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TITRE : Le Complexe Cheikh Ahmadul Khadim (CCAK) : les

mourides et l’émancipation par le savoir

Ces derniers jours, il est constaté, dans beaucoup de lycées du pays, des mouvements de
protestations menés par les apprenants. Motif ? Réduction du programme, mais aussi et
surtout révision sérieuse de ce programme que ces apprenants jugent inadéquat et en
déphasage total avec leurs réalités quotidiennes et leur histoire. Ce n’est pas une première.
Déjà, pendant des décennies, le Pharaon noir, le professeur Cheikh Anta Diop, a mené ce
combat pour une émancipation des peuples noirs. Ce combat pour la décolonisation des
curricula, combat porté ces jours-ci par de braves apprenants, entre dans cette longue série de
domaines dans lesquels les Africains se sentent, aujourd’hui, dans l’obligation de s’émanciper
de l’ancienne métropole. Aujourd’hui, on parle de décolonisation dans le domaine de la
politique tant les peuples africains continuent à sentir la main extérieure dans leurs affaires, on
parle de décolonisation dans le domaine de l’économie, dans le domaine de la culture mais
aussi et surtout dans le domaine de la connaissance et des institutions. Il faut dire que, depuis
les indépendances et la posture résolument francophile et eurocentrée épousée par le Sénégal
et son président d’alors le poète Senghor, il est proposé aux jeunes sénégalais un système
éducatif encore étouffé par des résidus colonialistes et des théories dont les pères figurent au
rang des plus grands racistes de l’histoire (Kant, Hegel, David Hume, Victor Hugo, Voltaire,
Montesquieu…). Dans sa mission d’éveil des consciences, Cheikh Anta Diop a beaucoup
insisté sur le danger que constituait le modèle éducatif hérité de la France, véritable arme de
destruction massive de nos sociétés. L’enfant initié et formé à la science par le biais du logos
et des savoirs occidentaux n’a, généralement, qu’une seule vision du monde : celle de
l’Occident. Sa conception du monde, sa saisie du réel, est définie et normée par son bagage
intellectuel qui est de type occidental. Il pensera, parlera et agira selon les seuls canons définis
par les épistémologies occidentales. Le principal travers d’une telle chose est que cet
apprenant, africain pour ne pas dire sénégalais, aura tendance à croire, pour reprendre Cheikh
Anta Diop, que « la vérité sonne blanche » et qu’il est presque une obligation de mener nos
politiques (sociale, économique, culturelle, éducative, etc.) en prenant pour aune l’Occident
qui serait le modèle a imité.

Le mérite de l’historien sénégalais a été d’avoir très tôt compris que le combat contre la
colonisation, dans ses contours très subtiles qui passent par les programmes scolaires et
académiques, ne pouvait se faire qu’avec l’arme du criminel, laquelle il fallait lui retourner :
le savoir. « Armez-vous de sciences jusqu’aux dents », avait-il lancé aux jeunes africains
désireux d’arracher leur liberté, leur patrimoine et de faire valoir leur dignité. L’historien
semble avoir, très tôt, assimilé la leçon d’un grand homme, si ce n’est le plus grand, qui date
des années 1880. Celle de Cheikh Ahmadu Bamba Khadimu-Rassul, père-fondateur du
Muridisme. Cet homme de Dieu, ayant subi, venant de l’envahisseur français, agressions et
autres torts, a résisté et est sorti victorieux de son conflit devant l’adversaire. Son arme ? Le
savoir. Rien que le savoir. Il en a fait béquille, parure de protection mais également glaive
dans son combat. « Il est vrai que je fais du jihad [comme vous dites], mais uniquement par le
savoir et la crainte révérencielle », peut-on lire dans Yaajumlatan. Son attachement au savoir
(sa quête, sa pratique et son enseignement) est tel qu’il nous apprend que sa résidence, celle
où se dirigeaient, ce fameux Août 1895, les apôtres du mal (les colons), a été « bâtie
exclusivement pour étudier et enseigner » (Cf. Jaza-u Shakur). Pour ce soufi dont la grandeur
et la bravoure ne sont plus sujettes aux débats, devant l’impérialiste, cet individu devenu un
« captif de Satan et de ses propres passions » (Cf. Asiru), il n’est pas question de se soumettre
tel un mollasson peureux, il faut faire face. Faire face revient, suivant la philosophie de
l’homme de Tuuba, à s’armer de connaissances pour faire déchoir l’envahisseur et sa volonté
de puissance.

En effet, s’il est un homme, dans l’histoire du Sénégal, qui a subi, avec élégance,
bravoure et courage, la persécution et les agissements criminels de la France colonisatrice,
c’est bien le grand-père de Sëriñ Muntaqa Bachir. Sans jamais verser dans la claudication
comportementale ou encore, pire, dans la compromission avec ceux-là qu’il qualifie, dans son
poème Ilhamul Salâm, de « suppôts de Satan », le Saint homme a lutté et fait face en faisant
du savoir et de la foi ses seules armes. Disons qu’il a mis en pratique l’un des préceptes au
fondement de sa philosophie de l’éducation. La personne qui est à la quête du savoir, dira le
vénérable homme dans Kun Kaatiman, doit rester stoïque face aux pierres d’achoppement que
la vie met devant elle : « Ne te plains pas, tout le temps, des épreuves qui t’accablent; sois
courageux et agis de telle sorte que les gens penseront que tu ne manques de rien ». C’est
cette maxime qui a gouverné toute son œuvre, toutes ses actions, pour dire toute sa vie.
Devant les iniquités et les abus de l’envahisseur blanc, faisant du savoir son arc, il a consacré
sa vie à conscientiser son peuple de l’urgence de sortir du complexe d’infériorité qui fait
croire à la supériorité du blanc colonisateur : « Certains [de chez nous] ont été abusés par
l’apparence physique des Blancs à telle enseigne que leurs cœurs en sont éblouis. De même,
s’émerveillant de leurs prouesses techniques, leur attribuent-ils les actes qu’accomplit Seul, en
réalité, le Seigneur de la Création » (Cf. Ilhamul Salâm). Cette attitude propre à certains de
ses contemporains, laquelle il dénonce vigoureusement dans ces vers, semble avoir persisté, et
ce même avec l’usure du temps tant c’est le même complexe qui est, globalement, constaté
chez beaucoup d’africains. Obnubilés par les supposés exploits du système capitaliste qui
vend l’idée d’un développement reposant sur le seul critère matériel, certains sénégalais, pour
ne pas dire certains africains, continuent à croire que l’Occident est le modèle absolu à imiter.
Aussi vont-ils jusqu’à verser, parfois, dans ce qui ressemble à un syndrome de Stockholm en
vantant les mérites imaginaires de la colonisation. À peine peut-on croire, dans ce sens, que
c’est un président de la République, celui du Sénégal pour ne pas le nommer, qui se glorifie
du fait que nos ancêtres tirailleurs avaient droit à des desserts contrairement aux autres
tirailleurs africains. L’indignité dans tout ce qu’elle a de répulsif ! Et le vénérable homme de
Tuuba de rappeler ceci à ceux qui sont dans cette posture consistant à surévaluer la réputation
et le pouvoir du colon : « Ne pensez jamais, un instant, que le bien ou le mal puisse provenir
de ces hommes ne détenant que futilités (…). Sachez que je n’ai relevé tous ces travers [des
colonisateurs] que dans le seul but de faire reprendre conscience » (Cf. Ilhamul Salâm). Faire
prendre mesure, en faisant du savoir et de la foi armes de guerre, telle a été l’une des
immenses leçons qu’il a laissées à sa jeunesse, à son peuple pour ainsi dire.

Homme de foi et de science, c’est dès sa plus tendre jeunesse qu’il avait opté pour la
lutte par le savoir. Dans la philosophie du Serviteur privilégié du Prophète (sws), la quête de
la connaissance est, à la fois, acte d’adoration de Dieu mais également arme pour se prémunir
contre tous ces vices qui parasitent le cœur et l’esprit du chercheur, la gloire mondaine et le
désir malsain du pouvoir temporel au premier rang. Aussi peut-on comprendre, aisément, dans
sa démarche, le refus de répondre à l’appel du pouvoir temporel et des privilèges royaux au
lendemain de la disparition de son père. Refus qui ne fut guère le souci de l’écrasante majorité
de ses contemporains qui se disaient « hommes de Dieu ». Orphelin, avec toutes les charges
du mot, devant les « sages » qui l’enjoignait d’aller s’installer à la cour royale du Cayor pour
être conseiller du Roi mais également pour profiter des mets qu’offrait la vie de cour, sa
réponse fut sèche et porteuse d’une leçon de dignité et de grandeur jamais égalée : « Je leur ai
répondu que je comptais sur Mon Seigneur en me contentant uniquement de Lui. D’ailleurs, il
n’y a que le savoir et la religion qui trouvent grâce à mes yeux » (Cf. Qaalô Liyarkan). Cette
attitude, ce refus de troquer la science et l’adoration de Dieu en cédant à une vulgaire
satisfaction des plaisirs mondains, avait laissé pantois ses contemporains. Rien d’étonnant,
pourtant, chez un homme pour qui la simple fréquentation d’un homme de science qui
pratique cette dernière libère de l’angoisse et des turpitudes de la vie : « Ce compagnonnage
guérit le cœur de l’angoisse. À force de le fréquenter, rien sur terre n’aura plus d’importance
pour toi et ne pourra te causer du chagrin » (Cf. Silkul Jawaahiri). Mieux, toute action doit
être sous-tendue par la science de cette action dans la mesure où le savoir est un rempart
contre la bassesse et la honte lesquelles sont consécutives à un agir sans science. Donnons la
parole au Serviteur privilégié du Prophète (sws) : « Si vous craignez la honte, commencez
d’abord par la recherche de la connaissance avant de passer à la pratique » (Cf. Zaadu zawid
taqalumî). On le voit, cet homme de Dieu, Khadimu-Rassul, parce qu’il s’agit de lui, a
consacré toute sa vie au savoir et à comment le démocratiser en le partageant avec les
hommes.

L’importance dévolue à la science et à sa quête effrénée sans relâche est telle que le
Saint homme affirmera ceci : « Le savoir vivifie le cœur de l’étudiant, illumine l’âme, comme
il éloigne l’égarement (…), ce qui différencie les êtres se trouve dans le savoir et la foi. C’est
par ces deux [savoir et foi] que prédomine celui qui est précédent et non par sa descendance
de quelqu’un d’éminent » (Cf. Naqju). Ce propos est sans équivoque : la grandeur d’un
homme n’a pas pour aune le fait d’être fils ou fille d’untel ; le seul gage de précellence est la
science. Le savoir, il faut dès lors le comprendre, affranchit et supprime toutes les barrières,
celles supposées éthiques, habituellement érigées par les hommes pour arbitrer leurs rapports.
Que cette barrière soit la lignée, comme indiqué ci-dessus, ou encore, plus grossière et
absurde d’ailleurs, la couleur de la peau. Ce second critère, la couleur de la peau, est d’autant
plus absurde que le vénérable homme de Tuuba, comme pour répondre aux noirs qui souffrent
d’un complexe d’infériorité devant les autres et aux blancs qui se croient supérieurs aux
autres, dira : « La couleur de la peau ne saurait être cause de l’idiotie d’un homme ou de sa
mauvaise compréhension » (Cf. Masaalik-ul Jinaan). C’est la raison pour laquelle, avertit le
Sheikh de Seex Ibrahima Faal et de Maam Cerno Ibra Faati, la valeur de la science, celle qu’il
entend diffuser et rendre accessible à tous, n’est pas à évaluer à l’aune de la couleur de sa
peau : « Que ma faible renommée dans cette génération ne te pousse pas à refuser cette œuvre
pie. Ne te laisse pas abuser par ma condition d’homme noir pour ne pas en profiter » (Cf.
Masaalik-ul Jinaan). Le savoir, on le comprendra, n’a de baromètre que le savoir et c’est ce
qui en fait une arme redoutable entre les mains de qui sait en user.

Par ailleurs, dans la conception « khadimienne », la seule quête du savoir ne fait pas
l’homme de science. On se prévaut « homme de science » quand on met en pratique sa
science, mais aussi et surtout quand on la partage avec les autres. Pour preuve, l’enseignant,
parce qu’il partage sa science, jouit d’un statut particulier qui rivalise même avec ceux des
parents. Citant et commentant certains poètes, le Saint homme nous renseigne : « On est allé
jusqu’à mettre le droit de l’enseignant au-dessus de celui des parents, comme l’a dit quelqu’un
d’entre eux (les poètes) “ je place les droits de mon maître (professeur) au-devant de celui de
mon père, même s’il m’incombe, à son égard, une piété filiale et une assistance gracieuse »
(Cf. Naqju). L’enseignant, principal pont par qui passe les savoirs pour gagner les masses,
jouit certes de tous les mérites mais à condition, dit Sëriñ Tuuba, « qu’il soit généreux tout le
temps à dispenser son savoir [car] quiconque se montre avare de son savoir, sera éprouvé
avant sa mort » (Cf. Tazawwidu-sh-subban). Cette idée, inhérente à la philosophie de Sëriñ
Tuuba, selon laquelle le savoir est un bien qu’il faut partager est d’inspiration prophétique.
Elle est en accord avec l’enseignement du Sceau des Saints, le Prophète Muhammad (sws) :
« Celui qui connaît une science, qu’il la transmette » (Cf. Sahih Muslim, 2798).

C’est cette philosophie du partage des connaissances ou encore politique de


démocratisation des savoirs qui a fait la force du système mouride et sa résilience malgré
l’usure du temps. C’est également cela qui lui a permis de défier l’imposture qui se cachait
derrière la prospective de comptoir d’un P. Marty qui prédisait la ruine de la Muridya après le
Père-fondateur. Mais le véritable fruit de cette stratégie (éducation des masses par la
démocratisation du savoir) a été le fait d’avoir fait échec à la volonté de l’envahisseur blanc,
porteur d’une culture de la dépravation, qui cherchait à asseoir sa domination physique et
politique en utilisant la force de la colonisation intellectuelle et culturelle. Pour lui faire échec,
les mourides d’Ahmadu Bamba ont bâti un système dans lequel l’éducation (spirituelle,
culturelle et sociale) et l’enseignement des sciences ont joué un rôle de premier plan. Cela a
été possible, d’une part, par une contre-occupation de l’espace en multipliant les universités
libres (Daara) dans le but de neutraliser les effets corrosifs de l’enseignement français sur les
populations locales. Ce mot du Pr Saliou Ndiaye est sans équivoque : l’une des stratégies,
chez les mourides, pour se protéger de l’impérialisme intellectuel et culturel de l’envahisseur
a consisté « à rejeter la scolarisation par la multiplication des "Daara". L’autre est une attaque
frontale qui consiste à intégrer le système, à se l’approprier de l’intérieur et à
l’instrumentaliser. Cette dernière stratégie n’a pas été la moins efficace puisqu’elle a
contribué à susciter une conscience nationale libératrice dont l’une des figures les plus
connues est Cheikh Anta Diop » (Cf. 2017, pp. 112-113). Donc, c’est aux premières heures de
sa réalité que la voie de Khadimu-Rassul a su faire échec au système occidental et toutes ses
perversions en lui opposant une éducation et un enseignement pour et par les mourides.
Cheikh Mouhamadul Mourtada Cheikh Faty Fall Mbacké dira, à juste titre, que le Saint
homme de Tuuba a défié le colonisateur « en continuant à propager l’Islam, par
l’enseignement, l’éducation, la formation et l’orientation » des masses opprimées (Cf. La
Muridiyyah : quintessence, réalité et perspective d’avenir, p. 117).

C’est dans ce sens qu’il faut comprendre, politique du Saint homme, la prolifération et
la multiplication des universités libres des mourides sur l’étendue du territoire. On peut, par
exemple, citer plusieurs universités libres (Daara), sous le commandement d’un recteur, qui
ont vu le jour à une époque où le pouvoir colonial était encore là : l’université de Maam
Cheikh Anta Mbacké à Darou Salam, celle de Maam Cerno Mbacké fixée à Darou Mouhty,
celles de Maam Cheikh Ibrahima Fall à Diourbel, à Saint-Louis où encore à Thiès, celle de
Cheikh Abdourahmane Lô à Ndame (Touba), celle de Serigne Massamba Diop à Darou Same.
Il y a, également, celles dont les recteurs furent certains fils du Guide : l’université de
Thiéyène sous le commandement de Serigne Modou Moustapha Mbacké, celle de Ndindy
administrée par Serigne Fallou Mbacké, celle de Mbacké Cayor par Serigne Mouhamadou
Lamine Bara ou encore celle de Saloum avec comme recteur Serigne Bassirou Mbacké, pour
ne citer que celles-ci. Avec le temps, le pouvoir colonial et ses incidences négatives sur les
populations locales a commencé à donner l’impression de s’effriter, surtout avec l’illusion des
indépendances. Pourtant, loin s’en faut. Les envahisseurs avaient juste renouvelé leurs
modèles de conquête et d’occupation de sorte que la colonisation, surtout aujourd’hui, s’est
maintenue, et ce sous des formes subtiles plus difficiles à suspecter.

Le système mouride, élaboré par le Guide pour s’adapter à toutes les circonstances,
réussira encore, avec le savoir et l’éducation comme armes, à se défaire du colonialisme
ambiant, disons du néocolonialisme et ses tares encore plus inquiétantes. Dans la lignée de la
politique de vulgarisation des savoirs et de l’éducation des masses, d’autres centres vont voir
le jour pour pérenniser le modèle endogène mouride et protéger ses adeptes de l’assimilation
culturelle qui a gagné les masses. Serigne Sonhibou Mbacké et Serigne Saliou Mbacké vont
créer, à cet effet, d’innombrables écoles coraniques dont le but excède le seul apprentissage
du Noble Coran. Aussi faut-il inscrire, dans ce registre, les écoles et autres instituts Al-Azhar,
dispersés dans le pays, mis en place par Cheikh Mouhamadul Mourtada Mbacké ; lequel est,
au passage, le fondateur de la première université de Tuuba Ukrat. Tous ces établissements
sont des centres d’enseignement et d’éducation aux valeurs sénégalaises de manière générale,
et mourides en particulier. Cette éducation aux valeurs locales mourides vise surtout à
développer, chez l’apprenant et l’aspirant, une fierté pour ce qu’il est, c’est-à-dire un
musulman africain, sénégalais, mouride. Pour preuve, même si la Muridya se veut une reprise
honnête en bonne et due forme des deux faces de la monnaie qu’est la religion, à savoir la
Sharia et la Sunna de l’Envoyé de Dieu (sws), la voie de Khadimu-Rassul n’entend pas,
comme il est coutume chez beaucoup de musulmans, surévaluer la culture arabe, laquelle
n’est pas à confondre avec la religion musulmane. L’arabe reste une langue, une langue
porteuse d’une culture qui n’est pas forcément islamique. Devant le complexe de certains
musulmans du pays et d’ailleurs (devant la culture arabe confondue avec l’Islam en tant que
tel), Sëriñ Tuuba et ses mourides, nourris aux sciences islamiques, restent foncièrement
attachés à leurs valeurs africaines, sénégalaises. Le mouride, parce que sa science et
l’enseignement reçu le lui ont permis, fidèle à ses obligations religieuses, reste convaincu que
ses valeurs locales, principalement celles enseignées et héritées du Guide, n’ont pas à rougir
devant les cultures occidentale et arabe. C’est d’ailleurs tout le sens de ce propos de Seex
Moussa Kâ qui, tout en faisant montre de sa virtuosité de poète maîtrisant parfaitement la
langue arabe, rappelle qu’il n’a que faire de ceux qui croient, à tort, que l’on ne peut faire de
la littérature avec nos langues (le wolof ici) et que l’arabe serait la seule langue qui sied pour
une hagiographie en bonne et due forme : « Ô si vous m'écoutiez, nous offririons une
précision aux vertueux Ceux qui disent que composer en walaf n'est pas bon, or la vanité
écrase le valeureux. Si le vaniteux se glorifie de la lignée de sa mère ou de son noble père,
nous préférons nous abaisser et nous glorifier de seex Bamba car c'est lui l'exception. C'est lui
l'unique walaf dont le semblable est introuvable chez les Arabes » (Cf. Taxmiss, trad. du Pr
Saliou Ndiaye).

On le comprendra, ce long détour, qu’on voudrait bien nous pardonner, sert un dessein :
démontrer que l’histoire entre la Muridya et la science est aussi vieille que la création de la
voie. Toute la philosophie de Cheikhoul Khadim, l’authentique philosophie mouride, repose
sur cette idée que le savoir est au fondement de tout : pour guider la foi, pour éduquer les
masses mais aussi et surtout pour faire échec à la colonisation intellectuelle et culturelle née
de l’impérialisme occidental (parfois arabe).

C’est dans cette perspective qu’il faut inscrire l’ensemble des chantiers menés et
achevés par les mourides, sous le « Ndigāl » des Khalifes généraux qui se sont succédé,
relatifs à la promotion et à la vivification des savoirs. Deux de ces chantiers suffisent et
dispensent de toute autre preuve. D’abord, la Maison du Coran ou « Daaray Kaamil »
(inaugurée en 1977) sous le khalifat du vénérable Cheikh Abdoul Ahad Mbacké. Ce dernier,
surnommé le bâtisseur en raison de ses immenses réalisations, par ce projet, a confirmé ce
consensus dense qui ne souffre d’aucun doute : le savoir est aux fondements de la voie
mouride. « Daaray Kaamil » est un centre de recherches, un immense édifice dédié à la
science et à la documentation. Le centre offre aux chercheurs, ou aux simples visiteurs, une
gamme riche de textes et de manuscrits couvrant plusieurs domaines de la connaissance :
littérature, histoire, géographie, linguistique, rhétorique, biographie, philosophie, et ce sans
compter ses premiers résidents : le Noble Coran et les Qassidas du Saint homme. Plus proche
de nous et unique en son genre en Afrique de l’Ouest, le Complexe Cheikh Ahmadul Khadim
(CCAK) inauguré ce 6 février par l’actuel Khalif, Cheikh Mouhamadul Muntaqa Bachir
Mbacké. Ce bijou singulier, symbole de la victoire de Khadimu-Rassul et de l’Islam de
manière générale, réalisé en un temps record, participe de cette volonté, chez l’actuel Khalif,
de sauvegarder et de pérenniser l’héritage du Père-fondateur qui ne vivait que par le savoir.
Une université qui intègre toutes les commodités des grands établissements d’enseignement
supérieur modernes tout en restant, comme l’exige la chair même de la voie mouride,
profondément africaine et sénégalaise. Contrairement à la quasi-totalité des universités de nos
pays, essentiellement arrimées au système occidental qui départ avec nos réalités et notre
histoire, ce complexe se veut un centre d’enseignement, de recherches et d’éducation en
accord avec les réalités et les besoins locaux. Il n’entend pas faire fi des valeurs
fondamentalement africaines et sénégalaises que sont les valeurs mourides. D’où l’existence
d’un pôle Majalis qui propose, dans ses programmes, un enseignement portant « sur les
valeurs et la culture mourides », lesquelles ne sont rien d’autre qu’un mariage intelligent,
effectué par Khadimu-Rassul, des valeurs de l’Islam aux valeurs locales. Une façon de rester
dans la voie de Dieu (Islam) tout en évitant de se noyer dans la culture arabe extra-islamique
ou, pire, de subir l’impérialisme criminel de la culture occidentale qui cherche à se faire
monoculture à travers le monde. D’ailleurs, les langues locales (wolof, sérère, pulaar, etc.)
figurent en bonne place dans les programmes, contrairement à ce qui est habituellement
constitué dans notre système « officiel ».

In fine, il faut dire qu’il ne pouvait en être autrement. La Muridya de Khadimu-Rassul


est une lumière, un don divin. Le savoir est une lumière, un don divin. La conjonction est une
lapalissade. C’est pourquoi le Saint homme n’a cessé d’enjoindre les croyants à aller à la
quête du savoir, car il est la meilleure des nourritures. Il faut en juger par la récurrence de la
thématique du savoir dans le monumental corpus des poèmes votifs du Guide. Et, ayant servi
son Seigneur au point que tous ses vœux, manifestes ou cachés, soient acceptés (Cf.
Ajaabani), la sortie sous terre de ce Complexe est alors à voir comme la matérialisation d’un
vœu agréé depuis longtemps par le Maître du Trône. Lisons : « Fais de ma demeure, la cité
bénie de Tuuba, un sanctuaire de rédemption, une cité de droiture, une source de connaissance
et un pôle de l’agrément de Dieu » (Cf. Matlabul Fawzeyni). Ces sublimes vers sont plus
illustratifs : « Par Al-Muntaqa (l’Élu, sws), Allah a supprimé toutes mes charges et on m’a
accordé les récompenses de ceux qui ont véridiquement adoré. Par l’Élu le plus pur (sws),
Allah m’a édifié une sainte école qui éradique les périls et l’ignorance ainsi que la pénibilité »
(Cf. Limahin Bachirin, trad. d’Abdallah Fahmi). Il faut peu de peine pour comprendre, à
travers ces vers, que la matérialisation de ce vœu sous le Khalifat de Cheikh Mouhamadul
Muntaqa Mbacké n’est pas le fruit du hasard. Le fil ésotérique qui le tient est très visible
(paradoxal bien sûr) et, donc, à la portée de tout homme de foi doué d’un peu de bon sens,
même le cœur le plus malade. Quand on met les pieds dans la ville sainte, la seule du pays
sans aucun résidu colonial, on se laisse facilement convaincre de l’effectivité de ces vœux du
Serviteur privilégié du Prophète (sws).

Tuuba, la voie mouride par conséquent, a su, s’appuyant exclusivement sur la quête et la
vivification des savoirs, se protéger de toutes les formes d’impérialisme et son indépendance
quasi-totale dans tous les domaines en témoigne : scientifique, culturelle, politique,
infrastructurelle, économique, etc. Par ce bijou, achevé dans des délais record (leçon donnée
aux gouvernants de nos pays), et tous les autres chantiers prodigieusement réalisés sous son
magister, Cheikh Mouhamadul Muntaqa Mbacké vient de confirmer, comme on le savait déjà,
qu’il est, en ces temps, l’âme de l’Islam au Sénégal pour ne pas dire dans le monde. JËRËJËF
MBACKÉ !!!

De NDIAYE Mamadou,
Enseignant-vacataire au département de philosophie de l’UCAD
Professeur de philosophie au Lycée d’excellence Nafoore
Membre du Dahira Miftâhoul-Mouna de Bambey
Membre du Dahira Touba FLSH-UCAD

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