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ESCUELA DE Maestría de Derecho

POSGRADO Civil

PONTIFICIA UNIVERSIDAD CATOLICA DEL PERU


ESCUELA DE GRADUADOS
MAESTRÍA EN DERECHO CIVIL
Sistema de Situaciones y Relaciones Jurídicas

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Docente: José Gabriel Semestre 2017-I
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Revue “Recueil Dalloz”, París, 2014, pp. 1476 y ss.

Les moteurs de recherche, maîtres ou esclaves du


droit à l'oubli numérique ?
(Acte I : Le moteur, facilitateur d'accès, agrégateur d'informations et responsable de
traitement autonome)

Valérie-Laure BENABOU, Professeur à l'Université de Versailles-Saint-Quentin, DANTE,


Co-directrice du Master 2 « Droit des NTIC »

Judith ROCHFELD, Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne, Université Panthéon-


Sorbonne (Paris 1), IRJS, Directrice du Master 2 « Droit du commerce électronique et de
l'économie numérique »

1. Attention, arrêt spectaculaire ! La décision « Google » du 13 mai 2014 est de


celles qui ont suscité une curiosité aussi universelle qu'immédiate. Partout, de
Paris à New York, de Barcelone à Londres, les belles feuilles de la presse ne
bruissaient que de cette information extraordinaire : la téméraire Cour de justice
de l'Union européenne (CJUE) donnait des leçons de droit européen de protection
des données personnelles au géant américain du web, en l'obligeant à mettre en
place un mécanisme de « droit à l'oubli numérique » au profit des personnes
désireuses de faire disparaître les traces de leur vie personnelle de la tête des
résultats du moteur de recherche. Précisément, l'affaire qui a initié la décision
polémique opposait M. Costeja Gonzales à Google Spain, filiale espagnole du
célèbre service planétaire. Ce dernier enrageait, en effet, de constater qu'il était
proposé aux internautes provoquant une recherche sur son nom des liens vers
deux pages du site du célèbre quotidien La Vanguardia : celles-ci relataient sa
désagréable mésaventure de mise aux enchères de certains de ses biens, après
saisie pour non-paiement de dettes de sécurité sociale. Il est nécessaire de
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préciser que ces faits remontaient à 1998, alors que les recherches en question
avaient lieu en 2010..., à une date, donc, où ces dettes avaient été entièrement
acquittées depuis longtemps. M. Costeja Gonzales demandait en conséquence à
l'éditeur de La Vanguardia de supprimer ou de modifier lesdites pages afin que
ses données personnelles n'y apparaissent plus. A tout le moins, arguait-il, il
faudrait le contraindre à utiliser certains des outils fournis par les moteurs de
recherche pour exclure l'indexation des pages concernées (1). En parallèle, il
requit que Google Spain et Google Inc. suppriment ou occultent ses données
personnelles des résultats de recherche. L'autorité de protection des données
espagnole (AEPD) rejeta la réclamation contre La Vanguardia, estimant que la
publication des informations en cause avait été légalement justifiée (elle avait
été ordonnée par le ministère du travail). Elle ne fut toutefois pas aussi clémente
à l'égard de Google (Spain et Inc.) estimant que, indépendamment du maintien
des données sur le site source, les exploitants de moteurs de recherche réalisent
des traitements de données et peuvent être qualifiés de responsables de
traitement ; qu'ils doivent endosser les obligations qui en découlent soit, en
l'espèce, assurer le retrait des données litigieuses et interdire leur accès lorsque
leur localisation et leur diffusion sont susceptibles de porter atteinte au droit
fondamental de protection des données et à la dignité des personnes au sens
large. Il faut remarquer que l'autorité espagnole précise que ce retrait peut être
prononcé sur le fondement de la simple volonté de la personne intéressée et
quand bien même les données ne seraient pas effacées du site « source ».

2. On s'en doute, Google n'a pas goûté l'injonction et a attaqué la décision ainsi
que M. Costeja Gonzales devant la « Cour nationale ». Eu égard à l'importance
des enjeux, celle-ci a posé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE, pour
interprétation de la directive n° 95/46/CE applicable à la cause (2), ainsi que
des articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union protégeant
les droits au respect de la vie privée et des données personnelles (3). En
premier lieu, figuraient celles, centrales, des qualifications de l'activité du moteur
de recherche - « consistant à trouver des informations publiées ou placées sur
internet par des tiers, à les indexer de manière automatique, à les stocker
temporairement et, enfin, à les mettre à la disposition des internautes selon un
ordre de préférence donné » - et de son exploitant : procède-t-il à un «
traitement de données » ? En est-il un « responsable » au sens de la législation
concernée ? La Cour répond positivement à ces deux interrogations, ce qui
entraîne vers une troisième : l'exploitant du moteur peut-il être tenu de la mise
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en oeuvre d'un « droit à l'oubli » ? Oui, répond de nouveau la Cour : à l'égard


d'informations, même exactes, qui seraient « inadéquates, non pertinentes ou
excessives au regard des finalités du traitement », et après avoir opéré une
balance des intérêts en présence, il est possible d'enjoindre à l'exploitant du
moteur de recherche de retirer de la liste de ses résultats des informations
litigieuses. Saisie, enfin, de la localisation de l'activité en question, la juridiction
attrait spectaculairement Google dans les filets de la législation européenne...
attaquant de front sa stratégie de contournement législatif et fiscal. Le tout sur
fond d'émoi planétaire et d'intense lobbying relativement à la proposition de
règlement européen censée réformer prochainement la matière (4). Les
conséquences immédiates et concrètes furent, il est vrai, diluviennes : on a parlé
de 12 000 requêtes en retrait présentées dès la première journée et de 40 000 à
la mi-juin ; on a vu Google mettre en ligne un formulaire de retrait à destination
des seuls internautes européens. On perçoit d'ailleurs la difficulté que représente
cette mise en oeuvre, et l'on peut légitimement s'inquiéter des barrières
considérables mises par là à l'entrée sur le marché d'éventuels concurrents
moins puissants. Pour autant, la décision fait date, que ce soit à l'égard de la
reconnaissance du droit à l'oubli - qui fera l'objet du commentaire jumeau (5) -
ou de la qualification des moteurs de recherche en tant que responsables de
traitement de données à caractère personnel (I) et, surtout, de responsables
autonomes (II).

I - Le moteur de recherche : un responsable de traitement


3. La Cour reconnaît que l'activité du moteur de recherche équivaut à un
traitement de données alors qu'elle ne modifie en rien les informations saisies
dans les listes de résultats (A). Elle en rend responsable l'exploitant, estimant
par là qu'il maîtrise les moyens du traitement et en détermine les finalités (B).

A - Le moteur réalise un traitement de données à caractère personnel

4. Abordant le travail de qualification, la Cour n'éprouve aucune difficulté à


apposer la première, à savoir celle de donnée à caractère personnel : l'article 2,
a), de la directive n° 95/46/CE la saisit comme « toute information concernant
une personne physique identifiée ou identifiable » et répute « identifiable une
personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par
référence à un numéro d'identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques,
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propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique,


culturelle ou sociale » (la loi française « Informatique et Libertés » livrait déjà
une définition semblable, à quelques différences près (6) ; la proposition de
règlement poursuit en ce sens (7)). Cette qualification n'était d'ailleurs pas
contestée en l'espèce, les noms et prénoms de M. Costeja Gonzales apparaissant
dans les articles en cause. Plus largement, les moteurs de recherche
appréhendent et donnent à voir, dans les résultats de recherche, des noms,
prénoms, adresses électroniques, numéros de téléphone, etc., tous éléments qui
entrent dans la qualification de données à caractère personnel. Sur le fondement
de ce constat, la Cour peut alors envisager que le moteur en assure un
traitement. La définition de cette notion est, en effet, tout aussi accueillante,
voire tentaculaire (8). Le traitement se définit ainsi comme « toute opération ou
ensemble d'opérations effectuées ou non à l'aide de procédés automatisés et
appliquées à des données à caractère personnel, telles que la collecte,
l'enregistrement, l'organisation, la conservation, l'adaptation ou la modification,
l'extraction, la consultation, l'utilisation, la communication par transmission,
diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou
l'interconnexion, ainsi que le verrouillage, l'effacement ou la destruction » (9).
Or, pour la Cour, « en explorant de manière automatisée, constante et
systématique internet à la recherche des informations qui y sont publiées,
l'exploitant d'un moteur de recherche "collecte" de telles données qu'il "extrait",
"enregistre" et "organise" par la suite dans le cadre de ses programmes
d'indexation, "conserve" sur ses serveurs et, le cas échéant, "communique à" et
"met à disposition de" ses utilisateurs sous forme de listes des résultats de leurs
recherches »... toutes activités, donc, qui entrent dans la définition mentionnée
(10).

De cette première étape, conforme au droit applicable et appliqué, il faut donc


retenir, d'une part, que le fait d'extraire, de collecter, d'enregistrer et d'organiser
des données constitue un traitement et que cette notion n'exige aucune
modification du matériau que composent les données ; d'autre part, que les
actions de « traitement » réalisées par l'exploitant d'un moteur de recherche
diffèrent de celles menées, sur les mêmes informations, par le site source (11).

B - Le moteur est reconnu responsable de traitement de données à


caractère personnel
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5. Les difficultés commençaient véritablement avec la troisième qualification :


celle de responsable de traitement. Précisons que l'article 2, d), de la directive n°
95/46/CE saisit ce dernier comme « la personne physique ou morale, l'autorité
publique, le service ou tout autre organisme qui, seul ou conjointement avec
d'autres, détermine les finalités et les moyens du traitement de données à
caractère personnel » (12) : l'exploitant du moteur de recherche détermine-t-il
les finalités et les moyens du traitement ? Deux thèses s'affrontaient ici, ce qui
ne peut étonner tant elles animaient déjà les instances européennes (13) aussi
bien que françaises (14). En l'occurrence, elles étaient bien représentées par les
conclusions de l'avocat général (15), d'un côté, et par la décision de la CJUE, de
l'autre.

Le premier penchait pour une réponse négative : on n'est pas « responsable »


lorsque l'on n'a pas conscience de traiter des données à caractère personnel, ou,
plus exactement, que la présence de ces données lors du traitement se fait «
involontaire », « inconsciente », « aléatoire » (16). Cette absence de «
conscience » découlerait de quatre critères : la localisation d'informations
publiées ou placées sur internet par des tiers ; leur indexation automatique ; leur
stockage temporaire ; leur mise à disposition aux internautes selon un ordre de
préférence donné (17). Pour être responsable, en conséquence, il faudrait
rechercher, ou au moins pouvoir repérer, « l'existence d'une certaine catégorie
définie d'informations correspondant à des données à caractère personnel » et
les traiter « en étant animé de quelque intention en rapport avec leur traitement
en tant que données à caractère personnel » (18). La « responsabilité »
pourrait ainsi être réintroduite dans les hypothèses où le moteur de recherche
aurait la possibilité de se rendre précisément conscient de traiter de telles
données, par exemple par l'activation de fonctionnalités spécialement
programmées pour détecter la forme de certaines d'entre elles (on peut
concevoir l'algorithme d'un moteur pour reconnaître un numéro de sécurité
sociale ou la succession d'un nom et de prénoms) (19). Il faut bien noter que,
sur ce raisonnement, pesait l'ombre puissante du régime de responsabilité
atténuée des intermédiaires techniques : l'article 14 de la directive n°
2000/31/CE du 8 juin 2000 prévoit leur irresponsabilité s'ils n'ont « pas
effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicites » ou, dès le
moment où ils ont « de telles connaissances », ils agissent « promptement pour
retirer les informations ou rendre l'accès à celles-ci impossible » (20).
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Le Groupe « Article 29 », quant à lui, avait déjà ouvert une autre voie,
distinguant selon que le moteur de recherche tenait ou non une place
d'intermédiaire : il doit être reconnu responsable de traitement quand il collecte
les données de ses utilisateurs à dessein (collecte consciente d'adresses IP ou
d'historiques de recherche notamment) ; il ne doit pas l'être à titre principal, en
général et dans les autres cas, sauf à démontrer l'existence « d'une mémoire
cache à long terme ou des opérations à valeur ajoutée effectuées sur les
données à caractère personnel (comme l'établissement de profils de personnes
physiques) » (21). C'est cette voie que la Cour suit ici : l'exploitant du moteur
de recherche définit bien, par l'algorithme qu'il met en place et par ses créations
et organisations d'hyperliens, les moyens et finalités du traitement (22). La
conclusion est donc tombée, et c'est elle qui, entre autres, provoqua l'onde de
choc rappelée. Elle n'a pas de quoi dérouter, pourtant, certaines juridictions
nationales l'ayant retenue depuis quelques années (23). Elle repose, en outre et
à n'en pas douter, sur une interprétation téléologique respectable : pour la Cour,
la protection reconnue par la directive serait vidée de sa substance si on en
écartait ce pan énorme de l'activité numérique (24) ; or cette mise à l'écart ne
peut se justifier si on procède, comme la juridiction européenne, à une activation
spectaculaire, initiée en parallèle à l'égard des pouvoirs publics le 8 avril 2014
(25), de l'article 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, adossé à
l'article 7. La protection effective du droit fondamental au respect de ses
données réclamait donc cette conclusion. Mais il faut aller plus loin et montrer en
quoi, à notre sens, la décision s'assoit sur une analyse juste des termes de «
moyens » et de « finalités » de la directive, au regard de la réalité de l'activité
des moteurs de recherche.

II - Le moteur de recherche : un responsable de traitement autonome


6. Ce qui frappe, en effet, dans l'arrêt commenté tient en la distinction qu'opère
nettement la Cour entre le traitement effectué par le moteur de recherche et
celui réalisé par l'éditeur des pages sources : le premier se trouve saisi dans son
rôle direct, à savoir non comme un intermédiaire ou un messager, mais comme
un acteur à part entière d'un traitement. Ce faisant, la juridiction européenne
reconnaît la double fonction singulière et autonome du moteur de recherche,
devenue essentielle dans un contexte d'« infobésité » (A). Cette autonomie
explique que la juridiction ne se place pas dans une articulation de la solution
avec le régime des intermédiaires techniques, posé par la directive n°
2000/31/CE (B).
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A - La reconnaissance des fonctions autonomes du moteur de recherche

7. Quant à l'autonomie des fonctions du moteur de recherche, il faut bien relever


que, d'une part, il facilite l'accès à l'information pour l'utilisateur. La Cour le
reconnaît officiellement quand elle énonce que l'activité des moteurs de
recherche joue « un rôle décisif dans la diffusion globale desdites données en ce
qu'elle rend celles-ci accessibles à tout internaute effectuant une recherche à
partir du nom de la personne concernée, y compris aux internautes qui,
autrement, n'auraient pas trouvé la page web sur laquelle ces mêmes données
sont publiées » (26), ou encore que le but poursuivi est « de faciliter » aux
utilisateurs l'accès aux informations publiées sur internet (27). Mais, d'autre
part, le moteur amplifie la visibilité des données. Dans ce rôle d'amplification, il
change véritablement l'information : à la suite de la requête de l'internaute, le
moteur de recherche offre, au fil de sa liste de résultats (composée de la
formulation de liens, d'extraits des sites de destination repris sous les liens
cliquables, de légendes sous des vignettes photographiques, etc.), un « aperçu
structuré » des données d'une personne à partir de laquelle le requérant pourra
établir un profil plus ou moins détaillé de l'individu concerné. L'information
présente sur la page de résultats permet donc à l'internaute de reconstituer une
somme de renseignements agrégés et hiérarchisés qui contribuent à créer une
représentation particulière de l'identité numérique de la personne à laquelle il
s'intéresse, cela indépendamment de l'activation effective des liens proposés. La
juxtaposition des informations qui composent les résultats de recherche et le
profilage qu'elle réalise recontextualisent les données de telle manière que se
dégage un traitement autonome, la puissance de ces rapprochements conférant
à l'agrégation de données à caractère personnel une potentialité de révélation de
la personne bien plus grande que la navigation laborieuse au sein des différents
sites sources. Ce que dévoile le moteur sur ses propres pages est ainsi sans
commune mesure avec ce qui se dégage, de manière disséminée, sur les pages
des sites répertoriés.

8. Or cette amplification influe sur la puissance de l'écho renvoyé sur la vie


privée de la personne concernée : il se trouve décuplé par rapport à l'effet de la
diffusion d'origine. La Cour estime ainsi justement que l'activité du moteur est «
susceptible d'affecter significativement et de manière additionnelle par rapport à
celle des éditeurs de sites web les droits fondamentaux de la vie privée et de la
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protection des données à caractère personnel » (28), que « l'inclusion dans la


liste de résultats, affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir du nom
d'une personne, d'une page web et des informations qui y sont contenues
relatives à cette personne facilite sensiblement l'accessibilité de ces informations
(...) et peut jouer un rôle décisif pour la diffusion desdites informations », qu'elle
« est susceptible de constituer une ingérence plus importante dans le droit
fondamental au respect de la vie privée de la personne concernée que la
publication par l'éditeur de cette page web » (29). Véritable « tam-tam »
d'internet, le moteur ne se contente donc pas de relayer l'information et de
véhiculer les internautes à cette destination ; il agrège ce matériau et le
hiérarchise de manière à faciliter le repérage de certains éléments ; il en donne
une présentation qui amplifie l'information. D'où l'on voit que, dans l'esprit de la
juridiction, de messager, le moteur est reconnu promoteur et amplificateur de
messages, voire créateur d'un nouveau message.

9. C'est pourquoi il est non seulement justifié mais plus efficace d'agir contre le
moteur.

Justifié, parce que le fait que ce dernier n'exerce pas de contrôle sur les données
à caractère personnel publiées sur les pages web sources est totalement
dépourvu de pertinence au regard de cette analyse : le traitement imputable au
moteur est celui qu'il réalise sur ses pages. En outre, il est de même indifférent
que le traitement opéré sur les sites d'origine soit licite, comme en l'espèce, et
que les données y demeurent accessibles, alors que le moteur serait sommé de
les retirer de ses listes. Enfin, on ne saurait reporter sur les sites sources la
responsabilité d'empêcher techniquement le repérage de l'information
personnelle par le moteur, en leur imposant l'utilisation des protocoles
d'exclusion (30) : il appartient au moteur d'endosser la charge du traitement de
l'information qu'il opère dans le cadre de ses activités ; il ne revient pas aux
autres de l'empêcher de mener une action défendue (31).

Il est plus efficace d'agir contre le moteur, de surcroît sur ses listes de résultats
se centralise l'information agrégée. Il serait vain de multiplier les interventions
auprès des éditeurs des différents sites, avec des discussions sur la légitimité de
la présence et du maintien de l'information blessante sur les sites d'origine
(32), ou de faire la course aux sites « miroir ».
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En définitive, en théorie comme en opportunité, il n'est donc pas souhaitable que


l'obligation du moteur soit subordonnée au retrait préalable de l'information
auprès de l'éditeur, parce que la responsabilité du traitement lui incombe
directement et de façon autonome, pour une activité qui lui est spécifique et
entraîne ses propres conséquences. Il ne s'agit pas d'un mécanisme de
responsabilité indirecte par décalque ou emprunt de la responsabilité du site
d'origine pour avoir fourni les moyens d'y accéder. Il est bien question d'une
responsabilité directe pour activité autonome.

B - Le rejet de la fonction d'intermédiaire technique du moteur de


recherche

10. La reconnaissance de la fonction informationnelle autonome du moteur de


recherche explique pourquoi le jeu de la directive n° 2000/31/CE s'est trouvé
écarté de la décision finale (33), alors même que l'avocat général invitait la
Cour à en tenir compte et que nos juridictions nationales y recourent
copieusement pour régir les demandes visant ce type d'acteurs (34).
Précisément, pour M. Niilo Jääskinen (35), comme d'ailleurs pour Google (36),
parce que le rôle reconnu au moteur devait être celui d'intermédiaire (37), il
n'était pas concevable de contourner les procédures strictes de notification de
contenus illicites, imposées par la directive n° 2000/31/CE. Pour la Cour,
pourtant, ce texte se trouve hors champ puisqu'il se joue une tout autre partition
: celle d'une responsabilité directe du fait d'une activité propre. On ne peut
mieux résumer son raisonnement que quand elle estime que « le traitement de
données à caractère personnel effectué dans le cadre de l'activité d'un moteur de
recherche se distingue de et s'ajoute à celui effectué par les éditeurs de sites
web, consistant à faire figurer ces données sur une page internet » (38). La
responsabilité du moteur est donc susceptible de s'adjoindre à celle du site
d'origine et d'exister indépendamment du sort qui pourrait être réservé à ce
dernier. Le moteur ne se trouve pas là saisi comme un intermédiaire.

11. Est-ce à dire qu'il ne le puisse pas, de façon générale ? Il faut, tout d'abord,
préciser que la directive n° 2000/31/CE ne régit pas expressément la situation
des moteurs de recherche (39). Ensuite, le rapprochement de la présente
décision avec un autre arrêt de la CJUE rendu dans l'affaire Svensson le 13
février 2014 (40), en matière de droit d'auteur, incline à répondre de manière
nuancée. Dans cette espèce, il s'agissait de savoir si le fait de poser un lien vers
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un site - l'une des opérations réalisées par les moteurs - constituait un acte de
communication au public du contenu présent sur le site pointé. La Cour de
justice estima que tel n'était pas le cas, faute pour cette mise à disposition de
l'oeuvre d'être offerte à un « public nouveau ». Ainsi, pour les juges, le fait de
localiser la création présente sur un site et d'offrir les moyens d'y accéder
n'engendre pas une augmentation du public susceptible d'entrer en contact avec
l'oeuvre. L'intervention du relayeur apparaît ici neutre et ne déclenche pas d'acte
d'exploitation, directement dans le chef du poseur de lien. On assiste donc à la
floraison de solutions différentes qui pourraient être attribuées à la différence
des intérêts en présence, mais qui relèvent surtout d'une analyse poussée des
fonctions du moteur de recherche : le lien vers un site ne modifie pas
fondamentalement la perception, par le public, du contenu présent sur le site de
l'éditeur mais contribue seulement à offrir un moyen différent d'y accéder ;
l'agrégation et la hiérarchisation des résultats d'une recherche, ainsi que les
bribes de renseignements qui les accompagnent, recomposent l'image de
l'information présente sur internet et offre aux utilisateurs un service additionnel.
En sculptant les contours de l'information au travers de ses propres grilles
d'analyse et de présentation, fussent-elles réalisées par des procédés
algorithmiques, le moteur apparaît comme un acteur de troisième type dont la
Cour vient de mettre à jour la singularité (41).

Notes:

(1) Il s'agit de protocoles d'exclusion comme « robot.txt » ou de codes comme « noindex » ou «


noarchive » qui indiquent au moteur de recherche que la page ne doit pas être référencée. Ces
derniers peuvent s'y conformer ou non et affirment qu'ils les respectent généralement, V. Groupe
de l'« Article 29 » (G29), Avis n° 1/2008, sur les aspects de la protection des données liés aux
moteurs de recherche, 4 avr. 2008, p. 15-16.

(2) Dir. n° 95/46/CE du 24 oct. 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard
du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données.

(3) Sur lesquelles, Y. Padova et D. Lebeau-Marianna, Entre droit des données personnelles et
liberté d'expression, quelle place pour les moteurs de recherche ?, RLDI 2013. Etude 90.

(4) Prop. du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection des personnes physiques à
l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, 25
janv. 2012, COM(2012) 11 final, sur laquelle E. Gattone, N. Martial-Braz et J. Rochfeld, Quel avenir
pour la protection des données en Europe ?, D. 2013. 2788 .
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(5) V. note N. Martial-Braz et J. Rochfeld, D. 2014. 1481 .

(6) Art. 2 de la loi n° 78-17 du 6 janv. 1978.

(7) Art. 4, 1), Prop. préc. V. égal. G29, Avis n° 4/2007 du 20 juin 2007, sur le concept de données
à caractère personnel.

(8) Et pour certains excessive, V. concl. av. gén. N. Jääskinen, 25 juin 2013, § 29. Adde, en
France, J. Frayssinet, L'hébergeur et la fausse concurrence de la LCEN et du droit de la presse avec
le « droit d'opposition informatique et libertés », RLDI 2008, n° 1393 ; J. Le Clainche, Les moteurs
à la recherche d'un statut juridique, Légipresse 2011, n° 284, p. 368.

(9) Art. 2, b), Dir. préc. ; comp. la définition française, art. 2, al. 3, L. du 6 janv. 1978, mod.

(10) Pts 25 s.

(11) Pt 29.

(12) Comp. art. 3, I, L. du 6 janv. 1978 amendée ; art. 4, 5), Prop. de Règl. préc.

(13) V. G29, Avis n° 1/2008, supra note 1, p. 18.

me
(14) V. par ex. TGI Montpellier, réf., 28 oct. 2010, M C. c/ Google France et Inc., RLDI 2011.
Act. 2317, obs. M. Trézéguet ; CCE 2011. Comm. 47, obs. crit. A. Lepage ; TGI Paris, réf., 15 févr.
me
2012, M Diana Z. c/ Google, RLDI 2012. Act. 2719, obs. M. Trézéguet ; CCE 2012. Comm. 54,
obs. A. Lepage.

(15) Concl. préc., § 72.

(16) Concl. préc., § 72, se référant à G29, Avis n° 4/2007, supra note 7, p. 8.

(17) Concl. préc., § 70 ; adde G29, Avis préc., p. 15.

(18) Concl. préc., § 80.

(19) G29, Avis n° 1/2008, supra note 1, p. 14.

(20) V. l'interprétation donnée de cette disposition par CJUE 23 mars 2010, aff. jtes C-236/08, C-
237/08, et C-238/08, Google France, D. 2010. 885, obs. C. Manara , 1966, obs. P. Tréfigny-Goy
, et 2011. 908, obs. S. Durrande ; RTD eur. 2010. 939, chron. E. Treppoz ; CCE 2010.
Comm. 88, obs. P. Stoffel-Munck, et Etude 12, par G. Bonet. Cette directive n'ignore pas, par
ailleurs, les moteurs de recherche, V. art. 2 et le renvoi à la Dir. n° 98/34/CE.

(21) G29, Avis préc., p. 14-15.

(22) Pts 33 et 40 ; V. égal., à titre d'esquisse, CJUE 6 nov. 2003, aff. C-101/01, Lindqvist, pt 25 :
« l'opération consistant à faire référence, sur une page internet, à diverses personnes et à les
identifier soit par leur nom, soit par d'autres moyens » constitue un « "traitement de données à
caractère personnel, automatisé en tout ou en partie", au sens de l'art. 3, § 1, de la [directive] »,
V. les obs. de C. de Terwangne, RDTI 19/2004, p. 67.
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e e
(23) TGI Montpellier, réf., 28 oct. 2010, supra note 14 ; récent, CE, 10 et 9 ss-sect. réun., 12
mars 2014, n° 353193 , AJDA 2014. 590 .

(24) Pt 30.

(25) CJUE 8 avr. 2014, aff. jtes C-293/12 et C-594/12, Digital Rights Ireland et Seitlinger, D.
2014. 1355 , note C. Castets-Renard , invalidant la Dir. n° 2006/24/CE du Parlement européen
et du Conseil, du 15 mars 2006, sur la conservation de données générées ou traitées dans le cadre
de la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public ou de réseaux
publics de communications, et modifiant la Dir. n° 2002/58/CE, relative à la conservation des
données : la conservation des données était disproportionnée par rapport au but de sécurité
publique poursuivi.

(26) Pt 36.

(27) Pt 37.

(28) Pt 38.

(29) Pt 87.

(30) V. supra note 1.

(31) Pt 39.

(32) Notamment la publication aux seules fins de journalisme, V. pt 85.

(33) Pts 84 et 86.

(34) Pour le choix du statut d'intermédiaire, V. TGI Paris, réf., 15 mars 2012, supra note 14.

(35) Concl. préc., § 85 : la responsabilité devrait être « subsidiaire », par alignement sur la
catégorie de prestataires de services de la société de l'information et par analogie avec la
jurisprudence de la Cour sur les marques et les places de marché électronique.

(36) V. la reprise des arguments, pt 21.

(37) Concl. préc., § 85.

(38) Pt 35.

(39) Même si elle les évoque, V. supra note 20.

(40) Aff. C-466/12, D. 2014. 480 ; RLDI 2014. 3371, obs. E. Derieux ; CCE 2014. Comm. 34,
obs. C. Caron ; V.-L. Benabou, Quand la CJUE détermine l'accès aux oeuvres sur internet. L'arrêt
Svensson, liens cliquables et harmonisation maximale du droit de communication au public,
http://vlbenabou.wordpress.com/2014/02/15/larret-svensson-liens-et-harmonisation-maximale-
du-droit-de-communication-au-public/.

(41) J. Grimmelman, « Speech Engines », 98 MINN. L. REV. 868 (2014), disponible sous licence
Creative Commons Attribution 3.0. : http://works.bepress.com/cgi/
ESCUELA DE Maestría de Derecho
POSGRADO Civil

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