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Séance 4 créativité musicale de Wolfgang Amadeus Mozart à Comme l’explicite Nathalie Heinich dans Socio-

l’émergence de la bourgeoisie en tant que nouvelle logie de l’art (2004), la relation art-société peut être
IV : VOIR DU SOCIOLOGIQUE PARTOUT puissance culturelle. En fait, au XVIIIe siècle, les mu- appréhendée selon trois directions. Une première met
siciens, chefs et compositeurs restent des serviteurs en exergue la surdétermination extra-esthétique de
qui travaillent sur commande et doivent respecter les l’art. Dans cette veine, les marxistes font des créa-
Ce qui fait la singularité du sociologue, c’est qu’il canons musicaux fixés par leurs commanditaires : la tions artistiques le simple reflet des conditions socio-
voit la trace du social en toute chose. Y compris là où, noblesse. Or, du fait de ses nombreux voyages dans économiques liées au capitalisme. Une seconde orien-
au premier abord, le social ne devrait avoir que peu toute l’Europe et de multiples connaissances dans tation replace l'art et ses œuvres dans leur contexte
d’influence. Cela peut être illustré à partir de quelques l’univers musical, Wolfgang Amadeus Mozart est à social (comme les études sociohistoriques de Norbert
exemples. l’étroit dans les normes musicales établies par l’aris- Elias puis d’Harrrison et Cynthia Whyte). Le dernier
tocratie dont les goûts comme les mœurs lui semblent axe étudie l'art actuel comme société. Ici, le socio-
IVA : L’exemple de la sociologie du l’art obsolètes. Cela s’est traduit par des compositions mu- logue s’interroge sur la réception de l’art par le pu-
sicales qui bousculent les canons esthétiques comme blic (qui va au musée ?) ; sur les institutions artis-
IVA1 : Le génie de Mozart dans son contexte. la révolution bourgeoise bouscule les us et coutumes tiques de médiation (qui aide les artistes ?) ; sur la
Dans un recueil de texte intitulé Mozart, sociologie de l’Ancien régime. Enfin Norbert Elias note que morphologie socioprofessionnelle des artistes (de
d’un génie (1991), Norbert Elias critique les analyses Wolfgang Amadeus Mozart paie cher cette posture quoi est-elle faite : de professionnels, d’amateurs,
biographiques classiques qui font des artistes des qui ne l’autorise pas à faire carrière malgré son génie d’intermittents ?) ; sur les œuvres elles-mêmes en tant
êtres solitaires et exceptionnels déconnectés de toute et que cette insoumission aux normes de son temps que révélateurs de réalités sociales et collectives.
configuration [041] sociale. Et notamment les bio- est attribuable à la surprotection familiale dont il a été
graphes de Wolfgang Amadeus Mozart qui font de lui l’objet et qui l’empêche d’apercevoir les consé- IVB : L’exemple de la sociologie du goût. Dans
un enfant doué et prodige. L’analyse proposée par quences de ses choix. un ouvrage intitulé La Distinction. Critique sociale
Norbert Elias montre a contrario que le génie de ce du jugement (1979), Pierre Bourdieu montre que les
compositeur, aussi inspiré soit-il, n’est en rien étran- IVA2 : Eléments de sociologie de l’art. Harrison goûts ne sont pas neutres et laissent transparaitre
ger au contexte familial et sociopolitique dans lequel et Cynthia Whyte attribuent dans La Carrière des l’empreinte du social dans la mesure où ils sont en
il évolue. Il montre d’abord que si Wolfgang Ama- peintres du XIXe siècle (1965) l’avènement des im- corrélation avec les positions sociales des individus.
deus Mozart a très tôt manifesté des qualités excep- pressionnistes en France à trois mutations sociales.
tionnelles, c’est parce qu’il a bénéficié d’une éduca- D’abord d’ordre organisationnelle lorsqu’émerge le IVB1 : L’espace social. Le graphique ci-après
tion singulière. Son père est chef d’orchestre et il est marchand d’art indépendant. Ensuite d’ordre écono- présente l’espace des positions sociales et professions
plus facile de développer des talents musicaux lors- mique lorsque se multiplient les acheteurs d’art. En- catégories socioprofessionnelles définies par l’Insee.
que la musique, et les moyens d’en faire, sont omni- fin d’ordre technologique lorsque la peinture devient Y figurent les goûts culturels, alimentaires, musicaux,
présents au quotidien dès le plus jeune âge dans l’en- d’accès plus facile. Bref, si Claude Monet était né un sportifs, artistiques des Français interrogés dans les
vironnement familial. Ensuite, Norbert Elias réfère au siècle plus tôt, il n’aurait pas peint Les Nymphéas : les années 1970. En bas, se concentrent les goûts préférés
contexte sociopolitique de l’époque. Il associe la conditions sociales n’étant pas réalisées. des groupes sociaux faiblement dotés de capitaux. En

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haut, les goûts formulés par les groupes sociaux for- Maurice Ravel par les cadres moyens de la fonction IVB5 : Actualisation. Dans Les Métamorphoses de
tement dotés de capitaux. En haut à gauche, il y a les publique (instituteurs), Georges Bizet par les couches la distinction (2011), Philippe Coulangeon montre
goûts des personnes ayant des ressources plus cultu- moyennes détentrices de capitaux économiques (arti- que les observations de Pierre Bourdieu (faites il y a
relles qu’économiques. En haut à droite, c’est l’in- sans/commerçants). Les couches populaires et mo- un demi-siècle) restent valides. Le taux de fréquenta-
verse : ceux des individus dotés de ressources plutôt destes de la société ne manifestent pas autant d’intérêt tion des équipements culturels varie encore selon la
économiques que culturelles. Partant de là, il existe pour la musique classique. Ce qui les singularise, catégorie sociale d’appartenance et l’origine sociale
une homologie structurale entre les positions sociales c’est le goût pour la variété (Aznavour, Halliday). des personnes interrogées. Près d’un cadre supérieur
et les goûts. Tandis que leurs plaisirs se portent vers le bal popu- sur deux a fréquenté dans l’année au moins trois lieux
laire (associé à l’accordéon) ceux des positions supé- culturels contre un ouvrier sur vingt. Qui plus est, la
rieures se tournent vers le piano (associé au concert). différence se creuse entre 1973 à 2008. Pour ce qui
Il va de soi que ces corrélations ne révèlent que des est du pourcentage d’individus considérés comme
tendances et non un déterminisme [048]. Il ne faut pas grands lecteurs, en net recul dans tous les groupes
en déduire que tous les cadres supérieurs aiment la sociaux, il reste plus élévé en haut de l’échelle sociale
musique classique et que tous les ouvriers aiment la qu’en bas (33 % contre 7 %).
musique populaire.
IVC : L’exemple de la sociologie du prénom
IVB3 : Les goûts sportifs et la position sociale.
Il est de même des goûts en matière de sport. Le cy- L’intérêt de l’exemple du prénom est qu’il donne
clotourisme, la marche et la natation sont plutôt ap- à réfléchir sur la question du goût préalablement dé-
préciés par les couches supérieures cultivées puis le barrassé de la dimension du coût : choisir un prénom
golf et l’équitation par celles à fort capital écono- est gratuit ce qui n’est pas le cas d’une coupe de
mique. A contrario, la pétanque, le football et le champagne ou d’une place de concert. On doit à Phi-
rugby sont omniprésents dans la culture populaire. En lippe Besnard et Guy Desplanques (Un Prénom pour
tendance, les ouvriers préfèrent les pratiques collec- toujours : la cote des prénoms hier, aujourd’hui et de-
tives tandis que les couches supérieures développent main, 1986) d’avoir initié une réflexion sur ce point
des goûts pour les pratiques sportives individuelles. et à Baptiste Coulmont de nous proposer une synthèse
à ce sujet (Sociologie des prénoms, 2011). La dimen-
IVB4 : Les goûts pour les boissons alcoolisées ! sion sociologique du choix du prénom des enfants par
Le goût pour telle ou telle boisson alcoolisée présente les parents se repère de plusieurs manières.
IVB2 : Les goûts musicaux et l’espace des posi- également des corrélations avec la position sociale.
tions sociales. Pour ce qui est des goûts musicaux, Préférer le whisky et le champagne, à la bière ou au IVC1 : Prénom et citoyenneté. L’usage du pré-
Pierre Boulez est plutôt apprécié par les milieux su- pastis n’est pas neutre. nom s’inscrit d’abord dans une évolution sociopoli-
périeurs à fort capital culturel (cadres supérieurs), tique puisqu’il faut attendre la Révolution pour qu’il

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se développe en raison du souci de l’Etat de distinguer l’abandonnent. Cela dit, ce modèle de diffusion clas- entre le prénom et la réussite scolaire mais parce que
entre tous ses citoyens (entre père et fils notamment). sique perd de son pouvoir explicatif. En effet, les mi- le prénom est corrélé avec l’origine sociale que l’on
lieux populaires optent de plus en plus souvent pour sait déterminante pour la réussite scolaire.
IVC2 : Prénom : de la religion à la mode. Il est des prénoms qui n’émanent pas des choix adoptés
facile de noter que les références religieuses ne prési- avant eux par les couches supérieures puis moyennes IVD : L’exemple de la sociologie de la reli-
dent plus aujourd’hui au choix des prénoms de ses en- (par exemple Kévin). Inversement, les familles bour- gion.
fants. Puis d’une génération à l’autre, les goûts chan- geoises choisissent des prénoms qui sont peu repris
gent. Avant-hier les filles s’appellent Lisette ou Gi- par les milieux moyens et populaires (Bertrand par La religion [092] et la foi se prêtent à l’analyse
nette ; aujourd’hui, elles se prénomme Sarah ou Léa. exemple). On peut voir là un indicateur de fracture sociologique. Dès que les premiers sociologues ont
Au milieu du XXe siècle, nombre de garçons se pré- sociale (cf. complément de cours). cherché à comprendre le fonctionnement des sociétés,
nomment Michel ou Philippe tandis qu’au tournant du il leur a fallu traiter de la question religieuse.
XIXe, c’est Kévin ou Hugo qui plaisent aux parents. IVC4 : Le choix d’un prénom comme mar-
queur social. Le recul des Marie et des Joseph puis IVD1 : Religion et société chez Karl Marx. Karl
IVC3 : Diffusion sociale des prénoms à la le développement des Jamel et des Samia montrent Marx fait de la religion « l’opium du peuple » (Con-
mode. Il est intéressant d’observer comment se pro- que le prénom est un marqueur social. Ils sont le reflet tribution à la critique de la philosophie du droit de
page un prénom au sein des diverses couches de la de la sécularisation et du multiculturalisme de notre Hegel, 1998 [1ère édition 1843], p. 8). Pour lui, la pro-
société. Les société. L’expansion des prénoms mixtes (Camille messe d’une récompense divine pour ceux qui travail-
couches supé- par exemple) témoigne de l’évolution des rapports de lent dur sur Terre est une illusion qui ne sert qu’à dé-
rieures sont les genre. tourner les prolétaires du véritable fonctionnement de
plus promptes à la société reposant sur la lutte des classes et l’exploi-
lancer la mode IVC5 : Prénom, révolution et régionalisme. La tation des uns par les autres.
d’un prénom en sociologie des prénoms nous en dit long sur notre so-
choisissant un ciété et ses évolutions : de la propension à adopter un IVD2 : Religion et société chez Emile
prénom original prénom révolutionnaire vers 1794 à celle d’adopter, Durkheim. Moins connue est la thèse du sociologue
pour leurs en- en Bretagne, un prénom typiquement breton. Emile Durkheim énoncée dans Les Formes élémen-
fants et à re- taires de la vie religieuse (1912). Ce dernier pense
chercher ce faisant des marques distinctives. Elles IVC6 : Prénom et mention au baccalauréat. que la religion est une dimension essentielle des so-
sont suivies par les couches moyennes, les couches Enfin, les statistiques effectuées par Philippe Coul- ciétés. Loin d’être une force négative, elle remplit,
modestes et enfin les agriculteurs. On parle alors de mont montrent que les Louise, Alice et Paul sont sur- dans toutes les sociétés une fonction centrale. Le par-
diffusion verticale descendante des prénoms. Force représentés parmi les candidats obtenant une mention tage de croyances collectives, quelles qu’elles soient,
est également de constater qu’au fur et à mesure très bien au baccalauréat tandis que les Quentin, favorise le vivre ensemble. Pour Emile Durkheim, il
qu’un prénom se popularise les couches favorisées Océane et Maëva sont sous représentés. Tout ceci, n’existe pas de vie sociale possible sans religion.
non pas parce qu’il y a une relation de cause à effet

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IVD3 : Religion et société chez Max Weber. Le à une croyance que celle-ci soit fragile, douteuse être imputé soit à l’insignifiance du groupe qui, dans
sociologue allemand Max Weber considère avec sé- voire fausse. L’esprit a horreur du vide. ce cas, se révèle incapable d’intégrer la personne en
rieux la fonction socioéconomique jouée par la reli- souffrance dans un collectif de vie (défaut de sociali-
gion. A ceci près que tandis qu’Emile Durkheim IVD5 : Religion et opinion politique. Aussi, sation), soit, au contraire, à l’omniprésence du groupe
pense que la religion suit l’évolution de la société, pour un sociologue, une croyance religieuse ne tombe qui écrase la personne qui n’a alors d’autre option,
Max Weber pense, au contraire, que la religion con- pas du ciel. Elle est imbriquée dans un ensemble de pour lui échapper, que de se donner la mort (excès de
tribue à l’évolution de la société. En effet, ce dernier croyances plus larges dont elle ne peut être isolée. Il socialisation).
fait des croyances [044] et des pratiques religieuses suffit pour s’en convaincre de regarder les statistiques Lorsque Emile Durkheim étudie le suicide, il ne
le moteur de certains changements que connaissent post-électorales. Celles du second tour de la présiden- se contente pas d’analyser un cas particulier mais au
les sociétés (y compris les changements écono- tielle de 2017 fait état de fortes corrélations entre contraire, via l’outil statistique, il traque les récur-
miques). Dans L’Ethique protestante et l’esprit du ca- l’opinion politique et l’appartenance religieuse de rences observables sur un échantillon [022] représen-
pitalisme (1904/1905), il explique que l’éthique pro- même que le niveau de pratique religieuse. tatif et important de cas. « En effet, si, au lieu de n'y
testante (c’est-à-dire l’importance accordée à la va- voir que des événements particuliers, isolés les uns
leur travail, à la valeur discipline et à la valeur IVD6 : Croyance et pratique. Cela dit, ce qui ca- des autres et qui demandent à être examinés chacun
épargne) est à l’origine du développement du capita- ractérise le rapport à la religion dans la société fran- à part, on considère l'ensemble des suicides commis
lisme et de l’accumulation du capital dans les sociétés çaise, c’est le recul de la pratique. Pour ce qui est des dans une société donnée pendant une unité de temps
modernes. seuls catholiques, le taux de pratiquants est passé de donnée, on constate que le total ainsi obtenu n'est pas
25 % à 5 % de 1952 à 2006. une simple somme d'unités indépendantes, un tout de
IVD4 : Croyance et société. Pour ce qui est des collection, mais qu'il constitue par lui-même un fait
croyances religieuses, les sociologues ont remarqué IVE : L’exemple du suicide. nouveau et sui generis, qui a son unité et son indivi-
que, bien qu’elles soient personnelles et reposent sur dualité, sa nature propre par conséquent, et que, de
d’intimes convictions, elles sont largement partagées Pour terminer, on peut évoquer un exemple clas- plus, cette nature est éminemment sociale. » (p. 8).
et évolutives. Il existe trois manières de considérer so- sique qui fait référence à l’un des tous premiers livres
ciologiquement la croyance religieuse. D’abord l’ap- de sociologie écrits en France par Emile Durkheim :
proche culturaliste qui constate que les croyances Le Suicide. Etude de sociologie (1897). Plus que tout
s’imposent aux individus du fait de leur éducation. Il autre, cet ouvrage montre que la dimension sociale est
y a ensuite l’approche économique pour lequel l’en- présente en toute chose. Pour ce qui est du suicide,
semble des croyances constituent un marché où les qui réfère a priori davantage à des problématiques
acteurs viennent s’approvisionner en fonction de psychologiques ou médicales, le questionnement so-
leurs intérêts. Il y a enfin l’approche rationaliste chère ciologique n’est pas vain. Pour Emile Durkheim, le
au sociologue Raymond Boudon, pour lequel les in- suicide révèle la rupture du lien social entre l’individu
dividus ont toujours de « bonnes raisons » d’adhérer et son groupe d’appartenance (cf. complément de
cours). Sous cet angle, le suicide d’un individu peut

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