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Poésie – Œuvre intégrale : Alcools – Textes bac 15, 16 et 17

Guillaume APOLLINAIRE, Alcools (1913)

ZONE

A la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes


La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme


L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventure policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers

J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom


Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des Ternes
Poésie – Œuvre intégrale : Alcools – Textes bac 15, 16 et 17

LA CHANSON DU MAL-AIME MARIE

Un soir de demi-brume à Londres Vous y dansiez petite fille


Un voyou qui ressemblait à Y danserez-vous mère-grand
Mon amour vint à ma rencontre C'est la maclotte qui sautille
Et le regard qu’il me jeta Toutes les cloches sonneront
Me fit baisser les yeux de honte Quand donc reviendrez-vous Marie

Je suivis ce mauvais garçon Les masques sont silencieux


Qui sifflotait mains dans les poches Et la musique est si lointaine
Nous semblions entre les maisons Qu'elle semble venir des cieux
Onde ouverte de la Mer Rouge Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Lui les Hébreux moi Pharaon Et mon mal est délicieux

Que tombent ces vagues de briques Les brebis s'en vont dans la neige
Si tu ne fus pas bien aimée Flocons de laine et ceux d'argent
Je suis le souverain d’Égypte Des soldats passent et que n'ai-je
Sa sœur-épouse son armée Un cœur à moi ce cœur changeant
Si tu n’es pas l’amour unique Changeant et puis encor que sais-je

Au tournant d’une rue brûlant Sais-je où s'en iront tes cheveux


De tous les feux de ses façades Crépus comme mer qui moutonne
Plaies du brouillard sanguinolent Sais-je où s'en iront tes cheveux
Où se lamentaient les façades Et tes mains feuilles de l'automne
Une femme lui ressemblant Que jonchent aussi nos aveux

C’était son regard d’inhumaine Je passais au bord de la Seine


La cicatrice à son cou nu Un livre ancien sous le bras
Sortit saoule d’une taverne Le fleuve est pareil à ma peine
Au moment où je reconnus Il s'écoule et ne tarit pas
La fausseté de l’amour même Quand donc finira la semaine

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