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Objet d’étude 

:La poésie du XIXème au XXIème siècle

Œuvre intégrale : Apollinaire, Alcools, 1913

Texte n°1 : « Zone » (vers 1 à 24)

1 À la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes


5 La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation 1

Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme


L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X 2
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
10 D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut

Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux


Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers

15 J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom


Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
20 Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J’aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes.

1 Premier aérodrome organisé au monde, situé à Viry-Châtillon, inauguré en 1909.


2 Pape de 1903 à 1914, il aurait béni un aviateur du nom d’André Beaumont, vainqueur de la course Paris-Rome en
1912.
Objet d’étude :La poésie du XIXème au XXIème siècle

Œuvre intégrale : Apollinaire, Alcools, 1913

Texte n°2 : « Rhénanes », « Mai »

1 Le mai le joli mai en barque sur le Rhin


Des dames regardaient du haut de la montagne
Vous êtes si jolies mais la barque s’éloigne
Qui donc a fait pleurer les saules riverains ?

5 Or des vergers fleuris se figeaient en arrière


Les pétales tombés des cerisiers de mai
Sont les ongles de celle que j’ai tant aimée
Les pétales flétris sont comme ses paupières

Sur le chemin du bord du fleuve lentement


10 Un ours un singe un chien menés par des tziganes
Suivaient une roulotte traînée par un âne
Tandis que s’éloignait dans les vignes rhénanes
Sur un fifre lointain un air de régiment

Le mai le joli mai a paré les ruines


15 De lierre de vigne vierge et de rosiers
Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers
Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes
Objet d’étude :La poésie du XIXème au XXIème siècle

Œuvre intégrale : Apollinaire, Alcools, 1913

Texte n°3 : « La chanson du mal aimé »,


(cinq dernières strophes de « Voie lactée ô sœur lumineuse... »)

1 Juin ton soleil ardente lyre


Brûle mes doigts endoloris
Triste et mélodieux délire
J’erre à travers mon beau Paris
5 Sans avoir le cœur d’y mourir

Les dimanches s’y éternisent


Et les orgues de Barbarie
Y sanglotent dans les cours grises
Les fleurs aux balcons de Paris
10 Penchent comme la tour de Pise

Soirs de Paris ivres du gin


Flambant de l’électricité
Les tramways feux verts sur l’échine
Musiquent au long des portées
15 De rails leur folie de machines

Les cafés gonflés de fumée


Crient tout l’amour de leurs tziganes
De tous leurs siphons enrhumés
De leurs garçons vêtus d’un pagne
20 Vers toi toi que j’ai tant aimée

Moi qui sais des lais pour les reines


Les complaintes de mes années
Des hymnes d’esclave aux murènes
La romance du mal aimé
25 Et des chansons pour les sirènes
Objet d'étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

Parcours associé : Modernité poétique ?

Texte n°1 : Blaise Cendrars (1887-1961), La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France , 1913

(...)
1 Paris a disparu et son énorme flambée
Il n'y a plus que les cendres continues
La pluie qui tombe
La tourbe qui se gonfle
5 La Sibérie qui tourne
Les lourdes nappes de neige qui remontent
Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l'air bleui
Le train palpite au cœur des horizons plombés
Et ton chagrin ricane...

10 "Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"

Les inquiétudes
Oublie les inquiétudes
Toutes les gares lézardées obliques sur la route
Les fils télégraphiques auxquels elles pendent
15 Les poteaux grimaçants qui gesticulent et les étranglent
Le monde s'étire s'allonge et se retire comme un accordéon qu'une main sadique tourmente
Dans les déchirures du ciel les locomotives en folie s'enfuient
Et dans les trous
Les roues vertigineuses les bouches les voies
20 Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses
Les démons sont déchaînés
Ferrailles
Tout est un faux accord
Le broun-roun-roun des roues
25 Chocs
Rebondissements
Nous sommes un orage sous le crâne d'un sourd...

"Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"


(...)
Objet d'étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle

Parcours associé : Modernité poétique ?

Texte n°2 : Francis Ponge, (1899-1988), Le parti pris des choses, 1942

Le Cageot

1 À mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple caissette à


claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr
une maladie.

Agencé de façon qu’au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas
5 deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu’il
enferme.

À tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit alors de l’éclat sans vanité du
bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d’être dans une pose maladroite à la
voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathiques, — sur le sort
10 duquel il convient toutefois de ne s’appesantir longuement.

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