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L'HIMALAYA, « NOUVELLE FRONTIÈRE » DE LA CHINE

Thierry Mathou

La Découverte | Hérodote

2007/2 - n° 125
pages 28 à 50

ISSN 0338-487X

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Pour citer cet article :
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Mathou Thierry, « L'Himalaya, « nouvelle frontière » de la Chine »,
Hérodote, 2007/2 n° 125, p. 28-50. DOI : 10.3917/her.125.0028
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L’Himalaya, « nouvelle frontière »


de la Chine

Thierry Mathou*
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L’Himalaya occupe une place particulière dans l’espace géopolitique chinois.
Séparant la Chine de l’Inde, « mondes » voisins entretenant des relations aussi
anciennes que complexes, il s’agit d’une région stratégique où perdurent des fac-
teurs de tension et d’instabilité potentiels. Alors que la Chine a réglé la plupart de
ses contentieux frontaliers, l’Himalaya est le dernier grand espace terrestre où ses
frontières ne sont pas stabilisées. La rivalité évolutive entre l’Inde et la Chine, la
question du Cachemire au cœur des tensions récurrentes entre l’Inde et le Pakistan,
l’instabilité politique du Népal, les crises ethniques larvées dans le nord-est de
l’Inde et la mutation silencieuse du pacifique Bhoutan sont les principaux para-
mètres extérieurs de l’équation diplomatique chinoise dans la région. Ces paramètres
sont d’autant plus importants pour Pékin qu’ils interviennent à la périphérie du
Tibet, province des confins, dont la dynamique d’intégration au reste du territoire
chinois se heurte aux paradigmes historiques et culturels propres aux régions
frontalières.

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Malgré la permanence de ces facteurs d’incertitude, une nouvelle ère s’est
ouverte dans la diplomatie himalayenne de la Chine. Après s’être longtemps foca-
lisée sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est, sa politique régionale intègre désormais une
stratégie de « reconquête » de ses marches continentales. Cherchant à sécuriser ses
frontières aujourd’hui largement pacifiées, à acquérir une profondeur stratégique,
à conquérir de nouveaux marchés et à renforcer le développement de ses zones
frontalières, la Chine redécouvre l’Himalaya, au même titre que l’Asie centrale,
deux régions auxquelles elle a longtemps tourné le dos tant sur le plan politique

* Orientaliste (CNRS) et diplomate.

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qu’économique. Coopération avec l’Inde allant jusqu’à l’ouverture au commerce


de postes frontaliers, rééquilibrage de sa politique pakistanaise, approfondis-
sement du partenariat avec le Népal, tentative de séduction du Bhoutan sont les
principales données de cette nouvelle diplomatie.
Motivée par la recherche d’un « développement économique harmonieux dans
un environnement pacifique », cette approche n’est pas sans conséquences sur la
perception chinoise de la question tibétaine qui doit être repensée dans le contexte
plus large de la politique de « développement de l’Ouest » et de la diplomatie éco-
nomique de la Chine en Asie du Sud.
Quels sont les objectifs, les enjeux et les conséquences, y compris sur le plan
interne, notamment pour le Tibet, de cette nouvelle politique régionale ? Quelles
en sont les limites ? Telles sont certaines des questions qui se posent aujourd’hui
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dans l’Himalaya, devenu depuis peu une des « nouvelles frontières » de la Chine.

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Le Tibet, « une vitrine sur un pont »

Sur la scène internationale, la question tibétaine est le plus souvent abordée


sous l’angle des droits de l’homme et de l’identité culturelle du peuple tibétain.
Bien qu’importante, cette approche n’intègre pas les dimensions économiques et
géopolitiques essentielles à la compréhension de la position de la Chine, pour
laquelle la question tibétaine ne peut être considérée indépendamment de sa
propre sécurité et de son développement. Vue de Pékin, la Région autonome du
Tibet revêt une quadruple dimension :
– représentant 13 % du territoire chinois, c’est un espace géopolitique de pre-
mière importance au contact de cinq pays – la Birmanie, le Bhoutan, l’Inde, le
Népal et le Pakistan –, qui donne à la Chine le contrôle des cols et des cours supé-
rieurs des principaux fleuves de la région et un avantage stratégique évident,
notamment par rapport à l’Inde ;
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– ancien carrefour commercial et religieux au contact de l’Asie centrale et de


l’Asie du Sud, c’est une base de rayonnement aux confins du monde chinois ;
– province sous-développée – la plus pauvre de Chine –, mais dotée de
richesses naturelles, c’est un territoire dont l’intégration à l’espace économique
chinois reste incomplète ;
– région frontalière, c’est enfin un symbole fort qui renvoie à la constitution
d’un corps géopolitique mythique dont Pékin souhaiterait qu’il se confonde avec
la nation chinoise.
Victime à la fois de ses conditions naturelles – enclavement, éloignement, alti-
tude, climat – et de la politique conservatrice de la Chine dans l’Himalaya héritée
d’anciennes confrontations avec l’Inde et d’un traitement répressif de la question
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tibétaine, le Tibet est longtemps resté l’« arrière-cour de l’Empire », sorte de zone
tampon entre la Chine et l’Inde. Devenu une des vitrines de la politique de
développement de l’Ouest chinois, il est aujourd’hui considéré à Pékin comme un
lien virtuel entre la Chine et l’Asie du Sud. De là à lui redonner le rôle central
qu’il avait jusqu’au début du XXe siècle dans l’espace himalayen, il n’y a qu’un
pas rendu possible par le réchauffement des relations sino-indiennes et par la
priorité accordée par la Chine depuis 1999 au développement de ses provinces
occidentales. Les trois priorités – valorisation des transports, des ressources en
eau, et du secteur minier – autour desquelles s’articule la politique de dévelop-
pement mise en œuvre par les autorités centrales au Tibet, sont susceptibles
d’avoir des conséquences importantes non seulement sur l’économie de la région
autonome mais aussi sur son positionnement par rapport à ses voisins 1.
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Le programme le plus spectaculaire et le plus emblématique a incontestable-

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ment été la construction à grands frais – 3,6 milliards de dollars – de la ligne de
chemin de fer reliant sur 1 142 km, à plus de 4 000 mètres d’altitude, Golmud dans
la province du Qinhgai à Lhassa. Mise en service le 1er juillet 2006, cette ligne – la
première à pénétrer au Tibet – est non seulement le symbole très politique de
l’« arrimage » du Tibet à la Chine, mais aussi le signal de sa nouvelle ouverture.
L’arrivée du chemin de fer donne tout son sens au développement tous azimuts
dont le secteur des transports fait actuellement l’objet dans la région, qu’il
s’agisse des axes routiers, des aéroports, et même des voies fluviales. Des efforts
particuliers ont été entrepris pour renforcer « les trois liens verticaux et les deux
liens horizontaux », à savoir les axes Chine-Népal, Qinghai-Tibet, Xinjiang-Tibet,
Tibet-Sichuan et Tibet-Yunnan, qui sont censés placer la région autonome au cœur
d’un réseau en devenir reliant l’Asie centrale et l’Asie du Sud. Les régions fronta-
lières vers lesquelles un réseau ferré secondaire pourrait être aménagé font l’objet
d’une attention particulière. L’amélioration des transports aura des conséquences
évidentes sur le plan interne : développement du tourisme, du commerce 2 et de
l’exploitation minière, phénomènes susceptibles d’accélérer l’intégration écono-

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mique et démographique entre le Tibet et le reste du territoire chinois. Il contri-
buera également au renforcement des capacités de défense et de contrôle des
frontières de la Chine. À plus long terme, il pourrait lui permettre de faire de la
région autonome un « poste commercial avancé » au cœur de l’Himalaya, et faci-
liter tout type d’échanges entre le Tibet et ses voisins himalayens.

1. Voir une analyse plus détaillée de cette problématique dans Thierry MATHOU, « Tibet and
its neighbours : moving toward a new strategy in the Himalayan region », Asian Survey,
août 2005, vol. 45, n° 4, p. 497-502.
2. 1,18 million de passagers et 1,16 million de tonnes de marchandises ont été transportés
sur la ligne de chemin de fer jusqu’au 1er janvier 2007.

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Moins médiatisée que le développement des transports, même si elle est sus-
ceptible d’impliquer des projets gigantesques 3, l’exploitation du réseau hydrogra-
phique tibétain constitue un levier stratégique particulièrement important.
Véritable château d’eau de l’Asie continentale 4, le plateau tibétain offre à la Chine
la possibilité de contrôler une partie de l’approvisionnement en eau de ses voisins
méridionaux qui ne manqueraient pas d’être affectés par la construction d’un
grand barrage ou par le détournement des eaux d’une rivière tibétaine. La Chine a
adopté dans ce domaine une approche prudente comme l’illustre la coopération
engagée avec la Commission pour le développement du Mékong et la suspension
en avril 2004, officiellement pour des raisons écologiques, d’un projet de barrage
sur la Salouen qui aurait directement affecté la Birmanie. L’importance de ses
besoins énergétiques rend toutefois inéluctable la valorisation des ressources en
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eau du Tibet, qui constitue une des priorités du XIe plan quinquennal. Comme

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illustrés par les relations entre l’Inde d’une part, le Bangladesh et le Népal d’autre
part, les contentieux impliquant les ressources en eau sont particulièrement diffi-
ciles à régler. Nul doute que l’apparition de tels contentieux entre la Chine et ses
voisins constituerait un facteur de tension important dans une région où la ques-
tion des relations transfrontalières reste sensible.
L’eau n’est pas la seule ressource naturelle qui confère à la région autonome
un intérêt stratégique. Bien qu’il soit loin de l’Eldorado décrit par certains, le
Tibet, « réservoir de l’Ouest » (Xizang) en chinois, recèle des richesses minières
dont l’exploitation pourrait avoir des conséquences importantes 5. Les autorités
chinoises souhaitent placer la valorisation de ces réserves, notamment la mine de

3. Bien que théorique, un projet pharaonique impliquant la construction sur le Yarlung


Tsanpo d’une centrale hydroélectrique d’une capacité de 40 millions de kW et le percement
d’un canal destiné à détourner vers le nord une partie des eaux de ce fleuve à proximité de la
frontière indienne a fait l’objet de plusieurs études.
4. Dix des principaux fleuves du continent notamment le Brahmapoutre – appelé Yarlung
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Tsanpo au Tibet –, l’Indus, la Sutlej, le Mékong – Lancang au Tibet –, et au moins deux des
principaux affluents du Gange – l’Alaknanda et la Bhagirathi – y prennent leur source. 90 % des
rivières tibétaines coulent non seulement vers la Chine continentale mais aussi vers le Cambodge,
le Laos, le Viêtnam, la Thaïlande, la Birmanie, le Bangladesh, l’Inde, le Népal et le Pakistan.
5. Le Tibet dispose de réserves, dont certaines parmi les plus importantes de Chine, pour les
métaux suivants : l’or, la chromite, le lithium, le cuivre, le molybdène, le cobalt, le tungstène, le
platine, le nickel, l’argent, la magnétite, utilisée dans l’industrie métallurgique, et la moscovite,
employée dans les industries de la défense et de l’électronique. Le China Daily s’est récemment
– 13 février 2007 – fait l’écho d’un rapport du Bureau de la géologie à Pékin qui aurait identifié
des réserves de « 30 à 40 millions de tonnes de cuivre, 40 millions de tonnes de plomb et de
zinc, et plusieurs milliards de tonnes de minerai de fer », dont l’exploitation devrait contribuer à
desserrer la contrainte qui s’exerce sur le marché chinois.

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cuivre de Yulong dans la préfecture de Qamdo, et la mine de chromite de Chusum


dans la préfecture de Lhoka, au cœur de son plan de création des bases d’une
industrie manufacturière au Tibet. Il est peu probable que l’industrie minière s’y
développe sur une grande échelle compte tenu des contraintes naturelles et de la
faible productivité des mines tibétaines. La valeur ajoutée apportée par l’améliora-
tion du réseau de transport devrait toutefois permettre au secteur minier de devenir
un des principaux pôles de développement de l’économie tibétaine. L’expérience
montre que ce phénomène n’est pas de nature à influencer significativement les
mécanismes de redistribution des richesses au profit des populations locales. En
revanche, il pourrait permettre au Tibet de disposer d’un avantage comparatif sur
le marché intérieur chinois où la croissance de la demande en matières premières
valorise toutes les réserves minières. Il est également susceptible de faire du Tibet
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un « pôle de développement » dans la région himalayenne, dont l’attractivité et le

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rayonnement seraient évidents par rapport aux autres économies locales – Népal,
Bhoutan, Nord-Est de l’Inde – enclavées et sous-développées.
À l’instar du rôle que la Chine souhaite conférer au Xinjiang par rapport à
l’Asie centrale, le Tibet, nouvelle vitrine de l’Ouest chinois, est donc susceptible
de devenir un pont vers l’Asie du Sud, projet dont la relation sino-indienne dans
l’Himalaya illustre à la fois l’ambition et les limites.

La Chine et l’Inde : vers une nouvelle coexistence pacifique


dans l’Himalaya

Conformément à la politique de bon voisinage qu’elle souhaite entretenir avec


les pays avec lesquels elle partage des frontières communes, la Chine a pris l’ini-
tiative au cours des dernières années d’améliorer significativement sa relation
avec l’Inde. Vue de Pékin, l’émergence des deux pays se heurte à des résistances
comparables sur la scène internationale, d’où l’existence d’intérêts communs. La

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Chine et l’Inde n’en demeurent pas moins des rivaux potentiels, ce qui explique le
contenu parfois contradictoire de la politique indienne de la Chine, qui vise à la
fois à approfondir les relations bilatérales, à prévenir la menace d’encerclement
américain et à contenir les ambitions indiennes. Le rapprochement sino-indien est
un processus évolutif qui a débuté à la fin des années 1980. Favorisée par Rajiv
Gandhi dès 1988 et par la réduction des tensions consécutives à l’éclatement de
l’URSS, alliée de l’Inde depuis 1971, la réconciliation a été scellée par un Accord
sur le maintien de la tranquillité et de la paix le long de la ligne de contrôle 6 et par

6. Accord signé le 7 octobre 1993.

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L’HIMALAYA, « NOUVELLE FRONTIÈRE » DE LA CHINE
CARTE. – L’HIMALAYA, « NOUVELLE FRONTIÈRE » DE LA CHINE
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la visite en Inde du président Jiang Zemin en 1996. Les essais nucléaires indiens
de 1998 avaient imposé un brutal coup d’arrêt à ce processus. La normalisation
s’est néanmoins poursuivie à partir de 2001 toujours à l’initiative de la Chine 7.
Elle a débouché sur une déclaration commune, véritable feuille de route de la rela-
tion bilatérale, adoptée en juin 2003, lors de la visite en Chine du Premier ministre
indien de l’époque Atal Behari Vajpayee. Même si elle n’a pas marqué d’avancée
significative dans la relation bilatérale, la visite à New Delhi en novembre dernier
du président Hu Jintao s’inscrit dans la même logique. Cette évolution est indisso-
ciable du rééquilibrage de la politique pakistanaise de la Chine. Amorcé en 1996 à
la faveur d’un apaisement des tensions entre New Delhi et Islamabad, et relancé
dans le contexte de l’après-11 septembre, celui-ci s’est traduit par l’abandon, au
moins temporaire, de la stratégie chinoise d’endiguement de l’Inde fondée sur
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l’alliance sino-pakistanaise. La visite du président Hu Jintao à Islamabad, qui a

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suivi l’étape de New Delhi, a toutefois montré que le Pakistan demeurait un allié
stratégique de première importance pour la Chine qui n’a pas fondamentalement
modifié le fond de sa politique régionale, même si, sur certains dossiers, comme la
question du Cachemire, le soutien qu’elle apporte aux positions pakistanaises est
moins inconditionnel que par le passé.
Relation à « portée mondiale », qui n’est toutefois pas qualifiée par la Chine de
partenariat stratégique, la relation sino-indienne a désormais un caractère global.
Bien qu’elle n’en soit qu’une composante, la problématique himalayenne en est à
la fois le baromètre et la variable d’ajustement. Vis-à-vis de l’Inde, la politique
himalayenne de la Chine vise trois objectifs : s’assurer que la question tibétaine
n’acquière pas une dimension régionale ; renforcer l’arrimage du Tibet au reste de
la Chine tout en en faisant la « tête de pont » de l’ouverture chinoise vers l’Asie du
Sud ; valoriser l’avantage stratégique que confère à la Chine la position géogra-
phique du Tibet.
La période actuelle est caractérisée par un réchauffement général de la relation
bilatérale qui conduit Pékin à considérer l’Himalaya comme un espace de coopé-

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ration potentiel avec l’Inde et non d’affrontement. La visite du Premier ministre
indien à Pékin en 2003 8 avait été l’occasion de trois avancées significatives dans
ce domaine.
La réaffirmation par l’Inde de l’appartenance au territoire chinois de la Région
autonome du Tibet et de l’interdiction faite aux Tibétains de conduire des activités
politiques antichinoises en Inde n’était pas une nouveauté. Elle correspondait
néanmoins à une approche déclaratoire particulièrement importante pour les auto-

7. Visite en Inde de Li Peng, alors président de l’Assemblée populaire nationale, en jan-


vier 2001.
8. La première depuis la visite à Pékin du Premier ministre P. V. Narasmha Rao en 1993.

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rités chinoises. Même symbolique 9, elle permet à Pékin d’éviter que la question
tibétaine ne devienne un sujet de polémique avec son voisin. Bien que l’Inde ait
reconnu dès 1954 la souveraineté chinoise sur le Tibet, la réaffirmation écrite de
ce principe dans la déclaration de Pékin fut considérée comme un acquis majeur
de la diplomatie chinoise. Même si cela ne constitue plus à proprement parler un
irritant de la relation bilatérale, le statut de résident accordé par l’Inde au dalaï-
lama reste un sujet de préoccupation à Pékin, où Dharamsala est considéré comme
le foyer illégitime d’une activité antichinoise qui continue à drainer les flux d’immi-
gration clandestine venus du Tibet.
La décision de nommer deux représentants spéciaux pour « explorer d’un point
de vue politique l’ensemble de la relation bilatérale et le cadre du règlement de la
question frontalière » montrait que beaucoup de chemin restait encore à parcourir.
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La récente visite en Inde du président chinois a d’ailleurs permis de constater que

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le règlement du contentieux frontalier progressait lentement. Alors qu’un accord
sur « les paramètres politiques et les principes directeurs du règlement de la ques-
tion des frontières » avait pu être signé en avril 2005, lors de la visite en Inde du
Premier ministre chinois Wen Jiabao, au terme de deux années de discussions et
de rencontres entre les représentants spéciaux, aucun progrès substantiel n’a été
enregistré récemment. Les autorités chinoises ont considéré que les huit cycles de
négociation organisés depuis 2003 n’avaient pas permis d’avancée justifiant une
nouvelle réunion en marge de la visite du président Hu Jintao. Elles estiment tou-
tefois que l’absence de règlement de ce contentieux n’empêche pas les deux pays
d’approfondir leurs échanges, y compris le commerce frontalier, ce qui constitue
l’avancée la plus significative de la diplomatie chinoise dans la région.
L’élément le plus notable de l’accord de 2003 concernait en effet la signature
d’un « mémorandum d’intention sur le développement du commerce transfron-
talier » qui rendait possible la réouverture de l’ancienne route commerciale reliant
le Tibet à l’Inde via le col de Nathu, qui relie la région autonome et le Sikkim.
L’intérêt de cette annonce tenait moins dans la possibilité d’ouvrir au commerce
Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.

un nouveau poste frontalier, puisqu’il en existait déjà deux, que dans la symbo-
lique du site – une zone hautement militarisée à proximité du Sikkim, dont la
Chine ne reconnaissait pas l’appartenance à l’Inde –, dans le caractère solennel de
l’annonce – un accord écrit préfigurant l’ouverture d’autres postes frontaliers – et
dans l’espoir de générer de nouveaux flux d’échanges.

9. Le renouvellement de cette déclaration en novembre 2006 n’a pas empêché plusieurs cen-
taines de Tibétains de manifester dans le centre de New Delhi lors de la visite du président
chinois.

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Échanges transfrontaliers : les espoirs déçus

Priorité des autorités chinoises, la relance du commerce transhimalayen ne


concerne à ce jour que des flux marginaux et implique principalement le Népal
qui représente plus de 70 % du commerce de la région autonome. Les deux premiers
points d’échanges entre la Chine et l’Inde – les cols de Lipulekh dans l’Uttaranchal
et de Shipki dans l’Himachal Pradesh – ont été ouverts respectivement en 1992
et 1995 10. Le commerce qui transite par ces cols est limité aux régions fronta-
lières. Il ne concerne qu’une liste de 44 produits préalablement définie et implique
des montants modestes 11. Il existe également un arrangement bilatéral qui a per-
mis la reprise en 1981 du yatra, pèlerinage traditionnel, qui se déroule chaque
année entre juin et septembre. Les pèlerins peuvent accéder au mont Kailash via le
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col de Lipulekh. Lors de la visite du Premier ministre chinois à New Delhi en

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2005, son homologue indien avait évoqué la possibilité d’ouvrir une route alterna-
tive permettant aux pèlerins d’atteindre le lac Manasarovar via le Ladakh. L’ouver-
ture au commerce d’autres points de la frontière – notamment les secteurs de
Bumla en Arunachal Pradesh et de Demchok au Ladakh – serait également en
discussion 12. Ces initiatives restent toutefois circonscrites à des zones peu
faciles d’accès où il est difficile d’envisager le développement de flux
d’échanges significatifs.
La réouverture du Nathu La 13 semblait plus prometteuse. Elle s’inscrit dans le
cadre de projets ambitieux, au moins du côté chinois. Avec l’arrivée du chemin de
fer au Tibet, le district de Yadong, riverain du Nathu La, a vocation à jouer un rôle
important dans le développement de la région autonome. Sa réouverture était une
des priorités du Xe plan quinquennal mis en œuvre à Lhassa (2001-2005). Plu-
sieurs entrepôts y ont été construits. Des sommes significatives ont été investies 14,
afin d’améliorer le réseau routier entre Xigazê et Yadong. Vue de Pékin et de
Lhassa, la réouverture du col – qui avait été fermé en 1962 au moment du conflit

10. Dans la pratique, ces cols ne sont ouverts que quatre mois par an, de juin à septembre, il

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est vrai largement en raison des conditions climatiques.
11. Respectivement 159 millions et 376 millions de roupies indiennes en 2006 (soit 2,7 et
6,4 millions d’euros). En 2004, le commerce transitant par Lipulekh aurait atteint 170 millions
de roupies (2,9 millions d’euros). Cette diminution est intervenue après que le ministère indien
du Commerce a constaté qu’une société basée à Bénarès importait de la soie chinoise par ce
canal, qui n’a pas vocation à servir à ce type d’échanges.
12. Le col de Bumla est devenu depuis quelques années le cadre inhabituel de deux cérémo-
nies annuelles à l’occasion des fêtes nationales chinoise et indienne organisées de part et d’autre
de la ligne Mac Mahon, frontière actuelle contestée par la Chine, ce qui n’empêche pas des
délégations militaires des deux pays de participer activement à l’événement.
13. « La » signifie « col » en tibétain.
14. 6 milliards de yuans (587 millions d’euros) pendant le Xe plan.

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L’HIMALAYA, « NOUVELLE FRONTIÈRE » DE LA CHINE

sino-indien dans l’Himalaya – devait non seulement favoriser l’essor du commerce


transfrontalier mais aussi offrir un nouveau débouché pour les produits originaires
des provinces du Qinghai, du Gansu et du Xinjiang, qui sont actuellement obligés
de transiter par Canton pour accéder aux marchés d’Asie du Sud et du Sud-Est.
Voisin du Bhoutan à l’est, Yadong fut longtemps la principale zone de transit
commercial dans l’Himalaya. La route qui reliait Lhassa à Kalimpong a généré
beaucoup de richesses tant au Tibet central que dans le nord de l’Inde. Elle est à la
fois plus courte – d’un tiers – et géographiquement plus accessible que la route
entre Lhassa et Katmandou, qui était jusqu’à récemment le seul axe carrossable
permettant de se rendre du Tibet en Asie du Sud. Dans la mesure où le réseau
routier tibétain arrive désormais à la frontière et où il existe du côté indien des
axes permettant de rallier la plupart des grandes villes du nord de l’Inde depuis le
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Sikkim, des simulations ambitieuses ont été faites sur les conséquences de la réou-

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verture du Nathu La, tant du côté chinois que du côté sikkimais 15. Le Sikkim a en
effet beaucoup milité pour convaincre New Delhi d’adopter une approche moins
défensive sur la question des relations transfrontalières. Gantkok avait accueilli
avec enthousiasme l’accord de 2003, et compte sur le commerce frontalier pour
lutter contre la pauvreté et le chômage qui contribuent à entretenir des foyers d’in-
stabilité locaux.
La réouverture du col de Nathu est effective depuis le 6 juillet 2006. Il aura
fallu plus de trois ans pour mettre en œuvre l’accord de Pékin. Ce délai est dû à la
fois au caractère sensible du secteur et à la difficulté qu’ont eue les deux parties à
s’entendre sur le contenu et l’étendue du commerce qui pourrait transiter par ce
col. Bien qu’il soit encore trop tôt pour tirer un bilan, force est de constater que
l’essor commercial escompté n’a pas eu lieu. Les échanges restent modestes et ne
concernent qu’un négoce local compte tenu des restrictions imposées par les auto-
rités indiennes qui redoutent l’arrivée massive sur leur marché de produits chinois
à bas prix. Des contraintes similaires à celles imposées au transit des produits
franchissant les cols de Lipulekh et de Shipki ont été introduites au Nathu La.
29 produits indiens sont autorisés à l’exportation, essentiellement des produits
Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.

agro-alimentaires 16. La liste des produits sino-tibétains pouvant franchir le col se

15. La région autonome comptait sur une augmentation de 15 % par an de son commerce.
Selon une étude réalisée par le Sikkim’s Nathu La Trade Study Group, le commerce transitant
par le col pourrait atteindre 3,53 milliards de roupies (60,3 millions d’euros) en 2010 et
5,75 milliards de roupies (98,3 millions d’euros) en 2020.
16. Ces produits sont des épices, des herbes, des légumes, des fruits, des huiles végétales, de
l’orge, du café, de la farine, des conserves. Sont également concernés des fournitures pour
l’agriculture – essentiellement des engrais –, des produits textiles – vêtements et couvertures –,
des produits de consommation courante – chaussures, montres, cigarettes, papeterie –, de
l’essence et des produits en cuivre.

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HÉRODOTE

limite à 15 catégories très locales : peaux de chèvres et de moutons, chevaux,


chèvres, beurre, soie, laine de yack et borax. Demandée par la partie chinoise,
l’extension de ces listes est soumise à l’autorisation des Indiens. Deux marchés
ont été ouverts à quelques kilomètres de la frontière, à Rinchangang au Tibet et à
Sherathang au Sikkim. Les périodes durant lesquelles le commerce est autorisé
sont très réglementées : uniquement du lundi au jeudi et seulement du 1er juin au
30 septembre. Seuls peuvent transiter par le col les commerçants détenteurs de
permis délivrés par les autorités douanières. Outre les restrictions de nature régle-
mentaire, le commerce transfrontalier se heurte aux conditions climatiques et géo-
graphiques locales qui rendent hasardeux, notamment en période de mousson, le
déplacement des camions.
L’impact économique de la réouverture de postes-frontières ne doit donc pas
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être surestimé. En dépit de plans ambitieux, les obstacles naturels et techniques

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demeurent une contrainte majeure. Reste le symbole. L’accord de 2003 a été l’occa-
sion d’une avancée politique significative, puisqu’il a amorcé le processus de
reconnaissance par la Chine du Sikkim comme État indien, question qui était un
contentieux entre les deux pays depuis que le petit royaume himalayen avait été
incorporé à l’Union indienne en 1975. Bien que les autorités chinoises aient
souligné en 2003 que l’accord frontalier n’impliquait pas la reconnaissance tacite
de l’annexion du Sikkim, elles ont admis que la question était un « héritage du
passé ». Le 8 octobre 2003, alors que le Premier ministre Wen Jiabao rencontrait
son homologue indien dans le cadre du sommet de l’ASEAN en Indonésie, le
ministère des Affaires étrangères chinois a effacé de son site officiel la référence
au Sikkim qui ne figure plus désormais sur les cartes chinoises comme un État
séparé de l’Inde.

La permanence du contentieux frontalier

Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.


Les réticences indiennes à autoriser un commerce frontalier plus diversifié
illustrent les limites de la coopération dans l’Himalaya, qui se heurte notamment à
la permanence du contentieux frontalier. Celui-ci reste un enjeu majeur tant par
l’étendue des territoires concernés que par leur position géographique – aux portes
du Tibet et du Xinjiang – et par la multiplicité des implications. Les litiges por-
taient initialement sur trois secteurs : occidental – Karakorum –, central – entre le
Karakorum et le Népal – et oriental – à l’est du Bhoutan. Tracée en 1914 par les
colonisateurs britanniques, la ligne dite Mac Mahon délimite unilatéralement la
frontière entre l’Inde et la Chine, et n’est pas reconnue par Pékin. La Chine reven-
dique la quasi-totalité d’un État indien, l’Arunachal Pradesh – 90 000 km2 –,
occupe un territoire contesté d’environ 40 000 km2 au nord du Ladakh, l’Aksai
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L’HIMALAYA, « NOUVELLE FRONTIÈRE » DE LA CHINE

Chin 17, et a obtenu du Pakistan la cession par traité d’une partie du Cachemire,
revendiqué par l’Inde 18. Des progrès ont certes été réalisés pour pacifier la fron-
tière et encadrer les négociations : accords sur le respect de la ligne de contrôle
effectif (LAC) en 1993 et sur l’établissement de mesures de confiance réciproques
en 1996 ; échange de cartes sur le secteur central en 2000 19 ; nomination en 2003
des représentants spéciaux chargés de superviser le groupe de travail sur les fron-
tières qui a intégré le secteur occidental, y compris l’Aksai Chin, dans ses travaux
en 2002 ; mesures de confiance symboliques comme la visite au Tibet en
novembre 2003 d’une délégation du 4e corps de l’armée indienne, stationné sur la
frontière de l’Arunachal Pradesh. Les divergences restent néanmoins profondes, y
compris sur la méthodologie des négociations – délimitation de la ligne de
contrôle effectif 20 –, qui implique une tierce partie – le Pakistan –, et sur leur éten-
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due : le secteur oriental, le plus sensible, qui n’est pas couvert par les discussions.

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Même si la Chine est susceptible de faire des concessions 21, sa marge de
manœuvre reste étroite compte tenu de son refus de principe de reconnaître la
ligne Mac Mahon 22. L’incursion de militaires chinois en Arunachal Pradesh le
26 juin 2003, alors que le Premier ministre indien était en visite officielle en
Chine, et la fin de non-recevoir de Pékin aux protestations alors présentées par
l’Inde ont montré les limites du processus. Plus récemment, une polémique s’est

17. En 1987, le Pakistan a reconnu la souveraineté chinoise sur l’Aksai Chin.


18. En vertu de l’accord sino-pakistanais de 1963, le Pakistan a cédé à la Chine la vallée de
Shaksgan (5 180 km2). La Chine a pour sa part cédé au Pakistan deux petites bandes de terre
de part et d’autre de cette vallée.
19. Le secteur central, qui concerne les territoires situés entre le Népal et le Jammu-
Cachemire, est le moins litigieux. Sont en jeu les frontières de l’Himachal Pradesh et de
l’Uttaranchal, qui ne comportent que de petites enclaves contestées.
20. Les Chinois souhaitent faire correspondre la ligne de contrôle effectif à la limite jusqu’à
laquelle s’exerce le contrôle effectif de chaque partie sur le terrain. Les Indiens, en revanche,
Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.

veulent déterminer jusqu’où le contrôle effectif devrait s’étendre. Pékin ne veut donc pas traiter
de la ligne de contrôle effectif à l’ouest du Siatchen, qui n’est pas sous contrôle effectif de
l’Inde, alors que New Delhi veut traiter de tout, même de la frontière qui n’est que théorique,
puisque située au Cachemire sous administration pakistanaise, et considère que Pékin doit
accepter la frontière du Raj britannique, comme elle l’a fait pour la Birmanie en 1960 et le
Pakistan en 1963, bien que des régions tibétaines comme Tawang en Arunachal Pradesh soient
clairement tibétaines. À ce titre, il est inenvisageable pour l’Inde de restituer à la Chine les
zones de culture tibétaine réclamées par Lhassa en 1947.
21. Ces concessions pourraient être la reconnaissance officielle écrite de l’appartenance du
Sikkim à l’Inde, voire l’évacuation sous conditions d’une partie de l’Aksai Chin.
22. Située sur les lignes de crête, cette position est essentielle pour permettre à l’Inde
d’assurer la défense de la plaine gangétique.

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HÉRODOTE

développée en marge de la visite du président chinois en Inde. Les commentateurs


indiens qui tentaient d’accréditer l’idée selon laquelle le règlement frontalier ne
dépendait plus que du sort de la petite localité de Tawang ont conduit l’ambas-
sadeur de Chine à New Delhi à rappeler que son pays revendiquait bien la totalité
de l’État d’Arunachal Pradesh. Les deux chefs d’État se sont d’ailleurs montrés
très discrets sur cette question dans leur déclaration commune, puisqu’ils se sont
contentés d’inviter leurs représentants spéciaux à poursuivre leurs efforts pour
parvenir à un « accord rapide 23 ».
La Chine se réserve à tout moment la possibilité d’utiliser le contentieux fron-
talier comme un levier de sa relation avec l’Inde. Les perspectives d’un dévelop-
pement coordonné entre le Nord-Est indien, le Yunnan et le Tibet sont réduites
compte tenu de la méfiance de l’Inde à engager une démarche volontariste dans
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une zone rendue instable par les mouvements indépendantistes – Bodos, Assamais,

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Mizos, Khasis, Naga – et par la crainte d’une influence chinoise dans la région.
Bien que l’Inde considère que la question tibétaine ne doit pas être un obstacle à
son rapprochement avec la Chine, elle ne peut échapper à sa proximité culturelle
et géographique avec l’Himalaya, dont elle se sent d’une certaine manière
« orpheline 24 ». Certains à New Delhi n’excluent pas que l’Inde soit un jour tentée
de jouer la carte tibétaine, une fois réglée la question de Taïwan. Forte d’un soutien
occidental, elle pourrait encourager la création d’un État tampon, perspective que
la Chine ne saurait accepter, et qui illustre les limites de la nouvelle politique fron-
talière chinoise.
L’absence de règlement du contentieux complique la situation et donne aux
États frontaliers une position stratégique qui rend suspecte aux yeux de New Delhi
toute démarche chinoise en direction du Népal et du Bhoutan. Les progrès récents
des relations sino-indiennes dans l’Himalaya ne signifient donc pas que les facteurs
de tension entre les deux pays aient disparu. Ils sont simplement ignorés. L’émer-
gence de l’Inde se nourrit de sa compétition avec la Chine. Les deux pays ont des
intérêts stratégiques divergents. L’Inde redoute les avancées chinoises dans la

Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.


23. Les deux représentants spéciaux se sont de facto retrouvés à New Delhi dès la mi-
janvier 2007 dans le cadre de leur 9e cycle de discussions, qui ne semble pas avoir permis des
avancées mais entretient le climat d’ouverture que les deux pays souhaitent promouvoir.
24. Le Tibet appartient presque au sous-continent. Le mont Kailash est le centre du monde
dans la mythologie hindoue. Bien que le Népal abrite aujourd’hui le lieu de naissance du
Bouddha, c’est l’Inde (Bodh Gaya) qui est considérée par les Tibétains comme sa patrie d’ori-
gine et, à ce titre, comme la terre sacrée. Les populations de culture tibétaine sont nombreuses
dans les régions himalayennes de l’Inde, du Ladakh à l’Arunachal Pradesh. Les grands fleuves
indiens prennent leur source au Tibet. Jusqu’aux années 1950, les liaisons routières étaient plus
faciles entre l’Inde et le Tibet qu’entre le Tibet et l’intérieur de la Chine.

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L’HIMALAYA, « NOUVELLE FRONTIÈRE » DE LA CHINE

région : le positionnement chinois en Birmanie – fourniture d’armements,


construction de routes, installation d’une station d’écoute sur les îles Coco dans la
mer des Andaman 25 – et au Pakistan – aide militaire, participation à la construc-
tion du port en eaux profondes de Gwadar –, les relations sino-népalaises ; et la
militarisation du Tibet. Cette méfiance explique que New Delhi, préoccupé par le
développement rapide des infrastructures chinoises au Tibet, fasse preuve de frilo-
sité face au développement des échanges commerciaux transfrontaliers. Pour sa
part, la Chine voit d’un mauvais œil le rapprochement indo-viêtnamien déjà
consacré par un accord de coopération militaire signé en 2000 et par les avancées
indo-japonaises et américaines dans la région. Le nouveau missile indien Agni III,
dont la portée est de 3 600 km, vise davantage la Chine que le Pakistan. Pékin
réclame toujours l’application par l’Inde de la résolution 1172 du Conseil de
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sécurité des Nations unies, qui demande à New Delhi et à Islamabad de renoncer à

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l’arme atomique et d’adhérer au TICE.
Considérant qu’ils ne constituent pas une menace immédiate l’un pour l’autre
et que leurs intérêts communs dépassent leurs différends, les deux pays ont choisi
l’Himalaya comme un des terrains d’application de leur nouvelle coopération.
Mais celle-ci reste prudente et répond à des ambitions et des objectifs différents.
Les relations que la Chine entretient avec les deux royaumes himalayens sont à ce
titre particulièrement révélatrices.

La Chine et le Bhoutan : à la recherche d’une « caution bouddhiste »

Il existe un paradoxe apparent dans la relation sino-bhoutanaise 26. La position


géographique du Bhoutan lui donne une importance politique et stratégique dans
la région himalayenne. Le Bhoutan a une tradition ancienne d’interaction cultu-
relle et religieuse avec le Tibet, avec lequel il partage une frontière commune. Or
le petit royaume n’a pas de relations diplomatiques avec la République populaire
Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.

de Chine. Même les échanges économiques et commerciaux sont marginaux,


depuis que la frontière a été fermée en 1962 en marge du conflit sino-indien. Lié

25. La crainte de l’influence chinoise en Birmanie a conduit l’Inde à relancer sa coopéra-


tion avec ce pays. À noter que les installations chinoises sur Coco Island ont été balayées par
le tsunami du 26 décembre 2004.
26. Thierry MATHOU, « Bhuthan-China Relations : Towards a New Step in Himalayan Poli-
tics », dans K. URA et S. KINGA (dir.), The Spider and the Piglet : Proceedings of the First Inter-
national Seminar on Bhutan Studies, The Center for Bhutan Studies (http ://www.bhutanstudies.
org.bt), Thimphou, 2004, p. 388-413.

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HÉRODOTE

par un traité d’amitié avec l’Inde, qui organise une relation particulière entre les
deux pays en matière de politique étrangère, le Bhoutan s’en est longtemps remis
à New Delhi pour gérer les positions chinoises dans la région, y compris lorsqu’il
s’est agi d’évoquer la situation de la frontière sino-bhoutanaise. Le statu quo qui
prévaut depuis cette époque est toutefois en train d’évoluer. Les contacts poli-
tiques entre Thimphou et Pékin ont été renoués en 1984. Des délégations se
rencontrent chaque année dans l’une ou l’autre capitale pour discuter de la
délimitation de la frontière. Même si le contentieux n’est pas réglé, des progrès
significatifs ont été réalisés au cours des dernières années. Le contentieux terri-
torial a été réduit à un secteur situé au nord-ouest du Bhoutan. Les incidents de
pâturages, opposant chaque année à la belle saison les éleveurs bhoutanais et
tibétains conduisant leurs troupeaux sur des prairies d’altitude dans les zones
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frontalières, se sont faits plus rares. Un négoce local portant sur des produits tradi-

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tionnels et de première nécessité est réapparu ponctuellement hors de tout cadre
légal. Les consultations frontalières ont été utilisées pour élargir progressivement
le champ des discussions et envisager certains domaines de coopération. Plusieurs
délégations techniques ont été échangées et des membres du gouvernement
bhoutanais ont eu l’occasion d’effectuer des visites au Tibet, si proche géographi-
quement, culturellement, voire dans certains cas sur le plan familial, mais où
aucun d’entre eux n’avait jamais été. Un accord sur « le maintien de la paix et de
la tranquillité sur la frontière » a été signé à Pékin en décembre 1998. Organisée à
Thimphou en décembre 2001, la 15e session de discussions aurait pu permettre de
finaliser un accord global acceptable par la Chine, si le Bhoutan n’avait pas
introduit de nouvelles demandes. Dans la pratique, Thimphou s’inquiète de la
construction d’un réseau routier aux abords de la frontière et des incursions régu-
lières de Tibétains en territoire bhoutanais en dehors de tout accord. Bien qu’ayant
un intérêt commun à la normalisation de leur relation, les deux pays ont des per-
spectives différentes.
L’embellie des relations sino-indiennes ouvre la voie à un rapprochement sino-

Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.


bhoutanais. Bien que s’étant peu à peu émancipé de la « tutelle » indienne,
Thimphou reste toutefois contraint par son partenariat avec New Delhi, qui est à
la fois son allié stratégique et son protecteur en cas de tensions 27. La relation entre
les deux pays est trop étroite et le Bhoutan trop dépendant de l’Inde, notamment
sur le plan économique, pour envisager sa relation avec la Chine indépendamment

27. Les deux pays ont signé en février 2007 un nouveau traité d’amitié qui rend leurs rela-
tions diplomatiques plus équilibrées que dans le cadre du traité de 1949, qui faisait implicite-
ment de l’Inde le « tuteur » du Bhoutan en matière de politique étrangère. Le Bhoutan a
désormais, par exemple, la possibilité d’importer librement, sans l’accord préalable de l’Inde,
des équipements militaires non meutriers.

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L’HIMALAYA, « NOUVELLE FRONTIÈRE » DE LA CHINE

de la relation sino-indienne, d’où l’approche prudente suivie par le royaume qui a


toujours fait preuve de pragmatisme dans la conduite de sa diplomatie, notamment
sur le plan régional. Dans ce contexte, il est inenvisageable pour le Bhoutan
d’adopter, à l’instar de l’option retenue par le Népal dans les années 1970, une
position du juste milieu entre New Delhi et Pékin. La Chine en revanche souhaite
normaliser ses relations avec le Bhoutan le plus rapidement possible. Son
approche de la question frontalière est équivalente à celle qu’elle a adoptée avec le
Népal et qu’elle aurait souhaité faire accepter par l’Inde : un règlement global du
contentieux plutôt qu’une négociation secteur par secteur, ce que le royaume a
finalement refusé. Même si le Bhoutan n’est pas un enjeu en soi, il constitue un
élément de la stratégie himalayenne de la Chine. Vue de Pékin, la normalisation
de la relation sino-bhoutanaise présenterait plusieurs avantages. Dernier État
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bouddhiste mahayana de la planète ayant des liens culturels, historiques et religieux

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avec le Tibet, le Bhoutan est une sorte de référence culturelle à laquelle la Chine
aimerait pouvoir rattacher sa politique tibétaine. Le rétablissement d’échanges
officiels entre les monastères bhoutanais et tibétains servirait de caution aux auto-
rités sino-tibétaines, qui ne manqueraient d’invoquer ces liens pour illustrer leur
politique religieuse. Ce n’est pas un hasard si les rares visites d’officiels bhouta-
nais dans la région autonome sont commentées par la presse tibétaine avec une
emphase particulière. Ces visiteurs sont censés disposer du meilleur cadre de réfé-
rence culturel pour évaluer le développement du Tibet qu’ils qualifient prudem-
ment de « spectaculaire », jugement qui vaut approbation pour Pékin et Lhassa.
Tout en ayant de la sympathie pour le Tibet moderne, le gouvernement bhoutanais
ne s’est jamais fait l’avocat de la cause tibétaine et n’a pas non plus de relations
directes avec le dalaï-lama, qui n’a d’ailleurs jamais visité le royaume, avec lequel
il a entretenu des relations compliquées jusque dans les années 1980, lorsque
Thimphou mit les Tibétains réfugiés dans le royaume en demeure de quitter le
pays ou d’adopter la nationalité bhoutanaise. Cette neutralité bienveillante est
particulièrement appréciée par la Chine, qui n’a du coup jamais sollicité du
Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.

Bhoutan une déclaration sur le Tibet, qui n’est même pas mentionné dans les
communiqués conjoints adoptés par les deux gouvernements au terme de leurs
rencontres annuelles.
Bien que modestes, compte tenu de la taille du Bhoutan, les conséquences
économiques d’une éventuelle normalisation de la relation sino-bhoutanaise ne
doivent pas être négligées. Sur le long terme, la réouverture de la route commer-
ciale entre Lhassa et le Sikkim est susceptible d’avoir un impact sur le royaume.
Il est peu probable que le modèle économique et commercial qui prévalait au
début du XXe siècle dans l’organisation du commerce bhoutanais, presque exclusi-
vement tourné vers le Tibet, réapparaisse. La fermeture de la frontière sino-
indienne a en effet conduit le Bhoutan à faire basculer complètement le centre de
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HÉRODOTE

gravité de ses échanges du Nord vers le Sud. L’Inde est devenue son fournisseur et
son débouché quasi exclusifs. Tout le réseau routier et tout le tissu économique du
royaume ont été conçus dans ce cadre. Tout changement serait non seulement
déstabilisateur pour l’économie bhoutanaise mais aussi difficile à mettre en place
dans la mesure où il supposerait la construction de routes dans le nord du pays dans
des zones faiblement peuplées et souvent inaccessibles. Nul doute que la Chine,
qui s’emploie actuellement à construire un réseau routier du côté tibétain de la
frontière, serait prête à financer ce type d’investissements au Bhoutan, comme elle
l’a fait au Népal. Dans l’immédiat, la levée de l’embargo avec le Tibet n’aurait
vraisemblablement que des effets circonscrits aux zones frontalières. Les consé-
quences d’une arrivée de l’influence et des produits chinois au Bhoutan sont tou-
tefois prises très au sérieux tant à Thimphou qu’à New Delhi, ce qui conduit les
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autorités bhoutanaises à temporiser la normalisation de leur relation avec Pékin.

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La relation sino-népalaise : un « modèle » de coopération frontalière

La coopération sino-népalaise s’est développée régulièrement depuis l’établis-


sement des relations diplomatiques entre les deux pays en 1955. Elle a donné lieu
à de nombreux échanges de visites et à de multiples programmes de coopération
dont l’Inde a souvent pris ombrage, notamment lorsque le royaume revendiquait
une diplomatie équilibrée entre Pékin et New Delhi destinée à desserrer les
contraintes de son enclavement et de sa dépendance vis-à-vis de son voisin méri-
dional. La Chine a fourni au Népal une aide financière et technique significative
dans le domaine des infrastructures notamment pour la construction de routes et
de centrales hydroélectriques. À ce jour, le Népal est le seul pays relié au Tibet par
une route aérienne directe et à disposer d’un consulat général à Lhassa. Le
développement des échanges commerciaux, qui sont toutefois restés modestes en
raison d’infrastructures transfrontalières limitées, en mauvais état, et des condi-

Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.


tions naturelles difficiles, constitue aujourd’hui une priorité pour les deux pays.
De nouvelles liaisons routières sont en construction. Un nouvel accord a été signé en
juillet 2002 pour stimuler la coopération bilatérale dans le domaine du commerce,
du tourisme et des transports. Fait rare, la Chine a même décidé à cette occasion
que sa monnaie, pourtant non convertible, le serait au Népal.
Les troubles politiques dans le royaume ont toutefois considérablement per-
turbé le développement harmonieux de cette politique. Des efforts importants
restent à accomplir pour développer le commerce bilatéral et pour en rééquilibrer
la structure très défavorable au Népal, qui enregistre un lourd déficit par rapport à la
Chine, principal bénéficiaire de la progression, depuis le milieu des années 1980,
du commerce transfrontalier. Le Népal n’exporte que des produits à faible valeur
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L’HIMALAYA, « NOUVELLE FRONTIÈRE » DE LA CHINE

ajoutée : produits artisanaux, encens, produits agro-alimentaires, dont le ghee,


beurre clarifié utilisé comme substitut au beurre de yack dans les lampes des
monastères, qui en font grande consommation. La Chine en revanche exporte une
grande variété de produits de consommation, que l’arrivée du chemin de fer au
Tibet devrait lui permettre de diversifier encore. Seulement 1 % des exportations du
Népal vont en Chine, alors que 12 % de ses importations en proviennent, essentiel-
lement via la frontière. L’économie népalaise n’étant pas en mesure de produire
un grand nombre de produits manufacturés à haute valeur ajoutée susceptibles
d’être exportés, le déséquilibre du commerce sino-népalais est amené à perdurer.
En préconisant le développement des infrastructures transfrontalières, la Chine
fait miroiter à son voisin la possibilité de devenir une zone de transit majeure pour
l’acheminement des produits chinois, via le Tibet, vers le marché indien. Le Népal
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aurait beaucoup à gagner d’une telle évolution, qui lui permettrait non seulement

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de bénéficier de nouveaux crédits chinois pour aménager son réseau routier, de
réduire sa dépendance vis-à-vis de l’Inde – en accroissant sa dépendance vis-à-vis
de la Chine – mais aussi de disposer d’un avantage marginal sur son voisin indien,
dont elle contrôlerait indirectement une partie des approvisionnements, ce que
New Delhi, par ailleurs réticent à l’idée d’ouvrir son marché aux produits chinois,
accepterait difficilement. Du point de vue chinois, cette perspective correspond
exactement à ses ambitions régionales, d’où l’importance que représente le Népal
dans sa stratégie himalayenne.
Le commerce n’est toutefois pas le seul aspect des relations transfrontalières
sino-népalaises qui retient l’attention de Pékin. L’accord commercial conclu entre
les deux pays comporte également des dispositions générales relatives à la liberté
de circulation des citoyens chinois et népalais, qui n’ont besoin que d’un simple
laisser-passer délivré par les autorités douanières pour franchir la frontière. Il pré-
voit également la facilitation des pèlerinages transfrontaliers. Vu de Pékin, le prin-
cipal acquis de l’approfondissement de la coopération sino-népalaise sur la
frontière reste toutefois le renforcement du contrôle de l’immigration clandestine
Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.

des Tibétains pour qui la route du Népal reste la voie royale pour rejoindre le
dalaï-lama à Dharamsala. Les ONG estiment qu’entre 2 500 et 4 000 Tibétains
continuent à emprunter cette route chaque année. Depuis la fuite spectaculaire en
décembre 2000 du Karmapa, un des grands hiérarques du bouddhisme tibétain,
qui a quitté sa résidence de Tsurphu près de Lhassa pour gagner l’Inde via le
Népal, les contrôles frontaliers ont été considérablement renforcés 28. Cela a été

28. Ce durcissement a été illustré lors de l’incident survenu le 30 septembre 2006 au Tibet
au col de Nangpa, où une fusillade est intervenue entre les gardes-frontières chinois et un
groupe de Tibétains qui cherchaient à se rendre au Népal.

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rendu possible grâce notamment à la coopération des autorités népalaises, comme


l’a illustré en mai 2003 le rapatriement par le Népal de 18 Tibétains, malgré les
protestations internationales. La Chine a pu compter au cours des dernières années
sur un durcissement progressif de la politique népalaise à l’égard des Tibétains 29.
Bien que justifiée par la situation intérieure du Népal, pays pauvre, confronté à
l’instabilité politique, incapable de demeurer une terre d’asile, il est probable que
cette évolution doive beaucoup aux demandes chinoises. Bien qu’il n’y ait pas eu
de liens directs démontrés entre la rébellion népalaise et la question tibétaine 30,
l’instabilité au Népal a contribué à renforcer les préoccupations sécuritaires de la
Chine dans les zones frontalières.
À ce titre les mutations en cours à Katmandou constituent un sujet de préoc-
cupation à Pékin, même si la Chine s’en tient officiellement à la politique de non-
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ingérence qui l’a conduite à considérer, depuis l’origine, la rébellion maoïste et

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ses conséquences comme une question purement intérieure au Népal. Ayant intérêt
au maintien d’un pouvoir fort à Katmandou, elle n’avait pas pris position après le
coup d’État royal du 1er février 2005. Considérant à l’époque que le monarque
était le seul garant de la stabilité du pays, elle avait dépêché son ministre des
Affaires étrangères à Katmandou en mars 2005, rompant ainsi l’isolement diplo-
matique dont souffrait alors le souverain, sans pour autant lui apporter un soutien
militaire qui n’aurait pas manqué de mettre en péril la relation sino-indienne.
L’entrée récente des anciens rebelles au parlement et bientôt probablement au
gouvernement népalais, et l’adoption d’une constitution intérimaire qui a dépouillé
le roi de l’ensemble de ses prérogatives, y compris cérémonielles, dans l’attente
de l’élection d’une assemblée constituante qui pourrait abolir la monarchie,
constituent une interrogation pour la Chine, car elles augurent l’avènement d’un
« nouveau Népal », dont les orientations sont encore imprécises, notamment en
matière diplomatique. Malgré leur nom, les « maoïstes » n’ont aucune affinité
particulière avec la Chine actuelle, dont ils ont régulièrement dénoncé les
« dérives droitières » et la « trahison de l’idéal révolutionnaire ». Dans le même

Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.


29. Interdiction en juillet 2003 des festivités autour de l’anniversaire du dalaï-lama, alors
que le roi du Népal se trouvait en visite en Chine. Fermeture simultanée en janvier 2005 du
bureau du dalaï-lama et du Tibetan Refugee Welfare Office à Katmandou, officiellement pour
des raisons réglementaires. Arrêt, en novembre 2005, de la délivrance de certificats de sor-
tie du territoire qui permettaient aux Tibétains arrivant au Népal de se rendre en Inde, met-
tant un terme à la politique inaugurée par le Népal en 1989, qui refusait d’accorder l’asile à de
nouveaux immigrés tibétains, mais acceptait informellement leur transit sous le contrôle du
Haut-Commissariat aux réfugiés.
30. Quatre maoïstes qui tentaient de faire entrer illégalement au Népal depuis le Tibet des
armes et des explosifs furent toutefois arrêtés en novembre 2003.

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temps, leurs manifestes ont été encore plus violents contre l’Inde, avec laquelle ils
ont préconisé une remise à plat complète de la relation bilatérale : dénonciation du
traité indo-népalais de 1950 ; contrôle et gestion autonome de la frontière ; fin
du « monopole » indien dans l’économie népalaise. Même si Prachanda, le leader
charismatique des maoïstes, a adopté, depuis la visite qu’il a effectuée à New Delhi
en novembre 2006, une position mesurée voire positive à l’égard de l’Inde, dont il
souhaite la bienveillance dans l’accompagnement du processus de transition poli-
tique au Népal, le poids des maoïstes dans les futures institutions et l’infléchis-
sement éventuel qu’ils pourraient apporter à la politique extérieure du Népal
restent une inconnue qui freine pour l’instant les ambitions chinoises dans la
région. Les violents incidents survenus récemment dans le Terai, territoire situé à
la frontière indo-népalaise, où fermentent des velléités autonomistes, rappellent
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que le Népal, véritable mosaïque ethnique, reste une nation en devenir. La multi-

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plication des mouvements séparatistes dans le nord-est de l’Inde et demain peut-
être au Népal ne peut que contrarier les plans de la Chine, qui n’a intérêt ni à leur
développement ni à leur instrumentalisation, au moins dans le contexte actuel de
sa relation avec l’Inde 31.

Conclusions
L’Himalaya offre un excellent exemple de la nouvelle politique frontalière
de la Chine. Zone de contact entre deux « mondes », il est aussi un espace de
conflits potentiels. Si la Chine a choisi d’y faire progresser son nouveau partena-
riat avec l’Inde en mettant délibérément de côté le contentieux frontalier qui
oppose les deux pays, c’est avant tout pour asseoir sa nouvelle politique en Asie
du Sud. Ayant récemment obtenu le statut d’observateur au sein de la SAARC
(Association pour la coopération régionale en Asie du Sud) – en échange d’un statut
équivalent pour l’Inde au sein de l’ASEM –, la Chine souhaite rattraper le retard
diplomatique qu’elle a accumulé dans cette partie de l’Asie où son influence, qui
Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.

se heurte à celle de son grand voisin, reste limitée. Sur le plan régional, cette
stratégie répond à cinq objectifs :
1) définir un positionnement stratégique dans un contexte régional nouveau.
Le rapprochement entre New Delhi et Washington, qui entretient les craintes

31. Pékin a récemment dépêché à Katmandou un envoyé spécial qui a eu des contacts avec
des responsables du mouvement maoïste, le CPN-M. C’est la première fois qu’une rencontre de
ce type était organisée entre des officiels chinois et les anciens rebelles, qui devraient être reconnus
comme des acteurs à part entière de la scène politique népalaise par la plupart des puissances
étrangères, dont la Chine, dans le cadre du processus de normalisation en cours.

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chinoises de containment, conduit Pékin à se montrer particulièrement actif sur le


« front » himalayen, qui est à la fois le talon d’Achille du dispositif de défense
indien et une région où l’influence américaine reste marginale ;
2) assurer la sécurité de ses zones frontalières. Tout en se rapprochant de
l’Inde, la Chine considère toujours le Pakistan comme son allié privilégié dans la
région. La permanence de la rivalité stratégique entre l’Inde et le Pakistan, qui
monopolise largement l’attention de la diplomatie indienne, confère à la Chine un
effet de levier permanent. Le partenariat sino-pakistanais permet à Pékin de
contrer les effets du nouvel axe américano-indien mais aussi du rapprochement
survenu depuis septembre 2001 entre Washington et Islamabad, qui renforce la
menace de containment sur le flanc himalayen de la Chine. Enfin, il permet à Pékin
de disposer d’un accès à l’océan Indien et de sécuriser ses approvisionnements en
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provenance du Moyen-Orient. Dans ce contexte, la militarisation du Tibet répond à

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une nécessité de politique extérieure et pas seulement de sécurité intérieure ;
3) conquérir de nouveaux marchés. De même qu’elle a soutenu dans les années
1950 l’idée d’une fédération himalayenne – qui aurait regroupé à l’époque le
Népal, le Sikkim et le Bhoutan –, la Chine pourrait être tentée par un concept
moins politique mais économiquement efficace : la création d’une zone écono-
mique et commerciale intégrée dans l’Himalaya dont le Tibet serait l’arrière-pays.
À la suite de la réouverture du Nathu La, Fu Ziying, vice-ministre du Commerce
extérieur, déclarait lors d’un forum à Pékin que la Chine « envisageait des négo-
ciations sur la création d’une zone de libre-échange » avec l’Inde 32. Le Népal et le
Bhoutan se retrouveraient aux avant-postes de cette stratégie destinée à conquérir
le marché indien, d’où l’importance que la Chine accorde aux deux royaumes
himalayens ;
4) assurer le développement et la stabilité du Tibet. La nouvelle diplomatie
himalayenne de la Chine poursuit, dans ce domaine, trois objectifs différents. En
privilégiant le développement des infrastructures pour améliorer les fondements
de l’économie tibétaine et en l’ouvrant sur son environnement régional, la Chine

Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.


accélère l’intégration du Tibet au reste du pays tout en en faisant un pont vers
l’Asie du Sud. En accordant la priorité aux questions de développement de la
région autonome, elle contribue progressivement à faire glisser le débat sur la ques-
tion tibétaine d’une problématique purement politique vers un enjeu économique
où ses arguments sont plus audibles que dans la sphère des droits de l’homme ;
5) enfin, en s’assurant la neutralité – Inde, Bhoutan –, voire la coopération –
Népal – de ses voisins himalayens sur ce sujet, elle vise à marginaliser la diaspora
tibétaine qui est un phénomène régional avant d’être une cause internationale.

32. AFP, Pékin, 6 novembre 2006.

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L’impact de cette politique sur le plan intérieur, notamment pour le Tibet, est
difficile à évaluer. Le développement des relations transfrontalières est susceptible
d’avoir des conséquences multiples et contradictoires. Si la Chine cherche princi-
palement à développer les canaux d’exportation de produits manufacturés vers
l’Asie du Sud, les conséquences pour l’économie tibétaine seront marginales voire
négatives. L’essor du commerce extérieur attirera probablement de nouveaux
travailleurs migrants au Tibet. L’implication des communautés locales dépendra
largement de la mise en œuvre d’une stratégie de développement global impli-
quant tous les secteurs de l’économie, comme cela semble être le cas dans le
district de Yadong. Il existe déjà un certain nombre d’entreprises tibétaines pro-
duisant principalement pour le marché local. Certaines d’entre elles exportent déjà
une partie de leur production. L’amélioration du réseau de transport pourrait leur
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permettre de bénéficier elles aussi de la relance des échanges transfrontaliers,

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d’autant que ceux-ci restent pour l’instant circonscrits à des productions locales
quasi traditionnelles. Dans la mesure où l’exode rural concerne chaque année
entre 15 000 et 25 000 Tibétains, et où le secteur industriel reste sous-développé,
l’essor du commerce pourrait constituer un débouché potentiel pour ces nouveaux
citadins dont une partie de l’activité a toujours été consacrée au négoce.
Le développement des échanges transfrontaliers pourrait également bénéficier
aux Tibétains en exil qui disposeront de nouveaux canaux d’interaction avec le
Tibet. Comme le montre l’histoire contemporaine des relations sino-népalaises,
le commerce est souvent le moyen de perpétuer ou de recréer d’anciennes solida-
rités transfrontalières. Enfin, même si la réouverture de points de contact entre
l’Inde et la Chine ne concerne actuellement qu’un négoce local et des pèlerinages
ponctuels, la prochaine étape pourrait impliquer des brassages plus significatifs
de populations, via notamment l’essor du tourisme, priorité de toutes les régions de
l’Himalaya. Les implications potentielles des échanges transfrontaliers dans une
zone qui reste sensible sont donc multiples, non seulement sur le plan écono-
mique, mais aussi social, religieux et politique, perspective dont la Chine est loin
Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.

de maîtriser tous les paramètres. Tous les types d’interactions sont envisageables.
Les uns y voient la possibilité pour la Chine d’utiliser sa position dominante dans
le commerce himalayen pour obtenir des avantages politiques dans la région.
Jusqu’à quel point les progrès des échanges transhimalayens affecteront les rela-
tions entre le gouvernement indien et les exilés tibétains reste encore à voir.
Certains à Dharamsala critiquent le développement du tourisme religieux au Tibet,
qui constituerait une nouvelle étape dans la reconnaissance par l’Inde de l’inté-
gration du Tibet à la Chine. D’autres préfèrent insister sur les opportunités qui ne
manqueront pas de résulter d’une plus grande ouverture de la région autonome.
Force est de constater que cette ouverture, qui reste relative compte tenu de la
prudence indienne, ne peut aller au-delà des limites imposées par les réalités
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géopolitiques dans l’Himalaya. La réapparition de tensions dans la région ne peut


être exclue. Il en va ainsi des conséquences potentiellement déstabilisatrices du
développement du plateau tibétain, notamment en matière d’environnement. C’est
également le cas de l’interaction toujours possible entre les revendications identi-
taires qui se manifestent de part et d’autre de la frontière. Ainsi, en décembre
2003, les rebelles de l’Assam ont fait appel à la Chine pour négocier un passage
sécurisé au Tibet, afin d’échapper à l’offensive de l’armée bhoutanaise, qui avait
entrepris de les refouler vers l’Inde. Bien que cette demande ait fait l’objet d’une
fin de non-recevoir de la Chine, cet épisode a illustré la façon dont une plus grande
perméabilité du territoire tibétain pourrait l’impliquer dans des mouvements qui
constituent une des caractéristiques des régions situées au sud de l’Himalaya.
Anciens rebelles maoïstes du Népal, réfugiés lhotshampas 33, guérillas du nord-est
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de l’Inde sont autant de facteurs d’instabilité auxquels la Chine n’a nullement

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l’intention d’exposer le territoire tibétain, dont elle souhaite continuer à surveiller
rigoureusement le solde migratoire vis-à-vis de l’Asie du Sud.
Plus que jamais enjeu de portée nationale, la poursuite de l’intégration du Tibet
à l’espace économique chinois se double donc aujourd’hui d’un défi de politique
étrangère : comment réussir l’instrumentalisation du Tibet dans la diplomatie
himalayenne sans compromettre sa stabilité ? « Nouvelle frontière » de la Chine,
l’Himalaya illustre à plus d’un titre les ambitions et les limites de sa nouvelle poli-
tique régionale.

Hérodote, n° 125, La Découverte, 2e trimestre 2007.

33. Les lhotshampas désignent les Bhoutanais d’origine népalaise dont plusieurs dizaines de
milliers sont aujourd’hui réfugiés dans des camps installés à l’est du Népal, où s’est développée
une opposition au gouvernement bhoutanais.

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