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Presse Med.

2007; 36: 1959–69 en ligne sur / on line on


© 2007 Publié par Elsevier Masson SAS.
www.masson.fr/revues/pm h é m at o l o g i e

Mise au point
Diagnostic et prise en charge
de l’anémie hémolytique auto-immune

Pierre Philippe

Service de médecine interne, Hôtel-Dieu, CHU de Clermont-Ferrand,


Clermont-Ferrand (63)

Correspondance :
Pierre Philippe, Service de médecine interne, Hôtel-Dieu,
CHU de Clermont-Ferrand, Boulevard Léon Malfreyt,
63058 Clermont-Ferrand Cedex 1.
Tél. : 04 73 750 085
Disponible sur internet : Fax : 04 73 750 361
le 03 mai 2007 pphilippe@chu-clermontferrand.fr

■ Key points ■ Points essentiels


Autoimmune hemolytic anemia: diagnosis Affirmer une anémie hémolytique auto-immune (AHAI) se
and management résume en pratique à la constatation, au cours d’une anémie d’inten-
sité variable généralement macrocytaire et très régénérative, d’un
Autoimmune hemolytic anemia (AIHA) is diagnosed in the pre- test de Coombs direct positif, ou de la présence d’autoanticorps
sence of anemia, usually macrocytic and of variable intensity, reti- anti-érythrocytaires sériques, après exclusion des autres causes
culocytosis, and a positive direct and/or indirect antiglobulin test, d’hémolyse.
after ruling out other types of hemolytic anemia. La positivité isolée du test de Coombs n’est pas suffisante pour
A positive direct antiglobulin test alone is not sufficient to diag- le diagnostic d’AHAI. En effet, la positivité d’un test de Coombs
nose AIHA and may be positive in many patients without anemia or direct positif chez un patient est possible en dehors de tout
negative in some patients with AIHA. contexte d’anémie, et quelques rares AHAI ont un test de Coombs
AIHA may be classified into two major categories according to direct négatif.
the optimal temperature of antibody activity: warm-reacting Les AHAI peuvent être classées en 2 principaux types en fonction
autoantibodies (usually IgG) optimal around 37°C and cold-reacting de l’optimum thermique d’activité des autoanticorps : 37 °C pour les
autoantibodies, optimal at 4°C (usually IgM). This classification gui- autoanticorps chauds (habituellement de type IgG), 4 °C pour les
des the selection of tests and treatment. autoanticorps froids (habituellement de type IgM). Cette classification
AIHA is widely reported to be associated with a variety of other est la seule utile pour le clinicien car elle guide au mieux le bilan
diseases, although these associations are often fortuitous. A mini- étiologique et surtout la prise en charge thérapeutique.
mal set of useful investigations is appropriate since AIHA may be L’AHAI peut être associée à de multiples affections, mais il s’agit
secondary to viral infections, lymphoid malignancies, or autoimmune bien souvent d’associations fortuites. La définition d’AHAI secondai-
disorders such as lupus. res à des infections virales, à des hémopathies lymphoïdes malignes,
Transfusion should remain rare in AHAI, but close contact with à des maladies auto-immunes comme le lupus, conduit à proposer
the transfusion service is necessary if it is to succeed. un bilan étiologique minimal utile.
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tome 36 > no 12 > décembre 2007 > cahier 3


doi: 10.1016/j.lpm.2007.03.035
Philippe P

As for many autoimmune and/or systemic diseases, numerous Un bon dialogue entre médecins cliniciens et médecins des éta-
types of treatment have been proposed but have not been validated blissements de transfusion est la condition d’une bonne indication
in controlled multicenter studies. These are necessary to improve the transfusionnelle, qui doit rester exceptionnelle dans les AHAI.
management of these rare disorders. Comme dans beaucoup de maladies auto-immunes et/ou systé-
miques, de nombreuses attitudes thérapeutiques ont été proposées
mais ne sont pas validées par des essais cliniques. Les approches
multicentriques, contrôlées manquent. Elles sont pourtant nécessai-
res, étant donné la rareté de cette affection, pour améliorer nos
méthodes et nos objectifs de soins.

L’ anémie hémolytique auto-immune (AHAI) est la situa-


tion pathologique provoquée par la fixation d’anticorps, dirigés
IgM, ou maladie des agglutinines froides (MAF). Peu de rensei-
gnements sur la prise en charge et le suivi des patients, le
contre des “autoantigènes” exprimés à la surface des globules pronostic, ou encore sur la pertinence des “bilans étiologi-
rouges, et responsables de leur destruction prématurée provo- ques” sont disponibles, sauf extrêmement disparates, prove-
quant ainsi une anémie plus ou moins sévère. Ces anticorps nant de la multitude de cas cliniques majoritairement isolés,
sont révélés par la pratique du test de Coombs. Il s’agit d’une répertoriés dans la littérature. En revanche, seuls 13 essais cli-
affection rare, dont la fréquence serait d’environ 1 à 3 niques ouverts, ne concernant que de faibles effectifs, ont été
cas pour 100 000 habitants. L’analyse des données de la litté- publiés durant ces 5 dernières années. Cette revue a pour
rature (7 à 10 articles sur ce sujet sont répertoriés régulière- objet de “revisiter” en fonction de ces données de la littéra-
ment chaque mois dans Medline) permet de dégager les prin- ture, et de notre expérience personnelle, les conditions clini-
cipaux axes. L’AHAI est un modèle de maladie auto-immune à ques et biologiques du diagnostic d’AHAI, le rôle central des
l’origine de nombreux travaux fondamentaux. Les mécanismes anticorps anti-érythrocytaires dans cette affection, avant
physiopathologiques sont de mieux en mieux précisés, d’évaluer la pertinence des enquêtes étiologiques, et de ter-
ouvrant de nouveaux champs de recherche dans la prise en miner en faisant le point des possibilités de prise en charge
charge thérapeutique. En pratique courante, depuis les travaux thérapeutique actuelles et futures.
de Dacie, il est habituel de distinguer parmi les AHAI, en fonc-
tion de l’optimum thermique d’action des autoanticorps, les De l’anémie à l’anémie hémolytique
hémolyses à autoanticorps chauds, généralement de type auto-immune
IgG, les hémolyses aiguës à autoanticorps froids et les hémo- Établir un diagnostic d’AHAI ne pose habituellement guère
lyses chroniques à autoanticorps froids, généralement de type de problème. C’est le diagnostic d’une anémie, découverte
le plus souvent devant un tableau insidieux non spécifique
fait du cortège plus ou moins marqué des signes fonction-
nels de l’anémie, parfois devant un tableau plus spécifique
de crise aiguë. Les données qui vont suivre sont issues des
Glossaire
rares séries de la littérature [1-3] et de notre propre expé-
AHAI anémie hémolytique auto-immune
APL anticorps antiphospholipides rience portant sur 66 patients [4].
BOM biopsie ostéomédullaire
CR1 Complement Receptor 1 Anémie
LDH lacticodéshydrogénase
LLC leucémie lymphoïde chronique Les valeurs de l’hémoglobine sont très variables. Le volume
LNH lymphome non hodgkinien globulaire moyen est dans la plupart des cas élevé, reflétant
MAF maladie des agglutinines froides l’hyperstimulation médullaire dont témoigne l’hyper-
MAT microangiopathie thrombotique réticulocytose, et parfois une érythroblastose sanguine, voire
MSH microsphérocytose héréditaire
RAI recherche d’agglutinines irrégulières une myélémie. La constatation d’une microsphérocytose est
TDM tomodensitométrie fréquente. Elle se distingue de celle constatée au cours de la
microsphérocytose héréditaire (MSH) par le fait que la perte de
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Diagnostic et prise en charge de l’anémie hémolytique auto-immune
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Mise au point
surface membranaire, constatée dès le stade de réticulocyte d’anticorps complets. Ces agglutinines sont de nature IgM,
dans la MSH, ne concerne que les globules rouges matures seules capables pour des raisons conformationnelles (du fait
au cours de l’AHAI [5], mais ce type d’étude n’est pas réali- de leur structure pentamérique), de réaliser l’agglutination
sable en pratique courante. Dans notre expérience [4], 3 mala- spontanée des globules rouges dès lors qu’ils sont fixés sur
des sur 4 seulement ont une réticulocytose > 100 G/L. La réti- les antigènes qu’ils reconnaissent à la surface du globule
culocytose peut en effet être normale ou basse en cas de rouge.
recherche très précoce ou d’hémolyse des réticulocytes. D’autres anticorps peuvent simplement se fixer sur les globu-
les rouges (qui sont alors “sensibilisés”), sans que cela
Hémolyse n’entraîne de réaction spontanément visible in vitro telle que
Pâleur, ictère, fièvre, splénomégalie sont des signes classiques l’agglutination. On les dénomme de ce fait anticorps incom-
d’appel dont la fréquence a été rarement évaluée. Pirofsky [6] plets. Ils peuvent entraîner la destruction des globules rouges,
rapporte la présence d’une splénomégalie, d’une fièvre, d’un qui sont phagocytés et détruits dans la rate. Les anticorps
ictère dans respectivement 82, 37 et 21 % des cas. L’haptoglo- incomplets sont toujours des IgG. La détection des autoanti-
binémie est extrêmement sensible pour la détection d’une corps de type IgG qui n’agglutinent pas spontanément les glo-
hémolyse. Dans notre expérience, 3 malades sur 4 ont une bules rouges en milieu salin repose sur l’utilisation de techni-
haptoglobinémie effondrée < 0,05 g/L (normale > 0,8 g/L). ques permettant l’agglutination artificielle des globules rouges
L’interprétation doit toujours tenir compte de l’existence ou lorsqu’ils sont fixés sur les antigènes membranaires contre les-
non d’un syndrome inflammatoire biologique, ou d’une insuf- quels ils sont dirigés. Pour rendre agglutinante la fixation des
fisance hépatique associés. Le dosage de la lacticodéshydrogé- IgG sur les globules rouges, plusieurs techniques sont utilisa-
nase (LDH) peut être utilisé comme marqueur quantitatif bles. Certaines sont basées sur la modification des charges
d’hémolyse au cours du suivi des AHAI, en particulier si le électriques en présence : travail en milieu macromoléculaire
taux initial est élevé (témoignant alors d’une participation plutôt qu’en milieu salin, utilisation d’enzymes protéolytiques
intravasculaire dans l’hémolyse), mais il peut être normal. Il (trypsine, papaïne, broméline) pour diminuer la charge élec-
en est de même du taux de bilirubine non conjuguée. Dans trique des globules rouges. En fait, la détection des anticorps
notre expérience, ces dosages étaient normaux (1 malade supposés fixés sur les globules rouges fait appel en pratique
sur 3), un peu augmentés (1-2N chez 1 malade sur 3) ou éle- quotidienne au test de Coombs. Décrit par Coombs en 1945,
vés (> 2N chez 1 malade sur 3). il permet de mettre en évidence la présence d’anticorps diri-
gés contre les globules rouges qu’ils soient fixés sur la surface
Auto-immunité anti-érythrocytaire érythrocytaire (test de Coombs direct) ou circulants (test de
Elle repose sur la détection d’autoanticorps anti- Coombs indirect). Le principe consiste à utiliser des anticorps
érythrocytaires, soit dans le sérum, soit lorsqu’ils sont fixés dirigés contre le fragment Fc des Ig humaines (obtenus par
sur les globules rouges par différentes techniques dont la prin- immunisation de lapins). Ainsi, et ce uniquement si des IgG
cipale, le test de Coombs direct, est positive dans 95 % des cas sont fixées par leur fragment Fab à la surface des globules
d’AHAI. rouges testés, les antiglobulines de lapin provoquent l’aggluti-
nation de ces globules rouges. Cette technique permet égale-
De l’anticorps à la maladie ment (en réalisant le test avec des anticorps de lapin dirigés
contre le complément) de détecter du complément éventuel-
Lors d’une hémolyse, affirmer un diagnostic d’AHAI sous-
lement fixé à la surface des globules rouges à tester. Pour
entend que l’on a répondu à 2 questions : Existe-t-il des auto-
détecter des anticorps de type IgG circulants, ou dans l’éluat,
anticorps fixés à la surface des globules rouges ? Sont-ils res-
la manipulation consiste à incuber des hématies tests avec le
ponsables de l’hémolyse observée ?
sérum ou l’éluat à étudier et ensuite à réaliser un test de
Existe-il des autoanticorps fixés à la surface Coombs direct avec lesdites hématies.
du globule rouge ? Le terme d’hémolysine concerne des anticorps qui lysent les
globules rouges in vitro lors de la réalisation par le laboratoire
Détection des anticorps anti-érythrocytaires de tests d’hémolyse. Il peut s’agir d’IgM, ou, dans le cas de
Le type d’anticorps impliqué dans le conflit immunologique l’hémolysine biphasique de Donath Landsteiner, d’IgG. Cette
dirigé contre les globules rouges conditionne les possibilités dernière se caractérise par sa capacité de se fixer sur les glo-
de leur mise en évidence in vitro. bules rouges et de fixer le complément à froid (test de
Certains anticorps sont capables, en se fixant sur les antigènes Coombs direct positif à froid), puis de provoquer la lyse des
membranaires contre lesquels ils sont dirigés, de provoquer globules rouges lorsque le milieu est ramené à 37 °C. Elle est
spontanément in vitro en milieu salin l’agglutination des glo- responsable essentiellement chez l’enfant de l’hémoglobinurie
bules rouges entre eux, ce qui leur a valu leur dénomination paroxystique a frigore.
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L’optimum thermique d’activité de l’anticorps permet de dis- Test de Coombs direct positif
tinguer les autoanticorps chauds qui se fixent sur les globules Le test de Coombs direct est positif dans 95 % des AHAI, ce qui
rouges à la température corporelle (environ 37 °C), et les auto- témoigne d’une très bonne sensibilité de ce test pour le diag-
anticorps froids dont l’action va croissante au fur et à mesure nostic d’AHAI. Sa spécificité pour ce diagnostic est en revanche
de la baisse de la température, et ce dès 30-35 °C [7], avec un plus difficile à appréhender. Ainsi, le test de Coombs direct est
maximum d’activité à + 4 °C. positif chez 1/10 000 donneurs de sang sains et chez 10 %
Les autoanticorps chauds [7] sont majoritairement des IgG des malades hospitalisés quel qu’en soit le motif [12]. Chez
(IgG1, beaucoup plus fréquemment que des IgG2, IgG3, les sujets qui présentent une anémie hémolytique, la positivité
IgG4). Lorsque l’anticorps est chaud, le test de Coombs direct du test de Coombs direct est prédictive du diagnostic d’AHAI
est de type IgG, ou “mixte” IgG-complément, parfois complé- dans 83 % des cas, alors que chez les sujets “tout venant”,
ment seul. Bien que les IgG ne fixent pas le complément, la elle n’est que de 1,4 % [13].
présence d’IgG est associée une fois sur 2 à la présence de Les causes de positivité erronées sont rares et doivent avoir
complément. Dans environ 10 % des cas, il n’est retrouvé été éliminées [14]. En revanche une place particulière doit
que du complément à la surface des globules rouges, confirmé être faite aux hémolyses d’origine médicamenteuse qui peu-
vent être associées à un test de Coombs direct positif, avec ou
par une élution négative. La fixation du complément est alors
sans anémie [15]. Après une première phase d’interaction des
autorisée soit par la présence d’un nombre important de sites
médicaments avec la membrane érythrocytaire, ceux-ci peu-
antigéniques, soit plus rarement par la présence d’une IgM
vent être responsables suivant les cas de l’induction d’anti-
associée à l’IgG [7]. L’IgG peut en effet être associée dans de
corps de plusieurs types.
rares cas à de l’IgM ou à de l’IgA. Exceptionnellement, les
Il peut s’agir de l’émergence d’anticorps dirigés directement
autoanticorps chauds peuvent être de type IgM, ou IgA, seules.
contre le médicament ou certains épitopes du médicament,
Dans un travail portant sur un collectif de 5 235 patients
fixés sur la membrane érythrocytaire. Le test de Coombs direct
atteints d’AHAI [8], 124 (2 %) exprimaient de l’IgA. La plupart
est alors pratiquement toujours de type IgG. Il peut s’agir
exprimaient aussi de l’IgG et ou de l’IgM (95 % des cas), du
d’anticorps dirigés contre des structures communes au médica-
complément (82 % des cas).
ment et à la membrane érythrocytaire. Le test de Coombs
Les autoanticorps chauds peuvent reconnaître certaines spéci- direct est plutôt dans ces cas de type complément seul. Ces
ficités. Il s’agit beaucoup plus souvent de structures glycopro- anticorps peuvent engendrer une hémolyse aiguë, immuno-
téiques de base du système Rhésus (absentes uniquement allergique, survenant très rapidement après la prise médica-
chez de rares sujets) [9] que d’antigènes simples. D’autres menteuse en cas de sensibilisation antérieure, disparaissant
spécificités : antiglycoprotéines membranaires du globule le plus souvent à l’arrêt du médicament. C’est le cas notam-
rouge [10], ou encore activité antiphospholipide [11], ont été ment des bêtalactamines (pénicillines, céphalosporines de 2e
rapportées. et 3e générations), isoniazide, rifampicine, sulfamides, quinine
Les autoanticorps froids sont essentiellement des IgM et fixent et quinidine (liste non exhaustive).
le complément. Lors de l’auto-immunisation, il s’agit habituel- Ailleurs, la positivité du test de Coombs direct peut être liée à
lement d’agglutinines froides. Leur présence est aisée à l’induction par le médicament d’autoanticorps indépendants
suspecter : le cytologiste constate, lors d’une demande du médicament et reconnaissant des antigènes de la mem-
d’hémogramme, des hématies agglutinées sur lame, c’est-à- brane du globule rouge. C’est historiquement le cas de l’alpha-
dire à la température du laboratoire (bien inférieure à la tem- méthyldopa, qui n’est plus guère utilisée actuellement. Le test
pérature corporelle). Ce phénomène est totalement réversible de Coombs direct est pratiquement toujours de type IgG.
à 37 °C. Lorsque l’anticorps est froid, le test de Coombs direct D’autres médicaments (lévodopa, procaïnamide, diclofénac,
est de type complément seul (ou IgM-complément). etc.) ont également été incriminés depuis.
Lorsqu’une spécificité particulière de ces autoanticorps est Test de Coombs direct négatif
trouvée, elle est habituellement dirigée contre des antigènes Si le test de Coombs direct est négatif, il s’agit probablement
“publics” : antigènes du groupe I, i (I dans la majorité des cas). d’une anémie hémolytique non immunologique. Les causes
L’hémolysine biphasique de Donath Landsteiner est une IgG de des hémolyses non immunologiques sont multiples, mais cer-
spécificité anti-P. taines méritent plus particulièrement d’être discutées. C’est le
cas tout d’abord des microangiopathies thrombotiques (MAT).
Interprétation du test de Coombs en pratique courante AHAI et MAT peuvent survenir sur des “terrains prédisposants”
Le test de Coombs direct fait obligatoirement partie de l’exper- communs : hémopathies, en particulier lymphoïdes, lupus. La
tise d’une anémie par hémolyse. Les anciennes techniques en thrombopénie dans ces situations peut tout aussi bien être de
tubes, peu sensibles, sont actuellement abandonnées au profit nature auto-immune (syndrome d’Evans) que liée à la
des techniques en gel, beaucoup plus fiables. consommation des plaquettes au cours d’une MAT. La présence
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Diagnostic et prise en charge de l’anémie hémolytique auto-immune
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de schizocytes évocatrice d’une MAT est possible au cours des Dans le cas des autoanticorps chauds, les immunoglobulines
AHAI mais ils sont alors habituellement peu abondants. La pré- étant fixées sur la surface des globules rouges par leur frag-
sence associée d’anticorps antiphospholipides (APL) peut se ment Fab, leur fragment Fc peut être reconnu par le récepteur
rencontrer aussi bien au cours d’une MAT que d’une AHAI, par- pour le fragment Fc des immunoglobulines qu’expriment
ticulièrement au cours du lupus. diverses cellules dont les macrophages, conduisant à la phago-
L’existence d’un contexte fébrile peut poser problème : une cytose des globules rouges, surtout lorsque l’IgG est de type
anémie hémolytique fébrile peut tout aussi bien correspondre IgG1 ou IgG3.
à un accès d’hémolyse au cours d’une AHAI qu’à une hémolyse Le mécanisme de l’hémolyse influence en principe l’efficacité
d’origine infectieuse (paludisme, salmonelloses, babésioses, des traitements proposés, en particulier la splénectomie
etc.). Enfin, la révélation tardive d’une anémie hémolytique (cf. infra). Les récepteurs pour le complément et le fragment
constitutionnelle telle qu’une maladie de Minkowski-Chauffard Fc des immunoglobulines constituent des éléments d’approche
peut tout à fait en imposer pour une AHAI en raison de la néga- intéressants dans la physiopathologie et de ce fait dans les
tivité des bilans étiologiques d’hémolyse chez un sujet dans la potentialités thérapeutiques envisageables des AHAI.
deuxième moitié de la vie, et de l’existence d’AHAI à test de Actuellement, il n’existe aucun test fiable permettant de carac-
Coombs direct négatif. tériser le degré de responsabilité in vivo d’un autoanticorps
En effet, environ 5 % des AHAI ont un test de Coombs direct anti-érythrocytaire dans la destruction des globules rouges,
négatif. Leur tableau clinique (âge, sexe, présentation) est car la survenue d’une hémolyse dépend de multiples facteurs
semblable à celui des autres AHAI, mais elles auraient un pro- [15] :
nostic plutôt meilleur [16]. La raison de la négativité du test de • quantité d’anticorps fixés : spécificité, température ;
Coombs direct au cours d’une réelle AHAI n’est pas univoque • type d’autoantigène : densité, expression ;
[16, 17]. Ce diagnostic ne doit être posé qu’après analyse soi- • quantité de complément fixé ;
gneuse de toutes les raisons possibles de la négativité du test • nombre de récepteurs pour Fc, pour C3b ;
de Coombs direct, lorsque le tableau clinique est compatible, • affinité de l’autoanticorps ;
en particulier s’il existe un contexte auto-immun par ailleurs • type d’IgG fixé (IgG1, IgG3).
(thrombopénie, autres autoanticorps tels qu’antinucléaires,
APL) ou de déficit immunitaire constitutionnel, ou acquis en De l’anémie hémolytique auto-immune
particulier au cours de la leucémie lymphoïde chronique (LLC). “symptôme” à l’anémie hémolytique
auto-immune “maladie”
Les anticorps trouvés sont-ils responsables Si l’AHAI est un syndrome biologique bien défini, en revanche
de la maladie observée ? son spectre d’expression clinique et étiologique est vaste. Les
Les AHAI occupent une place remarquable au sein des mala- AHAI à autoanticorps chauds sont environ 2 fois plus fréquentes
dies auto-immunes en ce sens qu’il est prouvé depuis long- que les AHAI à autoanticorps froids. Il est certain que la décou-
temps (grâce en particulier à l’utilisation de leur spécificité) verte d’un test de Coombs direct positif peut poser le problème
que la fixation d’anticorps et de complément à la surface des de son interprétation dans des situations cliniques complexes où
globules rouges est bien responsable de l’hémolyse (par des il peut exister une hémolyse modérée comme au cours des can-
études de survie de globules rouges sélectionnés marqués au cers, des cirrhoses et où se côtoient divers autres mécanismes
chrome 51). d’anémie tels qu’hémorragies, iatrogénie, syndrome inflamma-
Dans le cas d’autoanticorps froids, la sensibilisation des globu- toire, ou encore malabsorption. Il est probablement illusoire
les rouges à l’action du complément peut conduire à leur des- dans ces situations de se lancer dans un bilan exhaustif. Le
truction, ce qui est particulièrement vérifié avec l’hémolysine caractère secondaire d’une AHAI doit être distingué des très
biphasique. L’activation de la voie classique aboutit à la forma- nombreuses comorbidités qui ont été décrites au cours des
tion du complexe d’attaque membranaire (C5 à C9) entraînant AHAI, et qui sont illustrées par la grande diversité de diagnostics
la lyse cellulaire. L’activation du complément par la voie associés notamment dans l’étude de Sokol [2], mais aussi dans
alterne peut conduire à la reconnaissance du C3b, exprimé à la multitude de faits cliniques rapportés dans la littérature.
la surface du globule rouge, par le récepteur au C3b qu’expri- Aucune pathologie associée ne peut être identifiée dans 40 à
ment diverses cellules dont les macrophages. Le globule rouge 60 % des cas d’AHAI suivant les séries.
peut ainsi être capté et phagocyté. Si le C3b n’est pas reconnu,
il est dégradé en C3c et C3d. Seul le C3d reste exprimé à la
Quelles causes ?
surface cellulaire et constitue alors le témoin de la sensibilisa- Les “étiologies” décrites répondent à de grands cadres
tion du globule rouge à l’action du complément. C’est cette nosologiques : les hémopathies lymphoïdes, les infections, les
molécule qui est reconnue par les antiglobulines anticomplé- maladies auto-immunes (tableau I). En dehors de ces cadres,
ment utilisées pour le test de Coombs. lorsqu’une affection associée est identifiée, la question se
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Philippe P

Ta bl e au I
Maladies associées les plus fréquemment rencontrées au cours des AHAI*

Type d’autoanticorps Test de Coombs Formes cliniques Terrain Maladies causales Recherche étiologique
direct ou associées
Autoanticorps chauds IgG seule Anémie hémolytique Adulte jeune Lupus Critères cliniques de lupus,
Mixte chronique (extravasculaire) anticorps antinucléaires, anti-ADN
(IgG-complément) Adulte > 50 ans Hémopathies Immunophénotypage sang (LLC)
Complément seul lymphoïdes TDM ± BOM (lymphomes)
Autoanticorps froids Complément seul Anémie hémolytique Adulte > 50 MAF Électrophorèse ± immunofixation
IgM- complément chronique (extravasculaire) ans TDM ± BOM
+ poussées d’hémolyse
intravasculaire
Anémie hémolytique Enfant CMV, EBV Sérologies
aiguë intravasculaire Adulte jeune Mycoplasma Radio pulmonaire
pneumoniae
Hémolysine biphasique IgG-complément Hémoglobinurie Plutôt Notion d’épisode
de Donath Landsteiner paroxystique a frigore enfant < 5 ans viral récent

* AHAI d’origine médicamenteuse exclues.


LLC : leucémie lymphoïde chronique ; TDM : tomodensitométrie ; BOM : biopsie ostéomédullaire ; MAF : maladie des agglutinines froides ; CMV : cytomégalovirus ;
EBV : Epstein-Barr virus

pose de savoir s’il agit en réalité d’une véritable cause à l’émer- facteur de risque de complications thrombotiques lié aux APL
gence d’une AHAI, préalable, simultanée ou successive ou d’une indépendamment du lupus [21, 22]. Il semble bien exister un
simple association. L’AHAI a été décrite, de façon occasionnelle, véritable spectre d’affections entre le lupus et l’AHAI, centré
associée à des maladies qui, elles, sont très fréquentes. Il s’agit peut-être par les APL. Les apports de différents travaux récents
là probablement d’associations fortuites, comme dans le cas du mettent en exergue le rôle de “dénominateur commun” que
diabète, des cirrhoses, des tumeurs solides, de la polyarthrite pourraient jouer les APL, qui peuvent être retrouvés au cours
rhumatoïde, des dysthyroïdies. Toutefois, en ce qui concerne de chacune des extrémités du spectre de l’AHAI, du lupus ou
les tumeurs solides, il faut mentionner l’intérêt de la recherche de leur association (figure 1).
d’une tumeur ovarienne puisqu’il a été établi (une vingtaine La fréquence des hémopathies lymphoïdes dans les différentes
d’observations publiées depuis 1969) que l’AHAI est un syn- séries d’AHAI est de 20 à 30 % des cas. La fréquence de l’AHAI
drome paranéoplasique disparaissant avec la cure chirurgicale est variable suivant le type d’hémopathie : de 1 à 3 % au cours
de la tumeur. Le test de Coombs direct peut être positif au de la maladie de Hodgkin (probablement surestimée : un
cours des hémolyses d’origine médicamenteuse (cf. “Interpréta- certain nombre de ces maladies de Hodgkin étant plus vraisem-
blablement des lymphadénopathies angio-immunoblastiques
tion du test de Coombs en pratique courante”).
telles que décrites par Frizzera en 1975 et dont on sait depuis
Causes classiques, causes nouvelles… qu’il s’agit de lymphomes T), de 3 à 5 % au cours des lympho-
mes non hodgkiniens (LNH), et surtout de plus de 20 % au
L’AHAI au cours de la maladie lupique peut être le seul symp- cours de la LLC (affection au cours de laquelle il est fréquem-
tôme et précéder de plusieurs années les autres manifesta- ment constaté un test de Coombs direct positif en dehors de
tions. L’AHAI ne représente qu’à peine 15 % des causes toute hémolyse). Il peut s’agir d’autoanticorps chauds, IgG poly-
d’anémie dans cette maladie [18], loin derrière les anémies clonales, avec un test de Coombs direct de type IgG ou IgG-
par carence martiale ou liées au syndrome inflammatoire. Le complément, ou d’autoanticorps froids, IgM alors monoclonales,
test de Coombs direct est de type IgG ou mixte IgG- le plus souvent de spécificité I, avec un test de Coombs direct de
complément. L’AHAI est initialement associée de façon signifi- type complément. Au cours des LLC, la survenue d’une AHAI
cative à l’atteinte rénale, à la présence d’APL, mais aussi à la après la mise en place d’un traitement n’est pas rare, en parti-
thrombopénie et surtout au risque de thrombose pendant le culier depuis l’utilisation des analogues des purines comme la
suivi [19]. Le groupe AHAI diffère ainsi du groupe des autres fludarabine, la cladibrine [12] capables de potentialiser la gra-
anémies du lupus par un taux élevé d’APL et de thromboses vité de cette complication (la constatation d’un test de Coombs
[20]. L’AHAI apparaît donc à la suite de ces travaux comme un direct positif contre-indique leur utilisation).
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Diagnostic et prise en charge de l’anémie hémolytique auto-immune
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Mise au point
1 834 patients parmi une population de 4,7 millions d’habi-
tants, qui amène quelques réponses [2]. Aucune autre étude
observationnelle d’envergure n’a été publiée depuis.
Plusieurs situations peuvent se présenter (tableau I). S’il s’agit
d’un enfant en bas âge, c’est le test de Coombs direct qui est
l’examen d’orientation, recherchant de principe une hémoglo-
binurie paroxystique a frigore dont la survenue peut être pré-
cédée d’un épisode viral. Chez les adultes, en cas d’hémolyse
aiguë, l’enquête sera orientée par le contexte clinique en
recherchant, s’il s’agit d’anticorps froids, des arguments en
faveur d’une pneumonie à Mycoplasma pneumoniae, d’une
infection au virus d’Epstein Barr ou au cytomégalovirus. S’il
s’agit d’anticorps chauds, quel que soit l’âge, la possibilité
d’une hémolyse immuno-allergique d’origine médicamen-
teuse doit être considérée avant les autres étiologies étant
donné la possibilité de guérison à l’arrêt du médicament.
Lors d’une hémolyse chronique, en l’absence de signes
d’orientation, le bilan minimal, avant de porter un diagnostic
d’AHAI idiopathique, doit comporter : recherche d’anticorps
F ig u r e 1 antinucléaires (surtout chez la femme jeune), électrophorèse
AHAI et lupus des protéines, tomodensitométrie (TDM) throraco-abdominale.
ACAN : anticorps antinucléaires ; AHAI : anémie hémolytique auto immune ; APL : anticorps En revanche, la rentabilité de la biopsie ostéomédullaire
antiphospholipides ; LEAD : lupus érythémateux aigu disséminé.
(BOM) de principe, en l’absence de tout signe d’appel clinique
ou biologique, paraît faible [1]. En dehors de ces situations, la
constatation d’une AHAI au cours d’une pathologie déjà iden-
La MAF est un syndrome lymphoprolifératif clonal. C’est une tifiée va faire discuter les éventuels liens entre les 2 affections.
pathologie de la deuxième moitié de la vie, dont la présenta-
tion clinique est marquée par la grande fréquence des symp- Prise en charge : de la simple surveillance
tômes liés au froid (syndrome de Raynaud, acrocyanose) et de aux thérapeutiques agressives
l’exacerbation de l’hémolyse lors de maladies fébriles intercur- Le pronostic de l’AHAI est très variable. Certaines AHAI sont
rentes. Dans une série récente de 86 cas [23], il est retrouvé aiguës mais transitoires, régressant spontanément ou avec
une infiltration médullaire par un lymphome dans 76 % des quelques mesures simples : c’est le cas des hémolyses à auto-
cas (un lymphome lymphoplasmocytaire dans 50 %) et une anticorps froids observées au cours des viroses. Ailleurs la
immunoglobuline monoclonale de type IgM (90 % des cas) maladie est chronique, pouvant ne nécessiter qu’une simple
avec une chaîne légère kappa (94 %). Sur un suivi de 10 ans, surveillance comme dans certaines formes modérées de MAF.
la transformation en un lymphome plus agressif est observée Dans cette affection, la durée médiane de survie observée est
dans 3,5 % des cas. de 12,5 ans [23]. La maladie peut être au contraire sévère,
Comme le purpura thrombopénique immunologique, l’AHAI fait résistante au traitement ou récidivante, comme certaines
partie des manifestations auto-immunes rencontrées au cours AHAI à autoanticorps chauds primitives ou secondaires à une
des déficits immunitaires [24], des colites ulcéreuses [25], et hémopathie lymphoïde ou à une maladie lupique, pouvant
plus récemment de l’infection par le virus de l’hépatite C [26]. obliger à utiliser successivement plusieurs lignes de traite-
ment. Certains cas peuvent justifier la mise en œuvre de thé-
Le diagnostic d’anémie hémolytique auto-immune rapeutiques lourdes et/ou onéreuses.
posé, quel bilan “étiologique” faut-il faire ?
Globalement, dans 40 à 60 % des cas suivant les séries, l’AHAI
Mesures d’ordre général
n’est associée à aucune autre pathologie et apparaît donc La prise en charge d’une AHAI dépend en tout premier lieu de
comme une maladie primitive, ce qui pose bien entendu le sa tolérance, elle-même fonction de la rapidité de constitution
problème des limites à donner à la recherche d’une étiologie. et de la sévérité de la chute de l’hémoglobine, ainsi que du
La recherche des principales étiologies est en partie condition- terrain sur lequel elle survient. Beaucoup d’équipes dont la
née par le terrain et le type d’anticorps froid ou chaud. C’est nôtre prescrivent assez systématiquement des folates quelle
encore l’étude de Sokol, privilégiée parce qu’elle est exhaus- que soit la gravité de l’anémie, uniquement en raison de
tive sur une durée de 10 ans et a concerné une cohorte de l’augmentation des besoins du fait de l’activité régénérative,
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et à une posologie quotidienne plutôt de 0,4 mg/j, probable- ou en bolus (fréquence et posologie par bolus non codifiées),
ment suffisante. Les mesures de protection contre le froid n’ont fait l’objet d’aucun essai contrôlé. Une réponse est
s’imposent en cas d’anticorps froids car les malades peuvent observée dans 70 à 80 % des cas en 1 à 3 semaines, mais
être très sensibles à l’environnement probablement en liaison après une diminution lente de la posologie sur plusieurs
avec l’optimum thermique de leur anticorps (rarement déter- mois, moins de 20 % des malades ne requièrent aucun traite-
miné de façon précise). Il faut prévenir avec soins la maladie ment [12, 15, 28]. Lorsqu’un tel traitement est proposé chez
thromboembolique veineuse particulièrement s’il existe des un patient atteint de LLC, la prévention des infections opportu-
APL associés et si le malade est au repos. nistes peut s’avérer nécessaire surtout en cas de traitement
prolongé à forte dose. Un traitement de 2e ligne doit être
Transfusion engagé en cas de corticorésistance, ou de corticodépendance
Plus que sur un chiffre d’hémoglobine sorti de son contexte, la à plus de 15 mg/j [28].
décision de transfuser doit être guidée essentiellement par le
caractère menaçant de l’anémie. En effet, au cours des AHAI, Danazol
des autoanticorps libres, même s’ils n’ont pas pu être mis en Le danazol (Danatrol®) a été signalé comme pouvant permet-
évidence, peuvent se fixer sur les globules rouges transfusés tre une épargne cortisonique [12], bien qu’aucune étude
expliquant une relative inefficacité transfusionnelle, hormis si contrôlée n’ait démontré son intérêt réel.
la spécificité de ces autoanticorps permet de sélectionner des
donneurs ne possédant pas l’antigène répondant à cette spé- Splénectomie
cificité (ceci pouvant être difficile du fait de la grande fré- La splénectomie est efficace en 2e ou 3e ligne dans 60 %
quence des antigènes concernés). En cas de nécessité transfu- des cas, là encore uniquement si l’anticorps est chaud. Elle
sionnelle au cours de la MAF, l’utilisation d’un réchauffeur de peut être réalisée par cœlioscopie, en l’absence de contre-
sang est théoriquement utile, mais aucune étude à notre
indication à cette technique, avec les précautions
connaissance ne permet d’en évaluer le bénéfice attendu.
habituelles : antibioprophylaxie par 2 millions d’unités de
Par ailleurs, il peut exister un risque transfusionnel lié à
pénicilline V quotidiens pendant au moins 2 ans actuelle-
d’éventuels alloanticorps dont la présence peut être masquée
ment recommandée, vaccination antipneumococcique et
par les autoanticorps. Leur identification repose sur la recher-
pour certains anti-Haemophilus [29], anticoagulants posto-
che d’agglutinines irrégulières (RAI), rendue difficile par la pré-
pératoires puis antiagrégants tant que les plaquettes
sence d’autoanticorps qui saturent tous les sites, se compor-
demeurent élevées. Des techniques d’embolisation splé-
tant comme des pan anticorps.
nique sont à l’étude et non encore évaluées. En cas de réci-
Les techniques d’identification peuvent demander 4 à 6 heures
dive après splénectomie, la corticothérapie est souvent plus
et déboucher sur la nécessité de transfuser avec des phénoty-
efficace qu’elle ne l’était avant et doit être utilisée en pre-
pes rares, qu’il est difficile parfois de se procurer. La faisabilité
mière intention dans cette situation.
dans chaque hôpital, le rapport coût/bénéfice de ces techni-
ques n’ont jamais été évalués. En revanche, si le receveur n’a Immunoglobulines à hautes doses intraveineuses
jamais été transfusé, n’a jamais eu de grossesse, les risques
d’allo-immunisation sont très faibles. Dans chaque situation, Les immunoglobulines à hautes doses intraveineuses ont fait
la décision du clinicien reste donc fonction de la balance l’objet uniquement de rapports isolés ou de petites études
entre la possibilité de retarder une transfusion qui sera alors ouvertes. Leur efficacité est nettement inférieure à ce qui est
parfaitement sécurisée, et la nécessité de transfuser en observé dans le purpura thrombopénique immunologique.
urgence devant une anémie menaçante un produit certes
Échanges plasmatiques
moins sécurisé mais avec un risque immunologique qui est
bien souvent faible [27]. Les échanges plasmatiques ont une efficacité probablement
limitée comme en témoigne, parmi les quelques travaux
Corticothérapie publiés, une étude cas-contrôle réalisée dans notre
La corticothérapie reste le traitement de première intention unité [30].
dans les AHAI chroniques à autoanticorps chauds, y compris
Immunosuppresseurs
celles secondaires aux hémopathies lymphoïdes malignes
pour lesquelles la mise en place d’un traitement spécifique L’utilisation des immunosuppresseurs est également mal codi-
est inutile (pour certaines leucémies lymphoïdes chroniques, fiée. L’azathioprine est utilisé à la posologie de 2 mg/kg/j per
ou lymphomes de bas grade) ou inefficace. Elle n’est habituel- os, le chlorambucil per os (0,2 mg/kg/j), le cyclophosphamide
lement pas efficace dans la MAF. Les différents principes soit per os (1,5 mg/kg/j), soit en bolus IV de 750 mg/m2
d’administration, per os (à la posologie initiale de 1 mg/kg) toutes les 4 semaines mais aucune évaluation de ces traite-
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Diagnostic et prise en charge de l’anémie hémolytique auto-immune
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Mise au point
ments n’est disponible. L’usage a jusqu’à maintenant prévalu chez l’enfant, et dans les syndromes d’Evans, là aussi le plus
de les utiliser en première ligne dans les MAF sévères (surtout souvent transitoires. L’utilisation de l’alemtuzumab reste pour
le chlorambucil), en 2e ligne lorsque l’anticorps est chaud si la l’instant très restreinte dans cette indication [34].
splénectomie est contre-indiquée, en 3e ligne dans les autres
situations. Approches futures
L’utilisation de cyclophosphamide haute dose (50 mg/kg, Les principales orientations concernent les actions potentielles
4 jours consécutifs) est une procédure faisable et assez efficace sur le complément et sur les récepteurs du fragment Fc des
dans le seul essai (ouvert) rapporté [31]. Une étude rétrospec- immunoglobulines. En ce qui concerne le complément, diver-
tive multicentrique relève l’utilisation de procédures de greffe ses approches basées sur l’essai d’inhibiteurs synthétiques ou
de moelle ou de cellules souches périphériques (essentielle- recombinants paraissent intéressantes mais très peu de don-
ment autogreffes). Les résultats sont décevants, mais ces pro- nées sont disponibles [35]. Parmi les récepteurs au complé-
cédures sont le plus souvent utilisées en dernier recours chez ment, le CR1 (Complement Receptor 1), capable d’inhiber
des patients réfractaires dont le pronostic vital est en jeu [32]. l’activation du complément, s’est révélé efficace dans la réduc-
Quelques auteurs rapportent l’intérêt de la cyclosporine A dans tion de la destruction des globules rouges dans un modèle
des situations dépassées de polyrésistance. murin destiné à l’étude des réactions transfusionnelles [36].
Un anticorps monoclonal humanisé dirigé contre le C5 est
Anticorps monoclonaux très efficace dans l’expérience de Rosse [37]. Les signaux de
L’utilisation des anticorps monoclonaux s’est beaucoup déve- transduction déclenchés par l’activation des récepteurs du
loppée depuis 1998, date de la première utilisation du rituxi- fragment Fc des IgG sont décryptés et là aussi, de nouvelles
mab dans cette indication. Si une centaine de publications sont molécules sont à l’étude, capables d’interférer ainsi à diffé-
répertoriées actuellement, seuls 5 essais cliniques ouverts ont rents niveaux de la phagocytose [37].
été rapportés. L’utilisation du rituximab paraît intéressante
dans les MAF, où un taux de réponse d’environ 50 % est
Conclusion
observé, mais si la tolérance est généralement bonne, l’effica- À l’heure actuelle, même si de nouvelles approches présen-
cité est partielle et transitoire dans la dernière étude, prospec- tes et futures paraissent prometteuses, la prise en charge
tive, rapportée, concernant 20 patients [33]. Quelques succès des AHAI demeure fonction de la gravité de l’anémie et de
sont signalés dans les AHAI à autoanticorps chauds, surtout sa sensibilité aux différents traitements utilisés. L’utilisation

Fi gure 2
Prise en charge de la maladie
chronique des agglutinines
froides
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Philippe P

F ig u r e 3
Prise en charge des AHAI à autoanticorps chauds

de ces différents traitements reste actuellement basée posés (figures 2 et 3) peuvent aider le clinicien tant que des
essentiellement sur l’expérience des cliniciens qui prennent études nécessairement multicentriques contrôlées et rando-
en charge ces patients. Des arbres décisionnels tels que pro- misées n’apporteront pas d’éléments nouveaux.

Conflits d’intérêts : aucun

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