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LAS : Droits et sciences sociales

1. LA CULTURE
1.1. Définition de la culture :

Ici, la culture doit s’entendre dans sa définition la plus extensive, issue de la tradition anthropologique,
à savoir comme un ensemble d’éléments - immatériels, matériels, symboliques - qui caractérise
une société, ou un groupe social, et qui influence ses membres.

Parmi les très nombreuses définitions existantes de la culture, la plus fréquemment référencée est celle
d’un anthropologue britannique, Edward Tylor, qui la définit comme « ce tout complexe comprenant à
la fois les sciences, les croyances, les arts, la morale, les lois, les coutumes et les autres facultés et
habitudes acquises par l’homme dans l’état social » dans son ouvrage Primitive Culture en 1871.

E. Tylor met en évidence que la culture est un fait universel, et rompt avec la pensée
évolutionniste, en vogue à son époque, qui envisageait la culture comme le résultat d'un progrès et qui
faisait des sociétés occidentales des sociétés dotées de la culture la plus complexe : toute société, tout
groupe social, se caractérise par une culture complexe, particulière, fruit d’une histoire qui lui est
propre.

Cette nouvelle manière d'envisager la culture contribuera à développer la méthode dite


ethnographique, encore largement utilisée aujourd’hui en anthropologie et en sociologie. Cette
méthode consiste à savoir observer des sociétés, ou des groupes sociaux, sur la longue durée, dans le
détail de leurs activités et de leurs organisations. La définition de E. Tylor doit d'ailleurs être entendue
comme un conseil méthodologique donné à l'attention des chercheurs en sciences sociales, puisqu'elle
énumère toutes ces activités que ces derniers doivent décrire afin de saisir les contours de la culture
qu'ils étudient.

Pour mener à bien ce travail, les chercheurs, qui sont eux-mêmes des individus appartenant à une
culture qui les influence, doivent se mettre à distance de leur propre culture, du risque de
l'ethnocentrisme, afin d’effectuer une description objective et scientifique, sans jugement de valeur,
de la culture qu'ils observent. Dans le même sens, nous attendons des professionnels de santé qu'ils
effectuent le même travail de distanciation pour prendre soin de leurs patients, sans émettre de
jugement sur leur culture, et pour mieux comprendre les raisons pour lesquelles les patients agissent de
la façon dont ils agissent, guidés par leur culture.

La culture a une dimension sociétale (la culture spécifique à chaque société) et une dimension sociale
(la culture de groupes sociaux qui appartiennent à une même société). Les professionnels de santé sont
amenés à soigner des patients de culture sociétale et de culture sociale différente de la leur.

1.2. Deux regards sur les cultures :

Différents courants théoriques vont émerger de cette attention nouvellement accordée à la culture à la
fin du XIXe siècle. Voici un aperçu des deux principaux courants que sont le culturalisme et le
structuralisme :

- le culturalisme met l’accent sur la diversité des cultures, s’intéressant à ce qu’elles ont,
chacune, de spécifique.
Nous pouvons illustrer le courant culturaliste avec les travaux de l'anthropologue
américaine Margaret Mead, l’une des plus célèbres représentantes de ce courant. Dans son
ouvrage Mœurs et sexualité en Océanie, publié en 1935, Margaret Mead retranscrit ses longues
observations de trois ethnies vivant au nord de la Nouvelle-Guinée. Elle montre que chacune de ces
ethnies se caractérise par des types de personnalité féminine et de personnalité masculine spécifique.
Elle compare ces sociétés avec une quatrième, la société américaine des années 1930, où les
personnalités féminine et masculine ne ressemblent à aucune des trois autres sociétés.

Les culturalistes utilisent souvent les termes de "personnalité" ou de "caractère" pour exprimer le fait
qu'à chaque culture correspond une configuration psychologique, un trait caractériel de base, commun
à tous ses membres, qui assure à la fois l'unité et l'originalité de la culture.

L’approche culturaliste est présente en sociologie à travers de très nombreuses études sur des groupes
sociaux qui se distingueraient par une culture spécifique, proche de ce qu’on appelle dans le langage
courant un style de vie. Ces groupes sociaux peuvent être des groupes socio-économiques : certains
auteurs ont mis en évidence une culture paysanne, ou encore une culture ouvrière. L'une des études
culturalistes les plus célèbres est celle de Richard Hoggart qui a travaillé sur la culture populaire
anglaise (The Uses of Literacy, 1957, traduit par La culture du pauvre). Les groupes sociaux peuvent
également renvoyer à des groupes d'âge ou de génération (la culture des jeunes, la culture blouson
noir, ...) ou des situations socio-professionnelles (la culture des cadres, la culture d’entreprise, la
culture médicale ...).

Ces cultures, relatives à un groupe particulier au sein de la société globale sont appelées des sous-
cultures. Ces sous-cultures et leurs évolutions sont particulièrement examinées par le sociologue qui,
par définition, s’intéresse aux questions de cohésion sociale, de contrôle social et d’autonomie des
individus dans une société.

Lorsqu’une sous-culture s’oppose à la culture de la société plus globale, il s’agit d’une contre-culture.
Par exemple, le mouvement étudiant de mai 1968 qui critiquait la culture mandarinale universitaire
(celle de l'enseignant dictant son savoir qui n'était pas à discuter - le mandarin) peut être considéré
comme une contre-culture face à la culture universitaire traditionnelle. Dans ce mouvement, étaient
impliqués des étudiants en médecine qui mettaient fortement en cause le mandarinat particulièrement
présent en médecine et militaient pour un savoir médical plus ouvert aux dimensions psychiques et
sociales de la maladie. Aujourd'hui, il fait consensus que la maladie ne se limite pas à ses aspects
physiques et biologiques, qu'elle est également psychique et sociale, dans ces causes (l'état psychique
et les conditions sociales influent sur l'apparition et l'évolution de la maladie) et dans ses
conséquences.

- le structuralisme considère, au-delà de la diversité culturelle, qu'il existe des règles


universelles : des invariants culturels, communs à toutes les sociétés et autour desquels
s'organisent les différents systèmes culturels.

Le plus grand représentant des structuralistes est l'anthropologue français Claude Lévi-Strauss qui a
marqué la deuxième moitié du XXe siècle et qui s'est particulièrement intéressé à la parenté et à la
relation entre les sexes. C. Lévi-Strauss met en exergue la règle commune de prohibition de l’inceste
dans le cadre des alliances matrimoniales. Du fait de cette règle qui interdit aux hommes d'épouser une
femme de leur groupe, les différents groupes seraient obligés de s'"échanger leurs femmes". Cet
échange, de femmes mais aussi d'autres services et biens, est indispensable à la perpétuation des
groupes. Aussi, pour C. Lévi-Strauss, c'est une exigence sociale (le maintien d'une société) qui justifie
la prohibition de l'inceste.

Citons l'anthropologue Françoise Héritier qui, dans la filiation intellectuelle de Claude Lévi-Strauss
qui considérait également que toutes les sociétés ont en commun d’attribuer des rôles sociaux
différenciés selon le sexe, poursuivit les études sur ce sujet et montra que toutes les cultures valorisent
le masculin sur le féminin (précisément, les qualités et les activités qu'on associe au registre masculin
par rapport à celles qu'on associe davantage au registre féminin). De nombreuses études sur la division
du travail dans le champ de la santé et de la médecine reprennent ces théories en considérant que les
activités de soin de proximité vis-à-vis des personnes les plus vulnérables sont traditionnellement
occupées par des femmes : des soins du nourrisson à l'accompagnement des parents âgés, en passant
par les soins soignants auprès des malades, que ce soit dans la sphère privée (les femmes occupent
davantage les rôles d'aidant familial) ou dans la sphère professionnelle (les métiers d'aide-soignante et
d'infirmière, au lit du malade, sont très majoritairement exercés par des femmes). A l'inverse, le métier
de médecin, conçu comme centré davantage sur la thérapie que sur le soin, à distance physique du
malade, associé à des compétences et des champs socialement valorisés (le savoir universitaire et la
science) a traditionnellement été masculin.

1.3. Quelques autres caractéristiques de la culture :

L'influence de la culture se ressent dans nos manières de penser et d'agir, mais aussi dans notre rapport
au corps, l'importance que nous accordons à notre santé, ainsi que dans notre sphère émotionnelle et
sensorielle. Prenons l'exemple de deux recherches sur notre rapport à la douleur :

- la recherche, très connue en sciences sociales, de l'anthropologue Mark Zborowski


dans les années 1950 aux Etats-Unis, concernant des patients hospitalisés ayant différentes origines
ethniques. Selon leur origine culturelle, les patients manifestaient plus ou moins leur douleur auprès du
personnel soignant, considéraient la présence de la douleur de manière positive (comme le signe du
corps combattant la maladie) ou négative (la douleur comme souffrance et aggravation de la maladie).

- l'étude du sociologue Luc Boltanski, publiée en 1971, qui compare les catégories
sociales populaires (qui prêteraient peu d'attention à leur douleur, valorisant une attitude de la
résistance et virile vis-à-vis des désagréments corporels) aux catégories sociales favorisés qui
chercheraient toujours à faire disparaître la douleur, même celle faiblement ressentie.

Ces deux études, comme toutes les études en sciences sociales, doivent être contextualisées, c'est-à-
dire lues à la lumière de la période à laquelle elles ont été menées. D'autant plus que les cultures ne
sont pas figées mais en constante évolution.

En même temps, les cultures ont un caractère permanent : si elles évoluent, ce n'est jamais sous la
forme d'une rupture radicale. La culture est ce qui se perpétue, ce qui se transmet entre générations.
Certains auteurs définissent simplement la culture comme un « héritage social » et en font sa
principale caractéristique.

Bien entendu, la culture est acquise par les individus (et non innée) ... Et le processus d'acquisition
de la culture se nomme la socialisation.

2. LA SOCIALISATION
2.1. Définition de la socialisation :

La socialisation désigne l’apprentissage et l’intériorisation par les individus des conduites


valorisées par la société (ou le groupe social) dans laquelle ils vivent. La socialisation est un
concept plus large que celui d'éducation.

Proposons la définition suivante, qui présente les aspects les plus significatifs de la
socialisation : « processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise tout au
cours de sa vie les éléments socioculturels de son milieu, les intègre à la structure de sa
personnalité sous l’influence d’expériences et d’agents sociaux significatifs et par là
s’adapte à l’environnement social où elle doit vivre » (Guy Rocher, dans Introduction à la
sociologie générale) :

- les "agents sociaux significatifs" renvoient aux grandes instances de socialisation.


Ce sont, d'abord, la famille (les parents, la famille étendue, l’entourage des parents), l’école,
le groupe de pairs, internet … puis le monde du travail, sa profession, son nouvel entourage
amical, les médias ....

- la socialisation dure "tout au cours de sa vie". On a coutume de distinguer


la socialisation primaire (celle qui s’effectue durant l'enfance) de la socialisation
secondaire (à l'âge adulte). La socialisation est donc un processus continu car chaque fois
que l'individu occupe un nouveau rôle ou un nouveau statut, il doit se socialiser à ce nouveau
contexte social.

La socialisation s’opère de plusieurs manières :

- elle se fait par la contrainte, lorsqu'on nous apprend ce qui est permis et ce qui ne
l'est pas. Pensez à toutes ces choses qu'on vous a apprises et ordonnées pendant l'enfance :
« sois respectueux dis bonjour », « ne mange pas avec les doigts, ce n’est pas poli », « ne
prends pas dans l’assiette des autres » ... alors que manger avec les doigts autour du même
plat est la conduite apprise par l'enfant dans d’autres cultures parce qu'elle renvoie à la valeur
du partage.

- elle se fait aussi par imitation. Nous reproduisons ce que nous voyons et ce que
nous entendons, surtout les conduites des personnes qui sont les plus présentes auprès de nous
pendant l'enfance, la période la plus active de la socialisation. Quand les enfants jouent aux
adultes, à la maman et au papa, ils imitent ce que font leur maman et leur papa, et
reproduisent à l’âge adulte ces rôles parentaux.

C'est l'occasion de citer l'anthropologue Marcel Mauss qui a beaucoup écrit sur la
socialisation au début du XXe siècle et qui est présenté comme le père de l'anthropologie
française. Il considérait que l’imitation est plus efficace que la contrainte pour l’apprentissage
des normes sociales. Aussi nommait-il cette imitation l’« éducation prestigieuse ». M. Mauss
a comparé la société occidentale à la société Maori (occupant la Polynésie) dans la manière
dont elles font usage du corps et dont elles socialisent à cet usage : la manière de marcher, les
pratiques d'ornementation du corps, l'appréhension de l'espace ... Toutes ces pratiques et
représentations qu'il nomme les "techniques du corps".

2.2. La socialisation entre contrainte et autonomie de l’individu :

Au sujet de la socialisation, nous pouvons nous représenter les différents courants théoriques
comme un continuum entre deux pôles extrêmes :

- un premier pôle qui considère que la socialisation a une très forte influence sur
l'individu. Cet individu se définirait comme le produit de cette socialisation
- l'autre pôle, qui considère que, si la socialisation est une réalité pour tout individu,
elle ne se confond pas pour autant à un conditionnement social. L’individu conserve toujours
une marge d’autonomie personnelle.

Une synthèse de ces deux pôles peut se retrouver dans la posture du célèbre sociologue français Emile
Durkheim, fondateur de la sociologie à la fin du XIXe siècle. E. Durkheim développe une conception
assez déterministe, à savoir qui met en avant les contraintes sociales qui pèsent sur les individus, sans
pour autant nier l’autonomie des individus.

Voici ce qu'il écrit dans la préface de l'ouvrage Les règles de la méthode sociologique « c’est ainsi
qu’en pensant le monde sensible chacun de nous le colore à sa façon et que des sujets différents
s’adaptent différemment à un même milieu physique. C’est pourquoi chacun de nous se fait, dans une
certaine mesure, sa morale, sa religion, sa technique. Il n’est pas de conformisme social qui ne
comporte toute une gamme de variations individuelles. Il n’en reste pas moins que le champ des
variations permises est limité ».

Allons un peu plus loin ...


... Je vous propose de relire ces propos d' E. Durkheim et de dire si sa pensée
balance plutôt du côté du premier pôle de la contrainte ou de celui de l'importance de l'autonomie
permise ...

... La réponse : le pôle de la contrainte sociale.

2.3. La socialisation comme incorporation de l’habitus :

Les approches théoriques de la socialisation sont très nombreuses. Pour ce cours, nous nous
arrêtons sur l'approche de Pierre Bourdieu, sociologue de réputation mondiale, qui, à partir
des années 1960, a produit une œuvre visant à identifier et expliquer le processus de
domination structurant nos sociétés dans l'ensemble des champs sociaux : la domination
masculine, les rapports de domination entre classes sociales, dans le monde du travail, des
activités culturelles, médiatique ... La sociologie bourdieusienne postule qu'il y a dans toute
société des dominants et des dominés.

L'habitus est un des concepts-clefs de la sociologie de P. Bourdieu qu'il définit comme un


système de "dispositions durables" qui va "fonctionner comme principe générateur et
organisateur de pratiques et de représentations". Il est une sorte de matrice à travers laquelle
nous voyons le monde et qui guide nos comportements.

L'habitus se manifeste également par un ensemble cohérent de goûts et de pratiques. Par


exemple, un individu passionné de films d'art et d'essai et qui les regardent toujours en langue
originale est un individu qui aime aussi fréquenter les musées et qui ne regarde pas les
émissions de télé-réalité.

Pour P. Bourdieu, la société se compose de classes sociales, qui sont en position de dominées
ou de dominantes, dans les différents champs sociaux. Les classes sociales se différencient
par un habitus spécifique. P. Bourdieu définit d'ailleurs la classe sociale comme "la classe
des individus dotés d'un même habitus". Par exemple, dans le champ intellectuel, la classe
dominante est composé des universitaires, de ceux qui possèdent un fort capital culturel. Ces
individus et leur classe seront dominés dans le champ de l'économie par les patrons
d'entreprise composant la classe dominante du fait de leur fort capital économique.
Cet habitus de classe, qui est acquis et que nous incorporons tous, est tellement ancré en nous
et régit si profondément nos façons de penser et d'agir, que nous n'avons pas conscience de
son existence et de son influence. P. Bourdieu dit que l'habitus est une structure cachée, qui
nous oriente à notre insu, si bien qu'il nous donne cette impression que nous agissons
librement et que nos goûts sont des goûts exclusivement personnels. On peut rapprocher
l'habitus bourdieusien, social, de l'inconscient freudien, psychique, qui structure nos émotions
en échappant à notre conscience. Au même titre que la psychanalyse freudienne considère que
nous ne pouvons accéder à une partie de notre inconscient qu'après une longue et sérieuse
cure analytique, pour Bourdieu seuls les sociologues peuvent, au prix d'un travail rigoureux et
riche, percevoir l'habitus social.

L'habitus influence, entre autres, nos pratiques en lien avec le corps, qu'il va
nommer l’habitus physique. Dans l'un de ses ouvrages les plus connus, La distinction écrit
en 1979, P. Bourdieu distingue deux habitus physiques :

- l'habitus de la force, spécifique des classes socio-


économiquement dominées, qui occupent généralement des emplois physiques. Elles ont des
pratiques qui permettent de développer et de valoriser la force physique : elles s'orientent vers
les sports musculaires et de contact physique (football, rugby, boxe) et leurs préférences
alimentaires sont guidées par une recherche de la force (consommation de viande, par
exemple)

- l'habitus de la forme, chez les classes socialement


favorisées qui utilisent moins leur corps dans leur travail et qui privilégient des sports sans
contact physique direct (tennis), ou encore centrés sur le bien-être physique et mental (course
à pied, yoga). Ces classes recherchent également une nourriture légère et qui les maintient en
bonne santé.

1. VALEURS, NORMES ET CONTRÔLE SOCIAL


1.1. Les valeurs comme idéaux

Les valeurs sont des principes idéaux qui régissent les conduites et les pensées des membres d’une
société. La valeur désigne ce qui mérite d’être recherché, ce vers quoi les individus doivent tendre : la
justice, la liberté, l’esthétique, l’efficacité, la tolérance, le sens de la responsabilité, le travail … Les
valeurs permettent de distinguer ce qui est désirable de ce qui ne l'est pas. Elles se caractérisent par
leur polarité : le juste et l’injuste ; le beau et le laid ...

Si les valeurs sont relatives (qu'elles varient dans le temps et dans l'espace), les sociétés tentent
d'attribuer à leurs propres valeurs un caractère absolu et à les considérer comme supérieures. Par
exemple, la liberté individuelle nous est une évidence alors qu'elle ne s'est imposée qu'au XVIIIe
siècle. Pensons également à l'honneur, si central à d'autres époques qu'il était fréquent de risquer sa vie
au nom de cette valeur.

Dans une société, les valeurs ne fonctionnent pas isolément, elles sont interdépendantes et forment
un système. Les valeurs sont également hiérarchisées : certaines sont considérées comme
fondamentales, d’autres comme plus secondaires. Aussi, deux sociétés partageant un socle identique
de valeurs peuvent se distinguer selon la hiérarchie des valeurs qu’elles opèrent.

E. Durkheim considère que les valeurs sont essentielles à l’existence d’une société. Une société repose
sur la cohésion sociale qui repose elle-même sur l’adhésion de tous aux mêmes valeurs. C’est cet
attachement aux valeurs qui permet à une société de faire accepter à ses membres les très nombreuses
contraintes sociales et le fort contrôle social sans lesquels il n'y aurait pas non plus de société.

Ce thème de la valeur nous permet de citer un sociologue de la même stature que E. Durkheim mais
qui développe une approche différente : Max Weber, considéré comme l'"autre" fondateur, avec E.
Durkheim, de la sociologie (la sociologie ayant émergé, en même temps, en France et en Allemagne,
avec le français E. Durkheim et l'allemand M. Weber, nés et décédés à quelques années d'intervalle).

M. Weber propose une histoire des valeurs dans les sociétés occidentales et met l'accent sur
l'émergence, à l'époque moderne, d'un polythéisme des valeurs, à savoir une pluralité des valeurs et
des conceptions du bien, avec l'affaiblissement de la valeur religieuse, autrefois centrale et source des
autres valeurs. Les individus des sociétés modernes se retrouvent souvent confrontés à des dilemmes
éthiques, face à la multiplicité des valeurs qui peuvent être antagonistes. Prenons cet exemple du
médecin attaché à la valeur de l'égalité (être sensible à l'égalité de tous devant l'accès aux soins), à
celle de la solidarité (être disponible aux personnes dans le besoin de soins), et à la liberté (choisir des
conditions de travail qui lui conviennent pour mieux prendre soin des personnes dans le besoin). Il se
peut que ce médecin se sente tiraillé entre ces valeurs non conciliables sur le terrain : la valeur de la
liberté d'exercer où il se sent bien et les deux autres valeurs qui contraindraient le médecin à s'installer
dans des déserts médicaux.

1.2. Les normes comme règles de conduite

En tant qu’idéaux, les valeurs ne sont pas directement applicables. Elles se manifestent donc par des
règles de conduite, qu'on appelle les normes. La norme est ce qui légitime la valeur ....

... Même s'il existe certaines normes qui sont indépendantes, qui ne sont pas (ou plus) attachées à
une valeur. C'est ce qu'on appelle des normes ritualisées, qui se traduisent par des comportements
coutumiers. Pensons à la norme de politesse qui consiste à dire "bonjour" et demander "comment ça
va". Cette norme peut renvoyer à la valeur du respect et de l'attention à autrui ... Tout comme elle peut
relever de la seule habitude, parce qu'on n'accorde pas particulièrement d'attention à la personne à qui
on s'adresse !

Parce que les normes ont pour objectif d'assurer un certain ordre social, elles sont assorties d'un
système de sanctions qui participe du contrôle social :

- la sanction peut être positive. Par exemple, quand nous récompensons un individu qui
applique parfaitement les normes. Pensons de nouveau aux enfants qui se tiennent, enfin, correctement
à table et que les parents félicitent, « c’est bien », pour les encourager à se conformer de nouveau à la
norme.

- la sanction peut être négative, allant du regard réprobateur, à l'exclusion du groupe, en


passant par les moqueries, voire les humiliations.

Certaines normes prennent un caractère très formel et se traduisent par des règles inscrites dans le
droit, donnant lieu à une sanction sociale et une sanction juridique. Par exemple, le fait de profiter
d’une personne vulnérable, d’abuser de sa confiance, fait l'objet d'une réprimande sociale et d'une
sanction juridique fortes.

La plus grande majorité des normes sociales font uniquement l'objet d'une sanction sociale : des
personnes peuvent être fortement sanctionnées socialement parce qu'elles ne s’habillent pas comme on
s'habille "normalement", "habituellement", quand on exerce la profession qu'elles exercent, comme un
médecin que les patients ne consulteraient plus parce qu'il porterait des vêtements hippie avec des
longues dreadlocks, alors que la loi ne lui impose absolument pas de tenue particulière pour recevoir
dans son cabinet.
A l'inverse, des conduites faisant l'objet d'une sanction juridique peuvent être socialement tolérées :
l'usage du cannabis ou le fait de rouler à 90 kms/h sur une route nationale limitée à 80kms/h.

Pour E. Durkheim, les normes sociales précèdent les normes juridiques qui ne seraient qu'une
"cristallisation des mœurs". Le droit serait le dispositif que les sociétés utilisent pour figer les normes
sociales auxquelles elles tiennent tout particulièrement.

M. Weber développe un point de vue différent en observant un processus historique d'autonomisation


des normes juridiques par rapport aux normes sociales. Ce serait notamment sur la base de normes
juridiques que les individus orienteraient et justifieraient leurs actions.

1. LA MÉDECINE COMME SUJET DE


RECHERCHE SOCIOLOGIQUE
Dans ce dernier chapitre, nous traiterons de la profession médicale, de la formation à cette profession
et de la relation médecin-patient : comment la pratique et l'apprentissage à cette profession ont-ils été
compris par les sociologues, sous l'angle de concepts et de courants théoriques que nous avons
précédemment abordés.

La médecine constitue un champ de recherche important en sociologie. C'est d'abord la sociologie des
professions qui s'est tout particulièrement intéressée à la médecine, considérant la profession médicale
comme un des archétypes (avec les professions juridiques) des professions. Ici, nous présentons des
travaux précurseurs et parmi les plus cités sur la profession médicale. Nous ne traiterons pas (bien
qu'ils méritent, évidemment, une grande attention) des travaux plus récents et qui s'intéressent à
d'autres professions de santé.

Quelles sont les caractéristiques de la profession médicale ? Quels sont ses rapports avec l'Etat, la
société et les individus qui la consultent ? Comment peut-on expliquer ces nombreuses spécificités,
comme par exemple l'existence d'une organisation interne (l'Ordre des médecins), ou encore
l'importante autonomie dont elle dispose (comme l'autonomie d'exercer qui permet au médecin de
travailler entièrement en mode libéral pour rendre un service pris en charge par les cotisations et la
solidarité nationale) ? Ce sont quelques-unes des questions que se posent les sociologues.

C'est aussi autour de la profession médicale que, depuis les années 1950, deux grands courants
de pensée s'opposent : le fonctionnalisme et l'interactionnisme symbolique. Ces deux courants
sont très présents aux Etats-Unis. Le thème précédent du cours, sur la déviance, nous a déjà permis de
les découvrir et nous allons ici davantage spécifier leurs différences d'approche.

Ces deux courants de pensée vont également débattre sur le sujet de la formation médicale : comment
les études de médecine se déroulent-elles ? Comment les étudiants sont-ils formés à leur futur rôle
social de médecin ? Comment les études s'organisent-elles pour que les étudiants acquièrent à la fois le
savoir médical et la posture (la conduite sociale, le rôle social) attendue du professionnel ?

Ce sont les sociologues fonctionnalistes qui commencent à écrire sur la médecine. Trois sociologues
fonctionnalistes sont particulièrement célèbres pour leurs travaux de théorisation sur la profession et
sur la formation en médecine :

- Au début des années 1950, Talcott Parsons consacre, dans un de ses ouvrages, un chapitre à
l'étude de la profession médicale, chapitre qui fait référence encore aujourd'hui ("Structure sociale et
processus dynamique : le cas de la profession médicale", Eléments pour une sociologie de l'action,
Paris, Plon, 1955*). T. Parsons est l'un des fondateurs de cette théorie fonctionnaliste et a beaucoup
influencé la sociologie dans les années 1950 et 1960
- Robert K. Merton a suivi les cours de Talcott Parsons et a travaillé sur beaucoup de sujets :
les sciences, la déviance ou encore la formation médicale sur laquelle il a codirigé un ouvrage à la fin
des années 1950 (R. Merton, G. Reader, P. Kendall, The Student-Physician. Introductory studies in the
sociology of medical education, Harvard University Press, 1957*)

- Renée Fox a principalement travaillé sur des sujets relatifs à la médecine. Elle a également été
l'élève de T. Parsons et a écrit un chapitre dans l'ouvrage codirigé par Merton sur l'apprentissage à la
gestion de l'incertitude, incertitude qu'elle considère comme la caractéristique principale de la pratique
clinique ("Training for Uncertainty", in The Student-Physicien*).

A ces écrits fonctionnalistes, répondent des écrits interactionnistes :

- D'abord, l'ouvrage d'Eliot Freidson (Profession of Medicine. A Study of the Sociology applied
Knowledge, New York, 1973, traduit par La profession médicale en 1984*) qui synthétise les critiques
adressées envers T. Parsons depuis plusieurs décennies par les interactionnistes

- Sur le sujet de la formation médicale, le sociologue interactionniste H. S. Becker (également


connu pour ces travaux sur la déviance) répond immédiatement à l'ouvrage de R. Merton, en publiant
lui aussi les résultats de plusieurs travaux interactionnistes sur la socialisation professionnelle des
étudiants en médecine : Boys in White (H. S. Becker, B. Geer, E. C. Hughes, A. L. Strauss, Boys in
White, University of Chicago Press, 1961*).

* Les titres des ouvrages, ainsi que les lieux et dates précises de leur parution, ne sont pas à retenir.

2. L'APPROCHE FONCTIONNALISTE

2.1. La maladie comme déviance biologique et sociale :

T. Parsons et les fonctionnalistes analysent la maladie comme une déviance :

- la maladie est d'abord une déviance biologique : la profession médicale a pour rôle de
diagnostiquer une maladie, diagnostic qu'elle va établir sur la base de symptômes, d'observations, de
résultats d'examens, etc., qui vont pointer une anormalité, une déviance par rapport aux normes
biologiques de santé.

L'objectif idéal de la profession médicale est de guérir les maladies, de lutter contre ces déviances en
réintégrant les éléments biologiques dans des normes de santé.

- la maladie est également interprétée comme un état social déviant, dans le sens où le fait
d'être malade va altérer les conditions sociales normales de l'existence de la personne sur le plan
social. Le malade devra modifier ses conduites habituelles : il ne peut plus forcément travailler, il peut
avoir besoin d'une aide, soignante, ou encore pour des tâches qu'il faisait auparavant de manière
autonome.

La maladie doit être considérée comme un état social, et non pas seulement physiologique, parce
qu'elle se définit par un changement d'ordre social chez le malade. Les fonctionnalistes analysent la
maladie comme un élément dysfonctionnel qui interfère avec la stabilité du système social. La
maladie, parce qu'elle empêche les malades de s'acquitter de leurs obligations sociales ordinaires,
constitue une menace pour l'ordre social.
L'approche fonctionnaliste est une approche sociologique qui accorde une grande attention à
l'ordre social, au fonctionnel (à ce qui existe dans une société parce qu'il est considéré comme utile
pour maintenir l'ordre social), et à ce qu'il y a de stable et de permanent dans une société (comme les
institutions, les organisations, les normes et les valeurs). Le fonctionnalisme essaie de comprendre les
déterminants de cet ordre social. Tout trouble à cette stabilité, tout dysfonctionnement, peut menacer
l'ordre social dans son ensemble. La société et les différentes institutions qui la composent (comme
l'institution médicale, familiale ou scolaire) s'appuient sur l'affirmation et la diffusion de valeurs et de
règles, à travers la socialisation et la définition de rôles sociaux, pour maintenir l'ordre social.

2.2. Les rôles sociaux du malade et du médecin :

T. Parsons va analyser la relation médecin-malade et les rôles respectifs de ces deux acteurs sur la base
des conséquences sociales de la maladie-déviance qui perturbe l'ordre social.

Parsons définit d'abord le rôle social du malade, rôle portant sur 4 points principaux qui s'articulent
entre droits et obligations :

- Les obligations : l'état de maladie étant indésirable, le malade, d'une part, doit souhaiter aller
mieux et, d'autre part, doit rechercher une aide compétente pour sortir de l'état de maladie

- Les droits : le malade sera ainsi reconnu non responsable de son incapacité et donc de sa
déviance et sera exempté de ses obligations sociales habituelles selon la gravité de son état.

Parsons poursuit en définissant le rôle du médecin à partir de 4 obligations, de ce que la société et le


malade sont en droit d'attendre du professionnel qu'est le médecin :

- le médecin doit posséder une compétence technique qu'il met au service du malade : la
compétence est ce savoir qu'il a acquis pendant de longues études et qui est justifiée par un diplôme.
Cette compétence technique, le médecin ne doit l'utiliser que pour aider le malade à sortir de l'état de
maladie et non pour le rendre encore plus malade

- le médecin ne doit pas profiter de cette compétence technique qu'il possède pour exercer une
quelconque influence sur le patient qui dépasserait le cadre de la guérison. Parsons parle de
l'obligation de spécificité fonctionnelle, l'obligation d'user du pouvoir découlant de son savoir que pour
des questions relatives à la santé et non pour obtenir des faveurs, qu'elles soient pécunières,
sexuelles ...

- la neutralité affective est une autre obligation du médecin qui ne doit pas pratiquer de
discrimination entre ses patients et doit les traiter de la même manière quels que soient leur sexe, leur
âge, leur situation économique ou leur couleur de peau. Cette neutralité affective garantit également
que les affects ne troublent pas la relation. Dans ce sens, il n'est pas conseillé au médecin de soigner
un de ses proches très malade

- enfin, l'orientation vers la collectivité oblige le médecin à penser au bien-être de son patient
avant son propre bien-être, à exercer son métier afin de soulager les souffrances et non pour en retirer
un profit personnel ou économique certain, par exemple.

Pour Parsons, la relation médecin-malade se doit d'être une relation entre un médecin qui, dans le
cadre professionnel, se doit d'être compétent et bienveillant face à un malade qui fait confiance en sa
compétence et applique ses propositions thérapeutiques (en jargon médical, le malade se doit d'être
observant). Si médecin et malade s'en tiennent à leurs obligations, aux rôles respectifs de professionnel
et d'observant, la guérison n'en sera que plus assurée et rapide, et le malade retrouvera les conditions
normales de participation sociale et leurs obligations : l'ordre social en sera préservé.
Cette proposition de T. Parsons correspond bien à la relation médecin-malade telle qu'elle était
pensée dans les années 1950 : une relation dite paternaliste dans laquelle le médecin exerçait une
autorité proche de l'autorité paternelle vis-à-vis du malade, fragilisé émotionnellement par la maladie,
ayant suivi un cursus scolaire plus court, et s'en remettant entièrement entre les mains de cette figure
compétente et bienveillante.

Nous retrouvons ces deux registres du savoir et de la bienveillance (qui consiste notamment pour le
médecin à porter la responsabilité des décisions prises pour le malade afin de le soutenir et de le
soulager) dans une communication prononcée en 1950 par L. Portes, le premier président du Conseil
de l'Ordre des médecins français, que vous pouvez lire ci-dessous* :

« Au sens exact du terme, [le patient] ne voit plus clair en lui-même, car entre lui-même observant son
mal et lui-même souffrant de son mal, s’est glissée une opacité et parfois même une obscurité totale ;
tous ses pas dans sa connaissance de lui-même sont devenus trébuchants comme ceux d’un enfant ».

« Face au patient, inerte et passif, le médecin n’a en aucune manière le sentiment d’avoir à faire à un
être libre, à un égal, à un pair qu’il puisse instruire véritablement. Tout patient est et doit être pour lui
comme un enfant à apprivoiser, non certes à tromper – enfant à consoler, non pas à abuser – un enfant
à sauver ou simplement à guérir [….]. Devant ce jouet qui pourrait être une proie facile, se déclenche
chez le médecin [….] un réflexe de responsabilité totale, une volonté maxima d’inventer, de trouver,
une initiative que rien ne rebute pour sauver [….]. Devant cette passivité vulnérable du patient, nous
sentons naître en nous le sentiment d’un « lien sacré », d’une obligation intérieure dont rien ne peut
nous libérer, mais qui, en raison des circonstances, est épurée de toute contingence ; bref, d’une
obligation strictement morale » .

« Je dirais donc que l'acte médical normal n'étant essentiellement qu'une confiance (celle du patient)
qui rejoint librement une conscience (celle du médecin), le consentement « éclairé » du malade n'est
en fait qu'une notion mythique que nous avons vainement cherché à dégager des faits. Le patient, à
aucun moment, ne « connaissant » au sens strict du terme, vraiment sa misère, ne peut vraiment
« consentir » à ce qui lui est affirmé, ni à ce qui lui est proposé – si du moins nous donnons au mot
consentement sa signification habituelle d'acquiescement averti, raisonné, lucide et libre ».

2.3. Un modèle plus prescriptif que descriptif :

Talcott Parsons va toutefois préciser que ces orientations (les droits et les obligations attachés aux
rôles du malade et du médecin) sont avant tout des idéaux : des modèles de conduite qui devraient
guider les médecins et les malades, bien qu'ils ne puissent réellement s'y conformer. L'analyse de
Parsons est avant tout prescriptive et non pas descriptive. Le sociologue cherche à définir les rôles
sociaux que le malade et le médecin devraient jouer, comment ils devraient idéalement se conduire
dans l'objectif que la société conserve le meilleur ordre social.

Parsons détaille d'ailleurs les nombreuses tensions auxquelles les médecins sont soumis dans le
quotidien de leur pratique, tensions qui sont autant d'obstacles pour satisfaire ces prescriptions et
obligations. Par exemple, le médecin, qui doit être idéalement compétent pour guérir les patients qui le
consultent, ne peut réellement détenir l'exhaustivité du savoir médical qui progresse continuellement et
qui, en l'état actuel, ne peut encore tout guérir. Comment le médecin peut-il également rester toujours
dans une posture de neutralité affective et une insensibilité face à la souffrance des patients, face à la
mort, surtout quand elle est prématurée ou quand elle touche un patient dont il s'occupe depuis
longtemps ?

2.4. Socialisation et contrôle social :

Les orientations proposées par T. Parsons seront retravaillées par la fonctionnaliste Renée Fox dans
une optique cette fois-ci descriptive. Avec le souci de rendre compte de la réalité, R. Fox va
s'intéresser à la manière dont les étudiants en médecine intègrent ces différentes obligations relatives à
leur futur rôle social de professionnel. Dans la pratique clinique réelle, le médecin doit se caractériser
par une incertitude relative, à défaut de pouvoir être compétent pour guérir tout malade. En médecine,
la certitude, parce qu'elle peut mener à l'erreur médicale, peut être aussi néfaste qu'une trop grande
incertitude qui empêche la décision. Renée Fox définit l'incertitude relative comme un équilibre entre
une trop grande certitude, "une super-certitude" (qui pourrait être illustrée par la vision d'un jeune
étudiant en médecine qui pense que le médecin peut tout soigner et "sauve des vies") et une
"incertitude de base". C'est cet équilibre que l'étudiant apprendra dans sa formation. En début de
formation, l'étudiant est exposé à l'incertitude en prenant conscience de l'impossibilité de maîtriser le
champ infini de la médecine. Au fil des années de formation, l'étudiant va contrôler cette incertitude,
s'orienter vers un doute raisonnable, grâce à ses stages cliniques et à la rencontre avec les praticiens de
terrain. A ces occasions, il observera ces médecins qui prennent des décisions médicales bien qu'ils
soient souvent hésitants.

Renée Fox retravaille également l'idéal de neutralité affective de T. Parsons en observant que, dans la
réalité, le médecin se doit d'agir selon une implication détachée. Le médecin doit trouver un équilibre
entre objectivité (être totalement indifférent à la souffrance du malade) et affects (éprouver une grande
émotion face aux souffrances auxquelles il est tous les jours confronté). L'étudiant arrivera à un point
d'équilibre à la fin de sa formation, en raison de la manière dont sont organisées les études médicales
et des types de cours proposés : aux premières années, très théoriques, qui formeront l'étudiant au
détachement émotionnel et à l'objectivation du corps succèderont les années cliniques et la rencontre
des malades qui les remettront en cause dans leur détachement et leur permettront de développer une
empathie.

A travers cette démonstration de Renée Fox, nous saisissons bien cette orientation fonctionnaliste qui
met l'accent sur l'ordre, l'équilibre. Pour les fonctionnalistes, les instances de formation (tout
comme les autres instances de socialisation de la société) sont pensées de telle sorte que l'étudiant
devienne un professionnel qui se comporte de la manière dont la société et les professionnels
affirmés attendent qu'il se comporte.

Quant à R. Merton, il va observer que les étudiants en médecine, durant tout leur cursus de formation,
préfèrent s'orienter vers des disciplines médicales très spécialisées, très biologiques et très techniques,
au détriment de disciplines plus généralistes et qui sont plus accès sur la psychologie du malade que
son organisme. Pour Merton, ce choix des étudiants s'explique par leur conformité aux préférences de
leur instance de socialisation, de leurs formateurs, qui valorisent tout particulièrement la biomédecine
et l'utilisation d'un plateau technique très sophistiqué. Par la socialisation, en inculquant à l'étudiant
à la fois un savoir technique et une culture professionnelle très précocement, l'institution
médicale modèle et contrôle ses futurs membres.

* En France, l'Ordre des médecins a été créé en 1945. Cette communication de L. Portes,
intitulée « Du consentement du malade à l’acte médical », a été présentée à l’Académie des sciences
morales et politiques.

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