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3
©Régis EZIN 2018
ISBN : 978-99919-78-21-5
Dépôt légal n°10639 du 28 août 2018
Bibliothèque Nationale du Bénin
3ème trimestre 2018
A
Ceux et celles dont les rêves paraissent trop
grands, aux yeux des autres, mais qui font
chaque jour des petits pas, vers l’accomplissement
de leur destinée.
A
plus que je ne lui enseigne.
Sommaire
PRÉFACE.......................................................................................11
I- LA SEMENCE..........................................................................17
II- RUÉE VERS L’ART...............................................................33
III- L’AILLEURS..........................................................................65
IV- REPAT, REPARTIR À ZÉRO...........................................101
V- LA FONDATION.................................................................123
VI- LA CONSTRUCTION.......................................................199
VII- MON BRÉVIAIRE...........................................................237
POSTFACE..................................................................................261
PRÉFACE
PRÉFACE
PROLOGUE 11
Jean-Michel Kasbarian
Conseiller de coopération et d’action culturelle
Directeur de l’Institut français du Bénin
14 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
I- LA SEMENCE
LA SEMENCE 17
-
faire mes papilles. Maman sentait que son stratagème ne fonction-
nait pas. Et tandis qu’elle poursuivit son repas, j’assenai le coup
resté. Avec les revers, certes. Mais cela m’a également ouvert bien
des portes et permis de m’accrocher à mes idées et mes rêves, de
croire en mes projets, de ne pas laisser la barque de la foi tanguer.
L’école a été un allié de poids pour moi. Oh oui ! elle m’a per-
mis de tiédir les bouillonnements de maman à mon égard. J’étais
un élève brillant. J’obtenais d’excellents résultats sans efforts parti-
resté quelques années, séjour durant lequel mes maîtres ont décelé
en moi l’éveil, la curiosité et le dynamisme. Lors de la représenta-
fête, quand maman lui apprit que je changeais d’école l’année sui-
vante. Cette décision n’avait rien à voir avec la qualité de l’enseigne-
ment. Maman avait achevé la construction de sa première maison.
Mon frère Hugues, elle et moi allions donc emménager aux Coco-
tiers, quartier chic de Cotonou enregistrant une forte fréquentation
d’expatriés. J’allais rejoindre Les Lapins Bleus, une école dite « fran-
çaise ». Je basculai dans un système éducatif différent. Et dès ma
première année, je m’illustrai de fort belle manière. Ma main était
toujours levée lorsque le maître posait une question sur la leçon de
la veille. Le fameux Ratus (équivalent de Kouakou et autres héros
présents dans les manuels africains), espèce de raton vert incon-
tournable dans nos livres d’école, n’avait aucun secret pour moi. Au
bout de deux semaines, le maître alla voir la directrice pour lui faire
part de l’avance qu’il estimait que j’avais sur le programme. Cette
-
mière situation d’adversité. Les enfants sont méchants entre eux,
mais ils ne mesurent pas l’ampleur de leurs actes. On m’a poussé
du toboggan, on a raconté des mensonges sur mon compte, on
-
sieurs reprises… Autant d’injustices qui ont forgé mon mental.
LA SEMENCE 23
rival est un rival. Quand on lutte, c’est jusqu’au bout et sans pitié,
tant qu’on respecte son code éthique personnel. Imaginez un dé-
fenseur qui fait une passe volontaire à un attaquant de l’équipe ad-
verse parce que cette dernière a une possession de balle proche de
zéro. Un but est vite arrivé et peut changer le cours du match. Il ne
faut pas donner à l’autre pour perdre, il faut tout donner pour ga-
(1990)
II- RUÉE VERS L’ART
32 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
RUÉE VERS L’ART 33
image était sur toutes les pages ; j’entendais sa voix passer à travers moi,
on s’aimait si fort qu’il n’y avait que la mort qui pouvait nous séparer »,
nous décrocherions la lune et des Grammys. Au CSC, les jeu-
dis après-midi étaient consacrés aux activités culturelles. Chaque
-
ner nos œuvres. Je ramenais mon synthétiseur noir et nous concoc-
tions des beats. Quelques notes de piano accompagnaient les
rythmes préenregistrés dans la machine et nous obtenions une belle
substance sur laquelle nous déroulions nos mélodieuses mièvreries.
Nous avions plus d’une dizaine de compositions au compteur.
34 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
Bien évidemment, aucune d’entre elles ne serait enregis-
trée pour conquérir le monde. Nous étions des vedettes dans nos
têtes, en attendant de le devenir, peut-être, un jour. Ne dit-on pas
que tout ce que l’on croit fermement se réalise ? Les enfants ont
la faculté de se projeter facilement dans n’importe quel monde, de
se mettre dans la peau de n’importe quel personnage. Je compren-
drais bien plus tard que tout ce que j’avais nourri allait prendre
forme de façon concrète dans ma vie de jeune adulte puis d’adulte.
moi. Je pense que cela m’avait mis en colère puisqu’à leur retour,
la tentative de maman de me prendre dans ses bras, une fois à la
maison, se solda par un échec. Elle tendit les bras mais je refusai
de m’y lover. Alors, cette fois-ci, maintenant que j’y étais, je pen-
sais que maman me passerait tous mes caprices. Sur ce coup, c’est
Que nenni ! Fidèle à sa ligne de conduite,
-
cation n’intégrait ni le gaspillage, ni la démesure et encore moins
la mise en place d’un terrain favorable aux enfants-rois. Il faut
dire que sa formation professionnelle (elle était inspectrice des
douanes et avait à ce titre reçu une formation militaire) impli-
quait fermeté et discipline. Elle qui déjà était de nature rigoureuse.
-
rent du mien et de la Côte d’ivoire que j’avais visitée, plus petit.
La célébrissime Tour Eiffel et la virée à Disneyland restent des
souvenirs indélébiles dans mon esprit, des moments merveilleux.
RUÉE VERS L’ART 35
-
cés, livres et autres babioles, la panoplie était considérable. Il n’en
Le CSC était une école privée fréquentée par des enfants issus
de la classe moyenne et de milieux aisés. Nombre d’entre eux se
rendaient donc régulièrement en vacances en France, aux Etats-
Unis, au Canada ou dans d’autres pays occidentaux. Certes, mais
ils ne voyaient pas ce que j’avais vu : l’opportunité. Ils achetaient
deux ou trois CDs, quelques magazines et basta. Moi, j’avais du
stock. Je trouvai une belle astuce pour écouler mes produits.
Ses yeux, son sourire et son charme qui faisaient des étincelles
où elle passait ; son teint, sa prestance… Et même aujourd’hui,
la sexagénaire fringante donne l’impression d’avoir célébré ses 50
ans de vie hier. Lui ressembler, c’était être beau. Cette comparai-
son me faisait chaud au cœur. Mais ce qui était moins emballant
c’étaient ces confrontations qui se multipliaient avec ma puberté
la gent féminine. Jamais l’un sans l’autre, Dany et moi étions deve-
nus des frères et passions même des week-ends l’un chez l’autre.
été retenus pour la « petite scène », mais c’était déjà une victoire
pour un groupe de moins d’un an de vie. « Félonie » secoua le
public. Je venais de goûter à la gloire de l’instant – avec une com-
position personnelle –, où toute l’attention est focalisée sur vous.
Maman n’en crut pas ses oreilles quand elle reçut la même pro-
position de sa part. Diantre ! Mais pourquoi ce scénario se repré-
sentait-il donc ? En CP déjà, elle avait accepté, sur insistance de
la directrice, que l’on me passe en classe supérieure à peine l’an-
née commencée. Et maintenant, on voulait me griller la Termi-
nale. Elle n’était pas certaine que ce soit une bonne idée parce
qu’elle craignait que tout cela me fasse manquer des portions
importante du programme, favorisant des lacunes éventuelles
qui deviendraient des handicaps dans la poursuite de mes études.
52 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
Le directeur de l’établissement était véritablement impressionné
maman. Tout est allé très vite. Nous étions en février lorsqu’il fut
arrêté que je passerais le baccalauréat sans attendre la Terminale.
Il en serait de même pour Dany. Sur scène comme en classe donc,
nous avions décidé de faire le plein de succès. Dès le mois de mai,
nous rejoignîmes tous les deux la classe de Terminale A où nous
devions passer le reste de l’année, soit moins de deux mois, pour
préparer notre examen. C’était court. Il nous a fallu prendre part
à un programme accéléré spécialement mis en place pour nous
par les responsables de l’établissement. Le dernier examen blanc
conforta le directeur dans son choix : je m’imposai assez aisément,
planant en tête du classement. Les six dernières semaines de l’an-
née scolaire étaient donc intensives. Pendant que nos camarades
disposaient d’un mois pour réviser leurs cours, nous, nous étions
tous les jours à l’école, pour étudier le programme de la classe de
Terminale. Nous n’avons ensuite eu qu’une petite semaine libre
pour passer en revue individuellement les différents sujets. J’étais
quelque peu épuisé. Le rythme avait été infernal depuis mars-avril.
Mais je n’étais absolument pas nerveux. Les échéances ne me
stressent pas. C’est peut-être parce que j’ai gardé une part d’in-
souciance qui me permet de ne laisser l’adrénaline grimper qu’à
quelques instants du moment fatidique. Qu’il s’agisse de monter
sur scène ou de passer un examen, je n’entrevois l’enjeu qu’avant
le début des hostilités. Et cette sensation est de courte durée. Une
fois que les choses démarrent, la pression se dissipe à nouveau.
J’ai donc passé cette dernière semaine à la maison, à potasser.
Prendre les choses ainsi qu’elles viennent est mon modus operan-
di. Généralement, les vacances à Cotonou ne s’animent que très
peu, tant que les résultats aux divers examens ne sont pas en-
core connus. En attendant, je poursuivais ma quête musicale,
RUÉE VERS L’ART 53
était perceptible dans ses propos. On aurait dit qu’il venait de rem-
porter un combat personnel. « Merci mille fois, monsieur le di-
recteur », me contentai-je de dire. J’étais heureux de l’apprendre
mais je n’explosai pas. Pourtant extraverti, je n’ai jamais vraiment
compris pourquoi les bonnes nouvelles ne me transportent pas
au-delà du plaisir et du bonheur intérieurs. Peut-être est-ce pour
cela que je ne reste pas dans ma zone de confort et que je parviens
à repousser mes limites, sans me complaire dans une situation.
RUÉE VERS L’ART 55
Il fallait attendre que chaque membre du trio que nous étions soit
les excès de jeunesse aussi. Dany avait également obtenu son Bac.
Nous allions nous consacrer à notre musique avec plus d’ardeur.
Nous passions plusieurs jours l’un chez l’autre. Un soir, alors que
nous étions chez moi, on a décidé d’enclencher la vitesse supérieure.
Glaçons, aiguilles et poignée de courage : nos oreilles étaient percées.
Nous n’avions pas demandé à nos mères si nous pouvions,
partant du postulat que notre exploit scolaire nous permettait
de faire quelques écarts. Et cela avait fonctionné. Aucune re-
montrance. Aucune crise de nerfs. Les mamans ont laissé couler.
J’avais 16 ans, je venais de décrocher mon baccalauréat, je faisais
du rap, j’avais l’oreille percée et m’habillais comme un gosse sor-
ti tout droit de Brooklyn, bref la vie était belle. Sur le plan mu-
Au Bénin, les douaniers constituent une des castes les plus puis-
-
cessaire et même indispensable à notre épanouissement dans la
vie ; mais tout réside dans notre façon de le ‘‘chercher’’ et dans
l’utilisation que nous en faisons. Le milieu douanier en la matière
placements).
— Allo, maman ?
— Oui. Ça va, Régis ?
— Oui, ça va. C’est bon pour le concours, m’empressai-je
de dire sans détour.
durablement à Chelles.
temps dans les centres commerciaux les samedis avec mes amis :
cinéma, lèche-vitrine, kebabs et paninis, écoute des nouvelles sor-
ties musicales, etc. Je ne me privais pas, je n’allais pas arrêter de
vivre. Toutefois, je faisais en sorte de ne pas me faire remarquer
inutilement. J’ai la chance de posséder cette qualité du caméléon :
l’adaptation rapide à tout type d’environnement. En six années pas-
sées en France, je n’ai pas fait l’objet d’un contrôle une seule fois.
Sans elle, mon séjour en France aurait été différent, moins facile,
plus rude, moins paisible, plus stressant. Elle vivait à Cannes mais
j’avais l’impression qu’elle était là, à mes côtés à chaque instant.
injustice ! Il n’y avait plus beaucoup de choix. Les places les plus
convoitées avaient été prises. Angleterre, USA, Mexique, Canada,
Espagne… Mais en Catalogne, il restait une place à Vic, une petite
ville à proximité de Barcelone. Ce n’était pas le moment de faire la
qu’on n’a pas fait plusieurs prises et qu’on est au top dès la première.
-
ment de qualité durant toutes mes études. Je voulais joindre
l’utile à l’agréable pour que d’autres aient la même opportunité.
J’ambitionnais de lancer un e-mag qui traiterait essentiel-
lement de l’actualité de la musique béninoise. Je voulais absolu-
ment que l’esprit de discorde se dissolve dans le milieu urbain et
pour les deux premiers numéros. Cette initiative devait être dou-
blée d’une cérémonie de récompenses de la musique urbaine bap-
tisée « Benin Hip-Hop Awards ». Un « Black Concert » devait éga-
lement avoir lieu avec tous les membres du Taka Crew qui était en
dislocation. Il s’agissait de clôturer l’aventure du label par une belle
manifestation musicale. Tous ces projets devaient voir le jour pen-
dant les grandes vacances scolaires, à Cotonou. Et pour couronner
-
sociation, naîtrait sur les cendres du Taka Crew. Pourquoi le label
fermait ses portes ? Parce que nous n’avions plus la même vision ni
les mêmes orientations. Les membres développaient des carrières
solos et l’éloignement géographique des uns et des autres ne favo-
risait pas non plus le travail de groupe. Aussi, Nesta allait rejoindre
le Cotonou City Crew, label fondé par le groupe Diamant Noir.
J’ai passé d’innombrables heures à travailler sur ces différents
déroge à la règle.
les nombreux projets que j’avais conçus pour cette période. Fi-
nalement, c’est $@m qui monta un nouveau label et conser-
-
bum plus tôt que prévu. Avant de rentrer à Cotonou pour de bon,
il était prêt et j’avais même tourné le clip de mon premier single
avec Quentin Brown, réalisateur congolais en pleine ascension. Il
fut lancé sur le Web et sur les chaînes béninoises le jour de la fête
des mères. « Jeanne d’Arc-en-Ciel » était un hommage à ma maman
en particulier et aux mères du monde en général. Succès immédiat,
plébiscite véritable. Le morceau est encore applaudi aujourd’hui.
C’est peut-être la plus belle chanson de ma carrière, à ce jour.
d’amis pour la vie, m’a fait connaître des déceptions. C’est pen-
dant ces six ans que j’étais passé d’adolescent à homme, et main-
tenant l’homme allait se frotter à la vie active, sur sa terre natale.
E-ray, sur les bords de la Seine, tournant le clip de
‘‘Jeanne d’Arc-en-Ciel’’, une des chansons
les plus populaires de son répertoire.
(2010)
le fondateur et le président.
(2008)
IV- REPAT, REPARTIR A ZERO
REPAT, REPARTIR À ZÉRO 101
volonté de l’Univers qui l’a placée là, ici, pour telle ou telle autre
raison. Je n’étais donc pas un repat qui avait attendu d’avoir une si-
tuation confortable, travaillant dans de grands groupes à l’étranger
avant de rentrer chez lui. Je n’étais pas non plus un repat qui ren-
trait parce qu’il avait une proposition de poste ici ou là. En vérité,
j’étais rentré chez moi à l’appel du cœur. Une petite voix me disait
que j’avais quelque chose à faire à Cotonou. Mon intuition m’avait
évité ou sorti de nombreuses galères, et j’avais pris pour habitude
de m’en servir comme d’une boussole. Je ne voulais pas non plus
m’éterniser à l’étranger parce que j’avais vu plusieurs compatriotes
et autres membres de la diaspora africaine phagocytés par un sys-
-
cembre 2010. Le single « Jeanne d’Arc-en-Ciel » s’était imposé par-
tout. La voix suave de Shadé au refrain et mes paroles touchantes
de sincérité et emplies de poésie charmaient aussi bien les ama-
teurs de Hip-Hop que les mélomanes généralistes. Depuis mon
premier album, on m’avait placé dans la case des rappeurs dits in-
tellos, ceux qui passent des messages pertinents, ont de la tournure
REPAT, REPARTIR À ZÉRO 103
une pièce vide, à l’étage. Quelques anciennes tables offertes par ma-
man servaient de bureaux. Avec une poignée d’amis, nous travail-
lions sur des projets. Le plus important d’entre eux était « Change
Life ». Nous devions le lancer en août. Le concert, lui, était pour
juillet. Tout se chevauchait, et j’aimais toujours autant la sensation
de gérer plusieurs projets simultanément. « Change Life », c’était un
programme à part entière à travers lequel nous voulions prendre en
charge l’éducation d’enfants brillants mais défavorisés. Le plus dur
consistait à trouver des « Life Changers », nos donateurs, dans un
environnement où l’implication humanitaire relève du fantasme, et
où la suspicion des personnes sollicitées quant à ce que va devenir
leur argent, plane en permanence. Challenge complexe ? Challenge
excitant ! Je rédigeai le projet de long en large, lançai des appels
dans les douze départements pour recevoir des dossiers de candi-
« Change Life ». Nous avions fait venir les 12 enfants (un par dépar-
tement) sélectionnés, accompagnés de leurs parents, et nous pûmes
les présenter à nos invités. Malgré ma bonne résistance et mon
endurance caractéristiques, le rythme de ces derniers mois m’avait
épuisé et j’avais perdu du poids. Je n’avais pas bonne mine ce jour-
et même lors de leurs premiers pas dans la vie active. Nous espé-
rions créer une chaîne car ces enfants, sauvés de la déscolarisation
et de la pauvreté ressentiraient le besoin de tendre à leur tour la
main à d’autres, une fois leur situation stabilisée, et ainsi de suite.
-
-
gré les différentes relances de l’organisation. Elle opta alors pour
une suspension des candidatures béninoises jusqu’à nouvel ordre.
Voilà comment la désinvolture des uns peut noyer le travail des
autres. Amos et moi étions profondément déçus. Mais il fallait al-
ler de l’avant. Et puisque les contrariétés se donnent généralement
REPAT, REPARTIR À ZÉRO 113
-
ta également de me laisser faire mon expérience. J’informai ma-
man de mon désir de partir de la maison. Elle aurait préféré que
je reste, le temps d’avoir une situation plus stable. Mais j’avais la
conviction que je devais affronter la vie d’entrepreneur dans des
conditions réalistes. Etais-je capable de me prendre en charge en
me mettant à mon propre compte ? Il fallait que je le sache, que
je me prouve que j’étais en mesure de payer des factures et que
mon business était pertinent et rentable. Je devais partir. Au lieu
116 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
c’est en septembre que je louai mon premier appartement, à la
suite d’un cambriolage.
Un soir, je suis rentré après minuit, éprouvé par une journée
passée à cavaler. A peine étais-je entré dans ma chambre que je
m’affalai sur le lit. Autour de 3 heures du matin, je me réveillai pour
aller aux toilettes. Ce que je vis me sembla irréel. Etais-je vraiment
éveillé ? Je me frottai les yeux pour m’en assurer. Le spectacle était
bel et bien réel. Mes fenêtres n’étaient plus là. Mon ordinateur avait
disparu, tout comme mon portefeuille emporté avec plusieurs do-
cuments d’identité. Un disque dur externe rempli d’archives et de
souvenirs était lui aussi parti en fumée. Si j’avais encore mes por-
tables, c’était parce que, las de fatigue, je ne les avais pas déposés
à côté de l’ordinateur, sur la table adossée au mur avec le reste
des affaires volées. Les cambrioleurs ne m’avaient pas loupé. J’étais
désemparé. Je ne refermai pas l’œil de la nuit, car je me sentais vul-
nérable d’une part (reviendraient-ils ?) et très nerveux d’autre part.
J’avais perdu des papiers et de l’argent, mais surtout mon ordina-
teur. Et ça, c’était un coup de massue ! Toutes mes données de tra-
vail. Tous ces projets sur lesquels je bossais. Mon ordinateur, c’était
une partie de moi. D’abord le Génius, tout petit, puis le PC à la mai-
son avec la découverte d’Internet et des logiciels de composition
musicale en plein cœur d’adolescence, suivi de mon laptop avec le-
quel je prenais note de tous mes cours à l’université ; celui-là même
qui m’accompagna également à travers mes projets personnels.
-
cement. Il m’en faudrait un autre. Quant aux données, je pour-
rais en récupérer certaines sur un disque dur externe sur lequel
j’effectuais des sauvegardes. Mais je devais accepter de ne plus
jamais revoir une partie de mes photos et certains documents
que je n’avais pas pris la peine de sauvegarder à temps. Cet épi-
sode sombre accéléra mon départ de la maison. Car j’avais
l’habitude de rentrer tard, et je craignais de me faire agresser
REPAT, REPARTIR À ZÉRO 117
sous nos yeux, jusqu’à ce que nous soyons les prochains sur la liste,
la clôture à dix mètres à peine de la plage. Les jeunes désœuvrés,
fumeurs invétérés de marijuana, les badauds et tout autre type d’in-
dividus oisifs s’installaient sur la plage, créant un climat délétère.
(2012)
V- LA FONDATION
LA FONDATION 123
Une autre idée traînait dans les tiroirs de mon esprit et c’était
le moment de la dépoussiérer et de la mettre sur la table. Depuis
mon retour au pays, je m’étais posé des questions sur le manque de
motivation des jeunes, la course à l’argent facile et rapide. J’avais pu
constater aussi que le phénomène des « gaymans », cybercriminels
notoires qui arnaquent par tout type de stratagèmes des « clients »
– comme ils les appellent – aux quatre coins de la planète, était
en pleine expansion. Déliquescence des valeurs et promotion de
la médiocrité embaumaient la patrie. Je parvins à la conclusion,
qui est peut-être seulement une cause parmi d’autres, que nous
avions manqué de repères. Nos parents avaient participé à établir
une société qui ne faisait pas rêver. Aussi loin que je me souvienne,
que l’on retrouve à tous les coins de rue, vendus trois fois rien, les
Béninois en raffolent depuis toujours. C’est une institution de la
gourmandise locale. L’inspiration est d’essence divine et ce jour-là,
134 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
de kluiklui pour avoir le plaisir de les tremper dans le gari délayé
avant de les manger ? Et pourquoi n’existe-t-il que 3 formes de
kluiklui depuis tout ce temps ? Pourquoi ne le valorise-t-on pas ? »
La série des « pourquoi ? » venait à peine de commencer. Je passai
toute la nuit à me poser des questions sur ce cher kluiklui. Je me
souvins qu’une fois déjà, alors que je mangeais du kluiklui dans
mon studio d’étudiant en France, j’avais dit à un ami, sur le ton
d’une blague, que ça pourrait être top d’en vendre partout dans
le monde. Ce qui parut comme un délire passager à cette époque
était peut-être un signe, une graine qui fut ensuite arrosée par mes
expériences et les circonstances de la vie. Si Pyramide avait démarré
en trombe, je n’aurais probablement jamais eu cette idée car mon
esprit aurait été occupé à autre chose qu’à trouver des activités
Elle était surprise parce que je n’avais jamais évoqué tel projet.
dans ma folie. Une fois lavées, nous avons laissé les bouteilles sécher.
-
lait préparer de nouvelles bouteilles pour le lendemain. Il me
restait du kluiklui. Mais pas de bouteilles, pas d’étiquettes. Sous
pression pendant la journée, j’avais oublié de m’approvisionner.
J’appelai à nouveau Orens et Ophélie à la rescousse. Nous tra-
induits par ses performances plus de 15 000 francs CFA, soit 30%
de sa rémunération de base. Elle signa à nouveau pour un mois.
J’en étais ravi parce qu’elle était motivée et performante. J’avais eu
du bol d’être tombé sur elle pour ma phase bêta. Le fait de parcou-
rir plusieurs services (le port de pêche, les différents ministères, la
poste, Bénin Telecoms, la préfecture de Cotonou, les mairies, l’ar-
mée de terre, la direction de la douane, la chambre de commerce, les
centres des impôts, etc.) donna rapidement de la visibilité au produit.
n’y avait plus que quelques pièces à l’étage qui étaient en location.
Le véritable attrait pour moi était l’emplacement géographique de
Le loyer était hors de prix à mes yeux : 100 000 francs CFA par
mois, pour 12 m² à peine. Mais je tenais à m’y installer, à prendre
le risque. Maman trouva mon choix peu raisonnable et la suite
des événements lui donnerait raison. En août, je pris donc mes
quartiers à Kora. J’avais besoin d’embaucher quelqu’un à temps
plein. Il y avait beaucoup de courses à faire pour Pyramide et
il me fallait de l’aide pour le suivi du projet Kluiklui d’Agonlin.
Par l’intermédiaire d’Orens qui travaillait pour le ministère
de l’environnement, situé en face de Kora, je trouvai un potentiel
candidat. C’était le premier et je comptais en recevoir un certain
140 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
lante, mince et élancé, se présenta à l’entretien l’air quelque peu
stressé. Je lui posai une foultitude de questions auxquelles il répon-
dit de façon assez convaincante. Son polo laissait entrevoir un ta-
quand ils savent qu’ils sont hors délais. Vous vous retrouvez donc
tout penaud, incapable de dire à vos clients quoique ce soit –
car vous n’avez pas de détail sur l’état d’avancement du travail
– ou coincé dans l’évolution de vos propres projets. J’avais donc
pris la résolution d’apprendre à utiliser Photoshop. En connaître
les fondements et outils principaux, c’était pour moi largement
-
ment, jasaient dans mon dos. On se demandait ce qui me poussait
à me mettre dans pareille activité. Le kluiklui, quoique largement
consommé, était relié dans l’imaginaire collectif, à la pauvreté. Il
avait une image ringarde, archaïque, totalement vieillotte. Lors-
qu’on offrait des amuse-bouches à des invités, il y avait des ca-
cahuètes, des noix de cajou, du coco grillé et bien d’autres douceurs
plus typiques mais rarement du kluiklui. Imaginez donc la tête de
mes proches et de mes connaissances quand je leur apprenais que
« je vends du kluiklui ». Vous êtes le seul à savoir où vous allez.
Même si vous partagez votre vision et même si certains la par-
prendre. Je lui avais parlé la veille du départ pour savoir quel budget
lui mettre à disposition pour l’achat des pinceaux, du fond de teint
et des autres accessoires. J’avais eu l’impression qu’elle me prenait
de cet individu.
« Change Life » était venu. Avec l’aide d’Habib, le fofo, j’avais dé-
croché des partenariats et des soutiens nouveaux qui rehaussèrent
l’éclat de l’événement. Je passai la soirée sous haute tension. Une
panne électrique avait grillé trois ordinateurs, coup sur coup, et re-
tardait le début de la cérémonie. Alors que je tentais de garder mon
calme, je scrutais la table à laquelle ma nouvelle bien-aimée devait
s’asseoir. Personne ! J’avais une sainte horreur du retard. Et com-
ment pouvait-elle ne pas encore être là, alors qu’elle était censée me
soutenir ? Eutychus découvrit ce soir-là que j’étais strict, et peut-
être rigoriste parfois. Je venais de lui lever un coin de voile sur mon
Les jours qui ont suivi, Euty – tout le monde l’appelait ainsi
car c’était plus simple – et moi avons continué à nous voir. Nous
apprenions à nous connaître. Je me rendis vite compte qu’elle
dans l’intimité. Mais elle avait bon cœur. Seulement, elle n’était pas
expressive. Quand elle m’a connu, je me débattais dans mes ac-
tivités et je n’avais pas une situation stable. Je partageai avec elle
mes rêves et ils semblèrent la transporter. Elle voulait faire par-
tie de l’aventure. Quand elle passait à la maison, elle ne rechignait
pas malgré le confort rudimentaire qu’elle y trouvait. Lorsque les
-
lin ne me laissait plus beaucoup de temps. En Février 2014, avant
le gala, j’avais lancé une compilation musicale avec des amis d’en-
fance, eux aussi artistes. Le projet « TGIO » (The Game Is Over)
152 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
de notre label Fresh N’ Classy (le sigle FNC vous rappelle quelque
chose ?) était composé de titres à très fort potentiel commercial.
-
la seconde, parce que la colle ne tenait pas bien sur cette matière.
Pour moi, cette foire était importante, aussi parce que c’était
notre première grande « sortie ». Nous n’avions jamais participé à
un événement public de ce type. Notre capacité à être attractifs au
milieu de nombreux autres produits allait être jaugée. Il fallait par
jour le jour, c’est qu’il faut savoir sortir du cadre imposé et user
de la pensée latérale : « . » Ayez une culture
orientée vers les résultats. Sachez vous départir du plan pour le
remodeler rapidement lorsque la situation l’impose. Soyez, en
somme, souples, pragmatiques et réactifs. Si j’avais attendu une
semaine pour réagir, le bilan aurait été tout autre. Aussi, don-
nez envie aux gens de découvrir ce que vous faites. Si nous nous
-
pillés « Kluiklui d’Agonlin », aux autres éléments de branding sur
tenais le bon bout, j’en étais plus certain que jamais. Les clients
critiquaient surtout le prix et occasionnellement la texture du pro-
duit, un peu dur. Mais ils appréciaient la forme (les boulettes) et
l’effort de présentation. Ce qu’ils ne savaient pas par contre, c’est
que je m’apprêtais à passer au stade 2 du plan. Après de longues
recherches, j’avais trouvé des emballages qui s’apparentaient à ceux
que j’avais en tête depuis le départ. C’est ma bonne fée, maman, qui
.
164 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
Le premier supermarché qui accueillit nos produits, après
réception d’un courrier exigé et envoi d’échantillons, fut Label
Bénin, espace spécialisé dans la vente de produits fabriqués lo-
calement. Je secouais mon carnet d’adresses inlassablement pour
promouvoir mes produits. Je réussis un tour de force en obte-
nant l’accord de Super U Bénin (Erevan), le plus grand super-
marché du pays. Les responsables étaient ouverts et avaient cer-
tainement perçu ma détermination. Ils décidèrent de me donner
— Ça coûte combien ?
— 1 200 francs CFA (c’était le prix pratiqué par l’enseigne), lui
répondis-je. Voyant que le personnage était particulier, je préférai
prendre les choses en main.
— Pourquoi est-ce si cher ? C’est bien le même kluiklui que
170 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
l’on retrouve dans toutes les rues, non ?
— C’est du kluiklui, en effet. Mais le nôtre est différent.
Nous apportons un grand soin au produit lui-même et soignons
également la présentation. Nous tentons de redorer le blason du
kluiklui, et cela a un coût. Il resta silencieux un moment, examina à
nouveau le produit avant de poursuivre.
— Mais honnêtement, de quel pays vous importez ça ?
— Pardon ?
— Oui, ce sont les Chinois qui ont commencé à faire du
kluiklui, n’est-ce pas ? C’est fait en Chine ?
— Absolument pas. C’est fait ici au Bénin, par nous-mêmes.
Je ne cernais pas le monsieur.
— Arrêtez vos histoires ! Est-ce qu’un Béninois peut faire ça ?
Regardez comment c’est bien présenté. Ça, c’est fait à l’étranger.
Mais c’est une bonne chose. Vous allez en vendre beaucoup, c’est
attirant. Bon courage.
Mais il n’en était pas question. Une fois que la brèche est
ouverte, ne rebroussez pas chemin. Continuez à creuser. Cher-
chez le meilleur moyen d’élargir le chemin qui se crée au fur
et à mesure, changez de méthode s’il le faut, mais surtout ne
faites pas marche arrière. Une voie qui s’est ouverte, c’est sou-
vent le signe d’une opportunité réelle. Si vous vous retirez,
-
cules récents ou d’apparence neuve pouvaient faire l’affaire. Je me
tournai donc vers maman pour solliciter les papiers d’un de ses
terrains nus. Elle n’hésita pas une seconde. Le dossier était prêt,
et le chef d’agence me rassura que tout se règlerait en 10 jours
chrono. Je me faisais une joie de voir mon projet se développer
Depuis plusieurs mois, Habib avait mis sur pied son état-
major au sein duquel je tenais une place stratégique. Les élections
LA FONDATION 175
sur trois niveaux. Selon mes projections pour cette année, l’équipe
s’agrandirait et il nous faudrait bien plus d’espace que dans les lo-
caux de Saint-Jean. Au mois de mars 2016, La Nouvelle Tribune,
l’un des principaux quotidiens béninois, me consacra plusieurs
pages d’interview, titrant en manchette : « Ancien rappeur deve-
nu vendeur de kluiklui. » Un superbe coup de projecteur sur mon
travail qui me valut félicitations multiples de part et d’autre. J’étais
ait sa mère à ses côtés jour et nuit pendant un an, c’était une
chance pour lui. Nous l’avions décidé ensemble. Nous avions
également convenu qu’elle changerait d’emploi. Dans la socié-
té de gestion immobilière qui l’employait quand je l’ai connue,
pla-
notre kluiklui. Les relations avec les femmes qui nous fournis-
saient s’étaient envenimées, elles étaient devenues gloutonnes et
ne parvenaient pas à suivre notre cadence. Aussi, avions-nous be-
soin d’améliorer nos produits. Pour ce faire, il nous fallait notre
propre unité de production pour préserver les secrets de nos
recettes. Au titre des critiques récurrentes faites aux produits se
trouvait leur texture. Ils étaient durs pour certains. Sans en faire
du biscuit, il fallait trouver un moyen de les rendre plus faciles
-
ma avec l’arrivée de Scarlett, Fatia, Ismaïla et les autres, c’est qu’il
LA FONDATION 181
Parce que ce ne sont pas des créations de votre esprit. Ces mots dé-
signent des choses ou des lieux qui appartiennent à tout le monde,
à la mémoire collective ». Je venais de l’apprendre à mes dépens, on
ne peut pas protéger tout ce que l’on veut. La marque doit avoir un
caractère exclusif et original. Le bon côté de cette nouvelle, c’est
LA FONDATION 183
de nombreux autres noms aussi atypiques les uns que les autres.
Ils répondaient toutefois tous à une même logique : mettre en
-
nation, mettant de côté les noms qui ne pouvaient être pronon-
cés facilement partout et par tous. Les sons « kp » et « gb » par
-
prise, c’était le prénom fon que m’avait donné mon grand-père
maternel à ma naissance. « Dah Yélian » serait donc une marque
leader, qui montrerait le chemin, tiendrait la place de numéro un
et surprendrait par son approche. « Déringardiser » le kluiklui tel
que je l’avais fait et vendre des snacks traditionnels aux allures sim-
185
186 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
plettes ainsi que je le faisais, c’était assurément surprenant et no-
vateur. J’avais été le premier à ouvrir la voie, j’avais été le meneur.
Nous étions donc dans le thème ! Le nom était top ! Vendu ! Je
transmis mes esquisses de mascotte à mon ami Cédric, qui n’était
pas que bon graphiste mais aussi excellent illustrateur. Le résultat
était bluffant. Il avait respecté mon idée d’origine, tout en appor-
-
sionnelle, dans l’air du temps, sympathique et stylée – avec une
-
rement à la croyance populaire, à aucun moment il n’a été ques-
tion de dessiner une mascotte qui me ressemble. L’apparence
des visages tous deux souriants et coiffés d’un inamovible cha-
peau a certainement créé des points de similitude dans l’esprit
-
-
quettes de nos produits. J’avais anticipé, ne voulant pas attendre
le dépôt de marque, qui constitue une procédure assez longue.
— Hello.
— Hello.
— Comment vas-tu ?
— Bien, merci. Et toi ?
LA FONDATION 191
c’est qu’elle ne souhaitait pas juste détenir des parts dans l’affaire.
Elle voulait s’impliquer dans la boîte, apporter ses compétences
et son réseau, et cela n’a pas de prix. C’était la seule proposition
dans laquelle je retrouvais une volonté d’implication person-
preuve dans les négociations. Elle n’était pas bornée et moi non
borne les uns envers les autres. Combien de fois n’avais-je pas
entendu dire « ne t’associe jamais à un compatriote » ? Mais le
féru de lecture que je suis, avais appris dans bien des ouvrages
qu’on ne réalise rien de grand tout seul. Ici ou ailleurs, c’est pa-
reil. Pour grossir, il faut s’associer. Cela comporte des risques,
mais il faut les prendre. Des désagréments et des désaccords ?
LA FONDATION 193
plus une partie de billes entre copains. Les enjeux étaient grands
et nombreux, mais nous pouvions au moins nous satisfaire d’avoir
achevé l’entame avec succès. Entre 2015 et 2016, nous avons
connu une croissance de 1000% environ. Cette performance,
les opérations (qui ont un œil transversal sur les questions), la pro-
duction et le conditionnement, les questions stratégiques à travers
la direction générale pilotée par moi-même. Kate et moi devînmes
co-gérants avec les casquettes respectives de directrice des opéra-
ça ne fait pas partie du job ! Vos objectifs doivent rester votre prio-
rité. Tout est question d’équilibre une fois encore, de dosage entre
les deux bornes.
Mon obsession pour les résultats et l’objectivité me permit de ne
jamais faire montre de favoritisme, ni avec Euty, ni avec un jeune cou-
sin qui avait effectué un stage de quelques mois chez nous. L’impar-
tialité doit être le maître-mot de la gestion des Hommes, notamment
quand vous avez dans votre staff des membres de votre famille. Euty
eut du mal à intégrer le concept de séparation des statuts, au début. Je
me souviens à quel point elle était choquée lorsqu’en arrivant au bou-
lot, je lui disais juste avant qu’on ne descende de voiture : « Jusqu’à
ce soir, je ne suis plus ton chéri. Ici, je ne suis que ton patron. S’il y a
des sujets concernant la maison ou notre vie privée que tu souhaites
aborder parce qu’ils seraient urgents, envoie-moi un texto et je te
répondrai par le même canal. » C’était peut-être dur mais c’était né-
204 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
cessaire pour qu’elle apprenne à dissocier les deux vies, dans la
mesure du possible.
-
tement les différents produits Dayélian et prononçait leurs noms.
-
donnait quasiment tout. Ce n’était pas mon cas. J’étais souvent
absent, accaparé par le travail, mais quand j’étais présent, je me
devais d’être ferme et de lui imposer des limites. Etre parents :
un job à plein temps, qui prolonge vos journées quand le pre-
mier, conventionnel, s’achève et que vous rentrez à la maison.
faits d’intérêts dans des secteurs variés. Chanter ou tenir des rôles
n’occupait plus qu’une place d’activité occasionnelle dans leur vie
professionnelle, revêtant par là même tout le sens d’une passion :
aucune pression de rentabilité, aucune obligation vis-à-vis des ca-
nons de l’industrie, la possibilité de faire ce que l’on aime, comme
on le désire. Parmi les hommes de média, il y avait aussi ceux qui
ne connaissaient pas E-ray, qui découvraient l’entrepreneur par
Kluiklui d’Agonlin ou Dayélian et qui trouvaient ses réalisations
méritoires. Ce fut le cas de RFI, qui m’intégra dans un sujet au
mois de mai 2017. En mars déjà, j’avais été approché par une jour-
naliste française via ma page professionnelle sur Facebook. Elle
était en charge de proposer des sujets au rédacteur en chef du
magazine télévisé « Réussite », diffusé sur Canal +. « Réussite » ?
Ce serait un superbe coup de pub ! Il s’agissait d’une des émissions
les plus suivies dans toute l’Afrique francophone. Elle mettait en
lumière des initiatives brillantes sur le continent africain. Après
plusieurs échanges, elle soumit, parmi plusieurs autres, le sujet sur
Kluiklui d’Agonlin au rédacteur en chef du magazine qui était le
seul à trancher. Le premier semestre de cette année dense s’acheva
par la grande dot que j’effectuai, dix-huit mois environ après la pe-
mon épouse.
-
ning d’exécution, etc. En somme, c’était un condensé de business
plan, à présenter selon un canevas précis. La notation prendrait
-
ment…) que le fond (pertinence de l’approche, capacité du modèle
à être évolutif et reproductible à grande échelle, réalisme, cohérence
du plan de développement...).
Le jour J, nous fûmes répartis en plusieurs groupes. Un jury
était chargé d’écouter chaque projet. Les vainqueurs de ce premier
jury allait siéger. Cette fois-ci, plus de support. Juste une présenta-
tion « au feeling », suivie de questions des jurés. A l’aise en public,
-
portai la « Business Competition ». J’étais doublement heureux, car
l’oral que nous autres. Bien que n’ayant pas eu la possibilité de pra-
tiquer mon anglais pendant sept ans, je n’avais pas tout perdu ; je
m’en sortais bien. L’anglais, si tant est qu’il faille encore le rappeler,
est indispensable de nos jours. Mettez-vous à jour et n’attendez pas
pour y habituer vos enfants, en n’oubliant pas l’arabe, l’espagnol et
le chinois qui seront des atouts indéniables, dans le futur proche.
-
nion pensait que nous avions sollicité Canal+ alors que c’était
la chaîne elle-même qui nous avait repérés et était venue à nous.
221
222 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
Vous devez croire en la puissance du travail et en la magie de la
passion. Elles rendent toute chose possible. Chaque projet doit
faire l’objet d’une attention particulière comme chaque client l’objet
d’un soin particulier. Ne laissez rien passer qui puisse amoindrir
la teneur de vos performances. Quant au spot publicitaire promou-
vant les produits Kluiklui d’Agonlin, il suscita l’admiration des in-
ternautes bien au-delà des frontières béninoises. Entre illustrations
et scènes réelles, inspiré de l’univers des contes africains, il racon-
tait l’origine du kluiklui et s’intitulait « Sur les traces de la galette en-
chantée ». Nous avions opté pour une diffusion exclusivement di-
gitale via WhatsApp et Facebook notamment. Le spot fut visionné
plus de 400 000 fois. Le buzz généré durant cette période de belles
récoltes entraîna une multiplication des sollicitations de participa-
tion à tel ou tel événement en tant qu’orateur. Ma vie de speaker est
passionnante, elle me permet de partager. Conférencier intermit-
tent aujourd’hui, conférencier à plein temps demain, assurément.
qu’il faut aller vite pour conserver son leadership. Kate et moi déci-
lon les cas, sont des étapes inévitables dans le cycle de vie d’une
organisation qui se veut puissante, grandissante et qui traverse
le temps. Pour nous, devenir distributeur de produits agroalimen-
taires et cosmétiques n’est que la première étape d’un plan global et
ambitieux. Une telle transformation n’est possible que si la vision
vient d’en haut, donc du manager qui est le leader du groupe. Iri-
dium employait désormais une trentaine de personnes et l’équipe
s’était installée dans de nouveaux locaux à Maro-Militaire, en pleine
ville, pour des raisons de commodité (besoin d’espaces plus grands,
relever tous les jours. Mon ambition est de parvenir à créer une
« Génération Iridium », avec des vertus, des valeurs et de la com-
pétence. Et pour y parvenir, le premier levier c’est l’exemplarité.
Faites ce que vous demandez à vos collaborateurs de faire. Les
miens m’ont souvent dit qu’ils apprenaient énormément à mes cô-
tés, que mon style de management les stimulait, qu’ils décuplaient
leur potentiel et se découvraient des facultés insoupçonnées à mon
contact : compliment ultime pour un manager !
médias, riposter dans le même style, mais mon code éthique m’em-
pêchait de tomber si bas, pour descendre au niveau de mes adver-
saires dans les bas-fonds de la morale, où l’on donne des coups en
dessous de la ceinture.
et je préférais m’y accrocher. Ils tentèrent dans le même temps une
résolution à l’amiable, pendant laquelle la fausseté des auteurs et
leur malhonnêteté m’avertissaient de la suite : ils essayaient simple-
ment de gagner du temps et ne respecteraient rien des engagements
pris autour de la table. L’avenir allait donner raison à mon intuition.
Aucunement surpris, je décidai de ne plus me soucier de cette af-
faire. J’avais fait le nécessaire, j’avais protégé mon clan. L’objectif
des diverses actions entreprises n’était nullement de chasser des
intrus de mes terres, mais de leur montrer que la chasse a ses règles.
Nous devons créer nos propres modèles, nos propres icônes. Nos
populations ont besoin d’inspiration, de motivation, de leadership.
En tant que speaker, j’ai cette formidable opportunité de pouvoir
parler aux gens pour les stimuler, pour créer l’ignition. Mais au-delà
de l’art oratoire, il y a l’art de l’écoute et l’art de la pratique. Ainsi,
depuis 2017, je n’hésite pas à consacrer un peu de mon temps à
ceux qui sollicitent mon avis, mon expertise, mes conseils quant à
1 et 2 : Esquisses primaires du
logo, réalisées par
Régis EZIN. Régis EZIN, rece-
3 vant un prix d’excel-
conçue par un illustrateur. lence à Abidjan.
(2016) (2017)
PRATIQUEZ LES « 3R »
clé. Agir sans délai est une approche que devrait développer chaque
entrepreneur. S’il est nécessaire de mûrir les décisions stratégiques,
il ne faut surtout pas perdre de temps au niveau opérationnel ou
seul. Mettre sur le marché des produits plus chers que ceux qui
existent déjà et dont les prix sont décriés par certains, c’est aussi
un risque. Nous l’avons fait. Et les produits concernés font au-
jourd’hui partie de notre Top 5.
N’ECONOMISEZ PAS
projet. Ne vous privez pas d’investir dans vos propres projets. Se-
mez pour l’avenir. Quant à votre temps et votre énergie, ils ré-
pondent à la même règle : dépensez sans compter. C’est pourquoi
il est important de développer des projets qui vous passionnent.
-
tition et l’exercice rendent un mouvement parfait. C’est en pas-
sant du temps à faire et refaire telle ou telle autre chose que l’on
acquiert expertise et facilité d’exécution. Pendant quatre années,
j’ai mis tout ce que j’avais dans mon projet agroalimentaire, sans
retenue. J’y croyais, et j’ai fait en sorte que cela fonctionne. S’in-
vestir pleinement vous donne également l’obligation de réussir.
VALORISEZ-VOUS !
moyens que vous avez. Plus vous aurez une offre précise, pointue
et attractive, plus vous serez à même de trouver de l’argent pour
booster votre business. Par contre, l’argent sera mal dépensé si
LISEZ
Ce qui se cache dans les livres est comme l’or enfoui dans
la terre. Tous les grands leaders vous le diront : il faut lire, c’est
l’une des clés du succès. Warren BUFFET, un des Hommes les plus
riches de notre époque, consacre à la lecture plusieurs heures par
jour. Avec Internet aujourd’hui, s’informer et accéder à la connais-
sance est un jeu d’enfant. Jamais l’Homme n’a eu autant d’options
249
250 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
pour apprendre, se cultiver : journaux, magazines, livres aux for-
mats divers, blogs, sites Web, etc. Paradoxalement, les gens ne lisent
quasiment plus. Cette triste situation offre l’avantage, à ceux qui
s’adonnent encore à cette activité fort enrichissante, d’être bien plus
armés que la masse, car plus instruits, mieux structurés, mieux infor-
més et par conséquent plus aptes à accomplir de grandes choses.
CREEZ UN CERCLE-TRACTEUR
plus fous. Ceux qui vous sont chers sont, par défaut, membres de
-
porte, c’est d’expérimenter différentes solutions pour n’en retenir
qu’une ou deux. Il est effrayant de constater que peu de gens ont
l’habitude de prendre note de ce qu’ils ont à faire, sous prétexte
-
manent. Tout est important, mais tout n’est pas urgent. Voici par
conditionnement
de cuisine
- Prendre rendez-vous chez le dentiste
MON BRÉVIAIRE 253
-
té de progression. Quant aux autres, mettez un point d’honneur
tous les Hommes, sous tous les cieux, et que l’on retrouve expri-
mées clairement dans tous les Livres Saints et ceux dits de Sa-
gesse. Se connecter au Divin est la façon la plus sûre d’obtenir
fut triste. Le Big Boss (c’est ainsi que j’aime appeler Dieu) essuya
ses larmes et lui expliqua qu’elle n’avait pas à craindre quoi que ce
soit et que personne n’étoufferait sa brillance.
elles, du tien. Vous êtes les grains de beauté du ciel, et si j’ôtais d’ici
une seule d’entre vous, l’harmonie serait bouleversée et l’équilibre
perturbé.
certes elle brillerait, mais bien assez peu pour créer l’effet de mil-
lions d’astres. L’étoile n’a pas besoin d’éclipser les autres pour
se sentir exister. Elle est puissante intrinsèquement, mais dé-
cuple son pouvoir si elle donne aux autres la possibilité d’exister.
L’étoile doit être un courant d’amour et de tolérance, d’humi-
lité mais également d’assurance, celle d’être unique parmi mille.
262 JUSQU’AU BOUT, J’IRAI
-
pa rose, à la manière d’une rockeuse. Lola, qui semble apprécier
sa virée en bécane, avançant sans trop se soucier de la destina-
Demain n’est pas si loin. Demain n’est pas. Demain c’est main-
tenant. L’avenir est une succession de présents interconnectés, au
cours desquels chaque incidence est la conséquence de la précé-
Cet ouvrage peut faire l’objet de prix étudiés pour les achats en gros.
Il est possible de commader en grande quantité des éditions spéciales,