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AU TO M AT I Q U E - R O B OT I Q U E

Ti661 - Robotique

Conception, modélisation
et commande en robotique

Réf. Internet : 42398 | 6e édition

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III
Cet ouvrage fait par tie de
Robotique
(Réf. Internet ti661)
composé de  :

Conception, modélisation et commande en robotique Réf. Internet : 42398

Perception, planification et interface en robotique Réf. Internet : 42622

Applications en robotique Réf. Internet : 42623

Robotique bio-inspirée Réf. Internet : 42688

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IV
Cet ouvrage fait par tie de
Robotique
(Réf. Internet ti661)

dont les exper ts scientifiques sont  :

Étienne DOMBRE
Directeur de Recherche Émérite du CNRS au LIRMM, UMR 5506 Université
Montpellier-CNRS

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V
Les auteurs ayant contribué à cet ouvrage sont :

Joël ABADIE Jean-Pierre FRICONNEAU Chao LIU


Pour l’article : IN28 Pour les articles : S7810 – S7811 Pour l’article : S7767

Gabriel ABBA Jacques GANGLOFF Yvan MÉASSON


Pour les articles : S7753 – S7754 Pour l’article : S7780 Pour les articles : S7810 – S7811

Salih ABDELAZIZ Philippe GARREC Bertrand NOGARÈDE


Pour l’article : S7817 Pour les articles : S7810 – S7811 Pour les articles : D5341 – D5342

Nicolas ANDREFF Jean-Pierre GAZEAU Emmanuel PIAT


Pour l’article : S7767 Pour l’article : S7765 Pour l’article : IN28

Yannick AOUSTIN Franck GEFFARD Frédéric PLUMET


Pour les articles : S7753 – S7754 Pour les articles : S7810 – S7811 Pour l’article : S7815

Faiz BEN AMAR Rodolphe GELIN Philippe POIGNET


Pour les articles : S7765 – S7755 Pour les articles : S7810 – S7811 Pour les articles : S7767 – S7780 –
S7817
Quentin BOEHLER  Florian GOSSELIN
Pour l’article : S7817 Pour l’article : S7739 Kanty RABENOROSOA
Pour l’article : S7767
Medhi BOUKALLEL Christophe GRAND
Pour l’article : IN28 Pour l’article : S7755 Pierre RENAUD
Pour les articles : S7769 – S7817
Mohamed Nassim BOUSHAKI Yassine HADDAB
Pour l’article : S7767 Pour l’article : S7712 Alain RIWAN
Pour les articles : S7810 – S7811
Yves BRIÈRE Carole HÉNAUX
Pour l’article : S7815 Pour les articles : D5341 – D5342 Jean-François ROUCHON
Pour les articles : D5341 – D5342
Sébastien BRIOT Arnaud HUBERT
Pour les articles : S7714 – S7768 Pour l’article : S7712 François-Xavier RUSSOTTO
Pour les articles : S7810 – S7811
Damien CHABLAT Nathanaël JARRASSÉ
Pour l’article : S7857 Pour l’article : S7704 Jérôme SZEWCZYK
Pour l’article : S7769
Mohamed Taha CHIKHAOUI Luc JAULIN
Pour l’article : S7767 Pour l’article : S7818 Marc VÉDRINES
Pour l’article : S7817
Olivier COMPANY Pierre LAMBERT
Pour l’article : S7768 Pour l’article : S7769 Philippe WENGER
Pour l’article : S7857
Olivier DAVID Fabrice LE BARS
Pour les articles : S7810 – S7811 Pour l’article : S7815

Philippe DESBATS Alain LIÉGEOIS


Pour les articles : S7810 – S7811 Pour l’article : S7730

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VI
Conception, modélisation et commande en robotique
(Réf. Internet 42398)

SOMMAIRE

1– Conception Réf. Internet page

Les exosquelettes S7704 11

Dispositif de caractérisation mécanique pour la microrobotique IN28 19

Conception, modélisation et commande des systèmes microrobotiques S7712 21

Conception et optimisation des interfaces à retour d'effort S7739 27

Écoconception en robotique S7714 35

Préhension robotique et manipulation dextre S7765 45

Actionneurs électromécaniques pour la robotique et le positionnement. D5341 53


Fondamentaux et structures de base
Actionneurs électromécaniques pour la robotique et le positionnement. Conception, D5342 59
alimentation et commande
Actionneurs non conventionnels pour la robotique S7769 63

Conception, modélisation et commande des robots à tubes concentriques : vers des S7767 71
applications médicales
Robots parallèles S7768 77

2– Modélisation et commande Réf. Internet page

Modélisation et commande des robots manipulateurs S7730 85

Modélisation et commande des robots humanoïdes S7753 89

Commande des robots humanoïdes S7754 93

Conception, modélisation et commande des robots mobiles terrestres S7755 97

Robots cuspidaux : théorie et applications S7857 101

Intégration robot-capteur S7780 107

Téléopération - Principes et technologies S7810 111

Téléopération. Contrôle commande S7811 115

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VII
Les voiliers robotisés S7815 119

Mécanismes de tenségrité pour la robotique de manipulation S7817 125

Géométrie et commande des drones S7818 131

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Conception, modélisation et commande en robotique
(Réf. Internet 42398)

1
1– Conception Réf. Internet page

Les exosquelettes S7704 11

Dispositif de caractérisation mécanique pour la microrobotique IN28 19

Conception, modélisation et commande des systèmes microrobotiques S7712 21

Conception et optimisation des interfaces à retour d'effort S7739 27

Écoconception en robotique S7714 35

Préhension robotique et manipulation dextre S7765 45

Actionneurs électromécaniques pour la robotique et le positionnement. D5341 53


Fondamentaux et structures de base
Actionneurs électromécaniques pour la robotique et le positionnement. Conception, D5342 59
alimentation et commande
Actionneurs non conventionnels pour la robotique S7769 63

Conception, modélisation et commande des robots à tubes concentriques : vers des S7767 71
applications médicales
Robots parallèles S7768 77

2– Modélisation et commande

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1

10
Référence Internet
S7704

Les exosquelettes

par Nathanaël JARRASSÉ


Chargé de recherche CNRS
1
Sorbonne Université, CNRS, INSERM
Institut des systèmes intelligents et de robotique, ISIR 75005 Paris, France

1. Généralités ................................................................................................ S 7704 - 2


1.1 Définition générale...................................................................................... — 2
1.2 Historique .................................................................................................... — 2
1.3 Constat actuel.............................................................................................. — 4
2. Taxonomie ................................................................................................. — 4
2.1 Caractéristiques mécaniques ..................................................................... — 4
2.2 Caractéristiques de contrôle ...................................................................... — 9
3. État de l’art ............................................................................................... — 13
3.1 Augmentation et préservation (assistance à opérateur sain) ................. — 14
3.2 Suppléance (assistance au handicap) ....................................................... — 16
3.3 Rééducation................................................................................................. — 19
3.4 Téléopération et réalité virtuelle................................................................ — 22
4. Challenges et perspectives................................................................... — 24
4.1 Cahier des charges mécaniques aux exigences antagonistes ................ — 24
4.2 Adaptation au corps et maîtrise de l’interaction physique...................... — 25
4.3 Transparence, partage du contrôle et respect des intentions motrices . — 27
4.4 Détection des intentions motrices ............................................................. — 27
4.5 Compréhension du système sensorimoteur humain .............................. — 28
4.6 Challenges annexes .................................................................................... — 28
5. Conclusion................................................................................................. — 29
6. Glossaire .................................................................................................... — 29
Pour en savoir plus .......................................................................................... Doc. S 7 704

Le contexte actuel du domaine des exosquelettes demeure singulier pour


plusieurs raisons.
D’abord, les exosquelettes sont des objets technologiques très visibles et
médiatisés. Or, bien qu’il existe une multitude de plates-formes de recherche,
peu de ces dispositifs sont réellement disponibles commercialement et utilisés
concrètement. La surmédiatisation faite autour de certains produits particuliers
tend en effet à occulter la complexité réelle des systèmes actuels, leurs perfor-
mances limitées, leur absence totale de polyvalence (chaque type de dispositif
répondant à un cahier des charges spécifique très contraint) et donc les nom-
breux challenges technologiques et scientifiques sous-jacents qu’il reste à
surmonter.
Comme cela sera montré dans la suite de l’article, la tendance actuelle dans
le développement des exosquelettes est à la simplification des dispositifs, avec
une réduction du nombre d’articulations et d’actionneurs (au profit d’éléments
mécaniques passifs) et un allégement des structures, et donc à une évolution
vers des dispositifs revêtus plus écologiques.
Cet article propose donc une taxonomie (construite autour d’une analyse des
Parution : février 2019

différentes caractéristiques mécaniques et de contrôle de ces systèmes) qui

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11
Référence Internet
S7704

LES EXOSQUELETTES ________________________________________________________________________________________________________________

permet d’organiser et de distinguer plus finement ce domaine des


exosquelettes.
À partir de cette analyse technologique, un état de l’art détaillé des disposi-
tifs existants est présenté pour les quatre différents types d’exosquelettes,
présentant leurs spécifications respectives ainsi que leurs applications et possi-
bilités actuelles.

1
Enfin, une réflexion sur les challenges et perspectives du domaine est pré-
sentée, abordant les nombreux aspects qui demeurent à considérer pour
améliorer ces dispositifs : adaptation au corps et maîtrise de l’interaction et de
l’interfaçage physique, transparence des systèmes, partage du contrôle avec
l’opérateur et respect des intentions motrices (en lien avec leurs détections et
avec une meilleure compréhension du système sensorimoteur humain),
gestion de la sécurité et simplicité d’utilisation. En effet, bien qu’un certain
nombre de verrous technologiques aient été levés au cours des dernières
années, la révolution dans la mise au point et dans l’adoption massive des
exosquelettes passera nécessairement par la résolution de ces challenges
scientifiques multidisciplinaires et complexes.

1. Généralités types d’exosquelettes en se basant sur les applications auxquelles


ils se destinent :
• les exosquelettes d’assistance, qui se divisent eux même en :
1.1 Définition générale – exosquelettes d’augmentation/de préservation (assistance au
sujet sain),
Un exosquelette est une structure mécanique articulée, passive – exosquelettes de suppléance (assistance au handicap) ;
ou motorisée, revêtue par un sujet humain et conçue dans le but • les exosquelettes de rééducation (aide à la récupération sen-
d’interagir physiquement avec une ou plusieurs parties du corps, sorimotrice) ;
et ce, au travers de plusieurs ports d’interaction (attaches) lui per-
• les exosquelettes de téléopération (interfaçage haptique).
mettant d’agir directement dans l’espace articulaire du corps du
sujet. Comme l’article le montrera, il n’existe pas à ce jour de struc-
ture polyvalente utilisable dans ces différentes applications, mais
Nota : cette interaction dans l’espace articulaire sera toutefois plus ou moins contrôlée plutôt des dispositifs dédiés qui répondent chacun à des cahiers
selon le type de structure exosquelettique (cas de structure non anthropomorphe à
contact unique, voir section 2.1.1.2).
des charges spécifiques très contraints. La frontière peut toutefois
être floue entre les dispositifs de suppléance et ceux de rééduca-
L’interaction de l’exosquelette avec le corps humain peut avoir tion, avec certains exosquelettes, notamment d’assistance à la
des objectifs fonctionnels en termes de force (transmission ou marche des patients paralysés qui sont utilisés comme des outils
démultiplication d’efforts, minimisation des coûts métaboliques, de mobilisation thérapeutique ou de rééducation de la marche
reprise des efforts appliqués sur le corps de l’opérateur) ou de chez des patients ayant des capacités de récupération (blessés
mouvement (suivi, correction, prévention, assistance, compensa- médullaires, personnes hémiplégiques après un accident vascu-
tion). Un exosquelette peut donc être considéré comme une laire cérébral [AVC], etc.), du moins dans les premières phases de
orthèse mécanique articulée, car comme cette dernière, il est un rééducation durant lesquelles le patient possède encore peu de
appareillage qui compense une fonction absente ou déficitaire capacités motrices (voir plus de détails sur l’impact des capacités
(afin, par exemple, de permettre la marche à des patients tétraplé- de l’opérateur dans la section 2.2.1). De la même façon, les carac-
giques), assiste une structure articulaire ou musculaire (afin, par téristiques élevées de fidelité de transmission des efforts (transpa-
exemple, de décupler les capacités de portage pour des applica- rence, bande passante, voir plus bas) des exosquelettes de
tions militaires ou de minimiser l’effort et la fatigue d’opérateurs téléopération (destinés à être utilisés comme interfaces maîtres à
dans un contexte industriel) ou stabilise et corrige l’action d’un retour d’effort ou interfaces haptiques avec des environnements
segment corporel pendant une phase de réadaptation (cas des virtuels) ont poussé plusieurs équipes de recherche à convertir
exosquelettes de rééducation pour les patients cérébrolésés). ces dispositifs en des plates-formes pour la rééducation neuromo-
trice, domaine qui nécessite un contrôle précis des interactions
Comme pour n’importe quel dispositif robotique, la nature de la (voir section 3).
tâche, et donc le type d’interaction physique recherché, condi-
tionnent les spécificités mécaniques de chaque exosquelette :
capacité en effort du système, nature de la cinématique de la
structure, dimensions de l’espace de travail, type d’espace d’inte-
1.2 Historique
raction (dans l’espace articulaire du corps de l’opérateur et/ou
La première trace de dispositifs s’apparentant à des exosque-
dans l’espace de travail de ce dernier). La condition physique de
lettes remonte à la fin du XIXe siècle. Il s’agit d’exosquelettes de
l’utilisateur (opérateur sain, personne fragile, patient porteur de
membres inférieurs conçus par un scientifique russe, Nicolas
handicap sensorimoteur récupérable ou non, etc.) imposera, elle,
Yagin (ensemble de brevets américains [1], [2], [3], mais pas de
le type d’interaction et le niveau de partage du contrôle avec la
trace de démonstration réelle d’un prototype), définis comme des
structure robotique.
« dispositifs de facilitation de la marche, de la course et du saut »
Bien qu’il existe d’autres manières de catégoriser les différents actionnés par des éléments ressorts-amortisseurs ou alimentés
dispositifs existants, nous distinguerons ici quatre principaux par un réservoir pneumatique porté, et visant à augmenter les

S 7 704 – 2 Copyright © – Techniques de l’Ingénieur – Tous droits réservés

12
Référence Internet
S7704

________________________________________________________________________________________________________________ LES EXOSQUELETTES

capacités de déplacement de leurs porteurs. Vient ensuite loppés par l’équipe du professeur Vukobratovic et testés par la
l’exosquelette « pedomotor » de l’américain Leslie C. Kelley décrit suite [12], et les compétences technologiques acquises permirent
dans un brevet de 1917 [4] qui exploitait une architecture de à cette même équipe de développer l’un des premiers exosque-
« ligaments » externes (s’apparentant à des câbles) courants le lettes actifs de bras à motorisation électrique, le « Active Arm
long des membres inférieurs afin de pouvoir minimiser la fatigue Orthosis » pour l’assistance à la dystrophie (contrôlée par joystick)
du porteur et augmenter sa vitesse de déplacement, ce à l’aide en 1982. Au début des années 1970, une orthèse de bras élec-
d’une machine à vapeur actionnant ces ligaments, et placée dans trique à 7 degrés de libertés actifs, le « Rancho arm » (aussi
le dos de l’utilisateur. appelé « Golden arm »), est développée au Rancho Los Amigos

Toutefois, il est généralement admis que les premiers vrais pro-


totypes construits d’exosquelettes datent de la deuxième moitié
Hospital, (Downey, Californie). Une autre équipe pionnière dans le
domaine fut celle du professeur P. Rabischong (INSERM, Montpel-
lier), qui développa plusieurs dispositifs d’orthèses modulaires
1
du XXe siècle. Dès les années 1950, c’est-à-dire avant même l’avè- actives pneumatiques de jambes (AMOLL) et de systèmes de réé-
nement des robots-manipulateurs dans le domaine de l’industrie ducation à base de deux exosquelettes hydrauliques (un maître
manufacturière, les exosquelettes robotisés ont d’abord été imagi- porté par le thérapeute et un esclave porté par le patient) pour la
nés dans la perspective d’augmenter les performances motrices rééducation de la marche [13].
des sujets auxquels ils étaient connectés [5]. Ainsi, les premiers
dispositifs visaient à augmenter la force et l’endurance de fantas- Dans la période des années 1980 à 1990, de nombreux disposi-
sins ou d’ouvriers. Cela a donné lieu, dans les années 1960, à la tifs de recherche vont aussi voir le jour dans différentes institu-
création de machines imposantes, comme le Bumpusher de tions (universités, département de la défense américain, NASA,
Zaroodny [6] ou le Man Amplifier de Mizen [7] dans le domaine CEA, etc.) dans le domaine de la téléopération à retour d’effort.
militaire, ou encore l’un des plus connus, l’exosquelette corps Les premiers systèmes maître-esclave furent développés dans les
entier Hardiman de General Electric dans le domaine industriel années 1950 au JPL (Jet Propulsion Laboratory) pour la NASA, et
[8]. La complexité de la mise en œuvre, le coût, les déficits de per- offraient déjà un retour d’effort aux opérateurs, soit dû aux trans-
formance en termes de mobilité et de commandabilité, ou encore missions mécaniques à câbles (comme celles utilisées dans le sys-
la question de l’autonomie énergétique ont été autant d’obstacles tème Force Reflecting Hand Controller [14]) ou soit dû à un
au déploiement de ces premières inventions hors des laboratoires actionnement spécifique comme dans le premier télémanipulateur
de recherche d’où elles étaient issues. Le Hardiman, structure de électrique Modèle E1 de Goertz 1954 [15]. Ces interfaces hap-
680 kgs actionnée par des servomoteurs électrohydrauliques tiques étaient alors utilisées comme des interfaces « maîtres »
devant amplifier la force de son opérateur avec un facteur 25 à pour piloter un dispositif robotique esclave pour des applications
l’aide d’une approche de téléopération maître-esclave, n’a en effet dans les domaines du nucléaire [15] ou du spatial [16], [17]
jamais pu être mis en œuvre concrètement en raison notamment comme dans le projet TeleOperator/telePresence System (TOPS)
de problèmes de stabilité et de limitations de bande passante le [18] du Space and Naval Warfare Systems Center (San Diego),
rendant inexploitable [9]. En parallèle et à la suite de ces premiers ainsi que pour l’interfaçage avec des environnements virtuels [19].
développements d’exosquelettes d’augmentation, un certain
nombre de recherches ont aussi été menées à partir de la fin des Certaines de ces interfaces « maîtres » de téléopération peuvent
années 1960 sur des dispositifs de suppléance pour l’assistance à être assimilables par leur cinématique, leur type d’interaction et
la marche des patients paraplégiques. Ainsi le premier exosque- d’espace de travail à des exosquelettes.
lette de suppléance actif a été conçu par l’équipe du professeur
Vukobratovic du Mihailo Pupin Institute (à Belgrade, Yougoslavie Ces exosquelettes de téléopération, généralement conçus pour
à l’époque), pionnière dans la recherche sur la robotique huma- s’interfacer avec le bras, la main et/ou les doigts (prenant alors la
noïde : il s’agissait d’un système pneumatique contrôlé électroni- forme de gants articulés), pouvaient être passifs instrumentés
quement [10] qui fut testé et utilisé dans la clinique orthopédique (afin de mesurer le mouvement du membre de l’opérateur) pour
de Belgrade en 1972 pour de la suppléance mais aussi de la réé- des cas, par exemple, de téléopération unilatérale [20] ou bien
ducation. Un dispositif similaire, mais hydraulique, fut conçu à la motorisés, l’actionnement servant alors à rendre à l’opérateur des
fin des années 1960 par l’université du Wisconsin [11]. Plusieurs sensations haptiques facilitant la manipulation à distance [21] ou
dispositifs électromécaniques similaires plus raffinés furent déve- l’immersion dans l’environnement virtuel [22].

Figure 1 – De gauche à droite : illustration du brevet de N. Yagin (1890) ; GE Hardiman (1967) ; exosquelette du Mihailo Pupin Institut
de Belgrade (1969) ; exosquelette de l’université du Wisconsin (1971) ; systèmes d’exosquelettes maître-esclave pour la rééducation
de la marche de P. Rabischong (1976)

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Référence Internet
S7704

LES EXOSQUELETTES ________________________________________________________________________________________________________________

Les années 1990 vont voir se développer un certain nombre de témoignent d’une évolution de ce domaine de recherche par rapport
plates-formes d’exosquelettes « membre complet » et « corps à ce qu’il a pu être au XXe siècle.
complet » se mettre en place, avec une focalisation de la Dans la suite de cet article, nous allons donc d’abord proposer
recherche sur les problématiques de conception mécatronique une taxonomie permettant d’organiser et de distinguer plus fine-
(rapport poids/puissance, mobilité et optimisation des capacités ment ce domaine des exosquelettes, puis dresser un état de l’art
de force et de mouvement), ainsi que les problématiques d’action- des dispositifs existants pour les quatre différents types d’applica-
nement et de transmission. Cet effort collectif sur le développe- tion, pour finalement s’attacher à décrire les challenges et pers-
ment matériel va ainsi permettre de passer de machines pectives du domaine.

1 encombrantes dans lesquelles on installait un ouvrier, à des « cos-


tumes robotisés » recouvrant tout ou partie du corps, dont la com-
pacité, la légèreté, la mobilité, l’autonomie, et la commandabilité
deviennent sans comparaison avec celles de leurs ancêtres.
2. Taxonomie
Selon le type d’application, ces objets technologiques et leurs
champs de recherche associés connaissent différentes évolutions.
Plusieurs critères « forts » directement liés à la nature de l’appli-
Le développement des exosquelettes d’augmentation a ainsi fait
cation (tableau 1) permettent de caractériser et distinguer les dif-
un bond dans les années 2000, notamment grâce au programme
férents types d’exosquelettes.
de financement de la recherche « Exoskeletons for Human Perfor-
mance Augmentation » (EHPA) [23] qui visait à augmenter les
capacités de soldats, et qui a permis le développement de plates-
formes avancées comme le Berkeley Lower Extremity Exoskeleton 2.1 Caractéristiques mécaniques
(BLEEX) ou le Sarcos/XOS (voir section 3.1 pour une description
plus détaillée), générant au passage une vague de recherche et de 2.1.1 Cinématique
développement de plates-formes similaires en Asie et en Europe.
La vague de développement d’exosquelettes de rééducation, 2.1.1.1 Cible corporelle de l’interaction
aussi à partir des années 2000, est quant à elle la conséquence Selon le type de tâches auxquelles il est destiné, un exosque-
directe de l’obtention de premiers résultats encourageants dans le lette peut être conçu afin de n’interagir qu’avec une seule articula-
domaine de la robotique de rééducation. Les robots exploités tion spécifique (par exemple les exosquelettes actifs d’assistance
alors, de type manipulandum (n’interagissant qu’avec la main de de genou ou de cheville), un groupe d’articulations d’un membre
la personne) comme le MIT-Manus (rebaptisé par la suite InMo- donné (bras ou jambe) ou un groupe de membres (jambes/
tion) [24] ont en effet montré qu’ils permettaient une récupération hanches/tronc ou système à deux bras), voire avec la totalité du
neuromotrice des patients comparable à celle obtenue avec une corps pour les exosquelettes dits « corps-complet » développés
thérapie conventionnelle par un kinésithérapeute [25]. À partir de pour certaines applications d’assistance.
là, de nombreuses équipes ont cherché à étendre cette approche à
une rééducation plus fine et plus complète (notamment des diffé- 2.1.1.2 Types de structure
rentes articulations du membre supérieur au delà de la main
seule), grâce à une interaction avec l’humain dans l’espace articu- Les exosquelettes peuvent être :
laire plutôt que celui de la tâche. Elles se sont donc tournées vers • des structures fixes ou rigidement connectées à un support
les exosquelettes [26], générant au passage beaucoup de dévelop- fixe de l’environnement, auxquelles l’opérateur humain vient
pements mécatroniques pour mettre au point des structures adap- se fixer pour la réalisation d’une tâche dans un espace de tra-
tées à la manipulation de patients fragiles dans une optique vail réduit et fixe (cas de la rééducation motrice en milieu cli-
thérapeutique. nique ou de l’assistance dans des tâches durant lesquelles
l’opérateur est assigné à un poste fixe – chaîne de montage –
Enfin, suite logique de ces nombreux développements mécatro-
par exemple). Ces structures fixes peuvent parfois être mon-
niques, la fin des années 2000 sera marquée par l’apparition de
tées sur d’autres structures (actives ou non) afin de compen-
recherches de plus en plus nombreuses sur les problèmes de la
ser leur immobilité (qui ne pose problème que dans le cas
commande des exosquelettes (conséquence directe des dévelop-
des structures de membres inférieurs). Certains exosquelettes
pements mécatroniques de la fin du XXe siècle), de l’interaction
de rééducation de la marche sont ainsi composés – en plus
physique avec le corps de l’opérateur et du nécessaire partage de
de la partie exosquelette de jambes – d’un tapis roulant et
contrôle, avec une évolution des concepts de téléopération vers
d’un portique permettant de reprendre le poids du sujet ayant
des approches de contrôle partagé et de « comanipulation ».
revêtu l’exosquelette. D’autres sont montés sur une base
mobile (souvent imposante) pouvant suivre les déplacements
du patient placés dans l’exosquelette ;
1.3 Constat actuel • des structures embarquées/revêtues visant à accompagner
les déplacements d’une personne ou assister et interagir avec
Bien qu’il existe une multitude de plates-formes de recherche, il cette dernière tout au long de la journée, dans différents envi-
est intéressant de constater que peu de ces dispositifs sont réelle- ronnements. Ces exosquelettes ne possèdent pas de struc-
ment sortis des laboratoires et disponibles en tant que produits ture rigide générale et donc doivent être revêtus (wearable
commerciaux. La surmédiatisation faite autour des exosquelettes robots) par un opérateur pour fonctionner ;
d’assistance à la marche des paraplégiques disponibles à la vente • des structures autoportées (généralement plus massives)
(bien que comme on l’a vu il s’agisse d’un concept vieux de plus de dans lesquelles s’insère un opérateur humain et qui pour-
50 ans) tend en effet à occulter les limitations des dispositifs actuels raient, elles, fonctionner sans opérateur (cas du fauteuil rou-
et les nombreux challenges technologiques et scientifiques sous- lant motorisé équipé d’un exosquelette de bras, de certains
jacents qu’il reste à surmonter. Ainsi, bien que de plus en plus de exosquelettes d’assistance à la marche ou des « mechas »
dispositifs cherchent à s’attaquer au marché de « l’augmentation » des œuvres de fiction).
en proposant de l’assistance à opérateur sain en milieu industriel,
on peut constater un retour vers des dispositifs simples (développés
2.1.1.3 Cinématique et nature des articulations
pour une seule articulation par exemple), voire passifs (systèmes
d’équilibrage à ressorts ou simplement bloquants) mais surtout éco- Les exosquelettes sont généralement conçus selon un principe de
logiques (systèmes revêtus wearable, souples et compliants) qui biomimétisme (structure « anthropomorphe », voir figure 2) et sont

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Structure fixe Structures embarquées Structure autoportée

Anthropomorphe Non anthropomorphe

Contacts multiples (par membre) Contact unique (par membre)

Figure 2 – Illustration des différentes cinématiques de structures exosquelettiques existantes

donc en majorité constitués de segments rigides reliés entre eux par humaines et robotiques et de prévenir l’apparition de contraintes
une ou plusieurs liaisons rotoïdes, permettant de reproduire de incontrôlées (voir la section 4.2) mais peuvent être complexes à
façon approchée la cinématique du corps humain. Bien que ces arti- mettre en œuvre (complexification de la structure, risque de perte
culations rotoïdes à 1 degré de liberté (DDL) ne soient que des de contrôle à cause du sous-actionnement, etc.). La plupart des
approximations grossières des liaisons articulaires humaines (voir la structures exosquelettiques « fixes » (c’est-à-dire non portées ou
section 4.2 pour une introduction aux conséquences de ces approxi- revêtues, voir figure 2) utilisées pour la rééducation (ou dans de
mations cinématiques), elles suffisent à concevoir des structures plus rares cas pour l’assistance en industrie sur des postes fixes),
compatibles avec la biomécanique humaine. Plus rarement, cer- exploitent aussi des mécanismes supplémentaires externes verrouil-
taines structures s’affranchissent de la contrainte d’anthropomor- lables, motorisés ou non, possédant plusieurs DDL linéaires (simi-
phisme et emploient des liaisons linéaires « non naturelles » laires à des tables de positionnement cartésien à 3 DDL) placés au
(glissières) pour simplifier la conception d’articulations compatibles niveau de la structure de soutien posée au sol, afin de permettre un
avec les mobilités de groupes articulaires complexes du corps ajustement de la structure à la personne et un alignement des pre-
humain. C’est ainsi que plusieurs exosquelettes qui cherchent à maî- mières articulations de l’exosquelette avec le corps de l’opérateur.
triser finement les mouvements de l’épaule (liaison rotule à 3 DDL Parallèlement à ces structures rigides polyarticulées, se développent
pour la liaison gléno-humérale, elle-même articulée par les 2 DDL de depuis quelques années des structures alternatives souples (soft
l’omoplate par rapport à la cage thoracique et au tronc) utilisent des exoskeletons ou wearable suits) offrant plus de souplesse et d’apta-
liaisons linéaires annulaires (motorisées ou non) pour compenser bilité au corps humain. Un certain nombre de ces exosquelettes
les déplacements du centre de la liaison rotule de l’épaule et intera- souples sont conçus comme des vêtements moulants équipés de
gir ainsi avec les mobilités de l’omoplate. différents systèmes de capteurs et d’actionneurs intégrés (systèmes
de cellules pneumatiques gonflables, actionneurs filaires à base
En plus des articulations principales de ces structures, un certain d’alliages à mémoire de forme ou de film électropolymère rigidi-
nombre de DDL (généralement passifs, parfois verrouillables) fiable, actionnement déporté par des câbles cousus dans la combi-
peuvent être ajoutés en série ou en parallèle de la structure (au naison, etc.). Ces structures offrent l’avantage de la légereté et d’un
niveau des mécanismes de fixation de l’exosquelette au corps faible encombrement, mais offrent des capacités d’interaction phy-
humain), afin de maximiser l’alignement des articulations du robot sique et de contrôle réduites par rapport aux structures rigides
avec celles de l’opérateur, ou de permettre un ajustement des conventionelles (difficulté de modélisation de la cinématique,
dimensions des segments rigides du robot à celles de l’opérateur absence de centre de rotation défini, etc.).
(adaptation morphologique). L’ajout de ces DDL supplémentaires à
ces structures « non anthropomorphes » (figure 2) permet de limiter D’autres exosquelettes conservent, eux, une structure rigide
les conséquences des disparités cinématiques entre les structures mais utilisent des structures polyarticulées multiples et sous-

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LES EXOSQUELETTES ________________________________________________________________________________________________________________

interagir (structures « anthropomorphes », voir figure 2). Toute-


Tableau 1 – Liste de caractéristiques permettant fois, la cinématique humaine étant complexe à reproduire avec
de classer les structures exosquelettiques. des liaisons mécaniques classiques, certains exosquelettes se
Les caractéristiques mécaniques du robot sont sont – comme on l’a vu – affranchis de cette contrainte de biomi-
présentées en bleu tandis que celles de la métisme en choisissant des structures cinématiquement compa-
commande (et donc indirectement de la condition tibles mais non anthropomorphes (figure 2).
de l’opérateur) sont en vert
Les exosquelettes peuvent en effet interagir avec le membre

1
ciblé au travers d’un ou de plusieurs points d’interaction :
Cible corporelle Membre(s) inférieur(s)
de l’interaction Membre(s) supérieur(s) • les exosquelettes à contacts multiples sont principalement
Corps complet utilisés pour interagir finement avec le corps de l’opérateur
dans son espace articulaire ;
Type de structure Fixe • les exosquelettes à contact unique (type « manipulandum
Embarquée/revêtue embarqué ») sont destinés à interagir principalement avec
Autoportée l’environnement, sous le contrôle du sujet et dans l’espace de
la tâche.
Cinématique Anthropomorhe
Non anthropomorphe Ce dernier type englobe notamment les différentes structures
destinées à améliorer l’ergonomie au travail d’opérateurs, en
Interfaçage avec le corps Multicontacts empêchant l’adoption de mauvaises postures ou en limitant la
Point de contact unique fatigue musculaire et articulaire par la reprise de tout ou partie du
poids d’outils ou d’objets lourds, voire de segments du corps,
Technologie Structure passive comme les bras (cas d’opérateurs devant maintenir les bras en
d’actionnement Électrique l’air pendant une durée prolongée). De plus en plus de structures
Hydraulique exosquelettiques passives (sans motorisation) dérivées des sys-
Pneumatique tèmes de steady-cam (dispositif de compensation du poids de la
caméra à l’aide d’un bras articulé à ressort monté sur un plastron
Condition de l’opérateur Sujet sain/asymptomatique et utilisé par les opérateurs caméras pour stabiliser la prise de vue
Sujet avec handicap partiel/ et limiter la fatigue des bras de l’opérateur en reprojetant le poids
chronique de la caméra sur le dos de ce dernier) sont proposées aux opéra-
Sujet avec handicap récupérable teurs manipulant des outils ou charges lourdes à bout de bras.
Sujet avec handicap non Ces structures (comparables à des versions embarquées des équi-
récupérable libreurs de gravité ou des cobots industriels de compensation du
poids), de par leur cahier des charges, se contentent ainsi d’être
Partage de la commande Passif fixées au poignet de l’opérateur et à son tronc ou à sa taille (ce
Actif qui leur permet de ne pas avoir à reproduire finement la cinéma-
Passif partiel/actif aidé tique humaine).
De passif vers actif L’interfaçage avec le corps humain ajoute une complexité sup-
plémentaire à la cinématique de l’exosquelette : la nécessité pour
Niveau de contrôle Contrôle de tâches la structure d’être « ajustable » aux variations morphologiques
Contrôle de mouvements/d’actions interindividuelles. En effet, la variabilité humaine est très impor-
motrices tante et les valeurs anthropométriques (taille de l’individu, lon-
gueur de segments interarticulaires, diamètre des membres)
Détection de l’intention Directe peuvent beaucoup varier entre différents types de populations.
Indirecte Au-delà des mécanismes de fixation plus ou moins sophistiqués
(par l’utilisation de DDL ou de pièces déformables dans les méca-
Captation des intentions Actions corps opérateur hors nismes d’attaches par exemple), plusieurs structures exosqueletti-
motrices exosquelette ques utilisent des DDL supplémentaires verrouillables (glissières
Signaux physiologiques bloquables) afin de permettre d’ajuster les longueurs des seg-
Précurseurs comportementaux ments de l’exosquelette à la morphologie de son utilisateur. Cette
du mouvement contrainte peut toutefois complexifier rapidement la structure en
Décodage des forces d’interaction impactant la répartition de l’actionnement : l’actionneur d’une arti-
culation montée à l’extrémité d’un segment réglable devra en
effet être placé entre ce mécanisme d’ajustement et la fixation au
actionnées (similaires aux « robot serpents » constitués de multi- corps, ou bien un système de transmission tolérant le déport
ples articulations rotoïdes empilées et sous-actionnées par un devra être employé. Ces contraintes d’ajustement morphologique
ensemble de câbles traversants) afin de mieux épouser la cinéma- ne concernent toutefois que les exosquelettes possédant une
tique et morphologie humaine et de contourner le problème du structure « anthropomorphe » et à contacts multiples qui
centre de rotation fixe des liaisons rotoïdes standard qui n’est pas cherchent à reproduire la cinématique humaine et à interagir avec
adapté aux mobilités de certaines articulations humaines (cas du tous les segments intermédiaires du membre.
groupe épaule/omoplate). Enfin, comme il sera détaillé plus précisément dans la sec-
Enfin, quelques structures exploitent aussi des mécanismes tion 4.2, bien que des solutions cinématiques aient été proposées
parallèles traversants (dans lesquels s’insèrent les segments de par plusieurs équipes de recherche, l’interfaçage soulève encore
membre) afin de s’interfacer avec certaines articulations de type un grand nombre de problèmes concernant la maîtrise des
« rotulées » comme la cheville ou le poignet. échanges physiques entre le corps humain et la structure méca-
nique, notamment en raison des inévitables disparités cinéma-
tiques entre ces chaînes qui genèrent des phénomènes
2.1.1.4 Interfaçage avec le corps
d’hyperstatisme, eux-mêmes responsables de l’apparition de
Les exosquelettes reprennent généralement la cinématique du forces et de couples non contrôlés sur le corps – souvent fragile –
(ou des) membre(s) humain(s) avec le(s)quel(s) il sont destinés à des utilisateurs.

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S7704

________________________________________________________________________________________________________________ LES EXOSQUELETTES

2.1.2 Actionnement Quelques plates-formes exploitent, elles, des systèmes de dissi-


pation d’énergie (freins à disque hydrauliques ou systèmes exploi-
La chaîne d’actionnement d’un exosquelette doit présenter cer- tant des fluides magnéto/électrorhéologiques) afin de générer des
taines caractéristiques selon l’application à laquelle il se destine. champs de force résistifs pouvant être utilisés pour aider certaines
En général, l’actionnement doit être puissant (afin de pouvoir articulations humaines à amortir certains mouvements durant le
mobiliser le corps de l’opérateur ou démultiplier des forces), cycle de marche (exosquelette du MIT [29]) mais surtout pour
contrôlable (pour faire varier l’assistance), léger et peu encom- générer des champs de force articulaires résistifs contrôlés dans
brant (s’il est embarqué sur l’utilisateur ou sur des parties mobiles le cadre de thérapie de rééducation (comme sur le système Dam-
de la structure), et présenter des caractéristiques dynamiques
(bande passante de la chaîne d’actionnement) qui le rendent apte
à suivre ou à générer des mouvements compatibles avec ceux de
pace [31]).

■ Actionnement électrique
1
l’humain, naturellement rapides. Plusieurs technologies d’action- Il s’agit de la technologie d’actionnement la plus couramment
nement sont actuellement employées. utilisée (72 % des exosquelettes de membres inférieurs
l’emploient [32]) et ce pour plusieurs raisons : les actionneurs
2.1.2.1 Technologies d’actionnement électriques, bien que possédant une densité énergétique moyenne
(100-200 W/kg [33]), offrent des vitesses de déplacement élevées,
Le choix de la technologie d’actionnement d’un exosquelette se sont faciles à contrôler de façon précise (vitesse, position) avec
fait généralement en considérant différents facteurs critiques : les des algorithmes de commande linéaire (contrairement aux action-
ratios poids/puissance et encombrement/puissance, la robustesse, neurs hydrauliques et pneumatiques notamment) et sont faciles à
la consommation électrique, la bande passante, les chaînes de mettre en place (simplicité de la mise en œuvre de leur alimenta-
transmission et d’alimentation, ainsi que les approches de com- tion par câble électrique). Les avancées récentes dans le domaine
mandes associées à ces différentes technologies qui peuvent limi- des batteries (technologie lithium ion avec très haute densité de
ter les performances de l’ensemble. Une contrainte majeure est puissance) jouent aussi en faveur du choix de l’actionnement élec-
liée à la bande passante que le système devra exhiber, qui devra trique dans le développement de solutions embarquées. Parmi les
être compatible avec celle du corps humain, généralement définie différentes technologies disponibles, les moteurs à balais sont les
entre 2 et 5 Hz [27]. plus populaires en raison de leur ratio couple/poids élevé, d’une
robustesse importante et d’un niveau de bruit généré faible. La
■ Systèmes passifs technologie sans balais (qui offre une densité énergétique plus
forte, une consommation électrique plus faible, une plus grande
Il existe des exosquelettes simples dits « passifs » car n’exploi- longévité mais nécessite une électronique de commande plus
tant que des ressorts (parfois couplés à des amortisseurs) pour complexe) est toutefois de plus en plus utilisée. Cet actionnement
founir un couple d’assistance autour d’une position d’équilibre électrique est de plus en plus couplé à des systèmes mécaniques
prédéfinie, voire ajustable. On retrouve ces structures notamment élastiques (systèmes des actionneurs sériels élastiques (ASE) ou
dans le domaine de l’assistance au geste pour compenser le poids series elastic actuators (SEA)) afin d’offir une faible impédance de
de membres chez des patients atteints de faiblesses musculaires sortie, une grande réversibilité, une haute fidélité dans le contrôle
(objectif de l’exosquelette T-WREX [28]), et de l’augmentation des couples, mais aussi et surtout la capacité de stocker de l’éner-
(dans le sens de la limitation de la fatigue musculaire) dans le gie dans la structure élastique, ce qui permet de minimiser la
domaine industriel dans le but d’équilibrer le poids d’une charge consommation énergétique [34].
manipulée. Ces dispositifs s’apparentent à des « équilibreurs de
gravité » (comme utilisés sur les systèmes de steady-cam pour les ■ Actionnement pneumatique
opérateurs caméras) et exploitent des systèmes de bandes élas-
tiques ou de ressorts de traction avec différents mécanismes (par L’actionnement pneumatique offre un ratio poids/puissance très
exemple des mécanismes à quatre barres de type « parallélo- avantageux grâce à la grande légèreté de ses composants. L’autre
grammes » avec réglage du déport des points d’attaches) permet- avantage de cette technologie, en dehors d’un coût réduit, est
tant de régler la raideur apparente générée par le mécanisme au d’offrir une compliance naturelle, ce qui rend ce type d’actionneur
niveau de certaines articulations de l’exosquelette et d’adapter plus sûr et adapté à l’interaction avec un opérateur humain. Toute-
ainsi l’équilibrage au poids du bras du patient. Dans le cas de fois, leur mise en œuvre nécessite de stocker des gaz sous pression
l’augmentation, ces mêmes systèmes sont utilisés pour reprojeter et/ou de les produire à l’aide d’un système de compresseur, ce qui
(à l’aide de structures non anthropomorphes à contact unique) le limite les possibilités d’utilisation dans des systèmes embarqués.
poids d’un outil ou d’une charge manipulée à bout de bras, sur le Ces actionneurs se retrouvent principalement sous deux formes dif-
corps de l’opérateur ou sur le sol, en étant montés sur un férentes : vérins pneumatiques (qui offrent la possibilité d’un action-
exosquelette passif de jambes. Bien que certains dispositifs nement double effet) et actionneurs du type muscles pneumatiques
offrent la possibilité de débrayer le mécanisme à ressort, ces sys- (pneumatic muscles actuators ou PMA) qui, se comportant comme
tèmes peuvent se révéler difficile à installer et à mettre en œuvre des vérins simple effet, nécessitent un système de deux actionneurs
en raison de l’impossibilité de moduler l’assistance fournie et ne par articulation (montés comme des muscles agonistes-antago-
sont donc pas adaptés à des opérations de prise/dépôt de charges nistes). De par ses caractéristiques instrinsèques, ce type d’action-
mais plus à la manipulation d’une charge constante pour laquelle neur est régulièrement utilisé dans des structures destinées à la
les réglages de compensation ont été faits au préalable. Un cer- rééducation (comme le Rupert [35]) ou à l’assistance à patients (c’est
tain nombre d’exosquelettes actionnés exploitent ces mêmes sys- d’ailleurs la technologie employée initialement sur l’exosquelette du
tèmes élastiques afin de compenser mécaniquement le poids de Mihailo Pupin Institute [12]). Toutefois, en plus des problèmes liés à
certains segments mobiles du robot et soulager ainsi l’actionne- l’embarquement de l’énergie, la mise en œuvre complexe de la
ment principal (compensation mécanique de la gravité). Enfin, commande de ces actionneurs limitent leur utilisation. En effet, les
plusieurs exosquelettes de membres inférieurs possèdent des arti- limitations des performances des valves pneumatiques, les pro-
culations passives non motorisées utilisant des systèmes verrouil- blèmes de gestion des non-linéarités (notamment pour les PMA), de
lables de ressort ou ressort-amortisseur variables, utilisés afin l’élasticité et de l’actionnement antagoniste dans la commande,
d’emmagasiner l’énergie à certains moments et de la relâcher à rendent difficile le contrôle précis des déplacements et limitent gran-
d’autres moments afin de fournir une aide durant certaines dement la bande passante de ces systèmes.
phases du cycle de la marche (exosquelette quasi-passif du MIT
■ Actionnement hydraulique
[29] ou exosquelette de cheville à ressort verrouillable [30]) ce qui
peut permettre de minimiser le coût métabolique de certaines Il s’agit de la technologie d’actionnement la plus puissante
actions. capable de fournir simultanément des couples et des vitesses éle-

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IN28

INNOVATION

Dispositif de caractérisation
mécanique pour la microrobotique 1
par Mehdi BOUKALLEL Emmanuel PIAT et Joël ABADIE

En microrobotique, la mesure de forces issue du monde des objets micromé-


triques constitue une problématique scientifique à forte dominante. En raison
des échelles de travail considérées ainsi que des résolutions de mesure
attendues, la conception et la réalisation de capteur de forces performants se
heurte à plusieurs difficultés. Solutionner ces problèmes en proposant de
nouveaux concepts de réalisation constitue l’un des enjeux actuels du micro-
roboticien.

conception d’un microrobot. Ainsi, le plus souvent,


Mehdi BOUKALLEL : Ingénieur en électro- la diminution de la taille n’est pas une approche per-
nique et automatique, Docteur de l’Université de tinente pour la conception d’un microrobot. Les
Franche-Comté interactions entre les objets dans le micromonde
mboukall@ens2m.fr sont régies par les lois de la « micro-physique ». Ce
Emmanuel PIAT : Ingénieur en informatique, terme peut laisser penser que les lois qui régissent
Docteur de l’Université de Technologie de le comportement des corps dans le micromonde
Compiègne sont différentes de celles du macromonde. En réa-
lité ce n’est pas le cas et la différence provient du
Maître de conférences à l’ENSMM, Besançon fait que des forces, totalement négligeables à
Joël ABADIE : Ingénieur en automatique et l’échelle macroscopique, deviennent prépondéran-
robotique, Docteur de l’Université de Franche- tes du fait de la taille réduite des objets. Les effets
Comté de surface jouent alors un rôle plus important que
Ingénieur de recherche, CNRS les effets de volume. Dans la vie courante, un bon
nombre d’exemples attestent de l’influence des
forces surfaciques dans le micromonde.
1. Présentation générale Exemples
La microrobotique est une thématique de recher- 1. Le plus flagrant est le moustique qui peut res-
che pluridisciplinaire faisant notamment appel aux ter accroché au plafond. Cela est possible dès lors
sciences de l’automatique, de la thermodynamique, que les forces d’adhésion (forces surfaciques) entre
de la magnétostatique, de la mécanique des milieux les pattes de l’insecte et le plafond sont suffisam-
continus, des microtechniques, de l’intelligence arti- ment importantes pour compenser son propre poids
ficielle. La microrobotique a été initiée au départ (force volumique).
principalement au Japon et aux États-Unis d’Améri- 2. L’humain qui tente de saisir un objet de petite
que. Par sa nature pluridisciplinaire, la microroboti- taille (telle qu’une épingle) : très souvent, et de
que ouvre le champ à des applications que la manière inconsciente d’ailleurs, il humecte son
robotique conventionnelle n’avait probablement pas doigt pour saisir l’objet en question plus facilement
explorées auparavant [1]. La microrobotique est en exploitant l’adhésion par tension de surface. En
une discipline dont l’objectif est de concevoir, réa- procédant ainsi, il augmente les forces d’adhésion
liser et commander des systèmes robotiques agis- entre l’épingle et son doigt [2].
sant dans le micromonde. Le fruit de cette Micromonde : envi-
démarche est appelé microrobot. Beaucoup d’idées Dans le contexte de la microrobotique, la mesure ronnement où évoluent
reçues tendent à faire penser qu’un microrobot n’est d’informations issues du monde des objets micromé- des objets dont la taille
varie entre 1 µm et
en réalité qu’un robot conventionnel dont on a triques est une problématique importante. Du fait du 1 mm.
réduit les dimensions. Plusieurs contraintes, telles facteur d’échelle, le comportement dynamique des
Parution : mars 2005

que les contraintes cinématique et mécanique, font micro-objets n’est plus gouverné par leur masse,
que les lois de comportements à l’échelle macrosco- mais par les effets de surface qui correspondent aux
pique ne sont qu’en partie applicables lors de la forces d’adhésion (tension de surface, forces élec-

03 - 2005 © Techniques de l’Ingénieur IN 28 - 1

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Référence Internet
IN28

INNOVATION

trostatiques...). La dynamique d’un tel environne- riaux diamagnétiques font partie de cette classe, la
ment micrométrique diffère donc totalement de celle lévitation passive d’aimants permanents dans
du monde métrique habituel. Qui plus est, ces forces un champ magnétostatique devient possible. Les

1
d’adhésion sont, dans le cas général, dépendantes du propriétés des matériaux diamagnétiques font que
type de milieu (milieu sec ou milieu liquide), varia- lorsque ces derniers sont soumis à un champ magné-
bles dans le temps (modification des conditions tique extérieur, ils réagissent en créant un champ
Dans les Techniques d’environnement, d’humidité, de température, etc.) magnétique contraire. Par conséquent, une force
de l’Ingénieur : et dans l’espace (types de matériaux en contact, répulsive est produite et ce quelle que soit la direc-
Aimants permanents. géométrie et rugosité locales). Dans ces conditions, tion du champ extérieur appliqué [5].
Matériaux et applica-
tions [D 2 100] de la compréhension et la prédiction du comportement
F. Leprince-Ringuet. dynamique des micro-objets nécessitent, au mini- Il existe communément trois configurations per-
mum, d’une part la connaissance de leurs positions mettant de réaliser la lévitation d’aimants perma-
dans le micromonde et d’autre part la connaissance nents à l’aide de matériaux diamagnétiques
de l’amplitude et du gradient des forces qui s’exer- (figure 1). Dans chacune des configurations possi-
cent sur eux. Ce n’est que grâce à ce type d’informa- bles, le matériau diamagnétique joue le rôle d’un
tion que l’on pourra à terme garantir le succès d’une agent répulsif dans le champ magnétique généré par
tâche en microrobotique. Dans cette optique, nous l’aimant en lévitation M2. Le matériau diamagnéti-
avons développé un nouveau type de capteur de que, étant fixe, exerce alors une force contraire au
micro- et nanoforces. Ce capteur repose sur le prin- sens de déplacement de l’aimant M2. Le module de
cipe de la lévitation passive diamagnétique à tempé- cette force augmente à mesure que M2 se rapproche
rature ambiante. Il permet de sustenter uniquement du matériau diamagnétique.
des objets de très faible masse (typiquement quel- L’intensité de la force de répulsion exercée varie en
ques dizaines de milligrammes), ce qui le rend fonction de deux paramètres :
« compatible » avec l’univers des micro-objets. La
lévitation diamagnétique possède un atout — l’intensité du champ magnétique appliqué ;
supplémentaire : elle est naturellement stable. On
parle alors de lévitation passive. Ce point est fonda- — la nature du matériau diamagnétique utilisé.
mental en microrobotique, car il signifie qu’on pourra
Le second paramètre est quantifié à l’aide de la
faire l’économie de capteurs habituellement
valeur de la susceptibilité diamagnétique χm du
nécessaires pour asservir en position l’objet qui
matériau :
lévite. Ce point se traduira par une simplification en
terme de complexité d’intégration et une diminution µr = 1 + χm
en terme de coût. Ces caractéristiques constituent
l’un des enjeux actuels en microrobotique. Le tableau 1 présente la valeur de χm pour certains
Dans un contexte plus large que la mesure de for- matériaux diamagnétiques. Plus la valeur de χm est
ces, la lévitation est un phénomène physique qui sem- proche de − 1 plus le phénomène diamagnétique est
ble avoir beaucoup de potentialités en microrobotique. accentué.
Le principal atout de la lévitation réside dans la sup-
pression des frottements secs. Comme ces derniers Par conséquent, la force de répulsion induite aug-
sont difficilement prédictibles, ils font partie des phé- mente, lorsqu’un champ magnétique extérieur est
nomènes physiques qui réduisent les performances de appliqué, si χm approche de − 1.
certains types de microrobots tels que par exemple le
micropousseur de cellules biologiques développé au
Laboratoire d’Automatique de Besançon (LAB) [3]. 3. Description du dispositif
Dans les Techniques Ainsi, la conséquence première des frottements secs de mesure de forces
de l’Ingénieur : Bio- est la diminution de la répétabilité et de la résolution
micromanipulation par de positionnement des microrobots. Le dispositif de mesure de forces, appelé capteur
poussée [IN 17] de
M. Gauthier et E. Piat. de micro- et nanoforces, se présente sous la forme
d’une tige qui est mise en lévitation par les procédés
2. Lévitation passive d’aimants décrits au paragraphe 2. Cela est rendu possible par
permanents : lévitation le biais de deux modules de sustentation identiques
diamagnétique (appelés L1 et L2). Chaque module de sustentation
est constitué de deux aimants porteurs (appelés M1),
Sur un plan pratique, si on considère l’expérience de deux plaques d’un matériau diamagnétique (gra-
qui consiste à suspendre un aimant permanent dans phite) et d’un aimant permanent appelé M2
un champ magnétique créé par un second aimant, on (figure 2). Les aimants porteurs, sont disposés de
s’apercevra très vite que cela est impossible. Sur un manière à ce que leurs pôles nord et sud soient
plan théorique, Earnshaw [4] en 1842 a démontré inversés (figure 2). L’aimant M2, aimanté suivant
qu’il n’est pas possible d’obtenir un point d’équilibre son épaisseur, est placé à mi-distance entre les
stable avec une configuration constituée d’éléments aimants porteurs dans le champ d’induction magné-
qui interagissent avec des forces proportionnelle- tique produit par ces derniers (figure 3). Le matériau
ment inverses au carré de la distance. Les forces diamagnétique, disposé de part et d’autre de M1,
magnétiques produites par les aimants ont juste- sert à contrer l’instabilité produite suivant la
ment cette propriété. Il démontra également que le direction x par les forces d’interaction magnétique
seul cas de figure permettant d’obtenir un point dues entre les aimants M1 et M2. Enfin, les deux
d’équilibre stable en gardant la même configuration aimants M2 de chaque module de sustentation sont
est d’utiliser des matériaux avec une perméabilité solidarisés par l’intermédiaire d’une tige tubulaire en
relative µr inférieure à l’unité. Dès lors que les maté- verre de faible section (figure 4).

IN 28 - 2 © Techniques de l’Ingénieur 03 - 2005

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S7712

Conception, modélisation
et commande des systèmes
microrobotiques
1
par Arnaud HUBERT
Sorbonne Universités, Université de technologie de Compiègne, Laboratoire d’électro-
mécanique, Compiègne, France
Institut FEMTO-ST, Département AS2M, Université de Franche-Comté-ENSMM-UTBM-
CNRS, Besançon, France
par Yassine HADDAB
Institut FEMTO-ST, Département AS2M, Université de Franche-Comté-ENSMM-UTBM-
CNRS, Besançon, France

1. Problématiques de la microrobotique ............................................. S 7 712 - 2


2. Composants microrobotiques et leur conception ....................... — 3
2.1 Structures microrobotiques ..................................................................... — 3
2.1.1 Particularités et architectures.......................................................... — 3
2.1.2 Organes terminaux pour la microrobotique .................................. — 3
2.1.3 Structures mécaniques pour la microrobotique ........................... — 4
2.2 Actionnement en microrobotique ........................................................... — 7
2.2.1 Principes et conditions d’utilisation ............................................... — 7
2.2.2 Actionneurs à déplacement de parties mobiles ............................ — 7
2.2.3 Actionneurs à matériaux actifs ....................................................... — 10
3. Systèmes microrobotiques, leur intégration
et leur commande ................................................................................. — 15
3.1 Problèmes du micromonde et leurs conséquences
pour la commande .................................................................................... — 15
3.2 Commande des microrobots ................................................................... — 17
3.2.1 Modélisation et identification ......................................................... — 17
3.2.2 Synthèse de correcteurs.................................................................. — 18
4. Conclusion............................................................................................... — 19
Pour en savoir plus ........................................................................................ Doc. S 7 712

es avancées des trois décennies précédentes en matière de microtechnolo-


L gies ont conduit à la réalisation de systèmes de plus en plus intégrés et
aux dimensions de plus en plus réduites. Intervenir directement sur ces élé-
ments « micros » à l’aide de processus macroscopiques est extrêmement
délicat. La difficulté à manipuler des objets microscopiques à l’aide d’action-
neurs macroscopiques avait déjà été soulignée par W.S.N. Trimmer dans un
article visionnaire publié il y a plusieurs décennies déjà (1989). Cet article décri-
vait très bien les difficultés de la manipulation d’objets de dimensions
millimétriques – en l’occurrence des chips électroniques – à l’aide d’un robot
de taille métrique :
« Cette différence d’un millier de fois entre la taille d’un macro-robot et du
chip est équivalente à utiliser un bulldozer pour déplacer un morceau de sucre.
La précision correspondante requise est équivalente à positionner ce morceau
de sucre avec une précision de l’épaisseur d’un cheveux ».
Parution : mai 2015

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S7712

CONCEPTION, MODÉLISATION ET COMMANDE DES SYSTÈMES MICROROBOTIQUES _____________________________________________________________

Cette comparaison illustre bien le fait qu’utiliser des systèmes de manipula-


tion d’un ordre de grandeur comparable à l’objet manipulé est souvent
désirable, voire nécessaire pour certaines applications de la microrobotique.
Les gains attendus ne le sont pas seulement en termes de précision, mais éga-
lement en termes de prix, de consommation/rendement, ainsi qu’au niveau de
la place à gagner dans les « environnements d’accueil », notamment dans les
salles blanches où sont réalisés les microsystèmes ou dans les chambres des

1 microscopes électroniques à balayage (MEB) où sont réalisées certaines appli-


cations de micromanipulation.
De nombreux laboratoires de recherche se sont lancés dans l’aventure de la
microrobotique dès le milieu des années 1990 et les nombreux progrès réalisés
depuis font désormais de la microrobotique une science relativement mature. Cet
article se propose d’en décrire les principaux éléments et quelques réalisations
emblématiques au niveau mondial. Après avoir présenté les problématiques
propres à la microrobotique vis-à-vis de la robotique classique, cet article décrira
les principales architectures et composants constituant une station microrobo-
tique. En particulier, des éléments de conception, de modélisation et de
fonctionnement seront exposés avec, notamment, un focus sur les structures et
l’actionnement en microrobotique. Le problème de l’intégration et de la
commande sera finalement abordé. Ces différents thèmes seront illustrés par des
exemples issus de l’industrie microrobotique ou de la recherche académique.

1. Problématiques
de la microrobotique
La citation de W.S.N. Trimmer reproduite dans l’introduction, et
extraite de [1], montre bien que manipuler, assembler et même
fabriquer des objets à ces dimensions imposent le plus souvent
d’utiliser les lois de la physique d’une manière différente de celle
dont nous les utilisons à l’échelle macroscopique. En particulier,
les effets d’échelle font que, bien souvent, certains phénomènes
négligeables à notre échelle ne le sont plus dans des dimensions
plus réduites. L’exemple type des effets de ce changement Sphère de 1 cm de rayon Sphère de 1 mm de rayon
d’échelle est l’influence prépondérante des forces d’adhésion en
micromanipulation. À l’inverse, d’autres forces, notamment celles
liées à la gravité, deviennent très souvent négligeables dans le Pour un rapport de rayons de 10, le rapport des surfaces est de
« micromonde » [2] [3]. De ce fait, l’étude de la microrobotique ne 100 tandis que le rapport des volumes est de 1 000. La réduction
peut être abordée sans la prise en compte des effets d’interaction des tailles favorise donc les forces surfaciques par rapport aux
à l’échelle micrométrique. Les lois de la physique qui régissent les forces volumiques.
interactions entre objets sont toujours applicables à ces échelles ;
cependant, la miniaturisation favorise certains phénomènes physi-
ques par rapport à d’autres, ce qui produit des différences notables Figure 1 – Effet de la réduction des dimensions sur les forces
dans le comportement des systèmes de petite taille. Alors que volumiques et surfaciques
dans le « macro-monde », la physique est dominée par les forces
volumiques (poids des objets, effets inertiels, etc.), dans le micro-
monde, les forces surfaciques sont prépondérantes par rapport d’une poussière à l’aide d’un doigt humide. Outre un comportement
aux effets de volume. Cette inversion de rapport de forces, appelée dynamique inhabituel, la prépondérance des forces surfaciques
« effet d’échelle », est illustrée sur la figure 1. pose de nouvelles problématiques propres à la microrobotique dont
Les principales forces surfaciques apparaissant à ces échelles la plus flagrante est celle du lâcher des objets par une micropince,
sont : comme l’illustre la figure 2. Alors que cette problématique est
inexistante en robotique conventionnelle, il convient, dans le micro-
– les forces électrostatiques (générées par tribo-électrification ou monde, de définir et de mettre en œuvre des stratégies spécifiques
transfert de charges au moment des contacts entre objets) ; pour permettre le dépôt d’un micro-objet en un lieu précis.
– les forces de Van Der Waals (forces atomiques) ;
– les tensions de surface entre les éléments en contact (liées au En raison de toutes ces nouvelles problématiques, les solutions
taux d’humidité à l’interface des micro-objets). technologiques que présentera cet article sont le plus souvent très
Lorsque les dimensions des objets sont suffisamment petites, les différentes des solutions technologiques qui seraient adoptées
forces surfaciques produisent un effet d’adhésion (ou collage) entre pour la conception des dispositifs robotiques classiques tels que
les objets. Ce phénomène est par exemple à l’origine de la saisie ceux présentés dans [S 7 730].

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S7712

_____________________________________________________________ CONCEPTION, MODÉLISATION ET COMMANDE DES SYSTÈMES MICROROBOTIQUES

tique sont souvent spécifiques et diffèrent grandement de ceux


rencontrés dans les stations robotiques plus classiques. De plus,
les contraintes importantes en termes de précision et de répétabi-
lité requises ne sont pas toujours accessibles aux composants
robotiques classiques, ce qui impose l’utilisation de solutions nou-
velles et originales. Dans cette section, les principales solutions
adoptées en termes de composants élémentaires pour la
conception de dispositifs microrobotiques seront exposées et cer-

1
taines, les plus utilisées, seront présentées plus en détail.

1 2 3
2.1 Structures microrobotiques
Manipulation d’objets microscopiques 2.1.1 Particularités et architectures
Comme indiqué précédemment, un microrobot est principale-
ment constitué d’un organe terminal et d’une structure mécanique
robotique. La cinématique inhérente à cette structure doit pouvoir
permettre de positionner et d’orienter cet organe terminal selon
une précision, une répétabilité et une dynamique spécifiées par un
cahier des charges très exigeant, spécifique à l’application, à
1 2 3 l’environnement et à l’encombrement disponible. Dans la majorité
des cas, la structure de ce manipulateur doit être suffisamment
Manipulation d’objets microscopiques compacte pour garantir une rigidité et donc une précision
suffisante. La compacité est en effet un des éléments clés qui
Figure 2 – Problématique du lâcher en microrobotique
permet de réduire l’encombrement du dispositif et de limiter
l’influence des variations paramétriques de l’environnement (tem-
pérature, hygrométrie, vibrations). Si l’on souhaite satisfaire les
contraintes de précision, la cinématique de la structure robotique
2. Composants doit être sans jeu ou à jeu compensé, pour l’essentiel des applica-
tions. Pour disposer des degrés de liberté (DDL) requis, ces
microrobotiques contraintes de performance conduisent à privilégier la mise en
œuvre de structures compliantes à la place des mécanismes articu-
et leur conception lés classiques présentant des frottements secs et des jeux suscep-
tibles de détériorer d’emblée et drastiquement la résolution. De
plus, les contraintes du cahier des charges requièrent souvent l’uti-
La réalisation de microrobots se heurte à la problématique de la lisation de matériaux actifs pour les fonctions d’actionnement ou
miniaturisation. Si, durant les balbutiements de la microrobotique, de mesure. Ainsi, dans certaines configurations particulièrement
les chercheurs ont tenté de miniaturiser des architectures robo- intégrées, le même matériau actif peut servir à la fois de support
tiques ayant fait leurs preuves à l’échelle macroscopique, cette mécanique, d’actionneurs et de capteurs. Dans ce cas, le terme de
approche, fondée sur la réduction homothétique des dimensions « système adaptronique » est parfois adopté.
des robots, doit cependant être abandonnée dans la plupart des
cas. En effet, de nombreuses difficultés liées à la réalisation de
moteurs et de mécanismes miniaturisés se posent au concepteur. 2.1.2 Organes terminaux pour la microrobotique
Par ailleurs, les jeux dans les mécanismes et les engrenages limi-
Bien que les interactions entre le préhenseur et l’objet saisi
tent fortement la précision de positionnement du microrobot.
soient plus complexes dans le micromonde, les pinces, appelées
Ainsi, dans les conceptions modernes, des microactionneurs sont
désormais « micropinces », sont encore très utilisées. Ces derniè-
souvent employés en remplacement des moteurs traditionnels et
res doivent cependant être adaptées aux contraintes liées à la
des structures déformables se substituent aux mécanismes.
manipulation de très petits objets. Aujourd’hui, les micropinces les
De manière générale, la conception d’un microrobot comporte plus efficaces exploitent les effets électrostatique ou piézoélectri-
deux parties distinctes tant les problématiques correspondantes que et sont parfois équipées de capteurs permettant la mesure des
sont différentes : efforts exercés sur les objets saisis. La connaissance de ces efforts
– l’organe terminal (également appelé « préhenseur ») qui est la est très utile afin d’éviter d’endommager ou de détruire le
partie extrême du microrobot, en contact avec l’objet à manipuler ; micro-objet manipulé. À titre d’exemple, la figure 3 présente l’une
des micropinces les plus abouties. Elle est commercialisée par la
– la structure mécanique robotique (également appelée
société FemtoTools. Cette pince possède un doigt actionné à l’aide
« porteur ») dont le rôle est d’assurer le positionnement précis de
d’un peigne interdigité (comb-drive ) à actionnement électrostati-
l’organe terminal dans l’espace.
que et un doigt servant de capteur de force. La mesure de force ne
La tâche microrobotique complète est assurée par le travail peut être effectuée que si un micro-objet est enserré entre les
conjoint de ces deux parties. Une particularité remarquable des doigts de la micropince. Leur écartement initial est de quelques
microrobots doit cependant être soulignée : alors que pour un dizaines à quelques centaines de microns selon le modèle
robot macroscopique la précision de positionnement est exclusive- considéré. L’actionnement de la pince permet sa fermeture
ment déterminée par le porteur, pour un microrobot, la précision jusqu’au contact entre les deux doigts. Cette micropince est réa-
est définie conjointement par le porteur et le préhenseur et ce, en lisée sur un substrat de silicium par des technologies de microfa-
raison de la complexité des interactions entre le préhenseur et brication en salle blanche. Son caractère monolithique lui confère
l’objet manipulé. Puisque les interventions des dispositifs microro- des propriétés de compacité et de répétabilité remarquables.
botiques peuvent se conduire dans des milieux ambiants, dans des FemtoTools fournit ses micropinces prêtes à l’emploi et équipées
milieux liquides (systèmes biologiques par exemple) ou dans des d’un conditionneur de signal pour la mesure d’efforts, d’un sys-
milieux de vide poussé (chambre de microscopes électroniques, tème de fixation mécanique, ainsi que d’un connecteur facilitant
par exemple), les différents constituants d’un dispositif microrobo- son exploitation.

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S7712

CONCEPTION, MODÉLISATION ET COMMANDE DES SYSTÈMES MICROROBOTIQUES _____________________________________________________________

1 mm

Figure 5 – Préhenseur à glace (CSEM, Neuchâtel, Suisse [5])

Figure 3 – Micropince FT-G102 de la société FemtoTools


nement difficile d’accès (milieu liquide, environnement biologique,
corps humain, etc.). Ainsi, un faisceau laser peut être employé
Lorsque les dimensions des micro-objets à manipuler sont suffi- pour manipuler des micro-objets en exploitant la pression de
samment petites (de l’ordre de la centaine de microns ou moins), il radiation. Ce principe fonctionne sur des objets transparents pos-
est possible de réaliser des opérations de manipulation à l’aide sédant un indice de réfraction supérieur à celui du milieu de mani-
d’un seul doigt. En effet, la prédominance des forces surfaciques pulation. Les micro-objets sont alors attirés par la région de plus
induisent un effet d’adhésion suffisant pour soulever l’objet grande intensité lumineuse. Le déplacement du faisceau entraîne
(figure 4). ainsi le déplacement du micro-objet [5]. Ce procédé est exploitable
pour des objets dont la taille est comprise entre quelques dizaines
La condition nécessaire pour l’exploitation de cette méthode
de nanomètres et quelques dizaines de micromètres. D’autres
réside dans l’aptitude à contrôler ces forces et, en particulier, à
effets physiques (interactions magnétiques et diélectrophorèse par
minimiser leur amplitude au moment du lâcher. La manipulation à
exemple) peuvent également être utilisés pour réaliser la manipu-
un doigt peut également être exploitée pour des objets de dimen-
lation sans contact de micro-objets [3] [6].
sions plus importantes, à condition de pouvoir générer une force
d’adhésion suffisamment grande. Cette approche est exploitée Selon le cas, l’une ou l’autre de ces approches de préhension
dans le manipulateur représenté sur la figure 5 qui utilise une peut être plus ou moins bien adaptée. Le choix est généralement
goutte d’eau gelée pour maintenir un objet. Un maintien ferme est guidé par de nombreux paramètres tels que la taille de l’objet
alors possible, y compris lors de mouvements brusques du manipulé, la nécessité ou non de contrôler les efforts de serrage,
manipulateur. la nature du lieu de travail, les variations des conditions environ-
nementales.
Un autre procédé, très utilisé dans l’assemblage et encore
exploitable dans le micromonde, est l’emploi de buses à dépres-
sion. Ce principe peut être mis en œuvre jusqu’à des dimensions 2.1.3 Structures mécaniques
d’objets de l’ordre de 100 µm. Pour des objets plus petits, la réali- pour la microrobotique
sation du tube est délicate et le lâcher des objets est perturbé par
le niveau élevé des forces d’adhésion. Les méthodes de préhen- Les structures mécaniques conçues pour la microrobotique doi-
sion décrites précédemment requièrent un contact entre le préhen- vent répondre à des cahiers des charges très contraignants, et
seur et l’objet manipulé. Les spécificités du micromonde autorisent notamment à de forts besoins de compacité et de performances
également l’emploi de divers phénomènes physiques sans contact (résolution, répétabilité, précision, etc.). Certains microrobots sont
pour réaliser la manipulation d’objets. Ces méthodes s’avèrent fondés sur des architectures traditionnelles dans lesquelles les
particulièrement utiles lorsque l’objet se trouve dans un environ- actionneurs ont simplement été remplacés par des microaction-
neurs. Ces robots sont souvent utilisés dans des applications
industrielles ou dans des laboratoires (assemblage de microméca-
nismes, tri de microcomposants, expérimentations biomédicales
Adhésion etc.). D’autres prototypes de microrobots exploitent les possibilités
des procédés de microfabrication modernes (notamment les tech-
nologies MEMS, Micro Electro Mechanical Systems, décrites dans
[E 2 305]) pour offrir des architectures totalement nouvelles, fon-
dées sur l’emploi de structures déformables.
De manière assez similaire à la robotique classique, les architec-
tures utilisées en microrobotique sont de trois types :
– microrobots mobiles, se déplaçant sur une base fixe ;
– microrobots sériels, conçus par la mise en série de maillons de
chaînes cinématiques actionnées aux articulations, s’étendant
Poids d’une base jusqu’à un organe terminal ;
– microrobots parallèles, utilisant une chaîne cinématique fer-
mée dont l’organe terminal est relié à la base par plusieurs chaînes
Figure 4 – Saisie de micro-objets par adhésion cinématiques indépendantes.

S 7 712 – 4 Copyright © –Techniques de l’Ingénieur –Tous droits réservés

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_____________________________________________________________ CONCEPTION, MODÉLISATION ET COMMANDE DES SYSTÈMES MICROROBOTIQUES

Les microrobots mobiles ont été massivement développés au Les applications les moins exigeantes en termes de performan-
début des années 2000 pour des applications de micromanipula- ces ou celles qui nécessitent des coûts assez réduits utilisent le
tion. La figure 6 montre un micromanipulateur mobile moderne plus souvent des structures sérielles. Les technologies associées
exploitant un principe stick-slip (ce principe est détaillé dans la sont bien maîtrisées et de nombreux industriels proposent désor-
figure 20). Réalisé par la société Imina Technologies, il est capable mais des solutions génériques fiables, clés en main.
de se déplacer sur une surface avec une résolution nanométrique
et de réaliser des tâches de test ou de micromanipulation. Sa La figure 8 représente par exemple un dispositif de microposi-
compatibilité avec le vide en fait un microrobot bien adapté aux tionnement sériel utilisant des actionneurs conventionnels minia-

1
interventions en environnement MEB. turisés et un actionneur piézoélectrique.
Actuellement, en dehors de quelques applications très spécifi- Nous verrons dans les sections suivantes que l’actionnement de
ques ou de prototypes de laboratoire, les microrobots mobiles structures microrobotiques à l’aide de microactionneurs de type
sont essentiellement utilisés dans des environnements très piézoélectrique se heurte à la limite de leurs courses. De ce fait et
contraints en espace et peu accessibles tels que les milieux sous afin de s’affranchir de ces limites, les concepteurs de microrobots
vide, les milieux biologiques et biomédicaux intracorporels (capsu- ont appris à exploiter des principes cumulatifs, notamment le prin-
les endoscopiques, robots sanguins, etc.). L’actionnement est alors cipe stick-slip décrit dans la figure 20. Ces principes sont mis à
souvent réalisé à distance, en utilisant par exemple des phénomè- profit pour générer de larges déplacements à l’aide de micro-
nes électromagnétiques (diélectrophorèse, actionnement magnéti- actionneurs piézoélectriques, mais au prix d’une certaine lenteur.
que). La figure 7 représente un dispositif permettant le
déplacement par voie magnétique d’un microrobot dédié à la La figure 9 présente un microrobot sériel à trois DDL (deux rota-
chirurgie ophtalmologique [7]. tions et une translation) réalisé par la société Kliendiek Nanotech-
nik utilisant un principe stick-slip. Comme ce microrobot ne
possède pas de capteur intégré, il est généralement utilisé dans
des tâches microrobotiques téléopérées par un opérateur humain.
La société Kliendiek Nanotechnik propose également plusieurs
organes terminaux adaptables à l’extrémité du microrobot (pince,
capteur de force, injecteur de gaz ou de liquides, etc.), ce qui en
fait un outil polyvalent.

Le principe stick-slip est également très employé par la société


SmarAct qui propose de nombreux modèles d’axes de translation
ou de rotation avec une résolution de l’ordre du nanomètre. Ces
axes peuvent être aisément assemblés pour constituer des micro-
robots ou des stations de manipulation complètes. La figure 10
montre une station de micromanipulation à 15 DDL conçue par
cette société.
10 mm
Les structures microrobotiques parallèles sont essentiellement
utilisées pour les applications les plus pointues, c’est-à-dire les
applications au cahier des charges les plus exigeants, que ce soit
au niveau des contraintes d’intégration (compacité, multifonction-
Figure 6 – Micromanipulateur miBot BT-11 (Imina Technologies)
nalité) ou des performances (précision, dynamique).

Figure 8 – Photographie d’un dispositif de micropositionnement


Figure 7 – Photographie du dispositif « Octomag » permettant sériel utilisant des actionneurs conventionnels miniaturisés
le déplacement par voie magnétique d’un microrobot et des actionneurs piézoélectriques. La taille de ce dispositif est
(taille d’environ 500 microns de côté) dédié à la chirurgie d’environ 15 cm de côté et l’organe terminal, fixé sur la partie supé-
ophtalmologique. La longueur d’une bobine du dispositif est rieure de cette table, permet de positionner/aligner
d’environ 50 cm (ETHZ, Zürich, Suisse [8]) précisément une fibre optique (Physik Instrumente (PI) GmbH & Co)

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25
1

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Référence Internet
S7739

Conception et optimisation
des interfaces à retour d’effort
par Florian GOSSELIN
1
Responsable scientifique - Département Intelligence Ambiante et Systèmes Interactifs
Université Paris-Saclay, CEA, List, F-91120, Palaiseau, France

1. Interfaces à retour d’effort pour la téléopération


et la réalité virtuelle ................................................................................... S 7 739 - 2
1.1 Téléopération à retour d’effort....................................................................... — 2
1.2 Interfaces haptiques pour la réalité virtuelle ................................................ — 3
1.3 Importance du retour d’effort ........................................................................ — 3
2. Conception et optimisation des interfaces à retour d’effort .......... — 5
2.1 Sécurité des opérateurs.................................................................................. — 5
2.2 Critères de performances ............................................................................... — 5
2.3 Détermination des valeurs à atteindre .......................................................... — 6
2.3.1 Espace de travail .................................................................................... — 6
2.3.2 Résolution en position........................................................................... — 7
2.3.3 Capacité en effort ................................................................................... — 7
2.3.4 Résolution en effort ............................................................................... — 7
2.3.5 Raideur apparente.................................................................................. — 7
2.3.6 Masse et inertie apparentes .................................................................. — 8
2.3.7 Bande passante ...................................................................................... — 8
2.3.8 Bilan ........................................................................................................ — 8
2.4 Paramètres d’optimisation ............................................................................. — 9
2.4.1 Architecture mécanique ........................................................................ — 9
2.4.2 Dimensions............................................................................................. — 16
2.4.3 Actionneurs ............................................................................................ — 16
2.4.4 Réducteurs.............................................................................................. — 17
2.4.5 Transmissions ........................................................................................ — 19
2.4.6 Composants et matériaux ..................................................................... — 20
2.5 Outils de modélisation et de dimensionnement .......................................... — 20
2.5.1 Modélisation géométrique .................................................................... — 20
2.5.2 Modélisation cinématique et statique .................................................. — 20
2.5.3 Modélisation en raideur ........................................................................ — 21
2.5.4 Modélisation dynamique....................................................................... — 22
2.6 Procédure d’optimisation ............................................................................... — 23
2.6.1 Problématique et approche proposée.................................................. — 23
2.6.2 Exemple 1 : interface haptique pour la formation
au geste chirurgical......................................................................................... — 24
2.6.3 Exemple 2 : interface dextre pour environnements immersifs .......... — 26
3. Conclusion .............................................................................................................. — 28
4. Glossaire .................................................................................................................. — 29
5. Sigles ......................................................................................................................... — 29
Pour en savoir plus .............................................................................................. Doc. S 7 739

l existe de nombreux domaines dans lesquels l’humain ne peut pas inter-


I venir directement parce que l’environnement est hostile ou inaccessible à
son échelle. Pour intervenir dans de tels environnements, on doit utiliser des
robots avantageusement pilotés à distance. La solution la plus efficace pour les
commander est d’utiliser des bras maîtres à retour d’effort.
Des dispositifs similaires sont utilisés pour interagir avec des environnements
Parution : mars 2021

simulés en réalité virtuelle. La maquette numérique, qui remplace de plus en

Copyright © – Techniques de l’Ingénieur – Tous droits réservés S 7 739 – 1

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Référence Internet
S7739

CONCEPTION ET OPTIMISATION DES INTERFACES À RETOUR D’EFFORT _______________________________________________________________________

plus les prototypes physiques lors de la conception de nouveaux produits et


systèmes, permet de simuler le montage d’un système complexe, de détecter
et de corriger les erreurs très en amont du cycle de conception, ou encore de
concevoir une véritable usine virtuelle visant à optimiser l’ergonomie et la pro-
ductivité des postes de travail. Son utilisation efficace requiert cependant des
méthodes et des périphériques adaptés. Dans ce contexte, les interfaces à
retour d’effort sont particulièrement intéressantes. Elles peuvent être utilisées

1 pour contrôler les mouvements de certains objets de la scène virtuelle et per-


mettent à l’utilisateur de ressentir les efforts qui s’appliquent sur ces objets
quand ils entrent en collision avec leur environnement, comme dans le monde
réel. On parlera ici d’« interfaces haptiques » plutôt que de bras maîtres.
Dans les deux cas, on a affaire à des structures mécaniques polyarticulées
plus ou moins complexes munies de capteurs et d’actionneurs, c’est-à-dire à de
véritables robots. Les interfaces à retour d’effort sont cependant très différentes
des robots industriels, qui sont en général commandés en position pour suivre
des trajectoires de façon répétitive indépendamment des perturbations exté-
rieures, dans un environnement contrôlé dont l’humain est exclu. Au contraire,
les interfaces à retour d’effort sont manipulées par un utilisateur, et doivent
donc présenter un haut niveau de sûreté et de sécurité. Elles doivent également
avoir une grande sensibilité en effort et une grande dynamique pour être
capables de suivre tous les gestes de l’opérateur et de restituer le moindre
effort appliqué sur le robot distant ou l’avatar de l’utilisateur en réalité virtuelle,
que ces interfaces soient munies d’une simple poignée ou qu’elles aient une
architecture plus complexe, comme sur les exosquelettes de bras ou de main.
Ces contraintes de performance et de sécurité requièrent le respect d’un
certain nombre de critères et la mise en œuvre de solutions technologiques
adaptées. Cet article présente ces critères et leurs valeurs usuelles, puis il intro-
duit des outils de modélisation et de dimensionnement robotiques permettant
de concevoir des interfaces répondant à ces besoins. Leur application sera
illustrée par plusieurs exemples.

1. Interfaces à retour d’effort Comme le montre la figure 1, un tel système, qui permet
d’associer les capacités d’analyse, de décision et d’adaptation de
pour la téléopération l’opérateur, et les capacités de projection dans l’environnement
distant et de travail du robot, est constitué dans sa configuration
et la réalité virtuelle la plus simple d’un bras maître équipé d’un organe de saisie (qui
prend généralement la forme d’une poignée ou d’un stylo) et d’un
robot esclave muni d’un préhenseur. Des capteurs de position dis-
posés au niveau des moteurs et/ou des articulations sont utilisés
1.1 Téléopération à retour d’effort pour mesurer leur position et leur orientation dans l’espace. Les
deux robots sont le plus souvent commandés pour que le bras
esclave reproduise les mouvements du bras maître, et vice-versa.
L’être humain ne peut pas intervenir directement dans des On parle de couplage bilatéral en position.
milieux hostiles (industrie nucléaire, espace, off-shore profond,
etc.). L’usage d’équipements de protection dédiés (e.g. scaphandres) Avec ce type de couplage, le robot esclave suit les mouvements
peut être une solution partielle, mais elle ne résout pas tous les du bras maître lorsqu’il n’est soumis à aucun effort externe. On dit
problèmes. Pour réaliser certaines interventions, on doit utiliser des qu’il est en espace libre. En revanche, s’il est bloqué au contact de
robots. C’est également le cas quand l’humain souhaite réaliser son environnement, le bras maître, qui suit ses mouvements, sera
des tâches dans des environnements inaccessibles à son échelle arrêté et l’opérateur ressentira un effort de blocage. On parle de
(chirurgie mini-invasive, microchirurgie, manipulation de micro et mode au contact. Le principe est le même pour la restitution des
de nano-objets, etc.). Or, ces robots n’ont pas, à l’heure actuelle et autres efforts qui peuvent s’appliquer sur le bras esclave. Toute
malgré les progrès récents de l’intelligence artificielle, les capacités modification de la position ou de la trajectoire du robot sera
suffisantes pour s’adapter de façon autonome à la diversité des reproduite par le bras maître, ce qui permettra à l’utilisateur de
situations rencontrées et à la variété des tâches à réaliser. Il est ressentir les effets induits par ces efforts. Ce type de couplage
donc nécessaire de disposer de solutions permettant de les piloter présente l’avantage d’être très stable si les gains sont bien réglés.
à distance de façon interactive, en laissant l’humain dans la
boucle. La solution la plus efficace pour cela est d’utiliser des bras On notera que le couplage entre le maître et l’esclave peut avoir
maîtres à retour d’effort. Ces périphériques sont en général équi- lieu dans l’espace articulaire, chacun des corps d’un des robots
pés d’une poignée dont les mouvements sont utilisés pour com- étant couplé au corps équivalent de l’autre bras, ou dans l’espace
mander la position et l’orientation du préhenseur du robot cartésien, le couplage ayant lieu directement entre la poignée du bras
esclave. Ils sont également pourvus de moteurs utilisés pour maître et la pince du bras esclave, indépendamment de leur configu-
reproduire sur la poignée du bras maître les efforts appliqués sur le ration. Dans le second cas, il peut être avantageux d’utiliser des bras
robot esclave. On parle de téléopération à retour d’effort. différents, le maître et l’esclave n’ayant pas nécessairement la même

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Robot
esclave

1
Commande
esclave

Configuration
Bras Couplage esclave
maître bilatéral
Configuration
maître

Commande
maître

Figure 1 – Système maître-esclave de téléopération à retour d’effort

architecture, les mêmes dimensions ou les mêmes capacités. les phénomènes kinesthésiques, c’est-à-dire la perception
L’esclave peut ainsi être dimensionné en fonction des tâches à réa- consciente de la position et des mouvements des différentes par-
liser, tandis que le maître sera optimisé pour autoriser une prise en ties du corps dans son environnement.
main intuitive et une manipulation ergonomique. Comme le montre la figure 2, avec une interface haptique, le
On peut bien entendu introduire des facteurs d’amplification en couplage bilatéral en position est effectué entre la poignée du bras
position et en effort entre les deux robots, en particulier s’ils sont maître et un avatar qui est l’objet de la scène virtuelle dont on
différents. On peut aussi introduire un décalage entre les deux cherche à contrôler la configuration. Ainsi, lorsque l’utilisateur
bras. Le principe est, comme avec une souris d’ordinateur, de déplace la poignée de l’interface haptique, l’avatar suit ses mouve-
commander le bras esclave en déplaçant le bras maître et, une fois ments tant qu’il se déplace en espace libre. Il est en revanche blo-
arrivé à la limite de son espace de travail, de débrayer le couplage qué quand il entre en contact avec son environnement, de même
maître-esclave pour pouvoir ramener le bras maître en arrière sans que l’interface haptique qui suit ses mouvements. L’opérateur peut
déplacer l’esclave, avant de réactiver le couplage entre les deux ainsi ressentir les contraintes auxquelles est soumis l’avatar.
robots pour continuer à déplacer l’esclave. Parmi les autres assis- Ces dispositifs peuvent être utilisés pour interagir avec les
tances proposées sur les systèmes de téléopération, on trouve la maquettes numériques qui remplacent de plus en plus les proto-
compensation du poids du robot et des objets portés, ou encore types physiques lors de la conception de nouveaux produits et
des fonctions de guidage de l’opérateur le long de trajectoires pré- systèmes. Ils ont de nombreuses applications. Ils permettent par
définies appelées guides virtuels. Ces guides peuvent aider l’opé- exemple de simuler en temps réel, de façon immersive et avec
rateur à suivre une trajectoire déterminée, ou au contraire à éviter retour d’effort, le montage d’un système complexe, comme un
d’atteindre des zones sensibles à protéger [1] [S 7 811]. moteur de voiture ou d’avion, pour vérifier si les différentes
On notera qu’il existe d’autres modes de commande des sys- pièces qui le composent s’assemblent comme prévu lors de la
tèmes de téléopération à retour d’effort [2]. Par exemple, le mode conception du système. On peut ainsi détecter et corriger les
position/force diffère du couplage bilatéral en position en ce que erreurs très en amont du cycle de conception. On peut également
le bras maître n’est plus commandé pour suivre les mouvements simuler l’usage d’un nouveau dispositif pour optimiser son fonc-
du robot esclave, mais pour reproduire directement les efforts qui tionnement et son ergonomie avant même qu’un prototype ne
s’appliquent sur son préhenseur et qui sont mesurés à l’aide d’un soit fabriqué. On peut encore, en intégrant dans la simulation un
capteur d’effort. Ce type de couplage permet une reproduction avatar numérique de l’opérateur et des outils utilisés pour le mon-
plus fine des efforts, mais n’est pas aussi stable. tage, concevoir une véritable usine virtuelle servant à optimiser
l’ergonomie et la productivité des postes de travail. On peut enfin
De tels systèmes maître-esclave sont utilisés dans l’industrie
utiliser ces technologies pour la formation au geste technique en
nucléaire [3] [4] [S 7 812], dans le domaine spatial [5] [6] ou encore
environnement virtuel. Le lecteur est invité à se reporter à [10]
en téléchirurgie [7] [8] [9].
pour d’autres exemples d’application.

1.2 Interfaces haptiques 1.3 Importance du retour d’effort


pour la réalité virtuelle
Le sens du toucher est très important. Il suffit pour s’en convaincre
Les mêmes types d’organes maîtres sont utilisés pour interagir d’essayer de réaliser une tâche précise avec des gants. En filtrant les
avec des environnements simulés en réalité virtuelle. On parle informations liées au toucher, ces gants diminuent notre sensibilité
dans ce cas d’interfaces haptiques plutôt que de bras maîtres, tactile et nous rendent moins efficaces. Le professeur Johansson à
en référence au sens haptique, l’haptique (du grec haptomai : je l’université d’Umea en Suède a été plus loin en demandant à des
touche) désignant la science du toucher, par analogie avec l’acous- sujets de réaliser une tâche très simple consistant à craquer une allu-
tique ou l’optique. Au sens strict, l’haptique englobe le toucher et mette après une anesthésie locale de la pulpe de doigts. Privés du sens

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Avatar
Environnement
virtuel

1 Commande
avatar

Configuration
Couplage avatar
Interface
haptique Configuration bilatéral
interface

Commande
interface haptique

Figure 2 – Interface haptique pour la réalité virtuelle

du toucher, les sujets ont beaucoup de difficultés à saisir l’allumette, à ■ Transfert thermique
la maintenir entre leurs doigts et à la frotter contre la boîte. Le
nombre d’erreurs et le temps d’exécution sont nettement plus élevés Tout contact avec un matériau entraîne un transfert thermique
(http://www.youtube.com/watch?v=0LfJ3M3Kn80&feature=player_em- entre le doigt et celui-ci. Ce phénomène dépend du matériau, ce qui
bedded). Il est donc primordial, si l’on veut pouvoir interagir efficace- permet de distinguer des matériaux aux caractéristiques dimension-
ment dans un environnement distant ou virtuel, de restituer à nelles proches, comme une plaque de verre ou de plastique.
l’opérateur le sens du toucher. Tous ces phénomènes sont importants, et différents systèmes
Sa mise en œuvre est cependant difficile, car on voit apparaître, ont été développés pour les simuler et les reproduire. On trouve
quand on interagit avec notre environnement, différents phénomènes ainsi dans la littérature des dispositifs à contacts intermittents. Ces
qui se combinent et contribuent aux sensations ressenties [11] [12] : interfaces sont équipées de capteurs de proximité disposés en
général au niveau de leur extrémité. Ces capteurs permettent de
■ Transition espace libre-contact mesurer, en temps réel, l’écart entre la position et l’orientation
de leur organe terminal et celles d’un segment corporel d’intérêt de
Cette étape correspond à l’arrivée de la main ou de l’outil l’opérateur, en général la paume de la main ou le bout des doigts.
qu’elle porte au contact des objets. Elle précède l’ensemble des Elles peuvent ainsi suivre ses mouvements à distance et ne venir à
autres interactions. son contact que lorsque l’on cherche à appliquer un retour d’effort
(en général au niveau de la main ou des doigts) [13] [14]. On
■ Application d’une force normale ou tangentielle trouve aussi dans la littérature des interfaces à retour d’effort
capables d’appliquer un effort sur la main [15] [16] [17], des dispo-
Dès que l’on touche un objet (par exemple, pour détecter sa sitifs dont la surface de contact varie suivant l’effort appliqué [18]
présence ou pour déterminer sa dureté en poussant sa surface), ou venant déformer la pulpe des doigts [19] [20] [21], des inter-
un effort est généré sur la main. faces tactiles [22] [23] ou encore des interfaces thermiques [24].
Ces dispositifs sont cependant relativement encombrants et ne
■ Déformation de la pulpe des doigts reproduisent chacun qu’une partie des phénomènes mis en jeu
La peau et les tissus sous-jacents sont souples et s’adaptent à la lors des interactions haptiques. Il n’est en effet pas possible, dans
forme des objets que l’on touche. Cette adaptation est à la fois l’état actuel de la technique, de développer un dispositif intégrant
globale quand les objets manipulés sont de grandes dimensions, toutes ces fonctionnalités, et il est nécessaire, dans la pratique, de
et locale quand ils comprennent de petites aspérités ou irrégulari- se concentrer sur les phénomènes qui ont l’influence la plus
tés. On notera en particulier que la surface de contact entre le importante pour le succès de la tâche réalisée. Pour l’identification
doigt et l’objet augmente avec la force d’appui. de la granularité d’un objet, par exemple, on se focalisera sur le
rendu de textures. Ici, pour la manipulation d’objets en environ-
■ Mouvement de la pulpe des doigts nement distant ou virtuel, on se concentrera sur le retour d’effort.

Pour déterminer la forme et/ou les dimensions d’un objet, on


parcourt en général sa surface, ce qui produit une déformation de À retenir
la pulpe des doigts. Ce mouvement peut être tangentiel quand on
déplace le doigt sur une surface avec un fort coefficient de frotte- • Pour intervenir en milieux hostiles, on utilise des robots
ment, ou normal quand on appuie sur une surface rigide. pilotés à distance à l’aide d’interfaces appelées bras maîtres.
• Des interfaces similaires sont utilisées en réalité virtuelle
■ Vibrations pour interagir avec des maquettes numériques. On parle dans
Si la surface de l’objet touché est irrégulière ou texturée, son ce cas d’interfaces haptiques.
parcours produit des vibrations dont l’amplitude et la fréquence • Le retour d’effort permet une meilleure immersion dans
dépendent du profil de la surface et de la vitesse de déplacement l’espace distant ou virtuel, en recréant une sensation de
de la main. présence qui permet d’être plus précis et plus efficace.

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2. Conception et optimisation les couples articulaires τM et τE à appliquer pour suivre les


consignes. Plus les gains du contrôleur Kcont (assimilable à une
des interfaces à retour raideur) et Bcont (assimilable à un amortissement) sont impor-
tants, plus les deux bras se suivront fidèlement. Dans un cas idéal,
d’effort il faudrait théoriquement qu’ils soient infinis, ce qui reviendrait à
lier rigidement la poignée du bras maître et la pince de l’esclave
ou l’avatar. Dans ce cas, l’opérateur serait immédiatement soumis
aux mêmes efforts que l’esclave. Il existe cependant dans la pra-

1
2.1 Sécurité des opérateurs tique des limites aux gains en position et en vitesse assurant la
stabilité des robots, du fait notamment de la quantification spa-
Que ce soit pour des applications de téléopération ou de réalité tiale et temporelle des signaux capteurs. Ces limites peuvent être
virtuelle, les interfaces à retour d’effort doivent présenter un haut déterminées de façon théorique [27], mais cela requiert un modèle
niveau de sûreté et de sécurité, car elles sont manipulées par un précis de l’ensemble du système. On préférera souvent les identi-
utilisateur humain. fier de façon empirique en testant le comportement des robots
D’un point de vue mécanique, cela nécessite, si possible, que de pour différentes valeurs des gains Kcont et Bcont de façon à déter-
telles interfaces ne puissent pas atteindre les zones vitales du miner les gains les plus élevés possible pour obtenir le meilleur
corps (tête, buste), qu’elles ne puissent pas appliquer des efforts couplage possible, tout en garantissant la stabilité du système.
trop importants, notamment quand l’opérateur peut se retrouver
coincé entre l’interface et l’environnement, et que leur énergie
cinétique reste faible, ce qui implique de limiter leur inertie et leur 2.2 Critères de performances
vitesse [25] [26]. On veillera aussi à concevoir des formes exté-
rieures douces et à éviter les zones où l’utilisateur peut se pincer. Les interfaces à retour d’effort doivent également respecter des
critères de performances. Elles doivent ainsi avoir une grande
Du point de vue des asservissements, cela requiert l’utilisation sensibilité en effort et une grande dynamique pour être capables
de lois de commande qui restent stables quelles que soient les de suivre tous les gestes de l’opérateur et de restituer le moindre
actions de l’utilisateur, et que les gains du contrôleur soient cor- effort appliqué sur le robot distant ou l’avatar. On souhaiterait,
rectement réglés. Dans la pratique, on utilise souvent sur ces dis- dans le cas idéal, que l’interface maître (de même que le bras
positifs un couplage bilatéral en position exprimé dans l’espace esclave) se fasse « oublier » et que l’utilisateur ait l’impression de
cartésien (c’est-à-dire que le couplage a lieu entre la poignée du manipuler directement l’outil porté par la pince du robot esclave
bras maître et la pince du bras esclave ou l’avatar). ou l’avatar. Cela requiert que son impédance soit la plus faible
Comme le montre la figure 3, le modèle géométrique des robots possible (idéalement nulle) en espace libre, et qu’elle puisse
maître et esclave est utilisé pour calculer leur configuration carté- prendre toutes les valeurs nécessaires à la reproduction des
sienne dans l’espace XM et XE (c’est-à-dire la position et l’orienta- efforts vus par le robot distant ou l’avatar. On parle de transpa-
tion de leur organe terminal) à partir des données capteurs rence en espace libre et au contact. Il est nécessaire pour cela de
fournissant leur configuration articulaire qM et qE (dans le cas d’une respecter un certain nombre de critères sur lesquels s’accordent
application de réalité virtuelle, la configuration de l’avatar est direc- les experts du domaine [15] [16] [17] :
tement fournie par la simulation). Le couplage bilatéral génère des
consignes d’efforts FM et FE sur le maître et l’esclave qui sont fonc- ■ Espace de travail suffisant
tion de la différence en position et en vitesse entre ces deux élé- Il faut en premier lieu que le bras maître ou l’interface haptique
ments (dans l’équation (1), on ne tient pas compte des possibilités ait un espace de travail suffisant pour qu’il ne limite pas les mou-
d’introduire un coefficient d’homothétie en position et/ou en effort vements de l’utilisateur, et sans singularité pour que ce dernier ne
ni des décalages). se retrouve jamais bloqué dans certaines directions, ou au contraire
incapable de contrôler certains mouvements du robot.
■ Frottements secs limités
(1)
Il faut aussi que les frottements secs (souvent assimilés à une
résolution en effort, même si le terme est impropre) soient suffi-
Ces efforts sont ensuite projetés dans l’espace articulaire en uti- samment faibles pour que l’utilisateur n’ait pas de difficultés à
lisant les matrices jacobiennes JM et JE, ce qui permet de calculer mettre le dispositif en mouvement, notamment en espace libre. Ils

Couplage
bilatéral
τM FM FE τE
JMT JET

qM XM XE qE
MGD MGD
Espace
cartésien

Figure 3 – Couplage bilatéral en position dans l’espace cartésien (qM et qE désignent les positions articulaires du maître et de l’esclave, MGD
est le modèle géométrique direct de ces robots, XM et XE leur configuration cartésienne, FM et FE sont les consignes d’efforts côté maître et
côté esclave, JM et JE sont les matrices jacobiennes permettant de calculer les couples articulaires τM et τE)

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doivent aussi être isotropes, pour que la poignée se déplace dans sont en première approximation, d’après les catalogues construc-
la direction souhaitée par l’utilisateur, et non dans une direction teurs, proportionnels au couple qu’ils peuvent générer. Dans ces
où les frottements sont minimums. Ils doivent enfin être les plus conditions, la résolution en effort (assimilée à ces frottements) est
homogènes possible dans tout l’espace de travail, afin que l’utili- définie comme un pourcentage de la capacité en effort, et ces
sateur ne ressente pas de gêne locale. deux paramètres ne peuvent pas être optimisés indépendamment
l’un de l’autre. Il faudra trouver un compromis favorisant soit la
■ Masse et inertie apparentes limitées sensibilité, soit la capacité en effort, qui est le paramètre le plus
La masse et l’inertie apparentes (c’est-à-dire la masse et l’inertie souvent pris en compte.

1 ressenties par l’utilisateur quand il déplace la poignée du robot)


doivent également être aussi faibles que possible pour que l’utili-
sateur puisse bouger librement. Comme les frottements, et pour
Enfin, il est courant de considérer en première approximation
les interfaces à retour d’effort comme des systèmes masse-ressort
dont la bande passante est assimilée à la première fréquence de
les mêmes raisons, elles doivent être les plus isotropes et les plus résonance [28], elle-même fonction de la raideur et de la masse
homogènes possible. apparente. Dans ces conditions, on ne peut pas optimiser ces trois
■ Résolution en position suffisante critères indépendamment les uns des autres. On préférera en
général optimiser la masse et la raideur.
La résolution en position doit être suffisante pour que l’on
détecte tout mouvement volontaire de l’utilisateur. On notera que,
sauf cas particuliers, la précision absolue n’est pas très impor-
tante sur un système de téléopération ou une interface haptique.
2.3 Détermination des valeurs à atteindre
En effet, si le robot esclave ou l’avatar n’atteint pas la position
Pour qu’un système maître permette d’interagir de façon natu-
souhaitée, l’opérateur le verra et pourra corriger facilement la
relle et efficace à distance ou en environnement virtuel, il faut que
situation. C’est lui qui fournit la précision souhaitée. Il faut en
tous ces critères soient respectés. Il est cependant impossible de
revanche que la résolution du système soit assez élevée.
tous les respecter simultanément, et il est nécessaire de faire des
■ Capacité en effort suffisante compromis privilégiant tel ou tel critère en fonction de l’applica-
tion visée (par exemple, une grande résolution en position et une
Il faut encore que la capacité en effort du robot soit suffisam- grande sensibilité en effort en téléchirurgie).
ment importante pour simuler tous les efforts désirés.
Il faut en particulier que l’interface haptique ne limite pas les
■ Raideur apparente élevée capacités de l’utilisateur. Dans la pratique, celles-ci dépendent de
La raideur apparente (c’est-à-dire la raideur ressentie par l’utili- plusieurs facteurs, et en particulier du type de prise utilisé pour
sateur quand il pousse sur la poignée alors que tous les moteurs saisir la poignée et de la posture de l’opérateur. La posture
sont contrôlés pour que la poignée reste fixe) doit être assez éle- (debout, assis, avec ou sans appui au niveau du coude ou du poi-
vée pour donner l’impression de contacts francs avec l’environne- gnet, par exemple) influence directement les débattements, mais
ment quand c’est nécessaire (par exemple, pour simuler des aussi la précision des gestes et les efforts que l’on peut appliquer.
environnements rigides). Dans la pratique, la raideur apparente Le type de prise (prise de puissance « à pleine main », de préci-
fixera une limite à la rigidité des environnements que l’on peut sion avec le bout des doigts, ou intermédiaire) influence quant à
simuler de façon réaliste. lui la capacité en effort et la dextérité. Ces paramètres sont donc
très importants et doivent être pris en compte pour déterminer les
■ Bande passante élevée capacités de l’utilisateur.
Enfin, la bande passante doit être assez élevée pour restituer Ainsi, même quand on ne cible pas une application précise, on
toutes les composantes fréquentielles des efforts simulés, en par- essaiera a minima de définir à quel domaine on s’intéresse (par
ticulier celles nécessaires pour restituer une impression de contact exemple, à des applications de CAO en bureau d’études, à de la
franc quand le robot esclave ou l’avatar touche un environnement téléchirurgie, à de la téléopération en environnement hostile, ou
rigide. encore à des applications de simulation des interactions avec une
Il est malheureusement impossible de satisfaire simultanément maquette numérique à l’échelle 1), afin de définir le type de prise
tous ces critères de façon idéale, car les contraintes énoncées pré- et la posture associés. On peut ensuite définir les différents éléments
cédemment sont contradictoires. Si, par exemple, on souhaite du cahier des charges.
obtenir une interface transparente en espace libre, il faut une
masse mobile très faible, ce qui nécessite l’utilisation de seg- 2.3.1 Espace de travail
ments très légers ; mais dans ce cas, on aura du mal à avoir une
grande raideur, et inversement. Dans l’état actuel de la technique, L’espace de travail dépend du type d’interface considéré. Les
il est impossible de respecter tous ces critères à la fois, et il faut exosquelettes de bras et de main [S 7 704] [29] [30] [31] [32] [33] [34]
faire des compromis en fonction de l’application visée. sont des interfaces génériques qui sont utilisées pour effectuer tout
On notera par ailleurs que, dans la pratique et sous certaines type de tâches, que ce soit en téléopération, en réalité virtuelle,
hypothèses simplificatrices, tous ces critères ne sont pas à prendre ou pour la rééducation ou l’assistance au geste. Dans ces condi-
en compte et/ou ne sont pas indépendants. tions, on cherchera à parcourir l’ensemble des débattements articu-
laires humains afin que l’utilisateur ne soit pas gêné, même quand
Ainsi, les capteurs de position utilisés pour mesurer les déplace- il fait des gestes extrêmes. Les interfaces munies d’une poignée
ments du robot sont en général placés au niveau des moteurs. Leur sont quant à elles en général associées à un domaine d’application
résolution au niveau articulaire est alors amplifiée par la présence précis caractérisé par des tâches plus répétitives. Dans ces condi-
de réducteurs. Sous réserve de l’absence de jeux, elle est souvent tions, même si l’utilisateur peut toujours effectuer des gestes de
suffisante pour atteindre le cahier des charges. Si cela n’est pas le grande amplitude, on cherchera à limiter son espace de travail à
cas, il est aisé, sauf cas particulier lié notamment à la compacité ou celui préconisé par les normes d’ergonomie des postes de travail,
au coût, de les remplacer par des modèles plus précis. soit environ 30 % du débattement maximal, afin de garantir un bon
Par ailleurs, la plupart des interfaces à retour d’effort utilisent niveau d’efficacité et de confort sans risque de développer des
des chaînes d’actionnement réversibles à haut rendement autori- troubles musculo-squelettiques (cf. norme NF X35-104, [35]).
sant le contrôle des efforts appliqués par le robot sans avoir à uti- L’espace de travail dépend alors essentiellement de la posture. Un
liser de capteur d’effort. Cette solution est particulièrement simple projeteur en bureau d’études sera, par exemple, assis avec le poi-
et efficace, mais dans ce cas, on ne peut pas compenser les gnet posé pour pouvoir travailler confortablement et sans fatigue
défauts du robot, en particulier les frottements des moteurs qui pendant toute une journée, comme c’est actuellement le cas avec

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une souris. Il est alors préconisé un espace de travail correspon- l’ordre de 2,4 à 4,5 N.m autour de l’axe d’une poignée de 30 à
dant à des débattements de l’ordre de 50 à 100 mm et ± 20 à ± 40° 40 mm de diamètre (prise de puissance) et 12,5 à 17,9 N.m per-
environ dans et autour de toutes les directions. En téléchirurgie, le pendiculairement à celle-ci, et de l’ordre de 0,37 à 0,45 N.m
praticien sera assis à sa console de travail et aura des appuis au autour de l’axe d’un stylo de 20 mm de diamètre (prise de précision)
niveau du coude pour pouvoir effectuer des gestes d’amplitude suf- et 2,21 à 4,23 N.m perpendiculairement à celui-ci.
fisante, notamment en orientation (un travail poignet posé limiterait
On notera que, pour les prises associées à des objets allongés,
trop l’amplitude des mouvements de rotation) avec un haut niveau
l’axe de la poignée peut généralement être défini de façon unique.
de précision. Dans une telle situation où l’utilisateur travaille coude

1
Les autres axes sont arbitraires. Leur seule contrainte est qu’ils
posé, il est préconisé un espace de travail de 150 à 250 mm et ± 45
soient perpendiculaires à l’axe de la poignée. Sur la figure 4, ils
à ± 75° environ. Pour des tâches de téléopération de puissance (par
sont choisis de sorte à correspondre à certains mouvements phy-
exemple, pour des applications de démantèlement dans l’industrie
siologiques canoniques (on notera que ces mouvements peuvent
nucléaire ou pour la téléopération off-shore), l’utilisateur sera en
être générés de différentes manières ; à titre d’exemple, avec la
général assis à un poste maître équipé de moniteurs vidéo assurant
prise « tip pinch », le mouvement autour de l’axe de la poignée
le retour visuel [3] [4] [S 7 812]. Il n’aura en revanche pas d’appuis
peut être généré par un mouvement relatif des doigts ou par un
pour les bras qu’il pourra bouger librement pour déplacer son bras
mouvement du poignet ou même du bras, ou encore une combi-
maître. Il est préconisé pour ce type de posture assise des débatte-
naison de ces différents mouvements).
ments de l’ordre de 300 à 400 mm et ± 60 à ± 80°. Enfin, pour cer-
taines applications de formation en environnement virtuel, Ces efforts ne peuvent cependant pas être appliqués très long-
l’opérateur restera debout. Dans ce cas, l’espace de travail pourra temps, car l’opérateur se fatigue rapidement [43]. L’endurance de
atteindre des débattements de l’ordre de 400 à 600 mm et ± 70 à l’utilisateur (durée pendant laquelle il peut exercer un effort
± 90°, davantage si l’opérateur peut se déplacer. donné) dépend essentiellement du niveau d’effort et peu du
groupe musculaire. Elle est donc similaire pour les forces et les
couples et pour les prises de précision et de puissance. Elle est
2.3.2 Résolution en position comprise entre 5 et 20 minutes environ pour des efforts de l’ordre
de 15 % des efforts maximaux exerçables. On doit également tenir
La main permet à la fois de déplacer des objets et de mesurer
compte du confort d’utilisation de l’interface à retour d’effort.
leurs déplacements. Il convient par conséquent de distinguer la
Dans la pratique, un effort statique supérieur à 43 à 46 % de
résolution motrice de la résolution sensitive en position.
l’effort maximal en translation et 41 à 71 % en rotation est jugé
La résolution motrice en position correspond au plus petit dépla- inconfortable. Si l’effort est maintenu, il devient rapidement incon-
cement qu’un opérateur peut effectuer de façon contrôlée. Elle est fortable dès 15 % de l’effort maximal. En outre, le fait d’appliquer
limitée par ses tremblements. En faisant l’hypothèse que ces trem- des efforts importants peut modifier leur perception, conduisant
blements naissent d’une mauvaise coordination des muscles ago- l’opérateur à exercer une force trop importante lors de travaux
nistes et antagonistes au niveau articulaire, on peut calculer la délicats, ou trop faible lors de travaux lourds [45] [46]. Ce phéno-
résolution motrice comme la résultante au niveau du centre de mène, qui apparaît dès que le niveau d’effort est supérieur à 15 %
la paume (pour une prise de puissance) ou au niveau des doigts de l’effort maximal, peut conduire à des problèmes de sécurité.
(pour une prise de précision) des tremblements générés au niveau
de l’épaule, du coude et du poignet. Sur la base des données dispo- Pour toutes ces raisons, il est préconisé de limiter la capacité en
nibles dans la littérature [36] [37] [38] [39] et de la longueur des effort continu de l’interface haptique à environ 10 % de l’effort
segments corporels mis en jeu (cf. norme X35-002), elle peut être maximal exerçable, soit environ 40 N et 2 N.m pour une prise de
estimée au repos à 12 μm environ poignet posé, 58 μm coude posé puissance, et de l’ordre de 10 N et 0,25 N.m pour une prise de pré-
et 109 μm coude non posé pour une prise de puissance, et 23 μm cision. On notera que dans la pratique, on utilise rarement des
environ poignet posé, 69 μm coude posé et 119 μm coude non posé prises de précision ne faisant intervenir que le bout des doigts. On
pour une prise de précision. On notera que les tremblements, et préfère en général utiliser des prises intermédiaires de type stylo.
donc la résolution motrice, dépendent aussi de l’état de fatigue de Dans ces conditions, les efforts pourront être légèrement supé-
l’opérateur. Ils peuvent aller jusqu’à plusieurs millimètres quand il rieurs, de l’ordre de 10 à 20 N et 0,5 à 1 N.m. Ces efforts per-
est fatigué. mettent de travailler confortablement pendant une quinzaine de
minutes au moins, ce qui est suffisant pour réaliser la plupart des
La résolution sensitive en position correspond quant à elle au tâches. On retrouve des valeurs du même ordre de grandeur dans
plus petit déplacement qu’un opérateur peut détecter. Elle est limitée la littérature [40] [47].
par la sensibilité des capteurs tactiles cutanés et dépend de la fré-
quence et du lieu d’application du signal d’excitation. Elle varie de
0,1 à 11,2 μm au bout des doigts, de 10 à 14 μm au milieu des 2.3.4 Résolution en effort
doigts et de 15 à 24 μm dans la paume de la main [40] [41] [42].
Comme pour les positions, on distingue la résolution motrice et
la résolution sensitive en effort.
2.3.3 Capacité en effort
La résolution motrice en effort (amplitude de l’écart minimal en
Un opérateur peut appliquer des efforts relativement importants. force par rapport à un effort de consigne que l’on peut réguler) est
Il est cependant difficile de définir une valeur maximale puisque proportionnelle à l’effort appliqué. Elle est d’environ 1 % de l’effort
notre capacité en effort varie d’un individu à l’autre en fonction de appliqué si l’on dispose d’un retour visuel permettant de connaître
l’âge, du sexe, de la forme physique ou de l’entraînement. Elle cet effort [48].
dépend également fortement de la posture, du type de prise et de la La résolution sensitive, qui est le plus petit effort que l’on peut
direction dans laquelle l’effort est appliqué [40] [43] [44]. En tenant percevoir, est comme en position limitée par la sensibilité des
compte de valeurs moyennes, on estime les efforts maximaux exer- capteurs tactiles cutanés. Elle est comprise entre 25 et 63 mg soit
çables à environ 104 à 127 N suivant la direction avec une prise de 0,25 à 0,62 N environ au bout des doigts [41].
précision de type stylo, et 137 à 489 N avec une prise de puissance
de type poignée. Les couples dépendent également du type de prise
et de la direction. Ils sont nettement plus élevés perpendiculaire- 2.3.5 Raideur apparente
ment à la poignée qu’autour de celle-ci (voir la représentation des
axes sur la figure 4), et ils sont d’autant plus élevés autour de l’axe Il est théoriquement nécessaire d’avoir une raideur apparente
de la poignée que son diamètre est important. En tenant compte de 24 200 N/m pour qu’un utilisateur perçoive en aveugle une sur-
encore une fois de valeurs moyennes, on arrive à des valeurs de face comme totalement rigide [48].

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33
1

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S7714

Écoconception en robotique

par Sébastien BRIOT


1
Chargé de recherche, titulaire de l’habilitation à diriger des recherches
Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Laboratoire des sciences du numérique de Nantes (LS2N), Nantes, France

1. Impact environnemental d’un robot .................................................. S 7 714 - 2


1.1 Introduction aux problèmes d’écoconception.......................................... — 2
1.2 Facteurs d’impact environnemental pour un robot ................................. — 3
2. Techniques de réduction de la consommation énergétique ....... — 4
2.1 Équilibrage des effets gravitationnels....................................................... — 4
2.2 Minimisation des effets inertiels................................................................ — 9
2.3 Systèmes d’économie d’énergie dans les baies électroniques .............. — 18
2.4 Robots pouvant générer leur propre énergie ........................................... — 18
3. Utilisation de matériaux à faible impact environnementlal........ — 19
3.1 Conception de robots industriels en bois ................................................. — 20
3.2 Utilisation d’autres types de matériaux à faible impact
environnemental ......................................................................................... — 32
4. Conclusion................................................................................................. — 34
5. Glossaire .................................................................................................... — 34
Pour en savoir plus .......................................................................................... Doc. S 7 714

a lutte contre le changement climatique est devenue une priorité en Union


L européenne et dans de nombreux pays du monde, comme cela a été
montré lors des COP 21 à 23. Afin de contribuer à cette lutte, le Conseil euro-
péen a adopté en 2008 des objectifs environnementaux appelés les « 20-20-20
targets », qui consistent à :
• réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 20 % d’ici 2020 ;
• réduire notre consommation énergétique de 20 % d’ici 2020 ;
• avoir un mix énergétique basé sur l’utilisation de 20 % d’énergies renou-
velables d’ici 2020.
L’objectif pour les deux premiers items est même d’atteindre 40 % de réduc-
tion de gaz à effet de serre et 27 % de consommation énergétique en moins
d’ici 2030.
De tels objectifs ne peuvent être atteints sans la collaboration des gouverne-
ments et de l’industrie. Cependant, avec la crise de la fin des années 2000,
l’industrie a dû se battre pour sa survie vis-à-vis des pays à faible coût de
main-d’œuvre. Afin de résister à cette crise, l’industrie a tenté :
1/ d’innover ;
2/ de robotiser afin d’éviter la délocalisation, voire de relocaliser les entre-
prises sur le territoire européen.
Robotiser est en partie contradictoire avec le programme de lutte contre le
changement climatique. En effet, en 2016, d’après l’International federation of
robotics (IFR), le stock opérationnel mondial de robots industriels était de l’ordre
Parution : février 2019

de 1 800 000 unités. Toujours suivant les mêmes données, 294 000 robots indus-

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ÉCOCONCEPTION EN ROBOTIQUE ______________________________________________________________________________________________________

triels et 60 000 robots professionnels de service ont été vendus dans le monde.


Les experts estiment une augmentation annuelle des ventes de l’ordre de 15 %
pour la période 2018-2020. Or, comme il sera vu dans cet article, utiliser des
robots est fortement impactant pour l’environnement.
Au-delà de ces chiffres, vu qu’il est évident que les robots prennent une
place de plus en plus grande dans nos vies, il est important, si nous souhai-

1
tons pouvoir continuer à développer nos activités robotiques de manière
soutenable, de réfléchir le plus en amont à leur écoconception.
Cet article s’intéresse donc aux impacts environnementaux des robots et aux
moyens existants ou en cours de développement permettant de potentielle-
ment les diminuer. Il est divisé en trois grandes sections :
1/ la première fait quelques rappels sommaires sur l’écoconception en
général et les outils associés, puis s’intéresse aux facteurs d’impact envi-
ronnemental d’un robot. Deux grandes classes de techniques permettant
de réduire certains impacts environnementaux des robots sont mises en
avant :
• les techniques de réduction de la consommation énergétique,
• le remplacement des corps du robot par des pièces en matériaux à faible
impact environnemental.
2/ La deuxième section détaille les différentes approches les plus couram-
ment rencontrées afin de réduire la consommation énergétique des
robots, et qui sont :
• les techniques d’équilibrage des effets gravitationnels ;
• les approches permettant de minimiser les effets inertiels ;
• la mise en place de systèmes d’économie d’énergie dans les baies électro-
niques ;
• la réalisation de robots capables de générer leur propre énergie.
3/ La troisième section s’intéresse à la conception de robots en utilisant des
matériaux biosourcés, avec :
• un focus particulier sur la réalisation de robots en bois ;
• un récapitulatif des travaux existants sur la réalisation de robots en maté-
riaux biosourcés autres que le bois.

1. Impact environnemental Afin de réaliser efficacement une démarche d’écoconception, il


est nécessaire d’avoir accès à des bases de données renseignant
d’un robot sur les impacts environnementaux des différentes parties consti-
tuant le produit tout au long de leur cycle de vie (y compris la fin
de vie au moment de laquelle certains composants peuvent être
Dans cette section, quelques brefs rappels sur les notions clés recyclés).
autour de l’écoconception sont faits, puis les facteurs d’impact Les impacts environnementaux sont différents par essence
environnemental pour un robot sont détaillés. [G 5 500] [2] :
• impacts locaux : conséquences toxiques et écotoxiques, et
nuisances telles que le bruit et les odeurs, élimination des
1.1 Introduction aux problèmes déchets ultimes, dévalorisation du foncier ;
d’écoconception • impacts globaux : effet de serre, dégradation de la couche
d’ozone, épuisement des ressources naturelles, bilan énergé-
Comme mentionné dans [BM 5 009] et [G 5 500], l’écoconcep- tique, stockage.
tion est une démarche de conception de produit ou de machine
Une analyse plus détaillée de l’ensemble des impacts est don-
qui doit conduire, à performances égales (éventuellement meil-
née dans [2].
leures), à minimiser les impacts environnementaux durant la tota-
lité du cycle de vie. Bien entendu, cette démarche doit se faire à Prendre en compte tous ces éléments permet la réalisation d’un
coût maîtrisé. Une réflexion doit être menée sur le choix des bilan environnemental. Ce bilan est réalisé à l’aide de l’outil que
matériaux ou composants matériels utilisés, leur provenance, leur l’on appelle « analyse du cycle de vie » (ACV). L’ACV [G 5 500]
consommation énergétique, etc. [1]. permet de faire le bilan environnemental d’un produit tout au long

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S7714

______________________________________________________________________________________________________ ÉCOCONCEPTION EN ROBOTIQUE

de sa vie, depuis l’extraction des matières premières qui le com-


posent jusqu’à sa mise au rebut. La norme ISO 14040 normalise
l’utilisation de l’ACV. Corps
(matériaux, peintures, etc.)
Une ACV est divisée en quatre étapes majeures [2] :
1/ définition des objectifs et des champs de l’étude ; Moteurs + capteurs
2/ collecte des données nécessaires au calcul de l’inventaire, réali- (pertes énergétiques,
sation d’un modèle du cycle de vie du produit étudié, et calcul de matériaux polluants, etc.)
son inventaire ;

1
Interface
3/ traduction des résultats de l’étude en termes d’impacts poten- (composants)
tiels sur l’environnement ; Baie de puissance
4/ interprétation : c’est une étape de décision au cours de laquelle
les capacités de simulation sont utilisées (analyse de sensibilité,
variantes dans les scénarios).
Si l’ACV est utilisée pour la conception de produits tangibles, la
réalisation de l’architecture logicielle nécessaire au contrôle du
robot peut s’avérer très impactante pour l’environnement et il est
nécessaire d’utiliser une approche appelée « génie logiciel
durable » [G 8 385] afin de minimiser les impacts en termes de
consommation énergétique [1]. Ces points peuvent être améliorés
en optimisant les phases de l’activité du logiciel, grâce à une pro- (pertes énergétiques,
grammation d’algorithmes efficaces. matériaux polluants, etc.) Chassis
Avant d’aller plus loin, il faut noter que la culture de l’éco- (matériaux, peintures, etc.)
conception n’imprègne pas fortement la communauté des roboti-
ciens, ce qui conduit au fait que la très large majorité des travaux Figure 1 – Principaux composants impactant l’environnement pour
en robotique n’utilisent pas l’ACV ou le génie logiciel durable. un robot
Aussi, ces approches ne seront pas davantage détaillées dans cet
article.
corps en alliages métalliques, tandis qu’un quart de l’impact pro-
Afin de pouvoir aborder les techniques mises en place pour
vient de l’utilisation de moteurs contenant des aimants perma-
réduire l’impact environnemental des robots, il faut tout d’abord
nents réalisés en terres rares,
analyser leurs principaux facteurs d’impact, ce qui est réalisé dans
la section suivante. – de sa phase d’utilisation : dans cette phase, l’impact est lié à la
consommation énergétique, qui pour deux tiers provient de la
nécessité de fournir de l’énergie pour les moteurs du robot seule-
1.2 Facteurs d’impact environnemental ment, et pour un tiers de la nécessité d’alimenter tous les compo-
sants de la baie électronique.
pour un robot
La fin de vie du robot est très peu impactante par rapport aux
Pour un robot, les facteurs d’impact environnemental sont mul- autres phases d’impact.
tiples et sont liés à la réalisation de la machine dans son entièreté.
On peut ainsi noter les principaux facteurs d’impact environne- Ainsi, on se rend compte qu’il existe deux grandes voies d’amé-
mental au niveau des composants du robot (figure 1) : lioration de l’impact environnemental du robot, hors process :
– pour la réalisation des corps en mouvement et du châssis : – durant son utilisation, il est nécessaire de chercher à minimiser
l’énergie consommée par le robot : non seulement minimiser
• utilisation de matières premières dont le cycle de vie entier
l’énergie consommée a un aspect bénéfique sur la réduction de
est impactant (de l’extraction au recyclage, quand c’est pos-
l’impact environnemental de la phase d’utilisation, mais un robot
sible, en passant par la mise en forme et le transport) :
consommant moins d’énergie peut se réaliser avec des moteurs de
alliages d’aciers, d’aluminium, voire utilisation de composites
plus faible puissance (donc utilisant moins de terres rares), néces-
de carbone, de polymères plastiques, etc.,
sitant des variateurs moins puissants (moins de composants pol-
• recouvrement des corps par des peintures ou autres subs- luants dans l’électronique de puissance), et a donc un aspect
tances ; positif sur l’impact lié à la phase de réalisation ;
– pour les articulations : – durant sa réalisation, hors aspects motorisation, il est néces-
• utilisation de moteurs électriques à aimants permanents : saire de minimiser l’utilisation de matériaux impactant :
usage de terres rares dont l’extraction est très polluante, • pour la baie électronique : en utilisant des composants élec-
• pertes énergétiques dans les moteurs, pertes mécaniques par troniques idéalement écoconçus et moins énergivores, en
frottements dans les boîtiers de réduction des articulations ; programmant efficacement la mise en veille/réveil des com-
posants, ou plus globalement en gérant mieux l’allocation
– pour les capteurs, la baie électronique et l’interface de com-
d’énergie entre les composants, etc. (section 2.3),
mande :
• pertes énergétiques dans les composants, mais aussi liées à • pour l’architecture mécanique : en créant des structures
l’utilisation de la partie logicielle, légères mais rigides, idéalement en utilisant des matériaux à
faibles impacts environnementaux, tels que les matériaux
• matériaux rares et polluants dans les capteurs ou les cartes biosourcés.
électroniques utilisées.
Une récente étude réalisée par le cabinet Fizians Environnement À ce jour, et à notre connaissance, les travaux pouvant se
[3] a montré que sur le cycle de vie d’un robot Kuka KR270 (hors revendiquer de l’écoconception en robotique, et qui seront détail-
process – ACV faite sur un cycle de douze ans), son impact envi- lés dans la suite de cet article, se concentrent essentiellement
ronnemental provenait essentiellement (figure 2) : autour de :
– de sa phase de réalisation (hors baie électronique) : dans cette • la définition de techniques permettant de réduire la consom-
phase, les deux tiers de l’impact proviennent de la conception de mation énergétique des robots ;

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Émissions de gaz Répartition des gaz à effet de serre Énergie consommée


à effet de serre pour la partie conception/réalisation en utilisation

MWh
due
8 000
60 au cabinet

1
Autres
électronique
En utilisation (en France) Système 0,6 %
50
Conception/réalisation

6 000 d’équilibrage
Moteurs due
kgeCO2

3,4 %
23,1 % 40 aux mouvements
4 000 du robot
66,7 % 30
Fin de vie

Réducteurs 20
2 000 Châssis +
5,2 %
10 corps du robot
(en alliages d’aciers)
Câbles
1,0 % 0
Les rejets de CO2 durant l’utilisation dans d’autres pays seraient plus importants puisque
la production d’énergie en France est due aux centrales nucléaires (rejettant moins de CO2
que d’autres types de centrales)

Figure 2 – Impact environnemental d’un robot Kuka KR270 lors de son cycle de vie [3]

• la conception d’architectures mécaniques de robots à l’aide baisse significative de la facture énergétique. Pour la robotique
de matériaux à faibles impacts environnementaux. autonome, le challenge est autre puisque tout robot consommant
moins est capable d’être autonome plus longuement.
Quoiqu’il en soit, les techniques mises en jeu restent les mêmes
Il est extrêmement important de mentionner que, dans la pour tous types de robots. Il existe quatre grandes classes de
phrase précédente, nous utilisons les termes « pouvant se techniques permettant la réduction de la consommation énergé-
revendiquer de l’écoconception » puisqu’à notre connais- tique qui vont être détaillées ci-dessous :
sance, l’écoconception est une approche balbutiante dans la
communauté des roboticiens. Aucune ACV n’a jamais été pra- • techniques pour l’équilibrage des effets gravitationnels ;
tiquée afin d’analyser l’impact des techniques qui vont être • techniques pour la minimisation des effets inertiels ;
présentées (sauf pour le projet RobEcolo, section 3.1). Il peut
• mise en place de systèmes d’économie d’énergie dans les
donc arriver que l’impact de la solution proposée soit pire sur
baies électroniques ;
certains critères non regardés : par exemple, les techniques
d’économie d’énergie peuvent être très bonnes vis-à-vis de la • robots pouvant générer leur propre énergie.
baisse de la consommation énergétique et du rejet de gaz à
effet de serre, mais très mauvaise sur les aspects pollution des
sols (utilisation de moteurs additionnels réalisés avec des 2.1 Équilibrage des effets gravitationnels
terres rares extrêmement polluantes). Il faut donc prendre les
techniques mentionnées pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des
techniques de réduction de l’énergie et de conception à l’aide L’équilibrage des effets gravitationnels pour un mécanisme
de matériaux biosourcés, sans préjuger de l’impact environne- (robotisé ou pas) sert à annuler de manière totale ou partielle
mental global de ces solutions. les efforts que doivent fournir les moteurs dudit mécanisme
afin de compenser les effets de la gravité appliqués sur ses
corps [7], [8].

2. Techniques de réduction Ces techniques trouvent de nombreuses applications en


conception de machines et de robots, de manipulateurs manuels,
de la consommation mais aussi en conception d’orthèses et exosquelettes. Un état de
l’art assez complet des techniques d’équilibrage de la gravité et de
énergétique leurs applications pourra se trouver dans [7]. L’équilibrage total
est obtenu par l’annulation des variations de l’énergie potentielle
U du mécanisme dues à ses changements de configuration q.
Il existe énormément de travaux de recherche sur la définition L’équilibrage partiel tend à minimiser ces variations au lieu de les
de techniques de réduction de la consommation énergétique. En annuler.
robotique industrielle, cela s’explique par le fait que les industries
En effet, en négligeant les frottements et en considérant que les
manufacturières s’inquiètent de la diminution de leur consomma-
effets gravitationnels sont prépondérants par rapport aux effets
tion d’électricité en raison de la tendance croissante du prix de
inertiels, ce qui est le cas pour les mécanismes lents dont les
l’énergie. Par exemple, l’étude [4] mentionne que, dans un atelier
accélérations sont inférieures à 1 G, soit environ 10 m/s2, les
de carrosserie typique, environ 300 à 500 pièces sont assemblées
efforts moteurs τ du mécanisme sont donnés par la relation :
par environ 800 à 1 200 robots avant d’être expédiées à l’atelier de
peinture [5]. Ces robots contribuent à environ 30 % de la consom-
mation énergétique totale de l’atelier de carrosserie [6]. Ainsi, (1)
avoir des robots moins énergivores conduira tout de suite à une

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______________________________________________________________________________________________________ ÉCOCONCEPTION EN ROBOTIQUE

On se rend donc compte que si l’énergie potentielle U est inva- Il est évident que mettre en place des masses additionnelles
riante en fonction de la configuration q du mécanisme, alors les telles que les contrepoids n’est pas désirable du point de vue de
efforts moteurs s’annulent, i.e. τ = 0. De l’équation (1), on en l’augmentation de la masse totale du robot, de son encombre-
déduit aussi que minimiser les variations de l’énergie potentielle ment, des efforts transmis dans ses articulations et de l’augmen-
U vis-à-vis des changements de configurations q revient à minimi- tation des effets inertiels. C’est pourquoi dans de nombreux
ser les efforts moteur τ. robots industriels, les masses des moteurs sont directement utili-
sées à des fins de compensation de la gravité (figure 4) [B1], [B2].
La minimisation des efforts à fournir par les moteurs afin de
mettre en mouvement le mécanisme robotisé a un effet positif sur Il faut noter que les contrepoids peuvent être placés sur les
la réduction de sa consommation énergétique et peut aussi tendre
à améliorer son impact environnemental global. En effet, la réduc-
tion de l’effort à fournir par les moteurs afin de mettre en mouve-
corps du robot, mais aussi sur des mécanismes auxiliaires qui
suivent passivement le mouvement du robot et qui viennent com-
penser les efforts de gravité. De nombreux concepts existent, tels
1
ment le robot peut conduire à la conception de robots utilisant que ceux présentés dans les brevets [B3], [B4], [B5], [B6], [B7],
des moteurs de plus faible puissance, et donc intrinsèquement [B8], [B9] et dans [12], [13], [14].
moins impactants pour l’environnement. On notera cependant que, même si de nombreuses solutions
Il existe trois grandes classes de techniques d’équilibrage des d’équilibrage par contrepoids et systèmes auxiliaires existent, les
effets de la gravité : applications industrielles de telles approches sont souvent limi-
tées à cause d’un accroissement de l’encombrement total du
• équilibrage avec des contrepoids ; robot et des possibilités de collision entre ses corps et celles des
• équilibrage avec des ressorts ; mécanismes auxiliaires portant les contrepoids.
• équilibrage avec des vérins pneumatiques ou hydrauliques.
Elles vont être détaillées dans ce qui suit, et des techniques plus 2.1.2 Équilibrage par ressorts
exotiques seront aussi abordées.
L’équilibrage par ressorts sert à ajouter un stock d’énergie
potentielle de déformation au mécanisme qui servira à compenser
2.1.1 Équilibrage par contrepoids les variations de son énergie potentielle de pesanteur [15], [16].
Deux types de ressorts sont classiquement utilisés pour com-
L’équilibrage par contrepoids sert à redistribuer les masses en penser les effets de la gravité dans les mécanismes : les ressorts à
mouvement du mécanisme afin de fixer l’altitude de son centre longueur à vide nulle (figure 5(a)) et les ressorts à longueur à vide
des masses global [9], [10], [11]. non nulle (figure 5(b)).
Par exemple, pour le robot plan actionné par deux liaisons
pivots motorisées montré sur la figure 3(a), l’altitude du centre
des masses peut facilement être fixée (et donc le robot être équili- Un « ressort à longueur à vide nulle » désigne un ressort
bré) en ajoutant deux contrepoids dont les caractéristiques sont hélicoïdal qui exercerait une force nulle si sa longueur était
les suivantes : nulle. Cela se traduit par le fait que sa courbe caractéristique
force/élongation passe par l’origine (figure 5(a)) [B10], [B11].
(2)

ℓ Il est évident qu’un ressort hélicoïdal qui se contracterait afin


(3) d’avoir une longueur nulle ne peut pas exister en réalité. Mais il
ℓ est possible d’en réaliser à l’aide de systèmes de renvoi par pou-
lies et courroies [17] (figure 6) ou par l’utilisation combinée de
ℓ ressorts précontraints et de corps rigides [18], [19].
(4)
ℓ ℓ Des exemples de compensation de la gravité utilisant des res-
sorts directement attachés aux corps des robots peuvent se trou-
ver aux références [20], [21], [22], [23]. Les ressorts utilisés
ℓ ℓ ℓ (5) peuvent être à raideur constante ou variable. Un ressort à raideur

variable peut s’obtenir par exemple par le concept du « Jack
où mi est la masse du corps i et mcpi la masse du contrepoids spring » qui a été proposé dans [24], [25], [B12]. Un Jack spring
posé sur le corps i, tandis que les angles αi et αcpi caractérisent permet de changer le nombre de spires en élongation sur un res-
les positions des centres des masses des corps et des contrepoids sort et donc de changer sa raideur (figure 7). Le changement du
(figure 3(b)). nombre de spires utilisées se fait par l’utilisation d’un moteur
additionnel si l’ajustement de la raideur est fréquent, ou peut être
réalisé manuellement dans le cas contraire.
D’autres techniques utilisant des ressorts combinés à des méca-
corps 2 z0 nismes auxiliaires tels que des cames ([26], [27], [28], [29], [30]),
z0 S2
S2 αcp2 des engrenages ([31], [32], [33], [34]) ou des systèmes polyarticu-
A g lés ([35], [36], [37], [38], [39], [40], [41], [42], [43], [B13], [44], [45])
g P2
α2 existent.
A α2
S1 mcp2
S1
L’équilibrage par ressorts est beaucoup utilisé pour la concep-
q2
corps 1 tion d’exosquelettes et de robots humanoïdes.
α1 αcp1
q1
x0 α1 x0
O
O 2.1.3 Équilibrage par vérins pneumatiques
P1’ ou hydrauliques
mcp1
La compensation des efforts de gravité peut aussi se réaliser à
a avant ajout de contrepoids b après ajout de contrepoids l’aide d’un vérin hydraulique ou pneumatique connecté à certains
corps du robot [B1], [46], [47], voire directement à son effecteur
Figure 3 – Chaîne cinématique d’un robot sériel 2R [B14]. Dans ce cas, le vérin va développer un effort de compensa-

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Moteurs électriques
utilisés comme contrepoids

1
Système
d’équilibrage
actif

a schéma de principe : sur cette image le b implémentation sur un KUKA R360 c implémentation sur un PUMA 200
système d’équilibrage actif consiste en
un vérin pneumatique ou hydraulique
dont la pression est contrôlée afin de
compenser une partie de la gravité du
deuxième axe

Figure 4 – Compensation de la gravité réalisée par l’utilisation du poids des moteurs

Fs Fs
ℓ0
F0
ℓ0
F0 = kℓ0
F0 = 0
O x O x

a ressorts à longueur à vide nulle b ressorts à longueur à vide non nulle

Figure 5 – Caractéristique force/élongation de deux types de ressorts

tion, souvent constant pour une charge donnée, permettant de dans [51] par l’ajout d’un mécanisme auxiliaire totalement passif
diminuer les efforts à fournir par les moteurs électriques. de type pantographe permettant de relier l’effecteur au châssis.
Un vérin relié à la partie haute du pantographe permet l’applica-
Il existe aussi des approches basées sur l’utilisation de contre-
tion d’une force purement verticale sur l’effecteur visant à
poids spéciaux, qui sont en fait des réservoirs de fluide. L’avan-
compenser la masse du microscope. Il a été montré expérimenta-
tage est que la masse de ces contrepoids peut être modifiée afin
lement dans [51] que les couples moteurs pouvaient être réduits
de s’adapter à des variations de charges sur l’effecteur, par
de 83 % en statique.
exemple [B15] (figure 8).
La compensation de la gravité peut aussi se faire par l’intermé-
diaire de contrepoids distants (posés sur le châssis) mais connec- 2.1.4 Techniques diverses
tés aux corps du robot via des transmissions hydrauliques [48],
Il existe de nombreuses autres techniques d’équilibrage,
[49], [50]. Un prototype de robot à sept axes a été construit dans
comme l’utilisation de systèmes électromagnétiques [B16] ou la
[49] et il a été montré qu’il était capable de s’adapter à des
conception de robots découplés : des travaux ont été réalisés sur
charges variant de 0 à 10 kg au niveau de l’effecteur.
la compensation de la gravité des robots générant des mouve-
Le vérin peut aussi être monté sur un mécanisme auxiliaire ments avec trois translations de l’effecteur et une rotation autour
comme c’est le cas pour le mécanisme illustré à la figure 9. Le d’un axe fixe qui sont fortement utilisés dans des opérations de
robot représenté est un robot parallèle de type Delta de grande prise et dépose de pièces. L’idée a été de concevoir des robots
dimension, nommé SurgiScope® qui sert en contexte médical afin dont les mouvements de translation verticale de l’effecteur sont
de porter un microscope de 70 kg. Son équilibrage a été réalisé découplés (indépendants) des autres types de mouvements

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______________________________________________________________________________________________________ ÉCOCONCEPTION EN ROBOTIQUE

β1 β1

1
β3

β2
β2
β3

a b

Figure 6 – Exemples de conception de ressorts à longueur à vide nulle présentés dans [17] : le schéma (a) diffère du (b) par le nombre de poulies
utilisées et la position du point d’accroche du câble sur le bâti

2
7
5
4

Région Région 1
des spires des spires 9
actives inactives
6

10
11

Figure 8 – Compensation de la gravité accomplie par le pompage du


fluide réalisé par le système (11) du premier contrepoids-réservoir
Figure 7 – Cinématique du « Jack spring » [24] : entre le schéma du (8) vers le second (9) [B15], permettant ainsi de changer la masse
haut et celui du bas, le nombre de spires actives a été changé, per- des contrepoids et au système de s’adapter à une nouvelle charge
mettant ainsi de faire varier la raideur du ressort positionnée en (7)

charge de 20 kg sur le prototype de robot PAMINSA [53]), dimi-


(déplacements de l’effecteur dans un plan horizontal). Dans une nuant ainsi la consommation énergétique.
telle situation, les moteurs permettant de déplacer l’effecteur dans
le plan horizontal ne voient pas la charge embarquée (le mouve-
ment de l’effecteur est orthogonal à la direction de l’effort de gra- 2.1.5 Avantages et inconvénients
vité et donc le travail est nul) tandis que c’est le moteur qui de ces techniques
permet les translations verticales de l’effecteur qui supporte toute
la charge [52], [53], [54]. Cette technique a été appliquée pour la Pour conclure sur les techniques d’équilibrage, on notera
réalisation des robots PAMINSA (figure 10) [53], [54] et permet de qu’elles présentent certains intérêts :
réaliser des robots avec des moteurs de plus faible puissance • réduction des couples à fournir par les moteurs lors de mou-
pour les déplacements de la charge dans le plan horizontal (trois vements mettant en jeu principalement des efforts liés à la
moteurs de 150 W ont permis le déplacement horizontal d’une gravité ;

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S7714

ÉCOCONCEPTION EN ROBOTIQUE ______________________________________________________________________________________________________

Robot Delta

1 Barre reliée
au vérin

Mécanisme
de compensation
de la gravité

Figure 9 – Compensation de la gravité du robot Delta

Mv

M2 M3
M1

Figure 10 – Vue schématique et prototype de robot PAMINSA [53]

• par ricochet, utilisation de moteurs de plus faible puissance, réduction de rapports élevés. En effet, à cause de l’étage de réduc-
et donc intrinsèquement moins impactant pour l’environne- tion, les effets gravitationnels vus par les moteurs sont divisés par
ment. n, n étant le rapport de réduction. De plus, ces boîtiers de réduc-
Cependant, elles présentent également des inconvénients : tion ont des moments d’inertie élevés et les frottements y sont
importants. C’est le cas par exemple du robot Staübli TX40, pour
• ces techniques sont difficilement robustes aux variations de lequel les rapports de réduction sont compris entre 32 et 48. À la
charge ; en effet, si la charge varie, l’équilibrage est à refaire ; figure 11, les couples des moteurs des axes 2 et 3 (supportant la
• les techniques proposées conduisent généralement à une majeure partie des effets gravitationnels) sont montrés le long
augmentation de la complexité de réalisation du robot ; d’une trajectoire quelconque et comparés avec les couples simu-
• elles ne sont applicables que si les efforts liés à la gravité lés pour le robot lorsque l’on supprime les effets de gravité (la
sont prépondérants. simulation utilise un modèle dynamique dont les paramètres ont
été identifiés grâce à la procédure [55] et dont les termes de gra-
Ce dernier point est malheureusement rarement le cas, surtout vité sont virtuellement annulés). On se rend compte que l’écart
à cause de l’utilisation de motoréducteurs avec des boîtiers de

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______________________________________________________________________________________________________ ÉCOCONCEPTION EN ROBOTIQUE

Couple total Couple total


60 Effets dynamiques 30 Effets dynamiques

40
20

20
1
Couple moteur 2 (Nm)

10

Couple moteur 3 (Nm)


0
0
– 20
– 10
– 40

– 60 – 20

– 80 – 30
0 2 4 6 0 2 4 6
Temps (s) Temps (s)

a moteur 2 b moteur 3

Figure 11 – Couples moteurs (côté articulaire) et effets dynamiques pour les axes 2 et 3 du robot Staübli TX40 (pour les autres axes, les effets
de la gravité sont négligeables)

entre les couples mesurés et les effets purement inertiels est 1/ soit on déporte des actionneurs au plus près du châssis afin de
faible. Dans le meilleur des cas, ces effets inertiels ne représentent réduire l’inertie liée à leur présence sur les corps : dans ce cas,
pas plus de 50 % des couples moteurs. En moyenne, ils repré- l’actionnement est réalisé soit :
sentent plutôt 75 % des couples moteurs. Sur un tel type de robot,
annuler les effets de la gravité conduit donc à un faible gain de – par l’utilisation d’une chaîne cinématique fermée composée
consommation énergétique. d’articulations passives ; on rencontre ici deux grands types de
systèmes :
Afin de compenser non plus les effets de la gravité mais les
effets inertiels, des techniques peuvent être utilisées. Elles seront • les robots de type série dont l’un ou plusieurs axes motorisés
présentées dans la section 2.2. sont déportés (figure 12(a)) ; cette approche ne s’applique
généralement que pour l’axe 3,

2.2 Minimisation des effets inertiels • les robots parallèles (figure 12(b)) ; Le problème majeur de
ces robots réside essentiellement dans la taille restreinte de
Comme cela vient d’être vu, pour les mouvements lents, des leur espace de travail et la présence de singularités dedans ;
techniques d’équilibrage par gravité ont été proposées afin de
compenser les efforts moteur nécessaires pour déplacer les élé- – par l’utilisation de renvois par poulies, câbles ou tendons : ici
ments d’un robot et éviter ainsi de consommer de l’énergie. encore, on rencontre deux grands types de systèmes :
Même si ces méthodes ont montré leur efficacité à basse vitesse,
elles ne sont pas efficaces pour les opérations à grande vitesse où • les robots, souvent de type série, dont les axes sont modifiés,
les effets inertiels sont prépondérants. tel que cela a été fait pour certaines parties de robots huma-
noïdes [56] (figure 13(a)) ou pour des robots de télémanipu-
Dans cette section, des techniques permettant de minimiser les lation [s 7 810] ; cette première approche tend cependant à
effets inertiels générés lors du mouvement des corps du robot faire chuter la raideur globale du mécanisme,
vont être introduites.
• les robots parallèles à câbles (figure 13(b)) ; ces robots sont
surtout utilisés pour la manipulation dans les très grands
2.2.1 Allègement de la structure en mouvement espaces ;
L’allègement de la structure en mouvement est longtemps res-
2/ soit par la minimisation de la masse et de l’inertie du système
tée l’approche la plus classique permettant de minimiser la
d’actionnement qui passe par l’utilisation de systèmes de motori-
consommation d’énergie liée aux effets inertiels. L’allègement de
sation efficaces en contexte robotique, c’est-à-dire qui sont
la structure se fait soit par l’allègement :
capables de délivrer des couples importants à vitesse faible tout en
• du système de motorisation en mouvement sur le robot ; ayant une inertie apparente en rotation faible (figure 14(a)). C’est
• de la masse et de l’inertie des corps en mouvement. ce second type d’approche qui a été utilisé dans le cadre de la
conception du Kuka IIWA (figure 14(b)) pour lequel le rapport
charge sur l’effecteur/masse totale du robot est de l’ordre de 0,5
2.2.1.1 Allègement du système de motorisation contrairement à la plupart des robots sériels classiques pour les-
en mouvement sur le robot
quels ce rapport est plutôt de l’ordre de 0,1. Le souci principal de
Afin de minimiser les masses en mouvement, deux techniques cette technique est la tendance du robot à surchauffer à cause de
appliquées pour le système de motorisation sont utilisées de problèmes de ventilation intrinsèquement liés aux besoins de com-
manière classique : pacité de la motorisation.

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1

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Préhension robotique
et manipulation dextre
par Jean-Pierre GAZEAU
1
Ingénieur de recherche CNRS habilité à diriger des recherches
Institut PPRIME UPR 3346 CNRS – Université de Poitiers – ENSMA

1. Généralités S 7 765v2 - 2
1.1 Système de préhension : pour quoi faire ? — 2
1.2 Effet d’échelle — 4
2. Préhenseurs industriels et technologies associées — 6
2.1 Prise des objets — 6
2.2 Préhenseurs par adhésion — 6
2.2.1 Préhenseurs par aspiration — 6
2.2.2 Préhenseurs magnétiques — 8
2.3 Préhenseurs industriels multidigitaux — 11
2.4 Synthèse comparative des technologies de préhenseurs industriels — 14
3. Main humaine comme référence : taxonomie de prises
et prothèses de main — 16
4. Du préhenseur industriel à la main dextre : modélisation,
qualité de prise et manipulation coordonnée — 20
4.1 Pourquoi une main dextre ? — 20
4.2 Notion de dextérité — 21
4.3 Transmission du mouvement par câbles et modélisation — 22
4.4 Qualité de prise et synthèse de prise — 27
4.4.1 Modélisation et géométrie du contact : matrice de prise G — 27
4.4.2 Configuration de la main robotique :
matrices jacobiennes JM et H — 29
4.4.3 Exemples de critères de qualité exploitant
les propriétés de G et H — 29
4.5 Planification d’un mouvement de manipulation coordonnée — 31
5. Importance du cahier des charges dans le processus de choix
d’un préhenseur — 35
6. Conclusion — 37
7. Remerciements — 37
8. Sigles, notations et symboles — 37
Pour en savoir plus .......................................................................................... Doc. S 7 765v2

epuis la naissance du premier robot industriel au début des années 1960,


D la robotique s’est substituée à l’humain pour de nombreuses tâches
souvent pénibles et répétitives dans le monde de l’industrie. Pour répondre à
ces enjeux, les robots industriels se sont spécialisés. Ils ont été pensés, des-
sinés en fonction de la tâche et il en est de même des préhenseurs ou organes
terminaux qui équipent ces robots. Au début des années 1980, la tentation de
permettre au robot de disposer d’un organe terminal doté de capacités d’uni-
versalité a conduit au développement des premières mains robotiques ayant
marqué l’histoire de la préhension robotique. L’émergence de la robotique
collaborative et des cobots nécessite aujourd’hui le développement de préhen-
seurs de nouvelle génération, flexibles, dotés non seulement de capacités de
saisie adaptative, mais également de capacités de manipulation dextre.
Parution : avril 2020

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PRÉHENSION ROBOTIQUE ET MANIPULATION DEXTRE _____________________________________________________________________________________

Le modèle de la main humaine par sa richesse fonctionnelle et ses capacités


infinies constitue une référence inégalée en termes de préhension et de mani-
pulation dextre. La reproduction de ces fonctions par un système robotisé
reste l’un des problèmes les plus complexes à résoudre.
La saisie de pièces et/ou d’objets implique, en fonction de leur nature, la
mise en œuvre de systèmes mécaniques adaptés allant du préhenseur indus-

1
triel dédié à la main robotique à haut niveau de dextérité. La complexité du
préhenseur augmentera ainsi en fonction du niveau de flexibilité désiré, depuis
la saisie d’objets de formes variées jusqu’à leur manipulation à l’intérieur du
préhenseur. Pour assurer l’exploitation du préhenseur, l’intégration de cap-
teurs est nécessaire pour plusieurs raisons : la localisation des surfaces de
saisie des objets, la détermination de la configuration de la prise, le contrôle
de l’effort de saisie et, plus largement, le contrôle des actions réalisées par le
préhenseur.
La commande de ces systèmes doit permettre, à bas niveau, d’assurer, par le
pilotage des mouvements du préhenseur et par le pilotage de l’effort d’interac-
tion, la saisie des objets et le maintien d’une configuration donnée.
Pour assurer des fonctions plus complexes, telles que la manipulation d’un
objet en bout de doigt, des commandes plus sophistiquées sont mises en œuvre
permettant de planifier et contrôler le mouvement coordonné des doigts en inte-
raction avec l’objet. Cette commande coordonnée des doigts constitue déjà en
soit un exercice de collaboration entre les robots élémentaires que sont les
doigts d’un préhenseur robotisé avec un degré d’actionnement élevé.
L’interaction dynamique du cobot équipé d’un préhenseur avec l’environne-
ment et en particulier avec l’homme vient accroître cette complexité. Des
capacités d’adaptation et de perception de l’environnement doivent alors être
intégrées dans une commande de plus haut niveau apte à répondre en temps
réel ; cette commande s’appuiera en particulier sur l’apprentissage et la mise
en œuvre de stratégies de planification réactive.

1. Généralités chirurgie laparoscopique Da-Vinci d’Intuitive Surgical, le robot domes-


tique aspirateur Romba, le robot militaire d’inspection Packbot d’iRo-
bot, le robot humanoïde Asimo développé par Honda et les premiers
véhicules électriques, les premiers animaux de compagnie robots
1.1 Système de préhension : avec le robot chien Sony Aibo (figure 2).
pour quoi faire ? Ce type de robotique a ouvert de nouvelles perspectives, non
pas en se substituant à l’humain, mais en assistant l’humain.
La fonction préhension est une fonction essentielle en robo-
tique ; le préhenseur constitue en effet l’interface indispensable À l’aube des années 2010, l’un des premiers robots assistant est
entre le produit à manipuler et le robot. apparu sur la scène commerciale : le PR2 développé par Willow
À ce titre, l’évolution de la robotique a aussi guidé le dévelop- Garage. Le cobot ou robot assistant offre la caractéristique principale
pement des préhenseurs depuis la mise en œuvre du premier de pouvoir travailler de manière sûre dans un espace de travail com-
robot industriel au début des années 1960. Jusqu’au début des mun avec l’humain selon les recommandations des normes ISO
années 2000, la robotique s’est essentiellement développée dans 101218 et ISO TS 15066. Leur limitation en effort et en vitesse permet
l’industrie manufacturière, où les robots se sont largement substi- ainsi de combiner, dans une même cellule, la dextérité, la flexibilité et
tués à l’homme pour la réalisation de tâches pénibles, simples et la capacité à résoudre des problèmes de l’humain avec la force,
répétitives. Dans ce contexte manufacturier, les robots se sont l’endurance et la précision du cobot. La figure 3 présente quelques
spécialisés en fonction de la tâche à réaliser, ce qui a conduit au robots collaboratifs de référence [3]. Leur déploiement et leur mise en
développement de préhenseurs industriels spécifiques dédiés à la œuvre sont fortement conditionnés par leur flexibilité, c’est-à-dire leur
tâche visée (figure 1). capacité à interagir avec leur environnement.
Ainsi, pour un grand nombre d’applications robotisées manu- Le préhenseur est donc un organe clé dans le développement
facturières, les opérations de manipulation simples et répétitives de la robotique collaborative [4]. Pour répondre à ces enjeux de
ne requièrent pas de capacités d’adaptation et de flexibilité. flexibilité, le préhenseur doit ainsi être à même d’offrir non seule-
Au début des années 2000, avec l’apparition de la robotique de ser- ment des capacités de saisie adaptative, mais également des
vice, les robots sont sortis du cadre manufacturier pour s’étendre à de capacités de manipulation à l’intérieur de la main.
nombreux autres secteurs : la robotique militaire, la robotique médi-
cale, la robotique scientifique, la robotique domestique et aujourd’hui
On définit la flexibilité comme la capacité du préhenseur à
la robotique du transport avec l’émergence des drones et des véhi-
s’adapter à une variété de tâches.
cules autonomes. Sont ainsi apparus, à titre d’exemple, le robot de

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_____________________________________________________________________________________ PRÉHENSION ROBOTIQUE ET MANIPULATION DEXTRE

Figure 1 – Préhenseurs industriels spécifiques à la tâche : a) préhenseur multilot pour la saisie de moules – b) saisie de colis pour la palettisation
– c) manipulation de morceaux de viande

d e

Figure 2 – Robotique de service : a) robot médical DaVinci (Intuitive Surgical) d’assistance à l’intervention chirurgicale – b) robot aspirateur
domestique Romba – c) robot militaire d’assistance et de surveillance Packbot d’iRobot – d) robot humanoïde Asimo de Honda (3e version) –
e) robot compagnon chien Sony Aibo

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PRÉHENSION ROBOTIQUE ET MANIPULATION DEXTRE _____________________________________________________________________________________

PR2 (Willow Garage) Justin (DLR) Liwa (Kuka)

Baxter (Rethink Robotics) Yumi (ABB) UR5 (Universal Robot)

Figure 3 – Robots collaboratifs

Le préhenseur, en tant qu’effecteur ou organe terminal du Différentes échelles relatives à la taille de l’objet peuvent ainsi
robot, est non seulement un élément essentiel d’interfaçage dans être considérées :
le macromonde, c’est-à-dire le monde physique visible qui nous • l’échelle macroscopique ou « macromonde » : le poids de
entoure, mais également dans le micromonde, où les besoins de l’objet, sa géométrie et l’espace de travail imposent des condi-
saisie et de manipulation d’objets de dimension microscopique tions pour la manipulation avec un préhenseur multidigital ;
sont tout aussi importants.
• les échelles microscopique et nanoscopique ou « micro-
monde » : la prépondérance des effets surfaciques par rap-
port aux forces volumiques, les incertitudes liées aux limites
1.2 Effet d’échelle de la perception, ainsi que les rapports signal sur bruit très
Le développement de préhenseurs efficaces requiert la prise en défavorables engendrent des complexités nouvelles. Pour ces
compte des caractéristiques physiques des objets manipulés et, échelles, il existe de nombreuses applications industrielles
en particulier, leurs dimensions. Les interactions préhenseur-objet destinées à assembler des éléments submillimétriques, dont
dépendent fortement de la taille des objets considérés. À l’échelle les dimensions peuvent varier couramment entre 5 et
macroscopique, ces interactions dépendent principalement des 500 μm, comme illustré sur la figure 5 [5]. La manipulation de
forces volumiques et des effets inertiels. ces composants devient alors éminemment complexe, dans
la mesure où la gravité devenant négligeable en regard des
Pour des objets de dimensions submillimétriques [S 7 712] forces d’adhésion, la dépose d’un objet ne se fait plus de
[S 7 777], la prédominance des forces surfaciques (forces d’adhé- manière automatique. La manipulation par adhésion n’étant
sion) sur les effets volumiques induit des problématiques très dif- pas réversible, il est nécessaire de développer des stratégies
férentes. Ces différences, illustrées sur la figure 4, sont connues afin de pouvoir rompre le contact avec le préhenseur et dépo-
sous le nom d’« effet d’échelle ». ser le composant.

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Sphère de 1 cm de rayon Sphère de 1 mm de rayon

Pour un rapport de rayons de 10, le rapport des surfaces est de 100 tandis que le rapport des volumes est de 1 000. À l’échelle
macroscopique, les interactions volumiques sont prépondérantes par rapport aux forces surfaciques. Cette situation s’inverse
aux échelles microscopique et nanoscopique.

Figure 4 – Illustration de l’effet d’échelle

Figure 5 – Exemples de microcomposants : a) grains de pollen, b) bille d’un palpeur de mesure (Ø 120 μm), c) composants micromécaniques :
pignons en polymère (source : Mimotec), d) composants horlogers (calibre 160 Ulysse Nardin)

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2. Préhenseurs industriels La force de saisie est ainsi produite par un élément de succion
assurant un contact étanche avec l’objet, en créant une pression
et technologies associées négative à l’intérieur d’une cavité de préhension comme celle
montrée sur la figure 7a. Le préhenseur peut être composé, en
fonction de la dimension du produit, de sa nature et de sa forme,
2.1 Prise des objets de plusieurs ventouses pour répartir la charge et éviter d’abîmer
le produit manipulé.
La prise d’un objet définit la configuration des éléments maté- Pour un élément de succion, la force initiale de saisie F (expri-

1 riels qui concourent à la saisie de l’objet et les efforts qu’ils déve-


loppent sur l’objet. Pour saisir un objet, on distinguera d’une part,
les préhenseurs impliquant un contact avec l’objet, et d’autre part
mée en N) sur un objet avec une surface en contact A (exprimée
en m2) est ainsi donnée par la relation :
les préhenseurs sans contact. (1)
Dans le cas d’un contact mécanique avec l’objet à manipuler,
deux principes physiques différents peuvent être exploités pour où Pa – Pv représente la dépression ou pression différentielle
produire les efforts de saisie nécessaires (figure 6) : l’adhésion (exprimée en Pa) entre la pression atmosphérique (dépendante de
d’une part, et la mécanique du contact objet/préhenseur d’autre l’altitude) et la pression de travail exprimée en pression relative
part. Ces éléments de contact sont, selon les cas, ponctuels, négative.
linéiques ou surfaciques. Ils peuvent développer des forces de sai-
sie unilatérales (forces d’adhésion) ou bilatérales (forces de Pour générer le vide, une solution technologique pour créer cette
contact). La définition de la prise constitue une spécification fonc- dépression s’appuie sur l’effet Venturi ; l’air comprimé permet en
tionnelle importante dans la conception ou dans le choix d’un pré- effet de produire le vide de manière plus économique qu’une
henseur. Le choix d’un préhenseur dépend ainsi des propriétés pompe à vide à pistons ou centrifuge en utilisant des composants
intrinsèques de l’objet (sa géométrie, ses dimensions, son com- compacts appelés éjecteurs (figure 7b). Le principe consiste à injec-
portement mécanique, les caractéristiques physiques et fonction- ter de l’air comprimé dans une buse conique qui augmente la
nelles des surfaces de l’objet) et aussi de l’encombrement de vitesse du flux et qui crée une dépression statique dans la zone
l’environnement de saisie et de dépose des objets, ainsi que des d’aspiration. L’air comprimé d’alimentation et celui aspiré sont
spécificités de la manipulation des objets. convoyés vers l’échappement. Le vide produit avec cette techno-
logie peut varier entre 10 % (–0,101 bar) et 90 % ( –0,912 bar).
Si l’on s’intéresse aux préhenseurs sans contact, la saisie peut
être assurée par des techniques de lévitation magnétique, optique, Pour un vide supérieur à 90 %, il est préférable d’utiliser un
aérodynamique ou acoustique [6]. Ces techniques sont particulière- générateur de vide adapté qui livre une dépression plus élevée
ment exploitées dans le « micromonde » en micromanipulation. avec un débit d’aspiration moins important. Dans une machine
Dans le présent article, on se focalisera sur les technologies de pré- automatisée, l’aspiration du vide est souvent effectuée sur une
henseurs les plus répandues exploitées dans le « macromonde » à courte période ; ainsi, les générateurs de vide à effet Venturi sont
des fins industrielles. généralement plus avantageux par rapport à l’utilisation d’une
pompe à vide du point de vue de la compacité, de la mainte-
nance, du coût et de la capacité de vide élevée pour un débit d’air
faible.
2.2 Préhenseurs par adhésion
Pour le choix d’un système de vide, trois paramètres sont à
considérer : la dépression demandée, le débit d’aspiration
2.2.1 Préhenseurs par aspiration demandé, la consommation d’air comprimé. Les caractéristiques
Ces préhenseurs sont particulièrement utilisés pour les opéra- du générateur de vide sont fournies par le fabricant comme le
tions de manutention, de « pick and place » et de palettisation. Ils montre la figure 8a.
utilisent un vide industriel pour aspirer les produits, les cartons, À titre d’exemple, les graphiques de la figure 8a fournissent le
papiers, emballages à manipuler. comportement d’un générateur de vide pour vide faible avec un dia-

a Préhenseurs multidigitaux b Préhenseurs par adhésion (pneumatique, magnétique, média adhésif)

Figure 6 – Deux familles principales de préhenseurs avec contact [6]

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Ventouse

Vers le silencieux

1
débouchant

Air comprimé

a b

Figure 7 – a) Préhenseur par aspiration (source : Schmalz) – b) Générateur de vide pneumatique – Éjecteur standard (source : Festo)

100 60
90 55
Suction rate qns [l/min]

80 50
70 45
Vacuum [%]

60 40
50 35 8
40 30
25
30
20
20 600 –125–3/8
15
10 Theoretical suction force [N]
0
0 0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 500
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Operating pressure p1 [bar]
Operating pressure p1 [bar] 400 –105–1/4

300
Air consumption in relation to operating pressure
200 –75–1/4
50
Air consumption qn [l/min]

45 –55–1/4
100
40 8 –40–1/4
35 –30–1/8
0
30
2 0 –0,1 –0,3 –0,5 –0,7
25
20 Vacuum Pu [bar]
15
10
5
0
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9
Operating pressure p1 [bar]

b
a

Figure 8 – a) Choix d’un générateur de vide – b) Choix d’une ventouse (source : Festo – Générateur type VN-07)

mètre de passage du Venturi de 0,7 mm. Pour ce générateur, on l’on souhaite maintenir une masse de 4 kg à l’aide d’une
note qu’une pression d’alimentation de 4 bars (0,4 MPa), soit 40 % ventouse, on a théoriquement besoin pour cela d’une force d’aspi-
de vide, sera développée. Le débit d’aspiration sous 4 bars (0,4 MPa) ration d’environ 40 N. La ventouse avec un diamètre de 40 mm
est de 35 l/min et la consommation est d’environ 20 l/min. (40-1/4) répond à cette contrainte en développant une force d’aspi-
ration théorique de 50 N.
Ensuite pour déterminer la force d’aspiration d’une ventouse,
on s’appuiera sur l’utilisation de graphiques donnant cette force Un autre effet intéressant est exploité en préhension robotique :
théorique en fonction du diamètre de la ventouse et de la dépres- il s’agit de l’effet Bernoulli. Cet effet permet de générer une aspira-
sion (figure 8b). À titre d’exemple, en exploitant ce graphique, si tion de l’objet et une saisie par surpression. L’effet considéré

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Alimentation
air comprimé

1 Flux d’air
Echappement
Vide Flux d’air
Echappement

Figure 9 – Ventouse de Bernoulli – Principe de fonctionnement (sources : Festo et Novacom)

a b

Figure 10 – a) Préhenseur universel (source : Empire Robotics) – b) Préhenseur souple (source : Soft Robotics)

repose sur le fait qu’un écoulement rapide d’un fluide le long d’un (figure 11a) par levier ou manette et utilisent un dispositif méca-
corps produit une dépression localement ; l’objet est alors non pas nique permettant d’inverser le flux magnétique afin de saisir ou
repoussé, mais aspiré en dépit du fait que l’air soit soufflé en direc- relâcher l’objet ferreux. Deux aimants diamétralement polarisés
tion de la pièce à saisir (figure 9). Il en résulte un infime interstice sont mis en œuvre : le premier sur la partie supérieure est en rota-
entre la ventouse et la pièce ; la saisie est donc une saisie sans tion par rapport au second qui est fixe. L’aimant supérieur effectue
contact. Une ventouse à effet Bernoulli est ainsi particulièrement une rotation de 180° pour aligner les pôles des deux aimants et
adaptée à la saisie d’objets fragiles (plaquettes de silicium, par générer ainsi un champ magnétique extérieur puissant. En effec-
exemple) ou à la saisie d’objets à surface poreuse ou irrégulière, tuant la rotation de 180° en sens inverse, les pôles sont en opposi-
ce que ne peuvent pas réaliser les ventouses à dépression. tion et le champ recircule entre les deux aimants en interne, ce qui
annule le champ magnétique extérieur.
On peut également citer deux préhenseurs originaux dotés de
capacités de saisie adaptative exploitant l’aspiration. Le premier – Les préhenseurs à aimants permanents à commutation élec-
préhenseur de cette catégorie est un préhenseur qui s’adapte à la trique : lorsque la commutation est électrique, on obtient un
forme de l’objet en compressant par aspiration une poche souple aimant permanent piloté. Dans ce cas, deux configurations existent
en élastomère remplie de matériaux granulaires (figure 10a). Le pour piloter la saisie électriquement (figure 11b). Pour la première
point fort de cette technologie réside dans sa conception simple à configuration dite monostable, le levage est réalisé par un aimant
bas coût ; pour autant, la technologie ne permet pas de contrôler permanent et la libération se fait par un électro-aimant qui neutra-
avec précision la dépose, et n’offre pas de détection de prise inté- lise le champ magnétique permanent. Pour la seconde configura-
grée. Le second préhenseur est un préhenseur souple dont les tion dite bistable, un signal électrique détourne deux aimants
tentacules qui le constituent peuvent être contractées par aspira- permanents l’un de l’autre, ce qui engendre un champ magné-
tion (figure 10b). tique, ou au contraire, une annulation mutuelle.
– Les préhenseurs à aimants permanents à commutation pneu-
2.2.2 Préhenseurs magnétiques matique : dans ce cas, l’aimant (figure 11c) est déplacé dans un
logement interne au moyen d’air comprimé, de sorte qu’en posi-
Les préhenseurs magnétiques générant une force de préhen- tion d’arrêt, aucun magnétisme n’est présent à l’extérieur et en
sion pour objets ferreux uniquement se déclinent en deux catégo- position de marche, le champ magnétique de l’aimant est présent
ries distinctes : à l’extérieur.
1/ Les préhenseurs à aimants permanents qui se déclinent en trois Ces trois catégories de préhenseurs offrent l’avantage de
sous-catégories : conserver leurs propriétés magnétiques indéfiniment. Une dété-
– Les préhenseurs à aimants permanents à commutation rioration du champ magnétique est possible en situation de haute
manuelle : ces préhenseurs sont actionnés manuellement température si le point de Curie du matériau magnétique consi-

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D5341

Actionneurs électromécaniques
pour la robotique et le positionnement
Fondamentaux et structures de base 1

par Bertrand NOGAREDE


Professeur des Universités à l’Institut Polytechnique de Toulouse INPT/École nationale
Supérieure d’électrotechnique, d’électronique,
d’informatique, d’hydraulique et des télécommunications ENSEEIHT
Carole HENAUX
Maître de Conférence à l’Institut Polytechnique de Toulouse INPT/École nationale
Supérieure d’électrotechnique, d’électronique,
d’informatique, d’hydraulique et des télécommunications ENSEEIHT
et Jean-François ROUCHON
Maître de Conférence à l’Institut Polytechnique de Toulouse INPT/École nationale
Supérieure d’électrotechnique, d’électronique,
d’informatique, d’hydraulique et des télécommunications ENSEEIHT

1. Conversion électromécanique de l’énergie ...................................... D 5 341 - 2


1.1 Actionneur dans les systèmes électromécaniques :
point de vue fonctionnel.............................................................................. — 2
1.2 Procédés élémentaires de conversion ....................................................... — 2
1.3 Bilan comparatif des différents procédés exploitables............................. — 6
2. Structures opérationnelles d’actionneurs linéaires ou rotatifs .. — 6
2.1 Actionneurs à effets électromagnétiques .................................................. — 6
2.2 Piézoactionneurs et piézomoteurs.............................................................. — 12
2.3 Actionneurs à plusieurs degrés de liberté ................................................. — 17
Parution : novembre 2008 - Dernière validation : février 2015

2.4 Dispositifs à constantes motrices réparties ............................................... — 19


Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. D 5 341

u’il s’agisse de convertir l’énergie du mouvement en électricité ou récipro-


Q quement d’effectuer une action mécanique à partir d’une source
électrique, les machines et actionneurs électromécaniques constituent un
vecteur de développement technologique désormais incontournable. Des
commandes de vol électriques aux microsystèmes, les fonctionnalités
multiples du « tout électrique » se déclinent selon une grande variété de
concepts et de structures. En outre, l’émergence de matériaux « électroactifs »,
doués de propriétés et de fonctionnalités inédites, constitue une puissante
motivation pour envisager les futurs défis qui se profilent dans des secteurs
aussi variés que l’aéronautique ou la médecine.
Le présent dossier propose un tour d’horizon des concepts et technologies
de base utilisées dans le domaine des actionneurs électromécaniques.

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ACTIONNEURS ÉLECTROMÉCANIQUES POUR LA ROBOTIQUE ET LE POSITIONNEMENT ___________________________________________________________

La première partie est consacrée à l’analyse des phénomènes et procédés


physiques élémentaires susceptibles de réaliser la conversion d’énergie
recherchée [D 3 410], [D 3 411].
La deuxième partie [D 5 342] décrit les principales familles d’actionneurs qui
en découlent. Le cas des structures à effets électromagnétiques [D 3 720] et
celui des actionneurs et systèmes à base de matériaux électroactifs [D 3 765]

1 sont tour à tour considérés. L’analyse proposée permet ainsi de dégager les
propriétés intrinsèques caractérisant les différentes technologies en présence.

1. Conversion demeure pas moins qu’une grande variété de phénomènes physi-


ques sont a priori susceptibles de concourir à une telle transforma-
électromécanique tion de l’énergie. Ainsi, ouvrant la voie à de nouveaux concepts de
machines et d’actionneurs électromécaniques, les progrès récem-
de l’énergie ment accomplis dans le domaine des matériaux « électroactifs »
(céramiques et polymères piézoélectriques, alliages à mémoire de
forme...), donnent lieu aujourd’hui à des développements technolo-
giques relativement prometteurs en matière de microsystèmes
1.1 Actionneur dans les systèmes (figure 2), d’équipements embarqués pour l’aéronautique et l’espace,
électromécaniques : de prothèse et orthèse motorisées dans le secteur médical...
point de vue fonctionnel
1.2.1 Couplage électromécanique global
Constituant un des maillons principaux du système dans lequel ou couplage local
il s’intègre, l’actionneur électromécanique réalise la conversion
d’énergie nécessaire à l’accomplissement d’une action mécanique Deux grandes classes de phénomènes physiques assurant un
à partir d’une source d’énergie électrique primaire. Cette action peut couplage énergétique entre les systèmes électriques et méca-
revêtir un grand nombre de formes possibles depuis le déplacement niques peuvent être distinguées :
élémentaire et unidimensionnel d’un corps mobile (actionneur de
– les processus d’interaction monovalents résultent d’une
type électroaimant, par exemple), jusqu’au contrôle multidimen-
dépendance macroscopique de l’énergie stockée dans le système,
sionnel d’un mouvement complexe impliquant la gestion simul-
sous forme purement électromagnétique, vis-à-vis d’un paramètre
tanée de plusieurs degrés de liberté (actionneur rotoïde pour
de configuration électromécanique à caractère global (ouverture
prothèse médicale, par exemple). À cette fin, l’actionneur électro-
d’un entrefer, décalage angulaire entre deux pôles...) (tableau de la
mécanique est généralement associé à un organe capteur (position,
figure 3). Tel est le cas des interactions s’exerçant entre des corps
vitesse, force...). Les informations disponibles peuvent alors être
électriquement ou magnétiquement polarisés qui, sous l’effet de
traitées par un moyen de contrôle électronique approprié, en vue
forces d’origine électrostatique ou magnétique, tendent spontané-
d’élaborer les signaux de commande transmis à l’actionneur pour
ment à se positionner dans une configuration minimisant leur
assurer la consigne imposée par un opérateur extérieur.
énergie potentielle (§ 1.2.2) ;
Les moyens électroniques mis en jeu se décomposent générale- – contrairement au cas précédent, la classe des processus d’inte-
ment en deux sous-ensembles principaux : raction divalents résulte d’une interdépendance des grandeurs
– un convertisseur d’alimentation réalisant la mise en forme des locales caractérisant les propriétés élastiques de la matière et son
signaux de puissance appliqués sur les entrées électriques de état électrique ou magnétique (tableau de la figure 4). Ainsi, les
l’actionneur ; phénomènes de couplage de type électro-élastique (piézoélectri-
– un module de commande traitant l’ensemble des informations cité, électrostriction) ou magnéto-élastique (magnétostriction, pié-
disponibles en vue de synthétiser les ordres transmis aux étages zomagnétisme) offrent respectivement la possibilité de produire
de puissance. une déformation au sein d’un corps électriquement ou magnéti-
quement polarisé. À noter que ces phénomènes se manifestent
également au travers d’effets réciproques conduisant à une polari-
À titre d’illustration, on peut considérer le système employé à bord sation électrique ou magnétique de la matière sous l’effet d’une
des aéronefs de nouvelle génération pour les commandes de vol contrainte mécanique (§ 1.2.3).
(tableau de la figure 1) [1]. Initialement mus au moyen de systèmes
mécanique ou hydrauliques, les gouvernes (aileron, spoiler...) font de
plus en plus appel à la technologie des actionneurs électriques pour 1.2.2 Interaction par effets électromagnétiques
retranscrire les ordres du pilote ou du calculateur de vol.
Les procédés les plus couramment utilisés pour la conversion
électromécanique de l’énergie résultent de manière générale de
1.2 Procédés élémentaires de conversion l’interaction de sources magnétiques (corps magnétiquement pola-
risés, circuits parcourus par des courants) couplées à distance
Dès l’apparition des premières machines électriques opérationnel- dans le champ électromagnétique. Les machines et actionneurs
les au milieu du XIXe siècle, les principes utilisés en conversion élec- qui en résultent fonctionnent ainsi grâce aux actions électrodyna-
tromécanique de l’énergie se sont focalisés sur l’exploitation des miques s’exerçant entre des systèmes d’aimants et de courants
actions électrodynamiques réciproques s’exerçant entre des corps supportés par les parties fixes et mobiles du convertisseur. Dans le
aimantés et des circuits parcourus par des courants [2]. Il n’en cadre d’une interaction opérée en régime statique, ces actions

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Système mécanique intégral 1

Système hydromécanique

Transmission signal électrique

a b

a actionneur hydraulique

b actionneur électrohydraulique
Capteur Calculateur Servocommande
Puissance hydraulique

Système FBW

Le système FMW (Fly by wire) est le système de commande de vol hydraulique/électrique équipant l’airbus A 380
(source Airbus département Commandes de vol)

Figure 1 – Évolution des systèmes de commande de vol employées en aéronautique

Micropompe médicale à base d’actionneur piezoélectrique


Roue de Barlow (1822) Moteur électromagnétique discoïdal
http://www.thinxss.com
http://www.parvex.com

Figure 2 – Des premières expérimentations aux concepts avancés de l’électromécanique : plus de 150 ans d’histoire

correspondent notamment aux forces de Laplace subies par un cir- celui d’un conducteur mobile se déplaçant dans un champ fixe
cuit de courants plongé dans un champ magnétique fixe. En (effet exploité dans les générateurs électrodynamiques).
régime dynamique, l’effet réciproque conduit à la création d’un Donnant lieu à des applications relativement spécifiques telles
courant induit au sein d’un conducteur soumis à un champ varia- que les générateurs à très haute tension (plusieurs GV), il est
ble. Ce phénomène d’induction électromagnétique concerne ainsi également possible d’exploiter un couplage utilisant la compo-
indifféremment le cas d’une bobine fixe plongée dans un champ sante électrique du champ (effets électrostatiques) grâce aux
d’intensité variable (effet exploité dans les transformateurs) ou actions réciproques subies par des corps électriquement chargés

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x
Couplage électrique
Effet direct : actions mécaniques
subies par des diélectriques
polarisés et/ou des qc2
conducteurs chargés
Effet inverse : variation de charge qc1

1
ou de potentiel résultant
du déplacement des sources
de champ

qc charge électrique

Couplage « magnétique »
Effet direct : actions mécaniques
subies par des corps aimantés
et/ou des conducteurs
parcourus par des courants
Effet inverse : force électromotrice
induite par le mouvement
relatif des sources de champ
i1

i2

Figure 3 – Interaction monovalente

Type d’interaction et effets associés Exemple de base

Couplage électro-élastique
Effet direct : déformation d’un diélectrique
soumis à un champ électrique qc
(effet piézoélectrique inverse) x

Effet inverse : polarisation d’un diélectrique


soumis à une contrainte mécanique
(effet piézoélectrique direct)

Couplage « magnéto-élastique »
Effet direct : déformation d’un corps aimanté
x
soumis à un champ magnétique
(effet piézomagnétique inverse)

Effet inverse : aimantation d’un corps


magnétique soumis à une contrainte mécanique
(effet piézomagnétique direct)

Figure 4 – Interaction divalente

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Retenons ici simplement que, même dans le cas de maté-


riaux performants, les déformations engendrées par effet de
couplage électro- ou magnéto-élastique sont relativement
faibles. Ainsi, sous un champ de 1 MV · m–1, la déformation
(relative) observée dans une céramique PZT de composition
standard est de l’ordre de 500 ppm (partie par million) en
régime quasi-statique. On observe des déformations du même

1
ordre dans les alliages magnétostrictifs à base de terres rares
tels que le Terfenol-D. En revanche, les contraintes dévelop-
pées par effets piézoélectriques ou magnétostrictifs atteignent
couramment plusieurs dizaines de MPa, dépassant ainsi de plu-
sieurs ordres de grandeur les pressions exploitées dans les
convertisseurs à effets électromagnétiques.
Figure 5 – Microactionneur électrostatique, microturbine à gaz
(société Silmach)
1.2.4 Couplages électro-thermo-élastiques :
alliages à mémoire de forme
ou polarisés. Si ces effets se révèlent généralement peu perfor-
mants comparés au couplage magnétique, ils trouvent néanmoins Certains alliages métalliques tels que les composés de type NiTi,
à l’échelle micrométrique des applications très prometteuses dans CuZnAl ou CuAlNi présentent des propriétés thermoélastiques
le domaine des microsystèmes (figure 5). remarquables qui permettent de contrôler leur état de défor-
mation, dans des proportions relativement importantes (plus de
50 000 ppm pour certains composés) par simple variation de la
température. La déformation obtenue résulte d’une transition de
À noter que l’intensité des forces d’origine magnétique phase solide de type martensitique-austénitique. Le corps est alors
engendrées à l’interface (entrefer) séparant les parties fixes et capable de recouvrer à chaud sa forme initiale préalablement
mobiles d’un convertisseur électromagnétique varie en raison modifiée à froid, d’où le nom d’alliage à mémoire de forme. Si les
du carré de l’intensité du champ produit. Ainsi sous 1 T, la contraintes développées durant la phase de chauffage peuvent
force surfacique disponible est au maximum de 0,4 MPa. atteindre des valeurs très élevées (de l’ordre de 100 MPa), les
Cette force, qui peut paraître relativement faible comparée temps de réponse (constante de temps thermique) sont par
aux pressions couramment exploitées en hydraulique (de principe relativement faibles (de l’ordre de 0,1 à 1 s pour des
10 à 35 MPa), est en revanche près de 105 fois plus élevée dispositifs de dimensions millimétriques). Le contrôle électrique de
que la force d’origine électrostatique générée sous un champ la température (par effet Joule) au moyen d’un courant circulant
électrique de 1 MV · m–1. directement dans le matériau permet de disposer d’un actionneur
relativement compact. L’effet peut être exploité selon diverses
géométries, donnant lieu à des actionneurs linéaires ou rotatifs
1.2.3 Couplages électro-magnéto-élastiques : utilisés notamment en robotique (préhenseur, robot d’inspection).
piézoélectricité, magnétostriction
1.2.5 Interaction électromécanique
Sous l’effet d’un couplage des propriétés diélectriques, magné- dans les fluides
tiques et élastiques de la matière, la déformation d’un corps et son
état de polarisation électromagnétique peuvent se trouver en Outre les processus exploitant les actions dynamiques engendrées
étroite dépendance. Rattachés à la classe des processus d’inter- par le champ électromagnétique sur des corps solides, déformables
action divalente (§ 1.2.1), les effets de ce couplage électro- ou ou indéformables, il est également possible de tirer profit des forces
magnéto-élastique sont directement exploitables en conversion électrodynamiques s’exerçant au sein de certains fluides.
d’énergie. Une première classe de processus concerne ainsi les couplages
magnétohydrodynamiques prenant naissance dans des fluides
Étudié dès la fin du XIXe siècle par les frères Curie, le phéno- conducteurs soumis à la variation d’un champ magnétique. Les
mène de couplage électroélastique linéaire connu sous le nom de courants induits qui en résultent sont à même de modifier les
piézoélectricité est observé dans certains cristaux naturels tel que caractéristiques de l’écoulement [3].
le quartz (SiO2) ou dans des composés synthétiques comme les
céramiques ferroélectriques de type PZT (Pb(Zr-Ti)O3). Il se mani- Une application directe de tels effets concerne le brassage des
feste au travers de deux effets réciproques conduisant à (figure 4) : coulées dans le domaine de la métallurgie. Appliqués au domaine
– la polarisation électrique du corps sous l’action d’une naval, ce procédé peut être utilisé pour propulser un navire sans tur-
contrainte mécanique d’origine extérieure (effet piézoélectrique bine grâce aux forces générées dans l’eau de mer sous l’action
direct) ; combinée d’un courant électrique et d’un champ magnétique.
– la déformation mécanique de ce même corps lorsqu’il est Remarquons qu’une difficulté majeure repose sur la production
soumis à un champ électrique (effet piézoélectrique inverse). de champs et de courants d’intensité significative, au sein de
Constituant le pendant magnétique des effets de couplage milieux dont les propriétés de perméabilité et de conductivité
précédemment décrits, le phénomène non linéaire de magné- restent souvent limitées. Pour cette raison, la mise en jeu
tostriction conduit à l’allongement d’un barreau de fer soumis à d’aimants supraconducteurs s’avère le plus souvent nécessaire.
un champ magnétique longitudinal (figure 4). Un effet de striction Une autre famille de processus utilise la possibilité de moduler
est conjointement obtenu dans les directions transversales (effet la viscosité d’un fluide elle-même à l’aide du champ électro-
Joule transversal). Réciproquement, le barreau s’aimante sous magnétique dans lequel il est plongé. Tel est le cas des liquides
l’effet d’une déformation longitudinale (effet Villari). Ce phéno- électro- ou magnétorhéologiques. Ce type de comportement est
mène peut également se manifester, suivant la géométrie obtenu à l’aide de suspensions non colloïdales à base de poudres
considérée, au travers d’autres modes de couplage donnant lieu à grains micrométriques dotées de propriétés diélectriques (fluides
notamment à des effets de flexion (effet Guillemin) ou de torsion électrorhéologiques) ou ferromagnétiques (fluides magnéto-rhéo-
(effet Wiedemann). logiques). Dans ce deuxième cas, la viscosité apparente du fluide

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Actionneurs électromécaniques pour


la robotique et le positionnement
Conception, alimentation et commande 1

par Bertrand NOGAREDE


Professeur des Universités à l’Institut polytechnique de Toulouse INPT/École nationale
supérieure d’électrotechnique, d’électronique, d’informatique, d’hydraulique
et des télécommunications ENSEEIHT
Carole HÉNAUX
Maître de Conférence à l’Institut polytechnique de Toulouse INPT/École nationale
supérieure d’électrotechnique, d’électronique, d’informatique, d’hydraulique
et des télécommunications ENSEEIHT
et Jean-François ROUCHON
Maître de Conférence à l’Institut polytechnique de Toulouse INPT/École nationale
supérieure d’électrotechnique, d’électronique, d’informatique, d’hydraulique
et des télécommunications ENSEEIHT

1. Éléments de conception ......................................................................... D 5 342 - 2


1.1 Principes du dimensionnement électromécanique................................... — 2
1.2 Prise en compte des contraintes mécaniques et thermiques .................. — 2
1.3 Du cahier des charges à la solution optimisée : méthodologie
de conception ............................................................................................... — 3
2. Stratégie d’alimentation et de commande........................................ — 4
2.1 Modélisation des actionneurs électromécaniques.................................... — 4
2.2 Structures d’alimentation électronique...................................................... — 4
2.3 Stratégies de commande ............................................................................ — 11
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. D 5 342

a technologie des actionneurs électromécaniques repose sur l’exploitation


L de procédés physiques relativement variés. Si les effets électrodynamiques,
fondés sur l’interaction de champs et de sources électromagnétiques, donnent
Parution : février 2009 - Dernière validation : février 2015

lieu aux solutions les plus classiquement employées pour produire un effort ou
un mouvement à partir d’une source d’énergie électrique, l’idée d’utiliser les
déformations produites au sein de certains types de matériaux, dits électroac-
tifs, constitue une alternative de plus en plus crédible, notamment dans le cas
d’actions électromécaniques distribuées (structure intelligente).
Sur la base de la classification des procédés et structures exposée dans le
dossier précédent [D 5 341], le présent dossier précise les conditions de mise
en œuvre des solutions techniques correspondantes.
Les éléments de conception et de dimensionnement de l’actionneur font
l’objet de la première partie. Les techniques d’alimentation électronique
employées pour le pilotage des différentes structures à armature inductive ou
capacitive sont ensuite examinées. Enfin, les lois de commande permettant le
contrôle de l’actionneur selon différentes stratégies (commande en position
vitesse ou en effort) font l’objet de la dernière partie (cf. dossiers sur les
machines asynchrones [D 3 620] [D 3 622] et [D 3 623]).

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ACTIONNEURS ÉLECTROMÉCANIQUES POUR LA ROBOTIQUE ET LE POSITIONNEMENT ___________________________________________________________

1. Éléments de conception Conformément à la classification qui veut que l’on sépare les
structures résonantes des structures quasistatiques, les éléments
de conception associés aux moteurs piézoélectriques suivent logi-
1.1 Principes du dimensionnement quement cette différenciation.
électromécanique
1.2 Prise en compte des contraintes
De manière générale, le déroulement du processus de mécaniques et thermiques
1
conception d’un actionneur électromécanique s’articule autour
des trois préoccupations incontournables que constituent : 1.2.1 Cas des machines électromagnétiques
– la formulation du cahier des charges traduisant le besoin sur le
plan électromécanique ; Dans la conception des machines électromagnétiques, la prise
– la définition d’un concept répondant à ce besoin ; en compte des contraintes mécaniques et thermiques reste une
– enfin, la détermination des caractéristiques physiques de étape primordiale car elle conditionne non seulement la
l’objet recherché. configuration de la structure envisagée mais aussi son cycle de
fonctionnement et sa durée de vie.
Quoique bien souvent négligée, l’étape de définition du cahier
des charges constitue une clé décisive dans la recherche d’une solu- Ainsi si l’on considère les aspects thermiques, le dimensionne-
tion optimisée vis-à-vis d’un besoin fonctionnel donné. Cette tâche ment de la machine qui passe par le choix combiné d’une charge
est d’autant plus délicate que les conditions de service des disposi- linéique et d’une densité de courant volumique reste majoritaire-
tifs considérés sont de plus en plus complexes (fonctionnement en ment tributaire du système de dissipation des pertes et de l’envi-
régime fortement variable, prise en compte de contraintes sécuri- ronnement dans lequel la machine doit fonctionner
taires...). Il s’agit à ce stade de définir précisément un ensemble de (environnement confiné ou ventilé). En effet, en première approxi-
contraintes et de critères dimensionnants tels que la caractéristique mation, le produit de ces deux variables donne une image de
effort-vitesse, les conditions d’environnement thermiques... l’échauffement moyen généré au sein de la machine par les pertes
Une fois le besoin formulé, il s’agit de définir le concept Joule. Le tableau 1 résume à ce titre de façon non exhaustive, les
d’actionneur servant de base à la synthèse de la solution soit par valeurs de charge linéique et de densité de courant usuellement
sélection au sein d’un panel de solutions traditionnelles, soit au exploitées en fonction du mode de refroidissement envisageable.
travers d’une démarche innovante. Compte tenu de l’éventail des Exemple
concepts potentiellement pertinents, une phase comparative,
généralement fondée sur un prédimensionnement par voie analy- À titre d’illustration, on peut citer l’exemple suivant des moteurs
tique des structures préselectionnées, est souvent nécessaire. industriels asynchrone à cage d’écureuil de petite et moyenne
puissances distribués par la société Intradeq et dont la puissance utile
À l’aide des modèles disponibles pour caractériser finement la P u dépend de la température ambiante.
structure retenue, il s’agit enfin de procéder à la détermination
précise des caractéristiques physiques définissant la solution au Ainsi, à puissance nominale P n donnée pour une température
problème posé (dimensions, choix des matériaux, forme d’onde ambiante de 40 oC, la puissance utile est paramétrée en fonction de
d’alimentation...) et les spécifications visées (efforts nominaux, la température comme suit :
contraintes géométriques). Pu = k t Pn
À l’issue de l’étape de dimensionnement, la solution obtenue avec k t = 1 pour T = 40 oC et k t = 0,76 pour T = 60 oC.
doit enfin être validée et affinée en prenant en compte des aspects
avancés négligés lors des étapes précédentes (phénomènes vibra-
toires, etc.). Faisant généralement appel à la réalisation d’un proto- Les matériaux constitutifs constituent naturellement une limita-
type, cette étape s’appuie de plus en plus sur les ressources tion thermique avec leur température de fonctionnement maxi-
qu’offrent la simulation numérique (prototypage virtuel). male intrinsèque. Si les matériaux de bobinage ainsi que les
matériaux constituant le circuit de guidage de flux (tôles ferroma-
gnétiques, ferrite) offrent par classe distinctive (délimitée par les
Soulignons qu’une des difficultés majeures du problème températures de fonctionnement) une large marge de manœuvre,
méthodologique associé à la conception d’un convertisseur des matériaux plus spécifiques tels que les aimants permanents ou
électromécanique repose sur la mise en jeu de compétences les matériaux composites imposent des températures de fonction-
pluridisciplinaires étroitement couplées au sein d’une nement relativement basses pour certains type d’application (sys-
démarche éminemment itérative. tèmes embarqués, environnement confiné).

Tableau 1 – Valeurs usuelles de densité de courant


en fonction du mode de refroidissement des machines
Charge linéique A Densité de courant ␦ Produit A ␦
Mode de refroidissement (A/m) (A/mm2) (A · m–1/(A · mm–2))

Convection naturelle : environnement non confiné 3 · 104 10 à 15 3 · 105 à 4,5 · 105

Convection naturelle : environnement confiné 2,5 · 104 10 2,5 · 105

Convection forcée : refroidissement par air ventilé 4,5 · 105 10 à 15 4,5 · 105 à 6,8 · 105

Convection forcée : refroidissement par liquide


6 · 104 10 à 15 6 · 105 à 9 · 105
dans un circuit externe au stator

Convection forcée : refroidissement par circulation


6 · 104 20 à 30 12 · 105 à 18 · 105
et brouillard d’huile sur les chignons des bobines

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– limites mécaniques ; des contraintes mécaniques trop impor-


1 000 000 tantes sur les matériaux piézoélectriques peuvent entraîner leur
Vitesse de rotation (tr/min)

rupture. En effet, les matériaux fragiles que sont les céramiques


piézoélectriques possèdent une limite en compression élevée
100 000 d’environ 500 MPa, mais une limite en traction faible d’environ
5 MPa (rupture des céramiques non précontraintes pour une
contrainte d’environ 25 MPa).

1
10 000

1.3 Du cahier des charges à la solution


1 000 optimisée : méthodologie
de conception
0,1 1 10 100 1 000 10 000 100 000
Puissance de coin maximale (kW) Dans la procédure d’élaboration d’une solution électromécanique
répondant à un cahier des charges donné, le dimensionnement pré-
100 m/s
liminaire des structures potentiellement pertinentes constitue une
200 m/s
étape clé. Celui-ci doit pouvoir répondre aux exigences de rapidité
et de souplesse imposées par le caractère itératif du processus de
Figure 1 – Limite de faisabilité des machines en fonction conception (prédimensionnements comparatifs, etc.). Par consé-
de la vitesse périphérique
quent, plutôt que de s’appuyer dès le départ sur une représentation
complète visant à décrire finement l’ensemble des phénomènes
agissant (simulation par éléments finis), il convient plutôt à ce stade
S’agissant des contraintes mécaniques, celles-ci sont étroite- de privilégier des techniques de modélisations à caractère global.
ment liées aux forces centrifuges ainsi qu’aux efforts de torsion et Celles-ci se définissent plus par la cohérence de l’ensemble des lois
de flexion qui s’exercent sur les parties tournantes des action- de dimensionnement attachées aux divers volets physiques mis en
neurs. Ainsi, une première limitation concerne la vitesse critique jeu que par leur degré de finesse ou de précision vis-à-vis de la des-
de rotation au-delà de laquelle les parties tournantes risquent une cription de tel ou tel phénomène particulier. Si la formulation de ces
cassure majeure en raison des forces centrifuges générées. De lois peut être simple, le nombre de variables nécessairement mis
façon générale, si une vitesse critique peut facilement se calculer en jeu pour définir la structure d’un convertisseur électromécanique
en première approximation en considérant un rotor massif, le est tel qu’une exploration « manuelle » de l’espace des solutions
recours à des logiciels de simulation numérique peut s’avérer reste généralement très incertaine. L’obtention systématique et fia-
indispensable s’il s’agit de vérifier que certaines parties constituti- ble des dimensions et caractéristiques définissant la solution doit
ves du rotor maintenues par collage ne subissent pas des efforts donc reposer sur l’exploitation d’un outil mathématique adapté : les
tangentiels dommageables (tel est majoritairement le cas pour des théories de l’optimisation offrent un cadre tout naturellement indi-
actionneurs à aimants permanents). En outre, il faut s’assurer que qué pour traiter le problème.
les fréquences naturelles de l’arbre rotorique ne recoupent pas des Ainsi, le processus de conception peut être avantageusement
vitesses de rotation afin de s’affranchir de toute instabilité. ramené à un problème d’optimisation formulé analytiquement : les
En phase de prédimensionnement, un graphe de référence peut critères considérés découlent directement des objectifs de
être utilisé pour fixer les limites de faisabilité en fonction de la conception privilégiés par le cahier des charges (minimisation de la
vitesse périphérique maximale souhaitée. Ce graphe (figure 1) masse des parties actives, des pertes...) tandis que les contraintes
indique la vitesse de rotation envisageable en fonction de la puis- auxquelles la solution est assujettie correspondent, d’une part, aux
sance de coin de la machine (produit du couple maximal par la spécifications de ce même cahier des charges (limitations dimen-
vitesse maximale). sionnelles, environnement thermique...), et d’autre part, aux rela-
tions constitutives du modèle analytique caractérisant la structure
(expression des efforts produits en fonction des dimensions et
1.2.2 Cas des piézoactionneurs caractéristiques de l’actionneur...). Dès lors, la conception du dispo-
sitif se ramène à la résolution d’un problème d’optimisation à varia-
Dans le contexte d’une application industrielle, il convient de
bles mixtes (entières et réelles), et incluant un ou plusieurs critères.
respecter certaines limites inhérentes aux propriétés des maté-
D’un point de vue mathématique, les formulations engendrées par
riaux piézoélectriques et de leur mise en œuvre. Aussi, la puis-
la conception des actionneurs électromécaniques correspondent le
sance maximale émise par l’actionneur peut ainsi dépendre de
plus souvent à des problèmes non linéaires et, qui plus est, non
contraintes, liées à l’ambiance (températures, pressions), aux
convexes (existence d’un grand nombre de minima locaux).
pertes (mécaniques et diélectriques), aux contraintes mécaniques
admissibles par le matériau, aux propriétés diélectriques, vis-à-vis La mise au point de méthodes numériques susceptibles de
du champ électrique appliqué : déterminer la solution d’un problème d’optimisation non linéaire
et non convexe constitue en soi un problème mathématique déli-
– limites thermiques ; les pertes engendrées au sein du trans-
cat. Si de nombreux algorithmes de programmation non linéaire
ducteur (pertes mécaniques, diélectriques), associées à la tempéra-
ont néanmoins été exploités dans ce domaine [1], le problème de
ture ambiante de fonctionnement de l’actionneur, tendent à élever
la conception par optimisation des actionneurs électromécaniques
la température qui doit rester dans une limite acceptable vis-à-vis
doit être initialement posé en termes « d’optimisation globale ».
du matériau électroactif, conditionnée par sa température de Curie
Dans ce contexte, les techniques d’optimisation avec satisfaction
(risque de dépolarisation des céramiques). Les distributeurs préco-
de contraintes susceptibles d’être utilisées se subdivisent classi-
nisent généralement une température maximale située à la moitié
quement en deux types d’approches donnant lieu à des méthodes
de la température de Curie du matériau actif, ce qui correspond à
de nature soit « déterministe », soit « non déterministe » ou
environ 150 oC ;
« stochastique ».
– limites électriques ; le champ électrique au sein des céramiques
peut entraîner la rupture diélectrique de celles-ci et la dépolarisation Les méthodes stochastiques, les plus couramment utilisées, cor-
du milieu actif par un champ élevé opposé à la polarisation réma- respondent essentiellement :
nente. Cette limite dépend du type de matériau, de la température – aux méthodes de « Branch & Bound » stochastiques ;
de travail et de la durée d’application. Les limites sont typiquement – aux méthodes de « recuit simulé » ;
comprises entre 500V/mm et 1 000 V/mm à champ constant ; – aux méthodes à base d’« algorithmes génétiques ».

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


est strictement interdite. – © Editions T.I. D 5 342 – 3

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Actionneurs non conventionnels


pour la robotique
par Pierre LAMBERT
1
Professeur chargé de cours
Laboratoire BEAMS, Université libre de Bruxelles, Bruxelles, Belgique
et Jérôme SZEWCZYK
Professeur des universités
Laboratoire ISIR, Université Pierre-et-Marie-Curie Paris, France
et Pierre RENAUD
Professeur des universités
Laboratoire ICube, INSA de Strasbourg, Strasbourg, France

1. Actionneurs piézoélectriques..................................................................... S 7 769 - 2


1.1 Principe de base .......................................................................................... — 2
1.2 État de l’art................................................................................................... — 2
1.3 Caractéristiques spécifiques ...................................................................... — 6
1.4 Modélisation et intégration ........................................................................ — 7
1.5 Applications................................................................................................. — 8
1.6 Synthèse ...................................................................................................... — 11
2. Actionneurs fluidiques flexibles ............................................................... — 11
2.1 Principes de base — 11
2.2 État de l’art................................................................................................... — 12
2.3 Caractéristiques spécifiques ...................................................................... — 14
2.4 Modélisation et intégration ........................................................................ — 15
2.5 Applications................................................................................................. — 19
2.6 Synthèse ...................................................................................................... — 21
3. Actionnement par alliage à mémoire de forme (AMF) ................... — 22
3.1 Principe de base .......................................................................................... — 22
3.2 État de l’art................................................................................................... — 23
3.3 Caractéristiques spécifiques ...................................................................... — 24
3.4 Modélisation et intégration ........................................................................ — 26
3.5 Applications................................................................................................. — 27
3.6 Conclusion ................................................................................................... — 30
Pour en savoir plus .................................................................................................... Doc. S 7 769

n robot est un système mécatronique dans lequel l’association d’un


U mécanisme, de capteurs et d’actionneurs aboutit à un dispositif réalisant
des tâches de manière autonome ou en collaboration avec l’homme. L’action-
nement en robotique est bien entendu une problématique centrale : un
actionneur est l’élément fournissant une énergie mécanique à la base de l’exis-
tence des mouvements d’un robot. Si la robotique a initialement été centrée
sur des contextes industriels spécifiques, avec la réalisation de tâches répéti-
tives, elle devient désormais omniprésente et ses contextes applicatifs sont
donc aujourd’hui nombreux : domotique, santé, transports… Des contraintes
d’intégration diverses et parfois très fortes pour l’actionnement émergent de
ces nouveaux domaines applicatifs. Ainsi, en robotique médicale, les
contraintes de compacité sont extrêmement fortes lorsqu’il s’agit de déve-
Parution : mars 2016

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ACTIONNEURS NON CONVENTIONNELS POUR LA ROBOTIQUE _______________________________________________________________________________

lopper des outils chirurgicaux robotisés de taille millimétrique. Les impératifs


de sécurité sont par ailleurs majeurs, et l’on souhaite pouvoir limiter matériel-
lement les courses des outils pour assurer l’existence de mouvements gardés.
Dans le contexte de la robotique mobile, le rapport poids/puissance des action-
neurs est une caractéristique critique pour des raisons d’autonomie. En
robotique bio-inspirée, on est par ailleurs conduit à considérer des solutions
qui n’exploitent pas de simples mouvements de rotation ou translation pure,
1 mais des mouvements correspondant à des déformations distribuées d’élé-
ments de structure, qu’il s’agit de pouvoir actionner. De plus, le caractère
compliant, i.e. non rigide, des actionneurs peut être un atout pour la réalisation
de tâches robotiques. C’est le cas en robotique mobile, mais aussi par exemple
en robotique collaborative, où l’interaction homme-robot peut être améliorée
par la présence de compliances. L’association d’un actionneur électromagné-
tique et d’un élément compliant (donc souple), en série avec ce dernier peut
être envisagée [1], mais avec un niveau d’intégration qui reste limité. Finale-
ment, dans tous ces contextes, des stratégies d’actionnement conventionnelles
trouvent leurs limites. Des solutions alternatives sont indispensables. Trois
d’entre elles sont présentées dans cet article : actionneurs piézoélectriques,
fluidiques flexibles et par alliage à mémoire de forme. Elles sont les plus large-
ment exploitées si on les compare à d’autres technologies comme
l’actionnement thermique, par changement de phase ou magnétostrictif [2]
dont l’usage est plus rare et plus spécifique aux faibles échelles (≤ 1 mm). Pour
chaque technologie, le principe de base est d’abord introduit, avant de dresser
un état de l’art des actionneurs développés. Des éléments d’aide à la modélisa-
tion et à la mise en œuvre sont ensuite présentés, avant de détailler les
champs d’application à partir d’exemples significatifs issus d’applications
industrielles ou en laboratoire. Une synthèse est alors réalisée avant de
conclure sur l’utilisation de ces technologies d’actionnement.

1. Actionneurs Comme introduit dans [D 3765], trois modes de couplage élec-


tromécaniques élémentaires peuvent être exploités avec un bar-
piézoélectriques reau parallélépipédique de matériau PZT (figure 2). Cette
multiplicité de modes de transduction, associée à la liberté de
forme permise par la nature granulaire du matériau de base,
conduit au développement d’un nombre conséquent de solutions
1.1 Principe de base d’actionnement piézoélectrique exploitables en robotique. Le
nombre et la variété des solutions proposées s’expliquent en
Cette première famille d’actionneurs exploite l’effet piézoélec- introduisant ici les principaux avantages et limites de l’effet pié-
trique inverse, identifié par les frères Curie dans les années 1880. zoélectrique inverse. Pour une céramique PZT, la dynamique de
Cet effet permet de générer une déformation mécanique dans un contraction est extrêmement élevée, et des temps de réponse
matériau en lui appliquant un champ électrique. Les matériaux inférieurs à la microseconde peuvent être exploités. En revanche,
permettant d’obtenir un tel effet sont nombreux, parmi lesquels le
les déformations atteignables sont très réduites, de l’ordre de
quartz ou des céramiques à structure cristalline perovskite ou
0,01 %, avec la présence d’une hystérésis significative, de 10 à
tungstène-bronze. Pour l’actionnement, les céramiques ferroélec-
15 %. L’hystérésis peut être gérée par la commande, comme nous
triques sont très largement privilégiées, avec en particulier l’usage
le verrons en évoquant la mise en œuvre. Pour accéder à des
du titano-zirconate de plomb (désigné dans la suite de manière
conventionnelle par PZT), et possiblement le titanate de plomb déplacements exploitables, les actionneurs piézoélectriques ont
PbTiO3 ou le titanate de baryum BaTiO3. Un polymère semi-cris- fait l’objet d’efforts de conception importants, avec différentes
tallin comme le PVDF présente également un effet piézoélectrique, solutions exposées dans la suite.
mais son usage comme actionneur reste très limité.
Les céramiques ferroélectriques comme le PZT sont dopées 1.2 État de l’art
pour ajuster leurs propriétés piézoélectriques, puis mises en
forme et enfin polarisées. La polarisation est une nécessité,
étant donné la nature multicristalline de la matière qui conduit à 1.2.1 Introduction
des polarisations dans des directions différentes, sans effet pié-
zoélectrique à l’échelle macroscopique. L’exploitation d’un Le développement de composants pour l’actionnement à partir
matériau initialement à l’état de poudre permet une production de matériaux piézoélectriques est un domaine qui reste en évolu-
industrielle sous différentes formes : éléments parallélépipé- tion, avec l’introduction de plusieurs technologies nouvelles sur le
diques, en feuilles, y compris par exemple avec une forme plan commercial depuis les années 2000 : moteur Squiggle de
annulaire (figure 1). New Scale Technologies en 2004, moteurs LSPA et RSPA de

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_______________________________________________________________________________ ACTIONNEURS NON CONVENTIONNELS POUR LA ROBOTIQUE

Figure 1 – Exemples de céramiques PZT de formes différentes (Noliac A/S)

– le moteur piézoélectrique, qui va permettre d’accéder à des


déplacement potentiellement infinis, et d’au moins plusieurs milli-
mètres pour le cas de translations.
+

1.2.2 Actionneurs
L’actionneur le plus simple imaginable est un barreau de maté-
riau PZT, à section rectangulaire ou cylindrique, pour lequel un
couplage électromécanique en mode longitudinal est exploité. Le
a mode longitudinal déplacement atteignable dépend alors directement de la tension
appliquée aux bornes du barreau. On peut facilement montrer (le
lecteur pourra se référer à [S 7712] pour le modèle fin de couplage
tension-déplacement) que le déplacement U pouvant être généré
est lié à la tension appliquée V aux extrémités du barreau :
U = d33.V avec d33 (m/V) la constante piézoélectrique. Pour un
matériau conventionnel comme le PIC 151 produit par Physik Ins-
trumente GmbH & Co, le déplacement générable est de l’ordre de
+ 0,3 micron pour une tension de 1 000 V. Un déplacement aussi
faible conduit à largement préférer des structures multicouches,
i.e. avec un empilement de couches de matériaux PZT. Cette stra-
tégie de conception d’actionneurs a été développée dans les
b mode transversal
années 1980. La tension employée peut alors être divisée par 100
pour un même déplacement. Le stack, en reprenant le terme
anglo-saxon souvent utilisé également en langue française, est
alors conçu avec deux réseaux d’électrodes entre les couches for-
mant des peignes croisés. Chaque peigne est relié à une électrode
externe pour alimenter le composant (figure 3).
Nota : l’ensemble des notations introduites est repris en fin d’article.

Pour fixer les idées, on peut voir dans le tableau 1 les caracté-
+ ristiques d’un stack alors exploitable. Le déplacement maximal est
de quelques dizaines de microns pour des composants commer-
ciaux.
Il faut souligner en complément de ce tableau les dynamiques
c mode de cisaillement de réponse pouvant être obtenues avec de tels actionneurs : il est
alors possible de disposer de temps de réponse de l’ordre de la
Figure 2 – Représentation des trois modes de couplage électroméca- microseconde. Dans le domaine de la robotique, cette propriété
niques possibles avec un barreau parallélépipédique PZT : le bar- est bien sûr d’intérêt comme nous le verrons dans la suite.
reau connaît un allongement (forme finale en pointillés) sous
l’action de la tension appliquée. Les flèches représentent les direc- Le déplacement maximal est atteignable en l’absence de charge
tions de déformation sur l’actionneur : il s’agit de la course libre de l’actionneur. De
manière complémentaire, un actionneur piézoélectrique est défini
par l’effort maximal (tableau 1), désigné également comme
Cedrat Technologies en 2008 par exemple. Dans la suite, et l’effort de blocage, qui rend nul le déplacement par rapport à sa
comme c’est généralement l’usage, nous allons distinguer deux longueur initiale. Dans des conditions de fonctionnement quasi-
composants pouvant être exploités en robotique : statiques, qui sont valides dans nombre d’applications robotiques,
– l’actionneur piézoélectrique, qui va permettre d’accéder à les deux grandeurs que sont le déplacement maximal à vide et
des déplacements d’amplitude finie, généralement en deçà du l’effort de blocage définissent le domaine de fonctionnement de
millimètre ; l’actionneur. La figure 4 donne la forme de la caractéristique

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Déplacement

Umax V = Vmax

1
Figure 3 – Principe de construction d’un actionneur piézoélectrique
multicouches : chaque couche est soumise à une tension électrique
provoquant son allongement Tension
croissante
Effort
effort-déplacement pouvant être obtenue pour différentes ten- Fmax
sions.
L’emploi de structures multicouches est possible avec les diffé- Figure 4 – Diagramme effort-déplacement représentant le domaine
rentes géométries introduites précédemment. Par exemple, Noliac d’exploitation d’un actionneur piézoélectrique
propose des structures pleines ou tubulaires (figure 1), des élé-
ments de type bilame permettant de générer un moment de
flexion ou des éléments annulaires qui vont permettre par
l’emploi d’un mode de cisaillement de générer un déplacement
selon la perpendiculaire à l’élément. Les variations de formes
associées aux variations de géométrie et à l’exploitation des trois
modes possibles de couplage électromécanique permettent de
disposer de domaines de travail effort-déplacement assez dis-
tincts, pour s’adapter au besoin. Malgré tout, les amplitudes de
déplacement restent en deçà du millimètre. Il existe donc des
actionneurs piézoélectriques proposés avec un dispositif d’ampli-
fication mécanique intégré. Cedrat Technologies propose par
exemple une gamme d’actionneurs où une structure déformable
est intégrée autour du composant actif (figure 5) pour un gain en
déplacement d’un ordre de grandeur par rapport à une céramique
multicouches seule.

1.2.3 Moteurs
La section 1.5 montrera l’usage d’actionneurs piézoélectriques
dans des dispositifs robotiques. Bien entendu, nombre de
contextes applicatifs requièrent des déplacements d’amplitude Figure 5 – Vue d’un actionneur piézoélectrique avec structure méca-
nique amplificatrice intégrée (Cedrat Technologies APA®60S)
centimétrique, sinon potentiellement infinie en translation ou en
rotation. Deux familles de moteurs permettent d’obtenir de telles
caractéristiques.
GmbH & Co, avec la technologie Piezowalk®. À tout instant, les
■ Moteurs à fonctionnement quasi-statique parties fixes et mobiles du moteur sont en contact. La transmis-
sion du mouvement est permise par le frottement entre l’élément
Dans la première famille, le mouvement est obtenu en réalisant mobile et les actionneurs élémentaires.
pas à pas la translation ou la rotation souhaitée. Deux principes
sont essentiellement exploités. Le premier principe consiste à Le deuxième principe est celui de l’exploitation du phénomène
effectuer le mouvement d’avance, qu’il soit de rotation ou de de stick-slip pour pouvoir réaliser un mouvement d’avance sans
translation, en combinant plusieurs jeux d’éléments actifs. La interruption de contact entre l’élément piézoélectrique et l’élément
figure 6 représente à titre d’exemple le cycle élémentaire dans le mobile. Un profil de vitesse asymétrique est en effet utilisé pour
cas d’un actionneur Nexline proposé par Physik Instrumente avancer à vitesse « lente » l’élément mobile, en ayant alors adhé-

Tableau 1 – Caractéristiques principales de stacks piézoélectriques, pour une tension d’alimentation de 120 V
(Physik Instrumente GmbH & Co)

Dimensions
Déplacement maximal
Désignation (largeur × longueur × Effort maximal (N) Raideur (N/micron)
(microns)
hauteur, mm)

P-882.11 3×2×9 8 190 24

P-885.51 5 × 5 × 18 18 900 50

P-888.91 10 × 10 × 36 38 3 800 100

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Élément fixe

Éléments PZT

Élément mobile
1

Figure 6 – Principe de fonctionnement du moteur piézoélectrique à technologie Piezo Walk® (Physik Instrumente GmbH & Co)

Déplacement
de l’actionneur

Élément mobile

Zone de contact
Temps Actionneur
PZT

Figure 7 – Profil de commande de l’actionneur piézoélectrique et structure d’un moteur exploitant l’effet de stick-slip (cinématique simplifiée à
partir du principe du moteur PI Inertia Drive, Physik Instrumente GmbH & Co)

Comme le composant actif à la base de ces moteurs est un


actionneur piézoélectrique, certaines caractéristiques de fonction-
nement en sont proches, en particulier pour la caractéristique
effort-déplacement.
■ Moteurs à élément résonant
Pour les moteurs précédents, le pilotage des actionneurs PZT
intégrés est réalisé à une fréquence en deçà de quelques kHz. Par
opposition, la deuxième famille de moteurs piézoélectriques
exploite la résonance d’un élément piézoélectrique, dont le mou-
vement en résonance va permettre de réaliser la cinématique
Figure 8 – Actionneur PiezoLegs (PiezoMotor Uppsala AB) avec élé- d’avance. L’exemple de la technologie développée par Nanomo-
ment mobile en partie centrale et construit en céramique
tion Inc est représentatif (figure 9). Les actionneurs de type HR
exploitent des doigts actifs qui vont lors de leur vibration entraî-
ner l’élément mobile. Un mouvement combiné de flexion et de
rence entre les deux éléments, puis rétracter plus rapidement rotation des doigts permet de revenir, après la phase d’entraîne-
l’élément piézoélectrique en créant un glissement relatif, de sorte ment, sans contact entre le doigt d’entraînement et l’élément
que l’élément mobile reste en place. Le pilotage et le mouvement mobile.
caractéristique obtenu avec ce type de moteur sont représentés en
figure 7. Nota : animation disponible à l’adresse http://www.nanomotion.com/support-down-
loads/product-videos/
Dans les deux cas, l’entraînement de l’élément mobile est donc
obtenu par friction. Les actionneurs sont alors généralement Les moteurs existants diffèrent par la position de l’élément mis en
conçus avec un élément en matériau céramique placé au contact vibration, qui est soit statique par rapport au bâti du moteur (moteur
avec les éléments piézoélectriques (figure 8) HR [Nanomotion Inc], PILine [Physik Instrumente GmbH & Co]), soit

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Élément Vitesse de rotation (tr/min)


mobile
150

1
Élément PZT
100
(A)
(B)
50

(1) (2) (3) (4) (5) (6)

0,25 0,5 0,75 1 Couple (Nm)


Figure 9 – Principe de mise en déplacement d’un moteur Nanomo-
tion Inc de type HR : les phases 1 à 3 exploitent la flexion de
l’actionneur PZT pour entraîner l’élément mobile. Dans les phases 4
à 6, l’actionneur effectue un mouvement hors plan qui permet un Figure 10 – Allure du diagramme force-vitesse pour un moteur pié-
retour sans contact avec l’élément mobile zoélectrique USR-60 (Shinsei Corporation). Domaine (A) de fonc-
tionnement continu, domaine (B) de fonctionnement intermittent

mobile (USR [Shinsei Corporation]). Comme pour les moteurs dits puissants, ne développent par exemple qu’une puissance maxi-
quasi-statiques, ces moteurs reposent sur la friction pour accumu- male de 10 W. L’actionnement piézoélectrique ne se justifie donc
ler les déplacements élémentaires obtenus par effet piézoélec- pas par la puissance disponible. Il est en revanche très intéressant
trique. Cette friction conduit à l’existence d’un effort maximal en termes de puissance volumique, avec des moteurs piézoélec-
transmissible. L’application d’une charge tendant à diminuer le triques dont la taille est particulièrement intéressante pour l’inté-
mouvement élémentaire pouvant être réalisé, un couplage effort- gration en robotique.
vitesse existe par ailleurs (figure 10).
L’actionnement piézoélectrique se distingue également par la
Dans leur ensemble, les moteurs piézoélectriques permettent de précision de positionnement accessible et la sécurité intrinsèque
réaliser des mouvements de rotation continue ou de translation des actionneurs. Ces deux points seront précisés dans la suite,
de grande amplitude sur plusieurs dizaines de millimètres. Le tout comme son intérêt dans des milieux où les contraintes
tableau 2 montre les gammes de vitesses et d’effort accessibles
d’usage sont fortes. En effet, l’effet piézoélectrique inverse
pour des moteurs linéaires : les variations sont significatives du
exploité et la nature des matériaux utilisés donnent des avantages
fait des technologies différentes, mais l’on peut constater des
vitesses maximales de l’ordre de la centaine de mm par seconde, évidents à l’actionnement piézoélectrique pour un fonctionnement
et des efforts de l’ordre de la centaine de N. dans des ambiances sévères, dans le vide (pour des applications
spatiales par exemple) ou dans un champ magnétique intense
(pour des applications médicales par exemple).
1.3 Caractéristiques spécifiques
1.3.2 Actionneurs piézoélectriques
1.3.1 Caractéristiques communes La course des actionneurs piézoélectriques, en deçà du milli-
Avant de distinguer le cas des actionneurs et des moteurs, deux mètre, peut être vue bien entendu comme une limite forte à leur
remarques d’ordre général peuvent être faites. En termes de puis- usage. Elle peut dans le même temps être un avantage, en offrant
sance tout d’abord, les actionneurs et moteurs piézoélectriques la possibilité de limiter les mouvements d’un système robotique,
existants sont plus limités que les actionneurs électromagnétiques par exemple en contexte médical où un système robotique doit
ou hydrauliques. Les moteurs USR (Shinsei Corp.), parmi les plus offrir un haut niveau de sécurité.

Tableau 2 – Caractéristiques en effort et vitesse de moteurs piézoélectriques

Constructeur Désignation Effort maximal (N) Vitesse maximale (mm/s)

Cedrat Technologies LSPA 0,3-5 20-70

Newscale Technologies Squiggle 0,2 5

Nanomotion Inc. HR 4,5-30 250

Piezomotor AB Piezolegs 6,5-40 10-15

PI GmbH Inertia Drive (N412) 7 5

PI GmbH Nexline (N216.201) 600 1

PI GmbH PILine 2-6 250-350

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L’effet piézoélectrique permet d’accéder à une résolution en 1.4 Modélisation et intégration


position potentiellement infinie. Le déplacement étant obtenu
sans mouvement relatif entre éléments, il n’est par ailleurs pas
affecté par des jeux de fonctionnement. Il s’agit par exemple d’un 1.4.1 Modélisation pour le dimensionnement
élément de référence pour des tâches de positionnement micro, Pour les actionneurs piézoélectriques, nous avons introduit le
voire nanométrique. couplage force-déplacement qui existe. Pour les moteurs piézoé-
L’autre avantage fondamental des actionneurs piézoélectriques lectriques, la caractéristique de fonctionnement se situe plutôt

1
est leur dynamique. Des temps de réponse de quelques dizaines dans un plan force-vitesse. Il est donc difficile d’exploiter un
de microsecondes peuvent être obtenus avec des stacks PZT. même modèle pour le dimensionnement à la fois des actionneurs
et des moteurs piézoélectriques.
Le pilotage en déplacement d’un actionneur piézoélectrique
nécessite de gérer la présence d’une hystérésis importante, de Les actionneurs piézoélectriques peuvent être vus comme des
ressorts dont on pilote la caractéristique par la tension qui leur est
l’ordre de 10 à 15 %. Un simple pilotage en tension en boucle
appliquée. En deçà de leur fréquence de résonance, on écrit donc
ouverte ne conduit qu’à un comportement assez imprécis, qui en
usuellement que le déplacement U est lié à la tension V et à
limite l’usage. l’effort généré F par :
En termes d’intégration, il faut souligner la possibilité de dépo-
(1)
ser le matériau piézoélectrique en surface d’un substrat. Cela peut
permettre de réaliser une intégration à l’échelle microscopique, avec N la caractéristique de l’actionneur et K sa raideur. Le produit
par exemple pour combiner des mouvements comme cela a pu est homogène à une force et pour la tension maximale Vmax,
être démontré dans le domaine de la microrobotique [3]. ce produit est égal à l’effort bloqué Fmax qui caractérise le compo-
sant. Le déplacement maximal, en l’absence d’effort, est lui égal à
Umax = Fmax /K à partir de cette même relation.
1.3.3 Moteurs piézoélectriques
L’application d’une charge sur l’actionneur va provoquer une
Quelle que soit la technologie utilisée, les moteurs piézoélec- variation des déplacements atteignables. Si la charge est
triques offrent des résolutions très importantes, typiquement en constante et égale à Fc, son application peut être modélisée
deçà du micron en génération de translation. Il s’agit là d’un comme décalant la caractéristique effort-déplacement d’un dépla-
avantage pour toutes les applications de précision. S’y ajoute cement ΔU (figure 11).
l’avantage de disposer d’un couple de maintien en l’absence Dans le cas où le chargement peut être décrit comme variant
d’alimentation. Tous les moteurs piézoélectriques utilisent en linéairement avec le déplacement, donc modélisable par un res-
effet la friction d’un élément actif pour la transmission de mou- sort mis en face de l’actionneur, la caractéristique de fonctionne-
vement. En l’absence de courant, le contact avec frottement qui ment va dépendre du rapport entre raideur de l’actionneur et de la
a lieu peut alors éviter de recourir à l’usage d’un frein en paral- charge. La course accessible sera alors égale à U1 = Umax. K/
lèle. À titre d’exemple, un moteur USR-60 (Shinsei Corp.) a un (K + Kc) avec Kc la raideur de la charge. Cette situation est très fré-
quemment rencontrée, car les actionneurs piézoélectriques sont
couple de maintien de 1 N.m, pour un couple nominal de
souvent couplés à des mécanismes flexibles, donc exploitant
0,5 N.m.
l’élasticité de la matière pour l’obtention de mouvements, avec un
Les caractéristiques cinématiques sont par ailleurs souvent effet ressort qui est alors significatif.
naturellement proches des vitesses de translation ou rotation Ces modèles sont des outils efficaces pour dimensionner un
requises par les tâches robotiques : un moteur piézoélectrique actionneur dans nombre d’applications robotiques. Il s’agit alors
peut être envisagé plus facilement que des actionneurs conven- de bien évaluer la nature du chargement qui, comme on vient de
tionnels en prise directe, sans intégration de réducteur, ce qui le souligner, peut largement influer sur le domaine de travail de
est alors bénéfique en termes d’inertie vue par le moteur, de jeu l’actionneur. On considère usuellement que cette approche est
de fonctionnement néfaste à la précision, et finalement de com- valable jusqu’à des fréquences de pilotage égales à un tiers de la
pacité. résonance de l’ensemble actionneur et charge liée. Ce domaine de

Déplacement Déplacement

Umax

Fc = Kc.U
Caractéristique à vide

U1

ΔU Caractéristique à vide

Fc Fmax

Effort F1 Effort
Caractéristique sous charge Point de fonctionnement

Figure 11 – Évolution de la caractéristique effort-déplacement en fonction de la charge appliquée à un actionneur piézoélectrique. À gauche,
cas d’une charge constante et à droite cas d’un chargement variant avec le déplacement

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S7769

ACTIONNEURS NON CONVENTIONNELS POUR LA ROBOTIQUE _______________________________________________________________________________

travail est assez souvent celui visé pour éviter par ailleurs des dif- dynamique, sa compacité, sa résolution ont été exploités aussi
ficultés de commande liées à une mise en résonance du système. bien en robotique de production, de précision, qu’en robotique
Les actionneurs piézoélectriques peuvent tout de même aussi médicale ou mobile.
parfois être utilisés via leur mise en résonance comme nous le
verrons sur certains exemples. Le dimensionnement est alors 1.5.1 Robotique de production
beaucoup plus délicat. Le comportement en résonance est celui
d’un système masse-ressort, avec un déplacement atteignable qui La capacité dynamique de l’actionnement piézoélectrique a été

1
est lié au facteur de qualité mécanique de l’actionneur, générale- exploitée dans le domaine des structures actives, hors du champ
ment supérieur à 100. Le dimensionnement doit alors tenir de la robotique : la compensation de vibration de structures est
compte des limitations en contrainte du matériau, en température alors réalisée de manière efficace avec des actionneurs piézoélec-
du fait de l’échauffement du matériau à haute fréquence, et de la triques. On retrouve ce type d’exploitation par exemple dans [6],
tension de pilotage. qui montre l’exploitation de transducteurs piézoélectriques pour la
Pour les moteurs piézoélectriques, on dispose d’informations de compensation de manière active des vibrations liées au premier
niveau variable sur les caractéristiques de fonctionnement et fina- mode propre d’un robot parallèle.
lement sur un modèle de fonctionnement. Dans tous les cas, le Dans [7], les capacités dynamiques des actionneurs PZT sont
comportement au contact entre la céramique PZT et l’élément exploitées par le Fraunhofer IPA à Stuttgart pour concevoir une
mobile va varier en fonction de la charge d’une manière assez cellule d’usinage robotisée (figure 12). Un robot industriel porte la
semblable à ce qui a été décrit pour un actionneur. L’augmenta- pièce à usiner, et un dispositif actif porte la broche. Les action-
tion de la charge sur un moteur piézoélectrique tend donc à dimi- neurs intégrés au porte-broche ont une course de 150 microns,
nuer le pas élémentaire d’avance, et à fréquence constante, qui après amplification mécanique permet de disposer de capaci-
finalement la vitesse atteignable. Les diagrammes du type repré-
tés de correction de 0,5 mm dans les trois directions de l’espace.
senté en figure 10 peuvent donc être utilisés pour rechercher un
Les déplacements sont obtenus en présence d’efforts significatifs,
point de fonctionnement adéquat pour l’actionnement d’un sys-
de l’ordre de 1 000 N, dus à l’usinage. Avec ce schéma où un
tème.
robot accomplit les mouvements macroscopiques et le porte-bro-
che accomplit les mouvements microscopiques, une amélioration
1.4.2 Mise en œuvre d’un facteur 8 de la précision est démontrée grâce à l’apport de
l’actionnement PZT.
Sur le plan matériel, la mise en œuvre suppose essentiellement
de gérer l’exploitation de matériaux céramiques. Il s’agit en effet
de matériaux présentant un comportement élastique fragile sup- 1.5.2 Robotique de précision
portant peu la mise en traction et le cisaillement. Pour les stacks
PZT, des composants déjà protégés existent, avec une intégration La capacité à maîtriser des déplacements avec une résolution
de la céramique dans une structure qui va précharger la céra- micro, voire nanométrique, a rendu l’usage des actionneurs pié-
mique d’une part et empêcher d’autre part l’application de zoélectriques très fréquent dans le domaine de la robotique de
moments parasites. Il faut sinon veiller à empêcher une telle situa- précision. Des produits comme les plates-formes PI Piezo Scanner
tion, en créant des liaisons rotules au niveau des extrémités de permettent ainsi de contrôler des mouvements dans le plan sur
l’actionneur, et en empêchant le chargement en traction de une amplitude de 20 microns × 20 microns, avec une répétabilité
l’actionneur. inférieure à 4 nanomètres, et une résolution de l’ordre du nano-
mètre. L’exploitation de moteurs piézoélectriques permet d’accé-
Pour les moteurs, les éléments actifs sont généralement proté-
der à des déplacements plus conséquents, pour des tâches
gés et intégrés pour assurer un fonctionnement correct. Ces
toujours de positionnement de précision. Le même constructeur
moteurs exploitent cependant souvent un élément en céramique
propose désormais par exemple l’intégration de moteurs piézoé-
comme élément mobile, pour ses propriétés en termes de frotte-
lectriques de technologie pas à pas dans une plate-forme
ment et d’usure. L’accouplement du moteur avec sa charge doit
alors être réalisé avec soin pour éviter un endommagement de cet hexapode. Ce type de structure robotique parallèle (figure 13) per-
élément, les critères étant les mêmes que pour un actionneur met de disposer des six mouvements possibles de translation et
dans la section précédente. de rotation, avec une amplitude des déplacements de 1,5 mm, des
rotations de 2°, pour une résolution de 0,1 micron, avec une
Sur le plan de la commande, plusieurs stratégies peuvent être charge utile de 15 N, le dispositif occupant un volume de
considérées. La problématique essentielle est la compensation de 100 mm × 100 mm × 90 mm. L’existence d’efforts de maintien
l’hystérésis inhérente à l’effet piézoélectrique. Une commande en importants est ici un avantage, car il permet de maintenir une
boucle ouverte avec un asservissement de la charge permet déjà position sans alimenter en permanence les moteurs. Aucun mou-
de limiter l’hystérésis à 2 à 3 % [4]. Pour des applications de préci- vement parasite généré par l’enclenchement de freins n’est pos-
sion, l’utilisation d’une jauge de déformation pour évaluer de sible, et aucun problème d’échauffement des actionneurs en
manière externe l’état de la céramique permet d’aller beaucoup position fixe ne peut se produire comme cela peut être le cas avec
plus loin dans l’asservissement en position, en mettant en place
des actionneurs conventionnels.
une boucle locale d’asservissement. De telles solutions sont pro-
posées par les constructeurs, avec des cartes d’asservissement La microrobotique exploite par ailleurs les solutions d’actionne-
optimisées par rapport à l’actionneur exploité. ment piézoélectrique, pour les mêmes raisons de puissance volu-
mique, et également les possibilités d’intégrer en surface le
matériau pour créer des structures actives. La micropince déve-
1.5 Applications loppée par le laboratoire FEMTO-ST à Besançon, et aujourd’hui
commercialisée par Percipio Robotics, est à ce titre un bon
L’actionnement piézoélectrique a été exploité dans des champs exemple. La pince (figure 14) est composée de deux doigts de
assez variés de la robotique. Son usage a été envisagé dès la fin préhension. Les doigts exploitent des éléments PZT qui per-
des années 1980, initialement pour sa puissance volumique. Tzou mettent de fournir quatre mouvements indépendants : chaque
propose ainsi en 1989 [5] la conception d’un effecteur pour la doigt peut à la fois se rapprocher de l’autre, et fléchir pour se rap-
manipulation robotique basée sur un actionnement piézoélec- procher de l’objet à manipuler. La résolution en déplacement est à
trique, en exploitant deux poutres mises en flexion par l’emploi de nouveau très fine, à savoir 10 nm, avec une répétabilité de
matériau PVDF. Depuis lors, ses avantages principaux que sont sa 5 microns.

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Conception, modélisation
et commande des robots à tubes
concentriques : 1
vers des applications médicales
par Mohamed Nassim BOUSHAKI
LIRMM, UMR 5506 Université de Montpellier / CNRS
Mohamed Taha CHIKHAOUI
Institut FEMTO-ST – UBFC/UFC/CNRS/ENSMM/UTBM – UMR 6174
Kanty RABENOROSOA
Institut FEMTO-ST – UBFC/UFC/CNRS/ENSMM/UTBM – UMR 6174
Chao LIU
LIRMM, UMR 5506 Université de Montpellier / CNRS
Nicolas ANDREFF
Institut FEMTO-ST – UBFC/UFC/CNRS /ENSMM/UTBM – UMR 6174
Philippe POIGNET
LIRMM, UMR 5506 Université de Montpellier / CNRS

1. Présentation et modélisation des RTC ..................................................... S 7 767 - 3


1.1 Présentation des RTC.................................................................................. — 3
1.2 Modèle géométrique à flexion................................................................... — 3
1.3 Modèle cinématique ................................................................................... — 5
1.4 Modèle à flexion et à torsion ..................................................................... — 6
1.5 Instabilité en torsion ................................................................................... — 7
1.6 Espace de travail et indices de performance ............................................ — 7
2. Conception .................................................................................................. — 9
2.1 Unité d’actionnement (UA) ........................................................................ — 9
2.2 Conception des tubes ................................................................................. — 13
3. Commande des robots à tubes concentriques ........................................ — 16
3.1 Commande par cinématique inverse ........................................................ — 18
3.2 Commande avancée ................................................................................... — 18
4. Planification de trajectoire ......................................................................... — 20
5. Les applications des robots à tubes concentriques ................................ — 21
5.1 Chirurgie cardiaque .................................................................................... — 22
5.2 Neurochirurgie ............................................................................................ — 22
5.3 Chirurgie de la prostate par laser .............................................................. — 22
5.4 Intervention dans le poumon..................................................................... — 22
6. Prototypes de RTC en France .................................................................... — 22
6.1 Institut FEMTO-ST, Besançon .................................................................... — 22
6.2 LIRMM, Montpellier .................................................................................... — 24
7. Conclusion et perspectives ........................................................................ — 25
8. Remerciements ........................................................................................... — 26
Pour en savoir plus .............................................................................................. Doc. S 7 767
Parution : mai 2016

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CONCEPTION, MODÉLISATION ET COMMANDE DES ROBOTS À TUBES CONCENTRIQUES : VERS DES APPLICATIONS MÉDICALES _________________________

’ultime but des sciences, des technologies et de l’innovation est d’être au


L service de l’humanité. La médecine se démarque alors comme étant celle qui
se propose, de façon plus concrète que les autres sciences, d’aider l’être humain.
« Guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours » disait Louis Pasteur.
Mais derrière la médecine pure, un arsenal technologique s’est peu à peu créé,
essentiellement pendant les dernières décennies : imagerie et équipements

1
médicaux, gestes médico-chirurgicaux assistés par ordinateur (GMCAO), etc. De
toutes ces avancées, notre intérêt se porte sur les technologies d’intervention
minimalement invasive. L’une d’entre elles est l’endoscopie, qui peut être uti-
lisée soit pour le diagnostic (imagerie médicale, prélèvement), soit pour traiter
une maladie (endoscopie opératoire). Les besoins en endoscopie ont été suivis
par un développement sans précédent de la robotique, et plus particulièrement
une miniaturisation des systèmes robotiques. L’intérêt se porte alors sur les
robots de petites dimensions (moins de 10 mm de diamètre). En effet, les outils
pédiatriques peuvent atteindre 6 mm de diamètre [1]. Ces robots sont prévus
pour avoir un très haut niveau d’intégration, ce qui pourrait faciliter les GMCAO.
Nota : Fujifilm : http://www.fujifilmusa.com/products/medical/endoscopy/endoscopes/, Olympus http://medical.olympusame-
rica.com/specialty/gastroenterology et Stortz https://www.karlstorz.com/cps/rde/xbcr/karlstorz_assets/ASSETS/3291428.pdf.

La nature a été souvent une source d’inspiration pour l’innovation technolo-


gique. Ainsi, serpents, trompes d’éléphants, langues, tentacules d’encornets
ont servi de modèles d’inspiration pour fournir des robots à la fois flexibles et
qui se déforment continuellement. En particulier, dans le cadre médical, la
continuité de forme est souhaitée pour suivre des voies naturelles. De même,
des robots non rigides (soft robots) permettent des interactions moins agres-
sives et plus sûres avec le corps humain.
Selon [2], les robots se répartissent suivant la classification qui suit :
– La première classe de robots, la plus répandue de toutes, est celle des
robots rigides à structure discrète. En effet, ces robots sont constitués d’une
série de segments rigides reliés entre eux par des articulations discrètes. Le
mouvement peut alors être généré par l’actionnement de chaque articulation
et la connaissance des éléments intermédiaires, considérés comme infiniment
rigides (modèle à raideur infinie). Pour les robots manipulateurs à structure
arborescente, notamment, cela permet de retrouver la position de chaque arti-
culation par rapport à la précédente.
– La deuxième classe est celle des robots hyper-redondants, qui se dis-
tinguent de ceux de la précédente classe par des segments rigides très courts
et un nombre d’articulations très important. Cela conduit à avoir des mouve-
ments plus fluides sur des trajectoires de formes complexes. Enfin, une sous-
classe des robots hyper-redondants est celle des robots à structure continue.
Leur particularité est l’absence d’articulation discrète et la flexibilité des seg-
ments qui constituent le robot.
L’actionnement ou le fléchissement des segments peut être obtenu de diffé-
rentes manières comme mentionné dans [3] : actionnement à tendon [4] ou à
câble [5], chambres pneumatiques [6], alliages à mémoire de forme [7] [8] ou
actionnement par fléchissement continu obtenu par des tiges flexibles [9] [10].
L’étude de ce dernier mode a fait apparaître dans les années 2000 un nouveau
concept obtenu par la combinaison de plusieurs tubes flexibles [11] [12]. En
particulier, un assemblage télescopique s’est imposé sous le nom de « active
cannulas » [13], puis de « concentric tube robots » [14] [15].
Dans la section 2, les RTC sont présentés et les méthodes de modélisation de
ce type de robot sont introduites. La section 3 se concentrera sur les diffé-
rentes conceptions de l’unité d’actionnement et des tubes utilisés dans les
RTC. La section 4 s’intéressera à la commande des RTC et sera suivie en
section 5 par les techniques de planification de trajectoires. Un sommaire des
applications des RTC est proposé à la section 6. Les prototypes disponibles en
France sont décrits à la section 7. Enfin, la section 8 conclut l’article et propose
des perspectives.

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_________________________ CONCEPTION, MODÉLISATION ET COMMANDE DES ROBOTS À TUBES CONCENTRIQUES : VERS DES APPLICATIONS MÉDICALES

1. Présentation et dit « continu » à une multitude de segments toriques, comme


détaillée dans [3]. La première étape de modélisation est de défi-
modélisation des RTC nir le nombre m de segments présents dans le robot
partant d’un nombre de tubes déterminé. Ces segments sont spé-
en

cifiés par (a) le nombre de tubes en interaction et (b) la forme de


Dans cette section, une présentation des RTC est proposée et chaque tube (droit ou courbé). Prenons un exemple simple d’un
sera suivie par la modélisation. Nous y détaillerons les différents premier tube courbé (C1) contenant un second tube de même lon-
modèles développés, en tenant compte des caractéristiques méca-

1
gueur. Ce dernier est constitué d’une partie droite (L2) et d’une
niques, géométriques et cinématiques propres aux RTC.
partie courbée (C2). L’ensemble constitue alors deux segments : le
premier pour L2 à l’intérieur de C1 et le second pour C2 à l’inté-
1.1 Présentation des RTC rieur de C1. Similairement, pour n = 3 tubes constitués chacun
d’une partie proximale droite Li et d’une partie distale courbée Ci,
Un robot à tubes concentriques (RTC) est une architecture robo- m = 6 segments sont définis tels que décrits sur la figure 2.
tique de type continu possédant une unité d’actionnement (UA) à
Dans le cas où trois tubes (n = 3) totalement courbés (C1, C2 et
la base du robot (dite « déportée ») et une structure mécanique
C3) sont en interaction, trois segments sont définis également
constituée de tubes flexibles pouvant avoir chacun une partie
(m = 3). Cette configuration est décrite schématiquement sur la
droite (Li, i est le ième tube, i ∈ {1..n}) et une partie courbée (Ci) et figure 3.
qui sont assemblés de manière télescopique (figure 1).
Selon l’hypothèse de courbures constantes, chaque segment j
Pour un RTC à n tubes, l’UA est généralement composée de n peut être représenté par un arc de cercle, et paramétré en 3D.
translations et n rotations assurant le déplacement relatif entre Ainsi, les paramètres d’arc sont : sa courbure κj, l’angle d’équi-
chaque tube. La conception de l’UA nécessite une attention parti- libre « hors-plan » dans lequel il se trouve ϕj et sa longueur ℓj.
culière et sera détaillée dans la section 3. Les parties courbées des L’angle de courbure θj peut aussi être défini tel que θj = κj ℓj. Ces
tubes constituent la clé de voûte du mouvement de l’extrémité du
robot. Elles sont obtenues par traitement thermomécanique des paramètres d’arc sont décrits schématiquement sur la figure 4.
tubes, généralement faits en Nitinol. Ainsi, les courbures ne Afin de déterminer les paramètres d’arcs mentionnés ci-dessus,
l’approche se base essentiellement sur la théorie des poutres
doivent pas excéder , avec D le diamètre du tube et ε la (Euler-Bernoulli). Plusieurs tubes de courbures et de rigidités dif-
déformation limite du matériau (8 à 11 % pour le Nitinol [16]). férentes s’équilibrent à l’instar de plusieurs ressorts attachés à
leurs deux extrémités. Un segment j peut ainsi être décrit par sa
Nota : parmi les fabricants de tubes en Nitinol, on peut citer Minitubes (http://www.mini- courbure et son angle d’équilibre respectivement :
tubes.com), Euroflex GmbH (http://www.euroflex.de), Memry (http://memry.com), etc.

(1)
1.2 Modèle géométrique à flexion en tenant compte des deux composantes des courbures suivant
les directions x et y respectivement :
L’approche standard de modélisation des RTC repose sur
quelques hypothèses essentielles. L’hypothèse structurelle
consiste en un déploiement télescopique des tubes. Ainsi, outre
l’évidence d’avoir des tubes de diamètres Di croissants, l’insertion (2)
linéaire de ces tubes ρi est considérée strictement décroissante.
Ainsi, le nombre de tubes en interaction dans chaque portion du
robot reste constant, comme schématisé sur la figure 2. D’autre
part, l’hypothèse géométrique est celle de courbures constantes. où Ei désigne le module d’élasticité du tube i, Ii son moment
En effet, cette approche permet d’approximer la forme d’un robot d’inertie, κi, j la courbure initiale de sa portion se trouvant à l’inté-

Moteurs de translation

Tube 2
Tube 1

Tube 3

Laser

Moteurs de rotation

Figure 1 – Structure d’un robot à tubes concentriques avec une vue agrandie à droite qui met en exergue la partie effective du robot. Les
diamètres des tubes présentés sont croissants et l’organe terminal est capable de porter un outil (ici un laser)

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CONCEPTION, MODÉLISATION ET COMMANDE DES ROBOTS À TUBES CONCENTRIQUES : VERS DES APPLICATIONS MÉDICALES _________________________

Partie droite L
Base du robot
Partie courbée C
ρ1
ρ2
ρ3

1
D1

D2

D3

α3
α2
α1
S1 S2 S3 S4 S5 S6

Figure 2 – Distribution des m = 6 segments pour n = 3 tubes de diamètres Di constitués chacun d’une partie droite Li et d’une partie courbée Ci
et ayant une translation ρi et une rotation αi. Les tubes ont été redressés pour la clarté de l’explication

z3

x3 y3 ℓj

Segment 3
κ3
y2 z2
{ ϕ3
ℓ3
zj
zj–1
yj–1
yj
θj
rj = 1/κj

x2

Segment 2 xj–1
xj (rj, 0, 0)
ϕj
κ2
z1

y1
{ ϕ2
ℓ2
Figure 4 – Description schématique des paramètres d’arc. L’axe zj est
l’axe principal du segment j et ϕj est l’angle d’équilibre du plan xj – zj
dans lequel se trouve cet arc par rapport à celui précédent xj – 1 – zj – 1.
x1 rj désigne le rayon de l’arc (où κj = 1/rj) et θj est l’angle de courbure
défini à partir de la longueur d’arc ℓj

Segment 1
κ1

z0
{ ϕ1
ℓ1
gueurs des segments peuvent être retrouvées par la suite (dès
que t > 0) par la simple soustraction des longueurs des tubes en
interaction en tenant compte de leur forme (courbée ou droite). En
y0 revenant à l’exemple de la figure 3, les longueurs des trois seg-
ments peuvent être définis comme suit :
x0
(3)

Figure 3 – Distribution des trois segments pour trois tubes totale- avec ρi (i∈{1..n} la translation linéaire du tube i par rapport à la
ment courbés. Le repère de référence {x0, y0, z0} est fixé à la base base du robot.
du premier segment et donc du robot
Jusqu’à présent, seul l’espace des actionneurs
et celui des paramètres d’arc χ ∈⺢2m
rieur dudit segment j, et αi son angle initial d’insertion autour de
l’axe zj. Finalement, la longueur ℓj du segment j peut être définie ont été définis, sachant que tel que
comme suit. La pose initiale du robot est définie comme celle où
, . L’espace de travail (ou espace carté-
tous les tubes sont rétractés ℓjt=0 = 0 pour . Les lon- sien), qui contient la pose du robot, est défini par X.

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_________________________ CONCEPTION, MODÉLISATION ET COMMANDE DES ROBOTS À TUBES CONCENTRIQUES : VERS DES APPLICATIONS MÉDICALES

Espace des actionneurs Espace de configuration Espace des tâches

Fonction Fonction
spécifique indépendante

Coordonnées
articulaires
Paramètres
d’arc
Coordonnées
opérationnelles
1
q χ X

κ1
α1
ϕ1

αn ℓ1 0R 0t
m m
ρ1 …
κm 0 1

ϕm
ρn
ℓm

n tubes m sections 6 ddl

Figure 5 – Définition des fonctions de passage entre les espaces des actionneurs, de configuration et des tâches

Deux fonctions, telles que schématisées sur la figure 5, sont 1.3 Modèle cinématique
définies pour décrire le passage entre les trois espaces précédem-
ment présentés :
1.3.1 Cinématique indépendante
– une fonction spécifique (à l’actionnement) qui dépend unique-
ment des actionneurs utilisés (moteurs de translation et de rotation
de l’actionnement
dans le cas exposé ici). Cette fonction permet le passage des para- La cinématique indépendante de l’actionnement est obtenue
mètres actionneurs q aux paramètres d’arc χ. Les équations (1), (2) par dérivation temporelle de la fonction indépendante et décrit la
et (3) sont suffisantes pour définir cette fonction ; vitesse spatiale d’un segment. Cette dernière est définie comme
– une fonction indépendante (de l’actionnement) qui est tribu- étant la vitesse de l’extrémité distale dudit segment par rapport à
taire de la géométrie du robot et peut être développée de manière sa base (et donc par rapport à l’extrémité du segment précédent).
générique tant que l’hypothèse de courbure constante est satis- Ainsi, nous obtenons :
faite. Elle permet alors le passage des paramètres d’arc χ à la pose
du robot X. (6)
Afin de définir la fonction indépendante, une matrice de trans- où l’opérateur ∧ convertit de ⺢3 vers so (3) (l’algèbre de Lie de
formation est détaillée dans ce qui suit. Cette transformation,
SO(3)) et également de ⺢6 vers se(3) (l’algèbre de Lie de SE(3)) tel
notée j – 1Tj, permet le passage de la base du segment j – 1
que défini dans [17], j – 1gj est la notation exponentielle de j – 1Tj
vers celle du segment j. Elle contient la translation
(cf. équation (4)), telle que définie dans l’équation 31 de [3]. Ainsi,
(exprimée dans le repère {Xj , Yj ,
. Par ailleurs, l’opérateur signifie la dérivée par
Zj }), la rotation de centre (exprimé dans ce même rapport au temps dg/dt de la fonction g.
repère) et d’angle θj = κjℓj (angle de courbure) autour de l’axe yj En convertissant l’équation (6) de se(3) vers ⺢6 (en utilisant
et celle hors-plan d’angle ϕj autour de l’axe zj (figure 4). Ainsi, la l’inverse de l’opérateur ∧ précédemment défini), la vitesse du seg-
matrice de passage est obtenue par l’équation (4). ment j devient :

(4)
(7)
Dans le cas général, le passage de la base d’un robot à m seg-
ments vers son organe terminal se met sous la forme :

(5)

où Δϕj = ϕj – ϕj–1. La matrice cinématique indépendante d’un seg-


Pour le cas présenté sur la figure 3, la matrice de passage totale
pour les m = 3 segments s’écrit donc : 0T3 = 0T1 1T2 2T3. ment est ainsi définie dans le repère local du segment et

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CONCEPTION, MODÉLISATION ET COMMANDE DES ROBOTS À TUBES CONCENTRIQUES : VERS DES APPLICATIONS MÉDICALES _________________________

permet la description de la vitesse moyennant l’utilisation des Par conséquent, les dérivées de la courbure et de l’angle d’équi-
vitesses des paramètres d’arc équivalents (cf. fonction indépen- libre du segment j par rapport au temps s’expriment en fonction
dante). Afin d’exprimer cette vitesse de segment dans le repère du des variations des actionneurs comme suit :
robot, la transformation adjointe, introduite notamment dans [17] et

notée Ad, est utilisée, telle que où 0Rj et (14)


0p désignent les composantes de rotation et de translation de la

1
j
Ainsi, l’expression de la vitesse des paramètres d’arc en fonc-
matrice 0Tj respectivement, et [0pj]x est la matrice du préproduit vec-
tion de celle des actionneurs, pour la configuration de la figure 3,
toriel par 0pj. Ainsi, on obtient . s’écrit :
La vitesse 0Vm de l’organe terminal, exprimée dans le repère de
base du robot, est la somme des vitesses 0Vj de chaque segment :

(8) (15)
L’équation (8) peut s’écrire matriciellement :

(9)

avec et
la matrice où ,
spec
cinématique indépendante complète telle que Jindep ∈ ⺢6×2m . et ∈ ⺢9×6 est la matrice jaco-
bienne cinématique spécifique.
Ainsi, dans le cas présenté sur la figure 3, la matrice cinéma-
tique indépendante complète s’écrit : Finalement, le modèle cinématique total peut être établi par :

(10)
(16)
avec ∈ ⺢9×6 car m = 3. avec J la matrice jacobienne cinématique totale du robot.

1.3.2 Cinématique spécifique à l’actionnement


1.4 Modèle à flexion et à torsion
La dérivation de la fonction spécifique par rapport au temps
permet l’établissement du modèle cinématique spécifique à Le modèle présenté ci-dessus prend en compte les interactions
l’actionnement. Ceci permet de relier les vitesses des paramètres élastiques entre les tubes, mais celles dues à la flexion unique-
d’arc à celles des actionneurs utilisés. ment. Les caractéristiques mécaniques en flexion et en cisaille-
Les variations des longueurs d’arc – en tenant compte de la ment des tubes en Nitinol impliquent une forte torsion qui affecte
dérivation de l’équation (3) et en prenant la configuration de la la précision du modèle géométrique préalablement présenté. Des
figure 3 comme référence – s’écrivent : travaux ont été menés pour améliorer la précision du modèle géo-
métrique des RTC en considérant les efforts et forces de torsion
(11) dans le modèle statique, dans un premier temps dans les parties
D’autre part, en dérivant l’équation (1) par rapport au temps, les droites des tubes uniquement [18], puis dans toutes les parties
variations de la courbure et de l’angle d’équilibre pour un seg- droites et courbées [14]. Nous présentons ici brièvement le prin-
ment j s’écrivent comme suit : cipe du modèle géométrique introduit par Dupont et al. [14], qui
se base sur la théorie de Cosserat [19].
La première étape consiste à calculer les composantes des vec-
teurs courbures [uix(s) uiy(s) uiz(s)] et les angles d’orientation de
(12)
chaque tube à chaque point s ∈ [0, l] du robot. Le calcul de ces
variables nécessite la résolution d’un système d’équations diffé-
rentielles non linéaires avec conditions aux limites.
La notation matricielle est préférée, notamment, pour la clarté
des développements et pour la conformité avec le modèle géomé- Nous nous restreignons ici au cas de deux tubes, pour lequel le
trique précédemment développé. De manière similaire, pour système différentiel s’écrit (cf. équation 42 dans [14]) :
tubes concentriques présents dans le segment j, la dérivation de
l’équation (2) donne :

(13) (17)

avec .

où ix i sont les composantes de la précourbure qui corres-


Remarquons que la dimension et le contenu de la matrice Cj sont pondent à la flexion, ix est la composante de la précourbure qui
fonction du nombre de tubes en interaction dans le segment j. correspond à la torsion.

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S 7 767 – 6

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S7768

Les robots parallèles


par Olivier COMPANY
Maı̂tre de conférences à l’université de Montpellier 2
Laboratoire d’Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier

1
(LIRMM), UMR CNRS 5506, Montpellier, France

et Sébastien BRIOT
Chargé de Recherche au CNRS
Institut de Recherche en Communications et Cybernétique de Nantes (IRCCyN), UMR
CNRS 6597, Nantes, France

1. Topologie des architectures de robots parallèles .................... S 7 768 – 2


1.1 Déplacements dans un plan .............................................................. — 2
1.2 Déplacements dans l’espace tridimensionnel ................................... — 3
1.3 Robots redondants ............................................................................. — 5
2. Modélisation des robots parallèles ............................................. — 7
2.1 Modélisation géométrique ................................................................. — 7
2.2 Modélisation cinématique ................................................................. — 15
2.3 Modélisation cinétostatique .............................................................. — 17
2.4 Modélisation dynamique ................................................................... — 19
3. Applications et technologies........................................................ — 21
3.1 Cas d’applications industrielles ......................................................... — 21
3.2 Technologies ....................................................................................... — 23
4. Conclusion........................................................................................ — 25
5. Glossaire ........................................................................................... — 25
Pour en savoir plus.................................................................................. Doc. S 7 768

es robots parallèles sont une catégorie de robots présentant des chaı̂nes


L cinématiques fermées. Le champ des architectures cinématiques possibles
est très vaste, ainsi que le nombre de domaines d’applications qui s’étendent de
la micromanipulation à la manipulation de charges élevées, en passant par des
applications industrielles plus classiques telles que le pick-and-place à haute
cadence (jusqu’à 3 ou 4 produits déplacés par seconde). Les performances des
robots parallèles sont complémentaires et généralement à l’opposé de celles
des robots série. Ils ouvrent donc de nouvelles pistes pour la robotisation de
certaines tâches. Ils représentent aujourd’hui une faible part de marché pour
les robots industriels commercialisés, mais ils s’imposent naturellement
pour certaines applications. Pour d’autres, ils sont en concurrence avec leurs
homologues série. Une fois leur architecture cinématique choisie, leur étude
demande de la méthodologie et une modélisation fine afin d’évaluer leurs per-
formances. Cet aspect ne doit pas être négligé car les performances sont extrê-
mement sensibles à leur géométrie, en particulier à cause de la présence de
nouveaux types de singularités par rapport aux robots série.
Cet article propose, dans un premier temps, de rappeler les types les plus cou-
rants de cinématiques parallèles connues à ce jour. Cette présentation sera ordon-
née en fonction du nombre de degrés de liberté (ddl) de l’organe terminal (de 2 à 6).
Nous proposons ensuite une méthode de modélisation générique capable de pren-
dre en compte tous les cas de cinématiques de robots parallèles existants et futurs.
Cette méthode couvre tous les robots parallèles, quel que soit le nombre de ddl de
leur organe terminal, qu’ils soient redondants d’un point de vue cinématique ou du
point de vue de l’actionnement, qu’ils possèdent des chaı̂nes cinématiques com-
plexes ou non, ou bien qu’ils aient une plate-forme mobile rigide ou articulée.
Nous consacrons la partie suivante au rappel des domaines dans lesquels il
existe aujourd’hui des applications, avec les cinématiques qui sont utilisées.
Parution : mars 2015

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S7768

LES ROBOTS PARALLÈLES –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Cet article se termine par une partie technologique destinée à passer en revue
les dispositions constructives utilisées pour ces robots et à faire part de l’expé-
rience des auteurs quant à leur conception.

Delta 2 de Schneider Electric [2] (figure 2) et certaines cinématiques

1 1. Topologie des architectures


de robots parallèles
de machines-outils (figure 2). Le point faible est la rigidité perpen-
diculairement au plan des déplacements de l’organe terminal.

Plate-forme

Un robot parallèle se définit classiquement par une plate-forme zp


mobile, portant l’organe terminal (ou effecteur), reliée à une base yp
fixe (châssis) par au moins deux jambes composées d’articulations xp P
actionnées et d’articulations passives (figure 1). Si un robot paral- A1m An m
1 n
lèle possède 6 jambes et que chacune d’entre elles compte 6 articu- A2m Ak m
2 k
lations (autant qu’un robot série 6 axes), l’ordre de grandeur du
nombre de topologies de robots parallèles possibles est celui du Liaisons
nombre de robots série possibles élevé à la puissance 6. On ne A1(m -1)
1 A2(m -1) passives An(m -1)
n
2 Ak(m -1)
peut donc pas présenter une liste exhaustive des topologies de k
robots parallèles, d’autant que seules certaines présentent un inté- A23
A13 Ak3
rêt sur le plan des performances. On notera cependant qu’il existe
An3
des catalogues référençant une grande quantité d’architectures de
robots parallèles [1].
Liaisons
On se limitera ici aux principales topologies connues et qui ont A22 actionnées Ak2
déjà trouvé des applications. Elles sont regroupées en fonction du A12
An2
nombre et du type de ddl de leur organe terminal.
A21 Corps Ak1
1.1 Déplacements dans un plan A11
z0 An1

1.1.1 Deux ddl en translation y0


x0 O
La première option pour réaliser des translations dans un plan
est de construire un mécanisme plan qui utilise un ou plusieurs Base
parallélogrammes pour maintenir constante l’orientation de
l’organe terminal. Dans cette famille, on trouve le robot PacDrive Figure 1 – Un robot parallèle générique

x
O

a Robot PacDrive Delta 2 b Exemple de module utilisé pour


construire une machine-outil

Figure 2 – Cinématiques à deux ddl en translation

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––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– LES ROBOTS PARALLÈLES

z0
x0
Base Proximal loop
Parallelogram

1
y0

1 Elbow

Distal loop

Leg II

Platform Leg I

a Robot PAR2 (1-actionneur ; b Robot IRSBOT2


2-rotations passives couplées)

Figure 3 – Cinématiques spatiales à deux ddl en translation

a Mécanisme 3-PRR b Mécanisme 3-RRR c Mécanisme 3-RPR

Figure 4 – Cinématiques planes à trois ddl

La deuxième option qui permet de gagner en rigidité hors plan est Comme il s’agit de restreindre les mouvements de la plate-forme
de construire des mécanismes spatiaux comme ceux des robots mobile à 3 translations, les jambes de ces mécanismes comportent
PAR2 [3] et IRSBOT2 [4] (figure 3). C’est leur cinématique qui contraint souvent des paires de barres de longueur identique. L’architecture
leur organe terminal à se déplacer en translation dans un plan. du robot Delta [6] et ses variantes sont particulièrement adaptées
pour fournir ces 3 ddl.
1.1.2 Trois ddl On notera que certaines tâches demandent, en plus, une rotation
autour d’un axe de direction constante. Dans ce cas, les architectu-
Il peut être nécessaire de contrôler la position et l’orientation de
res à 3 ddl peuvent être complétées avec une rotation « portée »
l’organe terminal pour des tâches fines de positionnement ou de
par la plate-forme mobile. L’actionnement de cette rotation peut se
déplacement dans un plan. La figure 4 présente les mécanismes per-
faire directement à l’aide d’un moteur embarqué ou bien fixé sur le
mettant de réaliser ces tâches [5]. Quand le volume de travail est de
châssis du robot (la rotation est alors transmise jusqu’à la plate-
petite taille et qu’une haute précision est demandée, on peut utiliser forme par une chaı̂ne cinématique de type UPU) ; l’actionnement
des articulations flexibles (dans ce cas, il est plus aisé de réaliser des de cette famille de cinématiques se fait au niveau de la base et
articulations rotoı̈des que des articulations prismatiques). peut être de type prismatique ou rotoı̈de (figure 5).

1.2 Déplacements dans l’espace 1.2.2 Trois ddl en rotation


tridimensionnel Les mécanismes à 3 ddl en rotation (autour d’un point fixe) trou-
vent des applications dans le domaine du tracking (caméras, anten-
1.2.1 Trois ddl en translation nes, etc.) et des interfaces haptiques où on les utilise comme poi-
gnet monté en série avec une autre architecture. La plupart du
Les mécanismes à 3 ddl en translation sont utiles pour les tâches temps, les jambes de ces architectures sont composées de rota-
d’usinage et de pick-and-place en particulier à haute cadence. tions motorisées, d’articulations rotoı̈des passives respectant une

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LES ROBOTS PARALLÈLES –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

a IRB 340 FlexPicker (ABB) b Robot Orthoglide (IRCCyN)

Figure 5 – Deux versions de la cinématique Delta

contrainte de concourance des axes en un seul point (celui qui sera


le centre de rotation de la plate-forme mobile). Dans cette famille,
le robot le plus souvent cité est le robot Agile Eye [8] (figure 6).

1.2.3 Trois ddl exotiques


Par construction, les mécanismes réalisant uniquement des transla-
tions pures ou des rotations pures peuvent être complexes. La littéra-
ture comporte beaucoup de mécanismes à 3 ddl dont les translations
et les rotations sont couplées. Certains de ces mécanismes sont extrê-
mement simples et ont donné lieu à des robots qui sont commerciali-
sés. Par exemple, on mentionne le Tricept (dont la jambe centrale est
dite « passive » car elle ne contient aucun actionneur et dont l’utilité
est de contraindre les ddl de la plate-forme mobile) et l’Exechon
(figure 7) qui sont souvent complétés par un poignet porté procurant
les ddl manquants et permettant de compenser les rotations induites
par les translations du porteur parallèle.

1.2.4 Quatre ddl type Schönflies


Les mouvements dits « de type Schönflies » sont l’ensemble des
mouvements combinant les trois translations de l’espace et une
rotation autour d’un axe de direction fixe. Ce sont les mouvements
fournis par les robots série de type SCARA. Les applications de ces Figure 6 – Robot Agile Eye

a Robot Tricept b Robot Exechon

Figure 7 – Robots à porteur parallèle avec ddl couplés

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––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– LES ROBOTS PARALLÈLES

mécanismes sont donc les mêmes et sont typiquement le pick-and- positionneurs précis (objets, échantillons, antennes…), machines-
place à haute cadence si le robot est dit « léger ». On peut aussi outils, simulateurs de vol ou de conduite, etc.
réaliser des machines d’usinage 4 axes basées sur ces architectu- Les hexapodes ne sont pas les seuls mécanismes à 6 ddl. On
res. Une des principales difficultés de ces mécanismes est que peut, par exemple, citer l’architecture Hexa [14], mais il en existe
l’amplitude de la rotation est limitée. Mentionnons ici la machine
bien d’autres dans la littérature car un grand nombre de combinai-
HitaSTT et le robot Adept Quattro (dont la rotation est amplifiée)
sons de liaisons permet de réaliser une jambe à 6 ddl.
qui possèdent tous deux une plate-forme articulée (figure 8).
Nota : au sens des auteurs, le terme « léger » est utilisé pour un robot dont les masses
et inerties en mouvement sont réduites au maximum par construction. Il s’agit de ciné-
1.3 Robots redondants
1
matiques dont les actionneurs sont sur la première articulation (au plus proche de la
base). Ainsi, le couple fourni par les moteurs est en grande partie converti en accélération
de la plate-forme (et de la charge). Un robot parallèle redondant est un robot dont le nombre d’action-
neurs est strictement supérieur au nombre de ddls de la plate-forme.
1.2.5 Six ddl On distingue deux types de redondance : d’actionnement et cinéma-
tique. Bien utilisée, elle améliore les performances (dynamique, raideur)
L’hexapode [13] (plate-forme de Gough-Stewart) est le robot à et/ou permet d’augmenter la taille de l’espace de travail opérationnel.
6 ddl le plus connu et historiquement l’un des premiers. Il est com-
posé de 6 jambes UPS. Les liaisons prismatiques sont actionnées. 1.3.1 Redondance d’actionnement
De nombreux travaux ont été consacrés à l’étude de ces robots
(modélisation, singularités, etc.) car leurs performances sont forte- La redondance d’actionnement se définit par le fait d’avoir, une fois
ment dépendantes de la position des liaisons sur la base et sur la la position des actionneurs fixée, au moins une contrainte géomé-
plate-forme mobile. Les rotations sont, en principe, d’amplitude trique en trop sur la position de la plate-forme mobile. Elle peut se
limitée. Le champ des applications est très vaste (figure 9) : matérialiser soit par l’ajout d’une jambe actionnée supplémentaire

a Machine HittaSTT b Robot Adept Quattro s650H

Figure 8 – Robots parallèles avec ddl de type Schönflies

a Positionneur BREVA (Symétrie) b Machine-outil Variax (Giddings & Lewis)

Figure 9 – Hexapodes

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LES ROBOTS PARALLÈLES –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

(figure 10a), soit par l’ajout d’un actionneur sur une liaison passive  une homogénéisation des performances sur le volume de tra-
(figure 10b). La redondance d’actionnement a pour conséquences : vail. À puissance installée égale, on ne produit pas d’amélio-
 de ne pas pouvoir choisir indépendamment les variables arti- ration des performances (dynamique, raideur) maximales,
culaires car elles sont contraintes par la cinématique du mais ces performances sont homogénéisées dans l’espace
mécanisme ; de travail.
 si les efforts articulaires sont choisis de manière arbitraire, des On notera également, que le degré de redondance doit rester
efforts internes qui ne produisent pas d’effort opérationnel limité (1 ou 2) car au-delà, ces apports sont nuls ou négatifs. La
sont générés. On doit donc utiliser des algorithmes de com- figure 10d présente le robot plan DualV qui possède 4 jambes et

1
mande différents (la simple commande dans l’espace articu- 4 actionneurs pour générer les 3 ddl du plan.
laire est dangereuse car elle ne gère pas les efforts internes) ;
 de ne pouvoir établir de manière unique que les modèles géo- 1.3.2 Redondance cinématique
métriques et cinématiques inverses, ainsi que les modèles Pour les robots parallèles cinématiquement redondants, on a une
dynamiques directs. infinité de choix pour les variables articulaires, sans que la position
Malgré cela, on peut retirer des bénéfices de la redondance de la plate-forme ne soit changée.
d’actionnement tels : Les principaux intérêts de ce type de redondance sont :
 une augmentation du volume de travail, en particulier en rota-  de rendre plus facilement commandable un robot redondant
tion, car on peut alors s’affranchir de certaines singularités de d’actionnement en ajoutant un ou plusieurs corps et autant de
type 2 (figure 10c) ; liaisons. Dans ce cas, si le choix des liaisons est judicieux, le

a Redondance d'actionnement par b Redondance d'actionnement par


ajout d'une jambe actionnée ajout d'actionneur sur une liaison
passive

c Robot 3 RRR en singularité de Type 2 d Robot plan DualV (4-RRR)

e Transformation de redondance f Redondance cinématique par


d'actionnement en redondance ajout d'un corps et d'une liaison
cinématique actionnée

Figure 10 – Différents cas de redondance

S 7 768 – 6 Copyright © - Techniques de l’Ingénieur - Tous droits réservés

82
Conception, modélisation et commande en robotique
(Réf. Internet 42398)

1– Conception 2
2– Modélisation et commande Réf. Internet page

Modélisation et commande des robots manipulateurs S7730 85

Modélisation et commande des robots humanoïdes S7753 89

Commande des robots humanoïdes S7754 93

Conception, modélisation et commande des robots mobiles terrestres S7755 97

Robots cuspidaux : théorie et applications S7857 101

Intégration robot-capteur S7780 107

Téléopération - Principes et technologies S7810 111

Téléopération. Contrôle commande S7811 115

Les voiliers robotisés S7815 119

Mécanismes de tenségrité pour la robotique de manipulation S7817 125

Géométrie et commande des drones S7818 131

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83
2

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S7730

Modélisation et commande
des robots manipulateurs

par Alain LIÉGEOIS

2
Professeur de l’université Montpellier-II, Institut des sciences de l’ingénieur
Enseignant-chercheur au Laboratoire d’informatique, de robotique
et de microélectronique de Montpellier (LIRMM )

1. Morphologie .............................................................................................. S 7 730 - 3


1.1 Graphe du mécanisme ................................................................................ — 3
1.2 Articulations ou « liaisons »........................................................................ — 3
1.3 Torseurs cinématique et dynamique d’un corps rigide............................ — 4
1.4 Degrés de liberté d’un mécanisme ............................................................ — 5
1.4.1 Premier mode de calcul ..................................................................... — 5
1.4.2 Second mode de calcul ...................................................................... — 5
2. Changements de coordonnées directs .............................................. — 6
2.1 Modèle géométrique direct ........................................................................ — 6
2.1.1 Structures arborescentes ................................................................... — 7
2.1.2 Robots manipulateurs avec boucles cinématiques planes ............. — 7
2.1.3 Robots parallèles ................................................................................ — 8
2.2 Modèle cinématique direct ......................................................................... — 8
2.2.1 Structure de chaîne ............................................................................ — 8
2.2.2 Structures avec des boucles simples................................................ — 9
2.2.3 Robots parallèles ................................................................................ — 9
3. Changements de coordonnées inverses............................................ — 9
3.1 Modèle géométrique inverse...................................................................... — 9
3.1.1 Structures série................................................................................... — 10
3.1.2 Robots avec des boucles.................................................................... — 10
3.1.3 Robots parallèles ................................................................................ — 10
3.2 Modèle cinématique inverse ...................................................................... — 11
3.2.1 Structures série................................................................................... — 11
3.2.2 Robots avec des boucles simples ..................................................... — 11
3.2.3 Robots parallèles ................................................................................ — 11
4. Utilisation des matrices jacobiennes ................................................. — 12
4.1 Calcul des efforts statiques......................................................................... — 12
4.2 Inerties de l’organe terminal vues par l’environnement .......................... — 12
4.3 Indice de manipulabilité.............................................................................. — 13
Parution : juin 2000 - Dernière validation : février 2015

4.4 Commande « jacobienne » ......................................................................... — 13


4.5 Commande en effort ................................................................................... — 13
4.5.1 Retour par matrice de raideur ........................................................... — 13
4.5.2 Commande d’impédance................................................................... — 14
4.6 Commande hybride position-force ............................................................ — 14
5. Commande dynamique........................................................................... — 14
5.1 Modèles théoriques de la dynamique ....................................................... — 14
5.1.1 Équations de Newton ......................................................................... — 14
5.1.2 Équations de Lagrange ...................................................................... — 15
5.2 Commande dynamique............................................................................... — 15
5.2.1 Commande théorique : méthode des couples calculés .................. — 16
5.2.2 Commande avec prédicteur............................................................... — 16
6. Conclusion ................................................................................................. — 16
Pour en savoir plus........................................................................................... Doc. S 7 730

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite.
© Techniques de l’Ingénieur, traité Informatique industrielle S 7 730 − 1

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MODÉLISATION ET COMMANDE DES ROBOTS MANIPULATEURS ________________________________________________________________________________

a maîtrise de la conception et du fonctionnement de mécanismes


L complexes motorisés, ou « machines », a toujours été un facteur important
de progrès technologiques et parfois aussi sociaux et économiques dans divers
domaines : transports, production industrielle, travaux publics, exploration et
travail en milieux hostiles, imagerie médicale, etc. La conception, la fabrication
et le pilotage de ces machines ont été rendus possibles grâce aux connaissan-
ces scientifiques et techniques en mécanique, thermodynamique, électrotech-
nique et hydraulique. Ces machines sont destinées à augmenter les possibilités
de l’homme pour la rapidité de ses déplacements et de ses actions, et pour
l’amplification de sa force et de son champ d’action, notamment dans l’accom-
plissement de tâches pénibles, dangereuses et/ou répétitives. Les fonctions

2 généralement concernées sont :


— le déplacement à plus ou moins longue distance sur terre, sur mer, dans
l’air et sous l’eau ;
— la « manipulation » au sens large du terme :
• déplacer un outil pour saisir des objets ou de la matière, les transporter et
les déposer,
• exercer des efforts sur l’environnement ;
— la combinaison des deux fonctions précédentes.
Un robot manipulateur peut donc être considéré d’une manière générale, vu
par son environnement, comme un générateur de mouvements et d’efforts
dans les diverses directions de l’espace.
Sur le plan des applications les plus courantes, on peut distinguer :
— les robots industriels, travaillant généralement à poste fixe, de manière
totalement autonome, et dont les « tâches » sont programmées sur le site par
apprentissage, ou bien hors ligne en utilisant un langage spécialisé ou des
moyens de conception assistée par ordinateur ;
— les robots pour l’intervention et l’exploration en milieu hostile et mal connu
(nucléaire, planétaire, sous-marin ) qui sont le plus souvent téléopérés mais peu-
vent être dotés d’une certaine autonomie locale compte tenu des difficultés rela-
tives aux délais des transmissions et à leur faible bande passante. Les outils de
la « réalité virtuelle » qui émergent dans de nombreux laboratoires et industries
sont susceptibles d’aider les opérateurs dans la commande des manipulateurs
dont sont dotés les véhicules robotisés.
Dans tous ces cas où les robots manipulateurs ne sont pas directement télé-
opérés et doivent posséder une certaine autonomie d’action, leurs systèmes de
commande automatique doivent connaître et compenser les imprécisions
éventuelles puisque l’opérateur humain n’est pas directement dans la boucle
d’asservissement, pour s’adapter aux caractéristiques des machines et de leur
environnement. Pour cela, il est nécessaire de passer par une modélisation
mathématique précise de la géométrie et de la dynamique des bras manipu-
lateurs.
Cet article a pour but de familiariser le lecteur avec les principales notions
nécessaires à l’analyse de la morphologie d’un robot et de ses capacités de tra-
vail, afin de choisir et d’utiliser au mieux un robot industriel du commerce ou
même de concevoir une machine particulière mieux adaptée à ses besoins.

Le lecteur est invité à se reporter à l’article [R 7 734] traitant de l’application de la réalité vir-
tuelle à la robotique, et plus généralement aux articles [R 7 700] et suivants du présent traité
consacrés à la robotique.

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie est strictement interdite.
S 7 730 − 2 © Techniques de l’Ingénieur, traité Informatique industrielle

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________________________________________________________________________________ MODÉLISATION ET COMMANDE DES ROBOTS MANIPULATEURS

1. Morphologie
Un robot manipulateur est constitué par l’assemblage de corps
(segments) rigides en première approximation, et articulés entre
eux. Les articulations peuvent être motorisées (actives) ou non
(articulations passives).

1.1 Graphe du mécanisme


Pour décrire la topologie du mécanisme constituant le robot
manipulateur, on lui associe un graphe dont les sommets sont les
2
corps constitutifs et les arcs représentent les assemblages entre
ces corps. Deux corps extrêmes ont des rôles particuliers :
— la base, qui est fixée au sol ou sur un véhicule ;
— l’organe terminal qui porte l’outil (ou effecteur).
En partant de la base pour aller vers l’effecteur, on pourra
distinguer :
— les structures série, ou sérielles, pour lesquelles le graphe est
arborescent, la base étant la racine et les feuilles étant les organes
terminaux (dans le cas général où il y en aurait plusieurs) (figure 1
par exemple) ;
— les structures parallèles pour lesquelles toutes les chaînes
partent de la base pour aller vers l’organe terminal [4] (figure 2 par
exemple) ; Base attachée à un porteur
— les structures mixtes, présentant des boucles cinématiques,
par exemple des parallélogrammes ou des motorisations par
vérins linéaires (figure 3 par exemple).
Corps des vérins

1.2 Articulations ou « liaisons » Tiges des vérins

On admettra qu’un corps solide rigide isolé dans l’espace à trois


dimensions possède six degrés de liberté : trois composantes d’un
vecteur position et trois composantes d’orientation. Les divers for- Pince
malismes pratiques utilisés pour quantifier ces degrés de liberté
sont précisés au paragraphe 1.4. Quand on relie un tel corps à un
Figure 2 – Exemple de structure parallèle. Poignet à compliance
autre, au moyen de « liaisons » mécaniques, il perd de sa mobilité
active développé par C. Reboulet (doc. ONERA/CERT, Toulouse)
par rapport au second. On peut imaginer diverses combinaisons de
translations et de rotations, dont quelques-unes sont représentées
sur la figure 4.

Poignet

Avant-bras
Dispositif
d'accouplement

Bras
Avant-bras

Bras Épaule

Base Base

Figure 3 – Exemple de structure mixte. Robot avec boucles


Figure 1 – Exemple de structure série. Bras (doc. Adept) (doc. Afma Robots)

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87
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S7730

MODÉLISATION ET COMMANDE DES ROBOTS MANIPULATEURS ________________________________________________________________________________

a 5 b 4 c 4

2
d 4 e 3 f 3

g 3 h 2 i 2

j 1 k 1 l 1

Le chiffre indique le nombre de degrés de liberté de la liaison

Figure 4 – Liaisons. Paires cinématiques

Dans l’assemblage de robots manipulateurs, les liaisons les plus


courantes sont :
— la liaison rotoïde R (ou pivot) à un degré de liberté
(figure 4j ) ; Origine de θ2
— la liaison prismatique P (ou glissière) à un degré de liberté r1 r2 θ2
(figure 4k ) ;
θ1
— la liaison rotule S (sphérique) à trois degrés de liberté, équi-
valente à R3 (figure 4f ) ;
— la liaison cardan U (joint universel) à deux degrés de liberté,
équivalente à R2 (figure 4i ).

Nous avons également représenté des liaisons unilatérales


(figures 4a, c et g ) qui ne servent pas à proprement parler dans Origine de θ1
l’assemblage de mécanismes, mais peuvent représenter locale-
ment (une surface est approchée par son plan tangent) des rela-
tions temporaires entre l’organe terminal du robot et son Figure 5 – Came ou engrenage
environnement.

D’autres liaisons, comme le roulement sans glissement, équiva-


lent à un mouvement plan sur plan, existent dans les cames et les 1.3 Torseurs cinématique et dynamique
réducteurs à engrenages (figure 5). Comme dans le système vis- d’un corps rigide
écrou (figure 4l ), elles ne rajoutent pas de degré de liberté puisque
l’on peut écrire, en coordonnées polaires :
Le mouvement d’un corps solide rigide est déterminé à chaque
r1 dθ1 + r2 dθ2 = 0 avec r 1 + r 2 = constante (1) instant par le vecteur vitesse V d’un de ses points (son centre

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88
Référence Internet
S7753

Modélisation฀des฀robots
humanoïdes
par Gabriel฀ABBA
Professeur฀ des฀ universités฀ à฀ l’ENI฀ de฀ Metz฀ et฀ au฀ Laboratoire฀ de฀ conception฀ fabrication

et
commande฀(LCFC,฀EA฀4495)
Yannick฀AOUSTIN
Maître฀de฀conférences฀à฀l’université฀de฀Nantes,฀Institut฀de฀recherche฀en฀communication฀et
2
cybernétique฀de฀Nantes
(IRCCyN,฀UMR฀CNRS฀6597)

1. Robot฀humanoïde .................................................................................. S 7 753 - 2


2. Géométrie฀du฀robot .............................................................................. — 2
2.1 Matrice de transformation et paramétrage ............................................ — 2
2.2 Modèle géométrique direct pour un robot humanoïde......................... — 2
2.3 Modèle géométrique inverse................................................................... — 3
3. Cinématique฀du฀robot฀humanoïde.................................................... — 4
3.1 Cinématique directe du premier ordre.................................................... — 4
3.2 Cinématique directe du deuxième ordre ................................................ — 5
4. Contact฀avec฀l’environnement .......................................................... — 5
4.1 Hypothèse de contact ............................................................................... — 5
4.2 Nature du contact et frottements ............................................................ — 6
4.3 Influence sur le robot des torseurs d’interaction ................................... — 9
4.4 Résolution des équations – Machines à états ........................................ — 10
5. Modèle฀dynamique................................................................................ — 10
5.1 Modèle dynamique direct ........................................................................ — 11
5.2 Modèle d’impact ....................................................................................... — 11
6. Zero moment point฀(ZMP)................................................................... — 11
6.1 Définition du ZMP ..................................................................................... — 11
6.2 Relation entre le ZMP et le CdP ............................................................... — 11
6.3 Méthode approchée de calcul de la position du ZMP ........................... — 12
6.4 Calcul du ZMP lorsque les deux pieds reposent sur le sol.................... — 13
6.5 Mesure du ZMP......................................................................................... — 13
7. Modèles฀simplifiés฀pour฀la฀génération฀de฀marche ...................... — 14
7.1 Modèle Linear฀Inverted฀Pendulum (LIP) ................................................. — 14
7.2 Modèle Cart-Table .................................................................................... — 15
8. Conclusion .............................................................................................. — 16
Pour฀en฀savoir฀plus ......................................................................................... Doc. S 7 753

a฀ notion฀ de฀ robot฀ humanoïde฀ a฀ été฀ introduite฀ au฀ début฀ des฀ années฀ 1970
L pour฀ qualifier฀ des฀ robots฀ mobiles฀ ayant฀ des฀ caractéristiques฀ anthropo-
morphiques฀ par฀ opposition฀ aux฀ robots฀ industriels฀ solidaires฀ d’une฀ base฀ fixe.
Le but฀ de฀ la฀ recherche฀ en฀ robotique฀ humanoïde฀ est฀ d’approcher฀ le฀ plus฀ pos-
sible฀les฀performances฀de฀locomotion฀de฀l’humain.฀Depuis฀les฀premiers฀travaux
de฀Ichirô฀Katô฀et฀ses฀collègues฀de฀l’université฀Waseda฀de฀Tokyo,฀de฀remarqua-
Parution : décembre 2014

bles฀ progrès฀ ont฀ été฀ effectués,฀ notamment฀ en฀ ce฀ qui฀ concerne฀ l’étude฀ de฀ la
stabilité฀d’un฀robot฀humanoïde,฀ses฀allures฀de฀marches,฀voire฀de฀course.฀Néan-
moins,฀les฀performances฀d’un฀robot฀humanoïde฀doivent฀encore฀être฀nettement

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89
Référence Internet
S7753

MODÉLISATION DES ROBOTS HUMANOÏDES _____________________________________________________________________________________________

améliorées฀avant฀qu’il฀puisse฀rivaliser฀avec฀celles฀d’un฀être฀humain.฀Les฀frotte-
ments฀ au฀ niveau฀ des฀ articulations฀ et฀ des฀ transmissions฀ mécaniques฀ ne฀ sont
pas฀ négligeables฀ alors฀ qu’ils฀ sont฀ quasiment฀ nuls฀ chez฀ l’humain.฀ L’autonomie
du฀robot฀humanoïde,฀sa฀puissance฀massique,฀sa฀résistance฀aux฀chocs,฀la฀répar-
tition฀ optimale฀ de฀ sa฀ masse,฀ sa฀ locomotion฀ sur฀ terrain฀ accidenté,฀ l’accomplis-
sement฀ de฀ tâches฀ sécurisées฀ en฀ collaboration฀ avec฀ un฀ humain,฀ son฀ évolution
dans฀un฀environnement฀encombré฀d’obstacles฀sont฀autant฀de฀défis฀qui฀restent
actuels.฀ La฀ modélisation฀ de฀ ces฀ robots฀ représente฀ un฀ aspect฀ essentiel฀ des
recherches฀dans฀ce฀domaine,฀en฀particulier฀grâce฀à฀des฀modèles฀physiques฀très
précis฀tenant฀compte฀des฀phénomènes฀de฀contact฀et฀de฀la฀dynamique฀du฀robot.

2
1. Robot฀humanoïde nécessite 6 + n variables. Les six premières décrivent la position et
l’orientation par rapport à un repère fixe galiléen Fg d’un de ses m
corps, qui est choisi comme corps de référence. Les autres n varia-
Un robot humanoïde, formé de son système locomoteur et de bles permettent de décrire la configuration de ses articulations. Si
ses membres supérieurs, est un mécanisme multicorps. Sa struc- le nombre 6 + n est minimal, les variables utilisées pour la descrip-
ture géométrique est arborescente et anthropomorphe. Sa taille, tion du robot humanoïde sont appelées « coordonnées géné-
sa masse sont proches ou homothétiques à celles de l’humain. Ses ralisées ». Le repère lié à l’articulation j est noté Fj . Contrairement
actionneurs peuvent être de type électrique, pneumatique ou au robot manipulateur à base fixe, le repère de référence F0 est
hydraulique. Il est commandé de sorte à assurer une sécurité mobile (figure 1). Il peut être placé sur n’importe lequel des m
maximale en cas de contact avec un humain. Le robot humanoïde corps. L’avantage de le placer sur la semelle d’un des deux pieds
est ainsi bien adapté à évoluer dans l’environnement conçu pour est de prendre en compte directement le torseur des efforts du sol
l’homme et y effectuer différentes tâches d’assistance ou de tra- sur ce pied. Soit gp0 le vecteur qui exprime la position cartésienne
vail. Il possède des capteurs proprioceptifs pour mesurer ses posi- de F0 dans Fg . La matrice de rotation qui exprime l’orientation F0
tions et vitesses articulaires et des capteurs extéroceptifs pour dans Fg est notée gR0 . Elle est fonction des angles de roulis,
recueillir des informations sur son environnement (force de réac- tangage et lacet, notés respectivement φ,฀ θ et ψ. La matrice de
tion du sol, obstacles, etc.). Un système informatique commande transformation homogène qui définit F0 dans Fg est :
sa locomotion, contrôle sa stabilité et coordonne son interaction
avec l’humain. C’est un robot mobile qui doit gérer durant ses
déplacements la prise en compte des informations de ses capteurs  g R 0 (σ ) gp
0
g T (σ ) = (1)
0  0 1 
et des contraintes unilatérales avec son environnement lors de  1×3
contacts intermittents, synchronisés ou non. La détermination de
la trajectoire de chacun des corps du robot lors de sa locomotion avec σ l’ensemble des angles d’orientation, σ ≜ {φ , θ , ψ } . La
est un problème complexe qui est fonction de ses paramètres phy- transformation qui amène le repère F0 sur le repère Fj est définie
siques. La dimension de ses pieds par rapport à sa taille et la puis- par la matrice de transformation homogène :
sance maximale de ses actionneurs au niveau des chevilles sont
telles que le robot humanoïde est un système mécanique relati-
vement instable en position verticale ou lors de ses déplacements. 0T
j = (0 s j 0n
j
0 a 0p )
j j (2)
Il peut ainsi perdre le contact unilatéral avec le sol et chuter. Le
nombre de ses degrés de liberté indépendants change selon que le où 0sj , 0nj et 0aj désignent respectivement les vecteurs unitaires
robot humanoïde a un ou deux pieds d’appui sur le sol, qu’il soit suivant les axes xj ,฀yj et zj de Fj exprimés dans le repère F0 et 0pj et
assis, en appui sur un mur ou en phase de saut. Pour pallier ces désigne l’origine du repère Fj exprimée dans le repère F0 . La
difficultés, une commande du robot doit être mise en œuvre et méthode de Denavit-Hartenberg modifiée [11] est bien adaptée
tenir compte de son équilibre et de ses contacts avec l’environ- pour représenter chacun des repères Fj , associé à une articulation
nement. Habituellement la stratégie dépend de la géométrie, de la du robot humanoïde, par rapport à son antécédent grâce à des
vitesse et de l’accélération du robot humanoïde. Une modélisation paramètres géométriques. Le paragraphe 2.3 présente un exemple
du robot humanoïde est donc nécessaire. d’utilisation de ces paramètres géométriques.

La principale spécificité de cette modélisation par rapport à


celle d’un robot manipulateur est que le repère de référence est 2.2 Modèle฀géométrique฀direct
mobile par rapport au repère absolu galiléen. De plus, le nom- pour฀un฀robot฀humanoïde
bre de contacts avec l’environnement varie.
Le modèle géométrique direct permet de calculer les coordon-
nées de l’ensemble des points remarquables du robot. Dans le cas
d’une animation, il permet de représenter l’évolution du robot. Il
2. Géométrie฀du฀robot est également utilisé pour déduire d’autres modèles, par exemple
pour la détection des contacts des pieds avec le sol. Pour un pied
de longueur ℓx et de largeur ℓ y (figure 2) et un repère de réfé-
2.1 Matrice฀de฀transformation rence F0 placé sur son arête frontale, la position de chacun des
et฀paramétrage quatre coins de la semelle est :

La description dans l’espace d’un robot humanoïde composé de gp


ei = g p0 + g R0 0 pei , i ∈ {1, 2, 3, 4} (3)
m corps considérés comme rigides et avec n degrés de liberté

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90
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S7753

_____________________________________________________________________________________________ MODÉLISATION DES ROBOTS HUMANOÏDES

2.3 Modèle฀géométrique฀inverse
Ce modèle permet de calculer les variables articulaires du
système locomoteur à partir de coordonnées cartésiennes. Par
exemple, considérons la définition des repères articulaires pour le
système locomoteur d’un robot humanoïde (figure 3). Ce système
zj locomoteur a douze articulations. Les membres supérieurs du
Oj robot humanoïde sont assimilés à un corps rigide fixé au bassin.
Fj Les paramètres géométriques du formalisme Denavit-Hartenberg
modifié sont donnés sur le tableau 1 :
xj yj
– a (j ) désigne le repère antécédent au repèreFj ;
0T
j’ – les paramètres géométriques (αj ,฀θj ,฀rj ,฀dj ) déterminent la loca-

2
E3 lisation du repère Fj par rapport à son repère antécédent a (j ).
gT
0 Supposons le cas où le pied affecté du repère de référence F0 est
en appui sur le sol et que nous souhaitons définir la position et
0 E2 l’orientation de la hanche par :
y0 E1
z0
O0 Fg
 0 sx 0n
x
0a
x
0p
x
F0  0s 0n 0a 0p 
U0 =  
x0 y y y y
(4)
 0s 0n 0a 0p 
 z z z z

 0 0 0 1 

Fg฀= (O,฀E1,฀E2,฀E3)฀: repère fixe galiléen

F0฀= (O0,฀x0, y0, z0)฀: repère mobile de référence

Fj฀= (Oj,฀xj,฀yj,฀zj)฀: repère lié à l’articulation j

g฀T ฀= transformation définissant F dans F


0 0 g r4

0฀T ฀= transformation définissant F sur F q6


j j 0
q4
z6x4 d1
Figure฀1฀–฀Paramétrage฀d’un฀robot฀bipède r10
q5
z7

z4
q3
0p z5 x5 x6
e3
x7
x3 z9
0p
e2 d4
z8
x8 x9

ᐍx z3
z0 d10
q2

q1 d3
x1 x2
0p
e4 z10
0p
F0 y0 e1
x0 x10
z1
x0 z2
y0 d11
ᐍy r1
d1
Lp
z0
Figure฀2฀–฀Modèle฀et฀repère฀d’un฀pied z11
lp
z12
avec les coordonnées des sommets dans le repère F0 définies par x11 x12
d13
 ℓy   ℓy   ℓy  z13
0p
e1 =  0, , 0 , 0 p e2 =  − ℓ x , − , 0  , 0 p e3 =  − ℓ x , , 0 ,
 2   2   2  y13 r13
. x13
 ℓy 
0p
e4 =  0, − , 0
 2 
Figure฀3฀–฀Système฀locomoteur฀et฀repères฀associés

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91
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S7753

MODÉLISATION DES ROBOTS HUMANOÏDES _____________________________________________________________________________________________

Tableau฀1฀–฀Paramètres฀géométriques฀du฀robot฀humanoïde
j a (j ) ␣j ␪j rj dj

1 0 0 q1 ℓ1 d1

2 1 π q2 0 0
2
3 2 0 q3 0 d3

4 3 0 q4 ℓ4 d4

2
5 4 π π 0 0
− q5 −
2 2
6 5 π q6 0 0

2
7 6 0 q7 0 d7

8 7 π π 0 0
q8 −
2 2
9 8 π q9 0 0

2
10 9 0 q10 ℓ 10 = ℓ 4 d10 = d4

11 10 0 q11 0 d11 = d3

12 11 π q12 0 0
2
13 12 0 q13 ℓ 13 = − ℓ 1 d13 = d1

Nous devons résoudre le système : tion du modèle d’impact. Le vecteur des vitesses généralisées peut
s’écrire :
U0 = 0 T1 (q1) 1T2 (q 2 ) 2 T3 (q 3 ) 3 T4 (q 4 ) 4 T5 (q5 ) 5 T6 (q6 ) (5)
 0 v 0(3×1) 
Paul [13] a proposé une méthode heuristique qui consiste à pré- v =  0 ω 0(3×1)  (7)
multiplier successivement les deux membres de l’équation (5) par  qɺ 
la matrice j Tj–1 , j = 1 à n – 1. Pour la jambe en appui, la succession (n ×1)
des équations qui permet le calcul des six variables articulaires q1 ,
q2 , q3 , q4 , q5 et q6 est :
où 0 v 0 ≜ 0 R g g v 0 et 0 ω 0 ≜ 0 R g g ω 0 . Les variables 0v0 et 0ω 0 sont
1T U = 1T 2 T 3 T 4 T 5 T respectivement les vitesses linéaires et angulaires, exprimées dans
0 0 2 3 4 5 6
le repère F0 , du corps zéro par rapport au repère galiléen. La
2 T U = 2T 3T 4T 5T
1 1 3 4 5 6
matrice 0Rg est la transposée de gR0 . Le vecteur des vitesses
3 T U = 3T 4T 5T (6)
2 2 4 5 6
linéaires gv0 est la dérivée par rapport au temps de gp0 . Le vecteur
3 T U = 4T 5T
des vitesses angulaires gω 0 , en tenant compte de l’orientation de
3 3 5 6
5 T U = 5T
4 4 6 F0 par rapport à Fg , est :
avec Uj+1 = j+1Tj Uj pour j = 0, ..., 4. Les types d’équations obtenus
avec la méthode de Paul sont au nombre de huit et conduisent à  0  − sin φ   cos φ cos θ 
des résolutions connues [10].
gω =  0 φɺ +  cos φ  θɺ +  sin φ cos θ  ψɺ (8)
0      
 1  0   − sin θ 

3. Cinématique฀du฀robot฀ Afin d’obtenir la vitesse des sommets i du pied, l’équation (3)


humanoïde pour i = 1, ..., 4 est dérivée par rapport au temps telle que :

gv
ei = g v0 + g Rɺ 0 0 pei (9)
3.1 Cinématique฀directe฀du฀premier฀ordre
La dérivée d’une matrice de rotation est donnée par [16] :
Le modèle cinématique direct du premier ordre permet de calcu-
ler la vitesse absolue des sommets d’un pied en fonction du vecteur ɺ
des vitesses généralisées. Ce calcul est primordial pour la formula-
gR
0 = g ω̂
ω0 gR 0 (10)

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S7754

Commande des robots humanoïdes

par Gabriel ABBA


Professeur des universités à l’Université de Lorraine
Laboratoire de conception fabrication commande

2
(LCFC, EA 4495)
et Yannick AOUSTIN
Professeur des universités à l’Université de Nantes
Institut de recherche en communication et cybernétique de Nantes
(IRCCyN, UMR CNRS 6597)

1. Introduction................................................................................................. S 7 754 - 2
2. État de l’art et spécificités de la commande des robots humanoïdes...... — 2
2.1 Historique des commandes ....................................................................... — 2
2.2 Notions d’actionnement des robots humanoïdes .................................... — 2
2.3 Capteurs nécessaires pour les commandes ............................................. — 3
3. Commandes fondées sur les modèles de simple et double pendules
inversés........................................................................................................ — 4
3.1 Commande fondée sur la méthode du pendule linéaire inversé............ — 4
3.2 Définition du point de capture ................................................................... — 5
3.3 Stabilisateur................................................................................................. — 6
3.4 Double pendule : suivi de CdM et de ZMP................................................ — 6
4. Robots planaires sous-actionnés et complètement actionnés .............. — 7
4.1 Commande d’un robot cinq corps planaire sous-actionné ..................... — 7
4.2 Commande d’un robot sept corps entièrement actionné........................ — 10
4.3 Commande non linéaire avec stabilisation d’un système du second
ordre (régime glissant, H∞)........................................................................ — 12
5. Robots humanoïdes (3D) : stabilité et analyse de Poincaré ................... — 12
5.1 Présentation de la problématique de commande .................................... — 12
5.2 Commande d’un robot 3D par HZD et correction PD............................... — 12
5.3 Consigne paramétrée et optimisation de la marche................................ — 13
5.4 Stabilité orbitale .......................................................................................... — 15
5.5 Autostabilisation et autosynchronisation entre les plans sagittal
et frontal....................................................................................................... — 16
6. Conclusion ................................................................................................... — 17
7. Glossaire ...................................................................................................... — 17
Pour en savoir plus .............................................................................................. Doc. S 7 754

a locomotion des robots humanoïdes est essentielle pour le développe-


L ment de nouveaux systèmes de transport. Elle doit satisfaire des
contraintes de moindre consommation d’énergie afin d’accroître l’autonomie
énergétique, et de respect des conditions de contact unilatéral. Il faut aussi
assurer la stabilité orbitale de la marche malgré les perturbations telles que les
incertitudes de modèle, les irrégularités du sol, ou les interactions avec l’envi-
ronnement. Pour rejeter ces perturbations, nous considérons des stratégies de
commande qui sont associées à la définition des mouvements de référence.
Quelques stratégies de commande de base et des éléments d’analyse de la sta-
bilité orbitale d’une marche cyclique de robots bipèdes planaires et 3D sont
présentés dans cet article.
Parution : octobre 2016

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S 7 754 – 1

93
Référence Internet
S7754

COMMANDE DES ROBOTS HUMANOÏDES _______________________________________________________________________________________________

1. Introduction appui, la deuxième est un simple appui pied à plat sur le sol, et la
troisième est un simple appui avec rotation du pied d’appui
autour des orteils [53]. Dans le plan sagittal, en double appui et en
La commande d’un système a pour objectif de le faire évoluer simple appui pied à plat sur le sol, le couple de la cheville est cal-
d’un état initial donné à un état final ou une évolution de référence culé pour agir comme une correction proportionnelle du moment
donnés. Si elle est définie par un écart entre une variable de sortie cinétique du robot. Dans le plan frontal le robot est assimilé à un
mesurée ou estimée et une consigne ou une trajectoire de réfé- pendule asservi par un retour d’état. Une commande fondée sur
rence, elle est dite commande en boucle fermée. Elle peut égale- le modèle du pendule linéaire inversé (LIP) et la conservation
ment être conçue pour rejeter les perturbations, les erreurs de d’une énergie orbitale est proposée [28]. Cette commande a été
modèles, ainsi que des actions extérieures de l’environnement sur appliquée avec succès sur de nombreux robots humanoïdes dont
le système. La complexité de la commande est croissante selon le fameux robot HRP2 [27]. Dans les années 2000, pour un robot
que le système est monoentrée/monosortie ou multientrées/multi- bipède sans pied nommé Rabbit, des trajectoires de marche ont
sorties, ou lorsqu’il est représenté par un système d’équations dif- été définies pour lesquelles les variables articulaires sont expri-

2 férentielles linéaires ou non linéaires, avec des points d’équilibre


stables ou instables. Les robots humanoïdes concentrent de nom-
breuses difficultés à surmonter pour la commande. Ce sont des
mées non pas en fonction du temps, mais d’une variable géomé-
trique du robot. Le comportement temporel de cette variable
géométrique nommé α doit être monotone [1] [11]. Si le suivi des
systèmes mécaniques polyarticulés qui peuvent avoir plus d’une variables articulaires de référence est parfait, le modèle dyna-
trentaine de degrés de liberté ddl. Ils sont mobiles dans leur envi- mique du robot bipède en simple appui peut s’écrire, grâce à
ronnement. Les contacts avec l’environnement peuvent être de l’introduction du moment cinétique qui est déterminé au point de
nature différente : liaison unilatérale ou bilatérale, avec ou sans contact du robot bipède avec le sol. Ce moment cinétique est
degré de mobilité imposé. Lors de la locomotion, leur surface alors fonction uniquement de la variable géométrique α et de ses
d’appui sur le sol est très petite par rapport à leur taille, voire dérivées temporelles première et seconde. Cette méthode est un
ponctuelle ou linéique. Ils peuvent donc avoir des phases de désé- moyen de palier le sous-actionnement du robot Rabbit car à
quilibre. Pour des gains de poids et des contraintes techniques, les l’impact sa configuration est celle désirée a priori, aux incertitudes
performances des actionneurs sont limitées en regard des masses de mesure près. De plus, la définition même du moment cinétique
et inerties mises en jeu, voire des frottements. Par conséquent de au point de contact de la cheville et la définition du théorème
nombreux travaux de recherche sont consacrés à la commande de associé, la dérivée temporelle du moment cinétique est égale à la
robots humanoïdes. somme des moments des forces extérieures qui agissent sur le
système mécanique, font qu’avec un suivi parfait des variables
articulaires, aucun couple moteur n’est présent dans l’équation
qui régit le comportement dynamique du robot bipède. Grizzle et
2. État de l’art et spécificités ses collègues ont alors introduit la notion Hybrid Zero Dynamics
(HZD) car cette équation correspond exactement à celle des zéros
de la commande des dynamiques qui est nécessaire pour caractériser le comportement
des variables internes des systèmes non linéaires sous-actionnés
robots humanoïdes [30]. Le terme hybrid est dû ici à l’association de l’équation diffé-
rentielle qui décrit le mouvement et l’équation algébrique qui défi-
nit l’impact rigide [18]. La technique des réseaux de neurones
Un résumé de quelques commandes dédiées aux robots huma-
peut aussi être appliquée pour commander la locomotion d’un
noïdes, les notions de robots humanoïdes complètement action-
robot humanoïde. Un réseau d’oscillateurs non linéaires a été
nés, suractionnés et sous-actionnés suivant les phases de
ainsi testé sur le simulateur du robot Hoap-2, pour asservir son
locomotion, ainsi que les capteurs de mesure généralement utili-
système locomoteur lors d’un mouvement de marche [52].
sés sont exposés dans cette section.

2.1 Historique des commandes 2.2 Notions d’actionnement des robots


humanoïdes
Les premières commandes de robots humanoïdes se sont
fixées comme contrainte, entre autres, que la projection de leur Selon les phases de la locomotion et les contraintes unilatérales
centre de masse (CdM) soit toujours à l’intérieur du polygone de avec le sol, le robot humanoïde peut être sous-actionné, complè-
sustentation. Ces robots humanoïdes étaient donc statiquement tement actionné ou suractionné. Pour illustrer ces notions, pre-
stables. La conséquence directe était une vitesse de mouvement nons le cas d’un robot bipède plan qui évolue dans le plan sagittal
de marche très lente par rapport à celle de l’humain [5]. Vukobra- (figure 1). Supposons qu’il soit actionné aux hanches, genoux et
tovic et ses collègues ont été les premiers à conceptualiser le zero chevilles. Il possède donc six actionneurs. Si ce robot humanoïde
moment point (ZMP) [57]. Lorsque ce point est à l’intérieur du ne touche pas le sol (figure 1a) il faut six variables articulaires,
polygone de sustentation, il est confondu avec le centre de pres- une variable d’orientation et deux coordonnées cartésiennes de
sion (CdP). Lorsqu’il est à l’extérieur du polygone de sustentation, n’importe quel de ses points par rapport à un repère absolu pour
cela veut dire que les conditions de contact entre la semelle définir complètement sa configuration, son orientation et sa posi-
d’appui et le sol ne sont pas vérifiées, et par conséquent que la tion dans le plan sagittal. Dans ce cas, le degré de sous-actionne-
liaison semelle-sol évolue vers un autre état. Par exemple, on ment est égal à trois, qui est la différence entre le nombre de
passe d’un contact surfacique à un contact linéique. Certaines coordonnées généralisées, neuf, et le nombre d’actionneurs, six.
commandes de robots humanoïdes sont déterminées afin de Supposons que le robot humanoïde touche le sol avec le talon du
garantir que le ZMP reste à l’intérieur du polygone de sustentation pied de la jambe d’appui (figure 1b), et qu’il n’y ait pas de glisse-
[34] [35] [20] [42]. En 1980, une marche quasi-dynamique fondée ment au niveau de ce contact talon/sol. Dans ce cas, deux rela-
sur le ZMP a été proposée par Kato et al [29]. Le robot mis en tions géométriques peuvent être définies pour déterminer deux
œuvre avait dix ddl motorisés avec des actionneurs hydrauliques. coordonnées généralisées à l’aide des sept autres. Les coordon-
Miura et Shimoyama ont étudié la marche dynamique d’un robot nées cartésiennes x et y peuvent être ainsi déterminées géométri-
bipède avec des pieds ponctuels. Par conséquent, leurs chevilles quement. Le robot humanoïde est encore sous-actionné avec un
qui se réduisent au point de contact ne peuvent pas être action- degré de sous-actionnement qui est égal à un (7 – 6 = 1). Si la
nées. Sano et Furusho ont développé une allure de marche en 3D semelle du pied de la jambe d’appui repose complètement,
qui est composée de trois phases. La première est un double (figure 1c) sur le sol alors sa variable d’orientation q1h est nulle.

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________________________________________________________________________________________________ COMMANDE DES ROBOTS HUMANOÏDES

x, y x, y

q5h q5h
q4h q4h

q3h
q6h

q7h
q3h
q6h

q7h
2
q2h
q1h q2h
q1h

a b

x, y x, y

q5h
q4h q4h q5h

q6h q6h
q3h q3h

q7h
q7h
q2h q2h

c d

Figure 1 – Robot bipède planaire sous actionné (a) et (b), complètement actionné (c), ou suractionné (d), en fonction de ses contraintes unilaté-
rales avec le sol

Dans ce cas, le robot humanoïde est complètement actionné. ■ Capteurs de mesure de positions angulaires
Enfin, supposons que l’un des pieds d’appui a un contact complet En général, chaque articulation motorisée est équipée d’un cap-
entre sa semelle et le sol et que l’autre pied a un appui ponctuel teur de position de type codeur optique à incréments ou
entre ses orteils et le sol (figure 1d). Seules quatre variables géné- « résolveur ». Il se trouve généralement sur l’axe moteur, et donc
ralisées indépendantes sont nécessaires pour définir la configura- en amont du réducteur. De cette mesure de position angulaire, il
tion du robot humanoïde. Les cinq autres variables généralisées est possible d’obtenir par dérivation numérique la vitesse angu-
peuvent se déterminer géométriquement à partir de la connais- laire. Cette méthode a le désavantage d’être sensible au bruit de
sance des équations de contrainte de contact et des quatre quantification qui est lié à la résolution du convertisseur analo-
variables généralisées indépendantes. Dans ce cas, le robot huma- gique numérique. Si ce bruit de quantification est trop important,
noïde est sur-actionné. Un processus d’optimisation peut être mis il est possible de recourir à un observateur de vitesse [10].
en place pour choisir au mieux la combinaison des couples durant
■ Centrale inertielle
la phase de double appui [37].
Une centrale inertielle (IMU : inertial measurement unit) est
l’association de gyroscopes qui permettent de mesurer des angles
de rotation d’un corps mobile sur lequel ils sont fixés, et de cap-
2.3 Capteurs nécessaires teurs d’accélération et de vitesse angulaires. Son but est de four-
pour les commandes nir en temps réel l’évolution des vecteurs vitesse et position, ainsi
que l’attitude (roulis, tangage et lacet) d’un robot marcheur [21].
Les capteurs les plus utilisés actuellement pour la commande
des robots humanoïdes [40] [46] sont les capteurs de mesure des ■ Capteur d’effort
positions angulaires (capteurs proprioceptifs), les centrales iner- Lors de la locomotion d’un robot humanoïde, il est important
tielles et les capteurs d’efforts pour recueillir des informations sur d’avoir une information sur la nature des efforts de contact avec
le contact avec l’environnement (capteurs extéroceptifs). l’environnement. La mesure des courants moteurs est parfois uti-

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COMMANDE DES ROBOTS HUMANOÏDES _______________________________________________________________________________________________

lisée si elle est accessible. Cette méthode est peu coûteuse mais
reste un problème ouvert quant à la précision des différentes
composantes du torseur d’effort. L’utilisation de capteurs d’effort M
..
est une autre possibilité pour obtenir cette information. Un cap- x
teur d’effort est un dispositif mécanique que l’on insère au sein du
robot humanoïde afin de mesurer l’effort extérieur qui s’exerce
sur lui (par exemple à la cheville, le plus proche possible de la
semelle d’appui pour mesurer le torseur des efforts de réaction du
sol). La conception de ce dispositif est telle qu’elle présente des
déformations élastiques, mesurées à l’aide de jauges de
contraintes, suivant des directions privilégiées en fonction des zc
efforts en force et moment que l’on souhaite déterminer. Pour

2
plus de détails, le lecteur peut se référer aux articles [S7780] et
[S7753]. FR
z
mpy

3. Commandes fondées y O x P

sur les modèles de simple


et double pendules inversés px

x
Les robots humanoïdes sont des systèmes mécaniques polyarti-
culés. Pour éviter des algorithmes très gourmands en temps de
calcul, des lois de commande, fondées sur des modèles de Figure 2 – Cart-Table dans le plan (x, z)
simples pendules inversés, ont été proposées. Quelques unes de
ces lois de commande sont présentées ici.
est définie en utilisant des informations futures de la trajectoire de
référence telle que :
3.1 Commande fondée sur la méthode
du pendule linéaire inversé
Kajita a introduit le modèle « Cart-Table » [27] pour définir la
relation suivante entre la position du ZMP et le CdM d’un robot (4)
humanoïde.
Dans le plan (x, z) (figure 2) si P est le ZMP, alors le moment du
à la force résultante de réaction du sol FR est nul (mpy = 0) en P
par rapport à l’axe y. Le principe fondamental de la statique appli- La matrice de gain K et les termes f1, f2,…, fN peuvent être trou-
qué au système mécanique conduit alors à l’expression de px sui- vés par un algorithme de résolution d’une équation de Riccati ou
vante [1] : de type « Linear-quadratic regulator » (lqry) de Matlab®. Le para-
mètre N est le résultat d’un compromis entre rapidité et précision
(1) des calculs. Pour effectuer un mouvement de marche nous avons
besoin de calculer les variables articulaires q en fonction de la tra-
jectoire Xc(t) du CdM à chaque instant. Toutefois, pour tenir
On observe alors que l’accélération de la balle influe directe- compte que généralement pour un robot humanoïde le nombre
ment sur la position du ZMP. Pour décrire le comportement dyna- de composantes du vecteur articulaire est plus grand que celui
mique d’un bipède, Kajita et al [27] ont introduit le modèle du des composantes de Xc, la trajectoire du pied libre Pl (t) et celle du
« Linear Inverted Pendulum » (LIP). Il repose sur l’hypothèse que tronc Pt (t) sont prédéfinies, la position du pied d’appui Pa étant
la masse concentrée évolue dans un plan horizontal tel que z = zc. connue elle aussi. Il est possible de résoudre alors un modèle
À partir de (1) cette hypothèse conduit à l’équation différentielle géométrique :
linéaire suivante :

(2)
Cette résolution peut se faire formellement ou numériquement.
Dans l’article [S7753] il est rappelé comment, à partir du modèle Une trajectoire de marche cyclique a été définie dans le plan
Cart-Table, la trajectoire du CdM est déduite de celle du ZMP à sagittal pour illustrer la méthode exposée dans cette section. Le
l’aide d’une commande prédictive. Cette commande prédictive est pas est composé d’un double appui et d’un simple appui. Il n’y a
fondée sur la minimisation du critère : pas d’impact : la vitesse de la jambe libre qui arrive en contact
avec le sol est nulle. Cette trajectoire a été utilisée comme trajec-
(3) toire désirée lors d’une simulation pour la commande articulaire
d’un robot humanoïde avec pied dont le schéma est représenté
figure 12. La figure 3 présente sur deux pas l’évolution dans le
où représente la position de référence (cible) du ZMP ; pj la plan sagittal (x, z) des deux pieds en fonction du temps lors de la
marche cyclique. L’évolution de la semelle du pied en transfert se
position réelle du ZMP. Le terme de commande uj minimise le fait quasiment parallèlement au sol avec un impact pied à plat. En
critère (3) en fonction des matrices de pondération Q et R. À effet, pour chacun des pieds, les courbes d’évolution des deux
chaque pas de temps, l’expression cherchée de la commande uk extrémités des pieds sont confondues.

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S7755

Robotique mobile : conception,


modélisation et commande
par Faïz BENAMAR
Professeur, Sorbonne Universités, UPMC Univ Paris 06, ISIR, CNRS UMR 7222, Paris, France
et Christophe GRAND
Ingénieur de recherche, ONERA, Toulouse, France 2
1. Architectures matérielles des robots mobiles ................................ S 7 755 - 2
2. Forme générale des modèles en robotique mobile........................ — 3
2.1 Modélisation cinématique.......................................................................... — 3
2.2 Modélisation dynamique............................................................................ — 4
3. Cinématique et mobilité des robots à roues ................................... — 5
3.1 Les robots omnidirectionnels .................................................................... — 5
3.2 Mobilité des robots à roues ....................................................................... — 7
4. Gestion des déplacements.................................................................... — 8
4.1 Commande des déplacements .................................................................. — 8
4.2 Localisation.................................................................................................. — 11
5. Conclusion................................................................................................. — 12
Pour en savoir plus .......................................................................................... Doc. S 7 755

u delà des applications industrielles classiques, les robots sont de plus en


A plus présents dans notre quotidien avec des grands domaines d’applica-
tion tels que la médecine, l’agriculture, la sécurité ou l’assistance à domicile.
Ces robots sont également de plus en plus mobiles, capables d’évoluer aussi
bien dans des milieux aériens ou maritimes que terrestres. La robotique
mobile terrestre occupe une place historique importante et notamment les
robots mobiles à roues qui empruntent un mode de locomotion par roulement
particulièrement efficace. Ces robots sont déjà utilisés dans le domaine indus-
triel comme la logistique, en agriculture avec l’automatisation des tracteurs,
dans le spatial et l’exploration planétaire, dans des tâches de sécurité telles
que la surveillance de zone, ou encore pour des missions de recherche et de
secours de victimes en cas de catastrophe naturelle ou industrielle. Ils ont éga-
lement pris place depuis quelques années dans nos domiciles avec les robots
aspirateurs ou tondeuses autonomes et plus récemment les robots de télépré-
sence. Et ils seront amenés à réaliser de plus en plus de tâches de manière
autonome et le plus souvent en coopération avec d’autres robots ou des
humains.
Parution : mai 2016

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ROBOTIQUE MOBILE : CONCEPTION, MODÉLISATION ET COMMANDE _________________________________________________________________________

pattes, paraissent plus efficaces en termes de stabilité et de mobi-


1. Architectures matérielles lité, bien qu’ils soient beaucoup plus complexes en termes de
des robots mobiles degrés de liberté.
Cette redondance cinématique des robots à pattes leur confère
une plus grande versatilité et capacité à se mouvoir sur des sols
La fonction principale d’un robot mobile est de transporter une
inégaux. Le choix du placement des contacts doit s’affranchir des
charge utile – qui peut être un bien, un simple capteur ou un sys-
obstacles positifs ou négatifs, et bien entendu respecter les condi-
tème de manipulation – à un endroit donné de l’environnement.
tions de stabilité de l’ensemble. Du fait du nombre très important
Les robots terrestres, grâce à leur liaison au sol, créent une force
des degrés de liberté dans ces systèmes, la notion de stabilité est
de propulsion à cette interface leur permettant de réaliser un
appréhendée de façon simplifiée et suffisante sous forme de cri-
déplacement (figure 1). Bien que cela soit un mode n’ayant pas
tères géométriques, qui s’appliquent pour les cycles de marche
réellement d’équivalent biologique, le roulement continu est le
statique ou dynamique, tant qu’il y a au moins un contact au sol à
moyen le plus efficace de transport, quand la surface du sol est

2 plane. Cette efficacité provient de la simplicité mécanique de


l’organe de roulement et de la faible consommation énergétique
requise du fait de l’absence de variation des énergies cinétique et
chaque instant de temps (c’est-à-dire sans phase balistique). Ce
critère considère l’axe qui passe par le centre de gravité (CdG) et
dirigé par la résultante des efforts extérieurs à distance (de
potentielle. gravité et inertielles), et son intersection avec la surface de susten-
tation définie par les points de contact Ci (figure 2). Quand tous
Quand le sol est irrégulier, il est nécessaire d’avoir un système ces points sont coplanaires, on définit le polygone convexe sup-
de suspension afin d’assurer le contact de toutes les roues avec le port qui englobe tous les points de contact. La projection du CdG
sol. Les véhicules à chenilles s’apparentent aux véhicules à roues sur le polygone de sustentation en suivant la direction de per-
dans leur déplacement longitudinal. Grâce à une importante sur- met de définir un point de référence, ainsi que la distance mini-
face de contact et une plus faible pression au sol, diminuant ainsi male σi de celui-ci aux frontières du polygone. Cette distance
l’enfoncement dans le sol et donc la résistance au roulement, ils forme une marge de stabilité qui peut être adimensionalisée par
sont plutôt utilisés pour des sols meubles (sable ou boue par la hauteur du CdG [1]. Aussi, on peut utiliser l’angle minimal υi
exemple). Les chenilles flexibles ou souples, par leur adaptation à que fait la force avec les lignes joignant le CdG aux milieux des
la géométrie du sol, sont également intéressantes pour des sols segments du polygone [2]. Il faut noter que cette représentation
très discontinus comme des décombres ou aussi des escaliers. ne considère pas les moments cinétiques des corps et rigidifie
Toutefois, ces véhicules requièrent des couples d’actionnement l’ensemble en une masse unique concentrée au centre de gravité.
très importants et une consommation énergétique très élevée, à Le point de référence sur le polygone est appelé Zero Moment
cause des efforts dissipatifs créés dans le contact avec le sol et Point (ZMP), point où le moment est nul, qui est aussi confondu
tout particulièrement lors des changements de direction. avec le centre de pression, quand celui-ci peut être défini. Pour les
À l’opposé, les robots à pattes sont capables de contrôler le pla- quadrupèdes, les allures de déplacement de type pas/marche
cement de leurs contacts au sol et de pouvoir s’affranchir des irré- peuvent être générées de telle sorte que ce point de référence
gularités locales du sol, dont la taille est bien entendu équivalente reste à chaque instant à l’intérieur du polygone support, et voire
à celle de la patte. La majorité des robots marcheurs développés, le plus loin de ses frontières, afin de maximiser la marge de stabi-
depuis le premier robot de l’université de Waseda au début des lité et la robustesse du déplacement au regard des perturbations
années 1970, a été fortement inspirée des êtres vivants, en et des imprévus.
témoigne le nombre très important de robots bipèdes de type Il peut être également intéressant de combiner dans un même
anthropomorphe [S7752]. La grande famille des quadrupèdes est robot le roulement et la locomotion articulée en disposant les
la plus répliquée par les roboticiens, car elle offre une grande roues aux extrémités des pattes, permettant ainsi au robot de
variété d’allures de mouvement (marche, trot, galop, etc.) avec franchir par enjambement les obstacles, de rouler quand le sol est
différentes stratégies de stabilisation statique ou dynamique. Pour plat, voire d’utiliser les pattes comme un moyen de suspension
les échelles plus petites, centimétrique ou millimétrique où les active qui contrôle l’attitude du châssis du robot quand le robot
forces volumiques deviennent beaucoup plus faibles que les roule sur un sol en relief ou en pente [3].
forces surfaciques, les hexapodes et autres octopodes et mille-

CdG

C2

υi

Ci

σi
C1 ZMP

Ci +1

Figure 1 – Différents types de locomotion terrestre, par roulement


et/ou articulé : roues, chenilles, pattes, pattes + roues Figure 2 – Marge de stabilité

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S7755

_________________________________________________________________________ ROBOTIQUE MOBILE : CONCEPTION, MODÉLISATION ET COMMANDE

Un robot est un système multicorps en chaîne cinématique


composé de solides supposés en général rigides. Les robots ter-
Direction restres ont des liaisons par contact avec frottement avec le sol sur
du mouvement lequel ils se déplacent. L’adhérence au sol est importante pour
pouvoir créer la traction et changer la direction de mouvement.
L’hypothèse de roulement sans glissement aux différents
contacts avec le sol est une hypothèse quasi-incontournable pour
le développement de modèles de robots qui roulent ou qui
marchent sur des sols ayant de bonnes propriétés d’adhérence.
a reptation b péristaltisme c zigzag latéral [5] Dans le cas où il y a des glissements, outre le fait que ce phéno-
serpentine mène est à éviter car il augmente l’usure des roues, le problème
de commande devient très difficile à cause des non-linéarités

2
Figure 3 – Principaux modes de locomotion des serpents dans les forces de frottement lors des glissements. Cette hypo-
thèse de non-glissement donne lieu à des contraintes dites non
holonomes, c’est-à-dire qui dépendent des vitesses et ne sont pas
intégrables, et donc ne peuvent être décrites par une équation
La locomotion serpentine est une autre forme de locomotion
algébrique reliant les paramètres géométriques.
articulée dite apode. Cette locomotion prend plusieurs formes
dans la nature. La reptation serpentine est la plus répandue et est
caractérisée par une unique trace de contact, i.e. tous les points
de la fibre moyenne suivent la même trace (figure 3a). En réalité, 2.1 Modélisation cinématique
les propriétés tribologiques du contact avec le sol sont extrême-
ment déterminantes pour ce mode de locomotion, car il nécessite Un modèle cinématique en robotique représente la relation
un très faible coefficient de frottement sous la partie ventrale et entre les vitesses articulaires actives et les vitesses opération-
un bon coefficient de frottement sur les parties latérales qui per- nelles. Ces dernières représentent en général les vitesses linéaire
et angulaire du corps de référence, dit plate-forme. Qu’il s’agisse
mettent de créer des forces de propulsion par appui sur les irrégu-
d’un robot à pattes ou d’un robot à roues, les équations cinéma-
larités de surface. Afin d’approcher cette faculté que les serpents
tiques s’obtiennent à partir des conditions sur la vitesse de glisse-
possèdent grâce à leurs écailles, un nombre important de robots
apodes ont été conçus avec des roues passives [4]. Dans des ment où Ci est le point de contact de la i ème
situations très particulières, certains serpents optent pour d’autres chaîne cinématique qui relie la plate-forme au sol, et R0 sont
allures, tels que le péristaltisme en ligne droite ou le zigzag latéral
deux repères respectivement liés à l’organe de locomotion Si et
en prenant la forme d’un S (figure 3b, c).
au sol (figure 4). En introduisant le solide de référence du robot et
Bien que chacun des modes de locomotion terrestre cités dans son repère RP, on peut écrire grâce à la composition des vitesses :
ce paragraphe soit adapté à une utilisation et un environnement
donnés, il est intéressant de comparer ces différents modes de
déplacement entre eux, notamment en termes de mobilité ou de
consommation énergétique. Ainsi, le nombre adimensionnel de
Froude défini par où u est la vitesse, g la gravité et l une lon-
gueur caractéristique donne une indication sur la mobilité du sys-
tème par rapport à sa taille [5]. Il permet aussi de définir les
similarités dynamiques entre les différentes échelles, par exemple
le passage de la marche au trot ou du trot au galop se passe au RP
même nombre de Froude pour tous les quadrupèdes quelles que
soient leurs tailles et leurs masses. Pour pouvoir comparer les dif-
férents modes de locomotion indépendamment de leur échelle, C
les biologistes utilisent en général le coût métabolique ou la
Ch

consommation énergétique par unité de masse et par unité de


aîn

longueur parcourue [5]. En ingénierie des systèmes de transport, Pj


e

on utilise plutôt la puissance spécifique Pm / (Mgu) qui est un


i:d

indice adimensionnel défine par la puissance motrice Pm divisée


e RP

par le poids Mg multiplié par la vitesse u [6][7]. ej


à RS
rx

φj
rmation
trée pa

RSi
2. Forme générale
Transfo
paramé

des modèles en robotique


mobile Ci n

b
La modélisation est un élément important en robotique. Outre t
l’optimisation de la conception, il permet surtout d’élaborer un R0
modèle de commande du robot. La modélisation physique reste
dominante en ingénierie mécanique et électronique, mais d’autres
approches encore au stade de la recherche comme l’apprentis-
sage par des réseaux de neurones sont des alternatives émer-
gentes [8]. Figure 4 – Chaîne cinématique de locomotion

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S 7 755 – 3

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2

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S7857

Robots cuspidaux :
théorie et applications

Philippe WENGER
2
par
Directeur de recherche CNRS
Laboratoire des sciences du numérique de Nantes, UMR CNRS 6004, Nantes, France
et Damien CHABLAT
Directeur de recherche CNRS
Laboratoire des sciences du numérique de Nantes, UMR CNRS 6004, Nantes, France

1. Préliminaires............................................................................................. S 7 857 - 2
2. Robot cuspidal : définition, identification et propriétés ............. — 4
3. Faisabilité de trajectoires ..................................................................... — 7
4. Énumération et classification des robots cuspidaux
et non cuspidaux ..................................................................................... — 10
5. Étude de quelques robots parallèles cuspidaux ............................. — 14
6. Conclusion................................................................................................. — 23
7. Glossaire .................................................................................................... — 23
Pour en savoir plus .......................................................................................... Doc. S 7 857

orsqu’un nouveau robot doit être implanté dans un site de production, il


L doit faire l’objet d’un choix initial d’architecture cinématique (sérielle ou
parallèle, nombre et types d’axes…) et, dans un second temps, il doit être pro-
grammé et piloté afin que l’outil qu’il manipule puisse suivre convenablement
les trajectoires de consignes qui auront été définies pour réaliser les tâches
demandées. La plupart des robots sériels ont la possibilité d’atteindre une cible
de leur espace de travail selon plusieurs postures (par exemple avec les pos-
tures « coude haut » et « coude bas »). Un changement de posture peut être
opéré pour éviter une limite articulaire sur un axe ou une collision avec un
obstacle. Il a longtemps été admis que le robot devait alors nécessairement
franchir une configuration singulière au cours d’un changement de posture, à
l’image de ce qui se passe pour la plupart des robots industriels : la configura-
tion singulière « bras tendu » doit toujours être franchie pour passer entre les
postures « coude haut » et « coude bas ». Si cette propriété est effectivement
observée sur la plupart des robots qui ont des particularités géométriques
(axes parallèles ou concourants), elle ne s’avère pas pour de nombreux autres
robots. Dès lors, plusieurs questions cruciales se posent, tant pour l’utilisateur
que pour le concepteur. Comment savoir si le robot a bien cette propriété ? Si
ce n’est pas le cas, comment savoir si le robot a changé de posture ? Quels
sont les robots qui ont cette propriété ?
Cet article se propose de répondre à ces questions. Un robot cuspidal est
défini comme un robot qui peut changer de posture sans franchir une confi-
guration singulière. La plus grande part de cet article traite des robots de
type sériel. Il propose une méthodologie permettant d’identifier les robots
cuspidaux et décrit de façon approfondie leur mécanisme de changement de
Parution : juillet 2021

posture. Une attention particulière est accordée à une famille de robots à

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S7857

ROBOTS CUSPIDAUX : THÉORIE ET APPLICATIONS ________________________________________________________________________________________

trois articulations pivot d’axes orthogonaux deux à deux. Ces robots peuvent
constituer des alternatives intéressantes aux robot usuels. Il est donc impor-
tant de pouvoir les classifier en robots cuspidaux et non cuspidaux. Les
robots à six articulations sont plus difficiles à analyser et font encore l’objet
de travaux de recherche au moment de la rédaction de cet article. Ils sont
principalement abordés au travers de quelques exemples de robots 6R cuspi-
daux, dont certains sont utilisés dans l’industrie comme robots de peinture.
Le cas des robots d’architecture parallèle, plus délicat, est également abordé.
On analyse des exemples de robots parallèles plans, sphériques et à 6 degrés
de liberté, capables de changer de mode d’assemblage sans franchir une sin-
gularité. L’article propose enfin une discussion sur l’intérêt des robots

2
cuspidaux.

Bref historique des robots cuspidaux


La toute première mention d’un changement de posture non singulier
remonte à 1988 par deux chercheurs de l’université de Bologne [33] qui
mettent en évidence ce phénomène de façon numérique sur deux robots
sériels différents à six articulations pivot. Cette révélation passa inaperçue
et fut même parfois considérée comme fantaisiste. Il faut dire qu’à
l’époque, la communauté était convaincue que tout robot devait nécessai-
rement franchir une singularité pour changer de posture, comme c’était le
cas pour tous les robots industriels. Deux ans auparavant, une preuve
mathématique – qui se révéla fausse par la suite – avait même été produite
pour confirmer cette hypothèse [2]. Peu après la révélation des chercheurs
de Bologne, J.W. Burdick (université de Stanford, Californie) confirma les
révélations des italiens dans sa thèse de doctorat, cette fois sur plusieurs
robots sériels à trois articulations pivot. Ce n’est qu’en 1992 qu’un nouveau
formalisme est proposé pour les robots sériels capables de changer de
posture sans passer par une singularité [41], en pointant une erreur dans la
démonstration qui avait été produite dans [2]. Il a fallu de nombreuses
années avant que la communauté scientifique ne commence à accepter
l’existence de robots cuspidaux. Le terme « robot cuspidal » a été introduit
en 1995 avec la démonstration de l’existence d’un point « cusp » (figure 7)
sur le lieu des singularités des robots sériels cuspidaux à trois articulations
pivot [21]. Finalement, une classification exhaustive des robots sériels à
trois articulations pivot d’axes orthogonaux a été réalisée en 2004 [3]. Un
article de synthèse sur les robots sériel cuspidaux a été publié dans [40].
Les études sur les robot parallèles cuspidaux ont été initiées en 1998 [15] et
sont majoritairement limitées aux robots plans.

1. Préliminaires coordonnées décrivant la tâche. C’est le cas des deux robots à


3 degrés de liberté de la figure 1 où la tâche est définie par trois
coordonnées de position dans l’espace.

1.1 Types de robots étudiés


z
Deux grandes catégories de robots sont étudiées dans cet y z
article. La première regroupe les robots sériels, dont l’organe ter- S 21 x A
minal (un outil ou une pince) est relié à une base fixe par l’inter- O y 3
S11
médiaire d’une seule chaîne cinématique articulée (figure 1, T x
A1
A2
gauche). La seconde catégorie, les robots parallèles [S 7 768], r2
d2 S 21 P1
déplacent une plate-forme portant l’organe terminal par l’intermé-
T
diaire de plusieurs chaînes cinématiques articulées montées en T S11 B3
r3
parallèle (figure 1, droite). La plus grande partie de l’article (sec- d3 P B1
tions 2, 3 et 4) est consacrée aux robots sériels, et plus particuliè-
rement aux robots de type 3R, c’est-à-dire dont la chaîne articulée d4
est composée de trois articulations de type pivot (ou rotoïde,
revolute en anglais, d’où la lettre « R ») comme sur la figure 1 à B2
gauche. Enfin, tous les robots étudiés dans cet article sont non
redondants, c’est-à-dire que leur nombre de degrés de libertés Figure 1 – Robot sériel de type 3R (à gauche) ; robot parallèle à trois
(leur nombre d’articulations motorisées) est égal au nombre de jambes télescopiques (à droite)

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1.2 Postures et modes d’assemblage Mode d’assemblage : pour un robot parallèle, le terme
« mode d’assemblage » définit une solution au modèle géomé-
Posture : pour un robot sériel, le terme « posture » définit trique direct, c’est-à-dire une position et/ou orientation de la
une configuration articulaire permettant à l’organe terminal du plate-forme mobile du robot correspondant aux variables arti-
robot d’atteindre une cible donnée dans son espace de travail. culaires motorisées.
Une posture est donc associée à une solution au modèle géo-
métrique inverse. La figure 3 montre les six modes d’assemblage d’un robot paral-
lèle plan à trois jambes télescopiques. Pour un jeu de longueurs
données des jambes (Ai, Bi), la plateforme triangulaire (B1, B2, B3)
Pour les robots industriels courants, une posture peut être facile- peut prendre six positions et orientations différentes dans le plan.
ment identifiée. Pour un robot anthropomorphe tel que celui de la
figure 2, par exemple, ces postures peuvent être identifiées par la
position du coude (haut ou bas), de l’épaule (droite ou gauche) et du
poignet (pronation ou supination). Le nombre total de combinaisons
s’élève à 23 = 8 postures distinctes. La figure 2 montre les quatre
1.3 Singularités
On rappelle brièvement ici le concept de singularité, leur rôle
2
postures qui peuvent être identifiées par la position du coude et de étant essentiel pour les robots cuspidaux. Une singularité d’un
l’épaule. robot sériel définit une configuration articulaire à partir de laquelle
le robot ne peut plus produire certains déplacements. De plus, au
moins deux solutions géométriques inverses coïncident lorsque le
robot est sur une singularité. La figure 4 en haut montre un robot
anthropomorphe (représenté sans son poignet) en singularité de
type « bras tendu » : localement, un déplacement le long de la
direction du bras n’est alors pas possible. Sur cette singularité, les
deux solutions inverses associées aux postures « coude haut » et
« coude bas » montrées en bas de la figure 4 coïncident. Les sin-
gularités génèrent des frontières dans l’espace de travail qui ne
peuvent généralement pas être franchies, car situées au bord de
l’espace de travail. La singularité « bras tendu », par exemple, défi-
Z Z Z Z nit la limite d’accessibilité du robot.
On voit que pour le robot de la figure 4, la transition entre les
deux solutions coude haut et coude bas se fait nécessairement en
X X X X traversant la singularité bras tendu.
Les robots parallèles peuvent avoir plusieurs types de singula-
Y Y Y Y rité. Dans cet article, on ne considérera que des robots parallèles
avec des singularités de « type 2 », également appelées « singula-
rités parallèles » [S 7 768]. Sur ces singularités, le robot parallèle a
Figure 2 – Quatre postures d’un robot anthropomorphe identifiables certains mouvements qui ne peuvent plus être contrôlés. De plus,
par la position du coude et de l’épaule au moins deux de ses modes d’assemblage coïncident.

A3 A3 A3 B2
B3
B3
B2
B1 B3

A1 A2 B1 A1 B2 A2 A1 B1 A2
A3 A3 A3

B3 B3
A1 B3 B1
A1 A2 A2 A1 A2

B1
B1

B2 B2
B2

Figure 3 – Les six modes d’assemblage d’un robot parallèle plan à trois jambes télescopiques

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Exemple 1 – Aspects d’un robot 3R


Soit un robot de type 3R comme sur la figure 1 à gauche, dont les
paramètres géométriques sont : d2 = 1, d3 = 2, d4 = 1,5, r2 = 1,
Mouvement impossible r3 = 0, α2 = 90° et α3 = 90°. Les dimensions sont données sans pré-
cision d’unité, sans importance pour la compréhension de l’exemple.
Z Ce robot est dit « orthogonal » car ses axes sont orthogonaux deux à
deux. On suppose de plus que le robot n’a pas de limites articulaires.
Ce robot sera utilisé dans la plupart des exemples tout au long de cet
article. On montre que le déterminant de la matrice jacobienne J de
ce robot peut s’écrire sous la forme d’un produit de deux facteurs
(voir par exemple [21]) :

2 (2)

On voit que les singularités, définies par det(J) = 0, ne dépendent


pas de θ1, ce qui est toujours le cas lorsque la première articulation est
Y de type pivot. On peut donc représenter l’espace articulaire dans le
X
plan (θ2, θ3). Le premier facteur de det(J) ne peut pas s’annuler ici car
d4 < d3. Le second facteur définit deux courbes de formes identiques
et translatées l’une par rapport à l’autre de π selon l’axe des θ3. Les
singularités divisent alors le domaine articulaire en deux aspects (en
Coude bas vert et en bleu sur la figure 5 à gauche). En effet, comme il n’y a pas
de limites articulaires, il convient d’identifier les cotés opposés du
Coude haut domaine articulaire. Dans l’espace de travail qui est de dimension 3, les
singularités définissent des surfaces frontières. Comme les singularités
ne dépendent pas de θ1 et qu’il n’y a pas de limite articulaire, l’espace
de travail est symétrique autour de l’axe 1 du robot. Il est donc suffi-
sant de n’en représenter qu’une demi-section dans un plan passant par
cet axe. Une telle section, appelée « section génératrice », peut être
définie dans le plan (ρ, z) où . L’espace de travail total
Figure 4 – Robot anthropomorphe en singularité « bras tendu » (en peut être obtenu en faisant tourner cette section de 360° autour de
haut) où les deux solutions inverses associées aux postures « coude l’axe 1 du robot. Pour le robot étudié, les singularités génèrent deux
haut » et « coude bas » (en bas) coïncident courbes fermées dans la section génératrice de l’espace de travail.
L’une définit la frontière extérieure, l’autre marque une frontière inté-
rieure entre une zone centrale accessible avec quatre postures et une
zone périphérique accessible avec deux postures (figure 5 à droite).
1.4 Aspects
Les aspects ont été définis initialement pour les robots sériels À retenir
par Borrel [2]. On rappelle la définition ci-après pour les robots non
redondants.
Les robots sériels (resp. parallèles) possèdent plusieurs solu-
tions géométriques inverses appelés « postures » (resp. plu-
Aspects pour les robots sériels non redondants sieurs solutions géométriques directes appelées « modes
d’assemblage »). Les singularités sont d’une importance fon-
Soit le domaine articulaire accessible : damentale pour l’analyse du comportement des robots. Outre
(1) leur effet sur les déplacements possibles, elles divisent le
domaine articulaire des robots sériels en domaines sans sin-
où q = [q1, .., qn] est le vecteur des n variables articulaires des gularité appelés « aspects ».
articulations motorisées.
Soit X = [x1, .., xn] un choix de coordonnées opérationnelles
définissant la pose de l’organe terminal. Ces coordonnées sont
reliées aux variables articulaires par l’opérateur géométrique f
défini par X = f(q), soit xi = fi (q), i = 1, .., n. 2. Robot cuspidal : définition,
On appelle « aspects » les domaines de tels que : identification et propriétés
• est connexe ;
• , det(J) ≠ 0 où est la matrice jaco-
bienne du robot. 2.1 Définition et exemple

Les aspects sont délimités par les singularités et les limites arti- Robot cuspidal : un robot est dit cuspidal s’il peut changer de
culaires lorsqu’elles existent. Pour les robots sériels non redon- posture sans passer par une singularité. Il y a donc plusieurs
dants, les aspects ainsi définis sont les plus grands domaines de solutions dans un seul aspect. Autrement dit, cet aspect n’est
exempts de toute singularité. Pour la plupart des robots indus- plus un domaine d’unicité de l’opérateur géométrique f.
triels (et plus précisément comme on le verra plus tard, pour tous
les robots non cuspidaux), les aspects constituent les domaines
d’unicité de l’opérateur géométrique f, c’est-à-dire qu’il n’y a Le nom « robot cuspidal » a été introduit en lien avec la condi-
qu’une seule solution inverse dans chaque aspect. Les aspects ont tion d’existence d’un point singulier particulier de l’espace de tra-
été généralisés par la suite aux robots parallèles [11]. vail appelé « point cusp ». On montre que si un point cusp existe,

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2 postures
2 dans cette
région
3
1
q2
2 Z X
0
4 postures
1
−1 Figure 6 – Les quatre postures du robot 3R au point x = 2,5, y = 0,

2
θ3
0 z = 0,5
q3
−2
−1

−2 −3

−3 −4
−3 −2 −1 0 1 2 3 0 1 2 3 4 5
θ2 ρ

Figure 5 – Robot 3R cuspidal : les deux aspects du domaine articu-


laire (à gauche, unités en radians) et section génératrice de l’espace
de travail (à droite). On montre une trajectoire de changement de
posture non singulier

alors le robot est cuspidal [21]. La classification exhaustive des


robots 3R orthogonaux qui a été réalisée par la suite montre que Cusp
l’existence d’un point cusp est aussi une condition nécessaire pour 1 solution
ces robots [3], [1]. En mars 2021, une preuve mathématique qu’il 2 solutions
en est de même pour tous les robots 3R a été établie dans le cadre
du projet ANR France-Autriche « ECARP » (https://ecarp.lip6.fr/,
projet en cours et preuve non encore publiée au moment de la 0 solution 3 solutions
rédaction de cet article). Cependant, on sait que cette condition
nécessaire d’existence d’un point cusp ne tient plus pour les Fold
robots parallèles (voir section 5.7).
Figure 7 – Les deux singularités stables de type « fold » (à gauche)
et « cusp » (à droite) obtenues en projetant une surface pliée sur un
Point cusp : un point cusp (aussi appelé « fronce ») est l’une des plan. À gauche, le pliage forme un simple pli ; à droite, il forme une
deux singularités stables formées lorsque l’on projette une surface fronce
pliée sur un plan, l’autre singularité étant un « pli » (« fold » en
anglais) [44]. Ces singularités sont dites stables car elles ne dispa-
raissent pas sous l’effet d’une petite perturbation de la surface. Sous l’effet de l’opérateur géométrique f, le domaine articulaire
est « plié » le long des singularités du robot pour former plusieurs
« couches », puis projeté dans l’espace de travail, formant des lignes
Exemple 2 – Robot 3R cuspidal de pli. Chaque couche correspond à une solution géométrique
Reprenons le cas du robot 3R de l’exemple 1 (d2 = 1, d3 = 2, inverse du robot. La figure 7 illustre ce phénomène à l’aide d’une
d4 = 1,5, r2 = 1, r3 = 0, α2 = 90° et α3 = 90°). surface, représentant le domaine articulaire, se projetant sur un
On montre que le point X de coordonnées x = 2,5, y = 0, z = 0,5 plan, représentant l’espace de travail. Avec un pliage en simple pli (à
dans le repère (O, x, y, z) (figure 5 à droite) est accessible selon gauche), la zone à gauche de la ligne de pli dans le plan de projec-
quatre postures correspondant aux configurations articulaires sui- tion (l’espace de travail) résulte de la projection de deux couches,
vantes (valeurs exprimées en radians) : correspondant à deux solutions inverses. Lorsque le pliage forme
une fronce comme sur la figure 7 à droite, la projection donne deux
lignes de pli qui se rejoignent en un point cusp, formant un point de
rebroussement. Dans le plan de projection, la zone à l’intérieur des
deux lignes de pli convergentes résulte de la projection de trois
couches, correspondant à trois solutions inverses.
Les postures sont représentées en figure 6. D’après la figure 5, on
voit que les configurations q2 et q3 appartiennent au même aspect.
Par conséquent, le passage de l’une à l’autre peut se réaliser sans
franchissement de singularités, par exemple à l’aide d’une trajectoire
2.2 Changement de posture singulier
linéaire (à gauche). La trajectoire reliant q2 et q3 génère alors une et non singulier
boucle dans l’espace de travail (à droite).
Un robot non cuspidal comme le robot anthorpomorphe de la
figure 4 ne peut effectuer que des changements de posture singu-
On montre que trois solutions coïncident lorsque le robot se liers. Lors d’un tel changement de posture, le robot effectue une
trouve sur un point cusp. Cette propriété est très importante car elle trajectoire d’aller-retour vers une frontière de son espace de tra-
permet de rechercher les points cusp comme les racines triples du vail : en passant de la posture « coude haut » à la posture « coude
polynôme caractéristique du modèle géométrique inverse. bas », le robot anthropomorphe passe par la singularité « bras

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tendu ». Ce faisant, l’organe terminal se déplace vers la frontière


extérieure de son espace de travail, l’atteint puis repart vers sa Singularités Singularités
pose initiale. dans l’espace articulaire dans l’espace de travail
Pour un robot cuspidal, la figure 5, à droite, montre qu’un chan- 3
gement de posture non singulier s’effectue en tournant autour
d’un point cusp [21]. Pour mieux comprendre ce phénomène, il est 2
utile de montrer comment, pour ce robot 3R orthogonal, le
domaine articulaire est « plié » avant d’être projeté sur l’espace de 1
travail. Pour cela, on peut faire apparaître les « couches » asso-
0

z [m]
ciées aux différentes solutions géométriques inverses en traçant la
section génératrice de l’espace de travail comme une surface dans −1
l’espace (ρ, z, cos(θ2). La coordonnée supplémentaire cos(θ2) per-

2
met de distinguer les différentes solutions inverses qui appa- −2
raissent alors sur des couches différentes. Le motif de pliage du
domaine articulaire étant plus complexe que celui schématisé en −3
figure 7, il est nécessaire de séparer la représentation selon les
deux aspects (figure 8). Il faut imaginer le schéma de pliage global Figure 9 – Changements de posture singulier et non singulier d’un
en considérant que les deux surfaces correspondant aux deux robot 3R cuspidal (dans l’espace articulaire à gauche, dans l’espace
aspects font en réalité partie d’une même surface pliée au niveau de travail à droite)
des bords extérieurs et d’une partie des bords intérieurs. La repré-
sentation séparée montre comment on peut passer d’une solution
à l’autre dans un même aspect en contournant un point cusp. intérieure à gauche et vers la frontière extérieure à droite) et une
trajectoire de changement de posture non singulier (au centre,
Un robot cuspidal peut aussi effectuer un changement de posture
contournant le point cusp supérieur droit).
singulier. C’est le cas lorsque le robot de la figure 5 doit changer de
posture alors qu’il se situe dans la zone périphérique de son espace
de travail. Le robot n’y admet que deux postures : une par aspect. Le
changement de posture produira alors une trajectoire d’aller-retour 2.3 Identification des robots cuspidaux
vers la frontière extérieure de l’espace de travail, comme pour un
robot non cuspidal. Lorsque le robot est dans la zone centrale, il y a On sait que s’il existe un point cusp dans l’espace de travail d’un
quatre postures : deux dans chaque aspect. Si les postures initiale et robot, alors celui-ci est cuspidal. On sait aussi que lorsque le robot
finale sont dans deux aspects différents, le changement de posture est de type 3R orthogonal, l’existence d’un point cusp est aussi
sera singulier. Le robot effectuera alors une trajectoire d’aller-retour, une condition nécessaire. Autrement dit, s’il n’existe aucun point
soit vers la frontière intérieure qui sépare la région centrale de la cusp dans l’espace de travail d’un robot 3R orthogonal, alors ce
région périphérique, soit vers la frontière extérieure. La figure 9 robot n’est pas cuspidal. Des méthodes numériques, graphiques
montre, à partir de la zone centrale, deux trajectoires de change- ou algébriques peuvent être utilisées pour vérifier les conditions
ment de posture singulier (trajectoires d’aller-retour vers la frontière d’existence de points cusp. Elles constituent une aide intéressante
pour le concepteur dans le choix d’un robot.
Étant donné que l’existence d’un point cusp prouve que le robot
est cuspidal, ceci peut être utilisé comme critère de classification.
On sait qu’un point cusp est associé à une racine triple du poly-
Aspect 1 nôme caractéristique du modèle géométrique inverse. On peut
donc rechercher ces racines triples. S’il en existe au moins une,
on peut affirmer que le robot est cuspidal. Les racines triples
5 peuvent être calculées par le système suivant :
cos(θ2)

1
0 4
−1
4
3
3
2 (3)
1 2 ρ
0
z −1 1
−2
−3
−4 0
où P(t) est le polynôme caractéristique. Le système (3) conduit à
Aspect 2 des équations de degré très élevé, difficiles à résoudre de façon
1 symbolique avec les outils mathématiques courants [20].
cos(θ2)

0
−1 Exemple 3 – Robot 3R orthogonal
4 Considérons un robot 3R orthogonal tel que r3 = 0. En posant
3 5
4,5 d2 = 1 sans perte de généralité (normalisation), il ne reste que trois
2 4
1 3,5 paramètres à considérer : d3, d4 et r2. Le modèle géométrique direct
0 3 s’écrit alors :
2,5
−1 2 ρ
z
−2 1,5
1
−3 0,5
−4 0
(4)
Figure 8 – Pliage des deux aspects dans l’espace de travail pour le
robot 3R orthogonal et trajectoire de changement de posture non
singulier autour d’un point cusp

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Intégration robot-capteur

par Jacques GANGLOFF


Professeur à l’université de Strasbourg
et Philippe POIGNET
Maître de conférences à l’université de Montpellier 2, LIRMM (Laboratoire d’informatique,
de robotique et de microélectronique de Montpellier)
2
1. Interaction robot-vision ......................................................................... S 7 780 — 2
1.1 Motivations .................................................................................................. — 2
1.2 Acquisition et traitement de l’image.......................................................... — 2
1.2.1 Le capteur............................................................................................ — 2
1.2.2 Transmission ....................................................................................... — 3
1.2.3 Traitement ........................................................................................... — 3
1.3 Commande par vision ................................................................................. — 4
1.3.1 Position de la caméra ......................................................................... — 4
1.3.2 Types de mesure................................................................................. — 4
1.3.3 Types de commande .......................................................................... — 5
1.4 Études de cas ............................................................................................... — 7
1.4.1 Montage d’un radiateur de climatisation ......................................... — 7
1.4.2 Assemblage de commande hydraulique de boîtes de vitesse ....... — 7
2. Interaction robot-effort .......................................................................... — 8
2.1 Motivations .................................................................................................. — 8
2.2 Acquisition et traitement de l’effort ........................................................... — 8
2.2.1 La mesure d’effort............................................................................... — 8
2.2.2 Le capteur............................................................................................ — 9
2.3 Commande en effort.................................................................................... — 11
2.3.1 Contrôle d’effort implicite .................................................................. — 11
2.3.2 Contrôle d’effort explicite................................................................... — 12
2.4 Études de cas ............................................................................................... — 13
2.4.1 Quelques applications industrielles proposées
par Fanuc Robotics ............................................................................. — 13
2.4.2 Un robot de prélèvement de peau .................................................... — 13
3. Vers une interaction robot-vision-effort............................................ — 14
Pour en savoir plus ........................................................................................... Doc. S 7 780
Parution : juin 2007 - Dernière validation : février 2015

a grande majorité des robots industriels installés fonctionne dans un mode de


L répétition : ils exécutent une séquence de mouvements appris. La réactivité
par rapport à un événement externe est très limitée : elle se borne souvent à des
réactions basiques déclenchées par des événements de type « tout ou rien ».
L’environnement doit donc être constant et connu avec une grande précision.
Pour un poste de soudage robotisé, par exemple, les pièces à souder doivent
être positionnées avec précision face au(x) robot(s) avant que celui-ci effectue sa
tâche apprise. Toute erreur dans ce positionnement se répercutera directement
sur la précision de la tâche.
D’autre part, lorsque le robot travaille au contact (ce qui est le cas des tâches
d’insertion, de polissage ou de vissage, par exemple), en l’absence de capteur
additionnel et si les cotes ou le positionnement de la pièce s’éloignent des valeurs
nominales, les efforts engendrés peuvent croître de manière très importante,
pouvant aller jusqu’à la destruction de la pièce ou de l’outil.

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


est strictement interdite. − © Editions T.I. S 7 780 − 1

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INTÉGRATION ROBOT-CAPTEUR __________________________________________________________________________________________________________

Afin de donner au robot plus de flexibilité et d’adaptabilité, il est nécessaire


d’inclure dans sa commande des retours sensoriels externes.
La vision permet de prendre en compte des variations dans l’environnement
de travail du robot. On parle alors de « commande par vision » ou
« asservissement » visuel. Lorsque le robot travaille au contact, la mesure des
efforts d’interaction fournie par un capteur d’effort permet de contrôler, et donc
de limiter, ces efforts d’interaction. On parle alors de « commande en effort ».
Cet article est dédié à l’interaction robot-capteur pour les deux capteurs
extéroceptifs les plus couramment utilisés en robotique : la caméra et le capteur
d’effort.

2
Les aspects théoriques concernant les différentes architectures de commande
sont abordés de façon très synthétique, en donnant au lecteur la possibilité
d’approfondir le sujet à travers la citation de références.
La technologie des capteurs, des exemples et des études de cas réels,
constituent le volet pratique de l’article.

Dans cette partie, les différentes notions fondamentales en com-


1. Interaction robot-vision mande par vision sont abordées de manière progressive et didacti-
que. Une section est dédiée aux capteurs avec une présentation des
différentes technologies et leur adéquation avec la commande par
vision.
1.1 Motivations
Les différentes architectures d’asservissement visuel sont ensuite
passées en revue et, pour finir, un panorama des futures applica-
Le capteur visuel est un capteur dit « extéroceptif ». Il est capable, tions industrielles de la vision active est proposé.
avec une grande richesse d’informations, d’appréhender l’environ-
nement de travail du robot.
L’information extraite de l’image permet, par exemple, de corriger
la trajectoire du robot de manière à s’adapter à une variation dans 1.2 Acquisition et traitement de l’image
les cotes des pièces à traiter. On peut aussi imaginer un système
robotique capable de reconnaître automatiquement le type de pièce
qui se présente et d’adapter la tâche en fonction de la pièce et/ou de La maîtrise des technologies d’acquisition d’image est primor-
sa position par rapport au robot. diale pour une bonne compréhension des enjeux et limitations de la
commande par vision.
Le capteur visuel fournit un flux d’informations. Le caractère
temps-réel de cette information peut être utilisé pour corriger en Dans cette partie, on dressera un état de l’art de l’existant en don-
temps réel la position du robot, notamment pour réaliser une tâche nant un aperçu qualitatif du point de vue de l’utilisateur.
à la volée sur une pièce circulant sur un convoyeur.
Les deux premiers exemples mentionnés ont tendance à devenir
de plus en plus courants dans l’industrie. Ceci a été rendu possible, 1.2.1 Le capteur
ces dernières années, grâce à l’augmentation de la puissance de
traitement de l’image (qui suit la courbe des fréquences des micro- Si on schématise, on trouve actuellement sur le marché deux
processeurs) et, aussi, en raison de l’accès à un certain degré de technologies de capteur visuel : la technologie CCD (plus ancienne)
maturité et donc de robustesse des algorithmes de traitement et la technologie CMOS.
d’image.
Dans ces exemples le fonctionnement du système est séquentiel : ■ La technologie CCD (« Charge Coupled Device ») a été inventée
on regarde, on traite et on bouge le robot en fonction du résultat du en 1969. Elle consiste en une matrice de photo-sites ou pixels qui
traitement. Cette approche est dénommée « look then move » dans convertissent la lumière en charges électriques.
la littérature scientifique et ne permet pas une correction active de la
Cette conversion nécessite un certain temps, réglable électroni-
tâche.
quement, qui correspond au temps de l’obturateur électronique ou
Le dernier exemple qui consiste à suivre une pièce en train de « electronic shutter ». Ensuite les charges sont transférées d’un coup
bouger, relève de ce qu’on nomme la « vision active » ou « visual vers une zone de stockage d’où elles sont dépilées et converties
servoing ». Dans ce cas, les commandes envoyées au robot sont séquentiellement en niveaux de tension. Chacun d’eux est propor-
réactualisées à une fréquence égale ou harmonique de la fréquence tionnel à la luminance du pixel codé.
d’acquisition d’images.
Le système peut être vu comme un asservissement de position ■ Les capteurs CMOS utilisent une technologie largement éprou-
avec un capteur visuel. vée dans le domaine de l’électronique numérique pour intégrer, sur
le même substrat de silicium, la fonction capteur et la fonction de
mise en forme du signal.
Ce type d’approche est encore très rare dans l’industrie mais La fonction capteur utilise les mêmes principes qu’en technologie
elle est courante dans le milieu de la recherche où on a CCD. C’est au niveau du conditionnement du signal que réside la
démontré son intérêt et son efficacité. principale différence.

Toute reproduction sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie


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__________________________________________________________________________________________________________ INTÉGRATION ROBOT-CAPTEUR

En technologie CMOS, un pixel contient, non seulement une zone — CamLink : transmission série. Débit maximum : 7,14 Gbits/s
sensible, mais également un circuit d’amplification. L’accès à un dans sa version full. C’est une norme dédiée aux caméras numéri-
pixel se fait à la manière d’une mémoire, c’est-à-dire par un système ques. Transmission point à point. Inconvénient : carte d’interface
d’adressage : on peut ainsi accéder directement au niveau de ten- dédiée onéreuse ;
sion d’un pixel, sans avoir à dépiler les pixels précédents comme — FireWire : transmission série. Débit maximum : 800 Mbits/s.
pour un CCD. Possibilité de connecter plusieurs caméras sur le même bus. Moins
cher que le CamLink. Inconvénient : faible débit ;
■ Le tableau 1 suivant dresse un bilan des principaux avantages/ — USB 2 : transmission série. Débit maximum : 480 Mbits/s.
inconvénients des deux technologies. Caractéristiques similaires au FireWire ;
— Ethernet Gigabit : transmission série. Débit maximum :
(0)

1 Gbits/s. Distance maximum : 100 m. Possibilité de brancher plu-


Tableau 1 – Bilan comparatif sieurs caméras. Carte d’interface bon marché.

Points principaux
Sensibilité
CCD
Bonne
CMOS
Moyenne
Pour résumer, le standard le plus performant actuellement est
le CamLink. Il offre la bande passante la plus élevée tout en
2
Accès aux pixels Lent Rapide ayant une connectique légère qui peut atteindre 10 mètres.
C’est aussi la solution la plus onéreuse.
Rapport S/B Bon Moyen
Consommation Élevée Faible Les solutions USB 2 et FireWire correspondent plutôt à des appli-
Prix de revient Moyen Faible cations bas de gamme car leur débit maximum est assez limité.
Fonctions avancées Rares Courantes La solution Ethernet Gigabit est un bon compromis : elle offre un
débit correct mais sans plus, elle est relativement peu onéreuse et,
surtout, elle autorise une transmission sur une longue distance.
Pour résumer, la technologie CCD reste à privilégier par rapport à
Pour finir, il faut également mentionner une nouvelle approche
la CMOS lorsque la qualité de l’image est primordiale (sensibilité
qui consiste à embarquer, dans le boîtier de la caméra, un calcula-
meilleure, rapport S/B meilleur).
teur destiné à traiter l’image : il s’agit des caméras « intelligentes ».
Si c’est la rapidité d’accès aux pixels qui est recherchée (ce qui est Il est ainsi possible, grâce à un kit de développement, de program-
souvent le cas en vision active), alors on préférera la technologie mer des routines de traitement d’image et de les télécharger direc-
CMOS. tement sur la caméra. Ainsi le transfert caméra vers ordinateur ne
D’autre part, cette dernière technologie permet d’intégrer sur le concerne plus l’image entière mais un résultat de traitement dont le
capteur des fonctions avancées telles que des pré-traitements basi- débit est nettement inférieur. L’inconvénient de cette approche est
ques (filtrages, détection de motifs) ce qui est impossible en techno- une puissance de traitement limitée.
logie CCD.
Enfin, la technologie CMOS étant plutôt récente, on assiste à un 1.2.3 Traitement
rattrapage rapide du CMOS sur le CCD en ce qui concerne ses prin-
cipaux défauts.
On suppose que l’image a été numérisée et qu’elle est stockée
dans la mémoire locale de la carte d’acquisition qui, elle-même, est
1.2.2 Transmission enfichée dans un connecteur de l’ordinateur devant traiter l’image.
La première étape consiste donc à transférer l’image de la
La commande par vision est une commande numérique qui fait mémoire locale à la mémoire centrale de l’ordinateur.
intervenir un calculateur. L’information du capteur doit donc être Pour une application où le temps n’est pas critique, la durée de ce
numérisée avant d’être traitée. transfert est négligeable. Mais, dans le cas de la vision active qui
doit être synchrone avec l’acquisition d’image, tout délai pénalise la
Historiquement, les caméras étaient toutes analogiques : le signal
performance de l’asservissement.
codant l’image est une tension analogique transitant dans un câble
coaxial. Dans ce cas, la numérisation de l’image s’effectue par le biais Le débit maximum théorique d’un bus PCI est de 133 Mo/s, ce qui est
d’une carte d’acquisition dans l’ordinateur qui fait le traitement. largement inférieur au débit maximum du CamLink (830 Mo/s). Aussi,
afin de tirer pleinement parti des performances du transfert caméra
L’utilisation d’une transmission analogique de l’image pose un cer-
vers carte d’acquisition, encore faut-il que le transfert carte d’acquisi-
tain nombre de problèmes, surtout dans un environnement
tion vers mémoire centrale ne soit pas un goulet d’étranglement.
industriel : la distance entre la caméra et la carte d’acquisition est limi-
tée à quelques mètres et, de plus, l’information est sujette aux pertur- Le PCI express, successeur du PCI, permet d’éliminer ce goulet
bations électromagnétiques et peut donc être facilement dégradée. grâce à un débit théorique maximal de 8 Go/s. On privilégiera donc
ce format lorsqu’un temps de réponse rapide est demandé (images
Plus récemment sont apparues des caméras numériques. Dans ce de très haute résolution en fonctionnement « look then move » ou
cas, l’information est numérisée directement au niveau de la de résolution moyenne en vision active).
caméra, puis transmise numériquement.
Nous ne détaillons pas ici les algorithmes de traitements d’image.
Pour cela, le lecteur peut se référer aux ouvrages [1] à [5].
L’avantage est clair : le signal étant numérisé au plus près de
la source, on minimise le bruit de transmission. D’autre part, il Il existe des outils de vision industrielle de haut niveau offrant à
est possible de transmettre sans perte et sur une longue l’utilisateur une bibliothèque de fonctions avancées de traitement
distance. d’image et une interface de développement simplifiée basée sur un
langage descriptif par diagrammes fonctionnels.
Il existe plusieurs standards concurrents pour la transmission Cette approche évite toute programmation de bas niveau et offre
numérique d’image : un degré de flexibilité important avec une légère pénalité sur la
— LVDS : transmission parallèle. 1 paire de fils par bit, 32 bits au rapidité.
total. Débit maximum : 400 Mo/s. Inconvénient : connectique La robustesse du traitement d’image est souvent le point faible
encombrante ; d’une application de commande par vision. Néanmoins, on peut

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109
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S7780

INTÉGRATION ROBOT-CAPTEUR __________________________________________________________________________________________________________

dire que l’environnement industriel est le plus propice, si on le com-


pare aux applications en extérieur ou aux applications médicales,
par exemple, environnement complexe non modélisé avec éclai-
rage non maîtrisé.
Une fiabilité maximale du traitement d’image passe souvent par
une maîtrise de l’espace de travail : éclairage puissant et constant,
arrière-plan uniforme, position relative caméra-scène à peu prés
constante. Si ces critères sont respectés, on atteint une fiabilité de
traitement d’image proche de 100 %.

1.3 Commande par vision


2
Figure 1 – Configuration « eye in hand »

La commande par vision, ou asservissement visuel, est la com-


mande de la position d’un système mécanique actionné (typique-
ment un robot) grâce à une mesure provenant d’un dispositif
imageur (typiquement une caméra).
Dans cette partie, on passe en revue les principales stratégies de
commande par vision. Ces approches peuvent être classées en fonc-
tion de 3 critères : la position de la caméra, le type de mesure, le
type de commande envoyée au robot.

1.3.1 Position de la caméra


Figure 2 – Configuration « eye to hand »
■ Caméra embarquée
La configuration « caméra embarquée », aussi appelée eye in
hand (figure 1), est celle où la caméra est solidaire de l’un des corps
du robot.
p*
Cette configuration est adaptée à des tâches de suivi (suivi d’un + Correcteur
joint de soudure, suivi de surface pour la peinture, dépose d’un joint -
de colle, ...), de préhension (saisie d’un objet sur un convoyeur) ou (contrôleur +) variateurs
+ robot + caméra

Image
d’assemblage (insertion d’un piston dans un cylindre).
mesure de
position

^
p
■ Caméra déportée
Dans cette configuration (figure 2), la caméra est fixe et observe la Extraction
Reconstruction
scène constituée de l’organe terminal du robot et de l’objet d’intérêt. de
3D
primitives
Ici, la tâche asservie par vision doit être réalisée dans le champ de
vision de la caméra qui est fixe. Elle est donc plus adaptée à des
tâches locales exécutées dans un petit sous-espace de l’espace de Figure 3 – Commande 3D
travail du robot.
Elle suppose que le modèle de la scène est connu par le système
1.3.2 Types de mesure de vision. La figure 3 donne le schéma-bloc d’un asservissement
visuel 3D (aussi appelé position-based).
On appelle primitive visuelle un objet géométrique élémentaire
La consigne p* est comparée à la mesure p̂ estimée à partir de
(point, segment, ellipse, ...) qui a été identifié dans l’image. Les pri-
l’image.
mitives correspondent souvent aux arêtes ou aux contours des
objets de l’image. Exemple : Dans le cas d’une tâche de positionnement, p* est la
Il y a principalement deux approches pour l’exploitation de ces position à atteindre et p̂ est la position courante mesurée grâce à la
primitives pour la commande : l’approche 3D et l’approche 2D. caméra. Le correcteur génère la commande qui permet de faire conver-
ger p̂ vers p*.
Cette distinction concerne essentiellement le type de mesure, ou
de consigne, utilisé pour l’asservissement visuel.
Dans la figure 3 on voit qu’il y a un bloc « reconstruction 3D » qui
En 3D, ces grandeurs définissent une attitude (6 coordonnées, représente la phase d’estimation de p̂ , à partir des primitives extrai-
3 coordonnées de translation et 3 coordonnées de rotation). Les tes de l’image et du modèle de l’objet.
6 coordonnées d’attitude sont calculées à partir des primitives et
d’un modèle de la scène.
L’avantage du 3D est une parfaite maîtrise des trajectoires du
En 2D, la mesure et la consigne de l’asservissement visuel sont
robot dans l’espace opérationnel.
directement exprimées en terme de coordonnées de primitives.
Son principal inconvénient est la nécessité d’avoir à recourir à
Par exemple, dans le cas de primitives ponctuelles, la mesure et la un modèle de la scène.
consigne sont les coordonnées en pixels des points d’intérêt dans
l’image.
■ Approche 2D
■ Approche 3D
L’approche 3D est la plus intuitive. Ce fut aussi, historiquement, la La figure 4 donne le schéma-bloc d’un asservissement visuel 2D
première. (image-based).

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S 7 780 − 4 est strictement interdite. − © Editions T.I.

110
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S7810

Téléopération –
Principes et technologies
par Philippe GARREC
Ingénieur de l’École Nationale Supérieure des Arts Métiers
Ingénieur senior au CEA
Expert CEA Technologie Conseil et ANVAR
Expert AFNOR et ISO/WG 5 – Remote Handling

2
Expert AFNOR – ISO – Remote Handling

Alain RIWAN
Ingénieur de l’École Nationale Supérieure des Arts Métiers
Advanced Master of Innovative Design (INSA Strasbourg)
Ingénieur senior au CEA
Expert CEA

Olivier DAVID
Ingénieur de l’École Nationale Supérieure des Arts Métiers

et Yvan MEASSON
Ingénieur de l’École Centrale de Nantes
Responsable du laboratoire de téléopération et cobotique
Chargé d’affaire robotique et réalité virtuelle

1. Définitions – Architectures et principes fonctionnels ............ S 7 810 – 2


1.1 Définition et classification des télémanipulateurs maı̂tre-esclave
à retour d’effort .................................................................................. — 2
1.2 Classification des télémanipulateurs maı̂tre-esclave ........................ — 2
1.3 Retours sensoriels .............................................................................. — 3
1.4 Modes de fonctionnement ................................................................. — 3
2. Éléments technologiques .............................................................. — 5
2.1 Cinématique (ou architecture) des manipulateurs ............................ — 5
2.2 Manipulateur maı̂tre........................................................................... — 5
2.3 Manipulateur esclave ......................................................................... — 6
2.4 Transmissions mécaniques – Couplage............................................. — 7
2.5 Équilibrage.......................................................................................... — 8
2.6 Actionneurs ........................................................................................ — 8
2.7 Capteurs.............................................................................................. — 15
2.8 Performances d’un système de téléopération ................................... — 15
Pour en savoir plus.................................................................................. Doc. S 7 810
Parution : mars 2010 - Dernière validation : février 2015

a téléopération ou « opération à distance » au sens le plus général est un


L ensemble de techniques qui permettent à l’homme de transposer ses capa-
cités d’action en temps réel (observation, manipulation) à distance grâce à des
retours sensoriels. Nous nous limiterons dans cet article aux manipulateurs
permettant d’agir mécaniquement à distance grâce à des retours sensoriels
(vision et effort au minimum), utilisés essentiellement dans un milieu impos-
sible d’accès ou hostile à l’homme (nucléaire, spatial, sous-marin, sous-terrain,
corps humain, off-shore, etc.). Ces télémanipulateurs maı̂tre-esclave à retour
d’effort, vont bien au-delà des outils de manipulation primitifs comme les pin-
ces et permettent de réaliser des tâches de manipulations complexes.
Nota : par « temps réel » on comprend des actions et des processus interprétables et contrôlables consciemment par
l’Homme.

Le premier de cette série de trois articles consacrés à la téléopération a pour


but de présenter les différents termes employés dans le domaine et également

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S7810

TÉLÉOPÉRATION – PRINCIPES ET TECHNOLOGIES –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

de donner au lecteur un aperçu des technologies les plus couramment


employées.
Dans un second article [S 7 811], nous aborderons la problématique du
contrôle commande de ces systèmes.
Enfin, le lecteur trouvera dans la dernière partie de cette série [S 7 812] les
différentes applications en zone contrôlée de cette technologie et les perspecti-
ves d’évolution.

2 1. Définitions – Architectures
et principes fonctionnels Manipulateur
(ou bras) esclave
Manipulateur
(ou bras) maître

Équilibrage :
ressort,
1.1 Définition et classification Palier contrepoids
3 2
1
des télémanipulateurs maı̂tre-esclave
à retour d’effort Segment

Le terme « télémanipulateur maı̂tre-esclave à retour d’effort » Transmissions


désigne un ensemble de deux manipulateurs (ou bras) – maı̂tre et mécaniques :
esclave – reliés par des transmissions mécaniques ou des action- câbles, rubans,
4 chaînes,
neurs asservis en mode maı̂tre-esclave à retour d’effort. Notons arbres tournants
que topologiquement le manipulateur n’est pas simplement inter-
posé entre l’opérateur et l’objet, mais relié en son milieu à une par-
tie fixe (paroi) qui fait office de bâti. 5

La classification des télémanipulateurs maı̂tre-esclave corres- Pince esclave


pond aux différentes étapes de leur développement technologique 6
Poignée maître
dans l’industrie nucléaire, celle-ci nous servant de référence Paroi
incontournable :
– télémanipulateur maı̂tre/esclave à commande mécanique Figure 1 – Architecture type d’un télémanipulateur maı̂tre-esclave
(MSM pour Master-slave manipulator) ; mécanique
– télémanipulateur maı̂tre/esclave électro-mécanique ou servo-
manipulateur (EMSM pour Electrical master-slave manipulator) ; maı̂tre et esclave sont actionnés individuellement par des moteurs
– télémanipulateur maı̂tre/esclave assisté par ordinateur ou télé- électriques, ce qui autorise un éloignement plus important.
opérateur (teleoperator).
Certains exemplaires bénéficient d’un grand retour d’expérience.
Seules les deux premières catégories de systèmes ont été fabri- C’est le cas du servo-manipulateur MASCOT exploité sous le nom
quées à une échelle industrielle et sont couvertes par des normes de DEXTER pour travaux de maintenance effectués sur le tokamak
AFNOR/ISO. européen JET (UK), avec plus de 7 000 heures en opérations cumu-
lées (chiffre datant de 2006).
1.2 Classification des télémanipulateurs
maı̂tre-esclave 1.2.3 Assisté par ordinateur (ou téléopérateur)
La téléopération assistée par ordinateur (TAO) a été démontrée
1.2.1 Mécanique depuis le début des années 1980 et employée depuis dans certaines
Cette catégorie domine toujours très largement les applications tâches industrielles.
avec des dizaines de milliers d’exemplaires en service à travers le Des progrè s importants ont é té obtenus avec la ré alisation
monde et bénéficient du retour d’expérience le plus significatif. d’opérations de maintenance significative comme la réparation
Ils sont typiquement constitués d’un bras maı̂tre et d’un bras de la roue d’un dissolveur à l’usine AREVA-Hague (systè me RX
esclave à six degrés de liberté (six axes) et de même cinématique Stäubli/MA 23 développé par CEA LIST/MECACHIMIE).
(iso-cinématiques ou encore isomorphes) reliés par six transmis-
La TAO est promise à un développement important en raison de
sions mécaniques réversibles. Des architectures iso-cinématiques
sa généricité, tant du point de vue contrôle que du point de vue
sont telles que lorsque l’on parcourt chacun des bras en partant
de leur base ou de leur extrémité, on trouve des axes identiques architecture matérielle, les bras maı̂tre et esclave pouvant être indé-
(rotatifs ou linéaires) et de même orientation relative. Les six trans- pendamment optimisés. L’ordinateur qui est utilisé pour le traite-
missions mécaniques relient ainsi les axes homologues des deux ment de l’information (consignes, signaux capteurs, périphéri-
bras. Une pince commandée par un levier (parfois appelé 7e axe) ques), pour effectuer les calculs en temps réel nécessaires aux
est ajoutée pour permettre la saisie des objets. asservissements et à la commande, offre des possibilités étendues
d’assistance. Il est aussi utilisé pour la simulation interactive (réa-
lité virtuelle) de l’ensemble du système et de son environnement,
1.2.2 Électrique (ou servo-manipulateur)
soit hors ligne pendant les phases de formation des opérateurs ou
Ces manipulateurs ont la même architecture générale que leurs de préparation des tâches, soit en temps réel pour l’amélioration
alter ego mécaniques (iso-cinématiques) si ce n’est que les bras du retour sensoriel et la supervision du travail.

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S 7 810 – 2 est strictement interdite. – © Editions T.I.

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–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– TÉLÉOPÉRATION – PRINCIPES ET TECHNOLOGIES

Côté esclave Côté maître


(pince) (poignée de commande)

Transmissions Transmissions

Planétaire

Satellite
2

Poignée de commande du maître

Figure 2 – Mécanique typique de poignet avec pince de télémanipulateur mécanique

1.3 Retours sensoriels Charge


V>0 (poids)
Le retour sensoriel privilégié pour toute manipulation à distance
est le retour visuel. Dans les cellules blindées de l’industrie FOP P
nucléaire, il est assuré en partie par des hublots et en partie par Levier infiniment rigide
des caméras. En téléopération, le retour visuel peut-être complété Pivot sans frottement
par des moyens de réalité virtuelle. On parle de réalité augmentée FOP = P
lorsque l’on complète le retour visuel réel par des informations ᭙ sign (V ) V<0
synthétiques superposées. Opérateur
Le retour d’effort a un statut essentiel car il permet de compléter
efficacement le retour visuel ou même de le suppléer en cas Figure 3 – Télémanipulateur maı̂tre-esclave élémentaire à retour
d’insuffisance de visibilité (travail « à tatons »). Il permet de rac- d’effort parfait (bascule)
courcir notablement la durée de certaines tâches ainsi que celle
des phases d’apprentissage et de formation des opérateurs. Le 1.4 Modes de fonctionnement
retour d’effort comporte une composante musculaire et une com-
posante de contact (toucher). Le contact lui-même peut être localisé 1.4.1 Maı̂tre-esclave à retour
dans la main (prise en poignée), sur les doigts ou au niveau des
d’effort – Réversibilité réelle et apparente :
membres (cas des orthèses).
bilatéralité
Les organes maı̂tres répondent à l’une et l’autre de ces exigences
de manière variable, suivant leur conception et leurs performances Puisque un télémanipulateur à six axes comporte six transmis-
(bras maı̂tre, orthèse, organe haptique). sions de même principe, on choisit de raisonner sur un télémanipu-
lateur élémentaire à un axe (figure 3).
Remarquons que seul le retour d’effort continu est mesuré dans
les normes concernant les manipulateurs (mesure de frottement). Par définition, le retour d’effort est l’effort perçu par l’opérateur
Au contraire, la sensation de toucher, qui est bien entendu ressen- via l’interface que constitue le bras maı̂tre (FOP). Il est une caracté-
tie de façon combinée par l’opérateur, n’est pas identifiée du point ristique fondamentale d’un télémanipulateur maı̂tre-esclave.
de vue conceptuel comme un critère de performances et ne fait Idéalement l’effort P appliqué par l’objet sur le manipulateur
donc pas actuellement l’objet de contrôle. Les techniques permet- esclave doit être identique (fidèle) à celui appliqué par le manipula-
tant de spécifier et de contrôler le spectre du retour d’effort font teur maı̂tre sur l’opérateur (FOP), et ce, quel que soit le sens du
l’objet de nombreux travaux de laboratoire. mouvement. On parlera alors de transmission parfaite de l’effort
Le retour du son est souvent très utile bien que moins détermi- (ou de retour d’effort parfait). Par exemple, la perception du poids
nant que les deux premiers. Notons que comme pour la vision, des d’un objet tenu en main ne change pas, qu’on élève ou qu’on
travaux de recherche visent à enrichir la perception auditive grâce à abaisse cet objet.
la synthèse acoustique. Pour parvenir à ce résultat, le télémanipulateur maı̂tre-esclave
Quant aux retours olfactif et gustatif, qui peuvent avoir leur inté- doit lui aussi se comporter à la façon d’un transmetteur de l’effort
rêt dans le domaine de la téléprésence, ils ne sont cités ici que pour parfait, comme le ferait un objet passif telle qu’une tige infiniment
mémoire. rigide, et basculant sur un pivot sans frottement.

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TÉLÉOPÉRATION – PRINCIPES ET TECHNOLOGIES –––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

Remarque : notons que si l’on cherche toujours à étendre les On peut résumer en généralisant ces constations comme suit.
performances du retour d’effort on ne cherche pas toujours à Le retour d’effort sera cohérent, a minima, si :
transmettre symétriquement les défauts (force ou position) de – le télémanipulateur maı̂tre-esclave est équilibré ;
l’opérateur vers l’esclave (filtrage). – le télémanipulateur maı̂tre-esclave se comporte comme un sys-
tème réversible (on dit parfois bilatéral) ;
La figure 4 reprend le principe élémentaire de la bascule en y – les résistances sont suffisamment faibles par rapport aux
ajoutant une transmission mécanique symbolisée ici par des efforts à percevoir (notion de frottement relatif).
engrenages avec frottement. Celle-ci permet au passage de redres-
ser le sens de l’effort pour être conforme aux lois de la manipula- Un système réel comporte des flexibilités et des jeux qui condui-
tion directe. De plus, les bras sont de longueurs inégales afin de sent à des écarts de position entre maı̂tre et esclave. L’évaluation de
pouvoir, le cas échéant, multiplier le déplacement côté esclave (rap- ces défauts entre dans les critères de qualité normalisés.
port LE/LM) et ils ont une masse. Un dispositif d’équilibrage est
prévu (ici schématiquement des contrepoids) afin que leurs poids Remarques :

2
ne soit pas perçu.  Le comportement réversible (ou bilatéral) ne suppose pas
nécessairement la réversibilité mécanique. Cette nuance est
L’altération du retour d’effort par le frottement est expliquée sur importante car en téléopération on peut obtenir le comporte-
les schémas vectoriels. ment bilatéral avec des transmissions irréversibles (exemple :
Examinons le cas du mécanisme réversible. On constate que le roue et vis tangente) grâce à l’utilisation d’un asservissement
retour d’effort est bien toujours opposé à P, mais qu’il est altéré sur capteur d’effort placé en sortie (ou couplemètre). On dit
par le frottement f : l’opérateur surévalue la charge en montant et parfois qu’on a « réversibilisé » la transmission, ce terme
la sous-évalue en descendant. étant bien entendu pratique mais inexact en toute rigueur.
Nous renvoyons au chapitre de la commande consacré spécia-
Remarques : en fait le frottement sec f a une valeur différente lement à ce sujet (2.6.2.1).
dans les deux sens car il dépend du bilan des efforts de contact  Les télémanipulateurs maı̂tre/esclave mécaniques et électri-
dans l’engrenage. En général, le frottement ne peut être correc- ques ont des transmissions réversibles où, de plus, les frotte-
tement calculé que dans le cadre d’une théorie de la transmis- ments sont minimisés par conception. Notons que cette
sion de l’effort dans les chaı̂nes cinématiques. contrainte conduit toujours à une rigidité inférieure à celle d’un
manipulateur industriel (robot). On peut parler de source d’effort
On constate qu’un mécanisme irréversible (ou arc-boutant) dans le premier cas et de source de position dans le second.
donne un retour d’effort incohérent : en descente, l’opérateur ne
perçoit que le frottement (f ′), correspondant au décoincement du
système. Régime transitoire
Les masses se traduisent par une perturbation du retour d’ef-
Frottement fort, liés aux efforts d’inertie. Ce type ne fait pas encore l’objet
Contrepoids Charge d’une caractérisation normalisée.
Masse ESCLAVE Masse
LEVIER MAÎTRE LEVIER ESCLAVE
P
La figure 5 décrit le principe d’une transmission électroméca-
FOP nique entre le levier maı̂tre et le levier esclave.
Contrepoids
MAÎTRE Le système fonctionne suivant le même principe que précédem-
LM LE ment, mais cette fois grâce à un asservissement qui tend à aligner
Opérateur
les deux leviers (couple de rappel élastique). La liaison électrique
autorise l’éloignement des manipulateurs maı̂tre et esclave et l’éner-
P P
FOP FOP gie du réseau permet de démultiplier (multiplier) les forces et les
vitesses indépendamment. Une autre distinction importante est que
f V>0 f V>0
l’équilibrage peut être réalisé si nécessaire par l’action des moteurs
RÉVERSIBLE IRRÉVERSIBLE (§ 2.5). L’échange de données ne concerne ici que les coordonnées
articulaires. Il s’effectue de manière analogique ou numérique.
V<0 V<0
FOP
De ce point de vue, la différence principale entre un servo-mani-
P P
pulateur et un système TAO réside dans la possibilité de contrôler
f les deux manipulateurs dans un référentiel géométrique commun,
FOP exprimé en coordonnées cartésiennes. Pour plus de détails, se
f’
reporter au chapitre contrôle commande (§ 2.6.2.1). Ce principe a
permis de travailler avec des manipulateurs maı̂tre et esclave tota-
Figure 4 – Télémanipulateur maı̂tre-esclave élémentaire lement hétérogènes (cinématique et technologie), comme l’illustre
à transmission mécanique avec frottement la figure 6.

Contrepoids Contrepoids
MAÎTRE Frottement ESCLAVE
Frottement Charge
(optionnel) (optionnel) Masse
Masse
LEVIER MAÎTRE LEVIER ESCLAVE
P

LM Intercom- LE
munication

Servo-amplificateur Servo-amplificateur
Opérateur MAÎTRE ESCLAVE
Énergie

Figure 5 – Télémanipulateur maı̂tre-esclave élémentaire à transmission électromécanique avec frottement (servo-manipulateur)

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114
Référence Internet
S7811

Téléopération. Contrôle commande


par Franck GEFFARD
Ingénieur de l’École Centrale de Nantes
Ingénieur de Recherche CEA LIST

François-Xavier RUSSOTTO
Ingénieur de Recherche CEA LIST

Yvan MEASSON

et
Chargé d’affaire robotique et réalité virtuelle CEA LIST

Claude ANDRIOT
2
Expert senior CEA LIST

1. Téléopération assistée par ordinateur (TAO) à retour


d’effort : contrôle commande ...................................................... S 7 811 – 2
1.1 Introduction ........................................................................................ — 2
1.2 Principe de commande d’un télémanipulateur à retour d’effort ...... — 2
1.2.1 Du télémanipulateur mécanique à la TAO : concepts de base — 2
1.2.2 Un couplage bilatéral en TAO ................................................. — 2
1.2.3 La réversibilisation par capteur d’effort.................................. — 5
1.2.4 Les assistances apportées par la TAO..................................... — 5
1.3 Architecture informatique .................................................................. — 6
1.3.1 Architecture matérielle ............................................................ — 6
1.3.2 Architecture logicielle .............................................................. — 6
1.4 Analyse et évaluation des systèmes de téléopération ...................... — 6
1.4.1 Réseau à deux ports d’interaction........................................... — 6
1.4.2 Transparence............................................................................ — 7
1.4.3 Stabilité et passivité ................................................................ — 7
1.4.4 Limites de performance de la boucle d’effort......................... — 7
1.5 Autres architectures de commande ................................................... — 8
1.5.1 Le couplage position/couple ................................................... — 8
1.5.2 La liaison quatre canaux.......................................................... — 8
1.5.3 Les variables d’ondes .............................................................. — 8
2. La supervision des systèmes de téléopération ......................... — 8
2.1 Motivations ......................................................................................... — 9
2.1.1 Contexte et objectifs ................................................................ — 9
2.1.2 Étapes d’une intervention robotisée ....................................... — 9
2.2 Fonctions et outils pour la supervision ............................................. — 11
2.2.1 Modélisation de l’environnement ........................................... — 11
2.2.2 Préparation de la mission........................................................ — 11
2.2.3 Exécution de la mission .......................................................... — 13
Pour en savoir plus.................................................................................. Doc. S 7 811
Parution : juin 2010 - Dernière validation : février 2015

a seconde partie de cette série de trois articles consacrés à la téléopération


L traite du contrôle commande, en termes d’architectures matérielles et logi-
cielles, algorithmes et automatiques, et de la supervision de ces systèmes.

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est strictement interdite. – © Editions T.I. S 7 811 – 1

115
Référence Internet
S7811

TÉLÉOPÉRATION. CONTRÔLE COMMANDE ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

1. Téléopération assistée « transparent ». Si la transparence parfaite ne peut être atteinte,


un des objectifs de conception (en mécanique et en commande)
par ordinateur (TAO) est de s’en approcher le plus possible. L’objectif ultime étant la
transparence totale :
à retour d’effort :
contrôle commande
{
Fesc = Fmaî
Vesc = Vmaî
(1)

Les améliorations technologiques en robotique et en informa-


tique ont permis de couper le lien mécanique reliant le maı̂tre et
1.1 Introduction l’esclave de la figure 1. Les organes maı̂tre et esclave ont été rem-
placés par des robots (motorisés) maı̂tre et esclave, et les câbles
La particularité de la commande des systèmes de téléopération à mécaniques ont été remplacés par des fils électriques. Une idée
retour d’effort est d’introduire l’opérateur (ainsi que l’environne- séduisante de commande qui s’est rapidement imposée, fût de

2
ment) dans la boucle de commande. Cette particularité a bien simuler le principe physique de la liaison par câble du télémanipu-
entendu énormément d’impact sur l’architecture informatique, lateur mécanique, intrinsèquement passive, tout d’abord électroni-
ainsi que sur les lois de commande. La sûreté de fonctionnement quement, puis informatiquement en émulant une liaison ressort
du système et donc la sécurité de l’opérateur et de l’environnement amortisseur virtuelle (figure 2). Cette technique de couplage est
(qui peut également être, dans le cas de la téléchirurgie, un être appelée position/position. Bien que la technologie de couplage ait
humain) est la contrainte de base de la conception et du réglage évolué, l’objectif de transparence reste identique, et la réversibilité
d’un système de téléopération. Le célèbre compromis de l’automa- naturelle (mécanique) ou active (par capteur) des robots maı̂tre et
ticien « performance/robustesse » reste bien entendu pertinent esclave est une condition nécessaire pour s’en approcher.
dans le cas de la commande des systèmes de télémanipulation.
Néanmoins, pour répondre à la problématique particulière de la Une fois l’informatique intégré dans les systèmes de téléopéra-
téléopération des techniques spécifiques d’analyse et de concep- tion, de nombreuses évolutions ont vu le jour telles que l’asservis-
tion des lois de commande sont employées (§ 1.4). sement cartésien permettant de coupler des bras non homothéti-
ques (figure 3) quelconques, le décalage, les assistances au geste,
Différentes architectures de commande ont été proposées (§ 1.5), ainsi qu’une multitude d’autres assistances.
mais par soucis pédagogique et de complétude, uniquement
l’approche passive modulaire de la figure 1 sera détaillée (§ 1.2.2).
De part sa modularité et sa robustesse, cette architecture de com- 1.2.2 Un couplage bilatéral en TAO
mande a pu être intégrée dans un contrôleur de téléopération uti- & Principe de la TAO : cas mono-axe
lisé actuellement en contexte industriel.
L’émulation informatique d’un système ressort amortisseur, tel
qu’il est présenté sur la figure 2, est réalisée simplement en asser-
1.2 Principe de commande d’un vissant le robot esclave sur la position du robot maı̂tre, et récipro-
télémanipulateur à retour d’effort quement le robot maı̂tre sur la position du robot esclave, avec un
correcteur de type proportionnel-dérivé. Ce type de couplage est
1.2.1 Du télémanipulateur mécanique à la TAO : appelé couplage position/position, et nécessite un maı̂tre et un
concepts de base esclave réversibles.

C’est dans l’industrie nucléaire, durant les années 1950, qu’appa-


Robot maître Robot esclave Observation
raissent les premiers télémanipulateurs mécaniques. Ils sont
constitués d’un organe maı̂tre placé du côté sain (aussi appelé Liaison
Vmaî virtuelle Vesc
côté froid) de la paroi, et d’un organe esclave situé dans le milieu Fmaî Fesc Ro
radioactif (aussi appelé côté chaud). Ces deux organes mécaniques
sont liés l’un à l’autre, axe par axe, par l’intermédiaire d’un système
de poulies et de câbles (figure 1).
Dans le cas des télémanipulateurs mécaniques, les mécanismes
maı̂tre et esclave sont conçus spécifiquement pour la téléopération, Figure 2 – Principe de base du couplage bilatéral en TAO
avec notamment très peu de frottements articulaires (§ 2 de l’arti-
cle [S 7 810]). Ainsi, l’opérateur peut déplacer le maı̂tre (et donc
l’esclave) sans effort dans l’espace libre (pas de contact). De la
même façon, il suffit d’un faible effort de l’environnement pour
déplacer l’esclave, et donc le maı̂tre. Les mécanismes maı̂tre et
esclave sont dits « réversibles ».
Lorsque les déplacements et les efforts du côté maı̂tre sont par-
faitement transmis du côté esclave, et inversement de l’esclave
vers le maı̂tre, le système de téléopération est dit parfaitement

Paroi épaisse
(verre transparent)
Milieu sain Milieu hostile Axe maître Axe éclave
top -tmaî tesc tenv
Organe Organe
maître esclave
1 PD 1 Environnement
Liaison Mm s 2+Bm s Ms s 2+Bs s
bilatérale Opérateur -
qmaî qmaî qesc qesc

Figure 1 – Télémanipulateur mécanique Figure 3 – Schéma bloc de la commande bilatérale mono-axe

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S 7 811 – 2 est strictement interdite. – © Editions T.I.

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–––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––– TÉLÉOPÉRATION. CONTRÔLE COMMANDE

Dans le cas mono-axe (couplage d’une seule articulation maı̂tre à et d’une partie rotation notée Rtm . Si la représentation des trans-
une seule articulation esclave), la loi de commande bilatérale s’écrit :
lations est unique, la partie rotation quant à elle, peut être repré-
sentée de différentes façons [22] [34]. Du fait de ses propriétés inté-
τesc = −τmaî = k (qmaî − qesc ) + b (qɺmaî − qesc ) (2)
ressantes, la représentation sous la forme de quaternions [11] est
très répandue, et sera utilisée dans cet article pour le calcul des
où ti effort articulaire (force ou couple), lois de commande. Ainsi, la partie rotation sera souvent et notam-
qi position articulaire, ment pour ce qui nous concerne ici
T T
qɺi vitesse articulaire, °Rtm = °Qtm = ⎡°εTt °ηtm ⎤ = ⎡°utT sin (θ / 2) cos (θ / 2)⎤ (5)
⎣ m ⎦ ⎣ m ⎦
i = maı̂ ou esc
(respectivement pour maı̂tre ou esclave). où q est l’angle autour du vecteur utT , permettant de passer du
m
repère d’observation au repère terminal.
Selon que l’équation (2) est vue comme l’équation mécanique

2
d’un système ressort amortisseur, ou comme une équation de com- Nota : pour toutes les variables, les exposants à gauche indiquent le repère de projec-
tion. Les déplacements ci-dessus sont donc exprimés/projetés dans le repère d’observa-
mande en position d’un moteur électrique, la variable k représen- tion.
tera respectivement une raideur ou un gain proportionnel, et la
La position cartésienne du mécanisme dans le repère d’observa-
variable b un frottement visqueux ou un gain dérivé (figure 9).
tion est obtenue par application du modèle géométrique direct
La loi de commande (2) permet d’obtenir des positions et surtout (MGD) [22] :
des efforts de consigne identiques sur le maı̂tre et sur l’esclave. Le
couplage bilatéral (à retour d’effort) obtenu est comparable à celui
bm X
t = MGD qî
m
( )
m
(6)
d’un télémanipulateur mécanique.
suivie d’une projection dans le repère d’observation :
Néanmoins, un des intérêts de la TAO est de pouvoir appliquer
des facteurs d’échelle quelconques sur les mouvements et les
efforts entre le maı̂tre et l’esclave. Aussi, la loi de commande (2)
°X tm = °X bm bm X tm = °X bm MGD qîm ( ) (7)

sera complétée de façon à introduire les coefficients d’homothétie


en vitesse hn et en effort hf : La vitesse cartésienne °Vtm est la vitesse de l’organe terminal du
mécanisme m par rapport à la base de ce mécanisme, projetée
( ) (
τesc = −τmaî hf−1 = k qmai hν−1 − qesc + b qɺmai hν−1 − qɺesc ) (3) dans le repère d’observation, et réduite au centre du repère
terminal :
L’effort appliqué sur le bras maı̂tre sera alors hf fois le couple
appliqué sur le bras esclave, et le déplacement du bras maı̂tre °Vtm = °Jmqɺîm (8)
sera hn fois le déplacement sur le bras esclave. La contrepartie de
ces amplifications quelconques est la perte de l’analogie physique Relation dans laquelle °Jm représente la jacobienne du méca-
avec le ressort amortisseur. Néanmoins, en mono-axe cette liaison
nisme m réduite au centre du repère de l’organe terminal et proje-
reste inconditionnellement stable en mode couplé quels que soient
tée dans le repère d’observation [22].
hf et hn.
Une relation duale de (8) permet de passer du torseur d’efforts
& Espace articulaire vers espace cartésien cartésien aux efforts articulaires, à l’aide de la matrice jacobienne
Le cas mono-axe présenté ci-dessus peut s’appliquer à tous les transposée du mécanisme :
axes des robots maı̂tre et esclave ; le couplage obtenu est un cou- τîm = °Jm
T °F
tm (9)
plage articulaire bilatéral. Néanmoins, avec un tel couplage, si
l’opérateur effectue un mouvement en ligne droite avec le maı̂tre, Les torseurs cinématiques sont représentés sous la forme d’un
l’esclave reproduira ce mouvement en ligne droite uniquement si vecteur à six composantes
les bras maı̂tre et esclave sont de même géométrie (mêmes axes,
mêmes dimensions entre les axes, et mêmes orientations des Τ
°Vtm = ⎡°v Τ °w Τ ⎤ (10)
axes). Des bras de même géométrie sont dits homothétiques. ⎣⎢ tm ⎥
tm ⎦

L’asservissement cartésien permet de coupler des bras non


homothétiques (figure 2) tout en préservant la cohérence des dans lequel les trois premières composantes sont des vitesses de
déplacements et des efforts entre le maı̂tre et l’esclave. translation selon les axes x, y et z du repère d’observation, et les
Pour écrire la loi de commande dans l’espace cartésien, nous trois dernières des vitesses de rotation autour de ces mêmes axes.
devons définir les différents repères qui y interviennent : Les torseurs d’efforts sont représentés sous la forme d’un vec-
teur à six composantes
– Rbmaî : repère de base du maı̂tre,
– Rtmaî : repère lié à l’organe terminal du maı̂tre, Τ
°Ftm = ⎡°ftΤ °mtΤ ⎤ (11)
⎣ m m ⎦
– Rbesc : repère de base de l’esclave,

– Rtesc : repère de l’organe terminal de l’esclave, dans lequel les trois premières composantes sont des forces
selon les axes x, y et z du repère d’observation, et les trois derniè-
– Ro : repère d’observation ; c’est le repère qui coordonne les uni- res des moments autour de ces mêmes axes.
vers maı̂tre et esclave.
& Couplage cartésien
Pour le mécanisme m (m = maı̂ ou esc), les positions cartésien-
Comme pour le cas mono-axe, le principe du couplage cartésien
nes X , également appelées déplacements, sont composées
tm position/position, permettant d’émuler le ressort amortisseur de la
d’une partie translation notée figure 2, est d’asservir la position de l’esclave sur la position du
maı̂tre, et la position du maı̂tre sur la position de l’esclave. Les
Τ
(4) positions du maı̂tre et de l’esclave sont alors comparées dans
°Ptm = ⎡⎣px py p z ⎤⎦ l’espace cartésien [6] [8] [4], et l’erreur est interprétée comme pro-
portionnelle à un effort cartésien. Les valeurs échangées entre les

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TÉLÉOPÉRATION. CONTRÔLE COMMANDE ––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––––

bras sont alors les positions et les vitesses cartésiennes de l’organe le cas pour la commande cartésienne), certaines règles doivent
terminal de l’esclave et du maı̂tre, projetées dans le repère d’obser- être respectées de façon à ne pas créer d’énergie par l’intermé-
vation Ro de la scène (figure 2). Comme pour le cas mono-axe ce diaire des couplages. Ainsi, pour assurer la passivité du système
type de couplage nécessite un maı̂tre et un esclave réversibles. de télémanipulation, les coefficients d’homothétie peuvent être
La loi de commande peut s’écrire de la façon suivante : quelconques à condition qu’ils respectent la condition suivante [3] :

Vmaî = αvf Jvf Vesc


(
°Ftesc = − °Ftmaî = °K ° ΔX tmaî ,esc + °B °Vtmaî − °Vtesc ) (12)
−1J T F
Fesc = αvf vf maî
(15)

où °∆X tmaî ,esc est le delta de translation et de rotation entre la posi- où avf est un scalaire et Jvf un jacobien.
tion cartésienne °X t = °Pt , °Rt
maî maî (
maî ) de l’organe terminal du maı̂tre Une représentation globale de la commande bilatérale carté-
sienne peut alors être celle du schéma bloc de la figure 4.
projetée dans le repère d’observation, et la position cartésienne

2 ( )
& Les mécanismes virtuels
°X tesc = °Ptesc , °Rtesc de l’organe terminal de l’esclave également
Partant du fait qu’il est plus facile de percer avec une perceuse à
projetée dans le repère d’observation. Si le delta en translation est colonne (fixée sur un bâti) plutôt qu’avec une perceuse à main, les
simplement une différence des composantes de translation chercheurs ont eu l’idée de contraindre les mouvements de l’opéra-
°ΔPt maî ,esc = °Ptmaî − °Pt esc, la relation liant l’effort cartésien aux rotations teur au moyen de guides virtuels. Le principe de ces guides est de
n’est pas linéaire. En utilisant les quaternions, un couple de rappel séparer l’espace cartésien en deux : une partie des degrés de liberté
dérivant d’une énergie potentielle peut néanmoins être obtenu via le étant contrôlés en position, et l’autre partie en effort. Les degrés de
delta de rotation liberté pilotés en effort correspondent aux déplacements autorisés
pour l’opérateur, alors que les degrés de liberté contrôlés en posi-
tesc tion correspondent aux directions bloquées. En robotique, ce type
°ΔQtmaî,esc = 2°Rtesc ⎛ tesc ηtmaî ,esc I3 × 3 − εtmaî ,esc ⎞
tesc
ɵ εtmaî ,esc (13)
⎝ ⎠ de commande est appelée commande hybride position/
force [33] [35].
où le ^ indique l’utilisation de la matrice de pré produit vectoriel. Basée sur le principe de la liaison virtuelle ressort/amortisseur
des systèmes de télémanipulation et la possibilité de coupler en
Dans le repère d’observation, les torseurs d’effort °Ft ,esc
cartésien un robot à six degrés de liberté à un robot possédant
appliqué sur l’esclave et °Ft ,mai appliqué sur le maı̂tre sont égaux moins de degrés de liberté, l’idée des mécanismes virtuels [17] est
apparue comme un moyen simple, efficace, robuste et passif de
et opposés, ce qui correspond exactement au comportement sou-
contraindre les mouvements d’un opérateur : le principe étant sim-
haité pour un système à retour d’effort.
plement de rajouter un robot simulé entre le maı̂tre et l’esclave et
⎡°K °K PR ⎤ de coupler les extrémités des robots réels et virtuels en cartésien
La matrice °K = ⎢ PP ⎥ est une matrice 6 x 6 représentant (figure 5).
⎣°K PR °K RR ⎦
Τ

une raideur cartésienne exprimée dans le repère d’observation. Comme tout mécanisme, le mécanisme virtuel (MV) est défini à
Dans le cas d’un robot utilisé en mode automatique, cette matrice partir de son modèle géométrique direct MGDmv et son jacobien
peut-être choisie en fonction de la tâche à réaliser. Des valeurs Jmv, tels que °X t = °Rb MGD (qmv ) et °Vt = °Jmv qɺmv .
mv mv mv
numériques avec validations expérimentales peuvent être trouvées
dans [9]. Dans le cas de la téléopération, aucune direction n’est pri-
vilégiée, aussi une solution de couplage simple et néanmoins fonc- Espace articulaire
tionnelle consiste à poser °K PR = 03x 3 , °K PP = k Ι 3 × 3 et °K RR = µΙ 3 × 3 . qmaî Vitesse
Bras
Opérateur
Finalement, l’effort articulaire sur chacun des mécanismes per- maître
mettant d’appliquer les efforts calculés en (12) est obtenu en utili- qmaî Effort
sant la relation (9). L’effort articulaire est ensuite multiplié par la τdmaî
matrice des coefficients de réduction pour obtenir le couple réelle-
ment appliqué aux moteurs. MGDmaî Jmaî JmaîT
& Les facteurs d’homothétie en cartésien
Xmaî Vmaî
Les déplacements, les efforts, la sensibilité et la précision de
-1
l’opérateur étant limités, l’ajout de facteur d’échelle en vitesse et Hv Hv-1 -Hf
en effort permet d’adapter le système de télémanipulation à l’envi-
ronnement et à la tâche à effectuer par l’esclave. Typiquement, en
K Espace cartésien
microchirurgie les mouvements de l’opérateur seront divisés par
-
un coefficient d’homothétie en vitesse avant d’être transmis à Fd
l’esclave afin d’obtenir un travail plus précis, et les efforts mesura-
bles par l’esclave seront amplifiés. À l’inverse, dans le démantèle- B
ment nucléaire, le sous-marin, le BTP, les efforts et les mouvements Xesc Vesc
fournis par l’opérateur seront amplifiés pour augmenter les capaci-
tés humaines en effort et diminuer la fatigue. MGDesc Jesc JescT
Sur le même principe qu’en articulaire, les coefficients d’homo- τdesc
thétie en effort (Hf) et en vitesse (Hn) peuvent être appliqués en
cartésien : qesc Effort
Manipulateur
Environnement
Vmaî = Hv Vesc qesc
esclave
(14) Vitesse
Fmaî = Hf Fesc Espace articulaire

Si en monovariable les valeurs des facteurs d’homothétie peu-


vent être quelconques, en multivariable avec couplage (ce qui est Figure 4 – Schéma-bloc de la commande bilatérale cartésienne

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S 7 811 – 4 est strictement interdite. – © Editions T.I.

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Les voiliers robotisés

par Fréderic PLUMET


Maître de conférences, Sorbonne Universités, UPMC Univ Paris 06, ISIR, CNRS UMR 7222,

2
Paris, France
Yves BRIERE
Enseignant-chercheur à l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-SUPAE-
RO), Toulouse, France
Fabrice LE BARS
Enseignant-chercheur à l’ENSTA Bretagne, département STIC/groupe thématique
robotique, Lab-STICC/CID/PRASYS, Brest, France

1. Véhicules de surface autonomes (ASV) ................................................... S 7 815 - 2


1.1 Applications des voiliers autonomes ........................................................ — 2
1.2 Panorama des voiliers autonomes ............................................................ — 2
2. Architecture des voiliers autonomes ........................................................ — 4
2.1 Fonctionnement d’un voilier ...................................................................... — 4
2.2 Les éléments d’un voilier ........................................................................... — 5
2.3 Les systèmes embarqués ........................................................................... — 7
2.4 L’énergie ...................................................................................................... — 8
3. Modélisation des voiliers ........................................................................... — 9
3.1 Cinématique ................................................................................................ — 9
3.2 Dynamique .................................................................................................. — 10
3.3 Dynamique simplifiée en 4 DDL ................................................................ — 15
4. Commande des voiliers.............................................................................. — 16
4.1 Structuration des lois de commande ........................................................ — 16
4.2 Planification globale ................................................................................... — 16
4.3 Planification locale ...................................................................................... — 18
4.4 Commande bas niveau............................................................................... — 21
5. Conclusion ................................................................................................... — 23
Pour en savoir plus .............................................................................................. Doc. S 7 815

es enjeux environnementaux rendent particulièrement visibles les applica-


L tions liées à l’observation des océans et de l’atmosphère, l’une des
problématiques importantes étant la compréhension des interactions fines
entre la mer et l’atmosphère. Parmi les nombreux moyens de mesure utilisés
par les scientifiques, les voiliers autonomes sont en plein essor. L’utilisation du
vent comme moyen de propulsion permet en effet d’envisager des missions de
très longue durée et sur de très grandes distances. Comparativement aux
moyens de mesure traditionnels (navires, bouées fixes, etc.) les voiliers auto-
nomes peuvent aussi avoir l’avantage de combiner une grande agilité et
reconfigurabilité avec une conception low cost. Enfin, si les voiliers autonomes
ont été initialement conçus pour l’observation océanographique comme une
amélioration des bouées dérivantes passives, ils peuvent aussi offrir des
opportunités et être associés à des services innovants. Ils sont par exemple
particulièrement indiqués pour les opérations de surveillance d’une zone, les
Parution : février 2018

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LES VOILIERS ROBOTISÉS ____________________________________________________________________________________________________________

applications de relais de communication entre navires ou bien entre segment


sous-marin et segment aérien, etc.
La première section de cet article présentera de manière générale les voiliers
autonomes à travers leurs applications possibles et des exemples de robots
existants. Ensuite, plus de détails sur les spécificités de fonctionnement d’un
robot voilier et les éléments le constituant seront fournis. La troisième section
proposera une modélisation cinématique et dynamique, qui pourra notamment
aider au dimensionnement et à la simulation de prototypes, et la dernière
section sera consacrée à la commande d’un robot voilier autonome.

2 1. Véhicules de surface 1.2 Panorama des voiliers autonomes


autonomes (ASV) Le premier projet documenté de voilier entièrement automatisé
sans présence humaine à bord est lancé en 1970 par la société RCA
Astro Electronic Division [1] leader américain de la construction de
satellites. Un prototype est construit utilisant les techniques de
1.1 Applications des voiliers autonomes pointe de positionnement par satellite et de calcul embarqué, mais
aucun essai réel n’est documenté. Puis il faut attendre 1997 pour
Les données nécessaires à la connaissance de l’atmosphère et qu’un premier robot voilier navigue comme support d’application de
des océans ou pour les prévisions climatiques sont obtenues la commande par logique floue [4]. Enfin, le milieu des années 2000
grâce à un vaste ensemble de moyens technologiques : marque le véritable point de départ d’une activité académique puis
– Les mesures satellites permettent de mesurer une grande industrielle dans le domaine des voiliers robots. En 2006 le concept
variété de grandeurs météorologiques (profils de vents et de tem- de voilier autonome « low cost » dédié à la mesure océanique est
pérature, bilans radiatifs, poussières atmosphériques, albédo, sur- proposé, documenté et démontré [2] (figure 2) et un cadre compéti-
veillance des glaces de mer, des anomalies de température de tif est créé pour stimuler les activités et recherches dans ce
surface de l’océan, de la répartition du CO2 dans l’atmosphère…) domaine : le challenge Microtransat a pour but de récompenser le
et océanographiques principalement de surface (vagues, courants, premier robot voilier réussissant à traverser l’Atlantique de manière
hauteur de la mer…). totalement autonome [5], [6] (figure 3). Enfin, se tient chaque année
depuis 2008 l’International Robotic Sailing Conference (IRSC) et
– Ces données, pour être utilisables, ont généralement besoin
World Robotic Sailing Championship (WRSC), permettant à la com-
de mesures réalisées in-situ. C’est le rôle des différents sys- munauté de se rencontrer et d’échanger [7].
tèmes de surface : navires océanographiques, systèmes de
mesures d’opportunité (stations de mesures embarquées sur Nota : entre 2005 et 2017, on compte 22 tentatives, aucune n’ayant réussie. D’année
des navires commerciaux), stations de mesures fixes (terrestres en année le temps passé en mer sans avarie augmente (jusqu’à 68 jours en 2017). Les
concepts sont de plus en plus robustes, les derniers échecs étant dus à des « captures »
ou bouées fixes sur ancre), stations de mesures mobiles auto- par des navires de pêche…
nomes (bouées dérivantes), etc. Les systèmes de surface ont, en
outre, l’avantage de pouvoir fournir des données très fines cor-
respondant aux échanges gazeux et énergétiques entre la mer
et les océans.
– Enfin, le segment sous-marin vient compléter le panorama : sous-
marins téléopérés, tractés ou autonomes, gliders, profileurs, etc.
Les voiliers autonomes, de par leurs capacités à effectuer des
missions de très longues durées, peuvent naturellement être com-
parés aux bouées dérivantes (mesures de surface) avec l’avantage
d’être mobiles et donc de permettre des mesures échantillonnées
spatialement et temporellement.
De manière plus générale, les voiliers autonomes font partie de
la catégorie des ASV (Autonomous Surface Vehicles), segment
intermédiaire entre les UAV (Unmanned Aerial Vehicles) et les
robots sous-marins AUV (Autonomous Underwater Vehicles). Ils
sont à ce titre utiles pour les applications spécifiques en surface ou
bien comme intermédiaire entre les segments sous-marins et
aériens (voire satellite). Parmi les missions pouvant être effectuées
par un robot voilier autonome, on peut citer :
– le monitoring des paramètres physico-chimiques ou biolo-
giques d’une zone avec des capteurs spécifiques embarqués
comme charge utile ;
– la surveillance de zone, autour d’une ou de plusieurs positions
données (station keeping ou loiter ) ;
– le convoyage, avec de la marchandise embarquée à l’intérieur
du bateau, ou encore en tractant des charges ;
– le relais de communication, point de repère pour la localisation
(e.g. avec des groupes de robots sous-marins autonomes), suivi/ Figure 1 – SKAMP, un prototype de RCA Electronic Division en
tracking d’autres robots ou bateaux. 1970, destiné à servir de station de mesure [1]

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S 7 815 – 2

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S7815

_____________________________________________________________________________________________________________ LES VOILIERS ROBOTISÉS

Figure 2 – AROO (1,5 m, 10 kg), concept de voilier autonome de


l’université d’Aberystwyth [2]
Figure 3 – Iboat I (2 m, 30 kg), premier voilier autonome de l’ISAE [3]

Même si les deux cadres compétitifs (WRSC et Microtransat)


sont assez libres pour permettre à presque tous les projets de
concourir, l’accent est mis sur la limitation de taille (donc de
masse) des robots. On peut tenter de classer les robots voiliers
actuels selon leur catégorie de taille, à l’instar de ce qui se fait
dans le domaine des drones (UAV, mini UAV, micro UAV).
– Les « microvoiliers autonomes » ont une longueur inférieure à
1 m. On retrouve surtout dans cette catégorie des projets acadé-
miques portés par des équipes de chercheurs et d’étudiants. Ces
robots peuvent, par exemple, être destinés à démontrer des capa-
cités d’autonomie décisionnelle dans la compétition WRSC. En
2011, une classe de compétition est proposée, basée sur la classe
de voiliers radiocommandés Micro Magic. Pour pouvoir réaliser
une mission en haute mer pendant plus de quelques jours, un soin
tout particulier doit être porté sur l’optimisation énergétique de
tous les systèmes embarqués.
– Les « minivoiliers autonomes » ont une longueur entre 1 m et
3 m. Cette taille permet d’embarquer une surface de panneaux
photovoltaiques suffisante pour assurer l’autonomie en utilisant
des composants de systèmes embarqués de qualité industrielle
(capteurs, actionneurs, calculateur…). Ces robots restent de petite Figure 4 – Iboat III (1,5 m, 40 kg), ISAE-SUPAERO 2015
taille, donc de masse réduite (moins de 100 kg) et restent donc
opérables par des équipes réduites. Leur petite vitesse et leur rela-
tive petite masse les rendent peu dangereux pour d’autres navires En 2017, deux sociétés commercialisent des services basés sur
en cas de collision fortuite. On trouve dans cette catégorie des pro- l’utilisation de robots voiliers de concepts totalement différents.
jets académiques : IBOAT (figure 4), FASt Porto (figure 5 [8]), etc. La première est la société américaine Saildrone Inc. qui a conçu,
– Les « voiliers autonomes », de taille supérieure sont de véri- développé et mis en service plusieurs modèles d’un voilier auto-
tables bateaux. Ils sont plus rapides, mais aussi beaucoup plus nome de 6 m de long et 500 kg [14] (figure 8). Ces robots ont navi-
lourds. Leur mise en œuvre (transport, mise à l’eau) est plus diffi- gué plusieurs milliers de milles et résisté à des vents de 50 kts
cile et ils peuvent poser des problèmes de sécurité en mer en cas (environ 80 km/h). La société a levé des fonds en 2016 a hauteur
de collision (VAIMOS (figure 7 [9]), ASAROME (figure 6 [10]), Pinta de 14 millions de dollars. La deuxième est la société norvégienne
et Beagle-B université de Aberystwyth [11], ASV Roboat INNOC Offshore Sensing AS qui commercialise Sailbuoy [15] (figure 9),
Autriche [12], Avalon ETH Zurich [13]). un robot voilier de 2 m de long pour une masse totale de 60 kg.

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S 7 815 – 3

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S7815

LES VOILIERS ROBOTISÉS ____________________________________________________________________________________________________________

Figure 5 – FASt (2,5 m), voilier autonome océanographique de l’uni- Figure 8 – Saildrone (6 m, 550 kg), développé par Saildrone Inc.
versité de Porto [8] testé en mer de Bering en 2015 et sur plusieurs missions de longue
durée [14]

Figure 9 – Sailbuoy (2 m, 60 kg) développé par Offshore Sensing AS


testé sur plusieurs missions de longue durée [15]

Ce dernier a une charge utile bien moindre (15 kg au lieu de


Figure 6 – ASAROME (3,5 m, 225 kg), Robosoft, École centrale de 115 kg pour Saildrone) et de moindres capacités de vitesse et de
Nantes, ISIR-CNRS [10]
mobilité (du fait de sa taille et de son concept de gréement) mais
il a aussi démontré des capacités d’autonomie et d’endurance en
situation réelle (mission de deux mois en 2013 et 2016). Enfin,
citons le projet Submarin de la société Ocean Aero [16] qui peut
être inclus à la fois dans la catégorie des voiliers et dans celle des
sous-marins (figure 10). Cette combinaison de fonctionnement
(voilier et sous-marin) est obtenue grâce à un mât-aile qui peut
être replié à l’intérieur de la coque lors des phases de plongée.

2. Architecture des voiliers


autonomes
2.1 Fonctionnement d’un voilier

« La mer, compliquée du vent, est un composé de forces. Un


navire est un composé de machines. Les forces sont des
machines infinies, les machines sont des forces limitées. C’est
entre ces deux organismes, l’un inépuisable, l’autre intelligent,
Figure 7 – VAIMOS (3,65 m, 300 kg), développé par l’ENSTA Bre- que s’engage ce combat qu’on appelle la navigation », Victor
tagne et l’IFREMER à Brest [9] Hugo, Les travailleurs de la Mer.

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S7815

_____________________________________________________________________________________________________________ LES VOILIERS ROBOTISÉS

Direction du vent

FL

FD Fa
a décomposition de la force aérodynamique Fa en une composante
de traînée (drag en anglais) F D et une composante
de portance (lift en anglais) F L

Direction du vent 2
Flong

Figure 10 – Le véhicule reconfigurable (surface et sous-marin) Sub- Fa


maran (4m, 127 kg) de Ocean Aero [16]
Flat
Pour comprendre comment fonctionne un voilier, on peut dis- b décomposition de la force aérodynamique Fa en une composante
tinguer deux cas selon le fait que le vent « pousse » le voilier ou longitudinale Flong et une composante latérale Flat
non. Dans le premier cas (figure 11, cas A et B), le plus facile à
comprendre, le vent vient de l’arrière du bateau et celui-ci est
« poussé ». Si le vent ne vient pas exactement de l’arrière (cas B) Figure 12 – Décompositions de la force aérodynamique
il peut se diriger avec son gouvernail et éviter de déraper grâce à
son plan antidérive. On parle d’« allure portante ». Dans le second
cas (figure 11, cas C) le vent est contraire et la capacité du voilier force de traînée est déterminante. Elle dépend essentiellement du
à remonter s’explique par l’écoulement du vent sur la voile. Celle- réglage de l’angle de voile par rapport au vent.
ci se comporte en effet comme une aile d’avion : la force totale On voit aussi qu’il existe une composante latérale, d’autant plus
aérodynamique comporte une composante dans l’axe du vent (la importante que l’axe longitudinal du voilier fait un angle faible
traînée) mais aussi une composante orthogonale (la portance) avec la direction du vent. Cette composante a deux effets : un
(figure 12a). Cette force totale aérodynamique peut aussi être effet de chavirage et un effet de dérive. L’effet de chavirage peut
décomposée en une composante longitudinale (dans l’axe du être contrecarré en décomposant la coque en deux coques écar-
bateau) et une composante latérale (figure 12b). On voit ainsi tées (catamarans). L’inconvénient est que si malgré tout le voilier
qu’il est possible dans une certaine mesure de conserver une chavire, il n’aura pas la capacité de se redresser. La solution rete-
force d’avancement dans l’axe du bateau. nue par la plupart des voiliers autonomes est l’adjonction d’un
À partir d’un certain angle d’allure (angle minimal de remontée lest le plus lourd et le plus bas possible. Enfin, l’effet de dérive est
au vent) la composante longitudinale s’annule : il n’est plus pos- compensé par un plan antidérive situé sous le bateau.
sible d’avancer. Si l’objectif à atteindre est dans l’axe du vent, le Finalement, les deux actions principales permettant de conduire
marin n’aura d’autre solution pour y parvenir que de louvoyer :
le voilier sont l’angle du gouvernail, qui permet essentiellement
effectuer une succession de segments de trajectoire le rappro-
de le diriger, et l’angle de voile, qui permet de capturer efficace-
chant du but. À chaque changement de direction, le voilier devra
ment la force aérodynamique.
avoir suffisamment d’inertie pour passer d’un côté du vent à
l’autre en franchissant cette zone où le vent n’a plus d’effet pro-
pulsif. Cette manœuvre s’appelle le « virement de bord ». Cette
capacité de la voile à créer une force de portance en plus de la 2.2 Les éléments d’un voilier
Beaucoup de voiliers autonomes actuels sont construits sur la
base de coque et de gréement préexistants, des modèles réduits
de loisirs pour les plus petits ou de petits voiliers conventionnels
pour les plus grands. Pour une conception complète, les différents
Direction du vent
éléments constitutifs d’un voilier autonome devraient être dessi-
nés et dimensionnés par un architecte naval en respectant un
cahier des charges correspondant à la mission spécifique du
robot. Sans rentrer dans le détail de cette conception, nous pou-
vons décrire quelques contraintes de dimensionnement et leurs
conséquences sur certains éléments du robot.
La taille, la masse, la longueur résultent en général d’un com-
A B C D promis entre tous les paramètres de la mission. Les paramètres
principaux sont :
– la masse totale du robot : la masse de la charge utile (dédiée à
Figure 11 – Définition des « allures » d’un voilier. Le voilier A est
« vent arrière », les voiliers A et B sont au « portant ». Le voilier C la mission) et la masse des autres éléments (structure, systèmes
est au « près ». Le voilier D est trop proche du vent, il ne peut pas embarqués) déterminent le volume minimal de la coque pour
naviguer, on dit qu’il est « vent debout » assurer la flottaison en vertu du principe d’Archimede ;

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2

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S7817

Mécanismes de tenségrité
pour la robotique de manipulation
par Quentin BOEHLER
Chercheur postdoctoral

et
Multi-Scale Robotics Lab, ETH Zurich, Zurich, Suisse
Marc VEDRINES
2
Maître de conférences
Laboratoire ICube, INSA de Strasbourg, Strasbourg, France
et Salih ABDELAZIZ
Maître de conférences
Laboratoire LIRMM, Université de Montpellier, CNRS, Montpellier, France
et Philippe POIGNET
Professeur des universités
Laboratoire LIRMM, Université de Montpellier, CNRS, Montpellier, France
et Pierre RENAUD
Professeur des universités
Laboratoire ICube, INSA de Strasbourg, Strasbourg, France

1. Définitions et intérêts des mécanismes de tenségrité ................. S 7 817 - 2


1.1 Des tenségrités aux mécanismes de tenségrité ....................................... — 2
1.2 Un principe fondamental : l’autocontrainte.............................................. — 3
1.3 Les mécanismes de tenségrité pour la robotique de manipulation ....... — 4
2. Modélisation et simulation................................................................... — 5
2.1 Recherche de l’équilibre : les méthodes de form-finding........................ — 5
2.2 Modélisation statique ................................................................................. — 7
2.3 Environnements de simulation.................................................................. — 9
3. Analyse....................................................................................................... — 10
3.1 Stabilité et raideur....................................................................................... — 10
3.2 Espace de travail ......................................................................................... — 11
4. Conception ................................................................................................ — 13
4.1 Technologies d’actionnement.................................................................... — 13
4.2 Assemblage ................................................................................................. — 14
5. Commande ................................................................................................ — 14
5.1 État de l’art................................................................................................... — 14
5.2 Gestion de l’état d’autocontrainte ............................................................. — 16
6. Applications.............................................................................................. — 19
6.1 État de l’art................................................................................................... — 20
6.2 Classification ............................................................................................... — 20
6.3 Exemple applicatif....................................................................................... — 24
7. Conclusions et perspectives ................................................................ — 24
8. Glossaire .................................................................................................... — 25
9. Sigles, notations et symboles.............................................................. — 25
Parution : novembre 2018

Pour en savoir plus .......................................................................................... Doc. S 7 817

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S7817

MÉCANISMES DE TENSÉGRITÉ POUR LA ROBOTIQUE DE MANIPULATION _____________________________________________________________________

a manipulation est au cœur de nombreux processus industriels et constitue


L historiquement l’une des premières applications de la robotique. Un mani-
pulateur robotique est constitué d’une base reliée à un effecteur par une
chaîne cinématique motorisée. Les robots industriels sont traditionnellement
constitués d’une ou de plusieurs chaînes cinématiques (suivant une architec-
ture série ou parallèle) reliant la base à l’effecteur par des corps solides et
rigides articulés entre eux par des liaisons mécaniques. De par les hautes
dynamiques recherchées et la puissance de ces robots industriels, les espaces
de travail de l’homme et de la machine sont généralement rendus distincts
pour des raisons évidentes de sécurité. Ces architectures de robots industriels
sont donc peu adaptées pour des applications en robotique d’interaction où

2
homme et robot travaillent côte à côte, voire en partageant la tâche de mani-
pulation dans le cas de la comanipulation. Dans ce cas, il est nécessaire de
considérer des architectures robotiques alternatives afin de concevoir des
robots à la fois légers et robustes, permettant de réaliser une tâche de manipu-
lation efficacement tout en assurant la sûreté de l’interaction avec le travailleur
humain.
L’utilisation de mécanismes de tenségrité dans ce contexte est l’objet de cet
article. Ces mécanismes sont issus des tenségrités [C 2 471], une classe de
structures composées de barres maintenues en compression par un réseau de
câbles en tension. Les mécanismes de tenségrité sont obtenus en actionnant
l’un ou plusieurs des éléments de la structure. Ces mécanismes peuvent sup-
porter des charges importantes tout en restant légers, compliants et capables
de s’adapter à leur environnement. Leur application présente ainsi de nom-
breux intérêts dans le domaine de la robotique d’interaction. Cet article fournit
des éléments spécifiques à leur exploitation dans ce contexte, et également les
défis technologiques et fondamentaux associés à leur utilisation.
La première section introduit les principes de base des mécanismes de ten-
ségrité et leurs conséquences sur leur comportement et leur modélisation,
alors réalisée dans un cas statique. La deuxième section est focalisée sur les
méthodes de modélisation et les outils de simulation spécifiques à ces sys-
tèmes. Les outils d’analyse permettant l’évaluation de leurs performances sont
présentés dans la troisième section. La quatrième section met en avant les pro-
blématiques de conception propres à l’exploitation des mécanismes de
tenségrité dans le contexte de la robotique de manipulation. La cinquième
section introduit les stratégies de commande disponibles afin de contrôler la
pose du mécanisme, mais également sa caractéristique intrinsèque qu’est la
raideur. Les applications des mécanismes de tenségrité en robotique de mani-
pulation sont finalement présentées dans la sixième et dernière section.
Nota : le lecteur trouvera en fin d’article un glossaire des termes et expressions importants de l’article, ainsi qu’un tableau
des sigles, notations et symboles utilisés tout au long de l’article.

rique entre eux. Le principe de tenségrité réside dans le fait que


1. Définitions et intérêts les barres sont maintenues en compression au sein d’un réseau
des mécanismes de câbles en tension. Une tenségrité spatiale dite « T3 » est repré-
sentée en figure 1 afin d’illustrer simplement ce principe ; les
de tenségrité efforts internes provenant des barres et des câbles assurent
l’équilibre du système en chacun de ses nœuds comme schéma-
tisé en (b).

1.1 Des tenségrités aux mécanismes


de tenségrité 1.1.2 Historique des tenségrités
L’invention du mot « tenségrité » revient à l’américain Richard
1.1.1 Introduction Buckminser Fuller, par la contraction de « tension » et « inté-
grité », mot qui suggère bien que l’intégrité de la structure est
Les tenségrités sont des assemblages mécaniques composés de garantie par la tension des câbles. Le français David Georges
deux types d’éléments : des éléments sollicités en compression, Emmerich expérimente des structures similaires qu’il qualifie
appelés usuellement « barres », et des éléments sollicités en trac- alors de « systèmes autotendants ». Emmerich, Fuller ainsi que
tion, appelés « câbles ». Ces éléments sont connectés à leurs son étudiant Kenneth Snelson déposent tous les trois de nom-
extrémités en des nœuds qui assurent une liaison de type sphé- breux brevets sur les tenségrités au cours des années 1960, ce qui

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______________________________________________________________________ MÉCANISMES DE TENSÉGRITÉ POUR LA ROBOTIQUE DE MANIPULATION

Traction

on

2
ssi
mpre
Co

a c

Figure 1 – Tenségrité prismatique T3 : vue d’ensemble (a), équilibre des efforts internes des éléments au niveau d’un nœud de la structure (b),
et vue du dessus (c). Les barres sont représentées en bleu et les câbles en rouge

donne par ailleurs sujet à controverse quant à la paternité du Les brevets suggèrent par ailleurs que les éléments en tension
concept de tenségrité [1]. Kenneth Snelson est le premier à propo- ne présentent pas de rigidité en compression, d’où l’appellation
ser des sculptures composées de tenségrités, dont sa célèbre Nee- de câbles. Cela suggère également que ces éléments sont très
dle Tower. Il propose par la suite de nombreuses autres œuvres légers, car très fins et sans rigidité en flexion.
d’art inspirées par le concept de tenségrité.
Skelton [2] élargit ces définitions aux tenségrités dites « de
classe K » définies comme une structure stable composée d’un
Nota : voir également http://kennethsnelson.net/category/sculptures/towers/ pour les
différentes créations de K. Snelson.
maximum de K éléments en compression connectés à chaque
nœud de la structure. Il étend ainsi la définition de tenségrité à
d’autres cas de systèmes précontraints. Bien que le développe-
1.1.3 Définition des tenségrités ment initial des tenségrités se soit basé sur des définitions restric-
tives, les avantages intrinsèques aux tenségrités sont bel et bien
conservés en utilisant la définition étendue proposée par Skelton.
De nombreuses définitions ont été proposées, principalement
afin de déterminer si un assemblage mécanique est ou n’est pas
une tenségrité. On adopte ici la définition proposée dans [1] et
basée sur les brevets initiaux. 1.2 Un principe fondamental :
l’autocontrainte
Un système de tenségrité est un système dans un état Par définition, une tenségrité est un système précontraint qui
d’équilibre stable comprenant un ensemble discontinu d’élé- satisfait à deux conditions [3] :
ments en compression au sein d’un ensemble continu d’élé-
– une condition portant sur sa stabilité : la structure revient dans
ments en tension.
sa position initiale suite à une perturbation extérieure ;

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MÉCANISMES DE TENSÉGRITÉ POUR LA ROBOTIQUE DE MANIPULATION _____________________________________________________________________

– une condition portant sur sa capacité à être précontrainte : il


est possible d’introduire des efforts dans les éléments sans modifi-
cation de sa configuration en l’absence d’une sollicitation exté-
rieure.

On dit alors que le système est dans un état d’autocontrainte.


L’état d’autocontrainte constitue le principe fondamental sur
lequel reposent les propriétés des tenségrités.

Dans cet état, le système est à l’équilibre en l’absence de sollici-


tations extérieures, uniquement sous l’action de ses efforts
internes. Les efforts internes compatibles avec cet état sont appe-
lés les « efforts de précontrainte ». En pratique, cette précon-

2
trainte assure la robustesse et l’intégrité de la structure, ce qui a
mené à l’utilisation originelle des structures de tenségrité dans le
domaine du génie civil afin de concevoir des structures à la fois
légères et robustes [C 2 471].

Une conséquence particulièrement intéressante de ce principe a b c


est que la modification du niveau de précontrainte, i.e. de la
valeur des efforts internes aux éléments, permet de moduler le
niveau de raideur du système autour d’une même configuration
d’équilibre. Figure 2 – Illustration de l’autocontrainte : analogie entre un ballon
(en-haut) et une tenségrité plane (en-bas), à trois différents stades
de précontrainte : (a) aucune précontrainte, (b) précontrainte mini-
Illustration du principe de tenségrité : l’analogie du ballon male, (c) précontrainte non minimale
Le principe de tenségrité en tant que système autocontraint peut
être simplement illustré à l’aide d’une analogie avec un ballon sous
La raideur du système constitue notamment l’une des proprié-
pression [1] tel que représenté sur la figure 2.
tés d’intérêt pouvant être modifiée suivant le principe d’auto-
Un ballon est constitué d’une enveloppe rigide destinée à être gon- contrainte.
flée par de l’air comprimé. Lorsque le ballon est dégonflé, son enve-
loppe est détendue et il n’a pas de forme stable. Une tenségrité étant composée de barres, de câbles et de
Lorsque l’on commence à injecter de l’air dans le ballon, son enve- nœuds, il existe trois stratégies afin de former un mécanisme de
loppe se tend jusqu’à atteindre sa géométrie d’équilibre stable, et ce tenségrité, à savoir l’actionnement pour la modification de :
en l’absence de sollicitation extérieure. Si l’on continue à injecter de
l’air dans l’enveloppe, le niveau de pression interne du ballon va aug- – la longueur d’une ou de plusieurs barres ;
menter, ainsi que la tension de son enveloppe. Une augmentation de – la longueur d’un ou de plusieurs câbles ;
pression permet d’augmenter rapidement sa tension pour de faibles
variations de ses dimensions. On induit alors une précontrainte dans – la position d’un ou de plusieurs nœuds.
le ballon, sans changement de sa forme.
Dans le cas d’une tenségrité, les barres en compression sont ana- L’actionnement doit garantir que le système reste dans une
logues à l’air, et les câbles en tension à l’enveloppe tendue. L’aug- configuration de tenségrité suite à ces modifications, et notam-
mentation progressive de la longueur des barres à partir de câbles ment que ses câbles restent tendus. Cette condition est particuliè-
détendus, analogue à la mise sous pression du ballon, mène à la mise rement difficile à garantir, notamment dans le cas où tous ces
en tension des câbles. La configuration de tenségrité se situe donc à éléments sont rigides. L’exploitation des mécanismes de tensé-
une limite d’assemblage lorsque les câbles sont tout juste tendus grité peut donc être effective à la condition quasi-exclusive d’y
sous l’action des barres, tout comme la forme du ballon gonflé corres- intégrer des ressorts tel que cela est proposé par Oppenheim et
pond à une forme limite déterminée par la géométrie de son enve- Williams dans [4]. Dans ce cas, il convient de prendre en compte
loppe. plusieurs règles de conception concernant le nombre minimum et
maximum de ressorts, ainsi que le nombre d’actionneurs et leur
La tenségrité, comme le ballon, est dans un état d’autocontrainte. emplacement en fonction des mobilités souhaitées (le lecteur
Dans l’illustration proposée sur la figure 2, l’enveloppe du ballon/les pourra se référer à [5] pour plus de détails sur ces règles).
câbles de la tenségrité sont en rouge, l’air sous pression/les barres de
la tenségrité en bleu, les efforts de précontrainte sont en vert. Exemple de mécanisme de tenségrité
Un exemple de mécanisme de tenségrité plan à 2 DDL (degrés de
liberté) répondant à cette définition est représenté sur la figure 3. Il
1.3 Les mécanismes de tenségrité  est composé de deux barres passives et rigides (en noir), de deux
pour la robotique de manipulation ressorts de traction (en rouge) et de deux barres actionnées (en bleu
et vert). Il est composé de quatre nœuds A1 à A4. Le nœud A1 est
ancré sur la base, et le nœud E est contraint cinématiquement à res-
ter sur l’axe horizontal.
1.3.1 Définition des mécanismes de tenségrité
Dans cet exemple, le pilotage des variables articulaires (ρ1,ρ2), la
Un mécanisme de tenségrité dérive d’une tenségrité selon la longueur des barres actionnées, permet de contrôler la pose de
définition qui suit. l’effecteur E dans le plan défini par les coordonnées (x,y). Du fait de
l’élasticité des câbles, le système se reconfigure naturellement dans
une configuration d’équilibre.
Les mécanismes de tenségrité regroupent tout système basé
sur une tenségrité dont au moins l’un des éléments est Pour des applications où l’interaction robot-homme est envisa-
actionné dans l’optique de modifier la configuration et/ou les gée, les dynamiques d’un robot sont réduites. Dans ce cadre,
propriétés du système. l’article se focalise dans la suite sur l’étude statique des méca-

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______________________________________________________________________ MÉCANISMES DE TENSÉGRITÉ POUR LA ROBOTIQUE DE MANIPULATION

spécifiquement dans le contexte de tâches de comanipulation ou


en cas d’interaction avec un utilisateur humain.

1.3.2.2 Adaptation à l’environnement


F
Les mécanismes de tenségrité ont la capacité de s’adapter à
Fp leur environnement par modification de leurs efforts internes.
E (x, y) L’actionnement de leurs éléments constitutifs permet en effet
u
e2 d’adapter la structure à des événements externes. En génie civil,
cet intérêt est exploité dans la conception de structures pouvant
s’adapter à des tremblements de terre, des vents violents et des
variations de températures importantes [9], ou à une défaillance
interne comme la rupture d’un élément [10].
A3 Cette propriété est d’autant plus intéressante lorsque le système
est composé de câbles élastiques qui apportent ainsi une com-
pliance au système qui s’avère bénéfique à cette capacité d’adap-
2
tation. Comme cela a déjà été mentionné, la raideur d’une
tenségrité dans des directions spécifiques peut ainsi être entière-
ment contrôlée par la précontrainte des éléments qui la com-
posent, i.e. leur niveau d’effort interne. Cette méthode permet un
réglage rapide de la raideur et potentiellement sur une grande
plage. Ce type d’utilisation est possible grâce à la propriété
θ ρ2 d’autocontrainte des tenségrités. La modulation de la raideur est
alors réalisée par modulation de la précontrainte des éléments.

1.3.2.3 Capacité de reconfiguration


L’actionnement des éléments du système dans le cas des méca-
nismes de tenségrité offre la possibilité de les reconfigurer large-
e1 ment. Cette capacité est notamment exploitée pour des
applications dans le domaine de l’aérospatial, et plus particulière-
A1 A2
ρ1 ment pour la conception de systèmes déployables [11] à [13].
La capacité de reconfiguration est une propriété centrale des
Figure 3 – Exemple de mécanisme de tenségrité plan à 2 degrés de mécanismes de tenségrité et est particulièrement intéressante en
liberté (l’effecteur est en E) robotique de manipulation puisqu’il s’agit de déplacer un effec-
teur au sein d’un espace de travail important tout en recherchant
nismes de tenségrité, en suivant pour ces derniers la définition la compacité du mécanisme.
qui suit.
Les propriétés mécaniques d’intérêt des mécanismes de ten-
Un mécanisme de tenségrité est constitué d’un ensemble de ségrité proviennent :
barres rigides maintenues dans un état d’autocontrainte par un – de la sollicitation en traction/compression des éléments via
ensemble de câbles élastiques. Les barres ou les câbles sont leur mode d’assemblage particulier ;
actionnés de manière à modifier la configuration et/ou le – de l’état d’autocontrainte provenant des efforts internes aux
niveau de précontrainte du système. éléments, y compris en l’absence de chargement extérieur.

Nota :  Certaines notions complémentaires ainsi que des applications aux tenségrités
1.3.2 Intérêts pourront être trouvées par le lecteur dans l’article [C 2 471].

L’usage des mécanismes de tenségrité dans le contexte de la


robotique de manipulation est motivé par plusieurs intérêts.
2. Modélisation et simulation
1.3.2.1 Légèreté et résistance
En tant que systèmes précontraints, les tenségrités sont à la fois La modélisation et l’analyse d’un mécanisme de tenségrité sont
légères et capables de résister à des sollicitations extérieures fondamentalement différentes de celle d’un manipulateur rigide et
importantes. L’utilisation du concept de tenségrité contribue déjà non précontraint. Il s’agit en effet de déterminer la configuration
pour ces raisons à la compréhension et à la modélisation de plu- du mécanisme en connaissant l’état des actionneurs, les para-
sieurs structures naturelles dont les propriétés mécaniques parti- mètres géométriques et élastiques du système, ainsi que les solli-
culières proviennent des efforts de précontraintes et du mode de citations extérieures auxquelles il est soumis.
sollicitation et d’assemblage de ses composants [7] à [9] (le lec-
teur pourra également se référer à l’article [RE 117]).
Le mode de sollicitation des éléments (i.e. traction pure ou com- 2.1 Recherche de l’équilibre :
pression pure) et leur géométrie utilise de manière optimale les les méthodes de form-finding
matériaux employés au sens de la résistance mécanique, en assu-
rant l’absence de zones de sollicitations variables créées en cas de La modélisation, l’analyse et la conception de systèmes de ten-
flexion ou de torsion. La présence de câbles permet par ailleurs ségrité reposent sur le couplage entre forces et forme qui régit le
d’assurer leur légèreté, et ainsi de limiter leur inertie. Cela consti- comportement de ce système autocontraint. On parle alors aussi
tue un avantage de taille en robotique de manipulation, et plus de « couplage morphologico-mécanique » [C 2 471]. Pour cette

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MÉCANISMES DE TENSÉGRITÉ POUR LA ROBOTIQUE DE MANIPULATION _____________________________________________________________________

raison, le point de départ dans la modélisation de tout système de


tenségrité est de rechercher ses configurations d’équilibre. A
Pour un robot industriel rigide, un modèle géométrique direct fA
ou inverse (MGD/MGI) est généralement obtenu par une analyse
cinématique de la chaîne de transmission du mouvement, en pre- A 1 2
t
nant en compte les contraintes cinématiques ainsi que les para-
mètres géométriques des éléments du robot. La modélisation des C B
mécanismes de tenségrité, en tant que systèmes précontraints fB
B
3
déformables, diffère de cette approche. Ils sont en effet soumis à
des conditions d’équilibre provenant de la déformation de leurs a b c
éléments sous des efforts externes et de précontrainte, et les
caractéristiques élastiques des éléments ont une influence sur leur
Figure 4 – Exemples d’assemblage mécanique plan : (a) un élément

2
comportement [14]. On parle alors de modélisation statique [5], et
unique, (b) un assemblage autocontraint et (c) un assemblage non
l’analyse de ces mécanismes passe par la formulation de leur autocontraint
modèle statique direct (MSD) ou inverse (MSI).
La détermination des modèles statiques passe par l’utilisation pour t ≠ 0 ce qui traduit que le système est à l’équilibre en
de méthodes dites de form-finding dont l’objectif est de recher- l’absence de sollicitations extérieures, uniquement sous l’action
cher la configuration du système tel qu’il soit équilibré et en état de ses efforts internes.
d’autocontrainte. Pour plus de détails sur les différentes
méthodes, le lecteur pourra se référer aux revues de la littérature La difficulté de la méthode est de choisir un jeu de densités de
[15], [16]. De nombreuses méthodes plus spécifiques font égale- forces qui permette d’obtenir au moins une configuration d’équi-
ment l’objet des publications [17] à [22]. Il existe deux principales libre [24], [25]. Par ailleurs, plusieurs configurations d’équilibre
familles de méthodes : les méthodes cinématiques et les peuvent exister pour une même topologie, mais pour différents
méthodes statiques [15]. jeux de densité de forces.
Le respect de la condition d’autocontrainte, et donc la possibi-
2.1.1 Méthodes cinématiques lité de modifier le niveau de précontrainte dans les éléments,
implique des conditions sur la matrice d’équilibre A du système
Les méthodes cinématiques partent du constat que les configu-
qui dépend de sa géométrie. On peut ainsi dériver des règles sur
rations de tenségrité correspondent à des limites d’assemblage.
le nombre et l’agencement des éléments qui assurent l’auto-
Cette limite d’assemblage peut être déterminée par programma-
contrainte du système. Ces règles sont notamment présentées
tion non linéaire, en maximisant une fonction dépendant des lon-
dans [3], [26].
gueurs des éléments et contrainte par la possibilité d’assemblage
de la structure, ou encore par relaxation dynamique [23].
Cette famille de méthodes ne prend cependant pas explicite- Assemblage autocontraint
ment en compte la statique du système, et se base uniquement Afin d’illustrer ce dernier point, des exemples d’assemblage plan sont
sur une interprétation géométrique de l’état d’autocontrainte en représentés sur la figure 4. Dans les cas (a) et (c), les systèmes ne sont
tant que limite d’assemblage. Si cette approche est pertinente pas autocontraints. En effet, leur configuration ne peut pas être stabilisée
pour des systèmes à câbles rigides, elle s’avère néanmoins peu en présence d’efforts internes sans introduire d’efforts extérieurs au
adaptée pour des mécanismes de tenségrité composés d’élé- niveau de leurs nœuds. Cette conclusion est triviale pour un élément
ments élastiques. seul (a) ; un effort axial non nul t ne peut être obtenu qu’en présence des
efforts égaux et opposés fA et fB au niveau des extrémités A et B.
2.1.2 Méthodes statiques On voit ici que pour un assemblage comme (c), il est nécessaire
d’ajouter des éléments afin d’obtenir un système autocontraint tel
Les méthodes statiques utilisent la relation qui existe entre la que celui illustré en (b).
configuration d’équilibre et les efforts dans les éléments du méca-
nisme. Ces méthodes sont plus intéressantes dans le cas présent
2.1.2.2 Approche énergétique
car les caractéristiques élastiques des éléments sont a priori
connues et il existe alors une relation entre leurs déformations et L’approche par les densités de forces consiste finalement à effec-
leurs efforts internes. Deux approches sont ainsi considérées dans tuer un raisonnement énergétique sur la condition d’équilibre du
la littérature : l’approche par les densités de forces, et l’approche système, d’où la désignation d’une deuxième approche plus géné-
énergétique. rale appelée « approche énergétique » et usuellement employée
[27]. En effet, la configuration d’équilibre correspond à un extre-
2.1.2.1 Approche par les densités de forces mum local de l’énergie potentielle du système, ce qui constitue l’une
L’approche par les densités de forces consiste à considérer le des manières de définir l’équilibre de la configuration du méca-
rapport effort/longueur dans chaque composant, rapport qui est nisme.
appelé « densité de force ». La position des nœuds de la tensé-
grité qui assure l’équilibre avec un jeu de densités de forces Un mécanisme de tenségrité est en équilibre lorsque son
imposé a priori est alors recherchée, ce qui revient à déterminer la énergie potentielle est dans un extremum local.
matrice d’équilibre A du système tel que :
(1)
La recherche de la configuration d’équilibre avec cette approche
avec t le vecteur (n × 1) des efforts axiaux dans les n éléments, consiste donc en une optimisation d’une fonction d’énergie afin
donc des efforts internes, et f le vecteur des efforts nodaux, i.e. le de trouver cet extremum local.
vecteur (3b × 1) des efforts appliqués aux b nœuds. Dans le cas
d’un système précontraint, la condition d’autocontrainte Cette approche est particulièrement intéressante lorsque l’on
s’exprime alors par : considère des systèmes composés d’éléments de caractéristiques
élastiques connues. Dans ce cas en effet, la fonction d’énergie
(2) peut être formulée en considérant l’énergie élastique stockée dans

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130
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S7818

Géométrie et commande des drones

par Luc JAULIN


Professeur en robotique

2
Robex, Lab-STICC, ENSTA-Bretagne

1. Qu’est-ce qu’un drone ?......................................................................... S 7 818 - 2


2. Orientation dans l’espace ..................................................................... — 3
2.1 Vecteur de rotation ..................................................................................... — 3
2.2 Matrices de rotation.................................................................................... — 3
2.3 Exponentielles et logarithmes des matrices............................................. — 3
2.4 Formules de Rodrigues .............................................................................. — 4
2.5 Angles d’Euler ............................................................................................. — 5
2.6 Groupes de Lie ............................................................................................ — 5
2.7 Évolution d’une matrice de rotation.......................................................... — 5
2.8 Évolution d’une transformation rigide ...................................................... — 5
2.9 Quelques exemples .................................................................................... — 6
3. Modélisation d’un drone ....................................................................... — 11
3.1 Modélisation cinématique.......................................................................... — 11
3.2 Avec la gravité............................................................................................. — 11
3.3 Centrale inertielle ........................................................................................ — 11
3.4 Modélisation dynamique............................................................................ — 12
3.5 Phénomène de Dzhanibekov...................................................................... — 13
3.6 Champ de vecteur d’Euler .......................................................................... — 14
4. Contrôle inertiel....................................................................................... — 15
4.1 Commande en accélération ....................................................................... — 15
4.2 Positionneur ................................................................................................ — 15
4.3 Orienteur...................................................................................................... — 16
4.4 Contrôleur.................................................................................................... — 16
4.5 Drone bidimensionnel ................................................................................ — 16
5. Quadrirotor................................................................................................ — 17
6. Torpille sous-marine ............................................................................... — 20
7. Hélicoptère ................................................................................................ — 22
8. Hexarotor ................................................................................................... — 24
9. Géodésiques.............................................................................................. — 27
9.1 Géodésique sur une variété différentielle................................................. — 27
9.2 Sur le tore .................................................................................................... — 28
9.3 Sur l’ellipsoïde............................................................................................. — 28
10. Conclusion................................................................................................. — 29
11. Glossaire .................................................................................................... — 29
Pour en savoir plus .......................................................................................... Doc. S 7 818

u du grand public, un drone est souvent considéré comme un objet


V volant autostabilisé, téléopéré et muni d’une caméra. Il est aussi souvent
mentionné comme un avion de guerre sans pilote avec un certain degré
d’autonomie capable de procéder à des missions militaires. Pourtant, un drone
Parution : avril 2022

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S7818

GÉOMÉTRIE ET COMMANDE DES DRONES _______________________________________________________________________________________________

n’est pas forcément volant. Il s’agit d’un robot mobile qui peut être aérien,
terrestre ou sous-marin, naviguant ou roulant. Un drone peut donc être consi-
déré en première approche comme un véhicule sans personne à bord, de toute
taille, avec un degré d’autonomie élevé. Il est capable de naviguer d’un point à
un autre, en évitant les obstacles et avec souvent une mission à effectuer.
Différents types de missions peuvent être données à un drone, comme la
cartographie d’une zone, le transport d’un colis, la recherche d’une épave sous-
marine. Les drones sont de plus en plus utilisés pour des missions longues et
pénibles, comme certains travaux agricoles, le nettoyage (comme le passage de
l’aspirateur) ou pour des missions dangereuses pour l’être humain (intervention
dans des zones irradiées, recherche de personnes suite à une avalanche ou un

2 tremblement de terre). Ils sont indispensables dans les zones impossibles


d’accès pour l’humain (très grand fonds, planètes lointaines, intérieur des
volcans, etc.).
L’un des enjeux pour le drone est l’autonomie. Pour des tâches répétitives
qui demandent une localisation précise et un cahier des charges à respecter,
les drones pourront exécuter sans risque d’erreur une procédure logique en
obéissant scrupuleusement au programme informatique qui le pilote. De plus,
dans certains environnements, comme le fond le l’océan, ou les planètes loin-
taines, la téléopération est presque impossible. Il faudra donc donner à ces
robots le degré d’autonomie le plus élevé possible. Un autre des défis à relever
est la sécurité. Aucune erreur ne sera permise au drone. Il faut être certain qu’il
ne provoquera pas de collision, que le robot ne prendra aucun risque et qu’il
ne va pas échouer dans sa mission.
Pour développer cette autonomie, il faut une bonne compréhension de la
dynamique du robot afin de pouvoir le simuler et le commander. Pour cela, il
nous faut comprendre précisément comment le robot s’oriente et bouge. La géo-
métrie non euclidienne possède un rôle fondamental dans cette représentation.
Cet article propose de décrire les outils géométriques associés aux déplace-
ments des drones, et d’expliquer comment utiliser des outils afin de modéliser
proprement les drones et les amener progressivement vers une autonomie
complète.

1. Qu’est-ce qu’un drone ? de mines, de la recherche des boîtes noires d’un avion qui s’est
abîmé en mer et de l’exploration de planètes. La robotique mobile
est une discipline qui cherche à concevoir des robots capables
Un drone sera vu ici comme un solide capable de se mouvoir d’aider dans ce type de tâches de façon plus ou moins autonome.
dans un environnement fluide (air ou eau) de façon autonome. Elle utilise des outils des mathématiques appliquées comme l’auto-
Ainsi, ne seront pas considérés comme des drones : matique, le traitement du signal, l’informatique ou l’électronique.
• un robot manipulateur qui est articulé et qui n’est donc pas L’un des objectifs de cet article est de donner quelques outils
un corps solide ; géométriques qui permettent de modéliser et de contrôler des
• les voitures autonomes car elles n’évoluent pas dans un fluide ; drones. Ces drones seront modélisés par des équations d’état à
temps continus, c’est-à-dire une équation différentielle vectorielle
• les bateaux autonomes car ils évoluent à l’interface entre du premier ordre de la forme :
deux fluides ;
• les satellites qui ne s’appuient pas sur un fluide. (1)
Un drone fait donc partie de la classe des robots mobiles auto-
nomes. Il comprend : où x est le vecteur d’état et u est le vecteur d’entrée. Ces équations
d’état sont obtenues en combinant les équations de la mécanique
• des capteurs qui vont collecter des informations sur son envi-
avec des équations cinématiques. Cette étape de modélisation est
ronnement et son état, comme son orientation et sa position ;
fondamentale, à la fois pour simuler et comprendre les drones,
• des actionneurs qui vont permettre le déplacement ; mais également pour la conception des régulateurs. Nous allons
• une intelligence (ou régulateur), qui va chercher à calculer explorer le volet tridimensionnel car les drones, qu’ils soient
comment agir sur les actionneurs à partir des informations avions, quadrirotors ou sous-marins, évoluent dans un monde à
collectées afin de se déplacer suivant la direction souhaitée. trois dimensions.
Les drones sont en constante évolution, principalement depuis Souvent, une modélisation par des équations d’état fait appa-
les années 2000, dans le domaine militaire ou maritime, médical, raître des paramètres constants comme des masses, des matrices
agricole, spatial, etc. C’est le cas par exemple de la chasse aux d’inertie, des longueurs, des coefficients de viscosité, etc. Une étape
mines où des drones ratissent une zone pour détecter la présence d’identification doit alors être faite pour l’obtention d’un modèle

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_______________________________________________________________________________________________ GÉOMÉTRIE ET COMMANDE DES DRONES

complet. Dans cet article, nous supposerons que cette étape a déjà Ainsi, au vecteur ω = (ωx, ωy, ωz), on peut associer la matrice
été réalisée et que tous ces paramètres sont connus. antisymétrique ω∧ qui sera également dénotée ∧(ω) pour faire appa-
raître l’opérateur ∧.
Pour la régulation qui va nous intéresser, nous allons supposer
que l’état est connu exactement, ce qui n’est en général pas le
cas. Les étapes de localisation ou même de cartographie, pourtant
souvent nécessaires pour atteindre une autonomie complète, ne 2.2 Matrices de rotation
seront donc pas considérées ici.
Pour l’orientation tridimensionnelle des robots, il est essentiel
Il n’existe pas de méthodologie systématique pour modéliser ou d’avoir une bonne compréhension sur les matrices de rotation.
bien commander un drone. Pourtant, un certain nombre de concepts
Rappelons qu’une rotation est une application linéaire qui est
et d’outils venant de la géométrie non euclidienne, comme les
une isométrie (c’est-à-dire qu’elle préserve le produit scalaire) et
groupes de Lie, les algèbres de Lie ou les géodésiques, reviennent
qui est directe (elle ne change pas l’orientation de l’espace). Il en
souvent. Dans la section 2, nous allons rappeler certains de ces

2
découle qu’une matrice de rotation R satisfait les deux propriétés
concepts, ceux qui nous semblent les plus fondamentaux. La sec-
suivantes :
tion 3 applique ces outils pour modéliser un drone générique en le
considérant comme un corps rigide capable de se mouvoir dans (3)
l’espace. La section 4 explique comment il est possible de contrôler
un drone en orientation et en vitesse. Le juste niveau d’abstraction a Si R est une matrice de rotation qui dépend du temps t, en diffé-
été choisi de façon à ne pas avoir à spécifier le type de drone consi- rentiant la relation RRT = I, nous obtenons :
déré. Les sections suivantes montrent comment s’appliquent les
méthodes développées pour ce drone générique afin de traiter diffé- (4)
rentes catégories de drones. La section 5 propose un régulateur Ainsi, est une matrice antisymétrique. On peut démontrer
capable de stabiliser un quadrirotor et de lui faire suivre une trajec- que dans le cas où R est de dimensions 3 × 3,
toire décrite par un champ de vecteur. La section 6 s’intéresse au
contrôle d’une torpille sous-marine comprenant un propulseur et (5)
trois gouvernes. La section 7 propose un régulateur capable de com-
mander un hélicoptère en orientation dans le but de lui faire décrire et
un looping à l’altitude désirée. La section 8 s’attaque au problème de
l’atterrissage précis d’un hexarotor sur une plateforme mobile. La (6)
section 9 introduit dans le contexte de la commande des drones
où le vecteur ω = (ωx, ωy, ωz) est le vecteur de rotation associé.
l’intérêt des géodésiques dans les espaces non euclidiens. Il s’agit de
courbes minimisant la longueur du chemin à parcourir. Cet article se
termine par une conclusion qui récapitule les notions de géométrie
introduites et leur intérêt pour le développement de drones fiables. 2.3 Exponentielles et logarithmes
des matrices
À retenir Le vecteur de rotation et la matrice de rotation sont des objets
de nature différente. En effet, on peut additionner des vecteurs de
• Un drone est un véhicule sans personne à bord. rotation, alors que l’on peut multiplier des matrices de rotation.
• Il peut être téléopéré, mais possède souvent différents degrés Ces deux objets sont liés par l’exponentielle et réciproquement le
d’autonomie. logarithme. Nous allons ici rappeler ces opérateurs dans le cas
• Le drone intervient pour des opérations périlleuses, difficiles matriciel qui va nous intéresser.
ou pénibles pour l’être humain.
■ Exponentielle
• La fiabilité est une propriété nécessaire au développement
des drones. Soit une matrice carrée M de dimension n. Son exponentielle
est définie par :

2. Orientation dans l’espace où In est la matrice identité de dimension n × n. Notons que eM


a la même dimension que M. Rappelons les propriétés suivantes :
Nous allons rappeler ici quelques notions fondamentales pour
représenter l’orientation des objets dans l’espace, sachant que cette
orientation évolue dans le temps.
(7)

2.1 Vecteur de rotation


où M, N sont deux matrices de dimension n × n
Le produit vectoriel entre deux vecteurs ω et est classi-
quement défini comme suit : ■ Logarithme
Soit M une matrice de dimension n × n, la matrice L est dite loga-
rithme de M si eL = M. Comme c’est le cas pour les nombres com-
plexes, la fonction exponentielle n’est pas injective, et donc une
matrice peut avoir plusieurs logarithmes. On peut aussi définir de
façon unique le logarithme par son développement en série entière :
(2)

(8)

Cette somme est convergente si M est proche de l’identité.

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2.4 Formules de Rodrigues même que Exp sera souvent confondu avec exp. Ainsi, par exemple,
si i, j, k sont les vecteurs de la base canonique de , on aura :
En dimension 3, une matrice de rotation R est associée à un axe
de rotation représenté par un vecteur unitaire u et un angle α rela-
tivement à cet axe. Le lien peut être formalisé par les
formules de Rodrigues :

(9)
(11)

avec

2 (10)

Dans ces formules, (ii) est la réciproque de (i). La version capita- ■ Expressions analytiques
lisée Exp, Log de exp, log sont des raccourcis utilisés pour éviter
l’utilisation de l’opérateur ∧. Cela est illustré par la figure 1. Soit une matrice de rotation R de SO(3), son logarithme (qui est
L’ensemble des matrices de rotation dans forme le groupe un vecteur de so(3)) est donné par :
de Lie SO(3) et les matrices antisymétriques de constituent
l’algèbre de Lie associée. L’exponentielle et le logarithme forment
un lien entre ces deux structures algébriques. (12)
Le vecteur ω et sa matrice associée ∧(ω) représentent les mêmes
objets écrits différemment. On aura tendance à les confondre, de

so(3) so(3)

exp

Ι
log

3 Exp

Log
ω

Figure 1 – Correspondances entre le groupe de Lie SO(3) et l’algèbre de Lie so(3)

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où tr(R) désigne la trace de la matrice R. Soit , son expo- 2.7 Évolution d’une matrice de rotation
nentielle (qui est une matrice de rotation) est donnée par :
Soit R(t) une matrice de rotation d’un corps mobile. On a :

(13) (15)
où ωr = RTωest le vecteur de rotation exprimé dans le référentiel
du mobile. C’est ce schéma d’intégration, dit exponentiel, qu’il
nous faudra utiliser pour intégrer l’orientation du drone, plutôt
qu’une méthode de Runge Kutta.
2.5 Angles d’Euler
Pour montrer cette relation d’évolution, il faut partir de l’équa-
tion (6). Nous avons :
Pour représenter l’orientation d’un mobile dans l’espace, nous uti-
liserons principalement les matrices de rotation. Toutefois, il est sou-
vent confortable d’utiliser les angles d’Euler, bien que ces derniers
engendrent des singularités. La relation qui relie une matrice de rota- et donc si dt est infiniment petit,
(16)
2
tion à ses angles d’Euler est donnée par :

avec i = (1, 0, 0)T, j = (0, 1, 0)T et k = (0, 0, 1)T. Les angles d’Euler φ, (17)
θ, ψ sont appelés respectivement gîte, assiette et cap. Les termes
roulis, tangage, lacet, souvent employés pour les désigner, sont à
utiliser pour leur dérivée temporelle . Nous éviterons d’uti-
liser les angles d’Euler, du fait des singularités qu’ils produisent et
que l’on appelle souvent le gimbal lock. Cependant, pour la
conception de régulateur, les angles d’Euler sont intuitifs, concrets Pour des raisons numériques, lorsque nous l’intégrons pendant
et confortables à utiliser. Nous aurons tendance à les considérer une longue période, la matrice R(t) peut perdre la propriété
lorsque l’orientation du drone est à mettre en lien avec le terrain. RRT = I. Pour éviter cela, nous pouvons procéder à une étape de
Par exemple, indiquer que le drone va vers l’ouest avec un angle renormalisation, ce qui signifie que la matrice courante R doit être
d’assiette de 45 % se traduit immédiatement en termes d’angles projetée sur SO(3) qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Pour cela,
d’Euler. En revanche, les manipulations mathématiques de plus une factorisation QR peut être effectuée. Rappelons que pour une
bas niveau se feront avec les matrices de rotation. matrice carrée M, une telle décomposition produit deux matrices
Q, R telles que M = QR où Q est une matrice de rotation et R est
triangulaire. Lorsque M est proche de SO(3), R est presque diago-
nale et presqu’une matrice de rotation, ce qui signifie que sur sa
2.6 Groupes de Lie diagonale, les valeurs sont proches de ±1. Le programme Python
génère une matrice de rotation N correspondant à la projection de
M sur SO(3).
L’ensemble des matrices de rotation de forme un groupe
relativement à la multiplication, appelé groupe orthogonal spécial Q, R = numpy.linalg.qr(M)
(spécial car det R = 1, orthogonal car RTR = I). Il est noté (SO(n), ·)  
et l’identité I est son élément neutre. De plus, les opérations de v=diag(sign(R))
multiplication et d’inversion sont dérivables, ce qui fait de SO(n) N=Q@diag(v)
un groupe de Lie qui est une variété différentielle dans l’ensemble
des matrices de . L’équation matricielle RTR = I peut se
2.8 Évolution d’une transformation rigide
décomposer en équations scalaires indépendantes. Par
Le calcul de l’évolution évoqué dans la section précédente pour
exemple, pour n = 2, nous avons équations scalaires. l’orientation s’applique également pour d’autres types de transfor-
mations, pourvu que la structure de groupe de Lie soit respectée.
En effet, : Par exemple, les transformations rigides qui combinent transla-
tions et rotations forment un groupe de Lie, puisque l’on peut les
composer et les inverser. Le groupe des transformations rigides
du plan est noté SE(2). Pour des raisons pratiques de calcul sur
(14)
ordinateur, il est préférable d’utiliser une représentation matri-
cielle. Ainsi, la matrice :

Par conséquent, SO(n) forme une variété différentielle de dimen-


(18)
sion .

• Pour n = 1, nous avons d = 0. L’ensemble SO(1) est un single- correspond à une transformation rigide avec t = (p1, p2) étant la
ton qui contient une unique rotation : R = 1. translation et p3 l’angle de la rotation R.
La structure de groupe de SE (2) se vérifie facilement. Prenons
• Pour n = 2, d = 1. Un seul paramètre ou angle est nécessaire
P1, P2 dans SE(2). La composition est interne car :
pour représenter SO(2).

• Pour n = 3, d = 3. Trois paramètres ou angles permettront de (19)


représenter SO(3).

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L’inversion l’est également puisque : et intégrons la trajectoire en prenant trois approches : l’approche
exacte, la méthode d’Euler et l’intégration exponentielle. Nous
prendrons et une période d’échantillonnage dt = 0,5.
(20) Dans ce cas, la trajectoire exacte se calcule facilement. Elle est
donnée par :
De plus, ces deux opérations sont différentiables, ce qui fait de
SE(2) un groupe de Lie. Notons que la matrice identité de cor-
respond à l’élément neutre de ce groupe. Le calcul de l’algèbre de
Lie associée se fait en linéarisant : (28)

(21)

2
Une intégration par Euler nous amène au schéma d’intégration
suivant :
autour de la matrice identité, c’est-à-dire, autour de p = 0. Nous
obtenons à l’ordre 1 :
(29)

La figure 2 (b) montre une différence notable avec la solution


(22) exacte lorsque dt est grand. En revanche, l’intégration exponen-
tielle illustrée par la figure 2 (c) est presque
identique à la solution exacte.

Les matrices E1, E2, E3, appelées générateurs, forment la base Afin d’illustrer dans un tel contexte l’intérêt du logarithme, nous
de l’algèbre de Lie so(3) associée à SO(3). Notons que pour un jeu allons chercher une trajectoire qui relie deux poses. Cela signifie
de paramètres p = (p1, p2, p3), la transformation correspondante que nous voulons trouver un chemin, dans SE(2) tel
est : que P(0) = P0, P(1) = P1, où P0 et P1 sont les deux matrices poses
associées aux vecteurs x(0) = (–1, –1, –1)T et x(1) = (1, 1, 1)T. Nous
(23) appliquons la formule d’interpolation donnée par :

Or :

(24) Le résultat est donné par la figure 2 (d). Nous remarquons que
la trajectoire n’a aucune raison d’étre compatible avec un chemin
possible pour la voiture de Dubins, qui elle ne dérappe pas latéra-
Ainsi, dans la représentation exponentielle (23), la rotation et la lement. On peut montrer que la trajectoire correspondant à cette
translation se font de façon simulatée et non pas l’une après interpolation est une géodésique. C’est la plus courte des trajec-
l’autre, comme c’est le cas dans la seconde expression (24). Bien toires dans l’espace SE (2) mais par forcément la plus courte dans
sûr, le comportement de l’expression (23) est préférable car il tra- le monde réel euclidien.
duit plus la réalité du mouvement du corps rigide qui tourne et se
déplace en même temps. Mais surtout, cette représentation expo-
nentielle nous amènera à une plus grande précision lors du calcul
de la trajectoire. 2.9 Quelques exemples
Pour illustrer ce gain en précision, prenons une voiture de Dubins :
Avant de passer à des robots tridimensionnels, nous allons ici consi-
dérer des exemples illustrant les notions définies précédemment.

(25)
2.9.1 Voiture sur la sphère

Le vecteur d’état x = (x1, x2, x3), appelé pose, peut être repré- Un modèle classique de voiture évoluant sur un plan est celui
de Dubins décrit par :
senté par un élément . Pour l’intégration, nous pouvons
donc utiliser une formule proche de celle que nous avons utilisée
pour la rotation dans SO(3). Ici, elle s’écrit :
(30)
(26)

où u1E1 + u2 · E3 représente la variation de la pose dans le repère


du robot.
où (x1, x2, x3) est la pose, x4 la vitesse, u1 la vitesse de rotation et
Utilisons une simulation pour illustrer ce que l’on gagne en u2 l’accélération (voir figure 3 à gauche).
précision. Prenons les entrées et le vecteur initial suivant :
Prenons par exemple l’entrée suivante :

, , ,
(27) (31)

avec pour état initial x = (0, 0, 0, 0).

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