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APOSTROPHES 21 H 30
e voulais vous le dire à vous, si
j'étais jeune, si j'avais dix-huit
ans, si je ne connaissais rien
qu'on -retrouverait plü§ tard dans_un
autre récit, Des journé~s entières dans
(es arbres (1954}; et, 14 ans a~rès, sous
le même titre, aü ,théâtre. La, c'est la
figuré de son ft:ère a~né qu'elle ress~sci
encore de la séparation entre talt sm;tout : JOueur, vqleur et aimé
les gens et la fixité quasi mathématique d'amour avelJgl~ pali sa ,mère qu'il
de cette séparation ·entre les gens, je trompait et pillmt... · ..
ferais pareillement que maintenant, je .Mère et frère sont au rend~z"vous dé
ferais les mêmes livres, le même cinéma L'Amantoli Maq~uerite :pur~s ~~Iio}Ie
(. .. ). Si j'étais morte hier je serais morte avec. une. au.to~10grapb1~ emiettee,
à dix-huit ans: Si je meurs dans dix ans je subtile .combmruson de ·mots -et de
serais morte aussi à dix-huit ans ... .» silence, d'ima~es ~t de pages blanches
avait écrit Marguerite Duras dans le ou noires. Rythme syncopé; interfé-
numéro que les Cahiers du cinéma lui rences, tép~titi~ns s'_çp~~aîn~nt' e!
ont consacré en lui donnant carte composent un pays~ge mter.1eur confie
blanche. dans uri .souffle,· telle une confidence.
Elle en a fait « Les yeux verts », une Tout l'art de Duras· e§t !à. ' -; -
succession de textes, fragments éclatés •. COmnie au'théâtre pour Ie,qùel elle a
d'une vie intérieure et d'une sensibi- ad~ptê ses propres te{Ct~$ e~ ~elJX ~·au
lité. Méditation sur son œuvre et, à trui ((:le Henry·Jamës etlparticulier),
terme, encore une œuvre. élle ménage dans .ses romans les,si-
Aujourd'hui, elle publie un superbe l~nces, ·~es b.rmts et les· musiqûe~. ' Elle
roman , L'Amant, un chapitre de sa vie joue ·aveè. les noms ~.propres . qu'elle
en Asie, juste avant qu'elle n'atteigne réj)ète.à l'üifit;li comme urie incantation
sa matunté éternelle, ses fameux dix- ou une mélopée : l'H:élène Lagonelle
huit ans, elle reprend à nouveau une de L'Amant; camaradedeclasseenfer-
histoire anèienne, la sienne, qu'elle cc JI dix-huit ah$, à qidnze airs,j'ài eu mée, plus qu'elle, dans· ce lycée de
réhabite et réinvente. ce visage prémonitoire. " . Saïgon, .Hélèné dont elle module et
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f ~
Pour Marguerite Duras, un livre est " conune la vie, ü a besoin de douleur et èle lenteur, de silence et de nuit "·
caresse le nom aérien du bout des l'écrit. On prend goût à ce malheur cette jeune· fille provocante et son
lè~res, du bout de ,la plume et du merveilleux. » · chapeau rose de garçon et ses souliers
trefonds de sa sensualité. Et, dans Pour écrire des livres, faire des films lamés, la limousine noire de L 'Amant
d 'autres textes, dans d'autres films, et monter des pièces de théâtre, elle a, chinois, les cérémonies quasi reli-
toyj~u~s ces femm~s dont, ridentit~ depuis 41 ans, joué sa santé, sa beauté gieuses:de ses amours clanaestines ...
dechiree ressemble a un poeme et qm et presque sa vie en allant au bout de ses . « Ecrire, c'est aller chercher hors de
les définit plus et mieux qu'une photo- désirs , de ses passions, de ses déses- soi ce qui est déjà au-dedans de soî »,
graphie : Aurelia Steiner, Anne-Marie poirs et de sa création. Tou tau long du écrit-elle, d'où cette manière si particu-
Stretter. .. et les autres. chemin, l'al.c ool en. guise de béquille lière, si « durassienne » de reprendre,
Pour Marguerite Duras, pourtant, d'abord, pms d'habitude et de pmson . un récit, une idée, un souvenir, un
l'exotique, le frivole, l'extériorité, Entre La Maladie de la mort (1982) et personnage, un lien. D 'où ce travail si
n'existent pas, tout doit être saisi de Théâtre III et L'Amant (1984), il y eut spécifique du mot et de l'image: un
l'intérieur. Un livre c'est la vie, et, le naufrage , et le difficile sauvetage de livre sera à la fois texte, pièce de théâtre
«comme la vie, il a besoin de toutes les la désintoxication avec ses gouffres de et film sans que jamais le bégaiement
contraintes, d'étouffement, de douleur, démence et ses relents d'au-delà, Et nuise à la création, parce que créer est
detenteur, de souffrances, d'entraves de puis, ce retour presque étouffé à la vie , «une demande d'amour ». L'écriture
toutes sortes, de silence et de nuit. Il en a elle-même: visage détruit qu'elle est, chez Marguerite Duras, l'expres-
passe d'abord par l~ dégoût .de nqître, contemple dans un miroir, à travers sion dU désir et comme elle le dit de la
l'horreur de grandtr, de votr le JOUr. lequel elle retrouve la voix ancienne de trahison à l'égard de l'amour, c'est
( ...) Il faut subir ce voyage avec le livre la mémoire, les halètements, les ho- aussi << ce qui permet d'attendre».
naissant, ce bagne tout le temps de quets et les images vernissées du passé: Michèle Gazier