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HEIN, Fabien. Do it Yourself! Autodétermination et culture punk. Le Passager clandestin., 2012.

HEIN, Fabien. Do it Yourself! Autodétermination et culture


punk. Le Passager clandestin., 2012.
Lorsque l’on aborde la sociologie de la déviance en prenant les notions de culture et sous-culture il paraît
évident d’aborder la culture punk et sa scène. Fabien HEIN est maître de conférences à l’Université de
Lorraine. Musicien et passionné de musique, ce sociologue s’est ainsi intéressé au metal et au punk dans
ses recherches sociologiques. Cet ouvrage s’inscrit ainsi dans la continuité de son travail qui a déjà bien
entamé ces sujets.

Prologue
Fabien HEIN vient définir le Do It Yourself comme un trait culturel majeur dans la culture punk,
indissociable de celle-ci. « C’est un critère d’authenticité » p.9 dira-t-il. Être punk relèverait d’un mode de
vie reflétant engagement et action. L’autodétermination serait la clé vers une émancipation par laquelle la
culture punk s’élance. Fabien Hein aborde la vision négative du punk. Bruyant, extravagant et avant tout
engagé, le punk vient choquer. Mais l’auteur nous rappelle aussi les bienfaits de la pratique punk. Le DIY
rentrant en jeu pour organiser, créer, et coopérer, rendant chaque personne joignant le mouvement un
membre actif. Le mouvement punk incite, invite.

Conditions d’émergence du punk rock


Les scènes punk rock
Fabien Hein décrira l’apparition du punk rock au début des années 70’s et surtout de l’apparition du
mouvement qui l’a accompagné. D’abord à New York, il débarquera à Londres, devenant son épicentre.
Le phénomène prend de l’ampleur et inquiète. Des musicien·nes inexpérimenté·es sur le devant de la
scène, une esthétique brisant tous les codes, une attitude rebelle et une volonté de choquer, de révolter. La
transgression comme norme. Les entrepreneurs de morale entament une répression à leur encontre,
interdisant les concerts et condamnant « la dégénérescence juvénile ». Le phénomène ne fait que se
renforcer, s’étendant à l’international. Des revendications communes d’une même voix (accompagnée de
quelques autres instruments) à travers le monde. Un inédit. La France n’y a bien entendu pas échappé. Le
punk rock prend place sur les scènes et évolue dans de multiples branches en découlant.

“A l’observation, cette expansion du punk rock semble irrépressible. Notamment


parce qu’elle est sous-tendue par des manières de faire et de penser inspirées d’une
vulgate particulièrement puissante.” p.18

La vulgate punk
Fabien Hein retrace l’importance des Sex Pistols dans cette émergence. Leur arrogance les rendant
désirables autant que détestables, qu’on les aime ou les déteste dans tous les cas ils ne rendent pas
indifférents. Ils ne sont qu’un maillon entre des précurseurs et celleux qui leur succèderont, musiciens, fans
de punk rock ou bien juste en récupérer l’esthétique, le punk se propage à vitesse grand V. Que chacun
puisse se dire qu’il peut monter sur scène et faire tout comme leurs idoles est un élément clé dans ce
mouvement. Ce n’est pas la qualité qui est valorisée mais l’investissement personnelle et l’amour du punk.
Arrivent ainsi les fanzines. Les magazines officiels ne laissant pas la place à la scène punk, les fans se
mettent à créer leurs propres supports, nourrissant d’autant plus le DIY dans cette sous-culture naissante. Il
parlera d’une illustration du fanzine britannique Sideburns représentant trois accords avec les mentions
« Voici un accord, en voici un autre, en voilà un troisième, maintenant monte ton propre groupe ».

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HEIN, Fabien. Do it Yourself! Autodétermination et culture punk. Le Passager clandestin., 2012.

« En réalité, elle (l’illustration de trois accords) cristallise une vulgate participant


puissamment de la démocratisation des pratiques culturelles, c’est-à-dire qu’elle
démystifie le processus de production culturelle en soulignant que, désormais, chacun
est en capacité de passer à l’acte. Ce qui constitue, à ce titre, une véritable incitation
à l’action. » p.21

Cela ne se limitant pas à la création artistique mais à l’ensemble de la chaîne de production culturelle.
Rendant obsolètes les labels majeurs.

L’effet punk
Le punk est bien plus qu’un moment entre copain se saisissant d’instruments, c’est une contestation. Une
jeunesse qui se lève face à une société capitaliste poussant à la consommation. Une solidarité. Tout le
monde peut faire, et est même encouragé à le faire. Une lutte contre les critères discriminants et la
méritocratie. C’est une porte grande ouverte pour faire entrer une dimension féministe dans le punk.
Femme comme homme a sa place et peut faire entendre sa voix (littéralement). Le punk comme un appel à
l’action rentrant dans son contexte social, culturel, économique, idéologique et politique.

Le punk rock en contexte


Les années 70’s s’entament avec de multiples artistes se succédant au hitparade et ouvrent la voie au punk
avec l’arrivée du « sex, drugs and rock n’ roll ». Suivi de près par les revendications de mouvements
féministes et queers. Provocation et révoltes comme mots d’ordre, à la fin des trente glorieuses, une
profonde frustration s’installe au sein de la population occidentale. Fabien Hein prend l’exemple de Lip,
une entreprise horlogère qui a ouvert la voie de l’autogestion en 1973, bien qu’elle finisse torpillée en
1977.

« Ce puissant désir de renversement des rapports de domination s’exprime aussi bien


chez les femmes et les homosexuels. Les minorités et les sans-pouvoirs trouvent dans
cet élan libertaire un appel d’air leur permettant de s’affranchir des exigences d’un
système de reproduction sociale extrêmement normatif (travail, famille, enfants). »
p.29

Une force inouïe est conférée au mouvement de par la recherche continue de moyens de contourner le
système, les normes, des moyens alternatifs, des modes de vie autonomes. Beaucoup de confrontations
avec les gouvernements trouvent place au sein de l’Europe durant ces périodes dans des vagues de violence
politique. Les USA ne sont pas épargnés non plus. Le contexte est propice à l’émergence du punk rock et
du mouvement punk dans cette humeur générale libertaire.

Eloge de l’action
« Place à l’action ». Sur le modèle des Ramones, l’élan est donné pour agir. Peu importe les compétences,
les techniques, s’y essayer c’est réussir dans ce mouvement. N’importe qui peut jouer du punk rock. Une
recherche permanente de liberté.

« Quoi qu’il en soit, dans cette configuration, la vulgate punk produit de façon locale
et temporaire de nouvelles perceptions, de nouveaux jugements, de nouvelles valeurs
et de nouvelles normes qui déterminent une nouvelle cohérence de l’action
individuelle et collective » p.36

« En ce sens, la vulgate punk conduit tout d’abord à prendre conscience de sa


capacité à agir, puis, dans un second temps, à prendre concrètement les choses en
main. » p.36

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Une culture de la participation


L’auteur considère le punk comme héritier de radicalités artistiques politiques et culturelles ayant menées à
cette dynamique participative. Il développe en mentionnant le dadaïsme comme précurseur artistique, de
par son extravagance et la place accordée aux femmes. Il mentionnera l’Internationale situationniste
comme précurseur politique appelant à la participation de chacun·e pour changer le cours des existences.
Enfin, Hein placera dans la science-fiction les origines de cette dynamique participative. Il prend l’exemple
d’un mensuel de vulgarisation scientifique ouvrant aux lecteurs la possibilité de communiquer et de réagir
à la publication de nouvelles de sciences fictions, menant à l’encouragement de publication de fanzines.

« Compte tenu de cette pluralité de traditions, la vulgate punk ne fait que confirmer le
passage d’une culture de la consommation à une culture de la participation » p.39

Il fera le lien entre cette dynamique et le récent « journalisme citoyen ». Il argumente en citant l’ancien
chanteur des Dead Kennedys qui invite à devenir les médias au lieu de les haïr.

« En ce sens, dans la seconde moitié des années 197, la vulgate punk et la vulgate
journalistique tirent parti de la démocratisation des moyens de production, puis au
cours de la seconde moitié des années 1990, de l’accès aux nouveaux outils de
communication numériques. » p.40

L’auteur fera également le lien entre cette dynamique et le pogo dans la régulation de la scène punk rock,
la participation comme valeur fondamentale indissociable d’une éthique de responsabilité.

De nouvelles possibilités d’existence


Fabien Hein amène que dans un système démocratique, la libre détermination de soi conduirait à se faire
porte-parole de ses propres valeurs et aspirations et utiliser tous les moyens possibles dans la définition de
son existence. Il donnera l’exemple de parcours atypiques dans les ascensions sociales menées par le punk.

« De tels succès finissent par convaincre une partie de cette génération que le
déterminisme social n’est pas une fatalité. » p.43

Il citera Edgar Morin pour donner l’origine de cette dynamique nietzschéenne dans le processus de
transformation sociale des Trente Glorieuses de par l’amélioration des conditions matérielles d’existence,
des conquêtes sociales, de nouveaux besoins et loisirs rendant exigeant sur le désir de vivre sa vie.
Edgar Morin, Les stars, Paris, Seuil, coll. “Essais”, 1972, p.24.
Il cite ensuite David Riesman, sociologue.

« D’une manière générale, plus le progrès technique s'affirme et se répand, plus le


nombre des individus capables d'imaginer qu'ils sont quelqu'un d'autre va croissant.
D'abord parce que b technologie favorise la division du travail, laquelle, à son tour,
multiplie les expériences et les positions sociales. Ensuite, parce que le
perfectionnement technique crée des loisirs suffisants pour que des millions d'hommes
puissent envisager de changer de rôle, alors qu'autrefois cette faculté n'existait que
pour quelques-uns, membres de la classe dominante. Et, finalement, parce que la
combinaison du progrès technique et des loisirs permet aux gens de se familiariser
avec toutes sortes de solutions qui appartiennent déjà à l'histoire, donc, de connaître
une multitude de modèles personnels et sociaux »

David Riesman, La foule solitaire, Paris, Arthaud, 1964, p.320-321.


Pour Hein, l’enjeu se portant au mouvement punk est moins d’opposer l’ordre établi que de lui opposer des
alternatives.

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Do it yourself!
Fabien Hein définit le DIY comme « une disposition humaine tendue vers la résolution de problèmes
pratiques » p.47.mais fait la distinction entre coproduction et autoproduction, le punk tendant ainsi vers le
premier. Il montrera la valorisation du DIY.

Accroître sa puissance d’exister


Hein accordera à Spinoza la notion de puissance d’exister et citera des événements marquants attestant que
l’histoire culturelle est jalonnée de multiples manifestations de son accroissement.

« Dans les faits, c’est plus précisément l’autodétermination qui conduit


progressivement, en situation, à l’autoproduction des compétences, des structures,
des réseaux et des œuvres constitutifs de l’expérience punk. » p.52

Il dira que le mouvement punk est formateur et la scène punk son terrain d’apprentissage pour acquérir les
moyens de renforcer sa capacité d’action et d’émancipation.

« En cela, être punk c’est en premier lieu avoir conscience de sa capacité à agir
(sinon de devoir agir). » p.53

Ce pouvoir se matérialiserait sous la forme d’une offre culturelle spécifique en


s’affranchissant du modèle de l’industrie musicale dominante. Mais que le maintien et
préservation d’indépendance impliquent un combat permanent. Seraient nécessaires un
diagnostic et le déploiement de stratégies.

La Positive Mental Attitude


Hein développe le rapport entre le punk et les drogues dures. Bien qu’une partie des figures du mouvement
en consomment, cela ne constitue pas une valorisation de celle-ci dans tous les milieux punks. Une partie,
au contraire, valorise la lucidité de leurs actes, donc refusent leur usage. C’est une seconde vague se
distinguant des tendances autodestructrices de la première. Il aborde la Positive Mental Attitude (PMA)
amené par les Bad Brains sur la scène américaine promouvant la capacité de tout un chacun d’accomplir ce
qu’il entreprendrait, à croire en soi. Ce serait un ferment de rassemblement et d’incitation à l’action.

« La force du régime d’engagement punk tient donc dans un double mouvement :


d’une part, un rapport à l’action qui augmente les potentialités individuelles et
collectives, d’autre part, la conscience de ce que ces potentialités transforment le
rapport à soi, aux autres et au monde. » p.57

DIY : entreprise culturelle, politique en actes


Le DIY en actes
Hein place la première Ode au DIY en 1977 par le groupe Desperates Bicycles. Il met en lumière les
tentatives réussites d’autoproduction de groupes durant cette période.

« Ils témoignent non-seulement de la viabilité du modèle économique DIY mais


également de sa rentabilité. Dès lors, les autoproductions se multiplient, marquant les
véritables débuts de ce qu’il faut bien appeler un entreprenariat punk ». p.63

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L’émergence d’un entreprenariat punk


« Le sociologue Simon Frith souligne par exemple que 90 nouveaux labels
apparaissent en Grande-Bretagne au cours du premier semestre de l’année 1980. Et
cette dynamique se propage dans la majeure partie des pays industrialisés. » p.64

La France aurait été gagnée en 1983. Ces labels seraient majoritairement administrés par des personnes
dénuées de formation en la matière. Cet entreprenariat mènerait ainsi à l’autoformation.

« Les savoir-faire qui en découlent suscitent, quant à eux, l’émergence d’un marché,
c’est-à-dire une forme sociale largement ordonnée par l’échange et la concurrence
mais organisée par l’échange et la concurrence mais organisée autour de capitaux
symboliques, qui subvertissent les règles de fonctionnement du marché dominant,
pour le dire dans les termes de Pierre Bourdieu. » p.65

Hein distinguera les traits caractéristiques d’une contre-culture, à savoir le produit de l’effort des
autodidactes produisant un marché alternatif et capable de contester l’institution scolaire comme la seule
légitime à fournir et juger des compétences propres à un marché. Il citera Jack Lang dans le lien entre
économie et culture dans les luttes. L’entreprise est donc pour lui devenu un modèle de conduite
remplaçant son rôle d’instrument de domination des classes populaires en reprenant les termes de Alain
Ehrenberg.

Stakhanovisme punk et invention


Hein met l’accent sur le fait que le mythe du groupe punk qui monte sans s’investir bien que persistant ne
reste qu’un mythe invisibilisant le travail et les efforts et protagonistes. Les groupes ne se sont pas cachés
d’avoir travaillé d’arrache-pied avant de se représenter, d’organiser, les qualifiant même comme le plus
souvent des bourreaux de travail. Il citera nombreux groupes et leur investissement impressionnant pour
appuyant ces dires. Il associera le petit budget disposé comme élément fort dans le redoublement d’efforts
pour parvenir aux objectifs attendus. Les groupes ne pouvaient pas se permettre de dépenser plus que
nécessaire pour les enregistrements par exemple. L’autonomie se trouvant dans la réduction des coûts, et
surtout concurrencer les labels majeurs. Ce coût économique bas est compensé par un coût en termes
d’énergie excessivement élevé. Cela contraignant à faire au maximum de manière autonome, et pour se
faire, se former en autodidacte et revêtir de nombreuses casquettes, tout cela restant accessible à chacun.

Le DIY comme programme pédagogique


Hein prendra l’exemple de l’initiatives d’artistes pour pousser à l’action et des labels indépendants y
encourageant en proposant un accompagnement pédagogique. Il parlera de l’éducation populaire visant à
valoriser les voies et formations que l’école officielle serait incapable de fournir. Un apprentissage plus
pratique que théorique. Le DIY (pour Rimbaud et Godard, protagonistes de l’époque) étant un moyen
d’inverser le déséquilibre social, redonnant crédit aux classes populaires. Hein avance que des aspirations
et pratiques de ce type restent inspirées par le DIY prenant l’exemple de communautés (ex communauté
punk indonésienne et leurs actions pédagogiques visant à l’émancipation)

Les guides DIY


L’auteur met en lumière des guides DIY créés et partagés par l’initiative punk, édités par des labels du
mouvement. Ces guides touchent l’ensemble des secteurs d’activité punk. Ces guides décrivent l’ensemble
du processus pour passer d’une idée à sa réalisation. Le punk rock n’en étant pas à l’origine mais
descendant des précurseurs, étant un groupe de rock des années 60’s, les Hollies. Mais c’est bien au sein de
la scène punk rock que ces guides connaissent leur essor. Le but étant la recherche d’alternatives au
capitalisme.

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« Le partage des savoir-faire, le refus d’une maximisation des profits, la dynamique


participative, l’aspiration au changement, l’accomplissement individuel et collectif,
les principes de justice sociale et économique sont au cœur de son programme. (le
guide Introductory Mechanic’s guide to Putting out Records)” p.76

La dématérialisation de ces guides a permis la distribution de ces ressources.

« Le guide pratique punk fonctionne ainsi comme un marqueur permettant aux


membres de la scène punk rock de se penser comme une communauté de moyens et de
fins. » p.78

Hein pointera ainsi cette « communauté de moyens et de fins » comme en mesure de se lier, de s’unir et
sont conscient de ce qui les distinguent des autres groupes sociaux. Cela ne va pas sans rappeler la
conscience de classe de Marx.

Punk et antisexisme
Hein distinguera un changement sur la scène punk rock, celle-ci passant d’asexuée vers une tendance
masculinisée. Cela n’enlevant rien au fait que la scène punk rock a ouvert ses portes d’emblée aux femmes,
permettant l’émergence de figures féminines influentes. Elles restaient néanmoins sous-représentées selon
l’auteur, et étaient déplorées le manque d’action du mouvement punk en faveur des causes féministes, mais
leur inclusion donnant confiance aux femmes dans leur élan. Le machisme n’épargne pas, malgré tout, la
scène punk, menant à l’émergence d’une parole féministe. Une série de groupes et de fanzines
exclusivement féminins donnent au punk une inflexion radicalement féministe (Riot Grrrl). Une lutte
contre le sexisme et les violences faites au femmes et pour le droit des femmes s’engage dans le début des
années 90. Les femmes participent à leur propre émancipation au sein du mouvement punk. Imposant des
concerts en non-mixité, une forme d’autonomisation radicale.

« A un déni d’intégration elles répondent par la constitution d’une communauté de


résistance. Ce faisant, elles initient une réflexion sur la domination masculine qui
sera très diversement appréciée au sein de la scène punk rock. » p.82

Soutenue par une partie des hommes de la scène punk, elles subiront les foudres d’une autre partie de
celle-ci. La scène punk n’est pas à l’abri du sexisme, renforçant la détermination des militantes féministes
punks. Elles s’affranchiront de toute caution masculine et en partageront l’exemple auprès des autres
femmes.

« Queer as punk »
Hein évoque les revendications aux causes lesbiennes, leurs objectifs différents de ceux des hommes gays,
et de ce fait, ne trouvaient pas satisfaction auprès des organisations communes. Le mouvement punk suit
les émeutes de Stonewall de près, les revendications liées au genre dans l’orientation et l’identité étant très
présentes. Hein utilisera des termes psychiatrisant comme « transsexuel » et mégenrera une figure
transgenre. La question queer émerge dans ce contexte. Hein définit le terme queer de l’époque comme
terme péjoratif pour les membres de la communauté LGBTQIA+. Au début des années 90 émerge une
petite industrie culturelle queer punk. Les acteurices se dirigent vers une activité d’information et
d’éducation, investi·es d’une fonction sociale.

« La dynamique punk rock renvoie invariablement à un processus de prise de


conscience indissociable d’un engagement DIY. » p.88

Prise de conscience et engagements politiques


Hein aborde les mouvements de contestation des années 60/70 et l’émergence des premiers mouvements
contre-culturels impliqués dans la prise de conscience collective de certaines inégalités et injustices

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sociales et politiques. L’auteur souligne que le punk n’était pas dans une démarche politique, sans
revendications ciblées et sans propositions derrière. C’est à l’aube des années 80 qu’apparaissent sur le
devant de la scène les « punks de gauche », affrontant les « punks de droite ».

« La grande affaire de la scène punk rock, c’est la mise en œuvre d’un processus
visant à produire des mutations de conscience, à infléchir des dispositions et, en
suscitant la coopération, en mettant en commun les ressources et en plaçant
l’indépendance au principe de l’action, à créer des expériences collectives inédites
qui se présentent comme autant d’espaces où peuvent se déployer des pratiques
artistiques e des modes de vie partiellement affranchis des tutelles extérieures. » p.93

Régime d’engagement et régimes d’action


Quatre grands types d’activités autodéterminées dans l’articulation du régime d’engagement DIY :
autoproduction, autodistribution, autopromotion et autogestion. Il parlerait plutôt de codétermination que
d’autodétermination car faire c’est faire ensemble. p.95 Hein définit le mécanisme en termes des mieux
dotés faisant profiter les moins dotés jusqu’à l’acquisition d’une certaine indépendance qui feront de même
avec les suivants. Activités non-lucratives, bénévolat...

« Les initiatives de ce type sont l’œuvre de réseaux affinitaires au sein desquels


l’amitié et la bienveillance occupent un rôle prépondérant. Elles permettent à ses
participants de s’y sentir à l’aise. De telles logiques de coopération ne sont possibles
que s’il existe, entre les membres de la communauté, un sentiment d’appartenance
commune et une certaine égalité de principe. » p.97

Le degré d’engagement serait plus important dans l’existence de la scène punk rock que le nombre de
membres, et son développement intensifierait le travail.

Autolimitations : le DIY et les sirènes du succès


Plusieurs autolimitations selon l’auteur.
1. Economique : Peu de moyens donc scène dépendante de la coopération.
2. Croissance de l’entreprise limité, faibles moyens = fort investissement personnel sans assurance
de réussite.
3. Indépendance comme valeur suprême dans une recherche de valeur et d’éthique, pouvant vite être
troqués face à un gros contrat. Ainsi le DIY peut être vu comme tremplin finissant par freiner la
progression.

Le punk rock, l’indépendance et le marché


Une dynamique contre-culturelle ?
La dynamique contre-culturelle viserait à transformer les modes de vie et de production en profondeur. Le
punk serait « devenu le système’ en intégrant des labels. A cela, des acteurs du mouvement punk ont créé
des labels promouvant la coopération et la confiance pour les franges les plus radicales de la scène punk
rock. Le but étant de propager des idées. Deux grands registres dans les débats sur l’authenticité de
l’entreprenariat punk. Le premier registre privilégiant les cadres de l’action et le DIY comme critère
principal d’authenticité. Hein reprendra Max Weber et parlera d’engagement « rationnel en valeur ».
Registre se voulant non-capitaliste, le DIY comme choix éthique. Dans ce cas de figure, toute dérogation
pourrait être interprété comme trahison. Dans le second registre, l’attachement à la musique punk prime.
DIY inévitable mais pas une fin en soi. Tremplin vers l’industrie musicale. Reprenant Weber, l’auteur
parle d’engagement « rationnel en finalité ». Dans ce registre, le réinvestissement des gains par des
moyens légitimés par la société dans la contre-culture serait leur forme d’investissement dans le

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mouvement punk, bien que controversé. Les deux registres s’opposent mais restent indissociables d’une
intense dynamique entrepreneuriale et économique.

Contre-culture ou contre-marché ?
Volonté d’organiser le travail de manière horizontale, pas de contrat, et circuit indépendant, ce modèle
d’intégrité reste couteux. Des entreprises comme Dischord se montrent indépendantes par choix, non pas
par défaut, ce qui vaut en retour une forte estime dans la communauté punk.

« L’intérêt de ces dynamiques est qu’elles se constituent en formes entrepreneuriales


alternatives dont la portée contre-culturelle tient, pour partie, à la création d’un
contre-marché, où si l’on préfère, un marché de niche. » p.113

Indépendance et autogestion plutôt qu’une acceptation de tutelle, coopération plutôt que concurrence, libre
partage de savoir-faire et démarche participative plutôt que quête personnelle du succès…

Autodéterminations punks
La scène DIY renverrait à trois grands types d’autodétermination.
1. Artistes punks échappant aux milieux indépendants pour rejoindre les majors (dénoncés comme
acte de trahison)
2. Réaction à cette forme d’absorption via une intransigeance anticapitaliste sans contre-proposition
constructive et réaliste bridant ainsi les possibilités de toute rémunération de travail et
amortissement des coûts.
3. Démarche sociale et solidaire ; l’homme avant le capital, buts non lucratifs, mise au service de
l’intérêt général, pratique de la délibération collective et démocratique.

Radicalités punks : entre pragmatisme et anarchie


Deux grands courants philosophiques traversant la scène punk : anarchiste ou libertaire sur la scène
continentale et pragmatiste sur la scène américaine. L’auteur vient faire la biographie de Penny Rimbaud et
son parcours universitaire en philosophie à laquelle il renonce. Hippie, puis punk, et créateur de Crass qui
a tiré sa révérence 7 ans plus tard. Hein citera la définition de l’anarchisme de l’ouvrage de Craig O’hara

« Pour Rimbaud et les siens, l’anarchisme se définit de la façon suivante :


« l’anarchie est la seule forme de pensée politique qui ne cherche pas à contrôler
l’individu par la force. L’anarchie rejette toute mainmise étatique. Elle représente la
revendication de l’individu à pouvoir mener la vie de son choix sans qu’elle dépende
d’aucune manœuvre politique. En refusant d’être dirigés, vous prenez votre vie en
main. Et plutôt que de réduire l’anarchie au chaos, c’est au contraire un début
d’ordre qui émerge. Par conséquent, l’état d’anarchie est loin d’être ce prétendu
fourre-tout chaotique où règne le chacun pour soi » - Craig O’Hara, The philosophy
of punk…, op, cit., p.83

Rimbaud est peint comme un indéfectible révolutionnaire.


On part aux USA rejoindre Ian MacKaye dont les parents sont hippies cultivés, Musicien depuis
l’adolescence, il souhaite vivre de la musique. Il verra l’autodiscipline comme permettant de développer
ses projets. Dynamique stoïcienne contraire à la dynamique anarchiste. La résistance commençant par se
maintenir soi-même. Et grande exigence personnelle pour agir sur la société. Il voit la musique comme une
fin en soi. Il ne souhaite pas détruire le système mais créer le sien, produire les conditions de l’autonomie
au niveau local. Le pragmatisme cherche les conditions d’une vie satisfaisante ici et maintenant. Forme
d’engagement en situation.

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Deux types de radicalités punks. La première utopiste, révolutionnaire ou insurrectionnelle. La seconde


pragmatique, réaliste et concrète. Les deux se voudraient une réponse à un sentiment d’impuissance
généralisé.

Les garants de l’orthodoxie punk


Hein reprend le théoricien culturaliste Stacy Thompson dans l’idée qu’au lieu d’avoir influencé des
acteurices du changement prêt·es à s’investir et créer, c’est plutôt une communauté de fans
consommateurices qui a vu le jour. Les artistes manquent de ressources et d’envie de faire par elleux-
même. Il mentionne les situationnistes ayant constaté les mêmes types de phénomènes en dérivant vers des
sectes. Segmentation en deux camps, l’un souhaite l’évolution du genre l’autre souhaite le conserver
comme tel. Il les désignera « progressistes » et « entrepreneurs de morale ». Certains groupes verseraient
parfois dans une forme de « fondamentalisme punk ». C’est quoi être un bon punk ? C’est quoi du vrai
punk rock ? Trop d’injonctions et de contradictions dans les buts et moyens. Le secret de la pérennité serait
ainsi à l’image du groupe Fugazi qui ne cherche pas à changer le monde mais créer les conditions d’un
changement et d’un accomplissement personnel.

Pratiques et conditions de l’indépendance


Hein prend l’exemple du groupe Fugazi refusant de signer auprès d’un label major un contrat de 10M$.
« L’ultra-indépendance » valorisée. L’éthique punk serait fondée sur l’indépendance et le DIY. On en
revient également au punk rock comme une fin en soi. Ethique de travail (allier excellence artistique et
rentabilité commerciale). Ethique de la frugalité (rentabilité économique absente des priorités).

Les modèles économiques dissonants de l’« industrie punk »


Hein met l’accent sur le fait que la scène punk rock est apparue et se développe dans une société capitaliste
et que les productions culturelles sont des marchandises. Leur mise sur le marché capitaliste n’a pas
d’alternative, même pour les punks les plus motivé·es. Ceci étant, ce n’est pas incompatible avec le régime
DIY. Ainsi, Hein citera

« il n’existe pas un mode unique d’organisation de l’économie, mais la coexistence


d’un ensemble hétérogène de formes de production et de répartition. » Cité dans
Frank Georgi, « L’autogestion utopie libertaire ou utopie libérale ? », in Michel
Margairaz, Danielle Tartakowsky (dir.), 1968, Entre libération et libéralisation, la
grande bifurcation, Rennes, PUR, coll « histoire », 2010, p.312

Deux grandes dynamiques dans les principaux modèles économiques de l’indépendance : Une dynamique
libérale – centrée sur le rendement. Une dynamique « libertaire » - centrée sur l’indépendance structurelle.
Bien que ces dynamiques semblent incompatibles, Fugazi et Dischord seraient l’exemple du contraire mais
restent des cas rares.

Vers une révolution sans illusion


Hein aborde la différence entre les modes de fonctionnements libertaires et libéraux. Les modes de
fonctionnement libertaire, il distingue les dimensions idéologique (pureté menant au sectarisme) et
pragmatique (‘engagement recherche », « révolution sans illusion », la création ici et maintenant des
condition). Les modes de fonctionnement libéral (celui des maisons de disques), Hein dira que les groupes
les adoptant n’en revendiquent pas moins le droit de se proclamer artisans du changement social. Point
important : ne pas négliger le réalisme de l’action. Son combat étant plus « conjoncturel » que
« structurel ».

Indépendance et « révolution par l’exemple »


Hein pointe du doigt le caractère exemplaire des modèles présentés précédemment. La capacité de ceux-ci
à démontrer la possibilité d’instaurer une nouvelle société basée sur l’entraide et l’auto-organisation au
sein même de l’ancienne de par l’autodétermination (codétermination). Bien qu’un indé atteignant des

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HEIN, Fabien. Do it Yourself! Autodétermination et culture punk. Le Passager clandestin., 2012.

résultats de majors risque de glisser dans la contemplation de soi. Hein utilisera l’individualisation de
Tocqueville.

« Créer son propre espace d’autonomie ne revient pas à s’affranchir de toute


dépendance et de toute contrainte. Cela consiste, au contraire, à déterminer autant
que possible ses propres dépendances et ses propres contraintes. En somme,
l’autonomie est relative, l’indépendance non. » p.143-146

« En combinant intérêt particulier et intérêt général, ce programme en deux temps


fonde, en quelque sorte, une indépendance inscrite dans la collectivité, à la fois
consciente de sa position (qu’elle entend préserver) et de son utilité (qu’elle entend
partager). Il s’en dégage des pratiques communautaires émancipatrices qui tranchent
très nettement avec l’ordre économique dominant. » p.146

Esprit du capitalisme punk


Fabien Hein ici met en lumière la situation de manque de modestie des Sex Pistols et leurs gains aberrants,
vendant même leur image à des grandes marques, nourrissant ainsi le capitalisme. Il en profitera pour
aborder le « revival », le retour de groupes et au lien entre la scène punk et la mode (ex de l’autre sangsue
de Vivienne Westwood). Les attributs culturels transformés en produits commerciaux. Tentation à laquelle
il devient difficile de résister. Il parle ainsi de la pratique de « l’endorsement » : Endorsement est un terme
anglophone qui désigne la technique marketing par laquelle une célébrité est choisie par une marque afin
de la soutenir dans ses différents engagements et actions de promotion. Ainsi, Hein nous fait un historique
de compréhension des dynamiques punk.

« Dans le nouvel esprit du capitalisme punk, le refus du capitalisme, c’est un look


« cool » participant d’un folklore « cool » ; la révolte contre l’ordre établi est un
slogan commercial ; l’émancipation sous forme d’engagement DIY a cédé la place
devant les attraits du statut de rockstar. » p.152

Hein remarque que cela concerne essentiellement le punk du monde occidental prenant ainsi l’exemple de
punks arrêtés en Indonésie en relevant des fonds pour des orphelins. La rébellion serait question de
contexte politique. Le détournement laissant place à la récupération. Il souligne que la conjoncture actuelle
serait propice à l’expérimentation de trajectoires artistiques et culturelles partiellement débarrassées des
rapports de subordination de l’industrie capitaliste.

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