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Fenetre Sur Un Jardin Tropical
Fenetre Sur Un Jardin Tropical
Nathalie Schon
Parue sous une forme tronquée dans "Regards sur la littérature antillaise / textes réunis et
présentés par Daniel Delas". - Lecce : Alliance française, 2005 (Interculturel Francophonies,
8).
Dans son passage en revue des éléments constitutifs de la littérature populaire triviale, Marie
de Jaham enchaîne avec un autre classique : la rubrique "Sea, sex, sun and, parce qu'on vit
dans un monde moderne et qu'il faut bien documenter tout cela pour une audience mondiale,
internet" : les hauts-fonds sont turquoise, les bancs de sable, aveuglants et les coraux ciselés.
Le monde de Dorian, notre héros, est un monde de voyeurs : son ami, star du cyberporno,
devenu très chic ces temps-ci, renforce l'impression de reality show littéraire offert au lecteur
métropolitain à travers ce roman. De Jaham décline ainsi la version antillaise de l'excitation
tropicale, c'est-à-dire soleil, sexe, drogue, vaudou, bestioles venimeuses, éventuellement
poisons exotiques -artisanaux (en opposition aux poisons élaborés d'une Europe éternellement
figée dans les raffinements morbides de l'ère Médicis) - et bien sûr redoutables (on ne
plaisante pas sous les tropiques ! il s'agit d'un monde de baroudeurs digne d'un Indiana Jones.
La nature y est toujours verte et les pièges fonctionnent sans exception). C'est d'ailleurs à se
demander si la civilisation est vraiment arrivée jusque là, ou si elle s'est barricadée dans la
grande demeure des maîtres. Les indigènes, en effet, ont plus de traits communs avec la faune
locale, qu'avec nos Robinson Crusoé-amateurs détectives à la recherche de leurs racines : "Sa
lèvre supérieure se retroussa comme les babines d'un chien. Sur le sol étaient alignés les
gwembos consacrés aux loas." (p.72).
On poursuit avec la rubrique "Les feux de l'amour" et son cortège de malheurs et de
malentendus improbables: "Quand son père, ambassadeur des Etats-Unis, est mort, mon
pauvre chéri n'a pas supporté le choc. Il est resté deux mois entre la vie et la mort. Je l'ai veillé
jour et nuit. (...) A sa sortie du coma, Dorian ne se souvenait plus de rien." (p.32), ses amours
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torrides et imbéciles : "Elle le fixe droit dans les yeux, comme elle seule sait le faire. Le
regard brun chaud est embué." (p.39), enfin la ruine qui menace les héros de série une fois par
an (au minimum ; ici p.82) et qui les laisse invariablement de marbre : "- Nous n'avons plus
d'argent! Andy n'osait pas te le dire, mais il ne reste presque rien des royalties d'Odyssea ! Si
tu ne signes pas rapidement pour un nouveau film, Dieu sait ce qu'on va devenir ! Oh Dorian!
(...) - Ne pleure pas, Petite-Maman, articula-t-il, la voix rauque".
Le héros, certes ensorcelé, se comporte ici comme il se doit pour un protagoniste de soap
opera. Tout juste sa voix laisse-t-elle transparaître un vague émoi, avant que la virile
détermination ne l'emporte. Ne l'oublions pas, le soap US est l'expression même de
l'Amérique conservatrice et patriarcale. De Jaham se place donc bien dans cette tradition. Le
soap est probablement le produit TV le plus populaire auprès des ménagères de 40-50 ans aux
USA comme en Europe. Molière, ayant à coeur de créer des oeuvres populaires, ne boudait
pas les grosses ficelles des parentés improbables. Toutefois si le soap savait attirer de grandes
plumes au XVIIème siècle, il n'en va plus de même aujourd'hui où l'idée de décrire les
péripéties amoureuses des riches et des beaux n'enthousiasme guère les auteurs. Par ailleurs,
le soap doit rester bon marché et les producteurs ne s'embarrassent donc pas de scripts
élaborés. Il serait néanmoins faux de limiter la culture populaire aux Feux de l'amour ou aux
romans de Marie-Reine de Jaham. D'autres productions sérielles destinées à un public large
font régulièrement appel à des écrivains reconnus et abordent des sujets controversés (Star
Trek, l'auteur de science-fiction Kurt Vonnegut, le créateur de la série Gene Roddenberry et
son laïcisme militant). Marie-Reine de Jaham affiche d'ailleurs ses références à la culture
populaire US sans vraiment distinguer ces deux catégories. Elle revendique certes une
originalité, qui la distinguerait de l'univers des séries stéréotypées, mais l'on a du mal à la
déceler : "Mazanga serait sans doute le 873ème film d'horreur sur des jeunes qui s'enfoncent
dans la nature et se font trucider de façon abominable. Le 4982ème dans lequel des gens
disparaissent en ordre inverse de leur cote d'acteur. Et le billionième dans lequel des gosses
sont acculés par la peur jusqu'à un état de crétinisme suicidaire." p.102. "L'originalité résidait
dans la démarche. Mazanga tirerait sa force d'une totale absence d'artifice. L'image
apparaîtrait souvent floue, vacillante, mal cadrée." p.103. Cette ligne de conduite n'est guère
nouvelle ! Il s'agit là d'un procédé éculé qui traduit l'indigence artistique du héros, mais qui
reflète aussi le conformisme du roman (Marie-Reine de Jaham reprend ici la parodie des
règles du film d'horreur de Scream, l'action et la méthode de tournage de Blair witch project).
Ce qui semble faire l'originalité du film est donc un principe déjà éprouvé par Hollywood. On
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peut citer Jaws de Stephen Spielberg et son requin invisible à force de tomber en panne à qui
la description suivante de Mazanga irait également comme un gant : "On est terrifié quand
rien ne se passe, parce que quelque chose pourrait arriver. L'horreur se déroule en réalité dans
l'esprit du spectateur et non sur l'écran".
Le texte de Jaham se lit donc plus comme un roman pittoresque que comme un roman de
terreur dans la tradition anglo-saxonne, dont il se réclame pourtant. Si l'on compare de près le
roman de Jaham et la nouvelle de Stephen King "Secret Window, Secret Garden" qui vient
d'être porté à l'écran, l'on constate des ressemblances troublantes dans le déroulement du récit,
même si sa signification est différente chez les deux auteurs. En effet, là où terreur nait de la
découverte graduelle de la schizophrénie du personnage principal chez King, les troubles de la
personnalités du "sosie" francophone semblent liés à la sorcellerie. En perdant de leur
crédibilité, ils perdent de leur pouvoir perturbant. La psychanalyse met en évidence le sujet du
roman et même si la brève explication de la schizophrénie qui nous est gracieusement offerte
au détour de la page 111, de concert avec d'autres extraits d'encyclopédie qui ajoutent au
caractère descriptif du texte, se rapporte à la mère du héros, elle plonge le lecteur dans
l'attente de l'incident psychique, ce qui n'était pas le cas dans le récit de Stephen King. Celui-
ci, comme à son habitude, rassure d'abord le lecteur en l'engourdissant de quotidien pour
permettre ensuite à l'horreur de faire son impact.
Quels sont les points communs des deux récits ? La liste est longue : le motif du harceleur (il
a subi une terrible injustice qui semble absurde mais qui réclame vengeance), l'avertissement
sanglant (le chat mort sur la véranda chez King, cloué sur la porte chez Jaham), le paradoxe
(le lecteur commence à s'interroger sur la véracité du récit rapporté par le héros, des premiers
doutes sur l'existence du personnage maléfique surgissent. En effet, il réalise a posteriori que
les "témoins" présents n'ont jamais explicitement confirmé avoir vu l'individu, procédé utilisé
avec maestria dans The sixth sense de M. Night Shimalian), la mise en danger d'un proche
(l'ex-compagne sympathique arrive peu après, juste à temps pour tomber dans les griffes du
monstre), les victimes quelconques pour démontrer la détermination farouche du tueur, enfin
la révélation : "D'un seul élan, il ouvrit la porte, bondit dans la chambre. Et il le vit ! Il le vit !
Zobop était là ! Pas derrière la porte mais au fond de la pièce ! Il brandissait un revolver, pas
une hache! Et il fonçait sur lui! Son regard était celui d'un tueur fou ! Sans hésiter, Dorian
tendit le bras, tira, le temps de réaliser que Zobop aussi tendait le bras, le temps de réaliser
que Zobop ne portait pas de macoute en bandoulière, le temps de réaliser que ce n'était pas
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Zobop, c'était lui! Le tueur fou, c'était lui, Dorian! Avec un fracas assourdissant, la balle
percuta le miroir face à la porte, le grand miroir qui faisait tout un mur dans la chambre de
Petite-Maman.
- Putain...", (p. 278 de Le sortilège des Marassa, Paris, Robert Laffont, 2001.). A comparer
avec Stephen King : " And, he stood there on the landing with the poker clutched tightly in his
right hand and sweat running out of his hair and down his cheeks, Mort heard him. A faint
shuffle-shuffle. He was in there, all right. Standing in the tub, by the sound. He had moved the
tiniest bit. Peekaboo, Johnny-boy, I hear you. Are you armed, fuckface ? Mort thought he
was, but he didn't think it would turn out to be a gun. (...) He turned the knob of the bathroom
door and slammed in, bouncing the door off the wall hard enough to chop through the
wallpaper and pop the door's lower hinge, and there he was, there he was, coming at him with
a raised weapon, his teeth bared in a killer's grin, and his eyes were insane, utterly insane, and
Mort brought the poker down in a whistling overhand blow and he had just time enough to
realize that Shooter was also swinging a poker, and to realize that Shooter was not wearing his
round-crowned black hat, and to realize that it wasn't Shooter at all, to realize it was him, the
madman was him, and then the poker shattered the mirror over the washbasin... - I killed a
goddam fucking mirror !" (p.394-395 de "Secret Window, Secret Garden" In Four Past
Midnight, London, Hodder & Stoughton, 1990). Le sujet de la nouvelle de Stephen King est le
plagiat.
Œuvres :
King, Stephen : "Secret Window, Secret Garden" In Four Past Midnight, London, Hodder &
Stoughton, 1990.