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Anthropologie urbaine : entre espace et société

L’anthropologie urbaine a éclaté, comme les autres domaines, anthropologie politique,


économique, religieuse, juridique, de la parenté. Je veux dire que son objet original, la ville
n’est plus et de loin l’objet principal des recherches aujourd’hui en anthropologie urbaine
mais elle n’en constitue que le cadre.

Un autre point : Les domaines de l’anthropologie restent attachés à des « aires culturelles ».
Dans le temps c’étaient les colonies qui déterminaient les terrains de choix des
anthropologues des diverses nationalités sauf pour l’anthropologie at home où les problèmes
sociaux prirent la relève. Aujourd’hui c’est encore largement le cas. C’est pourquoi
l’anthropologie urbaine est un thème développé avant tout aux Etats-Unis et en grande
Bretagne (avec l’exception de Balandier en Afrique déjà mentionnée) avec les thèmes
centraux de l’immigration et des minorités ethniques et raciales. La globalisation intéresse en
premier lieu des déracinés comme Appaduraï etc

Par ailleurs, qu’on le veuille ou non, l’anthropologie est encore fortement marquée par la
langue d’expression des ses auteurs et par leurs références culturelles « nationales ».
L’anthropologie anglo-saxonne fait peu mention des auteurs francophones et inversement.
Une étude sur le nombre et la date des ouvrages traduits soit en français soit en anglais (pour
ne prendre que ces deux références majeures) nous donnerait une bonne idée de phénomène.
C’est-à-dire que la date de la traduction marque l’importance accordée aux ouvrages.

Il est frappant de voir des auteurs français se poser la question de savoir si la France est en
retard sur la recherche anglo-saxonne. Je prends l’exemple de l’ouvrage classique d’un
anthropologue américain Ulf Hannerz dont l’ouvrage « Explorer la ville » a été marquant
dans les années 80. Dans l’introduction de la version française qui date de 1983, le traducteur
Joseph écrit p. 7 :

« Le nombre de travaux d’anthropologie urbaine que l’ouvrage d’Ulf Hannerz présente et


discute est impressionnant. Faut-il faire le compte de tous ceux que le public français
ignore ? de ceux qui ne sont pas traduits et de ceux qui sont quasiment absents des débats de
la recherche urbaine en France. Comment le résultat obtenu sera-t-il interprété : comme un
signe de provincialisme théorique ou comme une absence d’intérêt pour des problématiques
qui ont fait l’histoire de l’anthropologie anglo-saxonne ? »

Vous ne trouverez pas le nom de Hannerz dans le dictionnaire des anthropologues ni dans les
notions clefs. Mais un court article dans le dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie
(pour une fois plus complet)
Ulf Hannerz (Suède, 1942). Il a dirigé le département d'anthropologie
sociale de l'université de Stockholm, après avoir été successivement
enseignant et chercheur associé à l’université de Pittsburgh et à
l’université de Manchester. Il a travaillé au Nigeria et a consacré une
monographie à la ville de Kafauchan. Depuis ses premières publications en

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1967, Ulf Hannerz s’est intéressé aux problèmes méthodologiques en
anthropologie urbaine. Il a notamment publié en 1969 Soulside consacré
au ghetto noir de Washington.

Certains domaines sont nettement plus développés dans certaines « aires culturelles » et c’est
le cas de l’anthropologie urbaine, dans le monde anglo-saxon. Anne Raulin, auteur du manuel
d’anthropologie urbaine (Colin, 2001,2007) et professeur au Laboratoire d’anthropologie
urbaine à Paris a d’ailleurs fait sa thèse aux Etats-Unis ; mais son approche reste française
(historique), du moins dans la première partie puis sociologique.

1.- Anthropologie de la ville (histoire des sociétés urbaines) et anthropologie en ville (la
crise de l’anthropologie exotique et rurale et le mariage avec la sociologie)

Il est devenu classique d’opposer l’anthropologie de la ville à l’anthropologie en ville. La


première, l’anthropologie de la ville est ce que Anne Raulin présente dans les deux premières
parties de son livre : l’histoire et la naissance des villes d’une part, et ensuite un essai de
définition de ce qu’est la ville et l’urbain. A ce courant se rattachent les urbanistes, les
architectes, les historiens (Mumford sur l’origine ou la naissance de la ville) (Françoise
Choay : L’urbanisme, utopies et réalités, Seuil, 1965)

L’anthropologie en ville en revanche se penche sur des questions sociales propres à la ville
mais sans analyser la ville en tant qu’objet. Ce qui importe ici c’est le citadin, son
appartenance familiale, ethnique, sociale, son quartier, sa perception et son occupation de
l’espace. L’anthropologie sociale rejoint ici la sociologie

2.- La ville comme représentation/symbole

Il est possible aussi de considérer la ville comme une représentation sociale, comme
l’expression d’un imaginaire collectif (considéré comme représentatif d’une conception
politique de la ville). Ici interviendraient les conceptions de la ville en fonction d’une
idéologie ou de principes directeurs, conscients ou non. Je m’explique : la ville peut donner
lieu à un décryptage symbolique. L’organisation spatiale, notamment la présence de bâtiments
ou de monuments symboliques publics (institutions de l’Etat, Temples etc) permet de lire les
« valeurs » d’une ville. Entre urbanisation consciente (planifiée par l’Etat) et marquage
sociaux changeants des quartiers, il est possible de reconstituer une « idéologie » de la ville,
dans n’importe quelle partie du globe et contexte historico-politique. Cité grecque, cités
utopiques (Cabet, Fourrier, mais également cité médiévale, de la Renaissance, cité des
Lumières, cité bourgeoise et industrielle ; Plus récemment les anthropologues se son penchés
sur les villes dans l’ancien espace soviétique (avec leur type d’urbanisation), les villes
symbolisant la force de l’économie (Hong Kong) économiques etc voire sur les villes comme
illustration des relations interculturelles (Giordano)

3.- La ville comme organisation sociale et culturelle de l’espace

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Proche de cette conception imaginaire et symbolique, on pourra trouver dans l’analyse de la
ville une projection sociale en fonction de l’occupation des divers lieux : centre et périphérie,
quartiers nobles et quartiers chics, banlieues résidentielles et banlieues d’immigrés. Ici
l’accent est sociologique voire politique : l’école marxiste française trouve sa place ici avec
les travaux de Lefèvre (Le droit à la ville, 1968), les premiers travaux de Castells (La question
urbaine, 1972) entre autres: on veut lire dans les villes la lutte des classes et l’exclusion des
prolétaires au profit des classes dominantes la marginalisation des immigrés etc.)

On peut y inclure aussi des études sociologiques quasi phénoménologique indirectement liées
à la ville comme « l’invention du quotidien » de Michel de Certeau (chapitre VII Marche dans
la ville).

Ce thème a également retenu l’attention de l’anthropologie culturelle et de l’éthologie :


l’espace étant perçu à travers des schèmes biologiques et culturels il faut tenir compte de
ceux-ci dans les projets d’urbanisation ou même de constructions de logements et de
bâtiments publics. Des auteurs comme E.T. Hall dans un livre intitulé « La dimension
cachée », s’intéresse à la diversité des perceptions de l’espace et à l’aspect culturellement
relatif de la proximité (distance qu’observent les différentes « cultures » dans les rapports
sociaux, tolérance à la promiscuité et effet de celle-ci etc.) Dans un chapitre consacré à villes
et cultures il interprète en termes culturels les oppositions que les sociologues interprètent en
termes de classes sociales (par exemple les Noirs américains). De même il interprète les
problèmes « sociaux » urbains en termes de maladies psychosociales dues au déracinement
des nouveaux habitants qui ne trouvent plus leurs repères spatiaux (surpeuplement, stress,
empilement vertical etc)

4.- La ville comme lieu d’observation anthropologique : la naissance de l’anthropologie


urbaine

Jusqu’ici cependant nous n’avons pas affaire à une discipline bien distincte : il s’agit de faire
l’histoire des villes, un inventaire de leur symbolisme, une sociologie (politique),
éventuellement culturaliste de leurs espaces.

Pour que naisse véritablement l’anthropologie urbaine, il a fallu que la ville soit prise non plus
comme objet mais comme terrain : donc une anthropologie dans la ville. J’ai déjà eu
l’occasion d’évoquer avec Balandier notamment, le fait que la ville apparaît comme le lieu du
changement et stimule les anthropologues à pratiquer l’anthropologie du changement social
plutôt que celle de sociétés ou d’ethnies que l’on pensait figées et hermétiques.

On peut considérer l’anthropologie urbaine aussi bien comme un « progrès » une ouverture
vers de nouveaux terrains anthropologiques que comme un refuge obligé, un repli, pour ceux
qui voyaient disparaître leur terrain rural ou exotique.
En effet, l’anthropologie urbaine n’est pas ou n’est plus l’opposé de l’anthropologie rurale,
comme la société primitive était l’opposé de la société civilisée ou moderne. Ce qui importe

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c’est de voir quels sont les objets qui retiennent l’attention des anthropologues urbains : la
plupart du temps ce sont des groupes marginaux, défavorisés, minorités ethniques,
délinquants. On peut rattacher ce tournant sociologique, voire humanitaire, à deux attitudes, à
mon avis : premièrement la récupération de l’exotisme abandonné – et ce sujet mériterait un
long développement sur les relations entre anthropologie, développement et travail
humanitaire car il fait apparaître un nouveau Grand Partage entre nous et les autres, sur un
mode certes post-colonial, mais où de nombreuses idées, présentes dans la pensée coloniale,
comme précisément celle du développement, ressurgissent. Mais, ironie du sort,
l’anthropologie urbaine illustre également le transfert en Occident des problèmes attribués
jusque-là au Tiers Monde : mégapoles insalubres, bidons-villes, chômage, délinquance,
corruption etc…

Quant à l’anthropologie de l’espace, elle est évidemment liée aussi à l’anthropologie urbaine
mais elle déborde celle-ci : de nouvelles études (anglophones) sont ainsi consacrées à l’espace
et au lieu « Space and Place » tel ce Reader qui porte ce nom : the anthropology of space and
place avec les thèmes classiques désormais de centre-périphérie, espace et genre, espaces
contestés, espaces transnationaux etc…

5.-Revenons au champ classique de l’anthropologie urbaine et de son histoire, en isolant


3 volets : l’école de Chicago, l’école de Manchester et l’école post-moderne ou de la
communication et des réseaux à laquelle est attaché le nom de M. Castells

 L’école de Chicago

Elle doit son nom simplement au fait que des sociologues de cette ville ont été les
premiers, dans les 30 premières années du 20 e siècle à faire des études dans le milieu
urbain et à considérer ce milieu comme un système ou un organisme avec sa propre
logique (fonctionnalisme) constituant un milieu (écologie urbaine : milieu déterminant),
empruntant (une fois de plus) un modèle aux sciences naturelles (pp. 70 ss.
Raulin/Hannerz : 36-83). Ces chercheurs ne sont pas passibles de la critique que l’on peut
faire aux anthropologues exotiques repentis car ils ont commencé leurs recherches bien
avant la décolonisation. Ainsi bien avant l’anthropologie dynamique de Balandier, les
sociologues de Chicago considèrent la ville comme le lieu du changement A noter que la
ville de Chicago est une des premières à connaître aux Etats-Unis des manifestations de
rue, des revendications sociales et que la recherche se concentre sur les effets pervers de la
société industrielle.

Les noms de R. Park et W. Thomas sont attachés à cette école. Les objets de leurs études
vont des fumeries d’opium aux maisons de jeux, avec en arrière fond la recherche sur les
relations inter-raciales comme on dit aux USA ou des maux sociaux comme l’alcoolisme
etc. Ils procèdent à des analyses microsociales dans les quartiers des villes.

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La révolution méthodologique consiste à utiliser des documents produits par la population
concernée : notes, documents, autobiographies ou rapports de personnes en contact avec
cette population (médecins, travailleurs sociaux). Le goupe cible est généralement les
communautés d’immigrés mais aussi des corps de profession (H p. 43) En ce qui concerne
la ville de Chicago c’est E. Burgess qui développera le fameux schéma reproduit partout
(Raulin p. 73) qui fait apparaître des aires concentriques.

Une autre figure classique de cette école est le Hobo de N. Anderson (1923) : il s’agit
d’un travailleur migrant, né aux Etats-Unis mais qui se déplace dans tout le pays (symbole
repris souvent dans la littérature ou le cinéma). Ici c’est bien évidemment la mobilité le
nomadisme qui compte et qui est étudiée mais au moyen de l’observation participante. Lié
au hobo les sans abris. Tous ces thèmes ont le voit apparaissent bien plus tard dans les
recherches européennes. D’autres groupes plus fréquemment étudiés par la sociologie
urbaine sont les gangs ou les bandes. D’autres thèmes encore comme chez Raulin, les
minorités et les ghettos (Titre de l’ouvrage de L. Wirth (1928 traduit en français en 1980
seulement !)

On comprend ainsi mieux pourquoi l’anthropologie urbaine reste si longtemps marginale


en Europe : en partie parce que les phénomènes qu’elle étudie n’y apparaissent pas encore,
en partie parce que ce n’est pas un objet classique pour les anthropologues européens
jusqu’à la décolonisation. Les récits de vie vont également occuper ce domaine (Gaston
Lucas serrurier etc)

Les marginaux, les nomades, les sans abris, les « damnés de la terre » : C’est en gros
l’orientation de l’école dite de Chicago.

Mais à un niveau encore plus petit, microsocial, on verra dans la ville le lieu d’interactions et
de mises en scène. Ici nous abordons l’école de Manchester

En fait on ne devrait pas être surpris de voir que les diverses approches socio-
anthropologiques de la ville recoupent les diverses approches que les sciences sociales ont
adoptées : on peut la concevoir comme un organisme clos en soi, du point de vue écologique
aussi bien que du point de vue sociologique dont va étudier le fonctionnement interne ; on
peut aussi la considérer au contraire du point de vue de ses habitants et de ses habitants
individuels et des relations sociales qu’ils vont établir entre eux.

Le refus de considérer la ville comme un tout signifiant et définissable peut-être mis en


parallèle avec la critique de l’essentialisme des cultures : ainsi n’acceptera-t-on plus de parler
d’une ville musulmane, ou d’une ville américaine, sauf dans les milieux urbanistiques ou celui
des cultural studies. L’opposition même ville-non ville ou ville campagne est remise en doute

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ne serait-ce que dans des sociétés où la ville ne signifie pas industrialisation comme en Inde
par exemple (Hannerz 104) : ce qui donnera lieu à des études historiques (économiques et
sociologiques) des villes pré-indistrielles et également non européennes : on pourrait ainsi
distinguer grosso modo des villes échanges (marchandes) et des villes pouvoir (capitale) mais
à cette opposition grossière il faut amener des nuances relatives au rôle de la religion et de
l’armée (132) sur les transformations urbaines.

A un niveau encore plus petit, microsocial, certains veulent voir dans la ville le lieu
d’interactions et de mises en scène et de jeux de rôle. Non plus les rôles sociaux de la ville
mais le rôle des acteurs sociaux.(146)
Avant d’aborder la contribution de l’école de Manchester à l’anthropologie urbaine il
convient de dire un mot de Goffman et de ses études « interactionnistes »
Goffmann est issu de l’école de Chicago mais il se singularise par sa façon d’aborder les
relations sociales comme un rituel et une dramaturgie : c’est-à-dire au niveau individuel ou
micro-social ce que d’autres ont étudié au niveau des institutions : liturgies politiques, rituels
du sport etc.(cf. Rivière, Bromberger)

Ici nous sommes à mi-chemin entre la psychologie et la socio-anthropologie, et comme avec


Hall mais sans essentialisme culturaliste, proche de l’étude des comportements humains sur le
modèle de l’éthologie animale.

The Presentation of Self in Everyday Life (1959) est peut être avec Stigma (1963) Goffman,
Erving. Stigma. Prentice-Hall: Englewood Cliffs, New Jersey, 1963 son oeuvre la plus
caractéristique. Comme on peut voir l’anthropologie oscille constamment entre psychologie et
sociologie, entre approche institutionnelle/catégorielle et approche individuelle, celle-ci
débouchera sur l’idée des stratégies identitaires, de comportements symboliques, venant
remplacer les approches déterministes culturalistes ou marxistes ou simplement économistes
positivistes

L’école de Manchester

Nous abordons maintenant l’école de Manchester qui précisément doit ses lettres de noblesse
à des études fouillées faites dans les années 40-50 par des sud-africains sur et dans les villes
de la Province du Copperbelt de Zambie, nées à la suite de l’exploitation minière, (155) ainsi
que grâce aux études faites sur les villes africaines traditionnelles et coloniales de cette
époque de la fin de l’empire britannique.

Max Gluckman (168) né en 1911à Johannesburg est un africain du sud mais qui fait ses
études à Oxford (de même que Kuper ; voir Kuper chap. 6 anthr. britannique). Un peu comme
avec Balandier nous avons affaire ici à des anthropologues qui vivent sur leur terrain tout en
ayant des rapports étroits avec les métropoles (on est au début de la décolonisation). Revenu
d’Angleterre il dirige brièvement l’institut Rhodes-Livingstone en Rhodésie du Nord
(Zambie) et lance un ambitieux programme de recherche sur la modernisation et ses effets sur
la société indigène. Cependant il est nommé à Manchester en 1947 et va établir des liens

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durables entres les deux instituts ce qui permettra à de nombreux chercheurs de l’université de
Manchester (comme par exemple Victor Turner qui s’occupe entre autres d’anthropologie
religieuse : rituels d’affliction chez les Ndembu) de faire leur terrain en Afrique centrale et de
constituer l’école de Manchester. Cette école se distingue de l’école structuro-fonctionnaliste
dans la mesure où, sous l’influence de la dimension sociologique et urbaine, elle prend en
compte justement le changement ou l’acculturation. Une des caractéristiques méthodologique
consiste à partir de cas concrets pour ensuite procéder à l’interprétation : une manifestation
particulière, comme on dit un case study à partir duquel on procède à l’interprétation plus
générale de l’organisation sociale ; une autre c’est d’en montrer les caractères dynamiques (on
pensera ici plutôt à Roger Bastide) qui requiert des études de longue durée.

(Lire l’exemple qui concerne le successeur de Gluckman à la tête de l’institut


Mitchell p. 173 (H)

Ce genre de phénomène est justement également observé au Brésil par Bastide ou dans le
cadre du vaudou en Haïti par Mettraux et d’autres. Mentionnons également le film de Jean
Rouch sur ces phénomènes d’acculturation qui expriment comment les populations indigènes
interprètent la colonisation. On pensera également aux cultes du Cargo en Mélanésie qui
rapportent des réactions analogues.

On voit bien à partir de ces exemples que ce n’est plus la ville qui est l’objet de
l’anthropologie urbaine mais bien la vie sociale en ville.

La naissance de l’anthropologie des réseaux

Dans l’Ecole de Manchester, on privilégiait plutôt l’exploration de relations personnelles, en


un sens spécifique, celui des relations de face à face qui pourrait être en contradiction avec
celles qu’établissent les frontières catégorielles et normatives, formelles Ce tournant,
redonnant de la valeur aux comportements individuels a rassemblé de nombreux adeptes
critiques vis-à-vis des « macro-catégories » de la sociologie et de l’anthroplogie. L’idée est de
renverser la logique habituelle des sciences sociales, de manière à reconstruire les catégories
sociologiques (comme les classes, les strates…) et les groupes catégoriels (professionnels) à
partir des relations entre les acteurs sociaux ou les institutions. Au lieu donc de commencer
avec une classification a priori du monde social dans un ensemble fini de catégories, on
adopte une stratégie inverse : on commence par observer un ensemble des relations puis on en
dériver une typologie et une carte de la structure des groupes (adapté de Eve, p. 186, cite
Berkowitz, An introduction to Structural Analysis. The Network Approach to Social Research,
Toronto, Butterworths, 1988). Dans le cas des migrants par exemple cette approche va
s’intéresser aux liens réels entre les migrants plutôt qu’aux liens qu’ils sont censés avoir de
par leur statut ou leur lieu de résidence en ville. On s’aperçoit ce faisant que les liens sont
multiples et plus complexes que prévu.

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Très vite on distingua plusieurs types de rapports sociaux qui allaient permettre d’identifier
les réseaux du point de vue de l’individu: des rapports catégoriels (ethnie, profession par
exemple), structurels (classe sociale, organisation du travail, NGO, association) et personnels
(bandes, lieu d’origine etc).

Les chercheurs tâchent aussi de tenir compte des facteurs externes dans l’établissement de ces
relations comme l’impact de l’économie, la politique, facteurs que ne prennent pas en compte
les community studies qui pensent en termes de microcosmes fermés.

Les réseaux et la ville: si le nom de Castells vient immédiatement à l’esprit lorsqu’on parle de
réseaux il faut se rappeler que cette façon de concevoir la ville ou plutôt d’étudier le milieu
urbain est déjà ancien puisqu’il date des années 50-60 du 20 e s. Les réseaux évidemment ne
concernent pas seulement la ville mais interviennent déjà dans les relations de parenté. Les
réseaux permettent de retrouver des liens sociaux là où ils semblent avoir disparu ou du moins
être devenus invisibles. Ainsi dans une société démocratique et en ville encore davantage, les
apparences extérieures laissent à penser qu’il existe des individus isolés qui tentent de
s’adapter à un milieu commun ou des groupes compacts et homogènes qui refusent de
s’adapter. Mais plus encore dans des contextes de mobilité transnationale et de la
mondialisation, les repères et catégories traditionnels des sciences sociales s’effacent. On l’a
bien vu avec la notion de culture qui tend à enfermer les individus dans une identité
collective. Or aujourd’hui le brassage et la mobilité font que plutôt que d’identités fixes et
« identifiables » on parlera plutôt de construction d’identités ou de stratégies identitaires
correspondant à des rôles qu’un individu est amené à jouer. Les réseaux sont un moyen de
situer l’individu de manière transversale, à travers sa famille, son identité ethno-culturelle, ses
lieux de résidences etc (d’où tous les thèmes de recherche comme : migrations, diaspora,
communautés transnationales, réseaux marchands etc..

« Irrespectueuse des frontières conventionnelles, l’analyse des réseaux peut ainsi contribuer à
donner une vision cohérente d’une structure sociale différenciée » (H 222)

Toutefois Hannerz nous met en garde contre l’abus de l’usage du mot réseau qui peut n’être
qu’une simple métaphore. Il tient aussi à montrer le lien entre le recours à ce concept et
l’école de Manchester.

(Lire 226 ) « Pour les chercheurs de Manchester, l’analyse des réseaux s’inscrivait
naturellement dans une tradition qui s’attachait à prendre en compte les données fournies par
les documents individuels [rappelons nous que c’était aussi un des apports majeurs de l’école
de Chicago que de prendre en considération des documents personnels], tradition qui avait
abouti à des études de cas prolongées et à des analyses de situation ; l’analyse des réseaux
semblait pouvoir donner à cette tradition une plus grande rigueur descriptive »

Or selon Hannerz il y a deux manières de concevoir utilement ces réseaux : soit à partir d’un
individu, soit à partir d’un thème (politique, affectif, etc…).

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Cependant on voit par l’exemple de ceux qui ont essayé d’appliquer systématiquement cette
approche à quel point il est difficile d’analyser un réseau complet pour des raisons
simplement quantitatives du nombre d’enquête qu’il faudrait mener pour aboutir à des
résultats sérieux.

Que conclure alors ?


Il me semble évident que d’un côté l’approche macro et culturaliste de l’anthropologie
urbaine échoue à faire apparaître les variantes et trajectoires individuelles tandis que les
approches micro n’arrivent pas à démarrer faute de méthodologie adaptée à la complexité des
réseaux relationnels.

Il reste que l’analyse des réseaux peut-être intéressante dans des cas particuliers, comme les
sociétés parallèles, le clientélisme, la maffia, les compétitions politiques etc. Mais nous ne
sommes plus ici nécessairement dans le domaine de l’anthropologie urbaine!

Je terminerai avec deux considérations : l’anthropologie urbaine avait établi quelques points
particuliers comme l’anonymat des villes, la détribalisation puis retribalisation qu’on peut y
observer ; on y étudie particulièrement les relations interculturelles, mais on peut se demander
si, au vu de la rurbanisation, de la mobilité des personnes, cette catégorie a encore un sens.
Une autre considération rejoint celle-ci : au moment où les moyens de communication
contribuent à effacer les frontières, qu’il s’agisse de moyens réels ou virtuels, on peut se
demander à plus forte raison si l’anthropologie urbaine présente encore en tant que sous-
discipline, un intérêt ? C’est la conclusion de Michel Agier (Les savoirs urbains de
l’anthropologie (2008 Enquête/4 35-58).

Cela m’amène enfin au développement de l’anthropologie urbaine considérée d’un point de


vue macro-socio-économique telle que la pratique Castells dans le contexte de la
mondialisation, avec un concept essentiel celui de « l’espace des flux (space of flows) ». Ce
concept vise à décrire l’effet dans l’organisation de l’espace des industries de service de
pointe « qui dans un même temps, concentrent certaines de leurs activités en en décentralisant
d’autres tout en maintenant les relations entre les diverses entités par les systèmes de
communication électronique.

Castells commence par une approche marxiste de la sociologie urbaine et par l’étude des
mouvements sociaux. Mais dès les années 80 il investigue un nouveau thème, celui des
rapports entre innovations, nouvelles technologies et territoires. Plus proche de l’économie
que de la sociologie ses nouvelles recherches se basent sur ses séjours dans les zones urbaines
« de pointe » Silicon Valley, Hong Kong, le Japon et bien sûr le passage obligé par la
Californie (Berkeley)

Le point central de ces études est de montrer une déconnexion entre l’espace et urbain et la
vie de ceux qui y habitent : le sujet est traité dans un ouvrage publié en 1989 nommé The
informational City

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(Lire 167 et ou 166)

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