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Imaginer l’avenir
Scènes / livres / cinéma
politiques culturelles
Avec la Scène de recherche de l’ENS Paris-Saclay
l’urgence des arts
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directrice du théâtre de La Criée, à Marseille : les
invités réunis pour débattre de l’urgence des arts
sentent-ils le danger ? La distance qui s’accroît
entre manifestations artistiques et besoins immé-
diats du citoyen creuse le gouffre entre spectateurs
et créateurs. « Nous avons survécu sans spectacle
vivant, donc il faut se poser la question : à quoi ça
sert ? » a demandé Volny Fages. En guise de réponse,
pas de tirade sur l’essentiel et l’inessentiel. Mais des
approches précises, des réflexions à l’échelle du
quartier ou de l’individu.
Face à la pandémie, brasser du rêve ne suffit
plus. S’il veut survivre, le spectacle vivant doit s’ou-
vrir. « Faire de la broderie » avec le public, qu’il soit
urbain, banlieusard ou rural, diplômé ou ouvrier,
jeune ou âgé, selon Macha Makeïeff. Solliciter les
associations, les maisons de quartier, les crèches,
l’Éducation nationale. Intégrer à ses processus cet
outil contemporain qu’est le numérique. Accueillir
les créateurs émergents, les compagnies précaires,
les jeunes, quitte à « pousser les murs des établisse-
ments subventionnés à la recherche de temps et de
moyens », revendiquait Dominique Hervieu.
L’institution doit se décloisonner et renoncer à
ses hégémonies. L’avenir se gagnera par davantage
de mixité (des publics, des disciplines, des pra-
tiques, des maisons). Pourquoi, suggérait Clément
Mao-Takacs, « ne pas imaginer des concerts à la
Comédie-Française » ? Pourquoi ne pas en finir avec
Débat scènes le règne des vitrines prestigieuses (de l’Opéra de
RECHERCHE PUBLIC
Paris à la Philharmonie) ? Pourquoi ne pas inventer,
loin de Paris, une autre capitale artistique pour « ré-
DÉSESPÉRÉMENT
veiller l’émulation » ? proposait Macha Makeïeff.
Pourquoi ne pas jouer dans les salles des quelque
mille trois cents tiers lieux qui peuplent l’hexa-
À l’injustice de l’arrêt des spectacles vivants gone ?, concluait Volny Fages.
doivent répondre hybridation, mutualisation, Le moment est venu de rebattre les cartes pour
retrouver du souffle. « Nous sommes des utopistes,
partage : toutes les formes de la solidarité. nous nous disons qu’on va améliorer ce qui existait en
considérant que ça va aller de soi. Mais ça ne va pas
Animé par Emmanuelle Fermeture des théâtres, des musées, des cinémas de soi. Et c’est sur cette nuance que nous devons
Bouchez. Avec Alex jusqu’à une date indéterminée. Lors de la rencontre construire », a pronostiqué Clément Mao-Takacs.
Beaupain, Clément
Mao-Takacs, Dominique organisée le 13 décembre par Télérama, le Théâtre Hybridation, mutualisation, partage : la solida-
Hervieu, Macha Makeïeff de la Ville et la Scène de recherche de l’ENS Paris- rité doit l’emporter dans un contexte sanitaire
et Volny Fages (de gauche Saclay, l’heure n’était pas à la plainte. Mais au où tendre physiquement la main à l’autre est pros-
à droite et de haut en bas).
constat navré de l’injustice de cet arrêt imposé aux crit. Alors que les politiques les aident matérielle-
artistes alors que, soulignait l’auteur-compositeur- ment mais les oublient symboliquement, les
Jean-François Robert pour Télérama
interprète Alex Beaupain, « les lieux de culte sont artistes en appellent à celui dont leur besoin est
ouverts » et que, renchérissait le pianiste et chef décuplé : le public. — Joëlle Gayot
d’orchestre Clément Mao-Takacs, « il y a foule dans
les grands magasins. »
Alex Beaupin, auteur-compositeur-interprète,
Clément Mao-Takacs, chef d’orchestre, Volny
Fages, sociologue, chercheur à l’ENS Paris-Saclay,
Dominique Hervieu, directrice de la Biennale et de
la maison de la Danse à Lyon, Macha Makeïeff,
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l’urgence des arts
LA LITTÉRATURE, entre
l’inspiration : « La formation à l’américaine, type
creative writing, n’a pas à être regardée de haut alors
tension et résilience
que toutes les autres disciplines en passent par l’acqui-
sition d’une technique. » Plus pragmatique, Jakuta
Alikavazovic imaginait l’affiliation de l’auteur au
Symbole de la liberté de penser, régime intermittent, histoire d’assurer un revenu à
le livre a besoin autant des futurs ce travailleur qui, déplorait Régine Hatchondo,
ignore trop souvent qu’existe pour lui un arsenal
auteurs que de leurs lecteurs. d’aides financières.
Tout doit être mis en œuvre pour sauver le futur
La Peste, de Camus : best-seller 2020 ? Son éditeur Animé par Nathalie Crom. Marcel Proust. Parce que, témoignait Carine Karachi,
doit se frotter les mains. En revanche les écrivains Avec Régine Hatchondo, la liberté de penser (donc la lecture) est essentielle
Jean-François Robert pour Télérama
Manuel Carcassonne,
en herbe, les romanciers confidentiels, les auteurs Carine Karachi, Emmanuel à l’homme. Cette neurochirurgienne sait de quoi
étrangers font grise mine. Car si la pandémie a Carrère et Jakuta elle parle. « Je soigne des malades atteints de mala-
épargné les ténors de la littérature, elle n’a pas été Alikavazovic (de gauche dies du mouvement. Alors qu’ils sont enfermés dans
à droite et de haut en bas).
aussi clémente avec ceux que l’éditeur Manuel leurs corps, il ne leur reste que la liberté de penser. Le
Carcassonne appelle « les auteurs de la diversité. » livre symbolise cette liberté absolue. » — J. G.
Les participants au second débat de L’Urgence
des arts (Manuel Carcassonne, auteur et éditeur,
Jakuta Alikavazovic, romancière et traductrice,
Emmanuel Carrère, auteur, Régine Hatchondo
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Débat politiques culturelles
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l’urgence des arts
Débat écrans
LE COMBAT DE DAVID
contre GOLIATH
La concurrence entre les écrans autant
que la saturation de l’offre obligent à une
adaptation compliquée.
Qui veut la peau du cinéma français ? Lors du der-
nier débat, le suspense est monté en puissance avec
Marie-Christine Bordeaux, spécialiste de la média-
tion culturelle, Caroline Bonmarchand, productrice,
Manuel Chiche, producteur, Michel Leclerc, réalisa-
teur et scénariste et Axelle Ropert, scénariste et réa-
lisatrice. Et un intrus : le Covid-19 qui a expédié les
spectateurs devant écrans et plateformes. Ce reflux
vers le numérique pourrait, demain, renvoyer à la
préhistoire la fréquentation des salles de cinéma.
Un système économique, des pratiques profes-
sionnelles pointues, des vocations humaines et
une exigence artistique sont menacés. La désertion
des jeunes qui font le choix de sites Internet où
abondent blockbusters et séries n’a rien d’encoura-
geant. « Le public va-t-il revenir ? » s’interrogeait
Marie-Christine Bordeaux. Il reviendra, répondait
Michel Leclerc, parce que « s’asseoir dans le noir à
côté d’inconnus, c’est un besoin et un rituel. » Certes,
mais qui, en 2021 ? « Un public qui vieillit », rétorquait
Manuel Chiche. D’où l’urgence : « Il faut le renouveler
si l’on veut que la salle de cinéma perdure. »
Le milieu s’ajuste au réel. La « diversité de l’offre
cinéphile française » revendiquée par Caroline Animé par Marie Sauvion. Au moment même où ils basculent dans la jungle
Bonmarchand suffira-t-elle à remplir les salles obs- Avec Axelle Ropert, du tout-numérique, les intervenants ont invoqué
Michel Leclerc, Caroline
cures ? Rien n’est moins sûr. Pour sauvegarder les Bonmarchand, Marie- l’artisanat de leur métier pour mieux le protéger de
films d’auteur, chacun a mis l’accent sur l’exception Christine Bordeaux et son industrialisation. Ils ont pourtant à négocier
culturelle française. Qui découle d’une suite de Manuel Chiche (de gauche avec « la saturation de propositions culturelles sous
à droite et de haut en bas).
processus : créativité artistique, qualité de la réali- lesquelles croulent les jeunes générations » (Marie-
sation, éclectisme des propositions, ronde des pro- Christine Bordeaux), « l’embouteillage attendu des
ducteurs, des distributeurs, des communicants, sorties de films » (Manuel Chiche), et les exigences
des festivals, des critiques. Une chaîne complexe éditoriales de financeurs (comme l’audiovisuel
qui doit compter plus que jamais sur une corpora- public) qui « retoquent des scénarios inadaptés à ce
tion solidaire. « Je crois à l’incarnation d’une œuvre qu’ils pensent être leur public » (Michel Leclerc).
par l’être humain », expliquait Axelle Ropert, « Nous, Le pragmatisme a le dernier mot : « Entre chaînes
cinéastes, devons être les visages de nos œuvres. Un de télévision, diffusions en VOD, salles de cinéma,
Jean-François Robert pour Télérama
film n’arrive pas tout nu dans une salle. C’est notre plateformes numériques, nous avons une multitude
force. » Point de vue relayé par Michel Leclerc : de portes ouvertes. Il faut choisir la bonne, film par
« Nous devons multiplier les rencontres. » film. » Manuel Chiche choisit de s’adapter. — J. G.
Le film français est accompagné, soulignait
Axelle Ropert, « de pensées qui se déploient et le pro-
tègent. » Un supplément d’âme qui le distingue des
productions dont est saturé Internet. « Est-ce là
qu’émergeront les talents ? Non ! » interrogeait (et
répondait) Caroline Bonmarchand.
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Cinq engagements,
Dix propositions
Mutualiser, partager, tisser des liens, faire évoluer le désir
vers l’immatériel sont autant de pistes pour éviter
les deux écueils que sont la résignation et l’indignation stérile.
dans le chaos
différente, où l’art et la culture seront au cœur
des campus, en lien avec les associations
Projeter, au sens de la projection sur un écran, et institutions culturelles.
pour signifier le monde, faire sens dans Proposition 8 Faire entrer l’art à l’hôpital,
le chaos. Projeter pour ne pas céder à la antidote à la souffrance et à l’enfermement,
rétraction sociale, mentale et psychique, pour introduire la poésie, la musique, la littérature
appartenir à la communauté humaine et à son et la danse comme expériences sensibles
irrépressible besoin de se raconter en mots, de liberté de pensée et de mouvement.
en scènes et en images. C’est ce geste vital Prescrire des sorties culturelles. Introduire
que nous attendons des artistes. dans le cursus des étudiants en médecine
l’art et la culture, catalyseurs d’une empathie
Proposition 5 Investir dans l’accompagnement plus vive et d’une intelligence plus forte
des œuvres, leur rendre le visage et la de nos fragilités.
signature de leurs auteurs, faire un patient
et la culture
Qu’il s’agisse de films, de livres, de spectacles
ou d’expositions.
Proposition 6 Sauvegarder la diversité L’urgence est de sortir de la crise avec le moins
des petites maisons d’édition, des auteurs de dégâts possible. Les moyens sont là,
et réalisateurs émergents, des librairies exemplaires si l’on veut comparer la France
indépendantes, des artistes et techniciens, à ses voisins. Mais il faut une vision et une
qui forment le terreau de l’exception culturelle ambition. Pour la culture comme projet
française. Aller au bout des réflexions de civilisation pour la France et pour l’Europe.
engagées par le rapport Racine sur Substituer le désir de beauté, de recherche,
la précarisation des métiers de la culture. de savoir et de science au consumérisme
et au libéralisme, comme l’énonce Jack Lang.
Protéger
Mais comment ?
de la fragilité
Proposition 9 Établir une radiographie
en profondeur de la France culturelle, village
Nous sortirons de la pandémie grâce aux par village, qui pourrait déboucher sur une
vaccins. Ce ne sera jamais assez rapide, mais nouvelle donne ambitieuse, avec un
nous en sortirons. Les chiffres nous disent programme massif de commandes publiques
chaque jour la terrible réalité des absences aux cinéastes, écrivains, musiciens, artistes
autour de nous. Mais pas encore la pauvreté de la scène et des arts visuels. Investir dans la
et la misère que va susciter cette crise. création et relancer du même coup l’économie :
La déchirure du corps social est aussi une la culture joue un rôle d’entraînement bien
déchirure de l’intime. Sur cette ligne de front au-delà de son périmètre.
invisible, tous ne sont pas égaux. Ce qui doit Proposition 10 Saisir vigoureusement l’occasion
émerger d’urgence est une vraie politique précieuse de la présidence par la France
du soin et de la considération, préventive et du Conseil européen au premier semestre 2022
réparatrice. L’art et la culture y ont leur rôle. pour faire bâtir l’identité culturelle européenne.
Cela se prépare en amont et se poursuit
Proposition 7 Faire de l’art et de la culture ensuite. Un point de convergence bien ciblé :
des leviers essentiels de réintégration de réguler les plateformes des cinq géants
près de trois millions d’étudiants désocialisés, du Web qui dominent le marché du numérique
écartelés entre la pauvreté du distanciel — les Gafam (Google, Amazon, Facebook,
et le retour toujours différé au présentiel. Apple, Microsoft) — spolient les créateurs
Construire une offre culturelle et des espaces de contenus, contournent les fiscalités
de rencontre en ligne consacrés aux et nous saturent de produits anonymes pensés
communautés étudiantes, organiser des par les algorithmes.