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ET
MAI rgzs
François MAURIAC . Le Jeune Homme.
Rainer Maria RILKE Sur des œuvres de Rodin.
Johan BOJER . Pêcheurs.
Emile HENRIOT Vivant Denon.
LA CHRONIQUE INTERNATIONALE
G. de REYNOLD . . Le problème de la langue interna-
tionale, I.
Pierre de CouBERTIN Sport (Les sanatoriums pour bien-
portants).
Rmnarques.
Les livres (Emmanuel BDSNZOD, Alùo DAM!, G. MAURY).
GENEVE
RÉDACTION ADMINISTRATION
I, PROMENADE DU PIN, I PAYOT & Oe, z, MOLARD
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Le goût d'admirer et de s'humilier, c'est dans la littérature
et non en amour que beaucoup de jeunes hommes l'assouvis-
sent. Il n'est rien de tel qu'une jeune revue pour s'en donner
le divertissement. Quel garçon ne pourrait redire avec l'Abbé
Barthélemy, auteur du Jeune Anacharsis : '' Le profond respect
pour les gens de lettres, je le ressentais tallement dans ma
jeunesse, que je retenais même les noms de ceux qui envoyaient
des énigmes au Mercure. n Mais les jeunes gens élèvent leurs
idoles sur de tels pavois, qu'ils ne sauraient les en descendre
sans les briser. Les éreintements ne sont d'ailleurs le plus
souvent, dans leurs revues, que de grands amours retournés.
Quel auteur n'avouerait qu'il ne tient à aucun suffrage
autant qu'à ceux des jeunes gens ~ Et certes leur applaudis-
sement ne doit pas suffire à nous donner confiance. C'est
un signe pourtant.
La jeunesse attire la jeunesse : le génie est une jeunesso que
les jeunes gens découvrent d'instinct. Sur une pauvre terre
aride où le monde était passé sans rien entendre ils surprennent
un bruit de source et s'agenouillent. Les pires apparences ne
les détournent pas de mettre à jour l'eau merveilleuse, ni
de boire.
C'est la jel,lnesse qui malgré les Sorbonnes et les Académies,
a imposé un Baudelaire, lill Rimbaud. Aujourd'hui encore,
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Après trente ans, aimons-nous encore la poésie, où nous
souvenons-nous de l'avoir aimée ?
Il n'est rien de si émouvant que d'entendre un garçon
d'aujourd'hui parler de Rimbaud.
C'est à vingt ans que des garçons se réunissent et passent
une soirée à lire des poèmes inlassablement. Ils s'en récitent
les uns aux autres jusque dans la rue. Qui ne se rappelle
ces camarades tout bourdonnants de vers, - entourés de
strophes comme d'abeilles une ruche ? Auprès de Barrès,
Jules Tellier joua ce rôle de récitant, et nous, nous nous rap-
pelons André Lafon, et surtout Jean de la Ville, qui portaient
aussi en eux tous les poètes « pareils à des dieux bien-aimés ».
Au bureau, à la caserne, dans les rues glacées, les jeunes
êtres se défendent contre le réel : comme un Dieu appellerait
des légions d'anges, ils suscitent, pour se protéger, des poèmes
immortels.
Parmi les garçons de vingt ans, combien recherchent cet
état de transes, cet état de grâce de la poésie! L'exaltation
est leur domaine ; ils ne se fatiguent pas de planer ; vivre
pour eux, c'est transposer la vie. Dangereuse lutte contre
les apparences où, près de succomber, le jeune poète risque
d'avoir recours à ce qui enivre. à ce qui stupéfie.
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FRANÇOIS MAURIAC.