Vous êtes sur la page 1sur 10

UE 1.1.

Semestre 2 – Février 2013


Cours Chapitre 5 Les représentations sociales de la santé et de la maladie. Charlotte Simon
Cours réalisé avec le concours de Madame Emilie Legrand, MCF IUT du Havre.

Chapitre 5
Les représentations sociales de la santé et de la maladie

Introduction
La thématique des représentations sociales de la santé et de la maladie est une thématique
classique de la sociologie de la santé. Elle met en évidence la part de social dans les problématiques
de santé, ce qui permet de légitimer le discours des sciences humaines et sociales sur les questions
de santé.
Réfléchir à ces questions de représentation. Avec la transformation des maladies, et notamment
la prédominance des maladies chroniques, le rôle des soignants change : il ne s’agit plus seulement
de soigner une maladie, mais il s’agit aussi d’accompagner le malade et de lui donner un certain
nombre d’outils afin qu’il gère au mieux sa maladie au quotidien, la plupart du temps à domicile.
Ce qui va transformer leurs rôles. Désormais le malade participe à sa prise en charge en mettant en
œuvre des compétences pour se soigner. Dans cette situation, les soignants ne sont plus uniquement
des dispensateurs de soins, mais deviennent aussi des éducateurs, afin de faciliter l'apprentissage
des patients pour qu'ils acquièrent les compétences nécessaires.
Or devenir éducateur pour les professionnels nécessite des compétences spécifiques, qui s’appuient
sur une connaissance du patient, de ses besoins, mais aussi de ses savoirs, de ses expériences, de ses
croyances, de ses représentations en matière de soins, de maladie, de rapport au corps… tout cela
dans un souci d’efficacité thérapeutique pour aider au mieux le patient à gérer sa maladie et son
traitement.
Or, pour développer une telle relation de soins, le soignant doit connaître les représentations de la
personne afin de comprendre son point de vue et définir les soins adaptés. Et les représentations
peuvent favoriser ou au contraire être des freins dans les projets de soins.

I La maladie, un phénomène social et culturel


Dire qu’il existe des représentations de la santé et de la maladie, implique que la maladie comme la
santé sont des phénomènes sociaux, qui ne peuvent se réduire à une explication strictement
organique. En effet, la maladie est gérée suivant des modalités différentes selon les sociétés puisque
chaque société est porteuse de croyances, de valeurs, de représentations particulières, qui vont
interférer sur la maladie, au même titre que sur n’importe quel aspect de la vie sociale.

1)Définition d'une représentation sociale


Il n’y a pas de définition commune à tous les auteurs. Référence ici à la définition de Denise
JODELET : « Les représentations sociales désignent une forme de pensée sociale. Ce sont des
formes de connaissance courante, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et
concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social. »
Les représentations sociales ont pour but de donner du sens à la vie quotidienne et sont partagées
socialement.
Pour le dire très simplement, les représentations, c’est « la façon dont on ressent les choses ». C’est
« un ensemble d'opinions, d'attitudes, de croyances et d'informations » relatives un objet ou à une
situation. Cette représentation dépend en grande partie du système social.

1
UE 1.1. Semestre 2 – Février 2013
Cours Chapitre 5 Les représentations sociales de la santé et de la maladie. Charlotte Simon
Cours réalisé avec le concours de Madame Emilie Legrand, MCF IUT du Havre.

2)Le modelage culturel de la maladie


Etre malade ou être en bonne santé n’est pas une réalité universelle, décloisonnée de la société à
laquelle on appartient. La signification va dépendre de la société à laquelle on appartient mais aussi
du groupe social auquel on appartient. Si nous avons tous fait l’expérience de la maladie, notre
façon de réagir, d’identifier des dysfonctionnements comme les symptômes annonciateurs d’une
maladie dépendent de l’espace social et culturel dans lequel on se place.

Ce sont les anthropologues qui ont les premiers ouvert cette voie de la maladie comme fait social et
culturel. A travers l’étude des médecines primitives, ils ont montré très clairement :
-la variété des croyances, attitudes, pratiques entourant la maladie ;
-la variété des pratiques médicales ;
-la variété du sens donné à la maladie ;
-la variété des états considérés comme normaux ou pathologiques.
L’étude des sociétés montre bien l’écart entre maladie - état physique et la maladie
socialement reconnue.

3 exemples :
Premier exemple : Des phénomènes considérés par la médecine occidentale comme pathologiques
ne sont pas toujours analysés comme des symptômes : exemple des vers intestinaux.
Deuxième exemple : selon les sociétés, on attache un intérêt plus ou moins grand à différents
organes ou différentes parties du corps. Exemple de l'abdomen (hara) au Japon.
Troisième exemple : Adam et Herzlich soulignent l’existence de « syndromes liés à la culture ».
Exemple du susto = Maladie spécifique de l’Amérique latine.

3)La maladie comme signifiant social


Pour Adam et Herzlich, « La maladie est socialement définie ». Des sociétés différentes
reconnaissent chacune des maladies spécifiques. De plus, la maladie est toujours un état doté de
significations sociales : être malade ou bien-portant n’est jamais socialement équivalent.

Par ailleurs, toute maladie est un phénomène signifiant. L'activité médicale est interprétative. Le
médecin interprète les symptômes ressentis par son patient et les retraduit dans les catégories du
savoir médical fondées sur des notions biologiques. Le malade, de son côté, possède son propre
point de vue concernant son état et s'est forgé un « modèle explicatif » ; celui-ci peut être en partie
individuel mais il est aussi enraciné dans la culture.
Exemple : Cas d’une femme chinoise émigrée du Viêt-Nam aux Etats-Unis venue consulter pour
une sensation très douloureuse de « poids sur la poitrine ».

Conclusion. Chaque société a ses maladies, a ses symptômes et traduit ses symptômes dans son
langage médical (même si proximité de langage en fonction des aires géographiques).

II La construction sociale de la maladie


Vous devez avoir bien que conscience que la maladie est une construction sociale. C’est le monde
médical qui édicte ce qu’est une maladie et qui décide qu’un état est pathologique et non normal.

2
UE 1.1. Semestre 2 – Février 2013
Cours Chapitre 5 Les représentations sociales de la santé et de la maladie. Charlotte Simon
Cours réalisé avec le concours de Madame Emilie Legrand, MCF IUT du Havre.

1) Le pouvoir de la médecine
Les catégories médicales (de la médecine) sont dominantes pour expliquer la maladie=
spécificité des sociétés occidentales.
Les « profanes » (opposition aux professionnels) assimilent une grande partie des nomenclatures
médicales. D’autant que la Sécurité Sociale protège le médecin. Domination assez forte de la
médecine.
L’objet maladie est une construction sociale - et non une réalité objective - largement construite par
la médecine. A partir de dysfonctionnement, le médecin va décréter que c’est une maladie. On peut
donc dire qu’il existe une « construction médicale de la maladie » (Herzlich, 1984).

C’est par exemple la médecine qui délimite la frontière entre le normal et le pathologique. Dans
notre société, c’est au corps médical qu’a été déléguée la légitimité de trancher.
G. Canguilhem a montré que ce jugement ne reposait pas seulement sur des bases objectives
(taux de sucre dans le sang), mais également sur des valeurs. Les sociologues discutent peu de la
distinction du normal et du pathologique lorsqu’il s’agit de maladies dont la base somatique est
acceptée par la médecine et la société : en fonction de taux (même si on pourrait discuter des taux
qui sont aussi des normes : débat autour de l’IMC qui est une norme).
Mais il existe des maladies controversées, dont le fondement biologique n’est pas démontré
clairement. Exemple des maladies mentales où il n’y a pas vraiment de critère objectif.
Cas des troubles mentaux où la distinction entre normal et pathologique est incertaine.

Des états peuvent être qualifiés de maladie à une période donnée et ne plus l'être à une autre période
(homosexualité). A l’inverse, un état qui a été considéré comme un comportement délictueux,
désagréable, dangereux qui va devenir un état pathologique (maladie alcoolique).
Exemples de l’hyperactivité et des pervers narcissiques = Pour ces deux derniers cas, on construit
des critères pour objectiver la maladie.

Apparition des « troubles des conduites », des comportements à risque chez les adolescents.
Des rapports sur la souffrance (ordinaire, des ados, des pauvres et des exclus, au travail, etc.) se sont
multipliés, manifestant une nouvelle préoccupation, un « problème social » et de santé publique.
Passage de la maladie mentale à la santé mentale qui est devenue problème public.

On ressent moins cette construction sur des pathologies classiques où les signes objectifs sont clairs
(cancer). En revanche, pour d’autres pathologies, dans le champ psychiatrique, c’est plus
compliqué.
Exemple des addictions. En France, on est encore très centré sur l’addiction à un produit toxique
(alcool, drogue, tabac). C’est plus compliqué pour les autres addictions (jeu, achat : achat
compulsif/dépression). Question de l’addiction au sexe.
D’autant qu’il existe une pression des laboratoires pharmaceutiques qui ont tout intérêt à ce que la
médecine trouve de plus en plus de maladies pour pouvoir vendre des médicaments.

= C’est la médecine qui construit des états en maladies ou les déconstruit.

De plus dans notre société, seuls les médecins ont le mandat à diagnostiquer la maladie et à
reconnaître le statut de malade et le cas échéant l’exempter d’un certain nombre de ses
responsabilités ou rôles sociaux (pouvoir du certificat médical et de l’arrêt maladie).
Le fait de nommer, d’étiqueter la maladie comme telle et de reconnaître le statut de malade n’est
pas neutre socialement. Cela a des conséquences sociales évidentes (parfois même stigmatisantes).
D’où parfois des individus qui refusent le statut de malade, ne voulant pas être étiquetés.
= Force de la médecine.
3
UE 1.1. Semestre 2 – Février 2013
Cours Chapitre 5 Les représentations sociales de la santé et de la maladie. Charlotte Simon
Cours réalisé avec le concours de Madame Emilie Legrand, MCF IUT du Havre.

2) L’influence des représentations sur les professionnels

Sous-partie importante !

Dans notre société, les maladies, et plus particulièrement certaines d’entre elles, sont interprétées de
manière spécifique. Chaque maladie est porteuse de représentations sociales. Et certaines maladies
sont plus prégnantes que d’autres dans l’imaginaire collectif et sont très connotées, négativement.
Exemples : sida, cancer du poumon, cirrhose du foie.
Problème : les représentations nuisent à la prise en charge et à la prévention.

A titre individuel, ces représentations peuvent avoir une incidence sur les pratiques, sur le rapport à
autrui… On peut supposer que la qualité de la prise en charge ne sera pas la même selon l’image
que l’on se fait d’une maladie (Réf Anne Véga).
Exemples de la maladie alcoolique ; du Sida ; de la maladie d’Alzheimer

III Les représentations sociales des profanes (partie essentielle !)


Si globalement nous tenons la médecine pour vraie, si la maladie est le plus souvent envisagée à
partir de l’approche médicale, la maladie ne s’identifie ni entièrement ni exclusivement à la vision
médicale.
Les représentations des soignants et celles des patients, même si elles ont des points communs, sont
généralement différentes. La compréhension des patients et de leur entourage diffère parfois de
celle des soignants et ces écarts sont plus ou moins importants selon les origines sociales, culturelles
des patients.
Par ailleurs, ce que la médecine définit comme maladie, n’est pas toujours en phase avec ce que
ressent la personne : il n’est pas rare de se sentir malade sans l’être du point de vue du médecin, ou
de ne pas se sentir malade mais de l’être pour le médecin. Il existe donc une pensée « profane » sur
la santé et la maladie, qui renvoie à une logique indépendante du savoir des « professionnels ».

1) La pensée profane de la maladie


La réalité de la maladie pour le médecin n’est pas nécessairement la même que la réalité de la
maladie pour le malade. Il existe une construction profane de la maladie.

Référence aux travaux de C. Herzlich1 qui montre comment les représentations s’expriment en un
langage qui n’est pas celui du corps mais celui du rapport de l’individu à la société. La façon dont
on parle de la maladie et de la santé est très différent du langage médical. Alors que le second le
caractérise à partir d’un « langage du corps, de l’organique », les premiers se référent davantage à
l’impact que cela a pour l’individu dans son rapport aux autres. Le malade décrit son état à partir de
l’inactivité que cela engendre et évoque les implications de la maladie par rapport à la modification
de son mode de vie et de son identité sociale ; alors que les médecins parlent de la maladie en
termes de symptômes et de processus corporels.

1
C. Herzlich, Santé et maladie : analyse d’une représentation sociale, 1969
4
UE 1.1. Semestre 2 – Février 2013
Cours Chapitre 5 Les représentations sociales de la santé et de la maladie. Charlotte Simon
Cours réalisé avec le concours de Madame Emilie Legrand, MCF IUT du Havre.

2) Les différentes conceptions de la maladie


Travaux de C. Herzlich (1969) : elle a élaboré trois types de conceptions de la maladie : la maladie
destructrice, la maladie libératrice, la maladie métier. (Vous devez être capable de repérer chaque
conception et de les définir).

La maladie " destructrice "


La maladie est perçue comme destructrice lorsqu’elle prive l’individu de ses activités et de ses
rôles sociaux habituels, ce qui se traduit par l'inactivité et un isolement important. L’individu a le
sentiment d’avoir totalement perdu son identité avec la survenue de la maladie, synonyme de perte
(du rôle social, sentiment d’inutilité). Les individus ont l’impression de subir la maladie.
L’abandon du rôle social va souvent de pair avec la dépendance à autrui. L’individu voit cette
dépendance comme une violence qui lui est faite qui vient s’ajouter à l’inactivité induite par la
maladie. L'aide est malaisément acceptée.
Dans cette conception « destructrice », le sujet oscille entre nier sa maladie et une impuissance
totale. L'individu maintiendra son activité le plus longtemps possible. Il refusera les soins, le
recours au médecin, il refusera de « savoir », de s'informer sur son état. Et si la maladie s'installe et
dure, le dernier pas est franchi, le malade est vaincu par la « vraie » maladie. La passivité prend
alors le pas sur la négation.
D’où l'apparition de sentiments d'angoisse, de l'expression de thèmes d'anéantissement. La maladie,
c'est le néant, c'est la mort. Mais la mort sur le plan social, c.à.d. que le malade se sent anéanti, sa
vie n’a plus de sens avec les pertes induites par la maladie. La mort est psychologique et sociale
avant d'être organique. La destruction menace la personnalité encore plus que le corps. Il ne voit
aucune possibilité de restaurer son identité.
Certains décrivent une véritable dépersonnalisation, on n'est plus soi-même, on est envahi par un
« personnage » de moindre valeur.

La maladie " libératrice "


La maladie peut être vue comme libératrice si elle permet à l’individu de se libérer de rôles
sociaux trop pesants et contraignants ; la maladie apporte une certaine légèreté, c’est une occasion
pour réaliser des choses qu’on avait jusque là laissées en suspens en raison des contraintes sociales,
et donc un moment propice à la découverte du « vrai sens de la vie ».
Il existe deux conceptions de la maladie libératrice :
- l'une où la maladie, de manière plus « terre à terre », se présente comme rupture du quotidien et
des obligations sociales. Elle est alors exceptionnelle. La maladie représente une halte bienfaisante
dans l'existence du sujet.
- plus dramatique, l'autre conception y voit un phénomène exceptionnel de par sa nature même,
chargé de significations plus intenses. Elle englobe la maladie grave, la mort.

Pour être dans la maladie libératrice, il faut quatre éléments :


- individu qui aime la solitude : l'exclusion de la société est assumée non comme destruction,
mais comme libération et enrichissement de la personne. Le malade retrouve des possibilités
de vie et de liberté.
- La souffrance doit être contrôlée.
- Le malade apprécie les activités intellectuelles permises par la levée des obligations sociales, il
accorde à la solitude un caractère bénéfique.
- Le malade est soutenu par son entourage. L'attitude des autres est déterminante. Si la maladie
est acceptée par l'entourage, une conception positive de la maladie peut s'élaborer. Mais
lorsque l'attitude des autres cesse d'être favorable, lorsque la maladie n'est plus tolérée par
l'entourage mais ressentie comme une lourde charge, son caractère bénéfique s'estompe.

5
UE 1.1. Semestre 2 – Février 2013
Cours Chapitre 5 Les représentations sociales de la santé et de la maladie. Charlotte Simon
Cours réalisé avec le concours de Madame Emilie Legrand, MCF IUT du Havre.

La maladie " métier "


La maladie devient métier lorsque la personne est atteinte d’une maladie grave et organise sa vie
autour de la maladie, va mettre tous les moyens en œuvre pour lutter contre la maladie. L'accent est
donc mis sur la lutte active du malade. La maladie n’entraîne pas de transformation radicale dans
l’image que la personne a d’elle-même ; celle-ci conserve un rôle valorisé et préserve son identité
sociale par la lutte contre sa maladie. Ce combat devient l’élément central de sa vie, l’équivalent
d’une activité professionnelle.
La maladie-métier se caractérise aussi par l’acceptation de la maladie. Le patient s’estime en
mesure de participer au processus de guérison et voit en ses rapports avec le médecin un échange et
une coopération. Le malade veut savoir ; « savoir » pour le malade, c'est posséder une des
conditions nécessaires au moral, à la lutte.
La maladie-métier renverse les attributs traditionnels de la maladie :
- la conservation des valeurs sociales de la santé au sein de la maladie : activité, énergie, volonté
définissent le malade et la maladie comme elles définissent le bien-portant et la santé.
- La maladie est une situation d'apprentissage : le malade apprend à lutter, devient « plus fort » et
cet apprentissage semble réutilisable dans la santé.
- La guérison est l'issue normale de la maladie : le malade est « occupé à guérir ». La maladie est
une parenthèse dans le temps de la santé.
- Si l'individu doit se créer un nouveau mode de vie, ce dernier doit le plus possible ressembler à la
« vie normale » avec adaptations, mais aussi des compensations et de nouveaux intérêts.

Attention : un même individu peut vivre plusieurs conceptions. Ce ne sont pas des conceptions qui
s’excluent.

3) Représentations et groupes sociaux


Il existe des variations dans les représentations selon les différents groupes sociaux. Une différence
importante concerne la manière de concevoir la santé. Recherche de J. Pierret, conduite à la fin des
années 70 : pour les membres des classes populaires, la santé est un « instrument », le plus
important de tous : « quand on a la santé, on peut tout faire ; tout est possible et surtout travailler ».
Parmi les membres des classes moyennes, en revanche, la santé est tantôt énoncée comme une
valeur personnelle par rapport à laquelle on organise son comportement, tantôt comme la résultante
collective des politiques publiques et de l’action de l’Etat.

De plus, le rapport au corps est socialement déterminé.


Les « usages sociaux du corps », pour reprendre l’expression de L. Boltanski, sont en effet liés à la
classe sociale d’appartenance. Dans une enquête, l’auteur montre que les classes populaires nouent
une relation plutôt instrumentale avec leur corps. Par exemple, la maladie est ressentie comme une
entrave à l’activité physique, à l’activité professionnelle. La valorisation de la force les conduit à
une meilleure tolérance à la douleur, ils répugnent davantage à se sentir malade. A l’inverse, les
classes sociales privilégiées ont une relation au corps plus attentive. Elles établissent une frontière
plus ténue entre santé et maladie, et tendent à avoir une attitude plus préventive.

Implication en termes d’inégalités sociales de santé (au-delà des déterminants financiers et


géographiques) = déterminants culturels dans les inégalités de soins. D’où des attitudes différentes
en termes de recours aux soins. Les classes populaires sont davantage dans le curatif ; les classes
favorisées sont davantage dans le préventif.

6
UE 1.1. Semestre 2 – Février 2013
Cours Chapitre 5 Les représentations sociales de la santé et de la maladie. Charlotte Simon
Cours réalisé avec le concours de Madame Emilie Legrand, MCF IUT du Havre.

IV Les systèmes explicatifs de la maladie


Dans notre société où la médecine scientifique s'est imposée, le savoir médical fournit à
chacun des notions et des explications concernant la nature et les causes biologiques du mal. Les
individus peuvent, eux, se référer à d'autres cadres explicatifs.

1) La quête de sens
Cette quête de sens est universelle. Dans toute société, toute personne qui se sent malade se
demande pourquoi et va chercher une explication.
Le malade va ainsi élaborer un système explicatif pour donner du sens à sa maladie. Donner du
sens, revient à rechercher la cause de la maladie, d’autant qu’une explication en termes de hasard,
de malchance est difficilement envisageable.

2) Le sens donné à la maladie


Questions centrales : D’où proviennent les maladies ? Quelle est leur origine ?
Les conceptions causales de la maladie oscillent entre deux pôles. Dans le premier cas, la
maladie est exogène : l’homme est naturellement sain, la maladie est due à des éléments nocifs.
Dans le second, elle est endogène à l’homme, « en germe » chez l’individu ; les idées de terrain,
d’hérédité, de dispositions sont alors les concepts-clés.

La représentation exogène de la maladie


Elle s’inscrit dans une tradition judéo-chrétienne.
Longtemps c’est la thèse de la punition divine qui a dominée : Dieu envoie la maladie à l’homme en
raison de sa nature pécheresse. En termes de représentations de la maladie, cela renvoie à l’idée que
la maladie vient d’une puissance extérieure, = « la représentation exogène de la maladie ».
Référence à C. Herzlich qui a bien montré que le modèle explicatif de la maladie élaboré par les
personnes était fondé sur cette interprétation exogène. Les entretiens révèlent que le déclenchement
de la maladie est imputé au mode de vie malsain inhérent à la société moderne, perçue comme une
société agressive voire nocive (rythme de vie, nourriture chimique, pollution…). Dans la conscience
collective, la société serait nocive, attaquerait l’individu jusque dans son corps et s’incarnerait dans
la maladie.
Ce modèle d’interprétation du mal se fonde sur le même que celui développé par Pasteur : le
symptôme est lié intrinsèquement à un microbe (agent extérieur) qui cause la maladie. La médecine
moderne nous a inculqué ce mode de raisonnement qui est repris dans les représentations profanes.
Aujourd’hui, nous sommes toujours dans une théorie causale selon laquelle le mode de vie moderne
(malsain) engendre des maladies.

Concernant l’alimentation, certains aliments sont devenus menaçants. Ils représentent autant
d'agents menaçants qu'il faudra soustraire pour retrouver la santé.

Dans cette conception de la maladie comme agent externe colonisant le corps, il y a dans le corps
quelque chose en trop qui rend malade.

Le modèle endogène : la maladie vient de l'intérieur


Le modèle endogène amène à considérer la maladie de l'intérieur même du sujet. Cette conception
peut aussi bien apparaître dans les interprétations populaires que dans les constatations scientifiques
modernes.

7
UE 1.1. Semestre 2 – Février 2013
Cours Chapitre 5 Les représentations sociales de la santé et de la maladie. Charlotte Simon
Cours réalisé avec le concours de Madame Emilie Legrand, MCF IUT du Havre.

On peut distinguer deux variantes :


–Une variante biologique s'illustre par le courant de la génétique. La personne atteinte, par exemple
d'un diabète, ne pourra être tenue pour responsable de son affection.
–L'autre variante, psychologique, largement diffusée par l'approche psychanalytique, considère que
l'individu crée lui-même sa maladie, inconsciemment.

Une maladie peut se référer deux systèmes explicatifs. Si nous prenons l'exemple des maladies
génétiques, il ne paraît pas avoir de doutes sur leur caractère endogène. En revanche une maladie
comme le cancer peut être envisagée suivant les deux modèles endogène et exogène.
En fait le modèle privilégié sera le plus souvent un modèle synthétique : on peut incriminer un
agent extérieur (la pollution, le tabac, les déchets atomiques, etc.) mais comme cette causalité n'est
pas génératrice de cancer chez tous les individus, on va chercher d’autres interprétations en
complément (une fragilité psychologique par exemple, un stress vécu…).

3) Exemple
FAINZANG « La culture, entre représentations de la personne et politiques de santé. Mises en
perspective avec qq données occidentales »2. Référence à des travaux de 1996.
Etre capable de présenter cet exemple.
Elle s'intéresse aux discours sur la causalité alcoolique, intégrant certaines représentations en
fonction du sexe du buveur. Ces représentations culturelles, largement partagées par les buveurs et
par la population générale – dont les professionnels de santé -, s’appuient sur des stéréotypes
sexuels qui attribuent l’alcoolisme masculin à la pression sociale, à l’habitude ou à l’entraînement à
boire, et l’alcoolisme des femmes à la dépression ou aux difficultés psychologiques.
Il existe une fréquente occultation de certaines causes au profit de certaines autres. On évoque
ainsi des causes psychologiques pour les femmes (tendances dépressives, deuil, divorce, perte d’un
enfant, etc.) et des causes sociologiques pour l’alcoolisme des hommes (mauvaises conditions de
travail, chômage, injustice, etc.). La cause est présentée comme située hors du buveur (elle lui est
exogène) alors qu’elle est dans la femme (elle lui est endogène).

Ces explications reposent sur des représentations du genre selon lesquelles les femmes seraient
psychiquement plus vulnérables, et auraient des nerfs naturellement fragiles, à la différence des
hommes chez qui les nerfs seraient endommagés par l’alcoolisation excessive. Les « nerfs
malades » seraient donc en amont de l’alcoolisation chez les femmes, et en aval de l’alcoolisation
chez les hommes.

Ces représentations sont très liées à la construction sociale des catégories de sexe. On constate en
effet que les discours façonnés par les sujets sur l’alcoolisme masculin et féminin visent à renvoyer
d’eux une image sociale conforme à la construction culturelle des catégories de sexe. Trouver une
raison psychologique (dépression, fragilité) est nécessaire pour la femme chez qui l’alcoolisation est
stigmatisée. Trouver une raison sociologique (et évoquer l’habitude ou l’entraînement) est
nécessaire pour l’homme chez qui une « fragilité » serait stigmatisée et chez qui, en revanche
l’alcoolisation est valorisée en tant qu’elle atteste la sociabilité dans laquelle cette consommation
s’insère.

2
Maladie et santé selon les sociétés et les cultures sous la direction de Maurice Godelier, PUF, 2011 Paris

8
UE 1.1. Semestre 2 – Février 2013
Cours Chapitre 5 Les représentations sociales de la santé et de la maladie. Charlotte Simon
Cours réalisé avec le concours de Madame Emilie Legrand, MCF IUT du Havre.

Dès lors, les prises en charge proposées dans les centres d’alcoologie se heurtent à une difficulté.
En effet, les hommes sont beaucoup plus rétifs que les femmes à se soumettre à une thérapie
psychiatrique qu’ils associent à l’existence de difficultés psychiques en amont de leur alcoolisation.
En revanche, ils acceptent plus volontiers de suivre un traitement psycho-actif s’il est prescrit par un
médecin généraliste parce qu’ils le perçoivent comme une médication réparatrice des dommages
causés par l’alcool, et non pas d’une vulnérabilité intrinsèque de leurs nerfs. Les représentations ont
bien un impact sur la prise en charge.
Les professionnels tendent à partager avec la population ces représentations culturelles, de sorte que
les politiques de santé peinent à prendre en compte les effets produits par ces constructions
symboliques, qui ne sont pourtant pas sans incidence sur les choix thérapeutiques. = Echec dans la
prise en charge des maladies alcooliques.
Même si évolution : représentation parfois exogène chez les femmes (saoulerie collective). En
revanche, peu d’évolution chez les hommes.

4) L'implication sur les modèles thérapeutiques

De ces conceptions de la maladie, vont souvent découler la préférence pour des modèles
thérapeutiques.

- dans la représentation exogène, on va privilégier les traitements à visée soustractive


(expulser le mal, enlever le mal) = le modèle allopathique. Si la maladie est considérée
comme une agression d'un agent pathogène, la riposte thérapeutique sera la contre agression. Je
combats l'agent extérieur. Les antibiotiques, dont le sens étymologique est contre (anti) la vie
(bio), illustrent parfaitement cette démarche. Exemples des antidépresseurs ; des neuroleptiques
pour chasser les idées délirantes ; de la chirurgie qui extirpe le mal ; des thérapies
comportementales qui visent à éliminer les conduites négatives (enlever la peur, la phobie).

Cette conception de la maladie comme agent externe colonisant le corps appelle des thérapeutiques
soustractives pour expulser le mal, lever les sorts ou procéder à l'extraction chirurgicale. Il y a dans
le corps quelque chose en trop qui rend malade, il faut donc l'expulser, le faire partir, l'enlever.
Cette représentation dominante dans les sociétés occidentales comme agent ennemi appelant une
intervention symbolique de l'exorciste ou une intervention chirurgicale par extraction n'est pas sans
lien avec le fond historico-culturel du christianisme (pratique de la saignée).

- Le modèle endogène s’appuie sur des traitements à visée additive. Je renforce les défenses de
mon organisme. = modèle homéopathique. Ce modèle consiste à donner un « plus » de
résistance à l'organisme en administrant la maladie à des doses infinitésimales. Cette démarche
se retrouve dans l'homéopathie, dans le principe de la vaccination, dans la cure analytique.
Donner un plus à l'organisme pour qu'il puisse mieux se défendre contre la maladie.

J’ai simplifié mais on peut combiner les deux modèles. Ainsi dans le cadre de la psychose, on
prescrira des neuroleptiques et une psychothérapie d'inspiration analytique. De la même façon un
traitement antibiotique prescrit pour traiter une infection pourra être suivi d'un traitement
homéopathique. Débat sur l’autisme.

9
UE 1.1. Semestre 2 – Février 2013
Cours Chapitre 5 Les représentations sociales de la santé et de la maladie. Charlotte Simon
Cours réalisé avec le concours de Madame Emilie Legrand, MCF IUT du Havre.

CONCLUSION
La différence d’appréhension de la maladie entre le malade et le médecin est très perceptible
lorsque l’on se réfère à la langue anglo-saxonne qui a trois mots distincts pour désigner la maladie ;
ces distinctions sont révélatrices du sens accordé à la maladie selon que l’on se situe du point de vue
profane ou professionnel.

Le terme illness correspond à la maladie du point de vue du malade. Elle renvoie à l’expérience de
la maladie, telle qu’elle est vécue et éprouvée par le malade.
Le terme disease désigne la maladie du point de vue du médecin, telle qu’elle est appréhendée par
le savoir médical. Le médecin repère différents dysfonctionnements sur le plan physiologique.
Le terme sickness sert à désigner la maladie du point de vue de la société. La maladie est une réalité
sociale qui confère des droits et des devoirs, des protections, des stigmatisations à celui qui est
reconnu comme tel.
Dans cette rencontre entre la maladie telle qu'elle est subjectivement éprouvée (illness) et telle
qu'elle est scientifiquement diagnostiquée (disease), la pratique biomédicale consiste à ramener
intégralement la première à la seconde. On parle de maladie en première personne, de maladie en
deuxième personne et de maladie en troisième personne. Entre « on m'a vidé toute ma cervelle »,
« Il est schizophrène ! », « Il est complètement fou ! » s'entendent trois discours différents sur la
maladie qui peuvent être également vrais : discours du sujet qui souffre, discours du médecin et
discours social.

Autre point. Les représentations de la santé et de la maladie sont variables selon les espaces
sociaux et culturels. De plus, le modèle biomédical n’est pas universel. Et au sein même des
sociétés occidentales, certains individus s’y référent plus volontiers que d’autres.
Ces considérations théoriques prennent tout leur sens lorsqu'il s'agit par exemple de travailler sur
l'observance médicamenteuse (comprendre pourquoi le patient ne prend pas son traitement). Si par
exemple un régime est prescrit par rapport à une pathologie donnée. Pour les soignants il s’agit
d’interdire certains aliments en raison de l’état de santé et de faire en sorte que le patient observe la
prescription. Or, de telles prescriptions peuvent venir bouleverser des habitudes alimentaires, des
goûts et vont engendrer des réactions chez le patient parfois de rejet parce que ces prescriptions
bouleversent trop ses modèles de référence habituels. En conséquence, il est bien important de
comprendre ce qu’un régime par exemple signifie pour le patient dans sa vie quotidienne, dans ses
relations familiales, de couple, professionnelles, sociales, afin d’essayer de mesurer la capacité de
ce patient à suivre ce régime et tenter dans la mesure du possible, de trouver le meilleur ajustement.

Dernier point. La définition officielle de la maladie ainsi que sa réalité clinique, sont à distinguer
de la perception subjective que s’en fait le malade. Expérience à laquelle il cherche à donner du
sens. Et de ce fait, ne pas nécessairement considérer comme irrationnel le fait que le malade ne
suive pas les recommandations médicales et paramédicales, elles-mêmes issues d’une culture
spécifique, qui peuvent être en désaccord avec ses habitudes, ses attentes, ses croyances.

10

Vous aimerez peut-être aussi