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Une petite révolution dont le philosophe espagnol, considéré comme l’un des
penseurs contemporains les plus importants dans les études du genre, est l’un
des acteurs, lui l’ardent défenseur du « transféminisme », qu’il définit ainsi :
« Un projet politique non essentialiste, un féminisme radicalement élargi,
planétaire, anticolonial et écologique. »
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12/08/2021 Paul B. Preciado, la révolution du genre
Paul B. Preciado, chez lui à Paris, le 19 mai. Bettina Pittaluga pour M Le magazine du Monde.
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Ce sont ces jeunes gens, se définissant comme « trans FtM » (transgenre female-
to-male), « non-binaire » ou « queer », qui constituent le nouveau public de
Preciado et qui se pressent à ses dédicaces. Ces dernières années, ses ventes en
librairies ont franchi un palier : Un appartement sur Uranus (Grasset, 2019), le
recueil de ses chroniques parues dans Libération, et son essai Je suis un monstre
qui vous parle (Grasset, 2020) se sont écoulés à 14 000 et 12 000 exemplaires.
Une décennie plus tôt, Testo Junkie (Grasset, 2008) s’était vendu à 7 000
exemplaires.
C’est dans ce texte, qui vient d’être réédité en format poche, qu’il raconte, à la
première personne, sa transition de genre, lui qui a été « assigné femme » à la
naissance et qui a longtemps porté le prénom Beatriz (sous lequel il a signé trois
livres) avant d’obtenir un changement d’état civil en 2015. Le succès amène des
lecteurs à ses conférences, qui viennent l’écouter avec ferveur comme, hier,
d’autres allaient applaudir Roland Barthes au Collège de France ou Jacques
Lacan à l’Ecole normale supérieure. Ils boivent ses paroles et voient en lui et ses
écrits le symbole de ce qu’ils estiment être une révolution en cours. Un parcours
de vie, de l’underground au succès, qui se confond avec les mutations de
l’époque et l’émergence des questions de genre.
Lorsque Arte le contacte en 2020 pour lui proposer le tournage d’un film sur lui,
Preciado songe d’abord : « Over my dead body » (« plutôt mourir ») – car il parle,
écrit et rêve dans trois langues (le français, l’anglais et l’espagnol). Puis il se dit
que cette histoire existe déjà : c’est celle d’Orlando. De ce roman de Virginia
Woolf, paru en 1928, qui décrit un personnage qui traverse les sexes et les
siècles, et qu’il a découvert à 18 ans, Preciado dit : « C’est mon histoire. »
Orlando glisse entre les époques et les genres. Lui aussi. Beatriz, puis Paul. Paul
B., précisément, pour garder un peu de son prénom d’avant. Quand cette
question lui est posée, « mais qui êtes-vous ? », le philosophe affole en
répondant « une femme, une lesbienne, un homosexuel, un homme trans… tout
cela et rien de tout cela à la fois ». Lui se sent tranquille : il n’a pas la « folie de
l’identité ».
Écouter aussi | Paul B. Preciado : « Cette crise du Covid-19 a inventé un nouveau corps »
Paul B. Preciado ne rechigne pas à participer à des événements non mixtes, ces
réunions réservées aux femmes et que certains dénigrent, jugeant qu’il s’agit là
d’une forme d’hostilité envers les hommes. En juillet 2020, il a participé au
podcast « La Poudre », qui ne reçoit que des femmes. Ce sont des espaces où il se
sent bien : « Je me sens beaucoup plus proche des femmes, des corps qui ont été
assignés femmes à la naissance, des femmes trans ou bien des corps non
binaires », y expliquait-il.
Au cours de ces années, ils s’apportent des choses simples et cruciales. Preciado
lui suggère d’acheter un bureau pour travailler. Elle l’invite à renoncer à son
tourbillon d’engagements pour écrire. A Barcelone, où ils s’installent, ce sont
des années de création « intenses ». Ils écrivent beaucoup, se lisent et se
traduisent mutuellement. La fiction de l’une rencontre la théorie de l’autre. « Si
King Kong Théorie a eu autant d’impact en Amérique latine et en Espagne, c’est
grâce à la traduction de Paul et à sa personnalité. Il était connu dans ces pays, des
étudiants et des communautés queer autant dans les milieux de l’art que de la
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étudiants et des communautés queer, autant dans les milieux de l art que de la
philosophie », explique la romancière. Côté français, son aura a contribué à la
reconnaissance du travail du philosophe.
Leur histoire traverse toute l’œuvre de Preciado. Paul et Virginie, comme une
nouvelle politique de l’amour. Il a raconté la rencontre, le sexe, la fusion dans
Testo Junkie et leur rupture dans plusieurs de ses chroniques parues dans
Libération. Dans celle intitulée « Un amour de bibliothèque », publiée en
septembre 2019, il suggère que l’intensité des sentiments peut être mesurée par
la transformation que l’autre a provoquée dans notre bibliothèque personnelle.
« Si ça devait être cinématographique, c’est vraiment une image de ce qui nous est
arrivé : ma bibliothèque qui rentre dans la sienne », confirme Virginie Despentes.
« Mes petits amis disaient : “Il y a les filles, les garçons et toi.”
Ça dit tout de mon enfance », confie Paul B. Preciado
Avec lui, ses étudiants s’ouvrent à des autrices jamais traduites en France,
notamment Judith Butler (son livre majeur, Trouble dans le genre, ne paraît en
français, à La Découverte, qu’en 2005) et Donna Haraway (Manifeste cyborg et
autres essais, Exils, 2007).
Preciado lui-même ignorait leur existence avant son séjour américain, au début
des années 1990. Aux Etats-Unis, il ouvre des livres qui lui « sauvent la vie » :
Monique Wittig, Michel Foucault, Susan Sontag, Teresa de Lauretis. Il passe un
doctorat à Princeton, sur un campus qui, comme beaucoup d’autres du pays,
font la part belle aux penseurs français comme Jacques Derrida et aux études de
genre. Son premier essai, Le Manifeste contra-sexuel (Balland, 2000), pose les
bases de ce qui sera le travail de sa vie : les révolutions sexuelles et de genre à
venir.
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Paul B. Preciado, chez lui, à Paris, le 19 mai. Bettina Pittaluga pour M Le magazine du Monde
Plus tard, dans Testo Junkie, il dénonce ce qu’il nomme la « société pharmaco-
pornographique ». Pour le dire plus simplement, Preciado met le corps au centre
de son analyse. Il étudie le rôle que jouent les laboratoires pharmaceutiques,
essaie de comprendre comment naissent les stéréotypes physiques.
1990, autant que la guerre qui l’a opposée à Act Up concernant l’utilisation du
préservatif – l’éditeur et militant gay défendait le sexe sans capote. Preciado
l’écrit comme une lettre à son ami perdu qui ne la lira jamais. Avec, en exergue,
cette phrase tirée d’un livre de ce dernier, Dans ma chambre (P.O.L, 1996) : « Je vis
dans un monde où plein de choses que je pensais impossibles sont possibles. »
Paul Preciado était un gamin différent. « Mes petits amis disaient : “Il y a les filles,
les garçons et toi.” Ça dit tout de mon enfance. » Nourri de récits catholiques, il se
sentait proche des anges. Ces créatures sans sexe lui plaisaient. Mais, après sa
première communion, il perd la foi et comprend qu’il quittera Burgos. « Je suis
né dans une rhétorique identitaire forte et violente : les pauvres/les riches, les
hommes/les femmes. Enfin, les gitans et les homosexuels, dont on ne devait pas
parler. Vous êtes marqué par votre identité. » La sienne est un mystère pour les
autres.
Quand il annonce aimer les filles, il comprend qu’il doit se taire. Son père,
garagiste, et sa mère, couturière, ne comprennent pas. Sa grand-mère adorée
non plus, qui lui dit : « Ça n’est pas bien, Beatriz. » Les voisins, les professeurs et
les médecins ne le comprennent pas plus. De son enfance, il garde aussi la
douleur de s’être cru laid à cause d’une malformation congénitale des
mâchoires et des nombreuses d’opérations subies pour les réparer. « J’étais
considéré comme monstrueux. »
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Un jour, leur enfant a annoncé sa transidentité. Pour les familles, il a fallu tout changer
Face à cette violence, Paul B. Preciado s’émeut : « Je n’étais plus le philosophe qui
était en train de faire des expérimentations avec de la testostérone, se souvient-il.
C’est l’enfant qui avait grandi dans une culture fasciste qui a commencé à écrire en
moi. »
C’est cette voix qui lui dicte ses textes, parmi lesquels une chronique de 2014 qui
commençait par ces mots : « L’homosexualité est un sniper silencieux qui colle
une balle dans le cœur des enfants des cours de récréation. » Un texte écrit pour
les enfants qui « ont la poitrine qui brûle » au sein de familles qui les rejettent
pour ce qu’ils sont. Cet intérêt pour eux se manifeste par le temps qu’il continue
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Cette chronique, nombreux sont celles et ceux qui lui en parlent encore. Car La
Manif pour tous a, par un effet boomerang, redynamisé les communautés LGBT
+. Un nouveau militantisme est né. La question de la PMA a été au cœur des
débats. Et la situation des lesbiennes – longtemps invisibles dans le
mouvement, l’épidémie du sida ayant attiré les regards vers les homosexuels
hommes – a été révélée au grand jour. C’est cette nouvelle jeunesse du
mouvement LGBT + et cette féminisation des slogans qui participe à
l’émergence des questions de genre dans le débat public.
Un engagement artistique
Ces questions, Preciado ne les porte pas uniquement dans ses textes. Une part
importante de son activité se déroule dans les centres d’art où il est
commissaire d’exposition. Il a travaillé pour le Musée d’art contemporain de
Barcelone (Macba), pour le Musée Reina Sofia, à Madrid, et pour la Documenta
de Cassel, l’une des plus importantes manifestations d’art contemporain, qui se
tient tous les cinq ans en Allemagne. Travailler au sein des institutions, et non
en dehors, lui tient à cœur. « Après tout, le musée public est à la culture ce que
l’hôpital est à la santé », dit-il.
Son amie l’historienne de l’art Elisabeth Lebovici, qui fut journaliste à Libération
et militante chez Act Up-Paris, se souvient avoir été marquée par un séminaire à
Barcelone : « Il y avait une bande de gamins queer et trans dans le hall du Macba
qui buvaient des bières. Voir dans ce musée ce lien entre deux parties de ma vie
jusque-là séparées, d’un côté, le musée et, de l’autre, les bars et la boîte de nuit, m’a
bouleversée. Paul parvient à rendre le musée familier à tout le monde. » Preciado
veut s’inscrire dans l’histoire de l’art. A la photographe de M qui l’a shooté pour
cet article, il a demandé de recréer une photographie d’André Malraux, publiée à
l’occasion d’un essai fondateur de la discipline, Le Musée imaginaire.
L’intellectuel y apparaissait avec, au sol de son bureau, des dizaines de
reproductions d’œuvres.
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Paul B. Preciado, dans un hommage à André Malraux travaillant sur la création de son Musée imaginaire
photographié par Maurice Jarnoux. Bettina Pittaluga pour M Le magazine du Monde.
Malraux avait les livres et les musées. Preciado a aussi les plates-formes de son
époque. Récemment, il a participé à la mini-série Ouverture Of Something That
Never Ended, coréalisée par Gus Van Sant et Alessandro Michele, directeur
artistique de Gucci, et diffusée en ligne, dans laquelle il donne la réplique à
Silvia Calderoni, actrice et activiste intersexe italienne. Cette collaboration a fait
grincer certains de ses fans. Preciado vendu au monde du luxe ? S’il dit
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comprendre les critiques, il regrette cette vision naïve : « Le monde de l’art
contemporain est irrigué par l’argent de la mode. Il n’y a pas une exposition dans
un musée public parisien qui n’ait été montée par un géant du luxe », assure-t-il.
Polémique psychanalytique
Des artistes l’admirent, les militants queer le lisent, le citent, commentent ses
écrits, mais lui n’apparaît jamais à la télévision dans des panels où il serait
diamétralement opposé à d’autres, ne participe que peu aux joutes médiatiques
en vogue. Toutefois, il ne rechigne pas à s’aventurer hors de sa zone de confort.
L’un de ses faits d’armes les plus marquants a eu lieu le 17 novembre 2019,
devant 3 500 psychanalystes, réunis à Paris par l’Ecole de la cause freudienne
(ECF). Sur scène, il accuse la psychanalyse d’être la gardienne d’un ordre
patriarcal, hétérosexuel et colonial, en mettant en avant sa propre expérience
du divan : « C’est à partir de la position de malade mental où vous me renvoyez
que je m’adresse à vous. »
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Publiée sous le titre Je suis un monstre qui vous parle, cette intervention a
provoqué un petit séisme. « Il a plutôt l’habitude de parler à un public qui a envie
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de l’entendre, mais, dans cette salle, j’ai vraiment senti de l’hostilité », se souvient
son amie l’artiste Dominique Gonzalez-Foerster, qui l’accompagnait ce jour-là.
Une spectatrice a même hurlé : « C’est Hitler ! » Jacques-Alain Miller, fondateur
de l’ECF, soupire en évoquant cette fameuse intervention : « J’ai été l’élève de
Foucault, j’ai connu Deleuze. Ils étaient proches de Lacan avant de lancer leur
opération antipsychanalyse. Finalement, Preciado est pris dans les glaces du
début des années 1970. La nouveauté, c’est qu’il est trans. »
Les débats sont nombreux, l’époque est ponctuée de heurts. L’affirmation trans
est remise en cause par une partie des féministes, dont une mouvance, désignée
par l’acronyme Terfs (trans-exclusionary radical feminism, ou féminisme
excluant les femmes trans), estime que le militantisme trans cause un tort
important à la lutte pour les droits des « vraies femmes nées femmes ». Lui
continue de rêver à une société post-identitaire, où aucune définition, de genre
ou de sexualité, n’aurait d’importance. « Cela va peut-être prendre un siècle, mais
je suis persuadé que cela va arriver. »
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féminin ni masculin
Zineb Dryef
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