Vous êtes sur la page 1sur 13

Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1.

Guerres de religion et guerres dynastiques

Savonarole, Sermon prononcé le dimanche de l'Avent (Florence, 1493) tant de centaines par jour ; un autre comptera ses myriades de jeûnes, où
l'unique repas du jour lui remplissait le ventre à crever ; un autre fera de ses
Les prêtres nous rebattent les oreilles d'Aristote, de Platon, de Virgile et de pratiques un tas assez gros pour surcharger sept navires , un autre se glorifiera
Pétrarque, et ils n'ont cure du salut des âmes. Pourquoi tant de livres au lieu du de n'avoir pas touché à l'argent pendant soixante ans, sinon avec les doigts
livre unique qui renferme la loi et la vie ? Chrétiens, vous devriez toujours avoir gantés, un autre produira son capuchon, si crasseux et si sordide qu'un matelot
sur vous l'Evangile, j'entends non pas le livre mais son esprit. (...) La charité ne le mettrait pas sur sa peau ; un autre rappellera qu'il a vécu plus de onze
chrétienne n'habite point dans les livres. Les véritables livres du Christ sont les lustres au même lieu, attaché comme une éponge ; un autre prétendra qu'il s'est
apôtres et les saints, et la véritable vie consiste dans l'imitation de sa vie. Mais de cassé la voix à force de chanter ; un autre qu'il s'est abruti par la solitude ou qu'il
nos jours ces hommes sont devenus des livres du diable. Ils parlent contre a perdu, dans le silence perpétuel, l'usage de la parole. Mais le Christ arrêtera le
l'orgueil et l'ambition, et ils y sont plongés jusque par-dessus les oreilles. Ils flot sans fin de ces glorifications: "Quelle est, dira-t-il, cette nouvelle espèce de
prêchent la chasteté et ils entretiennent des maîtresses. Ils commandent Juifs ? Je ne reconnais qu'une loi pour la mienne ; c'est la seule dont nul ne me
l'observation du jeûne et ils vivent dans le luxe. (...) parle. Jadis, et sans user du voile des paraboles, j'ai promis clairement l'héritage
de mon père, non pour des capuchons, petites oraisons ou abstinences, mais
Les prélats se rengorgent dans leur dignité et méprisent les autres; ils prétendent
pour les œuvres de foi et de charité.
qu'on se courbe devant eux; ils veulent occuper les premières chaires dans les
écoles et les églises d'Italie. Ils aiment qu'on aille à leur rencontre, le matin, sur Plutus (dieu de la richesse) (...) est le seul père des hommes et des dieux. Un
le marché, qu'on les salue du nom de "maître"(...). Ils n'ont de pensées que pour signe de lui seul, aujourd'hui comme hier, bouleverse le sacré et le profane, met
la terre et pour les choses terrestres; le souci des âmes ne leur tient plus au tout sens dessus dessous. Sa volonté règle guerres, paix, empires, conseils,
cœur. Dans les premiers temps de l'Eglise, les calices étaient de bois et les tribunaux, comices, mariages, traités, alliances, lois, arts, jeux, travail... mais le
prélats d'or; aujourd'hui l'Eglise a des calices d'or et des prélats de bois. souffle me manque, bref : toutes les affaires publiques et privées des mortels.
(...) Tel est celui que je peux me glorifier d'avoir pour père.
Erasme, Eloge de la folie (1511)

(…) Par contre, voici un genre d'hommes qui, sans aucun doute, est tout à fait de
Voici ceux qu'on appelle ordinairement religieux ou moines, quoique ces deux
notre farine, ce sont ceux qui aiment bien entendre ou raconter eux-mêmes des
noms ne leur conviennent nullement, puisqu'il n'y a peut-être personne qui ait
miracles ou des prodiges inventés. Ils n'ont jamais assez de telles fables, quand
moins de religion que ces prétendus religieux. (…) La plupart de ces gens-là ont
on rapporte des histoires monstrueuses de spectres, de lémures, de larves,
tant de confiance dans leurs cérémonies et leurs petites traditions humaines,
d'enfers, et mille autres merveilles de ce genre : plus elles s'éloignent de la
qu'ils sont persuadés que ce n'est pas trop d'un paradis pour les récompenser
vérité, plus sont agréables les démangeaisons dont elles chatouillent les oreilles.
d'une vie passée dans l'observation de toutes ces belles choses. Ils ne pensent
D'ailleurs cela sert à merveille non seulement à soulager l'ennui des heures, mais
pas que Jésus-Christ, méprisant toutes ces vaines pratiques, leur demandera s'ils
aussi à procurer quelque profit, surtout pour les prêtres et les prédicateurs.
ont observé le grand précepte de la charité. L'un montrera sa bedaine farcie de
Or, ceux-ci ont pour proches les gens qui nourrissent la folle conviction,
toutes sortes de poissons , l'autre videra mille boisseaux de psaumes, récités à

1
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

cependant bien agréable, que s'ils aperçoivent un Polyphème, saint Christophe en éclats de rire de Démocrite si je continuais à énumérer les formes des folies et
bois ou peint, ils ne mourront pas de la journée ; si on salue avec les paroles des insanités populaires. J'arrive à ceux qui se donnent parmi les mortels
prescrites une statue de sainte Barbe, on reviendra sain et sauf du combat ; ou si l'apparence de la sagesse et convoitent, comme on dit, le rameau d'or.
on rend visite à saint Erasme, certains jours, avec certains petits cierges, Parmi eux tiennent le premier rang, les grammairiens, race d'hommes
certaines petites prières, on deviendra bientôt riche. De même qu'il y a un saint certainement la plus calamiteuse, la plus affligée, la plus haïe des dieux si moi je
Hippolyte ils ont trouvé en saint Georges un nouvel Hercule. C'est tout juste s'ils n'adoucissais les désagréments de leur misérable profession par un doux genre
n'adorent pas son cheval très pieusement paré de phalères et de bulles ; souvent, de folie. Ils ne sont pas en butte à cinq malédictions seulement, c'est-à-dire à
ils lui offrent un nouveau petit présent pour gagner ses faveurs et jurer par son cinq présages funestes, comme l'indique une épigramme grecque, mais à des
casque d'airain est pour eux un serment de roi. Que dire de ceux qui se bercent centaines : toujours affamés et sordides dans leurs écoles -- que dis-je des écoles
agréablement de pardons imaginaires accordés à leurs crimes, qui mesurent ? ce sont plutôt des séjours d'angoisse , ou plutôt des galères, de chambres de
comme avec des clepsydres les durées du Purgatoire, calculant sans la moindre tortures, -- au milieu des hordes d'enfants ils vieillissent dans les labeurs, sont
erreur siècles, années, mois, heures, comme d'après une table mathématique. Et assourdis de cris, s'asphyxient encore de puanteurs et d'infection ; mais grâce à
de ceux qui s'appuient sur certaines petites formules ou prières magiques qu'un ma faveur, ils se croient les premiers des mortels. Ils sont tellement contents
pieux imposteur a inventées pour son plaisir ou son profit, et s'en promettent tout d'eux-mêmes quand ils terrorisent une classe épouvantée par leur visage et leur
: richesses, honneurs, plaisirs, abondance, santé toujours florissante, très longue voix menaçante, quand ils déchirent les malheureux à coups de férules, de verges
vie, verte vieillesse, et pour finir une place au paradis, auprès du Christ, mais le et de fouets, quand ils déchaînent à leur guise toutes leurs colères, à l'exemple
plus tard possible, quand les voluptés de cette vie les abandonneront, malgré de l'âne de Cumes ; alors leur saleté leur semble pure élégance, leur puanteur
leurs efforts opiniâtres pour les retenir, et céderont la place aux délices célestes. embaume la marjolaine, ils prennent leur misérable esclavage pour une royauté.
Ici, disons un commerçant ou un soldat, ou un juge, s'imagine, avec une petite
pièce de monnaie prélevée sur tant de rapines avoir purifié d'un seul coup ce (…) Aussitôt après ceux-là, les plus heureux sont ceux qui s'appellent

marais de Lerne qu'est sa vie, (...). Et maintenant, est-ce que ce n'est pas à peu couramment eux-mêmes religieux et moines, deux surnoms tout à fait

près la même chose quand chaque pays revendique pour lui-même un saint trompeurs, car la plupart d'entre eux sont fort éloignés de la religion et on les

particulier, lui confère des attributions particulières, lui rend un culte avec des rencontre plus que personne en tous lieux. Je ne vois pas qui pourrait être plus

rites particuliers : celui-ci guérit la rage de dents, celui-là assiste les femmes en malheureux si je ne venais à leur secours de maintes façons. Car il est de fait que

couches, celui-ci apparaît en sauveur au milieu du naufrage, celui-là protège le tout le monde exècre ce genre d'hommes au point que les rencontrer même par

troupeau, et ainsi de suite, car il serait trop long de faire un recensement hasard passe pour un mauvais présage, ce qui ne les empêche pas d'avoir d'eux-

complet. Il y en a qui à eux seuls valent pour plusieurs choses, surtout la Vierge mêmes une opinion magnifique. D'abord ils trouvent que le comble de la piété

mère de Dieu, à qui le commun des hommes attribue plus de pouvoirs qu'à son c'est de ne rien savoir des belles-lettres, pas même lire. Ensuite, quand à l'église

Fils. ils braillent de leur voix d'âne leurs psaumes, dûment numérotés, mais nullement
compris, alors ils croient vraiment charmer l'oreille des saints d'une infinie
(…) Mais je serais moi-même tout à fait folle et parfaitement digne de tous les volupté. Il y en a quelques-uns parmi eux qui vendent au meilleur prix leur crasse

2
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

et leur mendicité, et qui beuglent aux portes à tue-tête pour qu'on leur donne du rejettent sur ceux qu'on appelle frères ou sur les vicaires. Et ils ne se souviennent
pain, et il n'y a pas d'auberge, de voiture, de bateau qu'ils n'importunent au même plus de leur nom, de ce que signifie le mot d' évêque , c'est-à-dire travail,
grand détriment, c'est sûr, des autres mendiants. Et c'est de cette manière que vigilance, sollicitude. Mais pour attraper l'argent du troupeau, ils font
ces personnages particulièrement délicieux, avec leur saleté, leur ignorance, leur parfaitement les évêques : ils surveillent.
grossièreté, leur impudence, font revivre pour nous, disent-ils, les apôtres.
Quoi de plus plaisant que de les voir faire selon un règlement, d'après des sortes (…) Quant aux souverains pontifes qui sont les vicaires du Christ, s'ils

de calculs mathématiques qu'il serait impie d'enfreindre : tant de nœuds à la s'efforçaient d'imiter sa vie, c'est-à-dire sa pauvreté, ses travaux, sa doctrine, sa

sandale, telle couleur à la ceinture, telle teinture pour chaque pièce du vêtement croix, son mépris de la vie, s'ils prenaient la peine de réfléchir seulement à leur

avec ses diverses nuances, telle matière et tant de largeur pour la ceinture, de tel nom de pape, autrement dit de père ou à leur surnom de très saint, qu'y aurait-il

aspect et de telle capacité en boisseaux pour le capuchon, tant de doigts de sur terre de plus malheureux ? Et qui achèterait cette place aux dépens de toutes

largeur pour la tonsure, tant d'heures de sommeil. (...) Enfin tous mettent un zèle ses ressources et, après l'avoir acquise, la défendrait par l'épée, par le poison,

admirable à se singulariser par leur mode de vie. Leur plus grand désir est de ne par toutes sortes de violences ? Que d'avantages leur enlèverait la sagesse si elle

pas se ressembler entre eux. Ils tirent aussi une bonne part de leur bonheur de s'emparait d'eux une seule fois ! Que dis-je la sagesse, mais un seul grain de ce

leurs surnoms : ils sont contents d'être appelés cordeliers et certains parmi eux sel dont a parlé le Christ ! Tant de richesses, tant d'honneurs, tant d'autorité, tant

colétans, d'autres mineurs, d'autres minimes, d'autres bullistes. Et voici les de victoires, tous ces offices, toutes ces dispenses, tous ces impôts, toutes ces

bénédictins. Et voilà les bernardins ; ici les brigittins, là les augustiniens, ici les indulgences, tant de chevaux, de mules, de gardes, tant de plaisirs. Vous voyez

guillemites, là les jacobites, comme si c'était trop peu d'être appelés chrétiens. quels trafics, quelle moisson, quel océan de biens j'ai embrassé en quelques
mots! A leur place il mettrait les veilles, les jeûnes, les larmes, les prières, les
(…) Mais en vérité depuis longtemps les souverains pontifes, les cardinaux, les sermons, les études, les soupirs, mille peines misérables de ce genre. (...) Ainsi
évêques rivalisent délibérément avec les habitudes des princes et en sont presque c'est bien grâce à moi qu'il n'y a pas de catégories d'hommes, ou presque, qui
à les dépasser. Pourtant si l'un d'eux réfléchissait à ce que rappelle l'habit de lin, vive plus mollement et avec moins de souci, car ils estiment avoir largement
blanc comme neige, c'est-à-dire une vie absolument sans tâche , à ce que veut satisfait le Christ s'ils jouent leur rôle d'évêques avec leurs ornements pour
dire la mitre à deux cornes dont les pointes sont réunies par un même noeud, à mystère et presque de théâtre, avec des cérémonies, des titres de Béatitude, de
savoir une connaissance parfaite à la fois du Nouveau et de l'Ancien Testament, Révérence, de Sainteté, des bénédictions et des malédictions.
et les mains couvertes par des gants : l'administration des sacrements pure et
non souillée du contact des choses humaines ; et la crosse : le soin très vigilant (…) Quant à moi je ne sais pas encore si certains évêques allemands ont donné

du troupeau qui lui est confié ; et la croix portée devant lu : la victoire sur toutes l'exemple en la matière ou s'ils l'ont trouvé là, eux qui bien plus franchement

les passions humaines ; si l'un d'eux, dis-je, réfléchissait à cela et à bien d'autres renoncent à leur habit, aux bénédictions et autres cérémonies de ce genre, pour

choses du même ordre, ne mènerait-il pas une vie de tristesse et de souci ? Mais vivre carrément en satrapes et penser qu'il est lâche et peu digne d'un évêque de

maintenant ils s'en tirent joliment puisque c'est eux-mêmes qu'ils mènent au rendre à Dieu son âme vaillante ailleurs que sur un champ de bataille. Le

pâturage. Quant au soin, ou bien ils le confient au Christ lui-même ou bien le commun des prêtres estimerait impie de ne pas égaler la sainteté de leurs

3
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

prélats, et il fait beau les voir combattre en vrais soldats avec des épées, des Jérôme Bosch, La Nef des fous (1490-1500)
javelots, des pierres, toutes sortes d'armes, pour le bon droit de leurs dîmes ;
quels bons yeux pour tirer de vieux manuscrits de quoi terrifier le menu peuple et
le convaincre qu'ils ont droit à plus qu'à la dîme. Mais, en attendant il ne leur
vient pas à l'esprit qu'on peut lire partout beaucoup de choses sur les devoirs
qu'eux-mêmes doivent rendre au peuple en échange. (...) Mais il est vrai que les
prêtres ont ceci de commun avec les laïcs c'est qu'ils veillent tous à leur moisson
de profits et que là personne n'ignore les lois. Quant au reste, s'il y a quelque
fardeau ils le rejettent prudemment sur les épaules des autres et se le renvoient
de la main à la main comme une balle. Puisque les princes laïcs eux aussi se
déchargent de la responsabilité d'administrer le royaume sur des commis, le
commis de même la transmet à un commis, laissant tout le soin de la piété au
peuple, par modestie. Le peuple le rejette sur ceux qu'il nomme des gens
d'Eglise, comme si lui-même n'avait absolument aucun rapport avec l'Eglise,
comme si les vœux du baptême avaient été absolument sans effet. A leur tour,
les prêtres qui se disent séculiers, comme s'ils avaient été voués au siècle et non
au Christ, repassent la charge aux réguliers, les réguliers aux moines, les moines
relâchés à ceux de stricte obédience, tous ensemble aux mendiants, les
mendiants aux chartreux, les seuls chez qui la piété se cache, enterrée, et se
cache si bien qu'on peut à peine l'apercevoir parfois. De même les pontifes si
empressés pour moissonner l'argent, repassent les charges trop apostoliques aux
évêques, les évêques aux curés, les curés aux vicaires, les vicaires aux frères
mendiants. Ceux-ci à leur tour les repassent à ceux qui tondent la laine des
brebis. Mais il n'est pas de mon sujet de passer au crible la vie des pontifes et des
prêtres, car je ne veux pas avoir l'air de composer une satire au lieu de prononcer Erasme, Préface à la traduction du Nouveau Testament (1516)
un éloge, ni qu'on croit que je critique les bons princes tandis que je loue les
mauvais. Si j'ai abordé ces quelques points c'est pour montrer clairement Le soleil est un bien commun, offert à tout le monde. Il n'en va pas autrement

qu'aucun mortel ne peut vivre heureux s'il n'est pas un initié de mon culte et avec la science du Christ ; elle ne repousse personne, sinon celui qui se repousse

assuré de ma faveur. lui-même par haine de lui-même. Je suis en effet tout à fait opposé à l'avis de
ceux qui ne veulent pas que les lettres divines soient traduites en langue vulgaire
pour être lues par les profanes, comme si l'enseignement du Christ était si voilé

4
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

que seule une poignée de théologiens pouvait le comprendre, ou bien comme si le sont à mépriser, que le chrétien ne doit pas se fier aux protections de ce monde,
rempart de la religion chrétienne était fait de l'ignorance où on la tiendrait. Les et qu'au rebours pour lui tout dépend du ciel, qu'il ne doit pas répondre à
mystères des rois, peut-être valait-il mieux les taire, mais le Christ a voulu que l'injustice par l'injustice, qu'il doit prier bien pour ceux qui prient mal, faire le bien
ses mystères à lui fussent répandus le plus possible. Je voudrais que toutes les pour ceux qui font le mal, qu'il lui faut aimer et aider tous les gens de bien
plus humbles des femmes lisent les évangiles, lisent les épîtres de saint Paul. exactement comme s'ils étaient des membres de son propre corps, et tolérer les
Puissent ces livres être traduits en toutes les langues, de façon que les Écossais, méchants s'ils ne peuvent être amendés (...). Tout homme qui, inspiré par l'esprit
les Irlandais, mais aussi les Turcs et les Sarrasins soient en mesure de les lire et du Christ, prêche, inculque pareilles vérités, qui y exhorte, incite, anime autrui,
de les connaître. Tel est le premier stade : les faire connaître par tout moyen. celui-là, dis-je, est un vrai théologien, fût-il fossoyeur ou tisserand. Si de plus il y
Admettons : beaucoup en riront, mais certains y seront pris. Puisse le paysan au conforme ses mœurs, alors il est un grand docteur. Sur la question de savoir
manche de sa charrue en chanter des passages, le tisserand à ses lisses en quelle est l'intelligence des anges, il se peut que tel autre, même un non chrétien,
moduler quelque air, ou le voyageur alléger la fatigue de sa route avec ses récits raisonne avec plus de subtilité ; mais nous persuader que, purs de toute
; puissent ceux-ci faire les conversations de tous les chrétiens, car nous valons à souillure, nous devons passer une vie angélique, telle est la tâche du théologien
peu près ce que valent nos conversations de chaque jour. Il faut saisir ce qu'on chrétien.
peut, exprimer ce qu'on peut ; que le second ne jalouse pas qui le précède ; que
celui qui va devant encourage qui le suit au lieu de le désespérer. Pourquoi Lucas Cranach le Jeune, La Vraie et la Fausse Eglise (1546)

restreindre à quelques-uns une profession commune à tous ? Voici en effet qui


est inadmissible : alors que le baptême - cette première profession de la
philosophie chrétienne - est un bien également commun à tous les chrétiens,
alors que les autres sacrements, alors que la récompense de l'immortalité
s'appliquent également à chacun, seuls les dogmes devraient-ils être réservés à
cette poignée de gens qu'on appelle aujourd'hui ordinairement théologiens ou
moines, alors qu'ils sont minoritaires dans le peuple qui porte le nom du Christ, à
ces gens, dis-je, dont je souhaiterais qu'ils fussent un peu plus conformes à ce
qu'on en croit ?

Je crains en effet que parmi les théologiens on ne puisse en trouver qui ne soient
très loin de leur dénomination, c'est-à-dire dont les paroles soient terrestres et
non divines ; et que parmi les moines, qui professent la pauvreté et le mépris du
monde, on ne trouve rien que mondanité. Pour moi, le vrai théologien est celui
qui use non de syllogismes, d'artifices tordus, mais de sa passion, mais de son
visage, et de ses yeux, mais de sa vie même pour enseigner que les richesses

5
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

Willem Claesz Heda, La Nature morte au gobelet doré (1635) mêmes, en qualité d’hommes, environnés de faiblesse, nous nous serions bien
aperçu que nos propres forces n’étaient pas suffisantes pour soutenir un si grand
fardeau : car, au lieu de la paix, dont nous voyons bien qu’on aurait eu besoin,
pour pouvoir délivrer et défendre la Chrétienté de tant de périls qui la
menaçaient, nous trouvions que la haine et la discorde régnaient de toutes parts,
particulièrement entre les deux princes que Dieu a rendus presque les maîtres et
les arbitres du capital des affaires. Au lieu que, pour maintenir la religion
chrétienne en son entier et pour affermir en nous l’espérance des biens célestes,
il eût été nécessaire qu’il n’y eût qu’une seule bergerie et qu’un seul pasteur du
troupeau du Seigneur, cette sainte unité se trouvait déchirée et presque toute en
pièces par les schismes, les dissensions et les hérésies ; au lieu que nous
eussions souhaité voir la Chrétienté à couvert et en sûreté des armes et des
entreprises des infidèles, Rhodes, par nos péchés et par tous nos crimes, qui
avaient attiré la colère de Dieu, venait d’être perdue ; la Hongrie était inquiétée
et la guerre était résolue et se préparait par terre et par mer contre l’Italie,
l’Autriche et l’Illyrie, par le Turc, cet ennemi cruel et implacable, qui ne se tient
jamais en repos et qui prend sans cesse occasion de nos discordes et de nos
dissensions pour avancer ses affaires.

Nous trouvant donc appelés, comme nous venons de dire, au gouvernement et à


la conduite de la barque de Pierre, au milieu d’une si grande tempête et d’une si

Le pape Paul III, Préambule de la bulle convoquant le Concile de Trente grande agitation de guerres, de discordes et d’hérésies, et ne nous fiant pas à nos

(1542) propres forces, nous aurions premièrement tourné vers le Seigneur toutes nos
pensées, afin qu’il nous soutînt lui-même et qu’il remplît notre cœur de force et
Paul, Évêque, Serviteur des Serviteurs de Dieu. Pour mémoire à la postérité. de fermeté et notre esprit de prudence et de sagesse. Et repassant ensuite en
Au commencement de notre pontificat, que la Providence de Dieu tout puissant notre mémoire que nos prédécesseurs, si admirables en sagesse et en sainteté,
nous a confié, non pour notre mérite, mais par sa pure bonté, considérant dès avaient souvent eu recours, dans les pressants périls de la Chrétienté, aux
lors dans quel désordre et dans quelle confusion presque générale de toutes conciles œcuméniques et aux assemblées générales des évêques, comme à un
choses, nous nous trouvons appelés d’appliquer nos veilles et notre soin pastoral, remède excellent et très convenable, nous aurions aussi commencé à penser à la
nous aurions fort souhaité de remédier à tant de maux, dont la Chrétienté était convocation d’un concile général.
affligée depuis si longtemps et presque tout à fait accablée. Mais étant nous-

6
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

Les décrets du concile de Trente sur l’Écriture (1546) appuis plus particuliers qu’il utilisera pour confirmer les dogmes et restaurer les
mœurs.
Le saint concile œcuménique et général de Trente, légitimement réuni dans
l’Esprit Saint (...) garde toujours dans les yeux le dessein de conserver dans Les décrets du concile de Trente sur les évêques (1545-1563)
l’Église, en supprimant les erreurs, la pureté de l’Évangile, qui, promis auparavant
par les Prophètes dans les saintes Écritures, fut promulgué d’abord par la bouche Les évêques doivent être irréprochables, sobres, chastes. (...) bref, qu'ils fuient

même de notre Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, lequel ordonna ensuite à ses les vices et suivent les vertus. Le saint Concile (...) ordonne et déclare que la

Apôtres de le « prêcher à toute créature » [Marc, 1, 15], comme étant la source Vulgate soit tenue pour authentique (...) et que nul que ce soit, ne présume de la

de toute vérité salutaire et de toute règle morale. Voyant clairement que cette rejeter. (...) Qu'il y a 7 sacrements : le baptême, la confirmation, l'eucharistie, la

vérité et cette règle sont contenus dans les livres écrits et dans les traditions non pénitence, l'extrême onction, l'ordre et le mariage.

écrites qui, reçues des Apôtres par la bouche même du Christ, ou transmises
Si quelqu'un dit que dans l'Église catholique, il n'y a pas de hiérarchie composée
comme de main en main par les Apôtres, sous la dictée de l’Esprit Saint, sont
des évêques, des prêtres et des ministres, instituées par une disposition divine,
parvenues jusqu’à nous, le saint concile, suivant l’exemple des Pères orthodoxes,
qu'il soit anathème.
reçoit et vénère avec le même sentiment de piété et le même respect tous les
livres, tant de l’Ancien que du nouveau Testament, puisque Dieu est l’auteur de
Instruire avec soin les fidèles, principalement au sujet de l'intercession des saints,
l’un et de l’autre, ainsi que les traditions concernant soit la foi soit les mœurs,
de leur invocation, de l'honneur dû à leurs reliques et du légitime usage de leurs
comme venant de la bouche même du Christ ou dictées par le Saint Esprit et
images.
conservées dans l’Église par une succession continue.

Les décrets du Concile de Trente sur le cérémonial catholique (1563)


Il a jugé bon de joindre à ce décret une liste des Livres Saints pour qu’aucun
doute ne s’élève en quiconque sur les livres qui sont reçus par le concile. Ce sont
On doit avoir et garder, surtout dans les églises, les images du Christ, de la
les livres mentionnés ci-dessous : [suit la liste des livres de l’Ancien et du
Vierge Marie mère de Dieu et des autres saints, et leur rendre l'honneur et la
Nouveau Testament]. Si quelqu’un ne reçoit pas ces livres dans leur intégrité,
vénération qui leur sont dus. Non pas parce qu'on croit qu'il y a en elles quelque
avec toutes leurs parties, pour sacrées et canoniques, comme on a coutume de
divinité ou quelque vertu justifiant leur culte, ou parce qu'on doit leur demander
les lire dans l’Église catholique et tels qu’on les trouve dans la vieille édition latine
quelque chose ou mettre sa confiance dans des images, comme le faisaient
de la Vulgate ; s’il méprise de propos délibéré les traditions susdites, qu’il soit
autrefois les païens qui plaçaient leur espérance dans les idoles, mais parce que
anathème.
l'honneur qui leur est rendu renvoie aux modèles originaux que ces images
représentent. Aussi, à travers les images devant lesquelles nous nous découvrons
Ainsi tous pourront comprendre l’ordre et la voie que le concile suivra, après avoir
et nous prosternons, c'est le Christ que nous adorons et les saints, dont elles
établi le fondement de la confession de la foi, ainsi que les témoignages et les
portent la ressemblance, que nous vénérons.

7
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

Décret sur l’édition de la Vulgate et l’interprétation de l’Écriture (1546) pas seulement des personnes, mais aussi des églises ou des maisons de la
Compagnie professe. On ne peut pas accepter non plus (bien que ce soit permis à
De plus, le même saint concile considère qu’il ne sera pas peu utile pour l’Église d’autres), pour les messes ou les prédications, pour les cours publics ou
de Dieu de savoir, parmi toutes les éditions latines des Livres saints qui sont en l’administration de sacrements, ni pour aucun des autres offices pieux que la
circulation, celle qu’on doit tenir pour officielle. Il décide et déclare que la vieille Compagnie peut exercer conformément à son Institut, aucun des honoraires ni
édition de la Vulgate, approuvée dans l’Église par le long usage de tant de siècles, aucune des aumônes que l’on donne habituellement en rétribution de ces
doit être tenue pour officielle dans les leçons publiques, les discussions, les ministères; on n’en recevra de personne d’autre que de Dieu notre Seigneur, pour
prédications et les explications et que personne ne doit avoir l’audace ou la le service duquel on doit faire purement toutes choses.
présomption de la rejeter, sous n’importe quel prétexte.
4. Bien que la Compagnie ait des collèges et des maisons de probation [B] qui ont
En outre, pour contenir certains esprits indociles, il décide que personne, dans les des revenus pour la subsistance des Scolastiques avant qu’ils entrent dans la
affaires de foi ou de mœurs qui font partie de l’édifice de la doctrine chrétienne, Compagnie professe ou dans ses maisons, ces revenus, conformément à la Bulle
ne doit, se fiant à son jugement, oser détourner l’Écriture sainte vers son sens qui est expliquée dans les Constitutions, ne peuvent être utilisés à un autre effet,
personnel, contrairement au sens qu’a tenu et que tient notre mère la sainte et les maisons des Profès, pas plus qu’aucun de ceux-ci ou de leurs Coadjuteurs,
Église, à qui il appartient de juger du sens et de l’interprétation véritables des ne peuvent s’en servir. (…)
saintes Écritures, ni non plus interpréter cette sainte Écriture contre le
consentement unanime des Pères, même si ce genre d’interprétation ne doit 5. En plus des trois vœux indiqués, la Compagnie professe fait un vœu exprès au
jamais être publié. Souverain Pontife, actuel ou futur, en tant que Vicaire du Christ notre Seigneur:
celui d’aller partout où Sa Sainteté voudra l’envoyer, chez les fidèles ou les
Ignace de Loyola, Constitution de la Compagnie de Jésus (1556) infidèles, sans alléguer d’excuse et sans demander aucune provision de route,
pour des choses qui concernent le culte divin et le bien de la religion chrétienne.
CHAPITRE 1. L’Institut de la Compagnie de Jésus et la diversité des
personnes qui en font partie 6. Quant au reste, la manière de vivre est commune en ce qui concerne
l’extérieur, pour de justes raisons, en considérant toujours le plus grand service
2. La fin de cette Compagnie n’est pas seulement de s’employer, avec la grâce
divin; elle ne comporte pas de pénitences ni d’austérités ordinaires à pratiquer
divine, au salut et à la perfection de l’âme de ses membres mais, avec cette
par obligation. Chacun peut cependant, avec l’approbation du Supérieur, adopter
même grâce, de chercher intensément à aider au salut et à la perfection du
celles qui lui sembleront devoir l’aider davantage dans sa vie spirituelle et celles
prochain.
que les Supérieurs pourront lui imposer dans le même but.

3. Pour mieux atteindre cette fin on y fait trois vœux: ceux d’obéissance, de
L’Index des livres prohibés (1564)
pauvreté et de chasteté. Par pauvreté, on entend que l’on ne veut ni ne peut
avoir aucun revenu pour sa subsistance ni pour rien d’autre, et cela ne s’entend Par la présente bulle, en vertu de l’autorité apostolique, nous approuvons l’index

8
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

ci-joint avec les règles qui sont placées en tête. Nous ordonnons et décrétons mesure de la comprendre d’une façon pieuse et saine, et uniquement dans une
qu’il soit imprimé et publié, et que toutes les universités catholiques le reçoivent version due à des auteurs catholiques. Ceux qui liraient la Bible en langue
et l’observent. Nous défendons à toute personne, tant ecclésiastique que laïque, vulgaire sans cette autorisation seraient coupables d’un péché dont l’absolution
de quelque rang ou dignité que ce soit, d’oser lire ou regarder aucun livre en est réservée aux évêques (...).
violation de ces règles et prohibitions.
Règle 7. Les livres qui traitent de choses lascives ou obscènes, susceptibles de
Règle 1. Tous les livres qui ont été condamnés, avant l’an 1519, par les corrompre non seulement la foi mais les mœurs, sont et demeurent entièrement
souverains pontifes ou par les conciles œcuméniques, sont et demeurent prohibés. Ceux qui les possèdent ou les lisent doivent être sévèrement punis par
condamnés. les évêques. Cependant, la lecture des auteurs anciens peut être permise pour
l’étude du langage et du style (...).
Règle 2. Tous les livres des hérétiques, publiés après ladite année 1519 par les
archi-hérétiques Luther, Zwingli, Calvin, Schwenkfeld et autres semblables, sont Règle 9. Tous les livres relatifs à la géomancie, à l’hydromancie, à l’aéromancie, à
et demeurent entièrement condamnés. (...). Les livres publiés par les autres la pyromancie, à la chiromancie, à la nécromancie, ainsi qu’à toutes les formes de
auteurs hérétiques sont condamnés s’ils traitent de religion ; s’ils ne traitent pas sortilèges, d’envoûtements, de prédictions ou de magie, sont entièrement
de religion, ils peuvent être autorisés par les évêques, après examen par des prohibés. les évêques veilleront avec soin à ce qu’aucun livre ou libelle
théologiens catholiques et par l’Inquisition. d’astrologie ou de divination d’aucune sorte ne soit imprimé ou diffusé.
Cependant les ouvrages scientifiques qui traitent de la nature, de la navigation,
Les livres publiés par des auteurs catholiques qui sont par la suite tombés dans de l’agriculture et de la médecine, ne sont pas touchés par cette prohibition (...).
l’hérésie peuvent être autorisés après examen par une université catholique et
par l’Inquisition. Règle 10. Les autorisations d’imprimerie de livres seront données, à Rome, après
examen par le vicaire du Souverain Pontife et par le maître du Sacré Palais, ou
Règle 3. Les éditions d’anciens auteurs ecclésiastiques faites par des auteurs par d’autre personnes déléguées à cet effet par le Souverain Pontife ; dans les
hérétiques peuvent être autorisées si elles ne contiennent rien de contraire à la autres diocèses, cette autorisation sera donnée par l’évêque ou par une personne
saine doctrine. La lecture des éditions de l’Ancien Testament [faite par des savante déléguée par lui à cet effet (...).
auteurs hérétiques] peut être autorisée, par décisions des évêques, uniquement
en faveur d’hommes savants et pieux, afin de leur servir pour la compréhension Les personnes qui diffusent des libelles imprimés ou manuscrits sans autorisation
de la sainte Écriture (...). doivent être soumises aux peines canoniques. L’autorisation d’impression doit
être imprimée au début du livre ; elle est délivrée gratuitement.
Règle 4. Il est prouvé par l’expérience que la lecture de la Bible en langue
vulgaire, si elle est autorisée sans discrimination à tout le monde, peut provoquer Dans les villes où il s’imprime et se vend beaucoup de livres, l’évêque et
de graves inconvénients à cause de l’orgueil des hommes ; elle ne doit donc être l’Inquisition doivent effectuer des visites fréquentes pour s’assurer que rien ne
autorisée, par décision des évêques (...), qu’en faveur de personnes qui sont en s’imprime ni ne s’en vend sans l’autorisation dessus dite (...).

9
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

Si une personne hérite d’ouvrages non autorisés, elle doit les donner à l’évêque, à dont deux au moins seraient professeurs de théologie. Dans le cas d’une réponse
moins d’obtenir de lui l’autorisation de les conserver. affirmative de votre part, nous nous occuperions sans délai, dès que nous
l’aurons reçue, de pourvoir à l’emplacement du collège et à l’entretien des
Toute personne qui conservera ou lira sans autorisation des livres hérétiques sera Religieux. Quand tout sera prêt, nous appellerons les douze Religieux, auxquels
aussitôt excommuniée. Toute personne qui conservera ou lira des ouvrages nous ferons parvenir le viatique nécessaire ; et dans leur nouvelle demeure nous
prohibés pour d’autres causes que l’hérésie sera coupable de péché mortel et les entourerons de notre bienveillance royale, comme il convient à un roi pieux et
punie en conséquence par l’évêque. chrétien de le faire.

Ferdinand, roi des Romains, Lettre de à Ignace de Loyola, préposé Ainsi donc, ce projet ayant pour but la gloire de notre Dieu Tout-Puissant et le
général de la Compagnie de Jésus, à Rome (Vienne, 20 octobre 1554) salut d’un très grand nombre d’âmes, nous vous adressons l’instante demande de
l’accueillir favorablement, et de concourir à son exécution en l’approuvant et en
(…) Une longue et constante expérience nous a fait connaître les fruits abondants
envoyant douze Religieux de votre Compagnie, dont deux au moins puissent
qu’ont produits les Religieux de votre Compagnie dans notre ville de Vienne et
enseigner la théologie. Par la fondation de ce collège, on pourra enfin, grâce aux
dans les autres populations voisines. Nous avons vu avec quel désintéressement,
travaux et à la vigilante activité de votre saint Institut, extirper et détruire dans
quelle prudence et quel succès ils ont, par leurs discours et l’exemple de leur vie,
notre royaume les hérésies contre lesquelles il lutte depuis de longues années, et
dirigé dans la vraie voie nos sujets, soit en prêchant la parole de Dieu du haut
à leur place entretenir et propager la sainte doctrine, c’est-à-dire la religion
des chaires, soit en instruisant avec soin la jeunesse dans les écoles. Et nous ne
orthodoxe et catholique à laquelle nous avons le bonheur d’appartenir : nous ne
doutons pas qu’avec l’aide de Dieu leurs travaux ne soient encore, dans la suite,
nous promettons rien de moins de votre piété. Dès que nous recevrons la
de jour en jour plus fructueux : car ils ne se donnent aucun repos, et se montrent
nouvelle que vous souscrivez à notre demande, sans nul retard nous nous
occupés jour et nuit à cultiver la vigne du Seigneur. Témoin de tant de zèle et de
occuperons à préparer un local pour l’habitation de vos Religieux et des fonds
tant de succès dont en réalité nous éprouvons les effets, et fermement persuadé
annuels pour leur entretien. En cela vous ferez une chose infiniment agréable à
que des hommes si pieux et si catholiques produiront aussi ailleurs le centuple en
Dieu, très salutaire à notre royaume, souverainement digne de votre piété, du
Notre-Seigneur, nous nous sommes proposé de propager et de favoriser
plus grand prix à nos yeux, et qui appellera à juste titre sur vous et sur votre
l’établissement de ce saint Institut dans les autres royaumes et les autres
sainte Compagnie toute notre royale faveur.
provinces de notre empire.

Abrégé du manuel des inquisiteurs (1762)


C’est pourquoi nous avons résolu de fonder en faveur de ces Religieux un collège
dans la métropole de notre royaume de Bohême. Toutefois, afin de ne pas Chapitre I. De la procédure du Saint-Office en général
travailler en vain dans le choix et l’acquisition d’un emplacement, et dans
l’allocation des revenus annuels destinés à cet établissement, il nous a paru que En matière d’hérésie on procédera tout uniment sans les criailleries des avocats
nous ferions bien, avant toutes choses, de vous faire connaître notre royale et sans tant de solennités dans les jugements. C’est-à-dire qu’on rendra la
intention, et de savoir de vous si vous pourriez nous envoyer douze Religieux procédure la plus courte qu’il est possible en en retranchant les délais inutiles, en

10
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

travaillant à instruire la cause même dans les jours où les autres juges accusation en celui de dénonciation à cause du danger qu’il pourrait courir et
suspendent leurs travaux, en rejetant tout appel qui ne sert qu’à éloigner le suivre l’instance ex officio. Que si ces mêmes dépositions ne chargent l’accusé en
jugement, en n’admettant pas une multitude inutile de témoins, etc. Bien aucune façon, alors l’inquisiteur conseillera encore au dénonciateur de se désister
entendu qu’on n’omettra point les précautions nécessaires pour s’assurer de la tout à fait, et se désistera lui-même.
vérité, et qu’on ne refusera pas à l’accusé les défenses légitimes.
Si le délateur persiste on reçoit l’accusation par écrit, l’accusateur devient partie,
C’est là un grand et beau privilège du tribunal de l’inquisition, que les juges n’y et l’inquisiteur n’agit plus d’office, mais ad instantiam partis.
soient pas tenus de suivre l’ordre judiciaire, et que l’omission de quelque
formalité de droit ne vicie pas la procédure, pourvu toutefois qu’on n’en ôte point La peine du talion n’a pas lieu aujourd’hui dans l’accusation en matière d’hérésie,

les choses essentielles au traitement de la cause. et on ne doit point obliger les accusateurs de s’y soumettre, au cas qu’ils ne
puissent pas prouver ce qu’ils avancent; il faut cependant punir le délateur
Sur quoi j’avertis d’après l’excellente observation de Tabiensis et de Locati2, convaincu de faux d’une peine très grave.
qu’un procès en matière d’hérésie doit être aussi exactement fait quant à ses
parties essentielles, que si l’on procédait selon toutes les formes de droit. Au reste, on ne laisse plus faire aux particuliers le rôle d’accusateurs en titre;
c’est un procureur du Saint-Office, appelé procureur fiscal, qui comme chargé
Il y a trois manières de commencer le procès en matière d’hérésie, l’accusation, intente l’accusation d’un ministère public, et qui par conséquent n’est soumis à
la dénonciation et l’inquisition. aucune peine lorsqu’il ne peut pas prouver son accusation.

Le procès est intenté par accusation lorsqu’un délateur s’offre à prouver ce qu’il La deuxième méthode de former le procès par la dénonciation est la plus usitée:
avance, en se soumettant à la peine du talion s’il ne le prouve pas. on dénonce quelqu’un comme coupable d’hérésie, sans se rendre partie, et
seulement pour ne pas encourir l’excommunication portée contre ceux qui ne
L’inquisiteur doit suivre très rarement cette manière de procéder : dénoncent pas, ou par zèle pour la foi.

1. parce que ce n’est pas l’usage ordinaire ; On reçoit les dénonciations ou dans un écrit que présente le dénonciateur, ou
2. parce que l’accusateur court de grands risques ; bien en écrivant ce qu’il dit de vive voix. On le fait jurer sur l’Evangile de dire
3. parce que cette méthode est longue et litigieuse. vérité, et on l’interroge sur les circonstances du temps et du lieu, sur les motifs
qui l’engagent à dénoncer, etc. Dans le cours de cette procédure, l’inquisiteur agit
Il doit au contraire avertir l’accusateur des risques qu’il court, et le détourner
ex officio et l’accusé n’a point de partie adverse.
autant qu’il est en lui.

L’inquisiteur peut recevoir les dénonciations assisté du seul greffier, et il n’est pas
Si les dépositions ne forment que des semi-preuves contre l’accusé, alors
nécessaire qu’il y intervienne des témoins.
l’inquisiteur doit conseiller au délateur de changer dans sa plainte le mot &

11
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

L’obligation de dénoncer un hérétique a toujours lieu, nonobstant toute espèce de obligation a lieu en matière d’hérésie; ainsi un accusé doit donner communication
serment, d’engagement, de promesse de garder le secret. au Saint-Office de toutes les pièces qui peuvent servir au procureur fiscal pour
fonder son accusation. C’est l’avis de la plupart des docteurs. A plus forte raison
Si une accusation était dépourvue de toute apparence de vérité, il ne faudrait pas chacun est-il obligé de fournir les pièces qui peuvent servir à convaincre une
pour cela que l’inquisiteur l’effaçât de son livre, ce que l’on ne découvre pas dans autre personne du crime d’hérésie.
un temps pouvant se découvrir dans un autre.
Lettres de dénonciation de l’hérésie au Portugal (1565)
La troisième façon de commencer un procès d’hérésie est la voix d’Inquisition on
l’emploie lorsqu’il n’y a ni dénonciateur, ni accusateur. Il y a deux sortes Dénonciateur : P. Manuel da Cunha. Dénoncé : Manuel de Cea. Délit :
d’inquisitions, l’une générale; c’est la recherche des hérétiques faite par les propos sur l’Inquisition.
inquisiteurs, de temps en temps, dans un diocèse ou un pays, en fouillant les
maisons, les souterrains. Lorsque par ces moyens ou autres on a découvert un Le 8e jour du mois de février de l’an 1565, en la ville de Braga, dans l’édifice où

hérétique, l’inquisiteur peut exercer son ministère et agir d’office. réside le Saint-Office, devant l’Inquisiteur Isidoro Pero Alvares de Paredes, a
comparu Manuel da Cunha, se disant âgé de 44 ans. Et par ce serment prêté sur
La deuxième espèce d’inquisition a lieu lorsque la rumeur publique porte aux les Saint Évangiles, il promit de dire la vérité et fit la déclaration suivante : après
oreilles de l’inquisiteur qu’une personne a dit ou fait quelque chose contre la Eoi ; qu’un certain Manuel de Sea, nouveau chrétien, orfèvre habitant la ville de
alors l'inquisiteur cite à son tribunal des témoins leur réponse, il cite l’accusé pour Guimarães, revint du Saint-Office de Lisbonne où il avait été, dit-on, réconcilié, et
venir rendre compte de sa foi. La procédure par voie d’inquisition est appuyée alors qu’il se trouvait dans cette ville, devant la porte de Baltasar Luis, doreur,
comme on le voit sur le bruit public qui doit être constaté par deux témoins demeurant en cette cité, rue du Souto, lui, déposant, entendit déclarer audit
graves et connus pour d’honnêtes gens (comme deux jésuites par exemple); il Manuel de Sea que son frère Gaspar de Sea, habitant de cette ville, était un
suffit pour constater la mauvaise réputation de l’accusé qu’ils disent qu’ils ont grand juif et qu’il avait été la cause de son emprisonnement. Et qu’à l’Inquisition,
entendu dire à un tel ou à un tel que l’accusé est hérétique; et leur déposition fait par la question que les autres et lui subirent, on leur fit dire davantage que ce
foi, quand les deux témoins n’auraient pas entendu tenir ce propos aux mêmes qu’ils avaient fait. Alors le déposant l’admonesta, en présence dudit Baltasar Luis.
personnes. Et il ne sait pas ce que le dit Manuel de Sea répondit. Et il ne dit rien de plus. Et il
vient pour décharger sa conscience. Et il signa ainsi que l’Inquisiteur, et il déclara
Lorsque des témoins déposent qu’un accusé a la réputation et leur hérétique, n’avoir aucun lien avec l’accusé. Et il lui fut ordonné de garder le secret et il le
d’être qu’on demande ce que c’est que la réputation, la renommée, il n’est pas promit. En outre, il déclara qu’il avait entendu dire à une fille de Pero Fernandes
nécessaire qu’ils en donnent une définition exacte. Il suffit qu’ils disent que c’est de Caniço, qui fut brûlé par l’Inquistion, du nom d’Isabel, qui est une femme de
ce qu’on dit communément. 16 ou 17 ans, ou davantage, que son père avait été brûlé à tort parce que c’était
un homme de grand bien. Et le déposant l’adjurant de ne pas tenir ces propos, la
Quoique régulièrement parlant et en matière civile, personne ne soit obligé de
jeune Isabel réaffirma ce qu’elle avait dit sur son père. Et elle ne dit rien de plus.
fournir contre lui-même les pièces qui peuvent servir de preuve à son délit, cette

12
Cours 12 (17 février 2023): La guerre des Princes. Partie 1. Guerres de religion et guerres dynastiques

Et cela se passa dans cette ville, aussitôt après que son père eût été brûlé, parce Peter Paul Rubens, Miracle de Saint Ignace de Loyola (1616)
que sa mère Branca de Oliveira n’était pas encore revenue au pays. Et il signa.

Dénonciateur : Guiomar Garcia. Dénoncée : Ana do Frade. Délit :


sorcellerie.

Le 4e jour du mois d’avril de l’an 1565, en la ville de Viana de Foz de Lima [Viana
do Castelo], dans l’édifice où réside le Saint-Office de l’Inquisition, devant
l’Inquisiteur Isidoro Pero Alvares de Paredes a comparu Guiomar Garcia, fille de
Bartolomeu Garcia, habitant cette ville, rue du Pilori, se disant âgée de 18 ans. Et
par serment prêté sur les Saint Évangiles, elle jura de dire la vérité et fit la
déclaration suivante : il devait y avoir deux ans, plus ou moins, dans la maison
d’une de ses tantes appelée Guiomar Fernandes, femme de Pedro do Porto, où la
déposante habite, vint les rejoindre une sorcière dont elle ne connaît pas le nom
(dans la marge : Ana do Frade) et dont elle a simplement entendu dire qu’elle a
un fils, à ce qu’on dit prieur de Palme, et qu’aujourd’hui elle est emprisonnée
dans la cité de Braga. Dans cette ville, elle soigna pour ensorcellement un certain
Antonio Estevez. Et étant toutes deux en tête-à-tête, ladite magicienne et elle, la
magicienne lui dit que puisqu’on l’avait appelée pour l’ensorcellement de son frère
Fernão Barbosa, aujourd’hui décédé, on devait bien la payer, parce que les
démons, comme elle les appelait, l’avaient fort malmenée et qu’elle avait dû
rester quelques jours alitée. Et elle lui dit cela une seule fois, toutes deux se
trouvant seules comme elle l’a dit. Et cette magicienne trouvait que son beau-
frère était ensorcelé et qu’elle le désensorcellerait comme, en effet, elle soigna
son beau-frère, mais il décéda de la maladie dont il souffrait. Et elle repartit le
jour même de son arrivée. Et il lui semble qu’elle dit, pour qu’on la paye bien,
que les démons l’avaient fort malmenée. Sa tante dit également que ladite
magicienne lui avait donné trois testons, en lui disant que c’était pour acheter
trois boucs et les offrir au diable. Et qu’elle les avait donnés. (...)

13

Vous aimerez peut-être aussi