Annales.

Economies, sociétés,
civilisations

Claudine Herzlich, Santé et maladie, Analyse d'une représentation

sociale.
Gérard Lemaine

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Lemaine Gérard. Claudine Herzlich, Santé et maladie, Analyse d'une représentation sociale.. In: Annales. Economies,
sociétés, civilisations. 24ᵉ année, N. 6, 1969. pp. 1519-1521;

https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1969_num_24_6_422185_t1_1519_0000_6

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tout dépend du médecin qui tient la plume,
et les difficultés du recrutement ne sont pas
sans ouvrir la porte à quelque fantaisie. La
fréquence des renseignements à fournir fait
que certains se contentent d'un « Rien à
signaler ». D'autres écrivent trop, cherchent
à forcer l'intérêt et à compenser par des
longueurs une science souvent creuse. Mais
il y a aussi le bon grain, nombreux sont ceux
qui savent faire partager l'attention qu'ils
portent à leur métier. La page médicale des
rapports mensuels des bureaux arabes
appelle les mêmes réflexions. La violence
des épidémies, brutales ou endémiques, les
pratiques médicales traditionnelles, les
changements subis par les notions de maladie
ou de guérison, la place faite à la santé
parmi les valeurs qui dominent une vie,
apparaissent selon que le chercheur
s'intéresse aux unes ou aux autres ; mais aussi les
techniques des médecins européens, leurs
incertitudes, la perpétuelle interrogation qui
les habite face à un mal physique qui reste,
si souvent encore, maître du jeu.
Ainsi, tandis que l'on voit dans Naissance
de la clinique s'affermir une science médicale
qui s'interroge sur elle-même, les hommes
jeunes ou moins jeunes, formés selon l'une
ou l'autre de ces écoles qui s'affrontent, se
trouvent aux prises avec un monde médical
complètement neuf, seuls, souvent très seuls
avec eux-mêmes. Ils rédigent, par obligation
ou par besoin, des mémoires où se reflètent
discussions ou analyses des écoles
métropolitaines à propos de problèmes nouveaux.
Yvonne Turin.
Histoire des maladies
Biologie médicale, vol. LV, septembre-
octobre 1966, a célébré le centenaire du
vainqueur du typhus, Charles Nicolle. Sous
une forme commode, sont rassemblés des
extraits, sinon de son Destin des maladies
infectieuses, du moins de sa Biologie de
l Invention, notamment sur sa propre
découverte des endémies « inapparentes ».
J.-J. HÉMARDINQUER.
Pensées inédites de Claude Bernard
Le docteur M. D. Grmek publie
d'intéressantes notes personnelles de Claude
Bernard dans les Archives internationales
COMPTES RENDUS
toire des Sciences, n° 65, 1964, et dans
Médecine de France, n° 150 (1964), pp. 6-11. Cette
dernière sélection est tirée des archives du
Collège de France. Il s'agit de notes jetées
sur le papier (par exemple, au dos d'un
prospectus pharmaceutique du 1er janvier
1875, précieux repère chronologique) en vue
de la composition des Principes de médecine
expérimentale, inachevés, qui devaient
comprendre un deuxième volume sur la
médecine professionnelle ou pratique, « triste
profession », pour Claude Bernard, qui avait
évité de s'y commettre. Selon ses prévisions,
elle devient un peu plus scientifique, mais
les grands problèmes d'alors subsistent :
médecine sociale et rapports avec l'État,
protection ou prolongation de la vie (faux
problème pour Claude Bernard... qui ne
vécut que soixante-cinq ans), thaumaturgie...
Ces textes renseignent sur les lectures du
savant, peut-être pas up to date, mais
compréhensives. Trop modestement, dans
une note, le docteur Grmek signale une
leçon nouvelle dans les Principes : il faut lire,
p. 38 de l'édition princeps de 1947, médecine
des « Indiens », et non des « Judéens ».
J.-J. H.
Santé et maladie. Analyse d'une
représentation sociale
Voici un livre qui se distingue de la
production ordinaire des psychologues
sociaux1. Il se présente comme une étude
approfondie d'une représentation sociale :
la santé et la maladie. Par représentation
sociale, il faut entendre, comme nous le dit
la préface de Serge Moscovici, un système
cognitif « doté d'une logique et d'un
langage particulier », c'est-à-dire, non pas
seulement « des opinions ou des attitudes,
mais des « théories », des « sciences » sui
generis, destinées à la découverte du réel
et à son ordination. » Une représentation
n'est pas une image d'un monde donné
une fois pour toutes, mais un scheme
d'action où les aspects cognitifs peuvent
être référés plus ou moins aisément à un
savoir scientifique, qui le crée dans une
« conversation » entre le sujet et le monde.
1. Claudine Herzlich, Santé et maladie,
Analyse d'une représentation sociale, Paris.
1969, École Pratique des Hautes Études, et
Mouton.
1519
 MALADIES ET MORT
Dans cette conversation, le sujet doit être
considéré comme sujet actif, aussi bien
créateur que récepteur du monde, et comme
sujet social appartenant à une certaine
communauté ; l'ordre que la représentation
permet de mettre dans l'environnement est
un ordre socialisé, les catégories élaborées
sont un code d'échange institué pour et
par la communication entre les membres de
la communauté.
Ce type de recherches étudie donc
naturellement les rapports des sujets avec leur
culture, et on ne s'étonnera pas que cette
perspective anthropologique nous éloigne
sensiblement d'une certaine psychologie
sociale behavioriste. Si nous voulions nous
référer aux grands ancêtres, nous dirions que
nous sommes plus proches de G. H. Mead
que de J. B. Watson. C'est dans cette
perspective brièvement caractérisée que C. Herzlich
aborde l'étude de la santé et de la maladie.
Nous sommes prévenus que la
représentation ne sera pas référée à un savoir médical
qui jouerait le rôle d'un modèle auquel on
pourrait systématiquement la comparer ; la
représentation est étudiée comme un
phénomène autonome, dans son rôle de
construction de la réalité sociale.
Le livre est divisé en trois parties ; dans
la première, l'auteur étudie la genèse des
maladies, le rôle du mode de vie et de
l'individu ; dans la deuxième partie, elle
nous propose une classification des
différentes maladies et des différentes santés;
enfin, dans la troisième partie, elle traite
assez longuement de l'hygiène et rapporte
les conceptions de la maladie aux conduites
des malades.
La représentation s'ordonne autour de
quelques notions fondamentales.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, on
apprend que le langage de la maladie n'est
pas le langage du corps mais celui des
conduites et de la personne du malade. La
maladie est générée par le mode de vie
(œuvre de la société), qui est perçu comme
profondément hétérogène à l'état naturel.
Le mode de vie est tout entier contrainte et
agression à l'égard de la nature de l'homme,
qui est, elle, entièrement santé et mesure de
ce qui est sain. La contrainte de la société
est aussi bien source de la maladie
proprement dite que des états intermédiaires
comme celui de fatigue (ni maladie ni santé),
résultat de l'ingestion, de l'incorporation de
ce qui est hétérogène à l'état naturel, de Y
1520
t
toxication lente, concept-clé rendant compte
des effets du mode de vie sur l'individu.
Le mode de vie est donc agression
aliénante fondamentalement étrangère à
l'individu, qui refuse la vie moderne et oppose,
dans sa quête de réconciliation imaginaire,
le malsain-urbain-actuel au sain-rural-
ancien. Toutefois, l'individu n'est pas
totalement impuissant devant ce mal sans
visage. Sa nature est santé, un capital, un
fond de santé, un équilibre, qui est
résistance à l'agression. Dans le conflit engagé
entre cette nature et cette culture totalement
« autre », le sujet dispose de quelques degrés
de liberté : il peut lutter, il peut devenir plus
fort et s'adapter, en bref, il peut être actif.
Cette activité du sujet est une activité sociale,
et c'est par elle que le langage de la santé
et de la maladie exprime le rapport, non
plus passif, cette fois, de l'individu à la
société. L'individu peut refuser d'être
malade en faisant comme si tout allait bien, et
il ne sera pas malade. La maladie est donc,
tout à la fois, une agression de la société ,
et un rapport à autrui par soumission
et abandon. Elle est dessocialisation d'un
individu qui se situe entièrement dans
l'univers social actuel, celui-ci exigeant des gens
en bonne santé et rejetant les malades ; la
santé est l'intégration à une société qui fait
tout pour la détruire.
C'est dans ce duel étrange que s'exprime
le mieux la représentation. L'activité de
l'individu est toujours lutte contre la société,
qu'on veuille s'y intégrer et jouer
pleinement son rôle social, comme c'était le cas
à l'instant des tenants de la maladie
destructrice ou qu'on la refuse en s 'affirmant
distinct de son rôle, et en cherchant dans la
maladie libératrice un accomplissement de
soi qui n'est pas possible dans la vie de
routine. C'est encore l'activité qu'on
rencontre chez ceux qui parlent de la maladie-
métier, puisque là, le sujet a pour tâche
essentielle de lutter contre la maladie et de gagner
un combat qui a été imposé ; il y a, à ce
niveau, conservation, dans la maladie, des
valeurs sociales de la santé.
La société est aliénante et destructrice,
l'individu est source de santé et de
résistance, engagé dans un duel perpétuel avec
le monde de vie ; mais pour lui,
paradoxalement, le signe de la réussite est l'ajustement,
l'adaptation à la société agressive. Santé
et maladie sont donc plus des conduites que
des états. Il faut, à la limite, plutôt parler de

malades et de bien portants que de maladie
et de santé. Ce qui est en cause dans
l'activité du sujet, c'est son identité. On le voit
clairement dans les comportements
d'hygiène et ce que l'auteur appelle le paradoxe
hygiénique. L'hygiène peut apporter au
mode de vie une réponse efficace, elle peut
rendre supportable une vie malsaine en
évitant l'invasion de l'organisme par le
monde extérieur. Encore faut-il que les
comportements soient libres, car toute
hygiène qui « participerait » trop du mode
de vie serait, elle aussi, agressive.
La valorisation du sujet actif apparaît
également dans les pages consacrées à un
monde sans maladie. Si celui-ci n'était pas
l'œuvre de la nature, mais le fruit d'un
artifice social, il mettrait en danger
l'intégrité psychologique de l'homme, son
identité. Tout est combat, on le voit, entre la
nécessité et la liberté, et c'est dans ce
dialogue que se révèlent l'image de la société,
l'interprétation que donnent les sujets de
leurs rapports aux contraintes qui pèsent
sur eux et leur besoin d'exprimer leur liberté
face aux défauts de ce monde et à la mort.
Nous croyons en avoir assez dit pour
faire comprendre quels sont les grands
thèmes de l'ouvrage, mais un tel résumé est
bien imparfait qui ne peut faire saisir la
subtilité d'une pensée très mobile ainsi que
la finesse et la richesse de l'analyse.
Le livre est bâti sur un matériel « clinique »
d'entretiens individuels dont l'auteur nous
donne quelques échantillons. On trouvera,
également en annexe, les thèmes utilisés
pour le guide d'entretien ainsi qu'une
vingtaine de tableaux étayant les analyses et
conclusions de l'auteur.
A ce type de recherche, on peut toujours
faire le reproche d'être peu démonstratif et
convaincant, et d'avoir sélectionné
l'information tant au moment de l'entretien qu'au
moment de la mise sur pied des catégories
et de l'analyse. On présenterait ainsi une
conception qui devrait autant au
psychosociologue qu'à ses informateurs. On peut
répondre à cela que toute problématique
oriente la sélection et qu'une telle critique
peut être formulée à l'égard de toute
enquête fût-elle « quantitative » : Claudine
Herzlich est donc en fort bonne compagnie.
Certes, on pourrait regretter que
COMPTES RENDUS
lyse des conceptions de la maladie ne soit
pas systématiquement faite (bien qu'elle soit
abordée dans la IIP partie) en fonction des
expériences de maladie et que l'auteur
préfère construire ses tableaux avec des
catégories comme la profession ou le sexe plutôt
qu'avec une dimension de gravité qu'elle
aurait pu élaborer et qui, nous semble plus
pertinente à son problème. Le fait que la
maladie soit plus exprimée en termes de
comportement qu'en termes du corps,
n'est-il pas imputable à un choix des thèmes
que l'enquêteur proposait à ses sujets ? Et
pourquoi si peu de choses sur la mort ? N'y
avait-il pas, également, possibilité d'aller
plus loin dans la conception que les sujets
ont de leur corps, du fonctionnement de
leur corps ? Ceci n'aurait-il pas rendu
possible une analyse plus rigoureuse des
rapports au médecin et surtout des rapports
aux médicaments, dont nous connaissons
l'importance dans notre société ? Qu'il
soit dans tout ce livre beaucoup question
de la déesse Hygeia mais assez peu d'Escu-
lape, sera regretté par certains. Peut-être
(comme le laisse entendre l'auteur) cela
doit-il être imputé au fait que l'enquêteur
n'était pas médecin.
Ces questions et ces critiques n'enlèvent
rien à la valeur d'un travail, bien écrit
et de lecture aisée, qui s'est attaqué avec
courage, par le biais de la représentation
de la santé et de la maladie, à l'étude des
rapports que nous entretenons avec notre
société. Nous avons là un travail qui « parle »
et nous avons été maintes fois fasciné par
la qualité de la restitution des problèmes
qui sont les nôtres.
Pour qui sait lire attentivement, ce livre
apporte plus encore ; la description et
l'analyse des notions « naïves » réservent des
surprises aux spécialistes des sciences
humaines et nous ont mis en joie plusieurs
fois. Ne citons que la notion « naïve »
d'équilibre, tout à la fois acte et état,
déterminant et résultat, qui ne semble en rien
différente du « concept » d'équilibre tel
qu'il est utilisé couramment en sociologie
ou en psychologie sociale. Voilà qui ne
manquera pas de plonger dans la
perplexité et, espérons-le, d'inciter au travail.
Gérard Lemaine.
1521