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Une lettre d'adieu


Ma chère Louise,
Je ne sais pas pourquoi je t'écris cette lettre, ni même si tu la liras, ni même si c'en est une. Cette
lettre qui n'est peut-être qu'un concentré de mots.

Ma chère Louise,
Je ne sais pas comment te dire. Je ne voudrais pas que tu éprouves de la peine.

Ma chère Louise,
Je ne sais pas comment te le dire. Je ne veux ni être brutal, ni te faire du mal. Pourtant, je sais
que tu vas souffrir. Tu vas souffrir parce que tu m'aimes. Mais si je te couche ces mots, c'est parce
que, moi aussi, oui, chérie, je t'aime ! Je t'aime !

Ma chère Louise,
Je ne sais pas comment te le dire. Je ne veux ni être brutal, ni te faire du mal. Pourtant, je sais
que tu vas souffrir. Tu vas souffrir parce que tu m'aimes. Mais si je te couche ces mots, c'est parce
que je t'aime aussi. Oui, chérie, je t'aime ! Mais j'ai un problème, un très grave problème ! Il est si
grand et je suis si petit que je ne sais pas si j'aurais la force, le courage de te le dire, de tout te
déballer, de t'en parler. Je ne sais pas comment tu réagirais si je te le disais. J'ai si peur de ta
réaction. Pourtant, Louise, ma petite Louise, il faut que je te le dise. Il faut que nous en parlions.

Louise,
Je suis un lâche de te l'écrire au lieu de te le dire. Mais qu'aurais-tu fait à ma place ? Hein ?
Qu'aurais-tu fait, chérie ? Comment l'aurais-tu dit ?

Ma petite Louise,
Avant tout, mon cœur, je veux que tu saches que je t'aime, que je t'ai toujours aimé et que je
t'aimerais toujours. Tu es l'amour de ma vie et je me sentirais perdu sans toi. Pire, je serais
vraiment perdu. Mais aujourd'hui, j'ai un problème, un problème qui me ronge depuis des années et
je ne peux plus te le cacher. J'ai besoin de l'aborder, de l'affronter avec une autre personne, avec
toi.
Rassure-toi ! Je t'aime ! Et je ne veux pas que ce problème gâche tout entre nous. En fait, je
redoute plus la réaction de tes parents, catholiques conservateurs qui me reprochent déjà assez
depuis ces dix années d'avoir volé ta virginité, que la tienne. Je sais que tu m'aimes. J'ai confiance
en toi. Mais Louise, ma chérie, je ne me suis jamais senti ce que je suis. Dans ma tête, j'ai toujours
été une femme. Et aujourd'hui, chérie, j'ai besoin de le devenir enfin. De me faire pousser les seins.
Je sais que chez toi, dans ta famille, on ne divorce pas.

Une lettre d'adieu © Richard Patrosso


Tous droits réservés, reproduction même partielle interdite.
http://richardpatrosso.typepad.com/dndr
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Ma Louise, Mon Amour, Ma Vie !


Je t'aime, Louise. Je t'ai toujours aimé et je t'aimerais toujours !
Elle en avait assez lu. Elle avait épousé une femme. Pendant toutes ces années, elle avait vécu
avec une femme. Pire, avec un être qui ne méritait certainement pas ce nom. Une pédale, un homme
qui n'en était pas un, une bizarrerie de la nature qui aura échappé à l'asile jusqu'au bout, pour
toujours.
Ma chère Louise,
Je ne sais pas comment te le dire.
Si seulement, il avait su ! Si seulement, il le lui avait dit ! Plus tôt ! Avant qu'il ne partît, tout à
l'heure, reprendre son auto. Mais peut-être avait-il laissé cette lettre dans la poche de sa veste pour
qu'elle la découvrît ; il savait qu'elle s'occupait toujours de ranger ses habits. Si seulement, alors,
elle s'était attaquée à cette veste plus tôt !
Je sais que chez toi, dans ta famille, on ne divorce pas.
Non, en effet ! Et c'était d'ailleurs pour ces mêmes raisons « à la con » qu'elle l'avait épousé. Il
était de ces filles, comme elle, que la famille, au prétexte de la protection et des bonnes idées,
empêchait de toute liberté. Mais Dieu, pourquoi ne l'avais-tu pas envoyée dans un orphelinat ?
Elle relit l'extrait :
Je sais que chez toi, dans ta famille, on ne divorce pas.
C'était insupportable ! Ses parents n'auraient pas admis qu'elle divorçât d'un infidèle, certes ; mais
d'un cas comme celui-là ? D'un fou ! D'un monstre ! Du diable ! Oui, Éric, tu étais le diable ! Dix
ans d'enfer, des mois d'insomnies à penser à un assassinat pour quoi ? Pour découvrir qu'elle aurait
pu divorcer de ce taré ! Bien sûr que Papa aurait accepté le divorce. Il l'aurait même prononcé lui-
même si la loi l'y avait autorisé.
Ma petite Louise,
Ce brouillon était insupportable. Elle le roula, aurait aimé avoir une cheminée pour le regarder
tomber dans les flammes et noircir quelques instants avant de disparaître en cendres. Des cendres
grises, comme sa vie. Et des braises oranges et rouges pour se rappeler des moments de colères
qu'elle avait étouffés. Pourtant, si elle s'était laissée aller, qu'aurait-elle risqué ? Crime passionnel :
elle serait libre aujourd'hui. Libre, amoureuse, avec un avenir ! Comme le temps passait vite !
Pourquoi s'était-elle donc toujours contenue ? Un coup de sang et hop, terminé, fini, la vie qu'elle
avait menée jusqu'ici, cet enfer insupportable ! Cet enfer qui allait durer encore et encore, avec
Antoine, maintenant. Ce pauvre Antoine qui croyait qu'elle l'aimait, plus que tout, tellement qu'elle
lui avait demandé de tuer son mari. Et à cette heure-ci, il l'avait sûrement tué. Ce brouillon lui avait
fait oublier qu'elle était veuve, désormais. Enfin, certainement veuve. Et justement, on sonna. La
panique la gagna. Et si Antoine n'avait pas respecté le contrat, s'il avait cédé au besoin de la voir ?
Elle se dirigea vers la porte d'entrée, affolée. Tira le verrou. Deux hommes attendaient, l'un d'eux
tendit quelque chose. C'était la police. Le soulagement la gagna et dans ce relâchement, le bout de
papier lui glissa des mains.

Une lettre d'adieu © Richard Patrosso


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