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L’ esprit des Lumières et leur destin.

Comme, dans un Etat libre, tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par
lui-même, il faudrait que le peuple en corps (1) eût la puissance législative. Mais comme cela est
impossible dans les grands Etats, et est sujet à beaucoup d’inconvénients dans les petits, il faut que
le peuple fasse par ses représentants tout ce qu’il ne peut faire par lui-même.
L’on connaît beaucoup mieux les besoins de sa ville que ceux des autres villes ; et on juge mieux
de la capacité de ses voisins que de celle de ses autres compatriotes. Il ne faut donc pas que les
membres du corps législatif soient tirés en général du corps de la nation ; mais il convient que, dans
chaque lieu principal, les habitants se choisissent un représentant.
Le grand avantage des représentants, c’est qu’ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple
n’y est point du tout propre ; ce qui forme un des grands inconvénients de la démocratie.
MONTESQUIEU, De l’Esprit des lois
(1) « le peuple en corps » : le peuple constitué en unité politique.

  
Les lumières, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’à lui. La minorité,
c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre. C’est à lui seul qu’est
imputable cette minorité dès lors qu’elle ne procède pas du manque d’entendement, mais du
manque de résolution et de courage nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelle
d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement : telle est donc la
devise des Lumières.
    La paresse et la lâcheté sont causes qu’une si grande partie des hommes affranchis depuis
longtemps par la nature de toute tutelle étrangère, se plaisent cependant à rester leur vie durant des
mineurs ; et c’est pour cette raison qu’il est si aisé à d’autre de s’instituer leurs tuteurs. Il est si
commode d’être mineur. Si j’ai un livre qui a de l’entendement pour moi, un directeur spirituel qui
a de la conscience pour moi, un médecin qui pour moi décide de mon régime etc., je n’ai pas besoin
de faire des efforts moi-même. Je ne suis point obligé de réfléchir, si payer suffit ; et d’autres se
chargeront pour moi l’ennuyeuse besogne. […]
Il est donc difficile pour tout homme pris individuellement de se dégager de cette minorité
devenue comme une seconde nature. Il s’y est même attaché et il est alors réellement incapable de
se servir de son entendement parce qu’on ne le laissa jamais en fait l’essai. Préceptes et formules,
ces instruments mécaniques destinés à l’usage raisonnable ou plutôt au mauvais usage de ses dons
naturels, sont les entraves de cet état de minorité qui se perpétue.
    Mais qui les rejetterait ne ferait cependant qu’un saut mal assuré au-dessus du fossé même plus
étroit, car il n’a pas l’habitude d’une telle liberté de mouvement. Aussi sont-ils peu nombreux ceux
qui ont réussi, en exerçant eux-mêmes leur esprit, à se dégager de cette minorité tout en ayant
cependant une démarche assurée.
    Qu’un public en revanche s’éclaire lui-même est davantage possible ; c’est même, si seulement
on lui en laisse la liberté, pratiquement inévitable. Car, alors, il se trouvera toujours quelques
hommes pensant par eux-mêmes, y compris parmi les tuteurs officiels du plus grand nombre, qui,
après voir rejeté eux-mêmes le joug de la minorité, rependront l’esprit d’une estimation raisonnable
de sa propre valeur et de la vocation de chaque homme à penser par lui-même. […]
    Mais ces Lumières n’exigent rien d’autre que la liberté ; et même la plus inoffensive de toutes les
libertés, c’est-à-dire celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines. 
Emmanuel Kant,  Qu’est ce que les lumières ?  , 1784
Trad. J. Mondot, université de Saint-Étienne, 1991
-les lumières et l'encyclopédie

Denis Diderot(1713-1784) Article "Encyclopédie"(Encyclopédie, 1751)

  [Chargé avec d'Alembert de l'édition de l'Encyclopédie, Diderot s'y employa avec une énergie considérable, à laquelle on ne manqua pas
d'opposer censures et emprisonnements. Touche-à-tout de génie, il a donné à l'ouvrage ses caractères originaux et su définir son but, à la
fois didactique et humaniste : répandre le savoir pour engendrer la liberté et le bonheur.]
Encyclopédie.Ce mot signifie enchaînement de connaissances; il est composé de la préposition grecque en, et des substantifs kuklos, cercle,
et paideia,connaissance.
En effet, le but d'une Encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la terre; d'en exposer le système général aux hommes
avec qui nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous, afin que les travaux des siècles passés n'aient pas été des
travaux inutiles pour les siècles qui succéderont; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus
heureux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain. […]
C'est à l'exécution de ce projet étendu, non seulement aux différents objets de nos académies, mais à toutes les branches de la connaissance
humaine, qu'une Encyclopédie doit suppléer; ouvrage qui ne s'exécutera que par une société de gens de lettres et d'artistes, épars, occupés
chacun de sa partie, et liés seulement par l'intérêt général du genre humain, et par un sentiment de bienveillance réciproque. […]
J'ai dit qu'il n'appartenait qu'à un siècle philosophe de tenter une Encyclopédie; et je l'ai dit, parce que cet ouvrage demande partout plus de
hardiesse dans l'esprit, qu'on n'en a communément dans les siècles pusillanimes du goût. Il faut tout examiner, tout remuer sans exception
et sans ménagement; oser voir [...] que ceux qui sont venus après les premiers inventeurs n'ont été, pour la plupart, que leurs esclaves; que
les productions qu'on devait regarder comme le premier degré, prises aveuglément pour le dernier terme, au lieu d'avancer un art à sa
perfection, n'ont servi qu'à le retarder, en réduisant les autres hommes à la condition servile d'imitateurs. [...] Il faut fouler aux pieds toutes
ces vieilles puérilités; renverser les barrières que la raison n'aura point posées; rendre aux sciences et aux arts une liberté qui leur est si
précieuse. […]
Je sais que ce sentiment n'est pas celui de tout le monde; il y a des têtes étroites, des âmes mal nées, indifférentes sur le sort du genre
humain, et tellement concentrées dans leur petite société qu'elles ne voient rien au-delà de son intérêt. [...] A quoi bon divulguer les
connaissances de la nation, ses transactions secrètes, ses inventions, son industrie, ses ressources, ses mystères, sa lumière, ses arts et toute
sa sagesse ! Ne sont-ce pas là les choses auxquelles elle doit une partie de sa supériorité sur les nations rivales et circonvoisines ? Voilà ce
qu'ils disent; et voici ce qu'ils pourraient encore ajouter. Ne serait-il pas à souhaiter qu'au lieu d'éclairer l'étranger, nous pussions répandre
sur lui des ténèbres, et plonger dans la barbarie le reste de la terre, afin de le dominer plus sûrement ? Ils ne font pas attention qu'ils
n'occupent qu'un point sur ce globe, et qu'ils n'y dureront qu'un moment; que c'est à ce point et à cet instant qu'ils sacrifient le bonheur des
siècles à venir et de l'espèce entière

Claude-Adrien Helvétius (1715-1771) De l'esprit  (1758) 

 [Fermier général, Helvétius consacra toute sa fortune au soutien de la philosophie des Lumières. Collaborateur de l'Encyclopédie, il y
apporta son matérialisme, qui fait de l'homme le produit de l'éducation, et son ardent désir d'une refonte de la législation. Son ouvrage
essentiel, De l'esprit, fut condamné à être brûlé, et Helvétius dut se rétracter publiquement

 La vérité est ordinairement trop mal accueillie des princes et des grands, pour séjourner longtemps dans les cours. Comment habiterait-elle
un pays où la plupart de ceux qu'on appelle les honnêtes gens, habitués à la bassesse et à la flatterie, donnent et doivent réellement donner à
ces vices le nom d'usage du monde ? L'on aperçoit difficilement le crime où se trouve l'utilité. Qui doute cependant que certaines flatteries
ne soient plus dangereuses et par conséquent plus criminelles aux yeux d'un prince ami de la gloire, que des libelles faits contre lui ? Non
que je prenne ici le parti des libelles : mais enfin une flatterie peut, à son insu détourner un bon prince du chemin de la vertu, lorsqu'un
libelle peut quelquefois y ramener un tyran. Ce n'est souvent que par la bouche de la licence que les plaintes des opprimés peuvent s'élever
jusqu'au trône. Mais l'intérêt cachera toujours de pareilles vérités aux sociétés particulières de la cour. Ce n'est, peut-être, qu'en vivant loin
de ces sociétés qu'on peut se défendre des illusions qui les séduisent. Il est du moins certain que, dans ces mêmes sociétés, on ne peut
conserver une vertu toujours forte et pure, sans avoir habituellement présent à l'esprit le principe de l'utilité publique, sans avoir une
connaissance profonde des véritables intérêts de ce public, par conséquent de la morale et de la politique. La parfaite probité n'est jamais le
partage de la stupidité; une probité sans lumières n'est, tout au plus, qu'une probité d'intention, pour laquelle le public n'a et ne doit
effectivement avoir aucun égard, 1 parce qu'il n'est point juge des intentions; 2 parce qu'il ne prend, dans ses jugements, conseil que de son
intérêt. S'il soustrait à la mort celui qui par malheur tue son ami à la chasse, ce n'est pas seulement à l'innocence de ses intentions qu'il fait
grâce, puisque la loi condamne au supplice la sentinelle qui s'est involontairement laissé surprendre au sommeil. Le public ne pardonne,
dans le premier cas, que pour ne point ajouter à la perte d'un citoyen celle d'un autre citoyen; il ne punit, dans le second, que pour prévenir
les surprises et les malheurs auxquels l'exposerait une pareille invigilance. Il faut donc, pour être honnête, joindre à la noblesse de l'âme les
lumières de l'esprit. Quiconque rassemble en soi ces différents dons de la nature, se conduit toujours sur la boussole de l'utilité publique.
Cette utilité est le principe de toutes les vertus humaines, et le fondement de toutes les législations. Elle doit inspirer le législateur, forcer
les peuples à se soumettre à ses lois; c'est enfin à ce principe qu'il faut sacrifier tous ses sentiments, jusqu'au sentiment même de l'humanité.

L'humanité publique est quelquefois impitoyable envers les particuliers. Lorsqu'un vaisseau est surpris par de longs calmes, et que la
famine a, d'une voix impérieuse, commandé de tirer au sort la victime infortunée qui doit servir de pâture à ses compagnons, on l'égorge
sans remords : ce vaisseau est l'emblème de chaque nation; tout devient légitime et même vertueux pour le salut public.
Discours II, chapitre VI, Des moyens de s'assurer de la vertu.

d'Holbach (1723-1789)

 [Collaborateur important de l'Encyclopédie, où il signe notamment le fulminant article "Prêtres", Paul-Henri Thiry, baron d'Holbach, est
un des premiers représentants du matérialismedu XVIII° siècle :"Des âmes physique et des besoins physiques demandent un bonheur
physique et des objets réels et préférables aux chimères dont depuis tant de siècles on repaît nos esprits" , écrit-il dans son Système de la
nature. La morale lui paraît à ce titre devoir résulter d'un pacte social bâti sur la sublimation de l'état de nature et sur la vigilance de la
raison.]

La morale universelle ou Les devoirs de l'homme fondés sur sa nature(1776)


Section 2, chapitre 5, De l'autorité.
Dépendre de quelqu'un, c'est avoir besoin de lui pour se conserver et se rendre heureux. Le besoin est le principe et le motif de la vie
sociale; nous dépendons de ceux qui nous procurent des biens que nous serions incapables d'obtenir par nous-mêmes. L'autorité des parents
et la dépendance des enfants, ont pour principe le besoin continuel qu'ont ces derniers de l'expérience, des conseils, des secours, des
bienfaits, de la protection de leurs parents pour obtenir des avantages qu'ils sont incapables de se procurer. C'est sur les mêmes motifs que
se fonde l'autorité de la société et de ses lois, qui, pour le bien de tous, doivent commander à tous. La diversité et l'inégalité que la nature a
mises entre les hommes, donne une supériorité naturelle à ceux qui surpassent les autres par les forces du corps, par les talents de l'esprit,
par une grande expérience, par une raison plus éclairée, par des vertus et des qualités utiles à la société. Il est juste que celui qui se trouve
capable de faire jouir les autres de grands biens, soit préféré à celui qui ne leur est bon à rien. La nature ne soumet les hommes à d'autres
hommes que par les besoins qu'elle leur donne et qu'ils ne peuvent satisfaire sans leurs secours. Toute supériorité, pour être juste, doit être
fondée sur les avantages réels dont on fait jouir les autres hommes. Voilà les titres légitimes de la souveraineté, de la grandeur, des
richesses, de la noblesse, de toute espèce de puissance : voilà la source raisonnable des distinctions et des rangs divers qui s'établissent dans
une société. L'obéissance et la subordination consistent à soumettre ses actions à la volonté de ceux que l'on juge capables de procurer les
biens que l'on désire, ou d'en priver. L'espérance de quelque bien ou la crainte de quelque mal sont les motifs de l'obéissance du sujet
envers son prince, du respect du citoyen pour ses magistrats, de la déférence du peuple pour les grands, de la dépendance où les pauvres
sont des riches et des puissants, etc. Mais si la justice approuve la préférence ou la supériorité que les hommes accordent à ceux qui sont les
plus utiles à leur bien-être, la justice cesse d'approuver cette préférence aussitôt que ces hommes supérieurs abusent de leur autorité pour
nuire. La justice se nomme équité, parce que, nonobstant l'inégalité naturelle des hommes, elle veut qu'on respecte également les droits de
tous, et défend aux plus forts de se prévaloir de leurs forces contre les plus faibles.
  On voit, d'après ces principes, que la société, ou ceux qu'elle a choisis pour annoncer ses lois, exercent une autorité qui doit être reconnue
par tous ceux qui jouissent des avantages de la société. Si les lois sont justes, c'est-à-dire conformes à l'utilité générale et au bien des êtres
associés, elles les obligent tous également, et punissent très justement ceux qui les violent. Punir quelqu'un c'est lui causer du mal, c'est le
priver des avantages dont il jouissait, et dont il aurait continué de jouir, s'il eût suivi les règles de la justice indiquées par la prudence de la
société. Destinée à conserver les droits des hommes et à les garantir de leurs passions mutuelles, la loi doit punir ceux qui se montrent
rebelles aux volontés générales. Elle peut priver du bien-être et réprimer ceux qui troublent la félicité publique, afin de contenir par la
crainte ceux que leurs passions empêchent d'entendre la voix publique et qui refusent de remplir les engagements du pacte social.

Condorcet   (1743-1794) Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain(1793-1794)

[Philosophe et mathématicien, Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, fut l'homme des grands combats du siècle :
esclavage, droits des femmes, réformes nécessaires à la société française... Décrété d'accusation en 1793, il travailla dans la clandestinité
à cette Esquisseet, finalement arrêté, mourut dans sa prison.]

Si l’homme peut prédire, avec une assurance presque entière les phénomènes dont il connaît les lois; si, lors même qu'elles lui sont
inconnues, il peut, d'après l'expérience du passé, prévoir, avec une grande probabilité, les événements de l'avenir; pourquoi regarderait-on
comme une entreprise chimérique, celle de tracer, avec quelque vraisemblance, le tableau des destinées futures de l'espèce humaine, d'après
les résultats de son histoire ? Le seul fondement de croyance dans les sciences naturelles, est cette idée que les lois générales, connues ou
ignorées, qui règlent les phénomènes de l'univers, sont nécessaires et constantes; et par quelle raison ce principe serait-il moins vrai pour le
développement des facultés intellectuelles et morales de l'homme, que pour les autres opérations de la nature ? Enfin, puisque des opinions
formées d'après l'expérience du passé, sur des objets du même ordre, sont la seule règle de la conduite des hommes les plus sages, pourquoi
interdirait-on au philosophe d'appuyer ses conjectures sur cette même base, pourvu qu'il ne leur attribue pas une certitude supérieure à celle
qui peut naître du nombre, de la constance, de l'exactitude des observations ?
  Nos espérances sur l'état à venir de l'espèce humaine peuvent se réduire à ces trois points importants : la destruction de l'inégalité entre les
nations; les progrès de l'égalité dans un même peuple; enfin, le perfectionnement réel de l'homme. Toutes les nations doivent-elles se
rapprocher un jour de l'état de civilisation où sont parvenus les peuples les plus éclairés, les plus libres, les plus affranchis de préjugés, tels
que les français et les anglo-américains ? Cette distance immense qui sépare ces peuples de la servitude des nations soumises à des rois, de
la barbarie des peuplades africaines, de l'ignorance des sauvages, doit-elle peu à peu s'évanouir ?
  Y a-t-il sur le globe des contrées dont la nature ait condamné les habitants à ne jamais jouir de la liberté, à ne jamais exercer leur raison ?

  Cette différence de lumières, de moyens ou de richesses, observée jusqu'à présent chez tous les peuples civilisés entre les différentes
classes qui composent chacun d'eux; cette inégalité, que les premiers progrès de la société ont augmentée, et pour ainsi dire produite, tient-
elle à la civilisation même, ou aux imperfections actuelles de l'art social ? Doit-elle continuellement s'affaiblir pour faire place à cette
égalité defait, dernier but de l'art social, qui, diminuant même les effets de la différence naturelle des facultés, ne laisse plus subsister
qu'une inégalité utile à l'intérêt de tous, parce qu'elle favorisera les progrès de la civilisation, de l'instruction et de l'industrie, sans entraîner,
ni dépendance, ni humiliation, ni appauvrissement; en un mot, les hommes approcheront-ils de cet état où tous auront les lumières
nécessaires pour se conduire d'après leur propre raison dans les affaires communes de la vie, et la maintenir exempte de préjugés, pour bien
connaître leurs droits et les exercer d'après leur opinion et leur conscience; où tous pourront, par le développement de leurs facultés, obtenir
des moyens sûrs de pourvoir à leurs besoins; où enfin, la stupidité et la misère ne seront plus que des accidents, et non l'état habituel d'une
portion de la société ?

Enfin, l'espèce humaine doit-elle s'améliorer, soit par de nouvelles découvertes dans les sciences et dans les arts, et, par une conséquence
nécessaire, dans les moyens de bien-être particulier et de prospérité commune; soit par des progrès dans les principes de conduite et dans la
morale pratique; soit enfin par le perfectionnement réel des facultés intellectuelles, morales et physiques, qui peut être également la suite,
ou de celui des instruments qui augmentent l'intensité et dirigent l'emploi de ces facultés, ou même de celui de l'organisation naturelle de
l'homme ?

  En répondant à ces trois questions, nous trouverons, dans l'expérience du passé, dans l'observation des progrès que les sciences, que la
civilisation ont faits jusqu'ici, dans l'analyse de la marche de l'esprit humain et du développement de ses facultés, les motifs les plus forts de
croire que la nature n'a mis aucun terme à nos espérances.
Dixième époque, Des progrès futurs de l'esprit humain

empirisme, rationalisme et criticisme

Locke, Essai sur l’entendement humain, I,  1.


« Tout homme a conscience qu’il pense et que son esprit  s’applique, quand il pense à des idées [2]qui sont en lui : il est donc hors de doute
que les hommes ont dans leur esprit diverses idées telles que :
blancheur, dureté, douceur, sucré, pensée, mouvement, homme, éléphant, ébriété et autre idées; tout d’abord, nous devons nous demander
comment l’esprit y parvient ?
Je suppose donc que l’esprit est, comme nous disons, du papier blanc, vierge de tout caractère, sans aucune idée : comment se fait-il qu’il
en soit ensuite garni ? d’où lui vient cette vaste provision que l’imagination humaine, toujours au travail et sans limites a peintes en elle
avec une variété presque infinie? Je réponds d’un mot: de l’expérience. C’est sur elle que toute notre connaissance se fonde, c’est d’elle
qu’elle dérive en définitive. Notre observation appliquée soit aux objets sensibles externes, soit aux opérations internes, perçues par nous et
réfléchies sur nous-mêmes, voilà ce qui fournit nos entendements de tous les matériaux de la pensée. Voilà les deux sources de la
connaissance d’où sourdent toutes les idées que nous avons, ou que nous pouvons avoir naturellement. »

Hume, Enquête sur l’entendement humain (section 7).


 « S’il y a une relation entre les objets qu’il nous importe de connaître parfaitement, c’est celle de la cause et de l’effet. C’est sur elle que
se fondent tous nos raisonnements sur les questions de fait ou d’existence (…). La seule utilité immédiate de toutes les sciences est de nous
enseigner comment nous pouvons contrôler et régler les événements futurs par leurs causes. Nos pensées et nos recherches s’emploient
donc, à tout moment, autour de cette relation ; pourtant, les idées que nous formons à son sujet sont si imparfaites qu’il est impossible de
donner une juste définition de la cause, sinon celle qu’on tire de ce qui lui est extérieur et étranger. Des objets semblables sont toujours en
connexion avec des objets semblables. Cette conjonction, nous en avons l’expérience. D’accord avec cette expérience, nous pouvons donc
définir une cause comme un objet suivi d’un autre et tel que tous les objets semblables au premier sont suivis d’objets semblables au
second. Ou en d’autres termes, tel que, si le premier objet n’avait pas existé, le second n’aurait jamais existé. L’apparition de la cause
conduit toujours l’esprit, par une transition coutumière, à l’idée de l’effet. Cette transition aussi, nous en avons l’expérience. Nous pouvons
donc, conformément à cette expérience, former une autre définition de la cause et l’appeler un objet suivi d’un autre et dont l’apparition
conduit toujours la pensée à l’idée de cet autre objet. (…)
J’ose affirmer, comme une proposition générale qui n’admet pas d’exception que la connaissance de cette relation ne s’obtient en aucun cas
par des raisonnements a priori; mais qu’elle naît entièrement de l’expérience quand nous trouvons que des objets particuliers sont en
conjonction constante l’un avec l’autre.»

Kant, Préface de la Critique de la Raison pure.


« Si toute notre connaissance débute avec l’expérience, cela ne prouve pas qu’elle dérive toute de l’expérience, car il se pourrait bien que
même notre connaissance par expérience fût un composé de ce que nous recevons des impressions sensibles et de ce que notre pouvoir de
connaître (simplement excité par des impressions sensibles) produit lui-même : addition que nous ne distinguons pas de la matière première
jusqu’à ce que notre attention y ait été portée par un long exercice qui nous ait appris à l’en séparer. C’est donc au moins encore une
question qui exige un examen plus approfondi et que l’on ne saurait résoudre du premier coup d’œil, que celle de savoir s’il y a une
connaissance de ce genre, indépendante de l’expérience et même de toutes les impressions des sens. De telles connaissances sont appelées a
priori et on les distingue des empiriques qui ont leur source a posteriori, à savoir dans l’expérience. (…) Par connaissances a priori nous
entendrons désormais non point celles qui ne dérivent pas de telle ou de telle expérience, mais bien celles qui sont absolument
indépendantes de toute expérience. A ces connaissances a priori sont opposées les connaissances empiriques ou celles qui ne sont possibles
qu’a posteriori, c’est-à-dire par l’expérience. »

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