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LE PLAN MENTAL

Par Mgr Charles Webster LEADBEATER (1854-1934) — 1896

Titre original : The Devachanic Plane

Traduit de l'anglais

Original : Éditions Adyar — 2009

1ère édition française : 1906

Droits : domaine public

Édition numérique finalisée par GIROLLE (www.girolle.org) — 2019

Remerciements à tous ceux qui ont contribué


aux différentes étapes de ce travail
NOTE DE L'ÉDITEUR NUMÉRIQUE

L'éditeur numérique a fait les choix suivants quant aux livres publiés :
- Seul le contenu du livre à proprement parler a été conservé,
supprimant toutes les informations en début ou en fin de livre
spécifiques à l'édition de l'époque et aux ouvrages du même
auteur.
- Le sommaire de l'édition papier originale a été supprimé sauf dans
certains ouvrages où le sommaire, sous forme de liens hypertextes
renvoyant au chapitre concerné, est thématique − sommaire
rappelé en tête de chapitre.
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car renvoyant à des informations désuètes ou inutiles.
- L'orthographe traditionnelle ou de l'époque a été remplacée par
l'orthographe rectifiée de 1990 validée par l'académie française.
LIVRE

[9]

PRÉFACE

Quelques mots suffiront pour présenter ce petit ouvrage au lecteur :


c'est le sixième d'une série de manuels rédigés à la demande générale afin
de présenter sous une forme simple les enseignements théosophiques.
Quelques personnes se sont plaintes de ce que notre littérature fût à la fois
trop abstraite, trop technique et d'un prix trop élevé pour le lecteur
ordinaire. Nous espérons que la présente série pourra répondre à un très
réel besoin. La Théosophie n'est pas seulement pour les savants : elle est
pour tous. Parmi les lecteurs qui, dans ces pages, se trouveront pour la
première fois en présence des enseignements théosophiques, quelques-uns
peut-être seront tentés d'approfondir ses aspects philosophiques,
scientifiques et religieux et en aborderont les problèmes plus difficiles,
animés d'un zèle studieux et d'une ardeur de néophyte. Mais ces manuels
ne s'adressent pas uniquement à l'étudiant plein d'ardeur que nulle
difficulté initiale ne rebute : ils ont été écrits pour les hommes et les
femmes engagés dans leur vie [10] de tous les jours. Leur but est
d'expliquer quelques-unes des grandes vérités qui rendent l'existence plus
facile à supporter et la mort plus facile à affronter. Écrits par les
serviteurs de ces Maitres qui sont les Frères Ainés de notre race, ils ne
peuvent avoir d'autre objet que de servir nos semblables.
[11]

AVANT-PROPOS

Dans le manuel précédent 1, nous avons essayé de décrire, jusqu'à un


certain point, le plan astral, région inférieure de cet immense monde
invisible dans lequel nous vivons sans nous en douter. Dans ce petit livre
nous allons entreprendre la tâche, plus ardue, de donner une idée
approximative du niveau immédiatement au-dessus, c'est-à-dire du plan
mental ou monde céleste, souvent appelé dans notre littérature
théosophique le plan du Dévakhane, ou Soukhâvati.

Si nous appelons ce plan le monde céleste et si, par-là, nous voulons


donner à entendre qu'il contient la réalité servant de base à toutes les
représentations les plus élevées et les plus spirituelles qu'en ont formées
les différentes religions, il faut éviter de l'envisager uniquement ainsi. Car
il s'agit d'un royaume naturel à part entière, dont l'importance est extrême
pour [12] nous : un monde immense et magnifique, animé d'une vie
intense. Nous y vivons en ce moment, tout comme nous y passons chaque
période entre deux incarnations physiques. Notre manque de
développement et les limitations imposées par notre vêtement de chair
nous empêchent de comprendre pleinement que toute la gloire du ciel
suprême nous entoure ici et maintenant, et que l'influence répandue par le
monde céleste agit constamment sur nous ; à nous de la comprendre et de
la recevoir. Pour l'homme ordinaire ceci peut sembler impossible ; pour
l'occultiste c'est une réalité indéniable. À ceux qui n'ont pas encore saisi
cette vérité fondamentale, nous ne pouvons que répéter le conseil donné
par l'instructeur bouddhiste :
"Ne vous répandez pas en plaintes, en larmes et en
prières, mais ouvrez les yeux et regardez. La lumière
vous entoure ; vous la verriez si vous arrachiez le
bandeau et regardiez autour de vous. Elle est si
merveilleuse, si belle, et dépasse tellement tous les rêves
et toutes les prières humaines ! Et elle existe pour
l'éternité."

1
Le Plan Astral.
Pour l'étudiant en Théosophie, il est absolument nécessaire de bien
saisir cette grande vérité, qu'il existe dans la nature différents plans ou
divisions ; chacun possède une densité de matière qui lui est propre,
laquelle s'interpénètre toujours avec celle du plan immédiatement
inférieur. Il faut bien comprendre aussi que les expressions "supérieur" et
"inférieur" que nous appliquons à ces plans, ne se rapportent pas à leur
position (puisqu'ils occupent tous le "même" espace), mais seulement à la
densité de [13] leurs matières respectives ou, en d'autres termes, aux
subdivisions de cette matière. En effet, tous les types de matière connus
sont essentiellement identiques, et ne diffèrent que par leur degré de
subdivision et leur vitesse vibratoire.

Dire d'un homme qu'il passe d'un de ces plans à un autre, n'implique
donc jamais qu'il effectue un mouvement dans l'espace (de notre plan
physique), mais signifie simplement qu'une modification de sa conscience
a lieu. Tout homme possède en effet en lui de la matière propre à chacun
de ces plans et, pour chacun d'eux, un véhicule correspondant qu'il pourra
employer après en avoir appris l'usage. Passer d'un plan à un autre signifie
par conséquent transférer le foyer de la conscience d'un véhicule à un autre
et employer tantôt le corps astral ou le corps mental au lieu du corps
physique. Puisque chacun de ces corps ne répond naturellement qu'aux
vibrations de son propre plan. Si donc un homme "centre" sa conscience
sur son corps astral, il ne percevra que le monde astral – tout comme nous
ne percevons que ce monde physique-ci quand notre conscience n'emploie
que les sens physiques. Néanmoins, ces deux mondes (et bien d'autres
encore) existent, pleinement actifs en permanence tout autour de nous.
L'ensemble de ces plans constitue, en réalité, un tout immense et vivant,
même si nos maigres facultés ne peuvent en observer à chaque fois qu'une
infime partie.

Lorsque l'on évoque la localisation de ces plans et leur


interpénétration, il faut se garder de toute [14] méprise. Comprenons bien
qu'aucun des trois plans inférieurs du système solaire ne peut être
équivalent – dans l'espace et dans le temps – à l'étendue du système solaire
lui-même (sauf pour un état particulier de leur subdivision la plus élevée,
dite atomique). Chaque globe physique possède son propre plan physique
(atmosphère incluse), son propre plan astral et son propre plan mental, ces
trois s'interpénétrant mutuellement et occupant donc dans l'espace une
position identique. Mais les plans de ce globe restent entièrement séparés
de ceux d'un globe différent, sans jamais communiquer avec eux. C'est
seulement lorsque l'on parvient à la noblesse du plan bouddhique que nous
trouvons un état commun à toutes les planètes de notre chaine (sinon au-
delà).

Cependant, comme nous l'avons dit plus haut, chacun de ces trois
plans possède un état de matière dit atomique, lequel s'étend à l'échelle
cosmique : de sorte que les sept sous-plans atomiques de notre système
solaire (isolés des autres sous-plans, donc) peuvent être considérés comme
un unique plan "cosmique" – soit le niveau le plus bas de celui-ci, appelé
parfois le plan cosmique prâkritique.

L'éther interplanétaire, par exemple, qui semble s'étendre à l'ensemble


de l'espace (ce qui est probable, au moins pour les étoiles visibles les plus
lointaines : sinon nos yeux physiques ne pourraient pas les percevoir) est
constitué d'atomes physiques sous leur forme ultime, et constitue leur état
"normal" et "non condensé". Les formes inférieures et plus [15] complexes
de l'éther, quant à elles, n'apparaissent qu'avec les différents corps célestes
(pour ce que l'on en sait actuellement) ; ces formes s'agrègent autour de ces
corps célestes comme le font leurs atmosphères respectives, quoiqu'en
s'éloignant probablement bien davantage de leur surface.

Il en va exactement de même pour les plans astral et mental. Le plan


astral de notre propre Terre interpénètre cette dernière comme son
atmosphère, tout en s'étendant sensiblement au-delà (le lecteur se
souviendra que les Grecs nommaient ce plan le monde sublunaire). À son
tour, le plan mental interpénètre le plan astral, mais s'étend lui aussi plus
loin dans l'espace que ne le fait le second.

Seul le niveau de matière dit atomique propre à chacun de ces plans


peut s'assimiler avec la matière de l'éther interplanétaire – et encore faut-il
qu'il soit entièrement "non condensé" et libre. De sorte que dans notre
propre chaine planétaire, un homme ne pourra passer d'une planète à une
autre ni dans son corps astral, ni dans son corps mental, ni même dans son
corps physique. Le corps causal, lorsque celui-ci est très développé,
permet d'y parvenir ; mais même alors, cela reste plus difficile et plus lent
qu'en agissant sur le plan bouddhique – pour ceux qui ont réussi à élever
leur conscience aussi haut. [16]
Illustration 1 – Les sept globes de notre chaine planétaire

Une bonne compréhension de ces faits évitera les erreurs que font
parfois les étudiants, confondant le plan mental de notre propre Terre avec
ceux des autres globes de notre chaine planétaire – lesquels existent, quant
à eux, sur le plan mental. Retenons que les sept globes de notre chaine sont
de véritables globes, occupant des positions déterminées et distinctes dans
l'espace, bien que certains d'entre eux ne soient pas sur le plan physique
(cf. illustration [17] 1). Les globes A, B, F et G sont séparés de nous et
séparés entre eux, tout comme le sont Mars et la Terre. La seule différence
est celle-ci : Mars et la Terre ont des plans physique, astral et mental qui
leur appartiennent en propre, tandis que les globes B et F n'ont rien
d'inférieur au plan astral, quand les globes A et G n'ont rien d'inférieur au
plan mental. Le plan astral étudié précédemment et le plan mental que
nous étudions ici ne valent que pour notre "propre" Terre et ne s'appliquent
en aucun cas aux autres planètes.

Le plan mental, sur lequel se déroule la vie céleste, est le troisième des
cinq grands plans qui, pour le moment, intéressent l'humanité ; au-dessous
de lui on trouve les plans astral puis physique, et au-dessus de lui les plans
bouddhique et nirvânique. C'est le plan sur lequel l'homme, à moins d'en
être encore aux débuts de son développement, passe le plus clair du temps
de son processus évolutif. En effet, sauf dans le cas d'une involution totale,
la durée de la vie physique va rarement au-delà d'un vingtième de la vie
céleste – et lorsqu'il s'agit de personnes correctement avancées, cette durée
en dépasse rarement un trentième. Car le plan mental constitue en fait la
demeure véritable et permanente de l'égo réincarné – ou âme humaine –
chaque incarnation ne constituant qu'un bref mais important épisode dans
sa propre vie. C'est pourquoi l'étude de la vie céleste mérite qu'on [18] lui
consacre tout le temps et l'attention nécessaires, afin qu'on la comprenne
au mieux pendant la durée de notre confinement dans le corps physique.

Malheureusement les difficultés sont à peu près insurmontables pour


qui voudrait tenter de mettre des mots sur ce qu'est ce troisième plan de la
Nature, – et cela est assez naturel, puisque sur notre plan physique lui-
même, le plus bas de tous, les mots manquent souvent pour exprimer nos
idées et nos sentiments. Les lecteurs du Plan Astral se souviendront de ce
qui y était dit : qu'il est impossible de donner une idée suffisante de ses
merveilles à ceux dont l'expérience n'a pas encore dépassé le monde
physique. Or ces observations-là s'appliquaient au monde astral – et elles
se trouvent être dix fois plus justes appliquées aux efforts à venir pour
décrire le plan suivant, objet de ce livre. Non seulement la matière que
nous devons essayer de décrire est plus éloignée que la matière astrale l'est
de celle que nous connaissons, mais le niveau de conscience propre à ce
plan est tellement plus vaste que tout ce que l'on peut imaginer ici-bas (et
elle repose sur des principes si différents) que l'explorateur appelé à
traduire ses impressions en langage ordinaire se trouve bien embarrassé.
L'explorateur pourra seulement s'en remettre à l'intuition de ses lecteurs
pour qu'elle vienne combler les inévitables lacunes de sa description.

Pour ne donner de nos difficultés qu'un exemple entre mille, il semble


que, sur ce plan mental, le temps et l'espace n'existent pas ; car les
évènements qui, sur le plan physique, se déroulent successivement et à
[19] distance les uns des autres, paraissent se produire ici simultanément et
au même endroit. Tel est, du moins, l'effet produit sur la conscience de
l'égo, car la simultanéité absolue pourrait être – selon certains éléments –
l'attribut d'un plan plus élevé encore. Auquel cas l'impression de
simultanéité ressentie ici, sur le plan mental, ne serait due qu'à la vitesse
extrême à laquelle les évènements s'enchainent, comme dans l'expérience
d'optique bien connue consistant à faire tourner en cercle un bâton à
l'extrémité incandescente. Si ce bâton fait plus de dix tours par seconde,
l'œil percevra un cercle enflammé continu. L'anneau perçu est une illusion
due à l'incapacité de l'œil humain de discerner des images successives trop
rapprochées, avec des intervalles de temps inférieurs à un dixième de
seconde.

En tout état de cause, le lecteur comprendra sans peine qu'en essayant


de décrire un niveau de réalité aussi parfaitement différent de la vie
physique, certaines choses paraitront nécessairement en partie
incompréhensibles, voire tout à fait incroyables à ceux qui n'auront pas fait
l'expérience personnelle de la vie supérieure. C'est là, comme je l'ai dit,
une conséquence inévitable. Aussi les lecteurs qui ne pourront ajouter foi
aux affirmations de nos investigateurs devront-ils simplement attendre
qu'une description plus satisfaisante leur soit donnée du monde céleste, en
attendant le jour où ils pourront l'étudier personnellement. Je ne puis
qu'affirmer de nouveau, comme je l'ai fait dans le Plan Astral, que toutes
les précautions possibles ont été prises pour [20] en assurer l'exactitude.
Dans l'un et l'autre cas nous pouvons dire ceci : "Aucun fait, ancien ou
nouveau, n'a été admis par nous dans cet ouvrage qui n'ait été confirmé par
le témoignage d'au moins deux de nos investigateurs exercés et
indépendants, témoignage corroboré, de plus, par celui d'étudiants plus
avancés et par conséquent beaucoup plus expérimentés que nous-mêmes
sur ces questions. Nous espérons donc que ce compte-rendu, bien
qu'incomplet encore, sera néanmoins considéré comme digne de foi, en
tout état de cause."

La division générale du manuel précédent sera, autant que possible,


reprise dans le présent ouvrage ; le lecteur pourra donc, s'il le désire,
comparer les deux plans, étape par étape. L'intitulé "Paysage" du précédent
livre, est cependant peu approprié au plan mental, comme nous le verrons
plus loin ; aussi le remplacerons-nous par le titre qui suit.
[21]

CHAPITRE PREMIER

CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES

Pour aborder ce sujet extrêmement difficile, peut-être que la moins


mauvaise méthode sera de l'aborder in medias res et d'essayer, bien que cet
effort soit condamné d'avance, de décrire ce qu'y voit l'élève ou l'étudiant
entrainé lorsque le monde céleste s'ouvre à lui pour la première fois.
J'emploie le terme d'élève en connaissance de cause, car faute d'être
accompagné par l'un des Maitres de Sagesse, il est peu probable d'accéder
conscient à cette glorieuse terre de béatitude, puis de revenir ici-bas avec
le souvenir précis de ce qui y a été vu. C'est pourquoi nul "esprit"
complaisant ne vient du monde céleste pour débiter des platitudes par
l'intermédiaire du médium professionnel ; jamais aucun clairvoyant
ordinaire ne s'élève aussi haut, bien qu'il soit arrivé que les meilleurs et les
plus purs y aient pénétré, dans des moments de sommeil très profond, où
ils échappaient à leurs magnétiseurs ; encore, dans ce cas, en ont-ils
rarement rapporté autre chose que le souvenir indistinct d'un bonheur
profond mais indescriptible, [22] fortement coloré, en général, par leurs
convictions religieuses personnelles.

Quand l'âme désincarnée, se retirant en elle-même après ce que nous


appelons la mort, atteint le plan mental, ni les pensées anxieuses de ses
amis désolés, ni les charmes des cercles spirites ne peuvent plus la relier à
la terre physique. Mais lorsque les forces spirituelles mises en mouvement
durant sa dernière existence se seront entièrement déchargées, l'égo se
tiendra prêt, une fois de plus, à revêtir une nouvelle enveloppe de chair.
D'ailleurs pourrait-il revenir ici-bas, que le récit de ses expériences ne nous
donnerait du monde céleste aucune idée véritable. Comme nous le verrons
plus loin, il faut y entrer en pleine conscience et complètement éveillé,
pour pouvoir y circuler librement et se laisser pénétrer par la gloire et la
beauté merveilleuse dont il peut faire preuve. Tout ceci sera d'ailleurs
expliqué d'une manière plus complète quand nous parlerons des habitants
de ce monde céleste.
UNE BELLE DESCRIPTION

Un occultiste éminent écrivait, il y a déjà longtemps, les lignes


suivantes ; elles furent citées de mémoire. Je n'ai jamais pu découvrir leur
origine, bien qu'il existe dans Catena of Buddhist Scriptures de Beal, p.
378, un passage qui semble en être une version différente et beaucoup plus
longue : [23]
"Bouddha, notre Seigneur, a dit : — Séparé de nous par
des milliers de myriades de systèmes solaires, il existe un
séjour de béatitude nominé Soukhâvati. Les Tathâgatas
gouvernent et les Bodhisattvas possèdent ce saint asile
des Arhats. Cette région est entourée de sept enceintes
de barrières, de sept épaisseurs de vastes rideaux, de
sept rangées d'arbres qui se balancent au vent ; elle
possède sept lacs précieux, au centre desquels jaillissent
des eaux cristallines, dont les propriétés et les qualités
sont au nombre de sept et pourtant n'en forment qu'une
seule. O Sâripoutra, c'est le Dévakhane. Sa divine fleur
d'Oudambara plonge une racine dans l'ombre de toute
terre et s'épanouit pour tous ceux qui l'atteignent. Ils
sont vraiment heureux, les hommes nés dans cette région
bénie, qui ont franchi le pont d'or et atteint les sept
montagnes d'or ; pour eux, dans le cycle présent, il n'y a
plus ni deuil ni chagrin."

Dans cet extrait, nous discernerons sans peine quelques-unes des


principales caractéristiques qui réapparurent de façon récurrente dans les
comptes-rendus de nos chercheurs modernes, mais voilés ici par les
superbes images allégoriques propres à l'Orient. Les "sept montagnes d'or"
ne peuvent être que les sept subdivisions du plan mental, séparées entre
elles par des barrières impalpables, mais cependant aussi réelles et
tangibles que s'il se trouvait là "sept enceintes de barrières, sept épaisseurs
de vastes rideaux, sept rangées d'arbres qui se balancent au vent". Chacune
des sept espèces d'eau cristalline, avec ses propriétés et ses qualités
particulières, figure respectivement un pouvoir et un état de l'esprit ; tandis
que la qualité unique et commune aux sept [24] espèces d'eau confère à ses
bénéficiaires la plus haute béatitude qu'ils puissent éprouver. Sa fleur, en
effet, "plonge dans l'ombre de toute terre" : l'homme pénètre dans le ciel
du monde qui lui correspond, et le bonheur, qu'aucune langue ne saurait
décrire, est la fleur qui s'épanouit pour tous ceux qui vécurent de façon à
être dignes d'y accéder. Car ils ont "franchi le pont d'or" jeté sur le fleuve
qui sépare le monde céleste du monde des désirs ; pour eux, la lutte entre
le noble et le vil s'achève, il n'y a donc plus pour eux "ni deuil ni chagrin
dans le cycle présent" ; jusqu'à ce que, une fois de plus, l'homme revête un
corps nouveau et abandonne encore, pour un temps, le monde céleste.

LA BÉATITUDE DU MONDE CÉLESTE

Pour se représenter ce qu'est le monde céleste, la première et grande


idée que nous devons avoir à l'esprit est celle de l'intense félicité qui y
règne. Il s'agit ici non seulement d'un monde dont la nature même ne laisse
point de place au mal et à la douleur et où toutes les créatures sont
heureuses, mais d'une réalité qui va encore bien au-delà.

C'est un monde où chaque être, de par sa présence même, ne peut que


gouter à la plus haute béatitude spirituelle dont il est capable : un monde
dont les limites ne se forment que sur celles de ses propres aspirations.
[25]

Ici pour la première fois nous comprenons, jusqu'à un certain point, ce


que peut être la véritable nature de la grande Source de la Vie ; nous
entrapercevons de loin ce que doit être le Logos et ce qu'Il nous appelle à
devenir. Et quand la réalité prodigieuse de ce tout fait irruption dans notre
vision stupéfiée, on ressent qu'avec une telle connaissance de la vérité, la
vie ne nous apparaitra plus jamais de la même façon. Comment, dès lors,
constater sans stupéfaction l'insuffisance absolue du bonheur tel que
l'homme du monde se le représente ? Bien plus : nous sommes forcés de
reconnaitre que ses idées, sur ce point, sont des contresens absurdes et ne
se réaliseront jamais et que, le plus souvent, l'homme tourne tout à fait le
dos au but qu'il voudrait atteindre. Mais ici enfin règnent la vérité et la
beauté, laissant très loin derrière elles tous les rêves des poètes et, face au
rayonnement de leur gloire sans pareil, les autres joies semblent ternes,
pâles, irréelles et peu satisfaisantes.

Nous reviendrons plus loin sur certains de ces points ; soulignons


seulement ici ce sentiment merveilleux qu'éprouve immédiatement celui
qui entre dans le monde céleste : l'heureuse absence de tout mal et de tout
désaccord, mais également la présence constante et extraordinaire d'une
joie universelle. Ce sentiment subsistera tant que l'observateur y demeure.
Quelle que soit la tâche entreprise, quels que soient les moyens par
lesquels il accroit son exaltation spirituelle à mesure qu'il découvre ce
monde nouveau, la félicité étrange, indescriptible, inexprimable que
procure la présence dans un tel royaume transcende [26] tout – une joie
due à toutes les joies des autres, qui ne le quitte jamais. Rien ici-bas n'y
ressemble ; rien ne saurait en donner une idée. Supposez, si vous le
pouvez, la vie exubérante de l'enfant transportée dans nos expériences
spirituelles, rendue des milliers de fois plus intense – peut-être obtiendrez-
vous ainsi une vague, une faible idée de la réalité. Encore une comparaison
de ce genre est-elle d'une insuffisance pitoyable pour décrire ce qui
transcende toute parole : cette formidable vitalité spirituelle du monde
céleste.

Une des manifestations de cette vitalité intense est la vitesse vibratoire


extrême des particules et des atomes propres au plan mental. Nous
connaissons tous ce postulat théorique selon lequel le plan physique lui-
même n'est constitué que de particules de matière en mouvement perpétuel
– quand bien même celles-ci forment à leur tour les corps atomiques les
plus denses. Mais cela cesse d'être une simple théorie scientifique lorsque
l'ouverture à la vision astrale vient la confirmer : devenant une réalité
permanente et concrète, nous comprenons l'universalité de la vie – d'une
façon et dans des proportions totalement inimaginables auparavant. Notre
horizon mental s'élargit et déjà nous entrevoyons dans la nature des
possibilités dignes, pour tous ceux qui n'y accèdent pas, des rêves les plus
extravagants.

Si le développement de la simple vue astrale entraine de tels résultats


quand on l'applique à la matière physique dense, essayez d'imaginer l'effet
produit sur le mental d'un observateur quand – ayant dépassé notre plan
physique pour étudier en détail la vie bien plus [27] intense et les
vibrations infiniment plus rapides du plan astral – il voit s'ouvrir en lui un
sens nouveau et transcendant, qui déroule à ses yeux ravis un monde
nouveau, encore supérieur au précédent. Un monde par-delà l'autre, dont la
vitesse vibratoire est à celle du monde physique ce que la vitesse de la
lumière est à la vitesse du son. Un monde où la vie omniprésente, palpitant
sans cesse autour de l'observateur et en lui-même, est d'un ordre
entièrement différent et, pour ainsi dire, élevée à une puissance infiniment
plus grande.
UN NOUVEAU MODE DE CONNAISSANCE

Le sens même qui rend ces constatations possibles n'est pas la


moindre merveille de ce monde céleste. L'observateur n'entend, ne voit et
n'éprouve plus à partir d'organes distincts et limités, comme il le fait ici-
bas ; il ne possède pas davantage la vue et l'ouïe prodigieusement
développées dont il était doué sur le plan astral. À leur place, il sent la
présence intérieure d'un pouvoir étrange et nouveau qui n'est aucun des
sens astrals mais qui les comprend tous et leur est très supérieur. Ce
pouvoir lui permet, dès qu'il est en présence d'un être humain ou d'un objet
quelconque, non seulement de le voir et de l'entendre, mais encore de le
connaitre instantanément, à l'intérieur et à l'extérieur, ainsi que ses
origines, ses effets et ses possibilités – tout au moins en ce qui concerne le
plan mental et les [28] plans au-dessous. L'observateur découvre que
penser et comprendre ne font qu'un. Jamais de doute, d'hésitation, ni de
lenteur dans l'action directe de ce sens supérieur. Pense-t-il à un endroit, il
s'y trouve – à un ami, son ami est en sa présence. Pour lui plus de
malentendu possible. Comment pourrait-il être déçu ou trompé par aucune
apparence extérieure, puisque, sur ce plan, il lit comme à livre ouvert
chacune des pensées, chacun des sentiments de son ami ?

S'il a le bonheur de compter parmi ses amis une personne dont le sens
supérieur soit éveillé, leur union sera d'une perfection impossible à
comprendre ici-bas. Pour eux, plus de distance ni de séparation ; leurs
sentiments ne sont plus cachés, ni partiellement exprimés en mots
insuffisants ; questions et réponses sont inutiles, car les images mentales se
lisent dès qu'elles se forment et l'échange des idées est aussi rapide que
leur apparition lumineuse dans le champ intellectuel.

Toutes les branches du savoir s'ouvrent à leurs recherches – du moins


tout ce qui n'est pas supérieur à ce plan déjà si élevé ; ils accèdent au passé
de notre terre comme à son présent ; les archives indélébiles constituant la
mémoire de la nature sont toujours à leur portée et l'histoire, ancienne ou
moderne, se déroule quand ils le veulent devant eux. Ils ne sont plus à la
merci de l'historien qui, souvent mal informé, est forcément plus ou moins
partial ; ils peuvent, par eux-mêmes, étudier tel évènement qui les
intéresse, avec la certitude absolue de ne voir que "la vérité, toute la vérité
et rien que la [29] vérité". Sont-ils conscients sur les niveaux supérieurs du
plan mental, l'enchainement de leurs vies passées se déroule devant eux
comme un parchemin déroulé ; ils voient les causes karmiques de leur
situation présente ; ils discernent le karma qui les attend encore, qu'ils
devront épuiser pour que "le long et triste compte puisse être clos" ; ils
peuvent ainsi déterminer avec une certitude infaillible leur place exacte
dans l'évolution.

Au lecteur qui me demanderait si l'avenir se lit aussi clairement que le


passé, je répondrais par la négative, car cette faculté appartient à un plan
plus élevé. Si, sur le plan mental, il est possible, dans une grande mesure,
de prévoir les évènements, la prévision n'y est point parfaite. Car à chaque
fois que la main de l'homme évolué intervient dans la trame du destin, sa
puissante volonté peut introduire des fils de possibilités nouvelles et
modifier le cadre de la vie à venir. Le parcours d'un homme moyen, peu
évolué spirituellement et presque dépourvu d'une volonté digne de ce nom,
sera souvent assez nettement prévisible ; mais lorsque l'égo prend en main
son avenir avec assurance, toute prévision exacte devient impossible. [30]

LE MILIEU

Les premières impressions éprouvées par l'étudiant lorsqu'il pénètre,


pleinement conscient, dans le plan mental, sont donc, habituellement, un
bonheur intense, une vitalité indescriptible, une force prodigieusement
accrue et la confiance parfaite qui en résulte. Que voit-il quand, mettant en
jeu ses facultés nouvelles, il étudie le milieu où il est placé ? Il se trouve
immergé dans ce qui lui semble être tout un univers de lumières, de
couleurs et de sons toujours changeants, que ses rêves les plus
extraordinaires n'auraient pu imaginer. En vérité, d'ici-bas les gloires du
monde céleste sont des choses "que l'œil n'a point vues, que l'oreille n'a
point entendues et qui ne sont point venues dans l'esprit de l'homme" 2, et
celui qui en a fait une seule fois l'expérience regardera désormais le monde
d'un œil très différent. Mais cette expérience a si peu de rapport avec nos
connaissances du monde physique qu'en essayant de la décrire par des
mots, l'auteur éprouve un curieux sentiment d'impuissance, étant
absolument incapable, non seulement d'être à la hauteur de sa tâche, car
dès le commencement il en a perdu tout espoir, mais encore de donner la
moindre idée du monde céleste à ceux qui ne l'ont pas eux-mêmes
contemplé. [31]

2
1 Cor., II, 9.
Imaginez-vous vous-même, éprouvant la béatitude profonde et
l'extraordinaire augmentation de force que nous venons de décrire, flottant
dans un océan de lumière vivante, entouré de toutes les variétés de beauté
imaginables – formes et couleurs. Le spectacle se modifie à chacune des
ondes mentales projetées au dehors. À vrai dire – et l'observateur s'en
aperçoit bientôt – ce n'est là que l'expression de sa pensée projetée dans la
matière du plan et dans son essence élémentale : car la nature de cette
matière est en effet identique à celle du corps mental lui-même. Aussi,
quand les particules du corps mental vibrent pour former ce que l'on
nomme une pensée, celle-ci gagne immédiatement les particules
environnantes extérieures et y éveille des vibrations synchrones, tandis
qu'elle se reflète avec une fidélité absolue dans l'essence élémentale. Les
pensées concrètes prennent naturellement la forme de leurs objets ; les
pensées abstraites, au contraire, sont généralement représentées par toutes
sortes de formes géométriques, d'une perfection et d'une beauté extrêmes.
Souvenons-nous pourtant que beaucoup de pensées qui ne sont guère que
de pures abstractions ici-bas deviennent sur ce plan plus élevé des faits
concrets.

On voit ainsi que, dans ce monde plus élevé, toute personne désirant
pendant un temps réfléchir avec calme et s'isoler de tout ce qui l'entoure,
peut littéralement vivre dans son propre monde de façon ininterrompue,
auquel s'ajoute l'avantage de voir toutes ses idées défiler devant lui en une
sorte de panorama – poussées jusqu'à leurs conséquences [32] extrêmes. Si
la personne désire, par contre, étudier le plan où elle se trouve, il lui faudra
y suspendre très soigneusement toute activité mentale, afin qu'aucune
émission de pensée ne vienne affecter la matière très réactive qui
l'environne, ce qui corromprait les conditions de son étude.

Gardons-nous de confondre cette suspension de l'activité mentale avec


le vide mental auquel visent tant de pratiques du Hatha Yoga. Car lorsque
le mental crée un état de vide, il est réduit à un état de passivité absolue,
aucune de ses propres pensées ne s'opposant plus aux influences
extérieures susceptibles de s'en approcher : un état très proche de celui du
médium. Lors de la suspension de l'activité mentale, au contraire, le mental
est aussi éveillé et positif qu'il le peut, se contentant de suspendre
momentanément sa pensée, afin d'empêcher l'équation personnelle de
troubler, par son action intempestive, les observations qu'il se propose de
faire.
Lorsque le visiteur du plan mental parvient à suspendre ainsi sa propre
activité mentale, il s'aperçoit que s'il a cessé d'être lui-même un centre
rayonnant toute cette merveilleuse profusion de lumières, de couleurs et de
sons – choses que j'ai vainement cherché à décrire – ce plan n'a pas pour
cela cessé d'exister : ses harmonies et ses scintillements éclatants sont, au
contraire, plus amples et plus grandioses que jamais. Cherchant alors à
s'expliquer ce phénomène, il réalise progressivement que ces splendeurs,
loin d'être un spectacle secondaire et fortuit – sorte d'aurore boréale du
mental – ont un sens. Un sens qu'il peut lui-même [33] saisir : il constate
bientôt que ce qu'il observe avec un tel ravissement est simplement le
merveilleux langage en couleurs des Dévas, exprimant les paroles ou les
pensées d'êtres beaucoup plus élevés que lui sur l'échelle de l'évolution.
Par l'expérience et la pratique, il découvre qu'il peut, lui aussi, employer
cette nouvelle et admirable manière de s'exprimer. C'est par cette même
découverte qu'il accède à une autre part de son héritage, située dans ce
monde céleste : la faculté d'y converser avec ses habitants supérieurs à
l'homme et de recevoir leurs enseignements. Nous en reparlerons du reste
plus longuement, quand nous aborderons cette partie de notre sujet.

Le lecteur doit comprendre maintenant pourquoi il était impossible de


consacrer une section de cet ouvrage au "paysage" du plan mental, comme
nous l'avions fait pour le plan astral. En réalité, les seuls paysages du plan
mental sont ceux que chaque individu juge bon de créer par ses propres
pensées – sauf à leur préférer les innombrables entités qui se succèdent
sans cesse devant lui, souvent elles-mêmes d'une beauté sans pareille.
Encore serait-il plus exact de le dire – tant il est difficile d'exprimer en
mots les états de cette vie supérieure – que tous les paysages possibles y
sont réunis ; car toutes les idées que peuvent susciter la beauté de la terre,
du ciel ou de la mer sont présentées dans une plénitude et avec une
intensité défiant toute imagination. Mais ces réalités magnifiques et
vivantes seront perçues par chacun en fonction de ce qu'il peut en saisir –
selon le degré de développement qu'il aura atteint pendant sa vie terrestre
et astrale. [34]
LES GRANDES ONDES

Si le visiteur désire pousser plus loin son analyse et découvrir le plan


mental sans les pensées ou les paroles de ses habitants, il le peut en
formant autour de lui une immense coque, impénétrable à toutes ces
influences ; puis, conservant bien entendu son propre calme mental, il
examine la nature de ce qui se trouve à l'intérieur de la coque formée.

En réalisant cette expérience avec un soin suffisant, il découvrira que


l'océan lumineux est devenu presque homogène, sans être immobile – car
ses particules vibrent avec la même intensité et la même vitesse. Les
merveilleux scintillements de couleur et les changements de forme
continuels ont cessé, mais l'observateur peut maintenant percevoir une
série de pulsations régulières, tout à fait différentes des précédentes, et que
dissimulaient les autres phénomènes plus artificiels.

Ces pulsations sont manifestement universelles, et l'homme ne saurait


s'entourer d'une coque assez résistante pour les arrêter ou les détourner.
Elles ne changent ni de couleur ni de forme, mais se diffusent à travers la
matière du plan mental, avec une irrésistible régularité, dans un
mouvement d'aller-retour de la périphérie vers le centre – semblable à
l'expir et à l'inspir d'une respiration géante. [35]

Il existe différents types de courant, qui se distinguent par leur


ampleur, leur fréquence vibratoire et la note harmonique qui les porte. L'un
d'eux, plus majestueux que les autres, ressemble au flux et au reflux d'une
grande vague, un battement du cœur du système. Cette vague sourd de
centres inconnus situés à des plans bien plus élevés, répand partout sa vie
dans notre monde puis, telle une marée prodigieuse, s'en retourne en
refluant vers sa source. Une longue vague ondulant en une courbe unique,
dont le son ressemblerait au murmure de la mer ; mais à laquelle s'unirait
un chant de triomphe puissant, éclatant et ininterrompu - le chant même de
la musique des sphères. Celui qui aura entendu une seule fois cet hymne
glorieux de la nature s'en souviendra à jamais ; car même ici, sur ce morne
plan physique plein d'illusions, il retentit comme en sourdine et rappelle
sans cesse la puissance, la lumière et la splendeur de la vie véritable qui
règne là-haut.
Le visiteur pur de cœur et d'esprit, ayant atteint un certain degré de
développement spirituel, peut unir sa conscience au mouvement de cette
vague merveilleuse, en quelque sorte fusionner son esprit avec elle et la
laisser l'élever vers sa source. J'ai dit qu'il le peut : mais cela ne serait pas
avisé, sauf à avoir son Maitre à ses côtés pour être soustrait au bon
moment de cette puissante attraction. Car sinon, la force irrésistible de ce
courant l'emporterait plus loin, plus haut – vers des plans encore plus
élevés dont les splendeurs, bien plus vastes, seraient insoutenables [36]
pour son égo. Il risquerait d'y perdre conscience, sans pouvoir dire où,
quand et comment la recouvrer avec certitude.

Certes, il est vrai que l'objet suprême de l'évolution humaine est de


parvenir à l'unité : mais l'homme doit atteindre ce but final avec sa
conscience entière et intacte – comme un roi victorieux prend
triomphalement possession de son héritage. Il ne doit pas se laisser
passivement absorber, réduit à un état d'inconscience inerte proche de
l'anéantissement.

LES MONDES CÉLESTES INFÉRIEUR ET SUPÉRIEUR

Tout ce que nous avons tenté de décrire jusqu'ici s'applique d'abord à


la partie la plus inférieure du plan mental : car ce royaume de la nature
possède – tout comme les plans astral et physique – sept subdivisions. La
littérature théosophique appelle les quatre niveaux inférieurs les plans
"roupa" ou plans des formes : ils constituent le monde céleste inférieur ;
c'est là que l'homme ordinaire passera sa longue vie de béatitude entre
deux incarnations. Les trois autres subdivisions sont dites "aroupa", ou
sans forme, et constituent le monde céleste supérieur ; l'égo qui se
réincarne y est actif : c'est là que réside réellement l'âme humaine.
Pourquoi ces noms sanscrits ? Parce que, sur les plans "roupa", chaque
pensée se revêt d'une forme particulière, déterminée, tandis que [37] sur
les niveaux "aroupa" elle s'exprime, comme nous l'expliquerons tout à
l'heure, d'une manière absolument différente. La distinction entre ces deux
grandes divisions du plan mental, entre "roupa" et "aroupa", est très nette –
au point d'exiger deux véhicules de conscience distincts.

Le véhicule convenant au monde céleste inférieur est le corps mental,


quand celui convenant au monde céleste supérieur est le corps causal -
véhicule de l'égo qui se réincarne, dans lequel il passera d'une existence à
une autre, pendant toute la durée de la période évolutive. Autre grande
différence entre ces deux mondes célestes, l'illusion peut encore subsister
jusqu'à un certain point dans les quatre subdivisions inférieures – moins
chez celui qui les explore en toute conscience de son vivant que chez l'être
peu évolué, qui les traverse lorsque survient ce que les hommes appellent
la mort.

Les pensées et les aspirations les plus élevées que l'homme aura
généré pendant son existence terrestre se groupent autour de lui et
l'entourent d'une sorte de coque, de monde subjectif qui lui est propre ;
vivant dans celle-ci pendant toute la durée de son existence céleste, il ne
percevra que très peu ou pas du tout les gloires véritables du plan
environnant – prenant ce qu'il en voit pour la totalité de ce qui s'y trouve.

Néanmoins il ne faudrait pas considérer ce "nuage mental" de façon


trop restrictive : sa fonction est de permettre à l'homme de s'harmoniser à
certaines vibrations – mais pas de l'isoler de toutes les autres. [38]

En réalité, les pensées qui entourent l'homme sur le plan mental


constituent les forces qui vont lui permettre de puiser dans les richesses du
monde céleste. Le monde mental lui-même réfléchit en fait l'Intelligence
Divine : un trésor sans limites dans lequel pourra puiser le bienheureux,
mais en fonction de la force des pensées et des aspirations qu'il généra
pendant sa vie physique et astrale.

Dans le monde céleste supérieur, en revanche, ces restrictions


disparaissent ; s'il est vrai que la plupart des égos ne perçoivent qu'à peine
– comme en rêve ce qui les entoure, du moins apprécient-ils réellement le
peu qu'ils en voient, car la pensée ne revêt plus les mêmes formes limitées
qu'au niveau inférieur.

L'ACTION DE LA PENSÉE

Nous étudierons, bien entendu, d'une manière beaucoup plus complète


et dans un chapitre spécial, la nature exacte de l'activité mentale propre
aux habitants humains de ces différents sous-plans. Puisque l'on ne saurait
comprendre précisément ce que sont ces deux grandes divisions sans saisir
l'action de la pensée sur chacune d'elle (mental inférieur et mental
supérieur) il ne sera pas inutile de rapporter ici quelques-unes des
expériences menées par nos chercheurs, afin d'éclaircir ce sujet.

Dès le début de leurs investigations il parut évident que, sur le plan


mental comme sur le plan astral, il [39] existait une essence élémentale
tout à fait distincte de la matière même du plan, réagissant bien plus vite à
la présence d'une pensée que dans le monde céleste inférieur. Mais ce
monde céleste n'étant constitué que d'une seule "substance mentale",
incluant celle de l'essence élémentale, c'est toute la matière constitutive du
plan lui-même qui se voyait modifiée par la pensée, par l'action mentale. Il
fallait donc chercher un moyen pour distinguer cette essence élémentale de
la matière même du plan mental.

Après plusieurs expériences peu concluantes, on adopta une méthode


permettant d'évaluer avec précision les différents résultats. Tandis que l'un
des chercheurs se tenait sur la subdivision inférieure du plan mental, pour
émettre de là des formes-pensées, ses collègues se plaçaient au niveau
supérieur afin d'observer d'en haut ce qui se produisait, évitant ainsi de
nombreuses erreurs. Dans ces conditions on essaya d'envoyer une pensée
affectueuse et encourageante vers un ami absent, se trouvant alors dans un
pays lointain.

Le résultat fut tout à fait remarquable : une sorte de sphère vibrante,


composée de la matière du plan, sortit de l'opérateur et grandit en le
prenant pour centre – tout comme le cercle formé sur l'eau immobile par la
pierre qui y est jetée, ce cercle devenant ici une sphère s'étendant en "trois
dimensions".

Comme sur le plan physique, ces vibrations perdaient en intensité en


s'éloignant de leur source, quoique beaucoup plus graduellement – puis,
[40] parvenues à une distance lointaine, elles semblaient disparaitre, ou du
moins elles devinrent si faibles qu'elles finirent par échapper à
l'observateur.

Sur le plan mental chaque être humain constitue donc un centre de


pensée rayonnante ; et cependant les rayons émis dans toutes les directions
n'interfèrent jamais entre eux, à la manière des rayons lumineux ici-bas.
Cette sphère vibrante et croissante dont je viens de parler était multicolore
et opaline, mais avec l'éloignement ses nuances finirent par s'éteindre.
Mais l'effet que produisit notre expérience sur l'essence élémentale du
plan fut complètement différent. La pensée donna immédiatement
naissance à une silhouette ressemblant à l'ami absent, silhouette
monochrome mais aux tons multiples. Cette silhouette franchit l'océan en
un éclair, trouva l'ami destinataire de la pensée affectueuse ; là, se revêtant
de l'essence élémentale du plan astral, elle devint un élément artificiel
ordinaire propre à ce plan et attendit (comme nous l'avons expliqué en
détail dans le Plan Astral) l'occasion de répandre sur lui les influences
bienveillantes dont elle était chargée. En descendant pour revêtir cette
forme astrale, l'élémental devint plus terne, bien que sa nouvelle coque de
matière inférieure laissât voir encore distinctement le rose-vif qui le
distinguait. Ce processus montrait que dans un premier temps, la pensée
émise originelle revêtait l'essence élémentale de son plan – le plan mental
inférieur – puis qu'en descendant vers le plan astral, elle [41] avait revêtu
cette fois l'essence élémentale propre au plan astral, tout en ayant conservé
sa silhouette du plan mental. Ce déroulement se révélant très proche de
celui qu'adopte le pur esprit lors de sa redescente dans la matière : il enfile
dans sa descente une enveloppe après l'autre dans les différents plans et
sous-plans successifs qu'il traverse.

D'autres expériences analogues montrèrent que la couleur de


l'élémental projeté variait selon la nature de la pensée émise : comme dit
précédemment, une pensée de profonde affection produisait une créature
de couleur rose-vif. Mais un désir passionné de guérir, projeté vers un ami
malade, fit naitre un ravissant élémental d'un blanc argenté, tandis qu'un
effort mental soutenu, destiné à calmer et à réconforter une personne
plongée dans l'accablement et dans le désespoir, eut pour résultat un
admirable messager d'un jaune d'or resplendissant.

Dans chacun de ces cas, le lecteur aura observé qu'aux couleurs


rayonnantes et aux vibrations créées dans la matière du plan correspondant
se joignait une force bien identifiée, revêtant la forme d'un élémental et
envoyée à la personne destinataire de la pensée. Il en fut invariablement
ainsi, à une seule et remarquable exception près ; en effet, lorsque l'un des
opérateurs, demeuré sur la division inférieure du plan mental, dirigea une
pensée d'amour et de dévotion intense vers l'Adepte qui est son instructeur
spirituel, les observateurs placés sur le plan mental supérieur remarquèrent
immédiatement une sorte de renversement des rôles par rapport aux cas
précédents. [42]
Disons d'abord que l'élève de tout Adepte reste lié en permanence à
son Maitre par un courant ininterrompu de pensées et d'influences ; elles se
manifestent sur le plan mental par un rayon ou un flot immense, lumineux,
éblouissant et multicolore —violet, or et bleu. On pouvait donc s'attendre à
ce que la pensée aimante et sincère de l'élève produisît une vibration
spécifique de cet ordre-là. Or le résultat fut entièrement différent : les
couleurs du flot lumineux s'intensifièrent subitement, et un flux très net
d'influence spirituelle se dirigea vers l'élève. Il est donc évident qu'en
pensant à son Maitre, l'étudiant vivifie en réalité ses liens avec Lui,
permettant une diffusion supplémentaire de force et de secours depuis les
plans supérieurs. Il semblerait que l'Adepte "concentre" en Lui les
influences qui soutiennent et fortifient, au point que toute pensée
susceptible d'accroitre le flux des liens préexistants avec lui, plutôt que de
lui parvenir en propre (comme cela se produirait habituellement) ne fait
qu'agrandir l'ouverture par où Il répand le flot de son amour immense.

Quant au niveaux "aroupa", les effets de la pensée, de l'action mentale


sur eux sont très nets – en particulier envers l'essence élémentale de ce
plan mental supérieur. Les perturbations que génèrent la pensée sur la
matière même du plan sont identiques aux précédentes, mais plus intenses
– puisque ce niveau plus éthéré en sera plus affecté. À ce niveau du plan
mental, l'essence élémentale ne se crée plus aucune forme ou silhouette,
car son mode d'action change tout à fait. En effet, toutes les expériences
conduites [43] sur les niveaux inférieurs concluaient que l'élémental restait
proche de la personne visée par la pensée, cherchant une occasion
favorable pour projeter son énergie sur le corps mental de cette personne,
sur son corps astral ou même sur son corps physique. Quand ici, au
contraire, l'essence émise par le corps causal du penseur fuse comme un
éclair vers le corps causal de son destinataire. D'où l'on en conclut que, sur
les niveaux inférieurs, la pensée émise s'adresse toujours à la seule
personnalité du destinataire, mais qu'avec le corps causal de l'émetteur de
la pensée, c'est l'égo qui se réincarne, l'homme véritable. Et si le message
envoyé contient des éléments allusifs à la personnalité du destinataire, ces
éléments ne lui parviendront que "par le haut" : par l'intermédiaire de son
véhicule causal.
LES FORMES-PENSÉES

Il va sans dire que les pensées visibles sur ce plan ne sont pas toutes
directement adressées à autrui. Beaucoup ne sont projetées que pour flotter
là, comme suspendues : leurs formes et leurs couleurs sont d'une variété
quasiment infinie, si bien que leur étude constituerait une science à part
entière – et une science du plus haut intérêt. Leur description détaillée,
même en se bornant aux catégories principales, prendrait ici trop de place.
Empruntée à un article des plus éclairants sur ce sujet, et écrit par Mme
Besant pour la revue Lucifer (nom original de la revue théosophique [44]
anglaise The Theosophical Review) dans son numéro de septembre 1896,
la citation suivante donnera une idée de la classification à réaliser.

Elle y pose les trois grands principes régissant les formes-pensées


générées par l'émission d'une pensée :
1° la qualité d'une pensée détermine sa couleur ;
2° la nature d'une pensée détermine sa forme ;
3° la précision d'une pensée détermine la netteté de ses contours.

Après avoir montré par des exemples comment se modifie la couleur


d'une pensée, l'auteur ajoute :
"Si les corps astral et mental vibrent sous l'influence de
la dévotion, une teinte bleue se répandra sur l'aura,
teinte plus ou moins vive, belle et pure, selon la
profondeur, l'élévation et la pureté du sentiment éprouvé.
Dans une église, l'observateur peut voir naitre des
formes-pensées semblables, généralement assez vagues
dans leurs contours, mais formant des masses mouvantes
de nuages bleus. Trop souvent la couleur en est ternie
par la présence de sentiments égoïstes, et le bleu,
mélangé à des tons bruns, perd son brillant et sa pureté.
Mais la pensée fervente d'un cœur généreux est d'une
exquise beauté ; elle ressemble au bleu profond d'un ciel
d'été. Dans ces nuages bleus apparaitront souvent des
étoiles d'or très brillantes, s'élevant en gerbe comme une
pluie d'étincelles.
"La colère se traduit par le rouge dans toutes ses
nuances, du rouge brun au vermillon écarlate vif ; la
colère brutale se manifeste par des lueurs d'un rouge
criard sale, jaillissant de nuages brun foncé, tandis qu'à
[45] la noble indignation correspond un vermillon
intense qui n'est pas sans beauté, mais qui éveille dans
l'observateur une vibration pénible.
"L'affection fait naitre des nuages rosés d'un ton
variable ; ils sont d'un cramoisi terne quand l'amour est
d'une nature animale, d'un rose vif mélangé de brun
quand il est égoïste et de vert terne quand il est jaloux.
La gamme va jusqu'aux tons rosés les plus exquis et les
plus délicats, rappelant les premières lueurs de l'aurore.
L'amour s'est alors purifié de tout élément égoïste ; sa
compassion et sa généreuse tendresse, où tout élément
personnel a disparu, se propagent en ondes sans cesse
grandissantes, pour atteindre tous ceux qui ont besoin de
son secours.
"L'intellect produit des formes-pensées jaunes. La raison
pure mise en jeu pour atteindre un but spirituel donne
lieu à un jaune très délicat et très beau ; appliquée à des
fins plus égoïstes pouvant avoir un caractère ambitieux,
elle donne des tons plus foncés ; c'est alors l'orangé pur
et intense." (Lucifer, vol XIX, p. 71.)

Il faut naturellement se rappeler que la citation qui précède décrit à la


fois les formes-pensées astrales et mentales, et que certains des sentiments
mentionnés peuvent puiser à plusieurs niveaux de matière pour s'exprimer.
Mme Besant cite ensuite certaines formes admirables que revêtent nos
pensées les plus élevées, semblables à des fleurs et à des coquillages. Elle
mentionne encore le cas, moins rare qu'on ne le pense, où la pensée prend
une forme humaine, et peut être prise pour une apparition :
"Une forme-pensée peut prendre l'apparence de son
auteur. Lorsqu'une personne veut résolument être [46]
présente en un lieu déterminé ou rendre visite à
quelqu'un et y être vu, la forme-pensée peut prendre son
apparence : de sorte qu'un témoin clairvoyant de la
scène pourrait bien prendre l'apparition pour son ami,
enveloppé dans son corps astral. Une telle forme-pensée
pourrait également transmettre un message, si telle est
l'intention initiale, et éveillerait alors chez son
destinataire des vibrations similaires aux siennes,
transmises par le corps astral jusqu'au cerveau – où elle
se traduira par une pensée ou par une phrase. Ou bien
encore la forme-pensée transmet à son auteur, grâce au
lien magnétique qui les unit, les vibrations qui se sont
imprimées en elle." (Lucifer, vol XIX, p. 71.)

Le lecteur désireux de bien comprendre cette partie très complexe de


notre étude pourra lire avec attention l'article dans son intégralité. À ceux
qui ne peuvent encore apercevoir ces formes-pensées par eux-mêmes, les
remarquables illustrations en couleurs de l'article en donneront la meilleure
description connue à ce jour. 3

LES SOUS-PLANS

Le lecteur pourrait nous demander ce qui distingue précisément la


matière de chaque sous-plan de ce plan mental, ce à quoi on ne répondrait
pas autrement qu'en termes très généraux – votre malheureux serviteur
ayant déjà recouru à tous les adjectifs qu'il [47] connaissait quand il tenta
de décrire le plan le plus inférieur, et n'en dispose plus d'un seul pour
décrire les autres. Que dire en effet, sinon que la matière devient de plus en
plus éthérée à mesure que l'on s'élève, qu'elle compose des accords
toujours plus harmonieux et que la lumière y est toujours plus vivante, plus
diaphane ? Le son de chaque nouveau sous-plan possède plus
d'harmoniques, ses couleurs s'enrichissent de plus de nuances secondaires
et des couleurs nouvelles apparaissent – autant de teintes dont l'œil
physique ignore tout.

Comme cela a pu être dit en termes poétiques mais exacts, la lumière


du plan inférieur est l'obscurité du plan qui lui succède. On saisira mieux
cette idée en se représentant d'abord la partie la plus haute du plan mental,
plutôt que l'autre. Il faut alors comprendre que la matière de ce sous-plan

3
L'article en question a été repris et approfondi dans un ouvrage écrit par A. Besant et C.-W.
Leadbeater, Les Formes Pensées, paru aux Éditions Adyar.
est vivifiée et animée par une énergie qui s'y répand un peu comme une
lumière venue d' "en haut", d'un plan qui n'a plus rien de commun avec le
plan mental. Si nous descendons jusqu'à la subdivision suivante, deuxième
à partir du haut, nous constaterons qu'elle a pour énergie la matière de
notre premier sous-plan. Dit plus exactement, l'énergie hors plan plus son
revêtement du sous-plan s'additionnent, leur énergie commune formant
l'âme de la matière du deuxième sous-plan. De même la matière de la
troisième division sera triplement formée par l'énergie originelle et par les
deux voilages de celle-ci, lors de sa descente par le premier et le deuxième
sous-plan. Si bien qu'en descendant jusqu'à notre septième subdivision du
plan [48] mental, notre énergie originelle aura déjà été enclose ou voilée
par six fois – et sera par conséquent devenue d'autant plus faible et moins
active. Cette progression correspond exactement à l'obscurcissement
d'Atmâ, l'Esprit primordial, lors de la descente de son essence monadique
pour vitaliser la matière des plans du cosmos. Et puisque cette descente
atmique se produit fréquemment dans la nature, l'étudiant s'épargnera de
nombreuses difficultés en tentant de se familiariser avec cette idée (cf. La
Sagesse Antique, par Mme Annie Besant, p. 71, et la note de l'édition
française).

LES ARCHIVES DU PASSÉ

Parmi les caractéristiques générales du plan mental, mentionnons


encore l'existence de cet arrière-plan, toujours présent, constitué des
archives du passé : mémoire de la nature, c'est là l'unique histoire du
monde qui soit absolument fiable. Pourtant, ces archives ne se situent pas à
proprement parler sur ce plan-là, mais sont plutôt le reflet de quelque
chose de supérieur ; elles présentent néanmoins le passé avec clarté,
précision et continuité – loin de ses manifestations irrégulières et
intermittentes sur le plan astral. Dès lors, les seules descriptions du passé
dignes de foi viendront d'un clairvoyant possédant la vision de ce plan
mental. Et même lorsque ce sera le cas, tant qu'il n'aura pas la faculté de
repasser en pleine conscience du plan mental au plan physique, [49] les
souvenirs qu'il rapportera de ce qu'il y a vu resteront entachés du risque de
s'être trompé.

Quant à l'étudiant qui sera parvenu à développer ses facultés latentes,


de manière à lui permettre de recourir au sens propre à ce plan mental
pendant qu'il occupe encore son corps physique, il verra s'ouvrir devant lui
des possibilités d'investigations historiques tout à fait exaltantes. Il peut
alors non seulement faire défiler à volonté devant lui toute l'histoire
humaine, mais aussi corriger, au fur et à mesure de son examen, les erreurs
et opinions fausses qui s'étaient glissées dans les comptes rendus
historiques parvenus jusqu'à nous. Il peut également parcourir à volonté
toute l'histoire du monde depuis ses origines, voir le lent développement de
l'intellect chez l'homme, suivre la descente des Seigneurs de la Flamme et
le développement des civilisations dont Ils ont été les fondateurs.

Mais ses études seront loin de se limiter à la seule observation des


progrès de l'humanité ; car sous ses yeux, comme dans un musée, défilent
toutes les étranges formes animales et végétales qui furent jadis vivantes
dans un monde plus jeune. Il peut suivre toutes les merveilleuses
transformations géologiques qui se sont succédées, et voir les grands
cataclysmes qui modifièrent les uns après les autres la face de la planète.

Les perspectives offertes par l'accès à ces archives sont nombreuses et


variées – à un point tel en effet, qu'à lui seul cet avantage du plan mental
offre un [50] intérêt supérieur à ceux des plans plus bas. Mais d'autres
avantages s'y ajoutent ; d'abord, cette faculté nouvelle et plus vaste permet
de multiplier de façon remarquable les occasions d'acquérir des
connaissances. Puis il y a le privilège de pouvoir entrer en rapport,
directement et sans entraves, non seulement avec le grand royaume Deva,
mais encore avec les véritables Maitres de la Sagesse eux-mêmes.
Ajoutons, après les tensions usantes de la vie physique, le repos et le
soulagement qu'apportent la jouissance de la béatitude profonde et
inaltérable de ce plan mental. Et, par-dessus tout, il y a l'accroissement
remarquable de l'aptitude, chez l'étudiant avancé, à servir ses semblables.
Une fois ces avantages décrits, peut-être entreverrons-nous un peu mieux
ce que gagne l'élève, lorsqu'il acquiert le droit d'accéder – à volonté et en
pleine conscience – à son héritage au sein de ce lumineux royaume du
monde céleste.
[51]

CHAPITRE II

SES HABITANTS

Essayons maintenant de décrire les habitants du plan mental. Peut-être


ferons-nous bien de les diviser en trois catégories, comme nous l'avions
fait pour le Plan Astral : les Humains d'une part, puis les Non-Humains et
enfin les Artificiels – même si cette dernière catégorie sera moins riche
que celle de l'astral, les conséquences des mauvaises passions de l'homme
(si nombreuses là-bas) n'ayant pas leur place ici.

I — LES HABITANTS HUMAINS

Tout comme dans l'étude du monde astral, il sera utile de subdiviser


les habitants humains du mental en deux groupes : ceux qui sont encore
attachés à un corps physique et ceux qui n'en possèdent plus — les
"vivants" et les "morts", ainsi qu'on a, bien à tort, l'habitude de les appeler.
Une connaissance infime [52] de ces plans supérieurs suffira à modifier
profondément l'idée que l'étudiant se faisait de la mort – du changement
qui s'y produit. Dès que sa conscience s'ouvre au plan astral et bien plus
encore lorsqu'elle s'ouvre au plan mental, il s'aperçoit immédiatement que
la plénitude de la véritable vie est une chose à jamais inconnaissable ici-
bas, et qu'en abandonnant ce monde physique, nous ne quittons pas la
véritable vie – nous y pénétrons. Notre langue ne possède pas à ce jour de
termes à la fois commodes et précis pour décrire ces états. Peut-être
qu' "incarné" et "désincarné" seraient dans l'ensemble les termes les moins
inexacts parmi ceux qui existent. Ainsi, considérons d'abord les habitants
du plan mental relatifs au premier groupe.

LES INCARNÉS

Les êtres humains qui, encore attachés à un corps physique, se


déplacent et agissent consciemment sur ce plan mental sont invariablement
soit des Adeptes, soit leurs élèves initiés. Tant qu'un étudiant n'a pas appris
de son Maitre la manière d'employer le corps mental, il est incapable de se
déplacer librement, même sur les niveaux inférieurs. Pour être actif et
conscient sur les niveaux supérieurs pendant la vie physique, il faut être
plus avancé encore, car, pour l'homme, cette faculté est synonyme
d'unification. En d'autres termes, il cesse d'être ici-bas une simple [53]
personnalité plus ou moins influencée par l'individualité au-dessus, mais
devient cette individualité. Certes entravé et enfermé dans un corps, il
possède néanmoins en lui les pouvoirs et les connaissances d'un égo très
développé.

Pour l'homme parvenu à les distinguer, ces Adeptes et ces initiés


offrent un spectacle incomparable : ils lui apparaissent comme de
remarquables sphères de lumière et de couleur, écartant les influences
mauvaises où qu'ils aillent, agissant sur tous ceux qui les approchent
comme le soleil sur les fleurs et répandant autour d'eux un sentiment de
paix et de bonheur – éprouvé même par ceux qui ne les voient pas. C'est
dans ce monde céleste que les Adeptes accomplissent la plus grande partie
de leurs travaux, et plus spécialement au niveau du mental supérieur – là
où l'individualité peut être directement influencée. De là ils répandent dans
le monde intellectuel les courants spirituels les plus puissants et lancent
des mouvements grands et bienfaisants de toutes sortes. C'est à ce niveau
qu'est répartie la force spirituelle libérée par le renoncement sublime des
Nirmanakayas. Une instruction directe y est donnée envers ceux des élèves
qui sont assez avancés pour la recevoir ainsi – puisqu'elle se transmet plus
aisément et plus complètement ici qu'au plan astral. En plus de ces
activités, les élèves accomplissent de nombreuses tâches en liaison avec
ceux que l'on nomme les morts – mais cela sera traité plus avant dans un
autre chapitre.

L'observateur constate avec plaisir l'absence quasiment totale d'une


catégorie d'habitants qui [54] imposait péniblement sa présence sur le plan
astral. Dans un monde caractérisé par l'altruisme et la spiritualité, le
magicien noir et ses élèves n'ont bien entendu pas leur place, puisque
l'égoïsme est à l'origine des écoles noires, et les forces occultes n'y sont
étudiées que pour satisfaire à des fins personnelles. L'intellect y est
souvent très développé, avec conséquemment un corps mental
extrêmement actif et sensible dans certains cas ; mais chacun de ces cas
reste lié à quelque désir personnel, les obligeant donc à ne s'exprimer qu'à
travers cette partie mentale inférieure, presque inextricablement
enchevêtrée avec la matière astrale. Conséquence inévitable de cette
limitation, leurs activités se confinent dans les faits aux plans physique et
astral. Celui qui aura engagé sa vie vers le mal et l'égoïsme pourra, à
certains moments, avoir des accès de pensée purement abstraits, pendant
lesquels il serait à même d'utiliser son corps mental (s'il a appris à
l'utiliser). Mais dès qu'y surgit cet élément personnel, associé à l'effort
d'atteindre un but mauvais, la pensée cesse d'être abstraite et l'homme se
retrouve lié une fois de plus à la matière astrale. On pourrait presque dire
qu'un magicien noir n'agit sur le plan mental qu'en oubliant qu'il est un
magicien noir. Pendant cette période "d'oubli" sur le plan mental il pourrait
être vu d'autres hommes actifs et conscients sur ce plan. Mais il ne sera
jamais vu par ceux qui jouissent du repos céleste dans cette région après
leur mort, car chacun de ces "défunts" est isolé dans le monde de ses
propres pensées, au point que rien ne saurait l'affecter, et qu'il est donc en
totale sécurité. Ce qui confirme l'ancienne et belle [55] description du
monde céleste comme le lieu où "les méchants cessent de nuire et les âmes
lasses trouvent le repos".

PENDANT LE SOMMEIL OU EN ÉTAT DE TRANSE

Lorsque l'on songe aux habitants incarnés du plan mental, une


question vient naturellement à l'esprit : les personnes ordinaires dans leur
sommeil ou celles qui, psychiquement développées, sont en état de transe,
peuvent-elles jamais pénétrer dans ce plan ? Dans les deux cas la réponse
est la même : cela est possible mais extrêmement rare. Il faudrait d'abord,
conditions sine qua non, une vie et des intentions pures ; et même alors,
une fois atteint le plan mental, ces personnes n'y percevraient que certaines
impressions et seraient bien loin d'y être vraiment conscientes.

Pour illustrer cette possibilité d'accéder au plan mental pendant le


sommeil, mentionnons ici un incident survenu lors des expériences faites
sur la conscience onirique, dirigées par la Loge londonienne de la Société
Théosophique – dont certaines sont mentionnées dans mon petit ouvrage
sur les Rêves. Ceux qui ont lu cette étude se souviendront peut-être que
l'on présenta l'image mentale d'un joli paysage tropical à différentes
catégories de personnes endormies, afin de pouvoir vérifier dans quelle
mesure elles s'en souviendraient à leur réveil. L'un des cas, [56] non
mentionné dans l'étude précédemment publiée parce qu'il n'était pas lié au
phénomène onirique, trouvera sa place ici pour illustrer utilement notre
description.
Il s'agissait d'une personne saine d'esprit et douée de grandes facultés
psychiques, quoique peu développées. Quand l'image mentale fut
présentée à son propre mental, le résultat provoqué fut assez surprenant. Sa
joie respectueuse fut si intense, et la contemplation de ce paysage
spectaculaire produisit des pensées si élevées et spirituelles, que la
conscience de la personne endormie passa tout entière dans le corps mental
– ou, en d'autres termes, s'éleva jusqu'au plan mental.

N'en concluons pas cependant qu'elle comprit ce qu'était son


environnement mental ou sa condition – elle était simplement dans l'état de
ceux qui parviennent au plan mental après la mort. Là, flottant dans une
mer de lumière et de couleurs, tout en restant entièrement absorbée dans
ses propres pensées, elle contemplait le paysage et ses suggestions de
manière extatique. Mais comprenons que sa contemplation s'accompagnait
d'une vue pénétrante, d'une compréhension parfaite et d'une vive énergie
mentale, tout en jouissant d'une béatitude intense, comme nous l'avons
déjà évoqué avant. La personne endormie resta plusieurs heures dans cet
état sans sembler sans rendre compte, puis elle s'éveilla enfin, emplie un
sentiment de paix profonde et de joie intérieure inexplicables, n'ayant
conservé aucun souvenir de ce qui s'était passé. Nul doute cependant
qu'une telle [57] expérience – que le corps s'en souvienne ou non
n'accélère clairement l'évolution spirituelle de l'égo.

Bien que l'absence d'une étude à grande échelle oblige à la prudence,


le comportement décrit précédemment ne semble possible que chez des
sujets au psychisme déjà développé ; et pour que des sujets sous hypnose
parviennent au plan mental, cette aptitude serait plus nécessaire encore. Ce
prérequis semble si indispensable pour parvenir au plan mental, qu'il n'y a
probablement pas plus d'un clairvoyant sur mille qui le possède. Et dans
les rares cas où l'un d'eux y parvient, il doit non seulement, comme dit
précédemment, posséder un psychisme exceptionnel, mais sa vie et ses
intentions doivent être des plus pures. Même lorsque ces conditions peu
ordinaires sont réunies, le médium inexpérimenté devra encore affronter
les difficultés relatives à l'exactitude descriptive de ce qu'il a vu sur un
plan supérieur. Toutes ces remarques ne font que souligner ce qui a déjà
été dit avant : pour que ses comptes rendus ultérieurs soient dignes
d'intérêt, le médium doit d'abord être formé sérieusement par un
instructeur qualifié.
LES DÉSINCARNÉS

Avant d'étudier plus en détail l'entité désincarnée aux différents


niveaux du plan mental, nous devons avoir clairement à l'esprit ce qui
distingue principalement les niveaux "roupa" des niveaux "aroupa", [58]
mentionnés plus haut. Sur les niveaux "roupa", ou sous-plans de ce plan
mental céleste inférieur, l'homme vit exclusivement dans le monde de ses
propres pensées, et continue à s'identifier complètement à la personnalité
physique qu'il vient de quitter. Aux niveaux "aroupa" il est simplement
l'égo, l'âme qui se réincarne périodiquement. Si cet égo a suffisamment
développé sa conscience sur ce plan pour y discerner ce qui s'y trouve, il
peut comprendre – au moins partiellement – le processus évolutif dans
lequel il est engagé et les tâches qui lui incombent.

N'oublions pas que chaque être humain doit passer par les deux étapes
que sont la mort et la naissance – même si la plupart d'entre eux, encore
peu évolués spirituellement, en sont si peu conscients qu'ils traversent l'une
et l'autre en "rêvant", pour ainsi dire. Néanmoins, conscient ou non,
chaque être humain doit parvenir aux niveaux supérieurs du plan mental
avant de se réincarner ; et à mesure que son évolution progresse, ce contact
devient pour lui plus défini et plus réel. Non seulement la conscience de
l'égo s'y élargit à mesure qu'il y retourne après chaque incarnation, mais le
temps passé dans ce monde de la réalité s'accroit à chaque fois : car de fait,
sa conscience s'élève lentement et surement à travers les différents plans
de l'ensemble.

À titre d'exemple, l'Homme primitif n'a conscience que du plan


physique (ou guère plus) pendant la durée de sa vie, puis du plan astral
inférieur après sa mort ; et de fait il en est même ainsi pour les êtres
humains modernes encore peu développés. Lorsqu'il [59] est un peu plus
évolué, il fait un premier séjour de courte durée dans le monde céleste (sur
les niveaux inférieurs, bien entendu), mais passera néanmoins le plus clair
de son temps entre deux incarnations sur le plan astral. Tandis qu'il
progresse, il voit la part de son existence astrale diminuer et celle de sa vie
céleste augmenter – jusqu'à ce que son intellect et sa spiritualité lui
permettent de traverser le plan astral d'un trait, pour qu'il fasse profit d'un
séjour long et heureux au niveau mental inférieur le plus éthéré. À ce
degré-là, néanmoins, la conscience de l'égo véritable – celui du mental
supérieur, donc – s'est déjà très largement éveillée ; de sorte que sa vie
consciente sur le plan mental se divise en deux parties, la seconde (la plus
brève) s'écoulant dans le corps causal, sur ses niveaux supérieurs.

Puis le processus que nous venons de décrire se répète : la vie décroit


progressivement sur les niveaux inférieurs tandis que la vie supérieure
s'accroit et se complète, jusqu'à l'unification de la conscience, l'unité
indissoluble de l'égo inférieur avec l'égo supérieur. L'égo ne s'enveloppe
plus dans son propre nuage mental et ne confond plus celui-ci avec
l'immense monde céleste environnant ; il comprend quelles hauteurs sa vie
peut atteindre et ainsi commence réellement à vivre pour la première fois.
Mais avant d'atteindre ces sommets il se sera déjà engagé sur le Sentier et
sera déjà devenu maitre de son propre devenir. [60]

QUALITÉS NÉCESSAIRES POUR ACCÉDER À LA VIE


CÉLESTE

La prééminence de la vie céleste sur la vie terrestre nous illumine


lorsque l'on examine les conditions nécessaires pour conquérir cet état de
la vie supérieure. En effet, l'homme qui voudrait vivre dans le monde
céleste après la mort, doit développer pendant la vie des qualités identiques
à celles que les meilleurs et les plus nobles d'entre nous considèrent
comme seules souhaitables, car à la fois réelles et définitives. Pour qu'une
aspiration ou une idée-force permette d'accéder à la vie sur ce plan mental,
elle devra être caractérisée principalement par son désintéressement.

C'est par leur affection envers leur famille ou leurs amis que de
nombreux êtres humains accèdent à la vie céleste – ainsi que par leur
dévotion religieuse. Mais l'on se tromperait en supposant que toute
affection ou toute dévotion manifestée aboutit nécessairement post mortem
à la vie céleste. Car à l'évidence affection et dévotion se déclinent en deux
versions, l'égoïste et l'altruiste – on pourra logiquement soutenir que seule
la seconde peut qualifier ces qualités.

Ainsi en va-t-il pour l'amour. Il y a l'amour qui se donne tout entier à


l'être aimé, ne demandant rien en retour : toujours oublieux de lui-même
mais recherchant sans cesse ce qu'il peut pour l'être aimé ; un tel sentiment
génèrera une force spirituelle qui ne s'exprimera pleinement que sur le plan
mental. Mais il existe une émotion qui prend parfois le nom d'amour : une
passion égoïste et exigeante qui recherche principalement à se faire aimer,
et qui s'assimile à une pensée dirigée en permanence vers ce qu'elle reçoit
plutôt que vers ce qu'elle donne ; une telle émotion risque fort de
dégénérer en cet horrible vice qu'est la jalousie à la moindre provocation –
ou même sans provocation aucune. Une telle affection ne contient rien qui
soit susceptible d'un développement au plan mental, car les forces qu'elle
met en action ne s'élèveront jamais au-dessus du plan astral.

Il en va de même pour le sentiment qu'éprouve une certaine catégorie


– d'ailleurs très conséquente de partisans religieux, qui ne concentrent pas
leurs pensées sur la gloire de leur divinité mais sur ce qu'ils pourraient
faire pour sauver leurs propres âmes dérisoires ; ce qui suggère fortement
qu'ils n'ont encore rien développé en eux qui mérite effectivement d'être
appelé une âme.

À l'opposé, nous trouvons la dévotion religieuse sincère, qui ne pense


jamais à elle mais n'a qu'amour et gratitude pour sa divinité ou son guide,
pleine d'un brulant désir d'agir pour lui ou en son nom ; un tel sentiment
conduit souvent à une vie céleste prolongée et relativement élevée. Et ce,
bien entendu, quel que soit la divinité ou le chef religieux ; qu'ils soient
disciples ou adeptes de Bouddha, de Krishna, d'Ormuzd, d'Allah ou du
Christ, ils obtiendront tous leur part de béatitude céleste – sa durée et sa
qualité dépendra seulement de la force et de la pureté de leur [62]
sentiment, et jamais de l'objet de leur dévotion. Mais ce dernier affectera
sans aucun doute les possibilités de recevoir un enseignement dans cette
vie céleste supérieure.

Comme l'amour, la dévotion des hommes n'est jamais soit totalement


pure soit totalement égoïste. Qu'il serait odieux, l'amour totalement dénué
d'une pensée ou d'un élan désintéressé ! De l'autre côté, une affection
d'habitude très pure et très noble peut parfois être assombrie par un accès
de jalousie ou un moment d'égoïsme. Dans ces deux cas, comme d'ailleurs
dans tous les autres, la loi de justice éternelle statue d'une manière
infaillible. Ainsi, le bref éclair d'un sentiment plus noble, qui illumine
l'être dont le cœur est peu évolué, sera certainement récompensé dans le
monde céleste, quand bien même le reste de sa vie terrestre l'empêcherait
d'élever son âme au-delà du plan astral. Et, à l'inverse, la pensée la plus
indigne qui ternit jadis le rayonnement sacré d'un amour véritable
s'épuisera dans le monde astral, indépendamment et sans affecter la
magnifique vie céleste du sentiment amoureux, qui découle infailliblement
de la profonde affection donnée, pendant de nombreuses années, dans le
monde terrestre.

COMMENT L'HOMME ACCÈDE POUR LA PREMIÈRE FOIS


À LA VIE CÉLESTE

C'est pour cette raison que bon nombre d'égos arriérés – encore au
début de leur évolution – n'accèdent [63] jamais en pleine conscience au
monde céleste, tandis que la plupart y parviennent mais à peine, et pas au-
delà de ses sous-plans inférieurs. Bien entendu, chaque âme se retire sur
les niveaux supérieurs, vers sa véritable individualité, avant de descendre
vers une réincarnation – mais lorsque l'âme vit ce retrait elle n'expérimente
pas pour autant ce que nous appellerions une conscience. Ce sujet sera
développé lors de l'étude des plans "aroupa" ; commençons plutôt avec les
niveaux "roupa" qui les précèdent, de bas en haut – sous lesquels on trouve
donc la partie de l'humanité dont l'existence consciente, après la mort, est
quasiment limitée au plan astral.

Prenons le cas d'une entité qui vient de s'élever au-dessus du plan


astral : et qui a pour la première fois conscience – d'une façon fugace et
légère – d'être dans la partie inférieure du monde céleste.

Il existe naturellement diverses méthodes pour permettre à l'âme de


faire ce grand pas en avant, quand elle amorce son développement. Pour
illustrer une telle progression, il nous suffira de montrer, à ce stade,
l'exemple d'une triste histoire tirée d'un fait réel, que nota l'un de nos
étudiants quand cette question fut examinée. L'agent des grandes forces de
l'évolution était dans notre cas une pauvre couturière, qui habitait l'un de
ces misérables et sordides taudis londoniens, dans une ruelle fétide de
l'East End où air et lumière peinaient à rentrer.

Comme on l'imagine, cette femme était peu instruite : sa vie n'était


qu'une longue suite de travaux [64] pénibles faits dans les conditions les
plus dures ; mais elle restait pourtant charitable et bienveillante, débordant
d'amour et de bonté envers tous ceux qu'elle connaissait. Son logement
était sans doute aussi pauvre que ceux de ses voisins de la ruelle, mais plus
propre et mieux entretenu ; sans argent pour soigner une maladie que ses
voisins eux-mêmes considéraient comme sinistre, elle ne manquait
pourtant jamais de prendre sur son temps de travail pour aider dans la
mesure de ses moyens, toujours prompte à la solidarité.

Elle représentait en effet un secours providentiel pour toutes les


ouvrières rudes et illettrées qui l'entouraient, de sorte que celles-ci finirent
par voir en elle une sorte d'ange secourable et miséricordieux, toujours là
en cas de malheur ou de maladie. Souvent, à la fin d'une dure journée de
labeur presque sans repos, elle prenait son tour de garde et passait la moitié
de la nuit à veiller des malades issus de ces quartiers – ces taudis de
Londres si ennemis du bonheur et de la santé. Et souvent, la
reconnaissance et l'affection que suscita son inlassable bonté chez ces êtres
fut tout ce qu'ils purent connaitre d'un sentiment supérieur, dans toute leur
vie rude et sordide.

Au vu des conditions de vie qui régnaient dans ce quartier, on


comprendra sans peine que certains de ses patients mouraient. Mais il
devint alors clair qu'elle avait fait pour ceux-là bien plus qu'elle ne le
pensait : en leur offrant un peu d'aide amicale face à leurs problèmes
passagers, elle avait en fait amorcé [65] chez eux une impulsion décisive
dans le cours de leur évolution spirituelle. Ces âmes, entités appartenant à
une catégorie peu avancée, n'étaient en effet pas encore développées – et
n'avaient jamais, dans aucune de leurs incarnations antérieures, mis en
mouvement ces forces spirituelles, seules capables de leur assurer une
existence consciente sur le plan mental. Pour la première fois, non
seulement ces âmes étaient face à un idéal à leur portée, mais l'aide de
cette femme avait suscité en elles la possibilité d'aimer avec un
désintéressement total. Le seul fait d'éprouver un sentiment aussi fort que
celui-là avait élevé ces âmes, et les avait renforcées dans leur individualité
supérieure ; ainsi, à la fin de leur séjour sur le plan astral acquirent-elles
leur première expérience du monde céleste inférieur.

Une expérience de courte durée, sans doute, et assez simple, mais plus
importante que cela semble d'abord ; car une fois éveillée en nous la
grande énergie spirituelle de l'oubli de soi, du désintéressement,
l'épanouissement qui en résulte dans le monde céleste tend à se renouveler.
Et si ce premier épanchement d'altruisme est encore de taille modeste, il
n'en communique pas moins à l'âme la teinte (à peine visible) d'une qualité
qui s'exprimera certainement dans la prochaine incarnation.
Voilà comment la bienveillance d'une pauvre couturière permit à
plusieurs âmes moins avancées d'accéder pour la première fois, et en
pleine conscience, à une vie spirituelle qui croitra désormais en force à
chaque nouvelle incarnation, influençant à [66] son tour de plus en plus de
vies terrestres à venir. Cette anecdote pourrait permettre d'expliquer
pourquoi les religions insistent tant sur la dimension humaine de la
charité : c'est-à-dire sur les liens directs que créent celui qui donne et celui
qui reçoit.

LE SEPTIÈME SOUS-PLAN, OU LE CIEL INFÉRIEUR

La première subdivision inférieure du monde céleste – à laquelle


accédaient les protégés de notre couturière démunie, grâce à celle-ci – est
surtout celle de l'affection envers la famille ou les amis, affection sans
égoïsme, bien entendu, mais généralement assez limitée. À ce stade,
gardons-nous d'une idée fausse toujours possible. En effet, lorsqu'il est dit
que l'affection envers sa famille conduit au septième sous-plan céleste, et
que la dévotion religieuse conduit au sixième, on se figure souvent qu'une
personne fortement dotée de ces deux qualités partagera son séjour dans le
monde céleste, aux septième et sixième sous-plans. Dans cette hypothèse,
elle passerait d'abord par une longue période de félicité au sein de sa
famille, puis s'élèverait jusqu'au niveau supérieur pour y consumer la force
spirituelle engendrée par ses pieuses aspirations.

Mais ce n'est pas ce qui se produit ; car dans un cas tel que le nôtre,
l'homme doté de ses deux qualités affirmées se serait directement éveillé
au niveau de conscience le plus élevé des deux, celui du sixième [67] sous-
plan (et non au septième) – où, entouré de ceux qui lui étaient si chers, il
ferait preuve de la plus haute dévotion religieuse possible. Ce qui, en y
réfléchissant, semble assez logique ; car celui qui peut à la fois faire
preuve de dévotion religieuse et d'affection envers les siens pourra
légitimement être crédité d'une affection supérieure et plus élargie – à
laquelle ne peut prétendre celui dont le mental ne se développe que dans
une unique direction. Il en va de même à tous les niveaux : un plan donné
intègrera toujours les qualités du plan précédent plus celles qui lui sont
propres ; de sorte que ceux qui y résident possèdent (presque
immanquablement) ces qualités, mais plus accomplies que celles d'âmes
appartenant à un plan inférieur.
Mais si le septième sous-plan se caractérise par l'affection pour la
famille, il n'en découle pas que l'amour se confine à ce seul plan ; cela
indique plutôt que cette affection est la qualité principale de celui qui y
accède après la mort – une qualité sans laquelle il ne pourrait accéder au
monde céleste. Mais il existe un autre amour, bien plus noble et bien plus
grand que celui de ce niveau – et que l'on trouve bien entendu aux sous-
plans supérieurs.

L'une des premières entités du septième sous-plan que rencontrèrent


les chercheurs constitue un exemple éloquent de ceux qui l'habitent. Celle-
ci avait été un homme, un petit épicier, sans développement intellectuel ni
sentiment religieux particulier – simplement un petit commerçant
ordinaire, honnête et respectable. Il était certainement allé de [68] son
vivant à la messe tous les dimanches, car telle était la coutume de ceux qui
sont "comme il faut" ; mais la religion était restée pour lui quelque chose
d'opaque et de peu compréhensible, loin de son quotidien et des solutions
qu'il devait trouver. Il était donc parfaitement dépourvu de cette haute
dévotion susceptible de l'élever au sous-plan supérieur. Mais il manifesta
pendant sa vie une chaleureuse affection envers sa femme et sa famille –
une affection largement constituée de désintéressement et d'altruisme.
Pensant sans cesse à eux, il travaillait du matin au soir dans sa minuscule
boutique et plus pour eux que pour lui-même. De sorte qu'après une
période passée sur le plan astral – s'y étant dégagé de son corps de désir –
il se trouva sur le sous-plan inférieur du monde céleste, entouré de tous
ceux qu'il chérissait.

Pour autant, il n'y avait pas développé ses aptitudes intellectuelles ou


spirituelles – puisque la mort n'amène pas de telles modifications – et
l'environnement qu'il y constitua avec sa famille n'était pas très
sophistiqué : c'était simplement là son plus haut idéal d'une joie
supraterrestre, telle qu'il se la représentait pendant sa vie. Mais puisqu'il
manifestait là tout le bonheur dont il était capable, et qu'il n'avait cessé de
penser à sa famille plutôt qu'à lui-même, il développait sans aucun doute
des traits altruistes ; des traits que son âme assimilerait comme qualités
permanentes et qui réapparaitraient dans toutes ses futures vies terrestres.

Autre exemple caractéristique, celui d'un homme qui mourut quand sa


fille unique était encore en bas [69] âge : là, dans le monde céleste, elle
était toujours près de lui, toujours parfaite, tandis qu'il passait son temps à
tracer de belles images de son avenir. Citons encore l'exemple de cette
jeune fille, absorbée dans la contemplation de toutes les perfections qu'elle
admirait chez son père et lui préparant en imagination de petites surprises
et des plaisirs nouveaux. Ou encore cette femme grecque, qui vivait dans
un bonheur ineffable auprès de ses trois enfants – dont un, d'une rare
beauté, qu'elle se plaisait à imaginer vainqueur aux Jeux Olympiques.

Depuis quelques siècles une particularité frappante du septième sous-


plan est le grand nombre de Romains, de Carthaginois et d'Anglais qu'on y
rencontre ; chez ces peuples en effet l'altruisme se traduisait surtout par
l'affection manifestée envers la famille. Par contre, on trouve relativement
peu d'Indous et de Bouddhistes sur ce plan, car leurs sentiments religieux,
plus présents dans leur vie quotidienne, leur donnent donc accès à un
niveau plus élevé. Bien entendu, les cas étudiés variaient presque à l'infini
et changeaient d'intensité lumineuse selon leur niveau, tandis que les
qualités développées par ces personnes se manifestaient par des variations
de couleurs.

Ici, des amants séparés au plus fort de leur attachement réciproque –


ne s'occupant que d'eux-mêmes en excluant tous les autres – , là des êtres
presque sauvages, tel ce Malais très arriéré (qu'on classerait techniquement
comme un pitri inférieur de troisième classe) qui découvrit brièvement la
vie céleste grâce à son amour pour sa fille. [70]

Dans tous les exemples cités ils accédèrent à la vie céleste par leur
affection et leur altruisme naissants de fait, rien dans leurs vies
personnelles, hormis cela, ne pouvait leur permettre d'y accéder. Dans la
plupart des exemples observés sur ce plan, les images des êtres aimés
étaient loin d'être parfaites, de sorte que leurs véritables égos ou âmes ne
pouvaient s'exprimer à travers elles que très imparfaitement – même si
cette expression était toujours plus complète et plus satisfaisante que dans
la vie physique.

La vie terrestre ne nous permet de voir qu'une partie de ce que sont


nos amis : ce qu'ils ont de sympathique pour nous ; quand leurs autres
aspects n'existent quasiment pas. Nos liens avec eux et ce que nous savons
d'eux ici-bas compte beaucoup pour nous, au point de faire partie des
choses essentielles d'une vie. Pourtant c'est là une connaissance
nécessairement imparfaite : même lorsque l'on croit connaitre quelqu'un
corps et âme, ce n'est guère que la partie manifestée sur les plans inférieurs
lors de l'incarnation dont il s'agit. Et chacun conserve dans son égo
véritable une richesse qui reste totalement inaccessible. Si l'on pouvait
effectivement, dotés de la vision pénétrante et parfaite que procure le plan
mental, voir pour la première fois cette totalité chez un proche telle qu'elle
apparait après sa mort, il est probable que nous ne le reconnaitrions pas –
et en tout cas tel qu'il apparaissait à nos yeux de son vivant.

Comprenons que la vive affection témoignée envers autrui, seul


moyen de conduire quelqu'un sur le plan mental d'un autre, constitue une
force très puissante [71] sur ces plans plus élevés, s'élevant jusqu'à l'âme
de l'être aimé et l'incitant à répondre. Bien sûr, la vigueur, la force vitale et
l'énergie de cette réponse dépendront de l'âme en question, mais cette
réponse sera toujours et parfaitement authentique.

Certes on ne peut accéder pleinement à l'âme ou à l'égo qu'à partir de


l'un des sous-plans "aroupas" de ce plan mental ; mais nous sommes alors
plus proches du monde céleste que nous le sommes ici-bas. Et de ce fait,
que les conditions soient favorables ou non, elles permettent d'y connaitre
autrui bien mieux qu'ici-bas, car jamais nous n'aurons approché la réalité
de si près.

Il faut tenir compte ici des degrés de développement respectifs chez


chacune des personnes considérées. Sur le plan mental, la vive affection de
celle qui est plus évoluée spirituellement formera une image-pensée de
l'autre, claire et assez parfaite – telle qu'elle la connaissait. De sorte que
l'âme de celle-ci pourra s'exprimer très largement à travers cette image
d'elle-même – pour que cela soit possible, néanmoins, cette âme devra elle
aussi être suffisamment évoluée. On constate donc que la manifestation
pourrait être imparfaite pour deux raisons : soit l'image de la personne
défunte est trop vague et trop peu éloquente pour pouvoir inspirer l'autre
(quel que soit son degré d'évolution), soit l'image est satisfaisante mais
l'autre ne peut en tirer parti, faute d'un degré de développement suffisant.

Quoi qu'il en soit, l'âme de la personne aimée sera atteinte par


l'affection témoignée, et quel que soit [72] son degré d'évolution, elle
répondra immédiatement en se répandant dans l'image créée. L'expression
authentique de l'être à travers cette image dépendra – comme nous l'avons
dit plus haut – d'une part de la nature de celle-ci et d'autre part ce que l'âme
est capable d'exprimer. Même vague, l'image ainsi formée n'en existe pas
moins sur le plan mental – et plus accessible pour l'égo que le corps
physique lui-même, deux plans entiers plus bas.
Si l'être aimé est encore vivant, son enveloppe terrestre, ici-bas, ne
saura rien de cette autre manifestation dont profite son égo véritable. Et
cela ne modifie en rien le fait que cette manifestation du plan mental est
plus proche du soi véritable que ne l'est celle du plan physique – la seule à
être perceptible pour la plupart d'entre nous.

Puisque l'être humain peut figurer simultanément dans les vies


célestes respectives de plusieurs amis défunts, il est intéressant de noter ici
qu'il le peut également en continuant à vivre dans son corps physique, ici-
bas. Une telle idée n'aura rien d'étrange pour ceux qui connaissent les liens
entre les différents plans. Ainsi, dans cet exemple, l'être humain pourrait se
manifester à la fois dans plusieurs de ces images (formées au plan mental),
un peu comme l'on pourrait reconnaitre plusieurs pressions exercées
simultanément sur le corps par différents objets. Les plans sont liés les uns
aux autres un peu à la manière dont le sont les dimensions ; ainsi, de même
qu'un nombre donné d'unités propre à une dimension restera toujours
inférieur à une seule [73] unité d'une dimension supérieure, de même,
aussi nombreuses soient-elles, ces manifestations de l'égo ne s'épuiseront
jamais dans l'égo supérieur. Car ces manifestations constituent au contraire
autant d'occasions appréciables et supplémentaires de se développer sur le
plan mental. Et, selon les lois de la justice divine, ces occasions sont la
conséquence directe et la récompense des actions ou des qualités qui
diffusèrent l'affection.

Il apparait donc clairement ici que plus l'homme progresse, plus ses
opportunités se multiplient, venant de toutes parts. Non seulement ses
progrès tendent à le rendre plus aimé et plus respecté de la plupart, mais ils
multiplient aussi les images-pensées fortes à sa disposition sur le plan
mental. De plus il augmente rapidement, grâce à eux, son aptitude à se
manifester dans chacun des sous-plans mentaux, et à y être plus réceptif.

Nos investigateurs ont eu dernièrement l'occasion de l'illustrer par un


cas assez simple : celui d'une mère, décédée il y a près de vingt ans,
laissant deux fils auxquels elle était profondément attachée. Ceux-ci
occupaient naturellement la première place dans sa vie céleste et, tout aussi
naturellement, elle se les représentait tels qu'elle les avait laissés, âgés de
quinze ou seize ans. L'amour qu'elle ne cessait de répandre sur ces images
mentales agissait en fait comme une force bienfaisante diffusée sur les
deux jeunes adultes dans notre monde physique – une force qu'ils reçurent
différemment. Non pas que son amour maternel fût plus grand pour l'un
que pour l'autre, mais parce [74] qu'une grande différence de vitalité
existait entre les images mentales elles-mêmes. Comprenons que c'était là
une différence imperceptible pour la mère ses deux fils lui apparaissaient
ensemble et tels qu'elle voulait les voir ; mais aux yeux de nos chercheurs
l'une des deux images mentales exhalait une force vitale supérieure à
l'autre. En cherchant la cause de ce phénomène si intéressant, on découvrit
que l'un des deux fils était devenu un homme d'affaires parmi d'autres –
non pas spécialement mauvais, mais sans développement spirituel – quand
l'autre joignait à des aspirations élevées et généreuses beaucoup de
raffinement et de culture. Ayant vécu, plus que son frère, une vie propre à
développer la conscience de son âme, son "moi supérieur" pouvait vitaliser
plus pleinement l'image mentale de lui adolescent l'image formée par sa
mère dans sa vie céleste ; avec davantage de matière mentale à y placer,
l'image en était plus nette et plus vivante.

D'autres recherches révélèrent de nombreux cas semblables, montrant


que plus l'âme est spirituellement développée, plus ses formes mentales
exprimeront l'amour renvoyé par ses proches. Et en favorisant ainsi
l'expression de cet amour, l'âme tire un bénéfice toujours plus grand de sa
force vitale, tandis que cet amour se répand par le biais de ces images-
pensées mentales. À mesure que l'âme grandit, ces images mentales la
représenteront de mieux en mieux ; jusqu'à parvenir au niveau de l'âme
d'un Maitre – un stade où elle pourra utiliser consciemment ces images-
pensées comme autant d'outils pour aider et instruire ses élèves. [75]

C'est là le seul mode de communication conscient entre ceux qui sont


encore emprisonnés dans leur corps physique et ceux qui sont parvenus à
ce royaume céleste. Répétons-le : une âme peut resplendir de clarté à
travers l'image qu'elle renvoie dans la vie céleste d'un proche, tout en étant
parfaitement inconsciente de cela dans son corps physique – de sorte que
cette âme se croira, à tort donc, incapable de communiquer avec le défunt
en question. Mais si la conscience de cette âme a progressé au point d'être
réunifiée, elle peut pleinement utiliser ses pouvoirs tout en vivant dans son
corps physique, et donc comprendre qu'elle se trouve, comme autrefois,
face à face avec ce proche disparu, au-delà de cette morne vie terrestre. Et
que la mort n'a pas emporté au loin l'être aimé mais lui a seulement dévoilé
la présence autour de nous d'une vie incessante, plus grandiose et plus
vaste.
L'apparence du proche disparu sera en bonne part celle de sa vie
terrestre, mais rayonnant d'une aura étrange. Suivons son évolution :
d'abord l'enveloppe ovoïde externe se forme sur celle du corps causal, puis
elle reproduit ensuite la forme physique dans le corps mental et dans le
corps astral. De sorte qu'à ces niveaux, elle apparait comme une forme
constituée d'une brume dense entourée d'une brume plus claire. La
personnalité propre à la dernière vie terrestre va se maintenir tout au long
de la vie céleste, puis, après avoir intégré le corps causal, elle fusionne
avec l'individualité : et là, pour la première fois depuis sa précédente
descente vers l'incarnation, l'homme s'accomplit dans son égo véritable et
relativement permanent. [76]

Il arrive que certains s'interrogent sur la notion de temps : le plan


mental connait-il l'alternance du jour et de la nuit, de l'état de veille et du
sommeil ? Quand l'homme commence sa vie sur ce plan céleste, n'existe
que l'éveil progressif de son mental à la merveilleuse félicité qui s'y
trouve ; et son seul sommeil sera cette pénétration, elle aussi progressive,
vers une inconscience bienheureuse, au terme de cette longue vie céleste.

Autrefois, on nous a décrit cette vie naissante comme un


prolongement des meilleurs moments d'une vie humaine, où le bonheur se
trouverait centuplé : même si cette définition laisse fort à désirer – comme
tout ce qui est formulé ici-bas, d'ailleurs – elle reste néanmoins plus juste
que cette idée d'une succession du jour et de la nuit. De fait, les formes que
prennent le bonheur varient infiniment dans le monde céleste, mais il n'y
existe rien de tel qu'une alternance entre l'état de veille et le sommeil.

Au moment où le corps mental se sépare définitivement du corps


astral, survient une période d'inconscience absolue – dont la durée varie à
l'extrême – , semblable à celle qui succède (en général) à la mort physique.
Le réveil qui succède à cette période, activant la conscience au plan
mental, ressemble beaucoup au réveil après une nuit de sommeil dans le
corps physique. Il nous arrive parfois, lors du réveil matinal, d'apprécier un
temps de repos pendant lequel on éprouve consciemment du plaisir – bien
que le mental soit encore inactif et que le corps réponde à peine à la
volonté. Il en va de même dans le monde [77] céleste : l'entité qui s'éveille
traverse d'abord une période de félicité intense et croissante, avant que sa
conscience y devienne pleinement active. Quand nait en lui pour la
première fois cette joie ineffable, elle emplit tout le champ de sa
conscience ; mais en s'éveillant progressivement il se découvre entouré du
monde de ses propres idéaux – un monde dont les caractéristiques
correspondront au sous-plan où il se trouve.

LE SIXIÈME SOUS-PLAN, OU LE DEUXIÈME CIEL

On pourrait dire que ce sous-plan se caractérise principalement par la


dévotion religieuse des cultes de divinités à apparence humaine, ou encore
anthropomorphes. Entre cette piété-là et le sentiment religieux exprimé sur
le deuxième sous-plan astral, la première est parfaitement désintéressée
(celui qui l'éprouve se désintéresse totalement des conséquences de cette
dévotion sur lui-même) quand la seconde est stimulée par l'espoir et le
désir d'en tirer profit. Autrement dit, ce dernier sentiment religieux reste
toujours entaché de calculs égoïstes quand la dévotion propre au sixième
sous-plan mental est dépourvue d'une telle tare.

Pour autant, il faut distinguer ce niveau de dévotion – essentiellement


centré sur l'adoration perpétuelle d'une divinité personnelle – de ses
manifestations plus élevées, s'exprimant par des tâches spécifiques
accomplies au nom de la divinité adorée. Mieux qu'une simple description,
quelques exemples observés sur [78] ce sous-plan feront peut-être
comprendre plus clairement les différences dont je viens de parler.

Parmi les entités dont le mental est à l'œuvre ici, bon nombre d'entre
elles proviennent de religions orientales, mais uniquement de celles qui
favorisent une dévotion épurée – encore que peu raisonnée et dépourvue
d'intelligence. C'est sur ce sous-plan que l'on retrouve aussi bien les
adorateurs de Vishnou – l'avatar de Krishna ou d'autres – que certains
disciples de Shiva ; chacun d'eux est enveloppé dans le cocon de ses
propres pensées, seul avec son dieu particulier, oublieux du reste de
l'humanité, sauf s'il associe à son adoration ceux qu'il aima sur terre. On
remarqua par exemple un Vaishnavite complètement absorbé par
l'adoration extatique de l'image de Vishnou, celle-là même à laquelle il
offrit des offrandes de son vivant.

Certains exemples caractéristiques de ce plan se trouvent dans la


population féminine qui y réside et y est majoritaire. Il y avait là, entre
autres, une femme indoue qui avait glorifié son mari jusqu'à en faire un
être divin ; elle se représentait aussi le jeune Krishna jouant avec ses
propres enfants : mais tandis que ces derniers semblaient bien humains et
réels, le petit Krishna, manifestement, ressemblait à une image de bois,
peinte en bleu, qui aurait été mise en mouvement. Krishna apparaissait
également dans la vie céleste de cette femme sous la forme d'un jeune
homme efféminé jouant de la flute, sans qu'elle se troublât jamais par cette
double manifestation. Une autre femme, adonnée au culte de Shiva,
confondant le dieu avec son mari, regardait le second comme une [79]
manifestation du premier, si bien que l'un revêtait constamment les traits
de l'autre. On trouve également quelques Bouddhistes sur ce sous-plan,
mais seulement les moins instruits, semble-t-il : ceux qui voient plus dans
le Bouddha un objet d'adoration qu'un grand Instructeur.

La religion chrétienne fournit également beaucoup des habitants de ce


plan ; sa dévotion "non intellectuelle" est illustrée d'un côté par le paysan
Catholique Romain illettré, et de l'autre par le "soldat" fervent et sincère de
l'Armée du Salut : chacun produit des résultats très similaires à ceux
décrits précédemment, avec la même contemplation éperdue envers leurs
représentations du Christ ou de Sa Mère. On vit par exemple un paysan
irlandais absorbé dans une profonde adoration de la Vierge Marie, qu'il se
représentait debout sur un croissant de lune, ainsi que la représenta Le
Titien dans son tableau L'Assomption, mais lui tendant les mains et lui
parlant. Ailleurs, un moine du Moyen-Âge contemplait, en extase, le
Christ crucifié : l'intensité de son amour ardent et de sa pitié étaient telles
qu'en voyant saigner les blessures de son image du Christ il en reproduisait
les stigmates sur son propre corps mental.

Un autre semblait avoir oublié le triste récit de la crucifixion, et le


remplaçait par "son propre" Christ sur son trône de gloire, la mer de cristal
à ses pieds, entouré d'une multitude de disciples, parmi lesquels lui-même,
sa femme et tous les siens. Il éprouvait pour sa famille une très vive
affection, mais son adoration pour le Christ primait dans ses pensées.
Pourtant il concevait sa divinité d'une manière si pragmatique [80] qu'elle
lui apparaissait invariablement sous deux formes : celle d'un homme ou
celle d'un agneau portant la bannière – tels qu'on les voit souvent figurés
sur les vitraux des églises.

Autre cas plus intéressant, celui d'une religieuse espagnole, morte à


dix-neuf ou à vingt ans : dans sa vie céleste, elle se reportait à l'époque de
la vie historique du Christ sur terre, se voyait l'accompagner à travers les
évènements racontés par les Évangiles et prenait soin de sa mère la Vierge
Marie après Sa crucifixion. Les paysages et costumes de Palestine tels
qu'elle se les représentaient étaient anachroniques : le Sauveur et ses
disciples étaient vêtus comme des paysans espagnols, tandis que les
collines entourant Jérusalem étaient de hautes montagnes couvertes de
vignobles et que les oliviers étaient chargés de mousse grise comme ils le
sont en Espagne. C'était du reste assez naturel. À la fin de cette séquence,
elle se voyait subir le martyre pour sa foi, puis montait au ciel – mais
seulement pour recommencer indéfiniment cette vie, où elle trouvait tant
de joie.

La vie céleste d'un enfant terminera, par un exemple gracieux et


original, l'énumération consacrée à ce sixième sous-plan. Cet enfant, mort
à l'âge de sept ans, revivait dans le monde céleste les récits religieux que
lui racontait ici-bas sa bonne irlandaise ; il aimait par-dessus tout se
représenter jouant avec l'enfant Jésus, l'aidant à fabriquer ces moineaux
d'argile que l'enfant divin, suivant la légende, animait et faisait voler. [81]

On voit que la dévotion aveugle et irraisonnée dont nous venons de


parler n'élève jamais à un niveau spirituel très avancé ceux qui en sont
fervents. Mais quoi qu'il en soit, souvenons-nous qu'ils sont là dans le plus
grand bonheur et la plus grande satisfaction imaginables, puisqu'ils
reçoivent invariablement sur le plan mental ce qu'ils apprécient le plus.
Leur évolution future en bénéficiera d'ailleurs d'une façon très marquée :
car même si la dévotion ne peut à elle seule développer l'intelligence, elle
prédispose néanmoins à une forme de dévotion supérieure – laquelle
conduit généralement aussi à une vie pure. La personne qui vivra et
goutera aux joies célestes décrites précédemment, même si elle n'évolue
pas très vite dans la voie spirituelle, restera du moins préservée de bien des
dangers ; car il est fort improbable que sa prochaine naissance lui laisse
commettre de graves péchés, ou qu'elle abandonne ses aspirations à la
dévotion pour une vie d'avare, d'ambitieux ou de débauché. Pour autant,
l'étude de ce sous-plan met nettement en relief le conseil que donne Saint
Pierre : Ajoutez à votre foi la vertu et à la vertu la science.

Si certaines croyances religieuses simplistes peuvent aboutir à des


résultats aussi singuliers, il sera intéressant de voir les effets du
matérialisme moderne, bien plus simpliste encore et qui était récemment si
répandu en Europe, malheureusement. Dans La Clef de la Théosophie,
Mme Blavatsky déclarait qu'un matérialiste est parfois dépourvu de toute
vie consciente dans le monde céleste, puisque qu'il ne crut pas de son
vivant à l'existence de cet état post mortem. [82] Il semble cependant plus
probable que pour notre grande fondatrice, le mot "matérialiste" avait une
acception plus restrictive que pour la plupart. Car dans la même œuvre elle
affirme qu'aucune vie consciente après la mort (c'est-à-dire dès le plan
astral, et non plus seulement le plan mental) n'est possible pour ces mêmes
matérialistes ; or, ceux qui travaillent la nuit sur le plan astral savent bien
qu'on y rencontre entre autres de ces matérialistes – et qu'ils y sont tout
sauf inconscients.

En voici un exemple. Un chercheur matérialiste éminent, que


connaissait l'un de nos membres, fut récemment découvert par lui sur le
sous-plan astral le plus élevé : il s'y était entouré de ses livres et y
poursuivait ses études, à peu près comme il l'eût fait sur le plan physique.
Interrogé par son ami, il admit volontiers que ses anciennes théories se
voyaient réfutées par la logique irrésistible des faits – mais il était encore
assez agnostique pour refuser de l'écouter quand cet ami évoquait un plan
encore au-delà, celui du mental. Pourtant, à n'en pas douter, c'était
seulement sur ce plan-là que son caractère pouvait pleinement se réaliser,
qu'il fut matérialiste ou non. Et puisque sa totale incrédulité envers la vie
post mortem n'empêchait pas qu'il prolongeât ses expériences dans l'astral,
on pouvait supposer qu'une fois dans le monde mental, cette même
incrédulité nierait probablement l'action des forces supérieures sur lui.

L'incrédulité de ce matérialiste lui avait certes beaucoup nui : la


beauté de l'idéal religieux, si elle [83] avait pu être comprise, aurait
provoquée en lui une grande force de dévotion – dont les fruits auraient été
récoltés après sa mort. Autant d'éléments définitivement absents de son
entendement, donc. Mais, par ailleurs, l'affection profonde et désintéressée
qu'il éprouva pour sa famille, sa philanthropie sincère et infatigable,
constituent de puissantes manifestations d'énergie qui aboutiront
nécessairement dans le monde céleste. Par conséquent, l'absence d'un type
de force ne peut empêcher l'action des autres.

Dans un cas plus récent encore, un matérialiste s'éveilla sur le plan


astral après sa mort, se croyait encore en vie et pensait faire seulement un
mauvais rêve. Heureusement pour lui, parmi ceux qui pouvaient agir dans
l'astral se trouvait le fils d'un de ses amis, qui fut mandaté pour le
rechercher puis pour lui venir en aide. Assez logiquement, le matérialiste
crut d'abord que le jeune homme n'était qu'un des personnages de son rêve.
Mais lorsqu'il reçut un message de son vieil ami qui mentionnait des
circonstances antérieures à la naissance du jeune messager, il fut
convaincu de la réalité du plan où il se trouvait, et chercha immédiatement
à en savoir plus. L'enseignement qu'il y reçoit désormais comptera
certainement beaucoup et modifiera largement sa vie céleste à venir,
comme sa prochaine incarnation terrestre.

Ces deux exemples, comme tant d'autres, ne devraient d'ailleurs pas


nous surprendre, car notre monde physique en recèle de similaires ; ici-
bas, en effet, nous constatons que les lois naturelles ne doivent pas être
ignorées : si celui qui place sa main [84] au-dessus d'une flamme pense
que le feu ne brule pas, il sera vite convaincu de son erreur. D'une façon
identique, le refus de croire en une existence future ne change rien à la
réalité naturelle ; et dans certains cas du moins, l'homme découvre après sa
mort qu'il s'était trompé.

C'est la raison pour laquelle le matérialisme qu'évoque Mme


Blavatsky, dans nos remarques précédentes, était sans doute plus grossier
et plus agressif que l'agnosticisme courant. Car un matérialisme aussi bas
empêcherait à ses adeptes d'accéder aux qualités nécessaires sur le plan
mental.

LE CINQUIÈME SOUS-PLAN, OU LE TROISIÈME CIEL

Ce sous-plan pourrait être défini comme celui de la dévotion à l'œuvre


dans les actions en cours. Ici, le Chrétien de l'exemple précédent, plutôt
que de simplement adorer son Sauveur, se représenterait comme allant de
par le monde travailler pour Lui. Car ce plan est plus particulièrement
celui de la réalisation des grands projets et des desseins inachevés sur
terre, dont l'objet est le plus souvent philanthropique.

Souvenons-nous pourtant que plus nous progressons dans les sous-


plans de la vie céleste, plus la complexité et la variété augmentent : bien
que l'on puisse encore décrire leurs marques dominantes, les variations et
les exceptions aux règles décrites se multiplieront. [85]

Nous avons le cas typique – quoique légèrement au-dessus de la


moyenne – d'un homme mettant à exécution un immense projet
d'amélioration des conditions de vie des plus pauvres. Lui-même
profondément religieux, il avait perçu que la première étape pour leur
venir en aide consistait à améliorer leur condition physique ; le plan qu'il
mettait en œuvre dans sa vie céleste – qui aboutissait de manière éclatante,
et avec une attention passionnée pour le moindre détail – lui était souvent
venu à l'esprit quand il était sur terre, mais il avait été incapable de faire
progresser son exécution.

S'il avait pu y disposer d'une grande fortune, son projet aurait consisté
à racheter tous les commerces d'un secteur d'activité peu important, puis à
se placer à la tête de la société ainsi formée. Trois ou quatre grandes
entreprises se partageant ce secteur, il pensait que leur regroupement
produirait d'immenses économies, par la suppression de leurs publicités
concurrentes et de leurs autres pratiques commerciales ruineuses ; ce qui
permettait de conserver ses mêmes prix de vente auprès du public et
d'accorder à ses ouvriers des salaires beaucoup plus élevés. Son projet
prévoyait l'achat de terres pour y bâtir de petites maisons pour ses ouvriers,
chacune entourée de son petit jardin particulier. Après un certain nombre
d'années de travail, chaque ouvrier recevait sa part de bénéfices de
l'entreprise, suffisamment conséquente pour assurer ses vieux jours. Avec
la mise en œuvre d'un tel système, notre philanthropiste espérait montrer
au monde entier [86] que le Christianisme savait aussi être pragmatique, et
il souhaitait également que les âmes de ses ouvriers se rallient à sa propre
religion, reconnaissants envers les bienfaits matériels reçus.

Dans un autre cas assez voisin, c'était un prince indien dont l'idéal sur
la terre avait été Râma, le héros-roi divin ; ce prince décida que sa propre
vie et celle de son royaume auraient pour modèles la vie et la gouvernance
du héros-roi. Si ce monde physique lui réserva naturellement des accidents
fâcheux de toutes sortes, qui l'empêchèrent donc de réaliser ses projets,
dans le monde céleste, en revanche, tout se déroulait comme prévu, et
chacun de ses efforts bien intentionnés aboutissait au mieux. Son œuvre
était évidemment orientée et dirigée par Rama lui-même, qui recevait
l'adoration perpétuelle de tous ses fidèles sujets.

Ailleurs, illustrant de façon étonnante et touchante de piété


personnelle, il s'agissait d'une femme qui avait jadis été nonne, non pas
dans un ordre de contemplatifs mais au service des autres. Manifestement
sa vie terrestre illustra les paroles suivantes : "Tout ce que vous avez fait
envers le plus petit de ceux-ci mes frères vous l'avez fait envers moi" ; et à
présent, dans sa vie céleste, elle continuait à mettre en œuvre absolument
ce que prescrivait son Seigneur, soignant sans cesse les malades,
nourrissant les affamés, habillant et secourant les pauvres. Mais voilà le
plus étonnant : chacun de ceux qu'elle avait aidés prenait immédiatement
l'apparence du Christ, image qu'elle adorait dès lors avec une dévotion
fervente. [87]

Il y a l'exemple instructif de ces deux sœurs dont les vies terrestres


avaient été très pieuses ; l'une, infirme, avait été soignée toute sa (longue)
vie durant par l'autre. Elles avaient souvent réfléchi et recherché ici-bas
quels seraient les projets religieux et philanthropiques qu'elles rêveraient
de mettre en œuvre ; à présent, chacune occupe la première place dans la
vie céleste de l'autre – l'infirme est bien portante et robuste, et ensemble
elles souhaitent s'aider mutuellement pour accomplir ici leurs vœux
terrestres respectifs non réalisés. Très bel exemple de la sérénité continue –
tant pendant la vie terrestre que dans l'au-delà – que manifestent ceux et
celles dont les vies sont désintéressées. Car le seul changement qu'apporta
la mort fut la suppression de la maladie et de la souffrance, facilitant les
œuvres jusque-là impossibles à accomplir.

C'est sur ce plan que s'expriment également les œuvres les plus
élevées des missionnaires, caractérisées par leur sincérité et leur piété. Il
va sans dire que le fanatique ignorant, assez commun, ne parvient jamais
jusque-là ; mais qu'il s'y trouve de ces rares cas parmi les plus nobles (tels
que Livingstone), dédiés à l'agréable activité de convertir des multitudes à
la religion qu'ils représentent. Cela fut illustré par le cas frappant de ce
Musulman qui, dans la vie céleste, s'imaginait travailler avec un zèle
extrême à convertir le monde entier et ses gouvernants selon les principes
religieux de l'Islam les plus orthodoxes. [88]

Parfois, semble-t-il, les talents artistiques peuvent également


permettre – sous certaines conditions – à leurs détenteurs d'accéder à ce
sous-plan mental : mais il faut ici faire une distinction nette entre deux
types d'artistes. D'un côté, l'artiste ou le musicien aux motivations égoïstes,
qui recherche une gloire personnelle ou se laisse influencer par la jalousie
professionnelle : celui-là, naturellement, n'engendrera aucune énergie
susceptible de l'élever jusqu'au plan mental. De l'autre côté, ceux qui
pratiquent leur art dans ce qu'il a de plus élevé et qui destinent l'immense
pouvoir dont ils sont les dépositaires à l'élévation spirituelle de leurs
semblables, verront leur art s'exprimer à des régions célestes encore bien
supérieures à ce sous-plan. Mais entre ces deux extrêmes, les passionnés
qui pratiqueront leur art pour approfondir ses possibilités, qui verront leurs
œuvres comme autant d'offrandes faites à leur divinité, sans jamais
rechercher l'admiration de leur entourage, pourront dans certains cas
trouver ici l'environnement céleste approprié.

Citons à cet égard l'exemple de ce musicien très pieux, pour qui


l'amour qu'il mettait dans ses œuvres musicales n'était qu'un don fait au
Christ – il ignorait tout des merveilleux effets sonores et colorés que ses
compositions sublimes provoquaient sur la matière du plan mental. Même
l'enthousiasme qu'il y mettait n'était jamais ni perdu ni infructueux :
indépendamment de ses connaissances musicales, il apportait de la joie et
du secours à beaucoup de personnes. Dans sa prochaine incarnation, cet
[89] enthousiasme vaudrait certainement à ce musicien une dévotion et un
génie musical supérieurs : mais sans l'aspiration à aider l'humanité,
aspiration plus noble encore, ce type de vie céleste peut se répéter presque
indéfiniment. En effet, si l'on revient à présent sur ce qui caractérise les
trois sous-plans précédemment étudiés, chaque cas est un dévouement
envers une personnalité – qu'elle soit familiale, amicale ou d'une divinité
personnelle – et non un dévouement plus large envers l'humanité pour elle-
même, qui s'exprimera sur le sous-plan suivant.

LE QUATRIÈME SOUS-PLAN, OU LE QUATRIÈME CIEL

Le quatrième sous-plan, le plus élevé des niveaux "roupa", présente


une telle variété de manifestations qu'il est difficile de leur trouver une
caractéristique commune. Il est sans doute préférable de les associer aux
quatre types généraux suivants : la recherche désintéressée des
connaissances spirituelles, les pensées scientifiques ou philosophiques de
qualité, les talents artistiques ou littéraires dédiés à des fins désintéressées
et le service pour la joie qu'il procure. On comprendra mieux cette
typologie en l'illustrant à chaque fois par des exemples.

La quasi-totalité de ceux que l'on trouve ici provient, bien sûr, des
religions professant la nécessité d'acquérir les connaissances spirituelles.
On se souviendra que le sixième sous-plan contenait de [90] nombreux
Bouddhistes, chez lesquels la religion se manifestait par leur dévotion
envers l'image de leur guide spirituel : ici, tout au contraire, nous trouvons
des disciples dont l'aspiration suprême est de s'assoir aux pieds du Maitre
et de l'écouter, préférant plutôt voir en lui un instructeur qu'un être à
adorer.
Ce degré de la vie céleste leur permet de voir leur vœu suprême
réalisé : ils peuvent désormais recevoir effectivement les enseignements de
Bouddha. L'image de Lui qu'ils projettent, loin d'être creuse comme dans
le cas précédent, est au contraire une forme illuminée par la sagesse, la
puissance et l'amour merveilleux du plus puissant des Instructeurs de ce
monde. C'est pourquoi ces disciples y acquièrent des connaissances
nouvelles et une vision plus étendue des choses ; autant d'éléments qui, à
leur tour, ne manqueront pas d'affecter durablement leur prochaine
existence terrestre. Dans cette incarnation future ils n'auront de souvenir ni
de leur histoire individuelle antérieure ni des moyens par lesquels ils
comprirent les enseignements reçus ; même si, lorsque ceux-ci se
présenteront à leurs esprits, ils sauront parfois les reconnaitre
immédiatement vrais dans toute leur intensité. Pour autant, ces
enseignements auront renforcé les capacités de leurs égos à embrasser des
idées plus philosophiques et plus larges sur tous ces sujets.

On comprendra sans peine à quel point une telle vie céleste accélère
l'évolution de l'égo, d'une façon définitive et incontestable – et nous
constatons une fois encore le formidable avantage dont profitent ceux qui
ont accepté d'être guidés par des Instructeurs authentiques, vivants et
puissants.

Ce type d'enseignement-là – quoiqu'amoindri est à l'œuvre lorsqu'un


grand écrivain du passé, spirituellement développé, "prend vie" chez celui
qui étudie son œuvre (transposés sous les traits d'un ami) et s'agrège ainsi à
sa vie mentale, devenant un personnage idéalisé présent dans ses songes.
Cet être développé pourra pénétrer dans la vie céleste de l'élève, et y
régénérer l'image de lui qui s'y trouve grâce au degré d'évolution atteint
par sa propre âme. Il favorisera ainsi la mise en lumière des enseignements
de ses propres livres et la révélation de leur sens plus profond.

Chez les Indous, beaucoup de ceux qui suivent le Sentier de la


Sagesse ont leur vie céleste sur ce quatrième sous-plan mental – du moins
si leurs instructeurs furent eux-mêmes détenteurs d'une authentique
connaissance. On y trouve également les quelques Soufis et Parsis les plus
avancés, ainsi que certains Gnostiques des premiers temps : car ces
derniers attinrent un tel degré de développement spirituel qu'ils purent y
prolonger leur séjour. Mis à part le groupe peu nombreux de ces Soufis et
de ces Parsis, ni le mahométisme ni le christianisme ne semblent élever
leurs disciples jusqu'ici – sauf dans certains cas, lorsque leurs caractères
présentent des qualités indépendantes des enseignements de leurs religions
respectives. [92]

Nous trouvons également dans cette région céleste des étudiants en


occultisme, sérieux et dévoués, mais pas encore assez avancés pour être
admis à renoncer à leur vie céleste au profit du bien dans le monde. Parmi
eux se trouvait quelqu'un que connût personnellement l'un de nos
chercheurs : un moine bouddhiste, fervent étudiant de la Théosophie, et
qui avait longtemps chéri l'espoir d'accéder – privilège immense - à
l'enseignement auprès de ses Adeptes eux-mêmes. Le Bouddha était
l'élément principal de la vie céleste de ce moine, et les deux Maitres qui
s'étaient le plus associés à la Société Théosophique y apparaissaient
également comme Ses propres lieutenants, enseignant et commentant Sa
doctrine. L'ensemble que formait ces trois images célestes était imprégné
de la puissance et de la sagesse des grands êtres qu'il représentait : le
moine recevait donc bien un enseignement sur des sujets occultes, qui le
conduirait presque certainement sur le Sentier de l'Initiation lors de sa
prochaine naissance.

Un autre exemple pris dans nos rangs et sur ce même niveau, montrera
les terribles effets que produisent des soupçons injustes et sans fondement.
Adonnée à l'étude avec zèle et abnégation, la personne en question avait
malheureusement, vers la fin de sa vie, conçu à l'égard de son ancienne
amie et instructrice Mme Blavatsky une défiance indigne et injustifiable.
On ne pouvait constater sans tristesse combien ce sentiment la privait des
influences et des enseignements supérieurs dont elle aurait joui durant sa
vie céleste. Ces influences et ces enseignements [93] ne lui étaient pas
refusés – puisque cela ne se peut pas – mais son propre comportement
mental la rendait réfractaire à une partie de leur action. Bien entendu elle
ignorait tout de cela, et semblait profiter d'une communion totale et
parfaite avec les Maitres – pour les investigateurs, cependant, sans cette
regrettable autolimitation qu'elle s'était imposée, son séjour sur ce plan eût
été autrement plus fructueux. Elle avait à sa portée un trésor d'amour, de
force et de connaissances quasiment infini qu'elle ne pouvait saisir,
aveuglée par son ingratitude.

Sur ce sous-plan céleste œuvrent les Maitres de la Sagesse, dont ceux


qui dirigent notre mouvement, ainsi que d'autres écoles d'occultisme
orientées similairement aux nôtres : il n'est donc pas rare d'y rencontrer des
étudiants appartenant à l'une d'entre elles.
Si l'on considère à présent la catégorie suivante, celle des pensées
philosophiques ou scientifiques de qualité, nous découvrons ici un bon
nombre de ces penseurs plus nobles et désintéressés, qui ne recherchent la
vision pénétrante et la connaissance que pour éclairer et aider leurs
semblables. Mais on ne saurait confondre les étudiants en philosophie avec
ceux, tant orientaux qu'occidentaux, qui perdent leur temps en chinoiseries
et en arguties verbeuses : car ces formes-là de discussion prennent
naissance dans l'égoïsme et la vanité, et ne peuvent donc jamais aider à
réellement comprendre ce qu'est l'univers. Comment des discours aussi
superficiels pourraient-ils jamais produire quelque chose qui puisse, à son
tour, être mis en œuvre au plan mental ? [94]

Parmi les chercheurs véritables rencontrés sur ce sous-plan, l'un d'eux


était un disciple moderne de l'école néoplatonicienne, dont le nom nous
avait heureusement été conservé par les annales de son époque. Tout au
long de sa vie terrestre il chercha à assimiler les enseignements de cette
école, et à présent il dédiait sa vie céleste à en pénétrer les mystères et à en
saisir les rapports avec la vie et le développement humains.

Citons encore cet astronome dont les convictions, d'abord orthodoxes,


semblaient progressivement s'être élargies jusqu'au Panthéisme, sous
l'influence de ses études. Dans sa vie céleste il poursuivit ses recherches
plein de vénération, découvrant certainement beaucoup de choses sur ces
grandes hiérarchies de Dévas célestes. Leurs puissantes influences
stellaires se déplaçaient en de majestueux mouvements cycliques,
semblant se traduire sur notre plan physique par les scintillements
changeants d'une lumière vivante et qui pénètre tout. Perdu dans la
contemplation d'un immense panorama de nébuleuses en rotation, de
mondes en formation, il recherchait en tâtonnant quelque chose d'aussi
lointain que la forme même de l'univers – semblable à quelque gigantesque
animal. Il était littéralement entouré par ses pensées – des formes
élémentales apparaissant comme des étoiles – et l'une de ses plus grandes
joies était d'écouter la musique des sphères, dont les rythmes majestueux
retentissaient en de puissants chants religieux. [95]

La troisième catégorie à l'œuvre sur ce sous-plan, celle des talents


artistiques ou littéraires dédiés à des fins désintéressées, ne concerne que
ceux dont l'aspiration principale est d'élever et de spiritualiser la race
humaine. Nous retrouvons ici tous nos plus grands musiciens ; sur ce sous-
plan mental, Mozart, Beethoven, Bach, Wagner et d'autres avec eux,
continuent à répandre des flots d'harmonie sur les plans célestes, plus
merveilleux encore que tout ce qu'ils créèrent de plus sublime sur terre.
Comme un immense flux de musique divine, répandu sur eux de plus haut,
qu'ils s'approprieraient et absorberaient pour, ensuite, diffuser sur tous les
plans célestes en une grande vague mélodique, augmentant la béatitude de
tous ceux alentour. Ceux qui sont pleinement conscients sur le plan mental
entendrons distinctement ces accents magnifiques et les apprécieront
pleinement ; mais les entités désincarnées qui s'y trouvent, chacune
enveloppée dans son nuage de pensées, seront elles aussi profondément
touchées par l'influence de cette mélodie puissante, qui les élève et les
ennoblit.

De même, ceux des peintres et des sculpteurs qui exercèrent leur art
avec générosité et désintéressement, ne cessent ici de créer et de diffuser
mille formes admirables ravissant et encourageant leurs semblables –
formes qui sont simplement des élémentals artificiels générés par leurs
pensées. Tout en causant un plaisir extrême à tous ceux qui vivent
entièrement sur le plan mental, ces créations ravissantes peuvent très
souvent être perçues par les esprits d'artistes encore [96] incarnés : auquel
cas elles peuvent les inspirer dans leurs créations d'ici-bas, élevant et
ennoblissant ainsi cette partie de l'humanité qui lutte dans le tourbillon de
l'existence terrestre.

On a pu y observer le cas beau et touchant d'un jeune garçon autrefois


choriste et mort à l'âge de quatorze ans. Son âme, pleine de musique et
d'enthousiasme juvénile envers cet art, était fortement impressionnée par la
pensée qu'elle lui permettait d'exprimer les aspirations religieuses de tous
ceux qui se pressaient dans une vaste cathédrale, tout en répandant sur eux
les encouragements et les inspirations célestes. Mis à part son don pour
chanter, il était peu instruit : mais il avait usé noblement de son talent,
s'efforçant d'être la voix des fidèles vers le monde céleste et la voix du ciel
auprès des fidèles. Il cherchait à apprendre toujours plus de chants et à les
interpréter plus dignement, au bénéfice de l'Église.

De sorte que la vie céleste de cet enfant vit son vœu exaucé ; on voyait
se pencher vers lui l'image originale d'une Sainte Cécile médiévale, toute
en angles, puisque l'objet de sa pensée aimante provenait d'un vitrail. Cette
dernière figure artistique de Sainte Cécile, issue d'une vague légende
ecclésiastique, voilait cependant une réalité autrement plus vivante et
glorieuse. Cette forme-pensée puérile de la sainte était en fait vivifiée par
l'un des puissants archanges de la hiérarchie céleste du chant, qui se servait
de cette image d'elle pour enseigner au choriste un type de musique plus
sublime que tout ce que l'on connait ici-bas.

On pouvait encore voir ici quelqu'un dont le projet terrestre avait


échoué : l'existence d'ici-bas laisse parfois des traces étranges, même dans
les demeures célestes. Dans un monde céleste où chaque pensée envers les
êtres aimés génère de l'amitié, lui pensait et écrivait dans la solitude. Il
avait dédié sa vie terrestre à l'écriture d'un livre majeur, justifiant ainsi son
refus d'utiliser ses talents littéraires autrement et d'écrire de mesquins
"écrits alimentaires" capables de le faire vivre. Mais personne ne voulut le
lire, et il se mit à errer, désespéré, jusqu'à ce que le chagrin et la famine
n'achèvent sa vie terrestre. Il avait été seul pendant toute la durée de sa
vie : sans amis ni liens familiaux pendant sa jeunesse, il ne put travailler
qu'à l'écart des autres une fois adulte. Tout entier dédié à ce paradis
terrestre qu'il aspirait à donner à ses semblables, il laissait de côté ceux qui
pouvaient l'ouvrir aux choix plus vastes qu'offre la vie.

À présent, pensant et écrivant dans sa vie céleste, et malgré l'absence


d'images bienveillantes d'amis personnels ou idéalisés, il voyait apparaitre
devant lui le pays imaginaire d'Utopie dont il avait rêvé, auquel il avait
tenté de dédier sa vie. Il voyait ces foules impersonnelles qu'il avait voulu
servir, grouillant dans leur immensité ; la joie que lui procurait le spectacle
de leur propre joie inondait son âme et transformait sa solitude en un
séjour céleste. Lorsqu'il renaitra sur terre, il pourra sans doute à la fois
concevoir et réaliser ses pensées philanthropiques, et sa vision céleste
s'accomplira en partie en améliorant la vie terrestre. [98]

Ce sous-plan accueillait de nombreuses personnes qui consacrèrent


leur séjour terrestre au service d'autrui, parce que la fraternité des hommes
était pour eux réelle : ceux-là avaient rendu service pour la joie de servir,
sans rechercher les faveurs d'aucune divinité particulière. Dans leurs vies
célestes, armées de toutes leurs connaissances et de leur sagesse sereine,
ces personnes s'attachaient à mettre en œuvre des projets humanitaires de
grande ampleur, de remarquables plans de réforme mondiaux ; et dans le
même temps elles faisaient murir les facultés qui permettraient un jour
l'exécution de ces projets sur le plan inférieur de l'existence physique.
LA RÉALITÉ DU MONDE CÉLESTE

Certains critiques, ayant très imparfaitement compris les


enseignements théosophiques sur l'au-delà, ont parfois fait valoir que la vie
de l'homme ordinaire dans le monde céleste inférieur n'est qu'un rêve et
une illusion. Se croit-il heureux au sein de sa famille ou avec ses amis,
met-il ses projets à exécution avec une joie et un succès auquel rien ne
manque : il n'est en réalité que la victime d'une cruelle illusion. On oppose
parfois à cette félicité imaginaire ce qu'on appelle "la solide objectivité" du
ciel promis par l'orthodoxie. La réponse à une telle objection est double :
tout d'abord, lorsque l'on étudie le problème de la vie dans l'au-delà, il [99]
s'agit moins de savoir quelle est l'hypothèse la plus agréable – ce qui relève
quand même de la subjectivité – mais plutôt de savoir laquelle est la vraie.
En second lieu, un examen plus approfondi de la question nous montrera
qu'en soutenant la thèse des illusions, ces critiques adoptent un point de
vue faux et qu'ils n'ont pas du tout compris les faits présentés.

À propos du premier point, disons que la réalité telle qu'elle est peut
être très facilement découverte par toute personne ayant développé la
faculté de passer consciemment sur le plan mental pendant sa vie terrestre.
Lorsque ce plan mental est étudié de la sorte, sa description concorde
parfaitement avec celle que proposèrent les Maitres de la Sagesse, par
l'intermédiaire de la grande fondatrice de notre Société et notre instructrice
Mme Blavatsky. Cela invalide immédiatement la théorie de "la solide
objectivité" mentionnée plus haut, et transfère la charge de la preuve du
côté de nos amis orthodoxes. Quant au second point, si la dispute porte sur
le fait qu'aux niveaux inférieurs du monde céleste la vérité continue à nous
échapper – et que l'illusion continue donc d'y régner – nous admettons sans
hésiter que tel est le cas en effet. Mais généralement l'intention de ceux qui
font cette objection est ailleurs : ils s'effrayent à l'idée d'une vie céleste
plus illusoire et plus inutile encore que la vie terrestre – ce qui va tout à
fait à l'encontre de la vérité vérifiée.

Certains soutiendront qu'en créant nous-mêmes notre environnement


sur le plan mental, il est normal [100] que nous n'en voyions qu'une très
petite partie. À cela nous répondrons que le monde perçu par une seule
personne ne constitue jamais la totalité du monde lui-même, mais qu'il lui
apparait proportionnellement à ce que peuvent en percevoir ses sens, son
intellect et son éducation.
De fait, pendant sa vie terrestre, l'homme moyen perçoit ce qui
l'entoure d'une façon parfaitement erronée – et également creuse,
imparfaite et inexacte à bien des égards. Que connait-il des forces
immenses, qu'elles soient éthériques, astrales ou mentales, à l'œuvre dans
tout ce qu'il perçoit autour de lui dans cette vie physique, forces qui en
constituent en réalité la plus grande partie ? D'habitude que sait-il
réellement des phénomènes physiques qui l'entourent quotidiennement,
même des plus abscons d'entre eux ? La vérité est que dans sa vie physique
comme dans sa vie céleste, il vit dans un monde créé en bonne part par lui-
même : il n'en est pas conscient, ni ici ni là-bas, et cela n'est dû qu'à sa
propre ignorance, parce qu'il fait ce qu'il peut.

Dira-t-on que dans la vie céleste chacun prend ses pensées pour autant
de réalités ? Je répondrai qu'il en est bien ainsi : les pensées sont bel et
bien réelles, et sur ce plan, le plan mental, elles seules peuvent l'être. Ainsi
on admettrait que cette grande vérité s'applique à l'au-delà, mais pas à
notre monde physique : sur lequel des deux plans l'illusion est-elle donc la
plus forte ? Au niveau mental, les pensées de chacun sont bien des réalités,
et peuvent produire des effets des plus saisissants sur les vivants – mais
[101] uniquement des effets bienfaisants, parce qu'à ce niveau ne
subsistent que des pensées aimantes. On voit donc que la théorie selon
laquelle la vie céleste est une illusion, ne peut être due qu'à une idée
erronée, et qu'elle trahit une ignorance certaine des conditions et des
possibilités que cette vie céleste recèle. En réalité, plus nous nous élevons
et plus nous nous rapprochons de l'unique réalité.

Pour mieux comprendre combien cette phase supérieure de la vie


humaine est réelle et à tous égards naturelle, le débutant devrait peut-être
simplement considérer qu'elle suit la phase précédente passée sur les deux
plans inférieurs. Nous savons tous que nos plus hauts idéaux n'aboutissent
jamais ici-bas, que nos meilleures aspirations y restent insatisfaites : tous
ces efforts pourraient donc paraitre vains et l'énergie dépensée en pure
perte. Mais on devine que cela est impossible, puisque la loi de
conservation de l'énergie s'applique sur les plans supérieurs comme sur les
autres. Si la plus grande partie de cette énergie spirituelle supérieure que
répand l'être humain ne peut, pendant la vie terrestre, agir sur son auteur,
c'est qu'avant d'être délivrés de leur prison de chair, nos principes
supérieurs sont incapables de répondre à ces vibrations infiniment plus
hautes et plus subtiles. Avec la vie céleste les obstacles tombent pour la
première fois et l'énergie accumulée se répand, enclenchant la réaction
inévitable qu'exige la justice éternelle. [102]

Ainsi que l'exprima majestueusement Browning 4 :


Aucun bien ne se perdra jamais ! Ce qui était
ne cessera d'exister ;
Le mal est nul, le mal n'est point ; c'est
le silence impliquant le son ;
Ce qui était le bien restera le bien, et pour
chaque mal le bien croitra d'autant ;
Sur la terre les arcs brisés ; au ciel le cercle parfait.
Tout le bien que nous avons voulu,
espéré ou rêvé prendra corps ;
Non pas en y ressemblant, mais tel quel
Il n'est nulle beauté, nul bien, nulle force
dont le chant s'éleva en nous
Qui ne survive pour le mélodiste
Quand l'éternité confirmera la
conception d'une seule heure.
L'idéal qui paraissait trop haut,
l'héroïsme impossible ici-bas,
L'ardeur qui abandonnait la terre
pour se perdre dans le ciel

4
Robert Browning (1812-1889), poète et dramaturge anglais. Cet extrait provient d'un poème
composé en 1864, intitulé "Abt Vogler", du nom d'un organiste anglais du XVIIIe siècle, célèbre
pour ses improvisations ; ce passage imagine l'un de ses monologues (NdT).
Autant de musiques envoyées vers
Dieu par l'amant et le poète ;
Il suffit qu'une seule fois Dieu l'ait entendue
– et nous l'entendrons bientôt. [103]

Autre point qu'il faut avoir à l'esprit : seul le système naturel à l'œuvre
dans l'au-delà est capable de satisfaire et de rendre heureux tous les êtres
humains dans leur diversité, à hauteur du bonheur dont ils sont capables.
S'il n'existait qu'un seul type de félicité céleste – ce que prétend la théorie
orthodoxe – certains finiraient nécessairement par s'en lasser quand
d'autres seraient incapables de s'y joindre (faute d'un gout envers celle-là
en particulier ou faute d'une éducation suffisante). Faut-il ajouter que, si la
vie céleste devait durer éternellement, il y aurait une injustice flagrante à
récompenser d'une manière uniforme tous ceux qui y parviennent, sans
tenir compte de leur mérite personnel ?

Envers les parents et amis, également, il est difficile d'imaginer un


système plus satisfaisant : si les défunts pouvaient suivre les revirements
de fortune de leurs amis sur terre, ils ne pourraient jamais être heureux.
S'ils devaient, ignorant tout de ce qu'il est arrivé aux leurs, attendre que
ceux-ci décèdent pour pouvoir les retrouver, une période d'attente pénible
s'en suivrait, souvent prolongée pendant bien des années – d'autant que les
amis attendus pourraient bien avoir suffisamment changé pour ne plus
éveiller de sympathie du tout.

Grâce aux sages dispositions prises par la nature, toutes ces difficultés
sont évitées : l'homme détermine lui-même le caractère et la durée de sa
vie céleste en fonction de ce qu'il engendra pendant sa vie terrestre. C'est
la raison pour laquelle il obtiendra très exactement ce qu'il mérite, et qu'il
[104] aura infailliblement droit au type de joie qui lui convient le mieux.

Ceux qu'il aime le plus ne le quittent jamais et ne lui montrent que le


côté le plus noble et le plus élevé de leur nature ; tandis qu'aucune ombre
de désaccord ou de changement ne peut s'élever entre eux, puisqu'il reçoit
toujours de ses amis exactement ce qu'il désire. En réalité tout s'organise et
s'agence à un degré infiniment supérieur à toutes les explications jamais
avancées par l'imagination des hommes – comme on pouvait d'ailleurs s'y
attendre, puisqu'il ne s'agissait que de spéculations humaines : mais la
vérité est, elle, l'idée de Dieu.

LE RENONCEMENT A LA VIE CÉLESTE

Parmi les possibilités ouvertes à ceux qui cherchent à progresser plus


rapidement sur le Sentier, les étudiants de l'occulte savent depuis
longtemps qu'existe le "renoncement à la récompense dévakhanique", ainsi
que cela a été appelé. En d'autres termes, il s'agit de renoncer à la béatitude
du monde céleste entre deux incarnations, afin de reprendre plus vite sa
tâche sur le plan physique. L'expression citée n'est pas très heureuse :
considérons donc plutôt la vie céleste comme une conséquence nécessaire
de la vie terrestre que comme sa "récompense". Car les pensées et les
aspirations les plus hautes conçues par un être humain pendant son
existence physique sont, [105] pour ainsi dire, "quantifiables" en termes
d'énergie spirituelle ; une énergie spirituelle qui agira sur lui lorsqu'il
parvient au plan mental. Si cette énergie est réduite, elle s'épuisera plus
vite – sa vie sur le plan céleste sera courte ; si au contraire beaucoup
d'énergie a été générée, il lui faudra plus de temps pour s'épuiser, ce qui
prolongera considérablement le séjour céleste.

Ainsi, à mesure que l'homme développe sa nature spirituelle, il vit de


plus en plus longtemps dans le monde céleste ; mais ne croyons pas que
cet allongement puisse retarder ses progrès ou qu'il diminue ses occasions
d'être utile à ses semblables. Le séjour dans la vie céleste est absolument
nécessaire pour tous ceux qui ne sont pas déjà très développés
spirituellement : c'est seulement là que leurs aspirations pourront se
transformer en aptitudes, et que leurs expériences muriront en sagesse. De
cette façon, l'âme évolue bien plus vite qu'elle ne le ferait si, par exemple,
quelque miracle lui permettait de se maintenir incarnée physiquement
pendant toute la période considérée. S'il en était autrement, les lois qui
régissent la nature seraient manifestement contradictoires : elles
permettraient à la nature de se rapprocher de son but ultime, tout en faisant
des efforts toujours plus importants pour l'en empêcher ! On ne saurait
admettre de telles contradictions au sein de lois que nous savons émaner de
la plus sublime sagesse.
La possibilité de renoncer à la vie céleste est loin d'être à la portée de
chacun, car la Grande Loi ne permet pas de renoncer aveuglément à ce que
l'on ne [106] connait pas encore, ni même de s'écarter de la ligne évolutive
normale – pas avant que l'âme n'y soit prête, et qu'elle ne trouve tout son
profit dans un tel renoncement.

La loi est la suivante : une personne n'aura pas le droit de renoncer à la


béatitude céleste tant qu'elle n'y aura pas gouté pendant sa vie terrestre, pas
avant d'être suffisamment développée spirituellement pour pouvoir élever
sa conscience jusqu'à ce plan, puis de rapporter ici le souvenir précis et
intégral de sa gloire – un souvenir que rien sur terre ne saurait décrire.

Un instant de réflexion nous permettra de comprendre pourquoi il en


est ainsi. À première vue, puisque c'est de l'évolution de l'âme dont il
s'agit, il suffirait qu'elle réalise – depuis l'un des plans où elle se trouve –
l'utilité d'un tel renoncement à la béatitude, puisqu'elle force son égo des
plans inférieurs à obtempérer avec son choix. Mais cela ne serait pas
conforme à la justice, car une telle décision implique l'accord entre les
différents niveaux de l'égo. En effet, si l'égo supérieur possède le droit de
jouir de la béatitude céleste sur les niveaux roupa, c'est parce que ce droit
se manifesta d'abord à travers sa personnalité inférieure : or la vie de celle-
ci, avec tous ses repères personnels et familiaux, appartient au monde
céleste inférieur. Donc, pour valider un tel renoncement, la personnalité
doit elle aussi réaliser pleinement ce qui sera abandonné, afin d'être en
accord avec ses parties supérieures. [107]

Dans la perspective d'un tel renoncement, la personne doit non


seulement pouvoir s'élever jusqu'au plan mental pendant sa vie terrestre,
mais de plus elle doit pouvoir s'y maintenir ainsi qu'elle le ferait après sa
mort physique. Cela étant dit, n'oublions pas que l'évolution de la
conscience se déroule, en quelque sorte, du bas vers le haut, et que les
êtres humains ne sont réellement conscients que de leur corps physique –
la majorité d'entre eux étant encore assez peu évolués spirituellement. Pour
la plupart, leur corps astral est encore amorphe et non structuré ; certes il
est le trait d'union effectif entre l'égo et son enveloppe physique – voire
véhicule des perceptions sensorielles – mais il est encore loin d'être
exploitable par un homme sur le plan physique, ou de donner une idée
correcte de ses pouvoirs à venir sur ce plan-là.
Chez les groupes humains plus évolués, le corps astral atteint un
niveau de développement supérieur, et dans certains cas la conscience y a
atteint son degré optimal – mais, même alors, l'homme poursuit son
comportement égocentrique : il est surtout conscient de ses propres
pensées et ne perçoit presque rien de son environnement réel. Certains
chercheurs ont même été encore plus loin : ils ont pris l'habitude de
s'éveiller régulièrement sur ce plan, jusqu'à parvenir à y maitriser
totalement leur corps astral – un avantage dont ils bénéficient à plus d'un
titre.

Pour autant, ces étudiants n'en conservent pas nécessairement sur le


plan physique un souvenir complet : leurs activités et expériences astrales
en général ne leur reviennent pas intégralement à l'esprit [108] dès la
première fois, ni même beaucoup plus tard. En règle générale, ils s'en
souviennent partiellement et par intermittence ; parfois même, pour
diverses raisons, aucun souvenir digne de ce nom ne se fraye un passage
jusqu'au cerveau physique.

La présence même de la conscience sur le plan mental prouve bien sûr


qu'elle a progressé : dans le cas d'un être humain évoluant normalement et
régulièrement, une telle conscience ne devrait naitre qu'une fois établie la
liaison entre l'astral et le physique. Mais au sein de cet état déséquilibré et
artificiel que nous appelons la civilisation moderne, l'être humain est loin
de se développer toujours de façon harmonieuse et avec régularité. De
sorte que l'on découvre parfois des cas où de très nombreuses
connaissances ont bien été acquises sur le plan mental, puis passées
normalement jusqu'à la vie astrale – mais sans que ces connaissances de la
vie supérieure soient jamais parvenues jusqu'au cerveau physique.

Ces cas, fort rares, n'en existent pas moins, et ils nous permettent
immédiatement d'envisager l'existence d'une exception à notre règle. Une
telle personnalité pourrait en effet être assez évoluée pour gouter
l'ineffable béatitude céleste, puis, tout en en rapportant le souvenir jusqu'à
sa vie astrale – mais pas plus bas – d'y acquérir le droit d'y renoncer.

Et si l'on retient que la vie astrale est celle où la conscience de la


personnalité s'exprime de façon pleine et entière, un tel souvenir du plan
mental n'enfreindrait pas la loi de justice, qui stipule que [109] c'est la
personnalité qui doit faire l'expérience de la vie céleste pour avoir le droit
d'y renoncer. Sans que la conscience éveillée au plan physique n'en sache
jamais rien. En effet, voilà le point essentiel à retenir : puisque c'est à la
personnalité de décider de renoncer au monde céleste, c'est elle qui doit en
faire l'expérience et en ramener le souvenir plus bas, là où elle agit
normalement et en pleine conscience ; et ce plan n'a pas besoin d'être le
plan physique si toutes les conditions requises sont déjà réunies sur le plan
astral. Mais un tel cas de figure reste peu probable, sauf chez ceux qui ont
(au moins) atteint le degré d'élève en probation auprès de l'un des Maitres
de Sagesse.

Celui qui voudrait réaliser cet exploit devra donc chercher de toutes
ses forces, de toute son âme, à devenir le digne instrument de ceux qui
aident le monde. Il devra se consacrer avec le dévouement le plus absolu
au bien spirituel de ses semblables ; sans l'arrogance de se croire déjà
digne d'un tel honneur, il espèrera humblement qu'après une ou deux
existences d'efforts soutenus, son Maitre lui dise peut-être que l'heure est
venue ; et qu'il peut désormais, lui aussi, faire ce choix.

LE MONDE CÉLESTE SUPÉRIEUR

Quittons à présent les quatre niveaux inférieurs ou "roupa" du plan


mental, sur lesquels se manifeste [110] l'homme dans sa personnalité
temporaire, pour étudier les trois niveaux supérieurs ou "aroupa" – sa
demeure véritable et presque permanente. Ici il verra avec acuité tout ce
qu'il perçoit, car il s'est élevé au-dessus des illusions personnelles et du
moi inférieur, ce prisme déformant. Si sa conscience y est sans doute
faible, d'une attention rêveuse et à peine éveillée, sa vision n'en est pas
moins juste, quoique limitée. La conscience s'y manifeste d'une manière si
différente à tout ce que nous connaissons ici-bas que tous les mots
employés en psychologie restent inutiles et trompeurs. Il a été désigné
comme le règne du monde nouménal par opposition au règne du monde
phénoménal, le monde sans formes s'opposant au monde des formes.
Pourtant il s'agit encore d'un monde manifesté, bien réel pour l'observateur
qui le comparerait à l'irréalité des états inférieurs ; et d'un monde plein de
formes, bien qu'elles soient d'une substance raréfiée et d'une essence
subtile.

Après l'achèvement de ce que nous appelons communément la vie


céleste, l'âme connait encore une dernière phase dans son existence avant
de renaitre sur terre. Même si cette phase est relativement courte dans la
plupart des cas, il faut néanmoins mentionner son existence pour
compléter ce tableau de la vie humaine supraphysique.

Si la vie humaine reste perpétuellement incomprise, c'est parce que


notre regard sur elle reste incomplet, et que nous ne tenons aucun compte
de sa véritable nature et de son but. Au fond nous avons l'habitude de la
considérer du point de vue du corps physique, [111] sans jamais le faire du
point de vue de l'âme elle-même, ce qui en bouleverse complètement notre
compréhension. Car en réalité, les allers-retours de l'égo des plans
supérieurs vers les plans inférieurs forment de vastes mouvements
circulaires. Nous ne prenons qu'un petit fragment du bas de ce cycle et
croyons y voir une ligne droite, accordant une importance excessive à son
commencement et à sa fin : mais les véritables tournants décisifs nous
échappent complètement.

L'espace d'un instant, essayez de vous représenter la matière telle


qu'elle doit apparaitre à l'homme réalisé sur le plan où il est parvenu, et dès
qu'il y est devenu parfaitement conscient. Obéissant à ce désir de se
diffuser qu'il trouve en lui, et qui lui a été inspiré par cette loi de
l'évolution qu'est la volonté du Logos, il va imiter l'action du Verbe divin,
du Logos, en se répandant lui-même sur les plans inférieurs.

Pendant la durée de ce processus il va se revêtir de la matière propre à


chacun des plans qu'il traverse en exerçant une sorte de "pression"
constante : vers la matière mentale, puis astrale, puis physique. Lorsque
débute cette petite partie de son existence sur le plan physique – que nous
appelons "sa vie"- cette pression externe est encore forte, mais lorsqu'elle
arrive à la moitié, dans la plupart des cas elle s'épuise. C'est dans cette
période-là que le cycle réamorce un mouvement intérieur ascendant, vers
les plans supérieurs.

Il n'y a là aucun changement brutal ni violent, car rien ne procède par


angles mais toujours en suivant [112] la courbe du cercle formé – ce
moment trouve son exacte équivalence dans l'aphélie d'une planète (c'est-
à-dire son point orbital le plus éloigné par rapport à l'astre autour duquel
elle gravite). C'est pourtant là le "tournant" décisif de ce petit cycle
évolutif de l'âme, même si nous ne lui donnons aucun nom. Dans le cycle
de vie de l'Inde ancienne, ce moment apparaissait à la fin de la période de
Grihastha, ou de "l'occupant-locataire" dans l'existence terrestre de
l'homme.
À partir de ce point, toutes les forces de l'homme devraient être
continument tirées vers le haut – vers l'intérieur – , son attention de moins
en moins attirée par les choses simplement terrestres mais concentrée d'une
façon croissante sur celles des plans supérieurs. On en déduit, cela saute
aux yeux, à quel point les conditions de vie européennes modernes
s'opposent à tout progrès réel de l'âme.

Sur cette portion de l'arc évolutif, connaitre le moment précis où


l'homme abandonne son corps physique a peu d'importance. Le
changement suivant en a beaucoup plus : nous pourrions l'appeler sa mort
sur le plan astral et sa naissance dans le monde céleste, bien qu'il ne
s'agisse simplement que d'un transfert de conscience depuis la matière
astrale vers la matière mentale, toujours au long de ce reflux ascendant
régulier dont j'ai déjà parlé plus haut.

Le résultat ultime de cette vie humaine n'est connu qu'à la fin de ce


mouvement ascendant, quand la conscience s'est retirée vers le plan céleste
supérieur, là où demeure son égo véritable. L'âme peut alors voir quelles
sont les nouvelles qualités qu'elle a acquises tout au long de cette unique
boucle, de ce petit cycle de son évolution. C'est également dans cette
phase-là que l'âme obtient un aperçu de l'ensemble de la vie vécue ; l'éclair
d'un instant, sa conscience plus lucide lui montre ce qui a été accompli
dans sa dernière existence, avec un aperçu des conséquences qui en
découleront dans la vie à venir.

L'aperçu auquel accède l'âme du monde céleste n'est pas une


connaissance précise de la prochaine incarnation, mais plutôt une
observation approximative et globale. Si le but principal de la vie à venir
peut-être aperçu par l'âme, c'est plutôt pour que cette vision soit un
enseignement, pour lui montrer les conséquences karmiques de ses actes
passés ; c'est là une opportunité qui lui est offerte, dont elle profitera plus
ou moins selon son niveau d'évolution.

Au début de son évolution, elle profitera peu d'un tel aperçu, car sa
conscience est rudimentaire et à peine capable de saisir les faits et de les
lier les uns aux autres. Puis son aptitude à apprécier ce qu'elle voit ira en
croissant, jusqu'à parvenir à se souvenir des révélations fugitives qui
achevèrent ses vies précédentes, et à comparer celles-ci ; elle pourra ainsi
juger du chemin parcouru. [114]
LE TROISIÈME SOUS-PLAN, OU LE CINQUIÈME CIEL

Ce sous-plan, le moins élevé des sous-plans "aroupa", est aussi de loin


le plus peuplé de tous les plans connus, car les soixante milliards d'âmes
actuellement en cours d'évolution y sont presque toutes présentes – à
l'exception de celles, peu nombreuses, qui évoluent sur les deux sous-plans
supérieurs. Chaque âme y a une forme ovoïde ; celle-ci est d'abord une
simple pellicule incolore, presque invisible et impalpable, mais à mesure
que l'égo se développe, cycle après cycle, cette enveloppe s'irise de teintes
chatoyantes comme celles d'une bulle de savon, et changeantes comme les
nuances que produit le soleil sur la vapeur d'eau d'une cascade.

Composée d'une matière incroyablement ténue, subtile et éthérée,


animée d'une énergie intense et palpitant d'un feu vivant, elle se transforme
progressivement en une sphère resplendissante de couleurs radieuses. Ses
vibrations rapides créent à sa surface des ondulations colorées
changeantes, aux nuances inconnues ici-bas, d'un éclat, d'une douceur et
d'une brillance impossibles à traduire. Prenez les teintes d'un coucher de
soleil égyptien et ajoutez-leur la douceur d'un beau soir d'Angleterre, puis
intensifiez-en l'éclat, la translucidité et la splendeur, autant qu'ils
surpassent déjà les tons d'une boite de crayons de couleur d'enfant : vos
efforts seraient encore vains. [115] Car sans l'avoir contemplée, nul ne
saurait imaginer la beauté de ces sphères radieuses, qui scintillent aux yeux
du clairvoyant tandis qu'il s'élève jusqu'au niveau de ce monde divin.

Tous ces corps causals sont remplis d'un feu vivant venu d'un plan
supérieur, auquel les sphères semblent reliées par un fil palpitant d'une
lumière intense ; ce qui rappelle d'une manière frappante la stance de
Dzyan, où L'Étincelle est suspendue à la Flamme par le fil le plus ténu de
Fohat. À mesure que l'âme se développe et que ce fil lui permet de
recevoir toujours plus de cet océan inépuisable d'Esprit Divin, le fil lui-
même s'élargit pour que le flux augmente, jusqu'à ressembler sur le sous-
plan supérieur à une trombe reliant la terre et le ciel. Puis, plus haut
encore, cette trombe prend elle-même l'aspect d'une sphère immense
accumulant la source vivante, jusqu'à ce que le corps causal fusionne avec
la matière qui l'inonde. Ici encore, une Stance nous le décrit :
"Le fil qui unit le Veilleur Silencieux à son Ombre,
devient plus fort et plus radieux à chaque Changement.
La Lumière Solaire du Matin s'est changée en l'éclat
glorieux du Midi. Voilà ta Roue actuelle, dit la Flamme à
l'Étincelle. Tu es moi-même, mon Image et mon Ombre.
Je me suis vêtue de toi et tu es mon vâhan, jusqu'au Jour-
sois-avec-nous, où tu reviendras moi-même et d'autres,
toi-même et moi."

Les âmes qui sont reliées à un corps physique diffèrent de celles qui
sont désincarnées par le type de vibrations que produisent les surfaces de
leurs [116] sphères ; aussi est-il facile, sur ce troisième sous-plan, de
savoir du premier coup d'œil si un individu est ou non incarné au moment
de l'observation. Dans leur grande majorité, les sphères sont dans un état
de semi-conscience rêveuse, qu'elles aient un corps physique ou non ; et
cependant celles qui n'ont que de simples pellicules incolores sont rares.
Les âmes complètement éveillées sont de notables et superbes exceptions,
resplendissant parmi leurs ternes congénères comme autant d'étoiles plus
brillantes. Entre ces deux extrêmes on trouve toutes les variations de taille,
de beauté et de couleurs imaginables, chacune représentant exactement de
degré d'évolution qu'elle a atteint.

Cependant la plupart d'entre elles ne sont pas encore assez mures,


même avec leur niveau de conscience actuel, pour comprendre le but ou
les lois de l'évolution qui les régit. Elles cherchent à s'incarner, poussées
par la Volonté Cosmique ainsi que par "Tanhâ", la soif aveugle de vie
manifestée – un désir de trouver un espace où elles puissent se sentir
vivantes et en être conscientes. Car ces âmes primitives, encore au début
de leur évolution, ne peuvent percevoir les vibrations extrêmement rapides
et pénétrantes de la matière la plus élevée de leur plan ; seuls les
mouvements forts et grossiers, mais assez lents, de la matière plus lourde
du plan physique sont susceptibles de les émouvoir. C'est donc uniquement
sur le plan physique que ces âmes se sentiront vivantes, d'où leur ardent
désir de renaitre dans une vie terrestre. [117]

Ainsi, pendant un temps, leur désir concorde parfaitement avec la loi


de leur évolution ; encore primitives, elles ne peuvent évoluer qu'en
recourant à ces "chocs" externes qui les sollicitent de plus en plus, et
qu'elles ne peuvent recevoir qu'à travers la vie terrestre. Progressivement
ces âmes accroissent leurs stimulations aux vibrations physiques les plus
hautes et les plus belles, et, plus lentement encore, à celles du plan astral.
Leurs corps astrals, jusqu'alors simples intermédiaires sensoriels pour
l'âme, se transforment en véhicules précis dont elles peuvent user, tandis
que leurs consciences commencent à se centrer sur leurs émotions plus que
sur leurs seules sensations physiques.

À une étape ultérieure de leur développement, elles apprendront cette


fois à "centrer" leur conscience sur le corps mental – toujours mues par ce
même processus d'apprentissage fondé sur la réaction aux "chocs"
externes. Elles apprendront à vivre selon les images mentales qu'elles se
formèrent pour elles-mêmes, de façon à ce que leur intellect gouverne
leurs émotions. Puis, dans une phase ultérieure très lointaine de ce même
chemin, ces âmes se déplaceront de nouveau pour se centrer cette fois sur
leur corps causal. C'est là que ces âmes comprennent la nature de leur
véritable vie. Le fait même qu'elles y soient parvenues implique qu'elles
résident déjà à un sous-plan plus élevé, et que l'existence terrestre
inférieure ne leur est plus nécessaire.

Mais voyons plutôt ici ce qu'il en est pour la plupart des âmes moins
évoluées. Elles vont déployer leurs [118] personnalités dans l'océan de
l'existence comme autant de tentacules tâtonnants et hésitants, ces
personnalités étant elles-mêmes situées sur les plans inférieurs de la vie.
Les âmes ignorent encore que c'est à travers ces personnalités successives
qu'elles vont se nourrir et croitre : leur propre passé et leur futur leur
échappe et elles ne sont pas encore conscientes sur leur propre plan. Mais
au fur et à mesure que ces âmes acquièrent de l'expérience puis
l'assimilent, elles s'éveillent à l'idée qu'il y a des choses bonnes et d'autres
mauvaises. Cela se traduira – de façon imparfaite – dans les personnalités
qu'empruntent ces âmes par un début de conscience, un sentiment du bien
et du mal. Et avec l'évolution progressive de ces âmes, ce discernement
s'affirmera de plus en plus clairement dans leurs natures inférieures,
jusqu'à les guider plus correctement.

Nous avons évoqué plus haut l'éclair illuminant un instant la


conscience de l'âme ; grâce à lui, les âmes les plus avancées de ce sous-
plan peuvent encore évoluer. Elles peuvent se développer jusqu'à parvenir
à l'étude de leur propre passé ; elles remontent alors aux sources mêmes
qui le causèrent, apprenant beaucoup de cet examen rétrospectif : les
impulsions venues d'en haut se font plus nettes et plus précises, et se
traduisent dans la conscience inférieure par des convictions inébranlables
et des intuitions impérieuses.
Répétons seulement ici que les images-pensées des niveaux "roupas"
ne parviennent pas jusqu'au monde céleste supérieur. Toutes les illusions
sont dissipées et chaque âme voit la véritable famille à laquelle elle [119]
appartient : elle les voit (elle-même incluse) dans leur nature royale – tout
comme le véritable immortel va de vie en vie, tous ses liens intacts et
soudés à son être véritable.

LE DEUXIÈME SOUS-PLAN, OU LE SIXIÈME CIEL

Passons maintenant à l'étude d'un monde céleste où la densité des


habitants est moindre – comme l'arrivée dans une paisible campagne après
avoir quitté une grande ville. En effet, à ce stade de l'évolution humaine,
peu d'âmes sont parvenues jusqu'à ce niveau plus noble, où même la moins
évoluée d'entre elles est déjà parfaitement consciente à la fois d'elle-même
et de son environnement. Elle peut passer en revue sa propre histoire
passée – du moins jusqu'à un certain point – et connaitre le but de
l'évolution comme ses méthodes ; elle se sait engagée dans un processus de
développement d'elle-même, et peut identifier les phases de vie physique
et post mortem qu'elle traverse dans ses véhicules inférieurs.

Sur ce deuxième sous-plan céleste, l'âme considère la personnalité qui


lui est liée comme une part d'elle-même, qu'elle s'efforce de guider. Elle
puisera dans sa connaissance du passé comme d'une réserve d'expériences,
pour formuler ses principes de conduite clairs et invariables, ainsi que ses
certitudes sur le bien et le mal ; puis elle enverra ces éléments vers la [120]
personnalité, c'est-à-dire son mental inférieur, dont elle organise et dirige
l'activité. Si, dans la première partie de sa vie sur ce sous-plan, l'âme
échoue à faire comprendre logiquement à son mental inférieur pourquoi
elle lui impose de tels principes, en revanche elle parvient à les lui imposer
– au point que des notions aussi abstraites que vérité, justice et honneur
deviennent des concepts incontestés et souverains de sa vie mentale
inférieure.

Il existe certaines règles de conduite approuvées par la société, la


nation et la religion, qui guident l'homme dans sa vie quotidienne et qui
peuvent être balayées par une tentation subite, par une vague irrésistible de
désir et de passion. Mais il y a certains actes que l'homme évolué est
incapable de commettre, des actes qui s'opposent à sa propre nature : il ne
peut mentir, ni trahir, ni se conduire de façon déshonorante. Certains
principes sont enracinés au plus profond de son être, et il est impossible de
les vicier, quelle que soit la pression qu'exercent les circonstances ou le
torrent des tentations : car ces principes appartiennent à la vie même de
l'âme. Tandis qu'elle réussit de la sorte à guider son véhicule inférieur, la
nature et les actions de ce dernier lui restent néanmoins peu connus ; car sa
vision des plans inférieurs reste vague, et elle en voit plus les principes que
les détails. D'ailleurs, l'évolution qu'elle doit accomplir sur ce plan consiste
(pour partie) à se rapprocher consciemment de "sa" personnalité, qui la
représente si imparfaitement ici-bas.

Dès lors, le lecteur comprendra que les seules âmes capables de vivre
sur ce plan sont celles [121] qui poursuivent délibérément leur
développement spirituel – et qui sont par conséquent devenues très
réceptives aux influences des plans supérieurs. Leur canal de
communication grandit et s'élargit, répandant un flux plus important : c'est
sous cette influence que la pensée acquiert une acuité et une netteté
singulières (y compris chez les personnalités les moins développées), dont
les effets sur le mental inférieur se traduisent par une propension à la
réflexion philosophique et abstraite. Chez les personnalités les plus
avancées, le champ de vision s'élargit de façon considérable : leur regard
pénétrant remonte jusqu'aux origines de la personnalité, identifie les causes
à l'œuvre, puis leur développement, et enfin leurs effets ultimes encore à
venir.

Lorsqu'elles sont libérées de leur corps physique, les âmes qui vivent
sur ce plan sont à même de faire de grands progrès ; en effet, c'est là
qu'elles peuvent recevoir les leçons d'entités plus avancées, entrant en
contact direct avec leurs instructeurs. Ce contact n'a plus lieu au moyen
d'images-pensées, mais par une lumière éclatante impossible à décrire :
l'essence même de l'idée vole comme une étoile d'une âme à l'autre, et les
corrélations quelle engendre sont comme des ondes lumineuses émanées
d'une étoile centrale, qui ne nécessiteraient pas d'être énoncées séparément.
Ainsi, une pensée est un peu comme la lampe d'une pièce : elle révèle tous
les objets-corrélations qui s'y trouvent, sans qu'il soit nécessaire de les
décrire par des mots. [122]
LE PREMIER SOUS-PLAN, OU LE SEPTIÈME CIEL

À ce jour, le plus glorieux des niveaux du monde mental n'a que


quelques habitants issus de notre humanité ; à de tels sommets on ne
trouve guère, en effet, que les Maitres de la Sagesse et de la Compassion
et, avec Eux, leurs élèves initiés. Comment décrire ici la beauté des
formes, des couleurs et des sons qu'on y trouve ? La langue des mortels ne
connait pas de termes qui puissent exprimer ces splendeurs rayonnantes. Il
suffit qu'elles existent, et qu'elles soient exprimées par quelques membres
de notre race humaine – quintessence de ce que les autres deviendront un
jour, fruits parfaits dont les graines furent semées sur les plans inférieurs.
Ceux-là ont achevé l'évolution de leur mental, de sorte que leur nature
supérieure resplendit à travers leurs enveloppes inférieures. Le voile
trompeur de la personnalité n'existe plus à leurs yeux ; ils savent et
comprennent qu'ils s'en distinguent, qu'elle est leur nature inférieure, et ne
l'emploient que comme véhicule d'expériences. Chez les moins évolués
d'entre eux, la personnalité peut encore être une entrave et un obstacle,
mais aucun d'eux ne commettrait la faute de confondre le véhicule qu'elle
est avec le Soi à l'œuvre au-dessus. Ils évitent cette confusion en
conservant une conscience intacte et ininterrompue, non seulement d'un
jour à l'autre mais également d'une existence à l'autre. Ainsi, [123] plutôt
que de voir la conscience ressasser au présent chaque existence passée,
l'intéressé ressent leur unité commune, sans y voir des existences
multiples.

À une telle hauteur, l'âme est à la fois consciente du monde céleste


inférieur comme elle l'est du monde supérieur où elle réside ; si une forme-
pensée, issue de la vie céleste de l'un de ses proches, vient à se manifester
jusque-là, elle pourra en faire le meilleur usage. Car auparavant, sur le
troisième sous-plan (voire le bas du deuxième sous-plan), sa conscience
des sous-plans inférieurs à elle reste encore vague – et elle ne peut agir sur
les formes-pensées qu'instinctivement et de manière automatique. Cela
change dès qu'elle parvient au cœur du deuxième sous-plan, où sa vision
devient très vite plus claire, et où elle voit avec plaisir que les formes-
pensées peuvent être des véhicules – parfois même plus adaptés que sa
personnalité pour exprimer ce qu'elle est.
À présent que l'âme est active au sein de son corps causal, baignée par
la lumière magnifique et les splendeurs du plus haut niveau céleste, sa
conscience peut toucher, de façon instantanée et parfaite, tout point situé
sur l'un des niveaux inférieurs vers lequel elle souhaiterait la diriger ; ainsi,
elle peut délibérément projeter une énergie supplémentaire dans une telle
forme-pensée lorsqu'elle souhaite l'employer pour instruire son émetteur.

C'est de ce niveau, le plus haut du plan mental, que proviennent la


plupart des influences émises par les Maitres de Sagesse, tandis qu'ils
œuvrent à l'évolution [124] de la race humaine. Ils agissent directement sur
les âmes humaines, répandent en elles l'énergie enthousiaste qui stimulera
leur évolution spirituelle, illuminera leur intellect et purifiera leurs
émotions. Source originelle illuminant le génie, chaque effort fait pour
s'élever y trouve le soutien pour continuer. De même que les rayons
solaires irradient dans toutes les directions depuis un centre unique, et
qu'ils sont assimilés par chaque corps selon sa nature, les Frères Ainés de
l'humanité répandent sur toutes les âmes la lumière et la vie qu'ils ont pour
mission de diffuser, et que chacun assimilera selon ses moyens pour
grandir et évoluer. Il en résulte donc qu'ici comme partout ailleurs, la plus
haute gloire du monde céleste réside dans la gloire de servir. Et ceux dont
l'évolution mentale est désormais achevée deviennent autant de sources où
les autres âmes viendront puiser leurs forces, elles qui poursuivent leur
ascension.
II. — HABITANTS NON-HUMAINS

Lorsqu'il faut tenter de décrire les habitants non-humains du plan


mental, nous nous trouvons immédiatement devant des difficultés presque
insurmontables : car évoquer le septième ciel c'est découvrir pour la
première fois un plan qui s'étend à l'échelle du cosmos ; et donc un plan
sur lequel se trouvent de nombreuses entités que le langage humain
ordinaire est incapable de décrire. Pour [125] rester dans le cadre du
présent ouvrage, il sera donc préférable d'en écarter ces foules d'êtres qui
se retrouvent dans tout l'univers, et ne mentionner que ceux qui
appartiennent au plan mental de notre propre chaine planétaire. Le lecteur
se souviendra que le même choix fut opéré dans le Plan Astral, où nous
nous étions abstenus de décrire les visiteurs d'autres planètes et d'autres
systèmes solaires. Bien que des visiteurs de ce genre, peu connus sur le
plan astral, soient beaucoup plus nombreux sur le plan mental, je crois
préférable d'observer une fois de plus la même règle. Il suffira donc de
consacrer ici quelques lignes à l'essence élémentale du plan mental et aux
catégories du grand royaume des Dévas qui s'y rattachent directement – et
déjà, la difficulté extrême à décrire ces notions, pourtant relativement
simples, donnera une idée des obstacles que présentent les autres, bien plus
complexes encore.

L'ESSENCE ÉLÉMENTALE

On se souviendra sans doute que dans l'une des premières lettres


reçues d'un Instructeur-Adepte, il était dit que personne ne pouvait
comprendre la nature des premier et deuxième règnes élémentals, à moins
d'être un initié ; cette remarque en dit long sur les chances de parvenir à les
décrire ici-bas sur le plan physique ! Essayons tout d'abord de formuler,
aussi clairement que possible, ce qu'est en réalité l'essence [126]
élémentale, puisque les erreurs semblent nombreuses – y compris chez les
spécialistes de la littérature théosophique.

DÉFINITION

Ainsi, l'essence élémentale est simplement le nom que l'on donne à


l'essence de la monade au début de son évolution et à certaines étapes.
L'essence de la monade, ou essence monadique, peut à son tour être définie
comme l'effusion de la Vie Divine issue du Second Logos dans la matière.
Nous savons tous que cette effusion de la Vie Divine, avant de
s'individualiser au point de former le corps causal d'un homme, traverse
six phases évolutives inférieures, en y inséminant à chaque fois son âme :
une phase animale, puis végétale, puis encore minérale et enfin propre aux
trois règnes élémentals. Quand l'essence monadique traverse chacun de ces
règnes pour y imprimer son énergie, elle a parfois été nommée monade
animale, végétale ou minérale, selon le cas : des noms toujours inexacts,
puisque bien avant d'atteindre ces règnes, l'essence monadique n'était déjà
plus une mais multiple. Ces noms restèrent cependant pour indiquer que, si
l'essence monadique s'était différenciée bien avant, elle n'était pas encore
parvenue à s'individualiser, étape ultime. Enfin, cette essence monadique
prend le nom d' "essence élémentale" lorsqu'elle manifeste [127] son
énergie à travers chacun des trois grands règnes élémentals précédant le
règne minéral.

LA DESCENTE DE L'ESPRIT DANS LA MATIÈRE

Mais avant de pouvoir comprendre ce qu'est l'essence monadique et


comment elle se manifeste sur chaque plan, nous devons saisir de quelle
manière l'esprit s'enveloppe de matière à mesure qu'il descend vers les
plans inférieurs. Il ne s'agit pas ici de la formation originelle de la matière
de ces plans : mais simplement d'une nouvelle vague de l'évolution, qui
pénètre dans la matière préexistante.

Comprenons qu'avant la période que nous étudions, cette vague de vie


évolua pendant des éternités et selon des modalités qui nous sont
incompréhensibles, revêtant successivement des atomes, des molécules
puis des cellules. Laissons là pour l'instant les débuts de son extraordinaire
histoire, et tenons-nous en à sa descente dans la matière des plans – ce qui
est sans doute plus accessible à l'intelligence humaine, quoique toujours
bien au-delà du simple niveau de la réalité physique.

Voici le processus qu'il faut bien avoir à l'esprit pour comprendre la


descente de l'esprit dans la matière. L'esprit, séjournant sur un plan – quel
qu'il soit – se voit irrésistiblement poussé par la force de sa propre
évolution à descendre vers le plan inférieur. Pour [128] qu'il puisse s'y
manifester, il doit au moins se revêtir de la "matière atomique" propre à ce
deuxième plan, comme s'il en tissait un voile l'enveloppant ensuite comme
un corps ; un corps dont il deviendra l'âme ou la force active. De la même
manière, en poursuivant sa descente vers un troisième plan encore
inférieur au précédant, l'esprit procèdera de nouveau ainsi : il
s'enveloppera de la matière de ce troisième plan, et l'entité ainsi formée
aura un vêtement supplémentaire, enveloppe extérieure composée de la
"matière atomique" de celui-ci.

À ce stade, la force de vie de cette entité – son âme, en quelque sorte –


n'est plus l'esprit "sans enveloppes" du plan primitif, puisque l'esprit a déjà
revêtu une enveloppe de "matière atomique" intermédiaire (en descendant
sur un deuxième plan) avant de revêtir celle de ce troisième plan.

Lorsque l'entité ainsi formée descend encore vers un quatrième plan,


sa complexité augmente proportionnellement : elle se forme alors un corps
de matière propre à ce quatrième plan, dotée d'un esprit qui vitalisa déjà
deux enveloppes auparavant (faites des "matières atomiques" respectives
aux deuxième et au troisième plans). Puisque ce processus se répète à
chaque nouveau plan du système solaire, et obscurcit progressivement la
force originelle, ne nous étonnons pas que, parvenue sur notre plan
physique, personne n'y reconnaisse l'esprit !

Imaginons par exemple un clairvoyant peu expérimenté qui


chercherait à étudier la monade minérale, [129] pour examiner les forces
vitales qui sont à l'œuvre dans le règne minéral. Sa vision sera presque
certainement limitée au plan astral, et d'une qualité surement très
médiocre : de sorte que pour lui, la force vitale observée ne saurait être
qu'astrale. Mais en l'examinant avec l'énergie supérieure d'un étudiant plus
exercé, la monade minérale révèlerait que cette force prétendument astrale
était en fait une simple "matière atomique" astrale, mue par une force
descendue jusque-là depuis le niveau "atomique" du plan mental. Un
étudiant plus entrainé pénètrerait davantage encore sa nature : il
découvrirait que l'apparente matière atomique mentale n'est elle-même
qu'un véhicule, dans lequel œuvre en réalité un principe appartenant au
sous-plan bouddhique le plus élevé. Au-delà encore, aux yeux de l'Adepte
cette fois, cette matière du plan bouddhique n'est elle-même que le
véhicule du principe nirvânique ; en réalité, la force qui pénétra et œuvra à
travers toutes ces enveloppes successives est entièrement extérieure à ce
plan cosmique-prakritique, et n'est autre, en vérité, que l'une des
manifestations de la Force Divine.
LES RÈGNES ÉLÉMENTALS

L'essence élémentale que nous trouvons sur le plan mental constitue le


premier et le deuxième des grands règnes élémentals. Voyons comment se
forme l'essence élémentale du premier grand règne [130] élémental.
Lorsqu'une onde de Vie Divine achève sa descente évolutive – commencée
dans une autre ère en traversant tout le plan bouddhique, elle descend au
septième ciel du plan mental qu'elle envahit, et vivifie en très grandes
quantités la matière atomique mentale qui s'y trouve : ainsi est formée
l'essence élémentale du premier règne. À ce stade, l'essence élémentale ne
combine pas encore les atomes en molécules pour se composer un corps –
elle se contente de comprimer puissamment ces atomes par l'attraction
qu'elle exerce sur eux. Il faut se représenter cette essence comme une force
qui, descendant pour la première fois jusqu'à ce septième ciel mental, n'est
pas du tout habituée aux vibrations de ce sous-plan et ne peut leur
répondre immédiatement.

Durant les âges qu'elle passe sur ce niveau, le but de son évolution
vise à apprendre à répondre à toutes les vitesses vibratoires rencontrées,
afin qu'elle puisse animer et employer toutes les combinaisons de matière
propres à ce plan. Pendant cette longue période de son évolution, elle aura
expérimenté toutes les combinaisons possibles avec les matières des trois
niveaux "aroupas", avant de retourner, à la fin du temps, au niveau
atomique dont elle est issue – mais dotée cette fois de toutes les facultés
acquises, bien entendu.

Dans l'âge suivant, cette essence élémentale descend pour gagner le


plus haut des niveaux "roupas" du plan mental, c'est-à-dire le quatrième
sous-plan mental, et en tire assez de matière pour se constituer un corps :
elle forme alors l'essence élémentale du second [131] règne, telle qu'elle
apparait au début. Mais comme précédemment, elle revêt à mesure qu'elle
progresse des enveloppes nombreuses et variées, formées de toutes les
combinaisons possibles des matières des sous-plans inférieurs.

On pourrait légitimement penser que ces règnes élémentals qui vivent


et œuvrent sur le plan mental sont nécessairement plus évolués que le
troisième d'entre eux, exclusivement localisé sur le plan astral. Il n'en est
rien, cependant, car l'essence monadique évoluant vers le bas, elle
"progresse" lorsqu'elle s'enfonce dans la matière, puisqu'elle est "plus
avancée" sur la trajectoire descendante de sa courbe évolutive. De notre
point de vue, en revanche, elle est "moins avancée", puisqu'elle n'évolue
pas comme nous en s'élevant vers des plans supérieurs. À défaut d'avoir
toujours ce mécanisme à l'esprit, l'étudiant sera sans cesse assailli par des
anomalies embarrassantes, et n'aura jamais une vision globale et réaliste de
cette part "involutive" de l'évolution.

Les caractères généraux de l'essence élémentale du troisième grand


règne ont déjà été largement décrits dans Le Plan Astral ; tant les
subdivisions de leurs règnes que leur merveilleuse sensibilité aux pensées
humaines s'appliquent également à leurs équivalents célestes. On pourra
sans doute expliquer ici en quelques mots comment chacune des sept
subdivisions de chaque règne s'associe avec les sous-plans du plan mental.
Dans le cas du premier règne élémental – le plus bas dans l'évolution de
l'essence, le plus haut pour nous – sa subdivision la plus haute correspond
au premier sous-plan mental ; les deuxième et troisième [132] sous-plans
du plan mental se divisent chacun en trois parties, qui sont à leur tour
occupées chacune par une subdivision élémentale. Le deuxième règne,
quant à lui, correspond au monde céleste inférieur ; sa subdivision la plus
haute correspond au quatrième sous-plan, tandis que les cinquième,
sixième et septième sous-plans se divisent chacun en deux parties et sont
occupés par le reste du règne élémental.

LE MODE D'ÉVOLUTION DE L'ESSENCE ÉLÉMENTALE

Les effets de la pensée humaine sur l'essence élémentale (du plan


mental) ont été déjà largement abordés dans la première partie de cet
ouvrage, et nous n'y reviendrons pas pour le moment. Souvenons-nous
seulement qu'ici, sur le plan mental, l'essence réagit encore plus vite (pour
autant que cela soit possible) à l'émission d'une pensée que sur le plan
astral. À chaque fois, nos chercheurs furent frappés par sa prodigieuse
réactivité à la moindre action du mental.

On comprendra mieux l'importance de cette aptitude chez l'essence


élémentale si l'on garde à l'esprit que sa vie même consiste précisément à
développer cette réactivité aux stimuli des pensées ; autrement dit, ses
progrès augmentent lorsque sa réactivité aux pensées est mise à l'épreuve
par des entités plus avancées, qui évoluent dans le même sens qu'elle.
[133]
Imaginons un instant une essence élémentale totalement libérée de
l'action de toute pensée : elle ressemblerait alors à une masse informe
d'atomes, infinitésimaux et dansants. Une masse certes animée d'une vie
incroyablement intense, mais qui progresse sans doute peu dans sa marche
descendante, vers son involution dans la matière. En revanche lorsqu'une
pensée s'empare d'elle et vient stimuler son activité, que ce soit pour lui
faire prendre mille formes agréables sur les niveaux "roupas" ou pour
prendre l'apparence de courants éclatants sur les niveaux "aroupas",
l'essence élémentale acquiert une impulsion supplémentaire, dont la
répétition lui permet de progresser. En effet, chaque fois qu'une pensée est
dirigée depuis ces niveaux supérieurs vers les choses de ce monde, elle est
naturellement entrainée vers les régions inférieures et en revêt à chaque
fois la matière. Par cette action, l'enveloppe originelle de l'essence
élémentale rentre en contact avec la matière du plan en question, habituant
progressivement l'essence à répondre aux vibrations inférieures, ce qui
favorise beaucoup son involution dans la matière.

L'essence élémentale peut également être très nettement affectée par la


musique : ces superbes flux mélodiques (évoqués plus haut), que les
grands compositeurs et maitres de la mélodie répandent depuis ces régions
sublimes – où leurs œuvres, à peine ébauchées sur cette terne terre,
s'épanouissent pleinement.

Nous pouvons également retenir ici à quel point la puissance et la


majesté des pensées de ce plan [134] diffèrent des faibles efforts que nous
désignons ici-bas du même nom. Généralement, notre pensée nait dans le
corps mental, au niveau mental inférieur, et dans sa descente vers l'astral,
elle s'enveloppe alors de l'essence élémentale astrale qui lui correspond.
Mais celui qui aura pu progresser au point d'identifier sa conscience avec
son Soi véritable, situé dans le monde céleste supérieur – celui-là verra ses
pensées prendre, elles aussi, naissance aussi haut. De sorte qu'elles seront
infiniment plus belles, plus pénétrantes et, à tous égards, plus efficaces. Si
de telles pensées se dirigent exclusivement vers ce qui est plus noble, leurs
vibrations seront trop élevées pour pouvoir s'exprimer sur le plan astral ;
sinon, leurs effets sur cette matière astrale inférieure dépasseront toujours
celles qui auraient été générées sur ce plan ou à proximité de lui.

Si nous appliquons ce principe au niveau suivant, nous voyons les


pensées de l'initié naitre sur le plan bouddhique – bien au-delà du monde
mental – et se revêtir de l'essence élémentale des régions célestes
supérieures. Quant aux pensées de l'Adepte, elles se répandent en
descendant du Nirvâna lui-même, convoyant l'énergie incalculable de
régions qui dépassent l'entendement de la plupart des hommes. Ainsi, à
mesure que notre entendement s'améliore, d'autres champs d'application
s'ouvrent à nos capacités démultipliées – et l'on vérifie la véracité du
dicton, selon lequel le travail d'un seul jour passé à de tels niveaux dépasse
en efficacité le labeur de mille ans sur le plan physique. [135]

LE RÈGNE ANIMAL

Sur le plan mental, le règne animal se divise en deux groupes ; dans le


monde céleste inférieur, nous trouvons les âmes-groupes auxquelles se
rattachent la plupart des animaux et, sur le troisième sous-plan, les corps
causals des rares animaux déjà individualisés. Ces derniers ne sont
d'ailleurs plus des animaux à proprement parler ; d'un point de vue
pratique, ils sont les seuls à posséder des corps causals très primitifs, non
développés et faiblement colorés des vibrations que provoquent leurs
qualités juste nées.

Après ses morts sur le plan physique puis sur le plan astral, l'animal
individualisé jouit en général d'une existence très prolongée, quoique assez
rêveuse, dans le monde céleste inférieur. Pendant cette période, il est dans
un état similaire à celui d'un être humain parvenu au même niveau – mais
avec une activité mentale infiniment moindre. Ses propres formes-pensées
l'entourent – même s'il n'en est qu'à moitié conscient – et elles contiennent
invariablement les formes de ses amis terrestres sous leur meilleur jour, et
sous leurs aspects les plus agréables. Et puisque l'amour qui est assez fort
et désintéressé pour former une telle image doit également l'être pour
parvenir à l'âme de l'être aimé et y provoquer une réponse, il en résulte que
les animaux domestiques [136] auxquels nous prodiguons nos caresses,
peuvent en retour exercer sur notre évolution une faible mais incontestable
action.

Lorsque l'animal individualisé se replie dans son corps causal pour


attendre le moment où la roue de l'évolution, dans sa marche circulaire, lui
procurera l'occasion d'une incarnation humaine primitive, il semble perdre
presque entièrement conscience des choses extérieures, plongé dans une
sorte de rêverie béate, dans une paix et une satisfaction profondes. Son
développement intérieur ne cesse sans doute pas pour autant, même si nous
pouvons difficilement en comprendre la nature. Mais un fait certain
demeure, cependant : qu'elles débutent leur évolution humaine ou qu'elles
s'apprêtent à aller au-delà, toutes les entités qui accèdent au monde céleste
y vivront chacune la plus haute félicité qu'elles pourront éprouver.

LES DÉVAS OU ANGES

Le langage humain ne nous permet guère de décrire ces êtres


remarquables de haut rang, et à peu près tout ce que nous en savons a déjà
été écrit dans le Plan Astral ; à l'attention de ceux qui n'y auraient pas
accès, je vais reprendre ici quelques explications générales à propos de ces
entités.

Pour autant que nous le sachions, ce que l'évolution produit de plus


élevé sur cette terre est l'ensemble [137] organisé d'êtres que les Indous
nomment les Dévas – et qui ont été désignés ailleurs comme les anges, les
fils de Dieu, etc. On pourrait en réalité les considérer comme un règne à
part entière, situé juste au-dessus de l'humanité elle-même, tout comme
l'humanité se trouve à son tour immédiatement au-dessus du règne animal.
Avec cependant une différence de taille : tandis que l'issue évolutive de
l'animal ne peut être que le règne humain, l'homme peut en revanche, une
fois parvenu au niveau de l'Asekha – ou Adepte parfait – choisir entre
plusieurs voies qui s'offrent à lui pour progresser, la grande évolution vers
le Déva n'étant que l'une d'elles.

Dans la littérature orientale, le terme "Deva" est fréquemment


employé de façon assez vague pour décrire toutes sortes d'entités non-
humaines, si bien qu'il finit souvent par comprendre d'un côté les plus
hautes puissances spirituelles, et de l'autre les esprits de la Nature et les
élémentals artificiels. Ici nous ne l'emploierons cependant que pour
désigner cette partie extraordinaire de l'évolution que nous allons
maintenant étudier.

Si ces anges sont liés à cette terre, cela ne signifie pas qu'ils y soient
relégués : car pour eux, l'ensemble de notre chaine planétaire actuelle,
composée de sept mondes, ne constitue qu'un seul monde, et leur propre
évolution s'échelonne sur un ensemble grandiose de quelques sept chaines
planétaires. Jusqu'ici, leurs rangs se sont surtout formés à partir d'autres
humanités propres à ce système solaire, les unes étant moins évoluées que
nous, d'autres l'étant plus. Il en est ainsi car à ce jour, peu d'êtres issus de
notre [138] humanité sont parvenus au niveau permettant de les rejoindre.
D'autre part il est presque certain que sur toutes les catégories de Dévas
existantes, certaines ne passèrent jamais par une humanité telle que la
nôtre, lors de leur évolution ascendante.

Nous ne pouvons nous faire aujourd'hui une idée précise de ce qu'ils


sont : mais ce que l'on pourrait appeler le but de leur évolution est
manifestement beaucoup plus élevé que le nôtre. En d'autres termes, quand
le but de notre évolution humaine est d'élever les humains victorieux à
l'Adeptat Asekha quand s'achèvera la septième Ronde, le but de l'évolution
des Dévas est d'élever leurs meilleurs éléments à un niveau bien plus haut,
pendant ce même manvantara. Pour eux comme pour nous, il existe un
sentier plus raide qui écourte l'accès aux sommets plus sublimes encore, un
sentier qui reste accessible aux tentatives sérieuses. Quant à savoir ce que
pourraient être ces sommets, nous ne pouvons que faire des conjectures en
ce qui concerne les Dévas.

HIÉRARCHIE

Les trois grandes divisions inférieures de Dévas, en commençant par


la plus basse, sont généralement appelées Kâmadévas, Roupadévas et
Aroupadévas, que l'on pourrait respectivement traduire par les anges du
monde astral, ceux du monde céleste inférieur et enfin ceux du monde
céleste supérieur. [139]

De même que le corps par défaut d'un être humain est son corps
physique – le plus bas qui soit dans notre évolution –, le corps normal d'un
Kâmadéva est son corps astral. Par conséquent, sa position évolutive
actuelle est celle qu'occupera l'humanité une fois parvenue à la planète F
de notre chaine planétaire. Ce décalage se poursuit : tandis que le Déva vit
habituellement dans son corps astral et qu'il s'élève dans un corps mental
pour aller au-delà encore, nous, êtres humains, pouvons nous élever en
recourant à notre corps astral. Et depuis son corps mental, le Kâmadéva
peut accéder à son corps causal comme nous pouvons parvenir à notre
corps mental depuis l'astral ; à condition, dans chaque cas, que l'évolution
spirituelle le permette. Pour l'ange du monde céleste inférieur, le
Roupadéva, la procédure est similaire : son corps par défaut est son corps
mental, puisqu'il vit sur l'un des quatre niveaux "roupas" du plan mental.
L'Aroupadéva quant à lui, ange du plan céleste supérieur, appartient aux
trois sous-plans supérieurs du plan mental, et son corps habituel ne dépasse
pas la densité du corps causal. Au-dessus des Aroupadévas vivent quatre
autres grandes catégories de Dévas, habitant respectivement les quatre
plans supérieurs de notre système solaire. Puis par-delà ceux-ci, bien au-
delà du règne Déva, nous trouvons les grandes hiérarchies des esprits
planétaires – mais la description de ces êtres de gloire nous entrainerait
trop loin de l'étude de ce livre.

Sur le plan mental, nous avons dit que le règne Déva comprenait les
Roupadévas et les Aroupadévas, habitant respectivement le plan céleste
inférieur et le [140] plan céleste supérieur. Chacun d'eux possède à son
tour de nombreuses subdivisions, mais les différences qui les distinguent
sont si éloignées des nôtres que le mieux est encore de s'en tenir à une
description plus générale. Pour traduire l'impression qu'ils firent sur nos
chercheurs, je ne pourrais guère que citer précisément ce que rapporta l'un
d'eux, à l'époque de ces recherches. Ce chercheur rapporta : "Il me semble
percevoir une conscience d'une élévation très intense, une conscience dont
la gloire est indicible, mais si étrange et si éloignée de nous ; une
conscience si entièrement différente de tout ce que j'ai pu ressentir
jusqu'ici, si étrangère à toute expérience humaine, quelle qu'elle soit, qu'il
serait absolument inutile de chercher à l'exprimer par des mots."

Il serait tout aussi vain de s'efforcer de décrire ces être puissants sur ce
plan physique, leur aspect changeant à chacune de leurs pensées. Mais
nous pouvons regrouper certains indices pour nous représenter leur nature ;
ainsi, nous avons mentionné plus haut la splendeur et l'incroyable
puissance expressive de leur langage fait de couleurs ; et nous avons
également fait référence aux habitants humains rencontrés sur ce plan
mental, qui peuvent, sous certaines conditions, agir activement sur ce plan
et recevoir des Dévas de précieuses leçons. Par ailleurs, le lecteur se
souviendra comment l'un de ces Dévas vint animer un personnage
angélique dans la vie céleste d'un choriste, profitant de ce canal pour lui
enseigner une musique plus grandiose qu'aucune musique terrestre ; et
comment, dans un autre cas, les Dévas associés au maniement [141] de
certaines influences planétaires favorisèrent les progrès évolutifs d'un
certain astronome.
En employant les précautions de rigueur, on pourrait déclarer que les
Dévas sont aux esprits de la Nature ce que les hommes sont au règne
animal, quoiqu'à une échelle supérieure. En effet, tout comme l'animal ne
peut s'individualiser qu'en associant à l'homme, l'esprit de la Nature ne
peut acquérir une individualité pérenne – qui se réincarne – qu'en
s'attachant à des membres du règne des Dévas.

Bien entendu, tout ce qui a été dit – ou qui pourrait être dit – sur
l'évolution de ce grand règne angélique ne fera jamais qu'effleurer un sujet
immense. C'est à chaque lecteur de compléter par lui-même ces notions,
quand il aura développé sa conscience jusqu'à ces plans supérieurs. Quant
aux indications de ce livre, esquisses forcément légères et peu
satisfaisantes, elles donneront peut-être une idée de ces aides innombrables
que l'homme rencontre, à mesure qu'il progresse dans son évolution : car
dans ce processus ses facultés augmentent et autorisent des aspirations
nouvelles qui se voient, à leur tour, plus que satisfaites par les
arrangements providentiels de la nature.
III. — HABITANTS ARTIFICIELS

Nous ne consacrerons que peu de lignes à cette partie de notre étude.


Le plan mental est, plus encore que le plan astral, peuplé d'élémentals
artificiels [142] dont les existences éphémères sont provoquées par les
pensées de ceux qui y résident. Sur ce plan, chaque pensée est
incomparablement plus grandiose et plus puissante, et génère des forces
qu'utilisent non seulement les résidents humains (incarnés et désincarnés),
mais également les Dévas et les visiteurs venus des plans supérieurs.
Quand on garde cela à l'esprit, on comprend immédiatement que
l'importance et l'influence qu'exercent ces entités artificielles peuvent
difficilement être sous-estimées. Nous ne reviendrons pas ici sur ce que dit
le Plan Astral au sujet des effets que produisent les pensées humaines, et
sur la nécessité de les surveiller attentivement. De même, nous avons déjà
décrit les différences qui affectaient les pensées émises sur les niveaux
"roupas" et "aroupas", pour exposer comment l'élémental artificiel du plan
mental était généré, puis pour évoquer l'infinie variété des entités
éphémères ainsi produites et enfin pour rappeler l'importance considérable
des travaux accomplis en permanence grâce à eux.

Les Adeptes et leurs disciples initiés les emploient constamment ;


précisons, s'il le fallait, que lorsqu'un élémental artificiel est formé par des
intelligences aussi puissantes, il vit beaucoup plus longtemps et ses forces
dépassent celles des entités astrales, décrites précédemment.
[145]

CONCLUSION

En parcourant de nouveau ce qui a été écrit dans ces pages, l'idée qui
s'en dégage bien entendu est celle, un peu humiliante, de notre incapacité
manifeste à décrire le plan mental tel qu'il est – incapacité désespérante de
traduire par des mots humains les gloires ineffables du monde céleste.
Mais aussi imparfait que soit finalement cet essai, du moins existe-t-il
désormais ; il pourrait par exemple permettre au lecteur de se faire une
modeste idée de ce que sera sa vie d'outre-tombe. Lorsqu'il atteindra cet
éclatant royaume de béatitude, celui-ci lui apparaitra, à n'en pas douter,
infiniment supérieur à ce qu'il imaginait et souhaitons qu'aucun des
renseignements recueillis ici par lui ne soit inexact.

L'homme, tel qu'il est constitué à ce jour, réunit en lui les principes de
deux plans qui sont supérieurs au plan mental lui-même : son Buddhi, qui
le représente sur le plan dit bouddhique (pour cette raison), et son [146]
Atmâ (son étincelle divine intérieure) qui le représente sur le plan
généralement appelé plan nirvânique, le troisième plan du système solaire.
Chez l'homme ordinaire, ces principes supérieurs sont encore presque
entièrement latents – d'ailleurs, leurs plans respectifs sont encore plus
difficiles à se représenter que ne l'est le plan mental.

Disons ici simplement que sur le plan bouddhique, les limitations


commencent à se dissiper, et que la conscience humaine s'élargit. Elle
réalise alors, non plus théoriquement mais en le vivant, que la conscience
de ses semblables fait partie de la sienne : dans une sympathie absolue et
parfaite, elle sent, elle connait et elle éprouve tout ce qui est en eux,
puisqu'en réalité c'est une partie d'elle-même.

Le plan nirvânique la mène plus loin encore, car elle constate que sa
propre conscience et les leurs sont une dans un sens plus sublime : qu'elles
sont en réalité des facettes de la conscience, infiniment plus vaste, du
Logos. Elles vivent, se déplacent et ont leurs corps en Lui. Aussi quand "la
goutte de rosée tombe dans la mer lumineuse", l'effet produit ressemble au
phénomène inverse : c'est l'océan qui se déverse dans la goutte de rosée,
laquelle comprend là pour la première fois qu'elle est l'océan - non pas une
partie de lui, mais sa totalité. Un paradoxe, parfaitement incompréhensible,
semblant impossible et pourtant absolument vrai.

Retenons-en au moins ceci : l'état béni du Nirvâna n'est pas, comme


certains l'on supposé par [147] ignorance, un néant absolu, mais au
contraire un lieu mille fois plus intense et bienfaisant. Et plus nous
montons sur l'échelle de la nature, plus nos champs d'action s'élargissent,
plus nos œuvres envers les autres deviennent grandioses et augmentent
leur envergure.

Retenons enfin que cette Sagesse infinie et cette force infinie


fusionnent en une capacité infinie à servir, car elles sont toutes deux
guidées par un amour lui aussi infini.

PAIX À TOUS LES ÊTRES

FIN DU LIVRE

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