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- Il était un fois…
- Jacques-Yves Costaud.
- C’est ça.
- Mais non ! C’est un loup qui dormait tout le temps et puis un jour il y eut une
princesse qui arriva sur une citrouille et la princesse, elle embrassa le loup sur
la bouche…
- C’est dégoûtant !
- Même pas parce que le loup s’était brossé ses grandes dents avant et quand
la princesse embrassa le loup, le loup se réveilla transformé aussitôt en
carrosse.
- Bon, je peux reprendre mon histoire ? (Un temps.) Il était une fois…
1 Thierry Audouin
Comme deux gouttes d’eau
- Ça coule de source.
- Alors c’était des gouttes d’eau salée, tu ne l’avais pas dit. Comment veux-tu
qu’on comprenne si tu ne dis pas tout ?
- La mer, elle est salée, parce que le jour où tu es né, tête de nœud, le ciel a
tellement pleuré qu’il a salé la mer.
- En fait, avant le « il était une fois », les deux gouttes d’eau, elles étaient
dans un fleuve. Avant le fleuve, elles étaient dans la rivière. Avant la
rivière, elles étaient dans le ruisseau…
- Tu ne peux pas la raconter dans le bon sens, ton histoire ? Je vais finir par
avoir les oreilles à l’envers !
- Comme les chômeurs. Mon père, il dit que si je travaille pas, je ferai chômeur
et que je finirai dans la rue.
- Macho !
- Avant le ru, les deux gouttes elles sont nées entre deux rochers.
- C’est le début, là ?
- Mon père, il dit souvent que ma mère, elle est complètement évaporée.
- C’est pas la peine de chercher à nous impressionner avec tes grands mots.
On sait tous ce que c’est.
- Un avion !
- Un dinosaure !
- Un violon !
- Donc les deux gouttes d’eau se sont retrouvées dans le ventre d’un
immense cumulo-nimbus. Poussé par les vents, le nuage a voyagé,
voyagé… Il a survolé la mer, les montagnes, les plaines et puis un jour…
Pourquoi vous ne dites plus rien ? Elle ne vous intéresse pas mon
histoire ?
- Si les deux gouttes d’eau, elles se ressemblent comme deux gouttes d’eau,
comment fait-on pour les reconnaître ?
- Je…
- Coulé !
3 Thierry Audouin
Comme deux gouttes d’eau
(Il y a un long silence, tous se regardent et regardent le « narrateur » qui a gardé
la bouche ouverte.)
- C’est nul !
- C’est fini, là ?
- Chut !
- On avait compris !
4 Thierry Audouin
Comme deux gouttes d’eau
- Ça veut dire…
- On a compris !
- Des racontars.
- Des fadaises.
- Des commérages.
- Des ragots.
- Mytho !
- Moi, l’aime que les histoires vraies.
- Un mythe, c’est une histoire pas vraie mais elle est vraie.
- (fort pour reprendre la parole.) L’eau fut bue instantanément par le sable.
(un temps.) Il y eut alors un grand éclair qui déchira le cumulo-nimbus.
Tous les nomades levèrent les yeux au ciel. Les hommes tremblèrent,
les femmes crièrent. L’une d’elles, celle dont le ventre s’était arrondi
comme une pastèque bien mûre criait plus fort que les autres : « je perds
les eaux ! je perds les eaux ! »
- Ça veut dire…
- Ça veut dire ?
- Vas-y, accouche !
- C’est pareil ?
- C’est pareil.
- Dans le cumulo-nimbus, Plic et Ploc avait été séparés par le grand éclair
et il s’était alors mis à pleuvoir. Plic tomba directement dans le puits
mais Ploc tomba sur le sable et fut avalé en un instant. Les nomades
couraient en tous sens, agités par l’espoir verdoyant des prairies à venir.
Et puis la femme dont le ventre s’était arrondi comme une pastèque bien
mûre continuant son chant de vie, « je perds les eaux ! Je perds les
eaux », les rappelèrent à l’ouvrage du présent. Ils tendirent une toile
entre deux branches plantées dans le sable et confectionnèrent ainsi un
abri pour la mère et son enfant à naître. Plusieurs heures passèrent…
- C’est pareil.
- Mais non, ce n’est pas pareil ! Une ellipse, c’est pour raccourcir une histoire
pour ne pas donner envie de s’éclipser avant la fin.
- T’es fou toi ! On ne décide pas comme ça. On est en démocratie. Il faut voter.
Que les imbéciles qui ne comprennent rien à l’histoire et veulent partir lèvent
la main. Tu vois, ils veulent rester. Ladies and gentlemen, votre intelligence
vous honore. Pour vous, et en exclusivité mondiale aujourd’hui dans la
bibliothèque du château de Méry–sur-Oise voici la fin du mythe. A toi, coco.
- La chance !
- Pauvre Ploc ! Lui, il sert à rien…
- La vie est cruelle. Mon père, il le dit bien. Le plus dur, quand on est au
chômage, c’est de se sentir inutile.
- Oui mais, parfois, même quand tu travailles, on te fait sentir que tu sers à rien.
- Quand on n’écoute pas quelqu’un venu pour vous raconter une histoire
par exemple…
- C’est fini?
- Ben oui. Tu n’as pas dit « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ».
- Mais n’importe quoi ! Elle est déjà mariée, elle a même un gamin.
- Ça, ça ne veut rien dire. Faudrait vivre avec ton temps mon bonhomme.
- De toute façon, ce sont Plic et Ploc les héros. Ils ne vont pas se marier quand
même.
7 Thierry Audouin
Comme deux gouttes d’eau
- Et pourquoi pas ? faut vivre avec son temps !
(Un temps.)
- C’est ainsi que se termine l’histoire des deux gouttes d’eau qui se
ressemblaient comme deux gouttes d’eau.
- La classe !
- Moi, je veux faire la dernière phrase !
- Vas-y, accouche !
- « prit », abruti !
- « Elle prit ses deux enfants dans ses bras et elle dit : voici Plic, voilà Ploc,
mes deux petits, je vous aime comme deux gouttes d’eau.
(Tous se mettent à parler en même temps, on entend les mots Plic, Ploc dans la
brouhaha, comme s’il se mettait à pleuvoir.)
8 Thierry Audouin
Comme deux gouttes d’eau