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CORPUS
TEXTE 1
Roland Dorgelès, Les Croix de Bois, 1919
« Épuisés, haletants, nous ne courions plus. Une route coupait les ruines et une
mitrailleuse invisible la criblait, soulevant un petit nuage à ras de terre. "Tous
dans le boyau !" cria un adjudant.
Sans regarder, on y sauta. En touchant du pied ce fond mou, un dégoût
surhumain me rejeta en arrière, épouvanté. C'était un entassement infâme, une
exhumation monstrueuse de Bavarois cireux sur d'autres déjà noirs, dont les
bouches tordues exhalaient une haleine pourrie ; tout en amas de chaires
déchiquetées, avec des cadavres qu'on eût dit dévissés, les pieds et les genoux
complètement retournés, et, pour les veiller tous, un seul mort resté debout,
adossé à la paroi, étayé par un monstre sans tête. Le premier de notre file n'osait
pas avancer sur ce charnier : on éprouvait comme une crainte religieuse à
marcher sur ces cadavres, à écraser du pied ces figures d'hommes. Pourtant,
chassés par la mitrailleuse, les derniers sautaient quand même, et la fosse
commune parut déborder.
- Avancez, nom de Dieu !...
On hésitait encore à fouler ce dallage qui s'enfonçait, puis, poussés par les
autres, on avança, sans regarder, pataugeant dans la Mort... »
« Dans la fumée, des blessés se sauvaient. Fouillard était couché devant moi, la
tête dans une flaque rouge, et son dos s'agitait convulsivement comme s'il avait
sangloté. C'était son sang qu'il pleurait. »
« Il a fallu la guerre pour nous apprendre que nous étions heureux. Elle nous a
mis une pioche et un fusil entre les mains et creuse bonhomme, et marche
bonhomme, et crève bonhomme... »
TEXTE 2
Laurent Gaudé, Écoutez nos défaites, 2016
« On ne peut pas partir au combat avec l'espoir de revenir intact. Au départ,
déjà, il y a le sang et le deuil. Au départ, déjà, la certitude qu'il n'y aura aucune
victoire pleine et joyeuse ».
« Il sait que les choses vont devenir laides et il sent obscurément que c'est pour
bientôt. La seule chose qui les différencie des confédérés, c'est la cause. Ce n'est
pas rien. Il faut s'accrocher à cela. Le reste va être sale. Les hommes vont se tuer
à grande échelle et il va falloir tenir. Les soldats, quel que soit leur camp, vont
plonger dans le feu et ils découvriront avec stupeur la face immonde du
meurtre. »
« C’est ce qui les attend, tous, ses gendres, ses guerriers, ses sujets rassemblés :
mourir dans une dernière grande bataille. Un choc frontal, inutile et sanglant
mais dont l’Histoire se souviendra. Il ne peut en être autrement. Alors peu
importent les mouvements de troupe ennemis, le nombre d’avions que
Mussolini va déployer dans le ciel d’Éthiopie, il sait que ce qu’il a à vivre, à
présent, c’est le chaos et rien de plus. »
« Cet instant-là, tête basse, où l'homme est allé si loin qu'il n'en est plus un ».
TEXTE 3
Jean Jaurès, le 25 juillet 1914
« Citoyens,
Je veux vous dire ce soir que jamais nous n’avons été, que jamais depuis
quarante ans l’Europe n’a été dans une situation plus menaçante et plus tragique
que celle où nous sommes à l’heure où j’ai la responsabilité de vous adresser la
parole.
Dans une heure aussi grave, aussi pleine de périls pour nous tous, pour toutes les
patries, je ne veux pas m’attarder à chercher longuement les responsabilités. …
Nous avons notre part de responsabilité, mais elle ne cache pas la responsabilité
des autres …
Vous avez vu la guerre des Balkans ; une armée presque entière a succombé soit
sur le champ de bataille, soit dans les lits d’hôpitaux, une armée est partie à un
chiffre de trois cent mille hommes, elle laisse dans la terre des champs de
bataille, dans les fossés des chemins ou dans les lits d’hôpitaux infectés par le
typhus cent mille hommes sur trois cent mille.
Songez à ce que serait le désastre pour l’Europe : ce ne serait plus, comme dans
les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six
armées de deux millions d’hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle
barbarie ! Et voilà̀ pourquoi, quand la nuée de l’orage est déjà sur nous, voilà̀
pourquoi je veux espérer encore que le crime ne sera pas consommé.
Citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de désespoir, il n’y a plus, au
moment où̀ nous sommes menacés de meurtre et, de sauvagerie, qu’une chance
pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat
rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français,
Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous demandions à ces milliers
d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs cœurs écarte
l’horrible cauchemar.»
TEXTE 4
Guillaume Apollinaire, Il y a, 1915
30
TEXTE 5
Arthur Rimbaud, Le dormeur du val, 1870
TEXTE 6
Boris Vian, Le déserteur, 1954
Monsieur le Président Quand j'étais prisonnier S'il faut donner son sang
Je ne veux pas la faire On m'a volé ma femme Allez donner le vôtre
Je ne suis pas sur terre On m'a volé mon âme Vous êtes bon apôtre
Pour tuer des pauvres gens Et tout mon cher passé Monsieur le Président
C'est pas pour vous fâcher Demain de bon matin Si vous me poursuivez
Il faut que je vous dise Je fermerai ma porte Prévenez vos gendarmes
Ma décision est prise Au nez des années mortes Que je n'aurai pas d'armes
Je m'en vais déserter J'irai sur les chemins Et qu'ils pourront tirer
6. Au sein d’un même genre, les procédés peuvent être très différents. Ainsi les trois
derniers textes : précise comment l’auteur s’y prend dans chaque cas pour faire
passer son message.
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