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Quelle norme ?

Parole queer et création musicale

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Mathieu Laca, Lord Alfred Douglas et Oscar Wilde, 2019. Huile sur lin, 92 x 183 cm. Collection privée.

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V o l u m e 31 , n o 1 ( 2 021 )

musiques contemporaines

Quelle norme ?
Parole queer et création musicale
Numéro dirigé par Éric Champagne et Mar tine Rhéaume

Avant-propos. Position d’écoute


5 Maxime McKinley

Introduction. Parole queer et musiques contemporaines : vivre et créer hors de la norme


9 Éric Champagne et Martine Rhéaume

Le sexe comme champ d’investigation : réévaluer les outils et techniques d’analyse


de la musique contemporaine
13 Danielle Sofer

« Je ne m’apitoie plus sur le fait » : homosexualité et engagement identitaire


dans les écrits et prises de parole de Claude Vivier
27 Martine Rhéaume

“Isn’t That Life, in a Way: Trying to Accommodate Dissonance?”


Reflections on Lesbianism and the Life and Music of Ann Southam
43 Tamara Bernstein

enquête
Queer Perspectives in New Music
55 Gabriel Dharmoo (With contributions from Annette Brosin, Anthony R. Green, Luke Nickel, Emily Doolittle,
Symon Henry and Teiya Kasahara  笠原 貞野 )

cahier d’analyse
De l’expression d’un désir gay et du queer dans l’opéra contemporain :
le cas d’Elia (2004) de Silvio Palmieri
67 Éric Champagne

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actualités

Un siècle d’écrits réflexifs sur la composition musicale : anthologie d’auto-analyses,


de Janáček à nos jours, de Nicolas Donin (dir.)
83 Robert Hasegawa

Sur le diapason : autour d’un cycle de création, entre son, science et lumière,
de Nicolas Bernier
89 Fanny Gribenski

D’Habitant à Corne de brume : nouveaux récits en création


93 Sébastien Sauvageau, en entretien avec Paul Bazin

97 Les illustrations
99 Les auteurs.trices
103 Résumés/Abstract

Mathieu Laca, Jonathan Bélanger, 2015. Huile sur lin, 92 x 122 cm. Collection privée.

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Avant-propos. Position d’écoute
Maxime McKinley

Depuis quelques années, disons au moins depuis les mouvements de contes-


tation populaire de 2011 – des Printemps arabes à Occupy Wall Street –, des
vagues particulièrement nombreuses de protestations, de remises en cause et
de gestes militants secouent le confort des habitudes, dérangent la quiétude
des acquis. Certes, les accords et désaccords peuvent varier au cas par cas,
mais comment nier que nous n’avons pas fini d’en découdre avec le sexisme,
le racisme, les injustices sociales, la discrimination et, plus directement en
lien avec le présent numéro, l’hétéronormativité ? À voir les prises de position
polarisées, les dérives sur les réseaux sociaux et certaines altercations lors
de manifestations, il est évident que ce sont là des sujets brûlants, laissant
peu de place à l’indifférence. Ces problématiques sont tout sauf réglées. Les
musiques dites contemporaines, sous prétexte d’être autoréférentielles et
asémantiques, devraient-elles être exemptées de ces remises en question, se
soustraire à ces mouvements ? Ce serait discutable sur bien des plans, mais
ce serait déjà faire abstraction du fait que ces musiques existent à travers des
milieux sociaux, composés d’êtres humains. Néanmoins, il est évident que
cet art a des spécificités, une part d’irréductibilité ne pouvant être pensée (ni
penser) de la même manière que s’il s’agissait du cinéma, de la littérature,
ou même de la chanson, par exemple. C’est en cela qu’on peut espérer qu’il

maxime mckinley
soit le lieu, voire l’occasion, de réflexions qui lui sont propres ; d’un éclairage
singulier sur des enjeux communs qui, réciproquement, stimulent et nour-
rissent cet art particulier. Dans cette dynamique, Circuit constitue un espace
éditorial qui n’impose pas de position unique, mais qui, en revanche, propose
une position d’écoute. Ce n’est certes pas suffisant, mais cela demeure indis-
pensable pour réfléchir sereinement, apprendre, se sensibiliser et avancer. 5

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C’est ainsi que Circuit a consacré récemment des dossiers touchant,
1.  Sandeep Bhagwati et Jonathan notamment, au post-colonialisme1 et à l’engagement politique2. D’autres
Goldman (dir.) (2018), De nouvelles dossiers cherchant à situer les musiques contemporaines relativement à des
racines pour une musique nouvelle ?
Perspectives transtraditionnelles et questions sociales, d’intérêt public, sont en préparation. Le présent numéro,
transculturelles, numéro de la revue pour sa part, aborde l’enjeu de la diversité des identités sexuelles dans les
Circuit, musiques contemporaines,
musiques de création. Dans toutes les sphères de la société, la place des com-
vol. 28, no 1.
munautés lgbtq+ ne va toujours pas de soi et continue de faire des vagues.
2.  Luis Velasco-Pufleau (dir.) (2018),
Engagements sonores : éthique et Lorsque, en 2016, Jordan Peterson – professeur de psychologie à l’Université
politique, numéro de la revue Circuit, de Toronto – a pris position, dans la foulée du projet de loi c-16, contre l’uti-
musiques contemporaines, vol. 28, no 3.
lisation de pronoms neutres au nom de la liberté académique, le débat s’est
3.  Voir www.bbc.com/news/world- enflammé et a pris une ampleur médiatique considérable3. Plus positivement,
us-canada-37875695 (consulté le en 2020, le travail de la rappeuse noire et trans Backxwash a été reconnu par
7 décembre 2020).
le prix  Polaris, un « évènement majeur » selon le fondateur de l’étiquette
de disques Trans Trenderz, le rappeur trans Blxck Cxsper. Trans Trenderz,
basée à Montréal, est la seule maison de disques entièrement dédiée aux
musiscien.ne.s noir.e.s trans. En entretien avec le quotidien La Presse, son
fondateur abordait notamment la question linguistique au Québec, parfois
liée aux défis d’inclusivité, mais aussi la diversité de styles musicaux pouvant
4.  Voir www.lapresse.ca/arts/ se retrouver dans la communauté musicale queer4. Parmi cette pluralité
musique/2020-10-24/etiquette- d’expressions, qu’en est-il des musiques dites contemporaines ? D’où partons-
trans-trenderz/faire-rayonner-
les-artistes-trans.php (consulté le nous et où en sommes-nous ? Ce dossier, préparé par Éric Champagne et
7 décembre 2020). Martine Rhéaume en collaboration avec la rédaction de la revue, permet
de lever le voile sur ces interrogations par le truchement, notamment, d’une
5.  L’introduction qui suit relève
perspective multigénérationnelle, allant du Canada des années 1950 jusqu’à
quelques publications de revues
culturelles québécoises d’autres la génération montante d’aujourd’hui5.
disciplines (Esse, Lettres québécoises) En complément à ce dossier thématique, la rédaction a préparé (comme
abordant aussi ce type de questions.
c’est généralement le cas) une rubrique Actualités « hors thème ». Celle-ci
Je tiens également à signaler, dans
le monde francophone européen, s’ouvre ainsi avec deux comptes rendus de livres. D’abord, Robert Hasegawa
le numéro Musique et théorie queer, évoque un ouvrage collectif dirigé par Nicolas Donin, Un siècle d’écrits
paru en 2013, de la revue en ligne
Transposition : musiques et sciences
réflexifs sur la composition musicale : anthologie d’auto-analyses, de Janáček
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sociales, sous la direction d’Igor à nos jours6. J’en profite pour signaler que nous préparons, avec Donin, un
Contreras Zubillaga : https://journals. autre dossier dans lequel nous traiterons de nouveau d’une question publique
openedition.org/transposition/79
(consulté le 7 décembre 2020). importante : comment se positionnent, dans les divers aspects de leurs pra-
6.  Genève, Droz/Haute école de tiques, les milieux des musiques contemporaines face aux défis écologiques
musique de Genève, 2019. mondiaux, à l’ère de l’anthropocène ? Ensuite, un compte rendu de Fanny
7.  Dijon, Les Presses du réel, 2018. Gribenski aborde le livre Sur le diapason de Nicolas Bernier7. Cette fois, ce
8.  Annelies Fryberger (dir.) (2020), n’est pas à un numéro futur que l’on peut faire référence, mais à un numéro
Art + son = art sonore ?, numéro de la
revue Circuit, musiques contemporaines, passé, soit celui consacré aux arts sonores8 – en effet, ce compte rendu sur
6 vol. 30, no 1. le travail de Bernier pourrait être considéré comme en étant une extension !

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Enfin, cette rubrique Actualités se termine par un entretien que le composi-
teur Sébastien Sauvageau a accordé à Paul Bazin, où il y aborde notamment
ses divers projets « lanaudois », menés loin des centres urbains.

Par ailleurs, il convient de consacrer quelques mots de cet avant-propos à notre


équipe. Le numéro actuel (vol. 31, no 1) est le premier de 2021, suivant la célé-
bration de notre 30e anniversaire tout au long de l’année 2020. Depuis 1990,
Circuit s’est intéressée à bien des sujets à travers ses pages, en évoluant au fil
du temps. Et ces pages sont le fruit du travail de nombreux artisans qui, au
cours des ans, s’investissent, collaborent ensemble et, éventuellement, quittent
l’aventure. Je tiens donc à saluer et à remercier très chaleureusement deux
personnes qui ont choisi de tirer leur révérence, après de nombreuses années
de vaillants services : Michel Gonneville, président sortant de notre conseil
d’administration, et Cléo Palacio-Quintin, qui quitte le comité de rédaction.
Michel a signé un texte dans le tout premier numéro de la revue en 1990, et
son nom apparaît sur la liste des membres fondateurs de nos lettres patentes,
lorsque Circuit a été enregistrée comme obnl en 20089 ! Quant à Cléo, elle 9.  On trouvera ici la liste des
était membre de notre comité de rédaction depuis 2011 et a aussi beaucoup contributions de Michel Gonneville
dans nos pages, depuis 1990 : https://
contribué à la revue comme autrice, directrice invitée et, tout particulière- revuecircuit.ca/auteurs/gonneville_mi
ment, en s’impliquant pour la rubrique Actualités10. Après ces au revoir ami- (consulté le 7 décembre 2020).
caux et reconnaissants, viennent des mots de bienvenue tout aussi chaleureux. 10.  On trouvera ici la liste des
contributions de Cléo Palacio-
En effet, notre conseil d’administration accueille trois nouveaux membres :
Quintin dans nos pages, depuis 2012 :
Marie-Hélène Breault, Jean-Guy Côté et –  de retour après trois années de https://revuecircuit.ca/auteurs/
pause – Anne Marie Messier. palacioquintin_cl (consulté le
7 décembre 2020).
En terminant, je rappelle que nous sommes toujours très heureux de
11.  À l’adresse info@revuecircuit.ca.
vous lire ! Ainsi, n’hésitez pas à nous écrire11 et à nous suivre sur les médias
12.  Sur Facebook : www.facebook.
sociaux12. Une revue est un espace fondamentalement collectif, un forum com/revuecircuit ; sur Twitter :
commun prenant son sens à travers ses interlocuteur.trice.s. https://twitter.com/revuecircuit ; et
maintenant sur Instagram : www.
instagram.com/revue_circuit (pages
consultées le 7 décembre 2020).

maxime mckinley

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Mathieu Laca, Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, 2019. Huile sur lin, 92 x 183 cm.

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Introduction. Parole queer et
musiques contemporaines :
vivre et créer hors de la norme
Éric Champagne et Mar tine Rhéaume

Ce n’est que depuis quelques décennies que les questions  lgbtq+1 font 1.  Le sigle lgbtqqip2saa signifie
« lesbienne, gay, bisexuel, transgenre,
l’objet d’études et de réflexions soutenues. Comment aborder ces réalités
queer, en questionnement, intersexuel,
qui sont extrêmement larges et diversifiées ? Un dossier thématique comme pansexuel, bispirituel, asexuel et
celui-ci ne peut évidemment pas couvrir l’ensemble des enjeux du domaine, alliés ». Ce sigle est en constante
évolution afin de représenter avec le
d’autant plus que le volet des queer  studies qui se penche sur la création
plus d’inclusivité possible les réalités
musicale contemporaine est assez peu diffusé et approfondi dans le monde de la communauté queer. Nous
francophone. Nous avons opté ici pour des portraits de l’état de la parole et avons ici choisi d’utiliser sa forme
écourtée (lgbtq+) dans le but d’alléger
de l’identité queer dans le contexte des musiques de création, de la table de la lecture. De plus, nous n’avons pas
travail d’un.e compositeur.trice jusqu’au regard posé par l’analyste, en passant uniformisé ce sigle dans l’ensemble
par les réalités du terrain. du numéro, laissant à chacun.e des
auteurs.trices le choix d’utiliser la
Prenons un pas de recul pour considérer l’origine du mouvement. Dans forme qui lui convient. La même
les milieux anglophones des années  1980, la réappropriation subversive de liberté a été accordée concernant

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l’écriture inclusive.
l’insulte « queer » en un cri de ralliement, de revendication et d’identité
retourne le doigt accusateur de 180 degrés. Nous divergeons de la norme ?
Soit. Mais le problème, c’est la norme en tant que telle : hétérosexuelle,
monogame, blanche, cis, etc. Le discours porté par les divers mouvements
gays, lesbiens et transgenres des années 1960 et 1970, relié de près aux luttes
pour les droits civiques, trouvait alors une expression forte de l’axe principal
à la base de la discorde : la norme.
Aujourd’hui, ce sont les questions subtiles entourant l’impact d’un dis-
cours identitaire queer en musique contemporaine que nous sommes
amené.e.s à met­­tre en lumière. Quelle est la place de la prise de parole d’un.e­
compositeur.trice gay, lesbienne ou transgenre en musique contemporaine ? 9

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Qu’en est-il de l’expression (ou absence d’expression) de l’identité sexuelle
et de l’identité de genre dans la création musicale ? Dans un milieu qu’il
est possible de considérer comme « hétéronormatif », quel est l’impact des
gender studies sur la compréhension du style et des motivations des créateurs.
trices sonores ? Plus largement, la prise de parole des compositeurs.trices sur
les questions lgbtq+ est-elle de l’ordre du discours ou de l’esthétique ?
Cette question d’une esthétique homosexuelle avait été brièvement évo-
quée dans les pages de Circuit, en  1991. Dans une entrevue portant sur
l’œuvre de Claude Vivier, György Ligeti déclarait alors :
Il s’agit d’une esthétique qui se rapproche de celle de l’art nouveau : une esthétique
de parfums très forts. Il existe bien sûr une certaine esthétique homosexuelle qui
peut être d’une grande beauté, je pense à la musique de Tchaïkovsky, aux écrits
d’Oscar Wilde ou aux gravures de Beardsley, mais qui reste malgré tout étrange
pour moi. Je dois accepter que Vivier ait choisi cette esthétique qui est caracté-
risée par un manque d’humour et de distance envers soi-même et qu’il accepte
2.  Vol. 2, nos 1-2, p. 8. naïvement le pathos qui entoure les choses profondes comme l’Amour et la Mort2.

Ligeti tient ici un discours bien ancré dans son époque. L’application des
théories issues des gender studies au travail musicologique d’alors cherchait
non seulement à définir une esthétique dite « homosexuelle » (et qui, semble-
t-il, pouvait être « choisie »), mais allait même jusqu’à « genrer » les produc-
tions musicales historiques pour en développer de nouveaux angles d’analyse.
C’est ainsi qu’on en est venu à confronter le très viril Beethoven au très effé-
miné Schubert. C’est d’ailleurs à l’aide de ce cas de figure que Nicholas Cook
s’attacha à synthétiser, non sans une touche d’ironie, la pensée de Susan
McClary – pionnière des gender studies en musicologie – dans le chapitre
3.  Nicholas Cook (2016), Musique, « La musique et le genre » de son ouvrage Musique, une brève introduction3.
une brève introduction, Paris, Allia, Les choses ont passablement évolué en trente ans, comme tout portrait
p. 109-131.
d’une identité en mouvance. Sans prétendre avoir atteint une sorte de vérité
définitive sur le sujet, le tout récent article « Le sexe comme champ d’investi-
gation », de la théoricienne de la musique Danielle Sofer, propose de dresser
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un bilan en nous invitant à « réévaluer les outils et techniques d’analyse de


4.  Danielle Sofer (2020), « Specters la musique contemporaine4 ». L’autrice y expose néanmoins une analyse à la
of Sex : Tracing the Tools and fois personnelle et remarquablement fouillée des enjeux historiques rattachés
Techniques of Contemporary Music
Analysis », Zeitschrift der Gesellschaft à la notion de genre en analyse musicale. Ce texte est ici présenté dans une
für Musiktheorie, vol. 17, no 1, p. 31-63. version abrégée, traduite en français.
Le contenu de la citation correspond
Au Québec et au Canada, les postures morales des individus ne sont pas
à la traduction française du sous-titre
de l’article. parmi les plus rigides, les milieux artistiques et la population en général y
manifestant une certaine tolérance envers des « styles de vie » correspondant
10 aux standards de l’hétéronormativité. Le mariage entre personnes de même

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sexe, la relative sécurité garantie à celles et ceux qui démontrent leur affection
en public, la protection des lois et des tribunaux face à la discrimination : il
serait tentant de penser qu’il s’agit d’autant d’acquis, que la conversation a
eu lieu et que tou.te.s ont les mêmes droits. Ce serait pourtant oublier que la
société canadienne a évolué rapidement en une centaine d’années, la réalité
des compositeurs gays et des compositrices lesbiennes ayant été tout autre au
xxe siècle. Deux choix principaux s’offraient alors à elles et eux : soit camou-
fler leur orientation pour se fondre dans la masse et la norme, soit affirmer
leur différence, au risque de subir de violentes discriminations. L’impact de
l’autocensure que le premier choix imposait sur la personne et sur son art est
indéniable, tout comme l’affirmation sans compromis – certes libératrice –
comportait son lot de risques et d’incompréhension. Reflétant ces dilemmes,
l’art et la vie se confondent dans le processus identitaire des cas de figure
que présentent Martine Rhéaume à propos de Claude Vivier (1948-1983) et
Tamara Bernstein au sujet d’Ann Southam (1937-2010). Pour ces deux artistes,
le chemin vers l’acceptation et l’affirmation a été complexe et a connu un
écho dans leurs créations artistiques respectives. Ici, l’acceptation d’une
orientation sexuelle « hors norme » se fond dans l’affirmation d’une identité
musicale nouvelle et personnelle.
Face à la diversification des styles et des langages musicaux qui caractérise
le postmodernisme musical des quarante dernières années, les gender studies
semblent avoir relégué au second plan la question de l’esthétique propre-
ment queer pour se pencher sur les notions de revendication et de prise de
position. Si tant est que la musique puisse tenir un discours (et la question
est loin de faire l’unanimité), comment la création musicale contemporaine
s’avère-t-elle être un médium porteur et adéquat pour la parole lgbtq+ ?
Dans l’Enquête qu’il a menée auprès de six artistes musicaux queers, Gabriel
Dharmoo lève le voile sur des situations particulières qui ne peuvent être

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vues comme anecdotiques. La musique contemporaine demeure un milieu
de niche, héritier des grands courants de la musique classique européenne,
avec son lot d’hétéronormativité et d’exclusions de toutes sortes. Parmi les
questionnements que soulèvent ces témoignages, nous sommes appelé.e.s à
nous demander quel peut être l’impact de ce milieu sur l’autocensure – ou
son refus –, par les compositeurs.trices, de leur propre identité ? En quoi la
musique contemporaine en souffre-t-elle ?
Et qu’en est-il de la prise de position ? Comment un compositeur peut-il,
à travers son art, évoquer, réfléchir, commenter et revendiquer les réalités
lgbtq+ ? Dans le Cahier d’analyse, Éric Champagne s’intéresse à l’opéra
Elia (2004) de Silvio Palmieri  (1957-2018) qui, à notre connaissance, est le 11

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premier opéra québécois (et canadien) à explicitement mettre en scène des
personnages homosexuels. En analysant autant le discours musical que les
paramètres propres au livret de l’opéra, l’auteur relève les stratégies créatrices
qui ont permis au compositeur d’évoquer l’expression d’un désir gay et,
plus globalement, dévoile les aspects queers de cette œuvre pionnière, aussi
expressive qu’engagée.
À travers une série de portraits surréalistes de personnalités publiques
– et, spécifiquement pour ce numéro, d’artistes issu.e.s de la communauté
lgbtq+  –, le peintre québécois Mathieu Laca expose admirablement les
enjeux d’identité et d’expression personnelle. Nous avons choisi ses œuvres
pour illustrer ce numéro thématique car elles nous semblent exprimer visuel-
lement le questionnement qui a guidé notre travail. Pour l’artiste peintre,
5.  https://mathieulaca.com (consulté « chaque portrait est un autoportrait déguisé5 ». À travers ses œuvres, Laca
le 1er décembre 2020). poursuit une démarche sur l’identité et le discours – qu’il soit artistique ou
personnel –, en portant sa réflexion sur l’affirmation et la diffusion de ces
diverses expressions.
Au Québec (et dans les milieux francophones en général), les domaines
artistiques se penchent depuis peu sur les questions queers, et certains
d’entre eux jouissent déjà d’un intérêt plus soutenu que d’autres. Les arts
visuels et la littérature ont été sous les projecteurs de récents numéros thé-
matiques des revues Esse (no 91, automne 2017) et Lettres québécoises (no 178,
6.  Isabelle Boisclair, Pierre-Luc Landry automne  2020), et la publication du livre QuébeQueer6 (printemps  2020),
et Guillaume Poirier Girard (dir.) (2020), qui regroupe 25  articles portant sur « le queer dans les productions litté-
QuébeQueer : le queer dans les
productions littéraires, artistiques et raires, artistiques et médiatiques québécoises7 », ont permis de diffuser les
médiatiques québécoises, Montréal, recherches et réflexions récentes dans ce domaine. En ce qui concerne la
Presses de l’Université de Montréal.
musique, c’est essentiellement du côté de la chanson et de la musique popu-
7.  Ibid. Il s’agit du sous-titre de
l’ouvrage.
laire que les études et publications portent leur intérêt8. Nous espérons que
8.  C’est notamment le cas dans
ce dossier thématique contribuera à dévoiler les réalités lgbtq+ du milieu
QuébeQueer, qui ne regroupe que deux des musiques contemporaines et qu’il incitera à poursuivre l’exploration de
articles sur la musique, soit « Identités cette voie riche et fascinante. Bref, qu’il fera œuvre utile.
de position queer dans la musique
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

populaire au Québec », de Stéphane


Girard (p. 437-455), et « Céline, es-tu Bonne lecture !
queer ? », de Thomas Leblanc (p. 457-
Montréal, novembre 2020
473).

12

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Le sexe comme champ
d’investigation1 : réévaluer
les outils et techniques d’analyse
de la musique contemporaine 2
Danielle S ofer
(Traduit de l’anglais par Martine Rhéaume)

En tant qu’universitaires lgbtqia+, femmes, personnes de couleur et autre- 1.  [ndlt] La version originale de
ment marginalisées, nous sommes souvent appelés à afficher nos identités cet article, parue en anglais dans
le Zeitschrift der Gesellschaft für
partout où nous allons. Plusieurs d’entre nous préfèrent pourtant mettre Musiktheorie (vol. 17, no 1, 2020,
de côté ces identités dans le cadre du travail, pour nous concentrer sur la p. 31-63, doi.org/10.31751/1029
[consulté le 10 mars 2021]), trace un
musique, sur autre chose que ce qui nous définit personnellement. Et pour-
portrait plus exhaustif des métaphores
tant, lorsque notre vie musicale et notre vie sexuelle se croisent, on s’attend sexuelles comme outils d’analyse
à ce que nous parlions franchement de nos recherches tout en étant prêts à chez les théoriciens de la musique.
Nous croyons important d’en reporter
exposer de manière vulnérable des aspects intimes de notre vie. Mes propres l’essence ici, afin de fournir au lectorat
recherches sur la sexualité dans la musique électronique sont inextricable- de langue française une perspective
ment liées à ces vulnérabilités et semblent souvent ouvrir la porte à des com- essentielle des sources potentielles
d’exclusion des expertises théoriques
mentaires inappropriés de la part de collègues qui auraient autrement évité pour les femmes, les personnes de
de faire des remarques sur mes intérêts sexuels. Je mesure souvent la valeur couleur et celles s’identifiant comme
lgbtqia+. Les points de suspension
de mon travail par rapport aux risques et aux sacrifices qui accompagnent tout
entre crochets marquent les endroits
amalgame de mes identités personnelles et professionnelles. où nous avons dû couper dans
[…] l’argumentation, faute d’espace. Nous
invitons ceux et celles qui souhaitent
Plus loin dans cet article, je montrerai  […] comment « la corporalité »
aller plus loin à consulter la version
participe d’une abstraction habituelle qui tend en fait à orienter l’analyse

danielle sofer
originale (Sofer, 2020). Merci à Vanessa
musicale loin du travail des femmes queers de couleur, comme Sara Ahmed Blais-Tremblay d’avoir porté cet article
à notre attention.
et moi-même3. Je soutiens que les théories de la « corporalité » utilisent
2.  Cet essai doit beaucoup à la
l’inclusion et la diversité comme une forme de vertu symbolique visant à communauté en ligne des chercheurs
accroître le statut d’un chercheur d’une manière qui n’élève pas réellement en musique, qui m’a merveilleusement
soutenue. Je tiens à remercier
ceux qui continuent à être marginalisés dans la théorie musicale en tant que 13

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Eamonn Bell et Ezra Teboul, qui m’ont discipline : principalement les femmes, les individus lgbtqia+, les personnes
encouragée, par le biais de leur tout
nouveau blogue collectif sur le son
racisées et les individus autrement minorisés en raison de leur appartenance
et la technologie, taxis, à combiner ethnique. En résumé, les théoriciens peuvent être orientés (statiquement)
mon amour de la théorie musicale vers des individus (autres théoriciens) ou des objets (musique) particuliers,
avec mes aspirations à des systèmes
sociotechniques compassionnels et s’engager ainsi dans une sorte de perspective métaphoriquement incarnée
et transparents. Je tiens également sans trahir réellement la façon dont le corps d’une personne en vient à être
à remercier Emily Gale et Hannah
orienté dans et entre les espaces académiques et savants.
Robbins pour leur temps et leurs
précieux commentaires lors des étapes Telle est la critique qu’Ahmed adresse au père de la phénoménologie,
ultérieures de la révision. Enfin, je Edmund Husserl, rappelant le passage célèbre des Idées où Husserl oriente
suis reconnaissante à Christian Utz
son corps vers différents objets de son champ de vision4 :
de m’avoir invitée à écrire sur ce sujet
et de m’avoir offert une plateforme Le monde familier commence avec le bureau, qui se trouve dans « la pièce » : nous
de soutien pour exprimer mes
pouvons appeler cette pièce le bureau de Husserl ou la pièce dans laquelle il écrit.
frustrations relativement au passé de
la théorie musicale tout en guidant C’est de là que le monde se déploie. Il commence par le bureau et se tourne ensuite
mes réflexions avec la promesse d’une vers les autres parties de la pièce, celles qui sont, pour ainsi dire, derrière lui. Pour
théorie musicale plus consciente de faire ce tour, on pourrait supposer qu’il devrait se retourner pour faire face à ce qui
la société. J’exprime ma profonde se trouve derrière lui. Mais, bien sûr, Husserl n’a pas besoin de se retourner, car il
gratitude à Sophia Leithold pour son
« sait » ce qui se trouve derrière lui5.
aide dans la traduction allemande du
résumé.
À l’instar de Jacques Derrida, Ahmed déplore que Husserl n’articule pas
3.  Sofer, 2014.
ses connaissances préalables de manière satisfaisante, mais qu’il les accepte
4.  Voir Husserl, 1962, p. 117-118.
comme « évidemment » familières6. Elle y voit un problème méthodologique,
5.  Ahmed, 2006b, p. 28-29.
en ce sens que notre propre image de la chambre de Husserl est déformée
6.  Ibid., p. 43 ; voir aussi Derrida, 1994,
p. 149. par l’abstraction délibérée de son propre savoir situé, où sa phénoménologie
est une simple description géométrique proximale plutôt qu’une véritable
reconnaissance de sa position privilégiée de connaisseur transcendant :
Les objets qui apparaissent d’abord comme « plus et moins familiers » fonctionnent
comme des signes d’orientation : être orienté vers le bureau peut vous assurer
d’habiter certaines pièces et pas d’autres, et de faire certaines choses plutôt que
7.  Ahmed, 2006b, p. 30. d’autres7.

Ahmed souligne spécifiquement la négligence de Husserl à l’égard des


espaces plus typiquement féminisés et son attention délibérée au bureau, un
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

accent mis sur la stase relative du « habiter l’espace » qui ignore la mobilité,
la flexibilité et l’activité de « faire des choses » qui se déploie dans le temps.
Ahmed rappelle le « modèle phénoménologique de l’incarnation féminine »
d’Iris Marion Young, soulignant que les orientations ne sont pas « simplement
8.  Ibid., p. 60. données », mais définies par ce que nous faisons8, c’est-à-dire que ni le lan-
gage musical ni l’expression musicale ne sont simplement donnés, les deux
sont coconstruits simultanément par les « choses » et ceux d’entre nous qui
« faisons des choses » avec ces choses.
14

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À mon avis, […] [les théories de nombreux chercheurs se préoccupant des
questions queers] ne sont pas en elles-mêmes genrées ou sexuelles ; elles sont
plutôt élaborées par quelqu’un qui théorise et qui, ce faisant, écrit un discours
familier sur la musique dans une perspective particulièrement genrée et
sexualisée9. 9.  [ndlt] Dans ce paragrahe, l’autrice
[…] cite Gavin Lee, Edward T. Cone et Fred
Maus.
Dans ce qui suit, je présente des analyses de spécialistes qui sont bien
conscientes des conséquences du masquage des biais analytiques : le travail
de McClary sur Philomel, [et] l’analyse de Judy Lochhead sur l’opéra Lulu de
Berg […]10. Chaque analyse centre l’intérêt personnel de l’analyste dans les 10.  [ndlt] Pour des raisons d’espace,
conclusions qu’elle tire et sert à préfacer mon argument sur ce qui est en jeu nous avons dû couper la section de
l’article portant sur les comptes-rendus
lorsque les théoriciens proposent des approches prétendument nouvelles de respectifs d’Hazel Carby (1998) et
l’analyse musicale qui ne font que renforcer le statu quo. Je trouve que ces d’Angela Davis (1995) sur l’histoire du
blues dans les années 1920 et 1930,
analyses sont utiles, car chacune d’entre elles identifie le genre et la sexualité
un bref résumé de la théorisation
comme étant plus que de l’herméneutique, […] mais concentrent plutôt les musicale de Patricia Hill Collins sur la
performances musico-sexuelles des femmes, des femmes de couleur et des politique sexuelle des Noirs au cours
du xxe siècle, et la théorisation de la
femmes de couleur queers comme des contraintes fondamentales dans la femme noire en tant que spectatrice,
façon dont la musique transmet un sens aux auditeurs. Les analyses prennent de bell hooks. Nous sommes
soin, comme cet essai, de centrer les perspectives de ceux dont le travail est consciente de l’ironie de devoir faire
de tels choix dans le cadre d’un article
analysé et donc de donner la priorité à l’orientation des interprètes par rapport qui relève les enjeux d’inclusion et
aux expériences exprimées par le théoricien lui-même. de diversité des individus autrement
tenus à l’écart des professions
musicologiques. Nous invitons de
Composer la sexualité en théorie 11
nouveau les personnes qui se sentent
Dans son analyse féministe des compositeurs modernes, Susan McClary fait interpelées ou bousculées par cet
article à consulter la version originale,
valoir que certains compositeurs employaient des techniques arides comme
d’ailleurs disponible en ligne : https://
l’atonalité et le sérialisme parce qu’ils cherchaient à limiter les auditeurs à doi.org/10.31751/1029 (consulté le
un cercle de critiques complaisants12. En soulignant les « ensembles » démo- 27 novembre 2020).

graphiques (selon la boutade de Maus sur la « théorie musicale dominante », 11.  Une partie de cette analyse
apparaît dans Sofer, 2017.
qui renvoie principalement à « Schenker et [aux] ensembles13 » – c’est-à-dire à
12.  McClary, 1989, p. 61.
l’héritage de la rigueur compositionnelle employée par Babbitt, Westergaard
13.  Maus, 1993, p. 267.
et d’autres dans leur expansion du « système » à douze tons de Schönberg), elle
examine comment ces compositeurs ont cherché à dresser une barrière entre
le public et les spécialistes afin d’assurer leur « prestige absolu » sur un public
(supposé) inexpérimenté et incompétent. McClary conteste la prétendue

danielle sofer
autonomie des œuvres musicales et sensibilise aux préjugés qui opèrent au sein
de la théorie musicale en tant qu’institution en tenant les compositeurs – c’est-
à-dire les personnes, et non les œuvres  – responsables14. McClary décrit 14.  McClary, 1989, p. 62.
Philomel de Babbitt, une œuvre sérielle sur un texte inspiré d’Ovide détaillant
le viol brutal et l’agression du personnage principal, comme « une instance 15

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particulièrement sympathique » du répertoire musical d’avant-garde dans
laquelle l’expérience d’une femme est représentée de manière équitable.
Contrairement au répertoire typique, qui « affiche et dissimule à la fois son
contenu misogyne », Philomel « peut être lu très simplement comme une
déclaration contre le viol, dans laquelle la victime est transformée en rossignol
15.  Ibid., p. 74-75. pour chanter à la fois sa souffrance et sa transcendance15 ». Pourtant, elle
­réprimande Babbitt, dont « les écrits découragent de tenter d’interpréter sa
16.  Ibid., p. 75, citant Babbitt, 1987, composition en ce sens16 ». Elle lance ensuite une provocation mémorable :
p. 182-183. « Mais si le contenu n’est pas en cause, pourquoi un sujet aussi horrible17 ? »
17.  McClary, 1989, p. 75.
Elle fait valoir que, même si ces compositeurs espèrent amener les auditeurs
à n’écouter leur musique que par ses éléments structurels, le sujet de leurs
œuvres nécessite un engagement plus profond. Il faut admettre que l’analyse
de McClary est rendue possible par ce qui existe déjà dans Philomel, bien que
ses observations, puisant dans le féminisme, les cultural studies, la musicologie
et même la théorie musicale, dépassent les sons de la musique proprement dite.
Si ce sont les individus et non les œuvres qui sont responsables de l’inter-
prétation de la musique, il va de soi que les théoriciens pourraient très bien
être en désaccord avec ce qu’affirment les compositeurs au sujet de leur
musique. Telle est la contre-critique qu’Arved Ashby adresse à McClary.
Plutôt que de poursuivre la voie féministe qui consiste à analyser l’œuvre à
l’aide de ses propres critères expérientiels, McClary prend trop rapidement
ses distances en donnant la priorité à son interprétation des intentions du
compositeur. Ashby soutient que l’« arrogance » de Babbitt n’est pas une raison
pour limiter l’écoute de la pièce : « [l]’approche interprétative que McClary
suggère, qu’elle soit meilleure ou pire que ce que la théorie musicale a à offrir,
soulève des questions importantes : pourquoi tenir le compositeur responsable
18.  Ashby, 2004, p. 37. si vous choisissez de limiter votre lecture de la pièce18 ? »
[…]
Certes, chacun peut proposer sa théorie, mais une analyse fiable et convain-
cante est fondée sur le contexte socioculturel de la composition. De plus, le
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

rôle influent de Babbitt en tant que professeur a ouvert la voie à d’autres ana-
lyses de son œuvre, telles que, par exemple, la contribution de Richard Swift
au numéro spécial de Perspectives of New Music, « A Critical Celebration of
Milton Babbitt at 60 ». L’essai de Swift présente une analyse de Philomel qui
19.  Swift, 1976, p. 241-246. décrit […] les manipulations sérielles pendant plus de cinq pages19. À aucun
moment l’analyse ne mentionne le viol ou fait même allusion au sujet du
livret. L’analyse par Swift de A Survivor from Warsaw de Schönberg dans la
20.  Ibid., p. 238-239. Une analyse plus
détaillée et contextualisée de cette
même publication omet également des détails sur la perspective juive des
16 œuvre figure dans Calico, 2014. survivants des camps de concentration nazis20.

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McClary ne cherche pas à pathologiser la sexualité comme une perversion
de la masculinité typique ou comme un « antidote21 ». Elle demande que les 21.  Pour reprendre un terme de Maus
théoriciens reconnaissent le rôle prépondérant du sexe dans la musique ainsi (1993, p. 274).

que les conséquences réelles de l’écoute de telles œuvres. Elle souligne que,
même lorsque le compositeur et le théoricien sont une seule et même per-
sonne, des mesures sont prises pour « écarter » le contenu sexuel, peut-être, à
mon avis, par crainte de légitimer des théories plus solides sur la signification
sexuelle de la musique. En effet, l’omission de toute mention du sexe permet
aux théoriciens de la musique d’associer plaisir sexuel et violence sexuelle, de
sorte que Philomel pourrait être évaluée sur un pied d’égalité avec toute autre
œuvre de Babbitt, qu’elle soit programmatique ou non22. Que ce soit l’inten- 22.  En musique électronique, les
tion de Babbitt ou pas, de nombreuses analyses de l’œuvre présentent des voix des femmes apparaissent
beaucoup plus souvent que celles des
comptes rendus du fonctionnement structurel ou géométrique de Philomel, hommes, ce qui indique le désir des
tandis que McClary souligne, au risque peut-être d’un essentialisme sexiste compositeurs de « fixer » les voix des
femmes (en s’appuyant sur la notion de
reposant sur des stéréotypes, que
média fixe) (Bosma, 2003). En ce sens,
[p]lusieurs de mes étudiantes ont du mal à écouter passivement Philomel en tant couper, coller, échantillonner, et donc
manipuler la voix d’une femme pour
qu’exemple supplémentaire de manipulation sérielle et électronique : elles ont
produire une pièce qui suscite une
du mal à adopter une attitude intellectuelle objective qui leur permettrait de se signification sexuellement connotative
concentrer sur des techniques de composition pures. Pour la plupart des femmes, ou des connotations érotiques pourrait
le viol et la mutilation ne sont pas des banalités qui peuvent être commodément être assimilé à une contrainte sexuelle
mises entre parenthèses au nom de l’art, surtout un art qui accorde du prestige à au même titre que le viol qui se
produit dans le mythe de Philomèle.
la célébration de ces violations23.
Pour une analyse supplémentaire sur
ce point, voir le chapitre 1 de Sofer, à
[…]
paraître.
En lisant McClary, nous constatons que le fait de mettre le sexe entre
23.  McClary, 1989, p. 75.
parenthèses n’exclut pas seulement le point de vue de l’analyste, mais menace
également de dissimuler ou d’omettre complètement la subjectivité de ceux
que la musique est censée représenter.

Dans une analyse radicale de l’opéra Lulu (1929-1934) d’Alban Berg, la théo-


ricienne de la musique Judy Lochhead aborde une contradiction entre les
observations des théoriciens sur cet opéra, soulignant que, bien que plusieurs
d’entre eux affirment que « l’analyse [est] d’importance primordiale », ils
souscrivent à une hiérarchie épistémologique implicite en se positionnant
comme prophètes de ce qui constitue la « bonne » musique. Dans cette

danielle sofer
logique, si le critique doit être à la recherche de la « bonne » écoute d’une
œuvre, cette écoute ne doit pas donner lieu à une interprétation originale,
mais seulement « révéler » quelque chose qui a été transmis par la musique
et son créateur. Lochhead soutient que la « bonne » musique, parce qu’elle
est censée être « juste », peut imposer des préjugés concernant le sexe et la 17

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sexualité, préjugés qui s’étendent jusqu’aux aspects techniques de la musique,
24.  Lochhead, 1999, p. 252. en particulier sa tonalité24. En conséquence, « ce que la musique “signifie”
25.  Ibid. En anglais : « What the music doit être qualifié par qui et quand25 ». Les leitmotivs du personnage de Lulu
“means” must be qualified by for whom
ont généralement été décrits comme plus tonaux par rapport à la palette com-
and when. »
positionnelle de Berg, afin d’assimiler cette tonalité relative à une expression
émotionnelle plus manifeste. Mais, comme le montre Lochhead, Berg utilise
des associations récurrentes entre « les personnages principaux de l’opéra
avec une classe de hauteurs […] et un triton, et à partir d’une stratification de
significations dramatiques générées par des occurrences antérieures du motif
26.  Ibid., p. 242. de la Liberté26 », faisant appel aux mêmes mécanismes musico-dramatiques
pour les autres personnages principaux ainsi que pour la texture dramatique
tout au long de l’opéra. Après avoir établi que la musique de Lulu n’est ni
plus ni moins tonale que celle des autres personnages (comme si une telle
comparaison était possible), Lochhead affirme que l’affect émotionnel du per-
sonnage est présumé simplement parce qu’elle est une femme, en soutenant
tout d’abord que la plupart des analyses de Lulu reposent sur des stéréotypes
sexistes bien ancrés, comme l’attribution aux femmes d’une disposition natu-
rellement plus émotionnelle que celle des hommes.
Lochhead résume ensuite la critique des stéréotypes sexistes qui ont
entaché la réception de Lulu et affirme que les critiques de l’opéra de Berg
« reprennent implicitement et partiellement les stratégies utilisées pour
dénoncer la “nouvelle musique” du début du xxe siècle : elle n’a pas la force
27.  Ibid., p. 236. émotionnelle de la tradition romantique antérieure27 ». Lochhead établit
que ce qui, dans la critique musicale, se présente comme une dénonciation
misogyne –  le rejet de l’émotion de Lulu  – révèle en fait une idéologie
musicale plus complexe, propre à l’époque : les premières traces d’un mou-
vement contre la « nouvelle musique » qui allait sévir le reste de ce siècle
et qui perdure encore aujourd’hui. Elle soulève une question difficile :
« Compte tenu de l’histoire de Berg, pourquoi la musique atonale n’est-elle
pas entendue comme étant chargée d’émotion, puisqu’elle pourrait être
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

28.  Ibid. interprétée comme son mode légitime (et donc, authentique ?) d’expressivité
musicale28 ? » Lochhead fait valoir que la musique tonale pourrait être perçue
par les auditeurs comme étant émotionnellement expressive dans le contexte
où cette émotion est facilement reçue – la musique orchestrale du xixe siècle,
par exemple. En revanche, la musique atonale devrait être plus émotionnelle
pour les compositeurs pour lesquels ce langage est idiomatique.
[…]
En bref, la dichotomie entre le tonal et l’atonal, et entre le modernisme et
18 l’esthétique expérimentale, repose sur des dichotomies sexuées et sexualisées

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profondément ancrées qui, néanmoins, insistent sur l’exclusion de l’apport
de ceux dont ils sont censés épouser les perspectives : les femmes et les
« homosexuels ». Ces notions de « féminin » et de « queer », bien qu’elles aient
peut-être aidé à discerner certaines différences catégoriques à une certaine
époque, semblent essentialistes aujourd’hui en ce sens qu’elles réduisent
la « queerness » ou la féminité à des stéréotypes, et en fait excluent impli-
citement ces notions des expériences réelles des femmes ou des personnes
lgbtqia+ (d’inclusion, d’exclusion ou de solitude). Dans tout ce discours sur
la féminité, où sont les femmes ? Pour répondre à cette question, il faut se
pencher sur un autre stéréotype du « discours masculin » […] : la façon dont le
langage critique envers les genres peut être utilisé pour paraître inclusif tout
en renforçant l’exclusion. Les théoriciens ci-dessus s’adressent à la majorité
démographique – souvent invisible et considérée comme universelle – dans
le but de contrer ces individus (les hommes) qu’ils considèrent comme
détenant la majorité du pouvoir29. C’est donc à dire que les théoriciens cités 29.  Sofer, 2018, p. 136-141.
jusqu’à présent ont probablement supposé un public cible majoritaire plutôt
que les individus qui occupent le rôle minoritaire en marge des discours
mainstream – même lorsque les marginalisés font eux-mêmes l’objet d’une
30.  [ndlt] Pour des raisons d’espace,
analyse musicale. nous avons coupé de cette traduction
[…]30 une section intitulée « Démystifier les
préjugés (in)conscients néolibéraux »,
où l’autrice explore les raisons pour
Pour des discours théoriques sur la musique centrés sur
lesquelles une terminologie réductrice
les utilisateurs persiste jusque dans les contextes
Parfois, les compositeurs utilisent un « auditeur idéal » pour les aider à déter- où les institutions musicologiques
signalent leur intérêt pour la diversité,
miner certaines contraintes dans leurs choix compositionnels31. Souvent, à et celles pour lesquelles les inégalités
titre de théoriciens, ceux-ci utilisent leur propre musique pour élaborer des réelles et corrélées qui existent se
théories plus abstraites, comme c’est le cas dans les écrits de Babbitt. Les cas perpétuent. Elle avance qu’à son avis,
« les personnes et les institutions
où des compositeurs emploient leur propre musique peuvent faire la lumière qui visent à promouvoir l’inclusion
sur les motivations et les intentions compositionnelles pour les autres audi- laisseront probablement tomber
les gens mêmes qu’elles espèrent
teurs, donnant un aperçu des rouages internes de la composition. […]
valoriser simplement en s’adressant
De nombreux théoriciens ont développé de telles approches auto-­ à la majorité, en ne consultant pas et
ethnographiques pour étudier les orientations analytiques de la musique en n’amplifiant pas les perspectives et
les expériences de ceux qui sont déjà
qu’eux-mêmes n’avaient pas la possibilité de composer, en analysant les marginalisés et exclus des espaces
œuvres d’une autre personne32. En bref, le public envisagé par l’auteur a, particuliers et qui bénéficieraient d’une

danielle sofer
à bien des égards, façonné le type d’approches méthodologiques que les plus grande diversité ». Voir Sofer, 2020.

théoriciens ont adopté à l’égard de la musique. Pour rappeler Lochhead, 31.  Voir Sofer, 2017.
32.  Lewin, 1969, p. 63 et Guck, 1994 ;
« ce que la musique “signifie” doit dépendre de deux aspects : pour qui et
voir aussi Lochhead, 1982, Lewin, 1986
quand33 ? » Avec cet adage à l’esprit, on peut faire l’analogie entre la musique et Cox, 2016.
et la technologie, et entre les auditeurs (théoriciens ou non) et les utilisateurs. 33.  Lochhead, 1999, p. 252. 19

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Dans cette dynamique technologie-utilisateur, les théoriciens de la
musique jouent le rôle d’ingénieurs de théories/technologies particulières
en ayant à l’esprit certains utilisateurs, même s’ils prétendent s’adresser à
une universalité feinte. Et si nous pouvons déjà reconnaître la féminisation
34.  Brett, 2006, p. 11. historique de notre objet d’étude – la musique34 – et même de nos discours,
comme détaillé ci-dessus, nous devons également reconnaître la dynamique
de registre en jeu chez les personnes que nous ciblons en tant qu’« utilisa-
teurs » de nos diverses théories. Malgré les discours établis dans des disci-
plines sœurs, comme ceux de Collins, hooks, Jones, James et Irigaray, j’oserais
avancer qu’à quelques exceptions près, seule une minorité de théoriciens de
la musique écrivent en pensant à un lecteur non blanc et non masculin.
[…]
En se concentrant sur une comparaison des incitatifs économiques entre
le secteur privé et le secteur public, Oudshoorn et ses collègues montrent que
lorsqu’on conçoit un produit technologique pour tout le monde, on a plutôt
35.  Oudshoorn, Rommes et Stienstra, recours par défaut à des méthodes de « conception pour soi-même35 », ou ce
2004, p. 41. que l’on appelle, dans l’industrie, la « I-Methodology36 ». Les théoriciens de la
36.  Akrich, 1995.
musique qui prétendent diversifier le domaine en surface, mais qui résistent
néanmoins à donner plus d’ampleur aux travaux universitaires et musicaux
créés par les individus qui restent marginalisés dans la discipline en raison de
leur sexe, de leur race, de leur ethnicité, de leur orientation sexuelle, de leur
statut socioéconomique, de leur accès et de leur classe, ou de leur handicap,
se contentent de réitérer une « I-Methodology » qui ne fait que renforcer les
propres hypothèses des théoriciens sur les besoins et les intérêts de ceux qui
appartiennent à d’autres populations ou qui souscrivent à d’autres identités
qu’eux-mêmes – qu’elles soient « féminines », « queers », ou autres.
Francesca Bray observe des résultats similaires dans les relations entre
ingénieurs et utilisateurs :
Une fois que les consommateurs (ou plutôt les utilisateurs), comme les produc-
teurs, ont été traités comme des acteurs rationnels intégrés dans des systèmes
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

sociotechniques et culturels complexes, il est devenu plus facile d’expliquer leurs


décisions d’adopter ou de refuser une technologie, ainsi que les degrés de « flexi-
37.  Bray, 2007, p. 40. bilité interprétative » auxquels ils pouvaient la soumettre37.

Ce cadre réflexif peut s’avérer utile pour le domaine de la théorie musicale,


où il existe encore une résistance à reconnaître que des exclusions systémi­
ques existent et qu’elles se produisent en raison de la courbe d’apprentissage
autoassumée imposée par la « norme » implicite.
Pour lire ces résultats à travers le prisme de la théorie musicale – en subs-
20 tituant cette dernière à la technologie dans le passage ci-dessus – nous, les

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théoriciens de la musique, devrions viser collectivement à comprendre et à
nous interroger continuellement au sujet de qui s’engage ou se désengage de
notre travail ou même de la discipline en général. Si les théoriciens envisagent
un utilisateur englobant tout le monde, ils risquent d’aliéner encore davan-
tage les individus tout en réduisant de plus en plus les normes de la théorie
musicale. Un parallèle entre celle-ci et le terme « flexibilité interprétative » se
retrouve dans ce que Dora Hanninen appelle « l’orientation théorique » d’une
personne, informée par ses intérêts et ses habitudes perceptuelles, ses objec-
tifs d’interprétation et son contexte musical. Comme le déplore Hanninen,
cela demeure un aspect souvent négligé dans l’analyse musicale, et l’on peut
supposer que si les théoriciens reconnaissaient que la démographie, ainsi que
la discrimination sexuelle ou le racisme, sont des marqueurs non seulement
de leur propre orientation vers l’analyse, mais aussi de leur orientation vers un
public particulier, il y aurait une plus grande transparence quant à savoir qui
bénéficie réellement d’une analyse38. Ailleurs, Hanninen voit l’« orientation 38.  Hanninen, 2004, p. 150.
théorique » comme un moyen d’élargir la portée de la théorie musicale pour
« ouvrir la possibilité d’un discours intersubjectif précis et raisonné », ce que
j’envisage comme un moyen de perturber continuellement les présomptions
figées des normes analytiques39. 39.  Hanninen, 2001, p. 347.
Cela signifie qu’en écrivant à propos de « l’écoute queer », on ne peut
prétendre parler au nom de tous les queers de la même façon, et qu’on ne
peut garantir qu’une analyse « parlera réellement de l’expérience musicale des
théoriciens de la musique en général40 », car aucune théorie n’est « universel- 40.  Lee, 2019, p. 149.
lement » comprise, et encore moins acceptée. Elle est toujours conditionnelle,
tout comme l’identité des théoriciens et de son lectorat. Si nous n’utilisons
que des compositions ou des interprétations de femmes et ne désignons pas
ces dernières explicitement comme utilisatrices des théories de la musique,
nous les excluons nécessairement de la pratique de ces théories. Les femmes
peuvent très bien lire et s’engager dans la recherche en théorie musicale,
mais nous ne nous voyons pas impliquées et influencées par cette étude. Si,
au contraire, nous désignons explicitement les femmes – qui peuvent aussi
être des universitaires noires, des universitaires d’Asie ou de l’hémisphère
Sud et des membres de la communauté lgbtqia+ – comme faisant partie
des utilisateurs de nos théories, nos objectifs en matière de théorie musicale

danielle sofer
pourraient très bien changer.

21

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Conclusion
J’ai examiné ci-dessus la distinction phénoménologique entre « corporalité »
et « orientations » dans les travaux de Sara Ahmed, la première notion tenant
pour acquise la bonne connaissance de son environnement et des objets qui
le peuplent tout en cherchant à mettre entre parenthèses l’« ontologie fon-
41.  Heidegger, 1996, p. 200-201. damentale » d’un objet41. Le problème que l’on rencontre est qu’il n’y a rien
de véritablement « fondamental » – au sens d’inhérent – dans un objet sans
tenir compte de l’orientation proximale de l’observateur, du spectateur, de
l’auditeur ou de l’analyste, ni des façons dont les théoriciens naviguent dans
le monde, dont nous sommes arrivés devant le bureau, ou dont nous avons
appris à connaître un morceau de musique particulier, en nous tournant vers
les théoriciens de la musique. Cet historique personnel fait partie du concept
de « faire des choses » qu’Ahmed articule, concept qu’elle reprend plus tard
42.  Ahmed, 2019. dans sa monographie What’s the Use ? On the Uses of Use42. Dans un billet
de blogue précédant la publication de cette monographie, Ahmed explique
la méthodologie du livre en relation avec sa fascination particulière pour le
mot « usage » [use] :

Nous apprenons l’usage par l’usage : l’usage est la façon dont nous réglons les
choses lorsque nous sommes occupés, ainsi qu’une façon de parler des occupations
et des prises. Mon objectif a également été d’élargir le champ de ce que nous
entendons par utilitarisme en réfléchissant à la manière dont le concept d’utilité
exercé dans le cadre de cette tradition se rapporte à des usages plus ordinaires.
J’étudie également l’utilitarisme en tant qu’histoire administrative qui nous aide
à comprendre comment l’usage devient une façon de construire des mondes. Je
m’intéresse en particulier à la manière dont l’exigence d’être utile tombe inéga-
lement sur les sujets, ou comment l’utilité en tant que système de référence (utile
pour, utile à) est resserrée ou relâchée en fonction de l’endroit où l’on se trouve
43.  Ahmed, s.d. ; l’italique provient du dans ce système43.
texte original.
Dans les sections précédentes, j’ai étudié un certain nombre de façons dont le
mot « sexe » peut être utilisé comme moyen à des fins d’analyse musicale. En
fait, plus précisément, plutôt qu’à des fins analytiques, les théoriciens utilisent
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

le sexe comme angle d’analyse pour comprendre les audiences musicales. La


méthode d’Ahmed, qui consiste à « suivre les mots », s’inspire nécessairement
de ses travaux antérieurs sur les « orientations », […] où sa notion d’« orienta-
tions » fait le pont entre les tâches pointillistes des théoriciens indépendants
et l’action sociohistorique macroscopique des discours queers. Les « orienta-
tions » d’Ahmed ont tendance à naviguer sur des chemins discursifs différents
des chemins directs et habituels que suit la majorité démographique d’une
44.  Ahmed, 2006a, p. 554. société ou d’une discipline intellectuelle donnée44.
22

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À cet égard, une différence essentielle qu’Ahmed articule entre les notions
historiques d’« orientation » et les processus qui pourraient être des orienta-
tions queers est de reconnaître comment la phénoménologie est nécessaire-
ment située, soit à l’intérieur des frontières qui nous définissent comme des
personnes provenant d’un endroit particulier et destinées à faire des choses
particulières. Selon Ahmed, les notions traditionnelles d’orientation phéno-
ménologique tendent à écarter les notions cruciales d’identité, telles que le
genre, la sexualité, la race ou, de manière plus réaliste, les nombreuses façons
dont nous sommes genrés, sexués et racisés. Elle demande : « [s]i la blancheur
gagne du terrain en passant inaperçue, que signifie alors le fait de la remar-
quer45 ? » Ces questions deviennent pertinentes lorsqu’il s’agit de poursuivre 45.  Ahmed, 2007, p. 149.
les remises en cause de l’insularité racisée et genrée de la théorie musicale.
Lee souligne que, pour Ahmed, une histoire de la phénoménologie allant de
Husserl à Maurice Merleau-Ponty énonce des modes d’héritage caractérisés
comme « des lignes de blancheur –  la pensée des philosophes exprime le
privilège qui vient du fait d’être blanc ». Lee oppose ensuite cette image de
continuité à « la phénoménologie des corps non blancs [qui sont composés
d’]arrêts, d’obstructions et d’obstacles – en d’autres termes, l’absence d’une
ligne46 ». Mais en réalité, plutôt que de lacunes pointillistes, Ahmed parle de 46.  Lee, 2019, p. 146.
la portée et des limites des orientations. Concernant les horizons phénomé-
nologiques de telles perceptions, elle élargit le répertoire phénoménologique
existant pour enrichir les recherches philosophiques de Husserl en les rendant
queers, en exposant la familiarité de la blancheur pour remettre en question
les « normes somatiques » qui font que les corps non blancs se sentent « dépla-
cés » en intervenant sur sa propre positionnalité – exactement comme je l’ai
fait dans cet article, en intercalant des écrits théoriques sur la musique et des
écrits musicologiques, sociologiques et historiques sur le sexe en musique
rédigés par des chercheurs dont les travaux pourraient normalement sortir
des limites de la théorie musicale47. J’étends les questions liées à la musique 47.  Ahmed, 2006b, p. 133.
à des publications distantes de celles-ci sur le sexe dans la technologie et la
philosophie, à la fois pour placer la parole des femmes de couleur à proximité
de la théorie musicale, mais aussi pour montrer comment l’utilisation du sexe
comme terrain d’entente introduit un champ d’investigation alternatif pour
la théorie musicale, en fournissant une expertise scientifique nuancée dans

danielle sofer
des domaines qui pourraient enrichir les modes d’analyse musicale actuelle-
ment omniprésents, même pour les théoriciens qui sont déjà préoccupés par
la confluence de la musique avec le sexe et le genre.

23

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48.  [ndlr] Bien que cette traduction bib l i og r a p h i e 4 8
constitue une version abrégée de
Ahmed, Sara (2006a), « Orientations : Toward a Queer Phenomenology », GLQ : A Journal of
l’article de Sofer, nous avons choisi d’en
Lesbian and Gay Studies, vol. 12, no 4, p. 543-574.
reproduire la bibliographie dans son
entièreté. Ce faisant, nous espérons Ahmed, Sara (2006b), Queer Phenomenology : Orientations, Objects, Others, Durham, Duke
que le riche fond documentaire qu’elle University Press.
constitue permette aux lectrices et aux Ahmed, Sara (2007), « A Phenomenology of Whiteness », Feminist Theory, vol. 8, no 2, p. 149-168.
lecteurs de poursuivre leur exploration Ahmed, Sara (2012), On Being Included : Racism and Diversity in Institutional Life, Durham,
de ce champ de réflexion. Duke University Press.
Ahmed, Sara (2019), What’s the Use ? On the Uses of Use, Durham, Duke University Press.
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c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

26 Mathieu Laca, Frida Kahlo i, 2016. Huile sur lin, 92 x 77 cm. Collection privée.

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« Je ne m’apitoie plus sur le fait 1 » :
homosexualité et engagement
identitaire dans les écrits et prises
de parole de Claude Vivier
Mar tine Rhéaume

En 1991, le fondateur et rédacteur en chef de la revue Circuit, revue nord-­ 1.  Carrière, 1981, p. 32.

américaine de musique du xx e  siècle2, Jean-Jacques Nattiez, avance trois 2.  [ndlr] Le titre de la revue a été
modifié au tournant du xxie siècle,
raisons de consacrer un numéro double à Claude Vivier : l’originalité du devenant Circuit, musiques
compositeur, l’abondance de son catalogue et l’importance esthétique de contemporaines.
son œuvre. Au sujet de la large part de la publication consacrée aux écrits du
compositeur, Nattiez ajoute :
Il n’est pas exagéré de dire […] que son œuvre est essentiellement autobiogra-
phique. Des aspects entiers de son orientation stylistique et le sujet de ses com-
positions vocales s’expliquent par l’univers religieux, mystique, voire ésotérique,
qui est le sien, et pour étranger que ce monde-là puisse être à beaucoup de ses
auditeurs, savoir comment il le représentait ne peut que faciliter la compréhension
de son œuvre musicale3. 3.  Nattiez, 1991, p. 5.

À la même époque que cette aventure éditoriale, l’American Musicological


Society tient pour la première fois, lors de son congrès annuel de 1989, un
Gay and Lesbian Study Group. Cette même année et la suivante, de futurs
chapitres de Feminine Endings de Susan McClary sont également publiés

martine rhéaume
sous forme d’articles indépendants4. Dès 1993, Ruth A. Solie reconnaît, à la 4.  McClary, 1991.
première page de son introduction à Musicology and Difference, l’importance
historique de l’ouvrage de McClary, qui est l’un des premiers à s’attaquer
aux rapports entre la différence identitaire et la musique. Les ouvrages
Queering the Pitch5 et Queer Episodes in Music and Modern Identity6 sont 5.  Bret, Wood et Thomas, 1994.
alors sur le point de s’engager dans ce même champ d’études. C’est ainsi que 6.  Fuller et Whitesell, 2002. 27

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la ­musicologie s’est initialement ouverte aux gender studies, approfondissant
7. La queer theory est un champ bientôt cette spécialisation jusqu’à la queer theory7.
d’étude inclusif développé à partir de
Il est intéressant de constater qu’au moment même où l’on publie les écrits
la fin des années 1980 et du début des
années 1990, et qui décrit l’identité de l’un des premiers compositeurs ouvertement et fièrement homosexuels du
d’individus dont la sexualité diverge de Québec, les premières discussions musicologiques traitant de la différence en
la norme. Voir s.a., 2002.
musique naissent et abordent les questions d’identité de genre et d’identité
sexuelle. Bien que ces enjeux n’influencent pas explicitement les choix de
l’équipe éditoriale de la revue Circuit, il n’en demeure pas moins que l’esprit
du temps se tourne alors manifestement vers le désir de libérer la parole des
compositeurs lgbtq+. La publication des écrits de Vivier a ainsi lieu au
moment où la discussion musicologique sur le queer en musique devient pos-
sible, et ouvre de nouvelles avenues pour l’étude de leur contenu – ­avenues
qu’il s’agit maintenant d’exploiter, quelques décennies plus tard, sur la base
d’une littérature qui s’est fortement élargie depuis les premiers ouvrages
s’étant intéressés aux questions queers.
Le présent article a pour objectif de mettre en lumière des textes du com-
positeur qui n’ont pas été publiés dans l’édition de 1991, lesquels sont porteurs
de sa parole gay et de l’impact de celle-ci sur son style. Pour y parvenir, je me
penche sur les choix éditoriaux qui ont présidé à l’édition de ses écrits – dont
l’exclusion presque totale de sa correspondance et de ses esquisses – et sur
les conséquences qu’ils peuvent avoir eues sur la perception du personnage
Claude Vivier et de son style musical. Ce faisant, je souhaite attirer l’atten-
tion sur d’autres prises de parole publiques et privées du compositeur, dans
lesquelles des aspects gays se retrouvent à l’avant-plan. Je jetterai ainsi un
éclairage nouveau sur la personnalité et le style de Vivier en établissant des
liens avec les queer studies et le traitement de l’homosexualité de Tchaïkovski
par les contemporains de ce dernier ; j’invoquerai par la même occasion un
éventail de ses écrits plus large que ce qu’offrait l’édition originale, laquelle
ne laissant voir qu’un tempérament rêveur, idéaliste, engagé et naïf, et met-
tait de côté l’homosexuel téméraire.
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

L’édition d’écrits de compositeurs, une aventure en soi


Éditer la totalité des écrits d’un compositeur, voire le faire partiellement, n’est
pas monnaie courante au Québec. Dans le cas des textes signés par Vivier,
cette entreprise a été confiée à Véronique Robert, dont le « Prologue pour les
8.  Robert, 1991. écrits d’un compositeur8 » décrit la démarche.
Dans son introduction, l’éditrice présente un musicien à la voix person-
nelle, volontairement naïf, bien qu’impliqué dans le politique de l’art ; un
28 artiste penseur ayant une conception spirituelle de son statut et affichant une

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ouverture aux langues, aux cultures et aux arts les plus divers. On y entrevoit
le Claude Vivier orphelin, troublé par ses origines incertaines, touché par la
musique lors d’une messe de Noël. Elle mentionne rapidement son « refus de
cacher son homosexualité9 » et les liens entre sa conception de l’art et celle 9.  Ibid., p. 31.
d’Antonin Artaud.
Véronique Robert décrit ensuite les choix incontournables que l’équipe
d’édition a dû faire au moment de sélectionner les textes de Vivier à publier.
Elle indique que pour ceux-ci, six catégories ont été retenues – 1. des textes
d’adolescence10 et 2. d’œuvres vocales, 3. des notes de programme et 4. de com­ 10.  La raison justifiant la publication
position, 5.  des lettres de Bali et 6. des textes sur le musicien et le rôle du des écrits d’adolescence de Vivier
semble contribuer à la construction
compositeur – alors qu’il fut décidé de laisser de côté, à une exception près, d’un personnage naïf et idéaliste :
la correspondance, les quarante pages de notes de travail sur son projet « Les thèmes que l’on associe à l’œuvre
et aux préoccupations de Vivier – la
Tchaïkovski (l’opéra inachevé sur lequel Vivier se penchait au moment de
magie de l’enfance, la nostalgie de
sa mort), les entrevues radiophoniques qui n’avaient pas été transcrites et les l’enfance heureuse qu’on n’a pas
entrevues rédigées et publiées par d’autres auteurs que Vivier11. En d’autres connue, l’attachement à la Mère [sic],
l’obsession de la mort, le désir de
termes, cette édition des écrits de Vivier offre au lecteur les documents rédi- fusion avec le cosmos, pour n’en
gés de sa main même et dont la nature est celle de textes suivis – excluant nommer que quelques-uns – sont
donc les notes pêle-mêle de composition et les nombreux calculs mathéma- déjà présents dans les premiers textes
que nous avons retenus, malgré leurs
tiques –, qu’ils aient été voués à la publication ou tout simplement publiables. maladresses » (ibid., p. 35).
Ce choix éditorial fit cependant en sorte que, sur un total de cinquante-deux 11.  Ibid., p. 34 et 36.
textes publiés, un seul mit en lumière son homosexualité12. Les paragraphes 12.  Il s’agit d’« Introspection d’un
qui suivent portent sur une mise en relation des thèmes déjà abordés dans compositeur », dans lequel on peut
lire : « Mais reste un élément encore
l’édition des écrits de Vivier13 et de ceux traités par le compositeur – impli- non exprimé : ma sexualité. Encore
citement ou explicitement – dans des moyens de communication autres que catholique, il m’est difficile de croire
les textes suivis, mais véhiculant tout de même sa pensée. que je sois homosexuel. Mais de plus
en plus une autre certitude grandit
Jean-Jacques Nattiez a eu l’occasion de prendre à nouveau la parole à pro- en moi : je suis un compositeur ! Et
pos de l’édition de ces écrits en note de son article « Quelques problèmes de le transmetteur que je suis ne peut
s’embarrasser d’un problème somme
la musicologie critique selon Deliège14 ». Il y défend notamment l’importance
toute mineur » (Vivier, 1991, p. 92).
de ne laisser de côté aucune documentation pertinente, expliquant :
13.  La liste des textes publiés dans
À propos des textes d’adolescent de Claude Vivier publiés dans le numéro de l’édition originale, leurs numéros
de pages et l’année réelle ou
Circuit consacré à ses écrits […], Deliège se demande s’il fallait les retenir (p. 656)15.
approximative de leur rédaction sont
Le musicologue n’a pas à sélectionner les textes qu’il publie d’un compositeur, s’il présentés à l’Annexe 1.
veut donner une image de son univers aussi complète que possible. Et dans le cas 14.  Nattiez, 2005.

martine rhéaume
présent, un témoignage, même naïf et maladroit, de la dimension mystique de la
15.  Nattiez réfère ici à Deliège, 2003.
pensée de Vivier est indispensable si l’on veut comprendre sa musique avant de la
juger16. 16.  Nattiez, 2005, p. 87, note 46. Les
italiques proviennent du texte original.
De la même façon qu’il convient de dépeindre un jeune Vivier maladroit et
naïf, je suis d’avis que les générations qui n’ont pas connu le personnage trou-
veraient éclairant de lire sa correspondance – même personnelle et parfois 29

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vulgaire – ainsi que ses esquisses. Mais avant de nous y attarder, prenons la
pleine mesure de la publication de 1991.

L’édition des écrits de Claude Vivier de 1991 :


une vue d’ensemble
Huit textes –  de « Musique » à « Le clown »  –, ceux d’un adolescent, sont
d’abord publiés dans les journaux scolaires du Juvénat Saint-Joseph de
Saint-Vincent-de-Paul (1964-1965) et du Séminaire de Saint-Hyacinthe (1965-
1966). Les deux premiers parlent de musique classique, tandis que les autres
effleurent les thèmes qui seront constructeurs d’un Vivier autobiographe,
17.  Voir le texte « L’Amour », in Vivier, idéaliste, cherchant l’amour et idéalisant la pureté de l’enfance17, un jeune
1991, p. 41-43. sentant monter en lui la vocation musicale18 ou évoquant le souvenir nos-
18.  Voir le texte « Musique », ibid.,
talgique de Noël19. Dans « En musicant », Vivier écrit : « Beethoven, dans
p. 39-40.
sa 9e [symphonie] raconte, pour ainsi dire, sa vie et dans ce thème [celui du
19.  Voir le texte « Noël », ibid., p. 43-45.
20.  Voir le texte « En musicant »,
destin], il nous montre le malheur qui s’acharne sur lui20 », ce que l’éditrice
ibid.,p. 40. fait suivre de la note suivante : « Remarque touchante, puisque, dans une
21. Robert, in Vivier, 1991, p. 40. certaine mesure, on pourrait en dire autant de la musique de Vivier21. » On
reconnaît là les grands mythes fondateurs du personnage de Claude Vivier.
Quant à l’homosexualité du compositeur, elle est également évoquée
par l’éditrice, citant une note dans laquelle Vivier décrit un camarade de
classe, Serge Bélisle : « [l]e 28 juin 1948, naissait à Asbestos un joli (?) garçon :
22.  Voir le texte « Serge Bélisle », ibid., Serge22 ». L’éditrice commente ainsi ce texte :
p. 42.
Jeu d’adolescents se décrivant mutuellement. Ce texte est d’un intérêt particulier,
d’abord parce qu’on y décèle (peut-être) une première allusion involontaire à
23. Robert, in Vivier, 1991, p. 42,
l’homosexualité de l’auteur. Mais aussi parce que la réponse de Serge Bélisle – le
note 1.
seul texte de cette édition qui ne soit pas de la main de Vivier – contient un portrait
24.  Voir le texte « Introspection d’un
de Vivier que les familiers du compositeur reconnaîtront bien…23
compositeur », ibid., p. 92. Voir aussi la
note 13 ci-dessus.
Puisque, selon toute vraisemblance, il s’agit d’un exercice auquel tous les
25.  Ménard, 1985.
élèves s’adonnaient en fin d’année, le fait que Vivier décrive Serge Bélisle n’est
26.  Carrière, 1981, p. 32 ; c’est moi qui
souligne. Le mot « tapette » utilisé par pas en soi signe d’une homosexualité en éveil. Comme on l’apprend plus tard
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

Vivier pour désigner un homosexuel dans « Introspection d’un compositeur24 », l’artiste éprouve du mal à accepter
ne porte pas nécessairement la
son orientation au cours de ses années de pratique catholique. Dans une
connotation de passivité associée au
mot dans le Grand Robert, par exemple. entrevue accordée à Daniel Carrière et reproduite dans la revue Le Berdache
À l’origine une insulte, le mot est repris – « première publication gay militante d’envergure au Québec25 » –, il affirme :
par les homosexuels du Québec pour
« je ne m’apitoie plus sur le fait que je suis une tapette26 », déclaration qui fait
se désigner eux-mêmes ou entre eux,
en émoussant ainsi considérablement foi d’un cheminement vers l’acceptation de son identité.
la portée, si elle devait leur être lancée. Les écrits suivants se présentent moins par blocs homogènes, pour la
Le terme, injurieux dans le langage
familier, est utilisé ici uniquement dans
simple raison qu’ils sont ordonnés chronologiquement – et, pour le cas des
30 le cadre de citations verbatim de Vivier. notes de programmes, dans l’ordre de composition des œuvres. On y retrouve

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donc des documents provenant des cinq catégories restantes : textes d’œuvres
vocales, notes de programme et aussi de composition, lettres de Bali et textes
sur le musicien et le rôle du compositeur27. Pour sa part, le cas de Glaubst 27.  Afin de ne pas alourdir inutilement
du an die Unsterblichkeit der Seele est un peu particulier, puisque les notes le présent essai de descriptions
exhaustives de chacun des textes,
de programme sont un extrait d’une lettre envoyée par Vivier à Thérèse j’invite le lecteur à se rapporter à
Desjardins en janvier 1983, seule référence à la correspondance personnelle l’Annexe 1. Les titres en italiques sont
ceux d’œuvres, tandis que les titres
de l’artiste dans l’édition de 199128. Évidemment, ces textes relèvent de dif-
marqués d’un astérisque (*) sont des
férentes catégories et visent différents buts : ils présentent tantôt un discours paroles de créations vocales, ceux
poétique, tantôt des considérations techniques ou descriptives au sujet de la suivis d’un symbole alpha ( a ), des
notes de programme, et d’un symbole
musique. bêta ( b ), des notes de composition. Ces
Il est également pertinent de souligner que de longues sections en langue symboles peuvent être combinés si un
inventée – une langue asémantique que Vivier utilisait dans plusieurs œuvres texte relève de plusieurs catégories.
28.  La nature publique des lettres
vocales – sont aussi reproduites dans le numéro de Circuit. Si, pour Lonely
envoyées par Vivier depuis Bali les
Child, il ne s’agit que de quelques lignes29, c’est environ le tiers des paroles classe en effet dans une catégorie
de Kopernikus qui est en langue inventée30, et le texte complet des Trois airs distincte. Dans l’édition de 1991, « Trois
lettres de Bali » sont reproduites, dont
pour un opéra imaginaire est aussi dans cette langue31, bien que s’y cachent
deux sont parues dans le périodique
quelques mots allemands. Cette situation sera abordée ci-après. Musicanada en 1977. Pour plus
Enfin, les autres textes portent sur le rôle du compositeur et sur celui de d’informations à ce sujet, voir Vivier,
1991, p. 70.
l’artiste en général, et comprennent les quelques lettres rédigées par Vivier
29.  Vivier, 1991, p. 108.
lors que son séjour en Asie32. De ceux-ci comme des textes sur ses œuvres
30.  La page 99 ne contient aucun mot
ressortent les thèmes généraux de l’histoire personnelle du compositeur, réel, et le texte de l’œuvre, d’une durée
de l’importance d’une spiritualité, d’abord catholique, puis de la volonté de d’un peu plus d’une heure, couvre onze
pages.
créer un art universel – marqué d’une certaine idéalisation de l’Orient –, de
31.  Vivier, 1991, p. 131 et 133.
l’­Histoire de l’humanité comprenant une conception téléologique d’évolution
32.  Ibid., p. 68-79.
de l’art et de la société tendant vers le Bien. Vivier s’élève notamment contre
le traitement réservé aux artistes qui s’intéressent à la création, par opposition
à l’art de masse. Il écrit :
[l]e mot « créer » sous-entend le mot cri, une sorte de besoin existentiel de dire
quelque chose qui habite un individu. Un grand dilemme se pose au Québec – on
semble penser que la création soit un phénomène fortuit qui se produit en état
d’extase, ou un acte gratuit qui se produit n’importe comment33. 33.  Ibid., p. 117.

Ce besoin d’expression est présent ailleurs dans ses écrits, autant dans ses
notes de programme –  qui prennent un ton moins revendicateur  – que

martine rhéaume
dans ses prises de position contre un système ou une culture de masse. Des
considérations spirituelles, rattachées ou non à une religion spécifique,
sont également présentes dans plusieurs des textes qui portent sur le rôle du
compositeur, notamment en ce qui a trait au rituel qu’il se doit de créer par
sa musique.
31

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L’éclairage d’autres prises de parole
À travers les entrevues accordées par Vivier, sa correspondance et la nature
revendicatrice de son projet Tchaïkovski, un portrait plus global de ses prises
de parole apparaît. Ces sources se révèlent ainsi complémentaires des écrits
publiés en  1991 et permettent de considérer la personnalité artistique du
compositeur sous un angle renouvelé.

a) La parole gay
Avec la perspective que peut offrir un recul de près de trente ans, je souhaite
questionner les choix éditoriaux de l’édition de 1991 des écrits de Vivier qui
ont conduit à l’exclusion de documents qui me paraissent aujourd’hui d’une
importance cruciale pour une meilleure compréhension de sa personnalité.
Il aura fallu une vingtaine d’années avant d’avoir eu accès à des travaux qui
nous signalent le caractère incomplet de cette première édition. Je songe
notamment à la biographie de Bob Gilmore, parue en  2014, qui livre un
compte rendu exhaustif dépassant la connaissance de l’artiste par ses contem-
porains, collègues et amis, pour entrer dans la sphère de l’interprétation de sa
vie et de sa musique. Dans son ouvrage, Gilmore relate avec précision l’état
de sécurité relative dans laquelle les homosexuels montréalais se trouvaient
34.  Gilmore, 2014, p. 172. à la fin des années 1970 et au début des années 198034 ; il aborde également
l’entrevue avec Carrière (mentionnée plus haut) et, pour la première fois
dans la littérature, présente Vivier comme le porte-étendard d’une parole
gay dans l’art.
Le recul permet en effet de constater que l’homosexualité et la témérité
de Claude Vivier, dans leurs manifestations à l’écrit, sont plus présentes
dans les catégories de textes qui n’ont pas été retenues pour la publication
35.  À ce sujet, voir Robert, 1991,
(entrevues et correspondance35) que dans ceux imprimés. En ce qui a trait
p. 35-36.
à la correspondance, quelques lettres non datées adressées à son ami Pierre
36.  Ces documents sont conservés aux
Archives de l’Université de Montréal Rochon lors de ses études avec Paul Méfano, à Paris (1971-1972), et Karlheinz
(P0235). Stockhausen, à Cologne (1972-1973)36, font état, en des termes parfois crus,
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

37.  Il écrit que les homosexuels de l’intimité des correspondants, d’une vie homosexuelle assumée. Dans ces
allemands « ne sont pas très drôles
en général et les plus beaux mâles lettres, Vivier parle notamment d’un musicien de l’ensemble de Stockhausen,
finissent toujours par te demander de déplorant qu’il ne soit pas homosexuel ; il y décrit également la participation
l’argent » (Archives de l’Université de
à des orgies sans apparente limite sexuelle et d’autres aléas d’une sexualité
Montréal, Fonds Claude Vivier (P0235),
document A0002, lettre non datée active dont les sous-entendus laissent supposer qu’elle est pratiquée principa-
à Pierre Rochon), une pratique peu lement en compagnie de partenaires d’un soir37. Bien entendu, ces thèmes
courante entre partenaires stables.
sont juxtaposés à des considérations plus professionnelles. Une carte postale
38.  Fonds Claude Vivier (P0235),
document A0004. L’espace large est
et une dédicace à celui qui fut son amoureux à Montréal, Dino Olivieri – à
32 tirée du document original. qui il écrit : « Je t’aime beaucoup   peut-être…38 » –, complètent la maigre

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portion personnelle de sa correspondance. Le reste de celle-ci est plutôt relié
à son activité de compositeur.
Dans les entrevues qu’il accorde au tournant des années 1980, Vivier adopte
une attitude plutôt ouverte avec ses intervieweurs, non seulement au sujet de
son homosexualité, mais aussi sur la portée de son homosexualité quant à la
perception du sens et, comme on le verra dans les lignes qui suivent, quant
à la perception d’une certaine absence de direction dans sa musique, un effet
planant qu’il associe au féminisme. En entrevue avec Claude Cubaynes
à Radio-Canada, Vivier parle de « toute la pensée très féministe, finale-
ment, que j’ai. Une sensibilité que j’ai, très féministe, ou gay, ou, enfin, une
pensée qui dépasse un peu les modes habituels qui sont homme/femme,
dominant/dominé  […] je reste très intime, ma musique est très intime39. »
Vivier explique aussi directement la portée de son homosexualité dans son 39.  Dans une entrevue reproduite au
œuvre à l’occasion d’une entrevue qu’il accorde à la revue gay Le Berdache, début de la seconde de deux émissions
consacrées à Claude Vivier et animées
en  1981. Après avoir souligné que l’absence d’action dramatique dans par George Nicholson le 23 mars 2003
Kopernikus lui avait été reprochée à la suite de la création de l’œuvre, en 1980, à la Chaîne culturelle de Radio-Canada.
Vivier affirme à Daniel Carrière qu’il véhicule en fait, de cette manière, une
« parole gaie ». Il explique :
Quand je parle d’une parole gaie dans ce sens-là, la parole gaie autant que la parole
féministe sont des termes pour redonner aux êtres leur poids égal sans différence.
Pour moi une parole gaie remet complètement en question un système de sensibi-
lité, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel.
  Ça transpose le discours à un niveau plus élevé. Ce n’est plus important si ma
sexualité s’exprime de façon homosexuelle, il faut être capable de dépasser ça
pour découvrir des choses. Exemple : je ne m’apitoie plus sur le fait que je suis
une tapette ; en dépassant ça, je découvre des choses que l’hétérosexuel, dont la
sexualité n’est jamais remise en question[,] n’a pas l’occasion ni l’opportunité de
revoir. C’est ce qui fait que certains hétérosexuels, aujourd’hui, revoient même
leur sexualité. Dans ce sens-là, [il] y a un courant gai qui touche autant les hétéro-
sexuels que les homosexuels40. 40.  Carrière, 1981, p. 32. Notons que
Véronique Robert fait référence à cet
Ainsi, le caractère statique, carnatique, initiatique et répétitif de la musique article et le cite à plusieurs reprises
dans les notes qui accompagnent les
de Vivier prend un sens nouveau sous l’éclairage de cette « parole gaie ». Si
écrits du compositeur.
on applique cette vision à son œuvre, on peut inférer qu’il exprime par un
discours musical, en le qualifiant de gay, un rite initiatique auquel les êtres

martine rhéaume
humains d’identités confondues prennent part, dans le but d’aplanir les dif-
férences. En parlant d’une musique gay, qu’il considère comme féministe,
Vivier décrit son style à la fois théoriquement, c’est-à-dire en décrivant le
discours musical – par l’absence de considérations de tension et détente, de
direction fonctionnelle –, et à la fois socialement, par l’idée d’un mode de
communication qui graduellement érode l’hégémonie patriarcale jusqu’à ce 33

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que l’espèce humaine, englobant toutes les orientations sexuelles, partage le
41.  Vivier ne mentionne pas l’identité rôle de l’artiste41. C’est un éclairage de son œuvre – de Kopernikus et de son
de genre, qui n’était pas un sujet absence de tension dramatique associée aux conflits, mais aussi de Journal
aussi courant en 1981 qu’il ne l’est au
moment d’écrire cet article. et, par anticipation, de Glaubst du an die Unsterblichkeit der Seele – qui la
rend paradoxalement plus personnelle et plus universelle. Plus personnelle,
parce que Vivier croit en une amélioration de l’humanité et aspire, à sa propre
échelle, à y contribuer. Plus universelle, aussi, parce que ce n’est plus seule-
ment lui qui s’incarne dans le personnage d’Agni (l’initiée dans Kopernikus),
dans l’enfant de Lonely Child ou, dans une moindre mesure, dans la septième
voix de Chants, voire même dans le Tchaikowski qui n’a jamais été, mais
un genre humain débarrassé des questions identitaires, des différences. Le
féminisme et le mouvement gay et lesbien, dans cette logique, ne seraient
donc pour Vivier que des rites de passage vers une acceptation plus globale.
Si la lecture complète de l’édition de ses écrits au début des années 1990
trace un portrait profond et nuancé de Vivier, l’accent y est tout de même mis
sur l’image d’un rêveur idéaliste, spirituel, d’un enfant triste aux motivations
autobiographiques ; s’ajoute à cette image une dimension essentiellement
occultée à l’époque, celle de son discours ouvertement gay et engagé, et le fait
qu’il faisait des liens entre cette parole et son œuvre. Parmi les éléments des
écrits inédits qui permettent de mettre en lumière cet aspect du compositeur,
étudions sa vision de la vie et de la mort de Tchaïkovski.

b) Tchaïkovski
42.  Selon Gilmore, 2014, p. 212.
43.  Une mise en abyme de cette Dans une lettre datant du 23 février 1983, Claude Vivier annonce, pour l’an-
œuvre est représentée dans l’opéra née de la musique de l’unesco en 1985, un opéra portant le titre Tchaikowsky,
Petit-Tchaïkovski ou La Liquéfaction
un requiem russe, pour chœur, orchestre, huit solistes et danseurs. Le projet,
de la lumière (1990) du compositeur
Michel Gonneville et du librettiste Alain interrompu par le meurtre du compositeur le 7 mars 1983, était complètement
Fournier. esquissé, visiblement prêt pour la rencontre avec la librettiste (probablement
44.  L’extrait concerné de l’entrevue Elisabeth Halbreich42), qui devait avoir lieu au courant du mois de mars43.
est reproduit à l’Annexe 2. Cette
entrevue avec Cubaynes fait partie
Parmi les personnages de l’opéra se trouvent le tsar de Russie, l’amant de
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

de l’anthologie de la musique de Tchaïkovski et le compositeur russe lui-même. L’œuvre devait raconter,


Claude Vivier publiée sous forme d’un sur la structure du requiem catholique romain, les derniers moments de
coffret de quatre disques par Radio-
Canada International en 1990, dans le Tchaïkovski. Homosexuel en relation avec un proche du tsar dans le livret
cadre de la série des anthologies de de Vivier, Tchaïkovski subit un procès d’honneur au terme duquel on lui
compositeurs. La date de l’entrevue
demande de se suicider, ce qu’il fait.
est inconnue, mais se situe sans doute,
selon Johanne Rivest, « entre 1981 L’opéra prend des directions multiples, ce dont fait foi un autre extrait de
et 1982, soit après la composition du l’entrevue accordée à Claude Cubaynes à Radio-Canada44. On y apprend que
Prologue pour un Marco Polo et avant
son départ (ultime) pour Paris » (Rivest,
Vivier associe le suicide de Tchaïkovski au martyre de Jeanne d’Arc – le lien
34 1991, p. 140, note 1). avec le suicide de Socrate est également suggéré par l’intervieweur –, qu’il

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considère comme une quête de sainteté, puis à Jean Genet, dont la sainteté
s’incarnerait dans sa façon d’être un voyou, si l’on se fie aux dires du compo-
siteur. Le rapprochement provient des propos de Vivier et n’est pas clarifié
par les esquisses de l’opéra. En fait, Vivier associe les héros homosexuels et
féministes dans des scènes dont le déroulement narratif se fait plutôt par jux-
taposition de symboles que par direction de l’intrigue dramatique.
À la page  6 de l’une des esquisses du projet Tchaïkovski45, décrivant la 45.  Document consulté dans le Fonds
scène associée au « Libera me » du requiem, on peut lire comme argument : Claude Vivier (P0235).

« L’amour que Tchaïkovski porte à son amant est l’amour qu’il porte à un
martyr et dont il assumera le martyr[e] par sa propre mort. » Au cours de la
scène, il fait intervenir les images des martyrs de ses causes – la féministe
Jeanne d’Arc, l’homosexuel Pasolini46, le martyr chrétien saint Sébastien47 – 46.  Pier Paolo Pasolini, auteur et
dans un jeu de miroirs où Vivier laisse Tchaïkovski projeter son sort sur son cinéaste italien assassiné en 1975,
vraisemblablement par un prostitué.
amant, d’une façon qui lui était peut-être cathartique.
47.  Saint Sébastien, martyr chrétien
Ces notes sont parmi les écrits de Vivier qui sont les mieux structurés et exécuté au ive siècle, transpercé de
qui communiquent le mieux une vision qui devenait sans cesse plus engagée flèches, est reconnu depuis longtemps
comme une icône homosexuelle.
dans une revendication identitaire outrepassant la place de l’artiste. Sans
reproduire les notes en entier, certains textes –  dont l’esquisse du solo du
tsar – éclairent la conception que pouvait avoir Vivier de l’univers machiste
qu’il dénonçait de plus en plus. Observons ce texte :
J’ai peur, j’ai peur
J’ai aimé sa musique
si belle
Pourtant, pourtant
Ces mélodies que je croyais venir du ciel
et qui me rappelaient le Dieu de mon enfance
moi le tsar de toutes les Russies
Le représentant de Dieu peut-être
le Dépositaire de la vérité
la seule vérité du pouvoir.
Ces chants m’ont trompé
Ces chants m’ont subjugué
Sa musique douce comme une rose d’Ispahan
n’était pas divine
elle était de chair

martine rhéaume
moi qui croyais vénérer Dieu
c’est devant un cul qu’on me faisait pleurer
moi, moi le tsar
il doit mourir
Ce sorcier doit mourir48[.] 48.  Solo du tsar, extrait de
Tchaikowsky, un requiem russe. Fonds
Claude Vivier (P0235). 35

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Ce solo révèle un tsar hautement insécurisé, non seulement par le mode de
vie d’un compositeur homosexuel, mais également par le fait d’avoir apprécié
sa musique. Qu’est-ce que cela révèle de lui ? Qu’est-ce que cela révèle de sa
propre sexualité ? « J’ai peur », affirme ce personnage pourtant si puissant. En
le présentant comme « Le représentant de Dieu[,] peut-être/le Dépositaire
de la vérité », Vivier pourrait faire référence aux formes d’homophobie qu’il
a vécue au séminaire, et qui iront jusqu’à l’en exclure. Et enfin, humilié, le
personnage s’exclame « il doit mourir/Ce sorcier doit mourir », un thème de
vengeance et de méchanceté par ailleurs inédit chez Vivier. Ce personnage
homophobe, puissant et vengeur s’avère bien plus qu’un symbole des préjugés
auxquels le compositeur faisait toujours face au début des années 1980, de
Montréal à Paris, et se révèle être une dénonciation assez fine de la fragilité
qui se cache derrière les démonstrations de pouvoir.
Le tsar semble représenter ici un être de pouvoir à qui l’homosexualité des
autres fait peur, peut-être parce qu’il craint pour sa propre identité sexuelle,
ou alors parce qu’il croit que son autorité peut être mise en péril par le
comportement hors norme d’autres individus. C’est un personnage tout à
fait nouveau chez Vivier. Selon mon interprétation, il représente l’ennemi à
abattre dans l’émancipation identitaire. En ce sens, on voit qu’avec le projet
Tchaïkovski, Vivier transformait ses habitudes de déroulement dramatique
pour faire passer un message clair et revendicateur de la légitimité d’une
49.  La narrativité des œuvres identité homosexuelle49.
dramatiques de Vivier, dont la
plus célèbre est sans doute l’opéra
En conclusion : l’éclairage des gender studies
Kopernikus, se déroule plutôt par une
juxtaposition de tableaux que par Les gender et les queer studies se sont penchées à plusieurs reprises, elles
des polarisations de personnages.
aussi, sur le cas Tchaïkovski. Susan McClary souligne, dans la Quatrième
En faisant intervenir un véritable
« méchant » en la personne du tsar, symphonie du compositeur russe, une utilisation des stéréotypes musicaux en
Vivier nous semble ici prendre une lien avec le genre – plus particulièrement symphonique, ainsi que dans une
autre posture dramatique.
narrativité différente des classiques oppositions mélodiques et harmoniques
masculin/féminin  –, qu’elle associe au malaise identitaire du compositeur
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

50.  McClary, 2002, p. 78. dans la Russie du xixe  siècle50. Malcolm  H. Brown démontre quant à lui
qu’une homophobie insidieuse est à l’origine d’un changement de paradigme
dans la réception et la critique de la musique de Tchaïkovski, entre la per-
ception d’une expression puissante et sincère, avant que l’histoire ne le sorte
du placard, et celle d’une musique hystérique, efféminée et structurellement
51.  Brown, 2002, p. 145. faible, une fois son homosexualité rendue publique51. Au moment de sa mort,
Vivier s’apprêtait donc à écrire une œuvre musicale qui aurait également été
une expression plus explicite de sa quête d’une perception juste et éclairée de
36 la musique de Tchaïkovski – et peut-être de la sienne.

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Dans le solo du tsar ébauché par Vivier, le protagoniste ne se justifie-t-il
pas de son acte comme le feront plusieurs auteurs de violence envers les
homosexuels, soit en plaidant une certaine « panique homosexuelle » ? Eve K.
Sedgwick explique :
Sur le plan juridique, la défense d’un individu (en général un homme) accusé
de violence contre une personne gaie et faisant référence à la « panique homo-
sexuelle » insinue que sa responsabilité dans le crime est faible en raison d’un état
psychologique pathologique, sans doute déclenché par des avances sexuelles non
souhaitées faites par l’homme qu’il a agressé52. 52.  Sedgwick, 2008, p. 40. L’auteure
se base sur des périodiques
L’avance sexuelle est ici remplacée par un sentiment de pureté amené par la juridiques, notamment le Harvard
Civil Rights – Civil Liberties Law Review,
musique, dont la « nature réelle » suscite le dégoût du tsar, jusqu’au désir de
no 19, 1984.
peine capitale.
Vivier et les queer scholars après lui prennent Tchaïkovski en exemple non
seulement d’une homosexualité sévèrement punie du vivant du compositeur,
mais qui se perpétue dans la réception de son œuvre au début du xxe siècle
et encore aujourd’hui53. Au sujet de l’importance de reconnaître l’identité de 53.  Brown, 2002, p. 145-146.
genre du compositeur, Susan McClary écrit :
the acknowledgment of Western musical culture’s debt to homosexual artists might
help to counter the homophobia still so prevalent; it would offer an illustrious history
for gay individuals today – a source of deserved pride rather than shame54. 54.  McClary, 2002, p. 78.

Peut-être que le meurtre du personnage prénommé « Claude » dans sa der-


nière œuvre, Glaubst du an die Unsterblichkeit der Seele, représente la mort
d’un Vivier autobiographe, dont l’art se dirigeait, en mars  1983, vers une
inscription plus générale dans l’histoire, non plus de lui-même, mais d’un
groupe social alors en plein essor, en pleine quête de droits, de libertés et de
fierté.
Il y a fort à parier que le présent article n’en apprend que peu ou pas du
tout aux gens de la génération qui s’est chargée, en 1991, de préparer les écrits
de Vivier. Moins de dix ans s’étaient alors écoulés depuis le meurtre du jeune
compositeur ; les milieux montréalais et québécois de la musique contempo-
raine ne sont pas très grands, aussi la plupart des acteurs d’alors avaient-ils
probablement connu Vivier personnellement. Plusieurs avaient peut-être

martine rhéaume
même discuté avec lui de cette ouverture et de cette mission d’une émanci-
pation gay dont il s’investissait. Ce qui était alors absent du recueil des écrits
du compositeur ne l’était sans doute pas de leur conception du personnage ni
de leur interprétation de sa musique. Qui plus est, comme je l’ai mentionné
plus haut, le numéro de la revue Circuit ne devait pas demeurer le seul objet
de construction intellectuelle du compositeur, mais être plutôt la première de 37

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ces pierres qui aident à comprendre les multiples facettes de la personnalité
artistique, politique et personnelle de Claude Vivier.
Par la mise en lumière de certains écrits du compositeur et de sa parole,
cet essai vise à participer à cette compréhension. Les remarques de Vivier sur
son homosexualité et celle des autres ne sont pas anecdotiques. Dans le cas de
Kopernikus, il voit son homosexualité comme facteur de sens du déroulement
dramatique et du discours musical ; dans le cas de Tchaïkovski, il souhaitait
mettre sa musique au service de la dénonciation d’une tragédie de l’histoire,
d’un homosexuel décédé parce qu’il était homosexuel. Il en ressort donc un
compositeur gay engagé dans une démarche de fierté identitaire, qui dépasse
la quête d’identité familiale qui animait ses œuvres jusque vers 1980.

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Vivier, Claude (1991), « Les écrits de Claude Vivier », édités par Véronique Robert, Circuit,
revue nord-américaine de musique du xx e siècle, vol. 2, nos 1-2, p. 39-135.
Watanabe, Anthony M. (1996), « Petit-Tchaïkovski et ses paratextes : le cas du titre », Recherches
théâtrales du Canada, vol. 17, no 2, p. 188-199.
Zviane (2007), Des étoiles dans les oreilles, Montréal, Société de musique contemporaine du
Québec.

ANNEXE 1 Les écrits de Vivier – Circuit, revue nord-américaine de musique


du xxe siècle, vol. 2, nos 1-2.

Page Titre Année


39 Musique 1964-1965
40 En musicant 1964-1965
41 L’Amour 1965
42 Serge Bélisle 1965
43 Noël 1965
45 Postulat 1965
45 Not’ petit bonheur [c. 1965]

martine rhéaume
46 Le clown 1965-1966
48 Ojikawa* 1968
49 Hiérophanie b
1971
49 L’acte musical 1971
51 Notes du soir 1971
53 Musik für das Ende a
1971
39

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55 Chantsa 1973
57 Chantsa 1978
58 O ! Kosmosb 1973
60 Lettura di Dantea 1974
61 Quelques considérations sur la composition musicale [c. 1974]
64 Est bien vu ici qui veut être médiocre 1974
65 Liebesgedichteab 1975
66 De la critique musicale 1976
68 Japon 1976
70 Trois lettres de Bali 1976-1977
73 D’un carnet de voyage 1976
74 Heureux qui comme Ulysse 1977
79 Journala* [c. 1977-1979]
87 Love songsa [c. 1977-1980]
88 Nanti malamb 1977
89 Pulau Dewata ? 1977
89 Shiraza [c. 1977-1981]
90 La musique de la nouvelle génération 1978
92 Introspection d’un compositeur 1978
93 « Mantra » de Stockhausen 1979
95 Kopernikus opéra – rituel de morta* 1980
107 Lonely Childa* 1980
109 Zipangua [c. 1980-1981]
109 Cinq chansons pour percussionb 1980
111 Prologue pour un Marco Poloa 1981
113 Situation de la musique contemporaine au Canada [c. 1981]
113 Situation de la musique [c. 1977]
116 Une allocution 1980
118 Créativité et cinéma québécois [c. 1980]
119 Wo bist du Licht ! b 1981
120 Petit historique de la musique contemporaine 1981
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

121 Orion a
1981
123 Imagine [c. 1979-1982]
125 Pour Gödel 1982
127 Cinéma et musique 1981
129 Que propose la musique ? 1982
130 À propos de Gilles Tremblay 1982
131 Trois airs pour un opéra imaginaire *
a
1983
133 Glaubst du an die Unsterblichkeit der Seelea* 1983

40

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ANNEXE 2 Extrait d’une entrevue de Claude Vivier avec Claude Cubaynes,
Radio-Canada

Claude Vivier (c. v.) : Le cas Tchaïkovski, c’est un cas très spécial dans l’histoire de
la musique – et dans l’histoire tout court de toute façon – c’est un cas assez horrible.
Tchaïkovski était homosexuel et Tchaïkovski en souffrait beaucoup. Tchaïkovski était
extrêmement complexé de ça et sentait le poids du péché sur lui. C’est en fait toute
une civilisation qui l’avait rendu comme ça, la civilisation occidentale.
Et il est tombé en amour avec un jeune homme qui était le neveu du duc, d’un
duc quelconque à la cour du tsar Nicolas. Et ce duc en question a tout simplement
voulu faire une poursuite en bonne et due forme. Poursuivre Tchaïkovski en justice.
Le procureur général de l’époque était un ancien condisciple de Tchaïkovski à
l’école de droit de Moscou et lui n’a absolument pas voulu poursuivre publiquement
Tchaïkovski, parce que ça aurait été une tare épouvantable. Imagine, avoir une tapette
à l’école de droit de Moscou ! Alors il a tout simplement demandé un procès d’hon-
neur. C’étaient les différents pairs de Tchaïkovski qui étaient là. […] Ils lui ont fait un
procès qui a duré cinq heures et lui ont demandé de se suicider. Et Tchaïkovski l’a
fait, comme Jeanne d’Arc aussi avait accepté de mourir.

Claude Cubaynes : Socrate aussi.

c. v. : Socrate aussi.


Ce qui est très intéressant, c’est que l’idole de Tchaïkovski était Jeanne d’Arc et
il y a cette sorte d’ambivalence, cette notion de sainteté […] qui existe dans le cas
Tchaïkovski comme dans le cas [Jean] Genet, où est-ce que la sainteté est devenue…
lorsque l’ange s’est aperçu qu’il n’était pas un ange, qu’il ne pouvait pas atteindre la
sainteté, lorsqu’il volait, il est devenu l’opposé, il est devenu un voyou. Mais c’était
dans l’ordre de la sainteté, c’était exactement… il essayait autant d’être voyou, pour
lui, qu’il avait essayé d’être saint. Et pour Genet c’était sa rédemption.

martine rhéaume

41

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Mathieu Laca, Vita Sackville-West et Virginia Woolf, 2019. Huile sur lin, 122 x 184 cm.

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“Isn’t That Life, in a Way: Trying
to Accommodate Dissonance?”
Ref lections on Lesbianism and
the Life and Music of Ann Southam
Ta m a r a B e r n s t e i n

Growing up gay in the 1950s was a social nightmare, because you were certainly not
supposed to be that. And I found, as I’ve said many times before, that a great way
of accounting for my being such a social misfit, and being temperamental, and in 1.  Elinor Dunsmuir (1887–1938),
a singer, pianist, violinist and
a bad mood most of the time, [and] drunk a lot of the time, was to be an ‘artiste.’
composer whose music was recently
So this was why I was a musician. It was a great outlet for feelings. And then being rediscovered, has emerged as an
part of the dance world, everybody was higglety pigglety—you didn’t know who was intriguing candidate for the honour
what; you didn’t have to conform to anything. It was a comfortable world to be in. It of “first known Canadian lesbian
was a godsend for me! composer.” The biographer of the
Dunsmuir family avoids “the L-word”
— Ann Southam, video interview with the author, April 17, 2010.
but evokes Elinor’s lesbianism through
innuendo and vintage stereotypes
That Ann Southam belongs in this issue of Circuit—perhaps even with pride of (“masculine” attire and presence;
cigars; self-loathing), apparently
place (so to speak)—is beyond dispute. Born in 1937, she was, to my knowledge,
based on reminiscences of a great-
the first female Canadian composer of so-called art music to “come out” in a niece of Elinor Dunsmuir (Reksten,
modern sense of the term—self-identifying as gay in interviews, and agreeing 1991, pp. 244–45, 278). In 2019, an
exhibition called “Finding a Voice:
to appear on a concert of music by lgbtq2 composers.1 She was a role model Gender, Sexuality and Music Through
for—and champion of—women in music. And Southam’s compositional voice the Work of Elinor Dunsmuir” ran
remains one of the most distinctive and compelling of her generation, from at the Courtenay (B.C.) and District
Museum and Paleontology Centre.
her early, mesmerizing electroacoustic pieces written for pioneering modern (See www.courtenaymuseum.ca/
dance choreographers in Canada, through the exuberant process music of programmes-exhibits/online-exhibits/

ta m a r a b e r n s t e i n
finding-a-voice (accessed December 2,
works like Glass Houses for piano (1981; rev. 2009), to the vast, meditative, emo-
2020). More research on Dunsmuir
tionally ambiguous canvases of late works like Simple Lines of Enquiry (2007), is needed. I am grateful to Janet
and In Retrospect (2004).2 In short, Southam’s music and life—along with the Danielson of Simon Fraser University
for alerting me to Dunsmuir’s story.
possibility of connections between them—matter.
2.  Scores to Southam’s music are
And so one strides confidently forward, only to feel squishy ground under- available through the Canadian Music
foot almost immediately. What, if anything, does the public need to know Centre: https://cmccanada.org. 43

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about the sexual orientation of a composer who, while fearlessly outspoken
on certain topics (notably anything to do with sexism and misogyny!), was a
fundamentally private person? What would Southam have wanted written
about her in this issue of Circuit—and does that matter? And what of the age-
old questions around mapping an artist’s biography onto her or his work: is it
reductive to do so, or puritanically “formalist” not to? Or both?
We are on much firmer ground when it comes to Southam and feminism.
“Proud and outspoken feminist” is the quasi-Homeric epithet that got atta-
ched to her name in her later years, and it’s true. She was instrumental in
the founding of the Association of Canadian Women Composers  (acwc)
in  1981, becoming its first president and a significant financial supporter;
over the years, she commissioned numerous works from female composers
and choreographers. She spoke truth to male power in the New Music
3.  See, for instance, Southam’s ­world.3 Later, Southam found a philanthropic home for her feminism in the
contributions to early acwc newsletters Canadian Women’s Foundation (cwf), donating generously to its programs
(Southam, 1984).
designed to empower girls in the crucial age group of 9–13 years, when our
culture’s pervasive sexism has a particularly corrosive effect on girls’  self-
esteem. Southam left the bulk of her estate to the cwf; announced as
$14 million but eventually amounting to $17 million, it was the largest single
donation a community-based Canadian women’s organization had ever
received from an individual—a record the cwf believes still stands in 2020.
The cwf invested most of Southam’s bequest in an endowment fund to help
assure the Foundation’s ongoing existence; in 2020, income generated by the
endowment helped support its ongoing programs and operations. Ann’s gift
4.  Kate Hawkins of the cwf, in an
email to the author, December 9, 2020. also helped to double the size of the cwf’s Girls’ Fund, a program she helped
See also https://canadianwomen. found in 2006.4
org/empowering-girls, and https://
And then there’s the music itself. In numerous interviews, Southam spoke
canadianwomen.org/your-living-legacy
(both accessed October 8, 2020), and of her encounter with feminism and minimalism in the 1970s, and the power-
Graham, 2001. ful effect both had on her, quasi-simultaneously. She consistently mentioned
5.  See, for instance, Everett-Green, composers Steve Reich and Terry Riley as influences—the latter’s A Rainbow
2009.
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

in Curved Air (1968) was a particular inspiration5; in 2010 she also singled out
6.  April 17, 2010 interview, 01:25:12
to 01:25:26. Reich’s Music for Mallet Instruments, Voices and Organ (1973), saying that
7.  Conversation with the author, she loved the piece “to this day.”6 While she initially included Philip Glass
c. 1989. When reminded of this among these models, by the late 1980s she was no longer a fan, saying that his
comment in 2010, Southam confirmed
harmonic choices conveyed “a failure of spirit.”7
her assessment of Glass’s music,
then expressed her enthusiasm for By the early 1980s, Southam had stepped back from regular collaborations
the fundamental sunniness and with choreographers, and was exploring minimalism—perhaps more fruit-
“hopefulness” in Steve Reich’s music
(April 17, 2010 video interview, 01:51:44
fully described as “pattern” or “process” music—in piano works like Glass
44 to 01:53:00). Houses and Rivers (1979–1981; rev. 2004–2005).

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Process music, in which small musical units undergo minute variations
as they are repeated over and over, and are gradually transformed by the
cumulative changes, clearly delighted Southam’s musical mind and ear on
several levels. A keen listener, she heard the pulse of minimalist music in
many natural soundscapes:
Being out in the fields and hearing all the insects singing and singing in the fall,
it sounds like the whole universe is singing, which is like Steve Reich’s music: it’s
the sound [that] minimalism can produce. The insects go in and out of phase. It’s
like antiphonal singing. The same applies to birds and frogs. To me it’s like the
whole of life is singing.8 8.  Quoted in Egoyan, 2008, p. 44.
Southam spoke of this in numerous
But Southam also loved to talk about the way minimalism resonated with other interviews, including a lovely clip
in Cornfield, 2005, track 7, 0:42 to 1:15.
her feminism:
Women’s work is traditionally repetitive and life-sustaining. It takes great patience.
It doesn’t have the big climaxes that lead to something new, and often there’s noth-
ing to show for it at the end. I see process music as the perfect way of expressing
this, and as a wonderful metaphor for life.9 9. Quoted in Poole, 1997.

In April 2010, Southam elaborated on the feminist context for this shift to


process music, and away from the contemporary dance world for which she
had been creating electronic music for almost a decade:
I guess it would be the mid-[nineteen]-seventies when feminism really started to
get through to me. And I was aware that the way women were being represented
in the modern dance world was pretty conventional—there was nothing adven-
turesome about it at all, [in the] very stereotypical roles that they played. I just was
wishing for more.10 […] 10.  Southam remained enthusiastic
  So I decided to explore minimalism. And then I was interested in trying to find about the work of choreographers
a way of writing music that would have a feminist aesthetic, because what was who challenged gender roles—
Julia Sasso and the late Rachel
thought of as feminist music back in those days was usually vocal music, and it
Browne for instance, both of whom
would be the words that would give the feminist meaning. I wanted something choreographed Southam’s music.
[where] the very workings of the music would reflect a feminist aesthetic.11 She mentioned Sasso in this context
in the April 17, 2010 video interview,
Mending, knitting, weaving, making things by hand—these were among the c. 02:41:35 to 02:45:29.
“life processes” traditionally associated with women that Southam felt had a 11.  April 17, 2010 video interview,
counterpart in process music. She was careful to stress, however, that this femi- 01:32:57 to 01:36:10.

nist dimension to her process music was not inherently audible in it: “[M]usic is

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music[;] it’s not politics or ideology. It can be used in the service of such things[,]
of course.”12 But it is clear that writing (in the sense of both composing and writ- 12. Quoted in Egoyan, 2008, p. 45.
ing out by hand) and playing her process music was a way for her to integrate
feminism with her art and life—another “godsend,” one might say.
By 1979, Southam had developed the unique musical language—her per-
sonal dialect of minimalism, so to speak—that would sustain and fascinate 45

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her through the rest of her life: the gradual unfolding of a 12-note row, which
is inherently unstable and dissonant, within a stable, consonant minimalist
framework involving repeating patterns and often included an anchoring
13.  The pieces from 1979 are: Rivers, drone (though the latter might shift, especially in her late pieces).13 The
First Set (two pieces), Rivers, Second interaction between the stable, consonant elements and the tonally unstable
Set (eight pieces), and Slow Music:
Meditations on a Twelve-Tone Row, 12-note row created an atelier for Southam’s quiet musical exploration of
which contains the embryo of her late emotional ambiguity, through the play of stability and instability, and of
masterpiece, Simple Lines of Enquiry.
constantly shifting expectations. The composer spoke of literally seeing the
12-note row as “a red dissonant line” running through the consonant elements
of her music, then added, “Isn’t that life, in a way: trying to accommodate
14.  April 17, 2010 video interview, dissonance?”14
02:00:34 to 02:02:35. In a number of works—among them, Slow Music: Meditations on a
Twelve-Tone Row (1979), Soundings for a New Piano (1986), and Simple Lines
of Enquiry—Southam would write twelve short movements or sections, each
one using the same minimalist process and the same 12-note row, but start-
ing on a different note of the row each time. Southam described it as “twelve
15.  Ann Southam, program note to different ways of telling the same story”15; pianist Eve Egoyan, for whom
Rivers, in CD booklet to Ann Southam Southam composed important, late works like Simple Lines of Enquiry, has
[Composer Portrait], Centrediscs
cmccd 10505, 2005. Unpaginated. compared it to the tapping of a kaleidoscope.16
16.  Eve Egoyan, in conversation with To consider Southam’s life as a lesbian is like giving a kaleidoscope a gentle
the author. tap; it is to shift the anchoring drone to another pitch, changing everything.
The “red dissonant line,” which I always assumed had something to do with
the injustices against and oppression of women, takes on new possibilities.
According to my research, Southam first referred to being gay in an
17.  Restrictions during the COVID-19 interview in 2003.17 In late June of that year, I devoted my weekly newspaper
pandemic made it impossible to access column to two concerts scheduled for Toronto’s Pride Week. One of them,
archival CBC Radio interviews with
Southam recorded for the show Two called “Amour: The Language of,” was a program of music by gay compos-
New Hours between the late 1980s ers, presented by the newly formed Contact Contemporary Music (ccm). The
and 2007. David Jaeger, who produced
ccm commissioned Southam to write a piece for the concert; she responded
the show during those years, does
not recall Southam mentioning her with Rainbow Trout, the title of which alludes simultaneously to the lgbt flag
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

lesbianism in any of them (email to the and to the famous song by Schubert, who many believe was homosexual.
author).
Before writing the article, I spoke to Southam, who was 66 at the time,
about her involvement in the concert. She told me that she was “very happy”
to be identified with the gay community, but otherwise swatted away the
opportunity to wave the rainbow flag:
[A]s far as my own sexuality goes, I can’t really say where I am on the continuum
at this point. And I couldn’t care less! By far the greater issue for me is the fact that
I’m a woman composer. I think I’m far more likely to be discriminated against as a
46 woman than as a gay person. You’ll notice, for instance, that I’m the only woman

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composer on the [ccm] program. But I’m so tired of the presumption that everyone
in the world is heterosexual, I’m all for anything that flies in the face of that!18 18.  Quoted in Bernstein, 2003. The ccm
concert took place on June 24, 2003 at
At the time, I was disappointed—perhaps even a bit annoyed—by this The Music Gallery, Church of St. George
the Martyr, and also included music
response. Southam was a much-loved role model in my circle of classical
by Barry Truax, Lou Harrison, Michael
music-loving lesbians: how could she imply that she was not 100% gay? Now Gfroerer, and Michael Parker.
that I’m almost the age that Southam was then, I don’t see her answer as eva-
sive: I think it merely reflects shifting priorities over a woman’s lifetime, along
with Southam’s characteristic honesty. And good on her for reminding the
young, well-meaning gay men who’d commissioned her that gender equity
had yet to be addressed in the classical/new music world.
By the summer of 2009, however, when Robert Everett-Green interviewed
Southam for The Globe and Mail, things had changed. The cancer for which
she had undergone treatments the previous year had returned; I’m sure she
knew that her time was likely limited—and along with it, her chance to tell
her own story. So I find it significant that she spoke of being gay in Everett-
Green’s interview,19 as she did in a video interview with me the following 19.  Everett-Green, 2009. The article
year. includes a quotation very similar to
the one that appears as epigraph to
I’ve already quoted from the video interview in this article, but a few words this article.
of context are in order. On April 17, 2010, thanks to practical assistance from
Tim Southam (a filmmaker and relative of the composer), I spent an after-
noon interviewing the composer at her home, our conversation recorded by
a crew hand-picked by Tim: cinematographer Iris  Ng and sound operator
Mary Wong.20 While I hoped to have the chance to return for more filming, 20.  Video excerpts taken from the
recording of the interview are available
I also knew that this might be our only chance (as indeed turned out to be
as part of the web supplements to
the case). So the interview covered a lot of ground; Southam gamely repeated this issue of Circuit, at the following
stories she had told other interviewers about her childhood, studies, and address: https://revuecircuit.ca/web.

specific musical works, as was necessary. But she was also more open about
lesbianism than I had expected.
At one point, for instance, I asked Southam what feminism brought to her
on a personal level. Here is her reply, more or less unedited:
Well, all of a sudden, things started to make sense. Thinking that I should be
straight, I went into psychoanalysis in about 1963, and had an absolutely ghastly

ta m a r a b e r n s t e i n
time with the analyst. It was an 11-year nightmare with that guy. And finally, when
feminism started to get through to me, I [realized] that psychoanalysis that was
not informed by any kind of feminist analysis was a complete waste of time, as this
was. And the analyst himself was a complete jerk.
  [Growing up], you got the impression that, as a female, you were supposed
to love men simply because they were men. I mean—give me a break! Anyway,
feminism made me aware of the fact that I had been born into and grown up in
an androcentric, phallocentric, misogynistic world, and maybe, in a situation like 47

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this, there’s a good reason for not particularly liking men. It was pretty bloody hard.
Also, back in those days, I think it was Adrienne Rich who talked about compulsory
heterosexuality. And I think the analyst was kind of the enforcer.
  So all of a sudden my life started to make sense, which was a huge relief—
21.  April 17, 2010 video interview, I can’t tell you!21
02:09:33 to 02:11:31. Rich’s text was
first published in 1980, so if Southam’s An “eleven-year nightmare” of what we’d probably now call conversion
11-year ordeal with psychoanalysis
therapy from a “complete jerk” of a psychoanalyst? This is a significant tap
began in the early 1960s, she was
telescoping time a bit here. See Rich, of the kaleidoscope.
1980. A bit later in the interview, Southam spoke of a difficult “coming out”
scene with her mother in 1981:
I came out to her in very difficult circumstances in 1981, and then we never talked
about it again. She was not pleased. She wouldn’t have known what to do with that
information, because that was not her world—it was unnatural [to her]. And I don’t
know how she could have understood it. […]
  It’s kind of a hard thing to dump on a parent […] I think it was during an argu-
ment that I came out to her, which is the worst time to do anything, when you’re
angry. I wish I’d had more sense; a broader vision. I just wish I’d been willing to
take into account the difference in generations. […] Really, I’m amazed at my own
22.  April 17, 2010 video interview, stupidity, you know—my limited thinking. I couldn’t see past the end of my nose.22
02:27:00 to 02:28:38.
But when I asked her, in response, if she had had any lesbian role
models, Southam regaled me with stories of her grandmother’s sister, Mary
Millichamp—“known in the family as Aunt Mame”—and Millichamp’s
“long-time companion,” Pansy Reamsbottom. The couple could have walked
out of a 1920s lesbian pulp novel (or at least the lesbian pulp novel we’d all
like to read). Millichamp had swanned off to study in Paris and returned with
French chef credentials; “Pan,” as Reamsbottom was known, was “the dearest
soul in the entire world—and truly a remarkably ugly-looking woman, but
everybody just loved her,” Southam said. “They would [have been] a butch-
femme combo back in those days,” with Pan covering the “huntin’, shootin’
and fishin’ ” side of the equation.
Millichamp and Reamsbottom were independent businesswomen who
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

ran a succession of dining establishments, including the restaurant at the


top of the swank Park Plaza Hotel in downtown Toronto, before opening
Millichamp’s eponymous restaurant, which became something of an institu-
tion in the nearby Yorkville district. Southam recalled the pleasure of visiting
their home as a child:
There was something very relaxing about going into this non-heterosexual,
tension-free household, which was absolutely lovely. And also they had a cottage
up at [Lake Simcoe], just down the shore from where we had a cottage. And I can
48

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remember going down there and playing canasta with them at night for hours.
They were wonderful to be with—just the best company!23 23.  Millichamp’s and Reamsbottom’s
retirement, in 1958, was sufficiently
However, when I followed up by asking Southam when she became comfort- traumatic for upper-class Toronto that
the Toronto Daily Star (now the Toronto
able with her own lesbianism, she replied:
Star) declared that “part of Toronto
I think it has been a struggle all my life, to tell you the truth. Maybe when I got seemed to die” (Piper, 1958).
connected with Canadian Women’s Foundation, dedicated as it is to women and
girls deciding for ourselves who and how we’re going to be in the world, and it’s not
going to be dictated by anybody. [Pause] I don’t know: It’s a hard one to answer.24 24.  April 17, 2010 video interview,
02:33:48 to 02:34:55.
Later in this interview with Southam, Egoyan arrived and we migrated to
the piano to film a sequence of the two of them together. After Egoyan left,
Ann played and talked about some of her music. By then the afternoon was
wearing on; Ann was visibly tired (and my concentration was flagging). But
she agreed to talk a bit more, and chose to remain at the piano. Perhaps the
comforting bulk of the instrument made her feel protected; I think, too, that
the initial “dissonance” of having the small film crew in her house had worn
off, and that she was enjoying Ng’s and Wong’s presence. In any event, the
mood shifted along with the afternoon light of a chilly April day. It was the
moment in an interview where (if you’re lucky) some invisible barrier falls
away, and you feel that the conversation is really starting.25 25.  Notice how Southam returns to
Here are some excerpts from what followed, minimally edited for clarity. events she described earlier, but with
slightly different emphasis—the tap on
They start with Southam’s response to a question about how she fared at the kaleidoscope, again.
Bishop Strachan School (bss), the private, Anglican all-girls’ school (founded
in 1867) that she attended in Toronto.

Ann Southam (a.  s.): I rather enjoyed it. It was a very structured life, which
I appreciated. I did well enough. I think that when bss ended, and I went out into
the straight, heterosexual world, into mixed society, I really couldn’t see my way
ahead at all. I just couldn’t. So yeah, bss was good fun.

Tamara Bernstein (t. b.): How did you cope after you left the all-girls’ school?26 26.  Southam graduated from bss
in 1955.
a. s.: I drank. A lot. And pretended to be an artiste, you know. But I’m very grateful
for the booze. I would never have managed without it. As I say, in those days, it
was compulsory heterosexuality. What the heck.

ta m a r a b e r n s t e i n
t. b.: When did you stop drinking?

a. s.: Well, I joined AA,27 and I didn’t like that—I didn’t like the “Higher Power” 27.  Alcoholics Anonymous.
business. I didn’t want to stop drinking, so I didn’t. And eventually, a friend said:
“If you don’t stop drinking, I’m not going to see you anymore.” And that did the
trick! That really scared me. And then I just stopped. So I never went through the
struggles that people at AA go through. I got to the point where I simply couldn’t 49

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force down another drop of the stuff because it made me feel so awful. So I just
stopped. It had served its purpose. That’s how I tell it anyway.

t.  b.: Was there anything that gave you a new kind of strength at the time?
Feminism?

a. s.: Oh yes! I was also involved in a lesbian relationship. It was all pretty crazy,
but at least my partner—she’s the person who said, “If you don’t stop drinking I’m
28.  April 17, 2010 video interview, not going to see you again.”28
05:10:13 to 05:13:08.
Some five minutes later (and to my eternal gratitude), Mary Wong, holding
the microphone boom aloft, asked, “Did you write anything when you were
in love?”

a. s.: Yes, but it didn’t make any difference [to what I wrote]. No—I think that when
I was in the closet, the music that I wrote was my song, as if [I was] trying to seduce
with my song [the way birds do]. But then when I came out of the closet there was
no need to do that anymore. So I would be writing from a different place.

Mary Wong: When was that?

a. s.: Well, I came out in 1974, when I finally got rid of this ghastly psychoanalyst
[laughs]. I ran into the person I’d known for years—we’d kind of danced around
each other but neither of us [had] said anything. I was back from England on my
29.  An area of Toronto near the way out west; I was driving north on one of the streets in the Annex,29 taking my
University of Toronto. Now thoroughly car to be fixed. And I came to a stop [sign], and there was this person that I hadn’t
gentrified, in the 1970s it was a popular seen for ten years. She just happened to be walking across! And that’s when we
haunt of students and artists.
became involved in a relationship. But if the timing for either one of us had been
different, we would have missed each other, and my life would have been very
30 April 17, 2010 video interview, different. That was really something—can you imagine?30
05:19:13 to 05:20:59.
(I can, actually: the scene is like something out of a Jane Rule novel. And
the car is a perfect touch: Ann had rather dashing good looks, and drove fast
and well.)
What, then, is my point in plucking out the “gay” parts of Southam’s inter-
views for this piece? For one thing, I’ve not yet done much with the April 2010
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

interview, which in a more perfect world would have been the first of several
such sessions, leading to a substantial film. So I welcome the chance to
publish excerpts, in most cases for the first time, in this issue of Circuit. And
while Southam’s struggles with both external and internalized homophobia
shed light on just one of many facets of her life and creative world, they are a
wrenching reminder of how recently lgbtq2s in Canada acquired the rights
and freedoms we now take for granted in this country. When Southam was
born, in 1937, homosexual acts between men, variously defined, had been
50 illegal in Canada since early colonial days; south of the border, us composer

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Henry Cowell was serving the first year of a 15-year sentence in San Quentin
prison for consensual homosexual activity.31 31.  Nicholls and Sachs, 2013.
Canadian law initially ignored sex between women (“as was customary
at the time”32), but in  1953—the year Southam turned sixteen—Canada’s 32.  Levi, 2019.
so-called “gross indecency” provisions in the Criminal Code of Canada
were amended to apply to women, by removing male-specific wording. The
relevant passage now read: “Every one who commits an act of gross indecency
with another person is guilty of an indictable offence and is liable to impri-
sonment for five years.”33 The 1953 Criminal Code effectively criminalized 33.  Criminal Code of Canada, S.C. 1953-
homosexual conduct that wouldn’t be covered by the law against sodomy. 54, c. 51, s. 149. Constance Backhouse
charts the history of Canada’s Acts of
In May 1969—a month before New York’s Stonewall riots launched the Gay Gross Indecency legislation on www.
Liberation movement in the usa, and amidst growing public outrage at arrests constancebackhouse.ca/fileadmin/
website/gr_indec.htm (accessed
of gays—the Liberal government of Prime Minister Pierre Elliott Trudeau
September 29, 2020).
amended the Criminal Code to legalize sex in private between two consent-
ing adults—not just husbands and wives—over the age of 21, with Trudeau
famously declaring that “there’s no place for the state in the bedrooms of
the nation.”34 But police could and did use the amended legislation to arrest 34.  An archival television clip of
Trudeau’s statement is viewable on
homosexuals in public places or in groups—most notoriously in raids on
www.cbc.ca/player/play/1811727781
Toronto bathhouses—until it was finally revoked in 1987. Meanwhile, in 1977, (accessed January 10, 2021).
Quebec became the first province to prohibit discrimination based on sexual
orientation, and the Federal government removed a provision that prohibited
gay men from immigrating to Canada.35 35.  Rau, 2019.
To be sure, after the repeal of the gross indecency sections from the
Criminal Code in 1987, police availed themselves of other legal tools, such 36.  Levi, 2019
as liquor license violations, to harass gays, even after sexual orientation was 37.  For a summary of the Pussy Palace
raid event and its legal aftermath,
added to the Canadian Human Rights Act in 1996.36 Nor were lesbians exempt:
see https://arquives.ca/newsfeed/
an infamous police raid on a lesbian bathhouse event called Pussy Palace in the-pussy-palace-raid-a-brief-herstory
Toronto took place as late as September 2000.37 Gays and lesbians did not have (accessed December 21, 2020).

to frequent such establishments for the chill to seep into their lives. 38.  The first edition of dsm (1952)
classified homosexuality as a
Looking at this timeline, it’s hard not to notice that the profound transfor- “sociopathic personality disturbance”;
mations of Southam’s life and music in the 1970s coincided not only with a the second edition (1968) reclassified
burgeoning feminist movement, but also with significant advances in gay and it as a “sexual deviation.” It was
removed for the third edition (1973).
lesbian rights around the same time. Other cultural norms were changing,

ta m a r a b e r n s t e i n
Still, “[p]sychoanalysts were one of the
too: in  1973, the American Psychiatric Association removed homosexual- last groups of medical professionals
to openly view homosexuality as
ity from its Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders—the
a curable mental disorder […]. It
psychiatric equivalent of decriminalizion.38 Notwithstanding that romantic wasn’t until 1991 that the American
encounter at a stop sign, one wonders if it was entirely coincidental that Psychoanalytic Association passed a
resolution opposing public and private
Southam entered her first lesbian relationship the following year, shortly after discrimination against homosexuals.”
extricating herself from the “ghastly” psychoanalyst. See Baughey-Gill, 2011. 51

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Where does all this leave us? I’m reminded of the story of a famous pianist
who was asked whether he played (single hand) octaves with his wrist. “No,”
he replied. “But I can’t play them without it.” Likewise, it would do both
Southam and her music a disservice—and cross a number of important her-
meneutic lines—to suggest that her music is “about” being gay. It is far too
capacious and multilayered to be reduced to any one concept or idea. But at
the same time, given that the composer herself opened the door to metaphor
in her process music (“Isn’t that life, in a way?: Trying to accommodate dis-
sonance?”), it would seem a failure of imagination, not to mention compas-
sion, to ignore the possibility that her struggles with homophobia might have
found their way into at least one strand of that red, dissonant thread in her
music—whether consciously or not.
As I mentioned above, near the end of our interview Southam moved to
the piano and gave a whirlwind tour of several of her compositions—explain-
ing the minimalist process underlying each; identifying the song of a chicka-
dee, which she loved and incorporated frequently in her music. (If you want
to go hunting for it: she rounded the two-note descending interval up to a
descending minor third.) She finished with one of the Returnings pieces that
she was currently working on. “What I like about it,” she said, “is [that] it
seems like a continual: ‘Why?’ ”
As she began the main, process-driven part of the piece, she gave a running
commentary of each new chord:
[That] is the first “Why?”; [that] is the second “Why?,” but in a different way; then
you ask “Why?” again. So it’s a continual asking, and you keep repeating the ques-
tion; you go back over the [12-note] row, asking the question over and over. That’s
39.  April 17, 2010 video interview, how these new pieces for Eve are working.39
04:41:52 to 04:42:39. Eve Egoyan
subsequently recorded these pieces That seems a good note to end on: questions turned over and over, asked in
on Returnings (2011) and 5 (2013); see
different ways, and left to hang in the air as their sound decays into silence.
Southam, 2013.
A red line of dissonance running through the life-affirming repetitions of
process music, and ultimately “accommodated.” The spaciousness, the mys-
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

tery, the emotional ambiguity that Southam spun into the musical web that
sustained her for so many decades. And above all, perhaps, the patience, the
attentive listening, and the immense kindness woven into so much of her
music.
Perhaps squishy ground is not such a bad place to be after all.

52

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bibl io g ra phy
Baughey-Gill, Sarah (2011), “When Gay Was Not Okay with the APA: A Historical Overview
of Homosexuality and its Status as Mental Disorder,” Occam’s Razor, Vol. 1, https://cedar.
wwu.edu/orwwu/vol1/iss1/2 (accessed September 29, 2020).
Bernstein, Tamara (2003), “Monteverdi in Black Leather,” The National Post, June 21, p. TO9.
Egoyan, Eve  (2008), “Composition as Enquiry: The Explorational Music of Ann Southam
[Interview with the composer],” Musicworks, No. 101, Summer, pp. 38–45.
Everett-Green, Robert (2009), “Ann Southam, a One-Woman Tone Poem,” The Globe and
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The Toronto Star, October 26, p. GT3.
Levi, Ron (2019), “The 1969 Amendment and the (De)criminalization of Homosexuality,” The
Canadian Encyclopedia, www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/the-1969-amend-
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Nicholls, David and Sachs, Joel (2013), “Cowell, Henry (Dixon),” Grove Music Online, https://
doi.org/10.1093/gmo/9781561592630.article.A2249182 (accessed December 21, 2020).
Piper, David (1958), “sketch – Mary Millichamp, Restauranteur Superb Says She Is Through
Work,” The Toronto Daily Star, October 18, p. 7.
Poole, Elissa (1997), “A Tough Tone Row to Hoe,” The Globe and Mail, March 15, p. C18.
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The  Canadian Encyclopedia, www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/lesbian-gay-
bisexual-and-transgender-rights-in-canada (accessed January 11, 2021).
Reich, Steve  (2004 [1968]), “Music as a Gradual Process,” in Paul Hillier  (ed.), Writings on
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Reksten, Terry (1991), The Dunsmuir Saga, Vancouver/Toronto, Douglas & McIntyre.
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No. 4, “Women: Sex and Sexuality,” Summer, pp. 631–60.
Southam, Ann (1984a), “Letter from the President,” Newsletter of the Association of Canadian
Women Composers, Winter, p. 1.
Southam, Ann  (1984b), “Action and Reaction,” Newsletter of the Association of Canadian
Women Composers, Summer, pp. 2–3.
Southam, Ann (2005), “Programme Notes,” Ovation: Volume  4 [CD  2], cbc  Records/Les
Disques src, pscd 2029-4, unpaginated.

disc o g ra phy
Cornfield, Eitan (2005), Portrait: Ann Southam [Audio documentary], Centrediscs/Centre­
disques, cmccd 10505.
Southam, Ann (2011), Returnings: Music of Ann Southam, Eve Egoyan, Centrediscs/Centre­
disques, cmccd 17211.
Southam, Ann (2013), 5: Music of Ann Southam, Eve Egoyan, Centrediscs/Centredisques,

ta m a r a b e r n s t e i n
cmccd 19113.

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Mathieu Laca, Andy Warhol en drag, 2013. Huile sur lin, 77 x 61 cm. Collection privée.

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Enquête
Queer Perspectives in New Music
Ga br i e l Dh a r mo o (With contributions from Annette Brosin, Anthony R. Green, Luke Nickel,
Emily Doolittle, Symon Henry and Teiya Kasahara 笠原 貞野)

This collection of texts by queer artists is an invita- rized upon it, its meaning remains elusive, porous and
tion to reflect on the many ways queerness manifests malleable.2 From my perspective, the lack of a conclu-
in contemporary new music practices.1 In order to go sive, absolute or scientific definition does not obfuscate;
beyond a self-reflexive analysis of my own multifac- it recognizes how queerness allows or begs for indefi-
eted, yet limited experience as a queer cisgender male nite answers and even, contradictions. In the context
person of colour who engages critically with the new of this article, “queer” refers to the recognition or the
music scene, I sought the perspective of six other art- celebration of one’s marginalized and non-­normative
ists spanning different gender and sexual identities. sexuality and/or gender identity. Self-labelling as queer
These musicians work both inside and on the fringes may also involve an anti-assimilationist stance towards
of the new music scene as composers, sound artists, the standardized heteronormative lifestyles that are
performers, interdisciplinary artists, educators and/or broadly legitimized and accepted. However, for some
curators. Their statements convey the extent to which lesbians, gays, bisexuals or transgender people, the
their queerness affects their artistic output, as well as emulation of heteronormative lifestyles or gender roles
their relationship with the new music scene. offers safety, self-preservation, the benefit of passing,3
“Queer” is a word with fluctuating, overlapping and and access to equal opportunity. A monolithic view of
paradoxical definitions. At different points in history, it
has been used to describe, to stigmatize, and to reclaim 2.  For a succinct history of “queer” and its multiple
definitions, accounting different points of view, see

gabriel dharmoo
power for marginalized individuals and communities. Somerville, 2014.
Although gender and queer studies have vastly theo- 3.  Passing refers to trans people being perceived as, or
assumed to be cisgender in mainstream society, whether
1.  Mentions of new music, or the new music scene refer to intentionally or not. Passing can also apply to sexual
what is also called Contemporary Western Art Music. orientation or race.

55

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“queerness” is not helpful; one’s sexual orientation or be favoured or equated with a concept of “normalcy”
gender identity does not determine one’s degree of in new music: the commissioning paradigm, notation-
adherence to the dominant culture. Therefore, using based scores, the various models inherited by Western
“queer” as an umbrella term for the whole lgbtq2ia+4 classical music, the concert protocol, the target (and the
spectrum while necessarily implying a form of social actual) audience, the well-defined roles of composer
nonconformity has its limits. Self-identifying as queer is and performer, etc.6
an individual and personal decision; reasons will vary. Given that the scene generally promotes risk-taking,
In the context of this article, queerness defies notions of innovation and the coexistence of multiple outlooks,
normalcy, breaks down binaries, reveals the wideness the point of this article isn’t to prove that “queer” artistic
of spectrums, and increasingly takes into account how practices refuse normalcy, while “heteronormative” ones
intersectionality impacts people’s existence. embrace it. There are countless artists, of any sexual-
While queerness exists in relation to an accepted ity or gender identity, who challenge, enrich, redefine,
form of normalcy in the form of heteronormativity, evolve, stand out or disrupt. Race, ethnicity, age, class,
“normalcy” is certainly not a concept we would instinc- education, citizenship, physical ability, neurology,
tively associate with the new music scene. I acknowl- spirituality, and language: many aspects of identity are
edge that creations by new music composers and sound bound to influence one’s artistic output. Therefore, to
artists hardly match the expectations of the overwhelm- what extent does sexuality or gender identity play a
ing majority of music and art lovers (or consumers). role in one’s (non-)conforming relationship with new
However, it is important to establish that despite being music? Is divergence from the norm necessarily “queer”?
culturally marginal, the new music scene still operates Is queerness inherently lgbt, exclusively lgbt, or can it
around consolidated ways of doing, creating, under- be both?
standing and perceiving, which loosely delineate what The following statements illuminate how a marginal-
is considered usual, standardized or expected. If we ized experience as queer—and this experience’s inter-
investigate how dominant new music institutions fund section with other layers of identity—can profoundly
and program music, we gain insight on what might
5
inform ways of conceptualizing, creating, disseminating
and understanding artistic output. Written by six art-
4.  University of Guelph defines the acronym as: “lesbian,
ists who identify as gay, lesbian, bisexual, gender non-
gay, bisexual, transgender, queer, questioning, two-spirit,
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

intersex, asexual and other identities that fall outside of binary and/or genderqueer, this range of perspectives
cisgender and heterosexual paradigms.” See www.uoguelph.
ca/studentexperience/lgbtq2ia (accessed December 1, 2020).
5.  In the Canadian context, new music institutions include art councils), as well as small or large cultural organizations
pedagogic and academic institutions (music faculties, that stem from or espouse these institutions’ models (in the
conservatories), associations or networks (Canadian Music context of Montréal, Société de musique contemporaine du
Centre, Canadian League of Composers, socan, Canadian Québec, Groupe Le Vivier and its affiliated organizations).
New Music Network, professional musicians’ guilds), funding 6.  For thoughts on how coloniality is linked to these
bodies (Canada Council for the Arts, provincial and municipal standardized ways of doing, see Dharmoo, 2019.

56

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aims to broaden our understanding of queerness not but into the whole house and with the occasional
only as an identity, but also as an artistic epistemology glance out of the many windows.
in and of itself. I don’t believe I could ever claim that my sexual or
gender identity is ever not engaged with my creative
Annette Brosin (she/her) output. As much as I engage with music without being
Queerness is present in my musical practice in various constantly conscious of my several identities, the per-
ways, some transpiring through deliberation, others son sitting at the table will always be me: shaped by
simply as some sort of pre-existing condition. all my memories, by past and current experiences of
I experienced the latter as an inherent awkwardness navigating a world dominated visually and audibly by
in my music when I was pursuing my undergraduate straight, white males, when I am a queer, mixed-race
degree in composition: as an inability to conjure the female who loves pop and rock as much as she loves
conventionally beautiful. Weirdly enough, even within new music.
new music, there are certain expectations and norms I don’t deem it productive to consider that identity
that are often interpreted by a general audience as politics should be engaged with the creative process.
“beautiful.” Additionally, several of my undergraduate After all, I believe that such politics can only be perceived
courses conveyed the notion that there is supposed to by non-queer folk if the work involves elements that, to
be something specifically feminine about the output of them, are identifiable as queer. Two questions come to
female composers. I would try and fight my “awkward” my mind: 1) Does the very nature of “queer” preclude
musical tendencies but was never able to fulfill either its identifiability? 2) Provided that the answer to the
one of these expectations. Luckily, I was able to have a previous question is no, should it be the responsibility
coming out, and the following years of self-reflection of queer artists to make the queer as clear to others as
and navigating my queerness have allowed me to possible? Follow-up questions are: To what end? To bring
slowly learn to embrace (or rather, claim) my “deviant” about a kind of socio-political and cultural change?
propensities and to commit to working with them—be Historically, the onus has been on marginalized
it with regards to my personal relationships with others groups to bring about such change. Writing these para-
and myself, or to my creative work. graphs in July 2020, however, it should be clear that it is
To be clear, I differentiate my queer identity from the overall environment that needs to change.
a homosexual or bisexual identity. It isn’t possible for Imagine this: with regards to music— the program-
me to view my “being different” only by looking at who ming and curating, the academic discourse and the
I feel attracted to. Queerness, however, provides me secondary literature—all of it could finally move away

gabriel dharmoo
with a lens that involves an awareness of a comprehen- from considering and perceiving music as absolute,
sive identity politics and a tool to see my performativity universal, self-present, and autonomous. Because it
really only considerable from an interdisciplinary point isn’t that simple. Overall musical discourse could move
of view. One that isn’t just looking into the bedroom, towards perspectives that involve broader cultural and

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interdisciplinary frameworks, with an emphasis on his- culture, cats and other cute aminalz, and I am thriv-
torical and cultural contingency, as well as correspond- ing in a committed relationship with a beautiful Israeli
ing performative aspects. mri physicist named Itamar. All of this has conveniently
Queer perspectives offer this. Queer perspectives resulted in me not allowing myself to take time to inti-
don’t seek to “understand.” Queer perspectives know mate being Black and Queer. And the more subtle yet
that everything is complicated. crippling racism and homophobia within various music
I take queerness as a place of opportunity. Instead of scenes didn’t exactly guarantee any safety with regards
narrowing down, I allow myself to break up elements to these personal, necessary pursuits. 
that suggest stifling normativity. Rather than trying to Perhaps the opportunity for such conversations and
make things clear, I hope to make new connections contemplation never arose in a way that felt honest and
and leave things as open and interpretable as possible genuine until quite recently. But there were moments
so that performers and audiences can experience them in my past that forced me to examine how my identity
in a growing number of ways. To me, this allows for affects my life. One occurred when I was about nine.
proper discourse inviting a properly diverse audience I was biking with my older brother and his friend, and
and properly authentic experiences. In that sense, we stopped to fix a flat. A cop came by, asked us what we
I believe my work is queer. were doing, and watched our every move, occasionally
muttering into his walkie-talkie, until we biked away.
Anthony R. Green (he/him) As a tween, I remember being followed by security
I. AM. BLACK. AND. QUEER. guards in the mall, desperately trying to suppress how
Not proud to admit this, but I have spent most of my my identity may have been the reason for their pursuit.
life not thinking about what these terms mean to me I remember being told by an older white woman that
and how they have shaped me personally and profes- I was a “good example” (of my race) because I could
sionally. My multifaceted practice includes composing play Chopin and Debussy. Most recently, I remember
all types of music and divergent theatre works, piano being the only person in the first-class car of a train
and experimental vocal performance, and engaging in from Berlin to Bern who was asked to show identifica-
social justice, mostly through artistic expression and tion. I was also the only person in that car with brown
through my organization, Castle of our Skins.  While7
skin. Regarding sexuality, I remember being teased for
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

these three elements form the bulk of my practice, I am being effeminate, even getting into a fight because
also a writer, a teacher, a concert and project curator, I enjoyed knitting. I remember secret bookstore trips
and an amateur entrepreneur. I also engage in fitness, to read xy magazine and other queer books. My mom
I enjoy books, tv and film, I cherish family and friends, took me to church every Sunday, and there often was
travelling, haute cuisine, haute couture, queer and drag anti-gay rhetoric from the pulpit, despite the significant
number of queer parishioners. Consequently, I was out
7.  See: www.castleskins.org (accessed December 1, 2020). to my friends, but not my family until my late 20s.

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Family always played a role in not being as out in my one chooses so many specific events that occur in time.
creative endeavours as I would have liked to be. I didn’t I cannot even choose one.
want my mom to be confronted by my queerness, and
I didn’t want her friends to criticize me behind my back. 2. In the second memory, I introduce a grad school
Today, she accepts me and also loves Itamar. We spend teacher to my current work—a mix of notated pieces
Thanksgivings together, and she knows to give him and text scores. He is baffled as he moves to the text
extra collard greens. My dad also accepts me and loves scores. He says that he and his colleagues have done
Itamar, and sends love to him at the end of our phone this work already. He says I am stuck in the 1970s. He
chats. Now, I have more safety, knowing that if I pre- says this as if time is linear, as if things happen only
miere a love song to Itamar, or celebrate queer love in a once, as if we only move forward and beyond, and
composition, my family will understand—perhaps not never around or through or with or beside. He says
completely, but enough for them to never want to stop this as if we did not lose a generation of gay and queer
loving me. By starting Castle of our Skins, I’ve plunged artists to hiv/aids between then and now.
deep into Black identity via classical music, and have
gained a pride in belonging to this rich, powerful his- 3. In the third memory, it is a hot night on a bench at a
tory and legacy, a pride that the gatekeepers of classical bus stop. I am speaking with a good friend—Cassandra
music do not encourage, yet simultaneously want to Miller—about an idea for a new piece. The conversa-
control. I’m just starting to do similar work regarding tion stretches into the night. I fizz with the pleasure of
my queerness. Hopefully within the coming years, I’ll be being around my chosen family. The piece lingers in the
as uninhibited as I can possibly be. For now, I will keep air. It will never be realized.
saying I AM BLACK AND QUEER until that little feeling
of uneasiness when saying this completely disappears.  Eventually, these memories fuse and I reject written
musical notation altogether. I begin undoing my musi-
Luke Nickel (he/him) cal training and making pieces by transmitting poetic
When I think about queerness in relation to my com- instructions to musicians in unrecorded conversations
positional practice, three memories continue to emerge and short recorded broadcasts. Listening and memory
and submerge. Each relates to a queer experience of become key aspects of my collaborative practice. My
time: speaking voice becomes both my pen and my instru-
ment.
1. In the first memory, I am staring at a blank page. The results of this undoing are far-reaching. Making

gabriel dharmoo
A piece of music sits in my head like a painting on a music takes a different kind of time because my col-
wall. I need to transform that static painting into music laborators must engage in a process that is mostly unfa-
that occurs in time. I try to write down some rhythms, miliar to them and that requires them to listen actively.
and find myself frustrated. I cannot imagine how any- It becomes more difficult for me to apply for grants. My

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work cannot be easily evaluated because its process is Emily Doolittle (she/her)
purposefully hidden and ephemeral. I disregard the The last time I wrote about my sexuality and my music
idea of a fixed legacy. At the same time, the pleasure was in 1995. I was 22, and newly trying to figure out
and meaningfulness of creating reaches an apex. I work if “bi” was a good label for me—after a teenagehood
with fewer people, but they are the right people. spent trying to ignore sexuality entirely, because
I invite my queerness to seep into my work: I borrow I didn’t want to acknowledge my attraction to women.
musical fragments from deceased, repressed lgbt com- If the word “queer” had been available to me, perhaps
posers; I dance with a musical collaborator in Berlin at I would have found that a better fit, but the word was
a club; and I purposefully undo my musical training by not in common usage in my circles at that time—as
embracing an explosive plurality of creative practices. it is, I’ve never really settled comfortably into a label,
I draw rocks, I design roller coasters, I make techno, perhaps because I resent feeling like if we don’t claim
and I tattoo on skin. labels, we’ll be assumed to be straight. I’m more com-
Rejecting written musical notation may put me at fortable saying I’ve been attracted to and had rela-
odds with much of my niche field of eurological music tionships with people of a variety of genders. Though
composition, but it places me in resonance with—and my sexuality felt like the most pressing aspect of my
in debt to—many other practices of music making. My identity to figure out, I was dealing with the feeling
feeling of otherness within my field is at once familiar of being not this enough to be that, and not that
because of my lived queer experience, and also some- enough to be this on a number of fronts. I was born
what false because it is an otherness that is at least in Halifax—which was much more culturally homoge-
partially of my own choosing. neous then than it is now—to parents who had recently
Now this undoing must continue beyond written immigrated from the United States, and never felt that
musical notation and singular classical music training. It I “belonged” there in the way that my classmates with
is past time for me to address my role in colonialism. As family going back generations in Nova Scotia did—
a queer white cisgender man, I have often unconsciously though in retrospect, Halifax feels very much like
chosen to champion able-bodied settler-descended “home.” My ancestry is partly Jewish: I didn’t fit in with
artists rather than disabled and/or bipoc individu- the predominantly Christian cultural backgrounds of
als. I must change this. Similarly, in my writing I must many of the kids I grew up with, but I also didn’t fit in
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prioritize citing new voices in order to transform the with the then very small and conservative Jewish com-
Eurocentric discourse around experimental music. As munity in Nova Scotia—which at that time was not very
I am learning now in a project led by author Dylan welcoming to intermarried families. And as a child of a
Robinson, I must also extend this undoing to the ways difficult divorce, I was all too aware that most stories
in which I listen. I want to learn to listen with my queer have multiple sides.
ear: to listen across time; to listen as an other and with Looking back, this all seems a bit self-absorbed, and,
others; and to listen to and with pleasure. of course, there would have been people who felt much

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more excluded from the mainstream—I’m white, cis, Symon Henry (they/them – ille)
mostly able-bodied: but I was 22, and not very worldly. Crier sur mute, dans le vide, en permanence. État stable.
I wish I could find my 1995 essay, because I remember Parfois, une petite enflure : la courbe de volume croît
very keenly feeling that my sense of not being quite puis décroît à peine. Plus rarement elle s’amenuise,
this, and not being quite that, was a formative force in apaisement passager. Dans ce cri continuum, une envie
developing my musical voice. I loved and felt drawn to d’arriver au monde, d’y résonner avec les sonorités
so many genres of music, and to so many schools within ambiantes. Les scientifiques sociaux disent « intersec-
each of these genres, but never felt like I “belonged” tionnalité ». Ma  queerness de genre et d’attirances. Mon
in any. At the time, this felt like a lack, like a fault in arabitude et ma québécitude. Ma santé mentale fail-
myself. I thought I ought to be able to take a stand for lible. Ma pauvreté. « Il n’y a que la musique qui compte,
one kind of music and against another: I’m not sure je n’entends pas les couleurs, les genres et les orienta-
why! Now I see it as a strength: I like being a bit of this tions », disaient – disent encore ? – les collègues, les
and a bit of that, and find myself seeking out situations directions artistiques. J’ai joué le jeu au piano puis sur
where ambiguity and multiplicity are embraced, both du papier à musique : Liszt, Ravel, Boulez, la Sorbonne,
socially and musically. les diplômes et les prix, composer pour orchestre, pour
My first instinct, when asked how my sexuality is quatuor à cordes, pour l’ancrage et le capital culturels,
reflected in my music now, was to say that it isn’t—or parce qu’on finit par y croire.
at least not beyond my interest in multiple styles and Crier sur mute pendant deux décennies. Une per-
genres, and lack of adherence to any one. Few of my sonne comme moi ne peut pas montrer sa colère :
pieces centre romantic or erotic love of any sort. I prefer l’isolement n’en serait que plus grand, la carrière artis-
to write music which allows for multiple possible emo- tique impossible. C’est ce qu’on m’a enseigné, ce qu’on
tional and/or narrative interpretations by performers attendait de moi pour que mon travail et ma réalité
and listeners. Even when there is a story—and I do like soient validés. Ce cri, c’est l’enfouissement derrière une
stories—I want it to be interpretable on many levels. esquisse de sourire, un hochement de tête poli, de mille
I don’t want to tell stories which privilege one kind petites phrases cinglantes :
of relationship above another. So on second thought,
maybe there is an indirect connection. I’ve never felt printemps 2004, ton d’adulte responsable
comfortable with stories being imposed on me, and — Avec une oreille comme la vôtre, vous ne serez
I also don’t want to impose stories on others. I always jamais musicien.
want to remain open to new understandings, new kinds C’est ce que m’affirme un homme blanc hétérosexuel

gabriel dharmoo
of interactions, new interpretations, new feelings: and assez âgé, barbe fournie et bouclée, légèrement teintée
I want my music to facilitate a similar kind of openness de jaune fumeur ; moi, je fixais le diachylon qui main-
and sense of possibility for those who play or listen to it. tenait les deux ovales de ses lunettes en place. Je vivais
sur un sofa fleuri, à l’époque. J’ai appris plus tard qu’il

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était rembourré de paille : j’ai trouvé ça poétique. L’avis été 2012, ton mielleux
de cet homme détermina mon inadmission universi- — Je ne savais pas trop comment vous dire d’arrêter
taire dans l’institution dont je rêvais afin d’échapper la musique.
à mon monde. Heureusement, existent les universités C’était le lendemain, ou peut-être la veille, de la dis-
de la deuxième chance. Stigmates et apprentissages cussion avec l’homme âgé bien mis. C’était cette fois un
de plus. « maître » blanc hétérosexuel légèrement plus jeune,
Cet homme n’était pas totalement dans le faux. J’ai imberbe, cheveux hirsutes, devant une quinzaine de
développé de l’empathie pour ses limites de compré- collègues à qui je venais de présenter mon travail,
hension face à l’altérité de mon oreille, de ma réalité, rassemblé·es dans une salle de conférence avec vue
tout en continuant de nommer la violence de son igno- sur le fleuve sublime. Le silence des collègues.
rance. Avec mon oreille, je ne pourrai jamais être un·e
musicien·ne s’inscrivant en douceur ou en spectacu- Tough love.
larité dans la grande tradition eurologique classique.
Non plus dans la tradition pop ou « indie » anglo-état- Il ne s’agit pas ici d’apitoiement ni de vengeance. Il s’agit
sunienne. Mon oreille est – a toujours été – autre. À plutôt de nommer cette violence conservatrice, colonia-
quelle(s) partie(s) de mon identité dois-je cette diffrac- liste, capacitiste et classiste ; d’illustrer que ces phrases
tion ? Et ce besoin de créer un sens sonore malgré tout ? ne sont pas anecdotiques, mais systémiques. Qu’elles
s’exponentialisent dans nos têtes à chaque moment de
automne 2010, avec déférence doute. Il s’agit de nommer le fait que tout cela est sur-
— That’s just French shit. montable, mais au prix d’un lourd tribut – personnel,
Classe de composition sur le bord du Pacifique, seuls financier, social. Il s’agit de nommer le fait que mes pro-
mots reçus du « maître » – homme blanc homosexuel jets – sonorement, formellement et téléologiquement
assez âgé – à propos d’une de mes toutes premières autres – continuent d’exister une décennie plus tard
pièces d’envergure. grâce à des interprètes et à des directions artistiques
d’exception. Grâce aux autres collègues des marges. Je
été 2012, ton bienveillant suis fièr·e de nous. Je suis fièr·e de moi.
— Votre pièce a un arrière-goût de merde. J’ai souvent été finaliste au prestigieux Prix d’Europe
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

C’est ce que m’affirme un autre « maître » – blanc de composition. Chaque fois, je me suis préparé·e
hétérosexuel assez âgé, barbe soignée. Nous étions le même discours mental : nommer ces phrases, les
installé·es dans la cafétéria d’une institution de perfec- plafonds de verre – genre, origine, orientation, santé
tionnement idyllique où j’avais été invité·e in extremis. mentale, classe sociale ; nommer aussi le bonheur
La voix du bellâtre était douce, cultivée, assertive. d’exprimer la beauté du monde sous forme de sono-
rités lyriques bruitistes décomplexées, celui de dessi-
ner le son plutôt que de le composer, de savoir mes

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communautés d’appartenances de plus en plus fortes addresses my frustration and continual gender, racial
et respectées. Au plus récent gala, j’ai laissé tomber and sexual oppression within the opera industry as
le veston bleu poudre que je portais tous les deux ans a gender non-binary, bi-racial, masculine-presenting
pour l’occasion. J’ai minutieusement choisi maquillage, queer soprano. The creation of tqim allowed me to
vernis à ongles et jupons. Je ne sais pas ce que je voulais unpack the complicated and demoralizing experiences
prouver à cette salle homogène et triste. Quand mon that I encountered, and to critique the art form and
collègue – jeune homme blanc brillant diplômé de la industry through catharsis and humour. But it wasn’t—
plus prestigieuse université du royaume canadien – and isn’t—as easy as simply becoming creatively unte-
l’emporta, j’ai été étrangement soulagé·e : je ne suis thered. Now there were all these blocks that weren’t
toujours pas l’un·e d’entre euxelles. there before.
I realized I had changed. I was now conditioned by
Teiya Kasahara  笠原 貞野 (they/them) a colonial, Eurocentric art form that slowly and per-
Before I began a career in opera, I used to write poetry vasively left me internalizing racial inferiority (and
and compose piano and guitar music. I saw myself superiority) while keeping a tight lid on my otherness.
becoming a rock star or an action hero in my wildest I loved opera, but what I wanted was for the opera
dreams. And I dreamt wildly! But my formal education industry to love me back. As I unpacked my own latent
told me to focus on my operatic singing only: to learn homophobia and transphobia and began to honour all
roles, study, and perform. There was no room for any sides of myself, I decided to do the same artistically as
other exploration because the goal was for the opera well. This choice is still a daily choice for me, active and
industry to see me as a legitimate professional opera intentional: embodying fully who I am. It is an act of
singer. This expectation (still held today) also bled into rebellion against the oppressive confines of the industry
cultivating the perfect image of me as a soprano, one where I was treated as though, by being myself, I was
that was undeniably heterosexual, white, and feminine, disgracing the “sacredness” of opera. Now I choose to
presenting a particular idea of soft, demure, “ingenue” honour the sacredness of my body, and my personal
womanhood. The pressure to be seen as legitimate well-being.
increased when it meant continuing to deny my queer- In 2018 the expansion of tqim gave birth to another
ness (both sexuality and gender) in professional spaces. work, called Yoru no Jo-ou, or The Queer of the Night,
As I began to reject the industry’s expectations of me, which is currently in development. This interdisciplinary
I found myself searching for what I had denied myself project combines opera, taiko (Japanese drumming),
creatively as well. I had to make changes, because and original and found music and text. It takes its inspi-

gabriel dharmoo
I knew the opera industry wouldn’t change for me. ration from the dichotomies I possess within myself
In the 2017 Emerging Creators Unit at Buddies in including my polarizing Japanese and German heritage,
Bad Times Theatre, I wrote and first performed an and the masculine and the feminine gender expressions
operatic play called The Queen In Me (tqim ), which I have always struggled with.

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I don’t want to abandon opera. There is so much I have decided that I cannot and I will not create with-
sonic beauty, power, and theatricality within the out thoroughly acknowledging the way my love for this
canonic works. Sadly, that beauty is surrounded by colonial artform intersects with my queerness, race, and
racist and misogynistic storylines. I increasingly find privilege. The space where my creativity can live simul-
it troubling to perform in such works, and continue taneously beside and beyond opera is my act of decolo-
to reckon with this. I think one way forward is to nization, defiance, taking opera back: it is my activism.
ensure that these works are presented truthfully and
*
in respectful, transparent ways by artists whose lived
experiences can best reflect the storylines. We have to I am grateful for the contributions of the six artists
move far beyond “blackface” and “yellowface,” and it who agreed to share their queer perspectives for this
cannot stop there. We have so many diverse talents in article. I have been mentally mapping out the different
the opera world who rarely get a chance to be seen or ways I could conclude such a collection of texts. I even
heard because they do not fit the stereotypical mould, wondered whether a conclusion was necessary; could
and many are used for a one-time, token-ticking box by an open-ended, porous and inconclusive ending be,
predominantly White institutions that wish to absolve in fact, some form of queer epistemology? Revisiting
themselves of addressing their complicity in perpetuat- Annette’s text, I was reminded how “queer perspectives
ing systemic racism. don’t seek to ‘understand,’ [they] know that everything
After performing my first Madama Butterfly with is complicated.” She also put forth a question asking
the Windsor Symphony Orchestra, I decided to pick whether it should be “the responsibility of queer art-
up where Puccini left off. I sought to question what ists to make the queer as clear to others as possible?”
Butterfly could have been doing and dreaming of during On one hand, I believe these six statements speak for
those three years of her life from geisha to bride, wife to themselves; on the other hand, I acknowledge that my
woman, finally mother, and understand where her race, perspective could constructively enlighten a reader-
sex, and social class in Meiji-era Japan intersects with ship with a different outlook and experience. However,
my race, sex, gender, and privilege in 2020 Toronto. I don’t want to impose my own reading or imply that
Through a solo set of opera, electronics, and a looping mine is the most correct or valuable insight. Emily
machine, “The Ballad of Ch0̄-ch0̄ san” reimagines and mentioned she “never felt comfortable with stories
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

reinstills the original cultural inspiration appropriated being imposed on [her], and [she also doesn’t] want to
for this work by elevating the Japanese folk songs quoted impose stories on others.” I too believe in the strength
in the opera, forefronting the Japanese language, and of openness, I too “find myself seeking out situations
various Japanese instruments (mostly created electroni- where ambiguity and multiplicity are embraced.” The
cally) such as taiko, shamisen, fue, and koto. This is one only conclusions I can draw are the ones that speak
small step in the right direction for me as an intersec- to my own experience, not those of a reader whose
tional opera singer and interdisciplinary creator. identity I can’t assume.

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Yet, many passages in these texts deeply resonated or it may energize me and lead to the creation of new
with me. Luke and Symon’s recollections of misguided hybrid works.
figures of authority were all too familiar. I’ve come to Reading the testimonies of the bipoc queer artists
reject many values that were drilled into me during who contributed to this article, I was reminded of
my training as a composer: the obligatory lineage of Muñoz and the concept of “disidentification,” which
Western classical music, the ocular-centric primacy of unpacks how different types of marginalization might
the score, and the suggestion that audiences are of sec- coexist. Disidentification is defined as a “mode of deal-
ondary importance, or that their opinion doesn’t matter ing with dominant ideology, one that neither opts to
at all. I have been intentionally self-distancing from the assimilate within such a structure nor strictly opposes
new music scene, with the purpose of growing closer to it; rather, disidentification is a strategy that works on
other subcultures. Luke mentioned how his rejection and against dominant ideology.”9 Anthony works “on
of musical notation helped place him “in resonance and against” Western contemporary art music; he
with—and in debt to—many other practices of music acknowledges Western classical music has historically
making.” I have felt a similar sense of debt and reso- erased the contributions of Black composers, yet he
nance towards practices from outside the usual canon has “a pride in belonging to this rich, powerful history
twice: first through my live-arts piece Anthropologies and legacy” and his work critically engages with these
imaginaires, which connected me to embodied prac- challenges. Teiya works “on and against” the operatic
tices and live-arts, and second through the develop- tradition; they acknowledge the art form’s systemic
ment of my drag persona Bijuriya,8 which allowed me racism and the fact the “opera industry wouldn’t
to explore the intersection between my queerness and change for [them],” yet these contradictions offer the
my brownness in ways that could never have happened opportunity to “express [their] journey of gender and
with a 99% white and 90% straight new music audi- internalized racial oppression” through the creation of
ence. Even in the midst of a global pandemic, when new artistic work. A practice that disidentifies hopes to
most projects and events—the ones usually legitimized produce something new, achieve something different:
by our structures—are tremendously hindered, I’ve a better representation of intersecting identities.
experienced strange, yet glorious moments of artistic The importance of intersectionality is increasingly
freedom and social relevancy through my drag practice. acknowledged in social justice, academic and artistic
The future of my relationship—or my level of engage- circles, whereas its discussion in the new music com-
ment—with new music is honestly in question; this munity still feels new, tentative and vulnerable. Teiya,
self-distancing may allow me to reassess my sense of Annette, Symon and myself all mention our mixed

gabriel dharmoo
belonging in ways similar to those Symon expressed, background; Anthony clearly states he is Black; Emily

8.  Bijuriya’s journey can be followed on Instagram and


Facebook with the handle @bijuriya.drag. 9.  Muñoz, 1999, p. 11.

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and Luke both acknowledge how their ­whiteness bibliography
affords privilege. These self-identifications matter, Dharmoo, Gabriel (2019), “Reflets de la colonialité dans
especially in discussions about lgbtq2ia+ issues where la scène des musiques nouvelles,” Intersections, Vol. 39,
No. 1, pp. 105–21.
the dominant culture—or the dominant stream within Muñoz, José Esteban (1999), Disidentifications: Queers
a minority subculture—has the convenient tendency of Color and the Performance of Politics, Minneapolis,
to whitewash history. Every Pride season, activists Univer­sity of Minnesota Press.
Somerville, Siobhan B. (2014 [2007]), “Queer,” in Bruce
relentlessly have to remind privileged members of the
Burgett and Glenn Hendler (eds.), Keywords for American
community that Stonewall was a riot, that we owe our Cultural Studies, New York, New York University Press,
rights and progress to the pivotal contribution of Black p. 198.

trans women who are constantly erased by history.


web links
I thus encourage lgbtq2ia+ members of the new music
University of Guelph (s.d.), “Student Experience: lgbtq2ia+,”
community to be in tune and learn from the conversa-
www.uoguelph.ca/studentexperience/lgbtq2ia (accessed
tions happening in different artistic or social justice December 1, 2020).
networks, to be proactive in self-education, and to rec-
ognize the power dynamics within their own marginal- contributor websites (all accessed January 20, 2021)
ized communities. Exercising empathy and sharpening Brosin, Annette: annettebrosin.com
Dharmoo, Gabriel: gabrieldharmoo.org
our understanding of divergent realities, perspectives Doolittle, Emily: emilydoolittle.com
and experiences can only lead to growth—personal, Henry, Symon: symonhenry.com
interpersonal and societal. Kasahara, Teiya: teiyakasahara.com
Nickel, Luke: lukenickel.com
R. Green, Anthony: anthonyrgreen.com
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cahier d’analyse

De l’expression d’un désir gay


et du queer dans l’opéra contemporain :
le cas d’Elia (2004) de Silvio Palmieri
Éric Champagne

S’il est un constat positif qui ressort de la crise que le genre opératique a
traversée au cours du xxe siècle, c’est bien que le renouveau dramatique s’y
joint au désir de prise de parole des compositeurs.trices. Au-delà de la simple
création d’un divertissement, l’opéra – depuis la réforme wagnérienne – pro-
fite de son statut d’art total pour se faire porteur des réflexions personnelles
et du discours philosophique de l’artiste. Les scènes lyriques sont désormais
ouvertes aux prises de parole engagée abordant des questions sociales ou poli-
tiques (on pense ici aux œuvres de Luigi Nono, de Michael Tippet et de Hans
Werner Henze), perpétuant sous divers avatars le concept du Zeitoper, cet
« opéra d’actualité » si cher au duo Kurt Weill/Berthold Brecht, et qui cherche
à parler au public présent des sujets de l’heure. De nombreuses créations des
vingt dernières années suivent cet exemple : évoquons seulement Dead Man
Walking (créé en 2000, à San Francisco) de l’Américain Jake Heggie, opéra
ayant pour sujet la peine de mort, créé dans un pays – les États-Unis – où
onze États pratiquent toujours ce châtiment. Plusieurs compositeurs.trices
ont également souhaité faire de l’opéra une manifestation artistique qui prend
racine dans la société actuelle et la critique.

é r i c c h a m pa g n e
Philippe Albèra synthétise ce constat à merveille :
C’est sans doute à travers des formes scéniques qui repenseront le genre de l’opéra
et en élargiront le concept que la musique actuelle trouvera un souffle nouveau,
c’est-à-dire en confrontant les réflexions formelles, les recherches sur le matériau,
avec des significations éthiques et sociales qui redonneront à l’art une place cen-
trale au sein de la conscience de l’époque1. 1.  Albèra, 2003, p. 438. 67

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Tout porte à croire que la création lyrique au xxie siècle est marquée par cette
réalité. C’est donc tout naturellement que des compositeurs.trices issu.e.s de
la communauté lgbtq+ choisissent aujourd’hui la forme de l’opéra pour
exprimer leur vécu queer. Tant pour des raisons artistiques que par souci de
représentativité, ces œuvres répondent au désir d’expression de leurs créateurs
tout en permettant d’afficher des prises de position sur les réalités gays et les
enjeux sociaux qui les sous-tendent, brisant ici les derniers tabous du genre
dans un milieu encore jugé très conservateur. Il faut cependant remarquer
que la représentation de l’homosexualité à l’opéra n’est pas forcément tri-
2. Dans Amants d’Apollon (2015), butaire de l’inclination personnelle du compositeur2, quoique la tendance
l’écrivain et académicien Dominique soit de plus en plus marquée, chez les artistes ouvertement homosexuels,
Fernandez analyse finement
la représentation de figures d’aborder de plein front des thématiques et des intrigues lgbtq+. L’actualité
homosexuelles dans diverses lyrique récente démontre pour sa part une grande diffusion de ces « opéras
manifestations artistiques, incluant
gays » : pensons à Hadrien  (2018, Toronto) de Rufus Wainwright, Fellow
l’opéra, chez des créateurs qui ne sont
pas nécessairement homosexuels. Travelers (2017, Cincinnati) de Gregory Spears, Les feluettes (2016, Montréal)
Il s’intéresse notamment à des de Kevin March, As One (2014, New York) de Laura Kaminsky, ou encore
personnages de deux opéras de Verdi :
La forza del destino et Don Carlos.
au très médiatisé Brokeback Mountain (2014, Madrid) de Charles Wuorinen.
On peut aussi citer plusieurs opéras C’est d’ailleurs avec acuité que le compositeur britannique Philip Venables a
récents dans lesquels des personnages commenté le bilan de la représentation queer à l’opéra et dans le milieu de
gays sont au cœur de l’action, et ce,
sans qu’il s’agisse d’une affirmation de la musique contemporaine :
la sexualité du compositeur. Pensons
I think the issues are that, unlike most other contemporary arts and literature, queer
par exemple à Angels in America (2004,
Paris) de Peter Eötvös. issues and visible queer artists are still relatively invisible in the world of new music.
It’s no wonder, therefore, that new music, or classical music in general, seems to have
little to offer queer and allied audiences who are looking for some political or social
discourse in the arts and culture that they seek out. They don’t find that much in
new music at the moment. I think that the more queer artists can bring their queer
identity into their work, the more we will diversify and expand our audiences, make
3.  Venables, cité in Hind, 2015. contemporary music a little bit more contemporary3.

La représentation queer à l’opéra répond donc parfois à une démarche


personnelle du compositeur pour qui cette identité et cette incarnation du
désir revêtent un caractère à la fois intime, social et politique, le tout dans
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un contexte où cette expression ne correspond pas à la norme. Le propos de


Venables attire de plus l’attention sur le fait que le public queer a aussi des
attentes en ce qui a trait à un type d’expression plus explicitement engagée
sur ces enjeux.
Dans le contexte spécifique où les intentions des créateurs sont de repré-
senter les réalités queers au sein de la forme de l’opéra, il nous apparaît
pertinent d’examiner ici les stratégies créatrices qui permettent à l’artiste
68 d’exprimer le désir homosexuel dans une œuvre. L’analyse qui suit mettra en

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lumière les choix dramatiques et musicaux qui contribuent à l’incarnation
de cette notion de désir et, plus largement, des attributs queers d’une telle
proposition artistique.

Elia, de Sylvio Palmieri


a) Tragédie ancienne aux accents modernes
Au cœur du répertoire des opéras québécois, le compositeur Silvio Palmieri
(1957-2018) fait figure de précurseur dans la représentation de l’homosexualité
avec Elia, opéra de chambre en deux parties qui est, à notre connaissance, le
premier de ce genre musical à mettre en scène explicitement des personnages
gays. Créée le 4 mai 2004 par l’Ensemble contemporain de Montréal+ (ecm+)
et l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal4, sous la direction de Véronique 4.  Pour une recension critique de la
Lacroix, cette œuvre d’une grande originalité a été finaliste, en  2005, au création de l’œuvre, voir Champagne,
2006. Au moment de préparer cet
prestigieux prix de composition de la Fondation Prince Pierre de Monaco. article, un fragment d’Elia a été donné
Inspiré d’un fait divers relayé dans les journaux au début des années 2000, en concert pour la première fois depuis
la création de l’œuvre. Un extrait
le synopsis d’Elia prend la forme d’une variante contemporaine du mythe de
de la deuxième partie de l’opéra a
Médée. Dans sa version classique, fixée notamment par la tragédie d’Euri- été interprété le 25 février 2021 par
pide en l’an 431 av. J.-C., l’histoire relate l’infanticide que commet Médée l’ecm+, sous la direction de Véronique
Lacroix, à l’occasion du concert
lorsqu’elle apprend que son amoureux, Jason, l’a trompée avec Créuse, la Poesiole : hommage à Silvio Palmieri.
fille du roi Créon. Le sujet original du mythe n’est donc pas l’homosexualité Cet événement, tenu à la Salle Pierre-
(absente du mythe grec), mais bien l’horrible crime qu’une mère peut com- Mercure, s’incrivait dans le cadre du
festival Montréal/Nouvelles Musiques
mettre : celui de tuer ses propres enfants. (mnm) organisé par la Société de
Dans la version de Palmieri, Elia – cette Médée des temps modernes – musique contemporaine du Québec.
L’enregistrement de cette performance
découvrira que son conjoint, Carlo, a une liaison avec un homme, Raffaele.
sera par ailleurs disponible jusqu’au
Brisée et trahie, elle assassinera son enfant avant de sombrer dans la folie. Le 15 août 2021 sur le site internet de
drame tient donc dans cet amour doublement interdit que vit Carlo (l’amour l’ensemble : www.ecm.qc.ca (consulté
le 19 février 2021).
adultère et l’amour homosexuel), et qui porte ici un regard renouvelé sur la
psychologie des personnages et le déroulement du récit.
Il y a cependant un précédent à cette transformation moderne du mythe.
En effet, dans sa propre version de Médée (2001, création posthume à Berne),
le compositeur suisse Rolf Liebermann  (1910-1999) a proposé que Jason
n’épouse pas la fille de Créon, mais quitte plutôt Médée pour le fils du même
roi. Cette particularité du livret d’Ursula Haas, adapté de son propre roman

é r i c c h a m pa g n e
Acquittement pour Médée, permet d’explorer plus à fond les relations homme-
femme et leurs conséquences sur plusieurs plans (émotif, psychique, social,
historique et politique). Il est cependant à noter que ce choix ne résulte pas
d’une volonté précise de représenter ni même d’exprimer le désir homosexuel,
mais bien d’utiliser ce ressort dramatique nouveau afin d’approfondir les
facettes du conflit qui se développe entre les personnages de Médée et de 69

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Jason. Liebermann et Hass, tous deux hétérosexuels, ne cherchent donc pas, à
travers leur œuvre, à révéler spécifiquement le désir gay, bien qu’avec ce choix
dramatique ils deviennent d’importants alliés dans la représentation queer
à l’opéra. En comparaison, la proposition dramatique d’Elia confère une
perspective originale à cette mouture contemporaine du mythe de Médée.

b) Un livret onirique et poétique


Silvio Palmieri signe le livret d’Elia, bien qu’il n’en soit pas l’auteur unique.
En fait, il est en quelque sorte le collecteur des textes, celui qui réunit
plusieurs sources littéraires pour les agencer selon ses intentions et besoins
musicaux, créant ainsi une narration non linéaire. Écrit en collaboration avec
le poète italien Daniele Pieroni, le livret inclut également des extraits de la
5.  On notera que l’opéra est chanté en Bible ainsi que des vers de Pier Paolo Pasolini5 pour créer un texte hétérogène,
italien, ce qui est peu commun dans à l’image des diverses facettes de ses personnages6.
les créations lyriques québécoises. Les
didascalies sont néanmoins inscrites en En plus de sa structure dramatique fragmentée, le texte fait par ailleurs
français dans la partition. appel à la stratégie du flash-back, technique permettant des retours dans le
6.  Soulignons l’importance de ces temps, altérant la linéarité de la narration. Une autre particularité en est le
deux artistes dans la production de
dédoublement du personnage d’Elia, interprété par deux chanteuses : une
Palmieri. À son décès, le compositeur
travaillait avec Daniele Pieroni à soprano incarnant la femme d’avant le drame (Elia 2) – joyeuse et légère, quoi
un second opéra, Torquato Tasso. qu’exprimant des inquiétudes et des doutes face à sa relation avec son mari
Palmieri mit également en musique
trois sonnets de Pasolini dans Poesiole
Carlo – et une mezzo-soprano qui incarne l’Elia d’après le drame (Elia 1) –
Notturne i-ii-iii-iv, pour soprano et celle qui a sombré dans la folie et qui est internée à la suite du meurtre qu’elle
orchestre de chambre (1997). De plus, a commis. La distribution est complétée par un baryton (Carlo), un ténor (son
un grand nombre de ses préludes
pour piano font partie d’un vaste cycle amant Raffaele) et un ensemble vocal de quatre voix faisant office de chœur.
inspiré de l’univers poétique de l’artiste Pour accompagner ces voix, Palmieri fait appel à un petit orchestre de dix
italien.
instruments : flûte, clarinette, cor, trompette, piano, un percussionniste et un
quatuor à cordes.
La Figure 1 fait la synthèse de l’action dramatique et de la forme de l’opéra.

c) Une partition frémissante de désir


c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

L’esthétique que Palmieri développe dans Elia en est une de maturité, influen-
cée notamment par l’œuvre de Gilles Tremblay (dont il a été l’élève) et d’Oli-
vier Messiaen (particulièrement dans certaines couleurs harmoniques). Le
compositeur affirmait que son opéra s’inscrivait dans la lignée vériste (dans
l’optique de la tranche de vie si prisée par les compositeurs marquants de ce
7.  Information relayée par Chantal courant) et que son langage était résolument néoromantique, et ce, tant dans la
Lambert, directrice de l’Atelier lyrique conception dramatique que dans l’esthétique musicale7. Affichant son amour
de l’Opéra de Montréal, dans une
correspondance courriel avec l’auteur
pour l’œuvre de Puccini, Palmieri manifeste clairement la volonté de créer
70 le 22 novembre 2020. un opéra où l’expression des sentiments de ses protagonistes est primordiale.

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FIGURE 1 Plan synoptique de l’opéra Elia.

Mesures Personnages/instrumentation Résumé de l’action

Première partie
Prologue
1 Orchestre
Scène 1
20 Raffaele, Ensemble vocal Exergue chanté en latin :
« Puis la mort et le séjour des morts furent jetés dans l’étang
de feu. L’étang de feu, c’est la seconde mort. » (Apocalypse,
20.14)
Scène 2
61 Elia 1 Elia est à l’asile. Cauchemars et souvenirs de l’infanticide
quelle a commis.
Scène 3
101 Elia 2, Carlo Duo d’amour/souvenir du bonheur conjugal (poème de Pier
(courte intervention d’Elia 1) Paolo Pasolini).

Deuxième partie
Scène 4
147 Ensemble vocal Échos sur le nom « Elia ».
179 Orchestre (solo de piano) Interlude i.
209 Elia 2 Elia écrit une lettre à Carlo pour lui confier ses craintes et sa
solitude. Elle se sent abandonnée par lui.
Scène 5
221 Carlo, Raffaele Carlo rejoint Raffaele chez lui.
230 Elia 2 - Fin de la scène de la lettre ;
- Danse (valse) ;
« Ave Maria » (poème de Daniele Pieroni).
260 Orchestre Interlude ii.
274 Raffaele, Carlo - Après avoir consommé leur amour, Carlo quitte Raffaele
pour rejoindre Elia ;
- Aria de Carlo (poème de Daniele Pieroni).
304 Orchestre Interlude iii.
Scène 6
317 Elia 2, Elia 1 - « Psaume des eaux » (poème de Daniele Pieroni) ;
- Duo des deux Elia.
338 Orchestre Interlude iv.
Scène 7

é r i c c h a m pa g n e
357 Carlo, Elia 1 - Carlo rencontre Elia dans sa chambre. Elle refuse de
répondre aux questions de Carlo qui cherche à comprendre
les raisons de l’infanticide.
386 Carlo Carlo exprime son désespoir, puis médite sur un interlude
instrumental.
411 Ensemble vocal Échos sur le nom « Elia ».
417 Orchestre « Postlude-Cadence ». 71

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Son langage est une forme d’atonalité libre, instinctive, qui fait la part belle
aux consonances harmoniques exposées dans un contexte nouveau, hors
d’un système tonal traditionnel – et ce, bien qu’il y développe des notions
de tension/résolution. À bien des égards, son œuvre se rapproche aussi des
styles de Luigi Dallapiccola et de Luciano Berio, particulièrement en ce qui
concerne le traitement de la voix (fluide et souple) et la liberté relativement au
langage de la musique. En effet, Palmieri manifeste une conception agile et
très personnelle de la grammaire et du développement du matériau musical,
loin de tout dogmatisme.
La grande qualité de son écriture vocale est à souligner : tant dans le
8.  Néologisme adopté par Roland rythme de la prosodie que dans le déploiement des vocalises, la « vocalité8 »
Mancini et Hélène Pasquier pour leur
de sa partition est entièrement au service de l’expression sensuelle et intime
traduction de l’ouvrage Histoire du bel
canto de Rodolfo Celletti (1987), et qui des personnages.
correspond au mot italien vocalità, Le sujet premier d’Elia, rappelons-le, est la déchéance d’une femme brisée
lequel peut être imparfaitement
par l’adultère dont elle est victime et qui la poussera à commettre l’irrépa-
traduit par « art vocal » ou « écriture
vocale ». La notion de « vocalité » peut rable. C’est donc sous la forme d’une intrigue secondaire et parallèle que
s’appliquer à tout ce qui concerne s’exprime le désir gay à travers les deux personnages masculins de l’opéra.
la conception vocale, et englobe la
manière d’écrire et d’interpréter une
Deux extraits sont ici révélateurs de la prise de position du compositeur et
œuvre usant de la voix humaine. des stratégies compositionnelles qu’il emploie pour réaliser ses intentions.
Le premier extrait est tiré du passage le plus sensuellement explicite de
la relation amoureuse entre Carlo et Raffaele, et se déroule dans la seconde
9.  Un enregistrement vidéo de cette partie de l’opéra9. Elle s’insère au milieu d’un monologue d’Elia qui, écrivant
scène, extrait de la captation de la une lettre à Carlo, est en proie aux doutes quant à sa relation amoureuse.
création de l’opéra, est disponible au
sein des suppléments web du présent Comme dans un fondu enchaîné, on passe de la chambre d’Elia à la maison
numéro de Circuit, à l’adresse suivante : de Raffaele, où Carlo frappe à la porte.
https://revuecircuit.ca/web.
Au cours de ces quelques mesures (mes. 217-229), Palmieri crée une trame
tout en finesse pour évoquer les sentiments des amants. Les didascalies pro-
posent une scène assez pudique, où les dialogues sont brefs et concis, sans
aucun épanchement. Le désir se lit entre les lignes, et c’est la partition qui se
charge de sublimer cette émotion.
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

L’action dramatique se déploie sur une harmonie quasi statique, soit sur
un accord de sept sons qui possède une couleur délicieusement polytonale :
accord de 7e de dominante sur do, auquel se superpose un accord de do dimi-
nué. Au violoncelle alternent un ré bémol et un do, le ré bémol étant ici une
appogiature qui ajoute une tension à la fois plaintive et sensuelle propre au
demi-ton mélodique. Cette harmonie ambivalente crée une tension qui
oscille entre l’appréhension et l’expression d’une affection. Elle s’instaure
sur un ostinato rythmique de doubles croches, noté piano ou pianissimo
72 selon l’instrument. Une montée chromatique sur les deux derniers temps

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Livret original en italien Traduction française10 10.  Toutes les traductions en français
des extraits du livret d’Elia reproduits
Elia 2 Elia 2
ici sont des traductions libres de
Ti scrivo sta note perchè, perchè la mia stanza Pourquoi je t’écris cette note, parce que ma l’auteur.
e vuota. chambre est vide.
Carlo, Carlo ! E dove sei ? Carlo, Carlo ! Et où es-tu ?
Torna torna amato sposo. Reviens, reviens époux bien-aimé.

Chez Raffaele. Carlo frappe à la porte Chez Raffaele. Carlo frappe à la porte

Raffaele Raffaele
Chi è la ? Qui est là ?

Carlo Carlo
Son’io Carlo. C’est moi, Carlo.

Raffaele ouvre la porte Raffaele ouvre la porte

Carlo Carlo
Avevo da parlarti e… e mi languidevo di te. Je devais te parler et… et je me languissais
de toi.  

Il s’avance près de R(affaele) Il s’avance près de R(affaele)


Hésitation Hésitation
Étreinte Étreinte
Il entre chez R(affaele) Il entre chez R(affaele)

de la mesure 218 mène à un court motif mélodique (mes. 219), formé d’un


gruppetto et d’un glissando aboutissant à une note soutenue en trille. Or, ce
motif s’efface rapidement, n’ayant au final que nourri quelque peu l’harmo-
nie plutôt statique. L’effet évoque un élan émotif qui rapidement s’estompe,
mais perdure malgré tout, reste en suspens, en attente du bon moment pour
se déployer. Cette musique est en parfaite adéquation avec le personnage de
Carlo, qui s’apprête à retrouver son amant, le cœur battant et en proie à des
émotions complexes (notamment l’excitation du rendez-vous amoureux, mais
aussi la honte de sa sexualité non affirmée, couplée à l’adultère qu’il s’apprête
à commettre).
Après un decrescendo et un allègement graduel de l’instrumentation, on
atteint une mesure de silence où les deux premières répliques des amants
sont chantées a  capella. La musique reprend bientôt, toujours sur l’osti-

é r i c c h a m pa g n e
nato de doubles croches, mais cette fois sur une harmonie très simple et
transparente (Figure 2) : le demi-ton plaintif du violoncelle (ré  bémol/do)
et des mi en alternance d’octave à la main gauche du piano. Ce matériau
se transpose en marche chromatique (mes. 224) pour mener à une texture
frémissante (mes. 225). Notée piano, cette mesure reprend plusieurs éléments
du statisme harmonico-­rythmique du début de la scène, mais progresse 73

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FIGURE 2 Sylvio Palmieri, Elia, mes. 223-229. Reproduit avec l’aimable autorisation des
ayants droit de Silvio Palmieri.

désormais par des transpositions « en bloc » (rappelant la technique de dupli-


11.  Voir Bourion, 2011. cation chez Debussy11). Ces modifications suivent de près les didascalies : « [i]l
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

s’avance près de R(affaele) » est inscrit au troisième temps de la mesure 225 et


correspond à une transposition des deux temps précédents. Coup de théâtre !
Un subito forte se fait entendre à la didascalie « [h]ésitation » (mes. 26, premier
temps), suivie de « [é]treinte ». Pour amplifier la puissance de ce corps à corps
amoureux, la musique se précipite vers son sommet expressif : les doubles
croches font place à des sextolets de doubles croches (mes. 227), et mènent
finalement à un trille faisant exulter presque tout l’orchestre, en diminuendo.
On voit dans cette courte scène que le matériau musical est simple, clair,
74 et que son déploiement suit de près l’évolution émotive des personnages,

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principalement du désir grandissant, quoique teinté d’appréhension, de Carlo.
Avec des moyens limpides, Palmieri réussit à créer une tension musicale et
amoureuse à fleur de peau en plus de souligner l’hésitation qui anime les
personnages – et plus particulièrement Carlo –, pour qui ce désir est alourdi
par le poids des interdits sociaux que sont l’adultère et l’amour homosexuel.

é r i c c h a m pa g n e
Le deuxième extrait (mes. 279-303) est aussi révélateur de l’expression d’un
désir gay, cette fois-ci dans une aria en bonne et due forme12. Carlo s’apprête à 12.  Un enregistrement vidéo de cette
scène, extrait de la captation de la
quitter Raffaele pour rejoindre Elia. L’amant ardent de désir demande à Carlo
création de l’opéra, est disponible au
de rester, mais ce dernier doit partir. Sous forme d’un récitatif, ces répliques sein des suppléments web du présent
précédant l’aria sont chantées a capella, entrecoupées de quelques interven- numéro de Circuit, à l’adresse suivante :
https://revuecircuit.ca/web.
tions instrumentales qui épousent les souhaits à peine retenus de Raffaele. 75

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FIGURE 3 Sylvio Palmieri, Elia, mes. 278-281. Reproduit avec l’aimable autorisation des ayants droit
de Silvio Palmieri.

On notera les mesures 279-281 (Figure 3), insérées entre les vers déclamés
« Che tu non parta ancora » et « Resta con me ? », écrites pour le quatuor à
cordes dans un savant contrepoint où des traits de triolets se confrontent à
d’autres en simples croches et créant une impression d’instabilité malgré la
souplesse des lignes instrumentales. Cette intervention se poursuit par un
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

court segment de vibraphone puis de piano avant de conclure sur des roule-
ments de tam-tam, qui ajoutent une couleur d’espoir et de lumière au désir
exprimé par Raffaele. La nuance est piano pour l’ensemble de l’intervention,
lui conférant une ambiance intime propice à la confession des désirs.
Le dialogue que couvrent les neuf  mesures 276-284 cède donc le pas à
l’aria de Carlo, qui s’avère un épisode beaucoup plus développé. Si le dia-
logue emploie un niveau de langage simple et direct, l’introspection de Carlo
présente un style nettement plus poétique, usant de références codées et de
76 symboles quelque peu hermétiques. Le texte évoque notamment un célèbre

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épisode de la vie de saint François d’Assise. Convoqué sur la place publique
par l’évêque de la ville au printemps 1206, François choisit d’assumer sa nou-
velle vie et sa conversion en se départissant de ses biens et de ses vêtements,
se retrouvant ainsi complètement nu, mais endossant totalement sa nouvelle
foi. Si Carlo évoque cette histoire, c’est parce qu’il fait ici son coming out. Il
affirme enfin sa véritable nature et ses désirs les plus profonds. En se référant
au saint catholique, Palmieri et Pieroni sacralisent ce moment important dans
la vie d’un homme gay tout en évitant de le rendre tragique : ce n’est pas une
malédiction que d’être homosexuel, et cette affirmation de son identité est
belle, légitime et lumineuse.
Les symboles sont puissants. Pour saint François, le papillon est une figure
allégorique incarnant l’Esprit saint, tandis qu’il devient, chez Carlo, le sym-
bole de l’évidence qui se dévoile à lui. Il en est de même de ce « rite monta-
gnard d’une subtile Confirmation », qui est rite et sacrement religieux chez
le saint italien et qui, pour Carlo, corrobore finalement sa propre identité.
Carlo prend cependant conscience que d’assumer son homosexualité ne sera
pas facile dans un monde qui peut être très hostile à la différence, difficulté
évoquée par la référence à l’affirmation (la « Confirmation ») de François,
jugée sévèrement par la société qui le « marque au fer rouge ».

Livret original en italien Traduction française


Raffaele Raffaele
Carlo ? Carlo ?
Carlo Carlo
Che voi ? Que veux-tu ?
Raffaele (tendrement) Raffaele (tendrement)
Che tu non parta ancora. Resta con me ? Que tu ne partes pas encore. Reste avec moi ?
Carlo Carlo
Devo veramente partire. Je dois vraiment partir.
(il s’immobilise) (il s’immobilise)
Oggi un licenide mi ha bussato alla fronte. Aujourd’hui un papillon13 a frappé mon front. 13.  Licenide (en français : « lycène ») est
Inseparato al dubbio che il tempo ripeta Assiégé par le doute que le temps se répète le nom italien donné à une espèce de
ho riposto j’ai répondu petit papillon. Pour simplifier la lecture
Avanti, avanti, avanti, avanti. Avance, avance, avance, avance. ainsi que la compréhension du propos,
le mot « papillon », plus générique, a

é r i c c h a m pa g n e
Giacché permettendo l’aera incursione Depuis, permettant l’incursion aérienne, je
été retenu ici.
depoveno la veste e l’arguzia di cittadino délaisse mon vêtement et la verve citadine
vanesio. vaniteuse.
E accettavo come ovino mansueto il marchio J’ai accepté comme un mouton docile la
a fuoco, marque au fer rouge,
la cerimonia montana d’una cresima lepida, le rite montagnard d’une subtile Confirmation,
tra cime e pendi i che fanno la mia cattedrale. entre les cimes et abîmes qui font ma
cathédrale. 77

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La musique de Palmieri donne ici un souffle et un élan à la poésie de Pieroni,
mais aussi aux aspirations de Carlo. L’aria de 19  mesures  (mes.  285-303 ;
Figure 4) use d’un procédé d’écriture moins conventionnel, mais soutenant
efficacement le caractère désiré, c’est-à-dire que toutes les lignes vocales sont
inscrites dans des mesures non mesurées, sans battue fixe. L’effet est saisis-
sant : la vocalité est ici proche de la psalmodie du chant grégorien, tout en
souplesse, et offre au chanteur l’occasion de déployer une grande éloquence
dans son interprétation. Par contraste, l’interlude de neuf  mesures qui le
précède (mes. 291-299), suivant les mélismes sur le mot avanti, est mesuré et
rythmiquement très précis.
L’accompagnement orchestral des mesures non mesurées est riche. On y
retrouve des sons soufflés (flûte et cor) et d’autres soutenues aux nuances très
douces. Au quatuor à cordes se développent des arpèges d’harmoniques. Le

FIGURE 4 Sylvio Palmieri, Elia, mes. 300-301. Reproduit avec l’aimable autorisation des ayants droit de Silvio Palmieri.
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

78

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piano et les percussions intervennent librement sur des notes fixes. Dans la
seconde partie de l’aria, on retrouve des « mobiles » similaires à ceux dont
Gilles Tremblay a fait usage, à savoir des banques de hauteurs proposées
aux musiciens, dont la réalisation rythmique doit ici être éparse, isolée
ou en « groupes de 2  ou  3  notes », comme le détaille Palmieri  (mes.  301).
Le compositeur va jusqu’à prescrire aux interprètes de créer une « texture
nuageuse » (mes. 300), indication primordiale pour comprendre l’intention
musicale en lien avec le texte poétique.
Palmieri exprime ainsi la libération de Carlo par celle du temps musical.
Le chant attribué à ce personnage possède la souplesse des récitatifs clas-
siques, couplée à une impression d’improvisation, tandis que la musique
instrumentale qui l’accompagne crée une aura d’intemporalité, sublimation
sonore de la poésie et des émotions qu’elle porte. C’est sur une musique libé-
rée de toute battue, d’oppression temporelle et rythmique que Carlo – libéré
dans l’affirmation et l’acceptation de son désir – exprime son affranchisse-
ment et son émancipation.

Du queer et du désir : l’opéra comme forme de prédilection


pour l’expression gay
L’historien de l’art David  J. Getsy a écrit : « Queer art is sometimes very
much about sex and desire14. » On en revient toujours au désir et à la façon 14.  Getsy, 2016, p. 20.
de l’exprimer. En ce sens, il est tentant de voir dans l’opéra la forme par
excellence de l’art queer : l’amour et les relations sentimentales ne sont-ils
pas le sujet d’une majorité écrasante d’œuvres lyriques ? Allons encore plus
loin et osons affirmer que toute forme d’art est, d’une façon ou d’une autre,
une question de sexe et de désir15. L’opéra devient un art particulièrement 15.  C’est du moins la position
subversif lorsqu’il permet à des artistes queers d’exprimer leurs visions de la qu’exposent les psychologues Alexia
Jacques et Alex Lefebvre, affirmant
vie et de l’amour dans une approche qui remet en cause l’hétéronormativité. notamment que « [l]e processus
Avec Elia, Palmieri inscrit avec force son œuvre et son art dans la manifes- créatif est intimement lié au corps.
L’avènement d’une œuvre s’engendre
tation d’un désir complexe et trouble, d’une réalité queer et de ses répercus-
et se fonde sur ce qu’il en est de
sions. Le personnage de Carlo démontre bien que le refoulement de sa vraie plus archaïque, de plus sensoriel,
nature et l’acceptation aveugle des diktats hétéronormatifs peuvent mener à sensuel, corporel : désirs de fusion, de
sensation, désirs de satisfaction, de
des situations dramatiques. Proclamer. Ne pas se taire. Ne pas se cacher. La toute-puissance », avant de conclure
voix comme instrument de ce dévoilement d’un éros devient allégorie du

é r i c c h a m pa g n e
que « [l]’artiste est un sujet qui se meut
coming out de l’artiste. Elle est ici l’outil d’expression parfait pour s’affirmer dans le désir et par là même reste
éternellement inassouvi » (Jacques et
au grand jour. Dans The Queen’s Throat, Wayne Koestenbaum cherche à Lefebvre, 2005, p. 199, 223).
comprendre en quoi l’opéra – et plus généralement la voix chantée – est lié à
l’incarnation du désir, et ce, particulièrement chez les homosexuels. Il écrit :
« Queers have placed trust in coming out, a process of vocalization. Coming 79

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out, we define voice as openness, self-knowledge, clarity. And yet mystery does
16.  Koestenbaum, 1993, p. 158. not end when coming out begins16. » L’action de sortir du placard en est donc
une de proclamation des passions tout autant qu’elle est une fierté affichée et
revendiquée, et elle passe par la voix, vecteur d’affirmation, de communica-
tion et d’émancipation.
Selon cet angle d’analyse de Koestenbaum, exposer le désir gay dans un
opéra, pour un compositeur ouvertement homosexuel, permet de reproduire
les mécanismes du coming out. C’est faire appel tout naturellement à la voix
pour s’affirmer dans sa vérité intime. L’aria de Carlo est autant sa propre
sortie du placard qu’une mise en abyme des procédés structurants dans la
concrétisation du coming out. Et la beauté du processus, comme l’indique
Koestenbaum, c’est que le mystère demeure : l’art et le désir sont des objets
qui ne se révèlent pas entièrement.
Qu’en est-il des aspects dits « queers » de cet opéra ? Porteur d’une défi-
nition en constante mutation, ce qualificatif a été synthétisé de la façon
suivante par Florian Grandena et Pascal Gagné :
Le terme queer signifie quelque chose de différent pour chacun. Parfois, il renvoie
au désir inassouvissable, est synonyme de bisexualité ou de divorce, en rupture
avec le patriarcat occidental. D’autres fois, il évoque le rejet d’une opposition
binaire ou le refus des catégories identificatoires dominantes. Un terme utilisé à
toutes les sauces, selon les besoins et fantasmes de chacun.e. Anciennement une
17.  Grandena et Gagné, 2020, p. 485. insulte, il s’agit désormais d’une justification17.

Dans sa volonté d’exposer ce « désir inassouvissable » ainsi que les dérives


qu’occasionnent les pressions sociales sur les destins personnels, Elia est nette-
ment un opéra queer en ce qu’il remet en question les rôles des protagonistes
dans leurs relations interpersonnelles et amoureuses. De par sa construction
dramatique morcelée, l’œuvre de Palmieri délaisse une narration linéaire,
ancrée dans le concret, au profit d’une exploration de la psyché de ses person-
nages, intime et fugitive. Le compositeur y expose notamment le désir gay avec
un regard personnel criant de vérité, mais plus largement avec une conscience
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

et un humanisme lumineux qui contraste avec la noirceur du drame.


Finalement, Palmieri met en œuvre des stratégies de composition musi-
cale qui exultent et transcendent les mots pour donner vie aux affects des
personnages. Dans la scène où les amants se rencontrent pour la première
fois, des gestes musicaux subtils, mais sensibles, parviennent à exprimer
toute l’ambiguïté du désir sur lequel pèsent les interdits sociaux. Dans l’aria
de Carlo, l’écriture flexible et libérée de la battue temporelle stricte réussit
à atteindre, en adéquation avec la poésie du livret, un état exaltant de subli-
80 mation. La vocalité est conçue pour que les interprètes puissent rendre avec

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grande profondeur les émois des personnages. L’instrumentation colorée
est aussi exploitée – par des textures et diverses techniques de jeu – afin de
sublimer l’extériorisation des pulsions amoureuses.
Ce n’est pas uniquement la représentation d’un amour gay qui est en cause,
mais bien l’expression la plus profonde du désir, magnifiée par la musique.
Une ardeur amoureuse qui, pour l’auditeur, fait écho à sa propre réalité,
peu importe son orientation sexuelle ou son identité de genre. Love is love,
scandent les militants lgbtq+ depuis plusieurs décennies. Car c’est bien
là le beau paradoxe et la grandeur de l’œuvre d’art : traduire l’intime pour
atteindre l’universel. En ce sens, l’opéra de Silvio Palmieri est une réussite
éblouissante.

bibl io g ra phie
Abbate, Carolyn (2004), « Musicologie, politiques culturelles et identité sexuelle », in Jean-
Jacques Nattiez  (dir.), Musiques : une encyclopédie pour le xxie  siècle, vol.  2, Arles/Paris,
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par titio n

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ecm+ Opéra Elia (extraits, 2004), https://vimeo.com/14531492 (consulté le 29 août 2020). 81

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Mathieu Laca, Pier Paolo Pasolini, 2016. Huile sur lin, 31 x 39 cm. Collection privée.

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actualités

Un siècle d’écrits réflexifs sur la


composition musicale : anthologie
d’auto-analyses, de Janáček à nos jours,
de Nicolas Donin (dir.)
Genève, Droz/Haute école de musique de Genève, 2019, 717 pages.

Rober t Hasegawa

« Pourquoi analyser son propre travail ? », demande le


compositeur Luis Naón dans le titre de son « cahier de
fabrication », lequel retrace la création de son œuvre
pour ensemble Around the Bell  (2012). Qu’est-ce qui
motive un compositeur à mettre de côté son papier
à musique et à se tourner vers le genre plus ésoté-
rique de l’analyse musicale, et plus précisément vers
l’auto-analyse ? Un cynique pourrait voir un aspect
auto-promotionnel dans les écrits réflexifs d’un com-
positeur, les interprétant comme autant de tentatives,
de la part de celui-ci, de situer sa production dans le
panthéon historique, de justifier sa propre importance
en invoquant sa complexité intellectuelle, ou encore
de faire la démonstration de sa maîtrise des derniers
développements techniques. Cependant, au-delà de
l’intérêt personnel du compositeur, il est aussi possible
de constater l’attrait qu’exercent les questions auto-

actualités
analytiques pour toute personne impliquée quotidien-
nement dans les mystérieux processus de la création
musicale : « Pourquoi ce choix d’une note ou d’un
rythme ? » ; « Quel est le point commun entre ces deux 83

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sons ? » ; « Pourquoi ce passage est-il réussi alors qu’un attirante, même si l’on peut se demander si tous ces
autre doit être retravaillé ? » Répondre à de telles ques- écrits réflexifs sont véritablement des auto-analyses :
tions fait non seulement partie des étapes de création les entretiens avec John Adams et Steve Reich, par
d’un travail en cours, mais s’avère également essentiel exemple, ressemblent tous deux davantage à des auto-
pour qui souhaite développer et affiner ses outils en présentations publiques soignées qu’à des réflexions
vue de travaux futurs. introspectives, et aucun d’eux ne plonge dans une
De manière plus altruiste, la publication de tels lecture approfondie d’une œuvre particulière.
écrits représente un potentiel pédagogique impor- En élargissant cette distinction, on pourrait divi-
tant, offrant aux publics, aux interprètes et aux autres ser les textes du livre entre ceux qui présentent une
compositeurs un aperçu des prémisses uniques d’une analyse musicale détaillée d’une composition spé-
œuvre. L’analyse de partitions est toujours une partie cifique et ceux qui considèrent le processus créatif
essentielle de l’éducation d’un musicien, bien que dans un sens plus abstrait et général. Cette deuxième
dans la tour de Babel de la musique d’aujourd’hui, il catégorie comprendrait non seulement les entretiens
soit souvent difficile d’identifier les principes de base cités ci-dessus, mais aussi des écrits philosophiques
d’une pièce donnée. Les aperçus des processus de comme « L’autre tigre » de Chaya Czernowin (2007),
pensée d’un compositeur offerts par l’écriture auto- des « notes à soi-même », comme la liste d’aphorismes
analytique peuvent souvent s’avérer précieux, levant de Georges Aperghis de  1979 (« Gagner le silence »,
le voile sur les principes – tant esthétiques que tech- « Ne pas oublier Duchamp, Roussel, Cage »), ou les
niques – qui sous-tendent une œuvre. entrées du journal de Gérard Pesson, où les étapes de
Cette variété de motivations justifiant l’auto-analyse la composition de son concerto pour piano Future is
est largement mise en évidence dans une récente col- a Faded Song  (2012) côtoient des événements et des
lection d’« écrits réflexifs » éditée par Nicolas Donin, rencontres quotidiennes. De telles études du processus
un ouvrage volumineux de plus de 700 pages couvrant créatif conduisent naturellement à une perspective
le « long » xxe  siècle, allant du texte « Comment les psychologique, considérant la composition musicale
idées me tombèrent du ciel » (1897), de Leoš Janáček, comme un cas particulier de la cognition humaine en
à l’article de Luis Naón cité plus haut  (2014). Donin général. Deux projets de psychologues se distinguent
est certainement le chercheur ayant le plus contribué d’ailleurs parmi tous ces écrits de compositeurs :
à notre compréhension des écrits auto-analytiques des d’une part, John Sloboda, analyste de la musique
compositeurs contemporains1 et, dans cet ouvrage, et compositeur amateur, réfléchit aux mécanismes
il livre avec ses collaborateurs des essais introductifs d’invention et de résolution de problèmes dans sa
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riches et détaillés pour chacun des quarante-huit textes. propre mise en musique polyphonique d’un psaume
On y trouve des descriptions étape par étape de pro- pour chœur  (1985) ; d’autre part, Julius Bahle, dans
cessus de composition (Bennett, Sloboda, Reynolds), un projet remarquable, mais peu connu  (1929-1939),
des journaux intimes et des carnets de bord (Schaeffer, recourt à des questionnaires envoyés à des composi-
Henze, Platz, Pesson), des réflexions post-hoc sur la teurs – dont Arnold Schönberg et Ernst Krenek – pour
psychologie de la création (Cowell, Saxton), des entre- recueillir des informations sur leur mécanismes de
tiens (Honegger, Adams, Reich) et des descriptions de composition. Sloboda et Bahle adoptent tous deux une
techniques ou de systèmes de composition (Carter, méthodologie basée sur l’introspection, une approche
84 Dallapiccola). La grande diversité des approches est de la recherche psychologique aujourd’hui largement

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a­ bandonnée en raison de la subjectivité inhérente On pourrait facilement imaginer un séminaire pour
qu’on lui attribue : c’est un « jeu dangereux », comme les compositeurs et les musicologues organisé autour
le rappelle Donin, d’être « alternativement l’observa- des riches textes de cet ouvrage. Dans un tel séminaire,
teur et l’observé » (p. 382)2. il serait cependant souhaitable d’élargir encore ce cor-
Dans l’introduction du livre, Donin observe que pus à l’aide d’un choix de textes complémentaires, ajou-
la thèse européenne du doctorat en art, avec ses deux tant à la représentativité des compositeurs en termes
parties créative et académique, exige régulièrement d’ethnicité et de genre – comme l’admet Donin avec
des jeunes artistes qu’ils assument ce double rôle (avec un certain malaise, cette sélection est presque entière-
tous les défis que cela implique) : « exceller tout à la fois ment ancrée en Europe de l’Ouest et aux États-Unis,
dans le registre du faire et dans celui de la critique – et avec une « écrasante domination masculine » (p. 20)6.
plus particulièrement de l’auto-observation »  (p.  13). Bien que la diversité des approches du volume soit
Parallèlement, en Amérique du Nord, l’écriture auto- l’un de ses principaux attraits, j’ai le sentiment qu’une
analytique a longtemps été adjointe à un travail créatif occasion a été manquée de garantir une diversité
afin de défendre la place précaire qu’occupe la com- comparable au sein des auteurs représentés. Parmi
position musicale contemporaine dans la hiérarchie les écrits qui pourraient contribuer à corriger ce désé-
universitaire3. À plus forte raison, au Canada et au quilibre, mentionnons les cinq volumes de l’ouvrage
Québec, les organismes de financement encouragent Composition Notes d’Anthony Braxton, « Variables, pro-
les artistes à formuler leurs démarches sous forme de cess et degré zéro » de Pascale Criton, « Process Notes
projets de « recherche-création » auxquels se rattachent on Portable, May 10, 1966 » de Meredith Monk, et « A
des exigences qui ont trait tant à la création qu’à l’auto- Compositional Approach Derived from Material and
réflexion4. Tandis que les compositeurs sont régulière- Ephemeral Elements » d’Ellen Fullman7, qui représen-
ment sollicités pour livrer des écrits auto-analytiques, teraient mieux les courants expérimentaux et improvi-
la forme que pourrait prendre ce discours, souligne sés de la pratique musicale contemporaine.
Donin, n’est nullement évidente : tant le ton savant Pour sa part, la collaboration entre compositeurs
de la musicologie que celui du discours public sous et co-créateurs est déjà un domaine d’intérêt parti-
forme d’entretiens et de notes de programme semblent culier dans la sélection : voir, par exemple, l’essai de
problématiques  (p.  13-14). Ce volume, avance-t-il, Michael Tippett détaillant ses consultations avec le
pourrait servir d’éclairage à cette « tradition mécon- poète T. S. Eliot sur le livret de A Child of Our Time,
nue » en offrant une variété de solutions distinctes ou celui de Jonathan Harvey décrivant le rôle de son
et créatives  (p.  14). La sélection des écrits qui y est collaborateur, le musicien électronique Gilbert Nouno,
présentée met l’accent sur des documents difficiles à plusieurs points clés du processus de création de
à obtenir, qu’ils soient inédits (comme ceux d’Aper- son Quartet No. 4. Pourquoi alors ne pas y adjoindre
ghis, de Pesson et de Naón), qu’ils ne figurent que « Instrumental Gesture in StreicherKreis » de Florence
dans des revues ou des livres rares ou inaccessibles, Baschet, au sujet d’une collaboration similaire et rédigé
ou qu’ils n’aient simplement jamais été traduits en dans le cadre d’un projet mené par l’équipe d’ana-

actualités
français. Dans ce contexte, ce livre constitue un ajout lyse des pratiques musicales de l’Ircam, dirigée par
impressionnant à la bibliothèque des écrits de compo- Donin lui-même8 ? Enfin, l’essai « L’autre tigre » de
siteurs5, et sa valeur est considérable pour les artistes Chaya Czernowin, dense et élégant –  en plus d’être
qui cherchent des modèles d’autoréflexion écrite. l’unique texte d’une compositrice dans le volume  –, 85

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est le seul à aborder explicitement la nature internatio- tive » : « la composition est un acte où l’imagination ou
nale du monde musical contemporain et les questions l’étincelle créatrice traversent bien des étapes avant de
complexes d’identité et d’origines qui en découlent devenir une réalité tangible » (p. 693), un processus de
nécessairement. D’autres écrits autoréflexifs tels que transitions et de boucles (certaines rendues possibles
« Patterns of Ecstasy », de Liza Lim, ou « Who Owns par des outils logiciels) entre l’imagination, la cogni-
Asian Culture ? Not Me », de Du  Yun, pourraient tion et, finalement, la réalisation de la forme finale de
contribuer à approfondir ce thème essentiel9. l’œuvre.
Le plus grand défi de l’auto-analyse est peut-être
C’est une part de ce processus qui est ici retracée par
la question de l’inspiration. En témoigne l’essai de étapes successives. Il serait vain de vouloir les retracer
Janáček de  1897 intitulé « Comment des idées me totalement, quand bien même on en ferait l’effort. Je
tombèrent du ciel », qui est le premier texte du livre. reste convaincu qu’une part considérable de ce qui nous
Alors qu’aujourd’hui, « l’inspiration » est souvent trai- traverse restera toujours secrète. C’est probablement cette
part imprévisible qui transforme l’exercice de composer
tée comme un sujet plutôt suspect, Janáček l’embrasse
en un acte vital et profond (p. 696).
dans son sens le plus romantique, décrivant son réveil
de minuit quelques heures après avoir lu le poème Même dans cet article formidablement technique, le
Amarus de Vrchlický (« l’éveilleur » de la cantate épo- rôle de l’inspiration reste secret et imprévisible, un
nyme du compositeur), avec son « parfum printanier mystère à éclaircir – bien qu’il ne puisse jamais être
d’un cimetière ». Soudainement éveillé, il entend complètement épuisé ou expliqué – par les processus
« d’innombrables hauteurs dans toutes les octaves ; des asymptotiques de la réflexion auto-analytique.
voix ténues comme le souffle de délicates clochettes de
télégraphe » (p. 28). Le compositeur retrace le dérou-
lement rapide dans son esprit de tous les points clés 1.  Les recherches essentielles de Donin sur ce sujet comprennent
« L’auto-analyse, une alternative à la théorisation ? », in Nicolas Donin
de l’œuvre avant de se rendormir. Dans le texte qui
et Laurent Feneyrou (dir.), Théories de la composition musicale au
suit, il décrit le processus de réminiscence et d’élabo- xx e siècle, Lyon, Symétrie, 2014, p. 1629-1664, et « Artistic Research and
ration de l’œuvre complète, alors qu’il en développe the Creative Process : The Joys and Perils of Self-Analysis” », in Gerhard
Nierhaus (dir.), Patterns of Intuition : Musical Creativity in the Light
la forme définitive à partir des « motifs révélés » au of Algorithmic Composition, Heidelberg, Springer, 2015, p. 349-357.
moment de son épiphanie nocturne. Si l’on passe à Parmi ses travaux qui traitent d’artistes spécifiques et qui incluent des
l’autre extrémité chronologique du livre et à l’article de éléments d’auto-analyse par les compositeurs concernés, on peut citer
ceux abordant Philippe Leroux (« La composition d’un mouvement de
Luis Naón de 2014, on pourrait s’attendre à ce qu’une Voi(rex), de son idée formelle à sa structure » [avec Jacques Theureau],
approche plus contemporaine et plus technologique L’inouï, revue de l’Ircam, n° 2, 2006, p. 62-85), Stefano Gervasoni
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

(« Tracking the Composer’s Cognition in the Course of a Creative


laisse peu de place à de telles évocations de l’ineffable.
Process : Stefano Gervasoni and the Beginning of Gramigna » [avec
La contribution de Naón est l’une des plus techniques François-Xavier Féron], Musicæ Scientiæ, vol. 16, n° 3, 2012, p. 262-
du volume, décrivant l’utilisation de ProTools et du 285), et Florence Baschet (« Domesticating Gesture : The Collaborative
Creative Process of Florence Baschet’s StreicherKreis for “Augmented”
logiciel d’orchestration assistée par ordinateur Orchis
String Quartet [2006–08] », in Eric Clarke and Mark Doffman [dir.],
par le biais de captures d’écran et d’analyses de par- Distributed Creativity : Collaboration and Improvisation in Contemporary
titions. Bien que l’approche de Naón puisse sembler Music, New York, Oxford University Press, 2018, p. 70-87).

illustrer la composition comme une sorte de recherche 2.  Pour une introduction aux méthodes introspectives, voir
« Introspection » d’Eric Schwitzgebel, dans la Stanford Encyclopedia of
scientifique laissant peu de place à l’inspiration, le Philosophy, https://plato.stanford.edu/entries/introspection (consulté
86 compositeur défend la primauté de « l’étincelle créa- le 5 septembre 2020).

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3.  Voir Susan McClary, « Terminal Prestige : The Case of Avant-Garde Music Theory Online, vol. 26, no 2 (2020). Voir aussi l’enregistrement de
Music Composition », Cultural Critique, no 12, 1989, p. 57-81. Voir aussi la session principale de la conférence de la Society for Music Theory
Aaron Girard, « Music as a (Science as a) Liberal Art at Princeton », de 2019, intitulée « Reframing Music Theory » disponible sur YouTube :
Zeitschrift der Gesellschaft für Musiktheorie, no 7, 2010, p. 31-52, www. https://youtu.be/ZSOFpwDIZCA?t=7636 (consulté le 19 janvier 2021).
gmth.de/zeitschrift/artikel/563.aspx (consulté le 5 septembre 2020). 7.  Anthony Braxton, Composition Notes, vol. A-E, Oakland, Synthesis
4.  Sophie Stévance et Serge Lacasse, Les enjeux de la recherche-création Music, 1988 ; Pascale Criton, « Variables, process et degré zéro », La
en musique : institution, définition, formation, Québec, Presses de Deleuziana : Online Journal of Philosophy, 2019 ; Meredith Monk,
l’Université Laval, 2013. « Process Notes on Portable, May 10, 1966 », in Deborah Jowitt (dir.),
5.  Bien que ce recueil soit, à ma connaissance, unique dans son Meredith Monk, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1997,
objectif spécifique, plusieurs volumes d’entretiens et d’écrits collectés p. 18-22 ; Ellen Fullman, « A Compositional Approach Derived from
abordent le sujet de l’autoanalyse, tels que Desert Plants de Walter Material and Ephemeral Elements », Leonardo Music Journal, no 22,
Zimmermann (Vancouver, A.R.C. Publications, 1976), Three Questions 2012, p. 3-10.
for Sixty-Five Composers de Bálint András Varga (Rochester, University 8.  Florence Baschet, « Instrumental Gesture in StreicherKreis »,
of Rochester Press, 2011), et des monographies de nombreux Contemporary Music Review, vol. 32, no 1, 2013, p. 17-28.
compositeurs. Il convient de mentionner tout particulièrement le 9.  Liza Lim, « Patterns of Ecstasy », Darmstädter Beiträge zur neuen Musik,
volume récent Compositrices : l’égalité en acte, de Laure Marcel-Berlioz, vol. 21, 2009, p. 27-43 ; Du Yun, « Who Owns Asian Culture ? Not Me »,
Omer Corlaix et Bastien Gallet (dir.), Paris, cdmc/Éditions mf, 2019. OnCurating, vol. 44, 2020, p. 44-50. On pourrait également ajouter à
6.  Un tel supplément semble particulièrement essentiel à un moment cette liste de lecture élargie l’analyse plus technique de Czernowin sur sa
où les politiques de l’analyse musicale sont nouvellement (et peut-être pièce MAIM dans « A Few Examples from MAIM : How This Music Thinks »,
tardivement) au centre de l’attention, notamment en Amérique du in Claus-Steffen Mahnkopf, Frank Cox et Wolfram Schurig (dir.), Facets of
Nord. Voir Philip Ewell, « Music Theory and the White Racial Frame », the Second Modernity, Hofheim, Wolke Verlag, 2008, p. 99-133.

actualités
Mathieu Laca, American Poet (d’après un portrait de Walt
Whitman), 2015. Huile sur lin, 155 x 120 cm. Collection privée. 87

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Mathieu Laca, Frédéric Chopin, 2016. Huile sur lin, 61 x 76 cm. Collection privée.

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Sur le diapason : autour d’un cycle de
création, entre son, science et lumière,
de Nicolas Bernier
Dijon, Les Presses du réel, 2018, 176 pages.

Fa n n y G r i b e n s k i

Avec Sur le diapason, l’artiste Nicolas Bernier présente


un objet singulier. L’ouvrage est dédié à « un cycle de
création, entre son, science et lumière » que l’auteur
a consacré au diapason, instrument iconique de l’his-
toire des sciences et de la musique dont il s’est employé
à explorer la « portée poétique »  (p.  7) à travers une
dizaine d’installations portant le titre de Frequencies.
Le statut de ce livre a de quoi interroger : il ne s’agit
ni d’un catalogue d’exposition, ni d’une création artis-
tique à proprement parler, ni encore d’un ouvrage
académique. « Le présent livre est né d’un désir de riau de départ et sa finalité. Le travail de Bernier sur
partager les idées qui m’ont mené à ce travail autour le diapason est tout entier traversé par une tension
du diapason », explique Bernier dans son chapitre fondatrice entre, d’un côté, l’extrême simplicité de
introductif, précisant qu’« il s’agit  […] d’un partage cet outil et, de l’autre, la richesse inépuisable de ses
de réflexions qui font état du travail artistique » (p. 9). usages historiques, qui a inspiré à l’artiste la série des
Ou, selon les termes de la commissaire Marie-Hélène Frequencies. Cet écart fécond a tout d’abord conduit
Leblanc, qui signe une brève contribution dans ce Bernier, après la première utilisation qu’il en fit dans
volume, « ce livre  […] enrichit une pratique sonore, une installation en 2008, à collectionner des dizaines
performative et visuelle en un objet inerte où le récit d’avatars historiques de l’instrument. À travers ce geste
cohabite avec la description, où la théorie s’aventure inaugural, on décèle l’attention de l’artiste à des varia-

actualités
dans une histoire à la première personne » (p. 13-14). tions de matériaux, de forme, et de dispositifs, variations
Le désir de Bernier de « partager les idées qui d’autant plus perceptibles et frappantes que le diapason
[l’]ont mené à ce travail » résume en tout cas bien est d’une « pureté » exemplaire. Cette tension entre la
l’objet de ce livre, entendu à la fois comme son maté- simplicité de l’outil et la richesse de son ­histoire est ce 89

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qui a ensuite amené Bernier à documenter les usages unification tout au long du xixe siècle et de la première
très divers de ce qui fut la clé de voûte des sciences moitié du xxe siècle. Le titre de l’ouvrage est du reste
du son au xixe siècle et dans les premières décennies emprunté à une communication de Jacques-Louis
du xxe siècle, avant son remplacement par des techno­ Soret à la Société de physique et d’histoire naturelle
logies électroniques. de Genève, en 1885, dans le contexte de ces échanges
Ce livre est la trace palpable du surplus documen- internationaux lestés de considérations à la fois esthé-
taire auquel le travail de Bernier a donné naissance. tiques, scientifiques, industrielles, et politiques.
L’artiste présente au lecteur un surcroît de matière et Ce qui intéressera le plus le lecteur déjà familier
de réflexions à travers neuf brefs chapitres augmentés de ces connexions, notamment mises en lumière par
de citations textuelles et d’une riche iconographie. les travaux des historiens des sciences Myles Jackson1
Bernier nous emmène dans le dédale des références, et David Pantalony2, ce sont surtout les considérations
objets et rencontres auxquels le diapason l’a conduit. de Bernier sur les traces matérielles qu’il a observées.
Outre plusieurs régimes de parole de l’artiste, de la L’artiste a en effet approfondi sa connaissance des
présentation de ses installations à leur commentaire, usages multiples attachés au diapason au contact de la
Sur le diapason fait alterner le point de vue de Bernier collection d’instruments scientifiques de l’Université
et celui de plusieurs de ses collaborateurs : les com- Rennes i. C’est à l’invitation du collectif Elektroni[k]
missaires Marie-Hélène Leblanc et Damien Simon, et sur les conseils de Damien Simon qu’il s’y est rendu,
et l’historien des sciences Dominique Bernard. La en  2013, afin de travailler à un projet de carte pos-
multiplicité de ces points de vue reflète et renforce tale sonore consacrée à la ville de Rennes3. Lors de
l’impression kaléidoscopique que l’artiste a éprouvée son séjour, Bernier a bénéficié du savoir historique de
et cherché à recréer par ses installations, et à laquelle Dominique Bernard, « physicien du passé » (selon ses
ce livre rajoute encore une couche de mots, d’interpré- propres termes) qui a reconstitué et veille aujourd’hui
tations, d’usages et, finalement, de poésie. sur cette collection4. À travers les descriptions de
Comme Bernier l’explique, et ainsi que le livre en Bernier et de Bernard, le lecteur accède à la dimen-
témoigne, l’auteur s’est tout d’abord laissé conduire sion sensible du face-à-face avec ces objets. L’ouvrage
« à son insu sur le chemin de la science »  (p.  8) ou résonne en particulier de la présence-absence impo-
plutôt des sciences –  physique, physiologie, psycho­ sante du grand diapason de Koenig de 1889, dont les
logie. Bernier retrace ici sa lente familiarisation avec fréquences inférieures à 20  Herz sont inaudibles à la
les ouvrages d’acousticiens, physiciens et physiologistes plupart des auditeurs. Une autre idée intrigante de ce
allemands, français et anglais (Ernest Chladni, Jules livre est celle du « lien entre le passé acoustique et le
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

Lissajous, Rudolf Koenig, Hermann von Helmholtz présent électronique »  (p.  31), que Bernier a matéria-
et John Tyndall), et les catalogues de fabricants lisée par la rencontre entre diapasons et oscillateurs
de diapasons (comme Max Kohl) qui l’ont initié à dans ses installations. C’est là un geste fort, qui montre
l’« importance du diapason dans notre compréhension notamment la vertu heuristique d’un contact direct
des phénomènes audibles » (ibid.), des résonances par avec les collections et leurs objets pour qui veut explorer
sympathie, aux battements et autres décompositions l’histoire des technologies sonores. Cette fonction de
des sons complexes en fréquences fondamentales. Le pont entre des époques est également au cœur du texte
diapason jette aussi des ponts entre ces pratiques scien- que Simon signe dans ce livre, consacré aux liens entre
90 tifiques et les débats qui ont entouré la question de son histoire des sciences et musiques électroniques.

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Dans quelle mesure le lecteur qui n’a pas eu accès il confesse l’influence sur son travail ; Ryoji Ikeda et son
aux installations de Nicolas Bernier pourra-t-il donner projet A, autour du la 440 ; ainsi que Richard Chartier,
du sens aux matériaux présentés ici ? Pour qui s’inté- dont l’œuvre Transparency (Performance) (2011) est fon-
resse à l’histoire des rapports entre musique, science dée sur un travail sur le grand tonomètre de Koenig
et technologie, le style poétique de l’ouvrage offrira conservé à la Smithsonian Institution. La seule limite
en tout cas un prolongement inspirant aux travaux à cette approche inclusive à tous points de vue – disci-
existants sur le diapason, à travers l’exploration d’un plinaire, chronologique, esthétique – vient de l’auteur
contexte encore méconnu de cette communauté – les lui-même qui entend mettre un point final à ce travail.
collections universitaires non parisiennes, là où le À plusieurs reprises, Bernier évoque son obsession pour
travail de Pantalony sur la France s’est concentré sur le diapason, et il déclare finalement : « [j]’ai développé
les collections de la capitale. À ce même lecteur, l’ou- une relation si naturelle avec le diapason que je me
vrage offre une démonstration frappante de la vertu sens le devoir éthique de l’interrompre pour m’obliger
du reenactment comme méthode pour comprendre les à pousser ma recherche dans des zones moins confor-
phénomènes historiques, ainsi que comme expérience tables », annonçant qu’« au moment d’écrire ces lignes,
poétique – on songe aussi, à cet égard, à l’impression- [il] coule [s]es diapasons dans le béton »  (p.  82). On
nant travail de reconstitution mené par l’historien des veut finalement voir dans le fait que le dernier mot
sciences Paolo Brenni sur des collections acoustiques ne revient pas à Bernier, mais à Simon, que l’auteur
italiennes5. Gageons que les compositeurs et artistes reprendra un jour sa quête du sonore avec ces instru-
sonores trouveront quant à eux dans cette lecture ments dont le livre parvient si justement à évoquer la
la matière d’une révélation sur « le poids du passé » puissance poétique.
et l’inscription de leurs pratiques dans l'histoire des
recherches autour du son.
Il y a beaucoup d’humilité dans le projet éditorial 1.  Myles Jackson (2006), Harmonious Triads : Physicists, Musicians,
and Instrument Makers in Nineteenth-Century Germany, Cambridge,
qui a conduit à la publication de cet ouvrage. Sur le
mit Press.
diapason peut se lire comme un hommage à la richesse 2.  David Pantalony (2009), Altered Sensations : Rudolph Koenig’s
des usages historiques de l’instrument et des travaux Acoustical Workshop in Nineteenth-Century Paris, Dordrecht, Springer.
des acousticiens qui ont précédé Bernier dans ses 3. https://soundcloud.com/metropole-electroni-k/nicolas-bernier-
collection-des-instruments-scientifiques-de-luniversite-de-rennes-1
expérimentations, richesse que les installations de ce
(consulté le 12 novembre 2020).
dernier ne sauraient à elles seules épuiser. En contex-
4.  https://culture.univ-rennes1.fr/instruments-scientifiques (consulté
tualisant son travail, Bernier inscrit en outre son propre le 12 novembre 2020). Voir aussi Dominique Bernard (2018), Un trésor
cycle de création dans une histoire qui fait la part belle scientifique redécouvert : la collection d’instruments scientifiques de la
faculté des sciences de Rennes (1840-1900), Rennes, Rennes en Sciences.
à ses pairs, compositeurs et artistes sonores contempo-
5. https://soundandscience.de/contributor-essays/nineteenth-
rains. Il évoque notamment Bernard Parmegiani et son century-acoustics-and-its-instruments-method-reenactment (consulté
œuvre de musique concrète De Natura Sonorum, dont le 12 novembre 2020).

actualités

91

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Mathieu Laca, Virginia Woolf (Étude i ), 2014. Huile sur lin, 92 x 76 cm. Collection privée.

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D’Habitant à Corne de brume :
nouveaux récits en création
S ébastien S auvageau, en entretien avec Paul Bazin

Sébastien Sauvageau est compositeur et guitariste. Sa


musique est établie au confluent de la musique de créa-
tion contemporaine, du jazz et de la musique tradition-
nelle québécoise. Depuis  2015, il dirige le groupe jazz
et « avant-trad » l’Oumigmag et, en  2020, il cofonde
Corne de brume, un organisme lanaudois voué aux
musiques de création. Cet entretien aborde la parution
d’Habitant (2019), plus récent disque de l’Oumigmag, et
la fondation de Corne de brume.

Paul Bazin (p.  b.) : Plusieurs pratiques associées à


des traditions musicales distinctes se mêlent dans ta
musique, parfois se confrontent, toujours se côtoient. haite générer entre les interprètes, quant à eux, doivent
En guise d’introduction, j’aimerais connaître les beaucoup au jazz de chambre. Dans cette perspective
impulsions et les forces qui t’ont motivé à l’exploration « dialogale », la découverte de la maison de disques
de telles mises en relation. ecm a été un catalyseur important, me révélant avec
Sébastien Sauvageau (s.  s.) : J’ai toujours nourri un quel degré de raffinement et de liberté certains musi-
intérêt pour les musiques traditionnelles, le jazz et ciens arrivent à embrasser plusieurs styles en un même
les musiques dites « contemporaines ». Chemin fai- horizon créatif1.
sant, l’idée de me former parallèlement dans ces trois La fondation de mon ensemble, l’Oumigmag, a été
champs est devenue un idéal créatif et intellectuel. capitale dans la réalisation de ces idées musicales. Il
Ces traditions ont peu à peu transformé mes modes était important pour moi de travailler avec les mêmes
d’écoute, infléchi ma pensée et forgé ma pratique de musiciens sur le long terme et dans la précision, et de

actualités
la composition. Si je me conçois d’abord comme com- plus en plus de mettre les pratiques en dialogue. La
positeur de musique contemporaine par mon rapport formation actuelle, en sextuor, est riche en possibilités
à l’écriture, à la conceptualisation et à la recherche, timbrales et contient, en soi, une variété de pratiques
le son d’ensemble et le type d’interactions que je sou- qui se prolongent et rencontrent parfois des limites à 93

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dépasser dans la compréhension de l’idiome de l’autre, s.  s. : Habitant est un album double écrit pour sex-
ce qui est fascinant et très enrichissant2. tuor, où apparaissent aussi six pièces soli dédiées à
p. b. : Quels défis se sont posés à toi dans la réalisation chacun des instrumentistes de l’Oumigmag. Les qua-
d’un projet tel qu’Habitant, qui fait appel à des sources torze compositions posent autant de regards sur des
traditionnelles ? répertoires3, des matériaux, des caractéristiques ou des
formes –  brandy, grondeuse et grande gigue simple,
s.  s. : Quelques-unes des questions centrales qui
entre autres  – liés au traditionnel, ainsi que sur des
m’ont occupé (et continuent de m’occuper) sont :
sujets tels que la recherche timbrale, les tempéraments
« Comment, de façon honnête et entière, mettre en
alternatifs, les cycles rythmiques et le maillage écrit/
lien mon bagage de compositeur et mon esthétique
improvisé. Habitant est aussi traversé par une réflexion
personnelle avec des éléments de la musique tradition-
sur la mise en musique du territoire qui croise diffé-
nelle ? » ; « Comment prolonger cette musique en res-
rents modes de représentation de la nature, de l’inté-
pectant son essence ? » ; « Quelles passerelles peuvent
gration à la sublimation, en passant par l’imitation et
être jetées entre cet idiome, le jazz et la musique
l’évocation. Ma recherche d’une géopoétique musicale
contemporaine, des points de vue rythmique, timbral,
doit beaucoup à la pensée et aux œuvres de Pierre
harmonique, mélodique ou encore de l’intonation ? »
Perrault et de Toru Takemitsu.
D’une part, j’ai cherché une certaine ouverture des
éléments du langage traditionnel en faisant appel p. b. : Dans la pièce « Migrations », des cris d’outardes
à divers procédés contemporains. D’autre part, j’ai font l’objet d’un traitement numérique. Une relation
réfléchi à la mise en musique de différents rapports à hétérophonique me semble aussi s’y établir entre l’en-
la musique traditionnelle : rapport de folklorisation, de registrement d’archive d’une complainte et les musi-
décalage, d’étrangeté, aussi, bien que  cette musique ciens de l’Oumigmag – tout particulièrement avec le
constitue mon propre bagage culturel. Il y a de nom- saxophoniste Alex Dodier. Selon toi, est-ce qu’il serait
breux écueils possibles dans le travail avec des sources. juste d’avancer que cette pièce illustre éloquemment le
La prudence et le doute sont de mise, puisqu’il y a une dialogue entre un matériau traditionnel, d’une part, et,
dimension éthique et relationnelle à considérer. Si d’autre part, des pratiques contemporaines ?
on trace un continuum des porteurs de tradition aux s. s. : À mon avis, « Migrations » représente un sommet
ouvreurs de tradition, l’Oumigmag s’inscrit résolument d’éloignement et d’intimité avec la tradition dans le
dans cette dernière catégorie. Un jour, le musicien projet Habitant. Aussi, sans que je l’aie réfléchi en ces
David Simard a proposé l’étiquette « avant-trad » avec termes, je serais d’accord avec l’idée d’hétérophonie,
un brin de malice, et je la trouve à la fois éloquente et puisqu’elle exprime, en quelque sorte, dans la pièce,
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

représentative de la liberté de notre approche. le paradoxe de proximité et d’infranchissable distance


p. b. : Cette démarche hybride et décomplexée est d’ail- entre notre propre vécu et celui d’un voyageur beau-
leurs caractéristique de la musique qui se retrouve sur ceron, Valère Vachon. Dans cette magnifique com-
Habitant. On y entend des pièces dont le caractère est plainte collectée par l’ethnomusicologue Marc Gagné
proche de celui des répertoires traditionnels, et d’autres en octobre 1970, celui-ci exprime sa gratitude envers
qui témoignent de tes recherches en lien avec certaines la grâce divine qui l’a sauvé d’un accident mortel.
pratiques des musiques de création. La mélodie chantée n’étant pas tout à fait tempérée,
les tempéraments se confrontant ou se complétant,
94

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l’intonation est devenue une possibilité additionnelle pièce s’inspire notamment du jeu de viole de Jasser Haj
d’expression de ce rapport proximité/distance. Youssef  (Tunisie) et de Mats Edén  (Suède), les tech-
Suivant la forme du texte, j’ai aussi cherché à mettre niques instrumentales et certains aspects timbraux de
en scène la grand-messe souhaitée par Vachon4. Parmi leurs approches, le jeu en harmoniques et l’intervalle
les moyens déployés pour y parvenir, on retrouve, d’un très expressif de trois quarts de ton, point commun de
côté, l’usage de l’électronique, de boucles et de mani- ces deux traditions.
pulations en studio –  notamment les outardes, qui Deux autres pièces d’Habitant, « Ajour(s) » – solo de
ont effectivement été traitées avec un délai granulaire contrebasse avec dispositif de résonance – et « Belle­
développé au Groupe de recherche musicale (grm). chasse », font d’ailleurs appel à l’intonation juste.
D’un autre côté, on rencontre l’harmonium, des bruits p. b. : La démarche de mise en relation qui caractérise
de pieds frottés au caractère processionnel et l’enre- ta musique se rencontre également dans ta participa-
gistrement d’archive, qui sont autant de sonorités évo- tion à la cofondation de Corne de brume  (cdb), un
quant l’ancien. La pièce migre ainsi du niveau le plus centre de création musicale qui rassemble des musi-
littéral – l’intégration d’une archive dans une œuvre ciens de tous les horizons5.
nouvelle  – vers des niveaux métaphoriques : jouer-
s.  s. : Oui ! cdb est né du désir de repenser les liens
outarde pour libérer une parole. 
entre les artistes, leurs œuvres, les partenaires et le
p. b. : Un autre exemple de travail sur l’intonation se public en proposant un modèle innovant pour les
trouve par ailleurs dans « Écorces », où tu élabores une musiques de création dans Lanaudière. On souhaite
musique très lyrique à partir… d’écorce de bouleau ! favoriser un environnement qui misera sur le par-
s.  s. : Je suis heureux que tu trouves un caractère tage de ressources, la production et la diffusion de
lyrique à « Écorces ». J’ai conçu chaque fragment ces musiques. Pour  cdb, ces dernières se retrouvent
de cette pièce comme un chant déchiffré à même au-delà des balises stylistiques (contemporaine, jazz,
des fragments d’écorce, comme autant de partitions improvisée, de scène, électronique, traditionnelle,
graphiques. L’écorce de bouleau blanc s’est imposée etc.). Les œuvres seront ainsi présentées dans un esprit
comme une partition idéale : contrastes de rugosité, de rencontre, de médiation.
variations de teintes de l’argenté au doré, en passant p. b. : Même si l’organisme en est encore à ses débuts,
par le blanc franc ou un noir fuligineux. Après avoir pourrais-tu nous donner un avant-goût des premiers
constitué une composition visuellement intéressante projets qui y seront développés ? 
en agençant quinze fragments, j’ai entrepris de « trans- s. s. : Avec plaisir ! Pour sa première saison, cdb orga-
crire » les aspérités, les traits ascendants ou descen- nise plusieurs résidences de création et des concerts.
dants, les nœuds  tantôt en timbres, tantôt en traits Avec le Centre d’expérimentation musicale de
mélodiques ou autres variations sur des paramètres Chicoutimi, nous réaliserons la série balado Pour la
préétablis. suite de l’onde, qui s’intéresse au processus de quatre
Après des séances d’essai et de recherche avec David créateurs et créatrices du réseau Excentrés6. cdb sou-

actualités
Simard à la viole d’amour, j’ai concentré mon écriture tiendra également les projets des membres qui se join-
sur des états liminaux, sur des seuils d’ambiguïtés entre dront au cours de l’année. 
timbres bruités et passages mélodiques, ainsi que sur cdb étant doublé d’une étiquette de disques, au
des pivots entre différentes évocations de traditions. La moins quatre enregistrements seront par ailleurs lancés 95

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en  2021 : Unearthed, d’Eyevin Nonet, rendant hom- tradition, terrain privilégié d’explorations que j’entends
mage au compositeur Thomas Chapin ; Souvenance, continuer d’arpenter bien au-delà d’Habitant.
œuvre solo de David Simard pour synthétiseur modu-
laire ; Mexihcah Bones de la chanteuse et compositrice 1.  Pour la richesse du son d’ensemble et le travail de maillage entre
Géraldine Eguiluz ; et Les Anses résonantes, projet traditions, voir Ale Möller et Lena Willemark (1996), Agram, Lena
Willemark, Ale Möller, Palle Danielsson, Tina Johansson et Jonas
collaboratif de recherche-création où composition, Knutsson, ecm Records, ecm 1610. S’y rencontrent des musiciens issus
lutherie et prise de son créative dialoguent autour de la musique traditionnelle et d’autres des musiques improvisées
de résonances à la contrebasse. Je porte cette initia- autour de répertoires traditionnels suédois.
Pour les passerelles – tout particulièrement harmoniques – entre
tive avec le contrebassiste Stéphane Diamantakiou. psaumes russes, musiques traditionnelles finno-ougriennes et
Inspirés par le violon norvégien de Hardanger, nous jazz de chambre, voir Per Jørgensen, Samuli Mikkonen et Markku
Ounaskari (2010), Kuára : Psalms and Folk Songs, Markku Ounaskari,
avons conçu, avec le luthier Benoit Lavoie, un sys-
Samuli Mikkonen et Per Jørgensen, ecm Records, ecm 2116.
tème de cordes sympathiques pour lequel je compose
2.  Aux côtés de Sébastien Sauvageau (guitare), l’Oumigmag est
un répertoire solo. Au moment d’écrire ces lignes, je composé de David Simard (violon), du milieu trad, Stéphane
suis plongé dans l’écriture de deux œuvres pour ce Diamantakiou (contrebasse) et Tom Jacques (batterie/percussion),
qui ont une formation classique et un bagage de musique improvisée
système : l’une explore les microrythmes, et j’y recours et, enfin, Olivier Bernatchez (batterie) et Alex Dodier (saxophone),
à différentes tierces en intonation juste en parallèle de formation jazz. Voir www.loumigmag.com (consulté le
de passages « reelés » ; l’autre, en intonation juste, est 8 octobre 2020).
3.  Habitant prend source dans divers répertoires, notamment
inspirée du Viderunt Omnes de Pérotin et des bourrées
ceux des violoneux Harry Poitras, Avila LeBlanc et Louis « Pitou »
d’Auvergne. Boudreault. La mise en relation de ces répertoires avec d’autres
éléments les tire cependant hors de leur cadre de référence
p.  b. : Plus j’y songe, et plus ton travail m’apparaît traditionnel.
comme un projet d’ethnographie créative, porteur 4.  Un extrait des paroles de la complainte se lit comme suit : « Si un
d’une tradition vivante. Un ramage qui poursuit sa jour je retourne du pays d’où je viens/Je promets au Bon Dieu et à
croissance, des racines aux devenirs. la Très Sainte Vierge/Grande messe sera chantée/À l’heure de mon
arrivée. » L’orthographe de « Grande messe » ici retenue tient compte
s. s. : J’aime cette idée, qui me rappelle d’ailleurs ce de la prononciation du texte lorsque chanté par Vachon.

que le poète Michel Collot écrit au sujet de la relation 5.  Parmi ses fondateurs, on trouve le compositeur de musique de
scène et propriétaire du Studio du Chemin 4, Ludovic Bonnier, le
que la création artistique entretient avec le paysage : contrebassiste, improvisateur et pédagogue Stéphane Diamantakiou
« si l’artiste doit peindre “ce qu’il rêve”, ce n’est pas en ainsi que le compositeur et multi-instrumentiste David Simard.
se détournant de ce qu’il voit, mais en le prolongeant 6.  Depuis 2019, le réseau Excentrés rassemble quatre centres œuvrant
en musiques nouvelles dans le but de favoriser des rencontres, des
par l’acte de cette seconde vue qu’est l’imagination,
créations et des diffusions inter-centres. Le Centre d’expérimentation
en une sorte de rêver-voir7 ». Cette conception me
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

musicale (Chicoutimi), Erreur de type 27 (Québec), Upstream Music


semble s’appliquer aux rapports que je cultive per- Association (Halifax) et Tour de bras (Rimouski) prennent part à cette
initiative, qui témoigne de la vitalité de la création musicale par-delà
sonnellement avec nos traditions. En ce sens, je suis les grandes régions métropolitaines.
bien d’accord avec l’idée d’une ethnographie créative 7.  Michel Collot (2005), Paysage et poésie : du romantisme à nos jours,
prenant pleinement acte du regard qu’elle pose sur la Paris, José Corti, p. 70.

96

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Les illustrations

Mathieu Laca
Quand je suis né, j’avais déjà trente ans. J’ai appris la jeunesse sur le tard et
par correspondance. Mon excuse : j’ai grandi coincé entre une mère dont la
douceur ferait pâlir les pâquerettes et un père à l’humeur aussi stable que
celle d’un taureau d’arène. Résultat : j’ai tué en moi l’idée du monde. Je
me suis enfermé dans ma chambre pour lire les classiques de la littérature
française avec, aux lèvres, le sourire d’un poseur de bombes. J’avais autant de
morale que L’Étranger de Camus et autant d’espoir en la vie qu’une chanson
de Nirvana. Je m’étendais dans le champ en attendant de me décomposer.
Raté : j’étais encore vivant.
Un jour, deux professeurs m’ont remarqué et m’ont initié à l’art. Ce fut
une révélation. Dessiner. Peindre. Enfin, je pouvais être. Pur fantasme.
Accessoirement, il semblait que j’étais gay. Depuis, je pratique régulièrement.
J’ai même détourné dans le mariage l’un de ces professeurs dont j’affection-
nais la fronde. Comme je suis méchant !
Contre toute attente, mes tableaux se sont mis à se vendre. Ha ! Les gens
s’arrachent maintenant mes faciès texturés. Ha ! Ha ! Tous les jours dans
mon atelier, auprès d’un gros chien qui dort et d’un époux qui fait chanter sa
mandoline, je produis des croûtes à mon goût immonde et vais continuer à
le faire très, très longtemps. Ha ! Ha ! Ha !

l e s i l l u s t r at i o n s
www.mathieulaca.com (consulté le 19 février 2021)

97

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Mathieu Laca, Robert Lepage i, 2019. Huile sur lin, 91 x 76 cm. Collection privée.

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Les auteurs.trices

Paul Bazin bué au Grove Music Online, à Musicworks et rique et culturelle, ainsi que les significa-
à Circuit, musiques contemporaines. Dans les tions des situations de concerts reposant
Paul Bazin a terminé des études docto-
années 1990, elle a créé plusieurs documen- sur la performance. Dans ces contextes, les
rales à l’Université McGill (2020), où il a
taires pour l’émission Ideas de CBC Radio et rôles de la répétition et du rituel gagnent
consacré ses recherches aux théories
de nombreux reportages pour CBC Radio 2. une signification accrue et s’incarnent
microtonales d’Ivan Wyschnegradsky ainsi
Entre 2001 et 2020, madame Bernstein a musicalement dans le travail d’Annette.
qu’à leur héritage, notamment chez Bruce
été directrice artistique de Summer Music in
Mather et Pascale Criton. Récipiendaire
the Garden, une série annuelle de concerts Éric Champagne
du prix Fondation Socan/MusCan pour
gratuits présentés au Toronto Music Garden.
la recherche sur la musique canadienne, Récipiendaire du prix Opus « Compositeur
Elle a été conférencière invitée à l’Université
boursier du crsh, de la banq, de l’oicrm de l’année » en 2020, Éric Champagne
de Toronto, au Centre des arts de Banff, à
et de l’Université McGill, Paul Bazin a vit et travaille à Montréal. Il a étudié,
l’Université Stanford et aux universités de
développé une spécialité touchant à la entre autres, auprès de Michel Tétreault,
Colombie-Britannique et de Victoria (C.B.),
musique des compositeurs québécois de François-Hugues Leclair, Michel Longtin,
et a donné des cours de formation conti-
l’après-guerre ainsi qu’à la musique micro- Denis Gougeon, Luis de Pablo, José
nue sur la musique à l’Université Ryerson.
tonale. En 2019, avec Robert Hasegawa, il Evangelista, John McCabe et Gary Kulesha.
Née à Winnipeg, Tamara est titulaire d’une
a c­ odirigé un numéro de la revue Circuit Sa musique est régulièrement interprétée
maîtrise en interprétation et littérature du
consacré à la microtonalité. En 2021, l’un de au Québec comme à l’étranger. Il a de plus
piano.
ses articles – consacré à la cantate Psaume collaboré avec divers poètes et artistes
pour abri du compositeur Pierre Mercure – Annette Brosin visuels pour la réalisation de projets multi-
a été mis en nomination pour le prix Opus disciplinaires. Compositeur en résidence à
« Article de l’année » du Conseil québécois Originaire d’Allemagne, la compositrice l’Orchestre Métropolitain (om) de Montréal
de la musique. Ses textes sont publiés dans et bassiste Annette Brosin a vécu sur la de 2012 à 2014, il occupe le même poste à
les revues Circuit, Les Cahiers de la sqrm Côte Salish et, depuis 2009, en territoire la Chapelle historique du Bon-Pasteur de
et Intersections. Coordonnateur adminis- Cowichan, sur l’île de Vancouver. En 2016, Montréal de 2016 à 2018. En juin 2017, son
tratif et secrétaire de rédaction de Circuit, elle a obtenu un doctorat en composition monumental Te Deum, pour solistes, chœur
musiques contemporaines depuis 2017, il de l’Université de Victoria. La musique et orchestre, a été présenté au Carnegie
collabore régulièrement avec divers orga- d’Annette a été jouée et diffusée en Hall de New York. De plus, Yannick Nézet-
nismes du milieu montréalais, dont l’ecm+, Amérique du Nord, en Amérique du Sud et Séguin et l’om ont interprété son poème

les auteurs.trices
le nem, la smcq, Le Vivier et le Cmc Qc. en Europe continentale. L’artiste s’intéresse symphonique Exil intérieur en novembre
à une variété de questions ayant trait à la 2017, lors de concerts donnés à Cologne,
Tamara Bernstein relation de plus en plus complexe qui se Amsterdam et Paris.
développe entre les technologies numé-
Tamara Bernstein est une journaliste riques et la musique en tant que lieu de Gabriel Dharmoo
musicale, curatrice de concerts et éduca- reproduction culturelle. Ces questionne-
trice basée à Toronto. Elle a publié plus ments se reflètent directement sur ses Gabriel Dharmoo est compositeur, voca-
de 1300 articles dans le Globe and Mail et compositions, qui explorent les aspects liste, improvisateur, performeur interdis-
le  National Post, et a notamment contri- de la mémoire, de la désintégration histo- ciplinaire et chercheur. Son travail a été 99

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présenté à travers le Canada et à l’échelle son premier livre, L’Église comme lieu de le vent qui hurle les étoiles rire, et rire, sont
internationale. Plusieurs de ses projets ont concert : pratiques musicales et usages de parus en 2016 aux Éditions de la Tournure.
été primés, notamment par le Prix Jules- l’espace (Paris, 1830-1905) (Arles, Actes Le recueil poético-sonore L’Amour des
Léger 2017 du Conseil des arts du Canada Sud/Palazzetto Bru Zane, 2019). Elle a été oiseaux moches (2020) a représenté un
pour Wanmansho, et le prix Opus « Création boursière de la Fondation Thiers, Fulbright aboutissement important dans son par-
de l’année » (2018) pour son opéra À chaque Postdoctoral Fellow et Visiting Scholar à cours, ayant fait l’objet d’une publication
ventre son monstre. Son solo performatif l’Université de Californie, à Los Angeles, aux éditions Omri et d’une production
Anthropologies imaginaires a été primé au Dibner Fellow in the History of Science majeure de l’Ensemble contemporain de
Amsterdam Fringe Festival (2015) et au and Technology à la Huntington Library Montréal (ecm+). Symon travaille pré-
SummerWorks Performance Festival (2016). (San Marino, Californie), et Research sentement à la mise en opéra du roman
Après des recherches sur la musique carna- Scholar au Max Planck Institute for the Le Désert mauve de Nicole Brossard, qui
tique auprès de quatre maîtres reconnus à History of Science à Berlin. Elle prépare l’accompagne dans cette démarche.
Chennai (Inde) en 2008 puis en 2011, son actuellement son deuxième livre, Tuning
style musical encourage la fluidité entre the World, consacré à l’histoire de la stan- Teiya Kasahara 笠原 貞野
la tradition et l’innovation. En plus d’un dardisation du diapason. Elle est respon-
intérêt marqué pour les projets intercultu- sable des comptes rendus de la Revue de De première génération nikkei-canadienne,
rels, il explore les arts queers et le drag via musicologie. Teiya Kasahara 笠原貞野 (iel) est un·e inter-
son personnage Bijuriya (@bijuriya.drag). prète créateur.trice interdisciplinaire queer,
Il est candidat au doctorat à l’Université de genre non binaire, vivant à Tkarón :to.
Robert Hasegawa
Concordia (Individualized Program) avec « Force de la nature » (Toronto Star) et
Théoricien de la musique et composi- « artiste ayant des choses extraordinaires
Sandeep Bhagwati (musique), Noah Drew
teur, Robert Hasegawa a rejoint l’École de à raconter » (The Globe and Mail), Teiya
(théâtre) et David Howes (anthropologie).
musique Schulich de l’Université McGill a interprété divers rôles opératiques
en 2012, après avoir enseigné à la Eastman contrastés, incluant Madame Butterfly
Emily Doolittle
School of Music et à l’Université Harvard. (Windsor Symphony), Fata Morgana (Aalto-
Emily Doolittle est une compositrice et Ses intérêts de recherche incluent le spec- Essen Musiktheater), la Reine de la nuit
chercheuse née au Canada et installée à tralisme, la microtonalité, la musique (Vancouver Opera, Edmonton Opera) et
Glasgow, dont la musique a été décrite expérimentale, l’histoire de la théorie plusieurs autres rôles auprès de Tapestry
comme étant « magistrale » (Musical musicale et la psychoacoustique. Ses pro- Opera et de la Canadian Opera Company.
Toronto), « éloquente et efficace », et jets récents comprennent des études de Dans le cadre de sa pratique artistique,
capable « d’aller droit au cœur » (The la musique de Gérard Grisey et de Tristan Teiya explore les intersections de l’identité
WholeNote). Ses activités récentes incluent Murail, un article sur la théorie atonale à travers l’opéra, le théâtre, l’électronique
la création de Reedbird, œuvre comman- pour le New Grove Dictionary of Music and et le taiko, perturbant et réimaginant le
dée et interprétée par l’Orchestre sympho- Musicians, un chapitre sur l’intonation juste canon opératique à travers ses œuvres The
nique de Vancouver (2019) ; des exécutions pour le volume Théories de la composition butterfly project  (Confluence Concerts),
de son opéra de chambre Jan Tait and musicale au xx e siècle et des applications de 夜 Yoru (en développement) et The queen
the Bear par l’Ensemble Thing, dans le la théorie transformationnelle à l’analyse in me (Amplified Opera, Nightwood, Theatre
cadre de la vitrine Made in Scotland, au de la musique microtonale de Hans Zender Gargantua). Teiya cofonde également
Festival Fringe d’Édimbourg ; ainsi que la et Georg Friedrich Haas. Amplified Opera, une initiative apportant
première de Bowheads, pièce comman- au Canada une « injection de […] créativité
dée par le Chamber Music Scotland à Symon Henry et de politiques d’inclusivité » (barczablog)
l’intention du Trio Kapten (2019). Elle est au secteur opératique.
Athenaeum Research Fellow et chargée La pratique artistique de Symon Henry se
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

de cours en composition au Conservatoire fonde sur l’interaction de trois axes majeurs


Maxime McKinley
royal d’Écosse. dans ses créations, à savoir la musique de
concert, les arts visuels et la poésie. Cette Compositeur, Maxime McKinley a étu-
démarche transdisciplinaire se reflète tout dié à Montréal avec Michel Gonneville
Fanny Gribenski
particulièrement dans ses tableaux sonores et Isabelle Panneton avant de se perfec-
Ancienne élève de l’ens de Lyon, agrégée – partitions graphiques instrumentales ou tionner à Paris auprès de Martin Matalon
de musique et diplômée du Conservatoire performatives, interprétées ici et ailleurs et Gérard Pesson. Il a reçu les prix Opus
de Paris en histoire de la musique et en par des musicien.ne.s et artistes aux par- « Compositeur de l’année » (2014) et
esthétique, Fanny Gribenski est chargée cours aussi sinueux que possible. Son pre- « Article de l’année » (2015), le prix d’Europe
de recherche cnrs à l’Ircam. Elle a sou- mier recueil de poésie, son corps parlait de composition (2009), ainsi que onze prix
tenu en 2015 une thèse de doctorat à pour ne pas mourir, ainsi que son premier au Concours des jeunes compositeurs de la
l’ehess qui a servi de point de départ à livre de partitions graphiques, voir dans Fondation Socan (2003-2011). Ses œuvres
10 0

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sont jouées régulièrement au Canada et ail- Anthony R. Green Sébastien Sauvageau
leurs dans le monde, par plusieurs solistes,
Anthony R. Green (il/lui) est un compo- Sébastien Sauvageau (1990) est com-
ensembles et orchestres renommés. Il a été
siteur, interprète et artiste de justice positeur et guitariste. Il obtient un bac-
compositeur en résidence à la Chapelle his-
sociale dont les nombreux projets créa- calauréat en composition de l’Université
torique du Bon-Pasteur de septembre 2011
tifs et pédagogiques ont été présen- de Montréal (2014), sous les conseils de
à mai 2014 et terminait, en 2016, la réali-
tés dans plus de 25 pays, en des lieux François-Hugues Leclair. Il entreprend
sation d’un projet de recherche-création
tels que le Jordan Hall (Boston), Tivoli de poursuivre sa formation par-delà les
portant sur la poésie de Philippe Beck
Vredenburg (Utrecht, Pays-Bas), la Spike sentiers battus des institutions d’ensei-
à la Chaire de recherche du Canada en
Gallery (Berlin), le Conservatoire de gnement, notamment auprès du compo-
esthétique et poétique, avec le soutien du
musique d’Israël (Tel-Aviv), The Shoe siteur et pianiste suisse Nik Bärtsch, qu’il
Fonds de recherche du Québec (frqsc).
Factory (Nicosie, Chypre), et au Symphony considère comme un mentor. Sauvageau
Ses textes ont paru dans diverses revues,
Space, au Spectrum et au Marian Anderson a établi sa musique au confluent de la
notamment Circuit, musiques contem-
Hall (New York), entre autres. Green – qui musique de création contemporaine,
poraines, dont il est le rédacteur en chef
a été McKnight Visiting Composer – a été du jazz et de la musique traditionnelle.
depuis 2016. En 2017, ses échanges avec
invité à prendre part à de nombreuses rési- En 2015, il fonde le groupe jazz et « avant-
le compositeur Pascal Dusapin (corres-
dences aux États-Unis et en Europe. Il est trad » l’Oumigmag avec lequel il produit
pondance et entretiens) ont été publiés
également cofondateur et directeur associé deux disques (Territoire, 2017, et Habitant,
aux Presses universitaires du Septentrion.
de Castle of our Skins (Boston), une série 2019). Depuis quelques années, il multiplie
Depuis 2017, il enseigne occasionnellement
éducative de concerts vouée à la célébra- les collaborations nouant les disciplines :
au Conservatoire de musique de Montréal.
tion de la musique des artistes noir.e.s. avec l’ensemble vocal Kô, sur un texte de
la poétesse innue Joséphine Bacon (Tu es
Luke Nickel
Martine Rhéaume musique, 2015) ; ensuite, avec l’Oumigmag,
Luke Nickel (1988) est un compositeur l’écrivaine Isabelle Miron et l’artiste-impri-
Martine Rhéaume est éditrice et rédac-
canadien ayant remporté divers prix, meur Guillaume Martel LaSalle (L’Estran,
trice marketing dans les domaines de la
concepteur de montagnes russes vir- 2019-2021) ; enfin, avec le contrebassiste
diversité et de l’apprentissage. Détentrice
tuelles et chercheur indépendant vivant Stéphane Diamantakiou (Les Anses réso-
d’un diplôme d’études supérieures spé-
présentement à Bristol, au Royaume- nantes, 2019-2022). En 2020, il cofonde
cialisées en communication marketing
Uni. Le travail de Nickel prend la forme Corne de brume, un organisme voué à la
(hec  Montréal, 2016), elle obtenait,
d’œuvres de musique expérimentale, de création musicale établi dans la région de
en 2013, le titre de docteur en musico-
vidéos et de montagnes russes virtuelles Lanaudière.
logie pour une thèse portant sur le style
impossibles. Sa démarche noue les thé-
de Claude Vivier, dirigée par Jean-Jacques
matiques de la mémoire, de la transcrip- Danielle Shlomit Sofer
Nattiez et financée par le crsh (Université
tion, de la traduction, de l’identité queer
de Montréal). Chargée de cours à l’Univer- Doctorat en musicologie (Universität für
et de la gravité. Il a collaboré avec des
sité de Montréal, au Cégep Sainte-Foy et Musik und darstellende Kunst Graz), maî-
solistes et des ensembles de chambre de
au Collège Lionel-Groulx de 2007 à 2010, trise en histoire et théorie de la musique
partout à travers le monde, tels que Mira
elle prend conscience, au contact de ses (Stony Brook University) et maîtrise en
Benjamin, Heather Roche, le Quatuor
étudiant.e.s, de la passion qui l’anime interprétation du piano (Binghamton
Bozzini et exaudi. Dans Experimental
pour la conception et la création d’univers University). Directrice générale du groupe
Music Since 1970 (Bloomsbury, 2016),
d’enseignement centrés sur l’apprenant.e. d’étude sur la musique lgbtq+. Thèmes de
Jennie Gottschalk affirme que sa musique
Elle agit ensuite à titre d’éditrice et de recherche liés à la musique électroacous-
présente une « âpreté inhabituelle ». En
conceptrice pour les cégeps et les univer- tique et au genre, à la sexualité, à la justice
plus de se consacrer à ses projets créatifs,
sités, ainsi que pour la renommée maison sociale, à la philosophie, à l’esthétique, aux
Nickel a obtenu un doctorat de la Bath Spa
d’édition Chenelière Éducation de 2011 études sonores des xx e et xxi e siècles, à
University et publie activement des textes
à 2016. Depuis, sa carrière l’a menée chez l’éthique et aux préjugés sociotechniques
consacrés à la musique expérimentale de
C2 Montréal, GSoft et L’effet A. Recherchée dans la musique, et à une série de sujets

les auteurs.trices
transmission orale, à Éliane Radigue et
pour sa plume directe et facile d’approche, relevant de la théorie et de l’analyse de la
aux montagnes russes. Nickel a également
elle collabore notamment avec l’Orchestre musique. Ces thèmes sont largement abor-
cofondé le festival Cluster : New Music +
Métropolitain et Tourisme Montréal dés dans une monographie à venir, intitu-
Integrated Arts (Winnipeg, Manitoba), qui
depuis 2017. lée Making Sex Sound : Vectors of Difference
en est à sa douzième saison.
in Electronic Music (Cambridge, mit Press,
2021), le premier livre à explorer la sexua-
lité dans la musique électronique.

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Mathieu Laca, Michel Tremblay, 2018. Huile sur lin, 122 x 122 cm. Collection privée.

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Résumés/Abstracts

Danielle Sofer their ability to pinpoint evidence of sex acts, pleasure,


Le sexe comme champ d’investigation : or satisfaction. Centering on sonic experience and per-
réévaluer les outils et techniques d’analyse ception, this article challenges the common trope of
de la musique contemporaine the disembodied and disinterested music theorist by
La musique a souvent servi de vecteur d’expression proposing that, rather than neglecting sexual discourses,
sexuelle. Mais dans un contexte musical saturé par like-minded music theorists have instead established
de nombreux phénomènes sonores, les outils d’ana- a veritable field founded on the commonly-held belief
lyse musicale peuvent être limités dans leur capacité that sex and music are (in some cases) interchangeable.
à mettre en évidence des actes sexuels, le plaisir ou The article proposes that the meta-theorization of these
la satisfaction. Centré sur l’expérience et la percep- engagements constitutes a discursive “social epistemo-
tion sonore, cet article remet en question le discours logy” thereby positioning such diverse contributions as
commun du théoricien de la musique désincarné part of the core music-theoretical “standard” of what
et désintéressé. Il est y proposé que, plutôt que de was once called “mainstream music theory.”
négliger les discours sexuels, certains théoriciens de la Keywords: Diversity, masculinity, music theory, ori-
musique partageant les mêmes idées ont plutôt établi entation, queer.
un véritable champ fondé sur la conception commune
selon laquelle le sexe et la musique sont (dans certains Mar tine Rhéaume
cas) interchangeables. L’article propose que la méta- « Je ne m’apitoie plus sur le fait » :
théorisation de ces prises de position constitue une homosexualité et engagement identitaire
dans les écrits et prises de parole de Claude
« épistémologie sociale » discursive, positionnant des
Vivier
contributions très diverses comme faisant partie de
la « norme » musicale fondamentale de ce que l’on En 1991, la revue Circuit consacre son numéro double
appelait autrefois la « théorie musicale dominante ». du volume  2 au compositeur Claude Vivier  (1948-
Mots clés : Diversité, masculinité, théorie musicale, 1983), dont la majeure partie est constituée de ses
écrits, remontant jusqu’à son adolescence. Mais alors

résumés/abstracts
orientation, queer.
que l’artiste s’identifiait ouvertement comme homo-
Specters of Sex: Tracing the Tools and sexuel, le thème est pratiquement absent des catégories
Techniques of Contemporary Music Analysis d’écrits sélectionnés. Cet article se penche d’abord sur
Music has often served as a vehicle for sexual expression. les choix éditoriaux qui ont présidé à l’édition de ses
But within a musical context saturated with many sonic écrits, puis sur leurs conséquences sur la perception
phenomena, music-analytical tools can be limited in du personnage Claude Vivier et de son style musical, 103

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en souhaitant attirer l’attention sur d’autres prises de Tamara Bernstein
parole publiques et privées du compositeur, dans les- « N’est-ce pas la vie, en quelque sorte :
quelles ces aspects sont mis de l’avant, notamment tenter de s’accommoder de la dissonance ? »
sa correspondance et ses esquisses, disponibles en Réflexions sur le lesbianisme, la vie et la
archives. En offrant des liens avec les queer studies et
musique d’Ann Southam
le traitement de l’homosexualité de Tchaïkovski, la La compositrice canadienne Ann Southam (1937-2010)
personnalité et le style de Vivier seront éclairés d’un était une féministe fière, franche et généreuse qui a
éventail plus large de ses propos. relevé des similitudes entre le féminisme et le lan-
Mots clés : Claude Vivier, musique contemporaine, gage musical minimaliste qu’elle a développé à la fin
queer, écrits, esquisses. des années 1970. Cependant, Southam était aussi très
soucieuse de sa vie privée ; ce n’est que vers la fin de
“I No Longer Feel Sorry for the Fact”:
sa vie qu’elle a commencé à parler publiquement de
Homosexuality and Identity Commitment in
the Writings and Speeches of Claude Vivier son homosexualité. La journaliste musicale Tamara
Bernstein, amie de la compositrice, évalue les mérites
In 1991, the journal Circuit devoted its double issue of
de se concentrer sur cet aspect de la vie de Southam :
volume  2 to the composer Claude Vivier  (1948-1983),
l’ouverture avec laquelle elle parle, dans ses derniers
most of which is made up of his writings, some of which
entretiens, de la difficulté du passage à l’âge adulte
dating back to his adolescence. But while the compo-
en tant que lesbienne dans les années 1950 ; le fait que
ser openly identified himself as gay, the theme is vir-
son ultime échange à ce sujet soit toujours inédit à ce
tually absent from the selected categories of writing.
jour ; l’importance de se rappeler que les droits des
This article first examines the editorial choices that
personnes lgbtq n’ont été pleinement inscrits dans la
presided over the publication of his writings, and their
législation canadienne que récemment. Enfin, en plus
consequences on the perception of Claude Vivier’s per-
d’un avertissement contre les dangers de tomber dans
sona and musical style, wishing to draw attention to
le réductivisme et sans perdre de vue que Southam a
other public and private discourses of the composer in
trouvé son inspiration musicale dans d’autres sources
which these aspects are put forward, such as his cor-
(par exemple, la nature), l’autrice suggère des façons
respondence and sketches, which are available in the
dont les difficultés de Southam relativement à une
archives. By offering links to the queer studies and the
identité sexuelle considérée comme « dissonante » ont
treatment of Tchaikovsky’s homosexuality, Vivier’s per-
pu transparaître dans sa musique.
sonality and style will be informed by a broader range
Mots clés : Ann Southam, compositrices cana-
of his discourses.
diennes, minimalisme en musique, musique et fémi-
c i r c u i t v o lu m e 31 n u m é r o 1

Keywords: Claude Vivier, contemporary music,


nisme, compositrice lgbtq.
queer, writings, sketches.
“Isn’t That Life, in a Way: Trying to
Accommodate Dissonance? ” Reflections on
Lesbianism and the Life and Music of Ann
Southam
Canadian composer Ann Southam  (1937–2010) was a
proud, outspoken, and generous feminist who found
10 4 affinities between feminism and the minimalist musical

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language she developed in the late 1970s. At the same lement comme identité, mais aussi comme une forme
time, Southam was a very private person; it was only d’épistémologie artistique.
towards the end of her life that she began to speak on Mots clés : Queer, musique nouvelle, intersection-
record about being gay. Music writer Tamara Bernstein, nalité, diversité, identité.
a friend of the composer, weighs the merits of focus-
Queer Perspectives in New Music
sing on this side of Southam’s life: the willingness with
which Southam spoke in her final interviews about the This collection of texts investigates how queerness
difficulty of coming of age as a lesbian in the  1950s, manifests in contemporary new music practices. Six
and the fact that material related to this from her final contributions by queer artists (Annette Brosin, Anthony
interview has not been published until now; the impor- R. Green, Luke Nickel, Emily Doolittle, Symon Henry
tance of remembering how recently lgbtq rights were and Teiya Kasahara  笠原 貞野) are framed by an
fully enshrined in Canadian law. Finally, alongside a introduction and conclusion by Gabriel Dharmoo.
caveat about the dangers of reductivism, and remin- Dharmoo’s definition of queerness expands beyond
ders that Southam found musical inspiration in other sexual orientation and gender identity; it entertains the
sources (e.g., nature), the author suggests ways in which notion of queerness as an anti-assimilationist stance
Southam’s struggles with a sexual identity considered that defies normalcy, breaks down binaries and reveals
“dissonant” may have found their way into her music. the wideness of spectrums. As each statement illumi-
Keywords: Ann Southam, canadian composers, mini- nates how a marginalized experience as queer can
malism in music, feminism and music, lgbtq composers. profoundly inform ways of conceptualizing, creating,
disseminating and understanding artistic output, this
Gabriel Dharmoo range of perspectives aims to broaden our understanding
Perspectives queers en musique nouvelle of queerness not only as an identity, but also as an artis-
Cette collection de textes examine la façon dont la tic epistemology in and of itself.
notion du queer se manifeste dans différentes pratiques Keywords: Queer, new music, intersectionality, diver-
en musique de création contemporaines. Six contribu- sity, identity.
tions par des artistes queers (Annette Brosin, Anthony
R.  Green, Luke Nickel, Emily Doolittle, Symon Éric Champagne
Henry et Teiya Kasahara 笠原 貞野) sont enca­drées De l’expression d’un désir gay et du
d’une introduction et d’une conclusion de Gabriel queer dans l’opéra contemporain : le cas
Dharmoo. L’auteur définit le queer au-delà de l’orien- d’Elia (2004) de Silvio Palmieri
tation sexuelle et de l’identité de genre ; il envisage une Avec son opéra de chambre Elia  (2004), le composi-
queerness anti-assimilationniste qui défie la normalité, teur Silvio Palmieri (1957-2018) fait figure de précurseur
interroge la binarité et dévoile la largeur des spectres dans la représentation de l’homosexualité sur les scènes

résumés/abstracts
identitaires. Chaque témoignage illustre la façon dont lyriques : pour la première fois dans un opéra québécois,
une expérience queer et marginale peut profondément des personnages gays expriment leur condition et leur
influencer les façons de conceptualiser, créer, diffu- désir. Dans un contexte où la représentation des réalités
ser et comprendre la production propre à ces artistes. queers au sein du genre opératique est de plus en plus
Grâce à un éventail de perspectives, l’article cherche à courante et explicite, cette analyse examine les stratégies
élargir notre compréhension de la queerness, non seu- créatrices qui permettent à Palmieri d’exprimer dans 105

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son œuvre un désir homosexuel, mettant en lumière homosexuality on the operatic stage: for the first time in
les choix dramatiques et musicaux qui contribuent à a québécois opera, gay characters express their condi-
l’incarnation de cette notion de désir et, plus largement, tion and desire. In a context where the representation of
les attributs queers de cette proposition artistique. queer realities within the operatic genre is increasingly
Mots clés : Silvio Palmieri, opéra québécois, homo- common and explicit, this analysis examines the creative
sexualité à l’opéra, désir gay/queer, lgbtq+. strategies that allow Palmieri to express a homosexual
desire in his work, highlighting the dramatic and musi-
Expressing gay and queer desire in cal choices that contribute to the embodiment of this
contemporary opera: the case of Elia (2004) notion of desire and, more broadly, the queer attributes
by Silvio Palmieri
of this artistic proposal.
With his chamber opera Elia  (2004), composer Silvio Keywords: Silvio Palmieri, québécois opera, homo-
Palmieri (1957-2018) is a pioneer in the representation of sexuality at opera, gay/queer desire, lgbtq+.
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10 6 Mathieu Laca, Francis Bacon ii, 2016. Huile sur lin, 107 x 137 cm. Collection privée.

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  numéros déjà parus :
 vol. 1, no 1 (1990) Postmodernisme (épuisé)
 vol. 1, no 2 (1990) Montréal Musiques Actuelles
 vol. 2, nos 1-2 (1991) Claude Vivier (épuisé)
 vol. 3, no 1 (1992) Boulez au Canada : portrait d’impact
 vol. 3, no 2 (1992) Opéra ? Gauvreau, Provost, Kagel
 vol. 4, nos 1-2 (1993) Électroacoustique-Québec : l’essor
 vol. 5, no 1 (1994) Gilles Tremblay : réflexions
musiques contemporaines 

vol. 5, no 2 (1994) Espace Xenakis
vol. 6, no 1 (1995) Tremblay/Varèse/Messiaen
CIRCUIT a été fondée en 1989 à l’initiative de Lorraine Vaillancourt, fon-  vol. 6, no 2 (1995) Musique actuelle ?
 vol. 7, no 1 (1996) Ruptures ?
datrice et directrice artistique du Nouvel Ensemble Moderne (en r­ ésidence  vol. 7, no 2 (1996) Serge Garant
à l’Université de Montréal), et de Jean-Jacques Nattiez (musicologue à la  vol. 8, no 1 (1997) Autoportraits : Montréal, l’après 1967
Faculté de musique de cette même université), son premier rédacteur en  vol. 8, no 2 (1997) Québecage
 vol. 9, no 1 (1998) L’air du temps
chef. La revue publie en français et en anglais des ­articles, des documents  vol. 9, no 2 (1998) Carte blanche à Bouliane et Rea
et des dossiers sur la musique contemporaine qui se fait au Québec, en  vol. 10, no 1 (1999) Québec : génération fin de siècle
Amérique du Nord et ailleurs. Conçue à la fois comme une revue d’art et un  vol. 10, no 2 (1999) Les racines de l’identité
 vol. 11, no 1 (2000) Analyses
instrument de réflexion esthétique, elle s’adresse à tous ceux qui se ­sentent  vol. 11, no 2 (2000) Le quatuor à cordes selon Schafer
concernés par les enjeux de la création musicale et artistique contempo-  vol. 11, no 3 (2001) Perceptions
raine. Résumés en français et en anglais. La revue paraît trois fois par année.  vol. 12, no 1 (2001) Henri Pousseur : visages
 vol. 12, no 2 (2002) Opéra aujourd’hui
 vol. 12, no 3 (2002) La route de soi
Abonnements:  vol. 13, no 1 (2002) L’électroacoustique : à la croisée des chemins ?
 vol. 13, no 2 (2003) Qui écoute ? 1
Circuit, musiques contemporaines  vol. 13, no 3 (2003) Électroacoustique : nouvelles utopies
Faculté de musique – Université de Montréal,  vol. 14, no 1 (2003) Qui écoute ? 2
C.P. 6128 succ. Centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3J7  vol. 14, no 2 (2004) Montréal/Nouvelles Musiques
 vol. 14, no 3 (2004) Frank Zappa : 10 ans après (épuisé)
Tél.: (514) 343-6388 • Courriel : info@revuecircuit.ca  vol. 15, no 1 (2004) Interpréter la musique (d’) aujourd’hui
Pour la vente au numéro, voyez votre libraire habituel ou visitez :  vol. 15, no 2 (2005) Carte d’identités
 vol. 15, no 3 (2005) Souvenirs de Darmstadt
www.revuecircuit.ca  vol. 16, no 1 (2005) Écrire l’histoire de la musique du xxe siècle
 vol. 16, no 2 (2006) Musique de création et jeunes publics
 vol. 16, no 3 (2006) À musique contemporaine, supports contemporains ?
L’abonnement inclut tous les numéros du volume choisi.  vol. 17, no 1 (2007) Le génome musical
 vol. 17, no 2 (2007) Plein sud : avant-gardes musicales en Amérique latine au xxe siècle
Veuillez m’abonner à CIRCUIT  vol. 17, no 3 (2007) Musique in situ
 vol. 18, no 1 (2008) La fabrique des œuvres
 vol. 30, 1-3 (2020)  vol. 31, 1-3 (2021)  vol. 32, 1-3 (2022)  vol. 18, no 2 (2008) Postiches et mélanges
 vol. 18, no 3 (2008) Claude Vivier, 25 ans après : une introspection
 vol. 19, no 1 (2009) Composer au féminin
 vol. 19, no 2 (2009) Stockhausen au Québec
Nom (signataire de la carte)  vol. 19, no 3 (2009) Pionniers canadiens de la lutherie électronique
 vol. 20, nos 1-2 (2010) La musique contemporaine d’hier à demain
 vol. 20, no 3 (2010) Gilles Tremblay, ou le plain-chant contemporain
Adresse  vol. 21, no 1 (2011) Du spirituel dans l’art ?
 vol. 21, no 2 (2011) Musiciens sans frontières
 vol. 21, no 3 (2011) Musique automatiste ? Pierre Mercure et le Refus global
Pays Code postal  vol. 22, no 1 (2012) Arts de la synchronisation
 vol. 22, no 2 (2012) Glenn Gould et la création
 vol. 22, no 3 (2012) Viva la musica ! Ana Sokolović
Courrier électronique  vol. 23, no 1 (2013) La musique des objets
 vol. 23, no 2 (2013) Préservation du patrimoine culturel contemporain
 vol. 23, no 3 (2013) Géométries durables : pour les 25 ans du Nouvel Ensemble Moderne
Téléphone  vol. 24, no 1 (2014) Denis Gougeon en six thèmes
 vol. 24, no 2 (2014) La recherche musicale : aux croisements de l’art et de la science
 Chèque ci-joint  Mandat postal  vol. 24, no 3 (2014) Pactes faustiens : l’hybridation des genres musicaux après Romitelli
 vol. 25, no 1 (2015) Contenir le sonore : les nouveaux profils de la notation
 Visa  Mastercard  vol. 25, no 2 (2015) Empreintes écologiques
 vol. 25, no 3 (2015) Tzadik : l’esthétique discographique selon John Zorn
 vol. 26, no 1 (2016) John Rea : une masquographie raisonnée
No Date d’expiration  vol. 26, no 2 (2016) Commander une œuvre : mécanismes et influences
 vol. 26, no 3 (2016) Musiques aux limites de l’image/Images at the Limits of Music
 vol. 27, no 1 (2017) Réflexions sur le métier de compositeur : identité et singularités
 vol. 27, no 2 (2017) Souvenirs du futur : pour les 50 ans de la smcq
Canada/USA Autres pays  vol. 27, no 3 (2017) Illusions polyphoniques : José Evangelista et l’hétérophonie
 vol. 28, no 1 (2018) De nouvelles racines pour une musique nouvelle ?
Numéro simple 18 $ CA 28 $ CA Perspectives transtraditionnelles et transculturelles
 vol. 28, no 2 (2018) Instrumentarium baroque : précédence et créativité
Abonnement*  vol. 28, no 3 (2018) Engagements sonores : éthique et politique
 vol. 29, no 1 (2019) Pascal Dusapin : la parallaxe des voix
Individus 45 $ CA 60 $ CA  vol. 29, no 2 (2019) Les voies de la pansonorité : la musique microtonale d’hier
Institutions 87 $ CA 114 $ CA à aujourd’hui
 vol. 29, no 3 (2019) Bozzini, Molinari, Quasar : trio de quatuors
Étudiants et membres 33 $ CA 50 $ CA  vol. 30, n 1 (2020) Art + son = art sonore ?
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de l’UNEQ et de la FAMEQ  vol. 30, no 2 (2020) Le continuum de l’improvisation


 vol. 30, no 3 (2020) Barbara Hannigan : les voix multiples
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