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Avec le soutien de la Fondation du Crédit Coopératif
Fondation d’entreprise

Cahier du Sport Adapté


Revue d’étude et de recherche de la Fédération Française du
Sport Adapté
Directeur de la publication : Roy Compte

La maison d’édition reçoit le soutien


de la Région Occitanie

Illustration de couverture : sans titre, Louisa Serrar, acrylique, ESAT


Ménilmontant, Paris.
© Champ social éditions, 2017
34 bis, rue Clérisseau – 30 000 NÎMES
contact@champsocial.com
www.champsocial.com
Diffusion/distribution Cedif-Pollen
ISBN : 979-10-346-0031-1
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Sport et handicap psychique :
penser le sport autrement

Isabelle Caby & Roy Compte


sous la direction de
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SOMMAIRE

Edito
Catherine Fayollet — 9
Sport Adapté et handicap psychique : Penser le sport
autrement
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Roy Compte — 13
Les activités sportives comme médiation dans la thérapie de
personnes en état de souffrance psychique, plus particulièrement
psychotiques
Jacques Tosquellas — 21
Santé Communautaire : quelle place pour les activités
physiques et sportives ?
Jean Luc Roelandt, Catherine Thévenon, Pauline Martin,
Laurent Defromont, Christelle Lemair — 31
Santé mentale de l’enfant et de l’adolescent : place des
activités physiques et sportives
Manuella De Luca, Adeline Coutiez — 37
Les activités physiques et sportives adaptées dans les
programmes d’éducation thérapeutique en psychiatrie
Djéa Saravane, Perrine Cury — 43
Programme d’éducation thérapeutique dédié à la
schizophrénie au sein de l’Établissement de santé mentale
de Lille-groupe MGEN
Jean Paul Kornobis, Julie Creton — 49
Le sport santé à la Ligue Nord-Pas-de-Calais de Sport
Adapté
Isabelle Caby, ThomasWalgraef — 55
Les activités artistiques dans le projet de soin en santé
mentale
Julie Vandewalle, Isabelle Caby — 61
La « danse adaptée » mouvements & photographies
Jocelyne Vaysse — 77
L’activité créatrice des personnes en situation de handicap
mental ou psychique : une culture du sens
Roy Compte — 81
Suicide : pour changer le destin, place des activités sportives
« brillantes » en santé mentale à Tourcoing (Nord) Frances
Catherine Thevenon — 93
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Mémoires universitaires
Étude comparative des effets de deux programmes d’activités
physiques sur la condition physique, les symptômes et la
qualité de vie de personnes souffrant de schizophrénie
Clément Rouy — 107
Étude de l’impact de la pratique d’activités physiques
adaptées sur la santé mentale des personnes souffrant de
troubles psychotiques.
Chloé Jeanjean — 119

Entretiens et témoignages
Entretien avec Mathieu Lestel
Nathalie Pantaléon — 123
Un jour le Sport Adapté !
Marie-Christine Alibert — 129
Activités physiques et sportives en santé mentale
communautaire : le point de vue des usagers
Catherine Thévenon — 135
Arthur, jeune champion autiste
Marc Bellitto — 141

« Lectures… »
Portevin-Serre Geneviève. (2008). Aider les élèves
atteints de troubles du comportement à construire des
apprentissages scolaires et professionnels, in Enseigner en
ITEP. Tome 1 (Champs social éditions).
Juliette Audouard — 151
«Images du Sport Adapté »
Diego, artiste lausannois, dessinateur, danseur, et ancien
nageur de compétition
Francis Mobio — 157
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Édito
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Catherine Fayollet1

Je remercie Roy Compte, Vice-président de la Fédération


Française du Sport Adapté (FFSA) en charge de la
Commission Études et Recherches pour ce numéro
consacré au handicap psychique et activités physiques
adaptées, et le Président de la FFSA, Marc Truffaut, pour
son soutien toujours actif et bienveillant pour le
déploiement des activités physiques adaptées pour les
personnes en situation de handicap psychique, mais aussi -9

tous les acteurs du Sport Adapté et les sportifs qui nous


enrichissent de leurs observations, participations et
compétences.
Vingt ans déjà que nous œuvrons au sein de la
Fédération Française du Sport Adapté pour le
déploiement des activités physiques et sportives adaptées
(APSA) pour les personnes souffrant de maladies
mentales invalidantes.
Certes les APS étaient déjà de longue date pratiquées
dans les services de psychiatrie. Citons Sivadon et
Gantheret à Ville Evrard en 1948, la création en 1964
de l’Union des Associations Sportives des Hôpitaux
Psychiatriques Français (UASHPF) où les activités
physiques pratiquées avec les patients s’inscrivent dans

1. Psychiatre des Hôpitaux, Médecin du Sport, Médecin Fédéral Na-


tional FFSA, Vice-présidente FFSA déléguée au Handicap Psychique.
un objectif thérapeutique. Dès 1984 on assiste à une
diversification de l’offre sportive avec une externalisation
des APS, une pratique hors les murs de l’hôpital
psychiatrique et la première adhésion à la Fédération
Française du Sport Adapté d’associations sportives pour
malades mentaux, dont l’Association Contact du CMP
Sainte Marie à Clermont Ferrand. Les patients concernés
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étaient ceux que nous nommons maintenant « personnes
en situation de handicap psychique » [voir l’article Les
activités physiques en secteur psychiatrique, les dix ans
de l’association Contact, dans l’ouvrage2 « Corps et
Psychiatrie » de Brunet et Caouette, (1995)].
Très vite dès 1991 à l’initiative de Michel Piednoir, cadre
technique fédéral de la FFSA et directeur de la formation
à la FFSA, des formations spécifiques ont été initiées, des
liens tissés avec l’UASHPF devenue par la suite « Sport
en Tête », et des formations communes sur le thème des
10 - activités sportives dans le projet de soins organisées. Les
années 1990 à 1995 ont vu des travaux conjoints avec
nombre d’hôpitaux psychiatriques tels Sainte Marie de
Clermont Ferrand, Sainte Marie du Puy, St Jean de Dieu
à Lyon, celui d’Erstein, de Clermont l’Oise, de Pierrefeu
du Var mais aussi l’hôpital psychiatrique Rivières des
Prairies à Montréal, sous la houlette de François Brunet,
professeur agrégé d’éducation physique, docteur en
sociologie, directeur de la recherche à la FFSA.
Un peu plus de 20 ans après, avec la reconnaissance du
handicap psychique et de ses spécificités et d’un
nécessaire projet individualisé global où les acteurs du
champ sanitaire, médico-social et social, les usagers et les
familles d’usagers se doivent d’œuvrer en partenariat au
plus près des besoins repérés de la personne et de ses

2. F. Brunet et M. Caouette (sous la direction de), Corps et psychiatrie.


Psychopédagogie des activités physiques et sportives, Rennes, ensp, 1995,
p. 179-190.
projets de vie, les loisirs, la culture et le sport prennent
place à côté du travail, de l’hébergement dans un projet
de vie et d’inclusion dans la vie citoyenne. La FFSA voit
en 2005 son habilitation par le Ministère Jeunesse et
Sports élargie à une offre sportive aux personnes en
situation de handicap psychique.
La prise en compte encore récente de la santé physique
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des patients psychiatriques, souvent défaillante par
rapport à la population de même âge, la mise en place
des Comités de Liaison Alimentation et Nutrition
(CLAN) dans les établissements hospitaliers en santé
mentale, les actions d’éducation thérapeutique placent
les activités physiques adaptées comme un des axes du
projet de santé, venant pour cette population initier les
indications médicales d’APSA bien en amont du texte
de la Loi santé.
La Fédération Française du Sport Adapté a su se doter
dès 1992 d’une commission Psychiatrie et APSA, - 11
réactivée en 2009 et devenue la Commission Activités
Physiques Adaptées et Handicap Psychique
(CAPAHPSY) avec pour mission de déployer l’offre
sportive à destination des personnes en situation de
handicap psychique, projet soutenu par la Fondation de
France : actions de formation, actions de terrain,
référents régionaux, congrès régionaux et nationaux
participent au déploiement mais aussi aux suivis des
travaux réalisés en France et à l’international.
Une nouvelle ère s’ouvre avec les travaux en cours sur les
effets neurobiologiques et neurocognitifs des activités
physiques en santé mentale. Ce sera un des thèmes du
prochain Colloque national Santé mentale Activités
physiques Adaptées qui se tiendra à Paris en 2017, après
celui de Reims en 2013 et Arras en 2015.
Sport Adapté et handicap psychique :
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penser le sport autrement
Roy Compte1

Depuis que la loi du 11 février 2005, pour l’égalité des


droits et des chances, la participation et la citoyenneté
des personnes handicapées, reconnait les troubles
psychiques comme une des causes possibles d’un
handicap, le handicap psychique questionne autant la
société civile que le monde du sport handicap. En effet, - 13
par manque de données épidémiologiques et
d’indicateurs précis sur la prévalence des maladies
mentales, la notion de maladie mentale est difficile à
cerner. De la schizophrénie, au délire paranoïaque, aux
troubles obsessionnels compulsifs (TOC) ou autres
névroses, psychoses ou anxiété, le tableau clinique est
complexe et souvent controversé. Cependant, les
différentes données statistiques sont suffisamment
explicites pour rendre compte de l’importance du
phénomène. Selon l’Institut National de Prévention et
Education pour la santé 2,8 millions de personnes
présentent un handicap psychique et. 415000 patients
sont pris en charge en psychiatrie. Pour l’OMS, les
maladies mentales affectent une personne sur cinq
chaque année.
1. Sociologue, Vice Président de la Fédération Française du Sport
Adapté.
De fait, aujourd’hui les personnes en situation de
handicap psychique constituent une population
spécifique dont l’approche catégorielle – handicap
psychique – demande, notamment dans le champ du
sport, à repenser les actions et les dispositifs en
adéquation avec les caractéristiques singulières de ce
public. Au regard de la difficulté majeure de définir le
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handicap psychique du fait de l’extrême diversité, de
l’hétérogénéité et de la complexité des troubles à l’origine
du handicap, la place qui peut être prise ou dévolue aux
pratiquants atteints de troubles psychiques dans le
champ social est à considérer pour favoriser une pratique
physique et sportive équitable.

La confrontation du handicap psychique au monde du sport


Le monde du sport, soit-il du handicap, est un monde de
confrontation, d’opposition, mais aussi d’accomplissement
14 - ou de dépassement de soi2 et, s’il n’est pas « le meilleur des
mondes » il est reconnu comme un antidote au délitement
du lien social et à la morosité d’une sociabilité en berne.
Le monde du sport, contre-société sportive selon
l’expression de Bernard Jeu malgré ses contradictions et ses
excès, peut être « la contre-société idéale pour rendre la
société tolérable humainement » 3. Cela peut être une
valeur refuge pour la personne qui souffre de troubles
psychiques et qui se trouve en situation d’inadaptation
sociale majeure pouvant avoir comme conséquence une
situation de handicap difficile à vivre.
En effet, le handicap est le résultat d’un trouble de santé
qui crée une déficience plus ou moins importante chez
un individu le conduisant dans son interaction avec
l’environnement tant humain que matériel à vivre des
2. Isabelle Queval, (2004) S'accomplir ou se dépasser, essai sur le sport
contemporain, Paris, Edition Gallimard.
3. Bernard Jeu, (1993), Le sportif, le philosophe, le dirigeant, PUL, p. 99.
situations de plus ou moins grande dépendance dans la
vie quotidienne, professionnelle, sociale.
Pour le handicap psychique la notion de dépendance aux
facteurs environnementaux, humains et matériels de la
personne est essentielle à évaluer en fonction de la nature
du trouble ou de la pathologie qui va nécessiter un
accompagnement et un projet personnalisé. « Comme
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dans toutes les maladies graves, la maladie psychique est
une agression fondamentale pour l’être humain. Mais
ici, l’intégrité de la personne est en jeu et cela ne se voit
pas clairement de l’extérieur. La capacité à l’autonomie
est amoindrie. Des comportements et des idées rigides
et incontrôlés apparaissent, créant des dépendances qui
peuvent être quasiment insurmontables. Elles
empêchent, le plus souvent, la libre expression de la
personne. L’aspect difficilement supportable de la
maladie réside dans le caractère excessif, absolu et
interminable des manifestations de ces dépendances4. » - 15
L’écueil n’est pas pour l’éducateur sportif dans la
connaissance de la nature des troubles mais dans la
compréhension de l’impact de ce trouble du point de
vue de la dépendance sur le projet de vie, notamment
sportif, de la personne.
Les troubles psychiques se caractérisent plus que dans
d’autres types de déficiences qu’elles soient mentales,
physiques ou sensorielles, par l’expression fluctuante de
la personnalité des comportements et de l’humeur qui
impacte de façon anarchique l’expérience du sujet et son
rapport à l’autre. Ainsi la situation de handicap
psychique qui en découle et qu’il nous faut appréhender
objectivement nécessite pour les personnes concernées
l’évaluation de la dépendance dans le champ sportif c’est-
à-dire dans le champ social.
4. UNAFAM, (2001) « Le Livre Blanc des partenaires de Santé Men-
tale France », Associations d'usagers de la psychiatrie, de soignants et
de responsables du social dans la cité, juin, p. 4.
Cette évaluation est à réactualiser au regard d’un vécu
quotidien stabilisé de soin pour proposer et aménager
des dispositifs et des situations de participation sportives
et sociales optimales. C’est le sens des nouvelles
classifications en cours pour les sportifs de la Fédération
Française du Sport Adapté devant permettre à chacun,
dans les disciplines sportives de compétition, de
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participer et de se confronter en toute équité.

Le Sport Adapté et le handicap psychique.


Le Dr Hugues Collins, Président de l’association
d’études en soins psychiatriques à Charleville Mézières
lors d’un colloque relevait trois intérêts à la pratique du
sport pour les personnes en situation de handicap
psychique : renforcer l’estime de soi, permettre la
« musculation du moi » et enfin l’intégration. Il
s’interrogeait sur ce dernier point arguant que si cet
16 - objectif ne peut être atteint, autant pratiquer une activité
physique récréative et ludique dans une optique de soins.
En effet, il existe et plus particulièrement ici dans le
domaine du sport, un apriori qui veut, dans une sorte
de démarche de réparation du handicap, que la personne
en situation de handicap psychique s’inscrive dans un
processus d’inclusion autant que l’environnement le lui
permet.
Disons-le, la Fédération Française du Sport Adapté
malgré une expérience significative de plus de quarante
ans auprès des « déficients mentaux » prend aujourd’hui
la mesure de « l’inquiétante étrangeté » qui s’attache aux
troubles psychiques et des réponses à apporter. Si
l’expérience minimise le sentiment d’inquiétante
étrangeté il n’en demeure pas moins que la Fédération
du Sport Adapté se trouve dans la situation du profane
et, comme le note Freud : « Le profane se voit là
confronté à la manifestation de forces qu’il ne présumait
pas chez son semblable, mais dont il lui est donné de
ressentir obscurément le mouvement dans des coins
reculés de sa propre personnalité5. » Comprendre alors
ce qui se joue dans le rapport sport et handicap
psychique est essentiel pour une fédération dont la
mission et de permettre une pratique physique et
sportive équitable.
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La commission recherche de la FFSA travaille à dénouer
le nœud gordien du rapport sport et handicap psychique.
C’est le sens du présent ouvrage.
Aujourd’hui la réflexion sur le sport et le handicap
psychique soulève des problématiques nouvelles, voire
des questionnements d’ordre déontologique pour les
professionnels des activités physiques et sportives.
Formés à la pratique sociale et culturelle du sport, ils se
sont forgés une idéologie des activités physiques et
sportives comme médiatrices au monde social évacuant
par là même toute connotation thérapeutique de - 17
l’activité et de l’action.
Il s’agit là aussi, pour nombre de professionnels en
activités physiques et sportives du champ médico-social,
de régler un conflit de représentations et de valeurs pour
intégrer dans une pratique nouvelle une perception plus
pragmatique c’est-à-dire hors des idées reçues, de
l’activité et des pratiquants concernés. Plus, peut-être,
que pour d’autres publics en situation de handicap la
mise en œuvre d’une pratique adaptée reposant sur une
pédagogie différenciée c’est-à-dire tenant compte des
problématiques de la personne doit être la règle.
Le Sport Adapté, comme le montre la dernière étude sur
l’intégration des sportifs déficients intellectuel dans le

5. Sigmund Freud (1919), L'inquiétante étrangeté et autres essais, Paris,


Gallimard, folio Essai, 1985, p. 208-263.
mouvement paralympique6 menée dans le cadre de la
commission recherche de la FFSA, souligne l’importance
du Sport Adapté en tant qu’institution sportive pour les
licenciés dont certains, à l’instar de Pascal Pereira Leal
relèvent autant du handicap psychique que de la déficience
intellectuelle. Le sport adapté apparait comme un espace
de re (valorisation) de la personne et d’une fierté retrouvée.
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« Fierté discrète et besoin de reconnaissance » 7 sont les
ingrédients d’une reconstruction identitaire ayant pour
socle leur investissement et leur sentiment d’appartenance
voire leur attachement au Sport Adapté.
Les propos de Pascal Pereira Leal : « Il y a sept ans, j’étais
encore à l’hôpital. J’ai été à deux doigts de mourir. Mais je
me suis dit : “tu prends tes responsabilités et tu fais ce que
tu sais faire : le tennis de table” » 8 suite à sa performance
paralympique à Londres, sont illustratifs de cette lutte contre
l’étiquetage et la stigmatisation du handicap psychique qui
18 - assignent la personne dans un rôle et une identité « qui
l’invalident, le disqualifient, l’instrumentalisent ou le
déconsidèrent » 9.
L’étude citée plus haut montre que le Sport Adapté ouvre
pour ces sportifs un nouveau rapport au monde et qu’un
processus de déstigmatisation est en œuvre. Au travers
du sport la maladie mentale peut être acceptée autant
par la personne, souvent dans le déni, que par la société.
Pierre souffre de troubles mentaux et du comportement
avec un léger retard mental. Des épisodes dépressifs et

6. Anne Marcellini, Yann Beldame, Élise Lantz (2016), l'intégration


des déficients intellectuels dans le mouvement paralympique, étude
des conséquences institutionnelles et sociales et identitaires, rapport
de recherche FFSA.
7. Ibid., p.16
8. Cf. Aurélien Bouisset, « Pereira-Lear, pionnier sensible », L’équipe,
mardi 4 septembre 2012.
9. Vincent de Gaulejac, (2009), qui est « je », Paris, éditions
du Seuil, p. 85.
d’anxiété généralisée jalonnent son parcours de vie.
Adhérent au club de tennis de sa ville depuis plusieurs
années, son niveau tennistique lui permet d’assumer
quelques responsabilités d’animation auprès des plus
jeunes.
Cependant, en masquant sa pathologie par des stratégies
d’évitement, il tient sous silence sa maladie. Cette
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dissimulation est sûrement un leurre à l’attention de son
entourage sportif mais lui permet de maintenir une
estime de soi intacte. Il découvre et adhère à la
Fédération du Sport Adapté dont les propositions
sportives s’adressent aux personnes en situation handicap
mental ou psychique et en 2011 il participe à son
premier championnat de France de tennis adapté avec
succès puisqu’il remporte le titre. C’est pour lui une
révélation et une découverte pour les membres de son
club. Ce titre de champion de France qu’il réitérera en
2012 va être, pour lui, le déclencheur d’une autre - 19
définition de soi, d’un processus de reconstruction
identitaire sur la base d’une reconnaissance de soi par
autrui.
Ces deux cas emblématiques ne sont pas pour autant
l’expression d’un long fleuve tranquille vers une
reconstruction identitaire. C’est toujours une mise à
l’épreuve de soi qui montre que l’investissement de sens,
la dimension symbolique que revêt l’activité physique et
sportive adaptée, sont étroitement imbriqués à la
structure psychique du sujet. Combien, en effet, il a
fallu, pour favoriser la réussite, de somme d’écoute, de
renforcement positif, de vigilance et de permanence dans
l’accompagnement éducatif pour permettre de dépasser
« les enjeux particuliers de l’alternance autour de la
décompensation et de la stabilisation » qui sont une
particularité de la problématique des personnes souffrant
de troubles psychiques.
La Fédération Française du Sport Adapté a pleinement
conscience que pour les sportifs en situation de handicap
psychique rompre cette chaine de continuité entre le soin
et le projet sportif peut avoir des conséquences majeures
sur leur parcours de vie. À l’évidence penser le sport
autrement est un enjeu éthique que doit relever
aujourd’hui le sport pour les personnes en situation de
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handicap psychique.

BIBLIOGRAPHIE

Queval, Isabelle (2004), s’accomplir ou se dépasser, essai sur le sport


contemporain, Paris, édition Gallimard.
Jeu, Bernard (1993), Le sportif, le philosophe, le dirigeant, PUL, p. 99.
UNAFAM, (2001), Le Livre Blanc des partenaires de Santé Mentale
France, associations d’usagers de la psychiatrie, de soignants et de
responsables du social dans la cité, juin, p. 4.
20 - Freud, Sigmund (1919), l’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris,
Gallimard, folio Essai, 1985, pp. 208-263.
Marcellini Anne, Beldame Yann, Lantz Élise (2016), L’intégration
des déficients intellectuels dans le mouvement paralympique, étude des
conséquences institutionnelles et sociales et identitaires, rapport de
recherche, FFSA.
Vincent de Gaulejac, (2009), Qui est «je », Paris, éditions du Seuil,
p. 85.
Les activités sportives comme médiation
dans la thérapie de personnes en état de
souffrance psychique, plus particulière-
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ment psychotiques
Jacques Tosquellas1

Pourquoi intervenir sur la question du corps ? Et plus


précisément sur l’utilisation des « techniques
corporelles » comme instrument et médiation dans la
question du thérapeutique ? Pourquoi avoir tenu dans
l’organisation du dispositif de soin dont j’ai été - 21
responsable pendant de nombreuses années à développer
ce genre d’interventions, à insister que pour du temps
soignant y soit prévu et détaché, voire à impulser (sans y
être arrivé) un mouvement pour la création d’une Unité
fonctionnelle officielle centrée sur le corps ? Le corps, à
la fois avec les interventions sportives, mais aussi avec la
mise en place de techniques plus spécifiques, telles que
les thérapies à médiation corporelle, le psychodrame ou
autres ?
D’emblée, j’affirme une position que je tiens comme un
principe a priori, un postulat en somme, et à ce titre, il
ne peut être démontré, mais il entraîne toute une série
de conséquences, logiques pour la plupart. D’autres
postulats sont certes possibles, mais celui-là est celui
auquel j’adhère. J’interviens dans le domaine du

1. Médecin psychiatre.
thérapeutique face à ce que l’on peut nommer la
souffrance psychique. C’est dire que la référence centrale
sera celle de la psychopathologie. Une psychopathologie
qui tiendra compte du fait essentiel que l’être humain,
en difficulté ici dans son processus d’humanisation, de
devenir sujet, reste toujours situé dans un contexte qui
viendra le déterminer en partie.
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Cet être humain, aussi en souffrance soit-il, est en
relation avec les autres, même chez Victor de l’Aveyron.
L’homme est un animal politique disait Aristote, ou
quelqu’un d’autre, peu importe. Et s’il pas un animal
comme les autres, c’est qu’il s’inclut dans le social et
avant tout dans le langage. C’est dire qu’en plus de la
psychopathologie comme instrument d’analyse,
intervient pour moi l’analyse sociologique, voire
politique. En tout cas, sa souffrance actuelle, celle qu’il
est amené à nous montrer ou que nous sommes amenés
22 - à contacter et à accueillir, fait référence à sa souffrance
de fondation, c’est-à-dire à ce qui est advenu lors du
temps de la constitution de lui-même comme sujet,
constitution toujours inachevée, et qui a été repris tout
au long de son histoire dans les mouvements de ses
rencontres avec les autres.
Cette souffrance peut être abordée et dite selon plusieurs
axes. Je la dis en terme clinique du sujet humain en
souffrance dans sa constitution, d’autres la disent en
terme de handicap rabattant la personne sur la question
du déploiement du citoyen, d’autres encore en terme
médical renvoyant alors la plainte subjective au champ
de l’objectivité et du besoin. Pour moi, la plainte est
toujours subjective et singulière. La question est de
permettre que cette plainte puisse être adressée à un autre
ou à quelques autres et, par là qu’elle puisse être accueillie
et travaillée afin que du sens advienne et que les
difficultés du sujet puissent s’élaborer quelque peu. Mais
pour que cette souffrance ait quelques chances de devenir
plainte adressée et au-delà message et donc tentative de
communication, un dispositif spécifique est nécessaire.
Un dispositif qui devra tenir compte du fait fondamental
que la communication inter humaine ou que les faits
humains ne sont pas des faits comme les autres. En effet,
entre celui (ou ceux) qui accueille et celui qui est accueilli
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se tissent des relations qui font référence à l’inconscient
et donc au déploiement des mouvements du transfert et
du contre-transfert.
On entend bien par là que la stratégie fondamentale à
laquelle j’adhère n’est pas une « stratégie orthopédique »
comme le dirait Marcel Sassolas, au sens où il s’agirait
de permettre que le citoyen vive sa culture particulière
aux côtés des autres cultures de la Cité, sans poser
l’objectif de transformation des éléments de la
constitution de sa personne, même si sa culture est
fondamentalement dyadique ou morcelée. - 23
Il s’agit pour moi d’une « stratégie thérapeutique » qui
vise au contraire, à permettre toute une série de
transformations de l’appareil psychique de celui que je
considère comme un être en souffrance d’humanisation.
Il est avant tout mon frère en humanité, mais on pourrait
dire qu’il a plus ou moins raté quelque chose dans son
devenir humain, alors que je suppose avoir pu en rater
moins. Ceci est, bien entendu, d’autant plus vrai que cet
autre humain qui me contacte ou que je contacte s’est
constitué, pour aller vite, autour de la psychose.
Nos propos d’ailleurs feront surtout référence à ce champ
particulier de la psychose, avec ce que cela indique de
mécanismes psychopathologiques et de défenses. Utiliser
alors le sport dans ce contexte indique la proposition
d’une double confrontation de sujet souffrant, avec les
autres, bien entendu, mais avant tout avec son vécu, ses
sensations et perceptions, sa représentation et son image
du corps. Lui rendre possible de se confronter à nouveau,
et toujours à nouveau, à l’expérience de la réalité, la
sienne et celle du monde environnant, impose que lui
soient proposées de nombreuses situations qui vont
mêler à la fois le monde imaginaire et le monde
symbolique.
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C’est le champ de ce que Pierre Delion dénomme
l’espace de la fonction phorique. Il va là, plus ou moins
activement ou plus ou moins passivement, vivre la
situation. Parfois en l’anticipant, parfois non. Mais dans
tous les cas il pourra en dire quelque chose et partager.
La mettre en mots et images. Le souvenir lui-même
pourra être réactualisé grâce aux mots qui pourront être
convoqués sur d’autres scènes et avec d’autres
partenaires. Il n’en dira, bien évidemment, jamais tout…
et fort heureusement. Il pourra évoquer des épisodes qui
24 - ont fait événements, pour lui et pour d’autres
éventuellement, il pourra évoquer aussi ses peurs, ses
sensations corporelles, ses émotions.
J’insiste sur le fait que l’occasion de mises en mots et de
mises en récit plus ou moins adressé, suppose un ailleurs
et donc un déplacement et une opération de transfert.
Une séparation de l’expérience elle-même au niveau du
vécu direct, pour être mémorisée et traduite, pour être à
nouveau évoquée. Le travail sur l’unification du corps et
de l’image corporelle passe sans doute par ce
mouvement.
Lors de l’expérience elle-même, d’abord les associations
diverses des sensations et mouvements, liés à l’action en
cours et à son évolution, en rapport avec le monde
environnant et donc les autres.
Expérience dans un rapport de grande immédiateté et
de continuité. En présence ou presque du vécu de
l’expérience elle-même. Après l’expérience, son
inscription dans le corps et le psychisme, dans la trace,
son entrée dans le champ de la parole, du refoulement
et d’une éventuelle évocation toujours adressée à un ou
plusieurs autres, fussent-ils aussi imaginaires.
En tout cas, expérience désormais possible en l’absence
de l’événement et de son vécu immédiat. Apparaissent
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alors les conditions de l’expérience de la contiguïté, de
la non fusion. Ce qui est alors vécu, ce n’est plus la
continuité de la sensation, la continuité des sensations
et perceptions entre elles, mais celle du lieu où s’est
produite cette sensation, c’est-à-dire au fond la
continuité du sujet (cf. Marcelli).
La continuité du sentiment d’existence du sujet, diraient
certains, passe par l’expérience de la séparation de
l’événement sensible lui-même et par son inscription
dans le symbolique. Mais aussi dans la possibilité de la
transmission. Alors, bien sûr, il ne suffit pas d’une fois - 25
pour que tout soit réparé. Ça se saurait et puis, on aurait
vite fait de n’avoir plus rien à faire, en tant que
thérapeute ! Et peut-être même que tout ce qui a été
détruit ou forclos ne pourra jamais advenir
véritablement. On est ainsi au moins sur la piste et dans
la direction.
Mais alors pourquoi, me direz-vous, se poser la question
ainsi, si en même temps, on déclare vain ou impossible
cette réparation au niveau de cette défaillance de la
subjectivation ? Est-ce que ce n’est pas faire croire au
sujet souffrant à la fin plus ou moins définitive de sa
souffrance et donc par là le faire entrer dans l’illusion la
plus totale ? En somme mettre une nouvelle couche à sa
souffrance. Ne vaut-il pas mieux le laisser dans
l’ignorance sur le fait qu’être homme, c’est être séparé ?
Plusieurs réponses sont possibles de ma part : d’abord
l’expérience proposée n’est pas unique. Elle est
renouvelée tout au long du déploiement de la fonction
phorique, et, bien entendu, avec la mise en œuvre des
autres fonctions indispensables au processus
thérapeutique, les fonctions sémaphoriques et
métaphoriques.
Ensuite, parce que, peut-être, même si la réparation n’est
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pas totale, peuvent s’installer des passerelles qui rendent
possibles des contacts entre les morceaux de vécus et
d’images. Autant les parties en mouvement chez le sujet
que les parties disponibles chez l’autre et l’environnement.
L’identification projective, mécanisme hyper présent
chez ce genre de personnalité, se trouve par là quelque
peu rassemblée dans ses effets. Le résultat pourrait en
être plus de souplesse dans le fonctionnement psychique.
Moins de clivages, de morcellements, mais aussi moins
d’omnipotence.
26 - Ce qui impose alors un accueil de la souffrance liée à la
séparation par le sujet lui-même. En somme, l’expérience
du manque fondateur et de son élaboration. L’expérience
du deuil. Ce qui, chez tous, mais plus particulièrement
chez le psychotique, n’est pas une petite affaire.
Marcel Sassolas nous le dit, tout au long de ses écrits, en
insistant sur le fait que la fonction soignante peut se
définir comme une attention portée à la santé d’autrui.
Chez le psychotique, cette fonction soignante va se
heurter à un obstacle majeur : la méfiance du sujet envers
sa propre activité psychique et sa capacité de penser,
lesquelles sont perçues comme source de danger et de
douleur. Compte tenu de la « mise à distance ou de la
destruction par le patient de l’activité mentale avec
laquelle nous avons le projet de le réconcilier », il faudra
donc mettre au point des « stratégies » capables de
dépasser cet obstacle.
Le psychotique refuse d’être « exilé à jamais de la
plénitude du narcissisme primaire » compte tenu
qu’exister est équivalent à « se reconnaître séparé ». Dans
sa tentative pour vivre, il va en fait vivre hors de soi, soit
avec l’autisme où les investissements ont reflué sur le
corps propre, le monde interne et externe « étant
désinvesti, soit que ce soit sur l’autre que soit projeté
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l’état de perfection initiale, autre qui devient par là un
prolongement de soi. Vivre hors de soi, ne pas coïncider
avec son vécu interne. On comprend mon insistance sur
l’importance du travail sur les liens entre les sensations
et leur intégration.
Pour vivre hors de soi, il va utiliser nombre de moyens
qui vont du déni (qui aboutit à l’absence de sens ou au
non-sens), au clivage, à l’expulsion qui fait prédominer
l’agir, et la projection qui rend les divers éléments
psychiques étrangers à soi. Toute activité psychique étant
connotée de danger et de douleur, la situation idéale - 27
devient celle « d’exister sans aucune information interne
ou externe » sur sa propre existence.
Dans la situation qui se veut thérapeutique, la visée
première sera de repérer les fantasmes fusionnels
d’interpénétration psychique (je dis bien les fantasmes
et non pas la réalité) ainsi que ses connotations
persécutoires. L’étape préalable est d’abord d’aider le
patient à reconnaître le fantasme comme tel. Ce qui
suppose qu’on le reconnaisse aussi.
Mais, en plus, la question de la réalité du thérapeute lui-
même sera ici centrale, particulièrement quant à sa place
par rapport à la réalité extérieure.
D’une part, le thérapeute devra « accepter de se montrer
dans sa banalité d’homme ou de femme en train de faire
son travail ». Le contraire reviendrait à augmenter la
distance, à accroître le fantasme de toute-puissance et le
vécu de persécution. D’autre part, il se retrouvera dans
des situations de « réalité partagée ». Ce qui n’a rien à
voir, bien évidemment, avec le fait de partager sa vie avec
celle du patient, ce qui serait alors source de confusion.
Dans toutes les activités sportives proposées, comme
dans le plus grand nombre des moments phoriques, il
ne fait pas de doute que le soignant partage des réalités.
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Dans la navigation sur l’Ardèche en canoë, le soignant a
autant de problèmes pour tenir que le patient. Voire
parfois plus, compte tenu de la peur qui vient se
surajouter ou de la volonté de maîtrise de la situation.
Tomber pourrait être, éventuellement, la preuve de son
insuffisance ce qui renverrait à la position idéologique
défensive qu’un soignant devrait se montrer tout
puissant. Si c’était le cas, la réalité ne serait pas partagée
et l’expérience proposée serait en fait une manipulation
totale.
28 - Certes, le soignant peut avoir une certaine connaissance
technique de la situation. C’est même conseillé dans
nombre de cas.
En dehors du fait que c’est souvent obligatoire aux yeux
des règlements. Mais ça ne le met pas dans
l’omnipotence et ne lui évite pas le partage de cette
réalité, tant vis-à-vis des événements qui s’y déroulent
que des émotions qui ne vont pas manquer de surgir.
Pour enfoncer le clou, Sassolas ajoute qu’il existe deux
ordres de stimuli psychiques : les uns sont produits par
le fonctionnement mental du sujet et conduisent aux
rêves, pensées, fantasmes, souvenirs… etc., les autres sont
liés à la vie actuelle et renvoient aux relations avec ces
autres (attentes, des désirs, des frustrations, des
gratifications… etc., à la fois dans le registre narcissique
et dans le registre pulsionnel). Notre travail sera de
soutenir le patient dans ce double « face à face », afin
qu’il reconnaisse comme siens ces stimuli sans les annuler
par le déni, les cliver ou les expulser. C’est-à-dire qu’il
puisse enfin commencer à en effectuer un début
d’élaboration. Et c’est l’élaboration des stimuli nés des
relations avec nous qui sont l’essentiel du travail, sans
bien entendu que l’on néglige les stimuli internes. D’où
l’importance du développement des occasions de
rencontres autour de la fonction phorique, fonction
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phorique qui ne peut être proposée que dans un cadre
déterminé le plus adéquat possible à un travail
thérapeutique de transformation.
Encore une fois, on entend bien que quand je dis « le
psychotique », je désigne une personne singulière et
unique dont le développement de sa capacité subjective
est resté quelque peu « en rade ».
Sante communautaire : quelle place
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pour les activités physiques et sportives ?
Jean Luc Roelandt1 et 4, Catherine Thevenon2, Pauline
Martin3, Laurent Defromont4, Christelle Lemaire4

L’activité physique a une place prépondérante pour notre


santé. C’est pour cela que l’Organisation Mondiale de la
Santé (OMS) a mis en place des recommandations. Elles
ont pour but de fournir aux décideurs politiques
nationaux et régionaux des indications sur la relation - 31
dose/effet qui repose sur les paramètres de fréquence, de
durée, d’intensité, du type et de la quantité totale
d’activité physique pour prévenir les maladies non
transmissibles. En fonction du public, s’il s’agit
d’enfants, d’adultes ou encore de personnes âgées, les
recommandations vont varier.

Le rôle de l’activité physique


L’activité physique joue un rôle essentiel dans la prise en
charge des personnes avec un handicap mental. En effet,
la pratique régulière de l’activité physique permet de
1. Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé pour
la recherche et la formation en santé mentale.
2. Psychiatre EPSM (Etablissement Public de Santé Mentale), Lille
Métropole Tourcoing (Nord).
3. Faculté des Sports et de l’EP, Liévin, Université d’Artois.
4. EPSM Lille Métropole.
nombreux bienfaits. D’après la littérature internationale
(Psychiatric Rehabilitation Journal et Journal of Sport and
Exercise Psychology) la pratique d’une activité physique
améliore l’estime personnelle, la conscience de soi et
permet de s’acquitter plus facilement des activités de la
vie quotidienne plus particulièrement chez les
participants atteints d’un trouble affectif bipolaire, d’une
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dépression, d’une schizophrénie ou encore d’un trouble
de la personnalité limité. De plus, l’exercice pourrait
même diminuer les symptômes psychotiques tels que les
hallucinations auditives. Les personnes atteintes de
schizophrénie ont signalé entendre moins de voix les
jours où ils participaient à un programme d’exercice
volontaire. Certains ont également affirmé qu’ils
dormaient mieux et se sentaient mieux, mentalement et
physiquement. L’activité physique peut être un
« remède » contre la maladie mentale.
32 -
La prise en charge dans un service de santé mentale
L’activité physique pour les personnes ayant des troubles
psychiques est la même que pour l’ensemble de la
population. Le système est à la fois préventif et curatif.
Le rôle des médecins va être important car il gère leur
prise de médicaments, et ces derniers peuvent parfois
entraîner une prise de poids.
Pour ce public, le soutien est primordial et il faut leur
proposer un programme progressif. En offrant un
soutien individuel, les résultats sont beaucoup plus
concluants. Pour ces personnes, il est généralement
courant d’avoir une estime et une perception négative
de leur corps : « mon corps, je ne peux rien en faire ». Le
traitement médical et médicamenteux pose souvent un
problème de poids même si c’est moins souvent le cas
aujourd’hui avec les « Evolutions des Pratiques
Professionnelles » (EPP). L’objectif est de changer l’image
du corps pour les personnes avec un trouble psychique.
Pour pouvoir agir au mieux, il faut prendre en compte
les principes de la psychiatrie citoyenne : « ne pas avoir
des partenaires mais être partenaires », nous sommes tous
égaux, dans le même dispositif ; l’insertion à la porte du
patient (les équipes mobiles) c’est-à-dire qu’il faut aller
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chercher les personnes directement sinon elles ne
viendront pas de leur plein gré ; l’autonomisation des
usagers, autrement dit, pour pouvoir agir, il faut se baser
sur les capacités propres des personnes. D’autre part, les
partenaires ont un rôle important et la santé mentale
« c’est l’affaire de tous ». Le travail et la prise en charge
psychiatrique s’effectuent au sein d’une équipe
pluridisciplinaire : les médecins généralistes, les
pharmaciens, les infirmières libérales et le professionnel
en activités physiques adaptées. Les professionnels de la
psychiatrie sont également intégrés dans les services - 33
sociaux municipaux car les personnes souffrant de
troubles mentaux sont des citoyens à part entière et
peuvent bénéficier d’aides pour leurs problèmes sociaux.
On retrouve également une intégration dans les services
culturels. Tous les services artistiques et culturels des
municipalités sont ouverts aux personnes souffrant de
troubles mentaux, où ils sont présents en même temps
que le reste de la population. L’objectif est de
promouvoir l’activité physique. Et cette dernière est
intégrée dans la proposition de l’offre de soins depuis de
nombreuses années. Il s’agit d’un vecteur de
remobilisation de soi, de socialisation et d’intégration
dans la cité. Cette offre est pilotée majoritairement par
le Service d’Activité d’Insertion et de Soins Intégrés à la
Cité (SAISIC) dans une finalité de médiation corporelle.
Les paramètres de l’activité physique dans la prise en charge
Pour motiver ses patients, il y a une approche à trois
volets : le choix de l’objectif, un programme d’exercice
progressif et un soutien individuel. La santé mentale et
les troubles psychiques concernent tout le monde.
Arrivée à un certain stade, la maladie peut devenir très
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grave et va nécessiter un accompagnement. Pour cela, les
programmes doivent être adaptés. En ce qui concerne la
dimension sportive, la promotion de l’activité physique
auprès d’usagers est réalisée au sein d’un Centre Adapté
Thérapeutique à Temps Partiel (CATTP). Pour ce qui
est de l’encadrement, un éducateur sportif est
accompagné d’un professionnel du SAISIC. L’activité a
lieu dans un lieu sportif municipal et se déroule par
groupe de 12 à 15 personnes sur la thématique du sport
collectif (technicité, effort, matches). En complément du
volet sportif, s’est développée une offre de soins à
34 -
médiation conçue par les psychomotriciens, utilisant le
support aquatique : aquarelax (sauna, bassin, relaxation,
musculation) et balnéothérapie dans les piscines
municipales. La mise en œuvre dépend d’un équipement
propre ou d’un partenariat avec les municipalités ; la
piscine municipale de Ronchin pour notre projet. Les
différents partenaires font en sorte que tout le monde ait
accès à l’hydrothérapie, même les personnes qui sont en
situation de précarité.
Ces activités aquatiques permettent une gestion du tonus
musculaire, une remobilisation corporelle, une détente
et une canalisation de l’énergie. Malheureusement,
comme tout programme mis en place, il existe des
obstacles et des freins : l’écart entre le traitement de la
santé physique et de la santé mentale, le manque
systémique de ressources et de professionnels qualifiés,
les moyens financiers de s’abonner dans un gymnase ou
tout autre centre sportif. Pour y faire face, il y a parfois
un accès gratuit et libre mis en place par les mairies.
D’autre part, il existe un réel besoin d’évaluation des
pratiques professionnelles et de ces projets novateurs
pour les mettre en valeur. Parallèlement, même si le sport
est considéré comme nécessaire et important, les
personnes disent souvent qu’elles manquent de temps et
de motivation ; certaines redoutent même d’aller dans
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un club et d’y affronter le regard d’autrui.
L’activité physique est intégrée dans la proposition de
l’offre de soins, de prise en charge complète et globale
depuis de nombreuses années et sa pratique est accessible
à quiconque si elle est adaptée. Il s’agit d’un vecteur de
remobilisation de soi, de socialisation et d’intégration.

BIBLIOGRAPHIE

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Kishore J. 2014 “Community mental health service : an experience
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Santé mentale de l’enfant et de l’ado-
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lescent : place des activités physiques
et sportives
Manuella De Luca1, Adeline Coutiez2

La jeunesse apparaît souvent comme une période


enviable de la vie : l’avenir vous attend, le monde et la
vie s’ouvrent à vous. La plupart des jeunes disent que
tout va bien pour eux et pourtant, certains éprouvent un - 37
mal être, pouvant entraver leur développement et
générer une souffrance morale parfois intense. Comment
les activités physiques adaptées peuvent les aider dans ce
long processus complexe de l’adolescence ? Quelle place
occupent les activités physiques adaptées dans le
développement de l’enfant et de l’adolescent ?
La docteur Manuella DE LUCA est psychiatre et
responsable du pôle « Psychiatrie et psychopathologie de
l’adolescent et du jeune adulte », au sein de l’Institut
Marcel Rivière de La Verrière dans les Yvelines. Elle
intervient également en psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent aux centres hospitaliers de Vichy et de
Clermont Ferrand.

1. Institut Marcel Rivière, La Verrière, Le Mesnil Saint Denis.


2. Faculté des Sports et de l’Education Physique, Liévin-Université Ar-
tois.
L’adolescence, une période de changement
Le passage de l’enfance à l’adolescence se
caractérise par de nombreux changements physiques et
psychiques. Ainsi, le corps est au centre des
transformations liées à la puberté : modification de la
silhouette, développement des caractères sexuels
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secondaires comme la pilosité, les seins, la mue de la voie,
les règles. L’adolescent est confronté brutalement à la
nouveauté tant corporelle que psychique. L’adolescence,
est aussi le temps des prises de risque, s’accompagnant
de comportements plus ou moins acceptables, de
transgressions de règles où l’on joue avec les interdits.
« C’est l’âge où l’on pense être invulnérable » avec
l’expérience des premières conduites à risques qui
peuvent mettre les adolescents en danger.
On fait face également à de plus en plus de refus
scolaires en lien avec ce sentiment de malaise massif. Ce
38 -
refus s’exprime soit par des conduites d’opposition active
soit par une phobie scolaire. Quel rôle les activités
physiques peuvent-elles jouer durant cette période de
turbulence ?

L’adolescence et les activités physiques


Les activités physiques et sportives jouent un rôle
essentiel pendant cette période de vulnérabilité
psychique et parfois de souffrance psychologique
notamment dans le développement et la construction
identitaire ; et ce d’autant plus pour un adolescent
fragile. Celui-ci va s’inspirer de ses modèles identitaires
qui lui serviront dans la conception d’un soi qui lui est
propre. C’est un âge capital dans l’apprentissage de
l’autonomie affective, fonctionnelle et financière. C’est
pourquoi, pratiquer une activité physique et sportive en
dehors du milieu familial dans un cadre sécurisé et avec
d’autres adultes que les parents participe à un premier
pas vers l’autonomie.
La pratique sportive pour un certain nombre
d’adolescents et d’adolescentes va permettre de façonner
un corps et découvrir les nouvelles capacités de ce corps
en changement. Elle permet de sortir d’une passivité
subie induite par les transformations pubertaires non
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choisies à une activité choisie et voulue par le biais de
l’activité physique. Elle va agir comme stimulant
motivationnel par le plaisir que la pratique sportive
apporte et constituer en soi un résultat psychologique
positif. On y retrouve également une socialisation dans
le respect des règles, de l’autre, des autres. D’autre part,
à travers des activités ludiques, éducatives et sportives
l’adolescent va pouvoir se défouler tout en canalisant son
excitation et en gérant ses émotions.

Trop c’est trop ! - 39

L’adolescence est l’âge des paradoxes, la pratique


excessive d’une activité physique et sportive augmente
les troubles alimentaires et les risques d’addiction. Le
corps est alors traité comme un objet et non pas comme
étant intimement lié à la personnalité avec une
comparaison permanente à un idéal. La pratique sportive
excessive des adolescents risque à la fois d’entrainer des
pathologies osseuses comme des troubles de la croissance
ou une fragilisation des os et du cartilage, mais aussi de
développer des symptômes de dépression et d’anxiété
affectant ainsi directement sa santé mentale ; elle s’inscrit
alors dans une pratique addictive ou excessive nocive
pour l’adolescent.

L’activité physique, un facteur d’équilibre


L’adolescent, confronté à des changements multiples, va
soit bénéficier de cette nouveauté pour grandir et se
construire, soit en souffrir et fuir la réalité. L’enjeu
central est le passage de la question de l’agir à la question
de l’action. À l’adolescence, penser génère beaucoup
d’angoisses, c’est pourquoi les adolescents se structurent
autour de l’agir comme dans des comportements
d’automutilations.
L’activité physique et sportive pratiquée régulièrement,
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60 minutes par jour, favorise un travail de mentalisation,
autour du respect des règles, de l’anticipation, de la prise
en compte des autres, de la stratégie qui permettra aux
enfants et adolescents de sortir de la logique « du passage
à l’acte » et d’entrer dans une logique de l’action.
Enfin, en raison du potentiel trophique sur la psyché des
adolescents, les activités physiques doivent être
fortement encouragées notamment dans les institutions
soignantes. C’est un support élémentaire dans le
changement pour qu’il soit moins douloureux et moins
40 - difficile.

Illustrations cliniques
« Chloé a 16 ans, elle vit seule avec sa mère et n’est plus
scolarisée depuis un an. Elle sort beaucoup, consomme
de l’alcool et des toxiques et a une relation amoureuse
avec un homme de 30 ans. Elle est hospitalisée dans un
contexte de passage à l’acte suicidaire à la suite d’une
agression sexuelle. A son arrivée dans le service, elle se
montre opposante aux soins. Ce comportement de
provocation est en fait une défense contre un syndrome
dépressif intense. Elle souffre beaucoup de la distance
avec son père au chômage qui n’ayant de domicile ne
peut pas l’accueillir. Cependant, son comportement se
modifie considérablement lors des séances d’Activités
Physiques Adaptées (APA). Chloé accepte de porter une
tenue de sport, exprime un soulagement après la séance
et se montre comme un élément moteur dans les jeux de
ballon ou de combat. Elle se confie de plus en plus aux
soignants et pratique le STEP institutionnel deux fois
par semaine, ce qui développe chez elle sa concentration,
modifie son rapport à l’apprentissage et lui donne
confiance en elle ».
« Nathan a 13 ans. Il est hospitalisé en urgence à la
demande du préfet à la suite de menaces de mort envers
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ses parents. Depuis quelques mois, il ne va plus à l’école
et sort toujours muni d’un couteau car il pense que les
autres pourraient l’attaquer. Il fait ce qu’il veut et
personne ne peut lui imposer de règles. Il y a 6 mois, il
a perdu, son meilleur ami d’un cancer. Dès son arrivée,
Nathan s’oppose aux soignants et les menace de mort.
Son comportement est très violent voire même
incontrôlable avec les autres. Une prise en charge
individuelle en APA lui est proposée pour lui apprendre
à se canaliser, à se concentrer et à accepter de nouvelles
règles. La source de son comportement avant - 41
l’hospitalisation a pu être identifiée par l’intermédiaire
de la pratique sportive, ce qui a permis de travailler sur
les stratégies de résolution de problème lors des séances
de sport adapté. Dès lors, la relation avec le professeur
APA permet une identification valorisante qui rend
possible la pratique d’une activité en groupe permettant
ainsi la reconstruction du lien social ».

BIBLIOGRAPHIE

Cloutier, R., (1982). Psychologie de l’adolescence. Canadian Journal


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de psychothérapie, 18(3).
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déviances. Sociétés contemporaines, (4), 129-147.
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physique pour la santé
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contexte social, des aspirations et des ressources motivationnelles
(Doctoral dissertation, Université Laval).
Les activités physiques et sportives
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adaptées dans les programmes d’éduca-
tion thérapeutique en psychiatrie
Djéa Saravane1, Perrine Cury2

La schizophrénie et les troubles bipolaires sont des


maladies psychiatriques qui peuvent engendrer d’autres
problèmes de santé, comme des maladies cardio-
vasculaires, du surpoids, une obésité. Comment limiter
- 43
ces risques de développer des maladies secondaires ?
Quelles solutions apporter pour tendre vers une santé
optimale ?

1. Centre Régional Douleur et Soins Somatiques en Santé Mentale et


Autisme, EPS Barthelemy Durand, Étampes.
2. Faculté des Sports et de l’Education Physique, Liévin-Université
Artois.
Schizophrène ou Trouble Bipolaire ?
D’après l’INSERM (2014), la schizophrénie « est une
maladie psychiatrique caractérisée par un ensemble de
symptômes très variables : les plus impressionnants sont les
délires et les hallucinations, mais les plus invalidants sont
le retrait social et les difficultés cognitives ». Les troubles
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bipolaires d’après le Dr Amado, psychiatre praticien
hospitalier au CH Saint-Anne à Paris (2014) : « Il s’agit
de troubles caractérisés par des variations excessives ou
inadaptées de l’humeur, tant dans le sens de la dépression
que dans celui de la manie (agitation physique et
psychique). Il y a alternance de « hauts », les phases
maniaques et de « bas », les phases dépressives ».
Nous remarquons que les personnes atteintes de
problèmes psychiatriques ont un taux de mortalité 4,5
fois supérieur à la population générale. Car elles sont plus
sujettes à développer des maladies métaboliques comme
44 -
le diabète, l’obésité, l’hypertension, la dyslipidémie, ou
une maladie cardiovasculaire qui sont les premières
causes de mortalité d’après Colton et Manderscheid
(2006).
Pourquoi sont-elles plus amenées à développer une
maladie ? A cause de plusieurs facteurs : une mauvaise
hygiène de vie, une mauvaise alimentation riche en gras
et en sucre, une sédentarité, un isolement social, des
conditions financières défavorables, des prises de
substances favorisant le développement de risques (tabac,
alcool, drogue) et les traitements médicamenteux
notamment avec les antipsychotiques qui perturbent la
sensation de faim.
L’ensemble de ces facteurs provoque un état de santé
défaillant et donc une augmentation du risque de
développer une maladie d’où une mortalité plus élevée.
Quel casse-tête !

La question essentielle à résoudre est de savoir comment


éviter cette surmortalité chez ces personnes atteintes de
problèmes psychiatriques ? L’activité physique est
recommandée pour prévenir de nombreuses maladies.
Nous savons que l’activité physique adaptée a des effets
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bénéfiques sur la santé :
– Physiques (diminution des douleurs articulaires,
musculaires comme la lombalgie).
– Physiologiques (diminution du risque de diabète,
d’hypertension, des problèmes cardio-vasculaires et
respiratoires, régulation de la composition corporelle,
diminution de l’obésité). La prévalence de l’obésité est
majorée pour les sujets schizophrènes et bipolaires selon
Hert et al. (2009).
– Psychiques (diminution du stress, de l’anxiété et
- 45
amélioration du sommeil).
– Sociaux (intégration sociale notamment grâce à une
pratique sportive de groupe).
Une alimentation et un régime alimentaire équilibrés
permettent à l’organisme de mieux fonctionner et d’éviter
par exemple le surpoids/obésité. Les médicaments doivent
être surveillés et pris à bon escient pour les patients vivant
à domicile ; les effets secondaires des médicaments doivent
être connus et anticipés. Pour diminuer les risques
(maladies, décès), la personne doit avoir une prise en
charge individuelle physique, sportive, alimentaire et
médicamenteuse. L’Éducation Thérapeutique du Patient
(ETP) joue un rôle essentiel dans cette prise en charge
individuelle.
D’après l’INPES, Institut National de Prévention et
d’Education pour la Santé, (2007), l’ETP se définit
comme « une éducation thérapeutique qui devrait
permettre aux patients d’acquérir et de conserver les
capacités et compétences qui les aident à vivre de manière
optimale leur vie avec leur maladie. Il s’agit d’un processus
permanent, intégré dans leur soin et centré sur le patient.
L’éducation implique des activités organisées : de
sensibilisation, d’information, d’apprentissage de l’autogestion
et de soutien psychologique concernant la maladie, le
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traitement prescrit, les soins, cadre hospitalier. Elle vise à aider
les patients et leurs familles à comprendre la maladie et le
traitement ; coopérer avec les soignants, vivre plus sainement
et maintenir ou améliorer leur qualité de vie ».
Ainsi l’ETP permet d’expliquer aux patients pourquoi il
faut faire attention à son hygiène de vie, et donc de le
rendre acteur de sa maladie. Cela permet de se soigner
et de se prémunir de maladie, ainsi que de partager son
savoir avec ses proches, à titre préventif.
Nous pouvons regrouper toutes les informations émises
46 - dans un schéma (figure 1) résumant les différents
facteurs qui permettent d’améliorer l’état de santé.

Figure 1 : Schéma expliquant la prévention des risques de santé pour


des sujets présentant des troubles psychiatriques.

Une étude pilote a été faite dans le but de réaliser un


programme d’activité physique pour des personnes
atteintes de schizophrénie, au sein du service psychiatrie
du CH de Clermont Ferrand. 12 patients schizophrènes
et sédentaires ont fait un programme de 12 semaines (3
séances de 45 minutes par semaine). Ce programme
suivait les recommandations de l’OMS. Plusieurs
paramètres étaient mesurés : la capacité aérobie et
l’endurance (Test 2 minutes sur place), la force
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musculaire (test 30 secondes assis/debout), la
concentration et le contrôle postural (test d’équilibre sur
une jambe), la souplesse scapulo-humérale (test de
mobilité scapulo-humérale), la souplesse de la hanche
(test d’inclinaison latérale du tronc). Le résultat final
montre que l’activité physique a permis une diminution
de glycémie, une augmentation de la captation du
« bon » cholestérol (HDL), et une diminution des
triglycérides. Ainsi cela diminue le risque de développer
un problème cardiovasculaire.
- 47
Finalement tout problème a une réponse !
La prise en charge pluridisciplinaire, alimentaire,
médicale, physique et sportive permettra de prévenir
l’apparition de problèmes de santé et ralentira la
surmortalité des personnes atteintes de troubles
psychiatriques. Ces conseils peuvent être appliqués à
l’ensemble de la population mondiale qui, doucement,
glisse vers une alimentation déséquilibrée et un processus
de sédentarisation. Ainsi la vigilance à avoir est d’allier
un mode de vie sain avec une activité physique et
sportive régulière. Le concept de sport santé permet de
prévenir et de soigner tout problème de santé.
BIBLIOGRAPHIE

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Hert, Dekker, Wood, Kahl, Holt, Möller. (2009). Cardiovascular
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Programme d’éducation thérapeutique
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dédié à la schizophrénie au sein de
l’établissement de santé mentale de
Lille- groupe MGEN
Jean Paul Kornobis1, Julie Creton2

Le groupe MGEN, Mutuelle Générale de l’Education


Nationale, continue son engagement et innove dans le
champ de la santé mentale, celle-ci étant un véritable - 49
enjeu en matière de santé publique pour les années à
venir. Partout en France, les établissements MGEN
développent une offre complète couvrant l’ensemble du
champ de la santé mentale (prévention, dépistage,
éducation thérapeutique, réadaptation, réinsertion).
L’Etablissement de santé mentale (ESM) MGEN de Lille
accueille toute personne en situation de souffrance
psychique, quel que soient son lieu d’habitation et son
niveau de ressources. Il propose des soins ambulatoires
et une prise en charge en hôpital de jour. Il dispose d’un
agrément pour la mise en place d’un programme
d’éducation thérapeutique du patient souffrant de
schizophrénie en lui proposant également des activités
de remédiation cognitive. Nous allons, ici, nous
intéresser particulièrement au programme d’éducation
1. Établissement de santé mentale, Lille, groupe MGEN.
2. Faculté des sports et de l’EP, Liévin, Université d’Artois.
thérapeutique et d’activité physique auprès de patients
schizophrènes de l’ESM de la MGEN de Lille.

Présentation de la schizophrénie
La schizophrénie est un trouble appartenant à la
catégorie diagnostique des psychoses délirantes
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chroniques. Deux types de symptômes définissent la
schizophrénie, les symptômes positifs et négatifs. Les
symptômes positifs sont ceux qui envahissent le patient
comme des voix, des idées délirantes, des hallucinations
ou encore un comportement désorganisé. Les
symptômes négatifs sont ceux qui vont inhiber le patient
et qui vont être difficiles d’accès à la thérapie
médicamenteuse. Ceux-ci peuvent être par exemple,
l’émoussement progressif de l’émotivité, de la
communication verbale en lien avec : l’alogie (absence
de capacité à penser), l’athymhormie (perte de l’élan vital
50 - et absence d’expression des émotions), l’aboulie (absence
de volonté). Ces symptômes vont contribuer à isoler et
à précariser de plus en plus le sujet dans un monde de
moins en moins indulgent avec les plus fragiles.
La schizophrénie est la psychose la plus répandue et
débute à l’adolescence et chez l’adulte jeune. Selon les
pays, elle concerne entre 0,5 et 2 % de la population avec
une incidence annuelle se situant autour de 2 pour
10000. Dans notre pays, la population schizophrénique
représente 20 % des hospitalisations psychiatriques à
temps complet et 1 % des dépenses totales de santé.
Concernant le sex-ratio de cette maladie, il semble être
équilibré mais la maladie tend à être plus précoce et plus
invalidante chez l’homme. L’âge du premier diagnostic
se situe entre 15 et 25 ans et se manifeste dans 35 à 40 %
des cas par des débuts aigus avec bouffées délirantes.
Concernant le traitement de la schizophrénie, en
complément du traitement médicamenteux, il a été
observé que le sport et l’activité physique et sportive
contribuent à rééduquer des fonctions mentales
(Delevoye, 2009). Il est maintenant démontré qu’au
niveau physiologique, l’activité physique et sportive
apporte de nombreux bienfaits tels que le maintien de
la fonction musculaire, l’acquisition et la préservation du
capital osseux, l’entretien du réseau vasculaire, la
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protection du cerveau ou encore l’amélioration des
capacités motrices et de l’équilibre (Rimmer, James H et
al, 2012). Le sport et l’activité physique contribuent
également à une remédiation cognitive, c’est-à-dire à
diminuer les déficits cognitifs tels que les troubles de la
concentration, de la mémoire et visent également la prise
de conscience des erreurs cognitives responsables du
développement et du maintien des idées délirantes. Dans
cette logique de soin, le centre de santé mentale de Lille
a eu l’idée de mettre place dans son programme
d’éducation thérapeutique du patient un module dédié - 51
à l’activité physique. Beaucoup de psychiatres ont
délaissé l’approche du sport dans la thérapie du patient
schizophrène. En effet, la plupart des thérapies
d’inspiration freudienne reposaient sur un travail portant
essentiellement sur le langage et très peu sur le corps.
C’est pourquoi, l’ESM de la MGEN de Lille a mis en
place en 2013 un programme d’éducation thérapeutique
centré sur le corps pour des patients souffrant de
schizophrénie. L’action motrice dépend du contexte dans
lequel se trouve l’individu. Le cerveau, qui se comporte
un peu comme un chef d’orchestre, doit être capable de
percevoir au mieux ce contexte et cet environnement
pour pouvoir planifier son action correctement et
décider quoi faire.
Dans l’univers de l’activité physique et sportive, ce
contexte est la clé de la performance, la préparation et
l’entrainement cultivés dans le monde du sport sont
donc une puissante source d’inspiration pour s’insérer
dans la vie. Il est donc logique que dans le programme
d’Education Thérapeutique du Patient (ETP) de l’ESM
mis en place, validé par l’Agence Régionale de Santé
(ARS), tout un module soit consacré à l’activité physique
et au sport et qu’un partenariat avec un centre sportif
soit mis en place pour l’animation. Le déroulement de
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ce programme d’éducation thérapeutique commence par
un bilan éducatif partagé (BEP) qui permet d’ajuster les
séances au regard du projet de vie du patient. Ce
programme se compose de 12 séances hebdomadaires de
deux heures en groupe avec 6 modules consacrés à la
pathologie psychiatrique et 6 modules relatifs au bien-
être du corps.
Le module « activités physiques » se déroule dans un lieu
aménagé. Ce module est proposé aux patients dans le
but de les sensibiliser, de les initier à la pratique sportive
52 - en expliquant ses bienfaits et les encourager à la régularité
et l’assiduité de la pratique physique et sportive sur le
long terme.

ETP et Activité Physique et Sportive


L’activité physique et sportive contribue à une
stabilisation de la schizophrénie et a donc un réel impact
favorable sur son évolution. L’éducation thérapeutique
en aidant le patient à mieux vivre avec sa pathologie
chronique initie des changements dans sa vie et ses
projets de vie. Dans la santé mentale, l’éducation
thérapeutique est arrivée de façon récente comme une
nouvelle modalité du soin. Elle va permettre au patient
de parler de sa maladie et d’accepter ce diagnostic qui
n’est pas facile à porter. L’entretien motivationnel est
souvent utilisé comme outil puisqu’il permet à la
personne de reprendre en main sa propre vie et son
avenir.
Concernant le module interactif du programme
d’éducation thérapeutique en activité physique et
sportive (APS), il commence par un travail sur les
représentations via des vidéos, des projections Power
Point ou encore des quizz. Pour animer un groupe de
patients schizophrènes, qui sont généralement peu dans
l’empathie, il est nécessaire d’avoir une interaction
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permanente avec eux.
L’objectif d’une action ETP vise, en diminuant la
vulnérabilité créée par cette maladie chronique, à
augmenter la résistance au stress de la vie quotidienne.
L’amélioration de la coordination motrice et la
diminution des troubles cognitifs permet au sujet
souffrant de rompre le cercle vicieux de la sédentarité et
facilite la pratique sportive. Il y a cependant des
précautions à prendre avant la mise en pratique. Une
évaluation des contre-indications est nécessaire. Elle est
réalisée par un médecin qui peut s’aider du questionnaire - 53
sur l’aptitude à l’activité physique pour tous, intitulé Q-
AAP+3.
Cette éducation thérapeutique en APS va dans le sens de
l’empowerment qui est une véritable reprise de pouvoir
(une « encapacitation » comme disent les canadiens) du
patient sur sa propre vie ce qui est la meilleure façon de
lutter contre l’isolement et la précarité qui menacent tout
particulièrement celles et ceux qui sont touchés par cette
affection. L’ETP, en donnant toute sa place au corps via
l’APS, permet au patient d’éviter les pièges du
morcellement subjectif et aide le sujet souffrant à
reprendre progressivement contact avec son propre corps
qui constitue, il faut le rappeler, son premier habitat.

3. Le Q-AAP+ (Questionnaire sur l’aptitude à l’activité physique) est


un instrument de dépistage de réputation internationale préalable à la
pratique de l’activité physique. Il a été créé à l'aide du processus fondé
sur des données probantes agréées par la Collaboration Q-APP+, pré-
sidée par Darren E. R. Warburton.
BIBLIOGRAPHIE

Rimmer, James H et al. (2012). Physical activity for people with


disabilities. The Lancet, Volume 380, Issue 9838, 193-195.
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moteur chez les patients schizophrènes : leurs implications cliniques
et physiopathologiques.
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Le sport santé à la ligue Nord-Pas-de-
Calais de Sport Adapté
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Isabelle Caby1,2 et 3, Thomas Walgraef2 et 4

Le sport et l’activité physique contribuent à la gestion,


au développement et au maintien d’une bonne santé
physique et mentale en luttant notamment contre le
développement de maladies non-transmissibles. Pour
cela une attention particulière peut être accordée à la
qualité et à la quantité de pratique physique. Les
recommandations mondiales de l’Organisation - 55
Mondiale de la Santé (OMS) en matière d’activités
physiques sont ici essentielles et incontournables, et ce
d’autant plus lorsqu’on prend en charge des publics à
besoins particuliers porteurs de handicaps psychiques.

L’inactivité physique est dangereuse


L’inactivité physique est dangereuse, elle est souvent
associée à un mode de vie sédentaire considéré comme
un comportement à risques. Le manque d’activité
physique engendre une dégradation de qualités

1. Univ. Artois, EA 7369 – URePSSS - Unité de Recherche Pluridis-


ciplinaire Sport Santé Société, F-62000 Arras.
2. Faculté des Sports et de l’Education Physique, 62 800 Liévin, Uni-
versité d’Artois.
3. Ligue Nord-Pas-de-Calais de Sport Adapté.
4. Univ. Artois, Univ. Lille, Univ. Littoral Cote d’Opale, SHERPAS,
EA 7369, Unité́ de Recherche Pluridisciplinaire Sport Santé Société
(URePSSS), F-62800 Liévin, France.
physiques telles que l’endurance, la force musculaire, la
coordination, la souplesse, etc. Les essoufflements, le
déconditionnement cardio-vasculaire et respiratoire, les
douleurs musculaires et ostéo-articulaires apparaissent
rapidement et s’accentuent avec l’âge. L’inactivité
physique peut aussi s’accompagner de conséquences
psychologiques en lien avec l’estime de soi, l’anxiété et
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la dépression. Une fatigue quotidienne s’installe
accompagnée d’un déconditionnement global risquant
à termes d’entraîner des pathologies comme l’obésité, le
diabète, l’hypertension ou encore d’autres maladies
cardiovasculaires.
La pratique régulière d’activités physiques permet, à
l’inverse, de développer ou d’entretenir les qualités
physiques, un certain niveau de performance et de
maintenir un seuil psychologique positif à travers le
sentiment de compétence, l’estime de soi, le plaisir et
56 - l’humeur positive. Au-delà, l’activité physique possède
une triple vertu, physique en préservant les aptitudes
corporelles, mentale par la stimulation et le maintien des
aptitudes cognitives et psychologiques et sociale à travers
la construction ou la recomposition du lien social.

Des actions Sport - Santé nationales et régionales


Les politiques nationales et régionales mettent en avant
l’importance de la pratique physique régulière. L’intérêt
de santé que représente l’activité physique est au cœur
des réflexions politiques. Le Plan National Nutrition
Santé 2011-2015 proposait dans son deuxième axe de
développer l’activité physique et sportive (APS) et de
limiter la sédentarité. Deux mesures sont associées à cet
objectif. La première consiste à promouvoir, développer
et augmenter le niveau d’activité physique quotidienne
pour tous. La seconde propose de promouvoir l’activité
physique et sportive adaptée (APSA) chez les populations
en situation de handicap (physique, mental, psychique
ou sensoriel), défavorisées, âgées ou atteintes de maladies
chroniques. On retrouve aussi, dans les politiques de
santé publique, le Plan National Sport Santé Bien-être
2012-2016 (PNSSBE), avec des objectifs prioritaires
comme la prévention primaire par les activités physiques
et sportives en direction des personnes en situation de
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handicap, le développement de la pratique sportive dans
les établissements médico-sociaux et le développement
d’une offre adaptée pour les publics à besoins
particuliers.
La pratique d’activités physiques est aussi recommandée
pour le public en situation de handicap et de handicap
psychique parce qu’elle représente un outil intéressant
dans le développement des facultés motrices et
intellectuelles et constituent de ce fait un outil de prise
en charge. Le rapport de l’Académie Nationale de
Médecine du 8 novembre 2011 le souligne bien en - 57
précisant qu’il s’agit tout d’abord d’intégrer un projet
d’APS pour tous dans les projets d’établissements et les
projets individualisés des personnes en situation de
handicap en tant que support éducatif de
l’accompagnement voire support thérapeutique du sujet
handicapé. Ce rapport affiche aussi la volonté
d’identifier, dans chaque établissement médico-social,
un référent « activité physique et promotion santé »
chargé de coordonner et de rendre compte du projet
APSA, qui figure dans les indicateurs d’évaluation
interne et externe de l’établissement (loi 2002-2). Un des
objectifs annoncés est aussi d’accompagner les centres
spécialisés, les associations sportives et les fédérations
sportives dans la mise en place d’activités physiques et
sportives adaptées et dans l’accès au sport. Enfin, la mise
en place d’actions de sensibilisation et de formation par
les instances départementales ou régionales de la
Fédération Française de Sport Adapté (FFSA) ou
Fédération Française Handisport (FFH), selon le type
de handicap, est plus que souhaitée dans ces documents
scientifiques et institutionnels.
Les orientations de la Ligue Nord-Pas-de-Calais.
Nous souhaitons réaliser un travail de veille médicale en
lien avec les familles et les établissements et constituer le
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« livret individualisé sport - santé ». Ces données
permettraient à la commission médicale d’identifier les
sujets présentant des risques de santé (sédentarité,
obésité, perte d’autonomie) pour lesquels des
programmes spécifiques de prise en charge en Activité
Physique Adaptée seraient proposés ; il s’agit ici de
constituer des groupes de besoins. La Ligue de Sport
Adapté assure des journées promotionnelles « Sport
Santé Bien-être » en proposant, en plus des APS, des
conseils en diététique, des bilans de santé (buccodentaire,
58 - pédicurie, ophtalmologie, sommeil, qualité de vie,
médication et autres indicateurs de santé) et en associant
des partenaires des secteurs de la santé et du bien-être
(ostéopathie, sophrologie, etc.).

Les outils de la Ligue et leurs axes de prévention


La Ligue Nord-Pas-de-Calais dispose d’outils fédéraux
FFSA Sport-Santé : un livret sport-santé, une mallette
sport-santé et un label. La volonté est la prévention par
la pratique d’une activité physique régulière permettant
d’accéder à du lien social, du plaisir, du bien-être, de la
performance individuelle ou collective tout en luttant
contre les différents risques de mortalité, la sédentarité
et l’obésité notamment. Les efforts se concentrent aussi
sur les transformations des comportements alimentaires
en diffusant les recommandations sur les bonnes
habitudes ; c’est à dire manger au moins 5 fruits et
légumes par jour, éviter de manger trop gras, trop salé,
trop sucré, éviter de grignoter entre les repas en associant
une bonne hydratation.
En conclusion, il existe chez la population en situation
de handicap psychique des besoins de santé importants
voire même conséquents pour lesquels il devient urgent
d’agir ou de réagir. Toute prise en charge peut tirer de
nombreux bénéfices d’une pratique physique et sportive
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adaptée, régulière et inscrite dans la durée. Le Sport
Adapté nous permet de le constater et de le confirmer.
Reste maintenant à créer des initiatives, à les transformer
mais surtout à les systématiser.

BIBLIOGRAPHIE

Compte, R., Bui-Xuan, G., & Mikulovic, J. (2012). Sport Adapté,


Handicap et Santé. Éditions FFSA- AFRAPS.
Plan National Nutrition Santé 2011-2015 (PNNS)
- 59
Plan Sport Santé Bien-être 2012-2016 (PSSBE)
Rapport de l’Académie Nationale Médecine du 8 novembre 2011
(ANM)
Guide « Bouger avec le Sport Adapté » :
http://www.ffsa.asso.fr/Pages/InCadres/GestClient/Communicati
on/SportSante/Guide.pdf
Les activités artistiques dans le projet de
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soin en santé mentale
Julie Vandewalle1 et 2, Isabelle Caby2, 3 et 4

Introduction
Le projet de défilé de mode chorégraphique est une
ouverture de personnes en souffrance psychique vers des
activités extérieures aux soins. Ce projet artistique est
une réponse au besoin de ces personnes de se
- 61
réapproprier une image erronée qu’elles ont d’elles-
mêmes.
« Je m’défile » constitue un vrai dualisme opposant la
particularité des activités artistiques et la spécificité du
handicap psychique. C’est le passage d’un corps caché,
meurtri, oublié, douloureux à un corps affiché, vivant,
pensé et joyeux. Une réponse à l’isolement, à la difficulté
éprouvée dans la relation à l’autre, à soi ; l’expression
d’un corps nouveau, tendant à se reconstruire et se
projeter dans l’avenir.
« Je m’défile, c’est eux, c’est nous, et c’est une invitation
à entrer dans la danse ».

1. Direction Départementale de la Cohésion sociale du Pas de Calais.


2. Ligue Nord-Pas-de-Calais de Sport Adapté.
3. Faculté des Sports et de l’Education Physique, 62 800 Liévin, Uni-
versité d’Artois.
4. Univ. Artois, EA 7369 – URePSSS - Unité de Recherche Pluridis-
ciplinaire Sport Santé Société, F-62000 Arras.
Le choix des activités artistiques en santé mentale
La difficulté de définir les activités artistiques et le côté
abstrait de ses fondements peuvent interroger sur les
bénéfices et risques d’utiliser ce type de support dans le
milieu de la santé mentale.
Si l’on reprend le concept de création, celui-ci peut
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s’avérer être un point fort quant à la possibilité, pour le
pratiquant, d’exprimer ses ressentis avec une nouvelle
forme de communication. Cette matérialisation de la
pensée offre l’occasion de transmettre un message
personnel à autrui. Elle permet également à chacun
d’interpréter le message offert par l’autre et ouvre alors
le champ de l’imaginaire. Il y a donc, en ce sens, une
relation indirecte à autrui qui se crée, permettant ainsi
de lutter contre l’isolement dont les usagers sont souvent
victimes. Néanmoins chez des sujets psychotiques dont
les limites corporelles sont floues, n’y a-t-il pas un danger
62 -
d’ancrer la personne dans une mauvaise représentation
de son corps ? Le message reçu peut également être
différent de celui émis puisque la force du message sera
libre d’interprétation par celui qui le reçoit. Se peut-il
que ce message soit mal interprété ?
Tout comme pour la création, l’imagination engagée par
l’acte créatif montre une ambiguïté sur l’utilité des
activités artistiques chez le sujet suivi pour un trouble
psychique. D’un côté, elle stimule la pensée, en incitant
la personne à chercher dans un « réservoir de pensées »
d’images connues. Cela permet au sujet d’engager une
réflexion propre sur son ressenti et d’en débattre avec le
groupe. D’où l’importance de laisser un temps aux
pratiquants, après une situation engageante ou une
séance, pour s’exprimer verbalement sur ce qu’ils ont
vécu. Outre l’échange avec le groupe, cela permet
également au pratiquant de prendre du recul sur les
choses en les mettant à distance. D’un autre côté,
l’imagination se définit aussi comme la faculté de
changer les images fournies par la perception
(Wunemburger, 1991). Le « foyer d’illusions » qu’elle
constitue peut représenter un danger consistant à
entretenir les distorsions de la pensée, caractéristiques
chez certains sujets atteint de troubles psychiques.
Enfin, le questionnement du corps par l’acte symbolique
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permet une autre forme d’expression où le sujet se
réapproprie son corps. La signification première des
choses, traduite par les codes sociaux plus ou moins
connus de tous, laisse la place au sens que l’on veut
donner à ce qui est représenté. Même si le danger de
transformation du réel existe, la relation à l’autre qui
s’installe et notamment au soignant a son importance
pour veiller à ne pas entretenir l’irréel.
Le fait d’intégrer le soignant à l’activité lui permet ainsi
de créer un autre lien avec l’usager et d’éviter d’installer
la personne dans de fausses représentations. Cette - 63
position thérapeutique est basée sur une réciprocité de
la confiance et ce afin que l’autre apprenne de lui et pour
lui. Ainsi la barrière soignant/soigné s’efface tout comme
le rapport de force qui peut parfois s’installer. Il s’agit
d’amener chacun à s’étonner et à se laisser étonner par
l’autre.
Dans ce contexte, il semble que la complémentarité entre
le soignant et l’intervenant soit indispensable afin
d’extraire les richesses de l’activité sans aller à l’encontre
du processus soignant mais au contraire en le renforçant.
En disposant des tapis dans la salle de manière à ce qu’il
y en ait un par personne et sans chercher à dissocier les
soignants des soignés, l’intervenant propose un cadre
propice à la création d’une unité de groupe. Ainsi,
chacun reçoit une proposition de démarrer l’activité dans
un espace personnel parmi les autres. C’est d’ailleurs un
autre intérêt d’utiliser ce type d’activités par rapport à
un sport plutôt collectif qui imposerait une relation à
l’autre ou un sport individuel qui pourrait renforcer le
côté isolant de la pathologie psychique. Les activités
artistiques permettent de proposer une activité pour soi
mais avec les autres. L’intervenant prend également place
et s’inclue dans le groupe qu’il essaye de constituer sans
pour autant omettre qu’il doit garder un rôle
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d’observateur extérieur afin de ne pas perdre la prise de
recul nécessaire pour analyser et réguler son intervention.
Dans cette idée, l’activité physique ne soigne pas mais
propose une prise en charge globale qui peut faire partie
d’un processus de soin, alors même qu’elle est souvent
perçue comme une simple activité de loisirs.

De l’analyse du public au choix de l’activité


Il existe de très nombreux tableaux cliniques
accompagnant une grande diversité de
64 - psychopathologies. Même s’il est important d’analyser le
public pour choisir de manière cohérente et appropriée
une activité physique adaptée, il parait tout à fait
incohérent de vouloir classer les personnes dans une
description clinique trop stéréotypée.
Il existe néanmoins quelques traits caractéristiques à
prendre en compte chez ces personnes (Rangaswamy
Srinivasa Murphy and co, Rapport sur la santé dans le
monde, 2001), comme des traits dépressifs plus ou
moins marqués avec une perte d’intérêt pour les activités
ou un désintérêt général de la personne. On retrouve
aussi souvent des troubles de l’estime de soi et de la
confiance en soi profondément altérées ou non stabilisées
comme dans le cas d’une bipolarité. Enfin et c’est là un
intérêt majeur des activités physiques adaptées, la
détresse psychique caractéristique chez ces personnes
tend à les isoler de leur famille et de la société. Or les
activités artistiques ont pour finalité d’être vues, offertes
à un public. L’idée de créer un projet chorégraphique
s’est alors posée comme une réponse à l’isolement du
sujet pouvant amener ce dernier à reconsidérer sa place
dans son environnement. Une place perdue d’une part à
cause de la pathologie psychique mais aussi de par
l’exclusion d’une société qui, par méconnaissance, rejette
l’individu ne répondant pas à un système symbolique
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commun.
En effet, la réalité commune donne une signification aux
objets, aux espaces, au temps, aux actes, aux autres et à
nous-mêmes. C’est ce système symbolique qui permet
aux personnes de se comprendre entre elles. La perte de
contact avec cette réalité, commune chez le sujet
psychotique, rend donc difficile la relation à l’autre. Elle
s’explique par la perte d’unité corporelle rendant les
limites du corps floues (Couvez, 2009). Les parties du
corps ne sont plus reliées entre elles pour former un tout.
Le corps devient alors étranger, morcelé et déshabité. - 65
C’est ce qui rend le travail avec le miroir (très utilisé en
danse) difficile voire impossible. Il faut donc veiller à
adapter l’activité aux particularités du public, comme par
exemple lors d’un exercice de relaxation utilisant la
technique de contraction-relâché, où il est d’autant plus
indispensable de terminer par une contraction du corps
dans son ensemble, au risque d’aggraver le phénomène
de morcellement.
Cette notion de corps étranger explique la perte de sens
général de l’espace puisque c’est à partir de cet espace
corporel que s’organise psychiquement l’espace
environnant. En perdant cet espace environnant, le sujet
psychotique perd également la notion de temps qui est
une résultante du mouvement dans l’espace.
L’unité corporelle se dissout de l’unité psychique
entraînant une perte d’individualité. La vie désaffectée
de l’individu psychotique rend alors son monde sans
aucun sens et tend au repli sur soi. Cette perte
d’individualité, ajoutée à l’exclusion sociétale que
peuvent subir les personnes en souffrance psychique,
entraîne des troubles de l’estime de soi car aucun regard
n’est neutre. Et c’est le mélange des regards et des
jugements que l’on porte sur soi qui constitue l’estime
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de soi.
D’après Christophe André (2009) parmi les nombreux
symptômes de souffrance de l’estime de soi on retrouve
notamment : l’obsession de soi, le sentiment de solitude,
la difficulté à demander de l’aide et le caractère excessif
des émotions négatives. Autant de symptômes qui sont
un facteur de risque pouvant amener à la dépression, que
l’on retrouve fréquemment chez des personnes atteintes
de troubles psychiques.
On comprend alors la spirale dans laquelle peut tomber
66 - une personne atteinte de troubles psychiques : entre
isolement, exclusion et troubles de l’estime de soi qui
s’influencent l’un l’autre.
Les activités artistiques sont ici un moyen de travailler
les sensations corporelles et la composante espace-temps.
En les situant dans une démarche visant à sortir la
personne de cette spirale d’exclusion et d’isolement, on
fait le choix d’emprunter à une activité ses fondements
pour répondre aux besoins identifiés dans l’analyse du
groupe. C’est donc sur la base de ces traits communs que
s’est porté le choix de l’activité. Il faut également veiller
à respecter les caractéristiques biologiques et
démographiques (moyenne d’âge, sexe, vécu sportif, etc.)
pour proposer une démarche cohérente.
De l’analyse du public à « Je m’défile »
En prenant en compte les facteurs biologiques, les
souhaits des personnes ayant participé au projet « Je
m’défile » d’avoir une activité visant à s’entretenir, sans
oublier les caractéristiques communes à leurs syndromes
(dépression, psychose, addiction, mélancolie, bipolarité,
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état limite, schizophrénie), notre projet artistique visait
comme objectifs de changer le regard qu’a la personne
sur elle-même, de lui redonner une confiance en soi
perdue et ce grâce à un investissement de la personne
pour elle-même ; cet investissement se faisant sur une
période définie au long terme et ayant pour finalité de
tendre à l’acceptation de soi.
Ce processus de choix de l’activité donne alors un sens à
la pratique qui est indispensable dans un cadre de soin.
Pour ce faire, nous avons imaginé plusieurs étapes dans
la construction de ce projet artistique. Une première - 67
phase de redécouvertes voire de découvertes pour
certains : la prise de conscience corporelle, la recherche
de nouvelles sensations, la place du corps dans l’espace,
le rapport à son propre corps pour arriver au rapport à
l’autre. Une fois ces bases posées, une seconde étape visait
à approfondir les acquis : l’acceptation de soi, la
connaissance de ses forces et faiblesses pour ensuite se
tourner vers le travail avec autrui. Enfin, une dernière
phase de travail chorégraphique avait pour but
d’amener : l’acceptation d’être une individualité dans un
groupe, l’utilisation de son corps comme moyen
d’expression personnelle et enfin l’expression commune
d’un message transmis par le groupe au public.
De cette analyse ont été choisies certaines activités
artistiques ou gymniques nous permettant d’aboutir à la
préparation du défilé de mode chorégraphique : le
stretching, la danse, l’expression corporelle, la
gymnastique rythmique ou encore le renforcement
musculaire.
L’activité d’expression corporelle et la danse ont été les
plus utilisées de par l’éventail des possibilités qu’elles
offrent (Figure 1). Des différentes situations que nous
avons pu mettre en place, certaines sont devenues des
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créations à part entière présentées lors du défilé de mode
chorégraphique.
C’est le cas d’une situation qui vise à constituer l’écoute
du groupe. Il s’agit pour le groupe de former une file
indienne qui déambule dans l’espace où le premier
danseur choisit le déplacement en fonction de la
musique et de son ressenti. Il décide de s’arrêter et le
groupe doit se réunir pour former une grappe pour
laquelle la seule consigne est d’avoir au minimum un
contact avec un membre du groupe. Une fois la grappe
installée, un membre du groupe choisit de repartir en
68 - définissant son déplacement et sans l’annoncer au
préalable. La file indienne se reconstitue alors et de
nouveau, l’arrêt sera marqué pour former une autre
grappe. On constate d’ailleurs en faisant cette situation
que les premières grappes sont très linéaires et les
contacts se font uniquement par la main, avec une
certaine distance entre chaque danseur. Au plus la
situation est répétée, au plus on constate une
modification de la grappe qui se resserre, qui a des
différences de niveaux (sol, debout, à genoux, etc.) et
dont les contacts sont variés. De cette situation a découlé
un travail sur les expressions où chaque grappe
représentait un tableau expressif autour de la colère, de
la joie, de la tristesse, etc. Mise en musique, cette
situation est devenue une chorégraphie à part entière.
Ainsi, le passage des activités à l’élaboration du défilé s’est
fait naturellement et dans la continuité du projet.
Un autre versant du projet s’attardait sur les costumes
du défilé. L’image du corps et le sentiment
d’appartenance à un groupe sont corrélés à l’apparence
physique et à la tenue vestimentaire. Il nous a paru
important de ne pas négliger cette partie là du défilé et,
au-delà des partenariats locaux avec des créateurs ou
stylistes nous ayant mis à disposition leurs créations,
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nous avons choisi de travailler avec une artiste textile sur
des ateliers de tissage. Ainsi, les usagers ont préparé des
moules en plâtre recouverts de tissus tissés par leurs soins.
Ces créations de faux culs et bustiers ont ajouté une
valorisation supplémentaire à leur implication dans le
projet. On a pu ressentir une certaine fierté de porter ces
créations lors du défilé, autour d’une mise en scène
réalisée de manière à les mettre en valeur. Au-delà de
cette fierté, on a constaté chez certaines personnes
qu’elles venaient de manière plus apprêtée aux séances.
Se maquiller, se coiffer, s’habiller… autant de choses du - 69
quotidien qui n’existaient plus et qui, par le biais du
projet, ont repris leur place. On comprend alors que la
portée du projet ne s’arrête pas à la séance hebdomadaire
d’activité et au défilé chorégraphique : les impacts se
ressentent sur le quotidien de l’ensemble du groupe.

Les limites de ce choix d’activités au sein du projet


Peter Brook (2016) définit l’art comme « (…) un effort
de l’Homme pour se révéler aux autres. Il permet au
niveau individuel de poser sa propre référence, d’affirmer
sa distinction, de prendre la parole et de la défendre.
Mais comme il n’y a pas d’écriture sans lecture, il n’y a
d’Art que par et pour autrui. ». Le projet défilé de mode
chorégraphique, comme toute forme d’art, a pour
finalité d’être vu. Le fait de se représenter a été un aspect
délicat à instaurer au sein du groupe puis à anticiper et
à accompagner jusqu’à l’après-défilé. La particularité des
activités physiques artistiques est l’engagement
émotionnel du pratiquant. Se montrer, défiler, danser
peut donc sembler contradictoire avec les troubles de
l’image du corps et les difficultés que peuvent éprouver
les pratiquants. Sauf si on considère ces activités comme
un outil pour se dépasser, prendre sur soi, avancer.
Cette idée de défiler ne s’est pas glissée dès le début des
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séances mais quelques semaines plus tard, au moment
où une bonne cohésion de groupe s’installait, permettant
ainsi aux plus optimistes d’entraîner naturellement les
plus réticents à s’investir dans le projet. Une fois
l’ensemble du groupe porté par l’émulation collective, il
a fallu gérer une phase de stress de plus en plus
importante à mesure que le défilé approchait. Pour
dédramatiser cette représentation finale, il semble
important d’instaurer un principe de bienveillance, et ce
dès les premières séances, sur l’ensemble du cycle. Au-
70 - delà de ce principe, le positionnement de l’intervenant
vis-à-vis du groupe est là aussi primordial. Tout comme
pour l’installation des tapis disposés dans tout l’espace
sans distinction pour l’ensemble des participants
(soignés, soignants ou intervenant), l’intervenant doit
s’engager pleinement dans des situations pour banaliser
le regard d’autrui aux yeux du groupe. Les participants
s’engagent plus dans l’activité si tout le monde participe
et accepte d’être vu.
Malheureusement, chez certaines personnes comme
celles suivies pour une addiction, la semaine précédente
le défilé est anxiogène et peut entrainer une prise de
produits pour compenser cette angoisse. Il a fallu gérer
des conduites déviantes la veille du défilé
chorégraphique, ce qui été possible grâce au dialogue
instauré par les infirmières avec les usagers et grâce à la
relation entre l’intervenant et le soignant. L’importance
du dialogue et de la complémentarité entre l’équipe
soignante et l’intervenant est primordiale pour gérer ce
genre de situation.
Une autre limite, perçue à la suite du défilé, concerne
cette relation soignant-soigné-intervenant. Au plus le
défilé approche, au plus l’implication du groupe
augmente à travers des répétitions nombreuses et un
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investissement émotionnel important. La relation du
groupe peut prendre une tournure différente au niveau
des liens qui en unissent les membres. Lors du bilan,
certains participants ont évoqué le fait d’avoir été
jusqu’au bout du projet « pour faire plaisir » à
l’intervenant ou au groupe et non pour eux-mêmes. En
utilisant des activités mettant en jeu des émotions et
demandant aux personnes de s’exprimer, il existe en effet
un risque d’engager trop loin la relation et que celle-ci,
tôt ou tard, soit néfaste pour les usagers. C’est ainsi qu’à
l’arrêt du projet, certains ont eu une phase difficile à
gérer. - 71

L’après défilé est d’ailleurs une étape clé à prendre en


compte dès le début du projet. En effet, tout comme il
est important d’accompagner les personnes dans la
gestion du stress lié à l’approche de l’évènement, il est
indispensable de surveiller et d’anticiper la fin du projet
où, le sujet mis en pleine lumière, redevient un individu
parmi d’autres. Et pour certaines personnes, comme
celles dont l’exacerbation des traits de caractères était
amplifiée au même titre que la prise de produits lors
d’une représentation scénique, la phase qui suit le défilé
peut être source de décompensation. Le bénéfice de
l’activité et du projet dans sa globalité est alors
considérablement réduit et peut impacter l’ensemble du
groupe.
A contrario, « Je m’défile » était, pour d’autres, un
tremplin vers de nouveaux projets. Une personne ayant
subi une dépression réactionnelle suite à un événement
traumatisant nous a expliqué avoir repris goût à son
quotidien. Elle souhaitait de nouveau sortir de chez elle
dans le but de s’investir auprès d’une association, au sein
de laquelle elle se sent utile. Quelques mois après le
défilé, cette personne ne sentait plus le besoin de venir
au centre médico-psychologique.
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On comprend alors que la frontière entre bénéfice et
limite reste fragile concernant l’utilisation des activités
physiques et artistiques avec un public en situation de
handicap psychique. Néanmoins, comme souvent dans
le milieu sportif, il s’agit de trouver le bon équilibre entre
les besoins de la personne, le sens que l’on souhaite
donner à l’activité et les apports de cette dernière en
fonction des démarches pédagogique et didactique
employées. Il semble important de rester à l’écoute des
72 - usagers mais aussi des personnes qui les entourent :
famille, médecin, kinésithérapeute, etc.
Dans le cadre du projet, les activités artistiques nous
semblaient être un bon moyen pour amener les
personnes à reconsidérer leur place dans leur
environnement et améliorer leur quotidien. Très vite, la
danse et l’expression corporelle ont pris une place
prépondérante dans les séances, de par l’impact qu’elles
ont sur l’image du corps au travers de la création.

La danse et la création artistique comme projet de soin


La danse, définie comme un art de se mouvoir
(Commande, 2011), est donc une activité de
symbolisation motrice, amenant un message transmis
par le corps qui devient support d’expression. Dans ce
processus, le sujet est amené à chercher de nouvelles
sensations, à (re)découvrir le corps pour pouvoir ensuite
construire ce nouveau langage corporel.
En reprenant la logique d’activité de cette discipline à
savoir l’élaboration d’un langage corporel symbolique,
personnel et abstrait, porteur d’un message offert à
l’interprétation du public, on considère le sujet au-delà
de sa simple présence motrice en le plaçant dans un
rapport au monde où sa présence est sensitive, affective
et relationnelle.
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De ce fait, cette prise de conscience du mouvement
dansé comme forme d’expression et non comme
exécution technique amène le sujet à considérer son
corps autrement. La danse d’un point de vue créatif et
non simplement exécutif privilégie donc un rapport au
corps qui va au-delà de l’utilitaire. Le geste dansé dépasse
l’exercice physique et offre une conscience du « faire » et
du « moi faisant ». Dans cette approche, le danseur va
utiliser son corps pas simplement comme outil mais
comme représentant de sa pensée. De plus, certaines
techniques de médiation corporelle comme la relaxation - 73
ou le stretching amènent une écoute du corps.
L’engagement du vécu subjectif des sensations
corporelles va offrir une base de support à l’élaboration
d’une nouvelle image de soi et permettre ainsi une
redécouverte de son corps.
En utilisant ses gestes pour donner du sens à ses
émotions, le sujet peut alors récréer un lien perdu avec
autrui. C’est donc le corps qui sert d’objet médiateur
dans la relation à l’autre. Cette médiation corporelle se
veut être un intermédiaire entre soi et l’autre. L’espace
proposé par la médiation permet de partager avec autrui
quelque chose de commun qui devient alors témoin de
la relation existante entre deux personnes.
Tout comme les activités artistiques peuvent être vues
comme un support de soin agissant sur l’enveloppe
corporelle du sujet, la création artistique peut apporter
des éléments de réponse à la problématique de la perte
des notions d’espaces et de temps chez le sujet
psychotique.
Selon Paul Valery, la danse est une action de l’ensemble
du corps humain transposée dans un espace/temps qui
n’est plus tout à fait le même que celui de la vie pratique.
Le corps concrétise le mouvement par le biais de trois
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composantes : le temps, l’espace et l’énergie.
L’approche du tableau clinique de la psychose sous
l’angle de ses trois composantes amène à considérer les
activités artistiques comme un support pouvant favoriser
une unité psychique, corporelle et spatio-temporelle. La
création artistique amène alors une construction à la fois
personnelle et collective d’un espace défini, d’un univers
symbolique commun aux interprètes, d’un monde
sonore et donc temporel, et d’un mode de
communication spécifique.
74 -
La création artistique comme processus de résilience ?
Ce processus de création est utilisé comme médiateur
entre l’individu en souffrance et la société devant laquelle
il s’exprime autrement. Ces outils lui permettent de créer
un nouveau langage où l’expression permet la maîtrise
de l’émotion et la mise à distance du traumatisme. La
capacité de résilience de ces personnes pourrait-elle être
renforcée par cette nouvelle forme d’expression ? Parmi
les trois grandes familles de facteurs de protection
contribuant à la résilience, à savoir les facteurs
individuels, les facteurs familiaux et les facteurs de
soutien, les activités artistiques peuvent avoir une place
importante dans le renforcement de certains d’entre eux,
notamment au niveau individuel.
En plus de révéler les compétences créatives de
l’individu, qui va développer une nouvelle forme
d’expression de son vécu et de ses émotions, la
planification sur du long terme d’un défilé
chorégraphique ou de tout autre forme de production
artistique d’engendrer une projection dans l’avenir et un
sentiment de signification. Le sentiment d’existence ou
celui d’avoir une place dans la société pourra avoir un
impact sur l’optimisme du sujet en situation de handicap
psychique, sur sa croyance en une issue positive.
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Conclusion
Que faire quand le corps n’existe plus, qu’il a disparu,
perdu sa place, son unité ? Comment dépasser la
stigmatisation de cette souffrance psychique considérée
comme une différence qu’il faut exclure ?
Le pari de « Je m’défile » est celui de mettre en scène des
corps meurtris, en détresse, pour les amener vers une
(re)construction de liens physiques, psychiques et
sociaux. Il n’est pas une fin en soi mais se veut être un
moyen d’accompagner un individu dans son projet de - 75

soin, en s’inscrivant dans une approche globale de santé


mentale. Cette mise en scène du corps, véritable support
à la médiation, laisse la place aux émotions et libère le
geste qui remplace la parole. Si le défilé chorégraphique
a permis d’apporter aux sujets confiance en soi et
conscience de soi, on admet qu’il puisse être une issue
plus ou moins positive pour certains, une réponse pour
d’autres, une étape pour tous.
BIBLIOGRAPHIE

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La « danse adaptée » : mouvements &
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photographies
Jocelyne Vaysse1

Aujourd’hui, la danse se pratique dans le champ du


spectacle et de la santé. L’une des actions soignantes
proposée implique directement le corps et le mouvement
avec des ateliers danse. Cette option peut paraître
paradoxale quand elle s’adresse à des sujets handicapés - 77
au plan mental ou psychique ; de plus, elle cible, non
pas les défaillances, mais leurs compétences et leur
potentiel dont ils ont souvent peu conscience. D’où le
terme de « danse adaptée » en miroir et dans la
continuité de « sport adapté ».
La présence de photographes à ces séances est très
inhabituelle et occasionnelle ; la motivation étant le
souhait d’aller à la rencontre de ces personnes volontiers
« oubliées », de rapporter ce qui se vit en situation. La
relation danse – photo suscite des discussions
pertinentes : le cliché témoigne, fait trace, donne des
repères, soulève des problématiques psychologiques
autour de l’Image du Corps et reflète un mal-être.
La séance dansée se déroule souvent en institution, dans
un climat avenant et rassurant, en petits groupes et dans

1. Psychiatre, Docteur en Psychologie, HDR, Danse-Thérapeute.


la mixité. Les participants sont conviés à laisser monter
l’inspiration et l’imaginaire, à essayer, à oser… et à
découvrir avec étonnement leurs capacités.
Danser suppose un « travail », de l’activité physique au
mental, de l’effort à l’émotion, mais sans but performatif
ou rééducatif, sans obligation de résultat. Au contraire,
c’est l’encouragement à l’expressivité spontanée, sincère,
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immédiate et aux improvisations ; puis c’est le retour
individuel au calme, terminé par des échanges de paroles.
Le corps, parfois négligé, parfois exhibé, devient
l’élément central. Investi en tant que « tout » sensible, il
est lieu de créativité et d’expériences.
Les photos en rendent compte : solo émouvant, duo ou
trio… où l’inventivité et la coordination priment avec
une esthétique selon leur goût (1), élans inattendus,
attitude recroquevillée au sol (2), évolutions
chorégraphiques (3), essais de figures idéalisées issues du
78 - classique ou du hip-hop… L’instant présent installe une
dynamique vivifiante, à l’unisson, qui parvient en
général à absorber l’apathie ou la morosité. Au-delà d’un
aspect ludique, il s’agit, en fait, de tendre vers la
(ré)appropriation de son corps par la prise de conscience.
Cette danse-là, qui met en jeu concrètement des qualités
psychocorporelles, peut assumer une visée plus
thérapeutique. Les mouvements dansés libres, timides
ou énergiques, sur incitation bienveillante, permettent
l’extériorisation de tension, la libération salutaire
d’émotions, la traduction de pensée en mouvements
signifiants offrant la possibilité de s’exprimer sans mot.
Des réminiscences affleurent ; certaines réconfortent,
d’autres viennent de cette mémoire du corps qui n’oublie
jamais (abus sexuel, maltraitance…), inductrice de
souffrance psychique dont il faut initier le dépassement,
poursuivi en entretiens. Des « mouvements » intérieurs
indicibles se produisent et relancent les processus de
changement, d’empathie, de résilience… qui interpellent
l’estime de soi, le respect de soi et d’autrui.
Le/la photographe cherche la captation sur le vif des
réactions expressives, des dialogues corporels, saisissant
inopinément l’aléatoire qui révèle ce que le regard n’avait
pas décelé. La photo, déjà expressive et représentative,
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peut délivrer un message qui, souvent, déborde le visible
et aide à faire sens. Elle est objet médiateur qui atteste
de mouvements dansés par essence éphémère car ces
« arrêts sur images » confirment la réalité d’une exécution
flatteuse ou réussie entrainant une fierté légitime, mais
aussi fixent des gestes de révolte, de crispation, des
postures de repli… incitant ensuite à en clarifier
l’origine. Les photos révélatrices de vulnérabilité, loin
d’être censurées, peuvent faire réviser l’acceptation de soi
avec plus d’indulgence ou de justesse. Ou encore,
certains patients ayant bien accueilli le/la photographe
se dérobent à l’objectif et engendrent, en « sortant du - 79
cadre », des discussions sur la confrontation
insupportable à leur image ou sur l’effacement de soi et
l’incertitude identitaire.
Dans ce contexte, la combinaison danse-photographie
fonctionne en synergie, capable de renforcer la confiance
en soi et les liens tissés entre participants. La
cristallisation des moments communs consolide un
sentiment bénéfique d’appartenance groupale et
d’entraide, qui se répercute, au mieux, par un gain
d’assurance dans la vie sociétale.
Le regard change, celui que l’on porte sur soi et celui que
autrui porte sur le handicap mental et psychique.
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80 -

BIBLIOGRAPHIE

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Montpellier, 471 – 481.
L’activité créatrice des personnes en
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situation de handicap mental ou
psychique : une culture du sens
Roy Compte1

Si le handicap est depuis de nombreuses décennies mis


en scène2 par des acteurs valides, il faut attendre la
parution du film de Jaco Van Dormael, le 8e jour en
1995 pour voir un acteur atteint de trisomie, Pascal
- 81
Duquenne, faire œuvre de créativité au yeux du grand
public. En obtenant en 1996 à Cannes3, haut lieu des
récompenses cinématographiques un prix pour son
interprétation dans ce film, Pascal Duquenne a bousculé
les préjugés, les représentations communes de
l’expression créatrice en rendant visible l’invisible.
En effet, la non visibilité manifeste par ignorance ou
manque de considération des personnes en situation de
handicap mental dans les domaines aussi divers que le
travail, le sport ou la culture conduit généralement les
1. Sociologue. Président de Confédération Internationale Francophone
Sport Adapté Culture. Vice Président de la Fédération Française du
Sport Adapté.
2. Voir à ce propos, le handicap à la lumière du cinéma français, fil-
mographie de 1930 à 1995, revue ETRE, n° 22-23 mars, avril, mai,
juin 1996, n° 22-23
3. Ce prix d’interprétation a été obtenu avec Daniel Auteuil : « Harry
est un homme seul qui se voue sept jours sur sept à son travail. Tout
va basculer quand il va rencontrer Georges le mongolien, qui vit dans
l'instant. Ces deux êtres que tout oppose vont devenir inséparables. »
personnes non handicapées à « oublier » 4 les capacités
de participation et d’action de leurs pairs handicapés.
L’exposition médiatique d’un acteur est ainsi venu
rappeler que la créativité et le besoin de créer est inhérent
à la nature humaine et participe à la singularité de notre
rapport au monde. L’acte de créer, c’est-à-dire de faire
œuvre de créativité, peut prendre de nombreuses formes
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mais il est avant tout porteur d’émotions et de sens.
S’interroger sur la créativité des personnes en situation
de handicap mental c’est voir au-delà de l’apparence,
c’est considérer l’action, les postures, les comportements
tout autant que les traces ou objets qui pourraient en
résulter. Ainsi, comme le souligne Merleau Ponty, « voir
c’est voir plus loin qu’on ne voit » 5.

Créativité et création deux facettes d’un même phénomène


Créativité et création sont alors les deux facettes d’un
82 - même phénomène celui d’une expression originale, non
conformiste, parfois transgressive de la personne qui
marque une manière d’être. Par ce mode d’expression
reconnue, la personne en situation de handicap mental
ou psychique va dans un rapport d’extériorité, affirmer
une identité nouvelle et sublimer la réalité du quotidien.
Porter notre réflexion sur l’activité créatrice des
personnes en situation de handicap mental et de leurs
4. Quinze ans après le film Le 8e jour, la publicité réalisée par Simyo,
nouvel opérateur téléphonique, avec Pascal Duquenne.en janvier 2009
ouvre à la polémique. « trois semaines après son lancement, la cam-
pagne publicitaire est devenue un véritable phénomène sur le net : plus
de 130 000 visionnages sur les seuls sites DailyMotion, YouTube et
Wat, et des centaines de messages postés sur les forums de discussion
pour commenter, soutenir ou s’émouvoir du choix de Pascal Du-
quenne » http://www.magazine-declic.com/pub-simyo-video-pascal-
duquenne-022009.html
5. Maurice Merleau Ponty, Le visible et l’invisible, Paris Gallimard,
1964, p. 300.
modes d’expression dans le champ social nous amène à
préciser notre pensée.
L’activité créatrice dans une approche psychosociologique
est une activité qui s’appuie sur un mode d’expression
originale de la personne, c’est-à-dire que la personne va,
consciemment ou inconsciemment, trouver le geste, le
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mot, l’expression, l’attitude, le comportement, une
manière de faire et d’agir qui vont la distinguer d’autrui.
La créativité se définit, alors ici, davantage comme une
caractéristique personnelle, comme la capacité dont
dispose une personne d’imaginer, d’inventer, d’innover,
de transformer. Exprimé ainsi cela resterait réducteur si
on ne soulignait que faire œuvre de créativité engage
également un processus qui conduit à une réalisation
concrète, observable, appréciable.
Comme le note Lucie Leboutet « la créativité implique
le processus et le produit, l’originalité et la nouveauté,
pour d’autres la créativité est un processus qui résulte - 83
d’un travail nouveau satisfaisant et utile à une certaine
époque et par un groupe donné » 6. On peut penser
toutefois que la créativité ne peut trouver sa pleine
mesure d’expression que dans la réalisation c’est-à- dire
dans la création.
Pour Abraham Maslow7 la créativité prendrait deux
formes, une créativité primaire faite de spontanéité,
ludique et jaillissante comme le trait du pinceau sur la
toile et une créativité secondaire plus contrôlée et
disciplinée, réfléchie dans sa traduction comme le travail
de composition picturale, ou chorégraphique. La
créativité prend sens dans l’acte créatif, qui apparaît avec
l’œuvre comme un aboutissement d’un processus
signifiant de création.
6. Leboutet Lucie, « La créativité », in L’année psychologique, 1970
vol. 70, n°2, pp. 579-625.
7. Maslow Abraham, Vers la psychologie de l’être, éd. Gallimard, Paris
1959.
La création est donc d’une certaine manière l’expression
tangible d’une créativité qui s’extériorise et qui prend
corps, forme, figure dans l’œuvre. « L’œuvre » peut se
matérialiser sous différents aspects, (sculpture, peinture,
musique, danse, écriture, chant…) avoir de multiples
supports, (la matière, l’espace, le corps, …), être
encensée, rejetée, ignorée, reconnue mais quel que soit
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son statut, l’œuvre est la trace qui signifie, qui identifie
son auteur et le fait exister ici et maintenant et dans une
trajectoire unique et singulière.
Créer c’est agir, c’est faire, c’est se dévoiler au regard
d’autrui, c’est s’exposer au jugement, c’est livrer une part
intérieure de soi. « Je n’aime pas qu’on me regarde car
j’ai peur du jugement des autres et de leur regard » dit
une artiste des arts du cirque déficiente intellectuelle du
Centre Régional de Formation du Sport Adapté8. Ainsi
l’acte créatif est à la fois exaltant, jouissif, violent,
84 - angoissant. L’acte créatif engage donc la personne dans
son être mais aussi au delà d’une intériorité jubilatoire
c’est un acte de rupture parfois transgressif, un acte de
transformation, un acte de revendication à l’existence.
De ce point de vue l’activité créatrice des personnes en
situation de handicap mental ou psychique peut prendre
une dimension essentielle pour l’acceptation et la
reconnaissance du sujet dans le corps social.
C’est une ouverture possible vers une construction
identitaire pour autrui qui favorise un processus
d’intégration porté par une activité artistique ou
d’expression qui est généralement hors du champ admis
par la société des valides comme vecteur d’affirmation
d’une originalité du sujet.

8. Les sportifs, les artistes du CREF Sport Adapté Poitou Charente,


www.cref-sportadapté.org
La créativité est tout autant de l’ordre de la posture que de l’acte
créatif
Il me semble important de souligner ici que la créativité
est tout autant de l’ordre de la posture que de l’acte
créatif aboutissant à l’objet, à « l’œuvre ». Donald
Winnicott nous incite « à envisager la créativité dans son
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acception la plus large, sans l’enfermer dans les limites
d’une création réussie ou reconnue, mais bien plutôt en
la considérant comme la coloration de toute une attitude
face à la réalité extérieure » 9.
Ainsi, l’activité créatrice serait de l’ordre de l’être qui
reposerait sur une manière d’être et d’agir, plus que de
l’ordre du faire. Il « s’agit alors d’un mode créatif de
perception qui donne à l’individu le sentiment que la vie
vaut la peine d’être vécue » 10. Pour Winnicott la
créativité est synonyme de vie, de se sentir exister, d’être
présent. Si cette approche n’enlève rien de la capacité de
- 85
création attribuée à l’artiste elle nous invite à faire œuvre
de créativité dans le quotidien en posant un regard
attentif et curieux sur chaque chose et chaque être
reconnaissant ainsi la dignité inaliénable de l’autre. Il
s’agit là selon l’expression de Winnicott de « vivre
créativement » c’est-à-dire-de vivre la vie positivement.
Cette approche de la créativité conduit à considérer
l’activité créatrice comme une activité possible pour tous
à moins d’être « malade ou gêné par des facteurs
environnementaux capables de bloquer ses processus
créatifs » 11. Pour Winnicott il faut voir la créativité
comme « inhérente au fait de vivre » et il faut donc la
séparer de l’idée d’œuvre d’art comme absolu. Approche
intéressante du point de vue de la prise en compte de

9. Winniccot W. Donald, Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975,


p. 91.
10. Ibid., p. 91.
11. Ibid. p. 95.
l’activité créatrice des personnes en situation de handicap
mental ou psychique car il s’agit pour tout éducateur de
voir l’acte créatif comme signifiant d’une manière d’être
au monde pour la personne. Mais, au-delà de cette
posture c’est proposer un environnement, une « réalité
extérieure » stimulante, des situations adaptées favorables
à l’expression et à la création.
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Les personnes, adultes et jeunes, en situation de
handicap mental sont en grande majorité dans des
établissements spécialisés12. Cet état de fait met en
évidence le rôle primordial que les travailleurs sociaux et
notamment les éducateurs peuvent et doivent jouer dans
les mises en situations permettant de révéler la
dimension créatrice des sujets.
« La création au sens de Winnicott c’est un tableau, une
maison, un jardin, un vêtement, une coiffure, une
symphonie, une sculpture et même un plat préparé à la
86 - maison » 13. De ce point de vue l’institution peut être un
lieu ou les processus de création peuvent se construire
pour peu que ce lieu ne soit pas sclérosé, figé, normatif
à l’extrême mais un lieu ou la personne peut trouver des
espaces de liberté. La créativité de chacun handicapé ou
non handicapé a besoin d’espaces non conventionnels
pour s’exprimer à la mesure de ses sentiments, de ses
émotions, de son appréhension du monde.
Les nombreuses productions artistiques, picturales,
théâtrales, de danse ou autres, réalisées par des artistes
en situation de handicap mental et qui demandent un
réel processus créatif d’élaboration témoignent de
l’importance que peut prendre l’acte de créer comme
vecteur d’affirmation de la personne et comme facteur
d’intégration.
12. Voir à ce propos les résultats de l’enquête handicap, incapacité,
dépendance (HID).
13. Ibid., p. 95.
L’œuvre un objet signifiant de la relation
L’œuvre, c’est-à-dire ce qui fait trace d’un cheminement
personnel ou collectif plus ou moins reconnu et valorisé
va alors devenir un objet signifiant de la relation et de la
communication. L’expérience menée par le Centre
Régional d’Education et de Formation sport adapté de
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Poitiers (CREF) avec une école de cirque composée
d’artistes en situation de handicap mental illustre cette
approche en s’appuyant sur une activité non
traditionnelle, les arts du cirque où l’œuvre collective, le
spectacle, devient médiation. A cet instant comme nous
le dit, lors d’entretiens, Yves Drapeau Directeur du
CREF « une complicité s’établit entre les acteurs et les
spectateurs. Et il n’y avait plus d’exclus, plus
d’handicapés, mais des artistes qui réalisaient un
spectacle devant un public ».
De ce point de vue, l’œuvre transcende la relation et
- 87
modifie notre propre vision du monde. C’est en effet
dans le regard qui est porté sur elle que l’œuvre va
prendre sens, et l’attention dont elle bénéficie alors, va
déconstruire ce qui pouvait paraître comme une donnée
en soi que la personne en situation de handicap mental
est dans l’incapacité de créer, d’imaginer, de s’émanciper
des préjugés ou des croyances qui voudraient que seuls
les possesseurs d’un don soient porteurs de la capacité de
créer.
Autrement dit, solliciter l’activité créatrice d’une
personne en situation de handicap mental c’est contester
l’idéologie du don encore prégnante dans le champ de
l’éducation, et donner plus de place au rôle que peut
jouer l’environnement social, familial, éducatif et
culturel dans la perception que la personne a d’elle-
même. Cette lutte permanente pour exister socialement
qui anime en définitive consciemment ou
inconsciemment les personnes en situation de handicap
peut trouver dans le domaine de l’esthétique14 une issue
favorable pour peu que cette notion soit entendue
comme une valeur du sensible, de l’intériorité, de la
subjectivité.
De ce point de vue l’expérience de l’esthétique au travers
l’activité créatrice participe alors à l’appropriation
sensible du milieu, de l’environnement humain et
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matériel qui nous entoure. Reconnue comme
l’expression d’une sensibilité, d’un plaisir, d’une liberté
d’appréciation sans contrainte, elle devient vectrice de
communication, de partage d’idées et d’émotions.
Savoirs savants et connaissances théoriques s’ils
participent au ressenti émotionnel n’en sont pas les
éléments déclencheurs. Ce ressenti est au cœur même de
l’expression créatrice des personnes en situation de
handicap mental dont l’univers du quotidien est d’abord
un univers de perceptions affectives, de sentiments et
88 - d’émotions que d’une certaine manière l’acte créatif
sublime. Point alors de notions et de concepts sur l’agir
mais seulement la vie vécue, perçue, ressentie dont la
création, l’objet, l’œuvre en montre la face cachée parfois
ignorée de la personne elle-même. Le rapport à
l’esthétique est alors un rapport de communion
désintéressé mais un rapport émotionnel qui révèle une
part de soi à soi et aux autres et de ce point de vue il ne
peut être anodin car il fait sens pour tous ceux qui y sont
confrontés.
L’expérience esthétique qui découle de cet investissement
de sens est interactive car elle modifie les représentations
du beau, les jugements sur l’œuvre, les jugements du
goût tout autant pour l’acteur que pour le spectateur,
tout autant pour l’artiste que pour l’observateur.
L’activité créatrice des personnes en situation de
14. Herbert Marcuse, Éros et civilisation, éditions de minuit, collec-
tion point, 1971, pp. 162.182.
handicap mental est d’abord une expérience esthétique
qui interroge notre appréhension du beau en tant que
donnée sensible. « Est beau ce qui plait universellement
sans concept » 15 nous dit Kant ce qui évidemment nous
amène à juger non seulement d’un point de vue singulier
mais aussi du caractère de l’œuvre à recueillir un
sentiment de plaisir largement partagé.
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La dimension anti-esthétique du handicap
Si par ou au travers l’expérience esthétique le rapport au
handicap se trouve sublimé il n’en demeure pas moins
que le handicap porte en lui un caractère paradoxal
difficile à ne pas évoquer ici, qui est de l’ordre de l’anti-
esthétique.
La dimension anti-esthétique du handicap est portée par
l’inquiétante étrangeté16 qui se dégage d’un corps dont
l’altérité radicale physique ou mentale non seulement
nous déstabilise mais peut rendre insupportable son - 89

détenteur, « aussi le refoulons nous hors de notre


conscience et le tuons nous symboliquement. Nous
retirons de notre vie, de notre écoute et de notre parole
tout ce qui nous rapproche de nos dangers intérieurs »
17
. C’est un aspect peu exprimé voire refoulé aujourd’hui
dans notre société car la monstruosité autant de la
situation que du sujet est occultée. La monstruosité est
là, mais on n’en parle pas, le mot même est banni et le
nouveau vocable handicap veut en éliminer les miasmes.
Cependant, l’image monstrueuse qui s’attache au corps
handicapé est intégrée par autrui et nourri l’imaginaire.
Elle place la personne dans un entre deux insupportable

15. Ibid., p. 83.


16. Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris,
Gallimard, 1985.
17. Patrick Marc, La différence à fleur de peau, Fribourg, delval,
1989, p. 45.
ou « la laideur est presque l’attribut obligé du monstre » 18.
Autrement dit, l’apparence physique nous renvoie à la
confrontation esthétique des corps c’est-à-dire à se trouver
dans la situation toujours angoissante d’être regardé et jugé
et de se construire sous ce regard là.
Une esthétique qui conditionne notre rapport au monde
et qui en définitive nous questionne car c’est une esthétique
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du regard, une esthétique assujettie au regard porté sur le
corps d’autrui, regard qui pèse en tant que regard subjectif19
profondément déterminant.
Comme le témoigne Didier Roy20 « à mon propre regard
j’ai du mal à m’accepter, mais le regard des autres, des
« debout » est effrayant. Je vois bien qu’on ne me regarde
plus comme quand j’étais beau, jeune, bien musclé, non
ce n’est plus le même regard et cela me rappelle que je suis
handicapé. C’est une blessure à l’âme ».
La valorisation sociale du corps par le regard répond aux
90 - normes esthétiques du moment, normes qui vont être
remises en question par le corps handicapé qui va s’imposer
brutalement à la conscience d’autrui dans des activités
comme le théâtre, la danse, la peinture ou la musique.
L’acteur Bruno Netter21, devenu aveugle en exprimant
que « rien n’est plus destructif que d’être réduit à sa seule
caractéristique physique ou mentale. Mais l’action

18. Claude Kappler, Monstres démons et merveilles à la fin du moyen


âge, Paris, éd. Payot, 1980, p. 216.
19. Voir à ce propos, David le Breton, Corps et sociétés, Essai de so-
ciologie et d’anthropologie du corps, Paris, éditions des Méridiens,
1985.
20. Didier Roy, Ne me parlez plus de courage ! vivre handicapé, édi-
tion à compte d’auteur, p. 62.
21. Cf. Orphée Festival européen théâtre et handicap 5 au 16 octo-
bre 2010 : « Associant théâtre, danse, musique, cinéma, pratique
artistique, ce festival permet la mise en lumière d’artistes européens,
dont les handicaps sont transcendés dans une expression artistique
pleine de force et d’originalité ».
artistique implique un dépassement de soi et permet de
se projeter au-delà des particularités, de gommer les
différences, de faire disparaître la tragédie » souligne la
caractéristique autodestructive du handicap quand celle-
ci est la seule qui apparaît. L’activité créatrice qui se
donne à voir sous quelques formes que ce soit, vient non
seulement compenser le handicap mais instaurer une
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nouvelle problématique de lien social autour de la
création et rejeter les représentations négatives du
handicap.
S’exposer au regard des autres, sur une scène, sur un
stade ou présenter son travail, ses œuvres, c’est dépasser
le risque du regard compassionnel pour être accepter,
reconnu au travers de ce qui est réalisé. Ainsi la personne
en situation de handicap mental accède par l’activité
créatrice à la dimension artistique c’est-à-dire à l’art
comme médiateur d’une meilleure qualité de vie.
L’art en définitive est convoqué plus qu’on ne le pense - 91
dans l’activité créatrice des personnes en situations de
handicap comme expression d’une singularité que l’on
retrouve tout autant dans l’œuvre que dans le créateur
de l’œuvre. Quand on regarde les œuvres réalisées lors
de ces prises en charge en art-thérapie on peut s’étonner
de la résistance que manifestent certains thérapeutes à
considérer ces productions comme des œuvres d’art en
mettant l’accent dans la démarche de soin plus sur le
processus de création que sur l’œuvre finale.
L’art n’est il pas d’abord l’expression d’une intériorité,
d’une liberté, d’une singularité de l’artiste quel qu’il soit
avant de prendre sens dans l’exposition sociale ? Ainsi
peut être à contrario de ce que Jean Baudrillard nous dit
à propos de l’art moderne, l’objet n’est pas « maître du
jeu » de l’aventure esthétique imposant son attraction
« Ces objets banals, ces objets techniques, ces objets
virtuels, ce serait donc eux les nouveaux attracteurs
étranges, les nouveaux objets au-delà de l’esthétique,
transesthétiques, ces objets fétiches, sans signification,
sans illusion, sans aura, sans valeur et qui seraient le
miroir de notre désillusion du monde » 22. Dans l’acte
créatif le sujet est avant tout porteur de sa propre histoire
qui fait sens dans une époque, une culture, une société.
Quand le quotidien « France soir », à propos d’un
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spectacle de musiciens et danseurs handicapés, relève la
phrase prononcée en début de spectacle par un jeune
comédien handicapé moteur « nous sommes tous
beaux » 23, il renvoie sans le vouloir par le biais de la
relation à l’esthétique à la problématique générale qui
interroge la figure du handicap comme figure de
l’exclusion et qui de fait remet en question un imaginaire
collectif qui se voudrait sans fracture.
Ainsi on peut penser que pour les personnes en situation
de handicap l’activité créatrice s’inscrit dans une quête
92 - identitaire individuelle et sociale qui se construit dans
l’action. En se situant hors du champ concurrentiel et
productif l’activité créatrice s’inscrit dans un processus
de déstigmatisation24 et reconstruit une figure positive
du handicap trop souvent encore marquée par l’exclusion
et la marginalisation.

22. Jean Baudrillard, « Le nouvel ordre esthétique, illusions et dés-


illusions de l’art contemporain », in Prétentaine, édition IRSA n°6
décembre 1996, p. 82.
23. France soir du 09/09/2009.
24. Anne Marcellini, Des vies en fauteuil, usages du sport dans les pro-
cessus de déstigmatisation et d’intégration sociale, Paris, édition
CTNERHI, 2005.
Suicide : pour changer le destin, place
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des activités sportives « brillantes » en
Santé Mentale à Tourcoing (Nord)
France
Catherine Thevenon1

Le suicide est un phénomène psychosocial qui est repéré


comme un problème de santé mentale mondial.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) considère - 93
qu’il est responsable de 873 000 décès par an dans le
monde. La France est un des pays les plus touchés en
Europe puisqu’on estime la mortalité à environ 12 000
personnes par an, ce qui correspond à 1 suicide toutes
les 40 minutes. Ce chiffre est vraisemblablement sous-
estimé. Le suicide touche principalement les jeunes ; il
est la deuxième cause de mortalité chez les 15/24 ans et
la première cause de mortalité chez les 25/34 ans.
D’autres populations à risque sont les personnes âgées,
les détenus pour lesquels le risque est multiplié par 10,
les personnes en situation de précarité, les malades
mentaux. On estime que 5 % de l’ensemble des suicides
surviennent en milieu psychiatrique. L’entourage souffre.

1. Psychiatre, Établissement Public de Santé Mentale Lille-Métro-


pole-Tourcoing, cthevenon@epsm-lille-metropole.fr
Chaque année, 60 000 personnes en France sont
endeueillées et ont des problèmes de santé pouvant aller
jusqu’à la répétition du geste suicidaire. Les tentatives de
suicide sont 10 fois plus nombreuses que les suicides.
Elles aussi occasionnent des perturbations parfois
durables dans la vie de la personne et de son entourage.
Par exemple, les enfants d’une mère suicidaire peuvent
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avoir plus de risque de développer des problèmes
lorsqu’ils sont confrontés régulièrement à sa souffrance,
ou bien lorsqu’ils sont les témoins directs de ses tentatives
de suicide. Les collègues de travail, les camarades de
classe sont souvent aussi durement éprouvés par le
désespoir et les actes suicidaires répétés d’un de leurs
proches.
Compte tenu de ces enjeux en termes de Santé Publique,
une stratégie nationale a été initiée depuis les années
2000. Elle se décline en différentes actions :
94 -
– améliorer la prévention du suicide notamment grâce à
un programme de formation nationale ;
– diminuer l’accès aux moyens les plus létaux ;
– améliorer la qualité de la prise en charge des personnes
en mal être, des suicidants et de leurs proches ;
– mieux connaître la situation épidémiologique.
Les plans de Santé Mentale successifs depuis 2005 ont
reconduit l’ensemble des actions. Le dernier prévoit
d’évaluer les politiques nationales et locales menées face
au suicide et de poursuivre les audits cliniques menés
auprès des établissements de santé pour l’application des
recommandations HAS. Il a été prévu de développer des
actions de prévention du suicide chez l’enfant et
l’adolescent. Ces recommandations et propositions
d’actions ont pour objectif l’amélioration du dépistage,
de l’accès aux soins et des traitements envisagés pour les
personnes à risques. Autant dire que la prise de
conscience des professionnels, à la fois du risque et de la
gravité du phénomène, mais aussi de la possibilité
d’améliorer la situation du fait de leur implication dans
la prévention là où ils interviennent est d’une
importance capitale.
Notre propos est de décrire la déclinaison de ces
orientations par les services de Santé Mentale et de
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Psychiatrie de Tourcoing, en prenant pour illustration
un chantier d’action sportive en Arts Martiaux, qui, à
côté des stratégies institutionnelles, a été à l’origine du
partenariat santé mentale/FFSA à Tourcoing.
La Ville de Tourcoing est située dans la partie la plus
septentrionale du triangle Lille, Roubaix, Tourcoing. Elle
compte 120 000 habitants et correspond à 2 secteurs de
Psychiatrie adulte. La population est caractérisée par sa
jeunesse, son caractère pluriethnique et une situation de
précarité sociale. Les élus locaux et les professionnels de
l’action sanitaire et sociale, conscients des difficultés des - 95
habitants, se sont toujours montrés très favorables à des
actions concertées et articulées qui leur étaient destinées.
Depuis 2001, les Pôles de Santé Mentale Tourquennois
se sont impliqués dans des actions destinées à la
prévention des problèmes de santé mentale les plus
fréquents, et notamment du risque suicidaire. Cette
implication s’est manifestée par étapes successives,
impliquant les Pôles et leurs partenaires. Les enquêtes
Santé Mentale en Population Générale (Centre
Collaborateur OMS) réalisées en 1998 et 2008 sur un
échantillon représentatif de la population, ont contribué
à mieux faire connaître la morbidité et la représentation
des tourquennois à l’égard des troubles dépressifs et
suicidaires.
Selon les résultats de cette étude :
– 36.5 % des habitants sont porteurs d’au moins un trouble
mental principalement anxieux et dépressif.
– L’attitude la plus fréquente à l’égard de la dépression et
des comportements suicidaires est faite de résignation voire
de fatalisme :
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- 30 % considèrent que la tristesse chronique et que
le geste suicidaire sont normaux,
- 40 % considèrent que le geste suicidaire n’est pas
dangereux.
Globalement, les personnes n’identifient pas la
souffrance comme étant un trouble. Elles ne consultent
pas spontanément, voire refusent la rencontre avec un
médecin, un psychologue ou un psychiatre. Cependant,
ces personnes sont désireuses de partager leur sentiment
de désespoir avec les professionnels de terrain plus
96 - accessibles (assistants socio-éducatifs, infirmiers,
enseignants). Ces professionnels sont en difficulté pour
y répondre, ils ont l’impression que leurs réponses,
pleines de bon sens, sont inadéquates ou craignent même
qu’elles accentuent le risque. Les personnes tardent à
demander de l’aide, certes à cause des manifestations de
leur pathologie (repli, désintérêt, pessimisme), et aussi
du fait des représentations usuelles à l’égard de la
souffrance psychique (peur d’être fou), de celle des soins
(enfermement, camisole chimique), et surtout de la peur
de passer pour « un fou » entraînant leur exclusion
sociale et parfois familiale. Tous ces préjugés concourent
à l’aggravation de l’état des personnes et à l’effritement
progressif de leur vie familiale et sociale. Une expression
de cet effritement est représentée par la difficulté de ces
personnes à s’inscrire dans des activités dans le monde
extérieur du soin, autant de leur fait que de celui des
professionnels qui les méconnaissent. Finalement, les
sujets en souffrance sont de plus en plus isolés, et leur
entourage de plus en plus démuni. L’évolution de la
situation peut mener à des comportements dangereux
durables nécessitant le recours à des hospitalisations,
elles-mêmes sources de stigmatisation et d’exclusion
sociale. La tâche des professionnels du soin est rendue
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plus difficile du fait de l’ancienneté du problème et le
pronostic est alors beaucoup plus inquiétant en termes
de rechute, mais aussi de déficit d’insertion relationnelle
et sociale. Il nous a donc paru pertinent d’améliorer les
compétences de ceux qui sont au plus près des sujets en
difficulté et de créer un lien entre ces acteurs de première
ligne et les professionnels formés à l’aide, à l’écoute ou à
la promotion de la santé. Depuis 2001, la mise en place
du Réseau « Chaîne de Vie » a tenté de remédier à la
situation en améliorant les compétences des
professionnels de terrain et en créant un lien entre les - 97
professionnels et les équipes de santé mentale de
territoire par l’intermédiaire de formations à la
prévention du suicide. Tourcoing a aussi été doté de
structures institutionnelles destinées à répondre à la
souffrance psychique et au risque suicidaire dans les
meilleurs délais et dans des locaux conviviaux et adaptés :
– 2001, ouverture d’une Consultation de Crise à l’Hôpital
Général ;
– 2001, convention avec le service des Urgences de l’Hôpital
Général (permanence psychiatrique) ;
– 2006, ouverture d’un Centre Médico-Psychologique-
Centre d’Accueil Thérapeutique à temps Partiel (CMP-
CATTP) dédié à la Crise et à l’Urgence en centre-ville avec
délai d’attente zéro jour ;
– 2007, ouverture de 8 lits de Centre d’Accueil et de Crise
(hospitalisation de 72 heures au plus) accolés aux nouvelles
Unités Tourquennoises de Psychiatrie sur le site de l’Hôpital
Général ;
– 2011, création du Conseil Local de Santé Mentale.
Ces progrès institutionnels demeurent cependant parfois
insuffisants à gérer toutes les situations à risque
suicidaire. Le risque suicidaire, en effet, peut s’entendre
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comme étant le fruit d’influences se combinant et
associant :
– les caractéristiques personnelles génétiques, physiques ou
psychiques ;
– la trajectoire de vie des personnes ;
– leur environnement familial, social et culturel ;
– leur capacité à demander et à trouver de l’aide ou du soin.
Globalement, le suicide est associé à des traumas et à des
problématiques complexes.

Il ne suffit pas de soigner pour guérir !


L’action en direction des personnes en souffrance
psychique ou à risque suicidaire nécessite de les orienter
vers des champs autres que ceux de l’intervention
purement soignante. A côté, et en plus des ressources en
soins, nous avons proposé de développer des réponses
élargies et durables en direction des personnes à risque,
ce qui constituait le premier projet sportif, le projet
« Renouance Arts Martiaux ». En 2008, le projet avait
pour cibles :
– pour les personnes atteintes par des troubles des conduites
avec atteinte ou négligence du corps (addiction,
comportement suicidaire), de favoriser leur accès aux
activités sportives de la ville ;
– pour les usagers potentiels, de faire connaître les lieux de
soins modernes et non stigmatisants ;
– pour les partenaires sociaux et éducatifs, de les sensibiliser
aux problèmes de santé mentale, de renforcer les liens et les
dynamiques avec les équipes de santé mentale.
Cette entreprise a mis en évidence le bénéfice direct pour
l’usager d’une prise en charge commune par des
soignants et des personnes issues du domaine du sport
dans des lieux partagés. Le chantier « Renouance »
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s’inscrivait dans le champ des Arts Martiaux, du fait de
l’intérêt porté par les jeunes à cette discipline et de la
capacité de celle ci à procurer un sentiment de calme et
de réassurance, tout en focalisant l’attention sur le
respect du corps…

Publics visés
1. Personnes porteuses d’une pathologie grave stabilisée,
en difficulté pour accéder au sport dans le milieu
ordinaire.
- 99
2. Personnes identifiées comme relevant de la santé
mentale par des partenaires sanitaires ou sociaux locaux,
mais réticentes à se soigner.
Ces personnes pouvaient inviter leur entourage à assister
ou à participer aux stages. Ce projet s’inscrivait dans une
approche passerelle d’activités accompagnées par des
soignants, infirmiers, psychologues et des membres
experts dans le domaine des Arts Martiaux (Titulaires du
Brevet d’Etat). Amorcée pendant une période soutenue
de 6 mois, la pratique d’un art martial pouvait se
poursuivre dans le cadre associatif ordinaire
accompagnée par les mêmes formateurs, soutenue à
distance par l’équipe soignante. Un enregistrement vidéo
reprenant les différentes étapes du projet était remis à
chaque participant après l’action. Témoin visuel de la
progression individuelle et de la dynamique du groupe,
cette vidéo pouvait être visionnée avec l’entourage et les
différents partenaires. Elle pouvait être utilisée comme
outil de promotion de la santé mentale en milieu
ordinaire. Associés autour d’un même projet, les
soignants et les animateurs sportifs pouvaient confronter
leurs représentations. Ils partageaient leur valeur
commune : le droit citoyen à l’accès au sport ou à la
culture pour des personnes en souffrance. Accompagnés
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et formés, les animateurs sportifs s’imprégnaient des
pratiques de soin, identifiaient mieux les personnes
ressources et les plateaux techniques. Ils veillent à la
bonne évolution des usagers bénéficiant de ce
programme. Connaissant les principes fondamentaux du
soin en santé mentale, ils pouvaient développer des
compétences sentinelles et orientaient avec efficience les
personnes qui leur témoignaient de leurs difficultés dans
leurs activités sportives habituelles.

100 - Responsables de l’action


– L’EPSM Lille Métropole, Pôle de Tourcoing ;
– Mairie de Tourcoing / Office Municipal des Sports ;
– Commission Extra Municipale des Handicapés ;
– Club Tourquennois d’Arts Martiaux ;
– ACCES (Association Citoyenne Contre l’Exclusion
Sociale) ;
– Conseil Général ;
– Services de Prévention : CCAS, Mission Locale ;
– Réseau Chaîne de Vie de Prévention du Suicide de la
ville de Tourcoing ;
– Groupe d’entraide mutuelle (GEM) de l’Association
des Usagers Nord Mentalités (FNAPSY), Association de
familles d’usagers (UNAFAM).
Partenaires Financeurs
– EPSM Lille Métropole : mise à disposition de locaux,
de moyens et d’outils pédagogiques pour les réunions de
préparation et de présentation des activités aux
stagiaires ;
– Ville de Tourcoing : mise à disposition de locaux
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d’activités dans le dojo du Complexe Sportif L’Atelier de
Tourcoing ;
– Commission Extra Municipale des Handicapés :
fournitures de licences sportives et de frais de
déplacement pour les personnes handicapées.

Moyens utilisés
– Vacations de moniteurs sportifs titulaires du Brevet
d’État ;
– Équipements sportifs ;
- 101
– Assurances sportives ;
– Outils pédagogiques et de communications (reportage
photos et vidéo, diplômes) ;
– Supports d’enseignement (historique et philosophie
des pratiques enseignées) ;
– Temps d’animateurs sportifs ;
– Temps de suivi, de rédaction et de diffusion du projet.

Résultats attendus
– Pérennisation des projets individuels dans les milieux
associatifs locaux ;
– Dédramatisation du recours aux soins de santé mentale
pour les sujets identifiés par les partenaires extérieurs aux
soins
– Renforcement des connaissances, développement des
compétences sentinelles des moniteurs, réactivité des
services de Santé Mentale de Tourcoing liée au
renforcement des liens de partenariats.
30 personnes bénéficiaient du projet dans 3 formations :
Karaté, Jujitsu, Taï Chi Chuan. Le projet s’inscrivait dans
un travail de réseau citoyen déjà existant. Les partenaires
étaient identifiés et fiables, les populations cibles étaient
repérées. Le mélange des cultures professionnelles
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favorisait le recours aux soins des populations résistantes
grâce à l’accompagnement des moniteurs sportifs,
réduisant ainsi le risque.

Étapes de la réalisation du projet


– Juillet : rencontre formalisée à la Mairie (Pôles de
Psychiatrie, Adjoint au Maire, Office Municipal des
Sports, Club Tourquennois d’Arts Martiaux). Renfort
des solidarités entre politiques associatives et soignantes,
sensibilisation des animateurs sportifs à la pathologie
102 - mentale aux traitements et à l’accompagnement ;
– Août : mise au point du projet, information des
partenaires, rédaction des demandes ;
– Novembre : identification des personnes à inclure,
proposition de l’activité ;
– Rencontre individuelle des personnes avec les
intervenants, explication du projet et information à
propos de l’évaluation ;
– Janvier : liste définitive des personnes faisant partie du
groupe ;
– Février/ Juillet : initiation à la pratique du Karaté, du
Jujitsu et du Taï Chi Chuan. Pour chaque session,
présentation didactique de la discipline par l’animateur,
initiation de la discipline, évaluation individuelle et
groupale, conclusion, réajustement ;
– Septembre : cérémonie officielle de remise des
diplômes, remise des kimonos aux personnes désireuses
de continuer l’apprentissage dans le cadre associatif.
Après coup, les patients ont été enquêtés quant à leur vécu
et leur satisfaction. Leurs réactions étaient largement en
faveur de ces expériences. Les intéressés signalaient
cependant l’importance d’un accompagnement en
préalable à un engagement à l’extérieur.
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Conclusion
L’expérience a montré que, même dans les cas les plus
difficiles, la résilience des personnes à risque suicidaire
pouvait être mobilisée par des activités physiques et
sportives associées aux soins. L’implication des partenaires
de l’action a été remarquable et leur a permis de partager
des valeurs communes de patience, de confiance, de
dynamisme et finalement d’intelligence partagée dans un
projet citoyen. Les sujets en souffrance ont vu diminuer
leur sentiment d’exclusion et de relégation à l’état de
malade mental. L’association des soins et de la promotion - 103

des compétences des personnes a agi comme un facteur


de protection à l’égard de la rechute ou de la récidive. La
convergence des intérêts a puissamment agi pour favoriser
l’action. L’EPSM Lille Métropole s’engageait au titre des
recommandations OMS « Oui aux Soins, Non à
l’Exclusion – Pas de Santé sans la Santé Mentale » en santé
mentale communautaire.
Les élus se préoccupaient de la santé des habitants et
pouvaient y développer leur souhait d’ouverture de la
ville aux handicapés en valorisant le Sport Adapté. Le
Club Tourquennois d’Arts Martiaux œuvre à toutes les
étapes du projet, à l’adaptation de la pédagogie à un
nouveau public et à la valorisation du savoir faire de ses
bénévoles.
Cette première action d’activité passerelle en
Réhabilitation Sociale a bénéficié de l’intelligence
partagée de la Santé Mentale, de la Ville et du secteur
associatif. Elle a été source de croissance pour tous et a
été récompensée par le Prix « Fais nous rêver ». Elle est à
l’occasion du signalement de l’intérêt des activités
sportives par les équipes de Santé Mentale de Tourcoing
à la FFSA, alliance à l’origine des Chantiers Spectacles
ultérieurs :
– 2011 « Je M’défile » : Défilé de mode chorégraphié ;
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– 2014 et 2015 Spectacles de Cirque SISM.
Et des projets en cours :
– SISM 2016 « Santé Mentale et Santé Physique, un lien
vital » ;
– Projet Yoga « Je suis mon meilleur ami ».
Les chiffres du suicide à Tourcoing ont, quant à eux
évolué, avec moins de décès et plus de recours préventif
aux structures sanitaires, ce qui correspond à une mise
en alerte plus précoce des personnes et de leur entourage
104 - avec adressage préventif en médecine ou en chirurgie.
La programmation des Chantiers Spectacles a sa place
dans l’obtention de ces résultats encourageants, en
complément des progrès en matière sanitaire et des
efforts de toute la communauté sanitaire et
socio éducative dont les propositions sont relayées aux
habitants par le Conseil Local de Santé Mentale. Il serait
souhaitable de pouvoir pérenniser ces actions, avec le
soutien politique et logistique de l’Agence Régionale de
Santé (ARS) et de la FFSA, dans un environnement où
l’intérêt du Sport pour la Santé est désormais reconnu,
notamment par les textes proposant des « Activités
sportives sur ordonnance », selon les termes de
l’amendement Fourneyron (2015).
BIBLIOGRAPHIE

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http://www.santementale5962.com/nos-travaux/les-themes-d-
etude-et-de-recherche/suicide-et-tentative-de-suicide/prevention-du
-suicide-le-programme/les-communications-sur-ce-
sujet/article/formation-et-recherche-en.
MÉMOIRES UNIVERSITAIRES
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Étude comparative des effets de deux
programmes d’activité physique sur la
condition physique, les symptômes et la
qualité de vie de personnes souffrant de
schizophrénie
Clément Rouy1

- 107

Introduction
La schizophrénie est une pathologie psychiatrique sévère,
affectant environ 0,7 % de la population avec des
intensités diverses. Elle se caractérise par une altération
de la perception de la réalité, des troubles cognitifs,
affectifs et comportementaux, entraînant un
dysfonctionnement social important. De nombreux
travaux ont montré l’existence de comorbidités associées
avec une prise de poids due aux traitements
médicamenteux qui augmente la prévalence de troubles

1. Master Activités Physiques & Santé, (2015) Tuteurs profession-


nels : V. Vanoye et Pr Ch. Lancon – APHM.
Encadrement universitaire : P. Therme et T. Marqueste* – Aix-Mar-
seille Université (*ligue PACA-Sport Adapté).
métaboliques ou cardio-vasculaires (Vancampfort et al.,
2010). En plus des fréquentes complications
physiologiques, la prise en charge médicamenteuse a
également des effets sédatifs accentuant les sensations de
fatigue et la sédentarité des personnes atteintes de
schizophrénie (Von Hausswolff-Juhlin et al., 2009).
Un déconditionnement progressif des capacités
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physiques associé à une perte d’habiletés est constaté. Les
personnes entrent alors dans un cercle vicieux, souvent
accentué par une mauvaise alimentation et une
consommation de tabac, d’alcool ou d’autres substances
psychoactives, contribuant à l’élévation de leur niveau
d’incapacité physique et de leur isolement social
(Strassnig et al., 2014). Classée parmi les pathologies les
plus invalidantes (INSERM, 2010), la schizophrénie a
ainsi un impact sur la qualité de vie mentale, physique,
psychologique et sociale des personnes atteintes
108 - (Vancampfort et al., 2011b, Acil et al., 2008).
De nombreuses études établissent que les Activités
Physiques Adaptées (APA) contribuent pleinement à la
réhabilitation biopsychosociale des personnes souffrant de
schizophrénie (Vancampfort et al., 2011a). Elles
considèrent ainsi les APA comme des thérapies non
médicamenteuses indispensables à la prévention ou la
prise en charge des complications métaboliques des
personnes souffrant de schizophrénie et participent à leur
bien-être psychologique. Les travaux ayant mis en
évidence les bénéfices de l’Activité Physique (AP) sur des
variables physiques (Heggelund et al. 2012),
psychologiques (Acil et al., 2008) et symptomatologiques
(Takahashi et al., 2012) sont nombreux mais leur diversité
ne permet pas de définir précisément les modalités
(fréquence, intensité, durée, activité…) d’une prise en
charge en APA optimale.
Ce travail avait donc pour objectif de comparer l’impact
de plusieurs programmes d’AP sur la condition
physique, les symptômes de la maladie et la qualité de
vie de personnes souffrant de schizophrénie.

Méthode
Participants
Cette étude s’est déroulée au sein d’un service hospitalier
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ambulatoire de l’Assistance Publique Hospitalière de
Marseille. Pour chacun des participants, un psychiatre
du service avait posé un diagnostic de schizophrénie
selon les critères du DSM-IV et du DSM-V. Des
médecins ont examiné chacun d’entre eux pour attester
de l’absence de contre-indication à la pratique d’une
activité physique. Notre travail a inclus 10 participants
(8 hommes et 2 femmes) avec une moyenne d’âge de
31,5±5,38 ans (21min-39 max). Ces dix patients ont
ensuite été divisés en deux groupes similaires : le premier
groupe étant constitué de 4 participants (3 hommes et
- 109
1 femme) et le deuxième groupe de 6 participants (5
hommes et 1 femme).
Dispositifs d’intervention en activité physique
Les différentes recommandations scientifiques préconisent
soit une pratique physique exclusivement aérobie (Bernard
et Ninot, 2012), soit une pratique aérobie couplée à du
renforcement musculaire (Vancampfort et al., 2011a). Afin
de confronter ces préconisations, nous avons mis en place
et comparé ces deux types de pratique au travers de deux
programmes d’APA. Chaque groupe participe à un
programme :
– Programme 1 (groupe 1) : Marche nordique (activité à
dominante aérobie).
– Programme 2 (groupe 2) : Marche nordique couplée à
du renforcement musculaire.
En accord avec les recommandations générales de
Bernard et Ninot en 2012, les programmes ont duré 12
semaines avec une fréquence de 2 séances d’une heure,
par semaine. Les créneaux étaient collectifs pour favoriser
les échanges entre patients et ainsi améliorer le domaine
social dans l’évaluation de la qualité de vie (Acil et al.,
2008). Les participants bénéficiaient d’au moins un jour
de repos entre chaque séance. Chaque séance était
composée d’un échauffement musculaire et articulaire,
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d’un corps de séance puis d’étirements.
Les séances de marche nordique se déroulaient dans
différents parcs et étaient axées sur la découverte de
l’activité, l’apprentissage de techniques spécifiques et le
plaisir de pratiquer avec des exercices ludiques, des séries
de fractionnées ou encore de simples randonnées.
L’intensité, la difficulté du parcours et la durée de marche
effective ont progressivement augmenté au fil du
programme.
Les séances de renforcement musculaire étaient mises en
110 - place dans un dojo. Axés sur les principaux groupes
musculaires, ces créneaux se composaient uniquement
d’exercices avec le poids du corps et du « petit
matériel sportif » (haltères de 1 et 2 kgs, médecine-balls,
bandes élastiques). Ces exercices sont ainsi facilement
réalisables de façon autonome pour favoriser le maintien
d’une activité physique régulière. Chaque séance traite
deux ou trois groupes musculaires travaillés avec plusieurs
exercices. Les groupes musculaires sollicités varient de
séance en séance pour permettre un développement de
l’ensemble du corps. Comme pour la marche nordique,
l’intensité des séances a augmenté au fil du programme
avec des exercices plus difficiles et plus nombreux.

Mesures / Outils
Nous avons évalué l’évolution de trois variables : la
condition physique, les symptômes schizophréniques et
la qualité de vie à l’aide de sept outils d’évaluation.
La variable condition physique est divisée en quatre sous
parties : la capacité d’exercice fonctionnelle mesurée avec
le Test de Marche de 6 minutes (TDM6), la puissance
musculaire des membres inférieurs, des membres
supérieurs et des abdominaux avec les tests EUROFIT
« assis-debout », de flexions de bras et le « Sit Up test ».
Ces outils ont été validés pour des sujets souffrant de
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schizophrénie (Vancampfort et al., en 2011c, Vancampfort
et al. en 2012).
Nous avons utilisé la Schizophrenia Quality of Life-18
(S-Qol 18), développée et validée par Boyer et al. (2010)
pour évaluer la qualité de vie et la version française de la
Positive And Negative Syndrome Scale (PANSS) pour
les symptômes schizophréniques.
Afin d’analyser l’évolution des variables lors de nos
interventions, nous avons mis en place une évaluation
initiale avant la prise en charge (T0) et une finale (T1)
après 12 semaines. - 111

Techniques d’analyse
Nous avons réalisé une ANOVA répétée à deux voies en
fonction du temps et en fonction du groupe. Le test
post-hoc de Student-Newman Keuls permettait de
déterminer quel facteur (le temps ou le groupe)
engendrait une différence significative (p ≤ 0,05).

Résultats
Les résultats des évaluations ont permis de comparer les
effets respectifs des deux programmes d’AP afin de voir si
l’un d’entre eux engendrait des bénéfices supplémentaires.
Les scores de chaque variable obtenus au sein d’un même
groupe, lors des différentes évaluations sont retranscrits
dans le tableau 1. Leur comparaison montre une
évolution significative des quatre sous parties de la
condition physique. Ces bénéfices concernent à la fois
les participants du premier et du second programme. Les
variables qualité de vie et symptômes schizophréniques
n’ont pas évolué significativement avec les programmes
d’AP. Une tendance à l’amélioration des scores de ces
variables est néanmoins objectivée.
Tableau 1 : Évolutions moyennes des variables au sein des deux
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groupes et au cours du temps.

112 -

(NS = non significatif )


Les comparaisons statistiques des scores des deux groupes
au fil des programmes sont également retranscrites dans
le tableau 1. Ces résultats mettent en évidence une
différence significative des bénéfices portant sur la
puissance musculaire des membres inférieurs, supérieurs
et des abdominaux. Les participants du second
programme composé de marche nordique et de
renforcement musculaire ont plus progressé sur ces
variables que les participants du premier groupe. En
revanche, il n’y a pas de différence entre les deux groupes
pour la qualité de vie et la symptomatologie, bien que
ces variables aient tendance à évoluer dans le sens d’une
amélioration.
Discussion
Les différents résultats obtenus lors des évaluations de la
condition physique sont significatifs et très satisfaisants.
En effet, nous observons une amélioration significative
de la capacité d’exercice fonctionnelle, de la puissance
musculaire des abdominaux, des membres supérieurs et
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des membres inférieurs au fur et à mesure de la prise en
charge. Ces améliorations entre le début et la fin des
programmes sont significatives pour l’ensemble des
participants mais également au sein de chaque groupe.
Ces résultats sont en adéquation avec les travaux de
Bernard et Ninot (2012), de Vancampfort et al. (2011a)
et d’Heggelund et al. (2012) qui ont tous mis en
évidence des améliorations de la condition physique
suite à une activité aérobie ou une activité aérobie
couplée à du renforcement musculaire.
Les deux types de programmes d’AP permettent donc
- 113
d’améliorer significativement la condition physique des
personnes souffrant de schizophrénie. Par ailleurs, les
différences de progrès observées sur les tests de puissance
musculaire entre les deux groupes nous permettent de
montrer qu’un programme aérobie couplé à du
renforcement musculaire entraine davantage de bénéfices
qu’une pratique aérobie uniquement.
Concernant les symptômes schizophréniques, nous
observons une tendance à l’amélioration de cette variable
mais cette évolution n’est pas significative. Cette tendance
concernant les deux groupes, les deux programmes
d’activité mis en place semblent donc induire des effets
positifs similaires sur la symptomatologie des participants.
Ces résultats sont en adéquation avec les travaux de
Heggelund et al. (2012) qui n’ont également montré que
de simples tendances à l’amélioration.
L’absence de résultats significatifs dans notre étude peut
aussi se justifier par différentes limites : des programmes
d’AP trop courts pour une variable sensible aux
changements sur le long terme (Priebe et al., 2011) et
une influence trop importante de nombreux facteurs
extérieurs (Heggelund et al., 2012).
Les résultats obtenus sur la variable « qualité de vie » sont
également intéressants. On observe une tendance à
l’amélioration générale chez les participants des deux
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groupes. Cette tendance est présente dans 6 des 8
dimensions mesurées pour le groupe 1 et dans 5 d’entre
elles pour le second groupe (détails non présentés dans
le tableau). Cette tendance à l’amélioration est
notamment présente dans la dimension « sociale » de la
qualité de vie (Acil et al., 2008) grâce à une pratique
collective, la dimension « bien-être physique » avec une
augmentation du niveau d’AP (Vancampfort et al.
2011b), les dimensions « bien-être psychologique » et
« estime de soi » avec l’impact psychologique des progrès
114 - réalisés, et l’activité hormonale engendrée par la pratique
physique (Vancampfort et al. 2010).
Nous pouvons dire que les évolutions observées semblent
être positives mais ne sont pas significatives. Il n’y a par
ailleurs pas de différence significative entre les effets des
deux programmes d’AP. Comme la symptomatologie, la
variable qualité de vie est influencée par de nombreux
facteurs extérieurs et sensibles aux changements sur le
long terme (Priebe et al. 2011). Ces limites peuvent
également expliquer l’absence de résultats significatifs sur
cette variable.
Par ailleurs, l’utilisation de la S-Qol 41, créée et validée
par Lançon et al. en 2007, moins synthétique que la S-
Qol 18, aurait peut-être davantage pu mettre en évidence
les légères évolutions observées lors de cette étude.
Conclusion
Nous concluons que les résultats sont satisfaisants et en
lien avec la littérature. Nous observons des améliorations
significatives sur la condition physique des participants
et des tendances à l’amélioration pour les symptômes
schizophréniques et la qualité de vie. Ces effets sont
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présents dans les deux groupes de sujets étudiés. Les deux
types de programme d’AP (marche nordique ou marche
nordique couplée à du renforcement musculaire) sont
donc intéressants et pertinents pour la santé physique et
mentale de personnes souffrant de schizophrénie. Nous
avons également montré qu’un programme de marche
nordique, couplée à du renforcement musculaire,
entraine globalement plus de bénéfices sur la condition
physique qu’un programme de marche nordique seul.
En revanche, nous n’avons pas observé de différence
significative entre les effets des deux programmes sur la
- 115
qualité de vie et la symptomatologie.
Au regard de nos résultats, il semble important de mettre
en place des programmes plus longs avec une pratique
plus fréquente afin de favoriser les bénéfices des APA.
Les modalités de nos programmes (12 semaines de
pratique avec 2 séances d’1 heure par semaine) sont en
adéquation avec les recommandations scientifiques mais
la faible sensibilité de certaines variables et l’impact de
facteurs extérieurs ont restreint les bénéfices.
Une étude plus longue concernant plus de sujets
permettrait de limiter ces biais et d’appréhender plus
précisément les effets de ces activités physiques sur la
condition physique, la symptomatologie et la qualité de
vie des personnes souffrant de schizophrénie.
Par ailleurs, la mise en place d’une étude comparative
entre trois programmes différents : aérobie seul versus
renforcement musculaire seul versus marche nordique
couplée au renforcement musculaire, peut être
intéressante afin de mettre en avant l’impact spécifique
de différentes pratiques physiques chez les personnes
souffrant de schizophrénie.

BIBLIOGRAPHIE
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Vancampfort, D., Knapen, J., Probst, M., Van Winkel, R., Deckx,
S., Maurissen, K., Peuskens, J., De Hert, M. (2010). Considering
a frame of reference for physical activity research related to the
cardiometabolic risk profile in schizophrenia. Psychiatry Research,
177, 271-2797.
Vancampfort, D., De Hert, M., Skjerven, L.H., Lundvik
Gyllensten, A., Parker, A., Mulders, N., Nyboe, L., Spencer, F. et
Probst, M. (2011a). International Organization of Physical Therapy
in Mental Health consensus on physical activity within
multidisciplinary rehabilitation programmes for minimising cardio-
metabolic risk in patients with schizophrenia. Disability and
Rehabilitation, 1-12.
Vancampfort, D., Probst, M., Scheewe, T., Maurissen, K., Sweers,
K., Knapen, J. et De Hert, M. (2011b). Lack of physical activity
during leisure time contributes to an impaired health related quality
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of life in patients with schizophrenia. Schizophrenia Research, 129,
122-12.
Vancampfort, D., Probst, M., Sweers, K., Maurissen, K., Knapen,
J. et De Hert, M. (2011c). Reliability, minimal detectable changes,
practice effects and correlates of the 6-min walk test in patients with
schizophrenia. Psychiatry Research, 187, 62-67.
Vancampfort, D., Probst, M., Sweers, K., Maurissen, K., Knapen,
J., Willems, J.B., Heip, T. et De Hert, M. (2012). Eurofit test
battery in patients with schizophrenia or schizoaffective disorder :
Reliability and clinical correlates. European Psychiatry, 27, 416-421
Von Hausswolff-Juhlin, Y., Bjartveit, M., Lindström, E. et Jones, P.
(2009). Schizophrenia and physical health problems. Acta
Psychiatrica Scandinavica, 119, 15-21. - 117
Étude de l’impact de la pratique
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d’activités physiques adaptées sur la
santé mentale des personnes souffrant
de troubles psychotiques
Chloé Jeanjean1

La manifestation symptomatologique des troubles


psychotiques entrave de manière considérable le
fonctionnement physique, social et mental de la - 119
personne. Il parait essentiel de développer des prises en
charge limitant les atteintes secondaires de la maladie.
La recherche réalisée par Chloé Jeanjean interroge
l’impact de la prise en charge par les Activités Physiques
Adaptées (APA) sur la santé mentale des personnes
souffrant de troubles psychotiques.
L’étude se déroule au sein de la plate-forme Henri
Wallon-Tony Lainé, établissement médico-social de
Montpellier (France) qui accompagne les personnes en
souffrance psychique dans leurs projets de vie à travers
diverses réponses et notamment par la pratique des APA.

1. Chloé Jeanjean est enseignante en Activités Physiques Adaptées


à l’Institut Médico-Educatif « Nous Aussi », 43 route de Collonges,
74100 Vetraz Monthoux, France.
chloe.jeanjean@live.fr
Mémoire de Master STAPS Réhabilitation par les Activités Physiques
Adaptées, Université Montpellier 1, (2013), dir. Anne Marcellini.
Celles-ci visent à maintenir ou améliorer la qualité de vie
des personnes accueillies d’un point de vue physique,
mais aussi psychosocial et à les accompagner dans le
processus lent et parfois chaotique du rétablissement.
42 personnes reçues dans cet établissement ont participé
à l’étude. Dans un premier temps, un « questionnaire
d’identification » a été rempli par les personnes. Il permet
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de préciser le type d’activité physique pratiquée,
l’expérience et la régularité dans leur pratique d’APA, mais
aussi de renseigner différents critères sociodémographiques.
Dans un second temps, les personnes ont répondu à deux
autres questionnaires permettant d’évaluer la santé mentale
de manière globale. « L’échelle de mesure des
manifestations de bien-être psychologique » (EMMBEP)
évalue la valence positive de la santé mentale appelée « bien-
être psychologique », tandis que le « Hospital Anxiety and
Depression Scale » (HADS) met en évidence la valence
120 - négative de la santé mentale, appelée « dépression
psychologique ».
Les résultats montrent des différences significatives entre
les personnes qui pratiquent des APA (n=28) et celles qui
n’en pratiquent pas (n=14), mais aussi des différences
significatives au sein même du groupe de pratiquants
compte tenu du type, de la régularité, et de l’ancienneté
de pratique.
Les pratiquants d’APA ont moins de « dépression
psychologique » que ceux qui ne pratiquent pas. En
outre, parmi les pratiquants, ceux qui sont assidus ont
également moins de « dépression psychologique » que
ceux qui pratiquent de façon occasionnelle. L’ancienneté
a également un impact positif car ceux qui pratiquent
des APA depuis plus d’un an sont notablement moins
touchés par la « dépression psychologique ». La variable
« bien-être psychologique » n’est pas impactée de
manière significative semble-t-il.
Les activités physiques pratiquées au sein de cette
structure sont la marche, le footing, les activités
aquatiques, la sarbacane et le football. Quand on
s’intéresse aux relations entre santé mentale et type de
pratique physique, peu de différences significatives
apparaissent. Cependant, on peut noter que les
pratiquant de l’activité marche sont ceux qui présentent
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la santé mentale la plus problématique avec les scores de
dépression les plus élevés et les scores de bien-être les plus
bas. Et une différence significative existe entre le groupe
des marcheurs et celui des pratiquants de footing qui
montre le score le plus élevé de bien-être psychologique.
Cette étude permet de mettre en évidence un fait
intéressant et contraire à nos prévisions : la pratique
régulière d’APA et son maintien sur le long terme a un
effet significatif sur la valence négative de la santé
mentale (la dépression psychologique), mais pas d’effet
significatif sur la valence positive (le bien-être - 121
psychologique). La relation entre la pratique d’AP et la
diminution de la dépression psychologique est
multifactorielle. Différentes interprétations peuvent être
avancées pour expliquer la réduction de la dépression
psychologique lors de la pratique régulière d’AP. Pour les
psychologues, les expériences positives vécues lors de la
pratique d’AP permettraient d’améliorer l’estime de soi
chez les personnes qui ont une maladie mentale grave
(Faulkner & Sparkes, 1999). L’AP, ayant pour les
personnes une signification personnelle précieuse,
pourrait aussi permettre d’apporter un sens à la vie aux
personnes souffrant de problèmes de santé mentale
(Raine et al, 2002). En outre, l’AP permettrait une
distraction des pensées négatives (Bahrke & Morgan,
1978 ; Morgan, 1985). D’un point de vue
neurobiologique, les neurotrophines produites pendant
la pratique d’AP joueraient un rôle important pour
limiter ou réparer les dommages causés par le stress
(Mata et al. 2010). Mais c’est aussi la dimension
socialisante de l’AP pratiquée en groupe (Tordeur 2011)
qui pourrait produire ces effets positifs et cette réduction
de la dépression psychologique. L’AP pratiquée en
groupe, et signifiante en tant que pratique sociale que
l’on partage avec autrui, joue un rôle dans la réduction
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de l’isolement social pour les personnes ayant une
maladie mentale grave en promouvant un sens de la
normalisation, et en offrant des possibilités d’interactions
sociales positives (Carter-Morris P, Faulkner G, 2003).
Le mémoire de Chloé Jeanjean a été récompensé par
l’obtention en 2013 du Prix FFSA de la recherche :
« sport et handicap psychique 2013 ».
ENTRETIENS ET TEMOIGNAGES
***
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Entretien avec Mathieu Lestel
Par Nathalie Pantaleon1

Présentation
Mathieu Lestel est enseignant en Activités Physiques
Adaptées (APA). Il travaille au sein du Centre hospitalier
spécialisé en psychiatrie de Nice. Son activité
professionnelle se déroule à la Fédération
- 123
sociothérapique et culturelle « Espaces thérapeutiques,
Art-thérapie, Sport Culture » rattachée au Pôle Sanitaire
de Réhabilitation Psychosociale de l’établissement. Il
anime en outre l’activité judo à l’association Trinité Sport
Adapté.

Pouvez-vous nous expliquer le cadre de votre travail ?


La Fédération Sociothérapique et Culturelle est un
service transversal et intersectoriel où évolue une équipe
pluri-professionnelles et pluri-disciplinaires : enseignants
en APA, art-thérapeute, moniteurs d’atelier, coiffeuse,
aide-soignant, infirmiers… Des activités sont proposées
durant la semaine : activités physiques et sportives,
atelier d’art thérapie, espace « Coiffure et esthétique »…
En ce qui concerne les activités physiques et sportives,

1. Laboratoire d'Anthropologie et de Psychologie Cognitives et So-


ciales, Université de Nice Sophia Antipolis.
nous proposons de la gymnastique collective, de la
détente corporelle, du renforcement musculaire, des
sports collectifs, de l’aquagym, du tennis, de la pétanque,
de la course à pied, de la randonnée et de l’escalade. De
plus, en fonction de la saison, d’autres choix sont
possibles : randonnées en raquettes et kayak.
Les patients pris en charge ont été adressés sur
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prescription médicale par les médecins psychiatres de
l’unité de soin concernée. Notre intervention peut se
décliner ensuite en plusieurs étapes. Nous évaluons tout
d’abord les attentes, besoins et ressources du patient.
Suite à cette évaluation, nous construisons en
collaboration avec le médecin psychiatre, l’unité de soin
et le patient un planning d’activités personnalisées. A la
suite de chacune des prises en charge, nous formalisons
des bilans que nous saisissons sur un logiciel intra-
hospitalier. Toutes les informations sont ainsi centralisées
124 - et tous les acteurs du soin y ont accès.

Pouvez-vous décrire de manière précise une prise en charge en Ac-


tivités Physiques et Sportives ?
Les patients sont pris en charge au maximum 4 à 5 fois
par semaine. Actuellement, il y a 100 personnes inscrites.
L’activité dure 1h à 1h30 en intra-hospitalier. En
extrahospitalier, la pratique est programmée à la demi-
journée ou à la journée. En fonction de l’état des
patients, certains médecins font des prescriptions
médicales très tôt dans la chronologie de la maladie.
D’autres nous les adressent à mi-chemin de leur
hospitalisation. Il s’agit là davantage d’un
accompagnement vers l’extérieur.
Dans tous les cas, l’objectif, dans un premier temps, est
d’obtenir l’adhésion du patient. Il s’agit ensuite d’engager
progressivement la personne dans une visée de
transformation de ses propres actions et interactions.
L’activité est un support de la relation. Nous travaillons
donc sur la relation à soi, à son corps, à autrui, c’est à
dire tant au niveau des autres patients que des
professionnels, mais aussi sur le rapport aux règles de vie.
Les objectifs sont également de développer la condition
physique, la tolérance à l’effort, les capacités sensori-
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motrices. Nous cherchons par les activités à restaurer
l’estime de soi et, plus largement, à essayer de construire
un projet de pratique personnelle durable.

Quels types d’intervention privilégiez-vous ?


Nous travaillons essentiellement avec l’activité groupale.
Nous sommes deux ou trois professionnels par groupe.
Les groupes sont variables en nombre en fonction de
l’activité : de 4 à 14 patients. Cela dépend également des
patients, des motivations du moment… Nous valorisons
l’individuel dans le groupe, nous essayons d’aller vers - 125

chacun pour créer une relation. Nous sommes là pour


stimuler les échanges, travailler sur la tolérance et
l’ouverture aux autres. Par exemple, la pétanque est un
des supports les plus intéressants au niveau des
interactions sociales. Les équipes sont constituées
principalement de 3 joueurs. Les échanges, les conseils,
les blagues sont plus fréquentes que dans d’autres
activités.

Pouvez-vous expliquer le choix de l’activité escalade pour ce public ?


L’activité escalade peut être un support pour la
confrontation à ses propres peurs. Il peut être mis en
avant le symbole du mur qu’il faut franchir. L’objectif est
d’amener les patients à dépasser leurs limites : « je suis
capable de franchir ». Cette activité permet de travailler
la relation à l’autre, en particulier dans la confiance. Le
fait d’assurer une personne permet d’améliorer le
contact. Ainsi, nous avons pu améliorer des interactions
avec des patients lors de la pratique. L’escalade est un
espace de responsabilité. Souvent, cette population peut
être infantilisée. Assurer un autre patient, mais également
assurer l’éducateur permet de responsabiliser la personne
et de la revaloriser dans des rôles sociaux.
La pratique de l’escalade s’effectue sur la journée une fois
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par semaine. Nous allons grimper sur falaises. Nous
privilégions l’expression libre pour chacun. Ainsi, lors
d’une première pratique, un patient a choisi de rester
assis au pied de la falaise. Lors de la seconde journée, il
a grimpé à une hauteur d’un mètre Par la suite, il a
accepté de grimper assuré par un intervenant. Puis, des
patients ont pu également l’assurer.

Développez-vous des actions de partenariat avec d’autres structures ?


Un des objectifs de l’institution est d’ouvrir l’hôpital vers
126 - l’extérieur en construisant des partenariats avec
différentes institutions. Nous avons amené les patients à
des rencontres inter-établissements organisés par la Ville
de Nice et par le Comité Départemental Sport Adapté.
Au départ, quand on arrivait, certains regards étaient très
stigmatisants. Ceci a évolué par la suite de manière
positive.
Nous avons également essayé de construire des
partenariats extérieurs avec des clubs pour que les
personnes anciennement hospitalisées ou en voie de
sortir puissent avoir un accès plus facile à des clubs de
sports fédéraux. En effet, pour certains c’est une véritable
épreuve d’aller s’inscrire, faire des papiers. Nous avons
collaboré à la construction d’un partenariat avec un club
de tennis. Un de mes collègues a développé un
partenariat avec une salle d’escalade. Les patients étaient
très intéressés par cette possibilité quand ils étaient pris
en charge par notre institution. Je vous rappelle qu’un
de nos objectifs est d’encourager la pratique personnelle
durable, que la personne investisse une volonté de
pratique. Par exemple pour l’activité tennis pendant leur
hospitalisation, les patients vont pratiquer dans un club
extérieur. C’est l’éducateur du club de tennis qui
intervient, nous sommes bien sûr également impliqués.
Il est réellement difficile de prolonger cette pratique hors
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de notre prise en charge. Pourtant, les structures avec
lesquelles nous collaborions étaient très accueillantes.
Mais les patients souhaitent garder un lien avec nous.
Un patient souhaitait s’investir dans la pratique au sein
d’un club. Nous l’avons accompagné mais quand nous
avons laissé davantage la place au lien entre le club et le
patient, ce dernier s’est désinvesti de cette activité.
D’autres ont demandé via le Centre Médico
Psychologique un retour aux activités sportives de
l’hôpital de jour. Ils voulaient garder un lien avec nous.
- 127
Comment expliquez-vous ces conduites ?
Il y a plusieurs aspects : certains patients s’auto-
stigmatisent. Avant même d’avoir essayé, ils vont se dire :
« je ne suis pas capable ». Ils vont choisir de continuer les
activités physiques avec nous. Ils se considèrent davantage
en sécurité. Nous sommes très vigilants avec les personnes.
Nous travaillons sur la revalorisation, la reprise de la
confiance en soi. On encourage la personne. Une fois sortie
de ce contexte, dans un club ordinaire, elle se retrouve
confrontée aux autres personnes et à un niveau autre. Cela
peut être compliqué, même d’ailleurs dans un milieu
adapté. La logique de compétition et de comparaison aux
autres peut être compliquée pour certaines personnes :
celui qui en Sport Adapté est le meilleur du club mais se
trouve un des derniers lors d’une compétition. Il faut être
très vigilant sur ces aspects. Cela peut entraîner des doutes
et des baisses de confiance en soi.
Dernièrement, une expérience a été positive. Une
personne s’est inscrite à un club de tennis. Elle a souhaité
prolonger la participation à cette activité qu’on lui avait
proposée. Elle s’est achetée du matériel. C’est pour nous
une réussite même si notre rôle est assez effacé. On lui a
donné les clés, il les a utilisées. Cette personne est très
soutenue par sa famille. Les patients chroniques sont
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parfois isolés socialement ce qui complique leur
participation sociale. Le rôle de l’entourage peut être
central. De plus, les représentations des personnes
handicapées psychiques sont très négatives.

Quelles actions mettez-vous en place pour faire évoluer ces repré-


sentations ?
L’évolution des représentations passe par des actions de
sensibilisation. Dans le cadre de la Semaine
d’Information sur la Santé Mentale, nous organisons en
128 - partenariat avec le Centre Hospitalier Universitaire de
Nice et le Comité Départemental Sport Adapté des
Alpes Maritimes un évènement nommé « la
BiPsyclette ». Un parcours cycliste sera proposé sur la
Promenade des Anglais, des ateliers d’activités physiques
et sportives et des actions de sensibilisation au handicap
psychique seront également mis en place. Cette action
va permettre de présenter au grand public les activités
physiques comme médias positif pour la santé mentale
et physique au sein des structures sanitaires et sociales.
Nous espérons par ce type d’action faire évoluer les
regards.
Un jour : le sport adapté !
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Marie Christine Alibert1

En 2009, je passais devant la cathédrale Sainte Cécile


d’Albi, qui fait partie du Patrimoine mondial de
l’Unesco. Il y avait plusieurs petits chapiteaux blancs. J’y
étais passée en matinée avec une copine, en allant faire
du tennis. Comme on n’avait pas le temps de s’arrêter,
j’y suis retournée dans l’après-midi voir ce qu’étaient tous
ces chapiteaux. Il y avait du monde. Je découvre des
stands sur le handisport. C’était une découverte, un - 129

monde que je ne connaissais pas.


Je demande des renseignements sur la possibilité de
refaire du judo, avec mon handicap psychique et les
médicaments que je prenais déjà. Aucun de ces
chapiteaux ne me correspondait. Le handisport, était
pour les personnes qui avaient une déficience physique.
Moi, c’était un handicap psychique, arrivé après
plusieurs dépressions. Bref, je cherche parmi tous les
stands, et enfin isolé, ma dernière chance, le stand du
Sport Adapté, tenu par Olivier le Conseiller Technique
Fédéral et professeur de sport en Sport Adapté. Je lui
demande s’il savait où je pourrais faire du judo, avec la
maladie que j’avais. Il m’a donné l’adresse, le n° de
téléphone d’un club de judo.
1. Sportive du Sport Adapté, membre du Comité Départemental
Sport Adapté du Tarn.
Il a répondu à toutes mes questions avec patience et
calme. J’étais super heureuse. Avec ma maladie cela
faisait quatorze années que j’avais arrêté de donner des
cours de judo à des enfants. Mon handicap était trop
lourd pour donner des cours. J’étais ceinture noire et
aujourd’hui je suis ceinture noire 2e dan, j’ai le Brevet
d’État d’éducateur sportif 1er degré, option judo. Donc
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je revivais grâce à Olivier qui m’a donné la possibilité de
me remettre au judo, et de refaire de la compétition voire
de disputer un championnat de France, celui du Sport
Adapté. Je lui avais expliqué et c’est vrai, qu’adolescente
j’étais allée plusieurs fois à Paris, au Stade Pierre de
Coubertin, disputer les championnats de France de la
Fédération de judo. Je passais un tour, deux grand
maximum, mais je rêvais depuis toute petite de devenir
un jour championne de France.
Peut-être parce que mon papa dans sa jeunesse, avant
130 - même que j’existe, avait dans son garage un club de
judo : une bâche en caoutchouc verte que les copains
avaient délimité à la chaux pour la zone de sécurité. Le
professeur toulousain faisait soixante dix kilomètres aller
et retour en quatre chevaux, une petite voiture de
l’époque, pour leur donner un cours de judo par
semaine. J’ai vu sur une photo de famille, que mon papa,
adulte en plein combat portait une ceinture verte. Ma
passion du judo est venue je pense de là. Tout du moins
pour le début. Après c’était l’adrénaline de la
compétition.
Mais bref, Olivier m’avait donné à nouveau l’espoir de
refaire du judo et de la compétition, malgré mes
médicaments qui ralentissaient mes gestes. Motivée, j’ai
donc pris contact avec un club de judo. J’y suis allée en
bus au début, puis ensuite avec une copine trisomique
et son papa, qui m’ont amenée régulièrement au cours
que nous prenions ensemble. Pendant deux ans je me
suis entraînée avec enthousiasme avec ma copine
Claudine qui avait un bon niveau. Elle était presque
ceinture noire. J’ai renoué ainsi avec la technique judo,
les combats et la forme physique. Les jeunes qui
participaient au cours avec Valérie, professeur de judo,
se montraient très bienveillants à mon égard, le courant
passait entre nous tous. Nous avions le judo en commun
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et notre différence, le handicap ne me gênait pas, au
contraire, je n’étais plus seule dans mon coin. Je ne me
sentais pas à part, même si j’avais quelques années de
plus, ce n’était pas gênant, on s’est mutuellement
compris. Il y avait un feeling qui passait, le judo faisait
que renforcer cette empathie mutuelle.
Alors grâce à Valérie, j’ai découvert le monde des
compétitions de judo en Sport Adapté. On combattait
le week-end et on faisait pas mal de route dans un
minibus. Il y avait très souvent une bonne ambiance
entre l’éducatrice et les jeunes, puis en compétition, - 131
jamais de problème. Ainsi, le Sport Adapté et sa
Fédération, la Fédération Française de Sport Adapté,
m’ont ouvert les portes de la joie dans mon cœur. Je me
suis faite très vite des copains et copines, le contact entre
nous est simple, on se parle, et on est heureux enfin pour
moi, cela fait mon bonheur, car le sport a tenu très tôt
une grande place dans ma vie.
J’ai pu réaliser un rêve d’enfance : devenir Championne
de France de judo chez les filles en + 78 kg Senior. J’en
suis très heureuse. Depuis que je courais après ce titre,
toute mon adolescence, adulte juste avant mes
dépressions. Grâce au Sport Adapté qui prend en compte
notre pathologie, la maladie, nos capacités physiques et
mentales, c’est une grande chance et de grandes
rencontres pour le cœur, car j’ai découvert que mes
camarades plus « handicapés » que moi, ne l’étaient pas
sur l’essentiel, le cœur. Ils comprennent davantage de
choses que certaines personnes valides qui ont des
œillères à la place du cœur. Excusez mon langage un peu
abrupt mais c’est du vécu. Et je suis très heureuse de faire
partie du Sport Adapté pour cette richesse dans la
relation humaine.
Je viens de passer un diplôme de qualification fédérale,
l’AQSA (attestation de qualification en sport adapté
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option judo) que j’ai préparé en deux ans. Mes
camarades judokas, handicapés psychiques comme moi
et à qui j’ai donné des cours de judo, demandent
maintenant de continuer. Ils ont découvert cette
discipline sportive et ils veulent progresser. C’est un
projet à mener.
J’ai découvert une autre échelle de valeur dans cette
fédération sportive. Le sportif et non l’argent, est au
centre des préoccupations des dirigeants, bénévoles,
éducateurs spécialisés. On nous donne notre chance, « à
132 - chacun son défi », à chacun son plaisir, son objectif, son
désir de faire du loisir, de la compétition etc. C’est très
rare pour être souligné. La qualité des relations humaines
entre tous est formidable. Les dirigeants sont très
accessibles, enfin je me sens très à l’aise et j’ai pris
conscience de mon handicap, je dirais même que tous
les jours je découvre mes limites mais je ne suis pas dans
le déni, j’accepte puisqu’on m’aide à évoluer, à vivre
ensemble ce handicap. On ne me fusille pas du regard,
j’apprends à accepter mes limites et à m’aimer c’est tout.
C’est un tout. Car plus j’avance avec le Sport Adapté,
plus je m’aide. Je n’aurais jamais cru accepter de faire la
démarche de vivre en collectif, dans une résidence avec
douze personnes en situation de handicap, aidée par une
conseillère en économie et vie familiale.
Depuis j’ai internet, quand j’ai un truc qui ne marche
pas bien dans mon studio je fais appel à elle, et elle
m’aide à résoudre le problème. J’ai perdu volontairement
pour le bien de ma santé physique, une vingtaine de kilos
parce qu’elle m’aide à faire des menus équilibrés que je
cuisine ou qu’elle m’aide à cuisiner quand je ne connais
pas la recette.
C’est formidable ce que le Sport Adapté m’a fait
progresser par rapport à mon handicap. C’est une prise
de conscience et un travail d’équipe avec le milieu
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médical. Je veux avancer vers un mieux être avec moi-
même et les autres, grâce à la joie de la pratique du Sport
Adapté.
Je m’épanouis vraiment et ma vie a changé depuis ma
rencontre avec Olivier le CTF. Je suis membre du
Comité Directeur du Comité Départemental du Sport
Adapté en tant que sportive. C’est formidable, exigeant
mais c’est beau comme engagement !
Activités physiques et sportives en santé
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mentale communautaire : le point de
vue des usagers
Par Catherine Thevenon1

Introduction
L’intérêt pour les Activités Physiques et Sportives (APS)
est actuellement de plus en plus grand. Leur influence
sur la santé est largement reconnue par le public et les - 135
professionnels. La santé physique et mentale devient un
capital, dont la préservation est encouragée par des
considérations économiques : face aux coûts directs et
indirects de la maladie, la prévention s’impose. Ne pas,
ne plus tomber malade est préférable à guérir. Les soins,
principalement les médicaments, suscitent de plus en
plus de méfiance : les récentes affaires de dommages
causés aux patients, voire à leur descendance,
n’encouragent pas à leur consommation. En matière de
Santé Mentale, l’intérêt des seuls médicaments ou même
des psychothérapies est parfois réduit. Quelle molécule
proposer à Yvette 54 ans, violée à 4 ans par son père,
orpheline de mère à 7 ans, fille mère à 27 ans puis
victime de violences conjugales pendant 10 ans ?
Dépressive, alcoolique et suicidaire, elle est sur la liste

1. EPSM Lille Métropole Tourcoing(Nord).


des futurs licenciés d’une grande entreprise de Vente Par
Correspondance (VPC) promise à la reconversion…
Que proposer à Thierry 47 ans, schizophrène
dysthymique, sans famille ni travail, isolé dans une barre
de HLM où on le surnomme COTOREP ? Il revient
sans cesse à l’hôpital pour des violences sur lui-même ou
sur les autres. Quelles réponses pour Alain, 40 ans, « vrai
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bipolaire », qui se « shoote » avec ses réserves de
psychotropes chaque fois qu’un nouvel amour le lâche ?
Yvette, Thierry et Alain font partie de ces patients « sans
qualité » et pour lesquels l’hypothèse d’un « destin
funeste » est invoquée par eux et souvent aussi par les
équipes de santé mentale. Pourtant la croyance à un
avenir plus serein, à des moments de sérénité et de joie,
partagés avec les autres, est possible pour ces personnes.
Yvette, Thierry et Alain ont pu, même temporairement,
retrouver de l’espoir grâce aux APS proposées par les
136 - équipes de Santé Mentale des trois Centre d’Activités
Thérapeutiques à Temps Partiel (CATTP) des deux Pôles
de psychiatrie générale de l’EPSM Lille-Métropole
(Armentières-Tourcoing). Depuis 2000, en effet, les
interventions conjuguées de soignants formés aux APS,
des psychomotriciens, d’éducateurs sportifs FFSA et de
professeurs de sport vacataires proposent plus de 30
heures d’APS par semaine pour des petits groupes de 6
à 15 personnes. Le choix des activités est fait par les
personnes elles-mêmes, aidées par leurs infirmiers
référents. Les séances se déroulent principalement dans
les salles de sport de la ville de Tourcoing, grâce à l’appui
ancien et pérenne des élus (Office Municipal des Sports,
OMS) qui sont membres du Conseil Local de Santé
Mentale mis en place depuis 2011. La fréquentation des
APS dispensées en CATTP est en croissance continue
depuis 10 ans. Les personnes ont récemment été invitées
à donner leur opinion sur les activités, les animateurs, la
présence des soignants pendant les séances, les effets sur
leur santé en général, sur leurs troubles particuliers et
enfin sur la possibilité de poursuivre l’activité en ville
avec ou sans le support des équipes soignantes. Le recueil
de l’opinion des personnes a été proposé aux usagers des
APS en CATTP. Il s’agissait d’examiner si les attentes des
professionnels étaient en résonance avec le vécu des
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utilisateurs.
Il était en effet envisageable que, pour ces derniers, des
freins compliquent l’exercice des APS. L’absence totale
d’expérience sportive antérieure, l’inhibition liée à la
psychose et à la dépression, le vécu de stigmatisation
sociale, et aussi le marquage corporel infligé par les
traitements psychotropes (syndrome métabolique), les
abus d’alcool et de toxiques pouvaient en effet réduire
les bénéfices escomptés par les professionnels. Nous ne
savions donc pas au départ quel serait l’impact des APS
sur leurs destinataires, quels en seraient les effets et - 137
encore moins les prolongements en matière d’intégration
dans la communauté.

Méthode
Les renseignements ont été collectés auprès des
participants aux activités danse de salon, yoga, sports
collectifs, activités aquatiques, tennis de table,
badminton et musculation. Les personnes ont été
enquêtées pendant une semaine par leurs référents
infirmiers de façon informelle et non structurée mais
répondant aux questions suivantes :
– Pourquoi avez-vous commencé ?
– Comment vous sentez-vous dans le groupe ?
– Comment se passent les séances avec le professeur de
sport ?
– Pourquoi la présence de l’infirmier est-elle
importante ?
– Votre santé, vos symptômes ont-ils évolués ?
– Êtes-vous satisfait des conditions matérielles ?
– Seriez-vous prêt à poursuivre une activité sportive en
dehors du CATTP si vous étiez accompagnés ?
Ces témoignages, ni exhaustifs, ni exempts de biais
méthodologiques, ont le mérite de rendre compte du
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vécu de la plupart des personnes.

Résultats
Il apparaît que les appréciations sont homogènes : en
particulier, elles ne dépendent pas des pathologies ni du
type d’activité suivie. L’ensemble des personnes
interrogées a débuté l’activité suite à la suggestion d’une
infirmière ou d’un médecin. La quasi-totalité a apprécié
les exercices en petits groupes : « Je suis contente de venir
à chaque fois », « c’est sympa, je pense moins à mes soucis »,
138 - « je rencontre du monde », « j’attends avec impatience la
semaine suivante », « ça m’a aidé au démarrage ».
L’ensemble a une image positive du professeur de sport :
« il nous met à l’aise », « il est adorable », « il nous fait
rire », « il nous donne de bons conseils », « c’est nickel ».
La présence de l’infirmière est jugée importante : « elle
est là pour s’occuper de la personne en cas de problème »,
« s’il nous arrive un malaise ou autre chose, ça rassure »,
« elle adapte les exercices à ma condition physique », « c’est
un repère en cas de malaise par rapport à la maladie ou au
stress ».
Le retentissement sur la santé en général est plus nuancé
et concerne plutôt la sphère psychosociale : « Je prends
plus confiance en moi », « je suis plus ouverte », « je suis
moins persécuté » sont fréquemment retrouvés et résumés
globalement par : « Ça ne résout pas les problèmes, mais je
suis plus détendu après. » Certains participants ont
remarqué une « amélioration du souffle » et un « effet
transitoire sur le poids ».
Les symptômes de la maladie mentale sont quant à eux
peu modifiés par l’activité. Cependant, ils semblent ne
plus envahir la totalité du champ de conscience des
personnes et surtout ne plus les définir totalement. « Cela
me permet de penser à d’autres choses qu’à ma maladie »,
« diminution des voix car moins isolé. »
Tout se passe comme si l’expérience corporelle et
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groupale permettait aux personnes de sortir de
l’identification à une pathologie, du fait de la
reconnaissance de leurs compétences dans d’autres
domaines et ainsi d’accéder à une dimension citoyenne.
Les réponses à la question d’une possibilité de poursuite
de l’APS à l’extérieur sont à peu près unanimes : « Si
j’étais accompagné oui », « j’ai besoin d’être stimulé », « ça
m’aiderait à me sentir plus en confiance », « je ne suis pas
sûr de continuer si j’y allais seul », « ça rassure d’être avec
d’autres personnes que vous savez en difficulté aussi ».
La question du coût de ces activités en ville fait aussi - 139
partie des objections à y adhérer. D’après les soignants,
les personnes se sont parfois inquiétées craignant d’être
« lâchées » dans le monde extérieur. Ils signalent la
nécessité fréquente d’un accompagnement particulier
pour l’accroche au départ et aussi de la relance quand ils
désinvestissent. Finalement, le groupe CATTP semble
renvoyer la représentation d’une ambiance calme et
intimiste qui favorise la concentration sur une image du
corps stable dans un espace qui a fonction de par
excitation, pour des activités ne mettant pas en jeu la
notion de compétition.

Conclusion :
Cette enquête limitée dans ses ambitions et dans ses
moyens, a permis de valoriser les APS proposées en santé
mentale. Le lien que font les participants avec des
notions de bien-être et de vivre ensemble paraît
prépondérant et indépendant du cours de la maladie. La
reconnaissance des personnes dans leurs compétences
physiques et relationnelles leur permet de se soustraire,
même pour des temps courts, au vécu d’inutilité et de
stigmatisation qu’elles ressentent dans bien des moments
de leur existence. L’accès à la citoyenneté agit comme un
rempart au sentiment d’exclusion. La possibilité d’une
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intégration aux activités sportives extérieures ne peut
s’entendre que sous condition d’un accompagnement
qui devrait être réfléchi conjointement par les équipes
de santé mentale et celles des activités sportives de la
ville. Cette possibilité devrait pouvoir se concrétiser grâce
à l’appui et à la participation du Conseil Local de Santé
Mentale de la Ville Tourcoing.
Arthur, jeune champion autiste
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par Marc Bellitto1

Arthur est autiste et champion valide des Yvelines 2016 en


épreuve de durée et en relais 4x400m. Il pratique également
de nombreuses autres disciplines en Sport Adapté. Si
l’autisme a contribué à façonner son esprit et son corps
d’athlète, il constitue aussi un handicap très lourd au
quotidien, pour sa pratique sportive comme pour l’ensemble
de ses activités. Ce récit, qui débute aux Etats-Unis et se
poursuit en France, illustre de quelle manière la pratique - 141

sportive a accompagné Arthur dans ses phases de


développement, et a véritablement agi en complément des
thérapies scolaires, comportementales, et biomédicales. Le
projet sportif est même devenu, pour Arthur, synonyme
d’une chance supplémentaire d’intégration sociale.
Mots-clés : autisme, athlétisme, équitation, natation, taekwondo,
FFSA, sport adapté, champion des Yvelines, sport de haut niveau,
sport à l’école.

L’autisme a forgé chez Arthur un corps d’athlète et un mental de


guerrier
Depuis qu’il a appris à se tenir debout, à l’âge de 6 mois,
Arthur n’a cessé d’être en mouvement. Cela commence
par des flexions, lorsqu’il prend appui sur les meubles,

1. Père d'Arthur.
puis c’est au pas de course qu’il apprend à marcher. En
y réfléchissant bien, Arthur ne commence véritablement
à marcher qu’à l’âge de 7 ans, lorsque son syndrome de
Pandas2 et l’hyperactivité associée sont finalement mis
sous contrôle. Il peut alors enfin poser ses talons par
terre, et ralentir sensiblement le rythme frénétique
auquel il a mené sa vie jusqu’alors. Cette première
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victoire ne résout pas tout pour autant, et Arthur reste
un petit gars très dynamique, encore en proie à
d’importants autres troubles autistiques, et menacé à
tout moment d’une récidive de son syndrome Pandas1
(une simple angine suffit).
Mais toutes ces années passées à courir et sauter sans
répit, à subir les effets d’une hypertonicité permanente
(y compris durant son sommeil), et à se voir imposer des
régimes alimentaires très contraignants et très sains (sans
gluten, ni lait, et avec le minimum de sucres) ont permis
142 - à Arthur de se sculpter un corps d’athlète, musculeux et
dépourvu de graisse inutile. S’y on y ajoute son
explosivité, et surtout sa combativité sans limite, qui le
pousse sans cesse à se battre contre ses troubles et trouver
des stratégies de contournement, Arthur a tout d’un
grand compétiteur. Et au moment où, enfin, il
commence à converger vers un parcours scolaire plus
traditionnel et qu’il cherche à se faire sa place dans une
société qui ne lui fait (et ne lui fera) pas de cadeaux, le
sport de haut niveau pourrait bien lui donner cette rare
opportunité d’une intégration sociale et personnelle
réussie.

2. Acronyme anglais désignant des affections neuropsychiatriques


auto-immunes associées à une infection à streptocoques bêta-hémo-
lytiques du groupe A, survenant chez des enfants atteints de troubles
obsessionnels compulsifs (TOC) et/ou de tics (source : Orphanet)..
Le sport comme révélateur des premières étapes du développement
d’Arthur aux États-Unis
Rétrospectivement, l’activité physique et sportive a été
présente à chaque moment important du développement
d’Arthur. Aux États-Unis d’abord, dès que sa maîtresse,
Carly, a l’intuition du potentiel d’Arthur à surmonter ses
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troubles, elle se bat pour qu’il puisse se joindre
ponctuellement aux classes du cursus régulier, d’abord
en récréation, puis en cours d’éducation physique. La
réussite de cette expérience lui vaut d’être étendue
ensuite aux cours d’art, puis aux groupes de lecture.
Certes Arthur suit alors déjà un cours individuel de
natation, avec Paul, mais la motivation à l’origine est
sécuritaire et vise à contenir son envie irrépressible de se
jeter à l’eau lorsqu’il en voit (ce qui longtemps nous
incite à éviter les villes portuaires et les weekends à la
plage).
- 143
Après son septième anniversaire, lorsqu’il commence
enfin à s’intéresser aux autres enfants de son âge, c’est le
taekwondo qui permet à Arthur de s’intégrer pleinement
dans un groupe d’enfants neurotypiques3, et d’y exercer
exactement les mêmes activités qu’eux. Confronté pour
la première fois à des enfants ne présentant aucun
trouble du comportement, Arthur les observe
longuement et s’attache à en reproduire les moindres
faits et gestes. Au-delà des bienfaits pour sa motricité, de
l’amélioration de sa capacité à appliquer des consignes,
ou à analyser un mouvement, c’est surtout le
développement de ses aptitudes sociales et du contrôle
de ses comportements inadaptés qui étonne : il est plus
patient, apprend à attendre son tour (à condition que ce
ne soit pas trop long), et joue (un peu) avec les autres.

3. Terme créé par la communauté autistique pour qualifier les gens


qui ne sont pas atteints par des troubles du spectre autistique.
La dimension familiale autour de laquelle Mary Ann et
Mark ont développé leur académie de taekwondo y est
sans doute pour quelque chose. Pendant un an, Arthur
casse consciencieusement toutes ses planches, et il passe
ses trois premières ceintures au même rythme que ses
petits camarades. À chaque fois, il en retire beaucoup de
satisfaction et de plaisir, mais surtout une grande
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confiance et estime de soi.

Le retour en France et la fastidieuse recherche d’activités sportives


pour Arthur
Cette expérience réussie de taekwondo en milieu valide
est également une bonne préparation pour la transition
d’Arthur vers un cursus scolaire plus traditionnel. Cette
nouvelle étape très importante de son développement
intervient l’année suivante, lorsqu’Arthur doit rentrer en
France et quitter définitivement son programme scolaire
144 - américain pour enfants autistes. Après les mois passés à
chercher une école capable de scolariser Arthur en
Anglais, il me faut à nouveau conduire d’interminables
recherches et tractations pour lui trouver des activités
sportives à la hauteur de son besoin d’être en mouvement
et de se dépenser. Au grand désespoir d’Arthur, on doit
rapidement abandonner l’option taekwondo, car son
enseignement en France ne semble faire que peu ou pas
de place à l’encouragement de l’enfant, s’apparentant en
cela plutôt à un boot camp américain.
La recherche d’un club d’athlétisme se révèle également
très compliquée. Arthur ne supportant pas le contact de
l’eau sur ses vêtements, il faut appeler tous les présidents
de club de la région pour savoir si leur école d’athlétisme
dispose d’une salle d’entraînement et si, de surcroit, ils
peuvent prendre en charge un enfant autiste. S’en suit
une avalanche de refus, avec des justifications et
commentaires pas toujours très inspirés. C’est là
malheureusement le quotidien des parents d’enfants
autistes, et cela fait bien longtemps que j’ai laissé mon
amour propre au vestiaire. On se précipite donc avec
Arthur sur la seule association à ne pas avoir été rayée de
notre liste. Comme pour l’école, il n’en reste qu’une :
l’Union athlétique de Versailles. Mais c’est la bonne, et
c’est bien çà le plus important !
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Dans la foulée je découvre une autre perle rare :
l’association « D’un Corps à l’Autre », qui propose des
séances de natation et d’équitation en sports adaptés, et
ceci dans le même secteur géographique que l’athlétisme.
Soit à environ trente kilomètres de la maison. Mais avaler
les kilomètres (avec le coût que cela implique) pour
accéder au moindre service (ou faire ses achats) c’est, une
fois encore, le lot commun des familles touchées par
l’autisme. Sans compter que l’enfant étant rarement
autonome, les transports en commun ne sont pas une
option non plus. Alors on fait avec. Au contraire, je - 145
m’estime très heureux qu’Arthur ait pu être inscrit à ces
deux activités, car en l’espace d’une heure à peine après
l’ouverture des listes tous les créneaux horaires sont déjà
réservés. Le sport adapté demeure malheureusement un
luxe en France, et ceci même dans les régions les mieux
pourvues.

La découverte du Sport Adapté et de ses bienfaits pour Arthur


Le fait que les entraînements y soient individualisés et
réalisés par des professionnels du sport également formés
aux problématiques de l’autisme (et du handicap en
général) est un véritable confort. D’une part, il ne m’est
plus indispensable d’assister à l’entraînement de bout en
bout, et je peux donc profiter de ce temps pour discuter
avec d’autres parents confrontés aux mêmes problèmes
que moi, échanger des adresses, et surtout partager nos
connaissances en matière de thérapies et de traitements.
Surtout, l’enseignement y est beaucoup plus efficace, car
basé sur des méthodes pédagogiques éprouvées et des
trésors de patience. Du coup, Arthur progresse très
rapidement, et le risque de frustration (et avec lui
d’abandon de l’activité) est largement contenu.
Au bout de seulement 5 séances d’équitation adaptée
avec M. A., Arthur est déjà lancé au galop en voltige sur
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son poney, hilare de bonheur et totalement grisé par la
vitesse. En une saison, il maîtrise suffisamment sa
monture pour boucler un petit parcours d’obstacles assez
complet au trot, conduire une carriole en trot attelé,
préparer son cheval et marcher à ses côtés. Le constat est
le même en natation, ou après une saison passée en sport
adapté, il réussit son inclusion dans un groupe de nage
valide. Ceci grâce au travail acharné d’Emilie, qui est
parvenue très rapidement à lui faire mieux utiliser et
synchroniser son bras gauche en crawl, à lui apprendre
146 - la brasse, et même à lui enseigner le plongeon. Il faut
dire que depuis les jeux olympiques de Rio, Arthur est
fasciné par les vidéos de plongeon à 10 mètres, et il a
même décidé de battre le record du monde un jour !
D’une manière générale, son endurance et sa capacité à
récupérer en très peu de temps, permettent à Arthur
d’aligner les longueurs en bassin olympique sans trop se
fatiguer et, ce faisant, d’optimiser ses entraînements.

Des titres départementaux conquis en sport valide qui changent le


regard des autres et d’Arthur sur lui-même : entre résilience et re-
connaissance
Son entraîneur d’athlétisme, Romain, est celui qui le
premier a identifié cette incroyable capacité de
récupération d’Arthur, dont le rythme cardiaque revient
à la normale en moins de vingt secondes après un effort
prolongé. C’est un atout considérable, qui permet à
Arthur de rapidement décrocher un premier titre de
champion des Yvelines 2016 dans l’épreuve la plus
longue, celle dite de durée. Le mois suivant,
lorsqu’Arthur se voit confier le premier relais du 400
mètres dans la série la plus relevée du championnat des
Yvelines, c’est avec plus de dix secondes d’avance qu’il
transmet son témoin, assurant ainsi un nouveau titre
départemental à son équipe. Toutes ces victoires,
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conquises haut la main contre des athlètes valides,
changent définitivement le regard que les autres enfants
(et leurs parents) portent sur Arthur : on se réjouit
désormais d’avoir Arthur dans son équipe à
l’entraînement, on fait l’effort de lui parler en Anglais,
on se renseigne sur ses performances et on va aller voir
ses courses en compétition.
Même à l’école on affiche les photos de ses podiums, et
Arthur se voit offrir l’occasion de raconter ses exploits à
ses petits camarades de classe neurotypiques2. Il faut dire
que, non contents de réaliser tous les jours des exploits - 147
sur le plan éducatif, son maître d’école et son assistant,
Vlad et Josh, contribuent également à l’éducation
sportive d’Arthur, en travaillant sans relâche sur les
valeurs sportives et sociales (esprit d’équipe, acceptation
de la défaite), mais aussi en mobilisant leur patience et
leur pédagogie pour lui permettre de maîtriser enfin la
technique du saut en longueur. Finalement, toutes ces
performances et ces titres décrochés dans les catégories
valides ont une saveur particulière, et Arthur en retire
naturellement un supplément de confiance en soi, ainsi
que la volonté de désormais faire tout comme les autres.
Il est très fier, et l’exprime indirectement en faisant du
numéro 78 (l’indicatif des Yvelines) son numéro fétiche,
qu’il affiche partout à la maison. Il demande même à
changer les plaques d’immatriculation de la voiture, pour
y faire apparaître le bon département.
Des contraintes à la pratique sportive valide qui demeurent impor-
tantes pour Arthur
Pour autant, au-delà de ces satisfactions immédiates,
Arthur ne perçoit évidemment pas ces titres de la même
façon que nous et l’effet champion 78 n’est pas éternel.
Au bout de quelques mois, sa motivation s’est reportée
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sur un autre objectif : devenir chauffeur du RER A,
lorsqu’il sera grand. Ce nouvel objectif lui permet de
réaliser d’énormes progrès sur le plan comportemental -
et c’est bien là l’essentiel ! et ainsi de pouvoir désormais
évoluer sans AVS4 à l’école. Mais cela signifie aussi qu’il
peut, du jour au lendemain, se désintéresser de sa
pratique sportive, voire l’abandonner si la frustration
devient trop grande. Car, si inspirante soit-elle, la
pratique de l’athlétisme en milieu valide n’est pas sans
poser de problèmes. Outre ma présence permanente
pendant les entraînements, pour éviter qu’Arthur ne soit
148 -
victime d’exclusion ou de mauvais comportements
(avant les premières victoires), mais aussi pour informer
les entraîneurs et les aider à canaliser d’éventuels
comportements inadaptés de sa part, il me faut
également gérer ses nombreuses frustrations.
Celles, classiques, liées à la difficulté qu’a Arthur à
accepter la défaite et le fait qu’il ne peut pas tout gagner,
et qui deviennent synonyme de grosse crise et de départ
précipité du lieu de la compétition, même en cas de
seconde place. Celles, plus difficiles à admettre, qui sont
inhérentes à une pratique sportive peu soucieuse
d’intégration et où l’on impose, par exemple, des
disciplines comme le triple saut inaccessibles aux enfants
autistes car trop complexes sur le plan de la coordination
(et qui valent à Arthur de ne pas pouvoir participer aux
épreuves combinées), ou encore la retenue des candidats

4. Auxiliaire de Vie Scolaire.


de tête derrière une ligne mobile pendant la moitié du
parcours du championnat départemental de cross
(concept impossible à assimiler et gérer pour Arthur), ou
enfin la relégation d’Arthur en queue de peloton
(provoquant son découragement et son abandon) parce
qu’il sautille sur la ligne de départ d’un cross. Car
naturellement, le fait d’avoir des prédispositions dans
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certains domaines, ne gomme pas les nombreuses
contraintes liées à ses troubles qui le limitent dans
d’autres aspects de sa pratique sportive (motricité,
coordination, communication), et donc dans d’autres
disciplines sportives. Il s’y ajoute, enfin, le fait que les
écoles d’athlétisme sont confiées à de jeunes
volontaires, certes plein de bonne volonté et
d’humanité, mais non formés au handicap. Et si Arthur
a eu la chance de tomber sur un entraîneur aussi
flexible et compréhensif, du fait qu’il avait déjà une
expérience personnelle de l’autisme, il a bien failli le - 149
perdre lorsque celui-ci a dû déménager pour poursuivre
ses études. Comme souvent dans l’autisme, ces
arrangements dépendent en grande partie du facteur
chance, et ils n’en sont que plus fragiles et susceptibles
d’être remis en cause à tout moment.

L’opportunité, pour Arthur, d’une intégration sociale réussie autour


du projet sportif
Afin précisément d’éviter d’avoir à subir ce type d’aléa,
et surtout pour permettre à Arthur de mieux valoriser
son potentiel athlétique et, avec un peu de chance, de
bâtir un jour son avenir (y compris professionnel) autour
d’un projet sportif, la décision est finalement prise de le
faire basculer en sport adapté pour l’athlétisme aussi. Le
projet intervient alors qu’Arthur a été identifié par la
Fédération Française de Sport adapté (FFSA), à la suite
d’un reportage qui lui était consacré dans le journal
télévisé national de France 3 à l’occasion des Jeux
paralympiques de Rio. Des discussions sont en cours
avec la FFSA, pour voir comment permettre à Arthur de
se préparer au mieux aux prochains championnats de
France Sport Adapté Jeunes d’Aubagne. C’est une
nouvelle aventure qui commence pour lui, et Arthur
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aura à cœur de porter haut les couleurs du Sport Adapté
et de montrer, une fois encore, que sa pratique n’a rien à
envier au sport valide.
LECTURES…
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Aider les élèves atteints de trouble du
comportement à construire des appren-
tissages scolaires et professionnels
In Enseigner en ITEP. Tome 1, Geneviève Portevin-Serre (2008),
Champs social éditions :
http://www.champsocial.com/book-
enseigner_dans_un_itep_tome_1_2,915.html.

Par Juliette Audouard1


- 151

Cet ouvrage s’articule autour de deux grandes parties


composées respectivement de cinq et neuf sous-parties.
De nombreux documents sont annexés à la suite des 92
pages du corps de texte. Dans le préambule et
l’introduction, Geneviève Portevin-Serre, conseillère
pédagogique en adaptation scolaire et scolarisation des
élèves handicapés (ASH) et formatrice à l’IUFM parle
de son vécu d’accompagnante auprès d’enseignants
débutants en Institut Thérapeutique Educatif et
Pédagogique (ITEP). Elle témoigne des difficultés
qu’éprouvent ces professionnels à enseigner en ITEP. Son
1. Univ. Artois, Univ. Lille, Univ. Littoral Côte d’Opale, SHERPAS,
EA 7369, Unité́ de Recherche Pluridisciplinaire Sport Santé Société
(URePSSS), F-62800 Liévin, France.
I.T.E.P Jean Ferrat, Liévin.
julietteaudouard@gmail.com
terrain se situe sur deux ITEP d’Indre et Loire : « Les
Fioretti » de Richelieu et « La Paternelle Village des
jeunes » de Mettray.
L’auteur a trois objectifs : mettre à jour les difficultés
institutionnelles inhérentes aux ITEP quant aux
résistances des enseignants ; apporter une analyse des
pratiques pédagogiques observées, à partir de laquelle un
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éclairage sur les objectifs liés aux problèmes du
comportement est proposé et enfin fournir des pistes
pédagogiques d’après ses observations et sa pratique.
Geneviève Portevin-Serre témoigne de ses premières
impressions : la déstabilisation du fonctionnement de
l’établissement, l’ambiance empreinte de violence et
d’agressivité physique et verbale.
En prenant comme mètre étalon les enfants d’Institut
Médico Educatif (IME), l’auteur essaye de définir les
caractéristiques des enfants accueillis en ITEP. Ils ne
152 - présentent pas de déficit cognitif, leurs capacités
d’apprentissages sont préservées, l’estime de soi est
affaiblie et ils « résistent au cadre imposé par les
apprentissages scolaires » (p. 8).
L’intelligence que présentent ces enfants leur permet de
comprendre les rejets de la part des autres. Mais ces
enfants ne savent pas comment s’en sortir. Toute leur
scolarité précédant l’entrée à l’ITEP n’a été que rejet des
autres, adultes comme enfants. Les enseignants, ne
connaissant pas ces troubles, se trouvent impuissants
dans la gestion des comportements violents. Il est
nécessaire que l’enfant ayant des troubles du
comportement soit accueilli au sein d’un ITEP offrant
le « mur protecteur » (p. 11). Au sein de cet établissement,
les adultes doivent faire preuve de patience et d’attention.
Les enseignants doivent mener un projet de classe
contractualisé avec chaque élève, en faire le bilan dès que
possible et prendre en compte les phases de régressions.
Les pratiques pédagogiques ne doivent pas être de l’ordre
d’une pédagogie frontale mais d’une pédagogie active.
Afin que le lien entre chaque élève et l’enseignant soit
suffisamment bon, il est nécessaire pour les
professionnels de comprendre les troubles du
comportement.
Pour cela, l’auteur opte pour des citations à partir
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d’ouvrages d’un pédopsychiatre Jean-Pierre Visier et d’un
mémoire de l’Ecole nationale de santé publique rédigé
par Géraldine Mayet. Rapidement, y sont mentionnés
les troubles selon l’éclairage de la psychiatrie et les
conditions d’accès à un Institut de Rééducation (IR)
ancêtre de l’ITEP selon les critères de la Direction
Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales (DRASS) de
Bretagne datant de 1998. S’en suit la référence aux notes
de Daniel Calin, professeur agrégé en philosophie et
formateur à l’IUFM collège ASH, à propos l’application
de la loi de 2005. L’ITEP doit être un endroit pour se - 153
reconstruire. Un endroit contenant et conteneur.
Geneviève Portevin-Serre compare l’ITEP à une
enveloppe contenante jusqu’à le comparer au « moi
peau » de Anzieu. Ce doit être un espace transitionnel
où la pluridisciplinarité est formatrice, avec des locaux
adaptés au public et des temps ritualisés, une fermeté
tranquille en sorte. Les apprentissages scolaires doivent
être cohérents et garants d’une fiabilité.
L’élève doit être au cœur du dispositif présentant lui-
même une plasticité nécessaire au bon accompagnement.
La classe doit être le lieu de la valorisation des savoirs,
de l’expérimentation pédagogique, même si elle est
souvent mise à mal. Dans cet ouvrage, les élèves dont
parle l’auteur sont ceux qui ne parviennent pas à
retrouver le milieu scolaire ordinaire sous forme
d’inclusion. Concernant les apprentissages, l’auteur
dénonce le règne de « l’immobilisme en matière de
pédagogie ». Elle explique cela par trois raisons.
La première est la confrontation des enseignants à
l’instabilité des acquis des élèves en ITEP. La deuxième
est relative aux supports d’apprentissages proposés. Il ne
suffit pas de donner des exercices d’application pour
acheter la paix sociale. L’enjeu est de pouvoir mettre en
évidence les contenus et les compétences travaillés à cet
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effet et établir une progression pédagogique adaptée avec
l’aide des observations quotidiennes est indispensable
pour construire le projet pédagogique personnalisé. La
troisième est l’application en classe des élèves. Des élèves
âgés de 7 à 9 ans montrent des difficultés à entrer en
classe et dans les transitions.
Le premier travail des enseignants en ITEP est
d’aménager la classe, de résister et de persévérer pour
maintenir le cadre. Le deuxième est de proposer des
activités afin de repérer les points d’appui des élèves, ce
154 - qui les intéresse et ce qui les fait fuir et d’utiliser la
pédagogie du détour. Pour les élèves de 7 à 9 ans, pour
Geneviève Portevin-Serre, la priorité est à l’apprentissage
de la lecture et à l’entrée dans l’écrit. Pour y arriver, il est
primordial de se baser sur les trois stades de Bruner : la
manipulation, le mode iconique et le mode symbolique.
Le reste du livre présente les différents projets menés par
l’auteur dans des classes de profil ITEP annexées à un
Centre Médico-Psycho-Pédagogique (CMPP) en
collaboration avec les enseignants. Le but de ces projets
visait l’entrée dans l’écrit. Chaque séance y est détaillée :
comportements et réponses des élèves.
Cet ouvrage fait partie des quelques livres que l’on trouve
sur l’enseignement en ITEP. Geneviève Portevin-Serre
semble toucher du doigt l’interdisciplinarité qui est la
caractéristique même du travail en ITEP. Elle y déplore
une place insuffisante selon elle de l’enseignement. Elle
déplore les activités éducatives et notamment le sport sur
les temps d’après-midi. Pourtant, la pratique sportive au
sein d’un ITEP peut mettre en réussite un enfant.
Lorsqu’un élève réussit une tâche sportive, il utilise une
procédure mentale qui est explicitée par l’éducateur
sportif. Parvenir à être, grâce à cela, permet à l’enfant de
reprendre confiance en lui. L’accompagnement
pluridisciplinaire réside dans le fait que ce professionnel
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de l’éducation pourra apporter un regard neuf et porteur
sur cet enfant et donner d’autres pistes aux collègues
thérapeutes, éducateurs et pédagogues. C’est ensemble,
dans chaque moment avec l’enfant, dans
l’accompagnement avec l’enfant que l’on fait soin, en
classe comme dans la salle de sport.
IMAGES DU SPORT ADAPTE
***
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Diego, artiste lausannois, dessinateur,
danseur, et ancien nageur de compétition
Par Francis Mobio1

Diego est né à Lausanne, en Suisse, en 1963. Quelques mois


après sa naissance, il est victime d’un arrêt cardiaque, dont
il garde des séquelles. Après une - 157
année d’école classique, il
rejoint une école spécialisée où
il demeure durant onze ans. À
dix-huit ans, il bénéficie d’un
programme d’intégration
professionnelle en gypserie
(décoration d’intérieur moulée
et sculptée en gypse – dite
« pierre à plâtre »). Il quitte
alors le foyer familial pour
suivre les trois années de
Portrait de Diego. formation. Le soir, il se met à
Photo : Francis Mobio. dessiner. Diego a également
pratiqué la course à pied et la natation durant plus de 20
ans dans l’association sportive Fairplay de Lausanne,
1. Chargé de cours en anthropologie visuelle, Laboratoire d'Anthro-
pologie Culturelle et Sociale, Université de Lausanne,
Francis.mobio@unil.ch
pratiques sportives dont ses tableaux gardent des traces
persistantes : l’on y reconnait souvent des piscines, modules
géométriques colorés en bleu et traversés par les lignes d’eau
rouges et blanches qui délimitent les couloirs de nage.
Diego a aujourd’hui 52 ans, il vit à Lausanne et travaille
dans un atelier protégé de la Fondation Polyval. Il consacre
désormais son temps libre au dessin et à la danse country. Il
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a été récemment exposé au Musée de l’Art Brut de
Lausanne.

« Diego : des lignes, des couleurs »


« Diego : des lignes, des couleurs » n’est pas seulement
un film vidéo ni un portrait de 11 minutes réalisé sur un
artiste Lausannois. C’est en fait une rencontre, une
collaboration, un projet artistique et une somme
d’enchaînements logiques ou liés au hasard et aux
accidents de l’existence. Pour l’ethno-vidéographe que je
158 - suis, ce film fait partie d’un processus qui m’a permis
d’actualiser un idéel ethnographique. En effet, pour les
protagonistes du projet, et plus particulièrement pour
Diego et moi-même, ce fut l’occasion de partager, de
nous enrichir de nos parcours respectifs et de réaliser un
projet commun avant que chacun reprenne sa route
jusqu’au prochain croisement amical, jusqu’aux
prochaines bifurcations de nos vies.
En ce qui concerne l’histoire de notre rencontre, je
pourrais la résumer ainsi : je venais d’emménager dans
un nouvel appartement à quelques mètres de mon
ancien logement situé dans le même complexe
d’immeubles du centre-ville de Lausanne. Désormais,
Nelly était devenue ma voisine de palier. Je l’avais
rencontrée 8 ans plus tôt dans la buanderie commune
utilisée par la majeure partie des habitants du bloc. À
mon arrivée, elle m’avait alors expliqué patiemment le
fonctionnement des machines à laver. Durant les années
qui ont suivi, les entrées de nos immeubles respectifs
n’étant pas dans la même rue, je n’ai que très rarement
croisé Nelly et Diego, son fils. J’avais de cet homme une
idée assez vague. Je le trouvais quelque peu énigmatique
dans ses tenues flamboyantes de cowboy texan. Je me
contentais alors de penser qu’il était peut-être timide ou,
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tout simplement, peu enclin au bavardage. Je me
souviens en revanche qu’il était très courtois.
Ce rapprochement géographique favorisera les
rencontres et me donnera l’occasion de saisir un peu
mieux la personnalité de mon voisin. Très vite Nelly m’a
informé des circonstances de l’accident cardiaque qui a
affecté durablement une partie des capacités mentales de
Diego alors qu’il n’était qu’un nourrisson. Mais quand
cette femme dynamique au caractère bien trempé m’a
dit que le studio dans lequel vivait son fils était aussi un
atelier où il passait de nombreuses heures à dessiner, mon - 159
imagination et ma curiosité furent brusquement
sollicitées. Quelques semaines auparavant, j’étais en
tournage à Cuba et une rencontre fortuite dans un
restaurant de la vieille Havane a été l’occasion de discuter
avec une des conservatrices de la Collection de l’Art Brut
de Lausanne, de passage elle aussi dans la capitale
cubaine. À cette occasion, elle raconta comment elle et
ses amis avaient « découvert » un artiste-poète au détour
d’une rue de Trinidad. Le récit magique de cette
rencontre improbable est certainement une des raisons
pour lesquelles je me plaisais à penser, plus ou moins
naïvement, que j’allais moi aussi « découvrir » d’emblée
un artiste génial au talent brut. Il fallait en avoir le cœur
net. Un rendez-vous sera pris.
Le mardi après-midi Diego ne travaille pas. Je sonne, il
m’ouvre la porte, je remarque ses magnifiques santiags,
je ne savais pas encore qu’il dansait une fois par semaine
sur de la musique country. Les murs de l’entrée sont
garnis d’horloges et de coucous suisses, il collectionne
aussi les montres. Nous voici dans la chambre-atelier.
Des photos, des médailles et des coupes sportives, une
table à dessin sur laquelle est posée une pile de feuilles
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grand format.
De part et d’autre, sur cette pile de papier de fort
grammage, des feutres de toutes les couleurs, une règle,
deux ou trois porte-mines. Je m’approche. Le dessin du
dessus est en cours, il occulte les autres mais je
comprends tout de suite, émerveillé par ce que je vois,
que son travail est extraordinaire. Mon imagination est
largement récompensée. Ce travail est hors normes. Les
lignes (« les montants ») et les couleurs (« la décoration »)
représentent des chantiers avec leurs grues et leurs
160 - camions, des chalets, des magasins, des parkings, des
piscines, etc. patiemment « montés », lignes après lignes,
par cet artiste architecte.
Je ne suis pas un expert mais il était clair pour moi que
ce travail devait être montré et qu’il pouvait susciter
l’intérêt de la Collection de l’Art Brut2. Ce fut le cas,
d’ailleurs, puisque huit de ses œuvres furent exposées lors
de la biennale intitulée « Architectures » quelques mois
après notre premier rendez-vous. Diego et Nelly feront
également une donation d’une vingtaine de dessins à ce
haut lieu dédié aux artistes affranchis de l’histoire de l’art
et de la critique.
En tant que réalisateur de documents audiovisuels
intéressé par des questions tournant autour de la

2. Le terme « Art Brut » a été inventé par le peintre Jean Dubuffet


en 1945. Il définit ce mouvement comme une « opération artistique
toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par
son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions ».
rencontre ethnographique, du sensible et du rapport
entre art et anthropologie, je ne pouvais pas laisser passer
l’occasion de fabriquer un film avec Diego. Nous nous
sommes mis d’accord sur le principe et avons opté pour
un format court qui donnerait la possibilité au visiteur
de l’exposition de connaître certains aspects de sa
biographie. Nous avons décidé d’y évoquer notamment
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ses « hobbies », comme il les appelle lui-même : la
natation, la danse country et le dessin3.

Tableau avec piscine, de Diego.

- 161

Photo : Francis Mobio.

3. Avec son accord, le film « Diego : des lignes, des couleurs » a été
diffusé lors de la biennale Architectures de la Collection de l’Art
Brut Lausanne (curatrice : Pascale Marini), du 13 novembre 2015
au 17 avril 2016.
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Dépôt légal : janvier 2017

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