périphéries parviennent rapidement à acquérir les innovations technologiques
utilisées par les centres (métallurgie, domestication), quand elles ne les développent pas
elles mêmes.
Les critiques de Kohi me permettent de développer une perception différente et
plus nuancée que celle que pose la World-System Theory des relations commerciales.
Les éléments structurels posés par Edens et la dynamique proposée par Kohi me
serviront, en les combinant avec d'autres données, à créer un modèle plus adapté.
É l é m e n t s du s y s t è m e régional
qu'un pays doit se spéciahser dans ia production où il est le plus efficace par rapport à
ses partenaires commerciaux (avantage absolu). Ricardo (1992: 153) affine cette
analyse en affirmant que tout pays doit se spécialiser dans le domaine où son
désavantage est le plus faible. En abandonnant la production de produits où ils sont le
moins efficaces économiquement, chaque pays peut consacrer les moyens de
production libérés à sa spécialisation propre. L'accroissement de la production où il est
le plus efficace lui permettra de dégager un excédent qui sera exporté. En retour, il sera
possible d'importer les produits dont la production aura été abandonnée dans le pays.
Au final la production totale de toutes les marchandises aura augmenté de manière
significative, bien plus que si chacun ne s'était pas spécialisé.
Appliqué au contexte des sociétés anciennes pré-capitalistes, ceci signifie que la
spécialisation économique permet aux différents membres du réseau régional
d'exporter soit la production de marchandises dont ils sont le mieux pourvus, soit la
seule production dont ils disposent. Le but reste d'importer les marchandises dont ils
sont dépourvus ou dont la production leur est ie plus difficile aux vues des moyens dont
ils disposent. Le gain pour chaque société est absolu s'il s'agit d'une production qu'il
lui est unpossible de réaliser sur son territoire (absence de matières premières
nécessaires, manque de main-d'œuvre, potentiel agricole trop faible). Ce gam est relatif
si la société importatrice dispose des moyens de production de la marchandise
importée, mais que celte production n'est pas ou peu efficace (temps investi trop
important, trop grande mobilisation de main-d'œuvre ou de ressources naturelles).
Le centre aurait un rôle initiateur et incitatif sur les périphéries concernant la
spécialisation et les échanges. Les périphéries s'engageraient dans le processus non
sous la contrainte, mais par intérêt, celui de bénéficier de l'importante capacité de
production spécialisée du centre. Chacune n'accroîtrait la production que dans les
domaines répondant aux besoins du centre. En retour, la périphérie y gagne une
diversification des produits disponibles, ainsi que la possibilité de concentrer ses
moyens de production sur les domaines qu'elle juge essentiels (produits exportables,
biens de subsistance, produits technologiques). Si une région ne possède pas les
capacités de répondre aux besoins de ses partenaires et/ou n'a pas d'intérêt à importer
certains produits, cette région reste en dehors du réseau commercial. L'appartenance au
CHAPITRE 3
Par opposition : les produits de luxe sont constitués par l'ensemble des matières
premières et objets finis utilisés pour des besoins non essentiels à la vie courante. Ils ne
répondent pas généralement à un besoin biologique et leur utilisation est
fondamentalement d'ordre culturel. Us remplissent un rôle dans les sociétés complexes
sur le plan symbolique en étant porteurs de signification. Cela peut renvoyer à la
hiérarchisation sociale, à une appartenance identitaire, au pouvoir politique, ou encore
au domaine religieux. Dans le contexte mésopotamien du IIICIT1C millénaire avant notre
ère, c'est la fonction dévolue au lapis-lazuli. Il sert à marquer la hiérarchisation et à
afficher un sens politique et religieux.
Cette distinction entre produits utilitaires et produits de luxe semble être simple
à établir, d'autant que l'on peut légitimement supposer qu'il s'agit d'une distinction qui
existait de manière imphcite ou non pour les membres des anciennes sociétés.
Cependant, il faut garder toujours une certaine réserve en admettant que certaines
exceptions peuvent exister. Certains produits ne sont pas toujours aisés à classer, soit
par leur nature, soit par leur usage après transfonnation. De plus, il est établi que le
temps et Fusage peuvent transférer certains produits d'une catégorie à une autre.
Généralement il s'agit d'un produit de luxe qui devient produit utilitaire, ou tout
simplement cesse de remplir les fonctions symboliques d'un produit de luxe. Ainsi, si
au Chalcolithique le cuivre est surtout utilisé dans les parures, et par conséquent fait
partie des produits de luxe, dans les périodes suivantes son rôle deviendra de plus en
plus utilitaire. Par ailleurs, le lapis-lazuli, qui sera aussi l'objet de cette étude, est
assurément la pierre la plus précieuse du Proche-Orient antique alors que dans nos
sociétés actueUes, elle n'a plus qu'un rang secondaire dans les valeurs symboliques du
prestige.
Après avoir présenté les sources de ces importations, il conviendra de
s'intéresser aux exportations mésopotamiennes, nécessaire contrepartie de ces
échanges. Le détail de ce commerce nous amènera à examiner les implications socio-
économiques qui en découlent, et enfin les moyens de transport utilisés pour réaliser
ces échanges.
42
1995 : 1505). Muhly (1995 : 1506) souligne que l'Iran du nord, se tournant vers l'Asie
centrale, aurait délaissé ses contacts avec la Mésopotamie. Celle-ci est alors contrainte
de se fournir ailleurs. Potts (1994 : 150) affirme quant à lui que ce changement serait
dû à l'effondrement du Proto-Élam ainsi qu'a ia facilité du transport par mer et par
fleuve du cuivre venant de l'Est. Le coût moindre du voyage devient un facteur
économique notable
U résulte ainsi des données archéologiques et épigraphiques que la
Mésopotamie du sud importe son cuivre au III0"10 millénaire avant notre ère de trois
sources distinctes.
3.1.1 Magan
Magan se trouve être la péninsule d'Oman (Muhly, 1973 : 225 ; Potts, 1992-
1993 : 391). Cette région a fait l'objet d'intenses recherches archéologiques qui ont
permis de documenter l'activité reliée au cuivre à travers les différents millénaires.
Magan disposait d'importantes ressources en cuivre. Les recherches ont localisé des
dizaines de mines antiques. Les analyses chimiques ont démontré que le cuivre
retrouvé en Mésopotamie au m0™ millénaire provenait en grande partie de Magan
(Montero Fenollos, 1998 : 46 ; Moorey, 1999 : 243). De plus, les textes mésopotamiens
font très tôt mention du cuivre de Magan (Moorey, 1999 : 245). Magan est présent de
manière importante dans la plupart des textes évoquant le cuivre au III millénaire.
Les textes de Sargon d'Akkad parlent ainsi des navires de Dilmun, Magan et Melukkha
venant s'amarrer au port d'Agade. Un écnt d'Ibbm Sin (2029-2006, Ur III) évoque de
même l'importation de cuivre de Magan. Cette région paraît être si importante dans le
commerce du cuivre que les Mésopotamiens parlent parfois de Magan comme de la
«montagne de cuivre» (Muhly, 1973 : 222-224).
Le cuivre de Magan est exporté en Mésopotamie par bateau. Suivant les
périodes, les contacts sont directs ou indirects. Pour déterminer cet aspect du
commerce, seuls les textes peuvent nous informer. Les textes pré-sargoniques, surtout
ceux du Dynastique Archaïque III, suggèrent essentiellement un contact indirect avec
Magan.
AA
En effet, il est surtout évoqué que le cuivre est en provenance de Dilmun, point
de passage sur la route du golfe (Montero Fenollos, 1998 : 43). Des contacts directs
avec Magan apparaissent avec l'Empire akkadien. Comme déjà dit plus haut, des
navires sont cités comme provenant directement de Magan. Durant la pénode suivante,
dite « Gudea », Dilmun est de nouveau cité régulièrement dans les textes. On parle du
cuivre de Dilmun .ainsi que des voyages à Dilmun. À l'époque d'Ur III, l'Empire
mésopotamien renoue des liens directs avec la péninsule d'Oman (Muhly, 1973 : 222).
Mais de nouveau, après la disparition de la dynastie d'Ur III, tout contact direct avec
Magan (ainsi qu'avec Melukkha comme nous le venons plus tard) disparaît (Moorey,
1999 : 246). Le lien demeure néanmoins par l'intermédiaire de Dilmun. Ainsi, s'il est
établi qu'un contact régulier pour le commerce du cuivre est maintenu durant tout le
III0"10 millénaire, la manière dont se font ces échanges varie dans le temps (Crawford,
1999 : 87-88). On remarque que dans les produits exportés de Magan, le cuivre
prédomine très largement. U est aussi fait mention d'autres produits comme la diorite,
ou du bois d'œuvre et de l'ivoire (ces deux derniers éléments ne provenant pas de
Magan), mais leur importance est autrement moindre (Potts, 1995 : 1456). U est à noter
que les contacts sont directs entre Magan et la Mésopotamie essentiellement lorsque
s'établissent les premiers empires, Empires d'Akkad et d'Ur III.
L'influence de ces échanges longues distances est majeure sur la société même
de Magan. Les contacts entre Magan et le sud Mésopotamien, mais aussi la vallée de
l'Indus et indirectement d'autres régions comme le nord de l'Afghanistan permettent
l'importation de produits exotiques (Potts, 2000 : 48). Ceux-ci profitent surtout à l'élite
locale mais aussi dans une certaine mesure au reste de la population. A coté de l'ivoire
d'Inde on retrouve aussi trace d'étain importé d'Afghanistan. Ce métal, essentiel à la
production de bronze, est plus présent à Magan qu'en Mésopotamie (Potts, 2000 : 48).
Cette société est ouverte sur de nombreuses régions au moins dès le milieu du III
millénaire, au point d'être qualifiée par Potts de trading culture (2000, 46). Les
échanges en eux-mêmes ont donc eu un impact significatif sur cette région.
46
3.1.2 Dilmun
3.1.3 Melukkha
principales sources sont les monts Chaghai au Pakistan (Figure 4), le Pamir au
Tadjikistan et la province de Badakhshan en Afghanistan avec le site de Sar-i Sang
(Figure 3 et 4). Ce dernier gisement semble avoir été la source d'approvisionnement
majeure des anciennes civilisations, comme l'Egypte et la Mésopotamie entre autres
(Casanova, 1999 : 191-192). C'est en effet dans cette province afghane que le lapis-
lazuli semble avoir été travaillé très tôt et à travers une longue période. Dans les
vestiges archéologiques, on retrouve cette pierre à différents stades de fabrication : état
brut, déchets, semi-ouvrés, produits finis (Casanova, 1998: 287). À partir de l'Asie
centrale, se met peu à peu en place un réseau de centres et de relais qui va permettre de
diffuser cette pierre semi-précieuse jusqu'en Egypte.
À coté de l'Asie centrale, certains argumentent qu'une autre source de lapis-
lazuli a pu fournir les cités mésopotamiennes. Cette thèse est ainsi défendue par Brown
(2001). Selon cet auteur, il y aurait une source de lapis-lazuli en Iran. Les nombreux
textes cunéiformes évoquant le lapis-lazuli en provenance d'Iran seraient mal
interprétés (Brown, 2001 : 45). En fait, il ne faudrait pas percevoir cette région comme
un simple heu de transit, mais comme une source à part entière de lapis-lazuli pom la
Mésopotamie. Son argumentation repose sur les textes évoquant l'Iran comme source
même de cette pierre. À cela s'ajoute le résultat de l'analyse d'un échantillon iranien
qui ne correspond pas aux échantillons recueillis en Asie centrale. Enfin, des textes
économiques d'Ebla évoquent pour la fin du jjj cmc millénaire, une pénode où le pnx du
lapis-lazuli est extrêmement bas. Cela est dû alors à une très grande abondance de cette
piene bleue. Pom Brown (2001 : 45), un tel afflux ne peut se réahser que si les mines
d'origine sont relativement proches. Tout en cela indiquerait Ftian comme exportateur
de ce produit.
Je ne me rallie pas à l'interprétation de Brown pour différentes raisons. Tout
d'abord, aucune carrière antique de lapis-lazuli (ou même moderne), n'a été retrouvée à
ce jour en Iran. Il n'est pas fait état non plus d'autres pienes bleues pouvant
s'apparenter au lapis-lazuli. De plus, les résultats des analyses réalisées par Casanova
(Brown, 2001 : 46), ne concernent qu'un seul élément pour l'Iran ce qui est bien peu
pour déterminer une source de ce type de pierre.
50
Ft£:trv 36. Map shGwhif! .wtyar ««wren ol <nmcban .tnd laws totlh fBfter Tasï 1970*80: Kg. 2;.
Les textes ainsi que les voies d'importation en Mésopotamie des autres produits
commerces nous suggèrent, en partant des carrières, un cheminement vers le sud pour
atteindre la Vallée de l'Indus, région où s'établit la culture harappéenne, qui connaît
son apogée en 2500 av. J.C (Figure 5). On remarque dans ce sens la présence d'une
colonie harappéenne dans la province du Badakhshan. Cette implantation servait à
pourvoir la vallée de l'Indus en lapis-lazuli (Potts, 1992-1993 : 390 ; 1994 : 210). De
Melukkha, la pierre était ensuite expédiée par bateau vers le sud mésopotamien. Cela
est conforté par les textes qui évoquent les navires de Melukkha transportant, entre
autres choses, du lapis-lazuli (Muhly, 1973 : 309). Cette route paraît d'autant plus
plausible qu'elle emprunte la même que celle du cuivre à cette période, comme nous
51
l'avons vu précédemment. En outre, on se rappelle qu'à la période akkadienne, la
vallée de l'Indus et le sud mésopotamien étaient en contact direct et qu'à travers tout le
millénaire les contacts indirects subsisteront via Dilmun
Cependant, si d'autres routes reliant la Mésopotamie à l'Asie centrale étaient
possibles, il ne faut pas écarter ces itinéraires Une route partant du nord du
Badakhshan aurait pu traverser le Turkménistan pour ensuite atteindre le Nord-Est de
l'Iran et finalement la Mésopotamie. Seulement, peu de données concrètes viennent
étayer cette possibilité (Tosi, Piperno, 1973 : 16-17, 23 , Majidzadeh, 1982 : 59-62). Le
troisième chemin, partant toujours du Badakhshan, emprantait la rivière Hilmand
jusqu'à Shahr-i Sokhta, qui serait l'ancienne Aratta selon M. Tosi (cité par Casanova,
1998 : 287). De là, deux routes étaient possibles, l'une terrestre jusque Suse, l'autre
maritime jusque Dilmun et la Mésopotamie du sud (Tosi, Piperno, 1973: 16-17,
Casanova, 1998 : 288).
3.4.1 Similitudes
Tout d'abord, ces deux produits sont l'objet en Mésopotamie, d'un commerce
croissant dès la fin du IVcmc, début IIF™0 millénaire. Le cuivre est de plus en plus utilisé
dès la période de l'Uruk. Pom ce qm' est du lapis-lazuli, l'essor de sa consommation
commence tm peu plus tard, 2700-2500 av. J. C, la plus grande utilisation de cette
pierre eut heu au milieu du III™10 millénaire (Casanova, 1999 : 197). Mais il est
important de souligner qu'il s'agit là de l'essor du commerce de ces marchandises et
non du commencement de ce type d'échanges. En effet, cuivre et lapis-lazuli sont
connus des Mésopotamiens au moins depuis le Chalcolithique ancien (Casanova,
1999 : 196 ; Moorey, 1999 : 255). Le cuivre est même présent occasionnellement sur
des sites mésopotamiens dès le VI0™ millénaire avant notre ère (Moorey, 1999 : 255),
U est alors utilisé pour la production de bijoux mais aussi d'outils. Ce métal peut être
travaillé à froid, quand il s'agit de cuivre natif, mais on le trouve déjà sous forme
d'alliage avec l'arsenic (Muhly, 1997 : 8). Le lapis-lazuli est lui aussi présent sur les
57
sites mésopotamiens au Chalcolithique, mais en des quantités encore moins importantes
que le cuivre, comparé à l'usage qm en est fait au IIIOTC millénaire (Casanova, 1998 :
263). L'établissement de l'État comme nouvelle forme de société semble être la raison
commune à l'augmentation de l'utilisation de ces deux produits et par conséquent de
leur importation. À propos du cuivre, Muhly (1997 : 8) parie littéralement
«d'explosion».
Le deuxième point commun au commerce du cuivre et à celui du lapis-lazuli
concerne la provenance de ces matériaux. Pom le sud mésopotamien, ces deux
marchandises proviennent de l'Est Pour ce qui est du lapis-lazuli, les seules et rares
sources s'imposent d'elles-mêmes. Si les cités-États veulent la piene bleue, il leur faut
se tourner vers l'Est. La situation est quelque peu différente pour le cuivre car plusieurs
régions minières existent. Néanmoins, pom le sud mésopotamien du incmc millénaire,
on remarque que ce métal provient aussi d'orient. Les zones géographiques sont
différentes de celles du lapis-lazuli (Asie Centrale), cependant, la dynamique des
échanges semble indiquer que le sud mésopotamien est, à cette période, résolument
tourné vers l'Est. En effet, le cuivre, contrairement au lapis-l.azuli, est disponible dans
d'autres régions relativement proches des cites-États : nord de l'Iran, Anatolie. Les
liens qui existaient auparavant entre ces régions et le sud mésopotamien (à la période
de F Uruk) semblent maintenant insignifiants pour ce qui concerne les échanges
commerciaux (Huot, 1989 :107). Par contre, concernant le nord mésopotamien, la
dynamique de l'importation du cuivre apparaît avoir été différente. Le cuivre, utilisé en
Syrie du nord, est dans ce cas issu du Taurus (Yener, 2001 : 3). Des réseaux d'échanges
de métaux liaient cette région de l'actuelle Turquie au nord mésopotamien. Quelques
cités-États, situées sur les axes de communication, semblent avoir joué un rôle
important d'intermédiaires. Ainsi, Mari représentait une ville commerciale de premier
ordre dans les échanges de métaux pour cette région (Montero Fenollos, 1997(b) 8-
10). L'Euphrate est ici employé pleinement comme moyen de communication.
Enfin, le troisième élément commim au commerce du cuivre et du lapis-lazuli
concerne la contrepartie mésopotamienne. Dans les deux cas, les cités
mésopotamiennes échangent les mêmes exportations pour obtenir le métal et la pierre
semi-précieuse. Cet aspect est plus difficile à analyser du fait de l'absence quasi totale
58
de traces archéologiques de ces produits en Mésopotamie comme dans les régions
partenaires. Les céréales semblent avoir eu une importance beaucoup moins grande
qu'on ne le pensait auparavant pour Dilmun et Magan (Crawford, 1997 : 703). Dans le
cas de Melukkha, le rôle des céréales mésopotamiennes comme bien d'exportation
paraît encore plus douteux du fait de la distance et de la capacité propre de ia vallée de
l'Indus à l'autosuffisance alimentaire Par contre, textile et huile de sésame demeurent
tout à fait crédibles comme matières exportables (Postgate, 1994 : 218). Us sont à
classer dans les produits à forte valeur ajoutée Percevoir ces marchandises comme des
contreparties payant le produit utilitaire aussi bien que le produit de luxe semble
pertinent. Textile et huile étaient consommés dans ces sociétés ; cependant ces
dernières ne disposaient pas du même potentiel de production que la Mésopotamie
quant à ces marchandises.
3.4.2 Différences
Dans le cas du lapis-lazuli, on remarque qu'il était beaucoup moins présent que
le cuivre dans Féconomie domestique de la cité-État mésopotamienne. Cela s'explique
par Fusage qui eu était fait el par les utilisateurs de ce produit. Le lapis-lazuli avait un
rôle idéologique et religieux. De fait, on ne le retrouve que dans ces contextes
particuliers. Il ne s'agit pas d'une marchandise ordinaire. Celle pierre n'était utilisée
que pour la production de bijoux, de sceaux cylindriques ou d'objets de prestige,
comme par exemple le célèbre étendard d'Ur. La très grande majorité des bijoux taillés
dans cette piene consiste en différentes fomies de perles. Seule une partie très
restreinte de la société avait accès au lapis-lazuli. Il s'agissait des membres les plus
éminents de l'élite politique et religieuse. Résumé de manière schématique, seul le
dirigeant de la cité et son entourage direct utilisaient cette piene. Au sein même de ce
groupe, il existait une très forte disproportion. On remarque dans le cas du cimetière
royal d'Ur, que les deux personnages les plus importants concentrent dans leur
sépulture 75 % du lapis-lazuli retrouvé pour cet ensemble archéologique. Le 25 %
restant se répartit entre les tombes des dignitaires de haut rang, soit 73 corps
(Casanova, 1998: 264-265). Aux informations issues de l'élude des contextes
funéraires, on peut ajouter quelques données archéologiques, cette fois bien ancrées
dans le quotidien de la cité. Il s'agit de morceaux bmts de lapis-lazuli retrouvés en
Syrie à Djebel Aruda et Ebla (Fortin, 1999 : 211). La quantité retrouvée à Ebla est
particulièrement impressionnante puisqu'elle dépasse les 23 kg. Un facteur tout aussi
important que la quantité est le heu où ils furent retrouvés. Ils se trouvaient en effet à
l'intérieur même du palais (Potts, 1994 : 199). Des découvertes identiques mais moins
spectaculaires furent faites en Mésopotamie du sud, à Ur et Larsa entre autres
(Casanova, 1999 : 199). Ces blocs non travaillés de lapis-lazuli sont la preuve que la
piene était transformée, soit en bijoux ou en sceaux, une fois anivée à destination. Des
artisans lapidaires avaient la tâche de fournir ie palais et le temple. L'État emploie donc
encore ici une main-d'œuvre spécialisée qui ne travaille exclusivement que pom lui.
Les grandes institutions étaient en effet les seules à consommer ces biens de luxe. Si la
majorité de ces ouvriers spécialisés oeuvrait dans les ateliers rattachés au temple et au
70
palais, une partie de la production provenait aussi de l'extérieur de ces grands
complexes. Mais là encore, cette production indépendante était acquise par l'élite et
devait répondre au standard imposé (Casanova, 1998 : 262). Les artisans lapidaires
travaillaient en plus du lapis-lazuli, la cornaline ou le cristal de roche. L'élite gardait le
monopole d'utilisation de toutes ces matières. L'acquisition, la gestion, la
transformation et Futih^lion des pienes semi-précieuses étaient une affaire politique
«étroitement et directement contrôlée pat les princes» (Casanova, 1998:260). Ces
pienes, surtout le lapis-lazuli, portaient en effet mie très forte signification idéologique
et religieuse. Tout d'abord, la mythologie mésopotaniiemie fait une pari importante aux
différents types de pienes (Bottera Kramer, 1989 . 355-364). Les pienes, suivant leur
nature, dégageaient des connotations symboliques. Certaines renvoyaient au «pays de
la montagne», lieu de désordre et de danger, alors que d'autres référaient au pays
civilisé, œuvre de dieux bénéfiques où la nature esl organisée, permettant à
l'agriculture et à l'artisanat de s'y épanouir. Or, cet artisanat comprenait notamment le
travail des pierres et des métaux précieux (Casanova, 1998 274) On remarque de plus
sa présence dans la liste le commerce. Dans la mythologie, les pienes précieuses
avaient aussi une place particuh'ère, symbole de luxe el de supériorité culturelle. Mais
surtout, elles étaient la preuve de la bénédiction des dieux envers les cités-États
opposées aux «peuples des Montagnes». De ce fait les pienes semi-précieuses, étant
reliées au monde du divin, avaient aussi un pouvoir magique. Chaque type de piene
avait un rôle détenniné notamment sm le plan curatif ou pour protéger celui qui le
portait de la sorcellerie et du mauvais sort (André-Salvini, 1999 : 377).
Le lapis-lazuli et la cornaline étaient les pienes les plus précieuses aux yeux des
Mésopotamiens. Le lapis-lazuli était même perçu comme «l'image de la perfection»
(André-Salvmi, 1999 : 376). Il est dans la mythologie l'attribut de plusieurs dieux
majeurs comme Enlil et Inamia/Ishtar (Bottera, Kramer, 1989: 277, 281, 321-322).
Enlil est présenté comme ayant une barbe de lapis-lazuli. Inanna, déesse sumérienne,
dont l'équivalent akkadien est Ishtar, porte de nombreuses parares serties de lapib-
lazuli qui sont autant d'instruments magiques la protégeant. Dans le mythe de la
descente d'Inanna/Ishtar aux enfers, la déesse est dépourvue de ses talismans et se
7!
retrouve sans protection magique contre Ereshkigal, déesse des Enfers (Botléro,
Kramer, 1989 : 282, 322 ; André-Salvini, 1999 : 378)
Au sein de ces États, ce sont les dirigeants qui étaient en étroite relation avec le
sacré. Ceci explique pourquoi le lapis-lazuli, ayant une connotation mythologique, était
l'apanage de l'élite, intermédiaire entre le monde lenestre et spirituel. Ce joyau était
associé à un monde d'ordre et de bonne gestion, il devenait donc ainsi le symbole du
gouvernement, du pouvoir public.
4.3 Exportations
élites mandatées par ces villes géraient ces postes de production céréalières (Fortin,
2001b : 36-37). Or, ces postes agricoles étaient des zones de contact pacifique entre
nomades et sédentaires. Les indices archéologiques retrouvés à Tell Atij, situé dans la
moyenne vahee du Khabour, laissent penser qu'un système mutualiste a pu se mettre en
place enlie ces deux catégories de population (Fortin, 200ib: 37-46). Les pasteuis
nomades d'alors fournissaient, selon Fortin, le cheptel nécessaire aux villes pour leurs
besoins notamment textiles. Les animaux étaient nomris el échangés dans ces zones de
contact que représentaient les postes agricoles établis le long du Khabour par les cités
avoisinantes (Fortin, 2001b : 42-48).
Deux théories tendent à expliquer l'expansion de l'artisanat textile à partir de la
tin du IV0™, début du III0™ millénaire. Selon certains, ce que Me Coniston appelle la
«Révolution textile» («Fiber Revolution)*) serait due à une intensification de l'activité
agricole, suite à une augmentation de la pression démographique ou à im changement
climatique (Me Corriston, 1997 : 533). L'autre vision de la «Révolution Textile»
Fexptiquerait comme répondant au besoin de dégager des surplus nécessaires à des
réseaux d'échanges. Cette seconde interprétation cadrerait parfaitement avec la
perception que Fon peut avoir à propos des rapports entre État et commerce. Peu de
domiées totalement établies permettent d'affirmer de manière certaine que la
«Révolution Textile» est à relier avec l'apparition de l'Etat et l'essor du commerce qui
l'accompagne. Cependant, on ne peut s'empêcher d'observer la simultanéité de ces
phénomènes. En outre, le textile représente la seule exportation à forte valeur ajoutée
que la Mésopotamie puisse produire de manière totalement indépendante. En effet, elle
dispose directement de tous les éléments nécessaires à la production . matières
premières, main-d'œuvre abondante et spécialisée, capacité d'organisation à grande
échelle.
Le modèle que j'ai décrit dans les pages précédentes présente l'État comme
interventionniste dans l'économie mésopotamienne du IU^16 millénaire. En fait, les
institutions étatiques, bien que ne créant pas le commerce, qui existait déjà, sont à
l'origine de l'essor des échanges commerciaux.
En suivant cette approche, il convient d'expliquer l'importance de l'État en tant
qu'acteur économique au sein de la cité mésopotamienne. Les importations sont liées
au fonctionnement économique mais aussi idéologique de l'État. Certaines catégories
d'importations doivent en effet permettre ou améliorer le fonctionnement des structures
économiques et administratives de FÉtat. Par ailleurs, d'autres importations répondent
à des besoins idéologiques, politiques ou religieux. Enfin, il est nécessaire d'exposer le
rôle essentiel que les institutions publiques jouent dans la production des exportations.
Dans un deuxième temps, la présentation du rôle commercial de FÉtat sera
complétée en l'élargissant à l'échelle régionale. Là, on s'aperçoit que les différents
partenaires commerciaux ne sont pas tant hés par des rapports d'hégémonie que par un
intérêt mutuel. Ceci les amène à effectuer une certaine spécialisation économique.
L'État a là encore un rôle primordial dans le sens où, étant à l'origine du
développement du commerce, il interagit directement avec les partenaires commerciaux
des régions avoisinantes.
Finalement, il nous faut aussi sortir du modèle interprétatif pom en considérer
les limites ainsi que les facteurs qui n'y sont pas intégrés.
Comme nous avons un aspect du commerce qui n'est pas abordé par le modèle,
il convient maintenant de s'intéresser aux limites inhérentes à l'utilisation du modèle
politique dans le cadre mésopotamien.
Pom ce qui est du fonctionnement du modèle, s'il ne semble pas y avoir de
problème à l'échelle de la cité, c'est concernant sa mise en application au niveau du
système régional que des réserves peuvent être émises. Tout d'abord, une des limites
concerne les centres. Le modèle explicatif admet l'existence de plusieurs centres. Le
principe que les périphéries les plus éloignées puissent appartenir à plusieurs systèmes
90
régionaux, et, donc, être en relation avec plusieurs centres, fonctionne. Mais il n'intègre
pas les possibles relations entre les centres eux-mêmes et, par conséquent, ne propose
pas une interprétation de la nature de ces relations. Or, on remarque que bien
qu'épisodiques (période akkadienne), des relations directes ont existé entre le sud
mésopotamien et la Vallée de l'Indus. Peu d'informations nous sont disponibles. On
peut raisonnablement supposer qu'il s'agissait de relations d'égal à égal, les deux
entités cultureUes formant des centres importants selon les critères de Edens (1992,
121). Les produits exportés par Melukkha étaient, en plus du lapis-lazuli et du cuivre, le
bois d'œuvre et la cornaline. Il n'y a pas de données directes quant à la nature des
exportations mésopotamiennes. La seule chose qui puisse être affirmée est qu'il
s'agissait de produits périssables qui n'ont pas laissé de traces archéologiques. On voit
donc ici qu'il n'y a pas réellement spécialisation de la part de Melukkha, ses produits
exportés sont assez diversifiés. Peut-être même y en avait-il d'autres dont la trace n'a
pas encore été retrouvée dans les textes ou dans les fouilles ?
La deuxième limite du modèle concerne surtout sa présente mise en
application : il n'a été mis à l'épreuve qu'à propos de deux produits. Le cuivre et le
lapis-lazuli sont certes représentatifs de leur catégorie, produit utilitaire, produit de
luxe, mais ne restent que deux exemples. Il serait nécessaire d'appliquer le modèle à
toutes les importations majeures teUes que bois d'œuvre, étain, plomb, diorite, or,
argent, cornaline, dans la mesure, certes, où Fon dispose de données suffisantes.
Enfin, la dernière remarque n'est pas réellement une limite, mais plutôt une
remise en perspective du commerce dans le contexte culturel. Il faut prendre en
considération que le commerce n'était pas le seul moyen pour la Mésopotamie de se
fournir en matières premières. Suivant les périodes culturelles, la guene, le pillage et le
paiement de tribut ne comptent pas non plus comme quantité négligeable. Ces échanges
inégaux étaient certes tiréguliers et non assurés pom les cités-États, mais représentaient
une source établie.
CHAPITRE 6
CONCLUSIONS
Les échanges en Mésopotamie avec les autres régions, parfois très lointaines,
existaient des mtilénaires avant l'apparition de FÉtat. Cependant, la quantité de
produits échangés demeurait relativement faible. En effet, les communautés agricoles
des périodes précédentes n'avaient nullement un besoin vital d'importation quelle
qu'elle soit pom leur subsistance (Forest, 1996 : 53-114). De plus, rien ne nous laisse
présumer que ces échanges étaient planifiés et que des réseaux organisés et rationalisés
existaient. Le commerce n'est nullement indispensable à l'individu mésopotamien,
mais il est primordial à la nouvelle fonne de société qu'est l'État. Ce dernier semble
être l'élément social, politique et économique qui a agi comme un catalyseur. À la base,
il n'a rien créé, mais a augmenté considérablement les échanges, dans une certaine
mesure les a diversifiés, et, pom se faire, a repris des réseaux existants, les a
rationalisés et contrôlés.
De plus, il a orienté les structures suivant ses besoins propres. U s'agit des
structures de production internes à la cité, comme les activités agricoles, et les activités
artisanales, tels la métallurgie, la joatilerie et le tissage. Dans le cas de l'agriculture, les
domaines pubhcs étaient les seules grandes propriétés capables de fournir un excédent
exportable. Pom ce qui est de l'artisanat, la situation varie quelque peu suivant le
secteur d'activité. Les exportations de textile étaient issues des complexes pubhcs. Les
92
productions métaUurgiques provenaient d'organismes publics pom l'essentiel ;
cependant, des ateliers privés étaient au service des particuliers. Le travail des pienes
semi-précieuses se faisait au sein des complexes publics, mais aussi dans des atehers
privés. Néanmoins, ces produits de luxe n'étaient consommés en dernier lieu que par le
palais et le temple.
En complément des structures internes, il faut ajouter l'implication de FÉtat
dans l'organisation commerciale régionale. U serait excessif de dire que le sud
mésopotamien a défini entièrement les rôles de ses partenaires commerciaux.
Cependant, ses demandes propres ont influencé la spécialisation et l'augmentation de
production de certaines exportations, ou le développement d'un type particulier
d'activités. Ainsi, Dilmun comme Magan ont eu leur activité économique fortement
influencée par le commerce qu'ils ont exercé durant tout le IIIèine millénaire avec le sud
mésopotamien. Il est certain que l'exploitation du cuivre dans la péninsule d'Oman
n'aurait pas eu la même importance sans les débouchées pom les exportations que
représentaient la Mésopotamie et la vallée de l'Indus. De même, Dilmun a connu un
essor économique particulier grâce à son rôle d'intermédiaire commerciale entre les
grands centres culturels. L'effondrement de la civilisation harappéenne est même
parfois interprété comme expliquant le déclin de Dilmun au lJeme miUénaire, cette
région perdant sa raison d'être commerciale (Lombard, 1999, 25).
Ainsi, la World System Theory qui a fortement influencé cette analyse peut
s'appliquer pour partie, mais ne se vérifie pas sm certains aspects. Le principe de
compétition entre éléments du centre est observable dans l'histoire mésopotamienne,
mais ne s'apphque pas pom les périphéries. En outre, la spécialisation économique est
posée comme pouvant résulter de pressions idéologiques, politiques et militaires ou
pour faire face à une compétition de concunents. Ceci ne s'applique pas à propos des
périphéries comme Magan ou Dilmun à la lumière des données actuelles. Au contraire,
cette spéciatisation résultat du bénéfice que retiraient les partenaires de ces échanges.
Les relations entre centres et périphéries ne se sont pas révélées forcément
désavantageuses à ces dernières.
Par ailleurs, le modèle interprétatif proposé dans ce travail présente une limite
dans la nature des relations entre les «centres». La Mésopotamie et la vallée de l'Indus
93
ont entretenu des relations sur de très longues périodes. Certes, ces échanges se
faisaient sur de longues distances et le plus souvent en ayant recours à un intermédiaire.
Mais lorsque le sud mésopotamien de la période akkadienne envoyait directement ses
navires jusqu'à Melukkha, ou comme le suggèrent plusieurs indices, apparaissent des
établissements harappéens en Mésopotamie même, la nature exacte des rapports
commerciaux reste à définir. On peut supposer une relation d'égal à égal, mais cela
reste à prouver.
Si le sujet principal de cette étude fut la nature des rapports ayant existé entre la
cité-État mésopotamienne et les échanges longues distances, il convient en dernier heu
d'opérer une certaine remise en contexte de ce phénomène. En effet, pom FÉtat, le
commerce n'était qu'un aspect parmi d'autres de l'économie de la communauté. L'État
était définitivement interventionniste. Présent dans toutes les structures de la société, il
disposait donc aussi d'autres moyens pom répondre à ses besoins.
Dans le cas de la nécessité d'acquérir les matières manquantes à la cité, il
pouvait avoir recours par exemple à la guene. Le phénomène militaire s'est développé
comme nous l'avons vu, suite à l'apparition de FÉtat. Sans aller jusqu'à affirmer que
l'unique raison d'être de la guene était de fournir des produits matériels, il est certain
que cela pouvait être une raison valable. Les motivations étaient souvent diverses,
toujours légitimes aux yeux de celui qui déclarait la guerre. Cependant, on observe une
constante : l'importance donnée dans les textes, en cas de victoires, au butin pris à
l'ennemi, et par la suite au tribut imposé aux cités vaincues. Certes, il s'agit d'une
manière incertaine et tirégulière d'obtenir ce qui manque à FÉtat, à son élite et à sa
société ; néanmoins, la situation de guene permanente qui ne cessera de croître à partir
du in eme millénaire, nous oblige à prendre en considération cette source
«d'importations». Il est notable à ce propos que toutes les dynasties régnantes n'ont pas
fait le même usage de l'outil militaire. Ici, une opposition apparaît entre l'Empire
akkadien et celui d'Ur III, que Forest (1996 : 241, 244) qualifiera respectivement
«d'État prédateur» et «d'État gestionnaire». Des différences notables, qui n'ont été que
peu abordées dans ce travail, transparaissent ainsi entre les États mésopotamiens. Après
avoir cherché à tracer les grandes lignes communes aux structures étatiques qui se
succèdent à travers cette période, il serait complémentaire d'opérer la démarche
inverse.
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