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2016 TSSTC 19
Date : 2016-11-18

Dossier : 2015-14

Entre : Service correctionnel du Canada, appelant et Pat Ketcheson, intimé et Union of


Canadian Correctional Officers-Syndicat des Agents Correctionnels du Canada
Confédération des Syndicats Nationaux (UCCO-SACC-CSN), intervenant

Indexé sous : Service correctionnel du Canada c. Ketcheson

Affaire : Appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code canadien du travail à


l’encontre d’une instruction émise par un représentant délégué par le ministre du Travail.

Décision : L’instruction est annulée.

Décision rendue par : M. Peter Strahlendorf, agent d’appel

Langue de la décision : Anglais

Pour l’appelant : Me Richard E. Fader, avocat-conseil, Groupe du droit du travail et de


l'emploi, ministère de la Justice

Pour l’intimé : Lui-même

Pour l’intervenant : Me Arianne Bouchard, avocate, UCCO-SACC-CSN

Référence : 2016 TSSTC 19

Lien : https://www.canada.ca/fr/tribunal-de-sante-et-securite-au-travail-canada/programmes/
decisions/2016/tsstc-16-019.html

SST 820 :
Lire p. 1 à 5 [1] à [15]
p. 23 à 46 [115] à [217]
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Motifs de la décision
[1] La présente affaire constitue un appel interjeté en vertu du paragraphe 146(1) du Code
canadien du travail (le Code) à l’encontre d’une instruction émise le 5 juin 2015 par M.
Lewis Jenkins, représentant délégué par le ministre du Travail (ci-après, le « délégué
ministériel »).

Contexte
[2] L'intimé est gestionnaire correctionnel (GC) à l'Établissement Millhaven,
établissement à sécurité maximale exploité par l'employeur, Service correctionnel du
Canada (SCC), près de Bath, en Ontario. Il travaille pour l'appelant au sein d'un
établissement à sécurité maximale depuis 17 ans, dont environ sept à titre de GC.

[3] Le 7 mai 2015, l'intimé a envoyé un courriel à M. Snedden, directeur de


l'établissement, demandant que les GC, y compris lui-même, soient équipés d'un
vaporisateur de poivre (oléorésine de Capsicum, un vaporisateur débilitant utilisé pour
maîtriser les détenus) et de menottes. L'intimé a demandé qu'une décision soit prise au
plus tard le 31 mai 2015. Sa demande est restée sans réponse.

[4] Le 1er juin 2015, l'intimé a exercé son droit de refuser d'accomplir un travail
dangereux en vertu de l'article 128 du Code.

[5] L'intimé a indiqué que son refus était dû à [traduction] « une violation des articles
122.2 et 124, de l'alinéa 125(1)l) et du paragraphe 126(1) ». Il a indiqué que lui et d'autres
GC à l'Établissement Millhaven étaient en danger [traduction] « en raison de tâches qui
pourraient vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse ».

[6] Le superviseur de l'intimé, Jack Coimbra, directeur adjoint, Opérations (DAO), a


enquêté sur le refus de travailler. Lorsque le DAO Coimbra s'est entretenu avec l'intimé,
ce dernier a fourni les détails de son refus de travailler :

1) Ses tâches à titre de GC l'amenaient à se trouver dans des situations potentiellement


dangereuses (p. ex., contrôleur sur les lieux, tribunal disciplinaire pour infractions
mineures, zone N et tribunal disciplinaire pour infractions graves »).

2) À titre de GC, il a été appelé à recourir à la force pour amener un détenu à obtempérer.

3) Cinq ans auparavant, on a demandé aux GC de remettre leurs menottes.

4) SCC a récemment exigé des GC qu'ils portent des vestes de protection contre les armes
blanches. Si le danger est tel que les GC doivent porter de telles vestes, ils devraient
pouvoir porter les autres pièces d'équipement de protection personnelle (EPP) que les
agents correctionnels (AC) reçoivent. Si le GC ne reçoit ni menottes ni vaporisateur de
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poivre parce qu'il n'y a aucun danger, alors les GC ne devraient pas avoir à porter une
veste.

5) Les GC ont reçu une formation en vertu des Normes nationales de formation (NNF),
qui comprend une formation sur les agents chimiques et l'autodéfense. S'il a reçu une
formation sur l'utilisation d'agents chimiques, alors il devrait pouvoir obtenir un
vaporisateur de poivre. S'il a reçu une formation sur l'utilisation de menottes, alors il
devrait pouvoir obtenir des menottes.

[7] Le DAO Coimbra a déterminé qu'il n'y avait pas de danger, en présentant les
observations suivantes :

1) L'exigence selon laquelle les GC doivent porter une veste de protection contre les
armes blanches n'exigeait pas une formation en vertu des NNF.

2) À titre de GC, l'intimé n'a pas besoin de menottes ou de vaporisateur de poivre pour
accomplir ses tâches.

3) À titre de GC, l'intimé n'est pas tenu d'intervenir dans les situations d'urgence comme
c'est le cas des AC, il n'a donc pas besoin d'EPP.

4) Si un GC est à risque, d'autres mesures, comme la présence d'AC et l'alarme de


protection personnelle (APP), atténuent le risque.

5) Si un GC est appelé à accomplir les tâches d'un AC lors d'une intervention, un EPP
complet lui serait alors fourni à ce moment-là.

6) Même si la description de poste indique qu'il y a un risque d'agression verbale et


physique, il n'est aucunement sous-entendu que le GC est un intervenant. Le GC fournit
du [traduction] « leadership durant les urgences ».

7) La description de poste des deux niveaux d'AC, soit le niveau CX-1 et le niveau CX-2,
indique clairement que les AC répondent aux urgences : [traduction] « il doit intervenir
dans les situations menaçantes ou violentes ».

8) L'Ordre permanent 567-2 désigne les intervenants, mais n'inclut pas les GC. En cas
d'urgence, le GC [traduction] « fournit du leadership et gère l'urgence ».

9) L'Établissement Millhaven comporte de nombreux mécanismes de sécurité qui


contribuent à rendre le milieu sécuritaire (p. ex., les politiques, la circulation gérée des
détenus, les patrouilles, les postes de contrôle armés, la formation, d'autres EPP, etc.).

10) Tout risque résiduel constituerait une condition normale de l’emploi.

[8] Un employeur et un employé membre du comité local de santé et sécurité ont enquêté
sur le refus de travailler, mais ne sont parvenus à aucun consensus.
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[9] Le 3 juin 2015, Lewis Jenkins, délégué ministériel, s'est rendu à l'Établissement
Millhaven et a commencé son enquête sur le refus de travailler. Le 5 juin 2015, le
délégué ministériel a établi qu'il y avait un « danger » et a émis une instruction en vertu
de l'alinéa 145(2)a) du Code. Les parties pertinentes de l'instruction sont les suivantes
[traduction] :

[…]

Le dit représentant délégué par le ministre du Travail est d’avis que l’accomplissement
d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail.

L'employeur a omis de fournir aux gestionnaires correctionnels le même niveau


d'équipement de protection personnelle (menottes et vaporisateur de poivre) que celui que
les agents correctionnels portent sur eux lorsqu'ils accomplissent des tâches dans la même
zone que les gestionnaires correctionnels, ce qui place les gestionnaires correctionnels en
situation de danger.

Par conséquent, il vous est DONNÉ INSTRUCTION PAR LES PRÉSENTES, en vertu
de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de protéger
immédiatement toute personne contre ce danger.

[…]

[10] Dans une note de service datée du 10 juin 2015, Larry Ringler, directeur intérimaire,
a indiqué qu'en tant que mesure provisoire en réponse à l'instruction du délégué
ministériel Jenkins, les GC porteraient des menottes et un vaporisateur de poivre sur eux
pendant qu'ils travaillent au même endroit que les AC. Il est indiqué dans la note de
service qu'en cas d'urgence, le rôle du GC consiste à donner des instructions et à exercer
son leadership et non à répondre à l'urgence en tant qu'intervenant.

[11] Le 15 juin 2015, l'appelant a déposé un appel à l'encontre de l'instruction du délégué


ministériel auprès du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada (le Tribunal).

[12] L’audience d’appel a eu lieu devant moi à Ottawa, en Ontario, du 28 au 31 juillet


2015.

[13] Des modifications ont été apportées à la partie II du Code en vertu de la Loi no 2 sur
le plan d'action économique de 2013, qui est entrée en vigueur le 31 octobre 2014. Entre
autres modifications, le Code comporte maintenant une nouvelle définition de « danger ».
La nouvelle définition était en vigueur au moment où l'intimé a refusé de travailler le 1er
juin 2015.

[14] L'intervenant, UCCO-SACC-CSN, est le syndicat qui représente les AC à


l'Établissement Millhaven. Le syndicat ne représente pas les GC, comme l'intimé.
L'intimé n'était pas représenté par un avocat à l'audience. Comme ce dossier est l'un des
premiers à se pencher sur le sens et l'application de la nouvelle définition de « danger »,
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et comme les membres de l'intervenant sont régis par la même définition de « danger »,
l'intervenant souhaitait qu'une interprétation de la nouvelle définition autre que celle de
l'employeur soit fournie au Tribunal. Avec le consentement des parties, le statut
d'intervenant à l'audience a été accordé au syndicat pour que celui-ci puisse contre-
interroger les témoins des deux parties et présenter des observations écrites concernant le
sens et l'application de la nouvelle définition de « danger ».

Questions en litige
[15] Je dois trancher les questions suivantes :

1) L'instruction du délégué ministériel était-elle bien fondée? Plus particulièrement,


l'intimé était-il exposé à un « danger », au sens donné à cette expression dans le Code, au
moment où il a exercé son droit de refuser de travailler?

2) Si un danger existait, ce danger constituait-il une condition normale de l’emploi, de


manière à empêcher l’intimé d’exercer son droit de refuser de travailler en vertu du
Code?

Observations des parties


A) Observations de l’appelant

[16] Ont témoigné pour l’appelant :

1) Larry Ringler, directeur intérimaire à l'Établissement Millhaven;

2) Jack Coimbra, DAO à l'Établissement Millhaven à l’époque;

3) Chris Hill, directeur des opérations de sécurité, SCC;

4) Kevin Snedden, directeur de l'Établissement Millhaven.

Concernant la définition de « danger »

[17] Selon l'appelant, la nouvelle définition de « danger » dans le Code diffère


sensiblement de la définition antérieure, qui a été en vigueur de 2000 à 2014. Ce qui
constitue un « danger » est maintenant similaire à ce qui en constituait un avant 2000, soit
un « danger imminent ». La nouvelle définition met davantage l'accent sur le caractère
immédiat du danger puisqu'on ne mentionne plus le « risque éventuel » comme c'était le
cas de 2000 à 2014. La nouvelle définition de « danger » est plus restrictive que la
définition précédente.

[18] L'appelant a commencé ses observations en expliquant comment la définition de «


danger » est utilisée dans le Code. Selon l'appelant, le Code peut être divisé en deux
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parties. La majeure partie du Code comporte divers mécanismes visant à prévenir les
accidents et les blessures, et l'autre partie porte sur le droit de l'employé de refuser
unilatéralement de travailler en vertu de l'article 128 du Code lorsqu'il fait face à un
danger.

[19] L'appelant considère que la partie principale du Code est composée de ce qui suit : 1)
les obligations spécifiques de l'employeur et de l'employé (articles 124 à 126); 2) des
dispositions relatives aux comités de santé et de sécurité (articles 134.1 à 138); 3) un
processus de règlement interne des plaintes (article 127.1); 4) un important corpus de
règlements pris en application du Code. Ces dispositions sont indépendantes des
dispositions relatives au refus de travailler.

[20] La deuxième partie du Code, moins volumineuse, porte sur le refus de travailler en
vertu de l'article 128 et la question du « danger » en est un concept central. Un employé
peut refuser de travailler s'il a des motifs raisonnables de croire que le travail à accomplir
constitue un danger. En résumé, la question du danger est alors prise en compte par
l'employeur, puis par le comité de santé et sécurité et enfin, possiblement, par le délégué
ministériel. La question peut être résolue à n'importe quelle étape de ce processus
d'enquête. Si le délégué ministériel conclut qu'il y a un « danger », il aura le pouvoir
d’émettre une « instruction relative à un danger » en vertu du paragraphe 145(2) du Code.

[21] L'appelant a fait une analyse en profondeur de l'historique de la définition du mot «


danger » dans le Code afin d'appuyer son opinion selon laquelle la nouvelle définition de
« danger » constitue un retour vers la définition qui existait avant la modification du
Code en 2000. La définition qui était en vigueur avant 2000 était plus limitative que la
définition qui a été en vigueur de 2000 à 2014. Le mot « imminent » avait été supprimé
des dispositions relatives au refus de travailler en 1985, mais les tribunaux ont continué
de considérer que le « danger » devait être un « danger imminent ». L'appelant estime que
même si la nouvelle définition du mot « danger » ne comporte pas l'expression « danger
imminent », son sens est similaire à celui de la définition qui était en vigueur avant 2000.

[22] Résumons la manière dont l'appelant a expliqué l'évolution de la définition de «


danger » au fil des années :

1) Le droit de refuser de travailler dans les modifications apportées au Code en 1978 était
fondé sur le fait que l'employé estimait être en présence d'un « danger imminent », aucun
de ces mots n'étant toutefois défini.

2) En 1980, dans l'affaire d'Alan Miller c. Chemins de fer nationaux du Canada, [1980]
39 d.i. 93 (C.C.R.T.) (QL) (« Miller »), le Conseil canadien des relations de travail (qui
était alors ainsi désigné) a interprété l'expression « danger imminent » comme étant un
danger [traduction] « susceptible de se produire à tout moment sans avertissement » en
précisant que « la blessure peut se produire avant que le risque puisse être écarté ». La
perception de l'employé doit être « raisonnable ». Une préoccupation qui ne correspondait
pas à la norme du danger imminent devait être traitée en vertu d'autres dispositions du
Code.
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3) La jurisprudence postérieure à l'affaire Miller a mis l'accent sur le sens restreint de


l'expression « danger imminent » et sur la disponibilité d'autres ressources en vertu du
Code en cas de menace moins imminente.

4) En 1985, le Code a été modifié. Le mot « imminent » a été supprimé et une définition
de « danger » a été ajoutée : « "danger" Risque ou situation susceptible de causer des
blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y
être remédié. »

5) En 1988, dans la décision rendue dans l'affaire David Pratt c. Gray Coach Lines
Limited, [1988] 73 d.i. 218 (C.C.R.T.) (« David Pratt »), le Conseil (qui était alors ainsi
désigné) a indiqué, aux pages 8, 9 et 11, que la modification de 1985 a changé peu de
choses, que la définition de « danger » de 1985 avait essentiellement le même sens que
l'expression « danger imminent ». Le Conseil a aussi réaffirmé le principe selon lequel le
droit de refuser de travailler n'était pas le mécanisme principal permettant d'atteindre les
objectifs du Code.

6) La jurisprudence postérieure à l'affaire David Pratt était généralement conforme à


l'interprétation selon laquelle « danger » était synonyme de « danger imminent » ou très
similaire à cette notion.

7) En 2000, le Code a été modifié en vue d'inclure une nouvelle définition de « danger ».
Cette définition est restée en vigueur jusqu'au 31 octobre 2014 :

« danger » Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des


blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade - même si ses effets
sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le
risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute
exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la
santé ou le système reproducteur.

8) La définition donnée au terme « danger » en 2000 ajoutait le concept de « risque


éventuel » (le risque n'a pas à être immédiat) et l'idée selon laquelle le préjudice n'a pas à
survenir immédiatement après l'exposition.

9) En 2001, dans la décision Welbourne c. Canadien Pacifique, [2001]


C.L.R.C.R.S.O.D.) No. 8, à la page 6 (QL) (« Welbourne »), l'agent d'appel a indiqué que
la définition de 2000 de « danger » était moins restrictive que la norme de « danger
imminent » - le danger n'a pas à être immédiat et présent; « le danger peut aussi être
éventuel dans la mesure où le risque, la situation ou la tâche peut prendre place et est
susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée ou la rendre malade
»

10) Dans la décision Welbourne, il a été noté que les situations hypothétiques doivent
être exclues du concept de « danger ». Un certain nombre de facteurs ont été énumérés,
qui pourraient atténuer le danger, comme la formation, les procédures, l'EPP, les
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antécédents et le risque en cause. L'agent d'appel note également que le comité de santé et
sécurité pourrait aborder des problèmes qui ne constituent pas un danger.

11) La jurisprudence postérieure à Welbourne a continué d'appuyer la notion selon


laquelle les situations hypothétiques ne correspondent pas à la définition de « danger » et
que la question est de savoir si une situation est susceptible de causer des blessures. Une
violation du Code ou de ses règlements ne constitue pas nécessairement un « danger ». La
définition de « danger » est articulée autour de la probabilité de réalisation du risque et
non de la gravité des conséquences si le risque survient.

12) Dans Société canadienne des postes c. Pollard, 2008 CAF 305 (« Pollard »), aux
paragraphes 16 et 17, la Cour d'appel fédérale résume comme suit le sens de la définition
de « danger » de 2000 à 2014 :

[...] il faut déterminer dans quelles circonstances le risque éventuel est raisonnablement
susceptible de causer des blessures, et établir que ces circonstances se présenteront dans
l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable; que pour
conclure à la présence d’un danger, il s’agit de déterminer les probabilités que ce
qu’affirme le plaignant se produise plus tard; que le risque doit être raisonnablement
susceptible de causer des blessures avant qu’il ne soit écarté; et qu’il n’est pas nécessaire
d’établir à quel moment précis le risque surviendra, ni qu’il survient chaque fois.

13) Dans Canada (Service correctionnel) c. Glenn Brown et Kevin Kunkel, 2013 TSSTC
20 (« Glenn Brown »), l'agent d'appel Aubre note que le seuil à atteindre pour conclure à
l'existence d'un danger « ... est assurément plus faible que la certitude qu’une telle
agression se produira ». L'agent d'appel Aubre a maintenu la conclusion de « danger » de
l'agent de santé et sécurité, car il estimait qu'il y avait une « possibilité raisonnable » que
les détenus soient violents. L'appelant est d'avis que cela représente un seuil très bas à
atteindre pour conclure à l'existence d'un danger en vertu de la définition de 2000-2014.
En comparant la décision Welbourne avec celle de Glenn Brown, la définition de «
danger » qui était en vigueur de 2000 à 2014 n'aide pas vraiment à faire la distinction
entre une « simple possibilité » et une « possibilité raisonnable ».

14) Selon les deux définitions de « danger », soit celle de 1985 et celle de 2000, il a été
reconnu que les dispositions relatives au refus de travailler ne constituent pas un
mécanisme permettant de forcer la résolution des problèmes liés aux relations de travail.
Canada (Procureur général) c. Fletcher, 2002 CAF 424, au paragraphe 19 (« Fletcher »);
Stone c. Canada (SCC), [2002] D.A.A.C.C.T. No. 19, au paragraphe 51 (« Stone »); Joel
Gartner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2015 TSSTC 10, au paragraphe 61
(« Gartner »).

[23] En résumé, l'appelant est d'avis que la nouvelle définition de « danger », entrée en
vigueur en 2014, vise un retour au sens donné au mot « danger » avant 2000, soit celui de
« danger imminent », en particulier avec la suppression du mot « éventuel » (potential et
future activity en anglais). L'appelant affirme que la définition qui était en vigueur de
2000 à 2014 ratissait trop large, qu'elle était imprécise et qu'elle entraînait une application
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beaucoup trop fréquente des dispositions du Code relatives au refus de travailler. Une
définition plus restrictive du mot « danger » rétablira l'équilibre du Code en encourageant
le recours aux autres mécanismes de résolution de problèmes dans le Code.

[24] Dans Glenn Brown, au paragraphe 73, il est établi que l'ajout du mot « éventuel »
dans la définition qui était en vigueur de 2000 à 2014 a eu de profondes répercussions
(passage souligné par l'appelant) sur le droit de refuser de travailler parce qu’il n’était
plus nécessaire qu’un danger réel existe au moment du refus. Selon l'appelant, si l'ajout
du mot « éventuel » à la définition de « danger » en 2000 a eu de profondes
répercussions, alors la suppression de ce mot dans la nouvelle définition de 2014 devrait
aussi avoir de profondes répercussions. Par conséquent, il faut maintenant qu'un danger
réel existe au moment du refus de travailler.

[25] L'appelant compare la définition de « danger » de 1985 et la nouvelle définition de


2014 :

1985 - « … susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la
rendre malade… »

2014 - « … qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou sérieuse


pour…”

L'appelant ne voit aucune différence importante entre, d'une part, « blessures » ou «


maladie » et, d'autre part, « menace imminente ou sérieuse ». Ce sont toutes deux des
conséquences. Le libellé similaire « susceptible de causer/qui pourrait raisonnablement
présenter... » (could reasonably be expected to..., en anglais) est toutefois important.

[26] Si l'intention de la modification de la définition de « danger » apportée en 2014 était


de revenir à la signification du mot « danger » de 1985, l'appelant estime alors que la
décision de 1988 rendue dans l'affaire de David Pratt prend toute son importance, le
critère étant le suivant :

… le risque que l’employé soit blessé ou tombe malade est grave au point ou l'utilisation
de la machine, de l’objet ou du lieu en question doit cesser jusqu'à ce que la situation soit
corrigée. [Passage souligné par l'appelant]

[27] L'appelant prétend que dans un milieu correctionnel, le critère utilisé dans David
Pratt signifie que tant que le détenu n'agit pas de manière à mettre un agent correctionnel
en danger, il n'existe aucun danger, en citant Stephenson c. Conseil du Trésor (Solliciteur
général), [1991] C.R.T.F.P. dossier 165-02-83, à la page 30.

[28] De l'avis de l'appelant, ce sens restreint du mot « danger » ne diminue pas la


protection des employés. Il améliore plutôt leur protection en remettant l'accent sur
d'autres mécanismes plus appropriés du Code pour traiter les préoccupations en matière
de santé et sécurité au travail (SST).
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[29] L'appelant a résumé, en l'approuvant, le point de vue qu'a exprimé la Cour d'appel
fédérale dans Fletcher sur le rôle des dispositions relatives au refus de travailler, en citant
l'extrait suivant :

[17] Cet argument repose malheureusement sur une incompréhension du mécanisme du


refus de travailler tel qu'il est exposé dans le Code.

[18] Le mécanisme constitue une occasion particulière donnée aux employés, à un


moment déterminé et à un endroit déterminé, de s'assurer que leur travail immédiat ne les
exposera pas à une situation dangereuse. C'est la protection à court terme de l'employé
qui est en jeu, non une protection hypothétique ou éventuelle.

[19] Le mécanisme est une mesure d'urgence. C'est un outil dont dispose l'employé
devant une situation qui pourrait entraîner pour lui une blessure ou une maladie avant que
cette situation soit corrigée. Voir Scott C. Montani (1994), 95 di 157, à la page 7 :

Le Conseil a déclaré que le Parlement n'avait pas eu l'intention d'utiliser le mot « danger
» dans son acception la plus large. Voir David Pratt (1988), 73 di 218 et 1 CLRBR (2d)
310 (CCRT no. 686). Au sens du Code, le « danger » doit être perçu comme immédiat et
réel. Le risque auquel sont exposés les employés doit être suffisamment sérieux pour que
la machine ou la chose ou la situation engendrée ne puisse être utilisée avant qu'il ne soit
remédié à la situation. En outre, il doit s'agir d'un danger que le Parlement voulait inclure
dans la Partie II du Code.

Le droit de refuser de travailler est une mesure d'urgence. Les employés doivent y faire
appel dans des situations où ils croient faire face à un danger immédiat ou à un risque
imminent de blessures. Il ne peut s'agir d'un danger qui est inhérent au travail ou qui
constitue une condition normale de l'emploi. La possibilité de blessures ou de danger ne
constitue pas un motif suffisant pour se prévaloir des dispositions sur le refus de
travailler; le danger doit bel et bien exister. Voir Stephen Brailsford (1992), 87 di 98
(CCRT no. 921); et David Pratt, supra. Cette disposition n'a pas davantage pour objet de
faire aboutir des enjeux ou des différends en matière de relations du travail. Lorsqu'une
telle décision coïncide avec d'autres conflits de travail, le Conseil se soucie tout
particulièrement des circonstances entourant le refus. Voir Stephen Brailsford, supra;
Ernest L. LaBarge (1981), 47 di 18; 82 CLLC 16,151 (CCRT no. 357); William Gallivan
(1981), 45 di 180; [1982] 1 Can LRBR 241 (CCRT no. 332).

[30] En résumé, l'appelant est d'avis que la nouvelle définition du mot « danger » rétablit
l'équilibre du Code. La jurisprudence établie en vertu de la définition de 1985 s'applique.

Application aux faits

[31] L'appelant affirme que le délégué ministériel Jenkins a rendu sa décision en se


fondant sur la définition de « danger » qui était en vigueur de 2000 à 2014, comme en
témoigne sa citation d'une décision antérieure à 2014. Dans son rapport d'enquête, le
délégué ministériel a cité la décision de l'agent d'appel Aubre dans Glenn Brown
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concernant l'exigence selon laquelle les GC doivent porter des vestes de protection contre
les armes blanches: « ... il y avait une possibilité raisonnable que les intimés soient
agressés et blessés avant de pouvoir se procurer la protection appropriée. » La décision de
l'agent d'appel Aubre a été rendue en vertu de l'ancienne définition de « danger ».
L'appelant fait valoir que le délégué ministériel s'est fié à tort au concept de menace «
éventuelle ». L'appelant soutient que les expressions « menace imminente » et « menace
sérieuse » sont de même nature (ejusdem generis) et qu'il est faux d'affirmer que «
menace sérieuse » équivaut à « menace importante éventuelle ».

[32] En outre, le délégué ministériel Jenkins s'est fié à sa conclusion selon laquelle les
GC et les AC travaillent au même endroit pour conclure qu'il existe un danger pour les
GC. Le délégué ministériel n'a pas bien compris le rôle du GC.

[33] Au moment du refus de travailler et de l'enquête du délégué ministériel, la preuve a


démontré que rien n'était hors de l'ordinaire, qu'il n'existait aucune menace particulière
envers l'intimé et que le calme régnait dans l'établissement. L'intimé s'est servi du refus
de travailler pour provoquer la résolution d'un problème de longue date.

[34] À l'audience, les exemples que l'intimé a donnés, qui illustrent le besoin des GC de
porter sur eux des menottes et un vaporisateur de poivre, démontraient en fait que les
menottes et les vaporisateurs étaient immédiatement accessibles étant donné que les AC
présents les portaient sur eux.

[35] L'appelant fait valoir que l'existence des mesures que le DAO Coimbra mentionne
dans le cadre son enquête sur le refus de travailler atténuerait le risque, même en cas
d'agression hypothétique.

[36] L'appelant a souligné l'incident au cours duquel un détenu a agressé un GC en lui


crachant dessus; la possession de menottes ou de vaporisateur de poivre n'aurait
aucunement empêché l'agression. Dans un autre incident où un détenu a donné un coup
de pied sur une table, projetant celle-ci sur un GC, la possession de menottes ou d'un
vaporisateur de poivre n'aurait pas non plus empêché l'agression.

[37] L'appelant estime que l'instruction du délégué ministériel incite à confondre les rôles
de GC et d'AC. Il est manifeste, d'après leurs descriptions de poste, que les AC répondent
aux urgences, tandis que les GC doivent éviter d'intervenir physiquement de sorte qu'ils
puissent gérer la situation. Il y avait aussi des éléments de preuve sur la formation que
reçoivent les GC, qui indiquent la distinction entre le rôle de GC et celui d'AC. Chris
Hill, directeur des opérations de sécurité, a indiqué dans son témoignage que le fait de
confier des menottes et un vaporisateur de poivre aux GC enverrait un message
contradictoire, soit qu'ils doivent à la fois intervenir physiquement et diriger l'intervention
des AC. Lorsque les GC interviennent, le « modèle de réponse de la direction » n'est pas
mis en œuvre comme il se doit. Le témoignage de Jack Coimbra, qui était alors DAO,
était similaire à celui de Chris Hill.
2016 TSSTC 19 12 sur 46

[38] Larry Ringler, directeur intérimaire, a indiqué dans son témoignage que la confusion
à propos du rôle des GC dans une situation d'urgence se propagerait aux autres membres
du personnel, qui s'attendraient à une intervention physique des GC. En cas d'urgence, les
GC donnent des instructions aux membres du personnel autres que les AC se trouvant à
proximité. Un incident pourrait être une ruse pour détourner l'attention d'événements se
déroulant ailleurs dans l'établissement; un GC doit pouvoir comprendre l'ensemble de la
situation, ce qu'il pourrait difficilement faire s'il était directement impliqué dans une
altercation avec un détenu. Le fait de fournir des menottes et un vaporisateur de poivre
aux GC porterait à confusion et rendrait le milieu moins sécuritaire.

[39] Le témoin de l'intimé, le GC Bird, a témoigné en particulier au sujet d'un incident de


violence en milieu de travail. L'appelant affirme que le témoignage du GC Bird
démontrait en fait l'existence d'une confusion de rôle entre les GC et les AC. Selon son
témoignage, lorsque cet incident s'est produit, de nombreux AC étaient présents, munis
de menottes et de vaporisateurs de poivre, ce qui signifie que le GC n'avait pas besoin
d'être équipé de la sorte.

[40] Le directeur intérimaire Ringler a également indiqué dans son témoignage que la
question des menottes et du vaporisateur de poivre n'a jamais été soumise à l'attention du
comité de santé et sécurité de l’établissement et qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une plainte
en vertu de l'article 127.1 (processus de règlement des différends).

[41] Dans son rapport d'enquête, le délégué ministériel a renvoyé au document


Interprétations, politiques, et guides (IPG) no 905-1-IPG-062 du Programme du travail
d'Emploi et Développement social Canada (EDSC) et à la définition des expressions «
menace imminente » et « menace sérieuse » qui y figurent. Le délégué ministériel a aussi
renvoyé à la définition de l'expression « condition normale de l'emploi » qui figure dans
le document no 905-1-IPG-070. Dans le document no 905-1-IPG-062, « menace sérieuse »
comprend les « menaces importantes possibles ». L'appelant affirme que ces guides
d'interprétation ne lient pas le Tribunal et qu'elles n'ont aucun effet juridique.

[42] L'appelant renvoie au témoignage de l'intimé, le GC Ketcheson, selon lequel, au


moment du refus de travailler [traduction] « il n'existait aucun risque imminent ou sérieux
pour moi ce jour-là ». L'appelant est d'avis que cette déclaration de l'intimé permet de
trancher la question.

[43] L'appelant conclut en indiquant que la preuve établit qu'il n'y avait aucun danger
pour l'intimé découlant du fait de ne pas porter sur lui des menottes et un vaporisateur de
poivre au moment du refus de travailler ou au moment de l'enquête du délégué ministériel
Jenkins.

Condition normale de l’emploi

[44] Même s'il y avait un danger pour l'intimé, l'appelant renvoie à la preuve selon
laquelle un vaste éventail de mesures était en place afin d'atténuer le risque. Les
agressions contre les GC sont rares. L'exposition aux détenus fait partie du travail du GC.
2016 TSSTC 19 13 sur 46

Le fait d'être exposé aux détenus en ne portant ni menottes ni vaporisateur de poivre


constitue une « condition normale de l'emploi » au sens de l'alinéa 128(2)b) du Code; par
conséquent, l'instruction du délégué ministériel Jenkins n'était pas fondée.

[45] L'appelant fait remarquer qu'il y a certains scénarios hypothétiques où le danger


auquel les GC seraient exposés ne constituerait pas une condition normale de l'emploi
(par exemple, un GC qui se rendrait dans une cour où de nombreux détenus font une
émeute sans l'équipe d'intervention en cas d'urgence et sans équipement de protection),
mais que ces scénarios ne correspondent pas à la réalité quotidienne des GC exposés aux
détenus.

[46] En conclusion, s'il y avait un danger, il s'agirait d'une condition normale de l'emploi.
Par conséquent, l'instruction du délégué ministériel devrait être annulée.

B) Observations de l’intimé

[47] Ont témoigné pour l’appelant intimé [corr. JA]:

1) L'intimé, Pat Ketcheson, un GC à l'Établissement Millhaven;

2) Chris Bird est aussi GC à l'Établissement Millhaven.

[48] Les observations écrites de l'intimé étaient relativement brèves. Comme il est
indiqué, l'intimé n'était pas représenté par un avocat. Ses observations étaient
principalement de nature factuelle.

[49] L'intimé fait valoir que le fait que l'employeur exige que les GC portent une veste de
protection contre les armes blanches prouve que ceux-ci font face à une « menace
imminente ». C'est pourquoi, dans le courriel qu'il a envoyé au directeur Snedden et à
d'autres personnes le 28 avril 2015, il a demandé que les GC soient équipés de menottes
et d'un vaporisateur de poivre. Il leur a fait part de ses inquiétudes une nouvelle fois le 7
mai 2015. Il a demandé une réponse au plus tard le 31 mai 2015, sans quoi il [traduction]
« serait forcé de soulever ces préoccupations à un autre niveau ». N'ayant reçu aucune
réponse à l'expiration de ce délai, il s'est [traduction] « senti forcé d'exercer [son] droit en
vertu de l'article 128 » le 1er juin 2015.

[50] La position de l'intimé est la suivante : le délégué ministériel Jenkins a pris la bonne
décision, le 5 juin 2015, en indiquant que l'intimé faisait face à un danger et qu'il devrait
porter sur lui des menottes et un vaporisateur de poivre.

[51] L'intimé fait valoir qu'il est tenu de porter une veste de protection contre les armes
blanches en raison de la décision rendue dans Glenn Brown. Il estime que la décision
rendue dans Glenn Brown a déjà établi l'existence d'un danger de violence que présentent
les détenus pour les GC.

[52] En outre, l'intimé a déclaré ce qui suit :


2016 TSSTC 19 14 sur 46

1) [traduction] « Il se trouve avec les agents correctionnels aux mêmes endroits et aux
mêmes moments, confrontés aux mêmes dangers... »

2) Seuls les AC et les GC ont instruction d'intervenir en cas d'urgence avant que la zone
ne puisse être déclarée sûre.

3) Il a été agressé par des détenus et a été impliqué dans plusieurs incidents où la force a
été utilisée.

4) L'Établissement Millhaven accueille des délinquants violents, des membres de gangs et


des détenus souffrant de graves problèmes de santé mentale.

5) Quoi qu'en dise la politique écrite de SCC selon laquelle les GC ne sont pas des
intervenants de première ligne, il peut à tout moment, étant donné le caractère
imprévisible de la nature humaine, se trouver [traduction] « dans une situation fâcheuse
faisant en sorte qu'ils deviennent intervenants de première ligne ».

[53] L'intimé ne croit pas qu'il y ait confusion des rôles. À son avis, les vidéos visionnées
à l'audience montraient que les GC étaient en mesure de continuer à donner des
instructions tout en intervenant en situation de crise.

[54] L'intimé n'a pas contesté la position de l'appelant selon laquelle rien n'était hors de
l'ordinaire au moment du refus de travailler. L'intimé estime qu'il serait irresponsable de
sa part d'attendre qu'une situation se présente pour refuser de travailler.

[55] Le comité de santé et de sécurité de l'Établissement Millhaven n'a aucun représentant


pour les GC. L'intimé juge inapproprié de faire part des inquiétudes des GC à un comité
dominé par des AC, car cela [traduction] « serait contraire au rang et à la structure ».

[56] L'intimé estime que s'il existe de la confusion à propos du rôle des GC en situation
d'urgence, c'est parce que la politique de SCC exige que les GC interviennent dans la
zone où un incident se produit et donnent des directives et des conseils, ce qui met les GC
dans la zone dangereuse. Cela place les GC en situation de danger.

[57] L'intimé souligne que le témoignage de Chris Hill, directeur des opérations de
sécurité, était à l'effet que certains GC dans plusieurs établissements de SCC situés
partout au Canada sont en possession de menottes, ce qui signifie que l'employeur a déjà
jugé nécessaire de munir les GC de menottes dans d'autres établissements comme
équipement de protection personnelle.

[58] L'intimé fait aussi remarquer que le témoignage de Larry Ringler révélait que sept
des 15 GC à l'Établissement Millhaven occupent ce poste à titre intérimaire et qu'ils
portent encore sur eux les menottes qui leur ont été confiées à titre d'AC.

[59] Les GC participent à ce qu'on appelle le « tribunal disciplinaire » avec les détenus.
Le GC est en présence d'un délinquant avec un seul AC. L'intimé fait valoir qu'en cas
2016 TSSTC 19 15 sur 46

d'altercation physique avec le délinquant, les attentes de l'appelant sont contradictoires :


l'appelant s'attend à ce que le GC intervienne à titre d'agent de la paix, mais il estime en
même temps que lorsque les GC interviennent, ils perdent leur capacité de gestion.

[60] À la suite de l'instruction du 5 juin 2015 du délégué ministériel Jenkins, les GC ont
reçu des menottes et un vaporisateur de poivre à titre de mesure provisoire. De l'avis de
l'intimé, cela n'a créé aucune confusion entre le rôle du GC et celui de l'AC.

[61] L'intimé conteste l'argument de l'appelant selon lequel de nombreux employés de


l'Établissement Millhaven ne sont pas munis de menottes et d'un vaporisateur de poivre,
comme les agents de libération conditionnelle, les enseignants et les agents de liaison
autochtones, entre autres, et que les GC se trouvent dans la même situation. L'intimé
affirme qu'on ne peut pas comparer les GC à ces autres groupes d'employés parce que
contrairement à ces derniers, les GC sont tenus d'intervenir en situation de crise.

[62] L'intimé ne fait aucune distinction entre les risques présentant des probabilités
variables. Selon l'intimé, si le GC est à risque, il est en danger. L'intimé estime que les
GC se trouvent généralement dans une situation de danger permanente.

[63] Il conclut en affirmant que l'appelant n'a fourni aucune preuve pertinente qui
justifierait de modifier la conclusion de « danger » du délégué ministériel et que
l'instruction devrait être confirmée.

C) Observations de l’intervenant

[64] L'intervenant partage le point de vue de l'intimé selon lequel l'intimé était en danger
et que l'instruction du délégué ministériel Jenkins devrait être confirmée.

[65] La préoccupation principale de l'intervenant est de fournir son aide concernant le


sens du mot « danger », en sa version modifiée en octobre 2014, et l'effet de la nouvelle
définition sur l'applicabilité de la jurisprudence à ce jour. En résumé, l'intervenant est
fortement en désaccord avec le point de vue de l'appelant concernant le sens du mot «
danger » et est d'avis que le mot « danger » a sensiblement le même sens qu'avant la
modification. Par conséquent, la jurisprudence établie entre 2000 et 2014 reste applicable.

[66] L'intervenant a cité deux affaires où l'appréhension du danger par un employé


pouvait être subjective au moment d'interpréter le sens de « danger imminent » pendant la
période comprise entre 1978 et 2000, soit Miller à la page 11 et Bell Canada c. Travail
Canada (1984), 56 di 150 (C.C.R.T.), page 10.

[67] Pendant la période comprise entre 1985 et 2000, lorsque le mot « imminent » a été
supprimé du concept de « danger imminent », mais que « danger » était toujours
interprété comme conservant un caractère immédiat, il a été reconnu qu'un événement
violent pourrait se produire à un moment indéterminé à l'avenir, mais que le risque
quotidien de violence signifiait qu'un danger était présent. Canada (Revenu, Douanes et
Accise) et Edwards [1991] C.L.C.R.S.O.D. n° 23, par. 10 et 11.
2016 TSSTC 19 16 sur 46

[68] Pendant la période comprise entre 2000 et 2014, l'expression « susceptible de causer
» a commencé à être interprétée comme signifiant qu'une blessure ne devait pas
nécessairement survenir chaque fois que le risque était présent, mais seulement que la
situation ou la tâche « doit pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas
nécessairement à chaque fois », en citant Verville c. Canada (Service correctionnel), 2004
CF 767 (« Verville ») au paragraphe 35. Dans un établissement correctionnel, cela
signifie qu'un employé ne doit pas nécessairement démontrer qu'il sera blessé chaque fois
qu'un détenu l'agressera, mais plutôt qu'une agression pourrait lui causer des blessures. Le
risque de blessure ne doit pas être immédiat.

[69] Aussi, pendant la période comprise entre 2000 et 2014, il a été établi qu'un danger
pouvait être fondé sur le caractère imprévisible du comportement humain, en citant les
décisions que la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale ont rendues dans Verville et
dans Martin c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 156, au paragraphe 35.

[70] Concernant la modification de 2014 de la définition de « danger », l'intervenant est


d'avis que selon les débats parlementaires et les publications gouvernementales, le but de
la modification était de réduire la complexité de la définition et non de rétablir le sens
d'origine du mot « danger », un sens restrictif qui n'englobait pas le risque éventuel.

[71] L'intervenant a cité la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd.
(Re), [1998] 1 RCS 27 (« Rizzo Shoes Ltd. ») pour établir qu'il est permis et approprié de
tenir compte des débats parlementaires afin d'établir l'intention du législateur. Les
déclarations faites par la ministre ayant parrainé le projet de loi sont particulièrement
convaincantes en ce qui a trait à l'intention.

[72] En deuxième lecture du projet de loi modifiant le Code, la ministre du Travail de


l'époque, l'honorable Kelly Leitch, a affirmé ce qui suit :

Je veux qu'il soit bien clair que le droit qu'ont les employés de refuser un travail
dangereux est primordial et qu'il continue d'exister. La définition continue d'offrir une
protection contre tout type de danger, fût-il imminent, grave ou à long terme. Les
employés continueront d'avoir le droit de refuser tout travail qu'ils estiment dangereux.
Les employeurs resteront tenus de veiller à ce que les lieux de travail soient sécuritaires
et d'intervenir si ce n'est pas le cas. (Chambre des communes, 41e Législature, 2e session
(29 octobre 2013) « Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013 ». Canada.
Parlement. Chambre des communes. Hansard révisé 147(10) à la page 551. Tiré de
http://www.parl.gc.ca/content/hoc/House/412/Debates/010/HAN010-F.PDF)

[73] L'intervenant affirme que l'intention déclarée du gouvernement était de préciser la


définition du mot « danger » puisque « même après appel, 80 % des refus de travailler
évoqués au cours des 10 dernières années l'ont été dans des situations qui ne présentaient
pas de danger ».

[74] L'intervenant affirme que le gouvernement n'avait donné aucune indication que le
Code donnait le droit de refuser de travailler dans un trop grand nombre de situations ou
2016 TSSTC 19 17 sur 46

que le Tribunal et les cours avaient interprété trop largement la définition de « danger »
qui était en vigueur de 2000 à 2014.

[75] L'intervenant est d'avis que l'intention du gouvernement à l'égard de la modification


de 2014 était de réduire le nombre de refus de travailler qui n'étaient pas fondés, et non le
nombre de dossiers où la présence d'un danger a été confirmée, y compris certains cas où
le risque était éventuel.

[76] L'intervenant cite un document de consultation décrivant l'objectif de la modification


de 2014 :

Il a été déterminé, même après les appels, que dans plus de 80 % des refus de travailler au
cours des 10 dernières années - de 2003 à 2013 - il n’y avait pas de situation de danger.
La modification proposée visant à rendre la définition de « danger » plus précise
permettra aux employés et aux employeurs de mieux gérer les questions de santé et de
sécurité au travail dans le cadre du système de responsabilité interne. (2014, ministère des
Finances, projet de loi C-4 - Loi no 2 sur le plan d'action économique de 2013, Ottawa,
gouvernement du Canada, 2013, partie 3, section 5.)

[77] Lorsque l'on compare le libellé de la définition de « danger » qui était en vigueur de
2000 à 2014 et la nouvelle définition de 2014, l'intervenant note que le mot « éventuel »
qualifiait les mots « situation », « tâche » et « risque » (dans la version anglaise, le mot «
potential » qualifiait les mots « condition » et « hazard »). Quoi qu'il en soit, dans le
dictionnaire, le sens de « risque » (hazard en anglais) comporte une notion d'éventualité.
Le dictionnaire Oxford définit le mot « hazard » comme [traduction] « une source de
danger éventuelle ». Le concept d'éventualité est inhérent au concept de risque. Par
conséquent, le fait de supprimer le mot « éventuel » en 2014 a tout simplement réduit la
complexité de la définition de « danger ». Implicitement, la suppression du mot «
éventuel » n'a pas réduit la portée du mot « danger ».

[78] La modification apportée en 2014 au mot « danger » a aussi supprimé les mots «
existant ou », qui qualifiaient, avec « éventuel », les mots « situation », « tâche » et «
risque », dans la définition qui était en vigueur de 2000 à 2014 (dans la version anglaise,
les mots « current or future » qualifiaient le mot « activity »). En 2000, le droit de refuser
de travailler a été élargi afin d'inclure les refus fondés sur la croyance qu'une activité (et
non seulement une tâche ou une situation) pourrait constituer un danger. Pour qu'un
employé puisse refuser de travailler, il n'a pas besoin d'exécuter l'activité en question au
moment du refus. La suppression du mot « éventuel » (future en anglais) vise donc à
simplifier et non à limiter puisqu'un employé peut encore refuser d'exécuter une activité
qui n'a pas encore lieu.

[79] L'intervenant note également que le mot « existant » (les mots current et existing en
anglais) a été supprimé de la définition de « danger » en 2014. Si le Parlement avait voulu
limiter la définition de « danger » aux risques ou aux activités existants, alors il n'aurait
supprimé que le mot « éventuel » (les mots potential et future en anglais). En supprimant
2016 TSSTC 19 18 sur 46

tous les qualificatifs, l'intention du Parlement était de simplifier la définition de « danger


» et non d'en limiter la portée.

[80] Une autre modification apportée en 2014 à la définition de « danger » était la


suppression du texte suivant :

…même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats [...]. Est
notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des
effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur;

[81] L'intervenant fait valoir que le passage ci-dessus a été ajouté à la définition de «
danger » de 2000 parce que les tribunaux avaient interprété la définition de « danger »
comme exigeant que la blessure ou la maladie survienne immédiatement après
l'exposition à l'activité afin de constituer un danger.

[82] L'intervenant note toutefois que dans Welbourne et dans Martin c. Canada
(Procureur général), 2003 CF 1158, le Tribunal et la Cour fédérale ont jugé que, en vertu
de la définition qui était en vigueur de 2000 à 2014, les risques ayant des répercussions à
long terme pourraient être considérés comme un « danger ». Il s'ensuit que la suppression
des mots indiqués ci-dessus constitue une simplification et non une limitation. Les
risques ayant des effets à long terme peuvent toujours être des « dangers ». À l'appui de
ce point de vue, l'intervenant cite la déclaration de la ministre Leitch : « La définition
continue d'offrir une protection contre tout type de danger, fût-il imminent, grave ou à
long terme » (Supra)

[83] L'intervenant est en désaccord avec le point de vue de l'appelant selon lequel les
définitions de « danger » de 1985 et de 2014 sont tellement similaires que l'intention du
législateur doit être de revenir au sens plus limité de la définition de « danger » qui était
en vigueur en 1985. La définition adoptée en 2014 comporte le mot « menace » au sens
de « menace imminente » ou de « menace sérieuse ». Le mot « menace » désigne la
possibilité qu'un préjudice survienne. Selon la définition de 2014, on doit s'attendre
vraisemblablement à ce que quelque chose puisse éventuellement se produire, tandis que
selon la définition de 1985, on devait s'attendre raisonnablement à ce que quelque chose
se produise. Ainsi, la définition de 2014 est plus large que celle de 1985; elle n'est pas la
même, comme le suggère l'appelant.

[84] En mettant l'accent sur la nouvelle définition du mot « danger » dans le contexte du
rôle du droit de refuser de travailler, l'intervenant renvoie à l'objet du Code, énoncé à
l'article 122.1, qui est au cœur de toute interprétation du Code.

[85] L'intervenant est en désaccord avec le point de vue de l'appelant selon lequel le Code
est composé de deux parties distinctes, soit celle portant sur le droit de refuser de
travailler et celle portant sur tout le reste. L'intervenant est d'avis que le Code, ainsi que la
majeure partie des lois en matière de SST au Canada, est fondé sur trois droits
fondamentaux des employés :
2016 TSSTC 19 19 sur 46

1) Le droit de connaître les risques du milieu de travail;

2) Le droit de participer à l'identification et à la correction des problèmes de SST;

3) Le droit de refuser un travail dangereux.

[86] L'intervenant affirme que la prévention des accidents du travail exige que ces trois
droits soient pleinement reconnus et mis en œuvre. Les quelques restrictions énoncées
dans le Code concernant le droit de refuser de travailler ne diminuent pas son statut de
droit important.

[87] L'intervenant convient que le droit de refuser de travailler ne devrait pas être exercé
pour trouver une solution aux problèmes de relations de travail qui ne concernent pas la
SST. Toutefois, l'existence de ces problèmes n'empêche pas un employé de refuser de
travailler, comme l'indique le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) dans
Simon c. Société canadienne des postes (1993), 91 di 1, (Décision no 998 du CCRT), à la
page 10 :

[traduction] … l'existence de tensions ou de désaccords entre l'employeur et les employés


sur des questions particulières ne doit pas empêcher un employé de se prévaloir de son
droit de refuser de travailler et de bénéficier de la protection du Code si cet employé a
l'intime conviction d'avoir des motifs raisonnables de croire à l'existence d'un danger.

[88] L'intervenant convient que le droit de refuser de travailler constitue une « mesure
d'urgence », mais cela ne signifie pas que l'employé doive « l'essayer pour voir » avant de
refuser de travailler. Le refus de travailler peut être fait de manière anticipée.

[89] L'intervenant indique que certaines publications du Programme du travail d'EDSC


contiennent des IPG visant à garantir une interprétation uniforme de la législation au
pays. L'intervenant est d'avis qu'en cas de doute, ces IPG sont pertinents et devraient être
pris en compte par le Tribunal. L'intervenant renvoie à la décision de la Cour suprême du
Canada dans Harel c. Sous-ministre du Revenu (Québec), [1978] 1 RCS 851, à la page
859 :

…n'affirme pas que l’interprétation administrative puisse aller à l’encontre d’un texte
législatif clair, mais dans une situation comme celle que je viens d’esquisser, cette
interprétation a une valeur certaine et, en cas de doute sur le sens de la législation, devient
un facteur important.

[90] L'intervenant note également que par le passé, le CCRI et le Tribunal ont tenu
compte des publications gouvernementales, notamment les IPG, dans leurs analyses.

[91] L'intervenant a fait référence à l'IPG publié dans le cadre du Programme du travail
en octobre 2014 concernant la nouvelle définition de « danger » (905-1-IPG-062) selon
lequel la définition a été modifiée « afin de clarifier la définition et d'en réduire la
complexité ».
2016 TSSTC 19 20 sur 46

[92] L'intervenant note que cet IPG définit « menace imminente » comme étant une
menace sur le point de survenir et « menace sérieuse » comme étant « une importante
menace pour la santé ou la vie et comprend les menaces importantes possibles ». Il
s'ensuit que tant que la menace attendue est sérieuse, elle n'a pas aussi à être imminente.
Bien que le mot « éventuel » ait été supprimé comme qualificatif du mot « risque », le
nouveau terme « menace » comprend une menace éventuelle.

[93] En résumé, la modification de la définition de « danger » ne réduit pas la portée de la


définition, contrairement à ce qu'affirme l'appelant. La modification ne fait que préciser
la définition. La jurisprudence établie avant la modification s'applique donc toujours.

[94] L'intervenant est d'avis que même si la nouvelle définition est similaire à celle de
1985, la jurisprudence qui évolue depuis 1985 signifierait qu'une interprétation plus
libérale serait donnée à la définition aujourd'hui.

[95] Par conséquent, l'intervenant estime que le critère du « danger » dont il est question
dans Pollard est encore pertinent, avec quelques ajustements :

1) Le risque allégué par l'employé existait au moment où l'employé a refusé de travailler;

2) Un employé a été exposé à ce risque, à cette situation ou à cette tâche;

3) L'exposition à ce risque, à cette situation ou à cette tâche est susceptible de causer des
blessures ou la mort, ou de rendre malade, à tout moment, mais pas à chaque fois;

4) La menace pour la vie ou pour la santé se produira vraisemblablement avant que la


situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.

[96] En appliquant le critère énoncé dans Pollard à la situation dans laquelle se trouvait
l'intimé le 1er juin 2015, on conclut que le risque existait au moment où l'intimé a refusé
de travailler, soit le « risque d'être agressé par des détenus sans être muni d'un
équipement de protection approprié ». Comme le mot « risque » comporte un caractère
d'éventualité, l'intimé n'a qu'à démontrer qu'un risque raisonnable existait et non qu'il
avait effectivement vécu une situation dangereuse.

[97] L'intervenant soutient que la présente affaire est similaire à d'autres affaires de SCC
où le risque découle du caractère imprévisible du comportement humain.

[98] Le critère énoncé dans Pollard exige que l'employé soit exposé au risque, à la
situation ou à la tâche. Même si les GC ne sont pas des membres du personnel de
première ligne comme les AC, la preuve a démontré qu'ils étaient exposés au risque.
Selon le témoignage de M. Coimbra, les GC passent de deux à trois heures par semaine
en contact direct avec des détenus. Les GC peuvent se trouver en présence de détenus
seuls ou avec un seul AC.
2016 TSSTC 19 21 sur 46

[99] Selon le témoignage du GC Bird, les GC et les AC sont les seuls employés qui «
vont à la source du problème » lorsqu'un problème survient alors que tous les autres
employés « s'éloignent du problème ». Contrairement aux autres membres du personnel,
les GC portent un uniforme similaire à celui des AC.

[100] Selon la preuve présentée par l'intimé et par le GC Bird, les GC sont pleinement
conscients que leur rôle et de diriger et de coordonner plutôt que d'intervenir directement
en cas de problème, mais il y a des situations où les GC doivent aider les AC à reprendre
le contrôle de la situation.

[101] Selon le critère énoncé dans Pollard, l'exposition au risque doit être susceptible de
causer un préjudice à tout moment, mais pas chaque fois. L'intervenant note que dans
Verville, il est indiqué qu'il n'est pas nécessaire de prouver qu'un agent a été blessé dans
les mêmes circonstances exactement. Il n'est pas contesté que les détenus peuvent être
très violents et qu'ils ont parfois accès à divers types d'armes. La preuve a révélé qu'il y a
eu plusieurs cas d'agression de GC.

[102] L'intervenant affirme que, selon Pollard, la menace à la vie ou à la santé se produira
avant que la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté. Le fait que le
GC impliqué dans une altercation avec un détenu ne porte ni menottes ni vaporisateur de
poivre fait qu’il est vraisemblable qu’il y ait des blessures avant que l'AC n'arrive avec
des menottes et un vaporisateur, ou avant qu'un autre moyen de contrôle ne soit mis à sa
disposition. Selon le témoignage de l'intimé, de 20 à 30 secondes peuvent s'écouler avant
qu'un GC reçoive de l'aide; le GC peut être grièvement blessé pendant ce délai.

[103] L'intervenant indique, pour résumer, que le critère énoncé dans Pollard est rempli
dans le cas présent.

[104] L'intervenant est d'avis que le danger auquel l'intimé faisait face ne constituait pas
une condition normale de l'emploi. Les établissements correctionnels sont des endroits où
des situations violentes peuvent se produire fréquemment. La description du poste de GC
indique que l'emploi comporte un « risque d'agression verbale ou physique ». Quoi qu'il
en soit, un GC peut refuser de travailler si le danger est plus important qu'à l'habitude.
Selon la jurisprudence, il y a eu des cas où le danger pour les AC découlant de la violence
ne constituait pas une condition normale de l'emploi (voir Verville, Armstrong c. Canada
(Service correctionnel), 2010 TSSTC 6 (Armstrong), Glenn Brown et Johnstone c.
Service correctionnel du Canada, TSSTC-05-020 (Johnstone).

[105] L'intervenant conclut en indiquant que les modifications apportées en 2014 à la


définition de « danger » ne visaient pas à limiter la portée de cette définition et que, selon
la preuve, l'intimé était confronté à un danger au moment où il a refusé de travailler.
L'appel devrait donc être rejeté et l'instruction du délégué ministériel Jenkins concernant
le danger, confirmée.

D) Réplique
2016 TSSTC 19 22 sur 46

[106] Dans sa réplique, l'appelant a réitéré son point de vue selon lequel le thème
principal se dégageant d'un survol de la jurisprudence établie avant la définition de
danger qui était en vigueur de 2000 à 2014 est le fait que le droit de refuser de travailler
s'appliquait aux risques qui constituaient des urgences - le risque se trouvait directement
devant l'employé. Un thème connexe se dégage de la jurisprudence établie jusqu'à présent
: le refus de travailler n'est qu'un mécanisme parmi d'autres qui sont prévus dans le Code
et qui visent à résoudre les problèmes; il ne devrait pas servir à traiter des différends de
longue date en milieu de travail auxquels d'autres mécanismes conviennent davantage. De
l'avis de l'appelant, les décisions citées par l'intervenant sont des cas particuliers qui ne
représentent pas la majorité des affaires.

[107] La position de l'appelant concernant l'utilisation par l'intervenant des débats


parlementaires pour expliquer le sens de la nouvelle définition de « danger » comporte
trois volets :

1) Les déclarations faites lors des débats parlementaires ne soutiennent pas le point de
vue de l'intervenant;

2) Le libellé des modifications apportées au Code est clair et sans ambiguïté; par
conséquent, les déclarations faites lors des débats parlementaires ont peu de poids;

3) Le recours à des éléments extrinsèques pour interpréter (l'approche principale de


l'intervenant) est moins utile que l'analyse de l'évolution de la définition du mot « danger
» dans le Code au fil des ans.

[108] Concernant l'utilité d'analyser l'évolution sur le plan législatif à des fins
d'interprétation, l'appelant cite la Cour suprême du Canada dans R. c. Ulybel Enterprises
Ltd., 2001 CSC 56, au paragraphe 33 :

Pour comprendre la portée [d'une disposition], il est utile d’examiner son évolution sur le
plan législatif. Les textes antérieurs sont de nature à jeter de la lumière sur l’intention
qu’avait le législateur en les abrogeant, les modifiant, les remplaçant ou y ajoutant […].

[109] Concernant la faiblesse des arguments fondés sur des éléments extrinsèques comme
les débats parlementaires, l'appelant cite Rizzo Shoes Ltd. où la CSC a permis leur
utilisation en notant toutefois leurs limites : « les nombreuses lacunes de la preuve des
débats parlementaires » et « elle peut jouer un rôle limité en matière d’interprétation
législative. »

[110] L'appelant note que l'une des décisions citées par l'intervenant soutient le point de
vue de l'appelant selon lequel les modifications de 2014 visaient à réduire la dépendance
à l'égard des refus de travailler et à mettre davantage l'accent sur le système de
responsabilité interne (SRI).

[111] L'appelant est en désaccord avec la suggestion de l'intervenant selon laquelle la


suppression du mot « éventuel » (potential et future en anglais) de la définition de «
2016 TSSTC 19 23 sur 46

danger » qui était en vigueur de 2000 à 2014 est sans grande importance puisque cette
notion est déjà englobée dans le mot « risque ». L'appelant fait valoir que lorsque le mot
« éventuel » faisait partie de la définition de « danger » qui était en vigueur de 2000 à
2014, cela avait de profondes répercussions (voir Glenn Brown au paragraphe 73). Si
l'ajout du mot « éventuel » à la définition de « danger » signifiait qu'il n'était plus
nécessaire qu'un danger existe au moment du refus de travailler, la suppression du mot «
éventuel » dans la modification de 2014 signifierait qu'un danger concret doit exister au
moment du refus de travailler.

[112] Contrairement à l'intervenant qui s'appuie sur l'article 122.1 du Code (qui porte sur
l'objet) pour critiquer l'interprétation de l'appelant, l'appelant est d'avis que son
interprétation du mot « danger » est effectivement conforme à l'objet du Code en ce
qu'elle « rétablit l'équilibre du Code » - la sécurité des travailleurs sera améliorée en
mettant l'accent sur les autres mécanismes de résolution de problème du Code plutôt que
sur le refus de travailler.

Analyse
[113] L’intimé a exercé un refus de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code :

Refus de travailler en cas de danger

128.(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut
refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un
lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger


pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre


employé.

[Les caractères gras sont ajoutés par le soussigné]

Comme on peut le constater ci-dessus, le « danger » est un concept clé dans l'exercice du
droit de refuser de travailler de l'employé.

[114] Le 5 juin 2015, le délégué ministériel Jenkins a établi qu'il existait un « danger » et
a émis une instruction en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code.

Situations dangereuses
2016 TSSTC 19 24 sur 46

145. (2) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou d’une chose, qu’une situation
existant dans un lieu ou que l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un
employé au travail, le ministre :

a) en avertit l’employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder, immédiatement


ou dans le délai qu’il précise, à la prise de mesures propres :

(i) soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche,

(ii) soit à protéger les personnes contre ce danger;

[Les caractères gras sont ajoutés par le soussigné]

Comme on peut le constater ci-dessus, le « danger » est un concept clé dans l'exercice du
pouvoir du ministre (par l'entremise du délégué ministériel) d’émettre une instruction à
l'employeur en vertu du paragraphe 145(2)a).

[115] L'intimé a mentionné la violation, par l'employeur, de plusieurs articles du Code


comme fondement de son refus de travailler. La violation d'une disposition du Code ou
du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail (le Règlement) ne justifie pas
un refus de travailler sauf si elle comporte un risque suffisamment élevé pour constituer
un « danger ». Il n'y a eu aucune mention par les parties, ou par l'intervenant, de ces
violations alléguées. La réponse à une contravention est une « instruction relative à une
contravention » émise en vertu du paragraphe 145(1) du Code, et non une « instruction
relative à un danger » en vertu du paragraphe 145(2) du Code.

[116] L’appelant a ensuite interjeté appel de la décision en vertu du paragraphe 146(1) :

Procédure

146 (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions
données par le ministre sous le régime de la présente partie peut, dans les trente jours qui
suivent la date où les instructions sont données ou confirmées par écrit, interjeter appel de
celles-ci par écrit à un agent d’appel.

[117] Le paragraphe 146.1(1) du Code décrit le pouvoir d'un agent d'appel lorsqu’un
appel est interjeté à l’encontre d’une instruction relative à un danger. Un agent d'appel
peut modifier, annuler ou confirmer l'instruction :

Enquête

146.1(1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent
d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la
décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions; [...].


2016 TSSTC 19 25 sur 46

[118] Je dois établir si un danger existait au moment du refus de travailler. Si aucun


danger n'existait, je dois alors annuler l'instruction du délégué ministériel. Le refus de
travailler a eu lieu après la modification de la définition du mot « danger » en 2014. Par
conséquent, pour en arriver à une décision, je dois utiliser la nouvelle définition de «
danger ». Si la nouvelle définition de « danger » diffère considérablement de l'ancienne
définition, comme le prétend l'appelant, alors la jurisprudence établie avant la
modification me sera peu utile. Je devrai établir le sens de la nouvelle définition. Si la
nouvelle définition de « danger » est de nature technique et vise uniquement à simplifier
et à préciser le concept, comme l'intervenant le prétend, la jurisprudence établie avant la
modification s'appliquera.

[119] L'appelant fait valoir que l'analyse de l'évolution de la définition du mot « danger »
au fil des ans et la comparaison attentive du libellé de la nouvelle définition avec celui de
l'ancienne démontrent que le sens de la définition a considérablement changé et qu'elle
est maintenant similaire au sens que l'on donnait au « danger » avant 2000.

[120] L'appelant accorde très peu d'importance, le cas échéant, à l'utilisation des débats
parlementaires ou des publications du Programme du travail d'EDSC. L'intervenant fait
valoir que l'on doit accorder de l'importance à ces éléments extrinsèques au moment
d'interpréter la nouvelle définition de « danger ». L'intervenant est d'avis que la
comparaison entre l'ancienne définition et la nouvelle démontre que le sens du mot «
danger » n'a pas changé considérablement en 2014.

[121] De 2000 à 2014, le concept de « danger » était défini comme suit au paragraphe
122(1) du Code :

« danger » Situation, tâche ou risque - existant ou éventuel - susceptible de causer des


blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade - même si ses effets
sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le
risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute
exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la
santé ou le système reproducteur.

[122] La définition actuelle du mot « danger » est la suivante :

Situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace


imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant
que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.

[123] Contrairement à de nombreuses autres lois, le législateur souhaitait que le Code soit
lu, compris et utilisé par toutes les parties du milieu de travail, y compris les employés de
première ligne. Le paragraphe 125(1) du Code stipule que le texte du Code doit être
accessible aux employés au lieu de travail. En revanche, on ne retrouve pas les centaines
de pages de règlements pris en application de la Loi sur les aliments et drogues affichées
dans les épiceries pour que les clients puissent les lire ni les centaines de pages de
règlements pris en application de la Loi sur l'aéronautique affichées dans les aires
2016 TSSTC 19 26 sur 46

d'attente des aéroports pour que les voyageurs puissent les parcourir. Le Code est destiné
à être utilisé par les employeurs et les employés. Il serait très difficile pour les parties
d'un lieu de travail d'utiliser le Code au moment de gérer un refus de travailler si le texte
signifiait autre chose que l'interprétation qu'en ferait une personne raisonnable dans les
circonstances.

A) L'interprétation du concept de danger

Principes directeurs de l'interprétation des lois

[124] Dans Rizzo Shoes Ltd., la Cour suprême du Canada établit comme suit la méthode
à utiliser au moment d'interpréter les lois :

[21] Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex.
Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the
Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après «Construction of Statutes»); Pierre-André
Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé
Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il
reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte
de loi. À la p. 87, il dit :

[Traduction] Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou seule solution : il faut lire les
termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui
s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[125] Comme il est stipulé dans la Loi d'interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-21), on
devrait donner au texte une interprétation libérale à la lumière de l'objet de la loi :

Principe et interprétation

12. Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus
équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

[126] Dans Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c. Woollard (2006 CF


1332), la Cour fédérale a indiqué ce qui suit concernant la nécessité de donner une
interprétation large et libérale aux dispositions du Code qui est conforme à son objet :

[28] […] L'agent d'appel n'a pas non plus commis d'erreur de droit en donnant une
interprétation large et libérale à ce mot, conforme à l'objet que visait le législateur
lorsqu'il a adopté ce texte. Interpréter autrement ce terme, comme le préconisait la
demanderesse qui défendait plutôt une définition technique du terme, équivaudrait à
contrecarrer la volonté du législateur de prévenir les accidents et les risques pour la santé
dans le lieu de travail.

1) Texte de la définition
2016 TSSTC 19 27 sur 46

[127] La première étape consiste à examiner le sens grammatical et ordinaire des mots
utilisés dans la définition du mot « danger ». On peut dire qu'il s'agit du « sens naturel qui
se dégage de la simple lecture de la disposition dans son ensemble », comme l'indique
Gonthier, J. dans Lignes Aériennes Canadien Pacifique Ltée c. Assoc. Canadienne Des
Pilotes De Lignes Aériennes, [1993] 3 R.C.S. 724, à la page 735. À première vue, un
employé comprendrait qu'il existe deux types de dangers, ceux qui pourraient
vraisemblablement présenter une menace imminente pour la vie ou pour la santé et ceux
qui pourraient vraisemblablement présenter une menace sérieuse pour la vie ou pour la
santé.

[128] L'appelant affirme que « menace imminente » et « menace sérieuse » sont de même
nature, en renvoyant au principe ejusdem generis. Ce dernier principe s'applique à
l'interprétation de listes non limitatives; il ne s'applique pas à une dichotomie disjonctive.
Les deux expressions sont de même nature en ce sens qu'elles désignent toutes deux le
résultat des risques qui constituent un danger, mais elles désignent des concepts
différents. Si elles désignaient le même concept, le législateur aurait alors utilisé
l'expression « menace imminente et sérieuse ». Une menace sérieuse n'est pas
nécessairement imminente. Une menace imminente n'est pas nécessairement sérieuse (sur
le plan de la gravité). Si elles signifiaient la même chose, le législateur aurait
probablement utilisé une seule expression du genre « danger imminent ».

[129] Le New Shorter Oxford English Dictionary (1993) définit le mot anglais «
imminent » comme suit [traduction] : « se dit d'un événement, particulièrement un danger
ou un désastre, sur le point de se produire ». Par conséquent, à mon avis, quand on parle
d'une chose « imminente », on parle de deux choses : Que quelque chose peut bientôt se
produire ou exister et qu'il y a une forte probabilité que cette chose se produise ou existe.
On ne dirait pas qu'une chose est « imminente » si elle pouvait se produire sous peu, mais
que la probabilité qu'elle se produise n'est qu'une simple possibilité. Il n'y a toutefois
aucune connotation concernant la gravité du préjudice. Une menace imminente est
quelque chose qui peut entraîner un préjudice grave ou mineur (mais pas sans
importance). Un employé ne devrait pas avoir à travailler lorsqu'il y a une menace
imminente pouvant faire en sorte qu'il décède ou se coupe un doigt. Dans le lieu de
travail, un employé peut considérer qu'une chose est « imminente » si elle peut
vraisemblablement se produire ou exister dans les minutes ou les heures qui suivent.

[130] Une « menace sérieuse » n'est pas nécessairement imminente. Le New Shorter
Oxford English Dictionary définit le mot anglais « serious » comme suit [traduction] : «
important, grave, ayant (potentiellement) des conséquences importantes, non souhaitées
en particulier; qui soulève des préoccupations; d'un degré important ou d'une quantité
considérable. » Dans le langage courant, un employé comprendrait que l'expression «
menace sérieuse » a trait à la gravité du préjudice. Il n'y a pas de moment auquel le
préjudice pourrait se matérialiser. Un décès, une blessure importante ou une maladie
exigeant des soins médicaux pourrait vraisemblablement se produire. Un employé ne
devrait pas avoir à travailler avec une concentration élevée de substances cancérigènes
même si, avec une période de latence, l'exposition pourrait vraisemblablement causer le
cancer dans plusieurs années.
2016 TSSTC 19 28 sur 46

2) L'objet et l'esprit du Code

[131] Le texte d'une loi devrait avoir du sens à la lumière de l'objet général de la loi.
L'objet de la partie II du Code est énoncé à l'article 122.1 :

La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à
l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

Comme le texte en question est une définition et non une disposition de fond, il vaut
mieux examiner la définition en fonction de son utilisation dans le Code. Les dispositions
du Code relatives au refus de travailler dans lesquelles le mot « danger » revêt une grande
importance doivent être utilisées par les parties du lieu de travail, souvent lorsque les
délais sont serrés et les gens, stressés. L'interprétation de « danger » qui convient le
mieux à l'objet du Code est celle que des employés de première ligne peuvent utiliser.

[132] Le sens des mots dans une loi ne devrait pas être considéré sans tenir compte de la
loi dans son ensemble. L'esprit de la loi devrait être pris en compte. Étant donné l'objet de
la loi, quelle était l'intention du législateur concernant la manière d'atteindre l'objet?

[133] D'après le contenu et la structure du Code, il est manifeste que l'objet de protéger
les employés contre les préjudices, peut être atteint de certaines façons, au moyen de
certains mécanismes. L'appelant et l'intervenant ne s'entendent pas sur la façon avec
laquelle l'objet du Code est réalisé.

[134] Avec égard, l'argument de l'appelant selon lequel le Code est composé, d'une part,
des dispositions relatives au refus de travailler et, d'autre part, de tout le reste, est inexact.
À ce sujet, il serait plus exact de dire que les « risques » sont composés des très grands
risques qui constituent un « danger » et qui peuvent faire l'objet de refus de travailler, et
des risques plus faibles, qui ne constituent pas des « dangers » et qui sont traités au
moyen d'autres mécanismes que le refus de travailler.

[135] On peut comprendre que le droit de refuser de travailler puisse être perçu par
certains comme l'une des diverses mesures permettant de réaliser l'objet du Code. Ce sont
les refus de travailler qui attirent l'attention des fonctionnaires, des avocats, des agents
d'appel et des tribunaux. Il faut garder à l'esprit qu'il s'agit là d'une perception erronée. On
n'assure pas la santé et la sécurité des travailleurs par des refus de travailler. On le fait
principalement par le biais d'obligations. Si on assurait la SST par des refus de travailler,
le travail serait paralysé.

[136] L'argument de l'intervenant selon lequel le Code n'est pas séparé en deux, comme
l'appelant le suggère, mais qu'il consiste plutôt en une triade de droits de l'employé, est
aussi inexact. Il serait plus exact de dire que l'objet du Code doit principalement être
atteint au moyen des obligations des employeurs et des employés, avec l'assistance de la
triade des droits de l'employé. En SST, on appelle communément cette combinaison
d'obligations et de droits le « système de responsabilité interne » (SRI).
2016 TSSTC 19 29 sur 46

[137] L'objet du Code doit être atteint en protégeant les employés sur le lieu de travail au
moyen du SRI - un système de droits et d'obligations dans le cadre duquel l'employeur et
les employés identifient et évaluent les risques, éliminent ou substituent les risques quand
ils le peuvent et contrôlent ensuite les risques de manière à les atténuer le plus
raisonnablement possible dans les circonstances de sorte qu'aucun préjudice ne se
manifeste pendant le plus longtemps possible. Le rôle de l'autorité de réglementation,
principalement par l'entremise du délégué ministériel, consiste à s'assurer que le SRI
fonctionne bien et, dans la négative, à appliquer de façon indépendante les normes
énoncées dans le Code et dans ses règlements.

[138] Juxtaposé à l'objet du Code se trouve l'article 122.2, qui établit ce que l'on appelle,
dans le domaine de la SST, la « hiérarchie des mesures de contrôle » :

Ordre de priorité

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans
leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de
vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.

[139] Le rôle du délégué ministériel consiste à inspecter le lieu de travail, à reconnaître


que les risques et les contraventions découverts sont symptomatiques d'un SRI qui n'est
pas adéquat. S'il y a un SRI qui fonctionne bien, le délégué ministériel ne devrait rien
trouver qui cloche.

[140] Le Code, de par la façon dont il est conçu, reconnaît les imperfections éventuelles
des parties principales du SRI en fournissant des mécanismes visant à réaliser l'objet du
Code lorsque ces imperfections se produisent (ou à prévenir celles-ci en premier lieu). Le
droit qu'ont les employés de connaître les risques et les mesures de contrôle constitue
l'une des façons de s'assurer que les parties du lieu de travail sont mieux équipées pour
accomplir leurs obligations. Les employés exercent largement leur droit de participer au
processus de réduction des risques par l'entremise de leurs représentants,
individuellement ou dans le cadre des comités de santé et de sécurité au travail. Le droit
des employés de refuser de travailler n'est pas la manière normale et habituelle d'atténuer
les risques; c'est un mécanisme d'urgence et de secours lorsque les éléments principaux
du SRI n'ont pas été efficaces. Sauf en présence d'un risque élevé imprévisible, un
employé ne devrait jamais faire face à un risque élevé, un danger. Toutefois, en présence
d'un danger, l'employé a le droit de refuser de travailler, ce qui déclenche divers
événements en vertu des dispositions du Code relatives au refus de travailler. Il est
important de souligner que ces situations de « danger » doivent d'abord être gérées par les
parties du lieu de travail; c'est seulement lorsqu'elles ne parviennent pas à solutionner le
problème que l'autorité externe, le délégué ministériel, se présente sur le lieu de travail
pour enquêter et prendre une décision.

[141] On pourrait penser que la principale façon de traiter les questions de SST serait par
l'entremise du comité local de santé et sécurité. Mais c'est plutôt par l'entremise des
obligations de l'employeur et des employés qui, ensemble, constituent la manière
2016 TSSTC 19 30 sur 46

principale de réaliser l'objet du Code. À part les nombreuses obligations dans le Code qui
sont rattachées à la réglementation, les deux obligations générales de l'employeur et de
l'employé se démarquent :

Obligation générale

124. L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité


au travail.

Santé et sécurité

126(1) L’employé au travail est tenu :

c) de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa propre santé et sa propre sécurité,
ainsi que celles de ses compagnons de travail et de quiconque risque de subir les
conséquences de ses actes ou omissions;

[142] Chaque employé a une obligation personnelle d'être prudent. Chaque employé a
aussi le droit de participer aux activités liées à la SST. Un droit peut être exercé ou non.
Le droit de participer s'exerce largement par l'entremise du représentant en santé et
sécurité des employés ou du membre employé du comité local de santé et sécurité. En
somme, l'objet du Code doit être atteint sur une base quotidienne par les parties du lieu de
travail, soit l'employeur et les employés, qui s'acquittent de leurs obligations en tenant
compte des conséquences de leurs décisions et de leurs actions sur la SST. La vaste
majorité des lacunes, des contraventions et des risques, etc. devrait être gérée de manière
routinière par les parties du lieu de travail sans recourir au comité local, au processus de
règlement des différends ou aux procédures de refus de travailler. L'atténuation routinière
des risques par toutes les personnes présentes sur le lieu de travail constitue l'élément
principal du SRI. Lorsque surviennent des désaccords, des différends ou des questions
non résolues, la plupart d'entre eux peut alors être prise en charge par le comité. Le
comité fonctionne aussi de manière proactive en contribuant à la mise en place de
nombreux programmes de SST.

[143] Quand on fait le survol de l'esprit du Code, il est clair que le droit de refuser de
travailler n'est pas la manière habituelle de gérer et d'atténuer les risques. Le droit de
refuser de travailler est une « solution de secours » ou un mécanisme « à sécurité intégrée
».

[144] Il est important de noter que le droit de refuser de travailler n'est pas tributaire du
fait que l'employé a préalablement tenté de régler le problème de SST par d'autres
moyens. Un employé peut choisir de refuser de travailler lorsqu'il a des motifs
raisonnables de croire qu'il y a un danger, sans égard à ce qui s'est produit auparavant.
C'est un droit important et puissant. De par la manière dont le Code est conçu, il est
manifeste que le refus de travailler doit être utilisé en tant que mesure d'urgence et que la
plupart des efforts visant à atténuer les risques et à protéger les employés doivent être
déployés ailleurs.
2016 TSSTC 19 31 sur 46

[145] Il y a une autre manière avec laquelle l'esprit du Code permet de circonscrire la
portée de ce qu'est le « danger » : c'est la distinction entre les causes directes des
accidents et des maladies et leurs causes plus indirectes. Le droit de refuser de travailler a
trait aux « machines », aux « choses », aux « situations » et aux « tâches ». Ces éléments
ont une caractéristique commune : ils sont des causes directes d'accidents et de maladies.
Le paragraphe 128(1) ne s'applique pas aux systèmes, aux programmes ou aux politiques.
Les risques sont habituellement les causes directes des accidents et des expositions. Les
risques ne sont pas des causes éloignées et profondes dans le système de gestion, comme
les politiques et les programmes. Il est très utile de chercher les causes profondes des
risques dans les politiques ou programmes manquants ou inadéquats. La correction des
causes profondes peut entraîner l'élimination des risques ou réduire leur présence ou leur
effet. Le budget, l'allocation des ressources et la dotation en personnel, entre autres, sont
d'autres exemples de causes profondes. Les causes profondes des accidents et des
expositions sont importantes, mais, en général, il est préférable de recourir aux autres
mécanismes prévus dans le Code pour les gérer. Dans le sens ordinaire du mot « risque »,
l'employé s'imaginera des causes directes de préjudice et non des causes profondes, qui
sont plus abstraites.

[146] Il ressort de l'examen de l'esprit du Code que la vocation du comité local de santé et
sécurité est d'être un forum où l'on s'attaque aux causes profondes (mais non seulement à
celles-ci) des accidents et des expositions dans le cadre du système de gestion. L'examen
des obligations suivantes du comité local de santé et sécurité l'établit sans équivoque :

Attributions du comité

135(7) Le comité local, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été
constitué :

b) participe à la mise en œuvre et au contrôle d’application du programme mentionné à


l’alinéa 134.1(4)c);

c) en ce qui touche les risques professionnels propres au lieu de travail et non visés par le
programme mentionné à l’alinéa 134.1(4)c), participe à l’élaboration, à la mise en œuvre
et au contrôle d’application d’un programme de prévention de ces risques, y compris la
formation des employés en matière de santé et de sécurité concernant ces risques;

d) en l’absence de comité d’orientation, participe à l’élaboration, à la mise en œuvre et au


contrôle d’application du programme de prévention des risques professionnels, y
compris la formation des employés en matière de santé et de sécurité;

f) participe à la mise en œuvre et au contrôle d’application du programme de fourniture


de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection personnelle et, en
l’absence de comité d’orientation, à son élaboration;

i) participe à la mise en œuvre des changements qui peuvent avoir une incidence sur la
santé et la sécurité au travail, notamment sur le plan des procédés et des méthodes de
2016 TSSTC 19 32 sur 46

travail et, en l’absence de comité d’orientation, à la planification de la mise en oeuvre de


ces changements;

l) en l’absence de comité d’orientation, participe à l’élaboration d’orientations et de


programmes en matière de santé et de sécurité.

[Les caractères gras sont ajoutés par le soussigné]

[147] Il n'y a aucune indication ailleurs dans le Code proposant que les employés doivent
gérer les causes profondes comme les politiques et les programmes. Le libellé du
paragraphe 126(1), qui porte sur les obligations des employés, concerne les causes
directes. En effet, il est clair qu'un employé doit collaborer avec le comité et non
substituer le jugement de l'employé par celui du comité :

Santé et sécurité

126(1) L’employé au travail est tenu :

f) de collaborer avec le comité d’orientation et le comité local ou le représentant;

[148] Bien que la ligne de démarcation ne soit pas toujours claire entre les causes directes
et les causes profondes, on peut dire que l'intention concernant la portée du mot « danger
» est d'inclure les causes directes et non les causes profondes. Toutefois, dans ce
domaine, il est reconnu qu'on ne peut pas être trop affirmatif. Les décisions qui
concernent la dotation en personnel sont généralement du domaine des politiques; elles
concernent les budgets et l'allocation des ressources. Dans certains cas précis, toutefois,
la dotation en personnel pourrait constituer un risque; ce n'est pas la politique qui
constitue le risque, mais le résultat de celle-ci peut constituer une cause directe. Si on
demande à un employé d'accomplir une tâche qui devrait clairement être accomplie par
deux personnes, cette tâche pourra présenter un risque, qui pourra constituer un danger si
le risque est suffisamment important.

[149] Il ne s'agirait pas d'un « danger » si un employé était préoccupé dans l’abstrait par
une politique concernant la fourniture de dispositifs de protection comme les
vaporisateurs de poivre et les menottes. Si la politique faisait en sorte que l'employé était,
dans les faits, confronté à une situation où le vaporisateur et les menottes étaient
nécessaires, l'absence de cet EPP pourrait constituer un « danger ».

[150] Quand on dit que le refus de travailler est une « solution de secours » ou un
mécanisme « à sécurité intégrée », on pourrait penser qu'il constituerait la bonne façon de
forcer la résolution d'un problème lorsque les moyens habituels de régler des problèmes
de SST ne semblent pas bien fonctionner. Le comité est peut-être dysfonctionnel. La
direction ne prend peut-être pas le comité au sérieux. Il n'y a rien d'inapproprié dans un
refus de travailler lorsqu'un employé est confronté à une cause directe résultant d'une telle
dysfonction ou indifférence. Avant les modifications de 2014, un refus de travailler
constituait un moyen assuré de susciter l'intervention d'un agent de santé et sécurité
2016 TSSTC 19 33 sur 46

(agent de SST). Si, par exemple, le comité était dans l'impasse ou l'employeur ne tenait
pas compte d'une recommandation du comité, pourquoi ne pas obtenir un deuxième avis
en provoquant l'intervention d'un agent de SST par un refus de travailler?

[151] Un survol de l'esprit du Code révèle que le législateur ne souhaitait pas que le
ministre ou le délégué ministériel serve de médiateur ou d’adjudicateur d’appels des
comités. Pour le meilleur ou pour le pire, les dispositions relatives aux comités ne
prévoient aucun moyen rapide d’interjeter appel auprès du ministre ou au délégué
ministériel. Avant les modifications de 2014, l'agent de SST était tenu d'intervenir là où il
y avait un refus de travailler non résolu, mais il n'était pas tenu d'intervenir auprès du
comité (et ne l'est toujours pas).

[152] L'agent de SST (maintenant le ministre ou délégué ministériel) était toutefois tenu
(et ceci demeure le cas) d'intervenir là où il y a un différend non résolu en vertu du
processus de règlement des plaintes prévu à l'article 127.1 du Code: « 127.1(9) Le
ministre fait enquête sur la plainte visée au paragraphe (8). » [Les caractères gras sont
ajoutés par le soussigné]. On peut avoir recours au processus de règlement des plaintes
pour des questions qui ne concernent pas le danger :

Plainte au supérieur hiérarchique

127.1(1) Avant de pouvoir exercer les recours prévus par la présente partie - à l’exclusion
des droits prévus aux articles 128, 129 et 132 -, l’employé qui croit, pour des motifs
raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention à la présente
partie ou dont sont susceptibles de résulter un accident ou une maladie liés à
l’occupation d’un emploi doit adresser une plainte à cet égard à son supérieur
hiérarchique.

[Les caractères gras sont ajoutés par le soussigné]

[153] Comme il a été mentionné, l'employé ne doit pas nécessairement avoir utilisé le
processus de règlement des plaintes avant d'exercer son droit de refuser de travailler, mais
il est évident que le seuil à atteindre pour déclencher le processus est moins élevé que
dans le cas du refus de travailler - le mot « danger » n'est pas utilisé au paragraphe
127.1(1). C'est de plus une façon de provoquer l'intervention du délégué ministériel.

[154] Les pouvoirs du ministre (et du délégué ministériel) sont très larges. L'alinéa
141(1)a) stipule ce qui suit :

141(1) Dans l’exercice de ses fonctions et sous réserve de l’article 143.2, le ministre peut,
à toute heure convenable, entrer dans tout lieu de travail placé sous l’entière autorité d’un
employeur. En ce qui concerne tout lieu de travail, il peut :

a) effectuer des examens, essais, enquêtes et inspections ou ordonner à l’employeur de les


effectuer;
2016 TSSTC 19 34 sur 46

[155] Rien n'empêche un employé de communiquer avec le ministre à quelque moment


que ce soit afin de lui faire part d'une inquiétude. Le ministre (ou le délégué ministériel)
peut, à sa discrétion, se présenter sur le lieu de travail ou encore s'abstenir de se
renseigner à propos de l'inquiétude de l'employé ou enquêter sur celle-ci. L'employé est
protégé contre les représailles s'il cherche à faire appliquer le Code :

Interdiction générale à l’employeur

147. Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un


employé [...] parce que :

c) [l'employé] a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire


appliquer.

[156] En jetant un coup d'œil au Code, on constate qu'il y a des moyens permettant à un
employé d'attirer l'attention du ministre (du délégué ministériel) autres que le refus de
travailler. L'une des modifications apportées en 2014 fait en sorte qu'il n'est pas garanti
que le ministre (le délégué ministériel) intervienne à la suite d'un refus de travailler.

[157] En résumé, la portée du mot « danger » peut être déterminée avec un certain degré
de certitude en examinant tout simplement le contenu et la structure de l'ensemble du
Code. La nouvelle définition de « danger », dans le contexte du Code, ne vise pas à
englober les risques faibles, les causes profondes, ni les différends à propos de questions
autres que les causes directes d'accidents et de maladies.

3) Intention du Parlement

[158] Le prochain élément à considérer consiste à établir si l'on peut en apprendre


davantage à propos du sens du mot « danger » en comparant l'ancien processus de refus
de travailler avec le nouveau. Cet exercice exige une analyse de l'évolution sur le plan
législatif de certaines dispositions de la même loi.

[159] Les modifications apportées au Code en 2014 ont touché à la fois la définition de «
danger » et les dispositions relatives au refus de travailler. Comme le « danger » est un
concept clé dans les dispositions relatives au refus de travailler, on peut raisonnablement
penser que les deux changements sont liés, que l'examen de la manière dont les
dispositions relatives au refus de travailler ont changé en 2014 et que la raison pour
laquelle elles ont changé peuvent permettre d'en savoir plus sur le sens du mot « danger
». Le principe de l'interprétation des lois qui s'applique dans le cas présent est le suivant :
les parties d'une loi ne devraient pas être lues indépendamment les unes des autres.

[160] Avant les modifications apportées au Code en 2014, quand un employé exerçait son
droit de refuser de travailler, si l'employeur convenait de l'existence d'un danger, ce
dernier devait agir immédiatement et informer le comité local de santé et sécurité (par
souci de concision, on ne fera référence ici qu'au « comité » et non au représentant de
santé et sécurité).
2016 TSSTC 19 35 sur 46

[161] En vertu des modifications de 2014, l'employeur ne communique pas


immédiatement avec le comité. L'employeur enquête d'abord sur la question en présence
de l'employé qui refuse de travailler et prépare ensuite un rapport d'enquête écrit. Si, à
l'issue de son enquête, l'employeur convient qu'il y a un danger, l'employeur prend des
mesures sans délai. L'employeur informe ensuite le comité.

[162] En vertu de l'ancien processus, il n'y avait pas de rapport d'enquête écrit de
l'employeur exigé par l'article 128. Si la question n'était pas d'abord résolue entre
l'employeur et l'employé, l'employeur devait alors communiquer la question au comité.
L'employeur faisait ensuite enquête sur le refus de travailler, si celui-ci se poursuivait, en
présence de l'employé et d'un représentant des travailleurs membre du comité.

[163] Selon le nouveau processus, lorsque le refus de travailler se poursuit, le comité doit
enquêter et désigner un membre employé et un membre dirigeant à titre de co-enquêteurs.
L'enquête se déroule en présence de l'employé qui refuse de travailler. À la suite de
l'enquête, les enquêteurs du comité doivent préparer un rapport d'enquête écrit, qui doit
être remis à l'employeur. L'employeur peut fournir à ce moment-là de plus amples
renseignements aux enquêteurs du comité et ceux-ci peuvent présenter un rapport révisé à
l'employeur.

[164] En vertu de l'ancien processus, il n'y avait aucune enquête indépendante des
membres du comité. Seul le membre du comité qui était un employé était présent au
moment de l'enquête de l'employeur. Si la question n'était pas résolue, l'employeur devait
en aviser l'agent de SST. L'employeur informait le comité s'il avait pris des mesures
correctives. Il est important de noter que l'agent de SST était tenu d'enquêter sur le refus
de travailler. Il n'avait aucune discrétion lui permettant d'agir autrement. L'enquête de
l'agent de SST se déroulait en présence des parties du lieu de travail et l'agent de SST
était ensuite tenu de prendre une décision concernant l'existence d'un danger. Si l'agent de
SST constatait l'existence d'un danger, il devait émettre une instruction relative à un
danger en vertu du paragraphe 145(2).

[165] En vertu du nouveau processus, le délégué ministériel n'est pas contacté


immédiatement. L'employeur reçoit le rapport des enquêteurs du comité, ou le rapport
révisé, et établit s'il existe un danger ou non. L'employeur peut aussi établir qu'un danger
existe, mais qu'il s'agit d'une condition normale de l'emploi. L'employeur doit agir s'il
établit qu'il y a un danger, et il en informe alors le comité. Si l'employeur établit qu'il n'y
a aucun danger, que le danger constitue une condition normale de l'emploi ou que le refus
de travailler met la vie, la santé ou la sécurité d'autrui directement en danger, il en
informera l'employé par écrit. L'employé peut accepter ou non la décision. S'il ne
l'accepte pas, l'employé peut continuer de refuser de travailler.

[166] Une différence importante entre l'ancien processus et le nouveau réside dans le fait
que le ministre a discrétion quant à la façon de procéder à partir d'ici. Si le refus de
travailler se poursuit, l'employeur remettra son rapport et le rapport des enquêteurs du
comité au ministre.
2016 TSSTC 19 36 sur 46

[167] À la lumière des deux rapports d'enquête écrits, le ministre pourra, par l'entremise
du délégué ministériel, mener une enquête sur le refus de travail ou s'abstenir de le faire.
Le ministre pourra décider de ne pas faire enquête s'il est d'avis que l'affaire pourrait
avantageusement être traitée dans le cadre de la partie I ou de la partie III du Code, ou
d'une autre loi. Le ministre pourra aussi décider de ne pas faire enquête s'il estime que
l'affaire est futile, frivole ou vexatoire ou que le maintien du refus de l’employé est
entaché de mauvaise foi.

[168] Si le ministre ne fait pas enquête, l'employeur en est informé. L'employeur informe
ensuite les enquêteurs du comité. L'employé n'a plus le droit de continuer de refuser de
travailler.

[169] Autrement, le ministre procède à l'enquête en présence des parties du lieu de


travail. Pendant son enquête, le ministre doit déterminer s'il y a des enquêtes, passées ou
en cours, portant pour l’essentiel sur les mêmes questions. S'il y a déjà eu une enquête, le
ministre peut se baser sur les conclusions des enquêtes précédentes pour décider de
l’existence ou non d’un danger. Le ministre peut aussi procéder à la fusion des enquêtes
en cours et rendre une seule décision. Le ministre rend alors une décision quant à
l'existence ou non d'un danger et, dans l'affirmative, s'il s'agit d'une condition normale de
l'emploi. L'employeur et l'employé qui refuse de travailler sont informés. S'il y a un
danger, le ministre émettra une instruction relative à un danger en vertu du paragraphe
145(2) et pourra émettre une instruction en vertu du paragraphe 145(2.1).

[170] Quand on compare les changements, il en ressort que les modifications de 2014 ne
sont pas sans importance et qu'elles ne visent pas qu'à préciser ou simplifier le processus
de refus de travailler. Les modifications visent à renforcer le SRI en cas de refus de
travailler :

1) Le comité mène une enquête indépendante de celle de l'employeur;

2) Il y a deux rapports d'enquête écrits : celui de l'employeur et celui des enquêteurs du


comité;

3) L'employeur et les enquêteurs du comité s'échangent des informations, ce qui donne


lieu à d'autres révisions;

4) Avec la participation d'un plus grand nombre de personnes aux enquêtes formelles, la
nécessité de produire des rapports écrits et les occasions de dialoguer, l'intention était
manifestement de faire en sorte qu'un plus grand nombre de refus de travailler soient
résolus par les parties du lieu de travail que par le passé;

5) Le but visé est qu'il devrait être moins souvent nécessaire pour les délégués
ministériels de se rendre sur le lieu de travail et d'enquêter.

[171] Il faut comprendre la modification apportée à la définition de « danger » en 2014 en


tenant compte de cet encouragement donné aux parties du lieu de travail de s'efforcer
2016 TSSTC 19 37 sur 46

davantage de résoudre entre elles les refus de travailler et d'avoir moins recours au
délégué ministériel.

[172] Les modifications permettent-elles de réaliser l'objet du Code? On pourrait penser


que le fait de réduire l'accès des employés à une enquête du délégué ministériel dans
certains cas se traduise par une moins grande protection des employés. Ce serait une
réaction superficielle. L'objet du Code sera mieux servi si les ressources du
gouvernement sont déployées de manière efficace et efficiente. Le délégué ministériel qui
fait enquête sur un refus de travail répétitif, futile, frivole, vexatoire ou de mauvaise foi
pourrait consacrer son temps à inspecter et à enquêter sur un autre lieu de travail
comportant des problèmes sérieux de santé et de sécurité. De plus, même si les délégués
ministériels maîtrisent les questions de santé et sécurité et les exigences détaillées de la
réglementation aux termes du Code, ce sont les parties du lieu de travail qui possèdent
une mine d'information, le savoir-faire et l'expérience à propos de leur lieu de travail.
Elles ont le temps, les ressources et l'intérêt d'aller au-delà des causes directes des
accidents et des expositions et de sonder les failles dans les causes profondes des
accidents et les expositions dans les éléments du système de gestion, et de découvrir des
occasions d'y remédier. Les capacités des parties du lieu de travail constituent l'une des
forces du SRI.

[173] Les modifications apportées au Code concernant le refus de travailler n'empêchent


pas que les refus de travailler ne pouvant être résolus par les parties du lieu de travail
puissent être soumis à l'attention du ministre, et le ministre est encore tenu d’émettre une
instruction relative à un danger lorsqu'un danger existe. La décision du ministre est
d'abord fondée sur les rapports écrits des parties du lieu de travail et, seulement si cela est
nécessaire, sur une enquête du délégué ministériel. La participation accrue des parties du
lieu de travail vise à améliorer la qualité de l'enquête et de la décision du ministre.

[174] Est-ce que la modification du libellé de la définition de « danger » contribue à


encourager les parties du lieu de travail à faire plus d'efforts pour résoudre les refus de
travailler, compte tenu de l'objectif des modifications apportées au processus de
traitement des refus de travailler? La réponse doit être « oui ». En premier lieu, l'ancienne
définition de « danger » était verbeuse, complexe et nébuleuse. Si les employés ne
peuvent pas comprendre facilement le sens du mot « danger », ils seront susceptibles
d'exercer davantage leur droit de refuser de travailler alors qu'un autre mécanisme prévu
dans le Code aurait été plus approprié pour résoudre l'affaire.

[175] J'ai tenu compte de la caractéristique principale de la nouvelle définition du mot «


danger », soit l'existence de deux types de dangers : les menaces imminentes et les
menaces sérieuses. Certains autres aspects de la définition devraient être examinés.

[176] À des fins pratiques, on peut diviser en trois parties les définitions de 1985, de 2000
et de 2014 du mot « danger » :

Partie 1
2016 TSSTC 19 38 sur 46

1985 : « […] Risque ou situation […] »

2000 : « […] situation, tâche ou risque - existant ou éventuel […] »

2014 : « […] Situation, tâche ou risque qui […] »

Partie 2

1985 : « […] susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de
la rendre malade […] »

2000 : « […] susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de
la rendre malade […] »

2014 : « […] qui pourrait vraisemblablement présenter une menace imminente ou


sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée […] »

Partie 3

1985 :« […] avant qu'il ne puisse y être remédié. »

2000 : … avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche
modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible
d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur;

2014 : « […] avant que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le
risque écarté. »

[177] Pour ce qui est de la partie 1, les définitions de 1985 et de 2014 sont très similaires.
La définition de 2014 comporte le mot « tâche ». La définition de 2000 diffère des deux
autres. Elle comporte l'expression « existant ou éventuel ». L'intervenant fait valoir que la
suppression de cette expression en 2014 ne visait qu'à simplifier. L'appelant met
beaucoup l'accent sur la suppression de cette expression. L'appelant soutient que la
suppression de ces mots signifie que la définition de 2014 ne s'applique qu'aux risques
réels et immédiats, que la définition de 2014 vise le « danger imminent », à l'instar de
l'interprétation qui avait été faite de la définition de 1985.

[178] Je partage le point de vue de l'intervenant selon lequel la suppression de ces mots
constitue une simplification. Comme l'a souligné l'intervenant, le mot « existant » (en
anglais, les mots current et existing ) a aussi été supprimé, ce qui me porte à croire que
l'intention n'était pas de réduire la portée de la définition. Je suis d'accord également avec
l'argument de l'intervenant selon lequel si le Parlement avait eu l'intention de restreindre
la définition, il aurait pu le faire en supprimant simplement le mot « éventuel » (en
anglais, les mots potential et future).
2016 TSSTC 19 39 sur 46

[179] L'appelant a raison d'affirmer que la partie 1 de la définition de 1985 et la partie 1


de celle de 2014 sont presque identiques. Toutefois, cette observation ne s'applique pas à
la deuxième partie de la définition de 2014, qui comporte les expressions « menace
imminente » et « menace sérieuse » - des concepts absents des définitions de 1985 et de
2000. L'appelant et l'intervenant mettent tous les deux trop l'accent sur la partie 1 des
définitions.

[180] La deuxième partie des trois définitions revêt une importance critique. La définition
de 2014 diffère sensiblement de la définition de 1985 et de celle de 2000. Les expressions
« menace imminente » et « menace sérieuse » qui figurent dans la définition de 2014
indiquent que le législateur souhaitait aborder le « danger » sous un nouvel angle.

[181] En effet, si la définition de « danger » adoptée en 2014 constituait un retour au


concept de « danger » qui existait avant 2000, pourquoi le législateur n'a-t-il pas utilisé
l'expression « danger imminent »? La définition de 1985 n'employait pas expressément
l'expression « danger imminent », mais elle a été interprétée comme désignant un danger
imminent.

[182] La troisième partie des trois définitions ne diffère pas de manière significative
d'une définition à l'autre malgré l'épuration considérable entre la version de 2000 et celle
de 2014. Il ressort clairement de la troisième partie de la définition de 2000 que le
préjudice peut se matérialiser à une date ultérieure. Le moment où le préjudice se
matérialise est un concept différent du moment où le risque est présent ou du moment où
la personne et exposée au risque. L'appelant et l'intervenant ne sont pas en désaccord
quant au moment où le préjudice se manifeste. Ils ne s'entendent pas sur le moment où le
risque est présent. L'objet du Code ne serait pas atteint si l'on devait exclure la notion de
blessure chronique ou à long terme de la définition de 2014. Autrement, un employé ne
pourrait pas refuser de travailler avec un certain produit chimique, qui ne le tuerait pas
immédiatement, mais qui pourrait vraisemblablement le rendre malade et le tuer dans
quelques années.

[183] L'expression « présenter une menace imminente ou sérieuse » constitue un


changement important par rapport à l'expression « causer des blessures à une personne
qui y est exposée, ou de la rendre malade ». L'appelant prétend que les deux expressions
sont des conséquences et que la différence dans la formulation n'est pas importante.
L'expression « présenter une menace imminente ou sérieuse » ne désigne pas le préjudice.
Il s'agit d'un énoncé à propos du risque. Dans le langage courant, si X menace la vie ou la
santé de Y, X n'a pas causé de préjudice à Y. X informe Y que Y fait face à une certaine
probabilité d'une certaine gravité ou d'un certain type de préjudice.

[184] L'expression sur laquelle l'appelant met l'accent à la partie 2 des trois définitions est
« susceptible de »-pour les définitions de 1985 et de 2000- et « pourrait
vraisemblablement » pour la définition de 2014 (« could reasonably be expected to » en
anglais) -laquelle a trait à la probabilité et non aux conséquences. L'appelant a cité
Laroche c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1454 au paragraphe 30 (« Laroche »)
2016 TSSTC 19 40 sur 46

pour appuyer son point de vue selon lequel le « danger » a trait à la probabilité plutôt qu'à
la gravité ou à la nature des conséquences « si le risque survient ».

[185] Il se peut que Laroche n'ait considéré que le facteur de probabilité dans le risque et
non la gravité du préjudice, mais Laroche ne peut pas être appliqué facilement à la
nouvelle définition de 2014 dans son ensemble étant donné l'ajout de l'expression «
menace sérieuse ». Il est vrai que la gravité du préjudice n'est pas pertinente à la question
de la « menace imminente », mais, comme il a été indiqué, la gravité est implicite dans le
concept de « menace sérieuse ».

[186] En résumé, l'évolution de la définition de « danger » sur le plan législatif porte à


croire que, malgré une certaine similitude sur le plan terminologique, la définition de
2014 est, de par sa nature, différente de celles qui l'ont précédée, soit les deux qui nous
intéressent. Il s'agit ni d'un retour à la version antérieure à 2014 de l'expression « danger
imminent », ni d'une simplification de la définition qui était en vigueur de 2000 à 2014. Il
y a deux types de « danger ». Ils comportent tous deux des risques élevés, mais pour des
raisons différentes. La nouvelle définition ajoute un élément temporel afin d'évaluer la
probabilité. Elle ajoute le concept de gravité du préjudice. Dans le contexte du reste du
Code, un « danger » est une cause directe de préjudice plutôt qu'une cause profonde.

[187] Y a-t-il d'autres sources qui pourraient modifier les conclusions ci-dessus quant au
sens du mot « danger »?

[188] L'intervenant estime que les observations que la ministre du Travail a présentées en
débat parlementaire sont pertinentes et que l’intention en 2014 n'était pas de modifier le
sens du mot « danger ». Les observations de la ministre que l'intervenant a citées ne sont
pas d'une grande utilité, car elles sont trop générales. Le fait d'assurer les gens que le
droit de refuser d'accomplir un travail dangereux reste en place n'ajoute rien au sens de «
danger ».

[189] À mon avis, les outils d'interprétation comme les publications du Programme du
travail ont peu de poids et sont peu utiles dans ce cas-ci puisque l'on peut parvenir à
comprendre les modifications de 2014 en examinant la lettre et l'esprit du Code et en
tenant compte de l'évolution du sens du mot « danger » sur le plan législatif. La date
d'effet des IPG que le délégué ministériel a mentionnés et que l'intervenant a pris en
compte est octobre 2014. Rien n'indique que le législateur a tenu compte de ces
documents en 2013.

B) Nouveau critère pour un constat de danger

[190] Je rappelle la nouvelle définition de « danger »:

[...] situation, tâche ou risque qui pourrait vraisemblablement présenter une menace
imminente ou sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée avant
que, selon le cas, la situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté.
2016 TSSTC 19 41 sur 46

[Les caractères gras sont ajoutés par le soussigné]

[191] La nouvelle définition de « danger » est plus simple et plus claire que la
précédente. Il serait trompeur de s'attarder à la question de savoir si la nouvelle définition
nous ramène ou non à un sens antérieur plus restrictif, comme l'a fait l'appelant, ou à la
question de savoir si la nouvelle définition a considérablement changé ou non, comme l'a
fait l'intervenant. La nouvelle définition de « danger » diffère des précédentes définitions.
Elle énonce plus clairement ce qu'un employé raisonnable considérerait comme suffisant
pour déclencher un refus de travailler. En contexte, elle incitera probablement les
employés à reconnaître, parfois, que leur préoccupation ne repose pas sur un risque
suffisamment élevé au point de constituer un « danger » et que la question devrait être
réglée par d'autres moyens, et que le fondement de leur préoccupation est davantage une
cause profonde qu'une cause directe ce qui, encore une fois, se prête mieux à l'application
d'autres mécanismes prévus dans le Code.

[192] La définition de « danger » comporte l'expression « une menace [...] pour la vie ou
pour la santé de la personne ». L'expression « pour la vie ou pour la santé » est très large.
Elle désigne les menaces pouvant causer la mort, des blessures ou la maladie. Le mot «
santé » peut désigner l'absence de maladie ainsi que l'intégrité corporelle (l'absence de
blessure). L'expression désigne une vaste catégorie de préjudices touchant les gens. Il ne
s'agit pas d'une menace aux biens, à l'environnement, à la productivité, à la qualité, à la
continuité des affaires ou à d'autres catégories de pertes associées à des accidents et à des
expositions. Le Code vise à protéger les gens et non les choses.

[193] La jurisprudence établie pendant la période comprise entre 2000 à 2014 comporte
de nombreuses expressions de probabilité : « plus probable qu'improbable »; « probable
»; « possibilité raisonnable »; « simple possibilité ». Le laps de temps pendant lequel la
probabilité doit être évaluée était toutefois rarement mentionné : le jour du refus de
travailler; l'avenir prévisible le jour du refus de travailler; une année à compter du refus
de travailler? Est-ce qu'une chose est probable? Il peut être presque certain qu'une chose
se produise au cours des cinq prochaines années, raisonnablement prévisible qu'elle se
produire dans la prochaine année, mais qu'il n'y ait qu'une simple possibilité qu'elle se
produise dans les cinq prochaines minutes. Il est inutile de parler de probabilité sans
préciser un laps de temps. Contrairement à la définition de « danger » qui était en vigueur
de 2000 à 2014, la définition de 2014, en établissant une distinction entre la « menace
imminente » et la « menace sérieuse », ajoute un laps de temps pour la probabilité.

[194] La menace imminente pour la santé ne couvrirait pas un effet chronique, mais
couvrirait un effet aigu. L'irritation de la peau, les dommages causés par un bruit
d'impact, les coups de chaleur et les réactions allergiques sont des exemples de préjudices
dont la gravité est relativement faible, mais dont la probabilité qu'ils surviennent, et qu'ils
surviennent rapidement, en fait des menaces imminentes.

[195] L'exposition à une substance cancérigène ne constituerait pas une menace


imminente, mais il pourrait s'agir d'une menace sérieuse. Une substance cancérigène est
un risque. Le risque associé à une substance cancérigène est la probabilité qu'un cancer se
2016 TSSTC 19 42 sur 46

développe et la gravité du préjudice que causerait le cancer s'il se manifestait. Une


menace sérieuse n'est pas imminente; on parle plutôt de la gravité du résultat. Tant que la
probabilité de développer un cancer correspond à une attente raisonnable et que la
probabilité de développer un cancer d'un certain niveau de gravité est élevée (c.-à-d.,
susceptible d'entraîner la mort), l'exposition à la substance cancérigène constituerait alors
une menace sérieuse.

[196] Si le risque peut être écarté avant que la menace existe, alors il ne constituera pas
un danger. Le risque peut être écarté par diverses formes de mesures de contrôle (contre-
mesures, précautions). Comme il a été mentionné, le Code comporte une version de la «
hiérarchie des mesures de contrôle » à l'article 122.2. Un risque peut être supprimé ou
isolé. On peut y substituer un risque moins élevé. L’adoption de mécanismes techniques
pour écarter le risque devrait ensuite être envisagée- afin de mettre des barrières
physiques entre le risque et l'employé. Des mesures de contrôle administratives et d'EPP
sont ensuite appliquées pour écarter le risque. La logique de la hiérarchie des mesures de
contrôle est largement acceptée et utilisée dans le domaine de la SST depuis plusieurs
décennies. Le Code reflète cette pratique. Ainsi, un risque n'est pas un danger s’il est
vraisemblable que le risque soit écarté avant qu’il entraîne une menace imminente ou
sérieuse.

[197] Les menaces imminentes découlant de risques signifient que ces risques sont moins
susceptibles d'être écartés que les risques entraînant des menaces sérieuses ne peuvent
l'être. On dispose tout simplement de très peu de temps pour écarter les risques
imminents. Le préjudice peut être relativement faible (sans être trivial), mais le risque
constitue tout de même une menace imminente s'il ne peut être écarté à temps. Une
menace sérieuse, qui n'est pas imminente, signifie que le risque produisant la menace
sérieuse est plus susceptible d'être écarté que les risques produisant des menaces
imminentes ne peuvent l'être.

[198] Dans le New Shorter Oxford English Dictionary (1993) le mot « threat » est défini
comme suit [traduction] : « une personne ou une chose considérée comme étant
susceptible de causer un préjudice ». On peut donc dire que, selon cette définition, la
menace indique la probabilité d'un certain niveau de préjudice. Certains risques sont des
menaces et d'autres ne le sont pas. Un risque très faible, soit en raison de sa faible
probabilité ou de sa faible gravité, n'est pas une menace. La probabilité et la gravité
doivent chacune atteindre un seuil minimal avant que le risque ne puisse être appelé une
menace. Il est clair qu'un risque faible n'est pas un danger. Un risque élevé est un danger.

[199] Pour simplifier, les questions à poser pour déterminer s'il y a un « danger » sont les
suivantes :

1) Quel est le risque allégué, la situation ou la tâche?

2) a) Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une


menace imminente pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?
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ou

b) Ce risque, cette situation ou cette tâche pourrait-il vraisemblablement présenter une


menace sérieuse pour la vie ou pour la santé de la personne qui y est exposée?

3) La menace pour la vie ou pour la santé existera-t-elle avant que, selon le cas, la
situation soit corrigée, la tâche modifiée ou le risque écarté?

[200] Cette interprétation du mot « danger » permettra de réaliser l'objet du Code. Les
diverses dispositions du Code portent sur tous les risques non futiles. Cette interprétation
du mot « danger » porte sur un petit sous-ensemble de risques auxquels les gens
pourraient faire face dans le lieu de travail. Si les autres moyens permettant de répondre
aux préoccupations de SST sont utilisés adéquatement par les parties sur le lieu de travail,
il devrait être rare qu'une personne soit confrontée à un « danger ». À l'inverse, des
efforts insuffisants pour utiliser les autres mécanismes du Code se traduiront par des «
dangers » et le refus de travailler constituera le meilleur moyen d'y remédier.

C) Application aux faits

[201] Si l'on applique le nouveau critère de « danger » énoncé au paragraphe 199, la


première question à poser est de déterminer en quoi consiste le risque, la situation ou la
tâche. Comme il a été mentionné précédemment, le risque, la situation ou la tâche est
quelque chose susceptible de causer un préjudice à une personne. La situation, la tâche ou
le risque allégué est habituellement une cause directe de préjudice et non une cause
profonde dans le système de gestion qui pourrait mener à une cause directe. Il peut y
avoir ou non une contravention.

[202] Il est probablement vrai qu'on peut qualifier un détenu potentiellement violent de «
risque » ou de « bombe à retardement », mais comme la hiérarchie des mesures de
contrôle exige que nous envisagions d’éliminer le risque, cela n'est pas approprié.
Toutefois, on pourrait dire que le fait d'être exposé à un détenu potentiellement violent
sans être muni d'EPP (menottes et vaporisateur de poivre) pourrait constituer une «
situation » risquée et que si l'intimé accomplissait une tâche auprès d'un tel détenu, cela
constituerait une « tâche » risquée.

[203] Les parties et l'intervenant ne peuvent pas être en désaccord avec la conclusion
selon laquelle, selon l'ensemble de la preuve, l'intimé, un GC, pouvait à plusieurs
occasions et pour diverses durées, se trouver dans une situation risquée ou accomplir une
tâche risquée. La preuve l'établit clairement. La description du poste de GC indique que
les détenus peuvent être violents. Le témoignage de divers témoins indique que des GC
ont subi de la violence des détenus par le passé. L'intimé a subi de la violence par le
passé. Dans la formation que les GC reçoivent, il est indiqué qu'il faut s'attendre à ce que
les détenus aient un comportement violent. À l'audience, des vidéos montrant des GC
impliqués dans des incidents violents ont été montrées. Parfois, l'intimé était tout
simplement en présence d'un détenu potentiellement violent. Parfois, il accomplissait des
2016 TSSTC 19 44 sur 46

tâches auprès de détenus potentiellement violents, par exemple lorsqu'il participait à des
réunions, à des entretiens ou aux séances du « tribunal » disciplinaire.

[204] La question suivante qu'il faut poser consiste à déterminer si ces situations ou ces
activités pouvaient vraisemblablement constituer une menace imminente pour la vie ou la
santé de l'intimé le 1er juin 2015.

[205] Une menace imminente existe quand il est vraisemblable que le risque, la situation
ou la tâche entraîne rapidement (dans les prochaines minutes ou les prochaines heures)
des blessures ou une maladie. La gravité du préjudice peut aller de faible (sans être
triviale) à grave. Le caractère vraisemblable comprend la prise en compte de ce qui suit :
la probabilité que le risque, la situation ou la tâche existe ou ait lieu en présence de
quelqu'un; la probabilité que le risque cause un événement ou une exposition; la
probabilité que l'événement ou l'exposition cause un préjudice à une personne.

[206] Il ne fait aucun doute que le niveau de préjudice découlant de la violence des
détenus peut aller de faible à grave, mais là n'est pas la question. Il n'y avait aucun
élément de preuve devant moi qui indique qu'il était vraisemblable que l'intimé soit
exposé à la violence d'un détenu le jour où il a refusé de travailler et qu'il subisse un
préjudice en raison de cette violence. Selon le témoignage de l'intimé, il n'était pas
exposé à une menace imminente ou sérieuse le jour où il a refusé de travailler. J'ai
accordé une certaine importance à cette déclaration de l'intimé. Toutefois, je n'estime pas
qu'elle permette de trancher la question, comme l'affirme l'appelant, puisque je ne suis
pas convaincu que l'intimé a compris le sens de l'expression « menace imminente ou
sérieuse » dans le Code.

[207] De plus, l'intimé a choisi de refuser de travailler à ce moment-là, non pas parce
qu'il était en présence d'une menace imminente, mais parce qu'il était frustré par l'absence
de réponse à ses préoccupations. Il a fixé la date de son refus de travailler à l'avance. S'il
n'obtenait aucune réponse de son employeur au plus tard à une certaine date, il serait «
forcé » de refuser de travailler. Il n'y avait aucune urgence. Aucun préjudice ni aucune
exposition n'était sur le point de se produire. Il cherchait à provoquer la résolution d'un
problème. Il a refusé de travailler en partie au nom de tous les autres GC à
l'Établissement Millhaven. L'intimé a déclaré qu'il serait irresponsable de sa part
d'attendre d'être confronté à un détenu potentiellement violent. Le critère n'exige pas de
lui qu'il « essaie pour voir », selon l'expression que l'intervenant a employée, mais ne lui
permet pas non plus de qualifier de « danger » des scénarios génériques ou hypothétiques
lorsqu'il serait préférable d'examiner de telles questions à l'aide des autres mécanismes de
résolution de problème prévus dans le Code.

[208] Il n'était pas vraisemblable que l'exposition au risque, la violence découlant du


risque ou le préjudice causé par la violence surviendrait dans les prochaines minutes ou
dans les prochaines heures le 1er juin 2015. Il n'existait aucune menace imminente pour
l'intimé au moment où il a refusé de travailler.
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[209] Après avoir répondu à cette question par la négative, je dois maintenant établir si
ces situations ou ces tâches pouvaient vraisemblablement présenter une menace sérieuse
pour la vie ou la santé de l'intimé.

[210] Une menace sérieuse fait qu’il est vraisemblable que le risque, la situation ou la
tâche cause des blessures ou une maladie grave à un moment donné à l'avenir (dans les
jours, les semaines, les mois ou, dans certains cas, les années à venir). Une chose qui est
peu probable dans les prochaines minutes peut être très probable lorsqu'un laps de temps
plus long est pris en compte. Le préjudice n'est pas mineur; il est grave. Le caractère
vraisemblable comprend la prise en compte de ce qui suit : la probabilité qu’une personne
soit en présence du risque, de la situation ou de la tâche; la probabilité que le risque cause
un événement ou une exposition; et la probabilité que l'événement ou l'exposition cause
un préjudice à une personne.

[211] Après avoir examiné la totalité de la preuve qui m'a été présentée, je conclus que
l'intimé n'était pas exposé à une menace sérieuse pour sa vie ou sa santé pour les raisons
qui suivent.

[212] Pour conclure que l'intimé était exposé à une menace sérieuse pour sa santé ou sa
vie, la preuve doit démontrer qu'il était vraisemblable que l'intimé soit confronté, dans les
jours, les semaines ou les mois à venir, à une situation qui lui aurait causé un préjudice
sérieux parce qu'il n'a pas été en mesure de porter sur lui un vaporisateur de poivre et des
menottes.

[213] L'intimé n'a pas semblé faire la distinction entre un risque qui constitue un danger
et un risque qui n'en constitue pas un. L'intimé a mentionné l'existence de plusieurs
contraventions comme fondement de son évaluation du danger. Une contravention peut
constituer ou non un danger en plus d'être une contravention. L'intimé n'a fait aucune
distinction. L'intimé a affirmé qu'il se trouve toujours en « danger » parce qu'on lui
demande toujours de porter une veste résistante aux armes blanches. Il n'a présenté aucun
argument et n'a fourni aucune preuve établissant la distinction entre une « menace
imminente » et une « menace sérieuse ».

[214] Bien que la preuve présentée dans cette affaire ait clairement établi que l'intimé
était exposé à des détenus violents dans l'exercice de ses fonctions régulières et que la
possibilité qu'un détenu l'agresse est toujours présente dans un établissement
correctionnel, on ne m'a présenté aucune preuve selon laquelle le fait de porter des
menottes ou un vaporisateur de poivre préviendrait les agressions contre les GC ou
diminuerait le degré de violence des détenus, en particulier en tenant compte du fait que
ces deux pièces d'équipement sont déjà fournies aux AC. De plus, l'appelant a fourni des
éléments de preuve établissant que de nombreuses mesures sont en place à
l'Établissement Millhaven pour atténuer le risque pour les GC et tous les autres membres
du personnel dans l'exercice de leurs fonctions.

[215] Je ne suis donc pas convaincu que des incidents violents menaçant sérieusement la
vie ou la santé de l'intimé peuvent vraisemblablement survenir s'il ne porte pas sur lui un
2016 TSSTC 19 46 sur 46

vaporisateur de poivre et des menottes. Compte tenu de ma conclusion eu égard au


deuxième volet du critère, je n'aurai pas à poursuivre avec le troisième volet.

[216] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que l'intimé n'était pas exposé à un
danger le jour où il a exercé son droit de refuser de travailler. Étant donné ma conclusion
d'absence de danger, je n'ai pas à établir si le danger constituait ou non une condition
normale de l'emploi.

Décision
[217] Pour ces motifs, j’annule l’instruction que M. Lewis Jenkins, délégué ministériel, a
émise le 5 juin 2015.

Peter Strahlendorf

Agent d’appel

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