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Introduction :
« Tous les goûts sont dans la nature » ; ce dicton affirme ainsi que le goût n’est pas
une construction sociale mais inné à l’humain en tant qu’être. La musique est d’abord un art.
Mais en tant qu’objet d’étude sociologique nous pouvons lui trouver une double fonction :
c’est un moyen de communication qui permet de renforcer l'appartenance à un groupe social
mais aussi de se construire une identité individuelle. Cependant, les goûts musicaux sont
souvent associés à des stéréotypes sociaux et à des stratégies de distinction.
Nous montrerons d’abord en quoi les goûts musicaux sont une construction complexe,
faite de conformisme et de distinction sociale. Nous analyserons ensuite la fragmentation
sociale qui peut en résulter. Nous présenterons enfin une enquête critique réalisée dans le but
d’approfondir cette problématique.
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I/ Entre conformisme et distinction
Cette notion de goût fait référence aux préférences et aux choix esthétiques des
individus. Selon Bourdieu (La Distinction, 1979), les goûts sont influencés par l’habitus, qui
est une manière de penser ou de se comporter qui est transmise très tôt et de façon plus ou
moins consciente par son milieu familial. Les goûts ne sont donc pas seulement de nature, ou
faits de choix individuels, mais ils sont influencés par des normes sociales et des pratiques
culturelles qui existent au sein des groupes sociaux.
Dans son article « La tablature des goûts musicaux : un modèle de structuration des
préférences et des jugements », Hervé Glevarec et Michel Pinet mettent en œuvre les chiffres
de l’enquête sur les pratiques culturelles de Muller, en 2003. Ces différents tableaux montrent
les distinctions des goûts musicaux en fonction de plusieurs critères sociaux. Les deux
tableaux ci-dessous montrent certains de ces critères : le premier tableau, selon l’âge et les
années, et le second, selon des critères sociaux plus précis, le genre, âge, fonction, niveau
d’étude. Il est ainsi déjà possible de constater que l’étude des goûts musicaux des jeunes est
importante à étudier, car entre 15 et 24 ans, ce sont ceux qui ont la pratique d’écoute musicale
la plus importante (seuls 6% n’écoutent pas de musique). On peut également voir que les
jeunes sont ceux qui ont des goûts plus spécifiques que les autres catégories d’âges : 82.3%
des 15-19 ans écoutent du rock’n’roll en 2003, cette concentration révèle un effet de masse,
de mode.
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TABLEAU I – Evolution de l’écoute des genres musicaux selon l’âge
Le second tableau nous montre également que le goût pour la musique classique est très
marqué socialement : elle est plébiscitée par les cadres supérieurs (51%) et rejetée par les agriculteurs
(seuls 7% en écoutent). La même divergence relie cette écoute de la musique classique au niveau de
diplôme, témoignant qu’il faut pour l’apprécier se sentir à l’aise avec ce que Bourdieu appelle « la
culture cultivée », c’est-à-dire reconnue comme telle par les classes supérieures.
TABLEAU II – La distribution des genres musicaux écoutés le plus souvent en 1973
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Nathalie Heinich, dans son livre La sociologie de l’art, avance elle aussi que les goûts
musicaux sont influencés par la position sociale des individus. Dans son livre, elle fait
l’hypothèse que « les appréciations esthétiques sont liées à des différences de classement
social, de capital culturel, de rapport à l’institution scolaire et aux modes de vie qui y sont
associés ». Selon elle, les goûts musicaux sont un moyen pour les individus de se différencier
socialement et de montrer leur appartenance à un groupe social particulier. Elle affirme ainsi
que les goûts musicaux sont important pour se reconnaitre entre leur pairs.
Dans cet article, Hervé Glevarec et Michel Pinet proposent une réflexion sur la
manière dont les goûts musicaux sont structurés. Les auteurs expliquent que les goûts
musicaux sont le produit de multiples facteurs, parmi lesquels figurent la socialisation,
l’expérience, les conditions d’écoute ou encore les interactions avec d’autres individus. Ils
montrent que les préférences musicales des jeunes sont structurée dans ce qu’ils appellent
« un modèle en tablature », c’est-à-dire qui consiste en une organisation hiérarchique des
genres et des artistes en fonction de leur degré de valeur, évaluées par les individus sur les
différents styles musicaux et les artistes qui les représentent. Les auteurs soulignent que ce
modèle est en constante évolution, fortement influencé par les transformations sociales et
culturelles.
Bien que Glevarec et Pinet insistent davantage sur le rôle des interactions, les
arguments des 3 sociologues convergent sur le fait que les goûts musicaux ne sont pas des
choix individuels mais influencés par la société. Cependant, l’inverse est également vrai : les
humains cherchent à construire leur individualité dans leur goûts musicaux.
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II/ Les goûts musicaux participent à la fragmentation sociale
Nous pouvons donc constater que non seulement cette distinction sociale des goûts
musicaux existe bel et bien mais qu’elle concourt à fragmenter la société. Les goût musicaux
contribuent au processus de regroupements d’individus appartenant aux même groupes
sociaux. La fragmentation des goûts musicaux est un phénomène qui prend une ampleur plus
importante aujourd’hui. Les choix musicaux des jeunes se sont diversifiés, avec l’apparition
de nouveaux genres musicaux et de nouvelles formes de consommation musicale, telles que
les plateformes de streaming en ligne. Le streaming de masse, par rapport au CD, enferme
l’individu dans son groupe social, dans un style musical. Il voit des morceaux proposés
automatiquement par des algorithmes en fonction des choix précédent, cela ne fait que rendre
plus difficile une potentielle déviance de son groupe. Cette fragmentation peut avoir des
conséquences culturelles importantes, notamment en ce qui concerne «l’entre-soi culturel ».
Dans son article intitulé « Le groove ou la culture de l’entre-soi », Karim Hammou
explore la notion de groove dans la musique populaire et les implications culturelles de cette
idée. Le groove est définit par l’auteur comme un élément de la musique qui provoque une
réaction physique chez l’auditeur, qui se sent obligé de bouger ou de danser. L’auteur suggère
que le groove est souvent associé à des communautés culturelles spécifiques, notamment les
communautés afro-américaines et latino-américaines. Il note que les musiques associées à ces
communautés sont souvent caractérisées par un groove prononcé, comme le jazz, la soul, le
funk, la salsa.
Dans son second article « Comment le monde du rap aménage-t-il son territoire ?»,
Hammou explore l’émergence du rap en France et les implications culturelles de ce
phénomène. Le rap est un genre musical qui a émergé dans les quartiers populaires des Etats-
Unis dans les années 1970 et qui a ensuite été importé en France dans les années 1980.
Le rap français s’est rapidement développé, avec l’émergence de nombreux artistes et de
nombreux styles différents. Le sociologue souligne que cette fragmentation du rap français
peut être liée à la diversité des parcours individuels des artistes, ainsi qu’à l’influence de la
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culture hip hop américaine et des cultures musicales locales. Cette fragmentation peut donc
conduire à la création de nouvelles formes de musique, qui reflètent la diversité culturelle et
les expériences individuelles des artistes.
III/ Enquête : les goûts musicaux sont-ils déterminés par les catégories sociales ?
« Il se trouve que les oreilles n’ont pas de paupières », écrivait Pascal Quignard. C’est
cette citation qu’utilise Laurent Aubert dans son article « Le goût musical, marqueur
d’identité et d’altérité ». En effet, si les facteurs sociaux sont indéniablement ancrés dans les
goûts musicaux, il est alors nécessaire de se demander comment surpasser les stéréotypes.
Laurent Aubert souligne que chaque culture établit ses propres critères d’évaluation et
de jugement de valeur sur les autres cultures, créant ainsi une opposition entre les groupes
sociaux. Celui-ci l’appelle « le nous ; et les autres ». Celui-ci mentionne ainsi les
communautés d’émigrés, dans lesquelles la musique peut servir comme moyen pour
rassembler des indiviuds partageant une même origine. Le texte souligne alors que les
Occidentaux sont de plus en plus touchés par les musiques dites « d’ailleurs », même si leurs
subtilités peuvent leur échapper. Simha Arom explique que « C’est une musique que vous ne
connaissez pas, que vous n’avez aucune raison d’avoir jamais entendue, et pourtant, vous la
connaissez, sans la connaître. […] En tant qu’individu, je ne la connais pas, mais en tant
qu’être, j’y réagis fortement ; le ‘‘poids spécifique’’ de cette musique me parle, m’atteint
quelque part où moi-même je ne m’atteins pas ».
Laurent Albert contredit ainsi dans son article le fait que les goûts soient
complètement déterminés par des facteurs sociaux. Si pour la majorité des musiques, cela
peut-être vrai, des expériences personnelles, des projections, de l’empathie peuvent également
provoquer une affinité avec certains styles musicaux.
Questionnaire :
Age :
6
Catégorie socio-professionnelle :
Situation géographique (préciser arrondissement) :
Genre musical le plus écouté habituellement :
J’ai interrogé 20 personnes à la sortie du métro Châtelet-Les Halles. Sur ces vingt personnes,
7 étaient des cadres de 40-60 ans (5 venant de Paris, 2 de banlieue), 9 étaient des étudiants de
16-25 ans (6 venant de Paris, 3 venant de banlieue), 2 étaient des employées de service
(venant de banlieue) de 40-60 ans, 3 de professions intermédiaires (2 de banlieue, 1 de Paris).
75% des 15-26 ans ont eu comme chanson préférée Fetty Wap , de Maes, toutes ces mêmes
personnes eu comme chanson la moins aimée, Buss und Reu, de Bach. Sur ces 60%, 3
venaient de Paris et 3 de banlieue.
70% des cadres, cadres supérieurs ont eu comme chanson préférée Les copains d’abord, et
100% ont comme chanson la moins aimée Fetty Wap, de Maes. Sur ces 70% tous venaient de
Paris.
10% ont préféré la chanson de Souad Massi, Raoui, chanson arabe, tous venaient de banlieue
(une employée de service, un de profession intermédiaire).
Les mots qui sont revenus le plus souvent, associés aux chansons ainsi que leur régions
géographique :
Seulement 10% disent avoir découvert un genre musical dans cette étude (gospel et rap).
La musique qui est le plus souvent revenue en tant que « plus légitime à chanter » est Les
copains d’abord de Brassens. (75%)
Le sondage montre donc bien une fragmentation sociale actuelle, qui est divisée entre
situation géographique et âge. Les résultats différent entre Paris et la banlieue, et entre les
personnes adolescentes/jeunes adultes, et les adultes/personnes âgées. Les résultats restent
tout de même partiels car l’échantillon de personnes interrogées ne venaient pas de province
mais seulement d’Ile-de-France.
Conclusion :
Les individus cherchent donc à se différencier des autres groupes sociaux en adoptant
des pratiques et des comportements différents, influencés par des normes sociales et des
pratiques culturelles qui existent au sein de leur groupe. Les goûts musicaux sont structurés en
fonction de plusieurs critères sociaux tels que l’âge, la situation géographique, le genre, la
fonction, le niveau d’études, etc. Les différents sociologues proposent une réflexion sur la
manière donc les goûts musicaux sont structurés, et soulignent également que ces modèles
sont en constante évolution, influencés par conséquent par les transformations sociales et
culturelles. Ce phénomène sociologique de la fragmentation des goûts musicaux peut avoir
des conséquences culturelles importantes, notamment en ce qui concerne l’entre-soi culturel.
La musique peut-être associée à des communautés spécifiques, ce qui peut conduire à des
divisions et des préjugés. La fragmentation peut aussi mener à la création de nouvelles formes
de musique qui reflètent la diversité culturelle et les expériences individuelles des artistes
mais aussi conduire à des tensions au sein de la communauté musicale. Il est donc essentiel de
reconnaitre la valeur de la diversité musicale et de promouvoir l’inclusion et la
compréhension de différents groupes culturels.