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CONFLITS ARMÉS, INSÉCURITÉ ET TRAPPES À PAUVRETÉ EN AFRIQUE

Philippe Hugon

De Boeck Supérieur | « Afrique contemporaine »

2006/2 n° 218 | pages 33 à 47


ISSN 0002-0478
ISBN 2804151174
DOI 10.3917/afco.218.47
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine1-2006-2-page-33.htm
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Conflits armés, insécurité
Conflits armés, insecurité
et trappes à pauvreté en Afrique

Philippe HUGON 1

« La véritable liberté publique ne peut avoir lieu


que lorsque la sécurité des personnes est assurée. »
Montesquieu

INTRODUCTION
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Alors que le développement est un processus long et endogène, l’Afrique
est le continent des conflits, de l’urgence et des tsunamis silencieux. Les
questions de sécurité sont devenues prioritaires. La sécurité est l’état d’un
sujet (individuel et collectif) qui s’estime non menacé ou dispose de capacités
de réponses face à des dangers réels ou anticipés. Elle est un bien public mal
assuré du fait de la faiblesse, voire de la disparition des forces de police, d’ar-
mées et de justice garantissant le respect des droits civils et politiques. L’in-
sécurité prend des formes multiples, dont les plus extrêmes sont les conflits
armés. Ceux-ci diffèrent selon leur intensité, leur durée et leur extension
territoriale. Ils peuvent être infranationaux, internationaux ou régionaux.
L’Afrique est devenue le continent où le nombre de victimes du fait des
conflits armés est le plus élevé au monde, même si on note un certain recul
de la conflictualité (cf. tableau 1).
Depuis 1990, 19 conflits majeurs africains ont été localisés dans 17 pays,
dont un seul « classique », c’est-à-dire opposant deux États (Éthiopie-Érythrée).
La baisse du nombre des conflits majeurs en Afrique entre 1990 et 1997 a fait

1. Philippe Hugon, professeur émérite Paris X Nanterre, IRIS ; philippehugon@neuf.fr.

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■ Afrique contemporaine ■

place à une reprise entre 1998 et 2000 (11 conflits par an), puis à une réduc-
tion depuis 2001 (cinq conflits par an en moyenne). En 2006, le spectre des
conflits continue de hanter la République démocratique du Congo (RDC), la
Côte d’Ivoire, la Somalie, l’Érythrée et l’Éthiopie ainsi que le Darfour, avec
une extension au Tchad voisin. S’expliquant largement par le sous-dévelop-
pement et par l’exclusion, les conflits sont, à leur tour, des facteurs d’insécu-
rité et de sous-développement traduisant l’existence de cercles vicieux et de
trappes à sous-développement et à conflits.

Tableau 1 – Importance des conflits africains (1990-2004)

1990-1994 1995-1999 2000-2004 2004


(moyenne) (moyenne) (moyenne) (moyenne)

T G Te T G Te T G Te T G Te
Afrique 7 6 2 7 7 1,4 9 6 1,2 5 5 1
Monde 25 20 14 24 13 10 20 12 9 19 11 8
% 28 30 14 29 53 14 45 50 13 26 45 12

Source : statistiques de l’UCDP (Uppsala Conflict Data Program) cités par SIPRI (2005, p. 122).
T : total ; G : gouvernement ; Te : territoire.
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Certains conflits sont à la fois gouvernementaux et territoriaux (à l’image
du Soudan en 2004).
Nous examinerons successivement (I) le rôle des trappes à pauvreté dans
l’explication des conflits et (II) inversement le rôle des conflits dans le sous-
développement, avant de proposer (III) quelques pistes d’action permettant
de lier sécurité et développement.

LES CONFLITS ARMÉS EN AFRIQUE


AU REGARD DES TRAPPES À PAUVRETÉ

Selon plusieurs auteurs, aux conflits idéologiques des anciennes guerres


fondées sur des doléances auraient succédé des conflits davantage prédateurs
et captateurs de rentes ayant une dimension ethnique (Collier, Hoeffler, 2000).
Cette thèse de la nouveauté des conflits armés et du rôle des facteurs écono-
miques est controversée (Ballantine, Sherman, 2003 ; Kalivas, 2001 ; Marchal
et Messiant, 2002). Elle aurait le tort à la fois d’agréger des conflits de natures
différentes et de penser la rupture alors qu’il y aurait continuité historique.

34
■ Conflits armés, insécurité et trappes à pauvreté en Afrique ■

Les conflits armés sont des catastrophes anthropiques. Il y a risque systé-


mique dans la mesure où il y a interdépendances entre facteurs pluriels, où
les réponses des agents conduisent à accroître la crise à un niveau collectif
et où les régulations sont défaillantes. En outre, les phénomènes peuvent
faire tâche d’huile à une échelle infranationale ou transfrontalière.

Ce risque systémique résulte de la combinaison de quatre facteurs :

Structurels
De sous-développement, caractérisés par la vulnérabilité et par l’exposi-
tion au risque des populations ayant une faible résilience du fait d’une in-
suffisance de disponibilité, de défaillances de marchés, d’absence de droits
et de capacités ou de dysfonctionnement dans l’allocation des ressources.
Chocs conjoncturels, exogènes ou endogènes
Liés à des événements subits et subis conduisant à une forte perturbation
du système et à une propagation non régulée.
Institutionnels et politiques
Caractérisés par des absences ou des défauts de prévention (cellule de
veille, systèmes d’alerte) et de régulation, par une instrumentalisation (des
jeunes sans emploi, du religieux ou de l’ethnicité).
Informationnels
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La crise paroxystique répond toujours à une défaillance de l’information
et à de la propagande portée par les pouvoirs et les medias.

L’enchaînement des facteurs de conflictualité

Les conflits armés, notamment africains, résultent de l’enchevêtrement de


plusieurs facteurs (culturels, sociaux, politiques, militaires, géopolitiques)
ayant chacun leur propre temporalité. Ils mettent en jeu une pluralité d’ac-
teurs, d’alliances et de mobiles. Leur explication implique des approches
pluridisciplinaires : sociologique (action violente des masses, propagande, dé-
sinformation de la presse, campagnes génocidaires) ; politique (antagonismes
entre puissances rivales, conflits de pouvoirs, jeux des représentations et replis
identitaires réifiés, instrumentalisation du religieux) ; économique (intérêts
économiques, modes de financement des conflits) ; psychologique (théories
du conflit fondées sur le couple frustration-agression ; la pulsion de mort de-
vient pulsion de destruction de l’autre) ; militaires (défaillances des forces de
sécurité, trafics d’armes). La cause initiale peut être mineure alors qu’une fois
déclenchés, en l’absence de régulation et de prévention, les conflits violents

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■ Afrique contemporaine ■

peuvent devenir incontrôlables. En outre, la violence engendre la pauvreté,


l’exclusion et l’absence d’institutions, qui elles-mêmes nourrissent les conflits.
On note une réactualisation de conflits ancestraux. L’histoire de l’Afrique,
dans la longue durée, est caractérisée par la violence des conquêtes, des
guerres et des razzias. De nombreux conflits africains contemporains réac-
tualisent des conflits ancestraux, parfois instrumentalisés par les pouvoirs
(éleveurs versus agriculteurs, réseaux commerçants islamisés versus créoles
ou natifs, populations arabisées versus négro-africaines) tout en résultant de
crises – économique, sociale, environnementale ou politique – actuelles.
L’instrumentalisation du religieux joue un rôle. L’intégrisme religieux s’est
substitué dans certains États au nationalisme ou au socialisme comme projet
de sociétés. L’Afrique est peu concernée par ces épisodes « à la Huntington »,
même si les conflits internes au Soudan, au Nigeria, voire entre l’Érythrée et
l’Éthiopie, peuvent être considérés en partie comme des conflits entre chré-
tiens et musulmans. Il existe, en revanche, des réseaux islamistes, plus ou
moins liés à la nébuleuse Al-Qaeda, implantés dans la Corne de l’Afrique
(Soudan, Somalie, voire au Sahara). L’Islam noir s’appuie sur le terreau de
la pauvreté, de l’exclusion et des frustrations et joue un rôle redistributif,
(Ngoupandé, 2003). Il en est de même pour les églises messianiques ou évan-
gélistes. En RDC, l’église kimbanguiste joue un rôle important. En Côte
d’Ivoire, comme au Nigeria, les mouvements pentecôtistes témoignant de
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la confusion entre la morale, le religieux et le politique et affrontent une
montée en puissance des instrumentalisations du religieux par les imams du
Nord.
Les facteurs politiques sont évidemment essentiels. L’inégalité d’accès aux
postes de responsabilité ou aux services de base et la compétition pour le
pouvoir et ses ressources créent des tensions entre groupes sur des bases
identitaires, notamment ethnolinguistiques. Certains États faillis n’ont plus
le contrôle de leur territoire ni du respect des lois et des règles (cas de la
RDC, de la Somalie, voire de la Côte d’Ivoire). Plusieurs sociétés sont carac-
térisées par des proto-États et par des citoyennetés embryonnaires. Les
groupes au pouvoir accaparent les postes et le capital économique au nom
de la « zaïrianisation » ou de l’« ivoirisation ». Les diasporas, les conglomé-
rats ou les puissances régionales s’appuient sur ces factions. L’État africain
postcolonial se caractérise le plus souvent par sa faiblesse, menant au quasi-
effondrement d’institutions telles que l’armée. Il est en outre faiblement
connecté à une société civile peu affirmée. La faillite du modèle étatique
postcolonial, à laquelle s’est ajoutée la dévalorisation de l’État par l’idéolo-
gie libérale, ont conduit à des fractionnements territoriaux et à une montée
en puissance de factions s’appuyant sur des identités claniques, communau-

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■ Conflits armés, insécurité et trappes à pauvreté en Afrique ■

taires, ethniques ou religieuses. Les institutions demeurent, ainsi, largement


subverties par un système patrimonial personnel s’appuyant sur des compli-
cités extérieures. Les conflits se situent dans des contextes de défaillances
des États (failed, failing, fragile, rogue states) (Châtaigner, Gaulme 2005). Ra-
rement interétatiques (le conflit entre l’Éthiopie et l’Érythrée constitue l’ex-
ception), soit ils opposent des régions (en Côte d’Ivoire, en Ouganda, au
Soudan), soit ils caractérisent des sociétés décomposées ou implosées (RDC,
Libéria, Sierra Leone, Somalie).
La plupart des conflits africains ont une dimension régionale. Ils sont in-
tra-nationaux et transfrontaliers par le biais des États, des milices se déver-
sant des pays voisins et des contagions régionales de groupes ethniques à
cheval sur plusieurs pays. Le Zimbabwe a été ainsi impliqué dans la guerre
de la RDC pour s’opposer au leadership de l’Afrique du Sud. Le conflit du
Libéria et de la Sierra Leone s’est déplacé vers la Côte d’Ivoire par le biais
des jeunes combattants en déshérence. Les pays voisins de la Côte d’Ivoire
sont impliqués dans la guerre civile qui a abouti à la partition de facto du
pays. Les affrontements au Darfour ont fait tache d’huile au Tchad, du fait
des interférences réciproques de ce pays et du Soudan chez le voisin, au
point de jeter les bases d’un conflit régional. Les conflits génèrent des flux
de réfugiés dans des pays limitrophes qui alimentent avec des effets de re-
tour des conflits régionaux. Le génocide rwandais et les flux de réfugiés ont
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conduit à un développement des conflits en RDC. Certains conflits concer-
nent le contrôle de territoires et la délimitation des frontières (cas de Badmé
et de l’accès à la mer pour l’Éthiopie en Érythrée).

Le poids spécifique des facteurs économiques


et des trappes à sous-développement

La question se pose de savoir quel est le poids spécifique des facteurs éco-
nomiques et du sous-développement dans l’explication des conflits et dans
le processus d’engrenage et de propagation non régulée qui les caractéri-
sent. La guerre doit être financée et peut avoir pour motivation la captation
de richesses. Les conflits sont favorisés par le sous-développement économi-
que, le chômage des jeunes, la pauvreté et l’impossibilité pour les États d’as-
surer les fonctions régaliennes de sécurité 2. Quatre-vingts pour cent des PMA
ont connu des conflits depuis quarante ans et un revenu par tête deux fois
supérieur divise par deux le risque de guerre (World Bank, 2003).

2. Nous résumons dans cette partie l’analyse développée notamment dans Hugon (2003-2006).

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■ Afrique contemporaine ■

Dans leur modèle théorique qui fonde leurs tests empiriques, Collier et
Hoeffler (2000) se placent dans le cadre utilitariste de Grossman (1991). Ils
opposent la rébellion, forme de criminalité organisée caractérisée par l’avi-
dité (greed), au gouvernement supposé légitime et recevant les doléances
(grievance). “To get started, rebellion needs grievance, whereas to be sustained it
needs greeds”. Les variables les plus significatives sont économiques. Les con-
flits sont d’autant plus probables que le niveau de revenu par tête est faible,
que la part des matières premières est importante dans les exportations et
que le pays est polarisé autour de deux grands groupes ethniques.
Ces facteurs ont été depuis affinés et complétés. La nature des matières
premières est centrale et les ressources du sous-sol, notamment les hydro-
carbures, sont davantage facteurs de conflictualité que les matières premiè-
res agricoles (Bannon, Collier, 2003). Les questions de crédibilité des
pouvoirs et de mesures redistributives vis-à-vis des groupes exclus sont cen-
trales pour expliquer les conflits (Azam, 2000). De nombreuses études con-
sacrées à l’Afrique ont cherché à spécifier les facteurs économiques de
conflictualité (Annan, 1998 ; Elbadawi, Sambanes 2000 ; Hugon, 2003 ;
Nour Abdel Lotif, 1999). Selon les tests d’Anyawu (2002), les principaux fac-
teurs explicatifs des guerres civiles africaines sont le faible taux de croissan-
ce du PIB, l’importance des ressources naturelles, la durée de la paix, le
fractionnement social et le nombre d’habitants.
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Si toutes les guerres n’ont pas une explication économique, toutes ont be-
soin de financement. Les économies africaines demeurent dominées par des
logiques de rentes où l’enrichissement résulte davantage de la captation de
richesses que de leur création. Les conflits autour de la captation de la rente
font intervenir une pluralité d’acteurs nationaux, régionaux et internatio-
naux, privés et publics qui ne sont pas réductibles aux seuls rebelles préda-
teurs. Ils peuvent tenir aux gaspillages de la part de gouvernements non
légitimes ou d’oligopoles privés internationaux. Les guérillas, rebelles ou
soldats perdus, vivent de soutiens extérieurs, de prédation sur les produc-
tions ou sur les aides extérieures ou de captation des ressources naturelles.
Les économies de guerres fermées financées sur ressources locales diffèrent
des économies de guerre ouvertes conduites par des guérillas bénéficiant de
financements extérieurs et de sanctuaires politiques ou militaro-humanitaires
(Jean Ruffin, 1996). Il y a généralement enchevêtrement de ressources locales,
régionales et internationales. L’Unita de l’Angola s’est appuyée sur le sanctuai-
re militaire de Namibie, et s’est financée par le commerce des diamants. La
possibilité de mobiliser des jeunes est d’autant plus forte que le chômage est
généralisé, que les jeunes sont non scolarisés et que l’« autre », c’est-à-dire
l’étranger, est perçu comme prenant les emplois ou captant les richesses.

38
■ Conflits armés, insécurité et trappes à pauvreté en Afrique ■

Les richesses naturelles, essentiellement du sous-sol, permettent le finan-


cement des conflits (le nerf de la guerre) tout en en étant un des principaux
enjeux. On peut ainsi différencier en Afrique les guerres liées aux rentes pé-
trolières (Angola, Congo, Soudan, voire Tchad), au diamant (Angola, Côte
d’Ivoire, Libéria, Sierra Leone, RDC), aux métaux précieux (or, coltan 3 à
Bunia en RDC), aux narcodollars, aux enjeux fonciers (Burundi, Côte
d’Ivoire, Darfour, Rwanda), au contrôle de l’eau (pays riverains du Nil) ou à
des ressources forestières. Les avantages économiques attendus de la guerre
civile sont le pillage, la protection moyennant rémunération, les profits liés
au commerce des armes, des aliments ou des narcodollars, l’exploitation de
la main-d’œuvre (capture d’esclaves), le contrôle des terres, le vol de l’aide
étrangère ou les appropriations des combattants « se payant sur la bête ». Le
pétrole est ainsi un des enjeux forts de la guerre, pour un continent qui dé-
tient 8 % des réserves mondiales d’hydrocarbures et qui est une source de
diversification des approvisionnements et de contrôle des réserves par les
compagnies étrangères.
Dans un contexte d’anarchie, de non-respect des règles et d’absence de
contrôle territorial, de nombreuses activités deviennent très lucratives. Dans
un tel contexte, les firmes les plus compétitives sont celles qui disposent d’un
système propre de sécurité (les multinationales), qui savent gérer l’anarchie
et entretenir des relations avec les factions en présence ou qui ont un lien
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avec l’économie mondiale criminelle. On voit ainsi apparaître (Châtaigner,
2004) un nouveau commerce triangulaire, où l’Afrique exporte illégalement vers
les pays occidentaux des matières premières non transformées, où les pays
d’Europe de l’Est exportent vers l’Afrique des armes et des mercenaires et où
se nouent entre les pays de l’ouest et de l’est de l’Europe des relations finan-
cières plus ou moins occultes. Dans de telles circonstances, on ne souhaite
pas nécessairement la fin des hostilités, afin de pouvoir continuer à se partager
les rentes.

Les effets économiques de l’insécurité et des conflits armés

Les conflits conduisent à une destruction ou à une dévalorisation du capi-


tal physique (infrastructures, équipements), du capital humain ainsi que du
capital social qui repose sur la confiance, les règles ou les réseaux de rela-
tions. Les comparaisons internationales montrent que les guerres font chuter

3. Note de la rédaction : Également connu sous le nom d’« or gris », le coltan (colombite-tantalite) est un minerai contenant
deux minéraux associés, la colombite et la tantalite ; le tantale, extrait de la tantalite, est un excellent conducteur d’électricité,
facilement malléable et très résistant à la corrosion, fort prisé dans la fabrication de composants électroniques, principale-
ment de condensateurs.

39
■ Afrique contemporaine ■

le revenu par tête de 15 %, amputent de deux points le taux de croissance et


conduisent à une fuite des capitaux frappant en moyenne 20 % des actifs.
Les dépenses militaires n’ont pas d’effets d’entraînement et d’innova-
tions dans la mesure où, exception faite de l’Afrique du Sud, l’Afrique sub-
saharienne est importatrice d’armes. Les conflits ont également des impacts
transfrontaliers négatifs, impacts que malheureusement les statistiques, éla-
borées dans des cadres nationaux, saisissent fort mal. La guerre peut en
outre avoir un coût élevé en termes de dépenses militaires et d’endettement
extérieur, mais dans la plupart des cas les technologies militaires employées
sont simples, et donc peu onéreuses.

Le rôle des conflits dans la faible croissance économique des pays africains

Il est évident que les conflits réduisent la croissance économique et qu’in-


versement de nombreux pays sortant de conflits connaissent une croissance
rapide, de type rebond (Mozambique, Rwanda). Ces relations statistiques
sont toutefois peu significatives en termes de sortie de trappes à sous-déve-
loppement. Un pays en conflit peut connaître une croissance si ses ressour-
ces stratégiques sont protégées (cas des enclaves pétrolières), alors que le
sous-développement s’accroît en termes d’éducation, de santé ou d’aména-
gement du territoire. Dans la mesure où les matières premières du sol ou du
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sous-sol constituent le moteur de la croissance, où les économies de rente
utilisent peu de capital physique et humain, une décapitalisation peut ne
pas entraver la reprise de la croissance. La perte de confiance peut être, en
revanche, plus décisive pour les investisseurs potentiels.
Les travaux sur le risque-pays introduisent comme déterminants, à côté
des risques financiers et de l’environnement des affaires, les risques politi-
ques (cf. Credit Risk International). L’insécurité et les risques de guerre sont une
explication importante du faible investissement étranger en Afrique (1 % des
investissements directs mondiaux), alors que les taux de retour du capital
sont les plus élevés du monde (29 % pour les filiales des firmes américaines).
Dans le cas de la Côte d’Ivoire, le conflit est largement financé par le ca-
cao au sud et le coton et le diamant au nord. La crise politico-militaire a fait
chuter, depuis septembre 2002, le taux annuel de croissance du PIB de l’or-
dre de trois à quatre points. Le niveau des exportations et des recettes fisca-
les a toutefois été à peu près préservé. La région d’Abidjan, qui regroupe
80 % de l’appareil de production, a été sécurisée. On note, toutefois, une
perte durable de confiance, des délocalisations d’entreprises, un démantè-
lement du réseau de PME-PMI (suite aux évènements de novembre 2004),
un financement de la guerre se faisant par ponction sur les paysanneries, un

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■ Conflits armés, insécurité et trappes à pauvreté en Afrique ■

arbitrage des dépenses publiques aux dépens de l’investissement, une accu-


mulation des arriérés intérieurs et extérieurs. Ces effets se feront sentir à
terme. De plus, les indices de pauvreté se sont fortement accrus et certaines
régions sont particulièrement touchées, notamment le Nord (crises coton-
nières, déscolarisation).

Le coût humain des guerres

Celui-ci est considérable. On estime que les conflits entre 1945 et 1995
ont fait plus de six millions de morts dans neuf pays totalisant 160 millions
d’habitants (Soudan, Éthiopie, Mozambique, Angola, Ouganda, Somalie,
Rwanda, Burundi, Sierra Leone). Avec ses 13 millions de déplacés internes
et ses 3,5 millions de réfugiés, l’Afrique est deux fois plus mal lotie que
l’Asie, dont la population est pourtant cinq fois plus nombreuse (Commission
pour l’Afrique, 2005). Ce sont les pays limitrophes des zones de guerre qui
sont les plus touchés par les flux de réfugiés. Ainsi en Guinée, pays frontalier
de quatre pays en conflits (Libéria, Sierra Leone, Guinée Bissau et Côte
d’Ivoire), on estime le nombre de réfugiés à hauteur du dixième de la po-
pulation. Or, seuls les camps de réfugiés sont pris en charge par la commu-
nauté internationale, alors que l’essentiel des personnes déplacées sont
prises en charge au sein des réseaux familiaux.
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Le coût humain est également très élevé en termes d’handicapés (cf. les
mines anti-personnelles en Angola ou les mutilations à grande échelle aux-
quelles procédaient les troupes de Charles Taylor au Liberia et en Sierra
Leone), de développement des maladies transmissibles (notamment sida du
fait des viols), de malnutrition et de famines. Ce sont en effet principale-
ment les pays en conflit qui connaissent des famines. Ainsi, les seigneurs de
la guerre cherchent parfois à éliminer les groupes opposants en les affa-
mant, soit, comme en Somalie, en détruisant les récoltes paysannes, soit en
pillant ou bloquant l’aide alimentaire. Dans le cas de la famine éthiopienne
de l’an 2000, il y a eu la combinaison d’une sécheresse longue (trois années
sans pluie), du coût de la guerre avec l’Érythrée, de l’attentisme des autori-
tés éthiopiennes aux dépens des nomades de l’Ogaden et des difficultés lo-
gistiques induites par les conflits. Plus généralement, les blocus alimentaires
ont souvent été utilisés comme une arme.

Le débat quant aux effets de long terme des conflits armés

La temporalité de la mondialisation n’est pas la même que celle du déve-


loppement économique et des trajectoires socio-historiques de construction

41
■ Afrique contemporaine ■

des États nations. Les sociétés africaines se trouveraient sur des trajectoires
longues traduisant un temps historique déconnecté du temps mondial. La
guerre serait, selon certains auteurs, un moyen de former les États, de réali-
ser une accumulation primitive et de jeter les fondements d’une accumula-
tion productive ultérieure (Bayart et al., 1997). Les États nations européens
se sont largement constitués grâce à la guerre, selon l’adage : « L’État fait la
guerre, la guerre fait l’État. »
On peut, au contraire, considérer que les guerres africaines sont des fac-
teurs essentiels de décomposition des États et de sous-développement éco-
nomique, non seulement en raison des destructions des hommes ou des
biens qu’elles entraînent, mais du fait de l’insécurité dans laquelle se trou-
vent les agents économiques. Elles conduisent à généraliser les migrations
et les réfugiés. Elles participent de la prolifération des maladies telles le
sida ; elles fragilisent les droits de propriété ou restreignent l’accès aux ser-
vices sociaux de base. Ainsi, les trappes à conflit et à sous-développement
s’auto-entretiennent. Dans un univers mondialisé, on ne peut prendre pour
hypothèse que le retrait des anciennes puissances coloniales laisse le champ
libre à une histoire africaine déconnectée du temps mondial. Les guerres
sont également un indice de l’affairisme et du clientélisme qui lie l’Afrique
au monde extérieur, parfois selon des relations de type mafieux.
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Le coût de la prévention et de la gestion des sorties de conflit

Les guerres ont un coût élevé pour la communauté internationale. La


commission Carnegie a estimé à 200 milliards de dollars le coût pour la
communauté internationale des sept principales guerres menées dans les
années quatre vingt-dix, sans compter le conflit du Kosovo. Ceci représente,
sur la période considérée, trois fois le montant annuel de l’aide au dévelop-
pement. En outre, une fraction croissante de cette dernière est consacrée
aux actions de sécurité et de maintien de la paix, aux aides humanitaires
d’urgence, ainsi qu’à la reconstruction en sortie de crise, ce qui ampute
d’autant l’aide au développement stricto sensu.

Les actions possibles liant prévention des conflits


et développement économique

Les conflits surgissent quand il y a défaillance des systèmes de décision,


c’est à dire de prise de risque dans un univers incertain qui coordonne les
informations-désinformations, les représentations et les actions. Les acteurs

42
■ Conflits armés, insécurité et trappes à pauvreté en Afrique ■

concernés peuvent être négatifs (pro-crise), passifs (subir), réactifs (pompier),


pré-actifs (anticiper), proactifs (agir pour provoquer ce qu’on désire) ou in-
teractifs (agir en interrelations avec les événements). Les interventions doivent
en général combiner divers leviers d’action.

Les actions diplomatiques et militaires

La sécurité ne peut évidemment pas être le fruit des seules mesures qui
s’en prennent aux manifestations, et non aux causes de la violence et des con-
flits. Les moyens sont diplomatiques et vont de la négociation (médiation)
aux sanctions (embargo, sanction contre les responsables). Ils sont militaires
par la présence de forces armées ou l’usage de la force. Ils sont politiques par
le respect des accords signés et la mise en œuvre de réformes touchant aux
racines de la conflictualité. Ils sont financiers en compensant les pertes de
ceux qui désarment et cherchent à se réinsérer dans une économie de paix.
Ces actions ne peuvent être viables que si les causes structurelles et les fac-
teurs profonds en termes de pauvreté, d’exclusion, d’inégalités régionales,
de non-respect des règles démocratiques, de non-transparence des circuits
économico-politiques ou d’insertion dans une économie mondiale criminelle
sont éradiqués.
La diplomatie qui demande temps, habileté et parole crédible, ne supprime
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pas les causes profondes des conflits, mais elle peut les prévenir et atténuer
leurs conséquences. Elle contribue à civiliser les relations internationales. Le
droit humanitaire des conflits armés et les nombreuses conventions internatio-
nales sont toutefois relativement démunis face aux nouveaux conflits. L’action
humanitaire de terrain pallie en partie cette défaillance. Le rôle de média-
teur, de tiers garant du respect du contrat social doit être également assuré
en cas d’États défaillants par des organisations internationales ou régionales,
voire des puissances étrangères.
Les actions prioritaires concernent le désarmement, la démobilisation et
la réinsertion des combattants, la reconstruction de l’administration et le ré-
tablissement de l’État de droit. Ces actions sont menées par une pluralité
d’acteurs tels que les militaires, les organisations humanitaires et les opéra-
teurs de l’aide. Elles concernent aussi une action sur certaines des causes
profondes des conflits, notamment par le biais du contrôle des ressources
naturelles, comme dans le cas de l’Initiative de Transparence des Industries
Extractives, préconisée par la Commission pour l’Afrique.

43
■ Afrique contemporaine ■

La mobilisation d’une pluralité d’acteurs régionaux et internationaux

On observe des médiations de chefs d’État, telles que celles des présidents
Omar Bongo ou Thabo Mbeki. La CEDEAO, avec l’ECOMOG (Groupe de la
CEDEAO pour le contrôle et la mise en œuvre du cessez-le-feu), a obtenu des
résultats significatifs au Libéria, en raison notamment du rôle du Nigeria. La
Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) est interve-
nue en RDC et l’Afrique du Sud, membre de cette organisation depuis
1994, joue un rôle de diplomatie de plus en plus affirmé. L’Union africaine
tend à jouer un rôle croissant dans la résolution des conflits, et tout derniè-
rement en Côte d’Ivoire. Néanmoins, elle manque globalement de moyens
financiers et de capacité logistique, comme on le constate au Darfour.
Ces actions régionales sont d’autant plus nécessaires que les conflits sont
largement transfrontaliers et produisent des phénomènes de contagion. À
elles seules, les relations bilatérales sont donc souvent inadaptées.

Une redéfinition des principes et des pratiques de l’aide

L’aide publique au développement a été affectée par la priorité donnée à


la sécurité, à l’urgence et l’humanitaire. Les bailleurs de fonds financent la
reconstruction des États, mais en se spécialisant selon les secteurs, le plus
souvent aux dépens d’une vision cohérente. Les critères d’affectation de
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l’aide selon des conditionnalités ex ante ou selon les résultats (« bons élèves »)
contredisent les priorités de reconstruction et de restauration des fonctions
minimales des États, quand ceux-ci sont faillis ou fragiles. La conception bri-
tannique du DFID visant à réserver un traitement spécial à cette catégorie
d’États paraît plus réaliste que celle des États-Unis, qui mettent en avant le
traitement au cas par cas et privilégient les critères de bonne gouvernance.
L’existence d’États faillis ou fragiles conduit à modifier les principes de
l’aide et de ses priorités (Châtaigner, 2004 ; Véron, 2004). Les conditionna-
lités fondées sur des critères ex ante (ou ex post sur la base des résultats cons-
tatés) perdent de leur pertinence dans un système chaotique de catastrophe,
de priorité à l’arrêt des conflits et à la reconstruction de ces États. Il s’agit,
au contraire et de manière concertée entre bailleurs, de fournir les ressour-
ces permettant aux États d’assurer les fonctions régaliennes minimales et
ceci, à tout le moins au départ, indépendamment des critères de bonne gou-
vernance, d’équilibre financier et de croissance économique. Ce traitement
spécial, qui diffère de celui accordé aux PMA en paix, s’impose vis-à-vis des
pays risquant de tomber dans un conflit (failing state), confrontés au conflit
ou sortant du conflit (recovering state).

44
■ Conflits armés, insécurité et trappes à pauvreté en Afrique ■

La mise en place de systèmes d’information,


du jeu démocratique et d’une citoyenneté

Le rôle de l’information est essentiel pour prévenir ou circonscrire les


conflits. Du fait de la dissémination des conflits, depuis la fin de la guerre
froide, ou des lieux de crises, les zones de « chaos bornés » sont devenus des
terrae incognitae.
On peut considérer que la démocratie représentative et participative est la
forme de gouvernement qui limite les conflits à la condition de ne pas la ré-
duire au multipartisme ou à la liberté des medias qui peut être irresponsa-
ble. L’essentiel concerne les jeux de contre-pouvoirs et la constitution d’une
société civile forte, complémentaire d’un État lui-même fort. La construction
de la démocratie interdit la décalcomanie. Elle doit au contraire s’appuyer
sur les institutions traditionnelles et les modes de résolution des conflits qui
vont avec. La réconciliation est devenue un des moyens de traiter après coup
les traumatismes nés de l’extrême violence, (cf. la Commission vérité et ré-
conciliation en Afrique du Sud, les accords de paix signés au Burundi ou au
Soudan).

La régulation d’un « monde sans loi »


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Les actions internationales ne peuvent être légitimées et efficaces que si,
parallèlement, la mondialisation libérale et le désordre économique mon-
dial qui en résulte sont régulés, et que si les circuits mafieux internationaux,
les off-shore financiers, les trafics d’armes et les liens entre corrupteurs et cor-
rompus font l’objet de contrôle. Dès lors que la plupart des conflits africains
sont reliés aux circuits criminels internationaux, la régulation d’un « monde
sans loi » (de Maillard, 1998) est au cœur de la prévention et de la régulation
de la conflictualité.
Les mesures souhaitables supposent des systèmes de normes et de règles.
Les domaines vont du contrôle des off shore à celui des produits illicites (dro-
gues), ou de ceux qui sont licites mais entre les mains de maffias, et égale-
ment du commerce des armes. Pour cela, une coopération internationale est
incontournable. À ce titre, l’accord de Kimberley concernant la traçabilité
des diamants de la guerre est un exemple à transposer. Il en est de même des
moratoires sur l’importation, l’exportation et la fabrication des armes légères
signé par huit pays du Sahel et le Soudan en mars 1997, ou sur le programme
d’échange armes contre développement de la CEDEAO.

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■ Afrique contemporaine ■

La politique redistributive et les politiques de développement

Dans la mesure où la guerre renvoie en partie à des intérêts économiques,


des mécanismes compensatoires et des gardes-fous vis-à-vis des changements
dans les mécanismes redistributifs s’imposent. Réduire le coût d’opportunité
de la guerre pour les jeunes suppose qu’ils reçoivent une formation scolaire
qui structure leurs esprits, des activités qui les occupent et des symboles qui
les motivent. Une politique de prévention suppose également que les méca-
nismes redistributifs en faveur des minorités soient instaurés sous formes par
exemple de quotas, d’accès à l’éducation et à la santé. À terme, la prévention
des conflits passe par des politiques de développement améliorant disponi-
bilité et accessibilité grâce aux progrès de productivité, à des politiques de re-
distribution, au renforcement des capacités des agents (par exemple par
l’accès au crédit) et de soutien des initiatives populaires. En conclusion,
l’éducation des jeunes, le passage d’économies de rente à des économies de
paix créant de la valeur ajoutée et des opportunités d’emploi sont des fac-
teurs essentiels de réduction des risques de conflits.

BIBLIOGRAPHIE
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